Actes du 6e congrès – Association des Cours Constitutionnelles Francophones

Association des Cours
Constitutionnelles Francophones

Le droit constitutionnel dans l’espace francophone

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Actes du 6e congrès

Le citoyen et la justice constitutionnelle

  •  Marrakech, Maroc
  •  juillet 2012
  • N°ISBN 978-2-914106-15-3
  • © ACCF

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Séance d’ouverture

Message royal adressé au Congrès

Mohammed VI, Roi du Maroc

Louange à Dieu Prière et salut sur le Prophète, Sa famille et Ses Compagnons.

Excellences, Mesdames et Messieurs les présidents des cours et des conseils constitutionnels,

Mesdames, Messieurs,

C’est, pour nous, un motif de joie et de fierté que le Royaume du Maroc abrite les travaux du sixième congrès de l’Association des cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français, qui se tient sous Notre Haut Patronage, dans la ville de Marrakech, terre de dialogue et de grandes rencontres internationales.

Il Nous plaît, tout d’abord, de rendre hommage à votre Association pour les nobles objectifs qu’elle poursuit. Nous saluons aussi la contribution efficace qu’elle apporte en matière de diffusion de la culture de la suprématie du droit qui est le socle sur lequel repose l’État de droit et des institutions, et de promotion de la justice constitutionnelle, qui incarne au mieux la prééminence de la Constitution.

Votre congrès est d’autant plus important qu’il se tient dans le sillage des changements que connaît le droit constitutionnel moderne, des évolutions institutionnelles qui s’opèrent dans de nombreux pays de notre région et dont le corollaire est l’accès de la justice constitutionnelle à un statut privilégié au sein du système institutionnel démocratique moderne, non seulement en tant que clé de voûte de l’équilibre entre les pouvoirs constitutionnels, mais également en tant que référentiel pour ces pouvoirs et pour les droits qu’ils garantissent au citoyen.

C’est là qu’apparaît toute la pertinence du thème que vous avez retenu comme axe principal de vos travaux, à savoir « le citoyen et la justice constitutionnelle ». Ce thème traduit, en effet, un engagement fort d’œuvrer pour que le citoyen, avec ses droits, ses obligations, ses libertés et la nécessaire sauvegarde de sa dignité, s’affirme à la fois comme la référence et la finalité de l’action des institutions constitutionnelles.

Eu égard aux hautes compétences juridiques et judiciaires qui sont reconnues aux participants à ce congrès, et compte tenu de la crédibilité et du respect que les cours et conseils constitutionnels siégeant dans votre Association, tirent de leur indépendance, de la compétence, de l’expérience et de l’impartialité de leurs membres, Nous sommes convaincu que le débat constitutionnel positif et les conclusions pertinentes qui résulteront de ce congrès permettront de cerner les problématiques afférentes à l’étroite relation entre le citoyen et la justice constitutionnelle.

Cette corrélation pose, à l’évidence, des défis jurisprudentiels et juridiques, qui nous interpellent instamment sur les fonctions classiques de la justice constitutionnelle, en rapport avec les fondements des régimes démocratiques modernes, dont, au premier chef, les principes de souveraineté, de séparation des pouvoirs et de légitimité représentative.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Votre congrès se tient une année après l’adoption d’une nouvelle Constitution à teneur fort avancée, posant les bases fondatrices d’un modèle constitutionnel marocain, ayant vocation à consolider la construction d’un État démocratique moderne où le citoyen est placé au cœur des priorités et des préoccupations de la Nation. En effet, l’État que nous appelons de nos vœux se fonde sur les principes de participation, de pluralisme, de bonne gouvernance des institutions aussi bien nationales que territoriales et de corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes, dans le cadre de la solidarité, de l’équité et de l’égalité des chances.

À cet égard, et parallèlement à la valorisation institutionnelle et au renforcement des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire en termes de séparation, d’équilibre et d’indépendance, la nouvelle Constitution a adopté une charte des droits où s’inscrivent les différentes générations des libertés et des droits fondamentaux, dans le cadre d’un système intégré des droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus. Elle a, par ailleurs, consacré les mécanismes propres à en garantir la protection et l’exercice effectif, notamment l’octroi au citoyen du droit de saisir la Cour constitutionnelle, pour invoquer l’inconstitutionnalité de toute loi qui, appliquée à un contentieux soumis à la justice, risque de porter atteinte à ses droits et libertés constitutionnels.

Tout ceci traduit la forte impulsion qui a été imprimée à la justice constitutionnelle dans notre pays, en dépit des multiples défis institutionnels et jurisprudentiels sous-jacents. De fait, l’interaction entre le citoyen et la justice constitutionnelle représente, désormais, un véritable paramètre à l’aune duquel on pourra jauger le dynamisme de la société, et déterminer dans quelle mesure celle-ci s’est approprié sa loi suprême. Elle constitue également un puissant levier pour consacrer les droits et les devoirs inhérents à la citoyenneté et à la démocratie authentique.

Nous gardons à l’esprit tous les contenus avancés de la nouvelle Constitution du Royaume, notamment son Préambule qui en fait désormais partie intégrante, et le Conseil constitutionnel, érigé en Cour constitutionnelle investie de larges compétences. Ce faisant, Nous entendons consolider les fondements de l’école marocaine de droit constitutionnel, riche de l’apport des constitutionnalistes marocains, et cela par l’émergence attendue, d’une jurisprudence constitutionnelle novatrice et ambitieuse, vouée à consacrer la prééminence de la Constitution et le strict respect de l’esprit et de la lettre de ses dispositions.

Compte tenu des attentes grandissantes de la société en matière de développement, et au vu de la succession des crises économique et financière mondiales, la Cour constitutionnelle marocaine, à l’instar de ses homologues siégeant au sein de votre honorable Association, se doit de mobiliser ·toutes ses énergies afin de relever le grand défide la justice, qui consiste à cerner clairement les périmètres juridiques et pratiques des droits économiques, culturels et environnementaux prévus par la Constitution pour les individus et les groupes.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

La justice constitutionnelle est appelée à s’engager dans une nouvelle dynamique s’appuyant sur le concours de toutes les instances judiciaires et académiques pour favoriser une prise de conscience de la nature des nouvelles missions qui incombent à cette justice en matière sociale, institutionnelle et en termes de développement, qui est consubstantiel à la démocratie, ainsi que des outils de travail dont elle devrait disposer, notamment des méthodes adéquates d’interprétation constitutionnelle, avec leurs principes et leurs limites.

Nous formons le souhait de voir votre Association poursuivre activement le rôle qui est le sien, en continuant à baliser la voie pour une bonne pratique constitutionnelle et démocratique au sein de nos sociétés, et en contribuant à anticiper les mutations institutionnelles à venir, porteuses des prémices de l’émergence d’un modèle institutionnel novateur, dont le trait majeur est la démocratie constitutionnelle citoyenne.

Par ailleurs, Nous appelons votre Association à se prévaloir de son caractère pluraliste, de son engagement actif à promouvoir la justice constitutionnelle, et des nobles idéaux partagés par ses membres, afin d’œuvrer à la mise en place d’une plate-forme solide pour un dialogue judiciaire constitutionnel constructif entre vos conseils et vos cours constitutionnels ; un dialogue qui serve de passerelle pour une bonne communication, une interaction féconde en matière de jurisprudence, l’échange d’expertises et de savoir-faire ainsi que l’ouverture sur des espaces linguistiques plus larges à l’échelle régionale et internationale, qu’ils soient académiques ou judiciaires, englobant toutes sortes de juridictions ordinaires et constitutionnelles.

Parallèlement, Nous vous invitons à raffermir davantage les liens d’amitié, de coopération et de partenariat unissant vos institutions, notamment à travers un partage accru des jurisprudences constitutionnelles originales, et la contribution de chacun au renforcement des capacités scientifiques, méthodologiques et administratives de vos institutions respectives.

En souhaitant la bienvenue à tous les participants à cet important congrès, et un agréable séjour dans leur deuxième pays, le Maroc, Nous formons le vœu de voir votre Association poursuivre résolument la noble mission qui est la sienne, et prions le très-Haut de couronner vos travaux de succès.

Wassalamou alaikoum warahmatoullahi wabarkatouh.

Mohammed VI, Roi du Maroc Fait au Palais Royal de tétouan,
le 2 juillet 2012.

Allocution de M. Robert S. M. Dossou

Président de l’ACCPUF, Président de la Cour constitutionnelle du Bénin

Monsieur le Conseiller de Sa Majesté le Roi du Maroc Monsieur le Président de la Chambre des représentants Monsieur le Président de la Chambre des conseillers Monsieur le Premier président de la Cour de cassation

Mesdames et Messieurs les présidents des institutions constitutionnelles Monsieur le Ministre de la justice

Monsieur le Wali de Marrakech Madame le Maire de Marrakech

Mesdames et Messieurs et vous tous en vos grades et qualités.

Je voudrais avant tout remercier Sa Majesté le Roi du Maroc du très grand honneur qu’il nous fait par son message.

Monsieur le Conseiller de Sa Majesté, je vous dis combien je suis ému, combien je suis pénétré du contenu du message de Sa Majesté. Ce message sera source d’inspiration pour notre Congrès dont il trace le cadre utile. J’en dégage quatre points :

  1. La suprématie du droit qui est le socle sur lequel repose l’État de droit ;
  2. Nous devons prendre en compte les changements que connaît le droit constitutionnel ;
  3. Le citoyen est placé au cœur des priorités et des préoccupations de la Nation ;
  4. La justice constitutionnelle est appelée à s’engager dans une nouvelle dynamique.

Je voudrais ensuite remercier l’ensemble du Royaume du Maroc de nous accueillir comme les Marocains savent si bien le faire.
Je remercie le Conseil constitutionnel marocain et son Président, Monsieur Mohamed Achargui et tous ses collègues et collaborateurs pour avoir su organiser ce 6e Congrès de l’ACCPuF coïncidant avec le quinzième anniversaire de notre Association.

Il me semble que ce n’est pas un hasard si notre 6e Congrès se tient au Maroc, terre du Maghreb servant de couvre-chef à l’Afrique qui dresse sa tête en Méditerranée et se trouve en même temps frappée des flots de l’Atlantique. Le Maroc est une terre de confluence et de tradition mais où tradition se conjugue harmonieusement avec modernité.

Nous ouvrons aujourd’hui notre Congrès dans un pays où les us et coutumes absorbent et digèrent lestement toutes les règles de la modernité et du progrès. C’est ainsi que ce pays qui nous accueille, a fait preuve d’une ingénierie constitutionnelle à travers plusieurs référendums dont le dernier remonte au 1er juillet 2011.

Cet exemple qui nous est donné, nous interpelle et nous appelle à approfondir, parfaire et achever les réponses aux défis auxquels nous sommes confrontés. À certains défis, nous avons donné des réponses complètes par le fait de notre existence et de nos quinze années d’activités ; à d’autres, nos réponses sont inachevées et à d’autres défis, nous n’avons donné aucune réponse. En effet, au moment où se tenait le 5e Congrès de l’ACCPUF à Cotonou du 23 au 25 juin 2009, des épreuves s’abattaient sur la Cour constitutionnelle du Niger, juste aux portes du Bénin. Il a été demandé à cette Cour, par le Chef d’État de l’époque, de déclarer elle-même inexistant un arrêt par elle rendu le 12 juin 2009. Devant la fermeté constante de la Cour, le Chef de l’État dissout la Cour et la remplace par une autre Cour à sa dévotion. un coup d’État était ainsi perpétré.

Ainsi, au moment où je prenais ma charge à la présidence de l’ACCPUF, je me suis retrouvé avec cette situation de la Cour constitutionnelle du Niger, impuissant, voire même honteux: l’ACCPUF n’en a pas réellement débattu et est demeurée silencieuse et inactive.

Au moment où je m’apprête à quitter ma charge, deux nouvelles situations sont créées : un putsch au Mali avec retour forcé à l’ordre constitutionnel donc rétablissement de la Cour constitutionnelle mais avec, selon moi, une épée de Damoclès suspendue au-dessus de cette Cour et un autre putsch en guinée-Bissau qui a complètement anéanti la Constitution et donc la juridiction constitutionnelle.

Coups d’État et putschs ! Ce sont là les atteintes les plus graves à la Constitution. Le juge constitutionnel qui sanctionne tous les jours des atteintes ordinaires à la Constitution, ne saurait demeurer indifférent à la rupture de constitutionnalité et l’obligation de réserve ne saurait servir de refuge à un manque de lucidité historique ou de courage.

Les riches et intéressants débats que nous avons eus à la 6e Conférence des chefs d’institution à Niamey les 3 et 4 novembre 2011 et consacrés au statut du juge constitutionnel, nous incitent déjà à nous départir de tout embarras lorsque nous nous trouvons face à une rupture de constitution donc à une rupture de l’État de droit. Le rapport général de synthèse indique en effet :

« l’obligation de réserve ne s’analyse pas nécessairement en une obligation de mutisme » et le rapporteur de poursuivre : « Pour beaucoup d’entre vous, la majorité, les associations ne seraient pas concernées par l’obligation de réserve; la lecture des réponses au questionnaire est instructive : elle fait apparaître que les cours et conseils constitutionnels de la Francophonie se doivent, au contraire, d’être sinon un “militant” de la Déclaration de Bamako du moins de contribuer à la promotion de la démocratie, de la justice et de la liberté ou encore, plus concrètement, comme l’a rappelé la réponse roumaine d’aider à la consolidation et à la restauration de l’indépendance d’une juridiction et d’élever et uniformiser les standards de protection. »

La voie a donc été clarifiée à Niamey. Il nous reste à faire le pas vers la conclusion sans équivoque. Pour cela, nous devons avoir à l’esprit trois choses :

  1. nous devons nous enrichir constamment de la diversité des situations que nous avons dans l’espace francophone. je l’indiquais à la séance d’ouverture du 5e Congrès à Cotonou en soulignant que : « grâce à la Francophonie, s’est créée une symbiose assez forte entre juridictions constitutionnelles des vieilles démocraties et juridictions constitutionnelles des démocraties nouvelles ou rétablies. Cette coexistence de solidité et de fragilité ou parfois même de précarité, a donné sève et tonus à cette dernière catégorie » ;
  2. le droit constitutionnel, tenu dès le départ pour un droit strictement interne lié à la souveraineté de l’État-Nation, se trouve aujourd’hui happé en partie par le droit international. C’est un phénomène auquel la doctrine nous a rendus attentifs ces dernières décennies. C’est ainsi que dans un rapport présenté à l’Institut du grand Duché de Luxembourg, le philosophe du droit, Pierre Pescatore écrivait : « Au cours de notre génération, l’idée institutionnelle s’est enrichie d’une nouvelle dimension, par la prise de conscience de l’emprise, sur les structures de l’État et jusqu’à la condition des individus, de facteurs transfrontaliers, supranationaux et internationaux » (La philosophie du droit au tournant du millénaire : état des problèmes, essais de solution, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 35) ;
  3. autrefois, le juge ne pouvait envisager se retrouver dans une association avec des juges d’autres sphères nationales. Aujourd’hui, des associations sont
    créées et bien créées comme la nôtre. Mais il reste à réellement comprendre que la personnalité juridique de notre association est distincte de celle de chacune des institutions la composant. Aussi, devons-nous nous garder de transposer l’intégralité de nos obligations de réserve au niveau de notre association.

Ceci dit, nous ne devons pas perdre de vue le travail abattu par chacune de nos juridictions en faveur de l’État de droit et du respect de nos constitutions. Nous ne devons pas non plus perdre de vue l’énorme et efficace solidarité que l’ACCPuF a déployée en faveur de l’organisation et du travail quotidien de certaines de nos juridictions : échanges d’expériences, de documentation, participation à l’observatoire francophone des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés, etc.

Pour parfaire ce travail, nous devons nous approprier les questions posées par Monsieur le Président Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie à la fin de son allocution à notre 5e Congrès à Cotonou :

« Comment pleinement utiliser, pour atteindre ces objectifs, les instruments et le dispositif dont nous nous sommes dotés avec votre participation active ?

Quel supplément de précision, et donc de pertinence, apporter aux notions et aux procédures qui fondent et encadrent notre action au titre du chapitre 5 de la Déclaration de Bamako ?

Quels mécanismes complémentaires éventuellement développer ?

Quelles stratégies solidaires plus efficaces déployer, entre vous et avec l’organisation internationale de la Francophonie ? »

Oui, la solidarité !, nous la déclinons dans une symphonie inachevée. Comment maintenant la décliner en solutions concrètes chaque fois qu’une de nos institutions membres est menacée, meurtrie ou réprimée ?

Et comme je le soulignais récemment au Congrès constitutif de l’Association des Cours constitutionnelles et institutions équivalentes d’Asie, à Séoul le 22 mai 2012 : « Le juge est interpellé par une nouvelle dimension culturelle et stratégique de sa fonction ».

Mesdames, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

Chers collègues,

La paix est la finalité de notre mission de juge constitutionnel. Et lorsqu’une juridiction de notre association rend une décision maladroite, ne devons-nous pas échanger entre nous et nous servir de la leçon par la négative ? Il n’y a pas que les exemples positifs qui instruisent.

Après le Congrès de Cotonou sur les juridictions constitutionnelles et les crises, la Conférence de Niamey sur le statut du juge constitutionnel, nous voici au 6e Congrès, à Marrakech pour réfléchir sur « le citoyen et la justice constitutionnelle ». Le citoyen est en effet le bénéficiaire de nos activités : sécurité juridique pour le citoyen dans son cadre national et dans l’espace francophone, État de droit stabilisé pour lui, déroulement de la vie nationale dans le cadre de la Constitution.

Doit-on ouvrir l’accès au contentieux constitutionnel au citoyen ? De manière directe ou après filtrage ? Quelles leçons en tirent les juridictions qui font déjà cette pratique ? Les pays qui n’ont pas encore la saisine par le citoyen, quels profits doivent-ils tirer de l’expérience de ceux qui ont déjà la saisine directe ou indirecte du citoyen ?

Ce sont là quelques questions qui vont animer nos trois jours de débats.

Mesdames, Messieurs,

Je demande votre indulgence. Car mon allocution de ce jour, n’est qu’un cri que je pousse en notre propre direction. En parlant de cri, je ne peux m’empêcher de penser à un de mes anciens étudiants, Théodore Béhanzin, poète et acteur aujourd’hui disparu. Au Colloque international organisé à Cotonou en septembre 1991 par la Francophonie sur « l’État de droit au quotidien : bilan et perspectives dans l’espace francophone », Théodore Béhanzin nous a gratifiés d’un beau poème auquel il me plaît d’emprunter pour dire :

«J’enrage, je tonne

Et je crache ma colère,

Contre le mutisme érigé en système Et je crie,

Que ne rien dire, Que ne rien voir, Que ne rien entendre N’est pas vivre. »

Vive le 6e Congrès de l’ACCPUF. Je vous remercie.

Intervention de M. Schnutz Rudolf Dürr

Secrétaire de la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle Chef de la division de la justice constitutionnelle de la Commission de Venise

J’ai le plaisir de visiter, déjà pour la deuxième fois cette année, Marrakech, ce joyau du Maghreb. La première occasion me fut donnée lors d’une conférence que nous avons organisée ici avec l’Association marocaine de droit constitutionnel sur le thème des processus constitutionnels, conférence que vous, Monsieur le Président Achargui, avez aimablement ouverte.

Je remercie le Conseil constitutionnel du Royaume de Maroc et l’ACCPUF de m’avoir invité en tant que représentant de la Commission de Venise et j’ai le plaisir de pouvoir vous parler aussi de la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle.

Depuis l’adoption du statut de la Conférence en mai 2011 et son entrée en vigueur en septembre de l’année passée, déjà 57 cours et conseils constitutionnels et organes équivalents sont devenus membres de la Conférence mondiale, dont beaucoup de cours présentes ici.

Parmi les groupes régionaux et linguistiques, qui sont la colonne vertébrale de la Conférence mondiale, l’ACCPUF a une excellente représentation au sein la Conférence mondiale.

Je vous remercie vivement, Monsieur le Président Dossou, pour les efforts que vous avez mis en œuvre pour inviter les membres de l’ACCPUF à joindre aussi la Conférence mondiale !

Déjà 19 des Cours et Conseils membres de l’ACCPUF sont devenus aussi membres de la Conférence mondiale et j’espère que d’autres suivront encore.

La Conférence mondiale a tenu une réunion de son Bureau à Venise le 16 juin 2012 et l’ACCPUF était représentée par ses actuel et futur présidents, le Président Dossou et le Président Achargui.

Une des questions discutées étaient les relations entre la Conférence mondiale et les accords de coopération de la Commission de Venise avec les groupes régionaux et linguistiques.

La Commission de Venise a conclu de tels accords avec presque tous les groupes: arabe, asiatique, ibéro-américain, de l’Afrique australe, nouvelles démocraties, cours de langue portugaise, mais les accords les plus anciens et les plus fructueux nous lient à l’ACCPUF : l’Accord de Vaduz et le Protocole de Djibouti (www.venice.coe.int/ACCPUF).

La Conférence mondiale n’a pas remplacé ces accords qui demeurent en vigueur et j’invite vivement les cours et conseils membres de l’ACCPUF d’en tirer profit en invitant vos correspondants ACCPUF à contribuer régulièrement à notre base de données commune – www.codices.coe.int – et à utiliser le Forum d’échanges de Venise en ligne qui sont à leur disposition.

Monsieur le Président,

Vous avez choisi un thème très pertinent pour votre Congrès : l’accès de l’individu à la justice constitutionnelle. En 2010, la Commission de Venise a adopté un rapport sur ce thème qui couvre les pays membres de la Commission de Venise, dont le Royaume du Maroc.

Nous constatons une forte tendance vers la mise en place d’un tel accès. À commencer avec la France qui a introduit la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la turquie qui est en train d’introduire un recours individuel et bien sûr le Royaume du Maroc, où la nouvelle Constitution prévoit l’exception d’inconstitutionnalité et un renvoi vers la Cour constitutionnelle.

Ce sont des développements passionnants qui montrent que tout en gardant leur rôle de garant de la Constitution à la demande des institutions de l’État de façon abstraite, de plus en plus les cours constitutionnelles deviennent actrices directes dans la protection des droits de l’Homme.

Cet accès à la cour constitutionnelle est évidemment essentiel pour le particulier qui bénéficie ainsi d’une protection, mais en même temps, il renforce la suprématie de la Constitution en général.

C’est seulement si une cour constitutionnelle est saisie, qu’elle peut éliminer des textes inconstitutionnels ou assurer leur interprétation constitutionnelle.

Une minorité parlementaire – et encore moins la majorité – ne saisira pas toujours la cour constitutionnelle lors de l’adoption d’un texte potentiellement inconstitutionnel.

C’est la saisine beaucoup plus fréquente par les particuliers qui donne à une cour constitutionnelle les moyens de « nettoyer » le corps des textes législatifs d’intrus inconstitutionnels. Ainsi, c’est l’individu qui contribue à la constitutionnalisation de l’État.

C’est une des raisons pour laquelle la Commission de Venise préconise la mise en place des voies d’accès pour l’individu à la cour constitutionnelle et j’espère que l’exemple des pays mentionnés sera suivi par d’autres États.

Monsieur le Président,

Je voudrais terminer avec un autre sujet qui n’était pas à l’ordre du jour de la réunion du Bureau de la Conférence mondiale, mais qui y a été discuté néanmoins.

Il s’agit de l’indépendance des cours constitutionnelles, thème du 2e Congrès mondial de Rio de janeiro. Dans son discours d’ouverture, le Président Dossou nous a rappelé qu’au sein de l’ACCPUF, il y a aussi des cours et conseils qui sont menacés par les autres pouvoirs de l’État.

Je me félicite que le Conseil constitutionnel du Niger soit « re-né » de ses cendres, mais nous avons parmi nous la Présidente de la Cour suprême de guinée-Bissau, qui a dû fuir son pays lors du putsch militaire.

Depuis hier, c’est la Cour constitutionnelle de Roumanie qui appelle à l’aide. Suite à des décisions défavorables au gouvernement, le Premier Ministre a appelé à la destitution des juges de la Cour ! Suite à des protestations nationales et internationales (http://www.venice.coe.int/default.asp?EID=1544&L=F), le gouvernement semble ne pas vouloir mettre en œuvre cette menace, mais la menace seule suffit pour exercer une pression inadmissible sur la Cour constitutionnelle.

Ces cours sont menacées dans l’exercice de leurs fonctions constitutionnelles et parfois leurs juges sont en danger de mort.

Je comprends que d’autres cours ou conseils ne veuillent pas s’exposer et se voient liés par la réserve qui incombe au juge.

Or, vous aideriez beaucoup ces institutions menacées si vous pouviez donner aux représentants de ces cours ici présents un signe de soutien moral qui n’engage pas votre propre institution.

Merci beaucoup.

1ère Session : L’accès du citoyen au prétoire du juge constitutionnel

Synthèse des réponses au questionnaire la saisine du juge constitutionnel par le citoyen – Les modes d’accès

Frédéric Joël Aïvo

Agrégé des facultés de droit

Professeur de droit public à l’université d’abomey-calavi (Bénin)

Directeur du centre de droit constitutionnel (CDC)

Expert constitutionnel auprès de l’ACCPUF

Introduction

Le présent rapport est la synthèse des réponses faites par les juridictions constitutionnelles. Elles répondent à la question de l’accès du citoyen au juge dans les droits des états membres de l’organisation internationale de la francophonie. Cette synthèse reprend la réponse de 22 rapports nationaux qui renseignent suffisamment sur la pratique des juridictions constitutionnelles concernées.

La colonne vertébrale de cette présentation est bien entendu le rapport du citoyen avec le juge constitutionnel, plus précisément les voies d’accès à l’office du juge. Ainsi, le rapport fera seulement écho aux aspects des réponses relatifs aux moyens d’accès du citoyen au juge. En croisant les règles constitutionnelles procédurales, deux voies apparaissent : l’une est restreinte, lorsqu’elle n’est pas fermée, c’est la saisine directe, et l’autre plus ou moins généralisée mais avec des variantes, c’est l’exception d’inconstitutionnalité. Mais ces deux modes de saisine du juge constitutionnel cachent une grande variété des modalités et règles de mise en œuvre.

I. La restriction du recours direct

Sur cette matière, il ne se dégage guère de tendance majoritaire. La synthèse des réponses montre bien que certains droits ne prévoient pas de mécanisme d’accès du citoyen au prétoire du juge constitutionnel, tandis que d’autres, une bonne moitié, l’organisent.

À l’analyse, pour les systèmes juridiques qui font accéder le citoyen à la justice constitutionnelle, le mécanisme est variable et les voies d’accès sont plurielles. De même, si le citoyen y est formellement identifié, son action est parfois soumise à des conditions qui sont, là aussi, variables. Au total, les voies d’accès du citoyen au juge constitutionnel sont diversement organisées et l’objet de son recours apparaît tout aussi variable.

A. La diversité des voies d’accès du citoyen

Dans le cas du recours direct, et c’est l’originalité de cette voie, le citoyen détient le droit de pouvoir saisir le juge en l’absence de procès. Le prétexte préalable de l’ouverture d’une instance devant le juge judiciaire ou administratif, qui est requis pour l’exception d’inconstitutionnalité ou la question prioritaire de constitutionnalité, n’est pas nécessaire. Ici, il faut distinguer deux approches : la première est celle de l’accès direct du citoyen et la seconde celle de l’accès par l’intermédiaire d’un porteur.

1. L’accès direct au juge

L’examen des réponses montre bien que les droits nationaux mettent en œuvre plusieurs modalités. Certains textes fondamentaux autorisent une action directe du citoyen alors que d’autres instaurent une voie de contournement. Dans le premier cas, le citoyen accède directement au juge alors que dans le second, s’il en garde l’initiative, la décision de la saisine lui échappe.

L’action individuelle du citoyen

Là aussi, la pratique n’est pas uniforme. Ce qui est constant, c’est bien le droit pour le citoyen d’accéder directement au juge. Mais l’exercice de celui-ci est parfois encadré et soumis à certaines conditions.

En effet, il existe des pratiques plus ou moins libres. Des recours directs sans conditions. Elle organise l’accès direct du citoyen. C’est celui des articles 3 et 122 de la Constitution du Bénin. Dans ce cas, le recours direct s’exerce sur toutes les matières et le citoyen peut invoquer la constitutionnalité des textes ou la violation des droits fondamentaux. Seulement il n’est possible qu’a posteriori, c’est-à-dire que contre une loi votée et promulguée. Il faut bien noter que ce cas est quasiment unique.

Le plus courant, c’est le recours direct sous conditions. C’est celui en vigueur dans la plupart des pays. Le recours du citoyen doit ainsi respecter au préalable certaines conditions. La réserve peut porter sur l’objet du recours ou sur les règles procédurales. On citera à titre d’illustration les recours directs seulement valables en matière électorale (Cambodge) ou celui qui n’est possible qu’après l’épuisement des voies de recours (Andorre) ou à la condition que la méconnaissance de la constitution soit directement imputable à l’organe judiciaire (Andorre) ou encore après épuisement des voies de recours cantonales et fédérales (Suisse).

L’action collective des citoyens

En droit mozambicain, le citoyen n’accède au prétoire du juge constitutionnel qu’au moyen d’une action collective. Seul, il n’a pas qualité, mais à deux mille (2000), les citoyens peuvent saisir le juge constitutionnel.

Les personnes morales

La pratique est marginale. Outre les personnes physiques, en l’occurrence les autorités politiques, les personnes morales peuvent aussi saisir directement le juge constitutionnel. Dans la pratique, ce sont les associations de défense des droits de l’homme légalement constituées qui ont qualité pour saisir le juge constitutionnel par voie d’action (Côte d’Ivoire).

2. L’accès par voie de porteur

Au nombre des voies de recours direct du citoyen, il y a celles qui imposent un filtre. Deux moyens apparaissent dans la pratique des juridictions constitutionnelles : c’est celui en vigueur dans certains pays. Dans ces cas, les citoyens ne peuvent pas accéder au juge constitutionnel directement. Les textes leur recommandent d’avertir le médiateur (Hongrie) ou l’avocat du peuple (Roumanie) de l’inconstitutionnalité prétendue d’une disposition juridique et d’une norme juridique. C’est alors lui et non le citoyen qui prend la décision de saisir le juge constitutionnel dans le cas où, à la suite du citoyen requérant, le médiateur ou l’avocat du peuple estime qu’il s’agit d’inconstitutionnalité de la norme donnée.

Le second résulte du droit cambodgien. En effet, après la promulgation d’une loi, les citoyens peuvent individuellement soulever son inconstitutionnalité par l’intermédiaire des députés ou du président de l’assemblée nationale ou des membres du sénat ou du président du sénat. Comme dans le précédent cas, ce recours n’est pas direct. Le citoyen n’entre au prétoire que par l’intermédiaire des politiques.

Dans les deux cas, le citoyen a bien l’initiative du recours, mais le déclenchement et l’exercice lui échappent, d’autant que l’exercice de ce recours n’est ni automatique ni obligatoire.

B. L’objet variable du recours

L’objet du recours des citoyens est variable. Il est marqué par une grande diversité. Diversité des textes contrôlés et diversité des normes invocables devant le juge constitutionnel.

1. La diversité des textes contrôlés

Les lois

Certaines constitutions ouvrent l’accès au juge par voie d’action sur le fondement de la contestation de la loi. Lato sensu, on entend les lois organiques, lois ordinaires. (Quid des lois de révision constitutionnelle ?)

Tous les actes normatifs

Cependant, le bloc de constitutionnalité des états membres élargit le contrôle par voie d’action à plusieurs textes. Les différents droits désignent les actes normatifs et visent nombre d’instruments juridiques. Il s’agit tantôt des lois et actes gouvernementaux (Canada), tantôt des lois et règlements (Gabon), traités et accords internationaux (Côte d’Ivoire), tantôt de tous les actes y compris des faits (Bénin), tantôt des lois et décisions de justice après épuisement des voies de recours (Hongrie).

2. La diversité des normes invocables par le citoyen

Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ? Plusieurs sont ici visées. Mais trois émergent nettement. D’abord, on s’aperçoit que dans un très grand nombre de cas, le juge est interpellé sur la protection du droit constitutionnel substantiel. Ensuite, les règles constitutionnelles à caractère procédural et enfin les règles constitutionnelles ayant trait à la répartition des compétences.

II. La généralisation du recours indirect

La quasi-totalité des systèmes juridiques sous études ont institué un mécanisme d’accès indirect du citoyen au juge constitutionnel. Vingt sur vingt-deux réponses. À l’exception de quelques rares cas, les juridictions constitutionnelles pratiquent ce recours sous plusieurs dénominations. Les plus courantes sont l’exception d’inconstitutionnalité et la question prioritaire de constitutionnalité. Le droit suisse ignore ce procédé et la réponse du conseil constitutionnel libanais n’offre pas de précision sur ce sujet. Outre ces deux cas, minoritaires, le recours indirect apparaît comme une tendance lourde du droit processuel de la justice constitutionnelle. Cependant, si le mécanisme est consacré, son aménagement présente quelques spécificités : il se dégage de la généralisation du mécanisme deux modalités : l’un garantit l’accès direct du citoyen au juge constitutionnel et l’autre, un accès filtré.

A. Un accès quasi-direct

L’ouverture ou non de la saisine aux citoyens permet de mesure l’approfondissement des garanties juridictionnelles. La particularité de cette procédure est que pour y avoir accès, les citoyens doivent d’abord être des justiciables, parties dans une instance déjà ouverte. Ensuite, contrairement à une pratique courante, le citoyen requérant peut accéder au juge sans filtre. Deux procédés existent :

1. Le recours direct au juge

Ce procédé met en œuvre les garanties dites spécifiques des droits et libertés. Elles font une large place au citoyen qui peut saisir le juge constitutionnel directement, par ses propres soins. (Côte d’Ivoire, Comores, etc.). Mais la condition de fond est que ce recours ne peut être fait qu’à l’occasion de l’ouverture d’une instance devant une juridiction judiciaire ou administrative. C’est seulement à cette occasion que le citoyen est habilité à accéder au juge constitutionnel.

2. Le recours au moyen du juge

Dans ce cas, le justiciable saisit indirectement le juge constitutionnel par une autorité juridictionnelle devant laquelle il invoque l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi qui doit lui être appliquée par ledit juge. Ainsi, à la différence de la précédente modalité, celle-ci oblige le citoyen à confier au juge judiciaire ou administratif le soin de saisir le juge constitutionnel. Suivant la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité, le juge ordinaire doit saisir immédiatement le juge constitutionnel et surseoir à statuer jusqu’à la décision du juge compétent.

Dans ces deux cas, bien qu’exercé par voie d’exception, ce recours indirect facilite davantage l’accès du citoyen au prétoire du juge constitutionnel. Sous la réserve du procès initial qui fonde son déclenchement, l’exception d’inconstitutionnalité garde toutes ses chances d’être étudiée par le juge compétent. Ce recours ne connaît pas d’obstacles dans la procédure, pas plus qu’il n’est nullement hypothéqué par un système de filtre qui peut compromettre son aboutissement. C’est pourquoi, il est nécessaire de distinguer ces deux types de recours indirect de ceux qui soumettent l’action du citoyen à la rigueur et aux aléas d’un filtrage.

B. Un accès filtré

Mais entre ce système et les précédents, il existe une différence. Pour les premiers présentés plus haut, le recours du citoyen est soit directement déposé au juge constitutionnel soit automatiquement acheminé par le juge ordinaire au juge constitutionnel. Mais pour ceux-ci, la requête du citoyen subit un examen préalable qui porte sur le fond et son sérieux. Deux modalités sont mises en œuvre.

1. Le filtre juridictionnel

Dans plusieurs systèmes juridiques, l’on sollicite un filtrage pour éviter que l’ouverture de l’office du juge constitutionnel au citoyen ne conduise à l’engorgement de la juridiction. Plusieurs pays ont fait le choix d’un système juridictionnel de filtrage. Ainsi lorsque le citoyen soulève l’exception d’inconstitutionnalité ou pose la question prioritaire de constitutionnalité, son recours n’accède pas directement au juge constitutionnel.

La requête du citoyen est confrontée à deux situations : la première est celle du filtre passif, car la requête est confiée au juge ordinaire qui peut ne pas la transmettre au juge constitutionnel (Burkina Faso, Togo, Monaco, Madagascar, Tchad, etc.). La seconde est celle du filtre actif. Dans ce cas la juridiction devant laquelle se déroule l’instance procède d’abord à un premier examen de la question. Elle juge du sérieux de la question et peut décider, en fonction, de transmettre ou de rejeter la requête du citoyen (France).

Cette interposition du juge judiciaire ou du juge administratif est considérée comme une remise en cause de la centralisation du contrôle de constitutionnalité et de la spécialisation du juge constitutionnel, critères pourtant propres au modèle kelsénien de justice constitutionnelle adopté par la plupart des systèmes juridiques de l’ACCPUF.

2. Le filtre non juridictionnel

Le procédé du filtre non juridictionnel n’est pas répandu. Dans sa mise en œuvre, le recours du citoyen est porté par un intermédiaire. Le médiateur (Hongrie).

Dans le fond, c’est le citoyen qui à l’occasion d’une instance pose la question de la constitutionnalité d’un acte normatif. Cependant, il ne peut saisir directement, ni indirectement le juge constitutionnel. Il le fait savoir au médiateur qui pourra saisir le juge constitutionnel. Mais la saisine n’est pas obligatoire dès lors que le citoyen appelle l’attention sur un cas présumé ou avéré de constitutionnalité d’un texte.

Là également, on voit bien que cette garantie n’est pas mise en œuvre et il n’est pas faux de conclure dans ce dernier cas que le citoyen n’accède pas en vérité au prétoire du juge constitutionnel.

La question prioritaire de constitutionnalité

Jean-Louis Debré

Président du Conseil constitutionnel français

Merci Monsieur le Président.

Permettez-moi d’abord de vous dire combien nous sommes heureux d’être au Maroc et de vous exprimer nos vœux pour votre prochaine fonction de Président de l’ACCPUF. je tiens aussi à dire au Président Dossou toute notre gratitude et notre reconnaissance. Permettez-moi d’adresser mes remerciements au secrétariat général de l’ACCPUF, à Caroline Pétillon et son adjointe, qui se sont beaucoup investies.

Vous m’avez demandé, en quelques minutes, de parler de la QPC. Le professeur Aïvo a déjà beaucoup dit. je résumerai la réussite de cette introduction de la question prioritaire de constitutionnalité dans la Constitution française le 23 juillet 2008 par trois mots : simplicité, rapidité et efficacité.

Simplicité, oui, parce que devant toute juridiction de l’ordre judiciaire ou administratif, un justiciable peut déposer une question prioritaire de constitutionnalité par un mémoire séparé. C’est simple.

En deux ans et quelques mois, 5 000 questions prioritaires de constitutionnalité ont été déposées dans l’ensemble de la France. La procédure est simple : un mémoire séparé et si le juge retient cette question prioritaire de constitutionnalité, elle est envoyée, soit devant le Conseil d’État, si c’est une juridiction administrative, soit devant la Cour de cassation, si c’est une juridiction dépendant de l’ordre judiciaire. Comme le professeur Aïvo l’a dit, nous avons évité, en France, la saisine directe, parce que nous voulions justement qu’il y ait une réponse rapide à la question prioritaire de constitutionnalité.

Rapidité, à tout moment de la procédure. Lorsqu’elle arrive devant l’une des deux juridictions suprêmes, le Conseil d’État ou la Cour de cassation, ces juridictions ont trois mois pour juger si la question est sérieuse, si la disposition est applicable au litige et si cette disposition n’a pas déjà été jugée constitutionnelle par le Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances. Si, à l’expiration de ces trois mois, ces juridictions n’ont pas statué, la question est immédiatement transmise au Conseil constitutionnel. Celui-ci a trois mois, au maximum, pour répondre à cette question. Nous statuons en ce moment dans un délai de deux mois et dix jours. Alors que dans les pays où il n’y a pas ces deux filtres, il faut attendre plusieurs années. En France, au bout de six mois au maximum, on est fixé sur le sort de la question prioritaire de constitutionnalité que l’on a déposée.

Rapidité, simplicité, car quand la question arrive devant le Conseil constitutionnel, la procédure est entièrement dématérialisée. La greffière informe les avocats des délais dans lesquels ils devront déposer leurs premières et secondes observations ainsi que la date de l’audience de plaidoirie. Cette audience publique est retransmise sur notre site Internet. Chacun peut donc la suivre. Ainsi, en un an, entre 50000 et 70 000 personnes ont regardé nos audiences. L’avocat, qu’il soit à la Cour ou aux conseils va présenter la question qu’il a déposée. Il a quinze minutes, pas plus, pour attirer l’attention des membres du Conseil sur tel ou tel point de droit de la question prioritaire de constitutionnalité. La parole est ensuite donnée aux autres avocats et au représentant du gouvernement, généralement le Secrétariat général du gouvernement. Pourraient éventuellement venir à l’audience le représentant désigné par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat, puisqu’ils peuvent produire par écrit, mais ça ne s’est pas encore trouvé. Ils ont quinze minutes également pour répondre. Puis, pour quelques instants, s’ils le souhaitent, la parole est redonnée aux avocats pour préciser tel ou tel point. L’audience est alors terminée et nous rendons notre décision dans un délai extrêmement bref. Nous mettons l’affaire en délibéré, délibéré d’une semaine, et nous rendons notre décision. Elle est inscrite sur notre site Internet le vendredi matin à 10 h.

Rapidité, simplicité, efficacité. Quand je prends les statistiques, le Conseil a déjà rendu plus de 220 décisions sur diverses QPC. un peu plus de 55 % ont été des décisions de conformité, 6 % des décisions de non-lieu, et environ 39 % de censure totale, partielle ou avec réserves d’interprétation. Et naturellement, la censure doit normalement bénéficier à celui qui a déposé la question prioritaire de constitutionnalité.

Simplicité, rapidité, efficacité, c’est ce qui a fait le succès de la QPC, qui a été introduite dans notre Constitution : je ne dirais pas par hasard, mais peutêtre sans en mesurer toutes les conséquences, dans ce pays marqué par les théories de Rousseau et de Voltaire « la loi, expression de la volonté générale », où il était très difficile d’accepter qu’un juge remette en cause la loi.

À partir de 1958 une saisine était possible par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, et depuis 1974 par 60 députés ou 60 sénateurs, mais avant que la loi ne soit promulguée. Rousseau, Carré de Malberg et Voltaire n’en prenaient pas ombrage puisque la loi n’était pas encore une loi. Mais la grande réforme de 2008 a été justement de dire qu’une loi même ancienne pouvait être l’objet d’une déclaration de non-conformité à la Constitution.

Cette réforme a mis au sommet de la hiérarchie des normes la Constitution française. Elle a fait du Conseil constitutionnel une autorité qui a tous les aspects d’une juridiction puisque nous avons ouvert un prétoire aux avocats qui viennent plaider, une autorité qui est au premier rang de la défense des droits et des libertés qui sont garantis par la Constitution, puisque le texte de référence depuis une décision du Conseil constitutionnel de 1971, c’est non seulement la Constitution, mais aussi le Préambule de la Constitution de 1958, qui renvoie au Préambule de la Constitution de 1946 et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C’est ainsi que cette révolution introduite dans la Constitution française de 1958 par la révision de 2008, a abouti à un bouleversement.

Parfois, pour certaines décisions, puisque nos décisions ont un effet immédiat, nous avons, conformément à la Constitution, la possibilité, dont nous usons mais pas trop, de différer dans le temps l’application de la déclaration d’inconstitutionnalité. Nous l’avons fait pour la modification de la procédure de garde à vue, nous l’avons fait pour la décristallisation des pensions des anciens combattants, nous l’avons fait pour la loi sur l’hospitalisation sans consentement. Nous disons simplement que la loi est inconstitutionnelle, que c’est au législateur, dans le délai que nous fixons, de modifier et de contourner cette inconstitutionnalité.

Voilà cette procédure, qui par sa simplicité, par sa rapidité, par son efficacité, s’est imposée dans l’architecture juridictionnelle française. je crois que maintenant nous ne pourrons plus revenir en arrière. À côté de la saisine par les parlementaires du contrôle a priori, nous avons désormais une saisine par le justiciable. je souhaite très profondément, je l’ai dit et le redis, que nous gardions ce double filtre parce que l’efficacité de notre QPC, c’est justement cette rapidité.

Je dirai en terminant : choukrane.

L’accès à la justice constitutionnelle par le citoyen

Isaac Yankhoba Ndiaye Agrégé des Facultés de Droit Professeur

Vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal

La loi promulguée bénéficie d’un brevet d’immunité, d’incontestabilité [1].

C’est la philosophie de la souveraineté de la loi, expression de la volonté générale.

Le contrôle opéré en amont aurait la vertu de l’expurger de toute inconstitutionnalité.

Il est unanimement admis aujourd’hui qu’il s’agit là d’une conception surannée à plusieurs égards.

D’abord, il ne faut pas occulter le consensus tactique des saisissants institution- nels qui peuvent préférer, pour des raisons politiques, de ne point soumettre la loi au contrôle du juge constitutionnel [2]. Donc des lois qui n’échappent pas à la compétence du Conseil constitutionnel peuvent ne pas faire l’objet de contrôle.

Par ailleurs, à supposer qu’il s’exerce, le contrôle peut ne pas concerner toutes les dispositions de la loi.

Le Conseil constitutionnel n’applique pas, en effet, son contrôle avec la même intensité sur les dispositions non contestées, même si ses décisions sont souvent accompagnées d’un « considérant-balai » laissant supposer qu’une inconstitutionnalité d’office aurait pu être soulevée.

Faudrait-il aussi relever qu’il existe des inconstitutionnalités qui ne se révèlent qu’à la suite de l’application de la loi, des inconstitutionnalités virtuelles ou potentielles [3].

Enfin, en tout état de cause, il est unanimement admis aujourd’hui que : « la loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution ».

Sous ces différents regards, le contrôle abstrait de la loi par la juridiction constitutionnelle paraît insuffisant, à tout le moins incomplet pour un modèle d’État de droit.

Or, le droit constitutionnel s’est transformé ; il n’est plus seulement le droit de l’État, il est aussi, il est devenu, de plus en plus, le droit du citoyen [4].

Dans ces conditions, dépasser le contrôle a priori n’est pas seulement souhaitable mais renvoie à un impératif de cohérence de la justice constitutionnelle.

Dans nos pays à démocratie fragile et en gestation, où les majorités parlementaires sont encore animées par des inclinaisons dominatrices et abusives, doit-on encore priver les citoyens de moyens d’action susceptibles de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux que prône la constitution ne soient pas compromis.

Certains pays ont opté pour un contrôle par voie d’action permettant à tout citoyen de faire constater par le juge la violation par la loi de ses droits garantis par la constitution.

Le Sénégal a pris une autre orientation.

Dès 1992 [5], à l’occasion d’une grande réforme qui a bouleversé l’architecture du système judiciaire avec l’avènement de trois juridictions suprêmes (Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Conseil d’État), le constituant reconnaît au citoyen la possibilité de contester une loi déjà promulguée dès l’instant qu’il lui semble, dans le cadre d’une instance, que les droits constitutionnels risquent d’être méconnus.

Le contrôle s’effectue à titre incident, le juge étant amené à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi qui ne constituait pas l’objet du litige principal.

Ainsi, par l’effet de ce raccourci, le justiciable sénégalais détient le pouvoir de faire constater qu’une loi déjà en vigueur n’est pas conforme à la Constitution.

Le droit français, modèle historique, vient de parvenir au même résultat avec la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République du 23 juillet 2008 [6].

Le nouvel article 61-1 de la Constitution dispose :

« Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de Cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

C’est une véritable mutation du rapport de l’individu citoyen à la Constitution qui est consacrée.

Les droits sénégalais et français se retrouvent ainsi dans une situation d’identité des solutions. Mais si l’objectif est partagé, les voies empruntées s’avèrent fortement éloignées.

Dans les deux cas, il s’agit de faciliter l’accessibilité de la justice constitutionnelle (I), mais au Sénégal, seul objet de notre étude, l’efficacité reste encore à assurer (II).

I. Faciliter l’accessibilité

L’accès à la justice participe des Droits de l’Homme. Il est en effet peu à propos dans un État de droit de proclamer tant de droits qui ne peuvent être protégés.

C’est cette philosophie qui a certainement pu faire écrire à F. Delpérée :

« Le constitutionnalisme ne peut que se réjouir lorsque le prétoire de la justice constitutionnelle n’est plus réservé aux seuls gouvernants, lorsqu’il ouvre ses portes aux citoyens » [7].

L’exception d’inconstitutionnalité (A) se situe dans cette perspective. Mais chez nous, sa physionomie (B) lui prédestinait une fortune modeste.

A. l’avènement de l’exception d’inconstitutionnalité.

L’exception d’inconstitutionnalité ouvre le prétoire de la juridiction constitutionnelle au citoyen.

Elle a l’avantage de minorer la distance qui sépare le droit de sa réalisation. Le citoyen devient acteur de sa propre protection par le déclenchement du mécanisme mis en place à cet effet.

En réalité, par fidélité sémantique, on aurait dû invoquer la question préjudicielle, car « si le juge de l’action n’est pas juge de l’exception, on ne saurait parler d’exception d’inconstitutionnalité ». C’est donc plus par commodité de langage qu’il faut admettre l’utilisation du vocable.

L’exception de constitutionnalité est née, au Sénégal, avec la grande réforme judiciaire de 1992. Elle a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme.

C’est d’abord, l’autosatisfaction dans l’exposé des motifs qui est significative : « Désormais, grâce à l’intervention du Conseil constitutionnel par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, tous les citoyens pourront obtenir l’application des garanties fondamentales reconnues par la Constitution même lorsqu’une loi paraîtra s’opposer à l’application de ces garanties. La Constitution constitue, en effet, le sommet de la hiérarchie des normes juridiques et il importe, dans une démocratie moderne, que sa violation puisse aisément être sanctionnée.

Ce progrès dans la protection des Droits de l’Homme et des libertés qui n’est même pas encore acquis dans toutes les démocraties occidentales, constitue sans doute une des avancées les plus importantes parmi celles que comporte la réforme. Il rendra plus effective la reconnaissance des droits et libertés par la Constitution ».

C’est ensuite la même intonation que l’on retrouve au sein de la doctrine qui relève le parti que les citoyens peuvent en tirer, parce qu’il s’agit d’un « facteur de progrès, de la démocratie et de la consolidation des droits et libertés [d’une] étape majeure dans le processus de modernisation du système judiciaire » [8].

A priori, il serait difficile de s’opposer à ce bel unanimisme dû à l’utilité certaine de l’exception d’inconstitutionnalité qui consacre la participation des citoyens au processus de contrôle de la constitutionnalité des lois.

La lacune principale du contrôle de la constitutionnalité des lois résidait dans la quasi-fermeture du prétoire au justiciable. Cette lacune est davantage ressentie en matière de protection des Droits de l’Homme.

À cet égard, l’exception d’inconstitutionnalité constitue un puissant correctif permettant de protéger et de consolider les droits du citoyen.

Certes, ce contrôle ne donne pas au Conseil constitutionnel l’opportunité de trancher un litige. tout au plus, lui permet-il, à l’occasion d’un litige concret, d’examiner la conformité de la loi à la Constitution. Mais désormais, le Conseil constitutionnel est plus qu’un simple participant à la procédure législative ; son intervention se situe en aval de cette procédure. Il se rapproche ainsi de la posture d’un véritable juge, celui qui a le devoir de garantir les droits et libertés de l’individu.

Finalement, il n’est pas exagéré de considérer que l’admission de l’exception d’inconstitutionnalité en 1992 permet, dans une certaine mesure, de conférer à la Constitution une légitimité plus complète.

Pourtant, en dépit des vertus dont on la pare, l’exception d’inconstitutionnalité n’a pas connu un rayonnement à la dimension de sa finalité. C’est, qu’au Sénégal, elle se décline sous une physionomie peu avantageuse.

B – La physionomie de l’exception d’inconstitutionnalité

Il semble, presque 20 ans après son accession constitutionnelle, que le mécanisme reste peu connu et méconnu et, surtout, ne s’est pas fait remarquer par sa vitalité.

Avec le recul, il est possible de s’orienter vers plusieurs directions explicatives.

Assurément, le processus de la réforme est inachevé ; il s’est arrêté au milieu du gué.

Le constituant sénégalais du 30 mai 1992 n’a pas, en réalité, eu pleine conscience de tous les enjeux relatifs à l’exception d’inconstitutionnalité. Il s’est tout juste adapté au contexte de l’époque, celui de l’effervescence et du renouveau démocratiques en Afrique, mais aussi celui des conditionnalités [9].

Le paradoxe, c’est que le Sénégal était moins concerné que d’autres par ces contingences pour avoir plus tôt choisi sa voie. Ce sont pourtant des constitutions issues des transitions de 1990 (Bénin, Gabon, Congo) qui sont allées plus loin en permettant à tout citoyen, en dehors de tout litige, de saisir le juge constitutionnel de tout acte susceptible de produire des effets juridiques mais contraires à la Constitution. C’est le contrôle a posteriori par l’action directe.

L’exception d’inconstitutionnalité se situe à un niveau inférieur : elle ne peut être soulevée que dans le cadre d’un procès; elle ne peut être soulevée que devant la cour suprême.

Cette double restriction dénote une certaine frilosité même si elle peut sembler légitime par souci d’éviter l’encombrement du prétoire et les recours fantaisistes.

Il n’a jamais été souhaité par le Sénégal une action populaire pour la défense de la Constitution. Les pays africains qui l’ont initiée ont connu des vicissitudes turbulentes dans leur évolution postindépendance.

Mais le constituant sénégalais pouvait ne pas opter pour une réforme a minima en adoptant d’autorité l’exception de constitutionnalité.

Le choix opéré est altéré partiellement par une procédure diserte que traduit l’article 20 de la loi organique : « Lorsque la solution d’un litige porté devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation est subordonnée à l’appréciation de la conformité des dispositions d’une loi ou des stipulations d’un accord inter- national à la Constitution, la haute juridiction saisit obligatoirement le Conseil constitutionnel de l’exception d’inconstitutionnalité ainsi soulevée et sursoit à statuer jusqu’à ce que le Conseil se soit prononcé. Le Conseil se prononce dans un délai de 20 jours à compter de la date de la saisine ».

Il y a dans cette disposition quelques zones d’ombre qui mériteraient d’être évacuées.

L’exception d’inconstitutionnalité est censée être invoquée pour la première fois devant la Cour suprême, soit à la suite d’un recours pour excès de pouvoir, soit par un pourvoi en cassation. Dans quel délai, la haute juridiction est-elle tenue de saisir le Conseil constitutionnel ?

Il n’est pas non plus superflu de se demander si la Cour suprême peut soulever d’office l’exception. En effet, si l’on considère l’exception d’inconstitutionnalité comme un droit du justiciable, ne pourrait-on pas l’imposer au juge ?

Enfin, quelle est la marge d’appréciation dont dispose la Cour suprême lorsque l’exception est invoquée ? une certaine lecture de l’article 20 peut incliner à penser que la haute juridiction est dépourvue de tout pouvoir dans ce sens, qu’elle ne pourrait donc pas refuser de saisir le Conseil constitutionnel.

Ainsi, faute de système de filtrage, la Cour suprême est tenue de s’en référer au Conseil constitutionnel.

La naïveté de ces interrogations dénote l’incertitude dans la procédure qui est pourtant glorifiée par l’exposé des motifs de la loi organique n° 92-23 du 30 mai 1992 sur le Conseil constitutionnel.

Certes, le dispositif mis en place avait pour objectif de faciliter l’accessibilité à la justice constitutionnelle. Mais la physionomie qui transparaît à travers ces diverses appréhensions n’est pas de nature à rassurer sur son efficacité.

II. Assurer l’efficacité

Au Sénégal, l’exception d’inconstitutionnalité mérite d’être revigorée ; elle est encore bien fragile parce que son processus est inachevé ; l’efficacité est toujours attendue. L’illustration peut en être faite à travers le déficit jurisprudentiel constaté (A) et les effets attachés à la décision du juge constitutionnel (B).

A. le déficit jurisprudentiel

Ce déficit est tellement ostensible qu’il peut faire douter de l’utilité de l’exception d’inconstitutionnalité. Entre 1992 et 2011, le Conseil constitutionnel a été saisi six fois [10]. Il s’est prononcé favorablement par une seule décision de non-conformité, trois décisions en sens contraire et deux décisions de renvoi.

On peut faire une double lecture de cette sécheresse jurisprudentielle.

La première est une interprétation pittoresque qui laisserait croire que les lois sénégalaises sont tellement bien faites que celles parmi elles susceptibles de heurter la Constitution sont rares. on vivrait ainsi au Sénégal dans une sorte d’eldorado constitutionnel.

Mais on sait qu’une telle version ne peut guère être soutenue; la réalité est donc moins avantageuse. C’est que le système mis en place n’a pas fonctionné comme il aurait dû ; c’est ce qui explique que le contentieux dans ce domaine est quasi inexistant.

Toutefois, il faut relativiser ce constat parce qu’il y a un contraste saisissant entre le nombre de décisions rendues et leur qualité intrinsèque qui atteste de la pédagogie du juge constitutionnel.

La brutalité des statistiques ne donne pas, en effet, l’exacte mesure de l’enrichissement issu de cette jurisprudence.

Dans les deux décisions de renvoi, le Conseil constitutionnel a dû faire œuvre d’instructeur [11] en précisant à la Cour de cassation et au Conseil d’État le préalable qu’il faut observer avant de le saisir sur une exception d’inconstitutionnalité :

« Considérant que la Cour de cassation (le Conseil d’État) doit se prononcer, avant toute saisine du Conseil constitutionnel, sur sa compétence et sur la recevabilité du recours ou la déchéance, tout examen de la “solution du litige”, leur étant subordonné… ; qu’un pourvoi non purgé de toutes fins de non-recevoir ou simplement fantaisiste ne saurait servir de prétexte pour saisir le Conseil constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité, qui, si elle devait être reçue et examinée par le Conseil, constituerait un véritable détour- nement de procédure ».

Il est possible d’être réservé sur le dernier terme du considérant ; mais il est difficile de ne pas admettre que le Conseil constitutionnel joue pleinement son rôle d’encadrement dans la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité.

Il lui est arrivé ainsi d’expliquer « pour la clarté de la décision » que lorsque le Conseil d’État « déclare recevable l’exception d’inconstitutionnalité soulevée », « il doit être entendu que cela signifie que le litige qui lui est soumis est susceptible d’être transmis au Conseil constitutionnel… et non point que l’exception elle-même est recevable ».

Et c’est parfois aussi, après un dialogue feutré mais ferme, qu’il parvient à rappeler à chacun son domaine de compétence.

Ainsi, lorsqu’à la suite d’une décision de renvoi, la Cour de cassation a cru y voir une injonction qui ne résulte pas de la loi, le Conseil constitutionnel a tenu à faire savoir que par sa décision, il « voulait signifier, tout simplement, que la recevabilité du pourvoi ne résultant pas du dispositif, le doute pouvait exister sur l’examen de toutes les fins de non-recevoir susceptibles d’entacher le recours avant saisine du Conseil constitutionnel ; que cette préoccupation est très éloignée d’une “injonction” que le Conseil n’a aucun pouvoir de donner, sauf dans certaines hypothèses résultant de l’article premier de la loi organique sur le Conseil constitutionnel ».

C’est dans la même perspective que dans une affaire d’expropriation pour cause d’utilité publique (3 juin 1996), le Conseil constitutionnel rappelle qu’il ne lui appartient pas de déterminer, à la place du juge judiciaire, le quantum de l’indemnisation en cas de litige sur la valeur des biens.

Enfin, dans sa décision du 23 juin 1993 sur le rabat d’arrêt, le Conseil constitutionnel, à partir d’une analyse fine et démonstrative, se prononce sur la valeur constitutionnelle du principe de non rétroactivité en droit pénal tout en s’ados- sant implicitement mais nécessairement sur le préambule de la Constitution.

Manifestement, les enseignements à tirer de cette jurisprudence ne sont pas en adéquation avec la valeur quantitative de celle-ci.

La question reste donc en suspens de savoir les justifications du peu d’engouement que suscite l’exception d’inconstitutionnalité chez les justiciables.

Le déficit quantitatif jurisprudentiel est certainement lié à une insuffisante appropriation du mécanisme. Mais faudrait-il aussi y ajouter le caractère laconique de la procédure, et surtout la distanciation juridique de la Cour suprême, seule juridiction devant laquelle l’exception peut être soulevée ?

Au-delà de ces obstacles supposés ou réels, la décision du juge n’est pas à l’abri de discussions.

B. La décision du juge [12]

Le Conseil constitutionnel est appelé à se prononcer dans un délai de vingt jours lorsqu’il est saisi d’une exception d’inconstitutionnalité. La Cour suprême sursoit à statuer jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel se prononce.

D’abord, il faut relever que toutes les lois peuvent faire l’objet d’un contrôle par voie d’exception, contrairement au droit français où seule une disposition législative portant « atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit » est visée.

Ensuite, il n’est pas exclu qu’une loi déclarée conforme avant sa promulgation soit censurée lorsqu’elle développe ses effets. C’est d’ailleurs l’une des vertus principales du contrôle a posteriori.

Dans l’hypothèse d’une décision de rejet, l’instance au fond qui avait été suspendue pour la circonstance se poursuit.

L’autorité attachée à la décision du Conseil constitutionnel rend certainement irrecevable la possibilité de soulever à nouveau la même exception.

L’article 20 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel précise que si la disposition soulevée n’est pas conforme à la Constitution, « il ne peut plus en être fait application ».

Cette formulation est équivoque. Elle peut vouloir dire que la loi déclarée inconstitutionnelle ne disparaît pas de l’ordonnancement juridique ; elle est neutralisée dans son usage parce qu’elle ne peut plus servir de support quel- conque dans le droit positif.

Mais alors quel est l’intérêt à maintenir dans l’ordonnancement juridique une loi inconstitutionnelle ?

Cette simple mise à l’écart de la loi déclarée inconstitutionnelle peut être source de confusion et laisser croire que la décision n’a qu’une autorité relative.

À cet égard, la Constitution togolaise de 1992 a adopté une sanction beau- coup plus cohérente et radicale : « un texte déclaré inconstitutionnel ne peut être promulgué. S’il a été déjà mis en application, il doit être retiré de l’ordonnancement juridique » (article 104).

Mais sous ce chapitre, le droit français est certainement plus précis.

Le juge constitutionnel y joue le rôle d’un législateur négatif ayant le pouvoir d’abroger la loi inconstitutionnelle ; il détient aussi celui de moduler les effets de sa décision.

Par contre, le droit sénégalais ne semble pas avoir pris conscience de la portée de la décision du juge. Il serait peu à propos que la décision d’inconstitution- nalité ne soit que contingente ; il serait tout autant dangereux qu’elle puisse totalement remettre en cause les situations juridiques antérieurement acquises.

Au moins, sur le premier point, il y a lieu de convenir que l’article 20 de la loi organique entend donner à la décision du juge un effet absolu [13], surtout que l’exception d’inconstitutionnalité a une « valeur heuristique… inaliénable » [14].

Sous un autre registre, il aurait été utile de relever que seule la disposition visée par la requête est susceptible d’être censurée, sous réserve de l’existence d’une indivisibilité certaine.

Le constituant sénégalais pourra-t-il rester encore longtemps infidèle au modèle, sous la seule réserve de l’articulation des contextes différenciés ?

La technique a besoin d’être mieux conçue afin de renforcer la défense et la promotion des droits fondamentaux de la personne.

Il est permis de se situer dans une perspective favorable car le renouveau de la justice constitutionnelle est irréversible.


  • [1]
    L. Favoreu et alii, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, Précis, 2008 ; o. Duhamel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Seuil, 2009 ; J.-Y. Chérot, « L’exception d’inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel », AJDA, 1982, p. 59 et s.  [Retour au contenu]
  • [2]
    D. turpin, Le Conseil constitutionnel : son rôle, sa jurisprudence, 2e éd., Paris, Hachette, 2000 ; F. Hamon, C. Wiener, La justice constitutionnelle en France et à l’étranger, LGDJ- Lextenso, Systèmes Droit, 2011.  [Retour au contenu]
  • [3]
    L. Favoreu, op. cit. ; H. Roussillon, Le Conseil constitutionnel, 4e éd., Paris, Dalloz, Connaissance du droit, 2000.  [Retour au contenu]
  • [4]
    B. Mathieu, JCP G, n° 44, 1er novembre 2010.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Loi n° 92-22 du 30 mai 1992 portant révision de la Constitution ; Loi organique n° 92-23 du 30 mai 1992 relative au Conseil d’État, JORS n° 5469 du 1er juin 1992 ; Loi organique n° 92-24 du 30 mai 1992 relative au Conseil d’État ; Loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 relative à la Cour de cassation  [Retour au contenu]
  • [6]
    Dossier : la question prioritaire de constitutionnalité, Les Nouveaux Cahiers du Conseil consti­tutionnel, n° 29, octobre 2010 ; M. Fatin-Rouge Stefanini, « Le Conseil constitutionnel dans la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 », Revue française de droit constitutionnel, n° 78, 2009, p. 269-298 ; B. Mathieu, « Question préjudicielle de constitutionnalité. À propos de la loi organique », JCP G, n° 18, 29 avril 2009, p. 3-5 ; P. Mbongo, « Droit au juge et prééminence du droit », Dalloz, n° 30, 2008, p. 2089-2096 ; D. Rousseau, « Vive la QPC ! La quoi ? », La Gazette du Palais, 24-26 janvier 2010, p. 13-15 ; D. Chauvaux, « L’exception d’inconstitutionnalité, 1990-2009 : réflexions sur un retard », Revue du droit public, n° 3, 2009, p. 566-580 ; g. Drago, « Exception d’inconstitutionnalité : prolégomènes d’une pratique contentieuse », JCP G, n° 49, 2008, p. 13-18.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Le recours des particuliers devant le juge constitutionnel, Paris, Economica, 1991, p. 18.  [Retour au contenu]
  • [8]
    T. Holo, « Émergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, n° 129, 2009/2, p. 101-114 ; 38 Symposium international de Bamako, État des Droits de l’Homme : Bilan des dix années.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Dossier : la conditionnalité juridique en Afrique, Afrilex, n° 2, septembre 2001. V. notamment :
    S. Bolle, « La conditionnalité démocratique dans la politique africaine de la France » ; A. Diarra, « La protection constitutionnelle des droits et libertés en Afrique noire francophone depuis 1990 : le cas du Mali et du Bénin.
    V. aussi : Florence Galletti, Les transformations du droit public africain francophone : entre étatisme et libéralisme, Bruxelles, Bruylant, 2004, spéc. p. 507 et s.  [Retour au contenu]
  • [10]
    I.M. Fall, op. cit., p. 89 ; 121 ; 125 ; 129 ; 145 ; 407.  [Retour au contenu]
  • [11]
    I.M. Fall, op. cit., observations Ameth Ndiaye, p. 92 et s.  [Retour au contenu]
  • [12]
    E1 Hadj Mbodj, article précité ; Ndiaw Diouf, article précité.  [Retour au contenu]
  • [13]
    E1 Hadj Mbodj, article précité  [Retour au contenu]
  • [14]
    E1 Hadj Mbodj, article précité  [Retour au contenu]

L’intérêt public, l’individu et l’accès au juge constitutionnel : quelques comparaisons

Marie Deschamps

Juge à la Cour suprême du Canada

Introduction

Je traiterai aujourd’hui de cette possibilité qu’a l’individu d’agir en justice pour faire valoir l’intérêt public en matière constitutionnelle, au Canada, mais aussi dans quelques autres pays d’influence britannique. Si je suis consciente du fait qu’il est impossible d’entrevoir – même en Europe continentale – un modèle unique de contrôle de constitutionnalité [1], je crois néanmoins qu’il sera intéressant, d’une perspective européenne et africaine, d’examiner comment le Canada est à certains égards, comparativement à la France et à la Belgique par exemple, « ouvert » à l’intervention citoyenne en matière constitutionnelle, particulièrement lorsque celui-ci cherche à agir au nom de l’intérêt public.

La culture juridique canadienne est à l’image de son historique colonial, et donc d’influence à la fois anglaise et française. Si l’approche est officiellement « bijuridique » au Québec, le droit privé y est principalement civiliste, alors que le droit public canadien suit la tradition de common law.

Le Canada est régi par une Constitution écrite qui enchâsse une charte de droits fondamentaux. Le contrôle de constitutionnalité se fait de façon « décentralisée », en ce sens que la plupart des tribunaux canadiens sont habiles à disposer des questions constitutionnelles.

À l’intérieur de ce cadre institutionnel, le citoyen peut saisir un tribunal d’une question constitutionnelle, alors même qu’il n’a pas un intérêt particularisé dans le débat. on dira alors qu’il agit dans « l’intérêt public ». on pourrait être porté à penser qu’il s’agit là d’un trait caractéristique aux États ayant entretenu des liens étroits avec l’Angleterre, mais nous verrons qu’il en va autrement. En effet, si l’Inde et Israël permettent généreusement au citoyen d’intervenir pour le bien public, cela n’est pas le cas en Australie et en Nouvelle-zélande qui ont pourtant aussi subi l’influence britannique.

La crainte d’une dissipation de ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les demandes peu sérieuses ; la préoccupation des tribunaux, dans un régime contradictoire, d’entendre les principaux intéressés faire valoir des points de vue variés ; le respect du rôle des tribunaux et de leur relation constitutionnelle avec les autres ordres de gouvernement [2] sont toutes des considérations dont on tient compte lorsqu’une partie demande d’assouplir les conditions requises pour agir en justice au nom de l’intérêt public en matière constitutionnelle. Dans une première partie, je discuterai de l’évolution de la qualité pour agir dans l’intérêt public au Canada. je m’attarderai ensuite sur les cas de l’Australie, de la Nouvelle-zélande, de l’Inde et d’Israël, pays qui ont aussi subi l’influence britannique, mais qui empruntent une voie différente de celle que le Canada suit.

Mon propos aura donc une dimension comparative, mais j’emprunte cette voie de façon prudente, en ne cherchant qu’à faire ressortir certaines différences ponctuelles qui existent dans divers pays. À cet égard, je partage la pensée qu’exprime Aharon Barak, ancien président de la Cour suprême d’Israël, dans un article de la Harvard Law Review paru en 2002, où celui-ci fait valoir qu’il nous faut aborder le droit comparé avec circonspection, en ayant ses limites à l’esprit. Le droit comparé, comme il l’indique avec justesse, ne se résume pas à comparer des lois. une comparaison n’est utile que lorsque les régimes juridiques qui en font l’objet ont des assises communes. De plus, lors de l’exercice, il faut demeurer attentif aux spécificités sociales, historiques et religieuses propres à chaque régime. [3]

A. La qualité pour agir dans l’intérêt public au Canada

D’entrée de jeu, je dois signaler qu’au Canada, lorsqu’une personne agit en justice pour faire sanctionner un droit ou en défense à une poursuite intentée contre elle, qu’il s’agisse d’un litige civil ou criminel, elle sera admise à contester la constitutionnalité de toute règle de droit pertinente à l’issue du débat dans lequel elle est engagée [4]. En matière criminelle d’ailleurs, la Cour suprême a fait observer que chacun avait de plein droit un intérêt à invoquer l’inconstitutionnalité de la loi en vertu de laquelle il est poursuivi [5].

C’est lorsque l’intérêt individuel n’est pas interpellé – lorsque l’intérêt est de nature « publique » – que la question de savoir si un individu a la qualité requise pour saisir un tribunal se pose. Il y a alors deux manières par lesquelles une personne peut se voir reconnaître la qualité pour agir : soit parce qu’elle a un intérêt personnel suffisant pour agir au nom de l’intérêt public suivant une règle établie trouvant origine dans le droit anglais; soit, lorsqu’un tribunal, exerçant un pouvoir discrétionnaire, lui reconnaît la qualité pour agir dans l’intérêt public. Cette seconde voie est un aménagement proprement canadien – dont les premières balises remontent à des arrêts prononcés dans les années 70 – et donc avant que les droits et libertés ne soient constitutionnalisés, ce qui s’est produit en 1982.

La règle, que je qualifierai d’« anglaise », consiste principalement à se demander si l’intérêt de la personne qui veut soulever un point se démarque de l’intérêt général de chaque individu dans un groupe donné. Mon propos ne s’intéressera à cette règle que de façon sommaire, simplement pour souligner comment les tribunaux canadiens, contrairement à ceux d’autres juridictions du Commonwealth, s’en sont distanciés et ont élargi les possibilités d’interventions individuelles.

Le volet canadien de ma présentation est conçu en trois temps : d’abord, l’approche canadienne suivant la règle anglaise; ensuite, son élargissement préalable à la Charte canadienne – les litiges constitutionnels portaient alors principalement sur des questions de partage de compétence entre l’État fédéral et les provinces canadiennes ; et, enfin, la situation canadienne présente, à l’ère de la consécration constitutionnelle des droits fondamentaux.

1. La « règle générale » d’héritage anglais

En droit anglais, on reconnaîtra à un individu la qualité pour agir dans l’intérêt public s’il subit un « préjudice exceptionnel » [6]. L’application de ce critère au Canada a été affirmée par la Cour suprême en 1924, dans l’arrêt Smith [7]. Dans ses grandes lignes, la règle dicte que lorsqu’en raison d’une mesure gouvernementale, une personne subit un préjudice qui se démarque de celui que subit le public de façon générale, elle a le droit de la contester. Dans Smith, la question était de savoir si une loi fédérale, qui prohibait la vente et l’importation d’alcool, était applicable dans la province canadienne de l’ontario. Si la loi s’appliquait, alors le fait d’importer de l’alcool – ce que Monsieur Smith voulait faire – serait une infraction criminelle. Mais Monsieur Smith n’avait pas importé d’alcool et n’était donc assujetti à aucune conséquence particulière en raison de la loi. La Cour s’est alors montrée réfractaire, pour des raisons essentiellement pragmatiques, à ce que Monsieur Smith saisisse l’appareil judiciaire de cette question. Elle a dit notamment que de permettre le recours signifierait que « virtuellement chaque résident ontarien pourrait prendre une telle action » et que « la reconnaissance d’un tel principe pourrait conduire à des inconvénients graves » [8]. Ce sont donc surtout des arguments d’économie de ressources judiciaires qui sont avancés au soutien du refus de lui permettre d’agir.

Voilà donc le point de départ au Canada de la qualité pour agir dans l’intérêt public. on devra attendre jusqu’aux années 70 – donc une cinquantaine d’années – avant que la Cour suprême n’élargisse les règles et permette au citoyen d’agir dans un plus grand nombre de situations. Ces premiers « pas », dont je traite à présent, vers une plus grande ouverture à la possibilité pour l’individu de saisir les tribunaux de questions constitutionnelles dans l’intérêt public, se firent donc à une époque où les questions constitutionnelles sur lesquelles les tribunaux étaient appelés à se pencher avaient surtout trait au partage des compétences entre l’État central et les États fédérés, c’est-à-dire les provinces canadiennes.

2. L’élargissement avant l’enchâssement des droits fondamentaux dans la Constitution

C’est par la reconnaissance d’un pouvoir discrétionnaire de permettre à un individu d’agir dans l’intérêt public, alors même que celui-ci ne subit pas de « préjudice exceptionnel », que les tribunaux franchissent le pas et élargissent la règle anglaise.

L’arrêt Thorson, rendu en 1974, est à l’origine de cette évolution. Dans cette affaire, Monsieur Thorson cherchait à faire déclarer inconstitutionnelle – ou, plus spécifiquement, ultra vires des pouvoirs du parlement fédéral – la Loi sur les langues officielles (les deux langues officielles étant le français et l’anglais), dans la mesure où celle-ci autorisait l’octroi de crédits provenant de fonds publics. Monsieur Thorson, en tant que contribuable, avait indéniablement un certain intérêt pécuniaire dans la loi. Cela dit, et comme le fait remarquer la dissidence dans cette affaire, il n’avait pas un intérêt différent des autres contribuables − toute augmentation d’impôts résultant de la mise en œuvre de la loi serait supportée par tous les contribuables canadiens [9]. En appliquant la règle anglaise du préjudice exceptionnel vue tantôt, Monsieur Thorson n’aurait donc pas la possibilité d’agir dans l’intérêt public. Mais la majorité de la Cour s’écarte de cette règle, et décide que dans les actions intentées par un contribuable, un tribunal doit avoir le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir. Comment justifie-t-on cet important changement de cap ?

Les tribunaux inférieurs avaient, comme l’on s’y serait attendu, rejeté le recours de Monsieur Thorson au motif que « [s]i tout contribuable pouvait intenter une action pour déterminer la validité d’une loi qui comporte des dépenses de deniers publics, ceci amènerait […] de sérieux inconvénients et une atteinte à l’ordre public » [10]. On reprenait donc essentiellement les soucis qui avaient été exprimés dans l’arrêt Smith de 1924.

Mais cette règle, nous dit-on dans Thorson, est :

« [D]érivée des précédents anglais se rapportant à des tentatives faites par des particuliers pour empêcher une nuisance publique. Dans ce genre de causes, où il n’est aucunement question de la constitutionnalité d’une loi, il y a un moyen clairement défini par lequel l’intérêt public peut être protégé par l’intervention d’un procureur général réceptif aux plaintes venant du public au sujet d’une atteinte à des droits publics […]. C’est sur cette base que les cours ont affirmé qu’un particulier qui demande un redressement contre une nuisance publique doit démontrer qu’il a un intérêt particulier ou qu’il subira un préjudice bien à lui s’il poursuit pour l’interdire [11]. »

Pour se distinguer de l’Angleterre – et ainsi, justifier l’élargissement – la Cour s’explique ainsi :

« Il ne s’agit pas d’un principe [le principe suivant lequel le particulier qui demande redressement doit démontrer qu’il a un intérêt particulier ou qu’il subira un préjudice bien à lui] qui peut être transposé intégralement dans un champ de droit public fédéral dont l’objet d’étude est la répartition du pouvoir législatif entre les législatures centrale et locales, et la validité des lois de l’un l’autre de ces deux paliers de gouvernement. Aucune question ne se pose, dans un cas semblable, quant au respect de la souveraineté législative, comme cela se produit sous le régime unitaire de la grande-Bretagne ; plutôt, il s’agit de savoir si le Parlement central ou une législature provinciale a lui-même ou elle-même respecté les limites de ses pouvoirs constitutionnels [12]. »

L’accès est également justifié sur la base du besoin que dans une société démocratique, toutes les lois soient exposées à un contrôle de constitutionnalité. Comme l’indique la majorité de la Cour, « il serait étrange et même alarmant qu’il n’y ait aucun moyen par lequel une question d’abus de pouvoir législatif, matière traditionnellement de la compétence des cours de justice, puisse être soumise à une décision de justice » [13]. on peut rattacher ce critère au principe de la primauté du droit [14]. En somme, dans la mesure où il n’y a pas un autre moyen raisonnable et efficace de faire valoir le droit, un individu sera autorisé à agir dans l’intérêt public.

Si cette décision est importante parce qu’elle a élargi le champ d’action du citoyen en matière constitutionnelle, elle l’est aussi en ce qu’elle constitue l’assise des avancées subséquentes. En effet, seulement un an plus tard, dans l’affaire McNeil, [15] un citoyen s’en prenait à une loi de la province de la Nouvelle-Écosse qui interdisait la projection du fameux film Last Tango in Paris. À cette occasion, la Cour a reconnu qu’une personne peut agir même si d’autres personnes sont visées plus directement par la loi [16].

Cependant, l’arrêt de la Cour qui a balisé de façon plus systématique le pouvoir discrétionnaire d’agir dans l’intérêt public est prononcé en 1981 – dans l’affaire Borowski [17].

Dans cette affaire, un activiste opposé à l’avortement cherchait à faire déclarer contraires à la Déclaration canadienne des droits (article 1 – droit à la vie) les dispositions du Code criminel qui, à certaines conditions, permettaient l’avortement. Cette déclaration de droits n’avait pas le statut constitutionnel et ne pouvait donc pas mener à l’invalidation d’une loi comme le permet maintenant la Charte. La question était de savoir si les droits individuels prévus à la Déclaration canadienne des droits protégeaient le fœtus humain [18].

La majorité des juges observe qu’« il est difficile de trouver une catégorie de personnes directement touchées ou qui subissent un préjudice exceptionnel et qui aient un motif de contester la loi » [19]. En effet, médecins, hôpitaux, femme enceinte désireuse d’obtenir un avortement – ces personnes n’ont, soit pas de motif, soit pas d’intérêt direct à contester la loi. Bien que le conjoint qui souhaite empêcher l’avortement que sa conjointe enceinte cherche à obtenir soit touché directement par la loi nous dit la Cour [20], son recours serait inefficace en raison des délais inévitables qu’exigent les procédures judiciaires jusqu’au jugement définitif.

Par conséquent, le tribunal reconnaît que Monsieur Borowski a la qualité pour agir [21]. Ce faisant, on formule trois critères qui guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’ont les tribunaux de reconnaître qu’une personne a la qualité pour agir dans l’intérêt public : d’abord, la question soulevée doit se poser sérieusement ; ensuite, le requérant doit être touché directement par la loi ou avoir un intérêt véritable à contester sa validité ; et enfin, il ne doit pas y avoir une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour.

Et puis, en 1986, on pratique une ouverture supplémentaire, en décidant qu’un tribunal a également le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public à un individu qui conteste un acte du gouvernement (ce sont des paiements faits par le gouvernement qui étaient attaqués dans l’affaire en question), et donc non seulement la constitutionnalité d’une loi [22].

3. La transposition de cet élargissement dans le contexte des droits fondamentaux

En 1982, une charte de droits et libertés fondamentaux est intégrée à la Constitution canadienne. La place de l’individu au sein de la Constitution acquiert ainsi une nouvelle dimension. Vu les nouveaux droits constitutionnels qui y étaient enchâssés, la question se posait de savoir si le pouvoir discrétionnaire d’un tribunal de reconnaître à un individu la qualité pour agir dans l’intérêt public s’appliquait aux questions concernant la Charte.

La Cour suprême répondit à cette question par l’affirmative en 1992, dans une affaire où le Conseil canadien des Églises cherchait à faire déclarer qu’un grand nombre, sinon la plupart des dispositions modifiées à la Loi sur l’immi­gration canadienne contrevenaient à la Charte (ainsi qu’à la Déclaration canadienne des droits). on s’est objecté au recours au motif que le Conseil n’aurait pas la qualité pour l’intenter.

Tout en signalant que la Charte ne modifiait pas le pouvoir discrétionnaire des tribunaux de reconnaître la qualité pour agir à des parties d’intérêt public, la Cour conclut en défaveur du Conseil [23]. Préoccupée par l’importance de maintenir un équilibre entre l’accès aux tribunaux et la nécessité de préserver les ressources judiciaires [24], la Cour indiqua qu’il n’était pas nécessaire de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public lorsque, selon une prépondérance des probabilités, on pouvait établir qu’un particulier contesterait la mesure.

4. Sommaire sur la qualité pour agir dans l’intérêt public au Canada

En somme, c’est dans le souci de prévenir qu’une loi soit mise à l’abri de contestation que les tribunaux canadiens ont permis le recours individuel au nom de l’intérêt public [25]. C’est ainsi qu’aujourd’hui, le citoyen canadien peut, de sa propre initiative, attaquer la constitutionnalité d’une loi ou d’un acte gouvernemental.

Les tribunaux canadiens tiendront compte de trois aspects lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public: premièrement, la question de l’invalidité de la loi se pose-t-elle sérieusement ? Deuxièmement, a-t-on démontré que le demandeur est directement touché par la loi ou qu’il a un intérêt véritable quant à sa validité ? troisièmement, y a-t-il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour ? [26]

Lorsque l’on comparera à ce qui se fait en Australie et en Nouvelle-zélande, on observera que le Canada adopte une approche relativement ouverte à la saisine individuelle en matière constitutionnelle [27]. Il en va différemment lorsque l’on observera les règles suivies dans d’autres États, où la « culture juridique » a également été influencée par celle de l’Angleterre. Le second volet de ma présentation cherchera à faire ressortir ces différences, et à en dégager quelques observations. je me pencherai d’abord sur l’Australie et la Nouvelle-zélande, deux anciennes colonies de l’Empire britannique, qui, comme le Canada, ont maintenu des liens culturels et politiques étroits avec la grande-Bretagne. je m’intéresserai ensuite à Israël et à l’Inde, deux pays dont le patrimoine juridique a également reçu un apport du droit anglais, mais où les liens avec la grande-Bretagne sont peut-être moins étroits qu’ils ne le sont au Canada, en Australie, ou en Nouvelle-zélande.

B. La qualité pour agir dans l’intérêt public dans d’autres pays qui ont un héritage anglais
1. L’Australie

L’Australie se serait inspirée dans une large mesure du modèle de fédéralisme américain lorsqu’elle adopta sa Constitution en 1901 [28]. Elle n’y enchâssa pas, par ailleurs, de droits fondamentaux. Qui plus est, à ce jour, il n’y a pas de garantie écrite – qu’elle soit constitutionnelle ou pas – de droits fondamentaux en Australie [29]. Les possibilités d’intervention du citoyen sont en revanche également circonscrites par le fait que de façon générale, les tribunaux australiens abordent les questions de qualité pour agir dans l’intérêt public suivant une perspective qui s’apparente à cette « règle anglaise » dont j’ai traité plus tôt [30]. Afin de pouvoir agir dans l’intérêt public, il faudra donc le plus souvent démontrer qu’on a un « intérêt spécial » [31].

Les possibilités de saisine individuelle sont donc plus limitées en Australie qu’elles ne le sont au Canada. Il est intéressant de noter, à cet égard, que des voix se font entendre afin qu’une approche plus généreuse soit adoptée par les tribunaux [32], dont celle d’un ancien juge de la High Court d’Australie, soit le plus haut tribunal du pays. Dans le cadre d’une conférence qu’il donna en 1996, le juge Kirby indiqua que les tribunaux australiens, comme ceux d’autres juridictions de common law, ont des leçons à tirer de l’ouverture dont fait preuve l’Inde – dont je parlerai plus loin – en matière de qualité pour agir. Le juriste signala que le rôle des tribunaux est appelé à évoluer, et n’est pas figé dans la tradition anglaise [33].

2. La Nouvelle-Zélande

Si, dans ses relations avec la grande-Bretagne, la Nouvelle-zélande a plusieurs points communs avec le Canada et l’Australie, contrairement à ceux-ci, elle n’est pas fédérée et son système juridique est dépourvu de constitution écrite [34]. De ce fait même, le citoyen n’a pas de rôle express à jouer dans le contrôle de constitutionnalité.

Par ailleurs, la Nouvelle-zélande se rapproche du Canada en ce que, bien que par loi ordinaire, le Bill of Rights Act (1990) consacre certains droits fondamentaux. Le Procureur général est tenu de faire état de toute incompatibilité entre un projet de loi et le Bill of Rights Act [35] mais il y est prévu qu’un tribunal ne peut invalider une loi qui y est contraire [36].

Malgré ce frein à l’intervention judiciaire, la Cour d’appel de la Nouvellezélande a indiqué récemment que les tribunaux avaient le pouvoir – et parfois même l’obligation – de déclarer, lorsque c’est le cas, qu’une loi est incompatible avec le Bill of Rights Act [37]. Dans cette affaire, qui est considérée comme la décision de principe sur le sujet, la Cour indique que de telles déclarations sont utiles, notamment à l’assemblée législative, lorsqu’elle est appelée à se pencher à des sujets qui s’y rattachent [38].

Cette initiative signale peut-être le début de changements plus profonds. Comme l’observent deux juristes néo-zélandais, les droits fondamentaux au Canada étaient au départ prévus dans une loi ordinaire, comme c’est le cas aujourd’hui en Nouvelle-zélande. Il est bien possible que la Nouvelle-zélande enchaîne le pas sur le Canada et constitutionnalise ces droits dans un deuxième temps, comme cela a été fait au Canada [39].

Si cette prédiction s’avère juste, il sera intéressant de voir si la Nouvelle Zélande s’inspirera également du Canada pour ce qui est de la qualité pour agir dans l’intérêt public ; ou si elle retiendra plutôt l’approche australienne comme point de départ en la matière.

Quoi qu’il en soit, il ressort de ce qui précède que le rôle du citoyen en matière constitutionnelle est plus étendu au Canada qu’il ne l’est en Australie ou en Nouvelle-zélande. Bien qu’il s’agisse là d’un échantillon comparatif menu, il est tout de même remarquable de constater à quel point les divergences sont importantes entre ces trois pays dont l’héritage juridique est commun.

Qu’en est-il maintenant en Israël et en Inde, deux pays dont le droit a également été influencé par la tradition anglaise – mais où les liens culturels et politiques avec la grande-Bretagne ont été, ou sont aujourd’hui – moins étroits que les pays dont je viens de traiter ne le sont ?

3. Israël

En 1920, la Palestine est sous contrôle britannique en raison d’un mandat qui lui est accordé à cet effet par la communauté internationale [40]. Si les liens avec la common law sont formellement abolis en Israël en 1980, les influences de la common law anglaise sont toujours observables aujourd’hui [41]. Par ailleurs, en raison de son rapprochement historique avec l’Europe continentale, on retrouve également certains aspects de la tradition européenne de droit civil en droit israélien [42] En matière constitutionnelle, on note de surcroît l’influence américaine et canadienne [43]. Enfin, quoique l’État d’Israël dispose de lois fondamentales, celles-ci ne font pas formellement partie de sa Constitution [44].

Sous le régime du mandat britannique, les règles en matière de qualité pour agir étaient rigides [45]. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. toute personne, sans être représentée, peut saisir directement la Cour suprême d’un grief contre le gouvernement ou une autre autorité publique [46]. Cette approche libérale s’étend aux recours pris par un individu non seulement dans son propre intérêt, mais aussi lorsque celui-ci agit au bénéfice du public [47]. La Cour suprême israélienne entend plus de 10 000 dossiers par année – ce qui a sans doute à voir avec son approche généreuse en matière de qualité pour agir, mais aussi avec le fait qu’elle agit comme tribunal de première instance dans les affaires de droit public [48].

D’une perspective israélienne donc, l’approche canadienne est assez restrictive pour ce qui est des possibilités de saisine individuelle. Selon un auteur qui s’est livré à la même comparaison, chaque régime a ses forces. Étant plus libéral, le test israélien en matière de qualité pour agir rend la justice davantage accessible aux personnes les plus démunies. En revanche, puisqu’elles sont moins nombreuses, les décisions rendues par la Cour suprême canadienne sont plus susceptibles de cohérence [49].

Cela est peut-être vrai. Il ne faut pas par ailleurs oublier que la Cour suprême n’est pas la seule cour compétente pour entendre des dossiers d’intérêt public au Canada – en effet, tous les tribunaux, ou à peu près, le sont.

Je dois noter que l’approche israélienne laisse à l’ordre judiciaire la possibilité de jouer un rôle considérable sur le plan des politiques sociales. À titre d’illustration, voici des questions sur lesquelles la Cour suprême israélienne s’est penchée : est-ce que le procureur général a exercé sa discrétion adéquatement en décidant de ne pas porter d’accusation contre une personne ? Est-ce que le Premier ministre a exercé sa discrétion adéquatement en décidant de ne pas renvoyer un ministre qui avait été accusé de corruption et de détournement de fonds publics ? Est-ce que le ministre de la justice a exercé sa discrétion adéquatement en décidant de ne pas extrader quelqu’un qui était soupçonné d’avoir commis un crime ? Est-ce que le gouvernement a agi légalement en négociant un accord de paix alors que la confiance du Parlement lui faisait défaut ? Est-ce qu’une commission des libérations conditionnelles a agi légalement en réduisant la peine qui avait été imposée par une cour militaire ou civile ? [50]

4. L’Inde

On sait que la présence britannique est devenue importante en Inde à la fin du xviie siècle, et que l’Inde, tout comme le Canada, l’Australie et la Nouvellezélande, est une ancienne colonie de l’Empire britannique. Par conséquent, le droit indien et ses institutions ont été fortement influencés par la culture juridique anglaise [51].
L’Inde a acquis son indépendance en 1947, et adopté une Constitution en 1949. Ce faisant, elle y enchâssa des droits fondamentaux (s’inspirant du Bill of Rights américain [52]). La Cour suprême indienne se distingue également de ses contreparties du monde de la common law par l’étendue de ses pouvoirs [53]. En effet, elle est à la fois une cour générale d’appel et une cour constitutionnelle de première instance – elle décide d’environ 50 000 dossiers par année [54].

À partir de la fin des années 1970, se développe en Inde ce qu’on appelle le « public interest litigation » [55], un type de recours que la Cour suprême indienne définira en 1982 comme étant d’origine américaine et comme renvoyant à ces recours intentés dans le but de faire redresser un préjudice à caractère public, de faire exécuter un devoir public, de protéger des droits collectifs ou diffus, ou de revendiquer un intérêt public [56]. En gros, le « public interest litigation » reconnaît la qualité pour agir à tout membre du public qui n’est pas un simple fouineur et qui a un intérêt suffisant dans l’affaire. tout citoyen a l’intérêt requis dès lors qu’il agit de bonne foi et soulève une question qui ne fait pas uniquement intervenir des intérêts privés [57].

Dans la cause Gupta – arrêt emblématique sur cette question – la Cour suprême indienne explique qu’il faut libéraliser la règle en matière de qualité pour agir afin d’offrir réparation lorsqu’un préjudice à caractère public est causé par une violation constitutionnelle. Il est nécessaire, indique la Cour, de permettre aux personnes les plus zélées de saisir la Cour de ces dossiers qui, même s’ils ne les touchent pas directement, impliquent des devoirs publics et des droits collectifs. C’est grâce à cette ouverture que ces droits seront protégés et qu’on assurera l’exécution de ces devoirs [58].

Un autre aspect fascinant de l’approche indienne est un relâchement des règles procédurales qui permet de maximiser l’accès aux recours d’intérêt public à des personnes par ailleurs démunies. Les dossiers peuvent être soumis de façon très informelle (en envoyant une simple lettre par la poste, à titre d’exemple) et de l’aide peut être obtenue pour mettre le dossier sur pied et rassembler les éléments de preuve [59].

On dira que l’un des effets les plus positifs du « public interest litigation » en Inde est d’avoir rapproché les tribunaux des personnes désavantagées, tels que les prisonniers, les enfants travailleurs, les travailleurs asservis pour dettes, les femmes et les castes et tribus répertoriées [60]. Ce faisant, le « public interest litigation » à l’indienne est maintenant reconnu comme étant une stratégie indispensable dans la promotion du constitutionnalisme et des droits de la personne [61]. Elle est d’ailleurs perçue – notamment auprès de certains pays africains – comme étant un modèle duquel puiser [62].

En revanche, un débat important aujourd’hui porte sur la question de savoir qui agira comme chien de garde des tribunaux si ceux-ci se trouvent eux-mêmes à agir comme les chiens de garde de la nation. Certains accusent à ce sujet les tribunaux de s’être approprié, à travers le « public interest litigation », une compétence qui devrait être réservée aux ordres exécutif ou législatif [63].

Conclusion

Sans prendre position sur ce débat, je me permets de faire une observation qui s’y rapporte. Le nœud de la question paraît reposer sur la conception du rôle que devrait jouer l’appareil judiciaire au sein d’un État démocratique. Les tribunaux doivent-ils servir d’instance de dernier recours, et agir seulement lorsque l’intervention d’un tiers est nécessaire à la résolution d’un conflit ; ou ont-ils certaines qualités, telles que indépendance et expertise, notamment en matière constitutionnelle, qui leur confèrent une légitimité qui leur permet d’être plus actifs en matière de contrôle de constitutionnalité ?

L’ouverture à l’intervention citoyenne dans l’intérêt public semble permettre, au moins en Inde, de répondre à un besoin réel. Lorsqu’une institution a les moyens et l’expertise requise pour combler un besoin, lorsque le recours ne peut raisonnablement être exercé d’une façon autre, la légitimité de l’intervention se trouve confirmée. Lorsque ces conditions sont remplies, je crois à la capacité des tribunaux d’intervenir et suis convaincue de la légitimité d’une telle intervention judiciaire à la demande d’un individu qui veut faire valoir l’intérêt public. Conçus de cette manière, les recours individuels au nom de « l’intérêt public » constituent peut-être une nouvelle forme de « participation démocratique », catalysée par cette tendance, notée par certains, vers une plus grande « judiciarisation » des questions sociales.

Quoi qu’il en soit, les quelques comparaisons que j’ai pu faire ici laissent entrevoir la position canadienne comme une solution intermédiaire. En effet, en raison de la constitutionnalisation des droits fondamentaux, et de l’ouverture des tribunaux à l’égard des questions constitutionnelles en dehors du contexte d’un litige, le citoyen peut jouer un rôle actif dans la justice constitutionnelle au Canada. En revanche, si on compare l’approche adoptée en Israël ou en Inde à celle des tribunaux canadiens, on remarque que cette dernière est en fait assez modeste, et qu’elle restreint davantage le rôle du citoyen – mais aussi des tribunaux – sur le plan constitutionnel.


  • [1]
    L. Fiorentino, « L’émergence du contrôle de constitutionnalité en France et en Italie : regards croisés de la doctrine », dans Xavier Philippe (dir.), Annuaire international de justice constitu­tionnelle, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2009, p. 31  [Retour au contenu]
  • [2]
    Ces trois craintes sont identifiées par la Cour suprême du Canada dans Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607  [Retour au contenu]
  • [3]
    A. Barak, « A judge on judging : the role of a Supreme Court in a democracy », (2002), 116, Harvard Law Review, 16, 111.  [Retour au contenu]
  • [4]
    P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5th ed. Vol. 2, Toronto, Thomson Reuters Canada Limited, 2007, p. 59-4.  [Retour au contenu]
  • [5]
    R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Énoncée par la Chancery division de la High Court d’Angleterre dans Boyce v. Paddington Borough Council, [1903] 1 Ch. 109 (citée par la Cour suprême dans MacIlreith c. Hart, [1907] 39 R.C.S. 657). Il est également intéressant d’observer que le même arrêt est cité comme étant à l’origine du critère appliqué en Australie (voir M. Kirby, « Deconstructing the law’s hostility to public interest litigation », (2011) 127 L.Q.R. 537).  [Retour au contenu]
  • [7]
    John T. Smith v. The Attorney General of Ontario, [1924] S.C.R. 331 ; P. W. Hogg, op. cit., note 4, p. 59-5. Voir aussi Finlay c. Canada (Ministre des Finances), précitée.  [Retour au contenu]
  • [8]
    John T. Smith v. The Attorney General of Ontario, op. cit., note 7, 337.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Thorson c. Attorney General of Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, 141  [Retour au contenu]
  • [10]
    Id., 150.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Id., 150.  [Retour au contenu]
  • [12]
    id.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Id., 145.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Voir l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigra­tion), [1992] 1 R.C.S. 236, 250.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Id., 271  [Retour au contenu]
  • [17]
    Ministre de la Justice (Can.) c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Id., 589  [Retour au contenu]
  • [19]
    Id., 596.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Id., 597.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Id., 598.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Finlay c. Canada (Ministre des Finances), précitée.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration),  250.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Id., 251.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Id., 256  [Retour au contenu]
  • [26]
    Id., 253.  [Retour au contenu]
  • [27]
    P. W. Hogg, op. cit., note 4, p. 59-9.  [Retour au contenu]
  • [28]
    F. Wheeler et j. Williams, « ‘Restrained activism’in the High Court of Australia », dans B. Dickson, Judicial activism in common law supreme courts, New york, oxford University Press, 2007, p. 21.  [Retour au contenu]
  • [29]
    g. McKee, « Standing on a Spectrum : third Party Standing in the united States, Canada, and Australia», (2011), 16 Barry L. Rev. 115.  [Retour au contenu]
  • [30]
    M. Kirby, loc. cit., note 6, 542. Pour une revue de certaines décisions qui touchent à cette question et à d’autres qui l’entourent, voir j. D. Wilson et M. McKiterick, « Locus standi in Australia – a review of the principal authorities and where it is all going », (2010), The University of Melbourne 2010 conference of the civil justice research group.  [Retour au contenu]
  • [31]
    M. Kirby, loc. cit., note 6, 542.  [Retour au contenu]
  • [32]
    Voir Australian Law Reform Commission. Discussion Paper No. 4. Access to the Courts – I : Standing : Public Interest Suits. Sydney : 1977.  [Retour au contenu]
  • [33]
    « President’s Report – Extra-judicial notes », (1997) 16 Aust Bar Rev 2, M. Kirby speech delivered at the Indo-Australian Public Policy Conference in 1996.  [Retour au contenu]
  • [34]
    Voir B. Harris, « judicial activism and New zealand’s appellate courts », dans B. Dickson, Judicial activism in common law supreme courts, New york, oxford university Press, 2007, p. 274.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Article 7 du New Zealand Bill of Rights Act 1990. Voir g. Palmer et M. Palmer, Bridled Power – New Zealand’s Constitution and government, 4e éd., South Melbourne, oxford university Press, 2004, p. 316.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Id., p. 287.  [Retour au contenu]
  • [37]
    Il s’agit de la décision Moonen v Film & Literature Board of Review [2000] 2 NzLR 9. Voir à ce sujet le site du Ministry of Justice de la Nouvelle-zélande : http://www.justice. govt.nz/publications/global-publications/t/the-guidelines-on-the-new-zealand-bill-of-rightsact-1990-a-guide-to-the-rights-and-freedoms-in-the-bill-of-rights-act-for-the-public-sector/ part-iv-remedies-under-the-bill-of-rights-act. Voir également g. Palmer et M. Palmer, op. cit., note 35, p. 318.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Moonen v Film & Literature Board of Review, précitée, par. 20.  [Retour au contenu]
  • [39]
    g. Palmer et M. Palmer, op. cit., note 35, p. 332.  [Retour au contenu]
  • [40]
    E. Salzberger, « judicial activism in Israel », dans B. Dickson, Judicial activism in common law supreme courts, New york, oxford University Press, 2007, p. 224.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Id., p. 223  [Retour au contenu]
  • [42]
    Id.  [Retour au contenu]
  • [43]
    Id.  [Retour au contenu]
  • [44]
    Id. p. 232  [Retour au contenu]
  • [45]
    Id, p. 240  [Retour au contenu]
  • [46]
    Id, p. 225, 240-241  [Retour au contenu]
  • [47]
    Id, p. 240  [Retour au contenu]
  • [48]
    Id, p. 226  [Retour au contenu]
  • [49]
    A. Singh, « Public interest standing before the Supreme Courts of Israel and Canada : are our Canadian courts accessible enough ? », (2011), TheCourt.ca.  [Retour au contenu]
  • [50]
    A. Barak, loc. cit., note 3, 106.  [Retour au contenu]
  • [51]
    V. Ramakrishnan, « guide to India laws », (2006), GlobaLex (nyulawglobal.org).  [Retour au contenu]
  • [52]
    K. Hingorani, « judicial independence and the unique Indian experiment », speech delivered at the Commonwealth Law Conference in 2007.  [Retour au contenu]
  • [53]
    V. Iyer, « the Supreme Court of India », dans B. Dickson, Judicial activism in common law supreme courts, New york, oxford university Press, 2007, p. 125.  [Retour au contenu]
  • [54]
    Id  [Retour au contenu]
  • [55]
    J. Fowkes, « How to open the doors of the court – lessons on access to justice from Indian PIL », (2011) 27 SAJHR, 434. Pour une autre perspective, voir K. Hingorani, loc. cit., note 52.  [Retour au contenu]
  • [56]
    SP Gupta v Union of India AIR 1982 SC 149, 192.  [Retour au contenu]
  • [57]
    J. Fowkes, loc. cit., note 55, 438.  [Retour au contenu]
  • [58]
    SP Gupta v Union of India, précitée, 192.  [Retour au contenu]
  • [59]
    J. Fowkes, loc. cit., note 55, 435 ; S. Deva, « Public interest litigation in India : a critical review », (2009) C.J.Q. 19, 24-25.  [Retour au contenu]
  • [60]
    S. Deva, « Public interest litigation in India : a critical review », (2009) C.J.Q. 19, 31.  [Retour au contenu]
  • [61]
    B. j. odoki, « Public Interest Litigation and the Enforcement of Human Rights », (2003) 15

    Commonwealth Judicial Journal, 22.  [Retour au contenu]

  • [62]
    Id. Voir également j. Fowkes, loc. cit., note 55.  [Retour au contenu]
  • [63]
    Extrait du discours de K. Hingorani, loc. cit., note 52. Voir, au même effet, V. Iyer, loc. cit., note 53, 150-152.  [Retour au contenu]

2ème session : Le citoyen et le déroulement de la procédure devant le juge constitutionnel

Le citoyen : pierre angulaire de la justice constitutionnelle au Bénin

Théodore Holo

Agrégé de droit public et de science politique

Ancien Ministre des Affaires étrangères

Conseiller à la Cour constitutionnelle

Président de la Haute Cour de Justice

La justice constitutionnelle est consubstantielle au constitutionnalisme dont la finalité est d’encadrer le pouvoir des gouvernants et de protéger la liberté des gouvernés. Cette mission est pleinement assurée au Bénin par le juge constitutionnel dans la mesure où la Constitution lui en donne compétence mais surtout parce que tout citoyen a le droit de le saisir, soit directement soit par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, sur la conformité à la Constitution de toute loi, de tout acte administratif, de toute décision de justice, de tous comportements attentatoires aux droits fondamentaux.

En effet, engagé dans une transition démocratique à l’issue de la Conférence Nationale Souveraine de février 1990, le Bénin fera du juge constitutionnel non seulement la clé de voûte de son architecture démocratique mais encore l’instrument privilégié de l’édification de l’État de droit. Ainsi, dès le préambule de la Constitution du 11 décembre 1990, le peuple béninois réaffirme son opposition radicale à tout régime politique fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel, mais encore exprime sa détermination à créer un État de droit et de démocratie pluraliste dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus. Pour réaliser cet objectif, la Constitution crée une Cour constitutionnelle à la fois juge de la constitutionnalité de la loi et des normes juridiques inférieures, garante des droits fondamentaux de l’être humain, arbitre du jeu électoral et régulatrice du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.

Tirant leçon de la faillite du monolithisme caractérisé, entre autres, par des violations massives et répétées des droits humains par les gouvernants, la Constitution de 1990 fera du citoyen la pierre angulaire de la justice constitutionnelle. Ainsi, dès l’article 3 relatif à la souveraineté qui est exercée par le peuple, la Constitution prescrit : « … toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ». Dès lors, le citoyen au Bénin est l’initiateur privilégié du mécanisme de la suprématie de la Constitution et de la protection des libertés.

I. le citoyen et la suprématie de la Constitution

Au Bénin, le contrôle de constitutionnalité des lois destiné à garantir la conformité des lois à la norme suprême qu’est la Constitution est mis en œuvre par le citoyen par le contrôle a posteriori de la loi votée et promulguée. La Constitution du Bénin prévoit certes un contrôle a priori de la loi votée, non encore promulguée, mais la demande pour ce contrôle est l’œuvre des pouvoirs publics, à savoir, le Président de la République et tout député à l’Assemblée nationale. Le citoyen n’intervient directement que dans le contrôle a posteriori puisque l’article 122 de la Constitution dispose : « tout citoyen, peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours. ». Ainsi, l’intervention du citoyen dans le contrôle a posteriori de la constitutionnalité de la loi se réalise par la voie soit de l’action directe, soit de l’exception d’inconstitutionnalité.

A. l’action directe

L’action directe, appelée aussi l’action populaire, est déclenchée par le citoyen qui n’a à justifier d’aucun intérêt à agir sinon de sa qualité de citoyen, gardien en tant que tel du respect de l’ordre constitutionnel. Ce contrôle revêt un caractère objectif et abstrait. Ainsi, par l’action directe proche de l’amparo, qui est un recours en protection d’un droit constitutionnellement garanti contre tout acte public, loi, acte administratif, jugement, tout citoyen in abstracto, c’est-àdire en dehors de tout litige concret, est habilité à saisir le juge constitutionnel de tout acte susceptible de produire des effets juridiques mais contraires à la Constitution. Relèvent indubitablement de cette catégorie les lois promulguées et les actes administratifs. Le juge est réticent à y inclure les décisions de justice, sauf lorsqu’elles sont devenues définitives et violent les libertés fondamentales dont la Cour est le gardien privilégié.

Cette interprétation ne fut réellement admise par la Cour qu’en 2003, c’està-dire 10 ans après son installation. En effet, dans sa décision DCC 11-94 du 11 mai 1994, la Cour constitutionnelle, tout en reconnaissant, d’une part, sa compétence exclusive pour statuer sur les violations des droits humains, d’autre part, la violation desdits droits par l’arrêt 93-06/Cj-P du 22 avril 1993 rendu par la Cour suprême, se déclare incompétente pour statuer aux motifs que l’article 131 alinéas 3 et 4 de la Constitution dispose que les décisions de la Cour suprême ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif et à toutes les autres juridictions. Cette jurisprudence fut confirmée par la décision DCC 95-001 du 6 janvier 1995.

Cependant, dans sa décision DCC 03-166 du 23 novembre 2003, elle juge que les décisions de justice n’étaient pas des actes au sens de l’article 3 alinéa 3 de la Constitution pour autant qu’elles ne violent pas les droits de l’Homme. Mieux, dans sa décision DCC 09-087 du 13 août 2009, la Cour constitutionnelle, non seulement réaffirme que les décisions de justice ne sont pas des actes susceptibles de recours devant elle pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens et les libertés publiques, mais encore, juge qu’en matière des droits de l’Homme, ses décisions priment celles de toutes les autres juridictions. Cette évolution suscitée par l’action directe des citoyens consacre la primauté du juge constitutionnel dans le domaine des droits de l’être humain. Dès lors, les décisions de la Cour, dans l’hypothèse du contrôle abstrait de constitutionnalité, sont valables erga omnes y compris la Cour suprême.

Ce type de contrôle est abondamment utilisé par les citoyens. Ainsi, de 1993 à juin 2012, sur 2 249 décisions de contrôle de constitutionnalité rendues par la Cour, 1 779 résultent de la saisine directe par les citoyens qui se veulent les sentinelles bénévoles et déterminées de l’ordre constitutionnel auquel ils adhèrent et dans lequel ils se reconnaissent.
outre la saisine directe, le citoyen peut provoquer le contrôle de constitutionnalité de la loi stricto sensu, à savoir, la norme votée par le Parlement et promulguée par le Président de la République, par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité.

B. l’exception d’inconstitutionnalité

À la différence de l’action directe, l’exception d’inconstitutionnalité mise aussi en œuvre à l’initiative du citoyen relève, quant à elle, d’un contrôle subjectif et concret de la constitutionnalité de la loi étant donné que le justiciable qui la soulève entend écarter l’application à un litige pendant devant le juge ordinaire d’une loi supposée inconstitutionnelle. Il s’agit d’une question préjudicielle dont la solution ressort de la compétence exclusive du juge constitutionnel.

Par conséquent, sa décision qui doit intervenir dans un délai déterminé et seulement valable inter pares, conditionne le règlement du litige par le juge ordinaire. En effet, l’article 122 de la Constitution qui l’organise prévoit que la juridiction devant laquelle cette exception est soulevée doit surseoir à son jugement jusqu’à la décision de la Cour qui doit intervenir dans un délai de trente jours.

Cet article laisse au citoyen le choix entre la voie directe et l’exception d’inconstitutionnalité. Ces deux voies de recours ouvertes au citoyen ne peuvent donc s’exercer simultanément. telle est la jurisprudence consacrée par la Cour. Ainsi, dans sa décision DCC 97-060 du 28 octobre 1997, elle a déclaré irrecevable la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité engagée devant la Cour suprême postérieurement à l’action directe devant la Cour constitutionnelle. Cette jurisprudence est confirmée par la décision 99-054 du 29 décembre 1999 par laquelle la Cour répond également à ceux qui soulèvent l’exception d’inconstitutionnalité pour faire du dilatoire et empêcher le juge ordinaire de rendre son jugement dans un délai raisonnable comme le prescrit la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples intégrée à la Constitution de 1990. En effet, alors que l’exception d’inconstitutionnalité porte, selon l’article 122 de la Constitution, sur une loi, certains requérants n’hésitent pas à la soulever tantôt contre une procédure judiciaire, tantôt contre une détention. Dans ces deux cas, le recours est toujours déclaré irrecevable par la Cour.

L’exception d’inconstitutionnalité réservée exclusivement au justiciable et uniquement contre une loi devant lui être appliquée dans le litige en cours devant le juge judiciaire n’a donné lieu du 7 juin 1993 au 25 juin 2012 qu’à 102 décisions. Il apparaît ainsi que l’intérêt à agir peut être un handicap à l’expansion sociale de la justice constitutionnelle. Autrement dit, l’expérience du Bénin prouve que seule la saisine directe ouvre largement les portes de la justice constitutionnelle à l’ensemble des citoyens, assurant ainsi sa légitimité sociale. Certes, la saisine directe accroit le travail du juge mais lui procure la satisfaction d’une réelle utilité sociale. Cette légitimité est confortée par la confiance dont il jouit dans l’opinion en tant que garant des libertés fondamentales pour la défense desquelles le citoyen le sollicite constamment.

II. le citoyen et la protection des libertés

C’est l’action populaire, c’est-à-dire la saisine directe de la Cour constitutionnelle par tout citoyen, qui donne toute sa vitalité à la justice constitutionnelle au Bénin et en fait le rempart légitime des droits fondamentaux, entendus comme un ensemble de droits et de garanties que l’ordre constitutionnel reconnaît aux particuliers dans leur rapport avec les pouvoirs publics. En d’autres termes, l’exception que constitue la justice constitutionnelle au Bénin ne se conçoit pas sans cette générosité de sa saisine et sans les fondements de sa décision que le juge puise abondamment, non seulement dans la Constitution, mais aussi dans l’ensemble des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par le Bénin dont certains sont même directement intégrés à la Constitution. Du 7 juin 1993 au 25 juin 2012, la Cour a rendu 1 166 décisions relatives à la violation des droits fondamentaux et des libertés publiques.

La protection des libertés par le juge constitutionnel au Bénin est renforcée par plusieurs dispositions de la Constitution.

D’abord, l’article 120 donne compétence à la Cour pour statuer sur les plaintes en violation des libertés publiques et des droits humains, aujourd’hui reconnus comme des prérogatives inhérentes à tout être humain, extérieures et opposables à l’État. La notion de plainte suppose aussi que le juge constitutionnel peut connaître, en matière de protection des libertés, des faits et comportements attentatoires aux droits fondamentaux du citoyen.

Ensuite, l’article 121 prescrit, d’une part, l’auto saisine du juge constitutionnel, d’autre part, le contrôle de constitutionnalité des lois et des actes censés violer les droits de la personne humaine. De nos jours, les Béninois, pour la défense de leur liberté garantie par la Constitution, s’adressent spontanément, abondamment ou, tout du moins, davantage au juge constitutionnel qu’aux juges administratif et judiciaire. Cette préférence, expression de la confiance du citoyen en la justice constitutionnelle, se fonde sur le prestige et l’autorité du juge dont les décisions sont sans appel, mais surtout sur la célérité, la simplicité et la gratuité de la procédure. En effet, l’article 24 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 122 de la Constitution, dispose : « tout citoyen peut, par une lettre comportant ses noms, prénoms et adresse précise, saisir directement la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois.

Il peut également, dans une affaire qui le concerne, invoquer devant une juridiction l’exception d’inconstitutionnalité.

Celle-ci, suivant la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité doit saisir immédiatement et au plus tard dans les huit jours la Cour constitutionnelle et surseoir à statuer jusqu’à la décision de la Cour ».

Par ailleurs, l’article 31 du règlement intérieur de la Cour précise en son 2e alinéa que, pour être valable, la requête émanant d’une organisation non gouvernementale, d’une association ou d’un citoyen, doit comporter ses nom, prénoms, adresse précise et signature ou empreinte digitale. toutefois, lorsque la requête ne comporte ni signature ou empreinte digitale ni adresse précise du requérant, la Cour, tout en la déclarant irrecevable, se prononce d’office conformément à l’article 121 de la Constitution quand celle-ci évoque une violation des droits fondamentaux de la personne humaine ou des libertés publiques. Le ministère d’avocat qui aurait pu être dissuasif pour la saisine par le citoyen n’est pas obligatoire étant donné que l’article 28 dudit règlement précise que la procédure devant la Cour constitutionnelle est, entre autres, gratuite.

De façon générale, la Cour constitutionnelle est tenue de rendre sa décision, dès qu’elle est saisie, dans un délai de huit jours lorsqu’elle se prononce d’office sur la constitutionnalité des lois et de tout texte réglementaire censé porter atteinte aux droits de la personne, ou de quinze jours lorsqu’elle est saisie d’une loi ou d’une plainte en violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques. Aux termes de l’article 120 de la Constitution, ce délai, en cas d’urgence demandée par le gouvernement, est ramené à huit jours.

En matière de protection des libertés fondamentales, l’action du citoyen a conduit la Cour à donner plus de sens à sa mission de gardienne des libertés. En effet, pendant longtemps la protection des libertés fondamentales par le juge constitutionnel se limitait à une stérile constatation de leur violation. Les victimes retiraient de cette reconnaissance de la violation de leur droit une satisfaction purement morale, insuffisante toutefois à apaiser leur malheur. Aussi, pour donner plus de poids et d’intérêt à sa thérapie, le juge constitutionnel a-t-il ouvert à leur profit un droit à réparation. Cette évolution est opérée dans la décision DCC 02-050 du 31 mai 2002 par laquelle la Cour renforce la sanction des traitements inhumains et dégradants en ouvrant le droit à réparation du préjudice subi sur le fondement, non seulement de la Constitution et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, mais encore de la doctrine et de la coutume internationale. Désormais, grâce à cette jurisprudence confirmée par une série d’autres décisions, le préjudice subi par toute personne du fait de la violation de ses droits fondamentaux ouvre droit à réparation.

L’effectivité et l’efficacité de la justice constitutionnelle sont fonction assurément de la légitimité du juge et du sort de ses décisions. Le rôle fondamental dévolu au citoyen assure l’émergence d’une réelle culture démocratique. Même le Chef de l’État, dont les actes, faits et propos sont parfois censurés par le juge constitutionnel sur saisine directe du citoyen, se sent tenu de respecter les décisions de la Cour. Le citoyen apparaît ainsi comme la pierre angulaire de la justice constitutionnelle qui demeure aujourd’hui l’instrument privilégié de l’édification de la démocratie pluraliste et de l’État de droit au Bénin.

Les expériences de l’actio popularis dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Hongrie : raisons et conséquences de sa disparition

Péter Kovács

Juge à la Cour constitutionnelle de Hongrie [1]

1. Introduction

Le système constitutionnel de la Hongrie a subi des réformes profondes en 2011. Toutefois, la présente communication ne vise pas à commenter cette réforme, elle se borne à présenter un élément qui n’était pas la cible des débats menés au sein des différentes instances internationales mais qui est profondément lié au sujet majeur de la conférence de l’ACCPUF : le citoyen et la justice constitutionnelle. De ce point de vue, il vaut la peine de présenter les raisons et les conséquences de la disparition de l’actio popularis, institution de renom de la justice constitutionnelle hongroise.

Infra, on va d’abord présenter quelques considérations portant sur la pratique de l’actio popularis comme l’auteur l’a vécue au cours de sa participation aux travaux de la Cour constitutionnelle, pour terminer par une brève présentation des différentes formes de l’institution de la plainte constitutionnelle.

2. L’actio popularis – en bref

L’actio popularis a été reconnue dans la Constitution [2] et la loi sur la Cour constitutionnelle (dans sa version en vigueur entre 1989-2011) où une courte disposition indiquait que la procédure du contrôle de constitutionnalité a posteriori d’une règle juridique ou d’un autre moyen juridique de l’administration d’État peut être initiée par quiconque [3].

La Cour constitutionnelle a considéré que l’actio popularis était le fruit des négociations menées en 1989 pendant les mois de la transition démocratique entre le gouvernement et l’opposition. En examinant les travaux préparatoires de la Constitution, la Cour a expliqué que l’institution de l’actio popularis était réclamée d’une manière conséquente par l’opposition ayant trouvé trop maigre la proposition du gouvernement communiste-réformateur de l’époque qui voulait restreindre le droit d’initiative à un certain cercle des requérants privilégiés et ne laisser aux particuliers que l’institution de la plainte constitutionnelle. Suite à l’examen soigneux des documents préparatoires pertinents, la Cour constitutionnelle a souligné que l’on peut déduire directement de la Constitution que le droit d’initiative devrait être ouvert à tout le monde [4].

C’est dans ce même sens que la Cour a affirmé que le droit d’agir par voie d’actio popularis n’est assujetti à aucune condition, que cela soit le ministère d’avocat, l’acquittement de frais de procédure ou la preuve de l’intérêt personnel, etc. [5]

La mise en œuvre de l’actio popularis avait indubitablement contribué au fait que la Cour constitutionnelle a pu développer une jurisprudence cohérente et impressionnante peu de temps après sa création.
une série de grandes décisions sont nées de petits papiers envoyés à la Cour qui n’a exigé que peu de critères comme i. l’indication exacte de l’article attaqué d’une disposition législative ou infralégislative, ii. l’indication exacte de l’article (ou des articles) pertinent(s) de la Constitution supposé(s) lésé(s) et iii. une argumentation sur la supposée violation de l’article constitutionnel indiqué (une argumentation rudimentaire était suffisante; mais évidemment, une requête ne contenant que l’énumération des clauses constitutionnelles ou la pure citation de leur texte n’était pas admissible).

Puisque le lancement des procédures devant la Cour n’était pas lié à l’acquittement de frais de procédure, même symbolique, le nombre d’actions populaires a augmenté d’une manière choquante. Au cours de la deuxième décennie de l’existence de la Cour, on a pu constater une certaine et constante diminution de l’apport doctrinal et constitutionnel des actions populaires et que leur immense majorité était soit refusée, soit rejetée. on a pu constater aussi que certains cabinets d’avocat profitaient largement de la facilité d’intenter des recours devant la Cour et après la perte d’une affaire devant les juridictions ordinaires, engageaient une procédure de contrôle de constitutionnalité (il est vrai cependant que la nouvelle réglementation d’après janvier 2012 relative à la Cour constitutionnelle renforcera le rôle des juristes professionnels, en ce que les requêtes devront être contresignées par un avocat).

On s’est souvent posé la question : pourquoi la Cour n’a-t-elle pas profité du principe juridique de minimis non curat praetor pour se débarrasser d’une quantité de recours évoquant des problèmes minuscules ? La réponse négative était fondée sur la formulation trop claire de la Constitution qui ne laissait pas de marge de manœuvre à la Cour, empiégée par ses propres précédents quelquefois exaltant l’actio popularis [6].

3. La question de l’actio popularis dans un des rapports de la Commission de Venise concernant la réforme constitutionnelle hongroise

L’assistance de la Commission européenne pour la démocratie par le droit a été sollicitée par le gouvernement hONGrois pour calmer le mécontentement et les critiques retentissantes, dans une lettre signée le 21 février 2011 par le Premier ministre adjoint et portant sur trois groupes de questions. La Commission de Venise y a répondu le 13 avril 2011 dans le document intitulé Avis sur trois questions juridiques apparues lors de la rédaction de la nouvelle Constitution hongroise [7].

La Commission de Venise a elle-même conseillé la suppression de l’actio popularis devant la Cour tout en soulignant le rôle de l’ombudsman qui quasi en tant qu’organe de filtrage pourrait prendre la décision de saisir la Cour [8]. Il est à noter cependant, que parmi les propositions de la Commission de Venise qui a formulé une série de critiques claires quant à la procédure et au rythme intempestif de la réforme constitutionnelle ainsi qu’à l’encontre de plusieurs nouvelles dispositions constitutionnelles, l’idée de supprimer l’actio popularis a eu un écho favorable.

« La Commission de Venise tient à souligner que la possibilité de recourir à l’actio popularis en matière de constitutionnalité ne peut être considérée comme une norme européenne. Elle reconnaît que ce mécanisme est apparu comme la garantie la plus large d’un contrôle globale de constitutionnalité, car il permet d’éliminer rapidement de l’ordre juridique les lois inconstitutionnelles, surtout celles qui ont été adoptées avant la Constitution. Toutefois, une analyse comparée montre que la plupart des pays a décidé de ne pas mettre en place de mécanisme de cette sorte, en tant que moyen valable de contester les actes législatifs devant la Cour constitutionnelle. En conséquence, l’actio popularis est actuellement l’exception plutôt que la règle en Europe et parmi les États membres de la Commission de Venise » [9].

Après avoir rappelé qu’elle avait plutôt déconseillé l’introduction de l’actio popularis dans les systèmes nationaux [10], la Commission a évoqué la surcharge de la Cour constitutionnelle hongroise [11] pour conclure qu’« en conséquence, la Commission est d’avis que les règles de la future Constitution hongroise qui supprimeraient l’actio popularis ne doivent pas être considérées comme une atteinte au patrimoine constitutionnel européen. Ainsi qu’elle l’a indiqué précédemment, la Commission estime que la limitation du contrôle de constitutionnalité a posteriori de textes de loi, demandé par les particuliers à l’aide du critère qui a fait ses preuves “d’atteinte directe en cours de droits garantis par la Constitution” (intérêt juridique spécifique) ne soulève aucune objection si elle s’accompagne ce faisant de l’instauration d’un recours constitutionnel véritable. une telle modification ne peut pas être considérée comme une violation des normes européennes. » [12]

La Commission de Venise a donc estimé que la disparition de l’actio popularis ne pose de problème ni in abstracto, ni in concreto, pourvu que le niveau de la protection constitutionnelle ne soit pas inférieur au précédent :

« Étant donné cette position de principe, la Commission considère qu’au cas où l’actio popularis serait abolie, il faudrait prévoir d’autres modes de contrôle de constitutionnalité, car une telle modification du contrôle pourrait avoir des répercussions sur l’étendue et l’efficacité de celui-ci. » [13]

Les mécanismes contrebalançant sont l’introduction de la plainte constitutionnelle de type allemand (ou en d’autres termes le « véritable recours constitutionnel ») favorisée par la Cour constitutionnelle et un rôle accru du médiateur, cible et filtre des communications individuelles :

« Étant donné la tradition constitutionnelle et la culture juridique de la Hongrie, la Commission considère qu’il serait souhaitable – sous réserve de mettre en place un véritable recours constitutionnel – de conserver certains éléments limités d’actio popularis. une solution possible pourrait consister en un mécanisme d’accès indirect selon lequel la Cour constitutionnelle serait saisie de questions individuelles par le biais d’un organe intermédiaire (comme le médiateur ou d’autres organes compétents) » [14].

4. L’individu et sa position dans le nouveau système du contrôle constitutionnel

La réforme des compétences de la Cour constitutionnelle – du point de vue du sujet de notre Conférence – a été basée sur quatre axes majeurs :

  • l’actio popularis a été supprimée ;
  • les compétences du médiateur ont été élargies pour qu’il puisse déférer des affaires – mais en son propre nom et avec sa propre argumentation – s’il estime que la communication du particulier révèle un vrai problème méritant l’interprétation de la Cour constitutionnelle (Il est à noter que le(s) médiateur(s) avai(en)t dès le début le droit de saisir la Cour constitutionnelle [15]) ;

    • la plainte constitutionnelle – telle qu’elle existait depuis 1989 – n’a pas été touchée. (Cette procédure concerne l’examen constitutionnel d’une règle juridique appliquée dans une affaire concrète. La Commission de Venise a observé le phénomène que même ceux qui étaient concernés dans une affaire juridique concrète, liée à une règle prétendument inconstitutionnelle, préféraient agir plutôt via l’actio popularis au lieu de la procédure de la plainte constitutionnelle [16].) ;
    • une nouvelle forme de plainte constitutionnelle a été introduite, à l’instar du système constitutionnel de l’Allemagne fédérale. Désormais, une décision judiciaire peut être mise en cause devant la Cour constitutionnelle hongroise dans le cas où le résultat d’un procès judiciaire devant le juge de dernière instance viole la Constitution.

    La disparition de l’actio popularis à l’issue de la constitutionnalisation de 2011 n’a pas provoqué le mécontentement de la Cour contrairement aux ONG, aux associations défendant les droits de l’homme, à l’opposition parlementaire et même à M. László Sólyom, père fondateur et premier président de la Cour constitutionnelle [17]. Les opinions exprimées par les auteurs de ces critiques ont été fondées essentiellement sur le rôle et l’importance de l’actio popularis au cours des premières années de l’existence de la Cour constitutionnelle.

    Elles évoquaient aussi le fait que lors du changement de régime en 1989, l’actio popularis permettait à la société civile de s’opposer aux dérives inconstitutionnelles qu’un parlement peut commettre en toute bonne foi quand il est pressé par les impératifs réels ou prétendus de la législation de tous les jours.

    En plus, dû au fait que l’épuisement des voies de recours ordinaires [18] est requis pour la recevabilité d’une plainte constitutionnelle, le facteur ratione temporis milite contre la restauration de la constitutionnalité après la découverte de fautes constitutionnelles manifestes car il faut attendre l’écoulement d’un délai considérable que le jeu des recours ordinaires implique. Cette critique est en partie intimement liée à certaines catégories d’auteurs de recours d’actio popu­laris : en effet, un grand nombre de requêtes émanaient des ONG fondées pour promouvoir la protection des droits de l’homme (on note cependant que les ONG peuvent aussi aider les particuliers dans le nouveau système de la plainte constitutionnelle).

    Le facteur ratione temporis est certainement un argument majeur dans les critiques. Il faut souligner quand même qu’il y a une exception à l’épuisement des voies de recours ordinaires : quand ils n’existent pas. on peut aussi exceptionnellement soumettre un problème juridique concret du requérant devant la Cour constitutionnelle dans le cas où la décision litigieuse entre en vigueur directement sans qu’on puisse la contester devant le juge ordinaire.

    Il faut mentionner que lors de la suppression de l’actio popularis, le législateur a prévu une courte période de transition. En ce qui concerne les règles de transition, toute personne ayant soumis une requête de type actio popularis avant le 31 décembre 2011 qui n’était pas encore délibérée par la Cour, a reçu une lettre officielle l’informant sur les changements constitutionnels intervenus. Cette lettre l’informait également qu’elle avait le droit de maintenir sa requête par la disposition d’une nouvelle communication à déposer jusqu’au 31 mars 2012, si elle estime qu’elle satisfait aux conditions de la plainte constitutionnelle. Dans ce cas-là, elle doit renouveler son argumentation en tenant compte des dispositions concrètes de la loi fondamentale. Sa plainte doit être désormais contresignée par un avocat [19]

    5. Conclusions

    Cette brève contribution n’avait pas l’ambition de traiter en profondeur les changements constitutionnels intervenus, elle voulait rester dans les limites définies par les organisateurs de la Conférence de Marrakech. Certes, les changements ont engendré des conflits considérables entre le gouvernement hONGrois et les différentes organisations internationales. La Commission de Venise, dont on a cité plusieurs considérations, a aussi émis de nombreuses critiques [20].

    En ce qui concerne cependant la position de l’individu dans le déclenchement des procédures constitutionnelles, il faut souligner qu’elle a été élargie et que la suppression de l’actio popularis a été étudiée d’avance avec la Commission de Venise qui a émis un avis positif par rapport à cette idée. Le mécanisme substitutif proposé (c’est-à-dire l’ombudsman comme organe de filtrage) proposé par la Commission de Venise a été introduit dans le nouveau système. Dans son avis [21] adopté récemment par rapport à la nouvelle loi portant sur la Cour constitutionnelle, la Commission de Venise a accueilli favorablement la disparition de l’actio popularis et elle a souligné l’importance de la période transitoire ouverte aux anciennes applications ainsi que la responsabilité de l’ombudsman, qui en tant que requérant, travaille inter alia sur la base des communications émanant des particuliers.

    Cependant, c’est bien sûr la jurisprudence constitutionnelle des années à venir qui pourra définitivement prouver si cet élément de la réforme a vraiment pu garantir que la Cour constitutionnelle s’occupe de questions vraiment importantes et que le niveau de protection constitutionnelle assuré par les deux formes de la plainte constitutionnelle satisfait les exigences théoriques et pratiques.

    Annexe

    Pour mieux comprendre la jurisprudence constitutionnelle du système entre 1989-2011, cf. inter alia :

    19.a. László Sólyom et georg Brunner, Constitutional judiciary in a new demo­ cracy – The Hungarian Constitutional Court, Ann Arbor, 2000, university of Michigan Press.

    19.b. Selected decisions of the Constitutional Court of Hungary (1998­2001), Akadémiai Publ., 2005, Budapest.

    19.c. Péter Paczolay (ed.), Twenty Years of the Hungarian Constitutional Court, Alkotmánybíróság, 2009, Budapest.

    19.d. Georg Brunner, László Sólyom, Verfassungsgerichtsbarkeit in Ungarn (1990­1993), Nomos, 1995, Baden-Baden.

    19.e. Gábor Spuller, Das Verfassungsgericht der Republik Ungarn, Peter Lang Verlag, 1998, Frankfurt, Berlin, Bern, New york, Paris, Wien.

    19.f. Pierre-Alain Collot, « La Hongrie», in jean-Pierre Massias (dir.), Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, 2e éd., Paris, PuF, 2008, p. 215-296.

    19.g. Péter Kovács, Introduction à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la République de Hongrie, universitätsverlag, 2011, Regensburg.

    Pour le système constitutionnel nouveau, cf. :

    Lóránt Csink, Balázs Schanda, András zs.Varga (ed.), The Basic Law of Hungary : A First Commentary, Clarus Press, 2012, Budapest.


    • [1]
      Péter Kovács est juge à la Cour constitutionnelle de la République de Hongrie et Professeur de droit international à l’université Catholique Péter Pázmány (Les considérations ci-dessous sont développées ès qualité universitaire et bien entendu n’engagent en rien la Cour constitutionnelle).  [Retour au contenu]
    • [2]
      L’article 32/A (3) de la Constitution (dans sa forme d’entre 1989-2011) stipulait « La procédure devant la Cour Constitutionnelle peut être initiée par quiconque, dans les cas définis par la loi ».  [Retour au contenu]
    • [3]
      Cf. art. 21 (2) de la loi XXXII de l’an 1989.  [Retour au contenu]
    • [4]
      Cf. la décision 4/1997, in Alkotmánybíróság Határozatai (Recueil des décisions de la Cour Constitutionnelle, infra ABH) 1997, p. 41-54, et en particulier p. 45-46.  [Retour au contenu]
    • [5]
      Cf. la décision 315/E/2003, ABH 2003, p. 1593.  [Retour au contenu]
    • [6]
      Cf. la décision 4/1997 (I.22.) AB, ABH 1997, p. 46 et aussi l’opinion dissidente de László Sólyom jointe à la décision 42/1998 : « La réglementation de la Constitution rend clair qu’en matière du contrôle abstrait des normes, le requérant agit non pas pour qu’il trouve réparation à une violation mais afin de rétablir une situation juridique conforme à la Constitution et en tant que mandataire du public. La violation de l’ordre constitutionnel n’est qu’une situation juridique factuelle, la requête n’est subordonnée à aucune lésion juridique concrète. tout cela est très bien reflété dans l’actio popularis, le droit de recours ouvert à quiconque ». 42/1998(X.2.) AB, ABH 1998, 532-551, p. 534.  [Retour au contenu]
    • [7]
      Avis nº 614/2011, CDL-AD(2011)001. Cf. les questions au § 11.3., p. 4 :
      « 1. Charte des droits fondamentaux de l’uE et Constitution
      Dans quelle mesure l’incorporation dans la nouvelle Constitution de dispositions de la Charte de l’uE améliorerait-elle la protection des droits fondamentaux en Hongrie et contribuerait-elle au renforcement de la protection européenne commune de ces droits ?
      2. Rôle et portée du contrôle a priori parmi les compétences de la Cour constitutionnelle
      Il faudrait envisager deux questions : qui est habilité à soumettre une demande de contrôle a priori ? Quel effet une décision rendue par la Cour dans une procédure de contrôle a priori a-t-elle sur la compétence législative du Parlement ?
      3. Rôle et portée de l’actio popularis pour le contrôle de constitutionnalité a posteriori
      En Hongrie, la Cour constitutionnelle est saisie de près de 1 600 demandes par an, car toute personne, qu’elle y ait ou non intérêt, peut lui demander de soumettre une règle légale à un contrôle de constitutionnalité. Quel est l’état des choses en Europe en matière de recours à l’actio popularis en matière constitutionnelle ? Pourrait-on considérer qu’il y aurait atteinte à l’acquis constitutionnel européen si la Cour avait pour vocation essentielle de s’occuper non plus du contrôle a posteriori fondée sur une actio popularis mais de requêtes spécifiques en contrôle de constitutionnalité ? (pour autant qu’il n’y ait pas d’autre recours disponible, une telle requête pourrait être soumise à la Cour par une personne qui allèguerait que ses droits fondamentaux ont été violés en raison de l’application d’une loi inconstitutionnelle) ».  [Retour au contenu]
    • [8]
      Avis CDL-AD(2011)001, adopté lors de la 86e session plénière (Venise, 25-26 mars 2011) ; avis CDL-AD(2011)016, adopté lors de la 87e session plénière (Venise, 17-18 juin 2011).  [Retour au contenu]
    • [9]
      Avis CDL-AD(2011)001, § 57, p. 11-12.  [Retour au contenu]
    • [10]
      Ibid., § 58, p. 12. Cf. l’avis CDL-AD(2010)039, § 74 sur la réforme constitutionnelle ukrainienne et l’avis CDL-AD(2008)030 sur le projet de loi sur la Cour constitutionnelle du Monténégro (dans ce document, la Commission de Venise a fait référence à l’expérience croate).  [Retour au contenu]
    • [11]
      Avis CDL-AD(2011)001, § 59, p. 12 : « La Commission de Venise note que la Cour constitutionnelle de Hongrie serait saisie de quelque 1 600 requêtes par an au titre de l’actio popu­laris ce qui montre qu’en Hongrie aussi, la Cour risque d’être surchargée. Elle croit savoir, sur la base des informations qui lui ont été communiquées, que les autorités hongroises envisagent, dans le cadre de l’adoption de la nouvelle Constitution, d’abolir l’actio popularis. Selon elles, cette réforme vise à éviter, à l’avenir, le risque de surcharger la Cour par un volume de requêtes ingérable, à prévenir un abus de requêtes devant elle et à permettre à la Cour de concentrer son action sur les requêtes qui présentent un intérêt juridique spécifique. »  [Retour au contenu]
    • [12]
      Ibid., § 64, p. 13  [Retour au contenu]
    • [13]
      Ibid., § 65, p. 13  [Retour au contenu]
    • [14]
      Ibid., § 66, p. 13  [Retour au contenu]
    • [15]
      Cf. l’article 22 de la loi n° LIX de 1993 sur le Commissaire parlementaire aux droits civils, tel qu’il a été traduit dans l’avis précité de la Commission de Venise. Ibid., § 68, p. 14 :
      « Le Commissaire parlementaire aux droits civils peut saisir la Cour constitutionnelle sur les points suivants :

      a) l’examen a priori de l’inconstitutionnalité d’un texte légal ou d’une autre voie légale quelconque de contrôle gouvernemental ;

      b) l’examen de la conformité avec un accord international d’un texte légal ou d’une autre voie légale quelconque de contrôle gouvernemental ;

      c) (abrogé) ;

      d) la cessation d’une situation inconstitutionnelle qui se traduirait par une omission ;

      e) l’interprétation des dispositions de la Constitution. »  [Retour au contenu]

    • [16]
      Ibid., § 61, p. 12 : la Commission de Venise « note qu’outre l’actio popularis, la Hongrie dispose déjà d’un mécanisme de requêtes constitutionnelles individuelles a posteriori contre des actes normatifs (article 48 de la loi n° XXXII de 1989 sur la Cour constitutionnelle). Il semble toutefois que cet article serve rarement aux requérants, qui préfèrent l’accès plus simple à la Cour par le biais de l’actio popularis, car en vertu de l’article 48, le requérant doit montrer qu’il a intérêt à agir et qu’il a épuisé les voies de recours. »  [Retour au contenu]
    • [17]
      17. Voir l’interview de L. Sólyom, « Beschränkung der Befugnisse des Verfassungsgerichts : “unverständlich, durch nichts zu rechtfertigen und inakzeptabel” », dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, 15 avril 2011. uRL : http://hungarianvoice.wordpress.com/2011/04/15/solyom-beschrankung-der-befugnisse-des-ver-fassungsgerichts-unverstandlich-durch-nichts-zu-rechtfertigen-und-inakzeptabel/  [Retour au contenu]
    • [18]
      Le juge doit être saisi en 60 jours. tandis qu’avant le 1er janvier 2012, la plainte devait être envoyée au plus tard 60 jours après la date de la décision juridique finale (ayant déjà la valeur juridique), maintenant ce délai est applicable non pas à la date de l’expédition mais à l’arrivée de la plainte à la Cour.  [Retour au contenu]
    • [19]
      Depuis le 1er janvier 2012, une plainte constitutionnelle doit être obligatoirement faite (ou contresignée) par un avocat. Exceptions et cas spéciaux : i. Le représentant d’un organisme de protection des droits de l’homme peut aussi agir en faveur d’un particulier si ledit représentant a passé les mêmes examens que ceux qui sont requis pour un avocat (régime quasi identique au certificat d’aptitude à la profession d’avocat – CAPA dans le système français). ii. Le juris-consulte d’une personne morale peut agir dans l’intérêt de sa compagnie. iii. Celui qui a passé les examens requis pour un avocat (en fait l’avocat, le juge et le procureur) peut agir dans sa propre affaire personnelle, dans son propre nom, sans le concours d’un avocat.  [Retour au contenu]
    • [20]
      Avis CDL-AD(2012)004 sur la loi CCVI de 2011 sur le droit à la liberté de conscience et de religion et le statut juridique des églises, confessions et communautés religieuses de Hongrie, adopté par la Commission de Venise lors de sa 90e session plénière (Venise, 16-17 mars 2012) ; avis CDL-AD(2012)001 sur la loi CLXII de 2011 sur le statut juridique et la rémunération des juges et la loi CLXI de 2011 sur l’organisation et l’administration des tribunaux de la Hongrie, adopté par la Commission de Venise lors de sa 90e session plénière (Venise, 16-17 mars 2012) ; avis CDL-AD(2011)016 sur la nouvelle constitution de la Hongrie adopté par la Commission de Venise lors de sa 87e session plénière (Venise, 17-18 juin 2011), etc.  [Retour au contenu]
    • [21]
      Avis CDL-AD(2012)009 sur la loi CLI de 2011 relative à la Cour constitutionnelle de Hongrie adopté par la Commission de Venise lors de sa 91e session plénière (Venise, 15-16 juin 2012). Cf. en particulier les § 50-52.  [Retour au contenu]

    Contrôle par le juge constitutionnel des lois votées par le peuple

    Lorenz Meyer

    Président du Tribunal fédéral suisse

    1. Préambule
    a. L’organisation judiciaire suisse

    La Confédération suisse est un État fédéral dont les principales institutions ont été mises en place à la fin du XIXe siècle. Le fédéralisme marque l’organisation judiciaire de la Suisse. L’administration de la justice est, traditionnellement, avant tout l’affaire des cantons (même si les procédures civile et pénale ont été unifiées récemment au niveau fédéral). La Confédération compte vingt-six cantons et quelque 2 500 communes. Ces trois niveaux étatiques sont compétents pour légiférer, exécuter et juger.

    Les 26 cantons bénéficient de par la Constitution d’une autonomie importante ; ils exercent tous les droits et compétences qui ne sont pas attribués à la Confédération. Chaque canton dispose de sa propre Constitution et de sa propre organisation judiciaire. Les cantons édictent des lois et ordonnances. Leur compétence exécutive et judiciaire ne se limite pas au droit cantonal, mais porte aussi sur le droit fédéral. Les cantons exécutent le droit fédéral aux côtés des autorités fédérales. Les tribunaux cantonaux statuent dans les domaines juridiques fédéraux. Ils connaissent des affaires de droit civil, de droit pénal et de droit public fédéral. Ils contrôlent également la constitutionnalité des lois et normes inférieures dans le cadre de leur compétence générale. La juridiction constitutionnelle suisse connaît en effet le système diffus du contrôle de la constitutionnalité selon lequel toute autorité ou tribunal chargé de l’application du droit doit examiner si celui-ci est conforme au droit constitutionnel et, lorsque tel n’est pas le cas, refuser de le mettre en œuvre.

    b. Le tribunal fédéral

    Le tribunal fédéral a été créé en 1848 sous la forme d’une juridiction non permanente. Il devient une autorité permanente en 1874. Comme notre centre politique se situe à Berne, en Suisse alémanique, le siège de notre haute cour a été fixé à Lausanne, en Suisse romande, pour des raisons d’équilibres linguistique et culturel. La tâche première de la Cour suprême est d’assurer une certaine cohérence dans l’application des différentes normes cantonales, le respect des droits fondamentaux et le développement de garanties de procédure sur l’ensemble du territoire national. tel a été d’emblée, et tel est toujours le rôle du tribunal fédéral. Ses attributions ont augmenté au fur et à mesure des évolutions politiques, sociales et juridiques et elles couvrent maintenant la plupart des domaines du droit. La législation fédérale devient en effet de plus en plus importante, au détriment des lois cantonales.

    La Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (ci-après Cst.) définit le tribunal fédéral comme « l’autorité judiciaire suprême de la Confédération ». La Cour suprême est, en Suisse, une Cour constitutionnelle qui a pour fonction de veiller au respect de la Constitution fédérale et des Constitutions des cantons, notamment de protéger les droits constitutionnels ou les droits fondamentaux des particuliers. Elle est également l’autorité de recours ou de cassation de dernière instance qui fait respecter la législation fédérale et veille à son application uniforme par les autorités inférieures.

    2. La juridiction constitutionnelle en suisse
    a. La situation actuelle

    Contrairement à ce qui prévaut dans la plupart des autres États, les dispositions législatives fédérales ne peuvent pas être contrôlées par la juridiction constitutionnelle suisse. Cette limitation résulte de l’art. 190 Cst., aux termes duquel « le tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international », même lorsque par hypothèse une loi est inconstitutionnelle.

    L’absence de contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales est l’une des principales caractéristiques du système constitutionnel suisse. Cette absence de contrôle s’explique par le fait qu’un référendum peut être lancé contre toutes les lois, ce qui signifie que les électeurs peuvent se prononcer sur les lois, que ce soit expressément, en acceptant ou rejetant une loi par référendum ou implicitement, en renonçant au référendum. Le peuple est considéré comme le véritable gardien de la Constitution. Selon cette conception, aucun juge ne peut outrepasser la volonté populaire, même lorsque cette volonté est contraire à la Constitution.

    Le Conseil constitutionnel français, qui vérifie la constitutionnalité des lois, a d’ailleurs partagé ce point de vue. Dans une décision du 6 novembre 1962, il est arrivé à la conclusion que l’art. 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission d’apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et des lois ordinaires, mais qu’il ne précise pas si cette compétence s’étend à l’ensemble des textes de caractère législatif, qu’ils aient été adoptés par le peuple à la suite d’un référendum ou qu’ils aient été votés par le Parlement, ou si, au contraire, elle est limitée seulement aux lois votées par le Parlement. Il résulte de l’esprit de la Constitution (qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics) que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non pas celles qui, adoptées par le peuple à la suite d’un référendum, constituent l’expression directe de la souveraineté nationale.

    Le Conseil constitutionnel relève par ailleurs que cette interprétation résulte également notamment de l’article 60 de la Constitution qui détermine le rôle du Conseil constitutionnel en matière de référendum et de l’article 11 qui ne prévoit aucune formalité entre l’adoption d’un projet de loi par le peuple et sa promulgation par le Président de la République.

    Le Conseil en a par conséquent déduit qu’il n’avait pas la compétence pour se prononcer sur la demande du président du Sénat visant à apprécier la conformité du texte voté par le peuple.

    Le Conseil constitutionnel n’a à ce jour pas renversé cette jurisprudence.

    On peut ajouter en ce qui concerne la Suisse que l’on craint qu’une extension de la juridiction constitutionnelle entraîne une politisation de la justice et un trop grand renforcement du pouvoir judiciaire. Raison pour laquelle notre absence de contrôle constitutionnel n’a, jusqu’à une époque récente, guère été remise en cause.

    b. Les diverses interventions en faveur de l’extension de la juridiction constitutionnelle

    Les différents travaux préparatoires de la révision totale de la Constitution fédérale ont régulièrement proposé l’introduction d’un système de contrôle concret de la constitutionnalité des lois fédérales.
    Dans son message du 20 novembre 1996 sur la réforme de la Constitution, le Conseil fédéral (notre gouvernement) a rappelé les raisons qui justifiaient selon lui une extension de la juridiction constitutionnelle du tribunal fédéral, à savoir le renforcement de l’État de droit, l’importance grandissante de la législation fédérale, la primauté du droit international et le contrôle des lois fédérales opéré par la Cour européenne des droits de l’homme. Sur cette base, le Conseil fédéral proposait de permettre au tribunal fédéral de procéder à un contrôle concret des lois fédérales pour violation des droits constitutionnels et du droit international.

    Lors des délibérations parlementaires, les Chambres, pressentant que le caractère controversé de cette innovation risquait de menacer l’ensemble du projet de réforme de la justice, ont fini par y renoncer purement et simplement en octobre 1999. L’arrêté sur la réforme de la justice a donc repris la formule de 1874.

    Deux initiatives parlementaires tendant à l’introduction d’un contrôle de la constitutionnalité des lois par le tribunal fédéral ont été déposées en 2005 et 2007. Les Commissions des affaires juridiques des deux Chambres ont décidé de donner suite à ces deux initiatives. En décembre 2011, le Conseil national (une des deux chambres du parlement fédéral) a approuvé l’abrogation de l’art. 190 Cst. La Commission des affaires juridiques du Conseil des États (l’autre chambre) en a fait de même en avril 2012. Le Conseil fédéral s’est également déclaré en faveur de l’abrogation de l’art. 190 Cst.

    La situation a fondamentalement changé depuis la décision du constituant de 1874 de refuser au tribunal fédéral le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois fédérales. Il existe aujourd’hui un certain nombre d’arguments en faveur d’une telle extension qui permettrait notamment de :

    • Renforcer l’État de droit, le fédéralisme et la protection des droits fondamentaux. À la fin du XIXe siècle, les restrictions des libertés des citoyens se trouvaient principalement dans les lois cantonales, qui pouvaient éventuellement être contraires à la Constitution. Depuis lors, il y a eu un transfert massif des contenus législatifs vers le droit fédéral. Si, autrefois, l’immunité des lois fédérales face à la juridiction constitutionnelle ne limitait guère la protection juridique des citoyens, tel n’est plus le cas aujourd’hui.
    • Assurer le respect de la hiérarchie des normes qui est une des tâches les plus importantes de la justice. De ce point de vue, il est contraire au système que la norme inférieure, à savoir la loi, l’emporte sur la norme supérieure, c’est-à-dire la Constitution. Des dispositions de lois fédérales peuvent s’avérer contraires à la Constitution dans un cas concret très particulier ou le devenir parce que le contexte a changé. L’Assemblée fédérale n’est pas en mesure de prévoir tous les cas de figure possibles.
    • Du point de vue du droit constitutionnel, les droits populaires ne s’opposent pas à une extension de la juridiction constitutionnelle. Au contraire, le fait que le peuple au niveau communal doive se soumettre au peuple au niveau cantonal (le droit cantonal prime le droit communal), que le peuple au niveau cantonal doive se soumettre au peuple au niveau fédéral (le droit fédéral prime le droit cantonal) et que le peuple qui a adopté une loi fédérale hiérarchie des normes.
    • L’expérience de l’examen des lois cantonales par le Tribunal fédéral montre que celui-ci fait preuve de retenue, sans s’arroger le pouvoir de prendre des décisions politiques. Mieux encore, par sa juridiction constitutionnelle à l’égard des cantons, il a contribué à des évolutions généralement jugées positives aujourd’hui, par exemple dans les domaines de la liberté de croyance et de conscience, de la liberté d’expression et du droit à l’information ou de la liberté économique.
    • Alors que l’action du législateur peut être déterminée par l’actualité politique, le juge constitutionnel prend en compte les valeurs fondamentales et durables de la Constitution, qui s’expriment au travers des droits fondamentaux. Il contribue à ce que le droit évolue dans le sens de ces droits fondamentaux. Le modèle de deux pouvoirs qui se complètent et se limitent mutuellement correspond davantage à la réalité constitutionnelle suisse que l’idée d’une séparation strictement logique entre un législateur qui crée le droit et des tribunaux qui ne font qu’exécuter sa volonté.
    • Le fait que le Tribunal fédéral contrôle de facto la conformité à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) des lois fédérales dévalorise la Constitution, qui devrait être le critère premier pour les autorités qui légifèrent et qui appliquent le droit en Suisse.

    Le 5 juin dernier, le Conseil des États a toutefois voté contre l’abrogation de l’art. 190 Cst. par 27 voix contre 17. Cet objet sera donc renvoyé au Conseil national dans le cadre de la procédure d’élimination des divergences. Vu ce vote très net, l’abrogation de l’art. 190 Cst. a désormais peu de chance de devenir réalité.

    Il semble donc qu’après de longues et intensives discussions, nous allons continuer en Suisse à vivre avec la règle selon laquelle le tribunal fédéral est lié aux lois. La rigueur de la règle posée par l’art. 190 Cst. est toutefois tempérée par trois principes :

    • Tout d’abord, le principe de l’interprétation conforme à la Constitution, d’après lequel le juge doit conférer à une disposition légale se prêtant à plusieurs interprétations celle qui est en harmonie avec la Constitution.
    • Ensuite, l’art. 190 Cst. n’interdit pas au tribunal fédéral d’examiner la constitutionnalité d’une loi fédérale. Il est habilité à constater qu’une loi fédérale viole la Constitution. Il ne peut en revanche pas sanctionner cette constatation par une annulation ou par un refus d’application de la loi en question.
    • Enfin, les droits fondamentaux de la CEDH et du Pacte ONU II priment sur les lois fédérales en cas de conflit, selon la jurisprudence bien établie du Tribunal fédéral. La volonté populaire exprimée dans une loi doit ainsi céder le pas aux droits fondamentaux en Suisse également.

    Les citoyens du royaume du Cambodge et la justice constitutionnelle

    Ek Sam Ol

    Président du Conseil constitutionnel du Cambodge

    Monsieur le Président Robert Dossou,

    Mesdames et Messieurs les Présidents des institutions membres de l’ACCPUF,

    Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs,

    Monsieur le Président, permettez-moi de saisir cette occasion pour vous présenter, au nom de la délégation du Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge, nos remerciements pour vos aimables paroles de bienvenue, pour vous adresser ainsi qu’au Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc pour le chaleureux accueil à notre arrivée et pour toutes les facilités qui nous sont accordées durant notre séjour dans votre beau pays.

    Institué par la Constitution du Royaume du Cambodge de 1993, le Conseil constitutionnel a été créé et n’a pu effectivement fonctionner que depuis le 15 juin 1998.

    Sa compétence c’est de garantir le respect de la Constitution, et d’interpréter la Constitution et les lois.

    Le Conseil constitutionnel a pour tâche d’examiner et de statuer sur les cas de litiges relatifs aux élections des députés et aux élections des sénateurs.

    Concernant le contrôle de la constitutionnalité, le Conseil constitutionnel joue le rôle de régulateur interne pour les pouvoirs politiques plus qu’une véritable juridiction. Il exerce un contrôle objectif limité aux problèmes de constitutionnalité. Les autres aspects du contrôle sur la légalité relèvent de la compétence des tribunaux et des cours.

    Pour les contentieux relatifs aux élections législatives el sénatoriales, le Conseil constitutionnel exerce une véritable fonction juridictionnelle exclusive (principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugements, …) qui est une exception au pouvoir judiciaire. Même à ce titre, il reste en dehors du cadre du pouvoir judiciaire.

    Les citoyens (personnes physiques, partis politiques) peuvent recourir directement au Conseil constitutionnel seulement dans les cas de litiges relatifs aux élections des députés et aux élections des sénateurs.

    Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois a postériori, de l’interprétation de la Constitution et des lois, le citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel de deux façons :

    1. Par l’intermédiaire des personnes qualifiées autorisées à saisir le Conseil constitutionnel et prévues à l’article 141 nouveau de la Constitution qui stipule que :

    «Après qu’une loi ait été promulguée, le Roi, le Président du Sénat, le Président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, un quart des membres du Sénat, un dixième des députés ou les tribunaux peuvent demander au Conseil constitutionnel l’examen de la constitutionnalité de cette loi.

    Tout citoyen a le droit de soulever l’inconstitutionnalité des lois par l’intermédiaire des députés ou du Président de l’Assemblée nationale ou des membres du Sénat ou du Président du Sénat, comme prévu à l’alinéa ci-dessus ».

    Jusqu’à maintenant, il y a dix-huit grandes décisions du Conseil constitutionnel sur les requêtes des citoyens par l’intermédiaire de leur représentant pour demander l’interprétation de certaines dispositions de la Constitution et des lois en faveur de l’État de droit, de la démocratie et de la protection des droits et libertés du citoyen.

    2. Par l’intermédiaire du tribunal quand le demandeur est partie dans un procès.

    L’article 19 de la loi organique sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel stipule que :

    « Une partie à un procès qui considère qu’une loi appliquée par un tribunal ou une décision d’une institution viole ses droit et libertés fondamentales, peut soulever l’inconstitutionnalité de cette loi devant le tribunal.

    Le tribunal, lorsqu’il juge la demande fondée, doit porter le cas devant la Cour suprême dans un délai maximum de 10 jours.

    La Cour suprême doit examiner et déférer la loi au Conseil constitutionnel dans un délai maximum de 15 jours, sauf lorsqu’elle juge la demande non recevable. »

    Cette question préjudicielle de constitutionnalité a un effet suspensif, jusqu’à décision du Conseil constitutionnel.

    Le Conseil constitutionnel ne peut s’autosaisir.

    La décision du Conseil constitutionnel est définitive, sans recours et a autorité sur tous les pouvoirs constitués. Elle sera publiée au Journal officiel.

    Toute personne convaincue de faux témoignage ou de subordination de témoins dans le cadre des investigations du Conseil constitutionnel, ou encore toute personne qui ne respecte pas les décisions du Conseil constitutionnel est passible de peine d’emprisonnement d’un mois à un an et d’amende de 100 000 à 600 000 riels, ou de l’une des deux peines.

    Je vous remercie de votre attention.

    3ème Session : Le citoyen et les décisions du juge constitutionnel

    Synthèse des réponses au questionnaire les conséquences des décisions des cours constitutionnelles pour le citoyen

    Jean du Bois de Gaudusson

    Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux-IV

    Président honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)

    Après qu’ait été examinée la situation du citoyen à la porte du prétoire puis dans celui-ci, il restait à suivre ce citoyen à la sortie du prétoire. C’était la partie du questionnaire la plus délicate non seulement parce que nombre de cours n’ont pas apporté de réponse mais aussi, lorsqu’elles ont répondu, parce qu’on observe une grande variété des solutions adoptées, des non-dits à décrypter et la production de textes dont la connaissance ne permet pas de saisir une réalité non avouée. Les réponses obtenues ont cependant présenté l’avantage de permettre une appréciation de l’utilité des procédures pour les requérants, directs ou indirects et d’évaluer la perception que l’on en a dans la société. on lira avec profit ces réponses auxquelles on renvoie et qui ici font l’objet d’une rapide présentation synthétique.

    I. Les effets des décisions d’inconstitutionnalité

    Les effets varient selon que le contrôle exercé sur une loi est abstrait ou concret, et selon que le recours est indirect ou bien direct ou encore individuel opéré par la victime d’un agissement violant ses droits et libertés (plainte constitutionnelle, ou d’amparo).

    Si l’on se place uniquement du côté du citoyen, les conséquences sont les suivantes :

    • La décision d’inconstitutionnalité entraîne l’abrogation de la disposition de la loi contestée (mais pas nécessairement de toute ladite loi) qui disparaît et devient donc inapplicable pour tous (annulation erga omnes). Comme elle le précise dans sa réponse, la France reconnaît ainsi l’existence d’un principe « selon lequel l’effet abrogatif de la déclaration d’inconstitutionnalité interdit que les juridictions appliquent la loi en cause non seulement dans l’instance ayant donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité mais également dans toutes les instances en cours à la date de cette décision ». S’il s’agit d’une décision sur recours indirect, le juge de l’instance en tirera les conséquences, notamment pour toutes les instances en cours à la date de la décision. Dans certains cas, cependant, l’effet est rétroactif (Monaco, Bénin sur le recours individuel).

    Il est d’autres pays où la loi attaquée reste en vigueur, en quelque sorte formellement mais qui sera, matériellement inappliquée par le juge (Belgique).
    Pour l’ensemble des juridictions, les décisions ont autorité relative renforcée de chose jugée, c’est-à-dire que les arrêts rendus au contentieux préjudiciel ont en pratique un effet qui dépasse le litige à l’occasion duquel ils ont été rendus.

    • Le citoyen ne bénéficie pas nécessairement immédiatement de la déclaration d’inconstitutionnalité. La date d’entrée en vigueur de l’abrogation peut se situer à la date du jugement ou à celle de la publication de celui-ci (France, Roumanie) ou encore à une date prévue par la juridiction elle-même.

    Un certain nombre de cours se reconnaissent aujourd’hui le pouvoir de moduler les effets de leurs décisions, afin de prendre en considération l’impact que pourraient créer leurs décisions ainsi que de laisser aux autorités le temps d’abroger, de modifier ou de compléter une législation. Ce pouvoir de modulation va jusqu’à permettre la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de la décision d’inconstitutionnalité (France, Belgique, Canada, Suisse…). Il n’existe pas en Roumanie, au Bénin, Congo, gabon, Madagascar, Cambodge.

    • La compétence du juge peut aller plus loin avec la mise en cause de la responsabilité de l’État et la possibilité pour le requérant d’obtenir réparation (Canada, Bénin)
    II. Les droits et libertés garantis dans la pratique par la justice constitutionnelle

    Les droits et libertés invocables devant les cours sont d’abord ceux garantis par la constitution elle-même (Togo, France) et les constitutions des institutions fédérées (cantons suisses) ; il peut s’y ajouter les droits et libertés consacrés par les conventions internationales (Monaco, Belgique, Gabon). Dans quelques cas, grâce à une interprétation large de la part des juges, des droits nouveaux, non énoncés par les textes, sont reconnus et leur violation est sanctionnée par le juge : Hongrie avec le droit matriciel qu’est le droit de propriété, Bénin avec la technique dite du combinatoire, Canada se référant à la métaphore de « l’arbre vivant » utilisée par la Cour selon laquelle la charte des droits (1982) doit être susceptible d’évoluer dans le temps de manière à répondre à de nouvelles réalités sociales, politiques et historiques que ses auteurs n’ont pas pu envisager, Maroc où selon la réponse au questionnaire, « il s’agit généralement des principes dégagés par [le Conseil constitutionnel] dans sa fonction d’interprète de la Constitution ou de la loi déférée devant lui et qui ont pour base soit une disposition expresse de la Constitution (égalité, autorité de la chose jugée) ou de son interprétation (exception à la non-rétroactivité des lois…), soit une déduction faite par le Conseil à partir des principes ou des droits fondamentaux garantis par la Constitution (pluralisme politique, présomption d’innocence) ». De manière générale, les cours n’hésitent pas à interpréter la constitution et à donner sens à des formules-cadres ou un contenu à des droits énoncés sans précision (exemple de la France depuis 1971 et l’interprétation du préambule de la constitution).

    III. L’opinion des citoyens sur les juges constitutionnels

    À la question de savoir « quelle image les citoyens ont du juge constitutionnel », les cours ont apporté une réponse en général positive : on y lit, sans surprise, l’affirmation selon laquelle la justice constitutionnelle est un rouage essentiel dans l’État de droit et une garantie pour la démocratie non sans risque cependant comme ce fût le cas pour la Cour du Niger confrontée à une grave crise politique dont elle fût victime, provisoire.

    Cette appréciation favorable est cependant nuancée et doit être tempérée.

    Le degré de satisfaction est difficile à mesurer faute notamment de sondages, d’enquêtes d’opinion ou de statistiques ; ceux-ci existent cependant, quelquefois par exemple en Suisse où 72 % des sondés ont une bonne et assez grande confiance dans la justice (en général). Le nombre des recours est aussi un indice intéressant : lorsqu’il est élevé on peut considérer qu’il traduit à tout le moins un intérêt pour la justice constitutionnelle (cf. les 3 000 recours en 20 ans d’activité du Bénin ou les 49 arrêts et des 150 arrêts sur questions préjudicielles rendus en 2010 par la Cour belge à qui les citoyens soumettent des éléments relevant de l’appréciation souveraine du fond ayant tendance à y voir une ultime occasion de faire triompher leur cause… ; dans le même sens, la Cour roumaine est considérée comme « la dernière instance ayant la dernière parole » pour régler des problèmes de société !

    Conscients de l’importance de la qualité de leur relation avec les citoyens, les juges s’attachent à faire connaître leur juridiction et à développer les moyens d’information et de communication: la plupart ont mis en place des sites Internet, utilisent les communiqués de presse pour rendre compte et commenter leurs décisions, organisent des campagnes de communication.

    On relèvera que la bonne image qu’ont, en règle générale, les cours n’est pas nécessairement liée au contrôle de constitutionnalité ; elle peut tenir à leur fonction de juge électoral (guinée, Côte d’Ivoire). Elle dépend aussi de ceux qui sont interrogés : les opinions rapportées sont plutôt celles d’un cercle d’initiés, limité ; quant aux autres, c’est-à-dire la majorité de la population, ainsi que le souligne le Burundi, ils ne sont « pas au courant ni des attributions de la Cour constitutionnelle ni des droits reconnus par la Constitution pour saisir cette juridiction en cas de besoin »… Ceci explique sans doute la faiblesse des recours que relèvent pour le déplorer plusieurs cours (comme le souligne Madagascar). C’est une préoccupation exprimée dans la réponse du Liban que de savoir comment propager cette bonne image qui dépend en grande partie de la diffusion de la culture constitutionnelle, elle-même liée à la façon dont les cours sont composées, organisées et exercent leur office.

    La saisine du citoyen et le processus démocratique

    Marie Madeleine Mborantsuo

    Président de la Cour constitutionnelle du Gabon

    Nous nous retrouvons ici, réunis au pied des splendides sommets de l’Atlas, cette colonne vertébrale du Royaume, ce titan de la mythologie grecque, condamné par Zeus à porter la terre. Et je crois que, comme lui, nous avons une charge.

    Notre charge, à nous Cours constitutionnelles, est certes bien moins imposante, mais elle s’affirme comme un objectif, une finalité essentielle, qui doit sans cesse porter notre action, c’est le citoyen. C’est ce dernier qui doit être au cœur de nos préoccupations.

    Car, au-delà de la perfection de nos systèmes juridiques, de tous nos efforts pour porter au plus haut point la réalisation de l’État de droit, c’est in fine du sort du citoyen qu’il s’agit. Il doit être le bénéficiaire ultime de notre action qui ne vaut que si ses droits et libertés sont effectivement affirmés et protégés face aux pouvoirs politiques ou économiques et si le fonctionnement des institutions mises en place par nos constitutions est respecté.

    Certes, notre mission première participe à la réalisation de l’État de droit. Nous sommes, pour reprendre l’expression du professeur jacques Chevallier, « la clé de voûte et la condition de la réalisation de l’État de droit ». En imposant nos solutions sur l’exercice d’un pouvoir politique soumis au droit, nous influençons donc directement le pouvoir en délimitant le cadre de son action. Et les constructions jurisprudentielles élaborées participent à générer l’État de droit.

    Seulement, et je crois que nous en sommes tous convaincus, l’État de droit n’impose pas simplement le respect de la norme fondamentale par la norme inférieure sous le contrôle du juge, mais aussi qu’au sein de cette norme fondamentale soient déterminés un certain nombre de droits et libertés considérés comme essentiels auxquels les pouvoirs législatif et exécutif ne peuvent porter atteinte.

    Or, ce point me semble être le pivot de l’État de droit mais également, voire surtout, du processus démocratique.
    Je veux ici laisser un moment de côté toutes les grandes théories sur la notion de démocratie, les modèles savants élaborés par la doctrine dont la mise en œuvre est souvent très éloignée du modèle originel, et me concentrer sur l’avènement de quelques principes qui nous servirons à mesurer « l’indice de démocratie » d’un régime politique dans un État donné, quelque soit le système politique adopté.

    Le premier, par rapport aux autres régimes politiques, tient à la participation des citoyens à la prise de décision.

    Une autre condition est l’existence d’un pluralisme politique qui ouvre la possibilité d’un choix pour les gouvernés dans la détermination de leurs gouvernants. C’est-à-dire, tout à la fois, que ne s’impose pas un seul courant idéologique et que la liberté des partis politiques puisse s’affirmer.

    La reconnaissance d’une opposition organisée par l’intermédiaire des partis politiques est également caractéristique d’un système démocratique. L’opposition exerce un rôle indispensable. Pour le Doyen Debbasch, « elle assure une information contradictoire, à la fois sur les décisions et les intentions des gouvernants du pays et sur les sentiments de ce dernier à l’égard des gouvernants. »

    Doit être posée également comme condition indispensable de la démocratie : la garantie des libertés individuelles et celles des partis et groupements susceptibles d’éclairer et d’influencer l’opinion, tout particulièrement la presse et la communication audiovisuelle.

    Au surplus, j’ajouterai qu’un certain niveau d’éducation et d’information des citoyens concourt à l’épanouissement du système démocratique.

    Enfin, la plus grande liberté des citoyens se réalise lorsqu’est efficacement organisée la possibilité de contester le pouvoir et de le limiter.

    L’idée étant qu’il s’agit d’assurer dans la pratique, et non seulement en théorie, ce qui est la plus fondamentale de toutes les revendications démocratiques, à savoir le droit de participer au système juridique et politique de la nation.

    Force est de constater que sur tous ces points, qu’il soit considéré séparément ou en groupe, le citoyen est l’élément central du dispositif démocratique, mais également que sur tous ces points, et nos jurisprudences en témoignent, l’action des cours peut être déterminante.

    Ainsi, comme le relève le professeur Capelletti, « la justice constitutionnelle loin d’être par nature contraire à la démocratie et à la volonté de la majorité, se révèle constituer un instrument de base pour protéger les principes de démocratie ».

    1. Du principe de la saisine par le citoyen

    Ceci étant posé, il nous apparaît indispensable que le citoyen ne soit pas exclu de l’accès à la justice constitutionnelle.

    Une première raison tient de toute évidence à la matérialisation d’un droit fondamental. En effet, la question de la saisine doit être immédiatement rattachée à celle de l’accès à la justice, qui doit s’ériger comme un droit fondamental. Le Doyen Favoreu indiquait d’ailleurs qu’il s’agissait là « d’un droit fondamental… bouclier des autres droits fondamentaux». Et ce principe est de même posé à l’article 7 de la Charte africaine qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité et à l’article 85 de la Constitution de la République gabonaise.

    Or, si ce principe semble s’appliquer de manière générale sans trop d’entraves devant les juridictions de droit commun ou les juridictions administratives, quand les États en sont pourvus, il n’en va pas toujours de même concernant les juridictions constitutionnelles.

    Curieusement, l’accès du citoyen à la justice constitutionnelle s’est souvent heurté à une forme d’hostilité des gouvernants. Certaines constitutions l’établissent dans des conditions extrêmement restrictives, soit l’excluent complètement de leurs dispositions. La France, dont personne ne saurait dénier ici le caractère démocratique des institutions, a néanmoins attendu un demisiècle pour introduire un contrôle par voie d’exception ouvert aux citoyens. L’affluence des recours que connaît aujourd’hui le Conseil constitutionnel français au titre de la question prioritaire de constitutionnalité, marque pourtant, incontestablement, la réalisation d’un besoin ressenti par la population.

    Cette hostilité était d’ailleurs parfaitement exprimée dans l’ouvrage de M. Poullain, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel français, sur la pratique française de la justice constitutionnelle : « La saisine est un acte politique. Elle engage l’autorité de son auteur… La saisine est un acte réservé à des autorités politiques et c’est ce qui assure le bon fonctionnement du système de contrôle français. C’est cela qui garantit contre un amas de demandes dépourvues de tout caractère sérieux ».

    Si cette position a largement été remise en cause par les récentes évolutions du système francais, il est néanmoins un point qui mérite attention dans les propos de M. Poullain : « la saisine est un acte politique ». D’une certaine manière, cette affirmation renforce encore la nécessité d’une saisine ouverte
    aux citoyens.

    Je ne veux pas revenir ici sur la nature juridictionnelle ou politique de nos institutions, ce débat est, me semble-t-il, définitivement clos, nous sommes des juridictions décidant en droit et non sur des considérations d’opportunité politique et suivant des procédures juridictionnelles.

    Pour autant, on ne peut dénier une connotation politique aux saisines opérées notament par les oppositions parlementaires. on sait que les procédures institutionnelles laissent aujourd’hui peu de place à l’opposition. Dans les systèmes de type parlementaire par exemple, qui sont les plus répandus dans nos États africains, les mécanismes propres à ces régimes ne fonctionnent plus selon les schémas classiques. Le phénomène majoritaire, la discipline des partis, font que gouvernement et parlement ne sont plus des organes antagonistes. Motion de censure, question de confiance ou encore dissolution ne sont plus mises en œuvre ou alors, si elles le sont c’est à d’autres fins que celles qui étaient classiquement prévues.

    Or, on ne peut concevoir un système démocratique sans que l’opposition n’ait un rôle participatif de quelque manière que ce soit dans le système institutionnel.

    Et incontestablement, la saisine des cours constitutionnelles, ouverte aux députés, permet à l’opposition de participer à la vie politique des institutions, et toute censure d’un texte par les cours est saluée par l’opposition comme une victoire politique sur la majorité. Si l’opposition emporte le débat sur le terrain juridique, son action n’en revêt pas moins un caractère politique.

    Certes, on pourrait voir dans l’action de l’opposition une forme de perversion du contrôle de constitutionnalité, qui pourrait laisser croire que ce contrôle n’est qu’un instrument politique mais, en réalité la solution juridictionnelle des cours constitutionnelles demeure et c’est au final la constitution qui s’en trouve renforcée, en ce sens qu’on se trouve devant l’expression la plus achevée de la souveraineté nationale et en cela, l’idée de démocratie.

    Et de ce point de vue, la saisine par le citoyen doit pleinement s’affirmer.

    La démocratie exige la participation des citoyens, et force est de convenir que leur seule intervention au moment de la désignation des gouvernants par l’élection, si elle s’avère nécessaire, n’en demeure pas moins insuffisante.

    Ainsi, le contrôle de constitutionnalité ouvert au citoyen participe de ce mouvement, qui tend à impliquer le citoyen dans la vie politique. Il conduit à contrer les effets négatifs d’un blanc-seing donné aux gouvernants entre deux échéances électorales. L’affermissement de nos jeunes démocraties, notament en Afrique, nécessite l’intervention d’un citoyen participatif, qui s’exprime au-delà du seul vote, par cette mission de contrôle exercée à travers l’action des cours constitutionnelles.

    Cette fonction de contrôle dévolue au citoyen, me paraît essentielle. Certes, il n’en est, par la saisine, que l’initiateur, mais ne faut-il pas rappeler que la saisine reste l’élément déterminant dans le contrôle de constitutionnalité. Selon qu’elle soit plus ou moins ouverte ou restreinte, et c’est toute notre action qui s’en trouve modifiée. Et dans certains cas extrêmes, le contrôle peut ainsi être réduit à néant. Sans saisine, pas de contrôle, puisque dans la quasitotalité des constitutions, la possibilité d’auto-saisine des cours est exclue.

    Aussi, pour nos sociétés qui depuis les conférences nationales font l’apprentissage de la démocratie, impliquer le citoyen dans le processus de contrôle de costitutionnalité, c’est en faire un acteur permanent du processus démocratique.

    2. De la mise en œuvre de la saisine

    Il demeure que si, et particulièrement pour nos États, cette saisine citoyenne m’apparaît indispensable sur le principe, il reste à en définir les contours procéduraux.

    Deux voies sont généralement mises en œuvre, contrôle par voie d’exception et contrôle par voie d’action.

    Sur le contrôle par voie d’exception dans le cadre d’une instance juridictionnelle, qui me semble-t-il, est le plus couramment admis, je serai finalement brève, sauf tout de même à relever que l’accès final à la justice constitutionnelle est largement conditionné par les procédures mises en œuvre, et notamment les filtres qui peuvent s’imposer aux citoyens devant les juridictions ordinaires. Ils peuvent, on le sait, limiter très fortement l’accès du citoyen à la juridiction constitutionnelle.

    Toutefois, s’il est indéniable que le contrôle par voie d’exception a permis, dans nombre d’États, une avancée significative de l’État de droit et une préservation accrue des droits et libertés. Il faut toutefois admettre que celui qui, in fine, se présente devant le juge constitutionnel, est avant tout, à ce moment-là, un justiciable, qui dans le cadre d’un contentieux ordinaire, défend en premier lieu ses droits subjectifs, bien plus qu’un citoyen qui défend la constitution, expression suprême de la souveraineté.

    Or, il s’agit que la décision de la juridiction constitutionnelle dépasse le cadre initial de l’instance pour irriguer l’ensemble du système normatif. C’est notamment pour cette raison que le constituant gabonais a prévu à l’article 86 que : « Si elle déclare la loi ou l’acte réglementaire incriminé contraire à la Constitution, cette loi ou cet acte réglementaire cesse de produire ses effets à compter de la décision.
    « Le Parlement examine, au cours de la prochaine session, dans le cadre d’une procédure de renvoi, les conséquences découlant de la décision de non-
    conformité à la Constitution rendue par la Cour.

    « Lorsque la Cour admet l’inconstitutionnalité d’un acte réglementaire, le Président de la République et le Premier ministre remédient à la situation juridique résultant de la décision de la Cour dans un délai d’un mois ».

    Mais au-delà de ces considérations, c’est avant tout du contrôle par voie d’action, ouvert aux citoyens, sur lequel je voudrais insister.

    Le constituant gabonais a instauré des modalités de saisine quasiment à l’identique entre les autorités politiques et le simple citoyen.

    Ainsi, aux termes de l’article 85, les lois ordinaires ainsi que les actes règlementaires « peuvent être déférés à la Cour constitutionnelle, soit par le Président de la République, soit par le Premier Ministre, soit par les présidents des chambres du Parlement ou un dixième des membres de chaque chambre, soit par les présidents de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes, soit par tout citoyen ou toute personne morale lésée par la loi ou l’acte querellé ».

    En fait, la seule différence repose sur l’intérêt à agir. Pour les autorités publiques, la question de l’intérêt à agir ne se pose pas, car il est présumé. Pour les personnes physiques ou morales il en va différemment, elles se doivent de faire la démonstration que l’acte attaqué lèse leurs droits. Cette solution médiane présente l’intérêt de ne pas limiter aux autorités publiques le droit de saisine, tout en préservant la Cour constitutionnelle d’un afflux de requêtes inconsidéré. toutefois, nous devons préciser ici que l’intérêt à agir est entendu au sens large.

    En ce domaine nous pouvons dire que notre position se rapproche de celle du Conseil d’État français statuant dans le cadre du recours pour excès de pouvoir. Ces deux voies sont d’ailleurs mutatis mutandis, très semblables. Comme le recours pour excès de pouvoir est avant tout un recours dans l’intérêt de la loi, la saisine par le citoyen, bien que soit posée la condition d’un intérêt à agir, doit s’analyser comme un recours « dans l’intérêt de la Constitution ».

    C’est ainsi que doit être comprise cette saisine citoyenne dans l’esprit de nos constituants qui ont tenu à faire du citoyen un acteur du processus politique, par-delà son seul droit de vote, par sa fonction de contrôle. C’est bien le message donné à l’article premier, 21°) « Chaque citoyen a le devoir de défendre la patrie et l’obligation de protéger et de respecter la Constitution, les lois et les règlements de la République ; ».

    Je ne veux aucunement dire ici que l’option que nous avons choisie doit s’imposer de manière universelle ; elle serait très certainement inapplicable dans d’autres États pour mille raisons, mais quoiqu’on puisse en dire, le rôle des cours et leur perception est indissociable de leur environnement politique et social comme la prospérité de la plaine de Marrakech tient en partie aux eaux descendues de l’Atlas.

    Et incontestablement, on ne peut lire notre charte fondamentale sans prendre en compte l’influence de notre conférence nationale de 1990 qui a modelé nos nouvelles institutions, car de cette conférence nationale est née la Cour constitutionnelle en charge du contrôle de constitutionnalité et de la garantie des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques.

    Ainsi, il n’y a aucun doute quant à la convergence de l’édification de l’État de droit et le processus démocratique, dont notre Cour est un instrument et le citoyen l’élément central.

    C’est dans cet état d’esprit que nous continuons encore à œuvrer. je vous remercie.

    L’accès du citoyen à la justice constitutionnelle en Andorre

    Laurence Burgorgue-Larsen

    Vice-présidente du Tribunal constitutionnel d’Andorre [1]

    Respect et confiance. Tels sont les deux éléments qui doivent guider le rapport de tout citoyen à la justice constitutionnelle de son pays ; j’ajouterai le rapport de tout citoyen à la justice tout court. Il s’agit là des fondamentaux nécessaires à la sérénité indispensable afin que le juge soit en mesure d’effectuer son labeur dans de bonnes conditions. Respect pour l’institution et la fonction qu’elle remplit, d’abord ; confiance dans la manière dont elle rend la justice, ensuite. Ces deux données présentes en Andorre – jeune démocratie parlementaire qui a accédé à la figure moderne de l’État de droit [2] le 3 mai 1993, jour de la promulgation de sa Constitution [3] – n’excluent pas bien évidemment que les citoyens (entendus de façon large [4]) – ne tentent pas d’utiliser avec plus ou moins de dextérité – essentiellement celle de leurs avocats – toutes les stratégies contentieuses possibles pour faire valoir au mieux leurs droits.

    C’est évidemment ici à travers le recours d’empara [5] que le citoyen va vouloir obtenir une décision de justice qui aura pour objet de lui accorder la « protection » de ses droits fondamentaux [6]. C’est sur cette voie de droit que je concentrerai le cœur de mon succinct exposé [7] – ce qui n’exclura pas quelques incursions dans le champ des autres voies de recours [8], notamment pour mettre en exergue certaines particularités avec le recours de protection des droits fondamentaux qui induisent un rapport différencié du citoyen à la justice constitutionnelle. À cet égard, que révèle la pratique contentieuse ? tout d’abord, que la protection accordée par le tribunal est variable (I) ; ensuite que la contestation de cette protection est sporadique (II).

    I. Une protection variable

    Afin de prendre la mesure de la variabilité de cette protection constitutionnelle, il est nécessaire au préalable de présenter succinctement la philosophie qui irrigue l’accès au juge constitutionnel en Andorre dans le cadre du recours de protection des droits fondamentaux (A). on constatera alors non seulement que les droits économiques et sociaux sont les parents pauvres de la protection constitutionnelle, mais encore que la protection du droit au juge est une protection subsidiaire (B).

    A. la variabilité des procédures

    L’accès des « personnes » [9] au tribunal constitutionnel au moyen du recours d’empara est un accès subsidiaire ; il faut ne varietur épuiser les voies de droit ordinaires pour accéder à la justice constitutionnelle. Procédure subsidiaire, elle est donc logiquement qualifiée de « procédure exceptionnelle » (article 42§2) [10] par la Constitution andorrane.

    Ceci affirmé, il est logique que la protection des droits fondamentaux se trouve, au premier chef, entre les mains des juges du fond. En effet, c’est l’article 41§1 [11], lu de façon combiné avec l’article 86 de la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel (LQtC) [12], qui attribue aux tribunaux ordinaires « la protection des droits et libertés reconnus aux Chapitres III et IV » selon une « procédure urgente » (article 41§1) – que la LQtC précise être une « procédure urgente et préférentielle ». C’est après épuisement de cette procédure, que le tribunal constitutionnel entrera en scène au moyen du recours d’empara et ce « contre les actes des pouvoirs publics » qui portent atteinte aux droits fondamentaux mentionnés dans les chapitres susvisés, exception faite de l’article 22 relatif à certaines situations vécues exclusivement par les étrangers [13]. L’origine ibérique de cette disposition ne fait point de doute quand on prend connaissance de l’article 53§2 de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 [14]. Ce mécanisme urgent permet ainsi aux citoyens de se plaindre tant de la violation d’un droit substantiel (droit à l’intimité, à la liberté d’expression, etc.) [15], que d’une atteinte au « droit au juge », pour reprendre une expression désormais bien établie, à tout le moins dans la littérature juridique francophone [16].

    Là où la Constitution andorrane innove, c’est qu’elle prévoit l’activation d’un autre mécanisme procédural pour la seule atteinte, cette fois-ci, de l’article 10 de la Constitution – composé de deux « versants » mentionnés respectivement aux paragraphes 1 et 2 [17]. Bien que le libellé de l’article 10 s’inspire également de la Constitution espagnole et plus précisément de son article 24 [18], le mimétisme n’est toutefois pas absolu. En tout état de cause, c’est l’article 18 bis de la Llei transitoria de procediments judicials (loi transitoire sur les procédures judiciaires) qui réglemente ce que l’on appelle en droit andorran l’incident de nul.litat d’actuacions (l’incident de nullité) [19]. Si une personne (personne physique ou morale) estime, après le déclenchement des possibilités offertes par l’article 18 bis, que la violation alléguée au « droit au juge » n’a pas été dûment redressée dans le cadre de cette procédure, il pourra alors saisir le tribunal au moyen du recours d’empara en arguant d’une atteinte à l’article 10.

    Sur les 459 décisions rendues entre le 17 décembre 1993 et le 31 décembre 2012 par le tribunal constitutionnel, 419 l’ont été sur la base du recours d’empara, ce qui correspond à 91, 29 % de son activité [20], Dans ce cadre, les atteintes alléguées à l’article 10 remportent la palme de l’intérêt contentieux [21].

    Ici, la marge de manœuvre du tribunal est extrêmement étroite au regard d’une jurisprudence qu’il a lui même forgée et qui s’inspire amplement de la jurisprudence constitutionnelle espagnole. N’étant pas une troisième instance de cassation et ne voulant pas que l’activation du recours d’empara génère les mêmes conséquences qu’outre-Pyrénées (i.e., un engorgement de son rôle), le tribunal constitutionnel a très tôt considéré – et sans qu’il revienne sur une telle approche depuis – qu’il n’était pas de son ressort d’entreprendre une interprétation poussée des décisions des juridictions ordinaires quand les citoyens allèguent une violation de l’article 10§1 où il est spécifié qu’ils ont droit à « une décision fondée en droit ». Et de vérifier uniquement, sous l’angle constitutionnel, si les décisions rendues par les juges du fond sont des décisions motivées et logiques d’un point de vue juridique [22] qui ne débouchent pas sur des solutions « absurdes ou arbitraires ». tel est son « canon de constitutionnalité » développé dans le cadre des allégations de violation de l’article 10§1. Inutile de dire que la « porte d’accès » à la protection constitutionnelle du « droit au juge » en Andorre est une porte des plus étroites [23]. Cette approche restrictive engendre tantôt de véritables incompréhensions de la part des personnes et de leurs avocats, tantôt (et c’est le cas le plus fréquent), des tentatives récurrentes pour arriver à faire évoluer la jurisprudence du tribunal. Ici, la dextérité argumentaire des avocats est à cet égard plus ou moins fine. Quoi qu’il en soit, pour l’instant, point de « changement de cap » à l’horizon. Il faudrait des raisons très sérieuses pour arriver à faire évoluer la jurisprudence ou bien l’arrivée de magistrats qui entendent défendre une vision différente et qui y parviennent [24]. Or, jusqu’à présent, l’impératif de cohérence a toujours eu gain de cause. Cette « porte étroite » – en utilisant la formule, je pense évidemment au Doyen Vedel qui en avait été l’inventeur dans un tout autre contexte il est vrai [25] – qui empêche le tribunal constitutionnel d’être « audacieux » ou à tout le moins trop « généreux » dans l’acceptation du recours d’empara sous l’angle de l’article 10§1, peut toutefois faire l’objet d’une contestation. Cependant, elle n’est que sporadique (v. infra, II° partie) [26].

    Le « canon de constitutionnalité » est différent s’agissant des autres aspects du « droit au juge » mentionnés essentiellement au §2 de l’article 10 et qui concernent des éléments précis de ce que l’on pourrait appeler, de façon large, le droit à un procès équitable [27]. La question n’est plus de savoir si la motivation des arrêts des juridictions ordinaires est logiquement raisonnable (en catalan, « raonabilidat lògica »), mais celle de savoir si le requérant s’est retrouvé dans une situation d’indefensió material ; autrement dit, s’il a été en mesure ou non de se défendre correctement. À cet égard, le rôle du tribunal est d’examiner les éléments factuels des espèces pour déterminer si, sous un angle constitutionnel, le requérant a pu effectivement et concrètement bénéficier des éléments inhérents aux droits de la défense et à l’assistance d’un avocat, au droit à un procès d’une durée raisonnable, à la présomption d’innocence, à être informé de l’accusation, à ne pas être contraint de se déclarer coupable, à ne pas faire de déclaration contre soi-même et, en cas de procès pénal, à l’exercice d’un recours. L’ensemble de ces éléments – mentionnés au §2 de l’article 10 – auxquels il faut ajouter le droit au recours et le droit à un tribunal dûment établi par la loi – inscrits au §1 du même article – constituent les éléments matériels du droit procédural qu’est le droit au juge, le « droit des droits » pour reprendre une formule emblématique.

    B. La variabilité du champ d’application

    Les Chapitres III et IV du titre II de la Constitution énumèrent un certain nombre de droits fondamentaux. Le Chapitre III – intitulé « Des droits fondamentaux de la personne et des libertés publiques » – concerne exclusivement des droits civils et politiques [28], tandis que le Chapitre IV – « Des droits politiques des Andorrans » [29] – regroupe en seulement trois dispositions les droits relatifs à la vie au sein de la Cité : le droit de vote (article 24) ; le droit d’accès aux fonctions et aux charges publiques (article 25) et le droit de créer des partis politiques (article 26). Le recours d’empara ne fonctionne donc qu’à l’égard de ces droits fondamentaux, excepté l’article 22[30] qui en est expressément exclu conformément à l’article 41§2.

    Les droits consacrés au sein du Chapitre V de la Constitution – relatif aux « Droits et principes économiques, sociaux et culturels » [31] – ainsi du droit à la propriété privée, de la liberté d’entreprise, du droit au travail, du droit à la protection, à la préservation des ressources naturelles, du droit des consommateurs – ne tombent pas dans le champ d’application du recours d’empara.

    Cette variabilité de l’étendue de la protection des droits fondamentaux n’est pas une figure exceptionnelle; on la retrouve dans beaucoup d’autres ordonnancements constitutionnels. je pense notamment à la Constitution espagnole qui, de la même manière, circonscrit le champ d’application du recours d’am­ paro en excluant les droits économiques, sociaux et culturels qu’elle nomme de façon significative des « principes programmatiques ». on imagine aisément les raisons d’une telle mise à l’écart : éviter l’engorgement du prétoire constitutionnel tout d’abord; se concentrer ensuite sur les droits « classiques», les Droits Civils et Politiques, reléguant toujours au magasin des accessoires juridiques subalternes les fameux droits économiques et sociaux dont la nature juridique et les effets font toujours et encore l’objet de débats. La maxime « Droits des pauvres, pauvres droits » reste donc encore et toujours d’actualité.

    Dans ce contexte, inutile de dire que la jurisprudence du tribunal relative aux droits économiques, sociaux et culturels n’est pas fréquente. Non seulement ces droits ne sont pas susceptibles d’être l’objet d’un recours de protection, mais en outre le législateur ne les a pas jusqu’à présent véritablement mis en œuvre. Il faut néanmoins présenter ici une nuance importante. Il arrive qu’à travers l’allégation d’une violation au droit au juge (article 10), des droits économiques et sociaux soient en jeu, à l’instar du droit à la retraite ou à une pension d’invalidité [32] et qu’ils puissent, in fine, être protégés par le tribunal constitutionnel. Cet élément ne manquera pas, dans les années à venir, de s’amplifier au regard des changements économiques et sociaux dus à la crise économique. Mis à part cette nuance, l’essentiel en la matière se manifeste à travers d’autres voies de recours que le recours d’empara. C’est par exemple à travers les conflits de compétence entre « organes constitutionnels » [33] – ils ont été au nombre de 13 depuis 1993 – que le tribunal peut le cas échéant être en mesure de se prononcer sur les DESC si d’aventure le fond du litige a des liens avec des questions économiques, sociales et culturelles. Il en est allé ainsi dans l’affaire dite de la Vallée du Madriu [34] rendue en 2007 : les articles 31[35], 33[36] et 34[37] ont été au cœur d’un conflit de compétences constitutionnelles en matière d’urbanisme.

    Il arrive également que des questions préjudicielles en inconstitutionnalité (articles 100 de la Constitution et 52 à 58 de la LQtC) soient soulevées par les juges ordinaires et puissent donner l’occasion au tribunal de se pencher sur des droits économiques, sociaux et culturels. La question de constitutionnalité posée en 2011 et résolue en 2012 par la Chambre civile du tribunal Supérieur de justice en témoigne [38]. Au cœur de l’interrogation préjudicielle figuraient des dispositions du code du travail, plus particulièrement son article 104§1 relatif aux modalités de licenciement après la commission de trois fautes graves. Sur la base d’une analyse de la règle non bis in idem et d’autres éléments allégués par les parties, le tribunal ne releva aucune inconstitutionnalité. on notera (pour le regretter) que depuis 1993, seules huit procédures incidentes de constitutionnalité ont été activées [39] : il est difficile d’expliquer pourquoi les juges ordinaires n’y ont pas recours plus souvent et ce en dépit des demandes régulières des parties à l’instance. Même s’il est clair qu’elles n’ont pas un droit à obtenir une question d’inconstitutionnalité, elles peuvent alerter le juge ordinaire sur un problème de constitutionnalité. or, celui-ci, jusqu’à présent, se montre réticent à activer ce mode de saisine du tribunal constitutionnel. Ce qui est sûr, c’est que ce dernier s’efforce – notamment à l’occasion de rencontres informelles avec les membres des autorités judiciaires – de les sensibiliser à ce mécanisme incident de contrôle de constitutionnalité des lois.

    II. Une contestation sporadique

    De contestation politique et sociale des décisions rendues par le tribunal Constitutionnel, il n’est point question en Andorre. La sérénité y est de mise. La teneur de l’article 95 de la Constitution [40] et l’article 2 de la Loi qualifiée du tribunal constitutionnel [41] concourent à cette adhésion : les décisions du tribunal constitutionnel s’imposent en effet aux pouvoirs publics et aux personnes privées et la jurisprudence de la Constitution élaborée par le tribunal s’impose également aux divers organes de la juridiction ordinaire.

    Sauf à de très rares exceptions [42], l’autorité de chose jugée est prise en compte de façon exemplaire en Andorre. Partant, s’il n’existe pas ad intra (au sein du Pays lui-même) de contestation politique, sociale et in fine juridique des décisions rendues par le tribunal constitutionnel (A) – en revanche, la contestation judiciaire à l’échelle européenne n’a pas manqué d’être activée, toutefois très rarement jusqu’à présent (B).

    A. l’absence de contestation sociale

    Dès la promulgation de la Constitution en 1993 et la mise en place du tribunal, sa légitimité a été pour ainsi dire immédiate. L’acceptation sociale et juridique de cette juridiction n’a jamais posé de problème [43]. Les règles de nomination des quatre juges qui y siègent [44] – qui ont été jusqu’à présent des Français [45] et des Espagnols (parmi eux des Catalans) [46], à l’exception notable de l’Andorran Pere Vilanova trias [47] – assurent leur indépendance et leur impartialité. Au regard de la configuration territoriale et démographique de l’Andorre – petit pays où « tout le monde se connaît » – la présence de quatre ressortissants originaires de la Principauté générerait sans doute de nombreuses difficultés – ne serait-ce que sous l’angle des apparences, théorie chère à la Cour européenne des droits de l’homme. Non pas qu’ils ne seraient pas impartiaux in se, mais les conflits d’intérêts pourraient se révéler plus fréquents que pour des juges français et espagnols, éloignés par définition des affaires « locales ». Cela n’empêche évidemment pas la présence d’au moins un Andorran comme ce fut le cas lors de la première composition de la Haute juridiction [48].

    Selon l’article 5 de la Loi qualifiée du tribunal Constitutionnel, toutes les décisions rendues par le tribunal constitutionnel sont publiées au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre (article 5 LQtC)[49]. Si les citoyens andorrans en sont informés, ce n’est pas parce qu’il se sont convertis en lecteurs assidus du Bulletin Officiel, mais c’est logiquement parce que les médias – de la presse écrite comme audiovisuelle – rendent compte systématiquement des décisions rendues par le tribunal constitutionnel, surtout lorsqu’il s’agit d’affaires très médiatiques où, notamment, des intérêts financiers et politiques importants sont en jeu et/ou quand une décision du tribunal constitutionnel a été contrecarrée par un arrêt de la Cour européenne, comme dans l’affaire Vallnet en 2012 (v. Infra).

    On constate régulièrement que lorsqu’une décision très attendue est rendue, aussi bien les acteurs politiques, les médias, que le public en général réagissent « correctement » et avec mesure. Il peut bien évidemment y avoir débat et discussion mais aucune critique radicale, excessive, outrancière n’est formulée à l’encontre des décisions du tribunal. Il peut bien évidemment – et c’est légitime – y avoir des mécontents, mais les « institutions » ou « personnes » qui n’adhèrent pas au sens de la solution rendue, renoncent alors à faire un quelconque commentaire en public. Ils ont compris depuis longtemps – grâce à des avocats ingénieux et qui ont été formés avec le réflexe conventionnel – qu’il y avait une autre possibilité : en référer à Strasbourg. La contestation sociale et/ou politique est inexistante et quoi qu’il en soit, vaine ; tandis que la contestation judiciaire à l’échelle conventionnelle peut être, elle, efficace et conforme aux canons de l’État de droit.

    B. l’existence d’une contestation judiciaire européenne

    Les Constituants andorrans ont mis en scène une alliance passablement ingénieuse de la souveraineté de l’État d’un côté et de son évolution dans l’univers international de l’autre [50]. Dans ce contexte, dans la foulée de la ratification de sa Constitution, l’Andorre adhérait aux Nations-unies et au Conseil de l’Europe. Elle ratifiait la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en 1996 et présidait, pour la première fois de son histoire, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe en 2013 [51]. Insérée dans le concert international, elle en a accepté les règles du jeu ; celles du système de garantie des droits de l’homme en font partie. La jurisprudence du tribunal constitutionnel prend en compte cette donne majeure. Ainsi, bien que le tribunal applique la Constitution (et rien que la Constitution), il prend dans le même temps en considération l’interprétation délivrée par la Cour européenne des droits de l’homme [52]. Car toutes les Cours constitutionnelles en Europe savent – notamment depuis le retentissant arrêt Ruiz Mateos de 1993 – que les procédures [53] constitutionnelles comme les décisions [54] de justice constitutionnelle, sont passées au crible du contrôle conventionnel européen.

    Du coup, certains requérants bien conseillés, ont décidé de « jouer la carte de Strasbourg » quand il s’est avéré qu’ils étaient insatisfaits d’une décision rendue par les juridictions ordinaires et, in fine, par le tribunal constitutionnel. Les statistiques démontrent, toutefois, que ce n’est pas la « ruée vers Strasbourg ». Quand bien même le contentieux andorran devant la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas fourni [55] – et c’est bon signe – il n’en a pas moins mis en évidence certaines carences dans l’ordonnancement de la Principauté. Si la plupart des requêtes présentées contre l’Andorre se sont soldées jusqu’à présent par des décisions d’irrecevabilité [56], on ne compte au final que quatre arrêts importants [57] : ils démontrent à eux seuls qu’ils ont été des aiguillons décisifs pour renforcer l’État de droit en Andorre. Qu’on en juge.

    La procédure constitutionnelle imaginée par le Constituant organique de 1993 afin d’accéder à la justice constitutionnelle fut mise en cause dans l’affaire Milan i Torres [58] : le règlement amiable du 6 juillet 1999 occasionna rapidement une modification de la Loi qualifiée du tribunal constitutionnel afin d’être en conformité avec le standard conventionnel tiré de l’article 6§1 de la Convention.

    L’interprétation délivrée par le tribunal supérieur de justice des règles successorales à l’égard d’enfants adoptés – pourtant validée par le tribunal constitutionnel – fut mise à l’index dans l’affaire Pla et Puncernau sur la base des exigences tirées de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention [59] : si, comme le souligne josep Casadevall, cet arrêt de 2004 « a fait l’objet de réactions critiques de la part de certains auteurs civilistes de la voisine Catalogne », il « a été bien accueilli dans la Principauté. […/…] cette jurisprudence [étant] désormais acquise et souvent citée [60]. »

    La pratique des interférences législatives pour bloquer les effets d’une décision de justice interne en faveur des requérants a été clairement désavouée sur la base de l’article 6§1 de la Convention dans l’affaire Vidal Escoll et Guillán González [61] : on n’ose imaginer que le Parlement procède à nouveau de la sorte afin de régulariser a posteriori une situation qui ne lui convient pas afin de court-circuiter la bonne exécution d’une décision de justice [62].

    Last but not least, l’arrêt UTE Saur Vallnet [63] condamne l’Andorre pour ne pas avoir pris suffisamment au sérieux la règle de l’impartialité des tribunaux : on peut ici affirmer sans ambages que les juridictions andorranes en général et le tribunal constitutionnel en particulier sont, après cette retentissante condamnation, plus que jamais sensibles aux règles de déport et de révocation des juges en cas de conflits d’intérêts.

    Ces arrêts de condamnation sont certes peu nombreux, mais ils mettent à eux seuls en exergue l’importance du standard européen et la dualité des allégeances qui incarne de nos jours l’office des juges en Europe et en Andorre. Ils rappellent aux juges ordinaires comme à notre tribunal que nous devons rendre la justice dans le cadre de notre Constitution qui, délibérément, a décidé de s’inscrire dans le mouvement international de la garantie des droits. Il est important que chaque acteur judiciaire prenne la mesure de la portée de sa tâche : en étant un loyal juge conventionnel de droit commun (pour le juge ordinaire) et un juge constitutionnel attentif au paramètre interprétatif qu’est la Convention (pour le tribunal constitutionnel), on ne fait au bout du compte que respecter et garantir en Andorre la Constitution de 1993 qui est particulièrement ouverte à l’égard du droit international des droits de l’homme.

    Bien que protéiforme, l’accès à la justice constitutionnelle andorrane est marqué par la prégnance du recours d’empara. Reine de l’accès au tribunal constitutionnel, cette voie de droit restera sans doute encore longtemps la voie d’accès plébiscitée par les justiciables en Andorre. Ces derniers ont compris, dans le même temps, que l’insertion de la Principauté dans le concert européen leur permettait de présenter, le cas échéant, des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme. tribunal constitutionnel et Cour européenne sont aujourd’hui intimement liés dans le maintien et l’approfondissement de l’État de droit andorran. Du coup, l’analyse de l’accès à la justice constitutionnelle ne peut pas se déconnecter de l’accès à la justice européenne.


    • [1]
      Également Professeur de droit public à l’École de droit de la Sorbonne (université Paris I Panthéon Sorbonne) et directeur adjoint de l’IREDIES, Institut de recherche en droit inter­national et européen de la Sorbonne.  [Retour au contenu]
    • [2]
      Ce fut la requête présentée en 1989 tout à la fois contre La France et l’Espagne – qui a donné lieu à un arrêt remarqué de plénière en 1992 (Cour EDH, Plénière, 26 juin 1992, Drozd et Janousek c. La France et l’Espagne) – qui accéléra le processus constituant et la question du statut international de l’Andorre. Dans le même temps, les travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont constitué un aiguillon nul sans pareil pour propulser l’Andorre dans l’ère du constitutionnalisme moderne. Ces points sont très clairement rappelés par l’ouvrage écrit à quatre mains par M. Mateu et F. Luchaire, La Principauté d’Andorre, hier et aujourd’hui, Paris, Economica, 1999, spec. pp. 47-53.  [Retour au contenu]
    • [3]
      Sur l’histoire de la confection de la Constitution andorrane, voir J.-C. Colliard, « L’État d’Andorre », AFDI, 1993, pp. 377-492.  [Retour au contenu]
    • [4]
      La notion de « citoyen » a été entendue de façon « compréhensive » dans le cadre du 6e congrès de l’ACCPUF ; c’est donc en ce sens qu’il sera également envisagé ici, voir infra.  [Retour au contenu]
    • [5]
      Il s’agit de la version catalane (empara). En espagnol, on parle du recours d’amparo prévu à l’article 53 de la Constitution du 27 décembre 1978  [Retour au contenu]
    • [6]
      Pour une analyse intéressante car très pédagogique voir, Lacamp-Leplaë, « La sauvegarde des droits fondamentaux en Andorre », RIDC, Vol. N° 53, Avril-juin 2001, pp. 483-493.  [Retour au contenu]
    • [7]
      Il constitue en outre statistiquement, la voie de droit la plus usitée, voir infra notamment note n° 8.  [Retour au contenu]
    • [8]
      C’est l’article 98 de la Constitution qui présente une partie des voies de saisine du tribunal constitutionnel. Il se lit ainsi : « Le tribunal constitutionnel connaît : a) des recours en inconstitutionnalité contre les lois, les décrets pris en vertu d’une délégation législative et le Règlement du Consell General ; b) des demandes d’avis préalable sur la constitutionnalité des lois et des traités internationaux; c) des procédures de protection constitutionnelle (recours d’empara); d) des conflits de compétence entre les organes constitutionnels. Sont considérés comme organes constitutionnels les Coprínceps, le Consell General, le Govern, le Consell Superior de la Justícia et les Comuns. » Il faut y ajouter la procédure préjudicielle de constitutionnalité d’une loi ou d’un décret pris sur la base d’une délégation législative (article 100) ainsi que le contrôle préalable des traités internationaux (article 101).  [Retour au contenu]
    • [9]
      Par « personne », il faut entendre ici toute personne physique, toute personne morale de droit privé ou de droit public, toute association. Cette approche « compréhensive » de la notion de personne découle d’une interprétation progressiste du tribunal qui a su logiquement et rationnellement tiré partie du laconisme du texte constitutionnel qui, en se référant simplement à « toute personne », n’avait pas précisé sa nature juridique. Le libellé de l’article 102 en témoigne : « Sont fondés à demander, à l’aide d’un recours, la protection du Tribunal Constitucional (recours d’empara) contre les actes des pouvoirs publics qui lèsent des droits fondamentaux : a) les personnes qui ont été partie, directement ou en tant que tiers intervenants, dans la procédure judiciaire préalable mentionnée à l’article 41 alinéa 2 de la présente Constitution ; b) les personnes qui ont un intérêt légitime mis en cause par des dispositions ou des actes du Consell General n’ayant pas force de loi ; c) le Ministère public en cas de violation du droit fondamental de s’adresser à une juridiction. »  [Retour au contenu]
    • [10]
      Le §2 de l’article 42 se lit ainsi : « La loi établit une procédure exceptionnelle de recours devant le tribunal constitutionnel (recours d’empara) contre les actes des pouvoirs publics qui portent atteinte aux droits mentionnés dans le paragraphe précédent, sauf pour le cas prévu à l’article 22. »  [Retour au contenu]
    • [11]
      Le §1 de l’article 41 se lit ainsi : « La loi organise la protection des droits et des libertés reconnus aux Chapitres III et IV devant les tribunaux ordinaires, selon une procédure d’urgence qui, dans tous les cas, prévoit deux instances. » (C’est nous qui soulignons.)  [Retour au contenu]
    • [12]
      L’article 86 de la LQtC se lit ainsi : « À l’exception des cas précisés aux articles 95 et 96 de cette loi, le recours « d’empara » est formé contre les verdicts de déboutement de la demande rendus en dernière instance par la juridiction ordinaire au cours de la procédure urgente et préférentielle prévue à l’article 41.1 de la Constitution. » (C’est nous qui soulignons.)  [Retour au contenu]
    • [13]
      L’article 22 se lit ainsi : « Le non renouvellement d’une autorisation de résidence ou l’expulsion d’un étranger résidant légalement en Andorre ne peut intervenir que pour les motifs et dans les conditions prévues par la loi, en application d’une décision de justice définitive si l’intéressé exerce son droit de recours devant une juridiction. »  [Retour au contenu]
    • [14]
      14. L’article 53§2 de la Constitution espagnole se lit ainsi : « tout citoyen peut réclamer la protection des libertés et des droits reconnus à l’article 14 et à la section première du chapitre II devant les tribunaux ordinaires, selon une procédure prioritaire et abrégée et, le cas échéant, au moyen du recours en garantie des droits devant la Cour constitutionnelle. Ce dernier recours sera applicable à l’objection de conscience, reconnue à l’article 30. » (C’est nous qui soulignons).  [Retour au contenu]
    • [15]
      Dans le cadre de l’examen des recours d’empara activés sur la base d’une allégation de violation d’un droit substantiel, la fonction essentielle du tribunal revient à mettre en œuvre un examen de proportionnalité afin de déterminer si l’atteinte au droit a été ou non proportionnée au but légitime poursuivi.  [Retour au contenu]
    • [16]
      Ad ex. J. Rideau (dir.), Le droit au juge dans l’Union européenne, Paris, LgDj, 1998, 230 p.  [Retour au contenu]
    • [17]
      L’article 10 se lit ainsi : « 1. toute personne a droit au recours devant une juridiction, à obtenir de celle-ci une décision fondée en droit, ainsi qu’à un procès équitable, devant un tribunal impartial créé préalablement par la loi. 2. Est garanti à chacun le droit à la défense et à l’assistance d’un avocat, le droit à un procès d’une durée raisonnable, à la présomption d’innocence, à être informé de l’accusation, à ne pas être contraint de se déclarer coupable, à ne pas faire de déclaration contre soi-même et, en cas de procès pénal, à l’exercice d’un recours. »  [Retour au contenu]
    • [18]
      On se permet ici de renvoyer à L. Burgorgue-Larsen, « La constitutionnalisation du droit au juge en Espagne », Le droit au juge dans l’Union européenne, op. cit., pp. 69-107.  [Retour au contenu]
    • [19]
      Cette loi est fondamentale en Andorre dans le cadre de la règlementation des voies de recours. Adoptée en 1993 (22 décembre), elle fit l’objet d’une première réforme en 1999 (loi du 22 avril 1999), BOPA, n° 27, 19 mai 1999. En 2013, elle se trouve à nouveau au centre de propositions de réforme (v. infra note 26).  [Retour au contenu]
    • [20]
      Tribunal constitucional, Principat d’Andorra, Memoria 2012, pp. 33 et 34. Le reste des statistiques se répartissent de la sorte : on recense 9 recours d’inconstitutionnalité (articles 43 à 51 LQtC) ; 8 procédures incidentes de constitutionnalité (questions préjudicielles, articles 52 à 58 LQtC) ; 1 procédure de contrôle préalable des traités internationaux (articles 59 à 62 LQtC) ; 4 demandes d’avis préalables à l’adoption de lois(articles 63 à 68 LQtC) ; 13 conflits de compétence entre « organes constitutionnels » (articles 69 à 77 LQtC) ; 5 conflits de compétence (positifs et négatifs) (articles 78 à 84 LQtC).  [Retour au contenu]
    • [21]
      On recense chaque année des allégations de violation d’un droit fondamental substantiel (ad exemplum, arrêts du 3 octobre 2011, affaire n° 2011-12 R.E et du 3 décembre 2012, affaire n° 2012-12-R.E où le droit à l’intimité de l’article 14 de la Constitution fut en jeu), mais il s’agit d’exceptions.  [Retour au contenu]
    • [22]
      Ici, le tribunal fait la différence entre la logique juridique et la logique de « bon sens », dans la mesure où une décision peut parfaitement être logiquement raisonnable, mais ne pas l’être sous l’angle strictement juridique. Dit autrement, le tribunal vérifie si l’opinion commune de la communauté juristes pourrait avaliser une interprétation effectuée par les tribunaux ordinaires.  [Retour au contenu]
    • [23]
      Ad ex., tribunal constitutionnel d’Andorre, aute, 5 février 2013, 2012-31 RE ; sentencia, 11 juin 2013, 3013-2 RE.  [Retour au contenu]
    • [24]
      Ce qui n’est guère aisé dans le cadre d’une juridiction composée essentiellement de quatre juges.  [Retour au contenu]
    • [25]
      G. Vedel « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 1/1996, p. 60. Il voulait en effet parler d’une procédure (qui n’est pas celle de l’« intervention » comme telle), mais qui permet à des personnes physiques ou morales, dépourvues de qualité pour agir devant le Conseil constitutionnel, de lui adresser toutefois des documents pour faire valoir leur point de vue sur le texte en discussion, soit pour prôner sa constitutionnalité, soit à l’inverse pour la réfuter.  [Retour au contenu]
    • [26]
      A ce stade, il est important de signaler les réflexions en cours sur une réforme touchant la philosophie de l’article 41§1 de la Constitution, dont on a vu qu’il s’agissait d’une procédure « urgente et préférentielle » qui permet de protéger à la fois certains droits substantiels et le droit procédural au juge. or, le fait que le droit au juge puisse être protégé tout à la fois par ce mécanisme et par celui de l’article 18 bis de la loi transitoire sur les procédures judiciaires a engendré, dans la pratique, beaucoup de difficultés d’ordre technique. Plusieurs rencontres informelles au cours de l’année 2013 ont été réalisées entre les services du Ministère de la justice, le tribunal constitutionnel et les représentants des juridictions ordinaires afin de trouver les modifications les plus adéquates qui toucheraient, concrètement, l’article 18 bis de la loi transitoire sur les procédures judiciaires. L’idée majeure serait de dissocier l’utilisation des voies de recours en fonction de la nature du droit en cause. Les droits substantiels seraient protégés par la seule procédure « urgente et préférentielle » de l’article 41§1, tandis que le droit au juge ne le serait que par la voie de l’incident de nul.litat de l’article 18 bis la loi transitoire sur les procédures judiciaires. Si la réforme voit le jour, elle pourrait être mise en œuvre au début de l’année 2014.  [Retour au contenu]
    • [27]
      On relèvera cependant que l’on ne peut pas de façon catégorique « séparer » entièrement les deux paragraphes de l’article 10. Si le §2 énumère une série d’éléments qui relèvent de l’équité du procès, le §1 fait également allusion à la notion de « procès équitable » (voir le libellé de l’article 10 à la note 17).  [Retour au contenu]
    • [28]
      S’agissant des droits civils et politiques, leur nomenclature ne diffère pas des textes classiques en la matière que l’on trouve en droit interne ou en droit international : cela va du droit à la vie (article 8), à la liberté et à la sûreté (article 9), au droit au juge qui se décompose suivant la terminologie de la Constitution andorrane en un droit au recours (10§1) et un droit au procès équitable (article 10§2) ; à la liberté de pensée et de religion (article 11), à la liberté d’expression et d’information (article 12), au droit du mariage et de la famille (article 13) ; au droit à l’intimité, à l’honneur et à l’image (article 14) ; au droit au domicile et au secret des communications (article 15) ; au droit de réunion (article 16) ; au droit d’association (article 17) ; en passant par le droit à la création et au fonctionnement d’organisations professionnelles, patronales et syndicales (article 18) ; au droit de défendre des intérêts « économiques et sociaux» (article 19) ; au droit à l’éducation (article 20) ; au droit de circulation (article 21) ; au droit de pétition (article 23).  [Retour au contenu]
    • [29]
      Rares sont les affaires qui concernent des droits du Chapitre IV. on citera à titre d’exemple l’affaire 2011-31-RE du 3 février 2012. Les requérants, alléguant la violation des articles 24 et 25 de la Constitution, attaquaient une règle du système de représentation électorale  [Retour au contenu]
    • [30]
      L’article 22 se lit ainsi : « Le non renouvellement d’une autorisation de résidence ou l’expulsion d’un étranger résidant légalement en Andorre ne peut intervenir que pour les motifs et dans les conditions prévues par la loi, en application d’une décision de justice définitive si l’intéressé exerce son droit de recours devant une juridiction. »  [Retour au contenu]
    • [31]
      Cela résulte de la lecture combinée des §1 et 2 de l’article 41 de la Constitution.  [Retour au contenu]
    • [32]
      Ad ex. tribunal constitutionnel d’Andorre, 2013-2 RE ou tribunal constitutionnel d’Andorre, 11 juin 2013, 2013-1 RE.  [Retour au contenu]
    • [33]
      Depuis sa création, le tribunal a statué sur treize conflits de compétences (toujours positifs, jamais négatifs) entre le gouvernement et le parlement, mais également entre les organes généraux de l’État et les communes/ « paroisses » ainsi que les paroisses entre elles, voir tribunal constitucional, Principat d’Andorra, Memoria 2012, pp. 32 et 34. Il y a sept « Paroisses » en Andorre qui sont des instances publiques territoriales (Andorra-la-Vella, Canillo, Encamp, Escaldes-Engordany, ordino, La Massana, San julia de Loria).  [Retour au contenu]
    • [34]
      Tribunal constitutionnel, 6 juillet 2007, affaire n° 2006-4-C.C  [Retour au contenu]
    • [35]
      Il concerne l’utilisation rationnelle du sol et de toutes les ressources naturelles.  [Retour au contenu]
    • [36]
      Il concerne la jouissance d’un logement digne.  [Retour au contenu]
    • [37]
      Il est relatif à la conservation et au développement du patrimoine historique, culturel et artistique de l’Andorre.  [Retour au contenu]
    • [38]
      Tribunal constitutionnel, 4 juin 2012, affaire n° 2011-1-P.I.  [Retour au contenu]
    • [39]
      Il y a en eu 1 en 1995, 2 en 1997, 4 en 2010 et 1 en 2011.  [Retour au contenu]
    • [40]
      L’article 95 se lit ainsi : « 1. Le Tribunal Constitucional est l’interprète suprême de la Constitution ; il siège en tant qu’organe juridictionnel et ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux personnes privées. 2. Le Tribunal Constitucional adopte son règlement et exerce sa fonction en étant uniquement soumis à la Constitution et à Llei Qualificada qui le régit. »  [Retour au contenu]
    • [41]
      L’article 2 de la LQtC se lit ainsi : « 1. La juridiction du tribunal constitutionnel s’étend sur tout le territoire de l’État andorran, elle est supérieure dans son ordre et dans l’exercice de ses compétences définies par la Constitution et par cette loi, ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux particuliers et ses arrêts ont l’autorité de la chose jugée. 2. La doctrine interprétative de la Constitution élaborée par le tribunal devant fonder ses arrêts s’impose également aux divers organes de la juridiction ordinaire. »  [Retour au contenu]
    • [42]
      On relèvera un exemple récent qui reste un cas isolé. L’arrêt du tribunal constitutionnel rendu dans l’affaire 2012-8 RE le 7 septembre 2012 – et qui octroyait de façon partielle le recours d’empara au requérant – n’a pas modifié dans l’affaire en cause la jurisprudence des juridictions ordinaires (in casu la Chambre civile du tribunal supérieur du tribunal de justice) qui n’a pas adhéré dans sa décision de « réponse » (du 15 novembre 2012) à la vision du tribunal constitutionnel et ce en des termes inappropriés.  [Retour au contenu]
    • [43]
      On se reportera à l’interview du professeur Andorran Pere Vilanova trias qui siégea dans la première formation du tribunal après avoir été nommé par le Coprince français en 1993, v. Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 8, 2000, Dossier – Principautés européennes  [Retour au contenu]
    • [44]
      Ils le sont tantôt par le Parlement (Consell General), tantôt par un des deux Co-Princes en vertu des articles 96§1 de la Constitution et 10§1 de la LQtC. L’article 96 se lit ainsi : « 1. Le Tribunal Constitucional est composé de quatre Magistrats constitutionnels, désignés parmi les personnes ayant une expérience juridique ou institutionnelle reconnue, à raison d’un par chacun des Coprínceps et de deux par le Consell General. Leur mandat est de huit ans et n’est pas immédiatement renouvelable. Le renouvellement du Tribunal Constitucional s’effectue par parties. Le régime des incompatibilités est établi par la Llei Qualificada mentionnée à l’article précédent. » L’article 10§1 de la LQtC se lit ainsi : « Le tribunal constitutionnel est composé de quatre magistrats désignés un par chaque Coprince et deux par le Conseil général, parmi les personnes âgées de plus de vingt-cinq ans et dont l’expérience et les connaissances dans le domaine juridique et institutionnel sont reconnues. »  [Retour au contenu]
    • [45]
      Les Français ayant siégé au sein du tribunal ont été : François Luchaire (1993), Philippe Ardant (1999) et Pierre Subra de Bieusses (2007) qui furent désignés par le Parlement, tandis que Didier Maus (2003) et moi-même (2011) le furent par le Coprince français.  [Retour au contenu]
    • [46]
      Les Espagnols, joan josep López Burniol (1993), Miguel Herrero Rodriguez de Miñon (2001) et juan Antonio ortega Diaz zambrona (2009) furent désignés par le Coprince episcopal tandis que Miguel Ángel Aparicio Pérez (1993) et Carles Viver Pi-Sunyer (2006) le furent par le Parlement.  [Retour au contenu]
    • [47]
      L’Andorran Pere Vilanova trias (1993) fut désigné par le Coprince français. toute sa carrière professionnelle, en tant que professeur de droit constitutionnel, s’est néanmoins déroulée en Catalogne.  [Retour au contenu]
    • [48]
      Il sera intéressant de scruter le prochain renouvellement du tribunal et de voir qui remplacera le grand professeur catalan de droit constitutionnel, Carlos Viver Pi-Sunyer  [Retour au contenu]
    • [49]
      L’article 5 de la LQtC se lit ainsi : « Les décisions et les arrêts du tribunal constitutionnel sont rendus au nom du Peuple andorran et sont publiés au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre.  [Retour au contenu]
    • [50]
      Si la Constitution affirme à son article 1§3 que « la souveraineté réside dans le peuple andorran » – elle ne l’oppose pas au droit international. Bien au contraire. Non seulement, son article 3§3 affirme en effet avec force et solennité que : « L’Andorre reconnaît les principes du droit international universellement admis », mais également son article 5 intègre à l’ordre juridique andorran la Déclaration universelle des droits de l’homme.  [Retour au contenu]
    • [51]
      On lira avec intérêt le discours particulièrement significatif du Chef du gouvernement Antoni Marti Petit à l’occasion de la 2e partie de la session ordinaire de 2013 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Strasbourg, 22-26 avril 2013), (D) 14 (2013), 25 avril 2013.  [Retour au contenu]
    • [52]
      Ainsi, pour des manifestations récentes, on renvoie à l’important arrêt rendu en matière de liberté syndicale qui interprète l’article 18 de la Constitution d’Andorre conformément au standard posé par l’arrêt Demir et Baykara c. Turquie du 12 novembre 2008 : tribunal constitutionnel, 5 février 2013, affaire n° 2012-18 RE, Fondement juridique n° 4. on peut également citer l’arrêt du 7 septembre 2013, affaire n° 2013-4 et 8 RE, Fondement juridique n° 2 qui pour donner primauté à la liberté (article 9) sur la détention (provisoire), en dépit du fait que l’article 9 ne soit pas susceptible de protection en empara, le tribunal en se basant sur la jurisprudence de la Cour européenne (pour la dépasser) et en mettant en œuvre une interprétation systématique des dispositions constitutionnelles, a considéré que l’application automatique au requérant d’une loi qui modifie les règles temporelles de détention provisoire, sans avoir au préalable évalué tous les éléments factuels qui plaident en faveur de la prolongation de sa détention, est contraire aux articles 9 et 10 de la Constitution. Le tribunal a ordonné, aux juridictions du fond, sa libération immédiate.  [Retour au contenu]
    • [53]
      Alors que les organes de contrôle de Strasbourg avaient commencé par mettre en avant la spécificité des juridictions constitutionnelles et du contentieux y afférent pour les faire bénéficier d’une « immunité conventionnelle » (Cour EDH, 6 mai 1981, Buccholz c. Allemagne, Série A, vol. 42 et Cour EDH, 22 octobre 1984, Srameck c. Allemagne, Série A, vol.84), ils ont fini par intégrer le contentieux constitutionnel dans le champ conventionnel. Sous l’angle du respect du seul délai raisonnable tout d’abord. Les arrêts Deumeland et Bock sont à cet égard significatifs, puisque la Cour retient pour la première fois la durée de la procédure devant le tribunal de Karlsruhe au titre du calcul global de la durée du litige (Cour EDH, 29 mai 1986, Deumeland, Série A n° 100 et CEDH, 29 mars 1989, Bock, Série A n° 150). Le juge fut logiquement amené ensuite à examiner la durée du seul « procès constitutionnel ». A trois reprises, il évalua le dépassement du délai raisonnable par le tribunal constitutionnel allemand en recherchant « si le résultat de ladite instance peut influer sur l’issue du litige devant les juridictions ordinaires ».
      La Cour déclara dans l’affaire Süßmann c. Allemagne du 16 septembre 1996, la non-violation de l’article 6§1 (par 14 voix contre 6), alors qu’elle évaluait le délai dans le cadre du recours constitutionnel individuel (Verfassungsbeschwerde) de l’article 93§1, alinéa 4.a de la Loi Fondamentale de Bonn. Elle prononçait en revanche, à l’unanimité, la violation de cette disposition dans les arrêts Pammel c. Allemagne et Probstmeier c. Allemagne du 1er juillet 1997, alors que le requérant avait activé, non plus le recours constitutionnel individuel mais la question de constitutionnalité de dispositions législatives sur la base de l’article 100§1 de la Loi fondamentale. Entre temps, la Cour de Strasbourg, s’affranchissant de sa prudence antérieure, finissait de banaliser la justice constitutionnelle – plus particulièrement le « procès » constitutionnel – en la soumettant aux exigences inhérentes du procès équitable dans le retentissant arrêt Ruiz ­Mateos c. Espagne du 23 juin 1993 (Série A, n° 262).  [Retour au contenu]
    • [54]
      La France en a fait l’amère expérience dans une décision célèbre dans l’Hexagone, Cour EDH, gde Ch., 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et a. c. France où fut mise à l’index une décision du Conseil constitutionnel concernant les validations législatives. S’agissant de l’Espagne, on mentionnera une affaire particulièrement sensible relative à la ‘figure intouchable’du Roi dans un régime parlementaire : CEDH, 15 mars 2011, Otegi Mondragon c. Espagne. La Cour européenne ne s’est pas alignée sur le point du vue du tribunal constitutionnel espagnol qui avait considéré comme proportionnée la condamnation du requérant à un an d’emprisonnement et à la suspension de son droit de suffrage passif (pendant la durée de la détention) pour délit d’injure au Roi. Les propos litigieux avaient été les suivants « le Roi d’Espagne est le chef suprême de l’armée espagnole, c’est­ à­ dire le responsable des tortionnaires et celui qui protège la torture et qui impose son régime monarchique à notre peuple au moyen de la torture et de la violence » …(on signalera toutefois ici que cette position peut encore changer puisque l’affaire a été renvoyée devant la grande Chambre à la demande du gouvernement espagnol).  [Retour au contenu]
    • [55]
      Josep Casadevall – dans son article écrit en hommage à l’ancien Président français de la Cour européenne – mettait en exergue cet élément en rappelant que : « Depuis son adhésion au système européen de protection des droits de l’homme, toutes proportions gardées avec la population des autre petits États membres, l’Andorre s’est caractérisée par le faible nombre de requêtes présentées à son encontre. », « L’Andorre et la Convention », La Conscience des droits. Mélanges en l’honneur de Jean­ Paul Costa, Paris, Dalloz, 2011, p. 110.  [Retour au contenu]
    • [56]
      Selon les statistiques disponibles sur le site internet de la Cour européenne publiées au mois de juillet 2013. Ainsi, en 2010, 8 requêtes étaient présentées contre l’Andorre, 3 étaient « terminées » et 3 étaient déclarées « irrecevables » (l’une par un juge unique, 2 par un Comité) ; en 2011, 8 requêtes étaient présentées contre l’Andorre, 4 étaient terminées (3 étaient déclarées irrecevables par un juge unique, 1 l’était par une chambre) ; en 2012, 6 requêtes étaient attribuées à une formation judiciaire ; 17 étaient terminées : parmi elles, 15 étaient déclarées irrecevables (13 par un juge unique, 1 par un comité et 1 par une chambre) et deux étaient tranchées par des arrêts : un arrêt de non violation (Cour EDH, 11 décembre 2012, Ball c. Andorre) et un autre de violation (Cour EDH, 29 mai 2012, UTE Saur Vallnet c. Andorre). Pour les 6 premiers mois de l’année 2013, 2 requêtes étaient attribuées à une formation judiciaire et 5 requêtes étaient « terminées » après avoir été rayées du rôle ou déclarées irrecevables par un « juge unique ».  [Retour au contenu]
    • [57]
      Si on met à part l’arrêt historique et singulier Drozd et Janouzek dirigé, à l’époque, contre la France et l’Espagne  [Retour au contenu]
    • [58]
      Cour EDH, RA, 6 juillet 1999, Milan i Torres c. Andorre.  [Retour au contenu]
    • [59]
      Cour EDH, 13 juillet 2004, Pla et Puncernau c. Andorre.  [Retour au contenu]
    • [60]
      J. Casadevall, « L’Andorre et la Convention », La Conscience des droits, op. cit., Paris, Dalloz, 2011, p. 111.  [Retour au contenu]
    • [61]
      Cour EDH, 9 juillet 2008, Vidal Escoll et Guillán González c. Andorre.  [Retour au contenu]
    • [62]
      Dont on sait qu’il s’agit d’un élément inhérent au droit au juge depuis la jurisprudence Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997.  [Retour au contenu]
    • [63]
      Cour EDH, 29 mai 2012, UTE Saur Vallnet c. Andorre.  [Retour au contenu]

    Le citoyen et le juge constitutionnel à la lumière de la Constitution de 2011

    Mohammed Amine Benabdallah

    Membre du Conseil constitutionnel du Maroc

    Parmi les fonctions du juge constitutionnel, le contrôle de la constitutionnalité des lois est, sans aucun doute, celui qui est le plus en relation avec la protection des droits fondamentaux. Récent, puisque ne datant que de la révision constitutionnelle de 1992, et ancien à la fois, si l’on considère son application partielle aux lois organiques depuis la Constitution de 1962 [1], c’est un contrôle qui est au cœur de la vocation du juge constitutionnel. Et ce n’est pas trop dire ! N’est-il pas l’institution qui donne ou refuse le satisfecit de conformité à la Constitution à toute loi et tout règlement intérieur des chambres du Parlement qui lui sont soumis pour appréciation ?

    Nul doute que ses autres fonctions ne manquent pas d’importance. on reconnaîtra que celle de la délimitation des pouvoirs législatifs et réglementaires, instituée dès la promulgation du premier texte constitutionnel en 1962, n’est pas négligeable au regard du respect des frontières des deux pouvoirs ; pas moins que l’on admettra que comme juge du contentieux électoral, où il se prononce par rapport à la loi plus qu’à la Constitution, ses décisions sont tout aussi déterminantes. Mais, sans les sous-estimer, on conviendra que dans ces fonctions et celles qui s’y apparentent, telles que la vacance des sièges parlementaires et la régularité des opérations du référendum, il exerce un contrôle plus de technicité que de constitutionnalité. Il exerce une fonction d’authentification, voisine de celle d’un notaire et moins proche de celle d’un contrôleurpar rapport à une norme supérieure. En revanche, c’est, nous semble-t-il, lorsqu’il exerce ses attributions de juge de l’excès de pouvoir législatif [2] que la fonction de contrôleur de la constitutionnalité du texte qui lui est soumis devient réelle et concluante. tirant sa légitimité de la Constitution, il s’érige, et c’est le point culminant de sa vocation, en interprète de son contenu et en créateur de normes et principes à valeur constitutionnelle qui ont un impact incontestable sur le citoyen.

    C’est à l’aune de cette créativité que se mesure sa participation à la protection des droits fondamentaux. Sitôt qu’un texte lui est soumis pour en apprécier la constitutionnalité, il ne se contente plus des expressions claires et flamboyantes de la Charte fondamentale que tout lecteur peut déceler. Il plonge dans la profondeur des flots pour en chercher la signification en tenant compte du référentiel que peut comporter son préambule ou certains de ses articles aux termes volontairement ou involontairement vagues. Il revient à la surface, brandissant fièrement sa découverte libérée des algues des fins fonds des eaux, et combien conscient qu’elle s’imposera à toutes les autorités quelles qu’elles soient !

    À ce sujet, surgissent des questions aussi anodines que désarmantes! Quelle serait l’utilité d’une constitution énumérant et reconnaissant une liste considérable de droits et libertés si, dans le quotidien, ceux-ci sont bafoués, non pas par l’administration qui, au reste, peut relever du juge administratif auquel tout citoyen justifiant de l’intérêt à agir peut recourir, mais par un législateur censé exprimer la volonté de la Nation et dont le texte ne peut être remis en cause que par des autorités bien déterminées ? N’y a-t-il pas là une invite à réfléchir sur un aspect crucial de l’existence même de la justice constitutionnelle tant il est évident que la conformité des actes du pouvoir législatif à la Constitution est une condition irréfutable de la réalité de l’État de droit ; surtout s’agissant d’une loi en relation avec les citoyens, leurs droits et libertés.

    L’invite est d’autant plus irrésistible que la lecture de la nouvelle Constitution promulguée voici une année, en juillet 2011 et des textes régissant les pouvoirs du juge constitutionnel laisse penser que rien ne manque à l’édifice aux traits étonnamment identiques à ce qui existe sous les cieux des pays où les droits fondamentaux sont le plus conformes à la Constitution. Mais cette même Constitution, à l’image de ce qui est devenu presque universel, met en place un système de protection où le citoyen peut accéder directement au juge. Quelle est alors la protection que lui confère la Constitution, et comment, à la lumière de celle-ci, se réalise et peut se réaliser sa protection par le juge constitutionnel.

    I. La protection du citoyen par la Constitution

    C’est lors de la révision constitutionnelle de 1992 que le Conseil constitutionnel a fait son apparition [3]. Les quatre articles qui lui ont été consacrés, maintenus avec la révision de 1996, sont devenus six en 2011, où le Conseil est transformé en Cour.

    L’article 132 prévoit qu’il se prononce obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques avant leur promulgation et celle des règlements des chambres du Parlement avant leur mise en application et que les lois peuvent lui être déférées avant leur promulgation par le Roi, le Chef du gouvernement, le président de la Chambre des représentants, le président de la Chambre des conseillers ou le cinquième de la Chambre des représentants ou quarante membres de la Chambre des conseillers. Le même article ajoute qu’une disposition inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application et l’article 134 ajoute que les décisions de la Cour ne sont susceptibles d’aucun recours !

    D’autre part, l’article 133 énonce que la Cour est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

    Voilà donc l’institution dotée des pouvoirs les plus larges au regard de ceux de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême instituée avec la première Constitution de 1962 qui ne pouvait se prononcer que sur les lois organiques et les règlements des chambres. Point de contrôle de la constitutionnalité des lois autres qu’organiques. Ce qui laissait la voie complètement libre aux excès de pouvoir législatif. Avec l’institution du Conseil constitutionnel qui incessamment avec la nouvelle Constitution deviendra Cour constitutionnelle, le contrôle est devenu théoriquement possible et les commentateurs avaient toutes les raisons d’être optimistes du fait que le même texte de 1992 avait ajouté au préambule une mention débordant de substance [4].

    Dans le préambule, il est énoncé que le Maroc « réaffirme son attachement aux droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus ».

    Par ce groupe de mots, c’est une myriade de droits et libertés qui se faufilent dans le droit positif et qui lie le législateur par leur respect. Sans doute sans être obligé de tous les adopter en les intégrant dans sa législation, mais, tout au moins, en se faisant faute de légiférer à leur encontre. Encore que la notion de droits de l’homme « universellement reconnus » peut poser problème quant à la définition précise de « l’universel » ; et c’est justement là que l’apport du juge constitutionnel peut être édifiant. Pour l’heure, la question ne s’est pas encore posée, mais elle finira par l’être !

    Dans le même préambule, il est affirmé un ensemble d’engagements dont ceux de protéger et promouvoir les droits de l’homme et du droit international humanitaire, de bannir toute discrimination, d’accorder aux conventions internationales la primauté sur le droit interne du pays et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale.

    Quant aux droits et libertés cités dans la Constitution, on doit relever que déjà en 1962, le constituant s’est voulu éclectique en faisant la synthèse de ce que la doctrine appelle les droits de la première génération, autrement dit, les libertés liées principalement à l’homme et qui n’ont pour limite que l’ordre public et la morale et ceux de la deuxième génération, soit les créances que le citoyen a sur la société, apparues dans la Déclaration universelle de 1948, et adoptées dans la plupart des constitutions de l’après-guerre. Mais avec la Constitution de 2011, ces droits et libertés se sont multipliés pour concerner également, de par la précision de l’article 30 de la Constitution, les ressortissants étrangers dont ceux qui résident au Maroc peuvent participer aux élections locales [5].

    On y trouve tous les principes relatifs au droit à l’éducation et au travail, au droit de propriété, l’égalité devant la loi, la jouissance de l’homme et de la femme de droits politiques égaux et la parité entre eux, la liberté de circulation, la liberté d’opinion, d’expression, de réunion, d’association. Bref, la Constitution de 2011 a énuméré tous les droits et libertés que l’on croise partout ailleurs dans les pays les plus évolués.

    C’est dire qu’au niveau du texte, il n’y a absolument aucun indice qui permette d’avancer que le droit positif marocain serait en retard par rapport à ce qui a cours ailleurs. Des droits et libertés constitutionnellement consacrés et un juge constitutionnel qui ne demande qu’à exercer son contrôle. Pour peu qu’il en soit saisi ?
    Qu’en est-il de la protection qu’il exerce ?

    II. La protection du citoyen par le juge constitutionnel

    La première impression qui se dégage de l’étude de la jurisprudence constitutionnelle est que les saisines relatives à la constitutionnalité des lois et par là en relation avec le citoyen sont très peu nombreuses. Néanmoins il y a fort à penser que par l’introduction récente de la procédure d’exception d’inconstitutionnalité plusieurs cas auront à être soulevés.

    Ainsi, entre février 1994, date de son entrée en fonction, et fin juin de cette année, soit plus de dix-huit ans, le Conseil constitutionnel s’est prononcé 54 fois sur des saisines relatives au contrôle de constitutionnalité. Sur les règlements intérieurs des chambres du Parlement qui ne sont appliqués qu’après lui avoir été déférés, c’est par 14 décisions qu’il a eu à le faire ; sur le règlement intérieur du Conseil économique et social, 2 fois ; sur les lois organiques qui également lui sont obligatoirement soumises avant leur promulgation, 28 décisions ; et sur les lois, 10 décisions.

    Très souvent, c’est sur des questions portant sur les vices de forme ou de procédure [6], l’incompétence négative du Parlement [7] ou du gouvernement [8], le cavalier budgétaire [9] qu’il eut à se prononcer. Cependant, il eut également à le faire sur des points en relation avec les droits et les libertés soit à propos d’une loi organique ou d’un règlement intérieur, soit suite à une saisine du Premier ministre ou de parlementaires.

    En ce qui concerne les lois organiques, on peut relever des décisions où il fut question, de l’indépendance de la justice et du droit de défense des particuliers [10], du droit et de la liberté de vote, de l’égalité et du droit d’éligibilité [11], du principe de la récusation des juges [12]. Mais quelles que soient les occasions où le Conseil se prononce obligatoirement sur un droit ou une liberté, on peut observer qu’il ne le fait que de manière tout à fait incidente dans la mesure où ce n’est que 10 fois qu’il s’est prononcé à propos de saisines relatives à des lois ordinaires, et c’est justement celles-là qui peuvent concerner à proprement parler les droits et libertés des citoyens.
    Sur les 10 saisines, on en dénombre 6 émanant du Premier ministre (devenu Chef du gouvernement) et seulement 4 présentées par les parlementaires.

    Les saisines des parlementaires n’ont concerné que des points, certes en relation avec la Constitution, mais bien loin de ce qui touche les droits fondamentaux si l’on exclut la saisine relative à la loi sur les paraboles que le Conseil avait déclarée inconstitutionnelle [13] pour vice de forme sans se pencher sur les questions de fond touchant au droit à l’information et à la notion d’enrichissement sans cause au détriment du contribuable. Les trois autres ont concerné, l’une, la loi d’habilitation du gouvernement en matière de privatisation [14], l’autre, un article de la loi de finances soumis au Conseil pour rétroactivité [15] et, la troisième, des articles ne respectant pas la procédure prévue par la Constitution ou insérant dans la loi de finances une disposition qui n’y a pas sa place [16].

    Les saisines émanant du Premier ministre ont également concerné des points de pure technique constitutionnelle. Ainsi en fut-il en matière d’incompétence du Parlement pour agir par loi ordinaire dans un domaine relevant de la loi organique [17], ou du pouvoir réglementaire [18], ou d’un article de la loi portant statut de Bank Al­Maghrib donnant droit au gouverneur de cette institution d’être directement entendu par les commissions permanentes du Parlement chargées des finances [19] [20]. D’ailleurs, de manière tout à fait incidente car dans cette saisine le Premier ministre n’avait soulevé aucun point de droit, mais avait simplement demandé au Conseil constitutionnel de se prononcer sur l’ensemble de la loi votée par les deux chambres du Parlement.

    À cet état de fait, la Constitution de 2011 a apporté des modifications très importantes tant au niveau de la saisine par les parlementaires qu’au niveau de l’exception d’inconstitutionnalité.

    Désormais, la saisine par la Chambre des représentants peut avoir lieu par le 1/5 de ses membres, soit un nombre de 79 membres sur la base de 395, alors que dans le passé récent elle était conditionnée par le 1/4, soit un nombre de 82 sur la base de 325. Quant à la saisine par la Chambre des conseillers, elle peut avoir lieu par 40 des 120 membres qui la composent. on peut donc releverque la condition de recevabilité est plus accessible aux conseillers qu’aux représentants.

    Mais c’est certainement au niveau de l’exception d’inconstitutionnalité que le changement sera ressenti en influant sur la relation du citoyen avec la justice constitutionnelle. Le constituant a ouvert à tout justiciable la voie de soulever l’inconstitutionnalité de toute loi dont dépend l’issue du litige et qui porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, ce qui exclut le contrôle de constitutionnalité par action. jusque-là, les lois organiques relatives à la Cour constitutionnelle qui remplacera le Conseil constitutionnel et à l’exception d’inconstitutionnalité n’ont pas encore été promulguées, sachant que la nouvelle Constitution a prévu une période transitoire permettant au Conseil actuel de continuer d’exercer ses compétences jusqu’à l’installation de la Cour constitutionnelle. tout dépendra naturellement de la loi organique qui aura à fixer les conditions et les modalités d’application de cette nouvelle voie de recours. C’est au législateur qu’il reviendra de l’élargir ou de la rétrécir dans le respect de la Constitution ; et tout porte à penser qu’il le fera dans le but de permettre un accès conséquent aux droits et libertés énumérés dans la Constitution elle-même.

    Au terme de cette brève présentation, on peut dire que de par les textes ou la théorie, rien ne s’oppose ou rend difficile l’accès du citoyen au juge constitutionnel. Bien au contraire, avec l’exception d’inconstitutionnalité, le temps permettra le développement d’un sens plus prononcé d’une application de la Constitution non pas au regard seulement de ce qu’elle impose comme mécanismes et techniques de procédures législatives et de contrôle du gouvernement, mais de garanties pour la protection des droits fondamentaux, c’est-à-dire, en fin de compte, sa raison d’être pour faire accéder l’homme de sa situation naturelle d’individu à celle de citoyen dans un État de droit !


    • [1]
      Bien que la Chambre constitutionnelle fût instituée avec la Constitution du 14 décembre 1962, elle n’eut jamais à se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi organique du fait que toutes les lois organiques des deux périodes de 1965 à 1970 (État d’exception) et de 1972 à 1977 (Période transitoire) avaient été prises par le Roi et entraient immédiatement en application.  [Retour au contenu]
    • [2]
      Cette expression nous est inspirée de la précieuse étude du Doyen georges Vedel traçant le parallèle, et montrant les points de rencontre, entre les deux formes de contrôle, de constitutionnalité et de légalité : « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 1, 1996, p. 57 et n° 2, p. 77.  [Retour au contenu]
    • [3]
      Pour l’histoire, on rappellera que le projet de Constitution du 11 octobre 1908, sans instituer un Conseil constitutionnel, prévoyait néanmoins une forme de contrôle de constitutionnalité. Son article 54 disposait, en effet, que le conseil des notables devait rejeter toute disposition portant atteinte à la Constitution et son article 34, instituait une espèce d’exception d’inconstitutionnalité par la possibilité ouverte à tout sujet marocain de déposer, sans conditions ou précisions de délai, devant le Conseil consultatif une plainte contre tout acte contraire à un article de la Constitution.  [Retour au contenu]
    • [4]
      K. Naciri, « Aspects du renforcement de l’État de droit dans la nouvelle constitution », in Révision de la Constitution marocaine de 1992, Coll. Édification d’un État moderne, 1992, p. 97 ; S. Ihraï, Les droits de l’homme dans la Constitution marocaine ; C. Serghini, « Le Maroc et les règles internationales des droits de l’homme », in Le Maroc et les droits de l’homme, L’Harmattan, Coll. Édification d’un État de droit, 1994, respectivement p. 187 et p. 285.  [Retour au contenu]
    • [5]
      Article 30 : « (…) Les ressortissants étrangers jouissent des libertés fondamentales reconnues aux citoyennes et citoyens marocains, conformément à la loi. Ceux d’entre eux qui résident au Maroc peuvent participer aux élections locales en vertu de la loi, de l’application de conven-
      120 tions internationales ou de pratiques de réciprocité (…) ».  [Retour au contenu]
    • [6]
      C.C. décision n° 3794 du 16 août 1994, Paraboles.  [Retour au contenu]
    • [7]
      C.C. décision n° 382-00 du 15 mars 2000, Incompatibilités.  [Retour au contenu]
    • [8]
      .C. décision n° 298-99 du 29 avril 1999, Privatisations.  [Retour au contenu]
    • [9]
      C.C. décision n° 728-08 du 29 décembre 2008, Loi de finances 2009.  [Retour au contenu]
    • [10]
      C.C. 10 novembre 1995, Loi organique relative aux commissions d’enquête parlementaires, B.o. n° 4355 du 29 novembre 1995, p. 3059 (en langue arabe).  [Retour au contenu]
    • [11]
      C.C. 25 juin 2002, Loi organique relative à la Chambre des représentants, B.o. n° 5017, p. 1949 et C.C. 25 juin 2002, Loi organique relative à la Chambre des conseillers, B.o. n° 5017, p. 1953 (en langue arabe).  [Retour au contenu]
    • [12]
      C.C. décision n° 583-04 du 11 août 2004, Loi relative à la Haute cour.  [Retour au contenu]
    • [13]
      C.C. décision n° 3794 du 16 août 1994, Paraboles.  [Retour au contenu]
    • [14]
      C.C. décision n° 298-99 du 29 avril 1999, Privatisations.  [Retour au contenu]
    • [15]
      C.C. décision n° 467-01 du 31 décembre 2001, Loi de finances 2002.  [Retour au contenu]
    • [16]
      C.C. décision n° 728-08 du 29 décembre 2008, Loi de finances 2009.  [Retour au contenu]
    • [17]
      C.C. décision n° 382-00 du 15 mars 2000, Incompatibilité.  [Retour au contenu]
    • [18]
      C.C. décision n° 480-02 du 15 août 2002, Loi modifiant le statut des fonctionnaires de l’administration de la Chambre des représentants et C.C. décision n° 481-02 du 15 août 2002, Loi modifiant le statut des fonctionnaires de l’administration de la Chambre des conseillers.  [Retour au contenu]
    • [19]
      C.C. décision n° 606-05 du 21 mars 2005, Bank Al­Maghpatibilité.Incompatibilité.  [Retour au contenu]
    • [20]
      , oC. décision n° 586-04 du 12 août 2004, Immunité parlementaire.  [Retour au contenu]

    Le citoyen et la justice constitutionnelle : problématique et aménagement à la lumière de l’étude de la Commission de Venise et en perspective comparée

    Antoine Messarra [1]

    Membre du Conseil constitutionnel du Liban

    Le problème apparemment simple de l’accès individuel direct ou indirect du citoyen à la justice constitutionnelle pose toute la complexité des procédures, des délais, des recours abusifs, des enchevêtrements de compétence et des engorgements de la justice. L’exigence de protection du citoyen, et non seulement de la sauvegarde des institutions, constitue cependant une finalité, et même la finalité fondamentale de toute justice.

    Autant le principe est clair et doit en permanence être présent dans toute décision de justice constitutionnelle, même si le droit de recours direct ou indirect du citoyen n’est pas reconnu, autant les aménagements juridiques doivent être mûrement étudiés en vue de leur effectivité. Aussi l’étude de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), lors de sa 85e séance plénière à Venise les 17-18 décembre 2010, relève, après un exposé sur les aménagements en perspective comparée, que :

    « le choix entre les différents mécanismes (…) dépend en définitive de la culture juridique de chaque pays ».

    1. Pourquoi faut-il aujourd’hui des garanties supplémentaires de constitutionnalité ?

    Les États-unis ont été le premier État à avoir introduit un contrôle de constitutionnalité, et à utiliser le terme « Cour constitutionnelle » dans la fameuse affaire Marbury v. Madison de 1803, laquelle a ouvert la voie à un contrôle de constitutionnalité par les citoyens. En Europe, la Constitution allemande de 1849 (Paulskirchenverfassung) a été la première à prévoir explicitement un droit de recours individuel en inconstitutionnalité dans son article 126, point g). Cependant, ladite disposition n’est jamais entrée en vigueur. En Autriche, en 1867, l’article 3, point b, de la Staatsgrundgesetz uber die Einrichtung eines Reichgerichtes a introduit la compétence du Reichsgericht (« la Cour impériale») en matière d’examen des plaintes des citoyens faisant état d’une violation de leurs droits constitutionnellement garantis. La Cour suprême de Norvège, en 1866, s’est déclarée compétente pour contrôler la constitutionalité des lois, alors que la Cour romaine de cassation a repris à son compte la jurisprudence Marbury v. Madison en 1912 [2].

    Le modèle américain est caractérisé par un contrôle diffus et fortuit permettant un accès direct de chaque citoyen à la justice constitutionnelle, dans la mesure où tout particulier peut soulever des questions de constitutionnalité devant les tribunaux. une telle situation peut déboucher sur des décisions contradictoires et générer une jurisprudence incohérente et incertaine, puisque différents tribunaux risquent d’interpréter la constitutionnalité de la même norme de manière différente [3].

    La pratique envisagée par Hans Kelsen pour la Constitution autrichienne de 1920, a donné naissance au modèle de « contrôle concentré », surtout dans les pays en transition démocratique.

    Compte tenu de l’importance croissante des droits fondamentaux et de leur protection, on observe une tendance claire vers l’introduction de mécanismes permettant la protection des droits individuels fondamentaux par la Cour constitutionnelle, au moyen notamment d’un accès individuel.

    1. Inflation et nouvelles frontières du droit.

    Au début du XXe siècle, l’absence de garantie juridictionnelle des droits et libertés ne posait pas de problème, car l’État intervenait peu dans l’ordre

    économique et social. Face à des lois relativement rares, un contrôle de fait était exercé par la classe politique et la société civile sur leur contenu. Il était aussi facile de repérer les lois portant atteinte aux libertés publiques. Les « dérives attentatoires » aux libertés augmentent à mesure que l’État intervient dans la société. La perception que les représentants du peuple sont dotés d’un pouvoir absolu allait être progressivement dénoncée comme un danger potentiel pour les libertés fondamentales. Il peut aussi arriver qu’un parti extrémiste, qui accède au pouvoir par les élections législatives, mette en place une législation attentatoire aux libertés. Hitler (1933) et Pétain sont arrivés au pouvoir par les voies légales du parlementarisme. La logique du parlementarisme absolu est ainsi ébranlée par les expériences totalitaires et fascistes en Europe, ce qui justifie la sollicitation de l’autorité d’une juridiction indépendante vis-à-vis des élections populaires et du pouvoir politique [4].

    L’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme est fort explicite dans le titre et le contenu de l’article sur le droit de recours, avec l’emploi des expressions de « toute personne » et de « recours effectif ».

    Article 13 – Droit à un recours effectif

    Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.

    Les articles 34 et 35 soulignent l’individualité des requêtes et les conditions de recevabilité :

    Article 34 – Requêtes individuelles

    La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit.

    Article 35 – Conditions de recevabilité

    1. La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

    2. La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque

    a) elle est anonyme ; ou

    b) elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux.

    3. La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsqu’elle estime :

    a) que la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses Protocoles, manifestement mal fondée ou abusive ; ou

    b) que le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne.

    4. La Cour rejette toute requête qu’elle considère comme irrecevable par application du présent article. Elle peut procéder ainsi à tout stade de la procédure.

    Ces dispositions sont assorties d’une action médiatique de la Cour européenne des droits de l’homme pour informer les personnes [5].

    Le recours constitutionnel individuel en Suisse revêt une grande importance, avec des applications multiples et concrètes, du fait surtout de l’absence de tribunaux administratifs dans la plupart des cantons [6]. En Autriche, l’article 144 de la Constitution de 1920 organise l’action en vue de la garantie des droits, sous réserve de l’épuisement des autres moyens de recours. En Allemagne et en Espagne, le droit de recours individuel est reconnu. Le recours est appelé en Espagne : El recurso de amparo / recours d’amparo, le mot amparo signifiant le refuge ou la garantie.

    L’étude de la Commission de Venise en 2011, qui sera suivie en 2012 de l’enquête sur la base d’un questionnaire de l’Association des cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français (ACCPUF), détermine le cadre de toute recherche appliquée et comparative, au point qu’il faudrait désormais dégager des synthèses opérationnelles à la lumière de chaque expérience nationale et analyser l’effectivité concrète de l’accès du citoyen à la justice constitutionnelle à travers les jurisprudences constitutionnelles [7].

    Des pays ont prévu des accès directs ou indirects, mais ces accès sont-ils superfétatoires, engorgent-ils la justice sans nécessairement rendre justice ? La question prioritaire de constitutionnalité (QPC), introduite en France, assure-t-elle en pratique une protection accrue aux citoyens que le Conseil constitutionnel français ne pouvait garantir avant l’institution de la QPC ? on peut revenir à l’historique de la réforme en France qui donne aux justiciables l’accès direct à la justice constitutionnelle. La révision constitutionnelle fut débattue à deux reprises sans succès devant le Parlement, en 1990 et 1993. Le principe d’une telle réforme a été repris, à la suite des travaux du comité dit « Balladur » du nom de son président.

    C’est dans des démocraties menacées ou en transition, notamment dans les pays arabes, qu’il faut penser à l’effectivité du droit en général et de tout aménagement formel qui se propose l’accès direct ou indirect des citoyens à la justice constitutionnelle. Le rapport de la Commission de Venise incite luimême à une telle réflexion, à une inculturation du processus, à la lumière des expériences nationales endogènes.

    L’étude de la Commission de Venise, qui couvre l’ensemble des États en qualité de membre ou d’observateur de la Commission de Venise, évite de partir de « modèles », américain, européen ou autrichien, ou français…, pour procéder à une « comparaison élément par élément des solutions nationales adoptées en matière d’accès individuel » (clause 27).

    La demande d’accès individuel émane au départ de pays européens qui voudraient la garantie maximale des droits au niveau national en vue notamment d’un filtrage national qui réduirait l’engorgement de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH ou CrEDH). C’est en effet par une lettre du 21 avril 2009 que le représentant permanent de l’Allemagne auprès du Conseil de l’Europe, M. Eberhard Kolsch, demande, au nom du gouvernement allemand, un avis sur l’accès individuel à la justice constitutionnelle, lettre dans laquelle il précise « qu’une telle étude pourrait constituer une contribution valable à la promotion des recours internes en cas de violation des droits de l’homme et, par conséquent, contribuer à garantir l’efficacité à long terme de la Cour européenne des droits de l’homme » (cl. 15).

    La Commission de Venise écrit justement :

    « 79. L’importance croissante accordée à la protection des droits de l’homme s’accompagne d’une nette tendance à l’octroi aux particuliers de la possibilité de réclamer un contrôle de la constitutionnalité d’actes administratifs et de décisions judiciaires individuels, dans la mesure où la violation des droits individuels résulte fréquemment d’actes individuels inconstitutionnels se fondant sur des actes normatifs, eux, constitutionnels. La Commission de Venise est en faveur du recours en inconstitutionnalité intégral, non seulement parce qu’il permet de protéger complètement le droit constitutionnel, mais également en raison de la nature subsidiaire de la réparation accordée par la Cour EDH et de l’intérêt de disposer de mécanismes permettant de régler les questions relatives aux droits de l’homme au niveau national. »

    La Commission cite le cas de la turquie :

    « 85. un exemple intéressant de tentative d’introduction d’un tel recours concerne la turquie. Compte tenu du nombre élevé d’affaires dans lesquelles ce pays apparaît comme l’État défendeur devant la CrEDH, la Cour constitutionnelle turque a proposé, en 2004, l’introduction d’un recours individuel visant les droits constitutionnels couverts également par la CEDH. L’exposé des motifs de ces modifications déclare explicitement que « l’introduction du recours constitutionnel se traduira par une diminution considérable du nombre de dossiers contre la turquie dont est saisie la Cour européenne des droits de l’homme ». En septembre 2010, un ensemble d’amendements à la Constitution a été adopté par référendum, ensemble qui inclut l’introduction d’une forme de recours individuel devant la Cour constitutionnelle. En vertu du nouveau texte de l’article 148 de la Constitution turque, toute personne a le droit d’introduire un recours individuel devant la Cour constitutionnelle concernant ceux, parmi ses droits constitutionnels, qui sont également couverts par la CEDH. Le même article dispose que les règles procédurales concernant les modalités d’introduction du recours seront déterminées par une loi qui sera promulguée dans les deux ans. »

    Le droit de contester une élection appartient en France à toutes les personnes inscrites sur les listes électorales, ou les listes électorales consulaires de la circonscription dans laquelle il a été procédé à l’élection, ainsi qu’aux personnes qui ont fait acte de candidature (ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel) [8].

    La loi constitutionnelle en France n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République institue, en lieu et place notamment du Médiateur de la République, un Défenseur des droits et en consacre, dans un article unique, son existence dans le corps même de la Constitution. Deux lois sont venues ensuite définir le périmètre d’activité et les pouvoirs du Défenseur des droits : la loi organique du 29 mars 2011 et la loi du 29 mars 2011. Les procédures ouvertes par le Médiateur de la République non clôturées le lendemain (soit le 30 mars 2011) de la publication de la loi organique relative au Défenseur des droits se poursuivent devant le Défenseur des droits [9].

    2. Contrôle de l’application des lois.

    Une autre exigence justifie l’extension du recours à la justice constitutionnelle : améliorer l’application des lois et favoriser le contrôle de l’application. Nombre d’assemblées parlementaires, à la suite de l’extension des frontières du droit [10], forment des commissions pour le suivi de l’application. L’art. 45 (73) du règlement de l’Assemblée nationale en France confie à un ou plusieurs de ses membres une mission d’information temporaire portant notamment sur les conditions d’application d’une législation. C’est dire que le contrôle parlementaire de l’Exécutif implique un surplus de garantie [11].

    3. Droit du citoyen à la protection de ses droits.

    Qu’est-ce que la citoyenneté et quelle est la définition des droits du citoyen ? Il y a le droit d’être électeur et éligible, le droit d’accès à la fonction publique, les autres droits civils et politiques… Les abus et dérives de langage sont cependant nombreux au point que la citoyenneté peut être compromise et devenir un slogan. Au cœur de la problématique, le droit fondamental du citoyen implique le droit à la protection de ses droits et donc le droit d’accès, d’une manière ou d’une autre, à la justice constitutionnelle. Dans une analyse exhaustive de la notion de citoyenneté en droit public et de ses composantes, Anne-Sophie Michon-traversac écrit :

    « La recherche des droits politiques du citoyen peut s’effectuer sous un angle positif, guidée par la jurisprudence constitutionnelle (…). L’immense mérite de la jurisprudence constitutionnelle est ainsi de venir au soutien, et même au secours, des droits politiques du citoyen. » [12].

    2. Les variantes de l’accès individuel à la justice constitutionnelle

    Accès individuel direct par actio popularis, ou suggestion individuelle, ou quasi actio popularis, ou accès individuel indirect par voie d’exception, ou question prioritaire de constitutionnalité ? L’étude de la Commission de Venise, parmi ses multiples avantages, comporte celui de définir et de contextualiser les notions.

    1.Les types d’accès

    L’accès direct donne aux particuliers le moyen juridique de saisir directement la Cour sans intervention d’une tierce partie.

    L’accès indirect signifie que toute question émanant d’un particulier ne peut être posée à la Cour constitutionnelle, aux fins de décision, que par l’intermédiaire d’une tierce partie.

    L’accès individuel direct permet à des personnes de contester directement la constitutionnalité d’une norme ou d’une loi spécifique, alors que l’accès individuel indirect ne permet de contester la constitutionnalité que par l’intermédiaire d’organismes publics. Plusieurs organes sont autorisés à contester la constitutionnalité. Les plus courants sont les tribunaux ordinaires par le biais d’une action préjudicielle, ainsi que les membres du Parlement agissant sur la base d’une requête émanant d’un individu. Certains pays accordent également à l’ombudsman la capacité de saisir la Cour constitutionnelle ou une instance équivalente.

    Il ressort de l’enquête de la Commission de Venise que beaucoup de pays disposent d’un système mixte prévoyant à la fois des moyens d’accès directs et indirects à la justice constitutionnelle. La Commission de Venise considère que :

    « L’accès indirect à la justice constitutionnelle est un outil très important pour garantir le respect des droits de la personne au niveau constitutionnel » (cl. 3).

    Quels sont, selon la Commission de Venise, les avantages de l’accès indirect ? Deux avantages au moins :

    1. « Les organes introduisant le recours sont généralement bien informés et disposent des compétences juridiques requises pour formuler une requête en bonne et due forme. »

    2. « Ils peuvent également servir de filtres pour éviter de surcharger les cours constitutionnelles en sélectionnant les demandes de manière à écarter d’emblée celles qui sont manifestement abusives ou répétitives » (cl. 3).

    L’inconvénient majeur du recours indirect est que « son efficacité dépend beaucoup de la capacité de ces organes à identifier les actes normatifs potentiellement inconstitutionnels et de leur volonté de soumettre des demandes aux Cours constitutionnelles ou à des instances équivalentes. »

    Aussi la Commission de Venise « voit un avantage à la combinaison de l’accès indirect et direct, créant ainsi un juste équilibre entre les différents mécanismes existants » (cl. 3).

    Plusieurs modèles d’accès individuel direct existent :

    a. L’actio popularis qui permet à toute personne de contester une norme promulguée, même si elle n’a aucun intérêt personnel à le faire.

    b. La suggestion individuelle par laquelle le requérant peut uniquement suggérer que la Cour constitutionnelle ne contrôle que la constitutionnalité d’une norme en laissant à cette juridiction la faculté de déclarer la demande irrecevable.

    c. La quasi actio popularis permet au requérant, même s’il n’est pas directement concerné, de contester la norme, à condition que ce soit dans le cadre d’une affaire spécifique.

    La Commission de Venise relève :

    « l’actio popularis crée à l’évidence le risque de surcharger la Cour constitutionnelle » (cl. 4).

    La Commission de Venise définit ainsi l’accès individuel à la justice constitutionnelle :

    « (III) accès individuel à la justice constitutionnelle désigne les divers mécanismes permettant de dénoncer les violations de droits individuels garantis par la Constitution, soit séparément soit de concert avec d’autres requérants, devant une Cour constitutionnelle ou une instance équivalente. Les mécanismes d’accès sont indirects ou directs. L’accès indirect désigne des mécanismes permettant à un particulier de soumettre des questions à la Cour constitutionnelle par le biais d’une instance intermédiaire. L’accès direct désigne toute une série de moyens juridiques permettant à un particulier de saisir personnellement la Cour constitutionnelle sans l’intervention d’une tierce partie » (cl. 21).

    2. Contrôle a priori et a posteriori : Le contrôle a priori, qui intervient avant la promulgation d’un acte normatif, ne peut être déclenché que par certaines instances prévues par la Constitution ou par la loi établissant la Cour constitutionnelle, à l’exclusion des particuliers.

    3. La question préjudicielle de constitutionnalité est la procédure permettant à tout particulier de contester devant un juge ordinaire la constitutionnalité d’un acte législatif affectant prétendument ses droits et libertés, tels qu’ils sont garantis par la Constitution. Le juge décide s’il convient de saisir le Conseil d’État ou la Cour de cassation à charge pour ces instances de déférer éventuellement ladite question au Conseil constitutionnel. La Commission de Venise relève :

    « La procédure de question préjudicielle fait partie des types les plus courants d’accès individuels indirects » (cl. 56).

    En France, la question prioritaire de constitutionnalité doit répondre à plusieurs exigences: elle doit être sérieuse, nouvelle (c’est-à-dire viser un point que le Conseil constitutionnel n’a pas encore tranché) et être applicable à l’espèce.

    Il existe différents types de contrôle : concentré, diffus ou spécial. L’étude de la Commission de Venise classe les pays en trois catégories :

    « Premièrement, ceux qui ont opté pour un modèle diffus de contrôle de constitutionnalité ; deuxièmement, ceux qui ont opté pour un modèle concentré ; et troisièmement, ceux qui ont opté pour un modèle spécial » (cl. 36).

    Le contrôle abstrait porte sur une loi ou un règlement spécifique hors de toute référence à une affaire ou à une procédure particulière. Le contrôle est concret quand il s’agit d’une requête émanant d’un individu personnellement affecté. Le système est diffus quand le contrôle constitutionnel est exercé par des juges ordinaires de manière fortuite à un stade quelconque de la procédure ordinaire par un juge ordinaire :

    « Dans un système concentré, c’est à un tribunal distinct – généralement placé hors du système judiciaire ordinaire – que revient le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des actes normatifs. Le contrôle de constitutionnalité dans un tel système est effectué par une Cour constitutionnelle ou une Cour suprême unique qui, en plus de ses compétences ordinaires en matière d’appel, dispose de cette prérogative. L’accès à ce contrôle peut être direct ou indirect. Dans le premier cas, le contrôle revêt la forme d’une procédure ordinaire. Le juge (ordinaire) saisi suspend la procédure dès qu’une question de constitutionnalité est soulevée, puis adresse une demande préjudicielle à la Cour constitutionnelle en vue de trancher la question. En cas d’accès direct, l’individu concerné peut s’adresser directement à la Cour constitutionnelle, après avoir généralement épuisé les voies de recours interne. Le modèle concentré présente deux grands avantages : i) une plus grande unité de juridiction et ii) une sécurité juridique, dans la mesure où il empêche que des décisions divergentes soient adoptées sur des questions de constitutionnalité, ce qui rendrait l’application de l’acte ou de la norme concernée incertaine » (cl. 35).

    L’exception d’inconstitutionnalité est la procédure par laquelle des parties à un procès disposent devant le juge ordinaire d’un recours procédural lorsqu’elles nourrissent des doutes concernant la constitutionnalité d’un texte de loi censé être appliqué à leur affaire. Dans ce cas, le juge est tenu de l’examiner et de motiver tout refus éventuel de soumettre la question à la Cour constitutionnelle. Les expressions « exception d’inconstitutionnalité » et « question préjudicielle » évoquent le même concept, celui du renvoi de la question d’inconstitutionnalité, soulevée lors d’un procès devant un juge ordinaire, à la Cour constitutionnelle. L’exception d’inconstitutionnalité peut être soulevée par les parties, ou par le juge ordinaire lui-même. Ce dernier peut ou doit alors, généralement après une décision motivée, renvoyer la question de constitutionnalité à la Cour constitutionnelle, seule compétente en matière de contrôle de constitutionnalité des lois.

    À la lecture des réponses fournies à une enquête internationale de l’ACCPUF on relève que certaines cours suprêmes ont la faculté de saisir la Cour constitutionnelle et d’autres en ont l’obligation [13].

    Quant à la plainte constitutionnelle, elle consiste en un recours ouvert à toute personne qui estime que ses droits constitutionnels ont été violés, généralement les droits et libertés fondamentaux. Elle est subordonnée à l’épuisement des voies de recours internes, notamment devant la (les) cour(s) suprême(s).

    Le recours, sous ces conditions, est notamment possible devant les juridictions constitutionnelles de l’Albanie, du gabon, de la guinée équatoriale (qui prévoit la possibilité du recours d’amparo), de l’Île Maurice, de la Slovénie (le dépôt d’un recours devant la Cour constitutionnelle est subordonné à l’épuisement de toutes les voies de recours devant les tribunaux ordinaires, et aussi devant la Cour suprême, si une telle procédure est prévue. Avant épuisement des voies de recours, la Cour constitutionnelle peut exceptionnellement se prononcer sur le recours constitutionnel si la violation alléguée est évidente et si l’exécution d’un acte individuel entraîne des conséquences irréparables pour l’auteur du recours) et de la Suisse (le recours devant la juridiction constitutionnelle est subordonné à l’épuisement des voies de droits cantonales et fédérales) [14].

    L’ouverture du droit de saisine individuel, direct ou indirect, à la justice constitutionnelle dans des pays arabes, et plus généralement dans les pays en transition démocratique, ébranle un lourd édifice de lois incompatibles avec les conventions internationales des droits de l’homme et avec les préambules et dispositions formelles de constitutions de ces pays. Dans le cas du Liban, la soumission de la formation des syndicats au régime de permis et non du récépissé, l’interdiction à la mère de transmettre sa nationalité à ses enfants, des restrictions en matière d’héritage en cas de différence de religion et de communauté, des empiètements du religieux sur le civil en matière de statut personnel…, risquent d’être contestés par la justice constitutionnelle. on comprend donc les exigences d’ouverture et aussi les réticences.

    Au yémen, le recours devant la Haute Cour est reconnu par voie d’exception (art. 19) [15]. En Libye, le recours par voie d’exception est aussi reconnu.

    En Égypte, le recours par voie d’exception est reconnu, sous réserve que le tribunal juge la contestation fondée (jaddî) [16]. Au Koweït, le recours par voie

    d’exception est reconnu sous condition que la requête soit jugée sérieuse (jaddî). Au Sud-Soudan, selon la Constitution provisoire, la Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur le recours de toute personne qui se considère lésée dans ses droits par un acte du Président de la République, du Conseil des ministres, du ministre fédéral ou d’un gouvernant, sous réserve que les autres voies de recours aient été épuisées [17]. À Bahreïn, le recours par voie d’exception est reconnu, sous condition que la requête soit considérée sérieuse (jaddî) [18]. Au Maroc, le recours en matière de contentieux électoral est ouvert aux candidats et aux électeurs dans la circonscription [19]. En tunisie, pas de recours individuel [20]. En jordanie, la Haute Cour (loi n° 12/1992 amendée en 2000) statue sur tout recours présenté par les individus pour un préjudice personnel [21]. En Mauritanie, en vertu de l’article 33 du statut du Conseil constitutionnel, toute personne inscrite sur les listes électorales et les candidats de la circonscription peuvent saisir le Conseil pour l’invalidation de l’élection, et cela dans un délai de dix jours à partir de la proclamation des résultats [22].

    La loi n° 3/2006 de la Haute Cour constitutionnelle palestinienne stipule :

    « 3. Si les plaignants au cours d’un procès devant un tribunal ou un organe exerçant une compétence judiciaire soulève l’inconstitutionnalité d’une loi, d’un décret, d’une disposition, régime ou décision, et si le tribunal ou l’organe estime que la requête est sérieuse, il ajourne la procédure du jugement et fixe à celui qui soulève l’exception un délai ne dépassant pas quatre-vingt dix jours pour saisir la Haute Cour constitutionnelle, et si cette Haute Cour n’est pas saisie, le recours par voie d’exception est considéré non avenu ».

    Quel est le critère du « sérieux » de la requête ? Dans le cas de l’Égypte, la jurisprudence considère que la requête est sérieuse à deux conditions : que le jugement dans son volet constitutionnel soit lié (lâziman) au jugement dans le litige, et qu’il y ait un doute (shak) sur les textes incriminés dans le sens qu’il puisse y avoir possibilité de divergence sur l’interprétation [23].

    Au Soudan, l’article 58 de la Constitution de 1973 stipule :

    « Toute personne lésée par une disposition légale émanant de toute autorité ayant une compétence de légifération a le droit d’intenter une action devant la Haute Cour en vue de l’invalidation pour motif d’atteinte aux libertés et aux droits garantis par la Constitution. »
    Le yémen est allé dans le même sens par l’amendement de 1994, repris par l’amendement approuvé par référendum en 2001 [24].

    Tableau 1 – La saisine de la justice constitutionnelle dans quelques pays arabes

    Organe Fondement Requérents Type de recours Procédure Informations additionnelles
    Cour constitutionnelle égyptienne Article 175 de la Constitution de 1975 Personnes morales, privées ou même publiques et
    des étrangers
    Le juge ordinaire peut, à l’occasion d’un litige,
    saisir lui-même la Haute Cour constitutionnelle d’une ordonnance de renvoi s’il doute de la constitutionnalité du texte qu’il est amené à appliquer, soit autoriser l’une des parties à déposer une exception d’inconstitutionnalité devant la Haute Cour, s’il estime qu’il y a des raisons sérieuses de douter de la conformité à la Constitution des dispositions attaquées par le requérant.
    Contrôle a posteriori, pas de recours possible pour les citoyens durant un procès.
    La Haute Cour constitutionnelle exigera toutefois de ce dernier qu’il ait un intérêt direct et personnel à la cause, ce qui exclut les requêtes en
    hisba, fondées sur la défense de l’ordre public.
    Les droits des parties sont respectés tout au long de la procédure.
    Le principe du contradictoire s’applique à l’étape de l’instruction puis du jugement
    La Haute Cour consti- tutionnelle a ouvert son prétoire de façon assez large, s’estimant
    compétente pour juger de recours présentés par des personnes morales, privées ou même publiques.
    Elle a également jugé recevables des exceptions d’inconstitutionnalité introduite par des étran- gers, permettant ainsi à de nombreuses victimes des nationalisations de l’époque nassérienne
    d’obtenir la reconnaissance de l’inconstitutionnalité
    de décrets-lois les ayant expropriés de leurs biens. Contrairement
    à ce que prétendait le gouvernement, elle a estimé que, sauf mention explicite, les droits garantis par la Constitution ne
    sont pas limités aux seuls citoyens égyptiens, mais s’étendent également aux
    non-ressortissants.
    Conseil constitutionnel algérien Articles 163 à 169 de la
    Constitution de 1999 révisée
    en 2008
    Le Conseil constitutionnel est saisi par le Président de
    la République, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et ou le Président du Conseil de la Nation
    Contrôle a posteriori, pas de recours possible pour les citoyens durant un procès. Le Conseil consti- tutionnel délibère à huis clos ; son avis ou sa décision sont donnés dans les
    20 jours qui suivent la date de sa saisine. Lorsque le Conseil constitutionnel juge qu’une disposition législative ou réglementaire est inconstitutionnelle, celle-ci perd tout effet du jour de la
    décision du Conseil.
    Haute Cour constitutionnelle syrienne Article 140 à 149 de la
    Constitution de 1973 révisée
    le 26 février
    2012
    tout possesseur de la nationalité syrienne Si l’une des parties, au cours de l’examen d’une affaire, soulève l’inconstitutionnalité de la norme juridique
    appliquée par le tribunal dont il est interjeté appel de l’arrêt, et si le tribunal qui examine l’appel trouve le moyen sérieux et important, il suspend l’affaire et la renvoie à la Haute Cour
    constitutionnelle.
    La Haute Cour constitutionnelle statue sur le recours dans les 30 jours de son enregistrement. une interprétation de la Constitution syrienne indique que les étrangers ne peuvent s’attendre à un procès équitable et que
    l’application de la loi favo- risera toujours les citoyens syriens.
    Conseil constitutionnel de la République islamique
    de Mauritanie
    Articles 81 à 88 de la Constitution de 1991 Le Président de la République, le Premier ministre, le Président
    du Sénat, le Président de l’Assemblée Nationale, 1/3 des séna- teurs ou 1/3
    des députés
    Contrôle a priori avant la promulgation des lois ordinaires et des lois organiques et avant la mise en application des règlements des assem- blées parlementaires. Les délais sont de deux sortes : 8 jours quand il y a urgence et un mois s’il n’y a pas urgence.

    Source : tableau établi sous notre direction par Daniella Fayad, doctorante à l’Institut de science politique, université Saint-joseph, Liban, juin 2012.

    Tableau 2 – Modalité de contrôle de constitutionnalité

    Système de contrôle diffus Système de contrôle concentré Modèle spécial
    Danemark Albanie Brésil
    Finlande Algérie Chili
    Islande Allemagne Pérou
    Norvège Andorre
    Suède Arménie
    Argentine Autriche
    Canada Azerbaïjan
    Chypre Belarus
    Estonie Belgique
    Grèce Corée du Sud
    Irlande Croatie
    Japon Espagne
    Malte Ex République Yougoslave de Macédoine
    Mexique France
    Monaco Géorgie
    Portugal Hongrie
    Saint-Marin Italie
    Afrique du Sud Liechtenstein
    Suisse Lettonie
    Etats-Unis Littuanie
    Luxembourg
    Moldova
    Monténégro
    Pologne
    République Tchéque
    Roumanie
    Russie
    Serbie
    Slovaquie
    Slovénie
    Turquie
    Ukraine

    Source : tableau établi à partir des données du Rapport de la Commission de Venise, op. cit., p. 14-15.

    La question de l’intérêt dans les cas de recours individuel par voie d’exception soulève peu de controverse. S’agit-il d’un intérêt personnel, direct et continu (shakhsiyya, mubâshara, mustamirra) ? on relève :

    « La condition de l’intérêt dans toute requête ou recours par voie d’exception devant la Haute Cour constitutionnelle trouve son fondement dans le code de procédure, du fait qu’il s’agit d’un principe général qui n’exige pas une disposition spécifique. »

    Aussi le législateur égyptien n’a pas expressément souligné l’exigence d’un intérêt personnel, direct et continu.

    Au yémen le département constitutionnel de la Haute Cour a eu à trancher la condition de l’intérêt sur une affaire relative à l’autorité locale (Décision n° 1/2000 du 2 octobre 2001, Journal officiel, n° 19, vol. 1, oct. 2001).

    Au Koweït, en cas de reconnaissance du « sérieux » de la requête d’inconstitutionnalité devant un tribunal, le requérant, à la différence du cas en Égypte, ne dispose pas d’un délai pour la présentation d’un recours devant la justice constitutionnelle, mais c’est le tribunal lui-même qui transmet la requête à la justice constitutionnelle [25].

    Au Koweït, le recours par voie d’exception est reconnu, sous réserve de l’appréciation par le tribunal que la requête est « sérieuse » (jaddî). Le tribunal peut aussi saisir de lui-même la Cour constitutionnelle. une commission de la Cour appelée « Commission d’examen des recours en invalidation », comprenant le président et les deux plus anciens conseillers, tranche les recours présentés par des individus qui estiment que le refus de leur requête par le tribunal est injustifié. Le plus souvent, la Cour a validé la décision du tribunal inférieur. En tout cas, la Cour n’a tranché en trente ans qu’un nombre limité de recours [26].

    L’article 146 du projet de Constitution syrienne dispose :

    « La Haute Cour constitutionnelle est compétente pour :

    1. Le contrôle de la constitutionnalité des lois, décrets et règlements,

    2. L’avis, sur requête du président de la République, sur la constitutionnalité des projets de lois et de décrets-lois et sur la légalité des projets de décrets.

    3. La surveillance de l’élection du président de la République et des procédures y relatives.

    4. Le jugement des recours en invalidation relatives à l’élection du président de la République et des membres de l’Assemblée du peuple.

    5. Le jugement du président de la République pour haute trahison.

    6. La loi déterminera les autres compétences. »

    L’article 147, alinéa 2a, prévoit l’exception d’inconstitutionnalité :

    « Si un des plaignants soulève l’exception d’inconstitutionnalité appliquée par le tribunal dans son jugement et si le tribunal saisi de la requête estime que la requête est sérieuse et nécessaire au jugement, il sursoit au jugement et transmet la demande à la Haute Cour constitutionnelle.

    La Haute Cour constitutionnelle doit prendre sa décision dans un délai de 30 jours à partir de la date d’enregistrement de la requête. » [27]

    Aux Émirats arabes unis, pas de recours individuel possible devant la Haute Cour fédérale [28].

    Quelles sont les conditions de forme et les critères de filtrage que préconise la Commission de Venise pour éviter la surcharge des tribunaux et pour ne pas encourager les recours abusifs ?

    1. La procédure doit être engagée dans un certain délai, avec la possibilité de prolonger ledit délai.

    2. Une aide juridictionnelle gratuite devrait être consentie en cas de nécessité.

    3. Les frais de justice devraient être calculés de manière à dissuader les requêtes abusives et à tenir compte de la situation financière du requérant.

    4. Les décisions rendues par la Cour constitutionnelle sont définitives et il ne devrait être possible de rouvrir une affaire que dans les circonstances très exceptionnelles, telle qu’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme.

    5. L’épuisement des voies de recours est nécessaire dans les pays dotés d’un système de contrôle de constitutionnalité concentré, de manière à ne pas surcharger la Cour constitutionnelle.

    6. Il conviendrait de veiller à ce que le recours offert permette de faire droit à la plainte du requérant, en prévoyant, par exemple, une procédure accélérée lorsque l’affaire « traîne » depuis très longtemps [29].

    3. l’effectivité du recours individuel

    La protection de l’ordre constitutionnel, envisagé sous l’angle de l’effectivité, inclut à la fois les institutions et les individus. Cette effectivité dépend de considérations à la fois juridiques et culturelles, à savoir la capacité et la volonté des juges ordinaires d’identifier des actes normatifs potentiellement inconstitutionnels et de soumettre des questions préjudicielles à la Cour consti tutionnelle et, aussi, dans une moindre mesure, de la volonté des particuliers d’utiliser la procédure [30].

    1. Qui a le droit de contester et quelles sont les affaires contestables ?

    L’actio popularis implique que chaque personne a le droit de contester un acte normatif après sa promulgation, sans avoir besoin de prouver qu’elle est en même temps directement affectée par cet acte. Cette procédure est consi dérée par Hans Kelsen comme la garantie la plus large d’un contrôle complet de constitutionnalité. Dans nombre de pays (Allemagne, Bulgarie, Hongrie, Italie, Luxembourg, Malte, République tchèque, Russie, Slovaquie, Slovénie, turquie…), les juges ordinaires ne peuvent poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle que s’ils sont convaincus de l’inconstitutionna lité d’un acte normatif et de l’inexistence d’une interprétation qui permettrait l’application constitutionnelle de la loi en question. La Commission de Venise considère que « en l’absence d’accès individuel direct aux Cours constitution nelles, limiter les questions préjudicielles aux circonstances dans lesquelles un juge ordinaire est convaincu de l’inconstitutionnalité d’une disposition constituerait une condition trop exigeante ; un sérieux doute devrait suffire » [31].

    Les tribunaux disposent-ils d’un pouvoir discrétionnaire pour décider s’il convient ou pas de soumettre à la Cour constitutionnelle une exception d’inconstitutionnalité soulevée par l’une des parties à une procédure ordi naire ? Dans nombre de pays (Algérie, Andorre, Arménie, Belgique, Bélarus, Espagne, France, Hongrie, Italie, Luxembourg, Malte, Pologne, Roumanie, Slovaquie, turquie, ukraine…), la décision du juge ordinaire de ne pas poser une question préjudicielle, malgré une demande en ce sens d’une partie au procès, souligne l’autonomie de ce magistrat, même si son refus doit être motivé. En France, depuis l’entrée en vigueur en 2010 de la réforme introdui sant la question prioritaire de constitutionnalité, les juges ordinaires peuvent poser une telle question au Conseil constitutionnel uniquement s’ils nour rissent de sérieux doutes sur la constitutionnalité [32].

    2. Quelles sont les limitations destinées à améliorer la qualité des questions ?

    Dans certains pays, seules les juridictions supérieures sont autorisées à poser des questions préjudicielles (Autriche, Azerbaïdjan, Bélarus, Bulgarie, grèce, Lettonie, Moldavie…). À Chypre, seuls les tribunaux compétents en matière de droit de la famille peuvent poser des questions préjudicielles.

    Par une loi du 27 juin 1988, le Congrès américain a fait de la requête en certio­ rari la procédure de droit commun pour saisir la Cour suprême d’une affaire en appel. Il s’agit d’une requête introductive d’instance qui énumère et développe en une dizaine de pages les raisons pour lesquelles, de l’avis de l’appelant, la décision rendue par la juridiction inférieure soulève des problèmes juridiquement si importants et pertinents sur le plan fédéral que la Cour suprême doit se prononcer sur eux et rejuger l’affaire au fond. Selon une pratique bien établie, le writ n’est octroyé que si au moins quatre juges votent en sa faveur (rule of four). La Cour suprême, saisie de près de 7 500 recours par an, fait grand usage du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose, si l’on en juge par la parcimonie avec laquelle elle accueille les requêtes en certiorari qui lui sont présentées. Alors que de 1971 à 1988, la Cour suprême jugeait une moyenne de 147 affaires par an, dès 1989 le nombre des décisions tomba à 132 [33].

    À quel niveau accorder le droit de recours ? La Commission de Venise écrit, en conclusion de son analyse :

    « Du point de vue de la protection des droits de l’homme, il est plus opportun et plus efficace d’accorder à tous les niveaux de juridiction un accès à la Cour constitutionnelle [34]. »

    Dans certains pays, le ministère public a accès à la Cour constitutionnelle (Arménie, Azerbaïdjan, Bulgarie). La Commission de Venise, qui considère que « les ombudsmans sont, dans la société démocratique, des éléments garantissant le respect des droits individuels » estime « souhaitable de prévoir dans le mandat de l’ombudsman ou du défenseur des droits de l’homme la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle de l’État pour qu’elle rende un jugement de principe sur les questions concernant la constitutionnalité de lois, de règlements ou d’actes administratifs généraux qui soulèvent des questions liées aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales » [35].

    3. Quelles sont les exigences de délai ?

    Introduire le recours individuel implique de ne pas prolonger excessivement la durée totale de la procédure. Aussi la Cour doit-elle avoir la capacité et les ressources pour traiter efficacement le volume de travail supplémentaire. Nombre de considérations permettent d’éviter les recours dilatoires [36]. Des exigences de délais sont impératifs pour le respect du principe de la sécurité juridique. On considère aussi que « les parties sont dans l’obligation d’exercer leurs droits procéduraux de bonne foi » [37].

    4. Quels sont les effets de la décision d’inconstitutionnalité ?

    Pour surmonter le problème de la non-application de ses décisions, la Cour constitutionnelle italienne a élaboré le concept de « diritto vivente » (droit vivant). toute loi ayant été constamment interprétée de manière inconstitutionnelle est annulée et renvoyée au Parlement, lequel est invité à adopter une nouvelle loi censée ne pas pouvoir être interprétée de manière inconstitutionnelle.

    L’effet de la décision est inter partes ou erga omnes. Il est ex nunc lorsque la validité s’applique dès le moment où la décision a été adoptée, ou ex tunc lorsque l’acte est déclaré nul à partir du moment même de son adoption.

    La doctrine de la « nullité » (Nichtigkeitslehre) s’oppose à celle de « l’invalidité » (Vernichtbarkeitslehre). Cette opposition crée un dilemme, puisqu’il faut choisir entre la cohérence doctrinaire (l’acte inconstitutionnel est considéré comme n’ayant jamais fait partie de l’ordre juridique) et la sécurité juridique (les actes commis sur la base de la disposition contestée avant l’entrée en vigueur de la décision de la Cour constitutionnelle restent valides). Aucun des pays ayant fait l’objet de l’enquête de la Commission de Venise n’a opté pour la première solution sans laisser une certaine marge de manœuvre à la Cour constitutionnelle, dans la mesure où l’annulation d’un acte normatif important, ayant servi de fondement à de nombreux actes individuels, pourrait avoir des conséquences importantes.

    Les effets ex tunc et ex nunc des décisions doivent parfois être atténués. L’une des options consiste à permettre à la Cour constitutionnelle de décider du moment où sa décision entre en vigueur. L’autre possibilité consiste à recourir à des techniques d’interprétation combinant à la fois une protection adéquate de la Constitution et une cohérence de l’ordre juridique, dans la mesure où l’ensemble des dispositions n’est pas immédiatement retiré de l’ordre juridique. En Afrique du Sud, tout tribunal déclarant un acte normatif invalide,

    en invoquant sa non-conformité à la Constitution, peut rendre une ordonnance précisant l’étendue de son effet rétroactif [38].

    La plupart des cours constitutionnelles n’ont pas la capacité d’accorder des dommages et intérêts à un particulier dont les droits ont été violés par un acte individuel ou normatif. Cependant, il est fréquent que la décision de la Cour constitutionnelle entraîne la réouverture d’un dossier auquel cas une juridiction inférieure ordinaire peut alors décider d’accorder un dédommagement conformément aux règles procédurales applicables.

    5. quels filtrages pour éviter les risques d’engorgement ?

    Tous les mécanismes de filtrage visent à réduire la charge de travail de la Cour constitutionnelle. En France, deux niveaux de filtrage sont prévus : 1. tout juge ordinaire à la demande expresse d’une des parties à l’affaire, peut poser une question préjudicielle à la juridiction supérieure ; 2. Ladite juridiction peut poser la question au Conseil constitutionnel. Institué comme organe de filtrage des questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil d’État en France constitue aussi un organe de filtrage [39].

    C’est le recours d’amparo en Espagne qui constitue un cas pertinent sur les avantages et risques d’engorgement de la justice constitutionnelle. François Barque cite au début de son étude sur le recours d’amparo en Espagne cette maxime du philosophe Baltasar gracián : « L’orange, pressée avec zèle, donne un goût amer » (Naranja que mucho se estruja llega a dar lo amargo). En 1981, le nombre des recours, qui était de 218, est passé à 1 665 en 1987. L’ascension ne s’est pas arrêtée. En 1990, le nombre de recours d’amparo formés devant le tribunal a atteint 2893, 5 582 en 1999, 6 762 en 2000, puis 7 285 en 2002, et 9 476 en 2005, soit une progression de près de 4 247 % sur vingt années. La Haute juridiction se trouve conduite à consacrer près de 98 % de son temps au traitement des demandes d’amparo. François Barque écrit :

    « La crise rencontrée par le recours d’amparo est profonde en ce qu’elle remet en question sa nature même. or, en déchargeant le tribunal constitutionnel de la protection subjective directe des droits fondamentaux, l’objectivation de ce recours s’annonce comme une solution remarquable. (…)

    « Il ne faut pas se le cacher, la proposition d’objectivation totale de l’amparo, en faisant disparaître sa dimension subjective, entraînerait assurément un important changement de la nature de ce recours, à son repositionnement au sein des différentes missions imparties au tribunal.

    « L’objectivation totale de l’amparo est une solution susceptible d’offrir des résultats indéniables. Elle s’avère, pourtant, institutionnellement risquée. une réforme qui aboutirait à son entière objectivation méconnaîtrait l’attachement des citoyens à pouvoir saisir le juge constitutionnel aux fins d’obtenir de lui une protection subjective, un amparo. Il ne saurait pourtant être question d’abandonner cette idée, très prometteuse par certains côtés. Elle mériterait alors d’être adaptée pour prendre en compte la légitimité démocratique acquise au fil des années par ce recours constitutionnel. À côté d’une objectivation totale, peu opportune, l’idée d’un renforcement de la dimension objective de l’amparo doit être défendue.

    « Dans ces conditions, l’article 50 alinéa 1-b) du projet de loi organique propose alors la réforme suivante :

    « le recours d’amparo doit faire l’objet d’une décision d’admission (…) lorsque seront remplies les conditions suivantes : (…) que le contenu de la requête justifie une décision sur le fond en raison de son importance constitutionnelle particulière, qui s’appréciera en fonction de son utilité pour l’interprétation de la Constitution, pour son application ou son efficacité générale, et pour la détermination du contenu et de la portée des droits fondamentaux. » [40].

    6. Comment éviter la compénétration des compétences entre cours constitutionnelles et tribunaux ordinaires ?

    Ce sont les tribunaux ordinaires qui sont en première ligne et appliquent tous les jours les lois ordinaires et constitutionnelles. Ils sont les premiers à détecter les cas dans lesquels l’application d’une loi soulève un problème constitutionnel. Différents modèles permettent de délimiter les compétences respectives et l’appréciation sociale de la Cour constitutionnelle et des tribunaux ordinaires. Ces modèles ont des répercussions sur les relations entre juridictions. Plusieurs séries de problèmes affectent les relations entre les tribunaux ordinaires et la Cour constitutionnelle. Dans quelle mesure les cours constitutionnelles empiètent-elles sur la juridiction des tribunaux ordinaires ? La Cour constitutionnelle tient-elle compte des interprétations des tribunaux ordinaires ? Et les tribunaux ordinaires appliquent-ils les décisions et les raisonnements de la Cour constitutionnelle [41] ? Les compétences de la Cour constitutionnelle et les effets de ses décisions soulèvent des questions concernant la relation entre ces juridictions et les juridictions ordinaires, dans la mesure où ces dernières sont chargées d’appliquer les lois tout en respectant la primauté de la Constitution.

    La Commission de Venise écrit :

    « Certaines Cours constitutionnelles ayant appliqué l’examen des recours constitutionnels se sont heurtées au problème de l’interférence avec des juri- dictions ordinaires. La possibilité d’examen des décisions des juridictions ordinaires peut créer des tensions, voire des conflits entre ces juridictions et la Cour constitutionnelle. Il semble donc nécessaire d’éviter une solution qui envisagerait de faire de la Cour constitutionnelle une « super Cour suprême ». Sa relation avec les cours supérieures « ordinaires » (Cour de cassation) doit être déterminée clairement. La Cour constitutionnelle ne devrait intervenir que dans les « domaines constitutionnels » en laissant le soin aux juridictions générales d’interpréter les lois ordinaires. L’identification des domaines consti- tutionnels peut, cependant, s’avérer difficile concernant le droit à un procès équitable puisque tout vice de procédure commis en la matière par un tribunal ordinaire peut être perçu comme une violation dudit droit. La Cour constitu- tionnelle devrait donc faire preuve d’une certaine retenue en la matière, à la fois pour s’épargner une surcharge de travail et également par respect pour les compétences des tribunaux ordinaires [42]. »

    Dans la grille d’analyse proposée aux rapporteurs de la XXe table ronde internationale organisée par le groupe d’études et de recherches sur la justice constitutionnelle, Centre Louis Favoreu, figure le problème de « l’harmonisa- tion des compétences » :

    « III. Pour une nécessaire remise en ordre

    L’harmonisation des compétences

    Les Cours constitutionnelles et la Cour européenne des droits de l’homme doivent-elles se concentrer sur des questions de principe en matière de droits fondamentaux ?

    La justice communautaire doit-elle prendre en charge les droits fondamentaux ?

    Quel rôle pour les juges ordinaires dans l’application des droits fondamentaux ?

    La nécessaire identification d’un “chef d’orchestre” [43]. »

    7. Quelle efficience dans les décisions ?

    Dans plusieurs pays arabes où le recours par voie d’exception est adopté, la garantie effective n’est pas pour autant assurée tant que le recours ne se situe pas dans le contexte d’une magistrature indépendante du pouvoir politique. Aux États-unis, c’est la célèbre affaire Dred Scott v. Sandford du 6 mars 1857 à propos de la requête d’un noir devant la Cour suprême relativement à l’esclavage qui montre tout l’avantage du recours individuel [44].

    Au Maroc, le Conseil constitutionnel a invalidé par sa décision n° 795/10 du 28 avril 2010 l’élection d’un élu suite à deux recours présentés par deux électeurs qui avaient été privés de leur droit d’être candidats de la circonscription [45]. En Égypte, nombre de décisions de la Cour constitutionnelle montrent l’effectivité du recours par voie d’exception pour la protection du principe d’égalité et de non-discrimination, le droit de la défense, la primauté de la loi et l’indépendance de la magistrature [46].

    4. Vers le recours associatif

    La reconnaissance du droit de saisine aux associations, syndicats et organisations professionnelles, surtout dans une société multicommunautaire, favorise tout autant l’efficience de la société civile, la représentativité des organisations, l’existence de contrepoids face aux risques de partitocratie, et la protection des droits fondamentaux politiques et socio-économiques.

    L’ensemble des droits peuvent en effet être classifiés suivant les champs que couvrent les organisations. Pour éviter des recours abusifs et l’engorgement éventuel de la justice constitutionnelle, des conditions pourraient être envisagées, dont l’obligation que la saisine soit opérée par l’organisation requérante et un nombre fort limité de deux ou trois parlementaires, condition qui favorise l’une des trois fonctions des parlementaires, à savoir la légifération, le contrôle de l’exécutif, et la médiation en faveur des électeurs pour la défense des droits fondamentaux. Le parlementarisme conventionnel risque d’être affaibli par des compromissions interélites, évitant ainsi les recours institutionnels à la justice constitutionnelle. Les rapports entre majorité et minorité, surtout dans une société multicommunautaire, se structurent dans des enjeux de pouvoir et de bargaining, sans considération aux exigences de légalité [47].

    En perspective historique, la reconnaissance des droits politiques et socioéconomiques a été le plus souvent le fruit d’un combat mené par des organisations de la société civile pour faire pression sur les deux pouvoirs législatif et exécutif. or, autrefois, les quatre pouvoirs, ceux de la politique, du capital, de l’intelligentsia et des médias, étaient distincts, ce qui favorisait à la fois l’autonomie de chaque pouvoir et sa capacité de contrôle. Mais, aujourd’hui, ces quatre pouvoirs sont le plus souvent concentrés en un bloc compact où des politiciens accèdent au pouvoir par le canal du capital, détiennent des chaînes médiatiques, et recrutent des universitaires et chercheurs en tant qu’experts et consultants. Ces quatre pôles se concentrent en un bloc sous des apparences de diversité des fonctions. Les mécanismes de la légitimité et de la séparation des pouvoirs risquent ainsi de devenir formels à défaut d’un cinquième pouvoir qui est celui de citoyens vigilants, lucides et actifs.

    C’est dans des démocraties en transition ou menacées qu’il faut instituer des mécanismes de recours directs ou indirects des citoyens à la justice constitutionnelle, afin d’épurer tout un arsenal juridique de lois inconstitutionnelles non contrôlées et en violation de droits fondamentaux pourtant reconnus formellement dans les Constitutions mêmes de ces pays. Ludovic Hennebel écrit :

    « Revenant aux fondamentaux, il faut rappeler que le titulaire est en principe l’individu, sujet des droits de l’homme. La notion d’individu est elle-même ambiguë. Dérive-t-il du socle social, et en est-il l’objet, ou en est-il l’origine, donc le sujet ? (…) l’homme des droits de l’homme ne s’appréhende pas facilement [48]. »

    Dans le recours individuel à outrance, il y a le risque d’invidualisation du droit, alors que dans le refus absolu de toute saisine individuelle ou associative, il y le risque d’étatisation du droit. Tout l’apport de la justice constitutionnelle aujourd’hui réside dans l’harmonisation entre les droits de l’individu et les exigences du lien social, l’ordre public, l’intérêt général…, notions qui ne sont pas synonymes, mais qui émanent du souci non seulement de liberté et d’égalité, mais aussi de fraternité.

    La démarche citoyenne a été adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme et par nombre de législations nationales, notamment à travers la question prioritaire de constitutionnalité dans le cas de la France. Dans des démocraties non consolidées, en transition ou menacées, l’émergence d’un cinquième pouvoir, celui des citoyens et de la société civile, exige la reconnaissance du droit de recours, sinon individuel, du moins associatif à la justice constitutionnelle. Autant donc il importe d’individualiser des procédures de

    saisine de la justice constitutionnelle, autant il est utile d’associativiser des procédures de saisine parce que la fonction fondamentale de la vie associative est la défense et la promotion des droits et de leur accessibilité.

    Quand on pense aujourd’hui à individualiser des procédures de saisine de la justice constitutionnelle pour la défense des droits fondamentaux, et donc à ne pas restreindre la saisine aux acteurs institutionnels, il est utile d’introduire une perspective associative dans un monde globalisé où le lien social risque cependant de se diluer [49]. La modernisation en effet, loin d’être un moule qui intègre et assimile, développe les identités individuelles et collectives tout en renforçant le besoin de solidarité. La problématique d’avenir de la mondialisation, problématique fondamentale du droit, réside dans la conciliation entre l’individualisme de plus en plus croissant et souvent sauvage et le lien social.

    Dans le recours associatif, il y a moins de risque d’instrumentalisation du droit pour des enjeux de pouvoir, car les associations jouissent en général de pratiques de proximité avec les problèmes quotidiens, ce qui contribue aussi à promouvoir la citoyenneté pragmatique face à l’aliénation. Il y a aussi l’avantage de réhabiliter la politique le plus souvent réduite à la polémique.

    Dans son rapport général au 2e Congrès de l’ACCPUF sur « L’accès au juge constitutionnel : Modalités et procédures », Louise Angué, juge à la Cour constitutionnelle du gabon, clarifie les deux notions d’« engorgement », et de production de la « norme » face à laquelle les réactions institutionnelles et citoyennes sont diversifiées :

    « L’objection majeure que l’on pourrait formuler contre ce système (de recours individuel) est qu’un tel élargissement favoriserait un grand afflux de saisines, et par conséquent, risquerait de provoquer un engorgement excessif des juridictions constitutionnelles. Ce qui, à brève échéance, ne manquerait pas de compromettre l’exercice de leur mission dans la mesure surtout où ces juridictions sont généralement tenues de statuer dans des délais très courts.

    « Mais les tenants de l’extension aux particuliers de l’accès au juge constitutionnel, dans le cadre du contrôle a priori, la justifient par le fait que les autorités publiques qui se retrouvent seules habilitées à engager le recours constitutionnel sont aussi celles-là mêmes qui procèdent à l’élaboration des normes à contrôler. Intervenant dans l’intérêt général, leurs motivations et leurs réactions ne peuvent évidemment pas être les mêmes que celles qui animeraient le particulier devant une norme portant atteinte à ses droits fondamentaux.

    « En outre, la nécessité d’assurer la protection des droits fondamentaux des individus demeure un impératif pour le juge constitutionnel, elle ne saurait donc faire l’objet d’un marchandage dans le simple souci de prévenir un surcroît de travail éventuel qui pourrait d’ailleurs trouver des allégements dans le cadre de l’organisation interne du fonctionnement de chaque juridiction constitutionnelle [50]. »

    Le Préambule de la Constitution libanaise, en vertu de l’amendement du 21 septembre 1990, tout en affirmant l’identité arabe du Liban, souligne la spécificité démocratique de cette identité dans l’alinéa (b) qui est parmi les plus explicites en perspective comparée :

    « b. Le Liban, pays d’identité et d’appartenance arabe, est membre fondateur et actif de la Ligue arabe dont il s’engage à respecter la Charte. Il est également membre fondateur et actif des Nations-unies dont il s’engage à respecter la Charte et la Déclaration des droits de l’homme. L’État incarne ces principes, dans tous les domaines sans exception. » (souligné par nous).

    L’étude de la genèse de cet alinéa montre qu’il ne s’agit pas d’une disposition simplement explicative ou superfétatoire [51].

    Bibliographie sélectionnée

    Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), Étude sur l’accès individuel à la justice constitutionnelle (adoptée par la Commission de Venise lors de sa 85e session plénière, Venise, 17-18/12/2010), 178 p., http : //www.venise.coe.int

    ACCPUF, Les Cours constitutionnelles face aux enjeux de la communication, Agence intergouvernementale de la francophonie, Bulletin n° 4, mai 2003, 230 p.

    ACCPUF, L’accès au juge constitutionnel : modalités et procédures. 2e Congrès de l’ACCPUF. Libreville – septembre 2000, 2000, 824 p., et notamment le rapport du Conseil constitutionnel du Liban, mars 2000, p. 319-324.

    « XXe table ronde internationale. Aix-en-Provence. 17-18 septembre 2004. justice constitutionnelle, justice ordinaire, justice supranationale : à qui revient la protection des droits fondamentaux en Europe ? », Annuaire international de justice constitutionnelle 2004, XX, Paris, Economica et Presses universitaires d’Aix-en-Provence, 2005, p. 123-422.

    « Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux. Nouveau bilan, 1981-1991 », IIIe Colloque international d’Aix-en-Provence, Rapport allemand, par Dietrich Katzenstein, Annuaire international de justice consti­tutionnelle, VII, 1991, p. 89-100, et surtout Partie I : « L’accès direct à la protection : techniques et résultats », avec les rapports allemand, autrichien, belge, espagnol, portugais, suisse, et débats, p. 89-171, et Partie II : « Les bénéficiaires ou titulaires des droits fondamentaux », p. 175-357

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    —, « L’accès du citoyen à la justice constitutionnelle : Mythe et réalité », Paris, l’Harmattan, janvier 2011, p. 385-397, version numérique pdf.

    *

    Le citoyen acteur dans la justice constitutionnelle.

    Le citoyen bénéficiaire de la justice constitutionnelle.

    Le citoyen en médiation avec la justice constitutionnelle. Les valeurs citoyennes dans la justice constitutionnelle.


    • [1]
      Membre du Conseil constitutionnel, Liban.
      Professeur à l’université Libanaise (1976-2010), Professeur à l’université Saint-joseph. Prix du Président Elias Hraoui : Le Pacte libanais, 2007.  [Retour au contenu]
    • [2]
      Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), Étude sur l’accès individuel à la justice constitutionnelle, Strasbourg, 27 janvier 2011, Étude n° 538/2009, 179 p., p. 10-11, disponible à : www.venice.coe.int. Les références à cette étude sont souvent rapportées dans la suite de notre texte avec la numérotation des clauses (cl.).  [Retour au contenu]
    • [3]
      Ibid., cl. 34.  [Retour au contenu]
    • [4]
      C. de Aranjo, Justice constitutionnelle et justices européennes des droits de l’homme. Étude comparée : France, Allemagne, Bruxelles, Bruylant, 2009, 444 p., p. 18-19.  [Retour au contenu]
    • [5]
      www.echr.coe.int  [Retour au contenu]
    • [6]
      P. Maystadt, « Le contrôle de la constitutionnalité en Suisse », in Actualité du contrôle juridictionnel des lois, Bruxelles, 1973, p. 171 et s.  [Retour au contenu]
    • [7]
      Commission de Venise, op. cit., p. 20.  [Retour au contenu]
    • [8]
      Jean-Pierre Camby, Le Conseil constitutionnel, juge électoral, Paris, Dalloz, 5e éd., p. 8-10.  [Retour au contenu]
    • [9]
      Dominique grandguillot, Le Défenseur des droits, Paris, Qualino, 2011, 48 p  [Retour au contenu]
    • [10]
      Les nouvelles frontières du droit, Dossier : Sciences humaines, n° 115, avril 2011.
      Ali Mezghani, L’État inachevé (La question du droit dans les pays arabes), Paris, gallimard, 2011, 352 p., notamment ch. 4 « Les avatars de l’étatisation du droit », p. 157-169.  [Retour au contenu]
    • [11]
      Perrine Preuvot, « L’amélioration de l’application des lois : un enjeu dans la relation Parlement-gouvernement », Revue du droit public, n° 1, janv.-fév. 2012, p. 39-65.
      L’auteur remercie Mme Rita Aouad Saadé, conservatrice de la Bibliothèque spécialisée du Conseil constitutionnel pour sa contribution à la documentation en vue de cette étude.  [Retour au contenu]
    • [12]
      Anne-Sophie Michon-traversac, La citoyenneté en droit public français, Paris, LgDj, 2009, 656 p., p. 154 et 166.  [Retour au contenu]
    • [13]
      ACCPUF – Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français, Les relations entre Cours constitutionnelles et Cours suprêmes. Étude comparative, Bulletin n° 3, Agence universitaire de la francophonie, mai 2003, 78 p., p. 19, et surtout tableaux p. 19-22.  [Retour au contenu]
    • [14]
      Ibid., p. 23.  [Retour au contenu]
    • [15]
      www.ysc.org.ye  [Retour au contenu]
    • [16]
      Hccourt.gov.eg  [Retour au contenu]
    • [17]
      www.uaccc.org  [Retour au contenu]
    • [18]
      www.alshafafeyabh.org Ar.wikisource.org uacc.org  [Retour au contenu]
    • [19]
      www.conseil-constitutionnel.ma  [Retour au contenu]
    • [20]
      ar.jurispedia.org www.uaccc.org  [Retour au contenu]
    • [21]
      www.cdfj.org  [Retour au contenu]
    • [22]
      www.seoudi-law.com  [Retour au contenu]
    • [23]
      Raed Saleh Ahmad Kandil, al­Raqâba ‘ala dustûriyyat al­qawânîn. Dirâsa muqârana (Le contrôle de constitutionnalité des lois. Étude comparée), Le Caire, Dar al-Nahda al-Ara-biyya, 2010, 266 p., p. 126.  [Retour au contenu]
    • [24]
      Abbas Muhammad Muhammad zeid, al­Raqâba ‘ala dustûriyyat al­qawânîn fî el­Yemen. Dirâsa muqârana (Le contrôle de constitutionnalité au Yémen. Étude comparative : Égypte, États-unis, Yémen), Le Caire, Dar al-Nahda al-Arabiyya, 2009, 654 p., p. 438-439, 466-469  [Retour au contenu]
    • [25]
      Mahmoud Subhi Ali al-Sayyid, al­Raqâba ‘alâ dustûriyyat al­lawa’ih. Dirâsa muqârana bayna Misr wa Faransa wal­l­kuwait (Le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs. Étude comparative : Égypte, France et Koweït, Le Caire, 2011, 822 p., p. 168-169.  [Retour au contenu]
    • [26]
      http://droit.30loum.org Eid Ahmad al-ghafloul, Fikrat al­nizâm al­âm al­dustûri (La notion d’ordre public constitutionnel), Le Caire, 2e éd., 2006, 206 p.  [Retour au contenu]
    • [27]
      Le nouveau projet de Constitution syrienne : http : //www.jamahirpress.com et www.jada liyya.com  [Retour au contenu]
    • [28]
      Interview in al­Bâyan avec Abdel Wahab al-‘Abdûl, président de la Haute Cour fédérale et président du Département constitutionnel, 29/05/2012 : www.egyday.com et www.kenanaonline. com ; Helnylawyers.maktoobblog.com  [Retour au contenu]
    • [29]
      Commission de Venise, op. cit., p. 5.  [Retour au contenu]
    • [30]
      Ibid., cl. 56.  [Retour au contenu]
    • [31]
      Ibid., cl. 216, en gras dans le texte.  [Retour au contenu]
    • [32]
      Ibid., cl. 217. Sur l’efficience des recours individuels d’électeurs devant le Conseil constitutionnel : Louis Favoreu, Loïc Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 14e éd., Paris, Dalloz, 2007, p. 21-23.  [Retour au contenu]
    • [33]
      Elisabeth zoller, Grands arrêts de la Cour suprême des États­Unis, Paris, PuF, 2000, p. 27-28.  [Retour au contenu]
    • [34]
      Commission de Venise, op. cit., cl. 62, en gras dans le texte.  [Retour au contenu]
    • [35]
      Cl. 106 et cl. 64, en gras dans le texte.  [Retour au contenu]
    • [36]
      Ibid., cl. 91 et 129.  [Retour au contenu]
    • [37]
      Ibid., cl. 118.  [Retour au contenu]
    • [38]
      Ibid., cl. 187 et 192.  [Retour au contenu]
    • [39]
      Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux (dir.), L’examen de la constitutionnalité de la loi par le Conseil d’État, Paris, Dalloz, 2011, 138 p.  [Retour au contenu]
    • [40]
      François Barque, « Plaidoyer en faveur de l’objectivation partielle du recours d’amparo en Espagne », Annuaire international de justice constitutionnelle 2006, XXII, Paris, Economica et Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2007, p. 39-59.  [Retour au contenu]
    • [41]
      Commission de Venise, op. cit., cl. 207, 208, 226.  [Retour au contenu]
    • [42]
      Ibid., cl. 211.  [Retour au contenu]
    • [43]
      « XXe table ronde internationale. Aix-en-Provence. 17-18 septembre 2004. justice constitutionnelle, justice ordinaire, justice supranationale : à qui revient la protection des droits fondamentaux en Europe ? », Annuaire international de justice constitutionnelle 2004, XX, Paris, Economica et Presses universitaires d’Aix-en-Provence, 2005, p. 123-422.  [Retour au contenu]
    • [44]
      Elisabeth zoller, op. cit., p. 209-225 et 237-255.  [Retour au contenu]
    • [45]
      http://www.conseil-constitutionnel.ma  [Retour au contenu]
    • [46]
      Usama Muhammad Saad Asûl, Asbâb al­ta’an bi­‘adam dustûriyyat al­madat 210/1 min qânûn al­ijrâ’ât al­janâ’iyat (Les motifs d’inconstitutionnalité de l’art. 1/210 du code de procédure pénale).  [Retour au contenu]
    • [47]
      Issam Sleiman, al­Anthima al­parlamaniyya bayna al­nathariya wa­l­tatbîq. Dirâsa muqârana (Les régimes parlementaires : théorie et applications. Étude comparative), Beyrouth, al-Halabi, 2010, 456 p.  [Retour au contenu]
    • [48]
      48. Ludovic Hennebel, « Classement et hiérarchisation des droits de l’homme », Annuaire international de justice constitutionnelle 2010, XXVI, Paris, Economica et Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2011, p. 423-435.  [Retour au contenu]
    • [49]
      Achille Weinberg, « Qu’est-ce qu’une société ? », Sciences humaines, n° 234, février 2012,
      150 notamment p. 54-59.  [Retour au contenu]
    • [50]
      Louise Angué, « Rapport général », in L’accès au juge constitutionnel: modalités et procédures. 2e Congrès de l’ACCPUF. Libreville – septembre 2000, 824 p., p. 692, et notamment le Rapport du Conseil constitutionnel du Liban, mars 2000, p. 319-324.  [Retour au contenu]
    • [51]
      Hussein Husseini, in Huqûq al­Nâs (an­Nahar), 10/12/1997 et commentaire de Edmond Rizk, 14/1/1998 et sa conférence le 5/11/2009 : « Vingt ans après l’Accord de taëf », ensemble de documents in A. Messarra, Genèse de l’Accord d’entente nationale de Taëf (22/10/1989 et 05/11/1989) et de la révision constitutionnelle (21/09/1990), Beyrouth, Fondation libanaise pour la paix civile permanente, série « Documents », n° 4, Librairie orientale, 2011, 525 p., p. 512-524.  [Retour au contenu]

    Le citoyen et la justice constitutionnelle

    Hermenegildo Gamito

    Président du Conseil constitutionnel du Mozambique

    I. Avant-propos
    1. Remerciements

    Le Conseil constitutionnel du Mozambique est une institution qui se trouve dans la phase de la jeunesse, raison pour laquelle il a besoin de se soumettre à un large processus d’apprentissage, au moyen d’interactions avec des institutions semblables qui, par leur longévité, possèdent plus de sagesse et d’expérience de travail.

    Nous avons ici la motivation principale de notre venue dans cette historique et merveilleuse ville de Marrakech, où nous avons le privilège de participer au 6e Congrès triennal de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français.

    Je profite de cette occasion pour remercier, en mon nom et au nom de ma délégation, les autorités et le peuple frère du Royaume du Maroc pour le gentil accueil dont nous avons bénéficié depuis notre arrivée.

    2. Contextualisation de la genèse de notre Conseil constitutionnel

    La première Constitution mozambicaine, qui fut appliquée entre le 25 juin 1975 et le 30 novembre 1990, a établi l’État de Démocratie Populaire, le système de parti unique et l’économie centralisée et planifiée. Elle ne prévoyait pas de moyens spécifiquement tournés vers le contrôle de la constitutionnalité de normes infra-constitutionnelles. une forme de contrôle diffus était pourtant confiée, d’un côté, aux organes politiques et administratifs, de l’autre côté, aux tribunaux judiciaires qui avaient au sommet de leur hiérarchie le tribunal Populaire Suprême.

    Dans le contexte et comme conséquence des changements imposés par la conjoncture nationale et internationale, la Constitution de la République de Mozambique a été approuvée. Elle est entrée en vigueur, en novembre 1990. La nouvelle Loi fondamentale a posé les fondements et légitimé la transition de l’État de Démocratie Populaire vers l’État de droit démocratique, du système mono vers le système de multipartisme et du régime de l’économie centralisée et planifiée vers le système de l’économie sociale de marché.

    Un des traits distinctifs de la Constitution de 1990, par rapport à la précédente, réside dans le fait qu’y ait consacrée expressément la valeur fondamentale et supra-légale de ses normes dans l’ordre juridique interne, comme le démontrent aussi bien la déclaration préliminaire (« le peuple mozambicain (…) adopte et proclame cette Constitution qui est la loi de base de toute organisation politique et sociale de la République de Mozambique ») que l’énoncé de l’article 200, selon lequel « les normes constitutionnelles prévalent sur toutes les autres normes du cadre juridique ».

    Dans ce contexte historique de l’évolution du système juridique et politique mozambicain, il apparait dans la Constitution de 1990 que le Conseil constitutionnel est intégré dans le groupe des organes de souveraineté de l’État et par conséquent se trouve défini en tant qu’« organe de compétence spécialisé dans le domaine des questions juridico-constitutionnelles ».

    À l’origine, l’étendue matérielle de la compétence du Conseil Constitutionnel comprenait, entre autres, les pouvoirs de : (I) apprécier et déclarer l’inconstitutionnalité et l’illégalité des actes législatifs et normatifs des organes de l’État ; (II) régler les conflits de compétence entre les organes de souveraineté ;

    (III) se prononcer sur la légalité des référendums; (IV) vérifier les exigences légales pour les candidatures à la Présidence de la République ; (V) apprécier en dernière instance les réclamations électorales ; et (VI) valider et rendre publique les résultats finaux des processus électoraux.

    Une vision d’ensemble des compétences originaires du Conseil constitutionnel nous permet de comprendre que sa création a été ab initio de répondre à la nécessité de consolider l’État de droit démocratique, encore émergeant dans le pays, d’une institution conçue ex professo pour résoudre, en accord avec des critères juridiques, plusieurs conflits pouvant émaner de l’application de normes constitutionnelles, qu’elles soient formelles ou matérielles, ayant comme fin ultime de garantir la prééminence de la Constitution dans l’ordre juridique interne.

    La volonté du constituant de 1990 est de développer et consolider le modèle de l’État de droit au Mozambique, garantissant par conséquent l’effectivité du principe de constitutionnalité des normes, et aussi, dans ses obligations constitutionnelles avec tous les autres tribunaux, un devoir absolu qui est celui d’écarter les lois ou principes contraires à la Constitution.

    Dans ces termes, nous pouvons conclure que la Constitution de 1990 a prévu un système mixte de contrôle de constitutionnalité, dans lequel la garantie de la constitutionnalité des normes constitue la fonction primordiale, mais non exclusive, du Conseil constitutionnel, appelant la participation des tribunaux qui, à leur tour, exercent le contrôle successif, concret et par voie accessoire de la conformité des lois avec la Constitution.

    Il est à noter que même si le Conseil constitutionnel a été établi, formellement, par la Constitution de 1990, son entrée en fonction ne s’est pas réalisée immédiatement. Les compétences qui les sont les siennes ont été exercées, de façon transitoire et en vertu de la Constitution, par le tribunal suprême jusqu’en novembre 2003, moment où la Loi organique sur le Conseil constitutionnel fut approuvée et mise en application, en vertu de laquelle a eu lieu la désignation des membres qui intégrèrent la première composition de l’organe.

    L’histoire du Conseil constitutionnel se développe, de cette façon, en deux phases consécutives et distinctes : la première, entre 1990 et 2003, moment où l’organe a eu une existence à peine formelle dans les textes de la Constitution ; et la deuxième, entre 2003 et aujourd’hui, avec une existence réelle, exerçant les compétences qui lui sont attribuées par la Loi fondamentale.

    3. évolution du Conseil constitutionnel

    En novembre prochain, le Conseil constitutionnel fêtera le neuvième anniversaire de son entrée en fonction. Pendant la courte période de son existence réelle, le Conseil a connu, pourtant, une évolution significative dans son architecture et dans le champ de ses compétences constitutionnelles.

    Le 16 novembre 2004, date à laquelle l’organe finissait sa première année en fonction, une nouvelle Constitution a été approuvée ou, dit avec plus de rigueur, un nouveau texte constitutionnel qui, entre autres conventions, modifia la conception originaire du Conseil constitutionnel, mettant en évidence sa nature juridique, ce qui a contribué à dissiper quelques doutes et incertitudes qui avant existaient aussi bien dans le milieu académique que dans d’autres en dehors des débats juridiques qui à l’époque se développaient dans le pays.

    Dans le texte constitutionnel de 2004, le Conseil constitutionnel est défini comme un « organe de souveraineté juridico-constitutionnel ». C’est l’expression « administrer la justice » contenue dans l’actuelle définition qui marque la différence substantielle entre les conceptions de l’organe dans les Constitutions de 1990 et de 2004.

    Il est généralement admis que dans un État de droit, régi par le principe de séparation des pouvoirs, tout organe à qui il est attribué les fonctions relatives à l’administration de la justice doit se revêtir nécessairement de la nature juridique, la délimitation de sa sphère de compétence étant pour beaucoup indifférente en raison de la matière ou de sa désignation nominale.

    Le législateur constitutionnel de 2004 a élargi, également, le domaine des compétences du Conseil constitutionnel, ajoutant d’autres pouvoirs à ceux déjà définis par la Constitution de 1990, comme les suivants par exemple: décider, en dernière instance, de la légalité de la création des partis politiques et coalitions, et apprécier la légalité de leurs dénominations, sigles, symboles et ordonner leur dissolution selon les termes de la Constitution et de la loi ; juger diverses actions, telles que la contestation des élections et délibérations des organes des partis politiques et celles qui ont pour objet le contentieux relatif au mandat des députés ; et aussi, juger les incompatibilités prévues par la Constitution et par la loi.

    Concernant les tribunaux, ceux-ci continuent d’être soumis au devoir de ne pas appliquer les normes contraire à la Constitution pour les affaires soumises à leur jugement, maintenant ainsi le système mixte de contrôle de constitutionnalité des normes. Pourtant, à la différence du précédent, le nouveau texte constitutionnel prévoit et organise la transmission obligatoire au Conseil constitutionnel de toutes les décisions judiciaires qui n’appliquent pas les normes légales en raison de leur inconstitutionnalité, solution qui vient renforcer la position du Conseil en tant qu’instance suprême du système de garantie de la constitutionnalité mozambicain.

    4. Composition, désignation et statut des Juges Conseillers

    Le Conseil constitutionnel est composé de sept juges conseillers, parmi lesquels un Président, désigné par le Président de la République après ratification par l’Assemblée de la République, institution qui, à son tour, désigne cinq juges conseillers selon le critère de la représentation proportionnelle, il revient au Conseil supérieur de la magistrature judiciaire de désigner le septième juge conseiller.

    Les juges du Conseil constitutionnel sont désignés pour un mandat de cinq ans, et doivent justifier d’au moins dix ans d’expérience professionnelle dans la magistrature ou dans toute autre activité du barreau ou d’enseignement du Droit.

    Dans l’exercice de leur mandat, les juges conseillers jouissent d’une garantie d’indépendance, inamovibilité, impartialité et irresponsabilité, se soumettant à un régime d’incompatibilités qui les empêchent d’effectuer toute autre fonction publique ou privée, à l’exception de l’activité d’enseignement ou de recherche juridique ou et publication scientifique, littéraire, artistique et technique, à condition d’en être autorisés à l’avance par le Conseil constitutionnel.

    La Loi organique sur le Conseil constitutionnel, en vigueur depuis 2006, approuvée sous l’égide de la Constitution de 2004, comprend quelques dispositions complémentaires sur le statut des juges conseillers. Ainsi, Sont à noter les normes qui interdisent d’exercer la profession d’avocat, d’assumer des responsabilités dans les partis ou associations politiques et de proférer des déclarations publiques ayant un contenu politique.

    La Loi organique en question impose aux juges conseillers, dans l’exercice de leur mandat, la suspension des activités militantes dans des partis politiques, mesure préventive contre d’éventuels influences partisanes dans l’exercice de leurs fonctions, hypothèse bien possible a priori si l’on considère notamment le fait que le Parlement désigne les cinq juges à partir des indications faites par les partis politiques représentés en son sein.

    II. L’accès du citoyen à la justice constitutionnelle

    La Constitution de la République du Mozambique prévoit de manière explicite l’État de Droit démocratique et préconise que celui-ci se fonde dans le respect et la garantie des droits et libertés fondamentaux de l’homme ; elle fixe comme un des objectifs fondamentaux de l’État, la protection et la promotion des droits de l’homme et l’égalité des citoyens devant la loi.

    Le texte constitutionnel en vigueur prévoit et garantit un vaste éventail de droits et garanties fondamentaux pour les citoyens, que ce soit des droits civils ou politiques ou économiques, sociaux et culturels, ce qui fait de la République du Mozambique un État social et démocratique de droit.

    En ce qui concerne les garanties juridiques en particulier, la Constitution charge l’État d’assurer l’accès des citoyens aux tribunaux, en même temps qu’il leur est conféré la faculté de contester les actes qui violent leurs droits constitutionnels et légalement reconnus. Ils peuvent pour cela, avoir recours aux tribunaux, organes auxquels la Constitution attribue la tâche d’assurer les droits des citoyens ainsi que les intérêts juridiques des différents organes et entités ayant une existence légale.

    Comme nous l’avons affirmé, le Conseil constitutionnel a pour fonction principale d’administrer la justice constitutionnelle. Pour cela, il peut être considéré, comme un organe juridictionnel spécialisé, équivalent à un tribunal Constitutionnel.

    En ce sens, la garantie apportée par l’État pour l’accès des citoyens aux tribunaux et le droit corrélatif de recours aux mêmes tribunaux, consacrés dans la Constitution, devraient, en principe, impliquer l’existence des moyens procéduraux visant l’accès direct du citoyen au Conseil constitutionnel, afin de se défendre contre les violations de ses droits fondamentaux qui sont commises par les autorités publiques, toutes les fois où cette défense apparaît impossible à travers tous les autres mécanismes de l’administration de la justice.

    Toutefois, de telles garanties d’accès direct du citoyen à la justice constitutionnelle ne sont pas prévues dans la Constitution, cela ne signifiant pas que l’activité juridique du Conseil constitutionnel soit complètement dissociée de la protection juridique des droits fondamentaux.

    En vérité, les divers processus constitutionnels qui doivent être traités et tranchés par le Conseil, concourent, bien que de manière indirecte, à la garantie des droits en question.

    En matière de contrôle abstrait de la constitutionnalité des lois et de la légalité des actes de l’administration, la Constitution attribue aussi l’initiative de ce contrôle aux citoyens, s’ils représentent un nombre supérieur à deux mille, et même si ce type de contrôle vise, dans son essence, à garantir la constitutionnalité ou la légalité objective, son résultat peut se refléter, en pratique, dans la sphère subjective des droits et libertés fondamentaux des citoyens.

    Les contrôles concrets de constitutionnalité ont souvent des conséquences importantes dans la protection des droits des citoyens, même s’ils sont initiés par la transmission obligatoire au Conseil constitutionnel des décisions judiciaires qui n’appliquent pas les normes en raison de leur inconstitutionnalité, et non à l’initiative des parties au litige.

    Ce que nous venons d’affirmer n’enlève rien à la nécessité pour la Constitution et pour la loi de prévoir des mécanismes procéduraux d’accès direct du citoyen à la justice constitutionnelle. Au contraire, l’attente générale est que le processus de révision de la Constitution en cours dans notre pays, dans lequel il est prévu la transformation du Conseil en tribunal constitutionnel, pourra apporter des réponses plus appropriées à cette nécessité, notamment, en créant un droit au recours direct des intéressés contre les décisions des tribunaux qui n’appliquent pas les normes en raison de leur inconstitutionnalité ou qui les appliquent malgré la contestation de leur constitutionnalité.

    Par ailleurs, l’idée se cristallise que, au-delà du contrôle des lois et des autres actes normatifs des pouvoirs publics, une juridiction constitutionnelle implique aussi la « juridiction constitutionnelle des libertés », ce qui suppose l’institution de moyens procéduraux permettant l’accès direct des citoyens aux organes de justice constitutionnelle visant la défense de leurs droits fondamentaux reconnus par la Constitution. De tels moyens doivent être considérés comme de vraies garanties constitutionnelles dans la mesure où ils prévoient des instruments qui visent à assurer la prévention des violations des droits ou la réparation de dommages émanant d’une violation des droits constatée du fait de l’intervention abusive des pouvoirs publics dans la sphère des droits individuels ou collectifs.

    C’est ainsi que le célèbre constitutionnaliste brésilien, Paulo Bonavides, affirme que la « Constitution est de plus en plus, dans un consensus qui se cristallise, la demeure de la justice, des pouvoirs légitimes, l’espace des droits fondamentaux, par conséquent, la maison des principes, le siège de la souveraineté. L’époque constitutionnelle que nous vivons, c’est celle des droits fondamentaux qui suit l’époque de la séparation des pouvoirs ».

    Merci beaucoup de votre attention.

    Séance de clôture

    Message de sympathie de Brigitte Bierlein

    Représentante de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes

    Vice-présidente de la Cour constitutionnelle d’Autriche

    Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

    Chères consœurs et chers confrères,

    Je remercie chaleureusement Monsieur Mohamed Achargui, le Président du Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc, de m’avoir invitée au 6e Congrès de l’ACCPUF à Marrakech en tant que représentante de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes. En cette qualité, je me félicite de participer à cet événement en remplacement de M. gerhard Holzinger, Président de la Cour constitutionnelle autrichienne qui est empêché de participer en personne en raison d’autres engagements et qui m’a chargée de vous transmettre ses meilleurs souhaits et salutations. La présidence de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes revient actuellement à la Cour constitutionnelle autrichienne parce que c’est elle qui va organiser le prochain Congrès en 2014 à Vienne.

    Le 6e Congrès de l’ACCPUF est consacré au sujet « Le citoyen et la justice constitutionnelle ».

    Les rapports que le citoyen, que l’individu peut avoir avec la justice constitutionnelle sont intimement liés à la question de savoir quels sont ses droits dans une procédure devant la Cour constitutionnelle, notamment s’il peut saisir directement la Cour, et si oui, selon quelles modalités.

    Un grand nombre de cours constitutionnelles accordent au citoyen individuel le droit de saisir la cour pour vérifier si certaines actions de l’État sont conformes à la Constitution, et ce soit sous forme d’une « contestation en matière constitutionnelle » soit sous forme d’un recours pour violation des droits fondamentaux. D’autres cours constitutionnelles et institutions analogues ne permettent pas, jusqu’à présent, au citoyen individuel de les saisir directement.

    En 2008, la France a adopté une révision constitutionnelle importante en attribuant au Conseil constitutionnel la compétence de contrôler a posteriori la constitutionnalité de lois déjà promulguées, et en ouvrant aux citoyens le droit de saisir le Conseil – par l’intermédiaire de la Cour de cassation ou du Conseil d’État.

    Mesdames et Messieurs, permettez-moi maintenant de vous présenter brièvement les modalités de la protection des droits de l’individu par la Cour constitutionnelle autrichienne.

    Déjà la loi constitutionnelle fédérale autrichienne de 1920 a prévu la possibilité pour chaque citoyen de contester devant la Cour constitutionnelle des décisions d’autorités administratives en invoquant qu’elles violaient les droits garantis par la Constitution. À l’époque déjà, la Cour constitutionnelle pouvait abroger d’office une loi appliquée dans une procédure administrative si cette loi était contraire à la Constitution.

    Un amendement de la loi constitutionnelle fédérale adopté en 1929 a ouvert à la Cour suprême et au tribunal administratif suprême le droit de demander un contrôle de constitutionnalité, dans la mesure où ces juridictions étaient amenées, dans le cadre d’une procédure dont elles étaient saisies, à appliquer une loi dont la constitutionnalité ne leur paraissait pas assurée. Dans une phase ultérieure, ce droit a été étendu à d’autres juridictions et institutions analogues.

    Depuis un amendement à la loi constitutionnelle fédérale autrichienne datant de 1975, un citoyen individuel a le droit, si certaines conditions sont réunies, de demander le contrôle de la constitutionnalité d’une loi ou d’une ordonnance en saisissant directement la Cour constitutionnelle (cette procédure est désignée comme requête individuelle en matière de contrôle de la constitutionnalité de normes). Encore faut-il savoir qu’il s’agit d’un moyen de recours subsidiaire dont les conditions de recevabilité sont interprétées de manière très stricte par la Cour constitutionnelle autrichienne.

    Un autre aspect de la garantie du respect des droits par la Cour constitutionnelle va bientôt faire l’objet de délibérations au Parlement. un instrument appelé « contestation de la constitutionnalité d’une loi » devra permettre à une partie à un procès devant un tribunal de soumettre elle-même à la Cour constitutionnelle, une fois qu’une décision de justice est devenue exécutoire, une requête relative au contrôle de la constitutionnalité d’une loi, si le tribunal n’a pas introduit lui-même une telle requête. Cette mesure s’inscrirait dans le droit fil de l’évolution, conforme au système juridique autrichien, de la fonction de protection de la Cour en matière de droits garantis par la Constitution.

    J’attends avec plaisir les interventions et discussions intéressantes qui auront lieu durant le présent Congrès.

    Pour terminer, je tiens à féliciter au nom de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes l’ACCPUF pour son activité réussie qu’elle exerce maintenant déjà depuis plus de quinze ans. Les échanges réguliers d’informations et d’expériences ainsi qu’une bonne coopération entre les Cours constitutionnelles, qui ont en dernier ressort la responsabilité pour la constitutionnalité des actions de l’État, constituent une condition essentielle pour que les Cours puissent fournir leur contribution importante à la sauvegarde de la démocratie et de l’État de droit ainsi qu’à la protection des droits de l’homme.

    Dans cet esprit, je me réjouis de pouvoir adresser au Président – ou à la Présidente – de l’ACCPUF l’invitation de participer au 16e Congrès de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes qui aura lieu du 12 au 14 mai 2014 à Vienne.

    En ce qui concerne le présent sixième Congrès de l’ACCPUF, je présente aux organisateurs mes meilleurs vœux pour un déroulement réussi du point de vue de la thématique et de l’organisation.

    Je vous remercie de votre attention.

    Intervention de Maria do Céu Silva Monteiro

    Représentante de la Conférence des juridictions constitutionnelles des pays de langue portugaise

    Président du Tribunal suprême de justice de Guinée-Bissau

    Monsieur le Président de l’ACCPUF,

    Monsieur le Président du Conseil constitutionnel du Maroc, Mesdames et Messieurs les Présidents,

    Mesdames et Messieurs les juges et conseillers, Mesdames et Messieurs,

    En premier lieu, nous voulons exprimer notre gratitude au Royaume du Maroc de nous accueillir, dans le cadre du 6e Congrès triennal de l’ACCPUF, qui est organisé sous le haut patronage de Sa Majesté Mohammed VI, Roi du Maroc.

    Nous voulons remercier aussi les organisateurs de cet événement pour l’accueil chaleureux et les excellentes conditions d’hébergement et de travail qui ont été mises à notre disposition.

    Je tiens aussi à exprimer ma profonde reconnaissance à l’Honorable Président de la Cour constitutionnelle du Bénin, M. Robert Dossou, en sa qualité de Président de la Conférence des Cours constitutionnelles africaines, qui a eu l’amabilité de me contacter à Lisbonne et qui m’a aussi invitée à cet événement. j’en suis très honorée, M. le Président.

    Je suis présente à ce Congrès au titre de représentante de la Conférence des juridictions constitutionnelles des pays de langue portugaise, mandatée par l’Honorable Président de la Cour constitutionnelle angolaise, M. Rui Ferreira, qui est également le Président de notre Conférence.

    De notre Communauté sont ici représentés le Conseil constitutionnel de Mozambique, la Cour constitutionnelle d’Angola et la Cour suprême de la guinée-Bissau. Ainsi, nous démontrons l’importance que nous attribuons à l’ACCPUF.

    L’État démocratique et de droit, au plan spécifique de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP), est un projet récent en cours de construction, qui vient du Portugal en 1976, du Brésil dans les années 1980, des pays africains d’expression lusophone dans les années 1990 et du timor depuis sa récente accession à l’indépendance en 2002.

    Tout cela reflète de plus en plus que le constitutionnalisme guide l’évolution des institutions des pays de notre Communauté.

    C’est à partir de ce constat que fut créée la Conférence des juridictions constitutionnelles des Pays de Langue Portugaise, ayant pour objectif l’approfondissement de la coopération entre les différentes juridictions ainsi que le développement et la promotion d’une culture constitutionnelle commune.

    La première assemblée de la Conférence, qui fut l’assemblée constituante, a eu lieu en mai 2010 à Lisbonne. Elle avait pour thème « contrôle de constitutionnalité et statut des juridictions constitutionnelles de langue portugaise ».

    Par la suite, la Conférence a organisé un séminaire à Luanda, en juin 2011, autour du thème suivant : « le droit d’accès à la justice constitutionnelle ».

    La deuxième assemblée de notre Conférence a eu lieu en mai 2012, dans la ville de Maputo, au Mozambique. Elle avait pour thème : « compétence des cours constitutionnelles et des cours suprêmes en matière d’élections ».

    Notre Conférence a conclu, en mai 2012, un accord de coopération avec la Commission de Venise, ayant pour objectif la contribution à la base de données CoDICES, l’échange de publications ainsi que l’accès aux forums.

    En ce qui concerne les modèles généraux en matière constitutionnelle, on constate au sein des pays lusophones un profond partage autour des grands principes constitutionnels :

    • Le principe républicain, avec la République comme forme institutionnelle du gouvernement et l’élection directe du chef de l’État ;
    • Le principe de l’État de droit, avec toutes ses exigences en termes de dignité humaine, de sûreté et de sécurité juridique, d’égalité et de séparation des pouvoirs ;
    • Le principe démocratique, avec l’exigence d’élections périodiques auxquelles participent les citoyens dans le cadre d’un suffrage universel, direct et secret ;
    • Le principe de l’État unitaire, rejetant le modèle du fédéralisme, sauf au Brésil ;
    • Le principe social, reconnaissant aux États un rôle d’intervention dans la prestation de droits économiques, sociaux et culturels ;
    • Le principe international selon lequel la souveraineté étatique n’empêche pas la participation des États à plusieurs organisations internationales.

    L’administration de la justice constitutionnelle dans nos pays lusophones est assurée par les organes juridictionnels suivants :

    a) La Cour constitutionnelle en Angola ;

    b) Le Tribunal fédéral suprême au Brésil ;

    c) Le Tribunal suprême de justice au Cap-Vert ;

    d) Le Tribunal suprême de justice en Guinée-Bissau ;

    e) Le Conseil constitutionnel au Mozambique ;

    f) Le Tribunal constitutionnel au Portugal ;

    g) Le Tribunal constitutionnel à Sao Tomé-et-Principe ;

    h) Le Tribunal supérieur d’appel au Timor.

    En ce qui concerne le thème de notre Congrès (« le citoyen et la justice constitutionnelle »), il est à noter que les textes constitutionnels de tous les pays de la CPLP reconnaissent des droits, libertés et garanties fondamentaux aux citoyens.

    Il n’est ainsi pas étonnant qu’ils se réfèrent, d’une façon ou d’une autre, au citoyen et à la justice constitutionnelle, malgré leurs perspectives et intensités différentes.

    Notre Conférence a tout intérêt à promouvoir la coopération avec l’ACCPUF, parce que nous croyons que cela peut contribuer à l’approfondissement de la justice constitutionnelle dans nos pays.

    Excellences, Chers collègues,

    Mesdames et Messieurs,

    Je ne peux terminer sans bien exprimer ma profonde gratitude pour tous les messages de solidarité adressés à mon pays et à moi-même, dans le cadre du contexte difficile qui a cours en guinée-Bissau.

    Shoukrane said Raïs. Je vous remercie de votre attention. Muito obrigada e bem­haja a todos.

    Rapport général de synthèse le citoyen et la justice constitutionnelle

    Jean du Bois de Gaudusson

    Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux-IV Président honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)

    C’est toujours un grand plaisir et surtout un grand honneur de nous retrouver devant vous, nous devrions dire avec vous, puisque professeur de droit nous avons été aussi pendant de nombreuses années, jusqu’il y a quelques mois, conseiller en service extraordinaire à la Cour constitutionnelle de l’union des Comores ; ce fut pour nous une expérience passionnante intellectuellement et humainement.

    Comme chaque fois que vous vous réunissez, les séances ont été très denses ; et vous comprendrez que la grande richesse des communications et des échanges ne nous permette pas de rendre compte pleinement des travaux et nous interdise de citer nommément tous ceux qui sont intervenus; que les auteurs de communication et de rapport se rassurent, leurs travaux seront publiés par l’ACCPUF sur son site et sur support papier, et les autres se reconnaîtront.

    Lorsque ce thème a été choisi et que nous l’avons préparé avec le Conseiller Amine Benabdallah, nous pensions qu’il s’agissait d’un sujet d’importance surtout technique ; mais les réponses (22) reçues et les débats qui ont dépassé toutes les espérances ont montré que ces relations de la justice constitutionnelle et des citoyens étaient un sujet-clé non seulement pour les cours et le contrôle de constitutionnalité mais aussi pour le droit constitutionnel lui-même et pour la démocratie ; étant cependant rappelé que la démocratie ne dépend pas seulement de la question prioritaire de constitutionnalité ou de l’exception d’inconstitutionnalité. Le sujet est aussi d’une réelle actualité : les relations cours – justiciables ont fait et font aujourd’hui plus que jamais l’objet d’évolutions profondes et sont l’occasion de débats animés, comme en témoignent ceux qui se sont tenus ici pendant deux jours.

    1° Pour apprécier ces relations, un bref retour en arrière s’impose :

    Il apparaît que la justice constitutionnelle a été longtemps éloignée du citoyen, dépourvu de voies de droit.

    Il a longtemps prévalu, au moins dans certains pays dont la France, la conception selon laquelle le juge constitutionnel était d’abord un organe du jeu institutionnel et avait pour mission de régler les rapports entre les pouvoirs constitutionnels ; on observait une profonde réticence du constituant à établir des procédures de contrôle à l’initiative des particuliers ; elles étaient considérées comme une concurrence à l’autorité des responsables politiques et, surtout au législatif qui est perçu comme la première cible de la justice constitutionnelle. Cette réserve n’est cependant pas nécessairement défavorable aux citoyens ; même sans saisine directe ou indirecte, le citoyen est bénéficiaire de la justice constitutionnelle et profite en quelque sorte par ricochet du contrôle de conformité à la constitution et aux équilibres que celle-ci prévoit. Du respect des principes fondamentaux du droit constitutionnel, de la séparation des pouvoirs par exemple, dépend, en effet, en grande partie la garantie des droits et des libertés des citoyens. Et ne pourrait-on considérer comme l’idée en a été développée que lorsque les autorités politiques saisissent la juridiction constitutionnelle elles agissent comme des relais, des porte-parole des citoyens ? La question a été posée mais elle reste sans réponse faute de preuves…

    2° En toute hypothèse, l’affaire est aujourd’hui entendue :

    Les citoyens se voient reconnaître la possibilité et le droit d’être requérant devant la justice constitutionnelle.

    Le légicentrisme a vécu et le rapport justice constitutionnelle – citoyen s’est infléchi et s’est même renversé. une des explications tient à l’existence d’un autre enjeu de plus en plus exigeant : il y a une opinion communément admise selon laquelle la protection des droits et libertés ne peut être véritablement assurée et renforcée que par des mécanismes impliquant les premiers intéressés, les citoyens.

    Comme l’a souligné Sa Majesté, il y a là une manifestation de la construction d’un droit constitutionnel moderne ; c’est aussi une marque de cette tendance très prégnante dans toutes les sociétés contemporaines à la subjectivisation du droit.

    Le droit public n’échappe pas à une mutation qui renouvelle les approches et qui est à l’origine de nouveaux mécanismes et techniques juridiques ; vous en avez présentés de nombreux pendant vos travaux. Cette évolution est relativement ancienne pour certains États, en Suisse, au Canada par exemple, mais elle concerne de plus en plus de systèmes juridiques même ceux marqués par une conception objective du droit public. La France et le Maroc sont des exemples récents de ce mouvement ininterrompu, qui n’exclut cependant pas des hésitations ou des retours en arrière

    Les citoyens disposent, à des degrés divers selon les pays, d’une panoplie étendue de solutions et de techniques diversifiées ; elles sont exposées et commentées dans les communications et dans les rapports de synthèse clôtu­rant chacune des sessions du Congrès.

    Chaque État a construit son propre dispositif, sans toujours se réclamer des théories des… professeurs de droit, en fonction d’une histoire, d’un contexte politique, du jeu aussi des influences exercées par certains systèmes juridiques qui peuvent d’ailleurs eux-mêmes évoluer. Cette diversité ne se laisse pas appréhender par les grandes typologies, les plus établies ; elle rend délicate la classification des mécanismes et règles et la détermination de leur nature. un bon exemple en est donné de la difficulté de l’utilisation de la distinction classique entre exception d’inconstitutionnalité et question préjudicielle et de la place à y réserver à la question prioritaire de constitutionnalité lorsqu’elle est apparue en France ; bien des erreurs de qualification ont été commises ; et l’on sait que la QPC n’est ni l’une ni l’autre et que le contrôle abstrait peut devenir un contrôle concret !

    3° À plusieurs reprises, vous vous êtes interrogés sur la pertinence des règles existantes permettant, d’une manière ou d’une autre, d’accéder au prétoire du juge constitutionnel et vous les avez évaluées ; vous en avez mesuré les conséquences.

    Vous vous êtes aussi projetés dans l’avenir et avez majoritairement estimé que les recours des citoyens devant la justice constitutionnelle devaient être développés et devenir de plus en plus directs.

    De telles saisines directes des citoyens présentent manifestement de réels avantages qui ont été soulignés. Elles sont une garantie accrue des droits et des libertés des citoyens et un facteur de perfectionnement du droit. Les recours permettent de débusquer les sources d’inconstitutionnalité et assurent la solidité de la hiérarchie des normes comme cela été souligné dans la réponse de la Suisse. Il s’agit aussi d’un facteur de diffusion du droit constitutionnel et de ses techniques qui entretient un mouvement d’entraînement vers de nouveaux dispositifs. Avec la présence du citoyen dans le prétoire se développe une dynamique constitutionnelle au profit des droits des citoyens : juge-t-on de la même façon un recours en annulation d’une loi lorsqu’il est présenté par un citoyen et non par une autorité politique ? on est enclin à le penser. Et l’introduction de recours devant le juge constitutionnel conduit les praticiens du droit, avocats, conseils, magistrats, à apprendre à s’en servir – et ils ne s’en privent pas dans certains pays – et à ainsi contribuer pour le plus grand profit du citoyen à la diffusion du droit constitutionnel.

    Toutefois, les débats ont fait apparaître des interrogations et des doutes sur ce rôle plus étendu des citoyens. Il faut bien préciser qu’ils ont porté non pas sur l’opportunité de conférer un rôle au citoyen mais sur les modalités de son intervention.

    Plusieurs questions ont ainsi été posées :

    • Sur l’étendue du rôle des citoyens :

    Jusqu’où ouvrir aux citoyens le droit de saisir directement le juge constitutionnel ? Aucune réponse n’a fait l’unanimité. Pour certains, l’idéal serait de faire de chaque citoyen un requérant, avec cependant le risque d’avoir un juge submergé par des affaires de « micro-constitutionnalité » pour reprendre l’expression utilisée par le rapport de la Hongrie. Conscients de ces risques, d’autres se refusent à reconnaître l’action populaire ou recherchent les moyens d’en limiter les inconvénients et d’éviter ce que l’on pourrait appeler le « populisme judiciaire » ; avec la difficulté non résolue de déterminer des critères pour accéder au juge et de définir l’intérêt à agir des citoyens. Le moins que l’on puisse observer est que pour les intervenants la discussion est loin d’être close ; tout reste ouvert… pour ouvrir au citoyen l’accès au contentieux constitutionnel…

    • Sur les conditions dans lesquelles le juge constitutionnel exerce sa mission :

    On s’est interrogé sur la capacité logistique de la juridiction pour traiter les recours, tous les recours dont on peut penser qu’ils se multiplieront, ainsi que sur la réalité de son indépendance, question qui a été largement traitée à Niamey.

    • Sur la mise en cohérence des dispositifs de saisine de la justice :

    La multiplication des procédures de nature diverse, consacrant dans un même système différentes catégories de recours, a priori – a posteriori, abstrait – concret, direct – indirect, est source de chevauchements et de contradictions. La délicate cohabitation qui en résulte ne soulève pas seulement la question de l’articulation des normes et des procédures mais laisse aussi libre cours au jeu des institutions et des cours, cours constitutionnelles, cours suprêmes, cours de cassation, conseils d’État ; les exemples ne manquent pas de ces risques comme on peut en observer au Bénin ou en France.

    • Sur l’exécution des décisions :

    Ce point a été peu abordé ; il supposait des enquêtes approfondies et des visites des lieux. Mais, on note une propension à l’inertie de la part des pouvoirs publics avec comme conséquence la réduction des progrès attendus de la mise en place de procédures ouvertes aux citoyens. Les réponses des cours au questionnaire montrent qu’il existe des pistes pour surmonter cet obstacle. Ainsi le Cambodge prévoit-il des peines d’emprisonnement et d’amende pour toute personne qui ne respecte pas les décisions du Conseil constitutionnel ou qui fait obstacle au déroulement de ses activités.

    Ce sont autant d’interrogations qui appellent les pouvoirs publics et les juges à faire preuve d’innovation et, aidés par le droit comparé, d’imagination juridique. Il reste, si l’on peut dire, … à agir, tant du côté du constituant et du législateur que de celui du juge ; mais, des juges, comme ceux du Canada qui ont appliqué ce qu’on y appelle « la métaphore de l’arbre vivant » s’engagent dans de nouvelles voies en développant des jurisprudences interprétant audacieusement les textes ; ainsi en est-il de la Charte des droits et libertés de 1982 qui selon la Cour suprême « doit être susceptible d’évoluer dans le temps de manière à répondre à de nouvelles réalités sociales, politiques et historiques que souvent ses auteurs n’ont pas envisagées ».

    De tous vos travaux il se dégage la forte impression qu’avec ou sans le citoyen dans le prétoire, les uns et les autres avez eu constamment présent à l’esprit le sort du citoyen et de ses droits. Mais il y a aussi une conviction partagée, quelquefois non sans appréhension : celle que cette préoccupation ne peut se concrétiser qu’avec les citoyens ; le constat est couramment fait de la faible activité de plusieurs cours et l’on peut légitimement s’interroger avec celles-ci sur le point de savoir si l’une des voies de l’effectivité et de l’efficacité des dispositifs constitutionnels n’est pas cette « dynamique citoyenne » qui suppose l’accès direct des citoyens à la justice constitutionnelle ; nous sommes tentés de le penser. Comme l’écrit l’auteur d’une des communications, le citoyen apparaît comme « la pierre angulaire de la justice constitutionnelle ».

    Que l’ACCPUF et le Royaume du Maroc soient remerciés de la précieuse occasion qu’ils ont donnée d’approfondir une réflexion sur les moyens d’avancer un peu plus dans la réalisation de la démocratie et l’État de droit.

    Discours de clôture du nouveau président de l’ACCPUF

    Dr Mohamed Achargui

    Président du Conseil constitutionnel marocain

    Honorables Mesdames et Messieurs les Présidents des Cours et Conseils constitutionnels,

    Mesdames, Messieurs les juges et conseillers, Mesdames, Messieurs,

    Permettez-moi tout d’abord, avant tout propos, d’exprimer en votre nom, notre profonde gratitude à Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, Que Dieu l’Assiste, pour Son Haut Patronage du 6e Congrès de l’ACCPUF qui témoigne de l’intérêt que Sa Majesté accorde à la justice constitutionnelle en tant que pièce maîtresse de l’État de droit.

    À cet effet je donne la parole à M. tamba Camara, Président du Conseil constitutionnel du Mali, pour la lecture d’un télégramme de remerciement et gratitude adressé à Sa Majesté le Roi.

    Mesdames et Messieurs,

    Nous voici enfin au terme de nos travaux, après trois journées bien studieuses et très riches d’enseignements et d’informations.

    Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour vous faire part de la fierté et de l’enthousiasme qui m’animent aujourd’hui pour m’avoir porté à la tête de cette éminente association pour les trois années à venir.

    Mon émotion est d’autant plus grande, qu’au-delà du réel plaisir personnel que j’éprouve, je vois aussi dans cette charge un grand honneur pour mon pays.

    Je partage cet honneur avec tous mes collègues membres de l’Association. En ce qui me concerne, je mesure tout le poids de la responsabilité qui m’échoit.

    Il me revient en effet de faire en sorte que se poursuive la réalisation des nobles objectifs assignés à l’ACCPUF se traduisant par l’adoption des orientations issues du présent Congrès, ainsi que celles que nous adopterons consensuellement au cours de mon mandat.

    Je ne doute pas que j’y parviendrai, car je sais pouvoir compter à la fois sur le Bureau de l’Association, sur ses membres et plus particulièrement sur mes prédécesseurs notamment M. Robert Dossou, à qui je voudrai rendre hommage pour le dévouement avec lequel il a dirigé notre Association durant le précédent mandat.

    Les travaux de la troisième journée du Congrès, consacrés à la tenue de l’Assemblée générale ont été l’occasion d’adopter le plan d’action de l’Association pour la période 2012-2015. À ce propos, le Bureau de l’ACCPUF reste ouvert à toute proposition constructive qui permettra d’explorer de nouveaux horizons et qui s’engagera à fond sur de nouvelles pistes d’avenir de manière à répondre de façon toujours plus dynamique aux attentes des Cours constitutionnelles, membres de l’espace francophone.

    Chers collègues,

    Le thème que nous avons eu l’honneur de traiter « le citoyen et la justice constitutionnelle », se projette comme une opportunité pour mettre en lumière le rôle imparti aux juridictions constitutionnelles dans la protection des droits et libertés des citoyens, qui dans un contexte marqué par des changements scientifiques et sociopolitiques majeurs, incite le juge constitutionnel à faire preuve de plus de réactivité et d’anticipation afin de donner effet à ces grandes et souhaitables mutations que connaît la justice constitutionnelle dans le monde.

    Le choix du thème du Congrès de Marrakech a été judicieux et actuel. Mais au-delà de son actualité, ce thème interpelle les juridictions constitutionnelles à rechercher et à trouver les voies efficaces d’une concertation permanente et rapide, puis d’une solidarité active, leur permettant de pouvoir continuer de jouer leur rôle en tant qu’organe régulateur et protecteur des droits fondamentaux.

    Ce Congrès revêt une dimension internationale autant par la qualité des intervenants qui viennent d’horizons divers que par les regards croisés qui ont été portés sur les modalités et les procédures d’accès du citoyen au prétoire du juge dans différents contextes nationaux.

    Ce rassemblement a été également un moment fort d’échanges, de réflexions communes, et de partage d’expériences autour des problématiques inhérentes à la saisine citoyenne devant les juridictions constitutionnelles. je ne doute pas que ces travaux seront hautement profitables à l’enracinement de la démocratie et à la consécration de l’État de droit auxquels contribuent nos institutions.

    Je reste persuadé que l’avenir de la justice constitutionnelle ne se décrète pas mais se construit constamment. Le renforcement des échanges et la mutualisation des expériences au service de la promotion des valeurs universelles de démocratie et des droits de l’Homme entre les pays membres de nos instances constitutionnelles restent un enjeu de taille.

    Mesdames et Messieurs,

    Nous saisissons cette occasion pour adresser, une fois de plus, notre témoignage de reconnaissance à tous les pays membres de l’espace francophone. Votre participation massive aux travaux de ce Congrès confirme l’intérêt évident que nous portons tous à notre Association et constitue de ce fait un indicateur éloquent de sa vitalité.

    Il convient aussi de faire part de notre reconnaissance à l’organisation internationale de la Francophonie (oIF) pour son soutien à cette manifestation, et de présenter nos remerciements à son Secrétaire général, Son Excellence M. Abdou Diouf qui a toujours manifesté son soutien à notre Association.

    Nos remerciements les plus sincères s’adressent également aux représentants des groupements régionaux et linguistiques et à la Commission de Venise, ainsi qu’à tous nos invités qui nous ont tous honoré de leur présence et ont enrichi le débat par leurs idées et expériences.

    Je ne voudrais pas terminer sans faire une mention spéciale au Secrétariat générale de I’ACCPUF et au Secrétariat général du Conseil constitutionnel du Royaume qui ont fait preuve de professionnalisme durant la préparation de ce Congrès, ainsi qu’aux autorités marocaines qui n’ont ménagé aucun effort pour que 1’organisation de ce Congrès soit une réussite.

    Nous arrivons à la fin de nos travaux. Aussi, permettez-moi, au nom du Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc et au mien propre, de vous souhaiter un bon retour dans vos pays, en espérant que vous garderez du Maroc le meilleur souvenir.

    Je déclare ainsi clos les travaux du 6e Congrès de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels des pays ayant en partage l’usage du français.

    Aussi dès à présent, j’invite les membres du Bureau élus à se réunir. je vous remercie très sincèrement de votre attention.

    Réponses des Cours constitutionnelles au questionnaire sur le citoyen et la justice constitutionnelle

    Tribunal constitutionnel d’Andorre

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    La Constitution garantit la protection des droits fondamentaux. Ils sont en général protégés directement par les juges ordinaires, moyennant une procédure exceptionnelle en deux instances (article 41.1 de la Constitution) : les justiciables doivent saisir la juridiction ordinaire par la voie du recours urgent et préférentiel lorsqu’ils considèrent qu’il s’est produit une lésion d’un droit général fondamental recueilli aux chapitres III et IV du titre II de la Constitution. Contre ces décisions définitives, ils seront protégés par le tribunal constitutionnel qui agit comme une troisième instance extraordinaire à caractère constitutionnel. Il s’agit du dénommé « recours d’empara ». Néanmoins, pour la défense des droits spécifiques fondamentaux définis par l’article 10 de la Constitution, tel que le droit au juge, le sujet du droit lésé peut saisir directement le tribunal constitutionnel, d’un recours d’empara qui n’est ouvert aux citoyens que lorsque toutes les voies judiciaires ont été épuisées et que la violation du droit ou liberté est imputable, de façon immédiate et directe à l’organe judiciaire.

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    L’article 102 de la Constitution fixe les critères pour saisir le tribunal constitutionnel d’un recours d’empara : a) « les personnes qui ont été partie, directement ou en tant que tiers intervenants, dans la procédure prévue par l’article 41 alinéa 2 de la Constitution » (aussi article 87.1 de la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel [LQtC]) ; b) les personnes qui ont un intérêt légitime mis en cause par les dispositions ou des actes du Conseil général n’ayant pas force de loi » (article 95 LQtC).

    L’article 94 de la LQtC nous dit que les sujets titulaires du droit à la juridiction prétendument lésés peuvent saisir directement le tribunal constitutionnel et l’article 10 de la Constitution établit que « toute personne a droit au recours devant une juridiction » ; par conséquent, ni la Constitution ni la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel ne précisent la qualité du requérant, cependant le tribunal constitutionnel a interprété qu’en raison de sa généralité l’expression « toute personne » comprend aussi bien les personnes morales que les personnes physiques (affaire 96-6-RE, arrêt du 5 novembre 1996).

    Dans sa jurisprudence le tribunal constitutionnel a aussi affirmé que les personnes morales de droit public pouvaient saisir le tribunal constitutionnel andorran lorsqu’elles avaient apparemment été victimes, au cours du procès, de la méconnaissance de leur droit à la juridiction inscrit à l’article 10 de la Constitution (affaire 2006-22 i 25-RE, arrêt du 25 mai 2007 et affaire 2009-6-RE, arrêt du 2 décembre 2009).

    Quant aux associations, le tribunal constitutionnel a accepté les recours déposés par elles (affaire 2009-2-RE, arrêt du 7 septembre 2009, affaire 200817-RE, arrêt du 3 décembre 2008 et affaire 2006-2-RE, décision du 15 mars 2006) et a précisé que « Certes, d’après l’article 86.4 de la Constitution

    « La protection des intérêts généraux peut être exercée en justice à l’aide de l’action populaire dans les conditions fixées par la loi » ; il en résulte que sauf exception prévue par une loi, serait irrecevable un recours formé sous forme d’action populaire et dont le seul intérêt serait la défense de la légalité. Par contre le recours d’APAPMA n’est pas une action populaire reposant seulement sur la défense de la légalité ; elle tend à défendre un intérêt très précis qui est celui de l’environnement et qui fait partie de ses objectifs statutaires » (affaire 96-6-RE, arrêt du 5 novembre 1996).

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    Les actes des pouvoirs publics qui lèsent des droits fondamentaux peuvent être attaqués devant le tribunal constitutionnel (article 102 de la Constitution).

    Dans le cas du recours d’empara de l’article 86, le recours est exercé contre les décisions judiciaires de rejet rendues en dernière instance par les juges ordinaires au cours du procès en référé, formé pour atteinte de tout droit fondamental autre que le « droit à la juridiction », prévu dans l’article 41.2 de la Constitution (affaires 2003-13-RE, 2009-2-RE, 2010-1-RE, 2010-5-RE, entre autres). Le recours est formé de façon littérale, non pas comme un recours contre l’organe public susceptible d’avoir porté atteinte à l’origine contre le droit fondamental, mais comme un recours spécial contre le deuxième jugement rendu lors de la procédure urgente et préférentielle par la juridiction ordinaire. Ainsi, les doutes quant à l’objet du recours, quant aux questions complètes de légitimation et quant au domaine des droits protégés sont éliminés dès le début. Le recours d’empara ne pourra être formé que dans le cas d’une deuxième décision de rejet (à ce niveau là, le sujet du droit a déjà bénéficié d’une double garantie devant la juridiction ordinaire).

    Dans le cas prévu dans l’article 94 de la LQtC, recours d’empara pour atteinte du droit à la juridiction, le recours est exercé (après épuisement de toutes les voies de recours) contre les décisions judiciaires rendues dans le procès où il s’est produit la méconnaissance d’un des droits inscrits à l’article 10 de la Constitution (droit au juge, à un procès équitable, à une décision fondée en droit, droit à la défense, droit à un procès d’une durée raisonnable…) (affaires 2000-12-RE ; 2001-23 i 25-RE ; 2005-5-RE, 2006-7-RE ; 2007-4-RE, 2008-17-RE, entre autres).

    Dans le cas de l’article 95 LQtC, le recours d’empara est formé contre les dispositions, les résolutions et les actes du Conseil général (Parlement) n’ayant pas force de loi et qui portent atteinte aux droits garantis aux chapitres III et IV du titre II de la Constitution, à l’exception du droit énoncé dans l’article 22 de la Constitution (affaire 2008-16-RE, arrêt du 3 décembre 2008, affaire 2005-11-RE, arrêt du 25 avril 2005 et affaire 2003-8-RE, décision du 9 septembre 2003).

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    Le délai pour saisir le tribunal constitutionnel d’un recours d’empara est de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la décision judiciaire contestée, ou de la dernière décision qui épuise les voies de recours pour la défense du droit fondamental à la juridiction prétendument lésé ou à compter de la notification ou, le cas échéant, de la publication de la disposition, résolution ou de l’acte du Conseil général (articles 88, 94 et 95.2 LQtC), dans les conditions générales de l’article 36 de la LQtC).

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    Aucun article de la Constitution ou de la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel ne prévoit l’urgence ou la possibilité de demander un jugement en référé au tribunal constitutionnel. Il faut dire qu’en principe le tribunal se prononce assez rapidement, il n’y a jamais eu de retards importants dans la délibération des affaires qui lui ont été soumises. L’article 91.2 LQtC prévoit un délai de deux mois à compter de la date de recevabilité du recours d’empara pour statuer.

    Les délais prévus par la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel sont impératifs pour les parties et pour le tribunal lui-même, toutefois en cas de nécessité et si les délais ne sont pas prévus par la Constitution, le tribunal peut les écourter ou les prolonger soit à l’initiative du rapporteur, d’office ou soit à la demande d’une partie par décision motivée (article 42 LQtC).

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    La justice constitutionnelle est gratuite. Cependant les frais matériels engagés par les prétentions des parties, tels que les honoraires des avocats, les frais concernant les documents demandés, l’entraide judiciaire, la demande de comparution des témoins, et en général toute dépense découlant de la gestion ordonnée par le tribunal pour répondre à leurs requêtes ayant trait à la procédure sont à la charge des parties (article 41.1 LQtC). une partie peut être condamnée aux dépens si la demande est estimée irraisonnable et téméraire (article 41.2 LQtC).

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    Il est indispensable que la personne qui saisit le tribunal constitutionnel d’un recours d’empara soit la personne dont le droit fondamental a été lésé (article 102 de la Constitution et article 36 LQtC, affaire 2001-9-RE, décision du 18 mai 2001).

    Les droits fondamentaux sont des droits inhérents à la personne, le tribunal a, par exemple, établit que « N’est titulaire du droit à l’intimité que la personne qui le détient, et simplement dans certaines hypothèses, à cause du lien effectif que ce droit à l’intimité a avec le droit à l’intimité de son entourage familial immédiat, il pourrait se produire une lésion de l’article 14 de la Constitution. Ces hypothèses sont celles qui, à cause de leur nature, par exemple l’insistance morbide sur la souffrance de la ou des victimes d’un accident, ou la publication des photos hors de tout contexte raisonnable ou lié au droit à l’information, peuvent élargir ou étendre la légitimation pour réclamer le rétablissement d’un droit fondamental lésé et protégé par les suppositions de l’article 14 de la Constitution. Mais ces hypothèses ne se sont pas produites dans l’affaire objet du recours. » (affaire 2002-12-RE, arrêt du 28 février 2002).

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    Ce ne sont que la ou les personnes concernées par la disposition qui peuvent saisir le tribunal constitutionnel (article 95 LQtC). toutefois, le tribunal a élargi la notion d’intérêt légitime pour agir dans l’arrêt du 10 juin 2002, affaire 2002-2-RE, concernant un recours déposé par une école privée contre une décision du Conseil général et qui porterait atteinte aux droits de ses élèves, «il faut indiquer que, lors de la recevabilité de ce recours, ce tribunal a considéré que la condition de légitimation active prévue par l’article 95.1 de la Loi qualifiée du tribunal constitutionnel était remplie. Et ceci parce que la société requérante intégrée dans le système d’enseignement andorran, a un intérêt propre qui est la représentation du collectif de ses élèves puisqu’ils sont concernés, en tant que tels, par toute disposition ou décision des pouvoirs publics. Il est évident que l’accord du Conseil général du 14 mars 2002 (Bulletin du 18 mars) peut concerner négativement davantage les élèves que la société requérante elle-même. Cette extension de la qualité pour agir à la société d’enseignement privé ressort des termes mêmes de l’article 95.1 de la loi déjà citée, lorsqu’il dit que peuvent présenter un recours les personnes « concernées », c’est-à-dire les sujets qui ont un intérêt légitime, sans qu’il soit nécessaire qu’il s’agisse d’un intérêt direct dont on fait dépendre une situation juridique subjective qui de façon prioritaire appartient au requérant éventuel.

    Cette explication était nécessaire parce que, une fois posée l’existence de la légitimation active du requérant, la lésion du contenu des droits invoqués ne doit pas être nécessairement soufferte, pour qu’il y ait lésion, par les titulaires directs de ces droits (qui dans l’affaire qui nous occupe seraient les élèves individuellement ou collectivement considérés et seulement le cas échéant le centre d’enseignement) mais aussi par toute personne à laquelle le système juridique attribue un intérêt objectif. Avec ceci, le domaine procédural du recours est élargi et la vérification de la lésion devra être faite en des termes objectifs, indépendamment que les droits soi-disant lésés appartiennent ou pas au requérant. »

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    Les procédures et les procès sont toujours engagés à la demande d’une partie qui doit être représentée et défendue par un avocat inscrit au barreau d’Andorre (article 35 LQtC).

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    Les conditions de forme exigées par l’article 36 de la LQtC, telles que l’identification du requérant, la qualité pour agir et, le cas échéant, sa représentation et sa procuration ; l’exposé des faits ayant donné lieu à la lésion constitutionnelle soutenue, l’acte ou la règle contre laquelle ou sur laquelle la demande est fondée, et la personne ou l’organe à qui les faits sont imputés ; les fondements juridiques sur lesquels repose la prétention ; la définition exacte de la prétention contenue, doivent être remplies. La recevabilité de l’affaire est déterminée, une fois le magistrat rapporteur de l’affaire entendu, par une décision du tribunal réuni en session plénière (article 38 LQtC).

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    L’absence des conditions de forme exigées par l’article 36 de la LQtC (citées dans la question précédente) permet au tribunal de déclarer l’irrecevabilité du recours. Néanmoins le tribunal constitutionnel peut demander la réparation du défaut formel dans un bref délai (article 37.1 LQtC).

    La requête est irrecevable également lorsque le tribunal est manifestement incompétent, lorsque l’affaire a acquis l’autorité de la chose jugée, si l’infraction dénoncée a une absence manifeste de contenu constitutionnel (article 37.2 LQtC) ou lorsque le requérant n’a pas épuisé les voies de recours ou qu’il n’a pas respecté les délais établis par la législation.
    Le tribunal constitutionnel doit toujours motiver sa décision d’irrecevabilité. un recours contre la décision d’irrecevabilité pourra être interjeté dans un délai de six jours ouvrables commençant à courir à partir de la date de réception de la notification. La décision sur ce recours est sans appel (articles 38 et 39.2 LQtC).

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requérants de participer à la procédure.

    La procédure devant le tribunal constitutionnel est essentiellement écrite. Le ou les requérants déposent le mémoire au greffe du tribunal en joignant les pièces qu’ils croient utiles pour soutenir leurs moyens et les preuves pertinentes.

    Le tribunal constitutionnel avant de se prononcer sur la recevabilité du recours d’empara formé pour méconnaissance du droit à la juridiction inscrit à l’article 10 de la Constitution est tenu de demander un rapport au Ministère public sur l’affaire (article 94.5 LQtC), le tribunal n’est pas lié par l’avis contenu dans ce rapport.

    Lorsque l’affaire est déclarée recevable par le tribunal, il rend une décision de recevabilité et une ordonnance qui sera notifiée à toutes les parties ayant été partie dans le procès suivi devant la juridiction ordinaire, afin que, dans un délai inférieur à quinze jours ouvrables, elles présentent leurs arguments et allégations au recours. Après réception de ces mémoires, une nouvelle phase de conclusions est ouverte permettant aux parties dans un délai de six jours de présenter leurs conclusions. Ensuite, le tribunal constitutionnel après avoir étudié tous les mémoires présentés par les parties délibèrera sur l’affaire (articles 89 et 90 LQtC).

    9) Quelles sont les phases du jugement ?

    Dans un premier temps, le rapporteur procède à un examen du dossier et fait part à ses collègues de ses premières constatations. Ensuite, il rédige un projet de décision qui est remis à l’avance aux autres magistrats pour qu’un débat s’ouvre entre eux, sous forme de notes écrites. Le tribunal, au regard des mémoires et des pièces jointes, du rapport du Ministère public, du dossier demandé aux tribunaux ordinaires, des allégations et des conclusions déposées, délibère en session plénière et rend une décision de rejet ou d’octroi de la protection (article 92 LQtC). Dans le cas d’un partage de voix, la Constitution prévoit que c’est l’opinion du rapporteur – et non celle du Président – qui l’emporte. Il s’agit là d’une formule originale, qui n’a, semble-t-il, pas d’équivalent dans les autres juridictions constitutionnelles. Elle se justifie par le fait que le rapporteur est celui qui a la meilleure connaissance du dossier. Les délibérations et les votes ne sont pas publics (article 32 LQtC).

    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable » : principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.

    Le tribunal constitutionnel a été créé pour protéger les droits fondamentaux et les libertés de citoyens, de ce fait, il se doit d’être d’autant plus respectueux avec les droits inhérents au procès équitable. Il est soumis aussi au respect des droits énoncés à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il est important pour le tribunal constitutionnel andorran de respecter le principe du contradictoire, qui est un des principes directeurs et essentiels de tout procès. Le tribunal constitutionnel a « déduit du contenu de l’article 10 de la Constitution – et en concret en ce qui concerne la notion de “droit à la juridiction” (…) – la nécessité d’un procès contradictoire, accomplissant toutes les garanties de procédure et évitant toutes les situations d’absence de défense, afin que les parties puissent faire valoir leurs droits, points de vues et arguments en raison du principe d’égalité devant l’organe qui doit juridictionnellement décider » (affaire 96-7-RE, arrêt du 19 décembre 1996). La Loi qualifiée du tribunal constitutionnel portant sur la procédure suivie devant le tribunal pour les recours d’empara organise le déroulement contradictoire de la procédure. Ainsi, les parties à l’instance peuvent présenter des allégations et des conclusions écrites et, si elles le souhaitent produire des pièces au soutien de celles-ci. Les parties reçoivent communication de tous les mémoires et peuvent y répondre. Les décisions et les arrêts du tribunal constitutionnel sont fondés en droit, la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel (article 7) exige qu’ils soient motivés, notifiés aux parties, et publiés au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre (article 5 LQtC). Le tribunal constitutionnel est très respectueux du droit à un procès dans un délai raisonnable, en principe les décisions sont rendues rapidement, il ne dépasse pas le délai de cinq mois (sauf cas exceptionnels rares) depuis le dépôt du mémoire du recours jusqu’à l’arrêt qui met fin au procès.

    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    Aucun texte n’a prévu la publicité de l’audience mais la pratique a fait que l’audience du tribunal constitutionnel ne soit pas publique. Ce qui peut être amené à changer, si le tribunal constitutionnel le décide nécessaire.

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ? L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    Le tribunal constitutionnel est tenu de statuer même si c’est pour prononcer une irrecevabilité ou le classement sans suite de l’affaire.

    L’article 36 alinéa 4 de sa Loi qualifiée prévoit que « Si le tribunal déclare la déchéance de l’action pour cause de non-comparution, désistement ou soumission d’une des parties au cours du procès ou de la procédure, ceci n’empêche point de continuer la procédure y compris jusqu’à la décision finale ».

    Il faut dire que, depuis l’existence du tribunal constitutionnel, seulement dans cinq recours d’empara (99-18-RE, 2001-12-RE, 2002-13-RE, 2005-36-RE et 2010-8-RE), le requérant s’est désisté de sa requête et le tribunal a décidé de classer l’affaire et de ne pas poursuivre l’examen de la prétendue lésion.

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires ? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    Le tribunal constitutionnel peut décider soit de rejeter la requête en protection ou soit d’octroyer totalement ou partiellement cette protection constitutionnelle (article 92 LQtC). L’acceptation totale entraîne l’annulation du jugement objet du recours et de tous ses effets et la déclaration de l’atteinte portée à un droit constitutionnel, et le requérant est rétabli dans son droit par l’adoption des mesures nécessaires à cet effet. L’acceptation partielle a lieu lorsque le tribunal considère valables un ou plusieurs des prononcés contenus dans le jugement objet du recours. Si l’atteinte est matériellement irréparable, le tribunal détermine le genre de responsabilité encourue par le sujet ayant violé le droit pour la réclamer devant la juridiction ordinaire. Le rejet du recours d’empara entraîne la condamnation aux dépens du requérant.

    Le tribunal constitutionnel doit donc renvoyer l’affaire devant la juridiction compétente pour que le requérant demande réparation, néanmoins dans une affaire le tribunal constitutionnel a décidé du montant de l’indemnisation à attribuer au requérant dont le droit à un procès d’une durée raisonnable avait été méconnu. « Il convient donc de déclarer la violation du droit à un procès de durée raisonnable et, vu que l’article 92 de la Loi qualifiée du tribunal constitutionnel oblige ce tribunal, en cas d’estimation totale ou partielle du recours au « replacement du droit moyennant l’adoption des mesures nécessaires », et ajoute que « si la lésion du droit était matériellement irréparable, le tribunal détermine la responsabilité encourue par le sujet qui a violé le droit, dans le but d’être exigée devant la juridiction ordinaire ». Compte tenu des circonstances concrètes de l’espèce, et même si le requérant aurait dû évaluer les dommages subis, dans le but d’éviter davantage de retard, le tribunal constitutionnel déclare que l’État doit réparer les dommages produits pour un fonctionnement anormal de la justice, qui sont considérés comme ayant été établis et qui, au regard des circonstances de l’affaire, sont évalués à 2 000,00 euros. Les honoraires d’avocat sont exclus, puisque le recours ne dénonçait pas seulement la violation du droit à un procès à durée raisonnable. » (affaire 2009-9-RE, arrêt du 12 octobre 2009).

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    Comme dans toutes les juridictions, le tribunal constitutionnel ne peut pas se prononcer ni ultra petita, ni extra petita, ni infra petita, il est tenu par les moyens soulevés par les parties au cours du procès. Sa Loi qualifiée précise bien dans son article 88 que « n’est admis aucun recours d’empara modifiant le contenu de la prétention de la protection du droit ou des droits soutenue lors de la procédure urgente et préférentielle » prévue par l’article 41.1 de la Constitution. Le tribunal constitutionnel a souvent déclaré irrecevable la requête pour non épuisement des voies de recours lorsque les prétentions soutenues dans le recours d’empara étaient différentes de celles soutenues dans un incident de nullité de procédure, exercé auprès de la juridiction ordinaire pour la réparation du droit à la juridiction lésé, et qui est la condition préalable pour introduire le recours d’empara. « Par conséquent, nous nous trouvons face au problème que dans la requête d’incident en nullité, l’annulation de l’arrêt n’a pas été demandée, mais on a demandé l’annulation de certains contenus de ces considérants et la réforme d’autres, alors que dans la requête en protection, c’est l’annulation de tout l’arrêt qui est demandée. une fois la prétention filtrée, prétention à laquelle il faut s’en tenir dans les termes exposés dans la demande de déclaration de nullité de tout l’arrêt, la conséquence est évidente : si dans le recours en protection, un petitum différent de celui de l’incident en nullité est introduit, cet incident n’a pas fonctionné comme moyen préalable et nécessaire afin que la juridiction ordinaire puisse annuler sa décision ; dans cette affaire, l’incident cité puisqu’il n’a pas pu accomplir la finalité et l’intérêt juridique pour lequel il a été créé et qui lui octroie sa raison d’être, doit être considéré non réalisé. Donc, tel que nous l’avons déjà averti, sans entrer à étudier le fond de l’affaire ce recours pourrait être débouté compte tenu de l’absence matérielle d’une condition procédurale indispensable tel que l’épuisement préalable d’un incident en nullité de procédure moyennant lequel ont été posées toutes les questions qui plus tard constitueront l’objet de ce recours en protection. tel qu’il est prévu dans la Loi qualifiée du tribunal constitutionnel dans l’article 88.2 ». (affaire 2001-3-RE, arrêt du 18 mai 2001).

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    « Dans le cadre d’un recours d’empara fondé sur l’article 102 de la Constitution et le chapitre VI de la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel, il n’appartient pas au tribunal constitutionnel de se prononcer sur la conformité d’une loi à la Constitution, à la différence des procédures prévues aux articles 99, 100 et 101 de la Constitution. » (affaires 2007-23-RE et 2007-26-RE, arrêts du 15 mai 2008). Dans le cadre d’un recours d’empara, le juge constitutionnel se limite à étudier s’il s’est produit une atteinte aux droits et aux libertés reconnus aux citoyens par la Constitution et à demander aux juridictions ordinaires de réparer cette méconnaissance, il ne peut pas se prononcer ou s’autosaisir d’une question de conformité d’une quelconque disposition légale à la Constitution.

    « En ce qui concerne le contenu procédural constitutionnel, il est évident que le recours, à partir d’une perspective subjective, est déchu parce que la prétention demandée est impossible à satisfaire. Et, c’est qu’en fait nous ne nous trouvons pas face à un recours en protection pour la violation directe d’un droit fondamental mais face à un tertium genus où l’on nous demande quelque chose qui n’est pas prévu expressément dans notre système de justice constitutionnelle : c’est-à-dire que l’on déclare qu’il s’est produit une violation d’un droit fondamental lors de l’application de certains articles de la loi par la juridiction ordinaire qui, bien qu’ils ne soient pas nuls et ne pouvant pas être annulés par ce tribunal – c’est-à-dire qu’ils sont en vigueur et applicables – produisent cette lésion. En définitive, ce qui est posé ici c’est un « recours direct en protection constitutionnelle contre des lois ». Même s’il existe dans d’autres législations (Allemagne, certains pays latino-américains, et la formule espagnole de l’auto-saisine), dans la législation constitutionnelle andorrane cette possibilité n’existe pas.

    Par conséquent, n’est pas non plus adéquate la voie utilisée pour obtenir la satisfaction de la prétention originaire de déclarer la violation du droit à la juridiction ni, moins encore, celle de déclarer l’inconstitutionnalité de certaines dispositions légales. » (affaire 2004-4-RE, arrêt du 7 septembre 2004).

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    Les arrêts déclarant l’inconstitutionnalité partielle ou totale des normes contestées, lors des procédures autres que le recours d’empara, ont effet à partir de la date de leur publication au Journal officiel de la Principauté. Sauf dans les cas d’une application rétroactive favorable, les effets en cours produits par ces normes avant leur annulation subsistent tant que de nouvelles normes ne sont pas adoptées pour régir les situations juridiques préexistantes (article 58 LQtC).

    D’autre part, les précédents établis par le tribunal constitutionnel constituent des critères d’interprétation au tribunal, mais ils peuvent toujours être modifiés par une décision motivée prise à la majorité absolue de ses membres.

    Lorsque la protection constitutionnelle est octroyée, le tribunal constitutionnel annule les décisions judiciaires contestées, ainsi que tous leurs effets, il déclare l’atteinte portée à un droit constitutionnel, et il demande au juge qui a méconnu le droit du requérant que celui-ci soit rétabli dans son droit par l’adoption des mesures nécessaires à cet effet. Si l’atteinte est matériellement irréparable, le tribunal détermine le genre de responsabilité encourue par le sujet ayant violé le droit pour qu’il la réclame devant la juridiction ordinaire.

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    La compétence pour introduire un recours en inconstitutionnalité varie selon la norme critiquée, au profit d’un cinquième des membres du Conseil général, du Chef du gouvernement, et de trois Comuns (articles 99 de la Constitution et 43 LQtC.) Les particuliers ne peuvent pas déclencher ce contrôle. Il ne s’agira pas toujours de recours mais de simples avis préalables pouvant être demandés sur la constitutionnalité d’une loi ou d’un traité (articles 101 de la Constitution et 59 et 63 LQtC). Il faut signaler aussi la possibilité offerte à un tribunal, qui aurait des doutes sur la constitutionnalité d’une loi ou d’un décret pris sur délégation législative, dont l’application est indispensable pour la solution d’un litige, de saisir le tribunal constitutionnel par une question préjudicielle (articles 100 de la Constitution et 52 LQtC).

    Des hypothèses ci-dessus citées, seule la question préjudicielle peut être soumise au juge constitutionnel à l’initiative et à la demande des parties. L’article 53 de la LQtC établit que « La demande de contrôle de constitutionnalité formée devant le tribunal constitutionnel est recevable, si dans une phase quelconque d’un procès juridictionnel ordinaire, l’organe judiciaire qui en a connaissance estime d’office ou à l’instance d’une partie qu’une des règles signalées à l’article précédent et dont l’application est indispensable pour résoudre l’affaire principale ou un incident quelconque instruit dans celle-ci est contraire à la Constitution ».

    La Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel dans son article 52 précise que

    « Dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, les « Batlles », le tribunal (les « Batlles », le tribunal des « Corts » et le tribunal supérieur de justice d’Andorre sont légitimés pour demander l’ouverture d’un procès incident d’inconstitutionnalité contre les lois, les décrets législatifs et les règles ayant force de loi, quelle que soit la date de leur entrée en vigueur. »

    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    Cette action n’est pas déclenchée par le citoyen, c’est une question préjudicielle demandée par les juges ou les tribunaux ordinaires, bien qu’une des parties au procès puisse être à l’origine de cette requête, elle n’est pas directement l’auteur de la saisine (affaires 2011-13-RE et 2011-31-RE, arrêts du 3 février 2012). L’action en inconstitutionnalité pourra être introduite par l’organe juridictionnel, si celui-ci l’estime pertinent. Certes, il peut agir d’office ou à la demande des parties, mais dans l’un et l’autre cas, la décision finale est laissée à la discrétion de l’organe juridictionnel, et sous sa propre responsabilité dans la mesure où il s’agit d’une décision non arbitraire, puisqu’elle est assujettie à la Constitution elle-même. Il convient donc de souligner que l’on ne saurait admettre en aucun cas l’existence d’un droit des parties de promouvoir la question d’inconstitutionnalité prévue à l’article 100 de la Constitution, mais seulement la faculté d’initier la procédure. En effet, les citoyens peuvent uniquement accéder de façon directe à la juridiction constitutionnelle par la voie du recours d’empara. En conclusion : la Constitution a exclusivement confié aux organes juridictionnels l’introduction de l’action en inconstitutionnalité, lorsque, d’office ou à la demande des parties, des doutes seraient émis sur la constitutionnalité de la norme applicable à l’affaire soumise à sa décision (affaire 95-1-PI, arrêt du 3 avril 1995). Avant de déposer le document introduisant la question préjudicielle de constitutionnalité au tribunal constitutionnel, l’organe judiciaire doit consulter les parties et le Ministère public, si celui-ci est présent au procès. Les parties entendues, l’organe sous sa seule responsabilité, prend sa décision sur le dépôt de la demande, moyennant un arrêté. La décision prise dans cet arrêté n’est pas susceptible de recours, sans préjudice, si elle est négative, que la demande puisse être renouvelée lors des instances successives, le cas échéant (article 52.3 LQtC).

    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ?

    Les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens sont tous les droits et principes contenus dans la Constitution.

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire des juges ordinaires. Il convient d’observer que la procédure qui permet à un juge de saisir le tribunal consti- tutionnel ne constitue jamais une obligation, mais simplement une possibilité.

    L’article 100 de la Constitution fait état des « doutes » du juge, ce qui implique une première appréciation de sa part sur la portée de la demande de question préjudicielle dont il est saisi. L’article 53.2 de la LQtC dispose que « cette estimation d’inconstitutionnalité doit être fondée sur l’impossibilité d’interpréter la règle ou les règles conformément à la Constitution… », ce qui oblige le juge compétent à procéder à une première analyse et à ne faire droit à la question préjudicielle d’une part que si l’interprétation de la règle est indispensable à la solution du litige, d’autre part que s’il existe, à ses yeux, un « doute raisonnable et fondé » sur la constitutionnalité de la règle en question (affaire 2006-23-RE, décision du 24 mars 2007).

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    une fois que la saisine a été convenue, l’organe judiciaire doit constituer une pièce séparée contenant les actions exercées à cette fin et soumettre un document au tribunal constitutionnel en y joignant cette pièce et l’exposé des fondements sur lesquels reposent ses doutes quant à la constitutionnalité de la règle ou des règles, ainsi que les préceptes constitutionnels qu’il estime violés, de même que les formalités exigées à l’article 36 de la LQtC (article 55 LQtC).

    Le procès devant les juges du fond suivra son cours jusqu’à la phase de jugement, phase à partir de laquelle, la procédure est paralysée jusqu’à ce que le tribunal constitutionnel statue sur la question préjudicielle.

    Après réception de ces documents, le tribunal constitutionnel se prononcera sur la recevabilité ou l’irrecevabilité de la requête au moyen d’une décision motivée. Le recours de « suplica » prévu à l’article 39.2 de la Loi qualifiée du tribunal constitutionnel peut être formé contre la décision d’irrecevabilité (article 56.1 LQtC).

    Lorsque la recevabilité de l’action est prononcée par le tribunal constitutionnel, le magistrat rapporteur, moyennant une ordonnance, doit en transférer une copie au Président de l’organe qui a dicté la règle déférée et au Ministère public, pour qu’ils comparaissent et répondent à la demande dans les quinze jours naturels au plus tard. Si la contestation est soulevée contre des règles préconstitutionnelles, le Conseil général est partie au procès quel que soit l’organe qui les a édictées (article 56.3 LQtC). Les réponses à la demande doivent contenir les allégations en fait et en droit estimées pertinentes ; ils doivent apporter, le cas échéant, les moyens de preuve et la pratique de la preuve utiles à leurs intérêts. Les actions de la procédure terminées, le tribunal doit statuer dans les quinze jours qui suivent le jour de la présentation des conclusions par les parties et, en tout cas, dans un délai maximum de deux mois à compter de la date d’admission du recours.

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    Aucun texte ne prévoit un délai pour la saisine du tribunal constitutionnel, il est exigé que le doute d’inconstitutionnalité se produise au cours d’une phase quelconque d’un procès juridictionnel ordinaire, avant de donner une solution finale au litige (article 53 LQtC).

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    L’article 100 de la Constitution établit que le tribunal constitutionnel doit se prononcer dans un délai de deux mois à partir de la décision de recevabilité du recours.

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    Les parties présentes au procès judiciaire en question peuvent comparaître à titre d’intervenants (article 56.2 LQtC).

    24) Est-ce qu’il doit être obligatoirement assisté d’un avocat ?

    L’article 35 de la LQtC exige que les parties agissant auprès du tribunal constitutionnel soient toujours représentées et défendues par un avocat inscrit au barreau d’Andorre.

    25) Est-ce que le citoyen peut bénéficier d’un délai pour produire des pièces ou des preuves au soutien de ses moyens ?

    Le citoyen bénéficie des mêmes délais que les autres parties pour produire les pièces ou les preuves au soutien de ses moyens. En devenant partie dans la question préjudicielle d’inconstitutionnalité, le citoyen au même titre que les autres intervenants doit suivre la même procédure.

    26) Est-ce que la partie adverse du citoyen à l’origine de la saisine peut prendre part au procès pour développer ses arguments contre l’inconstitutionnalité ? Si oui, comment ?

    Le tribunal constitutionnel, dès la déclaration de recevabilité, va rendre partie au procès constitutionnel toutes les parties ayant intervenu dans le procès a quo. Il leur communique les mémoires et les conclusions et leur demande de présenter les arguments et les moyens de preuve qu’ils estiment pertinents.

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ?

    Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    La Constitution dans son article 95.1 indique que « Le tribunal constitutionnel est l’interprète suprême de la Constitution ; il siège en tant qu’organe juridictionnel et ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux personnes privées » et la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel dans son article 2 expose aussi que « La juridiction du tribunal constitutionnel s’étend sur tout le territoire de l’État andorran, elle est supérieure dans son ordre et dans l’exercice de ses compétences définies par la Constitution et par cette loi, ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux particuliers et ses arrêts ont l’autorité de la chose jugée ». Par conséquent les organes judiciaires sont tenus d’appliquer les décisions du juge constitutionnel.

    L’article 57.2 de la LQtC établit aussi que « la décision rendue par le tribunal constitutionnel s’impose à l’organe judiciaire qui l’a saisi. Cependant, dans ce cas est exclu le principe de non-applicabilité provisoire des décisions interprétatives, prévu à l’article 8.2 de la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel et qui s’impose à l’organe judiciaire, afin qu’il puisse statuer sur l’affaire principale. »

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    Les décisions qui déclarent la conformité à la Constitution de la disposition légale déférée devant le tribunal constitutionnel empêchent toute contestation ultérieure des mêmes règles en alléguant une atteinte portée aux mêmes prescriptions constitutionnelles (article 58.1 LQtC).

    Les décisions déclarant la non-conformité à la Constitution partielle ou totale des règles déférées prennent effet à la date de la publication au Bulletin offi­ ciel de la Principauté d’Andorre. Sauf dans les cas d’application rétroactive favorable, les effets en cours produits par ces règles avant leur annulation subsistent tant que de nouvelles règles ne sont pas créées pour réglementer les situations juridiques préexistantes (article 58.2 LQtC).

    Le tribunal constitutionnel a décidé dans l’arrêt qui répondait à quatre questions incidentes d’inconstitutionnalité soumises par le tribunal de Corts sur la conformité des dispositions qui ne permettent la désignation d’un avocat qu’au terme de 24 heures de garde à vue dans les articles 24 et 25.1 du code de procédure pénale à la Constitution et à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de déclarer « que les mots « dans les premières 24 heures de la garde à vue » contenus dans l’alinéa d) de l’article 24 et ceux contenus dans le premier alinéa de l’article 25 « après la fin du délai de 24 heures de garde à vue » et « après un délai de 24 heures à compter de la détention » sont contraires à la Constitution et par conséquent nuls ». Et

    « Conformément à l’article 58.2 de la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel, cette décision prend effet à la date de sa publication au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre. Elle s’appliquera directement aux personnes impliquées dans les procès suspendus et qui sont à l’origine des quatre actions incidentes d’inconstitutionnalité. Dans les autres hypothèses, conformément à cet article 58.2, les effets en cours produits par les mots annulés avant leur annulation subsisteront tant qu’une nouvelle loi réglementant les situations juridiques préexistantes ne soit pas adoptée » (affaire 2010-1, 2, 3 i 4-PI, arrêt du 7 septembre 2010).

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    Dans le cas où l’entrée en vigueur de la règle ou des règles applicables estimées contraires à la Constitution serait antérieure à cette dernière, on peut opter entre la saisine du tribunal constitutionnel ou la déclaration de l’abrogation des règles au moment approprié du procès. En tout cas, la déclaration d’abrogation n’entraîne pas l’annulation de la règle pré-constitutionnelle, simplement elle constate de façon motivée son absence de vigueur (article 54 LQtC).

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    Les décisions déclarant la non-conformité à la Constitution partielle ou totale des règles déférées prennent effet à la date de la publication au Bulletin offi­ ciel de la Principauté d’Andorre. Sauf dans les cas d’application rétroactive favorable, les effets en cours produits par ces règles avant leur annulation subsistent tant que de nouvelles règles ne sont pas créées pour réglementer les situations juridiques préexistantes (article 58.2 LQtC).

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    « En tout état de cause, pour ce qui est de l’application rétroactive favorable, dans la décision aucune référence à ce membre de phrase de l’article 58.2 n’a été expressément incluse car il appartient aux juges compétents, au législateur et, le cas échéant, au tribunal constitutionnel saisi par la voie de la procédure d’empara de donner toute sa portée à l’arrêt en cause » (affaire 2010-1, 2, 3 i 4-PI, décision du 8 novembre 2010).

    31) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité a-t-elle pour les personnes ayant fait l’objet de décisions administratives fondées sur la disposition législative déclarée entre-temps inconstitutionnelle et qui n’ont pas encore introduit de recours en annulation devant le juge administratif à la date de la censure ?

    Ces personnes pourront toujours saisir le tribunal constitutionnel d’un recours d’empara pour méconnaissance de leurs droits fondamentaux.

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    Les dispositions ayant été déclarées inconstitutionnelles prennent effet lors de la publication de l’arrêt au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre et ils s’imposent aux pouvoirs publics et aux particuliers.

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    toutes les décisions rendues par le tribunal constitutionnel sont publiées au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre (article 5 LQtC) et les journaux informent souvent des décisions rendues par le tribunal constitutionnel, surtout lorsqu’il s’agit d’affaires très médiatiques. En outre toutes les parties au procès sont assistées d’un conseiller juridique et donc ils pourront expliquer le contenu des décisions à leur client. Le secrétariat général du tribunal constitutionnel est aussi à la disposition de tous les citoyens pour les renseigner sur l’activité du tribunal constitutionnel.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    Les précédents fixés par le tribunal s’imposent au tribunal lui-même, et le tribunal a l’obligation de motiver toutes ses décisions. D’autre part, les précédents établis par le tribunal constitutionnel constituent des critères d’interprétation au tribunal, mais ils peuvent toujours être modifiés par une décision motivée prise à la majorité absolue de ses membres.

    « Il est clair que dans le cas où il y aurait une doctrine jurisprudentielle qui s’imposerait d’office au tribunal, le tribunal peut la modifier en motivant sa décision, conformément à la deuxième phrase (in fine) de l’article 3.1 LQtC. Exigence suffisamment remplie avec l’argumentation qui précède.» (affaires 2006-2-RE et 2006-3-RE, décisions du 15 mars 2006).

    C. AUTRES CAS
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Il ne revient pas au citoyen d’effectuer un recours devant le tribunal constitutionnel lorsque le juge ordinaire a jugé sérieuse l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée.

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    Il existe un type de recours contre l’inactivité des pouvoirs publics, il s’agit des conflits négatifs de compétence, le tribunal saisi par les personnes physiques ou morales, joue en quelque sorte un rôle d’arbitre, d’un régulateur de compétences, contraignant l’organe en conflit à agir. Les droits individuels des particuliers sont également protégés contre l’inactivité des pouvoirs publics, aussi bien en ce qui concerne les compétences territoriales qu’en ce qui concerne les organes constitutionnels généraux de l’État. De toute évidence, la légitimation est plus limitée puisque la titularité d’un droit subjectif est exigée.

    Lorsqu’une personne physique ou juridique dépose une prétention fondée sur l’existence d’un droit subjectif particulier devant un des organes généraux de l’État ou les Communes, si celui-ci décline sa compétence parce qu’il estime qu’elle correspond à un autre organe, elle s’adresse à ce dernier pour réitérer la même prétention dans un délai maximum de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de l’accord. Au cas où le second organe se déclarerait incompétent le demandeur peut introduire le conflit négatif de compétence devant le tribunal constitutionnel (article 82.1 LQtC).

    La compétence ne peut pas être déclinée par le silence. Si aucune réponse n’est donnée par l’organe sommé un mois après la présentation de la demande, il est présumé qu’il estime être titulaire de la compétence et, par son exercice, il peut reconnaître ou débouter le droit subjectif allégué. Le silence n’empêche pas le recours juridictionnel ordinaire contre l’organe ayant admis la compétence de façon tacite (article 82.2 LQtC).

    Le conflit doit être introduit au tribunal dans un délai de quinze jours ouvrables à partir de la date de notification de l’accord négatif du second des organes spécifié à l’alinéa précédent moyennant un document contenant les conditions générales exigées par l’article 36 LQtC et la documentation faisant loi de l’exécution des demandes citées à l’article précédent (article 83).

    Ce procès est instruit conformément aux dispositions des articles 69 et 70 à 75 de la Loi qualifiée sur le tribunal constitutionnel. La décision du tribunal constitutionnel attribue la compétence à l’un des organes sommés, permettant de renouveler devant cet organe l’exposé des prétentions ayant lieu en droit, sans préjudice de pouvoir exiger les responsabilités pour dommages devant la juridiction ordinaire (article 84 LQtC).
    Cette procédure a rarement été utilisée par les citoyens (affaire 2007-1, 2, 3 et 4-CC, décision du 25 mai 2007).

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ?
    • sont contenus dans des normes internationales ?
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?

    La Constitution andorrane, approuvée par référendum populaire le 14 mars 1993 et entrée en vigueur le 4 mai 1993, a mis en place un régime juridique de libertés et de droits fondamentaux, en prévoyant les mécanismes indispensables à leur garantie. Elle intègre la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, dans l’ordre juridique andorran (article 5). La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été ratifiée par le Conseil général le 21 novembre 1995, et elle fait donc partie du droit interne puisque l’article 3.4 de la Constitution prévoit que les traités et les accords internationaux s’intègrent dans l’ordre juridique andorran dès leur publication au Journal Officiel de la Principauté d’Andorre, et ne peuvent pas être modifiés ou abrogés par la loi. Conformément à l’article 3 de la Constitution, l’Andorre intègre donc dans son droit positif interne les principes de droit international public universellement reconnus, et par conséquent, le tribunal ne peut que se référer dans ses arrêts à ces instruments sur les droits de l’homme. De fait, la référence de ces instruments est très fréquente, surtout dans les décisions concernant les recours en protection constitutionnelle.

    La jurisprudence du tribunal par rapport aux droits économiques, sociaux et culturels n’est pas très fréquente. D’une part, ces droits ne sont pas susceptibles d’être l’objet d’un recours en protection constitutionnelle et d’autre part, le législateur ne les a pas développés. toutefois, c’est surtout à travers les conflits de compétence que le tribunal a eu l’occasion de s’y prononcer, notamment, en ce qui concerne les articles 31 (veiller à l’utilisation rationnelle du sol et de toutes les ressources naturelles) et 33 (jouir d’un logement digne) lorsqu’il y a eu des conflits en matière d’urbanisme et l’article 34 (la conservation et le développement du patrimoine historique, culturel et artistique de l’Andorre), par rapport à la décision de la Vallée du Madriu (affaire 2006-4CC, arrêt du 6 juillet 2007).

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?
    • Egalité : 93-1-L ; 95-1-DP ; 2000-3-RE ; 2000-9-RE ; 2000-12-RE ; 20001-DP ; 2002-8-RE ; 2010-6-RE ; 2010-44-RE
    • Liberté : 95-1-PI ; 2003-7-RE ; 2004-15-RE ; 2005-35-RE ; 2007-40-RE ; 2008-24-RE ; 2009-19-RE ; 2009-24 i 29-RE ; 2009-25-RE ; 2010-1, 2, 3 i 4-PI ; 2011-19-RE
    • Liberté de mouvement : 2000-1-DP
    • Droit à la sécurité : 2005-35-RE ; 2009-25-RE ; 2010-1, 2, 3 i 4-PI
    • Liberté d’expression : 99-19-RE
    • Liberté personnelle : 96-1-RE ; 96-8-RE ; 2007-40-RE ; 2008-24-RE ; 2010-1, 2, 3 i 4-PI
    • Droits sur les moyens audiovisuels et les autres moyens de communication : 2002-12-RE ; 2007-24-RE
    • Liberté d’information : 2007-24-RE
    • Droit à la nationalité : 93-1-L ; 95-1-DP
    • Droit d’association : 95-1-PI ; 96-4-RE
    • Droit à la participation politique : 2002-2-RE ; 2011-31-RE
    • Droit à l’honneur : 2002-12-RE ; 2007-15-RE ; 2007-21-RE ; 2007-24-RE ; 2008-17-RE ; 2009-2-RE ; 2011-12-RE
    • Droit à la vie privée : 2002-12-RE ; 2007-15-RE ; 2007-21-RE ; 2007-24-RE ; 2008-16-RE ; 2009-2-RE ; 2009-24 i 25-RE ; 2009-25-RE
    • Protection de la famille : 93-1-L ; 2000-12-RE ; 2000-1-DP ; 2002-12-RE ; 2007-4-RE ; 2007-29-RE ; 2009-18-RE
    • Inviolabilité du domicile : 2009-2-RE ; 2009-24 i 29-RE
    • Secret des communications téléphoniques : 2007-15-RE ; 2007-21-RE ; 2007-24-RE ; 2009-2-RE ; 2009-9-RE ; 2009-24 i 29RE ; 2010-1-RE ; 2011-12-RE
    • Droit de pétition : 95-3-RE ; 2003-7-RE ; 2008-32-RE
    • Non-rétroactivité de la loi : 93-1-L ; 95-1-DP
    • Droit corporatif : 99-3-RE
    • Liberté civile et de testament : 2000-12-RE
    • Confidentialité et secret des données personnelles : 2000-16-RE
    • Droit à l’intimité : 2002-12-RE ; 2003-11-RE ; 2007-24-RE ; 2009-2-RE ; 2009-24 i 29-RE ; 2010-1-RE ; 2011-12-RE
    • Droit à l’image : 2002-12-RE ; 2007-24-RE ; 2008-17-RE ; 2009-2-RE
    • Droit à l’information : 2002-12-RE
    • Droit à l’intégrité physique et morale : 2008-21-RE
    • Droit au secret professionnel : 2007-24-RE ; 2009-9-RE
    • Liberté idéologique : 2008-1-DP
    • Droits économiques, sociaux et culturels : 99-4-RE ; 2000-1-DP ; 20031-CC ; 2005-11-RE ; 2008-16-RE
    • Liberté d’enseignement : 2002-2-RE ; 2008-1-DP
    • Droit à l’enseignement : 2002-2-RE ; 2008-1-DP
    • Droit au travail : 2000-1-DP ; 2007-4-RE ; 2008-21-RE ; 2009-18-RE ; 200921-RE ; 2011-10-RE
    • Liberté d’entreprise : 95-1-PI ; 2006-23-RE ; 2008-1-DP
    • Droit d’accès aux fonctions publiques : 99-5-RE ; 2000-3-RE ; 2011-31-RE
    • Liberté syndicale : 95-1-PI
    • Droit à la propriété privée : 96-4-RE; 2001-1-L; 2003-8-RE; 2002-12-RE ; 2005-11-RE ; 2006-22 i 25-RE ; 2008-16-RE ; 2010-5-RE
    • Droit à un logement digne : 2003-1-CC
    • Droit à la sécurité sociale : 99-4-RE
    • Droit à la santé : 2003-1-CC ; 2007-6-CC ; 2008-9-RE ; 2008-10-RE
    • Droit à la promotion par le travail : 2000-1-DP
    • Droit à l’environnement : 96-6-RE
    38) Si le juge constitutionnel est peu ou n’est pas du tout saisi par le citoyen, ni directement ni indirectement :

    Ce n’est pas le cas dans notre juridiction.

    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    Pas de réponse.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel
    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    Dès le début, le tribunal constitutionnel a obtenu une grande acceptation aussi bien juridique que sociale. Chaque fois qu’une décision très attendue est rendue, aussi bien les acteurs politiques, que les médias, que le public en général réagissent très correctement et dans leurs commentaires, aucune critique à la décision du tribunal n’est faite, au contraire. S’ils sont mécontents, ils renoncent à faire un quelconque commentaire en public.

    Le tribunal constitutionnel utilise des techniques d’interprétation strictement juridiques. Il est interdit aux magistrats d’effectuer des jugements d’opportunité politique et d’adresser des réprobations, des compliments ou des recommandations aux pouvoirs publics. Il essaye, autant que faire se peut, de ne pas prononcer des arrêts interprétatifs. Il ne l’a d’ailleurs pas souvent fait. toutefois, ceci ne signifie pas qu’il ne prenne pas en considération l’impact que pourraient créer ses décisions, surtout avec la finalité de moduler leurs effets, mais sans que cela conditionne le sens de ces décisions.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Les requérants ont tendance à considérer le tribunal comme une juridiction de cassation. Ils remettent en cause devant lui des éléments qui relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond. Ils reprennent l’argumentation développée devant les juges ordinaires, contestent que les preuves qu’ils ont tentées d’apporter aient été prises en considération, que les témoins, qu’ils avaient souhaité être cités, aient été entendus. Il faut bien reconnaître d’ailleurs que la notion de « procès équitable » n’est pas claire. La Convention européenne des droits la consacre dans son article 6 mais elle-même, et, à sa suite, les juridictions nationales, ont des difficultés à en préciser les contours. Les requérants y voient une ultime occasion de faire triompher la cause, au bien fondé de laquelle ils croient fermement.

    Cour constitutionnelle de Belgique

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    La Cour constitutionnelle belge peut être saisie par « toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt » (article 2, alinéa 1er, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle).

    Concrètement, outre l’État fédéral et les entités fédérées, les personnes suivantes peuvent introduire un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle, à la condition qu’elles justifient d’un intérêt à agir (voir question 5-2) :

    • les personnes physiques ;
    • les personnes morales de droit privé, telles que les sociétés commerciales, les associations sans but lucratif, les fondations, etc. ;
    • les ordres professionnels et les unions et fédérations et groupements d’unions professionnelles ;
    • les personnes morales de droit public, telles les villes et communes, provinces, centres publics d’action sociale, offices régionaux de l’emploi, établissements d’utilité publique, etc., mais uniquement dans le cadre des compétences qui leur ont été attribuées par la Constitution et par les lois ;

    Les associations de fait, mais uniquement lorsqu’elles « agissent dans des matières pour lesquelles elles sont légalement reconnues comme formant des entités juridiques distinctes et que, alors qu’elles sont légalement associées en tant que telles au fonctionnement des services publics, les conditions mêmes de leur association à ce fonctionnement sont en cause » (jurisprudence constante, voyez par exemple les arrêts n° 94/2004, 142/2007, 149/2007). on trouve dans cette catégorie les syndicats, les partis politiques et l’université de Liège qui, étant une université officielle, ne dispose pas de personnalité juridique.

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    Seules les normes de valeur législative peuvent être attaquées devant la Cour constitutionnelle (article 1er de la loi spéciale sur la Cour). Il s’agit des lois (œuvre du législateur fédéral) et des décrets et ordonnances (œuvres des législateurs fédérés). La Cour peut également contrôler la constitutionnalité des normes législatives donnant assentiment à un traité international et celle des normes législatives portant validation d’un acte administratif.

    Sont exclus du contrôle exercé par la Cour les dispositions constitutionnelles, les actes des pouvoirs exécutifs (arrêtés royaux, arrêtés de gouvernements, arrêtés ministériels) et les actes des pouvoirs locaux (règlements provinciaux et communaux). Sont également exclues les décisions de justice.

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    Le recours en annulation doit être introduit dans les six mois de la publication de la norme législative attaquée au Moniteur belge (journal officiel) (article 3 de la loi spéciale sur la Cour).

    Le délai est réduit à soixante jours si la norme visée donne assentiment à un traité international.

    un nouveau délai de six mois est ouvert pour l’introduction d’un recours en annulation d’une norme législative dont l’inconstitutionnalité a été constatée par la Cour dans le cadre d’une procédure sur question préjudicielle. Ce nouveau délai débute au jour de la publication de l’arrêt au Moniteur belge (article 4 de la loi spéciale sur la Cour).

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    La loi spéciale sur la Cour organise une procédure de suspension de la norme qui fait l’objet d’un recours en annulation (articles 19 à 25). La suspension doit être demandée par la partie requérante, elle ne pourrait être ordonnée d’office par la Cour. La demande de suspension doit être introduite dans un délai de trois mois suivant la publication de la norme. Elle ne peut être formée seule, elle doit accompagner un recours en annulation.

    La suspension ne peut être ordonnée par la Cour qu’à la double condition que des moyens sérieux soient invoqués et que l’exécution immédiate de la norme risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.

    La suspension peut également être ordonnée contre une norme adoptée par un législateur « récidiviste », c’est-à-dire lorsque l’annulation d’une norme identique ou similaire et adoptée par le même législateur a déjà été prononcée par la Cour.

    Il est relativement exceptionnel que les requérants demandent également la suspension de la norme qu’ils attaquent en annulation. En 2011, la Cour a rendu 5 arrêts sur demande de suspension. Les 5 arrêts rejettent la demande. En 2010, la Cour a également rendu 5 arrêts sur demande de suspension. Sur ces 5 arrêts, un seul accueille la demande et ordonne la suspension de la norme attaquée.

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    Les recours ne donnent lieu au payement d’aucun frais de procédure ou droit de rôle. La partie qui fait appel aux services d’un avocat, ce qui n’est pas obligatoire, supporte les honoraires de celui-ci. Les seuls frais liés à l’introduction du recours sont les frais de poste (envois recommandés).

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    L’article 2, 2° de la loi spéciale sur la Cour dispose que les recours en annulation sont introduits « par toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt ». La Cour décide que l’intérêt à demander l’annulation de la norme législative qui fait l’objet du recours est établi si celle-ci est susceptible d’affecter directement et défavorablement la situation du requérant. Pour justifier d’un intérêt, le requérant doit donc montrer que la loi qu’il attaque a ou pourrait vraisemblablement avoir une incidence défavorable sur sa situation personnelle, juridique ou de fait.

    Les personnes morales qui poursuivent un intérêt collectif (par exemple, une association de défense des droits de l’homme ou une union professionnelle) sont aussi admises à attaquer en annulation une loi qui porte atteinte à cet intérêt. Pour que leur action soit recevable, quatre conditions doivent être remplies :

    1. l’objet social de l’association doit être d’une nature particulière, donc distinct de l’intérêt général ;

    2. l’objet social de l’association doit concerner la défense d’un intérêt collectif ;

    3.cet objet doit être affecté directement et défavorablement par la norme législative qui fait l’objet du recours ;

    4.L’association doit montrer qu’elle poursuit réellement cet objectif.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    La Cour juge invariablement que dès lors que le Constituant et le législateur spécial ont exigé que la personne physique ou morale qui introduit un recours doit être « intéressée », l’action populaire n’est pas admise. L’action populaire est celle qui est intentée par une personne dont l’intérêt ne se distingue pas de l’intérêt qu’a toute personne au respect de la légalité en toute circonstance. un exemple est donné par l’arrêt n° 33/2012 qui rappelle que « l’intérêt qu’a un citoyen ou un électeur à être administré par l’autorité compétente en vertu de la Constitution, de même que l’intérêt qu’a un citoyen ou un électeur à ce que les principes et procédures prévus par les traités de l’union européenne soient effectivement mis en œuvre ne se distinguent pas de l’intérêt qu’a toute personne au respect de la légalité en toute matière ».

    L’intérêt du requérant doit être distinct de l’intérêt général (parmi beaucoup d’autres, voyez par exemple les arrêts n° 125/2000 et n° 114/2009).

    Il y a cependant deux domaines dans lesquels l’exigence de faire preuve d’un intérêt certain, direct et personnel, c’est-à-dire d’être directement concerné par la norme attaquée, est fortement nuancée et assouplie par la Cour : il s’agit des recours contre les lois réglant la matière électorale et des recours en matière pénale.

    En matière électorale, la Cour juge, de façon constante, que « le droit de vote et le droit d’être élu sont les droits politiques fondamentaux de la démocratie représentative», de sorte que « tout électeur ou tout candidat justifie de l’intérêt requis pour demander l’annulation de dispositions susceptibles d’affecter défavorablement son vote ou sa candidature » (notamment, arrêts n° 133/2006 et n° 149/2007).

    En matière pénale, la Cour est également encline à accueillir largement les requêtes, même lorsque la norme attaquée n’a pas été appliquée concrètement à la partie requérante. Elle considère notamment que « L’habeas corpus est un aspect à ce point essentiel de la liberté du citoyen, en toute circonstance, que toute personne physique se trouvant sur le territoire belge possède un intérêt permanent à ce que les règles relatives à la prise de corps et à la mise à disposition de la justice répressive garantissent la liberté individuelle » et en conclut qu’on « ne saurait dès lors soutenir qu’une loi sur la détention préventive intéresse les seules personnes qui font ou ont fait l’objet d’une procédure répressive » (arrêt n° 201/2011).

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    L’intervention d’un avocat n’est pas imposée, même si elle est fréquente. Dans la plupart des cas, les parties sont représentées par un avocat. L’expérience montre toutefois que des recours introduits par des particuliers, sans intervention d’un avocat, peuvent aboutir à l’annulation de la norme attaquée (voyez par exemple l’arrêt n° 48/2012).

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    La requête doit contenir « un exposé des faits et moyens » (article 6 de la loi spéciale sur la Cour). un moyen doit toujours contenir au moins trois éléments :

    l’indication précise de la disposition sur laquelle il porte, l’indication de la norme de référence (le plus souvent, une disposition constitutionnelle) que le requérant estime violée et enfin une argumentation qui expose en quoi cette norme de référence serait violée par la disposition attaquée.

    La requête doit être datée et signée, soit par la partie requérante, soit par son avocat.

    La requête doit être accompagnée, pour les personnes morales, de la preuve de la décision d’intenter le recours (prise par l’organe compétent) et d’une copie des statuts. L’absence de la décision d’intenter le recours et de la copie des statuts de la personne morale lors de l’introduction de la requête ne la rend cependant pas irrecevable, ces pièces pourront encore être introduites ultérieurement, à la demande du greffier.

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.
    • Le recours sera déclaré irrecevable, éventuellement au terme d’une procédure accélérée, si :
    • le recours est introduit hors délai (voyez par exemple l’arrêt n° 200/2011) ;
    • la requête ne contient pas d’exposé des moyens ou n’indique pas suffisamment quelles sont les dispositions attaquées ou en quoi elles violeraient les normes de référence ou encore quelles sont les normes de référence qui seraient violées. La Cour ne déclare le recours irrecevable que lorsqu’il est vraiment impossible de comprendre le sens de la requête. Elle considère qu’admettre une requête à ce point imprécise risque de porter atteinte au caractère contradictoire de la procédure parce que la partie adverse ne serait pas en mesure de répondre aux griefs des requérants (voyez par exemple l’arrêt n° 111/2011) ;
    • le requérant ou aucun des requérants ne fait la preuve de son intérêt à poursuivre l’annulation de la norme attaquée (voyez par exemple l’arrêt n° 171/2011) ; en cas de requête ou de recours introduits par plusieurs requérants, il suffit que l’un d’eux fasse la preuve de son intérêt à agir pour que la requête soit recevable (voyez par exemple les arrêts n° 95/2005 et n° 49/2011) ;
    • la personne morale ou l’association de fait requérantes ne démontrent pas qu’elles rentrent dans les conditions pour agir en annulation ou elles sont représentées par une personne qui n’a pas qualité pour ce faire (voyez par exemple l’arrêt n° 35/2003).

    En 2011, sur 51 arrêts statuant sur des recours en annulation, la Cour a pris 5 décisions d’irrecevabilité.

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requérants de participer à la procédure.

    Examen préliminaire (articles 70 à 73 de la loi spéciale sur la Cour) :

    Un premier examen de la requête porte sur sa recevabilité et sur la compétence de la Cour pour en connaître. Si les juges-rapporteurs estiment qu’il y a lieu d’appliquer la procédure accélérée (irrecevabilité, incompétence de la Cour, recours simple manifestement non fondé ou manifestement fondé), ils font un rapport à ce sujet devant le président ou devant la Cour, selon les cas. Les parties requérantes ont la possibilité d’introduire un mémoire justificatif. Au vu du contenu de ce mémoire, la Cour décide soit de rendre un arrêt immédiatement, conformément aux conclusions des juges-rapporteurs, soit de poursuivre l’examen de l’affaire selon la procédure ordinaire.

    Procédure ordinaire :

    Le greffier fait publier un avis indiquant l’objet du recours au Moniteur belge (journal officiel) et notifie une copie du recours à tous les gouvernements (fédéral et fédérés) et à toutes les assemblées législatives (fédérales et fédérées) (articles 74 et 76 de la loi spéciale sur la Cour).

    Toutes les institutions qui ont reçu notification du recours peuvent introduire un mémoire, dans les 45 jours de la notification. L’introduction de ce mémoire les rend parties à la procédure (article 85 de la loi spéciale sur la Cour).

    Toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt peut introduire un mémoire dans les 30 jours de la publication de l’avis de la Cour au Moniteur belge. L’introduction de ce mémoire rend la personne intervenante partie à la procédure (article 87, § 2, de la loi spéciale sur la Cour). L’intervention peut soit soutenir la requête en demandant également l’annulation de la norme, soit au contraire défendre la constitutionnalité de celle-ci. La Cour juge que justifie de l’intérêt requis pour intervenir dans une procédure en annulation toute personne dont la situation pourrait être influencée soit par la norme attaquée, soit par l’annulation de celle-ci, autrement dit, toute personne dont la situation pourrait être affectée par l’arrêt que la Cour rendra (voyez par exemple l’arrêt n° 84/2010).

    Les mémoires introduits sont notifiés par le greffe aux requérants et aux autres intervenants. Le requérant dispose alors d’un délai de 30 jours pour introduire un mémoire en réponse (article 89, § 2, de la loi spéciale sur la Cour).

    Le mémoire en réponse est notifié aux parties intervenantes par le greffe. Ces parties disposent alors d’un délai de 30 jours pour introduire un mémoire en réplique (article 89, § 2, de la loi spéciale sur la Cour).

    La Cour constate, lors de la mise en état de l’affaire, qu’elle peut être plaidée, et fixe une date d’audience. À cette occasion, la Cour peut poser des questions aux parties, qui seront invitées à y répondre soit dans un mémoire complémentaire, soit oralement à l’audience (article 90 de la loi spéciale sur la Cour).

    À l’audience, les juges-rapporteurs exposent les questions soulevées par l’affaire et les arguments des différentes parties requérantes et intervenantes. La Cour peut encore poser des questions aux parties. Les parties ont ensuite l’occasion de plaider brièvement, généralement uniquement pour ajouter des précisions qui ne se trouveraient pas dans leurs écrits.

    L’affaire est ensuite prise en délibéré. Les juges délibèrent à huis-clos et dans le secret. L’arrêt ne comporte pas de mention du résultat des votes. L’arrêt n’est jamais accompagné d’opinions dissidentes.

    L’arrêt est prononcé en séance publique, publié intégralement sur le site web de la Cour dans les minutes qui suivent le prononcé, publié par extraits au Moniteur belge dans les semaines qui suivent et repris intégralement dans le Recueil des arrêts de la Cour.

    9) Quelles sont les phases du jugement ?

    Le projet d’arrêt préparé par les juges-rapporteurs (un francophone et un néerlandophone pour chaque affaire) est distribué à tous les juges avant le délibéré. En délibéré, les juges-rapporteurs présentent l’affaire et leur projet d’arrêt, avec les alternatives éventuelles. Chaque juge membre du siège a l’occasion d’exposer son point de vue et de présenter un éventuel projet alternatif ou des amendements. Les juges votent ensuite sur la solution.

    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable » : principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.

    La procédure est essentiellement écrite. Le principe du contradictoire et de l’égalité des armes est garanti par le fait que chaque partie dispose de deux écrits de procédure et que tous les écrits sont communiqués aux autres parties par les soins du greffe. La partie qui souhaite répliquer au dernier écrit de la partie adverse peut encore le faire oralement à l’audience et déposer, le cas échéant, une note de plaidoirie.

    Le délai de jugement fixé par la loi est d’un an (article 109 de la loi spéciale sur la Cour). Ce délai est généralement respecté, sauf lorsque la Cour interroge la Cour de justice de l’union européenne à titre préjudiciel.

    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    L’audience est publique, toute personne peut pénétrer librement dans la salle d’audience et y assister. Les personnes assistant à l’audience ne doivent pas décliner leur identité. La date d’audience pour chaque affaire est publiée deux à trois semaines à l’avance sur le site web de la Cour. Le prononcé de l’arrêt est également public.

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ?

    L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    tout recours en annulation fait l’objet d’un arrêt. Si le recours est jugé irrecevable, l’arrêt le constate. Si le requérant se désiste de son recours en cours d’instance, la Cour rend un arrêt constatant le désistement si rien ne s’y oppose, sans examen du fond de l’affaire (article 98 de la loi spéciale sur la Cour).

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    La Cour ordonne la réouverture des débats (article 107 de la loi spéciale sur la Cour) lorsque :

    un changement de siège s’impose, soit pour le remplacement d’un juge empêché, soit pour la prise d’une affaire en audience plénière décidée en cours de délibération ;

    il apparaît en cours de délibération que des questions complémentaires doivent être posées aux parties, qu’une exception doit être accueillie ou qu’un moyen doit être soulevé d’office lorsque les parties n’ont pas été en mesure de s’expliquer à ce sujet.

    Lorsque la réouverture des débats est ordonnée, la Cour peut inviter les parties à déposer un nouveau mémoire dans le délai qu’elle fixe et les parties sont à nouveau entendues en audience publique.

    Les recours en annulation ne sont jamais « renvoyés aux tribunaux ordinaires ».

    La Cour constitutionnelle connaît d’un contentieux objectif : elle statue sur la compatibilité des normes législatives avec la Constitution mais ne connaît pas des questions de responsabilité du législateur concerné. Elle ne condamne jamais au payement de dommages et intérêts.

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    La norme dont l’annulation est demandée est inconstitutionnelle si elle :

    est contraire aux règles répartitrices de compétences entre les différents législateurs (fédéral et fédérés) belges, autrement dit, si son auteur n’était pas compétent pour l’adopter ;

    est incompatible avec les droits et libertés garantis par la Constitution, éventuellement lus en combinaison avec les droits et libertés garantis par des dispositions internationales conventionnelles.

    La Cour constitutionnelle peut soulever des moyens d’office, c’est-à-dire qu’elle peut annuler une disposition pour un motif d’inconstitutionnalité qui ne lui a pas été présenté par les parties requérantes ou intervenantes.

    Lorsqu’elle a l’intention de soulever un moyen d’office, la Cour en informe les parties lors de la fixation de l’audience. Si le moyen d’office apparaît en cours de délibéré, la Cour rouvre les débats et organise une nouvelle audience aux fins d’entendre les parties à ce sujet (pour un exemple, voyez l’arrêt n°81/95).

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    Les recours pour inconstitutionnalité dirigés contre les actes réglementaires ne relèvent pas de la compétence de la Cour constitutionnelle. Ils doivent être introduits au Conseil d’État (article 160 de la Constitution et article 14 des lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État).

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    La décision d’inconstitutionnalité prise au contentieux des recours directs emporte l’annulation erga omnes et ex tunc de la norme dès leur publication au Moniteur belge (article 9 de la loi spéciale sur la Cour). Cela signifie que lorsque la Cour estime que le recours en annulation est fondé, elle annule la norme attaquée. Celle-ci disparaît complètement de l’ordre juridique et, par une fiction, on considère qu’elle n’a jamais été adoptée. Cet effet vaut pour le requérant, mais également pour tous les citoyens et toutes les autorités publiques belges.

    Le requérant, ainsi que d’autres personnes peuvent obtenir la rétractation des décisions de justice rendues en matière civile, administrative ou pénale, passées en force de chose jugée, fondées sur une norme ultérieurement annulée par la Cour constitutionnelle (articles 10 à 17 de la loi spéciale sur la Cour). La rétractation est prononcée par la juridiction qui avait rendu la décision rétractée, à la demande du ministère public, du condamné ou des parties à la procédure antérieure. La juridiction rend une nouvelle décision compte tenu de la nouvelle situation juridique en conséquence de l’annulation prononcée par la Cour constitutionnelle.

    L’arrêt d’annulation a aussi pour effet de rouvrir un nouveau délai de recours contre les actes et règlements administratifs fondés sur une norme législative ultérieurement annulée par la Cour constitutionnelle (article 18 de la loi spéciale sur la Cour).

    L’article 8, alinéa 2, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle prévoit que celle-ci peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets des dispositions annulées qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenus provisoirement pour le délai qu’elle détermine. Si la Cour maintient les effets de la disposition annulée, celle-ci ne disparaît pas de l’ordre juridique et est encore appliquée par les administrations et par les juridictions. La Cour décide exceptionnellement de maintenir les effets d’une norme annulée, au terme d’un raisonnement qui fait appel à une balance des intérêts et qui justifie généralement le maintien des effets par la nécessité de garantir la sécurité juridique (voyez par exemple l’arrêt n° 33/2011).

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    Les questions préjudicielles ne peuvent être adressées à la Cour que par les juridictions (article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989). Il faut entendre par « juridiction » toute autorité qui doit statuer sur un litige, lorsqu’elle doit appliquer une disposition législative ou un décret dont la validité est contestée. La Cour interprète largement la notion de « juridiction » et accueille les questions posées notamment par :

    • les Cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, depuis le juge de paix ou le tribunal de police jusqu’à la Cour de cassation ;
    • les juridictions administratives, jusqu’au Conseil d’État ;
    • les autorités locales agissant comme juridiction en matière électorale ;
    • diverses commissions d’appel, notamment en matière disciplinaire.
    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    Il faut que le citoyen se trouve engagé dans un litige ou une procédure gracieuse.

    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ?

    La compétence de la Cour au contentieux préjudiciel est la même que sa compétence au contentieux de l’annulation (article 26, § 1er, de la loi spéciale sur la Cour). Les questions préjudicielles adressées à la Cour doivent toujours l’interroger au sujet de la compatibilité d’une disposition de valeur législative (loi fédérale ou décret ou ordonnance fédérés) avec une norme de référence. Les normes de référence sont :

    • les règles répartitrices de compétences entre les différents législateurs (fédéral et fédérés) belges ;
    • les droits et libertés garantis par la Constitution, éventuellement lus en combinaison avec les droits et libertés garantis par des dispositions internationales conventionnelles.

    La Cour peut en principe être interrogée au contentieux préjudiciel au sujet de la constitutionnalité de normes législatives donnant assentiment à un traité international. Sont cependant exclues de la compétence de la Cour au contentieux préjudiciel les normes d’assentiment aux traités constituant de l’union européenne et à la Convention européenne des droits de l’homme et à ses protocoles additionnels (article 26, §1er bis, de la loi spéciale sur la Cour).

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    Le système instauré par l’article 26 de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle est contraignant : dès qu’une question de constitutionnalité est posée devant le juge de l’affaire par une des parties, il doit interroger la Cour. Il peut également le faire d’office, même si les parties ne le lui demandent pas.

    Lorsqu’il est invoqué devant une juridiction qu’une norme législative viole un droit fondamental garanti de manière totalement ou partiellement analogue par la Constitution ainsi que par une disposition de droit européen ou de droit international, la juridiction est tenue de poser d’abord à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle sur la compatibilité avec la Constitution.

    toutefois, l’article 26 de la loi spéciale prévoit un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles le juge n’est pas tenu de poser une question :

    • si l’action introduite devant lui est irrecevable ou que la juridiction n’est pas compétente pour en connaître, sauf si la question porte précisément sur la disposition qui crée l’incompétence ou l’irrecevabilité ;
    • si la Cour a déjà rendu un arrêt répondant à une question identique ou statuant sur un objet identique : dans ce cas, le juge de l’affaire est en réalité devant un choix : soit il se dispense d’interroger la Cour, ce qui suppose qu’il applique à son affaire l’enseignement de l’arrêt précédent ; soit il souhaite que la Cour se repenche sur la question, éventuellement parce qu’il pressent que son cas pourrait amener la Cour à prendre une option un peu différente, et il repose la question à la Cour ;
    • si la juridiction dont la décision est susceptible de recours (donc pas la Cour de cassation ni le Conseil d’État) constate que la norme ne viole manifestement pas les règles de référence ou si elle considère que la réponse à la question n’est pas indispensable pour rendre sa décision ;
    • si on est dans une procédure en référé, la juridiction ne doit poser la question que s’il existe un doute sérieux de compatibilité avec les normes de référence ;
    • si la juridiction apprécie le maintien de la détention préventive, elle ne doit poser la question que s’il existe un doute sérieux de compatibilité avec les normes de référence.

    Si la disposition en cause pourrait violer un droit fondamental garanti à la fois par la Constitution et par le droit européen ou le droit international, toute juridiction (donc y compris la Cour de cassation et le Conseil d’État) est dispensée d’interroger la Cour constitutionnelle si elle constate que la norme en cause ne viole manifestement pas les normes de référence ou si elle constate qu’un précédent (soit de la Cour constitutionnelle, soit d’une juridiction internationale) fait apparaître que la norme de référence est manifestement violée (éventuellement application par analogie de l’enseignement d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme ou par la Cour de justice de l’union européenne).

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    La question préjudicielle est transmise à la Cour par simple envoi de greffe à greffe (article 27, § 1er, de la loi spéciale sur la Cour). Il n’y a pas de formes prescrites. La question doit identifier la norme au sujet de laquelle la question est posée, ainsi que les normes de référence qui seraient violées.

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    Aucun délai n’est imposé pour la transmission de la question préjudicielle à la Cour. généralement, l’envoi est fait par le greffe de la juridiction de renvoi dans les jours ou les semaines qui suivent le prononcé du jugement ou de l’arrêt qui pose la question préjudicielle.

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    La Cour constitutionnelle doit statuer dans un délai d’un an maximum après la saisine (article 109 de la loi spéciale sur la Cour).

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    Toutes les parties à la procédure devant le juge de renvoi reçoivent notification de la question préjudicielle par les soins du greffe de la Cour constitutionnelle (article 77 de la loi spéciale sur la Cour). À compter de cette notification, elles disposent d’un délai de 45 jours pour faire parvenir à la Cour, si elles le souhaitent, un mémoire. L’envoi de ce mémoire les rend parties à la procédure devant la Cour constitutionnelle (article 87 de la loi spéciale sur la Cour).

    Toute autre personne intéressée peut également intervenir dans la procédure devant la Cour, par l’envoi d’un mémoire dans les trente jours de la publication de l’avis au Moniteur belge.

    Ce mémoire n’est soumis à aucune condition de forme, si ce n’est qu’il doit être envoyé à la Cour par envoi recommandé à la poste. Les parties y exposent librement leurs observations quant à la question préjudicielle.

    Le greffier notifie tous les mémoires parvenus à la Cour dans le délai précité aux différentes parties intervenantes. toutes les parties disposent alors d’un nouveau délai de 30 jours pour faire parvenir à la Cour un mémoire en réponse qui sera également notifié par les soins du greffier aux autres parties intervenantes (article 89 de la loi spéciale sur la Cour). toutes les parties ayant déposé au moins un mémoire seront ensuite invitées à s’exprimer oralement au cours de l’audience publique.

    24) Est-ce qu’il doit être obligatoirement assisté d’un avocat ?

    Non, les parties peuvent intervenir et plaider personnellement devant la Cour.

    25) Est-ce que le citoyen peut bénéficier d’un délai pour produire des pièces ou des preuves au soutien de ses moyens ?

    Les pièces ou preuves doivent être produites en annexe aux mémoires en intervention ou en réponse, dans les délais fixés pour l’introduction de ces mémoires (45 jours et 30 jours). Des pièces peuvent encore, avec l’accord du président, être déposées à l’audience.

    26) Est-ce que la partie adverse du citoyen à l’origine de la saisine peut prendre part au procès pour développer ses arguments contre l’inconstitutionnalité ? Si oui, comment ?

    Voir la réponse à la question 23. Les différentes parties au procès devant la juridiction de renvoi sont sur un strict pied d’égalité devant la Cour constitutionnelle. Elles disposent toutes de deux écrits de procédure pour faire valoir leurs arguments et peuvent toutes, à condition d’avoir déposé au moins un écrit, prendre la parole lors de l’audience publique.

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ?

    Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    Les décisions rendues par la Cour constitutionnelle au contentieux préjudiciel sont généralement respectées par les juridictions qui ont interrogé la Cour. Si tel n’était pas le cas, la Cour ne disposerait toutefois d’aucun moyen pour forcer la juridiction à respecter sa décision. Il appartient aux juridictions d’appel, à la Cour de cassation et au Conseil d’État d’y veiller, le cas échéant.

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    En principe, les décisions de la Cour constitutionnelle au contentieux préjudiciel n’ont d’effet que pour le litige à l’occasion duquel la question a été posée. Ainsi, l’article 28 de la loi spéciale sur la Cour dispose : « La juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire sont tenues, pour la solution du litige à l’occasion duquel ont été posées les questions [préjudicielles], de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle ». La norme déclarée inconstitutionnelle par la Cour ne sera pas appliquée par le juge de renvoi, ni par les juges saisis sur recours dans le cadre du même litige. En revanche, un arrêt constatant qu’une disposition législative viole la Constitution n’a pas pour effet d’annuler cette norme. La norme inconstitutionnelle demeure dans l’ordre juridique et peut, théoriquement, encore être appliquée à l’avenir dans le cadre d’autres litiges semblables.

    Toutefois, les arrêts rendus au contentieux préjudiciel ont, en pratique, un effet qui dépasse le cadre du litige à l’occasion duquel ils ont été rendus, effet que l’on a coutume d’appeler : « autorité relative renforcée de chose jugée ».

    En effet, à l’avenir, toutes les autres juridictions saisies de litiges semblables ne pourront plus ignorer que la disposition a été jugée inconstitutionnelle par la Cour. Ces autres juridictions se trouveront en réalité devant un choix de procédure. Soit, en application de l’article 26, § 2, alinéa 2, 2°, de la loi spéciale sur la Cour, la juridiction s’abstiendra de poser à la Cour une nouvelle question sur la disposition en cause et, dans ce cas, elle ne l’appliquera pas à son litige, en vertu de l’arrêt précédemment rendu par la Cour, soit elle posera une nouvelle question semblable à la Cour et obtiendra très probablement un arrêt identique au premier.

    Ainsi, par l’effet relatif renforcé des arrêts rendus au contentieux préjudiciel, certaines normes législatives déclarées inconstitutionnelles, tout en étant toujours présentes dans l’ordre juridique, ne sont plus appliquées par les juridictions.

    En revanche, cette autorité relative renforcée ne s’impose pas aux administrations, qui sont en principe tenues d’appliquer la loi telle qu’elle se présente. on observe toutefois que les directives d’interprétation des normes communiquées aux administrations tiennent souvent compte des décisions de la Cour constitutionnelle.

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    La norme déclarée inconstitutionnelle sera écartée par le juge de renvoi, elle ne sera pas appliquée au litige auquel le justiciable est partie.

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    La loi spéciale est muette sur la possibilité pour la Cour constitutionnelle de maintenir les effets de ses décisions d’inconstitutionnalité au contentieux préjudiciel pour le passé et/ou pour l’avenir. La Cour a toutefois pris l’initiative de le faire, pour la première fois, dans l’arrêt n° 125/2011. Elle a jugé qu’il pouvait être nécessaire de moduler dans le temps les effets d’un arrêt rendu sur question préjudicielle pour des motifs qui tiennent à l’autorité renforcée des arrêts rendus sur question préjudicielle (voir réponse à la question 27), à la possibilité qu’à tout tiers intéressé d’intervenir dans une procédure préjudicielle et à l’effet de réouverture d’un délai pour introduire en recours en annulation après invalidation sur procédure préjudicielle (voir réponse à la question 3). Elle l’a fait pour limiter « l’incertitude liée à l’applicabilité dans le temps des dispositions jugées inconstitutionnelles » et considère qu’elle doit « rechercher, dans les affaires qui lui sont soumises, un juste équilibre entre l’intérêt de remédier à toute situation contraire à la Constitution et le souci de ne plus compromettre, après un certain temps, des situations existantes et des attentes qui ont été créées ».

    jusqu’à présent, on ne trouve que ce seul arrêt décidant un maintien des effets d’une norme déclarée inconstitutionnelle au contentieux préjudiciel. Dans ce cas, ce maintien des effets a eu pour conséquence que le justiciable, bien qu’ayant eu raison, s’est quand même vu appliquer la disposition inconstitutionnelle. Il n’a donc en réalité pas profité de la décision qui lui donnait satisfaction. Mais rien n’empêche la Cour de ménager une exception dans l’exception en maintenant les effets de la disposition invalidée sauf à l’égard des parties engagées dans le litige qui a donné lieu à la procédure préjudicielle (voir l’arrêt n° 140/2008, rendu au contentieux de l’annulation et l’arrêt n° 18/2012, relatif au maintien des effets d’une disposition annulée par le Conseil d’État).

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    Les autres juridictions appelées à appliquer la disposition jugée inconstitutionnelle sont placées devant un choix : soit, elles se conforment à l’arrêt de la Cour et ne lui posent pas de question nouvelle, soit elles interrogent à nouveau la Cour et se conforment alors à l’arrêt qui sera rendu en réponse à cette nouvelle question et qui sera très probablement identique au premier arrêt (voir réponse à la question 19). Ceci signifie que les procédures non définitivement jugées sont directement influencées par l’arrêt rendu sur une question posée par une autre juridiction.

    31) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité a-t-elle pour les personnes ayant fait l’objet de décisions administratives fondées sur la disposition législative déclarée entre-temps inconstitutionnelle et qui n’ont pas encore introduit de recours en annulation devant le juge administratif à la date de la censure ?

    Si le délai d’introduction du recours en annulation devant le juge administratif n’est pas encore expiré, ces personnes ont intérêt à introduire un tel recours et à faire valoir l’arrêt de la Cour constitutionnelle devant le juge administratif. Celui-ci aura également un choix : soit se conformer à la décision de la Cour constitutionnelle, soit interroger à nouveau celle-ci.

    Si le délai d’introduction du recours administratif est expiré, les personnes qui sont dans cette situation ne peuvent pas introduire un recours administratif. Cela ne signifie pas, cependant, qu’elles se trouvent dépourvues de tout moyen d’attaquer la décision administrative illégale car fondée sur une disposition législative inconstitutionnelle. En effet, tout arrêt rendu par la Cour constitutionnelle sur question préjudicielle et constatant l’inconstitutionnalité de la disposition en cause a pour effet de faire courir un nouveau délai de six mois au cours duquel toute personne intéressée peut demander l’annulation de la norme à la Cour (article 4, alinéa 2, de la loi spéciale sur la Cour). une personne à qui la disposition inconstitutionnelle a été appliquée justifie certainement de l’intérêt requis pour en demander l’annulation. Suite à l’arrêt d’annulation de la disposition en cause par la Cour constitutionnelle, un nouveau délai pour attaquer les actes administratifs pris sur la base de cette disposition est ouvert (article 18 de la loi spéciale sur la Cour – voyez la réponse à la question 15).

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    La décision d’inconstitutionnalité s’impose au juge qui a posé la question préjudicielle ainsi qu’à tout juge appelé à statuer dans la même affaire (article 28 de la loi spéciale sur la Cour).

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    La Cour s’efforce de rendre ses décisions lisibles et compréhensibles par le plus grand nombre. Les décisions sont rédigées en langage commun et en style direct. La Cour a également décidé de ne pas utiliser de locutions latines, sauf exceptions. La motivation s’efforce d’être pédagogique.

    La Cour n’organise jamais de conférence de presse au sujet des arrêts qu’elle rend. toutefois, les journalistes intéressés peuvent obtenir des réponses aux questions d’éclaircissements qu’ils se posent auprès de deux référendaires désignés à cette fin. En outre, les principaux arrêts de la Cour sont résumés dans son rapport annuel, qui bénéficie d’une large diffusion.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    Les revirements de jurisprudence stricto sensu sont assez rares, même s’ils ne sont pas exclus. En revanche, les évolutions de jurisprudence sont plus fréquentes. Par « évolution de jurisprudence », on désigne les arrêts qui affinent ou ajoutent certains éléments à des arrêts antérieurs rendus au sujet de la même norme. Ces évolutions peuvent par exemple conduire à ce qu’une disposition qui avait été jugée conforme à la Constitution soit par la suite invalidée, mais uniquement dans la mesure où elle est interprétée dans un sens déterminé, ou encore uniquement lorsqu’elle est appliquée à tel type de situation. Lorsque la Cour l’estime utile, elle cite dans l’arrêt ultérieur les arrêts antérieurs, et elle indique les éléments qui la conduisent à faire évoluer sa jurisprudence (voyez par exemple l’arrêt n° 66/2003, rendu en matière d’établissement de la filiation).

    C. Autres cas
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Non, c’est la juridiction qui envoie la question préjudicielle à la Cour, le citoyen n’a pas d’initiative à prendre.

    Si la juridiction refuse de poser la question préjudicielle soumise par une des parties, cette décision ne peut faire pas l’objet d’un recours distinct (article 29 de la loi spéciale sur la Cour).

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.
    Non.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ?
    • sont contenus dans des normes internationales ?
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?

    La Cour constitutionnelle n’est, en principe, compétente que pour protéger les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution (titre II). toutefois, il est de jurisprudence constante que « parmi les droits et libertés garantis par les articles 10 et 11 de la Constitution (principe d’égalité et de non-discrimination) figurent les droits et libertés résultant de dispositions conventionnelles internationales qui lient la Belgique » et que « lorsqu’une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à une ou plusieurs des dispositions constitutionnelles (garantissant les droits fondamentaux), les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles. »

    La technique dite « combinatoire » permet donc à la Cour de protéger tous les droits et libertés garantis en Belgique, soit par la Constitution, soit par les traités et conventions de droit international (Convention européenne des droits de l’homme, Pactes de l’oNu, Conventions du Conseil de l’Europe, Charte européenne des droits fondamentaux, etc.), via le principe d’égalité. La même technique permet à la Cour de protéger des droits « nouveaux », qui ne sont pas expressément consacrés par la Constitution et qu’elle tire de certains principes généraux du droit ou de la combinaison de plusieurs droits fondamentaux. Ainsi, la Cour a-t-elle reconnu la « liberté académique » comme découlant à la fois de la liberté d’expression et de la liberté d’enseignement (arrêt n° 167/2005).

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    En 2011, les droits et libertés suivants ont été invoqués devant la Cour, souvent en combinaison (classement par ordre d’importance numérique) :

    • droit à l’égalité et à la non-discrimination ;
    • droit à la dignité humaine, qui comprend les droits économiques, sociaux et culturels (droit au travail, à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique, droit à un logement décent,
      droit à la protection d’un environnement sain, droit à l’épanouissement culturel et social) ;
    • droit à la liberté individuelle et à la légalité en matière pénale ;
    • droit de propriété ;
    • droits fondamentaux en matière fiscale ;
    • droit à la protection de la vie privée et familiale ;
    • droits des étrangers ;
    • droits des enfants ;
    • droits fondamentaux en matière d’enseignement (liberté et égalité) ;
    • garanties juridictionnelles ;
    • liberté d’expression ;
    • liberté d’association.
    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    En raison de sa conception large de sa saisine (voir le point 1 ci-dessus), les citoyens et les associations de défense des droits de ceux-ci, ainsi que les organisations et ordres professionnels tels que le Barreau, sont encouragés à introduire des recours ou à demander que des questions préjudicielles soient posées.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    Il est difficile de savoir si les citoyens ont une image précise et correcte de la Cour constitutionnelle. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’enquête ou de sondage relatifs à la Cour constitutionnelle. La presse se fait régulièrement l’écho des arrêts rendus par la Cour, de manière informative. Nous n’avons pas connaissance d’articles de presse critiques au sujet de la Cour ou des arrêts rendus.

    En revanche, la doctrine juridique spécialisée, qui fait une large place aux arrêts de la Cour et les commente abondamment, ne se prive pas d’être critique lorsqu’elle estime que l’un ou l’autre arrêt le mérite. Les critiques négatives ou positives, lorsqu’elles sont formulées, portent sur le raisonnement juridique, sur l’argumentation ou sur la solution, jamais sur la personne des juges.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Créée en 1985 en tant qu’organe indispensable dans un État fédéral pour assurer l’arbitrage entre les différentes collectivités politiques fédérale et fédérées, la Cour est devenue, au fil du temps, une véritable cour constitutionnelle dont l’activité principale, à l’heure actuelle, est la protection des droits et libertés du citoyen vis-à-vis des différents législateurs.

    Si les recours en annulation ne sont pas extrêmement nombreux (en 2010, la Cour a rendu 49 arrêts sur recours en annulation) par rapport au contentieux préjudiciel (sur la même période, la Cour a rendu 147 arrêts sur questions préjudicielles / pour 2011, ces chiffres sont respectivement de 65 et 161), la part des recours introduits par des citoyens (personnes physiques ou personnes morales, souvent des citoyens réunis en associations ou groupements) est significative puisque 94 % des recours auxquels il a été répondu en 2010 avaient été introduits par des citoyens. Les statistiques pour 2011 montrent que 95 % des recours avaient été introduits par des citoyens. Le contentieux préjudiciel permet également d’assurer une protection efficace des droits fondamentaux des citoyens. Le nombre des questions posées montre que les juridictions du pays ont bien intégré le mécanisme et l’utilisent la plupart du temps à bon escient (57 arrêts constatent en 2011 une violation de la disposition faisant l’objet de la question préjudicielle).

    On peut dire qu’actuellement, la Cour constitutionnelle est un élément essentiel du système institutionnel belge et est perçue comme telle.

    Cour constitutionnelle du Bénin

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    Le droit de saisine de la Cour constitutionnelle est ouvert aussi bien aux institutions de la République, aux personnes physiques et morales, aux associations de citoyens qu’aux citoyens pris individuellement.

    Le droit de saisine est réglé par les articles 3 et 122 de la Constitution et 31 du règlement intérieur sur la Cour constitutionnelle.

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    Toute loi, tout règlement et tout acte administratif peut être attaqué devant le juge constitutionnel. En outre, en matière des droits de l’homme, des faits peuvent être déférés, de même que des décisions de justice lorsqu’elles portent atteinte aux droits de l’homme.

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    En général, il n’est exigé du citoyen aucun délai. toutefois, la question du délai de saisine se pose en matière de promulgation des lois : le Président de la République dispose de quinze (15) jours pour saisir la Cour. Ce délai est réduit à cinq (5) jours en cas d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale.

    En cas de rectification d’erreur matérielle constatée dans une décision, le requérant dispose d’un délai d’un mois à compter de la notification pour saisir la Cour. Article 24 du Règlement intérieur sur la Cour constitutionnelle.

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    Non.

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    La procédure devant la Cour constitutionnelle est gratuite. Article 28 du Règlement intérieur.

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    Non.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    Toute personne peut agir et n’a pas besoin d’être directement concernée par la disposition présumée contraire à la Constitution.

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    Le recours devant le juge constitutionnel n’a pas besoin du ministère d’avocat. toutefois, les parties peuvent se faire assister de toute personne physique ou morale compétente. Article 30 du règlement intérieur.

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    Pour être valable, la requête émanant d’une organisation non gouvernementale, d’une association ou d’un citoyen doit comporter ses nom, prénoms, adresse précise et signature ou empreinte digitale. Article 31 alinéa 2 du Règlement intérieur.

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    Motifs d’irrecevabilité : défaut d’adresse précise ; défaut de signature ; défaut de capacité ; autorité de chose jugée.
    En matière électorale : défaut de qualité ; requête tardive ; requête prématurée.

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requé- rants de participer à la procédure.

    Le Président de la Cour constitutionnelle désigne un rapporteur parmi les membres de la Cour. Article 29 du Règlement intérieur.

    Le rapporteur procède à l’instruction de l’affaire aidé d’un assistant juriste.

    • audition des parties ou de toute autre personne dont l’audition paraît utile ;
    • recours à toute expertise ;
    • enquête et transport judiciaire en cas de nécessité ;
    • délai imparti aux parties pour produire leurs observations et éventuellement préciser leur demande.

    Les parties peuvent se faire assister de toute personne physique ou morale compétente (avocat ou association de défense des droits de l’homme, etc.). Article 30 du Règlement intérieur.

    9) Quelles sont les phases du jugement ?

    Le rapporteur rédige, à la fin de l’instruction, un rapport et un projet de décision à soumettre à la Cour en audience. Le rapport analyse les moyens soulevés et énonce les points à trancher : article 29 alinéa 4 du Règlement intérieur. Il est déposé au Secrétariat général qui le communique sans délai aux membres de la Cour. Il est lu à l’audience par le rapporteur. Ce rapport est discuté par les conseillers. Il peut être amendé et adopté ou rejeté. Dans le cas où il est amendé et adopté, les Conseillers étudient le projet de décision en examinant les motifs et le dispositif. La décision adoptée est signée par le Président de séance et le conseiller rapporteur et comporte les noms des conseillers qui ont siégé.

    Les débats ne sont pas publics, sauf décision contraire de la Cour notamment en ce qui concerne le contentieux électoral.

    Nul ne peut demander à y être entendu. Article 30 du Règlement intérieur.

    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable »: principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.

    Le collège des sept (7) conseillers s’est toujours employé à garantir le caractère contradictoire de la procédure. Le délai de jugement est souvent respecté surtout en matière de protection des droits de l’homme, de contrôle de constitutionnalité des lois avant leur promulgation et de l’exception d’inconstitutionnalité. Le délai peut être long lorsque les parties ne respectent pas les délais impartis pour la réponse aux mesures d’instruction.

    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    Les débats ne sont pas publics, sauf décision contraire de la Cour constitutionnelle notamment en matière de contentieux électoral. Article 30 du Règlement intérieur.

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ?

    L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    Le juge constitutionnel statue dans tous les cas sur le recours.

    Le juge constitutionnel statue également en cas de désistement du citoyen. À travers sa décision, il lui en donne acte.

    Toutefois en cas de violation évoquée d’une liberté fondamentale, le juge se prononce d’office quant au fond malgré le désistement et ce, en vertu des articles 121 alinéa 2 de la Constitution et 33 alinéa 1er de la Loi organique sur la Cour constitutionnelle.

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    Cette procédure n’est pas appliquée devant la Cour constitutionnelle du Bénin, sauf en cas de rectification d’erreur matérielle.

    La Cour peut se déclarer incompétente lorsque la question évoquée ne porte pas sur la constitutionnalité des lois ou sur la violation des droits humains.

    La Cour affirme dans sa jurisprudence le principe du droit à réparation en cas de violation avérée des droits de l’homme. La fixation du quantum des dommages-intérêts est laissée à l’appréciation du juge judiciaire.

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    Les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge portent sur la violation des règles prescrites par la Constitution au sens strict, les règles contenues dans la Loi organique sur la Cour constitutionnelle, les dispositions des règlements intérieurs des institutions constitutionnelles, les principes à valeur constitutionnelle, les traités et conventions surtout en matière de protection des libertés fondamentales.

    En matière de violation des libertés fondamentales, le juge peut fonder sa décision sur les moyens non présentés par le requérant.

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    Le citoyen peut dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome.

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    Les articles 124 de la Constitution, 34 de la Loi organique sur la Cour constitutionnelle et 23 du règlement intérieur de la Cour constitutionnelle disposent respectivement :

    « une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

    Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

    Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ». ;

    « Conformément à l’article 124 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

    Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

    Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.

    Elles doivent en conséquence être exécutées avec la diligence nécessaire. »

    « Les décisions de la Cour constitutionnelle sont publiées au Journal officiel ou dans un journal d’annonces légales.

    Elles prennent effet à compter de leur prononcé. Elles sont notifiées aux parties concernées.

    Elles ne sont susceptibles d’aucun recours.

    Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités civiles, militaires, juridictionnelles et à toutes les personnes physiques ou morales.

    Elles doivent en conséquence être exécutées avec la diligence nécessaire… »

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    Le justiciable saisit indirectement le juge constitutionnel par une autorité juridictionnelle devant laquelle il invoque l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi qui doit lui être appliquée par ledit juge.

    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    Les articles 122 de la Constitution et 24 de la loi organique énoncent respectivement :

    « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente (30) jours ». ;

    « Tout citoyen peut, par une lettre comportant ses noms, prénoms et adresse précise, saisir directement la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois.

    Il peut également, dans une affaire qui le concerne, invoquer devant une juri- diction l’exception d’inconstitutionnalité.

    Celle-ci, suivant la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité doit saisir immédiatement et au plus tard dans les huit jours la Cour constitutionnelle et surseoir à statuer jusqu’à la décision de la Cour ».

    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invo- quées par les citoyens ?

    Conformément aux dispositions de l’article 3 alinéa 3 de la Constitution, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels.

    18-1. Les droits et libertés inscrits dans la Constitution ?

    oui.

    18-2. Les règles constitutionnelles à caractère procédural ?

    oui.

    18-3. Les règles constitutionnelles ayant trait à la répartition des compétences ?

    oui.

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    oui.

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    Dans l’hypothèse de l’exception d’inconstitutionnalité, le Président de la juridiction devant laquelle est invoquée l’exception d’inconstitutionnalité saisit la Cour constitutionnelle par une « décision d’avant-dire droit » (ADD).

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    Le président du tribunal doit surseoir à statuer et transmettre le dossier d’exception d’inconstitutionnalité dans un délai de huit (8) jours. Article 24 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle.

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    La Cour constitutionnelle doit rendre sa décision dans un délai de trente

    (30) jours. Article 25 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle.

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    Le citoyen à l’origine de la saisine ne participe pas à la procédure devant le juge constitutionnel.

    24) Est-ce qu’il doit être obligatoirement assisté d’un avocat ?

    Pas obligatoirement.

    25) Est-ce que le citoyen peut bénéficier d’un délai pour produire des pièces ou des preuves au soutien de ses moyens ?

    Non.

    26) Est-ce que la partie adverse du citoyen à l’origine de la saisine peut prendre part au procès pour développer ses arguments contre l’inconstitutionnalité ? Si oui, comment ?

    Non.

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ?

    Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    En principe non. Mais globalement les décisions de la Cour constitutionnelle sont respectées.

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    Les décisions de la Cour sont sans recours et sont de ce fait valables erga omnes. De même, les juges et les parties concernées doivent-ils observer la décision prise par la Haute juridiction.

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    Le justiciable doit se soumettre à la décision du juge constitutionnel qui peut lui être favorable ou défavorable.

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    Non.

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    La décision d’inconstitutionnalité du juge est valable erga omnes et s’impose à toutes les juridictions.

    31) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité a-t-elle pour les personnes ayant fait l’objet de décisions administratives fondées sur la disposition législative déclarée entre-temps inconstitutionnelle et qui n’ont pas encore introduit de recours en annulation devant le juge admi- nistratif à la date de la censure ?

    Dans tous les cas, le juge administratif ne peut plus prendre aucune décision contraire à la décision d’inconstitutionnalité.

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    oui.

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    La décision est lisible et compréhensible par le citoyen. Elle est rédigée dans un style accessible.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    oui, mais très peu. Le juge constitutionnel béninois n’étant pas lié par la règle du précédent, il y a parfois des revirements de jurisprudence dans le sens d’une meilleure protection, ou des libertés fondamentales, ou de l’intérêt général.

    C. Autres cas
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Non.

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    Non.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ?
    • sont contenus dans des normes internationales ?
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?

    Les droits et libertés protégés par le juge sont expressément prévus par la Constitution, contenus dans des normes internationales et des droits reconnus par le juge.

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    Les droits et libertés invoqués dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sont, entre autres, le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à un environnement sain, le respect de la personne humaine, les droits économiques et sociaux (droit de grève, droit de propriété, droit au travail), le droit à un procès équitable devant les tribunaux (respect du principe du contradictoire, droit à la défense, délai raisonnable de jugement), la liberté de manifestation et de réunion, le principe d’égalité, etc.

    La jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin est abondante en la matière.

    38) Si le juge constitutionnel est peu ou n’est pas du tout saisi par le citoyen, ni directement ni indirectement :

    Le juge constitutionnel béninois a toujours été saisi par le citoyen soit directement, soit indirectement.

    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    Les décisions du juge constitutionnel permettent l’émergence d’une conscience citoyenne en ce que la Cour constitutionnelle rappelle, entre autres, à travers ses décisions :

    • le respect des délais de garde à vue ;
    • le droit du citoyen à un procès équitable devant les tribunaux (respect du principe du contradictoire, le droit à la défense, le délai raisonnable) ;
    • l’obligation faite à toute autorité chargée d’une fonction publique ou élue à une fonction politique de l’accomplir avec conscience, probité, dévouement, loyauté, etc.

    L’émergence de cette conscience citoyenne est également manifeste de par l’objet des requêtes tel :

    • le fait pour le Président de la République d’avoir omis de prononcer le membre de phrase : « … les Mânes de nos Ancêtres… » au cours de la presta- tion de serment en violation de l’article 53 de la Constitution (DCC 96-017 du 05 avril 1996).
    • le fait pour la doyenne d’âge de l’Assemblée nationale (4e Législature) d’avoir bloqué le processus électoral pour l’élection du Président de l’Assemblée nationale (DCC 03-077 du 07 mai 2003).

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    Les citoyens ont une bonne image du juge constitutionnel. Ils apprécient en des circonstances précises des décisions rendues par la Cour constitutionnelle. C’est le cas de la décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011 sur l’examen de la loi organique n° 2007-27 portant conditions de recours au référendum, votée par l’Assemblée nationale le 30 septembre 2011 ; la décision DCC 08-072 du 25 juillet 2008 par laquelle la Haute juridiction a déclaré contraire à la Constitution la décision d’ajournement des débats par le Parlement s’agissant de ratification d’accord de prêt pour la réalisation de travaux d’intérêt général. on peut également citer la décision DCC 06-074 du 8 juillet 2006 déclarant contraire à la Constitution la loi constitutionnelle n° 2006-13 portant révision de l’article 80 de la Constitution du 11 décembre 1990.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Le juge constitutionnel est perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de Droit au regard du nombre de recours dont il est saisi.

    La Cour du Bénin a rendu du 7 juin 1993 au 31 mars 2012 trois mille une (3 001) décisions dont : contrôle de constitutionnalité : 2 196 ; élection présidentielle : 181 ; élections législatives : 607 ; proclamation EP : 11 ; proclamation EL : 6.

    Par ailleurs, elle a donné sept (7) avis.

    Conseil constitutionnel du Burkina Faso

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    Le constituant a ouvert la saisine du Conseil constitutionnel à des autorités politiques déterminées. Il s’agit selon l’article 157 de la Constitution, du Président du Faso, du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale et d’un cinquième (1/5) au moins des membres de l’Assemblée nationale.

    Cette saisine peut être obligatoire ou facultative selon les normes contrôlées. Cette disposition de l’article 157 appelle quelques remarques :

    Le constituant burkinabè n’autorise que le contrôle par voie d’action. Le contrôle par voie d’exception est donc exclu. Les citoyens ne peuvent donc pas saisir directement le Conseil constitutionnel pour contester la régularité d’une loi, sauf en matière électorale, à l’occasion des élections législatives tout citoyen peut contester l’éligibilité d’un candidat. Il n’y a donc pas de cumul de contrôle a priori et de contrôle a posteriori.

    Les objets des questions 2 à 15 ne peuvent être renseignés en référence à la réponse à la question 1.

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    L’article 25 de la loi organique n° 011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel et procédure applicable devant lui prévoit un contrôle a posteriori ; cet article dispose que « lorsqu’une exception d’inconstitutionnalité est soulevée par un justiciable devant une juridiction quelle qu’elle soit, celle-ci est tenue de surseoir à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel qui doit se prononcer sur la constitutionnalité du texte en litige dans le délai d’un mois qui court à compter de sa saisine par la juridiction concernée ».

    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    Il faut qu’il soit en procès devant une juridiction, quelle qu’elle soit.

    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ?

    En l’absence de précisions, on peut déduire que le citoyen peut invoquer toute norme juridique dont il conteste la constitutionnalité et dont les effets portent atteinte à ses droits ou compromettent ses intérêts.

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    La loi dispose que ces juridictions sont tenues de surseoir à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel qui doit se prononcer sur la constitutionnalité du texte en litige dans un délai d’un mois.

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    Selon les formes et procédures habituelles en l’absence de dispositions particulières.

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    Non malheureusement (voir question 34 affaire ERoH).

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    La loi donne un délai d’un mois au Conseil constitutionnel pour rendre sa décision.

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    La loi ne détermine pas la procédure devant le juge constitutionnel qui a en principe toute latitude de la procédure et des moyens devant fonder et motiver sa décision.

    24) Est-ce qu’il doit être obligatoirement assisté d’un avocat ?

    La loi ne le dit pas expressément.

    25) Est-ce que le citoyen peut bénéficier d’un délai pour produire des pièces ou des preuves au soutien de ses moyens ?

    On peut le penser.

    26) Est-ce que la partie adverse du citoyen à l’origine de la saisine peut prendre part au procès pour développer ses arguments contre l’inconstitutionnalité ? Si oui, comment ?

    Pour la réponse aux questions 24 – 25 – 26, voir la réponse à la question 23 ci-dessus.

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ?

    Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    L’article 159 dernier alinéa de la Constitution dispose que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

    Toutefois, le Conseil ne dispose pas de moyens particuliers pour faire respecter ses décisions.

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    Voir ci-dessus.

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    Le renvoi pour être de nouveau statué sur son dossier.

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    Voir ci-dessus.

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    Statuer de nouveau, remettre les choses dans l’ordre.

    31) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité a-t-elle pour les personnes ayant fait l’objet de décisions administratives fondées sur la disposition législative déclarée entre-temps inconstitutionnelle et qui n’ont pas encore introduit de recours en annulation devant le juge administratif à la date de la censure ?

    Absence de cas concret traité par le Conseil constitutionnel.

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    En principe oui.

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    Le style rédactionnel du Conseil constitutionnel est de plus en plus accessible au citoyen même si certaines formules peuvent paraître rébarbatives ou redondantes.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    Réponse aux questions 2728 – 29 – 30 – 31 – 32 – 33.

    En l’absence de jurisprudence concrète, on ne peut qu’invoquer la doctrine en ce qui concerne les questions 27 à 33.

    C. Autres cas
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Un recours a été introduit directement au Conseil constitutionnel par un citoyen ayant soulevé sans succès une exception d’inconstitutionnalité devant la Cour de cassation (affaire ERoH 1). Contrairement à l’application de droit de l’article 25 de la loi organique (voir supra question 16) ledit citoyen a vu sa requête en exception d’inconstitutionnalité rejetée par ladite Cour. Suite à ce refus, il saisit directement le Conseil constitutionnel qui le déboutera au motif que sa requête est irrecevable aux termes de l’article 25 de la loi organique (décision n° 2007-04/CC du 29/08/2007 du Conseil Constitutionnel).

    Dans le cas d’espèce, la requête n’a pas été jugée sérieuse par la juridiction saisie de l’exception d’inconstitutionnalité. La juridiction n’a pas non plus,

    1. tableau récapitulatif des recours en exception d’inconstitutionnalité :

    Conformément aux dispositions de l’article 25 de la loi organique, sursis à statuer et saisi le Conseil constitutionnel. Déni de justice ?

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    Non.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ?
    • sont contenus dans des normes internationales ?
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?
    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    Il n’y a pas de mécanismes (constitutionnels) juridictionnels de protection des droits et libertés des citoyens, bien que la Constitution en ses articles 4 et 5 énonce et garantit à tout citoyen et toute personne vivant au Burkina Faso le bénéfice de l’égale protection de la loi.

    Toutefois l’article 25 de la loi organique ouvre dans des circonstances spécifiques la possibilité pour le citoyen d’accéder indirectement au juge constitutionnel à travers les juridictions, quelles qu’elles soient et devant lesquelles il a introduit un recours en exception d’inconstitutionnalité.

    De même le préambule de la Constitution ainsi que son titre I : Droits et devoirs fondamentaux, constituent les socles sur lesquels le citoyen devrait pouvoir accéder au juge constitutionnel pour faire valoir et garantir ses droits et ses libertés fondamentaux.

    38) Si le juge constitutionnel est peu ou n’est pas du tout saisi par le citoyen, ni directement ni indirectement :
    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    On peut penser que la décision n° 2007-04/CC du 29/08/2007 du Conseil constitutionnel déclarant irrecevable le recours de la société ERoH n’a pas été comprise par l’opinion, car c’était le tout premier cas du genre.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?
    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    La jeunesse de la juridiction constitutionnelle (10 ans) ne permet pas de tirer des conclusions solides sur l’appréciation de l’opinion de citoyens sur l’institution.

    Cependant, dans le cadre des reformes politiques en cours, il est prévu de revisiter le Conseil constitutionnel et lui conférer un rôle éminent, non seulement dans l’architecture globale des institutions républicaines, mais aussi pour permettre une accessibilité plus grande du citoyen à l’institution soit directement soit indirectement.

    Cour constitutionnelle du Burundi

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    La loi n° 1/010 du 18 mars 2005 portant promulgation de la Constitution de la République du Burundi dans son article 230 indique que :

    « La Cour constitutionnelle est saisie par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale ou un quart des membres du Sénat, ou par l’Ombudsman.

    Toute personne physique ou morale intéressée ainsi que le Ministère public peuvent saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement par voie d’action, soit indirectement par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire soumise à une autre juridiction.

    Celle-ci sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui intervient dans un délai de trente jours ».

    À l’analyse de l’alinéa 2 de cette loi, on voit dans quel cas un citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle du Burundi.

    L’existence d’une Cour constitutionnelle comme juridiction spécialisée et autonome ne date pas de longtemps. C’est la Constitution du 13 mars 1992 qui l’a consacrée car avant cette date ce n’était qu’une chambre de la Cour suprême du Burundi, chambre constitutionnelle. Et depuis lors, la Cour constitutionnelle a déjà rendu 28 arrêts sur 314 affaires où les différents citoyens ont saisi la Cour constitutionnelle du Burundi.

    A. Le recours du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    Comme le spécifie l’alinéa 2 de la Constitution ci-haut cité, c’est « toute personne physique ou morale intéressée qui peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité des lois, directement par voie d’action ou indirectement par voie d’exception dans une affaire soumise à une autre juridiction ».

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    Les actes qui peuvent être attaqués sont des lois pour inconstitutionnalité et des actes réglementaires pris dans les matières autres que celles relevant du domaine de la loi.

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    Le juge constitutionnel burundais est saisi par le citoyen à n’importe quel moment, chaque fois que le citoyen croit qu’une loi ou qu’un acte réglementaire est susceptible d’être contraire à la Constitution.

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    La Constitution burundaise et d’autres textes d’application tels que la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que le règlement d’ordre intérieur de la Cour constitutionnelle ne spécifient pas le cas où le citoyen peut demander un jugement en référé pour raison d’urgence.

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    L’article 17 de la loi n° 018 du 19 décembre 2002 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure applicable devant elle prescrit que : « la procédure devant la Cour constitutionnelle est gratuite ».

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    Oui, le recours est conditionné par l’intérêt à agir comme le spécifie la Constitution : « toute personne physique ou morale intéressée… ». Mais cet intérêt doit être né, actuel, personnel et juridiquement protégé.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    Sur base de ce qui précède, le requérant doit être concerné directement parce que l’intérêt doit être personnel.

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    Oui, le requérant peut intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat. Parmi les 28 dossiers susmentionnés, on a 14 dossiers où les citoyens étaient représentés par leurs avocats-conseils et 14 dossiers où les citoyens eux-mêmes défendaient directement leurs causes.

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    En se fondant sur l’article 230 alinéa 2 précité et l’article 4 de la loi n° 1/03 du 11 janvier 2007 portant modification de certaines dispositions de la loi n° 1/08 du 19 décembre 2002 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure applicable devant elle : « En outre, toute personne physique ou morale intéressée ainsi que le Ministère public peuvent saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement par voie d’action, soit indirectement par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire soumise à une juridiction. Celle-­ci sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours ». De ce fait, il faut que la saisine de la Cour constitutionnelle soit régulière.

    La Cour constitutionnelle doit être compétente pour connaître de l’affaire sur la base de l’article 228 de la loi n° 1/010 du 18 mars 2005 portant promulgation de la Constitution de la République du Burundi : « La Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur la constitutionnalité des lois… »

    En outre, il faut que la personne soit intéressée. Cette expression mérite d’être définie à la lumière d’une jurisprudence constante consacrée par l’arrêt RCCB 3 rendu le 19 octobre 1992 :

    • « Une personne qui justifie d’un intérêt personnel à agir, c’est-à-dire un intérêt qui lui est propre ». (RCCB 3, 3e feuillet, 4e attendu) ;
    • « Pour que l’action en inconstitutionnalité émanant d’une personne (…) soit recevable, il faut que son intérêt soit juridiquement protégé, c’est-à-dire qui peut se justifier par référence à une règle de droit» (RCCB 3, 3e feuillet, 9e attendu) ;
    • « L’intérêt à agir dont il est question doit être né et actuel, non seulement lorsqu’un droit subjectif de la personne a été lésé, mais également lorsqu’il est susceptible de l’être dans l’avenir ».
    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    Souvent l’irrecevabilité peut dépendre de l’absence d’un des éléments cités ci-dessus qui fondent l’intérêt à agir.

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requérants de participer à la procédure.

    Au niveau du greffe, on reçoit la lettre tenant lieu des conclusions, on enregistre la requête et on l’enrôle sous le numéro d’ordre.

    On multiplie le dossier afin de donner une copie à chaque membre de la Cour. Il convient d’indiquer que la Cour constitutionnelle du Burundi a dans son sein 4 magistrats permanents et 3 autres non permanents. Ceux-ci sont des juristes qui travaillent en dehors de la Cour mais qui viennent pour siéger et pour délibérer l’affaire dont ils ont déjà eu connaissance : « La Cour constitutionnelle est composée de sept membres. Ils sont nommés par le Président de la République et après approbation par le Sénat. Ils ont un mandat de six ans non renouvelable. trois, au moins, des membres de la Cour constitutionnelle sont des magistrats de carrière. Le Président, le Vice-président et les magistrats de carrière sont permanents » (article 226 de la Constitution).

    Pour la plupart de ces dossiers, la Cour organise une audience publique, où les parties se présentent avec leurs avocats-conseils. Et si l’affaire est en état d’être mis en délibération, on convient du jour de cette délibération et tous les 7 juges se retrouvent à la Cour pour prendre une décision.

    Signalons à toutes fins utiles que la Cour peut également siéger si 5 membres au moins sont présents.

    9) Quelles sont les phases du jugement ?
    • la saisine de la Cour constitutionnelle ;
    • l’audience publique ;
    • la délibération ;
    • la notification de l’arrêt rendu aux parties.
    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable » : principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.
    • le principe du contradictoire est bien respecté ;
    • égalité des armes : les citoyens qui saisissent la Cour peuvent être représentés par leurs avocats-conseils lors des débats ;
    • le délai de jugement ne doit pas aller au-delà de 30 jours pour le traitement de l’affaire.
    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    Oui, l’audience de la Cour constitutionnelle est publique et les différents citoyens et étrangers peuvent assister aux débats publics ; il n’y a pas de huis clos.

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ?

    L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    Oui, le juge est tenu de statuer sur le recours. Il suffit que le citoyen saisisse la Cour constitutionnelle, le juge doit rendre un jugement. Sinon, le juge est accusé au pénal de déni de justice.

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires ? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    Après la saisine de la Cour, le juge devient maître de l’œuvre et il peut, en cas de besoin, ordonner la réouverture des débats. Ainsi, il peut rendre un arrêt par défaut ou ordonner une décision autorisant la biffure de l’affaire.

    Pour la Cour constitutionnelle du Burundi, cette juridiction est saisie pour statuer sur la constitutionnalité des lois et des actes réglementaires pris dans les matières autres que celles relevant du domaine de la loi (voir l’article 228 de la Constitution de la République du Burundi). Le juge doit se prononcer et rendre un arrêt tendant à préciser la conformité ou la non-conformité de ce texte à la Constitution. Lorsqu’il s’agit de la saisine ayant pour origine la procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire soumise à une autre juridiction, la Cour constitutionnelle statue et envoie l’arrêt à la juridiction en vue de poursuivre les débats dans cette juridiction.

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    Tous les cas d’inconstitutionnalité soulevés par le citoyen sont analysés par le juge.

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    Sur base de l’article 228, la Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur la constitutionnalité des lois et des actes réglementaires pris dans les matières autres que celles relevant du domaine de la loi.

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    S’il s’agit de la procédure d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire soumise à une autre juridiction : « celle-ci sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours » (voir l’article 230, alinéa 3, de la Constitution).

    « Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application. – Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours » (article 231 de la Constitution).

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel

    Si on s’en tient au prescrit de l’article 230 de la Constitution ci-haut mentionné, on voit que les recours indirects par des autorités à l’initiative et à la demande des citoyens (exception d’inconstitutionnalité, question prioritaire de constitutionnalité, et autres) n’existent pas au Burundi.

    C. Autres cas
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Cette question trouve sa réponse au niveau de l’article 230, alinéa 2 :

    « Le citoyen peut saisir la Cour indirectement par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire soumise à une autre juridiction ».

    Le citoyen saisit la Cour constitutionnelle avant que l’affaire ne soit mise en délibéré, pendant que l’affaire est encore en instruction devant cette autre juridiction.

    Celle-ci sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours (article 230, alinéa 3, Constitution).

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    Il n’y a pas de mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ?
    • sont contenus dans des normes internationales ?
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?

    « Les droits et devoirs proclamés et garantis, entre autres par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant font partie intégrante de la Constitution de la République du Burundi.

    Ces droits fondamentaux ne font l’objet d’aucune restriction ou dérogation, sauf dans certaines circonstances justifiables par l’intérêt général ou la protection d’un droit fondamental » (article 19 de la Constitution).

    Cette disposition 19 intègre tous les instruments internationaux en rapport avec les droits de l’homme qui sont ratifiés par le Burundi. tous ces instruments internationaux ont valeur constitutionnelle. Ainsi, les doits et les libertés protégés par le juge sont expressément prévus par la Constitution de la République du Burundi.

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    tous ces libertés et droits se trouvent mentionnés dans la Constitution burundaise.

    Le nombre de fois où ces droits et libertés ont été invoqués :

    • pour le droit de participer à la direction et à la gestion des affaires de l’État : 9 dossiers
    • pour les droits garantis : 15 dossiers
    • pour les droits économiques et sociaux : 4 dossiers
    38) Si le juge constitutionnel est peu ou n’est pas du tout saisi par le citoyen, ni directement ni indirectement :

    Si on se fonde sur l’article 230 de la Constitution précité, ce cas ne peut pas se produire pour le Burundi.

    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    Oui. À l’occasion d’une procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire soumise à une autre juridiction, de droit commun ou spécialisée, les citoyens apprennent qu’il y a la Cour constitutionnelle qui, pendant l’instruction de ces juridictions, celles-ci sursoient à statuer en attendant la décision de la Cour constitutionnelle.

    Cas d’illustration : RCCB 252 (RCCB : Rôle de la Cour constitutionnelle du Burundi).

    Requérants : Maîtres Sylvestre et Prosper Banzubaze et consorts

    Objet : requête tendant à faire déclarer contraire à la Constitution l’article 117 du Code de l’organisation et de la compétence judiciaire pour le compte de Monsieur Athanase gahungu, Madame Denise Sinankwa, Monsieur Isaac Bizimana, Monsieur tarq Bashir, Monsieur Boniface Bagorikunda, Monsieur Philippe Ndikumana et la société Interpetrol.

    L’instruction devant le Ministère public avait au départ débouché à un classement sans suite en faveur des prévenus dont les noms figurent ci-haut dans le dossier. Ensuite, il y a eu citation directe initiée par l’avocat du gouvernement car il s’agissait des affaires qui touchaient aux intérêts de l’État burundais. Ainsi, l’affaire est instruite devant la Chambre judiciaire de la Cour suprême du Burundi. Au cours de l’audience publique, les juges de la Cour suprême qui se fondaient sur l’article 117 du code de l’organisation et de la compétence judiciaire du 15 mars 2005 ont voulu passer au fond de l’affaire sans vider certains incidents. La Cour suprême devrait notamment tenir compte des raisons qui ont motivé le classement sans suite par le Ministère public.

    Cet article est ainsi libéré : « Si le siège rejette la récusation, il peut ordonner, pour cause d’urgence, qu’il passe aux débats nonobstant appel ».

    Les avocats des requérants ont saisi la Cour constitutionnelle, qui après l’instruction publique a rendu un arrêt rendant la disposition 117 inconstitutionnelle parce que cette dernière violait le droit de la défense et le droit au juge impartial.

    Par cet arrêt, les citoyens ont vu leur situation régularisée car les juges sont revenus à l’étude des incidents et exceptions. Les juges ont compris qu’à côté de leurs juridictions habituelles, il y a une Cour constitutionnelle qui prend des mesures allant parfois dans le sens voulu par une partie au procès.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    La plupart des citoyens qui n’ont jamais saisi la Cour constitutionnelle ou qui n’ont jamais eu accès aux arrêts rendus par cette Cour, pensent que la Cour constitutionnelle est là seulement pour la proclamation définitive des résultats des élections présidentielles et législatives. D’autres disent que c’est une Cour à caractère politique et que les citoyens ordinaires n’y ont pas accès.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Comme spécifié précédemment, la majorité de la population burundaise n’est pas au courant ni des attributions de la Cour constitutionnelle ni des droits qui leur sont reconnus par la Constitution pour saisir cette juridiction en cas de besoin.

    Conseil constitutionnel du Cambodge

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    Il n’existe pas de recours direct du citoyen au Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge, sauf dans le cas de litiges relatifs aux élections des députés et aux élections des sénateurs.

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    Après qu’une loi ait été promulguée, le Roi, le Président du Sénat, le Président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, un quart des membres du Sénat, un dixième des députés ou les tribunaux peuvent demander au Conseil constitutionnel l’examen de la constitutionnalité de cette loi.

    Tout citoyen a le droit de soulever l’inconstitutionnalité des lois par l’intermédiaire des députés ou du Président de l’Assemblée nationale ou des membres du Sénat ou du Président du Sénat (article 141 nouveau de la Constitution).

    D’autre part, une partie à un procès qui considère qu’une loi appliquée par un tribunal ou une décision prise par une institution viole ses droits et libertés fondamentaux peut soulever l’inconstitutionnalité de cette loi devant le tribunal.

    Le tribunal, lorsqu’il juge la demande fondée doit porter le cas devant la Cour suprême dans un délai maximum de 10 jours.

    La Cour suprême doit examiner et déférer la loi au Conseil constitutionnel dans un délai maximum de 15 jours, sauf lorsqu’elle juge la demande non fondée (article 19 de la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel).

    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    Requête écrite.

    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ?

    18-1. Les droits et libertés inscrits dans la Constitution ?

    oui.

    18-2. Les règles constitutionnelles à caractère procédural ?

    oui.

    18-3. Les règles constitutionnelles ayant trait à la répartition des compétences ?

    oui.

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    Ces juridictions et diverses autorités procèdent à un examen approfondi de la requête d’inconstitutionnalité et décident de saisir ou non le Conseil constitutionnel.

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    Demande écrite.

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    La juridiction inférieure soumet la requête d’inconstitutionnalité dans un délai de 10 jours à la Cour suprême, qui saisit le Conseil constitutionnel dans un délai de 15 jours, si elle la juge fondée.

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    Délai de 30 jours et en cas d’urgence, 8 jours.

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    Non.

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ?
    Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    Oui. Les décisions du Conseil constitutionnel sont définitives et sans recours, et ont autorité sur tous les pouvoirs constitués.

    Les décisions du Conseil constitutionnel sont publiées au Journal officiel.

    Toute personne qui ne respecte pas les décisions du Conseil constitutionnel ou qui fait obstacle au déroulement des activités du Conseil constitutionnel est passible d’une peine d’emprisonnement d’un mois à un an et d’une peine d’amende de 100 000 à 600 000 riels, ou de l’une des deux peines.

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    Erga omnes.

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    La décision d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel peut être invoquée par les justiciables dans toutes les instances en cours et devant les juridictions cambodgiennes.

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    Non.

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    La décision d’inconstitutionnalité a un effet immédiat et abrogatif.

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    oui.

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    Oui, la décision du Conseil constitutionnel est à la fois lisible et compréhensible par le citoyen. Elle ne peut faire l’objet d’aucune interprétation.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    Non.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :

    – sont expressément prévus par la Constitution ?

    oui.

    – sont contenus dans des normes internationales ?

    oui.

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ? À titre d’exemples non limitatifs :

    Libertés de la personne : oui

    Libertés de la pensée : oui

    Droit de propriété : oui

    Droits économiques et sociaux : oui

    Droits-garanties (droit au recours et au juge, droit à accéder au droit, droit à la réparation…) : oui

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Oui.

    Cour suprême du Canada

    Introduction

    Au Canada, tous les juges qui siègent à des tribunaux judiciaires et tous les décideurs membres de tribunaux administratifs habilités à trancher des questions constitutionnelles peuvent être appelés à exercer une fonction de « juge constitutionnel ».

    La plupart des questions constitutionnelles qui sont soulevées au Canada ont trait à la Charte canadienne des droits et libertés [1] (ci-après la « Charte ») ou au partage des compétences législatives entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales. Le moyen constitutionnel peut être soulevé lors d’un litige civil ou criminel, de même que devant un tribunal administratif compétent. Il peut également être soulevé par requête pour jugement déclaratoire devant une cour supérieure provinciale.

    La saisine du tribunal s’effectue directement par le requérant, dans le cadre du recours entrepris. Le requérant doit avoir qualité pour agir ou pour contester la constitutionnalité d’une loi ou d’un acte gouvernemental. Dans les cas où une entité agit devant un tribunal pour défendre les intérêts d’un justiciable, elle le fait au lieu et place de celui-ci dans le cadre d’un recours ordinaire. La nature du recours exercé devant le tribunal n’en est pas modifiée pour autant.

    Dans la très grande majorité des cas, les pourvois qui sont entendus par la Cour suprême du Canada (ci-après la « Cour suprême » ou la « Cour ») ont auparavant fait l’objet d’une décision d’une cour supérieure, puis d’une cour d’appel. La Cour suprême est la juridiction de dernière instance en matières civile et pénale pour 1’ensemble du Canada. toutefois, la Cour suprême peut être directement saisie d’une question constitutionnelle par la voie d’un renvoi par le gouverneur en conseil.

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    La règle générale est que la personne – physique ou morale – dont les droits garantis par la Constitution sont violés a qualité de plein droit pour contester l’atteinte portée par l’État, dans une action intentée par elle ou contre elle [2]. Dans une action civile [3] fondée sur une mesure législative ou gouvernementale, le défendeur a normalement le droit de contester la constitutionnalité de cette mesure [4]. La même règle s’applique dans un litige criminel, mais avec plus de souplesse. tout accusé peut opposer comme moyen de défense un défaut de la loi sur le plan constitutionnel, même s’il n’y a pas eu atteinte à ses propres droits, car il est de principe que nul ne puisse être déclaré coupable d’une infraction à une loi inconstitutionnelle [5].

    Dans le cadre d’une requête pour jugement déclaratoire, un requérant peut invoquer non pas seulement la violation de ses propres droits, mais aussi la violation des droits d’autrui. Afin que la qualité pour agir dans l’intérêt public soit reconnue au requérant, il doit se poser une question sérieuse quant à la validité de la loi en cause, la partie doit être directement touchée par la loi ou avoir un intérêt véritable dans sa validité, et il ne doit y avoir aucune autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à l’examen des tribunaux [6].

    Dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [7], la Cour suprême a fait remarquer que la reconnaissance grandissante de 1’importance des droits publics dans notre société venait confirmer la nécessité d’élargir la reconnaissance du droit à la qualité pour agir par rapport à la tradition de droit privé qui ne reconnaissait la qualité pour agir qu’aux personnes subissant une atteinte à un intérêt privé.

    De plus, la Cour a expliqué quel était l’impact de l’adoption de la Charte sur la question de la qualité pour agir [8] : « Le texte même de la Charte indique qu’il faut interpréter d’une façon souple et libérale la question de la qualité pour agir. Sinon, on ne pourrait assurer le respect des droits garantis par la Charte et on entraverait 1’exercice des libertés prévues par la Charte ». La Cour a également souligné que la reconnaissance de la qualité pour agir a pour objet d’empêcher que la loi ou les actes publics soient à l’abri des contestations et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public lorsque, selon une prépondérance des probabilités, on pouvait établir qu’un particulier contesterait la mesure [9].

    Par ailleurs, tel qu’indiqué en introduction, la Cour suprême peut être appelée à donner son avis, directement par renvoi, sur des questions de droit ou de fait touchant, notamment, l’interprétation de la Constitution, les pouvoirs du Parlement et des législatures provinciales ou de leurs gouvernements respectifs et la constitutionnalité des lois. La procédure de renvoi n’est pas un recours qui s’offre au citoyen, mais elle est plutôt exercée par le gouverneur en conseil, le Sénat ou la Chambre des communes ou le lieutenant-gouverneur en conseil d’une province.

    Il arrive fréquemment, de surcroît, que la Cour suprême permette à des personnes, groupes de personnes ou organismes à but non lucratif ou d’intérêt public, de comparaître à titre d’intervenants dans les affaires qui lui sont soumises, particulièrement en matière constitutionnelle [10]. Bien que ces personnes ne puissent en principe saisir la Cour directement d’une question constitutionnelle en 1’absence des parties au litige [11], elles sont admises à faire valoir leur position relativement à de telles questions, à savoir une perspective qui leur est propre et utile eu égard à la question en litige [12]. Voir également, à ce sujet, la question 8.

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    Les juges constitutionnels ne peuvent contrôler que les mesures législatives et gouvernementales. Les fondements les plus fréquents de contrôle sont le partage fédéral-provincial des compétences législatives et les droits fondamentaux enchâssés dans la Constitution, notamment dans la Charte.

    Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la Constitution est la loi suprême du Canada et qu’elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de « toute autre règle de droit ». L’expression « règle de droit » a reçu une interprétation large de la part des tribunaux. Ainsi, il a été jugé qu’elle ne se limite pas aux dispositions législatives stricto sensu, mais couvre aussi, par exemple, les règlements municipaux [13].

    Le paragraphe 32(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour sa part, prévoit que la Charte s’applique au Parlement et au gouvernement du Canada, et à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines qui relèvent de leurs pouvoirs législatifs respectifs. La Cour suprême a établi que la portée de ce paragraphe est suffisamment large pour englober toutes les entités qui, en raison de leur nature même ou du degré de contrôle exercé par le gouvernement à leur égard, sont essentiellement de nature gouvernementale.

    L’application de la Charte se restreint à l’action gouvernementale, et la Charte n’est pas destinée, en l’absence d’une action gouvernementale quelconque, à être appliquée aux litiges privés [14]. Par contre, même dans un litige privé où une action gouvernementale n’est pas en cause, la Cour suprême a statué que la common law devait être interprétée d’une manière qui soit conforme à la Charte, ce qui illustre le pouvoir inhérent qu’ont les tribunaux de modifier la common law de façon à ce qu’elle respecte les valeurs sociales contemporaines [15].

    Voici quelques exemples d’entités et d’actes qui, selon la jurisprudence, sont assujettis à la Charte :

    • les décisions du cabinet fédéral [16] ;
    • les municipalités et les règlements municipaux [17] ;
    • les ordonnances des tribunaux administratifs [18] ;
    • les politiques gouvernementales adoptées par des commissions de transport en vertu de leur loi habilitante [19] ;
    • les conventions collectives conclues par un mandataire du gouvernement [20] ;
    • un collège sur lequel le gouvernement possède un pouvoir de contrôle routinier ou régulier [21] ;
    • les hôpitaux publics, lorsqu’ils fournissent des services médicaux spécifiés dans la loi [22] ;
    • les actes des officiers publics, tels le Premier ministre ou les responsables et préposés des ministères [23] ;
    • les actes des policiers, pour ce qui est de leur conformité à la Charte [24].

    Et en voici d’autres qui ne le sont pas :

    • les ordonnances des tribunaux judiciaires [25] ;
    • les universités [26] ;
    • les règlements de régie interne des hôpitaux publics [27].

    Les juges constitutionnels ne peuvent contrôler une disposition de la Constitution, car il existe une règle fondamentale selon laquelle une partie de la Constitution ne peut être abrogée ou atténuée par une autre partie de la Constitution [28]. Ils ne peuvent pas en principe contrôler un projet de loi, mais la Cour suprême et les cours d’appel provinciales peuvent, dans le cadre d’un renvoi, se pencher sur la question de la constitutionnalité d’une loi qui n’a pas encore été adoptée.

    Par ailleurs, il est possible pour le Parlement ou une législature provinciale de mettre une disposition législative à l’abri du contrôle constitutionnel. En vertu de l’art. 33 de la Loi constitutionnelle de 1982, le Parlement fédéral ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment de certaines dispositions de la Charte. Cette déclaration cesse d’avoir effet au plus tard cinq ans après son entrée en vigueur. Cependant, le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration identique.

    Enfin, lorsqu’on évoque le contrôle de la constitutionnalité en regard des traités, il faut préciser qu’il s’agit des traités en vigueur en droit interne, par exemple les traités avec les Autochtones. Quant aux traités de droit international, on ne peut en assujettir la conclusion à un contrôle de constitutionnalité à proprement parler ; seule leur mise en œuvre ultérieure en droit interne, par l’adoption de lois, est sujette au même contrôle que toutes les autres lois. Voir également, à ce sujet, la question 36.

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    Les moyens constitutionnels sont en principe soulevés dans le cadre d’instances engagées devant les tribunaux administratifs et judiciaires de première instance. Certains délais ou modalités, qui varient d’un tribunal à l’autre, peuvent s’appliquer. De plus, en cas d’attaque à la validité d’une loi fédérale ou provinciale, les procureurs généraux des gouvernements doivent en principe être avisés dans un certain délai afin qu’ils puissent participer au débat judiciaire. Les délais applicables aux instances devant la Cour suprême sont expliqués en réponse aux questions 6 et 8.

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    L’urgence en matière constitutionnelle est traitée suivant la procédure applicable au tribunal chargé de trancher le moyen.

    Devant la Cour suprême, il n’est pas rare qu’une partie dépose une requête pour faire accélérer le traitement d’une demande d’autorisation d’appel ou pour faire abréger les délais applicables. La Cour a fait droit à une telle requête dans l’affaire Rodriguez c. Colombie­ Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, par exemple. Dans cette affaire, l’appelante, atteinte de sclérose latérale amyotrophique, a demandé une ordonnance déclarant que la disposition du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (ci-après le « Code criminel ») interdisant l’aide au suicide portait atteinte aux droits garantis par la Charte. L’expectative de survie de l’appelante se situait entre deux et quatorze mois.

    En cas d’urgence, un plaignant peut aussi avoir recours à la procédure d’injonction interlocutoire dans le cadre du recours qu’il exerce. Il doit en principe démontrer l’apparence sérieuse de droit et le risque de préjudice sérieux ou irréparable. L’ordonnance d’injonction demeure en vigueur nonobstant l’appel, lequel peut être entendu d’urgence en certains cas. Dans l’affaire Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, par exemple, l’appelante, enceinte de dix-huit semaines au moment de la rupture d’avec son conjoint, avait décidé d’interrompre sa grossesse. Le conjoint, intimé, avait obtenu en Cour supérieure une injonction interlocutoire empêchant l’avortement. La Cour suprême a statué sur l’appel d’urgence et a annulé l’injonction.

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    En vertu du Tarif des droits à verser au registraire de la Cour suprême du Canada (Annexe A des Règles de la Cour suprême du Canada, DoRS 2002/156 [ci-après les « Règles »]), des honoraires de 75 $CAN sont exigibles pour le dépôt des documents suivants :

    avis de demande d’autorisation d’appel ;

    avis d’appel de plein droit ; et

    avis de requête.

    Les honoraires exigibles sont les mêmes pour tous les types d’appel (constitutionnel, civil, pénal, etc.). toutefois, le Registraire de la Cour peut, à sa discrétion, exempter toute personne du paiement de ces droits si celle-ci prouve qu’elle est dans une situation d’impécuniosité. Le Registraire exerce cette discrétion assez régulièrement dans le cas de personnes non représentées par un avocat.

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    La qualité pour agir est fonction de l’intérêt suffisant dans l’issue de l’affaire pour recourir au processus judiciaire [29]. tel que mentionné ci-dessus, la règle générale est que la personne dont les droits garantis par la Constitution sont violés a qualité de plein droit pour contester l’atteinte portée par l’État, dans une action intentée par elle ou contre elle [30]. La Cour suprême peut toujours choisir d’entendre des arguments fondés sur la Charte qui sont présentés par des parties qui, normalement, n’auraient pas eu qualité pour invoquer la Charte, lorsqu’une affaire a été pleinement débattue au fond et si la question en cause est d’importance pour le public. Voir, à ce sujet, la question 8.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    Voir la question 5-2. ci-dessus.

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    En règle générale, les parties sont représentées par un avocat dans les litiges constitutionnels. Le procureur d’une partie devant la juridiction inférieure est réputé la représenter devant la Cour [31]. Toutefois, il est possible pour une partie d’agir en son propre nom [32]. Chaque année, des centaines de demandes d’autorisation d’appel sont déposées par des personnes non représentées par un avocat. Si un citoyen souhaite présenter une demande d’autorisation d’appel avec d’autres, chaque personne doit signer l’avis de demande d’autorisation d’appel.

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    L’inclusion à un pourvoi d’une question constitutionnelle n’a pas pour effet de modifier la procédure d’appel à la Cour suprême. Pour interjeter appel d’une décision d’une cour d’appel à la Cour suprême du Canada, il faut, dans toutes les affaires civiles et dans la plupart des affaires criminelles, demander et obtenir l’autorisation de la Cour.

    La demande d’autorisation d’appel est un document par lequel un requérant demande la permission de la Cour d’interjeter appel. Cette demande doit être déposée à la Cour et signifiée à toutes les autres parties. L’avis d’une demande d’autorisation d’appel doit être signifié et déposé dans les soixante jours suivant la date du jugement porté en appel [33].

    Affaire civiles

    Aux termes de l’art. 40 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26 (ci-après la « Loi »), un requérant peut déposer une demande d’autorisation d’appel contre un jugement définitif d’une cour d’appel dans une affaire civile. L’art. 40 de la Loi prévoit que l’autorisation d’appel est tributaire de l’importance de l’affaire pour le public ou encore de l’importance des questions qu’elle soulève :

    40. (1) […] il peut être interjeté appel devant la Cour de tout jugement, définitif ou autre, rendu par la Cour d’appel fédérale ou par le plus haut tribunal de dernier ressort habilité, dans une province, à juger l’affaire en question, ou par l’un des juges de ces juridictions inférieures, que l’autorisation d’en appeler à la Cour ait ou non été refusée par une autre juridiction, lorsque la Cour estime, compte tenu de l’importance de l’affaire pour le public, ou de l’importance des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait qu’elle comporte, ou de sa nature ou importance à tout égard, qu’elle devrait en être saisie et lorsqu’elle accorde en conséquence l’autorisation d’en appeler.

    Il est à noter que la présence d’une question constitutionnelle peut être un facteur important dans l’appréciation de la Cour quant au critère de l’importance d’une affaire pour le public [34].

    Dans certains cas, l’autorisation d’appel peut être demandée contre le jugement d’un tribunal de première instance s’il n’y a pas d’appel possible à la cour d’appel. Les parties peuvent aussi s’entendre pour porter directement à la Cour suprême, avec son autorisation et sur une question de droit seulement, un jugement définitif prononcé par un tribunal provincial [35].

    Affaires criminelles

    Une demande d’autorisation d’appel peut être déposée contre un jugement d’une cour d’appel qui, selon le cas :

    • a accueilli un appel de la Couronne ;
    • a rejeté l’appel contre le jugement rendu au procès.

    L’art. 691 du Code criminel précise les situations dans lesquelles la Cour suprême a compétence pour accorder l’autorisation dans une affaire qui concerne un acte d’accusation. toutefois, si l’affaire concerne une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité ou si un justiciable veut faire appel d’une sentence, la compétence de la Cour est définie par l’art. 40 de la Loi.

    Il est aussi possible d’interjeter appel de plein droit (c’est-à-dire sans demander une autorisation d’appel) dans les situations suivantes :

    • la décision de la cour d’appel contient une dissidence de l’un des juges sur une question de droit ;
    • il y a eu acquittement au procès mais la cour d’appel a modifié le verdict en rendant un verdict de culpabilité.

    Dans un tel cas, l’avis d’appel doit être déposé et signifié dans les trente jours du jugement de la cour d’appel et être accompagné d’une copie des motifs de la cour d’appel [36].

    Peu importe que l’affaire soit civile ou criminelle, un demandeur, un intimé ou un procureur général peut soulever une question de nature constitutionnelle. Voir, à ce sujet, la question 8.

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    Les principaux motifs de rejet pour irrecevabilité sont les suivants :

    Affaire ne pouvant faire l’objet d’un appel [37] : par exemple, lorsque tous les recours n’ont pas été épuisés devant les juridictions inférieures ou lorsque le pourvoi ne rencontre pas les conditions relatives à un appel de plein droit (p. ex., dans une affaire criminelle, lorsqu’il n’y a pas de question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident).

    Procédure entachée de mauvaise foi [38].

    Procédure vexatoire [39].

    Question « non-justiciable ». La Cour peut refuser de répondre à une question si :

    • en répondant à la question, la Cour outrepasserait ce qu’elle estime être son rôle ; ou
    • la Cour ne pourrait pas donner une réponse relevant de son champ d’expertise, à savoir l’interprétation du droit [40].

    Question théorique : la Cour peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite, notamment lorsque sa décision n’aura pas pour effet de régler un litige affectant ou pouvant affecter les droits des parties de façon concrète. un tel litige doit exister non seulement quand les procédures sont engagées, mais aussi au moment où la Cour rend sa décision, sinon la cause est considérée comme théorique [41]. Par exemple, la Cour suprême a refusé d’accorder la permission d’interjeter appel à des requérants qui demandaient un jugement interdisant aux intimés d’exercer leurs fonctions de députés au sein de l’assemblée législative de l’ontario, alors que l’assemblée législative avait été dissoute avant l’audition de l’affaire par la Cour [42]. Néanmoins, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’entendre une affaire, même si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. Lorsque vient le moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit considérer les facteurs suivants :

    a) la présence d’un débat contradictoire ;

    b) l’économie des ressources judiciaires ; et

    c) la fonction juridictionnelle de la Cour suprême dans la structure politique canadienne [43].

    Non-respect des délais : sauf les cas où la Cour proroge le délai, un recours sera irrecevable s’il ne respecte pas les délais prescrits pour l’introduire [44]. De plus, dans les cas où, après l’octroi de l’autorisation d’appel, l’appelant ne signifie et ne dépose pas son avis d’appel dans un délai de trente jours, un juge pourra rejeter l’appel au motif de péremption à la demande du Registraire, à moins que le juge ne proroge, sur requête de l’appelant, le délai de signification et de dépôt de l’avis d’appel [45].

    En ce qui concerne le rejet d’un recours au stade de l’appel, voir la question 11.

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requérants de participer à la procédure.

    Avis de question constitutionnelle

    Dans les trente jours suivant l’octroi de l’autorisation d’appel ou le dépôt de l’avis d’appel dans le cas d’un appel de plein droit, la partie qui entend soulever une question constitutionnelle doit présenter à la juge en chef, ou à un autre juge, une requête en formulation d’une question constitutionnelle lorsque :

    a) la validité ou l’applicabilité constitutionnelle d’une loi fédérale ou d’une loi provinciale ou de l’un de leurs règlements est contestée ;

    b) le caractère inopérant d’une loi fédérale ou d’une loi provinciale ou de l’un de leurs règlements est plaidé ;

    c) la validité ou l’applicabilité constitutionnelle d’une règle de common law est contestée [46].

    La juge en chef, ou un autre juge, peut formuler la question et en ordonner la signification, dans le délai qu’elle fixe, au procureur général du Canada, aux procureurs généraux de toutes les provinces et aux ministres de la justice des gouvernements des territoires, avec avis à ceux qui veulent intervenir – qu’ils aient ou non l’intention de plaider – qu’ils doivent déposer dans le délai précisé dans l’avis, non inférieur à quatre semaines suivant la date de l’avis, un avis d’intervention et signifier cet avis aux parties.

    Dans la semaine suivant la réception de l’ordonnance formulant une question constitutionnelle, le requérant signifie aux procureurs généraux une copie de l’ordonnance et de l’avis de question constitutionnelle [47]. Et dans les quatre semaines suivant la signification de l’avis de question constitutionnelle, si un procureur général a l’intention de participer à l’appel, avec ou sans plaidoirie orale, il signifie un avis d’intervention à toutes les autres parties et dépose auprès du Registraire [48].

    La formulation de questions constitutionnelles est une procédure qui est interprétée avec souplesse par la Cour. Elle ne constitue pas un prérequis à tous les moyens constitutionnels soulevés devant la Cour suprême, mais sert avant tout à aviser les personnes intéressées au débat constitutionnel qui s’engage devant la Cour.

    Au moment du jugement, la Cour peut redéfinir la question constitutionnelle selon sa compréhension de celle-ci et eu égard au débat qui s’est tenu devant elle. Elle peut en outre s’abstenir de répondre formellement à des questions si cela ne lui paraît pas nécessaire, par exemple lorsque les motifs traitent déjà du problème [49] ou que la réponse à une question particulière rend la réponse aux autres inutile ou impossible [50].

    Dans les cas de renvois, si une question soumise par le gouverneur en conseil touche à la validité constitutionnelle d’une loi adoptée par la législature d’une province, ou si, pour une raison quelconque, le gouvernement d’une province porte un intérêt particulier à cette question, le procureur général de cette province est obligatoirement avisé de la date d’audition afin qu’il puisse être entendu s’il le juge à propos [51]. De plus, la Cour a le pouvoir d’ordonner qu’une personne intéressée ou des représentants d’une catégorie de personnes intéressées soient avisées de l’audition de toute question déférée à la Cour dans le cadre d’un renvoi. Ces personnes ont le droit d’être entendues à ce sujet [52].

    Intervention

    En vertu de l’art. 55 des Règles, toute personne ayant un intérêt dans un appel ou un renvoi peut, par requête présentée à un juge, demander l’autorisation d’intervenir aux conditions fixées par celui-ci. une partie à un litige analogue [53] et les groupes d’intérêt public constituent deux exemples de personnes ayant potentiellement un intérêt dans un appel ou un renvoi. L’intérêt des groupes d’intérêt public dans un appel peut être démontré lorsque, par le biais des personnes qu’ils représentent ou le mandat qu’ils cherchent à faire valoir, ils sont directement concernés par la question devant la Cour [54].

    La requête en intervention doit exposer brièvement a) l’identité de la personne ayant un intérêt dans la procédure et cet intérêt, y compris tout préjudice que subirait cette personne en cas de refus de l’autorisation d’intervenir ; b) la position que cette personne compte prendre dans la procédure ; et c) ses arguments, leur pertinence par rapport à la procédure et les raisons qu’elle a de croire qu’ils seront utiles à la Cour et différents de ceux des autres parties [55]. toutefois, le statut d’intervenant n’est pas accordé pour permettre à l’intervenant de soulever des questions entièrement nouvelles que les parties principales n’ont pas présentées [56].

    Le besoin d’assurer un débat contradictoire est un des facteurs dont la Cour tient compte lorsqu’elle accorde le statut d’intervenant, toujours dans le souci de conserver un équilibre quant au nombre d’interlocuteurs de part et d’autre, i.e. en évitant d’accorder une place démesurée à certaines positions au détriment des autres. Si la requête en intervention est accueillie, l’intervenant peut déposer un mémoire.

    Amicus curiae

    Dans les cas de renvois, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de commettre d’office un avocat, en l’absence de toute autre représentation, relativement à un intérêt auquel il est porté atteinte [57]. La Cour suprême a notamment exercé ce pouvoir dans l’affaire du Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, en nommant un amicus curiae pour représenter les intérêts du gouvernement du Québec. La Cour peut également nommer un amicus curiae pour un citoyen dans le cadre d’un appel [58].

    Dans le même sens, conformément à l’art. 694.1 du Code criminel, la Cour peut à tout moment désigner un avocat pour agir au nom d’un accusé qui est partie à un appel ou à des procédures préliminaires ou accessoires à un appel devant elle, lorsque, à son avis, il paraît désirable dans l’intérêt de la justice que l’accusé soit pourvu d’un avocat et lorsqu’il appert que l’accusé n’a pas les moyens requis pour obtenir l’assistance d’un avocat. Dans le cas où l’accusé ne bénéficie pas de l’aide juridique prévue par un régime provincial, le procureur général en cause paie les honoraires et les dépenses de l’avocat désigné par la Cour.

    Adjonction et substitution de parties

    Dans toutes les procédures, la Cour ou un juge peut également ordonner l’addition ou la substitution d’une partie s’il l’estime nécessaire pour permettre à la Cour de trancher les questions en litige [59]. Ainsi, la Cour peut ordonner l’addition ou la substitution d’une partie pour des fins d’équité ou pour assurer le débat contradictoire et empêcher que la question devienne purement théorique [60].

    Procédure relative à la présentation des arguments à la Cour

    Arguments sous forme écrite

    Dans les trois mois suivant la date de dépôt de l’avis d’appel, l’appelant doit signifier son mémoire aux autres parties et à chaque intervenant [61].

    Pour sa part, l’intimé doit signifier son mémoire aux autres parties et à chaque intervenant dans les deux mois suivant la date de signification du mémoire de l’appelant [62].

    Tout intervenant doit signifier son mémoire aux parties et à chaque autre intervenant dans les huit semaines suivant l’ordonnance autorisant l’intervention [63].

    Dans tous les cas, une copie de la version électronique du mémoire de chacune des parties et des intervenants doit être déposée auprès du Registraire, de même que l’original et vingt-trois copies de la version imprimée.

    Arguments sous forme orale

    Après le dépôt du mémoire de l’intimé ou huit semaines après la signification du mémoire de l’appelant, selon le cas, le Registraire inscrit l’appel pour audition [64].

    Sur confirmation de la date d’audition de l’appel par la Cour, le Registraire diffuse la liste des appels à entendre, dans l’ordre de leur inscription au rôle, et envoie un avis d’audition à toutes les parties [65].

    Sauf ordonnance contraire, les appels sont entendus dans l’ordre de leur inscription au rôle [66].

    Si une partie ne comparaît pas au jour et à l’heure fixés, la Cour peut n’entendre que les parties présentes et statuer sans entendre la partie absente, ou elle peut ajourner l’audience aux conditions qu’elle estiment indiquées, notamment quant aux dépens [67].

    • L’appelant et l’intimé disposent chacun d’une heure pour la plaidoirie principale, pendant laquelle les juges participent activement en posant leurs questions aux plaideurs.
    • L’appelant dispose d’un droit de réplique.
    • Une partie qui estime avoir besoin de plus de temps peut faire une requête en ce sens. La Cour peut accorder une période de temps supplémentaire, notamment aux avocats qui ont dû répondre à plusieurs questions pendant leur plaidoirie.
    • Les intervenants qui ont obtenu la permission de plaider disposent généralement d’entre dix à quinze minutes pour leur plaidoirie, et plaident à la suite de la partie dont ils soutiennent la position.
    9) Quelles sont les phases du jugement ?

    À la fin d’une audience, la Cour peut rendre son jugement sur le banc ou prendre la cause en délibéré. Dans la plupart des cas, la cause est prise en délibéré. Les appels sont décidés en moyenne six mois après avoir été entendus.

    Lorsqu’une question a été mise en délibéré, le jugement est subséquemment déposé à une date annoncée et le Registraire doit en aviser les procureurs de toutes les parties, y compris les intervenants. Les jugements déposés sont immédiatement rendus publics et disponibles sur Internet dans les deux langues officielles du Canada.

    Le tableau suivant indique les délais moyens (en mois) qui se sont écoulés

    1) entre le dépôt d’une demande d’autorisation d’appel et la décision sur la demande (phase I) ;

    2) entre la date de l’autorisation d’appel ou du dépôt de l’avis d’appel de plein droit et l’audience (phase II) ; et

    3) entre l’audience et le jugement (phase III) [68] :

    Années 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
    Phase I 4,3 5,7 3,9 3,7 3,7 3,4 3,5 3,2 3,2 3,4 4,1
    Phase II 11,4 12,2 10,5 9,4 9,1 7,7 9,0 8,9 7,6 7,7 8,7
    Phase III 5,6 5,6 5,1 4,0 5,2 5,9 6,6 4,8 7,4 7,7 6,2
    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable » : principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.

    Tel qu’il en appert de ce qui précède, toute instance devant la Cour suprême satisfait entièrement aux exigences du procès dit « équitable », notamment au chapitre du principe du contradictoire, de l’égalité des armes et des délais de jugement. Suivant la Loi et les Règles, la procédure de la Cour se décline à chaque étape de l’instance dans le respect plein et entier de l’obligation d’équité procédurale, que la Cour définit en ces termes : « Les valeurs qui soustendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision. [69] »

    Il est à noter que la Cour ne dispose pas de moyens propres d’instruction d’une affaire. toutefois, la Cour peut prendre connaissance d’office du droit ainsi que de faits incontestables et notoires. De plus, dans le contexte où des questions constitutionnelles sont soulevées, les règles traditionnelles de la connaissance d’office sont assouplies afin de permettre aux juges de prendre connaissance d’office d’études sociales et de données socio-économiques sérieuses.

    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    Les audiences à la Cour suprême sont publiques, sauf dans de très rares cas où il est nécessaire de protéger l’identité d’une personne pour des raisons de sécurité (p. ex. un informateur de police). Le principe de la publicité des débats judiciaires assure l’accessibilité des institutions judiciaires, en l’occurrence la Cour suprême, pour le public et l’imputabilité dans l’exercice du pouvoir judiciaire. Il s’applique à chaque étape de la procédure, et non seulement à l’audience [70].

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ? L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    Tant le caractère théorique d’un appel que la non-justiciabilité d’une question peuvent amener la Cour à refuser de statuer sur le recours ou sur une partie des questions soulevées dans un recours. Les principes qui sont exposés à la question 7 au stade de l’introduction du recours, que ce soit par le biais d’une demande d’autorisation d’appel ou d’un avis d’appel de plein droit, s’appliquent également une fois que les procédures d’appel sont engagées.

    Le non-respect de certains délais pourra également justifier le rejet de l’instance. Dans les cas où le dossier et le mémoire de l’appelant ne sont pas déposés et signifiés dans les trois mois qui suivent le dépôt de l’avis d’appel, un juge pourra rejeter l’appel au motif de péremption à la demande du Registraire ou de l’intimé, à moins que le juge ne proroge, sur requête de l’appelant, le délai de signification et de dépôt du dossier et du mémoire [71]. De plus, si l’appelant tarde indûment à poursuivre son appel, ou omet de le présenter, une fois qu’il est prêt pour l’audition, à la première session subséquente de la Cour, l’intimé peut, après avis donné à l’appelant, demander le rejet de l’appel à la Cour ou à l’un de ses juges siégeant en chambre [72].

    La Cour n’est pas tenue de statuer sur le recours si le citoyen se désiste. Par ailleurs, s’il décède, son représentant légal pourra continuer le recours sur présentation d’une déclaration de décès [73]. S’il n’a pas de représentant légal, l’art. 18 des Règles donne le pouvoir à la Cour de substituer au citoyen une autre partie [74]. tel que mentionné à la question 8, cette disposition prévoit que dans toute procédure, la Cour ou un juge peut ordonner l’adjonction ou la substitution d’une partie s’il l’estime nécessaire pour permettre à la Cour de trancher les questions en litige. Ainsi, la Cour peut ordonner l’addition ou la substitution d’une partie pour des fins d’équité ou pour assurer le débat contradictoire et empêcher que la question devienne purement théorique [75].

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    Réouverture de l’affaire

    En vertu de l’art. 76 des Règles, toute partie peut, par requête avant jugement ou dans les trente jours suivant le jugement, demander à la Cour de réentendre un appel. L’autre partie a la possibilité de répondre à la requête et, dans une telle éventualité, le requérant peut présenter une réplique. Sauf ordonnance contraire de la Cour, aucune plaidoirie orale ne peut être présentée relativement à la requête. La Cour n’exerce ce pouvoir discrétionnaire que dans des cas exceptionnels, tel un déni de justice [76] ou encore lorsqu’il y a eu erreur en ce qui concerne la teneur du dossier dont elle était saisie, la nature des questions en litige ou les questions à examiner [77].

    Après que l’audition de l’appel ait eu lieu et avant que le jugement ne soit rendu, la Cour peut demander aux parties de déposer des arguments supplémentaires. Si l’appel a été entendu par un banc de sept juges, la Cour peut aussi ordonner une nouvelle audition de l’appel devant un banc complet de neuf juges, compte tenu de l’importance des questions soulevées [78].

    Enfin, une fois le jugement rendu, celui-ci peut être modifié dans des cas d’erreurs mineures énumérés à l’art. 81 des Règles :

    81. (1) toute partie peut, dans les trente jours suivant le jugement, demander à un juge par requête ou, avec le consentement de toutes les parties intéressées, au registraire, la modification du jugement dans les cas suivants :

    a) le jugement contient une erreur involontaire ou une omission ;

    b) il n’est pas conforme au jugement prononcé par la Cour en audience publique ;

    c) il omet par inadvertance ou fortuitement de trancher une question dont la Cour a été saisie.

    (2) Le juge saisi de la requête peut la rejeter, procéder à la modification ou ordonner qu’une requête en nouvelle audition soit présentée à la Cour conformément à la règle 76.

    Disposition de l’affaire

    La Cour peut se substituer à la juridiction inférieure pour le prononcé du jugement et l’engagement des moyens de contrainte ou autres procédures [79]. Elle possède aussi le pouvoir discrétionnaire d’ordonner un nouveau procès si les fins de la justice paraissent l’exiger ; un nouveau procès est toutefois présumé nécessaire en cas de verdict rendu à l’encontre de la preuve [80]. En outre, la Cour peut renvoyer une affaire en tout ou en partie à la juridiction inférieure ou à celle de première instance et ordonner les mesures qui lui semblent appropriées [81].

    Dommages-intérêts

    Tel que la Cour l’a mentionné dans l’affaire Doucet­ Boudreau c. Nouvelle­ Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, le par. 24(1) de la Charte constitutionnalise le pouvoir des tribunaux de réparer des violations de droits et libertés fondamentaux garantis par la Charte. La réparation doit tenir compte du droit violé et de la situation du demandeur. Cette disposition prévoit :

    24. (1) toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

    Dans l’affaire Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, la Cour a statué que la portée du par. 24(1) est suffisamment large pour englober l’octroi de dommages-intérêts en matière constitutionnelle. Le tribunal doit prendre en compte les considérations suivantes :

    1. il doit être établi qu’un droit garanti par la Charte a été enfreint ;

    2. il faut démontrer pourquoi les dommages-intérêts constituent une réparation convenable et juste, selon qu’ils peuvent remplir au moins une des fonctions interreliées suivantes : l’indemnisation, la défense du droit en cause et
    la dissuasion contre toute nouvelle violation ;

    3. l’État a ensuite la possibilité de démontrer, le cas échéant, que des facteurs faisant contrepoids l’emportent sur les considérations fonctionnelles favorables à l’octroi de dommages-intérêts, de sorte que ces derniers ne seraient ni convenables ni justes ;

    4. le montant des dommages-intérêts est celui qui est nécessaire pour réaliser les objectifs d’indemnisation, de défense du droit et de dissuasion contre de nouvelles violations, eu égard à l’incidence de la violation pour le demandeur et à la gravité de la faute de l’État. [par. 23-57]

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    Cas d’inconstitutionnalité

    Tel que mentionné précédemment, la plupart des questions constitutionnelles dont la Cour doit traiter concerne la Charte ou le partage des compétences législatives entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales qui découle de la Loi constitutionnelle de 1867. Les cas d’inconstitutionnalité qui peuvent être soulevés devant la Cour sont notamment illustrés à l’art. 60 des Règles :

    1) la validité ou l’applicabilité constitutionnelle d’une loi fédérale ou d’une loi provinciale ou de l’un de leurs règlements ;

    2) le caractère inopérant d’une loi fédérale ou d’une loi provinciale ou de l’un de leurs règlements ;

    3) la validité ou l’applicabilité constitutionnelle d’une règle de common law.

    L’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit la suprématie de la Constitution sur toute règle de droit incompatible. Par conséquent, la Cour peut invalider, en totalité ou partiellement selon le cas, toute règle de droit qui est incompatible avec la Constitution.

    En matière de libertés et de droits fondamentaux, la Cour peut constater non seulement l’invalidité d’une règle de droit mais également le caractère inconstitutionnel d’un acte de l’État si elle conclut qu’un droit protégé par la Charte a été violé et que cette atteinte ne constitue pas une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique [82].

    Enfin, la Cour peut également déclarer invalide, inapplicable ou inopérante une loi ou un règlement, ou seulement l’une ou certaines de leurs dispositions, qui ne respecte pas le partage des compétences législatives entre le fédéral et les provinces.

    Moyens non présentés par le requérant

    La Cour ne peut se saisir d’office de dispositions non contestées, le débat judiciaire étant en principe défini par les parties. De plus, il existe une présomption de constitutionnalité [83]. Néanmoins, la Cour peut, dans certaines circonstances, soulever des moyens qui n’ont pas été présentés par les parties. Par exemple, la Cour peut, à tout stade de l’appel porté devant elle, procéder aux amendements nécessaires afin de lui permettre de se prononcer sur l’appel ou sur la véritable question ou contestation qui ressort des actes de procédure, de la preuve ou de l’ensemble du débat, et ce, même en l’absence de demande en ce sens [84]. L’art. 49 de la Loi prévoit que l’amendement s’effectue aux conditions que la Cour estime justes quant au paiement des frais, aux ajournements ou à tout autre facteur. Lorsqu’un nouveau moyen est soulevé, la pratique de la Cour est d’en informer les parties et de leur permettre de présenter des arguments relativement à ce moyen.

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    Voir la question 2 concernant les actes susceptibles de contestation constitutionnelle.

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionna- lité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    Lorsque la Cour conclut à l’inconstitutionnalité d’une loi ou d’un règlement, cette décision devient une règle de droit constitutionnel qui s’impose à tous, y compris le requérant. La Cour peut toutefois décider de suspendre tempo- rairement les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité afin de donner au législateur le temps de modifier sa loi ou son règlement. Dans l’arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, p. 719, la Cour a mentionné les raisons pour lesquelles un tribunal pourrait décider de suspendre temporairement l’effet d’une déclaration d’invalidité :

    A. l’annulation de la loi sans l’adoption d’un texte de remplacement poserait un danger pour le public ;

    B. l’annulation de la loi sans l’adoption d’un texte de remplacement menace- rait la primauté du droit ;

    C. la loi a été jugée inconstitutionnelle parce qu’elle est limitative et non parce qu’elle a une portée trop large et son annulation priverait de bénéfices les personnes admissibles sans profiter à la personne dont les droits ont été violés.

    Dans les cas où une règle de droit ou un acte de l’État porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux, le par. 24(1) de la Charte permet en outre au requérant de demander à la Cour une réparation qu’elle estime convenable et juste eu égard aux circonstances [85]. L’approche judiciaire en matière de répa- ration doit être souple, parfois même innovatrice, et tenir compte des besoins en cause [86]. Le juge constitutionnel dispose de larges pouvoirs à cet égard, à l’intérieur des paramètres résumés ainsi par la Cour dans l’affaire Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, par. 20 :

    Les facteurs généraux permettant de reconnaître une réparation convenable et juste au sens du par. 24(1) ont été énoncés par les juges Iacobucci et Arbour dans Doucet­ Boudreau c. Nouvelle­Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3. En résumé, une réparation convenable et juste : (1) permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur ; (2) fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie consti- tutionnelle ; (3) est une réparation judiciaire qui défend le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal ; (4) est équitable pour la partie visée par l’ordonnance : Doucet-Boudreau, par. 55-58.

    Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429, la Cour a souligné que la Constitution confère au tribunal le pouvoir d’accorder une réparation constitutionnelle valant pour le passé et pour l’avenir. Cette réparation a parfois un effet rétroactif, tel que par exemple une taxe perçue par le gouvernement en application d’un règlement ultra vires qui peut être recouvrée par le contribuable [87]. Cependant, lorsque la décision d’inconstitutionnalité entraîne une modification fondamentale d’une règle de droit, la mise en balance de certains facteurs peut justifier l’octroi d’une réparation au requérant uniquement pour l’avenir.

    En matière criminelle, l’arrêt des procédures pénales contre le justiciable ou une réduction de sa peine peuvent, par exemple, constituer des mesures de réparation pouvant être accordées en vertu du par. 24(1). De plus, le par. 24 (2) de la Charte autorise spécifiquement la Cour à écarter des éléments de preuve obtenus en violation de la Charte si leur utilisation au procès est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice [88] :

    24. (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente Charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

    Enfin, lorsque la question implique la conduite des relations internationales par le gouvernement, une déclaration d’invalidité peut ne pas être une réparation appropriée. La Cour peut se limiter à déclarer que les droits du citoyen ont été violés par le gouvernement, tout en laissant à celui-ci le soin de décider de quelle manière il convient de répondre à la lumière de l’information dont il dispose actuellement, de sa responsabilité en matière d’affaires étrangères et de la Charte [89].

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel

    Sans objet.

    C. Autres cas

    Sans objet.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    – sont expressément prévus par la Constitution ?

    L’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la « Constitution du Canada » est la loi suprême du Canada et qu’elle rend inopérantes « les dispositions incompatibles avec toute autre règle de droit ». Cet article énumère certains textes qui font partie de la Constitution. Il s’agit, notamment, de la Loi de 1982 sur le Canada (par laquelle le Royaume-uni a opéré le rapatriement), plusieurs lois constitutionnelles adoptées depuis la Confédération de 1867 ainsi que d’autres textes législatifs spécifiques. Les modifications apportées à ces lois font aussi partie de la Constitution.

    La Charte est l’un de ces textes qui font spécifiquement partie de la Constitution. Elle énumère plusieurs droits et libertés fondamentaux [90], dont certains peuvent toutefois faire l’objet de restrictions. À cet égard, l’article premier de la Charte « remplit deux fonctions : premièrement, il enchâsse dans la Constitution les droits et libertés énoncés dans les dispositions qui le suivent ; et, deuxièmement, il établit explicitement les seuls critères justificatifs […] auxquels doivent satisfaire les restrictions apportées à ces droits et libertés » [91]. Ces droits et libertés ne peuvent être restreints que « par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique » [92].

    Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, la Cour suprême a reconnu que la Constitution du Canada n’est pas uniquement un texte écrit. Elle englobe l’ensemble des règles et principes qui régissent l’exercice du pouvoir constitutionnel. En particulier, certains principes sous-jacents animent la Constitution, dont le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, ainsi que le respect des minorités. Ces principes guident l’évolution constitutionnelle au Canada et en sont la « force vitale » [93]. Ils peuvent être invoqués par les justiciables au soutien de l’interprétation constitutionnelle qu’ils souhaitent défendre devant la Cour [94].

    – sont contenus dans des normes internationales ?

    Le Canada a une conception dualiste du droit interne et du droit international : ils constituent deux ordres juridiques distincts.

    Le droit international conventionnel doit faire l’objet d’une réception législative afin d’acquérir force de loi. Cette réception législative se concrétise par l’adoption de lois qui portent sur l’exécution des obligations découlant de ces conventions et traités internationaux. La Loi sur les Conventions de Genève [95] et la Loi de mise en œuvre sur les mines­antipersonnel [96] en sont des exemples.

    Toutefois, bien que la mise en œuvre d’un traité soit nécessaire pour constituer une source formelle et directe de droit interne, il faut souligner que les tribunaux canadiens tiennent souvent compte du droit international lorsqu’ils interprètent le droit interne et, en particulier, l’étendue des droits garantis par la Charte. Par exemple, dans l’arrêt Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême a considéré la portée de la Convention relative aux droits de l’enfant [97], qui avait été ratifiée par le Canada mais qui n’était pas en vigueur. Bien que la Cour ait reconnu que cette Convention n’avait aucune application directe au Canada, elle a souligné l’importance de son rôle dans l’interprétation du droit interne. La Cour a déclaré en effet que « [l]es valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent […] être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire » [98].

    Dans l’affaire R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, par. 53, la Cour suprême souligne que, selon le principe d’interprétation voulant qu’une loi soit conforme au droit international [99], « les tribunaux sont légalement tenus d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait la contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un tel résultat ». Par exemple, la Cour a déclaré que l’interprétation et l’application des dispositions du Code criminel canadien sur les crimes contre l’humanité devaient, « vu la relation étroite existant entre notre droit interne et le droit international » [100], s’harmoniser avec le droit international. Dans son analyse, elle a ainsi tenu compte de la jurisprudence du tribunal pénal international pour le Rwanda et du tribunal pénal international pour l’ex-yougoslavie.

    Puis, il est à noter que le texte de la Charte reflétant celui d’autres instruments internationaux, la Cour s’est inspirée d’approches préconisées par la Commission et la Cour européenne des Droits de l’Homme pour développer le cadre analytique permettant aux tribunaux de déterminer, entre autres, si des violations à des droits garantis par la Charte sont « justifiables dans le cadre d’une société libre et démocratique » [101].

    Pour ce qui est du droit international coutumier, une coutume prohibitive universellement admise aura effet en droit interne à titre de règle de common law, contrairement à la coutume permissive qui, elle, nécessitera une incorporation législative. Selon la Cour suprême, « [l]es règles prohibitives du droit international coutumier peuvent être incorporées directement au droit interne en application de la common law, sans que le législateur n’ait à intervenir » [102]. Elle est d’avis que l’incorporation automatique de ces règles « se justifie par le fait que la coutume internationale, en tant que droit des nations, constitue également le droit du Canada à moins que, dans l’exercice légitime de sa souveraineté, celui-ci ne déclare son droit interne incompatible » [103].

    – sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?

    Pour un exemple de droits nouveaux reconnus par le juge, voir le commentaire à la question suivante et à la question 40 sur l’inclusion de la protection des droits des personnes homosexuelles, et des couples de même sexe, même si l’orientation sexuelle comme motif illicite de discrimination ne figure pas explicitement dans le texte de la Charte.

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    La Charte énumère plusieurs catégories de droits et libertés :

    • L’art. 2 prévoit les libertés fondamentales : liberté d’expression, la liberté de religion et la liberté d’association ;
    • L’art. 15 prévoit le droit à l’égalité : garanties contre les discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques, ou autres motifs analogues ;
    • L’art. 3 prévoit les droits démocratiques : tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales ;
    • L’art. 6 prévoit la liberté de circulation et d’établissement : droit de se déplacer dans tout le pays et d’établir sa résidence dans toute province et d’y gagner sa vie ;
    • Les art. 8 à 13 prévoient les droits juridiques :
      • L’art. 8 : garanties contre les fouilles, les perquisitions, les saisies abusives ;
      • L’art. 9 : protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires ;
      • L’art. 10 : en cas d’arrestation ou de détention, droit d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention ; d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat ; de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention ;
      • L’art. 11 : droit d’être jugé dans un délai raisonnable ; de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même ; d’être présumé innocent tant qu’un inculpé n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable ;
      • L’art. 12 : droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ;
      • L’art. 13 : chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incriminant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminer dans d’autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires ;

    Trois formes de réparation sont prévues en cas de violation des droits garantis par la Charte :

    Premièrement, la déclaration d’invalidité (art. 52) : le tribunal déclare inopérante la loi ou la partie de la loi jugée inconstitutionnelle. Il peut aussi interpréter la loi visée comme si elle contenait des mots qui n’y figuraient pas. En anglais, on décrit cela comme étant le reading in, ou interprétation extensive [104]. Cette interprétation a permis l’inclusion de la protection des droits des personnes homosexuelles, et des couples de même sexe, même si l’orientation sexuelle comme motif illicite de discrimination ne figure pas explicitement dans le texte de la Charte [105] ;

    Deuxièmement, une personne peut demander au tribunal, en vertu du par. 24(1), une réparation individuelle « convenable et juste eu égard aux circonstances ». Cela peut prendre la forme d’un arrêt des procédures, de dommages, de la réduction d’une peine, etc. ;

    Troisièmement, l’accusé en matière pénale peut, en vertu du par. 24(2), faire exclure une preuve obtenue en contravention de la Charte si l’admission de cette preuve est susceptible de « déconsidérer l’administration de la justice ».

    Cela pourrait être, par exemple, une preuve qui a été obtenue lors de la perquisition sans mandat de la résidence d’un accusé.

    38) Si le juge constitutionnel est peu ou n’est pas du tout saisi par le citoyen, ni directement ni indirectement :

    Sans objet.

    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    De façon générale, l’entrée en vigueur de la Charte en 1982 a eu pour effet d’accroître le rôle de tous les tribunaux. Consciente de l’intérêt grandissant des citoyens vis-à-vis de ses activités, la Cour suprême a adopté plusieurs mesures pour faciliter l’accès des justiciables aux débats qui se déroulent devant elle et, de façon plus générale, pour renforcer l’application du principe de la publicité des débats judiciaires.

    D’abord, en raison notamment de l’augmentation du nombre de procédures entamées devant elle par des plaideurs non représentés, la Cour a rassemblé des ressources à l’intention de ces personnes. Il s’agit de renseignements et d’instructions nécessaires pour déposer une demande d’autorisation d’appel ou pour répondre à une telle demande en tant qu’intimé. Ces ressources sont disponibles en ligne [106] et en version imprimée.

    Ensuite, avant le début de chaque nouvelle session de la Cour, une séance d’information se tient dans la salle de presse de la Cour à l’intention des médias pour donner un aperçu des questions en litige dans les affaires qui seront entendues par la Cour. Aussi, la Cour met à la disposition du public, sur son site Web [107], de l’information concernant le calendrier des audiences, de l’information provenant du registre des instances, des renseignements concernant les parties et des sommaires des instances. Il est également possible d’y consulter en ligne les mémoires d’appel.

    La Cour diffuse en direct tous les appels à la tribune de la presse parlementaire canadienne. Ceux-ci sont aussi webdiffusés. Les enregistreurs audio peuvent être utilisés dans la salle d’audience, mais il est interdit d’utiliser des caméras. Il est permis d’utiliser des ordinateurs portables et des appareils de poche, comme les blackberries et les téléphones cellulaires, à condition d’en éteindre le son. Dans la section qui leur est réservée, les médias disposent de prises de courant et d’un accès sans fil Internet gratuit. Les membres des médias peuvent également suivre le déroulement de l’appel à partir de la salle de presse de la Cour, laquelle est équipée d’un système de télévision en circuit fermé (diffusant dans les deux langues officielles).

    Chaque fois que la Cour dépose des motifs de jugement à l’égard d’un appel, une séance d’information est tenue à l’intention des médias pour les aider à mieux comprendre les motifs de la décision.

    Lorsqu’un jugement est rendu dans une affaire mise en délibéré, les parties reçoivent un avis et le jugement formel est déposé auprès du Registraire avec l’ensemble des exposés des motifs et un sommaire (court résumé de l’affaire et des motifs exposés par les juges) dans les deux langues officielles du Canada. Il est ensuite possible pour quiconque d’obtenir une copie des motifs du jugement auprès de la Salle des dossiers de la Cour. Les motifs du jugement sont publiés dans les deux langues officielles dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada, lequel peut être consulté à la bibliothèque de la Cour.

    Un préavis de la diffusion des décisions – pour les appels et les demandes d’autorisation d’appel – est donné au moyen d’un communiqué. Les communiqués annonçant les décisions comportent un lien Internet direct vers les motifs de jugement. Il est possible de s’abonner à la liste d’envoi pour recevoir les communiqués à venir. Les motifs des jugements sont aussi diffusés sur l’Internet en français et en anglais peu après le dépôt de la décision. Il est possible de consulter les jugements dans le site de LexuM (http://scc.lexum. org/fr/index.html).

    Enfin, la Cour offre des visites guidées de son édifice. Les guides, qui sont des étudiants en droit, expliquent aux visiteurs le fonctionnement du système judiciaire canadien, ainsi que la façon dont la Cour suprême du Canada tranche les questions juridiques d’importance pour le public qui lui sont soumises. Lorsque la Cour siège, il est possible d’assister à l’audition d’un appel. Par ailleurs, la Cour encourage les enseignants à faire visiter la Cour à leurs élèves. Elle a préparé, dans cette optique, une « trousse éducative » téléchargeable qu’ils peuvent utiliser dans leurs classes [108].

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    Voir la question 40.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Plusieurs sondages d’opinion indiquent que les Canadiens, notamment les jeunes et les nouveaux citoyens, s’identifient à la Charte et aux droits qui y sont énumérés. De manière plus générale, l’opinion des citoyens au sujet du juge constitutionnel soulève la question de l’interprétation judiciaire de la Charte et, en l’occurrence, un débat au sujet de la légitimité du contrôle judiciaire de constitutionnalité.

    La créativité inhérente à l’interprétation constitutionnelle fut décrite en 1930, soit plus d’un demi-siècle avant l’adoption de la Charte, par une métaphore célèbre qui dépeint la Constitution canadienne comme « un arbre susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles » [109].

    Dans son interprétation de la Charte, la Cour suprême a appliqué cette métaphore de l’arbre vivant. Selon la Cour, la Charte doit « être susceptible d’évoluer avec le temps de manière à répondre à de nouvelles réalités sociales, politiques et historiques que souvent ses auteurs n’ont pas envisagées » [110]. La Cour a insisté sur le fait que « l’interprétation doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l’objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte » [111].

    Selon plusieurs sondages, les Canadiens éprouvent plus de confiance envers la Cour suprême qu’envers d’autres institutions ou acteurs sociaux importants du pays, telles les entreprises, les médias ou les politiciens.

    Par exemple, un sondage mené en avril 1999 pour l’Institut de recherche en politiques publiques à Montréal révélait que 62 % des Canadiens appuyaient l’idée que les tribunaux puissent invalider des lois et 77 % avaient une attitude favorable à la Cour suprême [112].

    Dans un sondage de la firme SES mené en 2007, 54 % des répondants étaient d’avis que les tribunaux devaient avoir le dernier mot, contre 31,2 % qui préfèrent la suprématie du Parlement [113]. Dans ce même sondage, 58,2 % des répondants (et 64,3 % des répondants âgés de 18 à 29 ans) étaient d’avis que la Charte avait mené le pays dans la bonne direction, contre 26 % qui ont affirmé le contraire.

    Un autre sondage, mené en 2007 par la firme Strategic Counsel, confirme ce qui précède : 47 % des répondants affirmaient faire plus confiance à la Cour suprême qu’au Parlement, 44 % des répondants croyaient que la Cour suprême avait fait plus pour défendre les droits et libertés que le Parlement, contre 33 % qui affirmaient le contraire [114].

    Enfin, depuis 1997, la firme Environics sonde annuellement les Canadiens au sujet de l’importance de certains symboles. Entre 1997 et 2010, le pourcentage de Canadiens qui voient en la Charte un symbole très important est passé de 72 à 78 %. En comparaison, on accorde moins d’importance au bilinguisme (le pourcentage de ceux pour qui le bilinguisme est un symbole national très important est passé de 37 à 46 % pour la même période) et au multiculturalisme (le pourcentage étant passé de 49 à 56 % au cours de la même période) [115].

    Une ombre au tableau a été notée par la juge en chef Beverley McLachlin : « Si les Canadiens en général semblent s’identifier à la Charte et éprouver un grand respect pour la Cour suprême, ils ne semblent avoir ni une connaissance très profonde du contenu de la Charte ni une compréhension très développée du fonctionnement des tribunaux qui l’appliquent et la font vivre » [116]. La Charte vient de fêter ses trente ans d’existence, et si le passé est garant de l’avenir, elle demeurera d’une importance capitale en tant que rouage essentiel de l’État de droit.


    • [1]
      Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11 (R. u.)  [Retour au contenu]
    • [2]
      Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, p. 185.  [Retour au contenu]
    • [3]
      Les termes « action civile » et « affaire civile » comprennent les litiges en droit administratif.  [Retour au contenu]
    • [4]
      Office canadien de la commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157.  [Retour au contenu]
    • [5]
      R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.  [Retour au contenu]
    • [6]
      Hy and Zel’s Inc. c. P.G. Ontario, [1993] 3 R.C.S. 113 ; Conseil canadien des Églises c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236.  [Retour au contenu]
    • [7]
      [1992] 1 R.C.S. 236, p. 252.  [Retour au contenu]
    • [8]
      [1992] 1 R.C.S. 236, p. 250.  [Retour au contenu]
    • [9]
      [1992] 1 R.C.S. 236, p. 252  [Retour au contenu]
    • [10]
      Par exemple, dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 R.C.S. 698, la Cour a permis dix-huit interventions.  [Retour au contenu]
    • [11]
      Alliance for Marriage and Family c. A.A., et al., 2007 CSC 40, [2007] 3 R.C.S. 124  [Retour au contenu]
    • [12]
      R. c. Finta, [1993] 1 R.C.S. 1138 ; Workers’ Compensation Act, 1983 (T­N) (Demande d’intervention), [1989] 2 R.C.S. 335.  [Retour au contenu]
    • [13]
      Godbout c. Longueuil (Ville de), [1997] 3 R.C.S. 844 ; Peterborough (Ville de) c. Romsden, [1993] 2 R.C.S. 1084 ; Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 580 c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573.  [Retour au contenu]
    • [14]
      Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 580 c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573 ; Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530.  [Retour au contenu]
    • [15]
      Hill c. Église de scientologie, [1995] 2 R.C.S. 1130.  [Retour au contenu]
    • [16]
      Operation Dismantle c. R., [1985] 1 R.C.S. 441.  [Retour au contenu]
    • [17]
      Godbout c. Longueuil (Ville de), [1997] 3 R.C.S. 844 ; Peterborough (Ville de) c. Ramsden, [1993] 2 R.C.S. 1084.  [Retour au contenu]
    • [18]
      Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038 ; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12.  [Retour au contenu]
    • [19]
      Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – Section Colombie ­Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295.  [Retour au contenu]
    • [20]
      Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211.  [Retour au contenu]
    • [21]
      Douglas College c. Douglas/Kwantlen Faculty Association, [1990] 3 R.C.S. 570.  [Retour au contenu]
    • [22]
      Eldridge c. P.G. Colombie­Britannique, [1997] 3 R.C.S. 624.  [Retour au contenu]
    • [23]
      Canada (Premier Ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44 ; Société Radio­ Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19.  [Retour au contenu]
    • [24]
      R. c. Hébert, [1990] 2 R.C.S. 151 ; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada, [2000] 2 R.C.S. 1120 ; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215.  [Retour au contenu]
    • [25]
      Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 580 c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573.  [Retour au contenu]
    • [26]
      McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 230.  [Retour au contenu]
    • [27]
      Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483.  [Retour au contenu]
    • [28]
      Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148.  [Retour au contenu]
    • [29]
      Hy and Zel’s Inc. c. P.G. Ontario, [1993] 3 R.C.S. 113, par. 32.  [Retour au contenu]
    • [30]
      Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, p. 185  [Retour au contenu]
    • [31]
      Par. 15 (1) des Règles.  [Retour au contenu]
    • [32]
      Par. 15 (2) des Règles.  [Retour au contenu]
    • [33]
      Al. 58 (1) a) de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [34]
      Discours de l’honorable Juge Sopinka de la Cour suprême du Canada prononcé à Toronto le 10 avril 1997.  [Retour au contenu]
    • [35]
      Art. 38 de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [36]
      Al. 58 (1) b) de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [37]
      Art. 44 de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [38]
      Art. 44 de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [39]
      Art. 66 des Règles.  [Retour au contenu]
    • [40]
      Operation Dismantle c. R., [1985] 1 R.C.S. 441, p. 472 ; Renvoi sur la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, p. 237.  [Retour au contenu]
    • [41]
      Borowski c. Canada (Procureur general), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 353.  [Retour au contenu]
    • [42]
      Borowski, p. 354, discutant des faits dans l’arrêt The King ex rel. Tolfree v. Clark, [1944] R.C.S. 69.  [Retour au contenu]
    • [43]
      Borowski, p. 358-363.  [Retour au contenu]
    • [44]
      Art. 58 et 59 de la Loi ; R. c. Roberge, 2005 CSC 48, [2005] 2 R.C.S. 469, par. 6.  [Retour au contenu]
    • [45]
      Par. 65(1) des Règles.  [Retour au contenu]
    • [46]
      Par. 60(1) des Règles.  [Retour au contenu]
    • [47]
      Par. 61(2) des Règles.  [Retour au contenu]
    • [48]
      Par. 61(4) des Règles.  [Retour au contenu]
    • [49]
      Voir, par exemple, Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau­ Brunswick Inc. c. Canada, 2008 CSC 15, [2008] 1 R.C.S. 383.  [Retour au contenu]
    • [50]
      Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827.  [Retour au contenu]
    • [51]
      Par. 53(5) de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [52]
      Par. 53(6) de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [53]
      Renvoi : Workers’Compensation Act, 1983 (t.-N.), [1989] 2 R.C.S. 335, p. 340.  [Retour au contenu]
    • [54]
      R. c. Finta, [1993] 1 R.C.S. 1138, p. 1142  [Retour au contenu]
    • [55]
      Art. 57 des Règles.  [Retour au contenu]
    • [56]
      Renvoi relatif à la T.P.S., [1992] 2 R.C.S. 445, p. 487.  [Retour au contenu]
    • [57]
      Par. 53(7) de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [58]
      Art. 92 des Règles.  [Retour au contenu]
    • [59]
      59. Par. 18(5) des Règles.  [Retour au contenu]
    • [60]
      Voir, par exemple, Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989]  [Retour au contenu]
    • [61]
      1 R.C.S. 143.  [Retour au contenu]
    • [62]
      Art. 36 des Règles.  [Retour au contenu]
    • [63]
      Art. 37 des Règles.  [Retour au contenu]
    • [64]
      Par. 69(1) des Règles  [Retour au contenu]
    • [65]
      Par. 69(2) des Règles.  [Retour au contenu]
    • [66]
      Art. 79 de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [67]
      Art. 7 des Règles.  [Retour au contenu]
    • [68]
      Ces statistiques englobent la totalité des appels traités par la Cour et non seulement les affaires constitutionnelles.  [Retour au contenu]
    • [69]
      Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, p. 340.  [Retour au contenu]
    • [70]
      Les interdictions de publication et les ordonnances de confidentialité et de mise sous scellés font exception au principe de la publicité des débats judiciaires. Au sujet du principe de la publicité des débats judiciaires au Canada, voir généralement : Scott c. Scott, [1913] A.C. 417 (u.K.H.L.) ; A.G. (Nova Scotia) c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175 ; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326 ; Dagenais c. Société Radio­Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 ; Phillips c. Nouvelle­ Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97 ; Société Radio­Canada c. Nouveau­ Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480 ; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442 ; Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, [2004] 2 R.C.S. 332 ; Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253  [Retour au contenu]
    • [71]
      Art. 65 des Règles.  [Retour au contenu]
    • [72]
      Art. 71 de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [73]
      Art. 73 de la Loi  [Retour au contenu]
    • [74]
      Par exemple, R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234.  [Retour au contenu]
    • [75]
      Par exemple, Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143.  [Retour au contenu]
    • [76]
      H. (D.) c. M. (H.), [1999] 1 R.C.S. 761.  [Retour au contenu]
    • [77]
      Grand Montréal, Commission des écoles protestantes c. Québec (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 167.  [Retour au contenu]
    • [78]
      R. c. Stillman, [1995] S.C.C.A. n° 135 (QL).  [Retour au contenu]
    • [79]
      Art. 45 de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [80]
      Art. 46 de la Loi ; en matière criminelle, l’art. 695 du Code criminel prévoit : « La Cour suprême du Canada peut, sur un appel aux termes de la présente partie, rendre toute ordonnance que la cour d’appel aurait pu rendre et peut établir toute règle ou rendre toute ordonnance nécessaire pour donner effet à son jugement ».  [Retour au contenu]
    • [81]
      Art. 46.1 de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [82]
      Article premier de la Charte.  [Retour au contenu]
    • [83]
      Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1078.  [Retour au contenu]
    • [84]
      Par. 48(1) de la Loi.  [Retour au contenu]
    • [85]
      La question des dommages-intérêts est discutée à la question 12.  [Retour au contenu]
    • [86]
      Doucet­ Boudreau c. Nouvelle­Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 59  [Retour au contenu]
    • [87]
      Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau ­Brunswick (Finances), 2007 CSC 1, [2007] 1 R.C.S. 3.  [Retour au contenu]
    • [88]
      R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353.  [Retour au contenu]
    • [89]
      Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44.  [Retour au contenu]
    • [90]
      Voir, à ce sujet, la réponse à la question 37  [Retour au contenu]
    • [91]
      R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, par.63  [Retour au contenu]
    • [92]
      R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103  [Retour au contenu]
    • [93]
      Renvoi, par. 51.  [Retour au contenu]
    • [94]
      Voir, par exemple, l’arrêt Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, [2005] 1 R.C.S. 201, où le principe du respect des minorités a été utilisé afin de circonscrire la portée du droit constitutionnel à l’instruction dans la langue de la minorité  [Retour au contenu]
    • [95]
      L.R.C. 1985, ch. g-3.  [Retour au contenu]
    • [96]
      L.C. 1997, ch. 33.  [Retour au contenu]
    • [97]
      R.t. Can. 1992 n° 3  [Retour au contenu]
    • [98]
      Baker, par. 70.  [Retour au contenu]
    • [99]
      Voir, par exemple, Daniels c. White, [1968] R.C.S. 417, p. 541 : « le législateur est réputé ne pas légiférer en violation d’un traité ou à l’encontre de la courtoisie internationale ou des règles établies de droit international ».  [Retour au contenu]
    • [100]
      Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 143 et 178.  [Retour au contenu]
    • [101]
      R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 ; voir aussi Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., 2007, p. 112.  [Retour au contenu]
    • [102]
      R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, par. 36.  [Retour au contenu]
    • [103]
      Hape, par. 39.  [Retour au contenu]
    • [104]
      Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28, [2010] 2 R.C.S. 61, par. 98.  [Retour au contenu]
    • [105]
      Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.  [Retour au contenu]
    • [106]
      http://www.scc-csc.gc.ca/rep/index-fra.asp  [Retour au contenu]
    • [107]
      http://www.scc-csc.gc.ca/home-accueil/index-fra.asp  [Retour au contenu]
    • [108]
      Disponible à l’adresse suivante : http://www.scc-csc.gc.ca/education/kit-trousse/index-fra.asp  [Retour au contenu]
    • [109]
      Edwards c. Procureur général du Canada, [1930] A.C. 124.  [Retour au contenu]
    • [110]
      Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.  [Retour au contenu]
    • [111]
      R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.  [Retour au contenu]
    • [112]
      Janice tibbetts, « judges Should Have Final Say, Poll Suggests », The Edmonton Journal (14 avril 1999) A3.  [Retour au contenu]
    • [113]
      Nik Nanos, « Charter Values Don’t Equal Canadian Values : Strong Support for Same-Sex and Property Rights », (2007) 28(2) Policy Options 50-9  [Retour au contenu]
    • [114]
      Kirk Makin, « judges garner greater trust than politicians, survey finds », Globe and Mail [toronto] (9 avril 2007) A5.  [Retour au contenu]
    • [115]
      Kirk Makin, « Is Canada becoming more conservative? Don’t believe it », Ottawa Citizen (7 décembre 2011).  [Retour au contenu]
    • [116]
      Beverley McLachlin, « The Charter 25 years later : the good, the bad, and the challenge », (2007) 32(1) Law Now 14, 23 (traduction libre).  [Retour au contenu]

    Cour constitutionnelle des Comores

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    La saisine directe est accordée aux trois catégories de requérants, suivant les dispositions pertinentes des articles 25 et 27 de la loi organique n° 04-001 / Au, relative à l’organisation et aux compétences de la Cour constitutionnelle.

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    Les lois de l’union et les lois statutaires des îles autonomes dans un délai de 30 jours après la publication de l’acte (art. 24, 25 et 26 de la loi organique sus-référencée), ainsi que les actes administratifs et tous autres actes portant atteinte aux droits fondamentaux protégés par la Constitution.

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    En dehors du délai de 30 jours ci-dessus spécifié, la saisine est ouverte sans délai aux requérants.

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    Non. La procédure de référé n’est pas organisée devant la juridiction constitutionnelle, mais le citoyen peut, toutefois, invoquer en matière de recours en inconstitutionnalité, l’urgence aux fins d’obtenir la suspension de tout ou d’une partie de la loi (art. 34 et 38 de la loi organique).

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    Oui.

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    Oui.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    Lorsqu’il est directement concerné et toute personne ayant intérêt pour agir.

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    Pas nécessairement.

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    Le recours doit être signé, daté, indiquer son objet et contenir les faits et les moyens (art. 27, 28 et 29 de la loi organique).

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    Absence de qualité pour agir, expiration des délais requis, inobservation des articles 27, 28 et 29 suscités.

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requérants de participer à la procédure.

    Le recours dûment enregistré au Secrétariat général, il est adressé à l’un des conseillers, désigné rapporteur par le Président et communiqué aux parties qui participent pleinement à la procédure contradictoire.

    9) Quelles sont les phases du jugement ?

    Audience préliminaire, confrontation des parties en audience publique, délibéré et, enfin, prononcé de la décision en audience publique

    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable » : principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.

    Principes observés stricto sensu.

    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    Oui, à moins que « la publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les bonnes mœurs » (art. 63 de la loi organique sus-référencée).

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ?

    L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    Oui, même si l’arrêt de la Cour ne fait que prendre acte du désistement.

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    Non.

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    L’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant une juridiction judiciaire, recours en suspension de tout ou une partie d’une loi et les questions préjudicielles (art. 41 de la loi organique).

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    Non, sauf en matière de liberté publique.

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    En cas d’inconstitutionnalité, le texte incriminé est annulé et retiré de l’ordonnancement juridique interne et donc non opposable au requérant.

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    La saisine de la Cour constitutionnelle est faite, en cas d’inconstitutionnalité d’une loi, par la juridiction devant laquelle la question de l’inconstitutionnalité a été soulevée (art. 42 de la loi organique), notamment par le président du tribunal.

    La question prioritaire de constitutionnalité n’est pas prévue par les textes.

    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    Le citoyen ou son avocat doit, au préalable, soulever la question de l’inconstitutionnalité pour que le tribunal compétent saisisse la Cour constitutionnelle.

    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ?

    18-1. Les droits et libertés inscrits dans la Constitution ?

    Oui.

    18-2. Les règles constitutionnelles à caractère procédural ?

    Oui.

    18-3. Les règles constitutionnelles ayant trait à la répartition des compétences ?

    Oui.

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    oui, sauf si la question a été déjà traitée par la Cour constitutionnelle, si la réponse n’est pas indispensable pour rendre sa décision, si la loi ne viole manifestement pas une règle ou un article de la Constitution ou lorsque la décision qu’elle va rendre est susceptible de recours ou de renvoi (art. 42 et 43 de la loi organique).

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    La transmission est faite au moyen d’une expédition de la décision de renvoi, signée par le Président et le greffier de la juridiction, y indiquant les dispositions de la loi violée.

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    Sans délai.

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    Sans délai.

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    Le citoyen ou son avocat participe à la procédure et la décision de la Cour constitutionnelle est notifiée à la juridiction ayant posé la question, une copie adressée aux parties (art. 45 de la loi organique).

    24) Est-ce qu’il doit être obligatoirement assisté d’un avocat ?

    Pas forcément.

    25) Est-ce que le citoyen peut bénéficier d’un délai pour produire des pièces ou des preuves au soutien de ses moyens ?

    Oui et ce, dans un délai de 7 jours.

    26) Est-ce que la partie adverse du citoyen à l’origine de la saisine peut prendre part au procès pour développer ses arguments contre l’inconstitutionnalité ? Si oui, comment ?

    Oui, par notification du Secrétariat général de la Cour constitutionnelle.

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ?

    Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    Le juge constitutionnel ne dispose pas de pouvoir spécifique pour faire respecter ses décisions, mais la décision rendue est exécutoire de plein droit devant la juridiction qui s’y trouve tenue (art. 40 de la Constitution et 44, 48, 75 de la loi organique).

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    Opposable à tous, erga omnes.

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    Le justiciable prend connaissance de la décision de la cour, opposable à tous, y compris la juridiction devant laquelle l’inconstitutionnalité a été soulevée.

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    Non.

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    La décision s’impose à tous et a l’autorité de la chose jugée sur les cas similaires.

    31) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité a-t-elle pour les personnes ayant fait l’objet de décisions administratives fondées sur la disposition législative déclarée entre-temps inconstitutionnelle et qui n’ont pas encore introduit de recours en annulation devant le juge administratif à la date de la censure ?

    Le citoyen se trouve lié par la décision d’inconstitutionnalité en ce que celle-ci s’impose au juge administratif.

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    oui, devant une affaire pendante.

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    La décision suffisamment motivée est lisible et accessible au citoyen par lui-même ou par son avocat.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    Non encore connu.

    C. Autres cas
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Non, en ce que la Cour constitutionnelle est saisie par le Président du tribunal devant lequel la question a été soulevée.

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    Non.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ? oui.
    • sont contenus dans des normes internationales ? oui.
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ? oui.
    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ? À titre d’exemples non limitatifs :
    • Libertés de la personne : oui
    • Libertés de la pensée : oui
    • Droit de propriété : oui
    • Droits économiques et sociaux : oui
    • Droits-garanties (droit au recours et au juge, droit à accéder au droit, droit à la réparation…) : oui
    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    Oui en ce que les décisions de la Cour constitutionnelle sont respectées et suivies par les organes de l’État et par les citoyens d’une part et, d’autre part, par l’accroissement soudain du contentieux, traduisant ainsi l’émergence progressive d’une conscience citoyenne.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    Cf. article de jean du Bois de Gaudusson.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Oui.

    Cour constitutionnelle du Congo

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    Selon l’article 149 de la Constitution du 20 janvier 2002, « tout particulier peut, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction dans une affaire qui le concerne, saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois ». on en déduit que seules les personnes physiques peuvent saisir, directement, le juge constitutionnel.

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    Peuvent être attaquées, devant la Cour constitutionnelle, les lois. outre les lois, le juge constitutionnel est chargé du contrôle de la constitutionnalité des traités et des accords internationaux (article 2 de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    Aux termes de l’article 44 alinéa premier de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, le recours en inconstitutionnalité n’est soumis à aucun délai.
    toutefois, si la Cour constitutionnelle est saisie par tout particulier suivant la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction dans une affaire qui le concerne, la juridiction saisie sursoit à statuer et impartit au requérant un délai d’un mois à partir de la signature de la décision (article 149 alinéa 2 de la Constitution).

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    Selon l’article 42 alinéa premier de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « la saisine de la Cour constitutionnelle, pour des textes déjà votés par le Parlement mais non encore promulgués par le Président de la République, suspend le délai de promulgation ».

    Dans ces conditions, il est prescrit à l’alinéa 2 du même article que la Cour constitutionnelle doit statuer dans le délai d’un mois qui peut être réduit, à la demande expresse du requérant, s’il y a urgence, à dix (10) jours.

    Pour tout recours introduit par le requérant, la Cour constitutionnelle dispose d’un délai d’un mois pour rendre sa décision (article 44 alinéa 6 de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle).

    Toutefois, le requérant peut invoquer l’urgence et exiger la réduction de ce délai à dix (10) jours comme le prévoit le même article 44 alinéa 6 de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

    La procédure de référé n’est pas prévue devant la Cour constitutionnelle.

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    Oui, il n’est pas prévu de versement de frais de procédure ni à l’introduction du recours ni à la signification de la décision rendue.

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    Non.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    Toute personne peut agir. Elle peut être, ou non, directement concernée car l’article 43 de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dispose que « tout particulier peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction dans une affaire qui le concerne ».

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    Non, le citoyen peut agir par lui-même ou par l’intermédiaire d’un avocat car aux termes de l’article 44 alinéa premier de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle « … Il (le recours en inconstitutionnalité) est valablement introduit par un écrit quelconque pourvu que celui-ci permette l’identification : nom, prénoms, date et lieu de naissance, profession et localisation : adresse du requérant et soit assez explicite en ce qui concerne l’acte ou la disposition dont l’inconstitutionnalité est alléguée et la disposition ou la norme constitutionnelle dont la violation est invoquée ».

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    Le recours est soumis à des conditions de recevabilité. Les cas d’irrecevabilité du recours en inconstitutionnalité sont ceux qui sont prévus à l’article 44 alinéa premier de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 citée dans la réponse précédente, lorsque le requérant omet d’indiquer un des éléments mentionnés dans cette disposition tels la date et le lieu de naissance, la profession, l’adresse, l’acte ou la disposition dont l’inconstitutionnalité est alléguée et la disposition ou la norme constitutionnelle dont la violation est invoquée.

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    Au plan technique, la Cour constitutionnelle ne rejette pas le recours en inconstitutionnalité pour des raisons de forme. Plutôt elle déclare, dans ce cas, irrecevable ledit recours.

    Elle le rejette pour des causes relatives au fond. Cela suppose que les conditions de forme sont, préalablement, réunies de sorte que le recours est déclaré recevable. Dans le cas contraire, autrement dit si les conditions de forme ne sont pas observées par le requérant, sa requête est, simplement, déclarée irrecevable et le recours ne peut, par conséquent, être examiné au fond. Il ne peut, donc, faire l’objet de rejet car celui-ci suppose que le recours n’est pas fondé.

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requérants de participer à la procédure.

    La requête est déposée au secrétariat central de la Cour constitutionnelle qui l’enregistre et la transmet au secrétariat du secrétaire général où elle est adressée au bureau des requêtes et information. Après avoir été traitée par ledit bureau, elle est retournée au secrétaire général qui la transmet au président de la Cour constitutionnelle avec proposition de désignation d’un rapporteur qui est membre de la Cour constitutionnelle.

    Le rapporteur instruit le dossier. Il établit un rapport et un projet de décision qu’il soumet aux membres de la Cour constitutionnelle.

    Une audience est tenue. Les parties et leurs conseils peuvent être entendus. Les débats sont dirigés par le président de la Cour constitutionnelle qui prononce leur clôture. Il indique la date à laquelle le délibéré sera vidé.

    9) Quelles sont les phases du jugement ?

    Si l’audience publique est organisée, ce qui n’est pas toujours le cas puisque l’appréciation de sa tenue dépend des membres de la Cour constitutionnelle, au jour fixé dans le rôle, le président procède à l’appel des causes. Les parties sont entendues. Les conseils, s’il en existe, plaident. Les affaires sont, ensuite, mises en délibéré. Celui-ci est vidé en audience publique.

    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable » : principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.

    Lors de l’instruction de l’affaire par le rapporteur, il est procédé à l’échange des conclusions par les parties. Le rapporteur veille au respect du principe du contradictoire afin de préserver l’égalité entre les justiciables. C’est ainsi que le retard, dans la production des mémoires, justifie dans certains cas le dépassement du délai d’un mois imparti à la Cour constitutionnelle pour rendre sa décision ou celui de dix jours en cas d’urgence invoqué par le requérant.

    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    Oui. toutefois, la Cour constitutionnelle peut, si l’affaire ne présente pas une grande importance, décider de la juger à huis clos.

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ?

    Oui.

    L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    Oui, le juge constate le désistement pour vider sa saisine sans examiner l’affaire au fond. une décision est, donc, rendue.

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    Non.

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    La saisine du juge est, dans la majorité des cas, faite au mépris des règles de procédure. Aussi, le juge déclare-t-il irrecevables les recours sans examen au fond de sorte qu’aucun cas d’inconstitutionnalité n’a, encore, été retenu par le juge.

    Dans le cas où la requête serait déclarée recevable, le juge ne pourrait se fonder que sur les moyens présentés par le requérant.

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    Non. La Cour constitutionnelle se considère liée par la disposition de l’article 146 alinéa premier de la Constitution qui la charge de contrôler la constitutionnalité des lois, des traités et des accords internationaux. La loi est interprétée dans son sens strict d’acte pris par le Parlement.

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    L’article 150 alinéa premier de la Constitution dispose : « une disposition, déclarée inconstitutionnelle, ne peut être ni promulguée, ni mise en application ». Ainsi, l’acte déclaré anticonstitutionnel est inopposable au requérant. Il ne peut, par conséquent, lui être appliqué.

    Étant entendu qu’il n’est pas prévu de recours contre les décisions de la Cour constitutionnelle, la décision d’inconstitutionnalité s’impose, donc, au requérant comme le prévoit l’article 150 alinéa 2 de la Constitution.

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    Les autorités juridictionnelles peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel. En effet, l’article 149 de la Constitution énonce que tout particulier peut saisir la Cour constitutionnelle par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction dans une affaire qui le concerne. Il revient, donc, à la juridiction saisie de surseoir à statuer. Elle impartit, au requérant, un délai d’un mois à partir de la signature de sa décision afin qu’il exerce son recours devant la Cour constitutionnelle.

    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    Le requérant doit, simplement, pour agir devant la juridiction chargée de juger l’affaire qu’il lui soumet, remplir les conditions exigées par la loi pour agir en justice devant les juridictions : la capacité, la qualité et l’intérêt.

    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ?

    18-1. Les droits et libertés inscrits dans la Constitution ?

    oui.

    18-2. Les règles constitutionnelles à caractère procédural ?

    oui.

    18-3. Les règles constitutionnelles ayant trait à la répartition des compétences ?

    oui.

    18-4. Autres ?

    Il n’existe pas d’autres cas.

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    Non, en cas d’exception d’inconstitutionnalité, seule la partie qui invoque l’inconstitutionnalité d’un acte a l’obligation de saisir la Cour constitutionnelle dans le délai imparti d’un mois par la juridiction saisie.

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    Lorsque la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité est invoquée la déclare recevable, elle rend une décision prononçant le renvoi du dossier et des parties devant la Cour constitutionnelle (article 50 alinéa premier de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003).

    Il incombe au greffier de dresser inventaire des pièces dudit dossier et d’adresser celui-ci au secrétaire général de la Cour constitutionnelle dans un délai de huit jours (article 50 alinéa 2 de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003).

    Dans le même délai, le secrétaire général fait parvenir au greffier de la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité est soulevée le dossier auquel il joint une copie de la décision rendue par la Cour constitutionnelle (article 52 de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003).

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    La saisine n’est pas effectuée par une juridiction mais par le requérant comme indiqué ci-devant. Le délai pour saisir la Cour constitutionnelle est de huit jours (article 50 alinéa 2 de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003).

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    Non. Cependant le délai général pour rendre la décision en matière de contrôle de constitutionnalité est d’un mois. Il peut être réduit à dix jours à la demande du requérant qui invoque l’urgence (article 44 alinéa 6 de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003).

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    Si le citoyen qui a invoqué l’exception d’inconstitutionnalité, saisit la Cour constitutionnelle dans le délai d’un mois qui lui est imparti par l’article 149 alinéa premier de la Constitution à compter de la signature de la décision qui a déclaré recevable ladite exception, la procédure à suivre devant le juge constitutionnel est la même que celle qui concerne l’introduction du recours en inconstitutionnalité par voie d’action.

    Un juge rapporteur est désigné par le président de la juridiction constitutionnelle pour instruire l’affaire. Le citoyen à l’origine de la saisine par voie d’exception est invité à conclure et à produire les documents à l’appui de son recours.

    24) Est-ce qu’il doit être obligatoirement assisté d’un avocat ?

    Non, le ministère d’avocat n’est pas obligatoire devant la Cour constitutionnelle.

    25) Est-ce que le citoyen peut bénéficier d’un délai pour produire des pièces ou des preuves au soutien de ses moyens ?

    Oui. Il lui est imparti un délai pour produire les pièces à la diligence du membre rapporteur.

    26) Est-ce que la partie adverse du citoyen à l’origine de la saisine peut prendre part au procès pour développer ses arguments contre l’inconstitutionnalité ? Si oui, comment ?

    Oui. La procédure étant contradictoire comme dans les juridictions de droit commun, les mémoires déposés par une partie, au cours de la phase d’instruction que mène le rapporteur, sont communiqués à l’autre partie pour susciter sa réponse. L’échange de mémoires prend fin lorsque les parties n’ont plus d’observations à présenter. toutes les parties peuvent être entendues si la Cour l’estime nécessaire. Leurs conseils sont autorisés à présenter, oralement, les mémoires (article 27 de la loi n° 1-2003 du 17 janvier 2003 précitée).

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ? Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    Aucun moyen ni constitutionnel ni législatif n’est mis à la disposition du juge constitutionnel pour lui permettre de faire respecter ses décisions.

    Il n’a pas encore été constaté de résistance dans l’application des décisions de la Cour dès lors que l’article 150 alinéa 2 de la Constitution prévoit l’absence de recours contre ces décisions et l’obligation de les respecter qui pèse sur les pouvoirs publics, les autorités administratives, juridictionnelles et les particuliers.

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    La décision de la Cour produit des effets erga omnes.

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    Le justiciable, auteur de la saisine ou non, profite de l’effet d’annulation du texte contraire à la Constitution. Il a, ainsi, contribué au respect de l’État de droit.

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    Non.

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    Cette décision interdit au juge des procédures en cours de se fonder sur le texte annulé en raison de sa non-conformité à la Constitution pour motiver sa décision. Les parties au procès ne peuvent, donc, l’invoquer à l’appui de leurs mémoires.

    31) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité a-t-elle pour les personnes ayant fait l’objet de décisions administratives fondées sur la disposition législative déclarée entre-temps inconstitutionnelle et qui n’ont pas encore introduit de recours en annulation devant le juge administratif à la date de la censure ?

    Bien qu’aucun cas n’ait, encore, été enregistré sur ce point, on peut considérer que la décision de la Cour constitutionnelle s’impose à l’administration comme le prévoit l’article 150 alinéa 2 de la Constitution.

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    Oui dès lors qu’il est disposé à l’article 150 alinéa premier de la Constitution qu’une disposition déclarée inconstitutionnelle par le juge constitutionnel ne peut être appliquée. toute partie à un procès peut, donc, s’en prévaloir pour éviter que le juge applique, à l’espèce, un texte contraire à la Constitution.

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    La publication de la décision au Journal officiel ou sa signification aux parties concernées ne garantit, nullement, sa lisibilité et sa compréhension par le citoyen en raison des techniques de rédaction et des termes juridiques utilisés qui ne sont pas, toujours, accessibles à tous.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    Non.

    C. Autres cas
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Oui. Dans tous les cas le tribunal doit avoir déclaré recevable l’exception d’inconstitutionnalité pour ouvrir la voie à l’exercice du recours devant le juge constitutionnel.

    La juridiction concernée sursoit à statuer et impartit au requérant un délai d’un mois qui commence à partir de la signification de la décision déclarant recevable l’exception d’inconstitutionnalité.

    Étant donné que la recevabilité est constatée par l’arrêt ou le jugement de la juridiction compétente, celle-ci prononce, donc, le renvoi des parties et du dossier devant le juge constitutionnel. Il revient au greffier de faire parvenir, sous huitaine, au secrétaire général de la Cour constitutionnelle, l’entier dossier de la procédure après en avoir dressé inventaire.

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    Non.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    sont expressément prévus par la Constitution ?
    sont contenus dans des normes internationales ?
    sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?

    Les droits et libertés protégés par le juge sont consacrés par la Constitution au titre 2 « Des droits et libertés fondamentaux » (articles 7 à 42). En outre, le préambule de la Constitution déclare que font partie intégrante de la loi fondamentale les principes proclamés et garantis par la Charte des Nations unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, tous les textes internationaux pertinents dûment ratifiés relatifs aux droits humains, la Charte de l’unité nationale et la Charte des droits et des libertés.

    Cependant c’est, essentiellement, à travers l’accomplissement de ses missions de contrôle que la Cour constitutionnelle assure la protection des droits et libertés fondamentaux du citoyen. Le juge constitutionnel est, en effet, selon l’article 146 alinéa premier de la Constitution, chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois, des traités et des accords internationaux. La protection des droits et libertés n’a lieu que si le juge procède audit contrôle qui suppose la saisine préalable du citoyen qui estime qu’une loi, un traité ou un accord est contraire à la Constitution.

    C’est ainsi que l’article premier alinéa premier de la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dispose : « La Cour constitutionnelle est l’organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics. Elle assure, à travers ses missions de contrôle, la protection des droits et des libertés fondamentaux du citoyen ».

    La saisine, à cet égard, est, quasiment, inexistante et ne permet, donc, pas au juge constitutionnel de dégager les principes qui constitueraient sa jurisprudence. Les rares saisines enregistrées ont donné lieu à des décisions d’irrecevabilité car les requérants n’avaient pas respecté les règles de forme.

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    Au regard des prévisions de la Constitution, l’éventail des droits et libertés est très vaste et recouvre, outre les catégories déjà citées, les catégories suivantes :

    • liberté de croyance et liberté de conscience (article 18 de la Constitution) ;
    • liberté de l’information et de la communication (article 19 alinéa 2 de la Constitution) ;
    • liberté d’aller et venir, d’association, de réunion, de cortège et de manifestation (article 21 de la Constitution) ;
    • libertés syndicales (article 25 de la Constitution) ;
    • droit au libre développement et au plein épanouissement de la personne (article 7 alinéa 2 de la Constitution) ;
    • droit de la femme à la promotion et à sa représentativité à toutes les fonctions politiques, électives et administratives (article 8 alinéa 3 de la Constitution).
    • droit à la reconnaissance de la personnalité juridique (article 12 de la Constitution) ;
    • droit de changer de nationalité ou d’en acquérir une seconde (article 13 de la Constitution).
    • droit d’asile (article 15 de la Constitution) ;
    • droit de circuler librement sur le territoire national (article 16 alinéa premier de la Constitution) ;
    • droit du citoyen de sortir librement du territoire national s’il ne fait l’objet de poursuites pénales, et d’y revenir (article 16 alinéa 2 de la Constitution) ;
    • droit de propriété et droit de succession (article 17 alinéa premier de la Constitution) ;
    • droit du citoyen d’exprimer et de diffuser librement son opinion (article 19 alinéa premier de la Constitution) ;
    • droit à l’information et à la communication (article 19 alinéa 5 de la Constitution) ;
    • droit de chaque citoyen à la culture et au respect de son identité culturelle (article 22 alinéa premier de la Constitution) ;
    • droit à l’éducation (article 23 alinéa premier de la Constitution) ;
    • droit de créer des établissements privés d’enseignement (article 23 alinéa 5 de la Constitution) ;
    • droit au travail (article 24 de la Constitution) ;
    • droit de grève (article 25 de la Constitution) ;
    • droit de toute personne d’entreprendre dans les secteurs de son choix (article 27 de la Constitution) ;
    • droit au repos et aux loisirs (article 28 de la Constitution) ;
    • droit du citoyen à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute œuvre scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (article 29 de la Constitution) ;
    • droit des personnes âgées et des handicapés à des mesures de protection en rapport avec leurs besoins physiques, moraux ou autres (article 30 alinéa 2 de la Constitution) ;
    • droit de créer des établissements socio-sanitaires privés (article 30 alinéa 3 de la Constitution) ;
    • droit de la mère et de l’enfant (article 31 alinéa 2 de la Constitution) ;
    • droit de tout enfant aux mesures de protection de la part de sa famille, de la société et de l’État (article 33 de la Constitution) ;
    • droit à un environnement sain, satisfaisant et durable (article 35 alinéa premier de la Constitution) ;
    • droit de présenter des requêtes aux organes appropriés de l’État (article 40 de la Constitution) ;
    • droit d’agir en justice du citoyen qui subit un préjudice du fait de l’administration (article 41 alinéa 2 de la Constitution) ;
    • droits et libertés des étrangers au même titre que les nationaux dans les conditions déterminées par les traités et les lois sous réserve de réciprocité (article 42 de la Constitution).
    38) Si le juge constitutionnel est peu ou n’est pas du tout saisi par le citoyen, ni directement ni indirectement :

    Il n’existe pas d’autres types de saisine que ceux, déjà, exposés.

    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    Il n’existe aucune illustration à cet égard.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    La Cour constitutionnelle est perçue par les citoyens comme le juge ordinaire qui est chargé d’appliquer les lois et règlements. or les compétences du juge constitutionnel sont bien différentes de celles du juge de droit commun. Les citoyens n’ayant pas été informés sur les attributions de la Cour constitutionnelle et les procédures prévues pour sa saisine, ont tendance à désapprouver les décisions de rejet et d’irrecevabilité de leurs requêtes ainsi que les déclarations d’incompétence du juge constitutionnel. La presse fait écho de leur désolation sans s’imprégner des textes qui régissent la Cour constitutionnelle.

    Les personnalités et les partis politiques, plutôt, se soumettent aux décisions de la Cour constitutionnelle nonobstant quelques réserves faites. L’institution est, à cet égard, respectée et il n’y a, encore, été observé de discrédit suite aux décisions rendues.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Oui, mais les citoyens attendent tout de la Cour constitutionnelle sans se référer à son domaine de compétence. Ils lui reprochent même de ne pas se saisir d’office pour déclarer inconstitutionnels les lois et les actes administratifs alors que les compétences du juge constitutionnel, qui ne peut s’autosaisir, sont très restrictives et sont cantonnées au contrôle de la constitutionnalité des lois, des traités et des accords internationaux.

    Conseil constitutionnel de Côte d’ivoire

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel*

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    Seuls les pouvoirs publics et les associations de défense des droits de l’homme légalement constituées, à l’exclusion des citoyens pris individuellement, peuvent saisir le juge constitutionnel par voie d’action :

    Le président de la République et le président de l’Assemblée nationale ont seuls qualité pour saisir le juge constitutionnel du contrôle de constitutionalité des lois organiques avant leur promulgation, et des règlements de l’Assemblée nationale avant leur mise en application ou leur entrée en vigueur, expressions que le constituant emploie indifféremment, c’est-à-dire comme des synonymes (articles 70 et 95, alinéa 1er, de la Constitution du 1er août 2000 ; article 18, alinéa 2, de la loi organique du 2 juin 2001, relative au Conseil constitutionnel), alors que du point de vue juridique, l’entrée en vigueur est la condition de la mise en application. La saisine, ici, est obligatoire.

    En ce qui concerne les engagements internationaux visés par l’article 84 de la Constitution (en réalité, l’article 85 de la Constitution : « les traités de paix, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui modifient les lois internes de l’État »), il est prévu qu’ils soient obligatoirement soumis à un contrôle de constitutionalité avant la loi autorisant le président de la République à ratifier ; à cet égard, les engagements internationaux peuvent être déférés à la censure du juge constitutionnel par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale ou un quart au moins des députés (article 95, alinéa 1er de la Constitution ; article 18, alinéa 1er, de la loi organique).

    S’agissant des lois ordinaires, pour lesquelles la saisine du juge constitutionnel est facultative, la Constitution, complétée par la loi organique, désigne le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, tout groupe parlementaire, 1/10e des membres de l’Assemblée nationale ou les associations de défense des droits de l’homme légalement constituées, comme qualifiés pour agir.

    Il doit être précisé que les associations de défense des droits de l’homme ne peuvent, en ce qui les concerne, déférer au juge constitutionnel que les lois relatives aux libertés publiques (articles 77 et 95, alinéa 2, de la Constitution ; article 20 de la loi organique).

    En ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, la Constitution dispose que « tout plaideur », donc tout citoyen, « peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction » (article 96 de la Constitution).

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    Les actes susceptibles de faire l’objet de recours devant le juge constitutionnel pour contrôle de leur conformité à la Constitution sont : les traités ou accords internationaux, les lois organiques, les lois ordinaires, les règlements de l’Assemblée nationale, à l’exclusion des actes administratifs qui peuvent être attaqués devant la Chambre administrative de la Cour suprême, juge de l’excès de pouvoir des autorités administratives. À l’exclusion, également, des lois constitutionnelles qu’aucun texte ne soumet au contrôle de constitutionnalité.

    Il doit être ajouté que pendant la période de crise (2003-2010), le Conseil constitutionnel a été saisi, à tort, d’un recours tendant au contrôle de conformité à la Constitution d’une résolution prise par le Conseil de sécurité de l’organisation des Nations unies, et le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent, au mépris des textes définissant ses attributions (voir décision n° CI-2006-12-06/D-019/CC/Sg du 6 décembre 2006, par laquelle le Conseil constitutionnel déclare contraires à la Constitution bien des dispositions de la résolution 1721 du 1er novembre 2006).

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    Pas de délai en ce qui concerne les traités ou accords internationaux.

    Toutefois, la saisine du juge constitutionnel doit intervenir avant la loi de ratification.

    Pas de délai non plus s’agissant de la saisine à propos des règlements de l’Assemblée nationale. Seulement, la saisine doit intervenir obligatoirement avant la mise en application.

    Celle-ci étant conditionnée par la saisine préalable et la décision de conformité du Conseil constitutionnel, il serait souhaitable qu’un délai soit fixé pour la saisine afin d’éviter de bloquer ou de paralyser la mise en application par la saisine tardive ou l’absence de saisine.

    S’agissant des lois, organiques ou ordinaires, la saisine doit intervenir avant la promulgation pour laquelle la Constitution prévoit un délai de 15 jours, susceptible d’être ramené à 5 jours en cas d’urgence (articles 42, alinéa 2, et 95 de la Constitution).

    La promulgation pouvant intervenir au premier jour du délai prévu à cet effet par la Constitution, privant ainsi les saisissants éventuels de la possibilité de déférer la loi à la censure du juge constitutionnel, il serait plus conforme à l’État de droit de prévoir un premier délai au cours duquel la saisine du juge serait possible, puis un deuxième délai pendant lequel la promulgation pourrait intervenir. La solution que voilà n’a de sens que si la loi adoptée par l’organe législatif est entourée d’une certaine publicité…

    On peut concevoir une autre formule qui tendrait à considérer la saisine comme pouvant intervenir dans le délai de promulgation, peu importe que celle-ci soit intervenue ou non.

    En ce qui concerne le recours par voie d’exception, le plaideur dispose d’un délai de 15 jours imparti par le juge devant lequel l’inconstitutionnalité a été soulevée, pour saisir le Conseil constitutionnel (article 19 de la loi organique).

    La loi organique, en énonçant que la juridiction devant laquelle l’exception a été soulevée impartit au plaideur un délai de quinze jours pour saisir le Conseil constitutionnel, retire à ladite juridiction tout pouvoir d’appréciation.

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    Non, rien de tel n’est prévu.

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    Oui.

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    La recevabilité est conditionnée, entre autres, par la qualité pour agir ; ce qui veut dire que le recours n’est recevable que s’il émane de personnes ou d’organes qualifiés, c’est-à-dire désignés par les textes à cet effet. Si certaines personnes ou certains organes sont désignés comme qualifiés pour saisir le juge constitutionnel, c’est qu’ils ont à la fois la qualité pour agir et l’intérêt pour agir. Ainsi, le requérant qui a qualité pour agir a nécessairement intérêt pour agir.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    Seules peuvent agir les personnes désignées à cet effet par les textes (voir la réponse à la question n° 1).

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    Il peut faire appel à un avocat, mais ce n’est pas une obligation: le requérant peut agir par lui-même, par requête adressée au Conseil constitutionnel (article 20 de la loi organique).

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    Les textes sont muets sur la question. Ils indiquent simplement, s’agissant des recours émanant des associations de défense des droits de l’homme, que la saisine se fait par requête. Dans la pratique, le juge constitutionnel fait montre d’une grande souplesse : l’essentiel des recours émane du président de la République agissant par simple lettre (voir, par exemple, décision n° Loo4 du 2 avril 1997) ; il en va de même du président de l’Assemblée nationale saisissant le Conseil constitutionnel pour le voir examiner la conformité à la Constitution des amendements apportés au règlement de l’Assemblée nationale (voir, par exemple, décision n° 2006-014/CC/Sg du 15 juin 2006).

    Par-delà les formes, il est exigé que le recours soit dirigé contre un acte susceptible d’être soumis au Conseil constitutionnel pour contrôle de constitutionnalité. Ainsi, le recours introduit par un particulier et dirigé contre l’article 35 de la Constitution est irrecevable ; en réalité, le juge constitutionnel est incompétent pour connaître de la conformité à la Constitution d’un article de la Constitution ; le juge constitutionnel serait-il compétent qu’il y aurait irrecevabilité tenant au requérant qui n’a pas qualité pour agir (décision CC n° 001/Sg/CC du 4 novembre 2003) ; un recours du président de la République tendant au contrôle obligatoire d’un traité ne rentrant pas dans la catégorie de ceux soumis au contrôle obligatoire de constitutionnalité a abouti à la décision par laquelle le juge constitutionnel observe qu’« il n’y a pas lieu à saisir le Conseil constitutionnel » (décision n° L002/97 du 2 avril 1997).

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    Les cas d’irrecevabilité tiennent à différents motifs :

    L’acte attaqué ne rentre pas dans la catégorie de ceux pouvant être soumis au juge constitutionnel ; c’est le cas du recours pour contrôle obligatoire d’un traité à propos duquel le contrôle obligatoire n’est pas requis (décision n° L002/97 du 2 avril 1997) ; en réalité, c’est un cas d’incompétence et non d’irrecevabilité ;

    Les requérants n’ont pas qualité pour agir : c’est le cas de groupes parlementaires (PDCI, uDPCI et Solidarité) déférant au juge constitutionnel des amendements apportés au règlement de l’Assemblée nationale, alors qu’au regard de l’article 95 de la Constitution, seuls le président de la République et le président de l’Assemblée nationale ont qualité pour agir (décision n° 2006016/CC/Sg du 28 juin 2006).

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requérants de participer à la procédure.

    La requête suit les phases suivantes :

    • Enregistrement au Secrétariat général du Conseil constitutionnel ;
    • Attribution du dossier à un conseiller rapporteur par les soins du président du Conseil constitutionnel, pour instruction en vue de mettre l’affaire en état d’être jugée : le rapporteur peut entendre les membres du gouvernement, tout sachant, toute personne, « sans qu’il puisse lui être opposé le secret professionnel » (article 13 de la loi organique) ;
    • L’instruction achevée, le rapport déposé, le Conseil constitutionnel siège à huis clos. toutefois, « les parties, leurs représentants, les experts et conseils participent aux débats » (articles 12 et 15 de la loi organique) ;
    • Les décisions sont rendues en audience publique (article 15, alinéa 2, de la loi organique).
    9) Quelles sont les phases du jugement ?

    Ce sont :

    1. l’instruction,
    2. les débats,
    3. la décision,
    4. la notification ou la transmission.
    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable » : principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.

    Le contentieux retenu, à savoir le contrôle de constitutionnalité, est un contentieux objectif dans lequel le requérant ne défend pas un droit subjectif ou personnel, mais l’inconstitutionnalité de l’acte poursuivi. Les choses s’en trouvent simplifiées en termes de procès équitable: le requérant développe librement son argumentaire que le juge apprécie par rapport aux dispositions constitutionnelles. La décision est rendue dans un délai relativement court, fixé par la Constitution ou la loi organique : 15 jours. Le procès est, dès lors, équitable.

    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    L’audience n’est pas publique ; elle se tient à huis clos, en présence des parties, de leurs représentants ou conseils. Quant aux décisions, elles sont rendues en audience publique (article 15 de la loi organique).

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ?
    L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    Le Conseil constitutionnel ne tient compte du désistement que s’il intervient dans le délai de saisine du juge. Passé ce délai, le désistement ne peut produire aucun effet : le juge déclare la requête recevable si les conditions de recevabilité sont réunies, et statue au fond (décision de février 2012).

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    Le juge constitutionnel a une compétence d’attribution qui s’oppose à ce qu’il se substitue aux tribunaux ordinaires et condamne au paiement de dommages et intérêts. Le Conseil constitutionnel a eu, à ce titre, à rejeter (irrecevabilité) la requête par laquelle des groupes parlementaires (PDCI, uDPCI et Solidarité) sollicitent du Conseil constitutionnel l’annulation de la décision du président de l’Assemblée nationale suspendant « leurs indemnités parlementaires pour n’avoir plus participé aux travaux de l’Assemblée nationale» (décision n° 2006-015/CC/Sg du 28 juin 2006).

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    13-1. L’état de la jurisprudence fait apparaître les cas d’inconstitutionnalité suivants :

    Atteinte portée au caractère républicain et démocratique de l’État de Côte d’Ivoire par le règlement de la Commission électorale indépendante qui reconnaît des droits à la rébellion et la légitime par là même (avis n° CC/2005/008/ Sg/CC du 22 mars 2005) ;

    Limitation, par le règlement de l’Assemblée nationale, portée au droit d’amendement reconnu aux députés par la Constitution (décision n° 2006-014/ CC/Sg du 15 juin 2006) ;

    Atteinte portée à la souveraineté de l’État de Côte d’Ivoire par la Résolution 1721 du Conseil de sécurité de l’organisation des Nations unies en tant que celle-ci place l’État de Côte d’Ivoire sous tutelle (décision n° CI-2006-12-06/ D-019/CC/Sg du 6 décembre 2006) ;

    Violation de la répartition des compétences opérée par la Constitution, et incompétence matérielle de la Commission électorale indépendante qui s’est substituée au législateur (décision n° CI-2007/03-10/D-020/CC/Sg du 3 octobre 2007).

    13-2. La doctrine définie par le Conseil constitutionnel laisse à entendre que celui-ci jouit d’une plénitude de compétence lorsqu’il est saisi d’une affaire. Ce qui laisse entendre que le Conseil constitutionnel pourrait recourir, en cas de besoin, à la technique du relevé d’office ; c’est dire que le Conseil constitutionnel pourrait soulever d’office des moyens non invoqués par les saisissants.

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    En vertu du droit français ou du droit colonial reconduit en Côte d’Ivoire par l’effet de la Constitution, les décrets pris dans le domaine du pouvoir réglementaire autonome sont et demeurent des actes administratifs, susceptibles de recours pour excès de pouvoir, au même titre que les décrets pris en application de textes législatifs. Ces actes ne peuvent être attaqués que devant la Chambre administrative de la Cour suprême, en attendant la mise en place du Conseil d’État, créé par la Constitution du 1er août 2000.

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    À l’égard des requérants, la décision d’inconstitutionnalité ne produit pas d’effets particuliers, car la décision s’impose, de la même manière, à tous : aux pouvoirs publics, aux personnes morales comme aux personnes physiques (article 15, alinéa 2, de la loi organique). La décision d’inconstitutionnalité produit donc effet erga omnes.

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    Rien de tel n’est prévu dans le droit ivoirien. Ainsi, les différentes questions se rapportant au B (consacré au recours indirect du citoyen au juge constitutionnel) ne peuvent recevoir de réponse dans le cadre du droit ivoirien.

    C. Autres cas
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Le citoyen, auteur de l’exception d’inconstitutionnalité, saisit lui-même, directement ou par l’intermédiaire d’un avocat, le Conseil constitutionnel. Il dispose, pour ce faire, d’un délai de 15 jours que lui impartit la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité a été soulevée. « La saisine se fait par voie de requête » (article 19 de la loi organique).

    Il est à noter que la requête n’est recevable qu’à certaines conditions, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel : d’une part, l’exception d’inconstitutionnalité doit avoir été soulevée devant une « juridiction de jugement » et non devant « le juge d’instruction » (voir, en ce sens, décision n° CI-200915-10/D025/CC/Sg du 15 octobre 2009) ; d’autre part, l’acte à propos duquel l’exception d’inconstitutionnalité a été soulevée doit être une loi et non un traité ou un accord international ; dans l’hypothèse contraire, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent (voir décision rendue en mars 2012).

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    Non.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ?
    • sont contenus dans des normes internationales ?
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?

    Il convient de rappeler que le citoyen ne peut saisir le juge constitutionnel par voie d’action. À ce titre, aucun recours n’est donc intervenu.

    Au titre de l’exception d’inconstitutionnalité, ouverte à tout plaideur, et donc au citoyen, il a été exercé deux recours où étaient en jeu des droits expressément prévus par la Constitution : les droits de la liberté physique (décision n° 2009-025/CC/Sg du 15 octobre 2009 par laquelle est déclarée irrecevable la requête dirigée contre l’article 138, alinéa 2, du code de procédure pénale) ; le droit à une juste réparation des dommages causés par un véhicule (décision rendue en mars 2012, et par laquelle le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour connaître de l’exception d’inconstitutionnalité d’un traité qui, aux dires des saisissants, institue une indemnisation insuffisante au profit des victimes d’accidents de la circulation).

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    Les droits invoqués par les citoyens appartiennent aux catégories suivantes :

    • libertés de la personne,
    • droits économiques et sociaux,
    • droits-garanties.
    38) Si le juge constitutionnel est peu ou n’est pas du tout saisi par le citoyen, ni directement ni indirectement : exposer les droits et libertés reconnus aux citoyens par les Constitutions à l’occasion d’autres types de saisine des Cours et Conseils (contrôle a priori par exemple) et/ou qui pourraient faire l’objet de contentieux et de censure par les différents juges.

    Les droits reconnus aux citoyens sont d’origines diverses : la Constitution, en son titre 1er, chapitre 1er, énumère les droits et libertés qu’elle reconnaît aux citoyens. Ces droits et libertés ne sont pas les seuls ; la Constitution, en son préambule, énonce que le peuple de Côte d’Ivoire « proclame son adhésion aux droits et libertés tels que définis dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 ».

    L’examen de ces différents textes révèle que les droits et libertés reconnus sont divers et qu’ils se rapportent aux trois générations de droits : d’abord, les droits civils et politiques, présentés comme des « pouvoirs d’agir » ou des « libertés-pouvoirs de faire » : la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile, les libertés de la personne physique, le droit de vote, la liberté de pensée et d’expression, la liberté de conscience, d’opinion religieuse ou philosophique, la liberté de réunion, de manifestation, le droit de propriété, le droit syndical.

    Viennent, ensuite, les droits de la deuxième génération que sont les droits économiques, sociaux et culturels que l’on considère comme source de créances au profit de leurs titulaires : le droit à la santé, le droit à l’éducation ou à l’instruction, le droit au travail, le droit à la grève…

    Enfin, les droits dits de la troisième génération; on mentionnera, au profit du citoyen, le droit à un environnement sain.

    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    Les décisions du juge constitutionnel, notamment en matière de contrôle de constitutionnalité ou de contentieux électoral, concourent à faire prendre conscience aux citoyens de leurs droits et devoirs, et surtout de la nécessité du règne du droit comme élément de paix et de stabilisation des institutions.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    Les citoyens avaient du juge constitutionnel l’image d’un juge aux ordres. Ce jugement a évolué depuis les dernières élections législatives qui se sont tenues en décembre 2011 : l’annulation des résultats d’une douzaine de circonscriptions électorales, perçue comme une première par les citoyens, donne, désormais, du Conseil constitutionnel, l’image d’un juge libre et impartial ; la presse, les représentations diplomatiques, les organisations non gouvernementales, l’organisation des Nations unies partagent une telle perception. Ils l’ont fait connaître à travers des déclarations, des points de presse ou des félicitations adressées au Conseil constitutionnel.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Oui, les citoyens voient dans le juge constitutionnel un rouage essentiel de l’État de droit et même le garant de la paix sociale, compte tenu, surtout, de sa mission de juge de la loi et du contentieux des élections politiques. gardien de la Constitution, le juge constitutionnel est perçu de plus en plus comme le garant de l’équilibre sociopolitique.

    Ce sentiment s’est accentué depuis la guerre civile que le pays a vécue en conséquence de la gestion, par le Conseil constitutionnel, du contentieux de l’élection présidentielle, qui a méconnu gravement les exigences de l’État de droit.

    Conseil constitutionnel français

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours direct du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    La saisine directe du Conseil constitutionnel par les personnes physiques comme par les personnes morales est exclue pour le contrôle de constitutionnalité a priori des lois.

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    Depuis le 1er mars 2010, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, à la demande d’un justiciable engagé dans un procès en cours, d’une contestation de la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés constitutionnellement garantis, par le biais de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La demande du justiciable peut être présentée devant toute juridiction qui relève soit de l’ordre juridictionnel administratif soit de l’ordre judiciaire, à l’exception de la cour d’assises. toutefois, dans ce dernier cas, c’est-à-dire pour le jugement des crimes, la question peut être posée soit avant, devant le juge d’instruction, soit après, à l’occasion d’un appel ou d’un pourvoi en cassation.

    Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a admis qu’une QPC soit soulevée devant lui lorsqu’il officie en qualité de juge de l’élection (v. infra réponse n° 35).

    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    La QPC permet à un justiciable de contester la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit. Elle permet donc un contrôle abstrait des normes législatives au regard de normes constitutionnelles. Elle ne permet donc pas au justiciable de soumettre au Conseil constitutionnel une situation particulière concrète.

    L’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel fixe une seule condition générale de recevabilité : la QPC doit être présentée dans un « mémoire distinct et motivé ». Cette condition vise à permettre d’assurer le traitement rapide de la question et de s’assurer ainsi de son caractère prioritaire. Cette règle d’un mémoire distinct figure aux articles R. 771-3, R. 771-9 et R. 771-15 du code de justice administrative (CjA), à l’article 126-2 du code de procédure civile (CPC) et aux articles R. 49-21, R. 49-22, R. 49-24 et R. 49-29 du code de procédure pénale (CPP).

    Les conditions pour que le Conseil constitutionnel soit saisi de la QPC sont détaillées par les dispositions de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Elles sont cumulatives et au nombre de trois :

    • la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
    • la disposition législative critiquée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
    • la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ?

    Seule la méconnaissance des droits et libertés que la Constitution garantit est invocable au soutien d’une QPC (art. 61-1 de la Constitution). Le Constituant a ainsi entendu que le contrôle du Conseil constitutionnel s’opère au regard des normes de droit constitutionnel matériel (les droits et libertés fondamentaux) et non pas des règles de procédure qui encadrent l’élaboration de la loi.

    En outre, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une QPC que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté constitutionnellement garanti (décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010, SNC KIMBERLY CLARK [Incompétence négative en matière fiscale]).

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    Toutefois, une juridiction n’est pas tenue de transmettre une QPC mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d’État, la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi.

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    La décision motivée du Conseil d’État ou de la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel lui est transmise avec les mémoires ou les conclusions des parties. Cette transmission se fait par voie électronique (article 23-7 de l’ordonnance du 7 novembre 1958).

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    Le Conseil d’État et la Cour de cassation ont trois mois pour se prononcer. S’ils ne se prononcent pas dans ce délai, la question est automatiquement transmise au Conseil constitutionnel.

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    Le Conseil constitutionnel dispose de trois mois pour se prononcer.

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    L’auteur de la QPC est avisé de la saisine du Conseil constitutionnel, de même que, d’une part, les autres parties à l’instance devant le juge a quo et, d’autre part, le Président de la République, le Premier ministre, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat et, s’il y a lieu, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président du congrès et les présidents des assemblées de province (art. 1er du Règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité du 4 février 2010).

    Cet avis mentionne la date avant laquelle l’auteur de la question et les autorités précitées peuvent présenter des observations écrites et, le cas échéant, produire des pièces au soutien de celles-ci. une copie de ces premières observations et, le cas échéant, des pièces produites à leur soutien, est notifiée aux parties et autorités précitées qui peuvent, dans les mêmes conditions, présenter des observations avant la date qui leur est fixée. Ces secondes observations ne peuvent avoir d’autre objet que de répondre aux premières. une copie en est également notifiée aux parties et autorités précitées.

    Par ailleurs, lorsque, pour les besoins de l’instruction, le Conseil décide de recourir à une audition, les parties et les autorités mentionnées sont invitées à y assister.

    Enfin, les représentants des parties, s’ils sont avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou avocats à la Cour et, le cas échéant, les agents désignés par les autorités constitutionnelles précitées, sont invités à présenter leurs éventuelles observations orales au cours de l’audience publique.

    24) Est-ce qu’il doit être obligatoirement assisté d’un avocat ?

    Le ministère d’avocat est facultatif pour les observations écrites. Mais, seuls les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou les avocats à la Cour peuvent présenter des observations orales à l’audience (art. 10, al. 2, du Règlement intérieur du 4 février 2010).

    25) Est-ce que le citoyen peut bénéficier d’un délai pour produire des pièces ou des preuves au soutien de ses moyens ?

    Il est systématiquement imparti un délai pour présenter des observations écrites et, le cas échéant, produire des pièces au soutien de celles-ci. Compte tenu du délai de jugement imposé au Conseil constitutionnel (v. supra), ce délai varie entre deux et trois semaines.

    26) Est-ce que la partie adverse du citoyen à l’origine de la saisine peut prendre part au procès pour développer ses arguments contre l’inconstitutionnalité ? Si oui, comment ?

    oui. Les modalités de participation au procès constitutionnel sont les mêmes que pour l’auteur de la QPC.

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ?

    Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    Aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    Erga omnes.

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    En principe, si le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative contestée est contraire à la Constitution, la décision du Conseil constitutionnel a pour effet d’abroger cette disposition. Elle disparaît de l’ordre juridique français et ne peut plus être appliquée.

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    L’article 62, alinéa 2, de la Constitution dispose qu’« une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause »

    Le Conseil constitutionnel a fait usage de ces dispositions dès ses premières décisions (voir notamment n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, n° 2010-14/22 QPC du 30 juin 2010). À l’occasion de deux décisions rendues le 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a précisé, par un considérant de principe, les effets dans le temps de ses décisions et les conditions dans lesquelles ces effets peuvent être modulés (n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC). Le Conseil a jugé que : « si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ».

    I – Le Conseil constitutionnel a ainsi voulu confirmer le principe selon lequel l’effet abrogatif de la déclaration d’inconstitutionnalité interdit que les juridictions appliquent la loi en cause non seulement dans l’instance ayant donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité mais également dans toutes les instances en cours à la date de cette décision.

    D’une part, il en va ainsi tant lorsque le Conseil constitutionnel l’a expressément indiqué dans sa décision qu’en cas d’absence d’une telle mention. Ainsi la déclaration d’inconstitutionnalité produit ces effets même si la décision du Conseil constitutionnel ne le précise pas. La mention selon laquelle la déclaration d’inconstitutionnalité s’applique dans les instances en cours à la date de la décision du Conseil constitutionnel, ne fait qu’expliciter cet effet « de droit commun » de la déclaration d’inconstitutionnalité.

    D’autre part, cette règle est d’ordre public pour le juge administratif ou judiciaire. Celui-ci ne peut, sauf mention expresse contraire dans la décision du Conseil constitutionnel, appliquer à une instance en cours une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil.

    II – toute exception ou dérogation à cette orientation générale, de quelque nature qu’elle soit, ne peut résulter que des dispositions expresses de la décision du Conseil constitutionnel.

    En premier lieu, il en va bien sûr ainsi pour la fixation dans le futur de la date de prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité. Ce report dans le temps doit résulter d’une mention expresse dans la décision du Conseil constitutionnel. Ce fut le cas jusqu’à présent à dix-huit reprises : nos 2010-1 QPC du 28 mai 2010, 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, 2010-32 QPC du 22 septembre 2010, 2010-45 QPC du 26 octobre 2010, 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, 2010-83 QPC du 13 janvier 2011, 2010-108 QPC du 25 mars 2011, 2011-112 du 1er avril 2011, 2011-139/140 du 9 juin 2011, 2011-147 du 8 juillet 2011, 2011-183/184 du 14 octobre 2011, 2011-182 du même jour, 2011-190 du 21 octobre 2011, 2011-192 du 10 novembre 2011, 2011-203 du 2 décembre 2011, 2011-205 du 9 décembre 2011, 2011-208 du 13 janvier 2012, 2012-235 du 20 avril 2012. un tel report fait obstacle à la prise en compte de l’inconstitutionnalité dans les instances en cours.

    En deuxième lieu, il en va ainsi quant au caractère d’ordre public de la déclaration d’inconstitutionnalité dans les instances en cours. Le Conseil constitutionnel a fait usage de cette possibilité dans la décision n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011. S’agissant des décisions déjà rendues par les commissions départementales d’aide sociale (CDAS) à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée à l’encontre d’une décision qui n’a pas acquis un caractère définitif. Le Conseil n’a ainsi pas rendu applicable de plein droit cette inconstitutionnalité dans les procédures déjà jugées dans lesquelles les parties ne contestent pas la composition de la CDAS. Le Conseil a dérogé au principe de l’applicabilité immédiate et d’ordre public de la déclaration d’inconstitutionnalité aux instances non jugées définitivement en réservant le bénéfice de cet effet aux personnes qui ont invoqué l’inconstitutionnalité de la composition de la CDAS ou qui l’invoqueront, si elles sont encore dans les délais pour le faire.

    En troisième lieu, il en va ainsi pour la remise en cause des effets que la disposition législative a déjà produits. Seule une mention expresse dans la décision du Conseil peut conduire à cette remise en cause.

    En quatrième lieu, la logique des décisions du 25 mars 2011 est qu’il appartient au Conseil constitutionnel de préciser expressément dans sa décision les effets que la déclaration d’inconstitutionnalité qu’il prononce pourraient avoir sur les situations nées antérieurement à la déclaration d’inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel l’a fait par exemple dans ses décisions n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 et n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011.

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    V. réponse n° 29.

    31) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité a-t-elle pour les personnes ayant fait l’objet de décisions administratives fondées sur la disposition législative déclarée entre-temps inconstitutionnelle et qui n’ont pas encore introduit de recours en annulation devant le juge administratif à la date de la censure ?

    V. réponse n° 29.

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    oui.

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    Les décisions du Conseil constitutionnel rendues sur les QPC sont généralement brèves (moins de dix paragraphes). Elles présentent successivement le texte de la disposition contestée, le grief du requérant, la citation de la norme de constitutionnalité de référence et l’analyse de la constitutionnalité. Elles concluent par un dispositif qui déclare la disposition contestée conforme ou contraire à la Constitution.

    Le Conseil constitutionnel fonde sa décision exclusivement sur une argumentation juridique et non sur des considérations générales ou d’opportunité. La technicité juridique est celle habituelle pour toute décision de justice. Elle constitue toutefois un gage de précision et de concision. La présence de citation des décisions du Conseil constitutionnel, en de larges extraits, dans les articles de la grande presse qui en rendent compte laisse penser que les décisions du Conseil constitutionnel sont compréhensibles par le citoyen. Par ailleurs, le Conseil accompagne ses décisions de la publication d’un communiqué de presse et d’un commentaire juridique pour en faciliter la compréhension.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    C’est rare.

    C. Autres cas
    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Non.

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    oui. Dans sa décision n° 2011-4538 du 13 janvier 2012 relative à la contestation des élections sénatoriales dans le département du Loiret, le Conseil constitutionnel a accepté d’examiner la conformité à la Constitution d’une disposition législative mise en cause au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité.

    En l’absence de dispositions de procédure qui organisaient ce contrôle, le Conseil a choisi d’insérer le contrôle de constitutionnalité soulevé à l’occasion du contentieux électoral dans le cadre fixé par l’article 61-1 de la Constitution.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ?
    • sont contenus dans des normes internationales ?
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ?

    Seuls les droits et libertés garantis par la Constitution, et non ceux contenus dans des normes internationales, sont invocables devant le Conseil constitutionnel.

    Au total, ces droits et libertés peuvent être garantis par la Constitution du 4 octobre 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (la Constitution de la IVe République), la Charte de l’environnement de 2004, les principes fondamentaux reconnus par les lois de République auxquels se réfère le Préambule de 1946 et les objectifs de valeur constitutionnelle.

    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    D’après les premières décisions du Conseil constitutionnel, sont, notamment, au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit :

    • le principe d’égalité ;
    • le droit de propriété ;
    • le respect de la vie privée ;
    • la liberté d’aller-et-venir ;
    • la liberté du mariage ;
    • le principe de responsabilité ;
    • la liberté d’entreprendre ;
    • le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions dans l’organisation des scrutins politiques ;
    • le principe de légalité de la procédure pénale ;
    • les principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines ;
    • le principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait ;
    • les principes de respect de la présomption d’innocence et de prohibition de toute rigueur non nécessaire dans les mesures de procédure pénale ;
    • la libre communication des pensées et des opinions ;
    • les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;
    • la garantie des droits ;
    • le droit à un recours juridictionnel effectif ;
    • les droits de la défense ;
    • la dignité de la personne ;
    • le droit pour chacun d’obtenir un emploi
    • la liberté syndicale ;
    • le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises ;
    • le droit de mener une vie familiale normale ;
    • le droit à la protection sociale ;
    • la liberté d’association ;
    • la prohibition de toute détention arbitraire et le principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ;
    • la libre administration et l’autonomie financière des collectivités territoriales ;
    • le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ;
    • le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ;
    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    La réforme de la QPC étant entrée en vigueur le 1er mars 2010, il est encore trop tôt pour se prononcer sur ce point.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    Aucun sondage ou enquête d’opinion n’a été réalisé depuis l’entrée en vigueur de la procédure de la QPC pour mesurer la conception que les citoyens se font du juge constitutionnel.

    De son côté, la doctrine tend à souligner l’impact positif de la QPC pour la défense des droits et libertés des citoyens et la protection de la Constitution.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Le rôle du Conseil constitutionnel dans l’État de droit s’est progressivement accru à compter du début des années 1970, en particulier à compter du moment où il a contrôlé la conformité des lois aux normes constitutionnelles contenues dans la Constitution de 1958 et les textes spécialement destinés à garantir les droits et libertés (décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association). Cette mission a été renforcée par l’élargissement de sa saisine, en 1974, à soixante députés ou soixante sénateurs – autrement dit à l’opposition parlementaire – et en 2010, à tout justiciable, grâce à la QPC.

    Pour les citoyens, c’est surtout la mise en œuvre de la QPC qui paraît le progrès le plus important pour la consécration de l’État de droit en France. Cette réforme a en particulier renforcé la fréquence des décisions du Conseil constitutionnel et, par suite, la visibilité de sa fonction de protection des droits et libertés que la Constitution garantit.

    Cour constitutionnelle du Gabon

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    A. Le recours directe du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    Les autorités publiques à savoir le Président de la République, le Premier ministre, les présidents des chambres du Parlement, un dixième des membres de chaque chambre, les présidents de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes ainsi que tout citoyen ou toute personne morale peuvent saisir directement le juge constitutionnel.

    Il est à noter que la Constitution utilise le terme de « citoyen » alors que la loi organique sur la Cour constitutionnelle celui de « personne physique ». Sans doute, parce que même les non-nationaux ont le droit de saisir la Cour constitutionnelle.

    Quid des associations de citoyens ?

    Une association est une personne morale au sens formel. À partir du moment où elle a fait l’objet d’une légalisation, ladite association bénéficie de la personnalité juridique qui lui permet d’ester aussi bien devant les tribunaux ordinaires que devant la Cour constitutionnelle.

    Une analyse exhaustive de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle permet de répondre par l’affirmative à cette question. En effet, dans la décision n° 001/93/CC du 21 janvier 1993, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur une requête introduite par l’union des associations ; il en a été de même dans la décision n° 005/01/CC du 8 mars 2001 qui comprenait parmi les requérants l’association EKAMA.

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    À l’exception des lois référendaires, les autres catégories de lois et les actes réglementaires peuvent être attaqués devant le juge constitutionnel.

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    Par nature, les lois organiques doivent être soumises au contrôle de constitutionnalité. Dans ce cas précis et pour ce qui concerne les autres catégories de lois, la saisine doit intervenir avant la promulgation. S’agissant des ordonnances et des actes réglementaires, la saisine doit intervenir dans le mois de la publication.

    Il est à préciser que le recours devant la Cour constitutionnelle est suspensif.

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    Le citoyen ne peut pas invoquer l’urgence. Seul le gouvernement le peut. Dans ce cas, la Cour constitutionnelle statue dans un délai de 8 jours au lieu d’un mois.

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    oui.

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    oui, le recours est conditionné par l’intérêt à agir. Il faut être lésé, c’est-à-dire avoir subi un préjudice quelconque par la loi, l’ordonnance ou l’acte réglementaire attaqué.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    Le requérant doit être directement concerné.

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    Non, il ne s’agit pas d’une obligation. Mais s’il le souhaite, il peut se faire assister par un conseil de son choix qui, en aucun cas, selon une jurisprudence constante de la Cour, ne peut et ne doit se substituer au requérant.

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    Le recours doit être écrit, motivé, accompagné d’une copie du texte attaqué, contenir nom(s), prénom(s), adresse, qualité et être signé par son auteur et déposé dans les délais au greffe de la Cour qui en donne récépissé.

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    Ne disposant pas d’une instance de filtrage, la Cour constitutionnelle statue, en premier et dernier ressort, en formation plénière, sur la base d’un rapport quant à la forme et le fond du recours.
    Les modalités de rejet sont : l’incompétence de la Cour, la forclusion, la norme insusceptible de contrôle, le défaut de qualité de l’auteur, le défaut d’intérêt à agir du requérant, l’autorité de la chose jugée, la requête prématurée, l’absence de motivation, le manque de signature ou d’identification du requérant, l’absence de conclusions.

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    8) Décrire le traitement d’une requête recevable jusqu’à la délibération par la formation de jugement, en indiquant les possibilités pour les requérants de participer à la procédure.

    Après l’enregistrement de la requête au greffe, le Président de la Cour désigne un rapporteur parmi les juges constitutionnels qui instruit le dossier. Il entend les parties et toutes personnes dont l’audition lui paraît nécessaire. Il sollicite des avis écrits et diligente des enquêtes. Il peut se faire assister d’un ou de plusieurs rapporteurs adjoints dans l’accomplissement de sa mission. Le juge rapporteur analyse les moyens soulevés et énonce les points à trancher. Le rapport est lu à l’audience par le juge rapporteur. Par dérogation au caractère écrit de la procédure, le Président de la Cour peut inviter les parties à présenter leurs observations par voie orale à l’audience après lecture du rapport. Ensuite, la Cour constitutionnelle met l’affaire en délibéré et fixe la date du prononcé de la décision.

    9) Quelles sont les phases du jugement ?

    Les phases du jugement sont : l’enregistrement de la requête, la désignation d’un rapporteur, l’instruction du dossier, la rédaction et la lecture du rapport en audience, la mise en délibéré et le prononcé de la décision.

    10) Portez une appréciation au regard des principaux aspects du « procès équitable » : principe du contradictoire, égalité des armes, délais de jugement.

    La procédure à travers l’instruction du dossier devant la Cour constitutionnelle permet aux justiciables de s’exprimer par la présentation de mémoire. Ensuite, en cas de nécessité, ils peuvent être auditionnés par le juge constitutionnel rapporteur. Après rédaction et lecture du rapport en audience, le Président de la Cour peut, par dérogation au caractère écrit de la procédure, autoriser les parties à faire des observations orales et ordonner une audition en plénière. Enfin, la Cour peut avant son rendu définitif, ordonner une mesure d’enquête complémentaire en prononçant une décision avant dire droit.

    10 bis) Est-ce que l’audience de la Cour constitutionnelle est publique ?

    En matière de contrôle de constitutionnalité, les audiences ne sont pas publiques. Sauf appréciation contraire de la Cour.

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ?

    oui.

    L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    Non, il constate le désistement.

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    La Cour constitutionnelle n’est pas une haute juridiction ordinaire à l’instar du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    En principe, la Cour statue uniquement sur l’ensemble des moyens soulevés par le requérant. Elle ne peut soulever de moyens d’office, sauf cas de violation manifeste de la Constitution ou de principes à valeur constitutionnelle. De manière générale, la Cour le fait chaque fois que nécessaire.

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    oui, il peut le faire à condition de démontrer que l’acte attaqué, en l’espèce, le décret pris dans le domaine réglementaire autonome, lèse ses droits.

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    En ce qui concerne le requérant, la satisfaction personnelle de voir ses droits respectés et protégés est omniprésente. Se dégage aussi, le sentiment d’une bonne administration de la justice et le renforcement du caractère effectif de l’État de droit à travers la justice constitutionnelle. Enfin, une plus grande croyance en l’indépendance de la justice, partant, des institutions du pays et plus généralement de la démocratie.

    B. Le recours indirect du citoyen au juge constitutionnel
    16) Quelles sont les autorités qui peuvent être saisies pour déposer un recours devant le juge constitutionnel ?

    Seul le juge du siège d’une juridiction ordinaire peut saisir la Cour constitutionnelle par voie d’exception préjudicielle.

    17) Quelles conditions doit remplir le citoyen pour saisir ces autorités ?

    L’exception d’inconstitutionnalité doit, sous peine d’irrecevabilité, être soulevée, par une partie au procès, dès l’ouverture des débats devant la juridiction ordinaire.

    18) Quelles sont les normes constitutionnelles susceptibles d’être invoquées par les citoyens ?

    18-1. Les droits et libertés inscrits dans la Constitution ?

    oui.

    18-2. Les règles constitutionnelles à caractère procédural ?

    oui.

    18-3. Les règles constitutionnelles ayant trait à la répartition des compétences ?

    oui.

    18-4. Autres ?

    La hiérarchie des normes.

    19) Ces juridictions et diverses autorités ont-elles l’obligation de saisir le juge constitutionnel ?

    Les juridictions ordinaires devant lesquelles l’exception est soulevée sont tenues de transmettre le dossier à la Cour constitutionnelle.

    20) Selon quelles formes et procédures s’effectue la transmission ?

    Le juge du siège saisit par écrit la Cour constitutionnelle par voie d’exception préjudicielle.

    21) Dans le cas où il revient au tribunal de saisir la juridiction constitutionnelle, est-il tenu de le faire dans un délai ?

    Bien que nullement stipulé par les textes, il semble que pour une bonne administration de la justice, le juge ordinaire transmet dans les meilleurs délais l’exception d’inconstitutionnalité au juge constitutionnel.

    22) Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie, est-elle tenue par un délai pour rendre sa décision ?

    La juridiction constitutionnelle est tenue de rendre sa décision dans le délai d’un mois.

    23) Le citoyen à l’origine de la saisine participe-t-il à la procédure devant le juge constitutionnel ? Si oui, selon quelles modalités ? Précisez.

    oui, selon les mêmes modalités que le recours par voie d’action.

    24) Est-ce qu’il doit être obligatoirement assisté d’un avocat ?

    L’assistance par un avocat est facultative.

    25) Est-ce que le citoyen peut bénéficier d’un délai pour produire des pièces ou des preuves au soutien de ses moyens ?

    Pendant l’instruction, le juge constitutionnel rapporteur peut impartir des délais aux parties.

    26) Est-ce que la partie adverse du citoyen à l’origine de la saisine peut prendre part au procès pour développer ses arguments contre l’inconstitutionnalité ? Si oui, comment ?

    La différence entre le recours direct et indirect du citoyen devant le juge constitutionnel est l’incidence du procès, en amont, et la production d’effet dans l’ordonnancement juridique de l’acte attaqué, en aval, car déjà promulgué. Dès lors, la requête est celle d’un citoyen contre une norme juridique en vigueur, la partie adverse ici, ne peut pas prendre part au procès devant la haute juridiction.

    Cependant, le juge constitutionnel peut entendre toute personne dont l’audition lui paraît nécessaire.

    26 bis) Le juge constitutionnel a-t-il le pouvoir de faire respecter ses décisions ?

    Si oui, de quels moyens dispose-t-il pour le faire ?

    Le constituant a tenu à préciser que les décisions de la Cour constitutionnelle sont insusceptibles de recours. Par conséquent, elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales.

    27) Quels sont les effets de la décision de la Cour : erga omnes ? inter pares ?

    Les décisions de la Cour ont un effet erga omnes.

    28) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour le justiciable à l’origine de la saisine ?

    La loi ou l’acte en cause déclaré(e) inconstitutionnel(le) cesse de produire ses effets à compter du prononcé de la décision.

    29) L’effet de la décision d’inconstitutionnalité est-il modulable dans le temps ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences pour le justiciable auteur de la saisine ? Développez.

    Non, le justiciable auteur de la saisine ne peut plus faire l’objet d’une procédure judiciaire sur la base d’un texte déclaré contraire à la Constitution.

    30) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité du juge constitutionnel a-t-elle pour les autres procédures non définitivement jugées ?

    Le juge ordinaire est tenu de surseoir à statuer. Dès lors, il est prévu des mécanismes afin que les pouvoirs publics remédient, dans les meilleurs délais, à la situation résultant de la décision d’inconstitutionnalité.

    En effet, lorsque la haute juridiction s’est prononcée, les juridictions de droit commun demeurent dans l’attente des modifications afférentes.

    Le Parlement, en ce qui concerne la loi, et le gouvernement, pour les actes réglementaires, remédient à la situation juridique résultant de la décision d’inconstitutionnalité de la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire, adoptent de nouvelles dispositions, lesquelles se substituent à celles déclarées contraires à la Loi fondamentale.

    À la fin de ce processus, les procédures reprennent devant les juges ordinaires sur la base de normes nouvelles.

    31) Quelles conséquences la décision d’inconstitutionnalité a-t-elle pour les personnes ayant fait l’objet de décisions administratives fondées sur la disposition législative déclarée entre-temps inconstitutionnelle et qui n’ont pas encore introduit de recours en annulation devant le juge administratif à la date de la censure ?

    Toutes les décisions administratives prises sur la base d’un texte déclaré par la suite inconstitutionnel sont valables. L’adoption par le législateur d’un nouveau texte permettra de régir les situations pour l’avenir. Mais, le juge ne peut pas appliquer la loi nouvelle à des situations préexistantes car, selon le principe de la non-rétroactivité, il est impossible de remettre en cause les conséquences déjà produites par des situations en cours.

    32) Est-ce que l’intéressé peut mettre à profit la décision d’inconstitutionnalité devant une autre juridiction ?

    oui.

    32 bis) La décision est-elle lisible et compréhensible par le citoyen ? Pourquoi ?

    L’architecture du prononcé avec, d’une part, un exposé clair des visas, et d’autre part, le développement tout aussi clair des faits et des motifs, permet ensuite à la Cour constitutionnelle de traduire de façon pédagogique dans le dispositif une décision accessible au plus grand nombre.

    33) Y a-t-il des revirements de jurisprudence ?

    Des évolutions jurisprudentielles, sans doute, mais pas encore de revirements de jurisprudence

    C. Autres cas

    34) Revient-il au citoyen d’effectuer son recours devant la juridiction constitutionnelle après que l’exception d’inconstitutionnalité qu’il a soulevée devant le tribunal a été jugée sérieuse par celui-ci ? Si oui, dans quel délai ? Selon quelle procédure ?

    Non.

    35) Existe-t-il un mode de saisine par le citoyen non prévu par le questionnaire ? Si oui, indiquez-le et, le cas échéant, développez.

    Non.

    II. Les droits et libertés des citoyens consacrés et protégés par les juges constitutionnels

    36) Il est ainsi attendu que soit précisé si les droits et libertés protégés par le juge :
    • sont expressément prévus par la Constitution ? oui.
    • sont contenus dans des normes internationales ? oui.
    • sont des droits nouveaux reconnus par le juge ? Non.
    37) À quelles catégories appartiennent les droits et libertés ?

    Libertés de la personne ; droits économiques et sociaux.

    38) Si le juge constitutionnel est peu ou n’est pas du tout saisi par le citoyen, ni directement ni indirectement :

    Les requêtes devant le juge constitutionnel sont abondantes et ce dans tous les domaines.

    38 bis) Les décisions du juge constitutionnel permettent-elles l’émergence d’une conscience citoyenne ? Illustrez votre réponse par des cas concrets.

    La Constitution prévoit que chaque citoyen a le devoir de défendre la patrie et l’obligation de protéger et de respecter la Constitution, les lois et les règlements de la République.

    Au regard de la célérité avec laquelle la Cour constitutionnelle traite les dossiers et conscients de la possibilité que le constituant leur donne pour faire valoir leurs droits, les citoyens vont jusqu’à dénoncer par exemple :

    • la mauvaise disposition des bandes du drapeau national ;
    • l’organisation du défilé militaire de la fête nationale de l’indépendance le 16 août au lieu du 17 août, date prévue par la Constitution ;
    • le non-respect des armoiries de la République dans les sceaux usités dans certaines administrations.

    III. L’opinion des citoyens sur le juge constitutionnel

    39) Quelle image les citoyens ont-ils du juge constitutionnel ?

    Les citoyens ont une image emprunte de respect et de confiance à l’égard du juge constitutionnel.

    40) Le juge constitutionnel est-il perçu par les citoyens comme un rouage essentiel de l’État de droit ?

    Le juge constitutionnel est effectivement perçu comme un rouage essentiel de l’État de droit. Pour preuve, l’extrait de l’article ci-joint d’un journal d’opinion paru le 27 avril 2012 qui analyse le rôle de la Cour constitutionnelle à l’occasion de l’élection présidentielle de 1993 au Gabon.

    Cour constitutionnelle de Guinée

    I. L’accès du citoyen au juge constitutionnel

    La Constitution guinéenne a été élaborée pour répondre au besoin de la société démocratique construite sur les principes de l’État de droit de limiter les actes des pouvoirs exécutif et législatif et pour amener la majorité au pouvoir à accepter que soient contestées, discutées voire annulées les expressions législatives de sa volonté politique. Ce faisant, la contestation sort de l’ordre du politique par la reconnaissance du pluralisme, de la compétition des idées, des hommes et des partis au moment d’élections libres et concurrentielles ; elle englobe le fonctionnement même des institutions de la République qui ont compétence d’édicter des normes.

    La Constitution guinéenne inscrit ainsi la justice constitutionnelle dans la logique du régime démocratique et libéral dans le sens qu’elle protège les opinions minoritaires qui sont conformes à l’acte fondateur de la Nation.

    La Constitution guinéenne, en son article 2, alinéa 6, confirme et renforce le principe considéré comme essentiel pour toute Constitution écrite, que « Toute loi, tout texte réglementaire et acte administratif contraires à ses dispositions sont nuls et de nul effet ».

    Il s’ensuit que les organes de pouvoirs sont liés par cette disposition dont la conséquence est que les lois et les actes du pouvoir exécutif peuvent être contrôlés et contestés.

    C’est dans cette logique que la Constitution a fixé les attributions de la Cour constitutionnelle en ces termes :

    • « Article 93 : La Cour constitutionnelle est la juridiction compétente en matière constitutionnelle, électorale et des droits et libertés fondamentaux. Elle juge de la constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que de la conformité des traités et accords internationaux à la Constitution.
    • « Elle garantit l’exercice des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques.
    • « Elle veille à la régularité des élections nationales et des référendums dont elle proclame les résultats définitifs.
    • « Elle est l’organe régulateur du fonctionnement et des activités des Pouvoirs législatif et exécutif et des autres organes de l’État.
    • « Article 94 : La Cour constitutionnelle statue sur :
      • la constitutionnalité des lois avant leur promulgation ;
      • le contentieux des élections nationales ;
      • le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, du Conseil économique et social, de la Haute autorité de la communication, de la Commission électorale nationale indépendante, de l’Institution nationale des droits humains, du Médiateur de la République, du Haut conseil des collectivités locales quant à leur conformité à la Constitution ;
      • les conflits d’attributions entre les organes constitutionnels ;
      • l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant les juridictions ;
      • les recours formés contre les actes du Président de la République pris en application des articles 2, 45, 74 et 90, ainsi que les recours formés contre les ordonnances prises en application de l’article 82, sous réserve de leur ratification. »

    Il ressort de ces dispositions que la Cour constitutionnelle est une juridiction spécialisée dans les matières qui lui sont dévolues par la Constitution. Elle ne se situe, au contraire de la Cour suprême, au sommet d’aucune hiérarchie juridictionnelle.

    A. Le recours directe du citoyen au juge constitutionnel

    Ouverture du droit de saisine au citoyen :

    La Cour constitutionnelle est une juridiction dont les séances suivent le rythme des requêtes dont elle est saisie. Elle siège et rend ses décisions en séance plénière.

    Dans ses dispositions transitoires, la Constitution en l’article 155 précise :

    • « En attendant la mise en place de la Cour constitutionnelle et de la Cour des comptes, la Cour suprême demeure compétente pour les affaires relevant de la compétence dévolue respectivement à ces juridictions. Cette mise en place sera réalisée dans un délai de six mois au plus tard à compter de l’installation de l’Assemblée nationale. »
    • Cette disposition s’inscrit dans la logique de l’article 106 qui indique : « une loi organique détermine l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la procédure suivie devant elle, notamment les délais pour sa saisine de même que les conditions d’éligibilité, les avantages, les immunités, et le régime disciplinaire de ses membres. »
    • Dans l’attente de cette loi organique, la Cour suprême examine les matières relevant de la Cour constitutionnelle conformément à la loi organique 008/ CtRN du 23 décembre 1991 sur la Cour suprême. En matière de contentieux électoral, comme en matière de contentieux de constitutionnalité, l’instruction est confiée à un rapporteur qui présente à la Cour les faits de la cause.

    La loi organique visée ci-haut prescrit :

    « Article 40 : Le recours tendant à faire constater l’inconstitutionnalité d’une loi ou d’un engagement international est présenté par le Président de la République ou par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l’Assemblée nationale, sous la forme d’une requête adressée au Premier président de la Cour suprême.

    « La requête doit, sous peine d’irrecevabilité :

    1°) être signée par le Président de la République ou par chacun des députés ; 2°) contenir l’exposé des moyens invoqués.

    « Elle est accompagnée de deux copies du texte de la loi attaquée.

    « Article 41 : La requête visée à l’article 40 est déposée au greffe de la Cour suprême, contre récépissé. Lorsque le recours est exercé par le Président de la République, le greffier en chef de la Cour suprême en donne avis sans délai au Président de l’Assemblée nationale. Lorsque le recours est exercé par les députés, le greffier en chef de la Cour suprême en donne avis sans délai au Président de la République et au Président de l’Assemblée nationale.

    « Article 46 : La procédure n’est pas contradictoire. tout document produit après le dépôt de la requête n’a pour la Cour qu’une valeur de simple renseignement.

    « Le Premier président désigne un rapporteur. La Cour suprême prescrit toutes mesures d’instructions qui lui paraissent utiles et fixe les délais dans lesquels ces mesures devront être exécutées. La procédure est écrite et contradictoire. Il n’y a pas d’opinion dissidente possible. Les débats en session et en séance plénière ainsi que les votes ne sont ni publics, ni publiés. La procédure est donc totalement secrète. »

    1) Qui peut saisir directement le juge constitutionnel ? Les personnes physiques, les personnes morales, les associations de citoyens ?

    La réponse à ces questions est affirmative, mais dépend du contentieux.

    a. En matière électorale

    L’article 33 de la Constitution donne droit à un candidat à l’élection présidentielle de saisir la Cour constitutionnelle de la contestation relative à la régularité des opérations électorales ;

    L’article 133 du Code électoral ouvre la faculté aux mandataires des candidats aux élections législatives de saisir la Cour constitutionnelle des cas de contestation d’un acte du Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pris en application des articles 155, 156, 157 et 158 dudit code relatifs aux prérogatives de celui-ci ;

    La saisine de la Cour constitutionnelle est ouverte par l’article 157 du Code électoral au mandataire d’un candidat à l’élection législative contre une déclaration de candidature déposée en faveur d’une personne inéligible ou se trouvant dans tout autre cas d’irrégularité ;

    Les cas de contestation des listes publiées de candidature aux élections législatives peuvent être portés devant la Cour constitutionnelle, aux termes de l’article 158 du Code électoral par toute partie intéressée ;

    Les candidats aux élections législatives peuvent, selon l’article 165 du Code électoral, porter leurs contestations relatives à la régularité des opérations électorales devant la Cour constitutionnelle.

    Le droit de réclamation, devant la Cour constitutionnelle, contre toute candidature à l’élection présidentielle est ouvert à tout parti politique engagé dans ladite élection, en vertu de l’article 174 du Code électoral ;

    tout candidat à l’élection présidentielle peut, conformément aux articles 184 et suivants du Code électoral, saisir la Cour constitutionnelle de sa contestation relative à la régularité de ladite élection.

    De tout ce qui précède, on peut déduire que la saisine du juge constitutionnel en matière électorale n’est pas exercée que dans le seul cadre de la protection d’un droit individuel, mais également dans celui de l’organisation des règles de fonctionnement des institutions de l’État, les titulaires du droit de saisine étant titulaires de la fonction publique ou acteurs de la vie politique.

    b. En contrôle de constitutionalité des lois

    La Constitution, en disposant en son article 2, alinéas 6 et 7 que : « La souveraineté s’exerce conformément à la présente Constitution qui est la Loi suprême de l’État. toute loi, tout texte réglementaire et acte administratif contraires à ses dispositions sont nuls et de nul effet. – Le principe de la séparation et de l’équilibre des Pouvoirs est consacré. », introduit les innovations ci-après :

    • Le principe de constitutionnalité est substitué à l’ancien principe général et fondamental de légalité. Cette substitution a pour conséquence la deuxième innovation qui suit ;
    • La volonté générale n’est plus logée dans la loi qui peut soit mal faire, soit être mal faite. Elle est désormais placée dans la Constitution ;
    • La Constitution cesse ainsi d’être un document ornemental ou utopique pour revêtir le manteau de « Loi suprême de l’État », c’est-à-dire la loi de référence, la véritable règle de droit s’imposant au respect de toutes les autorités étatiques.

    À ce sujet, le doyen Favoreu écrivait : « La constitutionnalité a remplacé la légalité dans au moins deux de ses fonctions essentielles : être la “source des sources” et le véhicule des valeurs… fondamentales. La loi devenue une source parmi bien d’autres laisse la place à la Constitution qui remplit ce rôle en répartissant les compétences normatives qui sont désormais exercées sous la surveillance du juge constitutionnel. »

    Il s’ensuit que la constitutionnalité apparaît comme la garantie du contenu essentiel des droits fondamentaux et non celle de la seule légalité.

    L’article 96 de la Constitution dispose: « tout plaideur peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction. La juridiction saisie sursoit à statuer et renvoie l’exception devant la Cour constitutionnelle. Dans ce cas, la Cour constitutionnelle statue dans les quinze jours de sa saisine. La Cour constitutionnelle est juge des violations des droits fondamentaux et des libertés publiques commises par les pouvoirs publics, les agents de l’État et les citoyens. Elle peut être saisie par l’Institution nationale des droits humains. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle, en cette matière, a primauté sur celle des autres ordres juridictionnels. »

    Cet article de la Constitution ouvre à tout citoyen la possibilité de contester, par voie d’exception à l’occasion d’une procédure juridictionnelle, la constitutionnalité des lois, dès lors que leurs dispositions porteraient atteinte à ses droits fondamentaux, entraînant la possible annulation de lois déclarées inconstitutionnelles a posteriori.

    • un triple objectif est attaché à la question préjudicielle ou prioritaire de Constitution :
    • purger l’ordre juridique national des dispositions inconstitutionnelles,
    • permettre aux citoyens de faire valoir les droits qu’ils tiennent de la Constitution, et surtout de son préambule et des articles 5 à 25,
    • assurer la prééminence de la Constitution dans l’ordre juridique interne.

    Le contrôle ouvert ainsi au citoyen s’exerce par voie d’exception soulevée par tout justiciable, pour la défense de ses intérêts, au cours d’un procès, quel qu’il soit et dans le déroulement duquel une loi relevée non conforme à la Constitution tend à être appliquée. Il s’agira, pour le juge, de priver la loi d’effet, en l’espèce celle qui lui est soumise.

    De ce qui précède, il apparaît que ce type de recours n’est pas réservé aux seules questions d’inconstitutionnalité d’une loi, il peut également être invoqué au titre de la protection contre la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales. C’est tout le sens de l’article 96 de la Constitution qui stipule

    « La Cour constitutionnelle est juge des violations des droits fondamentaux et des libertés publiques commises par les pouvoirs publics, les agents de l’État et les citoyens. Elle peut être saisie par l’Institution nationale des droits humains ».

    2) Quels actes peuvent être attaqués ? Lois, actes administratifs, autres ?

    En réponse, la Constitution indique :

    « Article 94 : La Cour constitutionnelle statue sur :

    • la constitutionnalité des lois avant leur promulgation ;
    • le contentieux des élections nationales ;
    • le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, du Conseil économique et social, de la Haute autorité de la communication, de la Commission électorale nationale indépendante, de l’Institution nationale des droits humains, du Médiateur de la République, du Haut conseil des collectivités locales quant à leur conformité à la Constitution ;
    • les conflits d’attributions entre les organes constitutionnels ;
    • l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant les juridictions ;
    • les recours formés contre les actes du Président de la République pris en application des articles 2, 45, 74 et 90, ainsi que les recours formés contre les ordonnances prises en application de l’article 82, sous réserve de leur ratification.

    « Article 95 : les lois organiques sont obligatoirement soumises par le Président de la République à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation. Les lois ordinaires, avant leur promulgation, peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle soit par le Président de la République, soit par le Président de l’Assemblée nationale ou par un dixième des députés.

    « Article 97 : Les engagements internationaux prévus à l’article 150 sont déférés avant ratification à la Cour constitutionnelle, soit par le Président de la République, soit par le Président de l’Assemblée nationale ou par un député. La Cour vérifie, dans un délai de trente jours, si ces engagements comportent des clauses contraires à la Constitution. Dans l’affirmative, la Constitution est modifiée avant la ratification desdits engagements. En cas d’urgence ou à la demande du gouvernement, ce délai est ramené à huit jours. »

    3) Dans quels délais doit être saisi le juge ?

    24 heures, en cas de contestation par les mandataires des listes, d’un acte du Président de la CENI (art. 133 du Code électoral) pris en application des articles 155, 156, 157 et 158 du présent code relatifs à la déclaration de candidature en élection législative ;

    3 jours pour attaquer, devant la Cour constitutionnelle, la décision de rejet de candidature aux élections législatives (art. 157 du Code électoral) – la Cour dispose de 7 jours, à compter de sa saisine, pour statuer ;

    48 heures pour toute partie de contester les listes publiées devant la Cour constitutionnelle qui statue dans 48 heures de sa saisine ;

    5 jours francs (art. 165 du Code électoral) à compter de la date de proclamation des résultats provisoires pour contester la régularité des élections législatives devant la Cour qui a 10 jours pour statuer sur les requêtes ;

    les réclamations contre la candidature à l’élection présidentielle se font avant l’expiration du jour suivant celui de l’affichage de la liste des candidats (art.174 du Code électoral).

    4) Le citoyen peut-il invoquer l’urgence, demander un jugement en référé ?

    Il n’y a pas de base légale sur cette possibilité, cependant en matière de violation des droits de l’homme, la nécessité de rétablir rapidement la situation laisse entrevoir une telle éventualité.

    Recevabilité des recours :

    5) Conditions de recevabilité relatives au requérant :

    5-1. Le recours est-il gratuit ?

    La règle est la gratuité des recours devant la Cour constitutionnelle.

    5-2. Est-il conditionné par l’intérêt à agir ?

    La règle de l’intérêt à agir se dégage de l’indication par les dispositions constitutionnelles ou légales de la personne habilitée à exercer le recours devant la Cour constitutionnelle.

    5-3. Le requérant doit-il être directement concerné par la disposition ou est-ce que toute personne peut agir ?

    En matière électorale le représentant de la personne directement concernée peut agir.

    5-4. Doit-il intenter son recours par l’intermédiaire d’un avocat ?

    Le recours à l’office d’un avocat n’est pas obligatoire, il est un droit constitutionnel exercé facultativement devant le juge constitutionnel.

    6) Conditions de recevabilité relatives au recours (formes, régularisation).

    C’est la loi 008/CtRN du 23 décembre 1991 qui contient, faute de nouvelles dispositions, les conditions de recevabilité relatives au recours :

    « Article 40 : Le recours tendant à faire constater l’inconstitutionnalité d’une loi ou d’un engagement international est présenté par le Président de la République ou par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l’Assemblée nationale, sous la forme d’une requête adressée au Premier président de la Cour suprême.

    « La requête doit, sous peine d’irrecevabilité :

    1°) être signée par le Président de la République ou par chacun des députés ; 2°) contenir l’exposé des moyens invoqués.

    « Elle est accompagnée de deux copies du texte de la loi attaquée.

    « Article 41 : La requête visée à l’article 40 est déposée au greffe de la Cour suprême, contre récépissé. Lorsque le recours est exercé par le Président de la République, le greffier en chef de la Cour suprême en donne avis sans délai au Président de l’Assemblée nationale. Lorsque le recours est exercé par les députés, le greffier en chef de la Cour suprême en donne avis sans délai au Président de la République et au Président de l’Assemblée nationale.

    « Article 42 : Les lois organiques sont obligatoirement soumises à la Cour suprême avant leur promulgation.

    « Article 43 : Le recours à la Cour suprême suspend le délai de promulgation.

    « Article 44 : L’acte de promulgation de la loi organique doit obligatoirement porter la mention de la déclaration de conformité avec la Loi fondamentale.

    « Article 45 : Les engagements internationaux peuvent être déférés à la Cour suprême avant leur ratification ou, s’ils ne sont pas soumis à ratification, avant leur approbation. toutefois, si ces engagements doivent en outre être ratifiés ou approuvés en vertu d’une loi, ils ne peuvent être déférés à la Cour suprême après la promulgation de la loi autorisant leur ratification ou leur approbation.

    « Article 46 : La procédure n’est pas contradictoire. tout document produit après le dépôt de la requête n’a pour la Cour qu’une valeur de simple renseignement. Le Premier président désigne un rapporteur. La Cour suprême prescrit toutes mesures d’instructions qui lui paraissent utiles et fixe les délais dans lesquels ces mesures devront être exécutées.

    « Article 47 : Sous réserve des dispositions de l’article 31 de la Loi fondamentale, les séances de la Cour suprême statuant en matière constitutionnelle ne sont pas publiques. Les parties ne peuvent demander à y être entendues. La Cour suprême entend le rapport de son rapporteur, les conclusions du ministère public et statue par une décision. Si la Cour suprême relève dans la loi attaquée une violation de la Loi fondamentale qui n’a pas été invoquée, elle doit la soulever d’office. La Cour suprême se prononce dans un délai maximum de 15 jours à compter du dépôt du recours. »

    7) Modalités de rejet du recours pour irrecevabilité ; indiquez les motifs de rejet.

    Les motifs de rejet doivent être inférés de l’alinéa 2 de l’article 40 de la loi organique qui dispose : « La requête doit, sous peine d’irrecevabilité :

    1°) être signée par le Président de la République ou par chacun des députés ; 2°) contenir l’exposé des moyens invoqués.

    « Elle est accompagnée de deux copies du texte de la loi attaquée. »

    Procédure et traitement de la saisine recevable :

    Les réponses aux questions 8, 9, 10 et 10 bis, en attendant la promulgation de la nouvelle loi organique relative à la Cour constitutionnelle, sont contenues dans les dispositions ci-après de la loi organique 008/CtRN du 23 décembre 1991 sur la Cour suprême :

    « Article 46 : La procédure n’est pas contradictoire. tout document produit après le dépôt de la requête n’a pour la Cour qu’une valeur de simple renseignement.

    « Le Premier président désigne un rapporteur.

    « La Cour suprême prescrit toutes mesures d’instructions qui lui paraissent utiles et fixe les délais dans lesquels ces mesures devront être exécutées.

    « Article 47 : Sous réserve des dispositions de l’article 31 de la Loi fondamentale, les séances de la Cour suprême statuant en matière constitutionnelle ne sont pas publiques. Les parties ne peuvent demander à y être entendues.

    « La Cour suprême entend le rapport de son rapporteur, les conclusions du ministère public et statue par une décision.

    « Si la Cour suprême relève dans la loi attaquée une violation de la Loi fondamentale qui n’a pas été invoquée, elle doit la soulever d’office.

    « La Cour suprême se prononce dans un délai maximum de 15 jours à compter du dépôt du recours.

    « Article 48 : La publication de la décision de la Cour suprême constatant qu’une disposition n’est pas contraire à la Loi fondamentale met fin à la suspension du délai de promulgation de la loi et permet l’autorisation de la ratification ou de l’approbation de l’engagement international.

    « Article 49 : Dans le cas où la Cour suprême déclare que la loi dont elle est saisie contient une disposition contraire à la Loi fondamentale, inséparable de l’ensemble de cette loi, celle-ci peut être promulguée.

    « Article 50 : Dans le cas où la Cour suprême déclare que la loi dont elle est saisie contient une disposition contraire à la Loi fondamentale sans constater en même temps qu’elle est inséparable de l’ensemble de cette loi, la loi peut être promulguée à l’exception de cette disposition, à moins qu’une nouvelle lecture n’en soit demandée.

    « Article 51 : Si la Cour suprême a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Loi fondamentale, l’autorisation de la ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après révision de la Loi fondamentale.

    « Plus généralement, aucune disposition déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême en application du présent chapitre ne peut être promulguée ou entrer en application.

    « Article 52 : Dans les cas prévus à l’article 60 de la Loi fondamentale, le Cour suprême est saisie par le Président de la République.

    « Article 53 : La Cour suprême se prononce dans le délai d’un mois. Ce délai est réduit à huit jours quand le gouvernement déclare l’urgence.

    « Article 54 : La Cour suprême constate, par une déclaration motivée, le caractère législatif ou réglementaire des dispositions qui lui ont été soumises.

    « Article 55 : Les décisions prévues aux articles 48, 49, 50, 51 et 54 sont publiées au journal officiel. »

    Le jugement et ses effets :

    11) Le juge est-il tenu dans tous les cas de statuer sur le recours ?
    L’est-il si le citoyen s’est désisté ?

    on peut, à défaut d’une autre disposition expresse, déduire de l’article 14 de Code de procédure civile, économique et administrative (CPCEA), qui dispose : « Article 14 : Le juge doit examiner tous les chefs de demande qui lui sont soumis. Il est tenu de statuer sur tout ce qui lui est demandé et seulement sur ce qui lui est demandé», que le juge est tenu de statuer sur le recours. Le désistement du citoyen est susceptible de mettre fin au recours.

    12) Le juge peut-il ordonner la réouverture de l’affaire ? Statuer sur le fond et ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux ordinaires ? Ordonner le paiement de dommages-intérêts ?

    Le domaine d’intervention du juge constitutionnel est spécialisé et limité et ne s’étend pas à l’allocation de dommages-intérêts.

    13) Quels sont les cas d’inconstitutionnalité retenus par le juge et celui-ci peut-il retenir des moyens non présentés par le requérant ?

    L’article 14 du CPCEA susvisé ne permet pas au juge d’aller au-delà de la demande.

    14) Le citoyen peut-il dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome ?

    Du moment que la Constitution, en son article 2 déclare : « la présente Constitution (…) est la Loi suprême de l’État. toute loi, tout texte réglementaire et acte administratif contraires à ses dispositions sont nuls et de nul effet », et que son article 94 précise « La Cour constitutionnelle statue sur (…) les recours formés contre les actes du Président de la République pris en application des articles 2, 45, 74 et 90, ainsi que les recours formés contre les ordonnances prises en application de l’article 82, sous réserve de leur ratification », on peut tirer la conséquence que dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité, le citoyen peut dénoncer l’inconstitutionnalité d’un décret pris dans le domaine réglementaire autonome.

    15) Quels sont les effets et la portée d’une décision d’inconstitutionnalité d’un acte pour le requérant ? Développez.

    Les décisions de la juridiction constitutionnelle ont un effet erga omnes formulé ainsi dans l’article 99 de la Constitution : « Les arrêts de la Cour constitutionnelle sont sans recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale ».

    Il résulte de cette disposition que :

    a) En contentieux de l’annulation, les arrêts portant annulation ont l’autorité absolue de la chose jugée à partir de leur publication au Journal officiel. En conséquence, les décisions de justice rendues en matière civile ou pénale fondées sur une norme annulée et qui sont passées en force de chose jugée, demeurent en vigueur mais peuvent être annulées de plein droit à l’issue d’une procédure de « rétractation » introduite devant la juridiction qui a rendu le jugement, dans un délai de six mois à compter de la publication de l’arrêt du juge constitutionnel au Journal officiel.

    De même, les actes des autorités administratives pris sur la base d’un texte annulé demeurent-ils en vigueur mais peuvent faire l’objet d’un recours administratif ou juridictionnel dans un délai de six mois à compter de la publication de l’arrêt au Journal officiel.

    b) En contentieux préjudiciel

    Les arrêts rendus sur des questions préjudicielles lient toutes les juridictions appelées à statuer dans l’affaire en vertu de l’article du dernier alinéa de l’article 96 de la Constitution ainsi libellé : « La jurisprudence de la Cour constitutionnelle, en cette matière, a primauté sur celle des autres ordres juridictionnels. »

    Il s’ensuit que lorsque la Cour constitutionnelle, saisie d’une question préjudicielle, a déclaré que la norme examinée n’était pas conforme à la Constitution, celle-ci subsiste dans