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20e anniversaire de l’ACCPUF – Allocution du Président Meyer
Allocution de Monsieur Ulrich Meyer, Président de l’ACCPUF, Président du Tribunal fédéral suisse
Monsieur le Président Fabius
Mesdames les Présidentes, Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Conseillères et Conseillers,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs les Chefs, Membres et Fonctionnaires des Institutions,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis et chères amies,
« La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les États modérés. Elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir: mais c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait! La vertu même a besoin de limites. »
C’est à ce passage tiré de « L’Esprit des lois, livre IX » de Charles Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu (1689-1755) qu’ont dû penser les Ministres de la Justice des pays ayant le français en partage, réunis au Caire le 1er novembre 1995, lorsqu’ils ont adopté la Déclaration et le Plan d’action comme l’un des aboutissements de leur 3ème Conférence. En effet, le Congrès fondateur des 36 cours constitutionnelles francophones qui a eu lieu deux ans plus tard, tirait son origine d’une recommandation faite par les Ministres de la Justice des mêmes pays. La Déclaration du Caire avait lancé un Plan d’action en faveur de la justice, de l’État de droit, des droits de l’homme et du développement pour les années 1996 à 2000. C’est dans le prolongement de cette Déclaration qu’un rapprochement s’est opéré entre les Cours constitutionnelles des 36 pays qui ont fondé, il y a 20 ans, notre Association des Cours Constitutionnelles ayant en Partage l’Usage du Français (ACCPUF). Lors de l’Assemblée générale constitutive du 9 (au 11) avril 1997 ici à Paris, c’est l’éminent juriste Roland Dumas, Président du Conseil constitutionnel de la République française, qui a été élu, par acclamation, au poste de premier Président de l’ACCPUF. Le Président de la Cour suprême du Canada a été élu Trésorier. En outre, ont été admis comme membres du Bureau, le Président de la Cour suprême du Gabon au poste de 1er Vice-Président, celui de l’Ile Maurice au poste de 2ème Vice-Président et, après une discussion engagée sur plusieurs candidatures, celui du Liban comme 3ème Vice-Président. Ce premier Congrès avait pour sujet « Le principe d’égalité ». Depuis lors, notre organisation a développé ses activités statutaires sur un rythme triennal: le 2ème Congrès, qui s’est tenu en 2000 à Libreville au Gabon, traitait du thème « L’accès au juge constitutionnel: modalités et procédures ». En 2003, à Ottawa au Canada, le 3ème Congrès a abordé le sujet de « La fraternité ». De nouveau à Paris, il y a 11 ans exactement, du 13 au 15 novembre 2006, le 4ème Congrès se penchait sur « Les compétences des Cours constitutionnelles et institutions équivalentes ». Le 5ème Congrès, qui s’est déroulé en 2009 à Cotonou au Bénin, avait pour thème « Les juridictions constitutionnelles et les crises ». En 2012, « Le citoyen et la justice constitutionnelle » était le thème du 6ème Congrès ayant lieu à Marrakech au Maroc. Enfin, le 7ème Congrès, organisé du 3 au 6 juin 2015 à Lausanne en Suisse, a été consacré à « La suprématie de la Constitution ». A cela s’ajoutent les sept réunions des Chefs d’institution tenues au Liban (1998, « Le principe d’égalité « ), à Djibouti (2002, « Les relations entre Cours constitutionnelles et Cours suprêmes « ), en Roumanie (2005, « L’indépendance des juges et des juridictions »), au Gabon (2008, « La proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle »), au Niger (2011, « Le statut du juge constitutionnel »), au Canada (2014, « Les relations entre les Cours constitutionnelles et les médias »), à Chisinau, Moldavie (2016, « L’organisation du contradictoire »). En outre, de nombreuses séances du Bureau ont eu lieu dans beaucoup de pays participants, destinées à la préparation des Congrès et des réunions des Chefs d’institution ainsi qu’au bon fonctionnement, notamment financier, de notre association et donnant le feu vert au Secrétariat général pour donner des aides multiples à nos membres: don d’ouvrages juridiques, mise à disposition des outils de travail modernes, versement de subsides aux membres qui en ont besoin pour leur permettre de pouvoir participer aux Congrès et aux séminaires, par exemple à celui de Strasbourg en 2007 portant sur « La communication et transparence au sein des Cours constitutionnelles » et sur « La formation à la base de données de jurisprudence constitutionnelle Codices », ou à celui de Paris en 2013 portant sur « L’informatisation et la dématérialisation des procédures au sein des Cours constitutionnelles » ou encore à l’actuel séminaire qui porte sur « L’écriture des décisions ».
Notre organisation a développé toutes ces activités en étroite collaboration avec l’Organisation internationale de la Francophonie, notre premier partenaire qui nous a toujours soutenu et accompagné, en lien notamment avec la Déclaration de Bamako, adoptée le 3 novembre 2000 par les Ministres et chefs de délégation des États et gouvernements des pays ayant le français en partage lors du « Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone » ou avec la Déclaration de Saint-Boniface concernant la « Prévention des conflits et Sécurité humaine » adoptée le 14 mai 2006.
Quelles conclusions tirer de ces 20 dernières années? La réponse est évidente, elle s’impose: notre organisation est vivante. Elle est le lieu de rencontre de différentes cultures sociétales et d’un dialogue qui s’étend à quatre continents et qui ne poursuit qu’un seul but: la protection des droits fondamentaux et la promotion de l’État de droit. Les Cours constitutionnelles jouent un rôle décisif dans ce processus. Elles sont les garants de la limitation du pouvoir et de l’arbitraire par le droit. Nous sommes les légataires de Montesquieu: notre rôle est de veiller à ce que les autres pouvoirs de l’État, le législatif et l’exécutif, respectent le droit et en particulier la Constitution. Nous sommes conscients de la diversité de nos systèmes juridiques qui sont le résultat de développements historiques différents. Toutefois, le noyau de notre mission est commun à nous tous, essentiel et imprescriptible: protéger le citoyen des atteintes arbitraires des autres pouvoirs de l’État. Le modèle de la séparation des pouvoirs de Montesquieu est génial, un apport historique en matière de culture juridique, restant et acquis.
A présent, nous ne vivons plus au 18ème siècle. L’Ancien Régime est aboli. La Révolution française de 1789 nous a apporté les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Leur concrétisation et leur protection doivent aujourd’hui tenir compte d’un contexte factuel complètement différent. Il s’agit d’une tâche permanente qui ne s’achève jamais. La Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle, qui a eu lieu du 11 au 14 septembre 2017 à Vilnius, a justement montré à quel point l’État de droit est menacé. C’est la raison pour laquelle le but statutaire de notre association restera d’actualité pour les 20 prochaines années: favoriser l’approfondissement de l’État de droit par un développement des relations entre nos institutions. C’est pourquoi, en tant que Suisse dont le pays n’appartient que partiellement à la sphère francophone, je suis profondément convaincu que l’ACCPUF a un rôle primordial à jouer. Au niveau international, en matière judiciaire, le Tribunal fédéral suisse n’a jamais été autant engagé auprès d’une organisation qu’auprès de l’ACCPUF. C’est notre contribution au renforcement de l’État de droit dans l’espace francophone. Je suis particulièrement touché de pouvoir vous dire cela à l’occasion du 20ème anniversaire, car cela me rappelle que mon grand-père paternel a trouvé du travail et gagné sa vie, entre 1910 et 1927, comme concierge d’hôtel d’abord à Paris, puis à Lyon – à l’époque la Suisse était pauvre et un pays d’émigration.
En guise de conclusion, rappelons-nous de la citation de Montesquieu qui dit: « Ce qui manque aux orateurs en profondeur, ils vous le donnent en longueur. » Ainsi, je termine mon intervention par de nombreux remerciements. Ils s’adressent tout d’abord à la République française, en particulier à Monsieur le Président Fabius qui a eu la gentillesse de nous accueillir pour notre jubilé et au Conseil constitutionnel français qui porte la charge principale des activités associatives en mettant à disposition le secrétariat général. Je remercie également chaleureusement la Secrétaire générale de l’ACCPUF, Madame Caroline Pétillon. En effet, je n’aurais jamais pu exercer ma fonction de Président de l’ACCPUF sans son aide quasiment humanitaire. Je remercie l’Organisation internationale de la Francophonie qui soutient notre réunion avec une somme très conséquente. Je remercie aussi chacun d’entre vous qui, en tant que représentant de vos institutions, rendez possible l’activité de notre association par votre présence, votre participation, vos contributions actives, notamment celles des intervenants aux séances de travail. Je remercie mes collègues au Bureau de l’ACCPUF qui m’ont beaucoup aidé dans la solution de problèmes parfois délicats. Je remercie enfin mes collègues du Tribunal fédéral suisse qui font preuve de compréhension à l’égard de leur Président s’occupant du « dossier ACCPUF », et tout particulièrement mon Secrétaire général, Monsieur Paul Tschümperlin qui de toutes les personnes ici présentes est le seul à avoir assisté à l’assemblée constitutive du 9 avril 1997. Et, à l’autre bout de la gamme, je salue et remercie très chaleureusement pour leur présence les collègues de la Cour constitutionnelle du Luxembourg qui participent pour la première fois à une manifestation et qui vont devenir membre de plein droit de l’ACCPUF très prochainement.
Ainsi je vous souhaite, chers et chères collègues, de fêter dignement le 20ème anniversaire de notre association. A commencer par les travaux qui nous attendent dans le cadre de notre conférence sur le thème de « L’écriture des décisions ». Toutefois, un anniversaire n’est pas composé uniquement de travail, mais également du plaisir de la fête et de la réunion conviviale dans le cadre de ce magnifique programme que Madame Caroline Pétillon nous a parfaitement préparé. À cette occasion, gardons à l’esprit une troisième et dernière citation de Montesquieu: « La plupart des choses qui nous font plaisir sont déraisonnables ».
Vivent nos pays! Vivent nos institutions! Vive l’Etat de droit! Vive la langue française! Et vive l’ACCPUF comme association des Cours constitutionnelles de la Francophonie!
Paris, le 16 novembre 2017
Ulrich Meyer, Président de l’ACCPUF