Actes du 7e congrès – Association des Cours Constitutionnelles Francophones

Association des Cours
Constitutionnelles Francophones

Le droit constitutionnel dans l’espace francophone

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Actes du 7e congrès

La suprématie de la Constitution

  •  Lausanne, Suisse
  •  Juin 2015
  • N°ISBN 978-2-914106-17-7
  • © ACCF

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Séance d’ouverture

Allocution de bienvenue de Gilbert Kolly

Président du Tribunal fédéral suisse

Madame la présidente de la Confédération,

Excellences,

Monsieur le président de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français,

Monsieur le directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie,

Mesdames et Messieurs les invités,

Mesdames et Messieurs les présidents et membres des cours et conseils constitutionnels,

Chers collègues, Chers amis,

Au nom du Tribunal fédéral suisse, j’ai l’honneur et le plaisir de vous souhaiter une très cordiale bienvenue à Lausanne, ville olympique mais aussi siège de la cour suprême suisse. Je vous remercie de nous avoir rejoints sur les rives du Lac Léman. J’adresse une bienvenue particulière et mes remerciements les plus chaleureux à Madame la présidente de la Confédération suisse, qui nous fait l’honneur non seulement d’assister à la présente cérémonie d’ouverture, mais aussi de nous présenter dans quelques instants un message. Madame la présidente, nous savons à quel point votre emploi du temps est chargé, vous qui non seulement présidez la Confédération suisse mais exercez aussi la charge de chef du Département fédéral de justice et de police, charge qui, dans nombre de pays ici représentés, correspond à ministre de la Justice et de l’Intérieur. Sachez à quel point, Madame la présidente, nous apprécions votre présence parmi nous aujourd’hui.

Chers collègues, le Tribunal fédéral suisse a été sensible à l’honneur que vous lui avez témoigné en lui confiant l’organisation du septième congrès triennal de notre association. J’espère que vous ne regrettez et ne regretterez pas votre choix. Nous avons eu la main heureuse lors de la fixation de la date du Congrès ; alors que le temps a été souvent maussade ces dernières semaines, le soleil et l’été sont au rendez-vous pour toute la durée du Congrès. J’y vois un présage favorable pour le succès de notre manifestation. Le temps agréable vous permettra de pleinement profiter de votre séjour dans l’un des beaux endroits de Suisse, en dehors des heures des séances évidemment. Nous espérons aussi que vous vous sentirez bien ici, au Beau-Rivage Palace, établissement que vous avez certainement vu récemment aux actualités télévisées, les négociations sur le programme nucléaire iranien ayant eu lieu dans cet hôtel. Chers collègues, les collaborateurs de notre Tribunal se sont beaucoup investis afin de vous offrir un séjour agréable et un programme varié. Ces collaborateurs sont très soucieux de pouvoir garantir le bon déroulement du programme dont l’horaire est serré. Mon temps de parole étant échu, mesdames et messieurs les invités, chers collègues et amis, je vous remercie encore une fois d’avoir donné suite à notre invitation et je vous réitère mes très sincères souhaits de bienvenue à Lausanne.

Propos d’ouverture par Mohamed Achargui

Président de l’association des cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français

Président du Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc

Excellence,

Madame la présidente de la Confédération suisse,

Monsieur le président du Tribunal fédéral suisse,

Mesdames et Messieurs les présidents,

Monsieur le directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme de l’OIF,

Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi un grand honneur et plaisir de saisir cette occasion pour remercier infiniment, au nom de l’ACCPUF et en mon nom personnel, son Excellence Madame la présidente de la Confédération suisse pour avoir accepté de présider personnellement la séance solennelle d’ouverture de notre Congrès. Votre présence effective en ce jour, Excellence, nous honore grandement et témoigne
de votre engagement résolu à l’affermissement de l’État de droit. Mes remerciements les plus vifs s’adressent également aux hautes autorités politiques, judiciaires et administratives suisses et particulièrement à Monsieur le Président du Tribunal suisse, aux conseillers et à l’ensemble du personnel, pour l’accueil empreint d’hospitalité et de courtoisie qui nous a été réservé dès que nous avons frôlé le sol de ce beau pays. Je voudrais également remercier le directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme de l’OIF, partenaire privilégié de l’ACCPUF. Grâce à ses interventions multiformes, notre association a pu se développer et asseoir ses fondements sur des bases solides. Mes remerciements vont également à Monsieur le représentant de la Commission de Venise, avec lequel nous entretenons une coopération étroite et combien fructueuse.

Mesdames et Messieurs, créée à Paris, à l’initiative de la France et avec le soutien de la francophonie, l’ACCPUF comptait 35 membres. On dénombre aujourd’hui 45 juridictions, partageant toutes, en plus de la langue française, le souci de la consolidation de l’État de droit, la promotion de la démocratie et la sauvegarde des droits fondamentaux. Depuis notre dernière assemblée générale, tenue à Marrakech en juillet 2012, et au cours de laquelle vous avez bien voulu confier la présidence de notre association au Conseil constitutionnel du
Royaume du Maroc, l’ACCPUF, grâce à la régularité des réunions statutaires de son Bureau et de ses autres instances, et à travers ses activités scientifiques, ses publications, ses actions de communication, de formation et de soutien juridique et technique à certains de ses membres, a réussi à réaliser un partage des compétences et un échange des connaissances et des expériences remarquables. À ce sujet, je ne peux que témoigner de notre grande satisfaction des relations humaines qui se sont tissées entre nous tous, empreintes d’amitié,
d’écoute et d’échanges féconds.

Mesdames et Messieurs, en ma qualité de président de l’ACCPUF en fin de mandat, je tiens à exprimer ma grande satisfaction pour les résultats obtenus grâce à la participation de tous et à l’implication de tous les membres du Bureau exécutif de notre association, et exprimer en particulier ma joie quant au fait que le Tribunal fédéral suisse, en la personne de son éminent Président Gilbert Kolly, me succédera à la tête de l’ACCPUF. Je suis convaincu qu’il réussira à consolider davantage le rayonnement de notre association et à lui
offrir de nouvelles perspectives.

Mesdames et Messieurs, je suis ravi de nous voir rassemblés aujourd’hui autour d’un thème d’un intérêt majeur, à savoir la suprématie de la Constitution. Sans suprématie, les constitutions n’ont point de raison d’exister. On ne peut donc manquer de souligner le rôle des cours constitutionnelles, qui veillent au respect de la hiérarchie des normes. En effet, l’effectivité de la suprématie de la Constitution en droit interne et son rapport avec le droit international est un sujet d’une grande importance. L’internationalisation toujours plus poussée du droit constitutionnel et la constitutionnalisation croissante des branches du droit placent nos institutions devant des problématiques parfois
assez complexes. Dans ce contexte, la méthode de la comparaison des constitutions et de la jurisprudence des cours revêt une importance capitale. À travers le thème de la suprématie de la Constitution, nous aborderons un large éventail de questions relatives à l’application de la Constitution en droit interne, son effectivité, l’étendue du bloc de constitutionnalité, le statut du droit international dans la hiérarchie des normes, les questions inhérentes à l’influence du droit international sur la jurisprudence constitutionnelle et à la façon dont les cours exercent le contrôle de conformité des lois par rapport aux normes de droit international, notamment celles relatives aux droits humains. À ce propos, nous tenons à remercier vivement le professeur Mathieu Disant, qui a bien voulu assumer la lourde tâche de rapporteur des travaux du Congrès.

Excellence, mesdames et messieurs, tout en formulant mes vœux les plus chaleureux pour la réussite de nos travaux, je voudrais réitérer mes sincères remerciements et mes sentiments de gratitude à tous ceux qui ont contribué à la réussite de ce Congrès. Merci pour votre aimable attention.

Allocution de Christophe Guilhou

Directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme de l’Organisation internationale de la Francophonie

Excellence,

Madame Simonetta Sommaruga, présidente de la Confédération suisse,

Monsieur Gibert Kolly, président du Tribunal fédéral suisse,

Monsieur Mohamed Achargui, président de l’ACCPUF, président du Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc,

Mesdames et Messieurs les présidents,

Madame la secrétaire générale de l’ACCPUF,

Honorables invités,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de participer à l’ouverture des travaux du septième congrès de l’ACCPUF, l’un des plus dynamiques réseaux de la Francophonie. Nous sommes en particulier heureux de le faire à Lausanne, une charmante ville qui a déjà accueilli tant de manifestations francophones. Un déplacement officiel prive Madame Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie, d’être à vos côtés ce matin. Sachez qu’elle a hâte de prendre connaissance des conclusions de nos travaux, dont le programme si riche donne la mesure
des ambitions et objectifs recherchés ensemble. Madame la Secrétaire générale m’a demandé de vous lire le message qu’elle vous a adressé ce matin :
« Permettez-moi tout d’abord de saluer la présence de son Excellence, Madame Simonetta Sommaruga, présidente de la Confédération suisse, à
cette cérémonie. Je tiens à lui exprimer mes remerciements personnels pour son engagement, son soutien ainsi que celui de l’ensemble des autorités de la Suisse, qui ont permis la tenue dans d’excellentes conditions de ce Congrès. Cela témoigne de votre attachement à l’ACCPUF et à la Francophonie de manière générale. Je voudrais ensuite rendre hommage au Tribunal fédéral suisse, avec à sa tête Monsieur Gilbert Kolly, son Président, pour les excellentes conditions de préparation de ce Congrès. Je présente toutes mes félicitations au bureau sortant de l’ACCPUF, avec à sa tête le Président Achargui du Royaume du Maroc, pour la qualité du travail et les excellentes relations de concertation au plus haut niveau avec la Francophonie. Enfin, je ne voudrais pas terminer sans évoquer l’immense travail de coordination effectué par le Secrétariat de l’ACCPUF à Paris, mené par Madame Caroline Pétillon et son équipe avec le soutien de Monsieur le Président Jean-Louis Debré du Conseil constitutionnel français. »

Madame la présidente de la Confédération, mesdames et messieurs, j’ai pu mesurer depuis ma prise de fonctions en janvier dernier le rôle fondamental et la place de l’ensemble des juridictions membres de ce réseau pour conforter au quotidien l’État de droit et la démocratie dans l’espace francophone. Qui mieux que vous, juges constitutionnels, pour parler de la suprématie de la Constitution ? Qui mieux que vous pour connaître dans les plus petits détails les constitutions de vos pays respectifs ? Vous êtes en effet sollicités au quotidien par les hautes institutions de l’État, par les partis politiques, parfois directement par les citoyens, qui témoignent de plus en plus un attachement et une appropriation très forte aux constitutions. Votre légitimité vient de cette grande conviction que la Constitution est une source inépuisable de paix, un instrument qui permet notamment de résoudre les conflits interinstitutionnels, d’assurer la gestion du contentieux électoral, de promouvoir le respect des droits de l’homme et de donner des avis pertinents et éclairés sur les règles et procédures à suivre par les pouvoirs publics. Depuis 1997, date de la mise en place de l’ACCPUF, avec l’appui de la Francophonie, vous avez bâti progressivement une véritable communauté de la justice constitutionnelle francophone. Vous avez contribué à l’élaboration et à la mise en œuvre de la Déclaration de Bamako. Vous avez participé aux activités menées par l’OIF dans tous les aspects portants sur l’État de droit et la démocratie. Je salue cette contribution et vous encourage à continuer cette forme d’échanges de bonnes pratiques entre pairs, qui sont autant d’occasions de découvrir et exploiter, grâce aux jurisprudences produites par vos institutions respectives, toutes les potentialités que recèlent les constitutions francophones, et mieux ancrer ainsi la démocratie dans le fonctionnement de nos institutions. Je reste néanmoins très préoccupé par la persistance dans certains États membres de la Francophonie de crises liées aux différences de vues quant à l’interprétation et la mise en œuvre des dispositions de la Constitution, situations qui constituent des menaces graves à la paix, à la stabilité institutionnelle, et contredisent les valeurs communes de démocratie et de tolérance défendues par la Déclaration de Bamako adoptée en novembre 2000. Aussi, je saisis cette occasion pour lancer un appel au dialogue, à la recherche du consensus entre tous les acteurs de la vie nationale,  partout où cela est nécessaire en Francophonie. J’appelle les États et gouvernements membres de notre organisation à mettre l’accent sur le renforcement des capacités et des moyens au profit de l’ensemble des institutions constitutionnelles, parce que je reste convaincu que la suprématie de la Constitution, thème bien choisi par votre Congrès, est la meilleure garantie de protection de la démocratie et de ses institutions, des citoyens et des États eux-mêmes.

Madame la Présidente, mesdames et messieurs les présidents, honorables participants, vous savez que la Francophonie est à vos côtés pour accompagner toutes vos initiatives visant à conforter l’État de droit et la démocratie. Elle sera toujours à vos côtés parce que vous êtes les sages gardiens de nos constitutions. Le bilan de notre programme de coopération est très positif. En plus du soutien apporté à plusieurs juridictions constitutionnelles par l’OIF, de nombreux juges constitutionnels ont accepté, dans le cadre d’un exercice de participation très apprécié, de contribuer aux missions électorales ou d’accompagnement de transition déployé par la Francophonie. Sachez que ma porte vous est toujours ouverte, chaque fois que vous aurez besoin de la Francophonie. J’ai demandé à la Direction de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme de continuer à apporter l’assistance multiforme dans le cadre du programme triennal 2015-2018. Je vous réitère une fois de plus la hâte que j’ai de lire les conclusions de votre Congrès auquel je souhaite un plein succès.

Allocution de Simonetta Sommaruga

Présidente de la Confédération suisse

Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs les présidents de juridictions constitutionnelles,

Mesdames et Messieurs les juges,

Chers participants,

Tout d’abord, un grand merci aux musiciennes et musiciens. Parmi les nombreuses manifestations et festivités auxquelles je suis appelée à participer en tant que membre du gouvernement suisse, certaines resteront à jamais gravées dans ma mémoire. C’est assurément le cas de la cérémonie pour l’adoption de la nouvelle Constitution de la Tunisie, l’an dernier. Cette Constitution proclame les grandes libertés individuelles et les principes essentiels qui fondent un État de droit démocratique. Elle est une étape essentielle de la transition du pays vers la démocratie. Ce qui m’a particulièrement impressionnée, ce sont les concessions importantes que tous les partis représentés au Parlement ont concédées, pour qu’il soit finalement possible de parvenir à un accord sur un texte commun. Ce processus illustre un point de vue que je répète souvent : le compromis est un signe de force et non de faiblesse. Le soutien que la Suisse apporte à la transition démocratique de la Tunisie, depuis les bouleversements de l’année 2011, ne se limite pas à l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Nous avons aussi contribué à la création de 4 000 emplois et à la construction d’infrastructures pour l’alimentation en eau. À sa manière, la Constitution est une infrastructure. Le mot « constitution », comme « établissement » et « stabilité », vient du latin stare, qui signifie « se tenir debout » ou « rester en place ». La Constitution permet donc aux choses de rester en place. Elle est le fondement de l’État de droit démocratique, et garantit la liberté et la stabilité. Le reste est bâti sur cette infrastructure. La stabilité d’une Constitution vient du fait qu’elle soit plus complexe à réviser que d’autres textes de loi. C’est ce qui lui donne sa primauté sur le reste du droit.

Permettez-moi de mentionner ici quelques particularités de la Suisse et de sa Constitution. En Suisse, toute révision de la Constitution nécessite l’accord du peuple et des 26 cantons qui forment la Confédération. Notre Constitution est donc relativement difficile à réviser. Dans la pratique, cependant, elle est assez souvent modifiée.

Nous avons une autre particularité : le Tribunal fédéral est, certes, la Cour suprême de la Suisse, mais pas la seule instance chargée de veiller au respect de la constitutionnalité. Les constitutions des cantons, par exemple, sont examinées par le Parlement fédéral, qui décide de leur compatibilité avec la Constitution fédérale. C’est aussi le Parlement qui décide si une initiative populaire est valable et peut être soumise au vote du peuple et des cantons. Malgré ces particularités, le Tribunal fédéral apporte une contribution essentielle à la protection de la Constitution et à son développement. Depuis les années 50, il a reconnu de nombreux droits fondamentaux qui n’étaient pas explicitement mentionnés dans l’ancienne Constitution de 1874, par exemple le droit de propriété, la liberté d’opinion ou la liberté de la langue. Ce n’est que dans la Constitution de 1999 que ces droits fondamentaux ont été inscrits en bonne et due forme. D’un autre côté, le Tribunal fédéral a toujours refusé, dans sa jurisprudence, de modifier la Constitution par interprétation des normes. En 1957, par exemple, lorsque seuls les hommes avaient le droit de vote en Suisse, notre cour suprême a refusé d’introduire le droit de vote des femmes, en s’appuyant sur le principe d’égalité garanti par la Constitution. Les femmes, qui avaient saisi la Cour, faisaient valoir que les textes applicables n’excluaient pas expressément les femmes, et pouvaient être adaptés à l’évolution des idées. Le Tribunal fédéral a considéré que le particulier qui voudrait attribuer à la norme un sens différent doit avoir recours non pas au juge mais au législateur. Le Tribunal fédéral ne se départit pas de cette retenue. Il y a quelques jours, il a ainsi refusé de reconnaître deux hommes comme étant les parents d’un enfant né d’une mère porteuse à l’étranger. La Constitution fédérale interdit en effet la maternité de substitution. Seul le père biologique de l’enfant peut donc être reconnu comme son père. Le couple en question a plaidé pour qu’il soit tenu compte de l’évolution de la société, et le Tribunal fédéral a répondu qu’il appartenait au législateur, et non au juge, d’adapter le cadre légal à l’évolution des valeurs de la société. Il a donc fallu une révision formelle de la Constitution pour accorder le droit de vote aux femmes, en 1971 seulement. Il faudrait aussi réviser la Constitution pour rendre légale la maternité de substitution. Les révisions constitutionnelles prennent donc un certain temps, parce qu’elles doivent recevoir l’aval du peuple et des cantons. Elles doivent être débattues avec toutes sortes de groupes d’intérêt.

Notre troisième spécificité est l’initiative populaire. De manière unique au monde, les citoyennes et citoyens suisses peuvent utiliser cet instrument de démocratie directe pour adopter une disposition de rang constitutionnel, sans que le Parlement ou le Gouvernement ne puissent intervenir de manière déterminante dans le processus. 100 000 citoyennes et citoyens peuvent soumettre au vote un article constitutionnel entièrement rédigé. S’il est accepté par le peuple et les cantons, il entre en vigueur le jour même du scrutin, une fois le résultat connu. Cet instrument est de plus en plus apprécié. Au cours du siècle dernier, 124 initiatives ont été soumises au vote. Pour les 15 années de ce siècle, nous en dénombrons déjà 71. Deux nouvelles propositions s’y ajouteront dans dix jours, concernant l’introduction d’une compétence fédérale pour l’attribution des bourses d’études et la création d’un impôt national sur les successions et donations. Ces questions complexes demandent une certaine réflexion de la part de celles et ceux amenés à se prononcer. Sur les 124 initiatives du siècle dernier, 11 ont été acceptées. Sur les 71 initiatives de ce siècle, 10 l’ont déjà été. Cependant, le nombre d’initiatives problématiques acceptées augmente également ; ces initiatives heurtent des valeurs fondamentales de notre Constitution ou vont à l’encontre d’engagements internationaux de la Suisse, et sont, de ce fait, difficiles à mettre en œuvre de manière satisfaisante. L’initiative sur les minarets en est un exemple, tout comme l’initiative contre l’immigration de masse qui a été acceptée l’an dernier. Les dispositions figurant désormais dans notre Constitution prévoient désormais que l’immigration doit être gérée par des plafonds et contingents, ce qui est incompatible avec le régime de la libre circulation des personnes introduit par les accords bilatéraux qui lient la Suisse à l’Union européenne. Une foule d’idées ont déjà été avancées sur la manière de réformer l’instrument de l’initiative populaire : augmenter le nombre de signatures requises, réduire le temps imparti pour les récolter, soumettre les initiatives à un examen au fond avant d’autoriser la récolte des signatures, étendre les motifs de nullité, et d’autres idées encore. Une proposition qui devrait intéresser plus particulièrement les juges constitutionnels que vous êtes consiste à introduire une juridiction constitutionnelle complète. En Suisse, les lois fédérales et les traités internationaux doivent en principe être appliqués même lorsqu’ils ne sont pas conformes à la Constitution. La proposition de remédier à cet état de fait en étendant la juridiction constitutionnelle est cependant loin de faire l’unanimité en Suisse. L’idée que des tribunaux soient chargés de vérifier la constitutionnalité de lois fédérales ou d’initiatives populaires suscite encore, en dehors des cercles de juristes constitutionnels, un grand scepticisme.

Comme vous le voyez, le Congrès que vous tenez sur la suprématie de la Constitution aborde un thème qui, dans notre pays, est une réelle actualité et d’une grande portée politique. Le droit comparé offre justement l’occasion de quitter les sentiers battus et de profiter de l’expérience d’autres pays, en particulier lorsqu’ils partagent les mêmes valeurs : la démocratie, les droits fondamentaux et la séparation des pouvoirs. Ces valeurs sont aussi évoquées et ainsi renforcées dans la Déclaration de Saint-Boniface et la Déclaration de Bamako de l’OIF. Votre Congrès contribue également à renforcer ces valeurs fondamentales de toute société démocratique.

Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur et le plaisir de vous transmettre les meilleures salutations et les bons vœux du gouvernement suisse. Merci.

Introduction par Caroline Pétillon

Secrétaire générale de l’ACCPUF, chef du service des relations extérieures du Conseil constitutionnel français

Mesdames et Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs les membres des cours et conseils constitutionnels ayant en partage l’usage du français,

Mesdames et Messieurs,

Je remercie tout d’abord le Tribunal fédéral suisse et ses équipes pour leur accueil très chaleureux et l’organisation de ce septième Congrès de l’ACCPUF. Je remercie aussi les 29 délégations présentes qui ont fait le déplacement pour cette rencontre. Le Mali et Madagascar m’ont chargée de vous transmettre leur regret de ne pouvoir être parmi nous aujourd’hui. J’aimerais également rappeler combien les partenariats que l’ACCPUF entretient avec l’OIF et la Commission de Venise restent essentiels et constructifs d’année en année.

Je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour Martine Anstett[1], notre amie et sous-directrice à l’OIF, qui nous a quittés si brutalement il y a quelques semaines, qui nous manque terriblement et qui aurait dû être parmi nous aujourd’hui.

Nos débats, durant ces deux jours, vont traiter de la suprématie de la Constitution, qui va être déclinée à travers trois tables rondes. La première concerne le statut de la Constitution et du droit international dans la hiérarchie des normes, la deuxième traite de l’étendue et de l’effectivité du contrôle de constitutionnalité dans l’ordre interne et la troisième aborde les situations de conflit ou de concurrence entre la Constitution et les normes internationales.

Nous avons reçu 30 questionnaires, que notre expert Mathieu Disant – que je remercie vivement pour son travail – a analysés. Il vous communiquera sa synthèse au terme de nos travaux. Toutes vos institutions contribuent à l’État de droit. Sans Constitution, il n’y aurait pas de justice constitutionnelle et de démocratie. La réciproque est vraie. Je nous souhaite des débats riches et constructifs durant ces deux jours.

Je vous remercie.

1ère session de travail : Le statut de la Constitution et du droit international dans la hiérarchie des normes

Session présidée par Kassoum Kambou, président du Conseil constitutionnel du Burkina Faso

Mesdames et Messieurs, bonsoir. Nous allons débuter cette première session, qui verra les interventions proposées par trois intervenants sur notre thème. Avant cela, Monsieur Mathieu Disant nous fera la synthèse du questionnaire auquel nous avons eu à répondre. À l’issue des interventions, nous aurons des échanges avec l’ensemble de la salle. Merci pour votre attention.


  • [1]
    Martine Anstett, disparue le 29 avril 2015, était à la tête de la division des droits de l’homme à l’OIF. Son engagement en faveur des droits de l’homme tout au long de sa vie a été exceptionnel.  [Retour au contenu]

Synthèse des réponses au questionnaire

Mathieu Disant, professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF

Cette synthèse, comme les deux suivantes, est réalisée à partir des trente réponses adressées par les destinataires du questionnaire. Bien entendu, elle ne peut rendre compte de la grande diversité des situations des Institutions membres de l’ACCPUF. Il s’agit de restituer les réponses apportées par les Cours, le plus fidèlement possible, mais aussi le plus brièvement possible – deux exigences souvent contradictoires.

La richesse de ces questionnaires permet de dresser quelques lignes forces, mais aussi des points de distinction, quant au statut respectif ou réciproque, distinct ou enchevêtré, de la Constitution et du droit international dans la hiérarchie des normes, telle que vous la mettez en œuvre.

1. La position de la Constitution ne laisse guère d’ambiguïté.

1.1. Dans la majorité des systèmes examinés, la Constitution contient une disposition déterminant de façon explicite son rang normatif et son efficacité juridique.

Cette disposition peut être insérée, soit dans le corps du texte constitutionnel (ce qui le plus courant), soit dans son préambule (Algérie, Monaco), ou encore dans les deux à la fois (Bénin, Bulgarie, Maroc). Cette mention peut aussi figurer dans les dispositions constitutionnelles transitoires, en particulier lorsqu’est inscrite l’inapplicabilité des dispositions des lois adoptées avant l’entrée en vigueur de Constitution (Bulgarie).

Il n’y a pas de rédaction typologique sur ce point : la disposition constitutive – si l’on ose la qualifier ainsi – peut se loger aussi bien au début ou à la fin du texte constitutionnel. Les constitutions les plus récentes ont toutefois tendance à privilégier la première option, moyen d’affirmer de façon plus directe la suprématie de la Constitution.

Cette suprématie est différemment formulée. La Constitution est instituée comme :

  • « la loi suprême » (Canada, Moldavie, Roumanie) ;
  • loi supérieure (Albanie)
  • loi fondamentale (Algérie) ;
  • « la loi des lois » (Bulgarie) qui ajoute que cette suprématie est « totale et universelle » ;
  • « la loi suprême de l’État » (Bénin, Monaco, Niger), le cas échéant « loi suprême du Royaume » (Cambodge, Maroc), ou sous une autre dénomination : « norme suprême de l’ordre juridique » (Andorre), « loi suprême que les autres lois ne sauraient contredire » (Bulgarie).

Parmi les différentes justifications, la Constitution est dite suprême :

  • en tant qu’elle organise le fonctionnement de l’État démocratique (Andorre), qu’elle est source de légitimité de l’exercice des pouvoirs (Algérie), qu’elle énonce les grandes valeurs sur lesquelles repose l’État (Bulgarie) ;
  • suprême aussi, en tant qu’elle s’impose à tous les pouvoirs publics et aux citoyens (Andorre, Bulgarie), ces derniers ayant « l’obligation absolue de respecter, en toutes circonstances, la Constitution » (Niger) ;
  • suprême encore, parce qu’elle est au-dessus de toutes les autres normes (Algérie, Cameroun), lesquelles « doivent (lui) êtres absolument conformes » (Cambodge), leur « validité dépend de la conformité à la Constitution » (Guinée Bissau) ; La Constitution de la République du Mozambique prévoit que « les normes constitutionnelles prévalent sur toutes les autres normes du système juridique » ;
  • suprême, enfin, en tant que la Constitution est « au sommet de l’ordre juridique interne » (selon la formule retenue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel français).

1.2. Il faut toutefois noter que toutes les constitutions ne déterminent pas explicitement leur rang normatif. Certaines le font de manière implicite ou incidente. C’est le cas en Belgique, au Congo, aux Comores, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Liban, à Madagascar, en Slovénie, au Togo, en Suisse.

La suprématie repose alors sur différents types d’insertion normative :

  • il peut s’agir d’une disposition habilitante, qui prévoit par exemple que tous les pouvoirs sont exercés de la manière établie par la Constitution (Belgique),  ou qui dispose que la source de toute légitimité découle de la constitution (Burkina Faso) ;
  • il peut s’agir d’une règle de subordination, prescrivant le caractère exécutoire de la Constitution ou une obligation de conformité des autres actes juridiques (Slovénie), ou mentionnant, selon une approche négative, l’inapplicabilité (Congo), l’effet abrogatif (par ex. Belgique) ou plus simplement l’absence d’effet juridique (Moldavie) des actes qui lui sont contraires, ou à l’égard de laquelle ils sont incompatibles (Canada) ;
  • cette suprématie peut aussi reposer sur l’affirmation selon laquelle « les dispositions de la Constitution ont un effet direct » (Bulgarie), ou celle selon laquelle « les droits de l’homme et les libertés fondamentales s’exercent directement sur la base de la Constitution » (Slovénie) ;
  • ou encore par l’affirmation de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal, qui fait obstacle à l’adoption ou à l’application des règles qui éludent ou contredisent le sens ou l’esprit des prescriptions de la Constitution fédérale Suisse.

À quoi il faut ajouter deux considérations, souvent citées dans vos réponses :

  • d’une part, la protection de l’ordre constitutionnel établi pour que les accords internationaux puissent faire partie de l’ordre juridique interne (not. Bulgarie, Tunisie) ;
  • d’autre part, l’existence d’une procédure propre à la révision de la Constitution, ce qui renvoie au degré de rigidité des constitutions.

D’une certaine façon, c’est tout le contenu de la Constitution qui justifie sa suprématie, toute la longue tradition juridique du constitutionnalisme. Certaines cours soulignent que la suprématie de la Constitution s’enracine dans le principe de l’édification de l’État de droit (Bulgarie), comme il va de concert avec la primauté du droit (« rule of law ») au Canada et en Tunisie (cette primauté ayant été inscrite à l’article 2 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014).

En particulier, l’instauration du contrôle de constitutionnalité et l’organisation des compétences (contentieuses et/ou de régulation) confiées à vos cours témoignent, pour reprendre l’expression de la Tunisie à propos de l’ins tance provisoire (IPCCL) puis définitive Cour constitutionnelle, de « la prévalence des dispositions constitutionnelles sur les autres sources de droit positif ». La Moldavie fait aussi observer que « l’efficacité juridique de la Constitution est déterminée par ses propriétés juridiques, notamment par le fait que la Constitution dispose d’un pouvoir juridique suprême dans le système de droit, garanti par le mécanisme de contrôle de la conformité des lois et des actes normatifs à l’acte suprême ».

1.3. Il n’existe pas de normes de droit interne supérieures à la Constitution. Cela revient comme un leitmotiv dans vos réponses : rien n’est placé au-dessus de la Constitution. Sous cet angle, la valeur supra-constitutionnelle est étrangère au droit constitutionnel positif et ne dépasse pas le plan des discussions théoriques. La Suisse fait observer le déclin de l’idée même d’un ordre normatif supra-constitutionnel, plus souvent défendue par le passé.

Pour atténuer cette apparente unanimité, on doit évoquer trois tempéraments. D’une part, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Moldavie retient de façon originale que la Déclaration d’indépendance de la République de Moldavie constitue le fondement juridique et politique originaire et contraignant de la Constitution. Aucune disposition de la Constitution ne peut enfreindre les dispositions contenues dans cette Déclaration. En cas de contrariété, c’est bien le texte constitutionnel originaire de la Déclaration qui prévaut, qui a pu ainsi être considéré comme « supraconstitutionnel ».

Par comparaison, cette solution a été rejetée en Belgique au sujet des textes adoptés avant la Constitution par le Congrès national (qui est aussi le Constituant originaire), l’un relatif à l’indépendance du peuple belge, l’autre relatif à l’exclusion des membres de la famille Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique.

D’autre part, la question de la supra-constitutionnalité est parfois moins catégorique en relation avec certaines normes. Le cas du Canada mérite une attention particulière à cet égard. Depuis 1998 et le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême a articulé à l’ordre constitutionnel des principes qualifiés de « sous-jacents ». On en dénombre quatre : le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et le respect des minorités. Selon les termes de la Cour, ces principes « ressortent de la compréhension du texte constitutionnel lui-même, de son contexte historique et des diverses interprétations données par les tribunaux en matière constitutionnelle ». Ce sont donc des éléments de l’ordre constitutionnel qui ont plein effet juridique, c’est-à-dire, selon la Cour, qu’ils peuvent donner naissance à des « obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises ». Ces principes ne sont donc pas simplement descriptifs, ils sont aussi investis d’une force normative puissante qui conduit à les voire comme des méta-principes constitutionnels, auxquels la Cour suprême a fait référence encore récemment.

Enfin, nombre de vos cours concède que ni la Constitution, ni la jurisprudence n’ont une approche claire et figée sur la question de prévalence de certains droits, principes ou valeurs, au sein de la Constitution. Certaines cours admettent d’une façon ou d’une autre la place, tantôt éminente, tantôt inférieure, de certains principes :

  • le Maroc évoque, pour le premier cas, l’introduction de nouveaux principes de valeur constitutionnelle qui constituent « les soubassements du régime constitutionnel marocain de 2011 », parmi lesquels notamment l’indépendance de la justice, la sincérité et la transparence des élections, la bonne gouvernance, la religion musulmane modérée, la décentralisation territoriale, ainsi que la parité entre les hommes et les femmes… ;
  • le Canada souligne, quant à lui, que la jurisprudence constitutionnelle relève de la constitution « non écrite » ; il s’en déduit qu’elle est de hiérarchie inférieure aux deux sources de droit constitutionnel écrit (que sont les textes formellement constitutionnels, et lois ordinaires à statut constitutionnel).

Ceci étant, la très large majorité des cours ne reconnaît aucune distinction entre les différents types de normes constitutionnelles, ni à l’intérieur, ni en dehors d’elle-même (Algérie, Andorre, Belgique, Burkina, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, France, Gabon, Liban, Madagascar, Moldavie, Monaco, Niger, Roumanie, Tchad, Togo, Suisse). Toutes les normes constitutionnelles sont alors d’égale valeur, y compris celles contenues dans le préambule. Précisons que lorsque ce dernier existe (ce qui n’est pas le cas notamment en Belgique et en Roumanie), son statut de norme directement ou indirectement efficiente est à peu près stabilisé partout.

Précisons également que l’absence d’échelle de prévalence ne signifie pas identité de protection. Comme l’a exposé le Tribunal constitutionnel d’Andorre, les droits constitutionnels ont potentiellement « une efficacité différente selon leur contenu normatif, du fait de leur situation systématique et, même, par rapport au cas concret auquel ils s’appliquent ».

Point de supra-constitutionnalité, ni d’intra-constitutionnalité, donc. Mais alors :

2. Quels sont le statut et la place des normes internationales dans vos ordres internes ?

La liste des textes internationaux concernés est dense. Dans la panoplie des textes garantis par vos constitutions, figure notamment : la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (ONU I), celui relatif aux droits civils et politiques (ONU II), la Charte internationale des droits de l’homme, mais aussi le cas échéant la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 adoptée par l’Organisation de l’Unité africaine.

Sans aucune exhaustivité, on trouve là un corpus commun, que l’on peut dire standardisé, de protection des droits humains. Ce qui fait écho à l’incorporation dans les textes constitutionnels des « principes de droit international universellement reconnus » (Andorre) ou des « principes généraux du droit international » (Monaco). Bien entendu, on rappellera que les dispositions de droit international lient les États lorsque les traités qui les prévoient sont dûment ratifiées et publiées, et soumise à une règle de réciprocité, toutes conditions dont la mise en œuvre technique varie selon les systèmes et qui font l’objet d’un examen par vos cours ou, le cas échéant, d’autres juridictions.

Il est évident que l’insertion dans la Constitution de ces traités, accords ou conventions procède d’une volonté parfois très forte d’intégration mondiale. Un chiffre peut l’illustrer : pas moins de 35 articles sur les 139 que compte la Constitution du Cambodge y font mention ! Soit plus d’un quart des dispositions. De même, les conventions internationales des droits de l’homme bénéficient d’une attention toute particulière au sein des réformes constitutionnelles récentes intervenues, par exemple, au Maroc et en Tunisie.

Dans l’ensemble, vos constitutions – ou vos jurisprudences – ont résolu parfois en détail les rapports avec le droit international, en définissant les limites à l’intégration de l’État dans un ordre international et autres « clauses de sauvegarde » ; en définissant aussi les procédures d’insertion des normes internationales dans l’ordre juridique interne et les compétences des organes respectifs dans ce domaine. Qu’en ressort-il ?

La valeur supra-législative du droit international n’est pas ou plus véritablement discutée, même si tous les textes constitutionnels ne sont pas explicites sur ce point. Deux questions principales se posent : d’une part, celle de l’infériorité constitutionnelle du droit international ; d’autre part, celle de l’intégration de la normativité internationale protégeant les libertés au contrôle opéré par la Cour constitutionnelle.

2.1. Sur le premier point, on peut retenir que la Constitution prime sur les normes de droit international. Les traités internationaux ratifiés occupent presque toujours une place infra-constitutionnelle.

Au Canada, la réponse est absolue, en raison de la séparation des deux sphères juridiques. En cas de conflit, c’est très clairement la norme constitutionnelle – en tant qu’elle est interne – qui va primer, ou du moins être favorisée. C’est la supériorité du droit interne dans son ensemble, et non seulement constitutionnel, qui est retenue. Autrement dit, le droit international n’est pas plus contraignant que le droit étranger.

À l’inverse, en Suisse ou aux Comores, la conception largement admise est celle d’une primauté du droit international sur le droit interne. La Constitution fédérale Suisse ne mentionne pas de règle de conflit, c’est-à-dire qu’elle n’indique pas comment résoudre un conflit entre norme de droit international et une règle de droit interne ; de sorte que, qu’est laissée ouverte la possibilité d’exceptions à la primauté internationale dans certains cas. Il semble admis que le droit international l’emporte seulement lorsqu’une contradiction insurmontable est constatée par le Tribunal fédéral.

La règle de primauté constitutionnelle est valable concernant le droit de l’Union européenne. À cet égard, le Conseil constitutionnel français estime que la place particulière de ce droit ne remet pas en cause la place de la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes.

Il n’y a qu’en Belgique que la suprématie de la Constitution sur le droit international offre une controverse jurisprudentielle, puisque la solution apportée est différente selon que l’on examine la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et celle de la Cour de cassation.

Depuis 1991, la Cour constitutionnelle estime, dans le cadre du contrôle des textes d’assentiment, que le droit des traités occupe une place inférieure à la Constitution dans la hiérarchie des normes. La Cour juge aussi qu’une inconstitutionnalité entachant une norme interne de valeur législative ne peut être justifiée par la circonstance que cette norme se limite à donner exécution d’une convention internationale : cette circonstance ne dispense pas le législateur de respecter les dispositions constitutionnelles.

En revanche, la Cour de cassation a jugé, en 2004, qu’un traité ayant effet direct avait primauté sur la Constitution. Elle a jugé que lorsque la Constitution ne pose pas plus d’exigences que la disposition conventionnelle, un contrôle de la loi à la lumière de la convention suffit ; un contrôle ultérieur de la loi à la lumière de la Constitution étant alors sans pertinence. Elle en a conclu qu’elle n’était pas tenue, dans cette hypothèse, de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

2.2. Sur la question de l’intégration de la normativité internationale au contrôle de la cour, la situation est contrastée, presque paritaire.

Parmi les cours qui refusent d’exercer un contrôle de conventionnalité, on peut citer : Andorre, Algérie, Cambodge, Canada, Congo, Côte d’Ivoire, Liban, Maroc, Monaco, Niger, RDC, Tchad, Tunisie.

Dans ce cas, le droit international ne fait pas formellement partie des normes de références utilisées par ces cours dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. Celles qui retiennent cette expression précisent que le droit international ne fait pas partie du « bloc de constitutionnalité ». Autrement dit, même si cela peut couvrir des réalités fort différentes, il n’est pas un paramètre direct du contrôle de constitutionnalité

C’est le cas au Canada. À l’instar des autres pays de tradition juridique anglosaxonne de common law, le Canada adhère au modèle dit « westphalien » des relations internationales, avec son idée-structure de la souveraineté des États. Il faut, dès lors, parler d’interaction (et non d’intégration) du droit international avec le droit interne canadien puisque – encore une fois – il existe deux réalités juridiques séparées et distinctes ou, pour emprunter au langage mathématique, deux ensembles non intersectants. Le mandat constitutionnel de la Cour est d’appliquer le droit canadien, pas le droit international.

C’est le cas aussi en France. Depuis sa décision Interruption volontaire de grossesse de 1975, le Conseil constitutionnel juge qu’il ne lui « appartient pas (…) d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international ». Cette solution a été constamment rappelée par le Conseil constitutionnel tant dans le cadre du contrôle a priori que dans le cadre du contrôle a posteriori depuis l’instauration de la Question prioritaire de constitutionnalité.

À l’inverse, d’autres cours utilisent les normes internationales comme référence : Albanie, Algérie, Bénin, Bulgarie, Burkina, Comores, Guinée, Madagascar, Roumanie, Slovénie, Togo, Suisse.

En Albanie, la Convention européenne des droits de l’homme a une valeur constitutionnelle à titre de référence directe dans la Constitution. Une démarche comparable peut s’observer au Congo, Guinée Bissau, Mozambique, Tchad, Togo.

Au Bénin, la Cour constitutionnelle utilise comme normes de référence la convention régionale de protection des droits fondamentaux, et le cas échéant d’autres traités, pour s’appuyer par exemple sur des normes économiques et financières internationales, ou sur des normes internationales relatives aux droits fondamentaux des travailleurs.

Au Burkina, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Niger, à Madagascar mais aussi au Liban, il est considéré que cette intégration vaut pour les textes internationaux visés dans le préambule de la Constitution. Cette référence expresse vaut opérabilité de l’instrument dans le débat de constitutionnalité. On fera observer que la question se pose en ces termes dans le cadre de la Constitution tunisienne : l’attachement des constituants « aux principes universels des droits de l’homme » au sein du préambule semble pouvoir être interprété comme permettant de les intégrer dans le « bloc de constitutionnalité » comme le suggère la réponse au questionnaire.

En Slovénie, tous les traités internationaux et les principes généraux du droit international font partie du bloc de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle peut appliquer d’office des normes internationales même si les parties à la procédure constitutionnelle ne les invoquent pas. Au sens large, la Cour se réfère également aux principes généraux du droit international, y compris le droit coutumier, comme elle se réfère également aux « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ».

En Belgique, c’est de façon indirecte que le droit international des droits de l’homme fait partie du « bloc de constitutionnalité » (quoique cette notion y soit peu usitée). La Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions internationales, mais la Cour a développé deux techniques lui permettant d’associer et de combiner les dispositions de droit international et les dispositions constitutionnelles.

D’une part, à travers le prisme du principe d’égalité, la Cour a fait entrer dans les normes de contrôle qu’elle utilise toutes les dispositions de droit international établissant des droits ou des libertés. D’autre part, la Cour combine les dispositions constitutionnelles garantissant des droits et libertés et les dispositions de droit international protégeant les droits et libertés analogues.

La Cour belge opère donc, à la faveur du contrôle de constitutionnalité, un contrôle de conventionnalité des dispositions de valeur législative, fédérales et fédérées ; dont les détails seront présentés par le président Alen.

2.3. Je terminerai en précisant très succinctement que certaines sources internationales bénéficient d’une place particulière au sein de la Constitution.

Celles inscrites au préambule, bien entendu, et dont le constituant souligne ainsi son attachement. Et plus encore celles qui, parmi elles, font l’objet, en propre, d’une disposition itérative. Par exemple, selon les termes de la Constitution du Bénin, les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – déjà mentionné au préambule – font partie intégrante de la Constitution et du droit béninois.

D’autres normes internationales bénéficient d’un véritable statut spécifique au plan constitutionnel. C’est le cas en Guinée Bissau, s’agissant de la Déclaration universelle des droits de l’homme, laquelle bénéficie d’un statut supra-constitutionnel qui lui confère primauté lorsqu’elle s’avère plus libérale que la Constitution. C’est le cas aussi, dans une certaine mesure, de disposition qui, comme celle de l’article 5 de la Constitution tunisienne, énonce un objectif d’unité du Magreb arabe.

C’est le cas surtout à l’égard des dispositions constitutionnelles prévoyant des obligations qui découlent de l’adhésion à l’Union européenne, ordre juridique international plus intégré. L’article 148 de la Constitution roumaine, les articles 88-1 et 88-2 de la Constitution française ou encore l’article 3a de la Constitution slovène traduisent, avec quelques nuances, cette spécificité. Ainsi, la Cour constitutionnelle slovène a précisé, sur cette base, que les principes fondamentaux qui définissent la relation entre le droit interne et le droit de l’UE sont aussi des principes constitutionnels ayant la même force obligatoire que la Constitution.

Enfin, concernant le contrôle des lois de transposition des directives européennes – qui ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France – le Conseil constitutionnel français accepte de déclarer non conforme à la Constitution une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer.

Ces éléments permettent de situer les relations entre la Constitution et le droit international, avant qu’elles ne soient approfondies par les différentes interventions de cette session.

Le droit international dans l’ordre interne, approche générale et comparée

Laurence Burgorgue-Larsen, présidente du Tribunal constitutionnel d’Andorre

Il est devenu banal aujourd’hui de mentionner la dialectique d’internationalisation des constitutions et de constitutionnalisation du droit international, d’évoquer les liens et même les interactions des deux versants constitutionnel et international du droit public. Ceux-ci se matérialisent par l’existence de clauses « passerelles » aux allures et aux fonctionnalités variées. L’effervescence doctrinale est aujourd’hui à son comble sur la planète pour décrire ce nouveau phénomène, qui pourrait laisser croire qu’il s’agit d’un champ de recherche neuf. Ce serait là une grave erreur.

Un auteur visionnaire, Boris Mirkine-Guetzevitch, avait déjà mis en exergue, avant-guerre, les relations entre le droit international et le droit constitutionnel pour imaginer un droit public unifié. Ce chantre de l’unité du droit public conçut le droit international et le droit institutionnel comme intimement liés. Il estimait que l’unité du droit public, envisagée comme une tendance historique, permettait de dépasser les disputatio entre monistes et dualistes. La « conscience juridique des peuples », disait-il, c’est-à-dire la démocratie réalisée par le droit, pour et par la volonté populaire, participait en quelque sorte à la démocratisation du droit constitutionnel, et ce faisant, à la démocratisation du droit international. Autrement dit, Boris Mirkine-Guetzevitch pensa l’idée d’un droit international qui n’aurait pas été entièrement « statocentré », mais « anthropo-centré ». Son approche méthodologique fut celle du droit comparé. Il écrivit des ouvrages entiers consacrés à ce qu’il a appelé le droit constitutionnel international, c’est-à-dire les clauses qui, figurant au sein des constitutions, traitaient du droit international.

De nos jours, dans le contexte de la mondialisation, on parle d’ouverture et d’internationalisation des constitutions nationales. C’est cette dénomination qui emporte l’intérêt doctrinal. Je souhaiterais aujourd’hui élargir la perspective sur trois continents, l’Afrique, l’Amérique latine et l’Europe, afin de montrer les points d’achoppement et de ressemblance entre ces différents constitutionnalismes et la place du droit international.

S’agissant de la place du droit international dans l’ordre interne, il est remarquable que les néo-constitutionnalismes latino-américains et africains recèlent plus d’originalités que le constitutionnalisme moderne européen. S’agissant de ce dernier, cela ne peut surprendre, étant donné qu’il fut le premier à voir le jour, immédiatement après-guerre. Les néo-constitutionnalismes africains et latino-américains, plus récents, ont pris acte de plusieurs avancées normatives. La différence temporelle d’implantation a eu des conséquences sur le degré et la nature de l’internationalisation des constitutions dans les trois continents. Si le droit international général brille de tous ses feux dans les constitutions européennes, il ne mentionne pas – ou très peu – une branche spécifique, qui est le droit international des droits de l’homme. Or, là réside l’originalité du constitutionnalisme africain et latino-américain.

I. Le classicisme européen

Je dirai tout d’abord quelques mots sur le classicisme du constitutionnalisme moderne européen. J’estime que le constitutionnalisme d’après-guerre en Europe est « classique » dans la mesure où il s’agit de la première vague du constitutionnalisme moderne. S’il a pris très au sérieux la protection des droits fondamentaux, cela n’a pas conduit à une appréhension spécifique du droit international des droits de l’homme au sein des constitutions européennes. Cette branche n’est au demeurant jamais dissociée du droit international général. Nous observons en Europe une prégnance du droit international général et une rareté du droit international des droits de l’homme. Le droit international général est rappelé au regard de son rang dans les constitutions européennes. La première question qui surgit en effet lors de l’étude des constitutions européennes est le rang du droit international et ses fonctionnalités dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, et en particulier pour le contrôle a priori des traités internationaux. En général, la problématique se limite à définir la valeur – législative ou supra-législative et infra-constitutionnelle – attribuée aux traités internationaux au sein des constitutions. Une variante de l’analyse consiste à s’interroger sur la nature, dualiste ou moniste, du système.

En Europe, on n’accorde point de valeur supra-constitutionnelle ou même constitutionnelle aux conventions internationales. Est-ce à dire qu’aucune constitution européenne ne mentionne le droit international des droits de l’homme ? Le constitutionnalisme d’après-guerre serait-il hermétique à la dimension humaniste de la protection des droits ? Pas tout à fait. L’histoire de chaque pays démontre qu’une place lui a été accordée. Elle provient non pas de son rang, mais de son fonction herméneutique. Si sept pays sur les quarante-sept États membres européens faisant partie du Conseil de l’Europe, disposent de clauses d’interprétation conformes (la Roumanie, l’Espagne, le Portugal, le Kosovo, la Moldavie, la Bosnie Herzégovine et le Royaume-Uni), il y a la marque de l’histoire (par l’élaboration de constitutions de rupture avec des passés autoritaires et avec des conflits armés internes) et de la singularité constitutionnelle comme au Royaume-Uni. Ces clauses enjoignent les juges constitutionnels à interpréter les droits fondamentaux à l’aune du droit international des droits de l’homme. En général, le point commun de ces clauses est qu’elles se réfèrent toutes à la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui n’est pas un traité, mais une résolution adoptée par l’ Assemblée générale, un texte de droit programmatique (du droit souple, soft law). En réalité, la Déclaration des droits de l’homme est devenue un socle éminemment universel de la protection des droits de l’homme. Les clauses portugaise et espagnole font de surcroît référence aux traités signés par l’État. Elles peuvent et doivent inspirer les juges constitutionnels dans l’interprétation des droits fondamentaux. La situation de ces pays est exceptionnelle. S’agissant du Royaume-Uni, avec le Human Rights Act de 1998, il a été enjoint à la Cour suprême britannique d’interpréter les droits britanniques à l’aune de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Royaume-Uni et le Kosovo se rejoignent sur ce point. On note ici une primauté axiologique accordée à la convention européenne.

Si on observe plus avant toutefois la place du droit international dans les constitutions européennes, on se rend compte qu’il comporte une spécificité, qui est celle de la place accordée au droit de l’Union européenne. Il existe en effet en Europe une constitutionnalisation du phénomène « intégratif » européen. La constitutionnalisation de l’intégration européenne est ancrée dans des clauses ad hoc (à l’instar de l’article 88-1 de la Constitution française), parfois nommées clauses « Europe », comme en Allemagne (article 23). Néanmoins, on ne peut parler pour autant de constitutionnalisation du droit international des droits de l’homme. Telle est la différence notoire avec les constitutionnalismes africains et latino-américain.

II. L’originalité africaine et latino-américaine

L’Afrique et l’Amérique latine ont connu d’importantes vagues de démocratisation à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Certains soubresauts, au Rwanda, au Burundi, en Angola, ainsi que le printemps arabes, ont permis l’adoption de nouvelles constitutions dans les années 2000. Quoi qu’il en soit, les sous-bassements africain et latino-américain de ce nouveau constitutionnalisme sont les mêmes qu’en Europe : consécration de l’État de droit par la séparation des pouvoirs et l’instauration de systèmes de justice constitutionnelle. La différence est l’existence d’un rapport singulier avec le droit international des droits de l’homme. Son importance se manifeste de deux manières : par le rang qui lui est attribué dans les constitutions d’une part, et par sa fonction herméneutique d’interprétation des droits fondamentaux d’autre part.

Le rôle du droit international des droits de l’homme en Amérique latine est très étendu. La première vague du constitutionnalisme latino-américain le démontre. Le paragraphe 22 de l’article 75 de la Constitution argentine du 22 août 1994, opère une distinction intéressante et révélatrice entre les traités et accords internationaux généraux ayant une simple valeur législative d’un côté, et neuf instruments internationaux de protection des droits de l’homme, auxquels il est accordé un rang constitutionnel, de l’autre. Le Venezuela a mis en place un système fondé sur l’article 23 de la Constitution de 1999, qui hisse le droit international des droits de l’homme au niveau constitutionnel. Tout éventuel conflit peut être réglé en accordant le primat aux « normes les plus favorables à la protection des êtres humains ». L’article 23 reconnaît en outre une applicabilité immédiate aux traités internationaux.

La deuxième vague du constitutionnalisme latino-américain, dans les années 2000, a vu la création soit de nouvelles constitutions, soit la réforme de constitutions déjà existantes. Au Mexique, une réforme très importante menée en 2011, a permis d’intégrer une référence explicite au droit international des droits de l’homme à l’article 1er de sa Constitution, sur la base d’arrêts de condamnation de la Cour interaméricaine des droits de l’homme à l’encontre du Mexique. Cela fait du droit international des droits de l’homme un « curseur » du contrôle de constitutionnalité. De véritables ruptures constitutionnelles ont eu lieu dans d’autres pays, comme la Bolivie ou l’Equateur, qui ont érigé le droit international des droits de l’homme à un rang supra-constitutionnel.

Le processus est identique en Afrique. Le rang du droit international des droits de l’homme dans la hiérarchie des normes est très intéressant. Le nombre de préambules des « jeunes » constitutions africaines mentionnant le droit international des droits de l’homme est élevé. Dans certains cas, il figure dans le texte même de la constitution. Je pense notamment à l’article 7 de la Constitution du Bénin, qui est l’emblème d’une ouverture maximale au droit international et régional africain. Une fois le droit international des droits de l’homme inséré au sein des préambules, qu’en est-il de leur valeur juridique ? De nombreux juges ont « juridictionnalisé » le préambule lorsque la constitution était muette. Dans d’autres cas, la constitution elle-même indiquait que le préambule faisait partie du texte constitutionnel, auquel cas la question ne se posait pas.

En Afrique, le droit international des droits de l’homme est également valorisé par sa fonction herméneutique. On découvre dans certains pays africains l’existence de clauses passerelles d’ouverture ou d’interprétation conforme. Je pense à l’Afrique du Sud, mais aussi à l’Angola ou au Cap Vert, dont les constitutions enjoignent les juges constitutionnels à interpréter les droits fondamentaux à l’aune du traité de protection internationale des droits de l’homme.

*

Ce rapide tour d’horizon du constitutionnalisme moderne met en évidence un hiatus important entre l’Europe d’un côté, où le droit international des droits de l’homme est inexistant dans les constitutions « classiques » (adoptées après-guerre) et n’existe que dans de rares textes constitutionnels adoptés plus tardivement), et l’Afrique et l’Amérique latine de l’autre, où le droit international des droits de l’homme est devenu un curseur de la « fondamentalité » constitutionnelle. Au-delà de l’étude des textes, se pose bien entendu la question de la pratique judiciaire afin de savoir si les juges prennent au sérieux cette nouvelle donne…

La relation entre la Constitution belge et le droit européen

André Alen, président de la Cour constitutionnelle de Belgique

I) La Constitution belge ne contient pas de disposition générale et expresse relative à la relation entre la Constitution et le droit international. Il n’y a qu’une exception à cette règle, à savoir l’article 34 de la Constitution [1].

Cet article dispose : « L’exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué par un traité ou par une loi à des institutions de droit international public ».

Cette disposition a été insérée dans la Constitution en 1970 afin de justifier la participation de la Belgique et le transfert des pouvoirs aux Communautés européennes et à la Convention européenne des droits de l’homme.

II) En ce qui concerne la relation entre le traité et la loi, la Cour de cassation a comblé cette lacune. Dans un arrêt du 27 mai 1971 (Franco- Suisse Le Ski), la Cour de cassation a reconnu la primauté d’une norme de droit international ayant des effets directs dans l’ordre juridique interne sur la loi [2]. D’après la Cour de cassation, « [cette] prééminence résulte de la nature même du droit international conventionnel » [3]. Il s’agissait d’un point de vue moniste dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de justice [4].

La conséquence de cette jurisprudence est un contrôle diffus : chaque juge ordinaire ou administratif est obligé d’écarter l’application des dispositions législatives contraires à une norme de droit international qui a des effets directs dans l’ordre juridique interne.

III) Par contre, pour le contrôle de constitutionnalité des normes législatives, le Constituant a opté en 1980 pour un contrôle centralisé par la Cour constitutionnelle [5].

Cette Cour, instituée en dehors du pouvoir judiciaire, est exclusivement compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des normes législatives, statuant soit sur un recours en annulation introduit par le Gouvernement ou le Parlement de l’État fédéral ou d’une entité fédérée, ou par toute personne justifiant d’un intérêt à agir, soit sur une question préjudicielle à poser obligatoirement par chaque juge ordinaire ou administratif [6].

IV) La Cour constitutionnelle n’est pas habilitée à exercer un contrôle direct de la législation au regard du droit international et européen. Néanmoins, la Cour a développé deux techniques afin de contrôler indirectement la législation au regard des normes internationales [7].

A) La première technique repose sur les articles 10 et 11 de la Constitution qui interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine.

D’après la jurisprudence de la Cour à partir de 1989, le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination s’applique à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux resultant des conventions internationales liant la Belgique [8].

Pour les droits et libertés fondamentaux, le lien avec les articles 10 et 11 de la Constitution consiste en ce que lorsqu’un droit ou une liberté est retiré à une catégorie de personnes, alors que ce droit ou cette liberté reste garanti à toutes les autres personnes, le principe d’égalité est violé.

Le résultat de cette jurisprudence est que la Cour lit le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination en combinaison avec les droits et libertés garantis par les traités, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme, les Pactes des Nations-unies et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais aussi avec le droit primaire et secondaire de l’Union européenne.

B) La seconde technique a été développée par la Cour après l’extension de ses compétences en 2003, qui lui a permis d’exercer un contrôle de la compatibilité des normes législatives au regard du Titre II de la Constitution. Ce Titre garantit (presque) tous les droits et libertés fondamentaux.

Dans un arrêt de principe[9], la Cour a constaté que de nombreux droits fondamentaux garantis par le Titre II de la Constitution ont un équivalent dans un traité international liant la Belgique. Dans ce cas, les garanties constitutionnelles et les garanties conventionnelles constituent un ensemble indissociable. Il s’ensuit que, lorsqu’est alleguée la violation d’une disposition du Titre II de la Constitution, la Cour tient compte, dans son examen, des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues [10].

V) Les deux techniques précitées ont permis à la Cour constitutionnelle de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, dont les arrêts sont abondamment mentionnés et/ou cités [11].

De cette manière, la Cour constitutionnelle a pu donner aux garanties constitutionnelles, dont la formulation n’a, pour la plupart, pas été modifiée depuis 1831, une interpretation évolutive et contemporaine.

D’autres avantages sont : la certitude que le principe de la primauté de la protection la plus étendue soit respecté et la prévention de conflits entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence supranationale [12].

VI) Les deux contrôles mentionnés ci-dessus, à savoir, d’une part, le contrôle centralisé de constitutionnalité des normes législatives par la Cour constitutionnelle et, d’autre part, le contrôle diffus de conventionnalité des normes législatives par chaque juge ordinaire et administratif, a donné lieu à la problématique du « concours des droits fondamentaux » : un juge, devant lequel une partie soulève qu’une disposition législative viole un droit fondamental garanti tant par la Constitution que par une disposition conventionnelle analogue, doit-il poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, en application de la jurisprudence de celle-ci, ou peut-il lui-même contrôler la compatibilité de la norme législative avec la disposition conventionnelle, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation [13] ?

Le législateur spécial a résolu la question en 2009 en accordant une priorité de contrôle à la Cour constitutionnelle : hormis quelques exceptions (de l’acte clair ou de l’acte éclairé), le juge est tenu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité de la norme législative, et après une réponse négative à cette question, le juge est compétent pour contrôler la compatibilité de la norme législative avec la disposition conventionnelle [14].

Le législateur français s’est basé sur cette législation belge pour résoudre le même problème. Cette législation française a donné lieu au célèbre arrêt Melki et Abdeli de la Cour de justice [15]. Dans cet arrêt, la Cour de justice a dit pour droit que la procédure est conforme au droit européen, pour autant que le juge a quo puisse poser une question préjudicielle à la Cour de justice à chaque moment de la procédure et – surtout – qu’il reste compétent pour contrôler la compatibilité de la disposition législative avec le droit européen. On remarque que la Cour de justice a tenté de concilier les compétences des cours constitutionnelles avec le principe supérieur de l’unité et de la primauté du droit européen [16].

Bien que la législation belge relative au concours des droits fondamentaux ait été estimée compatible avec l’arrêt précité, l’article concerné – l’article 26, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle – a été modifié en 2014, notamment pour prévoir expressément la possibilité de poser des questions préjudicielles parallèles à la Cour de justice et à la Cour constitutionnelle [17].

VII) La relation entre la Constitution et le droit international et européen était et reste controversée [18].

A) Dans trois arrêts du 9 et du 16 novembre 2004, la Cour de cassation a jugé qu’un traité ayant effet direct a primauté sur la Constitution, à moins que celle-ci offre des garanties plus larges [19].

B) En revanche, la Cour constitutionnelle estime, dans une jurisprudence constante depuis 1991, que les traités occupent une place inférieure à celle de la Constitution [20].

En effet, un traité doit être approuvé par une norme législative émanant du législateur compétent. Les normes législatives par lesquelles un traité reçoit l’assentiment et – parce que ces normes prévoient que le traité produira ses pleins effets – le texte du traité lui-même, ressortissent intégralement au contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle. Ainsi, le législateur ne peut pas faire indirectement, par le biais de l’assentiment donné à un traité, ce qu’il ne peut faire directement, à savoir violer la Constitution.

Mais la Cour constitutionnelle fait preuve de retenue lors de ce contrôle : elle l’exerce en tenant compte de ce qu’il s’agit non d’un acte de souveraineté unilatéral mais d’une norme conventionnelle produisant également des effets de droit en dehors de l’ordre juridique interne [21]. Par conséquent, la Cour n’a, jusqu’à present, constaté aucune violation de la Constitution par un traité.

C) Il semble que la Cour constitutionnelle se soit écartée, dans un seul arrêt et à première vue, de la primauté de la Constitution [22].

Dans cet arrêt, la Cour a été interrogée sur le défaut d’un contrôle politique suffisant sur la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (le régulateur fédéral de l’énergie). Après avoir répondu qu’il existe bien un contrôle parlementaire, la Cour a jugé que « dans la mesure où ce qui précède ne suffirait pas (…), cette situation est justifiée, en vertu de l’article 34 de la Constitution, par les exigences découlant du droit de l’Union européenne », en particulier une directive qui ne laisse pas de marge de manoeuvre.

Récemment, la Cour a posé des limites à la primauté du droit européen dans son arrêt n° 62/2016 du 28 avril 2016, dont le considérant B.8.7 est libellé comme suit : « Lorsque le législateur donne assentiment à un traité qui [confie certaines compétences aux institutions de l’Union européenne], il doit respecter l’article 34 de la Constitution. En vertu de cette disposition, l’exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué par un traité ou par une loi à des institutions de droit international public. Il est vrai que ces institutions peuvent ensuite décider de manière autonome comment elles exercent les pouvoirs qui leur sont attribués, mais l’article 34 de la Constitution ne peut être réputé conférer un blanc-seing généralisé, ni au législateur, lorsqu’il donne son assentiment au traité, ni aux institutions concernées, lorsqu’elles exercent les compétences qui leur ont été attribuées. L’article 34 de la Constitution n’autorise en aucun cas qu’il soit porté une atteinte discriminatoire à l’identité nationale inhérente aux structures fondamentales, politiques et constitutionnelles ou aux valeurs fondamentales de la protection que la Constitution confère aux sujets de droit ». La Cour a donc assujetti la primauté du droit européen découlant de l’article 34 de la Constitution à certaines limites [23]. En effet, plusieurs auteurs ont déjà écrit que, s’il y a une hiérarchie, elle découle de l’article 34 de la Constitution, ce qui implique que, finalement, la Constitution est la norme suprême [24].

VIII) Bien que la Cour constitutionnelle belge soit bienveillante envers le droit européen, je ne sais pas si elle serait disposée à entériner la jurisprudence de la Cour de justice dans l’arrêt Melloni [25]. Dans cet arrêt, la Cour de justice a dit pour droit que l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’autorise pas de manière générale un Etat membre à appliquer le standard de protection des droits fondamentaux garanti par sa Constitution lorsqu’il est plus élevé que celui qui découle de la Charte et à l’opposer à l’application de dispositions du droit de l’Union. D’après la Cour de justice, un standard national de protection des droits fondamentaux, même plus étendu, ne peut pas compromettre le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, « ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union ».

Lors de nos visites à d’autres cours constitutionnelles, nous avons senti une grande préoccupation et même un mécontentement relatifs à cette jurisprudence. C’est compréhensible à la lumière de leur tâche, à savoir la protection des droits fondamentaux garantis par la Constitution.

Parce qu’en règle le niveau de protection offert par les instruments européens est plus élevé que celui garanti par la Constitution belge, la situation qui s’est présentée dans l’arrêt Melloni a peu de chances d’exister en droit belge. Si la Cour constitutionnelle était confrontée un jour à cette situation, elle poserait sans aucun doute des questions préjudicielles à la Cour de justice avant de statuer.

IX) Cette dernière attitude suivrait la tendance de la Cour constitutionnelle belge à poser régulièrement des questions préjudicielles à la Cour de justice.

Jusqu’à présent, la Cour constitutionnelle a posé 91 questions préjudicielles dans 26 arrêts de renvoi, rendus pour la plupart ces dix dernières années [26]. Cette dernière donnée offre une explication au nombre élevé de questions préjudicielles : comme il est déjà mentionné, la Cour constitutionnelle utilise le droit européen comme norme de référence indirecte et à l’occasion de son contrôle, elle est parfois tenue de poser les questions d’interprétation ou de validité soulevées par les parties.

De cette façon, elle prévient aussi la survenance de violations du droit européen dans l’ordre juridique interne et de condamnations par la Cour de justice. Une interprétation rendue par la Cour de justice est d’ailleurs contraignante pour tous les Etats membres.

Je mentionne encore quelques chiffres : 18 des 26 arrêts de renvoi ont été rendus sur recours en annulation et ne contiennent que des questions d’interprétation ; 23 dialogues préjudiciels se sont terminés par un arrêt final ; le dialogue avec la Cour de justice prolonge la durée du contentieux constitutionnel d’environ 26 mois.

X) Il est temps de conclure.

Formellement, la Cour constitutionnelle belge paraît encore utiliser des concepts hiérarchiques pour définir la relation entre, d’une part, la Constitution et, d’autre part, les traités et le droit européen dérivé. À y regarder de plus près, la Cour tient explicitement compte de la spécificité des traités, faisant ainsi preuve d’une prudence extrême dans l’exercice de son contrôle et elle situe le fondement de la primauté du droit européen dérivé dans l’article 34 de la Constitution.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle belge s’inscrit plutôt dans le dialogue des juges [27]. La lecture des droits fondamentaux garantis par la Constitution en combinaison avec des normes internationales et européennes analogues et le dialogue préjudiciel avec la Cour de justice en témoignent. En conciliant ainsi le droit constitutionnel belge et le droit européen, la Cour constitutionnelle évite les conflits entre les hautes juridictions et favorise la sécurité juridique.


  • [1]
    Voy. A. Alen, Hoe ‘Belgisch’is het ‘Belgische staatsrecht’nog ?, Anvers, Intersentia, 2015, 21-43 ; A. Alen et W. Verrijdt, « La relation entre la Constitution belge et le droit international et européen », in Mélanges Rusen Ergec, 2017 (à publier) ; P. Vandernoot, « Regards du Conseil d’Etat sur une disposition orpheline : l’article 34 de la Constitution », in En hommage à Francis Delpérée. Itinéraires d’un constitutionnaliste, Bruxelles, Bruylant, 2007, 1599-1630 ; W. Verrijdt, « EU Integration and the Belgian Constitution », in S. Griller, M. Claes et L. Papadopoulou (éds.), Member States’Constitutions and EU Integration, Oxford, Hart Publishing, 2016, nos 15-22.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Cass. 27 mai 1971, JT, 1971, 460-474, conclusions W.J. Ganshof Van der Meersch ; voy. J. Salmon, « Le conflit entre le traité international et la loi interne en Belgique à la suite de l’arrêt rendu le 27 mai 1971 par la Cour de cassation », JT, 1971, 509-520 et 529-535 ; F. Perin, « Y a-t-il trois pouvoirs constituants ? », Ann.Fac.Dr.Liège, 1987, 10-11.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Pour une critique sévère sur cette motivation : voy. J.S. Jamart, « Observations sur l’argumentation : la primauté du droit international », RDBC, 1999, 109-136 ; L. François, « Le recours à une philosophie du droit dans la motivation de décisions juridictionnelles », JT, 2005, 261-266.  [Retour au contenu]
  • [4]
    CJUE 5 février 1963, Van Gend & Loos, C-26/62 ; CJUE, 15 juillet 1964, Costa c. E.N.E.L., C-6/64 ; CJUE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, C-11/70.Voy. C. Behrendt, « Les notions de monisme et de dualisme », in Liber amicorum Michel Melchior. Liège, Strasbourg, Bruxelles : parcours des droits de l’homme, Limal, Anthemis, 2010, 867-879.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Article 142 de la Constitution belge.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. Voy. M.-F. Rigaux et B. Renauld, La Cour constitutionnelle, Bruxelles, Bruylant, 2008, 326 p. ; M. Verdussen, Justice constitutionnelle, Bruxelles, Larcier, 2012, 438 p.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Voy. A. Alen, J. Spreutels, E. Peremans et W. Verrijdt, « Cour constitutionnelle de Belgique », in R. Huppmann et R. Schnabl (éds.), La coopération entre les Cours constitutionnelles en Europe. Situation actuelle et perspectives, Vienne, Verlag Österreich, 2014, vol. 1, 293-347 (aussi publié à www.vfgh.gv.at/cms/vfgh-kongress/xvi-kongress-2014/landesberichte.html) ; G. Rosoux, Vers une « dématérialisation » des droits fondamentaux ?, Bruxelles, Bruylant, 2015, 135-186.  [Retour au contenu]
  • [8]
    C.C. n° 23/89, 13 octobre 1989 (lu en combinaison avec les droits garantis par la Constitution) ; C.C. n° 18/90, 23 mai 1990 (lu en combinaison avec le droit international et européen) ; C.C. n° 72/92, 18 novembre 1992 (lu en combinaison avec les principes de droit généraux non écrits). Depuis 1993, la Cour s’exprime comme suit : « Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles d’égalité et de non-discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés reconnus aux Belges, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique […] » (C.C. n° 62/93, 15 juillet 1993).  [Retour au contenu]
  • [9]
    C.C. n° 136/2004, 22 juillet 2004.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Voy. G. Rosoux, o.c., 148-164.  [Retour au contenu]
  • [11]
    En 2012, la Cour a mentionné dans 38 de ses 166 arrêts une disposition de la Convention européenne des droits de l’homme ou d’un des Protocoles additionnels. En 2011, il s’agissait de 49 arrêts sur 201. En ce qui concerne le droit primaire ou secondaire de l’Union européenne, la Cour constitutionnelle l’a appliqué comme norme de référence dans 18 des 201 arrêts. En 2012, il s’agissait de 14 des 166 arrêts et en 2013, il s’agissait de 18 des 183 arrêts. Pour une analyse plus détaillée de ces chiffres, voy. A. Alen, J. Spreutels, E. Peremans et W. Verrijdt, o.c., nos 20 et 27.  [Retour au contenu]
  • [12]
    A. Alen et W. Verrijdt, o.c., n° 16.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Voy. J. Spreutels, « Droits fondamentaux en concours et concours des questions préjudicielles : la Cour constitutionnelle et la jurisprudence Melki et Chartry de la Cour de justice de l’Union européenne », in A. Alen, V. Joosten, R. Leysen et W. Verrijdt (éds.), Liber amicorum Marc Bossuyt. Liberae Cogitationes, Anvers, Intersentia, 2013, 681-693.  [Retour au contenu]
  • [14]
    M. Bossuyt et W. Verrijdt, « The Full Effect of EU Law and of Constitutional Review in Belgium and France after the Melki Judgment », EuConst, 2011, 368-369.  [Retour au contenu]
  • [15]
    CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10.  [Retour au contenu]
  • [16]
    M. Bossuyt et W. Verrijdt, o.c., 377 ; F.-X. Millet, « Le dialogue des juges à l’épreuve de la QPC », RDP, 2010, 1735-1737.  [Retour au contenu]
  • [17]
    T. Souverijns, « Bijzondere wetgever verduidelijkt de regeling van artikel 26, § 4, van de bijzondere wet op het Grondwettelijk Hof inzake samenloop van grondrechten », RW, 2013- 2014, 1523-1531.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Voy. A. Alen et K. Muylle, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Malines, Wolters Kluwer Belgium, 2011, 43-60 ; A. Alen et W. Verrijdt, o.c., nos 3-12 ; A. Alen, « Les relations entre la Cour de justice des Communautés européennes et les Cours constitutionnelles des Etats membres », in Liber amicorum Paul Martens. L’humanisme dans la résolution des conflits. Utopie ou réalité ?, Bruxelles, Larcier, 2007, 665-672 ; P. Brouwers et H. Simonart, « Le conflit entre la Constitution et le droit international conventionnel dans la jurisprudence de la Cour d’arbitrage », Cah. Dr. Eur., 1995, 7-22 ; P. Popelier, « Belgium. The supremacy dilemma : The Belgian Constitutional Court caught between the European Court of Human Rights and the European Court of Justice », in P. Popelier, C. Van de Heyning et P. Van Nuffel (éds.), Human rights protection in the European legal order : The interaction between the European and the national courts, Anvers, Intersentia, 2011, 149-172 ; E. Slautsky, « De la hiérarchie entre constitution et droit international », APT, 2009, 227-242 ; J. Van Meerbeeck et M. Mahieu, « Traité international et Constitution nationale », RCJB, 2007, 42-90.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Cass. 9 novembre 2004, P.04.0849.N, Rev. Dr. Pén., 2005, 789 ; Cass. 16 novembre 2004, P.04.0644.N et Cass. 16 novembre 2004, P.04.1127.N, RW, 2005-06, 387.  [Retour au contenu]
  • [20]
    C.C. n° 26/91, 16 octobre 1991 ; C.C. n° 12/94, 3 février 1994 ; C.C. n° 20/2004, 4 février 2004 ; C.C. n° 84/2005, 4 mai 2005 ; C.C. n° 96/2009, 4 juin 2009 ; C.C. n° 87/2010, 8 juillet 2010 ; C.C. n° 117/2011, 30 juin 2011 ; C.C. n° 120/2011, 30 juin 2011 ; C.C. n° 32/2013, 7 mars 2013.  [Retour au contenu]
  • [21]
    M. Melchior et L. De Grève, « Protection constitutionnelle et protection internationale des droits de l’homme : concurrence ou complémentarité ? », RUDH, 1995, 226-227.  [Retour au contenu]
  • [22]
    C.C. n° 130/2010, 18 novembre 2010.  [Retour au contenu]
  • [23]
    C.C. n° 62/2016, 28 avril 2016, B.8.7. Voy. Ph. Gérard et W. Verrijdt, « Belgian Constitutional Court adopts national identity discourse », EuConst, 2017 (à paraître).  [Retour au contenu]
  • [24]
    A. Alen, « Les relations… », o.c., 671-672 ; M. Melchior et L. De Grève, o.c., 228 ; E. Slautsky, o.c., 231 ; P. Vandernoot, o.c., 1609.  [Retour au contenu]
  • [25]
    CJUE 26 février 2013, Melloni, C-399/11. Voy. aussi CJUE 18 décembre 2014, avis n° 2/13.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Voy. A. Alen et W. Verrijdt, « Le dialogue préjudiciel de la Cour constitutionelle belge avec la Cour de justice de l’Union européenne », in P. D’Argent, D. Renders et M. Verdussen (éds.), Liber Amicorum Yves Lejeune – Les visages de l’Etat, Bruxelles, Larcier, 2017 (à paraître).  [Retour au contenu]
  • [27]
    A. Alen et W. Verrijdt, o.c., nos 38-40.  [Retour au contenu]

La Constitution djiboutienne et la détermination d’un ordre juridique hiérarchisé

Abdoulkader Abdallah Hassan, membre du Conseil constitutionnel de Djibouti

Nous savons tous que la constitution est la norme fondamentale de l’ordre juridique interne d’un État moderne dans la mesure où c’est à partir d’elle que découlent toutes les autres normes internes. Cependant, il convient de rappeler que ces normes n’ont pas toutes la même valeur et que leur hiérarchie forme un ordre (ou ordonnancement) juridique.

La Constitution de la République de Djibouti de 15 septembre 1992 (inspiré du droit romano-germanique) a mis en place un régime sémi présidentiel basé sur l’indépendance de chaque pouvoir par rapport à l’autre sur le fondement du principe fondamental de la séparation stricte des pouvoirs. En effet, comme l’énonce l’article 41 dans son dernier alinéa « les membres du Gouvernement sont responsables devant le président de la République » et non devant le parlement comme c’est le cas dans beaucoup de pays. Cela signifie donc que l’Assemblée nationale ne peut pas renverser le Gouvernement (par le système d’adoption d’une motion de censure qui émane des députés et adoptée à la majorité absolue comme en France par exemple). Inversement, l’Exécutif notamment le président de la République ne peut pas, non plus de son côté, dissoudre le parlement.

Par ailleurs, s’agissant des normes applicables en droit interne, dans leur grande majorité, elles ont une valeur juridique inférieure à celle de la Constitution. D’où son appellation de « normes infra constitutionnelles » (I). Par ailleurs ; il existe d’autres normes ayant une valeur juridique égale à la Constitution et d’autres qui, sous certaines conditions, sont seulement supérieures à la loi telles que notamment certaines normes internationales.

Il convient donc d’analyser ce sommet de la hiérarchie des normes où dominent les normes constitutionnelles communément appelées « le bloc de constitutionnalité » suivies par les normes internationales (II).

I. Les normes de valeur constitutionnelle

Outre la Constitution, force est de constater que « le bloc de constitutionalité » englobe d’autres normes en fonction de la tradition juridique d’un pays à l’autre.

A. La Constitution

La Constitution de la République de Djibouti promulguée le 15 septembre 1992 se présente sous la forme d’un texte, comprenant actuellement (suite aux révisions successives) un peu moins d’une centaine d’articles (numérotés de 1 à 97). Ce texte est précédé d’un préambule auquel le Conseil constitutionnel reconnaît une valeur juridique égale à la Constitution.

Concrètement, la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes car elle est l’acte pris par l’organe le plus élevé (constituant). Elle est aussi matériellement la norme fondamentale parce qu’elle institue la hiérarchie des organes constitués et les habilite à prendre des normes au moyen d’actes dont elle règle les formes et procédures.

En dessous de la Constitution, la loi a longtemps été en théorie, tant du point de vue organique (parce qu’elle émane de la volonté générale exprimée par l’organe législatif) que du point de vue matériel (puisqu’elle contient des normes à portée générale susceptibles de s’appliquer de façon générale c’est-à-dire sans identification d’un destinataire particulier), la norme (ou l’acte) suprême mais cette position privilégiée a été sérieusement remise en cause par l’évolution du droit positif et l’intégration de plus en plus poussée des normes internationales dans l’ordre juridique djiboutien.

En droit interne, la suprématie de la Constitution par rapport aux autres normes, au premier rang duquel se trouve la loi se manifeste dans le fait que l’acte législatif (nonobstant le fait qu’il doit absolument être voté par le parlement) doit également nécessairement porter sur une matière considérée comme étant législative en vertu de la Constitution (conformément à l’article 56 de la constitution) et des interprétations que peut en donner le Conseil constitutionnel. À ce propos, sur le fondement de cet article, la loi, d’une part, fixe les règles concernant certaines matières (par exemple, les droits civiques des citoyens, les règles de la nationalité, les règles relatives à l’amnistie, au régime de la propriété, à l’état et la sûreté des personnes, à l’organisation de la famille, à la détermination des crimes et délits ainsi que la création d’offices, d’établissements publics, de sociétés ou d’entreprises nationales…, etc.) et, d’autre part, se contente, dans d’autres matières, de déterminer les principes fondamentaux que l’exécutif (en particulier le Gouvernement) pourra compléter par voie réglementaire (tels que l’enseignement, le droit du travail, le droit syndical et de la sécurité sociale…). De plus, avec cette répartition des compétences, l’article 57, alinéa 1 stipule expressément que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire ». C’est pourquoi, dans le 2e alinéa de ce même article, les textes de forme législative intervenus avant 1992 (entrée en vigueur de ladite constitution) dans les matières devenues depuis réglementaires peuvent désormais être modifiés par décret si le Conseil constitutionnel, à la demande du président de la République, déclare qu’ils ont un caractère réglementaire en vertu de l’alinéa précédent. Il en va autrement en droit français puisque les textes intervenus avant la Constitution de 1958 ne peuvent être modifiés que par décret pris après avis du Conseil d’État. En revanche, pour ceux qui datent après 1958, la modification par décret après avis du Conseil d’État ne pourra avoir lieu qu’après avoir été délégalisés par le Conseil constitutionnel (art. 37 al.2 de la Constitution de 1958).

B. Les autres normes de valeur constitutionnelle

Bien que très court, le préambule de la Constitution de Djibouti renvoie au principe de la souveraineté nationale, au principe de la liberté des peuples, aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils sont définis par la Déclaration universelle des droits de l’homme et par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dont les dispositions font partie intégrante de la Constitution.

Il est important de souligner que, bien que notre système juridique soit fortement inspiré du droit romano-germanique en général et plus particulièrement du droit français, le pouvoir constituant n’a pas jugé utile de faire référence, dans le préambule de 1992, à la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Dans le même ordre d’idées, hormis les quelques principes repris expressément, aucune des autres catégories de principes, n’a été consacré à la différence du préambule français de 1946 qui a mis en évidence les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRL) ou encore les principes politiques, économiques et sociaux jugés particulièrement nécessaires à notre temps

II. Les normes internationales

Les normes internationales sont intégrées dans notre ordre juridique interne à une place normalement supérieure à la loi (mais inférieure à la Constitution). Il importe donc d’abord de définir le statut constitutionnel du droit international général avant d’envisager la spécificité des normes du droit de l’Union africaine. Enfin, il faut aussi préciser comment les juges djiboutiens ont interprété la supériorité des normes internationales lorsqu’ils étaient confrontés à ce problème.

A. Le statut constitutionnel du droit international général

Le droit international résulte pour partie de la coutume internationale et pour l’essentiel des engagements internationaux de chaque État (conventions et traités). Le droit constitutionnel djiboutien positif fait principalement référence aux accords et traités internationaux. Les traités se distinguent bien évidemment des simples accords ou conventions en raison de leur forme plus solennelle. Cette plus ou moins grande solennité résulte des organes qui les négocient et les ratifient (traités) ou les approuvent (accords). D’après l’article 70 alinéa 2 de la Constitution de 1992, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie et de sa conformité avec les dispositions pertinentes du droit des traités ». Cette supériorité du droit international à toute norme djiboutienne infra constitutionnelle affecte même la Constitution dans la mesure où l’alinéa 3 de ce même article 70 fait obligation de réviser la Constitution en cas de contrariété avec un traité.

Cependant, la supériorité du droit international n’est mise en œuvre que si certaines conditions de forme et de fond sont respectées d’autant plus qu’une norme juridique internationale doit avoir un effet direct pour être invocable dans l’ordre juridique interne. Parmi les conditions de forme, il faut remarquer que l’article 70 dans son alinéa 1er exige que les traités et les conventions internationales doivent, tout d’abord, être « soumis à la ratification de l’Assemblée nationale » (et non au président de la République comme c’est le cas en France). En revanche, la négociation des traités et l’approbation des accords relèvent de la compétence du président de la République ou le cas échéant du ministre des affaires étrangères qui l’informe nécessairement. Dans certains cas prévus par l’article 62 de la Constitution, l’approbation ou la ratification nécessite l’intervention d’une loi (ex : traités de paix, traités de commerce ou encore les traités qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire…, etc.). Les traités ou accords doivent ensuite être publiés. Parmi les conditions de fond, l’alinéa 2 de cet unique article 70 (du titre VI consacré aux traités, conventions et accords internationaux) exige la réciprocité d’application de la part de l’autre État signataire. En cas de doute dans un litige, le juge s’adresse au ministre des affaires étrangères. Enfin, la supériorité d’une norme internationale ne peut être mise en jeu que si cette norme est suffisamment claire. Quand il y a un problème d’appréciation d’une clause contenue dans un acte international, le juge saisi peut en demander l’interprétation. Au cas où il le ferait, il ne serait pas tenu non plus par cette interprétation.

B. Les normes spécifiques du droit africain

Les normes spécifiques du droit africain s’intègrent dans l’ordre juridique interne avec les modalités particulières selon qu’il s’agit des traités ou du droit dérivé.

En effet, la primauté des normes communautaires est rendue possible par l’adoption de textes juridiques supranationaux consacrant la suprématie des décisions des organes communautaires sur celles des États membres dans son principe comme dans son application. Ce principe de suprématie du droit communautaire a également été expressément défendu par l’article 6 de l’acte constitutif de l’Union africaine qui stipule que « les actes arrêtés par les organes de l’Union africaine pour la réalisation des objectifs du présent traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliqués dans chaque État membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure ». Cela implique que les décisions prises par les organes exécutifs de l’Union africaine à savoir la Conférence des présidents, le Conseil des ministres, la Commission, la Cour de justice…, etc., priment sur toute législation nationale à l’exception des recommandations et des avis qui revêtent une simple valeur consultative. Il est important de préciser que l’article 43 de l’acte constitutif vient toutefois tempérer l’article 6 précité puisque dans la mesure où certaines décisions des instances de l’Union peuvent ne pas s’appliquer, de manière inconditionnelle, aux États membres. Enfin, les autres normes telles que les règlements, les directives et les décisions ont un caractère plus obligatoire. Elles doivent cependant respecter certaines « règles et procédures » prévues par le traité de l’Union au sens de l’article 6. Dans ce cas, elles deviennent supranationales.

C. Le juge djiboutien et la supériorité des normes internationales

Si les normes internationales sont supérieures aux normes internes dans les conditions prévues par l’article 70 de notre Constitution, il en est néanmoins résulté certaines hésitations dans la jurisprudence.

Cependant, il existe un point qui ne présente aucune difficulté. C’est lorsqu’un traité contraire à une loi intervient postérieurement à cette loi, tous les juges s’accordent à considérer que les dispositions du traité sont censés tenir en échec la loi. Ils n’en tirent pas aussi facilement la même conclusion en faisant prévaloir le traité sur la loi (comme l’exige la constitution) lorsqu’une loi à la fois postérieure et contraire à un traité est adoptée.

Pour les juges judicaires, cette question a été tranchée depuis fort longtemps dans la mesure où le traité l’emporte incontestablement sur la loi postérieure contraire. Ils appliquent donc sans hésiter le traité dans ce cas de figure.

En ce qui concerne le juge constitutionnel, il se refuse, pour sa part, à contrôler la conformité d’une loi à un traité pour la simple et unique raison que le contrôle de la constitutionnalité d’une loi ne s’effectue pas par rapport à un traité mais par rapport à la Constitution (ou au bloc de constitutionnalité au sens large). Enfin, après avoir tergiversé, le juge administratif s’est aligné sur la position adoptée par les magistrats de l’ordre judiciaire en estimant qu’il avait compétence pour se prononcer sur la validité de la loi dans le cadre de son contrôle juridictionnel de l’action administrative. Influencé vraisemblablement par la célèbre décision rendue le 20 octobre 1989 par le Conseil d’État français (arrêt Nicolo qui a marqué un revirement jurisprudentiel), le juge administratif djiboutien considère, désormais, que l’esprit de l’article 70 de la Constitution l’habilite à contrôler la conformité des lois aux traités.

Échanges avec la salle

Michel Charasse, membre du Conseil constitutionnel français

En ce qui concerne la situation française, le Conseil constitutionnel français juge la conformité à la Constitution, et non la conformité à un traité international. C’est le Conseil d’État et la Cour de cassation qui sont les juges de cette conformité, sous réserve de saisir les autorités juridictionnelles internationales en cas d’incertitude. En France, une loi peut être contraire à la Constitution et conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, et inversement. Une loi mettant en œuvre une jurisprudence de Strasbourg peut quant à elle être déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel français. La Convention européenne n’est pas entrée dans la Constitution française. Elle est un traité ordinaire, supérieur à la loi mais pas à la Constitution. Les textes d’application des traités européens, lorsqu’ils sont mis en œuvre par une loi interne, doivent respecter les normes et règles inhérentes à la nature constitutionnelle de la France, notamment la laïcité. Il a été spécifié clairement que les normes inhérentes à la nature constitutionnelle de chaque État membre ne sont pas remises en cause à l’occasion de l’application de ces textes d’application. La Constitution française distingue donc les traités constitutionnellement plus contraignants car entrés dans la Constitution, les traités de l’Union européenne, le mandat d’arrêt européen, la Cour pénale internationale et les traités constitutionnellement moins ou non contraignants, comme la Convention européenne des droits de l’homme, qui sont seulement supérieurs aux lois internes.

En signant un traité, la France ne renonce jamais à sa souveraineté. Sa Constitution autorise seulement des limitations de souveraineté, et uniquement pour contribuer à la paix, conformément au Préambule de 1946. La Constitution n’autorise toutefois pas de transfert de souveraineté, et les limitations de souveraineté s’exercent sous réserve de réciprocité. En ce qui concerne la Convention européenne de Strasbourg, je me demande comment un État pourrait s’assurer du respect de cette condition. La souveraineté française ne se perd jamais, et la France n’y renonce jamais. Tel est le cas depuis les rois de France, avec Charlemagne. C’est le cas aujourd’hui dans la tradition républicaine, dont nos institutions sont les héritières. Au sens de la France, la souveraineté est la garantie des peuples libres ; elle ne peut jamais disparaître, car chaque peuple doit rester maître de lui-même pour la préserver et faire en sorte que rien ne contrarie ses principes fondamentaux.

En ce qui concerne la ratification, l’intervention de notre collègue de Djibouti me conduit à une précision. En France, la ratification est subordonnée à l’approbation d’une loi par le Parlement, cette loi autorisant uniquement la ratification. L’autorité de ratification revient au président de la République seul. Lorsque nous votons une loi autorisant la ratification d’un traité, le président de la République a la liberté de formuler des réserves au moment du dépôt des instruments de ratification, qui ne sont pas dans la loi d’autorisation, le Parlement français n’étant pas compétent en matière de réserves.

Théodore Holo, président de la Cour constitutionnelle du Bénin

Le néo-constitutionnalisme sur les continents africain, asiatique et latino-américain a été rappelé. Mais il importe de souligner le contexte qui a conduit à cette évolution. Il s’agit en l’occurrence de la réponse à la régulation massive des droits fondamentaux, la Constitution devant répondre aux préoccupations d’un peuple à un moment donné de son évolution historique. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est abondamment fait référence, dans la Constitution béninoise, aux traités internationaux relatifs aux droits humains. C’est cet élément qui permet de comprendre certaines différences par rapport à l’Europe, où il existe une tradition de respect des libertés fondamentales, ce qui n’est pas le cas des pays africains qui sont sortis de situations difficiles à la fin des années 1990.

Par ailleurs, le Parlement autorise le président de la République à ratifier. Celui-ci reste le seul acteur et représente le pays dans la vie internationale.

Didier Linotte, président du Tribunal suprême de Monaco

Un exemple peut être illustratif du débat que nous venons d’avoir. Il a été mentionné que les constitutions de certains États avaient incorporé leur déclaration des droits au texte même de la Constitution, ce qui simplifie le contrôle. C’est le cas à Monaco, où les droits fondamentaux et libertés fondamentales sont incorporés au texte de la Constitution par le titre III. La Constitution précise que lorsque le Tribunal suprême contrôle la constitutionnalité de la loi (sur recours direct de tout citoyen, national ou non, résident ou non, personne physique ou morale), ce contrôle ne s’opère que par rapport au titre III relatif aux droits fondamentaux et aux libertés fondamentales, ce qui engendre deux types de conséquences. D’une part, nous ne nous livrons pas à un contrôle de constitutionnalité de la loi sur l’ensemble de la Constitution mais uniquement sur la violation potentielle des droits et libertés fondamentales. D’autre part, nous ne pratiquons pas le contrôle de conventionnalité de la loi.

Le fond commun des droits fondamentaux et des libertés fondamentales est largement identique, des différences pouvant éventuellement porter sur leur étendue, leur interprétation et les réserves issues de spécificités devant être protégées. Ce système garantit à la fois une protection des droits et le maintien de la spécificité.

La Constitution prévoit aussi que notre juridiction pratique l’entier contrôle de la légalité des actes administratifs, soit toutes les normes issues de l’exécutif. Au titre de ce contrôle de la légalité, nous pratiquons un contrôle de la constitutionnalité dans son ensemble, mais aussi de la conventionnalité, ce qui permet de répondre de manière plus nuancée à la question de la place du droit international dans notre ordre interne. Il peut s’exercer beaucoup plus pleinement quand il s’agit d’un contrôle de la légalité et de la constitutionnalité sur les actes administratifs.

Abdoulkader Abdallah Hassan, membre du Conseil constitutionnel de Djibouti

Ma précision s’adresse aux représentants de la France et au président de la Cour constitutionnelle du Bénin. J’ai en effet indiqué que le pouvoir de ratification appartenait à l’Assemblée nationale. L’article 70 dispose expressément que « le président de la République négocie et approuve les traités et les conventions internationales qui sont soumis à la ratification à l’Assemblée nationale ». J’ai évoqué la France pour souligner les différences existantes, sans affirmer que la ratification appartenait à l’Assemblée nationale française, mais au président.

Laurence Burgorgue-Larsen, présidente du Tribunal constitutionnel d’Andorre

Les contextes sont différents, et le constitutionnalisme européen d’après-guerre a valorisé les droits fondamentaux en les intégrant au sein des constitutions par un catalogue très développé, sans qu’il y ait toutefois de référence au droit international des droits de l’homme. En effet, le temps d’adoption de tous ces textes de droit international était concomitant, voire postérieur. La logique reste toutefois identique. Aujourd’hui, le constitutionnalisme latino-américain et africain ayant été la conséquence de drames humains, il a eu comme réaction, en plus d’une consécration des droits fondamentaux par des textes de protection des droits au sein des constitutions, une référence ontologique au droit international des droits de l’Homme post 1945, qui est devenu la référence majeure en la matière.

Jean Spreutels, président de la Cour constitutionnelle de Belgique

La distinction entre assentiment et ratification peut différer en fonction des ordres juridiques. En Belgique, beaucoup de traités sont ratifiés avant l’assentiment. Il existe une différence entre les pouvoirs exécutif et législatif, et si la règle générale est celle d’un assentiment préalable à la ratification, la pratique inverse existe.

Michel Charasse

Aujourd’hui, le système est celui de la ratification automatique. Nous signons de plus en plus de traités qui disposent qu’une fois qu’ils auront été ratifiés, l’application sera automatique dans les États qui ne les auront pas expressément ratifiés. Je pense personnellement que ces dispositions poseront problème en France, parce qu’elles ne sont pas conformes à notre Constitution. Le problème aurait pu se poser avec un traité de 1978, automatiquement ratifiable si une majorité d’États l’avait ratifié, et qui augmentait la quote-part du droit de vote des États membres. La France a accepté de ne pas le ratifier par une loi de ratification.

2e session de travail : Étendue et effectivité du contrôle de constitutionnalité dans l’ordre interne

Session présidée par Antoine Khair, membre du Conseil constitutionnel du Liban

Après avoir navigué dans les problèmes du droit constitutionnel interne et de l’ordre international, nous parlerons maintenant de l’étendue et de l’effectivité du contrôle de la constitutionnalité dans l’ordre interne. Je donne tout de suite la parole, pour la synthèse, à Monsieur Mathieu Disant, dont je loue les efforts.

Synthèse des réponses au questionnaire

Mathieu Disant, professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF

Cette synthèse sera amenée à sacrifier certains aspects ou particularités pour se concentrer sur quelques positions structurantes quant à l’effectivité et l’étendue du contrôle de constitutionnalité

1. Appréciation de l’effectivité

L’appréciation de l’effectivité de la Constitution se mesure au champ du contrôle exercé, au respect des décisions rendues par la cour, ainsi qu’à la portée et aux effets qui sont les leurs.

1.1. Quant au champ du contrôle et à l’accès au contrôle de constitutionnalité

1. Vous rappelez souvent un point crucial. La Cour constitutionnelle n’agit pas ex-officio, mais seulement lorsqu’elle est saisie par les sujets de droit prévus par la Constitution. De ce point de vue, on peut résumer en une formule les enjeux d’efficience dont vous faites état : une saisine large, des voies d’accès complémentaires ! C’est-à-dire :

  • d’une part, des voies de recours ouvertes et nombreuses, spécialement lorsque les particuliers s’ajoutent aux autorités politiques pour déférer à la cour les actes et comportements contraires à la Constitution. De telle sorte que le recours puisse être, dans les faits, « presque systématique » comme le souligne la Belgique ;
  • d’autre part, la combinaison des modalités de contrôle : contrôle a priori et a posteriori ; par voie d’action et par voie d’exception ; diffus ou concentré, etc.

Un système complet de contrôle suppose souvent une répartition subtile des compétences contentieuses relative au contrôle de constitutionnalité. En France, si le Conseil constitutionnel est seul compétent pour examiner la constitutionnalité de la loi, les juridictions administratives et judiciaires interviennent dans les limites de leurs compétences, et en l’absence d’écran législatif, pour contrôler les actes infra-législatifs et notamment réglementaires. Depuis 2010, ces dernières ont aussi la charge d’apprécier le caractère sérieux des QPC en vue de leur renvoi au Conseil constitutionnel, ce qui institue l’ensemble des juridictions françaises comme des acteurs – parfois très engagés – de la justice constitutionnelle.

La Belgique connaît une distribution assez proche, en fonction de la norme dans laquelle gît une inconstitutionnalité. S’il s’agit d’une norme législative, les cours et tribunaux ne sont pas autorisés à constater eux-mêmes l’inconstitutionnalité. Ils sont tenus d’interroger la Cour constitutionnelle par voie de question préjudicielle.

La Suisse mérite une attention toute particulière car elle ne dispose pas d’un mécanisme de contrôle juridictionnel intégral. De sorte que le principe de suprématie de la Constitution n’est pas garanti de manière absolue.

En effet, aux termes de l’article 190 de la Constitution fédérale suisse, « le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales », ce qui s’entend « même si elles sont contraires à la Constitution ». Les dispositions législatives fédérales ne peuvent donc être abrogées pour cause d’inconstitutionnalité. Pour être plus précis, l’article 190 ne constitue pas une interdiction d’examiner la constitutionnalité des lois fédérales, il oblige le Tribunal à les appliquer même si elles s’avèrent inconstitutionnelles. Autrement dit, les tribunaux sont obligés d’appliquer une loi fédérale même si elle est jugée inconstitutionnelle.

Cette limitation du contrôle de la constitutionnalité de la loi fédérale est l’une des principales caractéristiques du système constitutionnel suisse. Il traduit une conception de la démocratie directe qui a été rappelée par son Excellence Madame la Présidente Samaruga. Le pouvoir judiciaire ne peut s’élever au-dessus du pouvoir législatif. L’immunité des lois fédérales peut être vue comme une exception au principe de la supériorité de la Constitution. Ou comme une « forme imparfaite » de juridiction constitutionnelle – c’est un débat régulier en Suisse qui alimente, jusqu’alors sans succès, des propositions d’abrogation de l’article 190.

Pour autant, on aurait tort d’y déceler, de façon catégorique, un défaut d’effectivité de la Constitution. De fait, la grande majorité des normes constitutionnelles sont bel et bien appliquées. Et le Parlement n’est nullement habilité à s’écarter de la Constitution fédérale. En réalité, la rigueur de la règle de l’article 190 est tempérée par le principe de l’interprétation conforme à la Constitution, d’après lequel le juge doit conférer à une disposition légale se prêtant à plusieurs interprétations celle qui est en harmonie avec la Constitution. En somme, le Tribunal est habilité à constater qu’une loi fédérale viole la Constitution, mais il ne lui appartient pas de sanctionner cette constatation par une annulation ou par un refus d’application de la loi en question ; il peut en revanche les interpréter de manière conforme à la Constitution. Il peut aussi inviter le législateur fédéral à modifier la norme renfermant la violation à la Constitution dans les considérants d’un arrêt ou par des « indications à l’intention du législateur » figurant dans son rapport de gestion annuel.

Il n’en reste pas moins que cette situation oblige parfois les juges fédéraux à appliquer des lois inconstitutionnelles. Ainsi en est-il de certaines dispositions de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse qui traitent les hommes et les femmes de manière distincte, en contrariété avec l’article 8 al. 3 de la Constitution fédérale. Dans de tels cas, il est fait observé que « le Tribunal fédéral se trouve pieds et poing liés », il ne peut qu’inviter le législateur à changer la loi.

2. Vos cours ne sont pas seules. D’autres autorités garantissent le respect de la Constitution :
  • des autorités politiques : le Parlement, le Gouvernement, mais surtout le chef de l’État, en qualité de garant de la Constitution (not. Albanie, Algérie, Bénin, Burkina, Congo, France, Gabon, Liban, Maroc, RDC, Togo…) ;
  • d’autres autorités juridictionnelles, administratives ou judiciaires, soit directement (contrôle diffus) soit par l’intermédiaire du recours préjudiciel (Andorre, Albanie, Bulgarie, Maroc, Slovénie, Tunisie) ;
  • mais il faut souligner aussi le concours des autorités spécifiques : le bureau du procureur-général de la République (Mozambique), l’Avocat du peuple (Albanie), l’Ombudsman (Bulgarie, Slovénie), voire les autorités administratives indépendantes (France). Certaines particularités consistent à ce que la compétence de saisine soit parfois limitée pour certaines autorités, c’est le cas par exemple de l’Ombudsman en Bulgarie. À part en France, ces autorités ont la faculté de saisir la Cour constitutionnelle.

Aucune cours ne fait état de rapports conflictuels avec ces autorités, qui seraient de nature à altérer de façon significative l’indépendance des cours. La différence entre garantie politique et garantie juridictionnelle est techniquement bien établie, même si bien entendu il existe des interprétations plus nuancées et parfois préoccupantes.

La situation la plus délicate est celle du contrôle, par la cour constitutionnelle, de la constitutionnalité des décisions d’une cour suprême. C’est le cas au Bénin. Depuis 2009, il est jugé que « en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions ». La suprématie de la Constitution fonde ainsi une hiérarchie des juridictions.

Il est à noter qu’existe en Slovénie une « procédure de réserve ». Il s’agit d’une procédure applicable lorsqu’aucune autre protection juridique n’est garantie. Dans ce cas, il incombe au tribunal administratif de statuer sur cette action, lors d’un litige administratif de légalité, pour remédier aux atteintes portées aux droits fondamentaux constitutionnels.

Au Canada, suite à l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés, a été posée l’obligation pour le ministère de la Justice fédéral de s’assurer que les textes législatifs sont en conformité avec les garanties constitutionnelles en matière de droits humains. Ainsi, un processus de validation est imposé, depuis 1985 : « en vue de vérifier si l’une des dispositions [des projets ou propositions de loi] est incompatible avec les fins et dispositions de la Charte ». Le ministre intervient ici à titre de conseiller juridique et doit, le cas échéant, faire rapport de toute incompatibilité à la Chambre des communes dans les meilleurs délais possible. Ceci étant, en pratique, ce processus de vérification ne semble pas très efficace puisque, depuis son adoption, aucun rapport de ce type n’a été soumis pour faire état d’une quelconque incompatibilité. Selon les directives internes du ministère, le seuil de validation serait excessivement bas, très permissif, voire complaisant selon certains auteurs. Le contrôle se limiterait au caractère « manifestement inconstitutionnelle ».

2.2. Quant à l’autorité des décisions de vos cours. Elle est organisée par le texte constitutionnel. À quelques nuances rédactionnelles près, il est prévu que les décisions de la cour ont une force obligatoire de portée générale erga omnes, sont définitives, et insusceptible de tout recours. Elles s’imposent à tous les organes constitutionnels, aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles (art. 124 de la Constitution Belge ; art. 124 de la Constitution du Bénin, article 62 de la Constitution française ; mais aussi en Albanie, Bulgarie, au Burkina, Cambodge, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar, Maroc, Moldavie, Monaco, Mozambique, Niger, RDC, Roumanie, Slovénie, Tchad, Togo, Tunisie…).

Vos décisions étant dans leur immense et écrasante majorité suivies d’effets, c’est-à-dire respectées, on peut conclure que la suprématie de la Constitution est effective. Il existe toutefois des situations de résistance aux décisions de la cour. Le Niger fait état de refus de respecter certains arrêts d’annulation de décret de convocation de référendum, ou plus récemment en 2014 lorsque le président d’un groupe parlementaire a opposé un refus d’obtempérer à l’arrêt de la Cour qui reconnaît le droit à tout député de son groupe de se présenter au poste du Bureau de l’Assemblée nationale.

En Slovénie, il existe aussi des cas dans lesquels les décisions individuelles de la Cour constitutionnelle n’ont pas été respectées. Cela survient lorsque la Cour fixe un délai dans lequel le législateur doit éliminer l’inconstitutionnalité. Il est arrivé qu’un tel délai soit dépassé de plus d’un an avant que le législateur ne réagisse, en dépit des observations réitérées de la Cour.

La question de l’autorité jurisprudentielle est plus partagée. Il ressort que les décisions de vos cours en sont revêtues, au moins en fait. En droit, cela dépend largement du statut normatif de la jurisprudence en général. Ou cela repose sur la hiérarchie fonctionnelle de la Cour, celle-ci pouvant – comme en Andorre – être instituée comme l’interprète suprême de la Constitution et se prononcer sur d’éventuelles divergences d’interprétation.

En Suisse, la jurisprudence n’est pas reconnue comme une véritable source du droit, elle est considérée comme une autorité dans la mesure où, en droit commun, le juge est invité à s’inspirer des « solutions consacrées par la jurisprudence ». Surtout, le Tribunal fédéral, en sa qualité de cour suprême, doit assumer la « sauvegarde d’une application uniforme du droit, le développement de la jurisprudence et la garantie des droits constitutionnels » (Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale).

En revanche, le Canada se revendique de la tradition juridique anglo-saxonne de common law, où le principe de la « stare decisis » permet d’assurer la sécurité, la stabilité et la prévisibilité des règles normatives. L’autorité jurisprudentielle de la Cour suprême est clairement reconnue selon le mécanisme du précédent. Très récemment, dans sa jurisprudence Carter du 6 février dernier, la Cour suprême a effectué un ajustement important en jugeant que les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : d’une part, lorsqu’une nouvelle question juridique se pose ; et, d’autre part, lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne ». Il semble ainsi que le principe du stare decisis est beaucoup plus flexible, au moins en ce qui concerne la Charte canadienne.

En Belgique, l’autorité des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle est différente selon qu’il s’agit d’arrêts rendus sur recours en annulation ou d’arrêts rendus sur question préjudicielle. Dans le premier, il s’agit d’une autorité absolue de chose jugée ; dans le second, d’une autorité relative. Une « autorité relative renforcée » toutefois, car les juridictions devant lesquelles une question de constitutionnalité est soulevée ne sont pas tenues d’interroger la Cour 7e CONGRÈS DE L’ACCPUF 74 constitutionnelle lorsque celle-ci a déjà répondu à une question semblable, à la condition qu’elles se conforment à la réponse que celle-ci a donnée.

En Andorre, la Loi qualifiée du Tribunal constitutionnel dispose que « la doctrine interprétative de la Constitution élaborée par le Tribunal (…) s’impose également aux divers organes de la juridiction ordinaire ». Les précédents fixés par le Tribunal s’imposent au Tribunal lui-même, ils constituent des critères d’interprétation qui ne peuvent être modifiés par une décision motivée prise à la majorité absolue de ses membres.

En France, le Conseil constitutionnel considère que l’autorité de ses décisions s’attache non seulement au dispositif des décisions, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même. Elle peut être utilement invoquée à l’encontre de dispositions qui, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution. Cette solution est globalement acceptée par les juridictions du fond. Il a notamment été jugé que l’autorité des décisions du Conseil est absolue en ce qui concerne les textes mêmes dont il a examiné la constitutionnalité. Plus délicate est la question de l’autorité de l’interprétation constitutionnelle, qui a pu susciter des divergences, même si votre rapporteur y décèle une véritable autorité de chose interprétée…

Enfin, la position de la Moldavie mérite d’être soulignée. Les arrêts de la Cour représentent « une constatation juridique généralement obligatoire fondée sur la solution à une question constitutionnelle après avoir donné une interprétation officielle des normes respectives de la Constitution et une explication du contenu des normes alléguées ». De sorte que la force contraignante, comme c’est aussi le cas en Slovénie, recouvre l’interprétation.

2. Quant à l’étendue de la garantie de la Constitution, je ferai de brèves observations.

Les normes de contrôle comprennent, en plus du texte de la Constitution, souvent son préambule et les textes visés par lui, le cas échéant l’annexe de la Constitution (Bénin), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (not. Bénin, Burkina, Cameroun), la Déclaration universelle des droits de l’homme (par ex. Burkina), la Charte des Nations unies (par ex. Cameroun), la Charte nationale des libertés de 1990 au Gabon, la Déclaration d’indépendance en Moldavie, qui définit son « identité constitutionnelle », mais aussi les lois organiques (not. Albanie, Bénin, France, Maroc), les lois qualifiées d’octroi de compétences (Andorre), les règlements des hautes institutions publiques (Bénin).

Vos jurisprudences se réfèrent en outre à des principes généraux (par ex. Algérie), des principes à valeur constitutionnelle, des exigences ou des objectifs de valeur constitutionnelle (not. Cameroun, Maroc). En somme, un ensemble de normes non écrites qui se déduit au moins implicitement du texte de la Constitution et qui illustre, selon des nuances qu’il est difficile ici de retranscrire, le pouvoir sinon créateur au moins normatif de vos jurisprudences, et le rôle d’interprète constitutionnel authentique dévolue aux cours.

Par exemple, la Cour du Bénin a consacré la transparence, le pluralisme, la continuité de l’État, le principe du consensus national pour réviser la Constitution, le principe majorité/minorité dans le cadre de la pratique démocratique parlementaire… En Bulgarie, le droit constitutionnel jurisprudentiel s’illustre avec le droit de propriété et le droit des étrangers d’acquérir des terres. En France, en 1994, le Conseil a dégagé un principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, en se fondant sur le préambule de la Constitution de 1946. Au Maroc, le Conseil constitutionnel a dégagé le principe d’égalité des chances ainsi que l’interdiction et la lutte contre toutes les formes de discrimination, le principe du pluralisme politique, celui de la présomption d’innocence et plus récemment le principe des droits de la défense… pour ne citer qu’eux.

À l’exception de la Suisse, de la RDC, et de la Roumanie, où le concept n’est pas reconnu, vos jurisprudences établissent l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » selon une expression répandue en doctrine voire au sein même de la jurisprudence : Andorre, Burkina, Cameroun, Gabon, Liban, Madagascar, Maroc, Moldavie, Niger, Tchad, et Tunisie. Ce bloc n’est parfois qu’implicite, non expressément consacré (Congo, Côte d’Ivoire, Mozambique). À l’inverse, il peut résulter du texte constitutionnel, comme en Tunisie, où l’article 146 indique que « les dispositions de la Constitution sont comprises et interprétées en harmonie comme un tout indissociable ». On voit ainsi que le « bloc de constitutionnalité » est un moyen de préserver l’unité de valeur de cette diversité textuelle, mais qu’il est aussi un moyen d’encadrer – de guider – le travail d’interprétation.

Il est important de souligner que l’expression « bloc de constitutionnalité » présente deux significations opérationnelles. Elle désigne tantôt les normes posées par le pouvoir constituant, tantôt l’ensemble des normes auxquelles sont confrontées les dispositions faisant l’objet du contrôle de constitutionnalité. La seconde acception est plus large. Un exemple : en France, le Conseil constitutionnel exerce un contrôle obligatoire sur les lois organiques (normes contrôlées), avant d’utiliser celles-ci, notamment en matière financière, pour contrôler la loi ordinaire. De plus, les frontières du « bloc » peuvent être ajustées selon le champ de compétence ou la norme contrôlée.

Il importe aussi de souligner l’existence d’un quasi-(bloc de) constitutionnalité. Je pense ici aux lois « quasi-constitutionnelles » du Canada, qui ne sont pas formellement supra-législatives mais qui ont un statut spécial en raison de leur objet et du fait qu’elles expriment, pour reprendre la formule jurisprudentielle, « certains objectifs fondamentaux de la société ». Techniquement, ce statut de lois quasi-constitutionnelles présente deux effets. D’une part, les tribunaux canadiens leur donnent une interprétation large et libérale, « généreuse », qui s’accorde avec l’objectif visé. D’autre part, il est admis qu’en cas de conflit normatif avec une autre loi, les lois quasi-constitutionnelles bénéficient d’une préséance dans le processus de hiérarchisation des dispositions contradictoires.

Je termine en précisant que le contenu de ce bloc est plus ou moins riche. Une ligne de démarcation repose sur l’intégration du droit international au sein de ce bloc, ainsi qu’on l’a rapporté lors de la 1re session. Cela fait le lien avec les travaux de cette 2e session.

Le contrôle de la constitutionnalité des lois en Albanie : son étendue et son effectivité

Sokol Berberi, juge de la Cour constitutionnelle d’Albanie

Mesdames et Messieurs,

L’adoption d’une constitution marque en elle-même une étape historique importante pour le développement et l’avenir de chaque pays. En effet, la Constitution, comme Pactum societatis, est comprise comme une condition préalable à une coexistence pacifique et à une coopération constructive. En plus des règles qui régissent, et selon lesquelles est exercé et transmis le pouvoir politique, la Constitution, en tant que loi fondamentale, incarne les valeurs de base, les principes de gouvernement de la société ainsi que les plus hautes aspirations pour l’avenir qu’elle-même reconnaît. Celles-ci sont inscrites dans les constitutions premièrement sous forme de déclaration d’une volonté de faire partie d’une tradition juridique qui remonte parfois à une tradition datant de plusieurs siècles, et d’une « famille » constitutionnelle à laquelle de nombreuses nations appartiennent. C’est ainsi que le préambule de notre Constitution exprime, entre autres, les aspirations et la détermination du peuple « à construire un État de droit, démocratique et social, à garantir les droits et les libertés fondamentales… », définissant ainsi son avenir dans le cadre de la famille européenne.

Du point de vue normatif, la Constitution albanaise a établi une démocratie constitutionnelle. Cette affirmation est également attestée par la Cour constitutionnelle lorsque, dans une de ses décisions, elle déclare que « La démocratie constitutionnelle, établie par la présente Constitution, est fondée sur l’État de droit, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs et le respect des droits et des libertés fondamentales de l’homme » [1].

L’Albanie, en vertu de l’article 1er de la Constitution, est une république parlementaire. Notre système parlementaire, à la différence du modèle britannique, est inspiré par l’idée du constitutionnalisme, une idée qui s’exprime principalement par le biais de la constitution écrite, de la séparation des pouvoirs (article 7), de l’État de droit (article 4) et du contrôle de la constitutionnalité des lois par la Cour constitutionnelle (articles 124, 131).

Les démocraties contemporaines ne donnent pas une priorité absolue au principe majoritaire. Optant pour la limitation de l’exercice du pouvoir, elles prévoient des limites pour le domaine où la décision revient à la majorité, et confie d’ordinaire au pouvoir judiciaire la tâche de faire respecter ces limites. D’autre part, le propre de ces régimes politiques étant la limitation du pouvoir, le système judiciaire lui-même doit aussi être soumis à des limitations. La Cour constitutionnelle a jugé que dans un État de droit, tous les pouvoirs se confrontent aux contraintes et aux limites qui découlent de la Constitution. Le contrôle et les limites du pouvoir sont certainement une fonction essentielle de la Constitution.

Le principe expressément prévu à l’article 4 de la Constitution de la République d’Albanie, repris par de nombreuses dispositions, établit le principe de la suprématie de la Constitution et illustre la plus haute place qu’il occupe dans le système normatif. Le principe de l’État de droit exige que les lois et les autres actes normatifs soient en pleine conformité avec la Constitution. Conformément à l’article 124 de la Constitution, le contrôle de la constitutionnalité des normes juridiques s’exerce en dernière instance par la Cour constitutionnelle.

La première Cour constitutionnelle albanaise a été créée en 1992 [2]. À l’origine, le projet de la justice constitutionnelle est inspiré par le modèle italien et, dans une moindre mesure, par celui allemand. Cependant, la Constitution de 1998 a apporté des changements à la justice constitutionnelle albanaise. Elle ne reconnaît pas un rôle actif à la Cour, en ce sens que celle-ci ne peut pas se saisir de sa propre initiative (ex officio).

En plus de vérifier la constitutionnalité des lois, la Cour constitutionnelle exerce un certain nombre de compétences liées aux élections législatives, aux référendums, à la responsabilité pénale du président, à l’examen en dernière instance des plaintes individuelles pour non-respect d’un procès équitable, etc. Compte tenu du thème de cette conférence et du temps limité dont nous disposons, ce qui suit sera plutôt une explication des pouvoirs de la Cour pour le contrôle de la constitutionnalité des lois, les sujets qui ont le droit de saisir la Cour, les limites de son contrôle, la puissance et l’influence de ses décisions sur la société et le système judiciaire.

Mesdames et Messieurs,

La Cour constitutionnelle statue sur la conformité des lois avec la Constitution ou les accords internationaux ratifiés par le Parlement, ainsi que sur la compatibilité des actes normatifs des autorités centrales et locales avec la Constitution et les traités internationaux [3]. L’examen de la constitutionnalité des actes normatifs est réalisé par un contrôle préliminaire (a priori) et un contrôle dit « répressif » (a posteriori). En outre, le contrôle constitutionnel peut être soit un contrôle concret, soit un contrôle abstrait.

La Cour procède à l’examen des accords internationaux avant leur ratification par le Parlement. Si elle constate qu’un accord international se révèle non conforme à la Constitution, il ne pourra être ratifié par le Parlement sans éliminer cette inconstitutionnalité. La Cour n’a pas l’initiative de l’exercice de ce contrôle.

Selon la Constitution et la jurisprudence constitutionnelle, est soumis au contrôle a posteriori toute catégorie d’actes normatifs de l’ordre juridique interne, comme les lois, les règles de la procédure parlementaire, les ordonnances et d’autres actes ayant force de loi. La Constitution prévoit un contrôle de la constitutionnalité des actes normatifs aussi bien des autorités centrales que locales. C’est un contrôle abstrait et objectif – la saisine est mue par l’intérêt public.

Le contrôle de la constitutionnalité des actes normatifs couvre les aspects formels, procéduraux, juridictionnels et substantiels/matériels. Lors de ce contrôle, il importe de distinguer si l’acte dont l’abrogation est demandée est considéré comme ayant un caractère de norme générale, ou si au contraire il s’agit d’un acte administratif à caractère individuel, lequel, aux termes de l’article 131 de la Constitution, n’est pas inclus dans la compétence de la Cour constitutionnelle.

Le contrôle concret se réalise par la voie du contrôle incident, à la demande d’une juridiction ordinaire [4]. Conformément à l’article 145 de la Constitution : « Lorsque les juges estiment que la loi entre en conflit avec la Constitution, ils ne l’appliquent pas. Dans ce cas, ils suspendent la procédure et renvoient la question à la Cour constitutionnelle. » Ce contrôle se fait uniquement en ce qui concerne les lois et non pas les actes infra-légaux.

Dans l’exercice du contrôle abstrait, suivant la théorie de Kelsen, la Cour constitutionnelle de l’Albanie exerce le rôle de législateur négatif : la disposition déclarée inconstitutionnelle est éliminée définitivement de l’ordre juridique. Dans ce cas, la décision de la Cour revêt une puissance erga omnes, laquelle en effet ne vise pas seulement le contenu de la décision, mais aussi son raisonnement (rationes decidenti).

En règle générale, les décisions de la Cour qui abrogent une disposition légale tout en la déclarant inconstitutionnelle prennent effet à la date de l’entrée en vigueur de la décision (ex nunc). Exceptionnellement, les décisions de la Cour ont un effet rétroactif uniquement en trois cas : dans le cas d’une décision pénale qui est directement liée à la mise en œuvre de la loi ou de l’acte normatif abrogé ; lors d’une affaire en cours d’examen devant les tribunaux tant que les décisions judiciaires n’ont pas une forme définitive ; vis-à-vis des effets non encore épuisés de la loi ou de l’acte normatif abrogé.

La Cour constitutionnelle albanaise, on l’a vu, ne peut pas se saisir elle-même (ex officio) [5]. Selon la Constitution, le droit de saisir la Cour pour un recours en inconstitutionnalité d’une loi appartient uniquement à une catégorie déterminée de sujets. Ces sujets peuvent être divisées en trois catégories : a) les organes supérieurs de l’État ; b) différentes institutions et entités juridiques ; c) les juridictions ordinaires. En matière de contrôle de constitutionnalité d’une loi, la Constitution albanaise ne reconnaît pas les saisines/les requêtes individuelles adressées directement à la Cour constitutionnelle [6].

De nombreux spécialistes ont identifié plusieurs facteurs de la vie politique favorisant un accès accru à la justice constitutionnelle. Ne se considérant pas définitivement installés au pouvoir, les partis politiques sont alors à la recherche de garanties, et c’est pourquoi l’engouement pour le système judiciaire est le corollaire de l’alternance et du changement de politique (Ramseyer, J.M., 1994). D’après un autre point de vue, l’appel à la justice constitutionnelle est d’autant plus probable que les programmes politiques entre majorité et opposition sont nettement éloignés (Sweet, S. A., 2000). Un lien fort entre le Gouvernement et la majorité parlementaire ainsi qu’un processus législatif rapide poussent l’opposition à saisir la Cour (Sweet, S. A., 2000). À la lumière de ces considérations, il est possible d’expliquer, dans le contexte albanais, la raison pour laquelle les politiques (les minorités parlementaires) ont trouvé un intérêt à favoriser la justice constitutionnelle.

Durant ces dernières années, on assiste à une tendance croissante au contrôle de la constitutionnalité des lois à l’initiative des organisations non gouvernementales. Il serait souhaitable d’interpréter ce fait comme une confiance accrue de la société civile à l’égard de la Cour constitutionnelle. De nombreuses études ont analysé le rôle des groupes d’intérêt à cet égard. Selon un point de vue, cela peut être expliqué par la démocratisation de l’accès à la justice constitutionnelle ainsi que par la création des structures de support à la disposition des citoyens, instituées par des organisations et des cabinets juridiques spécialisés dans la protection des droits civils (Epp, C.R., 1999). D’un autre point de vue, l’élite et le public considèrent que le pouvoir législatif manque d’efficacité et que le processus législatif est relativement fermé (manque de représentativité), ils s’adresseront alors à l’autorité judiciaire (Tate, N. et Vallinder, T., 1995).

Parmi la troisième catégorie, nous comptons les tribunaux de juridiction ordinaire. Comme on l’a vu ci-dessus, le juge ordinaire peut demander à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi par la voie d’une question incidente (préjudicielle). Au cours de la période 1992-2014, les questions préjudicielles des tribunaux portant sur l’inconstitutionnalité d’une loi constituent le plus grand nombre du total des saisines liées à ce sujet, et la tendance est à la hausse. Cela témoigne d’une plus grande sensibilisation de l’ordre judiciaire vis-à-vis de la justice constitutionnelle. Un autre facteur pourrait être en effet le rôle des magistrats [7], qui sont plus actifs à cet égard. Cette affirmation doit cependant être tempérée pour ce qui est du rôle et de la propension de la Cour suprême à saisir la Cour constitutionnelle. À certains moments, on a observé des tensions entre la première et la seconde au regard de la répartition de leurs compétences

Comme cela a été le cas des pays de l’Est, dont fait également partie l’Albanie, la participation active des cours constitutionnelles à l’élaboration des politiques législatives a souvent joué un rôle important dans le développement et la consolidation de la Constitution, en particulier, du régime démocratique nouvellement établi et des principes de la primauté du droit [8].

Au début du xxie siècle, de nombreuses études montrent que les cours constitutionnelles ne se limitent plus au rôle traditionnel de législateur négatif puisque leur rôle ne se réduit plus à contrôler la constitutionnalité des lois, à déclarer leur inconstitutionnalité ou à les abroger lorsqu’elles sont en conflit avec la constitution. Les cours constitutionnelles ont assumé un rôle autrement plus actif lors de l’examen de la législation au regard de la constitution [9]. Selon Georges Vedel : « la vraie pierre de touche du “gouvernement des juges” se trouve dans la liberté que le juge constitutionnel s’octroie, non d’appliquer la Constitution ou de l’interpréter même de façon constructive, mais, sous quelque nom que ce soit, de la compléter sinon de la corriger par des règles qui sont sa propre création » [10].

Comme dans tous les pays où s’applique le contrôle constitutionnel des lois, la pratique constitutionnelle en Albanie met en évidence de nouvelles tendances concernant les relations entre la Cour constitutionnelle et le législateur, lesquelles se reflètent même dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Ces évolutions sont le résultat de l’internationalisation du droit constitutionnel, de la convergence et du rapprochement que partagent les juridictions constitutionnelles.

La Constitution albanaise a dupliqué de manière presque identique le catalogue des droits de l’homme prévus par la Convention européenne des droits de l’homme. De même, les articles 17 et 122 de la Constitution en se référant également aux traités internationaux sur les droits de l’homme, ratifiés par la loi, les intègrent dans l’ordre juridique interne. Ils prévalent ainsi sur les lois ordinaires. Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle se réfère constamment aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), reconnaissant d’ailleurs l’effet direct et le pouvoir contraignant de ses décisions dans le domaine de l’interprétation des standards constitutionnels sur les droits de l’homme et, en particulier, aux termes de l’article 42 de la Constitution, sur les droits à un procès équitable.

La convergence ou le rapprochement des constitutions a créé pour les cours des différents pays une excellente opportunité pour apprendre les unes des autres. Par exemple, la Cour constitutionnelle albanaise s’est référée dans de nombreux cas à la jurisprudence des cours constitutionnelles d’Europe, particulièrement à celle de l’Allemagne et de l’Italie.

Comme chaque fois qu’un pouvoir est attribué à un organe d’État qui n’a aucun moyen de se contrôler lui-même, il peut arriver que le contrôle constitutionnel puisse aussi être détourné et faire l’objet d’abus, sans la moindre possibilité pour les citoyens ou d’autres organes constitutionnels de contrôler son action. Il est important de garder cela à l’esprit, en particulier dans les régimes démocratiques, où la transformation des cours constitutionnelles en législateurs porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et à la responsabilité démocratique.

Il est important de noter que, lors de l’exercice de ses fonctions, le juge constitutionnel est soumis à certaines limitations essentielles. Ces limitations sont de nature procédurale, matérielle et éthique. Les contraintes de procédure qui concernent la saisine de la justice constitutionnelle, la juridiction, la légitimité des sujets qui sont à l’initiative de la demande, les délais, la disponibilité de la Cour, etc., jouent un rôle important à cet égard. La langue, les dispositions et l’architecture de la Constitution même constituent la source principale des barrières qui s’imposent aux juges dans la mise en œuvre de la Constitution. Chaque constitution a sa propre identité et authenticité. La technique du précédent et l’exigence de continuité sont une autre contrainte pour le juge. Comme l’indique l’ancien président de la Cour constitutionnelle italienne Gustavo Zagrebelsky, il ne serait pas souhaitable que la jurisprudence ne soit pas « vivante » ; toutefois, le développement se fait graduellement et les ajustements ou les corrections ont toujours lieu d’une manière progressive.

Dans tous les pays qui ont développé des systèmes pour vérifier la constitutionnalité des lois, il y a des discussions et des débats sur la légitimité, les limites du contrôle constitutionnel, l’étendue des effets des décisions de la cour constitutionnelle et le degré d’interférence autorisé dans le cadre de la fonction législative. Ces débats ont commencé dès la mise en place du contrôle constitutionnel et continueront d’exister parce que la tension est inévitable. En Albanie, le contrôle constitutionnel, comme le montrent les études et les rapports, jouit d’une grande légitimité et du soutien de l’opinion publique. Nous confirmons notre consécration que cette légitimité sera protégée et renforcée, au service de l’État de droit et du respect des droits de l’homme.

Je vous remercie de votre attention !


  • [1]
    Voir la décision n° 12/2009 de la Cour constitutionnelle.  [Retour au contenu]
  • [2]
    La loi constitutionnelle n° 7561/1992.  [Retour au contenu]
  • [3]
    L’article 131 de la Constitution albanaise.  [Retour au contenu]
  • [4]
    L’article 145 de la Constitution prévoit que « lorsque les juges estiment que la loi entre en conflit avec la Constitution, il ne l’applique pas. Dans ce cas, ils suspendent la procédure et renvoient la question à la Cour constitutionnelle ».  [Retour au contenu]
  • [5]
    L’article 131 de la Constitution (1998) ne reconnaît pas à la Cour constitutionnelle le droit d’être saisie par elle-même, contrairement à la loi constitutionnelle n° 7561/1992 (article 25). Le constituant a visé par cela à limiter le rôle actif de la Cour.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Même dans cette direction le constituant a reflété une approche restrictive à l’investissement de la décision constitutionnelle.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Les magistrats sont les juges qui ont obtenu leur diplôme près de l’École de la Magistrature en Albanie, laquelle a été ouverte en 1996 avec le soutien du Conseil de l’Europe.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Voir Sadurski, Wojciech, Rights Before Courts : A study of Constitutional Courts in Postcommunist States of Central and Eastern Europe, Éditions. Springer, 2008, p. 125.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Voir Capppelleti M., Giudici legislatori, 1984, Giuffré, Milano ; Epp C.R., Holland K.M., Judicial Activism in Comparative Perspective, Macmillan, Houndmills, 1991 ; Stone A., Governing with Judges : The New Constitutionalism, J. Hayward and E. Page, Governing the New Europe, Blackwell, Oxford, 1995 ; The Rights Revolution : Lawyers, Activists and Supreme Courts in Comparative Perspective, Univ. Chicago Press, 1999.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Vedel G., “Souveraineté et supra-constitutionalité”, Pouvoirs, n° 67, 1993.  [Retour au contenu]

Contrôle de la suprématie de la Constitution réalisé par la Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie

Tzanka Todorova Petrova, juge à la Cour constitutionnelle de Bulgarie

Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs,

La Constitution de la République de Bulgarie a été adoptée par la Grande Assemblée nationale et est entrée en vigueur le 13 juillet 1991. À ce jour, elle a connu quatre amendements.

La Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie fut créée en vertu du paragraphe 1, alinéa 2 des Dispositions transitoires et finales de la Constitution et a commencé à fonctionner en 1991. Les règles de son fonctionnement furent déterminées par la Loi sur la Cour constitutionnelle publiée au Journal officiel no 67 du 16 août 1991.

Mon intervention est composée de deux parties.

I. Suprématie de la Constitution

Ci-dessous, quelques principes fondamentaux énoncés expressément par la Constitution elle-même :

1. La suprématie de la Constitution est proclamée par l’article 5, alinéa 1 qui stipule : « La Constitution est la loi suprême que les autres lois ne sauraient contredire », « Le rôle de loi fondamentale qui lui est attribué est incontestable. Il correspond totalement à la souveraineté populaire : « Tout pouvoir public émane du peuple. Le peuple exerce le pouvoir directement et par les organes prévus par la présente Constitution ».

2. La suprématie de la Constitution est totale et universelle. Elle est « la loi des lois ». Conformément à l’article 5, alinéa 2 « Les dispositions de la Constitution ont un effet direct ». Cette disposition témoigne de la suprématie de la Constitution dans le développement du droit constitutionnel bulgare et de la pratique de la justice constitutionnelle, y compris en tant que garantie du respect des droits des citoyens.

3. L’article 5, alinéa 4 de la Constitution stipule : « Les traités internationaux, ratifiés selon la procédure constitutionnelle, publiés et entrés en vigueur pour la République de Bulgarie, font partie du droit national de l’État. Ils ont la priorité sur les normes de la législation nationale si celles-ci sont en contradiction avec eux ».

On peut tirer quatre conclusions :

  • premièrement, il faut respecter l’ordre constitutionnel en vigueur pour intégrer ces traités dans le droit interne ;
  • deuxièmement, une fois intégrés dans le droit national, ces traités acquièrent le statut de lois et en tant que telles se soumettent à la Constitution ce qui signifie qu’ils ne sauraient la contredire (article 5, alinéa 1) ;
  • troisièmement, les traités internationaux ont la primauté sur les normes législatives nationales si celles-ci sont en contradiction avec eux. S’il n’y a pas d’incompatibilité entre la législation nationale et le droit international, ce sont les lois nationales qui sont appliquées, mais en respectant les exigences juridiques internationales ;
  • quatrièmement, les traités internationaux auxquels la Bulgarie est partie doivent ne pas contredire la Constitution comme les lois nationales. Cela se traduit par ailleurs par la compétence attribuée à la Cour constitutionnelle d’exercer un contrôle de constitutionnalité également sur les accords internationaux.

Les rapports entre le droit international et le droit constitutionnel bulgare sont définis conformément à l’article 5, alinéa 4 de la Constitution. L’interprétation de cette disposition doit tenir compte de l’amendement de la Constitution de 2005 (publié au JO, no 18 de 2005), qui stipule : « La République de Bulgarie participe à la construction et au développement de l’Union européenne ». C’est une formule générale qui désigne la place et l’importance qui sont réservées au droit de l’Union européenne, à ses règlements et directives, mais aussi aux accords auxquels l’Union européenne est partie.

4. L’obligation établie par l’article 58, alinéa 1 de la Constitution selon laquelle « les citoyens sont tenus de respecter et de suivre la Constitution et les lois » constitue elle aussi une expression de la suprématie de la Constitution.

5. La Constitution proclame expressément la République de Bulgarie « État de droit ». La disposition de son article 4 est explicite : « La République de Bulgarie est un État de droit. Elle est gouvernée conformément à la Constitution et aux lois du pays ». Le Préambule lui aussi énonce solennellement : nous « proclamons notre détermination de créer un État, démocratique, de droit et social ». Toutes les dispositions constitutionnelles renferment implicitement ce principe essentiel. Il sert de base à toutes les idées et propositions sur lesquelles repose la Stratégie de l’Assemblée nationale relative à la poursuite de la réforme de la législation (JO no 7 du 27.01.2015).

6. La création de la Cour constitutionnelle en tant qu’organe spécial chargé de l’exercice d’un contrôle de constitutionnalité concentré témoigne notamment de la reconnaissance de la suprématie de la Constitution et de l’instauration d’un État de droit. La Cour constitutionnelle n’exerce le contrôle diffus de constitutionnalité qu’à titre d’exception.

7. Le principe de la séparation des pouvoirs est un principe d’importance fondamentale. L’article 8 de la Constitution désigne de façon explicite les trois pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle souligne la nécessité d’une collaboration entre les trois pouvoirs et du respect du principe du pluralisme politique.

8. L’importance de l’évolution des droits de l’homme se révèle clairement dans l’article 57 de la Constitution. Son alinéa premier est impératif : « Les droits fondamentaux des citoyens sont inaliénables ». La Constitution bulgare attribue une grande importance à la création de conditions favorables à leur exercice (article 26, alinéa 1, article 14, article 44, alinéa 1, et articles 47, 56, etc.), ainsi qu’à la mise en place de garanties appropriées contre leur limitation et violation. Il est possible pourtant de procéder à une restriction provisoire à l’exercice de certains droits des citoyens, mais seulement en vertu de la loi et en présence de circonstances objectives prévues par la Loi fondamentale. La Constitution accorde la plus haute protection aux droits de l’homme et définit les droits qui ne peuvent faire l’objet d’aucune restriction.

9. Le maintien de la suprématie de la Constitution exige de protéger les principes et les valeurs qu’elle-même a proclamés. Une importance décisive pour la protection de la suprématie de la Constitution est accordée aux garanties institutionnelles établies par le droit constitutionnel en vertu des dispositions explicites de la Constitution elle-même (ladite autodéfense). Ces dispositions fixent de manière impérative les procédures de révision de la Constitution et celles relatives à l’adoption d’une nouvelle Constitution (conformément à l’article 153 à 158). Toutes ces dispositions sont d’effet direct (en vertu de l’article 5, alinéa 2 de la Constitution).

II. Le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie

1. La Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie jouit d’un statut particulier. Elle ne fait pas partie du système judiciaire et la Constitution lui a réservé un chapitre spécial.

La Cour exerce un contrôle de constitutionnalité concentré.

La légitimité du contrôle exercé par la Cour constitutionnelle est reconnue et respectée. Une question actuellement est discutée en Bulgarie : elle porte sur l’élargissement de la saisine en accordant aux citoyens le droit d’accès direct à la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire par l’introduction de la plainte constitutionnelle. Cette question fait partie du débat public sur la réforme du système judiciaire qui est en cours en Bulgarie.

2. La Cour constitutionnelle n’agit pas ex-officio, mais seulement lorsqu’elle est saisie par les sujets de droit exhaustivement énumérés par la Constitution. Lorsque la Cour est saisie par l’Assemblée nationale, la requête doit être signée par au moins un cinquième des députés dont le nombre total est de 240.

La pratique de la Cour constitutionnelle montre que le droit de saisine est accordé non seulement à la Cour suprême de cassation et à la Cour administrative suprême, mais également à leurs chambres et à leurs formations (article 150, alinéas 1 et 2 de la Constitution). Cela s’inscrit dans l’esprit d’élargissement des pouvoirs des organes juridictionnels et de développement des principes démocratiques au sein du système judiciaire et correspond à une meilleure protection des droits des citoyens (article 117, alinéa 1 de la Constitution).

En 2006, (JO no 27 de 2006) un nouvel alinéa 3 fut inséré dans l’article 150 de la Constitution accordant à l’Ombudsman le droit de contester la constitutionnalité d’une loi au motif qu’elle porterait atteinte aux droits et aux libertés des citoyens.

3. Les compétences de la Cour constitutionnelle sont énumérées par la Constitution et par l’article 12 de la Loi sur la Cour constitutionnelle.

Les compétences de la Cour sont délimitées par la Constitution. En vertu de l’article 149, alinéa 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle ne peut se voir attribuer ou retirer des compétences aux termes d’une loi. Cela traduit l’idée de stabilité et de durabilité de la justice constitutionnelle et garantit le respect de la séparation des pouvoirs.

4. Le contrôle de constitutionnalité fait partie des tâches fondamentales de la Cour constitutionnelle. Il peut être abstrait et concret et n’est exercé qu’a posteriori. Le contrôle a priori n’est admis que dans un seul cas prévu à l’article 149, alinéa 1.4 de la Constitution en vertu duquel la Cour constitutionnelle vérifie la conformité aux dispositions de la Constitution des traités internationaux avant leur ratification.

Le contrôle de constitutionnalité a pour objet de vérifier la conformité des lois à la Constitution. Il peut s’étendre également aux lois adoptées avant l’entrée en vigueur de l’actuelle Constitution. Selon la pratique de la Cour constitutionnelle, le Règlement de l’organisation et du fonctionnement de l’Assemblée nationale (article 73), ainsi que les résolutions adoptées par celle-ci peuvent faire eux-aussi l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.

La Cour constitutionnelle n’est pas limitée par le moyen d’inconstitutionnalité évoqué dans la requête. Par contre, elle ne peut pas se prononcer au-dehors du petitum. La pratique de la Cour montre qu’elle peut se prononcer sur l’inconstitutionnalité non seulement des dispositions législatives ou de certaines parties de celles-ci, mais également sur un ensemble de normes.

La Cour constitutionnelle ne peut pas jouer le rôle de législateur positif. Elle ne peut qu’établir l’inconstitutionnalité de la disposition qui lui est soumise sans se prononcer sur le contenu de la future disposition.

La procédure suivie devant la Cour constitutionnelle est définie par la Cour elle-même conformément à la Loi sur la Cour constitutionnelle et au Règlement de son fonctionnement. La Cour se prononce sur la recevabilité de la requête par une décision préliminaire et sur le fond de l’affaire par une décision. Elle a le droit de consulter des parties intéressées. Elle est autonome dans son appréciation concernant le respect des exigences relatives à la saisine et au déroulement de la procédure.

Conformément à l’article 151, alinéa 2 et à l’article 33 du Règlement, les décisions de la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire leurs dispositifs et motivations, sont publiées au Journal officiel, ainsi que les opinions dissidentes et les positions des juges. Afin de répondre aux exigences de rapidité et de transparence de la procédure, le dispositif de chaque décision est annoncé immédiatement après la clôture de la séance.

Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives. Lorsque la Cour s’est prononcée sur une requête aucune autre requête ne peut être introduite pour le même motif (conformément à l’article 21, alinéa 5 de la Loi sur la Cour constitutionnelle).

5. L’article 149, alinéa 1.1 de la Constitution attribue à la Cour constitutionnelle la compétence de procéder à l’interprétation contraignante de la Constitution. En pratique, l’interprétation contraignante est une interprétation authentique.

L’exercice par la Cour constitutionnelle de la compétence d’interprétation contraignante, qui est une compétence distincte, a joué un rôle important et constructif dans le processus des changements démocratiques en Bulgarie. Cette technique est nécessaire pour le déroulement des processus d’intégration auxquels l’État bulgare participe dans le cadre de transfert de compétences à l’Union européenne. La Cour a rendu plusieurs décisions sur cette question, à savoir : décisions nos 3/2003, a. c. no 22/2002 et 3/2004, a. c. no 3/2004, JO no 3/2004, JO no 61/2004 relatives à l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne (interprétation des articles 153 et 158 de la Constitution) ; décisions nos 2/2005 a. c. no 9/2004 (JO no 16/2005) sur saisine de la chambre commerciale de la Cour suprême de cassation ; 13/2010, a. c. no 12/2010 relative à l’interprétation de la catégorie juridique de mandat et les conditions de sa cessation avant terme et la décision préliminaire du 17 mars 2015, a. c. no 1/2015 relative à l’interprétation de l’article 12, al. 2 de la Constitution.

6. Dès l’étape préparatoire de l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne, le constituant bulgare était pleinement conscient de la nécessité d’adapter les compétences de la Cour constitutionnelle aux conditions induites par l’adhésion et de la nécessité de l’harmonisation de la législation nationale avec le droit communautaire. Par ailleurs, les lois bulgares doivent dorénavant être conformes non seulement à la Constitution bulgare, mais également au droit de l’Union européenne. Par conséquent, la Cour constitutionnelle a pu réexaminer et enrichir son expérience en matière de contrôle de constitutionnalité. En ce sens, ses décisions no 3 de 2004, no 7 de 2006 et no 8 de 2006 acquièrent une grande importance. Selon l’interprétation contraignante et abstraite donnée par la Cour dans la décision no 3 de 2004, les actes du droit primaire de l’Union européenne sont des accords au sens de l’article 5, alinéa 4 de la Constitution et conformément aux conditions prévues, leurs dispositions sont intégrées dans le droit interne bulgare. D’après la motivation de cette décision, l’exigence prévue à l’article 24, alinéa 2 de la Constitution relative à l’établissement d’un « ordre international équitable » constitue la base et le cadre de l’adhésion de la Bulgarie à l’UE, tandis que les dispositions de l’article 4 de la Constitution complétées par le nouvel alinéa 3 stipulant que « La République de Bulgarie participe à la construction et au développement de l’Union européenne » s’inscrivent complètement dans cet esprit. Cela contribue au développement et à la dynamique des compétences de la Cour constitutionnelle, même en l’absence d’un ajout explicite à l’alinéa 1 de l’article 149 de la Constitution attribuant une nouvelle compétence à la Cour, celle d’exercer un contrôle pour vérifier la conformité des lois bulgares au droit de l’Union européenne, ce qui est par ailleurs discuté de lege fereneda. En réalité, la Cour constitutionnelle se réfère au droit communautaire et vérifie la conformité des lois à ses normes, même lorsque le requérant ne l’a pas demandé. Pour fonder sa thèse en faveur de la constitutionnalité ou de l’inconstitutionnalité d’une loi, la Cour constitutionnelle trouve souvent des arguments tirés des arrêts de la Cour européenne de Strasbourg et de la Cour de Luxembourg. Cela se rapporte non seulement au règlement des cas concrets, mais contribue également à l’instauration d’une harmonie entre les deux systèmes juridiques et au respect des exigences du droit international. Dans sa décision no 1 de 2008, affaire constitutionnelle no 10 de 2007, la Cour dit : « En vertu de l’article 149, alinéa 1.4 de la Constitution, lorsque la Cour est dûment saisie, elle peut se prononcer sur la conformité d’une loi aux accords internationaux auxquels la Bulgarie est partie… En cas de contradiction, c’est le Règlement de l’Union européenne qui a la primauté sur les actes normatifs bulgares. En ce qui concerne la Directive de l’Union européenne, c’est un acte dont les principes et les objectifs engagent tout État membre à mettre son droit national en conformité avec son contenu (article 249, alinéas 2 et 3 du Traité instituant la Communauté européenne). C’est le droit national qui, notamment, peut faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité ».

Les amendements susmentionnés comportent des points communs : ainsi, tous protègent la suprématie de la Constitution et, portent sur le transfert à l’Union européenne de pouvoirs découlant directement de la Constitution. Tel est par ailleurs l’énoncé de la disposition de l’article 85, alinéa 1.9 de la Constitution. Ces amendements ont contribué au maintien de la suprématie de la Constitution et à la mise en place de démarches visant à l’intégration du droit de l’Union européenne dans le droit bulgare. D’autant plus que toutes les lois portant ratification d’accords internationaux, aux termes de l’article 85, alinéa 1.9 de la Constitution, sont adoptées par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers de tous les députés. La Constitution a la primauté sur les traités internationaux, y compris sur ceux relatifs à l’exercice de compétences par l’Union européenne. L’article 85, alinéa 4 de la Constitution stipule que « La signature de traités internationaux qui exigent des amendements à la Constitution doit être précédée de l’adoption de ces amendements ». Il est évident que toutes ces dispositions ont une importance pour le maintien de la suprématie de la Constitution et pour la garantie de la souveraineté et de la prospérité de la République de Bulgarie. Elles ont certainement une importance à l’échelle internationale et communautaire.

7. Le 21 janvier 2015 l’Assemblée nationale a approuvé la Stratégie actualisée relative à la poursuite de la réforme du système judiciaire, élaborée par le Conseil des ministres. L’approbation de cette Stratégie place les questions relatives à la Grande assemblée nationale (qui est une Assemblée constituante) au centre de l’actualité. Les compétences de la Grande assemblée nationale sont énumérées dans l’article 158 de la Constitution. En principe, elle n’intervient que pour réaliser les objectifs pour lesquels elle a été élue. La question qui est de nouveau évoquée est celle de savoir si les amendements de la Constitution en cours de préparation doivent être adoptés par la Grande assemblée nationale ou par l’Assemblée nationale ordinaire. Les compétences de la Grande assemblée nationale portent sur des questions fondamentales telle la souveraineté populaire et la souveraineté nationale, ainsi que l’inaliénabilité des droits fondamentaux des citoyens.

*

La suprématie de la Constitution est un acquis de l’État démocratique. Voilà pourquoi il est tout à fait justifié que les citoyens demandent que les grands problèmes auxquels ils font face soient réglés selon les prescriptions de la Constitution et par la Cour constitutionnelle. Sont également fondées leurs demandes concernant la révision de certains textes de la loi fondamentale, ainsi que celles relatives aux démarches plus radicales, à savoir l’adoption d’une nouvelle Constitution qui corresponde d’avantage aux besoins de la société et dont les dispositions prévoient de nouvelles possibilités pour la participation des citoyens à la gouvernance de l’État et à la solution des problèmes relatifs au pouvoir judiciaire et qui leur permettent d’exercer un contrôle effectif sur l’action des institutions publiques.

Du préambule de la Constitution marocaine

Amine Benabdallah, membre du Conseil constitutionnel du Royaume du Maroc

Dans le langage courant et en droit, le terme « préambule » revêt approximativement la même signification. Ici et là, c’est l’idée d’entrée en matière, d’exorde qui est suggérée. Au sens large, d’après le Littré, il se définit comme une introduction qui prépare à ce qui doit suivre. Dans le Robert, l’accent est mis sur l’aspect juridique du terme, « ce dont on fait précéder un texte de loi pour en exposer les motifs, les buts ; c’est un exposé préalable à un discours ou un écrit »

Si, dans cette optique, la notion de préambule s’inspire et découle de la démarche littéraire, ou même rhétorique, il faut dire que dans sa spécificité juridique, et spécialement en droit constitutionnel, le préambule, en tant que technique ou outil d’expression, dépasse le caractère de la pure introduction pour se confondre quelquefois avec la formule de déclaration des droits lorsqu’il énonce de manière solennelle des principes de base qui constituent le socle de tout ce qui peut suivre.

Quelle est alors la signification d’un préambule constitutionnel ? Quelle est sa valeur juridique ? En somme, sa place dans le bloc de constitutionnalité et, par voie de conséquence, ses effets juridiques sur la constitutionnalité des lois ?

Pour des éléments de réponse à cette interrogation, et à la faveur de la lecture des constitutions de divers États, on se propose une démarche en trois phases.

D’abord, on peut observer que le préambule n’est pas présent dans toutes les constitutions. Ensuite, lorsqu’il est présent, son contenu varie d’une constitution à l’autre. Enfin, du point de vue qui nous concerne, il ne peut avoir d’effets juridiques qu’à partir de ses dispositions réellement normatives.

I

En jetant un bref regard sur les constitutions de nombre de démocraties, on peut relever que plusieurs d’entre elles sont dépourvues de préambules.

Ainsi en est-il de la Constitution allemande du 23 mai 1949, où le préambule constitue une simple introduction de deux paragraphes placés avant le titre consacré aux « droits fondamentaux ». Le premier annonçant que le peuple allemand, conscient de sa responsabilité et en tant que membre à part entière d’une Europe unie a, en vertu de son pouvoir constitutionnel, adopté la Loi fondamentale. Et, le second, proclamant que les Allemands des Länder, ont parachevé l’unité et la liberté de l’Allemagne et que, de ce fait, la Loi fondamentale est applicable à l’ensemble du peuple allemand.

La même observation peut être faite à propos de la Constitution espagnole du 29 décembre 1978 dont le préambule consiste en une proclamation de volonté de la Nation espagnole, énumérant les objectifs de l’adoption de la Constitution, avant un titre préliminaire traitant « des droits et des devoirs fondamentaux ».

Quant à la Constitution italienne du 27 décembre 1947, elle ne contient aucun préambule. Elle débute directement par un énoncé de « principes fondamentaux » suivi d’une partie sur les « devoirs et droits des citoyens ».

Il en est de même en Belgique où la Constitution du 17 février 1994 débute par un titre I « De la Belgique fédérale, de ses composantes et de son territoire ».

Enfin, dernier exemple, celui de la Constitution fédérale de la confédération suisse du 18 avril 1999 qui débute par un paragraphe de renouvellement d’alliance, de détermination à vivre ensemble et d’assumer la responsabilité envers les générations futures.

Ces exemples permettent d’avancer que le préambule n’est pas général à toutes les constitutions et qu’il peut se présenter comme une simple introduction aux articles mêmes de la constitution. C’est une introduction qui annonce, proclame une volonté, énumère des objectifs, bref qui, malgré toute la solennité qu’elle impose, demeure un préambule au sens restreint du terme.

II

Mais, lorsqu’il existe, le préambule a pour objet de guider le constituant, puis le législateur dans son travail, et surtout d’indiquer dans quelles perspectives doit s’inscrire la production normative en faisant état d’un certain nombre d’éléments qui constituent le référentiel juridique.

De ce point de vue, il est à considérer comme l’expression de la conscience collective de la nation à un moment donné, celui de la rédaction de la constitution ; il proclame les fondamentaux, les idées de base sur lesquelles tous ceux qui adhèrent à la constitution sont d’accord.

S’exprimant sur le préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946 (Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1947, p. 355), R. Pelloux avait formulé des réflexions qui semblent toujours d’actualité.

Pour l’auteur, le préambule a une double dimension. Il proclame et reconnaît les grands principes qui commandent l’évolution économique et sociale, et consolident les résultats déjà acquis et, en même temps, il vise à amorcer les progrès futurs et à donner des mots d’ordre, voire des consignes juridiquement obligatoires au législateur de demain.

Actuellement, à la lecture de certaines constitutions, on peut remarquer que c’est un texte qui dans une large mesure, se réfère au passé, envisage le présent pour se tourner résolument vers l’avenir.

On se contentera de trois exemples tout à fait topiques.

  • Le préambule de la Constitution de la République du Bénin qui traçant les phases qui ont succédé à son indépendance affirme que « les changements successifs de régimes politiques et de gouvernements n’ont pas émoussé la détermination du peuple béninois à rechercher dans son génie propre, les valeurs de civilisation culturelles, philosophiques et spirituelles qui animent les formes de son patriotisme ».
  • De même, dans la Constitution algérienne qui affirme qu’elle est « l’œuvre du génie propre et des aspirations du peuple algérien » rappelant « qu’il a conquis son indépendance par une lutte contre le pouvoir colonial et recherche dans son génie propre les valeurs de civilisation, culturelles, philosophiques, spirituelles qui animent les formes de son patriotisme, fruit de sa détermination et produit de profondes mutations sociales ».
  • Enfin, dans la Constitution tunisienne, il est énoncé « Nous, représentants du Peuple tunisien, membres de l’Assemblée nationale constituante, fiers des luttes de notre peuple pour l’indépendance, pour l’édification de l’État, pour l’élimination de la dictature, pour l’affirmation de sa libre volonté et la réalisation des objectifs de la Révolution de la liberté et de la dignité du 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011 ; Fidèles au sang de nos valeureux martyrs, aux sacrifices des tunisiens et des tunisiennes au fil des générations, et afin de rompre avec l’injustice, l’iniquité et la corruption ».

Ceci dit, force est de reconnaître que ce qui intéresse le juriste, et plus précisément le juge constitutionnel, c’est naturellement la valeur juridique du préambule et de sa place dans le bloc de constitutionnalité.

III

À l’inverse de ce que l’on a vu tantôt quant à l’absence de préambule dans la Constitution, on peut relever que dans certaines chartes fondamentales, il est expressément déclaré que le préambule fait partie intégrante de la Constitution.

C’est le cas, par exemple, du Burkina Faso, constitution du 2 juin 1991 ; de la République du Sénégal, constitution du 7 janvier 2001 ; du Royaume du Maroc, constitution du 29 juillet 2011, de la République tunisienne, constitution du 7 février 2014, article 145.

Est-ce à dire alors que lorsque le constituant ne précise pas la place du préambule dans la hiérarchie des normes, celui-ci ne fait pas partie intégrante de la Constitution ?

L’affirmative serait complètement inexacte car si un préambule introduit une Constitution, c’est bien pour en faire partie, et non point s’en détacher pour être sans valeur aucune et ne relever que de la simple phraséologie et faire office de parure constitutionnelle. Même s’il ne contient que des termes sans effets juridiques immédiats et applicables d’eux-mêmes, il demeure, compte tenu de sa substance, une base, un fondement – si ce n’est la base et le fondement – des titres de la Constitution dont les dispositions doivent être en phase avec l’esprit qu’il dégage. Sinon, quelle serait son utilité ?

Néanmoins, la question qui se pose concerne moins son contenu dans son ensemble que ses effets juridiques sur la loi lors de son appréciation par rapport à la Constitution.

À cet égard, justement, il faut dire que dans le préambule, il peut y avoir des dispositions à caractère normatif qui se suffisent à elles-mêmes et d’autres qui ne peuvent être que la traduction d’engagements qui ne sauraient constituer, au même titre que les premières, un référentiel pour l’appréciation de la constitutionalité d’une loi. Somme toute, des dispositions qui font figure de promesses qui impliquent une obligation beaucoup plus de moyens que de résultats. Mais, en tout cas, des engagements qui, en cas de besoin, peuvent orienter dans l’interprétation des dispositions juridiques qui manquent de clarté tout en étant dans le corps de la constitution.

En fait, le préambule ne peut avoir de signification réelle pour le juge que s’il ne contient pas seulement l’énoncé de principes généraux plus ou moins vagues à portée plus morale et philosophique que juridique, mais des dispositions précises susceptibles d’application. De l’ensemble composite dont il est généralement tissé, il revient au juge d’en extraire les dispositions qui ont réellement une implication juridique directe et normative.

Les exemples ne manquent pas, et, pour faire bref, l’on se contentera de quelques-uns !

  • Dans la Constitution marocaine du 29 juillet 2011, et depuis celles de 1992 et 1996, l’affirmation de l’attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus. Cette phrase, où la référence au caractère universel ne saurait être sans signification, n’opère-t-elle pas une ouverture sur un champ aux frontières que l’on peut qualifier d’indéfinies ?
    De même que dans le préambule de la même Constitution, il est précisé que l’État réaffirme et s’engage à (…) « bannir et combattre toute forme de discrimination à l’encontre de quiconque, en raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture, de l’origine sociale ou régionale, de la langue, du handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit ».
  • Dans la Constitution sénégalaise, on peut voir la référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui, comme on le sait, est un document de 17 articles ; de même que dans la Constitution du Burkina Faso, on peut remarquer la souscription à la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et aux instruments internationaux traitant des problèmes économiques, politiques, sociaux et culturels.
  • Enfin, pour ne se contenter que de ces exemples, dans la Constitution française, on relèvera « l’attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004. Et, l’on rappellera que c’est en se fondant sur les dispositions de la Déclaration de 1789 que le juge constitutionnel français a rendu sa fameuse décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association, décision dans laquelle le préambule avait fait figure de vedette en occupant la place centrale.

C’est dire alors, pour conclure, que lorsqu’un préambule introduit une constitution, il est susceptible de contenir des dispositions qui renforcent les acquis, voire consacrent des évidences auxquelles la référence permet d’éclairer dans l’interprétation des articles de la constitution elle-même. Mais en même temps, il peut comprendre des dispositions normatives qui s’imposent au législateur et au juge et dont la méconnaissance implique l’inconstitutionnalité. Et, dans les deux cas, on peut dire que la valeur juridique du préambule est incontestable car dès lors qu’il existe, il fait partie intégrante de la constitution.

L’étendue et l’effectivité du contrôle de constitutionnalité dans l’ordre interne et précisément en République démocratique du Congo

Noël Kilomba Ngozi Mala, membre de la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo

I. Introduction

Actuellement, la Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution, consacre la séparation des pouvoir à l’instar des autres constitutions des différents pays du monde. Elle prévoit à l’article 68 que « les institutions de la République sont : le président de la République, le Parlement, le Gouvernement, les cours et tribunaux ».

Aux termes de l’article 149 alinéas 1 et 2 de la Constitution « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Haute cour militaire ainsi que les cours et tribunaux civils et militaires ».

En effet, la séparation des pouvoirs dans la Constitution de la RD Congo met en exergue deux figures : à savoir, l’indépendance organique des autorités et la séparation fonctionnelle des pouvoirs. L’indépendance organique des autorités implique qu’aucun des pouvoirs n’intervient dans la révocation d’un autre, alors que la séparation fonctionnelle des pouvoirs implique que le pouvoir exécutif exécute les lois, le pouvoir législatif les confectionne et le pouvoir judiciaire dit le droit, mais aucun des pouvoirs n’assure la plénitude absolue de ses fonctions.

Par conséquent, il y a toujours des fonctions de l’exécutif qui sont exercées par le législatif et le judiciaire, des fonctions du législatif exercées par l’exécutif et le judiciaire et des fonctions du judiciaire qui sont exercées par l’exécutif et le législatif.

À titre illustratif, le Parlement adopte la loi de finances (le budget de l’État) qui est promulguée par le président de la République, mais dont certaines dispositions peuvent être censurées par la Cour constitutionnelle au cas où elle serait saisie en contrôle de constitutionnalité. Le Gouvernement a l’initiative de loi de même que les députés et sénateurs, etc.

La Constitution de la République démocratique du Congo comprend donc plusieurs points de contrôle et d’équilibre entre les trois pouvoirs régaliens à savoir l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

L’alinéa 1er de l’article 158 de la Constitution énonce que les neuf membres de la Cour constitutionnelle sont nommés par le président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature.

Cependant aux termes de l’article 10 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « avant d’entrer en fonction, les membres de la Cour constitutionnelle sont présentés à la Nation, devant le président de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil supérieur de la magistrature représentée par son Bureau. Ils prêtent devant le président de la République le serment suivant : “Moi, … Je jure solennellement de remplir loyalement et fidèlement les fonctions de membre de la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo, de les exercer en toute impartialité, dans le respect de la Constitution, de garder le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence de la Cour constitutionnelle et de n’entreprendre aucune activité mettant en cause l’indépendance, l’impartialité et la dignité de la Cour” ».

Le président de la République leur en donne acte.

Par contre, aux termes de l’article 160 de la Constitution, la « Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi.

Les lois organiques, avant leur promulgation, et les règlements intérieurs des chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, avant leur mise en application, doivent être soumis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.

« Aux mêmes fins d’examens de la constitutionnalité, les lois peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle, avant leur promulgation, par le président de la république, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou le dixième des députés ou des sénateurs ».

La Cour constitutionnelle statue dans le délai de trente jours. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours » (article 139 de la Constitution).

Il sied également de relever qu’avant d’entrer en fonction, le président de la République conformément au prescrit de l’article 74, alinéa 2 de la Constitution prête le serment devant la Cour constitutionnelle : « Moi… élu président de la République démocratique du Congo, je jure solennellement devant Dieu et la nation :

  • d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République ;
  • de maintenir son indépendance et l’intégrité de son territoire ;
  • de sauvegarder l’unité nationale ;
  • de ne me laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine ; – de consacrer toutes mes forces à la promotion du bien commun et de la paix ;
  • de remplir, loyalement et en fidèle serviteur du peuple, les hautes fonctions qui me sont confiées ».

Cette énumération des quelques points de contrôle dans la Constitution de la République démocratique du Congo n’est qu’exemplative, car il y en a plusieurs. Le contrôle de constitutionnalité fait donc partie de ces points de contrôle et d’équilibre dans la séparation des pouvoirs en République démocratique du Congo. Il est consacré par les articles 139 et 160 de la Constitution. Dès lors, il est impérieux de présenter une brève description de la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo qui vient à peine d’être installée le 4 avril 2015. Toutefois il y a lieu de relever que le vide juridique n’a jamais existé, car depuis plusieurs années, c’est la Cour suprême de justice qui faisait fonction de Cour constitutionnelle.

II. De la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo
1. Genèse de la Cour

La Cour constitutionnelle a été consacrée en RD Congo par l’article 226 du titre VI de la loi fondamentale de 1960 signée à Bruxelles le 19 mai 1960 dans le temps ayant précédé l’accession du pays à l’indépendance, mais elle ne vient d’être installée qu’après 54 ans. Cette disposition disait que « La Cour constitutionnelle est composée d’une chambre de constitutionnalité, d’une chambre des conflits et d’une chambre d’administration).

L’article 157 de la Constitution de la RD Congo du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour énonce que : « il est crée une Cour constitutionnelle ».

Après la promulgation de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, le Président de la République Démocratique démocratique du Congo, Joseph Kabila Kabange a, par ordonnance n° 14/020 du 7 juillet 2014, nommé les neuf membres de la Cour constitutionnelle à savoir : Monsieur Banyaku Luape Epote Eugène, Esambo Kangashe, Funga Molima, Kalonda Kele Oma Yvon, Kilomba Ngozi Mala, Luzolo Bambi Lessa, Lwamba Bindu Benoît, Vunduawe Te Pemako Félix, Wasenda N’songo Corneille.

Subséquemment, par ordonnance n° 15/022 du 31 mars 2015 portant nomination d’un membre de la Cour constitutionnelle, le président de la République Démocratique du Congo nomma Monsieur Mavungu Mvumbi-di-Ngoma Jean-Pierre en qualité de membre de la Cour constitutionnelle en remplacement du Monsieur Luzolo Bambi Lessa appelé à d’autres fonctions.

Ainsi, les neuf membres de la Cour constitutionnelle ont été présentés à la Nation et prêté serment devant le président de la République le 4 avril 2014 au Palais du Peuple conformément à l’article 10 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

Ils ont élu le 11 avril 2015 leur président en la personne de Monsieur Lwamba Bindu Benoît conformément aux articles 9 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle et au Règlement intérieur de la Cour. Celui-ci a été investi par le président de la République par ordonnance n° 15/024 du 11 avril 2015 portant investiture du président de la Cour constitutionnelle. Cette Cour a adopté le 30 avril 2015 le Règlement intérieur définitif, lequel a été transmis au Journal officiel pour publication.

2. Des membres de la délégation de la Cour constitutionnelle au Congrès de Lausanne de l’ACCPUF

Le président de la Cour constitutionnelle de la RD Congo nous a chargés de transmettre ses très sincères salutations au président de l’ACCPUF, à Madame la Secrétaire générale de l’ACCPUF, à tous les présidents des Cours constitutionnelles présents à ce Congrès, à toutes les délégations des différents pays et tous ceux qui ont œuvré à la tenue de ce congrès et a relevé que la Cour constitutionnelle de la RD Congo y attache une attention particulière. C’est pourquoi il a tenu que la Cour constitutionnelle de la RD Congo soit représentée par une forte délégation constituée des personnes ci-après :

  1. Monsieur Kilomba Ngozi Mala Noël, membre de la Cour constitutionnelle ;
  2. Monsieur Wasenda N’Songo Corneille, membre de la Cour constitutionnelle ;
  3. Monsieur Kakozi Lumwanga Pitchou, directeur adjoint du Cabinet du président de la Cour constitutionnelle ;
III. De l’étendue du contrôle de constitutionnalite dans l’ordre interne en République démocratique du Congo
1. Définition des concepts « contrôle » et « constitutionnalité »

Il est en liminaire nécessaire de saisir la quintessence de ces deux concepts avant de baigner dans les méandres du contrôle de constitutionnalité en droit interne congolais. Bien avant notre ère, Aristote père des théories de l’argumentation tant topique que logique a mis au point la science des syllogismes, la théorie des définitions ainsi que les principes logiques (dont le principe de non-contradiction). Sur le plan topique, il théorise les arguments dialectiques et rhétoriques, qui mettent en jeu des prémisses probables et non nécessaires (Stefan Goltzberg, L’Argumentation juridique, Éd. Dalloz, Paris 2013, p. 6).

« Le contrôle, mot dérivé de contre-rôle et composé de contre et de rôle du latin « rotulus », est défini comme une vérification de la conformité à une norme d’une décision, d’une situation, d’un comportement, etc. ; opération consistant à vérifier si un organe public, un particulier ou un acte respectent les exigences de leur fonction ou des règles qui s’imposent à eux. Ex. Contrôle fiscal, contrôle de la régularité d’un compte. Comparable à l’inspection, redressement, rectification, certification ».

La constitutionnalité est définie comme le caractère de ce qui a la nature d’une disposition constitutionnelle. Ex. question de la constitutionnalité de la Déclaration des droits de l’homme. Dans le deuxième sens la constitutionnalité signifie le caractère de ce qui est conforme à la Constitution ; en ce sens elle a comme antonyme inconstitutionnalité. Comp. légalité, légitimité, licéité, régularité » (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10e édition mise à jour « Quadrige » : 2014 janvier, p. 252) ».

Deux types de contrôle de constitutionnalité sont consacrés dans la Constitution de la RD Congo à savoir le contrôle a priori et le contrôle a posteriori. Le contrôle a priori intervient avant la promulgation de la loi alors que le contrôle a posteriori s’exerce après cette promulgation. La loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, s’agissant des modes de saisine de la Cour, parle du contrôle par voie d’action et du contrôle par voie d’exception.

2. Du contrôle par voie d’action

A. Du contrôle de constitutionnalité a priori

Il s’agit du contrôle exercé par la Cour constitutionnelle avant la promulgation de la loi. Ce contrôle est obligatoire pour toutes les lois organiques en RD Congo ainsi que les règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie avant leur mise en application (article 160 de la Constitution).

1. De la base légale du contrôle a priori

Le contrôle a priori est consacré par les articles 139 et 161, alinéa 2 de la Constitution, 44 à 47 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

2. De l’économie du contrôle a priori

La compétence de la Cour constitutionnelle pour exercer le contrôle de constitutionnalité est justifiée par l’article 160, alinéa 1 de la Constitution qui énonce que « la Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi ».

Aux termes de l’article 160, alinéa 2 de la Constitution, les lois organiques avant leur promulgation, et les règlements intérieurs des chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, avant leur mise en application, doivent être soumis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.

« Aux mêmes fins d’examen de la constitutionnalité, surenchérit l’alinéa 3 de l’article 160 de la Constitution, les lois peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle, avant leur promulgation, par le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou le dixième des députés ou des sénateurs.

La Cour constitutionnelle statue dans le délai de trente jours. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours précis » édicte l’alinéa 3 de l’article 160 de la Constitution.

En fait, les lois organiques avant la promulgation sont soumises obligatoirement à un contrôle a priori de leur conformité à la Constitution tout comme les règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et ceux des institutions d’appui à la démocratie précitées avant leur mise en application. L’article 45 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle parle des règlements des institutions d’appui à la démocratie sans les citer nommément, et il y a lieu de conclure que les règlements intérieurs de toutes les institutions d’appui à la démocratie doivent être soumis au contrôle de constitutionnalité.

Il y a lieu de relever parmi ces institutions d’appui à la démocratie, la Commission nationale des droits de l’homme dont le règlement intérieur doit, avant sa mise en application, être soumis au contrôle de conformité à la Constitution, conformément l’article 10 de la loi organique n° 13/011 du 21 mars 2013 portant institution, organisation et fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme qui édicte que : « L’Assemblée plénière adopte, avant la mise en place du bureau le règlement intérieur. Ce règlement ne peut être mis en application que si la Cour constitutionnelle le déclare conforme à la Constitution dans les quinze jours de sa saisine. Passé ce délai, le règlement est réputé conforme ».

Une loi organique est définie plus vaguement par Gérard Cornu comme celle qui se rapporte à un organe et l’on peut définir par élimination la loi ordinaire comme celle ne se rapportant pas à un organe au sens fonctionnel.

Il est établi que les prescrits des articles 139 et 160, alinéa 2 et 3 de la Constitution sont presque identiques dans la mesure où la combinaison de ces deux dispositions fait ressortir la prérogative reconnue au président de la République, au Premier ministre, au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat ou le dixième des députés ou sénateurs de déférer avant leur promulgation aux mêmes fins d’examen de la constitutionnalité les lois à la seule différence que l’article 139 in fine de la Constitution précise que « passée ce délai imparti à la Cour constitutionnelle pour exercer son contrôle, la loi est réputée conforme à la Constitution ».

En substance, seules les lois organiques, les règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie sont obligatoirement soumis au contrôle a priori de constitutionalité dans un délai de 15 jours et il en est même des modifications de ces règlements intérieurs.

Mais s’agissant des lois ordinaires, les autorités énumérées aux articles 139 et 160, alinéa 3 de la Constitution et 47 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle peuvent saisir la Cour constitutionnelle par un recours visant à faire déclarer une loi à promulguer non conforme à la Constitution dans un délai de 15 jours à partir de la transmission à eux faite pour le président de la République et le Premier ministre, et dans les quinze jours qui suivent l’adoption définitive pour les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat et le dixième des députés et des sénateurs.

C’est ainsi qu’en vertu de l’article 160, alinéa 3 de la Constitution, le président de la République démocratique du Congo, par sa requête du 23 décembre 2013 déposée au greffe de la Cour suprême de justice le 28 du même mois, sollicita de la Cour suprême de justice faisant fonction de Cour constitutionnelle, le contrôle de conformité à la Constitution de la loi portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité. L’issue de requête sera abordée dans le point consacré à l’effectivité du contrôle de constitutionnalité.

3. Du contrôle de constitutionnalité après la promulgation des lois, des actes ayant force de loi, et publication des actes réglementaires des autorités administratives

L’article 43 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle prescrit que : « la Cour connaît de la constitutionnalité des traités et accords internationaux, des lois, des actes ayant force de loi, des édits, des règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie ainsi que des actes réglementaires des autorités administratives ».

En effet, toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire énonce l’article 162, alinéa 2 de la Constitution alors que l’article 43 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dispose que « toute personne peut saisir la Cour pour inconstitutionnalité de tout acte visé à l’article 43 de la présente loi organique à l’exception des traités et accords internationaux.

Ce recours n’est recevable que s’il est introduit dans les six mois suivant la publication de l’acte au Journal officiel ou suivant la date de sa mise en application requiert l’article 50, alinéa 1 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

Il y a lieu de relever à ce sujet qu’aux termes de l’article 142 de la Constitution « la loi entre en vigueur trente jours après sa publication au Journal officiel à moins qu’elle n’en dispose autrement. Dans tous les cas, le Gouvernement assure la diffusion en français et dans chacune des quatre langues nationales dans le délai de soixante jours à dater de la promulgation ».

Au demeurant, la Cour constitutionnelle saisie d’un recours en inconstitutionnalité peut-elle faire la computation du délai de six mois dès la publication de la loi ou trente jours après sa publication au Journal officiel (date d’entrée en vigueur de la loi d’après l’article 142 de la Constitution) et qu’en est-il lorsque la loi publiée n’a pas été diffusée dans les quatre langues nationales endéans soixante jours à dater de sa promulgation et que le justiciable qui saisit la Cour invoque cela comme motif pour justifier la recevabilité de sa requête en inconstitutionnalité au-delà des six mois impartis par la loi, ce dernier prétextant l’ignorance de la langue de publication de la loi ?

Il s’agit là d’une question laissée à l’appréciation souveraine du juge constitutionnel, en attendant la parution au Journal officiel en langues nationales sur support papier et en ligne en RD Congo.

4. De la saisine d’office de la Cour constitutionnelle par le procureur général près cette Cour pour inconstitutionnalité des lois, des édits, des règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie ainsi que des actes réglementaires des autorités administratives

Lorsque les actes précités portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques, le Procureur général peut saisir d’office la Cour constitutionnelle pour leur inconstitutionnalité et n’est soumis à aucun délai aux termes de l’article 49 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

Il s’agit ici d’une prérogative permanente reconnue au Procureur général près la Cour constitutionnelle, mais à l’exception des traités et accords internationaux.

En effet, l’article 3 de la Constitution de la République démocratique du Congo consacre le régionalisme politique ou constitutionnel, c’est-à-dire la décentralisation, la libre administration et l’autonomie de gestion des ressources économiques, humaines et financières des provinces sont consacrées par la Constitution.

Conformément à l’article 195 de la Constitution, les institutions provinciales sont l’Assemblée provinciale et le Gouvernement provincial. Les assemblées provinciales légifèrent par voie des édits qui sont après leur publication peuvent être soumis également au contrôle de conformité à la Constitution.

Par conséquent les lois édictées par les assemblées provinciales peuvent également être déférées devant la Cour constitutionnelle pour contrôle de constitutionnalité.

5. Recours en inconstitutionnalité d’une loi d’approbation ou d’autorisation de ratification d’un traité

Ce recours peut être exercé par toute personne, mais dans un délai de soixante jours qui suivent la publication de cette loi au Journal officiel prescrit l’article 50, alinéa 2 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

6. Du recours en inconstitutionnalité des traités et accords internationaux

Aux termes de l’article 215 de la Constitution « les traités internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. La RD Congo est donc moniste et non dualiste et les traités et accords internationaux ont une autorité supérieure à la loi dans la hiérarchie des normes juridiques.

Cependant, l’article 216 de la Constitution édicte que « si la Cour constitutionnelle consultée par le président de la République, par le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat, par le dixième des députés ou des sénateurs, déclare qu’un traité ou accord international comporte une clause contraire à la Constitution, la ratification ou l’approbation ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution.

Il n’y a donc que les autorités précitées qui peuvent saisir la Cour constitutionnelle en inconstitutionnalité des traités ou accords internationaux et cela peut se justifier car toutes ces autorités ont un mandat électif représentatif.

7. Du recours en interprétation de la Constitution

La Cour constitutionnelle connaît du recours en interprétation de la Constitution sur saisine du président de la République, du Gouvernement, du président du Sénat, du président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des chambres parlementaires, des gouverneurs des provinces et des présidents des assemblées provinciales (article 161, alinéa 1 de la Constitution).

Donc, si effectivement les chambres parlementaires détiennent le pouvoir constituant originaire et dérivé, il ne leur appartient pas cependant de donner le sens à une disposition constitutionnelle par son interprétation. Seule la Cour constitutionnelle peut interpréter la Constitution en République démocratique du Congo aux termes de l’article 161 alinéa 1.

Après avoir examiné la saisine ou le contrôle par voie d’action principale de la Cour constitutionnelle, il sied d’examiner le contrôle ou saisine par voie d’exception.

B. Du contrôle de constitutionnalité a posteriori ou contrôle par voie d’exception

En effet, l’article 162 de la Constitution énonce que : « la Cour constitutionnelle est juge de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant ou par une juridiction.

Toute personne peut saisir la Cour constitutionnel pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire.

Elle peut en outre, saisir la Cour constitutionnelle, par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui la concerne devant une juridiction.

Celle-ci sursoit à statuer et saisit, toutes affaires cessantes, la Cour constitutionnelle ».

En effet, l’exception d’inconstitutionnalité s’apparente à la question prioritaire de constitutionnalité en droit français nonobstant les spécificités de cette procédure en France dès lors que la finalité est la même.

Elle peut donc être soulevée à tout moment devant une instance et plusieurs cas pratiques sont très fréquents. Certes, il faut reconnaître qu’en droit processuel français et congolais, le juge de l’action est le juge de l’exception et l’exception d’inconstitutionnalité a certes raison d’être appelée aujourd’hui en France « question prioritaire constitutionnalité » QPC, car elle est examinée par un autre juge autre que celui devant lequel elle a été soulevée.

Cependant il n’existe pas d’instance de filtrage et la Cour constitutionnelle a dû prévoir le filtrage dans son règlement intérieur qui complète sa procédure afin d’éviter d’encombrer la Cour des procédures farfelues de nature à bloquer l’instruction des causes dans plusieurs juridictions dès lors que la surséance à statuer décrétée dès que cette exception est soulevée à tendance à se transformer au donner acte pour des plaideurs téméraires.

III. De l’effectivité du contrôle de constitutionnalité en droit interne congolais
1. Définition du concept « effectivité »

L’effectivité est définie dans son premier sens comme le caractère d’une règle de droit qui produit l’effet voulu, qui est appliquée réellement. Son synonyme est l’application (mais le terme a un sens plus étroit. Ex. une loi pénale punissant un fait même si elle n’est jamais appliquée parce que personne ne commet l’infraction, n’en est pas moins effective, si sa menace a un effet dissuasion) Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10e éd. mis à jour, Quadrige Janvier 2014, p. 386.

Il est donc opportun d’illustrer l’effectivité du contrôle de constitutionalité en droit interne congolais par quelques cas jurisprudentiels.

2. Des cas jurisprudentiels d’effectivité du contrôle de constitutionnalité

1. Cas de l’arrêt R. CONST.274/TSR, requête du président de la République en appréciation de la conformité à la Constitution de la loi portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité.

En effet, la loi portant modalités de la femme et de la parité adoptée à la majorité par les deux chambres du Parlement, alors que l’article 14 alinéa 4 de la Constitution de la RD Congo proclame tout haut que « la femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales, affirmait dans l’une de ses dispositions qu’il était reconnu aux femmes un quota de 30 % au moins comme représentation au sein des institutions nationales, provinciales et locales ».

S’agissant d’une loi ordinaire, le président de la République pouvait la promulguer sans la soumettre au contrôle de constitutionnalité à l’époque où la Cour suprême de justice faisait fonction de Cour constitutionnelle en vertu de l’article 223 de la Constitution. En ce temps nous étions juge à la Cour suprême de justice (conseiller à la Cour suprême de justice) et avons participé activement à ces débats).

Mais le président de la République saisira, par sa requête du 23 décembre 2013 déposée au greffe de la Cour suprême de justice le 28 du même mois, en appréciation de la conformité à la Constitution de cette disposition et ses corollaires.

Après délibération pendant plusieurs jours en plénière de la Cour suprême de justice composée au moins de trente membres, cette très haute juridiction dira cette disposition, qui prescrivait le quota de 30 % des femmes dans les institutions nationales, provinciales et locales contraire à la Constitution c’est-à-dire inconstitutionnelle par arrêt R. CONST 274/TSR rendu le 24 janvier 2014 par la Cour suprême de justice.

Cet arrêt fut motivé en ces termes « En effet, la Cour relève que du rapprochement des articles 12, 13 et 14 alinéa 4 de la Constitution relatifs respectivement aux principes de l’égalité de tous les congolais devant la loi, de l’élimination de toute forme de discrimination notamment en matière d’accès aux fonctions publiques et de la représentation équitable de la femme au sein des institutions nationales provinciales et locales, il résulte que le Constituant n’a établi l’accès des femmes et des hommes aux fonctions politiques et nominatives au sein desdites institutions que sur les seuls critères d’égalité et d’équité.

Dès lors, les règles édictées pour concrétiser la représentation des citoyens à des dignités, places et emplois publics ne peuvent, au regard des principes ci-haut énoncés, comporter une discrimination sous forme de quota entre candidats en raison de leur sexe comme en l’espèce ».

Ainsi la disposition de cette loi prévoyant le quota de 30 % fut censurée par la Cour suprême de justice faisant fonction de Cour constitutionnelle et cette loi fut retournée au Parlement par le président de la République afin d’y retrancher cette disposition. Le quota est un pourcentage alors que la parité est une égalité mathématique entre hommes et femmes et reconnaître aux femmes un quota de 30 % dans les institutions publiques est inconstitutionnel.

2. De l’arrêt R. CONST 0014 : appréciation de la conformité à la Constitution de la loi organique modifiant et complétant la loi organique n° 06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats.

En effet, la loi organique précitée fut, par arrêt R. Const 238/TSR du 1er mars 2015, déclarée en partie conforme à la Constitution par la Cour suprême de justice faisant fonction de Cour constitutionnelle saisie par le président de la République à l’exception des alinéa 5 et 6 de l’article 61 jugés contraires à la Constitution aux motifs qu’ils prévoyaient l’interdiction d’exercer ses fonctions pour tout magistrat faisant l’objet d’une procédure de prise à partie avant d’avoir présenté ses moyen de défense.

Renvoyée au Parlement par le président de la République en exécution de cet arrêt, les deux chambres du Parlement ont retranché ces deux alinéas jugés contraires à la Constitution de cette disposition et ont adopté cette loi à la majorité des voix.

Renvoyée une seconde fois au contrôle de constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle par le président de la République par requête déposée le 11 mai 2015 au greffe de la Cour constitutionnelle, celle-ci l’a déclarée cette fois-ci conforme à la Constitution par arrêt R. Const.0014 rendu le 29 mai 2015.

Désormais un magistrat faisant l’objet d’une procédure de prise à partie devant la Cour suprême de justice ne peut pas être suspendu avant l’issue de la procédure de l’action en prise à partie, car il jouit de la présomption d’innocence et du droit de la défense qui sont des droits garantis par la Constitution.

3. De l’arrêt R. CONST 0015 : appréciation de la conformité à la Constitution du règlement intérieur de la Commission nationale des droits de l’homme.

En effet, par requête reçue le 30 avril 2015 au greffe de la Cour constitutionnelle, le président de la Commission nationale des droits de l’homme, en sigle CNDH, sollicita à la Cour constitutionnelle l’appréciation de la conformité à la Constitution du Règlement intérieur de la Commission nationale des Droits de l’homme.

La Cour constitutionnelle, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le bien fondé de cette requête l’a déclaré irrecevable étant donné le requérant Mwamba Mushikonke Mwamus faisant partie des neuf membres de la Commission nationale des droits de l’homme investis par ordonnance présidentielle n° 15/023 du 4 avril 2015 n’est jamais entré en fonction en qualité de membre de ladite commission pour n’avoir pas prêté serment conformément à l’article 22 de la loi organique n° 13/022 du 21 mars 2013 portant institution, organisation et fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme.

Enfin, les arrêts R. CONST.0014 et R. CONST.0015 ont été rendus le 29 mai 2015 par la Cour constitutionnelle de la RD Congo et sont donc les premiers à être rendus par cette très haute juridiction après son installation le 4 avril 2014. Donc à peine installée, cette Cour s’est mise au travail mais a besoin également d’échange d’expérience avec d’autres cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français.

III. Conclusion

En substance, en droit constitutionnel congolais les lois organiques avant leur promulgation, les règlements intérieurs des chambres parlementaires et des institutions d’appui à la démocratie avant leur mise en application passent obligatoirement au contrôle de constitutionnalité.

Cependant, il n’est pas de même en ce qui concerne les lois ordinaires, car elles peuvent être promulguées par le président de la République sans être soumises au contrôle de constitutionnalité.

Il se dégage de la combinaison des articles 139 et 160 de la Constitution, qu’aux mêmes fins d’examen de la constitutionnalité, le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, le dixième des députés ou des sénateurs peuvent déférer avant leur promulgation les lois à la Cour constitutionnelle.

Le procureur général près la Cour constitutionnelle peut d’office lorsque les lois et les actes ayant force de loi, les édits (lois édictées par les assemblées provinciales) ou les actes réglementaires des autorités administratives portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques, saisir la Cour constitutionnelle en inconstitutionnalité de ces actes. Il n’est donc soumis à aucun délai pour ce faire.

Mais s’agissant des traités et accords internationaux, seuls le président de la République, le Premier ministre, le président des deux chambres du Parlement, le dixième des députés ou des sénateurs peuvent saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité (article 216 de la Constitution).

C’est dont sur tous ces actes précités que portent l’étendue et le contrôle de constitutionnalité en droit constitutionnel congolais.

Néanmoins, il faut relever que les violations de la Constitution dans une décision judiciaire telles que le défaut de motivation (violation de l’article 21 de la Constitution), la violation des droits de la défense ou autres droits garantis aux particuliers par la Constitution sont déférées devant la Cour suprême de justice faisant fonction jusque-là de Cour de cassation conformément à l’article 223 de la Constitution. Ces violations constituent des motifs de cassation de ces décisions judiciaires.

Toutefois, l’article 162 de la Constitution reconnaît à toute personne le droit de saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire. Le délai pour exercer ce droit est de six mois à dater de la promulgation de la loi et de soixante jours en ce qui concerne les lois d’approbation ou d’autorisation de ratification d’un traité (article 50 alinéa de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle).

Comme en France, le respect de la Constitution est garanti par le juge en République démocratique du Congo et le contrôle de conformité de constitutionnalité se passe dans un procès qui se tient en présence du procureur général près la Cour constitutionnelle. Celui-ci émet un avis sur la constitutionnalité avant la décision de la Cour, même si celui-ci ne lie pas la Cour.

Ce contrôle de constitutionnalité l’est a priori et a posteriori. Le contrôle a posteriori use de mêmes méthodes que la question prioritaire de constitutionnalité « QPC » en France à la seule différence que le filtrage est organisé par le règlement intérieur de la Cour elle-même et non par la Cour de cassation ou le Conseil d’État comme en France. Le droit processuel congolais admet donc la saisine directe de la Cour constitutionnelle par toute personne par rapport au droit français qui consacre la saisine indirecte car les questions prioritaires de constitutionnalité passent au filtrage de la Cour de cassation ou du Conseil d’État avant la saisine du Conseil constitutionnel (lire également Guy Carcassonne et Olivier Duhamel, La question prioritaire de constitutionnalité, Éd. Dalloz, Paris 2011).

Comme en France depuis 1974, l’ouverture de la saisine de la Cour constitutionnelle aux parlementaires est d’application dans la Constitution de la RD Congo à travers les articles 139, 161 et 216 de la Constitution. La saisine de la Cour constitutionnelle est reconnue à un dixième des députés ou des sénateurs tout comme tout le droit congolais est illuminé par le Constitution qui garde sa suprématie.

Le contrôle de la Constitutionalité des lois, des actes ayant force de loi se passe dans un procès afin de garantir les droit fondamentaux des citoyens garantis par la Constitution et cela fait de cette Constitution une véritable loi fondamentale.

À l’instar de la France, le droit constitutionnel congolais est devenu depuis quelques années un droit vivant, car il en résulte un phénomène de constitutionnalisation du droit. La Constitution est dès lors devenue la source première et intrinsèque de toutes les branches du droit (à ce sujet lire à titre comparatif Ferdinand Mélin-Soucramanien, Constitution de la République française, Dalloz, 1013 p. XVI à XIX).

Aux termes de l’article 51 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul » tout comme l’interprétation de la Cour lie les pouvoirs publics, les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi que les particuliers dispose l’article 56 de la même loi.

Sans doute, la suprématie de la Constitution est proclamée par cette loi fondamentale et au cas où la Cour constitutionnelle déclare non conforme à la Constitution un traité ou un accord international, la ratification ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution (article 216 de la Constitution).

Sans les dénombrer, la Constitution de la RD Congo comporter plusieurs points de contrôle et d’équilibre par rapport même à la Constitution américaine et le Professeur Remy Granger n’a pas hésité à le dire dans son étude sur les points de contrôle et d’équilibre dans le Constitution de transition de la RD Congo en 2005 à Kinshasa.

Enfin, la juridicisation de la Constitution, la juridictionnalisation du procès constitutionnel et la constitutionnalisation du droit sont omniprésentes dans la Constitution de la République démocratique du Congo et cela fait de celle-ci une véritable loi fondamentale.

Le contrôle de constitutionnalité des lois et les effets des décisions de la Cour constitutionnelle de la Roumanie

Augustin Zegrean, président de la Cour constitutionnelle de Roumanie

Intervention présentée par M. Mircea Stefan Minea, juge à la Cour constitutionnelle de Roumanie

La Cour constitutionnelle de la Roumanie a été créée par la Constitution adoptée en 1991 ; la loi visant son organisation étant adoptée en 1992. Au mois de juin de la même année, la Cour a rendu ses premières décisions.

Les compétences de la Cour constitutionnelle de la Roumanie sont prévues dans la Constitution, qui consacre tout un titre (Titre V) à l’organisation et à l’activité de l’instance constitutionnelle (articles 142 à 147).

Dans l’exercice de ses attributions, la Cour a rendu, depuis sa création, plus de 30 000 décisions. Les décisions de la Cour constitutionnelle de la Roumanie sont généralement obligatoires dès leur publication au Moniteur officiel de la Roumanie, leur publication étant elle-même obligatoire.

En ce qui suit, nous allons analyser les compétences de la Cour constitutionnelle telles qu’elles sont énoncées dans les textes constitutionnels. Il faut aussi noter que, selon sa loi d’organisation et de fonctionnement, la Cour ne peut se saisir d’office que sur les initiatives de révision de la Constitution.

Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle dans le cadre de l’exercice du contrôle a priori

Conformément aux dispositions de l’article 147, alinéa 4 de la Constitution, la décision de la Cour constitutionnelle rendue dans le cadre de l’attribution prévue à l’article 146, point a), première phrase produit des effets généralement obligatoires et seulement pour l’avenir. Puisqu’une telle décision est prononcée avant l’entrée en vigueur de la loi, l’opposabilité erga omnes intervient par rapport aux sujets de droit impliqués dans la procédure de contrôle a priori, dans celle du réexamen et celle de la promulgation, en d’autres termes, la décision est opposable à tous les sujets ayant un intérêt dans cette étape.

Tel que remarqué dans la doctrine, il n’y a pas de disposition légale qui établisse un délai pour que le Parlement mette en accord les dispositions de loi déclarées inconstitutionnelles avec la décision de la Cour, et cela car le Parlement ne peut pas être obligé de légiférer, et la loi déclarée inconstitutionnelle ne peut aucunement produire des conséquences négatives puisqu’elle n’est pas encore entrée en vigueur. En effet, aussi longtemps que le Parlement est l’unique autorité législative du pays (article 61, alinéa 1 de la Constitution), il est le seul à pouvoir décider du moment du déclenchement du processus de réexamen de la loi. De notre point de vue, le Parlement est obligé de réexaminer la loi, ayant pourtant la possibilité de la laisser de côté, donc ayant la possibilité de choisir de finaliser ou non la loi qu’il avait adoptée ou même reconsidérer la loi dans son ensemble. Mais nous estimons que la non entrée en vigueur d’une loi peut produire des effets négatifs, en omettant de régir un certain domaine des relations sociales, ce qui peut, parfois, créer des préjudices aux personnes intéressées.

La Cour a montré que « le Parlement réexaminera seulement les dispositions déclarées inconstitutionnelles, afin de les mettre en accord avec la présente décision et, pour autant que cela s’impose, mettra en cohérence les autres dispositions de la loi comme opération de technique législative ».

Dans sa jurisprudence, la Cour a aussi établi que, si une loi a été déclarée inconstitutionnelle dans son ensemble, la procédure parlementaire concernant celle-ci avait définitivement cessé. C’est pourquoi, pour régir de nouveau la matière en question, le Gouvernement ou les sénateurs et les députés, le cas échéant, doivent initier respectivement un nouveau projet ou une proposition législative dans ce sens.

Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle concernant les initiatives de révision de la Constitution

La décision constatant l’inconstitutionnalité de la loi de révision s’impose au Parlement, qui est obligé de réexaminer la loi de révision et de la mettre en accord avec la décision de la Cour.

Les observations soumises à l’attention du Parlement ont le caractère de recommandation, le Parlement ayant l’exclusivité pour éliminer, compléter, modifier ou reformuler les dispositions proposées. De plus, la constatation de l’inconstitutionnalité des dispositions de modification proposées a la valeur juridique d’un avis, le Parlement étant libre de les adopter, les modifier, les compléter ou même d’y renoncer.

Si, en réexaminant la loi de révision, le Parlement garde sa forme initiale, sans la mettre en accord avec la décision de la Cour, celle-ci doit, à nouveau, se prononcer sur la constitutionnalité de la loi de révision, dans la forme votée par le Parlement après son réexamen, dans les 5 jours suivant son adoption. Bien évidemment, si elle maintient sa position, la Cour constate de nouveau l’inconstitutionnalité des dispositions en question. Ainsi, par cette attribution, la Cour constitutionnelle détient un pouvoir décisionnel significatif, justifié par les éventuelles modifications essentielles qui pourraient être apportées au projet de révision lors du processus législatif et après que la Cour se soit prononcée sur sa constitutionnalité, mais également par son rôle de garant de la suprématie de la Constitution.

Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle lors du contrôle de constitutionnalité des traités ou d’autres accords internationaux

La décision de la Cour constitutionnelle constatant l’inconstitutionnalité d’un traité ou d’un accord international faisant l’objet du contrôle empêche sa ratification, selon l’article 147, alinéa 3, deuxième phrase : « Un traité ou accord international déclaré inconstitutionnel ne peut pas être ratifié ». La saisine de la Cour constitutionnelle pour exercer le contrôle suspend la procédure de ratification du traité ou de l’accord international.

Après la publication de la décision de la Cour constitutionnelle :

  • si le traité soumis au contrôle est déclaré conforme à la Constitution, la procédure peut reprendre et la loi de ratification peut être adoptée ;
  • si l’inconstitutionnalité de certaines dispositions du traité ou de l’accord international est constatée, celui-ci ne peut plus être ratifié. Dans ce sens, l’article 11, alinéa 3 de la Constitution prévoit que : « Lorsqu’un traité, auquel la Roumanie veut devenir partie, comprend des dispositions contraires à la Constitution, il ne pourra être ratifié qu’après la révision de la Constitution ». La loi de ratification du traité ou de l’accord international peut faire l’objet d’un contrôle préalable de constitutionnalité, selon l’article 146, point a) de la Constitution, même si la Cour s’est déjà prononcée sur la constitutionnalité du traité international ratifié lors du contrôle mené en vertu de l’article 146, point b) de la Constitution.
Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle lors du contrôle de constitutionnalité a posteriori des règlements du Parlement

Les décisions de la Cour constitutionnelle constatant l’inconstitutionnalité de certaines lois ou ordonnances ou de certaines dispositions de celles-ci sont 7e CONGRÈS DE L’ACCPUF 118 généralement obligatoires (erga omnes) et ne sont pas limitées aux seules parties du procès dans le cadre duquel a été soulevé l’exception (inter partes).

La loi ou l’ordonnance ou les dispositions de celles-ci déclarées inconstitutionnelles ne peuvent plus être appliquées par aucune instance dans aucune affaire et par aucune autre autorité publique à partir de la date de la publication de la décision de la Cour constitutionnelle au Moniteur officiel. « La décision constatant l’inconstitutionnalité fait partie de l’ordre juridique normatif, et par l’effet de celle-ci, la disposition inconstitutionnelle cesse d’être applicable pour l’avenir ». Les décisions de la Cour ont un effet que pour l’avenir. Les effets juridiques produits avant le constat de l’inconstitutionnalité des dispositions légales restent valables (principe de l’application des lois dans le temps).

Selon l’article 147, alinéa 1, première phrase de la Constitution, les dispositions des lois et des ordonnances en vigueur déclarées inconstitutionnelles cessent de produire leurs effets juridiques dans les 45 jours suivant la publication de la décision de la Cour constitutionnelle si, dans cet intervalle, le Parlement ou le Gouvernement, le cas échéant, ne met pas en accord les dispositions inconstitutionnelles avec les dispositions de la Constitution. Ce texte constitutionnel est susceptible de consolider le rôle de quasi-législateur négatif de la Cour constitutionnelle.

On observe que la loi n° 177/2010 modifiant et complétant la loi n° 47/1992 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, du Code de procédure civile et du Code de procédure pénale de la Roumanie a imposé des obligations procédurales additionnelles aux instances de jugement suite à l’abrogation des anciennes dispositions de l’article 29, paragraphe 5 de la loi n° 47/1992, qui prévoyaient la suspension de droit de l’affaire suite à la saisine de la Cour constitutionnelle dans le cadre d’une exception d’inconstitutionnalité. Ainsi, tant en matière civile que pénale, on a introduit de nouveaux cas de révision des arrêts judiciaires.

Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle lors de la résolution des conflits juridiques de nature constitutionnelle

En principe, par ses décisions, la Cour constitutionnelle procède à une interprétation in concreto du texte constitutionnel source du conflit juridique. Compte tenu du fait qu’en vertu de l’article 147, paragraphe 4 de la Constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle sont généralement obligatoires, les autorités impliquées dans le conflit doivent se soumettre à la décision de la Cour, plus exactement à l’interprétation que celle-ci donne du texte constitutionnel. Ainsi, on voit que, de manière formelle, la Cour n’oblige pas les autorités à agir ou à s’abstenir d’agir d’une certaine manière, mais, par la force de l’interprétation donnée au texte constitutionnel, on impose aux autorités publiques impliquées une conduite adéquate. D’ailleurs, elles doivent aussi tenir compte des dispositions de l’article 1er, alinéa 5 corroborées avec celles de l’article 142, paragraphe 1 de la Constitution, selon lesquelles le respect de la Constitution, de sa suprématie et des lois est obligatoire. La Cour est le garant de la suprématie de la Constitution.

Par ses décisions, la Cour constitutionnelle est garante du respect de la procédure pour l’élection du président de la Roumanie et confirme le recensement des votes

L’arrêt sur la contestation de l’enregistrement ou du refus d’enregistrement des candidatures est obligatoire tant pour le Bureau électoral central que pour les acteurs impliqués dans la solution de la contestation. La décision rendue, publiée dans la partie I du Moniteur officiel de la Roumanie, est définitive.

Lorsque la Cour constate que des fraudes lors du vote ou du dépouillement sont susceptibles de modifier l’attribution du mandat ou, le cas échéant, l’ordre des candidats qui peuvent participer au deuxième tour de scrutin, l’effet de son arrêt est l’annulation des élections. Dans cette situation, la Cour demande un nouveau tour de scrutin, le deuxième dimanche suivant la date de l’annulation des élections [article 24, alinéa (1) de la Loi n° 370/2004]. L’arrêt qui valide ou annule les résultats des élections, s’impose de manière erga omnes à toutes les personnes ou autorités publiques impliquées.

Les effets de l’avis consultatif rendu par la Cour constitutionnelle pour les propositions de suspension du président de la Roumanie

Dans ce cas, l’arrêt en question est un avis consultatif, de sorte que le Parlement peut décider de le prendre en compte ou non. Puisqu’il ne s’agit pas d’un avis conforme, cet avis n’oblige aucunement le Parlement. L’avis se présente plus comme une analyse juridique indépendante de la proposition de suspension et des faits reprochés au président que comme un arrêt à caractère juridictionnel.

Les effets d’un arrêt constatant le respect de la procédure pour l’organisation et le déroulement du référendum, et validant les résultats de celui-ci.

On retient les points suivants :

  • en ce qui concerne le référendum consultatif, « l’intervention d’autres organes, le plus souvent législatifs, pour mettre en œuvre la volonté exprimée par le corps des électeurs » est obligatoire, le Parlement ne pouvant pas s’écarter de celle-ci, parce qu’une « solution législative qui ne respecte pas la volonté exprimée par le peuple lors du référendum consultatif mentionné est contraire aux dispositions constitutionnelles des articles 1, 2 et 61 ». L’arrêt de la Cour ne fait donc que confirmer la validité du référendum qui, en fin de compte, oblige le Parlement à mettre à exécution la volonté du peuple.
  • en ce qui concerne le référendum décisionnel, l’arrêt de la Cour confirme la légalité et la régularité du référendum, l’effet direct de celui-ci traduisant la volonté du corps électoral de réviser ou non la Constitution, de destituer ou non le président de la Roumanie de sa fonction.
Les effets des arrêts par lesquels la Cour statue sur les conditions de l’exercice de l’initiative législative par les citoyens

Un tel arrêt est généralement obligatoire (produit des effets erga omnes). Le constat d’un manquement des conditions pour l’exercice de l’initiative législative par les citoyens est opposable à tout sujet de droit, et le Parlement devra tenir compte de l’arrêt de la Cour. Cela a pour conséquence que les procédures parlementaires nécessaires à l’adoption de la proposition législative soutenue ne peuvent pas être pas initiées. À contraire, lorsque la Cour constate que les conditions ont été remplies, le Parlement doit respecter son arrêt.

Les effets des décisions rendues par la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des arrêts de l’Assemblée plénière de la Chambre des députés, des arrêts de l’Assemblée plénière du Sénat et des arrêts de l’Assemblée plénière des deux chambres réunies du Parlement En cas de constat de l’inconstitutionnalité d’un arrêt du Parlement, celui-ci cesse de produire des effets juridiques à la date de publication de la décision au Moniteur officiel de la Roumanie, Partie I. L’instance constitutionnelle est une sorte de quasi-législateur négatif, qui peut pas remplacer les dispositions déclarées contraire à la constitution ; par conséquent, cela oblige l’émetteur de l’acte à adopter un arrêt conforme aux exigences constitutionnelles.

 

En conclusion, selon les statistiques, en 2014, 1 446 dossiers ont été enregistrés au rôle de la Cour constitutionnelle. 114 affaires ont fait l’objet d’une décision d’admission. En 2015, sur les 995 dossiers enregistrés jusqu’à présent, 79 décisions d’admission ont été rendues.

En ce qui concerne la mise en œuvre des décisions, celle-ci se trouve à différentes étapes de la procédure législative, au cas par cas. Ainsi, dans certains cas, des lois de mise en accord de la législation avec les décisions de la Cour constitutionnelle ont été adoptées, et, dans d’autres cas, la procédure est toujours en cours.

3e session de travail : les situations de conflits ou de concurrence entre la Constitution et les normes internationales

Session présidée par Jean Spreutels, président de la Cour constitutionnelle de Belgique

Chers collègues, nous sommes encore imprégnés par la douce et lumineuse atmosphère de cette magnifique croisière sur le Lac Léman que nous a si généreusement offert hier soir le Tribunal fédéral. Je saisis l’occasion pour remercier à mon tour et de tout cœur Monsieur Kolly et son équipe pour leur chaleureuse hospitalité, ainsi que Madame Pétillon et le Secrétariat général de l’ACCPUF pour la parfaite organisation de notre conférence.

Hier, nous avons fait le point sur la place de la Constitution et celle du droit international dans l’exercice des compétences attribuées à nos juridictions. Ces normes peuvent toutefois entrer en conflit ou en concurrence ; ce sera l’objet des débats de ce matin. Chaque orateur disposera de 10 à 15 minutes. Avant cela, le Professeur Mathieu Disant va nous proposer la synthèse des réponses au questionnaire.

Synthèse des réponses au questionnaire

Mathieu Disant, professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF

1. Il ne s’agit pas ici d’évoquer les conflits formels entre Constitution et traités. Soit ceux-ci n’existent pas (du fait que les traités ne font pas partie des normes de référence du contrôle de constitutionnalité), soit ils ont vocation à être résolu par un dispositif opératoire qui conditionne a priori l’application du traité en droit interne au respect de la Constitution (ce que nous avons déjà abordé à travers le contrôle de conformité du traité à la Constitution). Encore que, dans cette dernière hypothèse, il conviendrait de réserver la question de la conformité des « anciens » traités à la Constitution nouvelle, surtout ceux qui ont été intégrés dans l’ordre interne – je pense notamment à la Tunisie.

Il s’agit de cibler les écarts entre normes constitutionnelles et normes conventionnelles dans l’exercice de contrôles parallèles ou imbriqués. Pour le dire autrement, d’analyser les conflits matériels.

Dans la pratique de vos cours, les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales semblent peu évidentes, souvent peu significatives. Les hypothèses sont d’autant plus rares que les droits fondamentaux protégés par la Constitution sont identiques au fonds commun européen ou international et que les droit reconnus coïncident largement, sauf exception particulière, avec les droits protégés par les conventions internationales.

Vous êtes une très large majorité à souligner que le problème du conflit ne s’est pas posé : Albanie, Algérie, Andorre, Bénin, Burkina, Cambodge, Congo, Madagascar, Liban, Maroc, Monaco, Mozambique, Niger, RDC, Roumanie, Tchad, Togo…

Ceci étant, il peut toujours y avoir des divergences entre normes appartenant à des ordres juridiques différents. La France a connu ce type de difficulté.

Elle a été condamnée par la Cour EDH pour violation du droit à un procès équitable, à l’occasion de l’examen d’une loi de validation pourtant jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (CEDH, Zielinski c/ France du 28 octobre 1999). Mais sa jurisprudence a évolué depuis, de façon pragmatique, dans le sens d’un alignement des critères d’appréciation pour leur donner un sens et une portée similaires aux normes conventionnelles.

De même, le Conseil constitutionnel français ne s’est jamais prononcé sur le fait de savoir si le droit au délai raisonnable de jugement faisait ou non partie du droit à un procès équitable. En revanche, le fait que le droit à l’exécution des décisions de justice soit une composante « du droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l’article 16 de la Déclaration de 1789 » (n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015), tend à rapprocher le contrôle du Conseil constitutionnel de celui exercé par la CEDH. Bref, la comparaison des curseurs n’est pas infructueuse, mais cela reste un jeu très subtil.

À défaut d’être avérés, des conflits potentiels existent toujours. On peut évoquer, dans le nouveau cadre constitutionnel tunisien, le cas du droit des femmes en matière de mariage avec des non-musulmans ainsi que les questions d’héritage, à l’aune de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination, à l’égard de laquelle les réserves ont été levées par la Tunisie.

2. La question de fond qui est posée est celle de l’équivalence de protection des droits.

Si certaines cours évoquent une protection supérieure au niveau international (comme la Côte d’Ivoire), d’autres considèrent, comme le fait explicitement le Tribunal d’Andorre, que « l’ordonnancement constitutionnel contient, sans le moindre doute, des niveaux de protection des droits constitutionnels qui sont supérieurs et d’une plus grande intensité que ceux offerts par [la] Convention EDH » (affaire 2000-3-RE, arrêt du 12 mai 2000).

Vous considérez largement que la Constitution garantit, pour l’essentiel, une protection des droits et des libertés au moins similaire aux dispositions internationales dans les domaines des libertés fondamentales. Les sujets qui illustrent cette équivalence concernent particulièrement : la dignité humaine, l’interdiction des discriminations, la protection de la vie privée, le droit à la famille, ou le droit au procès équitable…

Certaines constitutions ont incorporé des instruments internationaux en les plaçant comme un standard qui ne saurait être constitutionnellement méconnu – ainsi par exemple l’Albanie à l’égard de la Convention EDH et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Ceci étant, rares sont les cours ayant posé une règle de présomption de protection équivalente entre normes internes et internationales, et moins encore une règle de substitution.

Certaines cours, telles celle de Moldavie, estiment qu’elles peuvent établir un degré de protection plus élevé des droits et des libertés fondamentaux au regard du degré de protection minimal établi par la jurisprudence européenne. En Slovénie, le principe de protection maximale des droits de l’homme, inscrit dans le texte constitutionnel (article 15 al. 5), garantit une protection équivalente par rapport aux sources internationales. Ces techniques relèvent du principe de l’addition des garanties ; principe qui existe aussi en Belgique, il vise à procurer la meilleure protection possible et éviter les conflits entre les différents catalogues de droit fondamentaux.

Pour autant, la garantie instituée par la Constitution n’est pas toujours équivalente à celle offerte par les dispositions conventionnelles.

En Belgique, un exemple de différence importante de protection concerne le droit de propriété. La Constitution n’envisage la protection de la propriété que dans le cas de l’expropriation. L’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention EDH a, quant à lui, une portée plus large, il vise à encadrer les atteintes portées aux intérêts économiques des individus et à leurs acquis sociaux.

Un autre exemple est celui du secret des correspondances. La Constitution belge prévoit, en son article 29, que le secret des lettres est inviolable et ce, de manière absolue. Cette disposition date de 1831. La Convention EDH, quant à elle, prévoit en son article 8 que des ingérences sont possibles, à certaines conditions, dans le droit au respect de la vie privée.

En revanche, lors de l’adoption de dispositions plus récentes, le constituant a généralement cherché à établir une concordance entre les garanties constitutionnelles et les garanties conventionnelles. L’exemple le plus évident à cet égard est la dernière révision totale de la Constitution fédérale suisse, pour laquelle il a été tenu compte, pour chaque droit fondamental, des dispositions contenues dans la Convention EDH et dans les deux pactes ONU.

3. Comment interpréter le fait qu’il y aurait peu de conflit – du moins, peu de situations qualifiées comme tel ? Cela tient principalement à l’influence du droit international sur l’interprétation de la Constitution et à la démarche préventive déployée par la plupart des cours.

À quelques exceptions près (en particulier au Cambodge ; mais aussi au Tchad, Algérie, Tunisie, Bulgarie), vos cours tiennent compte des instruments internationaux garantissant des droits et libertés fondamentaux lorsqu’elle contrôle la conformité de normes législatives avec les droits et libertés garantis par la Constitution. Tenir compte, cela veut dire a minima que vos cours sont attentives à la jurisprudence internationale, notamment celle de la Cour EDH dans le domaine de la limitation des droits (comme le souligne Monaco). À maxima elles s’efforcent, comme l’indique la Slovénie, d’interpréter la Constitution en conformité avec ces traités internationaux ou, pour le dire plus sobrement, au regard de ces dispositions. Elles s’y réfèrent explicitement (ce qui est assez courant) ou implicitement (Cameroun, France, Roumanie, Tunisie). Étant entendu que les arguments internationaux peuvent ainsi être présentés comme des arguments additionnels ou comme argument principal, cette dernière situation étant plus rare (c’est celle rencontrée en Slovénie).

La fréquence de cette démarche est soulignée par la Suisse qui en fait un véritable principe méthodologique, en ces termes : « lorsqu’il existe plusieurs interprétations possibles [de la Constitution], cette dernière doit être interprétée de façon à ce qu’elle n’entre pas en conflit avec les normes de droit international ». Pour le dire autrement, parmi diverses interprétations possibles, il convient de retenir celle qui évite un conflit de normes. Un adage pourrait résumer la situation : interprétation conflictuelle ne vaut !

Cette démarche appelle plusieurs précisions.

Premièrement, elle peut ou non procéder d’une obligation juridique formelle. C’est le cas par exemple en Moldavie (art. 4 de la Constitution) et en Roumanie (Art. 20 § 1 de la Constitution) où il est prévu que les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens sont interprétées et appliquées en concordance avec la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est le cas aussi au Mozambique où la Constitution, à son article 43, prévoit que l’interprétation des droits fondamentaux constitutionnels « doit être intégrée en harmonie avec le DUDH et la CADH ». C’est le cas encore, sous une autre forme, en Suisse où la Constitution fédérale pose l’obligation générale de concilier le droit international et le droit interne (article 5 al. 4).

Mais ce n’est pas le cas partout, notamment en Andorre ou en France, où le Conseil constitutionnel n’a pas à faire dépendre l’interprétation de la Constitution des dispositions internationales, ce qui n’empêche pas de fait d’y être attentif. On peut analyser cette situation, au plan interne, comme une simple faculté, à défaut d’une influence directe et impérative. Mais quoi qu’il en soit, chacun perçoit qu’il n’est pas possible de faire l’économie des éventuels conflits interlégaux – pour reprendre l’expression du Canada, ne serait-ce que pour éviter de placer le pays en violation de ses obligations internationales, autant que faire se peut.

Deuxièmement, il est rare que vos constitutions ou vos jurisprudences reconnaissent expressément une valeur juridique aux décisions des juridictions internationales, sauf en Moldavie (arrêt n° 42 du 14 décembre 2000) et en Slovénie (n° U-I-65/05 du 29 septembre 2005). Certaines cours soulignent à l’inverse qu’elles ne sont aucunement tenues par la jurisprudence internationale (not. Bénin, Congo).

La jurisprudence de la Cour EDH et celle de la CJUE font exception à certains égards, compte tenu de la fréquence et de l’ampleur des références, mais aussi de la portée reconnue à leur jurisprudence qui en fait parfois une véritable source du droit positif.

Le cas de la Cour belge est tout à fait significatif. Celle-ci est, de manière générale, fidèle aux jurisprudences de ces cours européennes, au point que la doctrine pu qualifier son attitude, à l’égard de la jurisprudence strasbourgeoise, de « docile ». On peut considérer à cet égard qu’elle reconnaît aux décisions de ces juridictions une « autorité de chose interprétée ».

Même en France, des tempéraments sont apportés à la règle de principe qui nie valeur juridique aux décisions des juridictions internationales.

En premier lieu, ces décisions peuvent être prises en compte pour déterminer le sens et la portée des dispositions d’un engagement international dont est saisi le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 54 de la Constitution. En second lieu, le Conseil constitutionnel tient compte, afin de déterminer la marge de manœuvre du législateur, des décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne qu’il a saisi, en 2013, d’une question préjudicielle (décision no 2013-314P QPC du 4 avril 2013). On notera que la Cour slovène a fait de même (affaire no U-I-295/13).

4. Quoi qu’il en soit, il ressort clairement que la jurisprudence des juridictions internationales influence celles de vos cours. On peut parler de « force interprétative » (Mozambique), d’« influence majeure » (Suisse), de « valeur morale » (Tunisie), de source « pertinente et persuasive » d’interprétation (Canada) ou tout du moins de source d’inspiration (Congo), et d’élément de « cohérence » (France). Autant de qualifications qui – comme le fait observer le Canada – supposent a contrario le rejet d’un lien de filiation entre les régimes juridiques. Cette influence est parfois modeste (comme le précise la Côte d’Ivoire), mais elle est globalement croissante dans toutes les situations où les droits sont analogues ou proches.

De façon symptomatique, on peut relever l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle française sur les validations législatives (décision 366 QPC du 14 février 2014). De nombreux autres exemples vont dans le même sens, avec notamment les décisions sur les visites domiciliaires, l’appel de l’accusé en fuite, l’application des exigences d’impartialité aux autorités administratives indépendantes, la portée de la liberté d’expression et l’exception de vérité des faits diffamatoires, les exigences applicables aux expropriations pour cause d’utilité publique… Ainsi que l’a fait observer le président Debré à l’occasion du 5e anniversaire de la question prioritaire de constitutionnalité, « il n’est pas de semaine où le Conseil ne cherche à analyser sa jurisprudence au regard de celle de la Cour de Strasbourg ».

En Belgique, il convient de rappeler que la Cour accueille les arguments des parties fondés sur les instruments internationaux, à la condition qu’ils soient combinés avec l’invocation d’une disposition constitutionnelle (une logique comparable est relevée en Roumanie). La Cour inclut parmi les normes de référence, même d’office, les dispositions internationales qui garantissent de manière analogue les droits constitutionnels dont la violation est invoquée. Et, on l’a dit, la Cour se réfère explicitement et abondamment à l’interprétation des droits fondamentaux donnée par les jurisprudences de la Cour EDH et de la CJUE.

La Cour suprême du Canada, elle aussi, tient compte régulièrement et expressément des instruments de droit international, et ce, indépendamment du caractère contraignant ou non de la source internationale. Par exemple, la Cour utilise la Conv EDH et même la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, sans se soucier qu’il s’agit d’un régime international dont le Canada ne fait pas et ne peut faire partie. Il est fait état qu’environ 85 % des références au droit international des droits humains faites à la Cour suprême du Canada emprunte à la Convention européenne et à la jurisprudence de sa Cour. C’est cette même ouverture qui a conduit la cour canadienne à interpréter la loi sur le droit d’auteur en faisant référence à une directive de l’Union européenne sur le commerce électronique. Il n’y a aucune réticence à l’égard de la nature de ces sources internationales, aucune hésitation à faire référence à elles, y compris dans leurs aspects de droit mou.

Pour évoquer un dernier exemple, au Niger, la Cour constitutionnelle s’est appuyée sur l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 pour reconnaître à tout membre d’un groupe parlementaire le droit d’être éligible à un poste affecté à son groupe (arrêt n° 004/CC/MC du 2 mai 2014). La Cour a ainsi levé une ambiguïté quant à l’interprétation du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

En définitive, grâce à ces méthodes, les conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international sont rares en matière de droits de l’homme. Au lieu de conflits, ce qui se vérifie dans la pratique, ce sont des difficultés inhérentes à l’organisation institutionnelle de la garantie des droits fondamentaux, et tout au plus des situations de concurrence qui ne sont pas véritablement de nature à remettre en cause directement la suprématie de la Constitution, ni formellement (ce qui relève d’une position catégorique que nous avons rappelé lors de la 1re session), ni matériellement (ce qui repose sur le déploiement de techniques de protection équivalente).

L’influence des normes internationales au Canada : l’approche de la Cour suprême du Canada en cas de conflits ou de concurrence avec le droit interne

Richard Wagner, juge à la Cour suprême du Canada

I. Remarques liminaires

Au Canada comme ailleurs, la question des situations de conflits ou de concurrence entre la Constitution et les normes internationales évoque, a priori, la question plus fondamentale de la relation entre le droit interne et le droit international. À maintes reprises, la Cour suprême du Canada a été appelée à se prononcer à ce sujet et ce, dans le cadre d’un vaste éventail de domaines du droit, notamment ceux de l’immigration et des droits de la personne, mais aussi ceux du droit du travail, du droit commercial et du droit criminel.

L’influence du droit international au Canada est certes incontestable. Or, cette influence est particulièrement remarquable depuis l’avènement de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982. La Charte canadienne, qui a valeur constitutionnelle, s’inspire d’ailleurs largement de divers traités internationaux, particulièrement la Déclaration universelle des droits de l’homme de même que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [1]. Qui plus est, les lois fédérales canadiennes incorporent de nombreuses règles issues du droit international, que l’on pense aux domaines de l’aéronautique, du droit maritime, de l’environnement, de la fiscalité ou du commerce international, entre autres [2].

Compte tenu de la place considérable qu’occupe le droit international dans le contexte juridique canadien, il n’est pas étonnant que la Cour suprême ait été saisie à de nombreuses reprises de questions relatives à l’étendue de l’application du droit international. Aujourd’hui, pour les fins de notre session de travail, je me propose donc de passer en revue quelques arrêts choisis afin de vous exposer la démarche canadienne en la matière, y compris lorsqu’il est question de conflits ou de concurrence entre le droit international et le droit interne canadien.

II. Retour sur les principes d’application du droit international au Canada

Nonobstant son importance au Canada, le droit international appartient néanmoins à une sphère qui demeure indépendante de celle du droit interne canadien. L’intégration du droit international au droit interne dépend en fait de la source de droit international en cause, selon qu’il s’agisse d’une coutume ou d’un traité. En ce qui a trait à la coutume, l’incorporation au droit interne est automatique. Comme l’a récemment rappelé la Cour suprême du Canada : « L’incorporation automatique des règles prohibitives du droit international coutumier se justifie par le fait que la coutume internationale, en tant que droit des nations, constitue également le droit du Canada à moins que, dans l’exercice légitime de sa souveraineté, celui-ci ne déclare son droit interne incompatible [3]. »

Il en va autrement de l’intégration des règles internationales découlant de traités ou de conventions signés par le Canada, lequel est un pays de tradition dualiste en la matière, comme le veut le modèle britannique. La Cour suprême du Canada l’a confirmé en ces termes et je cite : « [À] moins qu’une disposition d’un traité n’exprime une règle du droit international coutumier ou une norme impérative, cette disposition ne deviendra exécutoire en droit canadien que s’il lui est donné effet par l’intermédiaire du processus d’élaboration des lois du Canada [4]. » Fin de la citation.

Cependant, qu’il soit question d’obligations découlant du droit international coutumier ou d’un traité, le principe de conformité avec le droit international demeure le point de départ eu égard à l’application du droit international dans tous les cas. Il s’agit d’une présomption applicable en matière d’interprétation législative dont le but est précisément de minimiser les situations de conflits ou de concurrence entre le droit interne et les normes internationales : « Cette présomption se fonde sur le principe judiciaire selon lequel les tribunaux sont légalement tenus d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait la contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un tel résultat [5]. »

Voilà donc pour la toile de fond à laquelle donnent lieu les principes d’application du droit international au Canada. Or, si ces principes sont somme toute assez clairs, il reste que le droit international est en évolution constante, et la Cour suprême du Canada, comme tout tribunal, se doit de faire preuve de discernement en abordant l’interaction entre le droit international et son droit interne, et à plus forte raison sa Constitution [6]. C’est dans cet esprit que je souhaite, aujourd’hui, vous faire part d’exemples illustrant la démarche canadienne.

III. L’affaire Baker : L’influence des obligations internationales sur le droit interne canadien

Mon survol de la jurisprudence canadienne au sujet de l’influence du droit international commence avec une affaire relative au droit de l’immigration qui remonte à 1999. La partie demanderesse dans cette affaire, une mère d’enfants nés au Canada, cherchait à être dispensée de certaines exigences imposées par la loi canadienne sur l’immigration pour des raisons d’ordre humanitaire, et spécifiquement dans l’intérêt de ses enfants. La loi en cause comporte effectivement des dispositions qui autorisent une telle dispense pour des raisons humanitaires, mais elle est muette quant aux intérêts des enfants et ce, nonobstant le fait que le Canada soit signataire de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La question posée devenait alors la suivante : « Vu que la loi sur l’immigration n’incorpore pas expressément le langage des obligations internationales du Canada en ce qui concerne la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, les autorités d’immigration fédérales doivent-elles considérer l’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un requérant sous le régime […] de la loi sur l’immigration ? »

La majorité de la Cour suprême a répondu à cette question par l’affirmative. Sous la plume de la juge Claire L’Heureux-Dubé, la Cour a souligné que les valeurs exprimées par le droit international des droits de la personne peuvent être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois canadiennes [7]. Concrètement, cela signifie que toute décision prise sous l’égide de la loi sur l’immigration à des fins humanitaires doit tenir compte des engagements pris par le Canada, en l’occurrence ceux découlant de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, même si cette convention n’a pas été mise en vigueur par le Parlement. Toute décision contraire, c’est-à-dire « incompatible avec la tradition humanitaire du Canada [8] » pourra être écartée au motif qu’elle est déraisonnable. Plus de quinze ans après avoir été rendu, l’arrêt Baker demeure une référence en la matière et sert d’illustration éloquente du droit international en tant que « source pertinente et persuasive » au Canada, notamment en ce qui a trait aux droits de la personne [9].

Toujours dans le même esprit, la Cour suprême n’hésite pas à comparer, au besoin, les valeurs canadiennes à celles de pays dits « comparables » afin de mesurer la tendance internationale, par exemple dans le contexte de la peine de mort.

Enfin, il n’est pas sans intérêt de noter que la Cour s’est livrée tout récemment à un exercice semblable dans le contexte de l’euthanasie, justifiant en partie un revirement de sa jurisprudence – qui jusqu’à alors ne reconnaissait pas le droit à l’euthanasie – du fait qu’un nombre grandissant de pays autorisent dorénavant une certaine forme d’aide à mourir [10].

IV. L’affaire Kazemi : Les limites à l’application du droit international

Passons maintenant à jugement plus récent de la Cour suprême du Canada qui a été décidé l’année dernière, à savoir l’affaire Kazemi. Il s’agit d’une affaire tristement célèbre de par ses faits : Mme Kazemi, une citoyenne canadienne qui exerçait le métier de photographe et de journaliste, s’était rendue en Iran et a été arrêtée alors qu’elle photographiait des personnes qui protestaient à l’extérieur d’une prison à Téhéran. Au cours de sa détention, elle a été battue, agressée sexuellement et torturée, et elle est décédée des suites de ses blessures quelques semaines plus tard. Son fils, n’ayant pu obtenir réparation en Iran, a intenté au Québec une action civile contre l’Iran, le chef d’État de l’Iran et deux agents de l’État pour la torture alléguée et le décès de sa mère.

La question principale que soulevait cette action portait sur l’immunité de juridiction, à savoir plus particulièrement si le droit international exige une interprétation de la loi canadienne sur l’immunité des États qui reconnaîtrait une exception au principe de l’immunité dans les cas de torture.

La Cour suprême a répondu à cette question par la négative. Dans un premier temps, elle a rappelé que l’immunité des États est depuis fort longtemps une règle générale du droit international coutumier. La Cour a également noté que cette norme internationale a néanmoins évolué, notamment depuis la Seconde guerre mondiale, et qu’un certain nombre d’exceptions sont venues s’y greffer, entre autres en matières commerciale et criminelle, et aussi en cas d’activités terroristes [11]. De telles exceptions figurent d’ailleurs dans la loi canadienne sur l’immunité des États, mais on n’y retrouve pas une exception relative à des recours analogues à celui en cause dans l’affaire Kazemi, c’est-à-dire en cas de poursuites civiles fondées sur des actes de torture commis à l’étranger.

L’absence d’une exception explicite prévue à la législation canadienne doit-elle faire obstacle à l’immunité de juridiction alors même que le droit international interdit la pratique de la torture ? Y a-t-il, dans ce cas de figure, un conflit entre le droit canadien en matière d’immunité et la norme internationale impérative qu’est devenue la prohibition contre la torture ? La Cour, en réfutant l’existence d’un tel conflit et, du coup, en reconnaissant que l’immunité de juridiction devait être maintenue en l’espèce, a néanmoins tenu à nuancer le débat en ces termes et je cite :

Le Canada ne cautionne pas la torture, et ses fonctionnaires ne sont pas non plus autorisés à se livrer à des actes de cette nature. Toutefois, la question dont nous sommes saisis en l’espèce n’est pas celle du caractère odieux ou illégal de la torture. Ceci est certain. La Cour doit décider si une personne peut poursuivre un État étranger devant les tribunaux canadiens pour un acte de torture commis à l’étranger. La réponse à cette question dépend de l’interprétation de la [loi canadienne sur l’immunité des États] et du rapport entre, d’une part, cette loi et, d’autre part, le droit international, la Charte et la Déclaration [canadienne] des droits [12]. Fin de la citation.

Au final, selon la Cour, le libellé de la loi canadienne sur l’immunité des États écarte le droit international comme source de nouvelles exceptions, y compris en cas de torture [13]. Elle en arrive à cette conclusion ainsi en précisant que « [l]’état actuel du droit international sur les réparations destinées aux victimes de torture ne modifie pas la loi et ne la rend pas ambiguë [14] » et aussi qu’« [o]n ne saurait utiliser le droit international pour étayer une interprétation à laquelle fait obstacle le texte de la loi » [15]. Ceci étant dit, la Cour s’est également empressée d’ajouter que si le libellé de la loi canadienne sur l’immunité des États avait été ambiguë à cet égard, il aurait été loisible à la Cour de faire appel au droit international afin d’« en préciser le sens » [16].

V. L’affaire Thibodeau : L’interprétation d’un traité en conflit avec la protection plus étendue conférée par le droit interne canadien

Si l’affaire Kazemi se veut l’illustration des limites de l’application du droit international au Canada, notamment lorsque l’on cherche à étendre la portée du droit interne par application du droit international, l’inverse a été illustré par l’affaire Thibodeau [17], décidée il y a à peine quelques mois. Il était question, dans cette affaire, d’un traité dont l’application pouvait en fait restreindre la protection conférée par le droit interne canadien en matière de droits de la personne, dans ce cas-ci des droits linguistiques.

Les demandeurs dans cette affaire, M. et Mme Thibodeau, reprochaient au transporteur aérien Air Canada d’avoir violé la loi canadienne sur les langues officielles en omettant de les servir en français sur des vols internationaux. Il n’était pas contesté que le transporteur aérien avait effectivement manqué à ses obligations, mais ce dernier contestait les demandes de dommages-intérêts en invoquant la limite de la responsabilité à l’égard des dommages prescrite par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, laquelle limite effectivement ce qu’autoriserait autrement le droit interne canadien : « La question des dommages-intérêts se situe au croisement de l’engagement du Canada envers les langues officielles au pays et de son engagement international envers un régime exclusif et uniforme de responsabilité pour dommages des transporteurs aériens internationaux. Cette question met donc en jeu deux valeurs importantes [18]. »

La majorité de la Cour suprême a donné raison au transporteur aérien en ces termes :

« Le régime de responsabilité uniforme et exclusif pour les dommages établi par la Convention de Montréal à l’égard des transporteurs aériens internationaux ne permet pas d’accorder des dommages-intérêts en cas de violation de droits linguistiques lors d’un transport aérien international. Tirer la conclusion contraire dénaturerait le libellé et l’objet de la Convention de Montréal, irait à l’encontre des obligations internationales que celle-ci impose au Canada et exclurait le Canada du solide consensus international qui existe sur sa portée et ce fases effets. Le pouvoir général que confère la [loi canadienne sur les langues officielles] d’accorder une réparation convenable et juste ne peut – et ne doit pas – être interprété comme autorisant les tribunaux canadiens à déroger aux obligations internationales qui incombent au Canada en application de la Convention de Montréal [19].

Ce faisant, la majorité dans l’affaire Thibodeau a cherché à concilier, d’une part, les normes imposées par le droit interne canadien, en l’occurrence la loi canadienne sur les langues officielles et, d’autre part, celles découlant du traité international qu’est la Convention de Montréal.

Suivant cette démarche, la majorité était d’avis qu’en l’espèce, il n’y avait pas conflit, mais plutôt chevauchement entre les normes en cause, si bien qu’il n’y avait pas lieu de déterminer si l’une devait primer sur l’autre. Or, la Cour fut divisée à cet égard. La dissidence, à laquelle j’ai souscrit, a préféré une démarche axée sur l’intention des États signataires de la Convention de Montréal, en rappelant ce qui suit et je cite :

L’interprétation d’un traité est un exercice de discernement. Une réponse claire et sans équivoque se dégage rarement avec certitude du sens littéral des mots. Il faut donc saisir l’intention des États parties en examinant de bonne foi non seulement les mots en cause, mais aussi le contexte, l’historique, l’objet et le but du traité dans son ensemble. Soit dit en tout respect, cet exercice mène à la conclusion que l’article 29 de la Convention de Montréal ne régit pas à titre exclusif tous les dommages dont les transporteurs peuvent être tenus responsables pendant le transport aérien international [20].

Je me permets d’ajouter que la dissidence a également voulu exprimer la mise en garde suivante et je cite :

Enfin, bien que ce ne soit pas déterminant, nous ne pouvons pas négliger le fait que nous sommes en présence d’un traité commercial. Notre Cour a souvent affirmé que le droit national devait être interprété généreusement, en accord avec le droit international et ses valeurs en matière de droits de la personne. Elle n’a jamais dit que le droit international devait être interprété de façon à affaiblir les droits de la personne protégés par le droit national.

Tout comme le Parlement n’est pas présumé légiférer en violation d’un traité, il ne saurait être présumé mettre en œuvre des traités qui éteignent des droits fondamentaux protégés par la législation nationale [21].

Cette affaire illustre parfaitement la difficulté, voire la tension que provoquent parfois les situations de conflits ou de concurrence entre le droit international et le droit interne. Le moindre que l’on puisse dire est que la question demeure d’actualité.

VI. Conclusion

Bien entendu, ce bref survol de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada ne se veut pas exhaustif. Le nombre de dossiers de la Cour suprême du Canada soulevant des questions relevant du droit international est sans cesse croissant, surtout depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés il y a maintenant plus de trente ans. À l’ère de l’internationalisation sous toutes ses formes, il est fort à parier que cette tendance ne risque pas de s’estomper. Notre discussion aujourd’hui tombe donc à point nommé.

S’il est vrai que dans un tel contexte il y a lieu de faire preuve d’ouverture, il est tout aussi vrai que les cours constitutionnelles saisies de telles questions doivent faire preuve de discernement. C’est dans cette perspective que j’ai souhaité vous faire part de la démarche de la Cour suprême du Canada en la matière.

Sur ce, je vous remercie de votre attention.


  • [1]
    Cf. « La suprématie de la Constitution », Rapport canadien préparé dans le cadre du 7e Congrès triennal de l’ACCPUF (avril 2015) (ci-après « Rapport canadien ») à la p. 364.  [Retour au contenu]
  • [2]
    A. de Mestral et E. Fox-Decent, « Rethinking the Relationship Between International and Domestic Law », (2008) 53 R.D. McGill 573 à la p. 578.  [Retour au contenu]
  • [3]
    R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292, 2007 CSC 26 au para. 39.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, [2014] 3 R.C.S. 176, 2014 CSC 62 au para. 149.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Hape au para. 53.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Kazemi au para. 150.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au para. 70.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Baker au para. 75.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Cf. Rapport canadien à la p. 365. L’expression « source pertinente et persuasive » vient du juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 (au para. 60) : « En somme, bien que je ne croie pas que les juges soient liés par les normes du droit international quand ils interprètent la Charte, il reste que ces normes constituent une source pertinente et persuasive d’interprétation des dispositions de cette dernière, plus particulièrement lorsqu’elles découlent des obligations internationales contractées par le Canada sous le régime des conventions sur les droits de la personne. »  [Retour au contenu]
  • [10]
    Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Kazemi aux para. 38 et suivants.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Kazemi aux para. 52-53.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Kazemi au para. 58.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Kazemi au para. 60.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Kazemi au para. 60.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Kazemi au para. 63.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Thibodeau au para. 3.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Thibodeau au para. 6.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Thibodeau au para. 140.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Thibodeau aux para. 170-171.  [Retour au contenu]

Le contrôle de constitutionnalité, droit de l’union européenne et convention européenne des droits de l’homme (France)

Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel Français

Nous avons assisté, depuis quelques années, au sein du Conseil constitutionnel, à une révolution, notamment en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité, combiné avec le droit de l’Union européenne, le droit de la Convention européenne et les droits de l’homme. Pendant près de 45 ans, en France, la Constitution a été au sommet de la hiérarchie des normes dans l’ordre interne. Le Conseil constitutionnel n’est pas, en principe, juge du respect du droit de l’Union européenne ou de la Convention européenne des droits de l’homme. Lors de mon arrivée au Conseil constitutionnel, tout ceci a changé. Avec la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et l’introduction en France du contrôle a posteriori, entré en application en 2010, le dialogue des juges nationaux et européens s’est profondément renouvelé. Cela a conduit à un rapprochement manifeste des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité.

Pour l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, le législateur français a distingué les moyens de constitutionnalité et de conventionnalité en imposant au juge d’étudier s’il y avait lieu de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, même si le moyen de conventionnalité était susceptible d’être accueilli. La position du Conseil constitutionnel tient en trois points. En premier lieu, nous avons décidé qu’à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, soit d’un contrôle a posteriori, il appartient au juge administratif et au juge judiciaire de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher qu’une disposition incompatible avec le droit de l’Union européenne produise des effets. En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel a précisé que des dispositions relatives à la question prioritaire de constitutionnalité ne privent aucunement le juge de son pouvoir de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, y compris lorsqu’il transmet une question prioritaire de constitutionnalité. En troisième lieu, l’exigence constitutionnelle de transposition des directives ne figure pas dans les droits et libertés que la Constitution garantit au sens de l’article 61 de la Constitution française. Cette exigence n’est pas invocable par les justiciables dans le cadre de la QPC.

Trois illustrations peuvent être citées, prouvant que les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité se rapprochent, alors qu’il s’agit de principes séparés. Premièrement, en matière de procédure, le Conseil constitutionnel a intégré les notions de délai raisonnable, d’impartialité, d’égalité des armes et de publicité des débats, qui font écho à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en matière de procès équitable. Nous avons ainsi mis en place une procédure contradictoire, une audience publique retransmise sur notre site Internet, et j’ai introduit dans le règlement du Conseil constitutionnel la possibilité de récuser un membre à l’occasion d’une QPC.

Deuxièmement, le Conseil tient compte de la jurisprudence de la CEDH. Ainsi, les jurisprudences relatives aux lois de validation des deux institutions convergent désormais. Par une décision du 14 février 2014, le Conseil constitutionnel a exigé que l’atteinte au droit des personnes résultant de la loi de validation soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. Ce faisant, il a expressément souligné que son contrôle des lois de validation, fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, a la même portée que le contrôle assuré sur le fondement des exigences résultant de la CEDH. Dans notre jurisprudence, de nombreux exemples témoignent de ce rapprochement, comme la décision du Conseil sur les visites domiciliaires, sur l’appel de l’accusé en fuite, sur la portée de la liberté d’expression et l’exception de vérité des faits diffamatoires, les exigences applicables aux expropriations d’utilité publique ou, récemment, l’absence de cumul des poursuites. Nous nous entendons mutuellement pour éviter que nos jurisprudences ne divergent trop.

Troisièmement, le rapprochement est mutuel. La CEDH rend, postérieurement à une décision du Conseil constitutionnel sur les mêmes affaires, des décisions qui s’en inspirent. Tel a été le cas dans l’affaire Cadène contre France à propos d’amendes forfaitaires où la Cour européenne a pris acte du fait que selon le Conseil constitutionnel français, l’impossibilité de saisir la juridiction de proximité était incompatible avec le droit à un recours juridictionnel effectif, et a conclu à une violation de l’article 6 de la Convention. Plus récemment, dans la décision SAS contre France du 1er juillet 2014, à propos de la loi du 11 octobre 2010 sur la dissimilation des visages dans l’espace publique, la Cour a rejoint la décision du Conseil constitutionnel sur la même en loi. En délivrant un brevet de conventionnalité sans être identique sur le plan de la motivation, ces deux décisions se rejoignent sur l’essentiel. Ainsi, lorsque le Conseil constitutionnel relève l’existence de pratiques qui méconnaissent les exigences minimales de la vie en société, justifiant l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public, la Cour européenne considère également que la loi du 11 octobre 2010 est proportionnelle au but poursuivi, à savoir la préservation des conditions du vivre ensemble.

Si le Conseil constitutionnel n’est pas juge de la conventionnalité de la loi, il veille à prendre ses décisions en ayant analysé avec soin la jurisprudence des cours de Luxembourg et de Strasbourg. Il cherche à ce que sa jurisprudence soit en cohérence avec celles de ces cours, qui partagent avec lui les mêmes objectifs et idéaux. En saisissant la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, le Conseil a donné une preuve indubitable de sa volonté du dialogue des juges et de sa conviction que, sans ce dialogue, il n’y aurait pas de progrès des droits dans l’Union européenne. Pour autant, il peut s’éloigner de la jurisprudence des cours. Plus que la réalité juridique, il importe que le dialogue des juges européens, quelle que soit leur mission, converge pour faire progresser, dans notre pays, un droit commun, une pratique commune et un dialogue essentiel à la démocratie. Alors qu’il n’existait pas de contrôle de conventionnalité en France pendant 45 ans, avec le contrôle a priori, nous nous inscrivons dans une évolution très intéressante, permise par les textes mais surtout favorisée par les hommes et les femmes qui composent les juridictions européennes et françaises. Il n’y a pas d’avenir sans dialogue des juges.

La suprématie de la Constitution en période de crise (Niger)

Oumarou Narey [1], conseiller à la Cour constitutionnelle du Niger, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences économiques et juridiques de l’Université Abdou Moumouni de Niamey

Sous sa plume, Alexander Hamilton a pu noter qu’« une constitution est en fait une loi fondamentale et doit être regardée par les juges comme telle. Il leur appartient donc de dégager son sens comme celui de tout acte émanant du législateur. S’il apparaît une contrariété irréductible entre les deux, c’est le texte dont la force et la valeur sont supérieures qui doit être évidemment préféré ; en d’autres termes, la constitution doit être préférée à la loi, la volonté du peuple à celle de ses représentants » [2]. Si cette logique juridique, c’est-à-dire la suprématie de la constitution par rapport à la loi, est vérifiée en dehors de toute instabilité, elle n’en demeure pas moins contrariée dans un contexte de crise politique et institutionnelle grave ou mineure.

Selon la doctrine du droit constitutionnel, la suprématie de la Constitution signifie tout d’abord qu’elle est la norme supérieure, celle qui prime sur toutes les autres règles de par leurs statuts [3]. La Constitution est le dernier rempart, l’ultime barrière à l’abus du pouvoir. La Constitution est ensuite la meilleure garantie contre l’arbitraire du pouvoir politique. C’est le premier niveau de protection contre les risques d’arbitraire de la loi, au profit des citoyens [4]. Elle est enfin la véritable norme juridique qui impose aux pouvoirs publics, autorités administratives, civiles, militaires et juridictionnelles ainsi qu’à tous les citoyens, les limites à ne pas franchir [5].

Quant à la période de crise, elle est entendue, ici, comme les circonstances ou les situations de conflits, parfois violents, pendant lesquelles le fait politique prime sur le droit et la hiérarchie des normes juridiques est soit mise sur orbite, soit dévalorisée ou ne présente aucune importance. Or, en tant que norme suprême, la Constitution d’un État bénéficie originellement d’un certain prestige, symbole fort marquant son identité et son évocation qui sont censés fédérer le corps politique autour des principes, valeurs et aspirations qui la sous-tendent.

La suprématie de la Constitution a en effet été consacrée aux États-Unis d’Amérique en 1803, avec l’arrêt de la Cour suprême : Marbury v. Madison [6]. Cette logique juridique fera ensuite fortune de manière irréversible sur les continents américain et européen, au point aujourd’hui que la suprématie de la constitution est constamment invoquée, tantôt devant le juge ordinaire, tantôt devant la juridiction spécialisée. Ainsi, la constitution n’échappe pas aux contentieux, dans la mesure où elle légitime la production du droit, dérivée de ses institutions. Elle devient la norme de référence, c’est-à-dire que les normes dérivées doivent respecter tant la forme que le fond des prescriptions constitutionnelles [7]. Il s’agit là de l’œuvre du grand maître de Vienne, Hans Kelsen, qui souligne avec autorité la particularité que présente le droit de régler lui-même sa propre création : « […] en accord avec le caractère dynamique de l’unité des ordres juridiques, une norme est valable si et parce qu’elle a été créée d’une certaine façon, celle que détermine une autre norme ; cette dernière constitue ainsi le fondement immédiat de la validité de la première. Pour exprimer la relation en question, on peut utiliser l’image spatiale de la hiérarchie, du rapport de supériorité-subordination : la norme qui règle la création est la norme supérieure, la norme créée conformément à ses dispositions est la norme inférieure. L’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée […] d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques » [8]. Cette idée de la hiérarchie des normes peut se définir comme l’établissement d’un ordre juridique supposant le respect par la norme inférieure d’une ou plusieurs normes supérieures. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Kelsen : « tout acte juridique est à la fois application d’une norme supérieure et création, réglée par cette norme, d’une norme inférieure » [9]. Dans ce système kelsenien de la hiérarchie pyramidale des normes, on y trouve au sommet la norme-mère – Grundnorm – celle qui commande tout le système juridique, à laquelle sont subordonnées directement ou non les autres normes. Cette suprématie de la Constitution devait naguère être garantie par un système de « balance des pouvoirs » plus connu sous l’appellation de séparation des pouvoirs conçue par Charles Montesquieu [10] et perpétuée par d’autres auteurs [11]. C’est ainsi que s’est peu à peu imposée l’idée que la primauté de la Constitution sur les autres normes pouvait être mieux assurée par la juridiction constitutionnelle [12] qui s’est développée et répandue dans un grand nombre de pays à partir du XXe siècle.

Mais la garantie de l’autorité de la Constitution peut varier considérablement. En période de stabilité politique ou institutionnelle, la suprématie constitutionnelle est assurée par le juge constitutionnel chargé de faire le contrôle de constitutionnalité des lois. En revanche, pendant la période de crise, il arrive que la primauté de la constitution soit remise en question ou peu protégée. D’où un certain nombre d’interrogations : l’ordre juridique pyramidal imaginé par Kelsen et ses précurseurs peut-il se concevoir dans un État en période de crise ? Autrement dit, peut-on soutenir que le degré suprême d’un ordre juridique étatique peut être formé par la constitution en période de décomposition d’un système politique [13] ? Le juge constitutionnel peut-il, en période de crise, « […] protéger la constitution des entreprises des ambitieux et des habiles que l’importance des enjeux ne manque pas de susciter ? » [14]. Quel a été dans les faits le comportement de ce juge ?

Les questions ainsi posées ont certes retenu l’attention de certains constitutionnalistes [15] mais le sujet demeure toujours d’actualité dans les États en transition démocratique, notamment ceux du continent africain où il est très facile de se réfugier derrière les différends politiques pour remettre en cause la suprématie de la constitution, la renier ou la suspendre de fait.

En effet, nombreux sont les accords de substitution à la constitution qui ont été conclus par les acteurs politiques africains pour tenter de régler des situations de crise. Il en va ainsi de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi conclu le 28 août 2000 [16]. C’est un véritable traité constitutionnel de la période post-transition. De même, en République de Côte d’Ivoire, d’octobre 2002 à avril 2005, ce sont successivement les accords politiques de Lomé, de Marcoussis, de Kléber, d’Accra, de Pretoria I et II et de Ouagadougou qui ont été conclus par les acteurs majeurs du conflit ivoirien [17]. En République démocratique du Congo, un accord de paix très complexe a été signé entre les protagonistes de la crise, le 16 décembre 2002 à Pretoria. Cet accord sur le partage du pouvoir politique et économique, a créé un pouvoir exécutif monstre à cinq têtes : un président de la République et quatre vice-présidents – dont deux représentants les mouvements armés rebelles – pour une durée de transition de deux ans [18]. Ces accords politiques témoignent que la Constitution n’est pas la garantie absolue de conservation des institutions en cas de crise politique majeure. De plus, la suprématie de la Constitution et son idéal politique, l’État de droit [19], peuvent être tenus en échec par les textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition : c’est le cas des textes organisant les pouvoirs publics pendant la période de transition et des autres textes qui les complètent et les précisent en République du Niger en 2010 [20], la charte de la transition en République centrafricaine [21] et au Burkina Faso [22], ainsi que la loi régissant les vacances de la présidence de la transition de Madagascar [23], etc. Ces exemples illustrent bien des situations de crise dans lesquelles la suprématie de la Constitution est à rechercher, soit dans sa cohabitation avec des accords politiques, soit dans une hiérarchie des normes inventée de toute pièce, c’est-à-dire un ordonnancement juridique dans lequel les actes constitutionnels l’emportent sur toutes les autres règles de droit interne. Il est dès lors intéressant d’analyser ce basculement ayant pour résultat une simple cohabitation entre la Constitution et les accords politiques, ceux-ci faisant corps avec la Constitution ou la complétant dans certaines de ses dispositions. Il est aussi important d’étudier, sur le plan pratique, l’attitude que doit avoir le juge constitutionnel face à l’application des accords pour préserver la suprématie constitutionnelle étant donné qu’il résulte, d’une part, que les accords politiques s’ajoutent à la constitution ou tentent d’y établir un lien. Il s’ensuit donc que la primauté de la Constitution se trouve affirmée ; ce qui oblige à respecter les principes et valeurs auxquels elle renvoie. D’où une suprématie constitutionnelle hypertrophiée (I). D’autre part, pendant la période de crise, il est souvent établi une hiérarchie entre les règles juridiques faites de pièces et de morceaux disparates, de dispositions sans lien entre elles, ce qui permet d’élever certains actes juridiques au rang de la « Constitution » et de leur attribuer un label de normes constitutionnelles : c’est le cas des chartes de transition [24], des actes fondamentaux issus des conférences nationales des années 90 [25], des ordonnances portant organisation des pouvoirs publics pendant la transition politique [26]. Ces « constitutions en miniature » sont communément qualifiées de « petites constitutions » [27] ; elles sont alors synonymes de règles relatives à l’organisation des pouvoirs et forment un ensemble de règles disparates organisé en système plus ou moins hiérarchisé dont la suprématie est minorée (II).

I. La suprématie constitutionnelle hypertrophiée

En période de crise politique, la suprématie de la Constitution doit être recherchée d’abord et avant tout dans le contenu du texte constitutionnel adossé au contenu des accords politiques conclus par les acteurs de la crise. En effet, sans remettre en cause ou abroger la Constitution, les accords ou arrangements politiques, c’est-à-dire « ceux résultant d’une rencontre entre les acteurs politiques, notamment les protagonistes de la crise » [28], complètent la norme suprême en y insérant des principes et règles régissant la transition politique. En outre, la Constitution a souvent un préambule qui renvoie au droit international et fait formellement partie de la loi suprême. Ce faisant, la primauté de la Constitution se trouve revigorée (A). Mais il arrive aussi que cette suprématie amplifiée soit remise en cause par les mêmes acteurs politiques. D’où l’impérieuse nécessité pour le juge constitutionnel, surtout en période de crise, d’en être le garant (B) et, de façon collatérale, le gardien naturel des accords politiques qui la complètent.

A. La suprématie constitutionnelle revigorée en période de crise

La suprématie de la Constitution en période de crise politique peut être démontrée de deux façons. D’une part, en se fondant sur la complémentarité et la compatibilité entre les accords politiques et la Constitution, avec primauté accordée à celle-ci et, d’autre part, à travers une analyse sur les multiples références aux instruments régionaux et internationaux relatifs aux principes de la démocratie et des droits de l’homme [29].

S’agissant de la complémentarité, il faut reconnaître que certains auteurs ont soutenu que c’est l’exigence du respect de la Constitution, considérée comme norme suprême se trouvant placée au sommet de l’ordre juridique ou hiérarchie des normes, qui a conduit les protagonistes de la crise ivoirienne à établir un lien entre les engagements politiques et la Constitution du 1er août 2000. Dès lors, il ne peut théoriquement pas exister d’accords ou arrangements politiques qui seraient « au-dessus » de la Constitution. C’est pourquoi le professeur Meledje Djedjro affirme justement que « l’Accord de Linas Marcoussis confirme des principes constitutionnels existants » [30]. Pour ce constitutionnaliste, « il n’y a […] pas – et c’est le plus important pour la légalité constitutionnelle – de nouvel ordre (espace) politique à créer » [31]. Abondant dans le même sens, le professeur Wodié soutient que « […] En tant qu’acte déclaratif, l’“accord de Marcoussis” se borne à constater et à reconnaître ce qui existe déjà au plan juridique et politique, en confirmant la légalité (la Constitution) en vigueur. L’accord reconnaît et consacre les Institutions républicaines, et partant la Constitution qui leur sert de fondement juridique, en en garantissant la suprématie […] » [32]. Il en résulte que sur le fondement de la complémentarité entre les dispositions de l’accord de Marcoussis et celles de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000, « la primauté du droit (de la Constitution) sur la force et le fait (accompli) se trouve affirmée […] » [33]. Cette exigence du respect de la Constitution a été aussi respectée dans l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. En effet, cet Accord se donne à voir comme un moyen de règlement de la crise au Burundi, mais il repose aussi sur la Constitution et en constitue un prolongement. Les dispositions de la Constitution burundaise ont effectivement été respectées au cours de la conclusion de l’Accord d’Arusha qui consacre non seulement les « principes constitutionnels de la Constitution de la période post-transition » [34] mais aussi la « continuité juridique […] » [35]. C’est dans ce sens que l’article 7 de l’Accord d’Arusha consacre une exception constitutionnelle rarissime : « La Constitution stipule qu’à l’exception de la toute première élection présidentielle, le président de la République est élu au suffrage universel direct » [36]. Cette disposition vise en réalité à créer un environnement où la suprématie de la Constitution du Burundi est respectée et la sécurité juridique garantie. C’est pourquoi dans le même Accord d’Arusha la Cour constitutionnelle a reçu les pleins pouvoirs pour faire appliquer la Constitution et agir en tant que garant de celle-ci, même si cette juridiction doit s’opposer aux pouvoirs exécutif et législatif [37].

Le dernier exemple de complémentarité entre un acte juridique transitionnel et la Constitution, est celui du Burkina Faso où, après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, il a été adopté la Charte de la transition « […] qui complète la Constitution du 2 juin 1991 et dont […] le préambule est partie intégrante » [38]. C’est en raison de cette étroite complémentarité avec primauté donnée à la Constitution que certains constitutionnalistes affirment que « […] la Charte est […] un instrument à valeur matériellement constitutionnelle à portée juridique transitoire […] » et qu’« en cas de conflit entre une disposition de la Charte et une disposition constitutionnelle en vigueur, cette dernière devrait prévaloir » [39]. Pour prévenir la contrariété et garantir la primauté de la Constitution du 2 juin 1991, le Conseil constitutionnel est chargé de statuer [40].

Quant à la compatibilité théorique entre la Constitution et les accords politiques, elle se réalise par des actes juridiques qui doivent être édictés conformément à la Constitution et au droit en vigueur, par la voie des procédures prévues à cet effet. Cette production des règles de droit dans le respect de la primauté de la Constitution a été observée en République de Côte d’Ivoire lorsque la loi relative à l’amnistie a été adoptée par l’Assemblée nationale et promulguée par le président de la République. La procédure ainsi suivie a été conduite dans le respect de la Constitution du 1er août 2000 dont la primauté a été sauvegardée [41].

Enfin, la suprématie de la Constitution se trouve renforcée par les nombreuses références aux instruments juridiques internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme et ceux qui traitent de la démocratie et de la bonne gouvernance [42]. En effet, tous les droits et libertés, ainsi que les principes et valeurs démocratiques inscrits dans ces instruments juridiques deviennent des normes de référence pour deux raisons : en premier lieu, le préambule qui proclame ces droits et libertés et ces valeurs et principes démocratiques, fait corps avec la constitution [43]. En second lieu, le droit international des droits de l’homme fait implicitement partie du « bloc de constitutionnalité » [44].

Mais pour que la suprématie de la Constitution dans l’ordre interne soit effective, il appartient au juge constitutionnel de veiller à ce que toutes les autres normes, y compris l’application des accords politiques, soient conformes à la loi suprême. Le juge constitutionnel doit donc être le dernier rempart en cas de non-respect de cette suprématie constitutionnelle.

B. Le juge constitutionnel, garant de la suprématie constitutionnelle en période de crise

Étant donné que les titres de compétence et les fonctions du juge constitutionnel sont ceux énoncés dans la constitution et souvent repris par les accords ou arrangements politiques, il est tout à fait normal que ce juge soit le garant de la primauté de la Constitution sur les autres normes juridiques de l’État. Quelques exemples tirés de la pratique des États ayant traversé des périodes de crise peuvent être cités à titre illustratif.

Le premier de ces exemples est offert par le Conseil constitutionnel de transition du Niger qui a joué le rôle de garant de la suprématie du corpus constitutionnel – « constitution » – de la période de transition [45]. S’appuyant sur ce corpus constitutionnel, le Conseil constitutionnel de transition a eu à statuer sur la conformité des ordonnances des autorités de transition avec les textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition et les traités et accords internationaux signés et ratifiés par le Niger. Il a eu à interpréter les dispositions de ce corpus constitutionnel de transition lorsqu’il a été saisi par les autorités de la transition habilitées à le faire [46]. La jurisprudence du Conseil constitutionnel de transition témoigne du rôle déterminant qu’il a joué dans la garantie de la suprématie des textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition au Niger en 2010 [47]. L’autre exemple illustratif du juge comme garant de la suprématie de la Constitution, est offert par la Haute cour constitutionnelle malgache à l’occasion du contrôle de conformité de la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la transition, à la Constitution. En effet, par lettre n° 015-013/ PRT du 11 juillet 2013, le président de la transition a saisi la Haute Cour constitutionnelle pour soumettre au contrôle de conformité à la Constitution, préalablement à sa promulgation, la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la transition, adoptée par le Congrès de la transition et le Conseil supérieur de la transition en leurs séances respectives du 21 juin 2013 et du 3 juillet 2013. Exerçant le contrôle de conformité à la Constitution de cette loi, la juridiction constitutionnelle a adopté « une démarche objective visant le respect de la hiérarchie des normes juridiques en période de transition » [48]. Statuant sur cette hiérarchie des normes juridiques et leur application en période de transition, la Haute cour constitutionnelle a d’abord conduit un raisonnement qui réaffirme la suprématie de la Constitution par rapport aux autres normes juridiques : « Considérant qu’il est admis que la suprématie constitutionnelle se justifie par le fait que la Constitution étant la norme juridique suprême dans l’ordre juridique interne, les règles constitutionnelles doivent l’emporter sur toutes les autres règles juridiques de droit interne ;

Considérant en outre que le contrôle de constitutionnalité est alors la conséquence logique de la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique ;

Considérant que la saisine de la Haute cour constitutionnelle par le président de la transition pour contrôle de conformité de la loi adoptée par le Parlement de la transition rentre dans le respect de la suprématie constitutionnelle et contribue par là-même à la nécessité, même en période de transition, de l’établissement d’une hiérarchie entre les normes, c’est-à-dire d’un ordonnancement juridique incontournable ; […] » [49]. Poursuivant son raisonnement, la juridiction constitutionnelle malgache a ensuite abordé la hiérarchie des normes eu égard à la coexistence de la Constitution et de la feuille de route en ces termes :

« Considérant que s’il est admis que la feuille de route a été signée et insérée comme loi de l’État pour régir la période de transition, les mesures de mise en œuvre de ladite loi doivent respecter les dispositions constitutionnelles en vigueur conformément à la décision de la Haute Cour constitutionnelle n° 15-HCC/D3 du 26 décembre 2011 concernant la loi n° 2011-014 portant insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la feuille de route ;

Considérant que la Haute cour constitutionnelle estime que les dispositions du paragraphe 14 de la feuille de route, prévoyant l’adoption d’une loi afin de pallier un éventuel vide juridique en cas de vacance de la présidence, constituent une clause de réserve, ladite clause n’ayant plus sa raison d’être dans la mesure où les dispositions transitoires de la Constitution, sont reprises par la loi organique n° 2012-015 du 1er août 2012 relative à l’élection du premier président de la quatrième République ;

Considérant que l’article 3 de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité est inséparable de l’ensemble des dispositions de la loi ;

Qu’il échet de déclarer la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la transition, non conforme à la Constitution ; » [50]. Cette décision de rejet d’une loi contraire à la Constitution malgache prouve que la suprématie de la Constitution sur les autres normes juridiques a été préservée grâce à l’action du juge. De plus, celui-ci a joué un rôle décisif qui tient au fait que les mesures de mise en œuvre de la Feuille de route – accord ou arrangement politique devenu une loi de l’État – ne peuvent pas être prises au mépris de la Constitution. Enfin, le tout dernier exemple qui démontre que le juge constitutionnel demeure le garant de la suprématie de la Constitution, est celui du Conseil constitutionnel du Burkina Faso. Saisi d’une requête en contrôle de conformité à la Constitution du 2 juin 1991 de la loi organique n° 003-2015/CNT du 23 janvier 2015 portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes, le Conseil constitutionnel a déclaré que les articles 4 deuxième tiret et 35 de ladite loi ne sont pas conformes à la Constitution et à la Charte de la transition [51].

C’est dire que le contenu de la loi soumise à examen du Conseil est déterminé par le texte constitutionnel complété par la Charte de la transition, primat de l’ordre juridique burkinabé pendant cette période de transition. Ces quelques exemples montrent que les juges constitutionnels étudiés ont fait allégeance à la primauté de la constitution et ont reconnu qu’elle est la « Loi des lois », c’est-à-dire celle qui est placée au sommet de l’ordre juridique interne. Cette prise de position est partagée par les hautes juridictions françaises [52]. Mais il faut tout de suite admettre que la reconnaissance de la suprématie de la constitution peut aussi être tempérée en période de crise.

II. La suprématie constitutionnelle minorée

Même en période de crise, la constitution, de par sa nature fondamentale et suprême, apparaît comme un bloc de normes de référence, normes qui organisent les pouvoirs publics et offrent à l’État un ordre juridique plus ou moins cohérent. Mais la « Constitution » est souvent réduite à un corpus constitutionnel constitué d’un ensemble de textes organisant les pouvoirs publics pendant la période de transition. C’est pourquoi toutes les règles du jeu de la vie politique sont considérées comme étant constitutionnelles, non par essence, mais lorsqu’elles sont jugées conformes à ce corpus constitutionnel. La primauté des textes tenant lieu de « constitution » est matériellement circonscrite (A). Toutefois, il arrive qu’à travers le jeu des résolutions des organisations régionales ou internationales que la constitution en vigueur soit déconsidérée ou remise en cause par un « succédané » [53]. De plus, il y a lieu de relever qu’en période de crise, certains accords ou arrangements politiques contiennent des dispositions qui peuvent rendre difficile le respect de la suprématie constitutionnelle. Dans cette hypothèse, la norme suprême est fragilisée, menacée par ceux-là mêmes qui sont chargés de l’appliquer et de l’interpréter. Par conséquent, la constitution échouerait dans sa fonction unificatrice de l’ordre juridique de l’État, soit parce qu’elle est laissée de côté, soit torturée ou « violée » [54]. D’où une suprématie constitutionnelle fragile (B).

A. Une suprématie constitutionnelle matériellement circonscrite

Dans certaines situations de crise politique grave, la primauté de la constitution ou des textes tenant lieu de corpus constitutionnel est limitée au cercle plus ou moins restreint des actes juridiques soumis au contrôle de conformité aux « constitutions de transition » [55]. Celles-ci doivent, sous réserve parfois de leur non contrariété avec le contenu des accords politiques qui les fondent, prévaloir pendant toute la période de transition sur tous les actes juridiques qui seront adoptés par les institutions de la transition.

Il en va ainsi au Niger où suite au coup d’État militaire du 18 février 2010 ayant suspendu la Constitution de la VIe République, les textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition, sont constitués de la proclamation du 18 février 2010 [56], de l’ensemble des textes organisant les pouvoirs publics pendant la période de transition [57] et des traités et accords internationaux signés et ratifiés par le Niger. Dans le cas d’espèce, il faut préciser que ce n’est qu’après l’entrée en vigueur de la Constitution de la VIIe République, le 25 novembre 2010, que le Conseil constitutionnel de transition a commencé à apprécier la conformité des lois à la Constitution. Avant cette date, le Conseil est confiné au corpus constitutionnel de la période de transition comme l’atteste l’arrêt n° 002/CCT/MC du 7 octobre 2010. En effet, par requête en date du 23 septembre 2010 enregistrée au greffe du Conseil, un citoyen assisté de son avocat a saisi cette juridiction constitutionnelle pour dire et constater que « l’ordonnance n° 2010-043 du 19 juillet 2010 modifiant l’ordonnance n° 2010-022 du 11 mai 2010 portant création, attributions, composition et modalités de fonctionnement de la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale et pour la promotion de la bonne gouvernance dans la gestion des biens publics est prise en violation de l’ordonnance n° 2010-01 du 22 février 2010 modifiée portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition et de l’Acte uniforme de l’OHADA sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution ainsi que des conventions internationales notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auxquels le Niger est partie ». Examinant cette requête, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur un ensemble de textes tenant lieu du fameux corpus constitutionnel de la période de transition : « Considérant […] que la saisine du Conseil constitutionnel de transition par voie d’exception suppose que le requérant conteste la conformité au corpus constitutionnel de la période de transition, aux traités et accords régionaux et internationaux signés et ratifiés par le Niger d’une loi ou d’une ordonnance que l’instance juridictionnelle chargée de son dossier envisage de lui appliquer » [58]. Il s’ensuit que la suprématie constitutionnelle est strictement limitée au corpus constitutionnel de la transition qui est pour l’essentiel constitué de la proclamation du coup d’État du 18 février 2010 et des ordonnances portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition et de l’ordonnance sur le Conseil constitutionnel de transition.

Cette option n’a pas été celle de la République centrafricaine qui a préféré adopter une Charte constitutionnelle de transition à travers laquelle il a été institué une Cour constitutionnelle de transition chargée notamment de « […] juger de la constitutionnalité des lois organiques et ordinaires, déjà promulguées ou simplement votées, des règlements, ainsi que du règlement intérieur du Conseil national de transition ; […] interpréter la Charte constitutionnelle de transition […] » [59]. Ayant abrogé la Constitution centrafricaine du 27 décembre 2004 et les deux Actes constitutionnels du 26 mars 2013 [60] portant organisation provisoire des pouvoirs de l’État, la Charte constitutionnelle de transition demeure le texte de référence, le point d’appui juridique de la Cour constitutionnelle de transition en matière de prise de décision. Ainsi, dans sa décision n° 005/15/CCT du 15 avril 2015 sur la séquence des opérations référendaires et électorales prévues à l’article 44 tiret 5 de la Charte constitutionnelle de transition et sur l’interprétation des dispositions de l’article 104 de la Charte constitutionnelle de transition, la Cour constitutionnelle de transition a d’abord rappelé « […] les dispositions de l’article 108 al.2 de la Charte constitutionnelle de transition selon lesquelles la Charte constitutionnelle de transition est exécutée comme “Constitution de la République centrafricaine pendant la période de transition” » [61]. Ensuite, la Cour constitutionnelle a poursuivi son raisonnement en ces termes : « Considérant que le Premier ministre soutient également dans sa requête que la Cour constitutionnelle de transition n’est pas habilitée à recevoir le serment du président de la République élu ; que ceci n’est pas conforme à l’article 76 tiret 5 de la Charte constitutionnelle de transition qui dispose que la Cour constitutionnelle de transition est chargée de “recevoir le serment du chef de l’État de transition et celui du président de la République élu” ; qu’il y a donc lieu de dire qu’il revient à la Cour constitutionnelle de transition de recevoir le serment du président de la République élu » [62]. Cette décision montre que le raisonnement de la Cour constitutionnelle de transition est fondé exclusivement sur la Charte constitutionnelle de transition, « loi suprême » de la République centrafricaine pendant la période de transition. Cette suprématie défendue par le juge constitutionnel peut néanmoins être remise en question, voire même anéantie en période de crise aiguë. Elle revêt dès lors un caractère fragile.

B. Une suprématie constitutionnelle fragile

La suprématie de la constitution en période de crise peut revêtir un caractère fragile pour trois raisons principales qu’il convient d’analyser successivement.

La première est que dans le processus de sortie de crise, les acteurs s’arrangent pour conclure des accords politiques qui prennent le pas sur l’esprit et la lettre de la constitution. Celle-ci « se trouve alors reléguée au second plan et les compromis politiques acquièrent une place prépondérante dans l’architecture normative de l’État » [63]. En effet, le règlement de la crise en Côte d’Ivoire se donne comme exemple de « la dévalorisation de la Constitution » [64] qui se traduit par « l’abaissement de la Constitution au rang de norme ordinaire » [65], c’est-à-dire une simple loi qui peut en principe être modifiée par la procédure législative ordinaire. Il s’ensuit que les règles essentielles de l’État ivoirien n’ont pas échappé aux caprices des acteurs de la crise car le caractère suprême a été plutôt accordé aux principes et règles « voulus » et inscrits dans les accords politiques. Par exemple, c’est sur la base de l’accord de Pretoria que, d’une part, l’article 35 de la Constitution ayant trait à l’éligibilité en matière d’élection présidentielle a été modifié [66] et, d’autre part, que l’article 36 de la Constitution prescrivant le premier tour de l’élection présidentielle, n’a malheureusement pas été appliqué pour accepter le président de la République comme reconduit dans ses fonctions. Toutes ces situations ont conduit à la mutilation de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000 ; ce qui enlève en substance tout crédit à la primauté de ladite Constitution pendant cette période de crise.

La seconde raison qui explique aussi le caractère fragile de la suprématie de la constitution en période de crise, est le recours aux « arrangements politiques autoritaires » [67], c’est-à-dire aux résolutions contraignantes adoptées par les organisations régionales et internationales. Ainsi, dans le cadre de la résolution de la crise en Côte d’Ivoire, le Conseil de sécurité de l’ONU, tout en prenant appui sur les recommandations de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union africaine, a adopté une sorte de « substitut de la Constitution » [68], les résolutions 1633 et 1721 par lesquelles un partage de pouvoirs a été organisé entre le président de la République et le Premier ministre, en violation flagrante des dispositions constitutionnelles [69].

Cela a d’ailleurs suscité la saisine du Conseil constitutionnel qui a procédé, dans sa décision n° 019/CC/SG en date du 6 décembre 2006 [70], au contrôle de la constitutionnalité de la résolution 1721 du Conseil de sécurité des Nations unies agissant en vertu du Chapitre VII. Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré inconstitutionnelles plusieurs « […] dispositions de ladite résolution parce qu’elles tendent à modifier la répartition des compétences entre le président de la République et le Premier ministre au profit de celui-ci et à réaménager les attributions constitutionnelles des institutions publiques » [71]. Mais dans cette décision, le juge constitutionnel ivoirien a affirmé le principe de la primauté de la Constitution sur le « […] droit international, plus précisément la validité de l’engagement de la Côte d’Ivoire à respecter les obligations découlant de sa qualité de membre de l’Organisation des Nations unies […] » [72].

Enfin, la troisième raison qui permet de soutenir l’idée du caractère fragile de la suprématie constitutionnelle est liée à la posture du juge : décider de se placer au-dessus de la Constitution ou noyer la suprématie constitutionnelle. Cette triste réalité est attestée par l’actualité récente de certaines juridictions constitutionnelles africaines. En effet, là où la constitution est muette, le juge constitutionnel a décidé, en prônant son approche compréhensive fondée ou non sur le texte constitutionnel. L’avis émis par la Cour constitutionnelle du Mali en 2012 et l’arrêt rendu tout récemment par la Cour constitutionnelle du Burundi sont assez illustratifs.

Dans son avis n° 2012-004/CCM du 8 juin 2012, la Cour constitutionnelle du Mali a estimé qu’elle est en droit d’émettre un avis dans le but de proroger de deux semaines le délai de la durée du mandat du président par intérim, en raison de la rébellion et de la crise politique et institutionnelle. Saisie par le Premier ministre, après les 40 jours d’intérim prévus par la Constitution du 27 février 1992, la Cour constitutionnelle s’est fondée sur l’article 36 alinéas 2, 3 et 4 [73] de ladite Constitution pour émettre un avis en ces termes : « Il résulte de la combinaison de ces alinéas que le mandat du président de la République par intérim expire à la fin de l’élection du nouveau président ; que ce scrutin n’ayant pu se tenir pour des raisons de circonstances exceptionnelles et de force majeure invoquées par le saisissant, le président par intérim assure ses fonctions jusqu’à l’élection du président de la République » [74]. En agissant ainsi, la Cour constitutionnelle s’est comportée comme une institution se trouvant au-dessus de la loi suprême, la Constitution du 27 février 1992, qui ne prévoit que deux matières dans lesquels l’avis est requis : le référendum législatif et les pouvoirs exceptionnels prévus respectivement par les articles 41 et 50 de la Constitution malienne [75]. Cette posture du juge constitutionnel malien méconnaît la suprématie de la Constitution qui a été rétablie grâce à un bricolage juridique : les accords de Ouagadougou [76].

Dans le même sillage, il faut relever que dans son arrêt RCCB 3030 du 4 mai 2015 [77], la Cour constitutionnelle du Burundi a noyé la primauté de la Constitution dans un langage juridique très ambigu. En effet, la Cour constitutionnelle a été saisie par quatorze sénateurs aux fins d’interpréter les articles 96 [78] et 302 [79] de la Constitution du 18 mars 2005. Dans son arrêt, la Cour a décidé « […] que l’article 96 veut dire que le nombre de mandats au suffrage universel direct est limité à deux seulement et l’article 302 crée un mandat spécial au suffrage universel indirect et qui n’a rien à voir avec les mandats prévus à l’article 96 » [80]. Elle ajoute « […] que le renouvellement une seule et dernière fois de l’actuel mandat présidentiel au suffrage universel direct pour cinq ans, n’est pas contraire à la Constitution de la République du Burundi du 18 mars 2005 » [81]. Mais pour arriver à cette conclusion, la Cour a conduit un raisonnement totalement incohérent [82] qui mérite d’être rappelé : « Attendu que les Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation, sans être supra-constitutionnel, en constituent tout de même le socle surtout dans sa partie relative aux principes constitutionnels ; que celui qui violerait les grands principes constitutionnels de ce dernier ne pourrait pas prétendre respecter la Constitution ;

Attendu cependant qu’il sied de faire constater que le constituant de 2005 a mal repris la recommandation des Accords d’Arusha […] » [83]. Il ressort de ce raisonnement que, d’une part, la Cour soutient que les Accords d’Arusha constituent « le socle », c’est-à-dire la base même des principes constitutionnels et que celui qui ne les respecte pas viole non seulement lesdits Accords mais aussi la Constitution. C’est dire que celle-ci ne se réduit pas au texte fondateur, elle comprend également les textes auxquels le peuple burundais réaffirme son attachement dont, entre autres, les grands principes constitutionnels consacrés par les Accords d’Arusha. Ces principes sont donc indissociables de la Constitution. Cette indissociabilité a été attestée par le fait que le constituant burundais de 2005 y était toujours demeuré fidèle.

D’autre part, la Cour constitutionnelle a clairement dit que le constituant a « mal repris la recommandation des Accords d’Arusha », oubliant que ces accords complètent la Constitution et que le juge constitutionnel n’est pas au-dessus de cette dernière qui elle-même a été conçue par le pouvoir constituant originaire [84]. En d’autres termes, le juge constitutionnel burundais, à l’instar de ses homologues africains ou étrangers, n’a pas le dernier mot en matière constitutionnelle [85] ; il doit tout simplement respecter la Constitution et en assurer le respect par les autres institutions de la République. Il s’agit là d’une exigence constitutionnelle qui ne saurait aller à l’encontre des principes constitutionnels qui sont inhérents à l’identité constitutionnelle de tout État. Il s’ensuit que la Constitution s’impose non seulement aux juges, aux autorités exécutives, mais aussi à toutes les autorités publiques ainsi qu’aux personnes privées. Cette suprématie de la constitution ne peut être rendue effective que par l’existence d’une cour constitutionnelle apte à sanctionner d’éventuelles violations, y compris de la part d’un président de la République tenté par l’exercice d’un mandat présidentiel fondé sur le nonrespect des dispositions de la Constitution [86] ou d’accords politiques, à l’image de ceux d’Arusha qui prévoient que le président de la République « est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels » [87]. On peut, dans cette hypothèse, penser que le juge constitutionnel burundais, garant du respect de la volonté du constituant de 2005 et par là de la suprématie de la Constitution, n’a pas tenu compte, par méconnaissance ou fausse interprétation, de la plus haute autorité dont sont revêtus ces grands principes constitutionnels tels que consacrés par les Accords d’Arusha, complément indispensable et nécessaire à celle qui leur est hiérarchiquement supérieure, la Constitution du 18 mars 2005.

Conclusion

Au terme de la présente étude, il faut souligner avec force que la suprématie de la Constitution en période de crise peut être nuancée à divers égards. D’abord, on peut considérer qu’il existe des accords ou arrangements politiques auxquels les protagonistes de la crise accordent une valeur supérieure à la Constitution qui, en période normale, est une règle juridique de valeur suprême. Mais il arrive aussi que les organisations régionales et internationales organisent son inféodation par rapport à leurs propres actes. Ensuite, dans l’ordre positif des États en crise politique ou institutionnelle, on voit apparaître, selon une approche différenciée, des textes tenant lieu de corpus constitutionnels qui sont appelés « constitutions de transition » en raison de leur nature particulièrement fondamentale. Ainsi se trouve établie une sorte de hiérarchie entre les différentes ordonnances, les chartes constitutionnelles de transition et autres normes de rang constitutionnel. Enfin, l’autorité ou la valeur symbolique de la Constitution peut être étalonnée par rapport à son propre préambule ou aux instruments juridiques régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme, à la démocratie et la bonne gouvernance. Cette primauté résulte alors du simple fait que le préambule renvoie à ces instruments et qu’il fait partie intégrante de la constitution.

Au regard du sort réservé à la suprématie constitutionnelle en période de crise, il semble que seul le juge constitutionnel peut transformer sa portée en soumettant les autorités politiques au respect strict de la constitution. En outre, le juge constitutionnel est capable de transformer la Constitution en organisme vivant car il est souvent appelé à créer le droit, sans le vouloir, à interpréter la Constitution au fur et à mesure des cas qui lui sont soumis avec le souci d’assurer un fonctionnement régulier des institutions de la République et une protection des droits et libertés consacrés par la constitution elle-même et les instruments juridiques internationaux et régionaux signés et ratifiés par l’État [88]. Toutefois, la faible légitimité du juge constitutionnel [89] rend périlleuse cette fonction constituante. C’est pourquoi, « il doit sans cesse convaincre les citoyens de l’utilité de sa mission, par l’évidence de son impartialité, par la cohérence de ses lignes jurisprudentielles et par un sens aigu de la mesure lorsque leur évolution apparaît souhaitable » [90]. Pour y arriver, le juge constitutionnel doit, selon certains auteurs, être au « service de la Constitution » [91] et non « au service du pouvoir en place » [92]. Pour d’autres, « le juge constitutionnel, dans l’accomplissement de sa mission, est condamné à jouer sur “la corde raide”. Son autorité est très souvent scrutée, mise en suspicion, pour ne pas dire remise en cause. Nombre d’expériences même dans les démocraties les mieux établies, le montrent. La raison est que la fonction qu’il est appelé à accomplir, se situe au confluent combien perturbé du droit et du politique, de ce qui est et de ce qui veut être. Dans pareille confluence, il est bien téméraire de prédire où se trouve la vérité. Toute sentence d’un juge constitutionnel est ainsi un pari qui n’est pas sûr d’être gagné. Il arrive plus souvent que le juge constitutionnel se trouve du mauvais côté » [93]. On comprend dès lors qu’on ait pu accuser ce juge d’être celui qui alimente les crises et les conflits, parfois violents, plutôt que de les réguler. Pour ne pas courir le risque de se voir reprocher la tentation du « gouvernement des juges » [94] et de donner le sentiment qu’il n’est pas le recours indiqué contre les atteintes à la suprématie de la Constitution, le juge constitutionnel doit « respecter et faire respecter » [95] ses arrêts – parce qu’il est aussi limité par la constitution – afin de relever les défis liés à la crise de son office.


  • [1]
    Les points de vue exprimés dans cette réflexion sont personnels et n’engagent pas la Cour constitutionnelle du Niger.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Hamilton, A., Madison, J., Jay, J., The Federalist Papers, (1787-1788), New York, réimp., n° 78, 1961.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Kelsen, H., « Hiérarchie des normes et unité de l’ordre juridique », in Théorie pure du droit, 1934, traduction française de la 2e édition par Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, p. 255 ; Théorie générale du droit et de l’État, 1945, traduction française, Bruylant-LGDJ, 1997, p. 178.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Voir en ce sens, Hamon, F., Troper, « Le contrôle de la suprématie de la constitution », in Droit constitutionnel, LGDJ, 2009, Paris, p. 54 ; Bastid, P., L’idée de Constitution, Economica, Paris, 1985 ; Burdeau, G., « Le statut du pouvoir dans l’État », in Traité de science politique, t. IV, 3e édition, Paris, 1984 ; Rossetto, J., Recherche sur la notion de Constitution et l’évolution des régimes constitutionnels, Thèse, Poitiers, 1982.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Carre de Malberg, R., Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, 1922, réédition 1962 ; Eisenmann, Ch., Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques, Paris, 2002 ; Montesquieu, Ch., De l’esprit des lois (1748), Paris, 1979 ; Troper, M., Le droit, la théorie du droit, l’État, Paris, 2001 ; Gicquel, J., Gicquel, J.-E., Droit constitutionnel et institutions politiques, 25e édition, Montchrestien, Paris, 2011, p. 200 et s.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Le contrôle de constitutionnalité ou judicial review, qui n’est pas prévu dans la Constitution américaine, a commencé à fonctionner à partir de cette affaire montrant par quels biais une constitution-machine peut se développer en une constitution-norme. Barberis, M., « Constitution moderne et Constitution comme machine », in Troper, M., Chagnollaud, D. (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, Dalloz, Paris, 2012, p. 126.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Champeil-Desplats, V., « Hiérarchie des normes, principe justificatif de la suprématie de la Constitution », in Troper, M., Chagnollaud, D. (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, op. cit., p. 733 et s.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Kelsen, H., La théorie pure du droit, Dalloz, Paris, 1962, p. 315.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Montesquieu, Ch., De l’esprit des lois, op. cit., Livre XI, Chapitre II, IV et VI.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Eisenmann, Ch., « L’esprit des lois et la séparation des pouvoirs », in Mélanges R. Carré de Malberg, Sirey, Paris, 1933, p. 165-192 ; Althusser, L., Montesquieu, la Politique et l’Histoire, PUF, Paris, 1974 ; Gaudemet, P.-M., « Le principe de la séparation des pouvoirs : mythe et réalité », Dalloz, 1961, chronique, p. 121 ; Chevalier, J., « La séparation des pouvoirs », in La continuité constitutionnelle en France de 1789 à 1989, Association française des constitutionnalistes (dir.), Economica, Coll. « Droit public positif », Paris, 1990 ; Seurin, J.-L., « Les origines historiques de la séparation des pouvoirs ? », in Mélanges Auby, Paris, 1992 ; Pariente, B. (dir.), La séparation des pouvoirs, Dalloz, Coll. « Thèmes et commentaires », Paris, 2007 ; Troper, M., La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, LGDJ, Paris, 1980 ; « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », in Cahiers de philosophie politique, n° 2-3, p. 67-79.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Eisenmann, Ch., La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, 1928, rééd. Economica, Paris, 1986 ; Fromont, M., La justice constitutionnelle dans le monde, Dalloz, Paris, 1996 ; Grewe, C., Jouanjan, O. et al. (dir.), La notion de « justice constitutionnelle », Dalloz, Paris, 2005, Jouanjan, O., « Modèles et représentations de la justice constitutionnelle en France », Jus Politicum, n° 1, 2009, p. 93.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Voir Rufin, J.-CH., « Les crises de l’État dans le tiers-monde », in Société Française pour le Droit international, L’Etat souverain à l’aube du XXIe siècle, colloque de Nancy, Ed., A. Pedone, Paris, 1994, p. 60 et s., Zartan, I.W. (dir.), « L’effondrement de l’État : désintégration et restauration du pouvoir légitime », Nouveaux Horizons, 1995.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Ardant, Ph., Mathieu, B., Institutions politiques et droit constitutionnel, 22e édition, LGDJ, Paris, 2010, p. 101.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Du Bois de Gaudusson, J., « L’accord de Marcoussis, entre droit et politique », Afrique contemporaine, n° 206, 2003/2, p. 41-55 ; « Les juridictions constitutionnelles africaines et les accords politiques », communication au 2e Congrès de la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines sur le thème : La justice constitutionnelle en Afrique : état de la situation et perspectives, 2013, Cotonou ; Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ?, Les éditions du Cerap, Abidjan, 2007, p. 1-27 ; Meledje Djedjro, F., « Les arrangements politiques et la constitution : le droit constitutionnel de crise », in Droit constitutionnel, 9e édition, ABC, Abidjan, 2012, p. 237 et s. ; « Constitution et urgence ou le lien entre les contestations violentes de l’ordre constitutionnel et la régulation constitutionnelle des crises », Revue ivoirienne de droit, n° 42, 2011, p. 11-33 ; Mambo, P., « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les États africains : réflexion sur la légalité constitutionnelle en période de crise », McGill Law Journal/Revue de droit de McGill, volume 57, Number 4, June 2012, p. 921-952 ; Ehueni Manzani, I., « Les accords politiques dans la résolution des conflits armés en Afrique », Thèse des Universités de La Rochelle et de Cocody-Abidjan, 2011 ; Kpodar, A., « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l’accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », RRJ, 2005 (4), p. 2503-2526 ; « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », Revue Afrilex, 2014, p. 17-19 ; Zaki, M., « Petites constitutions et droit transitoire en Afrique », Nouvelles Annales Africaines, Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, CREDILA, 2012, p. 1-45.  [Retour au contenu]
  • [16]
    L’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000 comprend une série de quatre (4) Protocoles : Le premier traite de la nature du conflit burundais, des problèmes du génocide et de l’exclusion et des solutions ; le second protocole est consacré à la démocratie et à la bonne gouvernance ; le troisième a pour objet, la paix et la sécurité pour tous ; et le quatrième et dernier Protocole est relatif à la reconstruction et au développement du pays.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 4.  [Retour au contenu]
  • [18]
    M Bodj, E., « La Constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique. L’exemple de la République démocratique du Congo », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1er mars 2010, n° 2, p. 441.  [Retour au contenu]
  • [19]
    La doctrine de l’État de droit s’est développée en Allemagne à partir de la fin du XIXe siècle, puis s’est diffusée dans d’autres États, notamment en France. Voir Chevalier, J., L’État de droit, Montchrestien, 4e édition, Paris, 1999 ; Carpano, E., État de droit et droits européens, L’Harmattan, Paris, 2005.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Suite au coup d’État militaire du 18 février 2010 renversant le régime de la cinquième République du Niger, le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) a fait la Proclamation du 18 février et a pris une ordonnance n° 2010-001 du 22 février 2010 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition, modifiée par l’ordonnance n° 2010-005 du 30 mars 2010 et ses textes modificatifs subséquents tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Suite au changement politique du 24 mars 2013 qui a entraîné la suspension de la Constitution centrafricaine du 27 décembre 2004 et la dissolution des institutions républicaines, la loi n° 13.001 portant Charte constitutionnelle de transition en République centrafricaine a été adoptée, le 18 juillet 2013 par le Conseil national de transition (faisant office de parlement de transition) pour déterminer et fixer les règles de fonctionnement de l’État pour la période de transition.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Suite à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ayant conduit à la démission du Président Blaise Compaoré, les représentants des partis politiques, des organisations de la société civile, des forces de défense et de sécurité, des autorités religieuses et coutumières du Burkina Faso ont signé, le 13 novembre 2014, la Charte de la transition pour doter le pays d’organes de transition afin de combler le vide institutionnel dans la conduite des affaires publiques.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Divay, Ph., « La Haute Cour constitutionnelle de Madagascar rejette la loi régissant les vacances de la présidence de la transition », commentaire de la Décision n° 04-HCC/D3 du 17 juillet 2003 concernant la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la transition.  [Retour au contenu]
  • [24]
    À titre illustratif, voir la Charte de la transition signée à Ouagadougou le 13 novembre 2014 et la loi n° 13.001 portant Charte constitutionnelle de transition de la République centrafricaine adopté par le Conseil national de transition le 18 juillet 2013.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Voir l’Acte fondamental n° 1/CN du 30 juillet 1990, portant statut de la Conférence nationale et l’Acte n° III/CN du 9 août 1991, proclamant les attributs de la souveraineté de la Conférence nationale au Niger.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Voir par exemple l’Ordonnance n° 2010-001 du 22 février 2010 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition, modifiée par l’ordonnance n° 2010-05 du 30 mars 2010 prise par le Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie (CSRD) au Niger.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Cartier, E., « Les petites constitutions : Contribution à l’analyse du droit constitutionnel transitoire », RFDC, 71, 2007 ; Zaki, M., « Petites constitutions et droit transitoire en Afrique », Nouvelles Annales Africaines, Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2012, p. 3-46. Prelot, M., « Institutions politiques et droit constitutionnel », in Précis de droit constitutionnel, 6e édition, Dalloz, Paris, 1975, cité par ZAKI, M., Ibid., p. ; Ouedraogo, S. M., Ouedraogo, D., « Libres propos sur la transition politique au Burkina Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », disponible sur le site de la Revue Afrilex : http://www.afrilex.u-bordeaux4.fr/.  [Retour au contenu]
  • [28]
    Meledje Djedjro, F., « Les arrangements politiques et la constitution : le droit constitutionnel de crise », in Droit constitutionnel, op. cit., p. 238.  [Retour au contenu]
  • [29]
    La plupart des constitutions des pays francophones d’Afrique proclame les principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945, la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, les deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, aux droits économiques, sociaux et culturels, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 de l’Union africaine et le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.  [Retour au contenu]
  • [30]
    Meledje Djedjro, F., « Les arrangements politiques et la constitution : le droit constitutionnel de crise », in Droit constitutionnel, op. cit., p. 240.  [Retour au contenu]
  • [31]
    Ibid., p. 241  [Retour au contenu]
  • [32]
    Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 6.  [Retour au contenu]
  • [33]
    Ibid., p. 7.  [Retour au contenu]
  • [34]
    Chapitre 1er de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, signé le 28 août 2000.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Article 16 du Chapitre II intitulé « Arrangements de transition » de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Article 7, 1.a) « Le pouvoir exécutif » de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, p. 35.  [Retour au contenu]
  • [37]
    Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, p. 38, 162.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Préambule de la Charte de la Transition qui a été signée à Ouagadougou (Burkina Faso) le 13 novembre 2014 par les partis politiques, les organisations de la société civile, les forces de défense et de sécurité et les autorités religieuses et coutumières. Elle est entrée en vigueur dès sa signature conformément à son article 24.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Soma, A., « Réflexions sur le changement insurrectionnel au Burkina Faso », Revue CAMES/ SJP, n° 001/2015 (1er semestre), p. 9 ; Ouedraogo, S. M., Ouedraogo, D., « Libres propos sur la transition politique au Burkina Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », disponible sur le site de la Revue électronique Afrilex : http://www.afrilex.u-bordeaux4.fr/.  [Retour au contenu]
  • [40]
    Article 25 de la Charte de la transition du Burkina Faso, op. cit.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 9.  [Retour au contenu]
  • [42]
    Voir par exemple, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 de l’Union africaine et le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.  [Retour au contenu]
  • [43]
    À titre illustratif, voir les préambules de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, de la Constitution burkinabé du 2 juin 1991, de la Charte de la transition du Burkina Faso et de la Constitution nigérienne du 25 novembre 2010.  [Retour au contenu]
  • [44]
    Inventé par le juge constitutionnel français, le bloc de constitutionnalité désigne l’ensemble formé par la Constitution du 4 octobre 1958 et les textes auxquels renvoie son préambule : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. Avril, P., Gicquel, J., Lexique de droit constitutionnel, PUF, 2004, p. 14. Voir aussi Denizeau, C., Existe-t-il un bloc de constitutionnalité ? LGDJ, Paris, 1997 ; Le Devillec, A., « Un ordre constitutionnel confus », in les 50 ans de la Constitution, Litec, Paris, 2008, p. 147 ; Favoreu, L., « Le principe de constitutionnalité », Mélanges Eisenman, 1975, p. 33 ; Mathieu, B., « Les validations législatives devant le juge de Strasbourg […] l’avenir de la juridiction constitutionnelle », RFDA, 2000, p. 289. Il est à noter que la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 et la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 intègrent formellement le droit international : pour la première, il s’agit de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; la seconde intègre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention de New York relative aux droits de l’enfant du 20 décembre 1989 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.  [Retour au contenu]
  • [45]
    Les textes tenant lieu de corpus constitutionnel de la période de transition sont constitués de la proclamation du 18 février 2010 suspendant la Constitution de la Ve République du Niger ainsi que des institutions, de l’ensemble des textes organisant les pouvoirs publics pendant la période de transition et des textes qui les complètent et les précisent.  [Retour au contenu]
  • [46]
    Le Conseil constitutionnel de transition peut être saisi par le président du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), chef de l’État, ou par le Premier ministre, ou encore par le président du Conseil national consultatif (CCN) sur des textes touchant aux droits fondamentaux. Sur la compétence du Conseil constitutionnel de transition et les autorités habilitées à le saisir voir respectivement article 5 et 6 de l’ordonnance n° 2010-038 du 12 juin 2010 portant composition, attributions, fonctionnement et procédure à suivre devant le Conseil constitutionnel de transition.  [Retour au contenu]
  • [47]
    Pour s’en convaincre, voir site de la Cour constitutionnelle du Niger : www.cour-constitutionnelle-niger.org  [Retour au contenu]
  • [48]
    Haute cour constitutionnelle de Madagascar, décision n° 04-HCC/D3 du 17 juillet 2013 concernant la loi n° 2013-004 régissant la vacance de la présidence de la Transition, p. 1.  [Retour au contenu]
  • [49]
    Ibid., p. 3.  [Retour au contenu]
  • [50]
    Ibid., p. 6-7.  [Retour au contenu]
  • [51]
    Conseil constitutionnel du Burkina Faso, Décision n° 2015-010/CC/transition du 30 janvier 2015 sur la conformité à la Constitution et à la Charte de la transition, de la loi organique n° 003- 2015/CNT du 23 janvier 2015 portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de la commission de la réconciliation nationale et des réformes. Le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes les articles 4 deuxième tiret et 35 de ladite loi : « Article 4 : – la souscommission vérité, justice et réconciliation nationale a pour mission de se saisir et documenter toute affaire de crime de sang et de crime économique et peut auditionner toute personne à cet effet » ; « Article 35 : En cas de conflit entre les dispositions de la présente loi organique et celles d’une autre loi de même nature, les dispositions de la présente loi organique priment pendant la durée du mandat de la commission ».  [Retour au contenu]
  • [52]
    Conseil d’État, 30 octobre 1998, Sarran, G.A. n° 113 ; Cour de cassation, 1er juin 2000, Dlle Fraise, Revue du droit public, 2000, p. 1037 ; Conseil constitutionnel, 19 novembre 2004, Traité établissant une constitution pour l’Europe.  [Retour au contenu]
  • [53]
    Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 16.  [Retour au contenu]
  • [54]
    Ibid., p. 12-14.  [Retour au contenu]
  • [55]
    Mbodj, E., « La constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique. L’exemple de la République démocratique du Congo », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1er mars 2010, n° 2, p. 3-5.  [Retour au contenu]
  • [56]
    La proclamation en date du 18 février 2010 du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) à la même date a prévu la suspension de la Constitution de la VIe République ainsi que la dissolution des institutions, que ce soit au niveau de l’État ou celui des autorités locales.  [Retour au contenu]
  • [57]
    L’ordonnance n° 2010/001 du 22 février 2010 à valeur constitutionnelle, modifiée par l’ordonnance n° 2010/005 du 30 mars 2010, définit l’organisation des pouvoirs publics durant la période de transition. Cela rappelle l’Acte n° XXI/CN du 29 octobre 1991, portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition au Niger.  [Retour au contenu]
  • [58]
    Arrêt n° 002/CCT/MC du 7 octobre 2010, p. 3 disponible sur le site : www.cour-constitutionnelle-niger.org (consulté le 19 mai 2015).  [Retour au contenu]
  • [59]
    Article 76 de la loi n° 13.001 portant Charte constitutionnelle de transition de la République centrafricaine.  [Retour au contenu]
  • [60]
    Article 107, ibid. Les Actes constitutionnels abrogés sont les n° 1 et n° 2 du 26 mars 2013 portant organisation provisoire des pouvoirs de l’État.  [Retour au contenu]
  • [61]
    Cour constitutionnelle de transition de la République centrafricaine, décision n° n° 005/15/ CCT du 15 avril 2015 sur la séquence des opérations référendaires et électorales prévues à l’article 44 tiret 5 de la Charte constitutionnelle de transition et sur l’interprétation des dispositions de l’article 104 de la Charte constitutionnelle de transition, p. 4.  [Retour au contenu]
  • [62]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [63]
    Mambo, P., « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les États africains : réflexion sur la légalité constitutionnelle en période de crise », op. cit., p. 2.  [Retour au contenu]
  • [64]
    Wodié, F., Le conflit ivoirien : solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 12.  [Retour au contenu]
  • [65]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [66]
    L’Accord de Pretoria sur le processus de paix en Côte d’Ivoire, signé le 6 avril 2005, dispose en son point 14 relatif à l’éligibilité à la présidence de la République : « Les participants à la rencontre ont discuté de l’amendement de l’article 35 de la Constitution. Ayant écouté les points de vue des différends leaders ivoiriens, le Médiateur s’est engagé à se prononcer sur ce sujet après avoir consulté le Président de l’Union africaine, Son Excellence le Président Olusegun Obasanjo et le Secrétaire général des Nations Unies, Son Excellence Koffi Annan. La Décision issue de ces consultations sera communiquée aux leaders ivoiriens. Le Médiateur fera diligence pour régler cette question ». Texte reproduit in Meledje Djedjro, F., Droit constitutionnel, op. cit., p. 334.  [Retour au contenu]
  • [67]
    Meledje Djedjro, F., Droit constitutionnel, op. cit., p. 245.  [Retour au contenu]
  • [68]
    Wodié, F., Le conflit ivoirien : Solution juridique ou solution politique ? op. cit., p. 17 ; Meledje Djedjro, Droit constitutionnel, op. cit., p. 245-246.  [Retour au contenu]
  • [69]
    Dans le domaine des rapports entre le président de la République et le Premier ministre, l’article 53 de la Constitution ne prévoit pas de partage de pouvoirs. Cet article dispose : « Le président de la République peut, par décret, déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du Gouvernement. Le Premier ministre supplée le président de la République lorsque celui-ci est hors du territoire national. Dans ce cas, le président de la République peut, par décret, lui déléguer la présidence du Conseil des ministres, sur un ordre du jour précis. Le président de la République peut déléguer, par décret, certains de ses pouvoirs au Premier ministre ou au membre du Gouvernement qui assure l’intérim de celui-ci. Cette délégation de pouvoirs doit être limitée dans le temps et porter sur une matière ou un sujet précis ».  [Retour au contenu]
  • [70]
    C’est le président de la République qui a déféré la résolution 1721 en date du 1er novembre 2006 du Conseil de sécurité des Nations unies au Conseil constitutionnel à l’effet de savoir si cette résolution comporte des dispositions contraires à la Constitution de la République de Côte d’Ivoire.  [Retour au contenu]
  • [71]
    SINDJOUN, L., Les grandes décisions de la justice constitutionnelle. Droit constitutionnel jurisprudentiel et politiques constitutionnelles au prisme des systèmes politiques africains, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 305.  [Retour au contenu]
  • [72]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [73]
    L’article 36 de la Constitution malienne du 27 février 1992 dispose en ses alinéas 2, 3 et 4 : « En cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre, les fonctions du président de la République sont exercées par le président de l’Assemblée nationale. Il est procédé à l’élection d’un nouveau président pour une nouvelle période de cinq ans. L’élection du nouveau président a lieu vingt et un jour au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement »  [Retour au contenu]
  • [74]
    Avis n° 2012-003/CCM du 31 mai 2012 émis par la Cour constitutionnelle du Mali.  [Retour au contenu]
  • [75]
    L’article 41 de la Constitution malienne dispose : « Le président de la République, sur proposition du Gouvernement, pendant la durée des sessions ou sur proposition de l’Assemblée nationale, après avis de la Cour constitutionnelle publié au Journal officiel, peut soumettre au référendum toute question d’intérêt national, tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord d’union ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Quant à l’article 50 alinéa 1er de la même Constitution, il dispose que « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances, après consultation du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale et du Haut Conseil des collectivités ainsi que de la Cour constitutionnelle ».  [Retour au contenu]
  • [76]
    L’Accord-cadre a été signé le 6 avril 2012 entre les militaires et la CEDEAO. Il consacre le pseudo rétablissement de l’ordre constitutionnel au Mali qui se traduit par la mise en œuvre formelle de l’article 36 de la Constitution, confortée par l’intronisation d’un Président intérimaire.  [Retour au contenu]
  • [77]
    Arrêt à consulter sur le site web de l’Institut de Politique et de Gestion du Développement de l’Université d’Anvers : www.uantwerpen.be/burundi.  [Retour au contenu]
  • [78]
    L’article 96 de la Constitution dispose : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois ».  [Retour au contenu]
  • [79]
    L’article 302 de la Constitution dispose : « À titre exceptionnel, le premier président de la République de la période de post-transition est élu par l’Assemblée nationale et le Sénat élus réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des membres. Si cette majorité n’est pas obtenue aux deux premiers tours, il est procédé immédiatement à d’autres tours jusqu’à ce qu’un candidat obtienne le suffrage égal aux deux tiers des membres du Parlement. En cas de vacance du premier président de la République de la période post-transition, son successeur est élu selon les mêmes modalités prévues à l’alinéa précédent. Le Président élu pour la première période post-transition ne pas dissoudre le Parlement. ».  [Retour au contenu]
  • [80]
    Cour constitutionnelle du Burundi, arrêt RCCB 3030 du 4 mai 2015, en son point 4.  [Retour au contenu]
  • [81]
    Ibid., point 5.  [Retour au contenu]
  • [82]
    Sur ce point, voir Vandeginste, S., « Droit et pouvoir au Burundi : un commentaire sur l’arrêt du 4 mai 2015 de la Cour constitutionnelle dans l’affaire RCCB 303 », à publier dans Reyntjens, F., et al. (eds.), L’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2014-2015.  [Retour au contenu]
  • [83]
    Cour constitutionnelle du Burundi, arrêt RCCB 3030 du 4 mai 2015, p. 4-5.  [Retour au contenu]
  • [84]
    Kramer, L., « Au nom du peuple. Qui a le dernier mot en matière constitutionnelle ? », Revue du droit public, 2005, p. 1027.  [Retour au contenu]
  • [85]
    Ardant, Ph., Mathieu, B., Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit., p. 126-127.  [Retour au contenu]
  • [86]
    Sur le non-respect de ce principe constitutionnel, voir Loada, A., « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », Revue électronique, Afrilex, 2003, p. 139-174.  [Retour au contenu]
  • [87]
    Article 7.3. de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, op. cit., p. 35.  [Retour au contenu]
  • [88]
    Sur les droits et libertés consacrés par les instruments internationaux en matière électorale, voir Tuccinardi, D., Wally, M. (eds.), International Obligations for Elections, Guidelines for legal Frameworks, International Institute for Democracy ans Electoral Assistance (IDEA), Stockholm, 2014.  [Retour au contenu]
  • [89]
    Diallo, I., « La légitimité du juge constitutionnel africain », Revue semestrielle de publication en sciences juridiques et politiques du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES), n° 001/2015 (1er semestre), p. 150-176.  [Retour au contenu]
  • [90]
    Debard, Th., Dictionnaire de droit constitutionnel, 2e édition enrichie et mise à jour, Ellipses, 2007, p. 103.  [Retour au contenu]
  • [91]
    Mastor, W., Hourquebie, F., « Les cours constitutionnelles et suprêmes étrangères et les élections présidentielles », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 34 (Dossier : l’élection présidentielle), janvier 2012, disponible sur le site web du Conseil constitutionnel français : www.conseil-contitutionnel.fr, p. 2.  [Retour au contenu]
  • [92]
    Ibid., p. 6.  [Retour au contenu]
  • [93]
    Belaid, S., « Justice constitutionnelle et État de droit », in Académie Tunisienne de Droit constitutionnel, La justice constitutionnelle, p. 120 cité par Meledje Djedjro, F., Les grands arrêts de la jurisprudence constitutionnelle ivoirienne, Centre National de Documentation Juridique, Abidjan, 2012, p. 614.  [Retour au contenu]
  • [94]
    Lambert, E., Le gouvernement des juges, 1921, rééd. Dalloz, Paris, 2006 ; Brondel, S., Foulquier, N., Heuschling, L., Gouvernement de juges et démocratie, Publ. De la Sorbonne, Paris, 2001 ; Hamon, L., Les juges de la loi. Naissance et rôle d’un contre-pouvoir : le Conseil constitutionnel, Fayard, Paris, 1987.  [Retour au contenu]
  • [95]
    Par exemple, pour assurer le respect des décisions de la Cour constitutionnelle, le constituant nigérien a prévu que tout jet de discrédit sur les arrêts de celle-ci, est sanctionné conformément aux lois en vigueur, c’est-à-dire le code pénal et le code de procédure pénale. Voir article 134 alinéa 2 de la Constitution du 25 novembre 2010.  [Retour au contenu]

Le rôle de la Cour dans la résolution des conflits entre la Constitution et les normes internationales (Slovénie)

Jadranka Sovdat, vice-présidente de la Cour constitutionnelle de Clovénie

1. Introduction

Les États régissent différemment les relations entre leurs ordres constitutionnels et le droit international. Les bases principales de ces relations sont souvent régies par les constitutions elles-mêmes. De ce point de vue, la question suivante se pose : un ordre constitutionnel particulier reconnaît-il la primauté du droit international ? S’il ne la reconnaît pas et si des conflits surgissent entre les deux ordres juridiques, comment ces conflits sont-ils résolus au sein de l’État et quelle est l’institution qui joue le rôle décisif dans leur résolution ? Je voudrais répondre à ces questions du point de vue de l’ordre constitutionnel de la République de Slovénie.

La République de Slovénie se place parmi les États dans lesquels la démocratie constitutionnelle [1] est établie. Cela signifie que dans un État de droit où le système de la séparation des pouvoirs est établi, la Cour constitutionnelle est appelée à poser des limites constitutionnelles au législateur lorsqu’il régit les relations sociales par une force contraignante. Toutefois, la Cour constitutionnelle slovène (ci-après : CC) ne veille pas uniquement à la constitutionnalité des lois. En effet, malgré l’existence du système judiciaire administratif, elle exerce également sa compétence sur le contrôle de la constitutionnalité (et la légalité) des règlements du pouvoir exécutif et même sur le contrôle de la constitutionnalité (et la légalité) des règlements des collectivités locales. Étant donné qu’en Slovénie, le recours constitutionnel est établi, la CC contrôle également les tribunaux, à savoir du point de vue du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après : droits de l’homme) [2]. En exerçant toutes ces compétences, la CC joue le rôle de gardien de la Constitution – comme juridiction qui interprète la Constitution avec une force juridiquement contraignante [3].

Dans le cadre de l’exercice de ses compétences, la CC joue également un rôle important dans le maintien du rapport défini par la Constitution entre le droit international et la Constitution. Pour présenter ce rôle, j’exposerai d’abord la place du droit international dans l’ordre constitutionnel slovène et dans ce cadre, les conflits possibles qui peuvent surgir dans le rapport entre les deux ordres juridiques. Ensuite, j’aborderai brièvement les différents types de compétences confiées à la CC, afin de pouvoir examiner les différents aspects de son rôle dans la détermination du rapport entre le droit constitutionnel et le droit international. L’examen des questions mentionnées, accompagné des prises de position adoptées à ce jour par la CC dans sa jurisprudence, conduira à la conclusion finale qui montre que la CC assume un rôle important à multiples facettes dans le maintien de la relation constitutionnelle entre le droit constitutionnel et le droit international. Ce faisant, elle protège d’un côté la Constitution, tout en permettant, de l’autre, d’assurer la crédibilité de l’État en tant que sujet de droit international.

2. La position du droit international dans l’ordre constitutionnel

Dans ses dispositions générales (article 8), la Constitution exige que les lois et autres actes juridiques réglementaires soient conformes aux principes généralement acceptés du droit international et aux traités internationaux obligeant la Slovénie, et que les traités internationaux ratifiés et promulgués soient appliqués directement. Dans le chapitre sur la constitutionnalité et la légalité (article 153/II), elle précise que les lois doivent être conformes aux principes du droit international généralement acceptés et aux traités internationaux en vigueur ratifiés [4] par l’Assemblée nationale (le Parlement slovène) ; les règlements subordonnés à la loi [5] et autres actes généraux doivent aussi être conformes aux autres traités internationaux ratifiés [6]. Ces deux dispositions constitutionnelles citées déterminent le cadre constitutionnel en vertu duquel il est déjà possible d’indiquer que dans la hiérarchie des actes juridiques, le droit international est supérieur aux lois. En revanche, il ne l’est pas par rapport à la Constitution, parce que cette dernière n’accepte pas la primauté du droit international, comme la CC s’est expressément prononcée [7] sur ce point. Ce faisant, la CC n’a pas fait de distinction entre les différentes sources du droit international. Ceci laisse donc penser qu’elle a considéré toutes les sources juridiques internationales comme inférieures à la Constitution. De l’exposé ci-dessous, Il apparaîtra évident qu’en général une telle conclusion est correcte, bien que dans le détail, quelques exceptions existent.

Les traités entrent dans l’ordre juridique interne sur la base de l’entrée en vigueur de la loi de ratification [8]. Toutefois, en dépit du fait qu’un des articles de la loi de ratification résume le texte du traité, ce dernier n’obtient pas le statut de la loi [9]. Le traité continue d’exister en tant que traité international et sa validité dans la hiérarchie des actes juridiques est celle déterminée par la Constitution, c’est-à-dire que (en règle générale) le traité est inférieur à la Constitution et supérieur à la loi. La CC a attribué aux traités ratifiés par décret gouvernemental une position supérieure à celle des règlements adoptés par le Gouvernement [10]. En effet, dans la hiérarchie intérieure des actes, les règlements d’exécution gouvernementaux doivent être conformes à la loi (article 153/III de la Constitution). En revanche, il semble que pour les traités ratifiés par décret gouvernemental une telle exigence n’existe pas [11]. Mais ceci n’entraîne pas en même temps l’exigence que les lois soient conformes à ces traités. Dans ce sens, l’article 153/II de la Constitution concrétise plus en détail la disposition générale de l’article 8 et exige clairement que les lois soient conformes uniquement aux traités ratifiés par l’Assemblée nationale [12]. Mais étant donné que les traités ratifiés par décret gouvernemental sont le plus souvent signés afin de mettre en œuvre les traités ratifiés par la loi, il ne devrait pas y avoir (au moins en règle générale) de divergence entre ces derniers et les lois.

Toutes les sources du droit international ne sont cependant pas inférieures à la Constitution. Nous pouvons constater cela pour les « principes du droit international généralement acceptés » ou pour les « principes du droit international » mentionnés dans la Constitution aux articles 8, 153/II et 160/I. Dans la doctrine juridique, ces deux expressions citées sont la plupart de temps considérées comme synonymes et interprétées au sens large [13]. Le point de vue partagé est qu’il faut reconnaître la position supraconstitutionnelle de ces principes généraux du droit international qui protègent les valeurs fondamentales légales, humanitaires et civilisatrices, et interpréter les principes constitutionnels et les droits fondamentaux en conformité avec ces principes [14]. Puisque, comme M. PetriÍ l’écrit [15], les principes généraux de droit (general principles of law) reconnus comme source de droit international sont les principes fondamentaux du droit et des normes les plus générales des ordres juridiques internes que les États appliquent pour régir les relations internationales – nous pouvons partager l’avis selon lequel il est difficile d’imaginer en pratique des cas de collision entre eux et les principes constitutionnels fondamentaux [/footnote]U. Umek, Commentaire à l’article 8 (Komentar k členu 8), dans : L. Šturm (réd.), Commentaire de la Constitution de la République de Slovénie, Supplément – A (Komentar Ustave Republike Slovenije, Dopolnitev – A), Fakulteta za državne in evropske študije, Ljubljana 2011, p. 133.[/footnote]. Compte tenu de cela, nous constatons que dans la hiérarchie des normes, de tels principes peuvent être considérés comme situés au niveau constitutionnel puisqu’ils sont reconnus aussi comme les principes constitutionnels sur lesquels un État souverain et démocratique est fondé, existe en tant que membre à part entière de la communauté internationale et dans lequel l’État de droit et les droits de l’homme sont respectés.

La Constitution ne régit pas spécifiquement les traités portant sur les droits de l’homme. Malgré cela, ces traités occupent une place particulière. L’article 15 de la Constitution régit les principes fixant l’exercice et la limitation des droits de l’homme. Parmi ces principes, le cinquième paragraphe de cet article de la Constitution précise qu’il n’est permis de limiter aucun des droits de l’homme définis dans les actes juridiques en vigueur en Slovénie sous prétexte que la Constitution ne les reconnaît pas ou ne les reconnaît que dans une moindre mesure. Les traités régissant les droits de l’homme sont aussi des actes juridiques en vigueur en Slovénie. Si d’un côté, la Constitution ne régit pas du tout un certain droit de l’homme, le traité sera donc appliqué automatiquement. Si de l’autre, la régulation d’un droit de l’homme existe dans les deux ordres juridiques mais n’est pas la même, dans le cas d’une collision entre les deux, la norme constitutionnelle doit être écartée à la faveur de la norme du droit international si cette dernière assure un niveau de protection de ce droit de l’homme plus élevé que la Constitution. Le cas échéant, la norme internationale prévaut [16] sur la norme constitutionnelle [17]. Par contre, si la Constitution assure une protection plus élevée du droit de l’homme que le traité, elle prend évidemment la première place. Nous pouvons donc parler du principe de protection maximale des droits de l’homme qui requiert soit la protection basée sur la Constitution, soit la protection basée sur le traité, selon le niveau de protection des droits de l’homme.

Considérant ce qui précède, la question est de savoir si les traités qui assurent un certain droit de l’homme dans une plus large mesure que la Constitution occupent une position supraconstitutionnelle. Jusqu’à présent, la CC ne leur a pas reconnu cette place dans sa jurisprudence, mais elle a décidé que les traités régissant les droits de l’homme relèvent, précisément à cause de l’article 15/V de la Constitution, du niveau constitutionnel [18]. Nous pouvons soutenir ce point de vue puisque selon la régulation et le niveau de protection du droit de l’homme concerné c’est soit la Constitution soit la norme du droit international qui prévaut et cela sur la base du principe établi par la Constitution elle-même. Le plus important est qu’en Slovénie ce n’est pas seulement la protection constitutionnelle des droits de l’homme garantis par la Constitution qui est assurée, mais aussi la protection des droits de l’homme garantis par les traités.

La Slovénie est un État membre de l’Union européenne (ci-après UE) qui est une institution supranationale particulière créée sur la base des traités par lesquels des États ont transféré à cette institution l’exercice d’une partie de leurs droits souverains. Bien que la Constitution ait été modifiée précisément à l’entrée du pays dans l’UE, un article dit « européen » n’y a pas été expressément inclus. En effet, avec le nouvel article 3a de la Constitution, les règles concernant le transfert de l’exercice d’une partie des droits souverains aux organisations internationales sont fixées au niveau abstrait sans qu’il soit précisé quelles sont les organisations internationales en question [19]. Un tel traité doit être ratifié à la majorité des deux tiers des suffrages de tous les députés, c’est-à-dire à la majorité par laquelle la Constitution peut être modifiée. L’article 3a/I de la Constitution permet le transfert de l’exercice d’une partie de la souveraineté de l’État uniquement aux organisations internationales fondées sur le respect des droits de l’homme, la démocratie et les principes de l’État de droit. Au troisième paragraphe de l’article 3a, elle fixe que les actes juridiques et les décisions adoptés dans le cadre de telles organisations sont appliqués conformément à l’ordre juridique de ces organisations. Sur cette base, des prises de position se sont développées dans la doctrine juridique selon lesquelles c’est précisément cette disposition qui, dans le cas de l’UE, assure l’applicabilité directe du droit européen et reconnaît également la primauté du droit européen sur le droit national [20]. En fait, cela signifie que le droit de l’UE prime sur la Constitution de l’État, ce qui vaut aussi si la Constitution est contraire (seulement) à ce qu’on appelle le droit dérivé de l’UE et même s’il s’agit de dispositions constitutionnelles qui garantissent les droits de l’homme [21]. La prise de position sur la primauté du droit de l’UE par rapport à la Constitution peut être acceptable pour la plupart des dispositions constitutionnelles parce que les principes fondamentaux qui définissent la relation entre le droit interne et le droit de l’UE (ce sont les principes de primauté, loyauté, applicabilité directe, effet direct, transfert des compétences, subsidiarité et proportionnalité) sont, selon l’article 3a/III, en même temps les principes constitutionnels [22]. La question se pose toutefois de savoir si nous pouvons vraiment accepter cela inconditionnellement lorsqu’il s’agit des droits de l’homme [23]. Dans la doctrine juridique, il y a aussi des prises de position qui soulignent, en conformité avec la théorie du pluralisme constitutionnel, que la relation entre le droit de l’UE et le droit national n’est pas hiérarchique, mais hétérarchique, puisqu’il s’agit de deux ordres juridiques indépendants au même niveau, et que le droit national n’est pas subordonné au droit européen [24].

Le rapport entre l’ordre constitutionnel et le droit de l’UE est né comme conséquence du transfert par un traité de l’exercice d’une partie des droits souverains de l’État à une institution spéciale – l’UE. Il est tellement particulier qu’il faut le mettre à l’écart du cadre général de la réglementation du rapport entre la Constitution et le droit international. En raison de sa complexité et de ses particularités, son examen aurait dépassé la portée de cet exposé, et je le laisserai de côté dans l’analyse suivante.

3. Les compétences et les pouvoirs de la CC

Du point de vue comparatif, nous pouvons classer la CC parmi les cours constitutionnelles ayant de nombreuse compétences : elle statue sur la constitutionnalité des lois, la constitutionnalité et la légalité des règlements subordonnés à la loi, les recours constitutionnels à cause des violations des droits de l’homme lors des procès judiciaires, la procédure de destitution des titulaires de fonctions gouvernementales supérieures (chef de l’État, chef du Gouvernement, ministre), la constitutionnalité des référendums législatifs et locaux, les conflits de compétence entre les institutions aussi bien au niveau de l’État qu’entre l’État et les entités de l’autonomie administrative locale et sur la constitutionnalité des actes et du fonctionnement des partis politiques. En même temps, nous pouvons la classer parmi les cours constitutionnelles auxquelles un accès généralisé est assuré non seulement à certaines institutions spécifiques (comme par exemple, une minorité de députés, les tribunaux, le médiateur et beaucoup d’autres), mais aussi à des personnes physiques et morales. Celles-ci peuvent, selon les conditions déterminées par la loi, contester directement aussi bien les lois et les autres règlements (par l’initiative) que les décisions judiciaires par lesquelles une décision a été prise à leur encontre sur leurs droits, obligations ou charges (par le recours constitutionnel).

Parmi les compétences de la CC qui sont liées aussi aux questions de droit international, il convient de mentionner en particulier les compétences de contrôle de la constitutionnalité des lois, de contrôle de la constitutionnalité et légalité des règlements subordonnés à la loi, et les recours constitutionnels (les alinéas de 1 à 5 et l’alinéa 6 du premier paragraphe de l’article 160 de la Constitution). La CC a la compétence d’annuler les lois inconstitutionnelles ; elle peut les annuler avec effet ex nunc, aussi avec une période d’ajournement d’un an [25] alors que pour les règlements d’exécution et les règlements des collectivités locales, elle peut les annuler aussi avec effet rétroactif (ex tunc – lorsqu’il faut effacer les effets nuisibles dus à l’inconstitutionnalité ou à l’illégalité) [26]. À part ces techniques de prises de décisions juridiques constitutionnelles qui sont les seules à être régies par la Constitution (article 161/II), la CC utilise aussi d’autres techniques établies pour prendre des décisions, par exemple en rendant des décisions dites « déclaratoires » [27] ou bien les décisions « interprétatives » (interprétation sous réserve). Dans les cas où les violations des droits de l’homme ont été établies, la CC annule les décisions contestées par un recours constitutionnel et renvoie l’affaire au tribunal compétent pour qu’il se prononce à nouveau sur l’affaire [28], où, dans des cas exceptionnels, la CC peut se limiter à la constatation d’une violation d’un droit de l’homme [29]. Elle a aussi la compétence, exceptionnelle pour les cours constitutionnelles, qui est dans certains cas de pouvoir statuer elle-même sur l’affaire en cause après annulation des décisions judiciaires contestées [30].

Lors de l’exercice des compétences citées, la CC touche aussi nécessairement au droit international. D’une manière particulière, elle rencontre ce droit lors du contrôle a priori de la constitutionnalité d’un traité dans la procédure de sa ratification (autorisation de la ratification) à l’Assemblée nationale ( article 160/ II de la Constitution). L’objectif de l’attribution de cette compétence à la CC réside précisément dans le fait qu’à cause de la primauté de la Constitution sur le droit international, elle permet d’éviter un rapport conflictuel entre les normes constitutionnelles et les traités.

4. Le rôle de la CC dans la résolution des conflits entre la Constitution et le droit international

J’ai déjà indiqué dans l’introduction que la CC a essentiellement, lors de l’exercice de ses compétences et en ce qui concerne le droit international, deux rôles différents. Par le premier, elle assure avec ses décisions l’effectivité du droit international dans l’ordre juridique interne – et cela notamment sous deux aspects différents. D’un côté elle est compétente pour contrôler la conformité des lois et autres règlements non seulement avec la Constitution, mais aussi avec le droit international (les principes généraux du droit international y compris le droit international coutumier [31] et les traités ; deuxième alinéa de l’article 160/I de la Constitution). De l’autre, elle doit prendre en compte ex officio le droit international en vigueur, pour chaque contrôle de la constitutionnalité des lois et autres règlements, c’est-à-dire même si les participants dans la procédure devant la CC ne se réfèrent pas au droit international expressément [32]. Nous pouvons donc dire que, dans la procédure devant la CC, la règle iura novit curia est applicable également pour le droit international incorporé à l’ordre juridique interne, tout comme pour la Constitution. Quand il s’agit d’instruments internationaux qui régissent les droits de l’homme, cette règle est applicable aussi bien pour l’exercice de la compétence du contrôle de la constitutionnalité des règlements que pour les décisions sur les recours constitutionnels. L’objectif de ces derniers est justement d’assurer que les tribunaux respectent les droits de l’homme lors des procédures judiciaires, y compris ceux régis par le droit international ; la CC est la dernière juridiction de l’État appelée à vérifier si les tribunaux ont effectivement accompli cette tâche.

Son deuxième rôle fondamental en rapport au droit international est de résoudre les conflits entre ce dernier et le droit constitutionnel, ce qui est le sujet de la présente analyse détaillée. Par rapport aux compétences et aux pouvoirs de la CC présentés, nous pouvons de ce point de vue parler, en réalité, de trois aspects de ce rôle. Le premier aspect se rapporte au rôle qu’elle joue lors du contrôle a priori de la constitutionnalité d’un traité avant son autorisation de ratification. Il est le plus direct et signifie une résolution permanente du conflit d’une manière ou d’une autre. Son caractère est essentiellement préventif.

Le deuxième aspect de son rôle apparaît lorsque le traité (en vigueur aussi au sens du droit international) prend déjà effet dans l’ordre juridique interne. Son incorporation dans l’ordre juridique interne a déjà été effectuée lors de l’entrée en vigueur de la loi (du décret) de ratification (ou bien lors de son entrée en vigueur internationale si avant l’incorporation il n’a pas encore été en vigueur au niveau international). La CC est compétente pour contrôler la constitutionnalité (selon le premier et le troisième alinéa de l’article 160/I de la Constitution) des deux règlements de ratification (la loi et le décret). Elle a aussi le pouvoir de les annuler avec effet immédiat (ex nunc), ou de les annuler avec période d’ajournement, ou bien, pour un décret, de l’annuler même avec effet rétroactif (ex tunc). À travers le contrôle de la constitutionnalité de ses actes internes la CC peut aussi contrôler [33] la constitutionnalité d’un traité. Elle se trouve ici dans le rôle de l’institution qui résout un rapport conflictuel entre le droit constitutionnel et le droit international en protégeant la primauté de la Constitution.

Enfin, le troisième aspect de son rôle apparaît lorsqu’il s’agit des droits de l’homme, car en interprétant les dispositions de la Constitution et des traités, la CC décide si c’est la norme constitutionnelle ou la norme d’un instrument international régissant un droit de l’homme qui prévaut. La CC est obligée de respecter cela quand elle exerce le contrôle de la constitutionnalité des règlements et aussi quand elle décide comme la dernière juridiction de l’État dans des cas individuels. Ce conflit entre le droit constitutionnel et le droit international est toujours résolu en conformité avec le principe de la protection maximale du droit de l’homme en question, qui est déjà établi par la Constitution elle-même (article 15/V).

4.1. Le contrôle a priori de la constitutionnalité d’un traité

Lors de la procédure (de l’autorisation) de ratification d’un traité, la CC donne un avis contraignant sur sa constitutionnalité. Ceci est possible aux termes du deuxième paragraphe de l’article 160 de la Constitution sur proposition des requérants autorisés (le président de la République, le Gouvernement ou un tiers des députés). L’objectif de ce contrôle a priori de constitutionnalité est clairement préventif : éviter qu’à l’entrée en vigueur du traité, des normes internationales inconstitutionnelles directement applicables (self-executing) entrent dans le droit intérieur ou que le traité (non self-executing) oblige l’État à adopter des actes juridiques internes qui seraient non conformes à la Constitution [34].

Le fait que seuls les requérants autorisés peuvent demander le contrôle d’un traité, tout comme le fait qu’ils ne peuvent le demander que lorsque le traité est en procédure (de l’autorisation) de ratification à l’Assemblée nationale, sont les deux exigences procédurales qui doivent être remplies pour que l’avis soit donné. Ainsi, la responsabilité des requérants autorisés est renforcée quand, ayant des doutes sur la constitutionnalité d’un traité, ils saisissent la CC pour le contrôler. La CC a souligné que c’est l’Assemblée nationale qui est responsable des obligations internationales inconstitutionnelles adoptées si aucun requérant autorisé ne demande le contrôle de la constitutionnalité du traité. Par contre, si le contrôle est demandé, c’est la CC qui devient responsable [35], dans le cadre bien sûr du contrôle constitutionnel requis et effectué.

En plus de ce qui précède, l’exigence procédurale touchant le contenu même de la demande présentée par le requérant doit être remplie. Elle doit déterminer expressément pour quelles dispositions du traité le contrôle de la constitutionnalité est demandé, et aussi par quelles dispositions constitutionnelles la CC devrait effectuer le contrôle. En outre, le requérant doit indiquer les raisons de l’inconstitutionnalité alléguée ou au moins présenter ses doutes quant à la constitutionnalité du traité, et ceci même s’il pense que le traité n’est pas inconstitutionnel mais qu’il veut obtenir le contrôle de sa constitutionnalité précisément pour que les doutes soient réfutés [36]. Si les exigences procédurales pour que la CC se prononce ne sont pas remplies, celle-ci rejette la demande [37].

La LCC ne règle pas dans le détail comment l’avis sur la constitutionnalité d’un traité est donné ; pour cela, en vertu de l’article 49/I de la LCC, sont appliquées mutatis mutandis les dispositions de la LCC qui régissent la procédure du contrôle de la constitutionnalité des lois ou autres règlements. Si elle décide sur le fond de l’affaire, elle n’adopte pas une décision, mais un avis.

Jusqu’à présent, la CC a adopté cinq avis sur la constitutionnalité de traités. Dès le premier, en contrôlant la constitutionnalité de l’Accord d’association entre la Slovénie d’un côté et la Communauté européenne et les États membres de l’autre, elle a établi les principes fondamentaux de ce genre de contrôle constitutionnel. Elle a souligné que l’Assemblée nationale ne devait pas autoriser la ratification d’un traité par lequel l’État s’engagerait à modifier la Constitution. L’avis adopté par la CC n’est pas un avis consultatif, mais bien une décision contraignante qui est, quant à sa valeur contraignante et par ses effets juridiques, mis sur un pied d’égalité avec les décisions [38]. Il se distingue de ces dernières par le fait que par un avis, la CC ne peut annuler les dispositions du traité comme elle peut le faire pour les actes juridiques internes [39]. Ceci est tout à fait logique, puisque la CC fonctionne en tant qu’autorité interne de l’État, alors que le traité est un acte de droit international.

La CC décide si le traité est ou n’est pas conforme à la Constitution. Si la CC adopte l’avis qu’il est conforme, sa ratification (l’autorisation de la ratification) est laissée à l’appréciation politique de l’Assemblée nationale. Si, par contre, la CC adopte un avis négatif, c’est-à-dire l’avis que certaines dispositions du traité sont non conformes à la Constitution, le législateur ne peut alors autoriser la ratification du traité que s’il modifie d’abord la Constitution ; sauf si une réserve appropriée au traité est admise, laquelle dans ce cas doit être obligatoirement exprimée.

Jusqu’à présent, la CC a constaté l’inconstitutionnalité de dispositions individuelles d’un traité dans son premier avis sur l’Accord d’association à l’UE. Les dispositions de cet accord qui permettaient aux citoyens des États membres des Communautés européennes (à l’époque) et aux filiales des sociétés d’achat de biens immeubles étaient notamment non conforme avec l’article 68 de la Constitution, qui permettait aux étrangers d’obtenir des biens immobiliers uniquement par voie de succession et sous réserve de réciprocité. Pour cela, avant d’autoriser la ratification de l’Accord d’association, l’Assemblée nationale a modifié la disposition de la Constitution citée. Dans les autres cas, la CC n’a pas constaté d’inconstitutionnalité [40].

Outre les techniques fondamentales de prise de décision judiciaire constitutionnelle (constatation de la conformité/non-conformité d’un traité à la Constitution), jusqu’à présent, la CC a utilisé plusieurs fois la technique de l’avis « interprétatif ». Celui-ci est adopté lorsque le texte du traité peut être interprété d’au moins deux façons différentes dont l’une est conforme à la Constitution et l’autre ne l’est pas (ce qui découle clairement du raisonnement de l’avis). Par son avis, la CC élimine de l’ordre juridique interne l’interprétation non constitutionnelle du traité. La CC s’est déjà servie de cette technique, qui est également une technique constante de la prise de décisions constitutionnelles lors du contrôle des lois et autres règlements, quand elle s’est prononcée dans l’avis no Rm-1/97 sur deux dispositions du traité. De même dans l’avis no Rm-1/02 [41], par lequel elle s’est prononcée sur la constitutionnalité de dispositions particulières de l’accord passé entre la République de Slovénie et le Saint-Siège sur des questions de droit. Comme chaque avis, un avis « interprétatif » donné a un effet en droit interne, mais évidemment, il ne peut pas avoir d’effets au plan du droit international. La CC a expressément souligné cet effet en droit interne : l’avis est contraignant pour toutes les autorités de la République de Slovénie. Cela signifie entre autre que pour l’autorisation de la ratification d’un traité non seulement l’Assemblée nationale, mais aussi les autres autorités de l’État doivent, soit lors de l’exercice de l’accord, soit lors de la conclusion d’accords ultérieurs avec le Saint-Siège, tenir compte de l’interprétation (conforme à la Constitution) de l’accord qui découle de l’avis de la CC.

De cette manière, la CC joue un rôle primordial dans la procédure du contrôle a priori de la constitutionnalité des traités, lequel prévient qu’un conflit ne surgisse entre les normes constitutionnelles et les traités. Assurément, il est préférable de prévenir les conflits que de les guérir.

4.2. Le contrôle indirect de la constitutionnalité d’un traité

Ainsi, par la voie de l’incorporation et après la publication du traité au journal officiel de l’État, les traités deviennent partie intégrante de l’ordre juridique national et s’appliquent directement, conformément à l’article 8 de la Constitution (naturellement, s’ils sont également en vigueur au plan international). Leur applicabilité directe est en pratique possible si la nature de leurs dispositions le permet (donc, s’il s’agit de dispositions dites directement applicables – self-executing). Il faut alors constater pour chaque cas individuel s’il s’agit de telles dispositions ; cela est une des tâches des tribunaux nationaux [42]. Aux termes de l’article 125 de la Constitution, les juges des tribunaux sont liés par la Constitution et par la loi. Le fait qu’ils soient liés par la Constitution implique qu’ils sont aussi liés par les traités. Lorsqu’ils interprètent le droit, ils doivent tenir compte du positionnement hiérarchique des traités qui est supérieur à celui des lois. Dans le cas où les discordances entre le traité et la loi ne peuvent être résolues par les méthodes établies d’interprétation de la loi, ils doivent suspendre la procédure et demander à la CC de contrôler la conformité de la loi avec le traité, comme cela est prévu dans l’article 156 de la Constitution. Les tribunaux doivent aussi procéder ainsi lorsqu’ils sont d’avis que le traité qu’ils doivent appliquer lors d’un procès est non conforme à la Constitution ; dans ce cas, ils doivent contester la loi de ratification devant la CC. Il en est ainsi justement parce que la Constitution ne reconnaît pas la primauté du droit international sur l’ordre constitutionnel. La CC peut-elle contrôler la constitutionnalité du traité aussi à travers la loi de ratification ou à travers le décret de ratification [43].

Si les traités ne sont pas directement applicables, ils deviennent malgré tout, sur la base de la loi de ratification, partie intégrante du droit intérieur et s’appliquent de la même manière que les autres sources de droit qui nécessitent des règlements exécutifs pour être applicables dans des cas individuels [44]. Ceux-ci doivent entrer en vigueur lorsque le traité entre en vigueur au niveau international afin que les obligations fixées par le traité puissent être accomplies. Par conséquent, aussi dans ce cas-là, une obligation internationale qui s’oppose à la Constitution peut exister, ce qui requiert en principe le même procédé que lorsqu’il s’agit de traités directement applicables.

La CC est compétente pour contrôler la loi (ou le décret) de ratification déjà avant que le traité n’entre en vigueur au plan international [45]. Si la CC constatait une inconstitutionnalité du traité, elle pourrait annuler la loi (ou le décret) de ratification [46]. L’annulation n’aurait certainement des effets qu’en droit interne [47], alors qu’au niveau international, cela signifierait une violation du traité qui serait évaluée selon le droit international [48]. Jusqu’à présent, la CC a contrôlé deux traités à travers le règlement de ratification [49], mais elle n’a pas constaté qu’ils étaient inconstitutionnels. Toutefois, la possibilité d’une telle décision existe.

L’annulation des effets du traité en droit interne par l’annulation du règlement de ratification est un outil puissant de la CC en raison des conséquences qu’elle entraîne après que l’obligation a déjà été acceptée au niveau international. L’annulation immédiate du règlement de ratification pourrait ébranler la crédibilité de l’État dans la communauté internationale. Pour cette raison, la CC doit s’en servir de façon extrêmement restrictive. Concernant ce point, la marge de manœuvre est probablement plus large dans le cas de l’annulation avec période d’ajournement. La CC adopte une telle décision lorsqu’elle constate que l’annulation immédiate provoquerait des conséquences inconstitutionnelles encore plus nuisibles que si la loi inconstitutionnelle restait encore en vigueur pendant une certaine période (un an au maximum). Pendant la période d’ajournement, les autorités compétentes ont ainsi assez de temps pour résoudre le conflit entre la Constitution et le traité – soit dans le sens de la révision de la disposition constitutionnelle, soit dans le sens de la dénonciation du traité faite en conformité avec le droit international. Dans ce contexte, il existe naturellement aussi une autre possibilité, à savoir l’interprétation harmonieuse de la Constitution avec le traité – si cela est possible – de façon à ce que le traité ne soit pas considéré comme inconstitutionnel.

4.3. La résolution du conflit par la décision qui fixe la prévalence soit de la norme constitutionnelle, soit de la norme internationale.

En exerçant ses compétences, la CC doit toujours respecter le principe de la protection maximale des droits de l’homme. Elle doit appliquer les traités directement s’ils règlent un droit de l’homme que la Constitution ne règle pas. Elle est aussi obligée d’assurer la prévalence des traités quand ils garantissent la protection d’un droit de l’homme particulier au niveau plus élevé que la Constitution. Comme il a été déjà souligné, les tribunaux eux aussi doivent assurer la primauté du droit international sur les lois et sous certaines conditions, aussi la primauté du droit international régissant les droits de l’homme sur les dispositions constitutionnelles. S’il existe une disposition de loi qui empêche le tribunal d’employer le principe de la protection maximale des droits de l’homme aux termes de l’article 15/V de la Constitution (aux termes de l’article 125 de la Constitution, le tribunal est lié par la loi), le tribunal doit, sur la base de l’article 156 de la Constitution, saisir la CC. Toutefois, le non-respect des droits de l’homme lors d’un procès peut surgir non pas à cause d’une entrave directe dans la loi elle-même, mais aussi parce que, par la voie de l’interprétation, le tribunal a attribué à une disposition de la loi un contenu qu’il ne devrait pas lui attribuer si les exigences constitutionnelles étaient respectées (aussi les exigences des articles 15/V et 8 de la Constitution qui requièrent l’applicabilité directe du traité régissant un droit de l’homme particulier). Le cas échéant, la CC traite ces questions dans les procédures des recours constitutionnels (sixième alinéa de l’article 160/I de la Constitution) [50].

Lorsque les requérants se réfèrent tant aux dispositions de la Constitution qu’aux dispositions des traités, le plus souvent aux dispositions de la Convention (européenne) de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après : la Convention), la CC détermine d’abord si les deux, la Constitution ainsi que le traité, régissent le droit de l’homme concerné ; le cas échéant, la CC apprécie lesquelles des dispositions garantissent une protection d’un droit de l’homme particulier au niveau plus élevé. Si la CC note qu’un droit de l’homme est réglé par le traité, mais que la Constitution ne le comporte pas, elle applique directement les dispositions du traité. Si la CC constate que le niveau de protection est égal (ce qu’elle indique expressément dans les motifs), elle apprécie les violations alléguées selon les dispositions de la Constitution. Dans ce cas-là, la primauté du droit constitutionnel sur le droit international se manifeste, en dépit de l’exigence constitutionnelle de l’applicabilité directe des traités. Ainsi, la CC a déjà apprécié que les dispositions des articles 6, 18 et 13 de la Convention et les articles 14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’assurent pas le droit à la protection judiciaire dans une plus large mesure que l’article 23 de la Constitution ; par conséquent, l’appréciation des violations alléguées du point de vue de la Constitution est suffisante [51]. Elle a agi de la même manière lorsque le requérant s’est référé à l’article 5 de la Convention à propos duquel elle a constaté que les garanties par rapport à l’exigence de l’examen judiciaire de la privation de liberté sans délai excessif de l’article 5/III de la Convention étaient les mêmes que celles de l’article 20 de la Constitution ; pour cette raison, elle n’a apprécié la violation alléguée de ces garanties que du point de vue de la Constitution [52].

Si la Constitution assume un niveau plus élevé d’un droit de l’homme que le traité, la CC applique la Constitution. Dans la décision no Up-1116/09 [53] elle a constaté, contrairement à la Cour administrative de la République de Slovénie, que les normes procédurales pour l’appréciation de l’admissibilité des interférences avec le droit à la liberté personnelle inscrites dans la Convention et dans l’article 19 de la Constitution n’étaient pas comparables. Elle a souligné que la Constitution détermine des critères plus stricts pour limiter le droit à la liberté personnelle. Sur cette base, elle a décidé qu’il fallait assurer à l’étranger dont les mouvements étaient limités à tel point que cela représentait une limitation du droit à la liberté personnelle (par une décision du ministère de l’Intérieur et sur la base de la loi sur la protection internationale) les droits garantis par l’ordre constitutionnel national (comme prévu par l’article 15/V de la Constitution et aussi par l’article 53 de la Convention qui dispose pareillement).

De ce point de vue, il convient encore de mentionner quelques décisions de la CC. Dans l’Ordonnance no Up-1378/06 [54], la CC a indiqué que la Convention ne soulignait que le droit de l’accusé d’utiliser sa langue dans la procédure pénale (articles 5/II et 6/III de la Convention), alors qu’elle ne conférait pas un tel droit aux parties dans d’autres procédures judiciaires. Pour cette raison, la CC a considéré les griefs du requérant du point de vue de l’article 62 de la Constitution qui donne à chacun le droit, dans la réalisation de ses droits et devoirs et lors de procédures devant des autorités de l’État et d’autres autorités remplissant une fonction publique, d’utiliser sa langue et son écriture selon les modalités fixées par la loi. Le cadre constitutionnel de ce droit provient des normes constitutionnelles du procès équitable qui donnent la possibilité aussi à celui qui ne comprend pas la langue du tribunal de suivre la procédure dans la langue qu’il comprend.

Concernant ces points mentionnés, les prises de position de la CC évoluent parfois. Au début, dans le cas du droit de l’accusé d’interroger ou de demander l’interrogation des témoins à charge, la CC s’est appuyée sur la disposition de la Convention [55], parce qu’elle était d’avis que la Constitution ne régissait pas ce droit. Plus tard, s’appuyant sur la Convention et sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : la CEDH), la CC a également interprété la disposition de l’article 29 de la Constitution relative au droit de l’accusé à la défense dans la procédure pénale de manière à ce qu’elle contienne aussi le droit mentionné [56]. Ensuite, dans la décision no Up-1293/10 [57], elle a expressément indiqué que le droit d’interroger les témoins à charge est assuré par le point d) de l’article 6/III de la Convention et par l’article 29 de la Constitution. Ainsi, il est maintenant indubitable que l’article de la Constitution cité assure également le droit d’interroger les témoins à charge dans la procédure pénale, bien qu’il ne le mentionne pas expressément.

Eu égard à ce qui précède, il est également évident qu’à l’aide du contenu expressément inclus dans les dispositions des traités portant sur les droits de l’homme, la CC complète, par la voie de l’interprétation, le contenu des dispositions de la Constitution plus générales portant sur les droits de l’homme. Sur ce fondement, elle exerce ensuite l’appréciation des violations des droits de l’homme alléguées du point de vue de la Constitution et non du point de vue des traités directement applicables.

Une situation particulière apparaît dans ce contexte lorsqu’il s’agit de l’application de la Convention. Ce traité se distingue notamment des autres traités par le fait qu’il établit une institution particulière et un mécanisme destiné à assurer l’observation des dispositions de la Convention. Dans les cas où la CC n’est pas l’ultime autorité quant à l’interprétation des dispositions du traité portant sur les droits de l’homme, puisque le dernier mot est alors confié à la CEDH en tant que tribunal spécial international, surgissent inévitablement des rapports particuliers entre les deux cours qui nécessitent le respect mutuel de leur jurisprudence. La CC est attentive à ce point. Pour cela, elle n’adopte pratiquement pas une seule décision importante sans se référer à des arguments découlant des jugements de la CEDH. Ces derniers trouvent leur place dans les décisions de la CC par deux voies différentes.

En premier lieu, la CC complète les dispositions de la Constitution à l’aide du contenu attribué par la CEDH aux dispositions particulières de la Convention par la voie de l’interprétation [58]. En deuxième lieu, la CC utilise souvent les arguments par lesquels la CEDH justifie ses décisions comme des arguments supplémentaires pour renforcer ses prises de positions [59]. Ce faisant, la CC se considère comme liée à la jurisprudence de la CEDH, indépendamment du fait que le jugement en question ait été adopté dans une affaire où la Slovénie était impliquée dans la procédure [60]. Cela est également un moyen particulier par lequel il est possible d’éviter les conflits entre le droit constitutionnel et le droit international et qui prévient aussi la condamnation de l’État devant la CEDH sur la base du droit international pour violation des droits de l’homme (la Convention).

5. Conclusion

En Slovénie, la primauté de la Constitution sur le droit international est établie. Dans la hiérarchie des actes juridiques, ce dernier est supérieur aux lois (et aux règlements subordonnés à la loi). Il existe trois types d’exceptions à la règle de la primauté de la Constitution. Les principes généraux du droit international peuvent également être reconnus comme des principes constitutionnels. Les traités régissant les droits de l’homme relèvent du niveau constitutionnel, c’est pourquoi leurs dispositions peuvent prévaloir sur les dispositions de la Constitution si elles assurent soit un droit de l’homme que la Constitution n’assure pas, soit un niveau plus élevé de protection du droit de l’homme en question que celui de la Constitution. Une place particulière est aussi occupée par le droit de l’UE, mais une analyse plus approfondie de ce sujet n’est pas l’objet de cet exposé.

L’examen des compétences et des pouvoirs de la CC, ainsi que de la jurisprudence constitutionnelle existante montre que la CC joue un rôle plutôt actif dans la résolution des conflits entre la Constitution et le droit international. Ce rôle est très direct et préventif lorsqu’il s’agit du contrôle a priori de la constitutionnalité d’un traité. Toutefois, les possibilités d’interventions de la CC dans ce domaine ne sont pas encore épuisées. La CC peut également indirectement contrôler la constitutionnalité d’un traité qui est déjà en vigueur tant au niveau international qu’en droit interne à travers le contrôle de la loi (le décret) de ratification. En annulant le règlement de ratification sur la base de laquelle l’incorporation du traité dans l’ordre juridique interne a été réalisée, la CC assure la primauté de la Constitution sur le droit international. Cependant, elle risque ainsi de provoquer que l’État viole les obligations internationales adoptées, ce qui n’est pas vraiment une manière souhaitée de résoudre les conflits entre la Constitution et le droit international.

Finalement, la CC joue un rôle particulier dans le domaine de la protection des droits de l’homme par l’interprétation des dispositions de la Constitution et des traités portant sur les droits de l’homme où, dans l’intérêt d’assurer la protection la plus élevée possible d’un droit de l’homme, elle décide de la prévalence soit de la norme constitutionnelle, soit de la norme du droit international.

Échanges avec la salle

Laurence Burgorgue Larsen, présidente du Tribunal constitutionnel d’Andorre

J’aurais souhaité demander à Monsieur Wagner une précision sur la très intéressante affaire Casimir. Dans votre décision, avez-vous cité l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qui concernait exactement les mêmes faits, ou l’arrêt Allemagne contre Italie de la Cour internationale de justice, qui là aussi concernait la même problématique, ou avez-vous mis en place un raisonnement autonome ?

Richard Wagner, juge à la Cour suprême du Canada

Cette décision émanait de la Cour d’appel du Québec, et a été portée devant la Cour suprême. Je faisais alors partie du panel de la Cour d’appel du Québec et ai participé à la Cour suprême lorsqu’elle a été saisie du dossier. Je n’ai pas participé aux délibérés de cette dernière, qui a confirmé la décision que nous avions rendue. Nous nous sommes limités à l’examen de la loi canadienne, sans pour autant référer aux autres précédents que vous avez cités.

Mourad Medelci, président du Conseil constitutionnel d’Algérie

Je voudrais remercier tous ceux qui ont bien voulu nous éclairer de leurs expériences et synthèses. Les synthèses qui ont été présentées aujourd’hui sont extrêmement importantes, parce qu’elles constituent une base pour la réflexion. Je ne peux que saisir cette occasion pour vous apporter une image, en dehors de la sphère constitutionnelle. Dans cette salle, nous sommes les représentants de pays qui disposent de constitutions plus ou moins anciennes. L’intrusion du droit international diffère selon l’âge des constitutions, les plus jeunes ayant eu la possibilité d’intégrer en leur sein des principes du droit international. L’image que je souhaiterais vous transmettre nous transporte dans un environnement de prévention et de lutte contre les séismes. Dans un certain nombre de pays, certaines zones sont urbanisées depuis longtemps, et leurs bâtiments ont été réalisés selon les normes de l’époque. D’autres zones restent moins urbanisées, mais commencent à l’être sur la base de normes plus récentes. Celles-ci sont les plus solides. Je vous remercie.

Synthèse générale des travaux

Mathieu Disant, professeur à l’Université Lyon Saint-Étienne I, expert auprès de l’ACCPUF

Votre Excellence Madame la Présidente de la Confédération suisse,

Monsieur le Président de l’ACCPUF,

Mesdames et Messieurs les Présidents de juridictions constitutionnelles, Mesdames et Messieurs les conseillers,

Mesdames et Messieurs les congressistes,

Vous arrivez maintenant au terme de vos travaux, dont il m’est fait l’honneur de dresser rapport général de synthèse. Je dois avouer que c’est une mission périlleuse, au regard de la richesse des contributions, qu’elles soient écrites via les questionnaires, ou orales avec les communications présentées durant ces deux journées. Elles constituent une somme de référence pour tous ceux, juges et doctrine, qui s’efforcent de s’interroger aujourd’hui sur « La suprématie de la Constitution », d’en comprendre les rouages, au-delà de la pétition de principe ; dans ses différentes manifestations, dans ses nouvelles acceptions, réinterrogée qu’est cette notion dans un monde juridique ouvert, globalisé, multipolaire et polycentrique, pour reprendre les termes savants à la mode.

La tâche de votre rapporteur est d’autant plus ardue qu’a été retenue un sujet important, de grande portée, formulé de façon générale et ouverte afin que l’analyse puisse s’adapter au mieux à chaque système juridique et à chacune des cours constitutionnelles, tout en permettant de révéler ce qui forge notre patrimoine commun. Ce sont plus de 70 questions qui vous ont été soumises… regroupées en trois sessions de travail, lesquelles ont donné lieu à une quinzaine de communications, enrichies de débats vifs et approfondis. Dresser un état des lieux critique de cette « suprématie de la Constitution » était plus que justifié ; vos travaux, dans leur diversité, l’ont montré de façon évidente. Bien que le sujet n’ait jamais été traité en tant que tel dans les précédents travaux, déjà riches, de l’ACCPUF, il s’agit pour vos cours d’une interrogation continue, liée à l’existence même de la justice constitutionnelle, et qui concentre toute une série de difficultés théoriques et pratiques.

Au-delà des positions adoptées par chaque Cour, les réponses et les débats ont révélé les forces et les incertitudes qui entourent cette notion de suprématie, à plusieurs égards vertigineuse, en tout cas moins rassurante qu’elle ne fut. Que signifie véritablement la suprématie de la Constitution? Vos travaux démontrent que la réponse est loin d’être simple, ce qui est en soi problématique.

D’abord en raison de l’entendu du champ, car la « suprématie de la Constitution » est de nature à recouvrir, pour le constitutionnaliste, aussi bien la théorie du pouvoir constituant, celle du contrôle de constitutionnalité, celle encore de la garantie des droits, voire même des différentes fonctions sociopolitiques de l’État au sein desquelles pourrait être observée la constitutionnalisation du droit – phénomène plusieurs fois évoqué lors de ces journées.

Ensuite, en raison des définitions alternatives qui cohabitent, car la suprématie de la Constitution peut signifier ou bien qu’elle détermine les modes de production des autres règles ; ou bien qu’elle ne peut être révisée qu’au terme d’une procédure particulière (voire qu’elle ne peut jamais être révisée) ; ou bien encore qu’elle contient des normes qui s’imposent au législateur et dont la violation peut être sanctionnée, notamment par l’annulation. Or, ces trois sens – ou ces trois formes de suprématie – sont indépendants les uns des autres : une Constitution peut être suprême dans un sens et non dans un autre.

Complexe, aussi en raison des difficultés entourant l’étude de l’inter-légalité propre à l’articulation de deux ou plusieurs ordres juridiques distincts. Cette approche cultive l’idée qu’il peut exister non pas une seule mais plusieurs hiérarchies des normes et donc plusieurs normes suprêmes. Une telle lecture est alimentée par l’invitation de plus en plus pressante à « repenser les rapports entre ordres juridiques » sur un mode a-hiérarchique et à l’égard duquel les « enclaves constitutionnelles » constituent une cible à abattre au nom, par exemple, de « l’ efficacité du droit de l’Union européenne » telle qu’affirmée par la Cour de justice (arrêt Krizan du 15 janvier 2013). Il ne suffit plus à vos cours, spécialement celles qui siègent en Europe, de se parer de la suprématie de la Constitution, car la notion de suprématie est elle-même déconstruite ou recomposée sur l’autel de l’interpénétration des ordres et d’une « autre » primauté. En d’autres lieux, l’usage du terme « suprématie » est même susceptible d’exposer à la critique de l’idéologie constitutionnelle, voire à l’étiquette du dogmatisme constitutionnaliste… peut-être même à la ringardise, ce qui est beaucoup moins grave !

Enfin, s’il est si difficile de définir la « suprématie de la Constitution », c’est aussi en raison de la notion même de Constitution, car la discussion repose – vos travaux le font ressortir – sur des considérations ontologiques relatives à la nature du droit constitutionnel et plus largement aux sources normatives, en un mot : à l’ordre constitutionnel. En ces matières, vous l’avez mis en évidence, chaque tradition, chaque système, chaque État, connaît des éléments de classification qui lui sont propres. Il est tout à fait impossible, dans le présent rapport, de rendre compte dans le détail des éléments de spécificités qui irrigue votre analyse de la suprématie constitutionnelle.

Notre rapport sera infiniment plus modeste. Bien que les problèmes rencontrés ne soient pas aujourd’hui d’un même niveau de difficulté, vos travaux ont permis de saisir le sujet dans deux de ses principaux volets, tous deux immenses :

  • d’une part, évaluer la suprématie de la Constitution sur les normes internes afin d’en diagnostiquer l’effectivité dans l’ordre juridique et politique national ;
  • d’autre part, analyser la remise en cause de la suprématie de la Constitution par la coexistence et la montée en puissance des droits internationaux, européens et africains.

Au terme d’une lecture historique simplifiée à l’extrême, on pourrait déceler dans ces deux axes, deux temps successifs marquant l’évolution contemporaine de la justice constitutionnelle – sous réserve de prendre en compte, comme nous y a invité le Président Holo, les éléments de contexte qui justifieraient de parler de constitutionnalismes au pluriel. Une conclusion à peine caricaturale autoriserait à faire la part entre la consolidation de la suprématie au plan interne et une suprématie en souffrance au plan externe. Vos travaux témoignent, plus subtilement, de ce que la suprématie de la Constitution procède des garanties du système de droit dans son ensemble et de garanties juridiques, certes spéciales, mais en aucun cas hermétiques. Vous avez notamment éclairé les mutations provoquées par les rapports de système(s) dans la protection des droits fondamentaux – pour évoquer un autre concept à la mode.

Dans l’impossibilité de reprendre tous les aspects soulevés par vos travaux, et dans le souci de ne pas répéter ce qui a été dit, on ne fera état ici que de quelques points forts qui ont donné lieu aux travaux les plus fournis et qui sont apparus comme de réels sujets de vos préoccupations tels qu’ils se sont aussi exprimés dans les réponses au questionnaire.

Cela nous conduit, dans un premier temps, à dresser cinq constats – je n’ose parler de « conclusions » – relatifs à la suprématie constitutionnelle et son effectivité au sein de vos ordres de protection, là où la suprématie trouve sa pleine force en quelque sorte ; il a même été dit par M. Narey que cette suprématie pouvait être « hypertrophiée ». J’en dresserai quelques autres, dans un second temps, sur les aspects spécifiques qui vous ont interrogés quant à la place, plus que conflictuelle ou concurrentielle, je dirai : interstitielle, des normes internationales et leur influence dans la perception de cette suprématie.

1er constat : L’appréciation que vous portez sur l’effectivité de la suprématie de la Constitution en droit interne a de quoi réjouir. Elle est partout affirmée. Qualifiée même « d’indéniable » (Gabon), d’« incontestable » (Bulgarie), de « certaine » (Côte d’Ivoire), d’« évidente » (Mozambique), « insusceptible d’être discutée » (Monaco). Elle ne semble nulle part poser de grave difficulté, du moins dans son acceptation de principe. Il est heureux d’observer, grâce à l’intervention de M. Kilomba, que la jeune Cour de la RDC, en place depuis juillet 2014, a rapidement donné pleine effectivité à son contrôle, notamment par deux censures, l’une sur le fondement du principe d’égalité, l’autre sur le non-cumul des sanctions et l’indépendance de la justice.

Seules subsistent des incertitudes ponctuelles pouvant entourer certaines dispositions transitoires de la Constitution (nous pensons, bien entendu, à la Tunisie, notamment à propos du délai de mise en place du CSM, et par voie de conséquence de la Cour constitutionnelle…) ; ou, ça et là, des tentatives pour réduire les attributions d’une cour jugée trop audacieuse (comme celle du Bénin). Mais le fonctionnement des institutions montre globalement une acceptation du contrôle.

Et parfois une accélération. En France, on observe à cet égard des effets de synergie. Depuis l’entrée en vigueur de la QPC, le nombre de saisines a priori a augmenté : de 10 à 12 saisines en moyenne de lois ordinaires par an avant 2010, et de 12 à 19 par an depuis 2010. En outre, on voit apparaître des saisines du Conseil constitutionnel par la majorité elle-même, voire par le président de la République. Des différents travaux de ces deux journées, il résulte que vos cours disposent d’une position de gardien de la Constitution fortement reconnue, elles incarnent la suprématie constitutionnelle par le caractère opératoire des recours dont elles ont à connaître. Pour reprendre la formule employée par la Moldavie, elles donnent à la suprématie de la Constitution une « réalité juridique avec des conséquences et des garanties ». Incarnation (identification de la justice constitutionnelle) et sanction (force répressive de la justice constitutionnelle) sont les deux maitres-mots d’un contrôle de constitutionnalité opérationnel et d’une norme constitutionnelle effective. Et à cet égard, on ne voit pas se détacher de vos travaux de système véritablement plus effectif que d’autres en raison de telle ou telle modalité d’organisation. Vous avez, au contraire, marqué l’intérêt de mécanismes complémentaires, comme l’a fait notamment le Président Alen s’agissant de la Belgique, Mme Petrova s’agissant de la Moldavie et M. Minea pour la Roumanie.

L’actualité est parfois préoccupante et M. Narey a souligné, à juste titre, les « fragilités » de la suprématie de la Constitution en période de crise… qui tiennent aussi à des décisions peu cohérentes ou contestables. Mais dans la plupart des cas, la place de la Constitution, celle de vos cours et l’autorité de vos décisions sont unanimement reconnues par les institutions publiques, nationales ou locales, et l’ensemble des juridictions nationales. Et j’ajouterai par la société dans son ensemble, même si certaines de vos cours font état, dans des circonstances extrêmes, de manifestations populaires ou de quelques tentatives de résistance parlementaire (par ex. au Bénin). C’est là la rançon de la gloire – celle de la suprématie en l’occurrence : la Constitution s’avère parfois instrumentalisée par les intervenants politiques, c’est un phénomène bien connu sur des sujets jugés politiquement sensibles.

2. Si la Constitution est effectivement suprême, c’est que vos cours ont progressivement renforcé leur contrôle.

C’est un phénomène global, sous certaines réserves émises par le Cameroun, le Congo, le Tchad, le Togo et singulièrement en Slovénie où il est fait état d’un durcissement des conditions de recevabilité des pétitions devant la Cour constitutionnelle, en raison d’un nombre d’affaires trop important.

Différents facteurs permettent d’expliquer ce renforcement, parmi lesquels :

  • Une « jurisprudence volontariste » de la Cour (selon l’expression de la Belgique), en particulier sur les normes de références – on l’a vu – qui densifie le corpus des droits protégés, notamment par l’effet reconnu au Préambule dont M. Benabdallah a souligné l’importance en tant que « référentiel juridique » pour « exprimer la conscience collective de la nation » et « éclairer l’interprétation » des dispositions constitutionnelles
  • L’autorité reconnue aux décisions de la Cour qui, si on le dire ainsi, provisionne la suprématie de la norme constitutionnelle, particulièrement leur portée erga omnes (Côte-d’Ivoire) ; plus largement, « l’imposition permanente de sa jurisprudence à toutes les institutions publiques », et le cas échéant, le suivi par les organisations internationales du respect des décisions de la Cour (Albanie).
  • L’éventail très complet et le développement convergent des méthodes d’interprétation adoptées par vos Cours : interprétation littérale, libérale, historique, téléologique, systématique, analogique, argument pragmatique lié à la présomption de constitutionnalité ; avec parfois une tendance, prégnante au Canada, au développement de l’interprétation intentionnaliste et dynamique ou évolutive, ce que la Belgique a qualifié, par la voix du Président Alen, « d’interprétation actuelle » ou d’« interprétation moderne » des textes anciens.
  • Un autre facteur est le perfectionnement des techniques de contrôle comme celle de la proportionnalité (Mozambique), celle des réserves d’interprétation et plus largement l’interprétation conforme qui permet de sortir du manichéisme validation/annulation (Bulgarie, Gabon, Monaco, France, Belgique, Maroc, Suisse). La technique de l’interprétation conforme est utilisée depuis 1969 par le Tribunal fédéral suisse à l’égard des lois fédérales, en dépit de l’exclusion du contrôle de constitutionnalité, en vue de leur « conférer un sens susceptible de les mettre en harmonie avec la norme supérieure ». Par la « force de l’interprétation », nous disait hier M. Minea pour la Roumanie, la Cour impose une large possibilité de contraintes pesant sur les autorités publiques.
  • Un cinquième facteur repose sur la modération de la Cour lors du contrôle des lois dans le but de respecter l’espace du législateur, ainsi que le souligne l’Albanie par la voix de M. Berberi ; mais aussi le Tribunal constitutionnel andorran qui aime à rappeler qu’il n’a jamais outrepassé ses fonctions ; comme le Conseil constitutionnel français en préservant la marge d’appréciation du législateur. À cet égard, la Cour suprême du Canada utilise explicitement la métaphore du dialogue pour qualifier l’interaction dynamique nouée avec les organes du gouvernement et qui les oblige à se rendre mutuellement des comptes. « En examinant la validité constitutionnelle de textes de loi ou de décisions de l’exécutif », écrit la Cour, « les tribunaux parlent au législatif et à l’exécutif ». Ce processus réflexif ne peut être qu’un « enrichissement du processus démocratique » selon la jurisprudence de la Cour suprême.
  • Enfin, le dernier facteur et pas le moindre, concerne l’élaboration d’un droit post-décision et la gradation des sanctions que vous prononcez. À cet égard, le Conseil constitutionnel français s’attache à assurer « l’effet utile » de ses décisions. Il a développé, surtout depuis l’entrée en vigueur de la QPC, une jurisprudence dédiée à la modulation des effets dans le temps de ses décisions. C’est dans le même esprit que le Canada insiste sur la question des « redressements judiciaires », autrement dit sur les remèdes à l’inconstitutionnalité. La question est alors celle de savoir quelle est la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. Il s’agira notamment, selon la Cour suprême, de « celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur ».

Un point mérite particulièrement d’être évoqué. Celui du dédommagement en cas de violation des droits fondamentaux. Le Bénin fait état d’une évolution récente sur ce point. La Cour y est compétente pour statuer « en général sur la violation des droits de la personne humaine » (art. 117) ; depuis 2002, il est jugé que « cette violation ouvre droit à dommages – intérêts ». Cette évolution ne conduit pas la Cour à se déclarer compétente pour octroyer des dommages et intérêts, les parties gagnantes pourront se prévaloir des décisions du juge constitutionnel pour obtenir devant le juge civil la réparation des préjudices subis.

Tous ces éléments concourent au perfectionnement du contrôle opéré par vos cours, dont les illustrations ne manquent pas. Parmi les cas typiques, on peut évoquer celui du Bénin. C’est en matière de contrôle de constitutionnalité des décisions de justice, notamment des décisions rendues par la Cour suprême, que l’évolution dans la protection des droits fondamentaux a été la plus progressive et la plus visible. Elle a conduit la Cour à s’autoproclamer « la plus suprême des cours suprêmes en matière de droits de l’homme ». Il est désormais jugé qu’« en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions » (décision DCC 09-087 du 13 août 2009). Comme l’a fait observer le Président Spreutels ce matin, la suprématie de la Constitution peut apparaître comme une suprématie du juge constitutionnel !

3. En définitive, les entorses à l’effectivité correspondent aux limites que connaît le contrôle de constitutionnalité.

Telles que rapportées ou évoquées lors des interventions et débats, ces limites tiennent :

  • au « caractère facultatif et limitatif de la saisine » (Algérie, Niger) ;
  • à la « compétence d’attribution » dont le Conseil constitutionnel dispose (France) ;
  • au champ des droits constitutionnels invocables ; l’Albanie a souligné ainsi que « les individus peuvent saisir la Cour pour le contrôle constitutionnel uniquement pour leurs droits constitutionnels à un procès équitable », ce qui s’entend comme un contrôle de procédure et non un contrôle des droits constitutionnels matériels
  • aux normes qui échappent au contrôle : décisions de justice (Belgique, France, Gabon, RDC), lois constitutionnelles (Belgique, France, Côté d’Ivoire, Gabon, Tchad), lois référendaires (Burkina, Côte d’Ivoire), questions touchant à l’état et à la capacité des personnes (Gabon), les actes des organismes autres que les autorités de l’État et les autorités locales (Slovénie) ;
  • à l’impossibilité pour la Cour de s’autosaisir d’une question d’inconstitutionnalité (Cambodge), même lorsqu’il a des doutes sur la conformité à la Constitution de tel ou tel article du texte (Andorre) ;
  • à l’immunité juridictionnelle des compétences exceptionnelles exercées en période de crise (Côte d’Ivoire) ;
  • à l’absence de sanctions à l’égard de ceux qui ne respecteraient pas l’autorité des décisions de la Cour (Congo) ;
  • à l’absence de « contrôle de la manière dont une autorité politico administrative met en œuvre les dispositions d’une loi » (Bénin) ;
  • à l’immunité des actes politiques (Mozambique), des questions de « haute politique » (Canada), ce qu’on peut aussi qualifier d’actes de gouvernement en France ;
  • au caractère abstrait du contrôle, lorsque la Cour ne se prononce jamais sur les circonstances de fait, mais exclusivement sur la conformité aux dispositions constitutionnelles des actes normatifs (Moldavie) ;
  • aux « effets politiques de son rôle » (Andorre) dans la mesure où « il lui est interdit d’effectuer des jugements d’opportunité politique et d’adresser des réprobations, des compliments ou des recommandations aux pouvoirs publics » (affaire 95-1-PI du 3 avril 1995) ;
  • au refus de contrôler les dispositions législatives qui sont l’expression d’un choix posé par le Constituant. Par exemple, la Cour belge considère que le fait qu’une autorité administrative qui inflige une sanction ne puisse poser de question préjudicielle à la Cour résulte d’un choix posé par le Constituant et sur lequel la Cour ne peut se prononcer.

4. Vous avez fait état, par ailleurs, de difficultés auxquelles vos cours ont été spécifiquement confrontées quant à l’effectivité de la Constitution.

Dans la catégorisation des cas particuliers évoqués, et si on laisse de côté les problèmes purement logistiques, et ceux qui relèvent spécifiquement des rapports avec le droit international, on relève trois types de difficultés :

La première difficulté est celle de la non-exécution des décisions, et plus spécifiquement la non-complétion du vide juridique par l’organe législatif quand cela s’avère nécessaire après l’abrogation par la Cour des actes normatifs comme inconstitutionnels. C’est une situation qui a été évoquée par l’Albanie et la Slovénie.

La deuxième difficulté est celle des contradictions de jurisprudences. Cela a été particulièrement mis en lumière par la Belgique entre la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation, notamment parce que cette dernière exerce un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions de droit international ayant effet direct. Le concours de contrôles – le contrôle de conventionnalité direct opéré par la Cour de cassation, d’une part, et le contrôle de constitutionnalité opéré par la Cour constitutionnelle, d’autre part a créé une situation de concurrence potentielle et généré un risque de solutions divergentes, dès lors que de nombreux droits et libertés fondamentaux sont garantis, à la fois, par des dispositions de droit international et par des dispositions constitutionnelles. En vue de prévenir ces difficultés, la Président Alen nous a rappelé que le législateur a intégré dans la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle une règle de priorité constitutionnelle. Elle vise à établir un ordre chronologique dans l’examen de la constitutionnalité et de la conventionnalité des dispositions législatives, lorsque le droit fondamental dont la violation est invoquée est garanti de manière analogue par la Constitution et par une disposition de droit international. Dans cette hypothèse, la juridiction saisie du litige doit interroger la Cour constitutionnelle avant d’effectuer elle-même, le cas échéant, un contrôle du respect des dispositions de droit international. Cette règle a directement influencé le législateur organique français dans la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité ; elle lui doit précisément son nom.

Enfin, la troisième difficulté est le revirement de jurisprudence. Le Bénin, par exemple, a connu cette difficulté en faisant évoluer sa jurisprudence relative au droit de grève pour affirmer le caractère non absolu de ce droit (décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011). Un tel revirement de jurisprudence a été difficilement accepté par les syndicats. Il a fallu que la Cour motive fortement sa décision en recourant aux décisions d’organes internationaux pour justifier ce revirement de jurisprudence.

5. Pour répondre à ces limites ou remédier à ces difficultés, vous faites état de perspectives d’évolution afin d’accroître ou de parfaire l’efficacité de l’intervention de vos cours.

Parmi les projets en cours de réflexion, on notera :

  • l’élargissement du contrôle de constitutionnalité aux lois fédérales en Suisse, projet évoqué régulièrement, dernièrement en 2011, l’idée consensuelle étant de limiter ce contrôle aux cas d’application concret, comme l’a évoqué son Excellence Madame la Présidente Sommaruga ;
  • l’élargissement de la saisine au profit d’un « groupe minoritaire au parlement » (Algérie), ou une ouverture aux citoyens par la voie d’une saisine directe (Burkina, Moldavie), « une plainte constitutionnelle » (Bulgarie) au nom de « l’effet direct » de la Constitution ; la Côté d’Ivoire évoque aussi l’intérêt de « démocratiser la saisine du juge constitutionnel », le Niger estime nécessaire pour « parfaire ce contrôle », de faire « une plus grande ouverture de la saisine par les citoyens » ; la même idée est développée par le Togo.
  • Au Bénin, on s’interroge sur la saisine automatique d’un autre juge en cas de constat de violation des droits de l’homme pour que ce juge prononce une sanction civile ou pénale ; on projette aussi de créer une infraction pénale d’outrage à la Cour constitutionnelle pour sanctionner ceux qui ne se soumettent pas à ses décisions, ainsi qu’un rapport annuel de suivi de l’exécution de ses décisions que la Cour pourrait publier chaque année.
  • Le Conseil du Tchad souhaiterait, quant à lui, être doté du pouvoir d’autosaisine afin de jouer plus efficacement son rôle de protecteur des droits.
  • La Roumanie souligne que « le Parlement devrait être obligé à adopter dans les plus brefs délais des lois ou des dispositions de lois qui remplissent le vide législatif créé par l’admission des exceptions d’inconstitutionnalité ».

*

Reste à évoquer certaines des difficultés spécifiques soulevées par l’articulation de la Constitution et des normes internationales. Là encore, sans reprendre tous les éléments examinés, on dressera une série de constats.

1. À la question de savoir si les normes internationales ont une valeur supérieure à la Constitution, la réponse négative est largement partagée par vos cours. Tout au plus, les normes internationales peuvent-elles faire partie du « bloc de constitutionnalité », jamais le soumettre.

Dans l’ensemble, vos constitutions font obstacle à la ratification d’un traité international inconstitutionnel. Ceux-ci ne pouvant être ratifiés que conformément à la Constitution, ils tirent leur validité de la Constitution. Tout repose sur la reconnaissance du fondement constitutionnel de la valeur juridique des traités internationaux. De façon générale, vous avez marqué votre distance avec l’idée de « supra-constitutionnalité », d’où qu’elle vienne. Il convient aussi d’envisager la situation dans laquelle le traité international est remis en cause par une révision constitutionnelle. En Suisse, une solution pragmatique semble prévaloir : si le traité en question n’est pas très important, la pratique a parfois refusé d’admettre qu’il puisse constituer une limite à la révisibilité de la Constitution – quitte à ce que cela engage la responsabilité internationale de la Suisse. Si en revanche le traité international en question contient des règles contraignantes faisant partie du Jus Cogens, la révision ne peut être soumise au peuple, car la révision de la Constitution doit respecter les règles impératives du droit international (art. 193 al. 4 et 194 al. 2 de la Constitution fédérale).

Les exceptions sont peu nombreuses. Au Burkina comme en RDC, les normes internationales relatives au droit de l’homme dès lors qu’elles sont « internalisées » sont considérées comme ayant une valeur supra- constitutionnelle. En Côte d’Ivoire, et en Guinée, les normes qui émanent des organisations intergouvernementales disposent aussi de cette valeur. La même position est pressentie au Mozambique s’agissant des normes de Jus Cogens, bien que le Conseil constitutionnel n’ait pas encore été appelé à se prononcer directement sur cette hiérarchie.

2. Au-delà de cette alternative, comment votre jurisprudence situe-t-elle la valeur des conventions et traités internationaux lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Bien qu’elle soit fréquente pour certaines, notamment à Andorre, vous avez pu constater que ce n’est pas une question que toutes vos cours ont eu à trancher (Algérie, Bénin, Bulgarie, Burkina, Cambodge, Congo, Guinée, Madagacar, Maroc, RDC, Tchad, Togo, Tunisie). La question ne manquera pas de surgir, aussi compte tenu de la place majeure faite, dans nombre de ces constitutions, au droit international des droits de l’homme, ce qui a été qualifié par Madame Burgorgue-Larsen comme une « originalité du constitutionnalisme africain ».

On distingue deux positions :

La première reste la plus rare. Elle consiste à conférer un statut constitutionnel au traité concerné. C’est en ce sens que ce sont prononcées la cour albanaise et la cour slovène s’agissant du statut de la Convention EDH. Il en est de même en Moldavie où les dispositions internationales en matière des droits de l’homme ont acquis, par la lettre de la Constitution, un « statut constitutionnel spécial dans la hiérarchie des actes normatifs, de rang égal à celui de la Loi suprême et ayant bien entendu priorité sur les lois internes, en cas de divergences » (article 4.2 de la Constitution).

Plus fréquente est la seconde position. Vos cours, pour la plupart, ont refusé de reconnaître valeur constitutionnelle aux dispositions internationales, en leur accordant selon les cas une valeur législative ou supra-législative ; assorti le cas échéant d’un refus d’intégrer les conventions internationales au sein des normes de référence de leur contrôle.

3. Mais vos travaux ont surtout mis en évidence les limites de l’approche strictement hiérarchique. Celle-ci est inévitable car elle permet de comprendre comment s’organise ce que le Canada appelle « l’idée-structure de la suprématie de la Constitution », emprunt du principe de souveraineté de l’État… auquel M. Charasse a vivement rappelé que le France ne renonce jamais ! Mais elle ne rend compte que partiellement des enjeux auxquels vos Cours sont confrontés et des outils mis en œuvre, moins en terme de hiérarchie que d’interaction, pour trouver des solutions opératoires. En cela, vos travaux révèlent une difficulté de méthodologie juridique à laquelle sont de plus en plus confrontées vos cours, et qui ne manque pas d’interpeller.

L’interface du droit international et du droit interne fait l’objet d’outils heuristiques assez anciens, chevillés au normativisme, tels les théories « dualistes » ou « monistes » ; deux lectures, plus exactement deux logiques, auxquelles vos cours reconnaissent pertinence en droit positif, sans y voir des modèles omniscients susceptibles de rationnaliser de façon exhaustive la problématique de fond liée à l’inter-légalité.

Le dualisme relève d’une doctrine de l’adoption, le monisme d’une doctrine de l’incorporation. Dans le premier cas, les dispositions de droit international public font, dès leur entrée en vigueur, partie intégrante du droit national. Elles en sont en quelque sorte une source directe. Dans le second cas, cette réception est conditionnée à la transposition formelle par la législation nationale, au terme d’une perception du monde du droit qui distingue fondamentalement ordre juridique international et ordre juridiques internes, quand bien même certaines n’auraient pas, sur ce sujet, de conception définie (ce que concèdent Andorre, la Bulgarie, le Gabon, le Liban, la Moldavie, le Tchad).

La conception moniste prévaut notamment au Bénin, Burkina, Cameroun, Comores, Congo, Guinée, Niger, Togo, Slovénie, mais aussi au Maroc sous l’effet de la nouvelle Constitution, et tout particulièrement en Suisse où la tradition moniste est prégnante. L’ordre juridique international et l’ordre juridique interne y forment un seul système cohérent. Les particuliers peuvent invoquer directement les dispositions de droit international public devant les tribunaux, dans la mesure où leur contenu est suffisamment déterminé et clair pour qu’elles soient directement applicables. Dans ce sens, la norme internationale fait partie du droit national et les droits qui y sont garantis ont, le cas échéant, un contenu constitutionnel.

La conception dualiste, quant à elle, prévaut en France, en Albanie, en Côte d’Ivoire, à Madagascar, à Monaco, en Roumanie, en Tunisie, également en Algérie qui fait état d’un « dualisme prudent ». Ainsi que cela a été souligné, le Conseil constitutionnel français ne juge que par rapport à la Constitution, il retient donc une conception dualiste des rapports entre droit interne et droit international. Par exemple, pour ce qui est du droit de l’Union européenne, s’il accepte d’opérer un contrôle de conventionalité manifeste des lois de transposition des directives, ce n’est que parce que ce contrôle trouve son fondement dans l’article 88-1 de la Constitution, qui fait de l’exigence de transposition une exigence constitutionnelle.

De son côté, la Cour suprême du Canada s’efforce de s’adapter à la source de normativité internationale concernée. Pour résumer à l’essentiel, la logique moniste est suivie pour la coutume, tandis que la logique dualiste est celle applicable pour les conventions internationales.

4. Mais le principal de ces outils, le plus efficace, celui qui place vos cours comme les métronomes des rapports de système(s) harmonieux, c’est l’interprétation ; l’interprétation dont vous exploitez les inépuisables ressources.

Vous avec marqué que l’interprétation de la Constitution se fait régulièrement, voire systématiquement, au regard des dispositions et jurisprudences internationales pertinentes. Madame la Présidente Burgorgue-Larsen a pu déceler, dans les clauses d’interprétation conforme contenues dans la Constitution, une véritable « fonction herméneutique d’interprétation des droits fondamentaux constitutionnels ».

C’est très explicite au Canada, où la normativité internationale est utilisée comme une source « pertinente et persuasive » d’interprétation, soit pour aider à interpréter les droits et libertés de la Charte canadienne, soit pour décider de la « raisonnabilité » de leur limite. Même en l’absence de transformation formelle en vertu d’une législation interne, la Cour suprême retient, selon sa jurisprudence Baker de 1999 rapportée par le juge Wagner, que « les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent (…) être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire ». C’est là, il faut bien le reconnaître, une application très assouplie du dualisme canadien.

C’est tout aussi marquant en Suisse, où (en plus d’être une béquille du contrôle de constitutionnalité de la loi) l’interprétation conforme au droit international est intégrée à la méthode de l’interprétation systématique

Ça l’est encore en Andorre, où le Tribunal constitutionnel a également jugé que lorsque des principes ou règles découlant de la Constitution étaient analogues ou proches de ceux contenus dans la Convention, la jurisprudence de la Cour EDH, bien qu’il ne s’agisse pas d’une norme constitutionnelle, peut permettre l’interprétation des dispositions andorranes. On ne compte plus les cas d’interprétation du droit au procès équitable, dans ses différents aspects, à la lumière des dispositions de la Convention EDH et ses standards, auxquels la Cour d’Albanie, par exemple, a témoigné son attention par la voix de M. Berberi qui a parlé de « référence constante ». Un autre exemple évident concerne le droit à la protection de la vie privée et familiale, dont la Cour belge juge explicitement « que le Constituant a recherché la plus grande concordance possible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ». De nombreux autres cas ont été rappelés par le Président Debré, dans un plaidoyer très fort en faveur du « dialogue des juges » comme moteur de ce rapprochement.

Les différentes interventions ont exposé les techniques interprétatives déployées. Parmi les cas les plus symptomatiques, la Président Alen a rappelé que la Belgique met en œuvre des techniques combinatoires qui conduisent la Cour à donner aux dispositions constitutionnelles garantissant les droits et libertés une portée similaire, ou confondue, avec celles des dispositions de droit international qu’elle combine.

Au Canada, ainsi que le juge Wagner l’a exposé, deux techniques sont employées : d’une part, l’argument d’interprétation contextuel qui signifie que le droit international est utilisé en tant qu’élément de contexte d’adoption et d’application d’une loi ; d’autre part, la présomption de conformité au droit international, argument de type pragmatique qui conduit les tribunaux à interpréter le droit interne dans le même sens que les obligations internationales – ce qui limite parfois sensiblement le champ des interprétations possibles.

Plus largement, c’est la technique de l’interprétation conforme qui assure la fonction d’harmoniser les normes juridiques internes et internationales. Ce faisant, il ne s’agit pas d’une règle destinée à résoudre les conflits entre ces normes, mais au contraire, de façon plus utile, de prévenir les conflits autant que faire se peut. À tous égards, on trouve là la traduction juridique de la formule énoncée par son Excellence Madame la Présidente Sommaruga lors de l’ouverture de nos travaux : « le compromis est un signe de force et non de faiblesse ». Il s’agit aussi d’orienter la protection dans le sens le plus favorable au citoyen lorsque la Constitution et les normes de droit international organisent une protection de portée différente pour un même droit fondamental. Et nous avons appris, grâce à la communication de Madame BurgorgueLarsen, combien cet alignement à la hausse, ce principe de faveur est répandue sur le continent latino-américain.

La Moldavie nous fait part d’une formule merveilleuse, qui me paraît bien résumer l’enjeu de cet office : la jurisprudence constitutionnelle nationale est un « agent efficient et dynamiseur » de l’assimilation et de la mise en œuvre du droit international.

*

Tous ces éléments montrent combien vos cours, toutes sensibles à l’internationalisation du droit constitutionnel, ne s’en tiennent pas à une stricte orthodoxie. Les positions hiérarchiques sont fermes, vos solutions sont fines et ajustées. Elles requièrent un « exercice de discernement » plusieurs fois exhorté par le juge Wagner dans sa communication.

De ce point de vue, la distinction entre « primauté » et « prévalence » trouve écho dans vos pratiques. L’une renvoie au raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme, l’autre est appréhendée en tant que principe de résolution des conflits de norme dans les cas qui vous sont posés.

Assurément, les deux expriment la préséance qu’une norme dispose par rapport aux autres. Mais la prévalence n’a aucune influence sur la primauté normative de la Constitution : non seulement la disposition portant sur un droit n’est écartée que dans un cas déterminé, mais c’est toujours la Constitution elle-même qui définit une telle prévalence.

Sur un plan contentieux, cela se traduit par une différence entre norme de référence (la norme constitutionnelle), et norme de contrôle (qui peut aussi être externe). Cela repose aussi sur un mécanisme de translation, pas toujours facilement maniable. Mais on comprend bien, qu’au-delà, c’est la démarche fondamentalement progressiste de la justice constitutionnelle qui imprime ces solutions. C’est elle qui pousse les Cours à utiliser tous les instruments à leur disposition en vue d’amplifier l’ensemble des garanties et des moyens de protection des droits et libertés fondamentaux.

C’est dans cette optique que vos cours s’efforcent de rechercher une harmonie entre les ordres juridiques, des points de « convergence » et « rapprochement mutuel » évoqués par le Président Debré et parfois des priorités d’application en fonction de la situation. Se développe concomitamment l’idée selon laquelle la primauté, associée à la priorité d’application de la norme internationale d’effet direct, ne remet nullement en cause la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique étatique. Ainsi semble pouvoir être conciliées des exigences qui, a priori, paraissent antinomiques.

Oh, bien entendu, la perfection n’est pas de ce monde, même celui de la justice constitutionnelle. L’expérience concrète du contrôle révèle parfois sinon des insuffisances, des insatisfactions, des doutes ou des imperfections. C’est aussi la rançon du succès : on attend toujours plus du juge constitutionnel à mesure que son rôle se renforce dans l’ordre juridique. Votre rapporteur a conscience de ne pouvoir résoudre, par ces quelques balbutiements, tous les mystères de la suprématie de la Constitution. Peut-être cela nécessiterait-il – pour reprendre une autre image, M. le Président Medelci – sur les rives du Lac Léman, de réinventer « La Montagne magique » de Thomas Mann, celle qui comporte différents sommets perçus comme tels par les observateurs selon qu’ils sont de part et d’autre de cette montagne.

La complexité de certaines situations appelle, en ce sens, une réflexion fondamentale que d’illustres auteurs, comme Mirkine-Guetzévitch, ont initié depuis près d’un siècle, et dans laquelle s’engage aujourd’hui la démarche scientifique avec un élan nouveau pour déterminer si la suprématie de la Constitution peut encore vivre sous le régime de la hiérarchie des normes. Une « révolution » comme l’a suggéré le Président Debré… ou une évolution douce ?

Par la force des choses, un principe de prévalence est en action et en construction, qu’on l’appelle ainsi ou autrement. Il a une fonction claire : désigner la norme qui va l’emporter, sur la base non pas seulement d’un rapport de validité mais d’une qualité ou d’une qualification qui tend à devenir la fondamentalité.

Par ses rencontres et travaux, par les réflexions mises en commun, par la capitalisation des pratiques, l’ACCPUF contribue sans aucun doute à la maîtrise de cette évolution.

Conclusion

Mohamed Achargui, Président de l’ACCPUF, président du Conseil constitutionnel du Maroc

Messieurs les présidents, mesdames et messieurs, nous arrivons au terme des travaux de notre Congrès. Je vais donc les déclarer clos. Je souhaiterais vous rappeler que l’assemblée générale examinera un certain nombre de points importants, notamment le rapport moral, le rapport financier, l’élection des nouveaux membres du bureau de l’ACCPUF, l’examen et l’approbation du programme triennal 2015-2018 ainsi que d’autres questions tout aussi importantes. Merci.

Réponses des cours constitutionnelles au questionnaire

Questionnaire sur la suprématie de la Constitution

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la Constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supraconstitutionnalité) ? Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place parti culière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Votre Cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

3. Compétences de la cour

Votre Cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Votre Cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Votre Cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

La Cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments inter nationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre Cour à une décision d’une juridiction internationale ?

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Cour constitutionnelle d’Albanie

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la Constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Oui. L’article 4/2 de la Constitution prévoit que la Constitution est la loi supérieure dans la République d’Albanie.

L’article 116 de la Constitution prévoit les actes normatifs et leur efficacité juridique sur tout le territoire de la République d’Albanie.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Ni la Constitution, ni la jurisprudence n’ont une approche claire à la question de prévalence de certains droits par rapport aux autres (au sens normatif). La jurisprudence a estimé que la démocratie constitutionnelle établie par cette Constitution, est basée sur l’État de droit, sur le principe de séparation des pouvoirs et le respect des droits et des libertés fondamentales de l’homme. (voir l’arrêt n° 12 du 20 mai 2008 de la Cour constitutionnelle)

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

La Constitution prévoit la possibilité de sa révision (article 177) permettant des amendements constitutionnels qui, en se référant à la pratique actuelle (amendements 2007 / 2008 / 2012), ont complété les normes existantes, ou les ont modifiées. La force juridique de l’amendement a la valeur d’une norme constitutionnelle et se range au même niveau que la Constitution.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le Préambule de la Constitution de la République d’Albanie est d’une nature déclarative et reflète des principes et des valeurs constitutionnelles, mais il n’a pas une position unifiée par rapport à son statut en tant que norme constitutionnelle. Dans la jurisprudence constitutionnelle le préambule a été référé afin de déterminer l’esprit et le but du législateur.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non. En vertu de l’article 116 de la Constitution, l’acte ayant le pouvoir juridique supérieur est la Constitution.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Non. Le droit international ne fait pas formellement partie du « bloc de constitutionnalité », à l’exception de la Convention européenne des droits de l’homme qui a une valeur constitutionnelle à titre de référence directe dans la Constitution (article 17).

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

En vertu de l’article 116 de la Constitution, les traités internationaux ratifiés, dans l’hiérarchie des normes juridiques se rangent immédiatement après la Constitution. Par conséquent, ils occupent une place importante dans le droit interne et sont obligatoires et exécutoires pour chaque État, pour tous les organes étatiques y compris les tribunaux de chaque instance et les organismes d’exécution de leurs décisions.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Les limites dans un ordre constitutionnel sont le principe de souveraineté, l’indépendance de l’État et l’intégrité de son territoire, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ses droits et ses libertés, la justice sociale, l’ordre constitutionnel, le pluralisme, l’identité nationale et le patrimoine national, la coexistence religieuse, la coexistence et l’harmonie avec les minorités, sont les bases d’un État qui a pour obligation de les respecter et de les protéger.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

La Constitution de l’Albanie a été adoptée en novembre 1998. Depuis elle a été modifiée quatre fois. Il n’y a pas de cas témoignant que la Constitution soit modifiée en réaction à une décision de la Cour.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Oui. Les traités internationaux peuvent conduire à une modification de la Constitution au moment de l’adhésion de l’Albanie à l’UE. Jusqu’à présent il n’y en a pas eu de telles modifications.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui. Cela se réalise par le contrôle de constitutionnalité exercé par la Cour constitutionnelle. Les actes qui sont déclarés inconstitutionnels perdent leur pouvoir juridique. L’article 132 de la Constitution prévoit que les décisions de la Cour constitutionnelle ont une force obligatoire de portée générale erga omnes et sont définitives. Lorsque la Cour décide de l’incompatibilité de la norme juridique avec la Constitution ou avec les traités internationaux, la norme est considérée comme effacée (ou retirée) du système juridique au moment de l’entrée en vigueur de la décision.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui. Le rôle et la jurisprudence de la Cour ont également servi à atteindre ce but. Les procédures d’accès au contrôle de constitutionnalité et la pratique témoignent de cela.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non. Le contrôle constitutionnel et la Cour constitutionnelle jouissent d’un large soutien de l’opinion publique et de la communauté académique.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le président de la République, tous les organes judiciaires, la Cour Suprême, l’Avocat du peuple. Ces organes ont le droit de saisir et de mettre en branle la Cour constitutionnelle afin qu’elle exerce le contrôle de constitutionnalité des actes normatifs.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Les décisions de la Cour sont source du droit positif. Les décisions de la Cour ont force obligatoire erga omnes et sont définitives et exécutoires pour tous les organes. La Constitution a mis la Cour constitutionnelle dans une partie distincte du système ordinaire judiciaire en soulignant son statut particulier par rapport aux autres tribunaux, son objectif et ses caractéristiques.

En ce qui concerne la protection des droits constitutionnels à un procès équitable, la Constitution désigne la Cour comme l’organe suprême de contrôle dans la hiérarchie des tribunaux dans la République d’Albanie (voir décision no. 11 / 2010 de la Cour constitutionnelle). L’influence incontestable des décisions de la Cour est telle qu’elle impose à tous les organes d’État, sans exclure les tribunaux, leur force obligatoire (voir la décision n° 14 du 17 mars 2009 de la Cour constitutionnelle).

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Normalement, la Cour est basée uniquement à la Constitution (article 124) mais lors de l’exercice de ses compétences d’interprétation, elle se réfère également aux lois organiques.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Les compétences de la Cour sont prévues par l’article 131 de la Constitution. La Cour exerce un contrôle a posteriori et seulement pour les actes normatifs, avec quelques exceptions. Les individus peuvent saisir la Cour pour le contrôle constitutionnel uniquement pour leurs droits constitutionnels à un procès équitable.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité des droits sont partiellement efficaces parce que dans le cas des requêtes individuelles ce contrôle constitutionnel s’étend jusqu’au droit à un procès équitable. Ce contrôle pourrait inclure le contrôle pour garantir les droits matériels, etc.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

L’interprétation littérale, textuelle, historique, théologique et systématique.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Le contrôle de la Cour est renforcé par l’imposition permanente de sa jurisprudence à toutes les institutions publiques. Le respect ou le non-respect des décisions de la Cour est apprécié de la part des organismes internationaux ce qui a renforcé l’autorité de la Cour. De l’autre part, la Cour elle-même a fait preuve de modération lors du contrôle des lois dans le but de respecter l’espace du législateur.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Se référant à notre pratique, en général, les décisions de la Cour ont été exécutées en raison de leur caractère obligatoire en tant que décisions définitives et irrévocables. L’obligation constitutionnelle et légale des décisions de la Cour et la possibilité de les exécuter ne correspondent pas toujours. La pratique de la Cour montre qu’il n’y a pas eu de résistance à l’égard de l’exécution des décisions qui invalident des lois ou des actes normatifs. Elles sont entrées en vigueur le jour de leur publication au Journal officiel, sauf si la Cour a décidé autrement.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Dans des cas particuliers, bien qu’ils soient peu nombreux, il y eu des attitudes contraires dans deux directions principales :

Premièrement, la non-complétion du vide juridique (vacuum légal) par l’organe législatif quand cela s’avère nécessaire après l’abrogation par la Cour des actes normatifs comme inconstitutionnels ;

Deuxièmement, la non-exécution. L’application des décisions de la Cour est d’une importance particulière dans l’aspect de la protection des libertés et des droits de l’homme en faveur de l’idée, déjà consolidée dans la littérature juridique constitutionnelle, qu’il n’y a pas d’autre institution qui puisse garantir les droits de l’homme de façon tellement effective que la Cour constitutionnelle.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Oui. La Constitution est l’acte ayant le plus haut pouvoir juridique, la loi suprême. Dans l’ensemble, la Constitution a résolu en détail (Partie VII) le problème du rapport, en définissant la hiérarchie des normes, les procédures de l’insertion des normes internationales dans l’ordre juridique interne et les compétences des organes respectifs dans ce domaine.

Les traités internationaux ratifiés occupent la deuxième place après la Constitution et prennent effet supra-légale (article 116 de la Constitution).

Il semble que la Constitution n’a pas laissé sa première place et maintient sa supériorité à tous les autres actes normatifs, y compris les traités internationaux ratifiés par la loi (article 116).

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

La suprématie de la Constitution est garantie par la procédure complexe de son adoption. Alors la prévalence est le résultat de la position donnée à la Constitution dans la hiérarchie des actes normatifs.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Oui, au sens matériel, et en particulier dans le domaine des valeurs / des principes et des droits de l’homme.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

En règle générale, la Cour suit un concept dualiste. La supériorité de la Constitution à tous les autres actes normatifs, et par conséquent aux traités internationaux ratifiés par la loi, soutient cette position. Les actes internationaux qui suivent immédiatement après sont ratifiés par la loi (articles 116, 122/2).

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

En général, il n’y a pas de normes internationales de valeur supérieure à la Constitution.

En analysant le statut constitutionnel des actes internationaux, on constate également des formules spécifiques prévues par la Constitution albanaise ayant trait à sa participation à des organisations supranationales.

La première formule concerne la supériorité des normes de cette organisation au droit interne (article 122/3 de la Constitution).

La seconde prévoit le transfert du pouvoir à une organisation internationale (article 123 de la Constitution)

Ces deux formules constituent une base constitutionnelle importante pour la participation à une organisation internationale, conforme à la volonté exprimée dans les accords conclus avec ces organisations. Bien que nous n’ayons pas encore eu de cas de mise en œuvre de ces dispositions, nous pensons qu’elles sont liées entre elles.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Oui, la jurisprudence constitutionnelle s’est prononcée sur le statut de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette Convention a un statut constitutionnel. Dans certaines décisions la jurisprudence constitutionnelle se réfère au droit de l’UE et à l’Accord de stabilisation – association.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

L’influence internationale sur l’élaboration de la Constitution se manifeste à travers :

  1. L’expertise apportée par les organismes internationaux, tels que la Commission de Venise, dans la phase de rédaction de la Constitution en 1998 et lors des révisions et des amendements constitutionnels en 2008.
  2. La référence que la Cour fait aux meilleures pratiques jurisprudentielles au niveau européen et au-delà.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Particulièrement, dans le domaine des droits et libertés fondamentales de l’homme et les principes fondamentaux constitutionnels.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Oui.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Oui. La Cour applique directement la Convention européenne des droits de l’homme et les traités internationaux ratifiés (article 116).

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

La Cour applique uniquement des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et des traités internationaux ratifiés par le Parlement.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Dans la pratique constitutionnelle il n’y a pas eu de situations de conflit de ce genre.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Voir ci-dessus.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Voir ci-dessus.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Oui, la Constitution prévoit la protection des droits consacrés par la Convention.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

La Constitution a incorporé la CEDH dans l’ordre interne constitutionnel et la considère comme un standard qui ne peut pas être violé. En ce sens, la Convention et la jurisprudence de Strasbourg, concernant la limitation des droits de l’homme, ont la priorité.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Voir ci-dessus.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Voir ci-dessus.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

La Cour se réfère expressément aux instruments internationaux.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Voir ci-dessus.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

En tant que État membre de l’Union européenne, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’Albanie est obligatoire à être mise en œuvre.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Oui, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme influence notre Cour au sujet des droits à un procès équitable. Cette influence est en croissance en raison du renvoi de plus en plus fréquent dans les tribunaux supérieurs.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui. Le cas de l’interprétation des aspects du procès équitable et des standards à la lumière des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (articles 6, 13).

 

Conseil constitutionnel d’Algérie

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la Constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Le préambule prévoit que la Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple et confère la légitimité à l’exercice des pouvoirs.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Non.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Non.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Non, par contre, il fait partie du contexte de la Constitution lors de l’interprétation de la norme constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel a considéré dans son avis relatif au projet de révision constitutionnelle, que l’amazighité (langue nationale), une des composantes
fondamentales de l’identité nationale, est définie par le préambule de la Constitution.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Non.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Oui, la Constitution prévoit que les traités ratifiés par le président de la République, dans les conditions prévues par celle-ci, sont supérieurs à la loi (article 132).

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Aucune.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui, par contre sur le plan strictement juridique, il y a cette nécessité pour le pouvoir constituant d’adapter la norme suprême aux réalités socio-politiques nouvelles. Sa suprématie, tant qu’elle est garantie par un organe indépendant, ne saurait être affectée par son instabilité due à une fréquence des révisions constitutionnelles ; bien mieux, celles-ci pourraient être interprétées comme un signe de vitalité de la société.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Depuis la Constitution de 1989 certains ajustements ont été apportés sans porter atteinte aux principes fondamentaux considérés comme des constantes.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Le constituant algérien a prévu, toutefois, que toute modification de la Constitution ne doit porter atteinte aux matières immuables prévues à l’article 178.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non, la légitimité du contrôle de constitutionnalité, exercé par un organe disposant d’un statut constitutionnel, n’a jamais été contestée.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le président de la République est le garant de la Constitution (Article 70).
Il saisit le Conseil constitutionnel aux côtés des deux autres autorités de saisines, en l’occurrence les présidents des deux assemblées, des catégories de textes juridiques, expressément énumérées dans la Constitution ; le président est tout aussi habilité en vertu d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel de faire valoir cette qualité, pour saisir le Conseil pour avis interprétatif des dispositions.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Oui, les décisions et les avis du Conseil constitutionnel s’imposent à tous. En effet et en vertu de l’article 169 : « Lorsque le Conseil constitutionnel juge qu’une disposition législative ou réglementaire est inconstitutionnelle, celle-ci perd tout effet du jour de la décision du Conseil ».

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

La jurisprudence du Conseil se réfère, en outre, à des principes généraux qui ne sont pas forcément formulés dans le texte de la Constitution. Ces principes sont contenus dans le préambule, comme norme de référence. 7e CONGRÈS DE L’ACCPUF 230 La jurisprudence du Conseil puise des principes fondamentaux de la protection des droits de l’homme et les libertés fondamentales à partir des instruments internationaux.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Non.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Le constituant a doté le Conseil constitutionnel de larges prérogatives puisqu’il exerce un contrôle a priori et un contrôle a posteriori d’un nombre important de textes juridiques (lois organiques, règlements des assemblées). Cependant, les limites de ce contrôle sont dues au caractère facultatif et limitatif de la saisine.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Actuellement, le contrôle est efficace, mais l’objectif est d’aller vers plus de pratique démocratique pour permettre l’élargissement de la saisine, à titre d’exemple un avant-projet a été soumis pour débat qui prévoit, entre autres, la saisine du Conseil constitutionnel par un groupe minoritaire au Parlement.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Le Conseil constitutionnel interprète à partir du texte et du contexte de la Constitution en prenant en compte l’objet et le but sans perdre de vue la réalisation des objectifs du Conseil constitutionnel notamment la réalisation de l’État de droit.
L’autre aspect de sa démarche jurisprudentielle consiste à amener le législateur à reprendre la terminologie consacrée par la Constitution. En outre, il a établi dans ses règles de fonctionnement, qu’il peut tendre son appréciation aux dispositions pour lesquelles il n’a pas été saisi s’il constate que celles-ci ont un lien avec les dispositions soumises à son contrôle.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui, le Conseil a progressivement renforcé son contrôle notamment en matière d’élections, en recourant à l’outil informatique et en créant un centre d’étude et de recherche constitutionnelles en son sein.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Tout à fait, les décisions du Conseil ont contribué à la mise en place du système institutionnel créé par la Constitution de manière effective.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Non, le Conseil constitutionnel n’a pas rencontré de difficultés quant à l’effectivité de la Constitution.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Le système algérien soumet l’intégration des normes de droit international à une procédure constitutionnelle. Celle-ci prévoit que les accords d’armistice, les traités de paix, d’alliances et d’union, les traités relatifs aux frontières de l’État, ainsi que les traités au statut des personnes et ceux entraînant des dépenses non prévues au budget de l’État, soient ratifiés par le président de la République, après leur approbation expresse par chacune des chambres du Parlement (article 131).

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Le Conseil constitutionnel a comme mission principale le contrôle de constitutionnalité sur la base de la hiérarchie normative qui donne la primauté à la Constitution.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Nous considérons que la souveraineté des États est toujours un élément essentiel dans les relations interétatiques. Il est donc trop tôt de parler de droit international.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

En pratique un dualisme prudent avec primauté de droit fondamental national.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Oui, mais en complément d’argumentation et non pas comme fondement principal.
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la valeur, ni sur la hiérarchie, par contre il a évoqué les conventions relatives à la protection des droits de l’homme dans la première décision de 1989.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

L’environnement international a toujours eu un effet sur le plan interne, il est tout à fait normal que les rédacteurs de la Constitution prennent en ligne de compte les principes universels et les arrangements régionaux.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

  • Droits fondamentaux.
  • L’évolution de la gouvernance.
3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Non.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Le Conseil s’est référé, dans sa jurisprudence, à titre subsidiaire, aux traités ratifiés par l’Algérie.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Le Conseil constitutionnel applique les principes fondamentaux consacrés dans la Constitution algérienne relatifs à la protection des droits de l’homme et qui ont une origine internationale.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Le problème ne s’est pas posé.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Aucun cas.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Non.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Oui, la Constitution garantit la protection des droits et des libertés similaires aux dispositions internationales dans les domaines des libertés fondamentales, en particulier.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Non.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Aucun cas rencontré.

5. Influence sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel saisi du Code électoral, s’est référé explicitement, aux instruments juridiques que l’Algérie a ratifiés et auxquels elle a adhéré, à savoir les pactes des Nations unies et la Charte africaine des droites de l’homme et des peuples.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion d’aborder cette question.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion d’aborder cette question.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion d’aborder cette question.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.


  • [1]
    Cette notion exprime que l’appréciation, si les décisions de la majorité sont correctes, est soumise à une réserve fondamentale : savoir si ces décisions sont conformes à la constitution. W. Hassemer, Démocratie constitutionnelle (Ustavna demokracija), Pravnik, 4-5/2003, p. 214.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Les compétences fondamentales de la CC sont déterminées à l’article 160 de la Constitution de la République de Slovénie (JO RS nos 33/91-I, 42/97, 66/2000, 24/03, 69/04, 68/06 et 47/13 – ci-après : la Constitution).  [Retour au contenu]
  • [3]
    Comme la CC l’a déjà indiqué dans sa décision no U-I-163/99 du 23 septembre 1999 (JO RS no 80/99 et OdlUS VIII, 209 ; les décisions importantes de la CC sont disponibles également en anglais et publiées sur le site web de la CC <www.us-rs.si>).  [Retour au contenu]
  • [4]
    Dans la Constitution, le terme « ratification » est employé dans deux sens différents. D’un côté lorsqu’il fixe les compétences du président de la République (article 107/I, délivrance des actes de ratification), il s’agit de l’acte de ratification qui est un acte juridique international (dans le sens du point b) de l’article 2/I de la Convention de Vienne sur le droit des traités) par lequel l’État accepte que le traité devienne internationalement contraignant pour lui. De l’autre, les articles 8, 153/II et 160/I concernent la ratification comme acte juridique interne : l’approbation du traité et l’adaptation de la législation permettant au traité de produire ses effets en droit interne – lorsque le parlement autorise la ratification du traité par une loi spéciale qui en Slovénie est appelée loi de ratification (voir l’avis de la CC no Rm-1/97 du 5 juin 1997, JO RS no 40/97 et OdlUS VI, 86).  [Retour au contenu]
  • [5]
    Cette expression désigne les règlements exécutifs du gouvernement et des ministres, ainsi que les règlements des collectivités locales. Ces derniers règlent les affaires locales qui concernent les habitants de la municipalité et qui relèvent de la compétence de la municipalité. Il s’agit de compétences dites originaires de la municipalité qui puise directement de la Constitution (article 140/I) le fondement permettant la réglementation normative de ces affaires.  [Retour au contenu]
  • [6]
    La Loi sur les affaires étrangères (JO RS nos 45/01 et suivantes) détermine quels traités sont ratifiés par le gouvernement ; ils sont notamment limités à l’exécution de sa compétence dans l’ordre juridique interne, aux traités nécessaires pour l’application des traités déjà signés ou des actes contraignants des organisations internationales, ainsi qu’à la réglementation des relations diplomatiques et consulaires (article 75/IV).  [Retour au contenu]
  • [7]
    La CC l’a indiqué dans son avis no Rm-1/97. Un argument en faveur de la primauté de la Constitution est aussi la possibilité d’appréciation a priori de la constitutionnalité d’un traité avant son incorporation dans l’ordre juridique interne.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Dans ce contexte, la récente doctrine juridique ne parle plus d’approche moniste ou dualiste concernant le rapport entre le droit international des traités et le droit interne, mais elle parle « d’incorporation ad hoc des règles internationales ». En se référant à la différence d’incorporation législative d’A. Cassese sur l’incorporation ad hoc légale et sur l’incorporation ad hoc automatique, Mme Škrk, ancienne juge et vice-présidente de la CC, place la procédure slovène dans l’incorporation ad hoc automatique. Voir M. Škrk, La relation entre le droit international et le droit interne dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (Odnos med mednarodnim pravom in notranjim pravom v praksi Ustavnega sodišča), Pravnik 6-8/2007, p. 279-280.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Cf. ordonnance de la CC no U-I-197/97 du 21 mai 1998 (OdlUS VII, 93).  [Retour au contenu]
  • [10]
    Ceci peut être déduit de l’Ordonnance no U-I-376/02 du 24 mars 2005 (JO RS no 46/05 et OdlUS XIV, 17), dans laquelle la CC a refusé de contrôler la légalité d’un traité ratifié par décret gouvernemental. La CC a expressément admis la possibilité que la loi et le traité ratifié par décret du Gouvernement pouvaient présenter une non-conformité mutuelle et elle a spécifiquement indiqué que dans un tel cas, elle ne se prononcerait sur le traité que dans le cas où il s’agirait d’une non-conformité mutuelle qui violerait les principes de l’État de droit de l’article 2 de la Constitution. Même la conformité entre les lois n’est contrôlée par la CC que si des dispositions légales s’opposent à ce point les unes aux autres (sont en antinomie) que cela pourrait porter atteinte aux principes de l’État de droit. Voir, par exemple, la décision no U-I-299/96 du 12 décembre 1996 (JO RS no 5/97 et OdlUS V, 177).  [Retour au contenu]
  • [11]
    De cette manière, la CC a modifié sa prise de position de la décision no U-I-147/94 du 30 novembre 1995 (JO RS no 3/96 et OdlUS IV, 118), dans laquelle elle estimait que la position du traité ratifié par le décret gouvernemental en cause était inférieure à la Constitution et la loi.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Le contraire était exposé dans l’opinion concordante de la juge Mme Škrk dans l’ordonnance no U-I-376/02.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Voir A. Graseli, Commentaire à l’article 8 (Komentar k členu 8), dans : L. Šturm (réd.), Commentaire de la Constitution de la République de Slovénie (Komentar Ustave Republike Slovenije), Fakulteta za podiplomske državne in evropske študije, Ljubljana 2002, p. 141. Selon Mme Škrk, il faut chercher le sens de ces principes dans le droit international. Parmi eux, elle mentionne les principes généraux du droit international au sens strict du terme (les principes du droit international strictu sensu comme, par exemple, le principe d’accomplissement des obligations internationales in bona fide), les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées (comme, par exemple, lex certa, res iudicata) et les règles du droit international coutumier. M. Škrk, op. cit., p. 282-283.  [Retour au contenu]
  • [14]
    M. Škrk, La conformité des lois avec les principes généraux du droit international (Skladnost zakonov s splošnimi načeli mednarodnega prava), Podjetje in delo, 6-7/2012, p. 1106. En fait, la question de l’éventuelle valeur supraconstitutionnelle des principes généraux de droit n’a pas encore été expressément traitée par la CC, tandis que la Cour suprême de la République de Slovénie a adopté un point de vue directement opposé à celle présentée dans la doctrine juridique. À savoir : la Cour suprême est d’avis que les principes du droit international (et du droit international coutumier) font partie de l’ordre juridique slovène s’ils ne sont pas contraires à la Constitution ; cette opinion a été présentée par la Cour suprême dans le jugement no II Ips 55/98 du 9 octobre 1998 et aussi dans le jugement no II Ips 449/2007 du 10 janvier 2008.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Voir E. PetriÍ, Politique étrangère, les bases de la théorie et de la pratique (Zunanja politika, osnove teorije in prakse), Znanstvenoraziskovalni institut Slovenske akademije znanosti in umetnosti, Ljubljana 2010, p. 214.  [Retour au contenu]
  • [16]
    L’ancien juge et vice-président de la CC, M. RibiÍiÍ indique que dans le domaine des droits de l’homme on ne devrait pas parler de règles « supérieures » et « inférieures », mais de leur équivalence mutuelle et de leur concurrence ; pour cette raison, la règle qui du point de vue du niveau de protection du droit de l’homme concerné est la plus exigeante devrait être utilisée. C. RibiÍiÍ, Droit européen des droits de l’homme, Les chapitres sélectionnés (Evropsko pravo človekovih pravic, Izbrana poglavja), Pravna fakulteta v Ljubljani, Ljubljana 2007, p. 111.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Cela ne se produit qu’exceptionnellement, car la Constitution slovène contient un large catalogue des droits de l’homme et elle assure parfois un niveau de protection des droits de l’homme plus élevé que les instruments internationaux. Par exemple, le droit de recours et de ce fait le droit au contrôle de toutes les questions de fait et de droit devant la juridiction d’instance est assuré par l’article 25 de la Constitution à l’encontre de toute décision d’une autorité d’État ou locale ou d’un détenteur de mandats publics.  [Retour au contenu]
  • [18]
    La CC dans l’ordonnance no Up-43/96 du 30 mai 2000 (OdlUS IX, 141).  [Retour au contenu]
  • [19]
    Toutefois, la doctrine constitutionnelle parle de l’article dit « européen ». Voir F. Grad, Droit européen constitutionnel, première partie, Droit constitutionnel de l’Union Européenne (Evropsko ustavno pravo, prvi del, Ustavno pravo Evropske unije), Uradni list Republike Slovenije, Ljubljana 2010, p. 197.  [Retour au contenu]
  • [20]
    F. Grad, op. cit., p. 199. Le même avis est émis aussi par M. Cerar qui considère les valeurs de l’article 3a /I de la Constitution comme une sorte de garantie, mais ne leur attribue pas une valeur telle qu’il serait possible de rejeter sur leur base l’application des actes individuels ou des dispositions de la législation primaire ou dérivée de l’UE qui serait contraire à la Constitution. À son avis, tant que l’UE sera basée sur ces valeurs, les autorités de l’État et les autres sujets doivent systématiquement observer l’ordre juridique de l’UE précisément à cause de l’article 3a/ III ; voir M. Cerar, Commentaire au premier paragraphe de l’article 3a (Komentar k prvemu odstavku člena 3a), dans : L. Šturm (réd.), op. cit., 2011, p. 78.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Il en découle ainsi également des arrêts de la Cour de justice de l’UE ; voir les arrêts de la Cour dans l’affaire Costa c/ ENEL du 15 juillet 1964, 6/64, ECR 585, dans l’affaire Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970, 11/70, ECR 1125, et dans l’affaire Tanja Kreil du 11 janvier 2000, C-285/98, ECR I-69. Voir aussi les arrêts de la Cour de justice de l’UE dans les affaires Melloni c/ Ministerio Fiscal du 26 fevrier 2013, C-399/11, et Åklagaren c/ Åkerberg Fransson du 26 février 2013, C-617/10. Voir aussi V. Trstenjak, M. Brkan, Droit de l’UE, Droit constitutionnel, procédural et économique de l’UE (Pravo EU, Ustavno, procesno in gospodarsko pravo EU), GV Založba, Ljubljana 2012, p. 209-211.  [Retour au contenu]
  • [22]
    S. Nerad, La réception du droit de l’Union européenne dans le droit constitutionnel national : La Cour constitutionnelle entre le droit de l’Union européenne et la Constitution (Recepcija prava Evropske unije v nacionalno ustavno pravo : Ustavno sodišče med pravom Evropske unije in Ustavo), dans : I. KauÍiÍ (réd.), Importance de la constitutionnalité et démocratie constitutionnelle, Actes scientifiques Vingt ans de la Constitution de la République de Slovénie (Pomen ustavnosti in ustavna demokracija, Znanstveni zbornik Dvajset let Ustave Republike Slovenije), Ustavno sodišÍe Republike Slovenije, Ljubljana 2012, p. 383. Voir aussi la Décision de la CC no U-I-146/12 du 14 novembre 2013 (JO RS no 107/13).  [Retour au contenu]
  • [23]
    En rapport à cela, cf. J. Sovdat, La Cour constitutionnelle de la République de Slovénie et le droit de l’Union européenne (The Constitutional Court of the Republic of Slovenia and European Union Law), Hrvatska i komparativna javna uprava, 3/2013, p. 902-905 et 916-918.  [Retour au contenu]
  • [24]
    M. Avbelj, La suprématie ou la primauté du droit de l’UE – (Pourquoi) Est-ce que c’est important ? (Supremacy or Primacy of EU Law – (Why) Does it Matter ?), European Law Journal, 17/2011, p. 758-763.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Voir aussi les articles 43 et 45/III de la loi sur la Cour constitutionnelle, JO RS nos 64/07 – texte officiel consolidé et 109/12, ci-après : la LCC.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Voir aussi l’article 45/II de la LCC.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Voir l’article 48 de la LCC  [Retour au contenu]
  • [28]
    Article 59/I de la LCC.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Voir, par exemple, la décision no U-I-50/09, Up-260/09 du 18 mars 2010 (JO RS no 29/10 et OdlUS XIX, 2).  [Retour au contenu]
  • [30]
    Article 60/I de la LCC.  [Retour au contenu]
  • [31]
    C’est dans cette dernière catégorie que la CC place la Déclaration universelle des droits de l’homme ; voir l’ordonnance no Up-490/03 du 22 mars 2005.  [Retour au contenu]
  • [32]
    Le deuxième paragraphe de l’article 22 de la LCC détermine que le contrôle de constitutionnalité dans tous les cas comprend aussi un contrôle de conformité avec le droit international.  [Retour au contenu]
  • [33]
    La CC a statué ainsi déjà dans la décision no U-I-147/94 du 30 novembre 1995 (JO RS no 3/96 et OdlUS IV, 118), et aussi dans l’avis no Rm-1/97.  [Retour au contenu]
  • [34]
    Voir l’avis no Rm-1/97.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Ibidem.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Le contenu de la demande est déterminée, en conformité avec l’article 24b de la LCC, dans l’annexe au Règlement intérieur de la CC (JO RS nos 86/07 et autres). Voir aussi l’avis no Rm-1/09 du 18 mars 2010 (JO RS no 25/10 et OdlUS XIX, 12).  [Retour au contenu]
  • [37]
    Voir, par exemple, l’ordonnance no Rm-1/01 du 14 juin 2001 (OdlUS X, 120).  [Retour au contenu]
  • [38]
    Voir l’avis no Rm-1/97.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Ibidem.  [Retour au contenu]
  • [40]
    Dans la majorité de cas, il s’agissait des avis sur la constitutionnalité des traités conclus avec la Croatie, l’État voisin. Par l’avis no Rm-1/00 du 19 avril 2001 (JO RS no 43/01 et OdlUS X, 78), la CC s’est prononcée sur la constitutionnalité des dispositions individuelles de l’accord relatif au trafic frontalier et à la coopération avec cet État ; par l’avis no Rm-2/02 du 5 décembre 2002 (JO RS no 117/02 et OdlUS XI, 246), la CC s’est prononcée sur la constitutionnalité des dispositions individuelles du contrat relatif à la régulation des relations portant sur le statut et autres rapports juridiques liés aux investissements dans la Centrale nucléaire de Krško, à son exploitation et à son démantèlement ; alors que l’avis no Rm-1/09 touchait à l’accord d’arbitrage entre les gouvernements des deux États par lequel un mécanisme a été convenu pour résoudre le litige frontalier entre les deux pays.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Avis du 19 novembre 2003 (JO RS no 118/03 et OdlUS XII, 89).  [Retour au contenu]
  • [42]
    La CC a statué ainsi dans la décision no U-I-312/00 du 23 avril 2003 (JO RS no 42/03 et OdlUS XII, 39). Cela vaut également pour la CC lorsqu’elle exerce ses compétences.  [Retour au contenu]
  • [43]
    Cela découle déjà de la décision no U-I-147/94. Si cet acte (une loi ou un décret) n’existe pas, le traité ne peut pas devenir partie intégrante de l’ordre juridique interne et, dans un tel cas, la CC n’est pas compétente pour le contrôler. Ainsi, dans l’ordonnance no U-I-128/98 du 23 septembre 1998 (OdlUS VII, 173), lorsque l’objet de contrôle devant la CC était un traité conclu entre les ministères de la défense des deux États, la CC ne s’est pas estimée compétente pour le contrôler, parce que ledit traité n’avait été ratifié ni par une loi ni par un décret.  [Retour au contenu]
  • [44]
    Voir aussi l’ordonnance de la CC no U-I-128/98.  [Retour au contenu]
  • [45]
    Comme indiqué par la CC dans l’ordonnance no U-I-197/97 du 21 mai 1998 (OdlUS VII, 93).  [Retour au contenu]
  • [46]
    L’annulation de la loi de ratification avant que le traité entre en vigueur au niveau international aurait empêché son incorporation dans l’ordre juridique interne.  [Retour au contenu]
  • [47]
    La CC l’a indiqué ainsi déjà dans l’Avis no Rm-1/97.  [Retour au contenu]
  • [48]
    Dans l’avis no Rm-1/97, la CC s’est référée au principe du droit international pacta sunt servanda et aux dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui requièrent l’accomplissement des traités in bona fide.  [Retour au contenu]
  • [49]
    Dans le premier cas, par la décision no U-I-147/94, la CC a contrôlé l’accord relatif aux pensions des retraités militaires passé avec l’État voisin la Croatie, et dans le deuxième cas, par la décision no U-I-180/10 du 7 octobre 2010 (JO RS no 6/11), l’accord d’arbitrage, également avec la Croatie, relatif à la mise en place du mécanisme pour la résolution du litige frontalier entre les deux États. Cet accord a d’abord fait objet de contrôle a priori de la constitutionalité du traité, puis de contrôle à travers la loi de ratification à partir de la demande formulée par un tiers de députés de l’opposition.  [Retour au contenu]
  • [50]
    La CC décide sur les recours constitutionnels après épuisement de toutes les voies de recours judiciaires, de façon qu’elle décide sur les recours constitutionnels à l’encontre des décisions de la Cour suprême de la République de Slovénie lorsque les voies de recours extraordinaires sont admises devant cette Cour, et sinon à l’encontre de décisions des cours d’appel. Voir les articles 50 à 53 de la LCC.  [Retour au contenu]
  • [51]
    La CC l’a indiqué ainsi déjà dans la décision no Up-3/97 du 15 juillet 1999 (OdlUS VIII, 291).  [Retour au contenu]
  • [52]
    Décision no Up-402/12, U-I-86/12 du 5 juillet 2012 (JO RS no 55/12).  [Retour au contenu]
  • [53]
    Décision du 3 mars 2011 (JO RS no 22/11).  [Retour au contenu]
  • [54]
    Ordonnance du 20 mai 2008 (JO RS no 59/08 OdlUS XVII, 41).  [Retour au contenu]
  • [55]
    Dans la Décision no Up-207/99 du 4 juillet 2002 (JO RS no 65/02 et OdlUS XI, 266) elle a indiqué que le droit de l’accusé d’interroger les témoins à charge n’est pas expressément mentionné dans la Constitution, par conséquent il faut appliquer directement le point d) de l’article 6/III de la Convention sur la base de l’article 8 de la Constitution. La CC a statué de la même façon aussi dans la décision no Up-518/03 du 19 janvier 2006 (JO RS no 11/06 et OdlUS XV, 37).  [Retour au contenu]
  • [56]
    Dans la décision no Up-719/03 du 9 mars 2006 (JO RS no 30/06 et OdlUS XV, 41), la CC a déjà inclus ledit droit à la violation du droit à la défense inscrit dans l’article 29 de la Constitution et indiqué que la violation dudit droit de la Convention implique également une violation du droit à la défense. La CC a décidé de même aussi dans la décision no Up-754/04 du 14 septembre 2006.  [Retour au contenu]
  • [57]
    Décision du 21 juin 2012 (JO RS no 52/12).  [Retour au contenu]
  • [58]
    Dans sa décision no U-I-425/06 du 2 juillet 2009 (JO RS no 55/09 et OdlUS XVIII, 29), elle a contrôlé la constitutionnalité des règles concernant l’enregistrement de partenariat d’un couple homosexuel. La CC a indiqué que l’orientation sexuelle, bien qu’elle n’y soit pas expressément citée, est sans aucun doute une des situations émises dans l’article 14/I de la Constitution qui interdit la discrimination. Elle a soutenu son point de vue aussi par le fait que même la CEDH considère l’orientation sexuelle comme une circonstance sur la base de laquelle il est interdit de discriminer, bien qu’elle ne figure pas parmi les circonstances expressément citées dans l’article 14 de la Convention.  [Retour au contenu]
  • [59]
    En examinant si l’assignation à domicile représente une limitation de la liberté de mouvement ou une limitation du droit à la liberté personnelle, la CC a constaté que ni la Constitution ni la Convention ne contiennent des dispositions particulières à ce sujet. Dans la décision no Up-286/01 du 11 décembre 2003 (JO RS no 2/04 et OdlUS XII, 114) la CC a décidé que par son intensité et son mode d’exécution il s’agit d’une limitation telle des droits de l’homme qu’elle représente une limitation de la liberté personnelle. Afin d’affirmer une telle prise de position, elle s’est référée aux jugements de la CEDH par lesquels cette dernière s’est prononcée sur la délimitation entre la limitation de la liberté personnelle et celle de la liberté de mouvement.  [Retour au contenu]
  • [60]
    Décision no U-I-65/05 du 22 septembre 2005 (JO RS no 92/05 et OdlUS XIV, 72).  [Retour au contenu]

Tribunal constitutionnel d’Andorre

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. STATUT DE LA CONSTITUTION ET HIÉRARCHIE DES NORMES

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Le peuple andorran a adopté sa Constitution en 1993 en tant que norme suprême de l’ordre juridique, elle organise le fonctionnement de son État démocratique et s’impose aux pouvoirs publics et aux citoyens. Elle jouit par conséquent d’une suprématie qui ne peut être dérogée par aucun autre texte, cette suprématie est attribuée par l’alinéa premier de son article 3 : « La présente Constitution, qui est la norme suprême de l’ordre juridique andorran, lie tous les pouvoirs publics et les citoyens. »

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

L’alinéa 2 de l’article 3 de la Constitution indique les principes généraux du système juridique, parmi eux est garanti expressément le principe de la hiérarchie des normes qui permet d’établir l’ordre d’application des normes juridiques et le critère pour régler les éventuelles contradictions entre les normes d’un rang différent.

Article 3 § 2 : « La Constitution garantit les principes de légalité, de hiérarchie et de publicité des normes juridiques, de non rétroactivité des dispositions restrictives des droits individuels, ayant un effet défavorable ou établissant une peine plus sévère, ainsi que ceux de sûreté juridique et de responsabilité des pouvoirs publics et d’interdiction de tout arbitraire. »

Et son titre II (sur les droits et les libertés) établit des principes généraux tels que l’intangibilité de la dignité humaine, et, par conséquent, la Constitution garantit les droits inviolables et imprescriptibles de la personne, qui constituent le fondement de l’organisation politique, de la paix sociale et de la justice (article 4).

La Constitution a reconnue que la Déclaration universelle des droits de l’homme fait partie de l’ordre juridique andorran (article 5) et que toutes les personnes sont égales devant la loi, que nul ne peut faire l’objet d’une discrimination, notamment pour des raisons de naissance, de race, de sexe, d’origine, de religion, d’opinion ou de toute autre condition tenant à sa situation personnelle ou sociale (article 6.1) et elle ajoute qu’il appartient aux pouvoirs publics de créer les conditions pour que l’égalité et la liberté des individus soient réelles et effectives (article 6.2).

La Constitution avait prévu dans ses dispositions transitoires l’élaboration urgente de certaines lois qualifiées (organiques) pour développer son contenu : celles relatives au régime électoral, aux compétences et au financement des Comuns, à la Justice et au Tribunal constitutionnel.

Le Tribunal constitutionnel, dans son arrêt du 6 juin 1994, affaire 94-1-L, expose que « il ne faut pas oublier que tous les articles de la Constitution, en incluant ceux des dispositions transitoires, ont la même hiérarchie et le même rang, bien que potentiellement ils peuvent avoir une efficacité différente selon leur contenu normatif, du fait de leur situation systématique et, même, par rapport au cas concret auquel ils s’appliquent. Partant, il n’y a pas des normes supérieures ou inférieures dans le texte constitutionnel et, lorsqu’il y aurait une contradiction apparente entre deux de ces normes, il appartient à l’interprète, et en dernière instance, au Tribunal constitutionnel, de trouver sa place et sa cohérence. »

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

La Constitution établit différents types de normes législatives qui se distinguent en fonction de la matière dont elles traitent et de la procédure qu’il faut suivre pour les adopter (par exemple une loi qualifiée requiert une majorité plus élevée pour être adoptée).

Selon son article 40, les règles concernant l’exercice des droits inscrits au titre II (sur les droits et les libertés) ne peuvent être fixées que par une loi. Les droits reconnus aux chapitres III (sur les droits fondamentaux de la personne et des libertés publiques) et IV (sur les droits politiques des andorrans) relèvent de la loi qualifiée.

L’article 57 de la Constitution et l’article 112 du règlement du Conseil général (Parlement) signalent que les lois qualifiées prévues par la Constitution sont adoptées à la majorité absolue des membres du Conseil général, à l’exception, selon l’article 57.3 de la Constitution, de celles concernant le régime électoral et le référendum, les compétences des Comuns (organes d’autogouvernement, de représentation et d’administration des paroisses) et les transferts de ressources à ceux-ci, qui exigent, pour leur approbation, la majorité absolue des conseillers élus en circonscription paroissiale ainsi que celle des conseillers élus en circonscription nationale.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule de la Constitution est assez court et énonce une généralité de règles qui seront par la suite développées dans le texte constitutionnel qu’il précède. On peut dire qu’il le présente, qu’il s’agit d’une introduction avec des règles imprécises, mais il fait, néanmoins, partie intégrante de la Constitution (affaire 97-1-L, arrêt du 12 mai 1997). Le Tribunal constitutionnel n’a pas eu à se prononcer sur sa valeur juridique car celle-ci n’a jamais été mise en cause.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

La Constitution est la norme suprême de l’ordre juridique andorran (son article 3), aucune autre norme de droit interne n’est supérieure à elle. Sa suprématie est d’autant plus évidente car aucune norme ne peut la contredire, toutes les normes ainsi que les traités et les conventions signées par l’État ne doivent pas contenir des dispositions contraires à la celle-ci. Pour que ceci ne puisse pas se produire, il existe des contrôles préalables de constitutionnalités des lois ou des normes ayant force de loi et des traités et accords internationaux. L’arrêt 12 juillet 1996, affaire 96-3-RE, parle de la primauté de la Constitution par rapport à d’autres normes ou encore la décision du 18 octobre 2005, affaire 2005-32-RE.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

La Constitution andorrane a instauré un régime juridique de libertés et de droits fondamentaux, avec des mécanismes obligatoires pour sa garantie. Dans son article 3 elle déclare que « L’Andorre incorpore à son ordre juridique les principes de droit international public universellement reconnus » et dans son article 5 elle intègre la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948. La Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales fut ratifiée par le Conseil général le 21 novembre 1995, et elle fait partie intégrante du droit interne, comme le prévoit l’article 3.4 de la Constitution selon lequel les traités et les accords internationaux s’intègrent dans l’ordre juridique andorran dès leur publication au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre, et ne peuvent être modifiés ou abrogés par la loi. Ces traités et conventions ne font pas partie du bloc de constitutionnalité et, de ce fait, ne sont pas un paramètre direct du contrôle de constitutionnalité des autres dispositions. Il n’existe dans la Constitution andorrane une quelconque disposition qui oblige à interpréter les textes, surtout ceux concernant les droits, conformément à ces traités ; cependant, dans la pratique, les traités, notamment tous ceux qui font référence aux droits inscrits dans la Constitution, sont constamment utilisés par le Tribunal constitutionnel (pour l’éclairer) lorsqu’il s’agit d’interpréter le contenu du texte constitutionnel, spécialement, dans le domaine des droits fondamentaux.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Comme il a été dit ci-dessus la Constitution est la norme suprême de l’ordre juridique andorran et aucune autre norme prime sur elle. La Déclaration universelle des droits de l’homme est en vigueur dans l’ordre juridique andorran ainsi que tous les traités et conventions ratifiés par l’État andorran, mais aucune source internationale ne bénéficie d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution. Les principes de droit international public universellement reconnus ont été également incorporés à l’ordre juridique andorran (article 3.3).

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Selon l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 15 mars 1994, affaire 93-1-L, l’intégration des traités au droit interne constituerait une limitation de la souveraineté de l’État puisqu’ils s’imposent au législateur « Aux termes de l’article 3.3 de la Constitution”, “l’Andorre incorpore dans son ordre juridique les principes de droit international public universellement admis” ; cette disposition figure dans le Titre I que la Constitution consacre à la souveraineté de l’Andorre ; en conséquence, elle doit être interprétée comme limitant cette souveraineté et s’imposant au législateur ».

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Sa suprématie est inscrite dans la Constitution elle-même (article 3). Sa stabilité signifie que sa double fonction (organisation des pouvoirs de l’État et l’établissement de la relation entre ces pouvoirs et les citoyens) a été bien comprise par tous les intervenants et s’adapte bien aux exigences du pays.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

La Constitution a été adoptée le 28 avril 1993, après que le peuple l’ait acceptée par référendum, et jusqu’à présent elle n’a pas été modifiée.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Le Tribunal constitutionnel peut être consulté à propos de la conformité à la Constitution d’un traité international, si le traité s’avère non conforme à celle-ci l’État ne le signera pas ou le signera lorsque ce traité aura été modifié. Cependant, si dans l’intérêt du peuple andorran, les organes de l’État pensent que la signature du traité en l’état est indispensable, la modification de la Constitution pourrait s’avérer nécessaire.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Tous les organes constitutionnels respectent la Constitution, en tant que norme suprême. Cependant il est possible qu’il puisse exister une divergence d’interprétation concernant ce qui est conforme ou non conforme à cette norme et dans ce cas le Tribunal constitutionnel en est l’interprète suprême.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

La place de la Constitution est unanimement reconnue, d’autant plus que tous les pouvoirs publics et tous les citoyens sont tenus de la respecter (article 3.1).

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

La légitimité du contrôle de constitutionnalité n’a jamais été contestée et les institutions et les organes compétents l’utilisent lorsqu’ils pensent qu’une loi est contraire à la Constitution.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Les pouvoirs publics ainsi que les citoyens sont liés par la Constitution (article 3.1) et donc ils sont tenus de la respecter. Tous leurs actes sont soumis à la loi et donc ils peuvent être contrôlés par la justice. Les juges des juridictions ordinaires sont soumis uniquement à la Constitution et à la loi et ils sont les premiers gardiens des droits fondamentaux des justiciables. Puisqu’ils appliquent la loi ils sont tenus de l’interpréter et ceci conformément à la Constitution. S’ils ont des doutes raisonnables et fondés sur la constitutionnalité d’une loi applicable à l’affaire qu’ils sont en train de juger, ils peuvent saisir le Tribunal constitutionnel d’une question préjudicielle d’inconstitutionnalité (article 100 de la Constitution).
Les rapports de toutes les institutions juridiques et judiciaires avec le Tribunal constitutionnel ont toujours été de respect et de cordialité.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Pour garantir la suprématie et l’application de la Constitution, le Tribunal constitutionnel est chargé d’être le gardien des mandats qu’elle contient. Il prend donc une place d’exception dans le cadre des institutions de l’État : il statue juridictionnellement sur la conformité à la Constitution des lois, des traités internationaux, des compétences exercées aussi bien par l’État que par les Comuns lorsqu’ils entrent en conflit et de l’efficacité des droits fondamentaux établis par la Constitution elle-même. Ainsi, le Tribunal est l’organe juridictionnel placé au sommet du contrôle de l’ordre juridique puisque celuici se trouve couronné par la loi constitutionnelle suprême. (Article 2 de la Loi qualifiée du Tribunal constitutionnel (LQTC) : 1. – La juridiction du Tribunal constitutionnel s’étend sur tout le territoire de l’État andorran, elle est supérieure dans son ordre et dans l’exercice de ses compétences définies par la Constitution et par cette loi, ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux particuliers et ses arrêts ont l’autorité de la chose jugée. 2. – La doctrine interprétative de la Constitution élaborée par le Tribunal devant fonder ses arrêts s’impose également aux divers organes de la juridiction ordinaire.)

Les précédents fixés par le Tribunal s’imposent au Tribunal lui-même, et le Tribunal a l’obligation de motiver toutes ses décisions. (Article 3 : 1. – Le Tribunal constitutionnel n’est soumis qu’à la Constitution et à la présente loi. Les précédents établis par le Tribunal constituent des critères d’interprétation qui s’imposent au Tribunal, mais ils peuvent être modifiés par une décision motivée prise à la majorité absolue de ses membres. 2. – Aux effets de l’alinéa ci-dessus, l’existence d’un précédent est présumée lorsque au moins deux cas identiques ont été résolus avec la même décision et ont pour fondement la même doctrine.)

Le Tribunal constitutionnel doit appliquer les mandats exprès de la Constitution, et il lui est interdit d’émettre des jugements dits interprétatifs. Il détermine des effets des décisions. Il lui est interdit d’effectuer des jugements d’opportunité politique et d’adresser des réprobations, des compliments ou des recommandations aux pouvoirs publics.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

La jurisprudence constitutionnelle a reconnu l’existence d’un bloc de constitutionnalité, par exemple dans son arrêt du 23 juin 2006, affaire 2006-2-CC, il fait pour la première fois allusion à ce bloc, mais il ne le fait pas fréquemment « De ce fait, l’article 70 de la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel considère comme seul paramètre pour trancher le conflit, la Constitution et la ou les lois qualifiées d’octroi de compétences, constituées dans le bloc de constitutionnalité, mais non la législation ordinaire et l’article 75 de cette même loi qualifiée dispose que “la décision attribue la compétence litigieuse à l’une des parties”, mais n’étudie pas les questions de conformité à la Constitution des normes. La jurisprudence de ce Tribunal est nombreuse sur ces deux points. (…) Cependant, en appliquant l’article 70 de la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel, ci-dessus cité, le Tribunal doit trancher le conflit de compétences conformément au bloc de constitutionnalité, c’est-à-dire la Constitution et la loi qualifiée relative à la délimitation des compétences des communes. » Ou encore l’arrêt du 6 juillet 2007, affaire 2006-4-CC « Une chose est à qui appartient la compétence et une autre de bien différente son exercice. À partir du bloc de constitutionalité il est clair que les Communes exercent les compétences d’urbanisme et de gestion de leurs biens, mais dans la mise en œuvre de cet exercice elles doivent respecter des critères qui, avec une meilleure ou une moindre justesse ont été qualifiées “d’architecturaux et d’urbanistiques”, et qui sont le fruit de l’exercice légitime de l’État d’une compétence qui lui appartient. »

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Pour l’instant, le Tribunal constitutionnel ne l’a pas fait.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Le Tribunal constitutionnel andorran contrairement à d’autres juges constitutionnels n’est pas juge du contentieux électoral, cette compétence appartient au juge ordinaire. Pour le reste, il est gardien de la Constitution et son objet est donc celui du contrôle de la constitutionalité des textes législatifs et réglementaires, des traités et accords internationaux, des conflits des compétences attribuées par la Constitution aux différents organes et il doit protéger les droits fondamentaux des individus.

Le Tribunal constitutionnel n’est pas un juge de cassation et donc il est compétent pour analyser seulement les aspects constitutionnels et pour vérifier si les décisions juridictionnelles qui lui sont soumises peuvent s’avérer absurdes ou arbitraires au sens de logiquement ou juridiquement déraisonnables (arrêt du 25 mai 2009, affaire 2009-24-RE).

Les limites de son contrôle sont essentiellement celles qui concernent les effets politiques de son rôle telles que il est tenu par sa jurisprudence, ces décisions doivent être motivées, il lui est interdit d’émettre des jugements dits interprétatifs, il lui est interdit d’effectuer des jugements d’opportunité politique et d’adresser des réprobations, des compliments ou des recommandations aux pouvoirs publics. Affaire 95-1-PI, arrêt du 3 avril 1995 « Le Tribunal ne peut, en aucun cas, faire des jugements d’opportunité ni de convenance, lesquels sont du ressort de la décision et de la responsabilité politique, mais il peut et doit faire des jugements de finalité, en évaluant la proportionnalité et l’adéquation des moyens employés. »

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Le Tribunal constitutionnel est compétent pour contrôler directement la constitutionnalité des lois, des décrets pris en vertu d’une délégation législative et du règlement du Conseil général, pour contrôler les lois, les décrets législatifs et les règles ayant force de loi, quelle que soit la date de leur entrée en vigueur, par le biais d’une procédure incidente d’inconstitutionnalité soulevée par les tribunaux ordinaires au cours d’un litige lorsque ceux-ci ont des doutes raisonnables et fondés sur la constitutionnalité de la norme dont l’application est nécessaire pour la solution du litige, et pour contrôler des lois et des traités internationaux préalablement à leur promulgation.

La Constitution prévoit ces procédures aux articles 98 a) et b), 99, 100 et 101 et elles sont développées dans les chapitres II, III et V de la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel : le recours direct d’inconstitutionnalité (de l’article 45 à 51), le procès incident d’inconstitutionnalité introduit par les tribunaux ordinaires (de l’article 52 à 58), la procédure préalable de contrôle de la constitutionnalité des traités internationaux (de l’article 59 à 62) et la procédure d’avis préalable sur la conformité des lois à la constitution par demandé les coprinces (de l’article 63 à 68).

Le Tribunal constitutionnel est tenu dans ses décisions de ne répondre qu’aux questions ou qu’aux prétentions soumises par les parties (article 7.3 LQTC), c’est-à-dire qu’il lui est interdit de s’autosaisir d’une question d’inconstitutionnalité, même lorsqu’il a des doutes sur la conformité à la Constitution de tel ou tel article du texte.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Le Tribunal constitutionnel utilise des techniques d’interprétation strictement juridiques.

  • La méthode grammaticale : par exemple dans l’arrêt du 9 mai 2002 rendu dans l’affaire 2001-23 et 25-RE, le Tribunal constitutionnel a considéré que le mot “sexe” auquel fait référence un article du Code Pénal, ne peut pas être assimilé à “orientation sexuelle” et il a déclaré non conforme à la Constitution son inclusion dans le type “attentat contre la dignité d’une personne pour des raisons de sexe” des déclarations relatives à l’homosexualité d’une personne.
  • La méthode systématique, par exemple dans l’arrêt du 7 avril 2000, rendu dans l’affaire 99-1-L, lors d’un recours direct d’inconstitutionnalité contre une loi adoptée pour la création d’une société d’électricité dans lequel les requérants soutenaient que le Parlement avait outrepassé son pouvoir législatif, le Tribunal constitutionnel a déclaré que, puisqu’il y avait une absence de détermination expresse par la Constitution de la portée de ce pouvoir, il fallait avoir recours à l’analyse des fonctions attribuées par le texte constitutionnel aux autres organes constitutionnels de l’État ainsi qu’aux principes constitutionnels, parmi eux au principe de démocratie, et après avoir fait cette analyse systématique, il a conclu que l’exercice des fonctions non attribuées aux autres organes constitutionnels et, plus concrètement, la compétence pour émettre des lois singulière comme celle en cause dans cette affaire appartient au Parlement. D’autres exemples de l’utilisation de cette méthode : affaires 2000-3-RE, 2000-1-DP, 2001-1-L, 2003-15-RE, 2004-15-RE, 2007-9-RE, 2013-4 i 8-RE, 2013-35-RE ou 2014-2 i 4-RE.
  • La méthode téléologique ou finaliste qui est constamment utilisée dans la délimitation du contenu et des limites des droits constitutionnels (affaires 95-4-RE, 98-4-RE, 2012-7-RE, 2014-30-RE ou 2014-2-PI).
  • La méthode historique : le Tribunal utilise l’évolution des institutions objet de recours car en Andorre, certaines de ces instituions fondamentales ont une origine que remonte à l’époque médiévale, comme le rappelle la Constitution dans son préambule. Par exemple dans le domaine du droit privé et dans certains aspects très concrets du droit procédural, dans ces domaines la méthode historique est autant plus importante (la décision du 13 octobre 2000 dans l’affaire 2000-12-RE ou l’arrêt du 18 mai 2001 dans l’affaire 2001-3-RE).

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Le Tribunal constitutionnel est soumis à la Constitution et à sa loi qualifiée et il doit respecter les mandats et les fonctions que ces textes lui ont octroyé. Le Tribunal constitutionnel andorran n’a jamais outrepassé ses fonctions.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Les pouvoirs jurisprudentiels n’ont pas évolué puisque la Constitution n’a pas été modifiée tout comme la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel, et il a toujours les mêmes fonctions et il est toujours soumis aux mêmes textes.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Le Tribunal constitutionnel andorran n’a pas rencontré de difficultés quant à l’effectivité de la Constitution, des grands revirements de jurisprudence ne se sont pas produits. Depuis sa création en 1993, le Tribunal constitutionnel a obtenu une grande acceptation aussi bien juridique que sociale. Les décisions du Tribunal constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et aux particuliers et ses arrêts ont l’autorité de la chose jugée. Les pouvoirs publics sont très respectueux avec les décisions du Tribunal constitutionnel, et jusqu’à présent, nous ne pouvons pas dire qu’il y a des obstacles pour la garantie de la suprématie, toutes les décisions ont été appliquées et portées à exécution sans aucune exception.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

La Constitution est la norme suprême de l’ordre juridique andorran et aucune autre norme prime sur elle. La Déclaration universelle des droits de l’homme est en vigueur dans l’ordre juridique andorran ainsi que tous les traités et conventions ratifiés par l’État andorran, mais aucune source internationale ne bénéficie d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution. Les principes de droit international public universellement reconnus ont été également incorporés à l’ordre juridique andorran (article 3.3).

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Le Tribunal ne s’est jamais prononcé sur cette distinction.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Certes il existe un droit constitutionnel international ou européen.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Selon l’article 3.4 « Les traités et les accords internationaux s’intègrent dans l’ordre juridique andorran dès leur publication au Bulletin officiel de la Principauté d’Andorre, et ne peuvent être modifiés ou abrogés par la loi. »
Le Tribunal constitutionnel a dit que l’intégration des traités au droit interne constituerait une limitation de la souveraineté de l’État puisqu’ils s’imposent au législateur (arrêt du 15 mars 1994, affaire 93-1-L). Mais depuis il ne s’est pas prononcé et donc il n’a pas une conception définie.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non, comme nous avons dit ci-dessus, la Constitution est la norme suprême.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Le Tribunal s’est prononcé fréquemment sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, et a considéré que bien que la Constitution les intègre dans le droit positif interne, il ne s’agit pas de normes constitutionnelles, mais ils peuvent, cependant, être utilisés comme instrument d’interprétation. Dans son arrêt du 25 mai 2007, affaire 2007-2- RE, le Tribunal constitutionnel, confirmant sa jurisprudence du 12 mai 2000 (affaire 2000-3-RE), a jugé à nouveau que « l’article 10 de la Constitution doit être interprété en tenant compte de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme car cette Convention fait partie de l’ordonnancement juridique andorran conformément à l’article 3, § 4, de la Constitution, bien qu’il ne s’agisse pas d’une norme constitutionnelle ». Dans plusieurs autres décisions, le Tribunal constitutionnel a également jugé que lorsque des principes ou règles découlant de la Constitution étaient analogues ou proches de ceux contenus dans la Convention, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme peut permettre l’interprétation des dispositions andorranes, mais que le texte de la Convention ne peut pas se substituer aux dispositions de la Constitution. Il en résulte que la Convention ne peut pas être un paramètre 7e CONGRÈS DE L’ACCPUF 246 pour juger la constitutionnalité d’une loi. Le Tribunal a aussi exposé qu’il n’est pas juge de la conventionalité d’une loi, (affaire 2010-1, 2, 3 i 4-PI, arrêt du 7 septembre 2010) et a même précisé « qu’en droit andorran, comme dans la plupart des ordres juridiques nationaux européens, la Convention européenne des droits de l’homme n’a pas valeur constitutionnelle, mais selon les cas, valeur législative ou supra législative. »

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?
Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Étant donné la situation géographique de l’Andorre et le fait qu’elle a une très bonne relation avec ses voisins, le constituant a cherché un équilibre, lors de l’élaboration de la Constitution, et il a demandé, aussi bien à des assesseurs espagnols que français, de l’aider dans cette lourde tâche. Finalement la Constitution qui a été adoptée se rapproche davantage à la Constitution espagnole que de la française.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Le Tribunal a considéré que bien que la Constitution intègre les traités et les accords valablement ratifiés dans le droit positif interne, il ne s’agit pas de normes constitutionnelles, mais ils peuvent, cependant, être utilisés comme instrument d’interprétation.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Les instruments internationaux ne sont pas directement appliqués par le Tribunal constitutionnel, cependant il les prend en compte dans ces décisions, surtout la jurisprudence dictée par les cours internationales qui les interprètent et les appliquent.
En définitive, ces instruments internationaux font partie intégrante du droit interne andorran, et en outre, la Constitution andorrane s’est dotée de tous les mécanismes susceptibles de garantir la sécurité juridique dans l’exercice des droits fondamentaux de la personne. Le constituant a voulu persévérer dans la promotion de valeurs telles que la liberté, la justice, la démocratie et le progrès social, et à maintenir et renforcer les relations harmonieuses de l’Andorre avec le reste du monde, tout spécialement avec les pays qui sont ses voisins, sur la base du respect mutuel, de la coexistence et de la paix. Et le peuple andorran a voulu apporter sa contribution et son soutien à toutes les causes communes de l’humanité, notamment pour préserver l’intégrité de la Terre et garantir un environnement adéquat aux générations futures.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Aucune situation de conflit ne s’est produite pour l’instant entre la Constitution et les normes internationales. Et en ce qui concerne les droits fondamentaux, le Tribunal a considéré que « notre ordonnancement constitutionnel contient, sans le moindre doute, des niveaux de protection des droits constitutionnels qui sont supérieurs et d’une plus grande intensité que ceux offerts par cette Convention européenne » (affaire 2000-3-RE, arrêt du 12 mai 2000).

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

La Constitution qui est la norme suprême, prime sur toutes les autres normes.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Le problème ne se pose pas.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Le Tribunal a considéré que « notre ordonnancement constitutionnel contient, sans le moindre doute, des niveaux de protection des droits constitutionnels qui sont supérieurs et d’une plus grande intensité que ceux offerts par cette Convention européenne » (affaire 2000-3-RE, arrêt du 12 mai 2000).

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Comme nous avons déjà dit, le Tribunal constitutionnel n’est pas juge la conventionalité, il juge la conformité à la Constitution. Affaire 2010-1, 2, 3 i 4-PI, arrêt du 7 septembre 2010 : « Il faut en outre préciser que le Tribunal constitutionnel est le juge de la constitutionnalité des lois mais pas de leur conventionalité. Conformément à l’article 95.1 de la Constitution, le Tribunal constitutionnel est la seule institution compétente pour être l’interprète suprême de la Constitution. »

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Au contraire, comme nous l’avons dit le Tribunal constitutionnel se doit uniquement d’invoquer la Constitution.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Le Tribunal constitutionnel andorran est attentif à la jurisprudence internationale, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme dans le domaine de la limitation des droits de l’homme. Néanmoins, il n’est pas tenu par la jurisprudence internationale. Elle n’influence pas directement l’action du juge constitutionnel, mais il en tient compte. Il s’y réfère souvent, surtout lorsqu’il se prononce en « empara ».

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Le problème ne s’est pas posé.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Comme nous l’avons déjà exposé antérieurement, le Tribunal constitutionnel n’est soumis qu’à la Constitution et à sa loi. Il est attentif à la jurisprudence des tribunaux internationaux et supranationaux, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme dans le domaine de la limitation des droits de l’homme.
Par exemple, dans son arrêt du 19 janvier 2015, affaire 2014-25 i 26-RE, il a considéré : « A priori la référence à la méconnaissance de l’article 6-1 de la Convention européenne et à la jurisprudence européenne sur ce point pourrait n’être pas inutile au juge andorran. On sait en effet que, le cas échéant, les principes dégagés par cette jurisprudence peuvent être pris en considération par ce tribunal et éclairer ses décisions. »
Le Tribunal constitutionnel cite fréquemment la jurisprudence de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés individuelles, à titre d’exemple dans les arrêts sur les affaires 2014-43-RE, 2014-2 i 4-RE, 2008-4-RE, 2007-16 i 22-RE, 2007-21-RE ou 2000-17-RE.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Du point de vue de notre Tribunal, il est en train de se créer une jurisprudence globale des droits de l’homme par l’influence de la Déclaration universelle mais aussi par les relations qui existent entre la jurisprudence de chaque État qui tend à partager de plus en plus une série de principes et de contenus. En fait cette jurisprudence « horizontale », si on peut ainsi la qualifier, influe en quelque sorte aussi sur les interprétations des instruments internationaux.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Conformément à l’article 3 de la Constitution, l’Andorre intègre donc dans son droit positif interne les principes de droit international public universellement reconnus, et par conséquent, le Tribunal ne peut que se référer dans ses arrêts à ces instruments sur les droits de l’homme. De fait, la référence de ces instruments est très fréquente, surtout dans les décisions concernant les recours en protection constitutionnelle.

Cour constitutionnelle de Belgique

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

La Constitution belge ne contient pas de disposition explicite déterminant son rang normatif.
Toutefois, lors de son adoption, le Constituant a pris soin de préciser qu’« à compter du jour où la Constitution sera exécutoire, tous les lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires sont abrogés » (art. 188 C.). Cette disposition exprime la suprématie de la Constitution sur toutes les autres règles de droit en vigueur à ce moment.
L’on peut encore citer son article 33, qui dispose « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution ». Cet article comporte, de manière implicite, une affirmation de la suprématie de la Constitution.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Il n’y a pas de hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles. Par ailleurs, la Constitution elle-même ne reconnaît pas de « normes constitutionnelles » en dehors d’elle-même. Enfin, si la jurisprudence de la Cour constitutionnelle admet l’existence de principes généraux dont le respect s’impose au législateur (infra), l’on ne peut affirmer que ces principes se trouvent, par rapport au texte constitutionnel, dans un rapport hiérarchique.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Il n’y a pas en Belgique de normes, externes à la Constitution, ayant la même valeur que celle-ci et qui seraient aptes à la compléter ou à la modifier.
La Constitution belge comprend une disposition, l’article 195, qui détermine la manière dont elle peut être révisée. Elle ne peut donc être modifiée qu’en suivant cette procédure de révision de la Constitution. Cette procédure se déroule en deux phases distinctes. Lors de la première phase, les trois branches du pouvoir législatif (la Chambre des représentants, le Sénat et le Roi agissant par le Conseil des ministres) adoptent une liste commune d’articles de la Constitution qui pourront, lors de la deuxième phase, être révisés. La publication de cette liste (« Déclaration de révision de la Constitution ») au Moniteur belge (journal officiel) entraîne automatiquement la dissolution des Chambres et l’organisation d’élections législatives. Les Chambres renouvelées à la suite de ces élections sont dites « constituantes ». Elles ont le pouvoir de réviser les articles ouverts à révision parce que figurant dans la déclaration de révision, et uniquement ces articles-là. Elles peuvent le faire durant toute la législature. À l’issue de celle-ci, les articles qui n’ont pas été révisés ne peuvent plus l’être, sauf si les trois branches du pouvoir législatif adoptent une nouvelle déclaration de révision de la Constitution. La révision des dispositions constitutionnelles requiert, pour être valablement adoptée, que soit atteint un quorum de 2/3 des présences et de 2/3 des votes exprimés.

Par ailleurs, la Constitution crée les « lois spéciales », c’est-à-dire des lois qui doivent être adoptées à majorité spéciale ou qualifiée (1/2 dans chaque groupe linguistique et 2/3 au total) et qui doivent être adoptées pour régler certains objets particuliers désignés expressément par la Constitution. Ces lois sont utilisées pour les réformes de l’État qui conduisent à la transformation de l’État belge en un État fédéral. Elles n’ont pas valeur constitutionnelle. La Cour constitutionnelle peut être amenée, le cas échéant, à censurer une loi spéciale pour contrariété avec la Constitution. Par ailleurs, dans la mesure où ces lois spéciales contiennent des règles de répartition des compétences entre les collectivités fédérale et fédérées, elles servent également de normes de référence pour la Cour constitutionnelle.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

La Constitution belge ne comporte pas de préambule.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non, il n’existe pas de norme de droit interne supérieure à la Constitution. Toute disposition constitutionnelle peut être révisée (cf. supra). On a pu se poser la question, en doctrine, du statut de deux textes, l’un relatif à l’indépendance du peuple belge, l’autre relatif à l’exclusion des membres de la famille Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique. On pourrait les considérer comme « supraconstitutionnels », car ils ont été adoptés par le Congrès national (qui est aussi le Constituant originaire) avant la Constitution. La doctrine enseigne toutefois que ces textes pourraient être révisés par le pouvoir constituant [1], l’existence de normes « supraconstitutionnelles » qui ne pourraient jamais être révisées devant être rejetée [2]. Par ailleurs, le Congrès national a également adopté d’autres décrets, en marge de la Constitution. La Cour constitutionnelle a décidé, en 2006, à propos d’un de ces décrets, le décret sur la presse, que « dès lors que ce décret a été adopté par le Congrès national agissant en tant qu’assemblée législative, il doit être tenu pour une norme que la Cour est habilitée à contrôler en vertu de l’article 142 de la Constitution et de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour [constitutionnelle] » [3]

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

La notion de « bloc de constitutionnalité » est peu usitée en droit constitutionnel belge. Néanmoins, si l’on retient comme définition du « bloc de constitutionnalité » l’ensemble des normes prises en considération par la Cour constitutionnelle lors du contrôle de la constitutionnalité des normes de valeur législative, on peut estimer qu’en Belgique, le droit international des droits de l’homme fait partie du bloc de constitutionnalité. En effet, étant donné que la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions des traités et conventions liant la Belgique, elle a développé deux techniques lui permettant d’associer les dispositions de droit international et les dispositions constitutionnelles dont elle est la gardienne [4]

Premièrement, la Cour rappelle de manière constante que « parmi les droits et libertés garantis par les articles 10 et 11 de la Constitution [qui consacrent le principe d’égalité et de non-discrimination] figurent les droits et libertés résultant de dispositions conventionnelles internationales liant la Belgique [5] » À travers le prisme du principe de l’égalité, la Cour constitutionnelle a fait entrer dans les normes de contrôle qu’elle utilise toutes les dispositions de droit international établissant des droits ou des libertés. Cette technique révèle particulièrement son utilité lorsqu’est invoquée la violation d’un droit qui est garanti par une disposition de droit international qui n’a pas son équivalent dans la Constitution. C’est le cas, par exemple, des garanties juridictionnelles figurant à l’article [6] de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette disposition est systématiquement invoquée devant la Cour en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Deuxièmement, la Cour estime que « lorsqu’une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d’une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles en cause. Il s’ensuit que, lors du contrôle au regard de ces dispositions constitutionnelles, la Cour tient compte des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues 6. » La Cour combine ainsi les dispositions constitutionnelles garantissant des droits et libertés et les dispositions de droit international liant la Belgique garantissant les mêmes droits et libertés. La Cour opère donc, à la faveur du contrôle de constitutionnalité, un contrôle de la compatibilité des dispositions de valeur législative qui lui sont soumises par rapport aux conventions internationales s’imposant aux législateurs belges (fédéral et fédérés). On peut en conclure qu’en ce qui concerne le contrôle opéré par la Cour constitutionnelle, les dispositions de droit international liant la Belgique font partie du « bloc de constitutionnalité ».

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

La Constitution est muette sur la place du droit international dans la hiérarchie des normes.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

L’article 34 de la Constitution prévoit que « l’exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué par un traité ou par une loi à des institutions de droit international public ». Cette disposition permet à la Belgique de participer à des organisations internationales de coopération (Nations unies, OTAN, …) ou d’intégration (Union européenne). D’après cette disposition, l’attribution de pouvoirs à une organisation internationale ne peut porter que sur des pouvoirs « déterminés », ce qui semble indiquer qu’il ne peut s’agir de transferts massifs. Ceci dit, l’intégration européenne implique les transferts de pouvoirs de plus en plus importants. Par ailleurs, l’article 167, §§ 2 et 3, de la Constitution, prévoit que les traités internationaux n’ont effet qu’après avoir reçu l’assentiment, selon le cas, de la Chambre des représentants (législateur fédéral) ou du Parlement (législateurs fédérés). Le législateur doit donc approuver, formellement, les dispositions de tout traité international, y compris les dispositions des traités tendant à intégrer l’État belge dans un ordre international.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La Constitution est en principe un texte stable. Elle organise elle-même la procédure de sa modification, à l’article 195 (cfr supra). La procédure de révision de la Constitution est particulièrement lourde et longue, ce qui concourt à sa stabilité. Cette stabilité a été voulue par le Constituant originaire comme élément de la suprématie de la Constitution.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

La Constitution a été très peu modifiée jusqu’aux années ‘80. À partir de ce moment, qui a vu le début de processus de fédéralisation de la Belgique, les révisions constitutionnelles se sont succédées à un rythme soutenu. Elles ont porté, essentiellement, sur la transformation de l’État unitaire belge en un État fédéral. Au cours de ces vingt dernières années, des modifications ont également porté sur l’ajout, parmi les droits et libertés garantis aux citoyens, de nouveaux droits (l’égalité des hommes et des femmes, le droit à la protection de la vie privée, les droits culturels, économiques et sociaux, les droits de l’enfant, le droit à la transparence des documents administratifs).
La Constitution n’a jamais été modifiée en réaction à une décision de la Cour.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Cela a été le cas, jusqu’à présent, uniquement en ce qui concerne les traités conclus au sein de l’Union européenne. Un exemple est donné par l’article 8 de la Constitution, qui réserve l’exercice des droits de vote et d’éligibilité aux citoyens Belges. Lors de la ratification du Traité de Maastricht, en 1992, cette disposition a posé problème dans la mesure où ce Traité imposait aux États membres d’étendre le droit de vote pour les élections locales aux ressortissants européens. Le Constituant a tardé à réviser l’article 8 de la Constitution, ce qui a d’ailleurs valu une condamnation de l’État belge par la Cour de Justice de l’Union européenne. Finalement, le 11 décembre 1998, l’article 8 a été complété d’un troisième et d’un quatrième alinéa qui autorisent le législateur à organiser le droit de vote des citoyens européens « conformément aux obligations internationales et supranationales de la Belgique », ainsi qu’à étendre ce droit de vote aux étrangers non citoyens européens.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non, il n’y a pas d’expression en ce sens.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Toutes les autorités juridictionnelles du pays garantissent le respect de la Constitution.
Les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire ont, en vertu de la Constitution elle-même, une attitude différente en fonction de la norme dans laquelle gît une inconstitutionnalité. S’il s’agit d’une norme réglementaire, les cours et tribunaux, après avoir constaté eux-mêmes l’inconstitutionnalité, l’écartent et refusent donc de l’appliquer au litige dont ils sont saisis (art. 159 de la Constitution). S’il s’agit d’une norme législative, les cours et tribunaux ne sont pas autorisés à constater eux-mêmes l’inconstitutionnalité. Ils sont tenus, en application de l’article 142 de la Constitution et de l’article 26 de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle, d’interroger cette dernière au sujet de la compatibilité de la norme en cause avec la Constitution (mécanisme de la question préjudicielle). Si la Cour constitutionnelle constate une inconstitutionnalité, la norme jugée inconstitutionnelle est écartée par le juge ayant posé la question ainsi que, dans la plupart des cas, par les autres cours et tribunaux appelés à en faire application. Ces deux mécanismes permettent d’assurer la primauté de la Constitution mais ils ne permettent pas d’abroger ou d’annuler directement la norme inconstitutionnelle. L’annulation par la Cour constitutionnelle d’une norme législative jugée contraire à la Constitution à l’occasion de la réponse à une question préjudicielle est possible si un recours en annulation est introduit dans les six mois suivant l’arrêt sur au contentieux préjudiciel (réouverture du délai pour introduire un recours en annulation).
Le Conseil d’État, qui est la plus haute juridiction administrative du pays, assure également le respect de la Constitution. Il peut annuler les actes réglementaires, notamment pour violation de la Constitution. Confronté à une norme de valeur législative soupçonnée d’être contraire à la Constitution, il est également, à l’instar des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, tenu de poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

L’autorité des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle est différente selon qu’il s’agit d’arrêts rendus sur recours en annulation ou d’arrêts rendus sur question préjudicielle.

a. Arrêts rendus sur recours en annulation

Lorsque la Cour annule une disposition législative, l’arrêt d’annulation a l’autorité absolue de chose jugée à partir de sa publication au Moniteur belge (journal officiel) (art. 9, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle). L’annulation a effet erga omnes et elle rétroagit au jour de l’adoption de la disposition, de sorte qu’une disposition annulée par la Cour est réputée n’avoir jamais existé. Les actes et règlements et les décisions de justice fondés sur la loi annulée conservent leur validité mais peuvent faire l’objet de nouveaux recours ou, lorsqu’il s’agit d’arrêtés et règlements, ne plus être appliqués par les cours et tribunaux (article 159 de la Constitution). Toutefois, la Cour peut maintenir les effets produits dans le passé par une norme qu’elle annule. Elle peut également décider que la norme annulée continuera à produire des effets dans l’avenir, jusqu’à une date qu’elle détermine (art. 8 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle). Lorsque la Cour rejette un recours en annulation, l’arrêt de rejet est obligatoire pour les juridictions en ce qui concerne les questions de droit tranchées par cet arrêt (art. 9, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989).

b. Arrêts rendus sur question préjudicielle

L’article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose : « La juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire sont tenues, pour la solution du litige à l’occasion duquel ont été posées les questions […] de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle ».

Lorsque la Cour, en réponse à une question préjudicielle, juge que la norme législative en cause est conforme à la Constitution, la disposition continue à être appliquée par les juridictions.
Lorsque la Cour juge que la norme législative n’est pas compatible avec une ou plusieurs dispositions constitutionnelles, la juridiction qui a posé la question et toutes les juridictions appelées à connaître du même litige écartent la disposition inconstitutionnelle. Suivant l’article 28 précité de la loi spéciale, les arrêts rendus sur question préjudicielle n’ont donc qu’une autorité relative de chose jugée. Ces arrêts ont toutefois une « autorité relative renforcée » [7] de chose jugée. En effet, les juridictions devant lesquelles une question de constitutionnalité est soulevée ne sont pas tenues d’interroger la Cour constitutionnelle lorsque celle-ci a déjà répondu à une question semblable (art. 26, § 2, 2e alinéa, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle) et à la condition qu’elles se conforment à la réponse que celle-ci a donné. Par ce biais, les arrêts constatant une inconstitutionnalité sur question préjudicielle produisent des effets au-delà du litige concret à l’occasion duquel ils ont été rendus.
Par ailleurs, si le constat d’inconstitutionnalité sur question préjudicielle n’a pas pour effet direct d’annuler la norme législative jugée inconstitutionnelle, de sorte que cette norme ne disparaît pas de l’ordre juridique, le prononcé de l’arrêt fait courir un nouveau délai de six mois au cours duquel toute personne physique ou morale intéressée peut introduire un recours en annulation contre la norme jugée inconstitutionnelle au contentieux préjudiciel. De manière générale, l’autorité des arrêts de la Cour est bien respectée par les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire et par le Conseil d’État.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

La Cour constitutionnelle reconnaît l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » en intégrant, parmi les normes qui jouent le rôle de norme de référence, à côté de la Constitution, différents autres types de normes.

a. Le droit international

Les dispositions de droit international qui garantissent des droits et des libertés et qui s’imposent au législateur ont été intégrés par la Cour dans le bloc de constitutionnalité soit par la technique de la combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, qui garantissent le principe d’égalité et de nondiscrimination, soit par la technique de la combinaison avec les dispositions constitutionnelles qui garantissent des droits et libertés analogues (voir supra). Pour qu’elles fassent partie du « bloc de constitutionnalité » et jouent à ce titre le rôle de norme de contrôle, les dispositions de droit international doivent évidemment lier l’État belge. En revanche, il n’est pas requis qu’elles aient un effet direct, la Cour juge en effet depuis 2003 qu’elle doit, « lorsqu’elle est interrogée sur une violation [des articles 10 et 11 de la Constitution] combinés avec une convention internationale, non pas examiner si celle-ci a effet direct dans l’ordre interne, mais apprécier si le législateur n’a pas méconnu de manière discriminatoire les engagements internationaux de la Belgique » [8] Les dispositions de droit international le plus souvent utilisées comme normes de contrôle par la Cour sont la Convention européenne des droits de l’homme, le droit européen primaire et dérivé, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention des droits de l’enfant.

b. Certains principes généraux du droit

La Cour considère que même si elle n’est pas compétente pour contrôler directement le respect par les législateurs fédéral et fédérés des principes généraux du droit, elle peut tenir compte de ces principes dans le contrôle direct de constitutionnalité qu’elle exerce au regard des articles 10 et 11 de la Constitution (principe d’égalité et de non-discrimination). Ainsi, la Cour contrôle-t-elle le respect des principes suivants : la non-rétroactivité de la loi pénale [9] et de la loi en général [10] ; la clarté de la loi pénale [11] ; le droit à un procès équitable et les garanties juridictionnelles qui en découlent [12] ; le droit à la sécurité juridique [13] ; la liberté de commerce et d’industrie [14] ; le principe de précaution en matière environnementale [15] ; le principe de bonne administration [16]

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

S’il faut comprendre cette question comme renvoyant au pouvoir d’interpréter les dispositions législatives, sur le modèle, par exemple, de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’on relève que la Cour constitutionnelle belge ne possède pas de pouvoir d’interprétation, mais bien un pouvoir d’invalidation de la norme en cause (questions préjudicielles) ou d’annulation de la norme attaquée (recours directs).
Au contentieux de l’annulation, la Cour interprète toutefois la disposition attaquée. Au contentieux préjudiciel, la Cour a pour ligne de conduite d’examiner la norme dans l’interprétation qui lui est donnée par le juge de renvoi. Ce n’est que si cette interprétation est manifestement erronée qu’elle lui substitue une interprétation différente. Par ailleurs, lorsque la Cour constate que l’interprétation conférée à la norme en cause par le juge de renvoi la rend inconstitutionnelle, mais qu’une autre interprétation de la même norme, la rendant compatible avec la Constitution, est envisageable, la Cour l’indique dans son arrêt.
Lorsqu’elle interprète une norme, la Cour utilise les normes faisant partie du « bloc de constitutionnalité » comme pour son contrôle de validité (cf. réponse précédente).

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

La Cour ne contrôle que les normes de valeur législative : les lois fédérales, les lois fédérales à majorité spéciale, les décrets et ordonnances adoptés par les législateurs fédérés, les lois, décrets et ordonnances d’assentiment à un traité international ou à une convention internationale, les arrêtés royaux et de gouvernements, mais uniquement lorsqu’ils ont fait l’objet d’une validation législative. Toutes les normes inférieures à la loi (les arrêtés réglementaires et individuels, les dispositions adoptées par les autorités locales, …) échappent à son contrôle. Il en va de même des jugements et arrêts. La Cour ne contrôle pas non plus les dispositions constitutionnelles, ce qui la conduit à refuser aussi de contrôler les dispositions législatives qui sont l’expression d’un choix posé par le Constituant [17]

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Les mécanismes existants de contrôle de constitutionnalité sont suffisamment efficaces pour garantir le respect des droits constitutionnels de tous les citoyens. L’accès à la Cour est facile, aussi bien sur recours en annulation, ouvert à toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt, que sur question préjudicielle, qui peut être posée par toute juridiction belge, quel que soit son niveau dans la pyramide juridictionnelle, sans filtre par quelque juridiction ou autorité que ce soit.
L’obligation d’indiquer, parmi les normes de références, au moins une disposition constitutionnelle pour laquelle la Cour est compétente est bien connue des plaideurs, il y a très peu de décision d’irrecevabilité pour le motif que les requérants ou la juridiction de renvoi se seraient limités à invoquer la violation de dispositions de droit international ou de principes généraux du droit sans les combiner avec une disposition constitutionnelle.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

La plupart des dispositions de la Constitution belge garantissant les droits et libertés datent d’une époque lointaine (1831) qui ne connaissait et n’imaginait même pas le contrôle de constitutionnalité. Elles sont donc rédigées, dans certains cas, en des termes absolus qui ne se concilient plus, à l’heure actuelle, avec les contraintes pesant sur le législateur, chargé de garantir simultanément des droits qui peuvent entrer en concurrence, dans un monde de plus en plus complexe. Il revient à la Cour constitutionnelle, chargée de contrôler la compatibilité de l’action du législateur avec le prescrit constitutionnel, de donner à ce dernier une interprétation actuelle.

La Cour utilise, sans exclusive ni hiérarchie entre elles, les méthodes classiques d’interprétation [18] : la méthode littérale [19], B.33.2, à propos des obligations correspondantes dans la disposition garantissant les droits culturels, économiques et sociaux., la méthode historique par le recours aux travaux préparatoires des dispositions constitutionnelles [20], à propos de l’effet de standstill du droit à l’aide sociale. , la méthode logique et systématique, qui conduit à l’interprétation d’une disposition constitutionnelle pour la rendre cohérente avec les autres dispositions constitutionnelles [21], à propos du caractère absolu du secret des lettres. , la méthode téléologique par le recours au but poursuivi par la disposition constitutionnelle interprétée [22], à propos du droit à des subventions dans le chef des pouvoirs organisateurs de l’enseignement libre..

Par ailleurs, la juridiction constitutionnelle recourt, lorsqu’elle est amenée à combiner les dispositions constitutionnelles et des dispositions de droit international, à la méthode de l’interprétation conforme au droit international. Elle cherche ainsi à procurer à la Constitution une interprétation actuelle et évolutive [23]. Cette méthode conduit, en règle générale, à renforcer l’effectivité des droits fondamentaux garantis par le Constituant, à améliorer la cohérence de l’ensemble du catalogue de droits figurant dans la Constitution et à en pallier les lacunes. Elle permet de compenser le fait que le Constituant n’ait pratiquement – sauf exceptions, voir ci-dessous, sous II.2. – pas mis le texte de la Constitution en harmonie avec les garanties énoncées dans les instruments internationaux qui sont tous postérieurs à son adoption [24]

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

La Cour constitutionnelle, alors dénommée Cour d’arbitrage, a été créée en 1984 dans le contexte de la fédéralisation de l’État belge. Elle n’avait à l’époque qu’une compétence limitée à la résolution des conflits de compétence entre les différents législateurs (fédéral, régionaux, communautaires). En 1989, à la faveur d’une révision constitutionnelle approfondissant le fédéralisme, la Cour se voit confier, notamment, le contrôle du respect, par les différents législateurs, des articles 10 et 11 de la Constitution garantissant le principe d’égalité et de non-discrimination. Dès son premier arrêt rendu au contentieux de l’égalité [25], la Cour ébauche sa jurisprudence selon laquelle « la règle constitutionnelle de non-discrimination est applicable à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés reconnus aux belges ». Il s’agit du premier pas en direction de la mise en œuvre de la technique permettant à la Cour d’inclure, parmi les normes de références, les dispositions de droit international liant la Belgique et les principes généraux du droit. Cette technique permet également à la Cour d’inclure dans son contrôle tous les autres droits et libertés garantis par la Constitution, pour le contrôle direct desquels elle n’est, à ce moment, par compétente. Cette jurisprudence volontariste de la Cour est manifestement approuvée par le Constituant et par le législateur puisqu’en 2003, la compétence de la Cour est à nouveau étendue : le contrôle peut désormais être opéré directement par rapport à tous les articles figurant dans le titre II de la Constitution, qui est le titre consacré aux droits et libertés. Cette extension de sa compétence est mise à profit par la Cour pour consacrer la deuxième technique par laquelle elle tient compte, lors de son contrôle, des dispositions de droit international ayant un contenu ou une portée analogue aux droits et libertés garantis par la Constitution belge [26].

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Comme indiqué ci-dessus, la Cour constitutionnelle a progressivement étendu le catalogue des normes de référence qu’elle utilise lors de son contrôle. Cette évolution lui permet de contrôler le respect de l’ensemble des droits et libertés garantis aux citoyens tant par la Constitution belge que par les normes de droit international liant la Belgique, de même que les garanties reconnues par les principes généraux du droit.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Par le passé, des contradictions de jurisprudence ont pu apparaître entre la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation, notamment parce que cette dernière exerce un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions de droit international ayant effet direct en Belgique. Le concours de contrôles, le contrôle de conventionnalité direct opéré par les juridictions de l’ordre judiciaire et, in fine, par la Cour de cassation, d’une part, et le contrôle de constitutionnalité opéré par la Cour constitutionnelle, d’autre part, a créé une situation de concurrence potentielle et généré un risque de solutions divergentes, dès lors que de nombreux droits et libertés fondamentaux sont garantis, à la fois, par des dispositions de droit international et par des dispositions constitutionnelles.
En vue de prévenir ces difficultés, les présidents de la Cour constitutionnelle, de la Cour de cassation et du Conseil d’État ont organisé, en 2005, un « symposium », rassemblant des magistrats et des professeurs d’université, sur les rapports entre la Cour constitutionnelle, le pouvoir judiciaire et le Conseil d’État [27]. Parmi les propositions qui ont été formulées lors de ces travaux, une suggestion a été reprise par le législateur et intégrée dans la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. Elle vise à établir un ordre chronologique dans l’examen de la constitutionnalité et de la conventionnalité des dispositions législatives, lorsque le droit fondamental dont la violation est invoquée est garanti de manière analogue par la Constitution et par une disposition de droit international (art. 26, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989). Dans cette hypothèse, la juridiction saisie du litige doit interroger la Cour constitutionnelle avant d’effectuer elle-même, le cas échéant, un contrôle du respect des dispositions de droit international. Même si des contradictions de jurisprudence ne sont pas à exclure, il semble que ce système soit, dans l’ensemble, bien accueilli par les juridictions et qu’il permette une certaine sécurité juridique.


  • [1]
    F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 77.  [Retour au contenu]
  • [2]
    A. Alen, K. Muylle, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Malines, Kluwer, 2011, n° 223.  [Retour au contenu]
  • [3]
    C.C., arrêt n° 168/2006.  [Retour au contenu]
  • [4]
    A. Alen, K. Muylle et W. Verrijdt, « De Verhouding tussen het Grondwettelijk Hof en het Europees Hof voor de rechten van de mens”, in Alen, A. & Theunis, J., (eds.), Leuvense Staatsrechtelijke Standpunten 3, Brugge, Die Keure, 2012 ; Alen, A., Spreutels, J., Peremans, E. et Verrijdt, W., Rapport national au XVIe Congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, La coopération entre les cours constitutionnelles en Europe, situation actuelle et perspectives, Vienne, Verlag – vfgh, 2014.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Voy. notamment l’arrêt n° 197/2011.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Voy. notamment les arrêts n° 201/2011, 49/2013.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Ch. Horevoets et P. Boucquey, Les questions préjudicielles à la Cour d’arbitrage, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 61 à 65. La Cour considère également qu’un arrêt rendu sur question préjudicielle a « un effet qui dépasse le seul litige pendant devant le juge qui a posé la question » (arrêt n° 125/2011).  [Retour au contenu]
  • [8]
    Arrêt n° 106/2003.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Notamment, l’arrêt n° 97/2012.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Notamment, l’arrêt n° 188/2011.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Notamment, l’arrêt n° 40/2009.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Notamment, les arrêts n° 6 et 7/2013.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Notamment, l’arrêt n° 18/2012.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Notamment, l’arrêt n° 187/2011.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Notamment, l’arrêt n° 121/2008.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Notamment, l’arrêt n° 93/2008.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Par exemple, le fait qu’une autorité administrative qui inflige une sanction ne puisse poser de question préjudicielle à la Cour résulte d’un choix posé par le Constituant et sur lequel la Cour ne peut se prononcer : arrêt n° 44/2011.  [Retour au contenu]
  • [18]
    H. Dumont et Ch. Horevoets, « L’interprétation des droits constitutionnels », in M. Verdussen et N. Bonbled (dir.), Les droits constitutionnels en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2011, T. I, p. 191.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Par exemple, arrêt n° 101/2008  [Retour au contenu]
  • [20]
    Par exemple, arrêt n° 169/2002, B.6.4  [Retour au contenu]
  • [21]
    Par exemple, arrêt n° 202/2004, B.12.2  [Retour au contenu]
  • [22]
    Par exemple, arrêt n° 2/2006, B.18.2  [Retour au contenu]
  • [23]
    A. Alen et K. Muylle, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Malines, Kluwer, 2011, p. 526.  [Retour au contenu]
  • [24]
    H. Dumont et Ch. Horevoets, op. cit., p. 213.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Arrêt n° 23/89.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Arrêt n° 189/2005.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Les actes de ces travaux sont parus en 2006 : A. Arts e.a., Les rapports entre la Cour d’arbitrage, le Pouvoir judiciaire et le Conseil d’État, Bruges, Bruxelles, Die Keure, La Charte.  [Retour au contenu]

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

La réponse à cette question est différente selon que l’on examine la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et celle de la Cour de cassation [/footnote] Cette question est également examinée dans : Alen, A., Spreutels, J., Peremans, E. et Verrijdt, W., Rapport national au XVIe Congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, La coopération entre les cours constitutionnelles en Europe, situation actuelle et perspectives, Vienne, Verlag – vfgh, 2014, n° 58 et suiv.[/footnote]
La Cour de cassation a jugé, en 2004, dans la droite ligne d’une jurisprudence antérieure dans le même sens, qu’un traité ayant effet direct avait primauté sur la Constitution [/footnote]Cass., 9 novembre 2004, P. 04.0849.N/20, Rev. dr. pén., 2005, p. 789 ; Cass., 16 novembre 2004, P.04.0644.N/3 ; Cass., 16 novembre 2004, P.04.1127.N/3, R.W., 2005-2006, p. 387. [/footnote] : « attendu qu’une convention ayant un effet direct prime la Constitution ; que lorsque la Constitution, comme en l’espèce, ne pose pas plus d’exigences qu’une disposition conventionnelle ayant un effet direct, un contrôle de la loi à la lumière de la convention suffit et un contrôle ultérieur de la loi à la lumière de la Constitution est sans pertinence ». Elle en a conclu qu’elle n’était pas tenue de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
En revanche, la Cour constitutionnelle estime depuis 1991 que le droit des traités occupe une place inférieure à la Constitution dans la hiérarchie des normes. Elle est en effet compétente pour contrôler le respect, par les lois et décrets d’assentiment aux traités internationaux, des dispositions constitutionnelles [1] Lorsqu’elle contrôle une loi ou un décret d’assentiment, la Cour contrôle également le contenu du traité, la loi ou le décret ne comportant généralement qu’un article formel [2]. Elle considère à ce sujet que le Constituant, qui interdit au législateur d’adopter des dispositions contraires à la Constitution, ne peut être censé l’autoriser à le faire par le biais de l’assentiment donné à un traité international [3]. Dans son examen, la Cour est généralement prudente et estime qu’elle « doit tenir compte de ce qu’il ne s’agit pas d’un acte de souveraineté unilatéral, mais d’une norme conventionnelle par laquelle la Belgique a pris un engagement de droit international à l’égard d’un autre État » [4]
En outre, une inconstitutionnalité entachant une norme interne de valeur législative ne pourrait être justifiée par la circonstance que cette norme se limite à donner exécution à une convention internationale : cette circonstance ne dispense en effet pas le législateur de respecter les dispositions constitutionnelles [5]
Par ailleurs, ainsi qu’il est dit ci-dessus, la Cour constitutionnelle utilise les dispositions de droit international garantissant des droits et libertés comme normes de référence pour le contrôle qu’elle exerce, de sorte que ces normes font partie du « bloc de constitutionnalité ».

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

La primauté s’inscrit dans un raisonnement hiérarchique déterminant, en cas de conflit entre deux normes, celle qui doit être retenue et appliquée et celle qui doit être écartée pour le motif qu’elle est contraire à une norme jugée hiérarchiquement supérieure.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Les notions de « droit constitutionnel international » ou « droit constitutionnel européen » ne sont pas utilisées en doctrine juridique belge.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

a. Si l’on a égard à la compétence de la Cour pour connaître, via le contrôle de la norme législative d’assentiment, de la compatibilité du contenu des traités internationaux avec la Constitution, l’on peut dire que la Cour retient une conception moniste des rapports entre ordre interne et ordre externe. Le contrôle de la Cour pourrait en effet conduire à annuler la norme d’assentiment au traité dont les dispositions seraient jugées contraires à la Constitution, ce qui empêcherait que le traité sorte ses effets dans l’ordre interne belge. Il faut toutefois préciser que ce contrôle a, jusqu’à présent, essentiellement porté sur des dispositions internationales fiscales (traités tendant à éviter les doubles impositions) et qu’en conséquence de la retenue qu’elle adopte lorsqu’elle connaît du contenu d’un traité, la Cour n’a encore jamais constaté de violation dans de telles affaires [6]

b. En revanche, lorsque l’on examine cette question en ayant égard à la pratique de la Cour d’intégrer, dans le « bloc de constitutionnalité », les traités et conventions internationales garantissant des droits et libertés et liant la Belgique, on peut considérer que, plutôt que de parler de « monisme ou de dualisme », il conviendrait de décrire cette situation sous le concept de « pluralisme constitutionnel » [7] ou encore de « métissage » des sources conventionnelles et constitutionnelles des droits de l’homme [8]. Ainsi, plutôt que de tenter d’établir une hiérarchie entre l’ordre interne constitutionnel et l’ordre international conventionnel, il convient de remarquer que ces deux ordres sont combinés pour procurer au juge constitutionnel les normes de référence qui lui permettront de garantir aux mieux le respect des droits et libertés fondamentaux. En effet, cette combinaison permet à la Cour constitutionnelle, d’une part, d’intégrer dans son raisonnement les enseignements jurisprudentiels de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’elle cite abondamment et, d’autre part, de maximiser la protection juridique dès lors qu’elle exige, lorsque le droit dont la violation est alléguée est protégé tant par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l’homme, qu’il soit simultanément satisfait aux conditions restrictives formelles contenues dans la Constitution et aux conditions restrictives matérielles contenues dans la Convention [9]

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Voir la réponse à la première question sous II.1., ci-dessus.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Voir la réponse à la quatrième question sous II.1., ci-dessus.

2. Influences sur le constitutant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Lors de l’élaboration de la Constitution belge, en 1830-1831, l’influence d’autres constitutions a été importante. Un des membres de la Commission chargée de créer le projet de la Constitution l’exprime ainsi : « On a choisi dans les constitutions existantes, et particulièrement dans la Charte française actuelle, les dispositions qui ont paru s’approprier le mieux à notre pays ; et on y a ajouté beaucoup d’autres qui sont désirées par les meilleurs publicistes européens » 39[10]
Lors des révisions récentes ayant eu pour objet l’insertion de nouvelles dispositions constitutionnelles garantissant des droits et libertés fondamentales, le Constituant a été expressément influencé par le droit international des droits de l’homme. Sa volonté a été, manifestement, d’adapter le catalogue des droits protégés par la Constitution belge, datant de 1830, à l’évolution du contexte économique, social, culturel et idéologique « faisant apparaître la nécessité de consacrer l’existence de nouveaux droits indispensables au bonheur humain », évolution qui s’est traduite au niveau international par l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme, du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Charte sociale européenne [11] Cette volonté n’a toutefois été que partiellement réalisée, la Constitution actuelle présentant encore de nombreuses dispositions anciennes à côté de quelques dispositions récentes.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Le 18 juin 1993, le Constituant a introduit un nouvel article 32 dans la Constitution, dont l’objet est de garantir l’accès aux documents administratifs. Les travaux parlementaires montrent que le Constituant a été directement inspiré par le droit à l’information, contenu dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’il est explicité dans plusieurs recommandations et résolutions du Conseil de l’Europe. Il est également fait allusion à l’article 19 du Pacte ONU relatif aux droits civils et politiques [12]. Le Constituant a également été inspiré, en cette matière, par la législation et la pratique d’autres États, tels la Suède, les États-Unis, la France, les Pays-Bas, l’Italie et le Luxembourg [13].
L’article 23 de la Constitution, introduit le 31 janvier 1994, garantit le droit à la dignité humaine et les droits culturels, économiques et sociaux [14]. Son contenu s’inspire, d’après l’auteur de la proposition, dans une large mesure, de la Charte sociale européenne [15].
Le même jour, le Constituant adopte le nouvel article 22, établissant le droit au respect de la vie privée et familiale. À cette occasion, le Constituant a cherché à établir une concordance avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, afin d’éviter toute contestation sur les contenus respectifs des deux dispositions [16].
Lors de l’insertion de l’article 22bis, garantissant les droits de l’enfant, le 23 mars 2000, le Constituant fait référence à la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 [17].
La révision de l’article 10 et l’ajout d’un article 11bis, proclamant et garantissant tous deux l’égalité de l’homme et de la femme, le 21 février 2002, sont également le fruit de la volonté du Constituant de respecter les engagements internationaux de la Belgique, notamment la Convention des Nations Unies du 19 décembre 1978 sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, la Convention des Nations unies sur les droits politiques de la femme du 31 mars 1953 et plusieurs dispositions de droit européen [18].

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct de la compatibilité des normes législatives avec les dispositions des traités et conventions internationales. Elle effectue toutefois un contrôle « indirect » ou « combiné » du respect de ces dispositions, par la mise en œuvre de deux techniques. D’une part, elle examine la compatibilité des dispositions législatives avec les articles 10 et 11 de la Constitution, qui garantissent le principe d’égalité et de non-discrimination, lus en combinaison avec n’importe quelle disposition de droit international garantissant un droit ou une liberté, à la seule condition que le traité ou la convention concernés lient la Belgique. D’autre part, lorsque un droit garanti par une disposition constitutionnelle est également garanti, de manière analogue, par une disposition internationale liant la Belgique, la Cour tient compte de cette disposition internationale et, éventuellement, de son interprétation par une juridiction internationale, dans son propre contrôle.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

La méthode combinatoire mise en œuvre par la Cour pour intégrer les dispositions de droit international des droits de l’homme, que ce soit via le contrôle du respect de l’égalité et de la non-discrimination ou via la prise en compte, par la Cour, des dispositions de droit international garantissant, de manière analogue, les mêmes droits que la Constitution, a pour effet de prévenir les éventuels conflits entre droits fondamentaux appartenant à des ordres juridiques distincts. Des difficultés peuvent toutefois se présenter lorsque la garantie offerte par la Constitution n’est pas équivalente à la garantie offerte par les dispositions conventionnelles (Cf. infra, sous II.5).

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Les anciennes dispositions de la Constitution belge garantissant des droits fondamentaux, qui datent de 1830, prévoient généralement des limites formelles à l’ingérence des autorités dans la jouissance de ces droits. Par opposition, les dispositions conventionnelles, plus modernes, prévoient souvent des limites matérielles à ces ingérences.

Un exemple de différence importante de protection est fourni par la protection du droit de propriété. La Constitution n’envisage de protection de la propriété que dans le cas de l’expropriation, qui requiert, en vertu de l’article 16 de la Constitution, une procédure établie par la loi, une cause d’utilité publique et le versement d’une juste et préalable indemnité. L’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme a, quant à lui, une portée plus large, il vise à encadrer les atteintes portées aux intérêts économiques des individus et à leurs acquis sociaux.

Un autre exemple est celui du secret des lettres. La Constitution prévoit, en son article 29, que le secret des lettres est inviolable et ce, de manière absolue. Cette disposition date de 1831. La Convention européenne des droits de l’homme, quant à elle, prévoit en son article 8 que des ingérences sont possibles, à certaines conditions, dans le droit au respect de la vie privée.

En revanche, lors de l’adoption de dispositions plus récentes, le Constituant a généralement cherché à établir une concordance entre les garanties constitutionnelles et les garanties conventionnelles. L’exemple le plus évident à cet égard est le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 22 de la Constitution (Cf. supra). Il en découle d’ailleurs que l’article 29 de la Constitution, cité ci-dessus, qui ne concerne que le secret des lettres, est beaucoup plus sévère que l’article 22 qui protège le droit à la vie privée en général.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

a. Le contrôle opéré par la Cour constitutionnelle ne crée pas de concurrence entre la protection constitutionnelle et la protection conventionnelle internationale. En effet, les méthodes combinatoires mises en œuvre par la Cour pour intégrer les sources internationales dans ses normes de référence ne peuvent conduire à les faire prévaloir sur la Constitution. Celle-ci doit toujours, pour des raisons de recevabilité tenant à la limitation de la compétence de la Cour constitutionnelle, figurer parmi les normes de références invoquées.

b. Le contrôle opéré par les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire et par le Conseil d’État, en revanche, pourrait créer une concurrence entre la Constitution et les dispositions internationales garantissant des droits et libertés. En effet, les juridictions peuvent effectuer un contrôle direct de conventionnalité, contrôle qui conduit, le cas échéant, le juge à écarter la norme législative qu’il considère contraire à une norme de droit international ayant effet direct en Belgique. Par contre, les juridictions ne peuvent pas effectuer elles-mêmes un contrôle de constitutionnalité des normes ayant valeur législative. En cas de doute quant à la compatibilité d’une norme législative avec la Constitution, elles sont tenues d’interroger la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel. Lorsque le même droit fondamental est garanti tant par la Constitution que par des dispositions de droit international directement applicables, les juges pourraient donc, en principe, choisir d’interroger la Cour constitutionnelle, ce qui donne priorité à la Constitution, ou choisir d’opérer eux-mêmes le contrôle de conventionnalité, ce qui donne priorité à la disposition de droit international. Cette possibilité de choisir une voie ou l’autre comprend une atteinte potentielle à la suprématie de la Constitution. C’est pour remédier à cette situation, source d’insécurité juridique, que le législateur a introduit dans la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle une règle de priorité chronologique : la juridiction est tenue d’interroger d’abord la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de la norme législative en cause avec la Constitution. La loi précise que, même si n’est invoquée devant la juridiction de fond que la violation d’une disposition de droit international, cette juridiction doit, d’office, rechercher si le droit dont la violation est invoquée n’est pas également garanti par la Constitution et, si tel est le cas, poser une question préjudicielle à la Cour. Enfin, la loi ajoute que l’obligation de poser d’abord une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle n’empêche pas le juge de poser aussi, simultanément ou ultérieurement, une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

a. Devant la Cour constitutionnelle. La Cour n’est pas compétente pour opérer un contrôle direct de compatibilité avec les normes de droit international. Les parties devant la Cour doivent donc toujours invoquer la violation d’au moins une règle constitutionnelle, qu’il s’agisse d’une disposition garantissant un droit fondamental ou des articles garantissant le principe d’égalité et de non-discrimination. Les plaideurs sont ensuite libres de combiner ces dispositions constitutionnelles avec toutes les dispositions de droit international liant la Belgique. Si la technique de la combinaison peut paraître complexe à première vue, la pratique ne montre pas de problème particulier. En outre, la Cour fait preuve de souplesse dans l’appréciation des recours et des questions préjudicielles. Ainsi, lorsque le principe d’égalité est invoqué en combinaison avec un droit fondamental garanti par une disposition de droit international, mais que les parties ou la juridiction de renvoi n’ont pas indiqué précisément en quoi le droit à l’égalité est violé, par exemple parce qu’aucune comparaison entre catégories de personnes comparables n’est formulée, la Cour estime de manière constante que cette omission ne conduit pas à l’irrecevabilité du moyen ou de la question préjudicielle, au motif que « la violation d’un droit fondamental constitue ipso facto une violation du principe d’égalité et de non-discrimination » [19].

b. Devant les cours et tribunaux : Il est équivalent, en termes de procédure et de difficulté, d’invoquer la violation d’une disposition constitutionnelle ou d’une norme de droit international. Par ailleurs, si la juridiction décide d’interroger la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel, les parties ne sont pas tenues d’intervenir dans la procédure devant la Cour.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Pour les juridictions constitutionnelles européennes, qui sont parties, à la fois, à la Convention européenne des droits de l’homme et aux Traités constituant de l’Union européenne, il peut être délicat de déterminer quelles sont les dispositions internationales à prendre en considération. Ce problème ne provient pas, cependant, tellement de l’existence de différents traités, mais bien de la co-existence de deux juridictions inter- ou supranationales, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne. La Cour constitutionnelle tente, par la mise en œuvre des techniques combinatoires et du principe de l’addition des garanties visant à procurer la meilleure protection possible, d’éviter les conflits entre les différents catalogues de droits fondamentaux, qu’ils soient constitutionnel, produits par l’Union européenne ou par le Conseil de l’Europe.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Ainsi qu’il a déjà été exposé, la Cour constitutionnelle se réfère expressément aux instruments internationaux garantissant des droits et libertés fondamentaux lorsqu’elle contrôle la compatibilité de normes législatives avec les droits et libertés garantis par la Constitution. La Cour accueille les arguments des parties fondés sur les instruments internationaux, à la condition qu’ils soient combinés avec l’invocation d’une disposition constitutionnelle. La Cour inclut parmi les normes de référence, même d’office, les dispositions internationales qui garantissent de manière analogue les droits constitutionnels dont la violation est invoquée. Enfin, la Cour se réfère explicitement et abondamment à l’interprétation des droits fondamentaux garantis par les instruments internationaux donnée par les jurisprudences des juridictions inter- et supranationales, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Lorsque la Constitution et les normes de droit international organisent une protection de portée différente pour un même droit fondamental, la Cour opte généralement pour la protection la plus étendue. Ainsi, lorsqu’elle a à connaître d’une limitation de la propriété, limitation qui ne se confond pas avec une expropriation et ne constitue donc pas un cas dans lequel la protection offerte par l’article 16 de la Constitution pourrait jouer, la Cour attire dans les normes de référence qu’elle utilise l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui offre une protection plus large. La Cour considère à ce sujet : « L’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans la disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour tient compte de cet article de droit international lors de son contrôle des dispositions attaquées » [20]. De même, en matière de protection de la vie privée, matière dans laquelle les dispositions constitutionnelle et conventionnelle sont très proches, la Cour retient les garanties formelles imposées par la Constitution (l’ingérence doit être prévue par une loi au sens formel du terme) qui ne sont pas imposées de même par la Convention européenne des droits de l’homme, considérant en outre que l’exigence constitutionnelle s’impose au législateur belge, en vertu de l’article 53 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel les dispositions de la Convention ne peuvent être interprétées comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme reconnus expressément par le droit interne [21]. Toutefois, la solution qui consiste à retenir la meilleure protection possible risque dans certains cas, en raison du caractère peu moderne de certaines dispositions constitutionnelles adoptées en 1831, d’aboutir à des situations trop rigides et manifestement déraisonnables. Ainsi, dans le cas de la protection du secret des lettres (voir ci-dessus, sous 2.4), cas dans lequel la protection offerte par l’article 29 de la Constitution est absolue, ne permettant aucune ingérence, même justifiée, par le législateur, la Cour a-t-elle considéré : « Si le secret des lettres, garanti par l’article 29 de la Constitution, a pu être conçu comme absolu, lors de l’adoption de la Constitution, il ne peut être fait abstraction aujourd’hui, pour en déterminer la portée, d’autres dispositions constitutionnelles ainsi que de conventions internationales » [22] et elle a, en conséquence, permis une ingérence à condition qu’elle soit nécessaire pour assurer le respect d’autres droits fondamentaux et proportionnées à ce but légitime.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

La Cour attache une grande importance à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à celle de la Cour de justice de l’Union européenne. Les citations d’extraits d’arrêts de ces deux juridictions sont innombrables dans les arrêts de la Cour constitutionnelle. Elles sont beaucoup plus nombreuses aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans, quand la Cour a commencé à contrôler le respect des droits fondamentaux. Ceci est probablement dû au fait que les plaideurs ont, de plus en plus, le réflexe d’invoquer non seulement les dispositions des traités, mais également la jurisprudence des juridictions internationales et qu’il en va de même pour les juges à la Cour et pour les référendaires. Par ailleurs, en ce qui concerne la Cour de justice de l’Union européenne, l’importance grandissante des normes de droit européen primaire et dérivé dans l’ordre normatif interne belge conduit manifestement l’ensemble des juridictions, y compris la Cour constitutionnelle, à pratiquer le droit européen de plus en plus souvent. Toutefois, le fait que la jurisprudence des juridictions inter- et supranationales était moins souvent expressément citée par la Cour constitutionnelle auparavant ne signifie nullement que le juge constitutionnel n’y était pas déjà attentif. Ainsi, la doctrine n’a-t-elle pas manqué de relever que la portée que la Cour a donné, dès ses premiers arrêts en la matière, au principe d’égalité et de non-discrimination était directement inspirée de la formule usitée par la Cour européenne des droits de l’homme [23]. La Cour est, de manière générale, fidèle aux jurisprudences des Cours inter- et supranationales [24], au point que certains auteurs ont pu qualifier son attitude, à l’égard de la jurisprudence strasbourgeoise, de « docile » [25]. On peut considérer à cet égard qu’elle reconnaît, à l’instar des autres juridictions belges, aux décisions de ces juridictions une « autorité de chose interprétée » [26]. Un exemple typique de cette attitude de la Cour peut être trouvé dans l’arrêt concernant l’assistance d’un avocat lors des interrogatoires par la police, fortement influencé par la jurisprudence « Salduz » de la Cour européenne des droits de l’homme, dans lequel la Cour considère que la possibilité que soient utilisées, au cours du procès pénal, des déclarations ayant été faites hors la présence d’un avocat est contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, « tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme » [27].

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

La mise en œuvre des techniques combinatoires conduit la Cour à donner aux dispositions constitutionnelles garantissant les droits et libertés une portée similaire, ou confondue, avec celles des dispositions de droit international qu’elle combine. La technique d’interprétation des dispositions constitutionnelles en conformité avec le droit international pertinent est quasi-permanente dans la jurisprudence de la Cour. Un exemple évident de ce phénomène concerne le droit à la protection de la vie privée et familiale. La Cour juge en effet de manière constante : « Il ressort des travaux préparatoires de l’article 22 de la Constitution que le Constituant a recherché la plus grande concordance possible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme » [28]. Cette position la conduit à interpréter l’article 22 de la Constitution non seulement conformément à l’article 8 de la Convention, mais également conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant cette dernière disposition.


  • [1]
    Cette compétence est expressément confirmée par l’article 3, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle qui prévoit une délai de recours réduit à 60 jours pour ces normes, ainsi que, a contrario, par l’article 26, 1erbis, qui exclut de la compétence de la Cour, au contentieux préjudiciel, les normes législatives d’assentiment aux Traités constituant de l’Union européenne, à la Convention européenne des droits de l’homme et aux protocoles additionnels à cette Convention. Il s’en déduit, d’une part, que les normes législatives d’assentiment aux autres traités internationaux peuvent faire l’objet de questions préjudicielles et, d’autre part, que les normes d’assentiment à tous les traités internationaux peuvent faire l’objet d’un recours en annulation dans les 60 jours de leur publication.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Pour un exemple récent, voy. l’arrêt n° 32/2013.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Arrêt n° 12/94.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Arrêt n° 32/2013.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Arrêt n° 40/2009.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Alen, A., Spreutels, J., Peremans, E. et Verrijdt, W., Rapport national au XVIe Congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, La coopération entre les cours constitutionnelles en Europe, situation actuelle et perspectives, Vienne, Verlag – vfgh, 2014, n° 60.  [Retour au contenu]
  • [7]
    A. Alen, K. Muylle et W. Verrijdt, « De Verhouding tussen het Grondwettelijk Hof en het Europees Hof voor de rechten van de mens”, in Alen, A. & Theunis, J., (eds.), Leuvense Staatsrechtelijke Standpunten 3, Brugge, Die Keure, 2012, p. 6.  [Retour au contenu]
  • [8]
    H. Dumont, « Préface », in S. Van Drooghenbroeck (dir.), Le droit international et européen des droits de l’homme devant le juge national, Bruxelles, Larcier, 2014, p. I.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Alen, A., Spreutels, J., Peremans, E. et Verrijdt, W., Rapport national au XVIe Congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, La coopération entre les cours constitutionnelles en Europe, situation actuelle et perspective, Vienne, Verlag – vfgh, 2014, n° 16.  [Retour au contenu]
  • [10]
    E. de Gerlache, in Discussions du Congrès, cité par F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 72  [Retour au contenu]
  • [11]
    Développements de la proposition de révision du titre II de la Constitution, en vue d’insérer des dispositions nouvelles permettant d’assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Doc. parl., Sénat, 1992-1993, 100-4/2, p. 2.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Doc. parl., Chambre, 1992-1993, 839/1, p. 3-4.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Doc. parl., Sénat, S.E. 1991-1992, 100-49/2, p. 2.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Droit au travail, droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé, à l’aide sociale, médicale et juridique, droit à un logement décent, droit à la protection d’un environnement sain, droit à l’épanouissement culturel.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Doc. parl. Sénat, S.E. 1991-1992, 100-2/4, p. 5.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Doc. parl., Sénat, S.E. 1991-1992, 100-4/5, p. 8.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Doc. parl., Sénat, 1999-2000, 2-21/2, p. 2 ; 2-21/3, p. 2, 2-21/4, p. 3.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Doc. parl., Sénat, 1999-2000, 2-465/1, p. 2-3, 2-465/4, p. 5.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Par exemple, voy. l’arrêt n° 101/2005.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Voy. notamment l’arrêt n° 106/2014.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Arrêts n° 202/2004, 131/2005 et 151/2006.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Arrêt n° 202/2004.  [Retour au contenu]
  • [23]
    X. Delgrange, « Quand la Cour d’arbitrage s’inspire de la Cour de Strasbourg », note sous C.A., n° 23/89, Rev. rég. Dr., 1989, p. 619.  [Retour au contenu]
  • [24]
    P. Martens, « L’influence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la Cour constitutionnelle », C.D.P.K., 2010, p. 350.  [Retour au contenu]
  • [25]
    M. Verdussen, Justice constitutionnelle, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 381.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Sur cette notion, voy. F. Krenc, « L’autorité de la chose interprétée des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme », in S. Van Drooghenbroek (dir.), Le droit international et européen des droits de l’homme devant le juge national, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 311 et suiv.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Arrêt n° 7/2013.  [Retour au contenu]
  • [28]
    Notamment, arrêt n° 48/2014.  [Retour au contenu]

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Nihil.

 

Cour constitutionnelle du Bénin

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 est assez claire sur son rang normatif et son efficacité juridique.

– Sur le rang normatif :
La fin du Préambule de la Constitution est ainsi libellée :
« [Nous, Peuple beninois], (…) Adoptons solennellement la présente Constitution, qui est la Loi suprême de l’État et à laquelle nous jurons loyalisme, fidélité et respect. »
Dans le corps même de la Constitution, on pourrait également faire référence à l’article 3, alinéa 2, qui dispose :
« La souveraineté s’exerce conformément à la présente Constitution qui est la Loi suprême de l’État. »
– Sur l’efficacité juridique :
L’article 3, alinéa 3, de la Constitution précise clairement qu’en cas de violation de la Constitution par n’importe quelle autre norme, la Cour constitutionnelle peut être saisie par tout citoyen (tout individu dans la pratique) pour faire constater l’inconstitutionnalité de cette norme. (« Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels. »). Or, selon les termes de l’article 124 de la Constitution, « Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.
Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles. »

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

En disposant en son alinéa 2 que « La forme républicaine et la laïcité de l’État ne peuvent faire l’objet d’une révision. », l’article 156 de la Constitution élève au rang de normes super constitutionnelles les dispositions relatives à la forme républicaine de l’État et à sa laïcité, c’est-à-dire les dispositions de l’alinéa 1 de l’article 1er, puis celles de l’alinéa 1 de l’article 2.

En retenant par la décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011 que « Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum, les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990, à savoir : – la forme républicaine et la laïcité de l’État; – l’atteinte à l’intégrité du territoire national ; – le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois ; – la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle ; – le type présidentiel du régime politique au Bénin », la Cour constitutionnelle élargit ce domaine des normes intangibles aux articles 42 (Art. 42. – « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ») et 44, 4e tiret. (« Art. 44. – Nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République s’il : – (…) n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de dépôt de sa candidature ; (…) ».).
Il apparaît que ces dispositions de la Constitution qui ne peuvent faire l’objet de révision alors que toutes les autres dispositions du même instrument juridique le peuvent, ont une prévalence sur les autres.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Trois types de textes peuvent être invoqués ici : la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les lois organiques et les règlements intérieurs des hautes institutions de l’État.

– La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Le Préambule de la Constitution prévoit que « Nous, Peuple béninois, (…) Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981, par l’Organisation de l’Unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ; ». Il s’ensuit que ces différents instruments juridiques sont appelés à compléter la Constitution dans le cadre de son interprétation, et même comme normes de référence dans le contrôle de constitutionnalité.
Si cette affirmation paraît classique pour nombre de constitutions, force est de reconnaître que de tous ces instruments, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples occupe une place particulière. L’article 7 de la Constitution précise en effet que : « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois ». La place constitutionnelle de la Charte africaine ne fait donc l’objet d’aucun doute, et trouve son fondement dans la Constitution elle-même.
Dans la décision DCC 34-94 des 22 et 23 décembre 1994 [1], portant sur la création d’une Commission électorale nationale autonome (CENA), la Cour constitutionnelle s’est fondée sur le préambule de la Constitution en ce qui concerne « l’attachement du Peuple béninois aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, s’est traduit par l’intégration à la Constitution du 11 décembre 1990 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui fait siens les principes précités ; que les dispositions de la Charte font partie intégrante du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ».
Sur les normes de référence qu’elle utilise, on note ainsi que la Cour évoque la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en rappelant « que les dispositions de la Charte font partie intégrante du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ». Dans une autre décision portant sur le droit à la défense en matière de sanction disciplinaire, la Cour constitutionnelle a été saisie d’un recours de Monsieur Gouhouede Antoine, magistrat, qui ayant été suspendu de ses fonctions en vue de poursuites disciplinaires, par décision du Conseil supérieur de la magistrature en date du 13 mars 1995, se plaint de ce qu’il n’a pas eu la possibilité d’exercer ses droits à la défense, même s’il est vrai que la procédure suivie était conforme à l’article 46 de la loi n° 83-005 du 17 mai 1983 portant statut de la magistrature béninoise. Il estime en effet que la suspension édictée par cet article s’apparente à une sanction disciplinaire, or, il n’est prévu aucune possibilité d’exercer ses droits à la défense à cette étape de la procédure disciplinaire. Il demande donc à la Cour, de se fonder sur l’article 17 de la Constitution et l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples pour constater l’inconstitutionnalité de la décision prise à son encontre. La Cour constitutionnelle, constatant que Monsieur Gouhouede Antoine n’a pas été en mesure d’exercer son droit à la défense, comme le prescrit la Constitution, a déclaré inconstitutionnelle la décision de sa suspension. Elle a décidé que « la loi précitée n’ayant pas organisé les droits de la défense, à cette étape de la procédure disciplinaire méconnaît les exigences de la protection des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques, garantis par la Constitution, en particulier l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples » [2]. Par cette décision [3], dans laquelle la cour évoque « la Constitution, en particulier l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », la haute juridiction utilise nettement l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples comme norme de référence parce que ce texte fait partie de la Constitution. Elle ne sent même plus le besoin d’invoquer l’article 17 de la Constitution dans ses motifs, même si dans le dispositif, elle conclut à la violation de la Constitution.

– Les lois organiques

Ce sont donc des normes prises « en vertu de la Constitution ». C’est cette dernière qui demande ainsi explicitement à être complétée sur tel ou tel point. La Constitution prévoit en effet une liste limitative de lois qui ne peuvent être adoptées qu’en la forme de lois organiques. Il s’agit de lois portant sur les questions suivantes :

– Conditions de recours au référendum [4].

– Liste des emplois de hauts fonctionnaires pourvus par le président de la République 5[5].

– Conditions de vote des lois de finances et de règlement des comptes de la Nation 6[6].

– Organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, procédure suivie devant elle, notamment les délais pour sa saisine de même que les immunités et le régime disciplinaire de ses membres 7[7].

– Composition, attributions, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature 8[8].

– Règles de fonctionnement et procédure suivie devant la Haute cour de justice 9[9].

– Composition, organisation et fonctionnement du Conseil économique et social (CES) 10[10].

– Composition, attributions, organisation et fonctionnement de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) 11[11].

L’article 97 de la Constitution expose clairement la spécialité de la loi organique par rapport à la loi ordinaire. Elle dispose :
« La loi est votée par l’Assemblée nationale à la majorité simple. Cependant, les lois auxquelles la présente Constitution confère le caractère de lois organiques sont votées et modifiées dans les conditions suivantes :
– la proposition ou le projet n’est soumis à la délibération et au vote de l’Assemblée qu’après l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt sur le Bureau de l’Assemblée ;
– le texte ne peut être adopté qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée ;
– les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par la Cour constitutionnelle de leur conformité à la Constitution. »
Ce texte exige en réalité une double majorité.
C’est, d’une part, une majorité de quorum qui est exigée. En effet, la présence, lors du vote portant sur la loi organique de la majorité des membres composant l’Assemblée nationale est obligatoire puisqu’un vote n’atteignant pas leur nombre n’a aucune valeur. En comparaison avec la procédure d’adoption d’une loi ordinaire, lorsque le nombre de députés présent n’atteint pas la  majorité des membres composant l’Assemblée nationale, le vote est reporté à une prochaine séance. Au cours de cette séance, la délibération peut avoir lieu quelque soit le nombre de députés présents 12[12].

C’est, d’autre part, une majorité de vote qui est requise. En effet, la loi n’est considérée comme votée que si le nombre de votes favorables est supérieur à la moitié des membres composant l’Assemblée nationale.

L’article 19 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle précise les modalités de la procédure de contrôle de constitutionnalité en disposant que « les lois organiques adoptées par l’Assemblée nationale sont transmises à la Cour constitutionnelle par le président de la République pour contrôle de constitutionnalité… »

Une fois adoptées, les lois organiques complètent donc la Constitution dans sa fonction de norme de référence. Les lois organiques constituent alors, avec le texte fondamental, un complexe normatif placé au sommet de la hiérarchie des normes et servant de normes de référence au contrôle de constitutionnalité des autres textes.

Ainsi, plusieurs décisions de la Cour constitutionnelles utilisent ces normes pour constater la conformité ou la non-conformité d’une loi ou d’un acte réglementaire à la Constitution.

La manière dont le législateur, lors du vote, le 28 février 1997, de la loi n° 97-010 portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin, a réglé la question de la qualité de la personne pouvant être autorisée à opérer comme propriétaire de médias audiovisuels au Bénin a fait l’objet d’examen de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle béninoise, saisie par le président de la République. Dans cet examen, c’est la loi organique de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) qui a servi de norme de référence à la Cour constitutionnelle. Saisie, le 10 mars 1997, par le président de la République pour contrôler la constitutionnalité du texte voté par l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle a relevé que l’article 3 de la loi votée, en utilisant les termes « organismes privés », restreint le champ d’application des articles 9 et 44 de la loi organique de la HAAC. Quant aux prescriptions de l’article 15 évoquant « toute personne morale de droit béninois », elle est jugée également « contraire aux articles 9 et 44 de la loi organique sur la HAAC qui permettent l’usage des fréquences à toute personne désirant opérer sur le territoire national ». Pour ces raisons, la Cour a considéré que ces articles, de même qu’une série d’autres articles du texte voté qui reprenaient les formulations incriminées, étaient « non conformes à la Constitution » [13]. La Cour n’a mentionné directement aucune disposition de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, mais a considéré que la non-conformité des dispositions incriminées aux articles 9 et 44 de la loi organique sur la HAAC valait « nonconformité à la Constitution ». C’est là une preuve tangible de l’assimilation des lois organiques à la Constitution, ou plus exactement, l’appartenance des lois organiques au bloc de constitutionnalité.

– Les règlements intérieurs des hautes institutions de l’État.

S’agissant du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, la Cour, après avoir déclaré, en 1993, que celui-ci ne faisait pas partie du bloc de constitutionnalité et ne pouvait donc pas servir de norme de référence dans le cadre du contrôle de constitutionnalité [14], a opéré un revirement de jurisprudence en 1998 [15] dans sa décision DCC 98-039 du 14 avril 1998 [16]

C’est un député, qui se fondant sur l’article 121, alinéa 1, de la Constitution, a saisi la haute juridiction du contrôle de constitutionnalité de la loi 98-013 portant amnistie de certains faits commis entre le 1er janvier 1990 et le 30 juin 1996, votée par le Parlement, le 20 février 1998. Le député se plaint de ce que « lors du vote de la loi, il a été pourvu au remplacement des secrétaires parlementaires absents par un questeur désigné d’autorité par le président de l’Assemblée nationale, en dépit des protestations et exceptions législatives soulevées sur ce point ». L’élu considère que, ce faisant, l’article 17.5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale aux termes duquel « les secrétaires parlementaires (…) constatent les votes (…) et dépouillent les scrutins », a été violé. Or, pour lui, cette disposition est une mise en œuvre de l’article 89 de la Constitution aux termes duquel « Les travaux de l’Assemblée nationale ont lieu selon un règlement intérieur qu’elle adopte conformément à la Constitution (…) [17] ». La violer reviendrait donc à une violation de la Constitution. La Cour constitutionnelle sera sensible à cette argumentation et retiendra que, puisque l’article 17.5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui est « la mise en œuvre des règles constitutionnelles » a été violé, « le vote de la loi intervenue dans ces conditions doit être déclaré, dès lors, contraire à la Constitution pour vice de procédure ». Ici aussi, comme en matière de lois organiques, la violation d’une disposition du règlement intérieur mettant en œuvre une disposition constitutionnelle, constitue une violation de la Constitution. Cette logique devrait être étendue aux règlements intérieurs des autres institutions de l’État dans la mesure où ils constituent la mise en œuvre des lois organiques, lesquelles font partie du bloc de constitutionnalité.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Dans la décision DCC 34-94 des 22 et 23 décembre 1994 [18], portant sur la création d’une Commission électorale nationale autonome (CENA), la Cour constitutionnelle s’est fondée sur le préambule de la Constitution en ce qui concerne « l’attachement du Peuple béninois aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (…) ». Elle a nettement évoqué dans ses « normes de référence », « les exigences de l’État de droit et de démocratie pluraliste affirmées dans le préambule de la Constitution du 11 décembre 1990 ». C’est sur l’ensemble de ces principes et normes qu’elle s’est fondée pour valider la création d’une Commission Électorale nationale autonome.
Dans une autre décision DCC 09-016 du 19 février 2009, la Cour constitutionnelle a eu à affirmer : « (…) La Constitution, norme fondatrice de l’État, ne se réduit pas à la détermination des règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir dans l’État ; (…) elle met toujours en œuvre une certaine idée de

Le règlement intérieur détermine :
– la composition, les règles de fonctionnement du Bureau ainsi que les pouvoirs et prérogatives de son président ;
– le nombre, le mode de désignation, la composition, le rôle et la compétence de ses commissions permanentes, ainsi que celles qui sont spéciales et temporaires ;
– la création de commissions d’enquête parlementaires dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale ;
– l’organisation des services administratifs dirigés par un secrétaire général administratif, placé sous l’autorité du président de l’Assemblée nationale ;
– le régime de discipline des députés au cours des séances de l’Assemblée ;
– les différents modes de scrutin, à l’exclusion de ceux prévus expressément par la présente Constitution. »

 

droit, c’est-à-dire, l’image de l’ordre social qu’il conviendrait de réaliser en vue du bien commun du peuple ; (…) elle est donc porteuse d’un idéal de société qui doit inspirer toute l’activité politique de l’État ; (…) le préambule de la Constitution, expression éclatante de cette idée de droit, affirme solennellement la détermination du peuple béninois de créer un État de droit et de démocratie pluraliste ; (…) ». C’est donc en se fondant sur ce préambule que la Cour a affirmé que « la démocratie pluraliste ne saurait être de manière absolue et exclusive la loi de la majorité, mais la protection de la minorité, qu’en effet, si la règle démocratique exige que la majorité décide et que la minorité s’incline, dans l’exercice de ce pouvoir de décision, la majorité doit cependant s’imposer à elle-même, le cas échéant, une limite qu’elle ne saurait transgresser sous peine de devenir tyrannique, à savoir le respect des droits de la minorité ; (…). ». Elle en a déduit que « la garantie des droits de la minorité doit se traduire au Parlement par le respect de sa configuration politique impliquant la règle de la répartition proportionnelle dans la désignation des députés appelés à représenter l’Assemblée nationale en tant que Corps, à animer ses organes de gestion ou à siéger au sein d’autres institutions de l’État ».
Il apparaît ainsi clairement que le Préambule fait partie au Bénin du bloc de constitutionnalité. Aucune différence de nature juridique n’est établie entre le préambule et le corps de la Constitution. Toutes les dispositions de la Constitution ont une égale valeur juridique.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Oui

En dehors de l’utilisation de la convention régionale de protection des droits fondamentaux comme normes de référence pour des raisons examinées plus haut, il arrive que la Cour constitutionnelle béninoise utilise d’autres traités internationaux comme norme de référence. On pourrait l’illustrer à travers deux exemples dans lesquels la Cour fait référence, tantôt aux normes économiques et financières internationales, tantôt aux normes internationales relatives aux droits fondamentaux des travailleurs.

– DCC 11-042 du 21 juin 2011

Dans cette décision, la Cour constitutionnelle constate que : « La Constitution en son article 147 prescrit : “Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois.” ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les Institutions de Bretton Woods et l’État Béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; (…) il en est de même du Traité créant l’Union économique et monétaire ouest africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35 % ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution. ».
Il faut noter que la Cour constitutionnelle procède ici à un contrôle de conventionalité, mais qui passe par le filtre d’une disposition constitutionnelle. C’est en se fondant sur la disposition constitutionnelle qui évoque la supériorité du traité international sur les normes législatives – et a fortiori sur les normes infra législatives – que le juge constitutionnel constate la contrariété d’un décret avec des engagements internationaux, ce qui constitue, pour lui, d’abord et avant tout, une violation de l’article 147 de la Constitution, même s’il est vrai que cette violation de la Constitution provient du constat de violation d’un certain nombre d’engagements internationaux.
C’est la même logique qui a été suivie dans la décision suivante, rendue en matière de norme internationale du travail.

– DCC 02-050 du 30 mai 2002, DCC 03-009 du 19 février 2003 et DCC 11-065 du 30 septembre 2011

Pour valider l’article 9 de la loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin voté à l’Assemblée nationale les 25 et 26 septembre 2011, lequel dispose que « « Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève. », la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, a utilisé comme normes de référence des « traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par notre pays. ». Elle s’est fondée d’abord sur l’article 31 de la Constitution, mais a aussi invoqué « l’article 8, alinéa 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [qui] précise que la garantie constitutionnelle du droit de grève « n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique. ». Allant encore plus loin, le juge constitutionnel a invoqué la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation Internationale du travail : « Considérant que l’Organisation internationale du travail dans son recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : « L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale » ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. ». La Cour tire de ces sources de l’OIT « qu’ainsi, l’Organisation internationale du travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; ».
C’est sur la base de l’ensemble de ces normes de référence que la Cour conclut que « dès lors, il y a lieu de dire et juger que l’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution ni les principes fondamentaux de l’Organisation internationale du travail ; ».
Il est donc clair que la Cour constitutionnelle béninoise utilise les conventions internationales ratifiées par le Bénin comme norme de référence, mais le caractère auxiliaire de ces conventions est confirmé ici, puisque c’est pour conforter des dispositions constitutionnelles précises que ces textes internationaux sont invoqués. Cela explique que le juge constitutionnel puisse aller jusqu’à citer des ouvrages, la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation internationale du travail puisque ces sources « secondaires » ne viennent simplement que pour compléter la norme constitutionnelle.
Il reste toutefois que, comme le précise la Cour, dans sa décision DCC 02-050 du 30 mai 2002, « la ratification et la publication sont deux conditions indispensables et indissociables à l’insertion des traités dans l’ordonnancement juridique béninois ; que la Convention N° 87 de l’OIT ratifiée par le Bénin n’a jamais été publiée ; qu’elle n’est donc pas applicable ». Dans le même sens, la haute juridiction a considéré, dans sa décision DCC 03-009 du 19 février 2003, que le moyen tiré de la violation de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le Bénin le 30 août 1990, est inopérant au motif que « la convention (…) a été ratifiée par le Bénin (…), mais n’a jamais été publiée et n’entre donc pas dans le droit positif béninois ».

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Comme énoncé plus haut, le Préambule de la Constitution prévoit que « Nous, Peuple béninois, (…) réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981, par l’Organisation de l’unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ; ». Il s’ensuit que ces différents instruments juridiques internationaux occupent une place particulière et sont appelés à compléter la Constitution dans le cadre de son interprétation, et même comme normes de référence dans le contrôle de constitutionnalité.

De tous ces instruments, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples occupe une place particulière. L’article 7 de la Constitution précise en effet que : « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptés en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois. ». La place constitutionnelle de la Charte africaine ne fait donc l’objet d’aucun doute, et trouve son fondement dans la Constitution elle-même.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Aux termes de l’article 144 de la Constitution, les traités ou accords sont négociés, signés et ratifiés, le cas échéant, par le président de la République, mais celui-ci délègue souvent son pouvoir de négociation et de signature à des plénipotentiaires.

Une fois les traités signés, la Constitution met un obstacle à toute ratification de certains traités tant que ceux-ci n’ont pas fait l’objet d’une autorisation de ratification donnée par le Parlement en la forme d’une loi d’autorisation de ratification. C’est ainsi que l’article 145 de la Constitution dispose :

« Les traités de paix, les traités ou accords relatifs aux organisations internationales, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient les lois internes de l’État, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés qu’en vertu d’une loi…. ».

C’est à ce niveau que peut intervenir la Cour constitutionnelle dans la mesure où, conformément à l’article 146 de la Constitution du 11 décembre 1990 : « Si la Cour constitutionnelle saisie par le président de la République ou par le président de l’Assemblée nationale a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le ratifier ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».

L’article 147 de la Constitution qui prévoit que : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. Cet article conditionne la mise en vigueur effective de tout traité international dans l’ordre interne béninois à certaines conditions qui sont :

– La régularité de la ratification ;
– La publication ;
– La réciprocité.

Si les deux premières conditions ne posent pas de problèmes particuliers, il reste à se prononcer sur les deux autres conditions.

S’agissant d’abord de la réciprocité, il faut dire qu’elle ne s’applique pas en matière de droits de l’homme, car il s’agit d’obligations d’un État envers toutes les personnes qui sont sous sa juridiction, et, non, de relations d’État à État.

En ce qui concerne la publication, il est constant que tout traité international qui n’a pas été publié ne peut produire aucun effet dans l’ordre juridique béninois. La Cour a ainsi considéré dans sa décision DCC 02-050 du 30 mai 2002 que « la ratification et la publication sont deux conditions indispensables et indissociables à l’insertion des traités dans l’ordonnancement juridique béninois ; que la Convention n° 87 de l’OIT ratifiée par le Bénin n’a jamais été publiée ; qu’elle n’est donc pas applicable ». Dans le même sens, la même juridiction a considéré, dans sa décision DCC 03-009 du 19 février 2003, que le moyen tiré de la violation de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le Bénin le 30 août 1990, est inopérant au motif que « la convention (…) a été ratifiée par le Bénin (…), mais n’a jamais été publiée et n’entre donc pas dans le droit positif béninois ».

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La Constitution béninoise n’a subi aucune modification quelconque depuis son adoption il y a vingt-cinq ans. Sa rigidité, renforcée par la Cour constitutionnelle a contribué à sa forte sacralisation et constitue donc un élément de sa suprématie.

La Constitution béninoise se veut rigide puisque, pour sa révision, il est expressément prévu des conditions difficiles à réunir.

Des dispositions expresses de la Constitution, on peut retenir des phases préalables à la révision et la phase de la révision proprement dite.

Les phases préalables se fondent sur les dispositions ci après : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République, après décision prise en Conseil des ministres et aux membres de l’Assemblée nationale » [19]. Une fois que l’initiative est prise, il faut qu’elle reçoive l’adhésion d’une majorité qualifiée de députés fixée à « trois quarts des membres composant l’Assemblée nationale. ». En cas de vote positif en ce sens, on considère que l’initiative est « prise en considération ». La procédure proprement dite de révision peut maintenant démarrer. Pour cette phase, soit on recourt au référendum, soit on se contente de la voie parlementaire. Dans le premier cas, la révision est acquise si la majorité des électeurs l’approuve. Dans le deuxième cas, la révision ne sera considérée comme acquise que si elle est approuvée par une majorité des quatre cinquième des membres composant l’Assemblée nationale.

Mais, au-delà des exigences constitutionnelles expresses, la Cour constitutionnelle a considéré, malgré un vote écrasant, le 23 juin 2006, de 71 voix sur 83 au Parlement en faveur d’une révision constitutionnelle portant la prolongation du mandat des députés de quatre à cinq ans, que, « même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle » [20]. Cela signifie au minimum que toute révision de la Constitution doit se faire en essayant autant que possible d’obtenir à la fois l’adhésion du Parlement qui est requise dans tous les cas, mais aussi, tout au moins, l’adhésion du pouvoir exécutif lorsque l’initiative de révision est d’origine parlementaire [21].

Plus tard, lors du contrôle de constitutionnalité de la loi organique sur le référendum, la Cour constitutionnelle a élargi les matières intangibles de la Constitution, c’est-à-dire celles qui ne peuvent pas faire l’objet de révision. Alors que l’article 156 de la Constitution dispose sobrement que « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et la laïcité de l’État ne peuvent faire l’objet d’une révision », la Cour a en effet décidé que : (DCC 11-067 du 20 octobre 2011) : « Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum, les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990, à savoir : – la forme républicaine et la laïcité de l’État; – l’atteinte à l’intégrité du territoire national ; – le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois ; – la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle ; – le type présidentiel du régime politique au Bénin ». Juridiquement, l’on ne saurait concevoir que ce que l’on refuse directement au peuple – par référendum –, soit permis aux représentants du peuple – par voie. Il ne saurait donc y avoir non plus de révision parlementaire de la Constitution sur ces points.

Récemment, une autre décision de la Cour constitutionnelle a mis fin à un débat : celui de savoir si une révision constitutionnelle pourrait déboucher sur une nouvelle république de nature à mettre les compteurs à zéro et à permettre ainsi un, voire, deux mandats au profit du président de la République en exercice actuellement (2014). Pour la Cour constitutionnelle, par décision DCC 14-199 du 20 novembre 2014 que « le titre XI de la Constitution organise et encadre la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 ; (…) une jurisprudence constante de la Cour précise les limites et modalités de cette révision, qu’elle soit opérée par voie parlementaire ou par référendum ; (…) la révision opérée dans les formes prescrites, à l’exception des clauses expressément exclues de toute révision et qualifiées de clauses intangibles, garantit la stabilité de la Constitution en l’adaptant aux nouvelles aspirations légitimes du peuple souverain ; (…) la révision de la Constitution résultant de la mise en œuvre du pouvoir constituant dérivé ne peut détruire l’ordre constitutionnel existant et lui substituer un nouvel ordre constitutionnel ; (…) elle n’a donc pas vocation à créer une nouvelle République (…) l’avènement d’une nouvelle république ne peut procéder que du pouvoir constituant originaire distinct du pouvoir constituant dérivé prévu et organisé directement par la Constitution elle-même ».

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

À cause des conditions rigides de sa révision et des balises posées par la Cour constitutionnelle, aucune modification de la Constitution n’est intervenue depuis son adoption en 1990. La seule tentative de 2006 a été invalidée par la Cour constitutionnelle au motif que « même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle » [22]

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

La seule hypothèse prévue par la Constitution sur ce point semble être celle de l’article 146 de la Constitution, laquelle dispose :

« Si la Cour constitutionnelle saisie par le président de la République ou par le président de l’Assemblée nationale a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le ratifier ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution. »

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

Par les voies de recours ouvertes et nombreuses, les particuliers s’ajoutent aux autorités politiques pour déférer, presque systématiquement à la Cour les actes et comportements contraires à la Constitution. Les décisions de la haute juridiction étant dans leur immense et écrasante majorité suivies d’effets, c’est-à-dire respectées, on peut conclure que la suprématie de la Constitution est effective conformément à l’article 124 de la Constitution qui est sans ambiguïté :

« Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulgée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles. »

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

La réponse est positive.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

En plus de vingt ans de fonctionnement, la Cour a connu deux à trois marches organisées contre certaines de ses décisions et quelques tentatives de résistance à certaines autres de ces décisions par certains parlementaires déboutés de leurs prétentions.

Mais sur des milliers de décisions de la Cour, on ne peut guère citer plus d’une dizaine qui ont connu ce genre de réactions quelque peu extrême. Et même dans ces cas, les effets attendus des décisions contestées sont toujours mises en œuvre. À ces rares occasions, certains parlementaires émettent le souhait de revoir les modalités de désignation des membres de la Cour afin, selon eux, d’améliorer leur indépendance. D’autres envisagent de réduire les attributions d’une Cour « trop audacieuse ». Si donc il est arrivé de rares contestations vives, la légitimité du contrôle de constitutionnalité n’a jamais été remise en cause en soi.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

On peut évoquer les cas du président de la République et du pouvoir judiciaire.

– Le président de la République

Selon l’article 41 de la Constitution, « Le président de la République est le (…) garant de (…) du respect de la Constitution (…) ».

Cette autorité a toujours entretenu de bons rapports avec la Cour constitutionnelle, même si celle-ci a, à plusieurs reprises, déclarés certains de ses actes contraires à la Constitution.

– Le pouvoir judiciaire

L’article 131 de la Constitution précise :

« La Cour suprême est la plus haute juridiction de l’État en matière administrative, judiciaire et des comptes de l’État.

(…).

Les décisions de la Cour suprême ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, ainsi qu’à toutes les juridictions. »

Pendant longtemps, la Cour constitutionnelle a considéré qu’elle n’était pas compétente pour contrôler la constitutionnalité des décisions de la Cour suprême. Mais, l’évolution de sa jurisprudence a débouché sur la décision DCC 09-087 du 13 août 2009, aux termes de laquelle « les décisions de justice ne sont pas des actes susceptibles de recours devant la Cour constitutionnelle pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens et les libertés publiques ; ». Ainsi, « en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions ». Elle a donc affirmé la suprématie de ces décisions sur celles de la Cour suprême car, aux termes de l’article 114 de la Constitution, « elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ».

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

L’article 124 de la Constitution dispose :

« Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles. »

L’autorité des décisions de la cour ne souffre d’aucune ambiguïté ou hésitation. Elle est correctement respectée.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Dans le bloc de constitutionnalité béninois, on distingue :

– La Constitution stricto sensu (y compris son Préambule et son annexe, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples)

– Les lois organiques

– Les règlements intérieurs des hautes institutions de la République dans leurs dispositions qui sont la mise en œuvre d’une disposition constitutionnelle.

– Les traités internationaux dans leurs dispositions qui explicitent les dispositions constitutionnelles – Les lois ordinaires dans leurs dispositions qui explicitent les dispositions constitutionnelles

– Les principes à valeur constitutionnelles (transparence, pluralisme, continuité de l’État, consensus national pour réviser la constitution, principe majorité/minorité dans la cadre de la pratique démocratique, notamment parlementaire….) qui sont dégagées de manière jurisprudentielle en tenant compte de l’esprit de la Constitution.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Voir réponses à la question précédente.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

La Cour peut connaître de la constitutionnalité de toutes les normes dès lors que le grief est la contrariété de la norme avec une des normes du bloc de constitutionnalité. Mais elle est incompétente à exercer un contrôle de légalité, c’est-à-dire un contrôle de la manière dont une autorité politico administrative met en œuvre les dispositions d’une loi dans un cas où aucune contrariété avec une disposition constitutionnelle n’est invoquée, à moins qu’il ne s’agisse pour le requérant d’invoquer l’inconstitutionnalité de la loi elle-même.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

La Cour dispose de toutes les voies de recours lui permettant d’être saisie de tous les cas d’inconstitutionnalité, qu’il s’agisse des recours a priori, des recours a posteriori ou des questions préjudicielles.

Il existe d’abord des contrôles préalables obligatoires. Ainsi, conformément à l’article 117 de la Constitution, reprise de manière détaillée, d’une part, à l’article 123 de la Constitution, d’autre part, à l’article 19 de la loi N° 91-009 du 31 mai 2001 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle : « Les lois organiques adoptées par l’Assemblée nationale sont transmises à la Cour constitutionnelle par le président de la République pour le contrôle de constitutionnalité… ». De même, sur la base de l’article 123 de la Constitution, reprise par l’article 21 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle : « Les règlements intérieurs et les modifications aux règlements adoptés par l’Assemblée nationale, la Haute autorité de l’audiovisuel et la communication et par le Conseil économique et social sont, avant leur mise en application, soumis à la Cour constitutionnelle par le président de chacun des organes concernés ».

Il existe ensuite des contrôles théoriquement facultatifs. L’article 121 de la Constitution dispose en effet que : « La Cour constitutionnelle, à la demande du président de la République ou de tout membre de l’Assemblée nationale, se prononce sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation ». Mais, il s’est développé une pratique consistant pour le président de la République à saisir systématiquement la Cour constitutionnelle de toutes les lois votées par le Parlement avant que celles-ci ne soient promulguées, conformément à l’article 117 de la Constitution qui dispose que :

« La Cour constitutionnelle

statue obligatoirement sur :
Les lois organiques et les lois en général avant leur promulgation. (…) »

On pourrait ajouter que l’article 22 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, détaillant les conditions de mise en œuvre de l’article 117 de la Constitution, dispose : « De même sont transmis à la Cour constitutionnelle soit par le président de la République, soit par tout citoyen, par toute association ou organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme, les lois et actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques… ».

Enfin, il ne faut pas oublier que, conformément à l’article 122 de la Constitution, « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours. »

Mais au-delà de toutes ces attributions, la Cour constitutionnelle se voit aussi confier, par le constituant de 1990, une attribution originale : L’article 117 de la Constitution dispose que la Cour constitutionnelle statue « (…) en général sur la violation des droits de la personne humaine… ».

Dans l’exercice de cette dernière attribution, il y a eu une évolution dans la prise en compte du dédommagement.

– Avant 2002, la Cour se contentait du simple constat de la violation.

– À partir de 2002 : La cour constate parfois que “cette violation ouvre droit à dommages et intérêts” Cette évolution ne conduit toutefois pas la Cour à se déclarer compétente pour octroyer les dommages et intérêts. Mais comme ses décisions s’imposent à toutes les autorités publiques y compris juridictionnelles, il appartient aux parties gagnantes de se prévaloir des décisions du juge constitutionnel pour obtenir devant le juge judiciaire (civil) la réparation des préjudices subis. Il y a en effet “autorité de la chose jugée au constitutionnel sur le civil”.

– Plus récemment encore, La Cour a commencé par transmettre certaines décisions aux procureurs généraux ou aux procureurs de la République.

Certains se demandent s’il n’y a pas lieu de prévoir une saisine automatique d’un autre juge en cas de constat de violation des droits de l’homme pour que ce juge prononce une sanction civile ou pénale ? Ne faudrait-il pas aussi créer en droit pénal l’infraction d’outrage à la Cour constitutionnelle pour sanctionner ceux qui ne se soumettent pas à sa décision. ? Et que penser d’un rapport annuel de suivi de l’exécution de ses décisions que la Cour pourrait publier chaque année et offrir ainsi de la matière à la société civile ? Le débat reste ouvert.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

La Cour constitutionnelle privilégie l’interprétation téléologique par rapport à l’interprétation littérale des textes quand l’enjeu l’impose.

Deux séries de décisions permettent d’en rendre compte, l’une sur la révision de la Constitution, l’autre sur le principe majorité / minorité.

– La révision de la Constitution

Des dispositions expresses de la Constitution, on peut retenir des phases préalables à la révision et la phase de la révision proprement dite.

Les phases préalables se fondent sur les dispositions ci-après : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République, après décision prise en Conseil des ministres et aux membres de l’Assemblée nationale » [23]. Une fois que l’initiative est prise, il faut qu’elle reçoive l’adhésion d’une majorité qualifiée de députés fixée à « trois quarts des membres composant l’Assemblée nationale. ». En cas de vote positif en ce sens, on considère que l’initiative est « prise en considération ». La procédure proprement dite de révision peut maintenant démarrer. Pour cette phase, soit on recourt au référendum, soit on se contente de la voie parlementaire. Dans le premier cas, la révision est acquise si la majorité des électeurs l’approuve. Dans le deuxième cas, la révision ne sera considérée comme acquise que si elle est approuvée par une majorité des quatre cinquième des membres composant l’Assemblée nationale.

Mais, au-delà des exigences constitutionnelles expresses, la Cour constitutionnelle a considéré, malgré un vote écrasant, le 23 juin 2006, de 71 voix sur 83 au Parlement en faveur d’une révision constitutionnelle portant la prolongation du mandat des députés de quatre à cinq ans, que, « même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle » [24]. Cela signifie au minimum que toute révision de la Constitution doit se faire en essayant autant que possible d’obtenir à la fois l’adhésion du Parlement qui est requise dans tous les cas, mais aussi, tout au moins, l’adhésion du pouvoir exécutif lorsque l’initiative de révision est d’origine parlementaire [25].

Plus tard, lors du contrôle de constitutionnalité de la loi organique sur le référendum, la Cour constitutionnelle a élargi les matières intangibles de la Constitution, c’est-à-dire celles qui ne peuvent pas faire l’objet de révision. Alors que l’article 156 de la Constitution dispose sobrement que « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et la laïcité de l’État ne peuvent faire l’objet d’une révision », la Cour a en effet décidé que : (DCC 11-067 du 20 octobre 2011) : « Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum, les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990, à savoir : – la forme républicaine et la laïcité de l’État ; – l’atteinte à l’intégrité du territoire national ; – le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois ; – la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle ; – le type présidentiel du régime politique au Bénin. ».

– Le principe majorité/minorité

Le principe à valeur constitutionnelle de « majorité / minorité » a été dégagé par la Cour constitutionnelle dans sa décision DCC 09-002 du 8 janvier 2009 alors qu’étaient en jeu les critères de désignation par l’Assemblée nationale de certains députés au sein de la Haute cour de justice.

Saisie de la situation, la Cour avait décidé que : « s’il est vrai que ni la Constitution, ni la loi organique sur la Haute cour de justice, ni le règlement intérieur de l’Assemblée nationale n’ont expressément prévu une procédure spécifique pour cette élection, il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre de ces prescriptions doit se faire conformément aux exigences de la démocratie pluraliste, sur la base de la représentation proportionnelle majorité/ minorité, principe à valeur constitutionnelle ».

Dans une autre décision DCC 09-016 du 19 février 2009, la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de justifier, non seulement la pertinence de ce principe à valeur constitutionnelle, mais aussi son lien avec la Constitution, en ces termes : « (…) La Constitution, norme fondatrice de l’État, ne se réduit pas à la détermination des règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir dans l’État; (…) elle met toujours en œuvre une certaine idée de droit, c’est-à-dire, l’image de l’ordre social qu’il conviendrait de réaliser en vue du bien commun du peuple ; (…) elle est donc porteuse d’un idéal de société qui doit inspirer toute l’activité politique de l’État; (…) le préambule de la Constitution, expression éclatante de cette idée de droit, affirme solennellement la détermination du peuple béninois de créer un État de droit et de démocratie pluraliste ; (…) la démocratie pluraliste ne saurait être de manière absolue et exclusive la loi de la majorité, mais la protection de la minorité, qu’en effet, si la règle démocratique exige que la majorité décide et que la minorité s’incline, dans l’exercice de ce pouvoir de décision, la majorité doit cependant s’imposer à elle-même, le cas échéant, une limite qu’elle ne saurait transgresser sous peine de devenir tyrannique, à savoir le respect des droits de la minorité ; (…). ». Elle ajoute « La garantie des droits de la minorité doit se traduire au Parlement par le respect de sa configuration politique impliquant la règle de la répartition proportionnelle dans la désignation des députés appelés à représenter l’Assemblée nationale en tant que corps, à animer ses organes de gestion ou à siéger au sein d’autres institutions de l’État. »

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

C’est en matière de contrôle de constitutionnalité des décisions de justice, notamment des décisions rendues par la Cour suprême, que l’évolution dans la protection des droits fondamentaux a été la plus progressive et la plus visible.

La Cour constitutionnelle, peut-elle se déclarer compétente en matière de contrôle de constitutionnalité des décisions rendues par les juridictions de droit commun – de l’ordre judiciaire ou administratif –, en particulier par la Cour suprême, juge suprême en matière judiciaire, administrative et des comptes ?

Telle est la problématique fondamentale

On peut constater que la Cour constitutionnelle, après avoir affirmé son incompétence en la matière, a, au bout d’un long cheminement jurisprudentiel, fini par se reconnaître compétente, mais à des conditions bien précises.

– L’affirmation originaire d’une incompétence

Tout commence en 1992. Conformément aux dispositions de l’article 159, alinéa 3, de la Constitution, le Haut conseil de la République siégeait alors provisoirement en qualité de Cour constitutionnelle en attendant l’installation (en juin 1993) de celle-ci. Cette instance reçoit une requête par laquelle un ancien ministre, jugé et condamné en cour d’assises, la saisit pour demander l’application de l’article 136 de la Constitution à son égard, autrement dit, pour dénoncer l’incompétence de la cour d’assises à son égard et la compétence de la Haute cour de justice à cet effet. Constatant d’abord, que la Cour d’assises de Cotonou a déjà rendu un arrêt condamnant le requérant à huit années de travaux forcés, ensuite, que cet arrêt est susceptible d’autres voies de recours judiciaires, enfin, que cet arrêt ne constitue pas un acte réglementaire au sens de l’article 117 de la Constitution permettant la saisine au fond de la Cour constitutionnelle, le juge constitutionnel provisoire, par décision n° 13 DC du 28 octobre 1992, se déclare incompétente pour réformer les décisions de justice.

Autrement dit, sur la base de cette jurisprudence, toute décision de justice doit être contestée par les voies de recours prévues à cet effet, donc suivre un parcours bien précis dont la dernière étape possible sera la Cour suprême, et non pas la Cour constitutionnelle. Donc, même quand il arrive que les voies de recours soient épuisées, notamment quand la plus haute juridiction judiciaire – ou administrative – à savoir la Cour suprême, rend sa décision, la Cour constitutionnelle maintient son incompétence à l’égard de l’arrêt ainsi rendu par la Cour suprême.

Le juge constitutionnel considérait alors que le fondement d’une telle attitude devait être trouvé dans l’article 131, alinéas 3 et 4, de la Constitution aux termes duquel « Les décisions de la Cour suprême ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, ainsi qu’à toutes les juridictions. ». Se considérant, à cette étape de son évolution jurisprudentielle, comme une juridiction parmi les autres, la Cour constitutionnelle a pu ainsi relever, dans sa décision DCC 11-94 du 11 mai 1994, que malgré les dispositions pertinentes « des articles 117, alinéa 4, 120 et 121, alinéa 2, de la Constitution [qui] donnent compétence exclusive à la Cour constitutionnelle pour statuer sur les violations des droits de la personne humaine », elle était incompétente pour statuer sur un arrêt rendu par la Cour suprême malgré le grief de violation des droits de l’homme allégué.

Le 6 janvier 1995, dans sa décision DCC 95-001 du 6 janvier 1995, la Cour confirme son incompétence dans les mêmes termes, mais ajoute que, « Considérant cependant que si la Cour constitutionnelle était compétente pour statuer sur la constitutionnalité de l’arrêt n° 93-06/CJ-P du 22 avril 1993, elle aurait jugé que : (…) les droits de la défense ont été violés ».

En 1998, alors même qu’était en cause la violation de l’obligation procédurale faite à toutes les juridictions d’avoir à surseoir à statuer et à renvoyer toute question préjudicielle posée devant elle au juge constitutionnel 26[26], la haute juridiction constitutionnelle a réaffirmé son incompétence à connaître d’un arrêt rendu par la Cour suprême. Rappelant le contenu de l’article 131 de la Constitution, le juge constitutionnel considère que « ces dispositions constitutionnelles ne prévoient aucune réserve, même en ce qui concerne l’application de l’article 122 de la Constitution ; (…) Il est formellement interdit, non seulement aux parties, mais encore à quiconque, de remettre en question devant quelque juridiction que ce soit, ce qui a été jugé par cette haute juridiction dans son domaine de compétence ; que corrélativement la même interdiction est faite à toute juridiction de connaître desdites décisions » 27[27]

En mai 2003, la Cour rappelle encore les normes susceptibles de recours individuels devant elle telles qu’elles apparaissent à l’article 3, alinéa 3, de la Constitution, à savoir, « les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ». Pour justifier son incompétence dans l’affaire en cause, elle précise que « les décisions de justice ne figurent pas dans cette énumération » [28]

Mais vers la fin de cette même année 2003, une certaine évolution allait apparaître dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

– L’affirmation progressive d’une compétence conditionnée

Dans la décision DCC 03-166 du 11 novembre 2003, donnant l’impression de confirmer sa position sur la question, la Cour constitutionnelle allait ouvrir en réalité une brèche dans sa propre jurisprudence. Elle a ainsi affirmé :

« La cour a fixé sa jurisprudence en ce qui concerne les décisions de justice. (…) à travers plusieurs décisions, elle a jugé que les décisions de justice n’étaient pas des actes au sens de l’article 3, alinéa 3, de la Constitution, pour autant qu’elles ne violent pas les droits de l’homme ; ».

Autrement dit, l’immunité qui couvre les décisions de justice devant le juge constitutionnel disparaît lorsque les décisions de justice violent les droits de l’homme. Dans ce cas, une décision de justice redevient un « acte » susceptible de recours devant la Cour constitutionnelle, sur le fondement de l’article 3, alinéa 3, de la Constitution. « Pour sortir des impasses de l’indépendance mutuelle des cours suprêmes, découlant des articles 124 alinéa 2 – autorité de chose jugée des décisions de la Cour constitutionnelle – et 131 alinéa 3 – autorité de chose jugée des décisions de la Cour suprême –, le juge constitutionnel a ainsi convoqué la disposition emblématique du Renouveau démocratique au Bénin qui institue une actio popularis, à l’origine de nombre de ses “grandes” décisions ».

Après s’être autoproclamée « la plus suprême des cours suprêmes en matière de droits de l’homme », il ne restait plus à la haute juridiction qu’à mettre en œuvre cette suprématie. Il en aura l’occasion en 2004. Le 18 mai 2004, par décision DCC 04-051, elle relève que « les investigations ont révélé que malgré la prorogation de tous les délibérés au 8 janvier 1998, le délibéré Lazare Kakpo contre Thomas Kougbakin a été ramené au 11 décembre 1998 à l’insu du requérant, l’empêchant ainsi d’exercer les voies de recours dans les délais ; qu’un tel changement de date sans en aviser les parties constitue une fraude au droit de la défense garanti par la Constitution et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; que, dès lors, il échet de dire et juger que la formation de la Cour d’appel de Cotonou siégeant en matière civile traditionnelle qui a rendu l’arrêt n° 167/98 du 11 décembre 1998 a violé la Constitution ». Cette décision qui est un pas dans la nouvelle direction ne suffisait pas néanmoins à afficher nettement la nouvelle position de la haute juridiction constitutionnelle à l’égard des décisions de justice pour la double raison qu’elle ne porte pas sur le fond de l’arrêt rendu par le juge ordinaire (une cour d’appel) et que cette décision ne provient pas de la Cour suprême qui, comme la Cour constitutionnelle, si l’on s’en tient à une interprétation littérale de la Constitution, rend des décisions non susceptibles du moindre recours.

Dans la décision DCC 09-087 du 13 août 2009, la Cour constitutionnelle réaffirme donc que « les décisions de justice ne sont pas des actes susceptibles de recours devant la Cour constitutionnelle pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens et les libertés publiques ; ». Elle poursuit plus clairement qu’« en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions ». En l’espèce, elle avait constaté que, contrairement à ce que prétend la Cour suprême dans sa décision, le « moyen soumis à la Chambre judiciaire [de la Cour suprême] ne tend pas à faire apprécier des faits mais pose un problème de droit s’analysant comme une atteinte à la dignité humaine garantie par la Constitution ». Elle avait alors conclu que, sur cette question de dignité humaine, « l’arrêt n° 13/ CJ-CT du 24 novembre 2006 de la Chambre judiciaire de la Cour suprême (…) est contraire à la Constitution. ».

En conclusion, la Cour constitutionnelle, après quelques hésitations a fini par rendre disponible une position jurisprudentielle consistant en ce que, désormais, tout béninois en litige devant une juridiction non seulement a la faculté de se plaindre devant la Cour constitutionnelle de tout acte juridictionnel qui méconnaîtrait les droits de l’homme, mais encore peut escompter la sanction par elle de tout ce qu’elle va considérer comme violation des droits fondamentaux par le pouvoir judiciaire [29]

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

L’évolution de la jurisprudence de la Cour est toujours allée dans le sens de renforcer la protection efficace de la Constitution, et donc, des droits fondamentaux.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

C’est sur le droit de grève que la Cour a connu une difficulté récente pour montrer le caractère non absolu dudit droit.

En effet, la Cour avait décidé, par décision DCC 06-034 du 4 avril 2006 que « Le droit de grève ainsi proclamé et consacré par la Constitution du 11 décembre 1990 est un droit absolu au profit de l’ensemble des travailleurs dont les citoyens en uniforme des forces armées. Le législateur ordinaire ne pourra porter atteinte à ce droit. Il ne peut que dans le cadre d’une loi en tracer les limites, et, s’agissant des militaires, opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. Dans le cas d’espèce, si la grève des militaires peut porter atteinte au principe constitutionnel de « protection et de sécurité des personnes », sa licéité peut être limitée par le législateur pour raisons d’intérêt public. »

Or, la même cour a décidé dans la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011 que le droit de grève « bien que fondamental et consacré par l’article 31 précité, n’est pas absolu; qu’en effet, est absolu ce qui est sans réserve, total, complet, sans nuance ni concession, qui tient de soi-même sa propre justification et est donc sans limitation ; qu’est aussi absolu, ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute représentation, qui échappe à toute limitation et à toute contrainte ; qu’en disposant que le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi, le constituant veut affirmer que le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et habilite le législateur à tracer lesdites limites en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la préservation de l’intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte ; qu’en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève par le constituant ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle ; qu’en raison de ce principe, les limitations apportées au droit de grève peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ; qu’ainsi, l’État, par le pouvoir législatif, peut, aux fins de l’intérêt général et des objectifs à valeur constitutionnelle, interdire à des agents déterminés, le droit de grève ; »

Un tel revirement de jurisprudence a été difficilement accepté par les syndicats. Il a fallu que la Cour motive fortement sa décision en recourant aux décisions d’organes internationaux pour justifier ce revirement de jurisprudence.


  • [1]
    Recueil 1994, p. 159 et sv.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Mais la haute juridiction, compte tenu de sa compétence de se prononcer d’office, aurait pu décider, dans son dispositif, de déclarer la loi de 1983 sur le statut des magistrats contraire à la Constitution ; Elle s’est contentée, dans le dispositif, de déclarer la décision de suspension du magistrat, contraire à la Constitution. Il est vrai que l’invalidation de la loi aurait créé beaucoup de difficultés car la loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature prévue par la Constitution de 1990 n’était pas encore adoptée de même qu’une loi sur le statut des magistrats. Ces derniers auraient donc été sans statut si la Cour constitutionnelle, par sa décision, sortait ce texte, adopté avant l’ère démocratique, de l’ordonnancement juridique béninois en ce moment-là.  [Retour au contenu]
  • [3]
    D.C.C. 95-065 du 26 septembre 1996, Recueil 1996, p. 283-285., cf., dans le même sens, D.C.C. 96-089 du 16 décembre 1996, Recueil 1996, p. 367-369.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Article 4 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Article 56 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Article 109 et 112 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Article 115 al 5 de la Constitution  [Retour au contenu]
  • [8]
    Article 128 al 2 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Article 135 al 5 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Article 140 al 2 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Article 143 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Article 85 de la Constitution et article 41 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.  [Retour au contenu]
  • [13]
    DCC 97-017 du 29 avril 1997, « http://www.cour-constitutionnelle-benin.org/doss_decisions/970417.pdf », consulté le 7 janvier 2009.  [Retour au contenu]
  • [14]
    18-DC du 3 juin 1993, « http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/Benin/Benin-18-DC. pdf », consulté le 7 janvier 2009.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Stéphane BOLLE, « Règlement intérieur de l’Assemblée nationale du Bénin », in, « http:// www.la-constitution-en-afrique.org/categorie-10195442.html », consulté le 7 janvier 2009.  [Retour au contenu]
  • [16]
    « http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/Benin/Benin-DCC-98-039.pdf », consulté le 7 janvier 2009.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Le texte complet de l’article 89 de la Constitution du 11 décembre 1990 dispose : « Les travaux de l’Assemblée nationale ont lieu suivant un Règlement intérieur qu’elle adopte conformément à la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Recueil 1994, p. 159 et sv.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Article 154. Voir aussi les articles 155 et 156 de la Constitution s’agissant de sa révision.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Cour constitutionnelle, DCC 06-74 du 8 juillet 2006.  [Retour au contenu]
  • [21]
    La situation qui a amené la Cour constitutionnelle à prendre la décision DCC 06-74 du 8 juillet 2006 étant que les parlementaires, malgré l’opposition du Gouvernement, ont réussi à atteindre le nombre suffisant de votants pour opérer une révision de l’article 80 de la Constitution limitant leur mandat à quatre ans. Par leur vote, ils avaient décidé de porter la durée du mandat des députés à cinq ans, y compris en ce qui concerne leur propre mandat qui devait finir une année plus tard, si l’on appliquait l’article 80 de la Constitution dans sa version originelle. Article 80 de la Constitution : « Les députés sont élus au suffrage universel direct. La durée du mandat est de quatre ans. Ils sont rééligibles. Chaque député est le représentant de la Nation tout entière et tout mandat impératif est nul. »  [Retour au contenu]
  • [22]
    Cour constitutionnelle, DCC 06-74 du 8 juillet 2006.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Article 154. Voir aussi les articles 155 et 156 de la Constitution s’agissant de sa révision.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Cour constitutionnelle, DCC 06-74 du 8 juillet 2006.  [Retour au contenu]
  • [25]
    La situation qui a amené la Cour constitutionnelle à prendre la décision DCC 06-74 du 8 juillet 2006 étant que les parlementaires, malgré l’opposition du Gouvernement, ont réussi à atteindre le nombre suffisant de votants pour opérer une révision de l’article 80 de la Constitution limitant leur mandat à quatre ans. Par leur vote, ils avaient décidé de porter la durée du mandat des députés à cinq ans, y compris en ce qui concerne leur propre mandat qui devrait finir une année plus tard, si l’on appliquait l’article 80 de la Constitution dans sa version originelle. Article 80 de la Constitution : « Les députés sont élus au suffrage universel direct. La durée du mandat est de quatre ans. Ils sont rééligibles. Chaque député est le représentant de la Nation tout entière et tout mandat impératif est nul. »  [Retour au contenu]
  • [26]
    Art 122. – « Tout citoyen, peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours. ».  [Retour au contenu]
  • [27]
    DCC 98-021 du 11 mars 1998.  [Retour au contenu]
  • [28]
    Voir aussi DCC 03-79 du 14 mai 2003.  [Retour au contenu]
  • [29]
    S. Bolle, « Constitution, dis-moi qui est la plus suprême des cours suprêmes », in, http:// www.la-constitution-en-afrique.org/6-categorie-10195442.html, consulté le 4 novembre 2011. Voir aussi sur cette même question, J. Aïvo, « Les contrariétés de décision entre hautes juridictions », VIJJA, n° 09 et 10, 2012, p. 7 et ss.  [Retour au contenu]

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

En dehors des dispositions qui affirment le caractère suprême de la Constitution, on peut considérer que l’article 147 de la Constitution qui évoque la place des conventions internationales dans le droit interne (Art. 147. – Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.) n’entrevoit la suprématie des normes internationales que par rapport à la loi ordinaire.

L’article 146 de la Constitution qui évoque l’obligation de réviser la Constitution avant de ratifier un traité international comportant une disposition contraire à la Constitution (art. 146. – Si la Cour constitutionnelle saisie par le président de la République ou par le président de l’Assemblée nationale a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le ratifier ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution.) confirme la suprématie de la Constitution sur toute autre norme.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

La primauté est la situation d’une norme dans sa supériorité à une autre. La prévalence joue davantage dans l’application des normes et les techniques d’interprétation. Il peut arriver qu’une disposition d’une norme inférieure mais explicitant ou détaillant le contenu d’une disposition constitutionnelle l’emporte sur une autre disposition constitutionnelle ou quasi constitutionnelle (lois organiques) ou qu’un principe à valeur constitutionnelle mette en échec une disposition constitutionnelle pour les mêmes raisons.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Les principes de « convergence constitutionnelle » dégagés dans la Charte africaine de la démocratie, des élections ou de la gouvernance de l’Union africaine de 2007 et dans le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest constituent un début de ce qu’on peut appeler un droit constitutionnel international.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Comme prévu par la Constitution, la conception des rapports entre l’ordre interne et l’ordre international relève du monisme.

(Article 147 de la Constitution : les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.)

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

En se fondant sur le préambule de la Constitution, on peut avoir réponse à cette question :

« Nous, Peuple béninois, (…) réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981, par l’Organisation de l’unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ; ».

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Voir question et réponse précédentes.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ? Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ? Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Dans la décision DCC 11-042 du 21 juin 2011, la Cour constitutionnelle constate que : « La Constitution en son article 147 prescrit : « Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. » ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les institutions de Bretton Woods et l’État Béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; (…) il en est de même du Traité créant l’Union économique et monétaire ouest africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35 % ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution. ». On peut constater que la Cour constitutionnelle procède ici à un contrôle de conventionalité, mais qui passe par le filtre d’une disposition constitutionnelle. C’est en se fondant sur la disposition constitutionnelle qui évoque la supériorité du traité international sur les normes législatives – et a fortiori sur les normes infra législatives – que le juge constitutionnel constate la contrariété d’un décret avec des engagements internationaux, ce qui constitue, pour lui, d’abord et avant tout, une violation de l’article 147 de la Constitution, même s’il est vrai que cette violation de la Constitution provient du constat de violation d’un certain nombre d’engagements internationaux.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces conflits ne concernent – ils que les droits fondamentaux ?

Il ne saurait y avoir formellement de conflit entre Constitution et norme internationale, la première étant supérieure à la deuxième et la deuxième ne venant que pour corroborer ce que dit la première et le sens que le juge constitutionnel donne à son énoncé.

Comment ces situations de conflit sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

RAS.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre nonnes fondamentales, harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

RAS.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

RAS.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

RAS.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle… ) que celle d’une norme internationale ?

Non. Les requérants ont intégré la suprématie de la constitution et l’invoquent beaucoup plus que des normes internationales. La grande ouverture et la saisine libérale de la Cour conduisent les requérants à saisir davantage le juge constitutionnel que n’importe quel autre juge, national ou international. Par conséquent, ce sont les règles constitutionnelles qui sont les plus convoquées dans les requêtes.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

RAS.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

La Cour constitutionnelle tient compte explicitement des instruments internationaux dans son interprétation du droit constitutionnel.

Exemple 1 :

DCC 11-042 du 21 juin 2011 : dans cette décision, la Cour constitutionnelle constate que : « La Constitution en son article 147 prescrit : « Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. » ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les institutions de Bretton Woods et l’État béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; (…) il en est de même du Traité créant l’Union économique et monétaire ouest africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35 % ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution. ».

Exemple 2 :

DCC 11-065 du 30 septembre 2011 : pour valider l’article 9 de la loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin voté à l’Assemblée nationale les 25 et 26 septembre 2011, lequel dispose que « « Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève. », la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, a utilisé comme normes de référence des « traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par notre pays. ». Elle s’est fondée d’abord sur l’article 31 de la Constitution, mais a aussi invoqué « l’article 8, alinéa 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [qui] précise que la garantie constitutionnelle du droit de grève « n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique. ». Allant encore plus loin, le juge constitutionnel a invoqué la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation internationale du travail : « Considérant que l’Organisation internationale du travail dans son recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : “L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale” ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. ». La Cour tire de ces sources de l’OIT « qu’ainsi, l’Organisation internationale du travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; ».

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Une décision d’une juridiction internationale qui porte sur un droit ou un principe contenu également dans la Constitution béninoise peut servir de base à l’interprétation d’une disposition constitutionnelle.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Comme il a été mentionné plus haut, la Cour constitutionnelle a, par la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, utilisé comme normes de référence, non seulement les « traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par notre pays. »., mais aussi la « jurisprudence » des organes de l’OIT en ces termes : « Considérant que l’Organisation internationale du travail dans son recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : “L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale” ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. ». La Cour tire de ces sources de l’OIT « qu’ainsi, l’Organisation internationale du travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; ».

C’est sur la base de ces décisions et d’autres normes que la Cour a conclu que « dès lors, il y a lieu de dire et juger que l’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution ni les principes fondamentaux de l’Organisation internationale du travail ; ».

On peut dire que la Cour utilise la jurisprudence internationale comme modèle d’interprétation des dispositions constitutionnelles, lesquelles ne suffisent pas toujours à elles seules pour préciser la portée des principes ou droits consacrés.

Pendant longtemps la Cour a pu s’inspirer de certaines décisions de juridictions internationales sans aucune référence expresse à ces décisions ou juridiction. Mais en 2011 dans la décision recensée ci-dessus, elle n’a pas hésité à aller puiser dans la jurisprudence des organes de l’OIT, et, surtout à le faire savoir. Cela peut s’expliquer par le fait que la décision rendue en 2011, non seulement avait un grand retentissement socio politique car vécue comme portant sur la suppression du droit de grève à des fonctionnaires qui avaient l’habitude de l’exercer, mais aussi, n’était ni plus ni moins qu’un revirement de jurisprudence. En effet, la Cour avait décidé, par décision DCC 06-034 du 4 avril 2006 que « Le droit de grève ainsi proclamé et consacré par la Constitution du 11 décembre 1990 est un droit absolu au profit de l’ensemble des travailleurs dont les citoyens en uniforme des forces armées. Le législateur ordinaire ne pourra porter atteinte à ce droit. Il ne peut que dans le cadre d’une loi en tracer les limites, et, s’agissant des militaires, opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. Dans le cas d’espèce, si la grève des militaires peut porter atteinte au principe constitutionnel de « protection et de sécurité des personnes », sa licéité peut être limitée par le législateur pour raisons d’intérêt public. »

Or, la même cour voudrait préciser dans la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011 que le droit de grève « bien que fondamental et consacré par l’article 31 précité, n’est pas absolu ; qu’en effet, est absolu ce qui est sans réserve, total, complet, sans nuance ni concession, qui tient de soi-même sa propre justification et est donc sans limitation ; qu’est aussi absolu, ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute représentation, qui échappe à toute limitation et à toute contrainte ; qu’en disposant que le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi, le constituant veut affirmer que le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et habilite le législateur à tracer lesdites limites en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la préservation de l’intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte ; qu’en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève par le constituant ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle ; qu’en raison de ce principe, les limitations apportées au droit de grève peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ; qu’ainsi, l’État, par le pouvoir législatif, peut, aux fins de l’intérêt général et des objectifs à valeur constitutionnelle, interdire à des agents déterminés, le droit de grève ; »

Un tel revirement de jurisprudence ne pouvait ainsi apparaître légitime sans un renforcement de l’appareil argumentatif. Cela a pu justifier que la Cour ait senti le besoin de mentionner toutes les sources exploitées, y compris les sources jurisprudentielles internationales.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Comme déjà mentionné plus haut,

En dehors de l’utilisation de la convention régionale de protection des droits fondamentaux comme normes de référence pour des raisons examinées plus haut, il arrive que la Cour constitutionnelle béninoise utilise d’autres traités internationaux comme norme de référence. On pourrait l’illustrer à travers deux exemples dans lesquels la Cour fait référence, tantôt aux normes économiques et financières internationales, tantôt aux normes internationales relatives aux droits fondamentaux des travailleurs.

– DCC 11-042 du 21 juin 2011

Dans cette décision, la Cour constitutionnelle constate que : « La Constitution en son article 147 prescrit : « Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. » ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les institutions de Bretton Woods et l’État béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; (…) il en est de même du Traité créant l’Union économique et monétaire ouest africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35 % ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution. ».

Il faut noter que la Cour constitutionnelle procède ici à un contrôle de conventionalité, mais qui passe par le filtre d’une disposition constitutionnelle. C’est en se fondant sur la disposition constitutionnelle qui évoque la supériorité du traité international sur les normes législatives – et a fortiori sur les normes infra législatives – que le juge constitutionnel constate la contrariété d’un décret avec des engagements internationaux, ce qui constitue, pour lui, d’abord et avant tout, une violation de l’article 147 de la Constitution, même s’il est vrai que cette violation de la Constitution provient du constat de violation d’un certain nombres d’engagements internationaux.

C’est la même logique qui a été suivie dans la décision suivante, rendue en matière de norme internationale du travail.

– DCC 02-050 du 30 mai 2002, DCC 03-009 du 19 février 2003 et DCC 11-065 du 30 septembre 2011

Pour valider l’article 9 de la loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin voté à l’Assemblée nationale les 25 et 26 septembre 2011, lequel dispose que « « Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève. », la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, a utilisé comme normes de référence des « traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par notre pays. ». Elle s’est fondée d’abord sur l’article 31 de la Constitution, mais a aussi invoqué « l’article 8, alinéa 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [qui] précise que la garantie constitutionnelle du droit de grève « n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique. ». Allant encore plus loin, le juge constitutionnel a invoqué la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation internationale du travail : « Considérant que l’Organisation internationale du travail dans son recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : “L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale” ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. ». La Cour tire de ces sources de l’OIT « qu’ainsi, l’Organisation internationale du travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; ».

C’est sur la base de l’ensemble de ces normes de référence que la Cour conclut que « dès lors, il y a lieu de dire et juger que l’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution ni les principes fondamentaux de l’Organisation internationale du travail ; ».

Il est donc clair que la Cour constitutionnelle béninoise utilise les conventions internationales ratifiées par le Bénin comme norme de référence, mais le caractère auxiliaire de ces conventions est confirmé ici, puisque c’est pour conforter des dispositions constitutionnelles précises que ces textes internationaux sont invoqués. Cela explique que le juge constitutionnel puisse aller jusqu’à citer des ouvrages, la jurisprudence et la doctrine de l’Organisation internationale du travail puisque ces sources « secondaires » ne viennent simplement que pour compléter la norme constitutionnelle.

Conseil constitutionnel du Burkina Faso

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

La constitution ne contient pas une disposition expresse déterminant son rang normatif. Cependant en disposant que « la source de toute légitimité découle de la Constitution…, tout pouvoir qui ne tire pas sa source de la Constitution… est illégal… » (article 167 const.), entend affirmer sa primauté ou son efficacité juridique.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Non.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Oui. Après une crise politique suite à une tentative de changement anticonstitutionnel, le président a été chassé du pouvoir par un soulèvement populaire et une charte de la transition a été rédigée et qui complète la Constitution. Elle a valeur de norme constitutionnelle.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le Préambule fait partie du bloc de constitutionnalité. Il le dispose clairement en en ces termes « …adoptons la présente Constitution dont le présent préambule fait partie intégrante ».

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Oui, pour celui qui est expressément visé dans le préambule de la Constitution.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

En se référant au préambule de la Constitution qui en fait intégralement partie, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la coopération internationale… y sont affirmées. Ces textes peuvent valablement être invoqués par tout citoyen.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Lorsqu’un État veut s’intégrer dans un ordre international, la seule limite est que cette intégration ne viole pas les dispositions de sa Constitution.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Non.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Oui. Mais pas suite à des décisions du Conseil constitutionnel.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Oui ! La Constitution dispose que si le Conseil constitutionnel, saisi, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Elle est effective et le Conseil constitutionnel en est le gardien.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

La Constitution en tant que loi fondamentale s’impose à tous et est reconnue.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non. Elle est même de plus en plus reconnue au regard de l’accroissement de la saisine du Conseil constitutionnel.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Garantie morale : le chef de l’État (article 36 Constitution).
Garantie juridictionnelle : la Cour de cassation et le Conseil d’État.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Le Conseil constitutionnel tire sa légitimité de la Constitution et régie par une loi organique.
Ses décisions sont publiées au Journal officiel et notifiée au président du Burkina Faso, au Premier ministre et au président de l’Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel publie des recueils de jurisprudence qui sont mis aux dispositions de toute personne intéressée. Les décisions du Conseil constitutionnel ne peuvent faire l’objet de recours. Elles s’imposent à tous et aux pouvoirs publics.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

La jurisprudence constitutionnelle reconnaît l’existence d’un bloc de constitutionnalité, puisque le préambule qui fait partie intégrante de la Constitution, fait partie du bloc de constitutionnalité. Il s’agit des principes d’égalité, de liberté, de justice, de paix. On y retrouve des normes comme la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Oui !

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Les lois référendaires, les ordonnances et les décrets.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Assez efficace.

Mais perfectible si la saisine directe par les citoyens est admise.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Pas de méthode clairement adoptée. Trois méthodes : littérale, téléologique et analogique.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Non. Débuts.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Oui.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Non effectivité de l’État de droit.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Oui.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Plutôt l’idée de prévalence.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou africain » ?

Non.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Le Conseil constitutionnel retient la conception moniste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Les normes relatives au droit de l’homme dès lors qu’elles sont internalisées sont considérées comme ayant une valeur supra-constitutionnelle.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non. Pas encore.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

L’élaboration ou la révision de la constitution prennent en compte les instruments juridiques internationaux ratifiés.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Dans le domaine des droits de l’homme.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Oui.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Oui. Ceux ratifiés par le pays et sur le fait qu’ils sont partie intégrante du droit interne et même lui sont supérieurs.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Oui. Celles issues des instruments ratifiés par le pays et sur le fait qu’elles sont partie intégrante du droit interne et même lui sont supérieures.

4. Situation de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Aucune.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Néant.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Néant.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

La protection est égale pour tous les droits.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Non.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Non.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Néant.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Oui.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Pas encore de précédent.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Pas encore de précédent.

Mais l’influence sera certaine.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui. Pas de cas.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.

Conseil constitutionnel du Cambodge

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Oui, la Constitution du Royaume du Cambodge stipule dans le chapitre XVI (nouveau) à l’article 152 (nouveau) : « la présente Constitution est la loi suprême du Royaume du Cambodge. Toutes les lois et décisions de toutes les institutions de l’État doivent être absolument conformes à la Constitution. »

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Notre Constitution de 1993 a été élaborée selon les principes suivants :

a. annexe 5 : les principes pour une nouvelle Constitution du Royaume du Cambodge sont définis dans les Accords pour un règlement politique global du conflit du Cambodge signés le 23 octobre 1991 à Paris :

1 – La Constitution sera la loi suprême du pays ;
2 – La Constitution comportera une déclaration des droits fondamentaux, y compris le droit à la vie, la liberté personnelle, la sécurité, les libertés de mouvement, de religion, d’assemblée et d’association, y compris pour les partis politiques et les syndicats, le droit à un procès équitable et l’égalité devant la loi, la protection contre la dépossession arbitraire ou non assortie d’une juste indemnisation, la non-discrimination raciale, ethnique, religieuse ou sexuelle. Elle interdira également l’application rétroactive des lois pénales. Cette déclaration sera en accord avec les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres instruments internationaux pertinents. Les personnes lésées auront le droit de recourir aux tribunaux pour qu’ils statuent et fassent ·appliquer ces droits ;

3 – La Constitution déclarera que le Cambodge a le statut d’État souverain, indépendant et neutre, ainsi que l’unité nationale du peuple cambodgien ;

4 – La Constitution déclarera que le Cambodge appliquera un système de démocratie libérale, fondé sur le pluralisme ; 5 – Il sera établi un pouvoir judiciaire indépendant, habilité à faire respecter les droits garantis par la Constitution ;

6 – La Constitution sera adoptée à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée constituante.

b. le Prince Norodom Sihanouk en tant que président du Conseil national suprême du Cambodge a écrit une note du 18 juin 1993, quatre jours après l’inauguration de l’Assemblée constituante, dans laquelle il exprimait ses vues sur la future constitution : « … Le Cambodge est une démocratie libérale de style occidental, avec un régime parlementaire (et non pas présidentiel), un système pluraliste, une presse totalement libre (sans aucune censure), un système économique de marché et de libre entreprise (à l’occidentale), un respect total des droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans la Charte de l’ONU, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les diverses conventions sur les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant… La séparation des pouvoirs (pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire) doit être stricte. Le pouvoir judiciaire doit être absolument indépendant du gouvernement et de tel ou tel parti politique ».

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Non.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule ne fait pas partie du bloc de constitutionnalité. Il est exclu de la Constitution.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Oui.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Oui, parce que le Cambodge est membre de l’ONU depuis 1955, membre fondateur du mouvement des pays non-alignés depuis 1955 à Bandung, membre de l’ASEAN depuis 1999, membre de l’Organisation mondiale du commerce depuis 2004 ; le Cambodge a besoin d’intégration mondiale.
Pour cette raison, on a inséré tous les principes fondamentaux des traités, accords, conventions internationaux dans plusieurs dispositions de notre Constitution actuelle (35 articles).

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Les limites constitutionnelles à l’intégration du Cambodge dans un ordre international sont stipulées dans les articles suivants :

– article 1 c, alinéa 2 : « le Royaume du Cambodge est un État indépendant, souverain, pacifique, perpétuellement neutre, non-aligné ».

– article 51 : « le Royaume du Cambodge pratique une politique de démocratie libérale. Tout citoyen khmer (Cambodgien) est maître de la destinée de son pays. Tous les pouvoirs appartiennent aux citoyens. Les citoyens exercent leurs pouvoirs par l’intermédiaire de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Gouvernement royal et des juridictions. Les pouvoirs sont séparés entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire ».

– article 53 : « le Royaume du Cambodge maintient fermement une politique de neutralité perpétuelle et de non-alignement. Le Royaume du Cambodge coexiste pacifiquement avec les pays voisins et avec tous les autres pays du monde. Le Royaume du Cambodge n’agresse jamais aucun autre pays, ne s’ingère pas directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit dans les affaires intérieures des autres pays, règle tous les problèmes par des moyens pacifiques et dans le respect des intérêts mutuels. Le Royaume du Cambodge n’adhère à aucune alliance militaire ni conclut aucun accord militaire incompatible avec sa politique de neutralité. Le Royaume du Cambodge n’autorise ni l’installation de bases militaires étrangères sur son territoire, même dans le cadre d’une requête de l’Organisation des Nations unies. Le Royaume du Cambodge se réserve le droit de recevoir des aides étrangères sous forme de matériels militaires, armement, munitions, instruction des forces armées, ainsi que diverses aides pour se défendre et garantir l’ordre et la sécurité publics à l’intérieur du pays ».

– article 54 : « la production, l’utilisation et le stockage des armes atomiques, des armes chimiques ou des armes bactériologiques sont formellement interdits. »

– article 55 : « tous traités et accords qui ne sont pas compatibles avec l’indépendance, la souveraineté, l’intégrité territoriale, la neutralité et l’unité nationale du Royaume du Cambodge sont abrogés. »

– article 92 : « toute adoption de texte par l’Assemblée nationale contraire aux principes de sauvegarde de l’indépendance, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale du Royaume du Cambodge, et portant atteinte à l’unité politique ou à la direction administrative du pays doit être réputée nulle. Le Conseil constitutionnel est seul compétent pour prononcer cette nullité. »

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Oui, depuis 1993 jusqu’à nos jours, il y a eu sept lois constitutionnelles portant amendement de la constitution en plus d’une loi constitutionnelle additionnelle tendant à assurer le fonctionnement régulier des institutions nationales.
Elle a été modifiée non pas en réaction à une décision du Conseil constitutionnel.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Non.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui, l’article 49, alinéa 1 de la Constitution stipule que : « Tout citoyen khmer (cambodgien) doit respecter la Constitution et les lois ». En plus, dans le 1er alinéa de toutes les prestations de serment du chef de l’État, des sénateurs, des députés, des membres du Gouvernement royal, des magistrats et des juges, il est bien stipulé qu’ils doivent respecter la Constitution.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Non.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Oui, l’article 142 nouveau, alinéa 1 de la Constitution stipule qu’ : « Une disposition d’un article, déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, ne peut être promulguée ou appliquée ».
De plus, la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel stipule les dispositions suivantes :
– article 20 « Dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi comporte une disposition non conforme à la Constitution :
a. Si cette disposition est inséparable de l’ensemble de la loi, la loi dans son ensemble ne peut être ni promulguée ni appliquée.
b. Si cette disposition est séparable du texte restant, seule la disposition non conforme ne peut être ni appliquée ni promulguée ».
– article 23 « Les décisions du Conseil constitutionnel sont non susceptibles de recours et ont l’autorité sur tous les pouvoirs stipulés dans la Constitution. »
– article 24 nouveau : « Les décisions du Conseil constitutionnel sont communiquées au Roi, au président du Sénat, au président de l’Assemblée nationale, au Premier ministre, au président de la Cour suprême et sont publiées au Journal officiel.
Le président du Sénat doit en informer tous les membres du Sénat.
Le président de l’Assemblée nationale doit en informer tous les députés.
Le Premier ministre doit en informer tous les membres du Gouvernement.
Le président de la Cour suprême doit en informer le tribunal intéressé. »
– article 36 : « Toute personne convaincue de faux témoignage ou de subornation de témoins dans le cadre des investigations du Conseil constitutionnel, ou encore toute personne qui ne respecte pas les décisions du Conseil ou qui fait obstacle au déroulement des activités du Conseil constitutionnel est passible d’une peine d’un mois à un an de prison et d’une amende de 100,000 à 600,000 riels, ou de l’une des deux sanctions. »

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Non, parce que notre Constitution a intégré tous les esprits fondamentaux des traités, accords, conventions internationaux déjà cités précédemment.
Aucun principes, normes et sources ne sont intégrés dans le bloc de constitutionnalité du Royaume du Cambodge.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Non.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Le Conseil constitutionnel ne peut pas, en principe, se saisir lui-même. Le Conseil constitutionnel contrôle a priori et a posteriori :

a. contrôle a priori : 1/ toute proposition d’amendement de la Constitution sur demande du Roi pour avis avant le début de la procédure législative ; 2/ toutes les lois organiques déjà adoptées par l’Assemblée nationale et le Sénat avant la promulgation ; 3/ les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Congrès de l’Assemblée nationale et du Sénat avant leur mise en application ;

b. contrôle a posteriori : 1/ toute loi déjà promulguée peut être déférée devant le Conseil constitutionnel pour vérifier sa constitutionnalité ; 2/ toute loi déjà en application peut être contrôlée, à travers une question préjudicielle, par une partie au procès devant le tribunal, pour inconstitutionnalité.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Oui, parce que le contrôle du Conseil est basé sur un fondement juridique solide, le principe « non bis in idem » et le respect de son indépendance et de son impartialité. Depuis son existence, les décisions du Conseil constitutionnel sont prises à la majorité absolue des voix de l’ensemble de ses membres et généralement à l’unanimité.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Pour les méthodes de contrôle de la constitutionnalité ou l’interprétation de la Constitution et de la loi, le Conseil constitutionnel est subdivisé en trois groupes. Chaque groupe est composé de trois membres, dont un est issu du contingent désigné par le Roi, un de celui de l’Assemblée nationale et un autre de celui du Conseil supérieur de la magistrature. Chaque membre de ses trois groupes est choisi par tirage au sort sous l’égide du président du Conseil constitutionnel. Le Roi, le président du Sénat, le président de l’Assemb lée nationale, le Premier ministre, un quart des sénateurs et un dixième des députés, peuvent saisir le Conseil constitutionnel, et la Cour suprême dans le cadre d’une question préjudicielle concernant la constitutionnalité.
Lorsque la demande de contrôle de la constitutionnalité des lois ou l’interprétation de la Constitution et des lois est reçue, le service juridique effectue l’enregistrement du dossier.
Après cet enregistrement, il doit élaborer un projet qui est soumis hiérarchiquement au président du Conseil constitutionnel. La tâche du service consiste à aider le Conseil constitutionnel dans l’élaboration et l’étude du dossier pour la séance du Conseil constitutionnel, la mise en place du programme détaillé pour la séance, la communication avec les institutions concernées pour les recherches complémentaires à la demande du membre rapporteur, la direction du groupe des secrétaires et l’élaboration du procès-verbal sur la séance du Conseil constitutionnel. Après que le président du Conseil constitutionnel eut désigné le membre rapporteur, ce dernier convoque le groupe du Conseil constitutionnel. Le service juridique participe à cette réunion et assure son secrétariat. Le membre rapporteur peut demander au président du Conseil constitutionnel de convoquer une ou plusieurs personnes, privée ou publique, afin qu’elle apporte des éclaircissements ou des documents relatifs au dossier dont le Conseil constitutionnel est saisi. Toute personne et institution publique ou privée doit respecter et exécuter les convocations et demandes du Conseil constitutionnel. Le groupe du Conseil constitutionnel doit alors préparer son rapport de contrôle de constitutionnalité ou d’interprétation de la Constitution et des lois pour le soumettre en session préliminaire pour en débattre. Après que le rapport soit définitivement élaboré par le groupe du Conseil constitutionnel, le président convoque les membres du Conseil constitutionnel pour débattre du rapport du groupe du Conseil constitutionnel. La convocation doit être soumise – aux membres du Conseil constitutionnel 2 jours au plus tard avant la réunion sauf en cas urgence. Lors de la session préliminaire, le membre rapporteur doit présenter au Conseil constitutionnel le résultat de ses recherches et études. Tous les membres doivent vérifier que le rapport porte bien sur le cas déféré avant de le soumettre à la séance plénière du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel doit statuer par écrit dans un délai de 30 jours sur toute affaire qui lui a été soumise. En cas d’urgence ce délai est ramené à 8 jours. Le Conseil constitutionnel juge de la constitutionnalité ou de l’interprétation de la loi sur la base du rapport d’un membre du Conseil désigné à cet effet par le président.
Lors de la session plénière, le Conseil constitutionnel échange et décide si la loi déférée est conforme à la Constitution. L’article 20 de la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel stipule que dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi comporte une disposition non conforme à la Constitution :

a. Si cette disposition est inséparable de l’ensemble de la loi, la loi dans son ensemble ne peut être ni promulguée ni appliquée.

b. Si cette disposition est séparable du texte restant, seules les dispositions non conformes ne peuvent être ni appliquées ni promulguées.
Le Conseil constitutionnel statue à la majorité absolue de tous ses membres. En cas d’égalité des voix, la voix du président est prépondérante.
La décision du Conseil constitutionnel est définitive, sans recours et a autorité sur tous les pouvoirs constitués. Dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi comporte une disposition non conforme à la Constitution, cette disposition ne peut être promulguée ou appliquée. La décision du Conseil constitutionnel doit être motivée. Afin d’assurer aux décisions du Conseil constitutionnel une audience effective, celles-ci sont transmises au Roi, au Sénat, à l’Assemblée nationale, au Premier ministre, à la Cour suprême et elles sont publiées au Journal officiel. L’article 24 nouveau de la loi portant amendement de la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel stipule que les décisions du Conseil constitutionnel sont communiquées au Roi, au président du Sénat, au président de l’Assemblée nationale, au Premier ministre, au président de la Cour suprême et sont publiées au Journal officiel. Le président du Sénat doit en informer tous les membres du Sénat. Le président de l’Assemblée nationale doit en informer tous les députés. Le Premier ministre doit en informer tous les membres du Gouvernement. Le président de la Cour suprême doit en informer le tribunal intéressé.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui, après plus de 16 ans d’activité, notre Conseil a progressivement renforcé son contrôle. Les politiciens, les juristes, les avocats, les administrateurs, les économistes, les enseignants, les médias et les citoyens connaissent de plus en plus notre institution et nos compétences.

Comme cas typique, le 20 juin 2007, le Roi Samdech Preah Boromneath Norodom Sihamoni a requis le Conseil constitutionnel lui demandant d’examiner la constitutionnalité de l’article 8 de la loi portant circonstances aggravantes des peines criminelles. En application de cet article 8, Le Conseil a considéré que les juges avaient violé la Convention sur les droits de l’enfant dont le Royaume du Cambodge est partie. La décision du Conseil constitutionnel stipule que :

« En principe, lors de son audience, le juge ne s’appuie non seulement sur l’article 8 de la loi portant circonstances aggravantes des peines criminelles pour condamner le criminel mais il doit aussi recourir aux lois. Le terme “lois”, ici, renvoie tant aux lois nationales comme : la Constitution qui est une loi suprême, les lois en vigueur, qu’aux textes de droit internationaux ratifiés par le Royaume du Cambodge en particulier la Convention relative aux droits de l’enfant… ».

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Oui, l’évolution des pouvoirs de notre institution est positive. Ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution du Royaume du Cambodge.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Non, pas d’ingérence de l’extérieur dans les affaires de notre institution.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Oui, notre Constitution prime sur toutes les normes de droit international dont le Royaume du Cambodge est partie. La ratification des traités, des accords, des conventions…, etc., se fait par la loi.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Aucune signification à retenir parce que le Royaume du Cambodge, les pays de la région et l’Asie sont complètement différents de l’Union européenne.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Non.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Notre Conseil retient la conception moniste, tous les membres du Gouvernement royal sont collectivement responsables de la politique générale du Gouvernement royal devant l’Assemblée nationale.
Article 98 nouveau de la Constitution stipule que « l’Assemblée nationale peut démettre un membre du Gouvernement ou renverser le Gouvernement royal en votant une motion de censure à la majorité absolue de l’ensemble des membres de l’Assemblée nationale.
La motion de censure contre le Gouvernement royal doit être soumise à l’Assemblée nationale par trente députés pour pouvoir être examinée ».

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Voir la réponse l. 1 (2e question).

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Voir la réponse l. 1 (2e question).

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Non.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Non.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Ou, voir la réponse 1.1 (7e question).

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Au Royaume du Cambodge, il n’existe pas de situation de conflit entre la Constitution et les normes internationales.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Non.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Non.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Non.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Non.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Non.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Non.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Non.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Non.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Non.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui, comme cas typique, le Royaume du Cambodge reconnaît et respecte des droits fondamentaux de l’homme tels qu’ils sont inscrits dans la Charte des Nations unies, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans tous les traités et conventions relatifs au droit de l’homme, de la femme et de l’enfant.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

En tant que membre de l’ACCPUF, nous remarquons que parmi les pays membres de l’ONU, il reste beaucoup de pays qui n’ont pas encore de Cour constitutionnelle ou d’institution équivalente ayant la compétence de contrôle de la constitutionnalité des lois et d’interprétation de la constitution et des lois.

Cour suprême du Cameroun

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

La Constitution du Cameroun détermine explicitement son rang comme norme suprême placée au-dessus de toutes les autres (Cf. Art. 45).

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

La Constitution du Cameroun n’a institué aucune échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles. Toutes les normes constitutionnelles sont d’égale valeur, y compris celles contenues dans le Préambule.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

La Constitution du Cameroun a été modifiée et complétée au fil des années. À titre illustratif, le changement de la nature de l’État a donné lieu à la modification de la constitution notamment le passage de la République fédérale du Cameroun à la République unie du Cameroun, puis à la République du Cameroun. Il en est de même du renforcement de la proclamation des droits de l’homme qui a suscité l’enrichissement du Préambule de la Constitution qui se réfère depuis le 18 janvier 1996 aussi bien à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et « toutes les conventions internationales relatives (aux droits fondamentaux) et dûment ratifiées » qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et la Charte des Nations unies retenus depuis 1972.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule de la Constitution du Cameroun fait partie du « bloc de constitutionnalité ». En effet, l’article 65 la Constitution du 18 janvier 1996 dispose : « Le préambule fait partie intégrante de la Constitution ». Le préambule a donc la même valeur que le corps de la Constitution.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Il n’existe pas de normes intérieures qui soient supérieures à la Constitution. Toutes les normes internes doivent se conformer à la Constitution et lui sont donc inférieures.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Le droit international pour ce qui est de la protection des libertés fondamentales fait formellement partie du « bloc de constitutionnalité ». Il s’agit notamment aux termes du préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 des « libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées, … »

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place parti culière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Les sources internationales relatives à la protection des libertés fondamentales ci-dessus citées font l’objet d’une désignation particulière dans le Préambule de la Constitution en raison de la place sans cesse grandissante que leur a accordé le constituant camerounais au fil des années.
Si la solution est contraire à la Constitution, elle ne peut être ratifiée qu’après modification de la Constitution.
C’est pourquoi, en fonction de la sensibilité de la matière, le Cameroun ratifie rapidement ou avec un certain temps certaines conventions internationales.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international posent le problème du conflit entre l’ordre interne et l’ordre international. Si la prééminence de l’ordre international est indiscutable, il demeure que l’État ne saurait s’engager sur le plan international à adopter un ordre juridique contraire à son ordre interne.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La stabilité de la Constitution peut constituer un élément de sa suprématie. Mais la suprématie et la stabilité ne constituent pas des facteurs complémentaires. Une Constitution peut conserver sa suprématie tout en étant instable. De même, une constitution peut perdre sa suprématie tout en étant stable. Par exemple si les lois internes sont contraires à une Constitution stable, elle perd sa suprématie.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

La Constitution a été modifiée quelquefois. Les différentes modifications n’ont pas été initiées en réaction à une décision de la Cour.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Un État qui respecte sa Constitution ne peut ratifier un traité que si celui-ci est conforme à sa constitution. Dans le cas contraire, il doit modifier sa Constitution dans le sens où le traité ne sera plus contraire à la norme suprême. C’est la position de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 qui dispose en son article 44 : « Si le Conseil constitutionnel a déclaré qu’un traité ou un accord international comporte une clause contraire à la Constitution, l’approbation en forme législative ou la ratification de ce traité ou de cet accord ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

La suprématie de la Constitution en droit interne est effective. En principe, toutes les autres normes doivent être conformes à la Constitution, norme suprême.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

La place de la Constitution est bien reconnue puisque toutes les institutions (pouvoir exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, Conseil économique et social) tiennent leur existence de ladite norme suprême.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois n’est nullement contestée.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le Parlement (Assemblée nationale et Sénat), le président de la République, garantissent le respect de la Constitution.
Leurs rapports avec la Cour sont dominés par le respect mutuel dû à ces hautes institutions.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

La Cour constitue la plus haute juridiction de l’État. Sa jurisprudence constitue une source de droit pour les juridictions inférieures. Mais il existe des arrêts de principe rendus par le Conseil constitutionnel qui s’imposent à tous. On parle d’arrêt de principe. Il y a également des arrêts ordinaires qui ne constituent pas véritablement une source jurisprudentielle.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

La jurisprudence reconnaît l’existence d’un bloc de constitutionnalité en protégeant l’ensemble des lois soumis au contrôle de la Cour. Elle consacre le respect de la consolidation des textes auxquels renvoie le préambule (Déclaration des droits de l’homme, Charte des Nations unies, Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les principes objectifs de valeur constitutionnelle).

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

La Cour s’appuie sur toutes les normes qui forment le « Bloc de constitutionnalité ».

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

La cour n’est limitée que par la loi n° 2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel qui fixe ses compétences sans ambiguïté en son article 3.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont efficaces mais perfectibles.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

La Cour ne connaît que des matières soumises à son examen par le président de la République, par le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, un tiers des députés, un tiers des sénateurs ou les présidents des exécutifs régionaux. Elle ne peut donc pas renforcer le contrôle si elle n’est pas saisie.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Il n’y a pas eu au niveau de notre Cour des contradictions de jurisprudence.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

La Constitution prime sur les normes de droit international dans la hiérarchie des normes juridiques. Les conventions ratifiées sont supérieures aux lois internes et viennent juste après la Constitution.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

La primauté est le principe selon lequel, en cas de conflit entre deux normes juridiques, celle qui dans la hiérarchie des normes passe avant, l’emporte. La Constitution prime sur les lois ordinaires et même sur les conventions ratifiées.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

De l’existence d’un droit constitutionnel international ou européen, s’il y a un ensemble de règles fondamentales applicables dans l’Union européenne, s’il y a un parlement européen, il n’est pas exagéré de parler d’un droit constitutionnel international ou européen.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Le monisme avec primauté du droit international est la conception retenue par notre Cour.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Il n’existe pas de normes internationales de valeur supérieure à la Constitution.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Les droits fondamentaux sont consacrés par le Préambule de la Constitution et ont valeur constitutionnelle. La Constitution du 18 janvier 1996 le précise clairement, sans un besoin particulier de réponse du juge constitutionnel qui ne peut se limiter qu’à le constater.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ? b) Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Le monde étant devenu un village planétaire, les influences internationales sur l’élaboration ou la révision influent grandement sur nos États. En effet, les préoccupations des États africains sont semblables.
Par exemple, aujourd’hui, les problèmes d’environnement sont de plus en plus constitutionalisés.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Le contrôle est indirect. Les lois doivent être conformes à la Constitution qui adhère aux grandes chartes internationales.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

La Cour n’applique pas les instruments internationaux s’ils n’ont pas été au préalable ratifiés.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Il existe des situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales. Ces situations concernent en grande partie les droits fondamentaux.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

La Constitution camerounaise prévoit en son article 44 que « Si le Conseil constitutionnel a déclaré qu’un traité ou un accord international comporte une clause contraire à la Constitution, l’approbation en forme législative ou la ratification de ce traité ou de cet accord ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

La Cour n’a pas qualité pour limiter les conflits ; elle ne peut pas dire d’une norme internationale qu’elle est contraire à la Constitution par complaisance.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

La Constitution organise effectivement une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables. Elle ajoute la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui intègre certaines valeurs culturelles propres à l’Afrique.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Le problème ne se pose pas puisque le Préambule de la Constitution dit que l’État camerounais « affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées ».

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats concernent les matières où le Cameroun ne partage pas ou pas encore la position de l’ordre international.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Elle tient implicitement compte des instruments internationaux et parfois s’y réfère expressément.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Il n’y a pas eu de véritables conflits entre l’ordre interne et l’ordre international.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

La valeur est tributaire de la matière de la décision et de la juridiction internationale qui a statué. Les modalités d’exécution des décisions judiciaires sont fixés par les articles 5, 6, 7 de la loi n° 2007/001 du 19 avril 2007.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

La jurisprudence des juridictions internationales influence notre Cour. Elle s’inspire des expériences des juridictions internationales, sans mimétisme judiciaire.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

L’interprétation de la Constitution peut se faire au regard d’une disposition internationale, si celle-ci relève d’une charte à laquelle adhère le Cameroun ou d’une convention qu’il a ratifié.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

RAS.

Cour suprême du Canada

Note : ce rapport a été préparé par le Professeur Beaulac – à la demande de la Cour suprême du Canada – et n’engage en rien cette Cour.

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La première question à aborder, de savoir si la Constitution du Canada contient une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique, est assez simple, puisqu’elle se réfère de façon générique (sans besoin de préciser sa nature et ses sources) à l’ensemble des règles et principes d’ordre supérieur et organique dans un pays « qui définissent les droits essentiels des citoyens d’un État, déterminent son mode de gouvernement et règlent les attributions et le fonctionnement des pouvoirs publics » [1]. Depuis le rapatriement de la Constitution [2], cette disposition se trouve explicitement dans un texte, à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [3], précisément au paragraphe 1 :

  • 52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada ; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Le paragraphe 2 poursuit en mentionnant que la Constitution du Canada comprend, non seulement la présente Loi de 1982, mais tous les textes législatifs et les décrets figurant à l’annexe de cette loi, dont l’autre important texte de droit constitutionnel écrit : la Loi constitutionnelle de 1867 (qui, anciennement, portait le nom de l’Acte d’Amérique du nord britannique, ou en anglais, le « British North American Act » [4]).
Une précision importante s’impose immédiatement : l’idée de la suprématie de la Constitution, expressément prévue depuis relativement peu de temps, n’est pas nouvelle du tout au Canada. Rappelons que le pays est devenu un État souverain [5], dans le sens du droit international et des éléments constitutifs codifiés à la Convention de Montevideo [6], bien après la confédération de 1867, mais aussi bien avant le rapatriement de 1982 [7] ; on s’entend généralement pour dire que l’accession progressive du Canada à l’indépendance internationale a connu son point tournant avec le Statut de Westminster de 1931 [8]. Ceci étant, le principe de la suprématie de la Constitution – de concert avec deux autres méta-principes, à savoir la souveraineté du parlement [9] et la primauté du droit (« rule of law ») [10] – s’inscrit dans la longue tradition juridique anglo-saxonne de common law, y compris le parlementarisme et le constitutionnalisme, dont le Canada a hérité de Grande-Bretagne. Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, dont les tribunaux se servent souvent en interprétation constitutionnelle [11] – le considérant certes comme faisant formellement partie du bloc de constitutionnalité [12] – prévoit, en effet, que le Canada est fondé sur « une Constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ».
La deuxième question sous cette rubrique nous amène à apporter des précisions importantes quant à la nature du droit constitutionnel au Canada et, surtout, quant aux sources normatives. En effet, pour traiter de l’échelle de prévalence entre les différents types de normativités constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.), il faut bien évidemment établir des paramètres ontologiques à la discussion qui, du coup, requièrent des éléments de classification. La première distinction cruciale est entre la constitution « juridique » et la constitution « politique », cette dernière concernant pour l’essentiel les conventions constitutionnelles, abordées dans un moment. Ceci étant, la constitution juridique, au Canada, est formée de droit constitutionnel « écrit » et de droit constitutionnel « non écrit », celui-ci faisant référence au droit jurisprudentiel, aux décisions judiciaires des tribunaux nationaux compétents. Rappelons, à cet égard, les propos de la Cour suprême du Canada dans le (premier) renvoi sur le rapatriement de la Constitution – Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution [13]– où la majorité (non contredire sur ce point précis) définissait le droit constitutionnel comme les « parties de la Constitution du Canada qui sont formées de règles législatives et de règles de common law » [14].
Le droit constitutionnel écrit au pays comprend bien évidemment les textes constitutionnels, formellement parlant, tels la Loi constitutionnelle de 1982 et la Loi constitutionnelle de 1867, déjà mentionnées. En plus de ces textes faisant partie de la Constitution du Canada – en vertu de l’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, comme il a été vu – il existe d’autres textes de loi qui ont un statut constitutionnel, au niveau matériel. Cette source de droit constitutionnel écrit, souvent appelée simplement (à défaut de mieux) « loi ordinaire », est définie comme suit par la doctrine : « toute loi “constitutionnelle” en raison, non pas de son statut [formel] dans la hiérarchie des normes juridiques, mais de son contenu, dès lors que celui-ci se rapporte de près ou de loi à la forme de gouvernement de l’État ou aux droits des personnes ou groupes avec lesquels l’État pourra entrer en relations » [15]
Très récemment, la décision

la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». On souhaitait utiliser la mention de Dieu pour donner un statut privilégié aux pratiques religieuses théistes dans la protection de la liberté de religion, prévue à l’article 2(a), un argument qui a été rejeté catégoriquement (ibid., para. 148-149) ; voir aussi Lorne Sossin, « The “Supremacy of God”, Human Dignity and the Charter of Rights and Freedoms » (2003), 52 Revue de droit de l’Université du NouveauBrunswick 227.

dans le Renvoi relatif au juge Nadon [16], nous donne un exemple d’une telle loi ordinaire (à son origine, à tout le moins), adoptée par le Parlement fédéral, qui a acquis depuis un statut constitutionnel et ne peut être changée sans recourir à la procédure de modification prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette législation fait partie du droit constitutionnel, au niveau matériel, parce qu’elle concerne le plus haut tribunal du pays, qui « constitue un élément essentiel de l’architecture constitutionnelle du Canada » [17]
S’agissant de la hiérarchie normative de ces deux sources de droit constitutionnel écrit, il ne fait aucun doute que les textes de loi formellement constitutionnels sont vus comme ayant préséance, dans l’hypothèse d’un conflit avec une loi dite ordinaire ayant le statut constitutionnel. Il en relève de la théorie des sources en droit interne, qu’on associe à l’image de la « pyramide kelsenienne » [18], au sommet de laquelle se trouvent les textes constitutionnels. Suivant ce raisonnement, la jurisprudence constitutionnelle, c’est-à-dire le droit relevant de la Constitution « non écrite » au Canada, est clairement de hiérarchie inférieure aux deux sources (textes formellement constitutionnels, lois ordinaires à statut constitutionnel) de droit constitutionnel écrit. Pour être précis, la jurisprudence dont il est question ici comprend à la fois les décisions judiciaires dans le cadre du règlement d’un litige [19], d’une part, et les avis consultatifs ou renvois sur des questions de droit soumises par un gouvernement [20], d’autre part. Ajoutons par ailleurs que les décisions judiciaires, sources de droit constitutionnel, peuvent se fonder, en tout ou en partie, sur des textes de nature constitutionnelle ou des lois ordinaires constitutionnelles, ou peuvent aussi être le fruit de règles d’origine jurisprudentielle autonome, ce à quoi on fait souvent référence à l’aide de l’expression anglaise « juge-made law », que d’aucuns traduisent en français par « droit prétorien ».
On doit distinguer ces sources de droit (écrit, non écrit) relatif à la Constitution « juridique » du Canada, d’un côté, des éléments relevant de la Constitution

Gaudreault-DesBiens (dir.), Droit constitutionnel – JurisClasseur Québec (série « droit public »), feuilles mobiles (Montréal : LexisNexis, 2011), fasc. 1.

« politique » du pays, de l’autre [21]. Il s’agit, pour paraphraser la question à aborder ici, d’une façon élaborée pour compléter ou modifier le droit constitutionnel positif au pays [22]. Selon la terminologie consacrée, on parle de « convention constitutionnelle », définie comme « une règle élaborée empiriquement, sous la forme d’une entente entre gouvernants ou politiciens, règle qui n’est pas sanctionnée par les tribunaux mais appliquée et respectée par les parties en raison d’un sentiment de nécessité politique » [23]. Cette conception de l’ordre constitutionnel dans la tradition anglo-saxonne de common law vient de l’œuvre d’Albert Venn Dicey [24], qui a élaboré cette dichotomie juridiquepolitique [25], s’agissant de la Constitution, et qui a suggéré du coup que les conventions constitutionnelles viennent venir compléter, voire modifier, les règles applicables pour les autorités publiques dans une juridiction.
Au début des années 1980, la Cour suprême du Canada a entériné le concept de conventions constitutionnelles, à deux reprises [26], dans les renvois sur le rapatriement de la constitution [27]. S’inspirant des travaux de Sir W. Ivor Jennings, on a proposé un test à trois conditions : (i) il doit y avoir des précédents à la pratique conventionnelle ; (ii) les acteurs considérèrent que cette règle d’usage est en fait obligatoire ; (iii) et il faut qu’il y ait une raison d’être à ladite règle [28]. Une situation assez récente où cette problématique s’est présentée au Canada, bien que les tribunaux n’aient pas eu à se prononcer, fut la crise parlementaire en décembre 2008, six semaines après l’élection d’un gouvernement minoritaire conservateur à Ottawa [29]. Face à l’impasse en chambre au sujet d’une mise à jour budgétaire, le scénario sérieusement envisagé était de renverser le gouvernement et de le remplacer par un gouvernement de coalition (libéral, néo-démocrate, bloquiste) ; la crise a pris fin lorsque le Premier ministre Stephen Harper a obtenu de la gouverneure générale Michaëlle Jean la prorogation du Parlement. La question au centre des débats, en doctrine notamment [30], concernait le rôle des conventions constitutionnelles dans cette affaire et, précisément, si une coalition pouvait (voire devait) se voir donner l’occasion, par la gouverneure générale, de former le Gouvernement [31].

Sauf erreur, il n’existe pas de normes de droit interne supérieures à la constitution au Canada qu’on pourrait qualifier de « supra-constitutionnelles ». En revanche, depuis 1998 et le Renvoi sur la sécession du Québec [32], la Cour suprême du Canada a articulé des « principes sous-jacents » à l’ordre constitutionnel du pays. Bien que la liste ne soit pas exhaustive, ces principes « non écrits » seraient au nombre de quatre (4), à savoir : (i) le fédéralisme, (ii) la démocratie, (iii) le constitutionnalisme et la primauté du droit, et (iv) le respect des minorités ; on a déjà suggéré, dans des opinions minoritaires, un cinquième de ces principes, (v) soit « l’honneur de la Couronne » [33] en matière autochtone, et même un sixième, (vi) soit « le respect des droits et libertés de la personne » [34].

Dans le Renvoi de 1998, on dit que les quatre (4) principes sous-jacents à notre constitution « ressortent de la compréhension du texte constitutionnel lui-même, de son contexte historique et des diverses interprétations données par les tribunaux en matière constitutionnelle » [35]. Ces éléments de notre ordre juridique constitutionnel ont « plein effet juridique » [36], c’est-à-dire qu’ils « peuvent donner naissance à des obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises » [37]. Pour être très clair : « Les principes ne sont pas simplement descriptifs ; ils sont aussi investis d’une force normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements » [38]. Peut-être pourrait-on parler de « supra-constitutionnalité » en relation avec ces principes, mais ils relèvent néanmoins du droit constitutionnel formel (non pas du droit interne), du droit non écrit en fait, c’est-à-dire de la jurisprudence constitutionnelle. Récemment, trois (3) affaires ont fait référence à ces métaprincipes constitutionnels : le Renvoi sur les valeurs mobilières [39], en 2011, le Renvoi sur le Sénat [40], en 2014, et la toute dernière affaire du registre des armes à feu [41], en mars 2015.
S’agissant de la question du droit international, il ne fait pas formellement partie du bloc de constitutionnalité au Canada. On remarquera, tout d’abord, que la Constitution écrite du pays ne dit pratiquement rien concernant le droit international, ce qui n’est pas surprenant puisqu’au moment de sa création, en 1867, la Grande-Bretagne assumait les relations internationales de ses colonies. Ce sera le Statut de Westminster de 1931 [42] qui habilitera explicitement le Parlement fédéral en ce qui concerne les affaires étrangères et le droit international ; l’article 3 prévoit en outre que « le Parlement d’un Dominion a le plein pouvoir d’adopter des lois d’une portée extraterritoriale ». La jurisprudence a fait référence à quelques reprises au Statut de Westminster afin de valider le pouvoir exclusif d’Ottawa en matière de relations internationales [43]. La principale loi organique du pays, la Loi constitutionnelle de 1867, est ainsi presque muette au sujet de l’international ; la seule exception, l’article 132, qui se lit ainsi :
Le Parlement et le Gouvernement du Canada auront tous les pouvoirs nécessaires pour remplir envers les pays étrangers, comme portion de l’Empire britannique, les obligations du Canada ou d’aucune de ses provinces, naissant de traités conclus entre l’empire et ces pays étrangers.
Avant l’indépendance internationale du pays, il était donc prévu que c’était l’ordre juridique fédéral qui avait compétence en matière de traité international, « pour remplir […] les obligations du Canada ou d’aucune de ses provinces ». L’article 132 est devenu désuet, nous dit-on [44], puisque l’exercice de la pleine souveraineté externe – de facto, depuis la Déclaration de Balfour, en 1926 ; de jure, avec le Statut de Westminster, en 1931 – a rendu caduque la compétence donnée explicitement au fédéral pour mettre en œuvre les « traités conclus entre l’empire et ces pays étrangers ». La célèbre décision du Comité judiciaire du Conseil privé dans l’Affaire des Conventions du travail [45] a confirmé que l’article 132 était rendu lettre morte [46], un aspect qui a été fortement critiqué, surtout au Canada anglais [47].
Ceci étant, à la question spécifique de savoir si la normativité internationale fait partie, en tant que telle, de l’ordre constitutionnel interne au Canada, il faut répondre par la négative, et ce, au premier chef en raison du méta-principe structurel de la souveraineté des États [48]. À l’instar des autres pays de tradition juridique anglo-saxonne de common law [49], le Canada adhère au modèle dit « westphalien » des relations internationales, avec son idée-structure de la souveraineté des États, ce qui a des conséquences importantes en matière d’interlégalité. Cela explique que l’international, y compris au niveau juridique, est vu en termes de communauté de membres, souverainement égaux et indépendants les uns aux autres, chacun possédant sa propre volonté et sa propre finalité, relativement à sa population habitant son territoire [50]. En vertu de cette épistémologie dominante – qui sera certes qualifiée de traditionnelle par certains publicistes [51] – un État souverain comme le Canada appréhende la réalité normative globale du monde en considérant qu’il existe une sphère internationale séparée et distincte des domaines internes du pays. Une auteure a présenté la problématique de l’interlégalité de façon toute simple, suivant l’approche de common law : « domestic law is “here « and international law is “there” » [52].
Bref, il faut parler d’interaction (et non d’intégration) du droit international avec le droit interne canadien puisqu’il existe deux réalités juridiques séparées et distinctes ou, pour emprunter au langage mathématique, deux ensembles non intersectants (en anglais « non-intersecting sets ») [53]. Il s’ensuit qu’au plan de l’activité judiciaire nationale, on ne considère pas que le droit international est contraignant pour les tribunaux du pays, pas plus qu’il peut les « lier » dans leur prise décision [54]. Le mandat constitutionnel des cours de justice est d’interpréter et d’appliquer le droit canadien, pas le droit international, qui relève de la sphère juridique séparée et distincte de l’international. Ceci étant, plus loin, nous verrons comment les règles de réception permettent au droit international d’avoir un impact substantiel en droit interne au Canada.
Pour la question des limites constitutionnelles à la participation du Canada à un ordre international, il faut aborder le pouvoir de conclure des conventions ou des traités, ce qu’on appelle souvent dans le jargon le « jus tractatus », ou anglais « treaty-making power ». Pour ce faire, il est nécessaire de faire référence de nouveau au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 qui, on l’a vu, dit inter alias que notre constitution repose « sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». Outre cette mention expresse, les règles impériales de réception du droit anglais dans les colonies de Sa Majesté ont établi un lien, à la fois originel et continu, entre le droit public de la Grande-Bretagne et celui de sa colonie nord-américaine, le Canada [55]. L’autorité publique en ce qui concerne les relations internationales, y compris le jus tractatus, tire sa source de la prérogative royale, c’est-à-dire le « pouvoir dont est revêtu le souverain et qui fait partie de cet ensemble de pouvoirs discrétionnaires dérivant du droit coutumier dont le monarque en personne avait l’exercice » [56], comme on l’a déjà expliqué au Parlement du Canada. À vrai dire, la particularité de l’autorité publique qui relève de la prérogative royale est le fait qu’elle n’a pas à être autorisée par une mesure habilitante du Parlement ; à ce titre, ce type d’autorité fait exception au principe de la primauté du droit (« rule of law »), qui requiert que les actes publics se fondent sur un texte de loi. La nature de la prérogative royale est jurisprudentielle – « judge-made law » ou de droit prétorien – c’est à-dire que ce sont les tribunaux de common law qui ont développé ces pouvoirs et, incidemment, déterminé que ceux-ci peuvent être limités, modifiés, voire abolis au moyen d’une loi [57].
Par conséquent, suivant la tradition britannique de common law de droit public, dont le Canada a hérité, c’est sur la base de ses prérogatives que la Couronne (c.-à-d. le gouvernement) était et, dans les faits, est toujours la seule responsable de la conduite des relations internationales, y compris la conclusion de traités (qui ferait, par exemple entrer le Canada dans un ordre juridique international). À l’époque de la confédération en 1867, la Grande-Bretagne avait à sa charge les affaires étrangères de ses colonies ; ce n’est qu’à la suite de son émancipation que le Canada est venu à assumer cette autorité de façon autonome. La question de la compétence constitutionnelle (fédérale ou provinciale) en ce concerne le jus tractatus est clairement réglée [58] – malgré la doctrine minorité défendue au Québec [59] – au pays : la couronne du Chef du Canada, c’est-à-dire le gouvernement fédéral, détient la plénitude de la compétence en la matière. Pour être clair, cela signifie que la Couronne fédérale peut conclure toute convention internationale, peu importe son objet, que sa matière relève des compétences législatives fédérales ou provinciales (en vertu des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867) [60]. De facto, cette situation juridique existe depuis le Traité sur le flétan, en 1923, voire du Traité de Versailles, en 1919 ; de jure, cette autorité plénière du fédéral fut formellement validée par les Lettres patentes de 1947, quoique la jurisprudence allait déjà résolument dans ce sens, avec les décisions dans l’Affaire des Conventions du travail [61] dans les années 1930

Un exemple où l’on voit que le Canada n’a pas eu d’obstacles constitutionnels à entrer dans un ordre juridique international – ni au niveau structurel organique, ni en ce qui a trait aux contraintes d’ordre fédéraliste – nous vient de la zone de libre-échange qui a été établie en Amérique du Nord. Tout d’abord, en 1988, l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis a été conclu, par la Couronne fédérale, et comprenait clairement des matières qui relèvent des provinces (article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867), dont les tarifs sur les produits et services et les barrières non tarifaires comme les quotas et les subventions. Certes, les représentants des gouvernements provinciaux ont discuté, voire conseillé les autorités fédérales au moment de la négociation de cette convention internationale, mais il est clair que c’est le gouvernement fédéral qui avait la compétence exclusive pour la conclure au nom du Canada [62]. L’histoire s’est répétée en 1992, lors de la négociation et la conclusion par le gouvernement fédéral de l’Accord de libre-échange nordaméricain, entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, en vigueur depuis le 1er janvier 1994.
Comme dans toutes démocraties constitutionnelles, l’idée même de la suprématie de l’ordre juridique constitutionnel au Canada – tant dans l’organisation des organes, que pour la structure fédérale et, depuis 1982, en ce qui a trait aux droits humains – contribue grandement à la stabilité dans la gouvernance du pays. Nous avons déjà vu que l’article 52, paragraphe 1, de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit expressément la suprématie de la Constitution ; au paragraphe 3 de la même disposition, on ajoute : « La Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément aux pouvoirs conférés par elles ». La partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 élabore, de façon assez précise, les pouvoirs en question, sous la rubrique « Procédure de modification de la Constitution du Canada ». En fait, il existe quatre (4) procédures de modification constitutionnelle ; la première est d’application générale, les trois autres sont applicables dans les circonstances prévues expressément par ces dispositions. Il n’est pas opportun d’examiner en détail ce domaine du droit constitutionnel canadien, qui est par ailleurs fort complexe [63], comme

conclure les traités en question, qui portait sur des matières provinciales. Quelque temps plus tôt, à la Cour suprême du Canada, Reference re The Weekly Rest in Industrial Undertaking Act, The Minimum Wages Act and The Limitation of Hours of Work Act, [1936] R.C.S. 461, p. 535, où une majorité des juges avaient abordé expressément l’aspect du jus tractatus et avait reconnu la plénitude des pouvoirs en faveur du gouvernement fédéral.

l’illustre éloquemment la récente décision de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif au juge Nadon [64].
Il suffira de mentionner que la procédure de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 a certes contribué grandement à la stabilité de la constitution du pays – voire à sa trop grande rigidité [65] – puisque, dans les faits, il n’a pas été possible d’effectuer de vraies modifications constitutionnelles depuis le rapatriement. Autrement dit, il n’y a aucun changement adopté en vertu de la formule d’application générale (si l’on fait abstraction de la proclamation de 1983 convoquant une conférence constitutionnelle sur les droits autochtones), qui requiert l’accord du fédéral et celui d’au moins deux tiers des provinces (représentant au moins 50 % de la population) ; a fortiori, il a été impossible d’en faire en vertu de la formule exigeant l’unanimité des provinces et l’accord du fédéral. En réalité, seuls des changements mineurs – selon la procédure bilatérale (fédéral-provincial) ou la procédure unilatérale fédérale – ont pu être réalisés ; au total, une dizaine de ces modestes modifications ont eu lieu. Un exemple : la modification constitutionnelle de 1997 (Québec) [66], qui a permis à cette province de remplacer son système d’éducation confessionnel par un système fondé sur des regroupements linguistiques (français et anglais). Pour être complet, ajoutons que la Constitution du Canada n’a jamais non plus été modifiée en réaction à une décision judiciaire, ni en raison de traités internationaux conclus par la Couronne fédérale.

2. Appréciation de l’effectivité

Surtout depuis le rapatriement de la constitution en 1982, qui a amené l’adoption d’un instrument supra-législatif de protection des droits humains, la Charte canadienne des droits et libertés, on dit du droit constitutionnel au pays qu’il est davantage fondé sur l’idée de la suprématie de la constitution que sur celle de la souveraineté du Parlement. Le Canada n’a pas eu de décision fondatrice majeure, du genre de Marbury c. Madison [67] à la Cour suprême des États-Unis, qui a assis le principe du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité et de la suprématie de la constitution. Étant un « dominion » de la mère patrie, la Grande-Bretagne, créé par voie d’une loi impériale, l’Acte d’Amérique du nord britannique (renommé la Loi constitutionnelle de 1867), le Canada et sa constitution ont simplement suivi la logique de révision judiciaire en common law, en vertu du pouvoir inhérent des cours supérieures. Cela s’est manifesté, au premier chef, en ce qui concerne le partage des compétences législatives – articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 – pour s’assurer que les deux ordres de gouvernement dans la fédération canadienne respectent leurs pouvoirs et n’agissent pas ultra vires eu égard à la loi organique du pays. Dans une large mesure, l’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 – vu plus haut – n’est que la confirmation et la validation du principe de la suprématie de la Constitution, dans le contexte du Canada contemporain, un État émancipé et indépendant, qui suit la tradition anglo-saxonne de droit public (constitutionnalisme, souveraineté du Parlement, primauté du droit).
Les acteurs politiques et juridiques au pays reconnaissent unanimement le rôle et la place de la Constitution dans la gouvernance de notre société. D’aucuns pensent que, à l’occasion, les débats publics au pays sont mis, peut-être exagérément, en termes de droit constitutionnel, de libertés fondamentales pour être précis [68]. Dans ces cas, il semble que les intervenants politiques cherchent à légitimer leurs choix, voire parfois leur agenda législatif, en insistant qu’ils souhaitent (même doivent) aller dans un certain sens afin de respecter les impératifs constitutionnels, par exemple de la Charte canadienne des droits et libertés. Une illustration relativement récente de ce phénomène est arrivée en 2004, avec le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe [69], qui avait été fait par le gouvernement fédéral pour avaliser sa proposition de loi définissant le mariage comme « l’union de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne », sans égard au sexe. Le premier ministre de l’époque, le très honorable Paul Martin Jr., avait fait porter une bonne partie des discussions, y compris à la Chambre des communes – notamment via son ministre de la Justice, l’honorable Irwin Cotler [70] – sur la conformité de ce projet de loi C-38 [71] avec le droit à l’égalité sans discrimination fondée sur le sexe, tel qu’interprété par la Cour suprême du Canada dans sa décision. Alors, non seulement la légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois n’est-elle pas contestée au Canada, elle s’avère être parfois instrumentalisée par les intervenants politiques.
Une affaire récente a fait craindre une possible brisure de l’équilibre entre les branches exécutive et judiciaire, dans le contexte d’une révision judiciaire de la légalité d’une décision de l’administration, précisément en matière de relations internationales. L’affaire Khadr, qui a connu plusieurs rebondissements et plus d’une décision de la Cour suprême du Canada [72], concernait l’exercice de l’autorité du gouvernement fédéral en matière d’affaires étrangères. Dans le deuxième dossier Khadr [73], on devait décider si l’on pouvait forcer la main du premier ministre Harper pour demander le rapatriement de ce ressortissant canadien détenu illégalement dans une zone de non-droit à Guantanamo, Cuba. Dans une décision unanime, la Cour a confirmé sa compétence pour décider de la légalité de l’exercice de la prérogative royale en la matière avec la Charte canadienne des droits et libertés, tout en reconnaissant une large marge d’appréciation au gouvernement, s’agissant des relations internationales. Dans un troisième dossier Khadr, qui n’est pas celui-là monté au plus haut tribunal du pays [74] – le procès devant la commission militaire à Guantanamo ayant connu son dénouement, avec le plaidoyer de culpabilité de Khadr – on contestait comme insuffisantes les mesures de réparation prises par le Gouvernement suite au jugement dans le deuxième dossier Khadr, se limitait à une note diplomatique ne demandant pas le retour du détenu. Compte tenu des tergiversations du Premier ministre Harper dans cette affaire et, en fait, de la fin de non-recevoir au rapatriement de Khadr, il était à craindre qu’une ordonnance judiciaire dans ce sens, en raison de la violation de la Charte canadienne, n’aurait pas été suivie par le Gouvernement. Évidemment, on ne le saura jamais, ce qui est mieux comme ça diront plusieurs, et ce, tant pour l’intégrité de nos institutions que pour le principe de la primauté du droit et le respect de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.
Suite à l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés est venue l’obligation pour le ministère de la Justice fédéral de s’assurer que les textes législatifs sont en conformité avec les garanties constitutionnelles en matière de droits humains [75].Ainsi, un processus de validation est imposé, depuis 1985, par la Loi sur le ministère de la Justice [76] : « en vue de vérifier si l’une de leurs dispositions [des projets ou propositions de loi] est incompatible avec les fins et dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés » [77]. À titre de conseiller juridique, le ministre de la Justice doit, le cas échéant, faire : « rapport de toute incompatibilité à la Chambre des communes dans les meilleurs délais possible » [78]. Ceci étant, ce processus de vérification ne semble pas très efficace puisque, depuis son adoption, aucun rapport n’a jamais été soumis par le ministre de la Justice à la Chambre des communes pour faire état d’une quelconque incompatibilité [79]. Or, il appert fort surprenant qu’aucun des plusieurs centaines de projets de loi adoptés à Ottawa depuis 30 ans n’était problématique quant aux protections constitutionnelles des droits humains [80]. Le ministère de la Justice répond que la procédure interne, notamment grâce aux travaux de la Section des droits de la personne, donne plusieurs occasions pour corriger les lois qui pourraient porter atteinte aux droits et libertés garantis [81] – un avocat senior et conseiller spécial à la Section de la législation du ministère de la Justice, depuis suspendu de ses fonctions [82] – devant la Cour fédérale du Canada a permis d’avoir de l’information inédite relativement à cette procédure de vérification. En effet, selon les directives internes du ministère, la norme de validation serait excessivement basse, très permissive en fait, ce qui laisserait passer à peu près tout dans les projets de loi [83]. Les documents dans l’affaire Schmidt montrent que seule une disposition « manifestement inconstitutionnelle » sera relevée par les avocats de Justice, une norme permettant jusqu’à la hauteur de 95 % de risques d’inconstitutionnalité [84]. Cette complaisance expliquerait, pourrait-on penser, pourquoi jamais aucun rapport n’a été soumis à la Chambre des communes en vertu de l’obligation statutaire du ministère de la Justice.
S’agissant de son droit public, le Canada se revendique de la tradition juridique anglo-saxonne de common law, où le principe de la « stare decisis » constitue la pierre d’assise, notamment pour assurer la sécurité, la stabilité et la prévisibilité dans les règles normatives [85]. Nous avons vu, par ailleurs, qu’une bonne partie du droit constitutionnel au pays est « non écrit », c’est-à-dire qu’il est basé sur la jurisprudence, ou « judge-made law » (droit prétorien). En principe, il est donc clair que les autorités jurisprudentielles sont reconnues, surtout lorsqu’elles proviennent de la Cour suprême du Canada, par les tribunaux judiciaire à travers le pays. Soyons clair : la radio decidendi du précédent est suivie (pas les commentaires en obiter dictum), dans la mesure qu’il n’est pas opportun de faire du « distinguishing ». Depuis la fin des années 1960 [86], la Cour suprême est plus flexible quant à l’application du principe par rapport à sa propre jurisprudence, ce qu’on appelle le stare decisis horizontal [87] (par opposition à vertical). Pour la Constitution, la Cour suprême a déjà précisé que, « les décisions constitutionnelles ne sont pas immuables et ce, même en l’absence d’une modification constitutionnelle » [88]. En ce qui concerne les droits humains, le plus haut tribunal du pays a émis une mise en garde, toutefois : « la Cour doit se montrer particulièrement prudente avant d’écarter un précédent lorsque ce revirement a pour effet d’affaiblir une protection offerte par la Charte [canadienne] » [89]. Récemment, dans l’affaire Carter [90], la Cour suprême a effectué un ajustement important quant au stare decisis vertical : La doctrine selon laquelle les tribunaux d’instance inférieure doivent suivre les décisions des juridictions supérieures est un principe fondamental de notre système juridique. Elle confère une certitude tout en permettant l’évolution ordonnée et progressive du droit. Cependant, le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie. Les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose ; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne » [91].
Il semble ainsi que maintenant, en ce qui concerne la Charte canadienne à tout le moins, le principe du stare decisis est beaucoup plus flexible qu’avant au pays et permettrait aux tribunaux inférieurs de reconsidérer le bien-fondé des précédents, même en matière de droit constitutionnel.
Outre le droit constitutionnel, écrit et non écrit (vu plus haut), il existe au Canada des lois « quasi constitutionnelles », qui ne sont pas formellement supralégislatives, mais qui ont un statut spécial en raison de leur objet. Voici les célèbres propos du juge La Forest dans l’arrêt Robichaud : « Bien sûr, ce que laisse entendre cette expression n’est pas que la loi en cause est en quelque sorte enchâssée dans la Constitution, mais plutôt qu’elle exprime certains objectifs fondamentaux de notre société » [92]. Ainsi, on considère que ces lois traitent de sujets d’ordre constitutionnel, ce pourquoi les tribunaux leur ont accordé un statut supérieur. C’est le cas de la législation visant la protection juridique des droits humains, qu’elle soit provinciale ou fédérale [93], bloc de quasi-constitutionnalité auquel on a ajouté deux autres textes de lois dans l’arrêt Lavigne [94] : la Loi sur les langues officielles [95] ; et, la Loi sur la protection des renseignements personnels [96]. Concrètement, ce statut de lois quasi constitutionnelles signifie, pour les tribunaux canadiens, qu’on leur donnera une interprétation large et libérale, c’est-à-dire généreusement, qui s’accorde avec l’objectif visé [97] et, en outre, qu’en cas de conflit normatif avec une autre loi, on leur donnera préséance dans un processus de hiérarchisation des dispositions contradictoires [98].
Le contrôle de la constitutionnalité et de la légalité des lois et autres mesures des autorités publiques ne connaît pas de restriction de principe au Canada [99]. Comme nous avons vu plus tôt, peu importe la source des règles normatives, en fait même les pouvoirs qui reposent sur des prérogatives royales peuvent faire l’objet d’une révision judiciaire [100], comme en matière de relations internationales [101]. Le critère juridique pouvant limiter le contrôle de la légalité est celui de la « justiciabilité » d’une question [102], ce qu’on appelle parfois aussi la doctrine de la question politique [103]. Dans le contexte de l’exercice de la prérogative royale en matière d’affaires étrangères, par exemple, la Cour d’appel de l’Ontario a refusé d’examiner la décision du Premier ministre du Canada concernant l’octroi de la pairie à Conrad Black, la qualifiant de question de « haute politique » :
« Where matters of high policy are concerned, public policy and public interest considerations far outweigh the rights of individuals or their legitimate expectations. In my view, apart from Charter claims, these decisions are not judicially reviewable 105[104]. »
A contrario, on comprendra : le contrôle judiciaire aurait été possible si le dossier avait soulevé des questions de droits et libertés. C’était le cas dans l’affaire Abdelrazik [105] – à savoir, l’article 6 de la Charte canadienne – où la Cour fédérale a ordonné aux autorités fédérales canadiennes d’aider un ressortissant canadien pris à l’étranger sans passeport.
À vrai dire, l’absence de justiciabilité dans une affaire est régulièrement soulevée en cour, mais rarement retenue dans les jugements, comme l’illustre bien la décision de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur la sécession du Québec [106]. Sous la rubrique « justiciabilité », trois arguments étaient avancés, dont celui que les questions soulevées, en lien avec la sécession et l’auto détermination des peuples, étaient de nature politique et ne pouvaient donc être considérées dans une instance judiciaire. La Cour a identifié deux situations où elle refuserait de répondre à une question dans un renvoi pour cause de non- justiciabilité : « (i) en répondant à la question, la Cour outrepasserait ce qu’elle estime être le rôle qui lui revient dans le cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement, ou (ii) la Cour ne pourrait pas donner une réponse relevant de son champ d’expertise : l’interprétation du droit ». Aucun des deux cas ne correspondait à l’espèce. Très récemment [107], la Cour fédérale du Canada s’est penchée sur cette possible limite à la révision judiciaire dans un dossier de droit autochtone, soulevant à la fois des aspects de prérogative en matière d’affaires étrangères et de devoir de la Couronne de consulter les premières nations. Voici comment l’on résume la problématique de la justiciabilité, non seulement en termes de la nature politique d’un dossier, mais aussi eu égard au principe de la séparation des pouvoirs [108] :
« In rare cases, however, exercises of executive power are suffused with ideological, political, cultural, social, moral and historical concerns of a sort not at all amenable to the judicial process or suitable for judicial analysis. In those rare cases, assessing whether the executive has acted within a range of acceptability and defensibility is beyond the courts’ ken or capability, taking courts beyond their proper role within the separation of powers. For example, it is hard to conceive of a court reviewing in wartime a general’s strategic decision to deploy military forces in a particular way […] [109]. »
En bout de ligne, la Cour fédérale fut d’avis que les enjeux soulevaient des questions de droit qui sont clairement du ressort des tribunaux dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 La prochaine question, relativement à l’adéquation et l’efficacité des mécanismes de contrôle de constitutionnalité, concerne essentiellement le domaine des redressements judiciaires, ce qu’on appelle aussi les « recours » (en anglais « remedies »). Les règles et principes en la matière se sont surtout développés, quoique pas exclusivement 111[110], autour de la Charte canadienne des droits et libertés. L’arrêt de principe en ce qui concerne les mesures correctives constitutionnelles, rendu en 1992 par la Cour suprême du Canada, est Schachter c. Canada [111], dont l’essence se résume ainsi :
Une fois l’incompatibilité précisée, l’étape suivante consiste à déterminer quelle est la mesure corrective appropriée. Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a signalé que, tout dépendant des circonstances, un tribunal peut choisir entre plusieurs mesures correctives lorsqu’il conclut à l’existence d’une violation de la Charte non justifiée en vertu de l’article premier. Il peut notamment annuler la loi, retrancher les dispositions fautives, ordonner l’annulation ou la dissociation assortie d’une suspension temporaire de la déclaration d’invalidité, recourir à l’interprétation atténuée ou inclure des dispositions par interprétation large [112].
Plusieurs options s’offrent donc au tribunal en cas de violation d’un droit constitutionnel, en vertu des effets combinés des articles 24 et 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la question devenant de savoir quelle est la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. Il s’agira de « celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur » [113], c’est-à-dire qu’il doit exister un lien suffisant entre la violation et le redressement demandé. En outre, la mesure corrective doit « fai[re] appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle » [114]. Elle doit par ailleurs défendre « le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal » [115]. Enfin, de l’autre côté, une réparation convenable et juste sera « équitable pour la partie visée par l’ordonnance » [116]. S’agissant du contrôle de la constitutionnalité du pouvoir relatif aux affaires étrangères fondé sur les prérogatives royales, nous avons une illustration de cet exercice de pondération de ces différents facteurs dans la deuxième cause Khadr [117] en 2010. La Cour suprême a conclu que la réparation appropriée était le jugement déclaratoire d’inconstitutionnalité [118], une mesure qui ne forçait pas la main du gouvernement fédéral pour demander le rapatriement du ressortissant canadien détenu à Guantanamo, Cuba.

En ce qui concerne les méthodes d’interprétation en droit constitutionnel, il fut une époque où l’approche était considérée foncièrement différente de celle applicable pour les simples lois, en interprétation législative. On se souviendra, par exemple, de la première occasion que la Cour suprême du Canada a eue pour établir les jalons interprétatifs de la Charte canadienne des droits et libertés, dans l’arrêt Hunter c. Southam [119], et du passage célèbre des motifs du juge Dickson, qui suggérait sans détour :
« L’interprétation d’une Constitution est tout à fait différente de l’interprétation d’une loi [120]. » Toutefois, c’était avant (au début, en fait) de la période de transition, s’agissant de l’interprétation des lois au pays [121], qui a vu l’approche fort restrictive de la règle de l’interprétation littérale (ou « plain meaning rule ») laisser place à une méthodologie d’interprétation beaucoup plus intentionnaliste [122], c’est-à-dire fondée sur l’idée-structure de l’intention du législateur et inspirée de la doctrine d’Elmer Driedger et son « modern principle » [123]. De nos jours [124], plusieurs soutiennent que l’interprétation constitutionnelle et l’interprétation des simples lois ont grandement convergé depuis 30 ans [125] et, en réalité, répondent à des logiques et suivent des raisonnements en beaucoup de points semblables, voire pareils [126].
Ceci étant, il existe certes des particularités en interprétation constitutionnelle, y compris pour ce qui est du contrôle de constitutionnalité. La première est typiquement canadienne et prend fermement position en faveur d’une interprétation dynamique (ou évolutive) de la constitution, par opposition à une interprétation statique ou, suivant la terminologie américaine, originaliste [127]. C’est à l’aide d’une métaphore, depuis devenue célèbre, que ce principe d’interprétation constitutionnelle est habituellement exprimé : la métaphore de l’arbre vivant (en anglais « living tree »). Elle vient d’une affaire du temps où le Comité judiciaire du Conseil privé, en Grande-Bretagne, était le tribunal de dernier ressort au pays : le pourvoi Edwards c. Canada [128]. On a comparé l’Acte d’Amérique du nord britannique (renommé la Loi constitutionnelle de 1867) à un arbre vivant pouvant croître et se développer à l’intérieur de ses limites naturelles. Suite au rapatriement de la Constitution en 1982, la Cour suprême du Canada a immédiatement élargi la portée de ce principe interprétatif à la Charte canadienne des droits et libertés [129], ajoutant dans une autre cause (paraphrasant la doctrine [130]) que les tribunaux ne doivent « pas interpréter les dispositions de la Constitution comme un testament de peur qu’elle ne le devienne » [131]. Assez récemment, dans un litige important relativement aux partages des compétences législatives entre le fédéral et les provinces, le Renvoi sur les valeurs mobilières [132], la Cour suprême a renouvelé sa profession de foi : « Cette métaphore perdure et constitue l’approche préférée en matière d’interprétation constitutionnelle, puisqu’elle garantit “que le pacte confédératif [peut] répondre aux réalités nouvelles « [133]» [134].

(Montréal : Éditions Thémis, 2009), p. 54 : « Le droit relatif à l’interprétation des lois au Canada aura donc connu, ces quatre dernières décennies, plus de transformations qu’au cours de tout le siècle précédent ».

 Il ne faudrait pas croire, toutefois, que cette métaphore de l’arbre vivant donnera « pour autant carte blanche » [135] au pouvoir judiciaire en ce qui concerne l’interprétation constitutionnelle, pour inventer des choses « sans rapport avec l’objectif original de la disposition en litige » [136]. Comme la Cour suprême a pris le soin de l’expliquer, assez tôt dans sa jurisprudence sur la Charte canadienne des droits et libertés, l’interprétation « de tout document constitutionnel [doit demeurer] circonscrite par la formulation, la structure et l’historique du texte constitutionnel, par la tradition constitutionnelle et par l’histoire, les traditions et les philosophies inhérentes de notre société » [137]. Pour ce qui est d’autres éléments de la méthodologie d’interprétation en matière constitutionnelle – par exemple, le principe d’interprétation large et libérale, la méthode d’interprétation téléologique, et l’argument pragmatique (lié à la présomption de constitutionnalité) – ils ne sont pas, de nos jours, le propre d’une application particulière au domaine constitutionnel. Ces règles et principes s’appliquent de façon générale au vaste champ de l’interprétation législative, que ces normes de droit écrit viennent de simples lois ou de textes constitutionnels.
L’évolution des pouvoirs jurisprudentiels des tribunaux au Canada, précisément quant au respect de la constitution, doit être considérée en lien avec une autre métaphore, qui elle se rapporte à la relation institutionnelle entre les branches législative et judiciaire de l’État. Il s’agit de la métaphore du dialogue en droit constitutionnel canadien [138], une théorie applicable en matière de Charte canadienne des droits et libertés. Développée en doctrine [139], cette métaphore a rapidement été entérinée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vriend [140], la majorité expliquant :
[L]a Charte a suscité une interaction plus dynamique entre les organes du Gouvernement, que d’aucuns ont qualifiée, à juste titre, de « dialogue » (voir par exemple Hogg et Bushell, loc. cit.). En examinant la validité constitutionnelle de textes de loi ou de décisions de l’exécutif, les tribunaux parlent au législatif et à l’exécutif. Comme il en a été fait mention, la plupart des dispositions législatives qui n’ont pas résisté à un examen constitutionnel ont été suivies de nouvelles dispositions visant des objectifs similaires (voir Hogg et Bushell, loc. cit., à la p. 82). Le législateur, de cette façon, répond aux tribunaux, d’où l’analogie du dialogue entre les différents organes du Gouvernement [141].
On ajoute que ce processus réflexif est précieux « parce qu’ils obligent en quelque sorte les divers organes du gouvernement à se rendre mutuellement des comptes » [142]. En effet, ces va-et-vient entre les branches législative et judiciaire de l’État, ajoute la majorité de la Cour dans Vriend, « loin de nuire au processus démocratique, l’enrichissent » [143].

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

Nous avons déjà vu qu’au Canada, suivant la tradition anglo-saxonne de common law en droit public, en lien avec le paradigme dit « westphalien » et son idée-structure de la souveraineté des États, il convient d’aborder ces questions en termes d’interaction du droit international avec le droit interne. À vrai dire, au point de vue conceptuel, les deux réalités juridiques sont séparées et distinctes : le droit international n’est pas contraignant en droit interne au pays, pas plus que le droit étranger (e.g. droit japonais) ne l’est [144]. Les tribunaux au Canada interprètent et appliquent le droit interne (fédéral, provincial) et, de fait, peuvent se référer à la normativité internationale dans le cadre de l’exercice de cette mission juridictionnelle nationale [145]. Bref, le droit international qua droit international ne fait pas partie ipso facto du droit interne au Canada [146]. Dans l’hypothèse d’un conflit entre une norme émanant de l’international et une norme de droit interne, c’est la loi de mise en œuvre du traité international, par exemple, qui fera l’objet de l’évaluation par rapport à l’autre loi incompatible. La Cour suprême du Canada s’est prêtée précisément à ce type d’exercice dans la récente affaire Thibodeau c. Air Canada [147], où ce n’est pas la norme de la Convention de Montréal [148] (principe de l’exclusivité des recours), comme telle, qui a été considérée dans la discussion sur l’existence d’un conflit avec les recours en vertu de la Loi sur les langues officielles [149] ; plutôt, c’est la législation de mise en œuvre dudit traité international – c’est à-dire la Loi sur le transport aérien [150] – au sujet de laquelle on a décidé qu’il n’y avait pas contradiction, mais plutôt chevauchement entre les normes de droit interne [151].
À la question de savoir si la Constitution au Canada prime sur les normes de droit international, la réponse est oui, absolument, puisque celle-ci se situe au plus haut de la hiérarchie des sources normatives à l’intérieur de la sphère juridique séparée et distincte du droit interne du pays. Cette appréhension relationnelle des deux réalités juridiques est fort significative puisque, en cas de conflit, c’est très clairement la norme de droit interne qui va primer, dans une instance judiciaire par exemple [152]. Une illustration vient de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Suresh [153], où il fallait décider si les autorités fédérales pouvaient refouler un individu vers un pays où il risque d’être torturé. Le débat portait sur la portée des « principes de justice fondamentale » prévus à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans le cadre de son interprétation, les juges ont beaucoup fait référence au droit international des droits humains, précisément le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la Convention relative aux droits des réfugiés. L’examen de cette normativité a amené la Cour à conclure que le droit international prohibe, et ce de façon absolue, l’expulsion d’une personne s’il y a un risque sérieux de torture. Cependant, s’agissant de son interprétation de l’article 7 de la Charte canadienne – pour laquelle il y a eu référence à ces instruments internationaux – la conclusion fut différente, la norme canadienne étant non absolue, en fait : « dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture [peut] être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis à l’article 7 de la Charte soit au regard de l’article premier de celle-ci » [154]. Clairement, dans l’arrêt Suresh, les normes à l’international et en droit constitutionnel au pays ne prévoyaient pas la même chose : une, la prohibition absolue ; l’autre, non absolue. Face à cette opposition, la Cour suprême du Canada a donné préséance à cette dernière, confirmant non seulement qu’elle ne se sent pas liée par la normativité internationale, mais aussi que le droit constitutionnel interne sera favorisé en cas de conflit.
Un autre exemple intéressant de la hiérarchisation supérieure du droit interne – et non seulement constitutionnel – par rapport au droit international, découle de la décision récente dans Kazemi [155]. Au cœur du débat, la Loi sur l’immunité des États [156], pour savoir s’il s’existe une nouvelle exception à l’immunité juridictionnelle ouvrant la voie à une poursuite dans un dossier contre l’Iran. Dans une perspective d’interlégalité, la Cour suprême a refusé de considérer le droit international comme venant dicter – à contresens de la jurisprudence interne – le contenu de la législation applicable. On dit que la Loi sur l’immunité des États « codifie de manière exhaustive le droit canadien concernant la question de l’immunité des États à l’encontre de poursuites civiles » [157]. On explique que cette législation est par ailleurs péremptoire : « En conséquence, il n’est pas nécessaire de se fonder sur la common law, les normes de jus cogens ou le droit international – et il ne saurait en être ainsi – pour créer des exceptions additionnelles à l’immunité accordée aux États étrangers » [158]. Il s’agit des théories dites « dualistes » et « moniste » 161[159] qui, on le sait, ne devraient pas être vues comme des modèles omniscients rationalisant de façon exhaustive la problématique en présence. Assez récemment, la jurisprudence du Canada a confirmé la pertinence des deux thèses, qui s’appliqueraient selon laquelle des sources de normativité internationale on veut recourir 162[160]. Pour résumer à l’essentiel, la logique moniste (ou doctrine de l’adoption) est suivie pour la coutume, tandis que la logique dualiste (ou doctrine de l’incorporation) est celle applicable pour les conventions internationales 164[161]. S’agissant de la première source, la Cour suprême écrivait ceci, dans l’affaire Hape en 2007 : « conformément à la tradition de la common law, il appert que la doctrine de l’adoption s’applique au Canada et que les règles prohibitives du droit international coutumier devraient être incorporées au droit interne sauf disposition législative contraire » 165[162]. On remarque, in fine, que la préséance du droit interne est réaffirmée, même si on parle d’application automatique de la coutume.
En ce qui concerne l’autre principale source de normativité internationale, l’arrêt Baker en 1999 a réaffirmé, dans un premier temps, le dualisme : « Les conventions et les traités internationaux ne font pas partie du droit canadien à moins d’être applicables par la loi » 166[163]. Il faut souligner, par ailleurs, comment la majorité de la Cour suprême ne s’en est pas tenue à l’orthodoxie et a ajouté que, même en l’absence de transformation formelle en vertu d’une législation : « Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire » [164]. Le dualisme au Canada n’est donc plus d’application stricte, c’est le moins qu’on puisse dire [165]. Ultimement, la majorité de la Cour a utilisé une norme internationale issue d’un traité, celle du meilleur intérêt de l’enfant, et ce, même si la Convention relative aux droits de l’enfant n’a pas fait l’objet de législation de mise en œuvre au Canada [166].

2. Influences sur le constituant

Sans surprise, il n’existe aucune filiation internationale à la Loi constitutionnelle de 1867, le premier des deux principaux textes de droit constitutionnel écrit au Canada. Il en est bien autrement pour la Loi constitutionnelle de 1982, plus particulièrement pour ce qui est de la Charte canadienne des droits et libertés [167]. Il est amplement documenté que les rédacteurs de celle-ci, au début des années 1980, se sont grandement inspirés des instruments internationaux de protection juridique des droits humains, auxquels le pays fait partie (p. ex. Déclaration universelle des droits de l’homme, Pacte international des droits civils et politiques), ainsi que d’autres ayant fait œuvre de figures de proue dans le domaine (p. ex. Convention européenne des droits de l’homme) [168].

Il est clair, toutefois, que la Charte canadienne ne constitue pas une législation de mise en œuvre, pour les besoins du droit interne, des obligations internationales du pays en la matière [169].
L’énoncé de principe concernant le rôle du droit international des droits humains en ce qui a trait à la Charte canadienne vient des motifs du juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act [170]. En insistant sur le fait que la normativité internationale est une source pertinente et persuasive d’interprétation pour celle-ci, il rejette l’idée d’un lien réel de filiation entre les deux régimes juridiques :
Je crois qu’il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu’offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne.
En somme, bien que je ne croie pas que les juges soient liés par les normes du droit international quand ils interprètent la Charte, il reste que ces normes constituent une source pertinente et persuasive d’interprétation des dispositions de cette dernière, plus particulièrement lorsqu’elles découlent des obligations internationales contractées par le Canada sous le régime des conventions sur les droits de la personne [171].
Comme le soulignait Michel Bastarache (hors de ses fonctions judiciaires), certes, le rejet de la thèse voulant que la Charte canadienne ait incorporé implicitement les obligations internationales du pays a été fait dans le cadre de motifs dissidents, mais ils représentent l’état du droit en la matière [172]. À vrai dire, quelques années après sa dissidence, le juge en chef Dickson a eu l’occasion de se référer à cet extrait dans l’arrêt Slaight [173] et, en fait, d’entériner dans ses motifs majoritaires l’idée voulant que le droit international constitue des éléments pertinents et persuasifs afin d’interpréter les droits et libertés dans la Charte canadienne ; des propos semblables ont été exprimés par le juge en chef Dickson en lien avec la clause limitative de l’article premier de la Charte, dans l’arrêt Keegstra [174].

Il y a plusieurs autres exemples depuis, à la Cour suprême du Canada, où le droit international des droits humains a été utilisé comme une source pertinente et persuasive d’interprétation, soit pour aider à interpréter les droits et libertés de la Charte, soit pour décider de la raisonnabilité de leur limite sous l’article 1 [175]. Une illustration récente vient de l’affaire Divito [176], en 2013, où la Cour suprême du Canada a été appelée à examiner la Loi sur le transfèrement international des délinquants [177] au regard du droit d’un citoyen canadien d’entrer au pays et d’y demeurer, prévu à l’article 6(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans l’opinion majoritaire, la juge Abella fait référence aux propos célèbres du juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act [178], avant de recourir à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont « le § 6(1) de la Charte s’inspire, en droit international » [179], tel qu’interprété en outre par le Comité des droits de l’homme de l’ONU [180].

3. Compétence de la cour

Compte tenu de ce qui a été vu jusqu’à maintenant – sphères juridiques séparées et distinctes, théories moniste et dualiste, source pertinente et persuasive d’interprétation :
– la réception du droit international au Canada et, éventuellement, son application réelle en droit interne doivent souvent passer par l’activité judiciaire. Les tribunaux du pays devront ainsi voir à l’opérationnalisation de la normativité internationale, ce qui se fera suivant les règles et principes propres à la méthodologie de l’interprétation juridique, y compris ceux relevant de l’interprétation législative [181]. Essentiellement, au Canada, le droit international peut s’avérer une source « pertinente et persuasive » d’interprétation de l’une de deux façons : (i) l’argument d’interprétation contextuel, et (ii) la présomption de conformité au droit international 1[182]. Notre étude permettra ainsi d’aborder à la fois la question de l’application par les tribunaux de la normativité internationale et celle de la conformité des lois au droit international.
L’affaire Baker 186[183], que nous avons déjà examinée, illustre bien le recours au droit international par l’entremise de l’argument de contexte [184]. Après avoir statué que les valeurs sous-jacentes aux normes internationales du traité non transformé peuvent être prises en considération, le juge L’Heureux-Dubé (pour la majorité) se réfère à la doctrine et explique que c’est en tant qu’élément de contexte d’adoption et d’application d’une loi que la norme du meilleur intérêt de l’enfant est utile en l’espèce [185]. L’arrêt Suresh [186] est un autre exemple où le droit international a été considéré par le biais de l’argument de contexte, ici pour aider à interpréter les « principes de justice fondamentale » à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [187]. L’opérationnalisation de la normativité internationale au moyen de cet argument interprétatif fut également favorisée dans l’arrêt Mugesera [188], en 2005, concernant les dispositions du Code criminel canadien [189] relatives à l’incitation au meurtre, au génocide et à la haine, ainsi que les crimes contre l’humanité. Récemment, dans l’affaire Amaratunga [190], la Cour suprême du Canada a fait référence au droit international relativement à l’accès à la justice et au droit à une audition équitable pour aider à interpréter, suivant le « principe moderne » et son « contexte global » [191], la norme de droit interne prévue par le Décret sur l’immunité de l’OPANO [192] 

L’autre technique d’opérationnalisation du droit international en droit interne au Canada fait appel à une présomption d’intention, donc essentiellement un argument de type pragmatique en interprétation législative [193]. La présomption de conformité au droit international – appelée aux États-Unis « Charming Betsy rule » [194] – amène les tribunaux à interpréter le droit interne, y compris le droit écrit législatif, dans le même sens que les obligations internationales du Canada, qu’elles soient de source internationale coutumière ou conventionnelle. Hérité du droit public de la Grande-Bretagne [195], cet argument a été résumé ainsi par la Cour suprême du Canada :
Bien que le droit international ne lie pas le Parlement ni les législatures provinciales, le tribunal doit présumer que la législation est conçue de manière qu’elle respecte les obligations qui incombent au Canada en vertu des instruments internationaux et en sa qualité de membre de la communauté internationale. En choisissant parmi les interprétations possibles celle qu’il doit donner à la loi, le tribunal doit éviter les interprétations qui entraîneraient la violation par le Canada de telles obligations [196]
Précision importante : étant une simple présomption d’intention, le droit international ne sera pas considéré pertinent en interprétation législative si le texte de loi est clair [197]. Il s’agit d’une facette qui avait été soulignée par le juge Pigeon dans Daniels c. White 201, une des premières affaires au pays faisant référence à la présomption de conformité au droit international.

En 2004, dans l’affaire de « la fessée », Canadian Foundation for Children [198], les motifs majoritaires de la Cour suprême font référence au fait que : « Les lois doivent être interprétées d’une manière conforme aux obligations internationales du Canada » [199] Ce même argument d’interprétation a été invoqué dans Hape [200], en lien avec une disposition de la Charte canadienne des droits et libertés et par rapport à une norme coutumière de droit international [201]. Plus récemment, dans l’affaire Németh [202], on invoquait l’argument pour interpréter le principe de non-refoulement en contexte d’extradition. Après avoir souligné à grands traits qu’il s’agit d’une présomption « réfutable » [203], le juge Cromwell n’est pas allé dans le sens de la norme internationale en matière de réfugié, puisque la loi interne – l’article 115 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [204] – « ne vise pas le renvoi par extradition » et, par conséquent, « il faut […] donner effet au sens clair de cette disposition » [205].
Encore l’an dernier, dans l’affaire Kazemi [206] (dont il a été question plus haut), la majorité de la Cour suprême Canada a refusé de faire droit à l’argument de conformité au droit international :
L’état actuel du droit international sur les réparations destinées aux victimes de torture ne modifie pas la loi et ne la rend pas ambiguë. On ne saurait utiliser le droit international pour étayer une interprétation à laquelle fait obstacle le texte de la loi. De même, la présomption de conformité ne permet pas d’écarter l’intention claire du législateur (voir S. Beaulac, « “Texture ouverte”, droit international et interprétation de la Charte canadienne », dans E. Mendes et S. Beaulac, dir., Charte canadienne des droits et libertés (5e éd. 2013), p. 231-235). De fait, la présomption voulant que la loi respecte le droit international ne demeure que cela – une simple présomption. Or, selon la Cour, celle-ci peut être réfutée par les termes clairs de la loi en cause […] [207]

 Bref, dans cet arrêt, la Loi sur l’immunité des États 212[208] a été interprétée sans avoir recours au droit international coutumier, puisque cette législation était sans équivoque et, partant, ne donnait pas ouverture à un raisonnement interprétatif de type présomptif.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Nous avons vu déjà comment et pourquoi toutes situations de conflits normatifs entre, d’une part, le droit international et, d’autre part, le droit de nature constitutionnelle, voire même le simple droit écrit législatif, seront tranchées en faveur de ces derniers. La présomption de conformité au droit international, que nous venons tout juste de voir, va dans le même sens, puisque les tribunaux donneront toujours préséance à la disposition législative de droit interne si elle est claire et sans ambiguïté, rejetant par le fait même la possibilité d’une influence du droit international en interprétation juridique. En outre, il n’y aurait pas de raison de principe pour limiter ces raisonnements au seul champ de la protection juridique des droits humains. Enfin, ajoutons que les tribunaux au Canada semblent s’efforcer de limiter les cas de conflits normatifs entre les sphères juridiques internationales et internes ; il s’agit, après tout, de la raison d’être même de la deuxième technique d’opérationnalisation discutée qu’est la présomption de conformité au droit international : éviter de placer le pays en violation de ses obligations internationales, autant que faire se peut. Ceci étant, l’arrêt Kazemi 213[209] vient juste de confirmer qu’il n’est pas possible de faire l’économie de ces possibles conflits interlégaux dans tous les cas.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

La Cour suprême du Canada tient compte régulièrement des instruments de droit international, et ce, expressément dans ses jugements, nous l’avons vu déjà. Il peut être intéressant de remarquer, par ailleurs, que suivant l’approche du recours à la normativité internationale comme source « pertinente et persuasive » d’interprétation, s’agissant de la Charte canadienne des droits et libertés, on ne fait pas de distinction de principe entre les différents types de droit [210]. Autrement dit, les tribunaux semblent s’intéresser peu, ou pas du tout en fait, qu’on soit en présence de droit dur liant le Canada à l’international ou de droit mou (« soft law ») ou autre source internationale non contraignante pour le pays [211]. Par exemple, les tribunaux utilisent régulièrement la Convention européenne des droits de l’homme [212] et même la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, sans se soucier qu’il s’agit d’un régime international dont le Canada ne fait pas partie (et ne peut faire partie) [213]. Les motifs majoritaires de la juge en chef McLachlin dans l’affaire Canadian Foundation for Children [214] en donne une belle illustration : non seulement y a-t-on fait référence à la Convention relative aux droits de l’enfant et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais on a aussi considéré utile la décision de la Cour européenne dans l’affaire A. c. RoyaumeUni [215], rendue en 1998.
À vrai dire, on a déjà estimé qu’environ 85 % des références au droit international des droits humains faites à la Cour suprême empruntaient de la Convention européenne et de la jurisprudence de sa Cour [216], au sujet du « phénomène du couloir de la mort » a été cité à plusieurs reprises par notre Cour 222[217], mais aussi à la Cour suprême des États-Unis 223[218], à la Cour suprême du Zimbabwe [219], à la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud [220] et à la Haute cour de Tanzanie [221]. Ajoutons que les références à l’expérience européenne à la Cour suprême du Canada ne se limitent pas au domaine des droits de la personne, comme en fait foi l’affaire Société canadienne des auteurs [222] de 2004. Pour aider à l’interprétation de la Loi sur le droit d’auteur [223], on a fait référence au Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur [224] – auquel le Canada n’est pas partie, mais dont il est seulement signataire – mais aussi au fait que l’Union européenne a adopté, en 2000, une directive sur le commerce électronique [225]
Enfin, s’agissant du droit mou (communément appelé « soft law »), on constate au Canada que c’est le domaine des relations de travail auquel notre Cour suprême s’est souvent référée pour aider à interpréter la Charte canadienne, précisément l’article 2(d) concernant la liberté d’association. Par exemple, dans l’arrêt Delisle [226], la question était de savoir si l’exclusion des membres de la GRC (police fédérale) des employés pouvant se syndiquer violait les garanties constitutionnelles des travailleurs ; en dissidence, on a fait référence à plusieurs instruments internationaux – Déclaration universelle des droits de l’homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques – sans égard à leur nature, et en outre à une convention adoptée par l’Organisation internationale du travail [227], en plus du document de clôture de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe [228], clairement un instrument de « soft law » [229]. Un exercice semblable a été effectué par la Cour dans Dunmore [230], relativement aussi à la liberté d’association prévue par la Charte canadienne. Mentionnons finalement que le domaine du droit pénal international, avec le Statut de Rome, mais également les tribunaux ad hoc (ex-Yougoslavie et Rwanda) et leur jurisprudence en ce qui concerne les crimes de guerre et contre l’humanité [231], s’avère une importante source « pertinente et persuasive » d’interprétation à la Cour suprême. Il n’y a eu aucune hésitation à faire référence à ces aspects de droit mou, comme par exemple en 2005 dans l’affaire Mugesera [232], ou encore très récemment dans Ezokola [233] en 2013. 

Cour constitutionnelle des Comores

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Aucune disposition de la Constitution ne détermine son rang ; cependant, elle dispose que les lois organiques et le règlement intérieur de l’Assemblée de l’Union sont soumises à un contrôle a priori de leur conformité à la Constitution.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Non.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Certaines dispositions de la Constitution renvoient à des lois organiques qui la complètent, notamment celles relatives à l’organisation judiciaire, organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, aux conditions d’éligibilité du président de l’Union et aux membres de l’Assemblée de l’Union.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

La Constitution précise expressément que « ce préambule fait partie intégrante de la Constitution ».

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Oui, dès lors que la Constitution précise que les traités et conventions régulièrement ratifiés ont une valeur supérieure à la loi nationale.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Aucune limite, sous réserve que l’intégration ne porte pas atteinte aux principes arrêtés par la Constitution.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Souvent modifiée, mais rarement en réaction d’une décision de la Cour constitutionnelle. Cependant, la dernière révision constitutionnelle (2014) a été une réaction par rapport à une décision de la Cour constitutionnelle, indiquant que « les pouvoirs de l’Assemblée expirent à l’ouverture de la session d’avril 2014 » ; la révision a eu pour effet de proroger le mandat de ladite Assemblée jusqu’en décembre 2014.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Si les traités sont contraires à la Constitution, celle-ci doit être modifiée avant leur ratification.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Les autorités judiciaires et exécutives dans la mesure où leurs actes et actions participent au respect de la Constitution et de sa suprématie.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

La Constitution dispose expressément que les décisions de la Cour constitutionnelles sont sans recours et s’imposent à toutes les autorités, y compris judiciaires.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Le bloc de constitutionnalité tel qu’il découle de la jurisprudence de la Cour, intègre les dispositions de la Constitution, ainsi que l’ensemble des traités et conventions régulièrement ratifiés par l’Assemblée.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Oui, notamment les traités et conventions ratifiés.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Outre les matières relevant de la compétence de juridictions judiciaires, les lois ordinaires échappent au contrôle de constitutionnalité, sauf dans deux cas : d’une part, lorsqu’elles sont attaquées devant la Cour dans les trente jours qui suivent leur promulgation et, d’autre part, lorsqu’elles font l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée devant une juridiction.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Le mécanisme est perfectible et une loi organique viendra préciser et compléter les procédures.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Le contrôle de constitutionnalité se renforce timidement car n’intervient qu’en cas de saisine. Mais à l’occasion d’une saisine, la Cour peut examiner la constitutionnalité de la norme attaquée, même si le recours n’est pas directement lié à un contrôle a priori ou a posteriori de la loi.
À titre d’exemple, un requérant saisit la Cour, en matière électorale, pour faire constater que certaines dispositions de la loi électorale auront une application rétroactive, s’agissant des conditions d’éligibilité.
La Cour a constaté que s’agissant des droits politiques et civiques, la loi électorale ne doit pas avoir d’application rétroactive, privatrice de droit, notamment de droit d’éligibilité.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Il est acquis depuis une dizaine d’années, que les pouvoirs jurisprudentiels sont accrus et participent au respect de la Constitution.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Pour l’heure, aucune contradiction de jurisprudence ; celle-ci demeure constante.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie sur la constitution

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Non, car ces normes sont intégrées dans le bloc de constitutionnalité, chaque fois qu’elles ont été ratifiées.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Oui.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Conception moniste. Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

À l’occasion d’un recours contre une loi à caractère religieux, la Cour a fait prévaloir les dispositions de la déclaration universelle des droits de l’homme, de la Charte des Nations unies et de celle de l’Union africaine pour sanctionner certaines dispositions de la loi incriminée.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

L’élaboration de la Constitution comme sa révision observent les normes internationales en ce que les chartes des Nations unies, de l’Union africaine, le Pacte de la Ligue des États arabes, la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que les conventions internationales notamment celles relatives aux droits de l’enfant et de la femme.
Ces normes font parties intégrante de la Constitution.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Droits humains, droits fondamentaux, droits civiques et politiques, droits de l’enfant, de la femme.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Oui.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Sur les questions relatives aux droits de l’homme, libertés publiques, la Cour applique, sans réserve, les instruments internationaux ratifiés par l’État comorien sur le fondement qu’ils relèvent du bloc de constitutionnalité des lois.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Idem.

4. Situations de  conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Ces conflits sont résolus, a priori, par la Constitution au moment de son élaboration dans la mesure où la Constitution précise que les traités et conventions régulièrement ratifiés ont « une autorité supérieure à celle de la loi » nationale.
En outre, lorsque le traité ou la convention comporte des dispositions contraires à la Constitution, celle-ci doit être révisée avant la ratification desdites dispositions.
Dans ces conditions, ces conflits ne se posent plus et, dans le cas échéant, la suprématie de la norme internationale sur le droit interne, le droit international l’emporte.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

La Cour constitutionnelle fait toujours prévaloir le droit international dans la résolution de conflit du droit international et du droit interne.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

La prévention de ces conflits par la Cour se fait à travers le contrôle a priori de constitutionnalité des lois organiques qui permet au juge constitutionnel de sanctionner les dispositions susceptibles de créer des conflits en se fondant sur la primauté du droit international sur le droit interne.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Les situations difficiles concernent la conciliation du droit international et les prescriptions d’ordre religieux. Dans ces situations, la Cour privilégie le droit international, précisément en ce qui concerne les droits fondamentaux.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Elle s’y réfère expressément.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

La Cour a connu une affaire qui opposait les dispositions d’une loi interne à caractère religieux et la Déclaration universelle des droits de l’homme, notamment la liberté de conscience, de penser, de manifester et de s’exprimer librement.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

La Cour constitutionnelle s’inspire largement de solutions jurisprudentielles étrangères (juridiction nationale et juridiction internationale) chaque fois qu’elle l’estime utile pour trancher sur une affaire pendante.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ?

Oui.

Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ? L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.


  • [1]
    Centre national de ressources textuelles et lexicales, Trésor de la langue française : www.cnrtl. fr/definition/constitution (consulté le 4 avril 2015).  [Retour au contenu]
  • [2]
    Au sujet du rapatriement, en général, voir Jeremy Webber, The Constitution of Canada – A Contextual Analysis (Oxford & Portland, É.-U. : Hart Publishing, 2015), p. 42 et ss.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)].  [Retour au contenu]
  • [4]
    British North America Act, (1867) 30-31 Vict., ch. 3 (R.-U.).  [Retour au contenu]
  • [5]
    Sur l’aspect de droit international, voir en général, Stéphane Beaulac, Précis de droit international public – théorie, sources, interlégalité, sujets (Montréal : LexisNexis, 2012), particulièrement p. 360 et ss.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Convention sur les droits et devoirs des États (surnom. Convention de Montevideo), 26 décembre 1933, article premier.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Voir Peter C. Oliver, The Constitution of Independence : The Development of Constitutional Theory in Australia, Canada and New Zealand (Oxford : Oxford University Press, 2005).  [Retour au contenu]
  • [8]
    Statute of Westminster, (1931) 22 Geo. V., ch. 4.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Voir, en général, Michael Gordon, Parliamentary Sovereignty in the UK Constitution – Process, Politics and Democracy (Oxford & Portland, É.-U. : Hart Publishing, 2015) ; et Jeffrey Goldsworthy, Parliamentary Sovereignty – Contemporary Debates (Cambridge : Cambridge University Press, 2010).  [Retour au contenu]
  • [10]
    Voir, en général, Brian Z. Tamanaha, On the Rule of Law – History, Politics, Theory (Cambridge : Cambridge University Press, 2004) ; et Trevor R.S. Allan, « Legislative Supremacy and the Rule of Law : Democracy and Constitutionalism » (1985), 44 Cambridge Law Journal 111.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Voir, en général, Mélanie Samson, « L’interprétation en droit constitutionnel », dans Stéphane Beaulac & Jean-François Gaudreault-DesBiens (dir.), Droit constitutionnel – JurisClasseur Québec (série « droit public »), feuilles mobiles (Montréal : LexisNexis, 2011), fasc. 2.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Voir, en général, Liav Orgad, « The Preamble in Constitutional Interpretation » (2010) 8 International Journal of Constitutional Law 714. Très récemment, dans l’affaire Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, 15 avril 2015, la Cour suprême du Canada a abordé la question du rôle du préambule de la Charte canadienne des droits et libertés, qui prévoit : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent  [Retour au contenu]
  • [13]
    Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753  [Retour au contenu]
  • [14]
    Ibid., p. 877.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Maxime St-Hilaire & Laurence Bich-Carrière, « La constitution juridique et politique du Canada : notions, sources et principes », dans Stéphane Beaulac & Jean-François  [Retour au contenu]
  • [16]
    Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Ibid., para. 100. Voir aussi William R. Lederman, « Constitutional Procedure and the Reform of the Supreme Court of Canada » (1985), 26 Cahier de droit 195, p. 200.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Le théoricien austro-américain Hans Kelsen, figure de proue du positivisme juridique, a proposé une vision synthétique des sources de droit suivant une hiérarchique, c’est-à-dire l’image d’une pyramide au sommet de laquelle se trouve la constitution d’un État. Voir Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2e éd., Paris, Dalloz, 1962, trad. Charles Eisenmann.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Par exemple, récemment, la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire du registre des armes à feu : Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, 27 mars 2015.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Par exemple, récemment, la décision de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1 R.C.S. 704.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Voir aussi Graham Gee & Grégoire C.N. Webber, « What is a Political Constitution » (2010) 30 Oxford Journal of Legal Studies 273.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Voir Andrew Heard, Canadian Constitutional Conventions : The Marriage of Law and Politics (Oxford & Toronto : Oxford University Press, 1991), p. 1 : « As many areas of the constitution are structured by archaic or incomplete laws, the political arena has given birth to binding conventions and customary usages that not only direct political actors in these matters, but ultimately determine the full substance and character of the Canadian constitution ».  [Retour au contenu]
  • [23]
    Henri Brun & Guy Tremblay, Droit constitutionnel, 2e éd. (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 1990), p. 45.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Voir Albert Venn Dicey, « Introduction : The True Nature of Constitutional Law », dans Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10e éd. (Londres : Macmillan, 1959), p. 1.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Cette distinction, à l’intérieur du paradigme positiviste traditionnel, a récemment été mise en doute ; voir Léonid Sirota, « Towards a Jurisprudence of Constitutional Conventions » (2011) 11 Oxford University Commonwealth Law Journal 29.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Voir Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, supra note 13, p. 888 ; Renvoi : Opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 791, p. 815.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Voir Trevor R.S. Allan, « Law, Convention, Prerogative : Reflections Prompted by the Canadian Constitutional Case » (1986) 45 Cambridge Law Journal 305 ; et Fabien Gélinas, « Les conventions, le droit et la Constitution du Canada dans le renvoi sur la “sécession” du Québec : le fantôme du rapatriement » (1997) 57 Revue du Barreau 291.  [Retour au contenu]
  • [28]
    W. Ivor Jennings, The Law and the Constitution, 5e éd. (Londres : University of London Press, 1959), p. 136.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Voir Melissa Bonga, « La crise de la coalition : le choc de deux visions opposées de la démocratie canadienne » (2010) 33 Revue parlementaire canadienne 9.  [Retour au contenu]
  • [30]
    Voir Peter H. Russell & Lorne Sossin (dir.), Parliamentary Democracy in Crisis (Toronto : University of Toronto Press, 2009).  [Retour au contenu]
  • [31]
    Voir Warren J. Newman, « Of Dissolution, Prorogation, and Constitutional Law, Principle and Convention : Maintaining Fundamental Distinctions During a Parliamentary Crisis » (2009) 27 National Journal of Constitutional Law 217.  [Retour au contenu]
  • [32]
    Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 [ci-après « Renvoi »].  [Retour au contenu]
  • [33]
    Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, [2010] 3 R.C.S. 104, juges Deschamps et LeBel (minoritaires), para. 97.  [Retour au contenu]
  • [34]
    R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489, juge LeBel (minoritaire), para. 79.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Renvoi, supra note 32, para. 32.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, p. 752.  [Retour au contenu]
  • [37]
    Renvoi, supra note 32, para. 54.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, [2011] 3 R.C.S. 837, para. 61.  [Retour au contenu]
  • [40]
    Renvoi relatif à la réforme du Sénat, supra note 20, para. 25.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), supra note 19, para. 18-19 (majorité) et para. 145-146 (dissidence).  [Retour au contenu]
  • [42]
    Supra note 8.  [Retour au contenu]
  • [43]
    Voir Reference : Offshore Mineral Rights of British Columbia, [1967] R.C.S. 792, p. 816 ; et Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, supra note 13, p. 802-806.  [Retour au contenu]
  • [44]
    Voir Gérald-A. Beaudoin, coll. Pierre Thibault, La Constitution du Canada – Institutions, Partage des pouvoirs, Charte canadienne des droits et libertés (Montréal : Wilson & Lafleur, 2004), p. 757 et 764 ; et Ivan C. Rand, « Some Aspects of Canadian Constitutionalism » (1960) 38 Revue du Barreau canadien 135.  [Retour au contenu]
  • [45]
    A.G. Canada c. A.G. Ontario (surnom. Conventions du travail), [1937] A.C. 326 (C.P.).  [Retour au contenu]
  • [46]
    Voir Stéphane Beaulac & John H. Currie, « Canada », dans Dinah SHELTON (dir.), International Law and Domestic Legal Systems – Incorporation, Transformation, and Persuasion (Oxford & New York : Oxford University Press, 2011), 116, p. 117.  [Retour au contenu]
  • [47]
    Voir Norman A.M. MacKenzie, « Canada : The Treaty-Making Power » (1937) 18 British Yearbook of International Law 172 ; Frank R. Scott, « The Consequence of the Privy Council Decisions » (1937) 15 Revue du Barreau canadien 485 ; George J. Szablowski, « Creation and Implementation of Treaties in Canada » (1956) 34 Revue du Barreau canadien 28 ; Edward McWhinney, « Federal Constitutional Law and the Treaty-Making Power » (1957) 35 Revue du Barreau canadien 842 ; et Gerald L. Morris, « The Treaty Making Power : A Canadian Dilemma » (1967) 45 Revue du Barreau canadien 478.  [Retour au contenu]
  • [48]
    Voir, en général, Stéphane Beaulac, The Power of Language in the Making of International Law – The Word Sovereignty in Bodin and Vattel and the Myth of Westphalia (Leiden & Boston : Martinus Nijhoff, 2004).  [Retour au contenu]
  • [49]
    Giorgio Gaja, « Dualism – A Review », dans Janne Nijman & André Nollkaemper (dir.), New Perspectives on the Divide Between National and International Law (Oxford & New York : Oxford University Press, 2007), 52.  [Retour au contenu]
  • [50]
    Voir Stéphane Beaulac, « The Westphalian Model in Defining International Law : Challenging the Myth » (2004) 8 Australian Journal of Legal History 181.  [Retour au contenu]
  • [51]
    Voir, notamment, Gib van Ert, Using International Law in Canadian Courts, 2e éd. (Toronto : Irwin Law, 2008).  [Retour au contenu]
  • [52]
    Karen Knop, « Here and There : International Law in Domestic Courts », (2000) 32 New York University Journal of International Law and Policy 501, p. 504.  [Retour au contenu]
  • [53]
    Voir Stéphane Beaulac, « Interlégalité et réception du droit international en droit interne canadien et québécois », dans Stéphane Beaulac & Jean-François Gaudreault-DesBiens (dir.), Droit constitutionnel – Juris Classeur Québec (série « droit public »), feuilles mobiles (Montréal : LexisNexis, 2011), fasc. 23, para. 2.  [Retour au contenu]
  • [54]
    Voir Stéphane Beaulac, « Arrêtons de dire que les tribunaux au Canada sont “liés” par le droit international » (2004) 38 Revue juridique Thémis 359.  [Retour au contenu]
  • [55]
    Voir, à cet égard, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, p. 854.  [Retour au contenu]
  • [56]
    William F. O, Connor, Rapport du président du Sénat du Canada sur l’A.A.N.B. de 1867 (Ottawa : Imprimeur du Roi, 1939), p. 145-146  [Retour au contenu]
  • [57]
    C’est ce qui faisait dire à Dicey que les prérogatives royales sont des « résidus de pouvoir » en faveur du gouvernement ; voir Albert Venn Dicey, supra note 24, p. 424 : « [they are] nothing else than the residue of discretionary or arbitrary authority which at any given time is legally left in the hands of the Crown ».  [Retour au contenu]
  • [58]
    Voir Stéphane Beaulac, « The Myth of Jus Tractatus in La Belle Province : Quebec’s GérinLajoie Statement » (2012) 35 Dalhousie Law Journal 237, p. 249-254.  [Retour au contenu]
  • [59]
    Voir Jacques-Yvan Morin, « La personnalité internationale du Québec » (1984) 1 Revue québécoise de droit international 163 ; cette idée fut reprise dans une thèse de doctorat à l’Université de Montréal, publiée sous le titre suivant : Hugo Cyr, Canadian Federalism and Treaty Powers – Organic Constitutionalism at Work (Bruxelles : P.I.E. Peter Lang (Diversitas), 2009).  [Retour au contenu]
  • [60]
    Voir John H. Currie, Public International Law, 2e éd. (Toronto : Irwin Law, 2008), p. 240 ; voir aussi Jean-Yves Grenon, « De la conclusion des traités et de leur mise en œuvre au Canada » (1962) 40 Revue du Barreau canadien 151, p. 152-153.  [Retour au contenu]
  • [61]
    Au Comité judiciaire du Conseil privé, A.G. Canada c. A.G. Ontario (surnom. Conventions du travail), supra note 45, on a pris pour acquis que la Couronne fédérale avait compétence pour  [Retour au contenu]
  • [62]
    Voir Vilaysoun Loungnarath, « La participation des provinces canadiennes et en particulier du Québec à la négociation de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis » (1987) 4 Revue québécoise de droit international 9.  [Retour au contenu]
  • [63]
    Pour plus de détail, voir Benoît Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada (Scarborough : Carswell, 1996).  [Retour au contenu]
  • [64]
    Supra note 316.  [Retour au contenu]
  • [65]
    À cet égard, il faut rappeler les négociations constitutionnelles ambitieuses qui ont fait l’objet d’échecs majeurs : l’Accord du lac Meech, négocié en 1987 et avorté en 1990, ainsi que l’Accord de Charlottetown en 1992, rejeté dans le cadre d’un référendum pan-canadien : à cet égard, voir Gérald-A. Beaudoin, coll. Pierre Thibault, supra note 44, p. 310-313. Ajoutons que la rigidité de la constitution écrite au pays ne devrait pas occulter la flexibilité dont a fait montre les tribunaux en ce qui concerne la constitution non écrite, notamment en adoptant généralement une interprétation dynamique (par opposition à statique, voire originaliste) des textes constitutionnels ; il s’agit de la métaphore de « l’arbre vivant », qui sera examinée plus loin ; voir infra note 128-134 et le texte les accompagnant.  [Retour au contenu]
  • [66]
    Modification constitutionnelle de 1997 (Québec), TR/97-141.  [Retour au contenu]
  • [67]
    Marbury c. Madison, 5 U.S. (1Cranch) 137 (1803). Voir aussi Luc B. Tremblay, « Marbury v. Madison and Canadian Constitutionalism : Rhetoric and Practice » (2003) 37 Revue juridique Thémis 375.  [Retour au contenu]
  • [68]
    Voir Luc B. Tremblay, « La Loi sur le mariage civil et la clause dérogatoire » (2006) 85 Revue du Barreau canadien 87.  [Retour au contenu]
  • [69]
    Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698.  [Retour au contenu]
  • [70]
    Canada, Débats parlementaire, 38e législature, 1re session, Chambre des communes, l’honorable Irwin Cotler (28 juin 2005), 1005.  [Retour au contenu]
  • [71]
    Qui deviendra la Loi sur le mariage civil, 2005, ch. 33.  [Retour au contenu]
  • [72]
    La première décision de la Cour suprême du Canada : Canada (Justice) c. Khadr, [2008] 2 R.C.S. 143.  [Retour au contenu]
  • [73]
    Canada (Premier ministre) c. Khadr, [2010] 1 R.C.S. 44.  [Retour au contenu]
  • [74]
    Khadr c. Canada (Premier Ministre), [2010] R.C.F. 36 (C.F.).  [Retour au contenu]
  • [75]
    Voir Adam Dodek, « Lawyering at the Intersection of Public Law and Legal Ethics : Government Lawyers as Custodians of the Rule of Law » (2010) 33 Dalhousie Law Journal 1.  [Retour au contenu]
  • [76]
    Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, ch. J-2, art. 4.1, para. 1.  [Retour au contenu]
  • [77]
    Une obligation similaire est prévue sous le régime de la Déclaration canadienne des droits, L.C. 1969, ch. 44, en vertu de son art. 3.  [Retour au contenu]
  • [78]
    Loi sur le ministère de la Justice, supra note 76, art. 4.1, para. 1.  [Retour au contenu]
  • [79]
    Cela fait contraste avec d’autres juridictions de common law où il existe de telles obligations, par exemple en Nouvelle-Zélande ; voir Janet L. Hiebert, « Rights-Vetting in New Zealand and Canada : Similar Idea, Different Outcomes » (2005) 3 New Zealand Journal of Public and International Law 65.  [Retour au contenu]
  • [80]
    Voir Grant Huscroft, « Reconciling Dury and Discretion : The Attorney in the Carter Era » (2009) 34. Queen’s Law Journal 773, p. 793, note 57.  [Retour au contenu]
  • [81]
    Voir Mary Dawson, « The Impact of the Charter on the Public Policy Process and the Department of Justice » (1992) 30 Osgoode Hall Law Journal 595 ; et James B. Kelly, « Bureaucratic activism and the Charter of Rights and Freedoms : The Department of Justice and its Entry into the Centre of Government » (1999) 42 Canadian Public Administration 476..
    Une récente cause intentée par Edgar Schmidt [footnote]Edgar Schmidt c. Canada (Procureur général), Cour fédérale, dossier #T-2225-12, procédure déposée en décembre 2012  [Retour au contenu]
  • [82]
    Voir Cristin Schmitz, « Charter vetting challenge heading to Federal Court », The Lawyers Weekly, 30 janvier 2015, p. 5.  [Retour au contenu]
  • [83]
    Voir Jennifer Bond, « Failure to Report : The Manifestly Unconstitutional Nature of the Human Smugglers Act » (2014) 51 Osgoode Hall Law Journal 1.  [Retour au contenu]
  • [84]
    Ibid., p. 43-44.  [Retour au contenu]
  • [85]
    Voir, en général, Mathieu Devinat, La règle prétorienne en droit civil français et dans la common law canadienne : études de méthodologie juridique comparée (Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2005) ; et Debra Parkes, « Precedent Unbound ? Contemporary Approaches to Precedent in Canada » (2007) 32 Manitoba Law Journal 135.  [Retour au contenu]
  • [86]
    Voir, en particulier, Binus c. R., [1967] R.C.S. 594, p. 601 (juge Cartwright) : « I do not doubt the power of this Court to depart from a previous judgment of its own but, where the earlier decision has not been made per incuriam, and especially in cases in which Parliament or the Legislature is free to alter the law on the point decided, I think that such a departure should be made only for compelling reasons ». Voir aussi Gerald L. Gall, The Canadian Legal System, 5e éd. (Toronto : Thomson Carswell, 2004), p. 439-441.  [Retour au contenu]
  • [87]
    Depuis l’arrêt de principe, Stuart c. Bank of Montreal (1909), 41 S.C.R. 516, la règle veut que la Cour suprême soit liée par ses propres précédents, dans une logique horizontale.  [Retour au contenu]
  • [88]
    Clark c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] 2 R.C.S. 680, p. 704.  [Retour au contenu]
  • [89]
    R. c. Henry, [2005] 3 R.C.S. 609, para. 44. Voir aussi Mathieu Devinat, « The Trouble with Henry : Legal Methodology and Precedents in Canadian Law » (2006-2007) 32 Queen’s Law Journal 278.  [Retour au contenu]
  • [90]
    Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, 6 février 2015.  [Retour au contenu]
  • [91]
    Ibid., para. 44 [références omises].  [Retour au contenu]
  • [92]
    Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, para. 8.  [Retour au contenu]
  • [93]
    Au fédéral, la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, comme dans Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114 ; dans les provinces, en Ontario, le Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19, comme dans O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 ; et au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. ch. C-12, comme dans Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345 ; et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) ; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665.  [Retour au contenu]
  • [94]
    Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] R.C.S. 773.  [Retour au contenu]
  • [95]
    Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.).  [Retour au contenu]
  • [96]
    Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21.  [Retour au contenu]
  • [97]
    Voir Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3, R.C.S. 3.  [Retour au contenu]
  • [98]
    Voir Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, p. 157- 158 (juge Lamer).  [Retour au contenu]
  • [99]
    Voir, en général, Stanley A. De Smith, Harry Woolf & Jeffrey L. Jowell, Principles of Judicial Review (Londres : Sweet & Maxwell, 1999).  [Retour au contenu]
  • [100]
    Voir, par exemple, la décision de la Cour suprême du Canada dans Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, para. 28 : « Certes, il revient à l’exécutif, et non aux tribunaux, de décider si et comment il exercera ses pouvoirs ; mais les tribunaux ont indéniablement compétence pour déterminer si la prérogative invoquée par la Couronne existe véritablement et, dans l’affirmative, pour décider si son exercice contrevient à la Charte […] ou à d’autres normes constitutionnelles […] »  [Retour au contenu]
  • [101]
    Voir supra note 74 et le texte l’accompagnant.  [Retour au contenu]
  • [102]
    Voir, à ce sujet, Lorne Sossin, Boundaries of Judicial Review : The Law of Justiciability in Canada (Scarborough : Carswell, 1999).  [Retour au contenu]
  • [103]
    Voir, à ce sujet, Nada Mourtada-Sabbah & Bruce Cain (dir.), The Political Question Doctrine and the Supreme Court of the United States (Lexington : Plymouth, 2007).  [Retour au contenu]
  • [104]
    Black c. Canada (Prime Minister), (2001) 54 O.R. (3d) 215, 199 D.O.R. (4th) 228, para. 52. Voir aussi Lorne Sossin, « The Rule of Law and Justiciability of Prerogative Powers : A Comment on Black v. Chrétien » (2002) 47 Revue de droit de McGill 435.  [Retour au contenu]
  • [105]
    Abdelrazik c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [2010] 1 R.C.F. 267 (C.F.).  [Retour au contenu]
  • [106]
    Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, para. 24-31.  [Retour au contenu]
  • [107]
    Hupacasath First Nation c. Canada (Procureur général), 2015 FCA 4, (2015) 379 D.L.R. (4th) 737, 9 janvier 2015.  [Retour au contenu]
  • [108]
    Voir, en général, Roger Masterman, The Separation of Powers in the Contemporary Constitution : Judicial Competence and Independence in the United Kingdom (Cambridge : Cambridge University Press, 2011).  [Retour au contenu]
  • [109]
    Hupacasath First Nation, supra note 108, para. 66 [références omises].  [Retour au contenu]
  • [110]
    Voir, par exemple, une importante décision de la Cour suprême du Canada sur la suspension temporaire de l’effet d’une déclaration d’inconstitutionnalité, prise en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Loi de 1870 sur le Manitoba, S.R.C. 1970, app. II : Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721.  [Retour au contenu]
  • [111]
    Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679.  [Retour au contenu]
  • [112]
    Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, para. 38.  [Retour au contenu]
  • [113]
    Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, para. 55.  [Retour au contenu]
  • [114]
    Ibid., para. 56.  [Retour au contenu]
  • [115]
    Ibid., para. 57.  [Retour au contenu]
  • [116]
    Ibid., para. 58.  [Retour au contenu]
  • [117]
    Canada (Premier ministre) c. Khadr, supra, note 73, para. 27-45.  [Retour au contenu]
  • [118]
    Ibid., para. 46-47.  [Retour au contenu]
  • [119]
    Hunter c. Southam, [1984] 2 R.C.S. 145.  [Retour au contenu]
  • [120]
    Ibid., p. 155.  [Retour au contenu]
  • [121]
    Voir, à cet égard, Stéphane Beaulac & Frédéric Bérard, Précis d’interprétation législative, 2e éd. (Montréal : LexisNexis, 2014).  [Retour au contenu]
  • [122]
    Voir Ruth Sullivan, « Statutory Interpretation in the Supreme Court of Canada » (1999) 30 Revue de droit d’Ottawa 175.  [Retour au contenu]
  • [123]
    Voir Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), p. 87 : « Today there is only one principle or approach, namely, the words of an Act are to be read in their entire context in their grammatical and ordinary sense harmoniously with the scheme of the Act, the object of the Act and the intention of Parliament ». Voir aussi, Stéphane Beaulac & Pierre-André Côté, « Driedger’s “Modern Principle” at the Supreme Court of Canada : Interpretation, Justification, Legitimization » (2006) 40 Revue juridique Thémis 131 ; et Louis LeBel, « La méthode d’interprétation moderne : le juge devant lui-même et en lui-même », dans Stéphane Beaulac & Mathieu Devinat, (dir.), Interpretatio non cessat – Mélanges en l’honneur de Pierre-André Côté / Essays in Honour of Pierre-André Côté (Cowansville : Yvon Blais, 2011), 103.  [Retour au contenu]
  • [124]
    Voir, par exemple, Hugo Cyr, « L’interprétation constitutionnelle, un exemple de postpluralisme » (1998) 43 Revue de droit de McGill 565, p. 57, qui écrit que la particularité de l’interprétation de la Charte canadienne « a été plus affirmée que démontrée ».  [Retour au contenu]
  • [125]
    Voir les commentaires du professeur émérite Pierre-André Côté dans la dernière édition de son traité (coll. de Stéphane Beaulac & Mathieu Devinat), Interprétation des lois, 4e éd.  [Retour au contenu]
  • [126]
    Voir Stéphane Beaulac, « L’interprétation de la Charte : reconsidération de l’approche téléologique et réévaluatin du rôle du droit international » (2005) 27 Supreme Court Law Review (2d) 1.  [Retour au contenu]
  • [127]
    Voir Ian Binnie, « Constitutional Interpretation and Original Intent », dans Grant Huscroft & Ian Brodie (dir.), Constitutionalism in the Charter Era (Markham : LexisNexis, 2004), 345 ; et Vicki C. Jackson, « Constitutions as “Living Trees” ? – Comparative Constitutional Law and Interpretive Metaphors » (2006) 75 Fordham Law Review 921.  [Retour au contenu]
  • [128]
    Edwards c. Canada (A.G.), [1930] A.C. 114, p. 136 (C.P.).  [Retour au contenu]
  • [129]
    Voir Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357.  [Retour au contenu]
  • [130]
    Paul A. Freund, « The Supreme Court of the United States » (1951) 29 Revue du Barreau canadien 1080, p. 1087 : « not to read the provisions of the constitution like a last will and testament, lest indeed they come one ».  [Retour au contenu]
  • [131]
    Hunter c. Southam, [1984] 2 R.C.S. 145.  [Retour au contenu]
  • [132]
    Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, supra note 39.  [Retour au contenu]
  • [133]
    Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, par. 9.  [Retour au contenu]
  • [134]
    Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, supra note 39, para. 56.  [Retour au contenu]
  • [135]
    R. c. Blais, [2003] 2 R.C.S. 236, para. 40.  [Retour au contenu]
  • [136]
    Ibid  [Retour au contenu]
  • [137]
    Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 394.  [Retour au contenu]
  • [138]
    Voir Jean Leclair, « Réflexions critiques au sujet de la métaphore du dialogue en droit constitutionnel canadien » (2003) Numéro spécial, Revue du Barreau 377.  [Retour au contenu]
  • [139]
    Voir Peter W. Hogg & Allison A. Bushell, « The Charter Dialogue Between Courts and Legislatures (or Perhaps the Charter of Rights Isn’t Such a Bad Thing After All) » (1997) 35 Osgoode Hall Law Journal 75. Voir aussi Peter W. Hogg, Allison A. Bushell Thornton & Wade K. Wright, « Charter Dialogue Revisited – Or “Much Ado About Metaphors” » (2007) 45 Osgoode Hall Law Journal 1.  [Retour au contenu]
  • [140]
    Vriend c. Alberta, supra note 113.  [Retour au contenu]
  • [141]
    Ibid, para. 31.  [Retour au contenu]
  • [142]
    Ibid, para. 32.  [Retour au contenu]
  • [143]
    Ibid. Voir aussi une autre importante décision de la Cour suprême à ce sujet : R. c. Mills, [1999] 3, R.C.S. 668.  [Retour au contenu]
  • [144]
    Contra, voir l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2013] 2 R.C.S. 678, où l’on semble confondre les sphères juridiques internationale et interne en effectuant l’exercice d’interprétation de l’exception de l’art. 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations unies, R.T. Can. 1969 n° 6, mise en œuvre au Canada par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, non pas eu égard au droit pénal canadien, mais à la lumière du droit pénal international, surtout le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Doc. N.U. À/CONF. 183/9), lui même transformé en droit interne canadien avec la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24. Ceci étant, cette décision ne représente sans doute pas un changement fondamental d’approche ; il s’agirait peut-être plutôt d’un jugement per incuriam, s’agissant de l’interface international-nationale.  [Retour au contenu]
  • [145]
    Stéphane Beaulac, « Arrêtons de dire que les tribunaux au Canada sont “liés” par le droit international » (2004) 38 Revue juridique Thémis 359.  [Retour au contenu]
  • [146]
    Voir Louis LeBel & Gloria Chao, « The Rise of International Law in Canadian Constitutional Litigation : Fugue or Fusion ? Recent Developments and Challenges in Internalizing International Law » (2002) 16 Supreme Court Law Review (2nd) 23.  [Retour au contenu]
  • [147]
    Thibodeau c. Air Canada, [2014] 3 R.C.S. 340.  [Retour au contenu]
  • [148]
    Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 2242 R.T.N.U. 309 [Convention de Montréal].  [Retour au contenu]
  • [149]
    Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.), art. 77(4), permettant l’octroi d’une réparation « convenable et juste ».  [Retour au contenu]
  • [150]
    Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, ch. C-26.  [Retour au contenu]
  • [151]
    Thibodeau c. Air Canada, supra note 148, para. 88-118.  [Retour au contenu]
  • [152]
    Voir, en général, André Nollkaemper, « Rethinking the Supremacy of International Law » (2010) 65 Zeitschrift für öffentliches Recht / Journal of Public Law 65.  [Retour au contenu]
  • [153]
    Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3. Voir aussi Stéphane Beaulac, « The Suresh Case and Unimplemented Treaty Norms » (2002) 15 Revue québécoise de droit international 221.  [Retour au contenu]
  • [154]
    Suresh, ibid., para.78.  [Retour au contenu]
  • [155]
    Kazemi (Succession) c. Iran, [2014] 3 R.C.S. 176.  [Retour au contenu]
  • [156]
    Loi sur l’immunité des États, L.R.C. 1985, ch. S-18.  [Retour au contenu]
  • [157]
    Kazemi, supra note 156, para. 54.  [Retour au contenu]
  • [158]
    Ibid., para. 56.. Par conséquent, à l’instar du droit constitutionnel, les simples lois ont préséance dans l’hypothèse d’un conflit ou d’une incompatibilité avec la normativité internationale, étant entendu que les tribunaux au Canada appliquent, au premier chef, le droit national du pays. On remarque aussi, dans la dernière citation, que la Cour suprême ne considère même pas que le « jus cogens » jouit d’une quelconque primauté eu égard à l’interprétation de la législation interne ; il s’agit d’un indice convaincant qu’il n’existe pas au Canada de normes internationales de valeur supérieure (supra-constitutionnalité).
    En ce qui concerne l’interface du droit international et du droit interne, il existe ce que d’aucuns appellent des outils heuristiques afin d’aider à articuler et à comprendre les règles applicables 160[footnote]Voir, en général, Rosalyn Higgins, Problems and Process – International Law and How We Use It (Oxford : Clarendon Press, 1994).  [Retour au contenu]
  • [159]
    Ces théories existent depuis longtemps : voir Joseph G. Starke, « Monism and Dualism in the Theory of International Law » (1936) 17 British Yearbook of International Law 66.
    162. Voir Stéphane Beaulac, « La problématique de l’interlégalité et la méthodologie juridique – Exemples canadien d’opérationnalisation du droit international », dans Jean-Yves Chérot et al. (dir.), Le droit entre autonomie et ouverture – Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Bergel (Bruxelles : Bruylant, 2013), 5.  [Retour au contenu]
  • [160]
    , les deux principales étant la coutume et les traités 163[footnote]En vertu de l’article 38(1) du Statut de la Cour internationale de Justice.  [Retour au contenu]
  • [161]
    Voir Stéphane Beaulac & John H. Currie « Canada », dans Dinah Shelton (dir.), International Law and Domestic Legal Systems – Incorporation, Transformation and Persuasion (Oxford & New York : Oxford University Press), 116 ; Stéphane Beaulac, « Customary international Law in Domestic Courts : Imbroglio, Lord Denning, Stare Decisis », dans Christopher P.M. Waters (dir.), British and Canadian Perspectives on International Law (Leiden & Boston : Martinus Jijhoff, 2006), 379.  [Retour au contenu]
  • [162]
    R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292, para. 39.  [Retour au contenu]
  • [163]
    Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, para. 69.  [Retour au contenu]
  • [164]
    Ibid., para. 70.  [Retour au contenu]
  • [165]
    Voir Hugh M. Kindred, « Canadians as Citizens of the International Community : Asserting Unimplemented Treaty Rights in the Courts », dans Stephen G. Coughlan & Dawn Russell (dir.), Citoyenneté et participation à l’administration de la justice (Montréal : Éditions Thémis, 2002), 263.  [Retour au contenu]
  • [166]
    Voir, à cet égard, Stéphane Beaulac, « Thinking Outside the “Westphalian Box” : Dualism, Legal Interpretation and the Contextual Argument », dans Christoffer C. Eriksen & Marius Emberland (dir.), The New International Law – An Anthology (Leiden : Brill Publishers, 2010) 17.  [Retour au contenu]
  • [167]
    Voir, sur les aspects historiques du mouvement de protection juridique des droits humains et la Charte canadienne des droits et libertés : William A. Schabas & Stéphane Beaulac, International Human Rights and Canadian Law – Legal Commitment, Implementation and the Charter, 3e éd. (Toronto : Thomson Carswell, 2007), p. 1-47.  [Retour au contenu]
  • [168]
    Voir Walter S. Tarnopolsky, « A Comparison Between the Canadian Charter of Rights and Freedoms and the International Covenant on Civil and Political Rights » (1982) 8 Queen’s Law Journal 211 ; Gérard La Forest, « The Canadian Charter of Rights and Freedoms : An Overview » (1983) 61 Revue du Barreau canadien 19 ; Maxwell Cohen & Anne F. Bayefsky, « The Canadian Charter of Rights and Freedoms and International Law » (1983) 61 Revue du Barreau canadien 265 ; Anne F. Bayefsky, Canada’s Constitution Act 1982 and Amendments : A Documentary (Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 1989) ; et William A. Schabas, « Twenty-Five Years of Public International Law at the Supreme Court of Canada » (2000) 79 Revue du Barreau canadien 174.  [Retour au contenu]
  • [169]
    Voir William A. Schabas, International Human rights Law and the Canadian Charter, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1996), p. 15-16. Contra, Gib van Ert, Using International Law in Canadian Courts, 2e éd. (Toronto : Irwin Law, 2008), p. 333-335.  [Retour au contenu]
  • [170]
    Renvoi relatif à la Public Service Employée Relations Act (Alta.), [1987] 1 R.C.S. 313.  [Retour au contenu]
  • [171]
    Ibid., para. 59-60 [nos soulignements]  [Retour au contenu]
  • [172]
    Michel Bastarache, « The Honourable G.V. La Forest’s Use of Foreign Materials in the Supreme Court of Canada and His Influence on Foreign Courts », dans Rebecca Johnson & John P. McEvoy (dir.), Gérard V. La Forest at the Supreme Court of Canada, 1985-1997 (Winnipeg : Canadian Legal History Project, 2000), 433, p. 434.  [Retour au contenu]
  • [173]
    Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038.  [Retour au contenu]
  • [174]
    R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697.  [Retour au contenu]
  • [175]
    Voir, notamment, États-Unis d’Amérique c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283 ; Canadian Foundation for children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76 ; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391.  [Retour au contenu]
  • [176]
    Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 3 R.C.S. 157.  [Retour au contenu]
  • [177]
    Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21.  [Retour au contenu]
  • [178]
    Renvoi relatif à la Public Service Employée Relations Act (Alta.), supra note 173  [Retour au contenu]
  • [179]
    Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), supra note 179, para. 24.  [Retour au contenu]
  • [180]
    Ibid., para. 26.  [Retour au contenu]
  • [181]
    Voir Stéphane Beaulac, « National Application of International Law : The Statutory Interpretation Perspective » (2003) 41 Annuaire canadien de droit international 225.  [Retour au contenu]
  • [182]
    Voir, en général, Stéphane Beaulac, « Le droit international et l’interprétation législative : oui au contexte, non à la présomption », dans Oonagh E. Fitzgerald (dir.), Règle de droit et Mondialisation : rapports entre le droit international et le droit interne (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2006), 413.  [Retour au contenu]
  • [183]
    Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), supra note 166.  [Retour au contenu]
  • [184]
    Voir aussi Stéphane Beaulac, « Le droit international comme élément contextuel en interprétation des lois » (2004) 6 Revue canadienne de droit international 1.  [Retour au contenu]
  • [185]
    Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), supra note 166, para. 70, se référant à l’auteure Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto : Butterworths, 1994).  [Retour au contenu]
  • [186]
    Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), supra note 154  [Retour au contenu]
  • [187]
    Ibid., para. 75-76.  [Retour au contenu]
  • [188]
    Mugesera c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, para. 82.  [Retour au contenu]
  • [189]
    Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-45.  [Retour au contenu]
  • [190]
    Amarantunga c. Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest, [2013] 3 R.C.S. 866.  [Retour au contenu]
  • [191]
    Voir, en général, Stéphane Beaulac « International Treaty Norms and Driedger’s “Modern” Principle of Statutory Interpretation », dans Conseil canadien de droit international (dir.) La légitimité et la responsabilité en droit international – 33e congrès annuel, 2004 (Ottawa : C.C.D.I., 2005), 141.  [Retour au contenu]
  • [192]
    Décret sur les privilèges et immunités de l’Organisation des pêches de l’Atlantique nordouest, DORS/80-64, pris en vertu de la Loi sur les privilèges et immunités des organisations internationales, L.R.C. 1985, ch. P-23. Il s’agissait de l’expression « dans la mesure où ses fonctions l’exigent », prévue à l’art. 3(1) du Décret.  [Retour au contenu]
  • [193]
    Voir, au sujet des présomptions d’intention et de la méthode d’interprétation pragmatique, Pierre-André Côté, coll. Stéphane Beaulac & Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd. (Montréal : Éditions Thémis 2009), p. 509 et ss.  [Retour au contenu]
  • [194]
    Cette règle tire son nom de la cause Murray c. The Charming Betsy (1804), 6 U.S. 64. Voir, en général, Gerald L. Neuman, « International Law as a Resource in Constitutional Interpretation » (2006) 30 Harvard Journal of Law and Public Policy 177 ; Curtis A. Bradley, « The Charming Betsy Canon and Separation of Powers : Rethinking the Interpretative Role of International Law » (1998) 86 Georgetown Law Journal 479.  [Retour au contenu]
  • [195]
    L’auteur britannique Peter Maxwell écrivait ceci à son sujet : « every statute is to be so interpreted and applied, as far as its language admits, as not to be inconsistent with the comity of natons, or with the established rules of international law » : Peter B. Maxwell, On the Interpretation of Statutes (Londres : Sweet & Maxwell, 1896), p. 173. Voir aussi Hersch Lauterpacht, « Is International Law a Part of the Law of England ? » (1939) 25 Transactions Grotius Society 51.  [Retour au contenu]
  • [196]
    Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, para. 137.  [Retour au contenu]
  • [197]
    Voir Charles-Emmanuel Côté, « La réception du droit international en droit canadien » (2010) 52, Supreme Court Law Review (2d) 483, p. 535-536. 201. Daniels c. White, [1968] R.C.S. 517, p. 541 : « I Wish to add that, in my view, this is a case for the application of the rule of construction that Parliament is not presumed to legislate in breach of a treaty or in any matter inconsistent with the comity of nations and the established rules of international law. It is a rule that is not often applied, because if a statute is unambiguous, its provisions must be followed even if they are contrary to international law » [nos soulignements].  [Retour au contenu]
  • [198]
    Canadian Foundation for children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), supra note 178.  [Retour au contenu]
  • [199]
    Ibid., para. 31.  [Retour au contenu]
  • [200]
    R. c. Hape, supra note 165, para. 53.  [Retour au contenu]
  • [201]
    Voir aussi l’ouvrage d’interprétation législative auquel la Cour suprême fait référence : Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham & Vancouver : Butterworths, 2002), p. 422.  [Retour au contenu]
  • [202]
    Németh c. Canada (Justice), [2010] 3 R.C.S. 281.  [Retour au contenu]
  • [203]
    Ibid., para. 35.  [Retour au contenu]
  • [204]
    Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.  [Retour au contenu]
  • [205]
    Németh c. Canada (Justice), supra note 206, para. 35.  [Retour au contenu]
  • [206]
    Kazemi (Succession) c. Iran, supra note 156.  [Retour au contenu]
  • [207]
    Ibid., para. 60 [nos soulignements].  [Retour au contenu]
  • [208]
    Loi sur l’immunité des États, L.R.C. 1985, ch. S-18.  [Retour au contenu]
  • [209]
    Kazemi (Succession) c. Iran, supra note 156.  [Retour au contenu]
  • [210]
    Voir Daniela Bassan « The Canadian Charter and Public International Law : Redefining the State’s Power to Deport Aliens », 34 Osgoode Hall Law Journal 583, p. 591-594.  [Retour au contenu]
  • [211]
    Ce manque de rigueur, comme d’aucuns appellent, a été souligné en doctrine canadienne ; voir entre autres : Jutta Brunée & Stephen J. Toope, « A Hésitant Embrace : The Application of International Law by Canadian Courts » (2002) 40 Annuaire canadien de droit international 3. Contra, voir William A. Schabas & Stéphane Beaulac, supra note 256, p. 52 : « In other words, the failure of Canadian courts to adopt a theoretical concept by which some international human rights law is actually binding upon them may actually have enhanced the dynamism of the law and, in turn, strengthened the protection of human rights and fundamental freedoms within the country » ; voir aussi, dans le même sens, Anne W. La Forest, « Domestic Application of International Law in Charter Cases : Are We There Yet ? » (2004) 37 University of British Columbia Law Review 157, p. 208.  [Retour au contenu]
  • [212]
    Surtout dans les premières années de l’interprétation de la Charte canadienne. Voir, par exemple, cet échantillon des dix premières années : R. c. Oakes, (1983) 145 D.L.R. (3d) 123, confirmé dans [1986] 1 R.C.S. 103l ; R. c. King [1984] 4 W.W.R. 531 ; Rowland c. R., (1984) 10 D.L.R. (4th) 724 ; Lazarenko c. Law Society (Alberta), [1984] 4 D.L.R. (4th) 389 ; Borowski c. Canada (A.G.), [1984] 4 D.L.R. (4th) 112 ; Reference re Education Act (Ontario), [1984] 10 D.L.R. (4th) 491 ; R. c. Morgentaler, [1984] 12 D.L.R. (4th) 502, confirmé dans (1984) 14 C.R.R. 107 ; R. c. Punch, [1985] 22 C.C.C. (3d) 289 ; Association des détaillants en alimentation du Québec c. Ferme Carnaval Inc, [1986] R.J.Q. 2513 ; Black v Law Society of Alberta, [1986] 27 D.L.R. (4th) 527, confirmé dans [1989] 1 R.C.S. 591 ; Ford c. Québec (P.G.), [1988] 2 R.C.S. 712 ; Borowski c. Canada (P.G.), [1987] 39 D.L.R. (4th) 731, confirmé dans [1989] 1 R.C.S. 342 ; R. c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500 ; R. c. Morgentaler, [1986] 22 D.L.R. (4th) 641, renversé dans [1988] 1 R.C.S. 30 ; Cotroni c. Centre de Prévention de Montréal, [1989] 1 R.C.S. 1469 ; Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530 ; R. c. Pearson, [1990] R.J.Q. 2438, renversé dans [1992] 3 R.C.S. 665 ; Lippé c. Charest, [1990] R.J.Q. 2200, renversé dans [1991] 2 R.C.S. 114 ; R. c. Keegstra, supra note 177 ; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor [1990] 3 R.C.S. 892 ; Lavigne c. OPSEU [1991] 2 R.C.S. 211 ; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779 ; Québec (Commission des droits de la personne) c. Immeubles Ni/Dia Inc, [1992] R.J.Q. 2977.  [Retour au contenu]
  • [213]
    Voir Gérard V. La Forest, « The Use f International and Foreign Material in the Supreme Court of Canada », dans Conseil canadien de droit international (dir.), Actes du 27e congrès annuel (Ottawa : C.C.D.I., 1998), 230, p. 241 : « The Convention decisions are obviously not directly applicable to the Canadian context, reflecting as they do the compromises necessary for a multinational agreement in Post- war Europe. However, given that the Commission has had the opportunity to consider many of the issues that are coming before our courts, the more frequent citation of these materials would assist us as we develop a Canadian approach to these common issues ».  [Retour au contenu]
  • [214]
    Canadian Foundation for children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), supra note 178, para. 33-34.  [Retour au contenu]
  • [215]
    A. c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI.  [Retour au contenu]
  • [216]
    . Le Canada n’est évidemment pas le seul pays à trouver que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme fait figure de proue en matière de protection des droits humains. Par exemple, le jugement Soering [footnote]Soering c. Royaume-Uni et Allemagne, Cour européenne des droits de l’homme, 7 juillet 1989, séries A, no. 161, 11 E.H.R.R. 439.  [Retour au contenu]
  • [217]
    Voir Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), supra note 516 ; Renvoi relatif à l’extradition de Ng (Can.), [1991] 2 R.C.S. 858 ; États-Unis d’Amérique c. Burns, supra note 478 ; et Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350.  [Retour au contenu]
  • [218]
    Lackey c. Texas, 115 S.Ct. 1421, 63 L.W. 3705 (1995).  [Retour au contenu]
  • [219]
    Catholic Commission for Justice and Peace in Zimbabwe c. Attorney-General et al., (1993) 14 Human Rights Law Journal 323.  [Retour au contenu]
  • [220]
    S. v. Makwanyane (1995), 16 Human Rights Law Journal 154.  [Retour au contenu]
  • [221]
    Republic c. Mbushuu, [1994] 2 L.R.C. 335.  [Retour au contenu]
  • [222]
    Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427, para. 65-67  [Retour au contenu]
  • [223]
    Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42.  [Retour au contenu]
  • [224]
    Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, CRNR/DC/94, 23 décembre 1996.  [Retour au contenu]
  • [225]
    Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« Directive sur le commerce électronique »), [2000] J.O. L. 178/1.  [Retour au contenu]
  • [226]
    Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989.  [Retour au contenu]
  • [227]
    Convention (no 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 67 R.T.N.U. 17  [Retour au contenu]
  • [228]
    Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, Document de clôture (Conférence de Madrid (1983), 22 I.L.M. 1398.  [Retour au contenu]
  • [229]
    Delisle c. Canada (Sous-procureur général), supra, note 531, para. 71, juges Cory et Iacobucci, dissidents.  [Retour au contenu]
  • [230]
    Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016.  [Retour au contenu]
  • [231]
    Voir, par exemple, la fameuse décision TadiÇ, du Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie : Procureur c. Duško Tadić, IT-94-1-A, 15 juillet 1999.  [Retour au contenu]
  • [232]
    Mugesera c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), supra note 191.  [Retour au contenu]
  • [233]
    Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), supra note 445.  [Retour au contenu]

Cour constitutionnelle du Congo

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Non. Cependant l’article 188 de la Constitution énonce que : « Les lois, les ordonnances et les règlements actuellement en vigueur, lorsqu’ils ne sont pas contraires à la présente Constitution, demeurent applicables tant qu’ils ne sont pas expressément modifiés ou abrogés ».
On peut déduire de cette disposition que dans l’ordre interne la Constitution occupe la première place, par rapport aux autres textes, de sorte que ces derniers lui sont soumis.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Les valeurs, principes, droits, pouvoirs et garanties sont énoncés dans la Constitution sans pour autant indiquer une quelconque échelle de prévalence.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Oui, il existe au sein de notre ordonnancement juridique des normes ayant vocation à compléter les dispositions constitutionnelles. Ce sont les lois organiques, par exemple :

  • la loi organique n° 1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle (qui complète le titre IX de la Constitution) ;
  • la loi organique n° 4-2003 du 18 janvier 2003 déterminant les missions, l’organisation, la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la liberté de communication (qui complète le titre XII de la Constitution)…

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Oui, le préambule fait partie du bloc de constitutionnalité.
Il fait partie intégrante de la Constitution.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Au plan interne la Constitution est au-dessus de tous les textes. Donc aucune norme du droit interne ne peut être supérieure à la Constitution.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Tous les textes internationaux dûment ratifiés font partie du bloc de constitutionnalité.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Oui, certaines sources bénéficient d’une place particulière au sein de la Constitution, comme la Charte des Nations unies du 24 octobre 1945, la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

L’intégration de l’État dans l’ordre international est conditionnée par la ratification des instruments juridiques internationaux.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui, la stabilité de la Constitution est un élément de sa suprématie. En effet, plus la Constitution est stable, mieux les principes et valeurs qu’elle consacre s’enracinent progressivement pour servir de référence, de repères et de garantie.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Oui, avant la Constitution du 20 janvier 2002 qui n’a pas, encore, subi de modification.

Non, la Cour constitutionnelle n’a jamais inspiré de modification.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Oui. Si le traité comporte des dispositions contraires à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après révision constitutionnelle (article 183 de la Constitution du 20 janvier 2002).

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Au plan interne, la Constitution demeure, effectivement, la norme suprême.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui, la Constitution est reconnue par toutes les autres institutions et les juridictions nationales.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non, et c’est ce qui explique l’existence des recours en inconstitutionnalité formés devant notre institution juridictionnelle.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le président de la République est garant du respect de la Constitution. À ce titre, il peut saisir la Cour constitutionnelle par voie de consultation ou par tout autre recours pour faire respecter la Constitution (article 56 de la Constitution du 20 janvier 2002).

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

L’article 150 de la Constitution dispose : « Une disposition, déclarée inconstitutionnelle, ne peut être, ni promulguée, ni mise en application.
Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives, juridictionnelles et aux particuliers. »
À ce jour, les décisions de la Cour sont respectées par tous.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

De façon expresse, notre institution n’a pas encore une jurisprudence qui se fonde sur le bloc de constitutionnalité.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

En pratique, dans son pouvoir d’interprétation, la Cour n’a pas encore rendu une décision dans laquelle elle se réfère à d’autres normes qui font partie, aussi, de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité ».

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Les actes administratifs échappent au contrôle de la Cour constitutionnelle. L’absence de sanctions à l’égard de ceux qui ne respecteraient pas l’autorité des décisions de la Cour est ainsi l’une des limites au contrôle.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie de droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

L’article 149 de Constitution énonce que : « Tout particulier peut, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction dans une affaire qui le concerne, saisir la Cour constitutionnelle.
Sur la constitutionnalité des lois. En cas d’exception d’inconstitutionnalité, la juridiction saisie sursoit à statuer et impartit au requérant un délai d’un mois à partir de la signification de la décision ». Il s’agit d’un dispositif suffisant et efficace pourvu que les citoyens s’en servent utilement pour obtenir le respect de leurs droits constitutionnels.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

À l’occasion d’un contrôle de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle utilise, selon les cas, la méthode littérale ou la méthode exégétique.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

La Cour constitutionnelle dispose d’une compétence d’attribution. Le renforcement de son contrôle serait, donc, fonction du renforcement de la norme qui attribue des compétences à la Cour. A l’heure actuelle, la Constitution et la loi organique n’ont fait l’objet d’aucune révision susceptible de justifier le renforcement du contrôle de la Cour.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Les pouvoirs jurisprudentiels de la Cour constitutionnelle s’exercent dans le cadre de sa compétence d’attribution. L’autorité de ses décisions permet d’assurer, de façon satisfaisante et efficace, le respect de la Constitution.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

La Cour constitutionnelle n’a pas encore relevé des cas de contrariété de sa jurisprudence.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Au niveau interne, la Constitution est la norme suprême.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

S’il y a conflit entre deux normes, celle qui possède la primauté l’emporte sur l’autre : c’est ce que l’on peut retenir de la primauté.
La primauté et la prévalence expriment la préséance qu’une norme dispose par rapport aux autres.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Le droit constitutionnel varie d’une société à une autre même s’il existe un certain nombre de principes de valeur universelle. Il n’est pas encore codifié et, donc, on ne peut pas considérer qu’il existe un droit constitutionnel international. Peut être que dans le cadre de l’intégration européenne, parviendra-t-on un jour, à un droit constitutionnel européen !

Votre Cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

C’est la conception moniste qui est retenue par notre juridiction constitutionnelle.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Les normes internationales régulièrement ratifiées ou approuvées n’ont qu’une autorité supérieure à celle des lois (article 184 de la Constitution du 20 janvier 2002). Tout au plus, peuvent-elles faire partie du bloc de constitutionnalité.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non, pas encore.

2. Influence sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?
Lors de l’élaboration de la Constitution, la prise en compte des valeurs internationales s’impose. C’est le cas des principes universels en matière des droits humains, de la démocratie et de la séparation des pouvoirs.

3. Compétences de la Cour
Votre Cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

La Cour se limite à exercer un contrôle de constitutionnalité des lois, traités et accords internationaux.

Votre Cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Les instruments internationaux dont la Cour peut faire application sont ceux énumérés au préambule de la Constitution et, qui font partie intégrante de celle-ci.

4. Situation de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

La Cour n’a pas encore enregistré une situation de conflit entre la Constitution et les normes internationales.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Oui.

Dans le cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Non.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Les recours en inconstitutionnalité par voie d’action et par voie d’exception sont ouverts à tous les citoyens. Ils sont libres, faciles d’accès. En général les requérants se réfèrent, rarement, à la norme internationale.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Il y a d’une part, le cas d’un recours dans lequel le contrôle de constitutionnalité d’une loi est subordonné à un contrôle préalable de conventionnalité, d’autre part, le cas d’un recours par voie d’action dirigé contre une convention (celle qui ne fait pas partie du bloc de constitutionnalité) sur le fondement d’un autre instrument juridique faisant partie du bloc de constitutionnalité.

5. Influence sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme font partie intégrante de la Constitution. Leur prise en compte s’impose à la Cour constitutionnelle.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ?

Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre Cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Les décisions d’une juridiction internationale, sauf convention contraire, restent régies par le principe de l’autorité relative de la chose jugée. De telles décisions ne devraient, de ce fait, avoir aucune incidence juridique à l’égard de la Cour constitutionnelle qui a ses propres règles de fonctionnement.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Aucun lien juridique ne tient expressément, sauf dispositions contraires, la Cour constitutionnelle à l’égard de la jurisprudence des juridictions internationales. Aucune force interprétative ne leur est, par conséquent, reconnue. Toutefois, dans le cadre de ses propres recherches un juge peut être amené à s’inspirer de la jurisprudence d’une juridiction internationale si les fondements, le contexte ou les circonstances sont, ou presque, identiques.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui, si cette disposition fait partie du bloc de constitutionnalité.

Fait à Brazzaville, le 31 mars 2015

 

Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

La Constitution ne contient aucune disposition déterminant son rang dans l’ordonnancement juridique, ni son efficacité juridique.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ?

La Constitution comporte deux sortes de normes : celles contenues dans le préambule et celles insérées dans la Constitution proprement dite. Ces différentes normes sont d’égale valeur juridique, le préambule étant, aujourd’hui, regardée comme de la même valeur que la Constitution. La supériorité de la norme d’un groupe sur celle de l’autre groupe n’est pas énoncée par le constituant ivoirien.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Pour se compléter, la Constitution ivoirienne a prévu des lois dites organiques ; elles interviennent, en général, pour préciser l’organisation et le fonctionnement des institutions. Vu leur importance, les lois organiques sont, obligatoirement, soumises au contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel, avant leur promulgation ; il n’en va pas de même s’agissant des lois ordinaires, dont la transmission au Conseil constitutionnel est facultative.

Modifier la Constitution sous-entend sa révision, qui donne lieu à des lois constitutionnelles ; celles-ci naissent soit par voie parlementaire, soit par voie référendaire. Dans le premier cas, le projet ou la proposition de révision devient une loi constitutionnelle, s’il est voté par une majorité de 4/5 des membres de l’Assemblée nationale effectivement en fonction ; le référendum, auquel il est recouru dans le second cas, s’impose lorsque le projet ou la proposition de révision concerne l’élection du président de la République, l’exercice du mandat présidentiel, la vacance de la présidence de la République (Article 126 de la Constitution).
Le problème qui peut se poser, est celui de l’immixtion d’une loi constitutionnelle dans un domaine ne pouvant pas faire l’objet d’une révision (Article 127 de la Constitution). Alors qu’une telle situation serait conflictuelle, la Constitution l’a curieusement ignorée.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

La doctrine et la jurisprudence sont aujourd’hui unanimes pour soutenir que le préambule a la même valeur juridique que la Constitution ; conséquemment, le préambule fait partie du “bloc de constitutionnalité”.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

En principe non. Sauf lorsque la Constitution elle-même fait, expressément, référence à des instruments internationaux. La Constitution ivoirienne, par exemple, déclare, formellement, son adhésion à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, laquelle entre, par là même, dans le « bloc de constitutionnalité ».

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Rien dans la Constitution ivoirienne, ne permet de répondre par l’affirmative à cette question.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration d’un État dans un ordre international ?

Aucun État ne peut volontairement se restreindre le droit de participer à la vie internationale, même lorsque cette participation peut induire une limitation de sa souveraineté (le statut d’État-membre d’une organisation intergouvernementale opère, en principe, un transfert de compétences à celle-ci).

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La stabilité doit plutôt se saisir comme une conséquence, un corollaire de la suprématie de la Constitution ; étant la loi qui fonde et organise l’État, la Constitution est la norme des normes, dans l’ordre interne, par elle-même.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Non.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

En Côte d’Ivoire, un traité, dont une clause est contraire à la Constitution, ne peut être ratifié qu’après révision de celle-ci.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui. Et le contrôle de constitutionnalité vise au respect de la Constitution.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Certainement.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le juge administratif (en Côte d’Ivoire, la Chambre administrative, une « portion » de la Cour suprême) peut s’appréhender comme concourant au respect de la Constitution, à travers le contrôle de la légalité des actes administratifs.
Il ne semble pas y avoir de rapports particuliers entre ces deux juridictions.

Comment l’autorité des décisions de votre cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Dans les contentieux qui lui sont soumis, le Conseil constitutionnel se prononce par des décisions qui sont, dans l’ensemble, fondées sur le droit interne. Il n’est fait cas du droit international, que si l’espèce est en relation avec l’ordre international. Les décisions sont revêtues d’une grande autorité, en ce qu’elles ne peuvent faire l’objet d’aucun recours ; qu’elles « s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale » (Article 98 de la Constitution).
Comme toute haute juridiction, il ne fait aucun doute que le Conseil constitutionnel jouit d’un pouvoir créateur de jurisprudence, de fait. L’exécution des décisions de justice n’est nullement aisée ; celle des décisions du Conseil constitutionnel n’échappe pas à cette réalité.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence « d’un bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

N’étant pas claire à souhait, la notion de « bloc de constitutionnalité » ne semble pas retentissante ; en tout cas, elle ne se perçoit pas dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Non. Mais rien n’indique que le Conseil constitutionnel ne s’y résoudra pas dans l’avenir.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Les normes qui échappent au contrôle du Conseil constitutionnel sont les lois constitutionnelles votées par le Parlement ou adoptées par voie référendaire et les lois référendaires.
Les compétences jouissant d’une immunité juridictionnelle sont celles exercées par l’Exécutif en période de crise (pouvoirs exceptionnels tenant à des circonstances exceptionnelles).
Dans les matières où la compétence du Conseil constitutionnel est affirmée et assise, son contrôle est sans limite.

Les mécanismes du contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ?

La faiblesse du système procède du nombre restreint de ceux qui sont habilités à exercer le recours par voie d’action. Fort heureusement, la Constitution ivoirienne reconnaît un droit aux associations de défense des droits de l’homme, légalement constituées, de pouvoir déférer à la censure du Conseil constitutionnel, les lois relatives aux libertés publiques pour inconstitutionnalité.
Le contrôle de constitutionnalité peut être perfectionné par la démocratisation de la saisine de juge constitutionnel.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Semble prédominer la méthode de l’induction – déduction.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Veuillez donner des cas typiques.

En règle générale, le contrôle par voie d’exception aboutit à la non-application, à une espèce donnée, d’une loi déclarée inconstitutionnelle, sans plus ; le Conseil constitutionnel va plus loin, en annulant la loi inconstitutionnelle, renforçant ainsi son contrôle.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Parce qu’il interprète, adapte et supplée les normes juridiques, notamment la loi, le pouvoir jurisprudentiel du Conseil constitutionnel peut s’appréhender comme se tonifiant dans son rôle de protecteur de la Constitution.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Aucune.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Non.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de normes) ?

La primauté sous-entend la supériorité, une supériorité ontologique et consensuelle. La primauté d’une norme par rapport à une autre norme implique la prévalence de celle-là sur celle-ci.

Considérez-vous qu’il existe « un droit constitutionnel international ou européen » ?

Si l’on peut entendre par droit constitutionnel international, celui qui fonde et organise les organisations intergouvernementales, alors il existe.

Votre Cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et externe ?

Dans la controverse doctrinale entre monistes et dualistes, le Conseil constitutionnel semble se ranger à la position des dualistes, selon lesquels notre monde comprend un ordre juridique international et des ordres juridiques internes.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Oui, celles qui émanent des organisations intergouvernementales.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Dans un monde où l’accent est mis sur le bien-être de l’homme, le constituant actuel est sensible au discours de la communauté internationale ordonné autour de la thématique : droits économiques, sociaux, politiques ; formations scientifique, technique et intellectuelle ; protection sanitaire ; démocratie.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

La réponse se trouve dans la réponse à la question précédente.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Non.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

En principe, le Conseil constitutionnel n’applique que les instruments internationaux introduits dans l’ordre interne par le moyen de la ratification. Mais les normes superétatiques sont directement appliquées, sur le fondement de l’abandon de souveraineté, dans les matières où elles interviennent.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Elle devrait le faire, si ces dispositions sont intégrées à l’ordre interne. Les traités régulièrement ratifiés entrent dans l’ordonnancement juridique interne.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Il y a conflit lorsque la Constitution est en contradiction avec une norme internationale ; ce conflit peut concerner tous les domaines de la vie internationale.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Les conflits sont tranchés en faveur des normes internationales, qui priment sur la Constitution.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas eu à se prononcer sur les conflits en question.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Les droits fondamentaux sont mieux protégés au plan international qu’à l’échelon national ; l’existence de la Cour pénale internationale et du Tribunal pénal international l’atteste éloquemment.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de compatibilité à un traité international ne peuvent entrer en concurrence, ne poursuivant pas le même but : l’un vise le respect de la Constitution par les normes internes, tandis que l’autre se préoccupe de l’observation du droit international par la Constitution.
Les deux contrôles ne remettent pas en cause la suprématie de la Constitution, qui ne s’apprécie et ne vaut que par rapport aux normes internes.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) qu’une norme internationale ?

Non, les normes internationales étant d’un accès peu aisé et d’une mise en œuvre complexe.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes apparaissent plus délicats ?

Non n’en voyons pas.

5. Influence sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel.

Elle n’adopte ces deux attitudes que si ces instruments internationaux s’appliquent à l’État.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre Cour à une décision d’une juridiction internationale.

Une autorité relative dans la chose jugée.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Les données des espèces internationales étant fort éloignées des attributions du Conseil constitutionnel, il fait peu cas de la jurisprudence des juridictions internationales.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

L’interprétation de la Constitution ne peut s’opérer au regard d’une disposition internationale, que si celle-ci est visée par la Constitution elle-même.

Conseil constitutionnel français

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Aucune disposition constitutionnelle ne précise le rang normatif de la Constitution. Toutefois, dans ses décisions nos 2004-505 DC et 2007-560 DC des 19 novembre 2004 [1] et 20 décembre 2007 [2], le Conseil constitutionnel a jugé que la Constitution française se situe « au sommet de l’ordre juridique interne ».
Par ailleurs, le dernier alinéa de l’article 92 de la Constitution, abrogé par la loi constitutionnelle du 4 août 1995 [3], prévoyait que « la présente loi sera exécutée comme Constitution de la République et de la Communauté ».
Au-delà du débat sur le terme de « loi », cet alinéa dotait expressément la Constitution de 1958 d’une pleine valeur juridique, et d’une valeur juridique constitutionnelle.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

D’une part, ont pleine valeur constitutionnelle toutes les normes consacrées par le texte de la Constitution de 1958 et celles auxquelles renvoie son préambule, c’est-à-dire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Charte de l’environnement.
D’autre part, il n’existe aucune hiérarchie formelle entre les différents éléments du bloc de constitutionnalité :
Toutefois, sans consacrer l’existence d’une « hiérarchie matérielle » intérieure au bloc de constitutionnalité [4], tous les droits et libertés garantis par la Constitution ne bénéficient pas de la même protection.
Par exemple, même si le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur les atteintes ou les limitations de la liberté d’entreprendre a subi une lente évolution qui va dans le sens de son renforcement, ce contrôle demeure restreint. C’est dans sa décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001 que le Conseil constitutionnel a adopté le considérant de principe dont il fait toujours usage depuis : « il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » [5]. Le contrôle opéré par le Conseil se limite à un contrôle de la disproportion [6]. Le Conseil reconnaît une large marge d’appréciation au législateur.
En revanche, la liberté individuelle bénéficie d’une protection renforcée dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par exemple, le contrôle de la durée des mesures de garde à vue s’exerce au regard du principe dit « de rigueur nécessaire » qui résulte de l’article 9 de la Déclaration de 1789. Il s’agit d’un contrôle de proportionnalité entre la gravité des mesures portant atteinte à la liberté individuelle et les objectifs qui motivent ces atteintes. Le Conseil a jugé à deux reprises que le recours à la garde à vue exceptionnelle prolongée jusqu’à 96 heures pour des délits, qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes, porte une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle [7].

De même, la liberté d’expression bénéficie d’une protection renforcée. Le Conseil juge en effet que « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » [8].

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

– Les lois organiques ont pour objet de compléter les dispositions constitutionnelles (articles 6, 7, 11, 13, 23, 25, 27, 34, 34-1, 39, 44, 47, 47-1, 57, 61-1, 63, 64, 65, 68, 68-2, 69, 71, 71-1, 72, 72-1, 72-2, 72-4, 73, 74, 77 et 88-3 de la Constitution). Elles sont adoptées et promulguées dans les conditions prévues par l’article 46 de la Constitution. En particulier, la procédure législative est marquée par certaines spécificités. Par exemple, les lois organiques relatives au Sénat [9] ainsi que celles relatives au droit de vote et à l’éligibilité des citoyens de l’Union européenne aux élections municipales [10] doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. En outre, elles font obligatoirement l’objet d’un contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation 11[11].

  • Les règlements des assemblées, qui organisent « le fonctionnement interne des assemblées, les procédures suivies dans leurs délibérations et la discipline de leurs membres » 12[12], complètent également les dispositions constitutionnelles. Par exemple, le dernier alinéa de l’article 28 de la Constitution prévoit que les jours et horaires des séances de la session ordinaire sont déterminés par le règlement de chaque assemblée.
    En vertu du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, « les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution». Le contrôle des règlements parlementaires a pour objet de garantir que l’exercice, par chacune des assemblées, de son autonomie de fonctionnement ne méconnaisse aucune exigence constitutionnelle et ne porte pas atteinte aux prérogatives constitutionnelles du Gouvernement et, plus largement, à la séparation des pouvoirs. Au-delà du règlement de l’Assemblée nationale et de celui du Sénat, le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent pour examiner le règlement du Congrès du Parlement 13[13] et celui du Parlement constitué en Haute cour 14[14].
    S’agissant des normes au regard desquelles il exerce son contrôle sur les règlements des assemblées, le Conseil constitutionnel juge de manière constante qu’« en raison des exigences propres à la hiérarchie des normes juridiques dans l’ordre interne, la conformité à la Constitution des règlements des assemblées parlementaires doit s’apprécier au regard tant de la Constitution elle-même que des lois organiques prévues par celle-ci ainsi que des mesures législatives prises pour son application» 15[15]. À ce titre, outre les lois organiques qui ont une incidence importante sur le fonctionnement du Parlement (par exemple la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution), le Conseil inclut dans les normes de contrôle l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, laquelle a valeur législative.
  • Les lois constitutionnelles ont pour objet de modifier la Constitution. La procédure de révision est prévue par l’article 89 de la Constitution, article unique du titre XVI intitulé « De la révision ». L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement (Assemblée nationale et Sénat) convoqué en Congrès. Dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
    La révision constitutionnelle est encadrée par des limites temporelles et matérielles.

Trois limites temporelles peuvent être identifiées :

  • le quatrième alinéa de l’article 89 dispose qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».
  • l’article 7 de la Constitution interdit la révision « durant la vacance de la présidence de la République ou durant la période qui s’écoule entre la déclaration du caractère définitif de l’empêchement du président de la République et l’élection de son successeur ».
  • il résulte de la décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992 [16] qu’une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie lorsque l’article 16 de la Constitution relatif aux pouvoirs exceptionnels du président de la République est en vigueur.
    Il existe en outre une limite matérielle. Le dernier alinéa de l’article 89 prévoit que la « forme républicaine du Gouvernement » ne peut faire l’objet d’une révision. Cette notion n’est pas précisément définie elle peut donc faire l’objet de plusieurs interprétations. Comme le relève le professeur Dominique Rousseau, « si l’obligation de respecter la “forme républicaine” signifie l’interdiction de rétablir la monarchie ou l’empire, la limite imposée au pouvoir de révision est faible car le risque d’un tel rétablissement est lui-même faible ; si, en revanche, l’expression signifie obligation de respecter les valeurs et principes qui donnent à un régime sa “forme républicaine”– par exemple, la laïcité, le service public, l’égalité, la fraternité, … – la liberté du pouvoir constituant se trouverait fortement réduite » [17].

 

Dans sa décision n° 2003-469 DC du 26 mars 2003, le Conseil a jugé qu’il « ne tient ni de l’article 61, ni de l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle » [18]. Par ailleurs, le général de Gaulle a utilisé l’article 11 de la Constitution pour modifier le mode d’élection du président de la République. Dans cette hypothèse, le projet de révision, présenté par le président de la République sur proposition du Premier ministre, est directement soumis au vote du peuple par référendum. Cette utilisation de l’article 11 de la Constitution en matière de révision constitutionnelle a été critiquée par la majorité de la doctrine. Le Conseil d’État a jugé dans sa décision Sarran et autres que le référendum de l’article 11 ne concerne que la matière législative [19]

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 fait partie de la Constitution. C’est dans sa décision Liberté d’association du 16 juillet 1971 que le Conseil constitutionnel a reconnu sa pleine valeur constitutionnelle au préambule de la Constitution [20].

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

En droit interne, il n’existe aucune disposition de valeur supra-constitutionnelle. Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Le droit international ne fait pas partie du bloc de constitutionnalité. Dans sa décision Interruption volontaire de grossesse du 15 janvier 1975 [21], le Conseil constitutionnel a jugé qu’il ne lui « appartient pas (…) dexaminer la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international » [22]. Cette solution a été constamment rappelée par le Conseil constitutionnel tant dans le cadre du contrôle a priori [23] que dans le cadre du contrôle a posteriori [24]

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

L’article 88-1 de la Constitution dispose que « la République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». Dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, le Conseil constitutionnel a déduit de ces dispositions que « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu’en raison d’une disposition expresse contraire de la Constitution » [25] Il appartient au Conseil de veiller au respect de cette exigence. Dans sa décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 [26], le Conseil constitutionnel a précisé que son contrôle des lois de transposition des directives est soumis à une double limite. En premier lieu, la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. En second lieu, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l’article 61 de la Constitution (1 mois ou 8 jours en cas d’urgence), le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle. Il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l’article 88-1 de la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer.
Par ailleurs, l’article 88-2 de la Constitution dispose que « la loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l’Union européenne ». Le Conseil considère « que, par ces dispositions particulières, le constituant a entendu lever les obstacles constitutionnels s’opposant à l’adoption des dispositions législatives découlant nécessairement des actes pris par les institutions de l’Union européenne relatives au mandat d’arrêt européen » [27]. Par suite, « il appartient au Conseil constitutionnel saisi de dispositions législatives relatives au mandat d’arrêt européen de contrôler la conformité à la Constitution de celles de ces dispositions législatives qui procèdent de l’exercice, par le législateur, de la marge d’appréciation que prévoit l’article 34 du Traité sur l’Union européenne, dans sa rédaction alors applicable » [28].

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

L’article 53 de la Constitution prévoit que les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi. Dans une décision du 18 décembre 1998, le Conseil d’État s’est reconnu compétent pour se prononcer « sur le bien-fondé d’un moyen soulevé devant lui et tiré de la méconnaissance, par l’acte de publication d’un traité ou accord, des dispositions de l’article 53 de la Constitution » [29].

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La stabilité de la Constitution n’est pas un élément de sa suprématie. Par exemple, sous la IIIe République, si les trois lois constitutionnelles de 1875 [30] n’ont été modifiées ou complétées que très rarement [31], leur suprématie n’était pas pour autant garantie. En revanche, la stabilité est un gage de solennité. Comme l’indique le professeur Dominique Rousseau, « une Constitution (…) n’est pas un texte ordinaire ; c’est la Loi des lois, l’acte solennel par lequel une société déclare les principes qui la fondent, qui la rassemblent et qui l’organisent. Ce texte-là ne peut être changé aussi facilement qu’une loi ordinaire » [32]

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

La Constitution du 4 octobre 1958 a été, depuis sa publication, modifiée à 24 reprises [33] par le pouvoir constituant, soit par le Parlement réuni en Congrès, soit directement par le peuple à l’issue d’un référendum. À neuf reprises, la Constitution a été modifiée à la suite d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel [34]

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

La ratification ou l’approbation de traités ou accords internationaux peut nécessiter une révision de la Constitution lorsque le Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article 54 de la Constitution, juge que l’engagement international comporte une clause contraire à la Constitution [35]. Cela a été le cas à cinq reprises [36]

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Cette suprématie existe effectivement d’un point de vue juridique : les juridictions compétentes censurent le non-respect des normes constitutionnelles : le Conseil constitutionnel en ce qui concerne le législateur, et les juridictions administratives et judiciaires dans les limites de leurs compétences.
Le Conseil d’État accepte de longue date de contrôler la conformité d’un acte administratif à la Constitution, en l’absence d’écran législatif [37]. Par exemple, il juge que l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environneme nt a valeur constitutionnelle et qu’il s’impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs [38].
La Cour de cassation accepte également de contrôler le respect des exigences constitutionnelles. Par exemple, dans un arrêt du 22 janvier 1963, elle a contrôlé le respect de la suprématie conférée aux engagements internationaux par l’article 55 de la Constitution [39].

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

L’acceptation du contrôle de constitutionnalité par les juridictions ordinaires est la marque de l’acceptation de sa place au sein de la hiérarchie des normes.
En 1998, le Conseil d’État a admis que la Constitution, dans l’ordre interne, était supérieure aux engagements internationaux : « Considérant que l’article 55 de la Constitution dispose que “les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie”, la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle [40]. »
La Cour de cassation, trois ans plus tard, a repris la même solution dans son arrêt Fraisse [41] : « la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’appliquant pas dans l’ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 188 de la loi organique seraient contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté ».

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

La légitimité est un jugement de valeur porté sur le droit. Il est donc possible, qu’à titre individuel, certains individus y soient plus ou moins opposés.
Toutefois, le fonctionnement des institutions de la Ve République montre globalement une acceptation de ce contrôle.
Depuis l’entrée en vigueur de la QPC, le nombre de saisines a priori a augmenté : de 10 à 12 saisines en moyenne de lois ordinaires par an avant 2010, et de 12 à 19 par an depuis 2010.
En outre, on voit apparaître des saisines du Conseil constitutionnel par la majorité elle-même. La loi relative à la géolocalisation a été déférée par 60 députés de la majorité « afin de sécuriser les procédures pénales qui pourraient se fonder sur le nouvel article 230-41 du code de procédure pénale » [42]. De manière plus ancienne, des députés de la majorité avaient déjà saisi le Conseil en 1996 [43]. En 2010, à l’occasion de l’examen de la loi sur la dissimulation du visage dans l’espace public, le Conseil a été saisi par les présidents de chaque assemblée, tous deux issus de la majorité [44]. Enfin le Conseil a déjà été saisi par le Premier ministre [45].
Si le président de la République, M. François Hollande, saisissait le Conseil constitutionnel une fois le projet de loi sur le renseignement définitivement adopté par le Parlement, il s’agirait du premier exemple d’un contrôle de la conformité d’une loi à la Constitution à la demande du président de la République.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

En pratique, il existe des institutions qui permettent d’assurer la garantie de la Constitution.
Il s’agit, en premier lieu, des juridictions, des autorités administratives indépendantes, principalement celles qui disposent de fonctions juridictionnelles.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel est prévue par l’article 62 de la Constitution, qui dispose que : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. ».
Le Conseil constitutionnel considère que cette autorité s’attache non seulement au dispositif des décisions, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même [46].
La conséquence en est que, « si l’autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d’une loi ne peut en principe être utilement invoquée à l’encontre d’une autre loi conçue en termes distincts, il n’en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution » [47].
Cette solution est globalement acceptée par les juridictions du fond.
Le Conseil d’État considère que cette autorité vaut quel que soit le fondement de la saisine du Conseil constitutionnel qui a donné lieu à la décision [48].
La Cour de cassation a repris pour son compte la solution du Conseil constitutionnel en estimant « que l’article 62 alinéa 2 de la Constitution dispose que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; qu’il s’en déduit que l’autorité de décision du Conseil constitutionnel est absolue en ce qui concerne les textes mêmes dont il a examiné la constitutionnalité ; que l’autorité de ces décisions ne se limite pas à leurs dispositifs mais s’applique à ceux des motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » [49].
Cependant, il a pu exister des hypothèses de divergence de jurisprudences entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation.
À l’occasion de l’interprétation de l’article 68 de la Constitution relatif au statut pénal du chef de l’État, le Conseil constitutionnel, dans une décision de 1999, a considéré que celui-ci bénéficiait d’un privilège de juridiction pour tous les actes accomplis hors de l’exercice de ses fonctions [50].

Deux ans plus tard, la Cour de cassation a estimé qu’elle n’était pas liée par l’interprétation de l’article 68 de la Constitution par le Conseil constitutionnel, au motif que ses décisions « ne s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu’en ce qui concerne le texte soumis à l’examen du Conseil » 51[51]. Elle retient alors une interprétation différente de l’article 68, selon laquelle le président de la République ne dispose d’aucun privilège de juridiction mais d’une inviolabilité en cours de mandat pour les actes accomplis hors de l’exercice de ses fonctions.
Cette divergence d’interprétation n’a été tranchée que par la révision constitutionnelle du 23 février 2007.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Le Conseil constitutionnel n’utilise pas l’expression « bloc de constitutionnalité ». Cependant, il admet que son contrôle ne porte pas uniquement sur le respect des articles 1er à 89 de la Constitution. Dans sa décision Liberté d’association du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel a conféré pleine valeur constitutionnelle au préambule de la Constitution 52[52].
Le Conseil utilise donc comme normes de référence de son contrôle le préambule de la Constitution ainsi que, par voie de conséquence, l’ensemble des textes visés par ce préambule : à savoir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et, depuis la révision constitutionnelle du 1er mars 2005, la Charte de l’environnement.
Les normes de référence du contrôle du Conseil constitutionnel comprennent également des normes non écrites, que sont : les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (mentionnés par le préambule de 1946), au rang desquels se trouve par exemple la liberté d’association, les objectifs de valeur constitutionnels, ainsi que des principes et exigences de valeur constitutionnelles.
L’ensemble de ces normes non écrites se déduit, au moins implicitement, du texte de la Constitution (sauf pour les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qui se déduisent des lois républicaines antérieures à 1946). Par exemple, en 1994, le Conseil a dégagé un principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, en se fondant sur le préambule de la Constitution de 1946 [53].
Dans le cadre du contrôle des lois relatives à la Nouvelle-Calédonie, le Conseil considère que les normes de référence de son contrôle incluent également les orientations définies par l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998, du fait de la référence à ces orientations à l’article 77 de la Constitution [54], et la loi organique portant statut de cette collectivité.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Si le « bloc de constitutionnalité » désigne des normes posées par le pouvoir constituant, le Conseil ne se réfère, au sein du « bloc » à aucune autre norme que la Constitution elle-même.
Si le « bloc de constitutionnalité » désigne l’ensemble des normes auxquelles sont confrontées les dispositions faisant l’objet du contrôle de constitutionnalité, alors le Conseil utilise d’autres normes que la Constitution. Il utilise les lois organiques en matière financière pour le contrôle des lois financières (lois de finances, lois de financement de la sécurité sociale, lois de programmation des finances publiques), les lois organiques relatives à la Nouvelle-Calédonie pour le contrôle des lois du pays de la Nouvelle-Calédonie, les lois organiques et autres dispositions législatives relatives au fonctionnement des assemblées parlementaires pour le contrôle des règlements de ces assemblées.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Le Conseil constitutionnel ne dispose que d’une compétence d’attribution. Il est compétent pour examiner la constitutionnalité des lois (art. 61 al. 1 et 61-1), des lois organiques (art. 61 al 2), des propositions de loi mentionnées à l’article 11 avant qu’elles ne soient soumises au référendum (art. 61 al. 1), des règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application (art. 61 al. 1) et des lois du pays de Nouvelle-Calédonie (dans le cadre de l’habilitation du législateur organique à prévoir cela sur le fondement du troisième alinéa de l’article 77 de la Constitution).

Il contrôle en outre la constitutionnalité des traités internationaux (art. 54).
De plus, il veille à la régularité de l’élection du président de la République, examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin (art. 58), il statue, en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des députés et des sénateurs (art. 59) et il veille à la régularité des opérations de référendum prévues aux articles 11 et 89 et au titre XV et en proclame les résultats (art. 60).
Enfin, il joue un rôle de régulation des pouvoirs politiques. Il est compétent pour prononcer le déclassement d’une disposition législative (art 37 al. 2), se prononcer sur la répartition des compétences entre l’État et certaines collectivités d’outre-mer (art. 74), prononcer des décisions de fin de non-recevoir en cours de procédure législative (art. 39 al. 4 et art. 41 al. 2), et se prononcer sur la déchéance ou l’incompatibilité des parlementaires (articles L.O. 136 et L.O. 151 du code électoral pris sur le fondement de l’article 25 de la Constitution).

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Le Conseil s’attache à assurer l’effet utile de ses décisions. Il a développé, surtout depuis l’entrée en vigueur de la QPC, une jurisprudence relative à la modulation des effets dans le temps de ses décisions.
Le dernier état de la jurisprudence est posé par la décision 2014-457 QPC : « Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration » [55].

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Pour interpréter les normes constitutionnelles, le Conseil constitutionnel se réfère d’abord au texte même de la disposition constitutionnelle, parfois éclairé par les travaux préparatoires [56].

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Il existe des domaines dans lesquels le Conseil a progressivement renforcé son contrôle. Un exemple peut être donné en matière de contrôle des lois de validation.
De sa décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 sur la loi portant validation d’actes administratifs jusqu’à sa décision n° 99-425 DC sur la loi de finances rectificative pour 1999, le Conseil constitutionnel avait appliqué, en matière de lois de validation, une jurisprudence qui laissait une liberté importante au législateur pour apprécier les motifs d’intérêt général susceptibles de justifier une telle loi. Après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme par l’arrêt Zielinski c/ France du 28 octobre 1999 (n° 24846/94 et 34165/96 à 34173/96), le Conseil constitutionnel avait, par sa décision n° 99-425 DC du 29 décembre 1999, modifié sa jurisprudence pour assurer un contrôle plus approfondi des lois de validation, équivalent à celui opéré sur le fondement de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH).
La validation par le législateur d’un acte administratif dont une juridiction est saisie ou est susceptible de l’être est donc subordonnée, en vertu de cette jurisprudence, à cinq conditions :

  • la validation doit poursuivre un but d’intérêt général suffisant ;
  • elle doit respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée (faute de quoi, c’est le principe de la séparation des pouvoirs qui est méconnu) ;
  • elle doit respecter le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ;
  • l’acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle ;
  • la portée de la validation doit être strictement définie. Dans le cadre de la procédure de la QPC, le nécessaire respect de ces conditions a été réaffirmé par le Conseil à de multiples reprises (décisions n° 2010-2

QPC du 11 juin 2010, n° 2010-53 QPC du 14 octobre 2010, n° 2010-78 QPC du 10 décembre 2010, n° 2011-224 QPC du 24 février 2012, n° 2012-263 QPC du 20 juillet 2012, n° 2012-287 QPCn° 2013-327 QPC du 21 juin 2013).
Par sa décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, le Conseil constitutionnel a encore renforcé son contrôle en exigeant que l’atteinte aux droits des personnes résultant de la loi de validation soit justifiée par un « motif impérieux d’intérêt général ». Ce faisant, le Conseil constitutionnel a entendu expressément souligner l’exigence de son contrôle : le contrôle des lois de validation qu’il assure sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789 a la même portée que le contrôle assuré sur le fondement des exigences qui résultent de la CESDH.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

L’évolution des pouvoirs du Conseil constitutionnel traduit un renforcement son contrôle sur le respect des droits fondamentaux. Le Conseil dispose aujourd’hui des moyens pour censurer toute loi qui serait contraire à la Constitution, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Le Conseil constitutionnel ne juge que par rapport à la Constitution, et non au regard des normes conventionnelles, dont le respect est assuré par les juridictions des ordres judiciaire et administratif. Il se peut donc que certaines divergences de positions apparaissent, de manière inhérente à la nature du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel.
Un exemple peut être donné par le principe non bis in idem. Garanti par le Protocole additionnel n° 7 à la CESDH, la Cour européenne des droits de l’homme l’a interprété comme posant une interdiction de cumul des sanctions, et une interdiction de cumul des poursuites, indépendamment des qualifications pouvant être retenues des faits en cause [57].
Le Conseil constitutionnel n’a pas reconnu le principe non bis in idem, qui n’existe pas au sein du bloc de constitutionnalité. Il juge uniquement au regard du principe de nécessité des peines. Ce principe permet le cumul de sanctions si le cumul ne dépasse pas le maximum prévu par l’une d’entre elles.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?
Oui. Cette primauté de la Constitution sur le droit international est reconnue par le Conseil d’État et la Cour de cassation, dans les arrêts Sarran et Fraisse [58].
De manière générale, le Conseil constitutionnel considère que la Constitution est « au sommet de l’ordre juridique interne » [59].
Concernant le droit de l’Union européenne, le Conseil constitutionnel estime que la place particulière de ce droit ne remet pas en cause la place de la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes [60].

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Le Conseil constitutionnel ne raisonne en terme de hiérarchie que lorsqu’il s’agit de contrôler la validité d’une norme au regard de la Constitution. Dès lors qu’il existe un conflit au sein des normes constitutionnelles, parmi lesquelles il n’existe pas de hiérarchie formelle, le Conseil s’attache à opérer une conciliation entre-elles [61].

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Le droit international et européen échappant à la compétence du Conseil constitutionnel, celui-ci ne connaît que la Constitution interne et s’attache à en garantir le respect.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Le Conseil constitutionnel ne juge que par rapport à la Constitution. Il retient donc une vision dualiste des rapports entre droit interne et droit international.

Par exemple, pour ce qui est du droit de l’Union européenne, s’il accepte d’opérer un contrôle de conventionalité manifeste des lois de transposition des directives, ce n’est que parce que ce contrôle trouve son fondement dans l’article 88-1 de la Constitution, qui fait de l’exigence de transposition une exigence constitutionnelle [62].

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Le contrôle de constitutionnalité des traités internationaux est réglé par l’article 54 de la Constitution. Si le Conseil constitutionnel est saisi, et s’il déclare que des dispositions du traité sont contraires à la Constitution, l’article 54 prévoit que « l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ».
Cela signifie que la Constitution fait obstacle à la ratification d’un traité international inconstitutionnel. Ceux-ci ne pouvant être ratifiés que conformément à la Constitution, ils tirent leur validité de la Constitution, et donc, ne peuvent avoir une valeur supra-constitutionnelle.
Il est à remarquer ici que le Conseil d’État se déclare compétent pour contrôler l’existence d’une loi de ratification d’un traité international, conformément à l’article 53 de la Constitution, afin de pouvoir ensuite faire application du traité concerné. C’est bien la reconnaissance du fondement constitutionnel de la valeur juridique des traités internationaux [63].

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Depuis 1975, le Conseil rappelle avec force qu’il n’est pas compétent pour intégrer les conventions internationales au sein des normes de référence de son contrôle [64].

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Pour ratifier des traités ou approuver des accords internationaux, le constituant est conduit à modifier la Constitution lorsque le Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article 54 de la Constitution, a jugé que cet engagement international comporte une clause contraire à la Constitution [65].

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Lorsque le Conseil constitutionnel statue en tant que juge constitutionnel, il refuse de procéder à un contrôle de la conventionalité [66]. Ce refus vaut uniquement concernant le contrôle des lois de transposition des directives, le Conseil n’accepte de déclarer non conforme à l’article 88-1 de la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer [67].
En revanche, lorsqu’il se prononce comme juge électoral, le Conseil accepte d’exercer un tel contrôle [68].

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Lorsqu’il statue en tant que juge constitutionnel, le Conseil constitutionnel n’applique directement aucun instrument international.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, les normes de référence prises en compte par le Conseil constitutionnel sont uniquement les normes du « bloc de constitutionnalité » précédemment évoqué.

4. Situations de conflit ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Formellement, les traités internationaux ne font pas partie des normes de référence du contrôle de la constitutionnalité des lois. Il n’existe donc pas de conflit formel entre Constitution et traités.
Cela n’empêche pas qu’il y ait des écarts entre normes constitutionnelles et normes conventionnelles. La France a par exemple été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit à un procès équitable, à l’occasion de l’examen d’une loi de validation pourtant jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel [69].
De tels écarts peuvent également apparaître lorsque le Conseil constitutionnel est saisi au titre de l’article 54 de la Constitution.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Lorsqu’il existe des situations de conflit matériel entre normes constitutionnelles et conventionnelles, le Conseil constitutionnel adopte une solution pragmatique. Il interprète le plus souvent les règles constitutionnelles afin de leur donner un sens et une portée similaires aux normes conventionnelles. C’est le cas par exemple en matière de contrôle des lois de validation.
En revanche, le Conseil ne jugeant que par rapport à la Constitution, il peut toujours y avoir des divergences matérielles entre normes appartenant à des ordres juridiques différents. Par exemple, le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé sur le fait de savoir si le droit au délai raisonnable de jugement faisait ou non partie du droit à un procès équitable. En revanche, le fait que le droit à l’exécution des décisions de justice soit une composante « du droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » [70], tend à rapprocher le contrôle du Conseil constitutionnel de celui exercé par la CEDH.
Un point de discordance peut également être relevé au regard du principe non bis in idem, reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme mais non par le Conseil constitutionnel [71].

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Le Conseil constitutionnel n’a érigé aucune règle générale relative à la gestion de conflits matériels entre normes constitutionnelles et conventionnelles, pour la simple raison qu’il ne juge qu’au regard des normes constitutionnelles.
Une place particulière doit cependant être faite au droit de l’Union européenne. Afin d’éviter de contrôler une loi de transposition d’une directive, ou d’une décision-cadre de l’Union européenne, au regard de la Constitution lorsqu’elle se borne à tirer les conséquences de dispositions précises et inconditionnelles du droit de l’Union européenne (ce qui reviendrait à contrôler le droit de l’Union lui-même à la Constitution), le Conseil constitutionnel a accepté, à l’occasion de l’examen d’une QPC, de poser une question préjudicielle à la CJUE sur l’interprétation du droit de l’Union européenne, afin de déterminer la marge de manœuvre du législateur [72].
Pour l’heure, il ne reconnaît cette possibilité qu’au titre du contrôle a posteriori.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Le Conseil constitutionnel n’a posé aucune règle de présomption de protection équivalente entre normes internes et internationales. Il ne juge qu’au regard des seules normes internes.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Il n’existe pas de présomption de protection équivalente.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Les normes internationales ne sont pas invocables devant le Conseil constitutionnel, lorsque celui-ci juge de la constitutionnalité des lois.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Il ne s’agit que de conflits matériels. Il n’existe aucune situation de conflit formel, le droit international ne faisant pas partie du bloc de constitutionnalité.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel tient compte implicitement des instruments internationaux.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Le Conseil a eu plusieurs fois l’occasion de juger qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution. Dans cette hypothèse, et conformément à l’article 54 de la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution. De fait, plusieurs révisions de la Constitution sont intervenues pour tirer les conséquences de telles décisions du Conseil constitutionnel 73[73].

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

En principe, le Conseil constitutionnel ne reconnaît aucune valeur juridique à une décision d’une juridiction internationale.
Deux tempéraments doivent être apportés à cette règle de principe.
En premier lieu, les décisions d’une juridiction internationale peuvent être prises en compte pour déterminer le sens et la portée des dispositions d’un engagement international dont est saisi le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 54 de la Constitution. Tel a été le cas de la décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 rendue à propos du Traité établissant une Constitution pour l’Europe 74[74]. En l’espèce, le Conseil a fait référence dans les visas de sa décision à l’arrêt Leyla Sahin c. Turquie rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 29 juin 2004. Il s’est agi de déterminer le sens et la portée du principe de laïcité consacré par l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales auquel renvoie le premier paragraphe de l’article II-70 du Traité établissant une Constitution pour l’Europe. En ce sens, le Conseil a rappelé que l’article 9 de la Convention européenne a été constamment appliqué par la Cour européenne des droits de l’homme en harmonie avec la tradition constitutionnelle de chaque État membre. Dans cette affaire Leyla Sahin c. Turquie, se prononçant sur l’interdiction faite aux étudiantes turques d’avoir la tête couverte, la Cour de Strasbourg juge qu’une telle prohibition n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention.
En second lieu, le Conseil constitutionnel tient compte des décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne saisie d’une question préjudicielle par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013 75[75], le Conseil constitutionnel a saisi ladite Cour de la question de savoir si les articles 27 et 28 de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen, doivent être interprétés comme s’opposant à ce que les États membres prévoient un recours contre la décision de l’autorité judiciaire qui statue, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, soit afin de donner son consentement pour qu’une personne soit poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, pour une infraction commise avant sa remise en exécution d’un mandat d’arrêt européen, autre que celle qui a motivé sa remise, soit pour la remise d’une personne à un État membre autre que l’État membre d’exécution, en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis pour une infraction commise avant sa remise. Dans sa décision n° 2013-314 QPC du 14 juin 2013 76[76], le Conseil constitutionnel a tiré les conséquences de l’arrêt du 30 mai 2013 77[77] par laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que : « Les articles 27, paragraphe 4, et 28, paragraphe 3, sous c), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que les États membres prévoient un recours suspendant l’exécution de la décision de l’autorité judiciaire qui statue, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, afin de donner son consentement soit pour qu’une personne soit poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, pour une infraction commise avant sa remise en exécution d’un mandat d’arrêt européen, autre que celle qui a motivé cette remise, soit pour la remise d’une personne à un État membre autre que l’État membre d’exécution, en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis pour une infraction commise avant ladite remise, pour autant que la décision définitive est adoptée dans les délais visés à l’article 17 » [78]. En effet, le Conseil a jugé qu’« en prévoyant que la décision de la chambre de l’instruction est rendue “sans recours”, le quatrième alinéa de l’article 695-46 du code de procédure pénale ne découle pas nécessairement des actes pris par les institutions de l’Union européenne relatifs au mandat d’arrêt européen » [79]. Estimant qu’il lui appartient de contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil a jugé « qu’en privant les parties de la possibilité de former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre de l’instruction statuant sur une telle demande, les dispositions contestées apportent une restriction injustifiée au droit à exercer un recours juridictionnel effectif » [80]. Par suite, il a déclaré les mots « sans recours » figurant au quatrième alinéa de l’article 695-46 du code de procédure pénale contraires à la Constitution.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Comme l’a déclaré le président du Conseil constitutionnel, M. Jean-Louis Debré, à l’occasion du 5e anniversaire de la question prioritaire de constitutionnalité, « s’il n’exerce pas de contrôle au regard de la Convention EDH, le Conseil constitutionnel veille cependant avec un très grand soin à la cohérence de sa jurisprudence avec celle de la Cour de Strasbourg. Chacun connaît, par exemple, l’évolution de notre jurisprudence sur les validations législatives. » Depuis la décision 366 QPC du 14 février 2014, nous avons désormais, outre un contrôle identique, des formulations communes.
« De nombreux autres exemples vont dans le même sens, avec notamment nos décisions sur les visites domiciliaires, l’appel de l’accusé en fuite, l’application des exigences d’impartialité aux autorités administratives indépendantes, la portée de la liberté d’expression et l’exception de vérité des faits diffamatoires, les exigences applicables aux expropriations pour cause d’utilité publique…

« Il n’est pas de semaine où le Conseil ne cherche à analyser sa jurisprudence au regard de celle de la Cour de Strasbourg. Parfois, le Conseil espère influencer celle-ci comme ce fut le cas lorsqu’il se prononça en 2010 sur une QPC relative à l’adoption par un couple non marié. Il fut ensuite très heureux de voir que la Cour cita sa décision et surtout que nos appréciations de conformité concordaient pleinement » [81].

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Le Conseil ne fait pas dépendre l’interprétation de la Constitution des dispositions internationales.


  • [1]
    Décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, cons. 10.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Décision n° 2007-560 DC du 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, cons. 8.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Art. 14 de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 portant extension du champ d’application du référendum, instituant une session parlementaire ordinaire unique, modifiant le régime de l’inviolabilité parlementaire et abrogeant les dispositions relatives à la Communauté et les dispositions transitoires.  [Retour au contenu]
  • [4]
    En ce sens, le Doyen Georges Vedel faisait observer qu’en cas de conflit entre des normes de valeur constitutionnelle, « il y aura lieu à interprétation des règles, non à classement hiérarchique entre elles ». Il ajoutait : « tout autre affirmation conduirait à construire de toutes pièces et hors de toute référence au droit positif (…) une théorie de la “supra-constitutionnalité” œuvre arbitraire et purement subjective » : Georges Vedel, « La place de la Déclaration de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité » », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, PUF, Paris, 1989, p. 54.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Décision nos 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive, cons. 13 ; 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, cons. 24 ; 2010-55 QPC du 18 octobre 2010, M. Rachid M. et autres (Prohibition des machines à sous), cons. 4 ; 2011- 126 QPC du 13 mai 2011, Société Système U Centrale Nationale et autre (Action du ministre contre des pratiques restrictives de concurrence), cons. 4 ; 2012-258 QPC précitée, cons. 6, et 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre (Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction), cons. 8.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Décisions no 99-423 DC du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail, cons. 24 à 36 et n° 2001-455 DC du 12 janvier 2012, Loi de modernisation sociale, cons. 43 à 50.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Décisions n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, cons. 77 et n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014, M. Maurice L. et autre (Prolongation exceptionnelle de la garde à vue pour des faits d’escroquerie en bande organisée), cons. 13.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Décisions n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, cons. 15.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Art. 46, alinéa 4, de la Constitution. Le Conseil a précisé que sont des lois organiques relatives au Sénat, celles « qui ont pour objet, dans les domaines réservés aux lois organiques, de poser, de modifier ou d’abroger des règles concernant le Sénat ou qui, sans se donner cet objet à titre principal, n’ont pas moins pour effet de poser, de modifier ou d’abroger des règles le concernant ; en revanche, si une loi organique ne présente pas ces caractères, la seule circonstance que son application affecterait indirectement la situation du Sénat ou de ses membres ne saurait la faire regarder comme relative au Sénat » : décision n° 85-195 DC du 10 juillet 1985, Loi organique modifiant le code électoral et relative à l’élection des députés, cons. 5  [Retour au contenu]
  • [10]
    Article 88-3 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Articles 46, alinéa 5, et 61, alinéa 1er, de la Constitution  [Retour au contenu]
  • [12]
    Pierre Avril, Droit parlementaire, LGDJ, Lextenso éditions, Paris, 2014, p. 8.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Décisions nos 63-24 DC du 20 décembre 1963 ; 99-415 DC du 28 juin 1999 et 2009-583 DC du 22 juin 2009.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Décision n° 2014-703 DC du 19 novembre 2014, Loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution, cons. 25  [Retour au contenu]
  • [15]
    Voir, par exemple, la décision n° 2014-705 DC du 11 décembre 2014, Résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, cons. 2.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l’Union européenne, cons. 19.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Dominique Rousseau, « La révision de la Constitution sous la Ve République », op. cit.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Décision n° 2003-469 DC du 26 mars 2003, Loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, cons. 2.  [Retour au contenu]
  • [19]
    CE, 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, n° 200286 et 200287.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Ibid., cons. 7.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Voir, par exemple, les décisions nos 77-83 DC du 20 juillet 1977, Loi modifiant l’article 4 de la loi de finances rectificative pour 1961, cons. 6, 2006-535 DC, 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, cons. 27 et 2014-694 DC du 28 mai 2014, Loi relative à l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié, cons. 2.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Voir, par exemple, la décision n° 2014-439 QPC du 23 janvier 2015, M. Ahmed S. (Déchéance de nationalité), cons. 7.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, cons. 7.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 17 à 20  [Retour au contenu]
  • [27]
    Décision n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013, M. Jeremy F. (Absence de recours en cas d’extension des effets du mandat d’arrêt européen – question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, cons. 5.  [Retour au contenu]
  • [28]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [29]
    CE, Assemblée, 18 décembre 1998, SARL du parc d’activités de Blotzheim, n° 181249.  [Retour au contenu]
  • [30]
    Loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat, Loi constitutionnel du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoir et loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics.  [Retour au contenu]
  • [31]
    Voir les lois constitutionnelles du 21 juin 179, du 14 août 1884 et du 10 août 1926.  [Retour au contenu]
  • [32]
    Dominique Rousseau, « La révision de la Constitution sous la Ve République », [en ligne]. Disponible sur [http://www.conseil-constitutionnel.fr].  [Retour au contenu]
  • [33]
    Loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin 1960 (États de la communauté), Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 (Élection du Président de la République au suffrage universel), Loi constitutionnelle n° 63-1327 du 30 décembre 1963 (Session parlementaire), Loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 (Possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de déférer une loi au Conseil constitutionnel), Loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976 (Intérim de la Présidence de la République), Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 (Dispositions permettant de ratifier le traité de Maastricht), Loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 (Cour de justice de la République), Loi constitutionnelle n° 93-1256 du 25 novembre 1993 (Droit d’asile), Loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 (Session parlementaire unique), Loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 (Loi de financement de la sécurité sociale), Loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 (Avenir de la Nouvelle-Calédonie), Loi constitutionnelle n° 99-49 du 25 janvier 1999 (Traité d’Amsterdam), Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999 (Cour Pénale Internationale), Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 (Égalité entre les femmes et les hommes), Loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 (Durée du mandat du Président de la République), Loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003 (Mandat d’arrêt européen), Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 (Organisation décentralisée de la République), Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 (Traité établissant une Constitution pour l’Europe), Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 (Charte de l’environnement), Loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 (Corps électoral de la Nouvelle-Calédonie), Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 (Responsabilité du Président de la République), Loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 (Interdiction de la peine de mort), Loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution (Traité de Lisbonne), et Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.  [Retour au contenu]
  • [34]
    Décisions nos 82-146 DC du 18 novembre 1982 Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales ; 92-308 DC du 9 avril 1992, Traité sur l’Union européenne ; 97-394 DC du 31 décembre 1997, Traité d’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union européenne, les Traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes ; 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France ; 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale ; 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie ; 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe ; 2006-533 DC du 16 mars 2006, Loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, et 2007-560 DC du 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Cf. supra.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Respectivement après les décisions n° 92-308 DC du 9 avril 1992, 97-394 du 31 décembre 1997, 98-408 DC du 22 janvier 1999, 2004-505 DC du 19 novembre 2004 et 2007-560 DC du 20 décembre 2007.  [Retour au contenu]
  • [37]
    CE, 6 novembre 1936, Arrighi.  [Retour au contenu]
  • [38]
    CE ass. 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, Lebon p. 322.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Cass. crim., 22 janvier 1963, n° 62-91509.  [Retour au contenu]
  • [40]
    CE, 30 octobre 1998, précité.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Cass, plén., 2 juin 2000, n° 99-60274.  [Retour au contenu]
  • [42]
    Décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014, Loi relative à la géolocalisation.  [Retour au contenu]
  • [43]
    Décision n° 96-386 DC du 30 décembre 1996, Loi de finances rectificative pour 1996.  [Retour au contenu]
  • [44]
    Décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010, Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.  [Retour au contenu]
  • [45]
    Par exemple : Décision n° 2010-610 DC du 12 juillet 2010, Loi relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [46]
    Décision n° 62-18 L du 16 janvier 1962, Nature juridique des dispositions de l’article 31 (alinéa 2) de la loi n° 60-808 du 5 août 1960 d’orientation agricole.  [Retour au contenu]
  • [47]
    Décision n° 89-258 DC du 8 juillet 1989, Loi portant amnistie.  [Retour au contenu]
  • [48]
    CE, 14 octobre 2011, Commune de Creil, n° 346796.  [Retour au contenu]
  • [49]
    Cass., com., 25 janvier 2005, n° 03-10068.  [Retour au contenu]
  • [50]
    Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale.  [Retour au contenu]
  • [51]
    Cass, 10 octobre 2001, Breisacher.  [Retour au contenu]
  • [52]
    Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, précitée.  [Retour au contenu]
  • [53]
    Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.  [Retour au contenu]
  • [54]
    Voir décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique prise en application de l’article 77 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [55]
    Décision n° 2014-457 QPC du 20 mars 2015, Mme Valérie C., épouse D. (Composition du conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire).  [Retour au contenu]
  • [56]
    Pour un exemple récent, voir décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, cons. 5 et 6.  [Retour au contenu]
  • [57]
    CEDH, 10 février 2009 Zolotoukhine c. Russie (14939/03) ; CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et autres c. Italie (18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10, 18698/10).  [Retour au contenu]
  • [58]
    Cf. supra.  [Retour au contenu]
  • [59]
    Cf. supra.  [Retour au contenu]
  • [60]
    Décision n° 2012-653 DC du 9 août 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire.  [Retour au contenu]
  • [61]
    Décision du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, précitée.  [Retour au contenu]
  • [62]
    Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique.  [Retour au contenu]
  • [63]
    CE, 18 décembre 1998, SARL du Parc d’activités de Blotzheim précitée.  [Retour au contenu]
  • [64]
    Cf. supra.  [Retour au contenu]
  • [65]
    Cf. supra. 1.1.  [Retour au contenu]
  • [66]
    Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.  [Retour au contenu]
  • [67]
    Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 précitée.  [Retour au contenu]
  • [68]
    S’agissant de la conformité de la loi du 11 juillet 1986 relative au mode de scrutin pour l’élection des députés à l’Assemblée Nationale avec le Protocole n° 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, voir la décision n° 88-1082/1117 AN du 21 octobre 1988, A.N., Val d’Oise 5e circ.  [Retour au contenu]
  • [69]
    CEDH, Zielinski c/ France du 28 octobre 1999, n° 24846/94 et 34165/96 à 34173/96.  [Retour au contenu]
  • [70]
    Décision n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015, M. Jean de M. [Possibilité de verser une partie de l’astreinte prononcée par le juge administratif au budget de l’État].  [Retour au contenu]
  • [71]
    Cf. supra.  [Retour au contenu]
  • [72]
    Cf. supra, décision n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013, M. Jeremy F. (Absence de recours en cas d’extension des effets du mandat d’arrêt européen – question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne).  [Retour au contenu]
  • [73]
    Cf. supra.  [Retour au contenu]
  • [74]
    Décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, précitée.  [Retour au contenu]
  • [75]
    Décision n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013 précitée.  [Retour au contenu]
  • [76]
    Décision n° 2013-314 QPC du 14 juin 2013, M. Jeremy F. (Absence de recours en cas d’extension des effets du mandat d’arrêt européen).  [Retour au contenu]
  • [77]
    CJUE, 30 mai 2013, n° C-168/13 PPU.  [Retour au contenu]
  • [78]
    Décision n° 2013-314 QPC du 14 juin 2013 précitée, cons. 7.  [Retour au contenu]
  • [79]
    Ibid., cons. 8.  [Retour au contenu]
  • [80]
    Ibid., cons. 9.  [Retour au contenu]
  • [81]
    Jean-Louis Debré, « 5e anniversaire de la Question prioritaire de constitutionnalité », JCP G, n° 13, 30 mars 2015, 354.  [Retour au contenu]

Cour constitutionnelle du Gabon

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

En réalité, il n’y a pas de dispositions de la Constitution qui, de façon expresse, déterminent le rang de celle-ci. Il s’agit beaucoup plus d’une déduction faite à la lecture d’un certain nombre de dispositions constitutionnelles. C’est le cas des dispositions constitutionnelles qui explicitent les règles relatives au contrôle de constitutionnalité des lois. Il s’agit, premièrement de l’article 83 qui dispose que « la Cour constitutionnelle est la haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité des lois et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. » Mais aussi, deuxièmement, les dispositions de l’article 85 selon lesquelles, la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation, des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques, des règlements de l’Assemblées nationale, du Sénat, du Conseil national de la communication et du Conseil économique et social avant leur mise en application. C’est ce contrôle de conformité à la Constitution de tous ces textes, opéré sur la base de l’idée d’une hiérarchie des normes, qui permet d’affirmer la suprématie de la Constitution. Par ailleurs, la procédure de révision renforce aussi l’idée de la suprématie de la Constitution. Ainsi, par exemple, pour modifier une loi, il n’est pas nécessaire de saisir la Cour constitutionnelle et la modification est adoptée à la majorité simple des parlementaires dans chaque chambre.

Or, pour réviser la Constitution, l’article 116 de la loi fondamentale exige dans un premier cas que la proposition ou le projet de révision soit soumis au référendum, et pour le second cas, que la proposition ou le projet de révision soit soumis pour adoption au Parlement réuni en congrès et une majorité qualifiée des deux tiers des suffrages exprimés est requise.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entres les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Il n’y a pas en tant que telle une échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles. Cependant, force est de constater que le constituant a établi au sein même de la Constitution, deux catégories de normes, d’une part, celles pouvant faire l’objet de révision soit directement par le peuple, soit de façon indirecte par ses représentants, et, d’autre part, les normes intouchables, c’est-à-dire, celles insusceptibles de révision, déterminées par les dispositions de l’article 117 de la Constitution aux termes desquelles, « la forme républicaine de l’État, ainsi que le caractère pluraliste de la démocratie, sont intangibles et ne peuvent faire l’objet d’aucune révision ». On peut être tenté de conclure que ces dernières prévalent sur les premières citées.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Comme la plupart des constitutions, la Constitution Gabonaise crée des institutions telles, la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil national de la communication ou encore le Conseil économique et social, mais ne pouvant déterminer toutes les règles se rapportant à chacune des institutions par elle créées, la Constitution va prévoir l’intervention du législateur organique afin de compléter les dispositions constitutionnelles relatives à chacune de ces institutions. Les lois organiques complètent donc les dispositions constitutionnelles en ce qu’elles déterminent les règles relatives à la composition, à l’organisation et au fonctionnement des institutions constitutionnelles. Outre les lois organiques, les autres textes qui complètent les dispositions constitutionnelles sont les lois ordinaires de portée générale, les règlements des chambres du Parlement, les règlements du Conseil économique et social et du Conseil national de la communication. Mais tous ces textes ont une valeur infraconstitutionnelle. Il convient par ailleurs de noter qu’à ce jour, aucune norme n’est venue modifier la Constitution.

Le préambule fait-il formellement parti du bloc de constitutionnalité ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule de la Constitution de la République gabonaise fait partie intégrante de la Constitution, c’est-à-dire du bloc de constitutionnalité. Cela a été précisé par la Cour constitutionnelle dans sa décision du 28 février 1992. Dans cette même décision, la Cour a précisé que ledit préambule à la même valeur juridique que les autres textes et normes de valeur constitutionnelle. Voilà ce que dit la Cour dans cette définition : « Considérant que la conformité d’un texte de loi à la Constitution doit s’apprécier non seulement par rapport aux dispositions de celle-ci mais aussi par rapport au contenu des textes et normes de valeur constitutionnelle énumérés dans le préambule de la Constitution, auxquels le peuple gabonais a solennellement affirmé son attachement et qui constituent avec la Constitution, ce qu’il est convenu d’appeler le bloc de constitutionnalité ».

Existe-il des normes de droit supérieures à la Constitution (supraconstitutionnalité) ?

Si l’on considère que les normes supraconstitutionnelles sont censées se situer au-dessus de la Constitution, la réponse à cette question est qu’il n’existe pas dans l’ordre juridique gabonais des normes supérieures à la Constitution, parce que la Constitution est située au sommet de la pyramide des normes.
A contrario, si l’on privilégie l’autre définition de la supraconstitutionnalité, qui dit que sont supraconstitutionnelles, les normes constitutionnelles que le constituant dérivé ne peut réviser, c’est-à-dire, celles insusceptibles de révision, alors on peut considérer que les dispositions relatives à la forme républicaine de l’État, tout comme celles se rapportant au caractère pluraliste de la démocratie représentent la supraconstitutionnalité.

Le droit international fait-il partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Le droit international au sens générique du terme ne fait pas partie du bloc de constitutionnalité gabonais. Cependant il y a des textes internationaux, à l’instar de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ou encore la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ou même la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, qui font partie du bloc de constitutionnalité gabonais. On peut donc penser que certains instruments du droit international font partie du bloc de constitutionnalité gabonais. Il est tout aussi possible qu’un instrument ratifié par l’État gabonais puisse servir de normes de référence à la Cour aux fins de censurer les dispositions d’une loi contraires à la fois à la Constitution et à cet instrument international. En définitive, le droit international dans son entièreté ne constitue pas une composante du bloc de constitutionnalité. Le droit international, élément constitutif du bloc

de constitutionnalité, comprend d’une part, les déclarations des droits contenues dans le préambule de la Constitution, et, d’autre part, les accords ratifiés par l’État gabonais et qui font de facto partie de l’ordre juridique interne.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

On peut penser que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples n’ont pas une place particulière au sein de la Constitution. En principe, le bloc de constitutionnalité, dans sa composition, connaît une certaine homogénéité. Tous les textes et toutes les normes qui forment ce bloc ont valeur constitutionnelle. Il n’y a donc de place particulière ou de statut spécifique de certaines sources internationales.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international se rapportent essentiellement aux atteintes portées à la souveraineté de l’État. La souveraineté est définie par Carré de Malberg comme « le caractère suprême d’un pouvoir » Cette souveraineté doit en effet être entière et indivisible. Or, l’intégration de l’État dans un ordre international appelle des abandons de pans entiers de souveraineté, voilà qui n’est pas conforme ou même compatible aux prescriptions des articles 2 et 3 de la Constitution gabonaise qui disent que cette souveraineté est indivisible et appartient au peuple qui l’exerce soit directement, soit de façon indirecte par des institutions constitutionnelles. L’intégration de l’État dans un ordre international n’est pas à tout point compatible avec le respect de la souveraineté de l’État.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La stabilité de la Constitution participe effectivement à sa suprématie. Il est évident qu’une Constitution particulièrement souple, et qui peut donc être révisée plus facilement qu’une simple loi, rend celle-ci très instable. Une telle instabilité fragilise la norme constitutionnelle laquelle peut être révisée dans les mêmes forme et procédure qu’une loi de rang inférieur. Dans un tel cas de figure, la suprématie de la Constitution n’aurait qu’une valeur symbolique. Par ailleurs, l’instabilité constitutionnelle peut entraîner celle des institutions prévues par la Constitution. Pour garantir la stabilité de la Constitution et partant des institutions, le constituant a, à l’article 117, précisé que la forme républicaine de l’État, ainsi que le caractère pluraliste de la démocratie sont intangibles et ne peuvent faire l’objet d’aucune révision.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

La fréquence des modifications constitutionnelles reste acceptable. Il s’agit des modifications nécessaires au rééquilibrage et à la stabilisation des institutions afin de parvenir au fonctionnement régulier de l’État de droit démocratique.
Les dispositions de la loi organique sur la Cour constitutionnelle incitent les pouvoirs publics à initier soit la modification d’un texte de loi en raison de son inadaptabilité, soit la révision de la Constitution du fait de certaines insuffisances relevées par la Cour constitutionnelle.
Il arrive souvent que la Cour appelle l’attention des pouvoirs publics sur la portée de ses décisions en matières législative et réglementaire, et, qu’elle fasse des suggestions qui aboutissent à la révision de la Constitution. En effet, après une jurisprudence constante de la Cour relevant que même si tout mandat impératif est nul, il reste qu’un élu ne saurait démissionner du parti politique qui a présenté sa candidature sans en tirer les conséquences qui s’imposent. La révision constitutionnelle du 29 septembre 1995 a permis de constitutionnaliser cette position de la Cour en ces termes : « Tout mandat impératif est nul. Toutefois, en cas de démission ou d’exclusion dans les conditions statutaires d’un membre du Parlement du parti politique auquel il appartient au moment de son élection, et si ce parti a présenté sa candidature, son siège devient vacant à la date de sa démission ou de son exclusion. »
Une autre jurisprudence de la Cour a été constitutionnalisée à l’alinéa 4 de l’article 4 lors de la révision constitutionnelle du 12 janvier 2011. Par cette jurisprudence, la Cour, lorsqu’elle était saisie par le Gouvernement pour faire constater un cas de force majeure empêchant ce dernier d’organiser les élections dans les délais prévus, elle indiquait que les membres de l’institution concernée devaient demeurer en fonction jusqu’à la proclamation des résultats de l’élection organisée dans les délais qu’elle-même avait fixés.
Cette révision constitutionnelle de 2011 a permis aussi de constitutionnaliser un certain nombre de décisions prises par la Cour pendant la transition politique de 2009, suite au décès du président de la République. Il en est ainsi des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 13 qui instituent la prestation de serment de l’autorité qui assure l’intérim du président de la République, ou encore des dispositions de l’alinéa 4 du même article où il est dit que le scrutin pour l’élection du nouveau président a lieu soixante jours au plus après l’ouverture de la vacance. Les dispositions révisées prévoyaient, elles, quarante-cinq jours au plus.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Il est indéniable qu’un traité international peut conduite à la modification de la Constitution. En effet, il est établi que si un traité est contraire à la Constitution, celui-ci ne peut être ratifié. Mais si ledit traité présente un intérêt

capital pour le Gabon, alors, pour le signer, l’État gabonais n’aura d’autre solution que de procéder à la révision de sa Constitution afin de rendre compatibles les deux textes et procéder à la ratification du traité international concerné.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Au Gabon, l’effectivité de la suprématie de la Constitution en droit interne est indéniable. Cette effectivité se traduit par le contrôle de constitutionnalité des lois opéré par la Cour constitutionnelle, lequel contrôle permet de s’assurer de la non-violation de la Constitution par des normes de rang inférieur. Ce contrôle est non seulement a priori, mais également a posteriori. Il se fait soit par voie d’action, soit par voie d’exception.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les institutions et juridictions nationales ?

La suprématie de la Constitution est non seulement reconnue mais aussi et surtout acceptée par les institutions et les juridictions nationales. À ce jour, aucune institution n’a contesté la position hiérarchique de la Constitution comme norme suprême.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Dans tous les cas, au Gabon, la légitimité du contrôle de constitutionnalité n’est pas contestée et ne saurait l’être. En effet, dès lors qu’il y a une hiérarchie des normes, et que de cette hiérarchie, il est établi qu’aucune règle de rang inférieur ne peut contrarier une norme supérieure, il devient presque inéluctable de mettre en place un gardien chargé de veiller au respect du rapport établi entre la norme inférieure, la loi, et celle supérieure, la Constitution. C’est cette cohérence qui permet la légitimation du contrôle de constitutionnalité.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

L’autre autorité qui garantit le respect de la Constitution est le président de la République, il est le garant politique de la Constitution. Les rapports entre l’exécutif et la Cour constitutionnelle, dans le cadre de la garantie de la suprématie de la Constitution, sont ceux de complémentarité. La Cour constitutionnelle assure la protection juridique de la Constitution et le président de la République veille politiquement au respect de ce même texte.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Tout part en effet des dispositions de la Constitution lesquelles précisent que les décisions de la Cour sont insusceptibles de recours. Ce qui pose, de façon claire, le principe de l’autorité absolue des décisions rendues par la Cour constitutionnelle. La loi permet cependant une petite ouverture en matière électorale, puisqu’elle autorise le requérant de faire soit un recours en rectification, soit un recours en révision lorsque la Cour s’est appuyée sur de fausses pièces pour rendre sa décision.
Dans la pratique, les décisions de la Cour sont respectées par tous, même si on peut enregistrer quelques critiques de la part des certains justiciables lorsqu’une décision leur est défavorable.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quel sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

C’est la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qui a permis de circonscrire le bloc de constitutionnalité gabonais. La décision de la Cour constitutionnelle du 28 février 1992 a relevé que le juge contrôle la conformité de la loi non seulement par rapport à la Constitution, mais également par rapport aux textes et normes énumérés dans le préambule de la Constitution qui forment avec celle-ci ce qu’il est convenu d’appeler « bloc de constitutionnalité ». Une vision générale de ce bloc de constitutionnalité permet de dire que celui-ci comprend, d’une part, la Constitution stricto sensu, et, d’autre part, son préambule, lequel intègre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la Charte nationale des libertés de 1990. À ces textes, il faut ajouter les normes que sont, les principes et autres exigences à valeur constitutionnelle.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Jusqu’à ce jour la Cour n’a eu recours qu’à la Constitution et à sa loi organique au moment de l’exercice de son pouvoir d’interprétation. Les autres éléments constitutifs du bloc de constitutionnalité n’ont jamais servi de référence au juge constitutionnel gabonais pour préciser le sens d’une loi soumise à son contrôle. Mais il ne fait pas de doute qu’il ne s’en privera pas lorsque la nécessité se fera sentir.

Quelles normes/compétence échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Il s’agit des lois constitutionnelles, des actes individuels, des décisions de justice et des questions touchant à l’état et à la capacité des personnes.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont en soi suffisamment efficaces et permettent de garantir les droits fondamentaux : Contrôle par voie d’action, contrôle par voie d’exception, contrôle a priori, contrôle a posteriori et une saisine de la Cour constitutionnelle largement ouverte aux citoyens et aux autorités.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

La Cour constitutionnelle gabonaise pratique deux des trois méthodes connues d’interprétation des normes par les juridictions constitutionnelles. Il s’agit, d’une part, de l’interprétation neutralisante et, d’autre part, de l’interprétation constructive. S’agissant de l’interprétation neutralisante, elle consiste à priver d’effet juridique les dispositions d’une loi qui auraient pu être déclarées inconstitutionnelles ou encore, à indiquer les sens susceptibles de rendre une disposition inconstitutionnelle et de les exclure. En ce qui concerne l’interprétation constructive, elle permet à la Cour de compléter les dispositions d’une loi afin de ne pas les déclarer non conformes à la Constitution. La Cour, dans ce cas, va sauver la loi soumise à son contrôle, soit en ajoutant des dispositions devant la rendre conforme à la Constitution, soit en faisant en sorte qu’une disposition produise davantage de sens et soit plus précise. Bon nombre de décisions de la Cour sont rendues accompagnées des réserves d’interprétation nées de la pratique par le juge constitutionnel gabonais de ces deux techniques d’interprétation.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

En ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité des lois, aucune nouvelle compétence ne s’est ajoutée à celles initialement reconnues à la Cour laquelle permettrait d’affirmer que la Cour a progressivement renforcé son contrôle. Cependant, si formellement, on peut dire qu’il n’y a pas eu un renforcement du contrôle de la Cour, la pratique des techniques d’interprétation, par la Cour, pour contrôler la constitutionnalité d’une loi, permet de penser que ce renforcement a eu lieu de façon tacite.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Cette évolution s’est traduite par l’introduction par la Cour dans nombre de ses décisions des réserves d’interprétation. Par cette technique, la Cour se refuse de censurer une loi soumise à son contrôle alors même que celle-ci comporte des niches d’inconstitutionnalité. Elle va a contrario proposer au législateur une nouvelle rédaction des dispositions critiquées de la loi contrôlée. Cette évolution des pouvoirs jurisprudentiels de la Cour est satisfaisante en ce que la censure du juge, est, d’une part, indolore pour le législateur, et, d’autre part, assure le respect de la constitution.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Aucune.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Même s’il est vrai que l’introduction dans l’ordre juridique interne d’un traité ou d’un accord international non compatible à certaines dispositions de la Constitution exige la révision de la loi fondamentale, il reste qu’une fois cette opération réalisée, la valeur juridique de l’accord international est infraconstitutionnelle et supra législative.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

À ce jour, la Cour n’a véritablement pas été confrontée à un conflit entre une norme internationale et la Constitution.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Les dispositions d’une norme internationale dans l’ordre juridique interne gabonais ont, avant leur application dans l’ordre juridique interne, été déclarées compatibles avec celles de la Constitution par la Cour. Il en découle que si une norme soumise au contrôle de la Cour comporte des dispositions contraires aux dispositions internationales applicables, alors lesdites dispositions sont également contraires à la Constitution, et, de ce fait, elles seront censurées par la Cour.
De par cette logique, on peut affirmer que la protection accordée aux dispositions de la Constitution est équivalente à celle dont bénéficient les dispositions internationales applicables.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Le contrôle de constitutionnalité n’est pas en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international. En réalité, la Cour contrôle d’abord la constitutionnalité de la loi soumise à son contrôle, c’est au moment de ce contrôle qu’elle relève que la norme contrôlée n’est pas conforme à la Constitution et ipso facto n’est pas compatibles aux dispositions internationales applicables lesquelles sont similaires aux dispositions constitutionnelles en voie de violation. C’est dans une moindre mesure, la même situation des dispositions de la loi organique sur la Cour constitutionnelle.
En définitive, il n’y a pas de remise en cause de la suprématie de la Constitution.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règle de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

A priori non, les exigences de la saisine demeurent.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois types de ces difficultés.

Aucune.

5. Influences sur al jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle déjà implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Pour les instruments internationaux faisant partie du droit positif gabonais mais qui, explicitement ne sont pas cités dans le préambule de la Constitution, on peut dire que la Cour en tient implicitement compte au moment de son contrôle. Pour les instruments internationaux faisant clairement partie du bloc de constitutionnalité comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ou la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 la question ne se pose pas, ils constituent des textes de référence du juge constitutionnel.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non !

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Elle a autorité de chose jugée, si naturellement la juridiction qui a rendu la décision concernée était compétente.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Il n’y a pas de précédent.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Cela est tout à fait possible, mais il n’y a pas encore de précédent.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.

Conseil constitutionnel du Liban

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution libanaise ne contient pas de disposition déterminant explicitement son rôle normatif et son efficacité juridique.
Elle n’a pas élaboré, par ailleurs, une échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties.)
Elle ne contient pas davantage des normes qui la complètent et la modifient à part les articles concernant sa possible révision.
C’est la loi organisant le Conseil constitutionnel (loi n° 250 datée du 14 juillet 1993) qui parle des effets de ses décisions et de leur opposabilité erga omnes.
Leur respect est obligatoire par les institutions administratives et judiciaires.
En ce qui concerne l’intégration du préambule au bloc de constitutionnalité, la décision du Conseil du 25 février 1995 a annoncé la construction d’une théorie des principes généraux à valeur constitutionnelle. Dans sa décision du 7 août 1996 le Conseil a fait clairement référence au préambule en lui donnant valeur constitutionnelle.
Allant plus loin, il explicita davantage son point de vue en affirmant clairement dans sa décision du 12 septembre 1997 :
« Les principes contenus dans le préambule de la Constitution en font partie intégrante et jouissent d’une valeur constitutionnelle certaine et égale à celle des dispositions mêmes du texte de la Constitution » (traduction de l’auteur).
Il n’y a toutefois pas des normes de droit interne supérieures à la Constitution et la supranationalité ne dépasse pas le plan des discussions théoriques.

Le préambule de la Constitution, introduit par les révisions de 1990, fait largement référence cependant à des textes de conventions internationales auxquelles le Liban a déjà adhéré. Le Conseil constitutionnel ne manqua pas de le relever, à l’occasion, comme il l’a fait aussi dans sa décision du 12 septembre 1997, en précisant que le principe auquel il fait référence (le principe de la périodicité des élections) « a été consacré par l’article 25 de la Convention internationale des droits civiques et politiques datée du 6 février 1966 et à laquelle le Liban a adhéré en 1972 ».
À part tout cela, il n’y a pas de texte précisant les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international.
En ce qui concerne la stabilité de la Constitution, elle constitue évidemment un élément de sa suprématie.
Toutefois fa Constitution libanaise n’est pas sujette à des modifications fréquentes et n’a jamais été révisée, en tout cas, en réaction à une décision du Conseil constitutionnel.
Rien n’indique, par ailleurs, que les traités internationaux peuvent conduire à une révision constitutionnelle.

2. Appréciation de l’effectivité

On peut dire que la suprématie de la Constitution, en droit interne, est effective et que sa place est reconnue par les institutions et les juridictions nationales.
Du point de vue strictement juridique, la légitimité du contrôle de la constitutionnalité de la loi est généralement reconnue.
D’autres autorités jouent un rôle dans la reconnaissance de cette suprématie, à savoir, par exemple, le président de la République à qui l’article 49 reconnaît le rôle de veiller au respect de la Constitution et à qui l’article 57 confie la prérogative de demander une nouvelle délibération de la loi, l’une des raisons de ce renvoi pouvant avoir des liens avec l’inconstitutionnalité, ce que certains auteurs de droit constitutionnel qualifiaient, avant l’instauration du contrôle effectif de la constitutionnalité des lois, de contrôle diffus.
L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel est, d’autre part reconnue aussi bien par la jurisprudence du Conseil d’État que par la jurisprudence de la Cour de cassation.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence du Conseil constitutionnel au Liban a reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » comprenant le préambule de la Constitution et certains principes généraux auxquels il reconnaît une valeur constitutionnelle.
Les limites de ce contrôle sont établies par la jurisprudence constitutionnelle elle-même. Les méthodes d’interprétation découlent des principes reconnus par la procédure établie généralement en droit public.
Le Conseil garantit à partir de là, non seulement, la conformité des lois à la Constitution, mais également, le respect des principes généraux et des libertés fondamentales en consacrant, par exemple, l’indépendance de la magistrature et la périodicité des élections qui s’inscrit dans le cadre de la liberté du scrutin et du respect de la démocratie.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

On ne trouve pas dans la Constitution libanaise de texte parlant de la place des normes internationales dans la hiérarchie des normes.
Le préambule (établi par les révisions de 1990) fait référence à certaines de ses normes en affirmant que le Liban est membre de la Ligue des États arabes et de l’Organisation des Nations unies et qu’il doit être fidèle aux engagements qu’ils prennent ainsi que par les énonciations de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Dans la décision du 12 septembre 1997, le Conseil constitutionnel y fait référence sans aller plus loin.
C’est tout ce qu’on peut dire dans cet ordre d’idées.

2.  Influences sur le constituant

La Constitution libanaise datant de 1926, alors que le Liban était sous mandat français par décision du Conseil de la Société des Nations en 1922, la charte du mandat imposait à la puissance mandataire de l’époque d’aider les États sous mandat dans l’élaboration de leur constitution.

La République française s’acquitta de cette tâche à travers la commission présidée par Joseph-Paul Boncour et qui prit, d’ailleurs, son nom. Cela évidemment a abouti à confection d’une constitution à caractère libéral respectant les principes classiques d’un régime démocratique et parlementaire.
Dans la rédaction des articles 9 et 10 de cette Constitution concernant la liberté de conscience et le respect des communautés religieuses et de leur statut personnel ainsi que de la liberté de l’enseignement, le constituant libanais dût s’inspirer des termes de l’article 11 de la Constitution ottomane de 1876 et de la politique de ce qu’on appelait les « Tanzimat » pour accorder aux communautés religieuses légalement reconnues un droit de législation et un droit de juridiction en matière de statut personnel.
L’article 19 nouveau (à la suite du vote des révisions de 1990) reconnaît aux chefs des communautés religieuses le droit de saisir le Conseil constitutionnel dans certains cas précis.

3. Compétences de la cour

Le Conseil constitutionnel libanais ne contrôle pas franchement la conformité des lois aux normes de droit international.
Son rôle en la matière s’est confirmé dans les limites énoncées plus haut.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Dès lors, on ne peut rien ajouter dans le cadre de cette rubrique ainsi que dans le domaine des influences internationales sur la jurisprudence constitutionnelle libanaise.

Haute Cour constitutionnelle de Madagascar

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Non.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Non.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Oui.

La loi organique portant code électoral, la loi organique relative à l’élection du premier Président de la Quatrième République, la loi organique relative aux premières élections législatives de la Quatrième République, loi organique fixant les règles relatives au fonctionnement du Sénat ainsi qu’aux modalités d’élection et de désignation des Sénateurs de Madagascar.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

En droit malgache, le préambule a valeur législative. Mais la Haute cour constitutionnelle l’a introduit dans le « bloc de constitutionnalité » dans le cadre de l’exercice du contrôle de constitutionnalité.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ? Non. Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Non.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

La Charte internationale des droits de l’homme, les conventions relatives aux droits de l’enfant, aux droits de la femme, à la protection de l’environnement, aux droits sociaux, économiques, politiques, civils et culturels figurent expressément dans le préambule de la Constitution et font ainsi partie du « bloc de constitutionnalité ».

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Tout traité international non conforme à la Constitution ne peut être ratifié par l’État malgache, que sous réserve d’une éventuelle révision de la Loi fondamentale.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui. Des modifications trop fréquentes de la Constitution fragiliseraient sa suprématie.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

La Constitution actuelle de la quatrième République, promulguée en 2010, n’a pas encore fait l’objet de modification. Celle de la troisième République a par contre fait l’objet de quatre révisions dont deux, en 1998 et 2007, constituaient en fait la rédaction d’une nouvelle Constitution.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

S’il y a non-conformité du traité avec la Constitution et que ce dernier doit être intégré dans l’ordre juridique national, une modification de la Constitution s’avère nécessaire.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le Conseil d’État et les tribunaux administratifs garantissent le respect de la Constitution par les actes réglementaires.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Selon la Constitution, les arrêts et décisions de la Haute cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités administratives et juridictionnelles. Les décisions de la Cour sont correctement respectées.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Oui. Le préambule de la Constitution ainsi que les conventions internationales relatives aux Droits fondamentaux et les grands principes de droit constitutionnel font partie du « bloc de constitutionnalité ».

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Voir réponse à la question précédente.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Les textes réglementaires échappent au contrôle de constitutionnalité de la Cour. Par contre pour les lois, les ordonnances, les traités internationaux, les règlements intérieurs des assemblées, les règlements autonomes, il n’y a pas de limites pour le contrôle.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

En l’état actuel, ils sont suffisamment efficaces.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Les méthodes d’interprétation de la Cour sont basées d’abord sur sa propre jurisprudence, ensuite sur l’évolution de la doctrine constitutionnelle et enfin sur la jurisprudence des cours constitutionnelles des autres pays.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

La Haute cour constitutionnelle a progressivement renforcé son contrôle. D’une part, en développant et en renforçant ses références au « bloc de constitutionnalité ». D’autre part, en faisant preuve de vigilance pour le respect de la garantie des droits énumérés par la Constitution.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Bien que parfois incompris par les forces politiques et/ou certaines autorités publiques, l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de la Haute cour constitutionnelle lui permet d’asseoir progressivement son autorité et son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics ainsi que sa crédibilité auprès de l’opinion publique et les partenaires techniques et financiers de Madagascar.
La démarche actuelle adoptée par la Cour permet d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

La principale difficulté rencontrée par la Haute cour constitutionnelle est constituée par certaines contradictions entre les dispositions de la Constitution elle-même. Par exemple : mandat représentatif ou mandat impératif pour les parlementaires.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Oui.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Notre interprétation de la primauté est à la fois « primauté » et « prévalence ».

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

La Haute cour constitutionnelle retient une conception dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre international.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Oui à condition qu’elles aient été intégrées dans l’ordre juridique interne.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Non.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Non.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Le cas ne s’est pas encore présenté.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

La Haute cour constitutionnelle se réfère expressément aux instruments internationaux si elle en tient compte.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Le cas ne s’est pas encore présenté.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Conseil constitutionnel du Maroc

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

La Constitution marocaine est considérée comme la loi fondamentale du Royaume. Elle contient des dispositions déterminant son rang normatif et son efficacité juridique notamment :

  • Le préambule qui fait partie intégrante de la Constitution et qui réaffirme l’engagement du Royaume d’accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication de ces conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale.
  • L’article 6 qui dispose que : « La loi est l’expression suprême de la volonté de la nation. Tous, personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant elle et tenus de s’y soumettre. Cet article affirme également les principes de constitutionnalité et de hiérarchie des normes juridiques : « Sont affirmés les principes de constitutionnalité, hiérarchie et d’obligation de publicité des normes juridiques ».
  • L’article 7 prévoit que « les partis politiques œuvrent à l’encadrement et à la formation politique des citoyennes et citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques […]. Leur constitution et l’exercice de leurs activités sont libres, dans le respect de la Constitution et de la loi. […] L’organisation et le fonctionnement des partis politiques doivent être conformes aux principes démocratiques.
  • L’article 8 qui dispose aussi que « les organisations syndicales des salariés, les chambres professionnelles et les organisations professionnelles des employeurs contribuent à la défense et à la promotion des droits et des intérêts socioéconomiques des catégories qu’elles représentent. Leur constitution et l’exercice de leurs activités, dans le respect de la Constitution et de la loi, sont libres ».
  • L’article 12 qui dispose également « les associations de la société civile et les organisations non gouvernementales se constituent et exercent leurs activités en toute liberté, dans le respect de la Constitution et de la loi ». – L’article 19 qui précise de son côté que « l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent Titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois. »
  • L’article 55 prévoit également que « Si la Cour constitutionnelle, saisie par le Roi ou le président de la Chambre des représentants ou le président de la Chambre des conseillers ou le sixième des membres de la première chambre ou le quart des membres de la deuxième chambre, déclare qu’un engagement international comporte une disposition contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

La Constitution marocaine a introduit de nouveaux principes de valeur constitutionnelle qui constituent les soubassements du régime constitutionnel marocain :

Ces principes sont :

  • la séparation, l’équilibre et la collaboration des pouvoirs ;
  • l’indépendance de la justice ;
  • la démocratie citoyenne et participative ;
  • la sincérité et la transparence des élections ;
  • la bonne gouvernance ;
  • la corrélation entre la responsabilité et reddition des comptes ;
  • la religion musulmane modérée ;
  • la monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale ;
  • le respect de la religion musulmane, de la forme monarchique de l’État, du choix démocratique de la Nation, des acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans la Constitution ; – la décentralisation territoriale et la régionalisation avancée ;
  • La libre administration des collectivités territoriales ;
  • le principe de subsidiarité et de solidarité interrégionale ;
  • la parité entre les hommes et les femmes.

À noter également que de point de vue hiérarchie des normes, nous trouvons à la fois dans la Constitution marocaine de 2011, les droits des trois générations des droits de l’homme, la 1re (droits civils et politiques tels que le droit à la vie, le droit à un procès équitable, le droit de vote…), la 2e (droits économiques et sociaux tels que les droits aux soins de santé, à la protection sociale, à une éducation moderne…) et la 3e (droits de solidarité comme le droit à un environnement sain, à l’accès à l’eau et à un développement durable).

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

La Constitution marocaine a prévu 19 lois organiques destinées à compléter et préciser certaines de ses dispositions. Ces lois ne peuvent intervenir que dans les domaines prévus par la Constitution. Il s’agit de :

  • la loi organique définissant le processus de mise en œuvre du caractère officiel de la langue Amazighe (art. 5) ;
  • la loi organique relative au Conseil national des langues et de la culture marocaine (art. 5) ;
  • la loi organique relative aux règles relatives à la constitution et aux activités des partis politiques, aux critères d’octroi du soutien financier de l’État, ainsi qu’aux modalités de contrôle de leur financement (art. 7) ;
  • la loi organique relative aux droits des citoyennes et des citoyens de présenter des propositions en matière législative (art. 14) ;
  • la loi organique relative aux droits des citoyennes et des citoyens de présenter des pétitions aux pouvoirs publics (art. 15) ;
  • le droit de grève (art. 29) ;
  • la loi organique fixant les règles de fonctionnement du Conseil de Régence (art. 44) ;
  • la loi organique fixant la liste de ces établissements et entreprises stratégiques (art. 49) ;
  • la loi organique relative à l’élection de la Chambre des représentants (art. 62) ;
  • la loi organique relative à l’élection de la Chambre des conseillers (art. 63) ;
  • la loi organique relative fixant les modalités de fonctionnement des commissions d’enquêtes parlementaires (art. 67) ;
  • la loi organique relative à la loi de finances (art. 75) ;
  • la loi organique fixant les règles relatives à l’organisation et la conduite des travaux du Gouvernement, et au statut de ses membres (art. 87) ;
  • la loi organique relative au statut des magistrats (art. 112) ;
  • la loi organique relative à l’élection, l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (art. 116) ;
  • la loi organique relative aux règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle (art. 131) ;
  • la loi organique fixant les conditions et modalités d’application de l’exception d’inconstitutionnalité (art. 133) ;
  • la loi organique relative aux collectivités territoriales (art. 146) ;
  • la loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental (art. 153).

Il est impératif de souligner que les projets et propositions de lois organiques ne sont soumis à la délibération de la Chambre des représentants (1re chambre) qu’a l’issue d’un délai de 10 jours après leur dépôt sur le bureau de ladite Chambre.
Il faut préciser également que, selon la Constitution, les lois organiques avant leur promulgation (par le Roi dans un délai d’un mois) « doivent être soumises à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution ».

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule fait partie du « bloc de constitutionnalité ». La Constitution marocaine de 2011 précise à cet effet que le préambule fait partie intégrante de ladite Constitution. Ce préambule réaffirme, « son attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus » et « s’engage à protéger et promouvoir les dispositifs de droits de l’homme et du droit international humanitaire et contribuer à leur développement dans leur indivisibilité et leur universalité ».
La Constitution marocaine confie la quasi-exclusivité de l’énonciation et de la reconnaissance des droits et des libertés dans le préambule de la Constitution.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la constitution (supra constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Le droit international ne fait pas formellement partie du « bloc de constitutionnalité. Toutefois, la Constitution marocaine réaffirme dans son préambule l’attachement du Royaume aux droits et libertés fondamentaux tels qu’ils sont universellement reconnus. En ce sens, le Maroc s’engage à protéger les droits de l’homme aussi bien dans leur universalité que dans leur indivisibilité.
Cette affirmation va de pair avec la proclamation de manière officielle de « la primauté des conventions internationales sur le droit interne » inscrite dans le préambule qui fait partie intégrante de la Constitution. Il faut ajouter également que depuis la Constitution de 2011, les conventions internationales font l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle instituée par le nouveau texte constitutionnel. L’article 55 stipule que « Si la Cour constitutionnelle, saisie par le Roi ou le chef du Gouvernement ou le président de la Chambre des représentants ou le président de la Chambre des conseillers ou le sixième des membres de la première Chambre ou le quart des membres de la deuxième Chambre, déclare qu’un engagement international comporte une disposition contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Au Maroc, les conventions internationales bénéficient, depuis la dernière réforme constitutionnelle intervenue en juillet 2011, d’une primauté par rapport au droit interne.
De plus, les instruments internationaux des droits de l’homme occupent une place fondamentale dans la Constitution étant donné les réformes introduites par le Maroc dans ce domaine : dès le préambule de la Constitution, le Maroc réaffirme son attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus. Toujours dans le préambule, le Maroc proclame son engagement pour « protéger et promouvoir les dispositions des droits de l’homme et du droit international humanitaire et contribuer à leur développement dans leur indivisibilité et leur universalité ». On peut aussi mentionner les dispositions de l’article 19 qui précise que : « L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois… ».

On peut ajouter à cela les différentes panoplies de droits et de libertés garantis par la Constitution marocaine et qui bénéficient d’une place particulière dans la Constitution à savoir les droits des trois générations des droits de l’homme, la 1re génération (droits civils et politiques tels que les droits à l’égalité et à la liberté, la liberté d’exprimer son opinion, la liberté de culte, et le droit à ne pas être torturé ou tué, le droit de vote, le droit à adhérer à un parti politique, le droit à la liberté de réunion et d’association, le droit d’accès à l’information, le droit à un procès équitable, le droit à la vie…), la 2e (droits économiques et sociaux tels que les droits aux soins de santé, à la protection sociale, à une éducation moderne…) et la 3e (droits de solidarité tels que le droit à la solidarité, droit à un environnement sain, à l’accès à l’eau et à un développement durable…). Il convient d’observer par ailleurs, que le Maroc a ratifié et adhéré à la plupart des conventions internationales en matière de droits humains.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Il convient de souligner à ce sujet que le Royaume du Maroc adhère à titre d’exemple à la majorité des conventions et pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment le pacte des droits civils et politiques, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille…

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La stabilité de la Constitution est certes un élément de sa suprématie. Toutefois, La Constitution doit s’adapter aux changements de la société dans laquelle elle prend corps.

Le Maroc a adopté six constitutions depuis son indépendance en 1956. Ces constitutions ont été promulguées respectivement en 1962, 1970, 1972, 1992, 1996 et 2011. Les procédures de révision de la Constitution ménagent un équilibre entre exigences de stabilité et d’adaptabilité de la norme fondamentale au gré de l’évolution de la société. Elle prévoit en effet des modalités spécifiques pour sa propre révision qui sont régies par les articles 172 à 175 de la Constitution de 2011(titre XIII intitulé « De la révision de la Constitution »).
Cependant, il existe quelques limites au pouvoir constituant comme le précise d’ailleurs l’article 175 qui stipule expressément qu’aucune révision ne peut porter sur les dispositions relatives à la religion musulmane, sur la forme monarchique de l’État, sur le choix démocratique de la Nation ou sur les acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans la présente Constitution.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Comme signalé précédemment, le Maroc a adopté six constitutions depuis son indépendance. La révision de la Constitution est prévue par les articles 172 à 175 de la Constitution. Sur le plan procédural, la révision peut s’opérer selon deux modalités.

Une procédure générale

L’initiative de la révision appartient au Roi, au chef du Gouvernement, à la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers. Le Roi peut, selon l’article 172, soumettre directement au référendum le projet de révision dont il prend l’initiative. La proposition de révision de la Constitution émanant des membres du Parlement ne peut être adoptée que par un vote à la majorité des deux tiers des membres (composant la Chambre d’où émane la proposition) « cette proposition, précise l’article 173, est soumise à l’autre Chambre qui l’adopte à la même majorité des deux tiers des membres la composant ». Lorsque la proposition de révision émane du chef du Gouvernement, elle doit être soumise au Conseil des ministres après délibération en Conseil de Gouvernement (art. 173). Mais la révision de la Constitution n’est définitive que lorsqu’elle est adoptée par référendum.

Une procédure simplifiée

À côté de cette révision générale de la Constitution, il est prévu également des révisions de certaines dispositions constitutionnelles. L’article 174 précise à ce sujet que « le Roi peut, après avoir consulté le président de la Cour constitutionnelle, soumettre par dahir (décision royale) au Parlement un projet de révision de certaines dispositions de la Constitution ». Là, encore, la Constitution exige la majorité des deux tiers pour l’adoption de cette révision : « le Parlement convoqué par le Roi en chambres réunies, l’approuve à la majorité des deux tiers des membres du Parlement ».

La Constitution attribue à la Cour constitutionnelle « le contrôle de la régularité de la procédure de cette révision » et c’est elle qui « en proclame les révisions »

La Constitution interdit, par ailleurs, la révision de certains principes considérés comme des fondements immuables de l’État marocain : « Aucune révision, ne peut, selon l’article 175, porter sur les dispositions relatives à la religion musulmane, sur la forme monarchique de l’État, sur le choix démocratique de la Nation ou sur les acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans la présente constitution ».

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Il convient de noter que depuis la Constitution de 2011, les conventions internationales peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle instituée par le nouveau texte constitutionnel. Les traités internationaux peuvent conduire à modifier la Constitution s’ils comportent des dispositions contraires à celle-ci. On peut mentionner à ce sujet l’article 55 de la Constitution qui précise que « Si la Cour constitutionnelle, saisie par le Roi ou le chef du Gouvernement ou le président de la Chambre des représentants ou le président de la Chambre des conseillers ou le sixième des membres de la première Chambre ou le quart des membres de la deuxième Chambre, déclare qu’un engagement international comporte une disposition contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ». Cependant, il convient de préciser conformément à l’article 175 de la Constitution qu’aucune révision ne peut porter sur les dispositions relatives à la religion musulmane, sur la forme monarchique de l’État, sur le choix démocratique de la nation ou sur les acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans la présente Constitution.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ? La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

La suprématie de la Constitution en droit interne est effective dans la mesure où la Constitution est perçue en tant que norme de droit la plus élevée dans la hiérarchie des normes.
Tous les organes de l’État (exécutif, législatif, pouvoir judiciaire) doivent respecter la Constitution et agir conformément à ses prescriptions comme stipulé par certaines de ses dispositions constitutionnelles à savoir :

  • l’article 42 (alinéa 1) qui dispose que « le Roi, Chef de l’État, Son Représentant Suprême, Symbole de l’unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l’État et Arbitre suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités, et au respect des engagements internationaux du Royaume ». Il est le garant de l’indépendance du Royaume et de son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques ;
  • l’article 89 prévoit que « Le Gouvernement exerce le pouvoir exécutif. Sous l’autorité du chef du Gouvernement, le Gouvernement met en œuvre son programme gouvernemental, assure l’exécution des lois, dispose de l’administration et supervise l’action des entreprises et établissements publics » ;
  • au niveau des collectivités territoriales, les walis de régions et les gouverneurs de provinces et préfectures représentent le pouvoir central. Au nom du gouvernement, ils assurent l’application des lois, mettent en œuvre les règlements et les décisions gouvernementales et exercent le contrôle administratif. (art 145) ;
  • le Parlement comme le Gouvernement doivent respecter la Constitution et agir conformément à ses prescriptions. Les magistrats doivent eux aussi agir conformément aux normes de la Constitution : « Le juge est en charge de la protection des droits et libertés et de la sécurité judiciaire des personnes et des groupes, ainsi que de l’application de la loi. » (art. 117). Les droits de la défense sont garantis devant toutes les juridictions (art. 120) ;
  • l’article 6 qui dispose que : « La loi est l’expression suprême de la volonté de la Nation. Tous, personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant elle et tenus de s’y soumettre. Les pouvoirs publics œuvrent à la création des conditions permettant de généraliser l’effectivité de la liberté et de l’égalité des citoyennes et des citoyens, ainsi que de leur participation à la vie politique, économique, culturelle et sociale ». Sont également affirmés dans le cadre de cet article les principes de constitutionnalité et de hiérarchie et d’obligation de publicité des normes juridiques ;
  • l’article 11 stipule que « Les élections libres, sincères et transparentes constituent le fondement de la légitimité de la représentation démocratique. Les pouvoirs publics sont tenus d’observer la stricte neutralité vis-à-vis des candidats et la non-discrimination entre eux » ;
  • de même l’article 31 dispose que « l’État, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits » ;
  • l’article 37 prévoit que « Tous les citoyennes et les citoyens doivent respecter la Constitution et se conformer à la loi. Ils doivent exercer les droits et les libertés garantis par la Constitution dans un esprit de responsabilité et de citoyenneté engagée, où l’exercice des droits se fait en corrélation avec l’accomplissement des devoirs » ;
  • l’effectivité de la suprématie de la Constitution trouve également sa traduction dans l’article 132 de la constitution en vertu duquel « Les lois organiques avant leur promulgation et les règlements de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers, avant leur mise en application, doivent être soumis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. Aux mêmes fins, les lois et les engagements internationaux peuvent être déférés à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation ou leur ratification, par le Roi, le chef du Gouvernement, le président de la Chambre des représentants, le président de la Chambre des conseillers, ou par le cinquième des membres de la Chambre des représentants ou quarante membres de la Chambre des conseillers ;
  • l’article 134 prévoit également que : « une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 132 de la présente Constitution ne peut être promulguée ni mise en application. Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 133 est abrogée à compter de la date fixée par la Cour dans sa décision ». De même, ledit article dispose que « Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. »

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Le contrôle de constitutionnalité est un contrôle juridictionnel qui vise à garantir la suprématie de la Constitution et la protection des droits fondamentaux du citoyen. Les décisions qui ont été prises par le Conseil constitutionnel en cette matière ou dans d’autres domaines de sa compétence n’ont jamais été remises en cause ou sujettes à controverse qu’elles soient prises en faveur de la majorité ou de l’opposition. Elles ont toujours été respectées et scrupuleusement appliquées. Cet état de fait n’empêche nullement l’existence de voix s’exprimant librement sur ces décisions.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Les autorités garantissant le respect de la Constitution et les rapports qu’ils entretiennent avec la cour peuvent être catégorisées comme suit :

  • l’article 42 de la Constitution prévoit que « le Roi, Chef de l’État, Son Représentant Suprême, Symbole de l’unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l’État et Arbitre Suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités, et au respect des engagements internationaux du Royaume » ;
  • le Roi est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire (Article 107) ;
  • l’article 132 dispose que « Les lois organiques avant leur promulgation et les règlements de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers, avant leur mise en application, doivent être soumis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. Aux mêmes fins, les lois et les engagements internationaux peuvent être déférés à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation ou leur ratification, par le Roi, le chef du Gouvernement, le président de la Chambre des représentants, le président de la Chambre des conseillers, ou par le cinquième des membres de la Chambre des représentants ou quarante membres de la Chambre des conseillers. Dans les cas prévus aux deuxième et troisième alinéas du présent article, la Cour constitutionnelle statue dans un délai d’un mois à compter de sa saisine. » ;
  • « la Cour constitutionnelle est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution » (art. 133) ;
  • Il faut ajouter aussi à ces dispositions, celles concernant les décisions de la Cour constitutionnelle qui, selon l’article 134 de la Constitution « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et judiciaires ».

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel est une juridiction spécialisée indépendante des trois pouvoirs classiques de l’État, ainsi que l’autorité de ses décisions qui ne sont susceptibles d’aucun recours et qui s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, ce qui confère à ces décisions une force probante absolue et fait obstacle par conséquent à leur révision (Décisions du CC. n° 408/2000 et n° 250/1998).
Une disposition jugée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel ne peut être promulguée lorsqu’il s’agit d’une loi, ni mise en application dans le cas du règlement intérieur de l’une des deux chambres du Parlement. Par ailleurs, il ne peut être donné suite à une proposition de loi ou d’amendement que le Conseil juge hors du domaine législatif (dans le cas de l’irrecevabilité opposée par le Gouvernement) ni à un projet de délégalisation dont les dispositions ne sont pas jugées par le Conseil de nature réglementaire.
L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel marocain découle aussi de la procédure de leur adoption. Le Conseil, rend, en effet, ses décisions à la majorité des deux tiers dans le cadre d’une formation collégiale et délibère valablement lorsque neuf (9) de ses membres au moins sont présents.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

La jurisprudence constitutionnelle reconnaît l’existence d’un « bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel marocain se réfère à la Constitution qui selon lui « bénéficie d’une primauté sur tous les autres textes et qu’il est du devoir de tous les citoyens et citoyennes de la respecter. La Constitution doit s’appliquer dans son texte et son esprit. Ce que le Conseil constitutionnel doit observer à l’occasion des affaires qui lui sont soumises » (Déc. n° 819/2011), sachant que le Conseil se réfère également dans son interprétation constitutionnelle au préambule de la Constitution par des formules comme : « tel qu’il est indiqué dans le préambule de la Constitution (Déc. n° 818/2011) ou « conformément à ce qui est prévu par la Constitution dans son préambule » (Déc. n° 817/2011), ainsi que le rappelle le préambule de la Constitution (Déc. n° 819/2011). Après la Constitution, on trouve les lois organiques qui constituent également un autre élément fondamental de la compétence du Conseil constitutionnel en matière d’interprétation. Le Conseil constitutionnel marocain a considéré que les lois organiques émanent et complètent la Constitution (Déc. n° 786/2010) et font ainsi partie du bloc de constitutionnalité.
Outre la Constitution, le préambule et les lois organiques, le Conseil constitutionnel marocain se réfère également à d’autres normes qui font partie de ce qui est communément appelé « le bloc de constitutionnalité ». Il s’agit principalement de toutes sortes de principes constitutionnels ou principes de valeur constitutionnelle ou encore d’« objectifs de valeur constitutionnelle ».
En ce qui concerne les principes constitutionnels :
Il s’agit des principes dégagés par le Conseil constitutionnel marocain dans sa fonction d’interprète de la Constitution et qui ont pour base soit :

  • une disposition expresse de la Constitution telle que : l’égalité des chances ainsi que l’interdiction et la lutte contre toutes les formes de discrimination, la liberté d’élection et de candidature (Déc. n° 817/2011) ; autorité de la chose jugée (Déc. n° 478/2000)…
  • que ses principes résulte de son pouvoir d’interprétation (principe de l’intérêt général (en considérant que ce principe permet sous certaines conditions, de déroger au principe de non rétroactivité de la loi (Déc. n° 467/2001) ;
  • soit une déduction faite par le Conseil à partir des principes ou des droits fondamentaux garantis par la constitution. Il s’agit des principes de valeur constitutionnelle : principe du pluralisme politique (Déc. n° 630/2007), principe de présomption d’innocence (Déc. n° 586/2004), principe des droits de la défense (Déc. n° 921/2013).

S’agissant des « objectifs constitutionnels » que le Conseil considère comme complémentaires avec les principes énoncés par la Constitution. C’est ainsi que le Conseil a déclaré que le législateur, en réservant aux femmes (au sein de la Chambre des représentants) 60 sièges sans les astreindre à une limite d’âge, édicte ainsi des dispositions légales qui visent à faire bénéficier les femmes candidates de dispositions particulières de nature à réaliser un objectif constitutionnel, celui d’offrir aux femmes de véritables occasions d’être en charge de fonctions électives, en application des dispositions de l’article 19 de la Constitution qui précise que « l’État œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes » et de l’article 30 qui affirme explicitement que « la loi prévoit des dispositions de nature à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives… » (Déc. n° 817/2011). Dans la même décision, appliquant implicitement le principe de la discrimination positive, le Conseil a souligné l’importance de « l’extension et la généralisation de la participation de la jeunesse au développement social, économique et politique du pays… qui (se trouve), en termes de représentation des citoyens à la Chambre des représentants, dans une situation diminuée ne correspondant pas à sa dimension et à son rôle dans la société ».

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, le Conseil constitutionnel marocain se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie, aussi de ce qui est communément appelé « Le bloc de constitutionnalité ». Il s’agit principalement des principes constitutionnels ou de valeur constitutionnelle ou encore des « objectifs constitutionnels » que le Conseil considère comme complémentaires avec les principes énoncés par la Constitution. (Cf. réponse ci-dessus).

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Le Conseil constitutionnel marocain n’a pas compétence pour se prononcer sur les décrets et les actes administratifs, le contrôle de leur constitutionnalité relève des tribunaux administratifs.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Le contrôle de la constitutionnalité s’exerce a priori. Il est obligatoire à l’égard des lois organiques et du règlement des deux chambres du Parlement, et demeure facultatif en ce qui concerne les lois (ordinaires).

Le Conseil dans le cadre de son contrôle des activités normatives veille au respect de libertés et de droits essentiels tels que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de sa vie privée (Déc. 934/2014), le respect du droit de la défense (Déc. 630/2007), la liberté d’appartenir ou non à un groupe parlementaire (Déc. n° 561/2004), l’égalité devant la loi (Déc. 829/2012), l’égalité entre les détenus (Déc. 52/1995), l’égalité des chances et l’interdiction de toutes formes de discrimination (Déc. n° 817/11), l’égalité entre hommes et femmes et le respect de la parité (Déc. n° 820/11).
Ce renforcement du rôle du Conseil dans l’ordre juridique est aussi dû à la révision constitutionnelle de 2011 qui a élargi au cinquième des membres de la première Chambre ou quarante membres de la deuxième, la possibilité de contester la constitutionnalité d’une loi ordinaire.
Par ailleurs, le contrôle a priori a été étayé dans le cadre de la Constitution de 2011 par un contrôle par voie d’exception conformément à l’article 133 de la Constitution qui prévoit que « la Cour constitutionnelle est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ».

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Dans le cadre du contrôle de conformité à la Constitution, le Conseil constitutionnel marocain fait souvent usage aux méthodes d’interprétation suivantes :

La méthode d’interprétation littérale

Lorsqu’un texte est suffisamment clair, son application dans les termes mêmes du texte s’impose au juge sans besoin d’interprétation : il s’agit de l’application littérale du texte.

La méthode systématique d’interprétation

Cette technique d’interprétation permet au Conseil constitutionnel de se référer au contexte général de la question afin de pouvoir expliquer une notion qui, isolée, serait ambiguë. Il s’agit ici pour le juge d’interpréter en faisant recours à d’autres textes ou à la jurisprudence. À titre d’illustration, le juge a dû faire recours à l’interprétation systématique dans le cadre de sa décision 817/2011 relative à la loi organique de la Chambre des représentants. le Conseil constitutionnel marocain a déclaré que le législateur, en réservant aux femmes (au sein de la Chambre des représentants) 60 sièges sans les astreindre à une limite d’âge de dispositions particulières de nature à réaliser un objectif constitutionnel, celui d’offrir aux femmes de véritables occasions d’être en charge de fonctions électives, en application des dispositions de

l’article 19 de la Constitution. Le Conseil considère à ce propos que la non soumission des femmes candidates à la condition d’âge, à la différence des hommes candidats, tend à ouvrir pour elles le plus largement possible l’accès aux fonctions électives, en raison de leur situation actuelle dans la société marocaine.
De même, le Conseil a souligné dans le cas d’espèce, que l’importance de « l’extension et la généralisation de la participation de la jeunesse au développement social, économique et politique du pays… qui se trouve, en termes de représentation des citoyens à la Chambre des représentants, dans une situation diminuée ne correspondant pas à sa dimension et à son rôle dans la société » et empêche, pratiquement, l’ouverture à elle de l’espace du développement politique du pays pour y s’insérer et participer.
Le Conseil considère que le nombre des sièges soumis à compétition dans le cadre de la circonscription électorale nationale, de la part des femmes candidates et des hommes candidats âgés de quarante ans au plus, est dans la limite de 22 % du total des sièges de la Chambre des représentants, ce qui met ce moyen en adéquation avec l’objectif constitutionnel poursuivi et empêche qu’il en découle, dans de telles limites, une réduction des droits de candidature et d’élection ouverts à l’ensemble des citoyens.

La méthode d’interprétation téléologique

Lorsque le Conseil constitutionnel marocain ne trouve pas de texte de référence, il est obligé de faire recours à la méthode téléologique. Le raisonnement téléologique se rapporte à la connaissances des finalités et des objectifs fondamentaux des textes et se dit de l’interprétation qui prend pour principe qu’une règle doit être appliquée de manière à remplir ses fins et interprétée à la lumière de ses finalités.
Le Conseil constitutionnel marocain a été amené à maintes reprises à suivre la finalité poursuivie par la loi, qui pourra se déduire de considérations sur le texte même de la loi, ou de ses travaux préparatoires.

La technique des réserves d’interprétation

Cette technique permet au Conseil constitutionnel de déclarer une disposition conforme à la Constitution, à condition que cette disposition soit interprétée ou appliquée de la façon que le Conseil indique. On distingue dans le travail jurisprudentiel du Conseil constitutionnel marocain les réserves d’interprétation directives, constructives et neutralisantes.

1er cas : Usage de la réserve d’interprétation « neutralisante »
Le Conseil constitutionnel marocain dans sa décision n° 92-95 du 25 mai 1995, en examinant la loi organique n° 5-95 se rapportant aux commissions parlementaires d’enquêtes, le juge constitutionnel a « purifié » l’article 3 de cette

loi organique des dispositions inconstitutionnelles concernant les limites des compétences de ces commissions qui vont à l’encontre de l’article 40 de la Constitution. (Voir également Déc. n° 817/2011 concernant la loi organique relative à la Chambre des représentants, déc. n° 818 concernant la loi organique relative aux partis politiques).

2e cas : la réserve dite « constructive »
Le Conseil constitutionnel marocain a émis une réserve d’interprétation constructive pour l’application des dispositions de l’article 264 dans sa décision n° 212/98 du 20 mai 1998 relative à l’amendement du règlement intérieur de la chambre des représentants. Le Conseil considère que les dispositions de l’article susvisé, prévoyant que le programme gouvernemental fait l’objet de débat lors d’une séance plénière suivie d’un vote conformément à l’article 140 du règlement intérieur sont conformes à la Constitution à condition que les points suivant soient pris en considération lors de leur application : le vote ne peut intervenir que trois jours francs après la présentation du programme ; le rejet dudit programme n’est valable qu’à la majorité absolue des membres composant la Chambre des représentants. (Voir également la décision du CC n° 821/2011 concernant la loi organique relative à l’élection des membres des Conseil des collectivités locales)

3e cas : la réserve dite « directive »
Ce cas d’interprétation directive, on le trouve dans la décision du Conseil constitutionnel marocain : n° 98-95 du 4/07/1995, en examinant le règlement intérieur de la Chambre des représentants qui lui a été soumis le 19 juin 1995, l’article 99 de ce règlement ne mentionne la procédure suivie par la Chambre dans le cas où la majorité absolue des membres n’est pas respectée. Le juge a donné cette remarque (directive) au Parlement pour envisager la solution et resoumettre son règlement. (Voir également la décision du CC n° 829/2012).

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

La Cour constitutionnelle marocaine exerce un contrôle a priori portant notamment sur la conformité des lois organiques, les règlements intérieurs des deux chambres du parlement et des autres lois à la Constitution. L’orientation globale de la pratique juridictionnelle du contrôle vise à titre essentiel :

  • la sauvegarde et la consécration des droits fondamentaux : on peut citer à ce propos moult exemples : le respect des droits de la défense (Décision du CC n° 921/2013), le respect de la dignité de la personne humaine et de sa vie privée (Déc. 934/2014), l’égalité devant la loi (Déc. 829/2012), la liberté au parlementaire de ne pas faire de déclaration en vertu du principe de la présomption d’innocence (Déc. n° 586/2004), l’égalité devant les emplois et fonctions publiques (382/2000), l’égalité des chances et l’interdiction de toutes formes de discrimination (Déc. n° 817/11), l’égalité entre hommes et femmes et le respect de la parité (Déc. n° 820/11) ;
  • le contrôle de conformité à la Constitution : Le Conseil constitutionnel et la censure des cavaliers budgétaires (Déc. n° 728/2008), la continuité des services publics (Déc. du CC n° 382/2000 et, le respect du principe de l’intérêt général (Déc. du CC n° 467-01, le respect de la procédure législative (Déc. du CC n° 37/94), la loi sur les privatisations (Déc. du CC 99/298…) ;
  • la sauvegarde l’équilibre institué par la Constitution entre le Gouvernement et le Parlement : contrôle de l’élargissement excessif des compétences du Parlement (Déc. du CC n° 583/2004, Déc. du CC n° 52/95) ; La régulation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif (Déc. du CC n° 250-98…) et entre le législatif et le judiciaire (Déc. du CC n °92-95…), etc.
    Par ailleurs, le contrôle de la constitutionnalité des normes a été renforcé par la mise en place dans le cadre de la Constitution de 2011 d’un contrôle par voie d’exception tel qu’il est stipulé par l’article 133 qui prévoit : « La Cour constitutionnelle est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ». Le fonctionnement de cette exception d’inconstitutionnalité est subordonné à l’adoption d’une loi organique qui fixera les conditions et modalités d’application du présent article.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

La pratique jurisprudentielle marocaine reflète l’image d’une justice constitutionnelle harmonieuse et évolutive qui va dans le sens du respect de la suprématie de la Constitution et la sauvegarde des exigences démocratiques à travers la protection des droits et libertés fondamentaux.
Ainsi, comme on a pu le relever à travers les quelques cas jurisprudentiels cités auparavant, le Conseil constitutionnel marocain se présente beaucoup plus comme un défenseur des libertés et des droits fondamentaux du citoyen qu’un régulateur des activités des pouvoirs publics. Il a pu, ainsi, dans le cadre de son pouvoir d’interprétation des normes constitutionnelles, développer toute une jurisprudence en matière de promotion des droits de l’homme sans oublier son importante contribution dans le renforcement de l’État démocratique dans le Royaume.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

La Constitution ne comporte pas toujours des énoncés clairs et précis. Le Conseil constitutionnel marocain est souvent confronté dans son pouvoir d’interprétation des dispositions constitutionnelles à des problématiques de conformité à la Constitution. Ce qui l’a amené à rechercher la valeur normative que les auteurs de la Constitution ont entendu attacher à une norme constitutionnelle. Celui-ci cherche à déduire des normes implicites de normes constitutionnelles explicites. C’est dans cet esprit d’innovation dynamique que la juridiction constitutionnelle marocaine s’érige en tant qu’institution forte et agissante appelée non seulement à concrétiser la Constitution, mais de l’interpréter en mettant en valeur certains principes et normes de valeur constitutionnelle (pouvoir normatif du juge).

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Au Maroc, la primauté des traités internationaux n’est accordée que par rapport à la loi nationale et au droit interne. En cas de conflit, le juge fait prévaloir le traité sur la loi interne.
Dans la nouvelle Constitution adoptée par référendum du 1er juillet 2011, la primauté des traités internationaux est proclamée d’abord par le préambule (qui fait partie intégrante de la Constitution) : le Maroc « s’engage à accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication de ces conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale ».
Il convient de citer aussi l’article 19 de la Constitution qui précise que : « L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois… ».

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

On peut certes parler aujourd’hui d’un droit constitutionnel international eu égard à l’évolution du contexte international changeant qui a permis une uniformisation du droit constitutionnel et une extension des valeurs démocratiques à la plus part des systèmes politiques. L’internationalisation du droit constitutionnel s’est avérée le résultat de l’adhésion des États à un modèle constitutionnel de plus en plus uniformisé. L’État de droit et la démocratie sont devenus les piliers incontournables de l’idéologie mondiale.
Certes, le droit constitutionnel a connu de profondes mutations et devient de plus en plus un droit jurisprudentiel sous l’égide de la justice constitutionnelle qui imprègne toutes les branches du droit aussi bien public que privé. En effet, on assiste aujourd’hui à une normativité constitutionnelle internationale en particulier celle relative aux droits de l’homme.
Ces facteurs saillants ont bouleversé profondément les soubassements et l’armature du droit constitutionnel et de la justice constitutionnelle classique et préluder à l’apparition d’une justice constitutionnelle internationale plus sensible aux droits de l’homme.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Le Conseil constitutionnel marocain n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les conceptions monistes et dualistes des ordres juridiques. Mais avec la primauté des conventions internationales sur le droit interne inscrite dans la nouvelle Constitution, on peut dire que celle-ci adopte une conception moniste avec la supériorité des normes internationales sur les lois internes.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

La jurisprudence constitutionnelle ne semble pas encore comporter de cas jurisprudentiels précis à ce sujet. Cependant, on peut signaler, que, d’après la nouvelle Constitution, les conventions internationales feront, désormais, l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle (art. 55).

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

L’influence de l’environnement internationale sur l’élaboration de la Constitution est manifeste. Certes le phénomène de globalisation, l’internationalisation des constitutions et l’émergence d’un droit international des droits de l’homme imposent aux États démocratiques modernes dont fait partie le Royaume du Maroc à se mettre au diapason des normes et standards internationaux.
C’est dans cette perspective que le Royaume adhère à la majorité des conventions et pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme notamment le pacte des droits civils et politiques, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille…
Au niveau préambulaire de la Constitution marocaine, le Maroc réaffirme son attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus et proclame la primauté des traités internationaux dûment ratifiés sur le droit interne. Dans le même préambule, le Maroc s’engage à protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l’homme et du droit international humanitaire et contribuer à leur développement dans leur indivisibilité et leur universalité.
Par ailleurs la Constitution marocaine comporte un titre II spécialement consacré aux « libertés et droits fondamentaux » ainsi que des mécanismes de leur protection. On peut citer à ce titre une panoplie de droits, politiques, économiques et sociaux garantis par la Constitution notamment le droit à la vie, le droit à la sécurité, le droit de propriété et le droit à l’information… D’autres garanties sont mises en place par la Constitution comme les libertés de circuler, les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique…

Quant à l’approche genre, le texte constitutionnel consacre la parité entre les hommes et les femmes et crée, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination. D’autres domaines inhérents aux droits de l’homme concernent également le droit de pétition, le droit accordé aux citoyennes et citoyens de présenter des motions en matière législative, la possibilité offerte aux citoyennes et citoyens d’accéder au juge constitutionnel dans le cadre du recours par voie d’exception (exception d’inconstitutionnalité)…

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcée sur ce genre de cas.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ? Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

La question n’a pas encore été soumise au Conseil constitutionnel pour qu’il s’y prononce.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Ce cas de figure ne s’est jamais présenté à notre Cour pour qu’elle s’y prononce.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Notons à ce sujet qu’un bon nombre de principes, normes et droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus universellement par le droit international, sont énoncés dans le texte constitutionnel de 2011. De même que le préambule de la Constitution précise que « le Maroc, membre actif au sein des organisations internationales, s’engage à souscrire aux principes, droits et obligations énoncés dans leurs chartes et conventions respectives, il réaffirme son attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus, ainsi que sa volonté de continuer à œuvrer pour préserver la paix et la sécurité dans le monde ».

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Ce cas d’espèce ne s’est pas présenté jusqu’à nos jour devant le Conseil constitutionnel marocain. Mais il convient de noter que « lorsqu’un engagement international comporte une disposition contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution » (art. 55).

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les offres internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Ce cas de figure ne s’est jamais présenté à notre Cour pour qu’elle s’y prononce.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Comme signalé auparavant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel marocain ne s’est jamais prononcée sur cette question.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Le Conseil constitutionnel marocain a la latitude pour s’inspirer de la jurisprudence des juridictions internationales dans le cadre des compétences qui lui sont assignées par la Constitution.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.

Cour constitutionnelle de Moldavie

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Selon l’article 7 de la Constitution de la République de Moldova, « la Constitution de la République de Moldova est la Loi suprême. Aucune loi ou acte juridique qui contrevient aux dispositions de la Constitution n’a d’effet juridique. »
La disposition citée constitue une insertion normative de la suprématie de la Constitution qui garantit simultanément de jure son efficacité juridique.
Dans ce contexte, l’esprit même de la Constitution se résume à justifier sa mission sociale, à satisfaire les attentes de la société, à condition que les principes et les normes contenues dans la Constitution soient appliquées et mis en œuvre. C’est pourquoi, l’existence formelle de la Constitution n’est pas suffi- sante. Il est nécessaire de créer des conditions et des mécanismes en vue de son fonctionnement, pour qu’elle devienne un élément réel et efficient du développement social. L’efficacité juridique de la Constitution est déterminée par ses propriétés juridiques, notamment par le fait que la Constitution dispose d’un pouvoir juridique suprême dans le système de droit, garanti par le mécanisme de contrôle de la conformité des lois et des actes normatifs à l’acte suprême.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

L’article 1er de la Constitution moldave stipule que la République de Moldova est un État de droit, démocratique, dans lequel la dignité de l’être humain,

ses droits et ses libertés, le libre développement de la personnalité humaine, la justice et le pluralisme politique représentent des valeurs suprêmes et sont garanties. Ces valeurs sont développées par d’autres normes constitutionnelles qui sont appliquées et interprétées d’une manière systémique.
Cependant, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle a retenu que le préambule de la Constitution joue un rôle clé dans la compréhension et l’application du texte constitutionnel et peut être invoqué comme source de droit. Le préambule est à la source du texte constitutionnel, constitue une partie intégrante de la Constitution qui reflète exactement l’esprit de la Loi suprême. Ainsi, le préambule contient certaines clauses constitutionnelles à caractère impératif qui puissent être des sources indépendantes pour les normes qui ne se retrouvent pas expressément dans le texte de la Constitution. Toute interprétation de la Constitution doit être opérée en s’appuyant sur les objectifs originels de la Constitution.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Conformément à l’article 141 de la Constitution, la révision de la Constitution peut être engagée à l’initiative : a) d’un nombre d’au moins 200 000 citoyens de la République de Moldova ayant le droit de vote. Les citoyens qui prennent l’initiative de la révision de la Constitution doivent au moins provenir de la moitié des unités administratives territoriales du deuxième degré et, dans chacun de ces unités 20 000 signatures au moins doivent être enregistrées à l’appui de cette initiative ; b) d’un tiers au moins du nombre des députés du Parlement ; c) du Gouvernement.
L’article 143 dispose que le Parlement a le droit d’adopter une loi de modifi- cation de la Constitution, 6 mois au moins après la présentation du projet en question. La loi est adoptée à la majorité des voix des deux tiers du nombre des députés. Si, durant l’année suivant la présentation du projet sur la modification de la Constitution, le Parlement n’a pas adopté la loi constitutionnelle, le projet est considéré nul.
Toutefois, la révision de la Constitution ne peut avoir lieu que dans les limites prévues par l’article 142 de la Constitution, selon lequel les dispositions portant sur le caractère souverain, indépendant et unitaire de l’État, ainsi que celles portant sur la neutralité permanente de l’État, peuvent être révisées uniquement par voie de référendum, à la majorité des voix des citoyens inscrits sur les listes électorales. Aucune révision, qui aurait pour résultat la suppression des droits et des libertés fondamentales des citoyens ou de leurs garanties, ne peut être effectuée. La Constitution ne peut pas être révisée pendant la durée de l’état d’urgence, de siège ou de guerre.

Les projets des lois constitutionnelles ne seront présentés au Parlement qu’avec l’avis de la Cour constitutionnelle, adopté par le vote d’au moins 4 juges. L’avis rendu par la Cour constitutionnelle sur le projet de révision de la Constitution n’a qu’un caractère consultatif pour le pouvoir législatif. L’aspect juridictionnel de l’avis concerne avant tout les questions de droit sur l’opportunité du projet de loi constitutionnelle. Cet aspect implique, premièrement, l’analyse de la conformité formelle du projet de loi aux dispositions constitutionnelles de l’article 141. Dans son avis, la Cour se prononce également sur la question du respect de l’unité de la matière constitutionnelle par l’initiateur du projet de loi, en d’autres termes, de la conformité des normes constitutionnelles soumises à la révision aux dispositions de la Constitution. La Cour donne également son avis sur la question du respect des limites de révision de la Constitution, prévues à l’article 142. Le contenu d’un avis de la Cour constitutionnelle démontre un véritable contrôle a priori de constitutionnalité qui est exercé avant l’adoption de la loi de révision constitutionnelle. L’avis exclut le contrôle a posteriori, c’est-à-dire quand les dispositions de la loi adoptées font déjà partie du texte de la Constitution et ne peuvent pas être soumises au contrôle (jusqu’à présent la Cour constitutionnelle a émis 16 avis).

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule, étant le fondement du texte constitutionnel, représente la partie de la Constitution qui reflète l’esprit même de la loi suprême. Le préambule contient des clauses constitutionnelles à caractère impératif que l’on peut considérer comme sources autonomes pour les normes qui ne sont pas énoncées expressément par la Constitution.
Le préambule de la Constitution de 1994 retient des valeurs constitutionnelles et notamment « le désir séculaire du peuple de vivre dans un pays souverain, exprimé par la proclamation de l’indépendance de la République de Moldova ». De la sorte, l’instance juridictionnelle a le devoir de prendre en considération les valeurs en question et de donner une interprétation auxdites valeurs en tenant compte : a) des aspirations exprimées par la proclamation de l’indépendance de la République de Moldova ; b) du contexte historique et identitaire de la Nation en devenir.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

La Constitution de la République de Moldova est la loi suprême de la société et de l’État. Aucune loi et aucun acte juridique qui contrevient aux dispositions de la Constitution ne peut avoir de force juridique.
Toutefois, la Cour constitutionnelle retient dans sa jurisprudence que la Déclaration d’indépendance de la République de Moldova constitue le fondement et politique originel de la Constitution. Aucune disposition de la Constitution ne peut enfreindre les dispositions contenues dans la Déclaration.
Par conséquent, aucun acte normatif, y compris la loi suprême, ne peut être contraire au texte de la Déclaration d’indépendance. En cas de divergence entre le texte de la Constitution et celui de la Déclaration d’indépendance, le texte constitutionnel originaire de la Déclaration prévaut.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

« Le bloc de constitutionnalité » comprend la Déclaration d’indépendance et la Constitution de la République de Moldova.
Toutefois, la République de Moldova s’engage par les normes constitutionnelles à respecter les traités internationaux auxquels la République de Moldova est partie. Les dispositions de la loi sur les traités internationaux de la République de Moldova stipulent que les traités internationaux doivent être exécutés de bonne foi, en respectant le principe pacta sunt servanda. La République de Moldova n’est pas en droit d’alléguer les dispositions de la législation nationale comme justification de la non-exécution d’un traité auquel l’État est partie.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

En conformité avec l’article 4 de la Constitution, « les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et aux libertés de l’homme sont interprétées et appliquées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi qu’aux pactes et accords internationaux auxquels la République de Moldova est partie. En cas de non-concordance entre les pactes et les traités portant sur les droits fondamentaux de l’homme auxquels la République de Moldova est partie et les lois internes, les réglementations internationales ont la primauté. »
De plus, selon l’article 8 de la Constitution, « la République de Moldova s’engage à respecter la Charte de l’Organisation des Nations unies et les traités auxquels elle est partie, à fonder ses relations avec les autres États sur les principes et les normes unanimement acceptés du droit international. »

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

En adoptant la Déclaration d’indépendance – l’acte constitutif de l’État, la République de Moldova a exprimé sa volonté d’établir des relations politiques, économiques, diplomatiques, culturelles et d’autres relations d’intérêt commun avec les pays d’Europe et du monde entier.

Dans ses arrêts, la Cour s’est prononcée sur l’interdépendance des actes normatifs nationaux et les traités internationaux, en soulignant le fait que les normes et les principes unanimement reconnus du droit international sont exécutoires pour la République de Moldova dans la mesure où elle s’est engagée à respecter les accords internationaux. De la sorte, l’exécution des dispositions des traités internationaux ratifiés par la République de Moldova est indiscutable.
Le droit de l’État d’assumer ses engagements internationaux représente un des éléments de la souveraineté du pays.
La délégation de certaines compétences aux organismes internationaux par l’adhésion aux traités n’entraîne pas le renoncement à la souveraineté. Ces traités sont des conventions au moyen desquelles le détenteur de la souveraineté délègue certaines compétences à une autre autorité.
La Cour a relevé dans sa jurisprudence que l’État, par son adhésion à un traité international, transmet ses compétences dans les limites établies par les réglementations internationales. De ce point de vue, l’appartenance de la République de Moldova à l’Organisation des Nations unies ou bien sa qualité de partie à la Convention européenne des droits de l’homme et aux traités internationaux signifie le transfert de compétences à l’institution en question et l’obligation de l’État de respecter les décisions des institutions internationales (par ex., le Conseil de sécurité de l’ONU, la Cour européenne des droits de l’homme, etc.).
La Cour a retenu que le respect des obligations internationales assumées de sa propre volonté désigne une tradition juridique et un principe constitutionnel qui sont inséparables et font partie intégrante de l’État de droit. Or, les aspirations de la Moldova visant à établir des relations avec les pays européens dans tous les domaines d’intérêt commun et de s’orienter vers l’espace des valeurs démocratiques européennes ont été consacrées par l’acte fondateur de l’État

  • la Déclaration d’indépendance.

Pourtant, les engagements internationaux assumés par l’État ne peuvent pas contrevenir aux normes constitutionnelles. Aux termes de l’article 8 de la Constitution, l’entrée en vigueur d’un traité international comprenant des dispositions contraires à la Constitution devra être précédée d’une révision de cette dernière. Ainsi, durant la période comprise entre le consentement à être lié par le traité et l’entrée en vigueur du traité, la Cour constitutionnelle peut être saisie d’un contrôle de constitutionnalité des traités internationaux.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

À cet égard, on doit souligner le fait que la mission sociale de la Constitution est justifiée et les attentes de la société sont satisfaites seulement si les principes et les normes constitutionnelles sont appliquées et mises en œuvre. À ce titre, il n’est pas suffisant d’avoir une « bonne » Constitution, il est nécessaire de créer des conditions et des mécanismes en vue de son fonctionnement, pour qu’elle devienne un élément réel et efficient du développement social.
L’exigence de la recherche scientifique de la mise en œuvre de la Constitution est déterminée en partie par ses attributs juridiques, en particulier parce que la Constitution a une valeur juridique supérieure dans le système de droit. En sa qualité de « la loi des lois », elle est le fondement de la législation en vigueur. En même temps, les réglementations dont la Constitution fait l’objet englobent la plupart des sphères sociales et, par conséquent, le non-fonctionnement des dispositions constitutionnelles pourrait se refléter négativement sur les lois dans divers domaines.
Bien évidemment que la Constitution comme l’acte suprême dans l’État devrait être le moins possible susceptible de modification, ce qui garantirait la stabilité de l’ensemble des relations sociales, des systèmes politique, économique et de droit. En fait, la suprématie d’un acte dans la hiérarchie des actes normatifs doit offrir la stabilité, afin de donner la possibilité de mettre en accord les lois hiérarchiquement inférieures, et non en sens inverse – la stabilité est condition de la suprématie.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Jusqu’à présent, la Constitution de la République de Moldova a été modifiée et complétée par le biais de huit lois.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Conformément à l’article 8 de la Constitution, l’entrée en vigueur d’un traité international, comprenant des dispositions contraires à la Constitution, devra être précédée d’une révision de cette dernière. Ladite révision devra être effectuée avant la ratification du traité.
Par ses décisions rendues, la Cour a retenu que les autorités compétentes pour conduire la négociation et la signature des traités internationaux constatent, à l’étape préliminaire du processus, la conformité des lois nationales aux dispositions des traités internationaux.
D’autre part, en ce qui concerne le cadre légal subséquent de la Constitution, le législateur a l’obligation de vérifier la conformité des dispositions des projets de lois avec les dispositions des traités internationaux. Lorsqu’il y a une nonconcordance entre la législation interne et celle internationale, la législation interne devra être soumise à révision.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

La Constitution est le texte qui désigne les règles normatives fondamentales et les règles juridiques supérieures et fixent l’organisation et le fonctionnement de l’État et de la société.
La Constitution rend légitime le pouvoir, détermine les fonctions et les pouvoirs des autorités publiques, consacre les droits et les libertés fondamentales, règle les rapports entre les citoyens, entre les autorités publiques et les citoyens, désignant le fondement et la garantie primordiale de l’ordre juridique. Lesdits éléments substantiels convergent vers la conclusion se rapportant à la suprématie matérielle de la Constitution.
La suprématie de la Constitution est démontrée par l’existence des mécanismes de contrôle de la conformité des lois et d’autres actes normatifs. L’inexistence des sanctions pour violation des règles constitutionnelles par les pouvoirs de l’État pourrait provoquer la confusion au sujet de la différenciation, de principe, entre la Constitution, la Loi fondamentale, et les lois et les autres actes normatifs. Au regard de ces éléments, le législateur a prévu expressément dans le texte constitutionnel que les lois et autres actes juridiques contrevenant aux dispositions constitutionnelles n’ont pas de valeur juridique.
Cependant, en vue d’assurer la sécurité des rapports juridiques, toute loi (organique ou ordinaire) ou tout acte normatif est présumé constitutionnel jusqu’à preuve du contraire, autrement dit jusqu’à ce que son inconstitutionnalité soit constatée par la Cour constitutionnelle.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

La Constitution, comme acte fondateur de l’État et expression des normes supérieures du fonctionnement de l’État, identifie et établit les normes relatives à l’activité des institutions nationales. Par ces motifs, les actes réglementant l’activité des institutions nationales définissent la constitutionnalité et le respect des dispositions constitutionnelles comme principe fondamental pour l’exercice des fonctions.
La suprématie de la Constitution bénéficie tant des garanties particulières du système de droit dans l’ensemble que de certaines garanties juridiques spéciales, et notamment du contrôle général de la mise en œuvre de la Constitution, du contrôle de constitutionnalité des lois, de l’obligation fondamentale de respecter la Constitution.
Le contrôle général de l’application de la Constitution est légitimé par le fait que le fonctionnement de l’État est régi par la Constitution, établissant

les formes d’exercice du pouvoir de l’État, les catégories des organes de l’État et leurs compétences. L’exercice du pouvoir par le peuple comporte une répartition des compétences et une autonomie des organes de l’État qui doivent exercer leur activité en conformité et dans les limites établies par la Constitution. À ces fins, la Constitution retient un système complexe et efficient de contrôle de son application au moyen de la procédure de contrôle de constitutionnalité des actes normatifs.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

La suprématie de la Loi suprême se rapporte à la quintessence des exigences de l’État de droit, désignant une réalité juridique avec des conséquences et des garanties. Les conséquences comprennent les différences entre la Constitution et les lois, ainsi que la compatibilité du droit, dans l’ensemble, avec la Constitution, tandis que les garanties se réfèrent au contrôle de constitutionnalité.
La suprématie de la Constitution est assurée par la Cour constitutionnelle au moyen du contrôle de constitutionnalité des actes normatifs. La Cour est l’unique autorité qui a le pouvoir de se prononcer sur la conformité des normes juridiques avec la Constitution. Le contrôle de constitutionnalité des actes est d’une importance capitale pour le bon fonctionnement de l’État de droit, ainsi que pour le respect de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs de l’État. Quand il s’agit de la violation des valeurs et des principes constitutionnels, au-delà des conflits politiques inhérents aux rapports de la majorité avec l’opposition parlementaires, la Cour constitutionnelle a le devoir de veiller au respect de ces valeurs et principes essentiels dans la démocratie, qui est l’unique modèle politique compatible avec la Loi suprême.
Toute interprétation restrictive de la norme fondamentale relative au contrôle de constitutionnalité, exercé par la Cour constitutionnelle visant à la limitation ou à l’abrogation des attributions de la Cour, serait de nature à contrecarrer l’affermissement de la démocratie constitutionnelle.
En effet, la fonction de la Cour constitutionnelle d’assurer la suprématie de la Constitution est consacrée explicitement par les normes constitutionnelles.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Dans le but de l’accomplissement de la collaboration et du contrôle réciproque dans le processus de l’exercice de la souveraineté nationale, la Constitution de la République de Moldova établit des rapports particuliers entre le Parlement (le pouvoir législatif), le président de la République et le Gouvernement (le pouvoir exécutif). Les rapports en question se manifestent dans l’interaction

partagée, des compétences textuellement stipulées et des contraintes juridiques constitutionnelles (l’adoption des lois par le Parlement, les attributions du président, le rôle du Gouvernement, etc.).
Dans le cadre de l’organisation des autorités de l’État, la mission de la Cour constitutionnelle est essentielle et défini la garantie de l’égalité devant la loi, des libertés et des droits fondamentaux de l’homme. Toutefois, la Cour contribue au bon fonctionnement des autorités publiques en assurant la séparation, l’équilibre, la collaboration et le contrôle réciproque des pouvoirs de l’État.
Le contrôle de constitutionnalité dans son ensemble constitue tant une garantie juridique fondamentale de la supériorité de la Constitution qu’un moyen de conférer à la Cour constitutionnelle la compétence d’assurer efficacement la séparation et l’équilibre des pouvoirs dans un État démocratique.
Le contrôle de constitutionnalité n’est pas un frein à la démocratisation, mais le moyen indispensable permettant à la minorité parlementaire et aux citoyens de veiller au respect des dispositions constitutionnelles, formant ainsi une contre pondération nécessaire à la majorité parlementaire, pour que cette dernière n’enfreigne pas l’esprit et la lettre de la Constitution.
La Cour souligne l’importance du contrôle de constitutionnalité des actes normatifs pour le fonctionnement de l’État de droit et pour le respect de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs. S’il est question de violation des valeurs et des principes constitutionnels, au-delà des conflits politiques inhérents dans les rapports de la majorité et l’opposition parlementaires, la Cour constitutionnelle doit veiller au respect de ces valeurs et principes essentiels dans la démocratie, qui est l’unique modèle politique compatible avec la Loi suprême.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Selon l’article 140 de la Constitution, les lois et les autres actes normatifs ou certaines parties de ceux-ci sont nuls en cas d’adoption d’un arrêt d’inconstitutionnalité par la Cour constitutionnelle. Les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs et ne peuvent faire objet d’un recours.
Les arrêts de la Cour ont force de loi et sont obligatoires pour toutes les autorités constitutionnelles de la Républiques de Moldova. Le Parlement ou, selon le cas, le Gouvernement sont tenus d’exécuter les arrêts de la Cour constitutionnelle en apportant des modifications ou bien des abrogations des actes normatifs déclarés inconstitutionnels.
Les actes adoptés par la Cour mettent en évidence le caractère conséquent, objectif et exigeant de la juridiction constitutionnelle en vue d’assurer la suprématie de la Constitution, le respect des droits et des libertés fondamentales de l’homme, soulignant en même temps la manière dont est perçue l’idée de constitutionnalité et le rôle stabilisateur social joué par la Cour. L’exercice de ces attributions avec impartialité démontre que la Cour constitutionnelle est un élément indispensable de l’État de droit.
Les arrêts de la Cour constituent une constatation juridique généralement obligatoire fondée sur la solution apportée à une question constitutionnelle après avoir donné une interprétation officielle des normes de la Constitution et une explication du contenu des normes déférées. Il n’est pas suffisant d’exécuter le dispositif de l’arrêt, il est impératif d’étudier en détail les motifs et les arguments contenus dans le texte de l’arrêt, car celui-ci représente un ensemble, une unité des considérants et du dispositif sur lesquels la Cour s’appuie pour trancher une question.
L’exécution des arrêts de la Cour doit comporter un double effet. Premièrement, l’exécution doit représenter une garantie de la protection du droit subjectif et, deuxièmement, elle doit devenir, par conséquent, une source de droit pour le législateur et l’exécutif. Ce n’est que dans leur ensemble que lesdits aspects peuvent garantir la suprématie de la Constitution, en assurant la constitutionnalité des actes normatifs.

3. Étendue de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la République de Moldova a reconnu l’existence du « bloc de constitutionnalité » qui inclut la Déclaration d’indépendance et la Constitution du pays.
Lorsque la République de Moldova est devenue un État indépendant et souverain, la Déclaration d’indépendance était le seul document qui définissait l’ordre constitutionnel, le système politique, économique et judiciaire du pays. Une Constitution n’avait pas encore été adoptée. C’est notamment une des raisons qui ont déterminé l’insertion de la Déclaration d’indépendance dans le « bloc de constitutionnalité ». Ainsi, la Déclaration d’indépendance est l’acte politico-juridique de la création du nouvel État indépendant – la République de Moldova, c’est le « certificat de naissance » du nouvel État qui établit les bases, les principes et les valeurs fondamentales de l’organisation étatique de la République. La Déclaration comprend les décisions politiques essentielles, la conscience nationale et définit « l’identité constitutionnelle » de la République de Moldova.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Lors du contrôle de constitutionnalité des actes normatifs, la Cour constitutionnelle vérifie la conformité de ceux-ci aux dispositions constitutionnelles. En outre, si les normes soumises au contrôle de constitutionnalité concernent les droits et les libertés internationales, la Cour met en application les dispositions des actes internationaux auxquels la République de Moldova est partie.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Aux termes des dispositions constitutionnelles, la Cour exerce le contrôle de constitutionnalité des lois et des arrêtés du Parlement, des décrets du président de la République de Moldova, des arrêtés et des ordonnances du Gouvernement, ainsi que des traités internationaux auxquels la République de Moldova est partie.
La Cour, appliquant « le contrôle abstrait » de constitutionnalité, ne se prononce jamais sur les circonstances de fait, mais exclusivement sur la conformité aux dispositions constitutionnelles des actes normatifs émis par le Parlement, le Gouvernement et le président de la République.
La Cour constitutionnelle a énoncé dans sa jurisprudence la conclusion selon laquelle la constitutionnalité des lois adoptées par le Parlement peut être contrôlée tant avant qu’après leur publication au Journal officiel de la République de Moldova (Monitorul Oficialal Republicii Moldova). Ainsi, la Cour effectue le contrôle de constitutionnalité a priori et a posteriori des lois adoptées par le Parlement.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

La Cour constitutionnelle dispose des mécanismes de contrôle suffisants afin de garantir la suprématie de la Constitution.
Bien que la législation ne prévoie pas le recours individuel, l’accès direct du citoyen au contentieux constitutionnel est assuré par « l’exception d’inconstitutionnalité ».
La Cour juge les exceptions d’inconstitutionnalité des actes normatifs sur demande des instances judiciaires. Lorsqu’au cours d’un procès, on constate que la disposition en question contrevient aux dispositions constitutionnelles, l’instance de jugement peut soulever l’exception et saisir la Cour constitutionnelle par l’intermédiaire de la Cour suprême de justice. L’exception

d’inconstitutionnalité peut être soulevée sur demande de l’instance judiciaire ou de l’une des parties au procès.
Cette attribution de la Cour représente une garantie constitutionnelle pour la sauvegarde des droits et libertés du citoyen, qui selon la loi, ne peut saisir la Cour constitutionnelle, mais peut être lésé dans ses droits par l’application des dispositions contestées ou bien par leur effet juridique.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Lors du contrôle de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle examine l’incidence des normes constitutionnelles sur la disposition contestée. Une disposition législative peut être soumise au contrôle constitutionnel à condition qu’une liaison indissoluble de contenu entre les dispositions contestées et les normes de la Constitution soit établie.
La Cour a mentionné dans plusieurs arrêts que le but de toute interprétation des normes constitutionnelles est de sauvegarder l’unité et la compréhension correcte de leurs contenus et sens authentique. L’interprétation officielle est absolument nécessaire lorsqu’une ambiguïté des normes constitutionnelles est mise en lumière par une situation concrète et cette incertitude ne peut être dénouée que par la juridiction constitutionnelle. La nécessité d’interprétation doit être confirmée par la nature du problème de droit qui résulte du caractère irrégulier des dispositions législatives. Ces dispositions sont admises à l’examen au fond à condition que la disposition constitutionnelle soumise à l’interprétation soit incertaine, ambiguë ou incomplète.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

En vue de renforcer le caractère suprême de la Constitution, la Cour a institué le contrôle de constitutionnalité a priori, en plus de celui a posteriori, autrement dit après l’adoption des lois par le Parlement et avant leur entrée en vigueur.
Le contrôle de constitutionnalité a priori et a posteriori illustre la diversification et l’affermissement des compétences de la Cour constitutionnelle, ainsi qu’un élément supplémentaire pour renforcer l’État de droit et la démocratie constitutionnelle.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

La Cour constitutionnelle utilise tous les instruments à sa disposition en vue d’amplifier l’ensemble des garanties et des moyens de protection des droits et libertés fondamentales de l’homme, par les contestations tranchées et les décisions prononcées.
Par conséquent, la jurisprudence constitutionnelle nationale est un « agent efficient et dynamiseur » de l’assimilation et de la mise en œuvre du droit international.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Voir le point 1.1 ci-dessus.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Le constitutionnalisme international est aujourd’hui un des sujets les plus débattus et disputés du droit international. Néanmoins, il n’existe toujours pas de document universel reconnu comme une constitution universelle ou une constitution mondiale. Mais le constitutionnalisme global ne présume pas obligatoirement l’existence d’un document écrit. Celui-ci peut prendre la forme de certains principes partagés, de pratiques sociales et institutionnelles communes, dont les valeurs de la prééminence du droit, de la séparation des pouvoirs, du régime inaliénable des droits de l’homme et de la démocratie en sont les caractéristiques.
En ce qui concerne l’existence d’un droit européen, les États européens qui ont adhéré au Conseil de l’Europe sont inébranlablement attachés aux principes des Statuts de Conseil de l’Europe qui affirment que les valeurs spirituelles et morales sont le patrimoine commun de leurs peuples et sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable.
En effet, la Convention européenne des droits de l’homme telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme représente un instrument constitutionnel de l’ordre public européen.
De même, les États membres de l’Union européenne sont attachés à des principes unitaires, les traités et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en constituent une véritable constitution.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Aux termes de l’article 4 de la Constitution, les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et aux libertés de l’homme sont interprétées et appliquées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi qu’aux pactes et accords internationaux auxquels la République de Moldova est partie. Cette disposition induit des conséquences juridiques pour les organes judiciaires, y compris la Cour constitutionnelle qui doivent appliquer au cours de l’examen des affaires les normes du droit international, dans les cas prévus par la loi.
Les dispositions constitutionnelles de l’article 4.2 visent la cohérence entre les normes de droit international et les dispositions nationales sur les droits fondamentaux de l’homme, en octroyant, en cas de non-concordance, la primauté aux réglementations internationales.
Ainsi, on constate que la norme constitutionnelle en question prévoit la priorité des réglementations internationales auxquelles la République de Moldova est partie en cas de non-concordance entre les pactes et les traités portant sur les droits de l’homme et les lois internes. Ladite norme constitutionnelle exprime l’attachement aux réglementations internationales et, à la fois, démontre la réceptivité face au développement possible et prévisible de celles-ci.
Par ces réglementations constitutionnelles, les dispositions conventionnelles internationales en matière des droits de l’homme ont acquis un statut spécial dans la hiérarchie normes, de rang égal à celui de la Loi suprême et ayant priorité sur les lois internes, en cas de divergences.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Dans son arrêt n° 55 du 14 octobre 1999 sur l’interprétation de certaines dispositions de l’article 4 de la Constitution de la République de Moldova, la Cour constitutionnelle a retenu que « ladite disposition comporte des conséquences juridiques selon lesquelles les organes judiciaires, y compris la Cour constitutionnelle, sont en droit d’appliquer au cours de l’examen des affaires les normes du droit international, en octroyant, en cas de non-concordance, la primauté aux réglementations internationales. »

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

La Constitution de la République de Moldova a été modifiée huit fois depuis son adoption en 1994. À cet égard, tous les projets de modification de la Constitution doivent garantir le respect des principes démocratiques de l’État de droit, unanimement reconnus sur le plan international. En outre, la plupart des propositions de lois constitutionnelles sont soumises à la Commission de Venise du Conseil de l’Europe pour expertise.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Voir les exposés ci-dessus.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Comme mentionné antérieurement, la Cour constitutionnelle applique les dispositions des actes internationaux. La Cour fait surtout référence à la Convention européenne des droits de l’homme.
Conformément aux dispositions constitutionnelles, la Convention européenne a une applicabilité directe dans la jurisprudence constitutionnelle nationale, en invoquant le plus souvent les articles 3 – Interdiction de la torture ; 6 – Droit à un procès équitable ; 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale ; 10 – Liberté d’expression ; 11 – Liberté de réunion et d’association ; 13 – Droit à un recours effectif ; 14 – Interdiction de discrimination ; Protocole n° 1 – Protection de la propriété, Droit à l’instruction, Droit à des élections libres.
Subséquemment aux références à la Convention européenne des droits de l’homme, les arrêts de la Cour constitutionnelle sont fondés sur les dispositions des traités signés dans le cadre du Conseil de l’Europe, comme la Charte européenne de l’autonomie locale, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention pénale sur la corruption, la Convention civile sur la corruption.
La Cour s’appuie aussi sur les recommandations et les résolutions du Conseil de l’Europe, notamment celles concernant le système judiciaire, l’exécution des décisions de justice, la protection juridictionnelle provisoire en matière administrative, sur les droits et devoirs de l’opposition dans un parlement démocratique.
De plus, la Cour fait référence dans ses décisions aux actes internationaux signés dans le cadre de l’Organisation des Nations unies – la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ; la Convention concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession ; la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement ; le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; la Convention contre la corruption.

Les avis et les études de la Commission de Venise constituent une source précieuse pour la Cour, et notamment les questions concernant la justice constitutionnelle, l’État de droit, les droits et les libertés fondamentales, le système judiciaire, la liberté d’association, l’immunité parlementaire, le droit à l’initiative législative, etc.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Comme mentionné ci-dessus, la Cour constitutionnelle applique pleinement les dispositions internationales.
Il est à noter que les jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne et de la CEDH détiennent un rôle essentiel et exercent une influence sur la solution adoptée par la Cour, éminemment pour les affaires soulevant une question d’ordre constitutionnel sur le respect et la protection d’un droit constitutionnel consacré par la Constitution et la CEDH.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Selon les réglementations de l’article 4 de la Constitution, cité supra dans le texte, la priorité des traités internationaux en matière de droits fondamentaux par rapport au droit interne offre la possibilité d’appliquer directement des normes internationales.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Dans les cas où la réglementation internationale octroie une large marge d’appréciation aux États, le législateur peut rendre ses propres réglementations. À titre d’exemple, si la jurisprudence de la Cour européenne établit un degré de protection minimal, il est possible que la Cour constitutionnelle établisse par ses décisions un degré de protection plus élevé des droits et des libertés fondamentaux des citoyens.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Les rapports avec les normes internationales qui visent une autre matière que celle de droit de l’homme sont plus délicats, car les dispositions concernant les institutions de l’État et leurs compétences, la séparation et la collaboration des pouvoirs dans l’État, les aspects économiques, etc., restent dans les limites de la marge d’appréciation des États.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Voir la réponse ci-dessus.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

La justice constitutionnelle de la République de Moldova s’adapte continuellement aux normes internationales en matière de droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour européenne. Enfin, il y a eu des situations où la pratique nationale s’est vue modifiée et révisée suite à des arrêts adoptés par la Cour européenne.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Le droit constitutionnel national ne contient pas de réglementations qui disposent expressément l’application de la jurisprudence des instances internationales, et notamment de la Cour européenne des droits de l’homme, dans la jurisprudence constitutionnelle nationale.
La Cour européenne est chargée de faire respecter les droits inscrits dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et contrôle la mise en œuvre de la Convention. En ce sens, dans son arrêt n° 42 du 14 décembre 2000 la Cour a retenu que suite à la ratification de la Convention européenne, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est devenue obligatoire pour la République de Moldova.
Ultérieurement, par son arrêt n° 10 du 16 avril 2010 portant révision de l’arrêt n° 16 du 28 mai 1998 sur l’interprétation de l’article 20 de la Constitution, la Cour a réaffirmé que la pratique juridictionnelle internationale est obligatoire pour la République de Moldova en tant qu’État qui a adhéré à la Convention européenne.
Il est à mentionner le fait que durant ces dernières années la jurisprudence de la Cour européenne est appliquée d’une manière prioritaire et représente une véritable source de droit.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Les jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne et de la CEDH ont un rôle essentiel et exercent une influence sur la solution adoptée par la Cour, éminemment pour les affaires soulevant une question d’ordre constitutionnel sur le respect et la protection d’un droit constitutionnel consacré par la Constitution et la CEDH.
Il est à noter que si la jurisprudence de la Cour européenne établit un degré de protection minimal, il est possible que la Cour constitutionnelle établisse par ses décisions un degré de protection plus élevé des droits et des libertés fondamentaux des citoyens.
Par les décisions rendues, la Cour constitutionnelle met en valeur l’importance des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme pour la législation nationale en matière de droits de l’homme, et garantit une juste interprétation et application des normes en question par les instances judiciaires à la lumière de l’article 140 de la Constitution qui statue le caractère obligatoire et définitif des arrêts de la Cour constitutionnelle.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

La jurisprudence interprétative de la Cour constitutionnelle a fait référence aux dispositions des accords internationaux auxquels la République de Moldova est partie, comme les suivants : – la Charte européenne sur le statut des juges, dans le cas d’interprétation de l’article 116.1 sur le statut des juges ;

  • la Déclaration universelle des droits de l’homme, article 17, et le Protocole n° 1 de la Convention européenne, dans le cas de l’interprétation de l’article 46.3 sur le droit à la propriété privée et sa protection ;
  • le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans l’interprétation de l’article 78.1 relatif à l’élection du président de la République ;
  • la Convention de Vienne sur le droit des traités, dans l’interprétation de l’article 4.

Tribunal suprême de Monaco

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

Le bref préambule de la Constitution, par la voix de son Prince Souverain dispose que : « la nouvelle Constitution… soit désormais considérée comme loi fondamentale de l’État et ne pourra être modifiée que dans les termes que Nous avons arrêtés ».
On en déduit donc qu’il n’y a pas à Monaco de normes supérieures à la Constitution.
La doctrine considère généralement qu’à Monaco la hiérarchie des normes s’établie comme suit :

  1. la Constitution et les normes à valeur constitutionnelle (4) ;
  2. les traités et accords internationaux ;
  3. les lois et les normes à valeur législative ;
  4. les principes généraux du droit ;
  5. les ordonnances souveraines nécessaires à l’exécution des lois ;
  6. les arrêtés du Ministre d’État et du directeur des services judiciaires ;
  7. les actes de l’autorité communale ;
  8. les autres décisions administratives.

Les normes qui complètent la Constitution sont notamment les textes organiques qu’elle prévoit. Par exemple, les ordonnances souveraines portant statuts de la famille souveraine, relatives au Conseil d’État ou au Tribunal suprême.

On peut considérer que le préambule – très bref – fait partie du bloc de la constitutionnalité. Il n’y a pas à Monaco de normes de droit interne supraconstitutionnelle.
L’article 1er de la Constitution de la Principauté du 17 décembre 1962 dispose : « la Principauté de Monaco est un État souverain et indépendant dans le cadre des principes généraux du droit international et des conventions particulières avec la France ».
La Constitution n’est que rarement modifiée. Sa rédaction précédente datait de 1911 et l’actuelle a été modifiée en 2002 dans la perspective de la ratification du traité constitutif du Conseil de l’Europe, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et la conclusion de nouveaux accords avec la France.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est effective. Le contrôle exercé par le Tribunal suprême sur la constitutionnalité des lois en annulation est ouvert à toute personne intéressée datant de 1911, sa légitimité n’est pas susceptible d’être discutée.
La jurisprudence du Tribunal suprême est respectée ainsi que l’autorité de ses décisions qui s’imposent à toutes les autorités de l’État.

3. Étendue de la garantie de la constitution

Sur le bloc de Constitutionnalité cf. supra.
En matière de contrôle de constitutionnalité de la loi, pour sortir du manichéisme validation/annulation le Tribunal suprême, à l’instar du Conseil constitutionnel français, a développé la technique des réserves d’interprétation.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

On ne peut pas parler véritablement de conflit entre la Constitution et le droit international car la Principauté veille à ne pas ratifier de conventions qui entreraient en conflit avec sa Constitution, sauf à modifier celle-ci préalablement.

La conception dominante des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe est le dualisme. On ne considère pas de normes internationales comme de valeurs supérieures à la Constitution.

3. Compétences de la cour

Il n’y a pas de contrôle de conventionnalité des lois.
En revanche, dans le contrôle de la constitutionnalité ou de la légalité des actes administratifs, le Tribunal suprême applique des dispositions ayant une source internationale comme par exemple les pactes civils des Nations unies ou la Convention européenne des droits de l’homme.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Comme indiqué supra les hypothèses de conflits entre normes internationales et Constitution sont rares ou inexistantes. Les droits fondamentaux à Monaco sont protégés directement par la Constitution elle-même dans son titre III. Identiques au fonds commun européen, les droits reconnus coïncident largement, sauf exception particulière, avec les droits protégés par les conventions internationales.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

La jurisprudence des juridictions internationales, en particulier de la Cour de Strasbourg, retient particulièrement l’attention des membres du Tribunal suprême et des parties dans leurs écritures. Elle peut constituer un élément significatif de la réflexion des juges et des décisions de la juridiction.

Conseil constitutionnel du Mozambique

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Le paragraphe 4 de l’article 1er de la Constitution de la République du Mozambique, déclare : « Les normes constitutionnelles prévalent sur toutes les autres normes du système juridique. »

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

La Constitution contient certains principes structurants auxquels on ne peut jamais déroger, par exemple : le principe de l’État de droit démocratique (article 3), et le principe unitaire de l’État (article 8) et le principe de la laïcité de l’État (article 12).

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Au niveau de la Constitution, il existe des normes relatives aux droits qui ne peuvent pas être effectifs tant qu’ils ne sont pas concrétisés par des lois de l’Assemblée de la République. Par exemple, le droit à la grève (article 87) est inscrit dans la Constitution mais il n’a pas encore été réglementé par la loi. Le droit à la santé (article 89) est reconnu par la Constitution, toutefois il revient à la loi de concrétiser ce commandement constitutionnel.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule introduit des principes que la Constitution adopte en leur conférant un caractère juridico-normatif conformément aux articles 1, 2, 134, qui consacrent les principes de la souveraineté populaire, de l’État de droit démocratique et de la séparation et l’interdépendance des pouvoirs ;

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

La Constitution est, en soi, la norme hiérarchiquement supérieure dans le système juridique mozambicain et toutes les lois doivent s’y conformer.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Le droit international fait partie de la Constitution, une fois, ratifié et publié, en vertu de l’article 18, en devenant un acte normatif infraconstitutionnel émanant de l’Assemblée de la République et du Gouvernement.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place parti culière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Les traités internationaux, en vertu du paragraphe 2 de l’article 18 se trouvent dans une position infra-constitutionnelle. Selon leur forme et la matière qu’ils traitent, ceux-ci pourront occuper la même position que les actes normatifs émanant de l’Assemblée de la République ou occuper une position similaire à celle des actes normatifs émanant du Gouvernement.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Pour que l’État intègre une organisation internationale ou pour qu’il adhère à un traité international, il doit respecter les principes et normes constitutionnelles, celles-ci ayant une valeur hiérarchiquement supérieure dans l’ordre juridique interne.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La stabilité de la Constitution se définit selon ses principes structurants et aussi des limites matérielles imposées pour sa révision, ce qui montre précisément sa suprématie et son impossibilité de dérogation.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

La Constitution de la République du Mozambique a été modifiée plusieurs fois depuis son adoption le 25 juin 1975 en fonction de l’Assomption des pouvoirs constitutifs dérivés de l’Assemblée de la République.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Les traités internationaux en théorie ne peuvent pas en soi mener au changement de la Constitution, toutefois, si le Mozambique adhère à un traité international dont la mise en œuvre implique l’ajustement de la Constitution, il est possible que cette matière soit discutée.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

La Constitution jouit d’une suprématie totale et effective dans l’ordre juridique mozambicain.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

La place que la Constitution occupe dans l’ordre juridique bénéficie d’une reconnaissance évidente et elle est respectée par toutes les institutions juridiques nationales.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

La question de la légitimité du contrôle de la constitutionnalité est prévue dans la Constitution et nul ne questionne la solution adoptée. Il y a un contrôle diffus de la constitutionnalité qui attribue des pouvoirs aux juges des tribunaux communs pour écarter les normes ou principes qui vont à l’encontre de la Constitution (article 214) et, par ailleurs, il y a la légitimité prévue dans le paragraphe 2 de l’article 245 et le paragraphe 1 de l’article 246 de la Constitution attribuent des pouvoirs au Conseil constitutionnel pour appliquer la Constitution dans les termes prévus.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

En plus du Conseil constitutionnel, les cours et le bureau du Procureur-général de la République sont les autres institutions assurant la protection des droits fondamentaux. Toutes les autres entités publiques sont également obligées, dans leur action, de respecter la Constitution.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Les décisions du Conseil constitutionnel doivent être suivies par tous les citoyens, institutions et autres personnes juridiques, et ne peuvent pas faire

l’objet de recours et prévalent sur toutes les autres décisions. Le non-respect de la Constitution constitue un crime de désobéissance.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel reconnaît, bien qu’implicitement, l’existence d’un « bloc de constitutionnalité ». Le bloc de constitutionnalité implique le respect des principes de l’État de droit, des libertés et des garanties individuelles. À titre d’exemple, nous pouvons citer l’arrêt n° 4/ CC/2013, du 17 septembre dont l’objet était l’appréciation et la déclaration de l’inconstitutionnalité de certaines normes du code de procédure pénale et l’arrêt n° 4 CC/2012, du 5 septembre dont l’objet était l’appréciation et eut pour conséquence la déclaration d’inconstitutionnalité de certaines normes du règlement disciplinaire de la Police de la République du Mozambique.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation au-delà de la Constitution et des lois organiques, le Conseil constitutionnel tient compte des principes du bloc de constitutionnalité mentionnés dans le point précédent.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Les compétences du Conseil constitutionnel sont détaillées dans la Constitution de la République à l’article 244 et dans sa loi organique (loi n° 6/2006, du 2 août modifiée par la loi n° 5/2008, du 9 juillet). Les actes politiques sont exclus : le Conseil constitutionnel ne peut pas les contrôler.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Les autorités pouvant saisir le Conseil constitutionnel sont prévues dans la Constitution aux paragraphes 1 et 2 de l’article 245 où il est mentionné qu’ils ont la légitimité de saisie du Conseil constitutionnel pour les procédures de déclaration d’inconstitutionnalité des lois et d’illégalité des autres actes normatifs des organismes de l’État.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

À part les méthodes de l’herméneutique consacrées dans la doctrine, le Conseil constitutionnel adopte aussi la proportionnalité.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Le Conseil constitutionnel n’a pas sa propre initiative de contrôle. Elle dépend des demandes des entités prévues à l’article 245, notamment : le président de la République, le président de l’Assemblée de la République, au moins un tiers des députés de l’Assemblée de la République, le Premier ministre, le procureur général de la République, le pourvoyeur de la Justice et deux mille citoyens.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Les pouvoirs du Conseil constitutionnel prévus dans la Constitution et dans sa loi organique se révèlent efficaces dans les recours qui sont soumis à son appréciation, en assurant le respect de la Constitution et de toutes les autres lois.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Le Conseil constitutionnel ne rencontre pas de difficultés dans la mise en œuvre de ses décisions, car celles-ci harmonisent sa jurisprudence. I

I. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Conformément à la Constitution de la République du Mozambique, la Constitution est dans au sommet de l’hiérarchie des normes en vertu des articles 4 et 18.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

L’idée de l’existence d’un « droit constitutionnel international » est fondée sur certaines dispositions. Ainsi, la Constitution démontre son attachement aux valeurs élémentaires de l’ordre juridique international, en déclarant par exemple dans le Chapitre Il (Politique externe et droit constitutionnel), paragraphe 2 de l’article 17 que la « République du Mozambique accepte, observe et met en œuvre les principes de la Charte de l’Organisation des Nations unies et ceux de la Charte de l’Union africaine » et quand elle mentionne, à l’article 18, les moyens à travers lesquels le droit international est en vigueur dans l’ordre juridique interne ainsi que le statut qu’elle occupe dans le système juridique mozambicain.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Notre Constitution prévoit le monisme dans lequel règne le droit interne conformément à l’article 18 de la CRM.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Par rapport à la possibilité ou impossibilité de l’existence des normes internationales à valeurs supra constitutionnelles, il est possible de dire que les normes de Jus Cogens ont une valeur supra constitutionnelle

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel n’a pas encore été confrontée à la situation d’être appelée à se prononcer sur l’hiérarchie des conventions internationales, surtout en ce qui concerne les droits fondamentaux, bien que cette question figure dans le paragraphe 2 de l’article 18 de la Constitution.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Lors de l’élaboration de la Constitution ou de la révision de la Constitution, le pouvoir constituant prend toujours en considération le droit comparé (en visitant les autres systèmes juridiques afin de trouver quelques différences et similarités sur certains éléments juridiques). On cherche également à respecter et accueillir les normes internationales, surtout en ce qui concerne les droits fondamentaux. Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ? Les domaines qui sont normalement pris en considération, sont en priorité les droits fondamentaux.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Le Conseil constitutionnel, conformément à la Constitution, est l’organisme de souveraineté auquel il incombe d’administrer la justice, dans le domaine juridico-constitutionnel, en vertu du paragraphe 1 de l’article 241. Dans ce sens, en tant que gardien des droits fondamentaux, chaque fois que les prescriptions constitutionnelles sont interprétées, il sera nécessaire d’interpréter ces droits conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et de peuples conformément à l’article 43, ce qui veut dire que le Conseil constitutionnel en tant que gardien de la Constitution observe et respecte et fait respecter ces principes.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Selon le cadre juridico-constitutionnel et légal établi, rien ne s’oppose à ce que le Conseil constitutionnel applique directement les instruments internationaux, dès que ceux-ci sont validés et ratifiés en vertu du paragraphe 1 de l’article 18. Par ailleurs, les instruments internationaux liés aux droits et libertés fondamentales en vigueur dans l’ordre juridique mozambicain, conformément à la Constitution peuvent être directement appliqués à condition qu’ils soient exercés dans le cadre de la Constitution et des lois.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Le Conseil n’applique pas de disposition provenant de l’extérieur.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

La Constitution de la République ne se place dans aucune situation de conflit ou de concurrence avec les normes internationales, au contraire la Constitution consacre les mécanismes d’adoption des instruments internationaux dans l’ordre juridique interne dans le paragraphe 1 de l’article 18 et consacre également le statut hiérarchique qu’ils occupent dans l’ordre juridique conformément au paragraphe 2 de l’article 18. De plus, à chaque fois que les droits fondamentaux sont interprétés, la Constitution consacre que cette interprétation doit être en harmonie avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, conformément à l’article 43.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

En ce qui concerne l’éventuelle situation de conflits, la Constitution offre des moyens pour les résoudre car les compétences ne sont pas présumables : la Constitution et les lois déterminent les compétences.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Il n’y a jamais eu de situations où le Conseil constitutionnel se soit trouvé confronté à des conflits avec des instruments juridiques internationaux.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Conformément à la Constitution, notamment au paragraphe 2 de l’article 18, les normes internationales ont un statut infra constitutionnel. Elles occupent, selon le mode d’intégration à l’ordre juridique, un statut identique à celui des lois adoptées par l’Assemblée de la République particulièrement pour celles portant sur les droits fondamentaux. La Constitution, en admettant l’application directe et immédiate des normes portant sur les droits et libertés individuelles, garantit et assure un système de protection de ces droits qui sont le plus souvent intégrés dans des instruments juridiques internationaux en vigueur dans l’ordre juridique.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel tient compte des instruments juridiques internationaux une fois qu’ils font partie de l’ordre juridique interne.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Le Conseil ne s’est pas encore trouvé dans une situation de conflit entre les normes internes et le droit international.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Au niveau interne, la décision d’une juridiction internationale n’a pas de valeur juridique au point de s’imposer au Conseil constitutionnel.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

La jurisprudence internationale sert de source interprétative au Conseil constitutionnel.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

L’interprétation de la Constitution en ce qui concerne les droits fondamentaux doit être effectuée en accord avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples conformément à l’article 43.

Cour constitutionnelle du Niger

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Oui. le dernier alinéa du préambule de la Constitution fait de celle-ci « la loi suprême de l’État » à laquelle le peuple nigérien souverain jure respect, loyauté et fidélité ; l’article 39 de la Constitution dispose : « Tout citoyen nigérien, civil ou militaire, a l’obligation absolue de respecter, en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre juridique de la République, sous peine des sanctions prévues par la loi. ».

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Non.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Oui. L’article 184 de la Constitution dispose : « Les lois organiques et les autres lois d’application prévues par la présente Constitution devront être adoptées obligatoirement dans les deux premières années de la première législature ». Les lois organiques sont établies par la Constitution elle-même et sont destinées à préciser certains articles de celle-ci. Les lois organiques, avant leur promulgation, ainsi que leurs modifications, sont obligatoirement soumises à

la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution (article 131 alinéa 1er de la Constitution).
Aux mêmes fins, avant leur promulgation, les lois (y compris les lois d’application) peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle par le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou un dixième (1/10) des députés (article 131, alinéa 2 de la Constitution).

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Oui. Le dernier alinéa du préambule de la Constitution affirme que le « préambule est partie intégrante » de la Constitution. Le préambule fait donc corps avec la Constitution, élément premier du « bloc de constitutionnalité ».

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Oui. Les alinéas 6 et 7 du préambule de la Constitution affirment l’attachement du peuple nigérien « aux principes de la démocratie pluraliste et aux droits humains tels que définis par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 » et aux autres « instruments juridiques régionaux et internationaux de protection et de promotion des droits humains tels que signés et ratifiés par le Niger ».

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Oui. L’article 171 de la Constitution dispose : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie ». Les traités ratifiés par le Niger priment sur les lois internes, à condition que le principe de la réciprocité trouve application, excepté les traités ou accords relatifs aux droits humains et ceux relatifs au droit humanitaire.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

  1. La Constitution exige l’autorisation préalable de l’Assemblée nationale pour la ratification de certains traités : l’article 169 de la Constitution dispose : « Les traités de défense et de paix, les traités et accords relatifs aux organisations internationales, ceux qui modifient les lois internes de l’État et ceux qui portent engagement financier, ne peuvent être ratifiés qu’à la suite d’une loi autorisant leur ratification ».
  2. La Constitution énumère limitativement les domaines de la coopération et de l’association de la République du Niger avec les autres États (article 172 de la Constitution).

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui. C’est pourquoi la révision de la Constitution est strictement encadrée (articles 173-175 de la Constitution).

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Oui la Constitution est souvent modifiée, mais ce n’est pas en réaction à une décision de la Cour.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Oui. Article 170 de la Constitution : « Si la Cour constitutionnelle saisie par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre ou un dixième (1/10) des députés, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le ratifier ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution. »

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui. La Cour constitutionnelle est régulièrement saisie des cas de violations avérées ou non de la Constitution. La Cour exerce effectivement le contrôle de constitutionnalité.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, un dixième des députés : ce sont eux qui sont habilités à saisir la Cour constitutionnelle en matière constitutionnelle. Le serment du président de la République, du président de l’Assemblée nationale et du Premier ministre leur impose de respecter et faire respecter la Constitution que le peuple s’est librement donné (articles 50, 74 et 89).

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

L’autorité des décisions de la Cour est reconnue en droit : l’article 134, alinéa 1er de la Constitution dispose : « Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Ils lient les pouvoirs publics et toutes les autorités administratives, civiles, militaires et juridictionnelles ». Mais dans les faits, il y a parfois des résistances (ex. en 2009 lorsque le président de la République a refusé de respecter l’arrêt annulant le décret par lequel le corps électoral a été convoqué en vue de la tenue du référendum ; en 2014 lorsque le président d’un groupe parlementaire a opposé un refus d’obtempérer à l’arrêt de la Cour qui reconnaît le droit à tout député de son groupe de se présenter au poste du Bureau de l’Assemblée nationale).

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Oui. Dans l’arrêt n° 2002-010/CC du 18 janvier 2002, la Cour constitutionnelle a décidé que « le contrôle de conformité d’un texte de loi à la Constitution doit s’apprécier non seulement par rapport aux dispositions de la Constitution, mais aussi par rapport au contenu des textes et principes de valeur constitutionnelle énumérés dans le préambule de la Constitution qui forme avec elle, ce qu’il est convenu d’appeler le “bloc de constitutionnalité” ». Cet apport jurisprudentiel a permis au préambule d’être partie intégrante de la Constitution du 25 novembre 2010.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Oui. La Cour se réfère, au moyen du préambule de la Constitution, aux instruments juridiques régionaux et internationaux de promotion et de protection des droits humains signés et ratifiés par le Niger.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Ce sont les lois ordinaires non déférées par les autorités compétentes et les textes réglementaires à l’exception de ceux relatifs au recours pour excès de pouvoir en matière électorale.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Non. La garantie des droits n’est pas suffisamment efficace. Pour parfaire ce contrôle, il faut une plus grande ouverture de la saisine aux citoyens.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Pour rendre ses avis et arrêts, la Cour constitutionnelle fait recours aux méthodes d’interprétation classiques usitées par les juridictions.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui. À travers les questions d’application de la Constitution. C’est grâce à l’exercice de ce titre de compétence que la Cour a su éviter le blocage amorcé au niveau de l’Assemblée nationale consécutivement au renouvellement du Bureau de cette institution en 2014.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Une évolution positive qui a permis d’assurer le fonctionnement régulier de l’Assemblée nationale par exemple.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Dans le passé, la Cour a rencontré des difficultés attestées par l’arrêt n° 2003- 012/CC du 29 décembre 2003 à travers lequel elle a constaté que ses arrêts n° 2002-14/CC du 4 septembre 2002 sur le code CIMA, n° 2002-15/CC du 6 septembre 2002 sur l’ordonnance portant des marchés publics au Niger et n° 2002-16/CC du 6 septembre 2002 sur les décrets n° 2002-208/PRN/MDN du 31 juillet 2002 proclamant la mise en garde dans la région de Diffa et n° 2002-210/PRN/MDN du 5 août 2002 portant mesures particulières dans le cadre de la mise en garde, ont été rendus sans quorums ; la Cour a déclaré lesdits arrêts inexistants, nuls et de nul effet.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

La Constitution demeure la norme supérieure et intègre certaines normes de droit international relatives aux droits humains.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Aucune distinction n’est opérée en ce sens que la Constitution est la « loi suprême » alors que les traités ou accords régulièrement ratifiés par le Niger ont une autorité supérieure à celle des lois.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Il n’existe pas de « droit constitutionnel international », mais on observe un phénomène d’internationalisation qui s’étend au droit constitutionnel. Cette emprise internationale sur celui-ci transparaît à travers deux axes principaux : le premier axe est celui où le droit international apparaît comme une source du droit constitutionnel (ex. traités et accords relatifs aux droits de l’homme) : c’est le droit international constitutionnel. Le deuxième axe procède des rapports de l’État avec d’autres États. C’est le droit constitutionnel sous influence internationale.
Il est aussi difficile de considérer qu’il existe un « droit constitutionnel européen » pour deux raisons : la première est qu’il est difficilement concevable de qualifier de constitution le statut d’une organisation politique (l’Union européenne) qui n’a pas la qualité d’un État. La deuxième raison est qu’il est difficilement concevable que la constitution de l’Union européenne bénéficie d’une primauté juridique reconnue et acceptée par les États membres de l’UE par rapport à leurs propres constitutions.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre juridique interne et l’ordre international ?

Une conception moniste avec primauté du droit international sur les lois.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non. La Constitution est la « loi suprême ».

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Oui. À l’occasion du contrôle de constitutionnalité des lois, la Cour a eu, par exemple, à constater la violation du principe de la légalité des délits et des peines (arrêt n° 2002-010/CC du 18 janvier 2002), du principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi (arrêts n° 2003-09/CC du 10 juillet 2003 et n° 2004- 002 ter/CC du 11 mai 2004) et du principe de la liberté de candidature des députés (arrêts n° 004/CC/MC du 2 mai 2014 et 006/CC/MC du 15 mai 2014).

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Les influences proviennent du mimétisme sur l’ancienne puissance coloniale et de l’évolution de certains principes démocratiques.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Les domaines concernés sont : le type de régime politique, les droits humains et le fonctionnement des institutions.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

La Cour n’exerce pas un contrôle de conventionalité.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Oui, mais seulement matière des droits humains

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Oui. En cas de violation des droits humains lorsqu’elle est saisie d’une requête en application de la Constitution.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

La Cour n’en a pas connu.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Voir réponse à la 1re question du 2.4.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Voir réponse à la 1re question du 2.4.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Oui.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Non. Dès lors que ces instruments font partie intégrante de la Constitution.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

La Cour n’en a pas connu.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

La Cour n’en a pas connu.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Oui. La Cour se réfère au préambule de la Constitution qui renvoie aux instruments juridiques régionaux et internationaux de promotion et de protection des droits humains signés et ratifiés par la République du Niger.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Oui, le règlement intérieur de l’Assemblée nationale n’étant pas très clair par rapport au choix des électeurs parmi plusieurs candidats du même groupe parlementaire lors des renouvellements et des remplacements des membres du Bureau de l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle s’est appuyée sur l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, auquel se réfère le préambule de la Constitution dont il est partie intégrante pour reconnaître à tout membre d’un groupe parlementaire le droit d’être éligible à un poste affecté à son groupe (arrêt n° 004/CC/MC du 2 mai 2014).

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

La Cour n’est pas liée par la jurisprudence internationale.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Non.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui, dans la mesure où le préambule de la Constitution renvoie aux instruments juridiques internationaux et que ce préambule fait partie intégrante de la Constitution.

Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Effectivement la Constitution de la RD Congo contient des dispositions qui déterminent son rang normatif. Il s’agit principalement des articles 216 et 217 de la Constitution. L’article 215 met en exergue l’autorité supérieure des traités sur les lois tandis que l’article 217 conditionne la ratification des traités internationaux à leur conformité à la Constitution.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

La Constitution de la RD Congo comporte des dispositions ne pouvant pas faire l’objet de modification et d’autres pouvant l’être et le problème de la juridicité de ces dispositions dites intangibles par rapport à d’autres se pose dans les débats de doctrine.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Nous estimons que cela n’est pas le cas de la RDC.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Effectivement, le préambule fait partie du bloc constitutionnel.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non, il n’en existe pas en RDC et toutes les lois doivent être conforme à la Constitution.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Non, tel n’est pas le cas en RDC.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Non.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Aux termes de l’article 217 de la Constitution, la RDC peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’Union africaine. Le cas est celui de l’adhésion de la RDC au traité OHADA qui à une cour commune de justice et d’arbitrage compétente comme juridiction de cassation pour tous les États membres en droit des affaires uniquement.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Non, sa suprématie résulte du fait que son respect est garanti par le juge dans un procès constitutionnelle pour la conformité de toutes les lois organiques à la Constitution (juridicisation de la Constitution et juridictionnalisation du procès constitutionnel).

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Non, mais parfois comme en 2011, la révision constitutionnelle a supprimé le scrutin présidentiel à deux tours.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Effectivement, car aux termes de l’article 217 de la Constitution si un traité n’est pas conforme à la Constitution il faut d’abord la modifier avant de ratifier ledit traité.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Effectivement, elle l’est sans doute

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Effectivement, car c’est la loi fondamentale et donc la constitutionnalisation du droit est au rendez-vous en RDC. Toute loi, tout acte réglementaire doit être conforme à la Constitution.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non, elle est au contraire très appréciée.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le respect de la Constitution est garanti par la Cour constitutionnelle. Il est également par le président de la République qui ne prend que des actes qui sont conformes à cette loi fondamentale.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Effectivement, elle est respectée scrupuleusement et les décisions de la Cour s’imposent à toutes les institutions civiles et militaires.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

À notre connaissance, pas encore en RDC.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Non, elle se réfère plus à l’esprit de la Constitution que l’on peut retrouver dans l’exposé des motifs.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Par exemple la violation du principe de motiver une décision judiciaire.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Il y a le contrôle a priori qui est celui de toutes les lois organiques et le contrôle a posteriori qui examine les exceptions d’inconstitutionnalité soulevées par et devant une juridiction.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Les méthodes sont scientifiques et les spécifications peuvent être communiquées après.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui, effectivement, la Cour a renforcé le contrôle.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Effectivement, car la jurisprudence est également source de droit.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Il n’y a eu au départ que des problèmes logistiques.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Non, c’est le contraire.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Non.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

C’est la conception moniste qui est retenue.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Toutes les normes internationales sont en principe supérieures à la Constitution dès qu’elles sont ratifiées par la RDC.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non, jusque-là et ce sont des cas rares.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

C’est souvent dans le domaine électoral en général.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Non, elle contrôle la conformité des lois et actes réglementaires à la Constitution.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Elle peut les appliquer à tout moment et même en cassation

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Non.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Il n’y en a pas.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

C’est le cas de règlement des juges et il fut s’habiller très bien

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Non, la Cour est là pour remplir les missions bien déterminées par la loi organique. Elle limite les conflits dans le contrôle de conformité à la Constitution des lois.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

La protection est égale pour toutes les personnes vivant en RDC.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Non.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Non.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Non, mais elle peut le faire si ce moyen est évoqué par les parties.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Tout dépend des accords de ratification dudit traité par la RDC.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Non, mais la Cour peut s’y référer à titre de principe général de droit.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Non.

Fait à Kinshasa, le 1er avril 2015 Kilomba Ngozi Mala Noël

Cour constitutionnelle de Roumanie

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hierarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Oui, l’article 1, paragraphe (5) prévoit qu’en Roumanie, le respect de la Constitution, de sa suprématie et des lois est obligatoire.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

La Constitution roumaine n’établit pas de hiérarchie entre les différents types de normes constitutionnelle.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Non.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

La Constitution de Roumanie n’a pas de préambule.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Le droit international fait partie du droit interne après ratification par le Parlement. Néanmoins, on ne peut pas parler d’un bloc de constitutionnalité extrinsèque en Roumanie.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Oui, selon l’article 20, paragraphe (1) de la Constitution, les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens sont interprétées et appliquées en concordance avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, avec les pactes et les autres traités auxquels la Roumanie est partie.
Aussi, selon l’article 148, suite à l’adhésion à l’Union européenne, les dispositions des traités constitutifs de l’Union européenne, ainsi que les autres réglementations communautaires à caractère obligatoire, ont priorité par rapport aux dispositions contraires contenues dans les lois internes, avec l’observation des dispositions de l’acte d’adhésion.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Il n’y a pas de limite clairement inscrite, mais la limite est donnée par le titulaire de la souveraineté, le peuple, et par ses organes représentatifs.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

L’actuelle Constitution a été modifiée une seule fois, en 2003, mais une procédure de révision est envisagée cette année. Oui, par exemple, à l’heure actuelle, on y prévoit expressément le principe de la séparation des pouvoirs au sein de l’État.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Oui. Selon l’article 11, paragraphe (3), lorsqu’un traité auquel la Roumanie veut devenir partie comprend des dispositions contraires à la Constitution, celui-ci ne pourra être ratifié qu’après la révision de la Constitution.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le rôle le plus important revient à la Cour constitutionnelle, mais les autres institutions de l’État y contribuent également. Les institutions respectent les décisions de la Cour.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Le problème est résolu par l’article 147, paragraphe (4) de la Constitution qui prévoit que les décisions de la Cour constitutionnelle sont publiées au Moniteur officiel de la Roumanie. À compter de la date de leur publication, les décisions sont généralement obligatoires et n’ont de pouvoir que pour l’avenir. L’autorité jurisprudentielle de la Cour est reconnue et respectée dans la plupart des cas.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Non.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Non.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

La Cour constitutionnelle ne peut se prononcer que sur les lois, les ordonnances du Gouvernement, les ordonnances d’urgence du Gouvernement, les règlements du Parlement et ses décisions pertinentes du point de vue constitutionnel et les traités internationaux. Les compétences de la Cour sont prévues par les articles 146 et 147 de la Constitution roumaine.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

À l’heure actuelle, les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont suffisamment efficaces. Ce contrôle est perfectible dans le sens que le Parlement devrait être obligé à adopter dans les plus brefs délais des lois ou des dispositions de lois qui remplissent le vide législatif créé par l’admission des exceptions d’inconstitutionnalité.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

La Cour utilise toutes les méthodes d’interprétation reconnues sans privilégier certaines d’entre elles.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui. À un moment donné, on a octroyé à la Cour la compétence de contrôler les décisions du Parlement, Le législateur a voulu lui enlever cette compétence, mais la loi a été déclarée inconstitutionnelle et la Cour a précisé qu’une telle compétence avait acquis une valeur constitutionnelle.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

L’évolution des pouvoirs jurisprudentiels est bonne tout en permettant d’assurer, de façon satisfaisante et effective, le respect de la Constitution.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Il y a eu des contradictions de jurisprudence avec la Haute cour de cassation et de justice, mais on a reconnu à la Cour constitutionnelle la compétence d’analyser une loi dans l’interprétation donnée par la Haute cour de cassation et de justice, ainsi, finalement, les divergences ont été résolues. La Haute cour de cassation et de justice a accepté cette jurisprudence.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Oui.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

On utilise plutôt la notion de prévalence qui fonctionne en ce qui concerne le conflit entre une norme internationale et la loi interne, pas avec la Constitution. La Constitution, en échange, dans son article 20, paragraphe (2) prévoit qu’en cas de non-concordance entre les pactes et les traités portant sur les droits fondamentaux de l’homme auxquels la Roumanie est partie, et les lois internes, les réglementations internationales ont la primauté, sauf le cas des dispositions plus favorables prévues par la Constitution ou les lois internes.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Pas encore.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Dualiste.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Selon l’article 20, paragraphe (1) de la Constitution roumaine, les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées en conformité avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, avec les pactes et les autres traités auxquels la Roumanie est partie. Ainsi, on ne peut pas retenir une hiérarchie juridique, car l’interprétation de la Constitution se fait dans le sens le plus favorable au citoyen.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Nous avons consulté la Commission de Venise, ainsi que des spécialistes en droit constitutionnel reconnus sur le plan international. Nous suivons la jurisprudence de la Cour européenne de droits de l’homme.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Les droits de l’homme

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Oui, mais il s’agit de normes de droit international déjà reprises dans la Constitution.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Non, parce que la Constitution roumaine est une constitution moderne qui contient tous les droits importants reconnus à l’échelle internationale, donc nous n’avons pas besoin de faire cela.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Tout passe par le filtre des dispositions constitutionnelles.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Nous n’avons pas eu de tels conflits.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Ce n’est pas le cas.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Nous n’avons pas eu l’occasion d’analyser cela.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Oui, la protection est équivalente aux dispositions internationales applicables ou plus favorables.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Étant donné que la protection est équivalente, nous n’avons pas ce genre de problèmes.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Non.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Une interprétation trop étendue (qui va au-delà des limites fixées par un traité international) faite par les organes de juridiction.

5. Influences sur la jurisprudence

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

La Cour tient implicitement compte des instruments internationaux et s’y réfère expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel mais conjointement avec les dispositions constitutionnelles correspondantes.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Étant donné l’objet spécifique de son contentieux (les droits fondamentaux), les dispositions constitutionnelles en la matière (article 20), la Cour constitutionnelle respecte les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Oui, la jurisprudence des juridictions internationales influence notre Cour dans le cadre du dialogue des juges.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Oui, selon l’article 20, paragraphe (1) de la Constitution. Par exemple, le droit à un procès équitable.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.

Cour constitutionnelle de Slovénie

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Le premier paragraphe de l’article 153 de la Constitution détermine que les lois, règlements subordonnés à la loi et autres actes généraux doivent être conformes à la Constitution. Cette disposition assure la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique interne. Cependant, la Constitution ne définis pas expressément quel est son rang face aux normes internationales.
Quant à son efficacité, le premier paragraphe de l’article 15 de la Constitution détermine que les droits de l’homme et les libertés fondamentales s’exercent directement sur la base de la Constitution. La Constitution dispose au cinquième paragraphe de l’article 15 qu’aucun droit de l’homme ni liberté fondamentale ne peuvent être limités sous prétexte que la Constitution ne les reconnaît pas ou ne les reconnaît que dans une moindre mesure. En vertu de cette disposition, une disposition de la Constitution peut se retirer en faveur d’une disposition d’un traité concernant les droits de l’homme.

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

La Constitution de la République de Slovénie ne contient pas une telle échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

La Constitution a été modifiée plusieurs fois par des lois constitutionnelles.
La loi constitutionnelle du 17 juillet 1997 modifiant l’article 68 de la Constitution de la République de Slovénie (UZS68) portait sur le droit de propriété des étrangers : les étrangers pouvaient obtenir le droit de propriété sur la terre et des biens immeubles sous les conditions fixées par la loi ou un traité ratifié par l’Assemblée nationale, adoptés par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers des suffrages de tous les députés et sous réserve de réciprocité.
La loi constitutionnelle du 26 juillet 2000 modifiant l’article 80 de la Constitution de la République de Slovénie (UZ80) a ajouté un nouveau paragraphe portant sur la composition et les élections de l’Assemblée nationale : les députés, sauf les députés des deux communautés minoritaires (italienne et hongroise), sont élus selon le principe de la représentation proportionnelle, eu égard au seuil électoral de 4 % des suffrages, et les électeurs ont une influence déterminante sur la répartition des mandats entre les candidats.
La loi constitutionnelle du 7 mars 2003 modifiant le chapitre I et les articles 47 et 68 de la Constitution de la République de Slovénie (UZ3a, 47,68) a introduit le nouvel article 3a portant sur le transfert de l’exercice d’une partie des droits souverains à des organisations internationales et l’adhésion à une alliance défensive : cela est possible par un traité ratifié par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers des suffrages de tous les députés. Une telle adhésion peut être rejetée par référendum. Les actes juridiques et les décisions de ces organisations sont appliqués conformément à leur organisation juridique. Ensuite, l’article 47 portant sur l’extradition a été modifié pour que les citoyens slovènes puissent être extradés ou livrés si cela est exigé par un traité par lequel la Slovénie a transféré, en vertu de l’article 3a, l’exercice d’une partie de ses droits souverains à une organisation internationale. L’article 68 portant sur le droit de propriété des étrangers a été modifié : désormais, les étrangers peuvent obtenir le droit de propriété sur la terre et des biens immeubles sans réserve de réciprocité. Les conditions peuvent être fixées par une loi ou un traité ratifié par l’Assemblée nationale mais il n’est plus nécessaire qu’un tel traité soit ratifié (ou la loi adoptée) par la majorité des deux tiers des suffrages de tous les députés.
Trois lois constitutionnelles ont été adoptées le 24 juin 2004. La première (UZ50) a modifié l’article 50 de la Constitution de la République de Slovénie qui porte sur le droit à la sécurité sociale : le droit à la pension de retraite a été introduit. La deuxième loi (UZ43) a modifié l’article 43 de la Constitution de

la République de Slovénie sur le droit de vote : la loi détermine les mesures propices au développement des chances égales aux candidats des deux sexes aux élections dans les circonscriptions nationales et les circonscriptions au niveau des collectivités territoriales. La troisième (UZ14), modifiant l’article 14 de la Constitution de la République de Slovénie, a porté sur l’égalité devant la loi: l’égalité s’étend également explicitement aux invalidités.
La loi constitutionnelle du 30 juin 2006 modifiant les articles 121, 140 et 143 de la Constitution de la République de Slovénie (UZ121, 140, 143) a donné un nouveau titre et reformulé l’article 121 portant sur le pouvoir public. La disposition prévoyant que les missions de l’administration soient accomplies directement par les ministères a, également été abandonnée. L’article 140 portant sur le domaine d’activité des collectivités locales bénéficiant de l’autonomie administrative a été modifié pour que l’État puisse à présent déléguer aux collectivités territoriales l’exercice de certaines tâches de sa compétence sans leur accord préalable. En ce qui concerne l’article 143 et les régions, les collectivités locales bénéficiant de l’autonomie administrative étendues ont été renommées régions et l’institution et les compétences des régions ont été déterminées.
La loi constitutionnelle du 31 mai 2013 modifiant l’article 148 de la Constitution de la République de Slovénie (UZ148) a porté sur le budget : la règle fiscale a été introduite, c’est-à-dire que les revenus et sorties de trésorerie des budgets de l’État doivent être équilibrés à moyen terme sans recourir à l’emprunt.
La loi constitutionnelle du 31 mai 2013 modifiant les articles 90, 97 et 99 de la Constitution de la République de Slovénie (UZ90, 97, 99) a porté d’abord sur le référendum législatif: un tiers des députés et le Conseil national ne peuvent plus demander un référendum. La question posée à un référendum porte maintenant sur le rejet d’une loi et non sur sa confirmation. Ainsi, les conditions de l’admissibilité d’une question et de rejet d’une loi ont été introduites expressément. Par exemple, il n’est pas permis de soumettre au référendum une loi visant à remédier une inconstitutionnalité dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou une autre inconstitutionnalité. L’Assemblée nationale n’est plus liée par la décision prise au référendum. Ensuite, l’article 97 porte sur les compétences du Conseil national: la compétence de demander un référendum a été rayée. Également, l’article 99 touche à l’adoption des décisions du Conseil national: la disposition concernant la fixation d’un référendum a été supprimée.
La Cour constitutionnelle a évoqué, dans l’ordonnance no U-I-214/00 du 14 septembre 2000, qu’une loi constitutionnelle modifiant la Constitution est composée de plusieurs parties. Conformément à la position de la Cour constitutionnelle, même les normes qui déterminent le passage à un nouveau régime ont un caractère constitutionnel. Il faut souligner trois questions ouvertes concernant les révisions constitutionnelles que le législateur n’a pas encore régies et pour lesquelles le délai pour introduire une nouvelle loi a déjà été dépassé : la loi électorale, la règle fiscale et le référendum. En ce qui concerne le référendum, les questions pourraient se poser par rapport aux particularités de l’exercice de ce droit, par exemple est-ce que l’Assemblée nationale peut d’elle-même décider sur l’admissibilité d’un référendum ou est-ce que c’est la Cour constitutionnelle qui est compétente de statuer sur ce point. Ainsi, dès la révision de 2013, c’est la Constitution qui détermine expressément les situations quand un référendum n’est pas admissible (par exemple, concernant les lois abrogeant une inconstitutionnalité dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou une autre inconstitutionnalité). Auparavant, la loi déterminait que la Cour constitutionnelle décidait, sur la base d’une initiative de l’Assemblée nationale, qu’un référendum était contraire à la Constitution.

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule dispose comme suit :
« En vertu de la Charte constitutionnelle fondamentale sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie, et des libertés et droits de l’homme fondamentaux, du droit fondamental et permanent du peuple slovène à l’autodétermination, et par le fait historique que nous, Slovènes, dans un combat de plusieurs siècles pour la libération nationale, avons façonné notre particularité nationale et avons affirmé notre qualité d’État, le Parlement de la République de Slovénie adopte la Constitution de la République de Slovénie. »
Le préambule est considéré comme une partie intégrale de la Constitution. La Cour constitutionnelle utilise le préambule comme outil d’interprétation de la Constitution et se réfère à ce texte afin de souligner spécifiquement un certain point. La Cour constitutionnelle a, à plusieurs reprises, expliqué que le préambule souligne que l’État et la Constitution sont basés sur les droits fondamentaux. La protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales est également déterminée à l’article 5 de la Constitution.
La Constitution slovène est, de plus, composée de la Charte constitutionnelle fondamentale sur l’indépendance et la souveraineté, promulguée le 25 juin 1990, qui est expressément mentionnée dans le préambule. Tout comme le préambule, la Charte constitutionnelle fondamentale est, elle aussi, l’une des sources du droit constitutionnel. C’est un acte constitutionnel qui a marqué la cessation des liens étatiques avec la République fédérative socialiste de Yougoslavie et qui a donné naissance à l’État souverain et indépendant de Slovénie. La Charte constitutionnelle fondamentale a été adoptée après le plébiscite du 23 décembre 1990 quand le peuple slovène a manifesté la volonté que la Slovénie devienne un État souverain et indépendant. Ensuite, la Constitution était promulguée le 23 décembre 1991.

La Cour constitutionnelle a fait référence au préambule et à la Charte constitutionnelle fondamentale dans l’affaire Rm-1/97 (avis du 5 juin 1997) dans laquelle elle a donné son avis sur la constitutionnalité de l’Accord européen établissant une association entre la Slovénie et les Communautés européennes. Elle s’est aussi référée au préambule dans la Décision no U-I-10/08 du 9 décembre 2009 concernant la loi relative au système des salaires dans le secteur public et dans la décision no U-II-1/12, U-II-2/12 du 17 décembre 2012 concernant l’admissibilité d’un référendum sur deux lois. Dans le cadre de contrôle préalable de la conformité de la Convention d’arbitrage entre le gouvernement de la République de Slovénie et le gouvernement de la République de Croatie à la Constitution, la Cour constitutionnelle a donné son avis (avis no Rm-1/09 du 18 mars 2010) en se référant à la Charte constitutionnelle fondamentale. La Cour constitutionnelle a également fait référence à la Charte constitutionnelle fondamentale dans la décision no U-I-109/10 du 3 octobre 2011, dans l’affaire concernant la dénomination d’une rue dans Ljubljana, la capitale slovène, qui portait le nom de Tito, le président de l’ancienne Yougoslavie.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non, de telles normes n’existent pas.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

La jurisprudence constitutionnelle slovène ne connaît pas le concept d’un « bloc de constitutionnalité ». Formellement, le droit international ne relève pas du droit constitutionnel. Toutefois, la Cour constitutionnelle considère que toutes les conventions portant sur les droits de l’homme ont un statut constitutionnel, ce qui suit de la disposition du cinquième paragraphe de l’article 15 de la Constitution. Cela était exposé dans l’ordonnance no Up-43/96 du 30 mai 2000.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Toutes les sources internationales bénéficient d’une place particulière au sein de la Constitution. Ces sources sont spécifiquement mentionnées dans la Constitution. De plus, la Cour constitutionnelle est déterminée comme le gardien de leur efficacité par la Constitution. La Cour constitutionnelle ne veille que sur la constitutionnalité mais aussi sur la conformité des actes avec les traités internationaux.

L’ordre juridique de l’Union européenne (ci-après l’UE) et l’acquis communau taire bénéficient d’un statut spécifique au sein de la Constitution. L’article 3a de la Constitution a été introduit par l’amendement de 2003 précisément pour que la Slovénie puisse adhérer à l’UE. Le premier paragraphe de cette article prévoit que la Slovénie peut transférer, « par un traité ratifié par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers des suffrages de tous les députés, […] l’exercice d’une partie de ses droits souverains a des organisations internationales fondées sur le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur la démocratie et les principes d’État de droit, et peut devenir membre d’une alliance défensive d’États fondés sur le respect de ces valeurs ». Cette disposition était aussi la base légale pour l’adhésion de la Slovénie à l’OTAN. Le 3e paragraphe de l’article 3a précise que « les actes juridiques et les décisions adoptés dans le cadre des organisations internationales auxquelles la Slovénie transfère l’exercice d’une partie de ses droits souverains sont appliqués en Slovénie conformément à l’organisation juridique de ces organisations. »
Dans la décision no U-I-146/12 du 14 novembre 2013, la Cour constitutionnelle a précisé qu’à la base du troisième paragraphe de l’article 3a de la Constitution, les principes fondamentaux qui définissent la relation entre le droit interne et le droit de l’UE sont en même temps aussi des principes constitutionnels ayant la même force obligatoire que la Constitution. Dans cette décision, ainsi que dans la décision no U-I-65/13 du 3 juillet 2014, la Cour constitutionnelle a souligné qu’elle aussi est liée par cette disposition de la Constitution et qu’elle doit prendre en compte le droit de l’UE lors d’exercice de ses compétences. La Cour constitutionnelle, par contre, ne s’est pas encore expressément prononcée sur le rapport entre la Constitution et le droit primaire de l’UE.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Tous les traités internationaux doivent être en conformité avec la Constitution, y compris les traités par lesquels l’État adhère à une organisation internationale quelconque.
En ce qui concerne les traités par lesquels l’État transfert l’exercice d’une partie de ses droits souverains à des organisations de droit international (Article 3a de la Constitution), il découle de la réponse à la question précédente qu’un traité d’adhésion doit être ratifié par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers des suffrages de tous les députés et que les organisations internationales concernées doivent être fondées sur le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur la démocratie et les principes d’État de droit. La décision d’adhérer à une telle organisation internationale peut être soumise à un référendum.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La stabilité de la Constitution représente, en effet, un élément de sa suprématie.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Comme déjà évoqué ci-dessus, la Constitution a été modifiée six fois depuis sa promulgation en 1991. Une modification était nécessaire en raison de l’adhésion de la Slovénie à la Communauté européenne. La Cour constitutionnelle a donné son avis sur la constitutionnalité de l’Accord européen établissant une association entre la Slovénie et les Communautés européennes (avis no Rm-1/97, précité). Elle a conclu qu’une modification de la Constitution avant la ratification dudit accord était nécessaire afin d’éviter un conflit de normes. Ensuite, la loi constitutionnelle du 7 mars 2003, précitée, a été adoptée.
Suite à la décision no U-I-12/97 du 8 octobre 1998 par laquelle la Cour constitutionnelle a décidé qu’au référendum sur le système de vote, c’était l’option de vote à la majorité qui a gagné, les députés ont modifié l’article 80 de la Constitution, introduisant le système proportionnel pour les élections dans l’Assemblée nationale.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Dans les cas, où au cours de la procédure de contrôle préalable d’un traité international, la Cour constitutionnelle décide qu’un tel traité comporte des dispositions non compatibles avec la Constitution, le traité ne peut être ratifié que si la Constitution est modifiée préalablement. Les traités internationaux peuvent donc parfois conduire à la modification de la Constitution.
Dans l’avis no Rm-1/97, précité, la Cour constitutionnelle a expliqué que la ratification de l’Accord européen établissant une association entre la Slovénie et les Communautés européennes nécessitait une modification préalable de la Constitution, sinon une inconstitutionnalité aurait surgit. En effet, l’article 68 de la Constitution relatif au droit de propriété des étrangers a ensuite été modifié.
Parfois, les traités internationaux peuvent exercer une influence indirecte. Par exemple, l’article 3a a été introduit dans la Constitution afin que la Slovénie puisse adhérer à l’UE et joindre l’OTAN. La Slovénie a également signé le pacte budgétaire européen ; par conséquent, les députés ont décidé d’inclure la règle fiscale dans la Constitution.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui, la suprématie de la Constitution est effective en droit interne. En exerçant ses compétences, la Cour constitutionnelle a le dernier mot pour assurer la suprématie de la Constitution. Cela vaut, non seulement, pour le domaine de la légalité des actes, mais aussi en ce qui concerne la prise des décisions judiciaires, ce qui est assuré par la voie de recours constitutionnel.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui, toutes les autres institutions et juridictions nationales reconnaissent unanimement la place suprême à la Constitution.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois n’est pas contestée.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Les autorités qui garantissent le respect de la Constitution sont, en premier lieu, les tribunaux et les juges. L’article 125 de la Constitution dispose que les juges sont liés par la Constitution (et par la loi). L’Ombudsman veille, aussi, au respect des droits des citoyens. D’autre côté, toutes les autorités de l’État et les autorités locales sont liées, dans l’exercice de leurs compétences, par la Constitution.
Les tribunaux doivent interpréter les lois en conformité avec la Constitution. Si un tribunal estime que la loi qu’il devrait appliquer est inconstitutionnelle, il doit suspendre la procédure, en vertu de l’article 156 de la Constitution, et introduire une demande de contrôle de constitutionnalité de la loi en question devant la Cour constitutionnelle. Puisque le premier paragraphe de l’article 15 de la Constitution dispose que les droits de l’homme et les libertés fondamentales s’exercent directement sur la base de la Constitution, les tribunaux doivent, en particulier, faire attention à ce qu’ils observent des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantis par la Constitution et les traités internationaux dans les procédures judiciaires.
Les requérants privilégiés énumérés par la loi (qui sont : l’Assemblée nationale, un tiers des députés, le Conseil national, le Gouvernement, L’Ombudsman, le Commissaire aux informations, la Banque de Slovénie, la Cour des comptes, le procureur général de l’État, l’organe représentant une collectivité locale bénéficiant de l’autonomie administrative, l’association représentative des

collectivités locales bénéficiant de l’autonomie administrative et le syndicat représentatif national pour une activité particulière ou une profession), peuvent également introduire une demande de contrôle de la légalité d’un acte normatif ou d’un acte général. En général, leurs rapports avec la Cour ne causent pas de problèmes.
Dans le cadre de la « procédure de réserve », c’est-à-dire si aucune autre protection juridique n’est garantie, le tribunal administratif statue sur une action pour remédier aux violations des droits de l’homme et libertés fondamentaux (article 157 de la Constitution). Le demandeur peut réclamer l’annulation des actes et des actions individuelles par lesquels ses droits constitutionnels auraient été lésés, la constatation que ses droits seraient atteints, ainsi que la prohibition de l’action pour le futur et la suppression des conséquences de telles atteintes. Finalement, les décisions d’un tribunal administratif peuvent être contestées devant la Cour constitutionnelle dans la procédure de recours constitutionnel.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Les compétences de la Cour constitutionnelle sont définies par la Constitution. La Constitution permet que les compétences puissent aussi être déterminées par la loi, à savoir la loi sur la Cour constitutionnelle (Journal officiel no 64/07 – version consolidée officielle et no 109/12, ci-après la Loi). La Constitution stipule que les conséquences juridiques des décisions de la Cour constitutionnelle sont réglementées par la loi. Le troisième paragraphe du premier article de la Loi stipule que les décisions de la Cour constitutionnelle sont juridiquement contraignantes. Dans ses décisions, comme c’était le cas dans la décision no U-I-163/99 du 23 septembre 1999, la Cour constitutionnelle souligne la force contraignante de ses décisions. Cette force qui est la sienne quand il s’agit d’interprétation des dispositions constitutionnelles fait de la Cour constitutionnelle, par ses propres mots, le gardien de la Constitution.
Les effets juridiques de l’annulation d’une loi sont déterminés par l’article 161 de la Constitution. La Cour constitutionnelle peut annuler une loi inconstitutionnelle partiellement ou totalement. L’annulation prend effet aussitôt ou bien dans le délai fixé par la Cour constitutionnelle. Ce délai ne doit pas excéder un an. Les autres règlements ou actes généraux inconstitutionnels ou illégaux peuvent être abrogés (effet ex tunc) ou annulés (ex nunc). La Constitution déterminé elle-même les effets juridiques de l’annulation ou de l’abrogation d’un acte réglementaire. La Cour constitutionnelle peut, dans les conditions

définies par la loi, suspendre en partie ou dans sa totalité l’exécution d’un acte dont la constitutionnalité ou légalité sont contrôlés jusqu’à la décision finale.
Si la Cour constitutionnelle, lors de ses délibérations concernant un recours constitutionnel, conclut à l’inconstitutionnalité d’un règlement ou d’un acte général, elle peut l’abroger ou l’annuler. L’acte individuel en question peut être annulé ou abrogé en tout ou en partie et renvoyé à l’autorité compétente.
La Cour constitutionnelle peut également se prononcer sur le droit ou la liberté contestés si cela est nécessaire pour éliminer les conséquences déjà survenues à cause de l’acte individuel ou si la nature de ce droit constitutionnel ou de cette liberté le requiert, et si les informations dans le dossier rendent possible la prise de décision (article 60 de la Loi). Ainsi, la Cour constitutionnelle dispose d’un moyen important et puissant pour les cas où les tribunaux ordinaires n’auraient pas observé une décision de la Cour constitutionnelle.
L’autorité de la Cour constitutionnelle est donc assurée tant en droit qu’en fait. Il existe cependant quelques exceptions où les décisions individuelles de la Cour constitutionnelle n’ont pas été respectées. Cela survient lorsque la Cour constitutionnelle déclare qu’une loi est inconstitutionnelle, comme par exemple si un vide juridique inconstitutionnel existe, et lorsque la Cour constitutionnelle fixe un délai dans lequel le législateur doit éliminer l’inconstitutionnalité (article 48 de la Loi). Parfois, un tel délai est dépassé de plus d’un an avant que le législateur ne réagisse. La Cour constitutionnelle continue à faire observer que cela représente une violation d’État de droit et du principe de séparation des pouvoirs.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

D’un côté, au sens strict du terme, tous les traités internationaux qui régissent des droits de l’homme peuvent être considérés comme constituant un « bloc de constitutionnalité », tout comme le préambule qui peut servir comme un outil d’interprétation. D’un autre côté, au sens large du terme, tous les traités internationaux et les principes généraux du droit international en font partie, conformément au deuxième paragraphe de l’article 22 de la Loi qui prévoit : « Le contrôle de constitutionnalité ou de légalité des actes normatifs et des actes généraux adoptés pour l’exercice des pouvoirs publics comprend aussi un contrôle de conformité des lois et autres actes réglementaires aux traités internationaux ratifiés ainsi qu’aux principes généraux du droit international. » Il faut mentionner aussi que le principe de iura novit curia est applicable :

la Cour constitutionnelle peut appliquer des normes internationales même si les parties à la procédure constitutionnelle ne les invoquent pas.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Lors d’adoption de ses décisions, la Cour constitutionnelle se réfère régulièrement aux traités internationaux qui régissent des droits de l’homme, surtout à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : la CEDH) et, dans ce cadre, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Au sens large, la Cour se réfère également aux principes généraux du droit international. La Cour constitutionnelle a déjà précisé, en outre dans la décision no U-I-266/04 du 9 novembre 2006, que le terme « principes de droit international généralement reconnus » implique les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées et les règles du droit international coutumier. Par conséquent, le droit international coutumier reste une source formelle importante du droit international qui est également appliquée par la Cour constitutionnelle, bien qu’il ne soit pas codifié ou écrit.
Comme déjà mentionné, la Cour constitutionnelle se réfère également aux « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées », comme par exemple dans la décision no U-I-6/93, précitée, ou dans la décision no U-I-249/96 du 12 mars 1998. Les deux décisions se réfèrent aux règles adoptées pendant ou après la deuxième guerre mondiale ; la Cour constitutionnelle n’a donc pas pu faire le contrôle de constitutionnalité par rapport à la Constitution de 1991, mais a jugé certaines dispositions contraires aux principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées dès la promulgation des règles contestés.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

La Cour constitutionnelle est compétente uniquement de veiller sur la constitutionnalité et la légalité des actes des autorités d’État et autorités locales. Par conséquent, les actes d’autres organismes ne revêtent pas de sa compétence.
La Loi énumère de manière exhaustive ce qui constitue la compétence de la Cour constitutionnelle et pose ainsi les limites du contrôle de la Cour.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité assurent leur efficacité. L’accès à la Cour constitutionnelle est assuré aux particuliers et aux personnes

morales ; ils peuvent contester directement les actes normatifs dont les effets interfèrent avec leurs droits, leurs intérêts juridiques et leur situation juridique, ainsi que les décisions juridiques si elles violent leurs droits de l’homme et libertés fondamentales. Cela permet à la Cour constitutionnelle d’assurer, après l’épuisement de toutes les voies de recours devant les tribunaux ordinaires, l’observation et l’efficacité des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, en premier lieu, ce sont les tribunaux ordinaires qui en sont chargés ; ils doivent déjà observer les droits de l’homme lors des procédures judiciaires. C’est un point qui est souvent souligné par la Cour constitutionnelle.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Les cinq méthodes d’interprétation principales sont : la méthode linguistique, la méthode logique, la méthode systématique, la méthode historique et la méthode téléologique.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Il faut dire que le contrôle de la Cour constitutionnelle a plutôt été limité. Cela est dû au fait que les conditions pour les pétitions de contrôle de constitutionnalité et de légalité des actes ont été restreints suite à une réforme de jurisprudence en 2007. Notamment, l’évaluation de l’intérêt légal pour introduire une pétition pour l’ouverture de la procédure de contrôle de constitutionnalité ou de légalité d’un acte est devenue considérablement plus stricte. La raison sous-jacente était un nombre trop important des affaires ; la Cour constitutionnelle était surchargée.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

De point de vue substantif, la jurisprudence s’est naturellement développée au cours des dernières 25 années et elle est devenue plus élaborée. Les pouvoirs jurisprudentiels sont en même temps restés encadrés par les dispositions de la Constitution et la loi. Le respect de la Constitution est donc assuré de façon satisfaisante et effective.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Il n’y a pas de difficultés particulières quant à l’effectivité de la Constitution. Concernant les procédures de contrôle de constitutionnalité ou légalité, le deuxième paragraphe de l’article 40 de la Loi dispose que la Cour constitutionnelle peut déterminer le mode d’exécution d’une décision. Sur cette base

légale, la Cour constitutionnelle peut, par une force juridique équivalente à celle du législateur, provisoirement régir, jusqu’à ce que le législateur ne réagisse, la question juridique en cause si la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales le nécessite ou si la Cour l’estime nécessaire. Même si l’Assemblée nationale ensuite ne réagit pas, la question est donc déjà réglée par la décision de la Cour constitutionnelle. En plus, comme mentionné ci-dessus, concernant les recours constitutionnels, la Cour peut elle-même se prononcer, en vertu de l’article 60 de la Loi, sur le droit ou la liberté contesté. Cette dernière possibilité est en pratique quand même rarement utilisée.
Dans les cas répétitifs, la Cour constitutionnelle peut statuer aussi par la chambre de trois juges. Le troisième paragraphe de l’article 59 de la Loi dispose que si la Cour a déjà statué sur le cas identique en se déclarant favorable au requérant, la chambre de juges rend la décision par laquelle elle annule avec effet pour l’avenir ou rétroactif en tout ou en partie l’acte individuel en le renvoyant à l’organe compétent. Dans un tel cas, la chambre de juges peut dans ce cas statuer aussi conformément à l’article 60 de la Loi.
La Cour constitutionnelle a statué que les tribunaux ordinaires doivent, en principe, observer sa jurisprudence (règle du précédent). Toutefois, la Cour constitutionnelle s’est aussi exprimée sur la possibilité des tribunaux ordinaires de ne pas suivre la jurisprudence constitutionnelle si cette inflexion jurisprudentielle est motivée par des arguments de droit constitutionnel convaincants (décision no Up-545/11, Up-544/11 du 7 juin 2012). Dans cette affaire, la Cour suprême a fait référence à la jurisprudence constitutionnelle, mais n’a pas comparé les faits du cas traité avec les faits soulignés comme décisifs dans la décision de la Cour constitutionnelle citée.
Dans la décision no Up-2597/07 du 4 octobre 2007, la Cour constitutionnelle a souligné que le dispositif et le raisonnement ou les motifs d’une décision forment un tout. Par conséquent, ce n’est pas seulement le dispositif qui est contraignant, le raisonnement ou les motifs le sont aussi.
Récemment, dans l’affaire no Up-624/11, décision du 3 juin 2014, la question était de savoir quel est l’effet des décisions déclaratives de la Cour constitutionnelle assorties de mode d’exécution sur les affaires pendantes devant les tribunaux ordinaires. Dans une affaire précédente (décision no U-I-45/07, Up-249/06, du 17 mai 2007), la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle le vide juridique du délai pour licenciement. Pour la période avant que l’Assemblée nationale régît ce vide juridique, la Cour constitutionnelle a défini que ce délai ne devrait pas dépasser un an. Le requérant dans l’affaire no Up-624/11 s’était plaint que lorsqu’elle a statué sur son licenciement, la Cour suprême n’a pas trouvé le délai de 18 mois excessif. La Cour constitutionnelle a souligné que même dans les affaires pendantes les tribunaux ordinaires doivent prendre en compte les décisions déclaratives de la Cour

constitutionnelle. Bien qu’une telle décision doive respecter la prohibition de la rétroactivité et les autres principes constitutionnels qui limitent l’interprétation des lois, le raisonnement de la décision sur ce qui est contraire à la Constitution doit toutefois être suivi dans les affaires pendantes. En effet, puisque le délai d’un an n’était pas l’élément décisif dans le cas d’espèce, le délai de 18 mois ne portait pas atteinte au droit à un recours effectif non plus. La Cour suprême a donc, dans le cas d’espèce, suivi le raisonnement de la décision principale de la Cour constitutionnelle.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

La Constitution est supérieure au droit international. Dans l’affaire Rm-1/97, précitée, la Cour constitutionnelle a souligné que le droit international ne prime pas sur les dispositions constitutionnelles. Dans la procédure de ratification d’un traité international, la Cour constitutionnelle a mandat d’en contrôler la constitutionnalité afin d’éviter une non-conformité avec l’acte hiérarchiquement suprême – la Constitution.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

D’un côté, la primauté désigne la position de la Constitution. D’un autre côté, la Constitution prévoit, au cinquième paragraphe de l’article 15, que les dispositions des traités internationaux garantissant un standard de protection des droits de l’homme plus élevé que la Constitution peuvent être applicables au lieu de la disposition en question de la Constitution, ce qui pourrait correspondre au terme « prévalence ». Cette prévalence n’a aucune influence sur la primauté de la Constitution ; la disposition portant sur un droit n’est qu’écartée dans un tel cas et c’est la Constitution elle-même qui définit une telle prévalence.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

La Cour constitutionnelle ne s’est pas expressément prononcé sur l’existence d’un « droit constitutionnel international ou européen » en tant que véritable matière de droit. Il existe, cependant, des principes et des valeurs communs aux niveaux international et européen. Au-delà des traités (le droit primaire) de l’UE qui pourraient être considérés comme le droit constitutionnel de l’UE, il serait possible de considérer, car les catalogues des droits de l’homme représentent une matière constitutionnelle, que ces catalogues constituent un droit constitutionnel international, comme tous les traités relatifs aux droits de l’homme. Dans cette perspective, la CEDH pourrait également faire partie du droit constitutionnel international.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

La conception prévalente est que l’ordre juridique slovène est plutôt moniste. Les traités internationaux, notamment, font partie du droit interne dès qu’ils sont ratifiés et publiés, conformément à l’article 8 de la Constitution. Les dispositions des traités internationaux peuvent être appliquées directement (self-executing) si ces dispositions ont un caractère directement applicable. Si elles ne le sont pas, c’est le règlement national qui doit assurer leur effectivité.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Il n’existe pas de normes internationales supérieures à la Constitution. La Cour constitutionnelle n’a pas encore pris de position explicite visant à savoir si certaines normes individuelles de l’UE pourraient occuper une telle position.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

La hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux est déterminée par les articles 8 et 153 de la Constitution en vertu desquels les lois doivent être conformes aux principes généralement en vigueur du droit international et aux traités internationaux en vigueur que l’Assemblée nationale a ratifiés.
Les règlements subordonnés à la loi et autres actes généraux doivent être conformes aussi aux autres traités internationaux ratifiés. Comme déjà mentionné, la Cour constitutionnelle assure, en vertu du cinquième paragraphe de l’article 15 de la Constitution, le respect des droits fondamentaux déterminés par les traités internationaux. Elle se réfère très fréquemment aux dispositions des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme parallèlement aux garanties constitutionnelles (par exemple aux dispositions de la CEDH dans l’ordonnance no Up-43/96, précitée), ce qui signifie que ces traités relèvent du droit constitutionnel.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

La Constitution slovène est une constitution moderne dont le catalogue de droits est basé sur les droits reconnus par les normes internationales. Elle est modelée sur les constitutions des États démocratiques, notamment dans l’espace européen, avec une influence particulièrement notable de l’Allemagne en raisons historiques et culturelles.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Comme écrit ci-dessus, le catalogue des droits de l’homme de la Constitution slovène est basé sur les droits reconnus dans le droit international, et, dans certains cas, le niveau de protection est plus élevé au niveau national. Les compétences de la Cour constitutionnelle et la réglementation des contentieux électoraux pour les élections à l’Assemblée nationale s’inspirent de réglementations étrangères. Le contrôle préalable des traités internationaux a été influencé par les compétences du Conseil constitutionnel français. Un autre exemple est le système de censure constructive du chef du gouvernement qui a été inspiré par la loi fondamentale allemande.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Oui, comme cela a déjà été mentionné, la Cour constitutionnelle exerce le contrôle des lois et autres normes aux principes généralement en vigueur du droit international et traités internationaux ratifiés.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Comme tous les autres tribunaux nationaux, la Cour constitutionnelle doit, en vertu de la provision générale de l’article 8 de la Constitution, appliquer directement les traités internationaux. En matière de droits de l’homme, comme par exemple dans l’affaire no U-I-98/04, décision du 9 novembre 2006, la Cour constitutionnelle vérifie si le niveau de protection est plus élevé au niveau de la Constitution ou au niveau d’un traité international relatif aux droits de l’homme (la CEDH dans l’affaire citée). Si cette dernière garantit une protection plus étendue ou parfois quand la norme internationale est plus explicite, la Cour constitutionnelle applique la disposition pertinente directement (par exemple dans la décision no Up-207/99 du 4 juillet 2002). Néanmoins, dans la majorité des cas, c’est la Constitution qui offre une protection plus étendue, permettant à la Cour constitutionnelle d’appliquer des instruments internationaux comme des sources additionnelles de droit qui l’aident mieux argumenter juridiquement ses décisions.
La base pour l’application du droit international sont les articles 8 et 153 de la Constitution.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Oui, dans les conditions expliquées dans les réponses aux deux questions précédentes.

Par exemple, la Cour constitutionnelle s’est référée, dans l’ordonnance no Up-13/99 du 8 mars 2001, au fait qu’il n’existe pas des règles générales du droit international coutumier qui permettrait aux tribunaux slovènes de statuer sur les activités d’un État tiers (acta iure imperii) qui ont prétendument violé des dispositions ius cogens du droit international pour la protection des droits de l’homme. Pour ces raisons, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours constitutionnel à l’encontre de décisions de tribunaux ordinaires qui n’ont pas accepté l’action en dommages-intérêts contre l’Allemagne pour les faits issus de la deuxième guerre mondiale. Dans l’ordonnance no Up-490/03 du 22 mars 2005, la Cour constitutionnelle a affirmé que la Déclaration universelle des droits de l’homme faisait partie du droit international coutumier. La Cour constitutionnelle s’est référée aussi aux principes du droit international uti possidetis iuris et uti possidetis de facto dans l’avis no Rm 1/09, précité.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

En général, les conflits sont possibles. Les avis donnés dans le cadre de contrôle préalable des traités internationaux et de leur conformité à la Constitution constituent un des systèmes de prévention de ces conflits. Un exemple de conflit entre la Constitution et les normes internationales s’est produit lors de l’adhésion de la Slovénie à la Communauté européenne (la Cour constitutionnelle a adopté l’avis no Rm-1/97, précité). Comme déjà mentionné, la Cour constitutionnelle a conclu qu’une modification de la Constitution avant la ratification était nécessaire afin d’éviter un conflit de normes.
Les situations de conflit concernant le domaine des droits de l’homme sont rares, parce que la Constitution dispose au cinquième paragraphe de l’article 15 qu’aucun droit de l’homme ni liberté fondamentale ne peuvent être limités sous prétexte que la Constitution ne les reconnaît pas ou ne les reconnaît que dans une moindre mesure. Le principe de la protection maximale des droits de l’homme est donc garanti par la Constitution. C’est-à-dire que la résolution d’un conflit éventuel suit l’intérêt d’assurer la protection des droits de l’homme la plus étendue, la protection maximale. En matière de droits de l’homme, les situations de conflit entre la Constitution et les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme sont plutôt les situations de concurrence, ce qui ne pose pas de véritables problèmes.
En dehors des affaires de contrôle préalable et des affaires concernant les droits de l’homme, la Cour constitutionnelle pourrait résoudre les conflits possibles par le contrôle postérieur de constitutionnalité d’une loi ratifiant un traité international, tout en ayant la possibilité d’abroger la loi de ratification, ce qui naturellement provoquerait un délit international.
Quant à la situation concernant les normes du droit secondaire européen (affaires no U-I-65/13 et no U-I-295/13), veuillez consulter la réponse à la 2e question au point 2.5, p. 553.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

La Cour constitutionnelle dispose de la possibilité, dans le cadre de contrôle de constitutionnalité préalable, de donner, au cours de la procédure de ratification d’un traité international, son avis sur la conformité de ce traité avec la Constitution (deuxième paragraphe de l’article 160 de la Constitution). La procédure devant la Cour constitutionnelle peut être déclenchée à l’initiative du président de la République, du Premier ministre ou d’un tiers des députés de l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale est liée par l’avis de la Cour constitutionnelle. Si le traité est conforme à la Constitution, l’Assemblée nationale conserve son pouvoir discrétionnnaire concernant la ratification. Par contre, pour les cas où la Cour constitutionnelle conclut que il existe une inconstitutionnalité, l’Assemblée nationale ne peut ratifier le traité en question que si elle modifie d’abord la Constitution.
De plus, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler les lois de ratification d’un traité et pourrait annuler une telle loi, si la loi (et le traité) était contraire à la Constitution. La Loi ne contient pas des dispositions qui auraient régi cette procédure ; conformément au premier paragraphe de l’article 49 de la Loi, les dispositions relatives au contrôle de constitutionnalité des lois s’appliquent mutatis mutandis pour que cette compétence de la Cour constitutionnelle puisse être exercée.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

La Cour constitutionnelle a souligné dans la décision no U-II-1/12, U-II2/12, précitée, qu’elle reconnaît le respect du droit international et des traités internationaux comme une valeur constitutionnelle. De ce point de vue, la Cour constitutionnelle joue le rôle de l’autorité chargée d’assurer ce respect et de limiter des conflits éventuels. Jusqu’à présent, la Cour constitutionnelle n’a pas encore abrogé une loi ratifiant un traité international. Il y a eu des procédures où la Cour constitutionnelle a statué sur les lois de ratification (par exemple, la décision no U-I-180/10 du 3 septembre 2010), mais les lois en question étaient en conformité avec la Constitution. En ce qui concerne les droits de l’homme, le principe de protection maximale limite des conflits dans ce domaine, comme déjà expliqué ci-dessus.
Dans une affaire relativement récente (décision no U-I-146/12, précitée), la Cour constitutionnelle s’est montrée plutôt favorable au droit de l’UE. Les questions concernant les relations entre le droit de l’UE et le droit constitutionnel national, ainsi que les conflits entre les deux, sont plus intéressantes pour les États membres de l’UE, c’est pourquoi la question ne sera pas traitée en détail. De plus, la Cour constitutionnelle est en train de développer ses positions là-dessus ; récemment (dans l’affaire no U-I-295/13), elle a posé sa première question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Oui, la protection des droits garantie par la Constitution est, dans quasiment tous les cas, équivalente voire plus étendue que celle garantie par les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. La Constitution slovène est notamment une constitution moderne, avec un catalogue des droits de l’homme extensif. En plus, le principe de protection maximale des droits de l’homme déjà mentionné garantit une protection équivalente par rapport aux sources internationales (le cinquième paragraphe de l’article 15 de la Constitution).

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Le deuxième paragraphe de l’article 22 de la Loi est important dans ce contexte ; il prévoit que le contrôle de constitutionnalité ou de légalité des actes normatifs et des actes généraux adoptés pour l’exercice des pouvoirs publics comprend aussi un contrôle de conformité des lois et autres actes

réglementaires aux traités internationaux ratifiés ainsi qu’aux principes généraux du droit international.
Les traités internationaux doivent donc être, et sont, supposément, conformes à la Constitution. S’ils ne peuvent pas être interprétés conformément à la Constitution, le conflit de normes peut être résolu par une abrogation postérieure de la loi ratifiant le traité international en question.
Conformément à la règle de connexité déterminée à l’article 30 de la Loi, la Cour constitutionnelle peut, lorsqu’elle se prononce sur la constitutionnalité d’un acte, contrôler aussi la constitutionnalité d’autres dispositions dont la constitutionnalité n’a pas été contestée si les dispositions sont réciproquement liées ou s’il est nécessaire de le faire pour résoudre l’affaire.
Par conséquent, il n’y a aucun raison pour laquelle la suprématie de la Constitution serait mise en question.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Non, il s’agit de la même procédure.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Comme déjà évoqué plus haut, la Cour constitutionnelle n’a pas encore été en situation où elle devrait abroger la loi ratifiant un traité international à cause de non-conformité à la Constitution. Une telle situation conduirait à un délit international, ce qui est une situation très délicate.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

La plupart de temps, la Cour constitutionnelle se réfère expressément à des instruments internationaux. Surtout, elle applique directement les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme qui peuvent servir comme la prémisse majeure du syllogisme de la décision. De plus, la Cour constitutionnelle interprète les dispositions de la Constitution en conformité avec ces traités internationaux (en particulier la CEDH qui, de son côté, est interprété par la Cour Européenne des droits de l’homme).

Les arguments internationaux peuvent aussi être présentés comme un argument additionnel (par exemple, dans la décision no U-I-218/07 du 26 mars 2009 concernant la prohibition de la publicité de produits de tabac). La Cour constitutionnelle peut également citer la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme comme l’argument principal. Cette dernière situation est plus rare, un exemple est la décision no U-I-55/04, Up-90/04 du 6 avril 2006 sur la question de savoir si les impératifs d’efficacité et d’économie pourraient constituer un but légitime pour exclure le droit au procès contradictoire.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Il faut mentionner la situation qui est survenue dans l’affaire no U-I-65/13 lors de la procédure de contrôle de constitutionnalité de la loi sur les communications électroniques. La question pertinente était en effet de savoir si la directive 2006/24/CE sur la conservation des données qui a été transposée par la dite loi était incompatible avec les droits de l’homme. La Cour constitutionnelle a sursis à statuer et a attendu que la Cour de justice de l’Union européenne statue dans les affaires jointes no C-293/12 et C-594/12 qui étaient dans leur phase finale à ce moment-là. Quand la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son jugement, prononçant ladite directive invalide, la Cour constitutionnelle a annulé, à son tour, la loi sur les communications électroniques.
Dans l’affaire no U-I-295/13, déjà mentionné ci-dessus, concernant l’expropriation des possesseurs des obligations subordonnées, la Cour constitutionnelle a sursis à statuer et a ensuite posé, pour la première fois, une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

La Cour constitutionnelle se réfère surtout à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, mais aussi de la Cour de justice de l’Union européenne. Dans la décision no U-I-65/05 du 29 septembre 2005, la Cour constitutionnelle a statué qu’elle (ainsi que les autres tribunaux) devait également prendre en considération la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, même si l’arrêt en question a été rendu contre un autre État. La Cour constitutionnelle a invoqué aussi le principe de protection maximale des droits de l’homme du cinquième paragraphe de l’article 15 de la Constitution.
Les références aux autres juridictions internationales sont plus rares.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

La jurisprudence des juridictions internationales influence la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. L’obligation de prendre en compte la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’est certes pas codifiée, mais la Cour constitutionnelle, comme expliqué ci-dessus, l’a reconnue. En pratique, la Cour constitutionnelle se réfère assez régulièrement aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.
En revanche, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne fait partie de l’acquis communautaire et ainsi, en vertu de l’article 3a de la Constitution, est devenue une référence obligatoire pour les cours nationales, y compris la Cour constitutionnelle.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Comme déjà mentionné, dans la matière de la protection des droits de l’homme l’interprétation de la Constitution peut se faire aussi au regard d’une disposition internationale.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Il n’y a pas d’observations particulières.

 

Tribunal fédéral suisse

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. statut de la constitution et hiérarchie des normes

a. Remarques liminaires

La Suisse est un État fédéral qui comporte trois niveaux politiques : la Confédération, les cantons et les communes. Chaque niveau dispose d’un pouvoir législatif et exécutif. La Confédération et les cantons disposent en outre d’un pouvoir judiciaire.

La Constitution fédérale [1] confère au peuple et aux cantons l’autorité suprême de la Confédération. Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération [2]. Les communes, dont l’autonomie est également garantie par la Constitution [3], disposent d’un certain pouvoir réglementaire.

En raison du fédéralisme suisse, tant la Confédération que les cantons ont le pouvoir d’adopter une Constitution. La Constitution fédérale prévoit cependant que les constitutions cantonales doivent être « garanties par la Confédération », la garantie étant accordée « si elles ne sont pas contraires au droit fédéral » [4]. L’Assemblée fédérale, c’est-à-dire le Parlement de la Confédération, est compétent pour octroyer la garantie fédérale après chaque révision totale ou partielle d’une constitution cantonale. Ainsi, notre pays compte une Constitution fédérale et vingt-six constitutions cantonales. Dans le cadre de la présente étude, seule sera prise en compte la Constitution fédérale.

Notre Charte suprême a connu trois versions successives depuis la fondation de l’État fédéral. La première version a été adoptée par les citoyens en 1848. Ses deux révisions totales, votées en 1874 et en 1999, s’inscrivent dans la continuité et le perfectionnement des institutions esquissées en 1848. L’esprit et la substance de la première Constitution fédérale ont en effet perduré dans ses versions ultérieures, les deux refontes totales n’ayant pas produit une rupture intellectuelle ni un renouveau politique.

Signalons enfin que la Suisse est une démocratie directe qui offre au peuple la possibilité de présenter des propositions de révisions constitutionnelles (initiative populaire) [5] et de se prononcer sur des lois de l’Assemblée fédérale par référendum populaire [6].

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

La Constitution fédérale ne contient aucune disposition qui règle expressément ces questions.

À noter encore que si la Constitution est muette sur la question de son rang normatif, elle consacre tout de même une disposition au rapport entre le droit fédéral et le droit cantonal. Ainsi, le principe de la primauté du droit fédéral, consacré par l’art. 49 al. 1 de la Constitution fédérale, fait obstacle à l’adoption ou à l’application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral, qui en contredisent le sens ou l’esprit ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive [7].

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Les dispositions de notre loi fondamentale sont ordonnées selon des critères objectifs. Après quelques règles générales consacrées surtout à la structure et à la nature de la Confédération suisse, de même qu’aux principes de l’activité de l’État, la Constitution énumère les droits fondamentaux et les buts sociaux. Elle décrit ensuite les droits du peuple et des cantons et consacre quelques articles aux différentes autorités fédérales et à leurs tâches. La Constitution se termine enfin par des dispositions relatives à sa révision.

La Constitution fédérale n’établit pas de hiérarchie entre les différentes dispositions qu’elle renferme. Toutes les normes constitutionnelles ont en principe une portée juridique identique. Toutefois, il ressort de la jurisprudence que des distinctions ont été faites, par exemple, entre droits constitutionnels et principes constitutionnels [8]. On constate également une différenciation entre les dispositions qui confèrent des droits directement invocables en justice et les normes à caractère programmatique qui visent seulement à conduire l’action des pouvoirs publics[9].

Dans le cadre de la question qui nous occupe ici, il nous semble opportun de souligner que la séparation des pouvoirs, principe de base de la démocratie suisse, instaure une indépendance entre les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

L’une des spécificités du droit constitutionnel suisse est d’avoir permis l’émergence d’un droit constitutionnel non écrit. Celui-ci comprend toutes les règles de droit qui ne se trouvent pas formellement inscrites dans la Constitution fédérale, mais qui sont dignes d’y figurer « en raison de leur caractère fondamental et de leur portée matérielle » [10].

Vu que la Constitution de 1874 était « lacunaire et parfois avare de détails » [11], tant le Parlement que le Tribunal fédéral ont contribué à développer le droit constitutionnel en marge du texte de la Charte fondamentale. En ce qui concerne le législateur, il a notamment établi des principes et posé des règles de niveau constitutionnel dans des lois fédérales (p. ex. dans la loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques [12]). Quant au Tribunal fédéral, il est à l’origine d’une jurisprudence créatrice, très abondante. Encouragés par la doctrine, les juges fédéraux ont en effet construit une jurisprudence novatrice en élargissant des principes constitutionnels déjà bien établis ou en reconnaissant de nouveaux droits fondamentaux (la garantie de la propriété, la liberté d’expression, la liberté personnelle, la liberté de la langue, la liberté de réunion, le droit à des conditions minimales d’existence).

Le développement d’un nouveau droit constitutionnel en marge du texte de la Constitution trouve son origine dans la volonté de prendre en compte l’évolution des circonstances politiques, économiques et sociales. Le Tribunal fédéral a ainsi pu rester fidèle à la volonté du constituant tout en garantissant son ajustement à l’époque contemporaine.

 

La Constitution fédérale actuelle, acceptée par le peuple et les cantons le 18 avril 1999, avait pour objectif de mettre à jour le droit constitutionnel, écrit et non écrit, de le rendre compréhensible, de l’ordonner systématiquement et d’en unifier la langue ainsi que la densité normative [13]. La dernière version de notre Charte suprême est donc censée avoir codifié tous les droits fondamentaux qui n’avaient été précédemment mentionnés que dans la jurisprudence du Tribunal fédéral et dans la doctrine. La Constitution fédérale en vigueur n’a toutefois pas la prétention d’être exhaustive [14].

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

À titre préalable, il sied de relever que le droit suisse ne connaît pas le concept de bloc de constitutionnalité tel qu’il existe en France.

Notre préambule contient une invocation divine (« au nom de Dieu ToutPuissant »), la désignation de ses auteurs (« le peuple et les cantons suisses ») ainsi que l’exposé des motifs qui sont à la base de l’adoption de la nouvelle Constitution fédérale. Ce texte a un caractère cérémonieux qui a pour objectif de traduire l’esprit de la Constitution [15]. Même si la doctrine n’est pas unanime au sujet de la portée du préambule de la Constitution fédérale, il est généralement admis que ce texte n’a pas de valeur normative.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

En Suisse, cette question est controversée. La position de la doctrine semble avoir évolué au fil des années. La majorité des auteurs a dans un premier temps admis l’existence d’un ordre normatif supraconstitutionnel, puis a rejeté cette idée par la suite. Ainsi, il n’y aurait pas de règles nationales immuables qui s’imposeraient au constituant et feraient obstacle à la révision de la Constitution. Le peuple et les cantons seraient donc libres de renoncer à certains principes supérieurs auxquels la Suisse est profondément attachée. Dans la mesure où toutes les institutions caractéristiques du droit suisse n’ont d’autre source que la volonté du constituant, celui-ci serait en mesure de défaire ce qu’il a fait. D’ailleurs, à la lecture du texte constitutionnel, on constate que les seules limites posées à l’exercice du pouvoir de révision sont les normes impératives du droit international (à ce sujet, voir la réponse 2.1.e) qui traite du jus cogens) [16]. Il n’est nulle part fait mention de règles internes intangibles.

Des considérations qui précèdent, il résulte qu’il n’existe aucune règle de droit interne de nature supraconstitutionnelle qui constituerait une limite matérielle à la révision constitutionnelle.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Comme exposé à la réponse 1.1.e) ci-dessus, le droit suisse ne connaît pas le concept de bloc de constitutionnalité.

Sans prétendre apporter une réponse pertinente à la question posée, nous pouvons quand même faire un certain nombre d’observations au sujet de la place du droit international au regard du droit interne. Pour le reste, nous nous permettons de renvoyer à la deuxième partie du présent rapport où le contrôle de la conformité du droit interne au droit international est exposé de manière détaillée.

Tout d’abord, il sied de souligner que notre Charte fondamentale consacre expressément le devoir de se conformer au droit international. Les articles 5 al. 4 et 190 de la Constitution fédérale imposent en effet explicitement le respect du droit international à la Confédération, aux cantons ainsi qu’au Tribunal fédéral. On peut également signaler que, aux termes de l’art. 189 al. 1 let. b de la Constitution fédérale, le Tribunal fédéral connaît des contestations pour violation du droit international. Notre système permet donc au particulier d’invoquer directement des normes du droit international.

En deuxième lieu, il peut être intéressant de relever que la Suisse fait partie des États de tradition moniste. Notre pays reconnaît en effet au droit international une validité immédiate sur le plan interne. Dès lors que les normes de droit international sont suffisamment précises pour fonder une décision dans un cas concret, les autorités et les tribunaux peuvent les appliquer directement sans qu’il soit nécessaire que le législateur national n’intervienne pour adopter un acte d’exécution.

Enfin, le principe de l’interprétation conforme au droit international mérite également d’être évoqué dans le cadre de la réflexion sur la place occupée par les traités du droit international dans la hiérarchie des normes internes. Ce principe implique que lorsqu’il existe plusieurs interprétations possibles pour une règle de droit interne, cette dernière doit être interprétée de façon à ce qu’elle n’entre pas en conflit avec les normes de droit international.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) [17], le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte ONU I) [18], ainsi que le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II) [19] jouissent d’un statut particulier au sein de notre Charte fondamentale. Il ressort en effet des travaux préparatoires concernant la dernière révision totale de la Constitution que, lors de l’élaboration du nouveau texte, il a été tenu compte pour chaque droit fondamental des dispositions de droit international contenues dans ces trois conventions [20].

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

La Constitution fédérale contient donc deux dispositions concernant les limites formelles à l’intégration de la Suisse dans un ordre international.

Aux termes de l’art. 140 al. 1 lit. b de la Constitution fédérale, l’adhésion à des organisations de sécurité collective [21] ou à des communautés supranationales [22] est soumise au référendum obligatoire. Ainsi, si la Suisse veut devenir membre d’un organisme tel que défini à cet article, cette adhésion doit forcément être approuvée à la double majorité du peuple et des cantons.

L’art. 141 al. 1 lit. d ch. 2 de la Constitution fédérale dispose en outre que les traités qui prévoient l’adhésion à une organisation internationale [23] sont soumis au référendum facultatif. Contrairement au référendum obligatoire, qui requiert la majorité du peuple et des cantons, le référendum facultatif ne requiert que la majorité du peuple.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Notre Charte fondamentale ne se caractérise pas par sa stabilité, dans la mesure où elle a fait l’objet d’un grand nombre de révisions (voir la réponse suivante). Elle est une constitution vivante qui suit l’évolution de notre société et non pas un « monument taillé dans la pierre »[24]. Compte tenu de ce qui précède, ce n’est donc pas la stabilité de la Constitution qui est un élément justificatif de sa suprématie.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Depuis la création de l’État fédéral, notre Constitution a subi de nombreuses révisions. En ce qui concerne le texte de 1848, il a fait l’objet d’une révision partielle en 1866, d’une tentative de révision totale en 1872 ainsi que d’une révision totale en 1874. Entre ce grand toilettage et celui de 1999, la Constitution a connu environ 140 révisions partielles. Depuis la dernière révision totale, soit au cours de ces seize dernières années, une vingtaine de révisions partielles ont déjà eu lieu.

Après analyse des révisions constitutionnelles initiées par les autorités fédérales, il apparaît clairement que celle de 1999 avait entre autres objectifs de codifier les droits constitutionnels non écrits développés par la jurisprudence du Tribunal fédéral. On peut donc considérer que cette modification de la Charte fondamentale constitue – du moins en partie – une conséquence de la pratique des juges fédéraux.

En ce qui concerne les révisions initiées par le peuple, on peut mentionner l’initiative pour le renvoi des étrangers criminels. Celle-ci visait à modifier l’article 121 de la Constitution fédérale pour priver des catégories d’étrangers criminels de leur titre de séjour et les interdire d’entrée sur le territoire suisse pour une certaine période. Le peuple et les cantons ont approuvé le projet le 28 novembre 2010. Cette révision de l’art. 121 de la Constitution fédérale mérite d’être signalée ici car il ressort nettement de l’argumentaire des initiants qu’ils avaient lancé leur campagne de récolte de signatures en réaction à la jurisprudence du Tribunal fédéral [25].

Pour finir, on peut signaler qu’il existe également des projets de révision constitutionnelle qui n’ont pas abouti, mais qui avaient été initiés en réaction à la jurisprudence du Tribunal fédéral. On pense notamment à l’initiative populaire fédérale pour des naturalisations démocratiques. Celle-ci avait en effet été lancée pour s’opposer aux arrêts dans lesquels le « principe de la naturalisations par les urnes » avait été jugé contraire à la Constitution [26].

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Oui, des révisions constitutionnelles peuvent avoir lieu en amont ou en aval de la ratification d’un traité. L’exemple de la CEDH permet d’avoir un aperçu assez parlant de l’influence que peut avoir un traité international sur un projet de modification de la Charte suprême.

Dans un rapport du 19 novembre 2014 [27], le Conseil fédéral a rappelé qu’il avait entrepris des ajustements de la Constitution fédérale dans la perspective d’une adhésion à la CEDH. En 1968, conscient que l’absence du suffrage féminin en Suisse était un des obstacles à la ratification de cette convention, le Gouvernement a décidé de surseoir à sa signature en attendant que le droit de vote soit introduit sur le plan fédéral. Les conseillers fédéraux de l’époque s’étaient déclarés résolument acquis à une révision de la Constitution fédérale dans ce sens. Le droit de vote des femmes étant ancré dans la Constitution fédérale depuis le 7 février 1971 [28], la Suisse a pu finalement ratifier la CEDH en 1974.

La CEDH a également joué un rôle important pour la Suisse dans le cadre de la révision totale de la Constitution de 1999. Ainsi, par exemple, il ressort des travaux préparatoires que le principe de la publicité des débats, consacré à l’art. 30 al. 3 de la Constitution fédérale, trouve son origine directement dans l’art. 6 par. 1 CEDH [29].


  • [1]
    RS 101.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Art 3 de la Constitution fédérale.  [Retour au contenu]
  • [3]
    de la Constitution fédérale.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Art. 51 al. 2 de la Constitution fédérale.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Art. 138 et 139 de la Constitution fédérale.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Art. 140 et 141 de la Constitution fédérale.  [Retour au contenu]
  • [7]
    ATF 138 I 410 du 22 octobre 2012, consid. 3.1.  [Retour au contenu]
  • [8]
    ATF 136 I 241 du 2 juin 2010, consid. 2.5.  [Retour au contenu]
  • [9]
    ATF 136 I 241 du 2 juin 2010, consid. 2.3.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 44.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 44.  [Retour au contenu]
  • [12]
    RS 161.1.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 9, 26, 42 et 117.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 44 et 140.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 124. TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE 565 qui traite du jus cogens)  [Retour au contenu]
  • [16]
    Art. 193 al 4 et 194 al. 2 de la Constitution fédérale  [Retour au contenu]
  • [17]
    RS 0.101.  [Retour au contenu]
  • [18]
    RS 0.103.1.  [Retour au contenu]
  • [19]
    RS 0.103.2.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Voir, par exemple, Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution
    fédérale, FF 1997 I 144, 148, 156 et 157.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Par ces termes, le constituant viserait principalement l’Organisation des Nations Unies et
    l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Jean-François Aubert, in Petit Commentaire de la
    Constitution fédérale de la Confédération suisse, 2003, n° 11 ad. art. 140 Cst.).  [Retour au contenu]
  • [22]
    Cette notion concerne notamment la Communauté européenne, appelée aujourd’hui
    l’Union européenne (Jean-François Aubert, in Petit Commentaire de la Constitution fédérale
    de la Confédération suisse, 2003, n° 11 ad. art. 140 Cst.).  [Retour au contenu]
  • [23]
    Sont visées ici les organisations fondées sur un traité international conclu entre trois États au
    moins, qui sont notamment dotées de la personnalité juridique, d’organes permanents ainsi que
    d’une volonté propre et distincte des parties au traité. On pense ici par exemple à l’Organisation
    mondiale du commerce (Jean-François Aubert, in Petit Commentaire de la Constitution fédérale
    de la Confédération suisse, 2003, n° 7 ad art. 141 Cst.).  [Retour au contenu]
  • [24]
    Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 11.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Argumentaires pour « Oui à l’initiative populaire pour le renvoi des étrangers criminels »
    en vue de la votation du 28 novembre 2010, p. 14, 21 et 25 (09.060).  [Retour au contenu]
  • [26]
    Message du 25 octobre 2006 relatif à l’initiative populaire fédérale « pour des naturalisations démocratiques », FF 2006 8481.  [Retour au contenu]
  • [27]
    FF 2015 353.  [Retour au contenu]
  • [28]
    RO 1971 239.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 186.  [Retour au contenu]
2. appréciation de l’effectivité
La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Les autorités suisses sont tenues de respecter la Constitution fédérale lorsqu’elles légifèrent ou qu’elles appliquent le droit.

Actuellement, la Suisse ne dispose pas d’un mécanisme de contrôle juridictionnel intégral. Si la suprématie de la Constitution fédérale peut être considérée comme effective face au droit cantonal, elle reste plutôt théorique à l’égard des lois fédérales. L’immunité de celles-ci peut dès lors être vue comme exception au principe de la supériorité de la Constitution. Aux termes de l’art. 190 de la Constitution fédérale, le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales même si elles sont contraires à la Constitution. Concrètement, cela signifie que les juges fédéraux n’ont pas le pouvoir d’abroger pour cause d’inconstitutionnalité une loi votée par le Parlement. Ils peuvent néanmoins l’interpréter de manière conforme à la Constitution [1]. Par ailleurs, le Tribunal fédéral estime que l’art. 190 de la Constitution fédérale ne constitue pas une interdiction d’examiner la constitutionnalité des lois fédérales, mais l’oblige uniquement à les appliquer même si elles s’avèrent inconstitutionnelles [2].

La réglementation de la clause d’urgence peut être vue comme un mécanisme qui justifie une dérogation à la suprématie de notre loi fondamentale. Il est en effet imaginable que l’État tombe dans une situation critique que les prescriptions matérielles de la Constitution ne permettraient pas de surmonter. L’art. 165 de la Constitution fédérale permet alors au Parlement d’adopter pour la durée d’une année des règles dénuées de fondement constitutionnel.

Même si le principe de la suprématie de la Constitution n’est pas garanti de manière absolue en Suisse, on peut tout de même reconnaître son effectivité. En effet, la grande majorité des normes constitutionnelles sont bel et bien appliquées dans les faits. D’une part, on verra à la 6e réponse du 1.3. que l’interprétation de l’art. 190 de la Constitution fédérale a évolué au fil du temps. D’autre part, il apparaît que les conditions de recours à la clause d’urgence sont définies de manière relativement étroite, ce qui en limite les risques d’usage abusif.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui, sa suprématie est reconnue par toutes les autorités nationales. Certes la réglementation de la clause d’urgence et le principe de l’immunité des lois fédérales qui ont été présentés à la 1re réponse du 1.2. peuvent donner l’impression que le Parlement est en droit de s’écarter de la Constitution fédérale, mais ce n’est pas le cas dans la réalité. À noter du reste que chaque membre du Parlement doit, avant d’entrer en fonction, prêter serment ou faire la promesse solennelle qu’il observera la Constitution [3].

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Vu que la juridiction constitutionnelle apparaît en Suisse sous une forme imparfaite, des voix se sont élevées pour demander la suppression de l’art. 190 de la Constitution fédérale et lever ainsi l’immunité des lois fédérales. L’absence d’un véritable contrôle de constitutionnalité des lois fédérales n’a pas seulement fait couler beaucoup d’encre en doctrine. Elle a également donné lieu à plusieurs interventions parlementaires visant l’extension de la juridiction constitutionnelle. Les dernières en date remontent à 2005 et 2007 [4]. Celles-ci ont donné lieu à des débats nourris au Parlement qui ont finalement conduit à leur rejet en vote final le 3 décembre 2012. Ainsi, jusqu’ici toutes les tentatives d’introduction d’un contrôle effectif de constitutionnalité des lois fédérales ont échoué.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

En vertu de l’art. 35 al. 2 de la Constitution fédérale, quiconque assume une tâche de l’État est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation. Cela vise l’ensemble des organes étatiques, de toute nature (législative, exécutive ou judiciaire) et de tout niveau (fédéral, cantonal ou communal).

À noter que, dans le cadre de leurs compétences, les tribunaux cantonaux s’occupent également du contrôle de constitutionnalité des normes. Mais, rares sont les cantons qui ont instauré des véritables cours constitutionnelles chargées d’examiner la conformité au droit supérieur des actes normatifs qui leur sont déférés.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

En Suisse, la jurisprudence n’est pas une véritable source du droit comparable à la loi ou à la coutume. Elle est considérée comme une autorité, dans la mesure où l’art. 1 al. 3 du code civil suisse [5] invite le juge à s’inspirer des « solutions consacrées par la jurisprudence ».

Les décisions des juges fédéraux jouent un rôle important dans notre pays. En effet, selon le Conseil fédéral, le Tribunal fédéral a en sa qualité de Cour suprême des tâches particulières à accomplir différentes de celles des autres tribunaux. Il doit notamment assumer la « sauvegarde d’une application uniforme du droit, le développement de la jurisprudence et la garantie des droits constitutionnels » [6].

En tant qu’autorité de dernier recours, le Tribunal fédéral a en quelque sorte le dernier mot sur les instances inférieures. On peut donc considérer que l’autorité de ses décisions est correctement respectée. Ce n’est qu’en cas de saisine de la Cour européenne des droits de l’homme que le Tribunal fédéral risque de voir ses décisions remises en question. Toutefois les arrêts de Strasbourg présentent un caractère déclaratoire et non cassatoire ou réformateur.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Cette question ne se pose pas en Suisse parce que, comme déjà mentionné sous 5e réponse du 1.1., notre droit ne connaît pas le concept de bloc de constitutionnalité.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité »?

Pour les motifs mentionnés au point précédent, aucune réponse pertinente ne peut être donnée à la question posée. Cependant, il convient de préciser que la Suisse ne connaît pas de lois organiques qui se situent entre la Constitution et les lois.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Nous avons déjà exposé précédemment que le Tribunal fédéral n’exerce qu’un contrôle de constitutionnalité limité à l’égard des lois adoptées par le Parlement. ll peut les interpréter de manière conforme à la Constitution et en examiner la constitutionnalité. En revanche, le Tribunal fédéral ne peut annuler une loi fédérale inconstitutionnelle ou la déclarer inapplicable dans un cas d’espèce. Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

D’aucuns estiment que le mécanisme du contrôle de constitutionnalité devrait être modifié dans notre pays.

Au début de l’année 2011, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a mis en consultation un rapport et un avant-projet de modification de la Constitution qu’elle avait élaborés sur la base de deux initiatives parlementaires concernant l’extension de la juridiction constitutionnelle aux lois fédérales [7]. Le Tribunal fédéral a été invité à se prononcer dans le cadre de cette procédure de consultation.

Dans leur détermination du 6 avril 2011 ainsi que dans un communiqué aux médias du 6 décembre 2011, les juges fédéraux ont indiqué qu’ils s’abstenaient de prendre position sur la question de savoir si la juridiction constitutionnelle devait être élargie au niveau fédéral en raison de la séparation des pouvoirs. Ils ont par ailleurs signalé que si la juridiction constitutionnelle venait à être introduite au niveau fédéral, il serait souhaitable que le contrôle de constitutionnalité soit limité aux actes d’application concrets. Aux yeux du Tribunal fédéral, un contrôle éventuel des lois fédérales dans un cas d’application concret apparaissait suffisant pour assurer la protection constitutionnelle des citoyens.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Le Tribunal procède à l’interprétation conforme à la Constitution d’une loi fédérale si les méthodes ordinaires d’interprétation laissent subsister un doute sur son sens [8]. Le juge doit chercher à lui conférer un sens susceptible de la mettre en harmonie avec la norme supérieure. Cette méthode d’interprétation trouve toutefois ses limites lorsque le texte et le sens de la disposition légale sont absolument clairs, quand bien même ils seraient contraires à la Constitution [9].

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Comme vu sous 1re réponse 1.2., l’article 190 de la Constitution exclut le contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales. La formulation de cet article dérive de celle de l’art. 113 al. 3 de la Constitution fédérale de 1874. Il est intéressant de relever ici que l’interprétation des différentes versions de cet article a subi une longue évolution qui a eu pour effet de renforcer le contrôle du Tribunal fédéral. La doctrine distingue à cet égard trois phases [10].

Pendant la première phase, soit entre 1874 et 1968, l’article 113 al. 3 de la Constitution a été interprété comme signifiant l’absence de tout contrôle de constitutionnalité des lois fédérales. Le Tribunal fédéral reconnaissait une véritable immunité aux lois émanant du Parlement et s’interdisait de vérifier leur constitutionnalité [11].

Lors de la deuxième phase qui a débuté en 1969, le Tribunal fédéral a posé le principe de l’interprétation conforme à la Constitution. Il a continué à affirmer qu’elle n’avait pas le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois fédérales, mais elle a admis que le juge ne pouvait se retrancher derrière le principe de l’immunité des lois fédérales quand celles-ci se prêtaient à plusieurs interprétations possibles [12].

Depuis 1991, les juges fédéraux estiment que l’art. 190 de la Constitution fédérale ne constitue pas une interdiction d’examiner la constitutionnalité des lois fédérales, mais les oblige uniquement à les appliquer même en cas de constat d’inconstitutionnalité [13].

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Le Tribunal fédéral ne commente pas sa jurisprudence.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Ainsi que cela a été exposé plus haut, l’art. 190 de la Constitution fédérale oblige parfois les juges fédéraux à appliquer des lois inconstitutionnelles ; ainsi en est-il de certaines dispositions de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants [14] qui traitent les hommes et les femmes de manière distincte contrairement à ce que préconise l’art. 8 al. 3 de la Constitution fédérale [15]. Dans de tels cas, le Tribunal fédéral se trouve pieds et poing liés. Il ne peut qu’inviter le législateur à changer la loi. Il a la possibilité de le faire dans les considérants de ses arrêts ou dans la rubrique de son rapport annuel de gestion, intitulée « Indications à l’intention du législateur ».

Une autre difficulté à laquelle le Tribunal fédéral a été récemment confronté est celle du contrôle de la validité d’initiatives populaires. D’après l’art. 139 al. 3 de la Constitution fédérale, le Parlement est tenu de déclarer nulle toute initiative populaire qui viole les règles impératives du droit international. Les initiatives populaires qui respectent le jus cogens sont en revanche soumises au vote du peuple et des cantons, même si elles sont contraires à d’autres règles du droit international. Si de telles initiatives sont acceptées, se pose alors la question épineuse du rapport entre la Constitution fédérale et le droit international [16]. Jusqu’en 2009, le Tribunal fédéral n’avait encore jamais été confronté à un conflit entre normes constitutionnelles issues d’une initiative populaire et normes de droit international.

Dans deux arrêts datant du 14 décembre 2009 [17], le Tribunal fédéral a refusé d’entrer en matière sur des recours contre l’acceptation d’une initiative fédérale par le peuple. Le Tribunal fédéral a considéré que ces demandes étaient manifestement irrecevables. En effet, les deux recourants s’en prenaient de manière abstraite – c’est-à-dire en dehors de tout cas d’application concret – au contenu même de l’initiative populaire fédérale. Or, en droit suisse, aucun recours n’est ouvert devant le Tribunal fédéral contre le contenu d’une initiative fédérale acceptée par le peuple et les cantons. Le Tribunal fédéral ne s’est donc pas prononcé sur le fond.

Dans un arrêt rendu le 12 octobre 2012 [18], le Tribunal fédéral est entré en matière sur le recours et a estimé que les dispositions introduites dans la Constitution fédérale par l’initiative pour le renvoi des étrangers criminels n’étaient pas directement applicables et nécessitaient une transposition par le législateur ; selon les considérants de cet arrêt, elles ne priment pas sur les droits fondamentaux ou les garanties de la CEDH.


  • [1]
    ATF 95 I 330 du 25 juin 1969, consid. 3 ; ATF 137 I 128 du 15 décembre 2010, consid. 4.3.1 ;
    ATF 131 II 710 du 26 octobre 2005, consid. 5.4 ; ATF 129 II 249 du 17 janvier 2003, consid. 5.4.  [Retour au contenu]
  • [2]
    ATF 140 I 353 du 1er octobre 2014, consid. 4.1.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Art. 3 de la loi fédérale du 13 décembre 2002 sur l’Assemblée fédérale (RS 171.10).  [Retour au contenu]
  • [4]
    Initiative 05.445 intitulée « Juridiction constitutionnelle » (Heiner Studer) et initiative
    07.476 intitulée « Faire en sorte que la Constitution soit applicable pour les autorités chargées
    de mettre en œuvre le droit » (Müller-Hemmi).  [Retour au contenu]
  • [5]
    RS 210.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale, FF 2001 V 4025.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Voir note de bas de page n. 27.  [Retour au contenu]
  • [8]
    ATF 137 I 128 du 25 décembre 2010, consid. 4.3.1 ; ATF 131 II 710 du 26 octobre 2005, consid. 5.4 ; ATF 129 II 249 du 17 janvier 2003, consid. 5.4.  [Retour au contenu]
  • [9]
    ATF 133 II 305 du 4 septembre 2007, consid. 5.2 ; ATF 131 II 710 du 26 octobre 2005,
    consid.4.1.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3e éd. 2013, p. 654 ss.  [Retour au contenu]
  • [11]
    ATF 91 I 17 du 20 janvier 1965, consid. 2.  [Retour au contenu]
  • [12]
    ATF 95 I 330 du 25 juin 1969, consid. 3 ; ATF 137 I 128 du 15 décembre 2010, consid. 4.3.1 ; ATF 131 II 710 du 26 octobre 2005, consid. 4.1 ; ATF 129 II 249 du 17 janvier 2003, consid. 5.4  [Retour au contenu]
  • [13]
    ATF 117 Ib 367 ; ATF 140 II 157 du 6 mars 2014, consid. 4 ; ATF 131 II 710 du 26 octobre
    2005, consid. 5.4.  [Retour au contenu]
  • [14]
    RS 831.10.  [Retour au contenu]
  • [15]
    ATF 139 I 257 du 23 septembre 2013, consid. 4.1.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Voir à ce sujet la réponse 2.4.a).  [Retour au contenu]
  • [17]
    Arrêt 1C_527/2009 du 14 décembre 2009 ; arrêt 1C_529/2009 du 14 décembre 2009.  [Retour au contenu]
  • [18]
    ATF 139 I 16 du 12 octobre 2012, consid. 4.  [Retour au contenu]

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

L’art. 5 al. 4 de la Constitution fédérale est ainsi libellé : « La Confédération et les cantons respectent le droit international ».

Selon une conception largement admise en Suisse, on reconnaît en principe au droit international une primauté sur le droit interne. Notre Constitution ne mentionne pas de règles de conflit : elle ne dit pas qui, du droit international ou du droit interne, l’emporte dans l’hypothèse d’un conflit [1]. La formulation de la Constitution permet de maintenir la possibilité d’exceptions à la primauté dans certains cas.

Par ailleurs, lorsque le juge doit choisir parmi diverses interprétations, il retiendra en principe l’interprétation qui évite un conflit de normes. La Constitution sera donc interprétée de façon conforme au droit international.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Comme cela a été dit dans la réponse précédente, la Confédération et les cantons doivent respecter le droit international. Cette obligation s’adresse à tous les organes de l’État et découle du principe selon lequel les traités internationaux l’emportent sur le droit interne. Le fondement de la primauté du droit international sur le droit national réside dans le principe pacta sunt servanda [2] et dans l’interdiction qui est faite aux États d’invoquer le droit interne pour justifier l’inobservation d’une convention.

L’art. 5 al. 4 de la Constitution fédérale n’indique pas comment résoudre un conflit entre une norme de droit international et une règle de droit interne. Lorsqu’une contradiction insurmontable entre les deux ordres juridiques est constatée, le Tribunal fédéral s’en tient à sa jurisprudence, selon laquelle les traités internationaux l’emportent en principe sur le droit interne, spécialement lorsque la norme internationale a pour objet la protection des droits de l’homme, mais parfois également en dehors de toute question de protection des droits de l’homme, de sorte qu’une disposition légale de droit interne contraire ne peut trouver d’application [3].

Enfin, le droit interne doit être interprété d’une façon qui le fasse apparaître comme étant en harmonie avec le droit international, selon le principe de l’interprétation conforme. Ce principe d’interprétation tempère considérablement la rigueur de la règle selon laquelle le Tribunal fédéral est tenu d’appliquer les lois fédérales et le droit international [4].

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

De tout temps, la Suisse a eu des relations politiques et économiques très étroites avec l’Union européenne, mais elle n’est pas membre de cette dernière. Le droit communautaire ne s’applique donc pas directement à la Suisse qui a choisi de suivre une voie bilatérale avec l’Union. De nombreux accords ont été signés portant sur la libre circulation des personnes et des marchandises notamment, mais aussi sur la sécurité intérieure et l’asile. Le droit européen qui s’applique en Suisse en relation avec les accords bilatéraux constitue du droit conventionnel et non du droit supranational comme c’est le cas pour les membres de l’Union européenne.

L’application des actes de droit de l’Union européenne mentionnés dans les accords bilatéraux suit les règles générales relatives à l’applicabilité du droit international public en Suisse. Le Tribunal fédéral doit donc prendre en compte le droit européen dans cette mesure. Certaines directives communautaires sont reprises de manière autonome par le Parlement dans un but d’harmonisation avec le droit de l’Union européenne ; le Tribunal fédéral s’efforce, en cas de doutes, d’interpréter ce droit interne conformément au droit communautaire.

Par ailleurs, les dispositions de droit international public, et en particulier les dispositions de la CEDH, font partie intégrante du droit national. Elles font l’objet d’une jurisprudence abondante de notre Cour qui applique les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme et, selon les cas, ceux de la Cour de justice de l’Union européenne. Les concepts juridiques du droit international public (CEDH et Pacte ONU II en particulier) constituent pour le Tribunal fédéral des moyens importants d’interprétation dans la mesure où ils reflètent les traditions juridiques communes aux États membres des organisations sous les auspices desquels ils ont été élaborés et dont la Suisse se réclame [5]. Bien que la notion de « droit constitutionnel européen » n’existe pas dans notre jurisprudence, on peut cependant affirmer qu’il existe dans notre pays un droit fortement imprégné des valeurs européennes.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

C’est la conception moniste qui prévaut dans notre pays ; les dispositions de droit international public font, dès leur entrée en vigueur en Suisse, partie intégrante du droit national. L’ordre juridique international et l’ordre juridique interne forment un seul système cohérent. La règle internationale est reçue dans l’ordre interne à la suite d’un acte parlementaire d’approbation, sans qu’elle ait à subir un acte spécial de transformation [6].

Les particuliers peuvent invoquer les dispositions de droit international public directement devant les tribunaux, dans la mesure où leur contenu est suffisamment déterminé et clair pour qu’elles soient directement applicables, en d’autres termes qu’elles soient self-executing. Dans ce sens, la CEDH fait partie du droit national et les droits qui y sont garantis ont un contenu constitutionnel. Il en va pour l’essentiel de même avec le Pacte ONU II.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

La question des rapports entre les traités internationaux et la Constitution est complexe. Lorsque le traité international remis en cause par une révision constitutionnelle n’est pas très important, la pratique a parfois refusé d’admettre qu’il puisse constituer une limite à la révisibilité de la Constitution, mais dans ce cas la responsabilité internationale de la Suisse se trouve engagée [7]. Lorsqu’en revanche le traité international remis en cause par une révision constitutionnelle contient des règles contraignantes faisant partie du jus cogens, la révision ne peut être soumise au peuple, car la révision de la Constitution doit respecter les règles impératives du droit international [8].

L’art. 190 de la Constitution fédérale dispose que le « Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenues d’appliquer les lois fédérales et le droit international ». Cette disposition indique que les traités sont considérés comme une source directe de droit interne. Les traités internationaux valablement conclus et entrés en vigueur font partie intégrante de l’ordre juridique suisse.

La jurisprudence du Tribunal fédéral est riche en exemples qui témoignent de l’influence de la CEDH et des organes de Strasbourg sur la jurisprudence constitutionnelle nationale, ainsi que des efforts d’harmonisation du Tribunal fédéral avec le système européen des droits de l’homme.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Oui, voir les réponses précédentes.


  • [1]
    Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 136.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Art. 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.  [Retour au contenu]
  • [3]
    ATF 138 II 524 du 19 septembre 2012, consid. 5 ; ATF 136 II 241 du 26 janvier 2010,
    consid. 16.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Art. 190 de la Constitution fédérale.  [Retour au contenu]
  • [5]
    ATF 123 I 112 du 16 avril 1997, consid. 4.  [Retour au contenu]
  • [6]
    ATF 130 I 312 du 2 juillet 2004, consid. 4.1 ; 9C_873/2012 du 25 février 2013, consid. 4.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3e éd. 2013, p. 458.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Art. 193 al. 4 et 194 al. 2 Constitution fédérale et art. 53 de la Convention de Vienne sur
    le droit des traités.  [Retour au contenu]
2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ? b) Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Notre nouvelle Constitution fédérale date du 18 avril 1999 ; elle a remplacé la Constitution fédérale de 1874 qui avait fait l’objet d’amendements multiples.

Les nombreuses normes de droit international ont sans aucun doute influencé les rédacteurs de notre nouvelle Constitution [1]. S’agissant des droits fondamentaux, la Convention européenne des droits de l’homme et les pactes de l’ONU ont également eu une influence décisive, de même que la jurisprudence tant de la Cour européenne des droits de l’homme et celle du Tribunal fédéral. Suite à sa ratification par la Suisse en 1974, la CEDH a été rapidement intégrée par la jurisprudence du Tribunal fédéral et a ainsi été répandue et reconnue dans toute la Suisse. À tel point que la nouvelle Constitution fédérale de 1999 a transposé les droits fondamentaux de la CEDH, notamment l’interdiction de la discrimination (art. 8 de la Constitution fédérale) et le respect de la vie privée et familiale (art. 13 de la Constitution fédérale).


3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

À titre préalable, il sied de rappeler qu’en vertu de l’art. 190 de la Constitution fédérale, « le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international ». Les dispositions législatives fédérales ne peuvent donc pas être contrôlées par la juridiction constitutionnelle suisse [1]. Cependant, les tribunaux et les autorités qui mettent en œuvre le droit sont obligés, selon l’art. 190 de la Constitution fédérale, d’appliquer une loi fédérale même si elle est jugée inconstitutionnelle. Cette limitation du contrôle de la constitutionnalité de la loi fédérale est l’une des principales caractéristiques du système constitutionnel suisse. Il traduit la conception de la démocratie directe selon laquelle les lois fédérales édictées par le Parlement et, en cas de référendum, soumises au vote du peuple, doivent être respectées par les tribunaux ; le pouvoir judiciaire ne pouvant pas s’élever au-dessus du pouvoir législatif.

Néanmoins, comme vu sous 5e réponse du 1.3. la rigueur de la règle de l’art. 190 de la Constitution fédérale est tempérée par le principe de l’interprétation conforme à la Constitution, d’après lequel le juge doit conférer à une disposition légale se prêtant à plusieurs interprétations celle qui est en harmonie avec la Constitution. La Constitution n’interdit pas au Tribunal fédéral d’examiner la constitutionnalité d’une loi fédérale. Il est habilité à constater qu’une loi fédérale viole la Constitution, mais il ne lui appartient pas de sanctionner cette constatation par une annulation ou par un refus d’application de la loi en question.

Comme l’art. 190 de la Constitution fédérale oblige le Tribunal fédéral à appliquer les lois fédérales, il l’oblige également à appliquer le droit international ; ce dernier, tout comme la loi fédérale, et selon le principe évoqué ci-dessus, est soustrait au contrôle de constitutionnalité. L’application d’un traité s’impose donc même dans le cas où il serait contraire à la Constitution. Le Tribunal fédéral pourrait écarter les dispositions d’une loi fédérale si elles sont contraires à un traité international, en particulier si la norme internationale a pour objet la protection des droits de l’homme. En cas de conflit entre une disposition d’une loi fédérale et celle d’un traité international, cette dernière l’emporte en effet en vertu du principe constitutionnel de la primauté du droit international ancré à l’art. 5 al. 4 de la Constitution fédérale. Le Tribunal fédéral doit donc contrôler la conformité du droit national au droit international.

S’agissant du contrôle de la conformité des lois aux normes internationales, le Tribunal fédéral a considéré qu’une règle d’un traité international cédait le pas devant une loi postérieure que le législateur avait adoptée en sachant qu’elle pourrait s’avérer contraire au traité [2]. Dans des arrêts postérieurs, il a été admis que même dans cette hypothèse, il y a une exception en faveur de la primauté du droit international lorsque la protection des droits de l’homme ancrée dans le droit international est en cause (CEDH ou Pacte ONU II). Ces règles priment le droit national contraire [3].

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Comme cela a été explicité ci-dessus, l’art. 190 de la Constitution fédérale oblige les autorités à appliquer le droit international public. Cette notion englobe tous les instruments du droit international quelle qu’en soit la dénomination (traités internationaux ratifiés par la Suisse, mais aussi droit international coutumier, principes généraux du droit international). Il faut évidemment que l’instrument soit en vigueur au moment déterminant. Il faut encore que la disposition invoquée soit directement applicable, comme l’est par exemple l’art. 10 du Pacte ONU II [4]. Tel n’est pas le cas si le traité ne contient qu’un programme ou des recommandations à l’intention du législateur, énonce des obligations prises par le pays contractant que celui-ci doit respecter dans sa législation ou encore formule des principes généraux tellement vagues qu’ils doivent nécessairement être encore concrétisés par la loi [5].

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Nous renvoyons à la réponse de la question précédente, tout en précisant que la violation qui peut être invoquée devant le Tribunal fédéral doit être celle d’une règle de droit, c’est-à-dire une norme générale et abstraite destinée à régler un nombre indéterminé de cas futurs. Celle-ci doit émaner d’une entité reconnue par le droit international public, c’est-à-dire un État souverain ou une organisation internationale avec lesquels la Suisse a signé une convention. Des normes d’origine privée, émanant d’une organisation sportive, d’une association professionnelle ou d’une organisation non gouvernementale, ne sont pas des règles de droit [6], mais cela ne signifie pas que ces règles sont dépourvues d’effets juridiques [7].


  • [1]
    En revanche, la juridiction constitutionnelle du Tribunal fédéral s’exerce à l’égard des actes
    normatifs et des décisions émanant des cantons. Le Tribunal fédéral procède au contrôle de
    constitutionnalité sur demande et a posteriori, après l’adoption de la norme contestée.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Pratique Schubert, ATF 99 Ib 39 du 13 mars 1973, consid. 3 et 4.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Certains arrêts relativisent la pratique Schubert : le Tribunal fédéral y affi rme en effet la
    primauté du droit international, même à l’égard d’une règle légale interne postérieure ; cf. notamment ATF 122 II 485 du 1er novembre 1996, consid. 3a.  [Retour au contenu]
  • [4]
    ATF 133 I 286 du 7 août 2007, consid. 3.3.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Bernard Corboz, in Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 31 à 33 ad art. 95 LTF.  [Retour au contenu]
  • [6]
    ATF 132 III 285 du 20 décembre 2005, consid. 1.3 (traduit au JdT 2008 I 329).  [Retour au contenu]
  • [7]
    Bernard Corboz, in Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 13 ad art. 95 LTF.  [Retour au contenu]
4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

En principe, lors d’une révision totale de notre Constitution fédérale (notre dernière Constitution date de 1999), de tels conflits ne devraient pas exister, car c’est le Parlement qui est chargé de rédiger le nouveau texte qui sera soumis au vote du peuple ; dans ces circonstances, une violation du droit international impératif paraît donc peu probable. L’art. 193 al. 4 de la Constitution fédérale prévoit d’ailleurs explicitement que les règles impératives du droit international ne doivent pas être violées.

Au vu de notre système de démocratie directe, de tels conflits peuvent cependant arriver. Une initiative populaire peut être déposée par 100 000 citoyens pour proposer une révision totale ou partielle de la Constitution [1] ; cette dernière initiative peut revêtir la forme d’une proposition conçue en termes généraux ou celle d’un projet rédigé. Les art. 139, alinéa 3 et 194, alinéa 2 de la Constitution fédérale prévoient explicitement qu’une telle initiative doit respecter les règles impératives du droit international. Le non-respect de ces règles peut conduire à l’invalidation d’une initiative populaire.

Le Parlement a ainsi par le passé (sous l’empire de la Constitution fédérale de 1874) déclaré nulle une initiative qui avait pour objet la politique de l’immigration et qui prévoyait le renvoi sans procès de tous les requérants d’asile clandestins, cette initiative ayant été jugée contraire aux principes du nonrefoulement appartenant aux règles les plus strictes du droit international [2].

Notre Gouvernement, dans son message relatif à la nouvelle Constitution fédérale [3], a admis une conception relativement large de ces « règles impératives du droit international », c’est-à-dire le jus cogens, qui doivent être considérées comme une limite matérielle à la révision constitutionnelle. Ainsi, le noyau du droit international humanitaire et les interdictions en matière de violence, d’agression, de génocide ou de torture appartiennent sans conteste au droit impératif. Ces règles sont de nature contraignante parce qu’elles participent des principes fondamentaux de l’attitude interétatique et s’avèrent indispensables à la coexistence pacifique des peuples et à leur dignité.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ? La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Comme cela a été signalé dans la 2e réponse 2.1., l’art. 5 al. 4 de la Constitution fédérale n’indique pas comment résoudre un conflit entre une norme de droit international et une règle de droit interne. Lorsqu’une contradiction insurmontable entre les deux ordres juridiques est constatée, le Tribunal fédéral s’en tient à sa jurisprudence, selon laquelle les traités internationaux l’emportent en principe sur le droit interne, spécialement lorsque la norme internationale a pour objet la protection des droits de l’homme. Par ailleurs, le droit interne doit être interprété d’une façon qui le fasse apparaître comme étant en harmonie avec le droit international, selon le principe de l’interprétation conforme.

Rappelons que le Tribunal fédéral est tenu d’appliquer les lois fédérales et ne peut pas procéder à un contrôle abstrait de leur compatibilité avec la Constitution. Cela n’interdit toutefois pas d’examiner la constitutionnalité d’une loi fédérale dans le cadre d’un contrôle concret. En effet, la rigueur de la règle posée par l’art. 190 de la Constitution fédérale peut être tempérée par le principe de l’interprétation conforme à la Constitution, d’après lequel le juge doit conférer à une disposition légale celle qui est en harmonie avec la Constitution lorsque les méthodes ordinaires d’interprétation laissent subsister un doute sur son sens [4]. Le Tribunal fédéral ne s’interdit pas d’examiner la conformité d’une loi fédérale à la Constitution, même s’il est tenu de l’appliquer. Il peut constater qu’une loi fédérale viole la Constitution, mais il ne peut pas l’annuler. Il peut en revanche inviter le législateur fédéral à modifier la norme renfermant la violation à la Constitution dans les considérants d’un arrêt ou dans la rubrique « indications à l’intention du législateur » figurant dans son rapport de gestion annuel [5].

La plupart du temps toutefois, c’est lors d’un cas concret d’application d’une norme cantonale que le Tribunal fédéral exerce le contrôle de la constitutionnalité. En cas d’inconstitutionnalité, il n’annule pas la disposition mais il ne l’applique pas. Dans le dispositif de son arrêt, la Cour ne se prononce que sur la décision attaquée en l’espèce.

Enfin, le Tribunal fédéral peut contrôler abstraitement la constitutionnalité des normes cantonales. Cas échéant, le Tribunal fédéral annule la norme ou constate son inconstitutionnalité, mais il ne peut pas modifier la disposition inconstitutionnelle. Selon la jurisprudence, le Tribunal fédéral n’annule la norme que si elle ne se prête à aucune interprétation conforme à la Constitution ou si, en raison des circonstances, sa teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elle soit interprétée de façon inconstitutionnelle [6]. Formellement, une norme jugée inconstitutionnelle ne peut être modifiée ou abrogée que par l’autorité législative compétente. Il n’est pas rare qu’une disposition annulée par le Tribunal fédéral ne soit pas annulée formellement par le législateur. L’annulation se traduit souvent simplement par le fait que la norme n’est plus appliquée par les autorités ni respectée par les particuliers. Dans certains cas, le Tribunal fédéral peut renoncer à l’annulation de la norme cantonale inconstitutionnelle, respectivement à l’annulation de la décision qui se fonde sur une telle norme. Dans ces cas, le Tribunal fédéral prend alors une décision incitative qui comporte un appel plus ou moins précis et directif à l’égard du législateur afin qu’il élabore une réglementation conforme à la Constitution.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Notre Constitution fédérale, du point de vue des droits fondamentaux, contient pour l’essentiel une protection des droits équivalente aux dispositions internationales. Ainsi pour ne citer que quelques exemples :

  • l’article 7 de la Constitution protège la dignité humaine ; le respect de la dignité humaine figure dans de nombreux traités internationaux, souvent en préambule, par exemple dans la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ou dans les deux pactes ONU;
  • l’article 8 de la Constitution garantit l’égalité de traitement et l’interdiction de discrimination ; en droit international, l’art. 14 CEDH, les art. 2, 3 et 26 Pacte ONU II également;
  • l’article 13 de la Constitution protège la sphère privée ; en droit international, ce droit est garanti par les articles 8 CEDH et 17 Pacte ONU II;
  • l’article 14 de la Constitution garantit le droit au mariage et à la famille ; les art. 12 CEDH et 23 II du Pacte ONU II garantissent aussi le droit au mariage et y incluent explicitement le droit de fonder une famille.

Les arrêts du Tribunal fédéral font d’ailleurs fréquemment référence aux dispositions internationales parallèlement à celles de la Constitution.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Il est renvoyé aux réponses précédentes.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Selon la loi sur le Tribunal fédéral, le recours peut notamment être formé tant pour violation du droit fédéral que du droit international [7]. Par droit

[8]. Art. 95 let. a et b LTF ; voir aussi art. 189 al. 1 let. a et b de la Constitution fédérale.

fédéral, il faut entendre toutes les règles de droit émanant d’une autorité de la Confédération. Le droit fédéral inclut les droits constitutionnels, c’est-à dire selon la jurisprudence, les droits et libertés découlant de la Constitution fédérale, de la CEDH, du Pacte ONU II ou d’une constitution cantonale, pour autant que la norme soit aussi conçue dans l’intérêt des particuliers et qu’elle soit suffisamment précise pour qu’on puisse en déduire un droit en justice [9].

En ce qui concerne le droit international, dans la mesure où les traités internationaux ratifiés font partie intégrante du droit suisse, leur violation peut être invoquée devant le Tribunal fédéral. Cependant, selon la jurisprudence, seules peuvent être invoquées les dispositions qui sont directement applicables [10]. Pour trancher la question, il faut examiner si la disposition du droit international a un contenu normatif suffisamment dense et précis et que les particuliers peuvent en déduire directement un droit susceptible d’être invoqué en justice. Pour décider du caractère directement applicable ou non, les tribunaux recourent principalement à une interprétation systématique, téléologique et historique.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Il est renvoyé aux réponses à la 2e question du 2.5. ci-dessous.


  • [1]
    Art. 138 et 139 de la Constitution fédérale.  [Retour au contenu]
  • [2]
    FF 1996 I 1305 – http://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/1996/index.html.  [Retour au contenu]
  • [3]
    FF 1997 I 369.  [Retour au contenu]
  • [4]
    ATF 133 II 305 du 4 septembre 2007, consid. 5.  [Retour au contenu]
  • [5]
    À titre d’exemple, ATF 136 II 241du 26 janvier 2010 cité dans le rapport de gestion 2010 du Tribunal fédéral : http://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherit-template/federal-publikationen/federal-pub-geschaeftsbericht.htm  [Retour au contenu]
  • [6]
    ATF 135 I 233 du 26 mai 2009, consid. 3.2.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Art. 95 let. a et b LTF ; voir aussi art. 189 al. 1 let. a et b de la Constitution fédérale  [Retour au contenu]
  • [8]
    Art. 95 let. a et b LTF ; voir aussi art. 189 al. 1 let. a et b de la Constitution fédérale  [Retour au contenu]
  • [9]
    ATF 137 I 77 du 2 février 2011, consid. 1.3 (résumé en français au JdT 2011 I 243).  [Retour au contenu]
  • [10]
    ATF 136 I 297 du 31 août 2010, consid. 8.1 (résumé en français à la RDAF 2011 I 522).  [Retour au contenu]
5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Outre ce qui a été développé sous réponse aux 2e et 3e questions du 2.3. et c), il faut souligner à nouveau que le Tribunal fédéral fait, fréquemment et expressément, référence à des conventions internationales dans sa jurisprudence, en particulier à la CEDH, aux pactes ONU I et II. Il mentionne également de nombreux autres textes [1].

Relevons en outre que le Tribunal fédéral se réfère aux normes de droit international dont les recourants se prévalent dans leurs écritures, même si ces derniers ne peuvent pas en déduire des droits. Il arrive en effet souvent aux juges fédéraux de rappeler aux intéressés que certaines dispositions internationales ne confèrent pas aux particuliers de droits subjectifs susceptibles d’être invoqués en justice. À titre exemplatif, le Tribunal fédéral a rappelé que l’art. 9 Pacte ONU I, qui fixe le principe d’un droit pour toute personne à la sécurité sociale, a une portée très générale qui ne saurait fonder concrètement le droit à une prestation d’assurance donnée (norme de type programmatique non directement contraignante) [2].

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Il sied de citer ici le cas de l’art. 121 al. 3 à 6 de la Constitution fédérale, modifié en 2010 suite à l’adoption d’une initiative populaire qui visait à ce que les étrangers condamnés pour certains délits, ou ayant perçu abusivement des prestations de sécurité sociale, soient privés de leur droit de séjourner en Suisse, expulsés et frappés d’une interdiction d’entrée sur le territoire suisse pour une période allant de 5 à 15 ans. Cette modification ne fait cependant aucune différence entre les infractions graves et moins graves et exclut une pesée des intérêts qui tienne compte des circonstances du cas particulier. Cette nouvelle norme constitutionnelle entre dès lors en contradiction avec le droit international public, soit notamment avec l’art. 8 CEDH, l’art. 17 Pacte ONU II, l’art. 5 annexe I ALCP et la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant. Le Tribunal fédéral a estimé que cette norme n’était pas directement applicable, qu’elle nécessitait une transposition par le législateur. Selon les considérants de cet arrêt, la norme ne primait pas sur les droits fondamentaux ou les garanties de la CEDH et il y a lieu de tenir compte des jugements de valeur exprimés par le constituant dans la mesure où cela n’entre pas en contradiction avec le droit supérieur ni en conflit avec la marge d’appréciation que confère la Cour européenne des droits de l’homme aux États contractants dans la mise en œuvre de leur politique de contrôle de la migration et des étrangers [3].

On peut citer également le cas [4] dans lequel les juges fédéraux ont été amenés à examiner si un régime cantonal de déductions forfaitaires concernant un contribuable imposé à la source respectait le principe d’égalité de traitement tel que contenu dans l’ALCP. Se référant à la jurisprudence communautaire, ils sont arrivés à la conclusion que ce régime violait le principe de non-discrimination prévu par l’ALCP (art. 2 ALCP et 9 al. 2 annexe I ALCP), lequel est directement applicable et l’emporte sur les dispositions contraires des lois fédérales et cantonales. Le recourant devait donc se voir appliquer le même régime de déductions fiscales que les contribuables soumis au régime d’imposition ordinaire.

Peut encore être cité l’arrêt du Tribunal fédéral [5] dans lequel une citoyenne binationale souhaitait porter uniquement le prénom de son mari comme nom de famille, conformément aux règles du droit sri lankais, en lieu et place du nom de famille acquis par le mariage. Dans cet arrêt, se pose la question (non résolue) de la primauté du droit fédéral et de sa compatibilité avec la CEDH.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

La Suisse doit tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en vertu de l’art. 46 par. 1 CEDH. L’art. 16 par. 2 de l’ALCP prévoit que « dans la mesure où l’application du présent accord implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes [6] antérieure à la date de sa signature [7]. La jurisprudence postérieure à la date de la signature du présent accord sera communiquée à la Suisse ».

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Cour européenne des droits de l’homme

La CEDH et la jurisprudence des organes de Strasbourg exercent une influence majeure sur la jurisprudence du Tribunal fédéral. Suite à la ratification de la CEDH par la Suisse en 1974, la Convention des droits de l’homme a été rapidement intégrée par la jurisprudence du Tribunal fédéral et a ainsi été répandue et reconnue dans toute la Suisse. Le Tribunal fédéral a aligné sa jurisprudence constitutionnelle sur les droits fondamentaux de la CEDH, en tant que droit directement applicable, et sur la jurisprudence des organes de Strasbourg et les a adaptés en fonction des besoins nationaux. Le Tribunal fédéral s’est toujours efforcé de rendre des décisions en concordance avec la CEDH. C’est ainsi qu’aujourd’hui les questions importantes des droits de l’homme sont toujours traitées en tenant compte du droit constitutionnel national et des garanties de la CEDH. Le Tribunal fédéral a par exemple examiné [8] la question des conditions de détention au sein d’une prison au regard notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il a jugé que l’occupation d’une cellule d’une surface brute de 23 m2 par six détenus – alors qu’elle est prévue pour trois – peut constituer une violation du principe de la dignité humaine si elle s’étend sur une période approchant les trois mois consécutifs et si elle s’accompagne d’autres carences, comme le confinement en cellule 23h sur 24h. Tel n’est en revanche pas le cas lors de l’occupation d’une cellule d’une surface brute de 12 m2 par trois détenus (admission partielle du recours et constatation de l’illicéité des conditions de détention du recourant pendant 157 jours consécutifs).

Cour de justice de l’Union européenne

La juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne est obligatoire pour les États membres et sa jurisprudence s’impose à ceux-ci. La Suisse n’étant pas membre de l’Union Européenne, les arrêts du Tribunal fédéral ne peuvent cependant pas être examinés par la Cour de justice de l’Union européenne. Il a été expliqué sous réponse à la 3e question du 2.5. dans quelle mesure la Suisse doit tenir compte de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes pour la période antérieure à la signature de l’ALCP.

Pour la période postérieure à la signature de l’Accord, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est en principe prise en compte par le Tribunal fédéral pour assurer le parallélisme du système qui existait au moment de la signature de l’ALCP et tenir compte de l’évolution de la jurisprudence de l’Union européenne [9]. Il est en effet dans l’intérêt de la Suisse que les mêmes dispositions aient le même sens dans l’ensemble des accords bilatéraux. Comme l’Union européenne couvre un domaine spatial et personnel beaucoup plus grand que la Suisse, la jurisprudence du Tribunal fédéral établie depuis des années est en effet de tenir compte, dans la mesure du possible, du développement de la jurisprudence de Luxembourg dans les domaines couverts par les accords bilatéraux. On peut citer par exemple, l’arrêt du Tribunal fédéral [10] par lequel il a été décidé que le droit au regroupement familial s’étendait aussi aux beaux-enfants ayant la nationalité d’un État tiers, en vue d’assurer une situation juridique parallèle entre les États membres de la Communauté européenne et entre ceux-ci et la Suisse, en particulier par analogie avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [11] et en raison de l’approche systématique du contexte.

Ainsi les juges fédéraux s’alignent en règle générale sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Toutefois, le Tribunal fédéral a déclaré se réserver la possibilité de s’écarter de l’interprétation donnée par cette cour aux règles de l’Union européenne pertinentes en cas de motifs sérieux [12].

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques. L’interprétation conforme au droit international est un aspect important de la méthode dite de l’interprétation systématique. Elle constitue une obligation visant à concilier le droit international et le droit interne (art. 5 al. 4 de la Constitution). À l’instar de l’interprétation conforme à la Constitution en ce qui concerne le droit interne, elle a donc pour fonction d’harmoniser les normes juridiques internes et internationales. Il ne s’agit pas d’une règle destinée à résoudre les conflits entre de telles normes, mais au contraire d’une règle destinée à prévenir ceux-ci [13]. Dans son arrêt évoqué sous réponse à la 2e question du 2.5., le Tribunal a notamment fait usage de cette méthode d’interprétation [14].


  • [1]
    Dont notamment l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP, RS 0.142.112.681), la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant (RS 0.107), etc.  [Retour au contenu]
  • [2]
    ATF 139 I 257 du 23 septembre 2013, consid. 6.  [Retour au contenu]
  • [3]
    ATF 139 I 16 du 12 octobre 2012, consid. 4 et 5.  [Retour au contenu]
  • [4]
    ATF 136 II 241 du 26 janvier 2010, consid. 12 à 16 : ce système spécial d’imposition s’appliquait, d’une part, aux travailleurs étrangers domiciliés ou en séjour en Suisse qui n’avaient pas de permis d’établissement et, d’autre part, aux travailleurs employés en Suisse qui étaient domiciliés à l’étranger, comme par exemple les frontaliers. Contrairement à l’imposition ordinaire, l’imposition à la source ne permettait pas une déduction des frais professionnels effectifs, mais uniquement des déductions forfaitaires.  [Retour au contenu]
  • [5]
    ATF 136 III 168 du 25 janvier 2010, consid. 3.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Ancien nom de la Cour de justice de l’Union européenne.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Le 21 juin 1999.  [Retour au contenu]
  • [8]
    ATF 140 I 125 du 26 février 2014, consid. 3.  [Retour au contenu]
  • [9]
    ATF 136 II 5 du 29 septembre 2009, consid. 3.4.  [Retour au contenu]
  • [10]
    ATF 136 II 65 du 5 janvier 2010, consid. 3 et 4.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Arrêt du 17 septembre 2002 C-413/99 (Baumbast et R).  [Retour au contenu]
  • [12]
    ATF 139 II 393 du 22 mars 2013, consid. 4.1.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010, La relation entre droit international et droit interne, p. 42.  [Retour au contenu]
  • [14]
    ATF 139 I 16 du 12 octobre 2012, consid. 4 et 5.  [Retour au contenu]

Conseil constitutionnel du Tchad

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statut de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Oui. Le rang normatif est assuré par les dispositions de l’article 161 de la Constitution relatif aux compétences du Conseil (contrôle de constitutionnalité, contentieux électoral, réception du serment du président de la République, fonction de régulation, etc.).
Son efficacité juridique est garantie est par l’article 169 qui dispose que « ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles ».

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Non, pas vraiment.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Oui, il est prévu que les dispositions de la Constitution peuvent être précisées et complétées par des lois organiques (Article 121, dernier alinéa).
Une telle loi est obligatoirement déférée au Conseil constitutionnel par le président de la République avant sa promulgation qui ne peut intervenir qu’après la déclaration de conformité par le Conseil (article 127).

Outre les lois organiques qui fixent notamment les statuts des principales institutions étatiques, la Constitution prévoit également des lois de programme (qui déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’État : article 128) et les lois de finances qui déterminent les ressources et les charges de l’État (article 129).
Enfin, sans que cela soit formellement prévu, la pratique constitutionnelle a engendré des « lois constitutionnelles ».

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Il fait partie intégrante de la Constitution

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Oui.

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Non, pas spécialement.

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Aucune.

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Oui, elle y contribue.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Non, elle n’est pas souvent modifiée, et elle ne l’a pas été en réaction à une décision du Conseil.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Oui.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Le président de la République, qui a seul le pouvoir de déférer une loi organique avant sa promulgation, en plus de son pouvoir de saisine ordinaire en vue d’un contrôle ou d’un avis.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Elle procède de l’article 169 qui dispose que les décisions du Conseil ne sont susceptibles d’aucun recours. Son autorité jurisprudentielle est incontestée.

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Non, la question ne se pose pas.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Non.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

La Constitution.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Pas totalement, et le Conseil souhaiterait être doté du pouvoir d’auto-saisine afin de jouer plus efficacement son rôle de protecteur des droits.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

L’examen de la conformité des textes soumis au contrôle.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Non, pas spécialement.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Ceux-ci n’ont pas varié ; néanmoins, ils permettent d’assurer de façon effective le respect de la norme suprême.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Aucune.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statut des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Oui.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

La primauté signifie que la Constitution est au-dessus de toutes les autres normes.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Oui.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Ni l’une ni l’autre.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Aucune.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Néant.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Non, c’est l’inverse qui est prévu.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Non, aucun.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Non.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Nous n’en avons rencontré aucune.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Néant.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Néant.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

Oui, parce que la Constitution reconnaît aux dispositions internationales ratifiées, une « autorité supérieur aux normes nationales », sous réserve de réciprocité (article 221).

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Non.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Cas non avéré.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Cas non avéré.

5. Influences sur la jurisprudence

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Oui.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Néant.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Néant.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Possible, mais pas avéré.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.

Cour constitutionnelle du Togo

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statue de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif

Non.

Et son efficacité juridique ?

Efficacité juridique (voir article 104 alinéa 1 de la Constitution).

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, droits, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Non.

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ?

Oui.

Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

Les lois organiques pour compléter.
Les lois constitutionnelles pour modifier (voir article 144 de la Constitution).

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Oui (voir le préambule de la Constitution dernier tiret).

Quelle est sa nature juridique ?

Valeur constitutionnelle.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Oui (voir article 50 de la Constitution).

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Oui (voir article 50 de la Constitution).

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

Respect du principe de réciprocité (voir article 140 de la Constitution).

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

Non.

La Constitution est-elle souvent modifiée ?

Non.

A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

Non.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Oui (article 139 de la Constitution).

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Oui.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Oui.

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ?

Président de la République (voir article 58 de la Constitution).

Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Indépendant.

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ?

les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles (article 106 de la Constitution).

Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ?

Oui.

L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Oui.

3. Étendue de la garantie de la constitutionnalité

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ?

Oui.

Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

Oui.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

Les Actes uniformes de l’OHADA.
Les règlements communautaires.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ?

Non.

En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Élargir la saisine.

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Voie d’interprétation classique, stricte.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

Non.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ?

Évolution positive.

Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Oui.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontré, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

Aucune difficulté.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statue des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Non.

Quelle signification retenez-vous de la primauté ?

Supériorité sur les normes de droit interne à l’exception de la Constitution.

Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

Non.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

Oui.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

Conception moniste.

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Prise en compte des normes internationales régulièrement ratifiées.

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Droit de l’homme.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Oui.

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Oui (voir le préambule de la Constitution et l’article 50 de la Constitution).

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Oui (voir le préambule de la Constitution et l’article 50 de la Constitution). Sans objet.

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les nomes internationales ?

Non.

Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Non.

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Pas d’expérience.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

Sans objet.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ?

Oui.

Quels domaines présentent une différence de protection ?

Aucun.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Sans objet.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Non.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Pas de jurisprudence.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Oui.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Non.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Pas de jugement.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ?

Oui.

Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Sans objet.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ?

Oui.

Veuillez donner des cas typiques.

En matière de la loi organique relative aux lois de finances ;
Référence est faite aux règlements de l’UEMOA.

III. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.

Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois de Tunisie

I. Suprématie de la Constitution dans l’ordre interne – Effectivité de la suprématie

1. Statue de la constitution et hiérarchie des normes

La Constitution contient-elle une disposition déterminant son rang normatif et son efficacité juridique ?

Il découle de la création d’une instance provisoire (IPCCL) puis défi nitive (Cour constitutionnelle) de contrôle de la constitutionnalité des lois en Tunisie la consécration par la Constitution du 27 janvier 2014 de la prévalence des dispositions constitutionnelles sur les autres sources de droit positif, ainsi que l’effectivité de cette suprématie grâce au contrôle ainsi organisé.
Selon l’article 2 de la Constitution du 27 janvier 2014 :
« La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit ».
L’alinéa 2nd du même article ajoute que « Cet article ne peut faire l’objet d’aucun e révision ».
Dans le même ordre d’idée, l’article 20 de la Constitution évoque implicitement la place de la Constitution dans l’ordre juridique interne en indiquant que : « Les traités approuvés par l’Assemblée des représentants du peuple et ratifiés ont une autorité supra-législative et infra-constitutionnelle ».

La Constitution a-t-elle élaboré une quelconque échelle de prévalence entre les différents types de normes constitutionnelles (valeur, principes, pouvoirs, garanties, etc.) ? Veuillez, le cas échéant, citer des cas en élucidant l’idée sous-jacente.

Il existe dans la Constitution un certain nombre d’articles « intangibles », c’est-à-dire qui ne sont susceptibles d’aucune forme de modification/révision, fût-elle référendaire. C’est notamment le cas des articles suivants qui l’indiquent clairement selon la formule « Cet article ne peut faire l’objet d’aucune révision » figurant à la fin de leur dispositif :
Article 1er : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la République ».
Article 2 : « La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit ».
Selon l’article 49 in fi ne : « Aucune révision ne saurait porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés garantis par la présente Constitution ».
En outre, l’Article 75 in fi ne dispose que : « Le nombre et la durée des mandats présidentiels ne peuvent faire l’objet d’aucune révision à la hausse ».
Quant à l’article 144, il prévoit expressément ce qui suit : « Toute initiative de révision de la Constitution est soumise pour avis à la Cour constitutionnelle par le Président de l’Assemblée des représentants du peuple, afin de vérifier qu’elle ne porte pas sur des matières dont la révision est interdite par la Constitution ».

La Constitution a-t-elle donné lieu à des normes qui la complètent ou la modifient ? Veuillez les énumérer tout en explicitant leur mode opératoire, leur régime juridique et les difficultés rencontrées.

La Constitution du 27 janvier 2014 a prévu, dans un certain nombre de cas, le renvoi au législateur, chargé d’intervenir par des lois organiques pour compléter ses dispositions. À l’heure actuelle (juin 2015), seules certaines lois organiques, appelées à mettre en œuvre la Constitution, ont été adoptées.
C’est notamment ainsi qu’a été adoptée la loi organique n° 2014-14 du 18 avril 2014 relative à l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois (IPCCL) qui tient lieu de Cour constitutionnelle jusqu’à la mise en place de celle-ci, elle-même appelée à être établie par une loi organique en cours d’élaboration.
Ultérieurement, a été adoptée la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014 relative aux élections et aux référendums, qui a mis en œuvre les dispositions constitutionnelles relatives au droit de voter et de se porter candidat aux élections, étant précisé que certaines dispositions de ce texte ont fait l’objet de recours devant l’IPCCL.

Plus tard encore, a été adoptée la loi organique n° 2014-17 du 12 juin 2014, portant dispositions relatives à la justice transitionnelle concernant des événements survenus entre le 17 décembre 2010 et le 28 février 2011 et venant compléter la loi organique n° 2013-53 relative à l’instauration de la justice transitionnelle et à son organisation qui a mis en place l’« Instance vérité dignité » (texte adopté avant la Constitution du 27 janvier 2014, mais faisant partie des dispositions qui la complètent par le biais de la loi organique n° 2014-17 qui s’y réfère et parce que le point 9 de l’article 148 de la Constitution dispose ce qui suit : « 9. L’État s’engage à appliquer le système de la justice transitionnelle dans tous les domaines prévus par la loi et conformément aux délais prescrits par la législation qui s’y rapporte. Il n’est pas possible dans cette perspective de se prévaloir de la non rétroactivité des lois, de l’existence d’une amnistie antérieure, de l’autorité de la chose jugée ou de la prescription d’une infraction ou d’une sanction »).

Le préambule fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ? Quelle est sa nature juridique ?

Le préambule fait partie du « bloc de constitutionnalité », puisque l’article 145 de la Constitution du 27 janvier 2014 dispose expressément ce qui suit : « Le préambule fait partie intégrante de la présente Constitution ». On en déduit qu’il a la même valeur que le dispositif de la Constitution.
En outre, l’article 146 du même texte dispose que : « Les dispositions de la présente Constitution sont comprises et interprétées de manière indissociable comme un tout harmonieux », ce qui veut dire qu’en interprétant les dispositions constitutionnelles, on ne doit pas s’arrêter à chacune d’entre elles prises isolément, mais les lire d’une manière combinée et se référer au préambule le cas échéant.

Existe-t-il des normes de droit interne supérieures à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

Le droit international fait-il formellement partie du « bloc de constitutionnalité » ?

Formellement Non.

Néanmoins, l’attachement des constituants « aux principes universels des droits de l’homme » (préambule) semble pouvoir être interprété comme une référence aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment ceux ayant été ratifiés par la Tunisie, ce qui pourrait permettre de les intégrer dans le « bloc de constitutionnalité ».

Certaines sources internationales bénéficient-elles d’une place particulière ou d’un statut spécifique au sein de la Constitution ? Veuillez l’expliquer.

Formellement, aucune source internationale ne bénéficie d’un statut spécifique au sein de la Constitution.
Néanmoins, l’article 5 de la Constitution énonce expressément ce qui suit : « La République tunisienne fait partie du Maghreb arabe, œuvre à la réalisation de son unité et prend toutes les mesures nécessaires à sa concrétisation ».

Quelles sont les limites constitutionnelles à l’intégration de l’État dans un ordre international ?

La souveraineté de l’État dans le cadre d’un régime républicain (articles 1 et 2 de la Constitution) fait partie des dispositions « intangibles » du texte constitutionnel, c’est-à-dire celles qui ne sont susceptibles d’aucune révision, ce qui semble indiquer que toute participation de l’État à un quelconque projet supra-national ne saurait se faire en vertu d’un abandon de souveraineté, et ce, même si le préambule de la Constitution évoque la volonté des constituants d’œuvrer « à renforcer l’Union maghrébine en tant qu’étape vers la réalisation de l’Unité arabe, la complémentarité avec les peuples musulmans et africains et la coopération avec les peuples du monde ».

La stabilité de la Constitution est-elle, selon vous, un élément de sa suprématie ?

La suprématie de la Constitution ne dépend pas forcément de sa stabilité, dans toute la mesure où elle est susceptible d’évoluer en fonction des tendances sociopolitiques et économique du pays et que la révision est organisée par la Constitution elle-même (chapitre VIII, articles 143 et 144). Néanmoins, si les constituants ont jugé pertinent d’insister sur certains principes constitutionnels « non révisables », il est probable que dans leur esprit, primauté de la Constitution et stabilité d’un « noyau dur » constitutionnel vont de pair. Il semblerait, par ailleurs, qu’il existe un accord politique non écrit (consensus) impliquant une absence de révision de la Constitution adoptée en janvier 2014 pendant au moins 5 ans.

La Constitution est-elle souvent modifiée ? A-t-elle été modifiée en réaction à une décision de la Cour ?

À l’heure actuelle (juin 2015), la Constitution n’a pas encore été modifiée.

Les traités internationaux peuvent-ils conduire à modifier la Constitution ?

Ce cas de figure n’est pas prévu par le texte constitutionnel mais il est possible de l’envisager – de manière implicite – à travers l’intervention obligatoire de la Cour constitutionnelle préalablement à la promulgation des traités par le président de la République (art 120, alinéa 4). En effet, dans le cadre de la procédure d’intégration des traités en droit interne, une vérifi cation préalable de leur absence de contradiction avec le texte suprême du pays est prévue par la Constitution, ce qui pourrait aboutir à ce que la Cour constitutionnelle propose une révision de la Constitution, si elle est possible ou constate une éventuelle contradiction avec les articles « intangibles » (ne pouvant pas faire l’objet d’une révision) et en informe en conséquence les autorités compétentes.

2. Appréciation de l’effectivité

La suprématie de la Constitution en droit interne est-elle effective ?

Globalement oui.
Cependant, les dispositions transitoires de la Constitution commencent à être manipulées/malmenées par l’ARP. En effet, il était prévu (article 148, point 5 de la Constitution) de mettre en place le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dans un délai de 6 mois à compter des premières élections législatives (qui ont eu lieu le 26 octobre 2014 et dont les résultats défi nitifs ont été proclamés le 21 décembre, ce qui porte la date butoir au plus tard au 21 mai 2015) et la mise en place de la Cour constitutionnelle dans le délai d’un an à compter de ces élections (sachant que la mise en place de la Cour constitutionnelle est tributaire de la mise en place du CSM qui doit désigner 4 membres sur 12, les 8 autres étant appelés respectivement à être désignés par le président de la République et l’ARP). Il a été annoncé le 14 avril 2015 dans les médias que ces délais (constitutionnels) étaient simplement « indicatifs », alors que les autres délais constitutionnels prévus par le même article 148 de la Constitution avaient été respectés jusque-là, notamment en ce qui concerne la mise en place de l’IPCCL et la tenue des élections législatives et présidentielles.
Article 148 – alinéa 5 – chapitre 10 – Dispositions transitoires : Le Conseil supérieur de la magistrature est mis en place dans un délai maximal de six mois à compter de la date de la première élection législative. La Cour constitutionnelle est mise en place dans un délai maximal d’une année à compter de cette élection.
Le 14 avril 2015, le président de l’ARP, Mohamed Ennaceur a déclaré à la presse que le bureau de l’ARP et la Commission parlementaire de la législation générale ont indiqué que le délai de l’article 148 de la Constitution avait été fixé « à titre indicatif », qu’il n’était « pas obligatoire » et que son « dépassement » n’était pas sujet à des « sanctions pénales ». Grâce à cet arrangement, l’ARP se donne tout le temps nécessaire pour examiner le projet de loi sur le Conseil supérieur de la magistrature.

La présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), Mme Raoudha Laabidi, a estimé que cette interprétation était contraire à la Constitution.
Le président de l’ARP a demandé l’avis du Tribunal administratif à ce sujet et ce dernier lui a répondu le 20 avril 2015, mais n’avait pas encore été rendu public à l’échéance du 27 avril 2015.

La place de la Constitution est-elle unanimement reconnue par les autres institutions et juridictions nationales ?

Globalement oui.
Cependant, des « arrangements » politiques continuent à avoir lieu (voir réponse à la question précédente).

La légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois est-elle aujourd’hui contestée ?

Non.

Quelles autres autorités garantissent le respect de la Constitution ? Quels sont leurs rapports avec la Cour ?

Selon l’article 102 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire est indépendant et garantit l’instauration de la justice, la primauté de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés »
Les tribunaux des deux ordres juridictionnels qui existent dans le pays (l’ordre judiciaire et l’ordre administratif) n’ont aucun lien organique avec la Cour constitutionnelle qui ne constitue pas leur cour suprême. En revanche, ils sont tenus de lui transmettre les exceptions d’inconstitutionnalité éventuellement soulevées devant eux « à la demande de l’une des parties à un litige, dans les cas et selon les procédures défi nies par la loi » (article 120, alinéa 5 de la Constitution).

Comment l’autorité des décisions de votre Cour est-elle organisée en droit positif (source, qualification, portée…) ? Une autorité jurisprudentielle est-elle reconnue, en droit ou en fait, aux décisions de votre Cour ? L’autorité des décisions de la Cour est-elle correctement respectée ?

Selon l’article 121 de la Constitution : « Les arrêts de la Cour prononcent la constitutionnalité ou l’inconstitutionnalité des dispositions ayant fait l’objet du recours, ils sont motivés et s’imposent à tous les pouvoirs publics et font l’objet d’une publication au Journal officiel de la République tunisienne ».
L’article 122 de la Constitution prévoit pour sa part que le projet de loi inconstitutionnel est renvoyé au président de la République qui le transmet à l’Assemblée des représentants du peuple pour une deuxième lecture et une modification conforme à l’arrêt de la Cour constitutionnelle. L’article 122 de la Constitution ajoute que « le président de la République renvoie le projet de loi à la Cour constitutionnelle avant promulgation, pour un examen de sa constitutionnalité ». L’alinéa second du même article indique, en outre, qu’en cas d’adoption par l’Assemblée des représentants du peuple d’un projet de loi amendé suite à son renvoi, dont la Cour aurait précédemment confirmé la constitutionnalité ou qu’elle aurait transmis au président de la République sans s’être prononcée pour cause d’expiration des délais : « le projet est impérativement soumis par le président de la République à la Cour constitutionnelle avant promulgation ».
En outre, lorsqu’elle est saisie d’une exception d’inconstitutionnalité, la Cour doit se limiter « à examiner les moyens invoqués, sur lesquels elle statue dans un délai de trois mois, renouvelable pour une même période une seule fois et sur la base d’une décision motivée de sa part » (article 123 de la Constitution). Si elle prononce l’inconstitutionnalité de la disposition invoquée dans le cadre d’un recours en exception d’inconstitutionnalité, l’application de ladite disposition est « suspendue dans les limites de ce qui a été décidé par la Cour » (article 123, alinéa 2 de la Constitution).

3. Étendue de la garantie de la constitution

La jurisprudence constitutionnelle a-t-elle reconnu l’existence d’un « bloc de constitutionnalité » ? Quels sont les principes, les normes et les sources qui intègrent ledit bloc ? Veuillez l’expliquer.

Le « bloc de constitutionnalité » issu de la nouvelle Constitution de 2014 intègre très certainement le préambule de ce texte et doit être compris et interprété « en harmonie, comme un tout indissociable » (articles 145 et 146). Ceci permet notamment d’y intégrer « les enseignements de l’Islam et de ses finalités caractérisées par l’ouverture et la modération », tout comme les « nobles valeurs humaines » et « les principes universels des droits de l’homme »…

Dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation, est-ce que votre Cour se réfère, en plus de la Constitution et des lois organiques, à d’autres normes qui font partie aussi de ce qui est communément appelé « bloc de constitutionnalité » ?

D’un point de vue concret, la « jurisprudence » constitutionnelle en vertu de la Constitution de 2014 est encore peu fournie. Toutefois, lorsque l’IPCCL a eu à examiner le projet de loi de finances pour l’année 2015, elle s’est référée à la loi organique du budget (loi n° 67-53 du 8 décembre 1967) toujours en vigueur à l’heure actuelle, afin d’identifier d’éventuels cavaliers budgétaires.

Quelles normes/compétences échappent au contrôle de la Cour ? Quelles sont les limites de son contrôle ?

La Constitution ne confère pas explicitement à la Cour constitutionnelle une compétence pour se référer aux instruments internationaux et s’il semble

possible d’intégrer dans l’appréciation de la Cour l’examen des accords appelés à être intégrés en droit interne avant leur ratification, ainsi que les accords déjà intégrés dans toute la mesure où « Les traités approuvés par l’Assemblée des représentants du peuple et ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois et inférieure à celle de la Constitution » (article 20 de la Constitution) ; les instruments qui n’ont été ni signés ni ratifiés échappent en principe à son examen.
Il n’existe pas de limite constitutionnelle au contrôle de la Cour constitutionnelle visant à vérifier la conformité des lois internes à la Constitution.

Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont-ils suffisamment efficaces (garantie des droits) ? En quoi ce contrôle est-il perfectible pour garantir l’effectivité des droits constitutionnels ?

Il existe un double contrôle de constitutionnalité appelé à être exercé par la Cour constitutionnelle et organisé par la Constitution du 27 janvier 2014, à savoir un contrôle a priori, complété par un contrôle a posteriori susceptible d’aboutir à suspendre pour l’avenir l’application de la disposition objet du recours en exception d’inconstitutionnalité (article 123 de la Constitution).

Quelles sont les méthodes d’interprétation adoptées par votre Cour lors de son contrôle de constitutionnalité ?

Dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité, la Cour doit en principe se référer à la lettre et à l’esprit du texte constitutionnel, considéré comme un « tout » indivisible (préambule compris). Elle peut se référer aux travaux préparatoires de l’Assemblée nationale constituante pour éclairer certains aspects.

La Cour a-t-elle progressivement renforcé son contrôle ? Comment ? Veuillez donner des cas typiques.

D’un point de vue formel, la Cour constitutionnelle telle que créée par la Constitution du 27 janvier 2014 (articles 118 à 124) n’a pas encore vu le jour, car sa mise en place est tributaire non seulement de l’élection des corps constitués (qui a eu lieu respectivement entre octobre et décembre 2014 pour ce qui est de l’Assemblée des représentants du peuple et du président de la République) appelés à désigner chacun 4 membres de la future Cour constitutionnelle, mais encore de la formation du nouveau Conseil supérieur de la magistrature (régi par les articles 112 à 114 de la Constitution), dont la loi organique doit être adoptée… Lui aussi appelé à désigner les 4 autres membres (en tout 12 membres).
En attendant, c’est l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois (IPCCL), créée par l’article 148, alinéa 7 de la Constitution et organisée par la loi n° 2014-14 du 18 avril 2014 qui joue le rôle de juridiction constitutionnelle uniquement chargée « du contrôle de la constitutionnalité des projets de lois », ce qui exclut les autres compétences appelées à être exercées par la Cour elle-même.
À ce jour, elle a été saisie de 9 projets de lois, dont la loi électorale et la loi de finances pour 2015, sur lesquels elle s’est prononcée. Elle a également eu à vérifier la conformité à la Constitution d’un projet de loi ayant fait l’objet d’une deuxième lecture faisant suite à sa décision (projet de loi sur la production d’électricité à partir des énergies renouvelables) et a constaté la constitutionnalité des nouveaux articles.

Comment analysez-vous l’évolution des pouvoirs jurisprudentiels de votre Cour ? Considérez-vous que ceux-ci permettent d’assurer de façon satisfaisante et effective le respect de la Constitution ?

Tant que la Cour constitutionnelle n’a pas été mise en place, on ne peut pas vraiment parler d’évolution de ses pouvoirs jurisprudentiels. Pour sa part, l’IPCCL actuellement opérationnelle jusqu’à la mise en place de la véritable Cour, a été dotée de compétences moindres que celles dévolues à la future Cour constitutionnelle par la Constitution elle-même (article 148, alinéa 7 de la Constitution, précité) et, dans le cadre des recours qui lui ont été adressés, n’a pas tenté d’aller au-delà de ce qui était demandé.

Quelles difficultés votre Cour a-t-elle rencontrées, par le passé et/ou récemment, quant à l’effectivité de la Constitution (notamment les contradictions de jurisprudences) ?

La Cour constitutionnelle n’ayant pas encore commencé à exercer son contrôle, il n’est pas possible de répondre à cette question.
On peut cependant rappeler qu’il existait en Tunisie sous l’ancien régime un Conseil constitutionnel depuis 1997 et dont les avis, certes facultatifs, étaient néanmoins publiés régulièrement au JORT depuis 2004. Cet organe a tenté de remplir une mission régulatrice et l’examen de ses avis pourrait être éclairant, bien qu’adoptés dans le cadre de l’ancienne Constitution du 1er juin 1959.

II. Suprématie de la Constitution et internationalisation du droit – Rapports de systèmes et influences internationales sur la Constitution

1. Statue des normes internationales dans la hiérarchie des normes

La Constitution prime-t-elle sur les normes de droit international ?

Oui.

La Constitution prime sur le droit international.
On note le passage vers une attitude respectueuse du droit international :
Les deux premiers projets de Constitution prévoyaient que le respect des engagements internationaux de la Tunisie devrait être conditionné par la conformité desdits engagements au droit interne. Cette attitude était en contradiction avec la ratification (1971) par la Tunisie de la Convention de Vienne sur le droit des traités, dont l’article 27 dispose ce qui suit « une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ».
Dans le troisième projet de Constitution et surtout dans la quatrième version, la formulation a évolué, le Comité de rédaction ayant spécifié que les traités internationaux auraient un rang supra-législatif et infra-constitutionnel (article 20 de la Constitution) sachant que le quatrième projet se référait aux traités approuvés par l’Assemblée des représentants du peuple. En raison de l’équivoque et partant, du risque inhérent à une telle formulation, à savoir que les traités approuvés par les organes législatifs antérieurs n’auraient pas nécessairement joui du même statut juridique, la terminologie adoptée dans la version finale de la Constitution, en l’occurrence la référence aux traités approuvés par « l’Assemblée représentative » a levé l’équivoque, puisqu’elle couvre tous les organes législatifs, passés, présents et futurs…

Quelle signification retenez-vous de la primauté ? Distinguez-vous entre « primauté » (raisonnement hiérarchique déterminant les conditions d’édiction et de validité d’une norme) et « prévalence » (en tant que principe de résolution des conflits de norme) ?

La primauté implique la prévalence, sauf pour les normes impératives, mais l’attachement à la supériorité de la Constitution invite à nuancer cette affirmation.
Il existe une obligation pesant sur les États, qui consiste à harmoniser la législation interne avec les obligations internationales contractées. On peut alors avancer l’idée que la primauté du droit international serait effectivement observée, sans que l’on puisse pour autant parler de prévalence, ni d’ailleurs de primauté par rapport à l’ordre juridique interne lorsque celle-ci n’est pas affirmée. En effet, la mise en œuvre du principe de la primauté du droit international sur le droit interne est contrariée par les difficultés pratiques et juridiques rencontrées pour sanctionner le non-respect des règles de droit international par les règles de droit interne.

Considérez-vous qu’il existe un « droit constitutionnel international ou européen » ?

  • Il est permis de constater l’existence, à un stade embryonnaire, d’une « normativité constitutionnelle internationale » sans que l’on puisse véritablement affirmer l’existence d’un « droit constitutionnel international ».
  • S’agissant de l’existence d’un droit constitutionnel européen, une doctrine autorisée (J.P.- Cot) a établi l’existence légitime d’un processus constitutionnel européen. Le « code génétique » de l’intégration européenne, tel que le voulaient ses fondateurs, implique à terme l’existence d’un droit constitutionnel européen.

Votre cour retient-elle une conception moniste ou dualiste des rapports entre l’ordre interne et l’ordre externe ?

La Constitution tunisienne consacre un régime dualiste dans le cadre duquel les normes de droit international doivent passer par la procédure de la réception (ou transposition) en droit interne avant de pouvoir donner lieu à application. Les traités doivent notamment soumis à la Cour constitutionnelle par le Président avant leur promulgation. Une fois dûment approuvés, ils ont une autorité supérieure à celle des lois internes, mais inférieure à celle de la Constitution (article 20).

Existe-t-il des normes internationales de valeur supérieure à la Constitution (supra-constitutionnalité) ?

Non.

La jurisprudence constitutionnelle s’est-elle prononcée sur la valeur et la hiérarchie juridique des conventions et traités internationaux, surtout lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux ?

Non.

2. Influences sur le constituant

Quelles sont les influences internationales sur l’élaboration de la Constitution (lors de son élaboration ou révision) ?

Dans l’affirmative, quels domaines sont concernés ?

Lors de l’élaboration de la Constitution du 27 janvier 2014, de nombreux acteurs internationaux se sont engagés, notamment les organisations multilatérales et régionales telles que les Nations unies et l’Union européenne, ainsi que les gouvernements de divers pays et des organisations non gouvernementales.
Le processus constituant porte aussi inéluctablement l’empreinte des expériences comparées en matière d’élaboration de constitutions, conforté par l’influence de nombreux documents internationaux dont :

  • la « Note d’orientation du Secrétaire général sur l’assistance des Nations unies aux processus constitutionnels » ;
  • des documents largement disponibles tels que « Constitution-Making & Reform : Options for the process » ; « Practical Guide to the Constitution Building », etc.

Le domaine des droits de l’homme (consécration et protection) est particulièrement concerné.

3. Compétences de la cour

Votre cour contrôle-t-elle la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international ?

Formellement, aucun article de la Constitution ne donne compétence à la Cour constitutionnelle pour contrôler la conformité des lois (et/ou d’autres textes) aux normes de droit international.
Dans le passé, le Tribunal administratif tunisien (qui n’a pas non plus été investi par les textes d’une telle compétence) s’est prononcé à ce sujet le 21 mai 1996 dans l’affaire de la « Ligue tunisienne des droits de l’homme ». Il a alors affirmé qu’en application de la suprématie des traités, il convenait de faire prévaloir le Pacte des droits civils et politiques sur la loi organique du 2 avril 1992 complétant la loi du 7 novembre 1959 régissant les associations. La source d’inspiration du TA était la jurisprudence administrative (arrêt Nicolo) [1]

Votre cour applique-t-elle directement des instruments internationaux ? Dans l’affirmative, lesquels et sur quel fondement ?

Non.

Votre cour applique-t-elle des dispositions ayant une source ou origine internationale ? Dans l’affirmative, lesquelles et sur quel fondement ?

Le préambule de la Constitution (qui fait partie intégrante de cette dernière) évoque les « nobles valeurs humaines », les « principes universels des droits de l’homme », le « patrimoine civilisationnel hérité de notre Histoire et de notre mouvement réformiste éclairé fondé sur notre identité arabo-musulmane », « les acquis nationaux » et ceux des « civilisations humaines ».

4. Situations de conflits ou de concurrence

Quelles sont les situations de conflit entre la Constitution et les normes internationales ? Ces situations ne concernent-elles que les droits fondamentaux ?

Des situations de conflit peuvent surgir en la matière, surtout en ce qui concerne les droits fondamentaux.

Cela pourrait éventuellement se poser concernant le droit des femmes en matière de mariage avec des non-musulmans (par rapport à ceux des hommes) et pour ce qui est des questions d’héritage, et ce, en dépit de la levée de toutes les réserves à la CEDAW par la Tunisie depuis 2011.
En effet, la Cour d’appel de Tunis (arrêt n° 36737 du 26 juin 2014) a interprété l’article 1er de la Constitution de 2014 comme elle l’avait fait sous l’empire de la Constitution de 1959, sans tenir compte ni de la levée des réserves à l’alinéa 1er de l’article 16 de la CEDAW, ni du nouveau contexte entourant l’adoption de la Constitution de 2014, en arguant du fait que cet article n’avait subi aucune modifi cation et avait été « repris » tel quel et que les textes applicables antérieurement en la matière demeuraient valables, à savoir les articles 5, 14 et 88 du code du statut personnel et même une circulaire ministérielle de 1973 enjoignant aux juges d’annuler le mariage des tunisiennes musulmanes avec des non musulmans, qui se basait aussi sur l’article premier de la constitution de 1959.
Or, s’il est certes vrai que la Tunisie demeure « un État libre, souverain et indépendant, sa religion est l’islam, sa langue arabe, son régime la République » (art. 1) ; il convient peut-être désormais d’interpréter cette disposition à la lumière de l’article 2 selon lequel la Tunisie est aussi : « un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit », ces deux articles ayant en outre exactement la même valeur puisqu’ils incluent tous deux un second alinéa indiquant qu’ :« Il n’est pas permis d’amender cet article » ; sans oublier que l’article 6 garantit la liberté de conscience et de croyance, ainsi que le libre exercice des cultes…

Comment ces situations de conflits sont-elles résolues (règles de compétence, règles procédurales…) ?

Si des conflits apparaissent dans le cadre du contrôle a priori, la Cour constitutionnelle dispose en principe d’une compétence exclusive lui permettant de régler ces questions, car les traités lui sont obligatoirement soumis par le président de la République avant promulgation des lois d’approbation (article 120, alinéa 4 de la Constitution). Si des conflits apparaissent, la Cour pourrait proposer une révision de la Constitution lorsqu’il ne s’agit pas d’un article « intangible ».
Quant à la question de la conformité des « anciens » traités à la Constitution, surtout ceux qui ont été intégrés dans l’ordre interne, elle pourrait peut-être engendrer des conflits à l’occasion d’un recours en inconstitutionnalité soulevé à l’occasion d’un litige et la Cour devrait sans doute se prononcer à ce moment-là.

La cour s’efforce-t-elle de limiter ces conflits ? Dans l’affirmative, comment et par quelles méthodes (hiérarchie entre normes fondamentales, voie d’harmonisation, recherche d’équivalence des protections, transfert de contrôle…) ? Ces méthodes ont-elles été perfectionnées ?

La mission de la Cour constitutionnelle étant de contrôler le respect de la Constitution, c’est ce référentiel qui doit dicter sa position en la matière.

La Constitution organise-t-elle une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables ? Quels domaines présentent une différence de protection ?

La Constitution du 27 janvier 2014 organise une protection des droits équivalente aux dispositions internationales applicables en la matière.
En matière de liberté de conscience et de religion, la Constitution interdit l’atteinte au sacré.

Dans les cas de protection semblable ou équivalente, le contrôle de constitutionnalité est-il en concurrence avec le contrôle de compatibilité à un traité international ? Considérez-vous que cette concurrence soit de nature à remettre en cause la suprématie de la Constitution ?

Lorsque la Constitution accorde des garanties équivalentes à celles reconnues par des instruments internationaux, notamment en matière de droits de l’homme, il n’y a pas concurrence mais complémentarité.

L’invocation de la Constitution est-elle plus difficile (règles de procédure, délais, conditions de saisine, objet limité du contrôle…) que celle d’une norme internationale ?

Une norme internationale ne peut pas être invoquée directement devant la Cour constitutionnelle. Les dispositions constitutionnelles peuvent faire l’objet d’un contrôle a priori ou a posteriori conformément aux lois organiques appelées à régir ces matières.

Quelles sont les situations dans lesquelles les rapports avec les normes internationales apparaissent plus délicats ? Veuillez donner deux ou trois exemples typiques de ces difficultés.

Les situations impliquant l’application de normes découlant du droit international non écrit peuvent apparaître relativement délicates, dans toute la mesure où la coutume internationale ne se prête guère aux techniques dualistes de transposition.

5. Influences sur la jurisprudence constitutionnelle

Votre Cour tient-elle implicitement compte des instruments internationaux ou s’y réfère-t-elle expressément lorsqu’elle applique le droit constitutionnel ?

Si la Cour constitutionnelle devait tenir compte des instruments internationaux, ce serait sans doute de manière implicite.

Votre Cour a-t-elle déjà été en butte à des conflits entre les normes applicables à l’échelon national et celles qui sont applicables à l’échelon international ? Dans l’affirmative, comment ces conflits ont-ils été réglés ?

Une telle situation ne s’est pas encore présentée.

Quelle est la valeur juridique reconnue par votre cour à une décision d’une juridiction internationale ?

Les décisions des juridictions internationales n’ont pas vocation à obtenir la « reconnaissance » de la Cour constitutionnelle, mais elles seront certainement prises en compte à titre informel et ont une valeur morale certaine.

La jurisprudence des juridictions internationales influence-t-elle votre Cour ? Une force interprétative est-elle juridiquement reconnue ? Cette influence est-elle à la hausse ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Il est certain que la Cour constitutionnelle est appelée à suivre de près la jurisprudence des juridictions internationales et il n’est pas impossible qu’elle s’en inspire dans ses futurs arrêts, de manière sans doute implicite.

L’interprétation de la Constitution peut-elle se faire au regard d’une disposition internationale ? Veuillez donner des cas typiques.

Rien ne l’empêche. En effet, le rôle du juge constitutionnel, en tant qu’autorité d’application du droit, ne doit pas être sous-estimé : il interprète le sens et la valeur du droit international, surtout dans l’hypothèse où les autres pouvoirs ne sont pas intervenus.


  • [1]
    Affaire n° 108243, CE, 20 octobre 1989 (Recueil Lebon p. 190), où le CE a faisant prévaloir un traité sur une loi interne postérieure, en se fondant sur le refus du Conseil constitutionnel (Décision n° 75-54 DC) de contrôler la conformité des lois internes aux conventions internationales.  [Retour au contenu]

 

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