< Retour | Accueil > Actualités > Actes du 8e congrès – Lausanne
Actes du 8e congrès – Lausanne
Synthèse des réponses au questionnaire
Mathieu Disant
Professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF
Cette synthèse, comme les deux suivantes, est réalisée à partir des trente réponses adressées par les destinataires du questionnaire. Bien entendu, elle ne peut rendre compte de la grande diversité des situations des Institutions membres de l’ACCPUF. Il s’agit de restituer les réponses apportées par les Cours, le plus fidèlement possible, mais aussi le plus brièvement possible – deux exigences souvent contradictoires.
La richesse de ces questionnaires permet de dresser quelques lignes forces, mais aussi des points de distinction, quant au statut respectif ou réciproque, distinct ou enchevêtré, de la Constitution et du droit international dans la hiérarchie des normes, telle que vous la mettez en œuvre.
1. La position de la Constitution ne laisse guère d’ambiguïté.
1.1. Dans la majorité des systèmes examinés, la Constitution contient une disposition déterminant de façon explicite son rang normatif et son efficacité juridique.
Cette disposition peut être insérée, soit dans le corps du texte constitutionnel (ce qui le plus courant), soit dans son préambule (Algérie, Monaco), ou encore dans les deux à la fois (Bénin, Bulgarie, Maroc). Cette mention peut aussi figurer dans les dispositions constitutionnelles transitoires, en particulier lorsqu’est inscrite l’inapplicabilité des dispositions des lois adoptées avant l’entrée en vigueur de Constitution (Bulgarie).
Il n’y a pas de rédaction typologique sur ce point : la disposition constitutive si l’on ose la qualifier ainsi – peut se loger aussi bien au début ou à la fin du texte constitutionnel. Les constitutions les plus récentes ont toutefois tendance à privilégier la première option, moyen d’affirmer de façon plus directe la suprématie de la Constitution.
Cette suprématie est différemment formulée. La Constitution est instituée comme :
- « la loi suprême » (Canada, Moldavie, Roumanie) ;
- loi supérieure (Albanie) ;
- loi fondamentale (Algérie) ;
- « la loi des lois » (Bulgarie) qui ajoute que cette suprématie est « totale et universelle » ;
- « la loi suprême de l’État » (Bénin, Monaco, Niger), le cas échéant « loi suprême du Royaume » (Cambodge, Maroc), ou sous une autre dénomination :
- « norme suprême de l’ordre juridique » (Andorre), « loi suprême que les autres lois ne sauraient contredire » (Bulgarie).
Parmi les différentes justifications, la Constitution est dite suprême :
- en tant qu’elle organise le fonctionnement de l’État démocratique (Andorre), qu’elle est source de légitimité de l’exercice des pouvoirs (Algérie), qu’elle énonce les grandes valeurs sur lesquelles repose l’État (Bulgarie) ;
- suprême aussi, en tant qu’elle s’impose à tous les pouvoirs publics et aux citoyens (Andorre, Bulgarie), ces derniers ayant « l’obligation absolue de respecter, en toutes circonstances, la Constitution » (Niger) ;
- suprême encore, parce qu’elle est au-dessus de toutes les autres normes (Algérie, Cameroun), lesquelles « doivent (lui) êtres absolument conformes » (Cambodge), leur « validité dépend de la conformité à la Constitution » (Guinée Bissau) ; La Constitution de la République du Mozambique prévoit que « les normes constitutionnelles prévalent sur toutes les autres normes du système juridique » ;
- suprême, enfin, en tant que la Constitution est « au sommet de l’ordre juridique interne » (selon la formule retenue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel français).
1.2. Il faut toutefois noter que toutes les constitutions ne déterminent pas explicitement leur rang normatif. Certaines le font de manière implicite ou incidente. C’est le cas en Belgique, au Congo, aux Comores, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Liban, à Madagascar, en Slovénie, au Togo, en Suisse.
La suprématie repose alors sur différents types d’insertion normative :
- il peut s’agir d’une disposition habilitante, qui prévoit par exemple que tous les pouvoirs sont exercés de la manière établie par la Constitution (Belgique), ou qui dispose que la source de toute légitimité découle de la constitution (Burkina Faso) ;
- il peut s’agir d’une règle de subordination, prescrivant le caractère exécutoire de la Constitution ou une obligation de conformité des autres actes juridiques (Slovénie), ou mentionnant, selon une approche négative, l’inapplicabilité (Congo), l’effet abrogatif (par ex. Belgique) ou plus simplement l’absence d’effet juridique (Moldavie) des actes qui lui sont contraires, ou à l’égard de laquelle ils sont incompatibles (Canada) ;
- cette suprématie peut aussi reposer sur l’affirmation selon laquelle « les dispositions de la Constitution ont un effet direct » (Bulgarie), ou celle selon laquelle « les droits de l’homme et les libertés fondamentales s’exercent directement sur la base de la Constitution » (Slovénie) ;
- ou encore par l’affirmation de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal, qui fait obstacle à l’adoption ou à l’application des règles qui éludent ou contredisent le sens ou l’esprit des prescriptions de la Constitution fédérale Suisse.
À quoi il faut ajouter deux considérations, souvent citées dans vos réponses :
- d’une part, la protection de l’ordre constitutionnel établi pour que les accords internationaux puissent faire partie de l’ordre juridique interne (not. Bulgarie, Tunisie) ;
- d’autre part, l’existence d’une procédure propre à la révision de la Constitution, ce qui renvoie au degré de rigidité des constitutions.
D’une certaine façon, c’est tout le contenu de la Constitution qui justifie sa suprématie, toute la longue tradition juridique du constitutionnalisme. Certaines cours soulignent que la suprématie de la Constitution s’enracine dans le principe de l’édification de l’État de droit (Bulgarie), comme il va de concert avec la primauté du droit (« rule of law ») au Canada et en Tunisie (cette primauté ayant été inscrite à l’article 2 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014).
En particulier, l’instauration du contrôle de constitutionnalité et l’organisation des compétences (contentieuses et/ou de régulation) confiées à vos cours témoignent, pour reprendre l’expression de la Tunisie à propos de l’instance provisoire (IPCCL) puis définitive Cour constitutionnelle, de « la prévalence des dispositions constitutionnelles sur les autres sources de droit positif ». La Moldavie fait aussi observer que « l’efficacité juridique de la Constitution est déterminée par ses propriétés juridiques, notamment par le fait que la Constitution dispose d’un pouvoir juridique suprême dans le système de droit, garanti par le mécanisme de contrôle de la conformité des lois et des actes normatifs à l’acte suprême ».
1.3. Il n’existe pas de normes de droit interne supérieures à la Constitution. Cela revient comme un leitmotiv dans vos réponses : rien n’est placé au-dessus de la Constitution.
Sous cet angle, la valeur supra-constitutionnelle est étrangère au droit constitutionnel positif et ne dépasse pas le plan des discussions théoriques. La Suisse fait observer le déclin de l’idée même d’un ordre normatif supra-constitutionnel, plus souvent défendue par le passé.
Pour atténuer cette apparente unanimité, on doit évoquer trois tempéraments. D’une part, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Moldavie retient de façon originale que la Déclaration d’indépendance de la République de Moldavie constitue le fondement juridique et politique originaire et contraignant de la Constitution. Aucune disposition de la Constitution ne peut enfreindre les dispositions contenues dans cette Déclaration. En cas de contrariété, c’est bien le texte constitutionnel originaire de la Déclaration qui prévaut, qui a pu ainsi être considéré comme « supraconstitutionnel ».
Par comparaison, cette solution a été rejetée en Belgique au sujet des textes adoptés avant la Constitution par le Congrès national (qui est aussi le Constituant originaire), l’un relatif à l’indépendance du peuple belge, l’autre relatif à l’exclusion des membres de la famille Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique.
D’autre part, la question de la supra-constitutionnalité est parfois moins catégorique en relation avec certaines normes. Le cas du Canada mérite une attention particulière à cet égard. Depuis 1998 et le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême a articulé à l’ordre constitutionnel des principes qualifiés de « sous-jacents ». On en dénombre quatre : le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et le respect des minorités. Selon les termes de la Cour, ces principes « ressortent de la compréhension du texte constitutionnel lui-même, de son contexte historique et des diverses interprétations données par les tribunaux en matière constitutionnelle ». Ce sont donc des éléments de l’ordre constitutionnel qui ont plein effet juridique, c’est-à dire, selon la Cour, qu’ils peuvent donner naissance à des « obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises ». Ces principes ne sont donc pas simplement descriptifs, ils sont aussi investis d’une force normative puissante qui conduit à les voire comme des méta-principes constitutionnels, auxquels la Cour suprême a fait référence encore récemment.
Enfin, nombre de vos cours concède que ni la Constitution, ni la jurisprudence n’ont une approche claire et figée sur la question de prévalence de certains droits, principes ou valeurs, au sein de la Constitution. Certaines cours admettent d’une façon ou d’une autre la place, tantôt éminente, tantôt inférieure, de certains principes :
- le Maroc évoque, pour le premier cas, l’introduction de nouveaux principes de valeur constitutionnelle qui constituent « les soubassements du régime constitutionnel marocain de 2011 », parmi lesquels notamment l’indépendance de la justice, la sincérité et la transparence des élections, la bonne gouvernance, la religion musulmane modérée, la décentralisation territoriale, ainsi que la parité entre les hommes et les femmes… ;
- le Canada souligne, quant à lui, que la jurisprudence constitutionnelle relève de la constitution « non écrite » ; il s’en déduit qu’elle est de hiérarchie inférieure aux deux sources de droit constitutionnel écrit (que sont les textes formellement constitutionnels, et lois ordinaires à statut constitutionnel).
Ceci étant, la très large majorité des cours ne reconnaît aucune distinction entre les différents types de normes constitutionnelles, ni à l’intérieur, ni en dehors d’elle-même (Algérie, Andorre, Belgique, Burkina, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, France, Gabon, Liban, Madagascar, Moldavie, Monaco, Niger, Roumanie, Tchad, Togo, Suisse). Toutes les normes constitutionnelles sont alors d’égale valeur, y compris celles contenues dans le préambule. Précisons que lorsque ce dernier existe (ce qui n’est pas le cas notamment en Belgique et en Roumanie), son statut de norme directement ou indirectement efficiente est à peu près stabilisé partout.
Précisons également que l’absence d’échelle de prévalence ne signifie pas identité de protection. Comme l’a exposé le Tribunal constitutionnel d’Andorre, les droits constitutionnels ont potentiellement « une efficacité différente selon leur contenu normatif, du fait de leur situation systématique et, même, par rapport au cas concret auquel ils s’appliquent ».
Point de supra-constitutionnalité, ni d’intra-constitutionnalité, donc. Mais alors :
2. Quels sont le statut et la place des normes internationales dans vos ordres internes ?
La liste des textes internationaux concernés est dense. Dans la panoplie des textes garantis par vos constitutions, figure notamment : la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (ONU I), celui relatif aux droits civils et politiques (ONU II), la Charte internationale des droits de l’homme, mais aussi le cas échéant la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 adoptée par l’Organisation de l’Unité africaine.
Sans aucune exhaustivité, on trouve là un corpus commun, que l’on peut dire standardisé, de protection des droits humains. Ce qui fait écho à l’incorporation dans les textes constitutionnels des « principes de droit international universellement reconnus » (Andorre) ou des « principes généraux du droit international » (Monaco). Bien entendu, on rappellera que les dispositions de droit international lient les États lorsque les traités qui les prévoient sont dûment ratifiées et publiées, et soumise à une règle de réciprocité, toutes conditions dont la mise en œuvre technique varie selon les systèmes et qui font l’objet d’un examen par vos cours ou, le cas échéant, d’autres juridictions.
Il est évident que l’insertion dans la Constitution de ces traités, accords ou conventions procède d’une volonté parfois très forte d’intégration mondiale. Un chiffre peut l’illustrer : pas moins de 35 articles sur les 139 que compte la Constitution du Cambodge y font mention ! Soit plus d’un quart des dispositions. De même, les conventions internationales des droits de l’homme bénéficient d’une attention toute particulière au sein des réformes constitutionnelles récentes intervenues, par exemple, au Maroc et en Tunisie.
Dans l’ensemble, vos constitutions – ou vos jurisprudences – ont résolu parfois en détail les rapports avec le droit international, en définissant les limites à l’intégration de l’État dans un ordre international et autres « clauses de sauvegarde » ; en définissant aussi les procédures d’insertion des normes internationales dans l’ordre juridique interne et les compétences des organes respectifs dans ce domaine. Qu’en ressort-il ?
La valeur supra-législative du droit international n’est pas ou plus véritablement discutée, même si tous les textes constitutionnels ne sont pas explicites sur ce point. Deux questions principales se posent : d’une part, celle de l’infériorité constitutionnelle du droit international ; d’autre part, celle de l’intégration de la normativité internationale protégeant les libertés au contrôle opéré par la Cour constitutionnelle.
2.1. Sur le premier point, on peut retenir que la Constitution prime sur les normes de droit international. Les traités internationaux ratifiés occupent presque toujours une place infra-constitutionnelle.
Au Canada, la réponse est absolue, en raison de la séparation des deux sphères juridiques. En cas de conflit, c’est très clairement la norme constitutionnelle – en tant qu’elle est interne – qui va primer, ou du moins être favorisée. C’est la supériorité du droit interne dans son ensemble, et non seulement constitutionnel, qui est retenue. Autrement dit, le droit international n’est pas plus contraignant que le droit étranger.
À l’inverse, en Suisse ou aux Comores, la conception largement admise est celle d’une primauté du droit international sur le droit interne. La Constitution fédérale Suisse ne mentionne pas de règle de conflit, c’est-à-dire qu’elle n’indique pas comment résoudre un conflit entre norme de droit international et une règle de droit interne ; de sorte que, qu’est laissée ouverte la possibilité d’exceptions à la primauté internationale dans certains cas. Il semble admis que le droit international l’emporte seulement lorsqu’une contradiction insurmontable est constatée par le Tribunal fédéral.
La règle de primauté constitutionnelle est valable concernant le droit de l’Union européenne. À cet égard, le Conseil constitutionnel français estime que la place particulière de ce droit ne remet pas en cause la place de la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes.
Il n’y a qu’en Belgique que la suprématie de la Constitution sur le droit international offre une controverse jurisprudentielle, puisque la solution apportée est différente selon que l’on examine la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et celle de la Cour de cassation.
Depuis 1991, la Cour constitutionnelle estime, dans le cadre du contrôle des textes d’assentiment, que le droit des traités occupe une place inférieure à la Constitution dans la hiérarchie des normes. La Cour juge aussi qu’une inconstitutionnalité entachant une norme interne de valeur législative ne peut être justifiée par la circonstance que cette norme se limite à donner exécution d’une convention internationale : cette circonstance ne dispense pas le législateur de respecter les dispositions constitutionnelles.
En revanche, la Cour de cassation a jugé, en 2004, qu’un traité ayant effet direct avait primauté sur la Constitution. Elle a jugé que lorsque la Constitution ne pose pas plus d’exigences que la disposition conventionnelle, un contrôle de la loi à la lumière de la convention suffit ; un contrôle ultérieur de la loi à la lumière de la Constitution étant alors sans pertinence. Elle en a conclu qu’elle n’était pas tenue, dans cette hypothèse, de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
2.2. Sur la question de l’intégration de la normativité internationale au contrôle de la cour, la situation est contrastée, presque paritaire.
Parmi les cours qui refusent d’exercer un contrôle de conventionnalité, on peut citer : Andorre, Algérie, Cambodge, Canada, Congo, Côte d’Ivoire, Liban, Maroc, Monaco, Niger, RDC, Tchad, Tunisie.
Dans ce cas, le droit international ne fait pas formellement partie des normes de références utilisées par ces cours dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. Celles qui retiennent cette expression précisent que le droit international ne fait pas partie du « bloc de constitutionnalité ». Autrement dit, même si cela peut couvrir des réalités fort différentes, il n’est pas un paramètre direct du contrôle de constitutionnalité.
C’est le cas au Canada. À l’instar des autres pays de tradition juridique anglo-saxonne de common law, le Canada adhère au modèle dit « westphalien » des relations internationales, avec son idée-structure de la souveraineté des États. Il faut, dès lors, parler d’interaction (et non d’intégration) du droit international avec le droit interne canadien puisque – encore une fois – il existe deux réalités juridiques séparées et distinctes ou, pour emprunter au langage mathématique, deux ensembles non intersectants. Le mandat constitutionnel de la Cour est d’appliquer le droit canadien, pas le droit international.
C’est le cas aussi en France. Depuis sa décision Interruption volontaire de grossesse de 1975, le Conseil constitutionnel juge qu’il ne lui « appartient pas (…) d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international ». Cette solution a été constamment rappelée par le Conseil constitutionnel tant dans le cadre du contrôle a priori que dans le cadre du contrôle a posteriori depuis l’instauration de la Question prioritaire de constitutionnalité.
À l’inverse, d’autres cours utilisent les normes internationales comme référence : Albanie, Algérie, Bénin, Bulgarie, Burkina, Comores, Guinée, Madagascar, Roumanie, Slovénie, Togo, Suisse.
En Albanie, la Convention européenne des droits de l’homme a une valeur constitutionnelle à titre de référence directe dans la Constitution. Une démarche comparable peut s’observer au Congo, Guinée Bissau, Mozambique, Tchad, Togo.
Au Bénin, la Cour constitutionnelle utilise comme normes de référence la convention régionale de protection des droits fondamentaux, et le cas échéant d’autres traités, pour s’appuyer par exemple sur des normes économiques et financières internationales, ou sur des normes internationales relatives aux droits fondamentaux des travailleurs.
Au Burkina, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Niger, à Madagascar mais aussi au Liban, il est considéré que cette intégration vaut pour les textes internationaux visés dans le préambule de la Constitution. Cette référence expresse vaut opérabilité de l’instrument dans le débat de constitutionnalité. On fera observer que la question se pose en ces termes dans le cadre de la Constitution tunisienne : l’attachement des constituants « aux principes universels des droits de l’homme » au sein du préambule semble pouvoir être interprété comme permettant de les intégrer dans le « bloc de constitutionnalité » comme le suggère la réponse au questionnaire.
En Slovénie, tous les traités internationaux et les principes généraux du droit international font partie du bloc de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle peut appliquer d’office des normes internationales même si les parties à la procédure constitutionnelle ne les invoquent pas. Au sens large, la Cour se réfère également aux principes généraux du droit international, y compris le droit coutumier, comme elle se réfère également aux « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ».
En Belgique, c’est de façon indirecte que le droit international des droits de l’homme fait partie du « bloc de constitutionnalité » (quoique cette notion y soit peu usitée). La Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions internationales, mais la Cour a développé deux techniques lui permettant d’associer et de combiner les dispositions de droit international et les dispositions constitutionnelles.
D’une part, à travers le prisme du principe d’égalité, la Cour a fait entrer dans les normes de contrôle qu’elle utilise toutes les dispositions de droit international établissant des droits ou des libertés. D’autre part, la Cour combine les dispositions constitutionnelles garantissant des droits et libertés et les dispositions de droit international protégeant les droits et libertés analogues.
La Cour belge opère donc, à la faveur du contrôle de constitutionnalité, un contrôle de conventionnalité des dispositions de valeur législative, fédérales et fédérées ; dont les détails seront présentés par le président Alen.
2.3. Je terminerai en précisant très succinctement que certaines sources internationales bénéficient d’une place particulière au sein de la Constitution.
Celles inscrites au préambule, bien entendu, et dont le constituant souligne ainsi son attachement. Et plus encore celles qui, parmi elles, font l’objet, en propre, d’une disposition itérative. Par exemple, selon les termes de la Constitution du Bénin, les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – déjà mentionné au préambule – font partie intégrante de la Constitution et du droit béninois.
D’autres normes internationales bénéficient d’un véritable statut spécifique au plan constitutionnel. C’est le cas en Guinée Bissau, s’agissant de la Déclaration universelle des droits de l’homme, laquelle bénéficie d’un statut supra-constitutionnel qui lui confère primauté lorsqu’elle s’avère plus libérale que la Constitution. C’est le cas aussi, dans une certaine mesure, de disposition qui, comme celle de l’article 5 de la Constitution tunisienne, énonce un objectif d’unité du Maghreb arabe.
C’est le cas surtout à l’égard des dispositions constitutionnelles prévoyant des obligations qui découlent de l’adhésion à l’Union européenne, ordre juridique international plus intégré. L’article 148 de la Constitution roumaine, les articles 88-1 et 88-2 de la Constitution française ou encore l’article 3a de la Constitution slovène traduisent, avec quelques nuances, cette spécificité. Ainsi, la Cour constitutionnelle slovène a précisé, sur cette base, que les principes fondamentaux qui définissent la relation entre le droit interne et le droit de l’UE sont aussi des principes constitutionnels ayant la même force obligatoire que la Constitution. Enfin, concernant le contrôle des lois de transposition des directives européennes – qui ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France – le Conseil constitutionnel français accepte de déclarer non conforme à la Constitution une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer.
Ces éléments permettent de situer les relations entre la Constitution et le droit international, avant qu’elles ne soient approfondies par les différentes interventions de cette session.