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Actes du 7e congrès
La suprématie de la Constitution
Séance d’ouverture
Allocution de bienvenue de Gilbert Kolly
Président du Tribunal fédéral suisse
Madame la présidente de la Confédération,
Excellences,
Monsieur le président de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français,
Monsieur le directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie,
Mesdames et Messieurs les invités,
Mesdames et Messieurs les présidents et membres des cours et conseils constitutionnels,
Chers collègues, Chers amis,
Au nom du Tribunal fédéral suisse, j’ai l’honneur et le plaisir de vous souhaiter une très cordiale bienvenue à Lausanne, ville olympique mais aussi siège de la cour suprême suisse. Je vous remercie de nous avoir rejoints sur les rives du Lac Léman. J’adresse une bienvenue particulière et mes remerciements les plus chaleureux à Madame la présidente de la Confédération suisse, qui nous fait l’honneur non seulement d’assister à la présente cérémonie d’ouverture, mais aussi de nous présenter dans quelques instants un message. Madame la présidente, nous savons à quel point votre emploi du temps est chargé, vous qui non seulement présidez la Confédération suisse mais exercez aussi la charge de chef du Département fédéral de justice et de police, charge qui, dans nombre de pays ici représentés, correspond à ministre de la Justice et de l’Intérieur. Sachez à quel point, Madame la présidente, nous apprécions votre présence parmi nous aujourd’hui.
Chers collègues, le Tribunal fédéral suisse a été sensible à l’honneur que vous lui avez témoigné en lui confiant l’organisation du septième congrès triennal de notre association. J’espère que vous ne regrettez et ne regretterez pas votre choix. Nous avons eu la main heureuse lors de la fixation de la date du Congrès ; alors que le temps a été souvent maussade ces dernières semaines, le soleil et l’été sont au rendez-vous pour toute la durée du Congrès. J’y vois un présage favorable pour le succès de notre manifestation. Le temps agréable vous permettra de pleinement profiter de votre séjour dans l’un des beaux endroits de Suisse, en dehors des heures des séances évidemment. Nous espérons aussi que vous vous sentirez bien ici, au Beau-Rivage Palace, établissement que vous avez certainement vu récemment aux actualités télévisées, les négociations sur le programme nucléaire iranien ayant eu lieu dans cet hôtel. Chers collègues, les collaborateurs de notre Tribunal se sont beaucoup investis afin de vous offrir un séjour agréable et un programme varié. Ces collaborateurs sont très soucieux de pouvoir garantir le bon déroulement du programme dont l’horaire est serré. Mon temps de parole étant échu, mesdames et messieurs les invités, chers collègues et amis, je vous remercie encore une fois d’avoir donné suite à notre invitation et je vous réitère mes très sincères souhaits de bienvenue à Lausanne.
Propos d’ouverture par Mohamed Achargui
Président de l’association des cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français
Président du Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc
Excellence,
Madame la présidente de la Confédération suisse,
Monsieur le président du Tribunal fédéral suisse,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Monsieur le directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme de l’OIF,
Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi un grand honneur et plaisir de saisir cette occasion pour remercier infiniment, au nom de l’ACCPUF et en mon nom personnel, son Excellence Madame la présidente de la Confédération suisse pour avoir accepté de présider personnellement la séance solennelle d’ouverture de notre Congrès. Votre présence effective en ce jour, Excellence, nous honore grandement et témoigne
de votre engagement résolu à l’affermissement de l’État de droit. Mes remerciements les plus vifs s’adressent également aux hautes autorités politiques, judiciaires et administratives suisses et particulièrement à Monsieur le Président du Tribunal suisse, aux conseillers et à l’ensemble du personnel, pour l’accueil empreint d’hospitalité et de courtoisie qui nous a été réservé dès que nous avons frôlé le sol de ce beau pays. Je voudrais également remercier le directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme de l’OIF, partenaire privilégié de l’ACCPUF. Grâce à ses interventions multiformes, notre association a pu se développer et asseoir ses fondements sur des bases solides. Mes remerciements vont également à Monsieur le représentant de la Commission de Venise, avec lequel nous entretenons une coopération étroite et combien fructueuse.
Mesdames et Messieurs, créée à Paris, à l’initiative de la France et avec le soutien de la francophonie, l’ACCPUF comptait 35 membres. On dénombre aujourd’hui 45 juridictions, partageant toutes, en plus de la langue française, le souci de la consolidation de l’État de droit, la promotion de la démocratie et la sauvegarde des droits fondamentaux. Depuis notre dernière assemblée générale, tenue à Marrakech en juillet 2012, et au cours de laquelle vous avez bien voulu confier la présidence de notre association au Conseil constitutionnel du
Royaume du Maroc, l’ACCPUF, grâce à la régularité des réunions statutaires de son Bureau et de ses autres instances, et à travers ses activités scientifiques, ses publications, ses actions de communication, de formation et de soutien juridique et technique à certains de ses membres, a réussi à réaliser un partage des compétences et un échange des connaissances et des expériences remarquables. À ce sujet, je ne peux que témoigner de notre grande satisfaction des relations humaines qui se sont tissées entre nous tous, empreintes d’amitié,
d’écoute et d’échanges féconds.
Mesdames et Messieurs, en ma qualité de président de l’ACCPUF en fin de mandat, je tiens à exprimer ma grande satisfaction pour les résultats obtenus grâce à la participation de tous et à l’implication de tous les membres du Bureau exécutif de notre association, et exprimer en particulier ma joie quant au fait que le Tribunal fédéral suisse, en la personne de son éminent Président Gilbert Kolly, me succédera à la tête de l’ACCPUF. Je suis convaincu qu’il réussira à consolider davantage le rayonnement de notre association et à lui
offrir de nouvelles perspectives.
Mesdames et Messieurs, je suis ravi de nous voir rassemblés aujourd’hui autour d’un thème d’un intérêt majeur, à savoir la suprématie de la Constitution. Sans suprématie, les constitutions n’ont point de raison d’exister. On ne peut donc manquer de souligner le rôle des cours constitutionnelles, qui veillent au respect de la hiérarchie des normes. En effet, l’effectivité de la suprématie de la Constitution en droit interne et son rapport avec le droit international est un sujet d’une grande importance. L’internationalisation toujours plus poussée du droit constitutionnel et la constitutionnalisation croissante des branches du droit placent nos institutions devant des problématiques parfois
assez complexes. Dans ce contexte, la méthode de la comparaison des constitutions et de la jurisprudence des cours revêt une importance capitale. À travers le thème de la suprématie de la Constitution, nous aborderons un large éventail de questions relatives à l’application de la Constitution en droit interne, son effectivité, l’étendue du bloc de constitutionnalité, le statut du droit international dans la hiérarchie des normes, les questions inhérentes à l’influence du droit international sur la jurisprudence constitutionnelle et à la façon dont les cours exercent le contrôle de conformité des lois par rapport aux normes de droit international, notamment celles relatives aux droits humains. À ce propos, nous tenons à remercier vivement le professeur Mathieu Disant, qui a bien voulu assumer la lourde tâche de rapporteur des travaux du Congrès.
Excellence, mesdames et messieurs, tout en formulant mes vœux les plus chaleureux pour la réussite de nos travaux, je voudrais réitérer mes sincères remerciements et mes sentiments de gratitude à tous ceux qui ont contribué à la réussite de ce Congrès. Merci pour votre aimable attention.
Allocution de Christophe Guilhou
Directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme de l’Organisation internationale de la Francophonie
Excellence,
Madame Simonetta Sommaruga, présidente de la Confédération suisse,
Monsieur Gibert Kolly, président du Tribunal fédéral suisse,
Monsieur Mohamed Achargui, président de l’ACCPUF, président du Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Madame la secrétaire générale de l’ACCPUF,
Honorables invités,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de participer à l’ouverture des travaux du septième congrès de l’ACCPUF, l’un des plus dynamiques réseaux de la Francophonie. Nous sommes en particulier heureux de le faire à Lausanne, une charmante ville qui a déjà accueilli tant de manifestations francophones. Un déplacement officiel prive Madame Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie, d’être à vos côtés ce matin. Sachez qu’elle a hâte de prendre connaissance des conclusions de nos travaux, dont le programme si riche donne la mesure
des ambitions et objectifs recherchés ensemble. Madame la Secrétaire générale m’a demandé de vous lire le message qu’elle vous a adressé ce matin :
« Permettez-moi tout d’abord de saluer la présence de son Excellence, Madame Simonetta Sommaruga, présidente de la Confédération suisse, à
cette cérémonie. Je tiens à lui exprimer mes remerciements personnels pour son engagement, son soutien ainsi que celui de l’ensemble des autorités de la Suisse, qui ont permis la tenue dans d’excellentes conditions de ce Congrès. Cela témoigne de votre attachement à l’ACCPUF et à la Francophonie de manière générale. Je voudrais ensuite rendre hommage au Tribunal fédéral suisse, avec à sa tête Monsieur Gilbert Kolly, son Président, pour les excellentes conditions de préparation de ce Congrès. Je présente toutes mes félicitations au bureau sortant de l’ACCPUF, avec à sa tête le Président Achargui du Royaume du Maroc, pour la qualité du travail et les excellentes relations de concertation au plus haut niveau avec la Francophonie. Enfin, je ne voudrais pas terminer sans évoquer l’immense travail de coordination effectué par le Secrétariat de l’ACCPUF à Paris, mené par Madame Caroline Pétillon et son équipe avec le soutien de Monsieur le Président Jean-Louis Debré du Conseil constitutionnel français. »
Madame la présidente de la Confédération, mesdames et messieurs, j’ai pu mesurer depuis ma prise de fonctions en janvier dernier le rôle fondamental et la place de l’ensemble des juridictions membres de ce réseau pour conforter au quotidien l’État de droit et la démocratie dans l’espace francophone. Qui mieux que vous, juges constitutionnels, pour parler de la suprématie de la Constitution ? Qui mieux que vous pour connaître dans les plus petits détails les constitutions de vos pays respectifs ? Vous êtes en effet sollicités au quotidien par les hautes institutions de l’État, par les partis politiques, parfois directement par les citoyens, qui témoignent de plus en plus un attachement et une appropriation très forte aux constitutions. Votre légitimité vient de cette grande conviction que la Constitution est une source inépuisable de paix, un instrument qui permet notamment de résoudre les conflits interinstitutionnels, d’assurer la gestion du contentieux électoral, de promouvoir le respect des droits de l’homme et de donner des avis pertinents et éclairés sur les règles et procédures à suivre par les pouvoirs publics. Depuis 1997, date de la mise en place de l’ACCPUF, avec l’appui de la Francophonie, vous avez bâti progressivement une véritable communauté de la justice constitutionnelle francophone. Vous avez contribué à l’élaboration et à la mise en œuvre de la Déclaration de Bamako. Vous avez participé aux activités menées par l’OIF dans tous les aspects portants sur l’État de droit et la démocratie. Je salue cette contribution et vous encourage à continuer cette forme d’échanges de bonnes pratiques entre pairs, qui sont autant d’occasions de découvrir et exploiter, grâce aux jurisprudences produites par vos institutions respectives, toutes les potentialités que recèlent les constitutions francophones, et mieux ancrer ainsi la démocratie dans le fonctionnement de nos institutions. Je reste néanmoins très préoccupé par la persistance dans certains États membres de la Francophonie de crises liées aux différences de vues quant à l’interprétation et la mise en œuvre des dispositions de la Constitution, situations qui constituent des menaces graves à la paix, à la stabilité institutionnelle, et contredisent les valeurs communes de démocratie et de tolérance défendues par la Déclaration de Bamako adoptée en novembre 2000. Aussi, je saisis cette occasion pour lancer un appel au dialogue, à la recherche du consensus entre tous les acteurs de la vie nationale, partout où cela est nécessaire en Francophonie. J’appelle les États et gouvernements membres de notre organisation à mettre l’accent sur le renforcement des capacités et des moyens au profit de l’ensemble des institutions constitutionnelles, parce que je reste convaincu que la suprématie de la Constitution, thème bien choisi par votre Congrès, est la meilleure garantie de protection de la démocratie et de ses institutions, des citoyens et des États eux-mêmes.
Madame la Présidente, mesdames et messieurs les présidents, honorables participants, vous savez que la Francophonie est à vos côtés pour accompagner toutes vos initiatives visant à conforter l’État de droit et la démocratie. Elle sera toujours à vos côtés parce que vous êtes les sages gardiens de nos constitutions. Le bilan de notre programme de coopération est très positif. En plus du soutien apporté à plusieurs juridictions constitutionnelles par l’OIF, de nombreux juges constitutionnels ont accepté, dans le cadre d’un exercice de participation très apprécié, de contribuer aux missions électorales ou d’accompagnement de transition déployé par la Francophonie. Sachez que ma porte vous est toujours ouverte, chaque fois que vous aurez besoin de la Francophonie. J’ai demandé à la Direction de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme de continuer à apporter l’assistance multiforme dans le cadre du programme triennal 2015-2018. Je vous réitère une fois de plus la hâte que j’ai de lire les conclusions de votre Congrès auquel je souhaite un plein succès.
Allocution de Simonetta Sommaruga
Présidente de la Confédération suisse
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les présidents de juridictions constitutionnelles,
Mesdames et Messieurs les juges,
Chers participants,
Tout d’abord, un grand merci aux musiciennes et musiciens. Parmi les nombreuses manifestations et festivités auxquelles je suis appelée à participer en tant que membre du gouvernement suisse, certaines resteront à jamais gravées dans ma mémoire. C’est assurément le cas de la cérémonie pour l’adoption de la nouvelle Constitution de la Tunisie, l’an dernier. Cette Constitution proclame les grandes libertés individuelles et les principes essentiels qui fondent un État de droit démocratique. Elle est une étape essentielle de la transition du pays vers la démocratie. Ce qui m’a particulièrement impressionnée, ce sont les concessions importantes que tous les partis représentés au Parlement ont concédées, pour qu’il soit finalement possible de parvenir à un accord sur un texte commun. Ce processus illustre un point de vue que je répète souvent : le compromis est un signe de force et non de faiblesse. Le soutien que la Suisse apporte à la transition démocratique de la Tunisie, depuis les bouleversements de l’année 2011, ne se limite pas à l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Nous avons aussi contribué à la création de 4 000 emplois et à la construction d’infrastructures pour l’alimentation en eau. À sa manière, la Constitution est une infrastructure. Le mot « constitution », comme « établissement » et « stabilité », vient du latin stare, qui signifie « se tenir debout » ou « rester en place ». La Constitution permet donc aux choses de rester en place. Elle est le fondement de l’État de droit démocratique, et garantit la liberté et la stabilité. Le reste est bâti sur cette infrastructure. La stabilité d’une Constitution vient du fait qu’elle soit plus complexe à réviser que d’autres textes de loi. C’est ce qui lui donne sa primauté sur le reste du droit.
Permettez-moi de mentionner ici quelques particularités de la Suisse et de sa Constitution. En Suisse, toute révision de la Constitution nécessite l’accord du peuple et des 26 cantons qui forment la Confédération. Notre Constitution est donc relativement difficile à réviser. Dans la pratique, cependant, elle est assez souvent modifiée.
Nous avons une autre particularité : le Tribunal fédéral est, certes, la Cour suprême de la Suisse, mais pas la seule instance chargée de veiller au respect de la constitutionnalité. Les constitutions des cantons, par exemple, sont examinées par le Parlement fédéral, qui décide de leur compatibilité avec la Constitution fédérale. C’est aussi le Parlement qui décide si une initiative populaire est valable et peut être soumise au vote du peuple et des cantons. Malgré ces particularités, le Tribunal fédéral apporte une contribution essentielle à la protection de la Constitution et à son développement. Depuis les années 50, il a reconnu de nombreux droits fondamentaux qui n’étaient pas explicitement mentionnés dans l’ancienne Constitution de 1874, par exemple le droit de propriété, la liberté d’opinion ou la liberté de la langue. Ce n’est que dans la Constitution de 1999 que ces droits fondamentaux ont été inscrits en bonne et due forme. D’un autre côté, le Tribunal fédéral a toujours refusé, dans sa jurisprudence, de modifier la Constitution par interprétation des normes. En 1957, par exemple, lorsque seuls les hommes avaient le droit de vote en Suisse, notre cour suprême a refusé d’introduire le droit de vote des femmes, en s’appuyant sur le principe d’égalité garanti par la Constitution. Les femmes, qui avaient saisi la Cour, faisaient valoir que les textes applicables n’excluaient pas expressément les femmes, et pouvaient être adaptés à l’évolution des idées. Le Tribunal fédéral a considéré que le particulier qui voudrait attribuer à la norme un sens différent doit avoir recours non pas au juge mais au législateur. Le Tribunal fédéral ne se départit pas de cette retenue. Il y a quelques jours, il a ainsi refusé de reconnaître deux hommes comme étant les parents d’un enfant né d’une mère porteuse à l’étranger. La Constitution fédérale interdit en effet la maternité de substitution. Seul le père biologique de l’enfant peut donc être reconnu comme son père. Le couple en question a plaidé pour qu’il soit tenu compte de l’évolution de la société, et le Tribunal fédéral a répondu qu’il appartenait au législateur, et non au juge, d’adapter le cadre légal à l’évolution des valeurs de la société. Il a donc fallu une révision formelle de la Constitution pour accorder le droit de vote aux femmes, en 1971 seulement. Il faudrait aussi réviser la Constitution pour rendre légale la maternité de substitution. Les révisions constitutionnelles prennent donc un certain temps, parce qu’elles doivent recevoir l’aval du peuple et des cantons. Elles doivent être débattues avec toutes sortes de groupes d’intérêt.
Notre troisième spécificité est l’initiative populaire. De manière unique au monde, les citoyennes et citoyens suisses peuvent utiliser cet instrument de démocratie directe pour adopter une disposition de rang constitutionnel, sans que le Parlement ou le Gouvernement ne puissent intervenir de manière déterminante dans le processus. 100 000 citoyennes et citoyens peuvent soumettre au vote un article constitutionnel entièrement rédigé. S’il est accepté par le peuple et les cantons, il entre en vigueur le jour même du scrutin, une fois le résultat connu. Cet instrument est de plus en plus apprécié. Au cours du siècle dernier, 124 initiatives ont été soumises au vote. Pour les 15 années de ce siècle, nous en dénombrons déjà 71. Deux nouvelles propositions s’y ajouteront dans dix jours, concernant l’introduction d’une compétence fédérale pour l’attribution des bourses d’études et la création d’un impôt national sur les successions et donations. Ces questions complexes demandent une certaine réflexion de la part de celles et ceux amenés à se prononcer. Sur les 124 initiatives du siècle dernier, 11 ont été acceptées. Sur les 71 initiatives de ce siècle, 10 l’ont déjà été. Cependant, le nombre d’initiatives problématiques acceptées augmente également ; ces initiatives heurtent des valeurs fondamentales de notre Constitution ou vont à l’encontre d’engagements internationaux de la Suisse, et sont, de ce fait, difficiles à mettre en œuvre de manière satisfaisante. L’initiative sur les minarets en est un exemple, tout comme l’initiative contre l’immigration de masse qui a été acceptée l’an dernier. Les dispositions figurant désormais dans notre Constitution prévoient désormais que l’immigration doit être gérée par des plafonds et contingents, ce qui est incompatible avec le régime de la libre circulation des personnes introduit par les accords bilatéraux qui lient la Suisse à l’Union européenne. Une foule d’idées ont déjà été avancées sur la manière de réformer l’instrument de l’initiative populaire : augmenter le nombre de signatures requises, réduire le temps imparti pour les récolter, soumettre les initiatives à un examen au fond avant d’autoriser la récolte des signatures, étendre les motifs de nullité, et d’autres idées encore. Une proposition qui devrait intéresser plus particulièrement les juges constitutionnels que vous êtes consiste à introduire une juridiction constitutionnelle complète. En Suisse, les lois fédérales et les traités internationaux doivent en principe être appliqués même lorsqu’ils ne sont pas conformes à la Constitution. La proposition de remédier à cet état de fait en étendant la juridiction constitutionnelle est cependant loin de faire l’unanimité en Suisse. L’idée que des tribunaux soient chargés de vérifier la constitutionnalité de lois fédérales ou d’initiatives populaires suscite encore, en dehors des cercles de juristes constitutionnels, un grand scepticisme.
Comme vous le voyez, le Congrès que vous tenez sur la suprématie de la Constitution aborde un thème qui, dans notre pays, est une réelle actualité et d’une grande portée politique. Le droit comparé offre justement l’occasion de quitter les sentiers battus et de profiter de l’expérience d’autres pays, en particulier lorsqu’ils partagent les mêmes valeurs : la démocratie, les droits fondamentaux et la séparation des pouvoirs. Ces valeurs sont aussi évoquées et ainsi renforcées dans la Déclaration de Saint-Boniface et la Déclaration de Bamako de l’OIF. Votre Congrès contribue également à renforcer ces valeurs fondamentales de toute société démocratique.
Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur et le plaisir de vous transmettre les meilleures salutations et les bons vœux du gouvernement suisse. Merci.
Introduction par Caroline Pétillon
Secrétaire générale de l’ACCPUF, chef du service des relations extérieures du Conseil constitutionnel français
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les membres des cours et conseils constitutionnels ayant en partage l’usage du français,
Mesdames et Messieurs,
Je remercie tout d’abord le Tribunal fédéral suisse et ses équipes pour leur accueil très chaleureux et l’organisation de ce septième Congrès de l’ACCPUF. Je remercie aussi les 29 délégations présentes qui ont fait le déplacement pour cette rencontre. Le Mali et Madagascar m’ont chargée de vous transmettre leur regret de ne pouvoir être parmi nous aujourd’hui. J’aimerais également rappeler combien les partenariats que l’ACCPUF entretient avec l’OIF et la Commission de Venise restent essentiels et constructifs d’année en année.
Je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour Martine Anstett[1], notre amie et sous-directrice à l’OIF, qui nous a quittés si brutalement il y a quelques semaines, qui nous manque terriblement et qui aurait dû être parmi nous aujourd’hui.
Nos débats, durant ces deux jours, vont traiter de la suprématie de la Constitution, qui va être déclinée à travers trois tables rondes. La première concerne le statut de la Constitution et du droit international dans la hiérarchie des normes, la deuxième traite de l’étendue et de l’effectivité du contrôle de constitutionnalité dans l’ordre interne et la troisième aborde les situations de conflit ou de concurrence entre la Constitution et les normes internationales.
Nous avons reçu 30 questionnaires, que notre expert Mathieu Disant – que je remercie vivement pour son travail – a analysés. Il vous communiquera sa synthèse au terme de nos travaux. Toutes vos institutions contribuent à l’État de droit. Sans Constitution, il n’y aurait pas de justice constitutionnelle et de démocratie. La réciproque est vraie. Je nous souhaite des débats riches et constructifs durant ces deux jours.
Je vous remercie.
1ère session de travail : Le statut de la Constitution et du droit international dans la hiérarchie des normes
Session présidée par Kassoum Kambou, président du Conseil constitutionnel du Burkina Faso
Mesdames et Messieurs, bonsoir. Nous allons débuter cette première session, qui verra les interventions proposées par trois intervenants sur notre thème. Avant cela, Monsieur Mathieu Disant nous fera la synthèse du questionnaire auquel nous avons eu à répondre. À l’issue des interventions, nous aurons des échanges avec l’ensemble de la salle. Merci pour votre attention.
-
[1]
Martine Anstett, disparue le 29 avril 2015, était à la tête de la division des droits de l’homme à l’OIF. Son engagement en faveur des droits de l’homme tout au long de sa vie a été exceptionnel. [Retour au contenu]
Synthèse des réponses au questionnaire
Mathieu Disant, professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF
Cette synthèse, comme les deux suivantes, est réalisée à partir des trente réponses adressées par les destinataires du questionnaire. Bien entendu, elle ne peut rendre compte de la grande diversité des situations des Institutions membres de l’ACCPUF. Il s’agit de restituer les réponses apportées par les Cours, le plus fidèlement possible, mais aussi le plus brièvement possible – deux exigences souvent contradictoires.
La richesse de ces questionnaires permet de dresser quelques lignes forces, mais aussi des points de distinction, quant au statut respectif ou réciproque, distinct ou enchevêtré, de la Constitution et du droit international dans la hiérarchie des normes, telle que vous la mettez en œuvre.
1. La position de la Constitution ne laisse guère d’ambiguïté.
1.1. Dans la majorité des systèmes examinés, la Constitution contient une disposition déterminant de façon explicite son rang normatif et son efficacité juridique.
Cette disposition peut être insérée, soit dans le corps du texte constitutionnel (ce qui le plus courant), soit dans son préambule (Algérie, Monaco), ou encore dans les deux à la fois (Bénin, Bulgarie, Maroc). Cette mention peut aussi figurer dans les dispositions constitutionnelles transitoires, en particulier lorsqu’est inscrite l’inapplicabilité des dispositions des lois adoptées avant l’entrée en vigueur de Constitution (Bulgarie).
Il n’y a pas de rédaction typologique sur ce point : la disposition constitutive – si l’on ose la qualifier ainsi – peut se loger aussi bien au début ou à la fin du texte constitutionnel. Les constitutions les plus récentes ont toutefois tendance à privilégier la première option, moyen d’affirmer de façon plus directe la suprématie de la Constitution.
Cette suprématie est différemment formulée. La Constitution est instituée comme :
- « la loi suprême » (Canada, Moldavie, Roumanie) ;
- loi supérieure (Albanie)
- loi fondamentale (Algérie) ;
- « la loi des lois » (Bulgarie) qui ajoute que cette suprématie est « totale et universelle » ;
- « la loi suprême de l’État » (Bénin, Monaco, Niger), le cas échéant « loi suprême du Royaume » (Cambodge, Maroc), ou sous une autre dénomination : « norme suprême de l’ordre juridique » (Andorre), « loi suprême que les autres lois ne sauraient contredire » (Bulgarie).
Parmi les différentes justifications, la Constitution est dite suprême :
- en tant qu’elle organise le fonctionnement de l’État démocratique (Andorre), qu’elle est source de légitimité de l’exercice des pouvoirs (Algérie), qu’elle énonce les grandes valeurs sur lesquelles repose l’État (Bulgarie) ;
- suprême aussi, en tant qu’elle s’impose à tous les pouvoirs publics et aux citoyens (Andorre, Bulgarie), ces derniers ayant « l’obligation absolue de respecter, en toutes circonstances, la Constitution » (Niger) ;
- suprême encore, parce qu’elle est au-dessus de toutes les autres normes (Algérie, Cameroun), lesquelles « doivent (lui) êtres absolument conformes » (Cambodge), leur « validité dépend de la conformité à la Constitution » (Guinée Bissau) ; La Constitution de la République du Mozambique prévoit que « les normes constitutionnelles prévalent sur toutes les autres normes du système juridique » ;
- suprême, enfin, en tant que la Constitution est « au sommet de l’ordre juridique interne » (selon la formule retenue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel français).
1.2. Il faut toutefois noter que toutes les constitutions ne déterminent pas explicitement leur rang normatif. Certaines le font de manière implicite ou incidente. C’est le cas en Belgique, au Congo, aux Comores, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Liban, à Madagascar, en Slovénie, au Togo, en Suisse.
La suprématie repose alors sur différents types d’insertion normative :
- il peut s’agir d’une disposition habilitante, qui prévoit par exemple que tous les pouvoirs sont exercés de la manière établie par la Constitution (Belgique), ou qui dispose que la source de toute légitimité découle de la constitution (Burkina Faso) ;
- il peut s’agir d’une règle de subordination, prescrivant le caractère exécutoire de la Constitution ou une obligation de conformité des autres actes juridiques (Slovénie), ou mentionnant, selon une approche négative, l’inapplicabilité (Congo), l’effet abrogatif (par ex. Belgique) ou plus simplement l’absence d’effet juridique (Moldavie) des actes qui lui sont contraires, ou à l’égard de laquelle ils sont incompatibles (Canada) ;
- cette suprématie peut aussi reposer sur l’affirmation selon laquelle « les dispositions de la Constitution ont un effet direct » (Bulgarie), ou celle selon laquelle « les droits de l’homme et les libertés fondamentales s’exercent directement sur la base de la Constitution » (Slovénie) ;
- ou encore par l’affirmation de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal, qui fait obstacle à l’adoption ou à l’application des règles qui éludent ou contredisent le sens ou l’esprit des prescriptions de la Constitution fédérale Suisse.
À quoi il faut ajouter deux considérations, souvent citées dans vos réponses :
- d’une part, la protection de l’ordre constitutionnel établi pour que les accords internationaux puissent faire partie de l’ordre juridique interne (not. Bulgarie, Tunisie) ;
- d’autre part, l’existence d’une procédure propre à la révision de la Constitution, ce qui renvoie au degré de rigidité des constitutions.
D’une certaine façon, c’est tout le contenu de la Constitution qui justifie sa suprématie, toute la longue tradition juridique du constitutionnalisme. Certaines cours soulignent que la suprématie de la Constitution s’enracine dans le principe de l’édification de l’État de droit (Bulgarie), comme il va de concert avec la primauté du droit (« rule of law ») au Canada et en Tunisie (cette primauté ayant été inscrite à l’article 2 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014).
En particulier, l’instauration du contrôle de constitutionnalité et l’organisation des compétences (contentieuses et/ou de régulation) confiées à vos cours témoignent, pour reprendre l’expression de la Tunisie à propos de l’ins tance provisoire (IPCCL) puis définitive Cour constitutionnelle, de « la prévalence des dispositions constitutionnelles sur les autres sources de droit positif ». La Moldavie fait aussi observer que « l’efficacité juridique de la Constitution est déterminée par ses propriétés juridiques, notamment par le fait que la Constitution dispose d’un pouvoir juridique suprême dans le système de droit, garanti par le mécanisme de contrôle de la conformité des lois et des actes normatifs à l’acte suprême ».
1.3. Il n’existe pas de normes de droit interne supérieures à la Constitution. Cela revient comme un leitmotiv dans vos réponses : rien n’est placé au-dessus de la Constitution. Sous cet angle, la valeur supra-constitutionnelle est étrangère au droit constitutionnel positif et ne dépasse pas le plan des discussions théoriques. La Suisse fait observer le déclin de l’idée même d’un ordre normatif supra-constitutionnel, plus souvent défendue par le passé.
Pour atténuer cette apparente unanimité, on doit évoquer trois tempéraments. D’une part, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Moldavie retient de façon originale que la Déclaration d’indépendance de la République de Moldavie constitue le fondement juridique et politique originaire et contraignant de la Constitution. Aucune disposition de la Constitution ne peut enfreindre les dispositions contenues dans cette Déclaration. En cas de contrariété, c’est bien le texte constitutionnel originaire de la Déclaration qui prévaut, qui a pu ainsi être considéré comme « supraconstitutionnel ».
Par comparaison, cette solution a été rejetée en Belgique au sujet des textes adoptés avant la Constitution par le Congrès national (qui est aussi le Constituant originaire), l’un relatif à l’indépendance du peuple belge, l’autre relatif à l’exclusion des membres de la famille Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique.
D’autre part, la question de la supra-constitutionnalité est parfois moins catégorique en relation avec certaines normes. Le cas du Canada mérite une attention particulière à cet égard. Depuis 1998 et le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême a articulé à l’ordre constitutionnel des principes qualifiés de « sous-jacents ». On en dénombre quatre : le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et le respect des minorités. Selon les termes de la Cour, ces principes « ressortent de la compréhension du texte constitutionnel lui-même, de son contexte historique et des diverses interprétations données par les tribunaux en matière constitutionnelle ». Ce sont donc des éléments de l’ordre constitutionnel qui ont plein effet juridique, c’est-à-dire, selon la Cour, qu’ils peuvent donner naissance à des « obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises ». Ces principes ne sont donc pas simplement descriptifs, ils sont aussi investis d’une force normative puissante qui conduit à les voire comme des méta-principes constitutionnels, auxquels la Cour suprême a fait référence encore récemment.
Enfin, nombre de vos cours concède que ni la Constitution, ni la jurisprudence n’ont une approche claire et figée sur la question de prévalence de certains droits, principes ou valeurs, au sein de la Constitution. Certaines cours admettent d’une façon ou d’une autre la place, tantôt éminente, tantôt inférieure, de certains principes :
- le Maroc évoque, pour le premier cas, l’introduction de nouveaux principes de valeur constitutionnelle qui constituent « les soubassements du régime constitutionnel marocain de 2011 », parmi lesquels notamment l’indépendance de la justice, la sincérité et la transparence des élections, la bonne gouvernance, la religion musulmane modérée, la décentralisation territoriale, ainsi que la parité entre les hommes et les femmes… ;
- le Canada souligne, quant à lui, que la jurisprudence constitutionnelle relève de la constitution « non écrite » ; il s’en déduit qu’elle est de hiérarchie inférieure aux deux sources de droit constitutionnel écrit (que sont les textes formellement constitutionnels, et lois ordinaires à statut constitutionnel).
Ceci étant, la très large majorité des cours ne reconnaît aucune distinction entre les différents types de normes constitutionnelles, ni à l’intérieur, ni en dehors d’elle-même (Algérie, Andorre, Belgique, Burkina, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, France, Gabon, Liban, Madagascar, Moldavie, Monaco, Niger, Roumanie, Tchad, Togo, Suisse). Toutes les normes constitutionnelles sont alors d’égale valeur, y compris celles contenues dans le préambule. Précisons que lorsque ce dernier existe (ce qui n’est pas le cas notamment en Belgique et en Roumanie), son statut de norme directement ou indirectement efficiente est à peu près stabilisé partout.
Précisons également que l’absence d’échelle de prévalence ne signifie pas identité de protection. Comme l’a exposé le Tribunal constitutionnel d’Andorre, les droits constitutionnels ont potentiellement « une efficacité différente selon leur contenu normatif, du fait de leur situation systématique et, même, par rapport au cas concret auquel ils s’appliquent ».
Point de supra-constitutionnalité, ni d’intra-constitutionnalité, donc. Mais alors :
2. Quels sont le statut et la place des normes internationales dans vos ordres internes ?
La liste des textes internationaux concernés est dense. Dans la panoplie des textes garantis par vos constitutions, figure notamment : la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (ONU I), celui relatif aux droits civils et politiques (ONU II), la Charte internationale des droits de l’homme, mais aussi le cas échéant la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 adoptée par l’Organisation de l’Unité africaine.
Sans aucune exhaustivité, on trouve là un corpus commun, que l’on peut dire standardisé, de protection des droits humains. Ce qui fait écho à l’incorporation dans les textes constitutionnels des « principes de droit international universellement reconnus » (Andorre) ou des « principes généraux du droit international » (Monaco). Bien entendu, on rappellera que les dispositions de droit international lient les États lorsque les traités qui les prévoient sont dûment ratifiées et publiées, et soumise à une règle de réciprocité, toutes conditions dont la mise en œuvre technique varie selon les systèmes et qui font l’objet d’un examen par vos cours ou, le cas échéant, d’autres juridictions.
Il est évident que l’insertion dans la Constitution de ces traités, accords ou conventions procède d’une volonté parfois très forte d’intégration mondiale. Un chiffre peut l’illustrer : pas moins de 35 articles sur les 139 que compte la Constitution du Cambodge y font mention ! Soit plus d’un quart des dispositions. De même, les conventions internationales des droits de l’homme bénéficient d’une attention toute particulière au sein des réformes constitutionnelles récentes intervenues, par exemple, au Maroc et en Tunisie.
Dans l’ensemble, vos constitutions – ou vos jurisprudences – ont résolu parfois en détail les rapports avec le droit international, en définissant les limites à l’intégration de l’État dans un ordre international et autres « clauses de sauvegarde » ; en définissant aussi les procédures d’insertion des normes internationales dans l’ordre juridique interne et les compétences des organes respectifs dans ce domaine. Qu’en ressort-il ?
La valeur supra-législative du droit international n’est pas ou plus véritablement discutée, même si tous les textes constitutionnels ne sont pas explicites sur ce point. Deux questions principales se posent : d’une part, celle de l’infériorité constitutionnelle du droit international ; d’autre part, celle de l’intégration de la normativité internationale protégeant les libertés au contrôle opéré par la Cour constitutionnelle.
2.1. Sur le premier point, on peut retenir que la Constitution prime sur les normes de droit international. Les traités internationaux ratifiés occupent presque toujours une place infra-constitutionnelle.
Au Canada, la réponse est absolue, en raison de la séparation des deux sphères juridiques. En cas de conflit, c’est très clairement la norme constitutionnelle – en tant qu’elle est interne – qui va primer, ou du moins être favorisée. C’est la supériorité du droit interne dans son ensemble, et non seulement constitutionnel, qui est retenue. Autrement dit, le droit international n’est pas plus contraignant que le droit étranger.
À l’inverse, en Suisse ou aux Comores, la conception largement admise est celle d’une primauté du droit international sur le droit interne. La Constitution fédérale Suisse ne mentionne pas de règle de conflit, c’est-à-dire qu’elle n’indique pas comment résoudre un conflit entre norme de droit international et une règle de droit interne ; de sorte que, qu’est laissée ouverte la possibilité d’exceptions à la primauté internationale dans certains cas. Il semble admis que le droit international l’emporte seulement lorsqu’une contradiction insurmontable est constatée par le Tribunal fédéral.
La règle de primauté constitutionnelle est valable concernant le droit de l’Union européenne. À cet égard, le Conseil constitutionnel français estime que la place particulière de ce droit ne remet pas en cause la place de la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes.
Il n’y a qu’en Belgique que la suprématie de la Constitution sur le droit international offre une controverse jurisprudentielle, puisque la solution apportée est différente selon que l’on examine la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et celle de la Cour de cassation.
Depuis 1991, la Cour constitutionnelle estime, dans le cadre du contrôle des textes d’assentiment, que le droit des traités occupe une place inférieure à la Constitution dans la hiérarchie des normes. La Cour juge aussi qu’une inconstitutionnalité entachant une norme interne de valeur législative ne peut être justifiée par la circonstance que cette norme se limite à donner exécution d’une convention internationale : cette circonstance ne dispense pas le législateur de respecter les dispositions constitutionnelles.
En revanche, la Cour de cassation a jugé, en 2004, qu’un traité ayant effet direct avait primauté sur la Constitution. Elle a jugé que lorsque la Constitution ne pose pas plus d’exigences que la disposition conventionnelle, un contrôle de la loi à la lumière de la convention suffit ; un contrôle ultérieur de la loi à la lumière de la Constitution étant alors sans pertinence. Elle en a conclu qu’elle n’était pas tenue, dans cette hypothèse, de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
2.2. Sur la question de l’intégration de la normativité internationale au contrôle de la cour, la situation est contrastée, presque paritaire.
Parmi les cours qui refusent d’exercer un contrôle de conventionnalité, on peut citer : Andorre, Algérie, Cambodge, Canada, Congo, Côte d’Ivoire, Liban, Maroc, Monaco, Niger, RDC, Tchad, Tunisie.
Dans ce cas, le droit international ne fait pas formellement partie des normes de références utilisées par ces cours dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. Celles qui retiennent cette expression précisent que le droit international ne fait pas partie du « bloc de constitutionnalité ». Autrement dit, même si cela peut couvrir des réalités fort différentes, il n’est pas un paramètre direct du contrôle de constitutionnalité
C’est le cas au Canada. À l’instar des autres pays de tradition juridique anglosaxonne de common law, le Canada adhère au modèle dit « westphalien » des relations internationales, avec son idée-structure de la souveraineté des États. Il faut, dès lors, parler d’interaction (et non d’intégration) du droit international avec le droit interne canadien puisque – encore une fois – il existe deux réalités juridiques séparées et distinctes ou, pour emprunter au langage mathématique, deux ensembles non intersectants. Le mandat constitutionnel de la Cour est d’appliquer le droit canadien, pas le droit international.
C’est le cas aussi en France. Depuis sa décision Interruption volontaire de grossesse de 1975, le Conseil constitutionnel juge qu’il ne lui « appartient pas (…) d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international ». Cette solution a été constamment rappelée par le Conseil constitutionnel tant dans le cadre du contrôle a priori que dans le cadre du contrôle a posteriori depuis l’instauration de la Question prioritaire de constitutionnalité.
À l’inverse, d’autres cours utilisent les normes internationales comme référence : Albanie, Algérie, Bénin, Bulgarie, Burkina, Comores, Guinée, Madagascar, Roumanie, Slovénie, Togo, Suisse.
En Albanie, la Convention européenne des droits de l’homme a une valeur constitutionnelle à titre de référence directe dans la Constitution. Une démarche comparable peut s’observer au Congo, Guinée Bissau, Mozambique, Tchad, Togo.
Au Bénin, la Cour constitutionnelle utilise comme normes de référence la convention régionale de protection des droits fondamentaux, et le cas échéant d’autres traités, pour s’appuyer par exemple sur des normes économiques et financières internationales, ou sur des normes internationales relatives aux droits fondamentaux des travailleurs.
Au Burkina, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Niger, à Madagascar mais aussi au Liban, il est considéré que cette intégration vaut pour les textes internationaux visés dans le préambule de la Constitution. Cette référence expresse vaut opérabilité de l’instrument dans le débat de constitutionnalité. On fera observer que la question se pose en ces termes dans le cadre de la Constitution tunisienne : l’attachement des constituants « aux principes universels des droits de l’homme » au sein du préambule semble pouvoir être interprété comme permettant de les intégrer dans le « bloc de constitutionnalité » comme le suggère la réponse au questionnaire.
En Slovénie, tous les traités internationaux et les principes généraux du droit international font partie du bloc de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle peut appliquer d’office des normes internationales même si les parties à la procédure constitutionnelle ne les invoquent pas. Au sens large, la Cour se réfère également aux principes généraux du droit international, y compris le droit coutumier, comme elle se réfère également aux « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ».
En Belgique, c’est de façon indirecte que le droit international des droits de l’homme fait partie du « bloc de constitutionnalité » (quoique cette notion y soit peu usitée). La Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions internationales, mais la Cour a développé deux techniques lui permettant d’associer et de combiner les dispositions de droit international et les dispositions constitutionnelles.
D’une part, à travers le prisme du principe d’égalité, la Cour a fait entrer dans les normes de contrôle qu’elle utilise toutes les dispositions de droit international établissant des droits ou des libertés. D’autre part, la Cour combine les dispositions constitutionnelles garantissant des droits et libertés et les dispositions de droit international protégeant les droits et libertés analogues.
La Cour belge opère donc, à la faveur du contrôle de constitutionnalité, un contrôle de conventionnalité des dispositions de valeur législative, fédérales et fédérées ; dont les détails seront présentés par le président Alen.
2.3. Je terminerai en précisant très succinctement que certaines sources internationales bénéficient d’une place particulière au sein de la Constitution.
Celles inscrites au préambule, bien entendu, et dont le constituant souligne ainsi son attachement. Et plus encore celles qui, parmi elles, font l’objet, en propre, d’une disposition itérative. Par exemple, selon les termes de la Constitution du Bénin, les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – déjà mentionné au préambule – font partie intégrante de la Constitution et du droit béninois.
D’autres normes internationales bénéficient d’un véritable statut spécifique au plan constitutionnel. C’est le cas en Guinée Bissau, s’agissant de la Déclaration universelle des droits de l’homme, laquelle bénéficie d’un statut supra-constitutionnel qui lui confère primauté lorsqu’elle s’avère plus libérale que la Constitution. C’est le cas aussi, dans une certaine mesure, de disposition qui, comme celle de l’article 5 de la Constitution tunisienne, énonce un objectif d’unité du Magreb arabe.
C’est le cas surtout à l’égard des dispositions constitutionnelles prévoyant des obligations qui découlent de l’adhésion à l’Union européenne, ordre juridique international plus intégré. L’article 148 de la Constitution roumaine, les articles 88-1 et 88-2 de la Constitution française ou encore l’article 3a de la Constitution slovène traduisent, avec quelques nuances, cette spécificité. Ainsi, la Cour constitutionnelle slovène a précisé, sur cette base, que les principes fondamentaux qui définissent la relation entre le droit interne et le droit de l’UE sont aussi des principes constitutionnels ayant la même force obligatoire que la Constitution.
Enfin, concernant le contrôle des lois de transposition des directives européennes – qui ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France – le Conseil constitutionnel français accepte de déclarer non conforme à la Constitution une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer.
Ces éléments permettent de situer les relations entre la Constitution et le droit international, avant qu’elles ne soient approfondies par les différentes interventions de cette session.
Le droit international dans l’ordre interne, approche générale et comparée
Laurence Burgorgue-Larsen, présidente du Tribunal constitutionnel d’Andorre
Il est devenu banal aujourd’hui de mentionner la dialectique d’internationalisation des constitutions et de constitutionnalisation du droit international, d’évoquer les liens et même les interactions des deux versants constitutionnel et international du droit public. Ceux-ci se matérialisent par l’existence de clauses « passerelles » aux allures et aux fonctionnalités variées. L’effervescence doctrinale est aujourd’hui à son comble sur la planète pour décrire ce nouveau phénomène, qui pourrait laisser croire qu’il s’agit d’un champ de recherche neuf. Ce serait là une grave erreur.
Un auteur visionnaire, Boris Mirkine-Guetzevitch, avait déjà mis en exergue, avant-guerre, les relations entre le droit international et le droit constitutionnel pour imaginer un droit public unifié. Ce chantre de l’unité du droit public conçut le droit international et le droit institutionnel comme intimement liés. Il estimait que l’unité du droit public, envisagée comme une tendance historique, permettait de dépasser les disputatio entre monistes et dualistes. La « conscience juridique des peuples », disait-il, c’est-à-dire la démocratie réalisée par le droit, pour et par la volonté populaire, participait en quelque sorte à la démocratisation du droit constitutionnel, et ce faisant, à la démocratisation du droit international. Autrement dit, Boris Mirkine-Guetzevitch pensa l’idée d’un droit international qui n’aurait pas été entièrement « statocentré », mais « anthropo-centré ». Son approche méthodologique fut celle du droit comparé. Il écrivit des ouvrages entiers consacrés à ce qu’il a appelé le droit constitutionnel international, c’est-à-dire les clauses qui, figurant au sein des constitutions, traitaient du droit international.
De nos jours, dans le contexte de la mondialisation, on parle d’ouverture et d’internationalisation des constitutions nationales. C’est cette dénomination qui emporte l’intérêt doctrinal. Je souhaiterais aujourd’hui élargir la perspective sur trois continents, l’Afrique, l’Amérique latine et l’Europe, afin de montrer les points d’achoppement et de ressemblance entre ces différents constitutionnalismes et la place du droit international.
S’agissant de la place du droit international dans l’ordre interne, il est remarquable que les néo-constitutionnalismes latino-américains et africains recèlent plus d’originalités que le constitutionnalisme moderne européen. S’agissant de ce dernier, cela ne peut surprendre, étant donné qu’il fut le premier à voir le jour, immédiatement après-guerre. Les néo-constitutionnalismes africains et latino-américains, plus récents, ont pris acte de plusieurs avancées normatives. La différence temporelle d’implantation a eu des conséquences sur le degré et la nature de l’internationalisation des constitutions dans les trois continents. Si le droit international général brille de tous ses feux dans les constitutions européennes, il ne mentionne pas – ou très peu – une branche spécifique, qui est le droit international des droits de l’homme. Or, là réside l’originalité du constitutionnalisme africain et latino-américain.
I. Le classicisme européen
Je dirai tout d’abord quelques mots sur le classicisme du constitutionnalisme moderne européen. J’estime que le constitutionnalisme d’après-guerre en Europe est « classique » dans la mesure où il s’agit de la première vague du constitutionnalisme moderne. S’il a pris très au sérieux la protection des droits fondamentaux, cela n’a pas conduit à une appréhension spécifique du droit international des droits de l’homme au sein des constitutions européennes. Cette branche n’est au demeurant jamais dissociée du droit international général. Nous observons en Europe une prégnance du droit international général et une rareté du droit international des droits de l’homme. Le droit international général est rappelé au regard de son rang dans les constitutions européennes. La première question qui surgit en effet lors de l’étude des constitutions européennes est le rang du droit international et ses fonctionnalités dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, et en particulier pour le contrôle a priori des traités internationaux. En général, la problématique se limite à définir la valeur – législative ou supra-législative et infra-constitutionnelle – attribuée aux traités internationaux au sein des constitutions. Une variante de l’analyse consiste à s’interroger sur la nature, dualiste ou moniste, du système.
En Europe, on n’accorde point de valeur supra-constitutionnelle ou même constitutionnelle aux conventions internationales. Est-ce à dire qu’aucune constitution européenne ne mentionne le droit international des droits de l’homme ? Le constitutionnalisme d’après-guerre serait-il hermétique à la dimension humaniste de la protection des droits ? Pas tout à fait. L’histoire de chaque pays démontre qu’une place lui a été accordée. Elle provient non pas de son rang, mais de son fonction herméneutique. Si sept pays sur les quarante-sept États membres européens faisant partie du Conseil de l’Europe, disposent de clauses d’interprétation conformes (la Roumanie, l’Espagne, le Portugal, le Kosovo, la Moldavie, la Bosnie Herzégovine et le Royaume-Uni), il y a la marque de l’histoire (par l’élaboration de constitutions de rupture avec des passés autoritaires et avec des conflits armés internes) et de la singularité constitutionnelle comme au Royaume-Uni. Ces clauses enjoignent les juges constitutionnels à interpréter les droits fondamentaux à l’aune du droit international des droits de l’homme. En général, le point commun de ces clauses est qu’elles se réfèrent toutes à la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui n’est pas un traité, mais une résolution adoptée par l’ Assemblée générale, un texte de droit programmatique (du droit souple, soft law). En réalité, la Déclaration des droits de l’homme est devenue un socle éminemment universel de la protection des droits de l’homme. Les clauses portugaise et espagnole font de surcroît référence aux traités signés par l’État. Elles peuvent et doivent inspirer les juges constitutionnels dans l’interprétation des droits fondamentaux. La situation de ces pays est exceptionnelle. S’agissant du Royaume-Uni, avec le Human Rights Act de 1998, il a été enjoint à la Cour suprême britannique d’interpréter les droits britanniques à l’aune de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Royaume-Uni et le Kosovo se rejoignent sur ce point. On note ici une primauté axiologique accordée à la convention européenne.
Si on observe plus avant toutefois la place du droit international dans les constitutions européennes, on se rend compte qu’il comporte une spécificité, qui est celle de la place accordée au droit de l’Union européenne. Il existe en effet en Europe une constitutionnalisation du phénomène « intégratif » européen. La constitutionnalisation de l’intégration européenne est ancrée dans des clauses ad hoc (à l’instar de l’article 88-1 de la Constitution française), parfois nommées clauses « Europe », comme en Allemagne (article 23). Néanmoins, on ne peut parler pour autant de constitutionnalisation du droit international des droits de l’homme. Telle est la différence notoire avec les constitutionnalismes africains et latino-américain.
II. L’originalité africaine et latino-américaine
L’Afrique et l’Amérique latine ont connu d’importantes vagues de démocratisation à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Certains soubresauts, au Rwanda, au Burundi, en Angola, ainsi que le printemps arabes, ont permis l’adoption de nouvelles constitutions dans les années 2000. Quoi qu’il en soit, les sous-bassements africain et latino-américain de ce nouveau constitutionnalisme sont les mêmes qu’en Europe : consécration de l’État de droit par la séparation des pouvoirs et l’instauration de systèmes de justice constitutionnelle. La différence est l’existence d’un rapport singulier avec le droit international des droits de l’homme. Son importance se manifeste de deux manières : par le rang qui lui est attribué dans les constitutions d’une part, et par sa fonction herméneutique d’interprétation des droits fondamentaux d’autre part.
Le rôle du droit international des droits de l’homme en Amérique latine est très étendu. La première vague du constitutionnalisme latino-américain le démontre. Le paragraphe 22 de l’article 75 de la Constitution argentine du 22 août 1994, opère une distinction intéressante et révélatrice entre les traités et accords internationaux généraux ayant une simple valeur législative d’un côté, et neuf instruments internationaux de protection des droits de l’homme, auxquels il est accordé un rang constitutionnel, de l’autre. Le Venezuela a mis en place un système fondé sur l’article 23 de la Constitution de 1999, qui hisse le droit international des droits de l’homme au niveau constitutionnel. Tout éventuel conflit peut être réglé en accordant le primat aux « normes les plus favorables à la protection des êtres humains ». L’article 23 reconnaît en outre une applicabilité immédiate aux traités internationaux.
La deuxième vague du constitutionnalisme latino-américain, dans les années 2000, a vu la création soit de nouvelles constitutions, soit la réforme de constitutions déjà existantes. Au Mexique, une réforme très importante menée en 2011, a permis d’intégrer une référence explicite au droit international des droits de l’homme à l’article 1er de sa Constitution, sur la base d’arrêts de condamnation de la Cour interaméricaine des droits de l’homme à l’encontre du Mexique. Cela fait du droit international des droits de l’homme un « curseur » du contrôle de constitutionnalité. De véritables ruptures constitutionnelles ont eu lieu dans d’autres pays, comme la Bolivie ou l’Equateur, qui ont érigé le droit international des droits de l’homme à un rang supra-constitutionnel.
Le processus est identique en Afrique. Le rang du droit international des droits de l’homme dans la hiérarchie des normes est très intéressant. Le nombre de préambules des « jeunes » constitutions africaines mentionnant le droit international des droits de l’homme est élevé. Dans certains cas, il figure dans le texte même de la constitution. Je pense notamment à l’article 7 de la Constitution du Bénin, qui est l’emblème d’une ouverture maximale au droit international et régional africain. Une fois le droit international des droits de l’homme inséré au sein des préambules, qu’en est-il de leur valeur juridique ? De nombreux juges ont « juridictionnalisé » le préambule lorsque la constitution était muette. Dans d’autres cas, la constitution elle-même indiquait que le préambule faisait partie du texte constitutionnel, auquel cas la question ne se posait pas.
En Afrique, le droit international des droits de l’homme est également valorisé par sa fonction herméneutique. On découvre dans certains pays africains l’existence de clauses passerelles d’ouverture ou d’interprétation conforme. Je pense à l’Afrique du Sud, mais aussi à l’Angola ou au Cap Vert, dont les constitutions enjoignent les juges constitutionnels à interpréter les droits fondamentaux à l’aune du traité de protection internationale des droits de l’homme.
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Ce rapide tour d’horizon du constitutionnalisme moderne met en évidence un hiatus important entre l’Europe d’un côté, où le droit international des droits de l’homme est inexistant dans les constitutions « classiques » (adoptées après-guerre) et n’existe que dans de rares textes constitutionnels adoptés plus tardivement), et l’Afrique et l’Amérique latine de l’autre, où le droit international des droits de l’homme est devenu un curseur de la « fondamentalité » constitutionnelle. Au-delà de l’étude des textes, se pose bien entendu la question de la pratique judiciaire afin de savoir si les juges prennent au sérieux cette nouvelle donne…
La relation entre la Constitution belge et le droit européen
André Alen, président de la Cour constitutionnelle de Belgique
I) La Constitution belge ne contient pas de disposition générale et expresse relative à la relation entre la Constitution et le droit international. Il n’y a qu’une exception à cette règle, à savoir l’article 34 de la Constitution [1].
Cet article dispose : « L’exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué par un traité ou par une loi à des institutions de droit international public ».
Cette disposition a été insérée dans la Constitution en 1970 afin de justifier la participation de la Belgique et le transfert des pouvoirs aux Communautés européennes et à la Convention européenne des droits de l’homme.
II) En ce qui concerne la relation entre le traité et la loi, la Cour de cassation a comblé cette lacune. Dans un arrêt du 27 mai 1971 (Franco- Suisse Le Ski), la Cour de cassation a reconnu la primauté d’une norme de droit international ayant des effets directs dans l’ordre juridique interne sur la loi [2]. D’après la Cour de cassation, « [cette] prééminence résulte de la nature même du droit international conventionnel » [3]. Il s’agissait d’un point de vue moniste dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de justice [4].
La conséquence de cette jurisprudence est un contrôle diffus : chaque juge ordinaire ou administratif est obligé d’écarter l’application des dispositions législatives contraires à une norme de droit international qui a des effets directs dans l’ordre juridique interne.
III) Par contre, pour le contrôle de constitutionnalité des normes législatives, le Constituant a opté en 1980 pour un contrôle centralisé par la Cour constitutionnelle [5].
Cette Cour, instituée en dehors du pouvoir judiciaire, est exclusivement compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des normes législatives, statuant soit sur un recours en annulation introduit par le Gouvernement ou le Parlement de l’État fédéral ou d’une entité fédérée, ou par toute personne justifiant d’un intérêt à agir, soit sur une question préjudicielle à poser obligatoirement par chaque juge ordinaire ou administratif [6].
IV) La Cour constitutionnelle n’est pas habilitée à exercer un contrôle direct de la législation au regard du droit international et européen. Néanmoins, la Cour a développé deux techniques afin de contrôler indirectement la législation au regard des normes internationales [7].
A) La première technique repose sur les articles 10 et 11 de la Constitution qui interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine.
D’après la jurisprudence de la Cour à partir de 1989, le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination s’applique à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux resultant des conventions internationales liant la Belgique [8].
Pour les droits et libertés fondamentaux, le lien avec les articles 10 et 11 de la Constitution consiste en ce que lorsqu’un droit ou une liberté est retiré à une catégorie de personnes, alors que ce droit ou cette liberté reste garanti à toutes les autres personnes, le principe d’égalité est violé.
Le résultat de cette jurisprudence est que la Cour lit le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination en combinaison avec les droits et libertés garantis par les traités, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme, les Pactes des Nations-unies et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais aussi avec le droit primaire et secondaire de l’Union européenne.
B) La seconde technique a été développée par la Cour après l’extension de ses compétences en 2003, qui lui a permis d’exercer un contrôle de la compatibilité des normes législatives au regard du Titre II de la Constitution. Ce Titre garantit (presque) tous les droits et libertés fondamentaux.
Dans un arrêt de principe[9], la Cour a constaté que de nombreux droits fondamentaux garantis par le Titre II de la Constitution ont un équivalent dans un traité international liant la Belgique. Dans ce cas, les garanties constitutionnelles et les garanties conventionnelles constituent un ensemble indissociable. Il s’ensuit que, lorsqu’est alleguée la violation d’une disposition du Titre II de la Constitution, la Cour tient compte, dans son examen, des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues [10].
V) Les deux techniques précitées ont permis à la Cour constitutionnelle de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, dont les arrêts sont abondamment mentionnés et/ou cités [11].
De cette manière, la Cour constitutionnelle a pu donner aux garanties constitutionnelles, dont la formulation n’a, pour la plupart, pas été modifiée depuis 1831, une interpretation évolutive et contemporaine.
D’autres avantages sont : la certitude que le principe de la primauté de la protection la plus étendue soit respecté et la prévention de conflits entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence supranationale [12].
VI) Les deux contrôles mentionnés ci-dessus, à savoir, d’une part, le contrôle centralisé de constitutionnalité des normes législatives par la Cour constitutionnelle et, d’autre part, le contrôle diffus de conventionnalité des normes législatives par chaque juge ordinaire et administratif, a donné lieu à la problématique du « concours des droits fondamentaux » : un juge, devant lequel une partie soulève qu’une disposition législative viole un droit fondamental garanti tant par la Constitution que par une disposition conventionnelle analogue, doit-il poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, en application de la jurisprudence de celle-ci, ou peut-il lui-même contrôler la compatibilité de la norme législative avec la disposition conventionnelle, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation [13] ?
Le législateur spécial a résolu la question en 2009 en accordant une priorité de contrôle à la Cour constitutionnelle : hormis quelques exceptions (de l’acte clair ou de l’acte éclairé), le juge est tenu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité de la norme législative, et après une réponse négative à cette question, le juge est compétent pour contrôler la compatibilité de la norme législative avec la disposition conventionnelle [14].
Le législateur français s’est basé sur cette législation belge pour résoudre le même problème. Cette législation française a donné lieu au célèbre arrêt Melki et Abdeli de la Cour de justice [15]. Dans cet arrêt, la Cour de justice a dit pour droit que la procédure est conforme au droit européen, pour autant que le juge a quo puisse poser une question préjudicielle à la Cour de justice à chaque moment de la procédure et – surtout – qu’il reste compétent pour contrôler la compatibilité de la disposition législative avec le droit européen. On remarque que la Cour de justice a tenté de concilier les compétences des cours constitutionnelles avec le principe supérieur de l’unité et de la primauté du droit européen [16].
Bien que la législation belge relative au concours des droits fondamentaux ait été estimée compatible avec l’arrêt précité, l’article concerné – l’article 26, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle – a été modifié en 2014, notamment pour prévoir expressément la possibilité de poser des questions préjudicielles parallèles à la Cour de justice et à la Cour constitutionnelle [17].
VII) La relation entre la Constitution et le droit international et européen était et reste controversée [18].
A) Dans trois arrêts du 9 et du 16 novembre 2004, la Cour de cassation a jugé qu’un traité ayant effet direct a primauté sur la Constitution, à moins que celle-ci offre des garanties plus larges [19].
B) En revanche, la Cour constitutionnelle estime, dans une jurisprudence constante depuis 1991, que les traités occupent une place inférieure à celle de la Constitution [20].
En effet, un traité doit être approuvé par une norme législative émanant du législateur compétent. Les normes législatives par lesquelles un traité reçoit l’assentiment et – parce que ces normes prévoient que le traité produira ses pleins effets – le texte du traité lui-même, ressortissent intégralement au contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle. Ainsi, le législateur ne peut pas faire indirectement, par le biais de l’assentiment donné à un traité, ce qu’il ne peut faire directement, à savoir violer la Constitution.
Mais la Cour constitutionnelle fait preuve de retenue lors de ce contrôle : elle l’exerce en tenant compte de ce qu’il s’agit non d’un acte de souveraineté unilatéral mais d’une norme conventionnelle produisant également des effets de droit en dehors de l’ordre juridique interne [21]. Par conséquent, la Cour n’a, jusqu’à present, constaté aucune violation de la Constitution par un traité.
C) Il semble que la Cour constitutionnelle se soit écartée, dans un seul arrêt et à première vue, de la primauté de la Constitution [22].
Dans cet arrêt, la Cour a été interrogée sur le défaut d’un contrôle politique suffisant sur la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (le régulateur fédéral de l’énergie). Après avoir répondu qu’il existe bien un contrôle parlementaire, la Cour a jugé que « dans la mesure où ce qui précède ne suffirait pas (…), cette situation est justifiée, en vertu de l’article 34 de la Constitution, par les exigences découlant du droit de l’Union européenne », en particulier une directive qui ne laisse pas de marge de manoeuvre.
Récemment, la Cour a posé des limites à la primauté du droit européen dans son arrêt n° 62/2016 du 28 avril 2016, dont le considérant B.8.7 est libellé comme suit : « Lorsque le législateur donne assentiment à un traité qui [confie certaines compétences aux institutions de l’Union européenne], il doit respecter l’article 34 de la Constitution. En vertu de cette disposition, l’exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué par un traité ou par une loi à des institutions de droit international public. Il est vrai que ces institutions peuvent ensuite décider de manière autonome comment elles exercent les pouvoirs qui leur sont attribués, mais l’article 34 de la Constitution ne peut être réputé conférer un blanc-seing généralisé, ni au législateur, lorsqu’il donne son assentiment au traité, ni aux institutions concernées, lorsqu’elles exercent les compétences qui leur ont été attribuées. L’article 34 de la Constitution n’autorise en aucun cas qu’il soit porté une atteinte discriminatoire à l’identité nationale inhérente aux structures fondamentales, politiques et constitutionnelles ou aux valeurs fondamentales de la protection que la Constitution confère aux sujets de droit ». La Cour a donc assujetti la primauté du droit européen découlant de l’article 34 de la Constitution à certaines limites [23]. En effet, plusieurs auteurs ont déjà écrit que, s’il y a une hiérarchie, elle découle de l’article 34 de la Constitution, ce qui implique que, finalement, la Constitution est la norme suprême [24].
VIII) Bien que la Cour constitutionnelle belge soit bienveillante envers le droit européen, je ne sais pas si elle serait disposée à entériner la jurisprudence de la Cour de justice dans l’arrêt Melloni [25]. Dans cet arrêt, la Cour de justice a dit pour droit que l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’autorise pas de manière générale un Etat membre à appliquer le standard de protection des droits fondamentaux garanti par sa Constitution lorsqu’il est plus élevé que celui qui découle de la Charte et à l’opposer à l’application de dispositions du droit de l’Union. D’après la Cour de justice, un standard national de protection des droits fondamentaux, même plus étendu, ne peut pas compromettre le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, « ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union ».
Lors de nos visites à d’autres cours constitutionnelles, nous avons senti une grande préoccupation et même un mécontentement relatifs à cette jurisprudence. C’est compréhensible à la lumière de leur tâche, à savoir la protection des droits fondamentaux garantis par la Constitution.
Parce qu’en règle le niveau de protection offert par les instruments européens est plus élevé que celui garanti par la Constitution belge, la situation qui s’est présentée dans l’arrêt Melloni a peu de chances d’exister en droit belge. Si la Cour constitutionnelle était confrontée un jour à cette situation, elle poserait sans aucun doute des questions préjudicielles à la Cour de justice avant de statuer.
IX) Cette dernière attitude suivrait la tendance de la Cour constitutionnelle belge à poser régulièrement des questions préjudicielles à la Cour de justice.
Jusqu’à présent, la Cour constitutionnelle a posé 91 questions préjudicielles dans 26 arrêts de renvoi, rendus pour la plupart ces dix dernières années [26]. Cette dernière donnée offre une explication au nombre élevé de questions préjudicielles : comme il est déjà mentionné, la Cour constitutionnelle utilise le droit européen comme norme de référence indirecte et à l’occasion de son contrôle, elle est parfois tenue de poser les questions d’interprétation ou de validité soulevées par les parties.
De cette façon, elle prévient aussi la survenance de violations du droit européen dans l’ordre juridique interne et de condamnations par la Cour de justice. Une interprétation rendue par la Cour de justice est d’ailleurs contraignante pour tous les Etats membres.
Je mentionne encore quelques chiffres : 18 des 26 arrêts de renvoi ont été rendus sur recours en annulation et ne contiennent que des questions d’interprétation ; 23 dialogues préjudiciels se sont terminés par un arrêt final ; le dialogue avec la Cour de justice prolonge la durée du contentieux constitutionnel d’environ 26 mois.
X) Il est temps de conclure.
Formellement, la Cour constitutionnelle belge paraît encore utiliser des concepts hiérarchiques pour définir la relation entre, d’une part, la Constitution et, d’autre part, les traités et le droit européen dérivé. À y regarder de plus près, la Cour tient explicitement compte de la spécificité des traités, faisant ainsi preuve d’une prudence extrême dans l’exercice de son contrôle et elle situe le fondement de la primauté du droit européen dérivé dans l’article 34 de la Constitution.
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle belge s’inscrit plutôt dans le dialogue des juges [27]. La lecture des droits fondamentaux garantis par la Constitution en combinaison avec des normes internationales et européennes analogues et le dialogue préjudiciel avec la Cour de justice en témoignent. En conciliant ainsi le droit constitutionnel belge et le droit européen, la Cour constitutionnelle évite les conflits entre les hautes juridictions et favorise la sécurité juridique.
-
[1]
Voy. A. Alen, Hoe ‘Belgisch’is het ‘Belgische staatsrecht’nog ?, Anvers, Intersentia, 2015, 21-43 ; A. Alen et W. Verrijdt, « La relation entre la Constitution belge et le droit international et européen », in Mélanges Rusen Ergec, 2017 (à publier) ; P. Vandernoot, « Regards du Conseil d’Etat sur une disposition orpheline : l’article 34 de la Constitution », in En hommage à Francis Delpérée. Itinéraires d’un constitutionnaliste, Bruxelles, Bruylant, 2007, 1599-1630 ; W. Verrijdt, « EU Integration and the Belgian Constitution », in S. Griller, M. Claes et L. Papadopoulou (éds.), Member States’Constitutions and EU Integration, Oxford, Hart Publishing, 2016, nos 15-22. [Retour au contenu] -
[2]
Cass. 27 mai 1971, JT, 1971, 460-474, conclusions W.J. Ganshof Van der Meersch ; voy. J. Salmon, « Le conflit entre le traité international et la loi interne en Belgique à la suite de l’arrêt rendu le 27 mai 1971 par la Cour de cassation », JT, 1971, 509-520 et 529-535 ; F. Perin, « Y a-t-il trois pouvoirs constituants ? », Ann.Fac.Dr.Liège, 1987, 10-11. [Retour au contenu] -
[3]
Pour une critique sévère sur cette motivation : voy. J.S. Jamart, « Observations sur l’argumentation : la primauté du droit international », RDBC, 1999, 109-136 ; L. François, « Le recours à une philosophie du droit dans la motivation de décisions juridictionnelles », JT, 2005, 261-266. [Retour au contenu] -
[4]
CJUE 5 février 1963, Van Gend & Loos, C-26/62 ; CJUE, 15 juillet 1964, Costa c. E.N.E.L., C-6/64 ; CJUE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, C-11/70.Voy. C. Behrendt, « Les notions de monisme et de dualisme », in Liber amicorum Michel Melchior. Liège, Strasbourg, Bruxelles : parcours des droits de l’homme, Limal, Anthemis, 2010, 867-879. [Retour au contenu] -
[5]
Article 142 de la Constitution belge. [Retour au contenu] -
[6]
Loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. Voy. M.-F. Rigaux et B. Renauld, La Cour constitutionnelle, Bruxelles, Bruylant, 2008, 326 p. ; M. Verdussen, Justice constitutionnelle, Bruxelles, Larcier, 2012, 438 p. [Retour au contenu] -
[7]
Voy. A. Alen, J. Spreutels, E. Peremans et W. Verrijdt, « Cour constitutionnelle de Belgique », in R. Huppmann et R. Schnabl (éds.), La coopération entre les Cours constitutionnelles en Europe. Situation actuelle et perspectives, Vienne, Verlag Österreich, 2014, vol. 1, 293-347 (aussi publié à www.vfgh.gv.at/cms/vfgh-kongress/xvi-kongress-2014/landesberichte.html) ; G. Rosoux, Vers une « dématérialisation » des droits fondamentaux ?, Bruxelles, Bruylant, 2015, 135-186. [Retour au contenu] -
[8]
C.C. n° 23/89, 13 octobre 1989 (lu en combinaison avec les droits garantis par la Constitution) ; C.C. n° 18/90, 23 mai 1990 (lu en combinaison avec le droit international et européen) ; C.C. n° 72/92, 18 novembre 1992 (lu en combinaison avec les principes de droit généraux non écrits). Depuis 1993, la Cour s’exprime comme suit : « Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles d’égalité et de non-discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés reconnus aux Belges, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique […] » (C.C. n° 62/93, 15 juillet 1993). [Retour au contenu] -
[9]
C.C. n° 136/2004, 22 juillet 2004. [Retour au contenu] -
[10]
Voy. G. Rosoux, o.c., 148-164. [Retour au contenu] -
[11]
En 2012, la Cour a mentionné dans 38 de ses 166 arrêts une disposition de la Convention européenne des droits de l’homme ou d’un des Protocoles additionnels. En 2011, il s’agissait de 49 arrêts sur 201. En ce qui concerne le droit primaire ou secondaire de l’Union européenne, la Cour constitutionnelle l’a appliqué comme norme de référence dans 18 des 201 arrêts. En 2012, il s’agissait de 14 des 166 arrêts et en 2013, il s’agissait de 18 des 183 arrêts. Pour une analyse plus détaillée de ces chiffres, voy. A. Alen, J. Spreutels, E. Peremans et W. Verrijdt, o.c., nos 20 et 27. [Retour au contenu] -
[12]
A. Alen et W. Verrijdt, o.c., n° 16. [Retour au contenu] -
[13]
Voy. J. Spreutels, « Droits fondamentaux en concours et concours des questions préjudicielles : la Cour constitutionnelle et la jurisprudence Melki et Chartry de la Cour de justice de l’Union européenne », in A. Alen, V. Joosten, R. Leysen et W. Verrijdt (éds.), Liber amicorum Marc Bossuyt. Liberae Cogitationes, Anvers, Intersentia, 2013, 681-693. [Retour au contenu] -
[14]
M. Bossuyt et W. Verrijdt, « The Full Effect of EU Law and of Constitutional Review in Belgium and France after the Melki Judgment », EuConst, 2011, 368-369. [Retour au contenu] -
[15]
CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10. [Retour au contenu] -
[16]
M. Bossuyt et W. Verrijdt, o.c., 377 ; F.-X. Millet, « Le dialogue des juges à l’épreuve de la QPC », RDP, 2010, 1735-1737. [Retour au contenu] -
[17]
T. Souverijns, « Bijzondere wetgever verduidelijkt de regeling van artikel 26, § 4, van de bijzondere wet op het Grondwettelijk Hof inzake samenloop van grondrechten », RW, 2013- 2014, 1523-1531. [Retour au contenu] -
[18]
Voy. A. Alen et K. Muylle, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Malines, Wolters Kluwer Belgium, 2011, 43-60 ; A. Alen et W. Verrijdt, o.c., nos 3-12 ; A. Alen, « Les relations entre la Cour de justice des Communautés européennes et les Cours constitutionnelles des Etats membres », in Liber amicorum Paul Martens. L’humanisme dans la résolution des conflits. Utopie ou réalité ?, Bruxelles, Larcier, 2007, 665-672 ; P. Brouwers et H. Simonart, « Le conflit entre la Constitution et le droit international conventionnel dans la jurisprudence de la Cour d’arbitrage », Cah. Dr. Eur., 1995, 7-22 ; P. Popelier, « Belgium. The supremacy dilemma : The Belgian Constitutional Court caught between the European Court of Human Rights and the European Court of Justice », in P. Popelier, C. Van de Heyning et P. Van Nuffel (éds.), Human rights protection in the European legal order : The interaction between the European and the national courts, Anvers, Intersentia, 2011, 149-172 ; E. Slautsky, « De la hiérarchie entre constitution et droit international », APT, 2009, 227-242 ; J. Van Meerbeeck et M. Mahieu, « Traité international et Constitution nationale », RCJB, 2007, 42-90. [Retour au contenu] -
[19]
Cass. 9 novembre 2004, P.04.0849.N, Rev. Dr. Pén., 2005, 789 ; Cass. 16 novembre 2004, P.04.0644.N et Cass. 16 novembre 2004, P.04.1127.N, RW, 2005-06, 387. [Retour au contenu] -
[20]
C.C. n° 26/91, 16 octobre 1991 ; C.C. n° 12/94, 3 février 1994 ; C.C. n° 20/2004, 4 février 2004 ; C.C. n° 84/2005, 4 mai 2005 ; C.C. n° 96/2009, 4 juin 2009 ; C.C. n° 87/2010, 8 juillet 2010 ; C.C. n° 117/2011, 30 juin 2011 ; C.C. n° 120/2011, 30 juin 2011 ; C.C. n° 32/2013, 7 mars 2013. [Retour au contenu] -
[21]
M. Melchior et L. De Grève, « Protection constitutionnelle et protection internationale des droits de l’homme : concurrence ou complémentarité ? », RUDH, 1995, 226-227. [Retour au contenu] -
[22]
C.C. n° 130/2010, 18 novembre 2010. [Retour au contenu] -
[23]
C.C. n° 62/2016, 28 avril 2016, B.8.7. Voy. Ph. Gérard et W. Verrijdt, « Belgian Constitutional Court adopts national identity discourse », EuConst, 2017 (à paraître). [Retour au contenu] -
[24]
A. Alen, « Les relations… », o.c., 671-672 ; M. Melchior et L. De Grève, o.c., 228 ; E. Slautsky, o.c., 231 ; P. Vandernoot, o.c., 1609. [Retour au contenu] -
[25]
CJUE 26 février 2013, Melloni, C-399/11. Voy. aussi CJUE 18 décembre 2014, avis n° 2/13. [Retour au contenu] -
[26]
Voy. A. Alen et W. Verrijdt, « Le dialogue préjudiciel de la Cour constitutionelle belge avec la Cour de justice de l’Union européenne », in P. D’Argent, D. Renders et M. Verdussen (éds.), Liber Amicorum Yves Lejeune – Les visages de l’Etat, Bruxelles, Larcier, 2017 (à paraître). [Retour au contenu] -
[27]
A. Alen et W. Verrijdt, o.c., nos 38-40. [Retour au contenu]
La Constitution djiboutienne et la détermination d’un ordre juridique hiérarchisé
Abdoulkader Abdallah Hassan, membre du Conseil constitutionnel de Djibouti
Nous savons tous que la constitution est la norme fondamentale de l’ordre juridique interne d’un État moderne dans la mesure où c’est à partir d’elle que découlent toutes les autres normes internes. Cependant, il convient de rappeler que ces normes n’ont pas toutes la même valeur et que leur hiérarchie forme un ordre (ou ordonnancement) juridique.
La Constitution de la République de Djibouti de 15 septembre 1992 (inspiré du droit romano-germanique) a mis en place un régime sémi présidentiel basé sur l’indépendance de chaque pouvoir par rapport à l’autre sur le fondement du principe fondamental de la séparation stricte des pouvoirs. En effet, comme l’énonce l’article 41 dans son dernier alinéa « les membres du Gouvernement sont responsables devant le président de la République » et non devant le parlement comme c’est le cas dans beaucoup de pays. Cela signifie donc que l’Assemblée nationale ne peut pas renverser le Gouvernement (par le système d’adoption d’une motion de censure qui émane des députés et adoptée à la majorité absolue comme en France par exemple). Inversement, l’Exécutif notamment le président de la République ne peut pas, non plus de son côté, dissoudre le parlement.
Par ailleurs, s’agissant des normes applicables en droit interne, dans leur grande majorité, elles ont une valeur juridique inférieure à celle de la Constitution. D’où son appellation de « normes infra constitutionnelles » (I). Par ailleurs ; il existe d’autres normes ayant une valeur juridique égale à la Constitution et d’autres qui, sous certaines conditions, sont seulement supérieures à la loi telles que notamment certaines normes internationales.
Il convient donc d’analyser ce sommet de la hiérarchie des normes où dominent les normes constitutionnelles communément appelées « le bloc de constitutionnalité » suivies par les normes internationales (II).
I. Les normes de valeur constitutionnelle
Outre la Constitution, force est de constater que « le bloc de constitutionalité » englobe d’autres normes en fonction de la tradition juridique d’un pays à l’autre.
A. La Constitution
La Constitution de la République de Djibouti promulguée le 15 septembre 1992 se présente sous la forme d’un texte, comprenant actuellement (suite aux révisions successives) un peu moins d’une centaine d’articles (numérotés de 1 à 97). Ce texte est précédé d’un préambule auquel le Conseil constitutionnel reconnaît une valeur juridique égale à la Constitution.
Concrètement, la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes car elle est l’acte pris par l’organe le plus élevé (constituant). Elle est aussi matériellement la norme fondamentale parce qu’elle institue la hiérarchie des organes constitués et les habilite à prendre des normes au moyen d’actes dont elle règle les formes et procédures.
En dessous de la Constitution, la loi a longtemps été en théorie, tant du point de vue organique (parce qu’elle émane de la volonté générale exprimée par l’organe législatif) que du point de vue matériel (puisqu’elle contient des normes à portée générale susceptibles de s’appliquer de façon générale c’est-à-dire sans identification d’un destinataire particulier), la norme (ou l’acte) suprême mais cette position privilégiée a été sérieusement remise en cause par l’évolution du droit positif et l’intégration de plus en plus poussée des normes internationales dans l’ordre juridique djiboutien.
En droit interne, la suprématie de la Constitution par rapport aux autres normes, au premier rang duquel se trouve la loi se manifeste dans le fait que l’acte législatif (nonobstant le fait qu’il doit absolument être voté par le parlement) doit également nécessairement porter sur une matière considérée comme étant législative en vertu de la Constitution (conformément à l’article 56 de la constitution) et des interprétations que peut en donner le Conseil constitutionnel. À ce propos, sur le fondement de cet article, la loi, d’une part, fixe les règles concernant certaines matières (par exemple, les droits civiques des citoyens, les règles de la nationalité, les règles relatives à l’amnistie, au régime de la propriété, à l’état et la sûreté des personnes, à l’organisation de la famille, à la détermination des crimes et délits ainsi que la création d’offices, d’établissements publics, de sociétés ou d’entreprises nationales…, etc.) et, d’autre part, se contente, dans d’autres matières, de déterminer les principes fondamentaux que l’exécutif (en particulier le Gouvernement) pourra compléter par voie réglementaire (tels que l’enseignement, le droit du travail, le droit syndical et de la sécurité sociale…). De plus, avec cette répartition des compétences, l’article 57, alinéa 1 stipule expressément que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire ». C’est pourquoi, dans le 2e alinéa de ce même article, les textes de forme législative intervenus avant 1992 (entrée en vigueur de ladite constitution) dans les matières devenues depuis réglementaires peuvent désormais être modifiés par décret si le Conseil constitutionnel, à la demande du président de la République, déclare qu’ils ont un caractère réglementaire en vertu de l’alinéa précédent. Il en va autrement en droit français puisque les textes intervenus avant la Constitution de 1958 ne peuvent être modifiés que par décret pris après avis du Conseil d’État. En revanche, pour ceux qui datent après 1958, la modification par décret après avis du Conseil d’État ne pourra avoir lieu qu’après avoir été délégalisés par le Conseil constitutionnel (art. 37 al.2 de la Constitution de 1958).
B. Les autres normes de valeur constitutionnelle
Bien que très court, le préambule de la Constitution de Djibouti renvoie au principe de la souveraineté nationale, au principe de la liberté des peuples, aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils sont définis par la Déclaration universelle des droits de l’homme et par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dont les dispositions font partie intégrante de la Constitution.
Il est important de souligner que, bien que notre système juridique soit fortement inspiré du droit romano-germanique en général et plus particulièrement du droit français, le pouvoir constituant n’a pas jugé utile de faire référence, dans le préambule de 1992, à la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Dans le même ordre d’idées, hormis les quelques principes repris expressément, aucune des autres catégories de principes, n’a été consacré à la différence du préambule français de 1946 qui a mis en évidence les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRL) ou encore les principes politiques, économiques et sociaux jugés particulièrement nécessaires à notre temps
II. Les normes internationales
Les normes internationales sont intégrées dans notre ordre juridique interne à une place normalement supérieure à la loi (mais inférieure à la Constitution). Il importe donc d’abord de définir le statut constitutionnel du droit international général avant d’envisager la spécificité des normes du droit de l’Union africaine. Enfin, il faut aussi préciser comment les juges djiboutiens ont interprété la supériorité des normes internationales lorsqu’ils étaient confrontés à ce problème.
A. Le statut constitutionnel du droit international général
Le droit international résulte pour partie de la coutume internationale et pour l’essentiel des engagements internationaux de chaque État (conventions et traités). Le droit constitutionnel djiboutien positif fait principalement référence aux accords et traités internationaux. Les traités se distinguent bien évidemment des simples accords ou conventions en raison de leur forme plus solennelle. Cette plus ou moins grande solennité résulte des organes qui les négocient et les ratifient (traités) ou les approuvent (accords). D’après l’article 70 alinéa 2 de la Constitution de 1992, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie et de sa conformité avec les dispositions pertinentes du droit des traités ». Cette supériorité du droit international à toute norme djiboutienne infra constitutionnelle affecte même la Constitution dans la mesure où l’alinéa 3 de ce même article 70 fait obligation de réviser la Constitution en cas de contrariété avec un traité.
Cependant, la supériorité du droit international n’est mise en œuvre que si certaines conditions de forme et de fond sont respectées d’autant plus qu’une norme juridique internationale doit avoir un effet direct pour être invocable dans l’ordre juridique interne. Parmi les conditions de forme, il faut remarquer que l’article 70 dans son alinéa 1er exige que les traités et les conventions internationales doivent, tout d’abord, être « soumis à la ratification de l’Assemblée nationale » (et non au président de la République comme c’est le cas en France). En revanche, la négociation des traités et l’approbation des accords relèvent de la compétence du président de la République ou le cas échéant du ministre des affaires étrangères qui l’informe nécessairement. Dans certains cas prévus par l’article 62 de la Constitution, l’approbation ou la ratification nécessite l’intervention d’une loi (ex : traités de paix, traités de commerce ou encore les traités qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire…, etc.). Les traités ou accords doivent ensuite être publiés. Parmi les conditions de fond, l’alinéa 2 de cet unique article 70 (du titre VI consacré aux traités, conventions et accords internationaux) exige la réciprocité d’application de la part de l’autre État signataire. En cas de doute dans un litige, le juge s’adresse au ministre des affaires étrangères. Enfin, la supériorité d’une norme internationale ne peut être mise en jeu que si cette norme est suffisamment claire. Quand il y a un problème d’appréciation d’une clause contenue dans un acte international, le juge saisi peut en demander l’interprétation. Au cas où il le ferait, il ne serait pas tenu non plus par cette interprétation.
B. Les normes spécifiques du droit africain
Les normes spécifiques du droit africain s’intègrent dans l’ordre juridique interne avec les modalités particulières selon qu’il s’agit des traités ou du droit dérivé.
En effet, la primauté des normes communautaires est rendue possible par l’adoption de textes juridiques supranationaux consacrant la suprématie des décisions des organes communautaires sur celles des États membres dans son principe comme dans son application. Ce principe de suprématie du droit communautaire a également été expressément défendu par l’article 6 de l’acte constitutif de l’Union africaine qui stipule que « les actes arrêtés par les organes de l’Union africaine pour la réalisation des objectifs du présent traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliqués dans chaque État membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure ». Cela implique que les décisions prises par les organes exécutifs de l’Union africaine à savoir la Conférence des présidents, le Conseil des ministres, la Commission, la Cour de justice…, etc., priment sur toute législation nationale à l’exception des recommandations et des avis qui revêtent une simple valeur consultative. Il est important de préciser que l’article 43 de l’acte constitutif vient toutefois tempérer l’article 6 précité puisque dans la mesure où certaines décisions des instances de l’Union peuvent ne pas s’appliquer, de manière inconditionnelle, aux États membres. Enfin, les autres normes telles que les règlements, les directives et les décisions ont un caractère plus obligatoire. Elles doivent cependant respecter certaines « règles et procédures » prévues par le traité de l’Union au sens de l’article 6. Dans ce cas, elles deviennent supranationales.
C. Le juge djiboutien et la supériorité des normes internationales
Si les normes internationales sont supérieures aux normes internes dans les conditions prévues par l’article 70 de notre Constitution, il en est néanmoins résulté certaines hésitations dans la jurisprudence.
Cependant, il existe un point qui ne présente aucune difficulté. C’est lorsqu’un traité contraire à une loi intervient postérieurement à cette loi, tous les juges s’accordent à considérer que les dispositions du traité sont censés tenir en échec la loi. Ils n’en tirent pas aussi facilement la même conclusion en faisant prévaloir le traité sur la loi (comme l’exige la constitution) lorsqu’une loi à la fois postérieure et contraire à un traité est adoptée.
Pour les juges judicaires, cette question a été tranchée depuis fort longtemps dans la mesure où le traité l’emporte incontestablement sur la loi postérieure contraire. Ils appliquent donc sans hésiter le traité dans ce cas de figure.
En ce qui concerne le juge constitutionnel, il se refuse, pour sa part, à contrôler la conformité d’une loi à un traité pour la simple et unique raison que le contrôle de la constitutionnalité d’une loi ne s’effectue pas par rapport à un traité mais par rapport à la Constitution (ou au bloc de constitutionnalité au sens large). Enfin, après avoir tergiversé, le juge administratif s’est aligné sur la position adoptée par les magistrats de l’ordre judiciaire en estimant qu’il avait compétence pour se prononcer sur la validité de la loi dans le cadre de son contrôle juridictionnel de l’action administrative. Influencé vraisemblablement par la célèbre décision rendue le 20 octobre 1989 par le Conseil d’État français (arrêt Nicolo qui a marqué un revirement jurisprudentiel), le juge administratif djiboutien considère, désormais, que l’esprit de l’article 70 de la Constitution l’habilite à contrôler la conformité des lois aux traités.
Échanges avec la salle
Michel Charasse, membre du Conseil constitutionnel français
En ce qui concerne la situation française, le Conseil constitutionnel français juge la conformité à la Constitution, et non la conformité à un traité international. C’est le Conseil d’État et la Cour de cassation qui sont les juges de cette conformité, sous réserve de saisir les autorités juridictionnelles internationales en cas d’incertitude. En France, une loi peut être contraire à la Constitution et conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, et inversement. Une loi mettant en œuvre une jurisprudence de Strasbourg peut quant à elle être déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel français. La Convention européenne n’est pas entrée dans la Constitution française. Elle est un traité ordinaire, supérieur à la loi mais pas à la Constitution. Les textes d’application des traités européens, lorsqu’ils sont mis en œuvre par une loi interne, doivent respecter les normes et règles inhérentes à la nature constitutionnelle de la France, notamment la laïcité. Il a été spécifié clairement que les normes inhérentes à la nature constitutionnelle de chaque État membre ne sont pas remises en cause à l’occasion de l’application de ces textes d’application. La Constitution française distingue donc les traités constitutionnellement plus contraignants car entrés dans la Constitution, les traités de l’Union européenne, le mandat d’arrêt européen, la Cour pénale internationale et les traités constitutionnellement moins ou non contraignants, comme la Convention européenne des droits de l’homme, qui sont seulement supérieurs aux lois internes.
En signant un traité, la France ne renonce jamais à sa souveraineté. Sa Constitution autorise seulement des limitations de souveraineté, et uniquement pour contribuer à la paix, conformément au Préambule de 1946. La Constitution n’autorise toutefois pas de transfert de souveraineté, et les limitations de souveraineté s’exercent sous réserve de réciprocité. En ce qui concerne la Convention européenne de Strasbourg, je me demande comment un État pourrait s’assurer du respect de cette condition. La souveraineté française ne se perd jamais, et la France n’y renonce jamais. Tel est le cas depuis les rois de France, avec Charlemagne. C’est le cas aujourd’hui dans la tradition républicaine, dont nos institutions sont les héritières. Au sens de la France, la souveraineté est la garantie des peuples libres ; elle ne peut jamais disparaître, car chaque peuple doit rester maître de lui-même pour la préserver et faire en sorte que rien ne contrarie ses principes fondamentaux.
En ce qui concerne la ratification, l’intervention de notre collègue de Djibouti me conduit à une précision. En France, la ratification est subordonnée à l’approbation d’une loi par le Parlement, cette loi autorisant uniquement la ratification. L’autorité de ratification revient au président de la République seul. Lorsque nous votons une loi autorisant la ratification d’un traité, le président de la République a la liberté de formuler des réserves au moment du dépôt des instruments de ratification, qui ne sont pas dans la loi d’autorisation, le Parlement français n’étant pas compétent en matière de réserves.
Théodore Holo, président de la Cour constitutionnelle du Bénin
Le néo-constitutionnalisme sur les continents africain, asiatique et latino-américain a été rappelé. Mais il importe de souligner le contexte qui a conduit à cette évolution. Il s’agit en l’occurrence de la réponse à la régulation massive des droits fondamentaux, la Constitution devant répondre aux préoccupations d’un peuple à un moment donné de son évolution historique. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est abondamment fait référence, dans la Constitution béninoise, aux traités internationaux relatifs aux droits humains. C’est cet élément qui permet de comprendre certaines différences par rapport à l’Europe, où il existe une tradition de respect des libertés fondamentales, ce qui n’est pas le cas des pays africains qui sont sortis de situations difficiles à la fin des années 1990.
Par ailleurs, le Parlement autorise le président de la République à ratifier. Celui-ci reste le seul acteur et représente le pays dans la vie internationale.
Didier Linotte, président du Tribunal suprême de Monaco
Un exemple peut être illustratif du débat que nous venons d’avoir. Il a été mentionné que les constitutions de certains États avaient incorporé leur déclaration des droits au texte même de la Constitution, ce qui simplifie le contrôle. C’est le cas à Monaco, où les droits fondamentaux et libertés fondamentales sont incorporés au texte de la Constitution par le titre III. La Constitution précise que lorsque le Tribunal suprême contrôle la constitutionnalité de la loi (sur recours direct de tout citoyen, national ou non, résident ou non, personne physique ou morale), ce contrôle ne s’opère que par rapport au titre III relatif aux droits fondamentaux et aux libertés fondamentales, ce qui engendre deux types de conséquences. D’une part, nous ne nous livrons pas à un contrôle de constitutionnalité de la loi sur l’ensemble de la Constitution mais uniquement sur la violation potentielle des droits et libertés fondamentales. D’autre part, nous ne pratiquons pas le contrôle de conventionnalité de la loi.
Le fond commun des droits fondamentaux et des libertés fondamentales est largement identique, des différences pouvant éventuellement porter sur leur étendue, leur interprétation et les réserves issues de spécificités devant être protégées. Ce système garantit à la fois une protection des droits et le maintien de la spécificité.
La Constitution prévoit aussi que notre juridiction pratique l’entier contrôle de la légalité des actes administratifs, soit toutes les normes issues de l’exécutif. Au titre de ce contrôle de la légalité, nous pratiquons un contrôle de la constitutionnalité dans son ensemble, mais aussi de la conventionnalité, ce qui permet de répondre de manière plus nuancée à la question de la place du droit international dans notre ordre interne. Il peut s’exercer beaucoup plus pleinement quand il s’agit d’un contrôle de la légalité et de la constitutionnalité sur les actes administratifs.
Abdoulkader Abdallah Hassan, membre du Conseil constitutionnel de Djibouti
Ma précision s’adresse aux représentants de la France et au président de la Cour constitutionnelle du Bénin. J’ai en effet indiqué que le pouvoir de ratification appartenait à l’Assemblée nationale. L’article 70 dispose expressément que « le président de la République négocie et approuve les traités et les conventions internationales qui sont soumis à la ratification à l’Assemblée nationale ». J’ai évoqué la France pour souligner les différences existantes, sans affirmer que la ratification appartenait à l’Assemblée nationale française, mais au président.
Laurence Burgorgue-Larsen, présidente du Tribunal constitutionnel d’Andorre
Les contextes sont différents, et le constitutionnalisme européen d’après-guerre a valorisé les droits fondamentaux en les intégrant au sein des constitutions par un catalogue très développé, sans qu’il y ait toutefois de référence au droit international des droits de l’homme. En effet, le temps d’adoption de tous ces textes de droit international était concomitant, voire postérieur. La logique reste toutefois identique. Aujourd’hui, le constitutionnalisme latino-américain et africain ayant été la conséquence de drames humains, il a eu comme réaction, en plus d’une consécration des droits fondamentaux par des textes de protection des droits au sein des constitutions, une référence ontologique au droit international des droits de l’Homme post 1945, qui est devenu la référence majeure en la matière.
Jean Spreutels, président de la Cour constitutionnelle de Belgique
La distinction entre assentiment et ratification peut différer en fonction des ordres juridiques. En Belgique, beaucoup de traités sont ratifiés avant l’assentiment. Il existe une différence entre les pouvoirs exécutif et législatif, et si la règle générale est celle d’un assentiment préalable à la ratification, la pratique inverse existe.
Michel Charasse
Aujourd’hui, le système est celui de la ratification automatique. Nous signons de plus en plus de traités qui disposent qu’une fois qu’ils auront été ratifiés, l’application sera automatique dans les États qui ne les auront pas expressément ratifiés. Je pense personnellement que ces dispositions poseront problème en France, parce qu’elles ne sont pas conformes à notre Constitution. Le problème aurait pu se poser avec un traité de 1978, automatiquement ratifiable si une majorité d’États l’avait ratifié, et qui augmentait la quote-part du droit de vote des États membres. La France a accepté de ne pas le ratifier par une loi de ratification.
2e session de travail : Étendue et effectivité du contrôle de constitutionnalité dans l’ordre interne
Session présidée par Antoine Khair, membre du Conseil constitutionnel du Liban
Après avoir navigué dans les problèmes du droit constitutionnel interne et de l’ordre international, nous parlerons maintenant de l’étendue et de l’effectivité du contrôle de la constitutionnalité dans l’ordre interne. Je donne tout de suite la parole, pour la synthèse, à Monsieur Mathieu Disant, dont je loue les efforts.
Synthèse des réponses au questionnaire
Mathieu Disant, professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF
Cette synthèse sera amenée à sacrifier certains aspects ou particularités pour se concentrer sur quelques positions structurantes quant à l’effectivité et l’étendue du contrôle de constitutionnalité
1. Appréciation de l’effectivité
L’appréciation de l’effectivité de la Constitution se mesure au champ du contrôle exercé, au respect des décisions rendues par la cour, ainsi qu’à la portée et aux effets qui sont les leurs.
1.1. Quant au champ du contrôle et à l’accès au contrôle de constitutionnalité
1. Vous rappelez souvent un point crucial. La Cour constitutionnelle n’agit pas ex-officio, mais seulement lorsqu’elle est saisie par les sujets de droit prévus par la Constitution. De ce point de vue, on peut résumer en une formule les enjeux d’efficience dont vous faites état : une saisine large, des voies d’accès complémentaires ! C’est-à-dire :
- d’une part, des voies de recours ouvertes et nombreuses, spécialement lorsque les particuliers s’ajoutent aux autorités politiques pour déférer à la cour les actes et comportements contraires à la Constitution. De telle sorte que le recours puisse être, dans les faits, « presque systématique » comme le souligne la Belgique ;
- d’autre part, la combinaison des modalités de contrôle : contrôle a priori et a posteriori ; par voie d’action et par voie d’exception ; diffus ou concentré, etc.
Un système complet de contrôle suppose souvent une répartition subtile des compétences contentieuses relative au contrôle de constitutionnalité. En France, si le Conseil constitutionnel est seul compétent pour examiner la constitutionnalité de la loi, les juridictions administratives et judiciaires interviennent dans les limites de leurs compétences, et en l’absence d’écran législatif, pour contrôler les actes infra-législatifs et notamment réglementaires. Depuis 2010, ces dernières ont aussi la charge d’apprécier le caractère sérieux des QPC en vue de leur renvoi au Conseil constitutionnel, ce qui institue l’ensemble des juridictions françaises comme des acteurs – parfois très engagés – de la justice constitutionnelle.
La Belgique connaît une distribution assez proche, en fonction de la norme dans laquelle gît une inconstitutionnalité. S’il s’agit d’une norme législative, les cours et tribunaux ne sont pas autorisés à constater eux-mêmes l’inconstitutionnalité. Ils sont tenus d’interroger la Cour constitutionnelle par voie de question préjudicielle.
La Suisse mérite une attention toute particulière car elle ne dispose pas d’un mécanisme de contrôle juridictionnel intégral. De sorte que le principe de suprématie de la Constitution n’est pas garanti de manière absolue.
En effet, aux termes de l’article 190 de la Constitution fédérale suisse, « le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales », ce qui s’entend « même si elles sont contraires à la Constitution ». Les dispositions législatives fédérales ne peuvent donc être abrogées pour cause d’inconstitutionnalité. Pour être plus précis, l’article 190 ne constitue pas une interdiction d’examiner la constitutionnalité des lois fédérales, il oblige le Tribunal à les appliquer même si elles s’avèrent inconstitutionnelles. Autrement dit, les tribunaux sont obligés d’appliquer une loi fédérale même si elle est jugée inconstitutionnelle.
Cette limitation du contrôle de la constitutionnalité de la loi fédérale est l’une des principales caractéristiques du système constitutionnel suisse. Il traduit une conception de la démocratie directe qui a été rappelée par son Excellence Madame la Présidente Samaruga. Le pouvoir judiciaire ne peut s’élever au-dessus du pouvoir législatif. L’immunité des lois fédérales peut être vue comme une exception au principe de la supériorité de la Constitution. Ou comme une « forme imparfaite » de juridiction constitutionnelle – c’est un débat régulier en Suisse qui alimente, jusqu’alors sans succès, des propositions d’abrogation de l’article 190.
Pour autant, on aurait tort d’y déceler, de façon catégorique, un défaut d’effectivité de la Constitution. De fait, la grande majorité des normes constitutionnelles sont bel et bien appliquées. Et le Parlement n’est nullement habilité à s’écarter de la Constitution fédérale. En réalité, la rigueur de la règle de l’article 190 est tempérée par le principe de l’interprétation conforme à la Constitution, d’après lequel le juge doit conférer à une disposition légale se prêtant à plusieurs interprétations celle qui est en harmonie avec la Constitution. En somme, le Tribunal est habilité à constater qu’une loi fédérale viole la Constitution, mais il ne lui appartient pas de sanctionner cette constatation par une annulation ou par un refus d’application de la loi en question ; il peut en revanche les interpréter de manière conforme à la Constitution. Il peut aussi inviter le législateur fédéral à modifier la norme renfermant la violation à la Constitution dans les considérants d’un arrêt ou par des « indications à l’intention du législateur » figurant dans son rapport de gestion annuel.
Il n’en reste pas moins que cette situation oblige parfois les juges fédéraux à appliquer des lois inconstitutionnelles. Ainsi en est-il de certaines dispositions de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse qui traitent les hommes et les femmes de manière distincte, en contrariété avec l’article 8 al. 3 de la Constitution fédérale. Dans de tels cas, il est fait observé que « le Tribunal fédéral se trouve pieds et poing liés », il ne peut qu’inviter le législateur à changer la loi.
2. Vos cours ne sont pas seules. D’autres autorités garantissent le respect de la Constitution :
- des autorités politiques : le Parlement, le Gouvernement, mais surtout le chef de l’État, en qualité de garant de la Constitution (not. Albanie, Algérie, Bénin, Burkina, Congo, France, Gabon, Liban, Maroc, RDC, Togo…) ;
- d’autres autorités juridictionnelles, administratives ou judiciaires, soit directement (contrôle diffus) soit par l’intermédiaire du recours préjudiciel (Andorre, Albanie, Bulgarie, Maroc, Slovénie, Tunisie) ;
- mais il faut souligner aussi le concours des autorités spécifiques : le bureau du procureur-général de la République (Mozambique), l’Avocat du peuple (Albanie), l’Ombudsman (Bulgarie, Slovénie), voire les autorités administratives indépendantes (France). Certaines particularités consistent à ce que la compétence de saisine soit parfois limitée pour certaines autorités, c’est le cas par exemple de l’Ombudsman en Bulgarie. À part en France, ces autorités ont la faculté de saisir la Cour constitutionnelle.
Aucune cours ne fait état de rapports conflictuels avec ces autorités, qui seraient de nature à altérer de façon significative l’indépendance des cours. La différence entre garantie politique et garantie juridictionnelle est techniquement bien établie, même si bien entendu il existe des interprétations plus nuancées et parfois préoccupantes.
La situation la plus délicate est celle du contrôle, par la cour constitutionnelle, de la constitutionnalité des décisions d’une cour suprême. C’est le cas au Bénin. Depuis 2009, il est jugé que « en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions ». La suprématie de la Constitution fonde ainsi une hiérarchie des juridictions.
Il est à noter qu’existe en Slovénie une « procédure de réserve ». Il s’agit d’une procédure applicable lorsqu’aucune autre protection juridique n’est garantie. Dans ce cas, il incombe au tribunal administratif de statuer sur cette action, lors d’un litige administratif de légalité, pour remédier aux atteintes portées aux droits fondamentaux constitutionnels.
Au Canada, suite à l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés, a été posée l’obligation pour le ministère de la Justice fédéral de s’assurer que les textes législatifs sont en conformité avec les garanties constitutionnelles en matière de droits humains. Ainsi, un processus de validation est imposé, depuis 1985 : « en vue de vérifier si l’une des dispositions [des projets ou propositions de loi] est incompatible avec les fins et dispositions de la Charte ». Le ministre intervient ici à titre de conseiller juridique et doit, le cas échéant, faire rapport de toute incompatibilité à la Chambre des communes dans les meilleurs délais possible. Ceci étant, en pratique, ce processus de vérification ne semble pas très efficace puisque, depuis son adoption, aucun rapport de ce type n’a été soumis pour faire état d’une quelconque incompatibilité. Selon les directives internes du ministère, le seuil de validation serait excessivement bas, très permissif, voire complaisant selon certains auteurs. Le contrôle se limiterait au caractère « manifestement inconstitutionnelle ».
2.2. Quant à l’autorité des décisions de vos cours. Elle est organisée par le texte constitutionnel. À quelques nuances rédactionnelles près, il est prévu que les décisions de la cour ont une force obligatoire de portée générale erga omnes, sont définitives, et insusceptible de tout recours. Elles s’imposent à tous les organes constitutionnels, aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles (art. 124 de la Constitution Belge ; art. 124 de la Constitution du Bénin, article 62 de la Constitution française ; mais aussi en Albanie, Bulgarie, au Burkina, Cambodge, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar, Maroc, Moldavie, Monaco, Mozambique, Niger, RDC, Roumanie, Slovénie, Tchad, Togo, Tunisie…).
Vos décisions étant dans leur immense et écrasante majorité suivies d’effets, c’est-à-dire respectées, on peut conclure que la suprématie de la Constitution est effective. Il existe toutefois des situations de résistance aux décisions de la cour. Le Niger fait état de refus de respecter certains arrêts d’annulation de décret de convocation de référendum, ou plus récemment en 2014 lorsque le président d’un groupe parlementaire a opposé un refus d’obtempérer à l’arrêt de la Cour qui reconnaît le droit à tout député de son groupe de se présenter au poste du Bureau de l’Assemblée nationale.
En Slovénie, il existe aussi des cas dans lesquels les décisions individuelles de la Cour constitutionnelle n’ont pas été respectées. Cela survient lorsque la Cour fixe un délai dans lequel le législateur doit éliminer l’inconstitutionnalité. Il est arrivé qu’un tel délai soit dépassé de plus d’un an avant que le législateur ne réagisse, en dépit des observations réitérées de la Cour.
La question de l’autorité jurisprudentielle est plus partagée. Il ressort que les décisions de vos cours en sont revêtues, au moins en fait. En droit, cela dépend largement du statut normatif de la jurisprudence en général. Ou cela repose sur la hiérarchie fonctionnelle de la Cour, celle-ci pouvant – comme en Andorre – être instituée comme l’interprète suprême de la Constitution et se prononcer sur d’éventuelles divergences d’interprétation.
En Suisse, la jurisprudence n’est pas reconnue comme une véritable source du droit, elle est considérée comme une autorité dans la mesure où, en droit commun, le juge est invité à s’inspirer des « solutions consacrées par la jurisprudence ». Surtout, le Tribunal fédéral, en sa qualité de cour suprême, doit assumer la « sauvegarde d’une application uniforme du droit, le développement de la jurisprudence et la garantie des droits constitutionnels » (Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale).
En revanche, le Canada se revendique de la tradition juridique anglo-saxonne de common law, où le principe de la « stare decisis » permet d’assurer la sécurité, la stabilité et la prévisibilité des règles normatives. L’autorité jurisprudentielle de la Cour suprême est clairement reconnue selon le mécanisme du précédent. Très récemment, dans sa jurisprudence Carter du 6 février dernier, la Cour suprême a effectué un ajustement important en jugeant que les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : d’une part, lorsqu’une nouvelle question juridique se pose ; et, d’autre part, lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne ». Il semble ainsi que le principe du stare decisis est beaucoup plus flexible, au moins en ce qui concerne la Charte canadienne.
En Belgique, l’autorité des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle est différente selon qu’il s’agit d’arrêts rendus sur recours en annulation ou d’arrêts rendus sur question préjudicielle. Dans le premier, il s’agit d’une autorité absolue de chose jugée ; dans le second, d’une autorité relative. Une « autorité relative renforcée » toutefois, car les juridictions devant lesquelles une question de constitutionnalité est soulevée ne sont pas tenues d’interroger la Cour 7e CONGRÈS DE L’ACCPUF 74 constitutionnelle lorsque celle-ci a déjà répondu à une question semblable, à la condition qu’elles se conforment à la réponse que celle-ci a donnée.
En Andorre, la Loi qualifiée du Tribunal constitutionnel dispose que « la doctrine interprétative de la Constitution élaborée par le Tribunal (…) s’impose également aux divers organes de la juridiction ordinaire ». Les précédents fixés par le Tribunal s’imposent au Tribunal lui-même, ils constituent des critères d’interprétation qui ne peuvent être modifiés par une décision motivée prise à la majorité absolue de ses membres.
En France, le Conseil constitutionnel considère que l’autorité de ses décisions s’attache non seulement au dispositif des décisions, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même. Elle peut être utilement invoquée à l’encontre de dispositions qui, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution. Cette solution est globalement acceptée par les juridictions du fond. Il a notamment été jugé que l’autorité des décisions du Conseil est absolue en ce qui concerne les textes mêmes dont il a examiné la constitutionnalité. Plus délicate est la question de l’autorité de l’interprétation constitutionnelle, qui a pu susciter des divergences, même si votre rapporteur y décèle une véritable autorité de chose interprétée…
Enfin, la position de la Moldavie mérite d’être soulignée. Les arrêts de la Cour représentent « une constatation juridique généralement obligatoire fondée sur la solution à une question constitutionnelle après avoir donné une interprétation officielle des normes respectives de la Constitution et une explication du contenu des normes alléguées ». De sorte que la force contraignante, comme c’est aussi le cas en Slovénie, recouvre l’interprétation.
2. Quant à l’étendue de la garantie de la Constitution, je ferai de brèves observations.
Les normes de contrôle comprennent, en plus du texte de la Constitution, souvent son préambule et les textes visés par lui, le cas échéant l’annexe de la Constitution (Bénin), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (not. Bénin, Burkina, Cameroun), la Déclaration universelle des droits de l’homme (par ex. Burkina), la Charte des Nations unies (par ex. Cameroun), la Charte nationale des libertés de 1990 au Gabon, la Déclaration d’indépendance en Moldavie, qui définit son « identité constitutionnelle », mais aussi les lois organiques (not. Albanie, Bénin, France, Maroc), les lois qualifiées d’octroi de compétences (Andorre), les règlements des hautes institutions publiques (Bénin).
Vos jurisprudences se réfèrent en outre à des principes généraux (par ex. Algérie), des principes à valeur constitutionnelle, des exigences ou des objectifs de valeur constitutionnelle (not. Cameroun, Maroc). En somme, un ensemble de normes non écrites qui se déduit au moins implicitement du texte de la Constitution et qui illustre, selon des nuances qu’il est difficile ici de retranscrire, le pouvoir sinon créateur au moins normatif de vos jurisprudences, et le rôle d’interprète constitutionnel authentique dévolue aux cours.
Par exemple, la Cour du Bénin a consacré la transparence, le pluralisme, la continuité de l’État, le principe du consensus national pour réviser la Constitution, le principe majorité/minorité dans le cadre de la pratique démocratique parlementaire… En Bulgarie, le droit constitutionnel jurisprudentiel s’illustre avec le droit de propriété et le droit des étrangers d’acquérir des terres. En France, en 1994, le Conseil a dégagé un principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, en se fondant sur le préambule de la Constitution de 1946. Au Maroc, le Conseil constitutionnel a dégagé le principe d’égalité des chances ainsi que l’interdiction et la lutte contre toutes les formes de discrimination, le principe du pluralisme politique, celui de la présomption d’innocence et plus récemment le principe des droits de la défense… pour ne citer qu’eux.
À l’exception de la Suisse, de la RDC, et de la Roumanie, où le concept n’est pas reconnu, vos jurisprudences établissent l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » selon une expression répandue en doctrine voire au sein même de la jurisprudence : Andorre, Burkina, Cameroun, Gabon, Liban, Madagascar, Maroc, Moldavie, Niger, Tchad, et Tunisie. Ce bloc n’est parfois qu’implicite, non expressément consacré (Congo, Côte d’Ivoire, Mozambique). À l’inverse, il peut résulter du texte constitutionnel, comme en Tunisie, où l’article 146 indique que « les dispositions de la Constitution sont comprises et interprétées en harmonie comme un tout indissociable ». On voit ainsi que le « bloc de constitutionnalité » est un moyen de préserver l’unité de valeur de cette diversité textuelle, mais qu’il est aussi un moyen d’encadrer – de guider – le travail d’interprétation.
Il est important de souligner que l’expression « bloc de constitutionnalité » présente deux significations opérationnelles. Elle désigne tantôt les normes posées par le pouvoir constituant, tantôt l’ensemble des normes auxquelles sont confrontées les dispositions faisant l’objet du contrôle de constitutionnalité. La seconde acception est plus large. Un exemple : en France, le Conseil constitutionnel exerce un contrôle obligatoire sur les lois organiques (normes contrôlées), avant d’utiliser celles-ci, notamment en matière financière, pour contrôler la loi ordinaire. De plus, les frontières du « bloc » peuvent être ajustées selon le champ de compétence ou la norme contrôlée.
Il importe aussi de souligner l’existence d’un quasi-(bloc de) constitutionnalité. Je pense ici aux lois « quasi-constitutionnelles » du Canada, qui ne sont pas formellement supra-législatives mais qui ont un statut spécial en raison de leur objet et du fait qu’elles expriment, pour reprendre la formule jurisprudentielle, « certains objectifs fondamentaux de la société ». Techniquement, ce statut de lois quasi-constitutionnelles présente deux effets. D’une part, les tribunaux canadiens leur donnent une interprétation large et libérale, « généreuse », qui s’accorde avec l’objectif visé. D’autre part, il est admis qu’en cas de conflit normatif avec une autre loi, les lois quasi-constitutionnelles bénéficient d’une préséance dans le processus de hiérarchisation des dispositions contradictoires.
Je termine en précisant que le contenu de ce bloc est plus ou moins riche. Une ligne de démarcation repose sur l’intégration du droit international au sein de ce bloc, ainsi qu’on l’a rapporté lors de la 1re session. Cela fait le lien avec les travaux de cette 2e session.
Le contrôle de la constitutionnalité des lois en Albanie : son étendue et son effectivité
Sokol Berberi, juge de la Cour constitutionnelle d’Albanie
Mesdames et Messieurs,
L’adoption d’une constitution marque en elle-même une étape historique importante pour le développement et l’avenir de chaque pays. En effet, la Constitution, comme Pactum societatis, est comprise comme une condition préalable à une coexistence pacifique et à une coopération constructive. En plus des règles qui régissent, et selon lesquelles est exercé et transmis le pouvoir politique, la Constitution, en tant que loi fondamentale, incarne les valeurs de base, les principes de gouvernement de la société ainsi que les plus hautes aspirations pour l’avenir qu’elle-même reconnaît. Celles-ci sont inscrites dans les constitutions premièrement sous forme de déclaration d’une volonté de faire partie d’une tradition juridique qui remonte parfois à une tradition datant de plusieurs siècles, et d’une « famille » constitutionnelle à laquelle de nombreuses nations appartiennent. C’est ainsi que le préambule de notre Constitution exprime, entre autres, les aspirations et la détermination du peuple « à construire un État de droit, démocratique et social, à garantir les droits et les libertés fondamentales… », définissant ainsi son avenir dans le cadre de la famille européenne.
Du point de vue normatif, la Constitution albanaise a établi une démocratie constitutionnelle. Cette affirmation est également attestée par la Cour constitutionnelle lorsque, dans une de ses décisions, elle déclare que « La démocratie constitutionnelle, établie par la présente Constitution, est fondée sur l’État de droit, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs et le respect des droits et des libertés fondamentales de l’homme » [1].
L’Albanie, en vertu de l’article 1er de la Constitution, est une république parlementaire. Notre système parlementaire, à la différence du modèle britannique, est inspiré par l’idée du constitutionnalisme, une idée qui s’exprime principalement par le biais de la constitution écrite, de la séparation des pouvoirs (article 7), de l’État de droit (article 4) et du contrôle de la constitutionnalité des lois par la Cour constitutionnelle (articles 124, 131).
Les démocraties contemporaines ne donnent pas une priorité absolue au principe majoritaire. Optant pour la limitation de l’exercice du pouvoir, elles prévoient des limites pour le domaine où la décision revient à la majorité, et confie d’ordinaire au pouvoir judiciaire la tâche de faire respecter ces limites. D’autre part, le propre de ces régimes politiques étant la limitation du pouvoir, le système judiciaire lui-même doit aussi être soumis à des limitations. La Cour constitutionnelle a jugé que dans un État de droit, tous les pouvoirs se confrontent aux contraintes et aux limites qui découlent de la Constitution. Le contrôle et les limites du pouvoir sont certainement une fonction essentielle de la Constitution.
Le principe expressément prévu à l’article 4 de la Constitution de la République d’Albanie, repris par de nombreuses dispositions, établit le principe de la suprématie de la Constitution et illustre la plus haute place qu’il occupe dans le système normatif. Le principe de l’État de droit exige que les lois et les autres actes normatifs soient en pleine conformité avec la Constitution. Conformément à l’article 124 de la Constitution, le contrôle de la constitutionnalité des normes juridiques s’exerce en dernière instance par la Cour constitutionnelle.
La première Cour constitutionnelle albanaise a été créée en 1992 [2]. À l’origine, le projet de la justice constitutionnelle est inspiré par le modèle italien et, dans une moindre mesure, par celui allemand. Cependant, la Constitution de 1998 a apporté des changements à la justice constitutionnelle albanaise. Elle ne reconnaît pas un rôle actif à la Cour, en ce sens que celle-ci ne peut pas se saisir de sa propre initiative (ex officio).
En plus de vérifier la constitutionnalité des lois, la Cour constitutionnelle exerce un certain nombre de compétences liées aux élections législatives, aux référendums, à la responsabilité pénale du président, à l’examen en dernière instance des plaintes individuelles pour non-respect d’un procès équitable, etc. Compte tenu du thème de cette conférence et du temps limité dont nous disposons, ce qui suit sera plutôt une explication des pouvoirs de la Cour pour le contrôle de la constitutionnalité des lois, les sujets qui ont le droit de saisir la Cour, les limites de son contrôle, la puissance et l’influence de ses décisions sur la société et le système judiciaire.
Mesdames et Messieurs,
La Cour constitutionnelle statue sur la conformité des lois avec la Constitution ou les accords internationaux ratifiés par le Parlement, ainsi que sur la compatibilité des actes normatifs des autorités centrales et locales avec la Constitution et les traités internationaux [3]. L’examen de la constitutionnalité des actes normatifs est réalisé par un contrôle préliminaire (a priori) et un contrôle dit « répressif » (a posteriori). En outre, le contrôle constitutionnel peut être soit un contrôle concret, soit un contrôle abstrait.
La Cour procède à l’examen des accords internationaux avant leur ratification par le Parlement. Si elle constate qu’un accord international se révèle non conforme à la Constitution, il ne pourra être ratifié par le Parlement sans éliminer cette inconstitutionnalité. La Cour n’a pas l’initiative de l’exercice de ce contrôle.
Selon la Constitution et la jurisprudence constitutionnelle, est soumis au contrôle a posteriori toute catégorie d’actes normatifs de l’ordre juridique interne, comme les lois, les règles de la procédure parlementaire, les ordonnances et d’autres actes ayant force de loi. La Constitution prévoit un contrôle de la constitutionnalité des actes normatifs aussi bien des autorités centrales que locales. C’est un contrôle abstrait et objectif – la saisine est mue par l’intérêt public.
Le contrôle de la constitutionnalité des actes normatifs couvre les aspects formels, procéduraux, juridictionnels et substantiels/matériels. Lors de ce contrôle, il importe de distinguer si l’acte dont l’abrogation est demandée est considéré comme ayant un caractère de norme générale, ou si au contraire il s’agit d’un acte administratif à caractère individuel, lequel, aux termes de l’article 131 de la Constitution, n’est pas inclus dans la compétence de la Cour constitutionnelle.
Le contrôle concret se réalise par la voie du contrôle incident, à la demande d’une juridiction ordinaire [4]. Conformément à l’article 145 de la Constitution : « Lorsque les juges estiment que la loi entre en conflit avec la Constitution, ils ne l’appliquent pas. Dans ce cas, ils suspendent la procédure et renvoient la question à la Cour constitutionnelle. » Ce contrôle se fait uniquement en ce qui concerne les lois et non pas les actes infra-légaux.
Dans l’exercice du contrôle abstrait, suivant la théorie de Kelsen, la Cour constitutionnelle de l’Albanie exerce le rôle de législateur négatif : la disposition déclarée inconstitutionnelle est éliminée définitivement de l’ordre juridique. Dans ce cas, la décision de la Cour revêt une puissance erga omnes, laquelle en effet ne vise pas seulement le contenu de la décision, mais aussi son raisonnement (rationes decidenti).
En règle générale, les décisions de la Cour qui abrogent une disposition légale tout en la déclarant inconstitutionnelle prennent effet à la date de l’entrée en vigueur de la décision (ex nunc). Exceptionnellement, les décisions de la Cour ont un effet rétroactif uniquement en trois cas : dans le cas d’une décision pénale qui est directement liée à la mise en œuvre de la loi ou de l’acte normatif abrogé ; lors d’une affaire en cours d’examen devant les tribunaux tant que les décisions judiciaires n’ont pas une forme définitive ; vis-à-vis des effets non encore épuisés de la loi ou de l’acte normatif abrogé.
La Cour constitutionnelle albanaise, on l’a vu, ne peut pas se saisir elle-même (ex officio) [5]. Selon la Constitution, le droit de saisir la Cour pour un recours en inconstitutionnalité d’une loi appartient uniquement à une catégorie déterminée de sujets. Ces sujets peuvent être divisées en trois catégories : a) les organes supérieurs de l’État ; b) différentes institutions et entités juridiques ; c) les juridictions ordinaires. En matière de contrôle de constitutionnalité d’une loi, la Constitution albanaise ne reconnaît pas les saisines/les requêtes individuelles adressées directement à la Cour constitutionnelle [6].
De nombreux spécialistes ont identifié plusieurs facteurs de la vie politique favorisant un accès accru à la justice constitutionnelle. Ne se considérant pas définitivement installés au pouvoir, les partis politiques sont alors à la recherche de garanties, et c’est pourquoi l’engouement pour le système judiciaire est le corollaire de l’alternance et du changement de politique (Ramseyer, J.M., 1994). D’après un autre point de vue, l’appel à la justice constitutionnelle est d’autant plus probable que les programmes politiques entre majorité et opposition sont nettement éloignés (Sweet, S. A., 2000). Un lien fort entre le Gouvernement et la majorité parlementaire ainsi qu’un processus législatif rapide poussent l’opposition à saisir la Cour (Sweet, S. A., 2000). À la lumière de ces considérations, il est possible d’expliquer, dans le contexte albanais, la raison pour laquelle les politiques (les minorités parlementaires) ont trouvé un intérêt à favoriser la justice constitutionnelle.
Durant ces dernières années, on assiste à une tendance croissante au contrôle de la constitutionnalité des lois à l’initiative des organisations non gouvernementales. Il serait souhaitable d’interpréter ce fait comme une confiance accrue de la société civile à l’égard de la Cour constitutionnelle. De nombreuses études ont analysé le rôle des groupes d’intérêt à cet égard. Selon un point de vue, cela peut être expliqué par la démocratisation de l’accès à la justice constitutionnelle ainsi que par la création des structures de support à la disposition des citoyens, instituées par des organisations et des cabinets juridiques spécialisés dans la protection des droits civils (Epp, C.R., 1999). D’un autre point de vue, l’élite et le public considèrent que le pouvoir législatif manque d’efficacité et que le processus législatif est relativement fermé (manque de représentativité), ils s’adresseront alors à l’autorité judiciaire (Tate, N. et Vallinder, T., 1995).
Parmi la troisième catégorie, nous comptons les tribunaux de juridiction ordinaire. Comme on l’a vu ci-dessus, le juge ordinaire peut demander à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi par la voie d’une question incidente (préjudicielle). Au cours de la période 1992-2014, les questions préjudicielles des tribunaux portant sur l’inconstitutionnalité d’une loi constituent le plus grand nombre du total des saisines liées à ce sujet, et la tendance est à la hausse. Cela témoigne d’une plus grande sensibilisation de l’ordre judiciaire vis-à-vis de la justice constitutionnelle. Un autre facteur pourrait être en effet le rôle des magistrats [7], qui sont plus actifs à cet égard. Cette affirmation doit cependant être tempérée pour ce qui est du rôle et de la propension de la Cour suprême à saisir la Cour constitutionnelle. À certains moments, on a observé des tensions entre la première et la seconde au regard de la répartition de leurs compétences
Comme cela a été le cas des pays de l’Est, dont fait également partie l’Albanie, la participation active des cours constitutionnelles à l’élaboration des politiques législatives a souvent joué un rôle important dans le développement et la consolidation de la Constitution, en particulier, du régime démocratique nouvellement établi et des principes de la primauté du droit [8].
Au début du xxie siècle, de nombreuses études montrent que les cours constitutionnelles ne se limitent plus au rôle traditionnel de législateur négatif puisque leur rôle ne se réduit plus à contrôler la constitutionnalité des lois, à déclarer leur inconstitutionnalité ou à les abroger lorsqu’elles sont en conflit avec la constitution. Les cours constitutionnelles ont assumé un rôle autrement plus actif lors de l’examen de la législation au regard de la constitution [9]. Selon Georges Vedel : « la vraie pierre de touche du “gouvernement des juges” se trouve dans la liberté que le juge constitutionnel s’octroie, non d’appliquer la Constitution ou de l’interpréter même de façon constructive, mais, sous quelque nom que ce soit, de la compléter sinon de la corriger par des règles qui sont sa propre création » [10].
Comme dans tous les pays où s’applique le contrôle constitutionnel des lois, la pratique constitutionnelle en Albanie met en évidence de nouvelles tendances concernant les relations entre la Cour constitutionnelle et le législateur, lesquelles se reflètent même dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Ces évolutions sont le résultat de l’internationalisation du droit constitutionnel, de la convergence et du rapprochement que partagent les juridictions constitutionnelles.
La Constitution albanaise a dupliqué de manière presque identique le catalogue des droits de l’homme prévus par la Convention européenne des droits de l’homme. De même, les articles 17 et 122 de la Constitution en se référant également aux traités internationaux sur les droits de l’homme, ratifiés par la loi, les intègrent dans l’ordre juridique interne. Ils prévalent ainsi sur les lois ordinaires. Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle se réfère constamment aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), reconnaissant d’ailleurs l’effet direct et le pouvoir contraignant de ses décisions dans le domaine de l’interprétation des standards constitutionnels sur les droits de l’homme et, en particulier, aux termes de l’article 42 de la Constitution, sur les droits à un procès équitable.
La convergence ou le rapprochement des constitutions a créé pour les cours des différents pays une excellente opportunité pour apprendre les unes des autres. Par exemple, la Cour constitutionnelle albanaise s’est référée dans de nombreux cas à la jurisprudence des cours constitutionnelles d’Europe, particulièrement à celle de l’Allemagne et de l’Italie.
Comme chaque fois qu’un pouvoir est attribué à un organe d’État qui n’a aucun moyen de se contrôler lui-même, il peut arriver que le contrôle constitutionnel puisse aussi être détourné et faire l’objet d’abus, sans la moindre possibilité pour les citoyens ou d’autres organes constitutionnels de contrôler son action. Il est important de garder cela à l’esprit, en particulier dans les régimes démocratiques, où la transformation des cours constitutionnelles en législateurs porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et à la responsabilité démocratique.
Il est important de noter que, lors de l’exercice de ses fonctions, le juge constitutionnel est soumis à certaines limitations essentielles. Ces limitations sont de nature procédurale, matérielle et éthique. Les contraintes de procédure qui concernent la saisine de la justice constitutionnelle, la juridiction, la légitimité des sujets qui sont à l’initiative de la demande, les délais, la disponibilité de la Cour, etc., jouent un rôle important à cet égard. La langue, les dispositions et l’architecture de la Constitution même constituent la source principale des barrières qui s’imposent aux juges dans la mise en œuvre de la Constitution. Chaque constitution a sa propre identité et authenticité. La technique du précédent et l’exigence de continuité sont une autre contrainte pour le juge. Comme l’indique l’ancien président de la Cour constitutionnelle italienne Gustavo Zagrebelsky, il ne serait pas souhaitable que la jurisprudence ne soit pas « vivante » ; toutefois, le développement se fait graduellement et les ajustements ou les corrections ont toujours lieu d’une manière progressive.
Dans tous les pays qui ont développé des systèmes pour vérifier la constitutionnalité des lois, il y a des discussions et des débats sur la légitimité, les limites du contrôle constitutionnel, l’étendue des effets des décisions de la cour constitutionnelle et le degré d’interférence autorisé dans le cadre de la fonction législative. Ces débats ont commencé dès la mise en place du contrôle constitutionnel et continueront d’exister parce que la tension est inévitable. En Albanie, le contrôle constitutionnel, comme le montrent les études et les rapports, jouit d’une grande légitimité et du soutien de l’opinion publique. Nous confirmons notre consécration que cette légitimité sera protégée et renforcée, au service de l’État de droit et du respect des droits de l’homme.
Je vous remercie de votre attention !
-
[1]
Voir la décision n° 12/2009 de la Cour constitutionnelle. [Retour au contenu] -
[2]
La loi constitutionnelle n° 7561/1992. [Retour au contenu] -
[3]
L’article 131 de la Constitution albanaise. [Retour au contenu] -
[4]
L’article 145 de la Constitution prévoit que « lorsque les juges estiment que la loi entre en conflit avec la Constitution, il ne l’applique pas. Dans ce cas, ils suspendent la procédure et renvoient la question à la Cour constitutionnelle ». [Retour au contenu] -
[5]
L’article 131 de la Constitution (1998) ne reconnaît pas à la Cour constitutionnelle le droit d’être saisie par elle-même, contrairement à la loi constitutionnelle n° 7561/1992 (article 25). Le constituant a visé par cela à limiter le rôle actif de la Cour. [Retour au contenu] -
[6]
Même dans cette direction le constituant a reflété une approche restrictive à l’investissement de la décision constitutionnelle. [Retour au contenu] -
[7]
Les magistrats sont les juges qui ont obtenu leur diplôme près de l’École de la Magistrature en Albanie, laquelle a été ouverte en 1996 avec le soutien du Conseil de l’Europe. [Retour au contenu] -
[8]
Voir Sadurski, Wojciech, Rights Before Courts : A study of Constitutional Courts in Postcommunist States of Central and Eastern Europe, Éditions. Springer, 2008, p. 125. [Retour au contenu] -
[9]
Voir Capppelleti M., Giudici legislatori, 1984, Giuffré, Milano ; Epp C.R., Holland K.M., Judicial Activism in Comparative Perspective, Macmillan, Houndmills, 1991 ; Stone A., Governing with Judges : The New Constitutionalism, J. Hayward and E. Page, Governing the New Europe, Blackwell, Oxford, 1995 ; The Rights Revolution : Lawyers, Activists and Supreme Courts in Comparative Perspective, Univ. Chicago Press, 1999. [Retour au contenu] -
[10]
Vedel G., “Souveraineté et supra-constitutionalité”, Pouvoirs, n° 67, 1993. [Retour au contenu]
Contrôle de la suprématie de la Constitution réalisé par la Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie
Tzanka Todorova Petrova, juge à la Cour constitutionnelle de Bulgarie
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs,
La Constitution de la République de Bulgarie a été adoptée par la Grande Assemblée nationale et est entrée en vigueur le 13 juillet 1991. À ce jour, elle a connu quatre amendements.
La Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie fut créée en vertu du paragraphe 1, alinéa 2 des Dispositions transitoires et finales de la Constitution et a commencé à fonctionner en 1991. Les règles de son fonctionnement furent déterminées par la Loi sur la Cour constitutionnelle publiée au Journal officiel no 67 du 16 août 1991.
Mon intervention est composée de deux parties.
I. Suprématie de la Constitution
Ci-dessous, quelques principes fondamentaux énoncés expressément par la Constitution elle-même :
1. La suprématie de la Constitution est proclamée par l’article 5, alinéa 1 qui stipule : « La Constitution est la loi suprême que les autres lois ne sauraient contredire », « Le rôle de loi fondamentale qui lui est attribué est incontestable. Il correspond totalement à la souveraineté populaire : « Tout pouvoir public émane du peuple. Le peuple exerce le pouvoir directement et par les organes prévus par la présente Constitution ».
2. La suprématie de la Constitution est totale et universelle. Elle est « la loi des lois ». Conformément à l’article 5, alinéa 2 « Les dispositions de la Constitution ont un effet direct ». Cette disposition témoigne de la suprématie de la Constitution dans le développement du droit constitutionnel bulgare et de la pratique de la justice constitutionnelle, y compris en tant que garantie du respect des droits des citoyens.
3. L’article 5, alinéa 4 de la Constitution stipule : « Les traités internationaux, ratifiés selon la procédure constitutionnelle, publiés et entrés en vigueur pour la République de Bulgarie, font partie du droit national de l’État. Ils ont la priorité sur les normes de la législation nationale si celles-ci sont en contradiction avec eux ».
On peut tirer quatre conclusions :
- premièrement, il faut respecter l’ordre constitutionnel en vigueur pour intégrer ces traités dans le droit interne ;
- deuxièmement, une fois intégrés dans le droit national, ces traités acquièrent le statut de lois et en tant que telles se soumettent à la Constitution ce qui signifie qu’ils ne sauraient la contredire (article 5, alinéa 1) ;
- troisièmement, les traités internationaux ont la primauté sur les normes législatives nationales si celles-ci sont en contradiction avec eux. S’il n’y a pas d’incompatibilité entre la législation nationale et le droit international, ce sont les lois nationales qui sont appliquées, mais en respectant les exigences juridiques internationales ;
- quatrièmement, les traités internationaux auxquels la Bulgarie est partie doivent ne pas contredire la Constitution comme les lois nationales. Cela se traduit par ailleurs par la compétence attribuée à la Cour constitutionnelle d’exercer un contrôle de constitutionnalité également sur les accords internationaux.
Les rapports entre le droit international et le droit constitutionnel bulgare sont définis conformément à l’article 5, alinéa 4 de la Constitution. L’interprétation de cette disposition doit tenir compte de l’amendement de la Constitution de 2005 (publié au JO, no 18 de 2005), qui stipule : « La République de Bulgarie participe à la construction et au développement de l’Union européenne ». C’est une formule générale qui désigne la place et l’importance qui sont réservées au droit de l’Union européenne, à ses règlements et directives, mais aussi aux accords auxquels l’Union européenne est partie.
4. L’obligation établie par l’article 58, alinéa 1 de la Constitution selon laquelle « les citoyens sont tenus de respecter et de suivre la Constitution et les lois » constitue elle aussi une expression de la suprématie de la Constitution.
5. La Constitution proclame expressément la République de Bulgarie « État de droit ». La disposition de son article 4 est explicite : « La République de Bulgarie est un État de droit. Elle est gouvernée conformément à la Constitution et aux lois du pays ». Le Préambule lui aussi énonce solennellement : nous « proclamons notre détermination de créer un État, démocratique, de droit et social ». Toutes les dispositions constitutionnelles renferment implicitement ce principe essentiel. Il sert de base à toutes les idées et propositions sur lesquelles repose la Stratégie de l’Assemblée nationale relative à la poursuite de la réforme de la législation (JO no 7 du 27.01.2015).
6. La création de la Cour constitutionnelle en tant qu’organe spécial chargé de l’exercice d’un contrôle de constitutionnalité concentré témoigne notamment de la reconnaissance de la suprématie de la Constitution et de l’instauration d’un État de droit. La Cour constitutionnelle n’exerce le contrôle diffus de constitutionnalité qu’à titre d’exception.
7. Le principe de la séparation des pouvoirs est un principe d’importance fondamentale. L’article 8 de la Constitution désigne de façon explicite les trois pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle souligne la nécessité d’une collaboration entre les trois pouvoirs et du respect du principe du pluralisme politique.
8. L’importance de l’évolution des droits de l’homme se révèle clairement dans l’article 57 de la Constitution. Son alinéa premier est impératif : « Les droits fondamentaux des citoyens sont inaliénables ». La Constitution bulgare attribue une grande importance à la création de conditions favorables à leur exercice (article 26, alinéa 1, article 14, article 44, alinéa 1, et articles 47, 56, etc.), ainsi qu’à la mise en place de garanties appropriées contre leur limitation et violation. Il est possible pourtant de procéder à une restriction provisoire à l’exercice de certains droits des citoyens, mais seulement en vertu de la loi et en présence de circonstances objectives prévues par la Loi fondamentale. La Constitution accorde la plus haute protection aux droits de l’homme et définit les droits qui ne peuvent faire l’objet d’aucune restriction.
9. Le maintien de la suprématie de la Constitution exige de protéger les principes et les valeurs qu’elle-même a proclamés. Une importance décisive pour la protection de la suprématie de la Constitution est accordée aux garanties institutionnelles établies par le droit constitutionnel en vertu des dispositions explicites de la Constitution elle-même (ladite autodéfense). Ces dispositions fixent de manière impérative les procédures de révision de la Constitution et celles relatives à l’adoption d’une nouvelle Constitution (conformément à l’article 153 à 158). Toutes ces dispositions sont d’effet direct (en vertu de l’article 5, alinéa 2 de la Constitution).
II. Le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie
1. La Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie jouit d’un statut particulier. Elle ne fait pas partie du système judiciaire et la Constitution lui a réservé un chapitre spécial.
La Cour exerce un contrôle de constitutionnalité concentré.
La légitimité du contrôle exercé par la Cour constitutionnelle est reconnue et respectée. Une question actuellement est discutée en Bulgarie : elle porte sur l’élargissement de la saisine en accordant aux citoyens le droit d’accès direct à la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire par l’introduction de la plainte constitutionnelle. Cette question fait partie du débat public sur la réforme du système judiciaire qui est en cours en Bulgarie.
2. La Cour constitutionnelle n’agit pas ex-officio, mais seulement lorsqu’elle est saisie par les sujets de droit exhaustivement énumérés par la Constitution. Lorsque la Cour est saisie par l’Assemblée nationale, la requête doit être signée par au moins un cinquième des députés dont le nombre total est de 240.
La pratique de la Cour constitutionnelle montre que le droit de saisine est accordé non seulement à la Cour suprême de cassation et à la Cour administrative suprême, mais également à leurs chambres et à leurs formations (article 150, alinéas 1 et 2 de la Constitution). Cela s’inscrit dans l’esprit d’élargissement des pouvoirs des organes juridictionnels et de développement des principes démocratiques au sein du système judiciaire et correspond à une meilleure protection des droits des citoyens (article 117, alinéa 1 de la Constitution).
En 2006, (JO no 27 de 2006) un nouvel alinéa 3 fut inséré dans l’article 150 de la Constitution accordant à l’Ombudsman le droit de contester la constitutionnalité d’une loi au motif qu’elle porterait atteinte aux droits et aux libertés des citoyens.
3. Les compétences de la Cour constitutionnelle sont énumérées par la Constitution et par l’article 12 de la Loi sur la Cour constitutionnelle.
Les compétences de la Cour sont délimitées par la Constitution. En vertu de l’article 149, alinéa 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle ne peut se voir attribuer ou retirer des compétences aux termes d’une loi. Cela traduit l’idée de stabilité et de durabilité de la justice constitutionnelle et garantit le respect de la séparation des pouvoirs.
4. Le contrôle de constitutionnalité fait partie des tâches fondamentales de la Cour constitutionnelle. Il peut être abstrait et concret et n’est exercé qu’a posteriori. Le contrôle a priori n’est admis que dans un seul cas prévu à l’article 149, alinéa 1.4 de la Constitution en vertu duquel la Cour constitutionnelle vérifie la conformité aux dispositions de la Constitution des traités internationaux avant leur ratification.
Le contrôle de constitutionnalité a pour objet de vérifier la conformité des lois à la Constitution. Il peut s’étendre également aux lois adoptées avant l’entrée en vigueur de l’actuelle Constitution. Selon la pratique de la Cour constitutionnelle, le Règlement de l’organisation et du fonctionnement de l’Assemblée nationale (article 73), ainsi que les résolutions adoptées par celle-ci peuvent faire eux-aussi l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
La Cour constitutionnelle n’est pas limitée par le moyen d’inconstitutionnalité évoqué dans la requête. Par contre, elle ne peut pas se prononcer au-dehors du petitum. La pratique de la Cour montre qu’elle peut se prononcer sur l’inconstitutionnalité non seulement des dispositions législatives ou de certaines parties de celles-ci, mais également sur un ensemble de normes.
La Cour constitutionnelle ne peut pas jouer le rôle de législateur positif. Elle ne peut qu’établir l’inconstitutionnalité de la disposition qui lui est soumise sans se prononcer sur le contenu de la future disposition.
La procédure suivie devant la Cour constitutionnelle est définie par la Cour elle-même conformément à la Loi sur la Cour constitutionnelle et au Règlement de son fonctionnement. La Cour se prononce sur la recevabilité de la requête par une décision préliminaire et sur le fond de l’affaire par une décision. Elle a le droit de consulter des parties intéressées. Elle est autonome dans son appréciation concernant le respect des exigences relatives à la saisine et au déroulement de la procédure.
Conformément à l’article 151, alinéa 2 et à l’article 33 du Règlement, les décisions de la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire leurs dispositifs et motivations, sont publiées au Journal officiel, ainsi que les opinions dissidentes et les positions des juges. Afin de répondre aux exigences de rapidité et de transparence de la procédure, le dispositif de chaque décision est annoncé immédiatement après la clôture de la séance.
Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives. Lorsque la Cour s’est prononcée sur une requête aucune autre requête ne peut être introduite pour le même motif (conformément à l’article 21, alinéa 5 de la Loi sur la Cour constitutionnelle).
5. L’article 149, alinéa 1.1 de la Constitution attribue à la Cour constitutionnelle la compétence de procéder à l’interprétation contraignante de la Constitution. En pratique, l’interprétation contraignante est une interprétation authentique.
L’exercice par la Cour constitutionnelle de la compétence d’interprétation contraignante, qui est une compétence distincte, a joué un rôle important et constructif dans le processus des changements démocratiques en Bulgarie. Cette technique est nécessaire pour le déroulement des processus d’intégration auxquels l’État bulgare participe dans le cadre de transfert de compétences à l’Union européenne. La Cour a rendu plusieurs décisions sur cette question, à savoir : décisions nos 3/2003, a. c. no 22/2002 et 3/2004, a. c. no 3/2004, JO no 3/2004, JO no 61/2004 relatives à l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne (interprétation des articles 153 et 158 de la Constitution) ; décisions nos 2/2005 a. c. no 9/2004 (JO no 16/2005) sur saisine de la chambre commerciale de la Cour suprême de cassation ; 13/2010, a. c. no 12/2010 relative à l’interprétation de la catégorie juridique de mandat et les conditions de sa cessation avant terme et la décision préliminaire du 17 mars 2015, a. c. no 1/2015 relative à l’interprétation de l’article 12, al. 2 de la Constitution.
6. Dès l’étape préparatoire de l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne, le constituant bulgare était pleinement conscient de la nécessité d’adapter les compétences de la Cour constitutionnelle aux conditions induites par l’adhésion et de la nécessité de l’harmonisation de la législation nationale avec le droit communautaire. Par ailleurs, les lois bulgares doivent dorénavant être conformes non seulement à la Constitution bulgare, mais également au droit de l’Union européenne. Par conséquent, la Cour constitutionnelle a pu réexaminer et enrichir son expérience en matière de contrôle de constitutionnalité. En ce sens, ses décisions no 3 de 2004, no 7 de 2006 et no 8 de 2006 acquièrent une grande importance. Selon l’interprétation contraignante et abstraite donnée par la Cour dans la décision no 3 de 2004, les actes du droit primaire de l’Union européenne sont des accords au sens de l’article 5, alinéa 4 de la Constitution et conformément aux conditions prévues, leurs dispositions sont intégrées dans le droit interne bulgare. D’après la motivation de cette décision, l’exigence prévue à l’article 24, alinéa 2 de la Constitution relative à l’établissement d’un « ordre international équitable » constitue la base et le cadre de l’adhésion de la Bulgarie à l’UE, tandis que les dispositions de l’article 4 de la Constitution complétées par le nouvel alinéa 3 stipulant que « La République de Bulgarie participe à la construction et au développement de l’Union européenne » s’inscrivent complètement dans cet esprit. Cela contribue au développement et à la dynamique des compétences de la Cour constitutionnelle, même en l’absence d’un ajout explicite à l’alinéa 1 de l’article 149 de la Constitution attribuant une nouvelle compétence à la Cour, celle d’exercer un contrôle pour vérifier la conformité des lois bulgares au droit de l’Union européenne, ce qui est par ailleurs discuté de lege fereneda. En réalité, la Cour constitutionnelle se réfère au droit communautaire et vérifie la conformité des lois à ses normes, même lorsque le requérant ne l’a pas demandé. Pour fonder sa thèse en faveur de la constitutionnalité ou de l’inconstitutionnalité d’une loi, la Cour constitutionnelle trouve souvent des arguments tirés des arrêts de la Cour européenne de Strasbourg et de la Cour de Luxembourg. Cela se rapporte non seulement au règlement des cas concrets, mais contribue également à l’instauration d’une harmonie entre les deux systèmes juridiques et au respect des exigences du droit international. Dans sa décision no 1 de 2008, affaire constitutionnelle no 10 de 2007, la Cour dit : « En vertu de l’article 149, alinéa 1.4 de la Constitution, lorsque la Cour est dûment saisie, elle peut se prononcer sur la conformité d’une loi aux accords internationaux auxquels la Bulgarie est partie… En cas de contradiction, c’est le Règlement de l’Union européenne qui a la primauté sur les actes normatifs bulgares. En ce qui concerne la Directive de l’Union européenne, c’est un acte dont les principes et les objectifs engagent tout État membre à mettre son droit national en conformité avec son contenu (article 249, alinéas 2 et 3 du Traité instituant la Communauté européenne). C’est le droit national qui, notamment, peut faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité ».
Les amendements susmentionnés comportent des points communs : ainsi, tous protègent la suprématie de la Constitution et, portent sur le transfert à l’Union européenne de pouvoirs découlant directement de la Constitution. Tel est par ailleurs l’énoncé de la disposition de l’article 85, alinéa 1.9 de la Constitution. Ces amendements ont contribué au maintien de la suprématie de la Constitution et à la mise en place de démarches visant à l’intégration du droit de l’Union européenne dans le droit bulgare. D’autant plus que toutes les lois portant ratification d’accords internationaux, aux termes de l’article 85, alinéa 1.9 de la Constitution, sont adoptées par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers de tous les députés. La Constitution a la primauté sur les traités internationaux, y compris sur ceux relatifs à l’exercice de compétences par l’Union européenne. L’article 85, alinéa 4 de la Constitution stipule que « La signature de traités internationaux qui exigent des amendements à la Constitution doit être précédée de l’adoption de ces amendements ». Il est évident que toutes ces dispositions ont une importance pour le maintien de la suprématie de la Constitution et pour la garantie de la souveraineté et de la prospérité de la République de Bulgarie. Elles ont certainement une importance à l’échelle internationale et communautaire.
7. Le 21 janvier 2015 l’Assemblée nationale a approuvé la Stratégie actualisée relative à la poursuite de la réforme du système judiciaire, élaborée par le Conseil des ministres. L’approbation de cette Stratégie place les questions relatives à la Grande assemblée nationale (qui est une Assemblée constituante) au centre de l’actualité. Les compétences de la Grande assemblée nationale sont énumérées dans l’article 158 de la Constitution. En principe, elle n’intervient que pour réaliser les objectifs pour lesquels elle a été élue. La question qui est de nouveau évoquée est celle de savoir si les amendements de la Constitution en cours de préparation doivent être adoptés par la Grande assemblée nationale ou par l’Assemblée nationale ordinaire. Les compétences de la Grande assemblée nationale portent sur des questions fondamentales telle la souveraineté populaire et la souveraineté nationale, ainsi que l’inaliénabilité des droits fondamentaux des citoyens.
*
La suprématie de la Constitution est un acquis de l’État démocratique. Voilà pourquoi il est tout à fait justifié que les citoyens demandent que les grands problèmes auxquels ils font face soient réglés selon les prescriptions de la Constitution et par la Cour constitutionnelle. Sont également fondées leurs demandes concernant la révision de certains textes de la loi fondamentale, ainsi que celles relatives aux démarches plus radicales, à savoir l’adoption d’une nouvelle Constitution qui corresponde d’avantage aux besoins de la société et dont les dispositions prévoient de nouvelles possibilités pour la participation des citoyens à la gouvernance de l’État et à la solution des problèmes relatifs au pouvoir judiciaire et qui leur permettent d’exercer un contrôle effectif sur l’action des institutions publiques.
Du préambule de la Constitution marocaine
Amine Benabdallah, membre du Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc
Dans le langage courant et en droit, le terme « préambule » revêt approximativement la même signification. Ici et là, c’est l’idée d’entrée en matière, d’exorde qui est suggérée. Au sens large, d’après le Littré, il se définit comme une introduction qui prépare à ce qui doit suivre. Dans le Robert, l’accent est mis sur l’aspect juridique du terme, « ce dont on fait précéder un texte de loi pour en exposer les motifs, les buts ; c’est un exposé préalable à un discours ou un écrit »
Si, dans cette optique, la notion de préambule s’inspire et découle de la démarche littéraire, ou même rhétorique, il faut dire que dans sa spécificité juridique, et spécialement en droit constitutionnel, le préambule, en tant que technique ou outil d’expression, dépasse le caractère de la pure introduction pour se confondre quelquefois avec la formule de déclaration des droits lorsqu’il énonce de manière solennelle des principes de base qui constituent le socle de tout ce qui peut suivre.
Quelle est alors la signification d’un préambule constitutionnel ? Quelle est sa valeur juridique ? En somme, sa place dans le bloc de constitutionnalité et, par voie de conséquence, ses effets juridiques sur la constitutionnalité des lois ?
Pour des éléments de réponse à cette interrogation, et à la faveur de la lecture des constitutions de divers États, on se propose une démarche en trois phases.
D’abord, on peut observer que le préambule n’est pas présent dans toutes les constitutions. Ensuite, lorsqu’il est présent, son contenu varie d’une constitution à l’autre. Enfin, du point de vue qui nous concerne, il ne peut avoir d’effets juridiques qu’à partir de ses dispositions réellement normatives.
I
En jetant un bref regard sur les constitutions de nombre de démocraties, on peut relever que plusieurs d’entre elles sont dépourvues de préambules.
Ainsi en est-il de la Constitution allemande du 23 mai 1949, où le préambule constitue une simple introduction de deux paragraphes placés avant le titre consacré aux « droits fondamentaux ». Le premier annonçant que le peuple allemand, conscient de sa responsabilité et en tant que membre à part entière d’une Europe unie a, en vertu de son pouvoir constitutionnel, adopté la Loi fondamentale. Et, le second, proclamant que les Allemands des Länder, ont parachevé l’unité et la liberté de l’Allemagne et que, de ce fait, la Loi fondamentale est applicable à l’ensemble du peuple allemand.
La même observation peut être faite à propos de la Constitution espagnole du 29 décembre 1978 dont le préambule consiste en une proclamation de volonté de la Nation espagnole, énumérant les objectifs de l’adoption de la Constitution, avant un titre préliminaire traitant « des droits et des devoirs fondamentaux ».
Quant à la Constitution italienne du 27 décembre 1947, elle ne contient aucun préambule. Elle débute directement par un énoncé de « principes fondamentaux » suivi d’une partie sur les « devoirs et droits des citoyens ».
Il en est de même en Belgique où la Constitution du 17 février 1994 débute par un titre I « De la Belgique fédérale, de ses composantes et de son territoire ».
Enfin, dernier exemple, celui de la Constitution fédérale de la confédération suisse du 18 avril 1999 qui débute par un paragraphe de renouvellement d’alliance, de détermination à vivre ensemble et d’assumer la responsabilité envers les générations futures.
Ces exemples permettent d’avancer que le préambule n’est pas général à toutes les constitutions et qu’il peut se présenter comme une simple introduction aux articles mêmes de la constitution. C’est une introduction qui annonce, proclame une volonté, énumère des objectifs, bref qui, malgré toute la solennité qu’elle impose, demeure un préambule au sens restreint du terme.
II
Mais, lorsqu’il existe, le préambule a pour objet de guider le constituant, puis le législateur dans son travail, et surtout d’indiquer dans quelles perspectives doit s’inscrire la production normative en faisant état d’un certain nombre d’éléments qui constituent le référentiel juridique.
De ce point de vue, il est à considérer comme l’expression de la conscience collective de la nation à un moment donné, celui de la rédaction de la constitution ; il proclame les fondamentaux, les idées de base sur lesquelles tous ceux qui adhèrent à la constitution sont d’accord.
S’exprimant sur le préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946 (Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1947, p. 355), R. Pelloux avait formulé des réflexions qui semblent toujours d’actualité.
Pour l’auteur, le préambule a une double dimension. Il proclame et reconnaît les grands principes qui commandent l’évolution économique et sociale, et consolident les résultats déjà acquis et, en même temps, il vise à amorcer les progrès futurs et à donner des mots d’ordre, voire des consignes juridiquement obligatoires au législateur de demain.
Actuellement, à la lecture de certaines constitutions, on peut remarquer que c’est un texte qui dans une large mesure, se réfère au passé, envisage le présent pour se tourner résolument vers l’avenir.
On se contentera de trois exemples tout à fait topiques.
- Le préambule de la Constitution de la République du Bénin qui traçant les phases qui ont succédé à son indépendance affirme que « les changements successifs de régimes politiques et de gouvernements n’ont pas émoussé la détermination du peuple béninois à rechercher dans son génie propre, les valeurs de civilisation culturelles, philosophiques et spirituelles qui animent les formes de son patriotisme ».
- De même, dans la Constitution algérienne qui affirme qu’elle est « l’œuvre du génie propre et des aspirations du peuple algérien » rappelant « qu’il a conquis son indépendance par une lutte contre le pouvoir colonial et recherche dans son génie propre les valeurs de civilisation, culturelles, philosophiques, spirituelles qui animent les formes de son patriotisme, fruit de sa détermination et produit de profondes mutations sociales ».
- Enfin, dans la Constitution tunisienne, il est énoncé « Nous, représentants du Peuple tunisien, membres de l’Assemblée nationale constituante, fiers des luttes de notre peuple pour l’indépendance, pour l’édification de l’État, pour l’élimination de la dictature, pour l’affirmation de sa libre volonté et la réalisation des objectifs de la Révolution de la liberté et de la dignité du 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011 ; Fidèles au sang de nos valeureux martyrs, aux sacrifices des tunisiens et des tunisiennes au fil des générations, et afin de rompre avec l’injustice, l’iniquité et la corruption ».
Ceci dit, force est de reconnaître que ce qui intéresse le juriste, et plus précisément le juge constitutionnel, c’est naturellement la valeur juridique du préambule et de sa place dans le bloc de constitutionnalité.
III
À l’inverse de ce que l’on a vu tantôt quant à l’absence de préambule dans la Constitution, on peut relever que dans certaines chartes fondamentales, il est expressément déclaré que le préambule fait partie intégrante de la Constitution.
C’est le cas, par exemple, du Burkina Faso, constitution du 2 juin 1991 ; de la République du Sénégal, constitution du 7 janvier 2001 ; du Royaume du Maroc, constitution du 29 juillet 2011, de la République tunisienne, constitution du 7 février 2014, article 145.
Est-ce à dire alors que lorsque le constituant ne précise pas la place du préambule dans la hiérarchie des normes, celui-ci ne fait pas partie intégrante de la Constitution ?
L’affirmative serait complètement inexacte car si un préambule introduit une Constitution, c’est bien pour en faire partie, et non point s’en détacher pour être sans valeur aucune et ne relever que de la simple phraséologie et faire office de parure constitutionnelle. Même s’il ne contient que des termes sans effets juridiques immédiats et applicables d’eux-mêmes, il demeure, compte tenu de sa substance, une base, un fondement – si ce n’est la base et le fondement – des titres de la Constitution dont les dispositions doivent être en phase avec l’esprit qu’il dégage. Sinon, quelle serait son utilité ?
Néanmoins, la question qui se pose concerne moins son contenu dans son ensemble que ses effets juridiques sur la loi lors de son appréciation par rapport à la Constitution.
À cet égard, justement, il faut dire que dans le préambule, il peut y avoir des dispositions à caractère normatif qui se suffisent à elles-mêmes et d’autres qui ne peuvent être que la traduction d’engagements qui ne sauraient constituer, au même titre que les premières, un référentiel pour l’appréciation de la constitutionalité d’une loi. Somme toute, des dispositions qui font figure de promesses qui impliquent une obligation beaucoup plus de moyens que de résultats. Mais, en tout cas, des engagements qui, en cas de besoin, peuvent orienter dans l’interprétation des dispositions juridiques qui manquent de clarté tout en étant dans le corps de la constitution.
En fait, le préambule ne peut avoir de signification réelle pour le juge que s’il ne contient pas seulement l’énoncé de principes généraux plus ou moins vagues à portée plus morale et philosophique que juridique, mais des dispositions précises susceptibles d’application. De l’ensemble composite dont il est généralement tissé, il revient au juge d’en extraire les dispositions qui ont réellement une implication juridique directe et normative.
Les exemples ne manquent pas, et, pour faire bref, l’on se contentera de quelques-uns !
- Dans la Constitution marocaine du 29 juillet 2011, et depuis celles de 1992 et 1996, l’affirmation de l’attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus. Cette phrase, où la référence au caractère universel ne saurait être sans signification, n’opère-t-elle pas une ouverture sur un champ aux frontières que l’on peut qualifier d’indéfinies ?
De même que dans le préambule de la même Constitution, il est précisé que l’État réaffirme et s’engage à (…) « bannir et combattre toute forme de discrimination à l’encontre de quiconque, en raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture, de l’origine sociale ou régionale, de la langue, du handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit ». - Dans la Constitution sénégalaise, on peut voir la référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui, comme on le sait, est un document de 17 articles ; de même que dans la Constitution du Burkina Faso, on peut remarquer la souscription à la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et aux instruments internationaux traitant des problèmes économiques, politiques, sociaux et culturels.
- Enfin, pour ne se contenter que de ces exemples, dans la Constitution française, on relèvera « l’attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004. Et, l’on rappellera que c’est en se fondant sur les dispositions de la Déclaration de 1789 que le juge constitutionnel français a rendu sa fameuse décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association, décision dans laquelle le préambule avait fait figure de vedette en occupant la place centrale.
C’est dire alors, pour conclure, que lorsqu’un préambule introduit une constitution, il est susceptible de contenir des dispositions qui renforcent les acquis, voire consacrent des évidences auxquelles la référence permet d’éclairer dans l’interprétation des articles de la constitution elle-même. Mais en même temps, il peut comprendre des dispositions normatives qui s’imposent au législateur et au juge et dont la méconnaissance implique l’inconstitutionnalité. Et, dans les deux cas, on peut dire que la valeur juridique du préambule est incontestable car dès lors qu’il existe, il fait partie intégrante de la constitution.
L’étendue et l’effectivité du contrôle de constitutionnalité dans l’ordre interne et précisément en République démocratique du Congo
Noël Kilomba Ngozi Mala, membre de la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo
I. Introduction
Actuellement, la Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution, consacre la séparation des pouvoir à l’instar des autres constitutions des différents pays du monde. Elle prévoit à l’article 68 que « les institutions de la République sont : le président de la République, le Parlement, le Gouvernement, les cours et tribunaux ».
Aux termes de l’article 149 alinéas 1 et 2 de la Constitution « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Haute cour militaire ainsi que les cours et tribunaux civils et militaires ».
En effet, la séparation des pouvoirs dans la Constitution de la RD Congo met en exergue deux figures : à savoir, l’indépendance organique des autorités et la séparation fonctionnelle des pouvoirs. L’indépendance organique des autorités implique qu’aucun des pouvoirs n’intervient dans la révocation d’un autre, alors que la séparation fonctionnelle des pouvoirs implique que le pouvoir exécutif exécute les lois, le pouvoir législatif les confectionne et le pouvoir judiciaire dit le droit, mais aucun des pouvoirs n’assure la plénitude absolue de ses fonctions.
Par conséquent, il y a toujours des fonctions de l’exécutif qui sont exercées par le législatif et le judiciaire, des fonctions du législatif exercées par l’exécutif et le judiciaire et des fonctions du judiciaire qui sont exercées par l’exécutif et le législatif.
À titre illustratif, le Parlement adopte la loi de finances (le budget de l’État) qui est promulguée par le président de la République, mais dont certaines dispositions peuvent être censurées par la Cour constitutionnelle au cas où elle serait saisie en contrôle de constitutionnalité. Le Gouvernement a l’initiative de loi de même que les députés et sénateurs, etc.
La Constitution de la République démocratique du Congo comprend donc plusieurs points de contrôle et d’équilibre entre les trois pouvoirs régaliens à savoir l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
L’alinéa 1er de l’article 158 de la Constitution énonce que les neuf membres de la Cour constitutionnelle sont nommés par le président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature.
Cependant aux termes de l’article 10 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « avant d’entrer en fonction, les membres de la Cour constitutionnelle sont présentés à la Nation, devant le président de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil supérieur de la magistrature représentée par son Bureau. Ils prêtent devant le président de la République le serment suivant : “Moi, … Je jure solennellement de remplir loyalement et fidèlement les fonctions de membre de la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo, de les exercer en toute impartialité, dans le respect de la Constitution, de garder le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence de la Cour constitutionnelle et de n’entreprendre aucune activité mettant en cause l’indépendance, l’impartialité et la dignité de la Cour” ».
Le président de la République leur en donne acte.
Par contre, aux termes de l’article 160 de la Constitution, la « Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi.
Les lois organiques, avant leur promulgation, et les règlements intérieurs des chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, avant leur mise en application, doivent être soumis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
« Aux mêmes fins d’examens de la constitutionnalité, les lois peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle, avant leur promulgation, par le président de la république, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou le dixième des députés ou des sénateurs ».
La Cour constitutionnelle statue dans le délai de trente jours. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours » (article 139 de la Constitution).
Il sied également de relever qu’avant d’entrer en fonction, le président de la République conformément au prescrit de l’article 74, alinéa 2 de la Constitution prête le serment devant la Cour constitutionnelle : « Moi… élu président de la République démocratique du Congo, je jure solennellement devant Dieu et la nation :
- d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République ;
- de maintenir son indépendance et l’intégrité de son territoire ;
- de sauvegarder l’unité nationale ;
- de ne me laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine ; – de consacrer toutes mes forces à la promotion du bien commun et de la paix ;
- de remplir, loyalement et en fidèle serviteur du peuple, les hautes fonctions qui me sont confiées ».
Cette énumération des quelques points de contrôle dans la Constitution de la République démocratique du Congo n’est qu’exemplative, car il y en a plusieurs. Le contrôle de constitutionnalité fait donc partie de ces points de contrôle et d’équilibre dans la séparation des pouvoirs en République démocratique du Congo. Il est consacré par les articles 139 et 160 de la Constitution. Dès lors, il est impérieux de présenter une brève description de la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo qui vient à peine d’être installée le 4 avril 2015. Toutefois il y a lieu de relever que le vide juridique n’a jamais existé, car depuis plusieurs années, c’est la Cour suprême de justice qui faisait fonction de Cour constitutionnelle.
II. De la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo
1. Genèse de la Cour
La Cour constitutionnelle a été consacrée en RD Congo par l’article 226 du titre VI de la loi fondamentale de 1960 signée à Bruxelles le 19 mai 1960 dans le temps ayant précédé l’accession du pays à l’indépendance, mais elle ne vient d’être installée qu’après 54 ans. Cette disposition disait que « La Cour constitutionnelle est composée d’une chambre de constitutionnalité, d’une chambre des conflits et d’une chambre d’administration).
L’article 157 de la Constitution de la RD Congo du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour énonce que : « il est crée une Cour constitutionnelle ».
Après la promulgation de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, le Président de la République Démocratique démocratique du Congo, Joseph Kabila Kabange a, par ordonnance n° 14/020 du 7 juillet 2014, nommé les neuf membres de la Cour constitutionnelle à savoir : Monsieur Banyaku Luape Epote Eugène, Esambo Kangashe, Funga Molima, Kalonda Kele Oma Yvon, Kilomba Ngozi Mala, Luzolo Bambi Lessa, Lwamba Bindu Benoît, Vunduawe Te Pemako Félix, Wasenda N’songo Corneille.
Subséquemment, par ordonnance n° 15/022 du 31 mars 2015 portant nomination d’un membre de la Cour constitutionnelle, le président de la République Démocratique du Congo nomma Monsieur Mavungu Mvumbi-di-Ngoma Jean-Pierre en qualité de membre de la Cour constitutionnelle en remplacement du Monsieur Luzolo Bambi Lessa appelé à d’autres fonctions.
Ainsi, les neuf membres de la Cour constitutionnelle ont été présentés à la Nation et prêté serment devant le président de la République le 4 avril 2014 au Palais du Peuple conformément à l’article 10 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
Ils ont élu le 11 avril 2015 leur président en la personne de Monsieur Lwamba Bindu Benoît conformément aux articles 9 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle et au Règlement intérieur de la Cour. Celui-ci a été investi par le président de la République par ordonnance n° 15/024 du 11 avril 2015 portant investiture du président de la Cour constitutionnelle. Cette Cour a adopté le 30 avril 2015 le Règlement intérieur définitif, lequel a été transmis au Journal officiel pour publication.
2. Des membres de la délégation de la Cour constitutionnelle au Congrès de Lausanne de l’ACCPUF
Le président de la Cour constitutionnelle de la RD Congo nous a chargés de transmettre ses très sincères salutations au président de l’ACCPUF, à Madame la Secrétaire générale de l’ACCPUF, à tous les présidents des Cours constitutionnelles présents à ce Congrès, à toutes les délégations des différents pays et tous ceux qui ont œuvré à la tenue de ce congrès et a relevé que la Cour constitutionnelle de la RD Congo y attache une attention particulière. C’est pourquoi il a tenu que la Cour constitutionnelle de la RD Congo soit représentée par une forte délégation constituée des personnes ci-après :
- Monsieur Kilomba Ngozi Mala Noël, membre de la Cour constitutionnelle ;
- Monsieur Wasenda N’Songo Corneille, membre de la Cour constitutionnelle ;
- Monsieur Kakozi Lumwanga Pitchou, directeur adjoint du Cabinet du président de la Cour constitutionnelle ;
III. De l’étendue du contrôle de constitutionnalite dans l’ordre interne en République démocratique du Congo
1. Définition des concepts « contrôle » et « constitutionnalité »
Il est en liminaire nécessaire de saisir la quintessence de ces deux concepts avant de baigner dans les méandres du contrôle de constitutionnalité en droit interne congolais. Bien avant notre ère, Aristote père des théories de l’argumentation tant topique que logique a mis au point la science des syllogismes, la théorie des définitions ainsi que les principes logiques (dont le principe de non-contradiction). Sur le plan topique, il théorise les arguments dialectiques et rhétoriques, qui mettent en jeu des prémisses probables et non nécessaires (Stefan Goltzberg, L’Argumentation juridique, Éd. Dalloz, Paris 2013, p. 6).
« Le contrôle, mot dérivé de contre-rôle et composé de contre et de rôle du latin « rotulus », est défini comme une vérification de la conformité à une norme d’une décision, d’une situation, d’un comportement, etc. ; opération consistant à vérifier si un organe public, un particulier ou un acte respectent les exigences de leur fonction ou des règles qui s’imposent à eux. Ex. Contrôle fiscal, contrôle de la régularité d’un compte. Comparable à l’inspection, redressement, rectification, certification ».
La constitutionnalité est définie comme le caractère de ce qui a la nature d’une disposition constitutionnelle. Ex. question de la constitutionnalité de la Déclaration des droits de l’homme. Dans le deuxième sens la constitutionnalité signifie le caractère de ce qui est conforme à la Constitution ; en ce sens elle a comme antonyme inconstitutionnalité. Comp. légalité, légitimité, licéité, régularité » (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10e édition mise à jour « Quadrige » : 2014 janvier, p. 252) ».
Deux types de contrôle de constitutionnalité sont consacrés dans la Constitution de la RD Congo à savoir le contrôle a priori et le contrôle a posteriori. Le contrôle a priori intervient avant la promulgation de la loi alors que le contrôle a posteriori s’exerce après cette promulgation. La loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, s’agissant des modes de saisine de la Cour, parle du contrôle par voie d’action et du contrôle par voie d’exception.
2. Du contrôle par voie d’action
A. Du contrôle de constitutionnalité a priori
Il s’agit du contrôle exercé par la Cour constitutionnelle avant la promulgation de la loi. Ce contrôle est obligatoire pour toutes les lois organiques en RD Congo ainsi que les règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie avant leur mise en application (article 160 de la Constitution).
1. De la base légale du contrôle a priori
Le contrôle a priori est consacré par les articles 139 et 161, alinéa 2 de la Constitution, 44 à 47 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
2. De l’économie du contrôle a priori
La compétence de la Cour constitutionnelle pour exercer le contrôle de constitutionnalité est justifiée par l’article 160, alinéa 1 de la Constitution qui énonce que « la Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi ».
Aux termes de l’article 160, alinéa 2 de la Constitution, les lois organiques avant leur promulgation, et les règlements intérieurs des chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, avant leur mise en application, doivent être soumis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
« Aux mêmes fins d’examen de la constitutionnalité, surenchérit l’alinéa 3 de l’article 160 de la Constitution, les lois peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle, avant leur promulgation, par le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou le dixième des députés ou des sénateurs.
La Cour constitutionnelle statue dans le délai de trente jours. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours précis » édicte l’alinéa 3 de l’article 160 de la Constitution.
En fait, les lois organiques avant la promulgation sont soumises obligatoirement à un contrôle a priori de leur conformité à la Constitution tout comme les règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et ceux des institutions d’appui à la démocratie précitées avant leur mise en application. L’article 45 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle parle des règlements des institutions d’appui à la démocratie sans les citer nommément, et il y a lieu de conclure que les règlements intérieurs de toutes les institutions d’appui à la démocratie doivent être soumis au contrôle de constitutionnalité.
Il y a lieu de relever parmi ces institutions d’appui à la démocratie, la Commission nationale des droits de l’homme dont le règlement intérieur doit, avant sa mise en application, être soumis au contrôle de conformité à la Constitution, conformément l’article 10 de la loi organique n° 13/011 du 21 mars 2013 portant institution, organisation et fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme qui édicte que : « L’Assemblée plénière adopte, avant la mise en place du bureau le règlement intérieur. Ce règlement ne peut être mis en application que si la Cour constitutionnelle le déclare conforme à la Constitution dans les quinze jours de sa saisine. Passé ce délai, le règlement est réputé conforme ».
Une loi organique est définie plus vaguement par Gérard Cornu comme celle qui se rapporte à un organe et l’on peut définir par élimination la loi ordinaire comme celle ne se rapportant pas à un organe au sens fonctionnel.
Il est établi que les prescrits des articles 139 et 160, alinéa 2 et 3 de la Constitution sont presque identiques dans la mesure où la combinaison de ces deux dispositions fait ressortir la prérogative reconnue au président de la République, au Premier ministre, au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat ou le dixième des députés ou sénateurs de déférer avant leur promulgation aux mêmes fins d’examen de la constitutionnalité les lois à la seule différence que l’article 139 in fine de la Constitution précise que « passée ce délai imparti à la Cour constitutionnelle pour exercer son contrôle, la loi est réputée conforme à la Constitution ».
En substance, seules les lois organiques, les règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie sont obligatoirement soumis au contrôle a priori de constitutionalité dans un délai de 15 jours et il en est même des modifications de ces règlements intérieurs.
Mais s’agissant des lois ordinaires, les autorités énumérées aux articles 139 et 160, alinéa 3 de la Constitution et 47 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle peuvent saisir la Cour constitutionnelle par un recours visant à faire déclarer une loi à promulguer non conforme à la Constitution dans un délai de 15 jours à partir de la transmission à eux faite pour le président de la République et le Premier ministre, et dans les quinze jours qui suivent l’adoption définitive pour les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat et le dixième des députés et des sénateurs.
C’est ainsi qu’en vertu de l’article 160, alinéa 3 de la Constitution, le président de la République démocratique du Congo, par sa requête du 23 décembre 2013 déposée au greffe de la Cour suprême de justice le 28 du même mois, sollicita de la Cour suprême de justice faisant fonction de Cour constitutionnelle, le contrôle de conformité à la Constitution de la loi portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité. L’issue de requête sera abordée dans le point consacré à l’effectivité du contrôle de constitutionnalité.
3. Du contrôle de constitutionnalité après la promulgation des lois, des actes ayant force de loi, et publication des actes réglementaires des autorités administratives
L’article 43 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle prescrit que : « la Cour connaît de la constitutionnalité des traités et accords internationaux, des lois, des actes ayant force de loi, des édits, des règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie ainsi que des actes réglementaires des autorités administratives ».
En effet, toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire énonce l’article 162, alinéa 2 de la Constitution alors que l’article 43 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dispose que « toute personne peut saisir la Cour pour inconstitutionnalité de tout acte visé à l’article 43 de la présente loi organique à l’exception des traités et accords internationaux.
Ce recours n’est recevable que s’il est introduit dans les six mois suivant la publication de l’acte au Journal officiel ou suivant la date de sa mise en application requiert l’article 50, alinéa 1 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
Il y a lieu de relever à ce sujet qu’aux termes de l’article 142 de la Constitution « la loi entre en vigueur trente jours après sa publication au Journal officiel à moins qu’elle n’en dispose autrement. Dans tous les cas, le Gouvernement assure la diffusion en français et dans chacune des quatre langues nationales dans le délai de soixante jours à dater de la promulgation ».
Au demeurant, la Cour constitutionnelle saisie d’un recours en inconstitutionnalité peut-elle faire la computation du délai de six mois dès la publication de la loi ou trente jours après sa publication au Journal officiel (date d’entrée en vigueur de la loi d’après l’article 142 de la Constitution) et qu’en est-il lorsque la loi publiée n’a pas été diffusée dans les quatre langues nationales endéans soixante jours à dater de sa promulgation et que le justiciable qui saisit la Cour invoque cela comme motif pour justifier la recevabilité de sa requête en inconstitutionnalité au-delà des six mois impartis par la loi, ce dernier prétextant l’ignorance de la langue de publication de la loi ?
Il s’agit là d’une question laissée à l’appréciation souveraine du juge constitutionnel, en attendant la parution au Journal officiel en langues nationales sur support papier et en ligne en RD Congo.
4. De la saisine d’office de la Cour constitutionnelle par le procureur général près cette Cour pour inconstitutionnalité des lois, des édits, des règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie ainsi que des actes réglementaires des autorités administratives
Lorsque les actes précités portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques, le Procureur général peut saisir d’office la Cour constitutionnelle pour leur inconstitutionnalité et n’est soumis à aucun délai aux termes de l’article 49 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
Il s’agit ici d’une prérogative permanente reconnue au Procureur général près la Cour constitutionnelle, mais à l’exception des traités et accords internationaux.
En effet, l’article 3 de la Constitution de la République démocratique du Congo consacre le régionalisme politique ou constitutionnel, c’est-à-dire la décentralisation, la libre administration et l’autonomie de gestion des ressources économiques, humaines et financières des provinces sont consacrées par la Constitution.
Conformément à l’article 195 de la Constitution, les institutions provinciales sont l’Assemblée provinciale et le Gouvernement provincial. Les assemblées provinciales légifèrent par voie des édits qui sont après leur publication peuvent être soumis également au contrôle de conformité à la Constitution.
Par conséquent les lois édictées par les assemblées provinciales peuvent également être déférées devant la Cour constitutionnelle pour contrôle de constitutionnalité.
5. Recours en inconstitutionnalité d’une loi d’approbation ou d’autorisation de ratification d’un traité
Ce recours peut être exercé par toute personne, mais dans un délai de soixante jours qui suivent la publication de cette loi au Journal officiel prescrit l’article 50, alinéa 2 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
6. Du recours en inconstitutionnalité des traités et accords internationaux
Aux termes de l’article 215 de la Constitution « les traités internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. La RD Congo est donc moniste et non dualiste et les traités et accords internationaux ont une autorité supérieure à la loi dans la hiérarchie des normes juridiques.
Cependant, l’article 216 de la Constitution édicte que « si la Cour constitutionnelle consultée par le président de la République, par le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat, par le dixième des députés ou des sénateurs, déclare qu’un traité ou accord international comporte une clause contraire à la Constitution, la ratification ou l’approbation ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution.
Il n’y a donc que les autorités précitées qui peuvent saisir la Cour constitutionnelle en inconstitutionnalité des traités ou accords internationaux et cela peut se justifier car toutes ces autorités ont un mandat électif représentatif.
7. Du recours en interprétation de la Constitution
La Cour constitutionnelle connaît du recours en interprétation de la Constitution sur saisine du président de la République, du Gouvernement, du président du Sénat, du président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des chambres parlementaires, des gouverneurs des provinces et des présidents des assemblées provinciales (article 161, alinéa 1 de la Constitution).
Donc, si effectivement les chambres parlementaires détiennent le pouvoir constituant originaire et dérivé, il ne leur appartient pas cependant de donner le sens à une disposition constitutionnelle par son interprétation. Seule la Cour constitutionnelle peut interpréter la Constitution en République démocratique du Congo aux termes de l’article 161 alinéa 1.
Après avoir examiné la saisine ou le contrôle par voie d’action principale de la Cour constitutionnelle, il sied d’examiner le contrôle ou saisine par voie d’exception.
B. Du contrôle de constitutionnalité a posteriori ou contrôle par voie d’exception
En effet, l’article 162 de la Constitution énonce que : « la Cour constitutionnelle est juge de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant ou par une juridiction.
Toute personne peut saisir la Cour constitutionnel pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire.
Elle peut en outre, saisir la Cour constitutionnelle, par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui la concerne devant une juridiction.
Celle-ci sursoit à statuer et saisit, toutes affaires cessantes, la Cour constitutionnelle ».
En effet, l’exception d’inconstitutionnalité s’apparente à la question prioritaire de constitutionnalité en droit français nonobstant les spécificités de cette procédure en France dès lors que la finalité est la même.
Elle peut donc être soulevée à tout moment devant une instance et plusieurs cas pratiques sont très fréquents. Certes, il faut reconnaître qu’en droit processuel français et congolais, le juge de l’action est le juge de l’exception et l’exception d’inconstitutionnalité a certes raison d’être appelée aujourd’hui en France « question prioritaire constitutionnalité » QPC, car elle est examinée par un autre juge autre que celui devant lequel elle a été soulevée.
Cependant il n’existe pas d’instance de filtrage et la Cour constitutionnelle a dû prévoir le filtrage dans son règlement intérieur qui complète sa procédure afin d’éviter d’encombrer la Cour des procédures farfelues de nature à bloquer l’instruction des causes dans plusieurs juridictions dès lors que la surséance à statuer décrétée dès que cette exception est soulevée à tendance à se transformer au donner acte pour des plaideurs téméraires.
III. De l’effectivité du contrôle de constitutionnalité en droit interne congolais
1. Définition du concept « effectivité »
L’effectivité est définie dans son premier sens comme le caractère d’une règle de droit qui produit l’effet voulu, qui est appliquée réellement. Son synonyme est l’application (mais le terme a un sens plus étroit. Ex. une loi pénale punissant un fait même si elle n’est jamais appliquée parce que personne ne commet l’infraction, n’en est pas moins effective, si sa menace a un effet dissuasion) Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10e éd. mis à jour, Quadrige Janvier 2014, p. 386.
Il est donc opportun d’illustrer l’effectivité du contrôle de constitutionalité en droit interne congolais par quelques cas jurisprudentiels.
2. Des cas jurisprudentiels d’effectivité du contrôle de constitutionnalité
1. Cas de l’arrêt R. CONST.274/TSR, requête du président de la République en appréciation de la conformité à la Constitution de la loi portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité.
En effet, la loi portant modalités de la femme et de la parité adoptée à la majorité par les deux chambres du Parlement, alors que l’article 14 alinéa 4 de la Constitution de la RD Congo proclame tout haut que « la femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales, affirmait dans l’une de ses dispositions qu’il était reconnu aux femmes un quota de 30 % au moins comme représentation au sein des institutions nationales, provinciales et locales ».
S’agissant d’une loi ordinaire, le président de la République pouvait la promulguer sans la soumettre au contrôle de constitutionnalité à l’époque où la Cour suprême de justice faisait fonction de Cour constitutionnelle en vertu de l’article 223 de la Constitution. En ce temps nous étions juge à la Cour suprême de justice (conseiller à la Cour suprême de justice) et avons participé activement à ces débats).
Mais le président de la République saisira, par sa requête du 23 décembre 2013 déposée au greffe de la Cour suprême de justice le 28 du même mois, en appréciation de la conformité à la Constitution de cette disposition et ses corollaires.
Après délibération pendant plusieurs jours en plénière de la Cour suprême de justice composée au moins de trente membres, cette très haute juridiction dira cette disposition, qui prescrivait le quota de 30 % des femmes dans les institutions nationales, provinciales et locales contraire à la Constitution c’est-à-dire inconstitutionnelle par arrêt R. CONST 274/TSR rendu le 24 janvier 2014 par la Cour suprême de justice.
Cet arrêt fut motivé en ces termes « En effet, la Cour relève que du rapprochement des articles 12, 13 et 14 alinéa 4 de la Constitution relatifs respectivement aux principes de l’égalité de tous les congolais devant la loi, de l’élimination de toute forme de discrimination notamment en matière d’accès aux fonctions publiques et de la représentation équitable de la femme au sein des institutions nationales provinciales et locales, il résulte que le Constituant n’a établi l’accès des femmes et des hommes aux fonctions politiques et nominatives au sein desdites institutions que sur les seuls critères d’égalité et d’équité.
Dès lors, les règles édictées pour concrétiser la représentation des citoyens à des dignités, places et emplois publics ne peuvent, au regard des principes ci-haut énoncés, comporter une discrimination sous forme de quota entre candidats en raison de leur sexe comme en l’espèce ».
Ainsi la disposition de cette loi prévoyant le quota de 30 % fut censurée par la Cour suprême de justice faisant fonction de Cour constitutionnelle et cette loi fut retournée au Parlement par le président de la République afin d’y retrancher cette disposition. Le quota est un pourcentage alors que la parité est une égalité mathématique entre hommes et femmes et reconnaître aux femmes un quota de 30 % dans les institutions publiques est inconstitutionnel.
2. De l’arrêt R. CONST 0014 : appréciation de la conformité à la Constitution de la loi organique modifiant et complétant la loi organique n° 06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats.
En effet, la loi organique précitée fut, par arrêt R. Const 238/TSR du 1er mars 2015, déclarée en partie conforme à la Constitution par la Cour suprême de justice faisant fonction de Cour constitutionnelle saisie par le président de la République à l’exception des alinéa 5 et 6 de l’article 61 jugés contraires à la Constitution aux motifs qu’ils prévoyaient l’interdiction d’exercer ses fonctions pour tout magistrat faisant l’objet d’une procédure de prise à partie avant d’avoir présenté ses moyen de défense.
Renvoyée au Parlement par le président de la République en exécution de cet arrêt, les deux chambres du Parlement ont retranché ces deux alinéas jugés contraires à la Constitution de cette disposition et ont adopté cette loi à la majorité des voix.
Renvoyée une seconde fois au contrôle de constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle par le président de la République par requête déposée le 11 mai 2015 au greffe de la Cour constitutionnelle, celle-ci l’a déclarée cette fois-ci conforme à la Constitution par arrêt R. Const.0014 rendu le 29 mai 2015.
Désormais un magistrat faisant l’objet d’une procédure de prise à partie devant la Cour suprême de justice ne peut pas être suspendu avant l’issue de la procédure de l’action en prise à partie, car il jouit de la présomption d’innocence et du droit de la défense qui sont des droits garantis par la Constitution.
3. De l’arrêt R. CONST 0015 : appréciation de la conformité à la Constitution du règlement intérieur de la Commission nationale des droits de l’homme.
En effet, par requête reçue le 30 avril 2015 au greffe de la Cour constitutionnelle, le président de la Commission nationale des droits de l’homme, en sigle CNDH, sollicita à la Cour constitutionnelle l’appréciation de la conformité à la Constitution du Règlement intérieur de la Commission nationale des Droits de l’homme.
La Cour constitutionnelle, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le bien fondé de cette requête l’a déclaré irrecevable étant donné le requérant Mwamba Mushikonke Mwamus faisant partie des neuf membres de la Commission nationale des droits de l’homme investis par ordonnance présidentielle n° 15/023 du 4 avril 2015 n’est jamais entré en fonction en qualité de membre de ladite commission pour n’avoir pas prêté serment conformément à l’article 22 de la loi organique n° 13/022 du 21 mars 2013 portant institution, organisation et fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme.
Enfin, les arrêts R. CONST.0014 et R. CONST.0015 ont été rendus le 29 mai 2015 par la Cour constitutionnelle de la RD Congo et sont donc les premiers à être rendus par cette très haute juridiction après son installation le 4 avril 2014. Donc à peine installée, cette Cour s’est mise au travail mais a besoin également d’échange d’expérience avec d’autres cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français.
III. Conclusion
En substance, en droit constitutionnel congolais les lois organiques avant leur promulgation, les règlements intérieurs des chambres parlementaires et des institutions d’appui à la démocratie avant leur mise en application passent obligatoirement au contrôle de constitutionnalité.
Cependant, il n’est pas de même en ce qui concerne les lois ordinaires, car elles peuvent être promulguées par le président de la République sans être soumises au contrôle de constitutionnalité.
Il se dégage de la combinaison des articles 139 et 160 de la Constitution, qu’aux mêmes fins d’examen de la constitutionnalité, le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, le dixième des députés ou des sénateurs peuvent déférer avant leur promulgation les lois à la Cour constitutionnelle.
Le procureur général près la Cour constitutionnelle peut d’office lorsque les lois et les actes ayant force de loi, les édits (lois édictées par les assemblées provinciales) ou les actes réglementaires des autorités administratives portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques, saisir la Cour constitutionnelle en inconstitutionnalité de ces actes. Il n’est donc soumis à aucun délai pour ce faire.
Mais s’agissant des traités et accords internationaux, seuls le président de la République, le Premier ministre, le président des deux chambres du Parlement, le dixième des députés ou des sénateurs peuvent saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité (article 216 de la Constitution).
C’est dont sur tous ces actes précités que portent l’étendue et le contrôle de constitutionnalité en droit constitutionnel congolais.
Néanmoins, il faut relever que les violations de la Constitution dans une décision judiciaire telles que le défaut de motivation (violation de l’article 21 de la Constitution), la violation des droits de la défense ou autres droits garantis aux particuliers par la Constitution sont déférées devant la Cour suprême de justice faisant fonction jusque-là de Cour de cassation conformément à l’article 223 de la Constitution. Ces violations constituent des motifs de cassation de ces décisions judiciaires.
Toutefois, l’article 162 de la Constitution reconnaît à toute personne le droit de saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire. Le délai pour exercer ce droit est de six mois à dater de la promulgation de la loi et de soixante jours en ce qui concerne les lois d’approbation ou d’autorisation de ratification d’un traité (article 50 alinéa de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle).
Comme en France, le respect de la Constitution est garanti par le juge en République démocratique du Congo et le contrôle de conformité de constitutionnalité se passe dans un procès qui se tient en présence du procureur général près la Cour constitutionnelle. Celui-ci émet un avis sur la constitutionnalité avant la décision de la Cour, même si celui-ci ne lie pas la Cour.
Ce contrôle de constitutionnalité l’est a priori et a posteriori. Le contrôle a posteriori use de mêmes méthodes que la question prioritaire de constitutionnalité « QPC » en France à la seule différence que le filtrage est organisé par le règlement intérieur de la Cour elle-même et non par la Cour de cassation ou le Conseil d’État comme en France. Le droit processuel congolais admet donc la saisine directe de la Cour constitutionnelle par toute personne par rapport au droit français qui consacre la saisine indirecte car les questions prioritaires de constitutionnalité passent au filtrage de la Cour de cassation ou du Conseil d’État avant la saisine du Conseil constitutionnel (lire également Guy Carcassonne et Olivier Duhamel, La question prioritaire de constitutionnalité, Éd. Dalloz, Paris 2011).
Comme en France depuis 1974, l’ouverture de la saisine de la Cour constitutionnelle aux parlementaires est d’application dans la Constitution de la RD Congo à travers les articles 139, 161 et 216 de la Constitution. La saisine de la Cour constitutionnelle est reconnue à un dixième des députés ou des sénateurs tout comme tout le droit congolais est illuminé par le Constitution qui garde sa suprématie.
Le contrôle de la Constitutionalité des lois, des actes ayant force de loi se passe dans un procès afin de garantir les droit fondamentaux des citoyens garantis par la Constitution et cela fait de cette Constitution une véritable loi fondamentale.
À l’instar de la France, le droit constitutionnel congolais est devenu depuis quelques années un droit vivant, car il en résulte un phénomène de constitutionnalisation du droit. La Constitution est dès lors devenue la source première et intrinsèque de toutes les branches du droit (à ce sujet lire à titre comparatif Ferdinand Mélin-Soucramanien, Constitution de la République française, Dalloz, 1013 p. XVI à XIX).
Aux termes de l’article 51 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul » tout comme l’interprétation de la Cour lie les pouvoirs publics, les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi que les particuliers dispose l’article 56 de la même loi.
Sans doute, la suprématie de la Constitution est proclamée par cette loi fondamentale et au cas où la Cour constitutionnelle déclare non conforme à la Constitution un traité ou un accord international, la ratification ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution (article 216 de la Constitution).
Sans les dénombrer, la Constitution de la RD Congo comporter plusieurs points de contrôle et d’équilibre par rapport même à la Constitution américaine et le Professeur Remy Granger n’a pas hésité à le dire dans son étude sur les points de contrôle et d’équilibre dans le Constitution de transition de la RD Congo en 2005 à Kinshasa.
Enfin, la juridicisation de la Constitution, la juridictionnalisation du procès constitutionnel et la constitutionnalisation du droit sont omniprésentes dans la Constitution de la République démocratique du Congo et cela fait de celle-ci une véritable loi fondamentale.
Le contrôle de constitutionnalité des lois et les effets des décisions de la Cour constitutionnelle de la Roumanie
Augustin Zegrean, président de la Cour constitutionnelle de Roumanie
Intervention présentée par M. Mircea Stefan Minea, juge à la Cour constitutionnelle de Roumanie
La Cour constitutionnelle de la Roumanie a été créée par la Constitution adoptée en 1991 ; la loi visant son organisation étant adoptée en 1992. Au mois de juin de la même année, la Cour a rendu ses premières décisions.
Les compétences de la Cour constitutionnelle de la Roumanie sont prévues dans la Constitution, qui consacre tout un titre (Titre V) à l’organisation et à l’activité de l’instance constitutionnelle (articles 142 à 147).
Dans l’exercice de ses attributions, la Cour a rendu, depuis sa création, plus de 30 000 décisions. Les décisions de la Cour constitutionnelle de la Roumanie sont généralement obligatoires dès leur publication au Moniteur officiel de la Roumanie, leur publication étant elle-même obligatoire.
En ce qui suit, nous allons analyser les compétences de la Cour constitutionnelle telles qu’elles sont énoncées dans les textes constitutionnels. Il faut aussi noter que, selon sa loi d’organisation et de fonctionnement, la Cour ne peut se saisir d’office que sur les initiatives de révision de la Constitution.
Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle dans le cadre de l’exercice du contrôle a priori
Conformément aux dispositions de l’article 147, alinéa 4 de la Constitution, la décision de la Cour constitutionnelle rendue dans le cadre de l’attribution prévue à l’article 146, point a), première phrase produit des effets généralement obligatoires et seulement pour l’avenir. Puisqu’une telle décision est prononcée avant l’entrée en vigueur de la loi, l’opposabilité erga omnes intervient par rapport aux sujets de droit impliqués dans la procédure de contrôle a priori, dans celle du réexamen et celle de la promulgation, en d’autres termes, la décision est opposable à tous les sujets ayant un intérêt dans cette étape.
Tel que remarqué dans la doctrine, il n’y a pas de disposition légale qui établisse un délai pour que le Parlement mette en accord les dispositions de loi déclarées inconstitutionnelles avec la décision de la Cour, et cela car le Parlement ne peut pas être obligé de légiférer, et la loi déclarée inconstitutionnelle ne peut aucunement produire des conséquences négatives puisqu’elle n’est pas encore entrée en vigueur. En effet, aussi longtemps que le Parlement est l’unique autorité législative du pays (article 61, alinéa 1 de la Constitution), il est le seul à pouvoir décider du moment du déclenchement du processus de réexamen de la loi. De notre point de vue, le Parlement est obligé de réexaminer la loi, ayant pourtant la possibilité de la laisser de côté, donc ayant la possibilité de choisir de finaliser ou non la loi qu’il avait adoptée ou même reconsidérer la loi dans son ensemble. Mais nous estimons que la non entrée en vigueur d’une loi peut produire des effets négatifs, en omettant de régir un certain domaine des relations sociales, ce qui peut, parfois, créer des préjudices aux personnes intéressées.
La Cour a montré que « le Parlement réexaminera seulement les dispositions déclarées inconstitutionnelles, afin de les mettre en accord avec la présente décision et, pour autant que cela s’impose, mettra en cohérence les autres dispositions de la loi comme opération de technique législative ».
Dans sa jurisprudence, la Cour a aussi établi que, si une loi a été déclarée inconstitutionnelle dans son ensemble, la procédure parlementaire concernant celle-ci avait définitivement cessé. C’est pourquoi, pour régir de nouveau la matière en question, le Gouvernement ou les sénateurs et les députés, le cas échéant, doivent initier respectivement un nouveau projet ou une proposition législative dans ce sens.
Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle concernant les initiatives de révision de la Constitution
La décision constatant l’inconstitutionnalité de la loi de révision s’impose au Parlement, qui est obligé de réexaminer la loi de révision et de la mettre en accord avec la décision de la Cour.
Les observations soumises à l’attention du Parlement ont le caractère de recommandation, le Parlement ayant l’exclusivité pour éliminer, compléter, modifier ou reformuler les dispositions proposées. De plus, la constatation de l’inconstitutionnalité des dispositions de modification proposées a la valeur juridique d’un avis, le Parlement étant libre de les adopter, les modifier, les compléter ou même d’y renoncer.
Si, en réexaminant la loi de révision, le Parlement garde sa forme initiale, sans la mettre en accord avec la décision de la Cour, celle-ci doit, à nouveau, se prononcer sur la constitutionnalité de la loi de révision, dans la forme votée par le Parlement après son réexamen, dans les 5 jours suivant son adoption. Bien évidemment, si elle maintient sa position, la Cour constate de nouveau l’inconstitutionnalité des dispositions en question. Ainsi, par cette attribution, la Cour constitutionnelle détient un pouvoir décisionnel significatif, justifié par les éventuelles modifications essentielles qui pourraient être apportées au projet de révision lors du processus législatif et après que la Cour se soit prononcée sur sa constitutionnalité, mais également par son rôle de garant de la suprématie de la Constitution.
Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle lors du contrôle de constitutionnalité des traités ou d’autres accords internationaux
La décision de la Cour constitutionnelle constatant l’inconstitutionnalité d’un traité ou d’un accord international faisant l’objet du contrôle empêche sa ratification, selon l’article 147, alinéa 3, deuxième phrase : « Un traité ou accord international déclaré inconstitutionnel ne peut pas être ratifié ». La saisine de la Cour constitutionnelle pour exercer le contrôle suspend la procédure de ratification du traité ou de l’accord international.
Après la publication de la décision de la Cour constitutionnelle :
- si le traité soumis au contrôle est déclaré conforme à la Constitution, la procédure peut reprendre et la loi de ratification peut être adoptée ;
- si l’inconstitutionnalité de certaines dispositions du traité ou de l’accord international est constatée, celui-ci ne peut plus être ratifié. Dans ce sens, l’article 11, alinéa 3 de la Constitution prévoit que : « Lorsqu’un traité, auquel la Roumanie veut devenir partie, comprend des dispositions contraires à la Constitution, il ne pourra être ratifié qu’après la révision de la Constitution ». La loi de ratification du traité ou de l’accord international peut faire l’objet d’un contrôle préalable de constitutionnalité, selon l’article 146, point a) de la Constitution, même si la Cour s’est déjà prononcée sur la constitutionnalité du traité international ratifié lors du contrôle mené en vertu de l’article 146, point b) de la Constitution.
Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle lors du contrôle de constitutionnalité a posteriori des règlements du Parlement
Les décisions de la Cour constitutionnelle constatant l’inconstitutionnalité de certaines lois ou ordonnances ou de certaines dispositions de celles-ci sont 7e CONGRÈS DE L’ACCPUF 118 généralement obligatoires (erga omnes) et ne sont pas limitées aux seules parties du procès dans le cadre duquel a été soulevé l’exception (inter partes).
La loi ou l’ordonnance ou les dispositions de celles-ci déclarées inconstitutionnelles ne peuvent plus être appliquées par aucune instance dans aucune affaire et par aucune autre autorité publique à partir de la date de la publication de la décision de la Cour constitutionnelle au Moniteur officiel. « La décision constatant l’inconstitutionnalité fait partie de l’ordre juridique normatif, et par l’effet de celle-ci, la disposition inconstitutionnelle cesse d’être applicable pour l’avenir ». Les décisions de la Cour ont un effet que pour l’avenir. Les effets juridiques produits avant le constat de l’inconstitutionnalité des dispositions légales restent valables (principe de l’application des lois dans le temps).
Selon l’article 147, alinéa 1, première phrase de la Constitution, les dispositions des lois et des ordonnances en vigueur déclarées inconstitutionnelles cessent de produire leurs effets juridiques dans les 45 jours suivant la publication de la décision de la Cour constitutionnelle si, dans cet intervalle, le Parlement ou le Gouvernement, le cas échéant, ne met pas en accord les dispositions inconstitutionnelles avec les dispositions de la Constitution. Ce texte constitutionnel est susceptible de consolider le rôle de quasi-législateur négatif de la Cour constitutionnelle.
On observe que la loi n° 177/2010 modifiant et complétant la loi n° 47/1992 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, du Code de procédure civile et du Code de procédure pénale de la Roumanie a imposé des obligations procédurales additionnelles aux instances de jugement suite à l’abrogation des anciennes dispositions de l’article 29, paragraphe 5 de la loi n° 47/1992, qui prévoyaient la suspension de droit de l’affaire suite à la saisine de la Cour constitutionnelle dans le cadre d’une exception d’inconstitutionnalité. Ainsi, tant en matière civile que pénale, on a introduit de nouveaux cas de révision des arrêts judiciaires.
Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle lors de la résolution des conflits juridiques de nature constitutionnelle
En principe, par ses décisions, la Cour constitutionnelle procède à une interprétation in concreto du texte constitutionnel source du conflit juridique. Compte tenu du fait qu’en vertu de l’article 147, paragraphe 4 de la Constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle sont généralement obligatoires, les autorités impliquées dans le conflit doivent se soumettre à la décision de la Cour, plus exactement à l’interprétation que celle-ci donne du texte constitutionnel. Ainsi, on voit que, de manière formelle, la Cour n’oblige pas les autorités à agir ou à s’abstenir d’agir d’une certaine manière, mais, par la force de l’interprétation donnée au texte constitutionnel, on impose aux autorités publiques impliquées une conduite adéquate. D’ailleurs, elles doivent aussi tenir compte des dispositions de l’article 1er, alinéa 5 corroborées avec celles de l’article 142, paragraphe 1 de la Constitution, selon lesquelles le respect de la Constitution, de sa suprématie et des lois est obligatoire. La Cour est le garant de la suprématie de la Constitution.
Par ses décisions, la Cour constitutionnelle est garante du respect de la procédure pour l’élection du président de la Roumanie et confirme le recensement des votes
L’arrêt sur la contestation de l’enregistrement ou du refus d’enregistrement des candidatures est obligatoire tant pour le Bureau électoral central que pour les acteurs impliqués dans la solution de la contestation. La décision rendue, publiée dans la partie I du Moniteur officiel de la Roumanie, est définitive.
Lorsque la Cour constate que des fraudes lors du vote ou du dépouillement sont susceptibles de modifier l’attribution du mandat ou, le cas échéant, l’ordre des candidats qui peuvent participer au deuxième tour de scrutin, l’effet de son arrêt est l’annulation des élections. Dans cette situation, la Cour demande un nouveau tour de scrutin, le deuxième dimanche suivant la date de l’annulation des élections [article 24, alinéa (1) de la Loi n° 370/2004]. L’arrêt qui valide ou annule les résultats des élections, s’impose de manière erga omnes à toutes les personnes ou autorités publiques impliquées.
Les effets de l’avis consultatif rendu par la Cour constitutionnelle pour les propositions de suspension du président de la Roumanie
Dans ce cas, l’arrêt en question est un avis consultatif, de sorte que le Parlement peut décider de le prendre en compte ou non. Puisqu’il ne s’agit pas d’un avis conforme, cet avis n’oblige aucunement le Parlement. L’avis se présente plus comme une analyse juridique indépendante de la proposition de suspension et des faits reprochés au président que comme un arrêt à caractère juridictionnel.
Les effets d’un arrêt constatant le respect de la procédure pour l’organisation et le déroulement du référendum, et validant les résultats de celui-ci.
On retient les points suivants :
- en ce qui concerne le référendum consultatif, « l’intervention d’autres organes, le plus souvent législatifs, pour mettre en œuvre la volonté exprimée par le corps des électeurs » est obligatoire, le Parlement ne pouvant pas s’écarter de celle-ci, parce qu’une « solution législative qui ne respecte pas la volonté exprimée par le peuple lors du référendum consultatif mentionné est contraire aux dispositions constitutionnelles des articles 1, 2 et 61 ». L’arrêt de la Cour ne fait donc que confirmer la validité du référendum qui, en fin de compte, oblige le Parlement à mettre à exécution la volonté du peuple.
- en ce qui concerne le référendum décisionnel, l’arrêt de la Cour confirme la légalité et la régularité du référendum, l’effet direct de celui-ci traduisant la volonté du corps électoral de réviser ou non la Constitution, de destituer ou non le président de la Roumanie de sa fonction.
Les effets des arrêts par lesquels la Cour statue sur les conditions de l’exercice de l’initiative législative par les citoyens
Un tel arrêt est généralement obligatoire (produit des effets erga omnes). Le constat d’un manquement des conditions pour l’exercice de l’initiative législative par les citoyens est opposable à tout sujet de droit, et le Parlement devra tenir compte de l’arrêt de la Cour. Cela a pour conséquence que les procédures parlementaires nécessaires à l’adoption de la proposition législative soutenue ne peuvent pas être pas initiées. À contraire, lorsque la Cour constate que les conditions ont été remplies, le Parlement doit respecter son arrêt.
Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des arrêts de l’Assemblée plénière de la Chambre des députés, des arrêts de l’Assemblée plénière du Sénat et des arrêts de l’Assemblée plénière des deux chambres réunies du Parlement En cas de constat de l’inconstitutionnalité d’un arrêt du Parlement, celui-ci cesse de produire des effets juridiques à la date de publication de la décision au Moniteur officiel de la Roumanie, Partie I. L’instance constitutionnelle est une sorte de quasi-législateur négatif, qui peut pas remplacer les dispositions déclarées contraire à la constitution ; par conséquent, cela oblige l’émetteur de l’acte à adopter un arrêt conforme aux exigences constitutionnelles.
En conclusion, selon les statistiques, en 2014, 1 446 dossiers ont été enregistrés au rôle de la Cour constitutionnelle. 114 affaires ont fait l’objet d’une décision d’admission. En 2015, sur les 995 dossiers enregistrés jusqu’à présent, 79 décisions d’admission ont été rendues.
En ce qui concerne la mise en œuvre des décisions, celle-ci se trouve à différentes étapes de la procédure législative, au cas par cas. Ainsi, dans certains cas, des lois de mise en accord de la législation avec les décisions de la Cour constitutionnelle ont été adoptées, et, dans d’autres cas, la procédure est toujours en cours.
3e session de travail : les situations de conflits ou de concurrence entre la Constitution et les normes internationales
Session présidée par Jean Spreutels, président de la Cour constitutionnelle de Belgique
Chers collègues, nous sommes encore imprégnés par la douce et lumineuse atmosphère de cette magnifique croisière sur le Lac Léman que nous a si généreusement offert hier soir le Tribunal fédéral. Je saisis l’occasion pour remercier à mon tour et de tout cœur Monsieur Kolly et son équipe pour leur chaleureuse hospitalité, ainsi que Madame Pétillon et le Secrétariat général de l’ACCPUF pour la parfaite organisation de notre conférence.
Hier, nous avons fait le point sur la place de la Constitution et celle du droit international dans l’exercice des compétences attribuées à nos juridictions. Ces normes peuvent toutefois entrer en conflit ou en concurrence ; ce sera l’objet des débats de ce matin. Chaque orateur disposera de 10 à 15 minutes. Avant cela, le Professeur Mathieu Disant va nous proposer la synthèse des réponses au questionnaire.
Synthèse des réponses au questionnaire
Mathieu Disant, professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF
1. Il ne s’agit pas ici d’évoquer les conflits formels entre Constitution et traités. Soit ceux-ci n’existent pas (du fait que les traités ne font pas partie des normes de référence du contrôle de constitutionnalité), soit ils ont vocation à être résolu par un dispositif opératoire qui conditionne a priori l’application du traité en droit interne au respect de la Constitution (ce que nous avons déjà abordé à travers le contrôle de conformité du traité à la Constitution). Encore que, dans cette dernière hypothèse, il conviendrait de réserver la question de la conformité des « anciens » traités à la Constitution nouvelle, surtout ceux qui ont été intégrés dans l’ordre interne – je pense notamment à la Tunisie.
Il s’agit de cibler les écarts entre normes constitutionnelles et normes conventionnelles dans l’exercice de contrôles parallèles ou imbriqués. Pour le dire autrement, d’analyser les conflits matériels.
Dans la pratique de vos cours, les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales semblent peu évidentes, souvent peu significatives. Les hypothèses sont d’autant plus rares que les droits fondamentaux protégés par la Constitution sont identiques au fonds commun européen ou international et que les droit reconnus coïncident largement, sauf exception particulière, avec les droits protégés par les conventions internationales.
Vous êtes une très large majorité à souligner que le problème du conflit ne s’est pas posé : Albanie, Algérie, Andorre, Bénin, Burkina, Cambodge, Congo, Madagascar, Liban, Maroc, Monaco, Mozambique, Niger, RDC, Roumanie, Tchad, Togo…
Ceci étant, il peut toujours y avoir des divergences entre normes appartenant à des ordres juridiques différents. La France a connu ce type de difficulté.
Elle a été condamnée par la Cour EDH pour violation du droit à un procès équitable, à l’occasion de l’examen d’une loi de validation pourtant jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (CEDH, Zielinski c/ France du 28 octobre 1999). Mais sa jurisprudence a évolué depuis, de façon pragmatique, dans le sens d’un alignement des critères d’appréciation pour leur donner un sens et une portée similaires aux normes conventionnelles.
De même, le Conseil constitutionnel français ne s’est jamais prononcé sur le fait de savoir si le droit au délai raisonnable de jugement faisait ou non partie du droit à un procès équitable. En revanche, le fait que le droit à l’exécution des décisions de justice soit une composante « du droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l’article 16 de la Déclaration de 1789 » (n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015), tend à rapprocher le contrôle du Conseil constitutionnel de celui exercé par la CEDH. Bref, la comparaison des curseurs n’est pas infructueuse, mais cela reste un jeu très subtil.
À défaut d’être avérés, des conflits potentiels existent toujours. On peut évoquer, dans le nouveau cadre constitutionnel tunisien, le cas du droit des femmes en matière de mariage avec des non-musulmans ainsi que les questions d’héritage, à l’aune de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination, à l’égard de laquelle les réserves ont été levées par la Tunisie.
2. La question de fond qui est posée est celle de l’équivalence de protection des droits.
Si certaines cours évoquent une protection supérieure au niveau international (comme la Côte d’Ivoire), d’autres considèrent, comme le fait explicitement le Tribunal d’Andorre, que « l’ordonnancement constitutionnel contient, sans le moindre doute, des niveaux de protection des droits constitutionnels qui sont supérieurs et d’une plus grande intensité que ceux offerts par [la] Convention EDH » (affaire 2000-3-RE, arrêt du 12 mai 2000).
Vous considérez largement que la Constitution garantit, pour l’essentiel, une protection des droits et des libertés au moins similaire aux dispositions internationales dans les domaines des libertés fondamentales. Les sujets qui illustrent cette équivalence concernent particulièrement : la dignité humaine, l’interdiction des discriminations, la protection de la vie privée, le droit à la famille, ou le droit au procès équitable…
Certaines constitutions ont incorporé des instruments internationaux en les plaçant comme un standard qui ne saurait être constitutionnellement méconnu – ainsi par exemple l’Albanie à l’égard de la Convention EDH et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Ceci étant, rares sont les cours ayant posé une règle de présomption de protection équivalente entre normes internes et internationales, et moins encore une règle de substitution.
Certaines cours, telles celle de Moldavie, estiment qu’elles peuvent établir un degré de protection plus élevé des droits et des libertés fondamentaux au regard du degré de protection minimal établi par la jurisprudence européenne. En Slovénie, le principe de protection maximale des droits de l’homme, inscrit dans le texte constitutionnel (article 15 al. 5), garantit une protection équivalente par rapport aux sources internationales. Ces techniques relèvent du principe de l’addition des garanties ; principe qui existe aussi en Belgique, il vise à procurer la meilleure protection possible et éviter les conflits entre les différents catalogues de droit fondamentaux.
Pour autant, la garantie instituée par la Constitution n’est pas toujours équivalente à celle offerte par les dispositions conventionnelles.
En Belgique, un exemple de différence importante de protection concerne le droit de propriété. La Constitution n’envisage la protection de la propriété que dans le cas de l’expropriation. L’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention EDH a, quant à lui, une portée plus large, il vise à encadrer les atteintes portées aux intérêts économiques des individus et à leurs acquis sociaux.
Un autre exemple est celui du secret des correspondances. La Constitution belge prévoit, en son article 29, que le secret des lettres est inviolable et ce, de manière absolue. Cette disposition date de 1831. La Convention EDH, quant à elle, prévoit en son article 8 que des ingérences sont possibles, à certaines conditions, dans le droit au respect de la vie privée.
En revanche, lors de l’adoption de dispositions plus récentes, le constituant a généralement cherché à établir une concordance entre les garanties constitutionnelles et les garanties conventionnelles. L’exemple le plus évident à cet égard est la dernière révision totale de la Constitution fédérale suisse, pour laquelle il a été tenu compte, pour chaque droit fondamental, des dispositions contenues dans la Convention EDH et dans les deux pactes ONU.
3. Comment interpréter le fait qu’il y aurait peu de conflit – du moins, peu de situations qualifiées comme tel ? Cela tient principalement à l’influence du droit international sur l’interprétation de la Constitution et à la démarche préventive déployée par la plupart des cours.
À quelques exceptions près (en particulier au Cambodge ; mais aussi au Tchad, Algérie, Tunisie, Bulgarie), vos cours tiennent compte des instruments internationaux garantissant des droits et libertés fondamentaux lorsqu’elle contrôle la conformité de normes législatives avec les droits et libertés garantis par la Constitution. Tenir compte, cela veut dire a minima que vos cours sont attentives à la jurisprudence internationale, notamment celle de la Cour EDH dans le domaine de la limitation des droits (comme le souligne Monaco). À maxima elles s’efforcent, comme l’indique la Slovénie, d’interpréter la Constitution en conformité avec ces traités internationaux ou, pour le dire plus sobrement, au regard de ces dispositions. Elles s’y réfèrent explicitement (ce qui est assez courant) ou implicitement (Cameroun, France, Roumanie, Tunisie). Étant entendu que les arguments internationaux peuvent ainsi être présentés comme des arguments additionnels ou comme argument principal, cette dernière situation étant plus rare (c’est celle rencontrée en Slovénie).
La fréquence de cette démarche est soulignée par la Suisse qui en fait un véritable principe méthodologique, en ces termes : « lorsqu’il existe plusieurs interprétations possibles [de la Constitution], cette dernière doit être interprétée de façon à ce qu’elle n’entre pas en conflit avec les normes de droit international ». Pour le dire autrement, parmi diverses interprétations possibles, il convient de retenir celle qui évite un conflit de normes. Un adage pourrait résumer la situation : interprétation conflictuelle ne vaut !
Cette démarche appelle plusieurs précisions.
Premièrement, elle peut ou non procéder d’une obligation juridique formelle. C’est le cas par exemple en Moldavie (art. 4 de la Constitution) et en Roumanie (Art. 20 § 1 de la Constitution) où il est prévu que les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens sont interprétées et appliquées en concordance avec la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est le cas aussi au Mozambique où la Constitution, à son article 43, prévoit que l’interprétation des droits fondamentaux constitutionnels « doit être intégrée en harmonie avec le DUDH et la CADH ». C’est le cas encore, sous une autre forme, en Suisse où la Constitution fédérale pose l’obligation générale de concilier le droit international et le droit interne (article 5 al. 4).
Mais ce n’est pas le cas partout, notamment en Andorre ou en France, où le Conseil constitutionnel n’a pas à faire dépendre l’interprétation de la Constitution des dispositions internationales, ce qui n’empêche pas de fait d’y être attentif. On peut analyser cette situation, au plan interne, comme une simple faculté, à défaut d’une influence directe et impérative. Mais quoi qu’il en soit, chacun perçoit qu’il n’est pas possible de faire l’économie des éventuels conflits interlégaux – pour reprendre l’expression du Canada, ne serait-ce que pour éviter de placer le pays en violation de ses obligations internationales, autant que faire se peut.
Deuxièmement, il est rare que vos constitutions ou vos jurisprudences reconnaissent expressément une valeur juridique aux décisions des juridictions internationales, sauf en Moldavie (arrêt n° 42 du 14 décembre 2000) et en Slovénie (n° U-I-65/05 du 29 septembre 2005). Certaines cours soulignent à l’inverse qu’elles ne sont aucunement tenues par la jurisprudence internationale (not. Bénin, Congo).
La jurisprudence de la Cour EDH et celle de la CJUE font exception à certains égards, compte tenu de la fréquence et de l’ampleur des références, mais aussi de la portée reconnue à leur jurisprudence qui en fait parfois une véritable source du droit positif.
Le cas de la Cour belge est tout à fait significatif. Celle-ci est, de manière générale, fidèle aux jurisprudences de ces cours européennes, au point que la doctrine pu qualifier son attitude, à l’égard de la jurisprudence strasbourgeoise, de « docile ». On peut considérer à cet égard qu’elle reconnaît aux décisions de ces juridictions une « autorité de chose interprétée ».
Même en France, des tempéraments sont apportés à la règle de principe qui nie valeur juridique aux décisions des juridictions internationales.
En premier lieu, ces décisions peuvent être prises en compte pour déterminer le sens et la portée des dispositions d’un engagement international dont est saisi le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 54 de la Constitution. En second lieu, le Conseil constitutionnel tient compte, afin de déterminer la marge de manœuvre du législateur, des décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne qu’il a saisi, en 2013, d’une question préjudicielle (décision no 2013-314P QPC du 4 avril 2013). On notera que la Cour slovène a fait de même (affaire no U-I-295/13).
4. Quoi qu’il en soit, il ressort clairement que la jurisprudence des juridictions internationales influence celles de vos cours. On peut parler de « force interprétative » (Mozambique), d’« influence majeure » (Suisse), de « valeur morale » (Tunisie), de source « pertinente et persuasive » d’interprétation (Canada) ou tout du moins de source d’inspiration (Congo), et d’élément de « cohérence » (France). Autant de qualifications qui – comme le fait observer le Canada – supposent a contrario le rejet d’un lien de filiation entre les régimes juridiques. Cette influence est parfois modeste (comme le précise la Côte d’Ivoire), mais elle est globalement croissante dans toutes les situations où les droits sont analogues ou proches.
De façon symptomatique, on peut relever l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle française sur les validations législatives (décision 366 QPC du 14 février 2014). De nombreux autres exemples vont dans le même sens, avec notamment les décisions sur les visites domiciliaires, l’appel de l’accusé en fuite, l’application des exigences d’impartialité aux autorités administratives indépendantes, la portée de la liberté d’expression et l’exception de vérité des faits diffamatoires, les exigences applicables aux expropriations pour cause d’utilité publique… Ainsi que l’a fait observer le président Debré à l’occasion du 5e anniversaire de la question prioritaire de constitutionnalité, « il n’est pas de semaine où le Conseil ne cherche à analyser sa jurisprudence au regard de celle de la Cour de Strasbourg ».
En Belgique, il convient de rappeler que la Cour accueille les arguments des parties fondés sur les instruments internationaux, à la condition qu’ils soient combinés avec l’invocation d’une disposition constitutionnelle (une logique comparable est relevée en Roumanie). La Cour inclut parmi les normes de référence, même d’office, les dispositions internationales qui garantissent de manière analogue les droits constitutionnels dont la violation est invoquée. Et, on l’a dit, la Cour se réfère explicitement et abondamment à l’interprétation des droits fondamentaux donnée par les jurisprudences de la Cour EDH et de la CJUE.
La Cour suprême du Canada, elle aussi, tient compte régulièrement et expressément des instruments de droit international, et ce, indépendamment du caractère contraignant ou non de la source internationale. Par exemple, la Cour utilise la Conv EDH et même la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, sans se soucier qu’il s’agit d’un régime international dont le Canada ne fait pas et ne peut faire partie. Il est fait état qu’environ 85 % des références au droit international des droits humains faites à la Cour suprême du Canada emprunte à la Convention européenne et à la jurisprudence de sa Cour. C’est cette même ouverture qui a conduit la cour canadienne à interpréter la loi sur le droit d’auteur en faisant référence à une directive de l’Union européenne sur le commerce électronique. Il n’y a aucune réticence à l’égard de la nature de ces sources internationales, aucune hésitation à faire référence à elles, y compris dans leurs aspects de droit mou.
Pour évoquer un dernier exemple, au Niger, la Cour constitutionnelle s’est appuyée sur l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 pour reconnaître à tout membre d’un groupe parlementaire le droit d’être éligible à un poste affecté à son groupe (arrêt n° 004/CC/MC du 2 mai 2014). La Cour a ainsi levé une ambiguïté quant à l’interprétation du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
En définitive, grâce à ces méthodes, les conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international sont rares en matière de droits de l’homme. Au lieu de conflits, ce qui se vérifie dans la pratique, ce sont des difficultés inhérentes à l’organisation institutionnelle de la garantie des droits fondamentaux, et tout au plus des situations de concurrence qui ne sont pas véritablement de nature à remettre en cause directement la suprématie de la Constitution, ni formellement (ce qui relève d’une position catégorique que nous avons rappelé lors de la 1re session), ni matériellement (ce qui repose sur le déploiement de techniques de protection équivalente).
L’influence des normes internationales au Canada : l’approche de la Cour suprême du Canada en cas de conflits ou de concurrence avec le droit interne
Richard Wagner, juge à la Cour suprême du Canada
I. Remarques liminaires
Au Canada comme ailleurs, la question des situations de conflits ou de concurrence entre la Constitution et les normes internationales évoque, a priori, la question plus fondamentale de la relation entre le droit interne et le droit international. À maintes reprises, la Cour suprême du Canada a été appelée à se prononcer à ce sujet et ce, dans le cadre d’un vaste éventail de domaines du droit, notamment ceux de l’immigration et des droits de la personne, mais aussi ceux du droit du travail, du droit commercial et du droit criminel.
L’influence du droit international au Canada est certes incontestable. Or, cette influence est particulièrement remarquable depuis l’avènement de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982. La Charte canadienne, qui a valeur constitutionnelle, s’inspire d’ailleurs largement de divers traités internationaux, particulièrement la Déclaration universelle des droits de l’homme de même que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [1]. Qui plus est, les lois fédérales canadiennes incorporent de nombreuses règles issues du droit international, que l’on pense aux domaines de l’aéronautique, du droit maritime, de l’environnement, de la fiscalité ou du commerce international, entre autres [2].
Compte tenu de la place considérable qu’occupe le droit international dans le contexte juridique canadien, il n’est pas étonnant que la Cour suprême ait été saisie à de nombreuses reprises de questions relatives à l’étendue de l’application du droit international. Aujourd’hui, pour les fins de notre session de travail, je me propose donc de passer en revue quelques arrêts choisis afin de vous exposer la démarche canadienne en la matière, y compris lorsqu’il est question de conflits ou de concurrence entre le droit international et le droit interne canadien.
II. Retour sur les principes d’application du droit international au Canada
Nonobstant son importance au Canada, le droit international appartient néanmoins à une sphère qui demeure indépendante de celle du droit interne canadien. L’intégration du droit international au droit interne dépend en fait de la source de droit international en cause, selon qu’il s’agisse d’une coutume ou d’un traité. En ce qui a trait à la coutume, l’incorporation au droit interne est automatique. Comme l’a récemment rappelé la Cour suprême du Canada : « L’incorporation automatique des règles prohibitives du droit international coutumier se justifie par le fait que la coutume internationale, en tant que droit des nations, constitue également le droit du Canada à moins que, dans l’exercice légitime de sa souveraineté, celui-ci ne déclare son droit interne incompatible [3]. »
Il en va autrement de l’intégration des règles internationales découlant de traités ou de conventions signés par le Canada, lequel est un pays de tradition dualiste en la matière, comme le veut le modèle britannique. La Cour suprême du Canada l’a confirmé en ces termes et je cite : « [À] moins qu’une disposition d’un traité n’exprime une règle du droit international coutumier ou une norme impérative, cette disposition ne deviendra exécutoire en droit canadien que s’il lui est donné effet par l’intermédiaire du processus d’élaboration des lois du Canada [4]. » Fin de la citation.
Cependant, qu’il soit question d’obligations découlant du droit international coutumier ou d’un traité, le principe de conformité avec le droit international demeure le point de départ eu égard à l’application du droit international dans tous les cas. Il s’agit d’une présomption applicable en matière d’interprétation législative dont le but est précisément de minimiser les situations de conflits ou de concurrence entre le droit interne et les normes internationales : « Cette présomption se fonde sur le principe judiciaire selon lequel les tribunaux sont légalement tenus d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait la contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un tel résultat [5]. »
Voilà donc pour la toile de fond à laquelle donnent lieu les principes d’application du droit international au Canada. Or, si ces principes sont somme toute assez clairs, il reste que le droit international est en évolution constante, et la Cour suprême du Canada, comme tout tribunal, se doit de faire preuve de discernement en abordant l’interaction entre le droit international et son droit interne, et à plus forte raison sa Constitution [6]. C’est dans cet esprit que je souhaite, aujourd’hui, vous faire part d’exemples illustrant la démarche canadienne.
III. L’affaire Baker : L’influence des obligations internationales sur le droit interne canadien
Mon survol de la jurisprudence canadienne au sujet de l’influence du droit international commence avec une affaire relative au droit de l’immigration qui remonte à 1999. La partie demanderesse dans cette affaire, une mère d’enfants nés au Canada, cherchait à être dispensée de certaines exigences imposées par la loi canadienne sur l’immigration pour des raisons d’ordre humanitaire, et spécifiquement dans l’intérêt de ses enfants. La loi en cause comporte effectivement des dispositions qui autorisent une telle dispense pour des raisons humanitaires, mais elle est muette quant aux intérêts des enfants et ce, nonobstant le fait que le Canada soit signataire de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La question posée devenait alors la suivante : « Vu que la loi sur l’immigration n’incorpore pas expressément le langage des obligations internationales du Canada en ce qui concerne la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, les autorités d’immigration fédérales doivent-elles considérer l’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un requérant sous le régime […] de la loi sur l’immigration ? »
La majorité de la Cour suprême a répondu à cette question par l’affirmative. Sous la plume de la juge Claire L’Heureux-Dubé, la Cour a souligné que les valeurs exprimées par le droit international des droits de la personne peuvent être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois canadiennes [7]. Concrètement, cela signifie que toute décision prise sous l’égide de la loi sur l’immigration à des fins humanitaires doit tenir compte des engagements pris par le Canada, en l’occurrence ceux découlant de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, même si cette convention n’a pas été mise en vigueur par le Parlement. Toute décision contraire, c’est-à-dire « incompatible avec la tradition humanitaire du Canada [8] » pourra être écartée au motif qu’elle est déraisonnable. Plus de quinze ans après avoir été rendu, l’arrêt Baker demeure une référence en la matière et sert d’illustration éloquente du droit international en tant que « source pertinente et persuasive » au Canada, notamment en ce qui a trait aux droits de la personne [9].
Toujours dans le même esprit, la Cour suprême n’hésite pas à comparer, au besoin, les valeurs canadiennes à celles de pays dits « comparables » afin de mesurer la tendance internationale, par exemple dans le contexte de la peine de mort.
Enfin, il n’est pas sans intérêt de noter que la Cour s’est livrée tout récemment à un exercice semblable dans le contexte de l’euthanasie, justifiant en partie un revirement de sa jurisprudence – qui jusqu’à alors ne reconnaissait pas le droit à l’euthanasie – du fait qu’un nombre grandissant de pays autorisent dorénavant une certaine forme d’aide à mourir [10].
IV. L’affaire Kazemi : Les limites à l’application du droit international
Passons maintenant à jugement plus récent de la Cour suprême du Canada qui a été décidé l’année dernière, à savoir l’affaire Kazemi. Il s’agit d’une affaire tristement célèbre de par ses faits : Mme Kazemi, une citoyenne canadienne qui exerçait le métier de photographe et de journaliste, s’était rendue en Iran et a été arrêtée alors qu’elle photographiait des personnes qui protestaient à l’extérieur d’une prison à Téhéran. Au cours de sa détention, elle a été battue, agressée sexuellement et torturée, et elle est décédée des suites de ses blessures quelques semaines plus tard. Son fils, n’ayant pu obtenir réparation en Iran, a intenté au Québec une action civile contre l’Iran, le chef d’État de l’Iran et deux agents de l’État pour la torture alléguée et le décès de sa mère.
La question principale que soulevait cette action portait sur l’immunité de juridiction, à savoir plus particulièrement si le droit international exige une interprétation de la loi canadienne sur l’immunité des États qui reconnaîtrait une exception au principe de l’immunité dans les cas de torture.
La Cour suprême a répondu à cette question par la négative. Dans un premier temps, elle a rappelé que l’immunité des États est depuis fort longtemps une règle générale du droit international coutumier. La Cour a également noté que cette norme internationale a néanmoins évolué, notamment depuis la Seconde guerre mondiale, et qu’un certain nombre d’exceptions sont venues s’y greffer, entre autres en matières commerciale et criminelle, et aussi en cas d’activités terroristes [11]. De telles exceptions figurent d’ailleurs dans la loi canadienne sur l’immunité des États, mais on n’y retrouve pas une exception relative à des recours analogues à celui en cause dans l’affaire Kazemi, c’est-à-dire en cas de poursuites civiles fondées sur des actes de torture commis à l’étranger.
L’absence d’une exception explicite prévue à la législation canadienne doit-elle faire obstacle à l’immunité de juridiction alors même que le droit international interdit la pratique de la torture ? Y a-t-il, dans ce cas de figure, un conflit entre le droit canadien en matière d’immunité et la norme internationale impérative qu’est devenue la prohibition contre la torture ? La Cour, en réfutant l’existence d’un tel conflit et, du coup, en reconnaissant que l’immunité de juridiction devait être maintenue en l’espèce, a néanmoins tenu à nuancer le débat en ces termes et je cite :
Le Canada ne cautionne pas la torture, et ses fonctionnaires ne sont pas non plus autorisés à se livrer à des actes de cette nature. Toutefois, la question dont nous sommes saisis en l’espèce n’est pas celle du caractère odieux ou illégal de la torture. Ceci est certain. La Cour doit décider si une personne peut poursuivre un État étranger devant les tribunaux canadiens pour un acte de torture commis à l’étranger. La réponse à cette question dépend de l’interprétation de la [loi canadienne sur l’immunité des États] et du rapport entre, d’une part, cette loi et, d’autre part, le droit international, la Charte et la Déclaration [canadienne] des droits [12]. Fin de la citation.
Au final, selon la Cour, le libellé de la loi canadienne sur l’immunité des États écarte le droit international comme source de nouvelles exceptions, y compris en cas de torture [13]. Elle en arrive à cette conclusion ainsi en précisant que « [l]’état actuel du droit international sur les réparations destinées aux victimes de torture ne modifie pas la loi et ne la rend pas ambiguë [14] » et aussi qu’« [o]n ne saurait utiliser le droit international pour étayer une interprétation à laquelle fait obstacle le texte de la loi » [15]. Ceci étant dit, la Cour s’est également empressée d’ajouter que si le libellé de la loi canadienne sur l’immunité des États avait été ambiguë à cet égard, il aurait été loisible à la Cour de faire appel au droit international afin d’« en préciser le sens » [16].
V. L’affaire Thibodeau : L’interprétation d’un traité en conflit avec la protection plus étendue conférée par le droit interne canadien
Si l’affaire Kazemi se veut l’illustration des limites de l’application du droit international au Canada, notamment lorsque l’on cherche à étendre la portée du droit interne par application du droit international, l’inverse a été illustré par l’affaire Thibodeau [17], décidée il y a à peine quelques mois. Il était question, dans cette affaire, d’un traité dont l’application pouvait en fait restreindre la protection conférée par le droit interne canadien en matière de droits de la personne, dans ce cas-ci des droits linguistiques.
Les demandeurs dans cette affaire, M. et Mme Thibodeau, reprochaient au transporteur aérien Air Canada d’avoir violé la loi canadienne sur les langues officielles en omettant de les servir en français sur des vols internationaux. Il n’était pas contesté que le transporteur aérien avait effectivement manqué à ses obligations, mais ce dernier contestait les demandes de dommages-intérêts en invoquant la limite de la responsabilité à l’égard des dommages prescrite par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, laquelle limite effectivement ce qu’autoriserait autrement le droit interne canadien : « La question des dommages-intérêts se situe au croisement de l’engagement du Canada envers les langues officielles au pays et de son engagement international envers un régime exclusif et uniforme de responsabilité pour dommages des transporteurs aériens internationaux. Cette question met donc en jeu deux valeurs importantes [18]. »
La majorité de la Cour suprême a donné raison au transporteur aérien en ces termes :
« Le régime de responsabilité uniforme et exclusif pour les dommages établi par la Convention de Montréal à l’égard des transporteurs aériens internationaux ne permet pas d’accorder des dommages-intérêts en cas de violation de droits linguistiques lors d’un transport aérien international. Tirer la conclusion contraire dénaturerait le libellé et l’objet de la Convention de Montréal, irait à l’encontre des obligations internationales que celle-ci impose au Canada et exclurait le Canada du solide consensus international qui existe sur sa portée et ce fases effets. Le pouvoir général que confère la [loi canadienne sur les langues officielles] d’accorder une réparation convenable et juste ne peut – et ne doit pas – être interprété comme autorisant les tribunaux canadiens à déroger aux obligations internationales qui incombent au Canada en application de la Convention de Montréal [19].
Ce faisant, la majorité dans l’affaire Thibodeau a cherché à concilier, d’une part, les normes imposées par le droit interne canadien, en l’occurrence la loi canadienne sur les langues officielles et, d’autre part, celles découlant du traité international qu’est la Convention de Montréal.
Suivant cette démarche, la majorité était d’avis qu’en l’espèce, il n’y avait pas conflit, mais plutôt chevauchement entre les normes en cause, si bien qu’il n’y avait pas lieu de déterminer si l’une devait primer sur l’autre. Or, la Cour fut divisée à cet égard. La dissidence, à laquelle j’ai souscrit, a préféré une démarche axée sur l’intention des États signataires de la Convention de Montréal, en rappelant ce qui suit et je cite :
L’interprétation d’un traité est un exercice de discernement. Une réponse claire et sans équivoque se dégage rarement avec certitude du sens littéral des mots. Il faut donc saisir l’intention des États parties en examinant de bonne foi non seulement les mots en cause, mais aussi le contexte, l’historique, l’objet et le but du traité dans son ensemble. Soit dit en tout respect, cet exercice mène à la conclusion que l’article 29 de la Convention de Montréal ne régit pas à titre exclusif tous les dommages dont les transporteurs peuvent être tenus responsables pendant le transport aérien international [20].
Je me permets d’ajouter que la dissidence a également voulu exprimer la mise en garde suivante et je cite :
Enfin, bien que ce ne soit pas déterminant, nous ne pouvons pas négliger le fait que nous sommes en présence d’un traité commercial. Notre Cour a souvent affirmé que le droit national devait être interprété généreusement, en accord avec le droit international et ses valeurs en matière de droits de la personne. Elle n’a jamais dit que le droit international devait être interprété de façon à affaiblir les droits de la personne protégés par le droit national.
Tout comme le Parlement n’est pas présumé légiférer en violation d’un traité, il ne saurait être présumé mettre en œuvre des traités qui éteignent des droits fondamentaux protégés par la législation nationale [21].
Cette affaire illustre parfaitement la difficulté, voire la tension que provoquent parfois les situations de conflits ou de concurrence entre le droit international et le droit interne. Le moindre que l’on puisse dire est que la question demeure d’actualité.
VI. Conclusion
Bien entendu, ce bref survol de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada ne se veut pas exhaustif. Le nombre de dossiers de la Cour suprême du Canada soulevant des questions relevant du droit international est sans cesse croissant, surtout depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés il y a maintenant plus de trente ans. À l’ère de l’internationalisation sous toutes ses formes, il est fort à parier que cette tendance ne risque pas de s’estomper. Notre discussion aujourd’hui tombe donc à point nommé.
S’il est vrai que dans un tel contexte il y a lieu de faire preuve d’ouverture, il est tout aussi vrai que les cours constitutionnelles saisies de telles questions doivent faire preuve de discernement. C’est dans cette perspective que j’ai souhaité vous faire part de la démarche de la Cour suprême du Canada en la matière.
Sur ce, je vous remercie de votre attention.
-
[1]
Cf. « La suprématie de la Constitution », Rapport canadien préparé dans le cadre du 7e Congrès triennal de l’ACCPUF (avril 2015) (ci-après « Rapport canadien ») à la p. 364. [Retour au contenu] -
[2]
A. de Mestral et E. Fox-Decent, « Rethinking the Relationship Between International and Domestic Law », (2008) 53 R.D. McGill 573 à la p. 578. [Retour au contenu] -
[3]
R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292, 2007 CSC 26 au para. 39. [Retour au contenu] -
[4]
Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, [2014] 3 R.C.S. 176, 2014 CSC 62 au para. 149. [Retour au contenu] -
[5]
Hape au para. 53. [Retour au contenu] -
[6]
Kazemi au para. 150. [Retour au contenu] -
[7]
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au para. 70. [Retour au contenu] -
[8]
Baker au para. 75. [Retour au contenu] -
[9]
Cf. Rapport canadien à la p. 365. L’expression « source pertinente et persuasive » vient du juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 (au para. 60) : « En somme, bien que je ne croie pas que les juges soient liés par les normes du droit international quand ils interprètent la Charte, il reste que ces normes constituent une source pertinente et persuasive d’interprétation des dispositions de cette dernière, plus particulièrement lorsqu’elles découlent des obligations internationales contractées par le Canada sous le régime des conventions sur les droits de la personne. » [Retour au contenu] -
[10]
Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5. [Retour au contenu] -
[11]
Kazemi aux para. 38 et suivants. [Retour au contenu] -
[12]
Kazemi aux para. 52-53. [Retour au contenu] -
[13]
Kazemi au para. 58. [Retour au contenu] -
[14]
Kazemi au para. 60. [Retour au contenu] -
[15]
Kazemi au para. 60. [Retour au contenu] -
[16]
Kazemi au para. 63. [Retour au contenu] -
[17]
Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340. [Retour au contenu] -
[18]
Thibodeau au para. 3. [Retour au contenu] -
[19]
Thibodeau au para. 6. [Retour au contenu] -
[20]
Thibodeau au para. 140. [Retour au contenu] -
[21]
Thibodeau aux para. 170-171. [Retour au contenu]
Le contrôle de constitutionnalité, droit de l’union européenne et convention européenne des droits de l’homme (France)
Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel Français
Nous avons assisté, depuis quelques années, au sein du Conseil constitutionnel, à une révolution, notamment en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité, combiné avec le droit de l’Union européenne, le droit de la Convention européenne et les droits de l’homme. Pendant près de 45 ans, en France, la Constitution a été au sommet de la hiérarchie des normes dans l’ordre interne. Le Conseil constitutionnel n’est pas, en principe, juge du respect du droit de l’Union européenne ou de la Convention européenne des droits de l’homme. Lors de mon arrivée au Conseil constitutionnel, tout ceci a changé. Avec la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et l’introduction en France du contrôle a posteriori, entré en application en 2010, le dialogue des juges nationaux et européens s’est profondément renouvelé. Cela a conduit à un rapprochement manifeste des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité.
Pour l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, le législateur français a distingué les moyens de constitutionnalité et de conventionnalité en imposant au juge d’étudier s’il y avait lieu de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, même si le moyen de conventionnalité était susceptible d’être accueilli. La position du Conseil constitutionnel tient en trois points. En premier lieu, nous avons décidé qu’à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, soit d’un contrôle a posteriori, il appartient au juge administratif et au juge judiciaire de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher qu’une disposition incompatible avec le droit de l’Union européenne produise des effets. En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel a précisé que des dispositions relatives à la question prioritaire de constitutionnalité ne privent aucunement le juge de son pouvoir de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, y compris lorsqu’il transmet une question prioritaire de constitutionnalité. En troisième lieu, l’exigence constitutionnelle de transposition des directives ne figure pas dans les droits et libertés que la Constitution garantit au sens de l’article 61 de la Constitution française. Cette exigence n’est pas invocable par les justiciables dans le cadre de la QPC.
Trois illustrations peuvent être citées, prouvant que les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité se rapprochent, alors qu’il s’agit de principes séparés. Premièrement, en matière de procédure, le Conseil constitutionnel a intégré les notions de délai raisonnable, d’impartialité, d’égalité des armes et de publicité des débats, qui font écho à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en matière de procès équitable. Nous avons ainsi mis en place une procédure contradictoire, une audience publique retransmise sur notre site Internet, et j’ai introduit dans le règlement du Conseil constitutionnel la possibilité de récuser un membre à l’occasion d’une QPC.
Deuxièmement, le Conseil tient compte de la jurisprudence de la CEDH. Ainsi, les jurisprudences relatives aux lois de validation des deux institutions convergent désormais. Par une décision du 14 février 2014, le Conseil constitutionnel a exigé que l’atteinte au droit des personnes résultant de la loi de validation soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. Ce faisant, il a expressément souligné que son contrôle des lois de validation, fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, a la même portée que le contrôle assuré sur le fondement des exigences résultant de la CEDH. Dans notre jurisprudence, de nombreux exemples témoignent de ce rapprochement, comme la décision du Conseil sur les visites domiciliaires, sur l’appel de l’accusé en fuite, sur la portée de la liberté d’expression et l’exception de vérité des faits diffamatoires, les exigences applicables aux expropriations d’utilité publique ou, récemment, l’absence de cumul des poursuites. Nous nous entendons mutuellement pour éviter que nos jurisprudences ne divergent trop.
Troisièmement, le rapprochement est mutuel. La CEDH rend, postérieurement à une décision du Conseil constitutionnel sur les mêmes affaires, des décisions qui s’en inspirent. Tel a été le cas dans l’affaire Cadène contre France à propos d’amendes forfaitaires où la Cour européenne a pris acte du fait que selon le Conseil constitutionnel français, l’impossibilité de saisir la juridiction de proximité était incompatible avec le droit à un recours juridictionnel effectif, et a conclu à une violation de l’article 6 de la Convention. Plus récemment, dans la décision SAS contre France du 1er juillet 2014, à propos de la loi du 11 octobre 2010 sur la dissimilation des visages dans l’espace publique, la Cour a rejoint la décision du Conseil constitutionnel sur la même en loi. En délivrant un brevet de conventionnalité sans être identique sur le plan de la motivation, ces deux décisions se rejoignent sur l’essentiel. Ainsi, lorsque le Conseil constitutionnel relève l’existence de pratiques qui méconnaissent les exigences minimales de la vie en société, justifiant l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public, la Cour européenne considère également que la loi du 11 octobre 2010 est proportionnelle au but poursuivi, à savoir la préservation des conditions du vivre ensemble.
Si le Conseil constitutionnel n’est pas juge de la conventionnalité de la loi, il veille à prendre ses décisions en ayant analysé avec soin la jurisprudence des cours de Luxembourg et de Strasbourg. Il cherche à ce que sa jurisprudence soit en cohérence avec celles de ces cours, qui partagent avec lui les mêmes objectifs et idéaux. En saisissant la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, le Conseil a donné une preuve indubitable de sa volonté du dialogue des juges et de sa conviction que, sans ce dialogue, il n’y aurait pas de progrès des droits dans l’Union européenne. Pour autant, il peut s’éloigner de la jurisprudence des cours. Plus que la réalité juridique, il importe que le dialogue des juges européens, quelle que soit leur mission, converge pour faire progresser, dans notre pays, un droit commun, une pratique commune et un dialogue essentiel à la démocratie. Alors qu’il n’existait pas de contrôle de conventionnalité en France pendant 45 ans, avec le contrôle a priori, nous nous inscrivons dans une évolution très intéressante, permise par les textes mais surtout favorisée par les hommes et les femmes qui composent les juridictions européennes et françaises. Il n’y a pas d’avenir sans dialogue des juges.
La suprématie de la Constitution en période de crise (Niger)
Oumarou Narey [1], conseiller à la Cour constitutionnelle du Niger, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences économiques et juridiques de l’Université Abdou Moumouni de Niamey
Sous sa plume, Alexander Hamilton a pu noter qu’« une constitution est en fait une loi fondamentale et doit être regardée par les juges comme telle. Il leur appartient donc de dégager son sens comme celui de tout acte émanant du législateur. S’il apparaît une contrariété irréductible entre les deux, c’est le texte dont la force et la valeur sont supérieures qui doit être évidemment préféré ; en d’autres termes, la constitution doit être préférée à la loi, la volonté du peuple à celle de ses représentants » [2]. Si cette logique juridique, c’est-à-dire la suprématie de la constitution par rapport à la loi, est vérifiée en dehors de toute instabilité, elle n’en demeure pas moins contrariée dans un contexte de crise politique et institutionnelle grave ou mineure.
Selon la doctrine du droit constitutionnel, la suprématie de la Constitution signifie tout d’abord qu’elle est la norme supérieure, celle qui prime sur toutes les autres règles de par leurs statuts [3]. La Constitution est le dernier rempart, l’ultime barrière à l’abus du pouvoir. La Constitution est ensuite la meilleure garantie contre l’arbitraire du pouvoir politique. C’est le premier niveau de protection contre les risques d’arbitraire de la loi, au profit des citoyens [4]. Elle est enfin la véritable norme juridique qui impose aux pouvoirs publics, autorités administratives, civiles, militaires et juridictionnelles ainsi qu’à tous les citoyens, les limites à ne pas franchir [5].
Quant à la période de crise, elle est entendue, ici, comme les circonstances ou les situations de conflits, parfois violents, pendant lesquelles le fait politique prime sur le droit et la hiérarchie des normes juridiques est soit mise sur orbite, soit dévalorisée ou ne présente aucune importance. Or, en tant que norme suprême, la Constitution d’un État bénéficie originellement d’un certain prestige, symbole fort marquant son identité et son évocation qui sont censés fédérer le corps politique autour des principes, valeurs et aspirations qui la sous-tendent.
La suprématie de la Constitution a en effet été consacrée aux États-Unis d’Amérique en 1803, avec l’arrêt de la Cour suprême : Marbury v. Madison [6]. Cette logique juridique fera ensuite fortune de manière irréversible sur les continents américain et européen, au point aujourd’hui que la suprématie de la constitution est constamment invoquée, tantôt devant le juge ordinaire, tantôt devant la juridiction spécialisée. Ainsi, la constitution n’échappe pas aux contentieux, dans la mesure où elle légitime la production du droit, dérivée de ses institutions. Elle devient la norme de référence, c’est-à-dire que les normes dérivées doivent respecter tant la forme que le fond des prescriptions constitutionnelles [7]. Il s’agit là de l’œuvre du grand maître de Vienne, Hans Kelsen, qui souligne avec autorité la particularité que présente le droit de régler lui-même sa propre création : « […] en accord avec le caractère dynamique de l’unité des ordres juridiques, une norme est valable si et parce qu’elle a été créée d’une certaine façon, celle que détermine une autre norme ; cette dernière constitue ainsi le fondement immédiat de la validité de la première. Pour exprimer la relation en question, on peut utiliser l’image spatiale de la hiérarchie, du rapport de supériorité-subordination : la norme qui règle la création est la norme supérieure, la norme créée conformément à ses dispositions est la norme inférieure. L’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée […] d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques » [8]. Cette idée de la hiérarchie des normes peut se définir comme l’établissement d’un ordre juridique supposant le respect par la norme inférieure d’une ou plusieurs normes supérieures. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Kelsen : « tout acte juridique est à la fois application d’une norme supérieure et création, réglée par cette norme, d’une norme inférieure » [9]. Dans ce système kelsenien de la hiérarchie pyramidale des normes, on y trouve au sommet la norme-mère – Grundnorm – celle qui commande tout le système juridique, à laquelle sont subordonnées directement ou non les autres normes. Cette suprématie de la Constitution devait naguère être garantie par un système de « balance des pouvoirs » plus connu sous l’appellation de séparation des pouvoirs conçue par Charles Montesquieu [10] et perpétuée par d’autres auteurs [11]. C’est ainsi que s’est peu à peu imposée l’idée que la primauté de la Constitution sur les autres normes pouvait être mieux assurée par la juridiction constitutionnelle [12] qui s’est développée et répandue dans un grand nombre de pays à partir du XXe siècle.
Mais la garantie de l’autorité de la Constitution peut varier considérablement. En période de stabilité politique ou institutionnelle, la suprématie constitutionnelle est assurée par le juge constitutionnel chargé de faire le contrôle de constitutionnalité des lois. En revanche, pendant la période de crise, il arrive que la primauté de la constitution soit remise en question ou peu protégée. D’où un certain nombre d’interrogations : l’ordre juridique pyramidal imaginé par Kelsen et ses précurseurs peut-il se concevoir dans un État en période de crise ? Autrement dit, peut-on soutenir que le degré suprême d’un ordre juridique étatique peut être formé par la constitution en période de décomposition d’un système politique [13] ? Le juge constitutionnel peut-il, en période de crise, « […] protéger la constitution des entreprises des ambitieux et des habiles que l’importance des enjeux ne manque pas de susciter ? » [14]. Quel a été dans les faits le comportement de ce juge ?
Les questions ainsi posées ont certes retenu l’attention de certains constitutionnalistes [15] mais le sujet demeure toujours d’actualité dans les États en transition démocratique, notamment ceux du continent africain où il est très facile de se réfugier derrière les différends politiques pour remettre en cause la suprématie de la constitution, la renier ou la suspendre de fait.
En effet, nombreux sont les accords de substitution à la constitution qui ont été conclus par les acteurs politiques africains pour tenter de régler des situations de crise. Il en va ainsi de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi conclu le 28 août 2000 [16]. C’est un véritable traité constitutionnel de la période post-transition. De même, en République de Côte d’Ivoire, d’octobre 2002 à avril 2005, ce sont successivement les accords politiques de Lomé, de Marcoussis, de Kléber, d’Accra, de Pretoria I et II et de Ouagadougou qui ont été conclus par les acteurs majeurs du conflit ivoirien [17]. En République démocratique du Congo, un accord de paix très complexe a été signé entre les protagonistes de la crise, le 16 décembre 2002 à Pretoria. Cet accord sur le partage du pouvoir politique et économique, a créé un pouvoir exécutif monstre à cinq têtes : un président de la République et quatre vice-présidents – dont deux représentants les mouvements armés rebelles – pour une durée de transition de deux ans [18]. Ces accords politiques témoignent que la Constitution n’est pas la garantie absolue de conservation des institutions en cas de crise politique majeure. De plus, la suprématie de la Constitution et son idéal politique, l’État de droit [19], peuvent être tenus en échec par les textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition : c’est le cas des textes organisant les pouvoirs publics pendant la période de transition et des autres textes qui les complètent et les précisent en République du Niger en 2010 [20], la charte de la transition en République centrafricaine [21] et au Burkina Faso [22], ainsi que la loi régissant les vacances de la présidence de la transition de Madagascar [23], etc. Ces exemples illustrent bien des situations de crise dans lesquelles la suprématie de la Constitution est à rechercher, soit dans sa cohabitation avec des accords politiques, soit dans une hiérarchie des normes inventée de toute pièce, c’est-à-dire un ordonnancement juridique dans lequel les actes constitutionnels l’emportent sur toutes les autres règles de droit interne. Il est dès lors intéressant d’analyser ce basculement ayant pour résultat une simple cohabitation entre la Constitution et les accords politiques, ceux-ci faisant corps avec la Constitution ou la complétant dans certaines de ses dispositions. Il est aussi important d’étudier, sur le plan pratique, l’attitude que doit avoir le juge constitutionnel face à l’application des accords pour préserver la suprématie constitutionnelle étant donné qu’il résulte, d’une part, que les accords politiques s’ajoutent à la constitution ou tentent d’y établir un lien. Il s’ensuit donc que la primauté de la Constitution se trouve affirmée ; ce qui oblige à respecter les principes et valeurs auxquels elle renvoie. D’où une suprématie constitutionnelle hypertrophiée (I). D’autre part, pendant la période de crise, il est souvent établi une hiérarchie entre les règles juridiques faites de pièces et de morceaux disparates, de dispositions sans lien entre elles, ce qui permet d’élever certains actes juridiques au rang de la « Constitution » et de leur attribuer un label de normes constitutionnelles : c’est le cas des chartes de transition [24], des actes fondamentaux issus des conférences nationales des années 90 [25], des ordonnances portant organisation des pouvoirs publics pendant la transition politique [26]. Ces « constitutions en miniature » sont communément qualifiées de « petites constitutions » [27] ; elles sont alors synonymes de règles relatives à l’organisation des pouvoirs et forment un ensemble de règles disparates organisé en système plus ou moins hiérarchisé dont la suprématie est minorée (II).
I. La suprématie constitutionnelle hypertrophiée
En période de crise politique, la suprématie de la Constitution doit être recherchée d’abord et avant tout dans le contenu du texte constitutionnel adossé au contenu des accords politiques conclus par les acteurs de la crise. En effet, sans remettre en cause ou abroger la Constitution, les accords ou arrangements politiques, c’est-à-dire « ceux résultant d’une rencontre entre les acteurs politiques, notamment les protagonistes de la crise » [28], complètent la norme suprême en y insérant des principes et règles régissant la transition politique. En outre, la Constitution a souvent un préambule qui renvoie au droit international et fait formellement partie de la loi suprême. Ce faisant, la primauté de la Constitution se trouve revigorée (A). Mais il arrive aussi que cette suprématie amplifiée soit remise en cause par les mêmes acteurs politiques. D’où l’impérieuse nécessité pour le juge constitutionnel, surtout en période de crise, d’en être le garant (B) et, de façon collatérale, le gardien naturel des accords politiques qui la complètent.
A. La suprématie constitutionnelle revigorée en période de crise
La suprématie de la Constitution en période de crise politique peut être démontrée de deux façons. D’une part, en se fondant sur la complémentarité et la compatibilité entre les accords politiques et la Constitution, avec primauté accordée à celle-ci et, d’autre part, à travers une analyse sur les multiples références aux instruments régionaux et internationaux relatifs aux principes de la démocratie et des droits de l’homme [29].
S’agissant de la complémentarité, il faut reconnaître que certains auteurs ont soutenu que c’est l’exigence du respect de la Constitution, considérée comme norme suprême se trouvant placée au sommet de l’ordre juridique ou hiérarchie des normes, qui a conduit les protagonistes de la crise ivoirienne à établir un lien entre les engagements politiques et la Constitution du 1er août 2000. Dès lors, il ne peut théoriquement pas exister d’accords ou arrangements politiques qui seraient « au-dessus » de la Constitution. C’est pourquoi le professeur Meledje Djedjro affirme justement que « l’Accord de Linas Marcoussis confirme des principes constitutionnels existants » [30]. Pour ce constitutionnaliste, « il n’y a […] pas – et c’est le plus important pour la légalité constitutionnelle – de nouvel ordre (espace) politique à créer » [31]. Abondant dans le même sens, le professeur Wodié soutient que « […] En tant qu’acte déclaratif, l’“accord de Marcoussis” se borne à constater et à reconnaître ce qui existe déjà au plan juridique et politique, en confirmant la légalité (la Constitution) en vigueur. L’accord reconnaît et consacre les Institutions républicaines, et partant la Constitution qui leur sert de fondement juridique, en en garantissant la suprématie […] » [32]. Il en résulte que sur le fondement de la complémentarité entre les dispositions de l’accord de Marcoussis et celles de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000, « la primauté du droit (de la Constitution) sur la force et le fait (accompli) se trouve affirmée […] » [33]. Cette exigence du respect de la Constitution a été aussi respectée dans l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. En effet, cet Accord se donne à voir comme un moyen de règlement de la crise au Burundi, mais il repose aussi sur la Constitution et en constitue un prolongement. Les dispositions de la Constitution burundaise ont effectivement été respectées au cours de la conclusion de l’Accord d’Arusha qui consacre non seulement les « principes constitutionnels de la Constitution de la période post-transition » [34] mais aussi la « continuité juridique […] » [35]. C’est dans ce sens que l’article 7 de l’Accord d’Arusha consacre une exception constitutionnelle rarissime : « La Constitution stipule qu’à l’exception de la toute première élection présidentielle, le président de la République est élu au suffrage universel direct » [36]. Cette disposition vise en réalité à créer un environnement où la suprématie de la Constitution du Burundi est respectée et la sécurité juridique garantie. C’est pourquoi dans le même Accord d’Arusha la Cour constitutionnelle a reçu les pleins pouvoirs pour faire appliquer la Constitution et agir en tant que garant de celle-ci, même si cette juridiction doit s’opposer aux pouvoirs exécutif et législatif [37].
Le dernier exemple de complémentarité entre un acte juridique transitionnel et la Constitution, est celui du Burkina Faso où, après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, il a été adopté la Charte de la transition « […] qui complète la Constitution du 2 juin 1991 et dont […] le préambule est partie intégrante » [38]. C’est en raison de cette étroite complémentarité avec primauté donnée à la Constitution que certains constitutionnalistes affirment que « […] la Charte est […] un instrument à valeur matériellement constitutionnelle à portée juridique transitoire […] » et qu’« en cas de conflit entre une disposition de la Charte et une disposition constitutionnelle en vigueur, cette dernière devrait prévaloir » [39]. Pour prévenir la contrariété et garantir la primauté de la Constitution du 2 juin 1991, le Conseil constitutionnel est chargé de statuer [40].
Quant à la compatibilité théorique entre la Constitution et les accords politiques, elle se réalise par des actes juridiques qui doivent être édictés conformément à la Constitution et au droit en vigueur, par la voie des procédures prévues à cet effet. Cette production des règles de droit dans le respect de la primauté de la Constitution a été observée en République de Côte d’Ivoire lorsque la loi relative à l’amnistie a été adoptée par l’Assemblée nationale et promulguée par le président de la République. La procédure ainsi suivie a été conduite dans le respect de la Constitution du 1er août 2000 dont la primauté a été sauvegardée [41].
Enfin, la suprématie de la Constitution se trouve renforcée par les nombreuses références aux instruments juridiques internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme et ceux qui traitent de la démocratie et de la bonne gouvernance [42]. En effet, tous les droits et libertés, ainsi que les principes et valeurs démocratiques inscrits dans ces instruments juridiques deviennent des normes de référence pour deux raisons : en premier lieu, le préambule qui proclame ces droits et libertés et ces valeurs et principes démocratiques, fait corps avec la constitution [43]. En second lieu, le droit international des droits de l’homme fait implicitement partie du « bloc de constitutionnalité » [44].
Mais pour que la suprématie de la Constitution dans l’ordre interne soit effective, il appartient au juge constitutionnel de veiller à ce que toutes les autres normes, y compris l’application des accords politiques, soient conformes à la loi suprême. Le juge constitutionnel doit donc être le dernier rempart en cas de non-respect de cette suprématie constitutionnelle.
B. Le juge constitutionnel, garant de la suprématie constitutionnelle en période de crise
Étant donné que les titres de compétence et les fonctions du juge constitutionnel sont ceux énoncés dans la constitution et souvent repris par les accords ou arrangements politiques, il est tout à fait normal que ce juge soit le garant de la primauté de la Constitution sur les autres normes juridiques de l’État. Quelques exemples tirés de la pratique des États ayant traversé des périodes de crise peuvent être cités à titre illustratif.
Le premier de ces exemples est offert par le Conseil constitutionnel de transition du Niger qui a joué le rôle de garant de la suprématie du corpus constitutionnel – « constitution » – de la période de transition [45]. S’appuyant sur ce corpus constitutionnel, le Conseil constitutionnel de transition a eu à statuer sur la conformité des ordonnances des autorités de transition avec les textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition et les traités et accords internationaux signés et ratifiés par le Niger. Il a eu à interpréter les dispositions de ce corpus constitutionnel de transition lorsqu’il a été saisi par les autorités de la transition habilitées à le faire [46]. La jurisprudence du Conseil constitutionnel de transition témoigne du rôle déterminant qu’il a joué dans la garantie de la suprématie des textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition au Niger en 2010 [47]. L’autre exemple illustratif du juge comme garant de la suprématie de la Constitution, est offert par la Haute cour constitutionnelle malgache à l’occasion du contrôle de conformité de la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la transition, à la Constitution. En effet, par lettre n° 015-013/ PRT du 11 juillet 2013, le président de la transition a saisi la Haute Cour constitutionnelle pour soumettre au contrôle de conformité à la Constitution, préalablement à sa promulgation, la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la transition, adoptée par le Congrès de la transition et le Conseil supérieur de la transition en leurs séances respectives du 21 juin 2013 et du 3 juillet 2013. Exerçant le contrôle de conformité à la Constitution de cette loi, la juridiction constitutionnelle a adopté « une démarche objective visant le respect de la hiérarchie des normes juridiques en période de transition » [48]. Statuant sur cette hiérarchie des normes juridiques et leur application en période de transition, la Haute cour constitutionnelle a d’abord conduit un raisonnement qui réaffirme la suprématie de la Constitution par rapport aux autres normes juridiques : « Considérant qu’il est admis que la suprématie constitutionnelle se justifie par le fait que la Constitution étant la norme juridique suprême dans l’ordre juridique interne, les règles constitutionnelles doivent l’emporter sur toutes les autres règles juridiques de droit interne ;
Considérant en outre que le contrôle de constitutionnalité est alors la conséquence logique de la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique ;
Considérant que la saisine de la Haute cour constitutionnelle par le président de la transition pour contrôle de conformité de la loi adoptée par le Parlement de la transition rentre dans le respect de la suprématie constitutionnelle et contribue par là-même à la nécessité, même en période de transition, de l’établissement d’une hiérarchie entre les normes, c’est-à-dire d’un ordonnancement juridique incontournable ; […] » [49]. Poursuivant son raisonnement, la juridiction constitutionnelle malgache a ensuite abordé la hiérarchie des normes eu égard à la coexistence de la Constitution et de la feuille de route en ces termes :
« Considérant que s’il est admis que la feuille de route a été signée et insérée comme loi de l’État pour régir la période de transition, les mesures de mise en œuvre de ladite loi doivent respecter les dispositions constitutionnelles en vigueur conformément à la décision de la Haute Cour constitutionnelle n° 15-HCC/D3 du 26 décembre 2011 concernant la loi n° 2011-014 portant insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la feuille de route ;
Considérant que la Haute cour constitutionnelle estime que les dispositions du paragraphe 14 de la feuille de route, prévoyant l’adoption d’une loi afin de pallier un éventuel vide juridique en cas de vacance de la présidence, constituent une clause de réserve, ladite clause n’ayant plus sa raison d’être dans la mesure où les dispositions transitoires de la Constitution, sont reprises par la loi organique n° 2012-015 du 1er août 2012 relative à l’élection du premier président de la quatrième République ;
Considérant que l’article 3 de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité est inséparable de l’ensemble des dispositions de la loi ;
Qu’il échet de déclarer la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la transition, non conforme à la Constitution ; » [50]. Cette décision de rejet d’une loi contraire à la Constitution malgache prouve que la suprématie de la Constitution sur les autres normes juridiques a été préservée grâce à l’action du juge. De plus, celui-ci a joué un rôle décisif qui tient au fait que les mesures de mise en œuvre de la Feuille de route – accord ou arrangement politique devenu une loi de l’État – ne peuvent pas être prises au mépris de la Constitution. Enfin, le tout dernier exemple qui démontre que le juge constitutionnel demeure le garant de la suprématie de la Constitution, est celui du Conseil constitutionnel du Burkina Faso. Saisi d’une requête en contrôle de conformité à la Constitution du 2 juin 1991 de la loi organique n° 003-2015/CNT du 23 janvier 2015 portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes, le Conseil constitutionnel a déclaré que les articles 4 deuxième tiret et 35 de ladite loi ne sont pas conformes à la Constitution et à la Charte de la transition [51].
C’est dire que le contenu de la loi soumise à examen du Conseil est déterminé par le texte constitutionnel complété par la Charte de la transition, primat de l’ordre juridique burkinabé pendant cette période de transition. Ces quelques exemples montrent que les juges constitutionnels étudiés ont fait allégeance à la primauté de la constitution et ont reconnu qu’elle est la « Loi des lois », c’est-à-dire celle qui est placée au sommet de l’ordre juridique interne. Cette prise de position est partagée par les hautes juridictions françaises [52]. Mais il faut tout de suite admettre que la reconnaissance de la suprématie de la constitution peut aussi être tempérée en période de crise.
II. La suprématie constitutionnelle minorée
Même en période de crise, la constitution, de par sa nature fondamentale et suprême, apparaît comme un bloc de normes de référence, normes qui organisent les pouvoirs publics et offrent à l’État un ordre juridique plus ou moins cohérent. Mais la « Constitution » est souvent réduite à un corpus constitutionnel constitué d’un ensemble de textes organisant les pouvoirs publics pendant la période de transition. C’est pourquoi toutes les règles du jeu de la vie politique sont considérées comme étant constitutionnelles, non par essence, mais lorsqu’elles sont jugées conformes à ce corpus constitutionnel. La primauté des textes tenant lieu de « constitution » est matériellement circonscrite (A). Toutefois, il arrive qu’à travers le jeu des résolutions des organisations régionales ou internationales que la constitution en vigueur soit déconsidérée ou remise en cause par un « succédané » [53]. De plus, il y a lieu de relever qu’en période de crise, certains accords ou arrangements politiques contiennent des dispositions qui peuvent rendre difficile le respect de la suprématie constitutionnelle. Dans cette hypothèse, la norme suprême est fragilisée, menacée par ceux-là mêmes qui sont chargés de l’appliquer et de l’interpréter. Par conséquent, la constitution échouerait dans sa fonction unificatrice de l’ordre juridique de l’État, soit parce qu’elle est laissée de côté, soit torturée ou « violée » [54]. D’où une suprématie constitutionnelle fragile (B).
A. Une suprématie constitutionnelle matériellement circonscrite
Dans certaines situations de crise politique grave, la primauté de la constitution ou des textes tenant lieu de corpus constitutionnel est limitée au cercle plus ou moins restreint des actes juridiques soumis au contrôle de conformité aux « constitutions de transition » [55]. Celles-ci doivent, sous réserve parfois de leur non contrariété avec le contenu des accords politiques qui les fondent, prévaloir pendant toute la période de transition sur tous les actes juridiques qui seront adoptés par les institutions de la transition.
Il en va ainsi au Niger où suite au coup d’État militaire du 18 février 2010 ayant suspendu la Constitution de la VIe République, les textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition, sont constitués de la proclamation du 18 février 2010 [56], de l’ensemble des textes organisant les pouvoirs publics pendant la période de transition [57] et des traités et accords internationaux signés et ratifiés par le Niger. Dans le cas d’espèce, il faut préciser que ce n’est qu’après l’entrée en vigueur de la Constitution de la VIIe République, le 25 novembre 2010, que le Conseil constitutionnel de transition a commencé à apprécier la conformité des lois à la Constitution. Avant cette date, le Conseil est confiné au corpus constitutionnel de la période de transition comme l’atteste l’arrêt n° 002/CCT/MC du 7 octobre 2010. En effet, par requête en date du 23 septembre 2010 enregistrée au greffe du Conseil, un citoyen assisté de son avocat a saisi cette juridiction constitutionnelle pour dire et constater que « l’ordonnance n° 2010-043 du 19 juillet 2010 modifiant l’ordonnance n° 2010-022 du 11 mai 2010 portant création, attributions, composition et modalités de fonctionnement de la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale et pour la promotion de la bonne gouvernance dans la gestion des biens publics est prise en violation de l’ordonnance n° 2010-01 du 22 février 2010 modifiée portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition et de l’Acte uniforme de l’OHADA sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution ainsi que des conventions internationales notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auxquels le Niger est partie ». Examinant cette requête, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur un ensemble de textes tenant lieu du fameux corpus constitutionnel de la période de transition : « Considérant […] que la saisine du Conseil constitutionnel de transition par voie d’exception suppose que le requérant conteste la conformité au corpus constitutionnel de la période de transition, aux traités et accords régionaux et internationaux signés et ratifiés par le Niger d’une loi ou d’une ordonnance que l’instance juridictionnelle chargée de son dossier envisage de lui appliquer » [58]. Il s’ensuit que la suprématie constitutionnelle est strictement limitée au corpus constitutionnel de la transition qui est pour l’essentiel constitué de la proclamation du coup d’État du 18 février 2010 et des ordonnances portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition et de l’ordonnance sur le Conseil constitutionnel de transition.
Cette option n’a pas été celle de la République centrafricaine qui a préféré adopter une Charte constitutionnelle de transition à travers laquelle il a été institué une Cour constitutionnelle de transition chargée notamment de « […] juger de la constitutionnalité des lois organiques et ordinaires, déjà promulguées ou simplement votées, des règlements, ainsi que du règlement intérieur du Conseil national de transition ; […] interpréter la Charte constitutionnelle de transition […] » [59]. Ayant abrogé la Constitution centrafricaine du 27 décembre 2004 et les deux Actes constitutionnels du 26 mars 2013 [60] portant organisation provisoire des pouvoirs de l’État, la Charte constitutionnelle de transition demeure le texte de référence, le point d’appui juridique de la Cour constitutionnelle de transition en matière de prise de décision. Ainsi, dans sa décision n° 005/15/CCT du 15 avril 2015 sur la séquence des opérations référendaires et électorales prévues à l’article 44 tiret 5 de la Charte constitutionnelle de transition et sur l’interprétation des dispositions de l’article 104 de la Charte constitutionnelle de transition, la Cour constitutionnelle de transition a d’abord rappelé « […] les dispositions de l’article 108 al.2 de la Charte constitutionnelle de transition selon lesquelles la Charte constitutionnelle de transition est exécutée comme “Constitution de la République centrafricaine pendant la période de transition” » [61]. Ensuite, la Cour constitutionnelle a poursuivi son raisonnement en ces termes : « Considérant que le Premier ministre soutient également dans sa requête que la Cour constitutionnelle de transition n’est pas habilitée à recevoir le serment du président de la République élu ; que ceci n’est pas conforme à l’article 76 tiret 5 de la Charte constitutionnelle de transition qui dispose que la Cour constitutionnelle de transition est chargée de “recevoir le serment du chef de l’État de transition et celui du président de la République élu” ; qu’il y a donc lieu de dire qu’il revient à la Cour constitutionnelle de transition de recevoir le serment du président de la République élu » [62]. Cette décision montre que le raisonnement de la Cour constitutionnelle de transition est fondé exclusivement sur la Charte constitutionnelle de transition, « loi suprême » de la République centrafricaine pendant la période de transition. Cette suprématie défendue par le juge constitutionnel peut néanmoins être remise en question, voire même anéantie en période de crise aiguë. Elle revêt dès lors un caractère fragile.
B. Une suprématie constitutionnelle fragile
La suprématie de la constitution en période de crise peut revêtir un caractère fragile pour trois raisons principales qu’il convient d’analyser successivement.
La première est que dans le processus de sortie de crise, les acteurs s’arrangent pour conclure des accords politiques qui prennent le pas sur l’esprit et la lettre de la constitution. Celle-ci « se trouve alors reléguée au second plan et les compromis politiques acquièrent une place prépondérante dans l’architecture normative de l’État » [63]. En effet, le règlement de la crise en Côte d’Ivoire se donne comme exemple de « la dévalorisation de la Constitution » [64] qui se traduit par « l’abaissement de la Constitution au rang de norme ordinaire » [65], c’est-à-dire une simple loi qui peut en principe être modifiée par la procédure législative ordinaire. Il s’ensuit que les règles essentielles de l’État ivoirien n’ont pas échappé aux caprices des acteurs de la crise car le caractère suprême a été plutôt accordé aux principes et règles « voulus » et inscrits dans les accords politiques. Par exemple, c’est sur la base de l’accord de Pretoria que, d’une part, l’article 35 de la Constitution ayant trait à l’éligibilité en matière d’élection présidentielle a été modifié [66] et, d’autre part, que l’article 36 de la Constitution prescrivant le premier tour de l’élection présidentielle, n’a malheureusement pas été appliqué pour accepter le président de la République comme reconduit dans ses fonctions. Toutes ces situations ont conduit à la mutilation de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000 ; ce qui enlève en substance tout crédit à la primauté de ladite Constitution pendant cette période de crise.
La seconde raison qui explique aussi le caractère fragile de la suprématie de la constitution en période de crise, est le recours aux « arrangements politiques autoritaires » [67], c’est-à-dire aux résolutions contraignantes adoptées par les organisations régionales et internationales. Ainsi, dans le cadre de la résolution de la crise en Côte d’Ivoire, le Conseil de sécurité de l’ONU, tout en prenant appui sur les recommandations de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union africaine, a adopté une sorte de « substitut de la Constitution » [68], les résolutions 1633 et 1721 par lesquelles un partage de pouvoirs a été organisé entre le président de la République et le Premier ministre, en violation flagrante des dispositions constitutionnelles [69].
Cela a d’ailleurs suscité la saisine du Conseil constitutionnel qui a procédé, dans sa décision n° 019/CC/SG en date du 6 décembre 2006 [70], au contrôle de la constitutionnalité de la résolution 1721 du Conseil de sécurité des Nations unies agissant en vertu du Chapitre VII. Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré inconstitutionnelles plusieurs « […] dispositions de ladite résolution parce qu’elles tendent à modifier la répartition des compétences entre le président de la République et le Premier ministre au profit de celui-ci et à réaménager les attributions constitutionnelles des institutions publiques » [71]. Mais dans cette décision, le juge constitutionnel ivoirien a affirmé le principe de la primauté de la Constitution sur le « […] droit international, plus précisément la validité de l’engagement de la Côte d’Ivoire à respecter les obligations découlant de sa qualité de membre de l’Organisation des Nations unies […] » [72].
Enfin, la troisième raison qui permet de soutenir l’idée du caractère fragile de la suprématie constitutionnelle est liée à la posture du juge : décider de se placer au-dessus de la Constitution ou noyer la suprématie constitutionnelle. Cette triste réalité est attestée par l’actualité récente de certaines juridictions constitutionnelles africaines. En effet, là où la constitution est muette, le juge constitutionnel a décidé, en prônant son approche compréhensive fondée ou non sur le texte constitutionnel. L’avis émis par la Cour constitutionnelle du Mali en 2012 et l’arrêt rendu tout récemment par la Cour constitutionnelle du Burundi sont assez illustratifs.
Dans son avis n° 2012-004/CCM du 8 juin 2012, la Cour constitutionnelle du Mali a estimé qu’elle est en droit d’émettre un avis dans le but de proroger de deux semaines le délai de la durée du mandat du président par intérim, en raison de la rébellion et de la crise politique et institutionnelle. Saisie par le Premier ministre, après les 40 jours d’intérim prévus par la Constitution du 27 février 1992, la Cour constitutionnelle s’est fondée sur l’article 36 alinéas 2, 3 et 4 [73] de ladite Constitution pour émettre un avis en ces termes : « Il résulte de la combinaison de ces alinéas que le mandat du président de la République par intérim expire à la fin de l’élection du nouveau président ; que ce scrutin n’ayant pu se tenir pour des raisons de circonstances exceptionnelles et de force majeure invoquées par le saisissant, le président par intérim assure ses fonctions jusqu’à l’élection du président de la République » [74]. En agissant ainsi, la Cour constitutionnelle s’est comportée comme une institution se trouvant au-dessus de la loi suprême, la Constitution du 27 février 1992, qui ne prévoit que deux matières dans lesquels l’avis est requis : le référendum législatif et les pouvoirs exceptionnels prévus respectivement par les articles 41 et 50 de la Constitution malienne [75]. Cette posture du juge constitutionnel malien méconnaît la suprématie de la Constitution qui a été rétablie grâce à un bricolage juridique : les accords de Ouagadougou [76].
Dans le même sillage, il faut relever que dans son arrêt RCCB 3030 du 4 mai 2015 [77], la Cour constitutionnelle du Burundi a noyé la primauté de la Constitution dans un langage juridique très ambigu. En effet, la Cour constitutionnelle a été saisie par quatorze sénateurs aux fins d’interpréter les articles 96 [78] et 302 [79] de la Constitution du 18 mars 2005. Dans son arrêt, la Cour a décidé « […] que l’article 96 veut dire que le nombre de mandats au suffrage universel direct est limité à deux seulement et l’article 302 crée un mandat spécial au suffrage universel indirect et qui n’a rien à voir avec les mandats prévus à l’article 96 » [80]. Elle ajoute « […] que le renouvellement une seule et dernière fois de l’actuel mandat présidentiel au suffrage universel direct pour cinq ans, n’est pas contraire à la Constitution de la République du Burundi du 18 mars 2005 » [81]. Mais pour arriver à cette conclusion, la Cour a conduit un raisonnement totalement incohérent [82] qui mérite d’être rappelé : « Attendu que les Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation, sans être supra-constitutionnel, en constituent tout de même le socle surtout dans sa partie relative aux principes constitutionnels ; que celui qui violerait les grands principes constitutionnels de ce dernier ne pourrait pas prétendre respecter la Constitution ;
Attendu cependant qu’il sied de faire constater que le constituant de 2005 a mal repris la recommandation des Accords d’Arusha […] » [83]. Il ressort de ce raisonnement que, d’une part, la Cour soutient que les Accords d’Arusha constituent « le socle », c’est-à-dire la base même des principes constitutionnels et que celui qui ne les respecte pas viole non seulement lesdits Accords mais aussi la Constitution. C’est dire que celle-ci ne se réduit pas au texte fondateur, elle comprend également les textes auxquels le peuple burundais réaffirme son attachement dont, entre autres, les grands principes constitutionnels consacrés par les Accords d’Arusha. Ces principes sont donc indissociables de la Constitution. Cette indissociabilité a été attestée par le fait que le constituant burundais de 2005 y était toujours demeuré fidèle.
D’autre part, la Cour constitutionnelle a clairement dit que le constituant a « mal repris la recommandation des Accords d’Arusha », oubliant que ces accords complètent la Constitution et que le juge constitutionnel n’est pas au-dessus de cette dernière qui elle-même a été conçue par le pouvoir constituant originaire [84]. En d’autres termes, le juge constitutionnel burundais, à l’instar de ses homologues africains ou étrangers, n’a pas le dernier mot en matière constitutionnelle [85] ; il doit tout simplement respecter la Constitution et en assurer le respect par les autres institutions de la République. Il s’agit là d’une exigence constitutionnelle qui ne saurait aller à l’encontre des principes constitutionnels qui sont inhérents à l’identité constitutionnelle de tout État. Il s’ensuit que la Constitution s’impose non seulement aux juges, aux autorités exécutives, mais aussi à toutes les autorités publiques ainsi qu’aux personnes privées. Cette suprématie de la constitution ne peut être rendue effective que par l’existence d’une cour constitutionnelle apte à sanctionner d’éventuelles violations, y compris de la part d’un président de la République tenté par l’exercice d’un mandat présidentiel fondé sur le nonrespect des dispositions de la Constitution [86] ou d’accords politiques, à l’image de ceux d’Arusha qui prévoient que le président de la République « est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels » [87]. On peut, dans cette hypothèse, penser que le juge constitutionnel burundais, garant du respect de la volonté du constituant de 2005 et par là de la suprématie de la Constitution, n’a pas tenu compte, par méconnaissance ou fausse interprétation, de la plus haute autorité dont sont revêtus ces grands principes constitutionnels tels que consacrés par les Accords d’Arusha, complément indispensable et nécessaire à celle qui leur est hiérarchiquement supérieure, la Constitution du 18 mars 2005.
Conclusion
Au terme de la présente étude, il faut souligner avec force que la suprématie de la Constitution en période de crise peut être nuancée à divers égards. D’abord, on peut considérer qu’il existe des accords ou arrangements politiques auxquels les protagonistes de la crise accordent une valeur supérieure à la Constitution qui, en période normale, est une règle juridique de valeur suprême. Mais il arrive aussi que les organisations régionales et internationales organisent son inféodation par rapport à leurs propres actes. Ensuite, dans l’ordre positif des États en crise politique ou institutionnelle, on voit apparaître, selon une approche différenciée, des textes tenant lieu de corpus constitutionnels qui sont appelés « constitutions de transition » en raison de leur nature particulièrement fondamentale. Ainsi se trouve établie une sorte de hiérarchie entre les différentes ordonnances, les chartes constitutionnelles de transition et autres normes de rang constitutionnel. Enfin, l’autorité ou la valeur symbolique de la Constitution peut être étalonnée par rapport à son propre préambule ou aux instruments juridiques régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme, à la démocratie et la bonne gouvernance. Cette primauté résulte alors du simple fait que le préambule renvoie à ces instruments et qu’il fait partie intégrante de la constitution.
Au regard du sort réservé à la suprématie constitutionnelle en période de crise, il semble que seul le juge constitutionnel peut transformer sa portée en soumettant les autorités politiques au respect strict de la constitution. En outre, le juge constitutionnel est capable de transformer la Constitution en organisme vivant car il est souvent appelé à créer le droit, sans le vouloir, à interpréter la Constitution au fur et à mesure des cas qui lui sont soumis avec le souci d’assurer un fonctionnement régulier des institutions de la République et une protection des droits et libertés consacrés par la constitution elle-même et les instruments juridiques internationaux et régionaux signés et ratifiés par l’État [88]. Toutefois, la faible légitimité du juge constitutionnel [89] rend périlleuse cette fonction constituante. C’est pourquoi, « il doit sans cesse convaincre les citoyens de l’utilité de sa mission, par l’évidence de son impartialité, par la cohérence de ses lignes jurisprudentielles et par un sens aigu de la mesure lorsque leur évolution apparaît souhaitable » [90]. Pour y arriver, le juge constitutionnel doit, selon certains auteurs, être au « service de la Constitution » [91] et non « au service du pouvoir en place » [92]. Pour d’autres, « le juge constitutionnel, dans l’accomplissement de sa mission, est condamné à jouer sur “la corde raide”. Son autorité est très souvent scrutée, mise en suspicion, pour ne pas dire remise en cause. Nombre d’expériences même dans les démocraties les mieux établies, le montrent. La raison est que la fonction qu’il est appelé à accomplir, se situe au confluent combien perturbé du droit et du politique, de ce qui est et de ce qui veut être. Dans pareille confluence, il est bien téméraire de prédire où se trouve la vérité. Toute sentence d’un juge constitutionnel est ainsi un pari qui n’est pas sûr d’être gagné. Il arrive plus souvent que le juge constitutionnel se trouve du mauvais côté » [93]. On comprend dès lors qu’on ait pu accuser ce juge d’être celui qui alimente les crises et les conflits, parfois violents, plutôt que de les réguler. Pour ne pas courir le risque de se voir reprocher la tentation du « gouvernement des juges » [94] et de donner le sentiment qu’il n’est pas le recours indiqué contre les atteintes à la suprématie de la Constitution, le juge constitutionnel doit « respecter et faire respecter » [95] ses arrêts – parce qu’il est aussi limité par la constitution – afin de relever les défis liés à la crise de son office.
-
[1]
Les points de vue exprimés dans cette réflexion sont personnels et n’engagent pas la Cour constitutionnelle du Niger. [Retour au contenu] -
[2]
Hamilton, A., Madison, J., Jay, J., The Federalist Papers, (1787-1788), New York, réimp., n° 78, 1961. [Retour au contenu] -
[3]
Kelsen, H., « Hiérarchie des normes et unité de l’ordre juridique », in Théorie pure du droit, 1934, traduction française de la 2e édition par Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, p. 255 ; Théorie générale du droit et de l’État, 1945, traduction française, Bruylant-LGDJ, 1997, p. 178. [Retour au contenu] -
[4]
Voir en ce sens, Hamon, F., Troper, « Le contrôle de la suprématie de la constitution », in Droit constitutionnel, LGDJ, 2009, Paris, p. 54 ; Bastid, P., L’idée de Constitution, Economica, Paris, 1985 ; Burdeau, G., « Le statut du pouvoir dans l’État », in Traité de science politique, t. IV, 3e édition, Paris, 1984 ; Rossetto, J., Recherche sur la notion de Constitution et l’évolution des régimes constitutionnels, Thèse, Poitiers, 1982. [Retour au contenu] -
[5]
Carre de Malberg, R., Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, 1922, réédition 1962 ; Eisenmann, Ch., Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques, Paris, 2002 ; Montesquieu, Ch., De l’esprit des lois (1748), Paris, 1979 ; Troper, M., Le droit, la théorie du droit, l’État, Paris, 2001 ; Gicquel, J., Gicquel, J.-E., Droit constitutionnel et institutions politiques, 25e édition, Montchrestien, Paris, 2011, p. 200 et s. [Retour au contenu] -
[6]
Le contrôle de constitutionnalité ou judicial review, qui n’est pas prévu dans la Constitution américaine, a commencé à fonctionner à partir de cette affaire montrant par quels biais une constitution-machine peut se développer en une constitution-norme. Barberis, M., « Constitution moderne et Constitution comme machine », in Troper, M., Chagnollaud, D. (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, Dalloz, Paris, 2012, p. 126. [Retour au contenu] -
[7]
Champeil-Desplats, V., « Hiérarchie des normes, principe justificatif de la suprématie de la Constitution », in Troper, M., Chagnollaud, D. (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, op. cit., p. 733 et s. [Retour au contenu] -
[8]
Kelsen, H., La théorie pure du droit, Dalloz, Paris, 1962, p. 315. [Retour au contenu] -
[9]
Ibid. [Retour au contenu] -
[10]
Montesquieu, Ch., De l’esprit des lois, op. cit., Livre XI, Chapitre II, IV et VI. [Retour au contenu] -
[11]
Eisenmann, Ch., « L’esprit des lois et la séparation des pouvoirs », in Mélanges R. Carré de Malberg, Sirey, Paris, 1933, p. 165-192 ; Althusser, L., Montesquieu, la Politique et l’Histoire, PUF, Paris, 1974 ; Gaudemet, P.-M., « Le principe de la séparation des pouvoirs : mythe et réalité », Dalloz, 1961, chronique, p. 121 ; Chevalier, J., « La séparation des pouvoirs », in La continuité constitutionnelle en France de 1789 à 1989, Association française des constitutionnalistes (dir.), Economica, Coll. « Droit public positif », Paris, 1990 ; Seurin, J.-L., « Les origines historiques de la séparation des pouvoirs ? », in Mélanges Auby, Paris, 1992 ; Pariente, B. (dir.), La séparation des pouvoirs, Dalloz, Coll. « Thèmes et commentaires », Paris, 2007 ; Troper, M., La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, LGDJ, Paris, 1980 ; « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », in Cahiers de philosophie politique, n° 2-3, p. 67-79. [Retour au contenu] -
[12]
Eisenmann, Ch., La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, 1928, rééd. Economica, Paris, 1986 ; Fromont, M., La justice constitutionnelle dans le monde, Dalloz, Paris, 1996 ; Grewe, C., Jouanjan, O. et al. (dir.), La notion de « justice constitutionnelle », Dalloz, Paris, 2005, Jouanjan, O., « Modèles et représentations de la justice constitutionnelle en France », Jus Politicum, n° 1, 2009, p. 93. [Retour au contenu] -
[13]
Voir Rufin, J.-CH., « Les crises de l’État dans le tiers-monde », in Société Française pour le Droit international, L’Etat souverain à l’aube du XXIe siècle, colloque de Nancy, Ed., A. Pedone, Paris, 1994, p. 60 et s., Zartan, I.W. (dir.), « L’effondrement de l’État : désintégration et restauration du pouvoir légitime », Nouveaux Horizons, 1995. [Retour au contenu] -
[14]
Ardant, Ph., Mathieu, B., Institutions politiques et droit constitutionnel, 22e édition, LGDJ, Paris, 2010, p. 101. [Retour au contenu] -
[15]
Du Bois de Gaudusson, J., « L’accord de Marcoussis, entre droit et politique », Afrique contemporaine, n° 206, 2003/2, p. 41-55 ; « Les juridictions constitutionnelles africaines et les accords politiques », communication au 2e Congrès de la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines sur le thème : La justice constitutionnelle en Afrique : état de la situation et perspectives, 2013, Cotonou ; Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ?, Les éditions du Cerap, Abidjan, 2007, p. 1-27 ; Meledje Djedjro, F., « Les arrangements politiques et la constitution : le droit constitutionnel de crise », in Droit constitutionnel, 9e édition, ABC, Abidjan, 2012, p. 237 et s. ; « Constitution et urgence ou le lien entre les contestations violentes de l’ordre constitutionnel et la régulation constitutionnelle des crises », Revue ivoirienne de droit, n° 42, 2011, p. 11-33 ; Mambo, P., « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les États africains : réflexion sur la légalité constitutionnelle en période de crise », McGill Law Journal/Revue de droit de McGill, volume 57, Number 4, June 2012, p. 921-952 ; Ehueni Manzani, I., « Les accords politiques dans la résolution des conflits armés en Afrique », Thèse des Universités de La Rochelle et de Cocody-Abidjan, 2011 ; Kpodar, A., « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l’accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », RRJ, 2005 (4), p. 2503-2526 ; « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », Revue Afrilex, 2014, p. 17-19 ; Zaki, M., « Petites constitutions et droit transitoire en Afrique », Nouvelles Annales Africaines, Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, CREDILA, 2012, p. 1-45. [Retour au contenu] -
[16]
L’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000 comprend une série de quatre (4) Protocoles : Le premier traite de la nature du conflit burundais, des problèmes du génocide et de l’exclusion et des solutions ; le second protocole est consacré à la démocratie et à la bonne gouvernance ; le troisième a pour objet, la paix et la sécurité pour tous ; et le quatrième et dernier Protocole est relatif à la reconstruction et au développement du pays. [Retour au contenu] -
[17]
Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 4. [Retour au contenu] -
[18]
M Bodj, E., « La Constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique. L’exemple de la République démocratique du Congo », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1er mars 2010, n° 2, p. 441. [Retour au contenu] -
[19]
La doctrine de l’État de droit s’est développée en Allemagne à partir de la fin du XIXe siècle, puis s’est diffusée dans d’autres États, notamment en France. Voir Chevalier, J., L’État de droit, Montchrestien, 4e édition, Paris, 1999 ; Carpano, E., État de droit et droits européens, L’Harmattan, Paris, 2005. [Retour au contenu] -
[20]
Suite au coup d’État militaire du 18 février 2010 renversant le régime de la cinquième République du Niger, le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) a fait la Proclamation du 18 février et a pris une ordonnance n° 2010-001 du 22 février 2010 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition, modifiée par l’ordonnance n° 2010-005 du 30 mars 2010 et ses textes modificatifs subséquents tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition. [Retour au contenu] -
[21]
Suite au changement politique du 24 mars 2013 qui a entraîné la suspension de la Constitution centrafricaine du 27 décembre 2004 et la dissolution des institutions républicaines, la loi n° 13.001 portant Charte constitutionnelle de transition en République centrafricaine a été adoptée, le 18 juillet 2013 par le Conseil national de transition (faisant office de parlement de transition) pour déterminer et fixer les règles de fonctionnement de l’État pour la période de transition. [Retour au contenu] -
[22]
Suite à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ayant conduit à la démission du Président Blaise Compaoré, les représentants des partis politiques, des organisations de la société civile, des forces de défense et de sécurité, des autorités religieuses et coutumières du Burkina Faso ont signé, le 13 novembre 2014, la Charte de la transition pour doter le pays d’organes de transition afin de combler le vide institutionnel dans la conduite des affaires publiques. [Retour au contenu] -
[23]
Divay, Ph., « La Haute Cour constitutionnelle de Madagascar rejette la loi régissant les vacances de la présidence de la transition », commentaire de la Décision n° 04-HCC/D3 du 17 juillet 2003 concernant la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la transition. [Retour au contenu] -
[24]
À titre illustratif, voir la Charte de la transition signée à Ouagadougou le 13 novembre 2014 et la loi n° 13.001 portant Charte constitutionnelle de transition de la République centrafricaine adopté par le Conseil national de transition le 18 juillet 2013. [Retour au contenu] -
[25]
Voir l’Acte fondamental n° 1/CN du 30 juillet 1990, portant statut de la Conférence nationale et l’Acte n° III/CN du 9 août 1991, proclamant les attributs de la souveraineté de la Conférence nationale au Niger. [Retour au contenu] -
[26]
Voir par exemple l’Ordonnance n° 2010-001 du 22 février 2010 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition, modifiée par l’ordonnance n° 2010-05 du 30 mars 2010 prise par le Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie (CSRD) au Niger. [Retour au contenu] -
[27]
Cartier, E., « Les petites constitutions : Contribution à l’analyse du droit constitutionnel transitoire », RFDC, 71, 2007 ; Zaki, M., « Petites constitutions et droit transitoire en Afrique », Nouvelles Annales Africaines, Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2012, p. 3-46. Prelot, M., « Institutions politiques et droit constitutionnel », in Précis de droit constitutionnel, 6e édition, Dalloz, Paris, 1975, cité par ZAKI, M., Ibid., p. ; Ouedraogo, S. M., Ouedraogo, D., « Libres propos sur la transition politique au Burkina Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », disponible sur le site de la Revue Afrilex : http://www.afrilex.u-bordeaux4.fr/. [Retour au contenu] -
[28]
Meledje Djedjro, F., « Les arrangements politiques et la constitution : le droit constitutionnel de crise », in Droit constitutionnel, op. cit., p. 238. [Retour au contenu] -
[29]
La plupart des constitutions des pays francophones d’Afrique proclame les principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945, la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, les deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, aux droits économiques, sociaux et culturels, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 de l’Union africaine et le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. [Retour au contenu] -
[30]
Meledje Djedjro, F., « Les arrangements politiques et la constitution : le droit constitutionnel de crise », in Droit constitutionnel, op. cit., p. 240. [Retour au contenu] -
[31]
Ibid., p. 241 [Retour au contenu] -
[32]
Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 6. [Retour au contenu] -
[33]
Ibid., p. 7. [Retour au contenu] -
[34]
Chapitre 1er de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, signé le 28 août 2000. [Retour au contenu] -
[35]
Article 16 du Chapitre II intitulé « Arrangements de transition » de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. [Retour au contenu] -
[36]
Article 7, 1.a) « Le pouvoir exécutif » de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, p. 35. [Retour au contenu] -
[37]
Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, p. 38, 162. [Retour au contenu] -
[38]
Préambule de la Charte de la Transition qui a été signée à Ouagadougou (Burkina Faso) le 13 novembre 2014 par les partis politiques, les organisations de la société civile, les forces de défense et de sécurité et les autorités religieuses et coutumières. Elle est entrée en vigueur dès sa signature conformément à son article 24. [Retour au contenu] -
[39]
Soma, A., « Réflexions sur le changement insurrectionnel au Burkina Faso », Revue CAMES/ SJP, n° 001/2015 (1er semestre), p. 9 ; Ouedraogo, S. M., Ouedraogo, D., « Libres propos sur la transition politique au Burkina Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », disponible sur le site de la Revue électronique Afrilex : http://www.afrilex.u-bordeaux4.fr/. [Retour au contenu] -
[40]
Article 25 de la Charte de la transition du Burkina Faso, op. cit. [Retour au contenu] -
[41]
Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 9. [Retour au contenu] -
[42]
Voir par exemple, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 de l’Union africaine et le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. [Retour au contenu] -
[43]
À titre illustratif, voir les préambules de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, de la Constitution burkinabé du 2 juin 1991, de la Charte de la transition du Burkina Faso et de la Constitution nigérienne du 25 novembre 2010. [Retour au contenu] -
[44]
Inventé par le juge constitutionnel français, le bloc de constitutionnalité désigne l’ensemble formé par la Constitution du 4 octobre 1958 et les textes auxquels renvoie son préambule : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. Avril, P., Gicquel, J., Lexique de droit constitutionnel, PUF, 2004, p. 14. Voir aussi Denizeau, C., Existe-t-il un bloc de constitutionnalité ? LGDJ, Paris, 1997 ; Le Devillec, A., « Un ordre constitutionnel confus », in les 50 ans de la Constitution, Litec, Paris, 2008, p. 147 ; Favoreu, L., « Le principe de constitutionnalité », Mélanges Eisenman, 1975, p. 33 ; Mathieu, B., « Les validations législatives devant le juge de Strasbourg […] l’avenir de la juridiction constitutionnelle », RFDA, 2000, p. 289. Il est à noter que la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 et la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 intègrent formellement le droit international : pour la première, il s’agit de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; la seconde intègre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention de New York relative aux droits de l’enfant du 20 décembre 1989 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. [Retour au contenu] -
[45]
Les textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition sont constitués de la proclamation du 18 février 2010 suspendant la Constitution de la Ve République du Niger ainsi que des institutions, de l’ensemble des textes organisant les pouvoirs publics pendant la période de transition et des textes qui les complètent et les précisent. [Retour au contenu] -
[46]
Le Conseil constitutionnel de transition peut être saisi par le président du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), chef de l’État, ou par le Premier ministre, ou encore par le président du Conseil national consultatif (CCN) sur des textes touchant aux droits fondamentaux. Sur la compétence du Conseil constitutionnel de transition et les autorités habilitées à le saisir voir respectivement article 5 et 6 de l’ordonnance n° 2010-038 du 12 juin 2010 portant composition, attributions, fonctionnement et procédure à suivre devant le Conseil constitutionnel de transition. [Retour au contenu] -
[47]
Pour s’en convaincre, voir site de la Cour constitutionnelle du Niger : www.cour-constitutionnelle-niger.org [Retour au contenu] -
[48]
Haute cour constitutionnelle de Madagascar, décision n° 04-HCC/D3 du 17 juillet 2013 concernant la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la Transition, p. 1. [Retour au contenu] -
[49]
Ibid., p. 3. [Retour au contenu] -
[50]
Ibid., p. 6-7. [Retour au contenu] -
[51]
Conseil constitutionnel du Burkina Faso, Décision n° 2015-010/CC/transition du 30 janvier 2015 sur la conformité à la Constitution et à la Charte de la transition, de la loi organique n° 003- 2015/CNT du 23 janvier 2015 portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de la commission de la réconciliation nationale et des réformes. Le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes les articles 4 deuxième tiret et 35 de ladite loi : « Article 4 : – la souscommission vérité, justice et réconciliation nationale a pour mission de se saisir et documenter toute affaire de crime de sang et de crime économique et peut auditionner toute personne à cet effet » ; « Article 35 : En cas de conflit entre les dispositions de la présente loi organique et celles d’une autre loi de même nature, les dispositions de la présente loi organique priment pendant la durée du mandat de la commission ». [Retour au contenu] -
[52]
Conseil d’État, 30 octobre 1998, Sarran, G.A. n° 113 ; Cour de cassation, 1er juin 2000, Dlle Fraise, Revue du droit public, 2000, p. 1037 ; Conseil constitutionnel, 19 novembre 2004, Traité établissant une constitution pour l’Europe. [Retour au contenu] -
[53]
Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 16. [Retour au contenu] -
[54]
Ibid., p. 12-14. [Retour au contenu] -
[55]
Mbodj, E., « La constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique. L’exemple de la République démocratique du Congo », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1er mars 2010, n° 2, p. 3-5. [Retour au contenu] -
[56]
La proclamation en date du 18 février 2010 du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) à la même date a prévu la suspension de la Constitution de la VIe République ainsi que la dissolution des institutions, que ce soit au niveau de l’État ou celui des autorités locales. [Retour au contenu] -
[57]
L’ordonnance n° 2010/001 du 22 février 2010 à valeur constitutionnelle, modifiée par l’ordonnance n° 2010/005 du 30 mars 2010, définit l’organisation des pouvoirs publics durant la période de transition. Cela rappelle l’Acte n° XXI/CN du 29 octobre 1991, portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition au Niger. [Retour au contenu] -
[58]
Arrêt n° 002/CCT/MC du 7 octobre 2010, p. 3 disponible sur le site : www.cour-constitutionnelle-niger.org (consulté le 19 mai 2015). [Retour au contenu] -
[59]
Article 76 de la loi n° 13.001 portant Charte constitutionnelle de transition de la République centrafricaine. [Retour au contenu] -
[60]
Article 107, ibid. Les Actes constitutionnels abrogés sont les n° 1 et n° 2 du 26 mars 2013 portant organisation provisoire des pouvoirs de l’État. [Retour au contenu] -
[61]
Cour constitutionnelle de transition de la République centrafricaine, décision n° n° 005/15/ CCT du 15 avril 2015 sur la séquence des opérations référendaires et électorales prévues à l’article 44 tiret 5 de la Charte constitutionnelle de transition et sur l’interprétation des dispositions de l’article 104 de la Charte constitutionnelle de transition, p. 4. [Retour au contenu] -
[62]
Ibid. [Retour au contenu] -
[63]
Mambo, P., « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les États africains : réflexion sur la légalité constitutionnelle en période de crise », op. cit., p. 2. [Retour au contenu] -
[64]
Wodié, F., Le conflit ivoirien : solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 12. [Retour au contenu] -
[65]
Ibid. [Retour au contenu] -
[66]
L’Accord de Pretoria sur le processus de paix en Côte d’Ivoire, signé le 6 avril 2005, dispose en son point 14 relatif à l’éligibilité à la présidence de la République : « Les participants à la rencontre ont discuté de l’amendement de l’article 35 de la Constitution. Ayant écouté les points de vue des différends leaders ivoiriens, le Médiateur s’est engagé à se prononcer sur ce sujet après avoir consulté le Président de l’Union africaine, Son Excellence le Président Olusegun Obasanjo et le Secrétaire général des Nations Unies, Son Excellence Koffi Annan. La Décision issue de ces consultations sera communiquée aux leaders ivoiriens. Le Médiateur fera diligence pour régler cette question ». Texte reproduit in Meledje Djedjro, F., Droit constitutionnel, op. cit., p. 334. [Retour au contenu] -
[67]
Meledje Djedjro, F., Droit constitutionnel, op. cit., p. 245. [Retour au contenu] -
[68]
Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 17 ; Meledje Djedjro, Droit constitutionnel, op. cit., p. 245-246. [Retour au contenu] -
[69]
Dans le domaine des rapports entre le président de la République et le Premier ministre, l’article 53 de la Constitution ne prévoit pas de partage de pouvoirs. Cet article dispose : « Le président de la République peut, par décret, déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du Gouvernement. Le Premier ministre supplée le président de la République lorsque celui-ci est hors du territoire national. Dans ce cas, le président de la République peut, par décret, lui déléguer la présidence du Conseil des ministres, sur un ordre du jour précis. Le président de la République peut déléguer, par décret, certains de ses pouvoirs au Premier ministre ou au membre du Gouvernement qui assure l’intérim de celui-ci. Cette délégation de pouvoirs doit être limitée dans le temps et porter sur une matière ou un sujet précis ». [Retour au contenu] -
[70]
C’est le président de la République qui a déféré la résolution 1721 en date du 1er novembre 2006 du Conseil de sécurité des Nations unies au Conseil constitutionnel à l’effet de savoir si cette résolution comporte des dispositions contraires à la Constitution de la République de Côte d’Ivoire. [Retour au contenu] -
[71]
SINDJOUN, L., Les grandes décisions de la justice constitutionnelle. Droit constitutionnel jurisprudentiel et politiques constitutionnelles au prisme des systèmes politiques africains, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 305. [Retour au contenu] -
[72]
Ibid. [Retour au contenu] -
[73]
L’article 36 de la Constitution malienne du 27 février 1992 dispose en ses alinéas 2, 3 et 4 : « En cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre, les fonctions du président de la République sont exercées par le président de l’Assemblée nationale. Il est procédé à l’élection d’un nouveau président pour une nouvelle période de cinq ans. L’élection du nouveau président a lieu vingt et un jour au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement » [Retour au contenu] -
[74]
Avis n° 2012-003/CCM du 31 mai 2012 émis par la Cour constitutionnelle du Mali. [Retour au contenu] -
[75]
L’article 41 de la Constitution malienne dispose : « Le président de la République, sur proposition du Gouvernement, pendant la durée des sessions ou sur proposition de l’Assemblée nationale, après avis de la Cour constitutionnelle publié au Journal officiel, peut soumettre au référendum toute question d’intérêt national, tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord d’union ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Quant à l’article 50 alinéa 1er de la même Constitution, il dispose que « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances, après consultation du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale et du Haut Conseil des collectivités ainsi que de la Cour constitutionnelle ». [Retour au contenu] -
[76]
L’Accord-cadre a été signé le 6 avril 2012 entre les militaires et la CEDEAO. Il consacre le pseudo rétablissement de l’ordre constitutionnel au Mali qui se traduit par la mise en œuvre formelle de l’article 36 de la Constitution, confortée par l’intronisation d’un Président intérimaire. [Retour au contenu] -
[77]
Arrêt à consulter sur le site web de l’Institut de Politique et de Gestion du Développement de l’Université d’Anvers : www.uantwerpen.be/burundi. [Retour au contenu] -
[78]
L’article 96 de la Constitution dispose : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois ». [Retour au contenu] -
[79]
L’article 302 de la Constitution dispose : « À titre exceptionnel, le premier président de la République de la période de post-transition est élu par l’Assemblée nationale et le Sénat élus réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des membres. Si cette majorité n’est pas obtenue aux deux premiers tours, il est procédé immédiatement à d’autres tours jusqu’à ce qu’un candidat obtienne le suffrage égal aux deux tiers des membres du Parlement. En cas de vacance du premier président de la République de la période post-transition, son successeur est élu selon les mêmes modalités prévues à l’alinéa précédent. Le Président élu pour la première période post-transition ne pas dissoudre le Parlement. ». [Retour au contenu] -
[80]
Cour constitutionnelle du Burundi, arrêt RCCB 3030 du 4 mai 2015, en son point 4. [Retour au contenu] -
[81]
Ibid., point 5. [Retour au contenu] -
[82]
Sur ce point, voir Vandeginste, S., « Droit et pouvoir au Burundi : un commentaire sur l’arrêt du 4 mai 2015 de la Cour constitutionnelle dans l’affaire RCCB 303 », à publier dans Reyntjens, F., et al. (eds.), L’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2014-2015. [Retour au contenu] -
[83]
Cour constitutionnelle du Burundi, arrêt RCCB 3030 du 4 mai 2015, p. 4-5. [Retour au contenu] -
[84]
Kramer, L., « Au nom du peuple. Qui a le dernier mot en matière constitutionnelle ? », Revue du droit public, 2005, p. 1027. [Retour au contenu] -
[85]
Ardant, Ph., Mathieu, B., Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit., p. 126-127. [Retour au contenu] -
[86]
Sur le non-respect de ce principe constitutionnel, voir Loada, A., « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », Revue électronique, Afrilex, 2003, p. 139-174. [Retour au contenu] -
[87]
Article 7.3. de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, op. cit., p. 35. [Retour au contenu] -
[88]
Sur les droits et libertés consacrés par les instruments internationaux en matière électorale, voir Tuccinardi, D., Wally, M. (eds.), International Obligations for Elections, Guidelines for legal Frameworks, International Institute for Democracy ans Electoral Assistance (IDEA), Stockholm, 2014. [Retour au contenu] -
[89]
Diallo, I., « La légitimité du juge constitutionnel africain », Revue semestrielle de publication en sciences juridiques et politiques du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES), n° 001/2015 (1er semestre), p. 150-176. [Retour au contenu] -
[90]
Debard, Th., Dictionnaire de droit constitutionnel, 2e édition enrichie et mise à jour, Ellipses, 2007, p. 103. [Retour au contenu] -
[91]
Mastor, W., Hourquebie, F., « Les cours constitutionnelles et suprêmes étrangères et les élections présidentielles », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 34 (Dossier : l’élection présidentielle), janvier 2012, disponible sur le site web du Conseil constitutionnel français : www.conseil-contitutionnel.fr, p. 2. [Retour au contenu] -
[92]
Ibid., p. 6. [Retour au contenu] -
[93]
Belaid, S., « Justice constitutionnelle et État de droit », in Académie Tunisienne de Droit constitutionnel, La justice constitutionnelle, p. 120 cité par Meledje Djedjro, F., Les grands arrêts de la jurisprudence constitutionnelle ivoirienne, Centre National de Documentation Juridique, Abidjan, 2012, p. 614. [Retour au contenu] -
[94]
Lambert, E., Le gouvernement des juges, 1921, rééd. Dalloz, Paris, 2006 ; Brondel, S., Foulquier, N., Heuschling, L., Gouvernement de juges et démocratie, Publ. De la Sorbonne, Paris, 2001 ; Hamon, L., Les juges de la loi. Naissance et rôle d’un contre-pouvoir : le Conseil constitutionnel, Fayard, Paris, 1987. [Retour au contenu] -
[95]
Par exemple, pour assurer le respect des décisions de la Cour constitutionnelle, le constituant nigérien a prévu que tout jet de discrédit sur les arrêts de celle-ci, est sanctionné conformément aux lois en vigueur, c’est-à-dire le code pénal et le code de procédure pénale. Voir article 134 alinéa 2 de la Constitution du 25 novembre 2010. [Retour au contenu]
Le rôle de la Cour dans la résolution des conflits entre la Constitution et les normes internationales (Slovénie)
Jadranka Sovdat, vice-présidente de la Cour constitutionnelle de Clovénie
1. Introduction
Les États régissent différemment les relations entre leurs ordres constitutionnels et le droit international. Les bases principales de ces relations sont souvent régies par les constitutions elles-mêmes. De ce point de vue, la question suivante se pose : un ordre constitutionnel particulier reconnaît-il la primauté du droit international ? S’il ne la reconnaît pas et si des conflits surgissent entre les deux ordres juridiques, comment ces conflits sont-ils résolus au sein de l’État et quelle est l’institution qui joue le rôle décisif dans leur résolution ? Je voudrais répondre à ces questions du point de vue de l’ordre constitutionnel de la République de Slovénie.
La République de Slovénie se place parmi les États dans lesquels la démocratie constitutionnelle [1] est établie. Cela signifie que dans un État de droit où le système de la séparation des pouvoirs est établi, la Cour constitutionnelle est appelée à poser des limites constitutionnelles au législateur lorsqu’il régit les relations sociales par une force contraignante. Toutefois, la Cour constitutionnelle slovène (ci-après : CC) ne veille pas uniquement à la constitutionnalité des lois. En effet, malgré l’existence du système judiciaire administratif, elle exerce également sa compétence sur le contrôle de la constitutionnalité (et la légalité) des règlements du pouvoir exécutif et même sur le contrôle de la constitutionnalité (et la légalité) des règlements des collectivités locales. Étant donné qu’en Slovénie, le recours constitutionnel est établi, la CC contrôle également les tribunaux, à savoir du point de vue du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après : droits de l’homme) [2]. En exerçant toutes ces compétences, la CC joue le rôle de gardien de la Constitution – comme juridiction qui interprète la Constitution avec une force juridiquement contraignante [3].
Dans le cadre de l’exercice de ses compétences, la CC joue également un rôle important dans le maintien du rapport défini par la Constitution entre le droit international et la Constitution. Pour présenter ce rôle, j’exposerai d’abord la place du droit international dans l’ordre constitutionnel slovène et dans ce cadre, les conflits possibles qui peuvent surgir dans le rapport entre les deux ordres juridiques. Ensuite, j’aborderai brièvement les différents types de compétences confiées à la CC, afin de pouvoir examiner les différents aspects de son rôle dans la détermination du rapport entre le droit constitutionnel et le droit international. L’examen des questions mentionnées, accompagné des prises de position adoptées à ce jour par la CC dans sa jurisprudence, conduira à la conclusion finale qui montre que la CC assume un rôle important à multiples facettes dans le maintien de la relation constitutionnelle entre le droit constitutionnel et le droit international. Ce faisant, elle protège d’un côté la Constitution, tout en permettant, de l’autre, d’assurer la crédibilité de l’État en tant que sujet de droit international.
2. La position du droit international dans l’ordre constitutionnel
Dans ses dispositions générales (article 8), la Constitution exige que les lois et autres actes juridiques réglementaires soient conformes aux principes généralement acceptés du droit international et aux traités internationaux obligeant la Slovénie, et que les traités internationaux ratifiés et promulgués soient appliqués directement. Dans le chapitre sur la constitutionnalité et la légalité (article 153/II), elle précise que les lois doivent être conformes aux principes du droit international généralement acceptés et aux traités internationaux en vigueur ratifiés [4] par l’Assemblée nationale (le Parlement slovène) ; les règlements subordonnés à la loi [5] et autres actes généraux doivent aussi être conformes aux autres traités internationaux ratifiés [6]. Ces deux dispositions constitutionnelles citées déterminent le cadre constitutionnel en vertu duquel il est déjà possible d’indiquer que dans la hiérarchie des actes juridiques, le droit international est supérieur aux lois. En revanche, il ne l’est pas par rapport à la Constitution, parce que cette dernière n’accepte pas la primauté du droit international, comme la CC s’est expressément prononcée [7] sur ce point. Ce faisant, la CC n’a pas fait de distinction entre les différentes sources du droit international. Ceci laisse donc penser qu’elle a considéré toutes les sources juridiques internationales comme inférieures à la Constitution. De l’exposé ci-dessous, Il apparaîtra évident qu’en général une telle conclusion est correcte, bien que dans le détail, quelques exceptions existent.
Les traités entrent dans l’ordre juridique interne sur la base de l’entrée en vigueur de la loi de ratification [8]. Toutefois, en dépit du fait qu’un des articles de la loi de ratification résume le texte du traité, ce dernier n’obtient pas le statut de la loi [9]. Le traité continue d’exister en tant que traité international et sa validité dans la hiérarchie des actes juridiques est celle déterminée par la Constitution, c’est-à-dire que (en règle générale) le traité est inférieur à la Constitution et supérieur à la loi. La CC a attribué aux traités ratifiés par décret gouvernemental une position supérieure à celle des règlements adoptés par le Gouvernement [10]. En effet, dans la hiérarchie intérieure des actes, les règlements d’exécution gouvernementaux doivent être conformes à la loi (article 153/III de la Constitution). En revanche, il semble que pour les traités ratifiés par décret gouvernemental une telle exigence n’existe pas [11]. Mais ceci n’entraîne pas en même temps l’exigence que les lois soient conformes à ces traités. Dans ce sens, l’article 153/II de la Constitution concrétise plus en détail la disposition générale de l’article 8 et exige clairement que les lois soient conformes uniquement aux traités ratifiés par l’Assemblée nationale [12]. Mais étant donné que les traités ratifiés par décret gouvernemental sont le plus souvent signés afin de mettre en œuvre les traités ratifiés par la loi, il ne devrait pas y avoir (au moins en règle générale) de divergence entre ces derniers et les lois.
Toutes les sources du droit international ne sont cependant pas inférieures à la Constitution. Nous pouvons constater cela pour les « principes du droit international généralement acceptés » ou pour les « principes du droit international » mentionnés dans la Constitution aux articles 8, 153/II et 160/I. Dans la doctrine juridique, ces deux expressions citées sont la plupart de temps considérées comme synonymes et interprétées au sens large [13]. Le point de vue partagé est qu’il faut reconnaître la position supraconstitutionnelle de ces principes généraux du droit international qui protègent les valeurs fondamentales légales, humanitaires et civilisatrices, et interpréter les principes constitutionnels et les droits fondamentaux en conformité avec ces principes [14]. Puisque, comme M. PetriÍ l’écrit [15], les principes généraux de droit (general principles of law) reconnus comme source de droit international sont les principes fondamentaux du droit et des normes les plus générales des ordres juridiques internes que les États appliquent pour régir les relations internationales – nous pouvons partager l’avis selon lequel il est difficile d’imaginer en pratique des cas de collision entre eux et les principes constitutionnels fondamentaux [/footnote]U. Umek, Commentaire à l’article 8 (Komentar k členu 8), dans : L. Šturm (réd.), Commentaire de la Constitution de la République de Slovénie, Supplément – A (Komentar Ustave Republike Slovenije, Dopolnitev – A), Fakulteta za državne in evropske študije, Ljubljana 2011, p. 133.[/footnote]. Compte tenu de cela, nous constatons que dans la hiérarchie des normes, de tels principes peuvent être considérés comme situés au niveau constitutionnel puisqu’ils sont reconnus aussi comme les principes constitutionnels sur lesquels un État souverain et démocratique est fondé, existe en tant que membre à part entière de la communauté internationale et dans lequel l’État de droit et les droits de l’homme sont respectés.
La Constitution ne régit pas spécifiquement les traités portant sur les droits de l’homme. Malgré cela, ces traités occupent une place particulière. L’article 15 de la Constitution régit les principes fixant l’exercice et la limitation des droits de l’homme. Parmi ces principes, le cinquième paragraphe de cet article de la Constitution précise qu’il n’est permis de limiter aucun des droits de l’homme définis dans les actes juridiques en vigueur en Slovénie sous prétexte que la Constitution ne les reconnaît pas ou ne les reconnaît que dans une moindre mesure. Les traités régissant les droits de l’homme sont aussi des actes juridiques en vigueur en Slovénie. Si d’un côté, la Constitution ne régit pas du tout un certain droit de l’homme, le traité sera donc appliqué automatiquement. Si de l’autre, la régulation d’un droit de l’homme existe dans les deux ordres juridiques mais n’est pas la même, dans le cas d’une collision entre les deux, la norme constitutionnelle doit être écartée à la faveur de la norme du droit international si cette dernière assure un niveau de protection de ce droit de l’homme plus élevé que la Constitution. Le cas échéant, la norme internationale prévaut [16] sur la norme constitutionnelle [17]. Par contre, si la Constitution assure une protection plus élevée du droit de l’homme que le traité, elle prend évidemment la première place. Nous pouvons donc parler du principe de protection maximale des droits de l’homme qui requiert soit la protection basée sur la Constitution, soit la protection basée sur le traité, selon le niveau de protection des droits de l’homme.
Considérant ce qui précède, la question est de savoir si les traités qui assurent un certain droit de l’homme dans une plus large mesure que la Constitution occupent une position supraconstitutionnelle. Jusqu’à présent, la CC ne leur a pas reconnu cette place dans sa jurisprudence, mais elle a décidé que les traités régissant les droits de l’homme relèvent, précisément à cause de l’article 15/V de la Constitution, du niveau constitutionnel [18]. Nous pouvons soutenir ce point de vue puisque selon la régulation et le niveau de protection du droit de l’homme concerné c’est soit la Constitution soit la norme du droit international qui prévaut et cela sur la base du principe établi par la Constitution elle-même. Le plus important est qu’en Slovénie ce n’est pas seulement la protection constitutionnelle des droits de l’homme garantis par la Constitution qui est assurée, mais aussi la protection des droits de l’homme garantis par les traités.
La Slovénie est un État membre de l’Union européenne (ci-après UE) qui est une institution supranationale particulière créée sur la base des traités par lesquels des États ont transféré à cette institution l’exercice d’une partie de leurs droits souverains. Bien que la Constitution ait été modifiée précisément à l’entrée du pays dans l’UE, un article dit « européen » n’y a pas été expressément inclus. En effet, avec le nouvel article 3a de la Constitution, les règles concernant le transfert de l’exercice d’une partie des droits souverains aux organisations internationales sont fixées au niveau abstrait sans qu’il soit précisé quelles sont les organisations internationales en question [19]. Un tel traité doit être ratifié à la majorité des deux tiers des suffrages de tous les députés, c’est-à-dire à la majorité par laquelle la Constitution peut être modifiée. L’article 3a/I de la Constitution permet le transfert de l’exercice d’une partie de la souveraineté de l’État uniquement aux organisations internationales fondées sur le respect des droits de l’homme, la démocratie et les principes de l’État de droit. Au troisième paragraphe de l’article 3a, elle fixe que les actes juridiques et les décisions adoptés dans le cadre de telles organisations sont appliqués conformément à l’ordre juridique de ces organisations. Sur cette base, des prises de position se sont développées dans la doctrine juridique selon lesquelles c’est précisément cette disposition qui, dans le cas de l’UE, assure l’applicabilité directe du droit européen et reconnaît également la primauté du droit européen sur le droit national [20]. En fait, cela signifie que le droit de l’UE prime sur la Constitution de l’État, ce qui vaut aussi si la Constitution est contraire (seulement) à ce qu’on appelle le droit dérivé de l’UE et même s’il s’agit de dispositions constitutionnelles qui garantissent les droits de l’homme [21]. La prise de position sur la primauté du droit de l’UE par rapport à la Constitution peut être acceptable pour la plupart des dispositions constitutionnelles parce que les principes fondamentaux qui définissent la relation entre le droit interne et le droit de l’UE (ce sont les principes de primauté, loyauté, applicabilité directe, effet direct, transfert des compétences, subsidiarité et proportionnalité) sont, selon l’article 3a/III, en même temps les principes constitutionnels [22]. La question se pose toutefois de savoir si nous pouvons vraiment accepter cela inconditionnellement lorsqu’il s’agit des droits de l’homme [23]. Dans la doctrine juridique, il y a aussi des prises de position qui soulignent, en conformité avec la théorie du pluralisme constitutionnel, que la relation entre le droit de l’UE et le droit national n’est pas hiérarchique, mais hétérarchique, puisqu’il s’agit de deux ordres juridiques indépendants au même niveau, et que le droit national n’est pas subordonné au droit européen [24].
Le rapport entre l’ordre constitutionnel et le droit de l’UE est né comme conséquence du transfert par un traité de l’exercice d’une partie des droits souverains de l’État à une institution spéciale – l’UE. Il est tellement particulier qu’il faut le mettre à l’écart du cadre général de la réglementation du rapport entre la Constitution et le droit international. En raison de sa complexité et de ses particularités, son examen aurait dépassé la portée de cet exposé, et je le laisserai de côté dans l’analyse suivante.
3. Les compétences et les pouvoirs de la CC
Du point de vue comparatif, nous pouvons classer la CC parmi les cours constitutionnelles ayant de nombreuse compétences : elle statue sur la constitutionnalité des lois, la constitutionnalité et la légalité des règlements subordonnés à la loi, les recours constitutionnels à cause des violations des droits de l’homme lors des procès judiciaires, la procédure de destitution des titulaires de fonctions gouvernementales supérieures (chef de l’État, chef du Gouvernement, ministre), la constitutionnalité des référendums législatifs et locaux, les conflits de compétence entre les institutions aussi bien au niveau de l’État qu’entre l’État et les entités de l’autonomie administrative locale et sur la constitutionnalité des actes et du fonctionnement des partis politiques. En même temps, nous pouvons la classer parmi les cours constitutionnelles auxquelles un accès généralisé est assuré non seulement à certaines institutions spécifiques (comme par exemple, une minorité de députés, les tribunaux, le médiateur et beaucoup d’autres), mais aussi à des personnes physiques et morales. Celles-ci peuvent, selon les conditions déterminées par la loi, contester directement aussi bien les lois et les autres règlements (par l’initiative) que les décisions judiciaires par lesquelles une décision a été prise à leur encontre sur leurs droits, obligations ou charges (par le recours constitutionnel).
Parmi les compétences de la CC qui sont liées aussi aux questions de droit international, il convient de mentionner en particulier les compétences de contrôle de la constitutionnalité des lois, de contrôle de la constitutionnalité et légalité des règlements subordonnés à la loi, et les recours constitutionnels (les alinéas de 1 à 5 et l’alinéa 6 du premier paragraphe de l’article 160 de la Constitution). La CC a la compétence d’annuler les lois inconstitutionnelles ; elle peut les annuler avec effet ex nunc, aussi avec une période d’ajournement d’un an [25] alors que pour les règlements d’exécution et les règlements des collectivités locales, elle peut les annuler aussi avec effet rétroactif (ex tunc – lorsqu’il faut effacer les effets nuisibles dus à l’inconstitutionnalité ou à l’illégalité) [26]. À part ces techniques de prises de décisions juridiques constitutionnelles qui sont les seules à être régies par la Constitution (article 161/II), la CC utilise aussi d’autres techniques établies pour prendre des décisions, par exemple en rendant des décisions dites « déclaratoires » [27] ou bien les décisions « interprétatives » (interprétation sous réserve). Dans les cas où les violations des droits de l’homme ont été établies, la CC annule les décisions contestées par un recours constitutionnel et renvoie l’affaire au tribunal compétent pour qu’il se prononce à nouveau sur l’affaire [28], où, dans des cas exceptionnels, la CC peut se limiter à la constatation d’une violation d’un droit de l’homme [29]. Elle a aussi la compétence, exceptionnelle pour les cours constitutionnelles, qui est dans certains cas de pouvoir statuer elle-même sur l’affaire en cause après annulation des décisions judiciaires contestées [30].
Lors de l’exercice des compétences citées, la CC touche aussi nécessairement au droit international. D’une manière particulière, elle rencontre ce droit lors du contrôle a priori de la constitutionnalité d’un traité dans la procédure de sa ratification (autorisation de la ratification) à l’Assemblée nationale ( article 160/ II de la Constitution). L’objectif de l’attribution de cette compétence à la CC réside précisément dans le fait qu’à cause de la primauté de la Constitution sur le droit international, elle permet d’éviter un rapport conflictuel entre les normes constitutionnelles et les traités.
4. Le rôle de la CC dans la résolution des conflits entre la Constitution et le droit international
J’ai déjà indiqué dans l’introduction que la CC a essentiellement, lors de l’exercice de ses compétences et en ce qui concerne le droit international, deux rôles différents. Par le premier, elle assure avec ses décisions l’effectivité du droit international dans l’ordre juridique interne – et cela notamment sous deux aspects différents. D’un côté elle est compétente pour contrôler la conformité des lois et autres règlements non seulement avec la Constitution, mais aussi avec le droit international (les principes généraux du droit international y compris le droit international coutumier [31] et les traités ; deuxième alinéa de l’article 160/I de la Constitution). De l’autre, elle doit prendre en compte ex officio le droit international en vigueur, pour chaque contrôle de la constitutionnalité des lois et autres règlements, c’est-à-dire même si les participants dans la procédure devant la CC ne se réfèrent pas au droit international expressément [32]. Nous pouvons donc dire que, dans la procédure devant la CC, la règle iura novit curia est applicable également pour le droit international incorporé à l’ordre juridique interne, tout comme pour la Constitution. Quand il s’agit d’instruments internationaux qui régissent les droits de l’homme, cette règle est applicable aussi bien pour l’exercice de la compétence du contrôle de la constitutionnalité des règlements que pour les décisions sur les recours constitutionnels. L’objectif de ces derniers est justement d’assurer que les tribunaux respectent les droits de l’homme lors des procédures judiciaires, y compris ceux régis par le droit international ; la CC est la dernière juridiction de l’État appelée à vérifier si les tribunaux ont effectivement accompli cette tâche.
Son deuxième rôle fondamental en rapport au droit international est de résoudre les conflits entre ce dernier et le droit constitutionnel, ce qui est le sujet de la présente analyse détaillée. Par rapport aux compétences et aux pouvoirs de la CC présentés, nous pouvons de ce point de vue parler, en réalité, de trois aspects de ce rôle. Le premier aspect se rapporte au rôle qu’elle joue lors du contrôle a priori de la constitutionnalité d’un traité avant son autorisation de ratification. Il est le plus direct et signifie une résolution permanente du conflit d’une manière ou d’une autre. Son caractère est essentiellement préventif.
Le deuxième aspect de son rôle apparaît lorsque le traité (en vigueur aussi au sens du droit international) prend déjà effet dans l’ordre juridique interne. Son incorporation dans l’ordre juridique interne a déjà été effectuée lors de l’entrée en vigueur de la loi (du décret) de ratification (ou bien lors de son entrée en vigueur internationale si avant l’incorporation il n’a pas encore été en vigueur au niveau international). La CC est compétente pour contrôler la constitutionnalité (selon le premier et le troisième alinéa de l’article 160/I de la Constitution) des deux règlements de ratification (la loi et le décret). Elle a aussi le pouvoir de les annuler avec effet immédiat (ex nunc), ou de les annuler avec période d’ajournement, ou bien, pour un décret, de l’annuler même avec effet rétroactif (ex tunc). À travers le contrôle de la constitutionnalité de ses actes internes la CC peut aussi contrôler [33] la constitutionnalité d’un traité. Elle se trouve ici dans le rôle de l’institution qui résout un rapport conflictuel entre le droit constitutionnel et le droit international en protégeant la primauté de la Constitution.
Enfin, le troisième aspect de son rôle apparaît lorsqu’il s’agit des droits de l’homme, car en interprétant les dispositions de la Constitution et des traités, la CC décide si c’est la norme constitutionnelle ou la norme d’un instrument international régissant un droit de l’homme qui prévaut. La CC est obligée de respecter cela quand elle exerce le contrôle de la constitutionnalité des règlements et aussi quand elle décide comme la dernière juridiction de l’État dans des cas individuels. Ce conflit entre le droit constitutionnel et le droit international est toujours résolu en conformité avec le principe de la protection maximale du droit de l’homme en question, qui est déjà établi par la Constitution elle-même (article 15/V).
4.1. Le contrôle a priori de la constitutionnalité d’un traité
Lors de la procédure (de l’autorisation) de ratification d’un traité, la CC donne un avis contraignant sur sa constitutionnalité. Ceci est possible aux termes du deuxième paragraphe de l’article 160 de la Constitution sur proposition des requérants autorisés (le président de la République, le Gouvernement ou un tiers des députés). L’objectif de ce contrôle a priori de constitutionnalité est clairement préventif : éviter qu’à l’entrée en vigueur du traité, des normes internationales inconstitutionnelles directement applicables (self-executing) entrent dans le droit intérieur ou que le traité (non self-executing) oblige l’État à adopter des actes juridiques internes qui seraient non conformes à la Constitution [34].
Le fait que seuls les requérants autorisés peuvent demander le contrôle d’un traité, tout comme le fait qu’ils ne peuvent le demander que lorsque le traité est en procédure (de l’autorisation) de ratification à l’Assemblée nationale, sont les deux exigences procédurales qui doivent être remplies pour que l’avis soit donné. Ainsi, la responsabilité des requérants autorisés est renforcée quand, ayant des doutes sur la constitutionnalité d’un traité, ils saisissent la CC pour le contrôler. La CC a souligné que c’est l’Assemblée nationale qui est responsable des obligations internationales inconstitutionnelles adoptées si aucun requérant autorisé ne demande le contrôle de la constitutionnalité du traité. Par contre, si le contrôle est demandé, c’est la CC qui devient responsable [35], dans le cadre bien sûr du contrôle constitutionnel requis et effectué.
En plus de ce qui précède, l’exigence procédurale touchant le contenu même de la demande présentée par le requérant doit être remplie. Elle doit déterminer expressément pour quelles dispositions du traité le contrôle de la constitutionnalité est demandé, et aussi par quelles dispositions constitutionnelles la CC devrait effectuer le contrôle. En outre, le requérant doit indiquer les raisons de l’inconstitutionnalité alléguée ou au moins présenter ses doutes quant à la constitutionnalité du traité, et ceci même s’il pense que le traité n’est pas inconstitutionnel mais qu’il veut obtenir le contrôle de sa constitutionnalité précisément pour que les doutes soient réfutés [36]. Si les exigences procédurales pour que la CC se prononce ne sont pas remplies, celle-ci rejette la demande [37].
La LCC ne règle pas dans le détail comment l’avis sur la constitutionnalité d’un traité est donné ; pour cela, en vertu de l’article 49/I de la LCC, sont appliquées mutatis mutandis les dispositions de la LCC qui régissent la procédure du contrôle de la constitutionnalité des lois ou autres règlements. Si elle décide sur le fond de l’affaire, elle n’adopte pas une décision, mais un avis.
Jusqu’à présent, la CC a adopté cinq avis sur la constitutionnalité de traités. Dès le premier, en contrôlant la constitutionnalité de l’Accord d’association entre la Slovénie d’un côté et la Communauté européenne et les États membres de l’autre, elle a établi les principes fondamentaux de ce genre de contrôle constitutionnel. Elle a souligné que l’Assemblée nationale ne devait pas autoriser la ratification d’un traité par lequel l’État s’engagerait à modifier la Constitution. L’avis adopté par la CC n’est pas un avis consultatif, mais bien une décision contraignante qui est, quant à sa valeur contraignante et par ses effets juridiques, mis sur un pied d’égalité avec les décisions [38]. Il se distingue de ces dernières par le fait que par un avis, la CC ne peut annuler les dispositions du traité comme elle peut le faire pour les actes juridiques internes [39]. Ceci est tout à fait logique, puisque la CC fonctionne en tant qu’autorité interne de l’État, alors que le traité est un acte de droit international.
La CC décide si le traité est ou n’est pas conforme à la Constitution. Si la CC adopte l’avis qu’il est conforme, sa ratification (l’autorisation de la ratification) est laissée à l’appréciation politique de l’Assemblée nationale. Si, par contre, la CC adopte un avis négatif, c’est-à-dire l’avis que certaines dispositions du traité sont non conformes à la Constitution, le législateur ne peut alors autoriser la ratification du traité que s’il modifie d’abord la Constitution ; sauf si une réserve appropriée au traité est admise, laquelle dans ce cas doit être obligatoirement exprimée.
Jusqu’à présent, la CC a constaté l’inconstitutionnalité de dispositions individuelles d’un traité dans son premier avis sur l’Accord d’association à l’UE. Les dispositions de cet accord qui permettaient aux citoyens des États membres des Communautés européennes (à l’époque) et aux filiales des sociétés d’achat de biens immeubles étaient notamment non conforme avec l’article 68 de la Constitution, qui permettait aux étrangers d’obtenir des biens immobiliers uniquement par voie de succession et sous réserve de réciprocité. Pour cela, avant d’autoriser la ratification de l’Accord d’association, l’Assemblée nationale a modifié la disposition de la Constitution citée. Dans les autres cas, la CC n’a pas constaté d’inconstitutionnalité [40].
Outre les techniques fondamentales de prise de décision judiciaire constitutionnelle (constatation de la conformité/non-conformité d’un traité à la Constitution), jusqu’à présent, la CC a utilisé plusieurs fois la technique de l’avis « interprétatif ». Celui-ci est adopté lorsque le texte du traité peut être interprété d’au moins deux façons différentes dont l’une est conforme à la Constitution et l’autre ne l’est pas (ce qui découle clairement du raisonnement de l’avis). Par son avis, la CC élimine de l’ordre juridique interne l’interprétation non constitutionnelle du traité. La CC s’est déjà servie de cette technique, qui est également une technique constante de la prise de décisions constitutionnelles lors du contrôle des lois et autres règlements, quand elle s’est prononcée dans l’avis no Rm-1/97 sur deux dispositions du traité. De même dans l’avis no Rm-1/02 [41], par lequel elle s’est prononcée sur la constitutionnalité de dispositions particulières de l’accord passé entre la République de Slovénie et le Saint-Siège sur des questions de droit. Comme chaque avis, un avis « interprétatif » donné a un effet en droit interne, mais évidemment, il ne peut pas avoir d’effets au plan du droit international. La CC a expressément souligné cet effet en droit interne : l’avis est contraignant pour toutes les autorités de la République de Slovénie. Cela signifie entre autre que pour l’autorisation de la ratification d’un traité non seulement l’Assemblée nationale, mais aussi les autres autorités de l’État doivent, soit lors de l’exercice de l’accord, soit lors de la conclusion d’accords ultérieurs avec le Saint-Siège, tenir compte de l’interprétation (conforme à la Constitution) de l’accord qui découle de l’avis de la CC.
De cette manière, la CC joue un rôle primordial dans la procédure du contrôle a priori de la constitutionnalité des traités, lequel prévient qu’un conflit ne surgisse entre les normes constitutionnelles et les traités. Assurément, il est préférable de prévenir les conflits que de les guérir.
4.2. Le contrôle indirect de la constitutionnalité d’un traité
Ainsi, par la voie de l’incorporation et après la publication du traité au journal officiel de l’État, les traités deviennent partie intégrante de l’ordre juridique national et s’appliquent directement, conformément à l’article 8 de la Constitution (naturellement, s’ils sont également en vigueur au plan international). Leur applicabilité directe est en pratique possible si la nature de leurs dispositions le permet (donc, s’il s’agit de dispositions dites directement applicables – self-executing). Il faut alors constater pour chaque cas individuel s’il s’agit de telles dispositions ; cela est une des tâches des tribunaux nationaux [42]. Aux termes de l’article 125 de la Constitution, les juges des tribunaux sont liés par la Constitution et par la loi. Le fait qu’ils soient liés par la Constitution implique qu’ils sont aussi liés par les traités. Lorsqu’ils interprètent le droit, ils doivent tenir compte du positionnement hiérarchique des traités qui est supérieur à celui des lois. Dans le cas où les discordances entre le traité et la loi ne peuvent être résolues par les méthodes établies d’interprétation de la loi, ils doivent suspendre la procédure et demander à la CC de contrôler la conformité de la loi avec le traité, comme cela est prévu dans l’article 156 de la Constitution. Les tribunaux doivent aussi procéder ainsi lorsqu’ils sont d’avis que le traité qu’ils doivent appliquer lors d’un procès est non conforme à la Constitution ; dans ce cas, ils doivent contester la loi de ratification devant la CC. Il en est ainsi justement parce que la Constitution ne reconnaît pas la primauté du droit international sur l’ordre constitutionnel. La CC peut-elle contrôler la constitutionnalité du traité aussi à travers la loi de ratification ou à travers le décret de ratification [43].
Si les traités ne sont pas directement applicables, ils deviennent malgré tout, sur la base de la loi de ratification, partie intégrante du droit intérieur et s’appliquent de la même manière que les autres sources de droit qui nécessitent des règlements exécutifs pour être applicables dans des cas individuels [44]. Ceux-ci doivent entrer en vigueur lorsque le traité entre en vigueur au niveau international afin que les obligations fixées par le traité puissent être accomplies. Par conséquent, aussi dans ce cas-là, une obligation internationale qui s’oppose à la Constitution peut exister, ce qui requiert en principe le même procédé que lorsqu’il s’agit de traités directement applicables.
La CC est compétente pour contrôler la loi (ou le décret) de ratification déjà avant que le traité n’entre en vigueur au plan international [45]. Si la CC constatait une inconstitutionnalité du traité, elle pourrait annuler la loi (ou le décret) de ratification [46]. L’annulation n’aurait certainement des effets qu’en droit interne [47], alors qu’au niveau international, cela signifierait une violation du traité qui serait évaluée selon le droit international [48]. Jusqu’à présent, la CC a contrôlé deux traités à travers le règlement de ratification [49], mais elle n’a pas constaté qu’ils étaient inconstitutionnels. Toutefois, la possibilité d’une telle décision existe.
L’annulation des effets du traité en droit interne par l’annulation du règlement de ratification est un outil puissant de la CC en raison des conséquences qu’elle entraîne après que l’obligation a déjà été acceptée au niveau international. L’annulation immédiate du règlement de ratification pourrait ébranler la crédibilité de l’État dans la communauté internationale. Pour cette raison, la CC doit s’en servir de façon extrêmement restrictive. Concernant ce point, la marge de manœuvre est probablement plus large dans le cas de l’annulation avec période d’ajournement. La CC adopte une telle décision lorsqu’elle constate que l’annulation immédiate provoquerait des conséquences inconstitutionnelles encore plus nuisibles que si la loi inconstitutionnelle restait encore en vigueur pendant une certaine période (un an au maximum). Pendant la période d’ajournement, les autorités compétentes ont ainsi assez de temps pour résoudre le conflit entre la Constitution et le traité – soit dans le sens de la révision de la disposition constitutionnelle, soit dans le sens de la dénonciation du traité faite en conformité avec le droit international. Dans ce contexte, il existe naturellement aussi une autre possibilité, à savoir l’interprétation harmonieuse de la Constitution avec le traité – si cela est possible – de façon à ce que le traité ne soit pas considéré comme inconstitutionnel.
4.3. La résolution du conflit par la décision qui fixe la prévalence soit de la norme constitutionnelle, soit de la norme internationale.
En exerçant ses compétences, la CC doit toujours respecter le principe de la protection maximale des droits de l’homme. Elle doit appliquer les traités directement s’ils règlent un droit de l’homme que la Constitution ne règle pas. Elle est aussi obligée d’assurer la prévalence des traités quand ils garantissent la protection d’un droit de l’homme particulier au niveau plus élevé que la Constitution. Comme il a été déjà souligné, les tribunaux eux aussi doivent assurer la primauté du droit international sur les lois et sous certaines conditions, aussi la primauté du droit international régissant les droits de l’homme sur les dispositions constitutionnelles. S’il existe une disposition de loi qui empêche le tribunal d’employer le principe de la protection maximale des droits de l’homme aux termes de l’article 15/V de la Constitution (aux termes de l’article 125 de la Constitution, le tribunal est lié par la loi), le tribunal doit, sur la base de l’article 156 de la Constitution, saisir la CC. Toutefois, le non-respect des droits de l’homme lors d’un procès peut surgir non pas à cause d’une entrave directe dans la loi elle-même, mais aussi parce que, par la voie de l’interprétation, le tribunal a attribué à une disposition de la loi un contenu qu’il ne devrait pas lui attribuer si les exigences constitutionnelles étaient respectées (aussi les exigences des articles 15/V et 8 de la Constitution qui requièrent l’applicabilité directe du traité régissant un droit de l’homme particulier). Le cas échéant, la CC traite ces questions dans les procédures des recours constitutionnels (sixième alinéa de l’article 160/I de la Constitution) [50].
Lorsque les requérants se réfèrent tant aux dispositions de la Constitution qu’aux dispositions des traités, le plus souvent aux dispositions de la Convention (européenne) de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après : la Convention), la CC détermine d’abord si les deux, la Constitution ainsi que le traité, régissent le droit de l’homme concerné ; le cas échéant, la CC apprécie lesquelles des dispositions garantissent une protection d’un droit de l’homme particulier au niveau plus élevé. Si la CC note qu’un droit de l’homme est réglé par le traité, mais que la Constitution ne le comporte pas, elle applique directement les dispositions du traité. Si la CC constate que le niveau de protection est égal (ce qu’elle indique expressément dans les motifs), elle apprécie les violations alléguées selon les dispositions de la Constitution. Dans ce cas-là, la primauté du droit constitutionnel sur le droit international se manifeste, en dépit de l’exigence constitutionnelle de l’applicabilité directe des traités. Ainsi, la CC a déjà apprécié que les dispositions des articles 6, 18 et 13 de la Convention et les articles 14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’assurent pas le droit à la protection judiciaire dans une plus large mesure que l’article 23 de la Constitution ; par conséquent, l’appréciation des violations alléguées du point de vue de la Constitution est suffisante [51]. Elle a agi de la même manière lorsque le requérant s’est référé à l’article 5 de la Convention à propos duquel elle a constaté que les garanties par rapport à l’exigence de l’examen judiciaire de la privation de liberté sans délai excessif de l’article 5/III de la Convention étaient les mêmes que celles de l’article 20 de la Constitution ; pour cette raison, elle n’a apprécié la violation alléguée de ces garanties que du point de vue de la Constitution [52].
Si la Constitution assume un niveau plus élevé d’un droit de l’homme que le traité, la CC applique la Constitution. Dans la décision no Up-1116/09 [53] elle a constaté, contrairement à la Cour administrative de la République de Slovénie, que les normes procédurales pour l’appréciation de l’admissibilité des interférences avec le droit à la liberté personnelle inscrites dans la Convention et dans l’article 19 de la Constitution n’étaient pas comparables. Elle a souligné que la Constitution détermine des critères plus stricts pour limiter le droit à la liberté personnelle. Sur cette base, elle a décidé qu’il fallait assurer à l’étranger dont les mouvements étaient limités à tel point que cela représentait une limitation du droit à la liberté personnelle (par une décision du ministère de l’Intérieur et sur la base de la loi sur la protection internationale) les droits garantis par l’ordre constitutionnel national (comme prévu par l’article 15/V de la Constitution et aussi par l’article 53 de la Convention qui dispose pareillement).
De ce point de vue, il convient encore de mentionner quelques décisions de la CC. Dans l’Ordonnance no Up-1378/06 [54], la CC a indiqué que la Convention ne soulignait que le droit de l’accusé d’utiliser sa langue dans la procédure pénale (articles 5/II et 6/III de la Convention), alors qu’elle ne conférait pas un tel droit aux parties dans d’autres procédures judiciaires. Pour cette raison, la CC a considéré les griefs du requérant du point de vue de l’article 62 de la Constitution qui donne à chacun le droit, dans la réalisation de ses droits et devoirs et lors de procédures devant des autorités de l’État et d’autres autorités remplissant une fonction publique, d’utiliser sa langue et son écriture selon les modalités fixées par la loi. Le cadre constitutionnel de ce droit provient des normes constitutionnelles du procès équitable qui donnent la possibilité aussi à celui qui ne comprend pas la langue du tribunal de suivre la procédure dans la langue qu’il comprend.
Concernant ces points mentionnés, les prises de position de la CC évoluent parfois. Au début, dans le cas du droit de l’accusé d’interroger ou de demander l’interrogation des témoins à charge, la CC s’est appuyée sur la disposition de la Convention [55], parce qu’elle était d’avis que la Constitution ne régissait pas ce droit. Plus tard, s’appuyant sur la Convention et sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : la CEDH), la CC a également interprété la disposition de l’article 29 de la Constitution relative au droit de l’accusé à la défense dans la procédure pénale de manière à ce qu’elle contienne aussi le droit mentionné [56]. Ensuite, dans la décision no Up-1293/10 [57], elle a expressément indiqué que le droit d’interroger les témoins à charge est assuré par le point d) de l’article 6/III de la Convention et par l’article 29 de la Constitution. Ainsi, il est maintenant indubitable que l’article de la Constitution cité assure également le droit d’interroger les témoins à charge dans la procédure pénale, bien qu’il ne le mentionne pas expressément.
Eu égard à ce qui précède, il est également évident qu’à l’aide du contenu expressément inclus dans les dispositions des traités portant sur les droits de l’homme, la CC complète, par la voie de l’interprétation, le contenu des dispositions de la Constitution plus générales portant sur les droits de l’homme. Sur ce fondement, elle exerce ensuite l’appréciation des violations des droits de l’homme alléguées du point de vue de la Constitution et non du point de vue des traités directement applicables.
Une situation particulière apparaît dans ce contexte lorsqu’il s’agit de l’application de la Convention. Ce traité se distingue notamment des autres traités par le fait qu’il établit une institution particulière et un mécanisme destiné à assurer l’observation des dispositions de la Convention. Dans les cas où la CC n’est pas l’ultime autorité quant à l’interprétation des dispositions du traité portant sur les droits de l’homme, puisque le dernier mot est alors confié à la CEDH en tant que tribunal spécial international, surgissent inévitablement des rapports particuliers entre les deux cours qui nécessitent le respect mutuel de leur jurisprudence. La CC est attentive à ce point. Pour cela, elle n’adopte pratiquement pas une seule décision importante sans se référer à des arguments découlant des jugements de la CEDH. Ces derniers trouvent leur place dans les décisions de la CC par deux voies différentes.
En premier lieu, la CC complète les dispositions de la Constitution à l’aide du contenu attribué par la CEDH aux dispositions particulières de la Convention par la voie de l’interprétation [58]. En deuxième lieu, la CC utilise souvent les arguments par lesquels la CEDH justifie ses décisions comme des arguments supplémentaires pour renforcer ses prises de positions [59]. Ce faisant, la CC se considère comme liée à la jurisprudence de la CEDH, indépendamment du fait que le jugement en question ait été adopté dans une affaire où la Slovénie était impliquée dans la procédure [60]. Cela est également un moyen particulier par lequel il est possible d’éviter les conflits entre le droit constitutionnel et le droit international et qui prévient aussi la condamnation de l’État devant la CEDH sur la base du droit international pour violation des droits de l’homme (la Convention).
5. Conclusion
En Slovénie, la primauté de la Constitution sur le droit international est établie. Dans la hiérarchie des actes juridiques, ce dernier est supérieur aux lois (et aux règlements subordonnés à la loi). Il existe trois types d’exceptions à la règle de la primauté de la Constitution. Les principes généraux du droit international peuvent également être reconnus comme des principes constitutionnels. Les traités régissant les droits de l’homme relèvent du niveau constitutionnel, c’est pourquoi leurs dispositions peuvent prévaloir sur les dispositions de la Constitution si elles assurent soit un droit de l’homme que la Constitution n’assure pas, soit un niveau plus élevé de protection du droit de l’homme en question que celui de la Constitution. Une place particulière est aussi occupée par le droit de l’UE, mais une analyse plus approfondie de ce sujet n’est pas l’objet de cet exposé.
L’examen des compétences et des pouvoirs de la CC, ainsi que de la jurisprudence constitutionnelle existante montre que la CC joue un rôle plutôt actif dans la résolution des conflits entre la Constitution et le droit international. Ce rôle est très direct et préventif lorsqu’il s’agit du contrôle a priori de la constitutionnalité d’un traité. Toutefois, les possibilités d’interventions de la CC dans ce domaine ne sont pas encore épuisées. La CC peut également indirectement contrôler la constitutionnalité d’un traité qui est déjà en vigueur tant au niveau international qu’en droit interne à travers le contrôle de la loi (le décret) de ratification. En annulant le règlement de ratification sur la base de laquelle l’incorporation du traité dans l’ordre juridique interne a été réalisée, la CC assure la primauté de la Constitution sur le droit international. Cependant, elle risque ainsi de provoquer que l’État viole les obligations internationales adoptées, ce qui n’est pas vraiment une manière souhaitée de résoudre les conflits entre la Constitution et le droit international.
Finalement, la CC joue un rôle particulier dans le domaine de la protection des droits de l’homme par l’interprétation des dispositions de la Constitution et des traités portant sur les droits de l’homme où, dans l’intérêt d’assurer la protection la plus élevée possible d’un droit de l’homme, elle décide de la prévalence soit de la norme constitutionnelle, soit de la norme du droit international.
Échanges avec la salle
Laurence Burgorgue Larsen, présidente du Tribunal constitutionnel d’Andorre
J’aurais souhaité demander à Monsieur Wagner une précision sur la très intéressante affaire Casimir. Dans votre décision, avez-vous cité l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qui concernait exactement les mêmes faits, ou l’arrêt Allemagne contre Italie de la Cour internationale de justice, qui là aussi concernait la même problématique, ou avez-vous mis en place un raisonnement autonome ?
Richard Wagner, juge à la Cour suprême du Canada
Cette décision émanait de la Cour d’appel du Québec, et a été portée devant la Cour suprême. Je faisais alors partie du panel de la Cour d’appel du Québec et ai participé à la Cour suprême lorsqu’elle a été saisie du dossier. Je n’ai pas participé aux délibérés de cette dernière, qui a confirmé la décision que nous avions rendue. Nous nous sommes limités à l’examen de la loi canadienne, sans pour autant référer aux autres précédents que vous avez cités.
Mourad Medelci, président du Conseil constitutionnel d’Algérie
Je voudrais remercier tous ceux qui ont bien voulu nous éclairer de leurs expériences et synthèses. Les synthèses qui ont été présentées aujourd’hui sont extrêmement importantes, parce qu’elles constituent une base pour la réflexion. Je ne peux que saisir cette occasion pour vous apporter une image, en dehors de la sphère constitutionnelle. Dans cette salle, nous sommes les représentants de pays qui disposent de constitutions plus ou moins anciennes. L’intrusion du droit international diffère selon l’âge des constitutions, les plus jeunes ayant eu la possibilité d’intégrer en leur sein des principes du droit international. L’image que je souhaiterais vous transmettre nous transporte dans un environnement de prévention et de lutte contre les séismes. Dans un certain nombre de pays, certaines zones sont urbanisées depuis longtemps, et leurs bâtiments ont été réalisés selon les normes de l’époque. D’autres zones restent moins urbanisées, mais commencent à l’être sur la base de normes plus récentes. Celles-ci sont les plus solides. Je vous remercie.
Synthèse générale des travaux
Mathieu Disant, professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF
Votre Excellence Madame la Présidente de la Confédération suisse,
Monsieur le Président de l’ACCPUF,
Mesdames et Messieurs les Présidents de juridictions constitutionnelles, Mesdames et Messieurs les conseillers,
Mesdames et Messieurs les congressistes,
Vous arrivez maintenant au terme de vos travaux, dont il m’est fait l’honneur de dresser rapport général de synthèse. Je dois avouer que c’est une mission périlleuse, au regard de la richesse des contributions, qu’elles soient écrites via les questionnaires, ou orales avec les communications présentées durant ces deux journées. Elles constituent une somme de référence pour tous ceux, juges et doctrine, qui s’efforcent de s’interroger aujourd’hui sur « La suprématie de la Constitution », d’en comprendre les rouages, au-delà de la pétition de principe ; dans ses différentes manifestations, dans ses nouvelles acceptions, réinterrogée qu’est cette notion dans un monde juridique ouvert, globalisé, multipolaire et polycentrique, pour reprendre les termes savants à la mode.
La tâche de votre rapporteur est d’autant plus ardue qu’a été retenue un sujet important, de grande portée, formulé de façon générale et ouverte afin que l’analyse puisse s’adapter au mieux à chaque système juridique et à chacune des cours constitutionnelles, tout en permettant de révéler ce qui forge notre patrimoine commun. Ce sont plus de 70 questions qui vous ont été soumises… regroupées en trois sessions de travail, lesquelles ont donné lieu à une quinzaine de communications, enrichies de débats vifs et approfondis. Dresser un état des lieux critique de cette « suprématie de la Constitution » était plus que justifié ; vos travaux, dans leur diversité, l’ont montré de façon évidente. Bien que le sujet n’ait jamais été traité en tant que tel dans les précédents travaux, déjà riches, de l’ACCPUF, il s’agit pour vos cours d’une interrogation continue, liée à l’existence même de la justice constitutionnelle, et qui concentre toute une série de difficultés théoriques et pratiques.
Au-delà des positions adoptées par chaque Cour, les réponses et les débats ont révélé les forces et les incertitudes qui entourent cette notion de suprématie, à plusieurs égards vertigineuse, en tout cas moins rassurante qu’elle ne fut. Que signifie véritablement la suprématie de la Constitution? Vos travaux démontrent que la réponse est loin d’être simple, ce qui est en soi problématique.
D’abord en raison de l’entendu du champ, car la « suprématie de la Constitution » est de nature à recouvrir, pour le constitutionnaliste, aussi bien la théorie du pouvoir constituant, celle du contrôle de constitutionnalité, celle encore de la garantie des droits, voire même des différentes fonctions sociopolitiques de l’État au sein desquelles pourrait être observée la constitutionnalisation du droit – phénomène plusieurs fois évoqué lors de ces journées.
Ensuite, en raison des définitions alternatives qui cohabitent, car la suprématie de la Constitution peut signifier ou bien qu’elle détermine les modes de production des autres règles ; ou bien qu’elle ne peut être révisée qu’au terme d’une procédure particulière (voire qu’elle ne peut jamais être révisée) ; ou bien encore qu’elle contient des normes qui s’imposent au législateur et dont la violation peut être sanctionnée, notamment par l’annulation. Or, ces trois sens – ou ces trois formes de suprématie – sont indépendants les uns des autres : une Constitution peut être suprême dans un sens et non dans un autre.
Complexe, aussi en raison des difficultés entourant l’étude de l’inter-légalité propre à l’articulation de deux ou plusieurs ordres juridiques distincts. Cette approche cultive l’idée qu’il peut exister non pas une seule mais plusieurs hiérarchies des normes et donc plusieurs normes suprêmes. Une telle lecture est alimentée par l’invitation de plus en plus pressante à « repenser les rapports entre ordres juridiques » sur un mode a-hiérarchique et à l’égard duquel les « enclaves constitutionnelles » constituent une cible à abattre au nom, par exemple, de « l’ efficacité du droit de l’Union européenne » telle qu’affirmée par la Cour de justice (arrêt Krizan du 15 janvier 2013). Il ne suffit plus à vos cours, spécialement celles qui siègent en Europe, de se parer de la suprématie de la Constitution, car la notion de suprématie est elle-même déconstruite ou recomposée sur l’autel de l’interpénétration des ordres et d’une « autre » primauté. En d’autres lieux, l’usage du terme « suprématie » est même susceptible d’exposer à la critique de l’idéologie constitutionnelle, voire à l’étiquette du dogmatisme constitutionnaliste… peut-être même à la ringardise, ce qui est beaucoup moins grave !
Enfin, s’il est si difficile de définir la « suprématie de la Constitution », c’est aussi en raison de la notion même de Constitution, car la discussion repose – vos travaux le font ressortir – sur des considérations ontologiques relatives à la nature du droit constitutionnel et plus largement aux sources normatives, en un mot : à l’ordre constitutionnel. En ces matières, vous l’avez mis en évidence, chaque tradition, chaque système, chaque État, connaît des éléments de classification qui lui sont propres. Il est tout à fait impossible, dans le présent rapport, de rendre compte dans le détail des éléments de spécificités qui irrigue votre analyse de la suprématie constitutionnelle.
Notre rapport sera infiniment plus modeste. Bien que les problèmes rencontrés ne soient pas aujourd’hui d’un même niveau de difficulté, vos travaux ont permis de saisir le sujet dans deux de ses principaux volets, tous deux immenses :
- d’une part, évaluer la suprématie de la Constitution sur les normes internes afin d’en diagnostiquer l’effectivité dans l’ordre juridique et politique national ;
- d’autre part, analyser la remise en cause de la suprématie de la Constitution par la coexistence et la montée en puissance des droits internationaux, européens et africains.
Au terme d’une lecture historique simplifiée à l’extrême, on pourrait déceler dans ces deux axes, deux temps successifs marquant l’évolution contemporaine de la justice constitutionnelle – sous réserve de prendre en compte, comme nous y a invité le Président Holo, les éléments de contexte qui justifieraient de parler de constitutionnalismes au pluriel. Une conclusion à peine caricaturale autoriserait à faire la part entre la consolidation de la suprématie au plan interne et une suprématie en souffrance au plan externe. Vos travaux témoignent, plus subtilement, de ce que la suprématie de la Constitution procède des garanties du système de droit dans son ensemble et de garanties juridiques, certes spéciales, mais en aucun cas hermétiques. Vous avez notamment éclairé les mutations provoquées par les rapports de système(s) dans la protection des droits fondamentaux – pour évoquer un autre concept à la mode.
Dans l’impossibilité de reprendre tous les aspects soulevés par vos travaux, et dans le souci de ne pas répéter ce qui a été dit, on ne fera état ici que de quelques points forts qui ont donné lieu aux travaux les plus fournis et qui sont apparus comme de réels sujets de vos préoccupations tels qu’ils se sont aussi exprimés dans les réponses au questionnaire.
Cela nous conduit, dans un premier temps, à dresser cinq constats – je n’ose parler de « conclusions » – relatifs à la suprématie constitutionnelle et son effectivité au sein de vos ordres de protection, là où la suprématie trouve sa pleine force en quelque sorte ; il a même été dit par M. Narey que cette suprématie pouvait être « hypertrophiée ». J’en dresserai quelques autres, dans un second temps, sur les aspects spécifiques qui vous ont interrogés quant à la place, plus que conflictuelle ou concurrentielle, je dirai : interstitielle, des normes internationales et leur influence dans la perception de cette suprématie.
1er constat : L’appréciation que vous portez sur l’effectivité de la suprématie de la Constitution en droit interne a de quoi réjouir. Elle est partout affirmée. Qualifiée même « d’indéniable » (Gabon), d’« incontestable » (Bulgarie), de « certaine » (Côte d’Ivoire), d’« évidente » (Mozambique), « insusceptible d’être discutée » (Monaco). Elle ne semble nulle part poser de grave difficulté, du moins dans son acceptation de principe. Il est heureux d’observer, grâce à l’intervention de M. Kilomba, que la jeune Cour de la RDC, en place depuis juillet 2014, a rapidement donné pleine effectivité à son contrôle, notamment par deux censures, l’une sur le fondement du principe d’égalité, l’autre sur le non-cumul des sanctions et l’indépendance de la justice.
Seules subsistent des incertitudes ponctuelles pouvant entourer certaines dispositions transitoires de la Constitution (nous pensons, bien entendu, à la Tunisie, notamment à propos du délai de mise en place du CSM, et par voie de conséquence de la Cour constitutionnelle…) ; ou, ça et là, des tentatives pour réduire les attributions d’une cour jugée trop audacieuse (comme celle du Bénin). Mais le fonctionnement des institutions montre globalement une acceptation du contrôle.
Et parfois une accélération. En France, on observe à cet égard des effets de synergie. Depuis l’entrée en vigueur de la QPC, le nombre de saisines a priori a augmenté : de 10 à 12 saisines en moyenne de lois ordinaires par an avant 2010, et de 12 à 19 par an depuis 2010. En outre, on voit apparaître des saisines du Conseil constitutionnel par la majorité elle-même, voire par le président de la République. Des différents travaux de ces deux journées, il résulte que vos cours disposent d’une position de gardien de la Constitution fortement reconnue, elles incarnent la suprématie constitutionnelle par le caractère opératoire des recours dont elles ont à connaître. Pour reprendre la formule employée par la Moldavie, elles donnent à la suprématie de la Constitution une « réalité juridique avec des conséquences et des garanties ». Incarnation (identification de la justice constitutionnelle) et sanction (force répressive de la justice constitutionnelle) sont les deux maitres-mots d’un contrôle de constitutionnalité opérationnel et d’une norme constitutionnelle effective. Et à cet égard, on ne voit pas se détacher de vos travaux de système véritablement plus effectif que d’autres en raison de telle ou telle modalité d’organisation. Vous avez, au contraire, marqué l’intérêt de mécanismes complémentaires, comme l’a fait notamment le Président Alen s’agissant de la Belgique, Mme Petrova s’agissant de la Moldavie et M. Minea pour la Roumanie.
L’actualité est parfois préoccupante et M. Narey a souligné, à juste titre, les « fragilités » de la suprématie de la Constitution en période de crise… qui tiennent aussi à des décisions peu cohérentes ou contestables. Mais dans la plupart des cas, la place de la Constitution, celle de vos cours et l’autorité de vos décisions sont unanimement reconnues par les institutions publiques, nationales ou locales, et l’ensemble des juridictions nationales. Et j’ajouterai par la société dans son ensemble, même si certaines de vos cours font état, dans des circonstances extrêmes, de manifestations populaires ou de quelques tentatives de résistance parlementaire (par ex. au Bénin). C’est là la rançon de la gloire – celle de la suprématie en l’occurrence : la Constitution s’avère parfois instrumentalisée par les intervenants politiques, c’est un phénomène bien connu sur des sujets jugés politiquement sensibles.
2. Si la Constitution est effectivement suprême, c’est que vos cours ont progressivement renforcé leur contrôle.
C’est un phénomène global, sous certaines réserves émises par le Cameroun, le Congo, le Tchad, le Togo et singulièrement en Slovénie où il est fait état d’un durcissement des conditions de recevabilité des pétitions devant la Cour constitutionnelle, en raison d’un nombre d’affaires trop important.
Différents facteurs permettent d’expliquer ce renforcement, parmi lesquels :
- Une « jurisprudence volontariste » de la Cour (selon l’expression de la Belgique), en particulier sur les normes de références – on l’a vu – qui densifie le corpus des droits protégés, notamment par l’effet reconnu au Préambule dont M. Benabdallah a souligné l’importance en tant que « référentiel juridique » pour « exprimer la conscience collective de la nation » et « éclairer l’interprétation » des dispositions constitutionnelles
- L’autorité reconnue aux décisions de la Cour qui, si on le dire ainsi, provisionne la suprématie de la norme constitutionnelle, particulièrement leur portée erga omnes (Côte-d’Ivoire) ; plus largement, « l’imposition permanente de sa jurisprudence à toutes les institutions publiques », et le cas échéant, le suivi par les organisations internationales du respect des décisions de la Cour (Albanie).
- L’éventail très complet et le développement convergent des méthodes d’interprétation adoptées par vos Cours : interprétation littérale, libérale, historique, téléologique, systématique, analogique, argument pragmatique lié à la présomption de constitutionnalité ; avec parfois une tendance, prégnante au Canada, au développement de l’interprétation intentionnaliste et dynamique ou évolutive, ce que la Belgique a qualifié, par la voix du Président Alen, « d’interprétation actuelle » ou d’« interprétation moderne » des textes anciens.
- Un autre facteur est le perfectionnement des techniques de contrôle comme celle de la proportionnalité (Mozambique), celle des réserves d’interprétation et plus largement l’interprétation conforme qui permet de sortir du manichéisme validation/annulation (Bulgarie, Gabon, Monaco, France, Belgique, Maroc, Suisse). La technique de l’interprétation conforme est utilisée depuis 1969 par le Tribunal fédéral suisse à l’égard des lois fédérales, en dépit de l’exclusion du contrôle de constitutionnalité, en vue de leur « conférer un sens susceptible de les mettre en harmonie avec la norme supérieure ». Par la « force de l’interprétation », nous disait hier M. Minea pour la Roumanie, la Cour impose une large possibilité de contraintes pesant sur les autorités publiques.
- Un cinquième facteur repose sur la modération de la Cour lors du contrôle des lois dans le but de respecter l’espace du législateur, ainsi que le souligne l’Albanie par la voix de M. Berberi ; mais aussi le Tribunal constitutionnel andorran qui aime à rappeler qu’il n’a jamais outrepassé ses fonctions ; comme le Conseil constitutionnel français en préservant la marge d’appréciation du législateur. À cet égard, la Cour suprême du Canada utilise explicitement la métaphore du dialogue pour qualifier l’interaction dynamique nouée avec les organes du gouvernement et qui les oblige à se rendre mutuellement des comptes. « En examinant la validité constitutionnelle de textes de loi ou de décisions de l’exécutif », écrit la Cour, « les tribunaux parlent au législatif et à l’exécutif ». Ce processus réflexif ne peut être qu’un « enrichissement du processus démocratique » selon la jurisprudence de la Cour suprême.
- Enfin, le dernier facteur et pas le moindre, concerne l’élaboration d’un droit post-décision et la gradation des sanctions que vous prononcez. À cet égard, le Conseil constitutionnel français s’attache à assurer « l’effet utile » de ses décisions. Il a développé, surtout depuis l’entrée en vigueur de la QPC, une jurisprudence dédiée à la modulation des effets dans le temps de ses décisions. C’est dans le même esprit que le Canada insiste sur la question des « redressements judiciaires », autrement dit sur les remèdes à l’inconstitutionnalité. La question est alors celle de savoir quelle est la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. Il s’agira notamment, selon la Cour suprême, de « celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur ».
Un point mérite particulièrement d’être évoqué. Celui du dédommagement en cas de violation des droits fondamentaux. Le Bénin fait état d’une évolution récente sur ce point. La Cour y est compétente pour statuer « en général sur la violation des droits de la personne humaine » (art. 117) ; depuis 2002, il est jugé que « cette violation ouvre droit à dommages – intérêts ». Cette évolution ne conduit pas la Cour à se déclarer compétente pour octroyer des dommages et intérêts, les parties gagnantes pourront se prévaloir des décisions du juge constitutionnel pour obtenir devant le juge civil la réparation des préjudices subis.
Tous ces éléments concourent au perfectionnement du contrôle opéré par vos cours, dont les illustrations ne manquent pas. Parmi les cas typiques, on peut évoquer celui du Bénin. C’est en matière de contrôle de constitutionnalité des décisions de justice, notamment des décisions rendues par la Cour suprême, que l’évolution dans la protection des droits fondamentaux a été la plus progressive et la plus visible. Elle a conduit la Cour à s’autoproclamer « la plus suprême des cours suprêmes en matière de droits de l’homme ». Il est désormais jugé qu’« en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions » (décision DCC 09-087 du 13 août 2009). Comme l’a fait observer le Président Spreutels ce matin, la suprématie de la Constitution peut apparaître comme une suprématie du juge constitutionnel !
3. En définitive, les entorses à l’effectivité correspondent aux limites que connaît le contrôle de constitutionnalité.
Telles que rapportées ou évoquées lors des interventions et débats, ces limites tiennent :
- au « caractère facultatif et limitatif de la saisine » (Algérie, Niger) ;
- à la « compétence d’attribution » dont le Conseil constitutionnel dispose (France) ;
- au champ des droits constitutionnels invocables ; l’Albanie a souligné ainsi que « les individus peuvent saisir la Cour pour le contrôle constitutionnel uniquement pour leurs droits constitutionnels à un procès équitable », ce qui s’entend comme un contrôle de procédure et non un contrôle des droits constitutionnels matériels
- aux normes qui échappent au contrôle : décisions de justice (Belgique, France, Gabon, RDC), lois constitutionnelles (Belgique, France, Côté d’Ivoire, Gabon, Tchad), lois référendaires (Burkina, Côte d’Ivoire), questions touchant à l’état et à la capacité des personnes (Gabon), les actes des organismes autres que les autorités de l’État et les autorités locales (Slovénie) ;
- à l’impossibilité pour la Cour de s’autosaisir d’une question d’inconstitutionnalité (Cambodge), même lorsqu’il a des doutes sur la conformité à la Constitution de tel ou tel article du texte (Andorre) ;
- à l’immunité juridictionnelle des compétences exceptionnelles exercées en période de crise (Côte d’Ivoire) ;
- à l’absence de sanctions à l’égard de ceux qui ne respecteraient pas l’autorité des décisions de la Cour (Congo) ;
- à l’absence de « contrôle de la manière dont une autorité politico administrative met en œuvre les dispositions d’une loi » (Bénin) ;
- à l’immunité des actes politiques (Mozambique), des questions de « haute politique » (Canada), ce qu’on peut aussi qualifier d’actes de gouvernement en France ;
- au caractère abstrait du contrôle, lorsque la Cour ne se prononce jamais sur les circonstances de fait, mais exclusivement sur la conformité aux dispositions constitutionnelles des actes normatifs (Moldavie) ;
- aux « effets politiques de son rôle » (Andorre) dans la mesure où « il lui est interdit d’effectuer des jugements d’opportunité politique et d’adresser des réprobations, des compliments ou des recommandations aux pouvoirs publics » (affaire 95-1-PI du 3 avril 1995) ;
- au refus de contrôler les dispositions législatives qui sont l’expression d’un choix posé par le Constituant. Par exemple, la Cour belge considère que le fait qu’une autorité administrative qui inflige une sanction ne puisse poser de question préjudicielle à la Cour résulte d’un choix posé par le Constituant et sur lequel la Cour ne peut se prononcer.
4. Vous avez fait état, par ailleurs, de difficultés auxquelles vos cours ont été spécifiquement confrontées quant à l’effectivité de la Constitution.
Dans la catégorisation des cas particuliers évoqués, et si on laisse de côté les problèmes purement logistiques, et ceux qui relèvent spécifiquement des rapports avec le droit international, on relève trois types de difficultés :
La première difficulté est celle de la non-exécution des décisions, et plus spécifiquement la non-complétion du vide juridique par l’organe législatif quand cela s’avère nécessaire après l’abrogation par la Cour des actes normatifs comme inconstitutionnels. C’est une situation qui a été évoquée par l’Albanie et la Slovénie.
La deuxième difficulté est celle des contradictions de jurisprudences. Cela a été particulièrement mis en lumière par la Belgique entre la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation, notamment parce que cette dernière exerce un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions de droit international ayant effet direct. Le concours de contrôles – le contrôle de conventionnalité direct opéré par la Cour de cassation, d’une part, et le contrôle de constitutionnalité opéré par la Cour constitutionnelle, d’autre part a créé une situation de concurrence potentielle et généré un risque de solutions divergentes, dès lors que de nombreux droits et libertés fondamentaux sont garantis, à la fois, par des dispositions de droit international et par des dispositions constitutionnelles. En vue de prévenir ces difficultés, la Président Alen nous a rappelé que le législateur a intégré dans la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle une règle de priorité constitutionnelle. Elle vise à établir un ordre chronologique dans l’examen de la constitutionnalité et de la conventionnalité des dispositions législatives, lorsque le droit fondamental dont la violation est invoquée est garanti de manière analogue par la Constitution et par une disposition de droit international. Dans cette hypothèse, la juridiction saisie du litige doit interroger la Cour constitutionnelle avant d’effectuer elle-même, le cas échéant, un contrôle du respect des dispositions de droit international. Cette règle a directement influencé le législateur organique français dans la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité ; elle lui doit précisément son nom.
Enfin, la troisième difficulté est le revirement de jurisprudence. Le Bénin, par exemple, a connu cette difficulté en faisant évoluer sa jurisprudence relative au droit de grève pour affirmer le caractère non absolu de ce droit (décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011). Un tel revirement de jurisprudence a été difficilement accepté par les syndicats. Il a fallu que la Cour motive fortement sa décision en recourant aux décisions d’organes internationaux pour justifier ce revirement de jurisprudence.
5. Pour répondre à ces limites ou remédier à ces difficultés, vous faites état de perspectives d’évolution afin d’accroître ou de parfaire l’efficacité de l’intervention de vos cours.
Parmi les projets en cours de réflexion, on notera :
- l’élargissement du contrôle de constitutionnalité aux lois fédérales en Suisse, projet évoqué régulièrement, dernièrement en 2011, l’idée consensuelle étant de limiter ce contrôle aux cas d’application concret, comme l’a évoqué son Excellence Madame la Présidente Sommaruga ;
- l’élargissement de la saisine au profit d’un « groupe minoritaire au parlement » (Algérie), ou une ouverture aux citoyens par la voie d’une saisine directe (Burkina, Moldavie), « une plainte constitutionnelle » (Bulgarie) au nom de « l’effet direct » de la Constitution ; la Côté d’Ivoire évoque aussi l’intérêt de « démocratiser la saisine du juge constitutionnel », le Niger estime nécessaire pour « parfaire ce contrôle », de faire « une plus grande ouverture de la saisine par les citoyens » ; la même idée est développée par le Togo.
- Au Bénin, on s’interroge sur la saisine automatique d’un autre juge en cas de constat de violation des droits de l’homme pour que ce juge prononce une sanction civile ou pénale ; on projette aussi de créer une infraction pénale d’outrage à la Cour constitutionnelle pour sanctionner ceux qui ne se soumettent pas à ses décisions, ainsi qu’un rapport annuel de suivi de l’exécution de ses décisions que la Cour pourrait publier chaque année.
- Le Conseil du Tchad souhaiterait, quant à lui, être doté du pouvoir d’autosaisine afin de jouer plus efficacement son rôle de protecteur des droits.
- La Roumanie souligne que « le Parlement devrait être obligé à adopter dans les plus brefs délais des lois ou des dispositions de lois qui remplissent le vide législatif créé par l’admission des exceptions d’inconstitutionnalité ».
*
Reste à évoquer certaines des difficultés spécifiques soulevées par l’articulation de la Constitution et des normes internationales. Là encore, sans reprendre tous les éléments examinés, on dressera une série de constats.
1. À la question de savoir si les normes internationales ont une valeur supérieure à la Constitution, la réponse négative est largement partagée par vos cours. Tout au plus, les normes internationales peuvent-elles faire partie du « bloc de constitutionnalité », jamais le soumettre.
Dans l’ensemble, vos constitutions font obstacle à la ratification d’un traité international inconstitutionnel. Ceux-ci ne pouvant être ratifiés que conformément à la Constitution, ils tirent leur validité de la Constitution. Tout repose sur la reconnaissance du fondement constitutionnel de la valeur juridique des traités internationaux. De façon générale, vous avez marqué votre distance avec l’idée de « supra-constitutionnalité », d’où qu’elle vienne. Il convient aussi d’envisager la situation dans laquelle le traité international est remis en cause par une révision constitutionnelle. En Suisse, une solution pragmatique semble prévaloir : si le traité en question n’est pas très important, la pratique a parfois refusé d’admettre qu’il puisse constituer une limite à la révisibilité de la Constitution – quitte à ce que cela engage la responsabilité internationale de la Suisse. Si en revanche le traité international en question contient des règles contraignantes faisant partie du Jus Cogens, la révision ne peut être soumise au peuple, car la révision de la Constitution doit respecter les règles impératives du droit international (art. 193 al. 4 et 194 al. 2 de la Constitution fédérale).
Les exceptions sont peu nombreuses. Au Burkina comme en RDC, les normes internationales relatives au droit de l’homme dès lors qu’elles sont « internalisées » sont considérées comme ayant une valeur supra- constitutionnelle. En Côte d’Ivoire, et en Guinée, les normes qui émanent des organisations intergouvernementales disposent aussi de cette valeur. La même position est pressentie au Mozambique s’agissant des normes de Jus Cogens, bien que le Conseil constitutionnel n’ait pas encore été appelé à se prononcer directement sur cette hiérarchie.
2. Au-delà de cette alternative, comment votre jurisprudence situe-t-elle la valeur des conventions et traités internationaux lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Bien qu’elle soit fréquente pour certaines, notamment à Andorre, vous avez pu constater que ce n’est pas une question que toutes vos cours ont eu à trancher (Algérie, Bénin, Bulgarie, Burkina, Cambodge, Congo, Guinée, Madagacar, Maroc, RDC, Tchad, Togo, Tunisie). La question ne manquera pas de surgir, aussi compte tenu de la place majeure faite, dans nombre de ces constitutions, au droit international des droits de l’homme, ce qui a été qualifié par Madame Burgorgue-Larsen comme une « originalité du constitutionnalisme africain ».
On distingue deux positions :
La première reste la plus rare. Elle consiste à conférer un statut constitutionnel au traité concerné. C’est en ce sens que ce sont prononcées la cour albanaise et la cour slovène s’agissant du statut de la Convention EDH. Il en est de même en Moldavie où les dispositions internationales en matière des droits de l’homme ont acquis, par la lettre de la Constitution, un « statut constitutionnel spécial dans la hiérarchie des actes normatifs, de rang égal à celui de la Loi suprême et ayant bien entendu priorité sur les lois internes, en cas de divergences » (article 4.2 de la Constitution).
Plus fréquente est la seconde position. Vos cours, pour la plupart, ont refusé de reconnaître valeur constitutionnelle aux dispositions internationales, en leur accordant selon les cas une valeur législative ou supra-législative ; assorti le cas échéant d’un refus d’intégrer les conventions internationales au sein des normes de référence de leur contrôle.
3. Mais vos travaux ont surtout mis en évidence les limites de l’approche strictement hiérarchique. Celle-ci est inévitable car elle permet de comprendre comment s’organise ce que le Canada appelle « l’idée-structure de la suprématie de la Constitution », emprunt du principe de souveraineté de l’État… auquel M. Charasse a vivement rappelé que le France ne renonce jamais ! Mais elle ne rend compte que partiellement des enjeux auxquels vos Cours sont confrontés et des outils mis en œuvre, moins en terme de hiérarchie que d’interaction, pour trouver des solutions opératoires. En cela, vos travaux révèlent une difficulté de méthodologie juridique à laquelle sont de plus en plus confrontées vos cours, et qui ne manque pas d’interpeller.
L’interface du droit international et du droit interne fait l’objet d’outils heuristiques assez anciens, chevillés au normativisme, tels les théories « dualistes » ou « monistes » ; deux lectures, plus exactement deux logiques, auxquelles vos cours reconnaissent pertinence en droit positif, sans y voir des modèles omniscients susceptibles de rationnaliser de façon exhaustive la problématique de fond liée à l’inter-légalité.
Le dualisme relève d’une doctrine de l’adoption, le monisme d’une doctrine de l’incorporation. Dans le premier cas, les dispositions de droit international public font, dès leur entrée en vigueur, partie intégrante du droit national. Elles en sont en quelque sorte une source directe. Dans le second cas, cette réception est conditionnée à la transposition formelle par la législation nationale, au terme d’une perception du monde du droit qui distingue fondamentalement ordre juridique international et ordre juridiques internes, quand bien même certaines n’auraient pas, sur ce sujet, de conception définie (ce que concèdent Andorre, la Bulgarie, le Gabon, le Liban, la Moldavie, le Tchad).
La conception moniste prévaut notamment au Bénin, Burkina, Cameroun, Comores, Congo, Guinée, Niger, Togo, Slovénie, mais aussi au Maroc sous l’effet de la nouvelle Constitution, et tout particulièrement en Suisse où la tradition moniste est prégnante. L’ordre juridique international et l’ordre juridique interne y forment un seul système cohérent. Les particuliers peuvent invoquer directement les dispositions de droit international public devant les tribunaux, dans la mesure où leur contenu est suffisamment déterminé et clair pour qu’elles soient directement applicables. Dans ce sens, la norme internationale fait partie du droit national et les droits qui y sont garantis ont, le cas échéant, un contenu constitutionnel.
La conception dualiste, quant à elle, prévaut en France, en Albanie, en Côte d’Ivoire, à Madagascar, à Monaco, en Roumanie, en Tunisie, également en Algérie qui fait état d’un « dualisme prudent ». Ainsi que cela a été souligné, le Conseil constitutionnel français ne juge que par rapport à la Constitution, il retient donc une conception dualiste des rapports entre droit interne et droit international. Par exemple, pour ce qui est du droit de l’Union européenne, s’il accepte d’opérer un contrôle de conventionalité manifeste des lois de transposition des directives, ce n’est que parce que ce contrôle trouve son fondement dans l’article 88-1 de la Constitution, qui fait de l’exigence de transposition une exigence constitutionnelle.
De son côté, la Cour suprême du Canada s’efforce de s’adapter à la source de normativité internationale concernée. Pour résumer à l’essentiel, la logique moniste est suivie pour la coutume, tandis que la logique dualiste est celle applicable pour les conventions internationales.
4. Mais le principal de ces outils, le plus efficace, celui qui place vos cours comme les métronomes des rapports de système(s) harmonieux, c’est l’interprétation ; l’interprétation dont vous exploitez les inépuisables ressources.
Vous avec marqué que l’interprétation de la Constitution se fait régulièrement, voire systématiquement, au regard des dispositions et jurisprudences internationales pertinentes. Madame la Présidente Burgorgue-Larsen a pu déceler, dans les clauses d’interprétation conforme contenues dans la Constitution, une véritable « fonction herméneutique d’interprétation des droits fondamentaux constitutionnels ».
C’est très explicite au Canada, où la normativité internationale est utilisée comme une source « pertinente et persuasive » d’interprétation, soit pour aider à interpréter les droits et libertés de la Charte canadienne, soit pour décider de la « raisonnabilité » de leur limite. Même en l’absence de transformation formelle en vertu d’une législation interne, la Cour suprême retient, selon sa jurisprudence Baker de 1999 rapportée par le juge Wagner, que « les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent (…) être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire ». C’est là, il faut bien le reconnaître, une application très assouplie du dualisme canadien.
C’est tout aussi marquant en Suisse, où (en plus d’être une béquille du contrôle de constitutionnalité de la loi) l’interprétation conforme au droit international est intégrée à la méthode de l’interprétation systématique
Ça l’est encore en Andorre, où le Tribunal constitutionnel a également jugé que lorsque des principes ou règles découlant de la Constitution étaient analogues ou proches de ceux contenus dans la Convention, la jurisprudence de la Cour EDH, bien qu’il ne s’agisse pas d’une norme constitutionnelle, peut permettre l’interprétation des dispositions andorranes. On ne compte plus les cas d’interprétation du droit au procès équitable, dans ses différents aspects, à la lumière des dispositions de la Convention EDH et ses standards, auxquels la Cour d’Albanie, par exemple, a témoigné son attention par la voix de M. Berberi qui a parlé de « référence constante ». Un autre exemple évident concerne le droit à la protection de la vie privée et familiale, dont la Cour belge juge explicitement « que le Constituant a recherché la plus grande concordance possible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ». De nombreux autres cas ont été rappelés par le Président Debré, dans un plaidoyer très fort en faveur du « dialogue des juges » comme moteur de ce rapprochement.
Les différentes interventions ont exposé les techniques interprétatives déployées. Parmi les cas les plus symptomatiques, la Président Alen a rappelé que la Belgique met en œuvre des techniques combinatoires qui conduisent la Cour à donner aux dispositions constitutionnelles garantissant les droits et libertés une portée similaire, ou confondue, avec celles des dispositions de droit international qu’elle combine.
Au Canada, ainsi que le juge Wagner l’a exposé, deux techniques sont employées : d’une part, l’argument d’interprétation contextuel qui signifie que le droit international est utilisé en tant qu’élément de contexte d’adoption et d’application d’une loi ; d’autre part, la présomption de conformité au droit international, argument de type pragmatique qui conduit les tribunaux à interpréter le droit interne dans le même sens que les obligations internationales – ce qui limite parfois sensiblement le champ des interprétations possibles.
Plus largement, c’est la technique de l’interprétation conforme qui assure la fonction d’harmoniser les normes juridiques internes et internationales. Ce faisant, il ne s’agit pas d’une règle destinée à résoudre les conflits entre ces normes, mais au contraire, de façon plus utile, de prévenir les conflits autant que faire se peut. À tous égards, on trouve là la traduction juridique de la formule énoncée par son Excellence Madame la Présidente Sommaruga lors de l’ouverture de nos travaux : « le compromis est un signe de force et non de faiblesse ». Il s’agit aussi d’orienter la protection dans le sens le plus favorable au citoyen lorsque la Constitution et les normes de droit international organisent une protection de portée différente pour un même droit fondamental. Et nous avons appris, grâce à la communication de Madame BurgorgueLarsen, combien cet alignement à la hausse, ce principe de faveur est répandue sur le continent latino-américain.
La Moldavie nous fait part d’une formule merveilleuse, qui me paraît bien résumer l’enjeu de cet office : la jurisprudence constitutionnelle nationale est un « agent efficient et dynamiseur » de l’assimilation et de la mise en œuvre du droit international.
*
Tous ces éléments montrent combien vos cours, toutes sensibles à l’internationalisation du droit constitutionnel, ne s’en tiennent pas à une stricte orthodoxie. Les positions hiérarchiques sont fermes, vos solutions sont fines et ajustées. Elles requièrent un « exercice de discernement » plusieurs fois exhorté par le juge Wagner dans sa communication.
De ce point de vue, la distinction entre « primauté » et « prévalence » trouve écho dans vos pratiques. L’une renvoie au raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme, l’autre est appréhendée en tant que principe de résolution des conflits de norme dans les cas qui vous sont posés.
Assurément, les deux expriment la préséance qu’une norme dispose par rapport aux autres. Mais la prévalence n’a aucune influence sur la primauté normative de la Constitution : non seulement la disposition portant sur un droit n’est écartée que dans un cas déterminé, mais c’est toujours la Constitution elle-même qui définit une telle prévalence.
Sur un plan contentieux, cela se traduit par une différence entre norme de référence (la norme constitutionnelle), et norme de contrôle (qui peut aussi être externe). Cela repose aussi sur un mécanisme de translation, pas toujours facilement maniable. Mais on comprend bien, qu’au-delà, c’est la démarche fondamentalement progressiste de la justice constitutionnelle qui imprime ces solutions. C’est elle qui pousse les Cours à utiliser tous les instruments à leur disposition en vue d’amplifier l’ensemble des garanties et des moyens de protection des droits et libertés fondamentaux.
C’est dans cette optique que vos cours s’efforcent de rechercher une harmonie entre les ordres juridiques, des points de « convergence » et « rapprochement mutuel » évoqués par le Président Debré et parfois des priorités d’application en fonction de la situation. Se développe concomitamment l’idée selon laquelle la primauté, associée à la priorité d’application de la norme internationale d’effet direct, ne remet nullement en cause la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique étatique. Ainsi semble pouvoir être conciliées des exigences qui, a priori, paraissent antinomiques.
Oh, bien entendu, la perfection n’est pas de ce monde, même celui de la justice constitutionnelle. L’expérience concrète du contrôle révèle parfois sinon des insuffisances, des insatisfactions, des doutes ou des imperfections. C’est aussi la rançon du succès : on attend toujours plus du juge constitutionnel à mesure que son rôle se renforce dans l’ordre juridique. Votre rapporteur a conscience de ne pouvoir résoudre, par ces quelques balbutiements, tous les mystères de la suprématie de la Constitution. Peut-être cela nécessiterait-il – pour reprendre une autre image, M. le Président Medelci – sur les rives du Lac Léman, de réinventer « La Montagne magique » de Thomas Mann, celle qui comporte différents sommets perçus comme tels par les observateurs selon qu’ils sont de part et d’autre de cette montagne.
La complexité de certaines situations appelle, en ce sens, une réflexion fondamentale que d’illustres auteurs, comme Mirkine-Guetzévitch, ont initié depuis près d’un siècle, et dans laquelle s’engage aujourd’hui la démarche scientifique avec un élan nouveau pour déterminer si la suprématie de la Constitution peut encore vivre sous le régime de la hiérarchie des normes. Une « révolution » comme l’a suggéré le Président Debré… ou une évolution douce ?
Par la force des choses, un principe de prévalence est en action et en construction, qu’on l’appelle ainsi ou autrement. Il a une fonction claire : désigner la norme qui va l’emporter, sur la base non pas seulement d’un rapport de validité mais d’une qualité ou d’une qualification qui tend à devenir la fondamentalité.
Par ses rencontres et travaux, par les réflexions mises en commun, par la capitalisation des pratiques, l’ACCPUF contribue sans aucun doute à la maîtrise de cette évolution.
Conclusion
Mohamed Achargui, Président de l’ACCPUF, président du Conseil constitutionnel du Maroc
Messieurs les présidents, mesdames et messieurs, nous arrivons au terme des travaux de notre Congrès. Je vais donc les déclarer clos. Je souhaiterais vous rappeler que l’assemblée générale examinera un certain nombre de points importants, notamment le rapport moral, le rapport financier, l’élection des nouveaux membres du bureau de l’ACCPUF, l’examen et l’approbation du programme triennal 2015-2018 ainsi que d’autres questions tout aussi importantes. Merci.
Réponses des cours constitutionnelles au questionnaire
Questionnaire sur la suprématie de la Constitution
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de la Constitution et hiérarchie des normes
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supraconstitutionnalité) ? Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place parti culière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?
Votre Cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
2. Influences sur le constituant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
3. Compétences de la cour
Votre Cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?
Votre Cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?
Votre Cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
4. Situations de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?
Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
La Cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments inter nationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre Cour à une décision d’une juridiction internationale ?
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?
Cour constitutionnelle d’Albanie
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de la Constitution et hiérarchie des normes
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
Oui. L’article 4/2 de la Constitution prévoit que la Constitution est la loi supérieure dans la République d’Albanie.
L’article 116 de la Constitution prévoit les actes normatifs et leur efficacité juridique sur tout le territoire de la République d’Albanie.
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
Ni la Constitution, ni la jurisprudence n’ont une approche claire à la question de prévalence de certains droits par rapport aux autres (au sens normatif). La jurisprudence a estimé que la démocratie constitutionnelle établie par cette Constitution, est basée sur l’État de droit, sur le principe de séparation des pouvoirs et le respect des droits et des libertés fondamentales de l’homme. (voir l’arrêt n° 12 du 20 mai 2008 de la Cour constitutionnelle)
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
La Constitution prévoit la possibilité de sa révision (article 177) permettant des amendements constitutionnels qui, en se référant à la pratique actuelle (amendements 2007 / 2008 / 2012), ont complété les normes existantes, ou les ont modifiées. La force juridique de l’amendement a la valeur d’une norme constitutionnelle et se range au même niveau que la Constitution.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
Le Préambule de la Constitution de la République d’Albanie est d’une nature déclarative et reflète des principes et des valeurs constitutionnelles, mais il n’a pas une position unifiée par rapport à son statut en tant que norme constitutionnelle. Dans la jurisprudence constitutionnelle le préambule a été référé afin de déterminer l’esprit et le but du législateur.
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non. En vertu de l’article 116 de la Constitution, l’acte ayant le pouvoir juridique supérieur est la Constitution.
Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
Non. Le droit international ne fait pas formellement partie du « bloc de constitutionnalité », à l’exception de la Convention européenne des droits de l’homme qui a une valeur constitutionnelle à titre de référence directe dans la Constitution (article 17).
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
En vertu de l’article 116 de la Constitution, les traités internationaux ratifiés, dans l’hiérarchie des normes juridiques se rangent immédiatement après la Constitution. Par conséquent, ils occupent une place importante dans le droit interne et sont obligatoires et exécutoires pour chaque État, pour tous les organes étatiques y compris les tribunaux de chaque instance et les organismes d’exécution de leurs décisions.
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
Les limites dans un ordre constitutionnel sont le principe de souveraineté, l’indépendance de l’État et l’intégrité de son territoire, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ses droits et ses libertés, la justice sociale, l’ordre constitutionnel, le pluralisme, l’identité nationale et le patrimoine national, la coexistence religieuse, la coexistence et l’harmonie avec les minorités, sont les bases d’un État qui a pour obligation de les respecter et de les protéger.
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
Oui.
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
La Constitution de l’Albanie a été adoptée en novembre 1998. Depuis elle a été modifiée quatre fois. Il n’y a pas de cas témoignant que la Constitution soit modifiée en réaction à une décision de la Cour.
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
Oui. Les traités internationaux peuvent conduire à une modification de la Constitution au moment de l’adhésion de l’Albanie à l’UE. Jusqu’à présent il n’y en a pas eu de telles modifications.
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
Oui. Cela se réalise par le contrôle de constitutionnalité exercé par la Cour constitutionnelle. Les actes qui sont déclarés inconstitutionnels perdent leur pouvoir juridique. L’article 132 de la Constitution prévoit que les décisions de la Cour constitutionnelle ont une force obligatoire de portée générale erga omnes et sont définitives. Lorsque la Cour décide de l’incompatibilité de la norme juridique avec la Constitution ou avec les traités internationaux, la norme est considérée comme effacée (ou retirée) du système juridique au moment de l’entrée en vigueur de la décision.
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
Oui. Le rôle et la jurisprudence de la Cour ont également servi à atteindre ce but. Les procédures d’accès au contrôle de constitutionnalité et la pratique témoignent de cela.
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
Non. Le contrôle constitutionnel et la Cour constitutionnelle jouissent d’un large soutien de l’opinion publique et de la communauté académique.
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
Le président de la République, tous les organes judiciaires, la Cour Suprême, l’Avocat du peuple. Ces organes ont le droit de saisir et de mettre en branle la Cour constitutionnelle afin qu’elle exerce le contrôle de constitutionnalité des actes normatifs.
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
Les décisions de la Cour sont source du droit positif. Les décisions de la Cour ont force obligatoire erga omnes et sont définitives et exécutoires pour tous les organes. La Constitution a mis la Cour constitutionnelle dans une partie distincte du système ordinaire judiciaire en soulignant son statut particulier par rapport aux autres tribunaux, son objectif et ses caractéristiques.
En ce qui concerne la protection des droits constitutionnels à un procès équitable, la Constitution désigne la Cour comme l’organe suprême de contrôle dans la hiérarchie des tribunaux dans la République d’Albanie (voir décision no. 11 / 2010 de la Cour constitutionnelle). L’influence incontestable des décisions de la Cour est telle qu’elle impose à tous les organes d’État, sans exclure les tribunaux, leur force obligatoire (voir la décision n° 14 du 17 mars 2009 de la Cour constitutionnelle).
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
Normalement, la Cour est basée uniquement à la Constitution (article 124) mais lors de l’exercice de ses compétences d’interprétation, elle se réfère également aux lois organiques.
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
Les compétences de la Cour sont prévues par l’article 131 de la Constitution. La Cour exerce un contrôle a posteriori et seulement pour les actes normatifs, avec quelques exceptions. Les individus peuvent saisir la Cour pour le contrôle constitutionnel uniquement pour leurs droits constitutionnels à un procès équitable.
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité des droits sont partiellement efficaces parce que dans le cas des requêtes individuelles ce contrôle constitutionnel s’étend jusqu’au droit à un procès équitable. Ce contrôle pourrait inclure le contrôle pour garantir les droits matériels, etc.
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
L’interprétation littérale, textuelle, historique, théologique et systématique.
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
Le contrôle de la Cour est renforcé par l’imposition permanente de sa jurisprudence à toutes les institutions publiques. Le respect ou le non-respect des décisions de la Cour est apprécié de la part des organismes internationaux ce qui a renforcé l’autorité de la Cour. De l’autre part, la Cour elle-même a fait preuve de modération lors du contrôle des lois dans le but de respecter l’espace du législateur.
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
Se référant à notre pratique, en général, les décisions de la Cour ont été exécutées en raison de leur caractère obligatoire en tant que décisions définitives et irrévocables. L’obligation constitutionnelle et légale des décisions de la Cour et la possibilité de les exécuter ne correspondent pas toujours. La pratique de la Cour montre qu’il n’y a pas eu de résistance à l’égard de l’exécution des décisions qui invalident des lois ou des actes normatifs. Elles sont entrées en vigueur le jour de leur publication au Journal officiel, sauf si la Cour a décidé autrement.
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
Dans des cas particuliers, bien qu’ils soient peu nombreux, il y eu des attitudes contraires dans deux directions principales :
Premièrement, la non-complétion du vide juridique (vacuum légal) par l’organe législatif quand cela s’avère nécessaire après l’abrogation par la Cour des actes normatifs comme inconstitutionnels ;
Deuxièmement, la non-exécution. L’application des décisions de la Cour est d’une importance particulière dans l’aspect de la protection des libertés et des droits de l’homme en faveur de l’idée, déjà consolidée dans la littérature juridique constitutionnelle, qu’il n’y a pas d’autre institution qui puisse garantir les droits de l’homme de façon tellement effective que la Cour constitutionnelle.
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
Oui. La Constitution est l’acte ayant le plus haut pouvoir juridique, la loi suprême. Dans l’ensemble, la Constitution a résolu en détail (Partie VII) le problème du rapport, en définissant la hiérarchie des normes, les procédures de l’insertion des normes internationales dans l’ordre juridique interne et les compétences des organes respectifs dans ce domaine.
Les traités internationaux ratifiés occupent la deuxième place après la Constitution et prennent effet supra-légale (article 116 de la Constitution).
Il semble que la Constitution n’a pas laissé sa première place et maintient sa supériorité à tous les autres actes normatifs, y compris les traités internationaux ratifiés par la loi (article 116).
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
La suprématie de la Constitution est garantie par la procédure complexe de son adoption. Alors la prévalence est le résultat de la position donnée à la Constitution dans la hiérarchie des actes normatifs.
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?
Oui, au sens matériel, et en particulier dans le domaine des valeurs / des principes et des droits de l’homme.
Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
En règle générale, la Cour suit un concept dualiste. La supériorité de la Constitution à tous les autres actes normatifs, et par conséquent aux traités internationaux ratifiés par la loi, soutient cette position. Les actes internationaux qui suivent immédiatement après sont ratifiés par la loi (articles 116, 122/2).
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
En général, il n’y a pas de normes internationales de valeur supérieure à la Constitution.
En analysant le statut constitutionnel des actes internationaux, on constate également des formules spécifiques prévues par la Constitution albanaise ayant trait à sa participation à des organisations supranationales.
La première formule concerne la supériorité des normes de cette organisation au droit interne (article 122/3 de la Constitution).
La seconde prévoit le transfert du pouvoir à une organisation internationale (article 123 de la Constitution)
Ces deux formules constituent une base constitutionnelle importante pour la participation à une organisation internationale, conforme à la volonté exprimée dans les accords conclus avec ces organisations. Bien que nous n’ayons pas encore eu de cas de mise en œuvre de ces dispositions, nous pensons qu’elles sont liées entre elles.
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Oui, la jurisprudence constitutionnelle s’est prononcée sur le statut de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette Convention a un statut constitutionnel. Dans certaines décisions la jurisprudence constitutionnelle se réfère au droit de l’UE et à l’Accord de stabilisation – association.
2. Influences sur le constituant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
L’influence internationale sur l’élaboration de la Constitution se manifeste à travers :
- L’expertise apportée par les organismes internationaux, tels que la Commission de Venise, dans la phase de rédaction de la Constitution en 1998 et lors des révisions et des amendements constitutionnels en 2008.
- La référence que la Cour fait aux meilleures pratiques jurisprudentielles au niveau européen et au-delà.
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
Particulièrement, dans le domaine des droits et libertés fondamentales de l’homme et les principes fondamentaux constitutionnels.
3. Compétences de la cour
Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?
Oui.
Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?
Oui. La Cour applique directement la Convention européenne des droits de l’homme et les traités internationaux ratifiés (article 116).
Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
La Cour applique uniquement des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et des traités internationaux ratifiés par le Parlement.
4. Situations de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?
Dans la pratique constitutionnelle il n’y a pas eu de situations de conflit de ce genre.
Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
Voir ci-dessus.
La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
Voir ci-dessus.
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
Oui, la Constitution prévoit la protection des droits consacrés par la Convention.
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
La Constitution a incorporé la CEDH dans l’ordre interne constitutionnel et la considère comme un standard qui ne peut pas être violé. En ce sens, la Convention et la jurisprudence de Strasbourg, concernant la limitation des droits de l’homme, ont la priorité.
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?
Voir ci-dessus.
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
Voir ci-dessus.
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
La Cour se réfère expressément aux instruments internationaux.
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?
Voir ci-dessus.
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?
En tant que État membre de l’Union européenne, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’Albanie est obligatoire à être mise en œuvre.
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
Oui, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme influence notre Cour au sujet des droits à un procès équitable. Cette influence est en croissance en raison du renvoi de plus en plus fréquent dans les tribunaux supérieurs.
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
Oui. Le cas de l’interprétation des aspects du procès équitable et des standards à la lumière des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (articles 6, 13).
Conseil constitutionnel d’Algérie
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de la Constitution et hiérarchie des normes
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
Le préambule prévoit que la Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple et confère la légitimité à l’exercice des pouvoirs.
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
Non.
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
Non.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
Non, par contre, il fait partie du contexte de la Constitution lors de l’interprétation de la norme constitutionnelle.
Le Conseil constitutionnel a considéré dans son avis relatif au projet de révision constitutionnelle, que l’amazighité (langue nationale), une des composantes
fondamentales de l’identité nationale, est définie par le préambule de la Constitution.
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non.
Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
Non.
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
Oui, la Constitution prévoit que les traités ratifiés par le président de la République, dans les conditions prévues par celle-ci, sont supérieurs à la loi (article 132).
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
Aucune.
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
Oui, par contre sur le plan strictement juridique, il y a cette nécessité pour le pouvoir constituant d’adapter la norme suprême aux réalités socio-politiques nouvelles. Sa suprématie, tant qu’elle est garantie par un organe indépendant, ne saurait être affectée par son instabilité due à une fréquence des révisions constitutionnelles ; bien mieux, celles-ci pourraient être interprétées comme un signe de vitalité de la société.
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
Depuis la Constitution de 1989 certains ajustements ont été apportés sans porter atteinte aux principes fondamentaux considérés comme des constantes.
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
Le constituant algérien a prévu, toutefois, que toute modification de la Constitution ne doit porter atteinte aux matières immuables prévues à l’article 178.
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
Oui.
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
Oui.
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
Non, la légitimité du contrôle de constitutionnalité, exercé par un organe disposant d’un statut constitutionnel, n’a jamais été contestée.
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
Le président de la République est le garant de la Constitution (Article 70).
Il saisit le Conseil constitutionnel aux côtés des deux autres autorités de saisines, en l’occurrence les présidents des deux assemblées, des catégories de textes juridiques, expressément énumérées dans la Constitution ; le président est tout aussi habilité en vertu d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel de faire valoir cette qualité, pour saisir le Conseil pour avis interprétatif des dispositions.
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
Oui, les décisions et les avis du Conseil constitutionnel s’imposent à tous. En effet et en vertu de l’article 169 : « Lorsque le Conseil constitutionnel juge qu’une disposition législative ou réglementaire est inconstitutionnelle, celle-ci perd tout effet du jour de la décision du Conseil ».
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
La jurisprudence du Conseil se réfère, en outre, à des principes généraux qui ne sont pas forcément formulés dans le texte de la Constitution. Ces principes sont contenus dans le préambule, comme norme de référence. 7e CONGRÈS DE L’ACCPUF 230 La jurisprudence du Conseil puise des principes fondamentaux de la protection des droits de l’homme et les libertés fondamentales à partir des instruments internationaux.
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
Non.
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
Le constituant a doté le Conseil constitutionnel de larges prérogatives puisqu’il exerce un contrôle a priori et un contrôle a posteriori d’un nombre important de textes juridiques (lois organiques, règlements des assemblées). Cependant, les limites de ce contrôle sont dues au caractère facultatif et limitatif de la saisine.
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
Actuellement, le contrôle est efficace, mais l’objectif est d’aller vers plus de pratique démocratique pour permettre l’élargissement de la saisine, à titre d’exemple un avant-projet a été soumis pour débat qui prévoit, entre autres, la saisine du Conseil constitutionnel par un groupe minoritaire au Parlement.
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
Le Conseil constitutionnel interprète à partir du texte et du contexte de la Constitution en prenant en compte l’objet et le but sans perdre de vue la réalisation des objectifs du Conseil constitutionnel notamment la réalisation de l’État de droit.
L’autre aspect de sa démarche jurisprudentielle consiste à amener le législateur à reprendre la terminologie consacrée par la Constitution. En outre, il a établi dans ses règles de fonctionnement, qu’il peut tendre son appréciation aux dispositions pour lesquelles il n’a pas été saisi s’il constate que celles-ci ont un lien avec les dispositions soumises à son contrôle.
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
Oui, le Conseil a progressivement renforcé son contrôle notamment en matière d’élections, en recourant à l’outil informatique et en créant un centre d’étude et de recherche constitutionnelles en son sein.
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
Tout à fait, les décisions du Conseil ont contribué à la mise en place du système institutionnel créé par la Constitution de manière effective.
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
Non, le Conseil constitutionnel n’a pas rencontré de difficultés quant à l’effectivité de la Constitution.
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
Le système algérien soumet l’intégration des normes de droit international à une procédure constitutionnelle. Celle-ci prévoit que les accords d’armistice, les traités de paix, d’alliances et d’union, les traités relatifs aux frontières de l’État, ainsi que les traités au statut des personnes et ceux entraînant des dépenses non prévues au budget de l’État, soient ratifiés par le président de la République, après leur approbation expresse par chacune des chambres du Parlement (article 131).
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
Le Conseil constitutionnel a comme mission principale le contrôle de constitutionnalité sur la base de la hiérarchie normative qui donne la primauté à la Constitution.
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?
Nous considérons que la souveraineté des États est toujours un élément essentiel dans les relations interétatiques. Il est donc trop tôt de parler de droit international.
Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
En pratique un dualisme prudent avec primauté de droit fondamental national.
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non.
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Oui, mais en complément d’argumentation et non pas comme fondement principal.
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la valeur, ni sur la hiérarchie, par contre il a évoqué les conventions relatives à la protection des droits de l’homme dans la première décision de 1989.
2. Influences sur le constituant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
L’environnement international a toujours eu un effet sur le plan interne, il est tout à fait normal que les rédacteurs de la Constitution prennent en ligne de compte les principes universels et les arrangements régionaux.
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
- Droits fondamentaux.
- L’évolution de la gouvernance.
3. Compétences de la cour
Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?
Non.
Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?
Le Conseil s’est référé, dans sa jurisprudence, à titre subsidiaire, aux traités ratifiés par l’Algérie.
Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
Le Conseil constitutionnel applique les principes fondamentaux consacrés dans la Constitution algérienne relatifs à la protection des droits de l’homme et qui ont une origine internationale.
4. Situations de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?
Le problème ne s’est pas posé.
Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
Aucun cas.
La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
Non.
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
Oui, la Constitution garantit la protection des droits et des libertés similaires aux dispositions internationales dans les domaines des libertés fondamentales, en particulier.
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?
Non.
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
Aucun cas rencontré.
5. Influence sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
Le Conseil constitutionnel saisi du Code électoral, s’est référé explicitement, aux instruments juridiques que l’Algérie a ratifiés et auxquels elle a adhéré, à savoir les pactes des Nations unies et la Charte africaine des droites de l’homme et des peuples.
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?
Non.
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion d’aborder cette question.
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion d’aborder cette question.
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion d’aborder cette question.
III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?
Non.
-
[1]
Cette notion exprime que l’appréciation, si les décisions de la majorité sont correctes, est soumise à une réserve fondamentale : savoir si ces décisions sont conformes à la constitution. W. Hassemer, Démocratie constitutionnelle (Ustavna demokracija), Pravnik, 4-5/2003, p. 214. [Retour au contenu] -
[2]
Les compétences fondamentales de la CC sont déterminées à l’article 160 de la Constitution de la République de Slovénie (JO RS nos 33/91-I, 42/97, 66/2000, 24/03, 69/04, 68/06 et 47/13 – ci-après : la Constitution). [Retour au contenu] -
[3]
Comme la CC l’a déjà indiqué dans sa décision no U-I-163/99 du 23 septembre 1999 (JO RS no 80/99 et OdlUS VIII, 209 ; les décisions importantes de la CC sont disponibles également en anglais et publiées sur le site web de la CC <www.us-rs.si>). [Retour au contenu] -
[4]
Dans la Constitution, le terme « ratification » est employé dans deux sens différents. D’un côté lorsqu’il fixe les compétences du président de la République (article 107/I, délivrance des actes de ratification), il s’agit de l’acte de ratification qui est un acte juridique international (dans le sens du point b) de l’article 2/I de la Convention de Vienne sur le droit des traités) par lequel l’État accepte que le traité devienne internationalement contraignant pour lui. De l’autre, les articles 8, 153/II et 160/I concernent la ratification comme acte juridique interne : l’approbation du traité et l’adaptation de la législation permettant au traité de produire ses effets en droit interne – lorsque le parlement autorise la ratification du traité par une loi spéciale qui en Slovénie est appelée loi de ratification (voir l’avis de la CC no Rm-1/97 du 5 juin 1997, JO RS no 40/97 et OdlUS VI, 86). [Retour au contenu] -
[5]
Cette expression désigne les règlements exécutifs du gouvernement et des ministres, ainsi que les règlements des collectivités locales. Ces derniers règlent les affaires locales qui concernent les habitants de la municipalité et qui relèvent de la compétence de la municipalité. Il s’agit de compétences dites originaires de la municipalité qui puise directement de la Constitution (article 140/I) le fondement permettant la réglementation normative de ces affaires. [Retour au contenu] -
[6]
La Loi sur les affaires étrangères (JO RS nos 45/01 et suivantes) détermine quels traités sont ratifiés par le gouvernement ; ils sont notamment limités à l’exécution de sa compétence dans l’ordre juridique interne, aux traités nécessaires pour l’application des traités déjà signés ou des actes contraignants des organisations internationales, ainsi qu’à la réglementation des relations diplomatiques et consulaires (article 75/IV). [Retour au contenu] -
[7]
La CC l’a indiqué dans son avis no Rm-1/97. Un argument en faveur de la primauté de la Constitution est aussi la possibilité d’appréciation a priori de la constitutionnalité d’un traité avant son incorporation dans l’ordre juridique interne. [Retour au contenu] -
[8]
Dans ce contexte, la récente doctrine juridique ne parle plus d’approche moniste ou dualiste concernant le rapport entre le droit international des traités et le droit interne, mais elle parle « d’incorporation ad hoc des règles internationales ». En se référant à la différence d’incorporation législative d’A. Cassese sur l’incorporation ad hoc légale et sur l’incorporation ad hoc automatique, Mme Škrk, ancienne juge et vice-présidente de la CC, place la procédure slovène dans l’incorporation ad hoc automatique. Voir M. Škrk, La relation entre le droit international et le droit interne dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (Odnos med mednarodnim pravom in notranjim pravom v praksi Ustavnega sodišča), Pravnik 6-8/2007, p. 279-280. [Retour au contenu] -
[9]
Cf. ordonnance de la CC no U-I-197/97 du 21 mai 1998 (OdlUS VII, 93). [Retour au contenu] -
[10]
Ceci peut être déduit de l’Ordonnance no U-I-376/02 du 24 mars 2005 (JO RS no 46/05 et OdlUS XIV, 17), dans laquelle la CC a refusé de contrôler la légalité d’un traité ratifié par décret gouvernemental. La CC a expressément admis la possibilité que la loi et le traité ratifié par décret du Gouvernement pouvaient présenter une non-conformité mutuelle et elle a spécifiquement indiqué que dans un tel cas, elle ne se prononcerait sur le traité que dans le cas où il s’agirait d’une non-conformité mutuelle qui violerait les principes de l’État de droit de l’article 2 de la Constitution. Même la conformité entre les lois n’est contrôlée par la CC que si des dispositions légales s’opposent à ce point les unes aux autres (sont en antinomie) que cela pourrait porter atteinte aux principes de l’État de droit. Voir, par exemple, la décision no U-I-299/96 du 12 décembre 1996 (JO RS no 5/97 et OdlUS V, 177). [Retour au contenu] -
[11]
De cette manière, la CC a modifié sa prise de position de la décision no U-I-147/94 du 30 novembre 1995 (JO RS no 3/96 et OdlUS IV, 118), dans laquelle elle estimait que la position du traité ratifié par le décret gouvernemental en cause était inférieure à la Constitution et la loi. [Retour au contenu] -
[12]
Le contraire était exposé dans l’opinion concordante de la juge Mme Škrk dans l’ordonnance no U-I-376/02. [Retour au contenu] -
[13]
Voir A. Graseli, Commentaire à l’article 8 (Komentar k členu 8), dans : L. Šturm (réd.), Commentaire de la Constitution de la République de Slovénie (Komentar Ustave Republike Slovenije), Fakulteta za podiplomske državne in evropske študije, Ljubljana 2002, p. 141. Selon Mme Škrk, il faut chercher le sens de ces principes dans le droit international. Parmi eux, elle mentionne les principes généraux du droit international au sens strict du terme (les principes du droit international strictu sensu comme, par exemple, le principe d’accomplissement des obligations internationales in bona fide), les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées (comme, par exemple, lex certa, res iudicata) et les règles du droit international coutumier. M. Škrk, op. cit., p. 282-283. [Retour au contenu] -
[14]
M. Škrk, La conformité des lois avec les principes généraux du droit international (Skladnost zakonov s splošnimi načeli mednarodnega prava), Podjetje in delo, 6-7/2012, p. 1106. En fait, la question de l’éventuelle valeur supraconstitutionnelle des principes généraux de droit n’a pas encore été expressément traitée par la CC, tandis que la Cour suprême de la République de Slovénie a adopté un point de vue directement opposé à celle présentée dans la doctrine juridique. À savoir : la Cour suprême est d’avis que les principes du droit international (et du droit international coutumier) font partie de l’ordre juridique slovène s’ils ne sont pas contraires à la Constitution ; cette opinion a été présentée par la Cour suprême dans le jugement no II Ips 55/98 du 9 octobre 1998 et aussi dans le jugement no II Ips 449/2007 du 10 janvier 2008. [Retour au contenu] -
[15]
Voir E. PetriÍ, Politique étrangère, les bases de la théorie et de la pratique (Zunanja politika, osnove teorije in prakse), Znanstvenoraziskovalni institut Slovenske akademije znanosti in umetnosti, Ljubljana 2010, p. 214. [Retour au contenu] -
[16]
L’ancien juge et vice-président de la CC, M. RibiÍiÍ indique que dans le domaine des droits de l’homme on ne devrait pas parler de règles « supérieures » et « inférieures », mais de leur équivalence mutuelle et de leur concurrence ; pour cette raison, la règle qui du point de vue du niveau de protection du droit de l’homme concerné est la plus exigeante devrait être utilisée. C. RibiÍiÍ, Droit européen des droits de l’homme, Les chapitres sélectionnés (Evropsko pravo človekovih pravic, Izbrana poglavja), Pravna fakulteta v Ljubljani, Ljubljana 2007, p. 111. [Retour au contenu] -
[17]
Cela ne se produit qu’exceptionnellement, car la Constitution slovène contient un large catalogue des droits de l’homme et elle assure parfois un niveau de protection des droits de l’homme plus élevé que les instruments internationaux. Par exemple, le droit de recours et de ce fait le droit au contrôle de toutes les questions de fait et de droit devant la juridiction d’instance est assuré par l’article 25 de la Constitution à l’encontre de toute décision d’une autorité d’État ou locale ou d’un détenteur de mandats publics. [Retour au contenu] -
[18]
La CC dans l’ordonnance no Up-43/96 du 30 mai 2000 (OdlUS IX, 141). [Retour au contenu] -
[19]
Toutefois, la doctrine constitutionnelle parle de l’article dit « européen ». Voir F. Grad, Droit européen constitutionnel, première partie, Droit constitutionnel de l’Union Européenne (Evropsko ustavno pravo, prvi del, Ustavno pravo Evropske unije), Uradni list Republike Slovenije, Ljubljana 2010, p. 197. [Retour au contenu] -
[20]
F. Grad, op. cit., p. 199. Le même avis est émis aussi par M. Cerar qui considère les valeurs de l’article 3a /I de la Constitution comme une sorte de garantie, mais ne leur attribue pas une valeur telle qu’il serait possible de rejeter sur leur base l’application des actes individuels ou des dispositions de la législation primaire ou dérivée de l’UE qui serait contraire à la Constitution. À son avis, tant que l’UE sera basée sur ces valeurs, les autorités de l’État et les autres sujets doivent systématiquement observer l’ordre juridique de l’UE précisément à cause de l’article 3a/ III ; voir M. Cerar, Commentaire au premier paragraphe de l’article 3a (Komentar k prvemu odstavku člena 3a), dans : L. Šturm (réd.), op. cit., 2011, p. 78. [Retour au contenu] -
[21]
Il en découle ainsi également des arrêts de la Cour de justice de l’UE ; voir les arrêts de la Cour dans l’affaire Costa c/ ENEL du 15 juillet 1964, 6/64, ECR 585, dans l’affaire Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970, 11/70, ECR 1125, et dans l’affaire Tanja Kreil du 11 janvier 2000, C-285/98, ECR I-69. Voir aussi les arrêts de la Cour de justice de l’UE dans les affaires Melloni c/ Ministerio Fiscal du 26 fevrier 2013, C-399/11, et Åklagaren c/ Åkerberg Fransson du 26 février 2013, C-617/10. Voir aussi V. Trstenjak, M. Brkan, Droit de l’UE, Droit constitutionnel, procédural et économique de l’UE (Pravo EU, Ustavno, procesno in gospodarsko pravo EU), GV Založba, Ljubljana 2012, p. 209-211. [Retour au contenu] -
[22]
S. Nerad, La réception du droit de l’Union européenne dans le droit constitutionnel national : La Cour constitutionnelle entre le droit de l’Union européenne et la Constitution (Recepcija prava Evropske unije v nacionalno ustavno pravo : Ustavno sodišče med pravom Evropske unije in Ustavo), dans : I. KauÍiÍ (réd.), Importance de la constitutionnalité et démocratie constitutionnelle, Actes scientifiques Vingt ans de la Constitution de la République de Slovénie (Pomen ustavnosti in ustavna demokracija, Znanstveni zbornik Dvajset let Ustave Republike Slovenije), Ustavno sodišÍe Republike Slovenije, Ljubljana 2012, p. 383. Voir aussi la Décision de la CC no U-I-146/12 du 14 novembre 2013 (JO RS no 107/13). [Retour au contenu] -
[23]
En rapport à cela, cf. J. Sovdat, La Cour constitutionnelle de la République de Slovénie et le droit de l’Union européenne (The Constitutional Court of the Republic of Slovenia and European Union Law), Hrvatska i komparativna javna uprava, 3/2013, p. 902-905 et 916-918. [Retour au contenu] -
[24]
M. Avbelj, La suprématie ou la primauté du droit de l’UE – (Pourquoi) Est-ce que c’est important ? (Supremacy or Primacy of EU Law – (Why) Does it Matter ?), European Law Journal, 17/2011, p. 758-763. [Retour au contenu] -
[25]
Voir aussi les articles 43 et 45/III de la loi sur la Cour constitutionnelle, JO RS nos 64/07 – texte officiel consolidé et 109/12, ci-après : la LCC. [Retour au contenu] -
[26]
Voir aussi l’article 45/II de la LCC. [Retour au contenu] -
[27]
Voir l’article 48 de la LCC [Retour au contenu] -
[28]
Article 59/I de la LCC. [Retour au contenu] -
[29]
Voir, par exemple, la décision no U-I-50/09, Up-260/09 du 18 mars 2010 (JO RS no 29/10 et OdlUS XIX, 2). [Retour au contenu] -
[30]
Article 60/I de la LCC. [Retour au contenu] -
[31]
C’est dans cette dernière catégorie que la CC place la Déclaration universelle des droits de l’homme ; voir l’ordonnance no Up-490/03 du 22 mars 2005. [Retour au contenu] -
[32]
Le deuxième paragraphe de l’article 22 de la LCC détermine que le contrôle de constitutionnalité dans tous les cas comprend aussi un contrôle de conformité avec le droit international. [Retour au contenu] -
[33]
La CC a statué ainsi déjà dans la décision no U-I-147/94 du 30 novembre 1995 (JO RS no 3/96 et OdlUS IV, 118), et aussi dans l’avis no Rm-1/97. [Retour au contenu] -
[34]
Voir l’avis no Rm-1/97. [Retour au contenu] -
[35]
Ibidem. [Retour au contenu] -
[36]
Le contenu de la demande est déterminée, en conformité avec l’article 24b de la LCC, dans l’annexe au Règlement intérieur de la CC (JO RS nos 86/07 et autres). Voir aussi l’avis no Rm-1/09 du 18 mars 2010 (JO RS no 25/10 et OdlUS XIX, 12). [Retour au contenu] -
[37]
Voir, par exemple, l’ordonnance no Rm-1/01 du 14 juin 2001 (OdlUS X, 120). [Retour au contenu] -
[38]
Voir l’avis no Rm-1/97. [Retour au contenu] -
[39]
Ibidem. [Retour au contenu] -
[40]
Dans la majorité de cas, il s’agissait des avis sur la constitutionnalité des traités conclus avec la Croatie, l’État voisin. Par l’avis no Rm-1/00 du 19 avril 2001 (JO RS no 43/01 et OdlUS X, 78), la CC s’est prononcée sur la constitutionnalité des dispositions individuelles de l’accord relatif au trafic frontalier et à la coopération avec cet État ; par l’avis no Rm-2/02 du 5 décembre 2002 (JO RS no 117/02 et OdlUS XI, 246), la CC s’est prononcée sur la constitutionnalité des dispositions individuelles du contrat relatif à la régulation des relations portant sur le statut et autres rapports juridiques liés aux investissements dans la Centrale nucléaire de Krško, à son exploitation et à son démantèlement ; alors que l’avis no Rm-1/09 touchait à l’accord d’arbitrage entre les gouvernements des deux États par lequel un mécanisme a été convenu pour résoudre le litige frontalier entre les deux pays. [Retour au contenu] -
[41]
Avis du 19 novembre 2003 (JO RS no 118/03 et OdlUS XII, 89). [Retour au contenu] -
[42]
La CC a statué ainsi dans la décision no U-I-312/00 du 23 avril 2003 (JO RS no 42/03 et OdlUS XII, 39). Cela vaut également pour la CC lorsqu’elle exerce ses compétences. [Retour au contenu] -
[43]
Cela découle déjà de la décision no U-I-147/94. Si cet acte (une loi ou un décret) n’existe pas, le traité ne peut pas devenir partie intégrante de l’ordre juridique interne et, dans un tel cas, la CC n’est pas compétente pour le contrôler. Ainsi, dans l’ordonnance no U-I-128/98 du 23 septembre 1998 (OdlUS VII, 173), lorsque l’objet de contrôle devant la CC était un traité conclu entre les ministères de la défense des deux États, la CC ne s’est pas estimée compétente pour le contrôler, parce que ledit traité n’avait été ratifié ni par une loi ni par un décret. [Retour au contenu] -
[44]
Voir aussi l’ordonnance de la CC no U-I-128/98. [Retour au contenu] -
[45]
Comme indiqué par la CC dans l’ordonnance no U-I-197/97 du 21 mai 1998 (OdlUS VII, 93). [Retour au contenu] -
[46]
L’annulation de la loi de ratification avant que le traité entre en vigueur au niveau international aurait empêché son incorporation dans l’ordre juridique interne. [Retour au contenu] -
[47]
La CC l’a indiqué ainsi déjà dans l’Avis no Rm-1/97. [Retour au contenu] -
[48]
Dans l’avis no Rm-1/97, la CC s’est référée au principe du droit international pacta sunt servanda et aux dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui requièrent l’accomplissement des traités in bona fide. [Retour au contenu] -
[49]
Dans le premier cas, par la décision no U-I-147/94, la CC a contrôlé l’accord relatif aux pensions des retraités militaires passé avec l’État voisin la Croatie, et dans le deuxième cas, par la décision no U-I-180/10 du 7 octobre 2010 (JO RS no 6/11), l’accord d’arbitrage, également avec la Croatie, relatif à la mise en place du mécanisme pour la résolution du litige frontalier entre les deux États. Cet accord a d’abord fait objet de contrôle a priori de la constitutionalité du traité, puis de contrôle à travers la loi de ratification à partir de la demande formulée par un tiers de députés de l’opposition. [Retour au contenu] -
[50]
La CC décide sur les recours constitutionnels après épuisement de toutes les voies de recours judiciaires, de façon qu’elle décide sur les recours constitutionnels à l’encontre des décisions de la Cour suprême de la République de Slovénie lorsque les voies de recours extraordinaires sont admises devant cette Cour, et sinon à l’encontre de décisions des cours d’appel. Voir les articles 50 à 53 de la LCC. [Retour au contenu] -
[51]
La CC l’a indiqué ainsi déjà dans la décision no Up-3/97 du 15 juillet 1999 (OdlUS VIII, 291). [Retour au contenu] -
[52]
Décision no Up-402/12, U-I-86/12 du 5 juillet 2012 (JO RS no 55/12). [Retour au contenu] -
[53]
Décision du 3 mars 2011 (JO RS no 22/11). [Retour au contenu] -
[54]
Ordonnance du 20 mai 2008 (JO RS no 59/08 OdlUS XVII, 41). [Retour au contenu] -
[55]
Dans la Décision no Up-207/99 du 4 juillet 2002 (JO RS no 65/02 et OdlUS XI, 266) elle a indiqué que le droit de l’accusé d’interroger les témoins à charge n’est pas expressément mentionné dans la Constitution, par conséquent il faut appliquer directement le point d) de l’article 6/III de la Convention sur la base de l’article 8 de la Constitution. La CC a statué de la même façon aussi dans la décision no Up-518/03 du 19 janvier 2006 (JO RS no 11/06 et OdlUS XV, 37). [Retour au contenu] -
[56]
Dans la décision no Up-719/03 du 9 mars 2006 (JO RS no 30/06 et OdlUS XV, 41), la CC a déjà inclus ledit droit à la violation du droit à la défense inscrit dans l’article 29 de la Constitution et indiqué que la violation dudit droit de la Convention implique également une violation du droit à la défense. La CC a décidé de même aussi dans la décision no Up-754/04 du 14 septembre 2006. [Retour au contenu] -
[57]
Décision du 21 juin 2012 (JO RS no 52/12). [Retour au contenu] -
[58]
Dans sa décision no U-I-425/06 du 2 juillet 2009 (JO RS no 55/09 et OdlUS XVIII, 29), elle a contrôlé la constitutionnalité des règles concernant l’enregistrement de partenariat d’un couple homosexuel. La CC a indiqué que l’orientation sexuelle, bien qu’elle n’y soit pas expressément citée, est sans aucun doute une des situations émises dans l’article 14/I de la Constitution qui interdit la discrimination. Elle a soutenu son point de vue aussi par le fait que même la CEDH considère l’orientation sexuelle comme une circonstance sur la base de laquelle il est interdit de discriminer, bien qu’elle ne figure pas parmi les circonstances expressément citées dans l’article 14 de la Convention. [Retour au contenu] -
[59]
En examinant si l’assignation à domicile représente une limitation de la liberté de mouvement ou une limitation du droit à la liberté personnelle, la CC a constaté que ni la Constitution ni la Convention ne contiennent des dispositions particulières à ce sujet. Dans la décision no Up-286/01 du 11 décembre 2003 (JO RS no 2/04 et OdlUS XII, 114) la CC a décidé que par son intensité et son mode d’exécution il s’agit d’une limitation telle des droits de l’homme qu’elle représente une limitation de la liberté personnelle. Afin d’affirmer une telle prise de position, elle s’est référée aux jugements de la CEDH par lesquels cette dernière s’est prononcée sur la délimitation entre la limitation de la liberté personnelle et celle de la liberté de mouvement. [Retour au contenu] -
[60]
Décision no U-I-65/05 du 22 septembre 2005 (JO RS no 92/05 et OdlUS XIV, 72). [Retour au contenu]
Tribunal constitutionnel d’Andorre
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. STATUT DE LA CONSTITUTION ET HIÉRARCHIE DES NORMES
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
Le peuple andorran a adopté sa Constitution en 1993 en tant que norme suprême de l’ordre juridique, elle organise le fonctionnement de son État démocratique et s’impose aux pouvoirs publics et aux citoyens. Elle jouit par conséquent d’une suprématie qui ne peut être dérogée par aucun autre texte, cette suprématie est attribuée par l’alinéa premier de son article 3 : « La présente Constitution, qui est la norme suprême de l’ordre juridique andorran, lie tous les pouvoirs publics et les citoyens. »
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
L’alinéa 2 de l’article 3 de la Constitution indique les principes généraux du système juridique, parmi eux est garanti expressément le principe de la hiérarchie des normes qui permet d’établir l’ordre d’application des normes juridiques et le critère pour régler les éventuelles contradictions entre les normes d’un rang différent.
Article 3 § 2 : « La Constitution garantit les principes de légalité, de hiérarchie et de publicité des normes juridiques, de non rétroactivité des dispositions restrictives des droits individuels, ayant un effet défavorable ou établissant une peine plus sévère, ainsi que ceux de sûreté juridique et de responsabilité des pouvoirs publics et d’interdiction de tout arbitraire. »
Et son titre II (sur les droits et les libertés) établit des principes généraux tels que l’intangibilité de la dignité humaine, et, par conséquent, la Constitution garantit les droits inviolables et imprescriptibles de la personne, qui constituent le fondement de l’organisation politique, de la paix sociale et de la justice (article 4).
La Constitution a reconnue que la Déclaration universelle des droits de l’homme fait partie de l’ordre juridique andorran (article 5) et que toutes les personnes sont égales devant la loi, que nul ne peut faire l’objet d’une discrimination, notamment pour des raisons de naissance, de race, de sexe, d’origine, de religion, d’opinion ou de toute autre condition tenant à sa situation personnelle ou sociale (article 6.1) et elle ajoute qu’il appartient aux pouvoirs publics de créer les conditions pour que l’égalité et la liberté des individus soient réelles et effectives (article 6.2).
La Constitution avait prévu dans ses dispositions transitoires l’élaboration urgente de certaines lois qualifiées (organiques) pour développer son contenu : celles relatives au régime électoral, aux compétences et au financement des Comuns, à la Justice et au Tribunal constitutionnel.
Le Tribunal constitutionnel, dans son arrêt du 6 juin 1994, affaire 94-1-L, expose que « il ne faut pas oublier que tous les articles de la Constitution, en incluant ceux des dispositions transitoires, ont la même hiérarchie et le même rang, bien que potentiellement ils peuvent avoir une efficacité différente selon leur contenu normatif, du fait de leur situation systématique et, même, par rapport au cas concret auquel ils s’appliquent. Partant, il n’y a pas des normes supérieures ou inférieures dans le texte constitutionnel et, lorsqu’il y aurait une contradiction apparente entre deux de ces normes, il appartient à l’interprète, et en dernière instance, au Tribunal constitutionnel, de trouver sa place et sa cohérence. »
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
La Constitution établit différents types de normes législatives qui se distinguent en fonction de la matière dont elles traitent et de la procédure qu’il faut suivre pour les adopter (par exemple une loi qualifiée requiert une majorité plus élevée pour être adoptée).
Selon son article 40, les règles concernant l’exercice des droits inscrits au titre II (sur les droits et les libertés) ne peuvent être fixées que par une loi. Les droits reconnus aux chapitres III (sur les droits fondamentaux de la personne et des libertés publiques) et IV (sur les droits politiques des andorrans) relèvent de la loi qualifiée.
L’article 57 de la Constitution et l’article 112 du règlement du Conseil général (Parlement) signalent que les lois qualifiées prévues par la Constitution sont adoptées à la majorité absolue des membres du Conseil général, à l’exception, selon l’article 57.3 de la Constitution, de celles concernant le régime électoral et le référendum, les compétences des Comuns (organes d’autogouvernement, de représentation et d’administration des paroisses) et les transferts de ressources à ceux-ci, qui exigent, pour leur approbation, la majorité absolue des conseillers élus en circonscription paroissiale ainsi que celle des conseillers élus en circonscription nationale.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
Le préambule de la Constitution est assez court et énonce une généralité de règles qui seront par la suite développées dans le texte constitutionnel qu’il précède. On peut dire qu’il le présente, qu’il s’agit d’une introduction avec des règles imprécises, mais il fait, néanmoins, partie intégrante de la Constitution (affaire 97-1-L, arrêt du 12 mai 1997). Le Tribunal constitutionnel n’a pas eu à se prononcer sur sa valeur juridique car celle-ci n’a jamais été mise en cause.
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
La Constitution est la norme suprême de l’ordre juridique andorran (son article 3), aucune autre norme de droit interne n’est supérieure à elle. Sa suprématie est d’autant plus évidente car aucune norme ne peut la contredire, toutes les normes ainsi que les traités et les conventions signées par l’État ne doivent pas contenir des dispositions contraires à la celle-ci. Pour que ceci ne puisse pas se produire, il existe des contrôles préalables de constitutionnalités des lois ou des normes ayant force de loi et des traités et accords internationaux. L’arrêt 12 juillet 1996, affaire 96-3-RE, parle de la primauté de la Constitution par rapport à d’autres normes ou encore la décision du 18 octobre 2005, affaire 2005-32-RE.
Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
La Constitution andorrane a instauré un régime juridique de libertés et de droits fondamentaux, avec des mécanismes obligatoires pour sa garantie. Dans son article 3 elle déclare que « L’Andorre incorpore à son ordre juridique les principes de droit international public universellement reconnus » et dans son article 5 elle intègre la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948. La Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales fut ratifiée par le Conseil général le 21 novembre 1995, et elle fait partie intégrante du droit interne, comme le prévoit l’article 3.4 de la Constitution selon lequel les traités et les accords internationaux s’intègrent dans l’ordre juridique andorran dès leur publication au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre, et ne peuvent être modifiés ou abrogés par la loi. Ces traités et conventions ne font pas partie du bloc de constitutionnalité et, de ce fait, ne sont pas un paramètre direct du contrôle de constitutionnalité des autres dispositions. Il n’existe dans la Constitution andorrane une quelconque disposition qui oblige à interpréter les textes, surtout ceux concernant les droits, conformément à ces traités ; cependant, dans la pratique, les traités, notamment tous ceux qui font référence aux droits inscrits dans la Constitution, sont constamment utilisés par le Tribunal constitutionnel (pour l’éclairer) lorsqu’il s’agit d’interpréter le contenu du texte constitutionnel, spécialement, dans le domaine des droits fondamentaux.
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
Comme il a été dit ci-dessus la Constitution est la norme suprême de l’ordre juridique andorran et aucune autre norme prime sur elle. La Déclaration universelle des droits de l’homme est en vigueur dans l’ordre juridique andorran ainsi que tous les traités et conventions ratifiés par l’État andorran, mais aucune source internationale ne bénéficie d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution. Les principes de droit international public universellement reconnus ont été également incorporés à l’ordre juridique andorran (article 3.3).
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
Selon l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 15 mars 1994, affaire 93-1-L, l’intégration des traités au droit interne constituerait une limitation de la souveraineté de l’État puisqu’ils s’imposent au législateur « Aux termes de l’article 3.3 de la Constitution”, “l’Andorre incorpore dans son ordre juridique les principes de droit international public universellement admis” ; cette disposition figure dans le Titre I que la Constitution consacre à la souveraineté de l’Andorre ; en conséquence, elle doit être interprétée comme limitant cette souveraineté et s’imposant au législateur ».
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
Sa suprématie est inscrite dans la Constitution elle-même (article 3). Sa stabilité signifie que sa double fonction (organisation des pouvoirs de l’État et l’établissement de la relation entre ces pouvoirs et les citoyens) a été bien comprise par tous les intervenants et s’adapte bien aux exigences du pays.
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
La Constitution a été adoptée le 28 avril 1993, après que le peuple l’ait acceptée par référendum, et jusqu’à présent elle n’a pas été modifiée.
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
Le Tribunal constitutionnel peut être consulté à propos de la conformité à la Constitution d’un traité international, si le traité s’avère non conforme à celle-ci l’État ne le signera pas ou le signera lorsque ce traité aura été modifié. Cependant, si dans l’intérêt du peuple andorran, les organes de l’État pensent que la signature du traité en l’état est indispensable, la modification de la Constitution pourrait s’avérer nécessaire.
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
Tous les organes constitutionnels respectent la Constitution, en tant que norme suprême. Cependant il est possible qu’il puisse exister une divergence d’interprétation concernant ce qui est conforme ou non conforme à cette norme et dans ce cas le Tribunal constitutionnel en est l’interprète suprême.
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
La place de la Constitution est unanimement reconnue, d’autant plus que tous les pouvoirs publics et tous les citoyens sont tenus de la respecter (article 3.1).
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
La légitimité du contrôle de constitutionnalité n’a jamais été contestée et les institutions et les organes compétents l’utilisent lorsqu’ils pensent qu’une loi est contraire à la Constitution.
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
Les pouvoirs publics ainsi que les citoyens sont liés par la Constitution (article 3.1) et donc ils sont tenus de la respecter. Tous leurs actes sont soumis à la loi et donc ils peuvent être contrôlés par la justice. Les juges des juridictions ordinaires sont soumis uniquement à la Constitution et à la loi et ils sont les premiers gardiens des droits fondamentaux des justiciables. Puisqu’ils appliquent la loi ils sont tenus de l’interpréter et ceci conformément à la Constitution. S’ils ont des doutes raisonnables et fondés sur la constitutionnalité d’une loi applicable à l’affaire qu’ils sont en train de juger, ils peuvent saisir le Tribunal constitutionnel d’une question préjudicielle d’inconstitutionnalité (article 100 de la Constitution).
Les rapports de toutes les institutions juridiques et judiciaires avec le Tribunal constitutionnel ont toujours été de respect et de cordialité.
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
Pour garantir la suprématie et l’application de la Constitution, le Tribunal constitutionnel est chargé d’être le gardien des mandats qu’elle contient. Il prend donc une place d’exception dans le cadre des institutions de l’État : il statue juridictionnellement sur la conformité à la Constitution des lois, des traités internationaux, des compétences exercées aussi bien par l’État que par les Comuns lorsqu’ils entrent en conflit et de l’efficacité des droits fondamentaux établis par la Constitution elle-même. Ainsi, le Tribunal est l’organe juridictionnel placé au sommet du contrôle de l’ordre juridique puisque celuici se trouve couronné par la loi constitutionnelle suprême. (Article 2 de la Loi qualifiée du Tribunal constitutionnel (LQTC) : 1. – La juridiction du Tribunal constitutionnel s’étend sur tout le territoire de l’État andorran, elle est supérieure dans son ordre et dans l’exercice de ses compétences définies par la Constitution et par cette loi, ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux particuliers et ses arrêts ont l’autorité de la chose jugée. 2. – La doctrine interprétative de la Constitution élaborée par le Tribunal devant fonder ses arrêts s’impose également aux divers organes de la juridiction ordinaire.)
Les précédents fixés par le Tribunal s’imposent au Tribunal lui-même, et le Tribunal a l’obligation de motiver toutes ses décisions. (Article 3 : 1. – Le Tribunal constitutionnel n’est soumis qu’à la Constitution et à la présente loi. Les précédents établis par le Tribunal constituent des critères d’interprétation qui s’imposent au Tribunal, mais ils peuvent être modifiés par une décision motivée prise à la majorité absolue de ses membres. 2. – Aux effets de l’alinéa ci-dessus, l’existence d’un précédent est présumée lorsque au moins deux cas identiques ont été résolus avec la même décision et ont pour fondement la même doctrine.)
Le Tribunal constitutionnel doit appliquer les mandats exprès de la Constitution, et il lui est interdit d’émettre des jugements dits interprétatifs. Il détermine des effets des décisions. Il lui est interdit d’effectuer des jugements d’opportunité politique et d’adresser des réprobations, des compliments ou des recommandations aux pouvoirs publics.
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
La jurisprudence constitutionnelle a reconnu l’existence d’un bloc de constitutionnalité, par exemple dans son arrêt du 23 juin 2006, affaire 2006-2-CC, il fait pour la première fois allusion à ce bloc, mais il ne le fait pas fréquemment « De ce fait, l’article 70 de la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel considère comme seul paramètre pour trancher le conflit, la Constitution et la ou les lois qualifiées d’octroi de compétences, constituées dans le bloc de constitutionnalité, mais non la législation ordinaire et l’article 75 de cette même loi qualifiée dispose que “la décision attribue la compétence litigieuse à l’une des parties”, mais n’étudie pas les questions de conformité à la Constitution des normes. La jurisprudence de ce Tribunal est nombreuse sur ces deux points. (…) Cependant, en appliquant l’article 70 de la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel, ci-dessus cité, le Tribunal doit trancher le conflit de compétences conformément au bloc de constitutionnalité, c’est-à-dire la Constitution et la loi qualifiée relative à la délimitation des compétences des communes. » Ou encore l’arrêt du 6 juillet 2007, affaire 2006-4-CC « Une chose est à qui appartient la compétence et une autre de bien différente son exercice. À partir du bloc de constitutionalité il est clair que les Communes exercent les compétences d’urbanisme et de gestion de leurs biens, mais dans la mise en œuvre de cet exercice elles doivent respecter des critères qui, avec une meilleure ou une moindre justesse ont été qualifiées “d’architecturaux et d’urbanistiques”, et qui sont le fruit de l’exercice légitime de l’État d’une compétence qui lui appartient. »
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
Pour l’instant, le Tribunal constitutionnel ne l’a pas fait.
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
Le Tribunal constitutionnel andorran contrairement à d’autres juges constitutionnels n’est pas juge du contentieux électoral, cette compétence appartient au juge ordinaire. Pour le reste, il est gardien de la Constitution et son objet est donc celui du contrôle de la constitutionalité des textes législatifs et réglementaires, des traités et accords internationaux, des conflits des compétences attribuées par la Constitution aux différents organes et il doit protéger les droits fondamentaux des individus.
Le Tribunal constitutionnel n’est pas un juge de cassation et donc il est compétent pour analyser seulement les aspects constitutionnels et pour vérifier si les décisions juridictionnelles qui lui sont soumises peuvent s’avérer absurdes ou arbitraires au sens de logiquement ou juridiquement déraisonnables (arrêt du 25 mai 2009, affaire 2009-24-RE).
Les limites de son contrôle sont essentiellement celles qui concernent les effets politiques de son rôle telles que il est tenu par sa jurisprudence, ces décisions doivent être motivées, il lui est interdit d’émettre des jugements dits interprétatifs, il lui est interdit d’effectuer des jugements d’opportunité politique et d’adresser des réprobations, des compliments ou des recommandations aux pouvoirs publics. Affaire 95-1-PI, arrêt du 3 avril 1995 « Le Tribunal ne peut, en aucun cas, faire des jugements d’opportunité ni de convenance, lesquels sont du ressort de la décision et de la responsabilité politique, mais il peut et doit faire des jugements de finalité, en évaluant la proportionnalité et l’adéquation des moyens employés. »
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
Le Tribunal constitutionnel est compétent pour contrôler directement la constitutionnalité des lois, des décrets pris en vertu d’une délégation législative et du règlement du Conseil général, pour contrôler les lois, les décrets législatifs et les règles ayant force de loi, quelle que soit la date de leur entrée en vigueur, par le biais d’une procédure incidente d’inconstitutionnalité soulevée par les tribunaux ordinaires au cours d’un litige lorsque ceux-ci ont des doutes raisonnables et fondés sur la constitutionnalité de la norme dont l’application est nécessaire pour la solution du litige, et pour contrôler des lois et des traités internationaux préalablement à leur promulgation.
La Constitution prévoit ces procédures aux articles 98 a) et b), 99, 100 et 101 et elles sont développées dans les chapitres II, III et V de la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel : le recours direct d’inconstitutionnalité (de l’article 45 à 51), le procès incident d’inconstitutionnalité introduit par les tribunaux ordinaires (de l’article 52 à 58), la procédure préalable de contrôle de la constitutionnalité des traités internationaux (de l’article 59 à 62) et la procédure d’avis préalable sur la conformité des lois à la constitution par demandé les coprinces (de l’article 63 à 68).
Le Tribunal constitutionnel est tenu dans ses décisions de ne répondre qu’aux questions ou qu’aux prétentions soumises par les parties (article 7.3 LQTC), c’est-à-dire qu’il lui est interdit de s’autosaisir d’une question d’inconstitutionnalité, même lorsqu’il a des doutes sur la conformité à la Constitution de tel ou tel article du texte.
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
Le Tribunal constitutionnel utilise des techniques d’interprétation strictement juridiques.
- La méthode grammaticale : par exemple dans l’arrêt du 9 mai 2002 rendu dans l’affaire 2001-23 et 25-RE, le Tribunal constitutionnel a considéré que le mot “sexe” auquel fait référence un article du Code Pénal, ne peut pas être assimilé à “orientation sexuelle” et il a déclaré non conforme à la Constitution son inclusion dans le type “attentat contre la dignité d’une personne pour des raisons de sexe” des déclarations relatives à l’homosexualité d’une personne.
- La méthode systématique, par exemple dans l’arrêt du 7 avril 2000, rendu dans l’affaire 99-1-L, lors d’un recours direct d’inconstitutionnalité contre une loi adoptée pour la création d’une société d’électricité dans lequel les requérants soutenaient que le Parlement avait outrepassé son pouvoir législatif, le Tribunal constitutionnel a déclaré que, puisqu’il y avait une absence de détermination expresse par la Constitution de la portée de ce pouvoir, il fallait avoir recours à l’analyse des fonctions attribuées par le texte constitutionnel aux autres organes constitutionnels de l’État ainsi qu’aux principes constitutionnels, parmi eux au principe de démocratie, et après avoir fait cette analyse systématique, il a conclu que l’exercice des fonctions non attribuées aux autres organes constitutionnels et, plus concrètement, la compétence pour émettre des lois singulière comme celle en cause dans cette affaire appartient au Parlement. D’autres exemples de l’utilisation de cette méthode : affaires 2000-3-RE, 2000-1-DP, 2001-1-L, 2003-15-RE, 2004-15-RE, 2007-9-RE, 2013-4 i 8-RE, 2013-35-RE ou 2014-2 i 4-RE.
- La méthode téléologique ou finaliste qui est constamment utilisée dans la délimitation du contenu et des limites des droits constitutionnels (affaires 95-4-RE, 98-4-RE, 2012-7-RE, 2014-30-RE ou 2014-2-PI).
- La méthode historique : le Tribunal utilise l’évolution des institutions objet de recours car en Andorre, certaines de ces instituions fondamentales ont une origine que remonte à l’époque médiévale, comme le rappelle la Constitution dans son préambule. Par exemple dans le domaine du droit privé et dans certains aspects très concrets du droit procédural, dans ces domaines la méthode historique est autant plus importante (la décision du 13 octobre 2000 dans l’affaire 2000-12-RE ou l’arrêt du 18 mai 2001 dans l’affaire 2001-3-RE).
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
Le Tribunal constitutionnel est soumis à la Constitution et à sa loi qualifiée et il doit respecter les mandats et les fonctions que ces textes lui ont octroyé. Le Tribunal constitutionnel andorran n’a jamais outrepassé ses fonctions.
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
Les pouvoirs jurisprudentiels n’ont pas évolué puisque la Constitution n’a pas été modifiée tout comme la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel, et il a toujours les mêmes fonctions et il est toujours soumis aux mêmes textes.
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
Le Tribunal constitutionnel andorran n’a pas rencontré de difficultés quant à l’effectivité de la Constitution, des grands revirements de jurisprudence ne se sont pas produits. Depuis sa création en 1993, le Tribunal constitutionnel a obtenu une grande acceptation aussi bien juridique que sociale. Les décisions du Tribunal constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et aux particuliers et ses arrêts ont l’autorité de la chose jugée. Les pouvoirs publics sont très respectueux avec les décisions du Tribunal constitutionnel, et jusqu’à présent, nous ne pouvons pas dire qu’il y a des obstacles pour la garantie de la suprématie, toutes les décisions ont été appliquées et portées à exécution sans aucune exception.
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
La Constitution est la norme suprême de l’ordre juridique andorran et aucune autre norme prime sur elle. La Déclaration universelle des droits de l’homme est en vigueur dans l’ordre juridique andorran ainsi que tous les traités et conventions ratifiés par l’État andorran, mais aucune source internationale ne bénéficie d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution. Les principes de droit international public universellement reconnus ont été également incorporés à l’ordre juridique andorran (article 3.3).
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
Le Tribunal ne s’est jamais prononcé sur cette distinction.
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?
Certes il existe un droit constitutionnel international ou européen.
Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
Selon l’article 3.4 « Les traités et les accords internationaux s’intègrent dans l’ordre juridique andorran dès leur publication au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre, et ne peuvent être modifiés ou abrogés par la loi. »
Le Tribunal constitutionnel a dit que l’intégration des traités au droit interne constituerait une limitation de la souveraineté de l’État puisqu’ils s’imposent au législateur (arrêt du 15 mars 1994, affaire 93-1-L). Mais depuis il ne s’est pas prononcé et donc il n’a pas une conception définie.
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non, comme nous avons dit ci-dessus, la Constitution est la norme suprême.
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Le Tribunal s’est prononcé fréquemment sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, et a considéré que bien que la Constitution les intègre dans le droit positif interne, il ne s’agit pas de normes constitutionnelles, mais ils peuvent, cependant, être utilisés comme instrument d’interprétation. Dans son arrêt du 25 mai 2007, affaire 2007-2- RE, le Tribunal constitutionnel, confirmant sa jurisprudence du 12 mai 2000 (affaire 2000-3-RE), a jugé à nouveau que « l’article 10 de la Constitution doit être interprété en tenant compte de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme car cette Convention fait partie de l’ordonnancement juridique andorran conformément à l’article 3, § 4, de la Constitution, bien qu’il ne s’agisse pas d’une norme constitutionnelle ». Dans plusieurs autres décisions, le Tribunal constitutionnel a également jugé que lorsque des principes ou règles découlant de la Constitution étaient analogues ou proches de ceux contenus dans la Convention, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme peut permettre l’interprétation des dispositions andorranes, mais que le texte de la Convention ne peut pas se substituer aux dispositions de la Constitution. Il en résulte que la Convention ne peut pas être un paramètre 7e CONGRÈS DE L’ACCPUF 246 pour juger la constitutionnalité d’une loi. Le Tribunal a aussi exposé qu’il n’est pas juge de la conventionalité d’une loi, (affaire 2010-1, 2, 3 i 4-PI, arrêt du 7 septembre 2010) et a même précisé « qu’en droit andorran, comme dans la plupart des ordres juridiques nationaux européens, la Convention européenne des droits de l’homme n’a pas valeur constitutionnelle, mais selon les cas, valeur législative ou supra législative. »
2. Influences sur le constituant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
Étant donné la situation géographique de l’Andorre et le fait qu’elle a une très bonne relation avec ses voisins, le constituant a cherché un équilibre, lors de l’élaboration de la Constitution, et il a demandé, aussi bien à des assesseurs espagnols que français, de l’aider dans cette lourde tâche. Finalement la Constitution qui a été adoptée se rapproche davantage à la Constitution espagnole que de la française.
3. Compétences de la cour
Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?
Le Tribunal a considéré que bien que la Constitution intègre les traités et les accords valablement ratifiés dans le droit positif interne, il ne s’agit pas de normes constitutionnelles, mais ils peuvent, cependant, être utilisés comme instrument d’interprétation.
Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?
Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
Les instruments internationaux ne sont pas directement appliqués par le Tribunal constitutionnel, cependant il les prend en compte dans ces décisions, surtout la jurisprudence dictée par les cours internationales qui les interprètent et les appliquent.
En définitive, ces instruments internationaux font partie intégrante du droit interne andorran, et en outre, la Constitution andorrane s’est dotée de tous les mécanismes susceptibles de garantir la sécurité juridique dans l’exercice des droits fondamentaux de la personne. Le constituant a voulu persévérer dans la promotion de valeurs telles que la liberté, la justice, la démocratie et le progrès social, et à maintenir et renforcer les relations harmonieuses de l’Andorre avec le reste du monde, tout spécialement avec les pays qui sont ses voisins, sur la base du respect mutuel, de la coexistence et de la paix. Et le peuple andorran a voulu apporter sa contribution et son soutien à toutes les causes communes de l’humanité, notamment pour préserver l’intégrité de la Terre et garantir un environnement adéquat aux générations futures.
4. Situations de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?
Aucune situation de conflit ne s’est produite pour l’instant entre la Constitution et les normes internationales. Et en ce qui concerne les droits fondamentaux, le Tribunal a considéré que « notre ordonnancement constitutionnel contient, sans le moindre doute, des niveaux de protection des droits constitutionnels qui sont supérieurs et d’une plus grande intensité que ceux offerts par cette Convention européenne » (affaire 2000-3-RE, arrêt du 12 mai 2000).
Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
La Constitution qui est la norme suprême, prime sur toutes les autres normes.
La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
Le problème ne se pose pas.
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
Le Tribunal a considéré que « notre ordonnancement constitutionnel contient, sans le moindre doute, des niveaux de protection des droits constitutionnels qui sont supérieurs et d’une plus grande intensité que ceux offerts par cette Convention européenne » (affaire 2000-3-RE, arrêt du 12 mai 2000).
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
Comme nous avons déjà dit, le Tribunal constitutionnel n’est pas juge la conventionalité, il juge la conformité à la Constitution. Affaire 2010-1, 2, 3 i 4-PI, arrêt du 7 septembre 2010 : « Il faut en outre préciser que le Tribunal constitutionnel est le juge de la constitutionnalité des lois mais pas de leur conventionalité. Conformément à l’article 95.1 de la Constitution, le Tribunal constitutionnel est la seule institution compétente pour être l’interprète suprême de la Constitution. »
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
Au contraire, comme nous l’avons dit le Tribunal constitutionnel se doit uniquement d’invoquer la Constitution.
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
Le Tribunal constitutionnel andorran est attentif à la jurisprudence internationale, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme dans le domaine de la limitation des droits de l’homme. Néanmoins, il n’est pas tenu par la jurisprudence internationale. Elle n’influence pas directement l’action du juge constitutionnel, mais il en tient compte. Il s’y réfère souvent, surtout lorsqu’il se prononce en « empara ».
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?
Le problème ne s’est pas posé.
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?
Comme nous l’avons déjà exposé antérieurement, le Tribunal constitutionnel n’est soumis qu’à la Constitution et à sa loi. Il est attentif à la jurisprudence des tribunaux internationaux et supranationaux, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme dans le domaine de la limitation des droits de l’homme.
Par exemple, dans son arrêt du 19 janvier 2015, affaire 2014-25 i 26-RE, il a considéré : « A priori la référence à la méconnaissance de l’article 6-1 de la Convention européenne et à la jurisprudence européenne sur ce point pourrait n’être pas inutile au juge andorran. On sait en effet que, le cas échéant, les principes dégagés par cette jurisprudence peuvent être pris en considération par ce tribunal et éclairer ses décisions. »
Le Tribunal constitutionnel cite fréquemment la jurisprudence de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés individuelles, à titre d’exemple dans les arrêts sur les affaires 2014-43-RE, 2014-2 i 4-RE, 2008-4-RE, 2007-16 i 22-RE, 2007-21-RE ou 2000-17-RE.
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
Du point de vue de notre Tribunal, il est en train de se créer une jurisprudence globale des droits de l’homme par l’influence de la Déclaration universelle mais aussi par les relations qui existent entre la jurisprudence de chaque État qui tend à partager de plus en plus une série de principes et de contenus. En fait cette jurisprudence « horizontale », si on peut ainsi la qualifier, influe en quelque sorte aussi sur les interprétations des instruments internationaux.
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
Conformément à l’article 3 de la Constitution, l’Andorre intègre donc dans son droit positif interne les principes de droit international public universellement reconnus, et par conséquent, le Tribunal ne peut que se référer dans ses arrêts à ces instruments sur les droits de l’homme. De fait, la référence de ces instruments est très fréquente, surtout dans les décisions concernant les recours en protection constitutionnelle.
Cour constitutionnelle de Belgique
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
La Constitution belge ne contient pas de disposition explicite déterminant son rang normatif.
Toutefois, lors de son adoption, le Constituant a pris soin de préciser qu’« à compter du jour où la Constitution sera exécutoire, tous les lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires sont abrogés » (art. 188 C.). Cette disposition exprime la suprématie de la Constitution sur toutes les autres règles de droit en vigueur à ce moment.
L’on peut encore citer son article 33, qui dispose « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution ». Cet article comporte, de manière implicite, une affirmation de la suprématie de la Constitution.
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
Il n’y a pas de hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles. Par ailleurs, la Constitution elle-même ne reconnaît pas de « normes constitutionnelles » en dehors d’elle-même. Enfin, si la jurisprudence de la Cour constitutionnelle admet l’existence de principes généraux dont le respect s’impose au législateur (infra), l’on ne peut affirmer que ces principes se trouvent, par rapport au texte constitutionnel, dans un rapport hiérarchique.
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
Il n’y a pas en Belgique de normes, externes à la Constitution, ayant la même valeur que celle-ci et qui seraient aptes à la compléter ou à la modifier.
La Constitution belge comprend une disposition, l’article 195, qui détermine la manière dont elle peut être révisée. Elle ne peut donc être modifiée qu’en suivant cette procédure de révision de la Constitution. Cette procédure se déroule en deux phases distinctes. Lors de la première phase, les trois branches du pouvoir législatif (la Chambre des représentants, le Sénat et le Roi agissant par le Conseil des ministres) adoptent une liste commune d’articles de la Constitution qui pourront, lors de la deuxième phase, être révisés. La publication de cette liste (« Déclaration de révision de la Constitution ») au Moniteur belge (journal officiel) entraîne automatiquement la dissolution des Chambres et l’organisation d’élections législatives. Les Chambres renouvelées à la suite de ces élections sont dites « constituantes ». Elles ont le pouvoir de réviser les articles ouverts à révision parce que figurant dans la déclaration de révision, et uniquement ces articles-là. Elles peuvent le faire durant toute la législature. À l’issue de celle-ci, les articles qui n’ont pas été révisés ne peuvent plus l’être, sauf si les trois branches du pouvoir législatif adoptent une nouvelle déclaration de révision de la Constitution. La révision des dispositions constitutionnelles requiert, pour être valablement adoptée, que soit atteint un quorum de 2/3 des présences et de 2/3 des votes exprimés.
Par ailleurs, la Constitution crée les « lois spéciales », c’est-à-dire des lois qui doivent être adoptées à majorité spéciale ou qualifiée (1/2 dans chaque groupe linguistique et 2/3 au total) et qui doivent être adoptées pour régler certains objets particuliers désignés expressément par la Constitution. Ces lois sont utilisées pour les réformes de l’État qui conduisent à la transformation de l’État belge en un État fédéral. Elles n’ont pas valeur constitutionnelle. La Cour constitutionnelle peut être amenée, le cas échéant, à censurer une loi spéciale pour contrariété avec la Constitution. Par ailleurs, dans la mesure où ces lois spéciales contiennent des règles de répartition des compétences entre les collectivités fédérale et fédérées, elles servent également de normes de référence pour la Cour constitutionnelle.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
La Constitution belge ne comporte pas de préambule.
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non, il n’existe pas de norme de droit interne supérieure à la Constitution. Toute disposition constitutionnelle peut être révisée (cf. supra). On a pu se poser la question, en doctrine, du statut de deux textes, l’un relatif à l’indépendance du peuple belge, l’autre relatif à l’exclusion des membres de la famille Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique. On pourrait les considérer comme « supraconstitutionnels », car ils ont été adoptés par le Congrès national (qui est aussi le Constituant originaire) avant la Constitution. La doctrine enseigne toutefois que ces textes pourraient être révisés par le pouvoir constituant [1], l’existence de normes « supraconstitutionnelles » qui ne pourraient jamais être révisées devant être rejetée [2]. Par ailleurs, le Congrès national a également adopté d’autres décrets, en marge de la Constitution. La Cour constitutionnelle a décidé, en 2006, à propos d’un de ces décrets, le décret sur la presse, que « dès lors que ce décret a été adopté par le Congrès national agissant en tant qu’assemblée législative, il doit être tenu pour une norme que la Cour est habilitée à contrôler en vertu de l’article 142 de la Constitution et de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour [constitutionnelle] » [3]
Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
La notion de « bloc de constitutionnalité » est peu usitée en droit constitutionnel belge. Néanmoins, si l’on retient comme définition du « bloc de constitutionnalité » l’ensemble des normes prises en considération par la Cour constitutionnelle lors du contrôle de la constitutionnalité des normes de valeur législative, on peut estimer qu’en Belgique, le droit international des droits de l’homme fait partie du bloc de constitutionnalité. En effet, étant donné que la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions des traités et conventions liant la Belgique, elle a développé deux techniques lui permettant d’associer les dispositions de droit international et les dispositions constitutionnelles dont elle est la gardienne [4]
Premièrement, la Cour rappelle de manière constante que « parmi les droits et libertés garantis par les articles 10 et 11 de la Constitution [qui consacrent le principe d’égalité et de non-discrimination] figurent les droits et libertés résultant de dispositions conventionnelles internationales liant la Belgique [5] » À travers le prisme du principe de l’égalité, la Cour constitutionnelle a fait entrer dans les normes de contrôle qu’elle utilise toutes les dispositions de droit international établissant des droits ou des libertés. Cette technique révèle particulièrement son utilité lorsqu’est invoquée la violation d’un droit qui est garanti par une disposition de droit international qui n’a pas son équivalent dans la Constitution. C’est le cas, par exemple, des garanties juridictionnelles figurant à l’article [6] de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette disposition est systématiquement invoquée devant la Cour en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
Deuxièmement, la Cour estime que « lorsqu’une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d’une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles en cause. Il s’ensuit que, lors du contrôle au regard de ces dispositions constitutionnelles, la Cour tient compte des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues 6. » La Cour combine ainsi les dispositions constitutionnelles garantissant des droits et libertés et les dispositions de droit international liant la Belgique garantissant les mêmes droits et libertés. La Cour opère donc, à la faveur du contrôle de constitutionnalité, un contrôle de la compatibilité des dispositions de valeur législative qui lui sont soumises par rapport aux conventions internationales s’imposant aux législateurs belges (fédéral et fédérés). On peut en conclure qu’en ce qui concerne le contrôle opéré par la Cour constitutionnelle, les dispositions de droit international liant la Belgique font partie du « bloc de constitutionnalité ».
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
La Constitution est muette sur la place du droit international dans la hiérarchie des normes.
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
L’article 34 de la Constitution prévoit que « l’exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué par un traité ou par une loi à des institutions de droit international public ». Cette disposition permet à la Belgique de participer à des organisations internationales de coopération (Nations unies, OTAN, …) ou d’intégration (Union européenne). D’après cette disposition, l’attribution de pouvoirs à une organisation internationale ne peut porter que sur des pouvoirs « déterminés », ce qui semble indiquer qu’il ne peut s’agir de transferts massifs. Ceci dit, l’intégration européenne implique les transferts de pouvoirs de plus en plus importants. Par ailleurs, l’article 167, §§ 2 et 3, de la Constitution, prévoit que les traités internationaux n’ont effet qu’après avoir reçu l’assentiment, selon le cas, de la Chambre des représentants (législateur fédéral) ou du Parlement (législateurs fédérés). Le législateur doit donc approuver, formellement, les dispositions de tout traité international, y compris les dispositions des traités tendant à intégrer l’État belge dans un ordre international.
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
La Constitution est en principe un texte stable. Elle organise elle-même la procédure de sa modification, à l’article 195 (cfr supra). La procédure de révision de la Constitution est particulièrement lourde et longue, ce qui concourt à sa stabilité. Cette stabilité a été voulue par le Constituant originaire comme élément de la suprématie de la Constitution.
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
La Constitution a été très peu modifiée jusqu’aux années ‘80. À partir de ce moment, qui a vu le début de processus de fédéralisation de la Belgique, les révisions constitutionnelles se sont succédées à un rythme soutenu. Elles ont porté, essentiellement, sur la transformation de l’État unitaire belge en un État fédéral. Au cours de ces vingt dernières années, des modifications ont également porté sur l’ajout, parmi les droits et libertés garantis aux citoyens, de nouveaux droits (l’égalité des hommes et des femmes, le droit à la protection de la vie privée, les droits culturels, économiques et sociaux, les droits de l’enfant, le droit à la transparence des documents administratifs).
La Constitution n’a jamais été modifiée en réaction à une décision de la Cour.
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
Cela a été le cas, jusqu’à présent, uniquement en ce qui concerne les traités conclus au sein de l’Union européenne. Un exemple est donné par l’article 8 de la Constitution, qui réserve l’exercice des droits de vote et d’éligibilité aux citoyens Belges. Lors de la ratification du Traité de Maastricht, en 1992, cette disposition a posé problème dans la mesure où ce Traité imposait aux États membres d’étendre le droit de vote pour les élections locales aux ressortissants européens. Le Constituant a tardé à réviser l’article 8 de la Constitution, ce qui a d’ailleurs valu une condamnation de l’État belge par la Cour de Justice de l’Union européenne. Finalement, le 11 décembre 1998, l’article 8 a été complété d’un troisième et d’un quatrième alinéa qui autorisent le législateur à organiser le droit de vote des citoyens européens « conformément aux obligations internationales et supranationales de la Belgique », ainsi qu’à étendre ce droit de vote aux étrangers non citoyens européens.
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
Oui.
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
Oui.
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
Non, il n’y a pas d’expression en ce sens.
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
Toutes les autorités juridictionnelles du pays garantissent le respect de la Constitution.
Les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire ont, en vertu de la Constitution elle-même, une attitude différente en fonction de la norme dans laquelle gît une inconstitutionnalité. S’il s’agit d’une norme réglementaire, les cours et tribunaux, après avoir constaté eux-mêmes l’inconstitutionnalité, l’écartent et refusent donc de l’appliquer au litige dont ils sont saisis (art. 159 de la Constitution). S’il s’agit d’une norme législative, les cours et tribunaux ne sont pas autorisés à constater eux-mêmes l’inconstitutionnalité. Ils sont tenus, en application de l’article 142 de la Constitution et de l’article 26 de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle, d’interroger cette dernière au sujet de la compatibilité de la norme en cause avec la Constitution (mécanisme de la question préjudicielle). Si la Cour constitutionnelle constate une inconstitutionnalité, la norme jugée inconstitutionnelle est écartée par le juge ayant posé la question ainsi que, dans la plupart des cas, par les autres cours et tribunaux appelés à en faire application. Ces deux mécanismes permettent d’assurer la primauté de la Constitution mais ils ne permettent pas d’abroger ou d’annuler directement la norme inconstitutionnelle. L’annulation par la Cour constitutionnelle d’une norme législative jugée contraire à la Constitution à l’occasion de la réponse à une question préjudicielle est possible si un recours en annulation est introduit dans les six mois suivant l’arrêt sur au contentieux préjudiciel (réouverture du délai pour introduire un recours en annulation).
Le Conseil d’État, qui est la plus haute juridiction administrative du pays, assure également le respect de la Constitution. Il peut annuler les actes réglementaires, notamment pour violation de la Constitution. Confronté à une norme de valeur législative soupçonnée d’être contraire à la Constitution, il est également, à l’instar des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, tenu de poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle.
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
L’autorité des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle est différente selon qu’il s’agit d’arrêts rendus sur recours en annulation ou d’arrêts rendus sur question préjudicielle.
a. Arrêts rendus sur recours en annulation
Lorsque la Cour annule une disposition législative, l’arrêt d’annulation a l’autorité absolue de chose jugée à partir de sa publication au Moniteur belge (journal officiel) (art. 9, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle). L’annulation a effet erga omnes et elle rétroagit au jour de l’adoption de la disposition, de sorte qu’une disposition annulée par la Cour est réputée n’avoir jamais existé. Les actes et règlements et les décisions de justice fondés sur la loi annulée conservent leur validité mais peuvent faire l’objet de nouveaux recours ou, lorsqu’il s’agit d’arrêtés et règlements, ne plus être appliqués par les cours et tribunaux (article 159 de la Constitution). Toutefois, la Cour peut maintenir les effets produits dans le passé par une norme qu’elle annule. Elle peut également décider que la norme annulée continuera à produire des effets dans l’avenir, jusqu’à une date qu’elle détermine (art. 8 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle). Lorsque la Cour rejette un recours en annulation, l’arrêt de rejet est obligatoire pour les juridictions en ce qui concerne les questions de droit tranchées par cet arrêt (art. 9, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989).
b. Arrêts rendus sur question préjudicielle
L’article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose : « La juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire sont tenues, pour la solution du litige à l’occasion duquel ont été posées les questions […] de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle ».
Lorsque la Cour, en réponse à une question préjudicielle, juge que la norme législative en cause est conforme à la Constitution, la disposition continue à être appliquée par les juridictions.
Lorsque la Cour juge que la norme législative n’est pas compatible avec une ou plusieurs dispositions constitutionnelles, la juridiction qui a posé la question et toutes les juridictions appelées à connaître du même litige écartent la disposition inconstitutionnelle. Suivant l’article 28 précité de la loi spéciale, les arrêts rendus sur question préjudicielle n’ont donc qu’une autorité relative de chose jugée. Ces arrêts ont toutefois une « autorité relative renforcée » [7] de chose jugée. En effet, les juridictions devant lesquelles une question de constitutionnalité est soulevée ne sont pas tenues d’interroger la Cour constitutionnelle lorsque celle-ci a déjà répondu à une question semblable (art. 26, § 2, 2e alinéa, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle) et à la condition qu’elles se conforment à la réponse que celle-ci a donné. Par ce biais, les arrêts constatant une inconstitutionnalité sur question préjudicielle produisent des effets au-delà du litige concret à l’occasion duquel ils ont été rendus.
Par ailleurs, si le constat d’inconstitutionnalité sur question préjudicielle n’a pas pour effet direct d’annuler la norme législative jugée inconstitutionnelle, de sorte que cette norme ne disparaît pas de l’ordre juridique, le prononcé de l’arrêt fait courir un nouveau délai de six mois au cours duquel toute personne physique ou morale intéressée peut introduire un recours en annulation contre la norme jugée inconstitutionnelle au contentieux préjudiciel. De manière générale, l’autorité des arrêts de la Cour est bien respectée par les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire et par le Conseil d’État.
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
La Cour constitutionnelle reconnaît l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » en intégrant, parmi les normes qui jouent le rôle de norme de référence, à côté de la Constitution, différents autres types de normes.
a. Le droit international
Les dispositions de droit international qui garantissent des droits et des libertés et qui s’imposent au législateur ont été intégrés par la Cour dans le bloc de constitutionnalité soit par la technique de la combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, qui garantissent le principe d’égalité et de nondiscrimination, soit par la technique de la combinaison avec les dispositions constitutionnelles qui garantissent des droits et libertés analogues (voir supra). Pour qu’elles fassent partie du « bloc de constitutionnalité » et jouent à ce titre le rôle de norme de contrôle, les dispositions de droit international doivent évidemment lier l’État belge. En revanche, il n’est pas requis qu’elles aient un effet direct, la Cour juge en effet depuis 2003 qu’elle doit, « lorsqu’elle est interrogée sur une violation [des articles 10 et 11 de la Constitution] combinés avec une convention internationale, non pas examiner si celle-ci a effet direct dans l’ordre interne, mais apprécier si le législateur n’a pas méconnu de manière discriminatoire les engagements internationaux de la Belgique » [8] Les dispositions de droit international le plus souvent utilisées comme normes de contrôle par la Cour sont la Convention européenne des droits de l’homme, le droit européen primaire et dérivé, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention des droits de l’enfant.
b. Certains principes généraux du droit
La Cour considère que même si elle n’est pas compétente pour contrôler directement le respect par les législateurs fédéral et fédérés des principes généraux du droit, elle peut tenir compte de ces principes dans le contrôle direct de constitutionnalité qu’elle exerce au regard des articles 10 et 11 de la Constitution (principe d’égalité et de non-discrimination). Ainsi, la Cour contrôle-t-elle le respect des principes suivants : la non-rétroactivité de la loi pénale [9] et de la loi en général [10] ; la clarté de la loi pénale [11] ; le droit à un procès équitable et les garanties juridictionnelles qui en découlent [12] ; le droit à la sécurité juridique [13] ; la liberté de commerce et d’industrie [14] ; le principe de précaution en matière environnementale [15] ; le principe de bonne administration [16]
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
S’il faut comprendre cette question comme renvoyant au pouvoir d’interpréter les dispositions législatives, sur le modèle, par exemple, de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’on relève que la Cour constitutionnelle belge ne possède pas de pouvoir d’interprétation, mais bien un pouvoir d’invalidation de la norme en cause (questions préjudicielles) ou d’annulation de la norme attaquée (recours directs).
Au contentieux de l’annulation, la Cour interprète toutefois la disposition attaquée. Au contentieux préjudiciel, la Cour a pour ligne de conduite d’examiner la norme dans l’interprétation qui lui est donnée par le juge de renvoi. Ce n’est que si cette interprétation est manifestement erronée qu’elle lui substitue une interprétation différente. Par ailleurs, lorsque la Cour constate que l’interprétation conférée à la norme en cause par le juge de renvoi la rend inconstitutionnelle, mais qu’une autre interprétation de la même norme, la rendant compatible avec la Constitution, est envisageable, la Cour l’indique dans son arrêt.
Lorsqu’elle interprète une norme, la Cour utilise les normes faisant partie du « bloc de constitutionnalité » comme pour son contrôle de validité (cf. réponse précédente).
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
La Cour ne contrôle que les normes de valeur législative : les lois fédérales, les lois fédérales à majorité spéciale, les décrets et ordonnances adoptés par les législateurs fédérés, les lois, décrets et ordonnances d’assentiment à un traité international ou à une convention internationale, les arrêtés royaux et de gouvernements, mais uniquement lorsqu’ils ont fait l’objet d’une validation législative. Toutes les normes inférieures à la loi (les arrêtés réglementaires et individuels, les dispositions adoptées par les autorités locales, …) échappent à son contrôle. Il en va de même des jugements et arrêts. La Cour ne contrôle pas non plus les dispositions constitutionnelles, ce qui la conduit à refuser aussi de contrôler les dispositions législatives qui sont l’expression d’un choix posé par le Constituant [17]
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
Les mécanismes existants de contrôle de constitutionnalité sont suffisamment efficaces pour garantir le respect des droits constitutionnels de tous les citoyens. L’accès à la Cour est facile, aussi bien sur recours en annulation, ouvert à toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt, que sur question préjudicielle, qui peut être posée par toute juridiction belge, quel que soit son niveau dans la pyramide juridictionnelle, sans filtre par quelque juridiction ou autorité que ce soit.
L’obligation d’indiquer, parmi les normes de références, au moins une disposition constitutionnelle pour laquelle la Cour est compétente est bien connue des plaideurs, il y a très peu de décision d’irrecevabilité pour le motif que les requérants ou la juridiction de renvoi se seraient limités à invoquer la violation de dispositions de droit international ou de principes généraux du droit sans les combiner avec une disposition constitutionnelle.
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
La plupart des dispositions de la Constitution belge garantissant les droits et libertés datent d’une époque lointaine (1831) qui ne connaissait et n’imaginait même pas le contrôle de constitutionnalité. Elles sont donc rédigées, dans certains cas, en des termes absolus qui ne se concilient plus, à l’heure actuelle, avec les contraintes pesant sur le législateur, chargé de garantir simultanément des droits qui peuvent entrer en concurrence, dans un monde de plus en plus complexe. Il revient à la Cour constitutionnelle, chargée de contrôler la compatibilité de l’action du législateur avec le prescrit constitutionnel, de donner à ce dernier une interprétation actuelle.
La Cour utilise, sans exclusive ni hiérarchie entre elles, les méthodes classiques d’interprétation [18] : la méthode littérale [19], B.33.2, à propos des obligations correspondantes dans la disposition garantissant les droits culturels, économiques et sociaux., la méthode historique par le recours aux travaux préparatoires des dispositions constitutionnelles [20], à propos de l’effet de standstill du droit à l’aide sociale. , la méthode logique et systématique, qui conduit à l’interprétation d’une disposition constitutionnelle pour la rendre cohérente avec les autres dispositions constitutionnelles [21], à propos du caractère absolu du secret des lettres. , la méthode téléologique par le recours au but poursuivi par la disposition constitutionnelle interprétée [22], à propos du droit à des subventions dans le chef des pouvoirs organisateurs de l’enseignement libre..
Par ailleurs, la juridiction constitutionnelle recourt, lorsqu’elle est amenée à combiner les dispositions constitutionnelles et des dispositions de droit international, à la méthode de l’interprétation conforme au droit international. Elle cherche ainsi à procurer à la Constitution une interprétation actuelle et évolutive [23]. Cette méthode conduit, en règle générale, à renforcer l’effectivité des droits fondamentaux garantis par le Constituant, à améliorer la cohérence de l’ensemble du catalogue de droits figurant dans la Constitution et à en pallier les lacunes. Elle permet de compenser le fait que le Constituant n’ait pratiquement – sauf exceptions, voir ci-dessous, sous II.2. – pas mis le texte de la Constitution en harmonie avec les garanties énoncées dans les instruments internationaux qui sont tous postérieurs à son adoption [24]
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
La Cour constitutionnelle, alors dénommée Cour d’arbitrage, a été créée en 1984 dans le contexte de la fédéralisation de l’État belge. Elle n’avait à l’époque qu’une compétence limitée à la résolution des conflits de compétence entre les différents législateurs (fédéral, régionaux, communautaires). En 1989, à la faveur d’une révision constitutionnelle approfondissant le fédéralisme, la Cour se voit confier, notamment, le contrôle du respect, par les différents législateurs, des articles 10 et 11 de la Constitution garantissant le principe d’égalité et de non-discrimination. Dès son premier arrêt rendu au contentieux de l’égalité [25], la Cour ébauche sa jurisprudence selon laquelle « la règle constitutionnelle de non-discrimination est applicable à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés reconnus aux belges ». Il s’agit du premier pas en direction de la mise en œuvre de la technique permettant à la Cour d’inclure, parmi les normes de références, les dispositions de droit international liant la Belgique et les principes généraux du droit. Cette technique permet également à la Cour d’inclure dans son contrôle tous les autres droits et libertés garantis par la Constitution, pour le contrôle direct desquels elle n’est, à ce moment, par compétente. Cette jurisprudence volontariste de la Cour est manifestement approuvée par le Constituant et par le législateur puisqu’en 2003, la compétence de la Cour est à nouveau étendue : le contrôle peut désormais être opéré directement par rapport à tous les articles figurant dans le titre II de la Constitution, qui est le titre consacré aux droits et libertés. Cette extension de sa compétence est mise à profit par la Cour pour consacrer la deuxième technique par laquelle elle tient compte, lors de son contrôle, des dispositions de droit international ayant un contenu ou une portée analogue aux droits et libertés garantis par la Constitution belge [26].
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
Comme indiqué ci-dessus, la Cour constitutionnelle a progressivement étendu le catalogue des normes de référence qu’elle utilise lors de son contrôle. Cette évolution lui permet de contrôler le respect de l’ensemble des droits et libertés garantis aux citoyens tant par la Constitution belge que par les normes de droit international liant la Belgique, de même que les garanties reconnues par les principes généraux du droit.
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
Par le passé, des contradictions de jurisprudence ont pu apparaître entre la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation, notamment parce que cette dernière exerce un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions de droit international ayant effet direct en Belgique. Le concours de contrôles, le contrôle de conventionnalité direct opéré par les juridictions de l’ordre judiciaire et, in fine, par la Cour de cassation, d’une part, et le contrôle de constitutionnalité opéré par la Cour constitutionnelle, d’autre part, a créé une situation de concurrence potentielle et généré un risque de solutions divergentes, dès lors que de nombreux droits et libertés fondamentaux sont garantis, à la fois, par des dispositions de droit international et par des dispositions constitutionnelles.
En vue de prévenir ces difficultés, les présidents de la Cour constitutionnelle, de la Cour de cassation et du Conseil d’État ont organisé, en 2005, un « symposium », rassemblant des magistrats et des professeurs d’université, sur les rapports entre la Cour constitutionnelle, le pouvoir judiciaire et le Conseil d’État [27]. Parmi les propositions qui ont été formulées lors de ces travaux, une suggestion a été reprise par le législateur et intégrée dans la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. Elle vise à établir un ordre chronologique dans l’examen de la constitutionnalité et de la conventionnalité des dispositions législatives, lorsque le droit fondamental dont la violation est invoquée est garanti de manière analogue par la Constitution et par une disposition de droit international (art. 26, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989). Dans cette hypothèse, la juridiction saisie du litige doit interroger la Cour constitutionnelle avant d’effectuer elle-même, le cas échéant, un contrôle du respect des dispositions de droit international. Même si des contradictions de jurisprudence ne sont pas à exclure, il semble que ce système soit, dans l’ensemble, bien accueilli par les juridictions et qu’il permette une certaine sécurité juridique.
-
[1]
F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 77. [Retour au contenu] -
[2]
A. Alen, K. Muylle, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Malines, Kluwer, 2011, n° 223. [Retour au contenu] -
[3]
C.C., arrêt n° 168/2006. [Retour au contenu] -
[4]
A. Alen, K. Muylle et W. Verrijdt, « De Verhouding tussen het Grondwettelijk Hof en het Europees Hof voor de rechten van de mens”, in Alen, A. & Theunis, J., (eds.), Leuvense Staatsrechtelijke Standpunten 3, Brugge, Die Keure, 2012 ; Alen, A., Spreutels, J., Peremans, E. et Verrijdt, W., Rapport national au XVIe Congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, La coopération entre les cours constitutionnelles en Europe, situation actuelle et perspectives, Vienne, Verlag – vfgh, 2014. [Retour au contenu] -
[5]
Voy. notamment l’arrêt n° 197/2011. [Retour au contenu] -
[6]
Voy. notamment les arrêts n° 201/2011, 49/2013. [Retour au contenu] -
[7]
Ch. Horevoets et P. Boucquey, Les questions préjudicielles à la Cour d’arbitrage, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 61 à 65. La Cour considère également qu’un arrêt rendu sur question préjudicielle a « un effet qui dépasse le seul litige pendant devant le juge qui a posé la question » (arrêt n° 125/2011). [Retour au contenu] -
[8]
Arrêt n° 106/2003. [Retour au contenu] -
[9]
Notamment, l’arrêt n° 97/2012. [Retour au contenu] -
[10]
Notamment, l’arrêt n° 188/2011. [Retour au contenu] -
[11]
Notamment, l’arrêt n° 40/2009. [Retour au contenu] -
[12]
Notamment, les arrêts n° 6 et 7/2013. [Retour au contenu] -
[13]
Notamment, l’arrêt n° 18/2012. [Retour au contenu] -
[14]
Notamment, l’arrêt n° 187/2011. [Retour au contenu] -
[15]
Notamment, l’arrêt n° 121/2008. [Retour au contenu] -
[16]
Notamment, l’arrêt n° 93/2008. [Retour au contenu] -
[17]
Par exemple, le fait qu’une autorité administrative qui inflige une sanction ne puisse poser de question préjudicielle à la Cour résulte d’un choix posé par le Constituant et sur lequel la Cour ne peut se prononcer : arrêt n° 44/2011. [Retour au contenu] -
[18]
H. Dumont et Ch. Horevoets, « L’interprétation des droits constitutionnels », in M. Verdussen et N. Bonbled (dir.), Les droits constitutionnels en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2011, T. I, p. 191. [Retour au contenu] -
[19]
Par exemple, arrêt n° 101/2008 [Retour au contenu] -
[20]
Par exemple, arrêt n° 169/2002, B.6.4 [Retour au contenu] -
[21]
Par exemple, arrêt n° 202/2004, B.12.2 [Retour au contenu] -
[22]
Par exemple, arrêt n° 2/2006, B.18.2 [Retour au contenu] -
[23]
A. Alen et K. Muylle, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Malines, Kluwer, 2011, p. 526. [Retour au contenu] -
[24]
H. Dumont et Ch. Horevoets, op. cit., p. 213. [Retour au contenu] -
[25]
Arrêt n° 23/89. [Retour au contenu] -
[26]
Arrêt n° 189/2005. [Retour au contenu] -
[27]
Les actes de ces travaux sont parus en 2006 : A. Arts e.a., Les rapports entre la Cour d’arbitrage, le Pouvoir judiciaire et le Conseil d’État, Bruges, Bruxelles, Die Keure, La Charte. [Retour au contenu]
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
La réponse à cette question est différente selon que l’on examine la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et celle de la Cour de cassation [/footnote] Cette question est également examinée dans : Alen, A., Spreutels, J., Peremans, E. et Verrijdt, W., Rapport national au XVIe Congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, La coopération entre les cours constitutionnelles en Europe, situation actuelle et perspectives, Vienne, Verlag – vfgh, 2014, n° 58 et suiv.[/footnote]
La Cour de cassation a jugé, en 2004, dans la droite ligne d’une jurisprudence antérieure dans le même sens, qu’un traité ayant effet direct avait primauté sur la Constitution [/footnote]Cass., 9 novembre 2004, P. 04.0849.N/20, Rev. dr. pén., 2005, p. 789 ; Cass., 16 novembre 2004, P.04.0644.N/3 ; Cass., 16 novembre 2004, P.04.1127.N/3, R.W., 2005-2006, p. 387. [/footnote] : « attendu qu’une convention ayant un effet direct prime la Constitution ; que lorsque la Constitution, comme en l’espèce, ne pose pas plus d’exigences qu’une disposition conventionnelle ayant un effet direct, un contrôle de la loi à la lumière de la convention suffit et un contrôle ultérieur de la loi à la lumière de la Constitution est sans pertinence ». Elle en a conclu qu’elle n’était pas tenue de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
En revanche, la Cour constitutionnelle estime depuis 1991 que le droit des traités occupe une place inférieure à la Constitution dans la hiérarchie des normes. Elle est en effet compétente pour contrôler le respect, par les lois et décrets d’assentiment aux traités internationaux, des dispositions constitutionnelles [1] Lorsqu’elle contrôle une loi ou un décret d’assentiment, la Cour contrôle également le contenu du traité, la loi ou le décret ne comportant généralement qu’un article formel [2]. Elle considère à ce sujet que le Constituant, qui interdit au législateur d’adopter des dispositions contraires à la Constitution, ne peut être censé l’autoriser à le faire par le biais de l’assentiment donné à un traité international [3]. Dans son examen, la Cour est généralement prudente et estime qu’elle « doit tenir compte de ce qu’il ne s’agit pas d’un acte de souveraineté unilatéral, mais d’une norme conventionnelle par laquelle la Belgique a pris un engagement de droit international à l’égard d’un autre État » [4]
En outre, une inconstitutionnalité entachant une norme interne de valeur législative ne pourrait être justifiée par la circonstance que cette norme se limite à donner exécution à une convention internationale : cette circonstance ne dispense en effet pas le législateur de respecter les dispositions constitutionnelles [5]
Par ailleurs, ainsi qu’il est dit ci-dessus, la Cour constitutionnelle utilise les dispositions de droit international garantissant des droits et libertés comme normes de référence pour le contrôle qu’elle exerce, de sorte que ces normes font partie du « bloc de constitutionnalité ».
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
La primauté s’inscrit dans un raisonnement hiérarchique déterminant, en cas de conflit entre deux normes, celle qui doit être retenue et appliquée et celle qui doit être écartée pour le motif qu’elle est contraire à une norme jugée hiérarchiquement supérieure.
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?
Les notions de « droit constitutionnel international » ou « droit constitutionnel européen » ne sont pas utilisées en doctrine juridique belge.
Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
a. Si l’on a égard à la compétence de la Cour pour connaître, via le contrôle de la norme législative d’assentiment, de la compatibilité du contenu des traités internationaux avec la Constitution, l’on peut dire que la Cour retient une conception moniste des rapports entre ordre interne et ordre externe. Le contrôle de la Cour pourrait en effet conduire à annuler la norme d’assentiment au traité dont les dispositions seraient jugées contraires à la Constitution, ce qui empêcherait que le traité sorte ses effets dans l’ordre interne belge. Il faut toutefois préciser que ce contrôle a, jusqu’à présent, essentiellement porté sur des dispositions internationales fiscales (traités tendant à éviter les doubles impositions) et qu’en conséquence de la retenue qu’elle adopte lorsqu’elle connaît du contenu d’un traité, la Cour n’a encore jamais constaté de violation dans de telles affaires [6]
b. En revanche, lorsque l’on examine cette question en ayant égard à la pratique de la Cour d’intégrer, dans le « bloc de constitutionnalité », les traités et conventions internationales garantissant des droits et libertés et liant la Belgique, on peut considérer que, plutôt que de parler de « monisme ou de dualisme », il conviendrait de décrire cette situation sous le concept de « pluralisme constitutionnel » [7] ou encore de « métissage » des sources conventionnelles et constitutionnelles des droits de l’homme [8]. Ainsi, plutôt que de tenter d’établir une hiérarchie entre l’ordre interne constitutionnel et l’ordre international conventionnel, il convient de remarquer que ces deux ordres sont combinés pour procurer au juge constitutionnel les normes de référence qui lui permettront de garantir aux mieux le respect des droits et libertés fondamentaux. En effet, cette combinaison permet à la Cour constitutionnelle, d’une part, d’intégrer dans son raisonnement les enseignements jurisprudentiels de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’elle cite abondamment et, d’autre part, de maximiser la protection juridique dès lors qu’elle exige, lorsque le droit dont la violation est alléguée est protégé tant par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l’homme, qu’il soit simultanément satisfait aux conditions restrictives formelles contenues dans la Constitution et aux conditions restrictives matérielles contenues dans la Convention [9]
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Voir la réponse à la première question sous II.1., ci-dessus.
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Voir la réponse à la quatrième question sous II.1., ci-dessus.
2. Influences sur le constitutant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
Lors de l’élaboration de la Constitution belge, en 1830-1831, l’influence d’autres constitutions a été importante. Un des membres de la Commission chargée de créer le projet de la Constitution l’exprime ainsi : « On a choisi dans les constitutions existantes, et particulièrement dans la Charte française actuelle, les dispositions qui ont paru s’approprier le mieux à notre pays ; et on y a ajouté beaucoup d’autres qui sont désirées par les meilleurs publicistes européens » 39[10]
Lors des révisions récentes ayant eu pour objet l’insertion de nouvelles dispositions constitutionnelles garantissant des droits et libertés fondamentales, le Constituant a été expressément influencé par le droit international des droits de l’homme. Sa volonté a été, manifestement, d’adapter le catalogue des droits protégés par la Constitution belge, datant de 1830, à l’évolution du contexte économique, social, culturel et idéologique « faisant apparaître la nécessité de consacrer l’existence de nouveaux droits indispensables au bonheur humain », évolution qui s’est traduite au niveau international par l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme, du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Charte sociale européenne [11] Cette volonté n’a toutefois été que partiellement réalisée, la Constitution actuelle présentant encore de nombreuses dispositions anciennes à côté de quelques dispositions récentes.
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
Le 18 juin 1993, le Constituant a introduit un nouvel article 32 dans la Constitution, dont l’objet est de garantir l’accès aux documents administratifs. Les travaux parlementaires montrent que le Constituant a été directement inspiré par le droit à l’information, contenu dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’il est explicité dans plusieurs recommandations et résolutions du Conseil de l’Europe. Il est également fait allusion à l’article 19 du Pacte ONU relatif aux droits civils et politiques [12]. Le Constituant a également été inspiré, en cette matière, par la législation et la pratique d’autres États, tels la Suède, les États-Unis, la France, les Pays-Bas, l’Italie et le Luxembourg [13].
L’article 23 de la Constitution, introduit le 31 janvier 1994, garantit le droit à la dignité humaine et les droits culturels, économiques et sociaux [14]. Son contenu s’inspire, d’après l’auteur de la proposition, dans une large mesure, de la Charte sociale européenne [15].
Le même jour, le Constituant adopte le nouvel article 22, établissant le droit au respect de la vie privée et familiale. À cette occasion, le Constituant a cherché à établir une concordance avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, afin d’éviter toute contestation sur les contenus respectifs des deux dispositions [16].
Lors de l’insertion de l’article 22bis, garantissant les droits de l’enfant, le 23 mars 2000, le Constituant fait référence à la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 [17].
La révision de l’article 10 et l’ajout d’un article 11bis, proclamant et garantissant tous deux l’égalité de l’homme et de la femme, le 21 février 2002, sont également le fruit de la volonté du Constituant de respecter les engagements internationaux de la Belgique, notamment la Convention des Nations Unies du 19 décembre 1978 sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, la Convention des Nations unies sur les droits politiques de la femme du 31 mars 1953 et plusieurs dispositions de droit européen [18].
3. Compétences de la cour
Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?
Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?
Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions des traités et conventions internationales. Elle effectue toutefois un contrôle « indirect » ou « combiné » du respect de ces dispositions, par la mise en œuvre de deux techniques. D’une part, elle examine la compatibilité des dispositions législatives avec les articles 10 et 11 de la Constitution, qui garantissent le principe d’égalité et de non-discrimination, lus en combinaison avec n’importe quelle disposition de droit international garantissant un droit ou une liberté, à la seule condition que le traité ou la convention concernés lient la Belgique. D’autre part, lorsque un droit garanti par une disposition constitutionnelle est également garanti, de manière analogue, par une disposition internationale liant la Belgique, la Cour tient compte de cette disposition internationale et, éventuellement, de son interprétation par une juridiction internationale, dans son propre contrôle.
4. Situations de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?
Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
La méthode combinatoire mise en œuvre par la Cour pour intégrer les dispositions de droit international des droits de l’homme, que ce soit via le contrôle du respect de l’égalité et de la non-discrimination ou via la prise en compte, par la Cour, des dispositions de droit international garantissant, de manière analogue, les mêmes droits que la Constitution, a pour effet de prévenir les éventuels conflits entre droits fondamentaux appartenant à des ordres juridiques distincts. Des difficultés peuvent toutefois se présenter lorsque la garantie offerte par la Constitution n’est pas équivalente à la garantie offerte par les dispositions conventionnelles (Cf. infra, sous II.5).
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
Les anciennes dispositions de la Constitution belge garantissant des droits fondamentaux, qui datent de 1830, prévoient généralement des limites formelles à l’ingérence des autorités dans la jouissance de ces droits. Par opposition, les dispositions conventionnelles, plus modernes, prévoient souvent des limites matérielles à ces ingérences.
Un exemple de différence importante de protection est fourni par la protection du droit de propriété. La Constitution n’envisage de protection de la propriété que dans le cas de l’expropriation, qui requiert, en vertu de l’article 16 de la Constitution, une procédure établie par la loi, une cause d’utilité publique et le versement d’une juste et préalable indemnité. L’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme a, quant à lui, une portée plus large, il vise à encadrer les atteintes portées aux intérêts économiques des individus et à leurs acquis sociaux.
Un autre exemple est celui du secret des lettres. La Constitution prévoit, en son article 29, que le secret des lettres est inviolable et ce, de manière absolue. Cette disposition date de 1831. La Convention européenne des droits de l’homme, quant à elle, prévoit en son article 8 que des ingérences sont possibles, à certaines conditions, dans le droit au respect de la vie privée.
En revanche, lors de l’adoption de dispositions plus récentes, le Constituant a généralement cherché à établir une concordance entre les garanties constitutionnelles et les garanties conventionnelles. L’exemple le plus évident à cet égard est le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 22 de la Constitution (Cf. supra). Il en découle d’ailleurs que l’article 29 de la Constitution, cité ci-dessus, qui ne concerne que le secret des lettres, est beaucoup plus sévère que l’article 22 qui protège le droit à la vie privée en général.
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
a. Le contrôle opéré par la Cour constitutionnelle ne crée pas de concurrence entre la protection constitutionnelle et la protection conventionnelle internationale. En effet, les méthodes combinatoires mises en œuvre par la Cour pour intégrer les sources internationales dans ses normes de référence ne peuvent conduire à les faire prévaloir sur la Constitution. Celle-ci doit toujours, pour des raisons de recevabilité tenant à la limitation de la compétence de la Cour constitutionnelle, figurer parmi les normes de références invoquées.
b. Le contrôle opéré par les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire et par le Conseil d’État, en revanche, pourrait créer une concurrence entre la Constitution et les dispositions internationales garantissant des droits et libertés. En effet, les juridictions peuvent effectuer un contrôle direct de conventionnalité, contrôle qui conduit, le cas échéant, le juge à écarter la norme législative qu’il considère contraire à une norme de droit international ayant effet direct en Belgique. Par contre, les juridictions ne peuvent pas effectuer elles-mêmes un contrôle de constitutionnalité des normes ayant valeur législative. En cas de doute quant à la compatibilité d’une norme législative avec la Constitution, elles sont tenues d’interroger la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel. Lorsque le même droit fondamental est garanti tant par la Constitution que par des dispositions de droit international directement applicables, les juges pourraient donc, en principe, choisir d’interroger la Cour constitutionnelle, ce qui donne priorité à la Constitution, ou choisir d’opérer eux-mêmes le contrôle de conventionnalité, ce qui donne priorité à la disposition de droit international. Cette possibilité de choisir une voie ou l’autre comprend une atteinte potentielle à la suprématie de la Constitution. C’est pour remédier à cette situation, source d’insécurité juridique, que le législateur a introduit dans la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle une règle de priorité chronologique : la juridiction est tenue d’interroger d’abord la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de la norme législative en cause avec la Constitution. La loi précise que, même si n’est invoquée devant la juridiction de fond que la violation d’une disposition de droit international, cette juridiction doit, d’office, rechercher si le droit dont la violation est invoquée n’est pas également garanti par la Constitution et, si tel est le cas, poser une question préjudicielle à la Cour. Enfin, la loi ajoute que l’obligation de poser d’abord une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle n’empêche pas le juge de poser aussi, simultanément ou ultérieurement, une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?
a. Devant la Cour constitutionnelle. La Cour n’est pas compétente pour opérer un contrôle direct de compatibilité avec les normes de droit international. Les parties devant la Cour doivent donc toujours invoquer la violation d’au moins une règle constitutionnelle, qu’il s’agisse d’une disposition garantissant un droit fondamental ou des articles garantissant le principe d’égalité et de non-discrimination. Les plaideurs sont ensuite libres de combiner ces dispositions constitutionnelles avec toutes les dispositions de droit international liant la Belgique. Si la technique de la combinaison peut paraître complexe à première vue, la pratique ne montre pas de problème particulier. En outre, la Cour fait preuve de souplesse dans l’appréciation des recours et des questions préjudicielles. Ainsi, lorsque le principe d’égalité est invoqué en combinaison avec un droit fondamental garanti par une disposition de droit international, mais que les parties ou la juridiction de renvoi n’ont pas indiqué précisément en quoi le droit à l’égalité est violé, par exemple parce qu’aucune comparaison entre catégories de personnes comparables n’est formulée, la Cour estime de manière constante que cette omission ne conduit pas à l’irrecevabilité du moyen ou de la question préjudicielle, au motif que « la violation d’un droit fondamental constitue ipso facto une violation du principe d’égalité et de non-discrimination » [19].
b. Devant les cours et tribunaux : Il est équivalent, en termes de procédure et de difficulté, d’invoquer la violation d’une disposition constitutionnelle ou d’une norme de droit international. Par ailleurs, si la juridiction décide d’interroger la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel, les parties ne sont pas tenues d’intervenir dans la procédure devant la Cour.
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
Pour les juridictions constitutionnelles européennes, qui sont parties, à la fois, à la Convention européenne des droits de l’homme et aux Traités constituant de l’Union européenne, il peut être délicat de déterminer quelles sont les dispositions internationales à prendre en considération. Ce problème ne provient pas, cependant, tellement de l’existence de différents traités, mais bien de la co-existence de deux juridictions inter- ou supranationales, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne. La Cour constitutionnelle tente, par la mise en œuvre des techniques combinatoires et du principe de l’addition des garanties visant à procurer la meilleure protection possible, d’éviter les conflits entre les différents catalogues de droits fondamentaux, qu’ils soient constitutionnel, produits par l’Union européenne ou par le Conseil de l’Europe.
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
Ainsi qu’il a déjà été exposé, la Cour constitutionnelle se réfère expressément aux instruments internationaux garantissant des droits et libertés fondamentaux lorsqu’elle contrôle la compatibilité de normes législatives avec les droits et libertés garantis par la Constitution. La Cour accueille les arguments des parties fondés sur les instruments internationaux, à la condition qu’ils soient combinés avec l’invocation d’une disposition constitutionnelle. La Cour inclut parmi les normes de référence, même d’office, les dispositions internationales qui garantissent de manière analogue les droits constitutionnels dont la violation est invoquée. Enfin, la Cour se réfère explicitement et abondamment à l’interprétation des droits fondamentaux garantis par les instruments internationaux donnée par les jurisprudences des juridictions inter- et supranationales, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne.
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?
Lorsque la Constitution et les normes de droit international organisent une protection de portée différente pour un même droit fondamental, la Cour opte généralement pour la protection la plus étendue. Ainsi, lorsqu’elle a à connaître d’une limitation de la propriété, limitation qui ne se confond pas avec une expropriation et ne constitue donc pas un cas dans lequel la protection offerte par l’article 16 de la Constitution pourrait jouer, la Cour attire dans les normes de référence qu’elle utilise l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui offre une protection plus large. La Cour considère à ce sujet : « L’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans la disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour tient compte de cet article de droit international lors de son contrôle des dispositions attaquées » [20]. De même, en matière de protection de la vie privée, matière dans laquelle les dispositions constitutionnelle et conventionnelle sont très proches, la Cour retient les garanties formelles imposées par la Constitution (l’ingérence doit être prévue par une loi au sens formel du terme) qui ne sont pas imposées de même par la Convention européenne des droits de l’homme, considérant en outre que l’exigence constitutionnelle s’impose au législateur belge, en vertu de l’article 53 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel les dispositions de la Convention ne peuvent être interprétées comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme reconnus expressément par le droit interne [21]. Toutefois, la solution qui consiste à retenir la meilleure protection possible risque dans certains cas, en raison du caractère peu moderne de certaines dispositions constitutionnelles adoptées en 1831, d’aboutir à des situations trop rigides et manifestement déraisonnables. Ainsi, dans le cas de la protection du secret des lettres (voir ci-dessus, sous 2.4), cas dans lequel la protection offerte par l’article 29 de la Constitution est absolue, ne permettant aucune ingérence, même justifiée, par le législateur, la Cour a-t-elle considéré : « Si le secret des lettres, garanti par l’article 29 de la Constitution, a pu être conçu comme absolu, lors de l’adoption de la Constitution, il ne peut être fait abstraction aujourd’hui, pour en déterminer la portée, d’autres dispositions constitutionnelles ainsi que de conventions internationales » [22] et elle a, en conséquence, permis une ingérence à condition qu’elle soit nécessaire pour assurer le respect d’autres droits fondamentaux et proportionnées à ce but légitime.
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
La Cour attache une grande importance à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à celle de la Cour de justice de l’Union européenne. Les citations d’extraits d’arrêts de ces deux juridictions sont innombrables dans les arrêts de la Cour constitutionnelle. Elles sont beaucoup plus nombreuses aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans, quand la Cour a commencé à contrôler le respect des droits fondamentaux. Ceci est probablement dû au fait que les plaideurs ont, de plus en plus, le réflexe d’invoquer non seulement les dispositions des traités, mais également la jurisprudence des juridictions internationales et qu’il en va de même pour les juges à la Cour et pour les référendaires. Par ailleurs, en ce qui concerne la Cour de justice de l’Union européenne, l’importance grandissante des normes de droit européen primaire et dérivé dans l’ordre normatif interne belge conduit manifestement l’ensemble des juridictions, y compris la Cour constitutionnelle, à pratiquer le droit européen de plus en plus souvent. Toutefois, le fait que la jurisprudence des juridictions inter- et supranationales était moins souvent expressément citée par la Cour constitutionnelle auparavant ne signifie nullement que le juge constitutionnel n’y était pas déjà attentif. Ainsi, la doctrine n’a-t-elle pas manqué de relever que la portée que la Cour a donné, dès ses premiers arrêts en la matière, au principe d’égalité et de non-discrimination était directement inspirée de la formule usitée par la Cour européenne des droits de l’homme [23]. La Cour est, de manière générale, fidèle aux jurisprudences des Cours inter- et supranationales [24], au point que certains auteurs ont pu qualifier son attitude, à l’égard de la jurisprudence strasbourgeoise, de « docile » [25]. On peut considérer à cet égard qu’elle reconnaît, à l’instar des autres juridictions belges, aux décisions de ces juridictions une « autorité de chose interprétée » [26]. Un exemple typique de cette attitude de la Cour peut être trouvé dans l’arrêt concernant l’assistance d’un avocat lors des interrogatoires par la police, fortement influencé par la jurisprudence « Salduz » de la Cour européenne des droits de l’homme, dans lequel la Cour considère que la possibilité que soient utilisées, au cours du procès pénal, des déclarations ayant été faites hors la présence d’un avocat est contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, « tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme » [27].
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
La mise en œuvre des techniques combinatoires conduit la Cour à donner aux dispositions constitutionnelles garantissant les droits et libertés une portée similaire, ou confondue, avec celles des dispositions de droit international qu’elle combine. La technique d’interprétation des dispositions constitutionnelles en conformité avec le droit international pertinent est quasi-permanente dans la jurisprudence de la Cour. Un exemple évident de ce phénomène concerne le droit à la protection de la vie privée et familiale. La Cour juge en effet de manière constante : « Il ressort des travaux préparatoires de l’article 22 de la Constitution que le Constituant a recherché la plus grande concordance possible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme » [28]. Cette position la conduit à interpréter l’article 22 de la Constitution non seulement conformément à l’article 8 de la Convention, mais également conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant cette dernière disposition.
-
[1]
Cette compétence est expressément confirmée par l’article 3, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle qui prévoit une délai de recours réduit à 60 jours pour ces normes, ainsi que, a contrario, par l’article 26, 1erbis, qui exclut de la compétence de la Cour, au contentieux préjudiciel, les normes législatives d’assentiment aux Traités constituant de l’Union européenne, à la Convention européenne des droits de l’homme et aux protocoles additionnels à cette Convention. Il s’en déduit, d’une part, que les normes législatives d’assentiment aux autres traités internationaux peuvent faire l’objet de questions préjudicielles et, d’autre part, que les normes d’assentiment à tous les traités internationaux peuvent faire l’objet d’un recours en annulation dans les 60 jours de leur publication. [Retour au contenu] -
[2]
Pour un exemple récent, voy. l’arrêt n° 32/2013. [Retour au contenu] -
[3]
Arrêt n° 12/94. [Retour au contenu] -
[4]
Arrêt n° 32/2013. [Retour au contenu] -
[5]
Arrêt n° 40/2009. [Retour au contenu] -
[6]
Alen, A., Spreutels, J., Peremans, E. et Verrijdt, W., Rapport national au XVIe Congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, La coopération entre les cours constitutionnelles en Europe, situation actuelle et perspectives, Vienne, Verlag – vfgh, 2014, n° 60. [Retour au contenu] -
[7]
A. Alen, K. Muylle et W. Verrijdt, « De Verhouding tussen het Grondwettelijk Hof en het Europees Hof voor de rechten van de mens”, in Alen, A. & Theunis, J., (eds.), Leuvense Staatsrechtelijke Standpunten 3, Brugge, Die Keure, 2012, p. 6. [Retour au contenu] -
[8]
H. Dumont, « Préface », in S. Van Drooghenbroeck (dir.), Le droit international et européen des droits de l’homme devant le juge national, Bruxelles, Larcier, 2014, p. I. [Retour au contenu] -
[9]
Alen, A., Spreutels, J., Peremans, E. et Verrijdt, W., Rapport national au XVIe Congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, La coopération entre les cours constitutionnelles en Europe, situation actuelle et perspective, Vienne, Verlag – vfgh, 2014, n° 16. [Retour au contenu] -
[10]
E. de Gerlache, in Discussions du Congrès, cité par F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 72 [Retour au contenu] -
[11]
Développements de la proposition de révision du titre II de la Constitution, en vue d’insérer des dispositions nouvelles permettant d’assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Doc. parl., Sénat, 1992-1993, 100-4/2, p. 2. [Retour au contenu] -
[12]
Doc. parl., Chambre, 1992-1993, 839/1, p. 3-4. [Retour au contenu] -
[13]
Doc. parl., Sénat, S.E. 1991-1992, 100-49/2, p. 2. [Retour au contenu] -
[14]
Droit au travail, droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé, à l’aide sociale, médicale et juridique, droit à un logement décent, droit à la protection d’un environnement sain, droit à l’épanouissement culturel. [Retour au contenu] -
[15]
Doc. parl. Sénat, S.E. 1991-1992, 100-2/4, p. 5. [Retour au contenu] -
[16]
Doc. parl., Sénat, S.E. 1991-1992, 100-4/5, p. 8. [Retour au contenu] -
[17]
Doc. parl., Sénat, 1999-2000, 2-21/2, p. 2 ; 2-21/3, p. 2, 2-21/4, p. 3. [Retour au contenu] -
[18]
Doc. parl., Sénat, 1999-2000, 2-465/1, p. 2-3, 2-465/4, p. 5. [Retour au contenu] -
[19]
Par exemple, voy. l’arrêt n° 101/2005. [Retour au contenu] -
[20]
Voy. notamment l’arrêt n° 106/2014. [Retour au contenu] -
[21]
Arrêts n° 202/2004, 131/2005 et 151/2006. [Retour au contenu] -
[22]
Arrêt n° 202/2004. [Retour au contenu] -
[23]
X. Delgrange, « Quand la Cour d’arbitrage s’inspire de la Cour de Strasbourg », note sous C.A., n° 23/89, Rev. rég. Dr., 1989, p. 619. [Retour au contenu] -
[24]
P. Martens, « L’influence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la Cour constitutionnelle », C.D.P.K., 2010, p. 350. [Retour au contenu] -
[25]
M. Verdussen, Justice constitutionnelle, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 381. [Retour au contenu] -
[26]
Sur cette notion, voy. F. Krenc, « L’autorité de la chose interprétée des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme », in S. Van Drooghenbroek (dir.), Le droit international et européen des droits de l’homme devant le juge national, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 311 et suiv. [Retour au contenu] -
[27]
Arrêt n° 7/2013. [Retour au contenu] -
[28]
Notamment, arrêt n° 48/2014. [Retour au contenu]
III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?
Nihil.
Cour constitutionnelle du Bénin
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 est assez claire sur son rang normatif et son efficacité juridique.
– Sur le rang normatif :
La fin du Préambule de la Constitution est ainsi libellée :
« [Nous, Peuple beninois], (…) Adoptons solennellement la présente Constitution, qui est la Loi suprême de l’État et à laquelle nous jurons loyalisme, fidélité et respect. »
Dans le corps même de la Constitution, on pourrait également faire référence à l’article 3, alinéa 2, qui dispose :
« La souveraineté s’exerce conformément à la présente Constitution qui est la Loi suprême de l’État. »
– Sur l’efficacité juridique :
L’article 3, alinéa 3, de la Constitution précise clairement qu’en cas de violation de la Constitution par n’importe quelle autre norme, la Cour constitutionnelle peut être saisie par tout citoyen (tout individu dans la pratique) pour faire constater l’inconstitutionnalité de cette norme. (« Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels. »). Or, selon les termes de l’article 124 de la Constitution, « Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.
Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles. »
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
En disposant en son alinéa 2 que « La forme républicaine et la laïcité de l’État ne peuvent faire l’objet d’une révision. », l’article 156 de la Constitution élève au rang de normes super constitutionnelles les dispositions relatives à la forme républicaine de l’État et à sa laïcité, c’est-à-dire les dispositions de l’alinéa 1 de l’article 1er, puis celles de l’alinéa 1 de l’article 2.
En retenant par la décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011 que « Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum, les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990, à savoir : – la forme républicaine et la laïcité de l’État; – l’atteinte à l’intégrité du territoire national ; – le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois ; – la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle ; – le type présidentiel du régime politique au Bénin », la Cour constitutionnelle élargit ce domaine des normes intangibles aux articles 42 (Art. 42. – « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ») et 44, 4e tiret. (« Art. 44. – Nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République s’il : – (…) n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de dépôt de sa candidature ; (…) ».).
Il apparaît que ces dispositions de la Constitution qui ne peuvent faire l’objet de révision alors que toutes les autres dispositions du même instrument juridique le peuvent, ont une prévalence sur les autres.
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
Trois types de textes peuvent être invoqués ici : la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les lois organiques et les règlements intérieurs des hautes institutions de l’État.
– La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Le Préambule de la Constitution prévoit que « Nous, Peuple béninois, (…) Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981, par l’Organisation de l’Unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ; ». Il s’ensuit que ces différents instruments juridiques sont appelés à compléter la Constitution dans le cadre de son interprétation, et même comme normes de référence dans le contrôle de constitutionnalité.
Si cette affirmation paraît classique pour nombre de constitutions, force est de reconnaître que de tous ces instruments, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples occupe une place particulière. L’article 7 de la Constitution précise en effet que : « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois ». La place constitutionnelle de la Charte africaine ne fait donc l’objet d’aucun doute, et trouve son fondement dans la Constitution elle-même.
Dans la décision DCC 34-94 des 22 et 23 décembre 1994 [1], portant sur la création d’une Commission électorale nationale autonome (CENA), la Cour constitutionnelle s’est fondée sur le préambule de la Constitution en ce qui concerne « l’attachement du Peuple béninois aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, s’est traduit par l’intégration à la Constitution du 11 décembre 1990 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui fait siens les principes précités ; que les dispositions de la Charte font partie intégrante du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ».
Sur les normes de référence qu’elle utilise, on note ainsi que la Cour évoque la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en rappelant « que les dispositions de la Charte font partie intégrante du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ». Dans une autre décision portant sur le droit à la défense en matière de sanction disciplinaire, la Cour constitutionnelle a été saisie d’un recours de Monsieur Gouhouede Antoine, magistrat, qui ayant été suspendu de ses fonctions en vue de poursuites disciplinaires, par décision du Conseil supérieur de la magistrature en date du 13 mars 1995, se plaint de ce qu’il n’a pas eu la possibilité d’exercer ses droits à la défense, même s’il est vrai que la procédure suivie était conforme à l’article 46 de la loi n° 83-005 du 17 mai 1983 portant statut de la magistrature béninoise. Il estime en effet que la suspension édictée par cet article s’apparente à une sanction disciplinaire, or, il n’est prévu aucune possibilité d’exercer ses droits à la défense à cette étape de la procédure disciplinaire. Il demande donc à la Cour, de se fonder sur l’article 17 de la Constitution et l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples pour constater l’inconstitutionnalité de la décision prise à son encontre. La Cour constitutionnelle, constatant que Monsieur Gouhouede Antoine n’a pas été en mesure d’exercer son droit à la défense, comme le prescrit la Constitution, a déclaré inconstitutionnelle la décision de sa suspension. Elle a décidé que « la loi précitée n’ayant pas organisé les droits de la défense, à cette étape de la procédure disciplinaire méconnaît les exigences de la protection des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques, garantis par la Constitution, en particulier l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples » [2]. Par cette décision [3], dans laquelle la cour évoque « la Constitution, en particulier l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », la haute juridiction utilise nettement l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples comme norme de référence parce que ce texte fait partie de la Constitution. Elle ne sent même plus le besoin d’invoquer l’article 17 de la Constitution dans ses motifs, même si dans le dispositif, elle conclut à la violation de la Constitution.
– Les lois organiques
Ce sont donc des normes prises « en vertu de la Constitution ». C’est cette dernière qui demande ainsi explicitement à être complétée sur tel ou tel point. La Constitution prévoit en effet une liste limitative de lois qui ne peuvent être adoptées qu’en la forme de lois organiques. Il s’agit de lois portant sur les questions suivantes :
– Conditions de recours au référendum [4].
– Liste des emplois de hauts fonctionnaires pourvus par le président de la République 5[5].
– Conditions de vote des lois de finances et de règlement des comptes de la Nation 6[6].
– Organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, procédure suivie devant elle, notamment les délais pour sa saisine de même que les immunités et le régime disciplinaire de ses membres 7[7].
– Composition, attributions, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature 8[8].
– Règles de fonctionnement et procédure suivie devant la Haute cour de justice 9[9].
– Composition, organisation et fonctionnement du Conseil économique et social (CES) 10[10].
– Composition, attributions, organisation et fonctionnement de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) 11[11].
L’article 97 de la Constitution expose clairement la spécialité de la loi organique par rapport à la loi ordinaire. Elle dispose :
« La loi est votée par l’Assemblée nationale à la majorité simple. Cependant, les lois auxquelles la présente Constitution confère le caractère de lois organiques sont votées et modifiées dans les conditions suivantes :
– la proposition ou le projet n’est soumis à la délibération et au vote de l’Assemblée qu’après l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt sur le Bureau de l’Assemblée ;
– le texte ne peut être adopté qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée ;
– les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par la Cour constitutionnelle de leur conformité à la Constitution. »
Ce texte exige en réalité une double majorité.
C’est, d’une part, une majorité de quorum qui est exigée. En effet, la présence, lors du vote portant sur la loi organique de la majorité des membres composant l’Assemblée nationale est obligatoire puisqu’un vote n’atteignant pas leur nombre n’a aucune valeur. En comparaison avec la procédure d’adoption d’une loi ordinaire, lorsque le nombre de députés présent n’atteint pas la majorité des membres composant l’Assemblée nationale, le vote est reporté à une prochaine séance. Au cours de cette séance, la délibération peut avoir lieu quelque soit le nombre de députés présents 12[12].
C’est, d’autre part, une majorité de vote qui est requise. En effet, la loi n’est considérée comme votée que si le nombre de votes favorables est supérieur à la moitié des membres composant l’Assemblée nationale.
L’article 19 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle précise les modalités de la procédure de contrôle de constitutionnalité en disposant que « les lois organiques adoptées par l’Assemblée nationale sont transmises à la Cour constitutionnelle par le président de la République pour contrôle de constitutionnalité… »
Une fois adoptées, les lois organiques complètent donc la Constitution dans sa fonction de norme de référence. Les lois organiques constituent alors, avec le texte fondamental, un complexe normatif placé au sommet de la hiérarchie des normes et servant de normes de référence au contrôle de constitutionnalité des autres textes.
Ainsi, plusieurs décisions de la Cour constitutionnelles utilisent ces normes pour constater la conformité ou la non-conformité d’une loi ou d’un acte réglementaire à la Constitution.
La manière dont le législateur, lors du vote, le 28 février 1997, de la loi n° 97-010 portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin, a réglé la question de la qualité de la personne pouvant être autorisée à opérer comme propriétaire de médias audiovisuels au Bénin a fait l’objet d’examen de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle béninoise, saisie par le président de la République. Dans cet examen, c’est la loi organique de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) qui a servi de norme de référence à la Cour constitutionnelle. Saisie, le 10 mars 1997, par le président de la République pour contrôler la constitutionnalité du texte voté par l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle a relevé que l’article 3 de la loi votée, en utilisant les termes « organismes privés », restreint le champ d’application des articles 9 et 44 de la loi organique de la HAAC. Quant aux prescriptions de l’article 15 évoquant « toute personne morale de droit béninois », elle est jugée également « contraire aux articles 9 et 44 de la loi organique sur la HAAC qui permettent l’usage des fréquences à toute personne désirant opérer sur le territoire national ». Pour ces raisons, la Cour a considéré que ces articles, de même qu’une série d’autres articles du texte voté qui reprenaient les formulations incriminées, étaient « non conformes à la Constitution » [13]. La Cour n’a mentionné directement aucune disposition de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, mais a considéré que la non-conformité des dispositions incriminées aux articles 9 et 44 de la loi organique sur la HAAC valait « nonconformité à la Constitution ». C’est là une preuve tangible de l’assimilation des lois organiques à la Constitution, ou plus exactement, l’appartenance des lois organiques au bloc de constitutionnalité.
– Les règlements intérieurs des hautes institutions de l’État.
S’agissant du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, la Cour, après avoir déclaré, en 1993, que celui-ci ne faisait pas partie du bloc de constitutionnalité et ne pouvait donc pas servir de norme de référence dans le cadre du contrôle de constitutionnalité [14], a opéré un revirement de jurisprudence en 1998 [15] dans sa décision DCC 98-039 du 14 avril 1998 [16]
C’est un député, qui se fondant sur l’article 121, alinéa 1, de la Constitution, a saisi la haute juridiction du contrôle de constitutionnalité de la loi 98-013 portant amnistie de certains faits commis entre le 1er janvier 1990 et le 30 juin 1996, votée par le Parlement, le 20 février 1998. Le député se plaint de ce que « lors du vote de la loi, il a été pourvu au remplacement des secrétaires parlementaires absents par un questeur désigné d’autorité par le président de l’Assemblée nationale, en dépit des protestations et exceptions législatives soulevées sur ce point ». L’élu considère que, ce faisant, l’article 17.5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale aux termes duquel « les secrétaires parlementaires (…) constatent les votes (…) et dépouillent les scrutins », a été violé. Or, pour lui, cette disposition est une mise en œuvre de l’article 89 de la Constitution aux termes duquel « Les travaux de l’Assemblée nationale ont lieu selon un règlement intérieur qu’elle adopte conformément à la Constitution (…) [17] ». La violer reviendrait donc à une violation de la Constitution. La Cour constitutionnelle sera sensible à cette argumentation et retiendra que, puisque l’article 17.5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui est « la mise en œuvre des règles constitutionnelles » a été violé, « le vote de la loi intervenue dans ces conditions doit être déclaré, dès lors, contraire à la Constitution pour vice de procédure ». Ici aussi, comme en matière de lois organiques, la violation d’une disposition du règlement intérieur mettant en œuvre une disposition constitutionnelle, constitue une violation de la Constitution. Cette logique devrait être étendue aux règlements intérieurs des autres institutions de l’État dans la mesure où ils constituent la mise en œuvre des lois organiques, lesquelles font partie du bloc de constitutionnalité.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
Dans la décision DCC 34-94 des 22 et 23 décembre 1994 [18], portant sur la création d’une Commission électorale nationale autonome (CENA), la Cour constitutionnelle s’est fondée sur le préambule de la Constitution en ce qui concerne « l’attachement du Peuple béninois aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (…) ». Elle a nettement évoqué dans ses « normes de référence », « les exigences de l’État de droit et de démocratie pluraliste affirmées dans le préambule de la Constitution du 11 décembre 1990 ». C’est sur l’ensemble de ces principes et normes qu’elle s’est fondée pour valider la création d’une Commission Électorale nationale autonome.
Dans une autre décision DCC 09-016 du 19 février 2009, la Cour constitutionnelle a eu à affirmer : « (…) La Constitution, norme fondatrice de l’État, ne se réduit pas à la détermination des règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir dans l’État ; (…) elle met toujours en œuvre une certaine idée de
Le règlement intérieur détermine :
– la composition, les règles de fonctionnement du Bureau ainsi que les pouvoirs et prérogatives de son président ;
– le nombre, le mode de désignation, la composition, le rôle et la compétence de ses commissions permanentes, ainsi que celles qui sont spéciales et temporaires ;
– la création de commissions d’enquête parlementaires dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale ;
– l’organisation des services administratifs dirigés par un secrétaire général administratif, placé sous l’autorité du président de l’Assemblée nationale ;
– le régime de discipline des députés au cours des séances de l’Assemblée ;
– les différents modes de scrutin, à l’exclusion de ceux prévus expressément par la présente Constitution. »
droit, c’est-à-dire, l’image de l’ordre social qu’il conviendrait de réaliser en vue du bien commun du peuple ; (…) elle est donc porteuse d’un idéal de société qui doit inspirer toute l’activité politique de l’État ; (…) le préambule de la Constitution, expression éclatante de cette idée de droit, affirme solennellement la détermination du peuple béninois de créer un État de droit et de démocratie pluraliste ; (…) ». C’est donc en se fondant sur ce préambule que la Cour a affirmé que « la démocratie pluraliste ne saurait être de manière absolue et exclusive la loi de la majorité, mais la protection de la minorité, qu’en effet, si la règle démocratique exige que la majorité décide et que la minorité s’incline, dans l’exercice de ce pouvoir de décision, la majorité doit cependant s’imposer à elle-même, le cas échéant, une limite qu’elle ne saurait transgresser sous peine de devenir tyrannique, à savoir le respect des droits de la minorité ; (…). ». Elle en a déduit que « la garantie des droits de la minorité doit se traduire au Parlement par le respect de sa configuration politique impliquant la règle de la répartition proportionnelle dans la désignation des députés appelés à représenter l’Assemblée nationale en tant que Corps, à animer ses organes de gestion ou à siéger au sein d’autres institutions de l’État ».
Il apparaît ainsi clairement que le Préambule fait partie au Bénin du bloc de constitutionnalité. Aucune différence de nature juridique n’est établie entre le préambule et le corps de la Constitution. Toutes les dispositions de la Constitution ont une égale valeur juridique.
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non.
Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
Oui
En dehors de l’utilisation de la convention régionale de protection des droits fondamentaux comme normes de référence pour des raisons examinées plus haut, il arrive que la Cour constitutionnelle béninoise utilise d’autres traités internationaux comme norme de référence. On pourrait l’illustrer à travers deux exemples dans lesquels la Cour fait référence, tantôt aux normes économiques et financières internationales, tantôt aux normes internationales relatives aux droits fondamentaux des travailleurs.
– DCC 11-042 du 21 juin 2011
Dans cette décision, la Cour constitutionnelle constate que : « La Constitution en son article 147 prescrit : “Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois.” ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les Institutions de Bretton Woods et l’État Béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; (…) il en est de même du Traité créant l’Union économique et monétaire ouest africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35 % ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution. ».
Il faut noter que la Cour constitutionnelle procède ici à un contrôle de conventionalité, mais qui passe par le filtre d’une disposition constitutionnelle. C’est en se fondant sur la disposition constitutionnelle qui évoque la supériorité du traité international sur les normes législatives – et a fortiori sur les normes infra législatives – que le juge constitutionnel constate la contrariété d’un décret avec des engagements internationaux, ce qui constitue, pour lui, d’abord et avant tout, une violation de l’article 147 de la Constitution, même s’il est vrai que cette violation de la Constitution provient du constat de violation d’un certain nombre d’engagements internationaux.
C’est la même logique qui a été suivie dans la décision suivante, rendue en matière de norme internationale du travail.
– DCC 02-050 du 30 mai 2002, DCC 03-009 du 19 février 2003 et DCC 11-065 du 30 septembre 2011
Pour valider l’article 9 de la loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin voté à l’Assemblée nationale les 25 et 26 septembre 2011, lequel dispose que « « Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève. », la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, a utilisé comme normes de référence des « traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par notre pays. ». Elle s’est fondée d’abord sur l’article 31 de la Constitution, mais a aussi invoqué « l’article 8, alinéa 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [qui] précise que la garantie constitutionnelle du droit de grève « n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique. ». Allant encore plus loin, le juge constitutionnel a invoqué la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation Internationale du travail : « Considérant que l’Organisation internationale du travail dans son recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : « L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale » ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. ». La Cour tire de ces sources de l’OIT « qu’ainsi, l’Organisation internationale du travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; ».
C’est sur la base de l’ensemble de ces normes de référence que la Cour conclut que « dès lors, il y a lieu de dire et juger que l’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution ni les principes fondamentaux de l’Organisation internationale du travail ; ».
Il est donc clair que la Cour constitutionnelle béninoise utilise les conventions internationales ratifiées par le Bénin comme norme de référence, mais le caractère auxiliaire de ces conventions est confirmé ici, puisque c’est pour conforter des dispositions constitutionnelles précises que ces textes internationaux sont invoqués. Cela explique que le juge constitutionnel puisse aller jusqu’à citer des ouvrages, la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation internationale du travail puisque ces sources « secondaires » ne viennent simplement que pour compléter la norme constitutionnelle.
Il reste toutefois que, comme le précise la Cour, dans sa décision DCC 02-050 du 30 mai 2002, « la ratification et la publication sont deux conditions indispensables et indissociables à l’insertion des traités dans l’ordonnancement juridique béninois ; que la Convention N° 87 de l’OIT ratifiée par le Bénin n’a jamais été publiée ; qu’elle n’est donc pas applicable ». Dans le même sens, la haute juridiction a considéré, dans sa décision DCC 03-009 du 19 février 2003, que le moyen tiré de la violation de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le Bénin le 30 août 1990, est inopérant au motif que « la convention (…) a été ratifiée par le Bénin (…), mais n’a jamais été publiée et n’entre donc pas dans le droit positif béninois ».
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
Comme énoncé plus haut, le Préambule de la Constitution prévoit que « Nous, Peuple béninois, (…) réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981, par l’Organisation de l’unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ; ». Il s’ensuit que ces différents instruments juridiques internationaux occupent une place particulière et sont appelés à compléter la Constitution dans le cadre de son interprétation, et même comme normes de référence dans le contrôle de constitutionnalité.
De tous ces instruments, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples occupe une place particulière. L’article 7 de la Constitution précise en effet que : « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptés en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois. ». La place constitutionnelle de la Charte africaine ne fait donc l’objet d’aucun doute, et trouve son fondement dans la Constitution elle-même.
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
Aux termes de l’article 144 de la Constitution, les traités ou accords sont négociés, signés et ratifiés, le cas échéant, par le président de la République, mais celui-ci délègue souvent son pouvoir de négociation et de signature à des plénipotentiaires.
Une fois les traités signés, la Constitution met un obstacle à toute ratification de certains traités tant que ceux-ci n’ont pas fait l’objet d’une autorisation de ratification donnée par le Parlement en la forme d’une loi d’autorisation de ratification. C’est ainsi que l’article 145 de la Constitution dispose :
« Les traités de paix, les traités ou accords relatifs aux organisations internationales, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient les lois internes de l’État, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés qu’en vertu d’une loi…. ».
C’est à ce niveau que peut intervenir la Cour constitutionnelle dans la mesure où, conformément à l’article 146 de la Constitution du 11 décembre 1990 : « Si la Cour constitutionnelle saisie par le président de la République ou par le président de l’Assemblée nationale a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le ratifier ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».
L’article 147 de la Constitution qui prévoit que : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. Cet article conditionne la mise en vigueur effective de tout traité international dans l’ordre interne béninois à certaines conditions qui sont :
– La régularité de la ratification ;
– La publication ;
– La réciprocité.
Si les deux premières conditions ne posent pas de problèmes particuliers, il reste à se prononcer sur les deux autres conditions.
S’agissant d’abord de la réciprocité, il faut dire qu’elle ne s’applique pas en matière de droits de l’homme, car il s’agit d’obligations d’un État envers toutes les personnes qui sont sous sa juridiction, et, non, de relations d’État à État.
En ce qui concerne la publication, il est constant que tout traité international qui n’a pas été publié ne peut produire aucun effet dans l’ordre juridique béninois. La Cour a ainsi considéré dans sa décision DCC 02-050 du 30 mai 2002 que « la ratification et la publication sont deux conditions indispensables et indissociables à l’insertion des traités dans l’ordonnancement juridique béninois ; que la Convention n° 87 de l’OIT ratifiée par le Bénin n’a jamais été publiée ; qu’elle n’est donc pas applicable ». Dans le même sens, la même juridiction a considéré, dans sa décision DCC 03-009 du 19 février 2003, que le moyen tiré de la violation de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le Bénin le 30 août 1990, est inopérant au motif que « la convention (…) a été ratifiée par le Bénin (…), mais n’a jamais été publiée et n’entre donc pas dans le droit positif béninois ».
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
La Constitution béninoise n’a subi aucune modification quelconque depuis son adoption il y a vingt-cinq ans. Sa rigidité, renforcée par la Cour constitutionnelle a contribué à sa forte sacralisation et constitue donc un élément de sa suprématie.
La Constitution béninoise se veut rigide puisque, pour sa révision, il est expressément prévu des conditions difficiles à réunir.
Des dispositions expresses de la Constitution, on peut retenir des phases préalables à la révision et la phase de la révision proprement dite.
Les phases préalables se fondent sur les dispositions ci après : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République, après décision prise en Conseil des ministres et aux membres de l’Assemblée nationale » [19]. Une fois que l’initiative est prise, il faut qu’elle reçoive l’adhésion d’une majorité qualifiée de députés fixée à « trois quarts des membres composant l’Assemblée nationale. ». En cas de vote positif en ce sens, on considère que l’initiative est « prise en considération ». La procédure proprement dite de révision peut maintenant démarrer. Pour cette phase, soit on recourt au référendum, soit on se contente de la voie parlementaire. Dans le premier cas, la révision est acquise si la majorité des électeurs l’approuve. Dans le deuxième cas, la révision ne sera considérée comme acquise que si elle est approuvée par une majorité des quatre cinquième des membres composant l’Assemblée nationale.
Mais, au-delà des exigences constitutionnelles expresses, la Cour constitutionnelle a considéré, malgré un vote écrasant, le 23 juin 2006, de 71 voix sur 83 au Parlement en faveur d’une révision constitutionnelle portant la prolongation du mandat des députés de quatre à cinq ans, que, « même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle » [20]. Cela signifie au minimum que toute révision de la Constitution doit se faire en essayant autant que possible d’obtenir à la fois l’adhésion du Parlement qui est requise dans tous les cas, mais aussi, tout au moins, l’adhésion du pouvoir exécutif lorsque l’initiative de révision est d’origine parlementaire [21].
Plus tard, lors du contrôle de constitutionnalité de la loi organique sur le référendum, la Cour constitutionnelle a élargi les matières intangibles de la Constitution, c’est-à-dire celles qui ne peuvent pas faire l’objet de révision. Alors que l’article 156 de la Constitution dispose sobrement que « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et la laïcité de l’État ne peuvent faire l’objet d’une révision », la Cour a en effet décidé que : (DCC 11-067 du 20 octobre 2011) : « Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum, les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990, à savoir : – la forme républicaine et la laïcité de l’État; – l’atteinte à l’intégrité du territoire national ; – le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois ; – la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle ; – le type présidentiel du régime politique au Bénin ». Juridiquement, l’on ne saurait concevoir que ce que l’on refuse directement au peuple – par référendum –, soit permis aux représentants du peuple – par voie. Il ne saurait donc y avoir non plus de révision parlementaire de la Constitution sur ces points.
Récemment, une autre décision de la Cour constitutionnelle a mis fin à un débat : celui de savoir si une révision constitutionnelle pourrait déboucher sur une nouvelle république de nature à mettre les compteurs à zéro et à permettre ainsi un, voire, deux mandats au profit du président de la République en exercice actuellement (2014). Pour la Cour constitutionnelle, par décision DCC 14-199 du 20 novembre 2014 que « le titre XI de la Constitution organise et encadre la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 ; (…) une jurisprudence constante de la Cour précise les limites et modalités de cette révision, qu’elle soit opérée par voie parlementaire ou par référendum ; (…) la révision opérée dans les formes prescrites, à l’exception des clauses expressément exclues de toute révision et qualifiées de clauses intangibles, garantit la stabilité de la Constitution en l’adaptant aux nouvelles aspirations légitimes du peuple souverain ; (…) la révision de la Constitution résultant de la mise en œuvre du pouvoir constituant dérivé ne peut détruire l’ordre constitutionnel existant et lui substituer un nouvel ordre constitutionnel ; (…) elle n’a donc pas vocation à créer une nouvelle République (…) l’avènement d’une nouvelle république ne peut procéder que du pouvoir constituant originaire distinct du pouvoir constituant dérivé prévu et organisé directement par la Constitution elle-même ».
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
À cause des conditions rigides de sa révision et des balises posées par la Cour constitutionnelle, aucune modification de la Constitution n’est intervenue depuis son adoption en 1990. La seule tentative de 2006 a été invalidée par la Cour constitutionnelle au motif que « même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle » [22]
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
La seule hypothèse prévue par la Constitution sur ce point semble être celle de l’article 146 de la Constitution, laquelle dispose :
« Si la Cour constitutionnelle saisie par le président de la République ou par le président de l’Assemblée nationale a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le ratifier ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution. »
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
Oui.
Par les voies de recours ouvertes et nombreuses, les particuliers s’ajoutent aux autorités politiques pour déférer, presque systématiquement à la Cour les actes et comportements contraires à la Constitution. Les décisions de la haute juridiction étant dans leur immense et écrasante majorité suivies d’effets, c’est-à-dire respectées, on peut conclure que la suprématie de la Constitution est effective conformément à l’article 124 de la Constitution qui est sans ambiguïté :
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulgée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles. »
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
La réponse est positive.
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
En plus de vingt ans de fonctionnement, la Cour a connu deux à trois marches organisées contre certaines de ses décisions et quelques tentatives de résistance à certaines autres de ces décisions par certains parlementaires déboutés de leurs prétentions.
Mais sur des milliers de décisions de la Cour, on ne peut guère citer plus d’une dizaine qui ont connu ce genre de réactions quelque peu extrême. Et même dans ces cas, les effets attendus des décisions contestées sont toujours mises en œuvre. À ces rares occasions, certains parlementaires émettent le souhait de revoir les modalités de désignation des membres de la Cour afin, selon eux, d’améliorer leur indépendance. D’autres envisagent de réduire les attributions d’une Cour « trop audacieuse ». Si donc il est arrivé de rares contestations vives, la légitimité du contrôle de constitutionnalité n’a jamais été remise en cause en soi.
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
On peut évoquer les cas du président de la République et du pouvoir judiciaire.
– Le président de la République
Selon l’article 41 de la Constitution, « Le président de la République est le (…) garant de (…) du respect de la Constitution (…) ».
Cette autorité a toujours entretenu de bons rapports avec la Cour constitutionnelle, même si celle-ci a, à plusieurs reprises, déclarés certains de ses actes contraires à la Constitution.
– Le pouvoir judiciaire
L’article 131 de la Constitution précise :
« La Cour suprême est la plus haute juridiction de l’État en matière administrative, judiciaire et des comptes de l’État.
(…).
Les décisions de la Cour suprême ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, ainsi qu’à toutes les juridictions. »
Pendant longtemps, la Cour constitutionnelle a considéré qu’elle n’était pas compétente pour contrôler la constitutionnalité des décisions de la Cour suprême. Mais, l’évolution de sa jurisprudence a débouché sur la décision DCC 09-087 du 13 août 2009, aux termes de laquelle « les décisions de justice ne sont pas des actes susceptibles de recours devant la Cour constitutionnelle pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens et les libertés publiques ; ». Ainsi, « en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions ». Elle a donc affirmé la suprématie de ces décisions sur celles de la Cour suprême car, aux termes de l’article 114 de la Constitution, « elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ».
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
L’article 124 de la Constitution dispose :
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles. »
L’autorité des décisions de la cour ne souffre d’aucune ambiguïté ou hésitation. Elle est correctement respectée.
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
Dans le bloc de constitutionnalité béninois, on distingue :
– La Constitution stricto sensu (y compris son Préambule et son annexe, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples)
– Les lois organiques
– Les règlements intérieurs des hautes institutions de la République dans leurs dispositions qui sont la mise en œuvre d’une disposition constitutionnelle.
– Les traités internationaux dans leurs dispositions qui explicitent les dispositions constitutionnelles – Les lois ordinaires dans leurs dispositions qui explicitent les dispositions constitutionnelles
– Les principes à valeur constitutionnelles (transparence, pluralisme, continuité de l’État, consensus national pour réviser la constitution, principe majorité/minorité dans la cadre de la pratique démocratique, notamment parlementaire….) qui sont dégagées de manière jurisprudentielle en tenant compte de l’esprit de la Constitution.
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
Voir réponses à la question précédente.
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
La Cour peut connaître de la constitutionnalité de toutes les normes dès lors que le grief est la contrariété de la norme avec une des normes du bloc de constitutionnalité. Mais elle est incompétente à exercer un contrôle de légalité, c’est-à-dire un contrôle de la manière dont une autorité politico administrative met en œuvre les dispositions d’une loi dans un cas où aucune contrariété avec une disposition constitutionnelle n’est invoquée, à moins qu’il ne s’agisse pour le requérant d’invoquer l’inconstitutionnalité de la loi elle-même.
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
La Cour dispose de toutes les voies de recours lui permettant d’être saisie de tous les cas d’inconstitutionnalité, qu’il s’agisse des recours a priori, des recours a posteriori ou des questions préjudicielles.
Il existe d’abord des contrôles préalables obligatoires. Ainsi, conformément à l’article 117 de la Constitution, reprise de manière détaillée, d’une part, à l’article 123 de la Constitution, d’autre part, à l’article 19 de la loi N° 91-009 du 31 mai 2001 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle : « Les lois organiques adoptées par l’Assemblée nationale sont transmises à la Cour constitutionnelle par le président de la République pour le contrôle de constitutionnalité… ». De même, sur la base de l’article 123 de la Constitution, reprise par l’article 21 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle : « Les règlements intérieurs et les modifications aux règlements adoptés par l’Assemblée nationale, la Haute autorité de l’audiovisuel et la communication et par le Conseil économique et social sont, avant leur mise en application, soumis à la Cour constitutionnelle par le président de chacun des organes concernés ».
Il existe ensuite des contrôles théoriquement facultatifs. L’article 121 de la Constitution dispose en effet que : « La Cour constitutionnelle, à la demande du président de la République ou de tout membre de l’Assemblée nationale, se prononce sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation ». Mais, il s’est développé une pratique consistant pour le président de la République à saisir systématiquement la Cour constitutionnelle de toutes les lois votées par le Parlement avant que celles-ci ne soient promulguées, conformément à l’article 117 de la Constitution qui dispose que :
« La Cour constitutionnelle
– statue obligatoirement sur :
– Les lois organiques et les lois en général avant leur promulgation. (…) »
On pourrait ajouter que l’article 22 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, détaillant les conditions de mise en œuvre de l’article 117 de la Constitution, dispose : « De même sont transmis à la Cour constitutionnelle soit par le président de la République, soit par tout citoyen, par toute association ou organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme, les lois et actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques… ».
Enfin, il ne faut pas oublier que, conformément à l’article 122 de la Constitution, « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours. »
Mais au-delà de toutes ces attributions, la Cour constitutionnelle se voit aussi confier, par le constituant de 1990, une attribution originale : L’article 117 de la Constitution dispose que la Cour constitutionnelle statue « (…) en général sur la violation des droits de la personne humaine… ».
Dans l’exercice de cette dernière attribution, il y a eu une évolution dans la prise en compte du dédommagement.
– Avant 2002, la Cour se contentait du simple constat de la violation.
– À partir de 2002 : La cour constate parfois que “cette violation ouvre droit à dommages et intérêts” Cette évolution ne conduit toutefois pas la Cour à se déclarer compétente pour octroyer les dommages et intérêts. Mais comme ses décisions s’imposent à toutes les autorités publiques y compris juridictionnelles, il appartient aux parties gagnantes de se prévaloir des décisions du juge constitutionnel pour obtenir devant le juge judiciaire (civil) la réparation des préjudices subis. Il y a en effet “autorité de la chose jugée au constitutionnel sur le civil”.
– Plus récemment encore, La Cour a commencé par transmettre certaines décisions aux procureurs généraux ou aux procureurs de la République.
Certains se demandent s’il n’y a pas lieu de prévoir une saisine automatique d’un autre juge en cas de constat de violation des droits de l’homme pour que ce juge prononce une sanction civile ou pénale ? Ne faudrait-il pas aussi créer en droit pénal l’infraction d’outrage à la Cour constitutionnelle pour sanctionner ceux qui ne se soumettent pas à sa décision. ? Et que penser d’un rapport annuel de suivi de l’exécution de ses décisions que la Cour pourrait publier chaque année et offrir ainsi de la matière à la société civile ? Le débat reste ouvert.
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
La Cour constitutionnelle privilégie l’interprétation téléologique par rapport à l’interprétation littérale des textes quand l’enjeu l’impose.
Deux séries de décisions permettent d’en rendre compte, l’une sur la révision de la Constitution, l’autre sur le principe majorité / minorité.
– La révision de la Constitution
Des dispositions expresses de la Constitution, on peut retenir des phases préalables à la révision et la phase de la révision proprement dite.
Les phases préalables se fondent sur les dispositions ci-après : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République, après décision prise en Conseil des ministres et aux membres de l’Assemblée nationale » [23]. Une fois que l’initiative est prise, il faut qu’elle reçoive l’adhésion d’une majorité qualifiée de députés fixée à « trois quarts des membres composant l’Assemblée nationale. ». En cas de vote positif en ce sens, on considère que l’initiative est « prise en considération ». La procédure proprement dite de révision peut maintenant démarrer. Pour cette phase, soit on recourt au référendum, soit on se contente de la voie parlementaire. Dans le premier cas, la révision est acquise si la majorité des électeurs l’approuve. Dans le deuxième cas, la révision ne sera considérée comme acquise que si elle est approuvée par une majorité des quatre cinquième des membres composant l’Assemblée nationale.
Mais, au-delà des exigences constitutionnelles expresses, la Cour constitutionnelle a considéré, malgré un vote écrasant, le 23 juin 2006, de 71 voix sur 83 au Parlement en faveur d’une révision constitutionnelle portant la prolongation du mandat des députés de quatre à cinq ans, que, « même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle » [24]. Cela signifie au minimum que toute révision de la Constitution doit se faire en essayant autant que possible d’obtenir à la fois l’adhésion du Parlement qui est requise dans tous les cas, mais aussi, tout au moins, l’adhésion du pouvoir exécutif lorsque l’initiative de révision est d’origine parlementaire [25].
Plus tard, lors du contrôle de constitutionnalité de la loi organique sur le référendum, la Cour constitutionnelle a élargi les matières intangibles de la Constitution, c’est-à-dire celles qui ne peuvent pas faire l’objet de révision. Alors que l’article 156 de la Constitution dispose sobrement que « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et la laïcité de l’État ne peuvent faire l’objet d’une révision », la Cour a en effet décidé que : (DCC 11-067 du 20 octobre 2011) : « Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum, les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990, à savoir : – la forme républicaine et la laïcité de l’État ; – l’atteinte à l’intégrité du territoire national ; – le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois ; – la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle ; – le type présidentiel du régime politique au Bénin. ».
– Le principe majorité/minorité
Le principe à valeur constitutionnelle de « majorité / minorité » a été dégagé par la Cour constitutionnelle dans sa décision DCC 09-002 du 8 janvier 2009 alors qu’étaient en jeu les critères de désignation par l’Assemblée nationale de certains députés au sein de la Haute cour de justice.
Saisie de la situation, la Cour avait décidé que : « s’il est vrai que ni la Constitution, ni la loi organique sur la Haute cour de justice, ni le règlement intérieur de l’Assemblée nationale n’ont expressément prévu une procédure spécifique pour cette élection, il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre de ces prescriptions doit se faire conformément aux exigences de la démocratie pluraliste, sur la base de la représentation proportionnelle majorité/ minorité, principe à valeur constitutionnelle ».
Dans une autre décision DCC 09-016 du 19 février 2009, la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de justifier, non seulement la pertinence de ce principe à valeur constitutionnelle, mais aussi son lien avec la Constitution, en ces termes : « (…) La Constitution, norme fondatrice de l’État, ne se réduit pas à la détermination des règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir dans l’État; (…) elle met toujours en œuvre une certaine idée de droit, c’est-à-dire, l’image de l’ordre social qu’il conviendrait de réaliser en vue du bien commun du peuple ; (…) elle est donc porteuse d’un idéal de société qui doit inspirer toute l’activité politique de l’État; (…) le préambule de la Constitution, expression éclatante de cette idée de droit, affirme solennellement la détermination du peuple béninois de créer un État de droit et de démocratie pluraliste ; (…) la démocratie pluraliste ne saurait être de manière absolue et exclusive la loi de la majorité, mais la protection de la minorité, qu’en effet, si la règle démocratique exige que la majorité décide et que la minorité s’incline, dans l’exercice de ce pouvoir de décision, la majorité doit cependant s’imposer à elle-même, le cas échéant, une limite qu’elle ne saurait transgresser sous peine de devenir tyrannique, à savoir le respect des droits de la minorité ; (…). ». Elle ajoute « La garantie des droits de la minorité doit se traduire au Parlement par le respect de sa configuration politique impliquant la règle de la répartition proportionnelle dans la désignation des députés appelés à représenter l’Assemblée nationale en tant que corps, à animer ses organes de gestion ou à siéger au sein d’autres institutions de l’État. »
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
C’est en matière de contrôle de constitutionnalité des décisions de justice, notamment des décisions rendues par la Cour suprême, que l’évolution dans la protection des droits fondamentaux a été la plus progressive et la plus visible.
La Cour constitutionnelle, peut-elle se déclarer compétente en matière de contrôle de constitutionnalité des décisions rendues par les juridictions de droit commun – de l’ordre judiciaire ou administratif –, en particulier par la Cour suprême, juge suprême en matière judiciaire, administrative et des comptes ?
Telle est la problématique fondamentale
On peut constater que la Cour constitutionnelle, après avoir affirmé son incompétence en la matière, a, au bout d’un long cheminement jurisprudentiel, fini par se reconnaître compétente, mais à des conditions bien précises.
– L’affirmation originaire d’une incompétence
Tout commence en 1992. Conformément aux dispositions de l’article 159, alinéa 3, de la Constitution, le Haut conseil de la République siégeait alors provisoirement en qualité de Cour constitutionnelle en attendant l’installation (en juin 1993) de celle-ci. Cette instance reçoit une requête par laquelle un ancien ministre, jugé et condamné en cour d’assises, la saisit pour demander l’application de l’article 136 de la Constitution à son égard, autrement dit, pour dénoncer l’incompétence de la cour d’assises à son égard et la compétence de la Haute cour de justice à cet effet. Constatant d’abord, que la Cour d’assises de Cotonou a déjà rendu un arrêt condamnant le requérant à huit années de travaux forcés, ensuite, que cet arrêt est susceptible d’autres voies de recours judiciaires, enfin, que cet arrêt ne constitue pas un acte réglementaire au sens de l’article 117 de la Constitution permettant la saisine au fond de la Cour constitutionnelle, le juge constitutionnel provisoire, par décision n° 13 DC du 28 octobre 1992, se déclare incompétente pour réformer les décisions de justice.
Autrement dit, sur la base de cette jurisprudence, toute décision de justice doit être contestée par les voies de recours prévues à cet effet, donc suivre un parcours bien précis dont la dernière étape possible sera la Cour suprême, et non pas la Cour constitutionnelle. Donc, même quand il arrive que les voies de recours soient épuisées, notamment quand la plus haute juridiction judiciaire – ou administrative – à savoir la Cour suprême, rend sa décision, la Cour constitutionnelle maintient son incompétence à l’égard de l’arrêt ainsi rendu par la Cour suprême.
Le juge constitutionnel considérait alors que le fondement d’une telle attitude devait être trouvé dans l’article 131, alinéas 3 et 4, de la Constitution aux termes duquel « Les décisions de la Cour suprême ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, ainsi qu’à toutes les juridictions. ». Se considérant, à cette étape de son évolution jurisprudentielle, comme une juridiction parmi les autres, la Cour constitutionnelle a pu ainsi relever, dans sa décision DCC 11-94 du 11 mai 1994, que malgré les dispositions pertinentes « des articles 117, alinéa 4, 120 et 121, alinéa 2, de la Constitution [qui] donnent compétence exclusive à la Cour constitutionnelle pour statuer sur les violations des droits de la personne humaine », elle était incompétente pour statuer sur un arrêt rendu par la Cour suprême malgré le grief de violation des droits de l’homme allégué.
Le 6 janvier 1995, dans sa décision DCC 95-001 du 6 janvier 1995, la Cour confirme son incompétence dans les mêmes termes, mais ajoute que, « Considérant cependant que si la Cour constitutionnelle était compétente pour statuer sur la constitutionnalité de l’arrêt n° 93-06/CJ-P du 22 avril 1993, elle aurait jugé que : (…) les droits de la défense ont été violés ».
En 1998, alors même qu’était en cause la violation de l’obligation procédurale faite à toutes les juridictions d’avoir à surseoir à statuer et à renvoyer toute question préjudicielle posée devant elle au juge constitutionnel 26[26], la haute juridiction constitutionnelle a réaffirmé son incompétence à connaître d’un arrêt rendu par la Cour suprême. Rappelant le contenu de l’article 131 de la Constitution, le juge constitutionnel considère que « ces dispositions constitutionnelles ne prévoient aucune réserve, même en ce qui concerne l’application de l’article 122 de la Constitution ; (…) Il est formellement interdit, non seulement aux parties, mais encore à quiconque, de remettre en question devant quelque juridiction que ce soit, ce qui a été jugé par cette haute juridiction dans son domaine de compétence ; que corrélativement la même interdiction est faite à toute juridiction de connaître desdites décisions » 27[27]
En mai 2003, la Cour rappelle encore les normes susceptibles de recours individuels devant elle telles qu’elles apparaissent à l’article 3, alinéa 3, de la Constitution, à savoir, « les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ». Pour justifier son incompétence dans l’affaire en cause, elle précise que « les décisions de justice ne figurent pas dans cette énumération » [28]
Mais vers la fin de cette même année 2003, une certaine évolution allait apparaître dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
– L’affirmation progressive d’une compétence conditionnée
Dans la décision DCC 03-166 du 11 novembre 2003, donnant l’impression de confirmer sa position sur la question, la Cour constitutionnelle allait ouvrir en réalité une brèche dans sa propre jurisprudence. Elle a ainsi affirmé :
« La cour a fixé sa jurisprudence en ce qui concerne les décisions de justice. (…) à travers plusieurs décisions, elle a jugé que les décisions de justice n’étaient pas des actes au sens de l’article 3, alinéa 3, de la Constitution, pour autant qu’elles ne violent pas les droits de l’homme ; ».
Autrement dit, l’immunité qui couvre les décisions de justice devant le juge constitutionnel disparaît lorsque les décisions de justice violent les droits de l’homme. Dans ce cas, une décision de justice redevient un « acte » susceptible de recours devant la Cour constitutionnelle, sur le fondement de l’article 3, alinéa 3, de la Constitution. « Pour sortir des impasses de l’indépendance mutuelle des cours suprêmes, découlant des articles 124 alinéa 2 – autorité de chose jugée des décisions de la Cour constitutionnelle – et 131 alinéa 3 – autorité de chose jugée des décisions de la Cour suprême –, le juge constitutionnel a ainsi convoqué la disposition emblématique du Renouveau démocratique au Bénin qui institue une actio popularis, à l’origine de nombre de ses “grandes” décisions ».
Après s’être autoproclamée « la plus suprême des cours suprêmes en matière de droits de l’homme », il ne restait plus à la haute juridiction qu’à mettre en œuvre cette suprématie. Il en aura l’occasion en 2004. Le 18 mai 2004, par décision DCC 04-051, elle relève que « les investigations ont révélé que malgré la prorogation de tous les délibérés au 8 janvier 1998, le délibéré Lazare Kakpo contre Thomas Kougbakin a été ramené au 11 décembre 1998 à l’insu du requérant, l’empêchant ainsi d’exercer les voies de recours dans les délais ; qu’un tel changement de date sans en aviser les parties constitue une fraude au droit de la défense garanti par la Constitution et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; que, dès lors, il échet de dire et juger que la formation de la Cour d’appel de Cotonou siégeant en matière civile traditionnelle qui a rendu l’arrêt n° 167/98 du 11 décembre 1998 a violé la Constitution ». Cette décision qui est un pas dans la nouvelle direction ne suffisait pas néanmoins à afficher nettement la nouvelle position de la haute juridiction constitutionnelle à l’égard des décisions de justice pour la double raison qu’elle ne porte pas sur le fond de l’arrêt rendu par le juge ordinaire (une cour d’appel) et que cette décision ne provient pas de la Cour suprême qui, comme la Cour constitutionnelle, si l’on s’en tient à une interprétation littérale de la Constitution, rend des décisions non susceptibles du moindre recours.
Dans la décision DCC 09-087 du 13 août 2009, la Cour constitutionnelle réaffirme donc que « les décisions de justice ne sont pas des actes susceptibles de recours devant la Cour constitutionnelle pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens et les libertés publiques ; ». Elle poursuit plus clairement qu’« en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions ». En l’espèce, elle avait constaté que, contrairement à ce que prétend la Cour suprême dans sa décision, le « moyen soumis à la Chambre judiciaire [de la Cour suprême] ne tend pas à faire apprécier des faits mais pose un problème de droit s’analysant comme une atteinte à la dignité humaine garantie par la Constitution ». Elle avait alors conclu que, sur cette question de dignité humaine, « l’arrêt n° 13/ CJ-CT du 24 novembre 2006 de la Chambre judiciaire de la Cour suprême (…) est contraire à la Constitution. ».
En conclusion, la Cour constitutionnelle, après quelques hésitations a fini par rendre disponible une position jurisprudentielle consistant en ce que, désormais, tout béninois en litige devant une juridiction non seulement a la faculté de se plaindre devant la Cour constitutionnelle de tout acte juridictionnel qui méconnaîtrait les droits de l’homme, mais encore peut escompter la sanction par elle de tout ce qu’elle va considérer comme violation des droits fondamentaux par le pouvoir judiciaire [29]
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
L’évolution de la jurisprudence de la Cour est toujours allée dans le sens de renforcer la protection efficace de la Constitution, et donc, des droits fondamentaux.
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
C’est sur le droit de grève que la Cour a connu une difficulté récente pour montrer le caractère non absolu dudit droit.
En effet, la Cour avait décidé, par décision DCC 06-034 du 4 avril 2006 que « Le droit de grève ainsi proclamé et consacré par la Constitution du 11 décembre 1990 est un droit absolu au profit de l’ensemble des travailleurs dont les citoyens en uniforme des forces armées. Le législateur ordinaire ne pourra porter atteinte à ce droit. Il ne peut que dans le cadre d’une loi en tracer les limites, et, s’agissant des militaires, opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. Dans le cas d’espèce, si la grève des militaires peut porter atteinte au principe constitutionnel de « protection et de sécurité des personnes », sa licéité peut être limitée par le législateur pour raisons d’intérêt public. »
Or, la même cour a décidé dans la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011 que le droit de grève « bien que fondamental et consacré par l’article 31 précité, n’est pas absolu; qu’en effet, est absolu ce qui est sans réserve, total, complet, sans nuance ni concession, qui tient de soi-même sa propre justification et est donc sans limitation ; qu’est aussi absolu, ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute représentation, qui échappe à toute limitation et à toute contrainte ; qu’en disposant que le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi, le constituant veut affirmer que le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et habilite le législateur à tracer lesdites limites en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la préservation de l’intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte ; qu’en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève par le constituant ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle ; qu’en raison de ce principe, les limitations apportées au droit de grève peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ; qu’ainsi, l’État, par le pouvoir législatif, peut, aux fins de l’intérêt général et des objectifs à valeur constitutionnelle, interdire à des agents déterminés, le droit de grève ; »
Un tel revirement de jurisprudence a été difficilement accepté par les syndicats. Il a fallu que la Cour motive fortement sa décision en recourant aux décisions d’organes internationaux pour justifier ce revirement de jurisprudence.
-
[1]
Recueil 1994, p. 159 et sv. [Retour au contenu] -
[2]
Mais la haute juridiction, compte tenu de sa compétence de se prononcer d’office, aurait pu décider, dans son dispositif, de déclarer la loi de 1983 sur le statut des magistrats contraire à la Constitution ; Elle s’est contentée, dans le dispositif, de déclarer la décision de suspension du magistrat, contraire à la Constitution. Il est vrai que l’invalidation de la loi aurait créé beaucoup de difficultés car la loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature prévue par la Constitution de 1990 n’était pas encore adoptée de même qu’une loi sur le statut des magistrats. Ces derniers auraient donc été sans statut si la Cour constitutionnelle, par sa décision, sortait ce texte, adopté avant l’ère démocratique, de l’ordonnancement juridique béninois en ce moment-là. [Retour au contenu] -
[3]
D.C.C. 95-065 du 26 septembre 1996, Recueil 1996, p. 283-285., cf., dans le même sens, D.C.C. 96-089 du 16 décembre 1996, Recueil 1996, p. 367-369. [Retour au contenu] -
[4]
Article 4 de la Constitution. [Retour au contenu] -
[5]
Article 56 de la Constitution. [Retour au contenu] -
[6]
Article 109 et 112 de la Constitution. [Retour au contenu] -
[7]
Article 115 al 5 de la Constitution [Retour au contenu] -
[8]
Article 128 al 2 de la Constitution. [Retour au contenu] -
[9]
Article 135 al 5 de la Constitution. [Retour au contenu] -
[10]
Article 140 al 2 de la Constitution. [Retour au contenu] -
[11]
Article 143 de la Constitution. [Retour au contenu] -
[12]
Article 85 de la Constitution et article 41 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. [Retour au contenu] -
[13]
DCC 97-017 du 29 avril 1997, « http://www.cour-constitutionnelle-benin.org/doss_decisions/970417.pdf », consulté le 7 janvier 2009. [Retour au contenu] -
[14]
18-DC du 3 juin 1993, « http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/Benin/Benin-18-DC. pdf », consulté le 7 janvier 2009. [Retour au contenu] -
[15]
Stéphane BOLLE, « Règlement intérieur de l’Assemblée nationale du Bénin », in, « http:// www.la-constitution-en-afrique.org/categorie-10195442.html », consulté le 7 janvier 2009. [Retour au contenu] -
[16]
« http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/Benin/Benin-DCC-98-039.pdf », consulté le 7 janvier 2009. [Retour au contenu] -
[17]
Le texte complet de l’article 89 de la Constitution du 11 décembre 1990 dispose : « Les travaux de l’Assemblée nationale ont lieu suivant un Règlement intérieur qu’elle adopte conformément à la Constitution. [Retour au contenu] -
[18]
Recueil 1994, p. 159 et sv. [Retour au contenu] -
[19]
Article 154. Voir aussi les articles 155 et 156 de la Constitution s’agissant de sa révision. [Retour au contenu] -
[20]
Cour constitutionnelle, DCC 06-74 du 8 juillet 2006. [Retour au contenu] -
[21]
La situation qui a amené la Cour constitutionnelle à prendre la décision DCC 06-74 du 8 juillet 2006 étant que les parlementaires, malgré l’opposition du Gouvernement, ont réussi à atteindre le nombre suffisant de votants pour opérer une révision de l’article 80 de la Constitution limitant leur mandat à quatre ans. Par leur vote, ils avaient décidé de porter la durée du mandat des députés à cinq ans, y compris en ce qui concerne leur propre mandat qui devait finir une année plus tard, si l’on appliquait l’article 80 de la Constitution dans sa version originelle. Article 80 de la Constitution : « Les députés sont élus au suffrage universel direct. La durée du mandat est de quatre ans. Ils sont rééligibles. Chaque député est le représentant de la Nation tout entière et tout mandat impératif est nul. » [Retour au contenu] -
[22]
Cour constitutionnelle, DCC 06-74 du 8 juillet 2006. [Retour au contenu] -
[23]
Article 154. Voir aussi les articles 155 et 156 de la Constitution s’agissant de sa révision. [Retour au contenu] -
[24]
Cour constitutionnelle, DCC 06-74 du 8 juillet 2006. [Retour au contenu] -
[25]
La situation qui a amené la Cour constitutionnelle à prendre la décision DCC 06-74 du 8 juillet 2006 étant que les parlementaires, malgré l’opposition du Gouvernement, ont réussi à atteindre le nombre suffisant de votants pour opérer une révision de l’article 80 de la Constitution limitant leur mandat à quatre ans. Par leur vote, ils avaient décidé de porter la durée du mandat des députés à cinq ans, y compris en ce qui concerne leur propre mandat qui devrait finir une année plus tard, si l’on appliquait l’article 80 de la Constitution dans sa version originelle. Article 80 de la Constitution : « Les députés sont élus au suffrage universel direct. La durée du mandat est de quatre ans. Ils sont rééligibles. Chaque député est le représentant de la Nation tout entière et tout mandat impératif est nul. » [Retour au contenu] -
[26]
Art 122. – « Tout citoyen, peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours. ». [Retour au contenu] -
[27]
DCC 98-021 du 11 mars 1998. [Retour au contenu] -
[28]
Voir aussi DCC 03-79 du 14 mai 2003. [Retour au contenu] -
[29]
S. Bolle, « Constitution, dis-moi qui est la plus suprême des cours suprêmes », in, http:// www.la-constitution-en-afrique.org/6-categorie-10195442.html, consulté le 4 novembre 2011. Voir aussi sur cette même question, J. Aïvo, « Les contrariétés de décision entre hautes juridictions », VIJJA, n° 09 et 10, 2012, p. 7 et ss. [Retour au contenu]
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
En dehors des dispositions qui affirment le caractère suprême de la Constitution, on peut considérer que l’article 147 de la Constitution qui évoque la place des conventions internationales dans le droit interne (Art. 147. – Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.) n’entrevoit la suprématie des normes internationales que par rapport à la loi ordinaire.
L’article 146 de la Constitution qui évoque l’obligation de réviser la Constitution avant de ratifier un traité international comportant une disposition contraire à la Constitution (art. 146. – Si la Cour constitutionnelle saisie par le président de la République ou par le président de l’Assemblée nationale a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le ratifier ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution.) confirme la suprématie de la Constitution sur toute autre norme.
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
La primauté est la situation d’une norme dans sa supériorité à une autre. La prévalence joue davantage dans l’application des normes et les techniques d’interprétation. Il peut arriver qu’une disposition d’une norme inférieure mais explicitant ou détaillant le contenu d’une disposition constitutionnelle l’emporte sur une autre disposition constitutionnelle ou quasi constitutionnelle (lois organiques) ou qu’un principe à valeur constitutionnelle mette en échec une disposition constitutionnelle pour les mêmes raisons.
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?
Les principes de « convergence constitutionnelle » dégagés dans la Charte africaine de la démocratie, des élections ou de la gouvernance de l’Union africaine de 2007 et dans le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest constituent un début de ce qu’on peut appeler un droit constitutionnel international.
Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
Comme prévu par la Constitution, la conception des rapports entre l’ordre interne et l’ordre international relève du monisme.
(Article 147 de la Constitution : les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.)
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non.
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Non.
2. Influences sur le constituant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
En se fondant sur le préambule de la Constitution, on peut avoir réponse à cette question :
« Nous, Peuple béninois, (…) réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981, par l’Organisation de l’unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ; ».
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
Voir question et réponse précédentes.
3. Compétences de la cour
Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ? Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ? Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
Dans la décision DCC 11-042 du 21 juin 2011, la Cour constitutionnelle constate que : « La Constitution en son article 147 prescrit : « Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. » ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les institutions de Bretton Woods et l’État Béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; (…) il en est de même du Traité créant l’Union économique et monétaire ouest africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35 % ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution. ». On peut constater que la Cour constitutionnelle procède ici à un contrôle de conventionalité, mais qui passe par le filtre d’une disposition constitutionnelle. C’est en se fondant sur la disposition constitutionnelle qui évoque la supériorité du traité international sur les normes législatives – et a fortiori sur les normes infra législatives – que le juge constitutionnel constate la contrariété d’un décret avec des engagements internationaux, ce qui constitue, pour lui, d’abord et avant tout, une violation de l’article 147 de la Constitution, même s’il est vrai que cette violation de la Constitution provient du constat de violation d’un certain nombre d’engagements internationaux.
4. Situations de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces conflits ne concernent – ils que les droits fondamentaux ?
Il ne saurait y avoir formellement de conflit entre Constitution et norme internationale, la première étant supérieure à la deuxième et la deuxième ne venant que pour corroborer ce que dit la première et le sens que le juge constitutionnel donne à son énoncé.
Comment ces situations de conflit sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
RAS.
La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre nonnes fondamentales, harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
RAS.
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
RAS.
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
RAS.
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle… ) que celle d’une norme internationale ?
Non. Les requérants ont intégré la suprématie de la constitution et l’invoquent beaucoup plus que des normes internationales. La grande ouverture et la saisine libérale de la Cour conduisent les requérants à saisir davantage le juge constitutionnel que n’importe quel autre juge, national ou international. Par conséquent, ce sont les règles constitutionnelles qui sont les plus convoquées dans les requêtes.
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
RAS.
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
La Cour constitutionnelle tient compte explicitement des instruments internationaux dans son interprétation du droit constitutionnel.
Exemple 1 :
DCC 11-042 du 21 juin 2011 : dans cette décision, la Cour constitutionnelle constate que : « La Constitution en son article 147 prescrit : « Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. » ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les institutions de Bretton Woods et l’État béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; (…) il en est de même du Traité créant l’Union économique et monétaire ouest africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35 % ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution. ».
Exemple 2 :
DCC 11-065 du 30 septembre 2011 : pour valider l’article 9 de la loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin voté à l’Assemblée nationale les 25 et 26 septembre 2011, lequel dispose que « « Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève. », la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, a utilisé comme normes de référence des « traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par notre pays. ». Elle s’est fondée d’abord sur l’article 31 de la Constitution, mais a aussi invoqué « l’article 8, alinéa 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [qui] précise que la garantie constitutionnelle du droit de grève « n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique. ». Allant encore plus loin, le juge constitutionnel a invoqué la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation internationale du travail : « Considérant que l’Organisation internationale du travail dans son recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : “L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale” ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. ». La Cour tire de ces sources de l’OIT « qu’ainsi, l’Organisation internationale du travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; ».
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?
Non.
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?
Une décision d’une juridiction internationale qui porte sur un droit ou un principe contenu également dans la Constitution béninoise peut servir de base à l’interprétation d’une disposition constitutionnelle.
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
Comme il a été mentionné plus haut, la Cour constitutionnelle a, par la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, utilisé comme normes de référence, non seulement les « traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par notre pays. »., mais aussi la « jurisprudence » des organes de l’OIT en ces termes : « Considérant que l’Organisation internationale du travail dans son recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : “L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale” ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. ». La Cour tire de ces sources de l’OIT « qu’ainsi, l’Organisation internationale du travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; ».
C’est sur la base de ces décisions et d’autres normes que la Cour a conclu que « dès lors, il y a lieu de dire et juger que l’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution ni les principes fondamentaux de l’Organisation internationale du travail ; ».
On peut dire que la Cour utilise la jurisprudence internationale comme modèle d’interprétation des dispositions constitutionnelles, lesquelles ne suffisent pas toujours à elles seules pour préciser la portée des principes ou droits consacrés.
Pendant longtemps la Cour a pu s’inspirer de certaines décisions de juridictions internationales sans aucune référence expresse à ces décisions ou juridiction. Mais en 2011 dans la décision recensée ci-dessus, elle n’a pas hésité à aller puiser dans la jurisprudence des organes de l’OIT, et, surtout à le faire savoir. Cela peut s’expliquer par le fait que la décision rendue en 2011, non seulement avait un grand retentissement socio politique car vécue comme portant sur la suppression du droit de grève à des fonctionnaires qui avaient l’habitude de l’exercer, mais aussi, n’était ni plus ni moins qu’un revirement de jurisprudence. En effet, la Cour avait décidé, par décision DCC 06-034 du 4 avril 2006 que « Le droit de grève ainsi proclamé et consacré par la Constitution du 11 décembre 1990 est un droit absolu au profit de l’ensemble des travailleurs dont les citoyens en uniforme des forces armées. Le législateur ordinaire ne pourra porter atteinte à ce droit. Il ne peut que dans le cadre d’une loi en tracer les limites, et, s’agissant des militaires, opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. Dans le cas d’espèce, si la grève des militaires peut porter atteinte au principe constitutionnel de « protection et de sécurité des personnes », sa licéité peut être limitée par le législateur pour raisons d’intérêt public. »
Or, la même cour voudrait préciser dans la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011 que le droit de grève « bien que fondamental et consacré par l’article 31 précité, n’est pas absolu ; qu’en effet, est absolu ce qui est sans réserve, total, complet, sans nuance ni concession, qui tient de soi-même sa propre justification et est donc sans limitation ; qu’est aussi absolu, ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute représentation, qui échappe à toute limitation et à toute contrainte ; qu’en disposant que le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi, le constituant veut affirmer que le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et habilite le législateur à tracer lesdites limites en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la préservation de l’intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte ; qu’en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève par le constituant ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle ; qu’en raison de ce principe, les limitations apportées au droit de grève peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ; qu’ainsi, l’État, par le pouvoir législatif, peut, aux fins de l’intérêt général et des objectifs à valeur constitutionnelle, interdire à des agents déterminés, le droit de grève ; »
Un tel revirement de jurisprudence ne pouvait ainsi apparaître légitime sans un renforcement de l’appareil argumentatif. Cela a pu justifier que la Cour ait senti le besoin de mentionner toutes les sources exploitées, y compris les sources jurisprudentielles internationales.
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
Comme déjà mentionné plus haut,
En dehors de l’utilisation de la convention régionale de protection des droits fondamentaux comme normes de référence pour des raisons examinées plus haut, il arrive que la Cour constitutionnelle béninoise utilise d’autres traités internationaux comme norme de référence. On pourrait l’illustrer à travers deux exemples dans lesquels la Cour fait référence, tantôt aux normes économiques et financières internationales, tantôt aux normes internationales relatives aux droits fondamentaux des travailleurs.
– DCC 11-042 du 21 juin 2011
Dans cette décision, la Cour constitutionnelle constate que : « La Constitution en son article 147 prescrit : « Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. » ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les institutions de Bretton Woods et l’État béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; (…) il en est de même du Traité créant l’Union économique et monétaire ouest africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35 % ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution. ».
Il faut noter que la Cour constitutionnelle procède ici à un contrôle de conventionalité, mais qui passe par le filtre d’une disposition constitutionnelle. C’est en se fondant sur la disposition constitutionnelle qui évoque la supériorité du traité international sur les normes législatives – et a fortiori sur les normes infra législatives – que le juge constitutionnel constate la contrariété d’un décret avec des engagements internationaux, ce qui constitue, pour lui, d’abord et avant tout, une violation de l’article 147 de la Constitution, même s’il est vrai que cette violation de la Constitution provient du constat de violation d’un certain nombres d’engagements internationaux.
C’est la même logique qui a été suivie dans la décision suivante, rendue en matière de norme internationale du travail.
– DCC 02-050 du 30 mai 2002, DCC 03-009 du 19 février 2003 et DCC 11-065 du 30 septembre 2011
Pour valider l’article 9 de la loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin voté à l’Assemblée nationale les 25 et 26 septembre 2011, lequel dispose que « « Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève. », la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, a utilisé comme normes de référence des « traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par notre pays. ». Elle s’est fondée d’abord sur l’article 31 de la Constitution, mais a aussi invoqué « l’article 8, alinéa 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [qui] précise que la garantie constitutionnelle du droit de grève « n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique. ». Allant encore plus loin, le juge constitutionnel a invoqué la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation internationale du travail : « Considérant que l’Organisation internationale du travail dans son recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : “L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale” ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. ». La Cour tire de ces sources de l’OIT « qu’ainsi, l’Organisation internationale du travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; ».
C’est sur la base de l’ensemble de ces normes de référence que la Cour conclut que « dès lors, il y a lieu de dire et juger que l’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution ni les principes fondamentaux de l’Organisation internationale du travail ; ».
Il est donc clair que la Cour constitutionnelle béninoise utilise les conventions internationales ratifiées par le Bénin comme norme de référence, mais le caractère auxiliaire de ces conventions est confirmé ici, puisque c’est pour conforter des dispositions constitutionnelles précises que ces textes internationaux sont invoqués. Cela explique que le juge constitutionnel puisse aller jusqu’à citer des ouvrages, la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation internationale du travail puisque ces sources « secondaires » ne viennent simplement que pour compléter la norme constitutionnelle.
Conseil constitutionnel du Burkina Faso
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
La constitution ne contient pas une disposition expresse déterminant son rang normatif. Cependant en disposant que « la source de toute légitimité découle de la Constitution…, tout pouvoir qui ne tire pas sa source de la Constitution… est illégal… » (article 167 const.), entend affirmer sa primauté ou son efficacité juridique.
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
Non.
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
Oui. Après une crise politique suite à une tentative de changement anticonstitutionnel, le président a été chassé du pouvoir par un soulèvement populaire et une charte de la transition a été rédigée et qui complète la Constitution. Elle a valeur de norme constitutionnelle.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
Le Préambule fait partie du bloc de constitutionnalité. Il le dispose clairement en en ces termes « …adoptons la présente Constitution dont le présent préambule fait partie intégrante ».
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non.
Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
Oui, pour celui qui est expressément visé dans le préambule de la Constitution.
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
En se référant au préambule de la Constitution qui en fait intégralement partie, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la coopération internationale… y sont affirmées. Ces textes peuvent valablement être invoqués par tout citoyen.
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
Lorsqu’un État veut s’intégrer dans un ordre international, la seule limite est que cette intégration ne viole pas les dispositions de sa Constitution.
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
Non.
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
Oui. Mais pas suite à des décisions du Conseil constitutionnel.
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
Oui ! La Constitution dispose que si le Conseil constitutionnel, saisi, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution.
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
Elle est effective et le Conseil constitutionnel en est le gardien.
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
La Constitution en tant que loi fondamentale s’impose à tous et est reconnue.
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
Non. Elle est même de plus en plus reconnue au regard de l’accroissement de la saisine du Conseil constitutionnel.
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
Garantie morale : le chef de l’État (article 36 Constitution).
Garantie juridictionnelle : la Cour de cassation et le Conseil d’État.
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
Le Conseil constitutionnel tire sa légitimité de la Constitution et régie par une loi organique.
Ses décisions sont publiées au Journal officiel et notifiée au président du Burkina Faso, au Premier ministre et au président de l’Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel publie des recueils de jurisprudence qui sont mis aux dispositions de toute personne intéressée. Les décisions du Conseil constitutionnel ne peuvent faire l’objet de recours. Elles s’imposent à tous et aux pouvoirs publics.
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
La jurisprudence constitutionnelle reconnaît l’existence d’un bloc de constitutionnalité, puisque le préambule qui fait partie intégrante de la Constitution, fait partie du bloc de constitutionnalité. Il s’agit des principes d’égalité, de liberté, de justice, de paix. On y retrouve des normes comme la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
Oui !
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
Les lois référendaires, les ordonnances et les décrets.
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
Assez efficace.
Mais perfectible si la saisine directe par les citoyens est admise.
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
Pas de méthode clairement adoptée. Trois méthodes : littérale, téléologique et analogique.
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
Non. Débuts.
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
Oui.
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
Non effectivité de l’État de droit.
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
Oui.
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
Plutôt l’idée de prévalence.
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou africain » ?
Non.
Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
Le Conseil constitutionnel retient la conception moniste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe.
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Les normes relatives au droit de l’homme dès lors qu’elles sont internalisées sont considérées comme ayant une valeur supra-constitutionnelle.
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Non. Pas encore.
2. Influences sur le constituant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
L’élaboration ou la révision de la constitution prennent en compte les instruments juridiques internationaux ratifiés.
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
Dans le domaine des droits de l’homme.
3. Compétences de la cour
Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?
Oui.
Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?
Oui. Ceux ratifiés par le pays et sur le fait qu’ils sont partie intégrante du droit interne et même lui sont supérieurs.
Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
Oui. Celles issues des instruments ratifiés par le pays et sur le fait qu’elles sont partie intégrante du droit interne et même lui sont supérieures.
4. Situation de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?
Aucune.
Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
Néant.
La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
Néant.
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
La protection est égale pour tous les droits.
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
Non.
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?
Non.
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
Néant.
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
Oui.
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?
Non.
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?
Pas encore de précédent.
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
Pas encore de précédent.
Mais l’influence sera certaine.
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
Oui. Pas de cas.
III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?
Non.
Conseil constitutionnel du Cambodge
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de constitution et hiérarchie des normes
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
Oui, la Constitution du Royaume du Cambodge stipule dans le chapitre XVI (nouveau) à l’article 152 (nouveau) : « la présente Constitution est la loi suprême du Royaume du Cambodge. Toutes les lois et décisions de toutes les institutions de l’État doivent être absolument conformes à la Constitution. »
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
Notre Constitution de 1993 a été élaborée selon les principes suivants :
a. annexe 5 : les principes pour une nouvelle Constitution du Royaume du Cambodge sont définis dans les Accords pour un règlement politique global du conflit du Cambodge signés le 23 octobre 1991 à Paris :
1 – La Constitution sera la loi suprême du pays ;
2 – La Constitution comportera une déclaration des droits fondamentaux, y compris le droit à la vie, la liberté personnelle, la sécurité, les libertés de mouvement, de religion, d’assemblée et d’association, y compris pour les partis politiques et les syndicats, le droit à un procès équitable et l’égalité devant la loi, la protection contre la dépossession arbitraire ou non assortie d’une juste indemnisation, la non-discrimination raciale, ethnique, religieuse ou sexuelle. Elle interdira également l’application rétroactive des lois pénales. Cette déclaration sera en accord avec les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres instruments internationaux pertinents. Les personnes lésées auront le droit de recourir aux tribunaux pour qu’ils statuent et fassent ·appliquer ces droits ;
3 – La Constitution déclarera que le Cambodge a le statut d’État souverain, indépendant et neutre, ainsi que l’unité nationale du peuple cambodgien ;
4 – La Constitution déclarera que le Cambodge appliquera un système de démocratie libérale, fondé sur le pluralisme ; 5 – Il sera établi un pouvoir judiciaire indépendant, habilité à faire respecter les droits garantis par la Constitution ;
6 – La Constitution sera adoptée à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée constituante.
b. le Prince Norodom Sihanouk en tant que président du Conseil national suprême du Cambodge a écrit une note du 18 juin 1993, quatre jours après l’inauguration de l’Assemblée constituante, dans laquelle il exprimait ses vues sur la future constitution : « … Le Cambodge est une démocratie libérale de style occidental, avec un régime parlementaire (et non pas présidentiel), un système pluraliste, une presse totalement libre (sans aucune censure), un système économique de marché et de libre entreprise (à l’occidentale), un respect total des droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans la Charte de l’ONU, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les diverses conventions sur les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant… La séparation des pouvoirs (pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire) doit être stricte. Le pouvoir judiciaire doit être absolument indépendant du gouvernement et de tel ou tel parti politique ».
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
Non.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
Le préambule ne fait pas partie du bloc de constitutionnalité. Il est exclu de la Constitution.
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non.
Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
Oui.
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
Oui, parce que le Cambodge est membre de l’ONU depuis 1955, membre fondateur du mouvement des pays non-alignés depuis 1955 à Bandung, membre de l’ASEAN depuis 1999, membre de l’Organisation mondiale du commerce depuis 2004 ; le Cambodge a besoin d’intégration mondiale.
Pour cette raison, on a inséré tous les principes fondamentaux des traités, accords, conventions internationaux dans plusieurs dispositions de notre Constitution actuelle (35 articles).
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
Les limites constitutionnelles à l’intégration du Cambodge dans un ordre international sont stipulées dans les articles suivants :
– article 1 c, alinéa 2 : « le Royaume du Cambodge est un État indépendant, souverain, pacifique, perpétuellement neutre, non-aligné ».
– article 51 : « le Royaume du Cambodge pratique une politique de démocratie libérale. Tout citoyen khmer (Cambodgien) est maître de la destinée de son pays. Tous les pouvoirs appartiennent aux citoyens. Les citoyens exercent leurs pouvoirs par l’intermédiaire de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Gouvernement royal et des juridictions. Les pouvoirs sont séparés entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire ».
– article 53 : « le Royaume du Cambodge maintient fermement une politique de neutralité perpétuelle et de non-alignement. Le Royaume du Cambodge coexiste pacifiquement avec les pays voisins et avec tous les autres pays du monde. Le Royaume du Cambodge n’agresse jamais aucun autre pays, ne s’ingère pas directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit dans les affaires intérieures des autres pays, règle tous les problèmes par des moyens pacifiques et dans le respect des intérêts mutuels. Le Royaume du Cambodge n’adhère à aucune alliance militaire ni conclut aucun accord militaire incompatible avec sa politique de neutralité. Le Royaume du Cambodge n’autorise ni l’installation de bases militaires étrangères sur son territoire, même dans le cadre d’une requête de l’Organisation des Nations unies. Le Royaume du Cambodge se réserve le droit de recevoir des aides étrangères sous forme de matériels militaires, armement, munitions, instruction des forces armées, ainsi que diverses aides pour se défendre et garantir l’ordre et la sécurité publics à l’intérieur du pays ».
– article 54 : « la production, l’utilisation et le stockage des armes atomiques, des armes chimiques ou des armes bactériologiques sont formellement interdits. »
– article 55 : « tous traités et accords qui ne sont pas compatibles avec l’indépendance, la souveraineté, l’intégrité territoriale, la neutralité et l’unité nationale du Royaume du Cambodge sont abrogés. »
– article 92 : « toute adoption de texte par l’Assemblée nationale contraire aux principes de sauvegarde de l’indépendance, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale du Royaume du Cambodge, et portant atteinte à l’unité politique ou à la direction administrative du pays doit être réputée nulle. Le Conseil constitutionnel est seul compétent pour prononcer cette nullité. »
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
Oui.
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
Oui, depuis 1993 jusqu’à nos jours, il y a eu sept lois constitutionnelles portant amendement de la constitution en plus d’une loi constitutionnelle additionnelle tendant à assurer le fonctionnement régulier des institutions nationales.
Elle a été modifiée non pas en réaction à une décision du Conseil constitutionnel.
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
Non.
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
Oui.
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
Oui, l’article 49, alinéa 1 de la Constitution stipule que : « Tout citoyen khmer (cambodgien) doit respecter la Constitution et les lois ». En plus, dans le 1er alinéa de toutes les prestations de serment du chef de l’État, des sénateurs, des députés, des membres du Gouvernement royal, des magistrats et des juges, il est bien stipulé qu’ils doivent respecter la Constitution.
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
Non.
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
Non.
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
Oui, l’article 142 nouveau, alinéa 1 de la Constitution stipule qu’ : « Une disposition d’un article, déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, ne peut être promulguée ou appliquée ».
De plus, la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel stipule les dispositions suivantes :
– article 20 « Dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi comporte une disposition non conforme à la Constitution :
a. Si cette disposition est inséparable de l’ensemble de la loi, la loi dans son ensemble ne peut être ni promulguée ni appliquée.
b. Si cette disposition est séparable du texte restant, seule la disposition non conforme ne peut être ni appliquée ni promulguée ».
– article 23 « Les décisions du Conseil constitutionnel sont non susceptibles de recours et ont l’autorité sur tous les pouvoirs stipulés dans la Constitution. »
– article 24 nouveau : « Les décisions du Conseil constitutionnel sont communiquées au Roi, au président du Sénat, au président de l’Assemblée nationale, au Premier ministre, au président de la Cour suprême et sont publiées au Journal officiel.
Le président du Sénat doit en informer tous les membres du Sénat.
Le président de l’Assemblée nationale doit en informer tous les députés.
Le Premier ministre doit en informer tous les membres du Gouvernement.
Le président de la Cour suprême doit en informer le tribunal intéressé. »
– article 36 : « Toute personne convaincue de faux témoignage ou de subornation de témoins dans le cadre des investigations du Conseil constitutionnel, ou encore toute personne qui ne respecte pas les décisions du Conseil ou qui fait obstacle au déroulement des activités du Conseil constitutionnel est passible d’une peine d’un mois à un an de prison et d’une amende de 100,000 à 600,000 riels, ou de l’une des deux sanctions. »
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
Non, parce que notre Constitution a intégré tous les esprits fondamentaux des traités, accords, conventions internationaux déjà cités précédemment.
Aucun principes, normes et sources ne sont intégrés dans le bloc de constitutionnalité du Royaume du Cambodge.
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
Non.
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
Le Conseil constitutionnel ne peut pas, en principe, se saisir lui-même. Le Conseil constitutionnel contrôle a priori et a posteriori :
a. contrôle a priori : 1/ toute proposition d’amendement de la Constitution sur demande du Roi pour avis avant le début de la procédure législative ; 2/ toutes les lois organiques déjà adoptées par l’Assemblée nationale et le Sénat avant la promulgation ; 3/ les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Congrès de l’Assemblée nationale et du Sénat avant leur mise en application ;
b. contrôle a posteriori : 1/ toute loi déjà promulguée peut être déférée devant le Conseil constitutionnel pour vérifier sa constitutionnalité ; 2/ toute loi déjà en application peut être contrôlée, à travers une question préjudicielle, par une partie au procès devant le tribunal, pour inconstitutionnalité.
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
Oui, parce que le contrôle du Conseil est basé sur un fondement juridique solide, le principe « non bis in idem » et le respect de son indépendance et de son impartialité. Depuis son existence, les décisions du Conseil constitutionnel sont prises à la majorité absolue des voix de l’ensemble de ses membres et généralement à l’unanimité.
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
Pour les méthodes de contrôle de la constitutionnalité ou l’interprétation de la Constitution et de la loi, le Conseil constitutionnel est subdivisé en trois groupes. Chaque groupe est composé de trois membres, dont un est issu du contingent désigné par le Roi, un de celui de l’Assemblée nationale et un autre de celui du Conseil supérieur de la magistrature. Chaque membre de ses trois groupes est choisi par tirage au sort sous l’égide du président du Conseil constitutionnel. Le Roi, le président du Sénat, le président de l’Assemb lée nationale, le Premier ministre, un quart des sénateurs et un dixième des députés, peuvent saisir le Conseil constitutionnel, et la Cour suprême dans le cadre d’une question préjudicielle concernant la constitutionnalité.
Lorsque la demande de contrôle de la constitutionnalité des lois ou l’interprétation de la Constitution et des lois est reçue, le service juridique effectue l’enregistrement du dossier.
Après cet enregistrement, il doit élaborer un projet qui est soumis hiérarchiquement au président du Conseil constitutionnel. La tâche du service consiste à aider le Conseil constitutionnel dans l’élaboration et l’étude du dossier pour la séance du Conseil constitutionnel, la mise en place du programme détaillé pour la séance, la communication avec les institutions concernées pour les recherches complémentaires à la demande du membre rapporteur, la direction du groupe des secrétaires et l’élaboration du procès-verbal sur la séance du Conseil constitutionnel. Après que le président du Conseil constitutionnel eut désigné le membre rapporteur, ce dernier convoque le groupe du Conseil constitutionnel. Le service juridique participe à cette réunion et assure son secrétariat. Le membre rapporteur peut demander au président du Conseil constitutionnel de convoquer une ou plusieurs personnes, privée ou publique, afin qu’elle apporte des éclaircissements ou des documents relatifs au dossier dont le Conseil constitutionnel est saisi. Toute personne et institution publique ou privée doit respecter et exécuter les convocations et demandes du Conseil constitutionnel. Le groupe du Conseil constitutionnel doit alors préparer son rapport de contrôle de constitutionnalité ou d’interprétation de la Constitution et des lois pour le soumettre en session préliminaire pour en débattre. Après que le rapport soit définitivement élaboré par le groupe du Conseil constitutionnel, le président convoque les membres du Conseil constitutionnel pour débattre du rapport du groupe du Conseil constitutionnel. La convocation doit être soumise – aux membres du Conseil constitutionnel 2 jours au plus tard avant la réunion sauf en cas urgence. Lors de la session préliminaire, le membre rapporteur doit présenter au Conseil constitutionnel le résultat de ses recherches et études. Tous les membres doivent vérifier que le rapport porte bien sur le cas déféré avant de le soumettre à la séance plénière du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel doit statuer par écrit dans un délai de 30 jours sur toute affaire qui lui a été soumise. En cas d’urgence ce délai est ramené à 8 jours. Le Conseil constitutionnel juge de la constitutionnalité ou de l’interprétation de la loi sur la base du rapport d’un membre du Conseil désigné à cet effet par le président.
Lors de la session plénière, le Conseil constitutionnel échange et décide si la loi déférée est conforme à la Constitution. L’article 20 de la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel stipule que dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi comporte une disposition non conforme à la Constitution :
a. Si cette disposition est inséparable de l’ensemble de la loi, la loi dans son ensemble ne peut être ni promulguée ni appliquée.
b. Si cette disposition est séparable du texte restant, seules les dispositions non conformes ne peuvent être ni appliquées ni promulguées.
Le Conseil constitutionnel statue à la majorité absolue de tous ses membres. En cas d’égalité des voix, la voix du président est prépondérante.
La décision du Conseil constitutionnel est définitive, sans recours et a autorité sur tous les pouvoirs constitués. Dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi comporte une disposition non conforme à la Constitution, cette disposition ne peut être promulguée ou appliquée. La décision du Conseil constitutionnel doit être motivée. Afin d’assurer aux décisions du Conseil constitutionnel une audience effective, celles-ci sont transmises au Roi, au Sénat, à l’Assemblée nationale, au Premier ministre, à la Cour suprême et elles sont publiées au Journal officiel. L’article 24 nouveau de la loi portant amendement de la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel stipule que les décisions du Conseil constitutionnel sont communiquées au Roi, au président du Sénat, au président de l’Assemblée nationale, au Premier ministre, au président de la Cour suprême et sont publiées au Journal officiel. Le président du Sénat doit en informer tous les membres du Sénat. Le président de l’Assemblée nationale doit en informer tous les députés. Le Premier ministre doit en informer tous les membres du Gouvernement. Le président de la Cour suprême doit en informer le tribunal intéressé.
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
Oui, après plus de 16 ans d’activité, notre Conseil a progressivement renforcé son contrôle. Les politiciens, les juristes, les avocats, les administrateurs, les économistes, les enseignants, les médias et les citoyens connaissent de plus en plus notre institution et nos compétences.
Comme cas typique, le 20 juin 2007, le Roi Samdech Preah Boromneath Norodom Sihamoni a requis le Conseil constitutionnel lui demandant d’examiner la constitutionnalité de l’article 8 de la loi portant circonstances aggravantes des peines criminelles. En application de cet article 8, Le Conseil a considéré que les juges avaient violé la Convention sur les droits de l’enfant dont le Royaume du Cambodge est partie. La décision du Conseil constitutionnel stipule que :
« En principe, lors de son audience, le juge ne s’appuie non seulement sur l’article 8 de la loi portant circonstances aggravantes des peines criminelles pour condamner le criminel mais il doit aussi recourir aux lois. Le terme “lois”, ici, renvoie tant aux lois nationales comme : la Constitution qui est une loi suprême, les lois en vigueur, qu’aux textes de droit internationaux ratifiés par le Royaume du Cambodge en particulier la Convention relative aux droits de l’enfant… ».
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
Oui, l’évolution des pouvoirs de notre institution est positive. Ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution du Royaume du Cambodge.
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
Non, pas d’ingérence de l’extérieur dans les affaires de notre institution.
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
Oui, notre Constitution prime sur toutes les normes de droit international dont le Royaume du Cambodge est partie. La ratification des traités, des accords, des conventions…, etc., se fait par la loi.
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
Aucune signification à retenir parce que le Royaume du Cambodge, les pays de la région et l’Asie sont complètement différents de l’Union européenne.
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?
Non.
Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
Notre Conseil retient la conception moniste, tous les membres du Gouvernement royal sont collectivement responsables de la politique générale du Gouvernement royal devant l’Assemblée nationale.
Article 98 nouveau de la Constitution stipule que « l’Assemblée nationale peut démettre un membre du Gouvernement ou renverser le Gouvernement royal en votant une motion de censure à la majorité absolue de l’ensemble des membres de l’Assemblée nationale.
La motion de censure contre le Gouvernement royal doit être soumise à l’Assemblée nationale par trente députés pour pouvoir être examinée ».
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Non.
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Non.
2. Influences sur le constituant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
Voir la réponse l. 1 (2e question).
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
Voir la réponse l. 1 (2e question).
3. Compétences de la cour
Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?
Non.
Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?
Non.
Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
Ou, voir la réponse 1.1 (7e question).
4. Situations de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?
Au Royaume du Cambodge, il n’existe pas de situation de conflit entre la Constitution et les normes internationales.
Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
Non.
La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
Non.
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
Non.
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
Non.
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?
Non.
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
Non.
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
Non.
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?
Non.
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?
Non.
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
Non.
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
Oui, comme cas typique, le Royaume du Cambodge reconnaît et respecte des droits fondamentaux de l’homme tels qu’ils sont inscrits dans la Charte des Nations unies, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans tous les traités et conventions relatifs au droit de l’homme, de la femme et de l’enfant.
III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?
En tant que membre de l’ACCPUF, nous remarquons que parmi les pays membres de l’ONU, il reste beaucoup de pays qui n’ont pas encore de Cour constitutionnelle ou d’institution équivalente ayant la compétence de contrôle de la constitutionnalité des lois et d’interprétation de la constitution et des lois.
Cour suprême du Cameroun
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes
La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?
La Constitution du Cameroun détermine explicitement son rang comme norme suprême placée au-dessus de toutes les autres (Cf. Art. 45).
La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.
La Constitution du Cameroun n’a institué aucune échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles. Toutes les normes constitutionnelles sont d’égale valeur, y compris celles contenues dans le Préambule.
La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.
La Constitution du Cameroun a été modifiée et complétée au fil des années. À titre illustratif, le changement de la nature de l’État a donné lieu à la modification de la constitution notamment le passage de la République fédérale du Cameroun à la République unie du Cameroun, puis à la République du Cameroun. Il en est de même du renforcement de la proclamation des droits de l’homme qui a suscité l’enrichissement du Préambule de la Constitution qui se réfère depuis le 18 janvier 1996 aussi bien à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et « toutes les conventions internationales relatives (aux droits fondamentaux) et dûment ratifiées » qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et la Charte des Nations unies retenus depuis 1972.
Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?
Le préambule de la Constitution du Cameroun fait partie du « bloc de constitutionnalité ». En effet, l’article 65 la Constitution du 18 janvier 1996 dispose : « Le préambule fait partie intégrante de la Constitution ». Le préambule a donc la même valeur que le corps de la Constitution.
Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Il n’existe pas de normes intérieures qui soient supérieures à la Constitution. Toutes les normes internes doivent se conformer à la Constitution et lui sont donc inférieures.
Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?
Le droit international pour ce qui est de la protection des libertés fondamentales fait formellement partie du « bloc de constitutionnalité ». Il s’agit notamment aux termes du préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 des « libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées, … »
Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place parti culière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.
Les sources internationales relatives à la protection des libertés fondamentales ci-dessus citées font l’objet d’une désignation particulière dans le Préambule de la Constitution en raison de la place sans cesse grandissante que leur a accordé le constituant camerounais au fil des années.
Si la solution est contraire à la Constitution, elle ne peut être ratifiée qu’après modification de la Constitution.
C’est pourquoi, en fonction de la sensibilité de la matière, le Cameroun ratifie rapidement ou avec un certain temps certaines conventions internationales.
Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?
Les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international posent le problème du conflit entre l’ordre interne et l’ordre international. Si la prééminence de l’ordre international est indiscutable, il demeure que l’État ne saurait s’engager sur le plan international à adopter un ordre juridique contraire à son ordre interne.
La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?
La stabilité de la Constitution peut constituer un élément de sa suprématie. Mais la suprématie et la stabilité ne constituent pas des facteurs complémentaires. Une Constitution peut conserver sa suprématie tout en étant instable. De même, une constitution peut perdre sa suprématie tout en étant stable. Par exemple si les lois internes sont contraires à une Constitution stable, elle perd sa suprématie.
La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?
La Constitution a été modifiée quelquefois. Les différentes modifications n’ont pas été initiées en réaction à une décision de la Cour.
Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?
Un État qui respecte sa Constitution ne peut ratifier un traité que si celui-ci est conforme à sa constitution. Dans le cas contraire, il doit modifier sa Constitution dans le sens où le traité ne sera plus contraire à la norme suprême. C’est la position de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 qui dispose en son article 44 : « Si le Conseil constitutionnel a déclaré qu’un traité ou un accord international comporte une clause contraire à la Constitution, l’approbation en forme législative ou la ratification de ce traité ou de cet accord ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».
2. Appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?
La suprématie de la Constitution en droit interne est effective. En principe, toutes les autres normes doivent être conformes à la Constitution, norme suprême.
La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?
La place de la Constitution est bien reconnue puisque toutes les institutions (pouvoir exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, Conseil économique et social) tiennent leur existence de ladite norme suprême.
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?
La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois n’est nullement contestée.
Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?
Le Parlement (Assemblée nationale et Sénat), le président de la République, garantissent le respect de la Constitution.
Leurs rapports avec la Cour sont dominés par le respect mutuel dû à ces hautes institutions.
Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?
La Cour constitue la plus haute juridiction de l’État. Sa jurisprudence constitue une source de droit pour les juridictions inférieures. Mais il existe des arrêts de principe rendus par le Conseil constitutionnel qui s’imposent à tous. On parle d’arrêt de principe. Il y a également des arrêts ordinaires qui ne constituent pas véritablement une source jurisprudentielle.
3. Étendue de la garantie de la constitution
La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.
La jurisprudence reconnaît l’existence d’un bloc de constitutionnalité en protégeant l’ensemble des lois soumis au contrôle de la Cour. Elle consacre le respect de la consolidation des textes auxquels renvoie le préambule (Déclaration des droits de l’homme, Charte des Nations unies, Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les principes objectifs de valeur constitutionnelle).
Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?
La Cour s’appuie sur toutes les normes qui forment le « Bloc de constitutionnalité ».
Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?
La cour n’est limitée que par la loi n° 2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel qui fixe ses compétences sans ambiguïté en son article 3.
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?
Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont efficaces mais perfectibles.
Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?
La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.
La Cour ne connaît que des matières soumises à son examen par le président de la République, par le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, un tiers des députés, un tiers des sénateurs ou les présidents des exécutifs régionaux. Elle ne peut donc pas renforcer le contrôle si elle n’est pas saisie.
Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?
Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?
Il n’y a pas eu au niveau de notre Cour des contradictions de jurisprudence.
II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution
1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes
La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
La Constitution prime sur les normes de droit international dans la hiérarchie des normes juridiques. Les conventions ratifiées sont supérieures aux lois internes et viennent juste après la Constitution.
Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?
La primauté est le principe selon lequel, en cas de conflit entre deux normes juridiques, celle qui dans la hiérarchie des normes passe avant, l’emporte. La Constitution prime sur les lois ordinaires et même sur les conventions ratifiées.
Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?
De l’existence d’un droit constitutionnel international ou européen, s’il y a un ensemble de règles fondamentales applicables dans l’Union européenne, s’il y a un parlement européen, il n’est pas exagéré de parler d’un droit constitutionnel international ou européen.
Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?
Le monisme avec primauté du droit international est la conception retenue par notre Cour.
Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?
Il n’existe pas de normes internationales de valeur supérieure à la Constitution.
La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?
Les droits fondamentaux sont consacrés par le Préambule de la Constitution et ont valeur constitutionnelle. La Constitution du 18 janvier 1996 le précise clairement, sans un besoin particulier de réponse du juge constitutionnel qui ne peut se limiter qu’à le constater.
2. Influences sur le constituant
Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ? b) Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
Le monde étant devenu un village planétaire, les influences internationales sur l’élaboration ou la révision influent grandement sur nos États. En effet, les préoccupations des États africains sont semblables.
Par exemple, aujourd’hui, les problèmes d’environnement sont de plus en plus constitutionalisés.
3. Compétences de la cour
Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?
Le contrôle est indirect. Les lois doivent être conformes à la Constitution qui adhère aux grandes chartes internationales.
Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?
La Cour n’applique pas les instruments internationaux s’ils n’ont pas été au préalable ratifiés.
Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?
4. Situations de conflits ou de concurrence
Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?
Il existe des situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales. Ces situations concernent en grande partie les droits fondamentaux.
Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?
La Constitution camerounaise prévoit en son article 44 que « Si le Conseil constitutionnel a déclaré qu’un traité ou un accord international comporte une clause contraire à la Constitution, l’approbation en forme législative ou la ratification de ce traité ou de cet accord ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».
La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?
La Cour n’a pas qualité pour limiter les conflits ; elle ne peut pas dire d’une norme internationale qu’elle est contraire à la Constitution par complaisance.
La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?
La Constitution organise effectivement une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables. Elle ajoute la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui intègre certaines valeurs culturelles propres à l’Afrique.
Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?
Le problème ne se pose pas puisque le Préambule de la Constitution dit que l’État camerounais « affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées ».
L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?
Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.
Les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats concernent les matières où le Cameroun ne partage pas ou pas encore la position de l’ordre international.
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle
Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?
Elle tient implicitement compte des instruments internationaux et parfois s’y réfère expressément.
Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?
Il n’y a pas eu de véritables conflits entre l’ordre interne et l’ordre international.
Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?
La valeur est tributaire de la matière de la décision et de la juridiction internationale qui a statué. Les modalités d’exécution des décisions judiciaires sont fixés par les articles 5, 6, 7 de la loi n° 2007/001 du 19 avril 2007.
La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?
La jurisprudence des juridictions internationales influence notre Cour. Elle s’inspire des expériences des juridictions internationales, sans mimétisme judiciaire.
L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.
L’interprétation de la Constitution peut se faire au regard d’une disposition internationale, si celle-ci relève d’une charte à laquelle adhère le Cameroun ou d’une convention qu’il a ratifié.
III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?
RAS.
Cour suprême du Canada
Note : ce rapport a été préparé par le Professeur Beaulac – à la demande de la Cour suprême du Canada – et n’engage en rien cette Cour.
I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie
1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes
La première question à aborder, de savoir si la Constitution du Canada contient une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique, est assez simple, puisqu’elle se réfère de façon générique (sans besoin de préciser sa nature et ses sources) à l’ensemble des règles et principes d’ordre supérieur et organique dans un pays « qui définissent les droits essentiels des citoyens d’un État, déterminent son mode de gouvernement et règlent les attributions et le fonctionnement des pouvoirs publics » [1]. Depuis le rapatriement de la Constitution [2], cette disposition se trouve explicitement dans un texte, à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [3], précisément au paragraphe 1 :
- 52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada ; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Le paragraphe 2 poursuit en mentionnant que la Constitution du Canada comprend, non seulement la présente Loi de 1982, mais tous les textes législatifs et les décrets figurant à l’annexe de cette loi, dont l’autre important texte de droit constitutionnel écrit : la Loi constitutionnelle de 1867 (qui, anciennement, portait le nom de l’Acte d’Amérique du nord britannique, ou en anglais, le « British North American Act » [4]).
Une précision importante s’impose immédiatement : l’idée de la suprématie de la Constitution, expressément prévue depuis relativement peu de temps, n’est pas nouvelle du tout au Canada. Rappelons que le pays est devenu un État souverain [5], dans le sens du droit international et des éléments constitutifs codifiés à la Convention de Montevideo [6], bien après la confédération de 1867, mais aussi bien avant le rapatriement de 1982