Actes du 9e Congrès triennal de l’ACCF – Association des Cours Constitutionnelles Francophones

Association des Cours
Constitutionnelles Francophones

Le droit constitutionnel dans l’espace francophone

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Actes du 9e Congrès triennal de l’ACCF

Le juge constitutionnel et les droits de l’homme

  •  Dakar
  •  mai 2022
  • N°ISBN 979-10-97527-11-2
  • © ACCF

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9e congrès triennal de l'ACCF, Dakar (Sénégal), 31 mai et 1er juin 2022.
9e congrès triennal de l’ACCF, Dakar (Sénégal), 31 mai et 1er juin 2022.

Cérémonie d’ouverture du congrès

 

Allocution de bienvenue de Papa Oumar Sakho

Président du Conseil constitutionnel du Sénégal

 

Monsieur le Président de la République,

Lorsqu’ il y a quelques mois, je vous informais du souhait de l’Association des Cours constitutionnelles francophones de tenir à Dakar son 9e congrès triennal sur le thème « Le juge constitutionnel et les droits de l’homme », vous avez, sans hésiter, marqué votre accord et fait inscrire cette rencontre à l’agenda des grandes conférences de l’État.

Que notre Association ait fait le choix de parler des droits de l’homme en terre sénégalaise, et que vous ayez accepté de venir personnellement ouvrir nos travaux ne relève, me semble-t-il, ni d’une coïncidence, ni du hasard. J’y vois le symbole de votre attachement à la promotion des droits de l’homme qui s’est traduit par une solidarité agissante avec notre Association, dans tout le processus de préparation de ce congrès.

Je puis, en effet, vous assurer, que conformément à vos instructions, Madame le Ministre des Affaires étrangères, en collaboration avec ses collègues de la Justice et de l’Intérieur, n’a ménagé ni ses moyens ni son temps pour la réussite de l’organisation de ces assises.

Permettez-moi donc, au nom des membres notre Association ainsi qu’au mien propre, de vous exprimer nos remerciements et notre profonde reconnaissance.

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Mesdames et Messieurs les membres du Corps diplomatique,

Monsieur le Premier président de la Cour suprême,

Monsieur le Procureur général près la Cour suprême,

Monsieur le Premier président de la Cour des Comptes,

Monsieur le Procureur général près la Cour des Comptes,

Mesdames et Messieurs les Premiers présidents des cours d’appel et les Procureurs généraux près lesdites cours,

Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des avocats,

Monsieur le Médiateur de la République,

Monsieur le président de la Commission électorale nationale autonome,

Mesdames et Messieurs les hautes personnalités, en vos grades, titres et qualités,

Mesdames et Messieurs,

Vous avez bien voulu nous faire l’honneur de votre présence et manifester ainsi votre considération pour l’ACCF et votre engagement pour la consolidation de la démocratie et le renforcement de l’État de droit ; soyez- en vivement remerciés.

Monsieur le Président de l’ACCF,

Mesdames et Messieurs les Présidentes, Présidents et membres des juridictions constitutionnelles francophones,

C’est avec une sincère émotion que je vous souhaite la bienvenue en cette terre africaine du Sénégal. Par votre présence, vous donnez la vraie mesure de la confiance que vous accordez à notre pays, mais aussi de votre engagement au service de notre Association. En effet, malgré le report auquel la pandémie liée à la Covid 19 nous avait contraints, in extremis, au mois de janvier, vous avez bien voulu réaménager vos agendas que nous savons chargés, afin d’honorer notre rencontre de votre présence.

Au nom du Conseil constitutionnel du Sénégal, je vous en remercie chaleureusement.

Mes remerciements ainsi que mes compliments vont aussi à Madame la Secrétaire générale de l’ACCF et à son équipe qui, sous l’autorité du très honorable Juge en chef de la Cour suprême du Canada et Président de l’ACCF, et sous la bienveillante vigilance de Monsieur Président du Conseil constitutionnel français, dont l’institution abrite le siège de l’Association, ont su, malgré la distance et le contexte, travailler avec notre institution en parfaite harmonie, pour la préparation de ce congrès.

À ces remerciements, j’associe l’Organisation internationale de la Francophonie, partenaire évident, voire naturel de l’ACCF, dont la discrétion n’entame point l’efficacité.

Monsieur le Président de la République, honorables invités,

Notre congrès nous convie à une réflexion sur une question prégnante, passionnante mais aussi, parfois, irritante.

Les droits de l’homme ont acquis, aujourd’hui, une place considérable dans tous nos systèmes juridiques, politiques, économiques, sociaux et culturels. Il n’est, pour s’en convaincre, que de considérer la prolifération des chartes et l’inflation législative en la matière, ainsi que les profondes mutations que, par leur influence, ces droits exercent sur le développement du contentieux et sur la catégorisation de nos régimes politiques. Ce contentieux est d’ailleurs devenu un des marqueurs de la démocratie.

Dans le contexte d’un monde globalisé où rien n’est constant, si ce n’est le changement, le juge constitutionnel, dans son rôle de protecteur des droits garantis par la Constitution, est soumis à des exigences parfois contradictoires, à savoir, d’un côté, le respect des engagements internationaux de son pays et, de l’autre, la prise en compte des réalités contextuelles.

Que l’on se place dans l’espace francophone ou ailleurs, le juge constitutionnel est de plus en plus fréquemment saisi de questions relatives aux droits de l’homme. C’est le corollaire de son rôle grandissant de protecteur des droits des citoyens et de régulateur du fonctionnement des institutions. Pour le dire d’un mot : il est devenu le réceptacle de revendications de plus en plus exigeantes des citoyens.

En effet, le temps est à la revalorisation de la Constitution. Celle-ci est redevenue ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, à savoir, la norme de référence par excellence, et sa violation est traduite quasi systématiquement en recours par les citoyens.

Cette situation nouvelle engendre, aussi, un contentieux de type nouveau, dont la résolution renvoie souvent à des considérations d’ordre philosophique, éthique, philologique et même métaphysique, éloignant ainsi le juge de sa zone de confort qu’est le droit. Il n’est que de citer les questionnements existentiels nés du progrès de la science en matière de génétique, de numérique, de sécurité et d’environnement qui finissent par obliger le citoyen à interroger la Constitution et, donc, le juge.

Peut-on, en effet, légitimement isoler les conséquences de l’usage du numérique sur les droits des citoyens, s’agissant des mesures prises en matière de sécurité, notamment pour prévenir des troubles à l’ordre public, le terrorisme, ou pour assurer la sécurité sanitaire, par exemple ? Cela implique en effet des mesures juridiques adossées à des manipulations informatiques et à des opérations ou à des mesures dont la conformité au droit questionne le juge constitutionnel sur un certain nombre de droits et libertés comme ceux d’aller et de venir, de se réunir, de pratiquer son culte.

On le voit, examiner le traitement des droits de l’homme dans le cadre de notre Association ne peut être que fécondant, car les systèmes d’organisation de la justice constitutionnelle de nos pays, bien que proches en raison de leur source d’inspiration commune, évoluent dans des cadres normatifs et institutionnels différents. Les pays de longue tradition démocratique sont soumis à une crise de croissance des droits de l’homme, alors que les pays dits en transition vers la démocratie en connaissent les maladies infantiles.

Une des difficultés de notre tâche consiste à contrôler la loi, les actes administratifs et les décisions de justice, selon les pays, avec tact et mesure, pour, d’une part, ne pas paralyser l’action des pouvoirs publics et, d’autre part, permettre une jouissance effective, par leurs bénéficiaires, des droits à eux reconnus par la Constitution. L’équilibre doit, en effet, être maintenu, ou constamment rétabli, au sein du triangle dont les trois sommets sont occupés par la Constitution, la loi et le citoyen.

Un des résultats que l’on pourrait légitimement attendre de notre rencontre, serait donc de trouver, dans la mesure du possible, des plages de convergence à nos conceptions des droits de l’homme et aux modalités de leur protection par nos juridictions.

Le sujet qui nous occupe est, on le sait, complexe. Je ne doute cependant pas que chacun et chacune d’entre nous sortira de ce congrès plus riche d’enseignements qu’il n’y est entré.

Je souhaite plein succès à nos travaux et vous remercie de votre attention.

 

Allocution de Tran Thi Hoang Mai

Représentante de l’OIF pour l’Afrique de l’Ouest

 

Excellence, Monsieur le Président de la République du Sénégal et Président de l’Union africaine,

Monsieur le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux du Sénégal,

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel de la République du Sénégal,

Monsieur le Juge en chef du Canada et Président de l’Association des Cours constitutionnelles francophones,

Mesdames et Messieurs les Présidents et membres des cours constitutionnels,

Mesdames et Messieurs les Ministres et Députés du Sénégal,

Mesdames et Messieurs membres du corps diplomatique au Sénégal,

Mesdames et Messieurs honorables invités,

Je voudrais vous transmettre avant tout les chaleureuses salutations de la Secrétaire Générale de la francophonie, son excellence Madame Louise Mushikiwabo, qui vous souhaite d’excellents travaux pour les jours à venir.

Ce neuvième congrès sur le thème « le juge constitutionnel et les droits de l’homme » et les importantes discussions qui permettront d’examiner le rôle du juge pour l’ancrage de l’État de droit, le recours aux outils et techniques de protection des droits de l’homme dont il dispose et la lecture rigoureuse et circonstanciée des contextes d’intervention arrivent à point nommé pour un espace francophone éprouvé par les crises politiques, institutionnelles et plus récemment sanitaires. Il contribuera à n’en pas douter à enrichir les pratiques et expériences en la matière afin de renforcer durablement les droits et libertés dans nos pays, de consolider les institutions de l’État de droit et de poser de nouveaux jalons dans la coopération toujours plus approfondie entre nos institutions. Renforcement des institutions et processus démocratiques, enracinement de l’État de droit, promotion des droits de l’homme, tels sont les défis et objectifs énoncés dans la déclaration de Bamako en 2000 et de Saint-Boniface en 2006 sur la base desquelles la francophonie et les 16 réseaux institutionnels qui la composent œuvrent continuellement en soutien et en réponse aux sollicitations des acteurs institutionnels, politiques et civils de ces États membres.

Véritable pilier et vigies de la démocratie, les cours constitutionnelles sont au cœur de la francophonie institutionnelle. À ce titre, l’OIF et l’ACCF agissent et continueront à agir de concert dans le cadre d’un partenariat renouvelé pour soutenir la mise en œuvre d’actions en faveur du renforcement de ces institutions et des professionnels de haut niveau qui les composent. Cette collaboration participe de la stratégie de l’OIF qui vise à offrir des espaces de concertation, de formation et d’échanges de bonnes pratiques et d’enrichissement mutuel entre institutions aux attributions et aux compétences similaires. Cette dynamique collaborative traduit également la volonté marquée de la Secrétaire générale de la francophonie, Madame Louise Mushikiwabo, d’élargir les instances francophones et de faire émerger de nouvelles synergies entre nos États membres, leurs institutions et les acteurs de la francophonie. En ce sens, l’OIF réitère son intention d’approfondir la collaboration avec l’ACCF afin de proposer des cadres d’échanges toujours plus innovants à l’intention de l’ensemble des cours qui la composent.

Les rapports de l’OIF sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés nous rappellent le rôle crucial de vos institutions, des femmes et des hommes chargés de faire respecter les institutions, et ce dans des contextes politiques parfois difficiles. Inclusivité et transparence des processus constituants, sanctuarisation des textes, création des conditions d’une meilleure acceptabilité des arbitrages notamment en période transitoire critique pour l’affirmation des droits et des libertés, tels sont les enjeux identifiés, face auxquels la francophonie se mobilise aux côtés des cours et de leurs membres.

Permettez-vous de souligner en guise d’illustration la fructueuse coopération entre l’OIF et la Cour constitutionnelle Centrafricaine, donnant lieu à la mobilisation d’expertises et au renforcement continu des capacités en gestion du contentieux jusqu’à la tenue des élections de sortie de transition. C’est dire qu’en dépit des menaces et contraintes qui pèsent dans certains cas sur l’ordre constitutionnel et l’institution de l’État de droit, l’OIF, en lien avec l’ACCF, veillera à maintenir sa collaboration et sa coopération avec les institutions et les professionnels garants et protecteurs de la vie politique apaisée que sont les cours et leurs membres éminents.

En conclusion de mon propos, je souhaite salue l’excellence présidence canadienne qui prendra fin à l’issue du congrès et je souhaite un mandat tout aussi couronné de succès au Conseil constitutionnel du Sénégal chargé de reprendre le flambeau. Je vous remercie et vous souhaite d’excellents travaux.

 

Allocution de Richard Wagner

Juge en chef du Canada, Président de l’ACCF

 

Chers amis de l’Association des Cours constitutionnelles francophones, il me revient l’honneur en tant que Président de l’ACCF de vous souhaiter la bienvenue à ce 9e congrès triennal de notre organisation, dont le thème est « Le juge constitutionnel et les droits de l’homme ». Bien entendu, je suis fort heureux que les circonstances me permettent d’être parmi vous tous en personne pour ce rendez-vous fort important. Je garde d’ailleurs un souvenir impérissable de notre congrès précédent à Montréal en mai 2019 et des échanges stimulants et fructueux que nous y avons eus. Je suis convaincu que ce 9e congrès à Dakar sera tout aussi mémorable.

Le Canada est très fier d’être membre de l’ACCF depuis ses tout débuts. Alors que l’on s’apprête à passer le flambeau au Sénégal, il est rassurant de faire le constat que notre organisation poursuit sa mission de favoriser l’approfondissement de l’État de droit, mission noble s’il en est une. La justice constitutionnelle est l’une des clés de la démocratie, d’où la pertinence de l’ACCF en tant qu’instrument de solidarité important au sein de la Francophonie.

Par le biais de ce 9e congrès consacré au thème du juge constitutionnel et les droits de l’homme, l’ACCF offre un forum d’échanges qui s’inscrit dans le sillage des engagements souscrits dans la Déclaration de Bamako, en vertu desquels nous visons notamment à promouvoir l’indépendance judiciaire de nos institutions en vue de l’exercice impartial de leur mission. Je rappelle que nous avons également pour objectifs la promotion d’une justice efficace et accessible de même que la mise en œuvre du principe de transparence comme règle de fonctionnement des institutions. Enfin, nous cherchons aussi à contribuer à faire émerger une conscience citoyenne tournée vers le développement, le progrès et la solidarité.

Je ne rate jamais l’occasion de rappeler que depuis ses débuts, l’ACCF favorise la diversité des systèmes juridiques et le dialogue des cultures juridiques au sein de l’espace francophone dans le but de promouvoir et de défendre les idéaux démocratiques, de renforcer l’autorité de chacune des institutions-membres et d’assurer le respect de la dignité de la personne humaine. En ces temps de crise sanitaire, ce dialogue est plus que jamais nécessaire, la coopération juridique entre les institutions-membres étant un précieux atout face aux défis que nous avons à relever actuellement, et à ceux qui ne manqueront pas de se présenter dans le futur.

C’est donc dans cet esprit que s’est organisé ce congrès portant sur les droits de l’homme, tout particulièrement sous l’angle du rôle des juges dans le renouvellement ou l’ancrage de l’État de droit et de la démocratie. À ce chapitre, je souhaite ajouter ma voix à toutes celles qui nous rappellent que le respect des droits de l’homme passe le maintien de l’accès à la justice, y compris en temps de crise. Certains diraient même surtout en temps de crise.

Il nous importe effectivement de reconnaître que la crise sanitaire actuelle n’a fait que mettre en lumière de nombreuses lacunes pré-existantes de nos systèmes de justice respectifs. Bien que la pandémie n’épargne personne, les plus récentes données confirment qu’au Canada comme ailleurs, ce sont davantage les personnes issues des groupes les plus marginalisés qui font les frais de la crise, y compris en termes d’accès à la justice. Or, être privé d’accès à la justice revient à être privé de sa dignité humaine. L’accès à la justice n’est pas qu’un droit fondamental, mais surtout un besoin humain élémentaire et en ce sens, un ingrédient essentiel de la démocratie.

Le respect des droits de l’homme suppose également le respect du principe de l’indépendance judiciaire, pierre angulaire d’une saine et forte démocratie et de la protection de nos libertés fondamentales. L’État de droit ne saurait exister sans la confiance du public dans l’administration de la justice. Et cette confiance, qui doit être méritée, ne saurait être maintenue en l’absence de tribunaux indépendants et impartiaux.

Les tribunaux ont un rôle de premier ordre à jouer dans la mise en œuvre des valeurs de l’État de droit, de la démocratie et de la protection des droits fondamentaux, c’est presque un euphémisme de le dire. Ce 9e congrès de l’ACCF à Dakar nous offre l’occasion d’échanger et ainsi d’enrichir ensemble notre réflexion sur le rôle fondamental qui nous incombe en tant que juges à cet égard. Je formule le vœu que ces échanges permettront une fois de plus de constater qu’en dépit de certaines différences, nous sommes unis par nos valeurs démocratiques communes.

J’en arrive maintenant au dernier, mais certes important et surtout très agréable, volet de ce mot de bienvenue, lequel me donne l’occasion de vous exprimer à quel point je suis ravi que le Sénégal succédera au Canada à la présidence de l’ACCF. J’en profite pour exprimer également toute ma reconnaissance, tant en mon nom qu’au nom de tous les membres de l’ACCF, au Conseil constitutionnel du Sénégal et son président, M. Papa Oumar Sakho, d’avoir accepté de reprendre ainsi le flambeau. Et enfin, merci à vous, chers amis, pour votre participation aux importants travaux de l’ACCF, et bon congrès !

 

Allocution de son Excellence Macky Sall

Président de la République du Sénégal

 

Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le ministre d’État,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Président de l’Association des Cours constitutionnelles francophones,

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel du Sénégal,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Conseils constitutionnels francophones,

Mon cher ami Laurent Fabius,

Madame la représentante de l’Organisation Internationale de la francophonie en Afrique,

Monsieur le représentant de la Conférence des Juridictions constitutionnelles africaines,

Messieurs les Présidents des Institutions constitutionnelles du Sénégal,

Monsieur le représentant de la Commission de Venise,

Mesdames et Messieurs en vos titres, rangs et grades,

Permettez-moi de vous adresser tout d’abord mes remerciements pour l’honneur que vous faites à mon pays en y tenant les travaux du 9e congrès de l’Association des Cours constitutionnelles Francophones, dont le but principal est l’approfondissement de l’État de droit par le développement des relations entre les juridictions constitutionnelles des pays membres de la francophonie.

Le choix porté sur le Sénégal pour abriter cet événement représente un hommage rendu à notre nation dont l’un des illustres fils, surnommé le président Léopold Sédar Senghor, fit partie des plus grands précurseurs de l’espace francophone, qu’il a toujours voulu voir érigé en une communauté solidaire ayant en partage les valeurs de la démocratie, les valeurs de l’État de droit. À lui et à tous ses contemporains femmes, hommes d’État et de culture, d’Afrique et d’ailleurs, qui de par leur vision, ont su transcender le nationalisme étroit, je voudrais exprimer ma profonde reconnaissance, ainsi que celle du peuple sénégalais. Je voudrais aussi, au nom de tous mes concitoyens, vous souhaiter la bienvenue au Sénégal, État de droit, terre d’hospitalité, de liberté et de démocratie. Bienvenus chez vous.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’ACCF, l’attachement de votre prestigieuse association aux valeurs démocratiques par la promotion d’une justice constitutionnelle protectrice des droits et libertés fondamentaux, est une réalité indiscutable. Les thématiques de vos congrès et des programmes de formation que vous dispensez généreusement à vos membres sont suffisamment pertinentes pour en témoigner. Le thème que vous avez choisi de développer à l’occasion de ce neuvième congrès de Dakar, à savoir le juge constitutionnel et les droits de l’homme, est à la fois actuel et complexe. Il renvoie en effet à plusieurs problématiques dont la plus évidente est relative à la particularité des droits de l’homme au-delà de leur universalité et de l’étendue des pouvoirs reconnus au juge constitutionnel pour en assurer la protection.

Rien ne pouvait être plus symbolique que l’espace francophone pour échanger sur ce sujet, car les liens historiques indéniables qui justifient l’organisation de nos pays en communauté ne nous font pas perdre de vue notre diversité culturelle, qui constitue une richesse sans laquelle tout échange et tout brassage seraient stériles. La prise en charge des réalités contextuelles respectives de nos États par nos constitutions ne fait pas faire pour autant, au prix d’une conception relativiste des droits de l’homme, qui viderait ce concept de sa substance. En effet, le nouvel ordre politique qui s’est dessiné dans le monde depuis la fin des années 1980, notamment en Afrique, a révélé un ancrage de plus en plus marqué des États dans une conception plutôt universaliste des droits de l’homme et une logique de respect de l’État de droit et de la gouvernance démocratique. Il est important de noter que la conception universaliste ne veut pas dire conception universelle. C’est un débat que nous avons sur les valeurs partagées et les valeurs universelles : quelle est la limite et quelles en sont les frontières ? Un travail doit être mené sur ce point si nous voulons nous inscrire dans une concertation entre pays, entre nations, entre cultures et entre civilisations, mais c’est un autre sujet que celui qui nous réunit aujourd’hui.

Assurément, les cours et les conseils constitutionnels en sont les vigies. On note à ce niveau une plus grande prise en compte des principes généraux à valeur constitutionnelle par ces organes qui veillent de plus en plus à l’application du principe de la séparation des pouvoirs dans l’organisation et le fonctionnement des institutions pour un meilleur respect des droits et des libertés. La mise en place de juridictions constitutionnelles dans les États francophones répond ainsi au souci de renforcer l’État de droit par un contrôle judicieux par le juge constitutionnel de l’effectivité de ces droits et libertés.

Mesdames et Messieurs, comme on le voit, l’existence de juridictions constitutionnelles est aujourd’hui non seulement un impératif, mais aussi une nécessité structurelle, notamment dans les sociétés politiques africaines francophones. Le débat sur la nouvelle configuration des rapports entre droit et politique s’y pose en effet avec acuité et concerne principalement la question de l’impact de la règle juridique sur le phénomène politique et sur le respect des droits fondamentaux, et ce au regard de la persistance des conflits de pouvoirs. L’influence du juge constitutionnel sur le jeu politique devient à cet effet déterminante dans la recherche de la légitimité politique, et ceci pour garantir le respect des droits de l’homme dans la consolidation de l’État de droit. Cette prépondérance de l’organe constitutionnel est la conséquence du renouveau de l’idée de constitution devenu à l’occasion la seule forme et l’unique langage de l’activité politique légitime.

L’intervention du juge constitutionnel participe ainsi de façon objective et durable à la pacification de la vie politique dans les États où l’accentuation des conflits peut conduire à la déstabilisation des institutions et à la négation des droits humains. À son rôle traditionnel de régulateur des relations interconstitutionnelles s’ajoute celui de protecteur des droits de l’homme. Conscient du rôle crucial qu’il occupe tant au plan social que politique dans la pacification des États modernes, le juge constitutionnel invoque aujourd’hui des valeurs sociétales susceptibles d’éclairer son opinion et de fonder son intime conviction pour répondre aux attentes et exigences des citoyens dans le respect de la loi.

Il s’agit notamment des demandes citoyennes relatives à l’effectivité des droits inhérents à la personne. Ces droits fondamentaux, qui renvoient à la dignité de la personne humaine, sont généralement consignés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans le pacte de 1966 relatif aux droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels. Ils sont pour l’essentiel énumérés dans la plupart des constitutions des États africains francophones. L’appropriation de ces instruments par les juges constitutionnels est une exigence démocratique garantie par la communauté internationale, qui veille au système d’organisation et de fonctionnement des juridictions constitutionnelles dans les États. Elle recommande aussi aux pouvoirs publics de mettre à la disposition des organes constitutionnels des moyens adéquats et des prérogatives importantes afin de remplir convenablement leurs missions.

Excellence, Mesdames et Messieurs, honorables invités, la théorie commune des droits fondamentaux qui constitue le socle des régimes démocratiques modernes, a complètement changé le rôle du juge constitutionnel aujourd’hui. Les juridictions constitutionnelles ont maintenant vocation à assurer de façon effective la protection des droits fondamentaux par les avis qu’elles donnent en amont sur les actes des pouvoirs publics ou les décisions qu’elles rendent par rapport aux lois qui portent atteinte aux intérêts individuels et collectifs des citoyens. À cet égard, afin de mieux assurer cette protection en amont, la Constitution sénégalaise a été réformée à mon initiative en 2016 pour que le Conseil constitutionnel puisse être saisi pour avis par le Président de la République en vue d’assurer la protection d’un droit fondamental. L’efficacité de la protection des droits fondamentaux par les juges constitutionnels n’est donc garantie que si les citoyens disposent de voies de recours aménagées leur permettant de dénoncer les violations des instruments internationaux, de la Constitution et de la loi.

C’est pourquoi l’évolution de la justice constitutionnelle, dans le sens de la justiciabilité des droits fondamentaux en Afrique francophone, s’est inscrite dans une logique juridique et démocratique consacrant la possibilité d’une action ouverte aux citoyens pour leur permettre de contester la loi attentatoire aux droits de l’homme ou aux libertés publiques. À ce propos, le Sénégal a introduit depuis 1992 l’exception d’inconstitutionnalité dans sa constitution. Celle-ci pouvait initialement être soulevée devant la Cour suprême. Depuis la réforme constitutionnelle de 2016, que j’ai fait adopter par référendum, elle est référée devant les cours d’appel. En Afrique, certains États ont opté pour une saisine directe du juge constitutionnel par les citoyens. L’un comme l’autre traduisent une prise de conscience de la place du citoyen dans le jeu démocratique et dans l’état de droit. Il reste constant que les décisions du juge constitutionnel en matière de violation des droits fondamentaux portent essentiellement sur le contrôle de la constitutionnalité des lois et devraient à cet égard s’accompagner suffisamment de garanties pour en assurer l’applicabilité.

Les nouveaux défis du monde contemporain qui font émerger les extrémismes de toute nature, y compris dans les États dits de vieille tradition démocratique, complexifient davantage le rôle déjà éminent du juge constitutionnel et l’interpellent sur de nouveaux sujets jusqu’ici étrangers à sa sphère de compétence. Ces nouvelles problématiques, notamment liées à la question environnementale, au changement climatique, à la sécurité sanitaire, à la lutte contre l’extrémisme violent, ainsi qu’à la situation des migrants et des réfugiés, appellent de la part de nos États des réactions urgentes. Face à ces nombreuses menaces, les réponses peuvent être également violentes et attentatoires aux droits et libertés, puisque fondées exclusivement sur les enjeux du moment et le besoin à tout prix d’une solution immédiate. On a tous suivi les conflits dans tous les pays, y compris les plus développés, sur la question du port du masque et sur les restrictions de déplacement pendant la Covid, parfois par la méthode forte.

Les droits et les libertés fondamentaux doivent en tout état de cause être protégés et leur limitation ne peut être préservée que par la nécessité de préserver d’autres droits ou libertés que les circonstances du moment peuvent rendre prioritaires. Comme on le voit, les nations paisibles stables et prospères que nous nous efforçons d’édifier requièrent à la fois une bonne gouvernance et un État de droit consolidé. Même si les crises sanitaires et sécuritaires ont fini de démontrer que l’État peut être amené dans ces situations à concilier des impératifs contradictoires, les droits et les libertés doivent être nécessairement protégés dans une société qui garantit la justice à ses citoyens.

Les échanges que vous mènerez tout à l’heure autour de ces questions seront riches, parce que nourris de vos expériences respectives. La qualité des hommes et des femmes qui dirigent les institutions membres de votre prestigieuse association est un gage de réussite pour ce congrès de Dakar dont nous attendons avec intérêt les conclusions. En réitérant mes remerciements à l’ensemble du bureau de l’association des Cours constitutionnelles francophones, à ses membres et à son administration pour la confiance placée en notre pays, je déclare ouvert le neuvième congrès triennal de l’Association des Cours constitutionnelles francophones et je vous remercie de votre aimable attention.

 

 

Première session – Droits de l’homme, État de droit et démocratie

Modérateur et président de séance – M. Larba YARGA, Membre du Conseil constitutionnel du Burkina Faso

Synthèse des réponses au questionnaire

Professeur Babacar Kanté – Doyen honoraire de l’UFR des Sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), Ancien vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal, Expert auprès de l’ACCF

[1]

 

La première table ronde intitulée « Droits de l’homme, État de droit et démocratie » de ce congrès portant sur le thème « le juge constitutionnel et les droits de l’homme » consiste en une invitation au juge constitutionnel à une approche réflexive. Il s’agit, en effet, de le mettre en face des droits de l’homme afin de rendre compte de son rapport à la notion et de déterminer la mesure dans laquelle il l’a conceptualisée.
La thématique de cette première table ronde pourrait être synthétisée autour de trois grands questionnements.
Le premier est, comme il est logique pour tout juriste, celui de la compétence même des juridictions constitutionnelles à connaître de questions de droits de l’homme. Une telle attribution peut aujourd’hui sembler aller de soi, mais il s’agit d’une fausse évidence, comme l’attestent au demeurant quelques réponses au questionnaire.

Après la compétence des juridictions constitutionnelles, les questions posées portent sur la compréhension que celles-ci ont de cette fonction d’instances protectrices des droits de l’homme, et de la relation de cette mission avec des problématiques plus générales, mais littéralement reprises dans la thématique, comme l’État de droit et la démocratie. Il s’agit de savoir dans quelle mesure les juges constitutionnels inscrivent leur office dans la préservation ou l’affermissement de l’État de droit et de la démocratie.

Enfin, cette première partie du questionnaire interroge la contribution concrète, réelle, des juridictions constitutionnelles à l’État de droit et à la démocratie. Il s’agit, en d’autres termes, après avoir eu un aperçu de l’idée que les juges se font de leur mission, de mesurer l’impact de leur travail, entreprise qui postule, on l’aura compris, une plongée dans leurs jurisprudences pertinentes.

L’examen des réponses met en évidence un fait : aucune juridiction n’exclut sa compétence à traiter des questions de droits de l’homme. Le fait n’est pas banal, si l’on garde à l’esprit que cette aptitude n’est pas nécessairement prévue par les textes. Cette sorte d’unanimité sur l’intégration des droits de l’homme dans la justice constitutionnelle moderne témoigne déjà de la pertinence du thème de votre congrès.

Cela étant, les bases de cette aptitude à connaître des droits de l’homme ne sont pas les mêmes partout. Plus précisément, les réponses qui ont été fournies font apparaître, à l’image du questionnaire lui-même, que cette compétence peut être explicite ou implicite.

Quand elle est explicite, la compétence peut d’abord résulter d’une clause générale de la Constitution, conférant au juge la fonction de « gardien » des droits et libertés. Tel est le cas du Burundi (où la Cour veille au respect de la « Charte des droits fondamentaux ») ou du Mali (où la Cour « garantit les droits fondamentaux » aux termes de l’article 85 de la Constitution), ou encore des Comores (compétence résultant, non de la Constitution, mais de la loi organique relative à la Chambre constitutionnelle, article 191).

L’attribution est également explicite lorsque, comme c’est le cas régulièrement, des instruments juridiques de droit international relatifs aux droits de l’homme sont intégrés dans le bloc de constitutionnalité, c’est-à-dire dans les normes de référence du juge. C’est au regard de cette seule modalité qu’avec raison, un certain nombre de juridictions ont affirmé qu’elles avaient compétence pour traiter des droits de l’homme. On citera entre autres les Cours du Cap-Vert, de la Côte d’Ivoire, du Burundi – susceptible d’être de nouveau cité –, du Cambodge, de la République Démocratique du Congo (RDC) ou du Sénégal.

Les réponses mettent également en évidence le fait que le traitement des questions de droits de l’homme emprunte un canal privilégié, qui est celui du contrôle de constitutionnalité incident (exception d’inconstitutionnalité, question prioritaire ou préjudicielle de constitutionnalité). À vrai dire, il s’agit d’un fait très répandu ; l’on peut, à titre simplement indicatif, évoquer les cas de l’Algérie, du Gabon, de la France, du Maroc, de la Moldavie, du Sénégal. Une telle réalité ne saurait surprendre. En effet, il existe de fortes chances que dans le cadre d’un litige mettant principalement en jeu des intérêts privés (hypothèse du contrôle de constitutionnalité incident), l’invocation de la Constitution vienne servir des droits constitutionnels subjectifs, c’est- à-dire des droits et libertés fondamentaux. Au demeurant, en Albanie et en Suisse, la démonstration d’un intérêt personnel est explicitement exigée dans la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité.

Bien entendu, le contrôle incident n’est pas exclusif, il n’est pas le seul par lequel le juge veille au respect des droits de l’homme. L’exploitation du questionnaire fait apparaître que des pays comme Andorre ou le Cap-Vert connaissent la voie de l’amparo, par laquelle la revendication d’un droit se fait par voie d’action.

Il faut, pour finir sur la compétence explicite, souligner que l’exercice de celle-ci peut s’inscrire dans une perspective dynamique, extensive. La compétence en matière de droits de l’homme est alors acquise de manière progressive, soit par la vertu de textes additionnels, soit par celle d’une interprétation « conquérante » du juge. Ces réalités viennent prouver que la compétence en question n’est pas figée, acquise, ou non acquise, une fois pour toutes. Elles prouvent que celle-ci ne relève pas seulement du « donné » mais procède aussi du « construit ». L’exemple de la France est emblématique de cette évolution. De répartiteur des compétences entre les pouvoirs publics, le Conseil constitutionnel est en effet devenu, progressivement, au terme d’un mouvement en trois temps, un protecteur des droits fondamentaux des citoyens. Ce processus part de la fameuse décision de 1971 jusqu’à la révision constitutionnelle introduisant la question prioritaire de constitutionnalité, en passant par l’ouverture de son prétoire aux parlementaires. Les cas d’Andorre et de la Belgique aussi montrent respectivement que, cantonnée dans un premier temps au seul droit au procès équitable (jusqu’à la révision de 2016) et au principe d’égalité et de non-discrimination (jusqu’en 2003), la compétence du juge s’est peu à peu étendue à bien d’autres « droits de l’homme ». Dans le cas de la RDC et de la Suisse, cette extension a résulté, non de modifications formelles, mais d’un travail prétorien : contrôle des actes de toutes les assemblées délibérantes dans le premier cas, inclusion des droits de l’homme dans l’expression de « violation du droit fédéral » dans le second cas, expression consacrée par la Constitution (article 189).

La compétence des juridictions en matière de droits de l’homme peut aussi être implicite. Dans un certain nombre de pays, les textes sont absolument muets sur cette compétence, du moins n’évoquent-ils jamais explicitement celle-ci. C’est le cas du Burkina Faso, du Congo, de la Mauritanie ou de la Roumanie. Il n’empêche que le juge n’a pas hésité à sanctionner des violations de ce droit. Pour l’essentiel, ces sanctions ont été infligées dans le cadre de l’exercice d’autres attributions (Cambodge, Cameroun, Niger et, dans une moindre mesure, Comores). Plus exceptionnellement, l’aptitude du juge à traiter des questions de droits de l’homme a pu être déduite d’une clause générale l’instituant par exemple « gardien » ou « interprète » de la Constitution, comme en République centrafricaine (RCA).

Il apparaît au total que si la juridiction constitutionnelle ne naît pas protectrice des droits de l’homme, elle le devient nécessairement. Sur sa compétence en matière de droits de l’homme, même quand elle n’est pas explicite, le juge se reconnaît comme une vocation naturelle à l’admettre. Aucune Cour n’a, en effet, sur ce point précis, interprété sa compétence dans le sens restrictif d’une compétence d’attribution, comme cela arrive souvent quand il s’agit de se prononcer sur d’autres sujets notamment le contrôle de constitutionnalité des lois de révision constitutionnelle.

La question sur le rapport entre la protection juridictionnelle des droits de l’homme et la préservation de l’État de droit et de la démocratie laisse aussi apparaître une saisissante convergence des réponses.

Aucune juridiction n’a en effet, là non plus, remis en question le lien qui existe entre ces différents éléments, même pas la France qui n’emploie pourtant presque jamais l’expression « État de droit » dans ses décisions. Ce lien semble alors tenir du truisme. Il existe trois modalités de son affirmation.

Celle-ci peut être contenue dans la Constitution elle-même. À Andorre, au Cap-Vert et en Serbie, c’est l’article 1er de la Constitution qui pose le postulat ; en Angola, ce sont les articles 1er et 2 ; en RCA et au Sénégal, c’est le Préambule constitutionnel. On remarquera au passage que, dans l’hypothèse où c’est la Constitution elle-même qui établit le rapport entre garantie des droits de l’homme, État de droit et démocratie, ce lien est affirmé de façon axiomatique ; il est presque posé en postulat, dès le début du texte (préambule ou tout premiers articles). De sorte que le lien est comme présupposé et qu’il se passerait, pour ainsi dire, de démonstration.

Le lien résulte plus rarement de la jurisprudence constitutionnelle. Dans certains pays, en effet, c’est plutôt le juge qui a eu à affirmer l’existence du lien. La Bulgarie a produit dans ce sens une décision rendue en 2005 (au sujet du droit à la dignité), le Cap-Vert deux arrêts de 2017 et un de 2018, et la juridiction albanaise précise qu’elle-même a eu à indiquer dans ses décisions qu’il n’y a pas d’État de droit sans respect des droits de l’homme.

La grande majorité des réponses recueillies met toutefois l’accent sur le caractère simplement logique de la relation entre garantie des droits de l’homme, État de droit et démocratie. La terminologie varie, les mots utilisés ne sont pas toujours les mêmes, bien entendu, mais ils convergent dans l’idée qu’ils expriment : « composante de l’État de droit » (Burkina Faso), « garantie de l’État de droit » (Algérie, Burundi, Maroc), liens « interdépendants, indissociables » (Cambodge, Gabon, Mozambique, Rwanda), « socle de l’État de droit » (Cameroun), « pas d’État de droit sans protection des droits de l’homme » (Gabon, Niger, Suisse), quand ce n’est pas l’inverse (Cambodge, Congo, Côte d’Ivoire, Mozambique) ou l’établissement d’un simple rapport d’équivalence entre les deux (RCA). D’autres fois, les réponses mettent l’accent sur le caractère « dialectique » ou « consubstantiel » du lien (Sénégal, Tunisie, Mauritanie). Les points de vue foisonnent, et des nuances, légères ou non, peuvent exister entre les réponses fournies. Mais l’essentiel est juste de relever que, pour la presque totalité des juges, garantie juridictionnelle des droits de l’homme, État de droit et démocratie représentent une sorte de bloc unitaire, monolithique, dont on ne saurait dissocier les éléments.

La convergence des réponses à la question posée éclaire sur la conception que les juges ont de l’État de droit. Celui-ci est en effet perçu comme devant être « substantiel », et pas seulement « formel », comme renvoyant non à la seule existence de procédures contentieuses, mais à la défense et à la préservation d’un certain nombre de valeurs qui s’incarnent précisément dans les droits de l’homme.

L’on comprend dans ces conditions que les juridictions ne se soient pas vraiment appesanties sur d’éventuelles distinctions qu’elles auraient opérées entre les notions d’État de droit et de démocratie. Leur expérience pratique confirme, si l’on ose dire, leurs intuitions logiques sur la difficulté à disjoindre les notions en cause. Presque aucune d’elle n’a répondu affirmativement à la question de savoir si elle avait, dans sa jurisprudence, établi une telle distinction. La possibilité d’une différenciation des deux concepts est entrevue dans une perspective purement théorique, et pas vraiment pratique (Andorre, Gabon, Roumanie). Et lorsqu’elles ne répondent pas tout simplement que la question ne s’est jamais posée dans la réalité (Bulgarie, Cap-Vert, Mauritanie, Rwanda, Sénégal), les juridictions, dans leur écrasante majorité, réitèrent leur propos sur la difficulté à dissocier les éléments du triptyque.

Peut-être est-ce là aussi une raison de la diversité des réponses quand les juridictions sont appelées à illustrer leur contribution à l’État de droit et à la démocratie. En effet, sur ce point précis, certaines réponses mettent en exergue la contribution du juge dans des enjeux de pouvoir, comme le traitement du contentieux électoral (Algérie, Burkina Faso, Bulgarie, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, Congo, Côte d’Ivoire, Tunisie), ou la séparation et l’équilibre des pouvoirs (Albanie, Cambodge, Mauritanie, Sénégal), alors que d’autres insistent précisément sur la protection des droits fondamentaux (Albanie, Angola, Belgique, Bulgarie, Cambodge, Congo, France, RDC, Roumanie, Sénégal).

Il n’y a pas que la difficulté pratique de dissocier garantie des droits, État de droit et démocratie qui explique la diversité des réponses sur ce point. Il existe en effet un autre facteur explicatif, qui est la variable de l’histoire nationale. Il est clair que la contribution jurisprudentielle au renforcement démocratique ne sera pas la même dans tous les pays, et n’aura pas le même objet partout. En fonction de l’histoire politique et de la structure démocratique de l’environnement dans lequel elle évolue, chaque juridiction « mettra le curseur » sur tel(s) point(s) donné(s), qui lui semblera pertinent mais qui ne sera bien entendu pas nécessairement le même que dans un autre pays ; d’où, malgré l’attachement affiché au caractère universel des droits de l’homme, l’aveu de leur contingence.

Sur un autre plan, les réponses fournies par la Belgique et la Suisse sur ce point ont ceci d’intéressant qu’elles posent la question, l’une, des « poches d’incompétence » du juge constitutionnel – carences pouvant être dommageables au système démocratique (ainsi, le juge belge regrette son incompétence à contrôler la régularité des élections) – et l’autre, plus réjouissante, celle du pouvoir prétorien de consacrer de nouveaux droits quand la législation est défaillante mais que l’état des mœurs politiques exige une telle consécration (dans un contexte de montée des totalitarismes en Europe, le juge suisse a ainsi promu dans les années 30 le droit de réunion et le droit d’expression). C’est, semble-t-il, une attitude à méditer, à un moment où l’État de droit semble de plus en plus menacé même, ou surtout, dans les pays de longue tradition démocratique.

Sur la finalité de la jurisprudence des Cours et sur l’apport « démocratique » de celle-ci, les réponses au questionnaire laissent paraître trois tendances.

Certaines juridictions ne s’estiment pas forcément bien placées, compte tenu de leur compréhension de leur mission, pour évaluer leur contribution à l’ancrage de la démocratie et de l’État de droit. Une telle évaluation ne pourrait être, de leur point de vue, que l’œuvre d’une instance extérieure, notamment la doctrine juridique.

C’est, au demeurant, la réponse littérale qui a été fournie par le juge belge, qu’il convient de rapprocher de celle du juge suisse, pour qui la Cour ne saurait pour ainsi dire être « juge et partie ».

Il faut rapprocher ce point de vue des réponses négatives qui ont été faites à la question de savoir si la garantie de l’État de droit et de la démocratie est « une finalité » de la jurisprudence de la Cour. En répondant négativement, les juridictions sous-entendent que l’action jurisprudentielle, même « positive », ne saurait résulter d’une sorte de parti pris. L’apport du juge peut être « constaté », éventuellement loué, mais il ne doit pas procéder d’un choix « partisan » ou « militant ». Souvent d’ailleurs, les réponses insistent sur le fait que la fonction du juge consiste d’abord et principalement à interpréter la Constitution, l’action positive sur l’État de droit et la démocratie n’intervenant que « par ricochet ». Les opinions fournies par les juges algérien, andorran, bulgare, canadien, cap- verdien, cambodgien et congolais (RDC) vont dans ce sens. La préservation des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie se trouve ainsi médiatisée par l’application de la Constitution en général. C’est par le biais de l’interprétation de celle-ci que droits de l’homme et État de droit se trouvent promus ; la garantie des droits de l’homme est générée par la garantie de la Constitution elle-même. Une telle perspective, on l’aura compris, porte la vertu d’éloigner le spectre du « gouvernement des juges ».

Une dernière variante de cette approche circonspecte consiste à répondre de manière littérale et fidèle à la question posée, et à affirmer que la garantie de l’État de droit est bien une finalité, mais une finalité seulement, de la jurisprudence. En d’autres termes, cette finalité n’est pas exclusive d’autres visées, elle n’est pas la seule. En la reléguant dans une certaine forme de « banalité », en ne lui conférant pas forcément un statut particulier ou privilégié, les juridictions entendent ainsi établir que leur contribution au renforcement de l’État de droit ne tient ni de l’obsession, ni même du leitmotiv, elle découle naturellement et tranquillement pourrait-on dire, de l’exercice de leur mission. Semblent procéder de ce point de vue les réponses du Congo, de la Côte d’Ivoire, de la France, de Madagascar, de Monaco, du Mozambique, du Niger, de la Roumanie, du Rwanda et du Togo.

D’autres réponses paraissent en revanche clairement inscrire l’office du juge dans la perspective plus précise et plus téléologique de renforcement de l’État de droit et de la démocratie. Elles consistent alors à affirmer que l’office du juge constitutionnel est, principalement ou entièrement, dédié au renforcement de l’État de droit. C’est le sens de la réponse de la RCA (« premier pilier des actions » de la Cour, elle-même soumise à une « Feuille de route »), du Gabon (les décisions de la Cour « ne peuvent concourir qu’à la consolidation de la démocratie »), du Mali (la consolidation de la démocratie est « une référence pour toutes les décisions »), du Maroc (cette consolidation est la « raison d’être » de la Cour) ou encore la Tunisie (la Cour doit « accompagner le processus de démocratisation »). On soulignera au passage que l’assignation d’une mission précise à la juridiction ou à sa jurisprudence peut être perçue comme salutaire dans une conjoncture nationale donnée : c’est assurément le cas pour des pays comme la RCA ou la Tunisie.

Si le principe et la légitimité d’un renforcement jurisprudentiel de l’État de droit et de la démocratie sont acquis, il reste à savoir sur quels leviers le juge a agi pour ce faire.

Une grande partie des réponses fournies pour l’essentiel par les pays dits en transition démocratique a mis l’accent sur le traitement des questions électorales comme levier. Une juridiction comme celle des Comores constitue à cet égard un cas type puisqu’elle n’a connu, depuis 2008, qu’un contentieux électoral, à l’exclusion de tout autre. Si, là encore, la persistance du contentieux électoral renvoie incontestablement à des contextes politiques parfois difficiles, l’abondance ou la persistance d’un tel contentieux étant précisément le signe de ces crispations, il faudrait cependant se défier de la tentation de voir dans ce contentieux électoral une sorte d’apanage ou d’exclusivité des démocraties jeunes ou fragiles. Les réponses des juges belge et suisse, en traitant exclusivement d’elle, témoignent de l’acuité de la question électorale. À travers les réponses reçues, la problématique de l’élection en général est donc liée à celle de la démocratie. La question qui s’ensuit consiste alors à se demander si une perception seulement « électorale » de la démocratie ne serait pas réductrice, si l’on ne court pas le risque, avec un tel point de vue, de ramener la démocratie à l’arbitrage par le juge de la seule compétition pour le pouvoir.

D’où l’intérêt de s’attarder sur d’autres réponses, quelque peu différentes, comme celles du Mali et du Gabon. La première met en évidence le rôle du juge dans une circonstance qui a généré des tensions dans maints États : celle des révisions constitutionnelles (trop souvent centrées sur des enjeux comme l’accès ou le maintien au pouvoir). L’on sait que le juge malien, alors même qu’il n’en avait pas reçu habilitation expresse, a opéré un contrôle sur un projet de révision en 2001. Il faut comprendre que cette initiative est présentée ici comme une modalité salutaire d’arbitrage du jeu politique et un moyen pour le juge de fortifier la démocratie. Pour sa part, le juge gabonais a insisté sur sa participation à la solution de crises, que ce soit à titre préventif (au travers notamment de sa fonction consultative exercée dans le cadre, là encore, d’un projet de révision constitutionnelle), soit une fois la crise nouée (la Cour a ainsi pu, dans le passé, « combler un vide constitutionnel » pour éviter une crise politique). Les deux réponses ont ceci de commun que pour montrer la vocation « démocratique » de la jurisprudence constitutionnelle, elles utilisent toutes deux le concept d’« organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics ». Loin de suggérer un office neutre, cette expression insinuerait au contraire un juge en aplomb, susceptible de détecter les risques de crise – crise pouvant être d’ordre sanitaire, comme celle de la Covid-19, évoquée par la réponse moldave – et d’y apporter une solution. C’est ainsi qu’il contribuerait à la consolidation démocratique. En somme, la participation à la démocratie et à l’État de droit consisterait en une sorte d’encadrement constitutionnel des périodes incertaines ou périlleuses ; elle consisterait à rappeler des constantes constitutionnelles, des exigences juridiques permanentes. À cet égard, la Cour constitutionnelle de la RDC indique comment son intervention (arrêt du 17 octobre 2016) a pu éviter une crise politique et électorale majeure dans le pays. Il en est de même dans le cas de la RCA en 2020, à l’occasion de l’examen d’une proposition de révision constitutionnelle tendant à combler une lacune de la Constitution sur le mandat présidentiel.

Il convient, pour finir sur ce point, de relever deux autres enseignements livrés par les réponses. Le premier est ce qu’on pourrait appeler le paramètre du regard extérieur. Il apparaît dans les réponses de l’Albanie, de la Roumanie, de la Serbie. La contribution jurisprudentielle à l’État de droit et à la démocratie peut être jaugée à l’aune d’un regard comparatif ou suggérant des critères de convergence démocratique ou constitutionnelle. En l’occurrence, il s’agit d’un regard européen, posé dans le cadre de mécanismes régionaux de protection des droits de l’homme (Convention européenne des droits de l’homme ou Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). Au-delà de ces trois réponses, il s’agit de saisir l’importance de ce paramètre dans un contexte mondial dominé à la fois par la montée en puissance des juges, et la nécessité de leurs convergences dialogiques. Curieusement, cette convergence n’est pas aussi perceptible du côté des pays africains, ni au plan horizontal entre juges constitutionnels, ni au plan vertical entre juges constitutionnels et juges internationaux.

Le second enseignement est mis en évidence dans les réponses du Mali et de la Tunisie. Ces réponses montrent que le niveau ou le degré de participation du juge à la consolidation démocratique peut être tributaire d’un contexte général plus ou moins favorable. En l’espèce, ce contexte est plutôt défavorable : hypothèque sécuritaire dans le premier cas, transition politique incertaine et mobilisation de « pouvoirs de crise » dans le second. Faut-il alors comprendre que l’affermissement jurisprudentiel de la démocratie ne saurait s’accomplir « sous vide », et qu’il suppose un minimum d’environnement démocratique ?

En tout état de cause, l’une des clés de l’approfondissement démocratique par le juge passe par la satisfaction d’un certain nombre de conditions relatives à l’accès à la juridiction. Le questionnaire lui-même semble le supposer puisqu’il porte directement le débat sur ce point-là. Toutes les juridictions paraissent également admettre que l’ouverture de l’espace constitutionnel au citoyen – c’est-à-dire la saisine directe du juge par celui-ci – ne peut qu’être bénéfique. Cet accès des individus à la Cour pourrait être considéré aujourd’hui comme un des marqueurs des systèmes démocratiques. La France semble adhérer à une telle conception à travers l’aménagement d’un régime contentieux de la question prioritaire de constitutionnalité favorable aux requérants depuis sa consécration.

Certaines juridictions complètement fermées aux personnes privées regrettent une telle situation : c’est le cas du Mali, du Mozambique et de la Tunisie. Il existe heureusement des pays dans lesquels les personnes privées peuvent saisir le juge par voie d’action : c’est le cas, entre autres, de la Belgique, du Burundi, du Burkina Faso, du Congo, de la RCA, de la RDC, du Rwanda, de la Suisse. Quant à la saisine par voie d’exception, elle existe dans des pays comme l’Algérie, la Belgique (en plus de la voie d’action), le Burundi (en plus de la voie d’action), le Cambodge, le Cap-Vert, les Comores, la Roumanie, le Rwanda (en plus de la voie d’action), la France, le Sénégal.

Certains États ne se sont pas contentés de garantir l’accès des citoyens au juge. Ils ont pu confirmer cette option, l’ont en quelque sorte prolongée, en prenant des mesures additionnelles propres à lui donner un maximum d’effets. Les mesures suivantes peuvent être citées : « constitutionnalisation » de la garantie (article 191 de la Constitution suisse), dispense du ministère d’avocat (Belgique, RCA, RDC), gratuité totale de la procédure (Cap-Vert, RCA, RDC, Rwanda, Serbie), informations en ligne et sites ouverts au public (France), voire saisine électronique (Albanie, Serbie), séminaires de formation pour les acteurs judiciaires (Sénégal).

Peut-on, à l’aune de toutes ces données, conclure qu’en exerçant son office de protecteur des droits de l’homme et de garant de l’État de droit et de la démocratie, le juge constitutionnel joue un rôle politique ?

Certaines juridictions ont franchement répondu par la négative. On peut citer celles du Burkina Faso, du Burundi, du Cambodge, du Canada, du Cameroun, du Congo, du Gabon, de la Mauritanie, de la Roumanie et du Togo. D’autres ont au contraire répondu par l’affirmative, ne serait-ce qu’au regard de leurs compétences électorales : Comores, Mali, Sénégal. Un dernier groupe de juridictions a eu une réponse mitigée, que l’on pourrait faire consister dans une sorte de « oui, mais » ou de « non, mais ». Au rang de ces réponses qui scintillent de mille nuances, on citera celles de l’Algérie, de l’Albanie, d’Andorre, de l’Angola, de la Belgique, du Cap-Vert, de la Côte d’Ivoire, de la France, de la Moldavie, de Monaco, du Niger, de la RCA, de la RDC, de la Serbie et de la Suisse. La réponse de la Tunisie a la particularité, là encore, de nous rappeler que le contexte conjoncturel dans lequel évolue le juge peut plus ou moins « politiser » son office, et elle ajoute que l’Instance Provisoire de contrôle de constitutionnalité ne peut manquer d’avoir un rôle politique dans un contexte de transition lui-même « surpolitisé ».

À vrai dire, la variété des réponses enregistrées sur cette question de principe ne surprend pas. Sans doute faut-il chercher la vérité « au milieu », c’est-à- dire dans les réponses mitigées. Ni le « oui », ni le « non » ne sont absolus. La mission d’interprétation du droit qui est d’abord celle du juge requiert certainement une compétence technique, une expertise qui interdit de ravaler la fonction juridictionnelle à un acte politique au sens où celui-ci serait « partisan » ou procéderait d’une préférence purement subjective. Mais il est tout aussi indéniable que les décisions du juge constitutionnel, ne serait-ce que parce qu’elles interviennent dans un champ politique, mais aussi sur des questions de société, revêtent sans doute un aspect de même nature, que l’on pourrait alors appeler une dimension politique objective. Au demeurant, on sait qu’il est permis de s’interroger sur la « pureté technique » de l’opération d’interprétation elle-même, laquelle, procédant d’un choix, pourrait ainsi n’être que « politique ».

Quoiqu’il en soit, le débat sur ce point appelle une réflexion corrélative sur l’indépendance du juge. Exposé ou livré à la politique, mais devant rester indépendant – exigence ontologique de sa fonction –, le juge doit naviguer entre des exigences ou des périls contradictoires. Les réponses de l’Albanie, du Cap- Vert et de la France ont semblé intégrer cet aspect des choses, et n’ont pas manqué, sur ce point, de suggérer des pistes de réflexion touchant l’indépendance du juge, à travers son mode de recrutement, l’aménagement de son mandat, les qualités attendues de lui, etc. Il semble qu’un organe dédié à cette fonction, le Conseil des nominations à la Justice, ait été mis en place au Cap-Vert. La juridiction Cap-verdienne a, elle aussi, évoqué la nécessité de garantir l’indépendance du juge constitutionnel en particulier, à travers un mode de désignation approprié et l’institution d’incompatibilités auxquelles il serait soumis.

L’impression forte qui se dégage de l’analyse de la partie du questionnaire relative à cette Table ronde est une détermination sans réserve du juge constitutionnel, quel qu’il soit, à apparaître comme un protecteur des droits de l’homme. Cependant, on note que dans la réalité, c’est en fonction du système judiciaire, notamment les possibilités d’accès au juge, et de la nature des recours, qu’il peut donner corps à cette détermination dans son office. Les méthodes et techniques utilisées par le juge à cet effet font l’objet de la Table ronde suivante.

FIGURE.1

SOUS-THÈME 1 :

Droits de l’homme, État de droit et démocratie

Tableau récapitulatif des questions 1, 2 et 13

Q1 : La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Q2 : Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Q13 : Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

 


  • [1]
    Avec la collaboration d’Alioune SALL, professeur à l’Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR, membre de la Commission du droit international.  [Retour au contenu]

 

Allocution de Laurent Fabius

Président du Conseil constitutionnel français [1]

 

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel du Sénégal,

Monsieur le Président de l’ACCF,

Madame la Représentante de l’OIF,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Chers collègues et, si vous me le permettez, chers amis,

Je veux d’abord remercier chaleureusement nos amis le Président Sakho et le Juge en chef Wagner d’avoir permis, après un report lié à la crise sanitaire, que ce 9e congrès de l’ACCF ait effectivement lieu ici à Dakar et remercier nos amis sénégalais pour la qualité de leur accueil.

La réflexion autour du thème « Droits de l’Homme, État de droit et démocratie » est cruciale. En 2012, l’AGNU était déjà allée à l’essentiel lors de sa Réunion sur l’État de droit aux niveaux national et international quand elle déclarait : « les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie sont interdépendants. Ils se renforcent mutuellement et font partie des valeurs et des principes fondamentaux, universels et indissociables de l’Organisation des Nations Unies ».

Et cependant nombreux doutent de la capacité de ces principes à garantir à nos peuples et à nos États une situation satisfaisante et une paix durable. Nos cours constitutionnelles ont à cet égard un rôle important à jouer, en ce qu’elles sont les gardiennes de la stabilité démocratique, du respect de l’État de droit et de la pérennité des droits fondamentaux. Je souhaiterais revenir brièvement sur ces trois termes qui sont liés entre eux.

La démocratie. Chers collègues, en théorie tout est parfait. Dans les faits, aujourd’hui, on entend ici et là s’exprimer un certain désenchantement, quand ce ne sont pas des attaques directes, à l’égard de la démocratie. Les arguments tournent souvent autour d’un reproche d’inefficacité face à l’addition des crises profondes et diverses qui traversent nos sociétés.
« Quand le ventre est vide, l’urne sonne creux » dit-on parfois sur ce continent. Mais l’invasion de l’Ukraine aurait-elle eu lieu dans les mêmes conditions si la Russie était une démocratie pleine et entière ? À l’évidence, non. Le Président Macky Sall a évoqué avec raison lors de la visite récente du SGNU à Dakar les « impacts dramatiques » de la guerre « sur les économies (…) des pays en développement » et les « menaces de famine » qui en découlent pour l’Afrique.

Face à ces enjeux, les régimes démocratiques ne doivent pas renoncer à l’être, ils doivent au contraire s’organiser pour faire face aux défis, avec l’appui de la communauté internationale, un appui international dont il serait souhaitable, notamment sur les plans économique, financier et technologique, qu’il soit beaucoup plus massif. Je note aussi que, lorsque les citoyens expriment un jugement négatif sur la démocratie, c’est en général surtout la manière dont elle fonctionne dans leur pays qu’ils critiquent et non l’idée démocratique elle-même.

Parmi les adversaires de la démocratie, certains, en paroles et en actes, y compris jusqu’aux marches du Capitole américain, s’en prennent de manière brutale aux institutions, en particulier aux cours constitutionnelles et à leurs membres, mais aussi à la presse et à la société civile, qui seraient à l’origine de tous les maux de notre époque. « Contre l’État de droit mais pour le peuple » : tel pourrait être leur slogan dont je pense qu’il est trompeur.

Une expression est parfois utilisée pour désigner leur système favori : la « démocratie illibérale ». Cette formule vise en réalité à séparer démocratie et État de droit et c’est pour moi un abus de langage. Car les principes cardinaux de l’État de droit sont clairs : la séparation des pouvoirs, la tenue d’élections libres, l’indépendance de la justice, la liberté de la presse, la lutte contre la corruption, le principe de légalité. La démocratie ne saurait faire l’objet d’une sorte d’application « à la carte » visant à limiter son exercice à l’élection, dans des conditions d’ailleurs souvent discutables, des responsables par le peuple tout en excluant l’application des principes cardinaux qui définissent l’État de droit.

L’État de droit. Car, n’en déplaise à ses détracteurs, l’État de droit est en effet le ciment de la démocratie. À l’échelle individuelle, c’est lui qui protège les libertés de chacun. À l’échelle de la société, c’est lui qui garantit les conditions du débat contradictoire et de la délibération.

Montesquieu l’exprimait déjà en 1748 dans L’esprit des lois : « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Dès lors, et cette distinction est essentielle, si l’on peut bien sûr modifier l’état du droit (c’est le rôle du législateur), on ne doit pas pouvoir mettre en cause l’État de droit. Les tentatives pour supprimer les contrepouvoirs ouvrent en effet souvent la voie au totalitarisme.

Les discours contre l’État de droit empruntent parfois le chemin de la défiance envers un supposé « gouvernement des juges ». On prétend que ceux-ci menacent la souveraineté nationale et abusent systématiquement de leurs pouvoirs. Sous couvert d’une meilleure efficacité, on cherche en réalité à mettre les juges au pas. Or, ceux-ci sont, par leur indépendance et leur impartialité, et dès lors bien sûr qu’ils respectent leur mission, les vigies du système démocratique.

À cet égard, je voudrais rappeler que l’État de droit n’est pas simplement un concept théorique, il recouvre des réalités tangibles. Comme le souligne régulièrement l’ONU, l’État de droit encourage le développement : en donnant plus de poids aux personnes et aux communautés, en assurant l’accès à la justice, il contribue à la croissance économique. Il est aussi le garant de la paix et de la sécurité : en dissuadant le recours au crime et à la violence, en assurant des réponses effectives et proportionnées en cas de violation des droits, il garantit une justice et une paix durables. De même pour l’éducation et l’information concernant les droits et les devoirs de chacun.

Deux exemples récents. J’ai été frappé il y a quelques mois par le témoignage de plusieurs participants à La Nuit du droit organisée au Conseil constitutionnel à Paris et consacrée précisément au thème de « L’État de droit face aux crises ». Le Professeur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, nous a fait part de son travail, admirable, auprès de femmes victimes de crimes sexuels soignées à l’hôpital de Panzi en République Démocratique du Congo. Il a rappelé les ravages causés dans ce cas par l’impunité et, au contraire, la force de la justice lorsqu’elle est mise en œuvre. De son côté, Madame Svetlana Tikhanovskaïa, opposante courageuse à l’autocratie biélorusse, a décrit l’insécurité et la répression violente qui règnent dans son pays en l’absence d’accès réel à la justice et aux élections. Combien de témoignages analogues chacun de nous pourrait ajouter pour montrer les liens étroits entre démocratie et État de droit.

Les droits de l’homme. Chers collègues, pas plus qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans État de droit, il ne saurait évidemment y avoir de démocratie sans droits. Une étude récente de l’ONG Freedom House montre que, malheureusement, les libertés ont décliné au niveau mondial de manière consécutive durant les 16 dernières années. C’est notamment sur ce plan que les juges constitutionnels ont à jouer un rôle clef de bouclier face aux attaques contre les principes fondamentaux du droit. Leur rôle, notre rôle, n’est d’ailleurs pas exactement le même que dans le passé, en raison de ce que j’appellerai la « contagiosité », positive ou négative, des droits de l’homme. D’une part, en effet, dans notre monde contemporain interconnecté, tout recul des droits de l’homme dans un pays risque d’avoir des conséquences négatives dans les autres, de même que l’inverse, « contagion positive », est heureusement vrai. D’où l’importance particulière de la coopération internationale des cours constitutionnelles dans ce domaine. D’autre part, pour des raisons notamment technologiques, nous, juges constitutionnels, devrons, je le crois, de plus en plus nous préoccuper dans nos décisions des droits des générations futures alors que notre droit a été largement fondé, en particulier en matière de procédure et de responsabilité, sur une analyse des situations « nées et actuelles ». D’où, là aussi, un champ nouveau et passionnant ouvert à la défense et à la promotion des droits de l’homme.

Chers collègues,

« Il n’y aura pas de paix sur cette planète tant que les droits de l’homme seront violés en quelque partie du monde que ce soit ». Ces mots du juriste français René Cassin, à l’annonce de l’attribution du Prix Nobel de la Paix 1968, peuvent paraître bien ambitieux. Ils nous rappellent cependant à juste titre le rôle crucial de nos cours dans la construction d’une paix durable, pour les peuples présents et à venir.

Nos juridictions ont en effet un rôle à jouer dans la construction d’un monde vivable, où la brutalité ne dicte pas la loi et où prévaut la solidarité. Pour cela, notre dialogue et notre unité autour de valeurs communes, sans nier bien sûr nos différences, sont essentiels, à commencer par celles qui sont portées par l’État de droit.

Dans cet esprit, trois mots d’ordre me paraissent particulièrement précieux : la sensibilisation de tous à une culture juridique citoyenne ; la vigilance face aux attaques contre l’État de droit ; enfin, l’unité de nos cours et conseils face à ceux qui tentent de mettre sous leur botte les juges indépendants et impartiaux. Notre dialogue et notre coopération au sein de l’ACCF sont des éléments importants pour atteindre ces objectifs.

Merci.


 

L’expérience du Conseil constitutionnel du Sénégal

Saïdou Nourou Tall, Vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal et coordonnateur du Service d’études et de documentation

 

Introduction

La Constitution du 22 janvier 2001, actuellement en vigueur, consacre à l’évidence la prééminence de certains principes et règles juridiques servant d’ossature en matière de contrôle de conformité opéré par le Conseil constitutionnel Sénégalais (ci-après, CCS). Elle s’inscrit dans un environnement spécifique d’un pays héritier d’un riche legs juridique et crédité d’une expérience démocratique incontestable avec les Constitutions successives qui ont affermi l’État de droit [1].

En s’assignant résolument comme objectifs la transparence et la bonne gouvernance, la Constitution de 2001 réaffirme l’attachement de la République du Sénégal aux grands principes démocratiques et de respect des droits de l’Homme découlant de certaines Conventions internationales. Dès lors, la Constitution ne pouvait qu’appréhender cet héritage tout en conciliant les éléments normatifs relevant de la continuité constitutionnelle avec des aspects novateurs consolidant l’ouverture du Sénégal vers l’Afrique et le Monde.

À cet égard, la justice constitutionnelle sénégalaise, naguère rendue par la Cour Suprême (ancienne formule) [2], et s’incarnant actuellement et principalement dans l’œuvre du Conseil constitutionnel, a permis de développer une certaine somme jurisprudentielle.

Ses attributions sont ainsi systématisées par l’article 92 de la Constitution :

« Le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité des lois et des engagements internationaux, des conflits de compétence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ainsi que des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel ou la Cour suprême.

Le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de la République pour avis.

Le Conseil constitutionnel juge de la régularité des élections nationales et des consultations référendaires et en proclame les résultats.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » [3].

En effet, le Conseil constitutionnel Sénégalais, en faisant prévaloir la suprématie de la Constitution, assure non seulement la primauté du droit, mais garantit aussi le fonctionnement régulier des organes étatiques. En effet, la Constitution est à la fois la loi qui définit les modalités d’organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics et la synthèse des valeurs fondamentales et des principes qui constituent le pacte social et politique sur lequel repose une société[4].

Il en appert que les droits de l’Homme, l’État de droit et la démocratie entretiennent une relation dialectique (I) qui justifie, au Sénégal, même si la protection des droits de l’Homme par le juge constitutionnel ne résulte pas directement d’une compétence expresse, qu’elle s’effectue à travers la consolidation de la démocratie et de l’État de droit (II).

 

I – L’articulation entre droits de l’Homme, État de droit et démocratie

Les droits de l’Homme, l’État de droit et la démocratie présentent un rapprochement au plan conceptuel que leurs définitions (A), ainsi que l’analyse de leurs rapports permettent de relever (B).

 

A. Clarifications conceptuelles

Les droits de l’Homme, l’État de droit et la démocratie sont trois concepts multidimensionnels qui, malgré l’absence de consensus sur leur définition, présentent des caractères spécifiques.

Ainsi, le concept de démocratie, auquel renvoie la formule « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple », désigne un régime politique où le peuple est à la fois la source et la finalité du pouvoir politique. Le régime démocratique s’entend d’un système de gouvernement reposant sur la participation politique du plus grand nombre de citoyens à l’exercice du pouvoir, soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire de représentants élus.

S’il peut exister plusieurs formes de démocratie, le dénominateur commun reste l’existence d’institutions et de lois visant à protéger le peuple des dérives tyranniques ou dictatoriales. En règle générale, une démocratie moderne requiert des élections libres et transparentes, une égalité de droits pour tous les citoyens qui participent à la vie politique en tant qu’électeurs et candidats, la liberté d’expression et d’association et une presse libre afin de garantir la possibilité de faire entendre des opinions différentes et enfin un vrai pouvoir détenu par des représentants élus[5]. Cela correspond mieux à la démocratie libérale qui est une démocratie représentative dans laquelle la capacité des élus à exercer un pouvoir de décision est soumise à la règle de droit et est généralement encadrée par une Constitution qui met l’accent sur la protection des droits et libertés des individus, posant ainsi un cadre contraignant aux dirigeants.

Quant à l’État de droit, c’est une expression traduite de l’allemand Rechtstaat, employée pour caractériser un État dont l’ensemble des autorités politiques et administratives, centrales et locales, agit en se conformant effectivement aux règles de droit en vigueur et dans lequel tous les individus bénéficient également de garanties procédurales et de libertés fondamentales[6]. Dans l’État de droit, les gouvernants, comme les gouvernés, sont soumis au respect du droit.

En effet, à l’origine, le concept d’État de droit a pour objet de restreindre l’utilisation arbitraire du pouvoir afin que les États ne puissent pas agir en toute impunité à l’encontre de leurs citoyens et que ces derniers se conforment également aux règles concernant la manière dont ils se traitent mutuellement. Idéalement, dans l’État de droit, les gouvernants et les individus sont liés par des lois transparentes publiées ; tous les citoyens sont égaux devant la loi et accèdent à une justice prévisible et efficace quelles que soient leurs ressources ; les droits des citoyens sont protégés contre tout arbitraire des gouvernants, ces derniers étant soumis à la loi[7].

Les droits de l’Homme, selon la conception libérale, sont des droits inhérents à la nature humaine, donc antérieurs et supérieurs à l’État et que celui-ci doit respecter non seulement dans l’ordre des buts mais aussi dans l’ordre des moyens[8]. Le concept des droits de l’Homme est, par définition, universaliste et égalitaire.

L’extension du concept des droits de l’Homme a conduit à identifier plusieurs « générations » de droits : civils et politiques ; droits économiques, sociaux et culturels ; droits de la troisième génération dits droits de solidarité comme le droit à la paix, le droit au développement, le droit à un environnement sain, etc[9].

Les droits de l’Homme, prérogatives dont sont titulaires les individus, sont généralement reconnus dans les pays démocratiques par la loi, par des normes de valeur constitutionnelle ou par des conventions internationales, afin que leur respect soit assuré par tous, y compris par les pouvoirs publics.

 

B. Dialectique droits de l’Homme, État de droit et démocratie

Dans un régime démocratique, le droit trouve sa source dans l’affirmation de la souveraineté de l’État, à travers la volonté générale. En cela, la démocratie s’oppose aux droits de l’Homme dans lesquels le droit trouve son essence dans l’individu. Ainsi, il peut arriver que ces deux sources de droit entrent en conflit lorsque la volonté du peuple souverain est contraire aux droits de l’Homme. Un État démocratique peut en effet violer les droits de l’Homme. Par exemple, le principe démocratique de la règle de la majorité peut s’avérer contraire aux principes de l’État de droit que sont l’égalité et les droits civils. En outre, la volonté de la majorité d’un peuple peut être contraire à des règles internationales.

Certains ont pu considérer que « le droit étouffe la démocratie » [10] ou encore que « le développement d’une conception essentiellement individualiste des droits fondamentaux participe au déchirement du tissu social, à l’éclatement de la notion d’intérêt général, à un système de valeurs communautaristes et concurrentielles qui affaiblissent la démocratie »[11]. À ces critiques s’ajoute le fait que la défense des valeurs partagées suppose l’existence d’une société politique fondée sur une « communauté d’aspirations »[12], alors que la démocratie exige une communauté construite autour de valeurs communes qui englobent, sans s’y limiter, la consécration et la protection des droits fondamentaux.

De ce fait, les rapports conflictuels entre démocratie et droits de l’Homme induisent une conciliation nécessaire dévolue à un juge indépendant, pilier essentiel à l’État de droit et le rapprochement paraît même évident.

En réalité, droits de l’Homme, État de droit et démocratie entretiennent des relations étroites. Ils ont des objectifs communs même si ceux-ci sont réalisés par des moyens parfois différents.

En effet, la démocratie et l’État de droit ont en commun d’empêcher toute dérive arbitraire mais de manière différente car pour l’un c’est au moyen de la souveraineté populaire et pour l’autre par la soumission au droit à la fois des gouvernants et des gouvernés. De même, dans l’optique de préserver l’individu contre l’arbitraire des gouvernants, des droits fondamentaux lui sont reconnus. Le droit étant l’expression de la volonté générale, il renferme les droits de l’Homme.

Ainsi, autant la démocratie assure le respect des droits de l’Homme à travers l’État de droit, autant celui-ci est indispensable à l’exercice de la démocratie et de l’État de droit. La démocratie permet d’assurer le respect des droits de l’Homme à travers la doctrine de l’État de droit. Les droits de l’Homme sont garantis par les traités internationaux et les lois nationales dont le respect s’impose, dans le cadre d’un État de droit, aux gouvernants qui exercent le pouvoir en vertu du peuple et pour le peuple. Si le contenu des lois ne se rattache pas nécessairement aux droits de l’Homme, toute mesure destinée à faire respecter l’État de droit doit respecter les droits de l’Homme car l’État de droit ne va pas sans la protection de ceux-ci [13].

Par ailleurs, on peut affirmer que « les droits de l’homme sont le code de la démocratie » et sans eux, il n’y a ni accès ni connexion possibles à la démocratie. En effet, le citoyen se construit et se définit par les droits que la Constitution énonce au profit des êtres physiques concrets et les individus sont reliés entre eux par les droits de l’Homme[14].

Il faut une conciliation entre les exigences collectives et les droits des individus car si les droits de l’Homme s’imposent indépendamment de toute appartenance communautaire, à partir du moment où l’individu est privé d’une inscription collective, nationale, il est privé de droits. Aussi, selon Hannah Arendt le premier des droits de l’Homme est-il d’appartenir à une communauté politique[15]. La démocratie apparaît ainsi comme le cadre d’épanouissement des droits de l’Homme. De ce fait, ces trois notions sont indissociables.

 

II – Protection des droits de l’Homme à travers la consolidation de la démocratie et de l’État de droit

Au Sénégal, même si la protection des droits de l’Homme n’est pas une compétence explicite du juge constitutionnel, ce dernier y recourt cependant dans le cadre de l’exercice de ses missions, notamment à travers la consolidation de la démocratie et de l’État de droit. Il convient d’aborder les fondements (A) ainsi que l’effectivité de cette protection constitutionnelle (B).

A. Les fondements de la protection

Les concepts de démocratie, d’État de droit et de droits de l’Homme sont bien connus du Constituant sénégalais. Relativement au Sénégal, il est heureux que le Préambule mette l’accent à la fois sur l’enracinement et l’ouverture, tout en se terminant par l’incise de l’affirmation péremptoire de sa valeur constitutionnelle[16]. Par cette assertion, le Constituant sénégalais fait l’économie des vives controverses doctrinales qui avaient achoppé sur la valeur juridique du Préambule[17].

Aussi, le Conseil constitutionnel sénégalais, s’inspirant du Conseil constitutionnel français, fait de la constitutionnalité du Préambule le justificatif de références relatives au droit international en insérant ces dernières dans un esprit spécifique, à savoir la réalisation de l’unité africaine nécessitant de ne ménager aucun effort, y compris par un abandon de souveraineté sous condition « de réciprocité et dans le respect des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que des libertés fondamentales, garantis par les dispositions de valeur constitutionnelle »[18].

Le Préambule [19] énumère, dans un raccourci saisissant, les textes fondateurs de la protection des Droits de l’Homme : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979 [20], Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et sur le plan continental , la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981[21].

En outre, le préambule proclame :

« – L’inaltérabilité de la souveraineté nationale qui s’exprime à travers des procédures et consultations transparentes et démocratiques ;

  • La séparation et l’équilibre des pouvoirs conçus et exercés à travers des procédures démocratiques ;
  • Le respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen comme base de la société sénégalaise ;
  • Le respect et la consolidation d’un État de droit dans lequel l’État et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques, sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale… ».

Par ailleurs, dans le corpus constitutionnel, il est consacré un titre aux droits et libertés fondamentaux[22], notamment, l’inviolabilité de la personne humaine [23] et du domicile[24], l’égalité devant la loi [25], les libertés d’opinion, d’expression, de réunion, et de manifestation[26], les droits de la défense[27], le droit de propriété[28]. Le Conseil a rappelé dans sa décision n°2/C/21 du 20 juillet 2021 que « la plupart des droits et libertés prévus dans la DDHC ou dans la DUDH sont repris dans le titre II de la Constitution, intitulé « Des droits et libertés fondamentaux et des devoirs des citoyens » ». À ce propos, il est souvent de coutume de rapporter ces propos du Général de Gaulle : « Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique »[29]. La présence des références internationales dans les Constitutions francophones d’Afrique[30] semble a priori dessiner un arc de mimétisme avec la Constitution française de 1958 mais ne conduit nullement à un affadissement des singularités décelées çà et là, relevant à la fois de contextes ambiants de sous-développement mais aussi d’aspects socioculturels particuliers, creuset de réception de l’élan panafricaniste et de l’ancrage universaliste[31].

En veillant au respect de la conformité de la loi à la Constitution dans tous ses domaines de compétence, le Conseil sanctionne toute atteinte aux droits fondamentaux et participe ainsi à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie. En effet, protéger les droits de l’Homme, c’est aussi garantir l’État de droit et la démocratie. D’ailleurs, dès sa création, le Conseil a marqué sa détermination pour la « sauvegarde de l’État de droit » et de « l’intérêt commun »[32]. Pour accomplir sa mission, le juge constitutionnel mobilise la Constitution et les instruments internationaux faisant partie du bloc de constitutionnalité.

C’est dans cette optique que la jurisprudence du Conseil s’est bâtie.

 

B. L’effectivité de la protection

Le Conseil, à travers sa jurisprudence, participe à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie en protégeant les droits de l’homme.

Depuis sa création, le Conseil s’est érigé en véritable gardien de la Constitution permettant ainsi l’effectivité de l’État de droit. Il veille à la protection de l’indépendance des juges[33], de la séparation des pouvoirs [34] de la non rétroactivité de la loi [35], de l’autorité de la chose jugée[36], de l’inamovibilité des magistrats[37], de la souveraineté nationale[38]etc.

Par ailleurs, la protection des droits fondamentaux est régulièrement en cause. De façon générale, le Conseil considère qu’en dehors des droits intangibles, valables en tout temps et en toutes circonstances, comme le droit à la vie, l’interdiction de l’esclavage, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide, l’interdiction de la torture qui sont consacrés par les conventions internationales, les autres droits et libertés peuvent faire l’objet de restrictions par le législateur sous réserve du respect des autres règles de valeur constitutionnel.

Aussi, contrôle-t-il toute atteinte excessive aux droits et libertés consacrés par la Constitution (droit au secret des correspondances, le droit au respect de la vie privée, la liberté de manifestation [39] etc.) et, en invoquant des objectifs de valeur constitutionnelle tels que la préservation de l’ordre public ou la sauvegarde de l’intérêt général, le Conseil admet des restrictions, par le législateur, à l’exercice de ces droits et libertés fondamentales (les droits de la défense ou la présomption d’innocence)[40].

Quelques illustrations permettent de montrer l’orientation jurisprudentielle de cette protection.

D’abord, s’agissant du principe d’égalité, protégé sous toutes ses formes[41] (principe d’égal accès à la justice[42], d’égal accès au pouvoir[43], d’égalité devant la loi[44]), il est circonscrit par le Conseil, selon qui il « ne saurait être réduit à une stricte identité de traitement, ne s’oppose ni à ce que la loi traite de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’elle opère une discrimination entre personnes placées dans la même situation dès lors que la discrimination est fondée sur un motif d’intérêt général »[45].

L’application du principe d’égalité a été l’occasion pour le Conseil d’invalider l’article 33 alinéa 2 de la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 relative à la Cour de cassation, pour violation du principe d’égalité devant la loi et devant la justice garantis aussi bien par l’article 7 de la Constitution que par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples[46].

Ensuite, contrôlant de respect de la liberté syndicale, le Conseil en a précisé les contours, en estimant que « le droit de grève constitue le moyen ultime du travailleur dans l’exercice de ses droits syndicaux (…) que toutefois (…) ni la liberté syndicale, ni le droit de grève ne sont absolus ; qu’en disposant qu’ils s’exercent dans le cadre prévu par la loi, le constituant a entendu affirmer que le droit de grève ainsi que la liberté syndicale ont des limites résultant de la nécessaire conciliation entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen et la préservation de l’intérêt général auquel la grève peut porter atteinte »[47].

De même, dans l’exercice de ses compétences électorales, le Conseil veille à la régularité et à la sincérité des élections législatives et présidentielles qui entrent dans le processus de désignation des représentants du peuple dans la démocratie. Il estime être la seule instance de recours post-électoral habilitée à connaître de toute difficulté susceptible de faire échec au processus établi par le Code électoral pour le recensement des votes et sa saisine est justifiée par la nécessité d’assurer la continuité du fonctionnement des institutions. Ainsi, le Conseil a retenu que « ni le silence de la loi, ni l’insuffisance de ses dispositions, n’autorisent le Conseil compétent en l’espèce, à s’abstenir de régler le différend porté devant lui (…) il doit se prononcer par une décision en recourant, au besoin, aux principes généraux du droit, à la pratique, à l’équité et à toute autre règle compatible avec la sauvegarde de l’État de droit et à l’intérêt commun »[48].

De surcroît, le Conseil a eu à préciser que la qualité de citoyen qui ouvre le droit d’être candidat aux élections politiques sous réserve des incapacités prévues par le code électoral est indivisible et a estimé qu’une loi qui opère une division par catégorie de citoyens éligibles en raison de leur sexe est contraire à la Constitution[49].

En outre, protégeant l’exercice du droit de vote des électeurs, le Conseil  a considéré qu’en raison des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se déroulait le processus d’organisation des élections législatives prévues le 30 juillet 2017, caractérisé, notamment, par des inscriptions massives ainsi que par des lenteurs et dysfonctionnements dans la distribution des cartes d’électeurs non imputables aux citoyens eux-mêmes, de nombreux sénégalais jouissant de leurs droits civiques et politiques et inscrits sur les listes électorales, risquent d’être privés de l’exercice du droit de vote garanti par la Constitution. Eu égard à ces circonstances, le Conseil a estimé qu’à titre exceptionnel, le détenteur d’un récépissé dont l’inscription effective sur les listes électorales a été vérifiée peut être autorisé à voter, si la carte nationale d’identité numérisée, la carte d’électeur numérisée, le passeport ou le document d’immatriculation présenté permet de l’identifier. Ainsi, le rôle de régulation des pouvoirs publics et de pacification du jeu politique du Conseil a permis la préservation des droits politiques du citoyen. Enfin, les décisions du Conseil ne sont pas susceptibles de recours et s’imposent à tous. Aussi, selon l’article 22 de la loi organique, « si le Conseil estime que la disposition dont il a été saisi n’est pas conforme à la Constitution, il ne peut plus en être fait application ».

Toutefois, en termes de limites, il y a lieu de préciser que la compétence du Conseil demeure restreinte. Aussi, le pouvoir constituant qui est souverain, échappe-t-il à son contrôle. Le Conseil considère, en effet, que « sous réserve des limitations résultant du texte constitutionnel, le pouvoir constituant peut abroger, modifier ou compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée »[50].

En définitive, la relation entre les droits de l’Homme, l’État de droit et la démocratie relève d’une telle évidence que la protection de l’ordre juridique dans une société démocratique implique la conjonction et la conjugaison concomitantes de ces concepts par le juge constitutionnel.


  • [1]
    Après les épisodes de l’autonomie interne puis de la Fédération du Mali sanctionnées respectivement par les Constitutions du 24 janvier 1959 (loi n° 59-003) et du 17 janvier 1959 (ratifiée par le Sénégal le 23 janvier 1959), suivront les Constitutions du 26 août 1960, du 7 mars 1963 et du 22 janvier 2001  [Retour au contenu]
  • [2]
    La Cour Suprême du Sénégal (ancienne formule) avait été créée par l’ordonnance n° 60- 17 du 3 septembre 1960 et supprimée à l’occasion de la réforme judiciaire du 30 mai 1992 qui va donner naissance par les lois organiques n° 92-23, 92-24 et 92-25 respectivement au Conseil constitutionnel, au Conseil d’État et à la Cour de Cassation ; voir M. Aurillac, La Cour suprême du Sénégal, EDCE, 1964 ; Camara, « La Cour suprême du Sénégal », in Les Cours suprêmes en Afrique, Tome 1, Economica, Paris, 1988 ; B. S. NGO, L’arbitrage d’une démocratie en Afrique : La Cour suprême du Sénégal, Paris, Présence Africaine, 1989, 190 p.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Voir aussi, la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 fixant les règles relatives à l’organisation et au fonctionnement du Conseil constitutionnel, à ses attributions et à la procédure suivie devant le  [Retour au contenu]
  • [4]
    Kante, « Préface », in I. M. Fall (dir.), Les décisions et Avis du Conseil constitutionnel du Sénégal, Dakar, CREDILA, 2008, p. 12.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Kleinfeld, D. de Gramont, « Démocratie, bonne gouvernance et état de droit » in Mackey, Vers une culture de l’État de droit. Exploration des réponses efficaces aux défis de Justice et de Sécurité. Guide pratique, United States Institute of Peace, Washington D. C., 2015, p. 33.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Lexique des termes juridiques 2012, 19e édition, Dalloz, p. 377.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Kleinfeld, D. de Gramont, op.cit., p. 34.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Lexique des termes juridiques 2012, 19e édition, cit., p. 342.  [Retour au contenu]
  • [9]
    S. N. Tall, Droit des organisations internationales Africaines : Théorie générale, Droit communautaire comparé, Droits de l’Homme, Paix et Sécurité, Paris, L’Harmattan, 2015, 550 p.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Mathieu, Le Droit contre la démocratie ?, Paris, LGDJ, 2017, 304 p.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Mathieu, « Une démocratie ne peut être exclusivement fondée sur la promotion des droits individuels », in Les droits de l’homme à la croisée des droits, Mélanges en l’honneur de Frédéric Sudre, Lexis Nexis, 2018, p. 454.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Aristote, Politique, La Pléiade, p. 455 et s.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Parker, « État de droit et droits de l’homme » in L. Mackey , op.cit., p. 32.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Rousseau, « Les droits de l’homme sont-ils antidémocratiques ? », in Les droits de l’homme à la croisée des droits, op.cit., p. 656.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Citée par Mathieu, « Une démocratie ne peut être exclusivement fondée sur la promotion des droits individuels », op. cit., p. 454.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Le Préambule de la Constitution sénégalaise mentionne, in fine, qu’il fait partie intégrante de la Constitution, emboîtant ainsi le pas à la jurisprudence du Conseil constitutionnel français dans sa décision du 16 juillet 1971, Liberté d’association.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Décision n° 2/C/93 du Conseil constitutionnel sénégalais du 23 juin 1993 sur le rabat d’arrêt, dans laquelle le Conseil évoque des principes et règles contenus dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et dans la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 (séparation des pouvoirs, garanties judiciaires, autorité de la chose jugée, égalité devant la loi et la justice, etc.), tous textes que reprend le Préambule.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Neuvième et dixième considérants de la décision n° 3/C/93 du Conseil constitutionnel sénégalais du 16 décembre 1993 sur la conformité à la Constitution des articles 14 à 16 du Traité OHADA, voir Fall (dir.), Les décisions et avis du Conseil constitutionnel du Sénégal, Dakar, CREDILA, 2008,97-103, observations Alioune Sall.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Décision n° 2/C/21 du 20 juillet 2021.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Voir Décision n°1/C/2007 du 27 avril 2007 relative à la loi de parité. Le CCS a invalidé la loi n°23/2007 du 27 mars 2007 modifiant l’art. L. 146 du Code électoral qui institue la parité dans la liste des candidats au scrutin de représentation proportionnelle pour les élections législatives au motif de l’indivisibilité de la qualité de citoyen de l’absence d’égalité des candidats devant le suffrage universel, « de la distinction entre candidats en raison de leur sexe ». Le CCS évoque la violation de l’art. 6 de la DUDH… Il s’inspire de la décision du CC français n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 et de la décision n° 98-407 du 14 janvier 1999 : consulter, E. H. O. Diop, La justice constitutionnelle au Sénégal, Dakar, CREDILA/ OVIPA, 2013, p. 293.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Le CCS a semblé distinguer ces quatre textes inclus dans le bloc de constitutionnalité, des autres traités non énumérés qui sont exclus de ce bloc et qui sont soumis aux dispositions de l’art. 98 de la Constitution ; voir Décision du 12 février 2005.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Titre II de la Constitution du 22 janvier 2001 intitulé : « Des droits et libertés fondamentaux et des devoirs des citoyens ».  [Retour au contenu]
  • [23]
    Article 7 de la Constitution du 22 janvier  [Retour au contenu]
  • [24]
    Article 16 de la Constitution du 22 janvier 2001  [Retour au contenu]
  • [25]
    Article 7 de la Constitution du 22 janvier  [Retour au contenu]
  • [26]
    Article 7 de la Constitution du 22 janvier  [Retour au contenu]
  • [27]
    Article 9 de la Constitution du 22 janvier  [Retour au contenu]
  • [28]
    Article 15 de la Constitution du 22 janvier  [Retour au contenu]
  • [29]
    Cité par R. Duret, L’esprit de la Constitution de la Ve République, voir commentaire de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : Esprit, lettre, interprétation et pratique de la Constitution par le Bénin et ses institutions, Cotonou, juillet 2009, Fondation Konrad  [Retour au contenu]
  • [30]
    Cité par R. Duret, L’esprit de la Constitution de la Ve République, voir commentaire de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : Esprit, lettre, interprétation et pratique de la Constitution par le Bénin et ses institutions, Cotonou, juillet 2009, Fondation Konrad  [Retour au contenu]
  • [31]
    N. Tall, « La justice constitutionnelle sénégalaise et le Droit International Public », in Narey, La justice constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 21-40.  [Retour au contenu]
  • [32]
    Décision n° 5/93 du 2 mars 1993.  [Retour au contenu]
  • [33]
    Voir Décision n° 11/C/93 du 23 juin 1993, Décision n° 2/C/1997 du 3 décembre 1997 et Décision n° 2/C/99 du 3 février 1999..  [Retour au contenu]
  • [34]
    Décision n° 11/C/93 du 23 juin 1993 et Décision n° 1 et 2/C2005 du 12 février  [Retour au contenu]
  • [35]
    Décision n° 11/C/93 du 23 juin 1993, ibid  [Retour au contenu]
  • [36]
    Décision n° 11/C/93 du 23 juin 1993, cit.  [Retour au contenu]
  • [37]
    Décision n° 2/C/2017 du 9 janvier 2017.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Décision n° 1/C/2007 du 27 avril 2007.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Décision n° 2/C/21 du 20 juillet 2021.  [Retour au contenu]
  • [40]
    Décision n° 3/C/95 du 19 juin 1995, Décision n° 1/C2014 du 3 mars  [Retour au contenu]
  • [41]
    Sy, « La justice constitutionnelle dans les systèmes politiques africains. Une approche par les fonctions », Annales africaines nouvelle série, volume 2, n° 5, décembre 2016, p. 17.  [Retour au contenu]
  • [42]
    Décision n° 2/C/21 du 20 juillet 2021  [Retour au contenu]
  • [43]
    Décision n° 2/C/21 du 20 juillet 2021  [Retour au contenu]
  • [44]
    Décision n° 11/C/93 du 23 juin 1993 et Décision n°3/C/94 du 27 juillet 1994.  [Retour au contenu]
  • [45]
    Décision n° 2/C/21 du 20 juillet 2021.  [Retour au contenu]
  • [46]
    Décision n° 11/C/93 du 23 juin 1993.  [Retour au contenu]
  • [47]
    Décision n° 2/C/2013 du 18 juillet 2013.  [Retour au contenu]
  • [48]
    Décision n° 5/93 du 2 mars 1993.  [Retour au contenu]
  • [49]
    Décision n° 1/C/2007 du 27 avril 2007.  [Retour au contenu]
  • [50]
    Décision n° 3/C/2005 du 18 janvier 2006.  [Retour au contenu]

 

L’exemple du Conseil constitutionnel du Cameroun

Joseph Owona – Agrégé de droit public et membre du Conseil constitutionnel du Cameroun

 

J’entrerai tout de suite dans le concret en présentant le Conseil constitutionnel de la République du Cameroun concernant la protection de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit. Comment le Conseil constitutionnel camerounais navigue-t-il dans ce véritable triangle des Bermudes ? Le Conseil constitutionnel camerounais est prévu dans la Constitution. Il est compétent en matière constitutionnelle. Ses attributions sont semblables à celles des autres conseils. Il est intéressant de se demander s’il reconnaît et protège la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit. Il semble tout à fait naturel de répondre oui à cette question lorsqu’on examine simplement ses attributions consultatives. Elles lui permettent d’intervenir en matière de droit des personnes et droit des biens. Comment procède-t-il ?

La première étape est la protection de la démocratie par le Conseil constitutionnel. Au Cameroun, la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par l’intermédiaire du Président de la République et des membres du Parlement, ou bien par référendum. Les autorités chargées de diriger l’État tiennent leur pouvoir du peuple qui leur délègue au moyen des élections. Le Conseil constitutionnel exerce une fonction essentielle : il veille à la régularité des élections présidentielles, des élections parlementaires et des consultations référendaires, il en proclame les résultats. La saisine est totalement ouverte : tout candidat, tout parti politique ayant pris part aux élections et toute personne ayant qualité d’agent du gouvernement peuvent le saisir. Le Conseil constitutionnel peut également être saisi en cas de contestation de la régularité d’une consultation référendaire. En ce cas, seul le Président de la République peut le faire, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, un tiers des députés ou un tiers des sénateurs.

Le Conseil constitutionnel a ainsi pu développer une jurisprudence en matière d’élections. S’agissant des élections sénatoriales, nous avons connu un volumineux contentieux. Il en fut de même concernant les élections législatives, avec plus de 33 requêtes qui ont fait l’objet d’un contentieux pré-électoral ou post-électoral. S’agissant des élections du Président de la République, nous avons également connu un volumineux contentieux, à la fois sur la période précédant l’élection et sur la proclamation après l’élection présidentielle. Le Conseil constitutionnel assume ainsi son rôle sur ce plan.

J’en viens à la protection de l’État de droit par le Conseil constitutionnel. La protection de l’État de droit découle de l’autorité des choses attachées aux décisions du Conseil, pendant que la protection des droits de l’homme s’attache à l’exercice des attributions. L’autorité de la chose jugée sans appel ni pourvoi, attachée aux décisions du Conseil constitutionnel de la République du Cameroun, participe au triomphe du principe de la primauté du droit et de la primauté de la Constitution. Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours, elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives militaires et juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale. Il convient d’imaginer les obstacles si l’on dit à ces autorités que l’on peut annuler une décision du Président de la République, de l’Assemblée nationale ou du Sénat, qu’on peut dire non à l’armée ou à beaucoup de corps constitués. Par ailleurs, une décision déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application. Elle ne peut donc pas être régulièrement introduite dans l’ordre juridique camerounais. Le Conseil constitutionnel joue donc également son rôle dans la protection de l’État de droit.

Enfin, s’agissant de la protection des droits de l’homme, la Constitution camerounaise de 1996 est précédée d’un long préambule qui fait partie intégrante de la Constitution, comme le précise l’article 65. Les droits et libertés que l’État garantit aux citoyens de l’un et l’autre sexes se déclinent en une longue liste classique : « égalité des droits et des devoirs, protection des minorités, des droits et des populations autochtones, droit de se fixer en tout lieu ». On retrouve un catalogue exhaustif. L’État affirme ainsi son attachement à un bloc de constitutionnalité très exhaustif constitué de lois et de traités et des accords internationaux cités précédemment, qui sont devenus classiques. Le Conseil statue également de façon souveraine sur la constitutionnalité des lois, des traités et des accords internationaux.

Dans ces conditions, où se pose le problème ? La saisine est ouverte en matière électorale. La saisine en matière de consultation peut être ouverte.

En revanche, la saisine pour les droits de l’homme n’est pas ouverte directement aux citoyens. Pour cette raison, la Cour constitutionnelle apparaît de plus en plus comme une place forte de l’irrecevabilité. Ainsi perçue, on a vu apparaître un certain nombre de fakirs politiques, c’est-à- dire des personnes qui viennent se contorsionner devant la Cour, sachant que leur demande est irrecevable, mais dans le but de dénoncer la Cour comme un château imprenable qui s’élève aux côtés du Gouvernement. Je crois que l’irrecevabilité est le grand problème que nous devons résoudre.

En ce qui concerne les droits de l’homme et du citoyen, il faudrait probablement élargir la saisine, s’ouvrir aux questions constitutionnelles prioritaires. Il conviendrait également d’espérer que la démocratie elle- même permette le déblocage du tiers bloquant des députés ou du tiers bloquant des sénateurs. Il convient d’imaginer des solutions démocratiques afin que les fakirs, mi-démocrates mi-populistes, ne puissent un jour renverser le Conseil constitutionnel et lui faire une réputation usurpée. L’institution est jeune au Cameroun, elle commence à poindre, mais elle fait son travail en ce qui concerne la défense de la démocratie qui est le gouvernement du peuple par le peuple, en ce qui concerne la défense de la primauté du droit. S’agissant de la défense des droits de l’homme, elle pourrait faire de même si la saisine était un peu plus ouverte.

 

 

L’exemple du Conseil constitutionnel de Mauritanie

Mamadou Bathia Diallo – Administrateur civil et président du Conseil constitutionnel de Mauritanie

 

Je m’associe aux remerciements formulés et souhaite également souligner l’importance du thème abordé ici, à savoir les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie. C’est un enjeu crucial qui s’impose à nous dans nos différents pays. Les cours constitutionnelles sont confrontées à deux défis particulièrement importants : la crise de la démocratie représentative dans nos pays, et la crise des institutions avec ses conséquences. La contestation sous la poussée de la société civile et des droits conduit nos populations à vouloir à tout prix participer à l’élaboration des politiques et donner leur avis sur tout ce qui arrive. Il n’est pas rare qu’elles le manifestent par la violence, que l’on rencontre souvent dans certains pays.

Jusqu’ici, notre démocratie fonctionnait suivant un schéma simple : le peuple élisait des représentants qui agissaient en son nom dans les domaines les plus importants, notamment le domaine législatif. Nous observons de plus en plus souvent que cette démocratie indirecte ne résiste plus à la poussée des droits invoqués par les populations. Par conséquent, les populations exigent de plus en plus de participer elles-mêmes à l’élaboration des politiques et au déroulement des opérations. Nous sommes obligés de faire face à ce défi. Nous ne pouvons continuer à le négliger, car il risque de produire de graves crises dans nos sociétés. Nous sommes contraints de prendre en charge la situation afin de désamorcer la situation et de faire évoluer la démocratie. Nous sommes tous convaincus que la démocratie directe est impossible, sauf peut-être dans certains pays qui ont adopté ce système il y a longtemps. Ce problème explique la plupart des problèmes que nous rencontrons.

Le deuxième défi important est celui des institutions, dont la légitimité est de plus en plus contestée. Naturellement, on conteste la légitimité de leurs actes. Il est donc arrivé que l’on conteste les verdicts rendus par certaines institutions. Dans certains pays, on a même vu émerger une violente contestation de décisions du Conseil constitutionnel lui-même.

Afin de protéger les droits fondamentaux auxquels nous sommes attachés, nos démocraties ont besoin d’un souffle nouveau pour pouvoir évoluer pacifiquement par rapport à cette situation. C’est à ce niveau que je place le rôle des cours et conseils constitutionnels.

Les conseils constitutionnels ont toujours été régulateurs de certaines opérations, en particulier les élections les plus importantes. Les cours interviennent de plus en plus comme un recours afin de corriger ou éventuellement protéger les droits par rapport aux institutions qui menaient cette mission traditionnellement. Cela peut se faire à travers le contrôle des lois et à travers le contrôle de certaines juridictions. Les cours et conseils sont en train, dans de nombreux pays, de devenir un autre degré de juridiction. Cette situation doit être analysée et accompagnée afin de ne pas se transformer en conflit avec les institutions existantes. Les cours doivent pouvoir apporter quelque chose de neuf, notamment en ce qui concerne la protection des droits. Un certain nombre de pays mènent une expérience édifiante à ce niveau. On voit de plus en plus les droits fondamentaux maltraités par certaines institutions et même par le pouvoir exécutif rétablis par les conseils et cours constitutionnels. Il est bon de continuer à mener cette réflexion, car elle peut porter une amélioration de la démocratie.

En ce qui concerne la Mauritanie, nous avons une Constitution très proche de celles de nombreux pays ici, qui s’inspire très largement de la Constitution française. Jusque-là, la protection des droits de l’homme se manifeste principalement par la question préjudicielle de constitutionnalité. Les citoyens ne peuvent pas saisir directement le Conseil, mais tout citoyen, à l’occasion d’un procès, peut invoquer le caractère inconstitutionnel d’une loi. Dans ce cadre, il peut arriver que la Cour restaure certaines libertés. En conséquence, les cours deviennent à la fois des juges a priori et des juges a posteriori. J’attire donc votre attention sur la nécessité de dompter cette évolution-là.

 

 

 

Questions-réponses avec les participants

 

Joseph Djogbenou, président de la Cour constitutionnelle du Bénin

Je souhaiterais sortir de l’appréciation formelle des termes du débat, car elle nous conduira vers des conclusions identiques. J’entends donc sortir de ce confort et de cette forme de conformisme. Je crois que nous devrions examiner un certain nombre de tabous de façon pragmatique. Je ne les évoquerais pas de façon exhaustive, mais je partirai d’un constat contemporain : la « fondamentalisation » poussée de tous les droits a des effets qui ébranlent la solidité de l’État de droit et bien des fois la posture des cours et des conseils constitutionnels. Cette poussée à la « fondamentalisation » de tous les droits peut être considérée comme un phénomène positif, mais d’une part, elle est dynamique ; d’autre part, elle est imprévisible. Enfin, elle est regardée sous une fenêtre qui n’est pas celle de l’universel. Dès lors que de nouveaux droits fondamentaux sont identifiés, l’insuffisance, le retard ou l’impossibilité pour les États ou les juridictions constitutionnelles de prendre en compte ces droits fondamentaux débouchent dans bien des cas sur une sorte de procès en imperfection de l’État de droit et de la démocratie.

À titre d’illustration, je souhaite aborder la question de l’homosexualité. Je ne me permettrai pas, en l’état de nos discussions, d’émettre mon opinion, mais je soulève la question à titre instrumental. À partir du moment où l’on reconnaît un droit fondamental dans un espace déterminé, l’insuffisante prise en compte de ce droit dans un autre espace pose problème. Et alors que faire ?

Pierre Nihoul, président de la Cour constitutionnelle de Belgique

Je souhaite réagir à l’intervention de notre collègue mauritanien. Il a souligné un phénomène très juste qui traverse aussi les sociétés occidentales, à savoir l’évolution de la démocratie représentative vers la démocratie participative. La démocratie participative change-t-elle quelque chose au contrôle de constitutionnalité ?

Nous connaissons depuis un certain temps des procédures de participation du public à des décisions administratives, en matière d’urbanisme, d’environnement et dans d’autres domaines. Dorénavant, ces procédures de participation se font jour dans le domaine législatif. On examine dans différents pays si l’on ne devrait pas tirer les citoyens au sort pour participer à une assemblée législative, si des propositions de budget ne pourraient être présentées par les citoyens eux-mêmes.

La question que je me pose est de savoir si ces différentes formes de démocratie participative changent quelque chose au contrôle de constitutionnalité. Un élément de l’État de droit est l’organisation d’élections libres et régulières, mais nous sommes là dans un autre registre. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Mohamed Emad Elnaggar, vice-président de la Cour constitutionnelle suprême d’Égypte

J’exposerai quelques exemples de jugements émis par la Cour constitutionnelle suprême égyptienne. Je précise que la Cour joue un rôle de contrôle judiciaire après l’application de la loi. La Constitution stipule que le droit de manifester doit faire l’objet d’une déclaration préalable. Cependant, le législateur demande au manifestant d’obtenir une autorisation. C’est pourquoi la Cour a statué que cette disposition était inconstitutionnelle. La Cour a jugé que la disposition permettant à l’officier de police judiciaire de perquisitionner le domicile de l’accusé en cas de crime ou de délit était inconstitutionnelle. La Cour a jugé le crime inconstitutionnel si le législateur suppose qu’un élément du crime est dans le droit de l’accusé. Elle a jugé que toute disposition pénale qui n’obligeait pas le ministère public à prouver tous les éléments du crime était inconstitutionnelle. Par exemple, elle a jugé inconstitutionnel le fait de supposer que le rédacteur en chef d’un journal connaît tout ce qui est publié.

Dans le domaine pénal, la peine unique est inconstitutionnelle, car elle ne permet pas au juge de choisir la peine appropriée pour chaque crime. La Cour a également décidé que le cumul des peines pour un seul acte était inconstitutionnel, dans la mesure où le cumul cause un délit plus grave.

Abdi Ismael Hersi, président du Conseil constitutionnel de Djibouti

Je souhaite tout d’abord féliciter les intervenants pour la qualité de leurs propos dans un domaine important. Néanmoins, dans une certaine mesure, nous restons sur notre faim. Vous conviendrez avec moi que dans la plupart des pays membres de cette association, et tout au moins ceux du continent africain, les conseils constitutionnels et les cours constitutionnelles ont commencé à jouer un rôle dans la mise en œuvre de la démocratie depuis 1992. Cette date est très récente dans l’histoire d’une institution et elle coïncide avec une certaine vision de la démocratie à l’époque. La plupart des pays sortaient alors des partis politiques uniques et tendaient vers le multipartisme intégral. On a élaboré de nouvelles constitutions prévoyant la mise en place et l’organisation de juridictions et d’institutions constitutionnelles, sans vraiment approfondir la réflexion sur la compétence éventuelle de ces organes. Tant au niveau des citoyens que des décideurs, les cours et les conseils constitutionnels devaient avoir une compétence limitée à la validation ou au contrôle des élections.

C’est pourquoi il est important de porter la réflexion au sein de notre association sur le rôle que les cours et les conseils devraient jouer dans d’autres domaines, et en particulier dans la protection et la promotion des droits de l’homme et de la démocratie. Sans ceux-ci, il ne peut y avoir de développement harmonieux dont nous avons tant besoin sur notre continent et dans le monde. Même dans des pays développés, la question des droits de l’homme fait toujours débat. Le pouvoir exécutif joue le rôle essentiel dans nos États, le nerf de la guerre étant le budget. Je souhaiterais, pour ma première participation à ce congrès, que l’on porte la réflexion sur l’indépendance des moyens affectés aux cours et aux institutions constitutionnelles dans nos pays respectifs.

Larba Yarga, membre du Conseil constitutionnel du Burkina Faso et président de séance

Je propose maintenant aux conférenciers de répondre. La parole est à Monsieur Laurent Fabius.

Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel français

Merci beaucoup. Je vais me concentrer sur la question de la démocratie représentative et de la démocratie participative. Certes, il existe des différences entre nos pays, mais l’idée selon laquelle gouverner un pays, c’est être élu une fois et revenir devant le peuple cinq ou sept ans après, et demander entre temps au peuple de se taire, c’est une idée qui a de moins en moins d’avenir, et ce notamment pour des raisons technologiques. Il est difficile de voir le développement des réseaux sociaux et de ne pas concevoir que ceux qui gouvernent doivent tenir compte de l’opinion des citoyens.

Je crois donc que l’idée de démocratie participative, qu’on la juge bonne ou mauvaise, a de l’avenir, alors que nos systèmes sont fondés sur des démocraties représentatives. La question est donc comment concilier les deux et quelles sont les conséquences pour nous, les cours constitutionnelles ? Le problème est qu’un certain nombre de ceux qui veulent développer la démocratie participative refusent eux-mêmes d’être représentés. On l’a vu avec la crise des gilets jaunes en France : de nombreuses personnes protestaient contre le gouvernement, mais elles refusaient d’être représentées par qui que ce soit. Dès qu’un leader apparaissait, il était balayé.

Il existe un cas un peu plus simple et qui se développera de plus en plus. C’est le cas dans lequel le législateur devra consulter avant de prendre une décision. Si la procédure n’est pas respectée, c’est une cause de censure. Dans le domaine de l’environnement et du climat, nous avons de plus en plus dans nos législations l’exigence, avant de prendre telle ou telle décision, d’informer et de consulter le public. Si le législateur ou l’exécutif ne respecte pas cette procédure, c’est une cause d’annulation.

La situation est en revanche beaucoup plus compliquée lorsque les autorités qui interviennent se mélangent. Cela pose le problème de savoir qui fixe la norme. Cette question se retrouve non seulement dans le domaine de l’environnement, mais aussi dans celui de l’urbanisme et dans de nombreux autres domaines. D’une part, on ne sait pas clairement qui fixe la norme : est-ce l’exécutif, le législateur ou les personnes consultées ? D’autre part, on ne connaît pas bien la forme de la norme. C’est une chose de discuter de projets de loi et c’en est une autre que de demander à la population si elle est pour la justice. En tant que cour constitutionnelle, nous avons à travailler sur des normes. Or, il n’est pas si fréquent que la norme sur laquelle on consulte la population soit de même qualité que lorsqu’elle est décidée par le législateur lui- même. L’incertitude des normes pose le problème du contrôle de constitutionnalité et plus largement de l’État de droit, car le principe de l’État de droit est d’abord la hiérarchie des normes. Si les normes ne sont pas claires, le contrôle constitutionnel est très compliqué.

Nous aurons de plus en plus à tenir compte de cette exigence de participation. En tant que juristes, nous devons au moins demander que celui qui prend la décision et la norme qui fait l’objet de la décision soient clairement définis.

Saïdou Nourou Tall, professeur agrégé des universités, vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal

Je souhaiterais réagir à la question des tabous posée par le président de la Cour constitutionnelle du Bénin. Certains insistent sur les tabous du constitutionnalisme, évoquant des questions informulées ou qui n’ont pas encore de solution. De nombreuses questions mériteraient d’être abordées en Afrique, par exemple celle des minorités, dont on ne parle pas beaucoup. Certains parlent aujourd’hui de droit constitutionnel démotique, renvoyant aux minorités et aux ethnies. À mon avis, ces questions sont proches de la réalité ethnoculturelle. Comment les aborder ? Le juge constitutionnel peut-il les anticiper ? La plupart des juges n’ont pas le pouvoir d’autosaisine et doivent attendre d’être saisis. Je crois que tôt ou tard, ces questions seront posées. Je ne crois pas qu’il existe des solutions stéréotypées. Chacun devra se prononcer en fonction du contexte juridique et culturel. Les questions sociales s’inviteront forcément devant les juges tôt ou tard.

Joseph Owona, agrégé de droit public et membre du Conseil constitutionnel du Cameroun

Je trouve la question de la démocratie participative très intéressante, mais je me demande si vous ne vous êtes pas piégés en la posant. Si l’on pousse jusqu’au bout le principe de la démocratie participative, il faudrait reformer les organes de contrôle eux-mêmes pour obtenir une participation. Dans le passé, on est allé très loin sur ce point, on voyait les assemblées interpréter directement la Constitution ou la loi. Je crois qu’il faut choisir une solution pratique tout en tenant compte de l’esprit des démocraties participatives.

Mamadou Bathia Diallo, administrateur civil et président du Conseil constitutionnel de Mauritanie

C’est un problème qui se posera de plus en plus et il faut bien le prendre en compte. Nous ne pouvons pas fermer les yeux et il convient de mettre en place des solutions adaptées, tenant compte de ces exigences démocratiques de plus en plus importantes, tout en conservant l’équilibre général de notre démocratie. La mise en place des solutions entraînera des conséquences sur l’élaboration des normes. Il sera indispensable de savoir qui fait quoi, mais ces perspectives ne sont pas incompatibles avec l’évolution de nos démocraties. Nous pouvons parfaitement intégrer cette exigence dans le cadre de l’élaboration des textes. Elle entraînera forcément une conséquence sur le contrôle de constitutionnalité. Jusqu’ici, seuls les élus, le président de la République ou le président de l’Assemblée pouvaient demander de contrôler la constitutionnalité d’une loi. Nous devrons réfléchir à la façon de satisfaire cette demande si elle émane de la population. La question doit se poser dans la saisine du Conseil constitutionnel, par exemple. Dans certains pays, les citoyens peuvent directement saisir le Conseil. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas fermer les yeux sur la volonté des gens de participer à l’élaboration du politique.

Larba Yarga

Merci pour vos réponses. Des personnes de l’assistance souhaitent-elles prendre la parole ?

François Chaix, juge au Tribunal fédéral suisse

Une question à la base de la crise de la démocratie participative est le mode d’élection. En Suisse, le tribunal fédéral est intervenu au niveau des cantons sur le mode d’élection pour exprimer l’idée que le mode de scrutin majoritaire ne permettait pas d’assurer une complète expression de la volonté populaire. Les représentants des cours constitutionnelles ici présents ont-ils été saisis de cette problématique ? Pourraient-ils être aussi « interventionnistes » à la fois quant au mode d’élection et sur la manière de découper les circonscriptions électorales ?

Jacques Lebama, juge à la Cour constitutionnelle du Gabon

La question de la démocratie participative mérite d’être examinée sur deux plans, et tout d’abord en amont du processus électoral. Quand on parle de démocratie participative, on pourrait penser que tout le peuple est intéressé d’intervenir dans le processus législatif. Or, en l’état actuel des choses, la démocratie est indirecte dans de nombreux pays. Ce sont les populations qui élisent les députés et ceux-ci ont un rôle à jouer. Par ailleurs, en droit gabonais, la saisine des juridictions constitutionnelles est ouverte. Cela signifie que toute personne physique ou morale gabonaise ou non peut saisir la Cour constitutionnelle pour demander le contrôle de constitutionnalité d’un texte. Les exceptions d’inconstitutionnalité peuvent être soulevées devant la juridiction ordinaire. En ce cas, elle transmet le dossier à la juridiction constitutionnelle qui se prononce. En l’état actuel des choses, les représentants du peuple, notamment les députés et les sénateurs, ne jouent-ils pas réellement leur rôle ?

Laurent Fabius

Le Conseil constitutionnel peut-il dire « le scrutin majoritaire c’est bien, le scrutin proportionnel c’est mal », ou l’inverse ? La réponse est non. D’abord, cela ne relève pas de la Constitution, mais de la loi. Ensuite, les chambres peuvent choisir le mode de scrutin, à condition de respecter le droit au suffrage. En d’autres termes, nous reconnaissons comme un principe fondamental le fait qu’il ne doit pas y avoir de disproportion manifeste entre un habitant d’une région et un habitant d’une autre. Cela introduit une limitation. La démocratie est d’abord la liberté et l’égalité du suffrage. Le problème se pose en ce moment à nos amis américains, parce que compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême américaine, les Américains ne sont pas réellement égaux devant le suffrage. Cela pourrait être considéré comme une atteinte fondamentale à la démocratie dans nos pays. Non, nous ne pourrons nous prononcer pour dire qu’un scrutin est acceptable et pas un autre. La contrainte à respecter en tout état de cause est l’égalité devant le suffrage.

 

Deuxième session – Les méthodes et techniques juridictionnelles de protection des droits de l’homme

 

Synthèse des réponses au questionnaire

Professeur Babacar Kanté – Doyen honoraire de l’UFR des Sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Ancien vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal, Expert auprès de l’ACCF

[1]

 

L’idée à la base de ce deuxième sous-thème consiste à évaluer les procédés techniques par lesquels le juge constitutionnel remplit son office en matière de protection des droits de l’homme. Il s’agit, entre autres, d’identifier les normes auxquelles il fait référence, les méthodes qu’il met en œuvre et de déterminer les conséquences qui s’attachent à ses décisions.

Les premières questions relatives à ce sous-thème ont tourné autour des normes de référence du juge, plus précisément, elles ont concerné la place des sources de droit national et de droit international d’une part – le droit international revenant aux questions n° 1 et 12 – et l’éventuelle hiérarchie qui pourrait exister entre ces sources, d’autre part.

Le dépouillement des réponses obtenues sur ces points laisse apparaître les tendances suivantes.

Quelques réponses fournies révèlent que dans certains systèmes, le juge ne se réfère qu’aux normes de droit national. Il convient toutefois d’être prudent dans l’interprétation de cette réponse. Il faudrait sans doute comprendre par là qu’à ce jour, c’est à des normes nationales, plutôt qu’internationales, que le juge s’est référé. En d’autres termes, l’absence ou l’évanescence du droit international dans la jurisprudence des Cours ne s’explique nullement par une quelconque interdiction qui serait faite de s’y référer, ni même par une simple prévention qu’il éprouverait à l’égard de telles règles. Au contraire, dans le cas de la France par exemple, on note même une volonté du juge d’assurer une certaine cohérence de sa jurisprudence par rapport à celle des cours européennes. Les réponses fournies rendraient simplement compte de l’état d’une pratique évolutive. Ainsi, la centralité des normes nationales est affirmée dans le cas du Burkina Faso, du Cambodge, de la Côte d’Ivoire, de la France, du Mali et de la Mauritanie.

D’autres réponses mettent au contraire en exergue l’importance des sources internationales dans la jurisprudence relative aux droits de l’homme. Relèvent de ce groupe l’Albanie, le Cap-Vert, le Congo, la Moldavie et la Roumanie. L’on pourrait assimiler cette tendance à celle qui consiste à intégrer tous les traités relatifs aux droits de l’homme et opposables à l’État dans le « bloc de constitutionnalité ». Quelques cas pertinents à cet égard sont ceux de l’Algérie, de l’Angola, du Congo et de la Serbie (question n° 12).

Enfin, un troisième groupe de juridictions applique à la fois des règles nationales et des règles internationales dans le contentieux de la violation des droits de l’homme. On peut citer à cet égard : l’Algérie, Andorre, l’Angola, la Belgique, le Burundi, le Canada, le Cameroun, le Gabon, Monaco, le Mozambique, le Rwanda, la RDC, le Sénégal et le Togo.

Les instruments juridiques internationaux auxquels se réfèrent les juges constitutionnels n’ont pas tous la même importance. L’on observe, en effet, que certains d’entre eux ont un caractère structurant, bénéficient d’une sorte de prééminence qualitative. Cette prééminence n’est pas, tant s’en faut, fondée sur une supériorité intrinsèque qu’ils auraient par rapport à d’autres sources également internationales, mais sur le rapport particulier que l’État entretient avec cette norme. Autrement dit, leur prévalence n’est pas absolue, mais relative. L’on pense à deux conventions internationales : la Convention européenne des droits de l’homme (évoquée par toutes les juridictions européennes) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (à laquelle se réfèrent le juge de l’Algérie, de l’Angola, de la RCA…). La particularité attachée à ces deux traités internationaux tient essentiellement à deux éléments : d’une part, ils sont volontiers érigés en normes constitutionnelles dans un certain nombre de pays – à travers notamment leur insertion ou leur évocation dans le Préambule –, d’autre part, ils bénéficient de mécanismes de contrôle supranationaux plutôt ambitieux – comme leur garantie juridictionnelle –, si on les compare aux procédés classiques de contrôle des obligations internationales des États en matière de droits de l’homme. Dans une moindre mesure, la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui est une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, bénéficie également d’un statut particulier dans certains États comme Andorre (où elle « est en vigueur » selon l’article 5 de la Constitution), le Cambodge (article 31), le Cap-Vert (article 17 § 3) et le Congo (Préambule).

L’ouverture aux sources extérieures est encore plus poussée lorsque le juge constitutionnel n’intègre pas seulement des instruments juridiques formels, mais prend aussi en compte la coutume et la jurisprudence internationales. Quelques réponses reçues semblent témoigner d’une telle ouverture : celles du Canada (« règles coutumières » et jurisprudence du TPIY entre autres), de l’Albanie (qui cite, parmi ses sources d’inspiration, les jurisprudences allemande, kosovare, polonaise, moldave), du Cap-Vert (qui évoque la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que des jurisprudences européennes), ou encore le Maroc (qui pose le « postulat de la convergence » des jurisprudences internationales et constitutionnelles). D’autres juridictions comme celle du Gabon, de la Moldavie et de la Tunisie évoquent la jurisprudence « étrangère » comme « source d’inspiration ». Le dialogue inter- juridictionnel est ainsi assumé, revendiqué.

L’ouverture aux sources extérieures n’induit toutefois aucune hiérarchie de principe entre les normes de référence du juge constitutionnel. Lorsqu’elles évoquent une idée de hiérarchie, les réponses au questionnaire semblent plutôt parler de la hiérarchie des normes en général (articles 116 de la Constitution albanaise, 12 § 4 de la Constitution Cap-verdienne) et non d’une stratification des normes interne au contentieux des droits de l’homme. Les réponses à la question ont donc été presque toutes négatives. Tout au plus a-t-il été admis que le juge pouvait, à l’occasion d’un conflit ponctuel de droits, donner la préférence à l’un plutôt qu’à l’autre (Andorre, Belgique), mais l’on aura compris qu’un tel cas de figure, assez fréquent, n’implique aucune idée de hiérarchie entre les normes de référence.

Il ressort des réponses que les rapports entre le juge constitutionnel et le juge international sont encore à la recherche d’un équilibre, surtout dans les pays de l’espace francophone dits en transition démocratique. On y observe, en effet, un peu plus d’hésitations et de réticence à se référer à la jurisprudence internationale que dans les pays européens qui semblent avoir entamé un « dialogue des juges » globalement positif.

Le recensement et la typologie des droits invoqués devant les juridictions constitutionnelles pourraient être synthétisés autour des points suivants.

Les droits les plus souvent invoqués sont les suivants : I) le droit à l’égalité ; II) le droit au procès équitable (avec les variations terminologiques susceptibles d’être observées à ce sujet) ; III) les droits politiques et électoraux.

Le droit à l’égalité ressort spécifiquement des réponses des juridictions suivantes : algérienne, belge, centrafricaine, française, ivoirienne, moldave, rwandaise, sénégalaise, suisse, togolaise, tunisienne.

Le droit au procès équitable est mis en exergue dans les réponses du juge albanais, andorran, belge, burkinabé, burundais, cap-verdien, gabonais, moldave, mauritanien, rwandais, sénégalais, serbe, suisse.

Les droits politiques et électoraux sont cités dans les réponses du Cambodge, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de Madagascar, du Mali, du Mozambique, du Sénégal et de la Tunisie. Comme on peut le constater, il s’agit essentiellement de pays qui tentent de faire monter en puissance leur régime démocratique.

La prévalence du droit à l’égalité et du droit à un procès équitable pourrait s’expliquer par des raisons qu’on pourrait qualifier de « techniques ». En effet, ces droits ont la particularité d’avoir une certaine force expansive, c’est- à-dire de générer eux-mêmes d’autres droits, tirés d’eux. En empruntant l’expression au contentieux constitutionnel allemand, on pourrait parler à leur sujet de « principes gigognes ». Leurs cas d’application sont en effet nombreux. Le principe d’égalité connaît plusieurs déclinaisons comme en France par exemple : égalité devant la loi, devant les charges publiques, dans l’accès aux emplois ou charges publics, égalité du suffrage, illégalité des discriminations fondées sur l’origine, le sexe, la situation de famille, l’apparence physique, la vulnérabilité, l’état de santé, le lieu de résidence, la situation de famille etc. Quant au droit à un procès équitable, il suffit de songer aux droits « latéraux » qui ont été déduits de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, et qui vont de l’égalité des armes entre les parties au droit à l’exécution des décisions judiciaires, en passant par le droit à un délai raisonnable dans la conduite des procédures judiciaires. Parce qu’ils sont virtuellement générateurs d’autres prétentions, on peut donc comprendre que les juridictions soient saisies, en majorité, de ces droits-là.

Quant aux droits politiques et électoraux, leur présence dans le contentieux révèle tout simplement la persistance de la forte dimension politique de la justice constitutionnelle dans certains États africains encore jeunes. La compétition électorale y est vive, elle est souvent émaillée de tensions, voire de crises politiques majeures. L’on devine alors que la justice constitutionnelle se retrouve plus que jamais dans « l’œil du cyclone ». Alors que les droits précédemment entrevus doivent leur « succès » à des considérations d’ordre technique, la prévalence du contentieux électoral obéit à des motivations politiques aisément compréhensibles dans des démocraties et des États de droit volontiers fragiles.

Ce contentieux laisse malgré tout place à la revendication de droits « nouveaux », soumis au juge constitutionnel.

Les droits en question sont, le plus souvent, I) des droits dits de la « deuxième génération », II) des droits afférents au développement des technologies et III) le droit à un environnement sain.

Les droits de la « deuxième génération » sont les « droits-créances ». Ils se caractérisent par le fait que leur accomplissement implique, non une abstention de l’État, mais une action de celui-ci ; ce sont les « droits à » : droit à l’éducation, à la santé, au bien-être, au travail, à un niveau de vie suffisant etc. Ces droits sont évoqués dans les réponses reçues de l’Albanie, de l’Algérie, de la Belgique, de la Mauritanie, de la RDC, de la Roumanie et de la Suisse : droit au logement, droit à un niveau de vie suffisant, droit au salaire, à la protection de la santé… À vrai dire, les droits en question ne sont pas tellement « nouveaux », c’est leur invocation devant le juge qui serait une nouveauté dans la mesure où la difficulté à les sanctionner a conduit les titulaires à s’en « détourner » quelque peu. Sur la question du type de droits qui leur sont majoritairement soumis, certaines juridictions ont répondu qu’il s’agissait essentiellement de droits de la « première génération » (droits civils et politiques).

Il en est ainsi parce que la justiciabilité des droits de la « deuxième génération » peut poser problème dans le sens où elle postule une évaluation des capacités de l’État qui est le débiteur de ces droits. Les « droits à », qui ont été précédemment évoqués, souffrent en vérité de deux limites importantes : non seulement leur exécution ne peut être instantanée – elle est au contraire, successive, étalée dans le temps –, mais leur exigibilité même fait question dans la mesure où elle ne peut être la même dans un État riche, doté de moyens importants et dans un État moins riche. Parce que leur effectivité est marquée par ces aléas, leur revendication devant le juge est pour ainsi dire « nouvelle », mais leur consécration textuelle existe depuis longtemps.

La sanction des droits-créances constitue bien entendu un véritable défi pour le juge constitutionnel. Compte tenu de la spécificité de ceux-ci, on le voit mal les consacrer sans nuances ou sans précautions. Selon toute vraisemblance, le juge mettra à la charge des États une simple obligation de moyens, et non une obligation de résultat : il suffira, en d’autres termes, que la puissance publique ait mis en œuvre des moyens raisonnables pour « réaliser » un droit pour que son obligation soit considérée comme satisfaite, et qu’elle échappe à toute incrimination de « violation des droits de l’homme ». Au demeurant, la réponse belge suggère que ce qui est mis à la charge de l’État est simplement une obligation de « standstill », un engagement à ne pas « régresser » dans le traitement des droits en cause. Le niveau d’exigibilité de ceux-ci est donc « abaissé » d’un cran : l’engagement étatique s’en trouve allégé, et la sanction judiciaire du droit subjectif plus incertaine. Cela étant, la revendication judiciaire des droits- créances constitue bien un phénomène plutôt « nouveau » et les réponses au questionnaire ont sans doute eu raison de le relever.

Une autre catégorie de droits est celle qui gravite autour de la préservation de la sécurité juridique, notamment des « données personnelles », en relation avec les progrès de la technologie de la communication et du droit à la vie privée. Nous sommes là en présence de droits réellement « nouveaux ». L’informatique et les réseaux sociaux ont généré des moyens inédits de captage de données personnelles, qui constituent autant de risques d’incursions dans la vie privée, de violations de l’intimité. Il conviendrait au demeurant de relier ces défis inédits à la question des manipulations génétiques, à la bioéthique, au clonage, etc. Une même logique les régit : celle d’une remise en cause de l’autodétermination individuelle sous l’effet d’une déferlante technologique. La protection des données personnelles a été notamment évoquée dans les réponses des juges bulgare et moldave.

Enfin, le droit à un environnement sain tend de plus en plus à être invoqué devant le juge constitutionnel. Ainsi, la préoccupation écologique ne serait pas seulement « planétaire », elle gagne aussi les sociétés nationales et s’impose à l’intérieur des États. Les réponses de l’Algérie, de la Belgique, du Cap-Vert, de la Côte d’Ivoire, du Congo, du Gabon, du Sénégal, de la Suisse et de la Tunisie mettent en évidence cette préoccupation. La liste que voilà subvertit également l’idée, que l’on pourrait avoir, suivant laquelle la prétention à un environnement sain serait une sorte d’apanage des sociétés post-industrielles. Il s’agit aujourd’hui d’un droit revendiqué presque partout sur la planète.

Il faut, pour finir sur les « droits nouveaux » soumis au juge, souligner que les réponses ont également fait état du principe ou du droit à la dignité (réponses de l’Albanie et de la Belgique notamment). Or, ce droit a, en l’occurrence, une vertu attractive remarquable : il englobe, subsume au moins les deux premières catégories relevées, droits-créances et droit à l’intimité des données personnelles. En effet, les droits-créances constituent des prétentions à « vivre dignement », et la préservation de l’intimité, menacée par les nouvelles technologies, se rattache tout autant à la dignité de l’être humain (on se souvient d’ailleurs que c’est sur ce terrain précis que le juge constitutionnel français a promu le principe de dignité en 1994). Le droit à la dignité serait en quelque sorte leur trait d’union.

Sur l’idée d’une éventuelle hiérarchie entre les droits de l’homme, les réponses au questionnaire ont été majoritairement négatives.

Ce qui a été souligné précédemment au sujet des sources (question n° 2 du sous-thème) doit donc être réitéré : il n’y a pas de hiérarchie de principe entre les droits de l’homme, sous de légères réserves touchant la réponse de l’Albanie (« rang primordial » de certains droits). Cela étant, il existe deux hypothèses dans lesquelles certains droits peuvent bénéficier d’une sorte de traitement de faveur.

La première hypothèse, également entrevue plus haut, est celle d’un conflit de droit, appelant un arbitrage du juge. L’interprétation retenue peut alors être pro-victima, – notamment pour les catégories « vulnérables » évoquées par la réponse de la RCA – et faire ainsi pencher la balance en faveur du droit revendiqué par le requérant. C’est l’esprit des réponses d’Andorre, de la Belgique, du Canada, de la Moldavie, du Mozambique et de la RCA. Dans cette perspective, l’importance du droit à la vie par exemple (Albanie, Angola, Côte d’Ivoire) ou du droit à la dignité (Albanie, Suisse) a pu être soulignée. La seconde hypothèse concerne les « droits indérogeables », susceptibles d’être reconnus dans un système donné. Cette « indérogeabilité » peut résulter d’un texte (article 61 de la Constitution de la RDC) ou d’une initiative prétorienne (Sénégal, Suisse) [2]

En tout état de cause, les droits fondamentaux occupent une place importante dans la jurisprudence des cours constitutionnelles interrogées. Cette donnée quantitative est une autre preuve de la pertinence du thème de votre congrès.

Cette importance résulte de données chiffrées ou, de façon plus impressionniste, de tendances jurisprudentielles.

Des juridictions ont livré des statistiques. Le contentieux des droits fondamentaux représente 95,2 % du travail de la Cour pour Andorre, 63 % pour l’Angola, 90 % pour la Belgique. D’autres juridictions soulignent la part « très importante » (Albanie, France, Suisse, Togo) de ce contentieux, alors que d’autres mettent en exergue l’importance des moyens mis à la disposition des justiciables (recours d’amparo notamment, dans les pays où celui-ci existe).

Il est intéressant de s’arrêter ici sur le cas des juridictions constitutionnelles n’ayant à ce jour pratiquement jamais rendu de décision relative aux droits fondamentaux. Sans bien entendu constituer une majorité, ces cas ne sont pas tellement marginaux. Peuvent être à cet égard cités ceux de l’Algérie, du Burundi, des Comores, du Cameroun et de la Tunisie. Ces cas appellent la réflexion dans la mesure où ils sont l’indice d’une forme d’ineffectivité du droit, ou de l’existence d’un stock de droit « mort » ou « en sommeil », ce qui est toujours fâcheux pour un système juridique. Il semble, à la réflexion, que les raisons d’une telle improductivité doivent être recherchées dans deux directions : celle des conditions d’accès au juge (l’exclusion ou la restriction de l’accès du citoyen à la justice constitutionnelle est nécessairement un facteur retardateur de l’éclosion d’une jurisprudence sur les droits fondamentaux), et celle des actes susceptibles d’être contrôlés (le cantonnement du contrôle aux actes juridiques « solennels » et à portée générale au détriment des actes à portée individuelle ne favorise pas non plus l’épanouissement d’une telle jurisprudence).

Les questions relatives au procédé de « génération » et de différenciation des droits n’ont pas eu tellement d’échos dans la pratique et dans la jurisprudence des Cours.

Cette distorsion des points de vue se manifeste sur la question de l’existence d’un « régime particulier » des droits fondamentaux et sur celle d’une différence entre « droits » et « libertés ».

Sur le premier point, les réponses apportées par les juges ont été assez laconiques, signe, sans doute, d’un sentiment dubitatif. Il résulte de toutes ces réponses qu’un tel « régime particulier » n’existe pas. Seules deux réponses se distinguent ici. Celle du Rwanda, d’abord, qui a fait apparaître une spécificité du seul processus délibératif touchant les questions de constitutionnalité, et donc celle des droits fondamentaux : elle consiste à confier l’affaire à un collège de cinq juges, alors que la formation ordinaire est de trois juges seulement. En dehors de cette singularité, qui n’est même pas substantielle, aucune réponse affirmative n’a été enregistrée. Celle de la Suisse, ensuite, qui indique succinctement que la loi sur le Tribunal fédéral prévoit un régime particulier pour les droits fondamentaux.

De même, les juridictions ne semblent pas avoir repris à leur compte la distinction « droits-libertés » au point d’en tirer des conséquences décisives. Si cette bipartition peut avoir un certain sens dans certains États – on songe à la Suisse –, il semble qu’elle soit d’une pertinence très réduite dans d’autres. Dans l’hypothèse où il faudrait la comprendre comme reprenant la distinction entre les « droits-libertés » (qui seraient les « libertés ») et les « droits-créances » (qui seraient les « droits »), sa portée pratique serait tout autant aléatoire car devant aucune juridiction, cette distinction n’emporte de conséquence sur le plan du traitement contentieux (si l’on fait bien entendu abstraction de la différence intrinsèque tenant à leurs justiciabilités respectives, déjà évoquée). Les réponses affirmatives d’une différence (Cambodge, Madagascar, Suisse dans une moindre mesure) demeurent très laconiques.

Dans ces conditions générales, les réponses enregistrées, quant à l’existence de « techniques juridictionnelles originales » de protection des droits de l’homme, ne sont pas parlantes outre mesure.

Sur ce point en effet, l’accent est mis sur l’information du public (Albanie, Rwanda), sur le droit d’accès au juge pour tous les citoyens (Albanie, Andorre, Angola, Madagascar) et sur des techniques de contrôle juridictionnel somme toute « classiques » : proportionnalité ou « balance des intérêts » (Belgique, Bulgarie, Moldavie, Sénégal), réserves d’interprétation et mobilisation de l’« erreur manifeste d’appréciation » (Mauritanie, Sénégal). Plus originales sont deux règles en cours en RCA et en Suisse : la possibilité pour le juge de déclarer une « cause d’ordre public », qui lui permet de soulever d’office et de contrôler un vice d’inconstitutionnalité – qu’il faut rapprocher du cas d’autosaisine du juge burkinabé –, et la consultation préalable obligatoire du juge constitutionnel avant l’adoption de certaines lois. Il est permis de supposer que ces procédures extraordinaires pourront s’appliquer en cas de menace d’atteinte aux droits fondamentaux.

De même, l’existence d’un pouvoir du juge de « constitutionnaliser » des droits semble poser problème.

Certaines juridictions émettent des doutes à cet égard lorsqu’elles rappellent que c’est le texte qui « constitutionnalise », et non le juge (Andorre, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Congo, Niger). D’autres réponses laissent ouverte la possibilité d’une promotion constitutionnelle de droits par la voie jurisprudentielle, soit par l’approfondissement interprétatif d’un texte (Moldavie, RCA), soit par voie purement prétorienne et sur la base de catégories aujourd’hui consacrées, comme les « principes à valeur constitutionnelle », « objectifs de valeur constitutionnelle » (France, Sénégal et, dans une moindre mesure, Angola, Suisse et Tunisie) ou encore « principes généraux du droit » tout simplement (Mauritanie).

Quant à la sanction d’une violation des droits de l’homme, elle dépend du type de contrôle de constitutionnalité qui est mis en œuvre.

Les réponses recueillies s’accordent sur le fait qu’en cas de contrôle par voie d’action – qui est également, souvent, un contrôle a priori – la censure du juge produit un effet « paralysant » de la norme en cause, celle-ci n’accédant pas au monde juridique : cas, entre autres, de l’Albanie, d’Andorre, du Burkina Faso, de l’Angola, du Burundi, de Monaco et du Sénégal.

Dans l’hypothèse d’un contrôle a posteriori et en cas de censure, deux tendances sont observées : soit la norme disparaît de l’ordonnancement juridique selon des modalités variables (France, Algérie, Angola, Côte d’Ivoire, Monaco, Sénégal), soit elle est simplement écartée dans le cas d’espèce (Belgique, Mauritanie, RDC).

Beaucoup de systèmes confient au juge la gestion des effets d’une annulation d’une norme, laquelle consiste presque toujours en un pouvoir de modulation de ces effets : détermination du point de départ des effets de l’annulation (Algérie, Canada, France, Moldavie), des actes ou effets soustraits à l’annulation (Belgique, Congo, RDC), des conditions de substitution de la norme évincée (Belgique) etc. Deux particularités assez remarquables doivent être soulignées à ce stade. Elles s’appliquent à la Belgique et la Suisse et procèdent de logiques opposées : l’une confère au juge un véritable pouvoir législatif, l’autre le confine à une fonction plutôt modeste. Dans le premier cas, qui est celui de la Belgique, il est reconnu à la Cour le pouvoir de rendre ce qu’on pourrait appeler un arrêt d’écriture ou de ré écriture de la loi puisque le juge y indique exactement ce qu’il convient d’ajouter à celle-ci pour la rendre conforme à la Constitution. Dans le second cas, celui de la Suisse, le Tribunal fédéral ne peut au contraire ni « annuler » ni écarter la loi, mais seulement exprimer une « invitation » au législateur afin que celui-ci adopte un texte adéquat.

L’établissement d’un lien avec la dernière question de votre sous-thème s’impose à ce stade (question n°15). Celle-ci porte sur les conséquences d’une sanction de la violation d’un droit de l’homme. En dehors des répercussions purement « légales » ou « normatives » de la sanction judiciaire, que nous venons de voir, il convient d’ajouter que dans certains systèmes, la possibilité d’une réparation d’ordre pécuniaire est énoncée. Le principe même de cette réparation est exprimé dans la Constitution du Cap- Vert (article 16). Il existe aussi en Albanie, au Canada, au Mozambique, à Monaco, en Serbie, alors que dans un État comme le Rwanda, il est juste précisé que les particuliers peuvent « tirer les conséquences » d’une déclaration d’inconstitutionnalité. Les retombées de la déclaration d’inconstitutionnalité peuvent être plus substantielles au sens où elles peuvent induire une remise en cause de verdicts judiciaires et déboucher, subséquemment, sur la réouverture de procès. Cette possibilité existe en Moldavie, mais il est permis de penser qu’une interprétation assez large des « conséquences » d’une inconstitutionnalité peut conduire à une révision de procès.

La portée des décisions rendues par les cours est, presque partout, une conséquence de la suprématie de la norme constitutionnelle. Elle se traduit en effet par le fait que de telles décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux juridictions de l’État. La formule utilisée confine à la clause de style. Presque toutes les Constitutions y sacrifient. Il n’existe pas donc, sur ce sujet précis, de particularismes importants. Tout au plus notera-t-on que dans le cas de la Serbie, il est précisé que les décisions en question produisent des « effets horizontaux », c’est-à-dire des conséquences sur le plan des rapports privés, ceux qui existent entre les personnes. Si cet effet « Drittwirkung » est bien connu dans le domaine des droits de l’homme en général, il est plutôt rare qu’un texte ajoute que les décisions rendues « s’imposent », en plus des pouvoirs publics et des juridictions, aux particuliers dans les rapports qu’ils entretiennent.

L’exécution même des décisions rendues est aménagée de manière différente selon les pays. Trois cas de figure se dessinent.

Les textes peuvent, dans une première hypothèse, être absolument muets sur les conditions de l’exécution. Tel est le cas en Algérie, en Belgique, au Burkina Faso, au Cambodge, aux Comores, au Mali, en Mauritanie, au Togo. Certains États susceptibles d’être rangés dans cette catégorie ont toutefois tenu à préciser qu’en dépit du silence des textes, il ne s’est jamais posé de problème d’exécution des arrêts rendus (Congo, Gabon, Rwanda, Sénégal).

L’exécution des décisions rendues par les juridictions constitutionnelles peut, dans un deuxième cas de figure, être confiée au juge constitutionnel lui-même : c’est le cas en Moldavie (où la Cour se fait communiquer l’état d’exécution des décisions) et en RDC (où c’est le « Parquet général » de la Cour constitutionnelle qui veille à l’exécution).

Enfin, dans une dernière hypothèse, c’est à un autre organe qu’est confiée la surveillance de la mise en œuvre des arrêts : cas de l’Albanie (Conseil des ministres compétent, le refus d’exécuter étant par ailleurs une infraction pénale), d’Andorre (compétence du juge ordinaire), du Cap- Vert (compétence du « Parquet », le refus d’exécuter étant par ailleurs pénalement sanctionné), de la RCA (compétence de la Haute Autorité chargée de la bonne gouvernance) et de la Suisse (possibilité pour un citoyen de faire un recours devant le Conseil fédéral).

La question qui était posée était celle de l’étendue et des limites des pouvoirs du juge en matière d’exécution. L’on peut alors penser qu’un juge qui exerce un contrôle sur l’exécution est mieux armé, a priori, qu’un juge qui n’a aucune compétence pour ce faire, lequel reste encore défavorisé par rapport au juge dont l’exécution des arrêts est tout de même confiée à un tiers. Mais il ne faudrait sans doute pas s’arrêter à ces considérations formelles. La bonne exécution d’une décision de justice dépend en effet de beaucoup d’autres facteurs, que l’on pourrait qualifier de « subjectifs » : la bonne foi des destinataires de la décision, une culture de l’État de droit, une conscience de l’importance des droits des personnes dans une société, bref, l’intériorisation de la contrainte juridique, l’éducation au droit.

Il apparaît que certaines questions n’ont pas trouvé suffisamment de pertinence auprès d’un grand nombre de cours pour faire l’objet de réponses détaillées. Il en est ainsi du régime des droits fondamentaux et de la distinction entre droits et libertés. Une des explications de cet état de fait pourrait se trouver dans le manque de systématisation doctrinale de la jurisprudence de certaines cours, qui entraîne une faible théorisation de leurs décisions.

FIGURE.2

SOUS-THÈME 2 :
Les méthodes et techniques juridictionnelles de protection des droits de l’homme

Tableau récapitulatif de la question 1

Q1 : Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

 

 

 

 

 

 


  • [1]
    Avec la collaboration d’Alioune SALL, professeur à l’Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR, membre de la Commission du droit  [Retour au contenu]
  • [2]
    Article 61 de la Constitution de la RDC : « En aucun cas, et même lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence aura été proclamé conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution, il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux énumérés ci-après :

    Le droit à la vie ;
    Interdiction de la torture, peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants ; 
    Interdiction de l’esclavage et de la servitude ;
    Principe de légalité des infractions et des peines ; 
    Droits de la défense et droit de recours ;
    Interdiction de l’emprisonnement pour dettes ;
    Liberté de pensée, de conscience, de religion ».

    Pour le Sénégal, voir les décisions du Conseil constitutionnel des 19 juin 1995 et 20 juillet 2021, qui font la distinction entre « les droits dits intangibles » et les « autres droits et libertés qui peuvent faire l’objet de restrictions (…) ».

    La réponse suisse met l’accent sur la prééminence du droit à la dignité et sur l’interdiction de la torture, qu’elle rattache au « noyau intangible » des droits.  [Retour au contenu]

L’effet res interpretata de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la République de Moldova

Serghei Ţurcan, Juge à la Cour constitutionnelle de la République de Moldova

 

Le principe res interpretata, i.e. l’autorité de la chose interprétée, trouve son fondement dans l’obligation des États de respecter de bonne foi les traités internationaux auxquels ils sont parties et prévoit que l’autorité interprétative des arrêts des cours internationales dépasse les parties de l’affaire et impose l’obligation pour tous les États contractants de tenir compte de ces arrêts[1]. Le principe res interpretata offre la possibilité d’assurer une application uniforme et efficace des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, contribue à garantir la conformité de la législation nationale avec les normes du droit international, permet une pénétration plus profonde et plus rapide de la jurisprudence des cours internationales dans les systèmes juridiques nationaux, contribuant ainsi à la prévention d’éventuelles futures violations des droits de l’homme et constitue un instrument important pour la consolidation du principe de subsidiarité, qui se trouve à la base des systèmes internationaux régionaux de protection des droits de l’homme.

La Constitution de la République de Moldova[2] prévoit à l’article 8 paragraphe 1 que l’État s’oblige à respecter la Charte des Nations Unies et les traités auxquels il est partie, à fonder ses relations avec les autres États sur les principes et les normes du droit international unanimement reconnus.

En outre, selon l’article 4 paragraphe 1 de la Constitution, les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et aux libertés de l’homme doivent être interprétées et appliquées conformément aux traités internationaux auxquels la République de Moldova est partie.

Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a retenu que les principes et les normes unanimement reconnus du droit international, les traités internationaux ratifiés et ceux auxquels la République de Moldova a adhéré font partie du cadre juridique de la République de Moldova et deviennent des normes de son droit interne[3]. Il résulte des dispositions constitutionnelles de l’article 4 que les conventions internationales sur les droits de l’homme, conclues et ratifiées conformément à la Constitution, priment sur la législation nationale et que les traités sur les droits et les libertés de l’homme ont un statut constitutionnel dans l’ordre juridique interne. Adhérant à une convention internationale régissant les libertés et les droits de l’homme, la République de Moldova appliquera les dispositions de cette convention, même si la législation nationale dans un domaine donné est en contradiction avec ses dispositions[4]. Lorsqu’il existe des contradictions entre les traités internationaux relatifs aux droits fondamentaux de l’homme et les lois internes de la République de Moldova, selon les dispositions de l’article 4 paragraphe 2 de la Constitution, les autorités sont obligées d’appliquer les règlementations internationales[5].

On retient que la République de Moldova, par la Décision du Parlement no 1298 du 24 juillet 1997, a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950[6], entrée en vigueur pour la République de Moldova le 12 septembre 1997. La République de Moldova a reconnu la juridiction obligatoire de la Cour européenne des droits de l’homme de plein droit et sans une convention spéciale[7].

L’une des fonctions de la Cour européenne des droits de l’homme, interprète authentique de la Convention européenne, consiste à établir un niveau minimum de protection des droits fondamentaux qui doit être garanti dans tous les États membres de la Convention. La Cour européenne a expliqué les conséquences de cette fonction dans l’arrêt Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 87 : « l’objet et le but de la Convention, comme instrument de protection des êtres humains appellent à comprendre et appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives. En outre, toute interprétation des droits et libertés garantis doit être conforme avec „l’esprit général de la Convention, destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique” »[8]. La Cour européenne considère que « ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes » (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], 17 juillet 2014, § 105[9]). Gardant à l’esprit que la Cour européenne offre une interprétation authentique et définitive des droits et libertés énumérés dans la Convention, la Cour doit déterminer si les autorités nationales ont dûment pris en compte les principes découlant des arrêts qu’elle a rendus sur des questions similaires, y compris dans des affaires concernant d’autres États (Opuz c. Turquie, 9 juin 2009, § 16364[10]).

Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a noté que la pratique juridictionnelle internationale était obligatoire pour la République de Moldova, en tant qu’État ayant adhéré à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La jurisprudence de la Cour européenne a la même valeur juridique que les dispositions conventionnelles, celle-ci étant l’interprétation de la Convention[11]. Dans l’esprit de l’article 4 de la Constitution, la Cour constitutionnelle dispose d’instruments nécessaires pour enrichir l’ensemble des garanties et des moyens de protection accordés aux droits et libertés fondamentaux de l’homme par les arrêts rendus et les solutions adoptées. La Cour constitutionnelle a noté que la jurisprudence de la Cour européenne et les dispositions de la Convention européenne sont pertinentes et orientent l’examen du litige constitutionnel. C’est notamment le cas lorsque le litige constitutionnel porte en substance sur la question de la garantie ou du respect d’un droit consacré par la Constitution et la Convention européenne[12]. La Cour constitutionnelle a confirmé le principe de l’applicabilité directe de la Convention européenne et de la jurisprudence de la Cour européenne en matière d’interprétations et solutions constitutionnelles[13] en tenant compte, évidemment, tant des arrêts de la Cour européenne rendus dans les affaires contre la République de Moldova, que des arrêts envers d’autres États parties à la Convention.

La Cour constitutionnelle a souligné qu’elle était obligée, en vertu de l’article 4 de la Constitution, de suivre la jurisprudence de la Cour européenne, celle- ci étant considérée comme faisant partie de la Convention européenne. En outre, la Cour a retenu que la Cour européenne elle-même exige que les autorités nationales veillent à ce que la législation nationale soit conforme à la Convention. Cela impose aux autorités l’obligation d’assurer le plein effet des normes de la Convention, telles qu’interprétées par la Cour européenne. Elles doivent exclure l’application de la loi nationale qui est manifestement contraire aux normes de la Convention, telles qu’interprétées par la Cour européenne (voir Fabris c. France [GC], 7 février 2013, § 75[14]). Ainsi, le principe res interpretata ressort des articles 1 [Obligation de respecter les droits de l’homme], 19 [Institution de la Cour] et 32 [Compétence de la Cour] de la Convention européenne et de la jurisprudence de la Cour européenne.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour constitutionnelle a statué que les raisonnements de la Cour européenne constituent pour la Cour constitutionnelle une autorité de la chose interprétée et sont tout aussi pertinentes et applicables dans toutes les affaires similaires [15]. Selon le principe res interpretata, les considérations de la Cour européenne sont obligatoires pour les États membres dans les affaires similaires, mêmes si elles n’ont pas été rendues envers elles. Les États contractants ont l’obligation légale en vertu du droit international de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne lorsqu’ils s’acquittent des obligations qui leur incombent en vertu de la Convention européenne, qu’ils aient été ou non parties aux affaires en question. Ainsi, il ressort sans équivoque de la jurisprudence de la Cour européenne que les autorités nationales doivent prendre au sérieux le principe res interpretata, principe qui représente un critère-clé sur la base duquel la performance interne est évaluée[16].

Il convient de noter que dans au moins trois affaires, l’adoption des arrêts par la Cour européenne a servi de base à la révision de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Dans une affaire, il s’agissait d’un jugement contre la République de Moldova, et dans deux autres, contre d’autres pays.

Ainsi, par l’Arrêt n° 10 du 16 avril 2010 a été révisé l’Arrêt n° 16 du 28 mai 1998 « sur l’interprétation de l’article 20 de la Constitution de la République de Moldova » dans la rédaction de l’Arrêt n° 39 du 9 juillet 2001. Cet arrêt concerne l’accès à la justice pour le règlement des litiges de travail des fonctionnaires publics (des officiels représentant un intérêt politique ou public particulier) et a été adopté suite à l’Arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne dans l’affaire Vilho Eskelinen et autres c. Finlande du 19 avril 2007[17]. Ainsi, la Cour constitutionnelle a retenu qu’en tenant compte du cursus cohérent, interdépendant et synchronique de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la République de Moldova face à la jurisprudence de la Cour européenne, il est logique d’adopter cet arrêt, nécessaire pour que la République de Moldova puisse passer „le test Eskelinen”[18].

Aussi, par l’Arrêt n° 31 du 11 décembre 2014 a été révisé l’Arrêt n° 9 du 26 mai 2009. Cet arrêt concerne l’interdiction d’occuper certaines fonctions publiques par les personnes ayant plusieurs citoyennetés et a eu comme base l’Arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne dans l’affaire Tănase c. Moldova du 27 avril 2010[19]. Pour établir la conformité des dispositions légales contestées avec les normes constitutionnelles, la Cour a tenu compte des considérations de l’Arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Tănase c. Moldova[20].

Enfin, par l’arrêt n° 7 du 10 mars 2022, les arrêts de la Cour constitutionnelle n° 21 du 20 octobre 2011 sur l’interprétation de l’article 46 paragraphe 3 de la Constitution et n° 6 du 16 avril 2015 sur le contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale ont été révisés. Cet arrêt concerne la confiscation civile de biens acquis de manière illicite et s’est fondé sur l’arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Gogitidze et autres c. Géorgie du 12 mai 2015[21]. La Cour constitutionnelle a estimé qu’il était nécessaire de réviser les arrêts susmentionnés, étant donné que certains de leurs considérants contredisaient les considérations identifiées dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans ce qui suit, nous présenterons un exemple éloquent de l’effet res interpretata de la jurisprudence de la Cour européenne dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la République de Moldova. Par l’Arrêt n° 27 du 13 novembre 2020, la Cour a statué sur la constitutionnalité de certaines dispositions des articles 55 paragraphe 3, 56 paragraphe 2, 60 paragraphe 4 et 63 paragraphe 4 de la loi n° 200 du 16 juillet 2010 sur le régime des étrangers en République de Moldova[22]. L’objet de la saisine a constitué les garanties offertes à l’étranger par la législation de la République de Moldova en cas d’expulsion.

Ainsi, on peut souligner deux problèmes sur lesquels la Cour constitutionnelle s’est prononcée dans cet Arrêt. En premier lieu, selon les dispositions contestées, lorsque la décision de déclarer l’étranger comme personne indésirable est fondée sur des motifs de sécurité nationale, la décision ne doit pas indiquer les motifs sur lesquels elle se fonde (article 55 paragraphe 3 de la loi n° 200 du 16 juillet 2010). Aussi, de telles données et informations ne peuvent en aucun cas être portées, directement ou indirectement, à la connaissance de l’étranger déclaré personne indésirable, y compris lors de l’examen par le tribunal du recours formé contre la décision déclarant l’étranger personne indésirable (article 56 paragraphe 2 de la loi n° 200 du 16 juillet 2010).

En second lieu, un étranger peut être éloigné ou expulsé de la République de Moldova pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public, même s’il existe des craintes justifiées que la vie de l’étranger soit mise en danger ou qu’il serait soumis à la torture, à des traitements inhumains ou dégradants dans l’État vers lequel il serait renvoyé (lettre e) de l’article 60 paragraphe 4 et point 1) de l’article 63 paragraphe 4 de la loi n° 200 du 16 juillet 2010).

La Cour constitutionnelle, à la différence de la Cour européenne, n’effectue qu’une analyse de la législation pertinente in abstracto, afin de déterminer si elle est conforme aux principes constitutionnels interprétés selon les normes qui peuvent être déduites de la Convention européenne, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne.

En ce qui concerne les problèmes de droit soulevés dans la saisine, la Cour a constaté l’existence d’arrêts pertinents de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme : Muhammad et Muhammad c. Roumanie, du 15 octobre 2020[23], et F.G. c. Suède, du 23 mars 2016[24]. Les arrêts mentionnés sont revêtus de l’autorité de la chose interprétée pour l’affaire examinée par la Cour. Ils établissent un niveau minimum de protection en termes de garanties procédurales en cas d’expulsion des étrangers, ainsi que de protection du droit à la vie et du droit à ne pas être soumis à de mauvais traitements sous leur volet procédural. La Cour constitutionnelle a statué que ces arrêts sont pertinents et applicables dans toutes les affaires similaires.

La Cour a examiné les dispositions contestées de la loi sur le régime des étrangers à travers le filtre des critères pertinents qui peuvent être extraits de ces deux arrêts susmentionnés de la Cour européenne, en les rapportant aux articles 19 [Statut juridique des citoyens étrangers et des apatrides], 20 [Libre accès à la justice], 24 [Droit à la vie et à l’intégrité physique et psychique] et 26 [Droit à la défense] de la Constitution de la République de Moldova.

En ce qui concerne le premier problème soulevé dans la saisine, la Cour a observé que les articles 55 paragraphe 3 et 56 paragraphe 2 de la loi instituent, dans la partie interdisant à l’étranger de prendre connaissance des motifs qui ont fondé la décision de le déclarer personne indésirable pour des raisons de sécurité nationale, une interdiction absolue et offre un poids abstrait plus grand à l’intérêt légitime de sécurité nationale.

Sous cet aspect, la Cour a observé que ces normes instituent une règle générale, insensible aux particularités de certaines affaires et enfreignent ainsi les droits procéduraux des étrangers, garantis par les articles 19, 20 et 26 de la Constitution.

La Cour a interprété les articles pertinents de la Constitution à travers l’article 1 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, du point de vue des garanties procédurales des étrangers confrontés à l’expulsion. Dans une affaire récente, Muhammad et Muhammad c. Roumanie, la Grande Chambre de la Cour européenne a énuméré, aux paragraphes 118-157, les garanties exigées par l’article 1 du Protocole n° 7 à la Convention.

Ainsi, l’article 1 § 1 du Protocole n° 7 à la Convention établit, comme première garantie, que la personne concernée ne peut être expulsée qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi. Cela suppose l’existence d’une base légale dans le droit national ainsi que le respect des exigences de qualité de la loi. La loi doit être accessible et prévisible et doit offrir des mesures de protection contre les ingérences arbitraires des autorités publiques. Le caractère arbitraire suppose une négation de la prééminence du droit et ne peut être toléré ni en ce qui concerne les droits procéduraux, ni envers les droits substantiels. Outre la condition générale de légalité, l’article 1 § 1 du Protocole n° 7 prévoit trois garanties procédurales précises : les étrangers doivent pouvoir faire valoir les raisons qui militent contre leur expulsion, pouvoir faire examiner leur cas et pouvoir se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente par une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité. L’article mentionné requiert que les étrangers concernés soient informés sur les éléments factuels pertinents qui ont conduit les autorités nationales compétentes à la conclusion qu’ils représentaient un danger pour la sécurité nationale et qu’ils doivent avoir accès au contenu des documents et aux informations du dossier de l’affaire sur lesquels les autorités se sont fondées pour décider de leur expulsion. Dans le contexte de l’article 1 du Protocole n° 7, seules les limitations qui, dans les circonstances de chaque cas, sont adéquatement justifiées et suffisamment contrebalancées seront permises[25].

La Cour constitutionnelle a retenu que toute personne qui fait l’objet d’une mesure basée sur des motifs de sécurité nationale doit bénéficier de garanties contre l’arbitraire. En particulier, la personne doit avoir la possibilité de faire contrôler la mesure litigieuse par un organe indépendant et impartial, habilité à se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes, pour trancher sur la légalité de la mesure et sanctionner un éventuel abus des autorités. Devant cet organe de contrôle, la personne concernée doit bénéficier d’une procédure contradictoire afin de pouvoir présenter son point de vue et réfuter les arguments des autorités (voir ACC n° 5 du 11 février 2014, § 64[26] ; Lupsa c. Roumanie, 8 juin 2006, § 38[27] ; Ljatifi c.„l’ex-République yougoslave de Macédoine”, 17 mai 2018, § 35 [28]; Ozdil et autres c. République de Moldova, 11 juin 2019[29], § 68[30]).

La Cour constitutionnelle a souligné que la nécessité de protéger le secret d’État et l’intérêt légitime de la sécurité nationale ne s’oppose pas au droit de la personne de connaître le résumé des motifs qui ont servi comme raison pour sa déclaration comme personne indésirable, dans la mesure où cela est compatible avec le maintien de la confidentialité des données obtenues.

Dans ce type d’affaires, dans son analyse, la Cour européenne est guidée par deux principes. Le premier : plus l’accès de l’étranger à l’information est bloqué, plus les garanties seront importantes, pour contrebalancer la limitation de ses droits procéduraux. Le deuxième : lorsque les circonstances d’une affaire révèlent des répercussions particulièrement importantes pour la situation de l’étranger, les garanties de contrebalance doivent être dûment renforcées[31].

La Cour constitutionnelle a noté que la loi sur le régime des étrangers remplit un critère important pour contrebalancer la limitation de l’exercice de leurs droits procéduraux. Elle prévoit, à l’article 57 paragraphe 1, que la décision de déclarer l’étranger indésirable peut être contestée par lui devant un tribunal dans un délai de cinq jours ouvrables. En même temps, la Cour a analysé l’étendue de la compétence du tribunal et, notamment, si le tribunal pouvait vérifier le caractère nécessaire du maintien de la confidentialité des informations classifiées pour des raisons de sécurité nationale, ainsi que le caractère nécessaire de la décision de déclaration de l’étranger comme personne indésirable en général.

Sous cet aspect, dans l’arrêt Ozdil et autres c. République de Moldova, § 70, la Cour européenne a établi que les tribunaux nationaux ne pouvaient pas examiner les motifs réels qui ont déterminé l’expulsion, car la législation nationale ne prévoyait pas que la note des services secrets, qui a servi comme base pour l’expulsion des requérants, devait être mise à la disposition des juges.

En ce sens, l’article 225 du Code administratif, à l’égard duquel la Cour a étendu son contrôle, a été pertinent. Le paragraphe 3 de cet article concerne y compris les actes administratifs individuels et normatifs qui concernent la sécurité nationale de la République de Moldova, qui peut également inclure la décision de déclarer l’étranger comme une personne indésirable. La Cour a observé que le paragraphe 3 de l’article 225 du Code administratif limite le contrôle du tribunal en ce qui concerne les actes administratifs individuels et normatifs, dans ses parties pertinentes, (a) à la compétence de l’autorité publique d’émettre l’acte et (b) à l’existence de l’intérêt public qui justifie la délivrance de l’acte administratif. Ce paragraphe ne permet pas au tribunal d’effectuer un contrôle complet de la proportionnalité de la décision contestée. Même si la protection de la sécurité nationale peut exclure, parfois, la divulgation à l’étranger des raisons qui ont fondé la décision de le déclarer personne indésirable, le tribunal doit pouvoir mettre en balance les intérêts de sécurité nationale avec les intérêts de l’étranger, ce que l’article 225 paragraphe 3 du Code administratif ne lui permettait pas.

La Cour a constaté le caractère insuffisant, dans la législation pertinente de la République de Moldova, de certains mécanismes essentiels pour contrebalancer la limitation de l’exercice des droits procéduraux de l’étranger en vertu des articles 19, 20 et 26 de la Constitution. L’étranger ne peut pas contester, d’une manière effective, les motifs de la décision le déclarant comme personne indésirable, selon lesquels il représentait un danger pour la sécurité nationale. Le tribunal n’a pas la compétence d’examiner de manière effective les motifs qui se trouvaient à la base de la décision et les preuves fournies à cet égard, son contrôle étant limité dans la partie qui regarde la proportionnalité de la mesure en question. La Cour a conclu que l’article 225 paragraphe 3 du Code administratif était inconstitutionnel dans la partie qui limite la compétence des tribunaux d’effectuer le contrôle de proportionnalité des actes administratifs individuels et normatifs qui concernent la sécurité nationale, étant contraire à l’article 20 de la Constitution[32].

En ce qui concerne le deuxième problème soulevé dans la saisine, la Cour a observé que, selon les articles 60 paragraphe 4 et 63 paragraphe 4 de la loi sur le régime des étrangers, les étrangers qui présentent un danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale peuvent être éloignés/expulsés même s’il existe des craintes justifiées que leur vie soit mise en danger ou qu’ils seraient soumis à la torture, aux traitements inhumains ou dégradants dans l’État dans lequel ils seraient renvoyés.

La Cour constitutionnelle a examiné les dispositions contestées en les rapportant à l’article 24 de la Constitution, interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne. Ainsi, dans l’affaire F.G. c. Suède [GC] du 23 mars 2016, la Cour européenne a analysé la question de l’expulsion d’un étranger vers un État tiers dans lequel il risquait d’être soumis à de mauvais traitements. La Cour européenne a noté, au paragraphe 110 de l’arrêt, que dans le contexte de l’expulsion, lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’un individu, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à la peine capitale, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, tant l’article 2 que l’article 3 impliquent que l’État contractant ne doit pas expulser la personne en question.

Dans le cas où il existe des craintes fondées que la vie des étrangers soit mise en danger ou qu’ils seraient soumis à la torture, à des traitements inhumains ou dégradants dans l’État de destination, la Constitution de la République de Moldova et la jurisprudence de la Cour européenne interdisent tout éloignement ou expulsion. Sous cet aspect, les droits garantis par l’article 24 de la Constitution et les articles 2 et 3 de la Convention européenne portent un caractère absolu. Partant, le caractère absolu de ces aspects de l’article 24 de la Constitution et des articles 2 et 3 de la Convention européenne a été suffisant pour déclarer l’inconstitutionnalité du texte „et e)” de l’article 60 paragraphe 4 et du texte „(1) et” de l’article 63 paragraphe 4 de la loi sur le régime des étrangers.

On retient également que pour assurer l’efficacité de ses solutions et afin d’éviter un vide législatif, la Cour constitutionnelle, jusqu’à la modification des normes déclarées inconstitutionnelles[33], peut établir, lorsqu’il est impérieusement nécessaire, des solutions provisoires. Dans cette affaire, la Cour a établi que jusqu’à la modification, par le Parlement, des articles 55, paragraphe 3, IIème thèse et 56, paragraphe 2, IIème thèse de la loi sur le régime des étrangers en République de Moldova, la décision sur la déclaration de l’étranger comme personne indésirable pour des raisons de sécurité nationale devra contenir un résumé des motifs, d’une manière compatible avec l’intérêt légitime de la sécurité nationale, étant notifiée à l’étranger sous cette forme.

Partant, on peut conclure que l’effet res interpretata de la jurisprudence de la Cour européenne dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle offre la possibilité d’assurer dans la République de Moldova une protection réelle et effective des droits de l’homme et des libertés, conformément aux normes internationales universelles et européennes.


  • [1]
    Voir Arnardóttir Oddný Mjöll. « Res Interpretata, Erga Omnes Effect and the Role of the Margin of Appreciation in Giving Domestic Effect to the Judgments of the European Court of Human Rights », The European Journal of International Law, 2017, 28, n° 3, Oxford University Press, pp. 822, 842-843.  [Retour au contenu]
  • [2]
    La Constitution de la République de Moldova, adoptée le 29 juillet 1994, entrée en vigueur le 27 août
    https://www.legis.md/cautare/getResults?doc_id=128016&lang=ro  [Retour au contenu]
  • [3]
    ACC no 55 du 14 octobre 1999 sur l’interprétation de certaines dispositions de l’article 4 de la Constitution de la République de Moldova, point 3 du dispositif : https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro_1999_h_55.pdf  [Retour au contenu]
  • [4]
    ACC n° 38 du 15 décembre 1998 sur le contrôle de constitutionnalité de la loi n° 101- XIV du 22 juillet 1998 « pour la rectification du budget des assurances sociales d’État pour l’année 1998 ». https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro_1998_h_38.pdf  [Retour au contenu]
  • [5]
    ACC n° 55 du 14 octobre 1999, point 4 du dispositif.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. https://wwechr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf  [Retour au contenu]
  • [7]
    Article 2 de la Décision du Parlement n° 1298 du 24 juillet 1997 pour la ratification de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que de certains protocoles additionnels à cette convention. https://www.legis.md/cautare/getResults?doc_id=7462&lang=ro.  [Retour au contenu]
  • [8]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-62176  [Retour au contenu]
  • [9]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-145847  [Retour au contenu]
  • [10]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-92946  [Retour au contenu]
  • [11]
    ACC n° 10 du 16 avril 2010 pour la révision de l’Arrêt n° 16 du 28 mai 1998 « sur l’interprétation de l’article 20 de la Constitution de la République de Moldova » dans la rédaction de l’Arrêt n° 39 du 9 juillet 2001, § 2. https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro_2010_h_10.pdf ; ACC n° 31 du 11 décembre 2014 sur la révision de l’Arrêt n° 9 du 26 mai 2009 pour le contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions de la loi n° 273-XVI du 7 décembre 2007 « sur la modification de certains actes législatifs » et de la loi n° 76-XVI du 10 avril 2008 « sur la modification du Code électoral n° 1381-XIII du 21 novembre 1997 » (l’interdiction d’occuper certaines fonctions publiques par les personnes ayant plusieurs citoyennetés), § 16, 37. https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro-h3111122014rod0989.pdf.  [Retour au contenu]
  • [12]
    ACC n° 16 du 25 juin 2013 pour le contrôle de constitutionnalité de l’article XI point 16 de la loi n° 29 du 6 mars 2012 pour la modification de certains actes législatifs, § 79-80. https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro-h_16_2013_ro.pdf  [Retour au contenu]
  • [13]
    CC n° 15 du 13 septembre 2011 sur le contrôle de constitutionnalité de l’article 18 paragraphe 3 de la loi n° 152-XVI du 8 juin 2006 sur l’Institut National de Justice, § 26. https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro_2011_h_15.pdf  [Retour au contenu]
  • [14]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-116715  [Retour au contenu]
  • [15]
    Voir, par exemple, ACCn° 10 du 8 mai 2018 sur l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 36 paragraphe 1 de la loi n° 156 du 14 octobre 1998 sur le système public de pensions, 50. https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro-h10201824g2018ro6765d. pdf ; ACC n° 13 du 14 mai 2018 sur l’exception d’inconstitutionnalité de certaines dispositions de l’article 25 paragraphe (1) de la loi n° 947 du 19 juillet 1996 sur le Conseil Supérieur de la Magistrature et de l’article 10 paragraphe 1 b) de la loi sur le contentieux administratif n° 793 du 10 février 2000 (le contrôle judiciaire des décisions émises par le Conseil Supérieur de la Magistrature dans les affaires disciplinaires), § 23. https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro-h132018148g2017rou6d980. pdf ; ACC n° 25 du 11 octobre 2018 sur l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 13 paragraphe 1 b) du Code électoral, § 57. https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/hcc_25_sesizarea_105g_2018.pdf.  [Retour au contenu]
  • [16]
    V. Oddný Mjöll Arnardóttir, précité, pp. 827, 838.  [Retour au contenu]
  • [17]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-80249  [Retour au contenu]
  • [18]
    ACC n° 10 du 16 avril 2010, § 4  [Retour au contenu]
  • [19]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-98429  [Retour au contenu]
  • [20]
    ACC n° 31 du 11 décembre 2014, §  [Retour au contenu]
  • [21]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-154398  [Retour au contenu]
  • [22]
    ACC n° 27 du 13 novembre 2020 sur le contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions des articles 55 paragraphe 3, 56 paragraphe 2, 60 paragraphe 4 et 63 paragraphe 4 de la loi n° 200 du 16 juillet 2010 sur le régime des étrangers en République de Moldova (les garanties de l’étranger en cas d’expulsion), https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/h_27_2020_54a_2020.rou.pdf  [Retour au contenu]
  • [23]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-205510  [Retour au contenu]
  • [24]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-161876  [Retour au contenu]
  • [25]
    ACC n° 27 du 13 novembre 2020, §§ 43-44, 50, 54.  [Retour au contenu]
  • [26]
    ACC n° 5 du 11 février 2014 pour le contrôle de constitutionnalité des dispositions de l’article 4 e) de la loi sur le contentieux administratif no793-XIV du 10 février 2000. https://constcourt.md/public/ccdoc/hotariri/ro-h5_-2014.pdf.  [Retour au contenu]
  • [27]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-75687  [Retour au contenu]
  • [28]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-182871  [Retour au contenu]
  • [29]
    En septembre 2018 les autorités de la République de Moldova ont déclaré comme personnes indésirables les citoyens turcs Ozdil, Çelebi, Doğan, Karacaoğlu, Tüfekçi, qui travaillaient comme professeurs dans une institution d’enseignement privée et ont été expulsés de la République de Moldova en Turquie  [Retour au contenu]
  • [30]
    https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-193614  [Retour au contenu]
  • [31]
    ACC n° 27 du 13 novembre 2020, §§ 63, 84.  [Retour au contenu]
  • [32]
    ACC n° 27 du 13 novembre 2020, §§ 90-94.  [Retour au contenu]
  • [33]
    Selon l’article 281 paragraphe (1) de la loi n° 317 du 13 décembre 2014 sur la Cour constitutionnelle, le Gouvernement, au plus tard 3 mois à compter de la date de publication de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, présente au Parlement le projet de loi portant sur la modification ou l’abrogation de l’acte normatif ou de certaines parties de celui-ci déclarées inconstitutionnelles ; ledit projet de loi sera examiné par le Parlement en priorité. On remarque le fait que malgré ces réglementations, le projet de loi qui met en exécution l’Arrêt de la Cour constitutionnelle n° 27 du 13 novembre 2020 a été présenté par le Gouvernement au Parlement le 23 décembre 2021, étant adopté par la Décision du Gouvernement n° 443 du 22 décembre 2021. Le projet de loi a été adopté par le Parlement en première lecture le 3 février 2022. La loi a été adoptée en lecture finale le 24 mars 2022 et est entrée en vigueur le 15 mai 2022.  [Retour au contenu]

 

Allocution de Joseph Djogbenou

Président de la Cour constitutionnelle du Bénin

 

Introduction

Le sujet est bien vaste, puisqu’il s’abstrait de toute délimitation, ratione temporis, et surtout ratione iurisdictiones (juridictions relevant de l’autorité ou du pouvoir judiciaire, internes ou internationales) ou encore ratione loci (entendu comme l’ordre juridique de référence).

Une première idée s’impose : il faut le circonscrire. Ratione iurisdictiones, la réflexion ne sera pas étendue aux juridictions relevant du pouvoir judiciaire.   Ce n’est point en raison de ce qu’elles ne sont pas compétentes en matière de protection des droits de l’homme. Bien au contraire : ce sont les organes juridictionnels de protection des droits de la personne à titre primaire, c’est- à-dire ceux dont la fonction essentielle est de protéger l’individu dans ses droits et l’être dans son existence. Certes, au cœur de la protection judiciaire, les droits subjectifs et le rapport du sujet avec le pouvoir administratif. Pour autant, c’est dans l’assiette des droits subjectifs que la doctrine jusnaturaliste élève certains à la dignité des droits fondamentaux, telle que la propriété et la liberté. En outre, du fait de la fondamentalisation des droits subjectifs en vue de les soumettre au statut des droits fondamentaux, il est de moins en moins aisé de distinguer ceux-ci de ceux-là, de sorte qu’il est possible d’affirmer que les juridictions relevant de l’autorité ou du pouvoir judiciaire assurent également la protection des droits de l’homme. Toutefois, les juridictions relevant du pouvoir judiciaires sont saisies de la protection des droits de l’homme à titre secondaire voire subsidiaire alors que les juridictions constitutionnelles sont saisies de la protection de ces droits à titre principal.

Une deuxième idée s’attache en effet aux notions de « méthodes » et de « techniques ». Au sens épistémologique, il faut les tenir pour synonymes puisque selon l’une ou l’autre notion, c’est bien de la démarche du raisonnement qu’il s’agit, dont le but et de dévoiler le sens de la règle, au moyen de procédés et d’arguments établis et reconnus, sur fond de rationalisme, souvent hypothético-déductifs, quelques fois empirico-inductifs. Il convient de les définir comme l’ensemble des démarches de l’esprit qui permettent au juge d’identifier, de caractériser et d’appliquer la règle de droit ou la norme juridique indiquée dans une situation juridique.

Enfin, une troisième idée est nécessaire à la définition des termes du débat : les juridictions concernées. On aura observé qu’il ne s’agit pas, pour les raisons évoquées, des juridictions de l’autorité ou du pouvoir judiciaire. La présente étude sera consacrée aux méthodes de protection auxquelles les juridictions en charge de la garantie à titre principal des droits de l’homme recourent. Le modèle reconnu se cristallise dans les juridictions éponymes, à vocation régionale, les Cours des droits de l’homme : la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour interaméricaine des droits de l’homme, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Au plan régional et au plan interne, certaines juridictions communautaires, à vocation économique comme la Cour de justice de la CEDEAO, ou constitutionnelle en charge du contrôle de constitutionnalité comme certaines juridictions constitutionnelles, comme celle du Bénin, ont vu leur compétence primaire s’étendre à la garantie des droits fondamentaux et deviennent, par leur nature et en leur degré, des cours des droits de l’homme. C’est sous cette vue et à l’illustration du modèle qu’impose la Cour constitutionnelle du Bénin que l’analyse sera proposée.

Cela dit, le constituant béninois du 11 décembre 1990 affirme « solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un État de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle, que spirituelle ». À ce titre, il réaffirme son « attachement aux principes de la démocratie et des Droits de l’Homme, tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’Unité Africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986, et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ». La philosophie qui sous-tend cet attachement du constituant aux droits et libertés fondamentaux, c’est que, conformément à l’article 3 de la Constitution, « La souveraineté nationale appartient au Peuple. (…) [et] s’exerce conformément à la (…) Constitution qui est la Loi Suprême de l’État ». Par suite, « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ». Autrement dit, le Bénin a décidé de faire du juge constitutionnel, non seulement la clé de voûte de son architecture institutionnelle, mais aussi l’instrument privilégié de l’édification de l’État de droit.

Au regard des droits protégés, le Bénin n’a rien à envier aux États constitutionnellement émancipés. Il est un véritable État de droit constitutionnel pour au moins trois raisons. D’abord, la Constitution du 11 décembre 1990 consacre un titre entier, le titre II, aux droits et devoirs de la personne humaine. On y recense, après l’affirmation introductive du caractère sacré et inviolable de la personne humaine, une série de droits aussi bien économiques et sociaux, que civils et politiques, voire de solidarité. Il en est ainsi de l’égal accès des citoyens à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi. On relève aussi le droit au développement, à la protection de la culture, le droit à la vie, la prohibition de la peine de mort, le droit à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de la personne, la légalité des délits et des peines, la présomption d’innocence, la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, l’interdiction des arrestations arbitraires et abusives ainsi que des traitements cruels, inhumains et dégradants. La protection de la vie privée sous ces différentes formes, la protection de la propriété, des libertés de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression, la liberté de presse, les libertés d’aller et de venir, de réunion, de manifestation, d’association, de grève y trouvent également place. Le droit à l’égalité, l’égalité de droits entre hommes et femmes, les discriminations positives en faveur des femmes, la protection de la mère et de l’enfant ainsi que des personnes vivant avec handicap reçoivent aussi un traitement de choix. Et que dire, des droits de solidarité (droit à un environnement sain, droit à la paix) et des devoirs ? Ensuite, il est précisé, tant dans le préambule de la Constitution qu’à l’article 7 de celui-ci, que tous les droits prévus dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples font également partie intégrante de la Constitution. Enfin, l’État est partie aux traités les plus importants en matière de droits fondamentaux, notamment à l’ensemble de la Charte universelle des droits de l’homme.

Mais au-delà de la proclamation des droits, c’est leur effectivité qui est essentielle. Et la clé de cette effectivité, c’est le mécanisme de garantie prévu. Il paraît utile de s’intéresser à ce mécanisme pour observer comment la violation des différents droits ainsi consacrés ne reste pas sans sanction, en particulier, devant le juge constitutionnel.

Le constituant béninois de 1990, à l’opposé des autres constituants d’Afrique francophone, a voulu faire du juge constitutionnel, un protecteur spécifique et prioritaire des droits fondamentaux.

Alors que la Constitution sénégalaise de 2001, par exemple, fait de tout le pouvoir judiciaire[1] le « gardien des droits et libertés définis par la Constitution et la loi »[2], que la Constitution tchadienne du 31 mars 1996 dispose en son article 144 que le pouvoir judiciaire qui est exercé par la Cour Suprême, les Cours d’Appel, les tribunaux et les Justices de Paix est le « gardien des libertés et de la propriété individuelle [et] veille au respect des droits fondamentaux », que la Constitution malienne de 1992 en son article 81 fait du pouvoir judiciaire exercé par la Cour Suprême et les autres cours et tribunaux « le gardien des libertés définies par la présente Constitution » dans la mesure où il « veille au respect des droits et libertés définis par la présente Constitution », au Bénin, la Constitution du 11 décembre 1990 en son article 114, fait de la Cour constitutionnelle « la plus haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi (…). Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics », mais aussi et surtout, « elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ». Il apparaît dès lors que la question des droits fondamentaux occupe une place essentielle et spécifique dans l’office du juge constitutionnel béninois.

La question de la méthode d’examen des espèces dans lesquelles la protection des droits fondamentaux de la personne est invoquée est déterminante. En raison des différences de natures (la subjectivation des rapports juridiques en ce qui concerne le pouvoir judiciaire et l’objectivation de principe des mêmes rapports en ce qui concerne les juridictions constitutionnelles), les méthodes et les techniques sont pour le moins différentes. Par exemple, la méthode syllogistique est privilégiée par les juridictions relevant du pouvoir judiciaire. Aussi bien, faut-il se résoudre à considérer la méthode syllogistique insuffisante à permettre à la juridiction constitutionnelle d’assurer et d’assumer sa mission de garantie des droits de l’homme (I). La garantie des droits de l’homme étant la finalité essentielle, il importe au juge de s’affranchir des procédés formalistes pour assurer l’effectivité de ces droits (II).

 

I – L’insuffisance de la méthode syllogistique

Dans le modèle syllogistique qui fonde le raisonnement juridique sur un schéma logique, la règle de droit est la majeure, les faits de l’espèce constituent la mineure et le jugement est la chute conclusive du raisonnement logique. Cette méthode formaliste parie sur l’infaillibilité du raisonnement juridique tout en prétendant préserver le principe de la séparation des pouvoirs. À tout le moins, elle confine le juge dans le rôle d’application des règles édictées par le législateur, son office étant de soumettre les faits aux lois. Toutefois, elle est insuffisante, pour une double raison, à permettre à la juridiction saisie à titre principal des droits de l’homme à atteindre les fins de garanties et de protection de ces droits. La première raison réside dans le caractère de la protection et la seconde, dans sa finalité.

 

A. Une insuffisance à raison du caractère de la protection

La légitimité de la méthode formaliste réside dans le caractère subjectif de la protection assurée par le juge, à l’effet, dans chaque espèce et au gré des intérêts en cause, de dévoiler le contenu de la règle, sa signification, sa valeur et sa portée : par la bouche du juge judiciaire, la règle s’adresse à chacun, impliqué dans une espèce déterminée. Dans la perspective syllogistique, la protection fondée par la règle est assurée, « au cas par cas », à l’égard de chaque individu pris distinctement. Par le juge, la règle descend sur la personne en ce qu’elle est différemment des autres, en ce qu’elle désire dans les limites et la mesure de ses intérêts concrètement considérés.

Or tel ne semble pas être le paradigme de positionnement des juridictions constitutionnelles, surtout lorsque celles-ci ont la charge de la protection des droits de l’homme à titre principal. La garantie visée l’est à l’égard de tous : elle a un caractère universaliste, humaniste et fondamentalement objectif. Ce qui est en cause, c’est moins l’espèce que la garantie à atteindre. La méthode syllogistique, à caractère formel, est alors inapte en raison de ce que, dans chaque espèce, ces juridictions constitutionnelles ont pour mission de dévoiler le contenu de la règle, sa signification, sa valeur et sa portée sans égards aux intérêts subjectifs ou particuliers en cause : par la bouche de la juridiction constitutionnelle, la règle s’adresse à tous, peu importe une implication ou non de l’individu dans l’espèce. Aussi, d’une part, la garantie peut-elle être assurée sans aucune espèce (1), d’autre part, est-elle nécessairement assurée au-delà des espèces (2).

  1. La garantie assurée sans aucune espèce

La méthode syllogistique n’est pas appropriée lorsque, à travers le contrôle de constitutionnalité, la juridiction constitutionnelle assure la garantie des droits de l’homme. En pareille occurrence, la garantie est abstraite et préventive. Le jugement a surtout lieu a priori, sans aucune espèce.

C’est le cas lorsque la Cour constitutionnelle opère le contrôle de constitutionnalité des textes à caractère législatif. L’article 117 de la Constitution béninoise dispose que la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur « (…) ‒ la constitutionnalité des lois organiques avant leur promulgation ; (…) ». De même, sur la base de l’article 123 de la Constitution, reprise par l’article 21 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle : « Les règlements intérieurs et les modifications aux règlements adoptés par l’Assemblée Nationale, la Haute autorité de l’audiovisuel et la communication et par le Conseil   Economique et social sont, avant leur mise en application, soumis à la Cour constitutionnelle par le Président de chacun des organes concernés ». On pourrait ajouter que l’article 22 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, détaillant les conditions de mise en œuvre de l’article 117 de la Constitution, dispose : « De même sont transmis à la Cour constitutionnelle soit par le Président de la République, soit par tout citoyen, par toute association ou organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme, les lois et actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques… ». Enfin, il ne faut pas oublier que, conformément à l’article 121 alinéa 1 de la Constitution, « La Cour constitutionnelle, à la demande du Président de la République ou de tout membre de l’Assemblée nationale, se prononce sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation ».

Une telle volonté de ne laisser aucun texte sans contrôle ou possibilité de contrôle de sa conformité aux droits fondamentaux constitutionnellement consacrés a permis d’obtenir quelques avancées sur le terrain de la protection des droits fondamentaux, en particulier le principe d’égalité et de non-discrimination.

Ainsi, la Cour constitutionnelle a pu décider, par décision DCC 02 – 144 du 23 décembre 2002, que le fait pour le code des personnes et de la famille voté par l’Assemblée nationale et en instance de promulgation d’avoir prévu la possibilité pour l’homme d’avoir plusieurs épouses alors qu’une telle possibilité n’était pas reconnue à la femme était contraire à l’article 26 de la Constitution consacrant l’égalité de tous devant la loi et en particulier l’égalité en droit de l’homme et de la femme[3]. Plus récemment encore sur le même code des personnes et de la famille, par décision DCC 21-269 du 21 octobre 2021, la Cour a pu constater, entres autres, « qu’en déterminant … les conditions d’attribution de nom à l’enfant dans les différentes hypothèses de la filiation, l’article 6 n’est conforme aux articles 26 alinéas 1 et 2 de la Constitution, 3 et 18 alinéa 1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples      que lorsque les règles qu’il pose sont interprétées comme conférant un égal pouvoir à la femme placée dans les mêmes conditions que l’homme et préservant le droit fondamental de l’enfant à l’égale reconnaissance de la filiation de ses parents ; qu’aucun principe constitutionnel, aucun objectif à valeur constitutionnelle encore moins un impératif constitutionnel ne justifie l’admission d’une rupture de l’égalité dans ces situations ». Pour ces raisons, elle a conclu « qu’il en résulte qu’à la demande de la mère, l’enfant porte également son nom ; qu’il en est de même en cas de reconnaissance simultanée des deux parents ou en cas d’adoption par les deux époux ; que si, dans l’hypothèse de l’alinéa 4 de l’article 6 du code des personnes et de la famille, l’un des parents reconnait l’enfant en dernière position, son nom sera adjoint à celui du parent dont l’enfant porte déjà le nom ».

Mais, au-delà des recours directs réservés aux acteurs politiques a priori et à tous les citoyens a posteriori, ces derniers ont aussi la possibilité de soulever devant des juridictions ordinaires des exceptions d’inconstitutionnalité. L’article 122 de la Constitution dispose en effet que : « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours ».

C’est aussi le cas des textes à caractère administratif. L’article 3, alinéa 3, de la Constitution dispose en effet que « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires [aux dispositions de la Constitution] sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ».

À titre illustratif sur les actes administratifs et réglementaires, par décision DCC 19-271 du 22 août 2019, la Cour a constaté, s’agissant d’un décret qui interdisait aux femmes de l’armée de se marier ou de se retrouver     en état de gestation avant un certain nombre d’années après leur entrée  en service, que « les dispositions visées, qui élèvent en cause d’inaptitude l’état de conception ou de gestation, sont contraires à l’article 26 de la Constitution en ce que ces inaptitudes, qui ne sont pas applicables dans les mêmes conditions à l’homme et à la femme, sont stigmatisantes à l’égard de celle-ci et, par suite discriminatoires ; qu’au surplus ces dispositions violent l’alinéa 2 du même article 26 de la Constitution qui prescrit à la charge de l’ État, l’obligation de protéger la famille et particulièrement la mère et l’enfant ; que le fait pour l’article 5 du même décret de sanctionner de la radiation des forces armées la conception et la gestation est constitutif d’un manquement par l’État à l’obligation mise à sa charge par l’article 26 alinéa 2 de la Constitution ; que le décret n° 79-287 du 30 octobre 1979 étant dès lors contraire à la Constitution, la radiation (…) fondée sur cette base, est également contraire à la Constitution ».

C’est enfin le cas lorsqu’il s’agit des décisions de justice. Après avoir longtemps hésité, et sans doute, entretenant encore quelques liens avec la méthode syllogistique[4], la Cour constitutionnelle s’est finalement échappée de cette méthode en s’intéressant également aux décisions de justice, à partir de la décision DCC 03-166 du 11 novembre 2003. Elle affirme  que « la Cour a fixé sa jurisprudence en ce qui concerne les décisions de justice. (…) à travers plusieurs décisions, elle a jugé que les décisions de justice n’étaient pas des actes au sens de l’article 3, alinéa 3, de la Constitution, pour autant qu’elle ne viole pas  les  droits de l’homme ; (…) ». Autrement dit, l’immunité qui couvre les décisions de justice devant le juge constitutionnel saute lorsque les décisions de justice violent les droits de l’homme. Dans ce cas, une décision de justice redevient un « acte » susceptible de recours  devant la Cour constitutionnelle, sur le fondement de l’article 3, alinéa 3, de la Constitution. « Pour sortir des impasses de l’indépendance mutuelle des cours suprêmes, découlant des articles 124 alinéa 2 – autorité de chose jugée des décisions de la Cour constitutionnelle – et 131 alinéa 3   – autorité de chose jugée des décisions de la Cour Suprême –, le juge constitutionnel a ainsi convoqué la disposition emblématique du Renouveau démocratique au Bénin qui institue une actio popularis, à l’origine de nombre de ses « grandes » décisions »[5].

Après s’être autoproclamée « la plus suprême des cours suprêmes en matière de droits de l’homme », il ne restait plus à la haute juridiction qu’à mettre en œuvre cette suprématie. Elle en aura l’occasion en 2004. Le 18 mai 2004, par décision DCC 04-051, elle relève que « les investigations ont révélé que malgré la prorogation de tous les délibérés au 08 janvier 1998, le délibéré Lazare KAKPO contre Thomas KOUGBAKIN a été ramené au 11 décembre 1998 à l’insu du requérant, l’empêchant ainsi d’exercer les voies de recours dans les délais ; qu’un tel changement de date sans en aviser les parties constitue une fraude au droit de la défense garanti par la Constitution et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ; que, dès lors, il échet de dire et juger que la formation de la Cour  d’Appel de Cotonou siégeant en matière civile traditionnelle qui a rendu l’arrêt n° 167/98 du 11 décembre 1998 a violé la Constitution ; (…) ». Cette décision qui est un pas dans la nouvelle direction ne suffisait pas néanmoins à afficher nettement la nouvelle position de la haute juridiction constitutionnelle à l’égard des décisions de justice pour la double raison  qu’elle  ne  porte pas sur le fond de l’arrêt rendu par le  juge ordinaire  (une  cour  d’appel) et que cette décision ne provient pas de la Cour suprême qui, comme la Cour constitutionnelle, si l’on s’en tient à une interprétation littérale de la Constitution, rend des décisions non susceptibles du moindre  recours. Dans la décision DCC 09-087 du 13 août 2009, la Cour constitutionnelle réaffirme donc que «  les décisions de justice ne sont pas  des  actes  susceptibles  de recours devant la Cour constitutionnelle pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens et  les  libertés  publiques  ;  (…)  ». Elle poursuit plus clairement qu’« en matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle priment celles de toutes les autres juridictions ». En l’espèce, elle avait constaté que, contrairement à ce que prétend la Cour suprême dans sa décision, le « moyen soumis à la Chambre Judiciaire [de la Cour suprême] ne tend pas à faire apprécier des faits mais pose un problème de droit s’analysant comme une atteinte à la dignité humaine garantie par la Constitution ». Elle avait alors conclu que, sur cette question de dignité humaine, « l’arrêt n° 13/CJ- CT du 24 novembre 2006 de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême (…) est contraire à la Constitution ».

Une partie de la doctrine a pu ainsi s’écrier : « Désormais, tout béninois en litige devant une juridiction non seulement a la faculté de se plaindre devant la Cour constitutionnelle de tout acte juridictionnel qui méconnaîtrait les droits de l’homme, mais encore peut escompter la sanction par elle de tout abus caractérisé du pouvoir judiciaire. Un progrès de taille ! »[6].

Mais il convient de signaler néanmoins qu’un tel mécanisme de contrôle des décisions de la Cour suprême revêt un caractère exceptionnel en raison des perturbations qu’il peut introduire dans la sécurité juridique[7]. La Cour n’y a recouru qu’une seule fois en trente ans de fonctionnement.

  1. Une garantie assurée au-delà des espèces

Pour exercer à bon escient sa mission de garantie des droits de l’homme, l’espèce se présente à la juridiction constitutionnelle comme un prétexte, la protection assurée dépassant la portée des rapports interindividuels circonscrits dans un procès subjectif. On le voit, notamment dans les cas de contrôle exercé par les personnes, par voie d’action ou par voie d’exception. Dans une espèce illustrant ce point, les articles 336 à 339 du code pénal béninois relatifs à l’adultère étaient en cause[8].

Le 22 mai 2009, la haute juridiction constitutionnelle  béninoise  est  saisie par jugement avant-dire-droit du 15 mai 2009, de l’exception d’inconstitutionnalité évoquée devant la première chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Cotonou par Madame Nelly HOUSSOU et Monsieur Akambi Kamarou AKALA, assistés de Maître Reine ALAPINI GANSOU substituée par Maître Ibrahim SALAMI et Maître Magloire YANSUNU. Les requérants exposent : « (…) Les articles 336 à 339 du Code pénal en vigueur en République du Bénin relatifs à l’adultère  « créent des conditions plus favorables à l’homme qu’à la femme au triple point de vue de la constitution de l’infraction, de la poursuite de l’infraction et de la peine encourue » (…) ». Ils estiment que ces dispositions violent les articles 26 de la Constitution, 2 et 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui consacrent le principe de l’égalité de l’homme et de la femme en droit. Ils demandent en conséquence à la haute juridiction de déclarer les articles susvisés contraires à la Constitution.

La Cour constitutionnelle, examinant cette requête, constatera, par décision DCC 09- 081 du 30 juillet 2009, que : « Le législateur a instauré une disparité de traitement entre l’homme et la femme en ce qui concerne les éléments constitutifs du délit ; (…) alors que l’adultère du mari ne peut être sanctionné que lorsqu’il est commis au domicile conjugal, celui de la femme est sanctionné quel que soit le lieu de commission de l’acte ». Pour la Cour, « l’incrimination ou la non incrimination de l’adultère ne sont pas contraires à la Constitution, mais (…) toute différence de traitement de l’adultère entre l’homme et la femme est contraire aux articles 26 de la Constitution, 2 et 3 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ». C’est pour cette dernière raison que les articles 336 à 339 du Code Pénal ont été déclarés contraires à la Constitution[9].

Si le caractère objectif de la protection affaiblit la méthode syllogistique, cet affaiblissement a également tout à avoir avec la finalité de la protection assurée par la juridiction constitutionnelle.

 

B. Une insuffisance à raison de la finalité de la protection

Cette insuffisance pourra être vérifiée à deux niveaux : d’abord par le contenu substantiel de la finalité (1), ensuite dans sa traduction procédurale (2).

  1. Le contenu substantiel de la finalité de la protection

La protection des droits de l’homme à titre de garantie par la juridiction constitutionnelle a une finalité axiologique en ce que ce qui est recherché, c’est la protection de l’humain dans l’être, dans sa complétude et dans son universalité. Il ne s’agit guère du rapport du droit à un sujet (droit subjectif en lien avec les situations juridiques), ou à un citoyen (droits civiques, de nature politique), mais du rapport du droit à l’être humain (droits civils également de nature politique). Ce rapport irrigue les valeurs que cristallise la vie autour de la dignité humaine, de l’égalité et surtout d’universalité. La Constitution béninoise ne s’est pas trompée sur les références axiologiques : lorsque le droit invoqué est fondamental en ce qu’il s’attache à l’individu pris ut universi, dans le texte de la Constitution comme dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui y est intégrée (article 7 de la Constitution), la protection vise la « personne » : « la personne humaine est sacrée et inviolable » (article 8 al. 1), « toute personne a droit à la culture » (article 10 al. 1), « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente (…) » (article 17 al. 1), « toute personne a droit   à la propriété (…) » (article 22), « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements (…) » (article 23), « Toute personne a droit à un environnement saint, satisfaisant et durable… » (article 27), « toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis par la présente Charte (…) » (article 2 CADHP), « 1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi ; 2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi » (article 3 CADHP), « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) » (article 7 CADHP) », « Tout individu a droit à la vie (…) » (article 15 al. 1 de la Constitution) etc. Cette protection vise également les « individus  » :

« Tout  individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne (…) » (article 6 CADHP) etc. Le recours au pronom indéfini qualifie   l’humain dans sa substantialité : « Nul ne peut être condamné à mort » (article 15 al. 2), « Nul ne peut être arrêté ni inculpé qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement aux faits qui lui sont reprochés » (article 16 al. 1), il est ainsi des droits énoncés à l’article 18 de la Constitution : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Nul n’a le droit d’empêcher un détenu ou un prévenu de se faire examiner par un médecin de son choix. Nul ne peut être détenu pendant une durée supérieure à quarante-huit heures que par la décision d’un magistrat auquel il doit être présenté (…) », etc. Dans cette perspective de protection de ce qui constitue l’humain en l’être, la Constitution recourt même au groupe nominal « tout être humain », tel qu’il apparaît en son article 9 : « Tout être humain a droit au développement de sa personne dans ses dimensions matérielle, temporelle, intellectuelle et spirituelle, pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel et les bonnes mœurs ».

En chaque espèce, l’humain surgit, de sorte qu’au plan de la technique procédurale, le dépassement subjectif de la méthode syllogistique est essentiel.

  1. La traduction procédurale de la finalité

La procédure devant la Cour constitutionnelle ne peut être attelée au caractère subjectif nécessaire à la méthode syllogistique.

Le contentieux est en effet marqué par une absence de litige juridique,   au sens subjectif, c’est-à-dire de litige portant sur un intérêt juridiquement protégé[10]. L’intérêt à agir n’est pas une condition[11] du déclenchement du procès constitutionnel. De jure et de facto, le procès constitutionnel déroge à l’adage traditionnel du procès civil « pas d’intérêt, pas d’action ». Les requérants ne disposent pas du procès et la saisine n’induit pas tous les  effets des formes usuelles d’une action en justice. Il n’existe pas pour les requérants un droit de désistement[12], la possibilité de transactions[13] partisanes, de chose jugée relative ou de péremption d’instance[14]. La caractérisation objective du procès constitutionnel ne manque donc pas de produire des effets sur le statut des protagonistes ainsi que sur le pouvoir du juge dans ce type de procès.

Le statut des personnes à l’initiative du procès constitutionnel tient aux règles de saisine qui modèlent un accès ouvert à la juridiction constitutionnelle au moyen  de règles de saisine d’une particulière souplesse. L’article 120 de la Constitution dispose que « La Cour constitutionnelle doit statuer (…) après qu’elle a été saisie (…) d’une plainte en violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques ». Quant à l’article 121,  alinéa 2 de la Constitution, il précise que « …. [La Cour constitutionnelle] statue plus généralement sur les violations des droits de la personne humaine (…) ». Ces dispositions signifient que la Cour constitutionnelle statue sur des violations de droits fondamentaux, qu’elles proviennent des normes ou des faits et comportements.

La possibilité ainsi donnée aux citoyens de faire juger par la Cour constitutionnelle des faits attentatoires aux droits de l’homme sans avoir besoin de démontrer un intérêt à agir est sans doute l’une des méthodes les plus avancées de protection des droits de l’homme qui soit. C’est ainsi que cette possibilité a permis de nombreuses avancées jurisprudentielles dans tous les domaines des droits de l’homme.

Sur le terrain des droits civils et politiques, la plupart des plaintes en violation des droits fondamentaux destinées à faire sanctionner les faits en cause prennent comme fondement les articles 15 à 19 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 qui protègent le droit à la vie,  à  la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de la personne[15], le droit à la sûreté et l’interdiction de l’exil forcé[16], le droit à la présomption d’innocence et la légalité des infractions et des sanctions[17], l’interdiction de la torture et des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit reconnu à un prévenu ou à détenu d’être examiné par un médecin de son choix, la légalité des détentions, la limitation du délai de garde à vue et la nécessité de son contrôle judiciaire[18], la répression des actes de torture ou de sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis par tout individu ou tout agent de l’État, le droit à la désobéissance reconnu à tout agent   de l’État lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques[19].

Il convient de citer, à titre d’illustration, une espèce en matière de non-respect de délai raisonnable dans l’examen d’un dossier judiciaire. Le requérant expose qu’il a accompli les diligences nécessaires à l’aboutissement de son dossier n° 64/RG- 16 dont la procédure est pendante devant la cour d’Appel de Cotonou, mais son dossier n’a jamais été évoqué malgré ses démarches à l’inspection générale des services judiciaires. Il sollicite l’intervention de la Cour aux fins de faire avancer son dossier. Par décision DCC 22-002  du 13 janvier 2022, la Cour a décidé ceci : « Considérant que l’article 7.1.d) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples édicte, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : …d)    le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale » ; qu’en l’espèce, la procédure querellée engagée depuis le 15 décembre 2011 n’a pas connu de dénouement jusqu’à ce jour, soit depuis plus de dix (10) ans ; que ce délai est anormalement long au sens de l’article 7.1.d) de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples précité ; que dès lors, les conseillers à la cour d’Appel de Cotonou  qui ont connu de ce dossier ont méconnu les dispositions dudit article ».

Sur le terrain des droits économiques et sociaux, leur nature spéciale peut apparaître comme un obstacle à leur protection comme l’illustre le premier cas, mais la deuxième affaire montre bien que la Cour peut également être saisie contre l’État dans ce domaine.

Dans la première espèce, le 15 juillet 2009, la Cour constitutionnelle est saisie par Madame Fidélia A. APOVO qui porte plainte contre le Gouvernement de la République du Bénin pour violation des droits fondamentaux de l’homme en particulier les droits de l’homme à l’alimentation et à l’eau. La requérante développe qu’alors même que le coût des denrées alimentaires ne fait qu’augmenter, la goutte d’eau qui fait déborder le vase est la décision du Gouvernement du lundi 06 juillet 2009 qui porte sur une augmentation des prix de l’eau et de l’électricité. La Cour conclura, par décision DCC 12-124 du 07 juin 2012, que « le droit du citoyen à l’eau potable fait partie  de ses droits fondamentaux ;(…) il s’agit d’un droit-créance opposable à l’État ; (…). toutefois l’État ne peut couvrir l’intégralité d’un tel droit que dans la progressivité d’une politique donnée comprenant une contrepartie à supporter par tout bénéficiaire ; qu’il résulte des éléments du dossier que contrairement aux allégations de la requérante, le Gouvernement a engagé des actions pour alimenter progressivement la majorité de la population en eau potable ; que les prix de cession de l’eau potable tels que fixés par le Gouvernement (198 F/m3 pour le branchement individuel et 330 F/m3 pour l’accès collectif) sont en deçà du coût de revient du mètre cube d’eau traitée (473/m3), preuve de la détermination du Gouvernement à permettre à la majorité de la population l’accès à l’eau potable ; que,  dès lors, on ne saurait conclure à une violation des droits de l’homme, à l’alimentation et à l’eau ».

Dans la seconde espèce, en  2011, l’État  béninois  lance  un  concours de recrutement d’auditeurs de justice en citant les conditions pour y participer. Estimant remplir lesdites conditions, Mlle Géronime TOKPO, aveugle, dépose son dossier le 16 mai 2011 à la Direction départementale du Ministère du Travail et de la Fonction Publique avec toutes les pièces requises en y ajoutant une autorisation à composer en écriture braille.  Son dossier est rejeté par la Direction du recrutement des agents de l’État, seulement au regard de la pièce supplémentaire qu’elle a déposée, laquelle est une demande d’autorisation de composer en braille, et au motif que le poste n’est pas ouvert pour les épreuves en braille.

La requérante saisit la Cour constitutionnelle pour discrimination dans l’accès à la Fonction  publique car, estime-t-elle, « une personne ne peut    être exclue de l’accès à la Fonction Publique et aux charges publiques, seulement en raison d’un handicap visuel, alors même qu’elle jouit des aptitudes physiques et de l’équilibre mental et psychique ».

Par décision DCC 12-106 du 3 mai 2012, la Cour constitutionnelle répondra :

« Si l’État doit tout mettre en œuvre pour éviter toute discrimination, il doit en plus, en ce qui concerne les personnes handicapées, prendre « des mesures spécifiques de protection en rapport avec leurs besoins physiques ou moraux » ; qu’en l’espèce, l’État, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour faire composer la requérante en écriture braille au concours des auditeurs de justice alors même que celle-ci a régulièrement passé tous ses examens grâce à ladite écriture, a méconnu les dispositions sus-citées de la Constitution ; qu’il échet de dire et juger qu’il y a traitement discriminatoire ».

 

II – La recherche d’une méthode réaliste

Dans sa mission de protection des droits de l’homme à titre principal, soucieuse de la protection des valeurs dont la règle est porteuse, la juridiction constitutionnelle s’affranchit vite de toute méthode formelle qui réduit son mouvement et son espace. À cet égard, juge des valeurs réelles et non des intérêts subjectifs, elle se positionne dans une posture téléologique réaliste dont il faut relever les fondements (A) et les procédés (B).

A. Les fondements de la méthode réaliste

Le premier est la primauté des valeurs protégées sur la règle de protection (1) ; le second est la liberté consécutive du juge à l’égard de la loi (2).

  1. La primauté des valeurs protégées sur la règle de protection

Dans la protection des droits de la personne éclosent les doctrines du droit naturel sur les valeurs constitutives de l’être humain dont la transmission générationnelle assure la pérennité de la race et du genre. Quoique discutées, voire contestées[20], ces valeurs, consacrées depuis la charte du Manden ainsi que par les révolutions américaine et française, sanctifiées peu après leur création par l’organisation des Nations-Unies, doivent leur positivité par la reconnaissance et la protection qu’en assurent les juridictions dédiées. Ce qui relève de l’essence de l’être humain comme la vie, la liberté, l’égalité et la propriété ainsi que ce qui apparaît comme indispensable à son existence et sans qui l’essence perdrait de sens sont constitutifs de valeurs dont l’affirmation de la juridicité relève, à titre principal, de la juridiction qui en a la charge. À travers la règle, ce sont les valeurs que protège le juge.

Dans la décision Dame Adèle FAVI, c’est la valeur vie et, en particulier, l’intégrité de la personne humaine que la Cour constitutionnelle a entendu protéger dans une décision du 4 juin 2002[21]. La requérante, une vendeuse, fut arrêtée le mercredi 6 février 2002 aux environs de 20 heures, de retour de son lieu de vente habituel, situé non loin de la Présidence de la République, en voulant traverser la route, par des éléments de la Garde présidentielle qui lui ont porté des coups de pieds « sans que l’arrivée du chef  de l’État ne soit encore annoncée ». Ayant décidé de prendre la fuite, elle a été poursuivie, rattrapée et rouée de coups. Elle raconte qu’elle a « subi des bastonnades, des coups de pieds de rangers, des chicottes, et traînée par terre jusqu’à une distance de 50 mètres avant d’être laissée inerte sans connaissance ». La plaignante poursuit qu’elle s’est retrouvée à l’hôpital grâce à des bienfaiteurs et que tout ce qu’elle avait sur elle est resté introuvable. Par conséquent, elle « porte plainte contre la garde rapprochée du Chef de l’État pour l’avoir soumise à un traitement inhumain et barbare et demande que justice soit faite ». Saisie le 11 février 2002 par cette plainte, la Cour constitutionnelle, se basant sur le certificat médical produit par la victime, constate que celle-ci souffre de « douleurs exquises à la palpation à la cheville droite, au gros orteil droit, des douleurs à la mobilisation du membre supérieur droit et des douleurs à l’hémiface droite ainsi que des douleurs lombaires, une impotence fonctionnelle majeure à la marche et une plaie superficielle à la malléole externe de la cheville droite », le tout ayant entraîné « une incapacité temporaire de travail de dix- huit jours ». Considérant d’une part que « ces lésions sont consécutives aux sévices et traitements cruels, inhumains et dégradants infligés à dame FAVI »,  et,  d’autre part, que « ni la réglementation en vigueur ni les explications fournies par le cabinet militaire du président de la République ne sauraient justifier de pareils traitements », la Cour constitutionnelle conclut que la garde rapprochée du  président de la République a violé l’article 18, alinéa 1, de la Constitution relatif à l’interdiction de la torture et des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

C’est au profit de la valeur liberté individuelle que le juge constitutionnel a déployé son office dans une affaire emblématique sur les questions d’arrestations arbitraires et de traitements inhumains et dégradants, celle dite du « roi » EGBAKOTAN II[22], non seulement par rapport aux parties en cause, puisqu’il ne s’agit plus de représentants de l’État dans l’exercice – ou non – de leurs fonctions, mais aussi par rapport à la dimension religieuse et traditionnelle de la situation. Les faits sont les suivants : le 8 décembre 1998, Monsieur Boris GBAGUIDI saisit la Cour constitutionnelle pour porter plainte contre le pouvoir royal de Dassa Zoumè pour « sévices corporels et violation de la personne humaine ». Le requérant expose ceci : « Pour un crime ou un délit commis, c’est le « roi » et sa cour qui décident du sort du coupable. En exemple, à Dassa – Zoumè, lorsqu’un citoyen vole quelque chose, le fameux roi, Egbakotan II, donne des instructions à ses associés afin qu’on lui mette la main dessus. Ensuite, il est conduit au Palais royal et là, il subit de véritables et humiliants sévices corporels qui lui sont honteusement administrés, et ce pour la plupart du temps par  des bandits, les délinquants, les va-nu-pieds de Dassa – Zoumè ». Le requérant poursuit : « la même situation se produit également lorsqu’un citoyen est coupable de viol, d’inceste ou nie la  paternité  d’une grossesse qui, apparemment, lui appartient. Pendant ce temps, poursuit encore le requérant, il existe bel et bien une brigade de gendarmerie à Dassa – Zoumè (de même que) le tribunal de première instance   d’Abomey. Malgré tout cela, c’est le « Roi qui décide arbitrairement du traitement infamant à infliger aux mis en cause » ». Saisie de cette requête et respectant la règle du contradictoire, la Cour constitutionnelle a diligenté des mesures d’instruction en direction du « Roi des Dassa ». Ce dernier a répondu qu’effectivement, tout individu auteur sur le sol de Dassa-Zoumè de l’un des actes interdits par la tradition et les coutumes Idaasha et « dévoilé ou identifié par tous les moyens appropriés, est conduit au palais royal ». Il est aussitôt attaché par les cordes avant de subir un châtiment corporel consistant à le faire frapper de coups de chicottes car, ajoute le Roi, « la commission demeurée impunie desdits actes entraîne toujours des conséquences malheureuses et regrettables » telles que « maladie incurable, mort, folie, disparition définitive ». Sur cette base, le « roi » conclut que « Evolué fictif, l’auteur du recours. [Monsieur Boris GBAGUIDI] peut être porté à prendre pour violation des droits de l’homme les sévices corporels dont il s’agit » or tous ces agissements se fondent, selon le « roi », sur le pouvoir religieux qu’il tient de la tradition oro chiche. Face à ces faits signalés par le requérant et confirmés par le « roi » de Dassa, la Cour constitutionnelle s’est prononcée. Rappelant le caractère républicain et laïc de l’État béninois[23], insistant sur la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et le monopole de la justice d’État sur les questions juridictionnelles, en particulier, les questions pénales111[24], la Cour relèvera que le « roi » EGBAKOTAN II et sa cour se prévalent de prérogatives que ne leur donne pas la Constitution pour, prétendument, « rendre la justice ». « De surcroit, ajoute la Cour constitutionnelle, ils infligent des sévices corporels et des traitements inhumains et dégradants aux personnes mises en cause, au mépris de l’article 18, alinéa 1, de la Constitution ». La haute juridiction conclut alors « qu’en agissant comme ils l’ont fait, « même pour prévenir des châtiments divins beaucoup plus cruels », le « roi » EGBAKOTAN II et sa cour violent la Constitution ».

On peut également évoquer la protection de l’innocent telle qu’examinée par la Cour dans la décision DCC 13-091 du 16 août 2013. La Cour y déclare, sur le fondement des articles 17 alinéa 1er de la Constitution[25] et 7.1.b de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples113[26] « qu’un fait infractionnel commis dans une administration, un établissement ou une société peut également comporter un aspect disciplinaire autonome ;  qu’aucune sanction disciplinaire n’a été prise à l’encontre de Frédéric TCHEDJI que par ailleurs, Monsieur Frédéric H. TCHEDJI incarcéré en février 2012, a été mis en liberté provisoire le 27 juin 2012 sous caution de la somme de F CFA trois millions (3.000.000) ; que jusqu’à la date du 30 janvier 2013 aucune décision définitive d’une juridiction compétente n’est intervenue ; que la culpabilité de Monsieur Frédéric H. TCHEDJI n’est donc pas légalement établie ; qu’en refusant de lui faire reprendre service entre le 27 juin 2012 et le 30 janvier 2013, date de la saisine de la Cour, Madame le Ministre de la Santé a méconnu le principe de la présomption d’innocence garanti par les dispositions suscitées de la Constitution ».

La valeur peut être même protégée sans la règle : sa seule reconnaissance suffit au juge. Le pouvoir de reconnaissance par la juridiction constitutionnelle de la valeur fondamentale dont le droit est porteur consacre la primauté de celle-ci sur celui-là et fonde également la liberté du juge.

  1. La liberté de la juridiction constitutionnelle

Dans la protection des droits de l’homme, le juge saisi à titre principal n’est pas la bouche de la règle, il est le serviteur des valeurs que la règle est censée protéger. Ce pouvoir qu’il tient de ces normes de références, notamment de la Constitution, fonde sa liberté à l’égard du législateur. C’est dans cet esprit que la Cour constitutionnelle a pu alors affirmer, dans une décision de principe que « lorsqu’une requête élève à la connaissance de la Cour une situation de violation d’un droit fondamental ou de remise en cause d’un impératif ou d’un principe à valeur constitutionnelle, la Cour peut se prononcer d’office… »[27]. Les droits fondamentaux, les principes à valeur constitutionnelle ou les impératifs constitutionnels constituent ainsi une partie du manche du glaive de la justice constitutionnelle qui échappe à  la loi. Sous la même échappée, la Cour définit son rapport à sa propre décision. Puisque son office se définit sous l’onction, non de la « chose jugée » mais de la « norme interprétée », la Cour exclut toute vocation à l’irrévocabilité de son interprétation. Elle a pu en effet considérer dans une autre décision de principe que « (…) l’application des dispositions de l’article 124 al. 2 et 3 de la Constitution ne s’oppose pas à l’examen d’une loi ou de certaines de ses dispositions dont l’application révèle une contrariété à un droit fondamental ou à une liberté publique ; que la Cour constitutionnelle peut revenir sur ses propres décisions en ce qui concerne notamment le contrôle de constitutionnalité des lois si un contrôle antérieur y a laissé subsister une atteinte sérieuse à un droit fondamental garanti par la Constitution ou à une norme de référence du contrôle de constitutionnalité, à condition que le recours  soit  a posteriori par voie d’action ou d’exception, dans les termes de l’article 122 de la Constitution et que la loi en question ait été préalablement adoptée par l’Assemblée nationale, promulguée et publiée conformément à la Constitution afin que l’application en révèle les contrariétés dénoncées »[28]. Quoiqu’il en soit, la construction méthodique de cette approche réaliste passe par le recours aux procédés adaptés.

 

B. Les procédés de la méthode réaliste

Sans être nouvelle, la boîte à outil méthodologique n’en est pas moins renouvelée. Aussi, aux procédés classiques (1), la Cour recourt-elle à un procédé nouveau (2).

  1. Les procédés classiques

L’interprétation de la règle selon la méthode téléologique est essentielle au dévoilement par le juge des valeurs a priori qu’elle renferme. L’interprète qui vise alors la finalité du texte, la trouve de deux façons. Soit il considère que la portée de la règle se détermine au moyen de la formule littérale du texte et le but social poursuivi au moment de son élaboration ; la formule littérale étant l’élément fixe et le but social l’élément mobile qui peut être réalisé suivant des moyens différents. Soit l’interprète recherche plutôt l’objectif qui a présidé à l’élaboration de la règle, notamment dans la politique législative qui permettrait d’en établir le sens.

Mais cette méthode pourrait ne pas suffire alors même que la valeur à protéger paraît réelle au plan des droits de la personne humaine. La liberté dont il peut se pourvoir à l’égard de la règle permet au juge constitutionnel de sortir de son lit naturel pour résoudre cette impasse épistémologique.

Sous cette vue, le parapluie épistémologique des principes et des objectifs à valeur constitutionnelle lui sert de rempart.

À l’origine, le « principe » procèderait de primo et de capere. L’un a le sens de « premier » et l’autre de « prendre ». Le princeps serait alors celui qui « prend la première place ». Le prince est devenu le chef, la tête, le soldat de première ligne. En droit, on peut considérer, à la suite du Doyen CORNU, que c’est la « règle ou norme générale, de caractère non juridique d’où peuvent être déduites des normes juridiques »[29]. Le principe apparaît, dans une approche causale, comme le recours à la légitimation du droit, le fondement à sa justification. On n’est pas loin d’une métaphysique juridique et, particulièrement de la signification ontologique du  « principe ». À la recherche de l’essence de toute réalité et de toute connaissance, l’être humain regarde le ciel pour y puiser la cause efficiente. Avec Dieu, il découvre le « principe ». Mais celui- ci est également considéré comme un « secours », au plan de la logique aristotélicienne. Il est alors perçu comme la règle qui éclaire le droit.  Sous cette vue, le Doyen CORNU définit le « principe » comme la « règle juridique établie par un texte en termes assez généraux destinée à inspirer diverses applications et s’imposant avec une autorité supérieure »[30]. Il peut alors « régner » sur le droit, selon le mot de BOULANGER, les règles juridiques n’en deviennent que des applications ou des exceptions[31].  Mais  le  « principe »  semble  peu enclin à être privé de sa pluralité, de sa variété. Du reste, convient-on, en s’efforçant à la synthèse, à distinguer entre les principes généraux, les principes fondamentaux et les principes directeurs, même si cet effort de classement n’a pas de prétention à l’exhaustivité.

À l’instar des standards[32], les principes généraux, de source constitutionnelle, se présentent comme ces règles « métanormatives » qui ont vocation à la suppléance et à la complétude de l’insuffisance de nature des normes positives à appréhender l’ensemble du phénomène juridique[33]. Ils apparaissent comme des compléments de la norme qu’ils transcendent ou dépassent. Certains ont un caractère fondamental en étant intégré dans la Constitution ou dont la valeur constitutionnelle est affirmée[34]. Ayant pour repère le « genre », certains désignent une catégorie de normes qui régissent un phénomène déterminé[35]. Régnant sur l’ensemble du droit substantiel, les principes généraux énoncent les valeurs les plus élevées qui fournissent à la règle de droit sa légitimation positive. Comme le souligne un auteur, « le principe général tient du principe la vocation naturelle à occuper le premier rang […], la généralité ajoute à l’idée de primauté celle d’extension »[36].

Principes auxquels l’on recourt constamment, qu’il s’agisse du législateur national[37] ou international[38] les principes généraux sont, tantôt normatifs[39], tantôt instrumentaux[40]. Finalement, les principes généraux sont des idées, aussi essentielles que générales, dont la valeur normative, fondamentale ou instrumentale ressortit de l’application qui en est faite. Ils procèdent à la fixation de l’esprit général d’un texte. Ces idées sont fondées sur la morale et le droit naturel dont elles assurent l’incursion en droit positif. Les principes directeurs relèvent d’autres fins bien qu’ils ressortissent de causes identiques. Ils sont, en effet, généraux[41], sans être nécessairement fondamentaux[42].

Le juge constitutionnel béninois a très tôt découvert dans les principes un procédé qualitatif de protection juridictionnelle des droits de la personne. C’est ce procédé qui lui permit d’imposer l’inamovibilité du magistrat comme source de son statut et marqueur de la qualité de la justice dans sa décision DCC 97-033 du 10 juin 1997[43]. Il procédera à l’identique en ce qui concerne le respect des droits de la défense, notamment du préalable du contradictoire dans le cadre d’une sanction administrative[44].

Les objectifs sont les buts prévisibles ou les résultats recherchés par la politique de législation dont la Constitution est la source. Dynamiques, ces objectifs sont découverts par la juridiction constitutionnelle qui lui confère une valeur équivalente à celle de la norme positive de référence.

  1. Le procédé nouveau

Dans la conquête et l’affirmation de sa liberté, la Cour constitutionnelle   a complété sa boîte à outil par l’impératif constitutionnel. L’impératif constitutionnel fut évoqué, pour la première fois, par la décision DCC 18- 141 du 28 juin 2018, dans laquelle la Cour considère que « lorsqu’une requête élève à la connaissance de la Cour une situation de violation d’un droit   fondamental ou de remise en cause d’un impératif ou d’un principe à valeur constitutionnelle, la Cour peut se prononcer d’office ; qu’en l’espèce, la requête vise à obtenir le rétablissement et la réalisation de l’impératif constitutionnel que constitue le fonctionnement continu des services stratégiques et essentiels à la vie, à la santé, à la sécurité, à la justice, à la défense et à la mobilisation des ressources publiques indispensables à l’existence de l’État et à la construction de la Nation ». L’impératif constitutionnel apparaît comme l’objectif supérieur  et  fondamental  que  vise  à atteindre la Constitution dont le défaut mettrait irrémédiablement en cause les droits fondamentaux ou saperait les bases de l’État et de la Nation.

 

Conclusion

La méthode ou la technique est un outil méthodologique d’identification de la valeur que voile la règle positive ou que celle-ci suggère. Pour  le    juge constitutionnel confronté à l’exigence de protection des droits de la personne humaine, elle constitue tantôt un recours, qui complète l’œuvre d’identification de la valeur et la renforce, tantôt un secours qui le sauve lorsque s’impose à lui une impasse épistémologique.

À bien des égards, la méthode syllogistique qui, à juste raison, confine le juge en charge de la protection des intérêts subjectifs, réduit le pouvoir du juge constitutionnel dans sa protection des droits de l’homme considérés comme des valeurs essentielles dont l’humanité est tenue d’assurer la préservation pour sa propre pérennité.

Aussi, fallait-il rechercher une méthode qui colle à cette exigence axiologique et qui assure la primauté des valeurs humaines sur la règle posée.

Le juge constitutionnel béninois sollicite ainsi des méthodes et des techniques importantes et variées pour protéger les droits fondamentaux. Mais l’œuvre  de protection des droits de l’homme ne peut se résumer à son seul office. La Commission béninoise des droits de l’homme, les organisations de la société civile, les organes d’application des lois tels que l’administration publique, la police et les juridictions ordinaires devront aussi redoubler d’ardeur afin que l’œuvre commune de protection soit et demeure un combat et un succès permanents.


  • [1]
    Selon l’article 88 de ladite Constitution, « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des Comptes et les Cours et Tribunaux ».  [Retour au contenu]
  • [2]
    Article 91.  [Retour au contenu]
  • [3]
    En dehors de l’article 26 de la Constitution qui a servi de fondement à la décision de la Cour constitutionnelle et qui dispose :
    « L’État  assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou position sociale.
    L’homme et la femme sont égaux en droit… », on peut signaler aussi l’article 18, alinéa 3, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui dispose : « l’État a le devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans  les déclarations et conventions internationales ».  [Retour au contenu]
  • [4]
    Tout commence en 1992. Conformément aux dispositions de l’article 159, alinéa 3, de la Constitution, le Haut Conseil de la République siégeait alors provisoirement en qualité de Cour constitutionnelle en attendant l’installation (en juin 1993) de celle-ci. Cette instance reçoit une requête par laquelle un ancien ministre, jugé et condamné en Cour d’assises, la saisit pour demander l’application de l’article 136 de la Constitution à son égard, autrement dit, pour dénoncer l’incompétence de la Cour d’assises à son égard et la compétence de la Haute Cour de Justice à cet effet. Constatant d’abord, que la Cour d’assises de Cotonou a déjà rendu un arrêt condamnant le requérant à huit années de travaux forcés, ensuite, que cet arrêt est susceptible d’autres voies de recours judiciaires, enfin, que cet arrêt ne constitue pas un acte réglementaire au sens de l’article 117 de la Constitution permettant la saisine au fond de la Cour constitutionnelle, le juge constitutionnel provisoire, par décision N° 13 DC du 28 octobre 1992, se déclare incompétent pour réformer les décisions de justice. Autrement dit, sur la base de cette jurisprudence, toute décision de justice doit être contestée par les voies de recours prévues à cet effet, donc suivre un parcours bien précis dont la dernière étape possible sera la Cour suprême, et non pas la Cour constitutionnelle. Donc, même quand il arrive que les voies de recours soient épuisées, notamment quand   la plus haute juridiction judiciaire – ou administrative – à savoir la Cour suprême, rend sa décision, la Cour constitutionnelle maintient son incompétence à l’égard de l’arrêt ainsi rendu par la Cour suprême. Le juge constitutionnel considérait alors que le fondement d’une telle attitude devait être trouvé dans l’article 131, alinéas 3 et 4, de la Constitution aux termes duquel « Les décisions de la Cour Suprême ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, ainsi qu’à toutes les juridictions ». Se considérant, à cette étape de son évolution jurisprudentielle, comme une juridiction parmi les autres, la Cour constitutionnelle a pu ainsi relever, dans sa décision DCC 11-94 du 11 mai 1994, que malgré les dispositions pertinentes « des articles 117, alinéa 4, 120 et 121, alinéa 2, de la Constitution [qui] donnent compétence exclusive à la Cour constitutionnelle pour statuer sur les violations des droits de la personne humaine », elle était incompétente pour statuer sur un arrêt rendu par la Cour suprême malgré le grief de violation des droits de l’homme allégué. Le 6 janvier 1995, dans sa décision  DCC 95-001 du 6 janvier 1995, la Cour confirme son incompétence dans les mêmes termes, mais ajoute que, « Considérant cependant que si la Cour constitutionnelle était compétente pour statuer sur la constitutionnalité de l’arrêt N° 93-06/CJ-P du 22 avril 1993, elle aurait jugé que : (…) les droits de la défense ont été violés ». En 1998, alors même qu’était en cause la violation de l’obligation procédurale faite à toutes les juridictions d’avoir à surseoir à statuer et à renvoyer toute question préjudicielle posée devant elle au juge constitutionnel, la haute juridiction constitutionnelle a réaffirmé son incompétence à connaître d’un arrêt rendu par  la  Cour  suprême.  Rappelant  le  contenu de  l’article 131 de la Constitution, le juge constitutionnel considère que « ces dispositions constitutionnelles ne prévoient aucune réserve, même en ce qui concerne l’application de l’article 122 de la Constitution ; (…) Il est formellement interdit, non seulement aux parties, mais encore à quiconque, de remettre en question devant quelque juridiction que ce soit, ce qui a été jugé par cette haute juridiction dans son domaine de compétence ; que corrélativement la même interdiction est faite à toute juridiction de connaître desdites décisions ». En mai 2003, la Cour rappelle encore les normes susceptibles de recours individuels devant elle telles qu’elles apparaissent à l’article 3, alinéa 3, de la Constitution, à savoir, « les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ». Pour justifier son incompétence dans l’affaire en cause, elle précise que « les décisions de justice ne figurent pas dans cette énumération ». L’impasse est manifeste. « Commandée par une interprétation littérale de la loi fondamentale, la solution de principe de la Cour constitutionnelle nuisait au justiciable et à l’autorité de la justice constitutionnelle ». Cf. Bolle, « Constitution, dis-moi qui est la plus suprême des cours suprêmes », sur Internet : http://www.la-constitution-en-afrique.org/6-categorie-10195442.html, consulté le 4 novembre 2011.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Ibid  [Retour au contenu]
  • [6]
    S. Bolle, « Constitution, dis-moi qui est la plus suprême des cours suprêmes », sur Internet : http://www.la-constitution-en-afrique.org/6-categorie-10195442.html, consulté le 4 novembre 2011. Voir aussi sur cette même question, J. Aïvo, « Les contrariétés de décision entre hautes juridictions », VIJJA, N° 09 et 10, 2012, pp.7 et svtes.  [Retour au contenu]
  • [7]
    J. Djogbenou, « Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice, une fantaisie de plus ? », sur Internet : https://afrilex.u-bordeaux.fr/le-controle-de-constitutionalite-des- decisions-de-justice-une-fantaisie-de-plus/, consulté le 05 février 2022.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Article 336 : « L’adultère de la femme ne pourra être dénoncé que par le mari ; cette faculté même cessera s’il est dans le cas prévu par l’article 339 ».
    Article 337 : « La femme convaincue d’adultère et, en cas de mariage célébré selon la coutume locale, celle qui, sans motif grave ou hors des cas prévus par ladite coutume, aura abandonné le domicile conjugal, subira la peine de l’emprisonnement pendant trois mois au moins et deux ans au plus.
    Le mari restera maître d’arrêter l’effet de cette condamnation en consentant à reprendre sa femme ». Article 338 : « Le complice de la femme adultère sera puni de l’emprisonnement pendant le même espace de temps, et, en outre, d’une amende de 24 000 francs à 480 000 francs.
    Les seules preuves qui pourront être admises contre le prévenu de complicité seront, outre le flagrant délit, celles résultant de lettres ou autres pièces écrites par le prévenu ».
    Article 339 : « Le  mari qui  aura  entretenu une concubine dans la maison conjugale, et qui aura été convaincu sur la plainte de la femme sera puni d’une amende de 24 000 francs à 480 000 francs. Toutefois, en cas de mariage célébré selon la coutume locale, les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux citoyens ayant conservé leur statut particulier à l’exception de ceux d’entre eux qui auront renoncé à la polygamie coutumière, soit par un acte spécial, soit à l’occasion de leur mariage lorsque celui-ci aura été célébré selon le code civil ».  [Retour au contenu]
  • [9]
    Voir I. Salami, « La question préjudicielle de constitutionnalité sur l’adultère. Les cas du Bénin et du Congo », Droit et Lois, N° 25 et 26, 2010-2011, pp. 18 et svtes.
    Article 337 : « La femme convaincue d’adultère et, en cas de mariage célébré selon la coutume locale, celle qui, sans motif grave ou hors des cas prévus par ladite coutume, aura abandonné le domicile conjugal, subira la peine de l’emprisonnement pendant trois mois au moins et deux ans au plus.
    Le mari restera maître d’arrêter l’effet de cette condamnation en consentant à reprendre sa femme ». Article 338 : « Le complice de la femme adultère sera puni de l’emprisonnement pendant le même espace de temps, et, en outre, d’une amende de 24 000 francs à 480 000 francs.
    Les seules preuves qui pourront être admises contre le prévenu de complicité seront, outre le flagrant délit, celles résultant de lettres ou autres pièces écrites par le prévenu ».
    Article 339 : « Le  mari qui aura  entretenu une concubine dans la maison conjugale, et qui aura été convaincu sur la plainte de la femme sera puni d’une amende de 24 000 francs à 480 000 francs. Toutefois, en cas de mariage célébré selon la coutume locale, les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux citoyens ayant conservé leur statut particulier à l’exception de ceux d’entre eux qui auront renoncé à la polygamie coutumière, soit par un acte spécial, soit à l’occasion de leur mariage lorsque celui-ci aura été célébré selon le code civil ».  [Retour au contenu]
  • [10]
    J. Ziller, « Les instruments juridiques de la protection des intérêts diffus et des biens collectifs : Le rôle des pouvoirs privés et la rentrée des pouvoirs publics », Revue internationale de droit économique, 3/2003 (t. XVII), p. 495-510.  [Retour au contenu]
  • [11]
    A. Benjeloun, « La recevabilité des saisines », in Bulletin de l’ACCPUF, 2000, pp. 609-610.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Renonciation du demandeur, soit à l’instance actuelle, soit à l’appel ou à l’opposition, soit à un ou plusieurs actes de procédure, soit encore à la faculté d’agir en S. Guinchard et T. Debard, (Sous Dir.), « Lexique des termes juridiques », Paris, Ed. Dalloz, 21e édition, 2014, p. 322.  [Retour au contenu]
  • [13]
    La transaction intervenue entre deux personnes a la même valeur qu’une décision passée en force de chose jugée, mais cette autorité est subordonnée à l’exécution de la S. Guinchard et T. Debard, (Sous Dir.), « Lexique des termes juridiques », Paris, Ed. Dalloz, 21e édition, 2014, p. 928.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Extinction du lien d’instance prononcée à la demande de l’adversaire, quand la partie a laissé un délai de deux ans sans poursuivre la procédure. La péremption n’empêche pas de renouveler la demande, si la prescription n’est pas déjà accomplie. Guinchard et T. Debard, (Sous Dir.), « Lexique des termes juridiques », Paris, Ed. Dalloz, 21e édition, 2014, p. 688.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Article 15 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne. ».  [Retour au contenu]
  • [16]
    Article 16 : « Nul ne peut être arrêté ou inculpé qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement aux faits qui lui sont reprochés.
    Aucun citoyen ne peut être contraint à l’exil. »  [Retour au contenu]
  • [17]
    Article 17 : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente   jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées.
    Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas une infraction d’après le droit national. De même, il ne peut être infligé de peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »  [Retour au contenu]
  • [18]
    Article 18 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Nul n’a le droit d’empêcher un détenu ou un prévenu de se faire examiner par un médecin de son Nul ne peut être détenu dans un établissement pénitentiaire s’il ne tombe sous le coup d’une loi pénale en vigueur.
    Nul ne peut être détenu pendant une durée supérieure à quarante-huit heures que par la décision d’un magistrat auquel il doit être présenté. Ce délai ne peut être prolongé que dans des cas exceptionnellement prévus par la loi, et ne peut excéder une période supérieure à huit jours. ».  [Retour au contenu]
  • [19]
    Article 19 : « Tout individu, tout agent de l’État qui se rendrait coupable d’acte de torture, de sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi.
    Tout individu, tout agent de l’État est délié du devoir d’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques ».  [Retour au contenu]
  • [20]
    W. Holmes, Collected legal papers, éd. H. J. Laski, New York,  Hartcourt, Brace  & Howe, 1920, p. 311-312 : « Les juristes qui croient au droit naturel – affirme Oliver Wendel HOLMES – semblent demeurer dans cet état d’esprit naïf, pensant que ce qui est connu  etaccepté d’eux-mêmes et de leurs voisins devrait être accepté partout et par tout le monde ».  [Retour au contenu]
  • [21]
    CC 02- 058 du 4 Juin 2002, voir aussi, Mede, « Note sous Cour constitutionnelle du Bénin, DCC 02-058 du 4 juin 2002 », Revue Afrilex, N° 4, décembre 2004, pp. 353-372, « http://afrilex.u-bordeaux4.fr/sites/afrilex/IMG/pdf/04jur17mede.pdf »  [Retour au contenu]
  • [22]
    DCC 02-014 du 19 février 2002.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Article 1, alinéa 1, de la Constitution : « L’État du Bénin est une République indépendante et souveraine ». Article 2 de la Constitution : « La République du Bénin est une et indivisible, laïque et indivisible ».  [Retour au contenu]
  • [24]
    Article 125 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les cours et tribunaux créés conformément à la présente Constitution »  [Retour au contenu]
  • [25]
    « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumé innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées »  [Retour au contenu]
  • [26]
    Je suis une note de pied-de-page  [Retour au contenu]
  • [27]
    Décision DCC 18-141 du 28 juin 2018, in RCC, n° 000, Cotonou, 2019, p. 164.  [Retour au contenu]
  • [28]
    Décision DCC 21-269 du 21 octobre 2021  [Retour au contenu]
  • [29]
    G. Cornu, Vocabulaire  juridique, Association Capitant, PUF, Coll. Quadrige Dico poche, dernière édition mise à jour, Paris, 2013, p. 797.  [Retour au contenu]
  • [30]
    G. Cornu, ibid.  [Retour au contenu]
  • [31]
    J. Boulanger, « Principes généraux de droit et droit positif », in G. Ripert, Etudes, LGDJ, 1950, t.1, pp. 51 et s.  [Retour au contenu]
  • [32]
    Procédé de modulation et de régulation de la règle de droit, le standard permet« d’adapter la règle à la diversité des situations et à l’évolution de la société, en la pérennisant ».  G. Cornu, Vocabulaire  juridique, PUF, dernière éd. mise à jour, Paris, 2013, p. 978. En rupture avec l’autosuffisance de la loi, le standard suggère, depuis GENY, une subjectivation voire une individualisation de son application. Cf. C. Bloud-Rey, « Standard », in D. Alland,  S. Rials (Dir.), Dictionnaire de la culture juridique, LAMY PUF, Paris, 2012, 1439-1441.  [Retour au contenu]
  • [33]
    Libchaber, L’ordre juridique et le discours du droit. Essai sur les limites de la connaissance du droit. LGDJ, Lextenso éditions, Paris, 2013, n° 256 et s.  [Retour au contenu]
  • [34]
    R. Libchaber, op. cit., p. 342.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Les principes généraux rapprochent de la perspective de droit Synonymes de « principes juridiques », ils sont les fenêtres par lesquelles le droit naturel éclaire le droit positif. Ils assurent du reste l’interprétation des règles posées. L’analyse motulskyenne permet de distinguer, en leur sein, les « principes généraux philosophiques », lesquels traduisent l’origine jusnaturaliste, d’avec les « principes généraux techniques » dont le caractère herméneutique est prégnant. H. Motulsky, Écrits, études et notes de procédure    civile, Dalloz, Paris, 2010, p. 62.  [Retour au contenu]
  • [36]
    J.-L. Sourioux, « Le concept de principe général », in Les principes généraux du droit. Droit français, droit des pays arabes, droit musulman. Dénominateurs communs. Cedroma, Établissements Emile Bruylant, 2005, p. 59-63, à retrouver dans Ecrits du Professeur Jean-Louis SOURIOUX.
    Par le droit, au-delà du droit, LexisNexis, Paris 2011, pp. 187-188.  [Retour au contenu]
  • [37]
    C’est d’abord la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 qui confie, en son article 98 al. 2 à la loi la détermination des « principes fondamentaux ». Mais le procédé se retrouvait déjà dans le Code civil. Il est en silhouette dans l’article 565 qui dispose, en droit béninois que : « Le droit d’accession, quand il a pour objet deux choses mobilières appartenant à deux maîtres différents, est entièrement subordonné au principe de l’équité naturelle ». Très explicitement, l’article 1584 sur les modalités de la vente l’invoque. L’alinéa dernier de ce texte dispose en effet que : « Dans tous ces cas, son effet est réglé par les principes généraux des conventions ». Mieux, à la suite du législateur français de la loi du 15 juin 2000, celui du Bénin a ouvert le Code de procédure pénale par un livre préliminaire consacré aux « principes généraux de la procédure pénale ».  [Retour au contenu]
  • [38]
    Les statuts de la Cour permanente de justice internationale recourent, en leur article 38, § 1, c) aux « principes généraux de droit reconnus par les Nations civilisées ». Pareillement, le protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la    protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) consacre d’abord son article 1er aux « Principes généraux et champ d’application », desquels il ressortit, notamment, que :
    « Dans les cas non prévus par le présent protocole ou par d’autres accords internationaux, les personnes civiles et les combattants restent sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis, des principes de l’humanité (…) ». Art. 1er -2. La même disposition, en son point 4 visant par ailleurs les « principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États (…) ». Enfin, selon cet instrument (art. 2-b), les « principes » sont incorporés aux « règles du droit international applicable dans les conflits armés », tels qu’ils sont reconnus et applicables aux conflits armés. On retrouve également les « principes généraux du droit pénal » dans les statuts de Rome sur la Cour pénale internationale (adoptés le 17 juillet 1998 et entrés en vigueur le 1er juillet 2002) où un chapitre entier leur est consacré (chapitre 3).  [Retour au contenu]
  • [39]
    Les principes normatifs assurent une fonction de validité à l’égard d’une norme préexistante dans l’ordre juridique concerné dont l’existence contrarie la fin recherchée par le Ils constituent l’une des fenêtres essentielles du droit naturel dans l’ordre juridique. De caractère extra-textuel ou extra legem, ces principes répudient les normes pathologiques ou corrompues, s’y substituent en les nettoyant : « Le principe s’oppose à des normes dont il stérilise l’impératif juridique. Il s’insurge par essence aux dispositions du droit en vigueur », P. Morvan, op. cit.,1203. Ce faisant, le principe normatif conduit le juge à rendre implicitement un arrêt de règlement à partir d’une espèce. On peut citer, à leur égard, le principe de la responsabilité du fait des choses, la théorie de l’apparence, l’abus du droit, la maxime fraus omnia corrumpit, la règle nemo auditur… Cf. R. Libchaber, op. cit., n° 258 et s. ; F. Carsola, « Les principes directeurs du procès pénal, principes généraux du droit ? Essai de clarification », in J. Pradel (Mél.), Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, CUJAS, Paris, 2006, pp. 53-70.  [Retour au contenu]
  • [40]
    Les principes instrumentaux ont pour vocation d’assurer la migration de solutions d’un ordre juridique où elles sont en suffisance vers un ordre juridique où elles sont en attente. Ils apparaissent alors comme un instrument technique qui assure « le transport des messages qui relient entre eux des systèmes apparemment autonomes », M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Le Seuil, 1994, p. 103. Aussi, G. Scelle, « La notion d’ordre juridique », RD publ., 1944, p. 85 ; Ch. De Visscher, Théorie et réalités en droit international public, Pedone, 4e éd., Paris, 1970, p. 419. Aussi, le droit communautaire ou la lex mercatoria voient-ils migrer vers eux les solutions éprouvées par les ordres juridiques internes. Il s’établit alors une solidarité impulsée par le voisinage systémique dont les principes instrumentaux sont porteurs.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Le caractère général de ces principes tient, d’une part, à leur formulation abstraite et, d’autre part, à leur vocation à gouverner tous les procès. En droit français, en dépit de son caractère réglementaire, on a pu considérer que leur « rayonnement particulier » leur confère « la généralité dans l’application » de sorte qu’ils constituent un « motif autonome et suffisant de cassation » G. Cornu, « Les principes directeurs du procès civil par eux-mêmes (fragments d’un état des questions) », in P. Bellet, (Études) p. 85. Or, en droit béninois, les principes sont contenus dans un code institué par la loi dont le caractère général n’est plus discuté.  [Retour au contenu]
  • [42]
    La fondamentalité des « principes généraux » reste discutée. Pour certains, sont fondamentaux les principes dont la serve puise dans la Constitution ou, en amont, dans les instruments internationaux de protection des droits humains. À s’en tenir à cette analyse, tous les principes se fondamentaliseraient, en raison de la constitutionnalisation accentuée du droit et, en particulier, du droit privé. L. Favoreu, « La constitutionnalisation du droit », in R. Drago, L’unité du droit, (Mél.), Economica, Paris, 1996, p. 24 et s. ; K. M. Agbenoto, « La constitutionalisation du droit privé », in P. G. Pougoue, De l’esprit du droit africain, (Mél.), Wolters Kluwer, CREDIJ, Paris, 2014, pp. 57-86. On conviendrait plutôt avec Loïc Cadiet que « cela supposerait d’admettre que la fondamentalité soit un élément de la définition du principe directeur et, pour le dire autrement, que les principes directeurs du procès ne soient rien d’autre que les exigences du procès équitable. Or, il est permis de douter que  tel soit bien le cas :  toutes exigences du procès équitable ne figurent pas au nombre des principes directeurs du procès et tous les principes directeurs du procès ne relèvent pas des exigences du procès équitable ». L. Cadiet, « Et les principes directeurs des autres procès ? Jalons pour une théorie des principes directeurs du procès », in J. Normand, Justice et droits fondamentaux, (Études), Litec, Paris, 2003, pp. 83-84. En réalité, en dépit de leur « vertu directive », G. Cornu, cit., p. 95 et de leur généralité affirmée, tous les principes directeurs du procès ne sont guère des principes fondamentaux.  [Retour au contenu]
  • [43]
    Annuaire béninois de justice constitutionnelle, I-2013, n° 44, 617-619, obs. J. Djogbenou.  [Retour au contenu]
  • [44]
    Décision DCC 98-005 du 08 janvier 1998, Annuaire béninois de justice constitutionnelle, I-2013, n° 43, pp. 611-615, obs. J. Djogbenou. Aussi, à l’étranger, CE, 26 oct. 1945, Aramu- Lebon, p. 213, D. 1946. 158, note G. Morange, S. 1946.3.1, concl. R. Odent. À l’instar d’autres arrêts qui imposent le respect des droits de la défense, cette décision recourt aux « principes généraux du droit applicables même en l’absence de texte ». Avec l’arrêt Boudier, la Cour de cassation fonda l’enrichissement sans cause sur un « pourvoi (…) tiré de la fausse application des principes de l’action de in rem verso ». Req. 15 juin 1892, DP 1892.596, S. 1893. 1. 281, note Labbe.  [Retour au contenu]

 

Le citoyen et le procès constitutionnel dans quelques États francophones de l’Afrique de l’ouest

Djobo Babakane COULIBALEY, Juge à la Cour constitutionnelle du Togo

 

Il y a encore quelques années, la juxtaposition des mots « citoyen » et procès constitutionnel n’était guère envisageable sur le mode de l’évidence. Car la doctrine discutait encore du point de savoir si les Conseils et Cours constitutionnels avaient un caractère juridictionnel[1]. Résumant l’état des controverses, un auteur pouvait écrire que « associer les mots procès et constitutionnel est au mieux, vouloir provoquer, au pis, manquer de savoir juridique »[2]. Ces réserves se sont depuis lors estompées à partir du moment où les textes de procédure constitutionnelle ont structuré l’instance en en faisant le théâtre d’un affrontement fondé sur un échange d’arguments juridiques canalisé par la procédure.

Dans un environnement sociopolitique reconfiguré qui est celui des États africains francophones depuis les années 1990, le contentieux constitutionnel se donne à voir comme un soutien logistique de la défense des droits fondamentaux, d’autant plus que le constitutionnalisme[3] qui y a émergé a entendu relever le citoyen de son état de « mineur » ou « d’incapable » constitutionnel pour le faire entrer dans le cercle des acteurs du procès constitutionnel.

Ce constitutionnalisme prudentiel ou de précaution, construit en réaction aux excès d’une verticalisation hégémonique de l’exercice du pouvoir, a non seulement consacré au profit du citoyen un imposant catalogue de droits fondamentaux prolongés par des références aux instruments internationaux des droits de l’homme[4], mais il lui a encore ouvert directement ou indirectement l’accès du prétoire du juge constitutionnel. En effet, dans les États francophones ouest-africains, c’est le modèle de justice constitutionnelle concentré[5] qui a été adopté avec un aménagement de voies d’accès aux particuliers. En ce cas, deux types de recours existent.

L’accès peut être direct ; il s’agit du recours individuel. L’accès peut également être indirect ; il s’agit de la possibilité accordée aux justiciables de provoquer le renvoi des questions préjudicielles au juge constitutionnel par les juridictions ordinaires.

De toute évidence, la finalité du recours direct ou du recours incident est de permettre à tout justiciable de disposer de la plus haute protection subjective qu’un État de droit puisse offrir. Toutefois, avant d’aller plus avant dans le propos, une attention mérite d’être portée à la terminologie retenue pour désigner les plaideurs. Elle est variable. Certaines constitutions, à l’instar de celle du Bénin[6] et du Burkina Faso[7], recourent au terme de « citoyen » alors que celle du Togo préfère le terme « toute personne morale ou physique »[8].

Il ne fait pas de doute que, d’un point de vue juridique, ces différentes notions ne sont pas interchangeables. Le justiciable « désigne le titulaire du droit d’agir devant un juge tandis que le citoyen désigne le titulaire du droit de prendre part directement ou indirectement aux décisions relatives à la communauté politique à laquelle il appartient »140[9]. Dans la mesure où les constitutions nationales garantissent la jouissance du droit de recours aussi bien aux nationaux qu’aux étrangers établis sur le territoire, il en ressort que la qualité de citoyen n’est ni nécessaire ni suffisante pour l’usage des recours aménagés au profit des justiciables. On s’autorisera dès lors, par facilité de langage, un amalgame entre les termes « plaideur », « personne », « justiciable », « particulier » et « citoyen ».

Désormais promu acteur du procès constitutionnel dans le contexte d’un constitutionnalisme antiautoritaire, le justiciable a toutes les raisons de compter sur une justice constitutionnelle dont l’une des missions essentielles demeure la protection des droits fondamentaux. Ceux-ci fondent des droits subjectifs, dont la sanction de leur violation peut être poursuivie devant le juge constitutionnel.

Comme toute demande en justice, l’action susceptible d’être intentée sera clairement destinée à faire valoir un droit, ici un droit de valeur constitutionnelle, un droit fondamental, dans le but d’obtenir un avantage ou de mettre fin à un préjudice. La question qu’il importe dès lors d’éprouver est celle de l’évaluation des conditions dans lesquelles, le justiciable est conduit à débattre de ses droits dans le procès constitutionnel.

L’interrogation ainsi soulevée appelle aussitôt une mise au point. Les propos qui suivent n’ont pas pour objet de revenir sur les remarquables contributions soumises au 6e congrès de notre Association tenu à Marrakech en juillet 2012 et dont le thème général portait justement sur le citoyen et la justice constitutionnelle. Beaucoup plus modestement, il s’agit ici d’explorer quelques pistes de réflexions en vue de nourrir nos échanges.

La perspective choisie sera orientée vers les droits procéduraux du procès constitutionnel. Leur interprétation, selon qu’elle revêt une portée extensive ou restrictive influera nécessairement sur les droits substantiels, soit en vidant ceux-ci de leur substance, soit en en renforçant la jouissance.

Le traitement de la recevabilité des saisines (I) et la garantie des intérêts des saisissants (II) serviront de repères dans l’examen des rapports entre le citoyen et l’office du juge constitutionnel.

 

I. Le traitement de la recevabilité des saisines

L’optimisme des justiciables croyant pouvoir puiser sans contraintes particulières dans le terreau des droits fondamentaux constitutionnels et des droits fondamentaux conventionnels des prérogatives fondant leurs saisines s’est, dans bien des cas, heurté à une fermeté procédurale du juge constitutionnel. Celui-ci a généralement opté pour un repli sur la lettre du texte constitutionnel (A) qui s’explique en grande partie par la logique du système juridictionnel (B).

A. Un repli sur la lettre du texte constitutionnel

Les saisines émanant des requérants institutionnels ne soulèvent pas de problèmes particuliers. Désignés directement par la Constitution ou la loi, ces derniers bénéficient d’un droit d’agir de par leur fonction qui dispense le juge d’entreprendre d’autre contrôle que celui de la qualité de demandeur. S’agissant en revanche des particuliers, leur accès au prétoire du juge constitutionnel est conditionné par des règles procédurales déterminées sommairement par la Constitution, complétées ensuite par des législations spéciales qui organisent la saisine. Peuvent alors être instituées la saisine par la voie directe et par la voie indirecte sans oublier que, parfois, les deux formes de saisine voisinent comme c’est le cas au Bénin, en Côte d’Ivoire, et au moins formellement au Burkina Faso, le Mali ayant pour sa part choisi d’écarter le recours incident.

On pourrait à ce stade de l’exposé s’interroger sur la marge d’appréciation dont dispose le juge au regard des conditions de recevabilité des recours des particuliers. À l’analyse, le pouvoir d’interprétation du juge s’est exercé dans les strictes limites légales. Les possibilités de réduction des causes d’irrecevabilité qui auraient pu conduire à un accès moins restrictif du prétoire du juge n’ont pas, dans bien des cas, été explorées. On évoquera toutefois la singularité béninoise. À partir des larges compétences explicites dont l’a dotée le constituant, la Cour constitutionnelle de ce pays a développé une politique jurisprudentielle favorable au contrôle des actes non normatifs explicites ou implicites portant atteinte aux droits fondamentaux[10].

La tendance générale incline plutôt vers une application stricte, voire mécanique, des règles de recevabilité des recours comme ont pu l’illustrer certaines décisions des juridictions constitutionnelles de l’espace francophone ouest-africain.

En effet, dans certains cas, les justiciables ont pu croire que la mission assignée au juge constitutionnel de « garantir les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques »[11] suffisait à ouvrir à leur profit une voie de recours directe à son prétoire. Par une jurisprudence constante, il a été indiqué à ces plaideurs que la seule voie d’accès prévue par la Constitution en vue d’assurer la protection de leurs droits fondamentaux était celle de l’exception d’inconstitutionnalité à soulever lors d’un procès[12]. Commentant cette orientation jurisprudentielle, une partie de la doctrine a pu estimer que le juge constitutionnel saisi dans ces circonstances pouvait recourir à une interprétation constructive des règles de recevabilité en compensant le silence du texte constitutionnel sur la saisine directe par les stipulations des instruments juridiques internationaux de protection des droits de l’homme, intégrés dans la Constitution, notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dont l’article 7 consacre le droit de « toute personne à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, les règlements et coutumes en vigueur »[13]. Loin d’être restrictive, c’est parfois une interprétation explicitement neutralisante qui a été retenue alors que le texte constitutionnel fait voisiner le recours individuel direct avec l’exception d’inconstitutionnalité[14].

Ces orientations jurisprudentielles qui pourraient être perçues comme rendant plus difficile l’accès des justiciables au prétoire du juge constitutionnel contrastent avec les remarquables audaces dont ont fait preuve ces mêmes juges dans l’approfondissement et le renforcement des droits substantiels[15]. Le repli du juge sur la lettre des textes et leur interprétation restrictive s’explique en partie par la matière constitutionnelle dans laquelle il intervient. N’étant pas dans la posture du juge administratif qui, à raison des singularités de sa matière, a dû élaborer de façon prétorienne les grands principes du droit administratif, et par suite développer une véritable politique de recevabilité des recours l’amenant à remédier à des irrecevabilités[16], le juge constitutionnel se considère, quant à lui, comme tenu d’appliquer des dispositions dont le rang constitutionnel ou organique l’empêche de développer libéralement une politique de recevabilité.

Il est aussi loisible de penser, hormis la situation béninoise, que l’interprétation stricte des règles de recevabilité est aussi commandée par la logique du système juridictionnel.

B. Une logique du système juridictionnel

L’ouverture très parcimonieuse de son prétoire aux recours émanant des personnes non expressément qualifiées s’explique aussi par la configuration du système juridictionnel dont le constituant a entendu maintenir une certaine cohérence. D’abord, dans l’ordre des principes, le juge constitutionnel a conscience de tenir sa légitimité de sa soumission au pouvoir constituant et qu’il ne pourrait, dès lors, se servir de son pouvoir d’interprétation dans le sens qui le conduirait à bouleverser l’équilibre des pouvoirs.

Ensuite, du strict point de vue de l’organisation juridictionnelle des États francophones de l’Afrique de l’ouest, le système juridictionnel fait intervenir dans ceux de ces États qui n’ont pas institué le recours individuel direct, les juridictions ordinaires dans la protection des droits fondamentaux.

Lorsqu’ils n’ont pas adopté le système de la dualité des ordres de juridictions administrative ou judiciaire comme c’est le cas en France, ces États ont toujours pris soin de confier le contentieux administratif à des chambres ou formations spéciales. Cette structure juridictionnelle entraîne une répartition du contentieux des droits fondamentaux. Dans la mesure où le pouvoir exécutif peut mettre en cause les droits constitutionnellement garantis, les chambres ou formations juridictionnelles administratives se saisiront de ce contentieux constitutionnel des actes administratifs cependant que les juridictions judiciaires, toutes aussi liées par le principe de constitutionnalité, lui feront produire ses conséquences dans les relations horizontales entre les particuliers. Elles peuvent, sur ce fondement, casser des testaments renfermant des discriminations fondées sur la race[17] ou faire descendre un droit fondamental, notamment le droit de grève ou la liberté syndicale, dans les litiges de travail opposant employeurs et employés.

Cette complémentarité des juridictions constitutionnelle et ordinaire dans la protection des droits fondamentaux s’observe également dans le traitement des questions préjudicielles, là où l’accès direct des particuliers au juge constitutionnel n’est pas autorisé. Dès que la question de constitutionnalité est soulevée devant le juge du fond, celui-ci, sans que les textes lui accordent d’autres pouvoirs, sursoit à statuer et saisit directement la juridiction constitutionnelle du dossier renfermant la décision avant-dire droit. Il n’entreprend pas vraiment un vrai filtrage qui l’aurait amené à s’interroger sur la pertinence (applicabilité de la norme) de la question à la solution du litige, démarche qui s’apparenterait nécessairement à un pré- contrôle. La question n’est pas davantage soumise au filtre de la juridiction suprême du juge de renvoi en vue d’un éventuel examen de son caractère sérieux.

Les juridictions ordinaires n’ont ainsi pas, du moins au regard des textes applicables, les moyens de capter une partie du contentieux constitutionnel à travers un nouveau système de filtrage constitutif d’obstacle à la transmission de la question à son juge naturel.

Il reste que les choix procéduraux ne présentent pas que des avantages dans l’absolu. Lorsque la configuration du système juridictionnel fait participer les juridictions constitutionnelle et ordinaire à la protection des droits fondamentaux, l’efficacité du système gagnerait dans l’aménagement des voies procédurales accessoires à l’instar du référé liberté fondamentale en vigueur en France depuis une loi du 30 juin 2000. De ce point de vue, un système qui accorderait le monopole de la protection des droits fondamentaux à la juridiction constitutionnelle à l’exemple du Bénin offre l’avantage d’un traitement centralisé de ce contentieux, mais, en même temps, l’existence des juridictions ordinaires ne manquera pas de soulever des divergences d’interprétation sur ce qui relève à titre exclusif de la compétence de la juridiction constitutionnelle et les matières que les juridictions ordinaires ont vocation à saisir.

Du point de vue des droits procéduraux, la question du traitement des saisines invite à aborder son corollaire, celle de la garantie des intérêts des saisissants.

 

I. La garantie des intérêts des saisissants

Ce sont les règles du procès équitable et celles du tribunal neutre et impartial qui renseignent sur la qualité du procès lorsqu’elles président à l’élaboration des décisions du juge. Au sein des règles du procès équitable, certains points tels que le principe du contradictoire, considéré comme étant au fondement des autres qualités du procès, et la règle de publicité des débats méritent d’être isolés.

A. Le principe du contradictoire

Le principe de la contradiction, également appelé principe du contradictoire, signifie que les parties au procès doivent être mises en mesure de s’opposer mutuellement et d’opposer au juge les moyens et les preuves dont elles disposent à l’appui de leurs prétentions. Son importance est telle que Motulsky a pu écrire qu’il relevait du droit naturel[18]. La professeure Marie-Anne FRISON-ROCHE voit dans ce principe le « noyau logique du raisonnement judiciaire et du procès, en ce qu’il permet la découverte de la solution juste, et de son préalable, la vérité des faits »[19]. Ainsi entendu, le contradictoire a une double dimension, objective et subjective qui correspondent à la double nature du procès[20].

Le contradictoire sert la dimension objective du procès « dans la mesure où il remplit la fonction d’assurer une meilleure formation de la décision au nom de l’intérêt général à la réalisation de la justice »[21]. Non seulement il vise à contrarier les préjugés du juge, mais encore en permettant au juge de prendre connaissance des informations et des points de vue pertinents, le contradictoire donne au juge la matière dont il a besoin pour résoudre le conflit porté à sa connaissance[22].

Dans sa dimension subjective, le contradictoire est un droit de la défense. C’est le droit de savoir et de discuter, le droit d’être informé et de s’exprimer pour les parties à la procédure. Il est donc inhérent au procès[23].

Principe directeur du procès, fondé sur les canons du procès équitable et les droits de la défense, le principe du contradictoire retrouve une place et des modalités de mise en œuvre variables en fonction de l’objet de la saisine devant les juridictions constitutionnelles francophones ouest-africaines. Il est largement assuré dans le contentieux électoral[24]. Quand il n’est pas formellement écarté dans les autres contentieux[25], sa mise en œuvre ne parait pas avoir atteint un seuil de maturité suffisant. Dans le contentieux a priori, le contradictoire peut se limiter à l’information des autres acteurs institutionnels sans qu’obligation leur soit faite de formuler des observations[26]. Le principe du contradictoire gagne en amplitude lorsque les acteurs institutionnels se voient reconnaître la faculté de se faire représenter à l’audience et de pouvoir se faire assister par des experts et des conseils[27].

Dans ces circonstances, la structure tripartite du débat processuel qui exige en principe un demandeur, un défendeur et un juge, tiers impartial devant trancher le litige, se trouve quelque peu brouillée. L’image d’un défendeur répondant point par point aux arguments de la saisine est difficilement identifiable.

Sans doute, il a pu être soutenu un moment que le principe du contradictoire n’a de sens que lorsque deux ou plusieurs parties font valoir des prétentions opposées devant un juge parce qu’il s’agirait d’un contrôle a priori où il n’y a ni parties, ni droits subjectifs en cause159[28]. Le caractère objectif du contrôle empêcherait toute reconnaissance du statut de partie aux acteurs du procès constitutionnel a priori.

La pratique observée dans certains systèmes constitutionnels dément cette vision idéalisée. Elle montre que la motivation et l’attitude des requérants institutionnels sont similaires à celles des particuliers. Si l’on prend l’exemple des requérants parlementaires, la censure recherchée vise à imposer leur interprétation de la Constitution contre celle de la majorité parlementaire.

Quant au contrôle incident de constitutionnalité devant les juridictions constitutionnelles des États francophones de l’Afrique de l’Ouest, le principe du contradictoire aspire davantage dans sa mise en œuvre, à quelques avancées[29]. Sa reconnaissance formelle par les règles de procédure devant certaines juridictions[30] renferme des virtualités susceptibles d’être étendues et concrétisées par la pratique. Mais de façon générale, que ce soit dans le cadre du contrôle a priori ou dans le contrôle incident a posteriori, ce sont les pouvoirs d’instruction généralement étendus du juge rapporteur qui contribueront à réduire les déséquilibres qui menacent le procès constitutionnel[31]. Si comme le dit le professeur Mathieu Disant, la légitimité du juge constitutionnel procède aujourd’hui prioritairement d’une légitimité procédurale[32], c’est à la condition de nouer son office autour de l’existence d’un débat contradictoire ayant vocation à inscrire solidement le contrôle de constitutionnalité dans une logique contentieuse et processuelle.

Un autre critère structurant du standard du procès équitable s’identifie dans la publicité des débats. Celle-ci participe aussi de la qualité du procès constitutionnel et figure comme telle au nombre des garanties procédurales.

B. Le principe de publicité des débats

La publicité des débats est une exigence amplifiante du principe du contradictoire. Deux composantes structurent le principe de publicité des débats. On distingue la publicité de l’audience et la publicité du prononcé du jugement[33]. La finalité recherchée étant non seulement la protection du justiciable contre une justice secrète échappant au contrôle du public mais encore, plus largement, la garantie du principe d’une bonne justice.

L’audience publique intègre nécessairement au procès une dimension de l’oralité qui se trouve être elle-même une exigence incontournable du contradictoire. Au-delà de l’intérêt qu’il y a à rendre l’audience publique, « l’apport fondamental de l’audience publique est que, non seulement les parties principales, mais aussi les parties intervenantes qui d’une certaine manière représentent aussi le public, ont accès à l’ensemble du dossier, peuvent exposer oralement leurs arguments et répondre aux questions des juges »[34].

L’audience publique ouverte à l’oralité des débats trouve peu de place devant les juridictions constitutionnelles des États francophones de l’Afrique de l’Ouest, à l’exception de la Cour constitutionnelle du Bénin, qui a institué par son règlement intérieur du 11 Juin 2018 des chambres de mise en état, chargées de conduire la procédure à travers des audiences ouvertes aux parties et au public[35]. Devant les autres juridictions, avant l’audience plénière de délibération, s’il arrive qu’une audience soit organisée au cours de la procédure d’instruction, elle reste dans le meilleur des cas limitée aux parties et fermée au public[36].

Certaines particularités du procès constitutionnel peuvent faire douter de l’utilité d’une audience publique. Qu’il s’agisse d’une saisine a priori ou a posteriori, le caractère objectif du contentieux constitutionnel lui imprime in fine une double finalité : il n’est pas seulement destiné à trancher le litige qui oppose les parties. Il vise également à assurer la défense objective de la Constitution[37]. Le caractère inquisitorial de la procédure renforce la position du juge instructeur auquel les textes reconnaissent les plus larges pouvoirs d’investigation. Le procès constitutionnel devient ainsi et avant tout le lieu où s’élabore le contrôle objectif de la constitutionnalité de la loi, c’est-à-dire la mission tutélaire d’une juridiction dont les décisions déploient leurs effets bien au-delà du cercle étroit des plaideurs.

L’intérêt général l’emporte sur l’intérêt individuel des parties, dont la présence et les prétentions ne doivent pas distraire le juge constitutionnel de sa mission première qui est celle de l’apurement de l’ordonnancement constitutionnel[38]. C’est, a-t-on pu souligner, « un contentieux d’ordre public par nature qui redonne au juge toute latitude pour redéfinir l’objet et la cause de la demande, et aussi le pouvoir de ne pas se considérer comme lié par les termes de la requête, qu’elle émane d’un simple particulier, d’un organe institutionnel ou d’un juge de renvoi »[39].

Ces raisons propres à justifier une procédure essentiellement écrite et secrète méritent d’être relativisées dans le contexte actuel où les juridictions constitutionnelles ne sont plus seulement des instances de régulation du fonctionnement des pouvoirs publics mais se sont vu investies de la mission de protection des droits fondamentaux, laquelle paraît davantage les définir[40].

L’ouverture de la saisine aux parlementaires, les saisines individuelles directes ou incidentes offrent l’occasion d’introduire dans le procès constitutionnel une bonne dose de discussion publique. L’ensemble de ce contentieux intègrerait alors toutes les composantes du procès équitable comme le recommandent les instruments internationaux de protection des droits de l’homme intégrés dans les constitutions nationales172[41].

Ainsi, dans la ligne de pensée de Habermas qui voit dans le principe de discussion le fondement de la légitimité des décisions de justice[42], le procès constitutionnel en tant que dialogue organisé dans la forme processuelle deviendrait un véritable lieu de démocratie. Le rôle pédagogique des décisions des cours constitutionnelles gagnerait en relief en ce qu’elles inspireraient non seulement les autres juges mais aussi l’action des pouvoirs publics désormais instruits de la censure publique qui ne manquerait pas d’être exercée sur les écarts qu’ils seraient tentés de prendre au regard de la norme constitutionnelle.

En définitive, le regard porté sur le citoyen et le procès constitutionnel montre que si la fonction contentieuse des juridictions constitutionnelles des États francophones ouest-africains a fait faire de réelles avancées à la concrétisation des droits substantiels, en revanche, au regard des droits procéduraux le procès constitutionnel reste en construction parce que certaines garanties procédurales n’ont pas encore atteint un seuil suffisant de maturité. Sans doute la matière procédurale ne se prête pas aisément à l’invention ou à la créativité du juge. Toutefois, un intérêt porté aux textes d’origine externe intégrés aux normes constitutionnelles aurait ouvert la voie à un mécanisme de « fertilisation croisée », favorable à un jeu de l’interprétation qui renforcerait les garanties procédurales accordées aux saisissants. Le contrôle juridictionnel de constitutionnalité ne se conçoit pas sans le respect des principes propres à la fonction de juger. Les garanties procédurales concourent au perfectionnement du procès constitutionnel, et ont pour fonction d’aménager autant la réflexion des juges que limiter les risques d’arbitraire.

Sera-t-il encore utile de rappeler que le droit procédural conditionne l’exercice des libertés[43]; que Montesquieu faisait le lien entre la procédure et la liberté ; qu’enfin, pour Benjamin Constant, « ce qui préserve de l’arbitraire, c’est l’observation des formes ; elles sont les divinités tutélaires des associations humaines ; elles sont les seules protectrices de l’innocence ; elles sont les seules relations des hommes entre eux »[44].


  • [1]
    P. Jan, Le procès constitutionnel, Paris, LGDJ, pp. 13 et ss.  [Retour au contenu]
  • [2]
    D. Rousseau, « Le procès constitutionnel », Pouvoirs, n° 137, 2011, pp. 47 et ss.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Nom donné à un courant politique issu de la révolution française de 1789, et qui voit dans la constitution écrite le meilleur garant des libertés individuelles, voir C. Debbasch et alii, Lexique de politique, Paris, Dalloz, 7e éd., 2001, p.109.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Toutes les constitutions des États francophones de l’Afrique de l’Ouest consacrent chacune un titre aux droits, libertés et devoirs des citoyens ; voir en guise d’exemples, le Titre II de la Constitution du Sénégal du 22 Janvier 2001, le Titre II de la Constitution togolaise du 14 Octobre 1992, le Titre I de la Constitution du Burkina Faso du 11 Juin 1991, le Titre II de la Constitution du Bénin du 11 Décembre 1990, sans oublier les références aux instruments internationaux de protection des droits de l’homme visés dans les préambules, lesquels sont considérés comme partie intégrante de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Dans un système concentré, c’est à un tribunal distinct, généralement placé hors du système judiciaire ordinaire que revient le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des actes normatifs. Le contrôle de constitutionnalité est dans un tel système effectué par une Cour constitutionnelle ou une Cour suprême unique ; voir, L. Favoreu et alii, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 19e éd., 2017, p. 262.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Art. 122 de la Constitution du 11 décembre 1990.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Art. 157 al. 2 de la Constitution du 11 juin 1991.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Art. 104 al. 8 de la Constitution du 14 octobre 1992.  [Retour au contenu]
  • [9]
    A. Gelbat, « La QPC comme question citoyenne », La revue des droits de l’homme, 20, 2021, pp. 1 et ss.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Au-delà des normes explicites soumises au contrôle, la Cour constitutionnelle béninoise exerce son contrôle sur des normes non écrites qu’un auteur répartit entre propos normateurs et propos non normateurs. Les propos normateurs sont des manifestations orales de volonté qui produisent des effets de droit (déclarations ou propos affectant l’ordre constitutionnel) et les propos non normateurs qui ne produisent pas forcément des effets de droit, mais sont par leur gravité et l’impression créée dans l’opinion publique, de nature à causer une potentielle atteinte à l’ordre ou aux valeurs constitutionnelles, notamment la paix et la démocratie ; voir E. M. Ngango Youmbi, « Les normes non écrites dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin », RDP, 2018, 1705. Adde, T. Holo, « Le citoyen : pierre angulaire de la justice constitutionnelle au Bénin », in Actes du 6e congrès de l’ACCF, Marrakech 2012, pp. 61 et ss.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Voir par exemple les articles 85 de la Constitution du Mali du 25 février 1992 ; 99 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992 ; 114 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Dans une série de décisions, la Cour constitutionnelle togolaise a retenu « qu’aucune disposition constitutionnelle ou législative ne reconnait qualité à un citoyen de la saisir directement » ; voir Décision n°C-001/09 du 14 janvier 2009, Observatoire national pour l’Unité (ONUTA) ; Décision n° C-002/16 du 1er juin 2018 ; Décision n° C-007/98 du 15 juillet 1998.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Hounake, « Les infortunes du recours individuel devant la Cour constitutionnelle du Togo », in Mélanges en l’honneur du Professeur AHADZI-NONOU Koffi, L’Etat inachevé, Presses universitaires juridiques de Poitiers, 2021, pp. 256 et ss  [Retour au contenu]
  • [14]
    Aux termes de l’article 157 al. 2 de la Constitution du Burkina Faso du 11 juin 1991, « (…) tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction (…) ». On relèvera que cette disposition est l’exacte reproduction de l’article 122 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 sur le fondement duquel la Cour constitutionnelle de ce pays accueille généreusement les recours individuels directs. Contrairement à son homologue béninois, le Conseil constitutionnel du Burkina Faso, de jurisprudence constante ferme la voie de l’accès direct à travers une interprétation neutralisante de dispositions pourtant identiques que l’on retrouve dans les constitutions de ces deux pays. Le motif souvent rappelé est ainsi formulé : « Considérant qu’un citoyen, (…) ne peut saisir le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité d’une loi déjà promulguée que par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant une juridiction dans une affaire le concernant, soit directement par lui-même, soit par les diligences de cette juridiction » ; Voir les décisions, CC Burkina Faso n° 2017-014/CC du 09 juin 2017, Exception d’inconstitutionnalité de la loi organique n° 20/95/ADP ; Décision n° 2019-017/CC du 8 août 2019 sur le recours en inconstitutionnalité de la loi 044-2019/AN ; Décision n° 2020-024/CC du 16 octobre 2020, Dicko Harouna et autres. Toutes ces décisions sont consultables sur le site du Conseil constitutionnel du Burkina Faso.  [Retour au contenu]
  • [15]
    On évoquera le principe de non régression en matière de droits fondamentaux, consacré par la Cour constitutionnelle du Togo dans sa décision n° C-003/09 du 9 juillet 2009, Saisine des députés de l’Union des Forces du Changement (UFC), à celui de représentation proportionnelle majorité/minorité dégagé par la Cour constitutionnelle du Bénin, voir DCC du Bénin 03-168 du 26 novembre 2003, Issa Salifou ; ou encore à celui du consensus national de sa décision DCC 06-074 du 8 Juillet Les juridictions constitutionnelles malienne, nigérienne, burkinabè ont pu, sur le fondement de principes non écrits, rendre des décisions accueillies par la doctrine comme participant à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie ; sur ces derniers points, voir, S. Bolle, « La Constitution Glélé en Afrique : modèle ou contre modèle », communication présentée au colloque international de Cotonou sur la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, Un modèle pour l’Afrique, 8, 9, 10 août 2012 ; adde, B. D. Coulibaley, « Apologie du contrôle prétorien des lois de révision constitutionnelle en Afrique francophone », in Mélanges en l’honneur du Professeur AHADZI- NONOU Koffi, op. cit., pp. 513 et ss., E. M. Ngango Youmbi, « Les normes non écrites dans la jurisprudence des juridictions constitutionnelles négroafricaines », Revue Africaine et Malgache de recherche scientifique, numéro spécial, avril 2019, pp. 1410 et ss.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Comme il l’a fait dans le volet du droit substantiel, le juge administratif (Conseil d’État français) a aussi forgé dans le volet procédural du droit administratif des règles générales de procédure qui lui ont permis de suppléer les lacunes des textes écrits et de soumettre les juridictions administratives à des règles fondamentales pour l’exercice d’une activité juridictionnelle saine. Une véritable politique jurisprudentielle de recevabilité a ainsi été développée au profit des justiciables ; voir Debbasch et alii, Contentieux administratif, Paris, Dalloz, 6e éd., 1994, pp. 19 et ss. ; S’agissant de l’Afrique francophone, voir B. D. Coulibaley, « Le juge administratif, rempart de protection des citoyens contre l’administration en Afrique noire francophone ? », Revue Afrilex, janvier 2013.  [Retour au contenu]
  • [17]
    On se référera au jugement du Tribunal civil de la Seine du 22 janvier 1947 dans lequel le juge judiciaire se fondant directement sur l’alinéa premier du préambule de la Constitution française de 1946, qui prohibe notamment les discriminations en raison de la race, a décidé que « (… ) est nulle comme illicite et doit être réputée non écrite la clause d’un testament portant révocation d’un legs au cas où le légataire épouserait un juif » ; voir, Favoreu et alii, Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 7e éd., 2016, p. 167  [Retour au contenu]
  • [18]
    T. Le Bars, K. Salhi, J. Heron, Droit judiciaire privé, Paris, LGDJ, 2019, n° 294.  [Retour au contenu]
  • [19]
    M.-A. Frison-Roche, Généralités sur le principe du contradictoire, Etude de droit processuel, coll. Anthologie du Droit, LGDJ-Lextenso éditions, 2014, 221 pages.  [Retour au contenu]
  • [20]
    A. David, L’impartialité du Conseil constitutionnel, Thèse de doctorat, Université de Caen Normandie, 2021, pp.341 et ss.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Voir les lois organiques portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de ces juridictions (Burkina Faso, Niger, Mali, Bénin, Togo).  [Retour au contenu]
  • [25]
    L’art. 14 de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel du Sénégal dispose « La procédure devant le Conseil constitutionnel n’est pas contradictoire ».  [Retour au contenu]
  • [26]
    Voir 25 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle du Bénin modifiée par la loi organique du 31 mai 2001.  [Retour au contenu]
  • [27]
    12 de la loi organique n° 2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire.  [Retour au contenu]
  • [28]
    G. Abadie, « Principe du contradictoire et procès constitutionnel », Communication au 2e congrès de l’ACCPUF, Libreville, Gabon, 13-16 septembre 2000.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Aux termes de l’art. 14 al. 2 de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel du Sénégal « (…) le Conseil constitutionnel en cas d’exception d’inconstitutionnalité transmet pour information les recours au Président de la République, au Premier ministre, au Président de l’Assemblée. Ces derniers peuvent produire, par un mémoire écrit, leurs observations devant le Conseil constitutionnel ».  [Retour au contenu]
  • [30]
    Voir les règles de procédure devant les Cours constitutionnelles béninoise (art. 28 Règlement intérieur du 11 juin 2018) et togolaise (art. 106 Constitution du 14 octobre 1992 et 32 de la loi organique du 26 décembre 2019). Le caractère contradictoire de la procédure est formellement consacré.  [Retour au contenu]
  • [31]
    En France, formalisant empiriquement le principe du contradictoire de façon à aligner le Conseil constitutionnel sur les standards européens du procès équitable, la haute juridiction a accueilli favorablement des observations des parlementaires et auxquels a répondu le gouvernement dans le cadre des saisines obligatoires relatives aux lois organiques. Les déséquilibres ont été progressivement corrigés au point que le professeur Dominique ROUSSEAU peut encore écrire que « la représentation qui s’impose désormais est celle de n’importe quel procès : d’un côté, les requérants qui exposent leurs griefs contre la loi soulèvent les moyens d’inconstitutionnalité et concluent à la censure ; de l’autre, le gouvernement qui répond, point par point, aux arguments de la saisine et demande au Conseil de rejeter le Entre les deux, le Conseil, instance tiers, qui statue au vu de cet échange d’arguments. L’ensemble étant public, chacun peut apprécier le caractère contradictoire de la procédure et commenter la qualité juridique des argumentations et de la décision juridictionnelle », D. Rousseau et alii, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 332. Le nouveau règlement de procédure applicable au contrôle a priori adopté par décision n° 2022-152 ORGA du 11 mars 2022 achève de rapprocher celle-ci des règles de procédure relatives à la QPC ; voir aussi, M. Verpeaux, « Tout arrive … pour qui sait attendre », AJDA 2022, pp. 955 et ss.  [Retour au contenu]
  • [32]
    M. Disant, Synthèse générale des travaux, 8e Conférence des Chefs d’Institution de l’ACCPUF, Bulletin n° 12, ACCPUF, p. 106.  [Retour au contenu]
  • [33]
    Aux termes de l’art. 15 de la loi organique n° 2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire, « Le Conseil constitutionnel siège à huis Seuls les parties, leurs représentants, les experts et conseils participent aux débats. Les décisions du Conseil constitutionnel sont rendues en audience publique ».  [Retour au contenu]
  • [34]
    M. Disant, Synthèse générale des travaux, 8e Conférence des Chefs d’Institution de l’ACCPUF, Bulletin n° 12, ACCPUF, p. 106.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Le règlement intérieur du 11 Juin 2018 a créé deux chambres de mise en état. Elles ont pour rôle de convoquer les parties aux audiences de mise en état dont la programmation est affichée et envoyée aux présidents d’institution. Chaque partie aura l’occasion de présenter lors des audiences publiques de l’une ou l’autre des chambres ses prétentions et pourra à son tour discuter celles de la partie adverse. Chacune des parties disposera des pièces, documents et mémoires déposés par l’autre. À l’issue de cette phase, le rapporteur aura tous les éléments nécessaires pour mettre le dossier en état d’être présenté à l’audience plénière de la Cour qui reste secrète selon le principe du secret des délibérations.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Voir supra, note 33.  [Retour au contenu]
  • [37]
    Voir Santolini, « Les parties dans le procès constitutionnel en droit comparé », CCC, n° 25, Juillet 2008.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [40]
    G. Vedel, « Le Conseil constitutionnel gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de l’homme », Pouvoirs, n° 45, pp. 149 et ss. ; D. Rousseau, « De quoi le Conseil constitutionnel est-il le nom », Jus Politicum, n° 7, 2012, pp. 1 et ss.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Aux termes des articles 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques « (…) Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial (…) ».  [Retour au contenu]
  • [42]
    J. Habermas, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997, p. 251.  [Retour au contenu]
  • [43]
    P. Martens, « Les principes constitutionnels du procès dans la jurisprudence récente des juridictions constitutionnelles européennes », CCC, n° 14, 2003.  [Retour au contenu]
  • [44]
    B. Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la constitution actuelle de la France, Paris, A. Eymery, 1815, p. 292.  [Retour au contenu]

 

L’approche du Conseil constitutionnel du Sénégal

Aminata Ly Ndiaye, Juge au Conseil constitutionnel du Sénégal

 

Dans le contentieux juridictionnel, les techniques renvoient à l’ensemble des procédés d’investigation, de raisonnement et de présentation par lesquels le juge élabore et exprime ses conclusions sur un problème ou un groupe de problèmes de droit[1]. Elles ont une portée opératoire, finalitaire, instrumentale et pédagogique[2].

Quant à la méthode, elle recouvre la manière d’interpréter un texte et les différentes formes de raisonnement permettant d’en découvrir le sens.

Le vocable « protection » renvoie à l’action de protéger, de défendre quelqu’un ou quelque chose contre un danger, un mal, un risque, alors que les « Droits de l’Homme », selon la conception libérale, sont des droits inhérents à la nature humaine, donc antérieurs et supérieurs à l’État et que celui-ci doit respecter non seulement dans l’ordre des buts, mais aussi dans l’ordre des moyens[3].

L’extension du concept des droits de l’homme a conduit à identifier plusieurs « générations » de droits.

La première génération renvoie aux droits « civils et politiques » (les libertés individuelles et les libertés politiques), la deuxième génération consacre les droits « économiques et sociaux » (éducation, santé…) et, enfin, la troisième génération recouvre les droits environnementaux, les droits sur les ressources naturelles, les droits sur le patrimoine foncier, les droits au développement, les droits des minorités entre autres.

En droit positif sénégalais, les sources des droits de l’Homme dont la protection relève de la compétence du Conseil constitutionnel du Sénégal sont la Constitution[4] et les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme intégrées à son préambule. L’article 91 de la Constitution fait du pouvoir judiciaire le gardien des droits et libertés définis par la Constitution et la loi, tandis que suivant les dispositions de l’article 88 de la Constitution, le Conseil constitutionnel est partie intégrante de ce pouvoir judiciaire, à côté des autres juridictions.

Au Sénégal, en dépit de l’intervention du juge ordinaire[5], l’interprète attitré des droits inscrits dans la Constitution est le Conseil constitutionnel. Ce dernier a une compétence d’attribution. En effet, aux termes de l’article 92 de la Constitution, « le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité des lois et des engagements internationaux, des conflits de compétence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ainsi que des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel ou la Cour suprême.

Le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de la République pour avis.

Le Conseil constitutionnel est juge de la régularité des élections nationales et des consultations référendaires et en proclame les résultats ».

Dans le cadre de la protection des droits de l’Homme, le juge utilise   une méthode pour aboutir à une technique et dans les deux cas, il y a  une fonction heuristique, une fonction de guide dans la découverte et la signification de la norme[6].

Étudier la protection des droits de  l’Homme  revient  à  s’interroger sur leur invocabilité devant le Conseil constitutionnel (I) puis à examiner la démarche intellectuelle du juge une fois régulièrement saisi à cette fin pour garantir aux titulaires de ces droits leur jouissance (II).

 

I – L’invocation des droits de l’Homme devant le Conseil constitutionnel

Au Sénégal, la protection des droits de l’Homme par le Conseil constitutionnel s’effectue à l’occasion de l’exercice de ses attributions (B). Mais au préalable, il convient de s’interroger sur les droits invocables devant le Conseil constitutionnel (A).

A. La « constitutionnalisation » des droits de l’Homme

Pour certains auteurs, on entend par « droits de l’Homme », les droits fondamentaux dans le sens large des droits de l’homme ou des droits humains et des libertés fondamentales. Il s’agit des droits fondamentaux inhérents à la personne humaine[7], notamment le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit au mariage, l’égalité, le respect de la vie privée et familiale, le droit à des élections libres, le droit à un procès équitable[8].

Au demeurant, il convient de préciser que le constituant sénégalais atendance à utiliser indifféremment les vocables « droits » et « libertés »[9]. Les sources des droits de l’Homme dont la protection relève de la compétence du Conseil constitutionnel  sont  la  Constitution  et  les  conventions  internationales relatives aux droits de l’Homme intégrées à son préambule[10]. En effet, le titre II de la Constitution énumère un certain nombre de droits invocables devant la juridiction constitutionnelle à l’occasion de l’exercice de ses compétences. Dans le corpus de la Constitution, ces droits sont consacrés par les articles 7 à 25-3.

Par ailleurs, le préambule de la Constitution contient un certain nombre de conventions internationales relatives aux droits de l’Homme que les justiciables peuvent invoquer devant le Conseil constitutionnel, à l’occasion de l’exercice de ses attributions[11]. Il s’agit notamment de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, des instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité africaine, notamment la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, la Convention relative aux Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989 et la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981.

L’énumération opérée par le préambule de la Constitution ne semble pas être exhaustive. Il est donc possible que d’autres normes internationales relatives aux Droits de l’Homme puissent être invoquées devant le juge constitutionnel.

Il convient de rappeler à cet effet que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2/C/1997 du 3 décembre 1997, Modification du statut des magistrats, sans les spécifier, s’est référé aux « normes internationales relatives à la qualification, à la sélection et à la formation des personnes devant remplir les fonctions de magistrat (…) » pour contrôler la constitutionnalité de l’article 43 de la loi organique portant statut des magistrats[12].

L’invocation de ces droits se fait par la mise en œuvre des procédures juridictionnelles prévues à cette fin.

 

B. Les procédures juridictionnelles de protection des Droits de l’Homme

Le Sénégal, de par son modèle de protection juridictionnelle de l’ordre constitutionnel, adhère au système mixte[13]. Le caractère mixte du modèle provient de la cohabitation de deux procédures : une procédure empruntée au modèle européen de justice constitutionnelle à des nuances près, le contrôle par voie d’action et une procédure originaire du modèle américain de justice constitutionnelle, le contrôle par voie d’exception.

S’agissant du contrôle par voie d’action, il s’exerce au Sénégal sur les lois ordinaires[14] et les lois organiques[15] adoptées par l’Assemblée nationale et les engagements internationaux[16] avant leur entrée en vigueur. La norme juridique dont la constitutionnalité est contestée est directement déférée devant la juridiction constitutionnelle. La saisine du juge constitutionnel par voie d’action est encadrée par le constituant et le législateur organique.

En effet, le président de la République peut saisir le Conseil constitutionnel dans les six jours francs qui suivent la transmission à lui faite de la loi adoptée par l’Assemblée nationale. De même, les députés, s’ils représentent 1/10e des membres de l’Assemblée nationale, disposent d’un délai de six jours francs à partir de l’adoption de la loi par l’Assemblée pour saisir le juge aux fins de contrôle de constitutionnalité[17].

Une fois saisi, le Conseil constitutionnel se prononce dans un délai d’un mois, réduit à huit jours en cas d’urgence déclarée par le Gouvernement[18].

Lorsque le Conseil constate par cette voie de contrôle que la loi soumise à son examen viole un droit consacré par la Constitution, celle-ci ne pourra entrer en vigueur que si la disposition censurée est séparée du reste du texte[19]. La décision du Conseil constitutionnel est opposable erga omnes. Elle s’impose aux pouvoirs publics[20], à toutes les autorités juridictionnelles[21] et à tous les citoyens[22].

S’agissant du contrôle par voie d’exception, il constitue un contrôle incident. Il permet, au cours d’un procès, à une partie qui estime que la norme, (loi ou traité international) qu’on veut lui appliquer est entachée d’inconstitutionnalité parce que violant un droit consacré par le constituant, d’obtenir du juge du fond un sursis à statuer afin de faire trancher par le juge constitutionnel cette question incidente au procès.

Au Sénégal, l’exception d’inconstitutionnalité peut être soulevée devant la Cour d’Appel ou la Cour suprême. Au demeurant, il est d’une jurisprudence constante que le juge de renvoi doit, « après avoir vérifié la régularité du pourvoi »[23], surseoir à statuer et renvoyer la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. En effet, la vérification des conditions de recevabilité du pourvoi en cassation ou de l’appel par la juridiction de fond est une condition substantielle pour la recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité.

Dans l’affaire Karim Meïssa WADE, le Conseil constitutionnel a bien vérifié que cette formalité a été accomplie en ces termes : « Considérant que la  Cour suprême doit se prononcer avant toute saisine du Conseil constitutionnel sur sa compétence et sur la recevabilité du recours ou la déchéance ; que ce préalable obligatoire a été formellement observé »[24].

De même, dans l’affaire Moussa OUATTARA[25], le juge administratif a estimé que le décret dont l’annulation est demandée tire son fondement de la loi n° 76-67 du 2 juillet 1976 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique dont l’inconstitutionnalité est ainsi soulevée. Il admet ensuite que la solution du litige est subordonnée à la conformité de la disposition de la loi à la Constitution. Enfin, il constate qu’il y a lieu, en application de l’article 56 de la loi organique sur le Conseil d’État, de surseoir à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel compétent pour statuer sur la constitutionnalité.

Le Conseil constitutionnel du Sénégal, dans une décision rendue le 23 juin 1993, en se référant à la garantie des droits, a déclaré non conforme à la Constitution la disposition d’une nouvelle loi organique qui conférait à celle-ci un caractère rétroactif[26].

En effet, le constituant sénégalais avait, lors de la réforme ayant conduit à la suppression de la Cour suprême[27], opté pour la création de trois nouvelles hautes juridictions : le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de Cassation[28].

Cependant, l’une des lois visant à mettre en œuvre la réforme, la loi 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de Cassation[29] tout comme la loi 92-24 sur le Conseil d’État[30], dans ses dispositions transitoires, avait créé une nouvelle procédure, celle du rabat d’arrêt et prévoyait le caractère rétroactif en son article 33 alinéa 2. Cela donnait ainsi au nouveau texte une portée élastique permettant aux justiciables de remettre en cause les décisions de l’ancienne Cour suprême en application de cette nouvelle procédure[31], alors que « celle-ci, vieille de trente-deux ans au moment de sa suppression, avait un volume considérable d’arrêts qui pouvaient entrer dans le champ d’application de cet article 33 alinéa 2 »207[32].

Un litige avait opposé la Compagnie Air Afrique à cinq de ses agents qui avaient été licenciés. Une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée avait été rendue par la deuxième section de l’ancienne Cour suprême statuant en matière sociale le 11 avril 1990. L’exequatur avait été demandée et obtenue suivant ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Paris le 13 avril 1992. Entre-temps est intervenue une nouvelle voie de droit dans l’ordonnancement juridique sénégalais : la procédure de rabat d’arrêt qui permettait en application des dispositions sus-indiquées de remettre en cause les décisions de justice rendues en dernier ressort[33]. Une requête en rabat d’arrêt avait été introduite par le Procureur général près la Cour de Cassation sur recours d’ordre du Garde des Sceaux et les conseils de l’une des parties, en l’occurrence la Compagnie Air Afrique contre la décision de l’ancienne Cour suprême rendue en matière sociale.

L’exception d’inconstitutionnalité, « une voie de droit nouvelle »[34] créée aussi par la réforme constitutionnelle de 1992 avait été soulevée contre cette disposition transitoire qui prévoyait le rabat d’arrêt avec un caractère rétroactif, ce qui avait obligé la Cour de Cassation, en application de  la législation en vigueur[35], de surseoir à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel de l’exception d’inconstitutionnalité ainsi soulevée.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision précitée, avait commencé par indiquer qu’à la date de l’adoption de la loi de 1992 instituant la procédure du rabat d’arrêt, l’arrêt rendu par la Cour suprême et attaqué au moyen de cette procédure était devenu définitif du fait de l’épuisement des voies de recours et de l’expiration des délais de recours prévus par les textes en vigueur au moment où elle a été rendue, et qu’une telle décision était, dans ces conditions, irrévocable.

Il avait ensuite considéré que la nouvelle loi de 1992, en créant cette nouvelle voie de recours et en la déclarant applicable à une telle décision de justice, remettait en cause les droits reconnus aux justiciables en les privant ainsi de garanties constitutionnelles. Il en concluait que la nouvelle disposition législative permettant d’appliquer cette nouvelle voie de recours à une décision irrévocable[36] devait être déclarée non conforme à la Constitution.

La juridiction constitutionnelle a considéré que la loi nouvelle ne peut saisir le passé et s’appliquer à « des situations légalement acquises »[37] que si la garantie constitutionnelle des droits reconnus aux justiciables dans le cadre des procédures judiciaires ne risque pas d’être remise en cause.

Dans ladite décision, le Conseil constitutionnel a considéré « que les modifications, l’abrogation d’une loi comme la rétroactivité d’une loi nouvelle ne peuvent remettre en cause les situations existantes que dans le respect des droits et libertés de valeur constitutionnelle ; qu’en effet, s’il appartient au législateur, sous réserve de l’application immédiate de la loi pénale plus douce, de déterminer la date d’entrée en vigueur d’une loi, le pouvoir qui lui est ainsi conféré n’est pas sans limites »[38].

La juridiction constitutionnelle ajoutait que la procédure de rabat d’arrêt, prévue par l’article 33 alinéa 2 de la loi organique sur la Cour de Cassation, entraînerait une inégalité non justifiée entre les justiciables en ouvrant la nouvelle voie de recours à certains d’entre eux et pas à d’autres, selon qu’ils cherchaient à remettre en cause une sentence non entièrement exécutée ou une sentence exécutée en violation du principe d’égalité devant la loi et devant la justice, consacré par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, de l’article 7 de la Déclaration universelle de 1948 et de l’article 7 de la Constitution[39].

La procédure de l’exception d’inconstitutionnalité a été utilisée dans les affaires Demba MBAYE pour protéger le droit de la défense[40], Moussa OUATTARA et autres pour la protection du droit de propriété[41], Karim Meïssa WADE pour protéger le droit de la défense, le principe d’égalité des citoyens devant la justice, la présomption d’innocence[42], Pape Djigdiam DIOP pour protéger la liberté syndicale et le droit de grève[43].

Il faut rappeler que l’alinéa 3 de l’article 22 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel dispose que « si le Conseil constitutionnel estime que la disposition dont il a été saisi n’est pas conforme à la Constitution, il ne peut plus en être fait application »[44]. Il en résulte que dans l’hypothèse où la loi ou la norme internationale est neutralisée par le Conseil constitutionnel par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, celle-ci continue de faire partie de l’ordonnancement juridique sénégalais, mais ne pourra plus connaître une application dans le futur.

 

II – Les procédés de raisonnement du juge

Au Sénégal, la protection desdroits de l’Homme par le Conseil constitutionnel se fait de façon incidente lors du contrôle de constitutionnalité des lois[45]. À cet effet, le Conseil constitutionnel utilise des techniques et méthodes d’interprétation afin de dégager le sens et la portée des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution[46]. Dans sa mission de protection des Droits de l’Homme, le juge constitutionnel utilise souvent des procédés classiques (A). Mais de plus en plus, le Conseil constitutionnel fait recours aux procédés nouveaux (B) pour assurer la garantie des droits de l’Homme.

B. Les procédés classiques

Parmi les méthodes et techniques classiques qui permettent au juge constitutionnel de garantir la jouissance des droits de l’Homme, il y a l’interprétation littérale. Grâce à l’interprétation littérale, le juge procède par un raisonnement simple, gage de clarté et d’accessibilité de sa décision en vérifiant la constitutionnalité interne et externe de la norme soumise à son examen.

À titre illustratif, dans la décision n° 3/C/94 du 27 juillet 1994 relative à la loi organique modifiant le statut des magistrats, le juge a sanctionné l’incompétence négative qui entraînait la rupture du principe d’égalité et une atteinte à l’indépendance de la magistrature[47]. De même, dans sa décision n° 2/C/2021 du 20 juillet 2021 relative au Code pénal et au Code de procédure pénale, les requérants invoquaient la violation de la liberté de manifester, du droit à la vie privée et du secret des correspondances. Le juge, par une interprétation littérale, a conclu à l’absence de violation de ces droits sus-évoqués[48].

Le même procédé est utilisé par le juge dans les affaires n° 2/C/2013 du 18 juillet 2013, Djigdiam DIOP c./État du Sénégal (dans laquelle il était question de la protection de la liberté syndicale et du droit de grève) ; n° 1/C/2014 du 3 mars 2014, Karim Meïssa WADE c./ CREI (pour la protection de la présomption d’innocence, du principe d’égalité, du droit de la défense, du droit à un recours) ; n° 11/C/93 du 23 juin 1993, (Rabat d’arrêt pour garantir l’effectivité des droits acquis en vertu d’une décision de justice) ; n° 3/C/95 du 19 juillet 1995, Demba MBAYE (dans laquelle la violation du droit de la défense et de la présomption d’innocence était invoquée) ; n° 1/E/98 et 2/E/98 du 9 avril 1998, acceptation de candidatures de la coalition USD Jeef Jeel URD aux législatives (pour la protection du principe constitutionnel de liberté des candidatures)[49].

Aussi, dans d’autres cas d’espèce, le Conseil constitutionnel utilise-t-il la méthode déductive pour protéger les droits de l’Homme. Par cette méthode, le juge s’appuie sur un texte qui, certes, ne règle pas la question qui lui est soumise, mais lui permet de dégager une règle qu’il va appliquer au litige. Elle permet de déduire du texte lui servant de référence la norme applicable pour des situations non concernées formellement afin de combler un vide juridique[50]. Il en est ainsi dans sa décision n° 2/C/2018 du 02 juillet 2018, à propos du risque d’atteinte à la liberté des candidatures, notamment la constitutionnalité de l’article L 57 du Code électoral qui ajoute une condition (être électeur) non prévue par l’article 28 de la Constitution pour être candidat[51]. Le juge concluait à la constitutionnalité du texte.

La décision n° 3/C/2021 du 22 juillet 2021 s’inscrit dans la même perspective. Dans cette décision, il était question de la protection du droit de vote. En effet, les requérants estimaient que la constitutionnalité de l’alinéa 4 de l’article L 40 du Code électoral était douteuse. Le juge, par la méthode déductive, concluait à la constitutionnalité du texte querellé227[52].

B. Les nouveaux procédés

L’évolution des procédés de contrôle de constitutionnalité amène le juge à développer des outils nouveaux qui se démarquent de plus en plus des méthodes et techniques classiques consistant à déclarer la norme contrôlée conforme ou non conforme à l’ordre constitutionnel[53].

Dans le domaine de la protection des droits de l’Homme, le juge constitutionnel sénégalais utilise de plus en plus ces nouveautés. Il s’agit particulièrement de la technique des réserves d’interprétation et de celle du standard.

La réserve d’interprétation permet au juge de sauver un texte de la censure en la déclarant conforme à la Constitution à condition que l’autorité génératrice de la norme intègre les interprétations qu’il a formulées dans le texte. Le juge tient la plume et devient un acteur de la législation positive.

Ces réserves peuvent être scindées en deux catégories[54] :

  • les réserves prescriptives (sous forme d’injonctions et de recommandations) dans lesquelles on retrouve les réserves constructives (le juge impose au législateur les correctifs à apporter à la norme contrôlée pour qu’elle soit conforme à la Constitution) et les réserves directives (le juge oriente l’autorité pour que la norme élaborée soit conforme à la Constitution).
  • les réserves restrictives (le juge extirpe de la loi examinée certains mots, des groupes de mots ou des phrases pour la sauver de la censure pour inconstitutionnalité) dans lesquelles on retrouve les réserves emportant annihilation ou « annihilantes » (il y a un retrait de l’inconstitutionnalité de l’acte déféré au juge, la réserve s’adressant à l’auteur de l’acte) et les réserves neutralisantes (le sens et la portée de la disposition contraire à la Constitution sont neutralisés par l’interprétation faite par le juge ; l’entendement de ce dernier sur le sens qu’il faut donner au texte est pris en compte dans son application par les autorités chargées de l’application de la norme).

En matière de protection des droits de l’Homme, les occurrences qui ont permis au Conseil constitutionnel d’assortir sa décision d’une réserve d’interprétation sont rares. Néanmoins, on peut citer les cas suivants :

  • La décision n° 2/C/2016 du 11 juillet 2016 relative à la loi organique sur le Conseil constitutionnel. La juridiction constitutionnelle, par une réserve d’interprétation, précise ce qu’il faut entendre par « enseignants affectés au Conseil en qualité d’assistants »[55].
  • La décision n°1/C/2017 relative à la loi organique sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Pour assurer le respect des garanties dues aux magistrats, le Conseil constitutionnel a assorti ladite décision d’une réserve[56].

Également, le Conseil constitutionnel, dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, utilise la technique du standard. Le standard est une moyenne de conduite sociale correcte pour évaluer la conformité au droit d’une action du législateur dans le domaine des droits de l’Homme[57].

Le standard implique une double obligation : la consécration des droits intimement liés à la personne humaine et un niveau de protection au moins égal à celui reconnu par les conventions internationales. Dans sa décision n° 2/C/2021 du 20 juillet 2021 relative au Code pénal et au Code de Procédure pénale, le Conseil a fait usage de cette technique en distinguant les droits intangibles valables en tout temps et en toutes circonstances, comme l’interdiction de l’esclavage, le droit à la vie, l’interdiction des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide, l’interdiction de la torture, consacrés par les convention internationales et les autres droits et libertés fondamentaux qui peuvent faire l’objet de restrictions, de dérogations ou de limitations par le législateur pour des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publique lorsqu’il s’agit, sans que cela soit limité à ces exemples, de parer « à un danger collectif ou de protéger des personnes en péril de mort » ou encore pour « protéger la jeunesse en danger », comme le prévoit l’article 16 de la Constitution[58].

Par ailleurs, dans sa décision n° 2/C/2021 du 20 juillet 2021 relative au Code pénal et au Code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel a estimé que le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi implique l’adoption de lois suffisamment claires et précises dans leurs conséquences par le législateur, afin que chaque citoyen sache exactement ce qui lui est interdit et ce qu’il encourt comme sanction en cas de violation de l’interdiction[59]

.

Statuant sur une demande d’avis, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 8/2017 à propos de la protection du droit de vote, a estimé que l’exercice du droit de vote l’emporte sur l’exigence de présentation de la carte d’électeur prévue par l’article L. 78 alinéa 1 du Code, en raison des circonstances liées aux lenteurs et dysfonctionnements administratifs dans la distribution de ces cartes d’électeurs[60]


  • [1]
    Voir N. M. Diagne, Les méthodes et techniques du juge administratif en droit administratif sénégalais, Thèse, UCAD, 1995, p.4.  [Retour au contenu]
  • [2]
    B. Kanté, « Les méthodes et techniques d’interprétation de la Constitution : L’exemple des pays d’Afrique occidentale, », Actes de la table ronde de l’Association internationale de Droit constitutionnel, 15 et 16 octobre 2004, Bordeaux, CERCCLE, Dalloz, 2005, p. 158.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Lexique des termes juridiques, 2012, 19e édition, Dalloz, p. 342 ; Voir M. Troper « La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 », Colloque du 25 et 26 mai 1989 organisé par le Conseil constitutionnel, La déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et la jurisprudence, Paris, PUF, Recherches politiques, 1989, pp. 13-15.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Voir le titre de la Constitution intitulé « DES DROITS ET LIBERTES FONDAMENTAUX ET DES DEVOIRS DES CITOYENS ».  [Retour au contenu]
  • [5]
    Le juge judiciaire intervient ainsi dans la protection des droits de l’Homme en développant diverses méthodes et techniques d’interprétation (l’interprétation in favorem, l’interprétation stricte, l’interprétation téléologique etc.). À titre illustratif, à travers ces méthodes et techniques de protection des droits de l’homme, le juge ordinaire a imprimé aux droits de la défense un contenu précis. En matière pénale, la Chambre criminelle de la Cour suprême a estimé dans l’affaire Karim Meïssa WADE que « les droits de la défense n’ont pas été violés dès lors que les conseils du requérants, présents à l’audience, ont fait leurs observations sans rien retirer ou ajouter à leurs moyens initiaux ». De même, dans l’affaire dite de la Caisse d’avance de la Maire de Dakar, le juge pénal sénégalais a eu à reconnaître la fondamentalité du droit d’accès à un avocat en matière pénale. Auparavant, une circulaire du ministre de la Justice en date du 11 janvier 2018 avait précisé le sens et les contours ce droit.  [Retour au contenu]
  • [6]
    D. Sy, « Les fonctions de la justice constitutionnelle en Afrique », in Association nigérienne de Droit constitutionnel (ANDC), actes du colloque international, La Justice constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 52.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Selon Jacques Robert, « pour savoir si telle ou telle faculté est fondamentale, il faut à chaque instant rechercher quelles sont celles qui, compte tenu de l’évolution psychologique et sociale, sont considérées comme présentant un caractère fondamental » ; J. Robert, Les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, 6e édition, Paris, Montchrestien, 1996, p. 20.  [Retour au contenu]
  • [8]
    S. Thiam, « Les droits de l’Homme en Afrique francophone : entre tradition et modernité », Mélanges en l’honneur du Juge Kéba MBAYE. Administrer la justice, transcender les frontières du droit, dir. M. Badji et E. O. Diop, Toulouse, Presses universitaires de Toulouse 1 Capitole, 2018, pp. 63-64. Sur les problèmes sémantiques et de définitions, voir F. SUDRE, droit européens et droit de l’Homme, Paris, PUF, 10e éd., 2011 ; J.-M. Becet et D. Colliard, Les droits de l’Homme, Paris, Economica, 1982, pp. 6 et s.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Cf. Article 14 de la Constitution. En doctrine, on peut consulter l’étude d’Étienne Picard sur ce syntagme formé « des droits et libertés ». É. Picard, « Les droits et libertés : un couple paradoxal », in Mélanges en l’honneur de Frédéric SUDRE, Les droits de l’Homme à la croisée des chemins, Paris, Lexis Nexis, 2018, pp. 548-558.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Les conditions d’insertion des conventions internationales dans l’ordre juridique sénégalais sont prévues par le Constituant. En effet, l’article 95 de la Constitution prévoit que « le Président de la République négocie les engagements internationaux. Il les ratifie ou les approuve éventuellement sur autorisation de l’Assemblée nationale ». L’article 96 ajoute : « les traités de paix, les traités de commerce, les accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire ne peuvent être approuvés qu’en vertu d’une Ils ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés » et enfin l’article 98 dispose :
    « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». De cette disposition constitutionnelle, on peut déduire que la problématique de l’incorporation des normes internationales dans l’ordre juridique sénégalais se pose avec moins d’acuité. En effet, le constituant semble opter pour un système moniste. En toute évidence, si les normes internationales sont directement incorporées dans le texte constitutionnel, elles peuvent servir de moyen pour une demande en justice sans l’adoption d’un acte de réception formelle. Sur ces questions, voir Décision N° 1/C/2015 du 2 mars 2015, exception d’inconstitutionnalité d’un accord international conclu entre le Sénégal et l’Union africaine, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, Conseil constitutionnel, 2020, pp. 453-460 ; S. Thiam, « Les droits de l’Homme en Afrique francophone : entre tradition et modernité », op.cit., pp. 93 et s. ; A. Sall, « Réflexion sur deux décisions de justices récentes. L’affaire « Habré » ou le malaise du juge devant le pouvoir politique et l’affaire de « l’effigie » ou le malaise du politique devant le pouvoir judiciaire », in Le Pouvoir judiciaire face aux autres pouvoirs, Dakar, éditions Caford 2000, pp. 169-171.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Voir Diaite, « Les Constitutions africaines et le droit international », Annales africaines, 1971-1972, pp. 33-51 ; A. Sall, « Le droit international dans les nouvelles Constitutions africaines », RJPIC, n° 3, septembre-décembre 1997, p. 3.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Voir Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, op.cit., pp. 117-119.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Voir. C. M. Ndiaye, La protection juridictionnelle de l’ordre constitutionnel au Sénégal, Thèse doctorat, UCAD, 2016, pp. 132 et s.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Voir décision N° 1/C/2007 du 27 avril 2007, Parité sur les listes des candidats aux législatives, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, précité, p. 372-373.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Voir décision N° 3/C/94 du 27 juillet 1994, relative à la constitutionnalité de la loi organique portant statut des magistrats, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, pp. 81-84.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Voir Décision N° 12/C/93 du 16 décembre 1993 relative à la conformité du traité de Port-Louis sur l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, pp. 70-74.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Article 74 de Constitution du 22 janvier 2001 modifiée.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Article 19 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Voir décision 1 et 2/C/2005 relative à la loi d’amnistie, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, op.cit., 334-340.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Voir l’affaire relative à l’effigie du Président WADE lors des élections législatives de 2001, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, op.cit., p. 294-296.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Dans tous les cas où la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité a été mise en œuvre, la décision du Conseil constitutionnel a été prise en compte par le juge de renvoi pour motiver la sienne. Voir par exemple l’arrêt de la Cour suprême N° 42 du 26 juillet 2012, Ndiaga SOUMARE c/État du Sénégal.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Article 92 al. 2 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [23]
    I. M. Fall (dir.), Les décisions et avis du Conseil constitutionnel. Rassemblés et commentés, op.cit., p. 125.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Cons. const., Séance du 03 mars 2014, Affaire N°1/C/2014 Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, op.cit., p. 443-460.  [Retour au contenu]
  • [25]
    CE, 25 janvier 1995, Moussa Ouattara et autres, Bulletin des arrêts du Conseil d’État, n° 39, 85.  [Retour au contenu]
  • [26]
    JCons. const., décision n° 11/C/du 23 juin 1993, Rabat d’arrêt, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, précité, pp. 64-69.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Loi 92-22 du 30 mai 1992 portant révision de la Constitution, JORS numéro spécial 5469 du 1er juin 1992, p. 238.  [Retour au contenu]
  • [28]
    Il faut rappeler qu’avec la loi 2008-35 du 08 août 2008, (JORS, spécial du 08 août 2008, p. 755), la Cour suprême est réapparue dans le paysage juridictionnel du Sénégal avec la fusion de la Cour de Cassation et du Conseil d’État. Cette loi a été abrogée par la loi 2017-09 du 17 janvier 2017 (JORS, spécial 6989 du 18 janvier 2017, p. 17), mais la Cour est restée dans l’organisation judiciaire du Sénégal.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Article 33 de ladite loi.  [Retour au contenu]
  • [30]
    Article 33 de ladite loi.  [Retour au contenu]
  • [31]
    Voir P. O. Sakho, « La protection des situations légalement acquises : l’apport du Conseil constitutionnel du Sénégal », p. 106.  [Retour au contenu]
  • [32]
    H. Mbodj, « Observations sur la décision du Conseil constitutionnel n°11/C/93 du 23 juin 1993 », EDJA N° 20, 1993, p.101.  [Retour au contenu]
  • [33]
    E. H. Mbodj, « Observations sur la décision du Conseil constitutionnel n°11/C/93 du 23 juin 1993 », précité, p. 98.  [Retour au contenu]
  • [34]
    S. Diop, « Une voie de droit nouvelle au Sénégal : l’exception d’inconstitutionnalité », avril 1994, inédit.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Article 92 de la Constitution.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Sur la définition de la notion de « décision irrévocable », cf. S. Kane, « Panorama de la jurisprudence de la chambre civile et commerciale », Bulletin d’Information, Cour suprême, Service de Documentation et d’Études, N° 9 et 10, février 2017, p. 68.  [Retour au contenu]
  • [37]
    P. O. Sakho, « La protection des situations légalement acquises : l’apport du Conseil constitutionnel du Sénégal », op.cit., p. 107.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, op.cit., p. 67.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, op.cit., p. 68.  [Retour au contenu]
  • [40]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, cit., p. 89-94.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, cit., p. 101-107.  [Retour au contenu]
  • [42]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, cit., p. 439-442.  [Retour au contenu]
  • [43]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel janvier 1993-mars 2019, cit., p. 443-452.  [Retour au contenu]
  • [44]
    JORS 161 Année, N° 6946, (Numéro spécial), Vendredi 15 juillet 20216, p. 930.  [Retour au contenu]
  • [45]
    Parmi les attributions du Conseil, il n’en existe pas une spécifiquement dédiée à la protection des droits de l’Homme.  [Retour au contenu]
  • [46]
    Cette nouvelle appellation résulte de la révision constitutionnelle de 2016 qui a requalifié ainsi les droits et libertés des citoyens et, a consacré en même temps de nouveaux droits (le droit des citoyens en un environnement sain, sur leurs ressources naturelles et leur patrimoine foncier) ; I. M. Fall, « La réforme constitutionnelle de 2016. Un hommage à l’œuvre du Professeur KANTE », in Mélanges en l’honneur de Babacar KANTE, Actualité du droit public et la science politique en Afrique, (dir. A. Sall et I. M. Fall), 2017, p. 160).  [Retour au contenu]
  • [47]
    Cf. Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, pp. 81-84.  [Retour au contenu]
  • [48]
    Cons. const., décision N° 2/C/2021 du 20 juillet 2021, inédit.  [Retour au contenu]
  • [49]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, 143-145.  [Retour au contenu]
  • [50]
    Voir N. M. Diagne, Les méthodes et techniques du juge administratif en droit administratif sénégalais, Thèse, UCAD, 1995, p. 336.  [Retour au contenu]
  • [51]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, pp. 618-627.  [Retour au contenu]
  • [52]
    JCons. const., décision n° 3/C/2021, inédit.  [Retour au contenu]
  • [53]
    A. A D. Kebe, « Les techniques d’interprétation du juge constitutionnel sénégalais », Actes du colloque de Dakar sur le Conseil constitutionnel sénégalais dans un contexte d’intégration régionale : passé, présent, devenir, 07 et 08 décembre 2020, Dakar, L’Harmattan, pp. 133-167.  [Retour au contenu]
  • [54]
    Voir A. A. D. Kebe, « Les réserve d’interprétation dans la jurisprudence constitutionnelle des États francophones », Annales africaines, Nouvelle Série, Vol. 1, avril 2015, pp. 255-294.  [Retour au contenu]
  • [55]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, p. 483.  [Retour au contenu]
  • [56]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, p. 520.  [Retour au contenu]
  • [57]
    B. Kanté, « Les méthodes et techniques d’interprétation de la Constitution : L’exemple des pays d’Afrique occidentale, », Actes de la table ronde de l’Association international de Droit constitutionnel, 15 et 16 octobre 2004, Bordeaux, CERCCLE, Dalloz, 2005, p. 158.  [Retour au contenu]
  • [58]
    const., décision n° 2/C/2021, inédit.  [Retour au contenu]
  • [59]
    Idem (Considérant 29).  [Retour au contenu]
  • [60]
    Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, pp. 590-592.  [Retour au contenu]

 

La Déclaration universelle des droits de l’homme, norme de référence du contrôle de la constitutionnalité au Liban

Mireille Najm-Checrallah, Membre du Conseil constitutionnel du Liban [1]

 

Lors de la révision constitutionnelle de 1990, il apparaissait naturel au constituant de rappeler, dans le Préambule nouvellement inséré à la Constitution, l’attachement du Liban à la Charte des Nations-Unies, dont il est l’un des membres fondateurs, ainsi qu’à ses conventions. Plus particulièrement, la référence faite à la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) devait rendre hommage de manière tacite à l’un de ses rédacteurs, le Libanais Charles Malek, à laquelle son nom reste définitivement attaché, à côté de ceux d’Eleanor Roosevelt, de René Cassin et des autres membres du Comité rédactionnel.

Par ailleurs, le renvoi de l’alinéa B du Préambule aux textes onusiens coïncidait avec l’instauration d’une justice constitutionnelle au Liban. La référence à la Déclaration universelle de 1948 et la création du Conseil constitutionnel devaient toutes deux inaugurer une ère nouvelle, au lendemain d’une longue guerre fratricide. Ces deux nouveautés, introduites à la Constitution à un moment crucial de l’histoire constitutionnelle du Liban, revêtent ainsi une valeur hautement symbolique. Elles s’inscrivent dans le cadre du projet ambitieux de la reconstruction de l’État de droit, garant des libertés et des droits fondamentaux.

Toutefois, les textes onusiens auraient pu garder une valeur purement déclaratoire et morale, n’eut-ce été l’intervention du Conseil constitutionnel. En effet, c’est au fil des décisions de ce dernier que la valeur normative des divers principes contenus dans la Déclaration universelle se trouve affirmée de manière progressive. Du point de vue du juge constitutionnel, la réforme profonde de l’État ne pouvait être envisagée que dans le respect des droits et des libertés fondamentales, en réaction aux quinze années de conflits qui avaient témoigné de toutes sortes de violations des droits humains. De plus, le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à faire une lecture extensive des « pactes » onusiens, auxquels se réfère son Préambule, en élargissant le domaine du bloc de constitutionnalité aux deux pactes internationaux de 1966. Tous ces textes lui servent ainsi de normes de référence pour le contrôle de la constitutionnalité des lois.

Au regard de ce qui précède, l’accent est mis, dans un premier temps, sur l’intégration des principes de la Déclaration universelle parmi les normes de référence du contrôle de la constitutionnalité des lois, par le biais de leur constitutionnalisation (I). Dans un second temps, nous soulignons le double mouvement évolutif de la jurisprudence constitutionnelle dans l’intégration de ces principes (II).

 

I – L’intégration des principes de la Déclaration universelle parmi les normes de références constitutionnelles

L’alinéa B du Préambule pose une obligation à la charge de l’État libanais d’incarner en droit interne les principes des textes internationaux auxquels il renvoie (A). Le Conseil constitutionnel, en tant que destinataire de cette obligation, en fera une application directe, en intégrant les textes onusiens parmi ses normes de référence (B).

A. L’obligation posée par l’alinéa B du Préambule d’incarner les principes onusiens en droit interne

L’alinéa B du Préambule ne se contente pas de proclamer l’attachement du Liban aux textes onusiens qu’il énumère. Il pose à la charge de l’État une obligation de concrétiser (toujassed el dawla) les principes qui y sont contenus « dans tous les champs et domaines sans exception ». Cette disposition répond à celle prévue dans le Préambule de la Déclaration universelle, laquelle met à la charge des États membres des Nations-Unies l’obligation d’« assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations-Unies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Tout porte donc à croire que l’alinéa B du Préambule, par la référence explicite faite à la Charte des Nations-Unies et autres conventions onusiennes, ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, a entendu intégrer les dispositions de ces normes internationales ainsi que les principes que ces textes véhiculent, dans l’ordre interne de l’État. L’obligation d’« incarner ces principes» s’analyse nécessairement en une obligation de leur mise en œuvre qui incombe à l’État. Bien entendu, elle s’adresse en premier lieu au législateur, sans toutefois le concerner exclusivement. La généralité de l’énonciation laisse entendre que tous les pouvoirs publics, y compris le Conseil constitutionnel, sont les destinataires de cette obligation, posée en tant qu’objectif à caractère général.

Le juge constitutionnel, en sa qualité de destinataire de cette obligation, n’hésite donc pas à faire une application directe des dispositions et des principes proclamés dans la Déclaration universelle, en les intégrant parmi ses normes de référence à valeur constitutionnelle.

B. La reconnaissance par le juge constitutionnel de la valeur constitutionnelle de la Déclaration universelle

Le Conseil constitutionnel fait une application directe des dispositions et des principes contenus dans la Déclaration universelle de 1948. Sa démarche est progressive et s’analyse en plusieurs étapes. En premier lieu, et dès ses premières décisions, il reconnaît la valeur constitutionnelle du Préambule et proclame que ce dernier est une partie intégrante de la Constitution. Il pose ainsi les premiers jalons de la constitutionnalisation des principes de source internationale auxquels se réfère l’alinéa B du Préambule, « clause passerelle » entre les deux ordres interne et international.

En second lieu, et dès 1997, le Conseil s’est référé à l’alinéa (b) de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations- Unies du 16 décembre 1966, ratifié par le Liban en 1972, comme fondement du principe de la périodicité des élections. Toutefois, s’il était clair que ce Pacte servait de norme de référence au Conseil à titre subsidiaire, à l’appui des dispositions de la Constitution, celui-ci ne se prononçait pas pour autant sur sa valeur constitutionnelle. Il faudra attendre la décision no 2/2001[2]pour que le Conseil proclame de manière solennelle que les textes internationaux mentionnés explicitement au Préambule font partie intégrante de la Constitution avec ledit Préambule, et revêtent la même force constitutionnelle que ses dispositions. Il rappellera également la valeur constitutionnelle des pactes onusiens visés par l’alinéa B du Préambule dans certaines décisions ultérieures[3].

Ainsi, et de manière progressive, le bloc de constitutionnalité s’enrichit de principes dégagés des dispositions de la Déclaration universelle ou  des deux pactes internationaux qui y sont rattachés. Ce faisant, le juge constitutionnel leur octroie une valeur constitutionnelle équivalente à celles des dispositions de la Constitution. À titre d’exemple, les dispositions des conventions onusiennes servent de fondement à différents principes ou objectifs spécifiques à valeur constitutionnelle, tels que la périodicité des élections, le droit au logement, le droit au travail, le droit de fonder une famille, etc.

Cette intégration de la Déclaration universelle de 1948 parmi les normes de référence du contrôle de la constitutionnalité des lois, s’accompagne d’une double évolution qui marquera la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

 

II – La double évolution de la jurisprudence constitutionnelle dans l’intégration des normes onusiennes

Le Conseil constitutionnel reconnaît donc la valeur constitutionnelle de la Déclaration universelle de 1948, et il l’intègre parmi les normes de référence du contrôle de la constitutionnalité des lois. Cette constitutionnalisation s’accompagne d’une double évolution dans la jurisprudence du Conseil : celle de l’affirmation de la complémentarité entre la Déclaration universelle et les deux pactes internationaux de 1966 (A), et celle de la référence aux normes onusiennes de manière supplétive (B).

A. La complémentarité entre la Déclaration universelle de 1948 et les deux Pactes internationaux de 1966

Le caractère général et déclaratoire des dispositions de la Déclaration universelle porte le Conseil constitutionnel à recourir aux deux pactes internationaux de 1966 qui précisent le sens de la Déclaration, en arguant de leur caractère complémentaire. Dans deux décisions rendues en 1997[4], le Conseil se réfère au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 en tant que fondement du principe de la périodicité des élections, élevé au rang constitutionnel. Quelques années plus tard, dans sa décision no 2/2001 susmentionnée, le Conseil constitutionnel s’appuie dans ses considérants sur les textes onusiens, en sus des dispositions de la Constitution régissant le droit de la propriété et le principe d’égalité.   Il se réfère notamment aux dispositions de la Déclaration universelle   des droits de l’Homme (articles 17-1 et 29-2) et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (article 2). C’est dans le cadre de cette dernière décision que le Conseil justifie son recours aux dispositions du second Pacte de 1966, vu son caractère complémentaire avec les dispositions de la Déclaration universelle : « Considérant que le Pacte international susmentionné complète la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et qu’il définit le cadre juridique de l’exercice des droits économiques prévus dans le pacte ainsi que dans la Déclaration, y compris le droit de propriété ».

L’extension de cette Déclaration aux pactes internationaux de 1966, porteurs de droits politiques et civils pour le premier, et économiques, sociaux et culturels pour le second, permet d’enrichir le bloc de constitutionnalité de tout un éventail de principes touchant à des domaines très variés, lesquels ne sont pas nécessairement prévus dans le texte de la Constitution. Il en va ainsi du droit au logement, du droit à fonder une famille et du droit au travail, à titre d’exemples.

Cependant, le recours aux conventions d’origine onusienne ne s’arrête pas aux deux pactes internationaux de 1966 qui complètent la Déclaration, mais il s’étend également à d’autres conventions onusiennes plus spécifiques. Ainsi, dans la même décision de 2001, le Conseil constitutionnel se réfère aux dispositions de la Convention internationale sur l’élimination de la ségrégation raciale sous toutes ses formes, datée du 7 mars 1966. Toutefois, le juge constitutionnel ne se prononce pas de manière explicite sur la valeur constitutionnelle de cette convention, comme il l’avait fait pour les deux Pactes de 1966. Il évoque par ailleurs de manière vague et incidente « les conventions onusiennes relatives aux droits des femmes et des enfants », dans une décision rendue en 2017[5]. Ce faisant, il ouvre la voie, quoique de manière encore aléatoire, vers l’intégration d’autres conventions onusiennes parmi ses normes de référence constitutionnelles.

La ligne évolutive tracée par la jurisprudence du Conseil ne se limite pas au champ des conventions onusiennes qui lui servent de normes de référence. Elle procède également du passage d’une référence subsidiaire, vers un recours à titre principal et supplétif à ces normes, pour pallier les silences de la Constitution.

 

B. D’un caractère subsidiaire à un caractère supplétif

L’extension du bloc de constitutionnalité aux différentes conventions des Nations-Unies, en raison de leur complémentarité avec les dispositions de la Déclaration universelle, s’accompagne d’une autre ligne d’évolution. Nous remarquons ainsi que, dans un premier temps, la référence à ces textes en tant que normes de référence ne se fait pas à titre principal, mais en guise de renfort à des dispositions constitutionnelles internes. Il se pourrait que le Conseil nouvellement institué, en ayant recours aux dispositions onusiennes à titre subsidiaire, ait voulu ainsi consolider la légitimité de ses décisions. Pourtant, la décision no 6/2014 marque un tournant dans la jurisprudence du Conseil, car celui-ci s’y réfère pour la première fois aux normes onusiennes à titre principal pour le contrôle de la constitutionnalité de la loi contestée[6]. Ainsi, en l’absence d’un texte constitutionnel qui lui servirait de fondement, le Conseil consacre le caractère fondamental du droit au logement sur la base de la Déclaration universelle de 1948. Il lui adjoint un objectif  à valeur constitutionnelle que constitue la garantie  du logement au citoyen, et qui s’analyse en une obligation à la charge du législateur de mettre en œuvre le droit au logement.

Ainsi, la jurisprudence du Conseil constitutionnel marque une double évolution dans le sens, d’une part, de l’élargissement du champ des principes onusiens qui seront graduellement intégrés dans le bloc de constitutionnalité et, d’autre part, de l’usage à titre principal et supplétif des normes onusiennes dans le silence de la Constitution.

Pour conclure, nous ne pouvons que saluer l’œuvre jurisprudentielle de nos prédécesseurs au Conseil constitutionnel libanais, qui ont, malgré les soubresauts qu’a connus cette institution, donné vie aux principes de la Déclaration universelle de 1948 et à ceux des deux Pactes internationaux de 1966, par le biais de leur intégration aux normes de références constitutionnelles. Toutefois, ainsi que le rappelle Mireille Delmas-Marty, c’est leur mise en œuvre effective qui demeure le véritable défi. Dans un récent rapport sur le Liban[7], le rapporteur spécial des Nations-Unies, M. Olivier de Schutter, relevait qu’ « une feuille de route claire basée sur les droits humains était nécessaire pour permettre la relève du Liban ». Dans ce pays où la Constitution ne représente qu’un « point de vue » pour la plupart des gouvernants, et où les droits des citoyens et la dignité humaine sont quotidiennement bafoués, en présence d’une crise économique et sociale aiguë, il appartient au Conseil constitutionnel de toujours rester vigilant. Il devra continuer de s’ériger en forteresse gardienne des libertés fondamentales et des droits humains afin de résister contre vents et marées à toutes les forces contraires.


  • [1]
    Communication de l’auteure lors du 9e congrès triennal de l’ACCF, « Le juge constitutionnel et les droits de l’homme », tenu à Dakar, du 30 mai au 2 juin 2022  [Retour au contenu]
  • [2]
    CCL, déc. no 2/2001 du 10 mai 2001 (Acquisition des non-Libanais de droits immobiliers), Recueil des décisions du Conseil constitutionnel 1994-2016, V. 1, p. 161.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Notamment : CCL, déc. no 4/2001 du 29 septembre 2001, Recours visant àl’annulation de la loi no 359 datée du 16 août 2001 (Amendement de certains articles du Code de la procédure pénale), CCL, déc. no 1/2003 du 21/11/2003, Recours visant à l’annulation de l’article 7 de la loi no 549 du 20/10/2003 (Raffineries de Tripoli et Zahrani), où l’on peut lire : « Considérant que les conventions internationales dont il est allégué, bien qu’elles prévoient qu’il est nécessaire de préciser les raisons de l’embauche de chaque individu, que chaque personne a le droit au travail et à la protection contre le chômage, qu’il lui soit donné la chance de gagner son pain à travers un travail convenable, et que le Liban respecte ces conventions conformément à l’alinéa B du Préambule de la Constitution, et que celles-ci acquièrent par conséquent une valeur constitutionnelle, toutefois les textes y relatifs ne donnent pas aux individus une prérogative juridique ou un droit subjectif contraignant susceptible d’être mis en application ou revendiqué en vertu de procédures inexistantes, et que ceux-ci ont pour but et fonction de rappeler l’importance des questions sociales et leurs objectifs à cet égard », et CCL, déc. no 6/2014 du 6/8/2014, Recours visant à l’annulation de la loi publiée à l’Annexe du no 27 du Journal officiel en date du 26/6/2014 (Loi sur les loyers).  [Retour au contenu]
  • [4]
    CCL, Déc. no 1/1997 du 12 sept. 1997 (Prorogation du mandat des conseils municipaux) et Déc. no 2/1997 du 12 sept. 1997 (Prorogation des mandats des Mukhtars et des conseils ikhtiaris), Recueil des décisions du Conseil constitutionnel 1994-2016, V.1, p. 51 et p. 63.  [Retour au contenu]
  • [5]
    CCL, déc. no 3/2017 du 30 mars 2017 (Loi sur les loyers).  [Retour au contenu]
  • [6]
    CCL, déc. no 6/2014 précitée, (Loi sur les loyers).  [Retour au contenu]
  • [7]
    Rapport du rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté pour les Nations-Unies, M. Olivier De Schutter, du 11 mai 2022.  [Retour au contenu]

 

Questions-réponses avec les participants

 

Larba Yarga, membre du Conseil constitutionnel du Burkina Faso Je remercie les conférenciers pour leurs interventions très intéressantes. Le professeur Coulibaley a présenté les voies de recours, et notamment le recours direct. La   restriction del’interprétation par le juge constitutionnel pour ne retenir que l’exception d’inconstitutionnalité ne procède-t-elle pas d’une mauvaise écriture de la Constitution ?

Djobo-Babakane Coulibaley, membre de la Cour constitutionnelle du Togo

Je n’ai effectivement pas voulu citer des pays, mais il s’agit de dispositions que l’on trouve dans la constitution de deux pays de la région ouest africaine et qui sont interprétées différemment. Dans l’un des pays,     il existe la saisine individuelle directe et la voie incidente, l’exception d’inconstitutionnalité. La même disposition que  l’on  retrouve dans un autre pays interprète de manière affirmée la saisine directe. Cela peut se comprendre comme une interprétation neutralisante visant à empêcher la voie directe. Cela pourrait aussi résulter comme vous le dites d’une mauvaise écriture, mais l’on a du mal à comprendre que des dispositions identiques relevant de constitutions de deux pays puissent être interprétées différemment. S’il s’agit d’une erreur d’écriture, il serait souhaitable de s’en saisir pour tenter d’y remédier, car cela pose problème en l’état.

Joseph Djogbenou, président de la Cour constitutionnelle du Bénin Un choix est nécessaire dans la méthode d’interprétation. Le choix audacieux peut toucher la finalité, l’objectif. De ce point de vue, la juridiction constitutionnelle peut être créative et admettre le recours par sa jurisprudence. Si le choix est conservateur, en revanche, on pourrait avoir recours au constituant. Quoi qu’il en soit, on n’a pas besoin que le constituant se retrouve avant de faire avancer la justice constitutionnelle.

Mireille Najm, membre du Conseil constitutionnel du Liban

Le Conseil constitutionnel du Liban a été assez créatif en ce sens. Il a suivi la jurisprudence du Conseil constitutionnel français, par exemple pour les réserves d’interprétation, qui ne sont prévues ni dans la loi organique sur le Conseil constitutionnel ni dans aucun texte. Il a élargi l’interprétation de son rôle de juge constitutionnel en étendant le contrôle à toute la loi, et pas seulement aux points que les requérants ont soulevés. La cour constitutionnelle peut se mettre, dans le silence du texte, d’élargir l’interprétation dans le sens de l’intérêt de la constitution.

Mamadou Bathia Diallo, président du Conseil constitutionnel de Mauritanie

Je pense que la saisine fait partie des techniques permettant de répondre à la demande et d’atténuer les problèmes posés. Dans de nombreux pays, la saisine du conseil est réservée aux élus, au président de la République et au président de l’assemblée. En Mauritanie, même au niveau des députés, seul un tiers d’entre eux peut saisir le Conseil, soit 42 députés. Or, il est très difficile à l’opposition d’obtenir ce nombre, compte tenu de la puissance des partis majoritaires. L’opposition en Mauritanie n’a jamais pu saisir le Conseil, car elle n’a jamais obtenu quarante députés. Dans cette situation, n’est-il pas souhaitable de prévoir que chaque député puisse saisir le Conseil ?

Demba Tall, conseiller à la Cour constitutionnelle du Mali

Le professeur Kanté dans son intervention a parlé de sanctions pécuniaires concernant la violation des droits de l’homme. Par quel mécanisme cette sanction pourrait-elle être appliquée ?

Professeur Babacar Kanté, doyen honoraire de l’UFR des Sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger de Saint- Louis, Ancien Vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal, expert auprès de l’ACCF

Afin de comprendre le constitutionnalisme, il faudrait revenir à l’État de droit. Toutes les difficultés rencontrées par le juge constitutionnel pour soumettre l’autorité politique au droit sont les mêmes que celles rencontrées par le juge administratif pour soumettre l’administration au droit. Il en est résulté que le Conseil constitutionnel français s’est beaucoup inspiré du Conseil d’État français dans l’affinement de ses techniques de contrôle. Que se passe-t-il devant le Conseil d’État ? Lorsqu’un acte administratif est considéré comme illégal, il est déclaré nul. Le requérant peut se prévaloir de cette annulation pour engager devant le juge la responsabilité de l’État pour acte administratif illégal. C’est ce que font certains pays avec le contentieux. Lorsque le juge considère qu’une disposition de la loi est contraire à la Constitution, le requérant peut se prévaloir de cette inconstitutionnalité pour demander réparation. Il n’appartient pas toujours au juge constitutionnel de fixer le montant de la réparation ni d’entrer dans ses détails techniques. Il peut en revanche autoriser le requérant à se pourvoir devant un juge pour obtenir réparation.

C’est une voie qu’il faudrait approfondir, car sans cela, le requérant pourrait penser que nous tournons à vide. Il peut disposer d’un acte   de justice indiquant que telle disposition de la loi est contraire à la Constitution, mais cela peut rester sans conséquence. En d’autres termes, l’annulation risque d’être symbolique ou théorique. Encore une fois, le Conseil d’État français a décidé qu’on pourrait engager la responsabilité de l’État du fait du recours en inconstitutionnalité. Je crois que nous devons progresser dans cette voie, sans quoi le requérant risque de penser que ce système fonctionne à vide. Certains pays ont initié ce droit à réparation et ont accordé des indemnités à des requérants.

 

 

Troisième session- Les droits de l’homme en contexte : droits de l’homme et circonstances exceptionnelles

 

Synthèse des réponses au questionnaire

Professeur Babacar Kanté [1], Doyen honoraire de l’UFR des Sciences juridiques, et politiques de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Ancien Vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal, Expert auprès de l’ACCF

 

Si les deux premiers sous-thèmes avaient pour objet, respectivement, d’identifier la conception que le juge constitutionnel se fait des droits de l’homme et de déterminer les outils qu’il utilise pour les protéger, ce troisième vise plutôt une mise en perspective des droits de l’homme.

Il s’agit de les replacer dans le contexte actuel caractérisé par une double crise sécuritaire et sanitaire. C’est un défi pour tout juge constitutionnel d’aujourd’hui, de quelque côté qu’il se situe, que de protéger les droits de l’homme à un moment où ils sont particulièrement menacés par la cascade de mesures prises par les États pour faire face aux exigences de la lutte contre ces deux crises.

Cette rubrique est assurément celle dans laquelle les questions adressées aux différentes juridictions s’imbriquent le plus. Les quatre premières questions, ainsi que la sixième, tournent en réalité autour de la même problématique générale, qui est, au fond, celle de l’universalité des droits de l’homme (questions n° 1 à 4 et n° 6 du sous-thème). Il s’agit de savoir si les juges restent rivés à une conception absolument universelle de ces droits – en quoi ils seraient fidèles au jusnaturalisme qui inspire l’idéologie des droits de l’homme – ou s’ils sont, au contraire, réceptifs au particularisme des sociétés, quelle que soit la nature de ce particularisme. Les questions posées constituent autant de variations autour de cette problématique.

Les réponses obtenues laissent paraître que l’affirmation du caractère universel des droits de l’homme est posée par certaines juridictions en termes de postulat, comme une assertion de principe. Les réponses algérienne, burundaise, cap-verdienne, centrafricaine, mozambicaine et nigérienne par exemple relèvent de ce point de vue. Elles ont la particularité de répondre négativement à l’interrogation ainsi formulée : « existe-t-il une conception relative des droits de l’homme selon votre juridiction » ? Il arrive qu’une telle opinion soit adossée, comme on l’a souligné, à l’« inhérence » même des droits de l’homme (Burundi) ou mise en corrélation avec des convergences jurisprudentielles transfrontalières, à une sorte de consensus judiciaire international (Suisse).

D’autres juges ont répondu de façon sinon affirmative, du moins plus nuancée, laissant ainsi paraître qu’ils n’excluent pas une approche relativiste des droits de l’homme. À vrai dire, toutes les réponses rangées sous cette rubrique n’ont pas appréhendé la question posée sous  le  même  angle.  Certaines ont compris la relativité ou le relativisme comme la simple possibilité de limiter, de restreindre les droits des personnes, et ont naturellement conclu qu’une telle restriction allait de soi et pouvait même être prévue par les textes. D’autres réponses, sans doute plus proches de l’esprit du débat, ont compris le relativisme comme une sorte d’exception à l’universalité, comme la reconnaissance d’une forme de déclinaison locale des droits de l’homme, déclinaison susceptible de s’écarter du standard universel.

Les réponses belge et française mettent ainsi en exergue la fameuse théorie de l’identité constitutionnelle nationale, qui permettrait à un État de s’excepter de règles générales, conçues, en l’occurrence, dans le cadre de l’intégration européenne. Il convient de rapprocher la notion d’identité constitutionnelle nationale de celle de « marge  d’appréciation  nationale  », soulignée dans la réponse albanaise, puisque toutes deux jouent comme des sortes de tempérament au modèle universaliste. Relève du même esprit l’idée de compatibilité avec les « lois nationales » (Cameroun) ou avec les « valeurs sociétales » (Mali). De même, la réponse gabonaise insiste sur le fait que la Constitution reste le reflet des valeurs d’une société donnée, ainsi que l’histoire de celle-ci. Le Préambule de la Constitution du Sénégal rappelle également l’attachement du peuple à ses valeurs culturelles fondamentales. Ces références particularistes n’ont pas nécessairement inspiré une jurisprudence,  mais elles sont considérées comme étant susceptibles de fonder une conception relativiste des droits de l’homme, de justifier une acclimatation nationale de la théorie, substantiellement universaliste, de ces droits.

Au demeurant, lorsque la question est posée en termes moins « alternatifs » ou dualistes – entre universalisme et relativisme –, les juridictions sont plus nombreuses à admettre qu’elles ménagent une place pour les « valeurs sociétales ». Ce que l’on pourrait appeler le « facteur local » peut d’abord être fondé sur le texte constitutionnel lui-même. Tel est le cas lorsque celui-ci assume la diversité culturelle ou ethnique (Albanie, Cambodge, Gabon, Mali). Le « facteur local » peut également avoir été consacré par la jurisprudence des cours constitutionnelles : c’est le cas de l’Algérie (au sujet de la représentation des femmes dans des assemblées élues), de la France au sujet de la Nouvelle Calédonie, de la Roumanie (récusation du mariage entre personnes de même sexe au nom de considérations sociales et culturelles), ou de la Belgique (restrictions de la liberté de culte au nom d’un bien-être animal devenu une exigence sociale, ou prise en compte modulée des effets du mariage polygamique contracté dans un autre pays).

L’opposition apparente entre les deux thèses – celle de l’universalisme et celle du relativisme – est cependant considérablement amoindrie lorsque l’on se penche sur les réponses qui ont été apportées à une autre question qui figure dans ce même sous-thème, et qui est relative aux « facteurs à prendre en compte pour une protection adaptée des droits » (question n°11). Le rapprochement avec cette question n°1 s’impose à l’évidence puisqu’il s’agit de savoir si des « facteurs locaux », particuliers à une société donnée, doivent être pris en compte dans la protection des droits.

Or,  quasiment aucune juridiction n’a exclu une telle prise en compte, ce   qui tendrait à prouver que l’universalisme affirmé dans certaines réponses ne doit pas être compris comme une indifférence aux contextes nationaux. L’histoire et la culture nationales ont ainsi été évoquées dans les réponses de l’Albanie, du Cameroun, des Comores, du Congo, du Mali, du Niger, de la Roumanie et du Sénégal. Le concept de « facteurs sociétaux » est revenu dans les réponses de la France, de la Moldavie et du Rwanda, alors que d’autres réponses mettent en exergue les « crises » de divers ordres pouvant justifier une application différenciée du droit (RCA, RDC, Togo). Systématisant en quelque sorte tous ces points de vue, les réponses d’Andorre et de la Suisse notent respectivement que le juge doit prendre en compte toute circonstance « personnelle, objective, temporaire, circonstancielle » et que ces facteurs « sont variables en fonction des espèces ». La conclusion qu’il convient d’en tirer est qu’il existe une convergence indéniable sur le fait que les juges considèrent que leur office n’est pas détachable de certains contextes particuliers, et que l’universalisme éventuellement affirmé dans les réponses n’implique nullement une application indiscriminée du droit.

L’incidence de la culture et de la religion sur les décisions des juridictions constitutionnelles a également donné lieu à des réponses riches, des points de vue nuancés dans lesquels les histoires nationales ont certainement leur part.

Culture et religion ont d’abord été perçues, dans les réponses reçues, comme des leviers de droits subjectifs. En d’autres termes, l’accent a été mis sur le droit à la culture et sur la liberté de culte. Le contentieux constitutionnel a pu avoir pour objet ces prétentions-là. Le droit à la culture est affirmé dans l’ordre constitutionnel de l’Angola, de la République centrafricaine, du Mali et de la Serbie. L’on peut d’ailleurs observer, à ce stade, une sorte de dualité du droit à la culture. Il peut en effet être un « droit-liberté » : les Constitutions malienne et serbe mentionnent respectivement la « liberté culturelle » (art. 8) et la « liberté de création artistique » (art. 73), mais il peut également constituer un « droit-créance » – les Constitutions angolaise et centrafricaine évoquent un droit à la culture, en leurs articles 7 et 9. À ce titre, cet État peut se voir assigner des tâches précises : protection des droits culturels des minorités (Albanie), promotion de l’alphabétisation (Algérie), devoir plus général de développer la culture nationale (Cambodge, Mozambique, Serbie, Suisse). Dans un État comme le Maroc, un organe ad hoc a été créé : le Conseil national des langues et de la Culture.

Envisagée non plus à l’échelle individuelle mais au plan social, la culture intéresse doublement le contentieux constitutionnel. D’une part, les textes peuvent instituer une sorte de défense de l’ordre culturel de l’État. Celui-ci, et ses citoyens éventuellement, se voient alors dans l’obligation de préserver le patrimoine culturel national, comme en Albanie, au Cambodge, au Canada, au Cap-Vert. D’autre part, les textes peuvent proclamer un principe de diversité culturelle, qu’il appartient alors au juge de faire respecter. Un État comme la Belgique connaît de façon intrinsèque et substantielle une telle diversité, la juridiction constitutionnelle siégeant  en formation bilingue ; la diversité culturelle est également affirmée au Cameroun, au Congo, au Maroc et en Suisse. Au sujet du Congo, la juridiction constitutionnelle a consacré la diversité culturelle dans une décision du 22 juillet 2020 relative au code de la famille.

Il va de soi que potentiellement, l’affirmation de la diversité culturelle peut déboucher sur des tensions, dans des États dont l’unité de principe est par ailleurs affirmée. C’est pourquoi dans certains États, la Constitution ou le juge chargé de son application introduit une sorte de réserve de compatibilité des cultures particulières avec l’unité nationale. Tel est le cas de la Constitution de l’Albanie, de l’Angola, du Gabon. Dans ce dernier cas, c’est la notion de « droit fondamental » qui joue à la manière d’une atténuation de la diversité : dès lors qu’il est question d’un droit fondamental, les diversités doivent s’estomper.

L’incidence du facteur religieux sur la jurisprudence constitutionnelle est tout aussi subtile.

Ici également, la religion est d’abord le support d’un droit subjectif, qui est précisément la liberté de culte. Les Constitutions affirment toutes ce droit, avec quelques légères nuances. Ainsi, cette liberté  est présentée comme une variante du principe de non-discrimination et de respect de la vie  privée en Albanie et en République centrafricaine. Mais c’est surtout dans les rapports entre l’État et les institutions religieuses,  entre le temporel et  le spirituel que l’histoire et la sociologie nationales retrouvent leur empire. Il s’avère notamment que le principe de laïcité, affirmé par la plupart des Constitutions, peut conduire à des conséquences assez différentes d’un État à un autre. Il en résulte ce qu’on pouvait bien pressentir : que la conception de la laïcité varie, que ce concept n’est pas susceptible d’un seul contenu, et qu’il convient, sur ce terrain des croyances et des convictions intimes, de ménager les particularismes nationaux.

Certains États affirment laconiquement leur caractère non-religieux, et s’en tiennent à cette déclaration de principe générale. Il est alors logique d’en déduire que le facteur religieux n’entre pas dans le champ du politique, ou vice versa. De telles pétitions de principe résultent des énoncés constitutionnels du Burkina Faso, de la Belgique, du Burundi, du Cameroun, de la France, de la RCA, de Madagascar, ou encore de la RDC ou du Togo, entre autres.

Dans d’autres cas cependant, l’affirmation du caractère laïc  de l’État ne fait nullement obstacle à des interventions de celui-ci dans le domaine du spirituel. La Constitution andorrane mentionne, à côté de la liberté de culte, « la situation particulière de l’église catholique ». En Angola, l’affirmation de la liberté de culte n’exclut pas que l’État intervienne dans l’organisation de l’Église, de même qu’au Cambodge, la liberté de culte coexiste avec l’affirmation  du bouddhisme comme « religion d’État » (art. 43 de la Constitution). Au Mozambique, l’attachement au christianisme est affirmé, tandis qu’en Tunisie, aux Comores et au Maroc, cette prééminence échoit à la religion musulmane, la Constitution marocaine tenant cependant à proclamer son ouverture au dialogue religieux. La situation particulière de la Suisse doit être soulignée : la liberté de culte est affirmée mais le préambule constitutionnel s’ouvre sur une référence à « Dieu ».

Certaines Constitutions envisagent clairement la possibilité d’une tension entre les exigences cultuelles et celles de la protection des droits de l’homme. La force des secondes est alors mise en exergue. C’est le cas du Canada –  à travers la jurisprudence constitutionnelle notamment –, de la Moldavie et de la Tunisie. Si l’on s’en tient aux réponses  au questionnaire,  ce sont des États comme l’Albanie, la Belgique, le Canada et la Suisse qui ont connu le contentieux le plus important. Dans le cas suisse en particulier, la jurisprudence se caractérise par son abondance et par son caractère subtil et nuancé. Tantôt la liberté de culte a prévalu dans les décisions du Tribunal, tantôt les impératifs d’une protection des droits fondamentaux ont conduit à une restriction de la part du religieux. Ces variations n’ont aucun caractère « anormal », elles reflètent au contraire la complexité inhérente au principe de laïcité, qui épouse les particularismes nationaux.

L’incidence des impératifs de paix et de cohésion sociale dans la jurisprudence n’a jamais été niée dans les réponses livrées. Aucune réponse négative n’a été enregistrée sur ce point. Les différences se manifestent cependant dans le fondement – c’est-à-dire la source – et dans les fonctions de ces impératifs.

Sur le premier point, il apparaît que la nécessité de tenir compte de la paix et la cohésion sociale peut tantôt  résulter  du texte constitutionnel, tantôt se rattacher à une sorte de logique, d’évidence. Les réponses albanaise, cambodgienne, canadienne, centrafricaine et suisse sont puisées dans la Constitution nationale, laquelle renferme, implicitement ou explicitement,  la nécessité de prendre en compte la cohésion et la paix sociales. Dans le cas de la Suisse en particulier, il est précisé  que les concepts de « paix » et de « cohésion » figurent respectivement quatre et une fois dans le texte constitutionnel. Dans d’autres cas, la finalité sociale et pacificatrice de l’office du juge est tirée d’une simple évidence logique : cas du Burundi, du Congo (qui évoque des « motifs d’intérêt général »), du Mali, de la France, du Mozambique et de la Serbie (qui estiment que cette prise en compte est tout simplement « logique »).

Les fonctions assignées à la paix et à la cohésion diffèrent également quelque peu. Il résulte des réponses reçues que ces concepts participent tantôt d’une définition même des droits de l’homme, tantôt de leur restriction. Au Maroc et en Mauritanie, le concept de « définition » est littéralement repris, alors qu’au Congo, il est simplement précisé que la paix et la cohésion sociales sont des « motifs d’intérêt général ». Dans d’autres contextes, les nécessités sociales agissent comme une restriction des droits individuels. Les réponses belge et suisse ont explicitement souligné que ces nécessités pouvaient amener le législateur ou le juge à restreindre les droits des personnes.

Une précision, qui tient à l’interprétation qui est ainsi faite des réponses reçues, s’impose à ce stade. La différence qui vient d’être soulignée, entre  la définition et la restriction des droits, n’est paradoxale qu’en apparence.

Tout dépend en effet du point de vue dans lequel se situent les juridictions sollicitées. Il est possible de partir du principe que la garantie et la réalisation des droits de l’homme supposent, présupposent même un cadre social donné, une communauté organisée. Ces droits s’insèrent donc dans un certain contexte, et ils n’ont de sens que relativement à celui-ci. L’organisation d’un cadre social devient alors consubstantielle à l’allocation de droits individuels, elle devient une condition de la définition de ceux-ci. C’est bien en ce sens que certaines juridictions ont répondu. Mais il est tout aussi possible de se situer à un autre point de vue : celui de la tension, toujours présente, entre les droits individuels et les impératifs sociaux, entre l’individu et la société. Dans une telle perspective, la paix et la cohésion sociale peuvent constituer des limites aux droits subjectifs, des facteurs de restriction de ceux-ci. C’est le point de vue qui a été développé dans d’autres réponses. On concevra que les deux points de vue se valent, qu’ils rendent tous deux compte de la réalité, et que leur différence n’a dès lors rien de paradoxal.

Le reste des questions du sous-thème III, à l’exception d’une seule, relative aux droits les plus consacrés par le juge, peut être résumé autour de la problématique de l’empirisme de la jurisprudence constitutionnelle. Il s’agit notamment de savoir si les juridictions assument ou revendiquent leur rattachement à un courant doctrinal précis, et si des facteurs « conjoncturels » (comme les crises de diverses natures notamment) influencent leurs décisions.

Sur la question de leur affiliation à un courant de pensée donné, toutes les juridictions ont souligné que l’affiliation à un courant de pensée n’entrait pas vraiment dans les préoccupations des juges. Dans l’opposition entre conceptualisme et empirisme, c’est donc le second qui tendrait à l’emporter dans les prétoires. La réponse d’Andorre souligne à cet égard que la Cour ne fait pas de déclaration « théorique ou doctrinale », comme pour rappeler le réalisme de la fonction juridictionnelle,  qui est de trancher  des différends et de mettre fin aux litiges. L’évacuation de toute préoccupation de type doctrinal résulte également des réponses qui insistent sur le fait que le droit appliqué par le juge est d’abord un « droit vivant » : c’est la réponse de la Moldavie et de la Roumanie. Il faut comprendre par là que les juridictions sont précisément attachées à la « vie », c’est-à-dire au réel, à la réalité concrète et que cet ancrage réaliste les éloigne nécessairement de préoccupations de type  théorique  ou spéculatif.  La réponse  fournie par la Suisse énonce les « quatre sources d’inspiration » du Tribunal (qui sont en réalité des instruments juridiques et des principes non écrits), mais cette clarification ne saurait être comprise comme un quelconque parti pris doctrinal. Il convient donc de retenir qu’au total, les juges constitutionnels ne sont pas vraiment préoccupés de rattacher leur office à des écoles de pensée. Ce travail de décryptage et de classement est sans doute considéré comme relevant de la doctrine, et non des juges eux-mêmes.

Ce sentiment est conforté par le fait que pour l’essentiel, les réponses admettent que la jurisprudence doit tenir compte des circonstances de temps et de lieu. Mais quelques éclaircissements méritent également d’être faits à ce sujet.

Certaines juridictions ont tout de même  répondu  à la question posée par la négative. Il nous semble cependant qu’une telle réponse ne doit pas être forcément comprise comme un refus de principe de tenir compte du contexte dans lequel le juge exerce son office. Il peut vouloir signifier, d’une part, que la jurisprudence n’a pas encore été confrontée à une nécessité particulière ou pressante de tenir compte d’une conjoncture donnée ; d’autre part, que le juge est d’abord soucieux d’appliquer le droit, et non de prêter une attention excessive aux circonstances de temps et de lieu.

Dans tous les cas, ces réponses éventuelles n’excluent pas de façon absolue une prise en compte du contexte dans lequel le jugement intervient. Au demeurant, il arrive que  le  droit  lui-même  intègre  la  conjoncture  dans sa mise en œuvre, on voit alors mal comment le juge pourrait, dans ces conditions, faire abstraction des circonstances de temps et de lieu. La réponse gabonaise souligne même qu’« il ne peut en être autrement », et que « l’état de la société est nécessairement pris en compte ». Cette nécessité peut résulter du texte constitutionnel lui-même, de façon explicite (Cap-Vert) ou implicite (états d’exception, de guerre, de crise, etc. (RDC)) ou, plus encore, de la  jurisprudence elle-même et sur la base de considérations purement logiques (Albanie, Andorre, Angola, Canada, Cap-Vert, Comores, Congo, Sénégal, Serbie, Tunisie). La théorie  du « droit  vivant  », décidément utile, a pu, ici également, être invoquée (Belgique et Roumanie). Les réponses de la Moldavie et de la Suisse sont allées jusqu’au bout du réalisme dont elles se réclament, en justifiant, sur cette base, les revirements de jurisprudence.

Il s’agit également d’une question sur laquelle les juridictions interrogées ont le plus illustré leurs réponses par des illustrations jurisprudentielles. Des exemples concrets d’une prise en compte des circonstances de temps et de lieu – qui débouche presque toujours sur une dérogation aux règles de droit – ont été fournis par l’Albanie, la Belgique, le Canada, la France, la Roumanie et le Sénégal.

Avec les questions sur l’incidence des crises politiques, économiques, sociales et sanitaires sur la jurisprudence, nous  sommes  toujours  dans  un débat  sur l’emprise des circonstances de fait dans l’office du juge. Il n’est donc pas étonnant que les interventions enregistrées aient, dans leur majorité, répondu par l’affirmative. Une observation précédemment faite sur les rares réponses négatives s’impose de nouveau : la question posée a sans doute pu être comprise comme une demande d’illustration de cas dans lesquels des décisions ont été rendues compte tenu d’une situation de crise donnée. Il   va de soi que la réponse sera négative si effectivement aucun cas pertinent n’a été enregistré, mais elle ne signifiera nullement que par principe, le juge exclut une telle influence des crises sur son office. Il convient donc, à notre sens, de comprendre les réponses enregistrées dans cette perspective-là.

Le traitement juridictionnel des mesures restrictives liées à la crise sanitaire du nouveau coronavirus révèle du reste des convergences jurisprudentielles. Dans cette conjoncture récente, les juridictions ont clairement tenu compte du contexte épidémiologique pour admettre la restriction des droits des personnes. Ce fut le cas en Albanie, en Angola,  en Belgique,  en France,  au Gabon, en Moldavie, en RDC, en Serbie et en Suisse. D’autres juges n’ont pas été confrontés à un contentieux issu de la crise sanitaire, mais ils admettent que celle-ci peut clairement justifier une limitation des droits : c’est le cas pour l’Algérie, le Cambodge, le Congo et le Mali. La justification des mesures restrictives s’appuie sur leur nécessité et sur leur caractère temporaire (Angola et Moldavie notamment).

Il est également  intéressant  de  relever  qu’à  l’inverse,  et  en  dépit  de  ces circonstances sanitaires exceptionnelles, certaines juridictions constitutionnelles ont tenu à affirmer la subsistance de leur contrôle. La crise ne les a ainsi pas dépossédées de leur pouvoir de régulation. La survivance du contrôle juridictionnel est affirmée dans les réponses albanaise, angolaise, belge, française, gabonaise, moldave, congolaise (RDC), serbe et suisse. Dans certains cas (Belgique), la limitation des libertés a été censurée.

La crise sanitaire a également donné lieu  à une adaptation des méthodes de travail des cours constitutionnelles, comme on devait s’y attendre. À l’instar des autres acteurs du monde du travail, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont été mobilisées (visioconférences notamment), et le travail à domicile a été favorisé. La question intéressante est toutefois celle de l’influence de ces méthodes de travail inédites sur la garantie des droits des personnes. Dans certains cas comme celui d’Andorre, du Congo ou du Canada, il a été clairement spécifié que les atteintes générées par ces nouvelles mesures étaient justifiées par le contexte, et ne sauraient donc être sanctionnées par les juges.

En définitive, en tentant de contextualiser les droits de l’homme, il apparaît que l’enjeu porte essentiellement sur la protection des droits culturels, généralement considérés comme les « parents pauvres » des droits de l’homme. Leur reconnaissance n’est pas toujours affirmée de façon à lever toute ambiguïté, ce qui ne rend pas leur interprétation aisée. Dans le même temps, ce sont eux qui sont les plus revendiqués pendant les périodes de crise comme nous en connaissons en ce moment.

Ainsi, pour les apprécier, le juge tient compte, nolens volens, d’un certain nombre de facteurs de temps ou de lieu pour remplir son office. Cependant, les cas jurisprudentiels, dans les pays en transition démocratique ne sont pas encore significatifs, en raison peut-être de la sensibilité de la question. Il en est ainsi notamment de la situation des minorités.

 

FIGURE.3

SOUS-THÈME 3 : Les droits de l’Homme en contexte : les circonstances exceptionnelles

Tableau récapitulatif des questions 2, 5, 6, 11, 12

Q2 : Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Q5 : La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Q6 : Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Q11 : Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Q12 : Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

 

 

Les droits de l’homme en contexte : droits de l’homme  et circonstances exceptionnelles

Pierre Nihoul, Président de la Cour constitutionnelle de Belgique

 

De manière générale, la Cour a tendance à s’inscrire dans une conception universaliste, et donc non relative, des droits de l’homme. Elle utilise toutes les sources internationales des droits de l’homme ratifiées par la Belgique, qu’elles soient européennes ou mondiales. La juridiction de la Cour constitutionnelle est évidemment limitée à la Belgique et aux situations juridiques qui peuvent y être rattachées. Dans ce champ, la Cour interprète et applique les droits de l’homme de manière uniforme, sans particularisme régional et sans faire de distinction en fonction de la nationalité de la personne en cause.

Les droits et libertés garantis par le Titre II de la Constitution belge datent, pour la plupart, de son origine, donc de 1830. Certains articles ont été ajoutés dans le Titre II par la suite et consacrent donc des droits et libertés reconnus plus récemment et dans une formulation plus contemporaine. Par un travail d’interprétation constant, la Cour constitutionnelle adapte la portée et le contenu des droits et libertés aux évolutions de la société, en s’appuyant également sur les textes internationaux et sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne. L’appréciation du respect des droits et libertés par la Cour constitutionnelle tient donc, à l’évidence, compte de la circonstance « temps ». En revanche, l’appréciation du respect des droits et libertés est la même pour toute la Belgique, il n’y a pas de différence selon le lieu.

Dans l’appréciation du respect des droits et libertés, quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par la Cour ? Les valeurs sociétales peuvent être appréhendées comme des valeurs à protéger. La protection de ces valeurs peut être considérée comme un objectif à poursuivre par le législateur, cet objectif devenant alors la base de la justification d’une ingérence dans un droit ou dans une liberté. Le raisonnement de la Cour étant centré sur l’objectif poursuivi et la constitutionnalité de la mesure querellée s’analysant à l’aune de cet objectif (pertinence et proportionnalité), les valeurs sociétales occupent, le cas échéant, un rôle central dans le raisonnement de la Cour.

Enfin, qu’en est-il de ce qu’il est convenu d’appeler « l’exception de l’identité nationale » ? La construction de l’Union européenne et l’intégration toujours plus poussée des législations des différents États membres entraîne un phénomène d’universalisation – à l’échelle de l’Union européenne – des standards du contrôle des droits fondamentaux. Face à ce phénomène, plusieurs juridictions constitutionnelles en Europe mobilisent, pour se  prémunir  contre  une  atteinte  jugée  trop  importante à la souveraineté nationale et aux valeurs que celle-ci entend protéger, le concept d’ « identité nationale ». La Cour constitutionnelle belge a fait référence à la notion d’identité dans  l’arrêt  n° 62/2016,  en  considérant que la disposition constitutionnelle qui autorise le transfert de pouvoirs déterminés à des institutions de droit international public et, notamment, aux institutions de l’Union européenne, « n’autorise en aucun cas qu’il soit porté une atteinte discriminatoire à l’identité nationale inhérente aux structures fondamentales, politiques et constitutionnelles ou aux valeurs fondamentales de la protection que la Constitution confère aux sujets de droit ». Cette incise n’a cependant pas été suivie d’effet concret. On pourrait peut-être y voir un indice de ce que la Cour pourrait, un jour à l’avenir, décider qu’un droit fondamental reconnu par la Constitution belge doit être interprété de manière particulière dans l’ordre constitutionnel belge, ce qui tendrait à rompre le caractère universel du  droit en question. Ceci n’est toutefois qu’une supposition et une hypothèse, rien ne permet d’affirmer à l’heure actuelle que la Cour s’engagera dans cette voie.

Le thème de cette table ronde aborde également la question des circonstances exceptionnelles.

Celles-ci peuvent d’abord être liées à des crises politiques, économiques et sociales. À cet égard, la Cour tient compte du contexte d’adoption    de la norme incriminée lors de son examen, de la pertinence et de la proportionnalité des ingérences dans les droits et libertés fondamentaux. Parmi d’autres éléments, le contexte de crise économique ou sociale est pris en considération. Ainsi, la Cour tient compte du risque de crise de l’emploi, de la crise de l’euro ou encore d’une crise sanitaire provoquée par la dioxine. Le contexte de crise économique dans lequel certaines mesures sont adoptées peut justifier une différence de traitement entre les habitants ou les acteurs économiques, selon qu’ils sont localisés dans une région plus durement touchée par la crise ou dans une région moins concernée.

La Cour tient compte également du contexte de crise politique, dite « crise communautaire » en Belgique, qui oppose les deux grandes communautés du pays. Certains arrêts de la Cour témoignent du fait que la Cour reconnaît le contexte de crise et adapte son contrôle, en vue de « sauvegarder les équilibres communautaires ».

Qu’en est-il également des conséquences de la crise sanitaire sur les méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ? Il n’est pas possible de répondre aujourd’hui de manière complète à  cette question. Étant donné les procédures et délais applicables à la Cour constitutionnelle, celle-ci n’a pas encore eu l’occasion de se pencher au fond sur les mesures prises au niveau législatif pour lutter contre la propagation de l’épidémie, mesures qui ont en effet occasionné des ingérences dans les droits et libertés fondamentaux.

À ce jour, la Cour a annulé une disposition qui excluait les personnes internées pour cause de maladie mentale du droit d’être entendues en personne par la juridiction compétente, jugeant que cette exclusion allait au-delà de ce qui est strictement nécessaire à la réalisation de l’objectif légitime de lutte contre la propagation de la maladie causée par le coronavirus, d’autres mesures moins radicales apparaissant possibles. Le contrôle mis en œuvre par la Cour dans cet arrêt est tout à fait classique par rapport aux techniques de contrôle qu’elle utilise régulièrement.

Par un autre arrêt, la Cour rejette un recours en annulation dirigé contre une disposition qui autorisait, de manière exceptionnelle, des personnes ne disposant pas d’un diplôme en art infirmier à accomplir certains actes relevant de cet art, en vue de soulager les praticiens et les services épuisés par la lutte contre la pandémie. Dans cet arrêt, la Cour met également en œuvre un contrôle classique sur la base du principe d’égalité et de non- discrimination, ainsi qu’un contrôle classique de standstill.

Enfin, par deux arrêts, la Cour rejette les demandes de suspension des mesures flamandes prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie au motif que les requérants ne démontrent pas que l’application de ces mesures, qui limitent certes leur liberté de circuler, leur causent un préjudice grave difficilement réparable. Et par un arrêt du 20 janvier 2022, la Cour rejette pour le même motif les demandes de suspension des actes donnant assentiment à l’accord de coopération du 27 septembre 2021 entre  les entités fédérées et l’autorité fédérale concernant le traitement des données liées au certificat COVID numérique de l’UE, le PLF et le traitement des données à caractère personnel des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants vivant ou résidant à l’étranger qui effectuent des activités en Belgique.

À cette occasion aussi, la Cour adopte un raisonnement habituel. Je vous remercie pour votre attention.


  • [1]
    Avec la collaboration d’Alioune SALL, professeur à l’Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR, membre de la Commission du droit  [Retour au contenu]

 

Le Sénégal à l’épreuve des circonstances exceptionnelles

Abdoulaye Sylla, Membre du Conseil constitutionnel du Sénégal

 

Les circonstances sont dites exceptionnelles lorsque, d’une part, surviennent ou risquent réellement de survenir des évènements graves menaçant, notamment, l’intégrité du territoire, le fonctionnement régulier des institutions ou des services publics, la sûreté des personnes et des biens, la santé publique, la sécurité des populations lors de catastrophes naturelles ou technologiques et que, d’autre part, ces situations de crise aigüe obligent les pouvoirs publics à prendre, dans un souci d’efficacité, des décisions qui portent atteinte à la légalité afin de sauvegarder l’intérêt général.

En effet, il est difficile de concilier une gestion efficace des circonstances exceptionnelles avec un strict respect des droits et libertés fondamentaux de la personne humaine.

Toutefois, ces atteintes à la légalité sont faites sous le contrôle du juge qui s’assure du caractère exceptionnel des circonstances, de la poursuite de l’intérêt général, du caractère adapté et proportionné des mesures prises aux nécessités du moment.

Ainsi, la théorie des circonstances exceptionnelles est, d’abord, essentiellement jurisprudentielle. Elle est, ensuite, prise en compte par le législateur qui opère une conciliation entre les nécessités d’une action administrative efficace et la jouissance de droits reconnus par la Constitution, sous la régulation du juge constitutionnel.

Au Sénégal, la puissance publique a géré des circonstances exceptionnelles en s’appuyant sur le droit positif, notamment l’article 69 de la Constitution et la loi n° 69-29 du 29 avril 1969 relative à l’état d’urgence, à l’état de siège et à la gestion des catastrophes naturelles ou sanitaires, modifiée par la loi n° 2021-18 du 19 janvier 2021 (A).

En ce qui le concerne, le Conseil constitutionnel a rarement eu à se prononcer sur les rapports entre les droits de l’Homme et les circonstances exceptionnelles (B).

 

I. La gestion des circonstances exceptionnelles par la puissance publique et les droits de l’homme

La puissance publique a géré des circonstances exceptionnelles avec, à chaque fois, une déclaration de l’état d’urgence et l’instauration du couvre- feu : en 1968 avec la grève estudiantine, en 1988 avec la contestation des résultats de l’élection présidentielle, en 1989 avec les tensions intercommunautaires de part et d’autre de la frontière avec la Mauritanie et en 2020 avec la propagation de la Covid-19.

Notre propos s’appuie, exclusivement, sur la gestion de la pandémie du fait de son actualité et de son impact économique et social. Des mesures ont été prises pour sauvegarder, notamment, des droits économiques et sociaux (1). Par contrecoup, des libertés fondamentales ont été limitées (2).

A. Des droits sauvegardés :

1. La protection du droit à la santé

La contagiosité de la Covid-19 est peu commune. Avec le virus historique, une personne atteinte par la maladie contamine 3 personnes, avec le variant Delta 6 personnes sont contaminées et avec le variant Omicron 10 personnes sont contaminées.

Considérant que le patient positif est contagieux deux jours avant l’apparition de ses symptômes et que la contagion se fait par contact rapproché avec une personne atteinte, la lutte contre la propagation du virus a nécessité la prise de mesures administratives énergiques visant à éviter tout contact étroit entre les personnes et à circonscrire les déplacements du virus qui est émis par le nez ou par la bouche du malade.

Ainsi, l’état d’urgence est déclaré par le président de la République sur l’étendue du territoire national le 23 mars 2020, assortie d’un couvre-feu de 20h à 6h (décret n° 2020-830 du 23 mars 2020).

Le ministre de l’Intérieur, par arrêté n° 007782 du 13 mars 2020, interdit provisoirement toutes les manifestations et tous les rassemblements de personnes dans les lieux ouverts ou clos.

La circulation interurbaine est également interdite et le port obligatoire du masque est prescrit. La jauge est introduite dans les transports publics. Des arrêtés préfectoraux définissent les jours et heures d’ouverture des magasins.

Les mesures prises prouvent leur efficacité en matière de protection de la santé publique : la propagation du virus est contenue et les résultats de la lutte contre la pandémie sont positivement appréciés par l’Organisation mondiale de la santé.

2. La protection de l’emploi et de l’entreprise

L’ordonnance n° 001-2020 du 8 avril 2020 portant mesures dérogatoires au licenciement et au chômage technique dispose en son article premier que, par dérogation aux dispositions pertinentes du Code du travail, « (…) dans les limites de temps de la loi d’habilitation n° 2020-13 du 2 avril 2020, tout licenciement autre que celui motivé par une faute lourde du travailleur est nul et de nul effet ».

L’ordonnance n° 002-2020 du 23 avril 2020 relative aux mesures fiscales en soutien aux entreprises dans le cadre de la pandémie de la Covid 19 prévoit une subvention directe aux entreprises impactées ainsi que des avantages fiscaux, pour autant que ces entreprises s’engagent, par écrit, à maintenir leurs travailleurs ou de payer plus de 70 % du salaire des employés mis en chômage technique pendant la durée de la pandémie.

B. Des droits éprouvés :

Si les actes posés par le Président de la République, le ministre de l’Intérieur et les autorités administratives déconcentrées ont permis de juguler la propagation du virus, ils ont également lourdement affecté des droits et libertés garantis par la Constitution.

  1. Des libertés affectées

Il s’agit, surtout, de la liberté d’aller et de venir ainsi que de la liberté de réunion qui sont limitées par le couvre-feu et par les arrêtés des autorités administratives déconcentrées.

Par conséquent, la liberté d’expression collective des opinions (liberté de manifestation) est également atteinte.

  1. Des droits-garanties limités

Il s’agit, principalement, du droit d’exercer librement son activité économique et du droit à l’éducation.

Dans un pays en développement, où la couverture du réseau Internet n’est pas intégrale et où seule une minorité de familles a un accès au réseau pour l’apprentissage à distance, la fermeture des écoles peut avoir un impact négatif pour les enfants appartenant à des familles modestes du fait du risque de décrochage scolaire.

Relativement aux entreprises, l’aménagement des horaires de travail et les mesures de distanciation sociale ont eu un impact négatif sur leurs activités, notamment en ce qui concerne l’hôtellerie, la restauration et les transports.

 

II. Le rôle du juge constitutionnel lors des circonstances exceptionnelles

Dans le contexte sénégalais, le rapport droits de l’Homme/circonstances exceptionnelles est rarement évoqué devant le prétoire du juge sauf à retenir une conception extensive de la notion de circonstances exceptionnelles. Dans certaines hypothèses, les droits de l’Homme sont sauvegardés par le juge constitutionnel (1), alors qu’en d’autres circonstances, ils sont plutôt éprouvés (2).

A. Des droits sauvegardés :

Les occasions dans lesquelles le Conseil constitutionnel est saisi de questions relatives aux droits de l’Homme en période de circonstances exceptionnelles sont rares. Néanmoins, répondant à une demande d’avis, le Conseil constitutionnel a eu à assurer l’effectivité du droit de vote dans des circonstances assez particulières. Il est intéressant de revenir sur le rôle du juge dans ce contexte.

Dans la décision n° 8/2017 du 26 juillet 2017, relative à une demande d’avis du Président de la République sur la possibilité pour les citoyens de pouvoir voter sans la carte d’identité biométrique CEDEAO qui sert de carte d’électeur également, le juge constitutionnel interprète le droit de vote qui est consacré par la Constitution en son article 3 alinéa 4 et réglementé par le Code électoral en son article L. 78 alinéa premier.

Le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur, en fixant les règles du déroulement du vote, a entendu permettre aux membres du bureau de vote de s’assurer de l’identité de l’électeur et de son inscription sur les listes électorales.

Il a poursuivi sa motivation en considérant qu’au regard des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se déroulait le processus électoral, notamment l’inscription massive des citoyens sur les listes électorales, les lenteurs et dysfonctionnements notés dans la distribution des cartes d’électeur ne sont pas imputables aux citoyens eux-mêmes ; que de nombreux citoyens jouissant de leurs droits civils et politiques, inscrits sur les listes électorales, risquaient d’être privés de leur droit de vote garanti par la Constitution.

Le Conseil constitutionnel aainsi considéré, qu’auregardde ces circonstances exceptionnelles, l’électeur détenteur d’un récépissé d’inscription, dont l’inscription effective sur les listes électorales a été vérifiée, peut être autorisé à voter si la carte d’identité nationale numérisée, la carte d’électeur numérisée, le passeport ou le document d’immatriculation permet de s’assurer de son identité.

Par une interprétation téléologique, le Conseil constitutionnel a ainsi assuré l’effectivité du droit de vote constitutionnellement consacré, malgré les obstacles assez dirimants non prévus par la loi électorale qui  le règlemente. En l’espèce, il ne s’agissait nullement pour le Conseil constitutionnel de réécrire la loi électorale ou d’y ajouter ; il s’est plutôt agi de donner, opportunément, le sens que doivent recouvrir les dispositions constitutionnelles relatives au droit de vote des citoyens, au regard des circonstances dans lesquelles devait se dérouler le processus électoral.

Il convient de préciser que si l’expression « circonstances exceptionnelles » est usitée par la juridiction constitutionnelle, elle ne procède, ici, que d’une interprétation extensive qui jure de facto avec sa définition stricto sensu.

 

B. Des droits éprouvés :

Dans certaines circonstances, il est préférable de restreindre la jouissance des droits constitutionnels des citoyens pour préserver l’intérêt général fortement menacé. Cela se traduit par des restrictions admises par le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2/C/2021, a admis qu’en raison des circonstances exceptionnelles, des restrictions aux droits de l’homme pourraient être admises. Dans cette affaire, les requérants faisaient prévaloir que l’article 90-16 de la loi modifiant le Code de procédure pénale violait le droit à la vie privée ainsi que le secret des correspondances et des communications. En effet, ils estimaient qu’en prévoyant une interception de données personnelles dans le cadre d’une procédure de surveillance, ladite disposition portait atteinte au respect de la vie privée prévu par l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et à l’article 13 de la Constitution relatif à l’inviolabilité du secret des correspondances et des communications.

Le juge constitutionnel, dans sa décision, a considéré qu’en dehors des droits intangibles, valables en tout temps et en toutes circonstances, comme l’interdiction de l’esclavage, le droit à la vie, l’interdiction des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide, l’interdiction de la torture, qui sont consacrés par les conventions internationales, les autres droits et libertés fondamentaux peuvent faire l’objet de restrictions, de dérogations ou de limitations par le législateur pour des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publique lorsqu’il s’agit, sans que cela soit limité à ces exemples, de parer « à un danger collectif ou de protéger des personnes en péril de mort » ou encore pour « protéger la jeunesse en danger ».

Sans nul doute, les expressions « un danger collectif », « des personnes en péril de mort » ou encore « la jeunesse en danger », peuvent entrer dans le champ des circonstances exceptionnelles. Mais de toute évidence, il appartiendra à la puissance publique d’en décider sous le contrôle du juge, le cas échéant.

Il apparaît ainsi que, usant du droit positif, la puissance publique s’est efforcée, par une approche systémique, de combiner les mesures strictes pour limiter la propagation de la pandémie avec un programme de résilience économique et sociale afin de lutter efficacement contre la Covid-19. Les tensions entre les droits de l’Homme et ces mesures ont, cependant, été très vives. Toutefois, les actes pris n’ont pas engendré une rébellion comme cela a été constaté dans certains pays.

En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, les dérogations admises contribuent à l’efficacité de la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées.

Au total, malgré les aménagements apportés par la révision constitutionnelle de 2016 (loi n° 2016-10 du 5 avril 2016 portant révision de la Constitution) qui facilite la saisine du Conseil constitutionnel pour une violation alléguée des droits de l’Homme soulevée par une des parties au procès, en dépit des activités de vulgarisation du Conseil constitutionnel relatives à sa saisine par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, le contentieux portant sur la violation des droits et libertés n’est pas suffisamment développé au Sénégal.

 

Allocution de Larba Yarga

Membre du Conseil constitutionnel du Burkina Faso

 

Le choix de ce sous-thème répond au souci de voir comment les droits de l’Homme sont mis en œuvre dans le contexte d’insécurité qui caractérise la situation des pays du Sahel, en particulier celle du Burkina Faso.

Introduction

Pour définir la notion d’insécurité, nous avons eu recours au dictionnaire du français « Le Robert & Clé International » ; il ressort que « l’insécurité est la situation dans laquelle on se sent exposé au danger, aux agressions »[1].

Par droits de l’Homme nous entendons tous les droits et libertés fondamentaux qui appartiennent à chaque personne humaine, de la naissance à la mort et qui reposent sur des valeurs communes que sont entre autres la dignité, l’équité, l’égalité, le respect et l’indépendance.

La situation d’insécurité peut résulter d’un conflit armé, d’une menace terroriste, d’une pandémie sanitaire ou de catastrophes naturelles. Qu’elles résultent d’affrontements armés, d’activités criminelles, de troubles sociaux ou du déni des droits économiques et sociaux les plus fondamentaux, les situations d’insécurité sont invariablement caractérisées par des atteintes aux droits de l’homme et des discriminations systématiques au détriment de la personne humaine.

La lutte contre l’insécurité et le respect des droits de l’homme ne font pas toujours bon ménage. Faut-il sacrifier les droits de l’homme pour restaurer la sécurité des personnes et des biens ? La question du respect des droits de l’homme en période d’insécurité est ainsi posée.

Quand on parle d’insécurité, nous avons tendance à ne considérer que l’insécurité qui conduit à porter atteinte à l’intégrité physique des personnes.

Cependant, nous pensons qu’il faut élargir cette façon de voir et considérer que l’insécurité peut être aussi physique, alimentaire, sanitaire, routière… pour ne citer que ces aspects. En effet, avec l’insécurité due au terrorisme, tout comme celle due à la Covid-19, l’impact sur beaucoup de secteurs de la vie courante est réel et les répercussions sur les droits de l’Homme sont significatives.

C’est pourquoi Julie Prudence NIGNAN/SOMDA et Julie OUEDRAOGO/OUEDRAOGO, traitant du contexte sécuritaire au Burkina Faso, ont écrit : « la mise en œuvre des recommandations de l’EPU[2] est aujourd’hui rendue difficile au regard du contexte d’insécurité que connaît le Burkina Faso depuis quelques années. En effet, le secteur sécuritaire devient avec juste raison le secteur prioritaire pour le gouvernement, car dans un environnement d’insécurité marqué par le terrorisme, aucun développement n’est possible. L’insécurité remet en cause certains acquis notamment dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’alimentation, du logement (…) »[3].

Il convient de rappeler que le Burkina Faso est passé trois fois devant le Conseil des Droits de l’Homme (CDH/ONU), à savoir le 9 décembre 2008, le 22 avril 2013 et en novembre 2018. À l’issue du deuxième passage en 2013 devant le CDH/ONU, 165 recommandations ont été faites au Burkina Faso dont 138 acceptées et 27 refusées. Dans les recommandations acceptées et regroupées en 5 thématiques, deux thématiques retiennent l’attention, en l’occurrence l’amélioration des droits à la santé et à l’éducation, d’une part,  et l’amélioration du droit à un niveau de vie suffisant, d’autre part247[4].

Il apparaît que l’insécurité du fait du terrorisme[5] impacte négativement l’exercice des droits de l’Homme dans de nombreux secteurs de la vie économique, sociale et politique des États où elle prévaut (I).

De même, la pandémie de Covid-19 a d’importantes répercussions sur la mise en œuvre des droits de l’Homme tant ses impacts socio-économiques sont désastreux (II).

 

I – L’exercice des droits de l’Homme dans un contexte d’insécurité du fait du terrorisme

Les États du Sahel sont victimes d’attaques terroristes depuis près d’une dizaine d’années pour certains d’entre eux et pour le Burkina Faso depuis janvier 2016. Cette situation a créé une insécurité presque sur toute l’étendue du territoire national, au point d’impacter négativement beaucoup de secteurs d’activités. Au titre des secteurs d’activités, nous citerons entre autres les secteurs socio-économiques, notamment les transports, le tourisme et la culture, l’agriculture et l’élevage, les infrastructures, la santé, l’éducation, etc.

Dans le cadre des consultations électorales, le Burkina Faso  a organisé le 22 novembre 2020 des élections couplées présidentielle et législatives ; mais là encore, l’impact de l’insécurité due au terrorisme s’est avéré réel. Nous verrons dans les développements ci-dessous, les droits de l’Homme dans   les secteurs socio-économiques et éducatifs dans un contexte d’insécurité (A) ensuite les droits de l’Homme en matière électorale dans un contexte d’insécurité (B).

A. Les droits de l’Homme dans les secteurs socio-économiques et éducatifs dans un contexte d’insécurité

Au plan socio-économique, l’insécurité « plombe » les activités dans les différents secteurs socio-économiques. Ainsi les marchés des villages visités par les terroristes font l’objet de pillages, d’incendie des hangars et boutiques. Les buvettes où sont servies des boissons alcoolisées sont les premières cibles des terroristes.

Lorsque sur les voies de communication des engins explosifs sont enterrés sur les routes, le nombre de victimes enregistrées suscite la méfiance et les populations se retiennent des déplacements entre localités, toute chose qui a un impact négatif sur la circulation des personnes et des biens[6].

Les compagnies de transport subissent des pertes et sont obligées de cesser la desserte de certaines villes urbaines[7].

Au regard des exactions, des incendies de greniers de céréales, des vols de troupeaux et de la cessation des activités des compagnies de transports, beaucoup de libertés, notamment celle du commerce, celle d’aller et venir, la liberté de faire du tourisme, ne peuvent être exercées de manière effective et sûre.

Le droit à l’alimentation devient précaire, sinon inexistant pour les personnes déplacées internes[8] (PDI) qui ont fui leurs villages du fait de l’insécurité.

Le secteur éducatif est très impacté par l’insécurité ambiante que vivent les populations burkinabé[9]. En janvier 2022, 205 établissements scolaires ont été ré-ouverts dans les localités reprises par l’État et ce sont 39 812 élèves et 1099 enseignants qui ont été remis en service. Vingt-cinq établissements ont été délocalisés pour les personnes déplacées internes (DPI) et 15 981 élèves ont pu être réinscrits253[10].

En terme de négation du droit à l’éducation, il y a des promotions entières d’élèves dont les études sont compromises du fait de cette insécurité. Cette situation va se répercuter sur de nombreuses générations d’enfants puisque la reconstruction des infrastructures éducatives ne pourra pas être faite au même moment, et partout, une fois que la situation sera redevenue normale.

Le contexte d’insécurité que vivent les populations de l’espace sahélien est très douloureux. Les terroristes mettent à rude épreuve les droits des citoyens innocents. Le droit à la vie, la liberté de religion, le droit à la sécurité, le droit à l’éducation, le droit de propriété… ne sont plus assurés sur toute l’étendue du territoire dans nos pays.

La Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) du Burkina Faso a publié son « Rapport sur la situation des droits humains au Burkina Faso » pour 2019/2020. Il s’agit d’une « synthèse des constatations faites par la Commission » durant cette période. S’agissant de la situation des droits humains dans le contexte sécuritaire, il ressort que la jouissance des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux et culturels ou encore des droits catégoriels a été affectée par la détérioration de la situation sécuritaire. La CNDH a aussi relevé l’impact sur les services publics et sur les activités économiques, en termes de dysfonctionnements des services et de perturbation des activités économiques[11]. La CNDH en a tiré huit recommandations à l’attention des pouvoirs publics, parmi lesquelles :

  • Celles relatives à la situation des droits humains dans le contexte sécuritaire ;
  • Celles portant sur la situation des personnes déplacées internes (PDI) ;
  • Celles relatives à la situation des personnes privées de liberté ;

Celles relatives aux droits catégoriels (droits de la femme, droits de l’enfant, droits des personnes handicapées)…

B. Les droits de l’Homme en matière électorale dans un contexte d’insécurité

L’article 13 de la Constitution du Burkina Faso dispose que « Les partis et formations politiques se créent librement. Ils concourent à l’animation de la vie politique, à l’information et à l’éducation du peuple ainsi qu’à l’expression du suffrage (…) ».

Il ne serait pas exagéré de déduire que les partis et formations politiques sont investis de missions de service public au bénéfice de peuple. De ce fait, ils présentent, périodiquement, des candidats aux différentes consultations électorales, aident à l’information et à la formation des électeurs en vue de leur contribution à l’expression du suffrage.

Les citoyens doivent pouvoir exercer leurs droits électoraux lors des consultations électorales, à commencer par leur enrôlement sur les listes électorales, leur participation aux campagnes électorales et exprimer leur vote le jour du scrutin.

Au titre des opérations préparatoires aux scrutins, l’enrôlement des électeurs et la campagne électorale constituent des étapes importantes. Dans la phase d’enrôlement des électeurs pour le double scrutin présidentiel et législatif du 22 novembre 2020, il est apparu que, du fait de l’insécurité qui prévalait dans certaines localités de plusieurs circonscriptions électorales du Burkina Faso, il a été difficile, voire impossible, d’effectuer l’enrôlement des électeurs ou de l’achever là où l’opération a été entamée. Ainsi, lorsqu’ils ne menaçaient de mort les agents des équipes d’enrôlement, les terroristes (encore appelés porteurs d’armes non étatiques) retirent les kits servant aux enrôlements soit pour les détruire aussitôt soit pour en exploiter le contenu. Dans cette dernière hypothèse, ils s’approprient des données sur les citoyens qui ont pu être enrôlés, ce qui constitue aussi une source d’insécurité. Dans certaines localités, ils ont menacé de couper les doigts des citoyens dont les doigts viendraient à porter des traces d’encre indélébile, preuve qu’ils ont accompli leurs devoirs civiques.

Il s’est aussi avéré que certaines circonscriptions administratives étaient inaccessibles tant pour les enrôlements que pour les campagnes électorales et les votes. En effet, quand les voies d’accès sont minées, en plus des embuscades que tendent les terroristes, il n’est pas indiqué de s’aventurer dans ces localités du pays.

Devant de telles menaces, des conseillers municipaux ont demandé à la Commission électorale Nationale Indépendante (CENI) et à ses démembrements de ne pas tenter d’implanter des bureaux de vote dans leurs villages.

Le Code électoral révisé, en son article 50, dispose que « Les listes électorales sont biométriques et permanentes. Elles font l’objet d’une révision annuelle par la Commission électorale Nationale Indépendante (CENI) (…) ». « Toutefois, en cas de force majeure ou de circonstance exceptionnelle dûment constatée par le Conseil constitutionnel sur saisine du Président du Faso, après rapport circonstancié de la CENI, pour ce qui concerne les élections présidentielle et législatives (…), entrainant l’impossibilité de réaliser ou d’achever les opérations d’enrôlement des électeurs sur une partie du territoire national ou à l’extérieur, l’élection est faite sur la base des personnes déjà enrôlées dans la liste définitive ».

Cette disposition de l’article 50 a été mise en œuvre suite à la saisine du Conseil constitutionnel par lettre n° 2020-381/PF du 19 octobre 2020 du Président du Faso aux fins de « constater l’impossibilité de réaliser ou d’achever les opérations d’enrôlement des électeurs sur une partie du territoire national, en vue des élections couplées du 22 novembre 2020 »[12]. Le Conseil constitutionnel a statué le 24 octobre 2020.

Les citoyens des localités concernées se sont retrouvés dans l’impossibilité d’exercer leur droit de vote.

Au titre des opérations préparatoires au scrutin, il y a la campagne électorale qui met en compétition tous les candidats au scrutin présidentiel comme aux scrutins législatifs. Dans cette phase qui précède le jour du vote, les candidats courent le risque d’être enlevés ou même tués. On se souviendra du scrutin présidentiel organisé en République du Mali en 2018 où le regretté Soumaïla CISSE, candidat au scrutin présidentiel, a été enlevé par des groupes terroristes et détenu jusqu’après la tenue du scrutin.

Les activités que doivent mener les juridictions constitutionnelles peuvent aussi être impactées par l’insécurité. Les exemples du Burkina Faso et de la République centrafricaine illustrent suffisamment cette éventualité. Il s’agit par exemple des activités de contrôle du scrutin à travers le territoire national.

Au Burkina Faso, le Président du Conseil constitutionnel a nommé des coordonnateurs régionaux et des délégués chargés du contrôle des scrutins couplés du 22 novembre 2020. Soucieux de ne pas mettre en danger la vie des membres des équipes dans les localités où le terrorisme sévit, le Président a instruit les coordonnateurs régionaux et leurs délégués de ne pas s’aventurer dans les provinces si celles-ci sont inaccessibles.

La liberté d’aller et venir des équipes de contrôle du Conseil constitutionnel n’étant pas totale, certaines d’elles se sont donc limitées aux chefs-lieux de région pour accomplir leur mission. Dès lors peut-on dire que le Conseil a été en mesure d’apprécier la réalité du terrain le jour des scrutins dans toutes les régions ? Assurément non puisqu’il en a été empêché pour cas de force majeure.

S’agissant de la force majeure, le Code électoral du Burkina Faso, en ses articles 148 alinéa 2, et 155 alinéa 2, contient les dispositions permettant au Conseil constitutionnel de constater la situation qui prévaut pour éviter le blocage des scrutins et des résultats. En application de ces dispositions, le Conseil, saisi le 10 décembre 2020 par le Président du Faso[13], a rendu la décision n° 2020-002/CC/EC du 13 décembre 2020 « aux fins de constater la force majeure entrainant l’impossibilité d’organiser les élections couplées du 22 novembre 2020 sur une partie du territoire national ».

Il ressort de l’examen des résultats du scrutin législatif proclamés le 20 décembre 2020 que dans les zones affectées par le terrorisme, tous les citoyens n’ont pas pu exercer leur droit de vote, c’est-à-dire que le droit d’être électeur et éligible aux scrutins a été sérieusement affecté. En effet, dans l’une des circonscriptions, un député a été élu avec un millier de voix alors qu’ailleurs le quotient électoral se situait aux environs de 40 000 voix.

 

II – Les droits de l’Homme dans le contexte d’insécurité sanitaire du fait de la pandémie de Covid-19

La pandémie de Covid-19 que vivent les populations du monde en général, particulièrement celles du Sahel, depuis 2019 n’est pas sans conséquence sur l’exercice des droits de l’homme par celles-ci. Il en va ainsi des secteurs de l’éducation, de la santé, des transports, des activités culturelles et touristiques, entre autres. Dans les lignes qui suivront nous traiterons des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment les libertés essentielles (A) et des restrictions apportées à ces droits de l’Homme (B).

A. Les libertés essentielles en période d’insécurité sanitaire

1. Les libertés d’aller et venir et la distanciation des rapports sociaux

L’avènement de la Covid-19 a été l’occasion de nombreuses atteintes aux libertés et droits fondamentaux. À titre illustratif, la presse a relayé les informations relatives au joueur de tennis Novak Djokovic qui devait prendre part à une compétition en janvier 2022 en Australie. Au regard de ses prises de position sur le vaccin contre la pandémie, le gouvernement australien lui a dénié le droit de séjourner en Australie ; par la suite la justice a décidé du retrait de son visa d’entrée en Australie. Ne faut-il pas voir là une atteinte aux libertés et droits fondamentaux, en particulier la liberté d’aller et venir ?

En mi-janvier 2022, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) aurait recommandé que les gouvernements lèvent les restrictions imposées du fait de la Covid-19 pour permettre aux gens de se déplacer.

2. Le transport inter urbain a été lourdement impacté par la pandémie de Covid-19, d’une part du fait de la suspension administrative des déplacements entre localités et, d’autre part, du fait des mesures barrières à respecter et faire respecter dans les gares routières, ferroviaires et dans les aéroports pour les déplacements aériens.

En effet, au plus fort de la pandémie, le transport des personnes a été suspendu avec toutes les conséquences négatives ; des voyageurs surpris en cours de déplacement ont dû attendre des jours durant dans les gares sans avoir atteint leur destination. Les responsables des compagnies de transport ont eu à gérer ces situations imprévues en assurant aux passagers ainsi « piégés » de quoi assurer leur subsistance et en les abritant dans l’enceinte des gares routières.

S’agissant des transports aériens, nous nous souviendrons de l’annulation des vols en direction de certains pays réputés être atteints par la pandémie de Covid-19[14].

En termes de relations humaines, la suspension des visites aux amis ou aux parents a été difficile pour les populations en Afrique ; en Occident, les décisions sur le confinement ont soit isolé des personnes, soit permis à des couples de rester ensemble et parfois avec des désagréments comme des disputes dues à la monotonie. Bref il s’agit là des inconvénients auxquels il fallait s’attendre.

Qu’il s’agisse de transports routiers ou aériens, les conséquences au plan économique ont été désastreuses, aussi bien pour les États que pour les sociétés et les compagnies de transports.

L’impact sur les activités économiques, en Afrique en général et au Burkina Faso en particulier, a été réel puisque les autorités administratives ont adopté des règlementations sur l’accès aux lieux de commerce, avec par endroits la fermeture des marchés et yaars[15]. Face à ces mesures, les commerçants du secteur informel, dont beaucoup vivent au jour le jour, ont fini par protester et même menacé de manifester violemment. Il a donc fallu alléger les mesures administratives pour éviter les dérives qu’entraîneront les manifestations.

B. Les droits de l’Homme dans un contexte d’insécurité sanitaire

La pandémie de Covid-19 a été à l’origine de nombreux problèmes. Elle a permis de mettre au goût du jour la question relative à l’équilibre entre la réponse à un danger et la préservation des droits de l’Homme et des libertés garantis dans le cadre d’un État de droit.

Au Burkina Faso, une « Étude d’impacts socio-économiques de la Covid-19 »[16], réalisée en mars 2021, a permis de faire l’état des lieux de la situation économique et sociale sur la période 2016 à 2019. Elle a fait ressortir entre autres, en sa Section 5, l’impact de la Covid-19 « sur le secteur éducation, formation et recherche ».

Au titre de ce secteur, les effets de la Covid-19 ont été ressentis sur :

    1. l’accès à l’éducation, à la formation professionnelle et à l’enseignement supérieur ; ces effets ont concerné les établissements d’enseignement et centres de formation professionnelle qui ont dû être fermés, entraînant l’interruption des activités pédagogiques[17] sur toute l’étendue du territoire national ; Pour l’année scolaire 2019/2020, ont été concernés 4 706 453 élèves/apprenants du formel, 116 158 apprenants de l’éducation non formelle (ENF), 86 105 enseignants formateurs, 19 785 personnels administratifs, d’encadrement et de Pour les Centres de formation professionnelle, la fermeture a concerné 3 Centres de formation professionnelle spécifique, 13 Centres régionaux de formation professionnelle, 12 Centres provinciaux et des Centres privés de formation (cf. Étude d’impacts, page 81).
    2. la qualité de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur ; les mesures de fermeture ci-dessus évoquées ont impacté la qualité de l’éducation avec entre autres, la suspension des voyages d’études à l’extérieur, la difficulté d’obtenir des stages pratiques dans les entreprises et ateliers, la suspension de sorties d’encadrement et de suivi des
    3. Au niveau de l’enseignement supérieur, il y a eu une perte de temps dans l’enseignement et dans les évaluations avec pour conséquences un accroissement du retard, sinon un décalage de l’année académique.

Les services sociaux fournis aux élèves, apprenants et étudiants ; la crise sanitaire a eu des répercussions négatives sur la disponibilité des services sociaux fournis aux étudiants, leur réduction ou leur suppression pure et simple. C’est le cas des consultations médicales passées de 37 % à 9 %, les plats servis dans les restaurants universitaires prévus à hauteur de 8 881 581 n’ont été servis qu’à 1,26 %. Les confinements dans les cités ont engendré, par moment, des tensions entre étudiants[18].

  1. la recherche scientifique, l’innovation et la valorisation des résultats : les effets négatifs ont été ressentis sur la programmation des activités de recherche scientifique, d’innovation et de valorisation des résultats mais également sur le financement de ces activités.

Cependant il faut reconnaître qu’en dépit des effets négatifs, comme on dit couramment, à quelque chose malheur est bon. La pandémie a eu des côtés positifs en ce sens qu’elle a permis :

  • une plus grande prise de conscience, la reconnaissance, l’affirmation de l’importance et de la visibilité de la recherche scientifique et de l’innovation ;
  • une reconsidération et une prise en compte plus accrue de la médecine traditionnelle (encore appelée pharmacopée). Elle a donné l’occasion de générer des technologies, d’inventer des équipements et des innovations afin de contribuer à la lutte contre ce fléau.

Au plan économique, le secteur du coton est l’un des secteurs les plus importants de l’économie du Burkina Faso. En effet, l’industrie cotonnière implique, directement ou indirectement, environ 54 % de la main d’œuvre. Certes la région de l’Ouest où est produit l’essentiel du coton n’a pas été très touchée par la pandémie de la Covid-19 mais la fermeture des frontières du fait de la pandémie a eu un impact négatif sur les revenus d’exportation du coton et, partant, sur l’enrichissement des producteurs de coton.

Toujours au plan économique, près de 80 % de la population burkinabé est employée dans l’économie alimentaire et en touchant ce secteur, la pandémie de la Covid-19 a affecté la sécurité alimentaire. La FAO a estimé que la sécurité alimentaire a pu être affectée de plusieurs manières, à savoir par la réduction de la production agricole, la perturbation des chaînes d’approvisionnement alimentaire, la réduction du pouvoir d’achat des ménages et par conséquent la réduction de leur accès à la nourriture.

La fermeture des marchés a été plus catastrophique pour les denrées périssables que sont les légumes, comparativement aux tubercules et aux céréales (maïs, sorgho, millet, haricot..). Il est donc évident que le droit à l’alimentation n’a pas été épargné par la pandémie de Covid-19.

La décision n° 2020-799/DCC, rendue par le Conseil constitutionnel français le 26 mars 2020, au sujet de la loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, illustre la préoccupation des dirigeants pour la période considérée.

Analysant cette décision, Jean Philippe DEROSIER et Emmanuel CARTIER affirment : « Au regard des droits et libertés, cette décision vient confirmer que cette loi n’a pas d’autre objectif que de permettre une facilité procédurale, sans nullement remettre en cause l’exercice d’un recours QPC ni même la possibilité que des décisions QPC soient rendues au cours de la période considérée (…) »[19].

Selon les auteurs de cette chronique, au plan de la procédure parlementaire, la décision du Conseil constitutionnel français « valide une inconstitutionnalité » au regard « des circonstances particulières de l’espèce » ; en effet, dans le contexte d’urgence, il est fait dérogation au délai de quinze jours consacré par l’article 46, alinéa 2, de la Constitution, entre le dépôt d’une loi et son examen en séance plénière par une chambre parlementaire.

Sur le continent africain, beaucoup de dirigeants ont pris la décision de mettre entre parenthèses – au ralenti – plusieurs secteurs de la vie économique dans le but de pouvoir assurer la protection des citoyens de leurs États. Le Burkina Faso n’a pas échappé à cette façon de faire.

Analysant la situation des droits humains dans le contexte de la Covid-19 au Burkina Faso, la CNDH a fait des recommandations. Elle a préconisé entre autres mesures :

  • d’adopter le nouveau Code de santé publique qui prévoit des dispositions à l’état d’urgence sanitaire ;
  • de prendre en compte l’administration pénitentiaire et les acteurs des droits humains dans la composition du Comité national de gestion des épidémies ;
  • de renforcer les actions d’information, de formation et de sensibilisation des populations sur la prévention de la Covid-19.

 

Conclusion

Le contexte d’insécurité que vivent les populations de l’espace sahélien est très douloureux. Les terroristes mettent à rude épreuve les droits des citoyens innocents. Le droit à la vie, la liberté de pratiquer sa religion[20], le droit à la sécurité, le droit à l’éducation, le droit de propriété… ne sont plus assurés partout dans nos pays.

Relativement à l’accès des populations aux services publics, l’Association Burkinabè des Administrateurs Civils a organisé une conférence le 14 mai 2022 à Ouagadougou ; il s’est agi pour cette structure de faire le point de la situation en cette période de crise sécuritaire qui dure depuis près de sept ans et de faire des suggestions au Gouvernement.

Il ressort que dans nombre de circonscriptions territoriales, beaucoup de services publics ne sont plus fonctionnels du fait de l’insécurité. Dès lors l’accès des populations aux services publics n’est plus possible. À titre d’illustration, dans la commune de Bilanga (province de la Gnagna, Région de l’Est), les locaux de la gendarmerie nationale, de la police nationale et la mairie ont été attaqués et incendiés le 24 mars 2022 par des terroristes lourdement armés. Par la suite, ils sont revenus le 14 avril 2022 et se sont attaqués aux locaux de la préfecture.

Certes les services de santé sont épargnés mais les agents qui y servent, traumatisés et n’ayant aucune garantie pour leur sécurité, ont dû déserter la commune de Bilanga. Après ces passages il va sans dire qu’aucune administration n’est fonctionnelle et les droits auxquels pouvaient prétendre les populations sont totalement inexistants.

Il est plus compréhensible que la restriction des droits de l’homme procède du cadre légal au lieu d’être le fait de groupes armés non étatiques. Dans un cadre légal, toute personne poursuivie en justice conserve au moins certains droits qui doivent être respectés jusqu’à sa condamnation. C’est le droit à un procès équitable, le droit à la défense, le droit à la présomption d’innocence….

Les restrictions judiciaires aux droits de l’homme ne concernent que les personnes fautives et ne sont jamais générales. Elles sont spéciales. Ces restrictions sont motivées par le désir de restaurer l’ordre, la sécurité des citoyens et même la bonne jouissance des droits de l’homme par tous de manière équitable. S’agissant des personnes condamnées en justice, elles ont des droits qui sont restreints mais elles ne sont pas privées de tous leurs droits.

Dans le contexte d’insécurité, beaucoup de victimes n’ont pas eu droit à un procès ; elles ont fait l’objet d’exécutions sommaires de la part des membres des groupes armés non étatiques.

Dans la lutte contre l’insécurité menée par les forces de défense et de sécurité, le respect des droits de l’homme s’accommode mal avec le souhait d’être efficace tout en préservant les droits de l’homme. C’est pourquoi il est parfois déploré des dégâts collatéraux dont les mouvements de défense des droits de l’homme rendent souvent compte.

 

Bibliographie sommaire

  1. Julie Prudence NIGNAN/SOMDA et Julie Rose OUEDRAOGO/ OUEDRAOGO : Le contrôle international des droits humains, l’expérience du Burkina Faso, Téminiyis Editions, Ouagadougou 2021, 150 pages ;
  2. Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) : Rapport sur la situation des droits humains au Burkina Faso 2019 – 2020 ;
  3. Loi n° 012- 2014/AN portant loi d’orientation relative à la prévention et à la gestion des risques, des crises humanitaires et des catastrophes au Burkina Faso ;
  4. Ministère de l’Économie, des Finances et du Développement : Étude d’impacts socio-économiques de la Covid-19 au Burkina Faso (avec l’appui technique et financier du Système des Nations Unies), Ouagadougou, mars 2021 ;
  5. Recueil des décisions du Conseil constitutionnel du Burkina Faso (élections couplées présidentielle et législatives du 29 novembre 2015 et du 22 novembre 2020) ;
  6. Rapport général des élections couplées présidentielle/législatives du 29 novembre 2015 au Burkina Faso ;
  7. Rapport général des élections couplées présidentielle et législatives du 22 novembre 2020 au Burina Faso ;
  8. Décisions des Juridictions constitutionnelles de France, du Niger et de Madagascar ;
  9. Articles de doctrine.

  • [1]
    Rey-Debove (dir.), Le Robert & Clé International, dictionnaire du français, édition Novembre 2004, p. 537  [Retour au contenu]
  • [2]
    En matière de droits de l’Homme, les États doivent passer périodiquement devant le Conseil des Droits de l’Homme pour l’Examen Périodique Universel (EPU) et devant les Organes des Traités (OT).)  [Retour au contenu]
  • [3]
    J. P. Nignan/Somda et J. R. Ouedraogo/Ouedraogo, Le contrôle international des droits humains : l’expérience du Burkina Faso, Téminiyis Editions, Ouagadougou 2021, p. 109.  [Retour au contenu]
  • [4]
    J. P. Nignan/Somda et J. R. Ouedraogo/Ouedraogo, Le contrôle international des droits humains, op. cit., p. 82 et 83.  [Retour au contenu]
  • [5]
    « L’insécurité au Burkina Faso, comment conduire des réponses humanitaires adéquates aux populations touchées ? », Conférence publique prononcée le samedi 21 Mai 2022 à Ouagadougou par le Colonel Auguste Denise Selon le conférencier, jusque-là il n’y a pas de consensus sur la définition du mot « terrorisme », seul « l’acte terroriste » est défini.  [Retour au contenu]
  • [6]
    La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est donné comme objectif, entre autres, de faciliter la circulation des biens et des personnes. Malheureusement la mise en œuvre des textes en la matière connaît des insuffisances. Si à cela s’ajoute l’insécurité dans certains États membres de cette Organisation sous-régionale, il n’est pas besoin de dire que les acquis en matière de développement seront anéantis.  [Retour au contenu]
  • [7]
    C’est cas dans les provinces du Soum et de la Tapoa (situées respectivement au Nord et à l’est du Burkina Faso), où des compagnies de transport, qui subissaient des contrôles intempestifs de leurs passagers, ont dû cesser toute activité. Au Chef lieu de la Tapoa, l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) et la Société nationale burkinabé d’électricité (SONABEL) ont dû fermer leurs guichets suite à la fermeture des agences locales de Banques (UBA, SGBF, ECOBANK) et de la Caisse populaire d’épargne.  [Retour au contenu]
  • [8]
    CÀ la notion de « Réfugié » (employée en droit humanitaire) s’ajoute désormais celle de « Personne Déplacée Interne » (PDI).  [Retour au contenu]
  • [9]
    Selon le Conseil des Ministres du 5 janvier 2022, au total 3 280 écoles ont été fermées du fait de l’insécurité soit 13,09 % de l’ensemble des structures éducatives ; il en résulte que 511 221 élèves ont été affectés et 14 901 enseignants  [Retour au contenu]
  • [10]
    Cf. l’Express du Faso numéro 5658 du Jeudi 6 janvier 2022, p. 3.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Cf. pages 41, 53 et suivantes.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Décision n° 2020-001/CC/EC du 24 novembre 2020 rendue sur requête du Président du Faso aux fins de constater l’impossibilité de réaliser ou d’achever les opérations d’enrôlement des électeurs sur une partie du territoire national, en vue des élections couplées du 22 novembre 2020.  [Retour au contenu]
  • [13]
    CF. lettre n° 2020-408/PF du Président du Faso en date du 10 décembre 2020, reçue et enregistrée au greffe du Conseil constitutionnel, à la même date, sous le numéro 002. Dans le dispositif de la décision n° 2020-002/CC/EC du 13 décembre 2020, le Conseil a constaté « l’existence de cas de force majeure dans la partie du territoire national où les élections n’ont pu se tenir » (article 1) ; il a ensuite décidé que « les élections couplées présidentielle et législatives du 22 novembre 2020 sont validées sur la base des résultats issus des votes dans la partie du territoire national non affectée par la force majeure » (article 2).  [Retour au contenu]
  • [14]
    Entre autres pays, l’Afrique du Sud a été victime de ces mesures lorsqu’il a été question de variant du Covid-19.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Le terme « Yaar » en langue mooré désigne des marchés informels non reconnus où des activités économiques sont exercées périodiquement et de manière tournante en différents quartiers d’une ville  [Retour au contenu]
  • [16]
    Ministère de l’Économie, des Finances et du Développement : Étude d’impacts socio-économiques de la Covid-19 au Burkina Faso (avec l’appui technique et financier du Système des Nations Unies), Ouagadougou, Mars 2021.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Pour l’année scolaire 2019/2020, ont été concernés 4 706 453 élèves/apprenants du formel, 116 158 apprenants de l’éducation non formelle (ENF), 86 105 enseignants formateurs, 19 785 personnels administratifs, d’encadrement et de soutien. Pour les Centres de formation professionnelle, la fermeture a concerné 3 Centres de formation professionnelle spécifique, 13 Centres régionaux de formation professionnelle, 12 Centres provinciaux et des Centres privés de formation (cf. Étude d’impacts, page 81).
    S’agissant des Établissements d’enseignement supérieur et des Universités, leur fermeture sur toute l’étendue du territoire a limité la réalisation de nombreuses activités pédagogiques pour 151 305 étudiants aussi bien du public que du privé (cf. Étude d’impacts, page 82).  [Retour au contenu]
  • [18]
    Cf. Étude d’impacts socio-économiques, op. cit., page 83.  [Retour au contenu]
  • [19]
    CF. J.-Ph. Derosier et E. Cartier, Chronique de droits fondamentaux et libertés publiques (janvier 2020 à juin 2020), in Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 5, Octobre 2020  [Retour au contenu]
  • [20]
    Des lieux de prières (églises comme mosquées) ont été investis et des fidèles venus prier ont été assassinés ou, au mieux, enlevés pour des destinations inconnues.  [Retour au contenu]

 

Questions-réponses avec les participants

 

Yves Donzallaz, vice-président du Tribunal fédéral suisse

Merci à notre cher collègue Larba Yarga, qui nous a emmenés dans l’œil du cyclone. Ces réalités sont heureusement étrangères à un grand nombre des participants de ce congrès. Elles permettent aussi de réaliser un certain nombre de problèmes auxquels nous pouvons nous heurter dans le cadre de nos propres États et de l’exercice de nos fonctions au sein des Cours constitutionnelles.

Nous reprenons nos travaux par une phase de questions et réponses. Afin de faciliter les débats, je vous demanderai de bien vouloir mentionner la Cour constitutionnelle que vous représentez au début de vos interventions.

Nous disposons d’une trentaine de minutes pour recueillir les questions et remarques de la salle.

Joseph Djogbenou, président de la Cour constitutionnelle du Bénin

Je souhaiterais revenir sur les interventions de Adboulaye Sylla, du Sénégal, et de Larba Yarga, du Burkina Faso. Ces dernières ont porté sur la gestion des circonstances exceptionnelles, ainsi que sur la protection dans un contexte d’insécurité. Ces sujets occupent le monde depuis les attentats du 11 septembre 2001. Ils font écho à une question d’actualité. En présence du terrorisme, il convient de s’interroger sur les lois que nos différents États adoptent et leur rapport avec la constitutionnalité.

En Europe continentale et aux États-Unis, les lois posent la question de la sécurité intérieure. Les terroristes sont traités comme des criminels. En Afrique, les armées défendent nos différents territoires. Une nouvelle conception du droit se développe, avec le droit pénal de l’ennemi. Cette conception a pour conséquence de traiter le terroriste non pas comme un criminel, en faisant appel aux autorités judiciaires, mais comme un ennemi, en appliquant le droit de la guerre.

Ce phénomène a une incidence sur le travail du juge constitutionnel et la manière dont il contrôle la constitutionnalité. Il peut éventuellement considérer, au moyen des critères de proportionnalité et de nécessité, que les lois relevant du droit pénal de l’ennemi sont conformes à la constitution, dans le contexte africain. Autrement, il peut les déclarer contraires, d’autant que tous les États africains sont signataires de conventions internationales, comme celle relative à la répression du crime de terrorisme.

Quel est le rapport que la juridiction constitutionnelle doit avoir avec les nouvelles législations sur le terrorisme, qui vise la défense du territoire et non la sécurité intérieure ?

Je vous remercie.

Abdoulaye Sylla, membre du Conseil constitutionnel du Sénégal

Aujourd’hui, au Sénégal, nous n’avons pas ce problème. La lutte contre le terrorisme est une lutte pour préserver l’intégrité du territoire. Dans ce contexte, le Code pénal a pris en charge la criminalité et la délinquance organisées.

Comme je l’ai dit, au Sénégal, le juge constitutionnel a admis la possibilité de limiter les Droits de l’Homme et certaines libertés, dans un souci d’efficacité.

Larba Yarga, membre du Conseil constitutionnel du Burkina Faso

La question est délicate. Au niveau du Burkina Faso, le Tribunal de grande instance est chargé de traiter les questions ayant trait au terrorisme.

Lorsque des personnes accusées de terrorisme sont appréhendées, elles sont jugées par le pôle judiciaire chargé du terrorisme, au sein du TGI. Le Conseil constitutionnel n’a jamais été saisi de ces questions.

Yves Donzallaz

Nous remarquons que la question est délicate. Elle échappe partiellement à la censure du juge constitutionnel. Nous nous trouvons vraisemblablement dans des situations où le droit de la guerre, qui répond à ses propres normes et limites, s’applique.

Même les États qui se veulent très développés n’ont pas nécessairement géré ces sujets de manière tout à fait optimale. Nous pouvons notamment penser aux États-Unis, avec Guantanamo qui soulève un certain nombre de problématiques à l’égard des Droits de l’Homme.

De mon point de vue, la réponse face à ce genre de violation n’a pas encore été trouvée.

Pierre Nihoul, président de la Cour constitutionnelle de Belgique

La Belgique considère les terroristes comme des criminels. Le grand procès  des  attentats  de  Paris  commencera  d’ailleurs  au  mois  de septembre, pour la partie belge. Le droit pénal s’applique dans ce cadre.

Au niveau de la Cour constitutionnelle, nous avons eu à traiter quelques questions relatives au droit des victimes (délai pour la demande du droit de réparation) et à la surveillance de masse (respect de la vie privée).

Sur le droit pénal même, la Cour a toujours une justice assez retenue. Elle estime qu’il appartient au pouvoir législatif d’arrêter l’échelle des peines et de définir les actes qui relèvent, ou non, d’infractions.

Notre contexte est toutefois parfaitement différent.

Professeur Babacar Kanté, doyen honoraire de l’UFR des Sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger de Saint- Louis (Sénégal), Ancien Vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal, expert auprès de l’ACCF

Je voudrais vous entendre débattre de cette notion d’identité constitutionnelle. Vous ne semblez pas en avoir la même perception dans vos pays respectifs.

Yves Donzallaz

Nous pourrons revenir sur ces sujets une fois que nous aurons recueilli toutes les questions de la salle.

Didier Linotte, président du Tribunal suprême de Monaco

Je dois me faire pardonner, car je prends la parole pour faire une observation plutôt que pour soulever une question. Elle aurait été le prélude d’une question que j’aurais posée si elle avait été pertinente cet après-midi.

Comme l’a indiqué notre président Richard Wagner à l’ouverture de  la session, et comme l’ont rappelé les intervenants de ce jour, il est évident que l’État de droit peut être modifié en raison de circonstances exceptionnelles. Ceci, parce que les circonstances exceptionnelles appellent des changements qui ne sont pas nécessairement conciliables avec l’État de droit ordinaire. Pour autant, nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il s’agit d’une adaptation de l’État de droit, et non d’une disparition de ce dernier.

La mission du juge constitutionnel est de vérifier que les modifications de l’État de droit sont bien en rapport avec le but qu’exigent de poursuivre les circonstances exceptionnelles, et que l’atteinte est proportionnée pour atteindre les résultats exigés.

Romieu l’avait indiqué dans ses conclusions célèbres devant le Tribunal des conflits français, dès 1902 dans le cadre de l’arrêt Société Immobilière Saint-Just : quand la maison brûle, nous ne demandons pas l’autorisation au juge d’y envoyer les pompiers.

Heureusement, je n’ai pas eu à vous poser la question que j’ai déjà eu l’occasion de soulever dans d’autres instances de Cours constitutionnelles.

Les réflexions de ce jour étaient principalement en lien avec la crise sanitaire. Toutefois, d’autres crises – notamment guerrières et militaires – affectent aujourd’hui l’Europe et le monde par leurs conséquences. Dans d’autres instances, des sanctions ont été prises contre quelques membres. Je suis tout à fait favorable à ces dernières. Néanmoins, j’ai été frappé par le fait que, au sein même de nos enceintes, certains ont poussé la théorie des circonstances exceptionnelles si loin que nous ne nous sommes même pas posé la question d’un processus minimal de contradictoire ou des droits de la défense. Nous n’avons pas mis à l’écart l’État de droit dont nous sommes les gardiens, mais, pire : nous n’y avons même pas pensé. Cela a été fondamentalement oublié.

Je voulais effectuer cette remarque. Si la question ne se pose pas dans notre enceinte, il me semblait utile d’évoquer ce point de manière sereine, d’autant qu’il fait directement écho au sujet du jour.

Je vous remercie.

Yves Donzallaz

Nous vous remercions pour vos réflexions d’actualité. Ces dernières sont évidemment très intéressantes et pertinentes.

Rakotoarisoa Florent, président de la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar

Je souhaiterais également effectuer quelques constats et observations. Tout d’abord, je tiens à remercier tous les conférenciers, modérateurs et présidents de séance qui s’impliquent fortement depuis hier.

Les membres de la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar sont certainement ceux qui ont fait le plus long trajet pour participer à ce congrès. Nous avons fait près de 19 heures de vol pour vous rejoindre.

Nous ne regrettons cependant pas notre présence. Comme l’écrivait Montaigne : « il faut limer sa cervelle contre celle d’autrui ».

Ce congrès est tout à fait bénéfique pour Madagascar. Bien que notre île soit lointaine, nous faisons partie de l’Afrique.

Hier, l’exposé du professeur Kanté nous a vivement intéressés. Je pense notamment à son partage d’expérience  concernant  la  recevabilité  des candidatures présidentielles au Sénégal. Le professeur semblait déconseiller le rigorisme absolu sur certains sujets formels.

À Madagascar, la loi relative aux conditions de recevabilité est extrêmement rigide. Lors des élections présidentielles, des députés et sénateurs, ce sujet suscite du mécontentement parmi les candidats, ainsi que pour les requérants d’annulation des résultats pour suspicion de fraude. Beaucoup de requêtes, bien que fondées, sont rejetées parce qu’elles ne respectent pas les conditions de forme.

Nous tiendrons compte de l’expérience du Professeur Kanté. Il s’agit d’un véritable sujet de réflexion pour nous.

Concernant la thématique de la table ronde de ce jour, lorsqu’il est question des Droits de l’Homme et de leur limitation ou des restrictions, il me semble en premier lieu nécessaire de définir la notion de « Droits de l’Homme ». Cette dernière peut sembler floue à certains égards, car son sens peut légèrement différer selon les pays. Bien sûr, nous avons la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, commune à tous les pays qui adhèrent à la convention internationale. Néanmoins, certaines limitations et restrictions de droits peuvent être actées en raison de circonstances exceptionnelles, ou  bien  d’un  contexte  traditionnel  ou religieux. À Madagascar, par exemple, l’égalité hommes-femmes est consacrée par les droits positifs, mais nous pouvons constater que l’égalité femmes-hommes est bafouée dans certains domaines et régions (notamment dans le Sud). Dans certains pays d’Afrique, il existe des écarts de perception concernant les notions de « coups et blessures volontaires » ou de « protection de l’intégrité physique ». L’ablation de certains organes sexuels de la femme, par exemple, peut être autorisée.

Si nous avons une vision commune, avec l’adhésion à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, il peut exister des différences de perception ou bien des limitations de droits au sein des différents États.

Arriverons-nous, un jour, à dresser une liste exhaustive des Droits de l’Homme ?

Merci, Monsieur le Président.

Yves Donzallaz

Votre question est éminemment intéressante. À mon sens, il n’est pas possible de dresser une telle liste. Comme cela a déjà été évoqué dans le cadre de ce congrès, nous sommes face à une approche évolutive des Droits de l’Homme.

Vers 1920, en Suisse, une femme s’était plainte du fait que son canton lui avait refusé l’accès à la profession d’avocate au seul motif qu’elle était une femme. À l’heure actuelle, ce genre de problématique ne se présente pas. Nous avons d’ailleurs une Présidente à la tête du Tribunal fédéral. Tout comme la société, le droit évolue. Il se nourrit de la vie sociale.

À mon sens, dresser une liste exhaustive et fermée, interprétée de manière stricte, serait extrêmement réducteur  et  contre-productif  pour la défense des Droits de l’Homme. Il me semble qu’un tel choix signerait la mort du droit constitutionnel. Par définition, les Droits de l’Homme sont vivants. Nous ne pouvons que relever l’importance du soft law (droit « mou ») dans l’interprétation du droit constitutionnel. Toutes les conventions internationales ne présentent pas nécessairement un caractère impératif, elles ne sont pas toujours conclues au plus   haut niveau de l’État, mais elles permettent de donner une substance matérielle à des concepts extrêmement abstraits. Les juges, et plus particulièrement les juges constitutionnels, se nourrissent des différentes perceptions et interprétations.

Professeur Kanté, je pense que vous êtes la meilleure personne pour apporter un complément sur cette question.

Professeur Babacar Kanté

Je me demande s’il ne s’agit pas là d’un moyen d’éviter de répondre à la question que je vous ai posée tout à l’heure.

Pour répondre à la question soulevée par Madagascar, je vous invite à tous garder à l’esprit le fait que deux menaces pèsent sur les élections en Afrique : le manque de confiance entre les acteurs politiques et la rumeur.

Au Ghana, il est arrivé une fois que les résultats des élections soient contestés. La police avait mené une enquête dans le cadre du dysfonctionnement d’un bureau de vote. Il apparaît qu’une femme avait giflé un homme, qui s’était trop approché de cette dernière. Elle avait considéré qu’il s’agissait d’un acte de harcèlement sexuel. L’homme avait réagi et un attroupement s’était créé. Tous les participants avaient ensuite été emmenés au Commissariat. Les personnes qui faisaient la queue auprès d’un autre bureau du centre électoral s’étaient rendues sur le lieu de l’attroupement, en criant à la fraude. Ce n’était cependant pas le cas.

À mon sens, ce type de rumeur représente une menace réelle pour les élections. Nous devons tous y prêter une attention particulière.

Sur le plan technique, comme je l’ai déjà indiqué hier,  il faudrait     que nous apprenions à nous inspirer du juge administratif qui avait rencontré d’importantes difficultés  pour  soumettre  l’Administration à son autorité. Le juge constitutionnel connaît exactement les mêmes problématiques, lorsqu’il s’attache à soumettre  l’autorité  politique  au droit constitutionnel. Il faudrait donc s’inspirer des méthodes employées. Je pense par exemple à la différence entre les formalités substantielles et les formalités non substantielles. Lorsque la formalité n’est pas substantielle, le juge peut faire preuve d’autorité et décider de ne pas en tenir compte.

Sur les listes des Droits de l’Homme, je rejoins les propos d’Yves Donzallaz. À mon sens, il est impossible d’effectuer un tel recensement pour deux raisons. Tout d’abord, les Droits de l’Homme sont contingents, relatifs. En 1980, l’Organisation mondiale de la Santé considérait que l’homosexualité était une maladie. Aujourd’hui, qui oserait seulement le prétendre ? Ce simple fait démontre que la société évolue et qu’il serait impossible d’arrêter une liste de droits.

Je voudrais cependant que nous nous entendions sur un certain nombre de valeurs non négociables : l’égalité entre les êtres humains, la liberté, la justice, et la dignité.

Tous les êtres humains sont sensibles à la justice. Si vous disputez un enfant de manière injuste, ses pleurs ne résonneront pas de la même manière que lorsqu’il fait un caprice.

À partir des valeurs transversales et universelles, il faudrait mettre en place des institutions, chargées de définir des droits objectifs et subjectifs en fonction des spécificités de chaque société.

J’insiste sur l’impossibilité de négocier les valeurs citées à l’instant, sous peine de prendre le risque de tomber dans l’erreur. L’Humain est un et indivisible.

À présent, je réitère ma demande concernant votre définition de l’identité constitutionnelle. J’ai le sentiment que vous tentez de l’éviter, et je la porterai sur le devant de la scène aussi longtemps que nécessaire.

Pierre Nihoul

Je  crois comprendre que votre question ne porte pas tant sur le fond,  le contenu de l’identité constitutionnelle ou nationale, que sur la problématique du fondement.

En Suisse, cette notion est utilisée en qualité de contrepoids à la Convention européenne des Droits de l’Homme, en se basant essentiellement sur la marge d’appréciation des États (principe de subsidiarité). En Belgique, sur la base de l’arrêt 62-2016, nous utilisons ce concept en reprenant les termes de l’article 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de manière littérale. L’idée  sous-jacente est de jouer un rôle de contrepoids, de frein, aux décisions que la Cour de justice de l’Union européenne est susceptible de prendre en mobilisant la Charte des droits fondamentaux.

J’ajouterai que, en reprenant littéralement les termes de l’article 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en réalité, nous ouvrons un dialogue avec la Cour de justice. Si la Cour de justice prend une décision susceptible de heurter l’identité nationale belge, nous serons saisis de la question. Un dialogue s’ouvrirait alors dans le cadre du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Yves Donzallaz

Je dois dire que la notion d’identité constitutionnelle n’est pas véritablement un concept que nous utilisons.

En Suisse, nous avons une Constitution fédérale ainsi que 26 constitutions cantonales, chaque canton étant un État. Bien évidemment, nous sommes signataires des grandes conventions internationales. Le Tribunal fédéral doit composer avec ces différents textes. Il recherche des solutions harmonisantes et reconnaît à certains cantons la possibilité de bénéficier d’une certaine indépendance dans le cadre de leur constitution. La liberté de religion, par exemple, est garantie dans la Constitution fédérale, mais certains cantons ont mis en place le principe de la laïcité. Il s’agit notamment du cas de Genève, tandis que d’autres cantons sont très catholiques ou protestants. Cette marge de manœuvre leur est laissée.

Maintenant, la question se pose concernant les textes que je qualifierais de « supérieurs ». Les liens entre le droit interne et le droit international, entre la Constitution et la Convention européenne des Droits de l’Homme, sont par exemple d’importants sujets de débat au sein de notre pays. La Constitution fédérale prévoit que le Tribunal fédéral a l’obligation d’appliquer les lois fédérales contraires à la Constitution. Nous avons le droit de constater les écarts, mais sommes dans l’obligation d’appliquer la loi fédérale. Nous espérons que le législateur, saisi de notre constat objectif et incontournable, modifiera la loi. Cependant, nous pouvons constater que ce n’est pas toujours le cas.

Au fil du temps, le Tribunal fédéral a pris des libertés qui ont pu être contestées par certains et saluées par d’autres. Ces dernières nous permettent d’analyser la conventionnalité des lois fédérales. Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a décidé que les traités essentiels étaient la Convention européenne des Droits de l’Homme et les Accords de libre circulation avec l’Europe. Le droit interne, lorsqu’il est contraire à ces textes, n’est pas appliqué par le Tribunal fédéral.

Ce point donne lieu à de grands débats politiques. Une votation fédérale a même eu lieu sur la primauté du droit interne sur le droit international. Le peuple s’y est opposé. Nous ne savons cependant pas exactement quelles sont les conséquences de cette décision. En cas de conflit, le droit international primera-t-il toujours ? Le Tribunal fédéral ne s’est pas prononcé sur le sujet. Cela dépendra sans doute du traité concerné. Des solutions raisonnables seront recherchées.

Professeur Babacar Kanté

Les pays africains ont toujours l’impression d’être spécifiques. Néanmoins, il me semblerait très intéressant qu’ils s’inspirent du cas de la Belgique, qui a rencontré d’importants problèmes communautaires. La situation de la Suisse attire également mon attention en raison      de sa complexité (introduction de langues supplémentaires dans la Constitution, gestion du fédéralisme). L’ACCF pourrait s’en inspirer.

Pierre Nihoul

Si je peux me permettre, je vous déconseille de vous inspirer de la complexité du modèle belge.

Yves Donzallaz

Chers collègues, je donne à présent la parole au Professeur Kanté, afin qu’il effectue un rapport sur l’ensemble des discussions de ce jour. Je le remercie par avance.

 

Synthèse générale des travaux

Professeur Babacar Kanté [1], Doyen honoraire de l’UFR des Sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Ancien Vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal, Expert auprès de l’ACCF

 

Introduction

Le thème du 9e congrès de l’Association des Cours constitutionnelles francophones (ACCF), dont les travaux se sont déroulés du 30 mai au 2 juin 2022 à Dakar, portait sur : « Le juge constitutionnel et les droits de l’homme ». Ce thème a été divisé en trois sous-thèmes. Le premier était relatif à : « Droits de l’homme, État de droit et démocratie » ; le deuxième était intitulé : « Les méthodes juridictionnelles de protection des droits de l’homme » ; alors que le troisième avait pour titre : « Les droits de l’homme en contexte : les circonstances exceptionnelles ».

Conformément au format des congrès de l’ACCF, ces différents sous-thèmes ont fait l’objet, les 31 mai et 1er juin, de trois tables rondes à l’occasion desquelles douze communications ont été présentées par les membres des différentes Cours qui composent l’Association. Ces communications, suivies de riches débats, étaient précédées de propos introductifs faisant la synthèse des réponses apportées par les Cours au questionnaire qui leur avait été soumis.

La méthodologie suivie pour l’organisation de la partie scientifique des travaux du congrès a en effet consisté à proposer un questionnaire aux Cours membres de l’ACCF. Ce dernier comporte une douzaine de questions sous chaque sous- thème. La première série de questions visait à mettre le juge en face de lui-même et à l’inviter à une introspection, par une attitude réflexive, afin de percevoir sa conception des droits de l’homme. La deuxième consistait à identifier les outils que le juge met en œuvre pour remplir son office de protecteur des droits de l’homme. La troisième, enfin, tendait à mettre les droits de l’homme en perspective en les replaçant dans le contexte actuel, caractérisé par des crises multiformes de nature à menacer l’État de droit et la démocratie.

Sur les cinquante Cours membres de l’Association, trente-quatre ont réagi au questionnaire. Il s’agit d’un nombre légèrement en hausse par rapport à celui du précédent congrès, qui avait enregistré vingt-huit réponses. La répartition géographique de ces réponses révèle qu’elles proviennent de quatre continents : dix du continent européen (Albanie, Andorre, Belgique, Bulgarie, France, Moldavie, Monaco, Roumanie, Serbie et Suisse) ; vingt-deux de l’Afrique (Algérie, Angola, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Mozambique, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Togo, Tunisie)  ; une de l’Asie (Cambodge) ; une  de l’Amérique (Canada). Au terme du décompte, il apparaît que la majorité provient de Cours africaines.

Le questionnaire, envoyé par le Secrétariat de l’Association, a été exploité par les Cours, chacune en fonction de son expérience  tirée de sa jurisprudence et du contexte dans lequel elle évolue. L’analyse de ces réponses a d’abord été faite par sous-thème, avant de donner lieu à une synthèse présentée en introduction aux travaux de chaque table ronde.

Le présent rapport général a pour objet de rendre compte globalement non seulement des réponses au questionnaire, mais aussi des communications et des débats qui ont eu lieu pendant les deux jours de travaux.

Il s’agit d’un exercice nécessaire.  Malgré  leur  appartenance  commune  à l’espace francophone, ainsi que le révèle leur répartition géographique,  les  Cours membres de  l’ACCF  présentent  une  très  grande  diversité  du  point  de vue du niveau de développement tant économique que politique de leurs  pays respectifs. Certaines appartiennent à des États qui ont déjà une longue tradition de démocratie libérale, alors  que  d’autres  évoluent  dans  des  pays  dits en transition démocratique ou en sortie  de crise.  Il est dès lors important  de tenter une synthèse afin de dégager au moins des points de convergence   et de divergence entre les différents modèles d’organisation de la justice constitutionnelle dans la perspective de la protection des droits de l’homme. Même si les juridictions constitutionnelles sont maîtresses de leur jurisprudence, il n’est pas  impossible  d’envisager  que,  d’une  tentative  de  recoupement, puisse découler un rapprochement, à défaut d’une harmonisation, de leurs décisions en matière de protection des droits de l’homme. Il n’est en effet pas exclu que, malgré les différences inévitables sur certains sujets, qui n’altèrent cependant pas une conception universaliste partagée des  droits  de l’homme, une ressemblance puisse se manifester notamment autour de certains outils conceptuels et méthodologiques des juges constitutionnels.

L’exercice est cependant périlleux. Est-il possible de  parler  aujourd’hui  dans une optique transversale de droits de l’homme, une notion polysémique et en mutation, sans préjugé ou parti pris au moins intellectuel ? Quand on met le  juge constitutionnel face à ces droits, la réponse à cette question devient encore plus aléatoire. C’est un truisme que de rappeler que les différentes branches du droit, qu’il s’agisse du droit international ou du droit interne, se sont enrichies dans une période récente sous l’influence de la promotion dont bénéficient actuellement les droits de l’homme. De ce fait, ils se sont complexifiés et leur traitement adéquat, à la mesure de l’attente  des citoyens,  constitue,  par suite,  un véritable défi pour la justice constitutionnelle. Comment, dès lors que les droits de l’homme revêtent ce caractère multiforme notamment politique, sociologique, philosophique, culturel, voire idéologique, appréhender leur conception et leur approche par les juges constitutionnels ?

On pourrait partir d’une hypothèse tirée de la convergence des modèles constitutionnels[2]. Mais est-il possible d’en inférer que toutes les Cours francophones tendent vers le même résultat ? Le mimétisme constitutionnel, qui serait la marque de certains pays africains qui se sont étroitement inspirés du modèle français, ne serait-il pas un biais dans cette analyse[3] ? Il est évident que derrière la diffusion et le partage du modèle institutionnel français par certains pays, le contexte reste déterminant pour orienter et comprendre l’évolution jurisprudentielle de certaines Cours. Mais même pour les Cours appartenant à un espace géographique comme l’Europe, l’histoire et la trajectoire des pays font que, malgré la communauté de valeurs, certaines de ces juridictions dégagent des principes et des méthodes de protection des droits de l’homme qui, sans être opposés, sont tout de même différents[4].

Au total, l’exploitation des réponses apportées par les Cours confirme finalement, comme il fallait s’y attendre, des différences d’ordre quantitatif et qualitatif. Quantitativement, certaines Cours, n’ayant pas eu à traiter de contentieux relatifs à quelques aspects spécifiques des droits de l’homme, n’ont pas été en mesure de donner des réponses à un certain nombre de questions. Qualitativement, des Cours plus habituées que d’autres à connaître de certaines affaires, ont eu le temps, progressivement, de bâtir une politique jurisprudentielle dont elles ont pu rendre compte avec, à l’appui, des références jurisprudentielles et doctrinales.

Plus concrètement, on constate que les Cours relevant de pays de vieille tradition démocratique ont plus tendance à répondre en détails sur des droits relatifs à la liberté, à l’égalité, à la dignité humaine ou à la sécurité juridique.  À titre d’exemple, on pourrait citer le cas de la France où, à la fin du mois de décembre 2021, douze textes concernant un large spectre des droits des citoyens avaient été  adoptés  dans  le cadre  de la stratégie  de lutte  contre  le nouveau coronavirus, même s’ils n’ont pas tous été déférés au Conseil constitutionnel. En revanche, les Cours des pays qui tentent de faire monter en puissance leur régime politique sont plutôt confrontées à la mise en œuvre effective de certains droits dits civils et politiques comme le droit de vote. Dans ces pays, majoritairement situés sur le continent africain, le contentieux le plus volumineux porte sur les élections nationales.

Les risques d’une synthèse sont donc réels, mais n’ont cependant pas un caractère rédhibitoire. Ils ne devraient pas décourager toute tentative d’analyse comparative des réponses fournies par les Cours. L’enjeu est, modestement, un repérage des points de convergence et de divergence entre Cours constitutionnelles sur une question où les valeurs ont une importance capitale. De ce point de vue, il est apparu que les Cours, peut-être en raison de la communauté de langue qui les unit et les conséquences qui s’y attachent, partagent globalement une même approche des droits de l’homme. Cependant, si leurs approches se recouvrent, elles ne se recoupent pas.

 

I – Une volonté affirmée de protéger les droits de l’homme

La première conclusion forte qui se dégage d’une lecture transversale des réponses apportées aux questions des trois sous-thèmes est une volonté nettement affirmée de toutes les Cours constitutionnelles de se reconnaître, ou de se voir reconnaître, un statut de protecteur des droits de l’homme. De l’admission de leur compétence jusqu’au contrôle de constitutionnalité des lois d’exception ou portant sur des questions sensibles comme les droits culturels, les Cours manifestent une détermination qui ressemblerait à une revendication à être les garants de l’État de droit et de la démocratie.

Cette reconnaissance fait l’objet d’un consensus si fort qu’elle prend les allures d’une entente entre les Cours constitutionnelles. Elle varie cependant selon la clarté des textes organiques relatifs aux compétences des Cours constitutionnelles ou l’interprétation qui en est faite ainsi que la conception que ces Cours se font de leur rôle. On constate alors que cette détermination à se reconnaître comme un protecteur des droits de l’homme est commune à toutes les Cours, mais qu’elle est simplement d’intensité variable.

A. La protection des droits de l’homme conçue comme une mission

Certaines Cours semblent hésiter  entre  plusieurs  fondements  pour  expliquer et justifier leur compétence. Cette attitude est d’autant plus étrange que la compétence étant d’ordre public, ne se présume pas : on est compétent ou on  ne l’est pas.

Mais on constate que c’est l’interprétation que les Cours font des textes qui fixent leur compétence qui détermine, en définitive, l’étendue et les limites de leurs attributions. Certaines ont, en effet, une conception que l’on pourrait qualifier d’étroite de leur compétence. Il s’agit de cas où ces textes attribuent cette compétence en matière de protection des droits de l’homme de façon expresse.

Ces Cours affirment nettement tenir leur compétence explicitement et directement de la Constitution ou de la loi organique les créant et les organisant. Il s’agit du Burundi, du Mali et des Comores. Les pays où l’Amparo existe comme Andorre et le Cap Vert pourraient, dans une certaine mesure, être inclus dans ce lot.

Dans de tels cas, cette compétence est comprise comme étant une mission confiée à la Cour. Ces Cours considèrent en effet cette compétence comme étant d’attribution et qu’il faut, par conséquent, l’exercer de façon stricte, jamais au-delà des textes.

Des expressions employées par le Conseil constitutionnel français, reprises parfois par d’autres cours de l’espace francophone, en témoignent. Le Conseil considère en effet de façon constante, depuis sa décision du 14 septembre 1961, que : « La Constitution a strictement délimité la compétence du Conseil constitutionnel ; que celui-ci ne saurait être  appelé à émettre  des avis que dans les cas et suivant  les modalités  qu’elle a fixées »[5]. Il a confirmé cette jurisprudence sous une autre forme en affirmant, dans sa décision du 27 juillet 2000, que : « Le Conseil n’a pas un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que celui du parlement »[6].

Certaines juridictions, notamment africaines, se sont inspirées, peut-être abusivement, de cette jurisprudence d’auto restriction en oubliant que ce même Conseil, à travers son évolution, est devenu, à l’image des Cours suprêmes des pays de Common Law, un protecteur des droits fondamentaux des citoyens, par un affinement de ses méthodes et techniques de contrôle de constitutionnalité des lois.

Aussi, dans le cas de ces Cours interprétant restrictivement leurs titres de compétence, le contrôle de constitutionnalité portant sur des lois censées porter atteinte aux droits de l’homme est-il généralement de faible intensité. On peut le constater dans les pays du Sud, qui sont en transition démocratique. Certaines Cours appartenant à ces pays (Algérie, Burundi, Comores, Cameroun et Tunisie) admettent d’ailleurs qu’elles n’ont jamais été saisies de recours portant sur les droits fondamentaux.

Une telle conception pourrait, à terme, être grosse de conséquences fâcheuses dans un contexte où la tendance est au déclin de la démocratie, qui apparaît d’ailleurs non plus comme spécifique aux pays africains, mais comme un phénomène mondial[7].

Comme pour confirmer cette conclusion, on pourrait noter que ces Cours font, curieusement, moins référence aux conventions internationales sur les droits de l’homme. Leur rapport avec l’ordre juridique international reste d’ailleurs ambigu.

B. La protection des droits de l’homme perçue comme une vocation

D’autres Cours considèrent qu’elles ont une compétence implicite, du fait qu’elle résulterait de l’habilitation qui leur est reconnue à connaître des droits de l’homme par voie indirecte, à travers l’exception d’inconstitutionnalité ou la question prioritaire de constitutionnalité. Ces Cours constituent la majorité. On pourrait citer, entre autres, la Côte d’Ivoire, le Cambodge, la République démocratique du Congo, le Sénégal, l’Algérie, le Gabon, la France, le Maroc et la Moldavie.

Dans ces cas, les textes relatifs à la compétence des Cours constitutionnelles en matière de protection des droits de l’homme sont relativement évasifs. L’attribution de compétence se fait soit par un renvoi, généralement à des conventions internationales, soit par déduction et par application de « la théorie des pouvoirs implicites ». Selon cette approche, la Cour constitutionnelle, chargée de garantir le respect de la Constitution qui consacre les droits de l’homme a, nécessairement et par voie de conséquence, compétence pour connaître de ces droits.

Ces Cours acquièrent leur compétence parfois par une forme d’interprétation « conquérante ». C’est le cas de la France, d’Andorre, de la Belgique et de la République démocratique du Congo. Dans ces cas, le juge interprétant dans un sens large sa compétence, étend ses pouvoirs au-delà de ce qui est expressément prévu par les textes, pour se reconnaître une vocation de promoteur de l’État de droit et de la démocratie.

Contrairement aux Cours ayant une conception restrictive de leur compétence, on se trouve ici devant une conception extensive. Même si elles sont plus nombreuses, on se rend compte, qu’en réalité, la frontière n’est pas toujours très étanche entre les différents groupes que constituent les Cours.

Ces Cours exercent un contrôle de plus haute intensité sur les lois à l’occasion du contrôle de leur constitutionnalité. La richesse, tant quantitative que qualitative, de leur jurisprudence en atteste. Dans ces cas, les méthodes et techniques sont effectivement plus sophistiquées. Il est vrai que ces juridictions sont aidées par le nombre plus important de recours et par la qualité des commentaires doctrinaux qui les accompagnent.

Si ces juridictions vont un peu plus loin dans le contrôle des droits de l’homme, c’est qu’elles sont porteuses d’un certain nombre de valeurs qu’elles partagent certainement avec les autres Cours, mais qu’elles assument plus franchement sans l’avouer[8].

Certaines fois, ces juridictions affirment sans ambages le caractère politique de leur office (les Comores, le Mali, le Sénégal). On peut d’ailleurs se demander si ce rôle politique est entendu dans le même sens par toutes les Cours. Certaines affirment en effet ne pas jouer un rôle politique (une dizaine), alors que d’autres, majoritaires, donnent une réponse en demi-teinte (une quinzaine). Curieusement, même des Cours qui sont pourtant aujourd’hui à l’avant-garde de la protection des droits de l’homme, comme le Conseil constitutionnel français, hésitent à affirmer nettement leur rôle politique, entendu au sens d’arbitre des débats de  société,  ou  leur fonction  sociale[9].  L’impression  qui se dégage est que ce sont des Cours qui, volontairement, adoptent un profil bas peut-être pour ne pas s’attirer la critique de vouloir créer à terme « un gouvernement des juges ».

 

C. La protection des droits de l’homme au-delà des apparences

La réserve des Cours francophones à assumer leur rôle politique ou social est encore plus frappante quand on la compare à l’affirmation et à la revendication idéologique des juridictions anglophones[10]. Le pouvoir normatif du juge, manifestation d’un tel pouvoir politique, reste effectivement plus limité dans l’espace francophone que dans les pays anglophones. Le juge francophone semble moins prendre en considération les facteurs extérieurs au droit. Le raisonnement conséquentialiste est donc, théoriquement, moins utilisé au sein de ces Cours[11]. De ce fait, dans les pays africains notamment, certains droits politiques mais aussi, et surtout, sociaux et économiques sont généralement moins bien protégés que dans les pays européens où la communication et les échanges entre juridictions nationales et étrangères sont plus fluides. L’influence des unes sur les autres est plus réelle sur ce continent[12].

La prudence des Cours francophones est encore plus étonnante qu’elle se produit dans un environnement caractérisé par des menaces sur les droits de l’homme. La résurgence des coups d’État en Afrique de l’Ouest, avec son lot de mesures transitoires ou exceptionnelles, de même que les actes pris par les pouvoirs publics à travers le monde dans le cadre de la lutte contre la pandémie de coronavirus créent ainsi, aussi bien au Sud qu’au Nord, un contexte malheureusement favorable à la violation des droits des citoyens.

À un moment où l’on parle de plus en plus d’internationalisation du droit constitutionnel, de droit constitutionnel global ou de convergence des modèles constitutionnels, on ne peut analyser cette approche du juge constitutionnel francophone sans une attitude comparative[13].

Une des explications de ce décalage constaté entre une forte demande citoyenne et le profil bas du juge constitutionnel se trouverait, peut-être, non seulement dans la différence dans l’organisation de la justice constitutionnelle entre les systèmes de Civil Law et de Common Law, mais aussi dans l’approche de sa fonction par le juge dans les deux modèles[14].

On peut cependant se réjouir du fait que la réalité est heureusement différente des apparences qui se dégagent des réponses. Dans le fond, les juges constitutionnels confrontés à ces défis que constituent les menaces sur l’État de droit et la démocratie font face. Ainsi, des juridictions comme le Conseil constitutionnel français ont imaginé des outils conceptuels et des techniques de contrôle de nature à lui permettre de suivre l’évolution de l’accroissement des pouvoirs de l’autorité politique. C’est ainsi qu’il a progressivement créé notamment les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, les principes fondamentaux particulièrement  nécessaires  à  notre  temps, les objectifs de valeur constitutionnelle, etc. D’autres juridictions n’utilisent pas nécessairement les mêmes notions, mais n’en recourent pas moins à des techniques interprétatives leur permettant d’étendre le champ de leurs normes de référence.

Dans l’ensemble, on ne peut pas douter  de la constance  de la détermination  des Cours constitutionnelles à défendre l’État de droit et la  démocratie  à  travers  une protection des droits garantis par les textes constitutionnels dont ils sont les gardiens. Cette convergence devrait cependant être nuancée : un certain nombre de variables interviennent en effet comme lignes de partage entre les Cours des pays de démocratie avancée et celles des pays en transition démocratique. On pourrait en retenir notamment trois : le nombre de recours reçus par les unes et les autres ; la nature des recours introduits auprès des différentes juridictions et les techniques et méthodes de protection des droits des citoyens utilisés ici et ailleurs.

On le constate tous les jours : les exigences démocratiques des citoyens sont devenues partout de plus en plus fortes aujourd’hui. La volonté affirmée des Cours constitutionnelles de protéger les droits de l’homme suffit-elle à répondre à cette demande politique ? On ne peut pas éviter la question de savoir si les Cours constitutionnelles francophones proposent une offre suffisante et si elles sont à leur place dans ce nouveau contexte où nos sociétés sont en mutation.

 

II. Des difficultés à protéger efficacement les droits de l’homme

Aussi bien pour les pays ayant une longue tradition libérale que ceux qui tentent une expérience démocratique, l’enjeu pour les Cours constitutionnelles reste presque le même : pour les premiers, une consolidation de la démocratie et, pour les seconds, assurer un ancrage dans celle-ci.

Les Cours constitutionnelles rencontrent en effet des contraintes dans leur office. Les enjeux, comme cela a déjà été indiqué, en dépit de leur formulation simple, sont en réalité nombreux et importants. Est-ce pour cette raison que certaines ont d’ailleurs du mal à assumer un rôle politique ou social ?

En tentant une classification des difficultés rencontrées par les Cours dans la voie de la protection des droits de l’homme, on se rend compte qu’elles pourraient obéir, schématiquement et de façon  forcément  caricaturale,  à une distinction bipartite. Certaines apparaissent en effet comme propres aux Cours constitutionnelles, tandis que d’autres leur sont extérieures. Les contraintes propres sont généralement relatives aux modalités d’organisation et de fonctionnement des Cours, qui peuvent consister en des limites à leurs pouvoirs. Elles résultent des textes et sont, de ce fait, objectives. Quant aux contraintes extérieures, elles sont plutôt d’ordre subjectif et concernent surtout la manière dont les Cours perçoivent le contexte dans lequel elles évoluent.

A. Des contraintes liées aux textes

Il s’agit de limites que les textes organisant le fonctionnement des Cours semblent imposer à certaines Cours. Les difficultés pour une protection effective de l’État de droit et une promotion de la démocratie à travers la protection des droits de l’homme peuvent résulter de plusieurs facteurs comme l’organisation  de la procédure, l’aménagement des pouvoirs du juge ou des suites réservées à ses décisions.

Un des premiers obstacles à une protection efficace des droits de l’homme par le juge constitutionnel réside sans doute dans la rigueur des conditions prévues pour sa saisine[15]. Dans un certain nombre de pays, l’accès direct ducitoyen au juge est en effet généralement limité à des autorités politiques dont la liste est limitativement énumérée. La question que pose ce recours médiatisé est de savoir si les mandataires du peuple souverain exercent le mandat qui leur est confié dans le sens de la défense des intérêts des citoyens. L’analyse du profil des recours adressés au juge constitutionnel révèle d’ailleurs que, dans les pays africains par exemple, la majorité des requêtes porte sur des questions électorales. Bien qu’important, le contentieux électoral est loin de refléter l’état des droits des citoyens. À titre de comparaison, on peut noter que parmi les questions soulevées devant le juge constitutionnel dans les pays de forte tradition libérale, les droits proprement subjectifs en général et le droit à l’égalité en particulier, viennent largement en tête. Ce dernier connaît au moins une dizaine de déclinaisons dans le contentieux constitutionnel[16].

Cette « étroitesse de l’accès au juge constitutionnel » induit une faiblesse de la protection des droits des citoyens sur la base de leurs propres recours[17]. Seuls de rares pays de l’espace francophone ont ouvert l’accès direct au juge par le citoyen. Ils sont environ une dizaine, dont : la Belgique, le Burundi, le Burkina Faso, le Congo, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Rwanda et la Suisse. Ce recours des particuliers devant le juge constitutionnel n’est peut-être pas une garantie de l’effectivité d’une bonne protection des droits des citoyens, mais il en est, sans aucun doute possible, un indicateur important[18].

Un autre obstacle à une protection efficace des droits de l’homme par les juridictions constitutionnelles de l’espace francophone, du moins tel qu’il apparaît à travers l’analyse des réponses, se trouve dans le caractère objectif du contentieux. Dans la voie d’action directe du contrôle de constitutionnalité,   il s’agit, faut-il le rappeler, de vérifier la conformité de l’acte contesté à la Constitution, ceci avant même que l’acte en cause ne produise ses effets. Une des conséquences de ce trait de caractère  est  que  le  contentieux  devant  le juge constitutionnel est généralement marqué par l’absence d’une application effective des principes généraux de la procédure contentieuse, notamment du principe du contradictoire. Ce n’est  pas un hasard si, dans un pays comme  la France, dont le modèle a pu être attractif,  ces principes généraux  n’ont  été appliqués que depuis peu de temps, notamment avec l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité[19].

Un dernier obstacle d’ordre textuel réside dans le pouvoir discrétionnaire laissé au juge constitutionnel dans la conduite de l’instance, dans le silence de la loi. On le sait, les lois portant création, organisation et fonctionnement des Cours constitutionnelles s’en tiennent généralement à des principes généraux et vont rarement dans les détails de la réglementation de la procédure prévue devant elles.

C’est, parfois, fort de ce pouvoir discrétionnaire, et en l’absence de toute obligation de mettre en œuvre des méthodes ou techniques inquisitoriales, que le juge constitutionnel se cantonne à un contrôle minimal, de basse intensité, sur les lois pourtant censées porter atteinte aux droits de l’homme. Au motif de vouloir éviter de créer un « gouvernement des juges » ou de substituer sa propre volonté à celle du législateur, il se livre alors à un strict contrôle de constitutionnalité de la loi sans prendre le risque de vérifier si l’acte en cause est compatible avec les valeurs démocratiques[20].

Le Conseil constitutionnel français a la chance de bénéficier de l’antériorité du Conseil d’État dont il s’inspire de la jurisprudence ; ce qui n’est pas le cas des juridictions des pays plus jeunes qui font l’expérience de la démocratie.

Cette hypothèse se vérifie généralement chez les Cours appartenant à la catégorie des pays où le juge se considère comme un simple garant de l’État de droit et non comme un véritable promoteur de la démocratie. Heureusement que parmi les Cours entendant dans un sens large leurs compétences et attributions, les juges se reconnaissent des prérogatives pour assumer leur vocation.

Il importe de rappeler, à cet égard, la différence quantitative existant entre les Cours du Sud et du Nord : chez les premières, le volume  de contentieux  le  plus important concerne les questions électorales, alors que chez  les secondes, les questions relatives aux droits fondamentaux peuvent couvrir 80 % des affaires comme en Belgique, et même jusqu’à 95% notamment en Andorre.

Fait notable, les Cours n’ayant jamais connu, selon les réponses reçues, de contentieux relatif à cette matière appartiennent presque toutes à des pays qui se situent sur le continent africain. Il s’agit de l’Algérie, du Burundi, des Comores, du Cameroun, de la Tunisie. Il est intéressant de faire remarquer que ce sont les pays où les références au droit international des droits de l’homme sont plus rares.

 

B. Des contraintes liées au contexte

Toutes les Cours, sans exception, affirment leur attachement à une conception universaliste des droits de l’homme. Cette adhésion est d’ailleurs tellement forte que certaines Cours ont du mal à accepter l’idée que certains droits puissent avoir un caractère relatif, au sens où une telle relativité serait une sorte d’exception ou de restriction à l’universalité.

Pourtant, c’est un sentiment d’incertitude  qui  domine  quand  on  tente  une systématisation doctrinale de la politique jurisprudentielle des Cours francophones en matière de contentieux des droits de l’homme.

On note, en effet, des hésitations ou une certaine flexibilité à plusieurs égards. Il est vrai que les enjeux historiques, politiques, sociaux, économiques et culturels qui s’attachent aux droits de l’homme rendent leur traitement contentieux pour le moins aléatoire. Le choix d’une politique jurisprudentielle par le juge constitutionnel va être marqué, de ce fait, par plusieurs « variations sur un thème ». On ne s’étonnera donc pas de voir cette jurisprudence évoluer d’un pays à l’autre et, dans le même pays, d’une époque à l’autre.

S’agissant, par exemple, des normes de référence du juge constitutionnel en la matière, elles semblent fluctuer au gré des pays, même dans le cas de pays appartenant à la même région et partageant le même système juridique. En tentant de regrouper les Cours par région, on se rend ainsi compte qu’elles échappent à toute taxinomie.

Une nuance cependant : toutes les juridictions européennes semblent accorder une prévalence à la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, concernant l’Afrique, seules quelques Cours admettent accorder la primauté à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples pourtant régulièrement invoquée par les requérants. Il s’agit de l’Algérie, de l’Angola et de la République centrafricaine. S’agissant d’instruments juridiques universels et non plus régionaux, on notera que seuls Andorre, le Cambodge et le Cap- Vert reconnaissent se référer, par exemple, à la Déclaration universelle de droits de l’homme, qui est pourtant intégrée dans le corpus législatif de tous les pays dont les Cours sont membres de l’Association.

À côté de ces options relativement claires, il existe une douzaine de Cours, appartenant majoritairement au continent africain, avouant recourir alternativement au droit national et au droit international, sans pour autant accorder une prévalence à l’un ou à l’autre.

On peut se demander si cette référence erratique au droit international ne serait pas révélatrice de difficultés à opérer un choix parmi des normes de référence incertaines.

Mais, dans le même temps, ces Cours admettent la possibilité de prendre en considération un certain nombre de facteurs d’ordre sociologique ou sociétal pour apprécier les droits de l’homme. Dans cette optique, les enjeux peuvent parfois être contradictoires selon le pays et la période.

Tout comme pour le rôle et la place des Cours constitutionnelles, les réponses relatives aux références et aux techniques de contrôle des lois donnent à penser que ces juridictions, dans leur grande majorité, observent, ici aussi, une forme de réserve quant à l’utilisation d’un certain nombre d’outils.

Il est en effet curieux de constater que même dans le cas des Cours qui ont procédé à une interprétation dynamique de leurs attributions et ont ainsi fait faire des progrès importants à la protection des droits de l’homme en créant notamment la catégorie des droits fondamentaux, elles observent une attitude très réservée concernant leur capacité à innover et à consacrer des droits nouveaux.

On peut s’en étonner. Faut-il rappeler que les décisions de principe, qui ont révolutionné le contentieux des droits de l’homme, ont été le résultat d’une certaine audace des Cours constitutionnelles ? Qu’il s’agisse des Cours des pays de Common Law ou de Civil Law, c’est au prix d’une extension de ses attributions, fondée sur sa vocation de promoteur de la démocratie, que le juge constitutionnel a consacré de nouveaux droits au profit des citoyens[21]. Il en a été ainsi aux États-Unis d’Amérique et en Afrique du Sud, deux pays au passé lourd en matière de violation des droits de l’homme[22]. Les Cours constitutionnelles francophones sont-elles disposées à suivre cette dynamique ?

Cette question est d’autant plus cruciale que le juge constitutionnel francophone se trouve limité dans ce qu’on pourrait appeler le suivi de sa décision. Les effets indirects et lointains du principe  de la séparation  des autorités  administratives et judiciaires, hérité notamment du droit français, font en effet obstacle à tout pouvoir du juge de veiller et d’assurer l’exécution de ses décisions.

Ainsi, appliqué au contentieux constitutionnel, le principe que voilà  veut  que les modalités de l’exécution de la décision du juge ne soient pas définies. C’est le cas pour l’Algérie, la Belgique, le Burkina Faso, le Cambodge, les Comores, le Mali, la Mauritanie et le Togo. Dans tous ces pays, l’exécution de la décision est laissée à la discrétion de l’auteur de l’acte contesté et censuré, en définitive l’autorité politique. Dans de rares cas, comme en Moldavie et en République démocratique du Congo, cette exécution est contrôlée par le juge constitutionnel lui-même. Dans d’autres cas, enfin, cette exécution est garantie par un autre organe comme en Albanie, en Andorre, au Cap-Vert, en République centrafricaine et en Suisse.

En raison de l’importance qui s’attache à l’effectivité des sanctions prononcées par le juge, cette marge de liberté laissée à l’autorité politique pourrait rendre aléatoire la protection des droits des citoyens[23]. On constate d’ailleurs que, dans certains pays, l’autorité en charge d’exécuter la décision du juge tend parfois à manquer de diligence pour ce faire. La pratique du contournement du pouvoir législatif par l’autorité politique pose indirectement, il faut le rappeler, le problème fondamental de la légitimité du juge constitutionnel et de la valeur qui s’attache à ses décisions.

Ce problème renvoie à autre question, presque taboue dans l’espace francophone, celle des pouvoirs du juge constitutionnel sur l’autorité politique. Garant de la protection des droits des citoyens, le juge constitutionnel ne devrait- il pas avoir le dernier mot ? Sans des pouvoirs accrus du juge constitutionnel, l’État de droit peut-il être efficacement garanti dans les conditions actuelles du fonctionnement de la justice ? Des débuts de solutions existent.

 

III. Des opportunités pour renforcer la protection des droits de l’homme

Si un certain nombre d’aléas  caractérisent  encore  le  traitement  contentieux des droits de l’homme par le juge constitutionnel francophone, des espaces s’offrent heureusement à lui pour acquérir plus d’efficience et d’efficacité.

La pression qui s’exerce sur lui du fait de la quête constante des citoyens pour plus de démocratie l’oblige, sauf à commettre un déni de justice, à réduire les angles morts du contrôle sur les droits de l’homme en affûtant les techniques dont il dispose. C’est le défi pour tout juge constitutionnel, et particulièrement francophone.

L’explication des limites du contrôle par les dispositions textuelles ne peut être que partielle. L’évolution de nos sociétés contemporaines et l’actualité sont aussi des facteurs déterminants plus ou moins pris en compte par les juges, selon les réponses.

Dans certains pays, la confiance inspirée par les juridictions constitutionnelles, qui se manifeste par une saisine de plus en plus importante, devrait pousser celles-ci à dépasser les contraintes qui pèsent sur elles et à répondre à ces exigences en trouvant des adjuvants.

C’est un lieu commun que de rappeler que le contexte mondial actuel est essentiellement caractérisé par une double crise politique et sanitaire un peu partout à travers le monde, même si son impact varie selon les pays. Mais,  au lieu d’être perçue comme dirimante  par  les  Cours  constitutionnelles, elle devrait pouvoir être considérée, au contraire, comme une occasion non seulement de combler les lacunes des textes mais, mieux encore, d’innover en levant les tabous[24] et en brisant les mythes[25].

 

A. Briser les mythes

Aucune constitution, si détaillée soit-elle, ne peut envisager toutes les hypothèses qui pourraient se présenter devant le juge constitutionnel. Les règles d’organisation et de fonctionnement des juridictions constitutionnelles francophones n’échappent pas à cette règle. Le caractère parfois laconique des dispositions régissant la procédure devant les juridictions constitutionnelles ouvre la voie, dans certaines situations, à des divergences de jurisprudence entre juridictions appartenant à la même région ou au même pays.

De ce point de vue, on constate que les Cours constitutionnelles ont une marge de manœuvre en raison de l’indétermination  de la règlementation.  Il en est  ainsi en matière de définition des rapports entre le droit national et le droit international. Mais en tirent-elles profit ?

L’impression qui se dégage des réponses des Cours est qu’en fonction des problèmes qui lui sont posés, le juge constitutionnel décide au cas par cas de se référer au droit international des droits de l’homme ou de se contenter du droit national, en l’occurrence, le droit constitutionnel.

Il est vrai que les juridictions européennes ont une approche un peu plus nette sur la question. Ainsi, presque toutes les Cours constitutionnelles de ce continent admettent l’autorité de la Convention européenne des droits de l’homme et, par suite, l’autorité des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme[26].

En revanche, les Cours africaines semblent plus hésitantes sur ce point. Alors même que les préambules de leurs constitutions sont aujourd’hui intégrés    à la Constitution et ont acquis de ce fait une valeur constitutionnelle, les juridictions constitutionnelles de ces pays, malgré leur attachement proclamé aux déclarations des droits de l’homme, semblent réticentes à reconnaître la supériorité du droit international des droits de l’homme. La majorité d’entre elles tente de rechercher un équilibre, pas toujours facile à trouver, entre le droit national et le droit international. C’est le cas de l’Algérie, de l’Angola, du Burundi, du Cameroun, du Gabon, du Mozambique, du Rwanda, de la République démocratique du Congo, du Sénégal et du Togo.

Le moment n’est-il pas venu, à la faveur des recours de plus en plus nombreux des citoyens devant les juridictions constitutionnelles, mais aussi, et surtout, de l’ouverture de plus en plus large du prétoire du juge international, d’harmoniser les jurisprudences constitutionnelles entre elles et avec la jurisprudence internationale sur ce point ? Pour éviter une divergence de jurisprudences, qui conduirait fatalement à ce qui sera perçu comme un désaveu de l’une des deux juridictions et à un affaiblissement de l’État de droit, il conviendrait de s’attaquer à ce mythe de « la séparation » afin d’évoluer vers « une coordination » ou une « appropriation mutuelle ». Il s’agit, à cet effet, d’approfondir le dialogue entre juges au double plan horizontal, entre juridictions constitutionnelles, et vertical entre juridictions constitutionnelles et juridictions internationales en vue d’une harmonisation de leurs jurisprudences[27].

Par défiance, peut-être, à l’égard des juridictions nationales surtout dites « ordinaires », les requérants tendent, en effet, de plus en plus, à saisir les juridictions internationales régionales contre les décisions des premières, pour faire valoir leurs droits. Il arrive alors souvent que ces requêtes donnent lieu à des décisions contraires à celles des juridictions nationales[28].

Le dialogue préconisé présente le double intérêt d’éviter, d’une part, de la part des citoyens, une forme de défiance à l’égard des juridictions constitutionnelles et, d’autre part, du côté des États, la tentation d’un refus d’exécuter les décisions des juridictions internationales. Il s’agit de deux risques sérieux. On constate ces dernières années, aussi bien sur le continent européen qu’africain, et même américain, un mouvement de  désengagement  du  processus  d’intégration et de réticence, voire de franche hostilité des États à l’égard des juridictions internationales de protection des droits de l’homme[29].

Il n’est pas interdit d’espérer qu’une convergence des jurisprudences, comme celle qui est en cours en Europe, se produise dans d’autres parties de l’espace francophone, dans l’intérêt exclusif de la promotion des droits de l’homme.

Les juridictions situées dans l’espace européen ont en effet engagé un dialogue des juges depuis plusieurs années, qui a progressivement apaisé les rapports entre juridictions nationales et juridictions internationales[30]. Ailleurs, et sur  le continent africain en particulier, ces rapports semblent malheureusement révéler des comportements moins enclins à la collaboration, alors qu’il est parfaitement envisageable de les adoucir et de les harmoniser afin de mettre en cohérence le régime juridique des droits de l’homme dans le même espace. Il y va de la stabilité des ordres juridiques et de la sécurité juridique des citoyens[31].

Sur un autre point, certaines notions au cœur des droits de l’homme ne sont pas toujours conceptualisées. Il en est ainsi de la dignité, de la liberté et de l’égalité. La tendance qui se dégage de l’analyse comparée de la jurisprudence des pays du Nord et de celle des pays du Sud donne à penser qu’en Europe, la tendance du juge à fournir un contenu à ces notions à l’occasion des différents recours dont il est saisi est plus nette.

Ce contenu, bien évidemment, peut évoluer et devenir de ce fait difficile à systématiser. Il en est ainsi de la dignité dont le sens s’est progressivement enrichi en Europe, notamment depuis ces dernières années avec les potentialités de la bioéthique et des manipulations génétiques. Cet enrichissement a pourtant été rendu possible grâce à l’audace du juge constitutionnel, tempéré par son réalisme juridique. Il a su en effet, tenir compte du caractère universel des droits de l’homme, combiné aux circonstances de chaque affaire.

Dans les pays en sortie de crise, on note curieusement que c’est d’« une main tremblante » que le juge manipule  ces notions.  Il est vrai qu’à sa décharge,  il faut reconnaître qu’il a moins souvent l’occasion que son homologue des pays développés de se prononcer sur des questions de société mettant en jeu des droits civils comme le statut personnel ou des rapports horizontaux entre citoyens.

Cet empirisme que l’on constate du juge constitutionnel du Sud, si l’on n’y prend garde, pourrait hypothéquer l’épanouissement des droits de l’homme. Ne faudrait-il pas, par exemple, rompre avec  ce mythe du caractère sibyllin et ésotérique que devrait revêtir la motivation du juge et s’orienter vers une rédaction plus pédagogique des décisions, surtout lorsqu’elles sont relatives aux droits fondamentaux des citoyens ?

La politique de communication mise en place par certaines cours est certainement un début de réponse à cette préoccupation. Elle devrait être encouragée.

B. Lever les tabous

On ne le répétera jamais assez : les exigences des citoyens en matière d’État de droit et de démocratie sont de plus en plus fortes et rien ne permet de penser qu’elles le seront de moins en moins dans les années à venir. À preuve, les recours de plus en plus nombreux et de plus en plus sophistiqués qui sont adressés au juge constitutionnel.

Dans ces conditions, pour tenir son rang, ce juge n’a apparemment pas le choix. Il ne peut que monter en puissance en se dotant de pouvoirs encore plus importants, à la manière du juge administratif dans son contrôle de l’administration, pour se hisser à la hauteur du législateur et débusquer les vices d’inconstitutionnalité où qu’ils se trouvent. Son leitmotiv devrait être : oser, pour innover afin d’améliorer le traitement contentieux des droits de l’homme en vue de promouvoir la démocratie.

L’analyse des pouvoirs des juridictions constitutionnelles de Common Law, et même parfois de certaines Cours de Civil Law, laisse croire  que le juge s’y  est reconnu des prérogatives non prévues par les textes pour, non seulement donner un contenu orienté à ses décisions, mais aussi se donner les moyens d’assurer leur exécution.

Concrètement, la recherche d’améliorations de l’existant pourrait porter aussi bien sur les techniques de contrôle de constitutionnalité que sur les effets des décisions du juge.

Certaines juridictions constitutionnelles, malgré le caractère objectif du contrôle de constitutionnalité, ont pris sur elles d’engager la responsabilité de l’État et de le condamner à verser des dommages et intérêts à des requérants pour réparer les conséquences dommageables d’un acte inconstitutionnel.  Ce qui était inconcevable dans le schéma prévu au départ par l’organisation de la justice constitutionnelle bâti sur le modèle centralisé, est ainsi devenu une réalité du droit positif. Il s’agit d’un rapprochement entre le contentieux objectif de l’annulation et celui de pleine juridiction. C’est un mouvement déjà en cours en droit administratif dans certains systèmes juridiques comme en Allemagne. On peut se demander, dès lors, si, pour rendre l’État de droit plus effectif, le contrôle de constitutionnalité ne devrait pas faire tomber ce tabou et évoluer dans ce sens. Après tout, ce ne serait qu’une reprise de la deuxième modalité de sanction des actes illégaux, la responsabilité de leur auteur, à côté de leur annulation.

Cette possibilité existe d’ailleurs déjà devant certaines juridictions constitutionnelles membres de l’ACCF. C’est le cas au Cap-Vert, en Albanie, au Canada, au Mozambique, à Monaco et en Serbie. Il serait peut-être souhaitable que cette tendance se généralise dans l’espace francophone, malgré les résistances qu’elle pourrait susciter.

Toujours dans la perspective d’un ancrage de l’État de droit et de la démocratie ou de leur consolidation, selon le contexte, l’exécution des décisions  rendues  par les Cours constitutionnelles mériterait une réflexion plus approfondie.

Il s’agit aussi d’un sujet presque tabou[32]. Le principe veut en effet que le juge finisse de remplir son office dès qu’il prononce sa décision. Il n’a aucun pouvoir pour s’assurer de sa bonne exécution, même lorsqu’elle crée des droits au profit du citoyen. L’inexécution de cette décision, bien que son exécution soit obligatoire, risque d’altérer le principe même de la soumission du pouvoir politique au droit et de compromettre la démocratie. En n’y remédiant pas, on renonce à un pan du constitutionnalisme. Sur ce point, l’inspiration pourrait venir de la jurisprudence internationale. On songe à celle de la Cour européenne des droits de l’homme, mais aussi d’autres juridictions, dans l’approfondissement interprétatif du droit au procès équitable, qui inclut désormais un droit à l’exécution des décisions de justice.

Un certain nombre de juridictions, y compris de l’espace francophone, ont ainsi mis en œuvre, de leur propre initiative, des pouvoirs d’injonction contre l’État afin de l’amener à exécuter la décision qui annule son acte ou qui le condamne. Cette injonction peut se manifester sous plusieurs formes. Ainsi, en France, en matière de question prioritaire de constitutionnalité, le juge peut fixer au pouvoir législatif les modalités d’exécution de sa décision dans le temps. Mais, mieux encore, une tendance semble se dessiner chez les juridictions constitutionnelles africaines qui adressent, plus que des injonctions, de véritables feuilles de route aux autorités politiques, lorsqu’il s’agit de prendre des mesures de sortie de crise. C’est le cas de la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar[33] et des Cours constitutionnelles de la République centrafricaine[34] et du Gabon298[35].

Cette pratique, pourtant non prévue par les textes, semble s’imposer petit à petit en raison des circonstances exceptionnelles, causes ou conséquences des crises politiques que connaissent certains pays. Le juge constitutionnel, plus qu’un simple régulateur du fonctionnement des institutions, devient dans de tels cas le seul arbitre du jeu politique à la place du président de la République, et le dernier rempart contre l’arbitraire. Sans aller jusqu’à banaliser cette pratique exceptionnelle, on pourrait envisager son application au cas par cas.

Si cette solution ne suffisait pas pour donner plus de substance à l’État de droit et à la démocratie, ne pourrait-on pas alors envisager un pouvoir d’auto saisine ou de substitution au juge constitutionnel en cas de refus d’exécuter sa décision ? Des exemples montrent que laisser l’exécution de la décision à la libre appréciation du pouvoir politique comporte assurément des risques.

Certains pays comme la Moldavie et la  République  démocratique  du Congo ont mis en place un système dans lequel le juge constitutionnel assure l’exécution de ses propres décisions. Dans d’autres pays, c’est un autre organe qui veille à cette exécution. C’est le cas de l’Albanie, d’Andorre, du Cap-Vert, de la République centrafricaine et de la Suisse. On peut cependant douter de l’efficacité d’une telle décision, même s’il s’agit d’un progrès par rapport à celle, classique, qui lie les mains du juge.

Les propos conclusifs de ce rapport sont, peut-être, de ceux par lesquels il aurait pu commencer. Ils tournent en effet autour de trois mots : remerciements, félicitations et vœux qui sont convenus au début d’une prise de parole. Mais je voulais réserver le meilleur pour la fin. Je tiens en effet, au moment où la partie scientifique de votre congrès s’achève, à remercier l’ACCF de m’avoir invité à vous accompagner pour rendre compte de vos travaux. Mais c’est aussi l’occasion de féliciter votre association d’avoir eu l’audace de choisir un sujet apparemment éculé, sur lequel il est a priori difficile d’innover. La qualité des communications et des débats a cependant montré que le choix était pertinent. Il ne me reste donc plus qu’à souhaiter, non pas seulement un bel avenir à votre association, mais surtout un devenir qui serait le résultat de votre force transformatrice vers une phase qualitativement supérieure de son évolution.


  • [1]
    Avec la collaboration d’Alioune SALL, professeur à l’Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR, membre de la Commission du droit  [Retour au contenu]
  • [2]
    Baldé, La convergence des modèles constitutionnels. Étude des cas en Afrique subsaharienne, Editions Publibook, 2011, 536 p. ; B. Ba, « La convergence des offices juridictionnels en matière constitutionnelle : regards croisés entre l’Afrique et l’Amérique latine », Revue électronique Afrilex.  [Retour au contenu]
  • [3]
    J. du Bois de Gaudusson, « Le mimétisme post-colonial, et après ? » Pouvoirs, 2009/2, n° 129, mise en ligne par Cairn.info le 23/03/2009.  [Retour au contenu]
  • [4]
    M. Fromont, Justice constitutionnelle comparée, Paris, 2013, voir pp. 13 et s. sur l’historique.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Cons. const., déc. n° 61-1 AUTR du 14 septembre 1961, Demande d’avis présentée par le Président de l’Assemblée nationale.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Cons. const., déc. n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000.  [Retour au contenu]
  • [7]
    La démocratie en recul, Rapport biannuel de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA) sur la situation politique dans le monde, publié le 22 novembre 2O21 ; Applebaum, Démocraties en déclin. Réflexions sur la tentation autoritaire, Paris, Grasset, 2021, 129 p.  [Retour au contenu]
  • [8]
    A. Sachs, L’étrange alchimie de la vie et de la loi, Pretoria, Pretoria University Law Press, 2021, 190 p. ; F. Hourquebie, « Libres propos sur le juge constitutionnel et les valeurs », les Cahiers de la justice 2022/1, n° 1, pp. 7-14.  [Retour au contenu]
  • [9]
    S. Breyer, La Cour suprême, l’Amérique et son histoire, Paris, Odile Jacob, 2011, 365 p., surtout la préface de Robert Badinter.  [Retour au contenu]
  • [10]
    S. Salles, Le conséquentialisme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, LGDJ, 2016, 779 p.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [12]
    N. Belloubet, « Repenser le rôle du juge constitutionnel, Les rapports entre le Conseil constitutionnel français et les ordres juridiques européens », in Bonnet (dir.), Traité des rapports entre ordres juridiques, Paris, LGDJ, 2016, p 695.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Constitutionnalisme global, Jus politicum, Revue de droit politique n° 19, janvier 2018 ; Böckenförde, B. Kanté, Y. Ngenge, H. K. Prempeh, Les juridictions constitutionnelles en Afrique de l’Ouest, IDEA International/Fondation Hanns Seidel, 2016, 192 p.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Ibidem.  [Retour au contenu]
  • [15]
    « L’accès au juge constitutionnel : modalités et procédures », 2e congrès de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en Partage l’Usage du Français, Libreville – Septembre 2000, 823 p. ; F.  Delpérée (dir.), Le recours des particuliers devant le juge constitutionnel, Paris, Bruylant/ Economica, 1991, voir la deuxième partie, pp. 77 et s.  [Retour au contenu]
  • [16]
    « Le principe d’égalité », 1er congrès de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en Partage l’Usage du Français, Paris, Avril 1997, 614 p. ; F. Mélin-Soucramanien, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1997, 397 p.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Surtout que, selon la formule plusieurs fois répétée par le juge constitutionnel sénégalais,reprenant en cela son homologue français : « (…) la compétence du Conseil constitutionnel est strictement délimitée par la Constitution et la loi organique sur le Conseil constitutionnel (…) ; qu’il ressort de ces textes que le Conseil constitutionnel ne saurait être appelé à statuer ou à émettre un avis que dans les cas et suivant les modalités qu’ils ont fixés ».  [Retour au contenu]
  • [18]
    F. Delpérée (dir.), op.cit.  [Retour au contenu]
  • [19]
    L. Favoreu, « Le principe du contradictoire dans le contentieux constitutionnel », in La Constitution et son juge, Paris, Economica, 2014, p. 179 ; J. Djogbenou, « Les parties dans le procès constitutionnel », in Mélanges en l’honneur du professeur Ndiaw DIOUF, Justice et intégration, tome I, Justice, Éditions du CREDIJ et les Éditions de l’ERSUMA, 2020, p. 185.  [Retour au contenu]
  • [20]
    F. Hourquebie, op. cit.  [Retour au contenu]
  • [21]
    S. Breyer, op.cit.  [Retour au contenu]
  • [22]
    A. Sachs, op. cit.  [Retour au contenu]
  • [23]
    G. Drago, L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel. L’effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois, Paris, Economica- Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1991, 403 p ; Du même auteur, « Vers une procédure d’exécution forcée des décisions du Conseil constitutionnel ? », La Semaine juridique Édition générale, n° 15, 12 avril 2021, doctr. 417.  [Retour au contenu]
  • [24]
    « Les tabous du constitutionnalisme en Afrique « francophone » », Afrique contemporaine, 2012/2, n° 242, 156  [Retour au contenu]
  • [25]
    M. Touzeil-Divina, Dix mythes du droit public, Paris, LGDJ, 2019, 413 p.  [Retour au contenu]
  • [26]
    F. Chaltiel-Terral, « Droit constitutionnel et droit européen : de la confrontation  à l’appropriation mutuelle », in Traité des rapports entre ordres juridiques, op. cit., p. 1171 ; G. Canivet, « La protection des droits fondamentaux en Europe. L’incontournable question de l’application du droit européen par le juge constitutionnel français. De l’impraticable séparation à l’inévitable coordination », in Traité des rapports entre ordres juridiques, op. cit., p. 1157.  [Retour au contenu]
  • [27]
    A. Sall, Le contentieux des droits de l’homme devant la Cour de justice de la CEDEAO, Dakar, l’Harmattan-Sénégal, 2019, 270 p.  [Retour au contenu]
  • [28]
    L. Burgorgue-Larsen, G.-F. Ntwari, « Chronique de jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (2020) », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n° 128, pp. 991-1046 ; M. Disant, « (Re)penser les rapports entre le Conseil constitutionnel et le juge ordinaire. Voies et capacité de régulation interne au prisme des rapports entre ordres juridiques », in Traité des rapports entre ordres juridiques, op. cit., p. 725.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Ibidem  [Retour au contenu]
  • [30]
    G. Canivet, La protection des droits fondamentaux en Europe, op. cit.  [Retour au contenu]
  • [31]
    Actes du 8e congrès triennal de l’ACCF, Montréal, 1er et 2 mai 2019 sur « La sécurité juridique ».  [Retour au contenu]
  • [32]
    « Les tabous du constitutionnalisme en Afrique « francophone » », Afrique contemporaine, 2012/2, n° 242, 156  [Retour au contenu]
  • [33]
    Haute Cour constitutionnelle de  Madagascar,  Décision  n° 18-HCC/D13  du  25 mai 2018 relative à une requête en déchéance du Président de la République Hery RAJAONARIMAMPIANINA.  [Retour au contenu]
  • [34]
    Avis n° 015/CC/20 du 05 juin 2020 relatif à la révision de certaines dispositions de la Constitution du 30 mars 2016  [Retour au contenu]
  • [35]
    Décision n° 022/CC du 30 avril 2018 relative à la requête présentée par le Premier ministre aux fins d’interprétation des art. 4, 28, 28 a, 31, 34, 35 et 36 de la Constitution  [Retour au contenu]

 

Réponses au questionnaire

Questionnaire

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

    1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?
    2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?
    3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?
    4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?
    5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?
    6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?
    7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?
    8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?
    9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?
    10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?
    11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?
    12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

    1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?
    2. Votre juridiction établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?
    3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?
    4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?
    5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui, pourquoi et comment ?
    6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?
    7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?
    8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?
    9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?
    10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?
    11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?
    12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?
    13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?
    14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?
    15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

 

 3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

  1. Existe-t-il, selon votre juridiction, une conception relative des droits de l’homme ?
  2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?
  3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?
  4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?
  5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?
  6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?
  7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?
  8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?
  9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?
  10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?
  11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?
  12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?
  13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

 

Cour constitutionnelle d’Albanie

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

La juridiction de la Cour constitutionnelle d’Albanie est principalement axée sur l’expression de la volonté de la puissance publique à travers l’émission de normes juridiques et comprend des aspects importants liés notamment au domaine de la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La protection des droits constitutionnels de l’individu constitue l’un des aspects essentiels de la légitimité d’un procès constitutionnel. Le pouvoir d’examiner les recours individuels contre les actions des autorités publiques portant atteinte aux droits que la Constitution garantit représente un outil important pour la Cour constitutionnelle. Les dimensions actuelles des droits et libertés offrent aux individus un espace de défense devant la Cour constitutionnelle, tout en faisant de l’examen des recours individuels une fonction clé de la Cour constitutionnelle. La Cour constitutionnelle est compétente pour examiner les requêtes alléguant la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

La protection des droits et libertés est une fonction importante   de la Cour constitutionnelle. Sa compétence pour protéger les droits et les libertés est explicitement exprimée tant dans la Constitution que dans la loi n° 8577/2000 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, telle que modifiée (loi n° 8577/2000).

Conformément aux articles 131, point 1, lettre « f », et 134, point 1, lettre « i » et point 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle  statue sur le  jugement  définitif  des  recours  individuels  contre  tout acte des pouvoirs publics ou toute  décision  judiciaire  qui  porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution,  après épuisement de toutes les voies de recours effectif pour la protection  de  ces  droits,  sauf  disposition  contraire  de la Constitution. Les individus ne peuvent saisir la Cour constitutionnelle que pour des questions liées à leurs intérêts. De même, l’article 71 de la loi n° 8577 du 10 février 2000 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle de la République d’Albanie, telle que modifiée, dispose que toute personne, physique ou morale, sujet de droit public ou privé, lorsqu’elle est partie à une procédure judiciaire ou lorsqu’elle est titulaire des droits et libertés consacrés par la Constitution, a le droit de contester devant la Cour constitutionnelle tout acte qui porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, conformément aux critères prévus à l’article 71 a) de cette loi.

En référence aux dispositions de la loi organique de la Cour constitutionnelle avant les modifications de 2016, la Cour n’était compétente pour contrôler les requêtes individuelles que dans le cadre d’un procès équitable. Avec les modifications apportées à la loi n° 8577/2000 en octobre 2016, la Cour constitutionnelle est désormais compétente pour examiner les recours individuels pour tout droit constitutionnel, à condition que l’individu ait épuisé toutes les voies de recours disponibles prévues par la législation nationale avant de saisir la Cour.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Les droits de l’homme sont étroitement liés à l’État de droit et à la démocratie.

L’État de droit est lié au fait d’avoir un  modèle  supérieur  de  l’État qui se définit par sa conformité avec le droit, l’existence d’une hiérarchie des normes et la soumission de l’État à des normes juridiques qui respectent les droits de l’homme et les libertés fondamentales. L’État de droit exige que les individus comprennent la loi et y obéissent. De l’autre côté, la loi doit être cohérente pour que les individus puissent en être sûrs et s’y fier. Dans la réalité contemporaine, l’État de droit ou la prééminence du droit s’avère  être  le  résultat/le  produit  non  seulement  de  la Constitution écrite, mais aussi du contrôle judiciaire de la constitutionnalité.

La Cour constitutionnelle, dans sa jurisprudence, a soutenu que le principe de l’État de droit exige le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales par toutes les institutions de puissance publique, qui doivent remplir leurs fonctions, agissant sur la base et en application de la loi ainsi que conformément aux principes constitutionnels. De ce point de vue, l’État de droit s’oppose à tout arbitraire pouvant être exercé par les organes du pouvoir de l’État, impliquant à la fois l’existence d’un pouvoir limité, mais aussi contrôlé, par lequel est garantie l’inviolabilité des libertés fondamentales et des droits des citoyens.

Le principe de l’État de droit, sur lequel est fondé un État démocratique, signifie dans l’évaluation de la Cour constitutionnelle « la prééminence du droit et la prévention de l’arbitraire, afin d’assurer le respect et la garantie de la dignité humaine, de la justice et de la sécurité juridique » (décision n° 9 du 26 février 2007). La disposition constitutionnelle reconnaissant le droit de toute personne, contre laquelle des accusations sont portées, à jouir du droit à un procès équitable et public par un tribunal indépendant et impartial (paragraphe 1 de l’article 42 de la Constitution), ainsi que les règles selon lesquelles le pouvoir judiciaire dans la République d’Albanie n’est exercé que par les tribunaux (paragraphe 1 de l’article 135 de la Constitution), lorsqu’elles sont interprétées dans le contexte de l’État de droit, conduisent à la conclusion que le procès contre la personne en question doit nécessairement être achevé dans un délai raisonnable.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

L’État de droit est un État qui, dans les limites des normes constitutionnelles, respectant ces normes, assure, par son activité législative, la garantie des droits de l’homme sous le contrôle d’un organe spécifique chargé de vérifier la compatibilité entre ces lois et les droits de l’homme.

Le deuxième alinéa de l’article 4 de la Constitution prévoit la supériorité de la Constitution en la plaçant au sommet de la pyramide des normes juridiques, ce qui est un aspect essentiel du principe de l’État de droit. Ce principe oblige tous les organes du pouvoir public à n’exercer leurs compétences que dans le cadre et conformément aux normes constitutionnelles. Les actes juridiques émis par ces organes doivent être conformes aux actes juridiques supérieurs, tant au sens formel que matériel (décision n° 9 du 23 mars 2010 de la Cour constitutionnelle). En outre, un élément important de l’État de droit et de la démocratie est la protection des droits de l’homme (décision n° 5 du 26 janvier 2007 de la Cour constitutionnelle). Le respect des principes fondamentaux du droit est une condition nécessaire à la protection des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie, cependant, les droits et libertés fondamentaux de l’homme ne sont pas absolus. L’article 17 de la Constitution de la République d’Albanie dispose que des restrictions aux droits et libertés prévus par la Constitution ne peuvent être imposées par la loi que dans l’intérêt public ou pour la protection des droits d’autrui, et que ces restrictions doivent être proportionnées à l’état qui les a dictées. Ces restrictions ne peuvent porter atteinte à l’essence des droits et des libertés et en aucun cas elles ne peuvent dépasser les restrictions prévues par la Convention européenne des droits de l’homme.

Selon la Cour constitutionnelle, dans certains cas, les modifications juridiques, bien qu’elles puissent porter atteinte à un droit antérieur, ne constituent pas nécessairement une atteinte aux principes, aux droits acquis et à la confiance des citoyens dans le système juridique pour bénéficier d’une protection constitutionnelle. La Constitution n’interdit pas chaque modification d’une situation juridique favorable. À cet égard, il faut voir dans chaque cas dans quelle mesure et jusqu’où la confiance que le citoyen a dans la situation juridique favorable est importante pour être protégée par des normes et principes constitutionnels, ainsi que les raisons qui justifient une telle protection (décision n° 41 du 16 novembre 2007 de la Cour constitutionnelle).

Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle d’Albanie, il y a eu des cas où elle a constaté des violations des droits et des libertés de l’individu, en raison de restrictions imposées par le législatif ou l’exécutif. Ainsi, la Cour a constaté une violation du principe de la proportionnalité à cause des restrictions imposées aux droits et libertés de l’individu par des mesures anti-Covid (décision n° 11 du 9 mars 2021 de la Cour constitutionnelle). Cependant, il y a eu également des cas où la Cour a constaté que les actions du législateur ou du gouvernement n’ont pas violé les droits de l’individu et ont été proportionnées au regard de l’objectif poursuivi (décisions n° 14 du 21 mars 2014 ; n° 17 du 27 mars 2012 ; n° 28 du 27 mai 2010 de la Cour constitutionnelle, relatives à la liberté économique).

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

La démocratie ne peut exister sans le respect de l’État de droit et celui-ci ne peut être pensé sans la démocratie. L’État de droit est l’un des trois éléments fonctionnellement liés les uns aux autres : l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme, qui sont les trois valeurs qui forment un tout. L’État de droit est orienté par des valeurs, ce qui signifie que les droits fondamentaux et la démocratie en tant que droit de l’individu à l’autodétermination, en sont les éléments constitutifs. L’État de droit repose principalement sur le respect de la Constitution.

Le texte de la Constitution commençant par le Préambule et se poursuivant par le libellé des dispositions spéciales fournit une base suffisante pour sanctionner le principe de l’État de droit. Le concept d’État de droit a pris une place très importante, devenant l’orientation principale de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Ce principe est largement traité dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle comme un principe universel et fondamental pour l’ensemble du système juridique albanais. Ce principe, qui est consacré par l’article 4 de la Constitution, a été interprété en lien étroit avec le Préambule de la Constitution, dans lequel est inscrite la détermination du peuple albanais « […] à construire un État de droit, démocratique et social », dans le raisonnement de nombreuses décisions de la Cour constitutionnelle (décision n° 26 du 2 novembre 2005).

En soulignant l’importance de la prééminence du droit pour un État démocratique, dans sa décision n° 9 du 26 février 2007, la Cour constitutionnelle a conclu que ce principe « constitue une norme constitutionnelle indépendante » dont la violation est « en soi une base suffisante pour déclarer une loi comme inconstitutionnelle ».

La Cour constitutionnelle a soutenu que le principe de l’État de droit est l’un des éléments fondamentaux de la démocratie en tant que forme de gouvernement. La garantie par des normes constitutionnelles et d’autres actes juridiques ainsi que la mise en œuvre de ce principe dans la vie quotidienne, sont des conditions nécessaires pour le fonctionnement et le développement d’une société libre, pour la paix et la sécurité sociale, le bien-être de toutes les couches sociales, et pour un meilleur respect des droits et libertés de l’individu Les éléments du principe de l’État de droit, que l’on retrouve dans de nombreuses dispositions de la Constitution, se présentent sous la forme de concepts constitutionnels tels que l’exercice de la souveraineté du peuple « par l’intermédiaire de ses représentants ou directement » (article 2) ; la gouvernance fondée sur un système d’élections libres, égales, générales et périodiques (article 1 point 3) ; la dignité humaine et les droits et libertés de l’homme (article 3) ; les droits et libertés de l’homme comme « indissociables, inaliénables et inviolables » qui sont « à la base de tout l’ordre juridique » (article 15) ; l’égalité des citoyens devant la loi (article 18). Cependant, le principe de l’État de droit ne peut être interprété séparément des autres normes. Dans la doctrine et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle d’Albanie, le principe de l’État de droit est considéré comme étant lié à la fois au principe de démocratie, au principe de la suprématie de la Constitution et au principe de son intégrité.

Dans la jurisprudence constitutionnelle, le principe de la démocratie est considéré comme lié au principe de l’État de droit. Le principe de la démocratie réside dans le respect des garanties prévues par la Constitution de la République d’Albanie en matière de gouvernance de l’État fondée sur un système d’élections libres, égales, générales et périodiques (article 1, point 3, de la Constitution), le respect du droit de chacun d’élire et d’être élu (article 45, point 1), la garantie de l’intégrité des personnes élues, nommées ou exerçant une fonction publique (article 6, point 1), la séparation et l’équilibre des pouvoirs (article 7), la libre création des partis politiques et leur organisation conformément aux principes démocratiques (article 9, point 1), etc. Parallèlement, l’État de droit vise à garantir que l’activité des organes de l’État s’exerce conformément aux actes normatifs en vigueur (article 4, point 1, et article 116 de la Constitution), à travers un processus visant à protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Ainsi, la démocratie vise un environnement favorable et stimulant à l’État de droit, tandis que l’État de droit soutient la démocratie.

La Cour constitutionnelle a traité le principe de l’État de droit et de la démocratie dans l’esprit de la Constitution, qui permet le respect des droits et libertés, prenant en considération que dans la démocratie en tant que forme de gouvernement et dans l’État de droit, le but, les tâches et les objectifs de tous les mécanismes étatiques sont et devraient être communs. Ils constituent l’interprétation et la mise en œuvre les plus rigoureuses de la Constitution et des autres actes normatifs, garantissant ainsi à la fois l’organisation et le fonctionnement de l’État, le respect des principes de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que la protection la plus efficace des droits et libertés de l’individu. La suprématie de l’État de droit est l’une des principales préoccupations, car son respect est la garantie fondamentale de la protection de la démocratie.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

L’État de droit, qui a commencé à être mentionné au début des années 90, était un nouveau concept pour la doctrine constitutionnelle albanaise. Le Préambule de la Constitution vise à clarifier le sens de ce principe ; le Préambule stipule que l’une des aspirations du peuple de l’Albanie est de « construire un État de droit, démocratique et social garantissant les droits et libertés fondamentaux ».

La Cour constitutionnelle, par sa jurisprudence, a apporté une contribution précieuse au respect et à la mise en œuvre, de façon la plus pleine et la plus exacte possible, des principes qui sous-tendent l’État de droit, ce qui a eu un impact positif sur son renforcement en Albanie, en tant que condition de base pour la construction d’une démocratie libérale, pour le fonctionnement des institutions, et pour le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Cour constitutionnelle dispose déjà d’une jurisprudence abondante de presque 30 ans en examinant différentes questions en termes d’interprétation de la Constitution, de séparation et d’équilibre des pouvoirs, de conflit de compétences, d’indépendance (fonctionnelle, administrative et budgétaire) et d’impartialité du pouvoir judiciaire, de constitutionnalité de l’activité et l’exercice des fonctions constitutionnelles, de l’intégrité des hauts fonctionnaires de l’administration de l’État et des élus, de la prévention du népotisme dans l’administration publique, du référendum, de l’État de droit et de la démocratie, de la garantie des droits et libertés fondamentaux de l’homme, ainsi qu’une jurisprudence relativement large en matière de garantie des droits de propriété, de sécurité juridique, etc. sans négliger la garantie des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre d’un procès équitable. Les décisions de la Cour constitutionnelle ont été mises en œuvre à la fois par les organes de l’État et les tribunaux et, en général, les mêmes violations ne se sont plus répétées. Cependant, le chemin vers la consolidation de l’État de droit et de la démocratie est encore long. La future jurisprudence de cette Cour aura, sans aucun doute, un rôle important dans l’avenir de l’Albanie.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, garantir l’État de droit et la démocratie sont des objectifs en soi, ils ne constituent pas un objectif final, mais sont étroitement liés à la promotion de la coopération entre les pouvoirs, ainsi qu’entre les organes constitutionnels et juridiques, afin de garantir les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Depuis le début de son activité en 1992, le rôle de la Cour constitutionnelle dans la consolidation de la démocratie du pays est incontestable. Ainsi, en 1999, dans le cadre des obligations imposées à l’État albanais pour son admission au sein du Conseil de l’Europe, la Cour constitutionnelle a aboli la peine de mort, soulignant l’importance des dispositions constitutionnelles protégeant la vie humaine en tant que valeur incontestable, et les obligations de l’État albanais découlant de l’article 1 du Protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l’homme.

Étant donné que les cas où la Cour constitutionnelle a constaté des violations des dispositions de la Constitution par divers organes et pouvoirs ont été nombreux, il convient de noter quelques-uns des cas les plus typiques dans lesquels la Cour, par son activité décisionnelle, a influencé la consolidation de la démocratie. Ainsi, la Cour constitutionnelle a souligné à plusieurs reprises la nécessité de la coopération, de la compréhension et de la loyauté constitutionnelle entre les institutions constitutionnelles Président – Parlement – Gouvernement (décisions n° 15 du 15 avril 2020 ; n° 26 du 25 mai 2021 de la Cour constitutionnelle). Elle a également influencé la détermination des relations entre les organes du gouvernement central et local dans de nombreux cas (décisions n° 3 du 2 février 2009 ; n° 29 du 21 décembre 2006; n° 4 du 2 février 2015 de la Cour constitutionnelle), l’appréciation de la constitutionnalité de la révocation par l’exécutif des représentants des organes du gouvernement local (décisions n° 15 du 8 juin 2009; n° 25 du 10 mai 2021 de la Cour constitutionnelle), les limites dans l’exercice de l’activité d’organes judiciaires et constitutionnels (décisions n° 25 du 28 avril 2014 ; n° 9 du 1er mars 2021 de la Cour constitutionnelle), etc.

Dans le cadre de la consolidation de la démocratie, la Cour constitutionnelle a joué un rôle incontestable dans la protection et la garantie des droits de l’homme. Dans les cas où elle a constaté des violations de ces droits soit en raison de l’inconstitutionnalité d’actes normatifs en vigueur, soit en raison des arrêts rendus par des juridictions inférieures, son processus décisionnel s’est toujours accompagné de modifications législatives ou de nouvelles décisions de juridictions inférieures, dans lesquelles sont prises en compte les conclusions de la Cour constitutionnelle. De l’analyse de la jurisprudence constitutionnelle albanaise, il ressort que son approche de ce principe va dans le même sens que celui de la jurisprudence européenne.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Chaque norme de la Constitution peut et doit être vue à travers le principe de l’État de droit. C’est seulement cela qui pourrait assurer un équilibre entre les différentes normes et principes constitutionnels, ainsi que leur cohérence.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle a analysé un nombre de principes constitutionnels en fonction du principe universel de l’État de droit. Les positions de la Cour constitutionnelle se basent particulièrement sur le principe de l’État de droit, en identifiant à la fois certains de ses principaux éléments tels que « le principe de séparation des pouvoirs, l’adoption des lois conformément à la Constitution, le soutien des organes de l’exécutif par la loi, la garantie des droits et des libertés fondamentales et le principe de sécurité juridique ».

Le rôle de la Cour constitutionnelle dans le renforcement de l’État et de la démocratie en Albanie consiste en divers aspects tels que la garantie du principe de souveraineté, de séparation et d’équilibre des pouvoirs, le principe de pluralisme, la résolution des conflits de compétences, l’autonomie locale, l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire, l’autonomie institutionnelle et l’autonomie universitaire, le principe de l’État social, le droit au référendum, la garantie du droit à la vie, à la sécurité juridique et aux droits acquis, la liberté d’activité économique, l’égalité devant la loi et la non-discrimination, la justice effective, etc. ainsi que toutes les garanties contenues dans le principe du procès équitable.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

La jurisprudence constitutionnelle a défini l’État de droit comme l’un des principes fondamentaux d’un État et d’une société démocratique. En tant que tel, il constitue une norme constitutionnelle indépendante, donc « sa violation constitue en soi une base suffisante pour déclarer une loi inconstitutionnelle » (décisions n° 34/2005, n° 20/2006, 20/2009 et 7/2010 de la Cour constitutionnelle).

Ce principe a été analysé par la jurisprudence constitutionnelle conformément aux principes constitutionnels de base tels que la constitutionnalité, le pluralisme, la souveraineté de l’État, conformément aux principes des droits de l’homme et libertés fondamentales, mais surtout au principe de séparation des pouvoirs. À travers sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a apporté une contribution précieuse au respect et à la mise en œuvre des principes qui sous-tendent l’État de droit, ce qui a eu un impact positif sur son renforcement en Albanie, en tant que condition de base pour la construction d’une démocratie libérale, le fonctionnement des institutions, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le placement de la Cour constitutionnelle au rang de la plus haute autorité, dont la mission principale est de garantir le respect de la Constitution et d’en assurer l’interprétation définitive, semble avoir placé cette instance au-dessus de ces trois pouvoirs. Cependant, la Cour entretient une relation de réciprocité avec les trois pouvoirs, fondée sur le fait que le mode d’élection, de révocation ou de procès pénal des juges constitutionnels dans la Constitution est mis en balance avec la compétence d’exercer son contrôle sur la constitutionnalité des normes juridiques que les pouvoirs édictent, ainsi que la résolution du conflit de compétences entre eux. La séparation et l’équilibre entre les pouvoirs ont conduit à leur placement dans une relation de contrôle et d’interdépendance, et en ce sens, si assurer et garantir les équilibres de l’ordre constitutionnel constituent la première prémisse de l’État de droit, la loyauté constitutionnelle reste le seul moyen d’en faire une réalité et de renforcer cet idéal institutionnel.

La contribution de la Cour constitutionnelle à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est incontestablement positive. L’activité de la Cour a été évaluée dans les rapports annuels de la Commission européenne sur les progrès de l’État albanais vers l’intégration à l’UE. La contribution de la Cour constitutionnelle a consisté dans sa détermination de construire un État de droit, démocratique et social, pour garantir les droits de l’homme et les libertés fondamentales, dans un esprit de tolérance et de coexistence religieuses, avec l’engagement de protéger la dignité et la personnalité humaines, la prospérité de toute la nation, la paix, le bien-être, la culture et la solidarité sociale, avec l’aspiration séculaire du peuple albanais à l’identité et à l’unité nationale, avec la profonde conviction que la justice, la paix, l’harmonie et la coopération entre les nations sont parmi les valeurs les plus élevées de l’humanité.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le rôle du juge constitutionnel est d’administrer (rendre) la justice constitutionnelle. Certes, les juges constitutionnels, par leur prise de décision, influencent la politique à travers le contrôle qu’ils exercent sur les actes du législatif ou de l’exécutif. À cet égard, il convient de noter qu’avant les amendements constitutionnels de 2016, les juges constitutionnels étaient nommés par le président de la République avec l’approbation de l’Assemblée. Étant donné que, selon les institutions internationales (y compris la Commission européenne), une telle sélection était considérée comme affectant l’indépendance de la Cour, les amendements constitutionnels de 2016 ont également modifié la sélection des juges constitutionnels. Déjà, l’article 125 de la Constitution et les articles 7 et 7/a-7/c de la loi n° 8577/2000 prévoient les procédures d’élection et de nomination des juges constitutionnels par les trois pouvoirs. En conséquence, afin de garantir leur indépendance, 3 juges constitutionnels sont nommés par le président de la République, 3 par l’Assemblée et 3 par la Cour suprême. L’évaluation du respect par les candidats au poste de juge constitutionnel des critères exigés (intégrité morale, justification de l’origine des biens (ressources) et compétences professionnelles requises) se fait à travers un processus conduit par un organe spécial, celui du Conseil des Nominations à la Justice, qui au terme de l’évaluation des critères de nomination pour chaque candidat, transmet les listes de candidats qualifiés aux institutions respectives pour la sélection de la candidature au poste de juge à la Cour constitutionnelle, ce qui évite le choix politique des juges constitutionnels.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Dans sa prise de décision, la Cour constitutionnelle a souligné à plusieurs reprises l’importance de l’accès des individus pour garantir l’État de droit. Le droit d’accès à la justice est traité non seulement sous l’aspect formel, mais aussi sous l’aspect substantiel, comme un droit lié à la fondation et non comme un droit purement formel (décisions n° 38 du 30 juin 2014 ; n° 2 du 29 janvier 2016 ; n° 88 du 26 décembre 2017 de la Cour constitutionnelle). Ce droit garantit à l’individu non seulement le droit d’avoir accès à un tribunal, mais aussi le droit d’en recevoir une réponse définitive, motivée, pour les allégations soulevées (décision n° 23 du 20 avril 2016 de la Cour constitutionnelle). Le droit d’accès à la justice a été traité par la Cour constitutionnelle non seulement comme un élément du procès équitable, mais aussi dans le contexte de la légitimation des entités qui s’adressent à cette Cour, telles que les organisations à but non lucratif ou les associations, l’Avocat du Peuple, etc.

De même, depuis le début de son activité, la Cour constitutionnelle a pris des mesures pour accroître l’accès des individus non simplement pour s’adresser à la Cour, mais aussi pour être informés de ses prises de décision. La Cour continue d’améliorer son site officiel www.gjk.gov.al afin de renseigner les individus sur la manière dont ils peuvent s’adresser à cette Cour par le biais du formulaire modèle d’une requête ; elle a indexé son activité décisionnelle selon les principes invoqués par la Cour ; elle a augmenté sa transparence vis-à-vis du public, etc. La Cour constitutionnelle informe également le public étranger sur son organisation et son fonctionnement, ainsi que sur son activité décisionnelle. Garantir l’accès à la Cour favorise le rôle actif des citoyens recherchant de la justice, et cela affecte directement l’activité de la Cour constitutionnelle en termes de garantie de l’État de droit et de la démocratie.

 

2.  LES    MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle d’Albanie se réfère principalement à ses décisions prises au fil des ans. Cependant, une place importante dans sa jurisprudence est occupée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que la jurisprudence des juridictions homologues telles que celles d’Allemagne, d’Italie, de France, du Kosovo, de Pologne, de Moldavie, des États-Unis, etc.

2. Votre juridiction établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

La jurisprudence constitutionnelle reconnaît la hiérarchie des sources du droit, conformément à l’article 116 de la Constitution de la République d’Albanie, qui prévoit la hiérarchie des actes normatifs qui servent de source aux droits de l’homme en Albanie. Ainsi, selon la Constitution, les actes normatifs qui ont force de loi sur l’ensemble du territoire de la République d’Albanie sont : a) la Constitution ; b) les accords internationaux ratifiés ; c) les lois ; ç) les actes normatifs du Conseil des ministres. Les actes émis par les organes du pouvoir local n’ont de force que dans le cadre de la juridiction territoriale de ces organes. Les actes normatifs des ministres et ceux des organes d’autres institutions centrales ont force sur tout le territoire de la République d’Albanie dans le cadre de leur compétence juridictionnelle. Il convient également de noter que les décisions de la Cour constitutionnelle, en tant que sources de droit, jouent aussi un rôle important. Elles visent à réglementer divers aspects des droits et libertés des individus.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

La place principale dans les affaires soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle est occupée par le droit à un procès équitable, sous tous ses aspects tels que : l’accès, le droit de recours, le tribunal établi par la loi, l’indépendance et l’impartialité du tribunal, le procès dans un délai raisonnable, l’égalité des armes, le principe du contradictoire, le principe du nullum crimen, nulla poena sine lege (pas d’infraction ni de sanction sans loi), la présomption d’innocence, ne bis in idem, le droit de la défense, etc. Cependant, une place considérable est également occupée par des affaires liées à d’autres droits et libertés tels que le droit de propriété, la liberté d’activité économique, la non- discrimination, l’égalité devant la loi, le droit du travail, le droit à la retraite, les droits électoraux, etc.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Même si les droits de l’homme sont largement abordés dans la jurisprudence la Cour constitutionnelle, c’est dans sa décision n° 20 du 20 avril 2021 que la Cour a traité pour la première fois, de manière étendue, dans une affaire concrète soumise à son examen, de la dignité de la personne. Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour constitutionnelle avait souligné en principe l’importance de protéger la dignité humaine, tandis que dans la présente affaire, la Cour a examiné si les modalités spécifiques prévues par la loi pour effectuer un test polygraphique par les employés du Bureau national d’Investigation et ceux de la Police portaient atteinte à la dignité humaine. La Cour constitutionnelle a considéré que ces épreuves imposaient aux candidats à ces postes une restriction au droit à la vie privée, ce qui portait inévitablement atteinte à leur dignité (décision n° 20 du 20 avril 2021 de la Cour constitutionnelle).

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Les droits fondamentaux sont consacrés dans la Constitution de la République d’Albanie dans sa deuxième partie. Cette section est divisée en cinq chapitres respectivement : le premier chapitre est consacré aux « Principes généraux des droits fondamentaux », le deuxième chapitre est intitulé « Les libertés et droits personnels », le troisième chapitre « Les libertés et droits politiques », le quatrième chapitre « Les libertés et droits économiques, sociaux et culturels » et le cinquième chapitre « Les objectifs sociaux ».

Certains droits constituant la base de l’existence des autres (droits), doivent avoir un caractère primordial. Par exemple, le droit à la vie, la dignité humaine, l’égalité, le droit d’expression et d’activité politique, constituent une condition pour l’existence des autres droits. La liberté d’activité économique sera considérée comme moins importante que celle de l’activité politique. Cependant, bien que la restriction des droits puisse conférer une sorte d’avantage entre certains droits en fonction de la situation concrète, la comparaison entre les deux droits et intérêts ne doit pas reposer sur un raisonnement utilitariste.

Compte tenu de la nature des droits, il est nécessaire que la relation entre eux soit déterminée par des instruments d’équilibrage qui permettent à cette relation d’être réalisée à travers une structure logique d’argumentation, quelle que soit la différence entre ces droits et intérêts. Le principe de proportionnalité sert également cet objectif. L’article 17 de la Constitution prévoit l’obligation que les restrictions des droits et libertés fondamentales soient conformes à la situation qui a dicté les restrictions. Le rapport proportionnel doit prouver dans quelle mesure cette confrontation entre les droits permet un juste équilibre entre le droit limité (le moyen) et la protection d’un intérêt public ou du droit d’autrui (la fin).

Bien que dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle souligne l’importance de tous les droits et libertés de l’homme, pour certains droits spéciaux, tels que le droit à la vie et la dignité humaine, la Cour a accentué qu’ils se situent au-dessus des autres droits. Selon la Cour, la vie et la dignité humaines sont présentées dans les dispositions de la Constitution comme des valeurs très importantes, qui sont considérées comme la source dont dérivent tous les autres droits. L’essence des dispositions constitutionnelles est de mettre en évidence autant que possible les orientations fondamentales parmi lesquelles la principale est celle du respect de la valeur de la vie et de la dignité humaines.

En 1999, la Cour constitutionnelle a aboli la peine de mort, avec la motivation que la valeur la plus élevée pour l’État est l’homme et sa vie. Ce droit est la base de tous les droits et sa négation conduit à l’élimination des autres droits humains. La vie humaine étant considérée comme telle dès son origine devient une valeur au- dessus de toutes les autres valeurs protégées par la Constitution. C’est l’objet de notre Constitution, qui figure dans son Préambule, ainsi que dans de nombreuses dispositions (décision n° 65 du 10 décembre 1999 de la Cour constitutionnelle). Selon la Cour constitutionnelle, la dignité humaine est la valeur fondamentale dont découlent tous les droits et libertés de l’homme. En ce sens, la dignité est une valeur unique, la base du catalogue des droits humains. La dignité a la priorité absolue et sous-tend l’ensemble des valeurs exprimées par la Constitution. Elle représente une valeur constitutionnelle particulière qui a la supériorité sur les autres, car elle transcende en elle-même les droits de l’homme et joue un rôle crucial dans l’interprétation de tous les principes du système juridique et de l’ordre constitutionnel (décision n° 20 du 20 avril 2021 de la Cour constitutionnelle).

La Cour constitutionnelle a reconnu une sorte de hiérarchie entre le droit au logement en tant que droit social « conditionné » ou « limité » qui relève en fait de la catégorie des objectifs sociaux, et le droit de propriété en tant que droit constitutionnel fondamental qui appartient à catégorie des droits civiques par excellence. Dans ce contexte, la Cour reconnaît la prévalence du droit de propriété sur le droit au logement. En ce sens, la Cour considère que « le contexte dans lequel avait été traité le droit au logement des locataires, résidents des appartements anciennement possédés des expropriés, est différent du contexte de l’affaire sous examen, où le droit au logement se heurte au droit légitime des propriétaires de jouir sereinement et sans restriction de leur propriété ».

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits de l’homme et les libertés fondamentales, selon l’article 15 de la Constitution, sont indivisibles, inaliénables et inviolables et sont au cœur de l’ensemble de l’ordre juridique, d’où l’obligation primordiale et constitutionnelle de l’État de les respecter et de les protéger à travers ses organes. Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle d’Albanie, les droits de l’homme et les libertés fondamentales occupent une place très importante. La Cour en a largement traité divers aspects.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Conformément à l’article 131, point 1, lettre « f » de la Constitution, la Cour constitutionnelle statue sur le jugement définitif des recours individuels contre tout acte de puissance publique ou une décision judiciaire qui porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, après avoir épuisé toutes les voies de recours effectifs pour la protection de ces droits, sauf disposition contraire de la Constitution.

L’ingérence dans les droits fondamentaux peut faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité dans les cas où l’atteinte au droit résulte d’un acte normatif (loi, décision du Conseil des ministres, ordonnance, etc.) ou d’une décision de justice. Les entités qui peuvent initier le contrôle de constitutionnalité sont expressément prévues à l’article 134 de la Constitution. Selon cet article, elles sont divisées en entités conditionnées et inconditionnées. Les entités inconditionnées, prévues par les lettres « a » – « ç » de l’article 134, point, 1, peuvent saisir la Cour constitutionnelle sans avoir à justifier de leur intérêt à agir dans l’affaire, tandis que les entités conditionnées telles que les individus, les organisations, les partis politiques, les organes des communautés religieuses, les organes des autorités locales, le Haut Conseil Judiciaire et le Haut Conseil des Procureurs, les commissaires institués par la loi pour protéger les droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution, ainsi que les juges ordinaires, disposent d’une légitimité conditionnée pour saisir la Cour constitutionnelle. Elles ne peuvent s’adresser à cette Cour que pour les questions relatives à leurs intérêts.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

La Constitution de la République d’Albanie garantit les droits de l’homme et les libertés fondamentales. L’article 15 de la Constitution dispose que les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont indivisibles, inaliénables et inviolables et sont au cœur de tout l’ordre juridique. Les organes du pouvoir public, dans l’accomplissement de leurs devoirs, doivent respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales et contribuer à leur réalisation.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

L’information du public et des médias est l’une des techniques principales et importantes pour protéger et garantir les droits et libertés des citoyens. Sur son site Web http ://www.gjk.gov.al, la Cour constitutionnelle fournit des informations concernant l’activité de la Cour, sa prise de décision, l’accès des individus à la Cour et les droits qu’elle protège, la façon dont les individus peuvent s’adresser à cette Cour et comment consulter sa jurisprudence.

La Constitution reconnaît également le droit des juges ordinaires de saisir la Cour constitutionnelle pour contrôler la constitutionnalité d’un acte, lorsqu’ils estiment que cet acte porte atteinte aux droits et libertés. Cette technique est largement utilisée par les juges ordinaires et occupe une place importante dans la prise de décision de la Cour constitutionnelle.

Comme indiqué ci-dessus, les articles 131, point 1, lettre « f » de la Constitution et 134, point 1, lettre « i » de la Constitution reconnaissent le droit de tout individu de saisir la Cour constitutionnelle contre tout acte de l’autorité publique ou contre une décision judiciaire dont il estime qu’il porte atteinte à ses droits et libertés garantis par la Constitution. De même, l’article 134, point 1, lettres « a » – « ç » reconnaît le droit du président de la République, du Premier ministre, d’au moins 1/5e des députés et de l’Avocat du Peuple, de demander le contrôle abstrait d’un acte normatif dont ils prétendent qu’il porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux. Les sujets prévus à l’article 134, point 1, lettres « d » – « dh », tels que le président du Contrôle suprême de l’État, les juges ordinaires, les commissaires créés par la loi pour la protection des droits et libertés fondamentaux, le Haut Conseil Judiciaire et le Haut Conseil des Procureurs, les organes du pouvoir local, les organes des communautés religieuses, les partis politiques, les organisations et les individus ne peuvent exiger que le contrôle in concreto des actes normatifs. Donc, ces sujets ne peuvent demander un contrôle de constitutionnalité des actes que pour des affaires liées à leurs intérêts.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

La Cour constitutionnelle a le droit, mais en même temps le devoir, à travers la garantie de la Constitution et de son interprétation finale, de supprimer du système juridique tous les actes juridiques qui sont contraires à celle-ci. La proclamation d’une norme juridique contraire aux principes constitutionnels sans citer directement la disposition spécifique est du pouvoir de la Cour constitutionnelle.

L’article 131, point 1, lettre « a » de la Constitution prévoit que la Cour constitutionnelle statue sur la conformité de la loi avec la Constitution et les accords internationaux. À cet égard, la Cour a le droit d’abroger les lois ou leurs dispositions, ainsi que tout autre acte portant atteinte aux droits de l’homme. Selon l’article 71/b de la loi n° 8577/2000, la Cour constitutionnelle examine si l’acte est, en partie ou en sa totalité, conforme à la Constitution et aux accords internationaux ratifiés. La Cour constitutionnelle peut également statuer sur d’autres dispositions qui ne font pas l’objet de la requête, si elle estime qu’elles sont liées à l’affaire en jugement. Lorsque la Cour examine la constitutionnalité d’un acte et conclut qu’il est fondé sur une loi ou un acte normatif inconstitutionnels, elle décide également l’abrogation de la loi ou de l’acte normatif.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Les décisions rendues par la Cour constitutionnelle ont influencé la constitutionnalisation des droits et libertés, leur donnant ainsi tout le sens que le constituant avait eu comme objectif lors de la rédaction de la Constitution. Selon la jurisprudence de la Cour, sur la base des pouvoirs conférés par l’article 124 de la Constitution, le rôle et la fonction de la Cour constitutionnelle sont de transformer, à travers ses décisions, les dispositions constitutionnelles, d’abstraites-métaphysiques à substantielles et concrètes, en garantissant une protection constitutionnelle aux situations juridiques dans lesquelles se trouvent les individus. En raison de la forme extrêmement concise des dispositions constitutionnelles, à travers les décisions, c’est-à- dire l’interprétation faite par la Cour, il devient possible que la Constitution soit « vivante », ce qui signifie que la Cour s’adapte à l’évolution des valeurs dans notre pays, garantissant que les nouvelles valeurs, qui n’étaient probablement pas à l’attention des constituants, recevraient dignité, reconnaissance et, surtout, protection constitutionnelle. Le fait même que la norme constitutionnelle devienne une réalité lors de l’interprétation, c’est-à-dire lors du processus décisionnel de la Cour, fait de cette dernière indiscutablement une source de droit, elle en fait d’ailleurs une source première, étant donné que l’article 4 de la Constitution dispose que la Constitution est la loi suprême de la République d’Albanie (décision n° 20 du 1er juin 2011 de la Cour constitutionnelle).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Les dispositions de la Constitution albanaise placent les accords internationaux après la Constitution et les considèrent comme faisant partie du système juridique interne ; ces dispositions prévoient une mise en œuvre directe des accords internationaux et en outre avec une sorte de préséance sur la législation nationale lorsqu’ils ne sont pas compatibles.

D’un point de vue formel, la Convention européenne des droits de l’homme a un statut supra-légal et infra-constitutionnel, car selon l’article 116 de la Constitution, elle est placée au-dessus des lois, mais après la Constitution. Cependant, de la formulation de l’article 17, point 2 de la Constitution, selon lequel les restrictions aux droits de l’individu « […] ne peuvent en aucun cas excéder les restrictions prévues par la Convention européenne des droits de l’homme », il résulte que la Convention a un statut très particulier dans le système normatif albanais, une position quasi constitutionnelle. En raison de ce statut que la Convention a reçu dans l’ordre juridique interne, toute personne peut s’adresser à la Cour constitutionnelle pour la protection des droits individuels en se référant directement à ces dispositions.

Concernant le traitement des droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle déclare que la Cour européenne des droits de l’homme a une compétence exclusive dans notre système juridique (décision 20 du 1er juin 2011). Cette compétence est admise par notre ordre juridique interne pour la mise en œuvre des articles 122 et 17 (point 2) de la Constitution, lesquels déterminent l’obligation de l’exécution directe des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi la Cour constitutionnelle se réfère systématiquement dans sa jurisprudence aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme reconnaissant leur effet direct dans l’interprétation des normes constitutionnelles des droits de l’homme, notamment en termes de procès équitable.

En raison de la place des accords internationaux dans la pyramide des actes normatifs, en raison de la place particulière réservée par l’article 17 de la Constitution albanaise à la Convention européenne des droits de l’homme, et aussi en raison de l’approche de la jurisprudence constitutionnelle à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle albanaise a accepté l’autorité obligatoire des décisions interprétatives de cette Cour, quel que soit l’État au sujet duquel la décision a été rendue.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

La Cour constitutionnelle de la République du Kosovo s’est référée dans certains cas aux décisions rendues par la Cour constitutionnelle d’Albanie (décisions n° KO171/18 de 2018 et KO142/16 de 2017 de la Cour constitutionnelle de la République du Kosovo).

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

L’article 81 de la loi n° 8577/2000 prévoit que les décisions de la Cour constitutionnelle sont obligatoires et exécutoires pour tous les organes des autorités publiques, y compris les tribunaux. L’exécution des décisions de la Cour constitutionnelle est assurée par le Conseil des ministres à travers les organes compétents de l’administration de l’État. En fonction du type de décision et si cela s’avère nécessaire, la Cour constitutionnelle peut désigner l’organe chargé de la mise en œuvre de la décision, ainsi que les modalités d’exécution, fixant des délais concrets, les modalités et les procédures d’exécution pertinentes. En vertu de cet article, le non-respect ou l’obstruction à l’exécution de la décision de la Cour constitutionnelle est puni conformément aux dispositions pertinentes du Code pénal.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Dans le cas où la Cour constitutionnelle constate des violations des droits de l’homme, elle décide d’abroger l’acte du pouvoir public ou la décision judiciaire qui a violé ces droits. Dans les cas où l’acte abrogé est une décision des juridictions inférieures, la Cour constitutionnelle renvoie l’affaire pour réexamen à la juridiction qui a commis la violation ou à la juridiction qui aurait dû constater la violation commise par la juridiction inférieure. La Cour constitutionnelle peut également décider d’abroger ses propres décisions antérieures, dans les cas où un tribunal international a constaté qu’il y a eu violation des droits de l’homme par la Cour constitutionnelle elle-même (article 71/c de la loi n° 8577/2000).

L’article 71/ç de la loi n° 8577/2000 reconnaît à la Cour constitutionnelle le droit d’accorder au requérant une satisfaction équitable, une indemnité pécuniaire, pour violation du droit à des procédures judiciaires dans un délai raisonnable par la Cour constitutionnelle elle-même. Lorsque la Cour conclut que le procès devant elle a été prolongé au-delà du délai imparti, sans motif raisonnable, elle indemnise le requérant à hauteur de 100 000 ALL pour chaque année de retard.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre juridiction, une conception relative des droits de l’homme ?

L’affirmation du principe selon lequel les droits et libertés fondamentaux n’ont pas un caractère absolu implique qu’ils peuvent faire l’objet de restrictions. Ces dernières sont à évaluer par des structures décisionnelles. L’article 17 de la Constitution consacre le standard constitutionnel de restriction des droits et libertés fondamentaux, lequel fixe une série de critères cumulatifs sous forme de garanties constitutionnelles pour la restriction des droits fondamentaux. L’article 17 stipule, inter alia, que la restriction des droits fondamentaux doit être faite pour

l’intérêt public ou pour la protection des droits d’autrui. Donc, leur restriction également devrait être traitée conformément aux prévisions de la Constitution par rapport à ces droits et libertés fondamentaux. L’article 17 de la Constitution énonce le critère/ test qui doit être respecté pour que de telles restrictions soient constitutionnelles. Selon cet article, des restrictions peuvent être apportées : uniquement par la loi ; pour un intérêt public ou pour la protection des droits d’autrui ; en proportion avec la condition qui l’a dictée ; sans compromettre l’essence des libertés et des droits ; et sans dépasser les limitations prévues par la Convention européenne des droits de l’homme.

Réfléchissant à ces exigences constitutionnelles, la Cour constitutionnelle a estimé que la violation des droits et libertés ne peut pas être commise par des actes tels que les décisions du Conseil des ministres. Plus précisément, dans la décision n° 20 du 11 juillet 2006, la Cour constitutionnelle a déclaré que : « […] Se référant au contenu de l’article 17 de la Constitution, la Cour constitutionnelle estime que cette disposition, telle qu’elle est formulée, n’a pas laissé la possibilité de déléguer à un organe autre que l’Assemblée en tant qu’organe représentatif. Le but de cet article est qu’en cas de restrictions, non seulement les autres critères qui y sont énoncés doivent être respectés, mais pour que les garanties soient aussi complètes que possible, un seul organe doit être compétent, et notamment l’organe suprême législatif. L’expression « uniquement par la loi » signifie que s’il est nécessaire de limiter un droit prévu par la Constitution, cette appréciation est alors à la discrétion du législateur et non d’autres organes, y compris le Conseil des ministres. […] ». À la suite de cette décision, la Cour constitutionnelle a estimé que la réglementation prévue à l’article 17 pour la restriction des droits et libertés uniquement par la loi est également liée avec la détermination de la compétence d’un organe spécifique qui, dans ce cas, n’est que l’Assemblée. Une telle expression fait référence à la compétence de l’organe législatif et la promulgation d’autres actes pour réglementer ces relations, viole les compétences de cet organe.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Dans sa jurisprudence, la Cour a affirmé que la vie humaine, étant considérée comme telle dès le début, devient une valeur au-dessus de toutes les autres valeurs protégées par la Constitution (décision n° 65 du 10 décembre 1999 de la Cour constitutionnelle). La Cour a également jugé que la dignité humaine est la valeur fondamentale dont découlent tous les droits et libertés de l’homme. En ce sens, la dignité constitue une valeur unique, la base du catalogue des droits humains. La dignité a la priorité absolue et sous-tend l’ensemble des valeurs exprimées par la Constitution. Elle représente une valeur constitutionnelle particulière qui prime sur les autres, car elle transcende en elle-même les droits de l’homme et joue un rôle crucial dans l’interprétation de tous les principes de l’ordre juridique et constitutionnel (décision n° 20 du 20 avril 2021 de la Cour constitutionnelle). L’objectif du constituant a été que dans la société albanaise, tout le monde cohabite en harmonie, reconnaissant les valeurs dans les différences culturelles qui caractérisent aussi les minorités nationales (décision n° 52 du 1er décembre 2011 de la Cour constitutionnelle). Selon la Cour constitutionnelle, les droits sociaux diffèrent des objectifs sociaux, prévus à l’article 59 de la Constitution, car ces derniers sont l’expression des objectifs de l’État et des principes des politiques qu’il conçoit pour orienter l’activité en général et en particulier, les politiques sociales. Les objectifs sociaux sont une expression de l’action positive de l’État et, par conséquent, leur réalisation est étroitement liée aux conditions, aux moyens et aux possibilités budgétaires disponibles de l’État. La Cour constitutionnelle a également estimé que la réalisation d’objectifs sociaux n’est pas incluse dans le champ des affaires qui relèvent de la juridiction constitutionnelle (décision n° 36 du 21 avril 2017 de la Cour constitutionnelle). Cependant, selon la Cour, les efforts du législateur pour construire un État social doivent respecter les principes, valeurs et normes constitutionnels tels que l’égalité, la justice sociale, le respect des droits de l’homme et l’interdiction de la discrimination (décision n° 34 du 28 mai 2012 de la Cour constitutionnelle).

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La préservation des valeurs culturelles est prévue dans le Préambule de la Constitution de la République d’Albanie. L’article 59 de la Constitution prévoit la protection du patrimoine culturel comme l’un des objectifs sociaux de l’État. La Constitution garantit également la fourniture d’une assistance aux citoyens albanais vivant et travaillant à l’étranger pour préserver et développer leurs liens avec le patrimoine culturel national, ainsi que la pleine égalité des minorités nationales pour exercer en pleine égalité devant la loi leurs droits et libertés, y compris leurs droits culturels.

En ce qui concerne le patrimoine culturel albanais, il convient de mentionner en particulier la décision rendue par la Cour constitutionnelle sur la question du Théâtre national de la République d’Albanie. Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a été saisie pour se prononcer sur les actions de l’exécutif albanais qui avaient conduit à la démolition de l’ancien bâtiment du Théâtre National afin d’en construire un nouveau. Dans sa décision sur l’affaire, la Cour a déclaré que les actions entreprises par l’exécutif avaient violé, entre autres, l’État de droit consacré par l’article 4 de la Constitution en relation avec l’article 3 de celle-ci, en termes de processus d’évaluation de l’identité et de patrimoine national par les institutions compétentes (décision n° 29 du 2 juillet 2021 de la Cour constitutionnelle).

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

L’article 24 de la Constitution garantit la liberté de conscience et de religion. Bien que la liberté de religion n’ait pas été abordée de manière substantielle par la Cour constitutionnelle, elle a été mentionnée dans le cadre du principe de non-discrimination pour des motifs tels que le sexe, la race, la religion, l’origine ethnique, la langue, les convictions politiques, religieuses ou philosophiques, le statut économique, l’éducation, la filiation sociale ou parentale, prévue par l’article 18 de la Constitution. Selon la jurisprudence de la Cour, l’identité ethnique de l’individu, ainsi que son nom, son sexe, sa religion et son orientation sexuelle, constituent un aspect essentiel de sa vie privée et de son identité (décision n° 52 du 1er décembre 2011 de la Cour constitutionnelle). L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme interdit expressément aux États membres de soumettre les droits et libertés garantis par cette Convention à des critères tels que le sexe, la race, la couleur de peau, la langue, la religion ou la conviction politique, ainsi que l’origine sociale et nationale (décision n° 78 du 22 décembre 2015 de la Cour constitutionnelle).

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Le concept de la paix est explicitement souligné dans le Préambule de la Constitution de la République d’Albanie, tandis que dans ses autres dispositions, le concept de paix est abordé indirectement par le biais d’autres principes constitutionnels. Le Préambule de la Constitution de la République d’Albanie prévoit : « Nous, peuple d’Albanie, fiers et conscients de notre histoire, responsables de l’avenir, ayant foi en Dieu et/ou en d’autres valeurs universelles avec la détermination de construire un État de droit, démocratique et social, pour garantir les droits et libertés fondamentaux de l’homme, dans un esprit de tolérance et de coexistence religieuse, avec un engagement pour la protection de la dignité humaine et de la personnalité, et pour la prospérité de toute la nation, pour la paix, le bien- être, la culture et la solidarité sociale, avec l’aspiration séculaire du peuple albanais à l’identité et à l’unité nationales, avec la profonde conviction que la justice, la paix, l’harmonie et la coopération entre les nations sont parmi les valeurs les plus élevées de l’humanité ». Selon l’article 3 de la Constitution, « L’indépendance de l’État (…), la dignité humaine, les droits et libertés de l’homme, la justice sociale, l’ordre constitutionnel (…) sont à la base de cet État, qui a le devoir de les respecter et de les protéger ». Sur la base de la jurisprudence à ce jour, la Cour n’a pas été tenue de se prononcer sur ou d’interpréter les dispositions constitutionnelles relatives à la paix.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Pour définir la notion de droits de l’homme, la Cour constitutionnelle s’appuie sur la Constitution de la République d’Albanie, les accords internationaux ratifiés par l’État albanais, ainsi que sur la législation en vigueur. La notion de droits de l’homme selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle correspond principalement à la notion de ces droits prévue par la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, la Cour prend également en compte la notion de droits prévue dans d’autres accords internationaux ratifiés par l’État albanais. Indépendamment de cela, dans des cas particuliers, leur traitement par la Cour constitutionnelle se fait en tenant compte non seulement des dispositions du droit international applicables par celle-ci, mais aussi de la marge d’appréciation dont l’État albanais lui-même dispose.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a systématiquement affirmé sa position dans des décisions portant sur les droits de l’homme ; cependant il y a eu des cas où, sur certaines questions, elle a changé sa position (décisions n° 20 du 1er juin 2011; n° 28 du 23 juin 2011 de la Cour constitutionnelle).

La Cour constitutionnelle d’Albanie dispose déjà d’une jurisprudence abondante à travers laquelle elle a affirmé sa position dans le cadre des droits de l’homme liés au procès équitable tels que le droit d’accès (au sens formel et substantiel), le droit de recours, le droit de défense, l’égalité des armes et le principe du contradictoire, la sanction sans loi, l’effet rétroactif d’une loi pénale favorable, ne bis in idem, le tribunal établi par la loi, l’indépendance et l’impartialité du tribunal, le procès dans un délai raisonnable, et bien d’autres. De même, la Cour constitutionnelle dispose d’une jurisprudence abondante en matière de droits de propriété, de sécurité juridique, de droits acquis, de liberté d’exercer une activité économique, etc.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Parmi les droits et libertés les plus traités dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle figure le droit à un procès équitable, sous tous ses aspects.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

La Cour a souligné qu’il est important pour tout État de droit appliquant les règles d’une société démocratique de disposer d’un espace considérable pour établir des règles et des critères équitables au sein de son ordre constitutionnel, conformément aux conditions concrètes et aux divers facteurs politiques, historiques, sociaux, culturels, traditionnels, qui sont déterminants (décision n° 28 du 9 mai 2012 de la Cour constitutionnelle).

Comme indiqué ci-dessus, dans une société en évolution rapide, les droits et libertés fondamentaux sont traités en fonction de cette évolution.

En garantissant les droits de l’homme, la Cour constitutionnelle a reconnu la notion du droit « vivant ». Bien entendu, les circonstances du moment et du lieu jouent un rôle dans la garantie des droits et des libertés ainsi que dans leur restriction. Telle était la situation lors de la pandémie mondiale causée par la Covid-19, qui a imposé la restriction de certains des droits fondamentaux des individus. À cet égard, la Cour constitutionnelle a reconnu que la situation créée en Albanie en raison de la Covid-19 nécessitait la prise de mesures pour restreindre les droits existants. Cependant, elle a également souligné l’importance de la proportionnalité de l’ingérence dans les droits de l’individu (décision n° 11 du 9 mars 2021 de la Cour constitutionnelle).

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

En se référant à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, les facteurs qui doivent être pris en compte pour réaliser la bonne protection des droits des individus sont des plus variés, tels que les facteurs politiques, historiques, sociaux, culturels, traditionnels, etc.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Les crises politiques, économiques et sociales se reflètent également dans la prise de décision de la Cour constitutionnelle. Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, il y a eu des cas où elle a dû résoudre des situations de tension afin de protéger les droits et libertés des citoyens albanais.

La jurisprudence constitutionnelle a pu résoudre la crise politique entre le Président et le Parlement. À cet égard, le traitement par la jurisprudence constitutionnelle des relations établies entre le président de la République et les trois pouvoirs, sur la base du principe de loyauté constitutionnelle, qui a pour exigence primordiale l’établissement d’une relation de coopération entre eux, reste une contribution précieuse à l’instauration d’un ordre constitutionnel stable. Cet objectif de la jurisprudence constitutionnelle constitue un effort continu et l’un des plus grands défis de l’engagement de la Cour constitutionnelle à renforcer l’État de droit, qui exige en même temps des efforts globaux pour assurer la prudence et la maturité institutionnelle.

La loi interdisant aux personnes reconnues coupables d’infractions pénales par une décision de justice définitive de se présenter aux élections législatives a été considérée comme politique et inefficace pour décriminaliser la scène politique en Albanie. Dans sa décision, la Cour a déclaré que l’objectif de l’adoption de la loi n° 138/2015 est de garantir l’intégrité des personnes élues, nommées ou exerçant des fonctions publiques à travers la décriminalisation des organes élus, des institutions indépendantes et de l’administration publique, ainsi que de protéger le fonctionnement démocratique et juridique de ces organes et du système démocratique en général conformément aux standards internationaux ou aux pratiques établies par le Conseil de l’Europe. Cet objectif sera atteint en empêchant l’élection ou la nomination dans les conditions d’existence objective de causes affectant l’image du fonctionnaire ou la confiance du public dans le fonctionnement de l’organe où le fonctionnaire est élu/nommé. L’élection et la nomination à une haute fonction publique, outre les cas où elle constitue un droit fondamental, constituent en même temps un intérêt public élevé pour le fonctionnement d’une société démocratique et la préservation de l’intégrité et de la transparence des hautes instances de prise de décision. La restriction par la loi du droit d’élire, pour un motif légitime et proportionné à l’objet de la loi, est acceptable dans une société démocratique. Une telle restriction est conforme à la Constitution, à la Convention européenne des droits de l’homme, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

La situation des locataires d’anciens appartements privés appartenant à l’État a été une autre situation où la Cour constitutionnelle a résolu le conflit et évité les tensions entre ces deux catégories. Le législateur, par le biais de la loi, avait visé à harmoniser les intérêts de ces deux catégories afin de restituer le bien à son origine, tandis que les acheteurs devenus propriétaires par l’État de la période communiste en Albanie recevraient une compensation pour ces bâtiments. Cette solution a été imposée par la tendance même de la législation de la période postérieure à l’instauration du pluralisme en Albanie, qui était orientée vers la protection des intérêts des anciens propriétaires, afin de minimiser les injustices que l’État totalitaire leur avait fait subir. Ce faisant, l’État entendait ne pas ignorer les droits légitimes des tiers. Pour la Cour constitutionnelle, c’est exactement la rémunération des tiers qui constitue une solution inconstitutionnelle, car elle place cette catégorie de tiers dans des positions d’inégalité et de discrimination, ce qui entraîne son impossibilité d’entrer dans la circulation civile pour s’assurer un autre logement (décision n° 26 du 2 novembre 2005).

Une situation socio-économique particulière, que la Cour constitutionnelle a traitée dans le cas de la légalisation des constructions informelles réalisées en Albanie après les années 90, a justifié la restriction du droit de propriété. Selon la Cour, puisque la loi de 2006 relative aux légalisations avait pour objet la légalisation des constructions illégalement construites et surtout l’urbanisation des quartiers, des îlots informels et des constructions informelles ainsi que leur intégration dans le développement des infrastructures territoriales du pays menant à l’amélioration des conditions et de la qualité de vie, il y avait un tel « intérêt public » qui justifiait l’expropriation des propriétaires légitimes et le transfert de leurs propriétés aux constructeurs illégaux. La Cour constitutionnelle a estimé que la détermination faite par la loi sur les légalisations, selon laquelle la propriété du terrain exproprié n’appartenait pas à l’État, mais était transférée au propriétaire de l’immeuble à légaliser, ne constituait pas en soi un obstacle pour que cette détermination soit considérée comme nécessaire pour « intérêt public » (décision n° 35 du 10 janvier 2007 de la Cour constitutionnelle).

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Les restrictions aux droits de l’homme imposées par l’État albanais dans le contexte de la pandémie causée par la Covid-19 ont été examinées par la Cour constitutionnelle en 2021. La Cour a maintenu sa position selon laquelle, en vertu de l’article 17 de la Constitution, les droits et libertés fondamentaux de l’individu peuvent être restreints, si les critères constitutionnels de leur restriction (restriction faite uniquement par la loi, pour un intérêt public ou pour la protection des droits d’autrui, et proportionnée à la situation qui l’a dictée) sont respectés. Selon la Cour, lorsque des situations spéciales telles que la pandémie de Covid-19 rendent nécessaire l’ingérence dans les droits, les restrictions doivent toujours être proportionnées à la situation qui a créé la nécessité de cette ingérence.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

La pandémie causée par la Covid-19 a également eu un impact sur les méthodes, les techniques utilisées et l’approche de la Cour envers les parties, le public et les médias. De mars à avril 2020, toutes les institutions de l’État ont été fermées dans tout le pays, y compris la Cour constitutionnelle. Toute information de la Cour a été transmise au public via son site Web officiel www.gjk.gov.al. Pendant cette période, la transmission des informations internes, rapports, projets de décisions, recherches scientifiques, etc. a été réalisée grâce à l’utilisation des technologies de l’information. Aussi, la situation pandémique a affecté le développement des sessions plénières par la Cour constitutionnelle. Jusqu’à récemment, le nombre maximum autorisé de personnes pouvant assister à l’instruction de l’affaire en séance plénière était de 10, dont 7 étaient les juges de la Cour constitutionnelle. Malgré cela, la crise sanitaire n’a pas eu d’impact majeur sur l’activité de la Cour.

 

14. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que cous souhaiteriez évoquer ?

Non.

 

Conseil constitutionnel d’Algérie

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1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

La protection des droits de l’homme fait partie des compétences de la Cour constitutionnelle, et ce, notamment dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité prévue par la Constitution en son article 195 (alinéa 1er).

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

La compétence de la Cour constitutionnelle en matière de protection des droits de l’homme est prévue explicitement dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité. L’article 195 (alinéa 1er) de la Constitution dispose que : « La Cour constitutionnelle peut être saisie d’une exception d’inconstitutionnalité sur renvoi de la Cour suprême ou du Conseil d’État, lorsque l’une des parties au procès soutient devant une juridiction que la disposition législative ou réglementaire dont dépend l’issue du litige porte atteinte à ses droits et libertés tels que garantis par la Constitution ».

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. Il existe un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

À travers ses diverses prérogatives, la Cour constitutionnelle assure le respect de la Constitution et sa suprématie. Le contrôle de constitutionnalité des lois, l’interprétation de la Constitution, l’examen des recours en matière électorale sont des prérogatives en vertu desquelles la Cour constitutionnelle veille à la protection des droits de l’homme en vue de garantir l’État de droit et la démocratie. De plus, l’accès de l’individu à la Cour constitutionnelle en vertu du mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité constitue un gage supplémentaire pour l’édification d’un État de droit.

5. Existe-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Selon l’approche de notre juridiction, la démocratie est une condition sine qua non pour l’édification de l’État de droit. Ainsi, la Cour constitutionnelle veille au respect des règles de transparence, d’impartialité et de liberté des différentes opérations électorales, inhérentes à la pratique démocratique et qui constituent de surcroit des conditions essentielles pour l’édification d’institutions solides dans un État de droit. En vertu de l’article 191 de la Constitution : « La Cour constitutionnelle examine les recours relatifs aux résultats provisoires des élections présidentielles, des élections législatives et du référendum et proclame les résultats définitifs de toutes ces opérations ».

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Pendant plus de trois décennies de son existence, le Conseil constitutionnel (la Cour constitutionnelle après la révision constitutionnelle du 1er novembre 2020) a contribué d’une manière très significative à la consolidation de l’État de droit et la démocratie. Ceci à travers sa jurisprudence en matière de contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de conformité à la Constitution des lois organiques et règlements intérieurs des deux chambres du Parlement qui a mis en avant les principes du respect de la répartition constitutionnelle des compétences, la séparation des pouvoirs et la suprématie de la Constitution, mais aussi à travers sa jurisprudence en matière électorale qui a permis la cristallisation des principes d’élections libres, transparentes et régulières. Ainsi, en vertu de sa Décision n° 2 D-L-CC-89 du 30 août 1989 relative au statut de député, le Conseil constitutionnel a tenu à mettre en avant le principe fondamental de séparation des pouvoirs, nécessaire en vue de garantir l’équilibre institutionnel dans un État de droit : « chaque pouvoir doit demeurer dans les limites de ses attributions pour garantir l’équilibre institutionnel mis en place ».

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Conformément à l’article 185 (alinéa 1er) : « La Cour constitutionnelle est une institution indépendante chargée d’assurer le respect de la Constitution ». En ce sens, la garantie de l’État de droit et de la démocratie constitue une finalité de la jurisprudence de notre institution, car, norme fondamentale de référence, la Constitution protège les droits et libertés et consacre l’alternance démocratique par la voie d’élections libres, régulières et périodiques dans le cadre d’un État de droit.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Les décisions de notre juridiction ont fortement contribué à la consolidation de la démocratie et de l’État de droit.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

La jurisprudence de notre Cour a contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie dans les domaines suivants :

    • Le contrôle de constitutionnalité et de conformité à la Constitution des lois organiques, des lois et des règlements intérieurs des chambres du Parlement : Ceci en consacrant notamment les principes du respect de la répartition constitutionnelle des attributions normatives et la séparation des
    • L’examen des recours relatifs aux opérations électorales et la proclamation des résultats définitifs de ces opérations : Cecia permis à notre institution de protéger le principe du libre choix du peuple et la légitimité de l’exercice des pouvoirs constitutionnels, nécessaires dans un État de droit.
    • L’interprétation de la Constitution : En vertu de sa décision du 1er juin 2019, le Conseil constitutionnel a fourni une interprétation audacieuse de l’esprit de la Constitution qui a permis la sauvegarde des institutions et surtout un retour au processus démocratique par la voie de l’élection du président de la République.

 10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan de la contribution de notre institution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est positif.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Conformément à l’article 185 (alinéa 1er), « La Cour constitutionnelle est une institution indépendante chargée d’assurer le respect de la Constitution ». En ce sens, le juge constitutionnel n’interfère pas dans le champ politique. Toutefois, les nouvelles prérogatives conférées à la Cour constitutionnelle en vertu de la révision constitutionnelle adoptée par le référendum populaire du 1er novembre 2020 consacrent le rôle du juge constitutionnel dans la régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics et son rôle dans le règlement des différends qui peuvent surgir entre les pouvoirs constitutionnels. Ceci dit, la Cour constitutionnelle est appelée non pas à jouer un rôle politique, mais à jouer un rôle d’arbitre et de régulateur entre les différents pouvoirs au sein de l’État.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. Les conditions d’accès à notre juridiction favorisent la promotion de l’État de droit et de la démocratie. Ainsi, selon l’article 193 (alinéa 1er) de la Constitution : « La Cour constitutionnelle est saisie par le président de la République, le président du Conseil de la Nation, le président de l’Assemblée populaire nationale ou par le Premier ministre ou le chef du Gouvernement, selon le cas ». L’élargissement des situations d’accès des individusà la Cour constitutionnelle est encore plus visible. En effet, le citoyen a un accès indirect à la Cour constitutionnelle à travers ses représentants élus au Parlement, car suivant l’article 193 (alinéa 2) de la Constitution, la Cour constitutionnelle peut être saisie par quarante députés ou vingt-cinq membres du Conseil de la Nation. Aussi conformément à l’article 195 (alinéa 1er) de la Constitution, tout individu peut, à l’occasion d’un procès, soulever l’exception selon laquelle la disposition législative ou réglementaire dont dépend l’issue du litige porte atteinte à ses droits et libertés tels que garantis par la Constitution.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Le plus souvent, sinon dans la quasi-totalité des décisions en matière de protection des droits de l’homme, notre juridiction invoque des références nationales. Cependant, il est arrivé au Conseil constitutionnel de faire référence aux normes internationales, et ce, en vertu de sa décision n° 1 du 20 août 1989 relative au code électoral. Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré que : « Considérant qu’après sa ratification et dès sa publication, toute convention s’intègre dans le droit national et en application de l’article 123 de la Constitution, acquiert une autorité supérieure à celle des lois, autorisant tout citoyen algérien de s’en prévaloir devant les juridictions, que tel est le cas notamment des pactes des Nations Unies de 1966 approuvés par la loi 89-08 du 25 avril 1989 et auxquels l’Algérie a adhéré par décret présidentiel n° 89-67 du 16 mai 1989, ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ratifiée par décret n° 87-37 du 3 février 1987, ces instruments juridiques interdisant solennellement les discriminations de tous ordres ».

2. Votre juridiction établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Notre juridiction n’a pas eu jusque-là l’occasion de se prononcer sur une quelconque hiérarchie entre les sources des droits de l’homme.

3. Quels types de droits et liberté sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

En matière de contrôle de constitutionnalité des lois, l’égalité entre citoyens est le droit le plus souvent évoqué devant notre juridiction. Depuis la mise en place du mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité en mars 2019, les justiciables évoquent de plus en plus des droits de types procéduraux tels que le droit au double degré de juridiction.

4. Existe-t-il des droits de type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Il existe plusieurs droits de type nouveau invocables devant notre juridiction. Ceci parce que notre Constitution  a  connu des évolutions considérables en fonction de l’évolution de la protection internationale des droits de l’homme. Il en est ainsi de l’accès à l’eau, l’accès au logement, le droit à un environnement sain…etc.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Notre juridiction n’a pas eu jusque-là l’occasion d’établir une hiérarchie entre les droits de l’homme.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Bien que la Constitution fasse référence à la notion de droits fondamentaux et des  libertés  fondamentales  (articles  9,  34  et 35…), notre juridiction n’a pas eu l’occasion de fournir une jurisprudence quant à la notion des droits fondamentaux.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Notre juridiction n’a pas eu l’occasion de fournir une jurisprudence en matière de régime particulier des droits fondamentaux.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Il n’apparaît pas de l’analyse de la jurisprudence de notre juridiction qu’une distinction soit établie entre la protection des droits et celle des libertés.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Le plus souvent, notre juridiction recourt à la technique de confrontation normative entre les dispositions légales objets de contrôle et les dispositions constitutionnelles, principales normes de référence.

10. quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

— En matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme, la Cour constitutionnelle dispose de pouvoirs qui varient selon le type de contrôle exercé. Selon l’article 198 de la Constitution :
Lorsque la Cour constitutionnelle juge qu’un traité, accord ou convention est inconstitutionnel, sa ratification ne peut avoir lieu. Lorsque la Cour constitutionnelle juge qu’une loi est inconstitutionnelle, celle-ci ne peut être promulguée.
Lorsqu’une disposition d’une ordonnance ou d’un règlement est jugée inconstitutionnelle, celle-ci perd tout effet, à compter du jour de la décision de la Cour.

— Dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité : Lorsque la Cour constitutionnelle juge qu’une disposition législative ou réglementaire est inconstitutionnelle, celle-ci perd tout effet, à compter du jour fixé par la décision de la Cour.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Les moyens dont dispose notre juridiction en vue de constitutionnaliser des droits et des libertés sont l’interprétation de la Constitution et la technique des réserves d’interprétation.

12. Quelle est la place des normes de droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

En vertu de la révision constitutionnelle du 1er novembre 2020, les normes de droit international relatives aux droits de l’homme ont été érigées au rang de normes constitutionnelles de référence. Ainsi, le paragraphe 16 du Préambule de la Constitution dispose que « Le peuple algérien exprime son attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie ».

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Depuis l’adoption du mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité, le dialogue entre le juge constitutionnel et les autres juridictions prend une forme de plus en plus remarquable. Les décisions rendues par notre juridiction dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité ont une portée de plus en plus visible dans la jurisprudence des tribunaux.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Afin de garantir une protection effective des droits et libertés des citoyens par le juge constitutionnel, la Constitution confère aux décisions de la Cour constitutionnelle la force de la chose jugée envers les pouvoirs publics et les autorités administratives et juridictionnelles. Ainsi, conformément à l’article 198 in fine de la Constitution : « Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives. Elles s’imposent à l’ensemble des pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles ». En vertu de sa Décision n° 01-D.O – CC – 95 du 6 août 1995 relative à la constitutionnalité du point 6 de l’article 108 de la loi électorale, le Conseil constitutionnel a tenu à souligner que « Les décisions du Conseil Constitutionnel produisent continuellement leurs effets aussi longtemps que la Constitution n’aura pas été révisée et encore aussi durablement que les motifs qui fondent leur dispositif n’auront pas disparu ».

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Les conséquences qui s’attachent à une sanction d’une violation des droits de l’homme sont soit i) la non-admission de la disposition sanctionnée dans l’ordonnancement juridique national ou ii) la disposition sanctionnée perd tout effet à compter du jour de la décision de la Cour constitutionnelle ou du jour fixé par celle-ci.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre juridiction, une conception relative des droits de l’homme ?

La Constitution admet des restrictions aux droits de l’homme pour des motifs liés au maintien de l’ordre public, la sécurité, la protection des constantes nationales, la sauvegarde d’autres droits et libertés protégés par la Constitution, ainsi que le respect du droit à l’honneur, à l’intimité, à la protection de la famille et à celle de l’enfance et de la jeunesse. Dans ce sens, notre juridiction a eu quelques occasions pour se prononcer sur la conception relative des droits de l’homme. Ainsi, dans sa Décision n°1-D- L-CC 89 du 20 août 1989 relative au code électoral, le Conseil constitutionnel a déclaré que « l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions nécessaires, dans une société démocratique, pour protéger les libertés et les droits énoncés dans la Constitution et en garantir le plein effet ».

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

La place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme n’a pas fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la part de notre juridiction. Notons toutefois que dans son Avis n° 05 du 22 décembre 2011 relatif au contrôle de la conformité de la loi organique fixant les modalités d’élargissement de la représentation des femmes dans les assemblées élues, à la Constitution, le Conseil constitutionnel a pris en considération dans son appréciation les « contraintes socio-culturelles ».

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Notre juridiction n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la place de la culture dans la définition des droits de l’homme.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Notre juridiction n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la place de la religion dans la définition des droits de l’homme.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

La Cour constitutionnelle est une institution indépendante chargée d’assurer le respect de la Constitution. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est la finalité de toute institution, mais ne constitue pas un critère déterminant dans la jurisprudence de notre juridiction relative à la définition des droits de l’homme.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

La jurisprudence de notre juridiction est attachée à une conception universelle des droits de l’homme, conception à laquelle est attachée la Constitution à travers le paragraphe 16 de son Préambule : « Le peuple algérien exprime son attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie ».

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Notre Cour n’a pas eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un quelconque courant de pensée des droits de l’homme.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Notre jurisprudence a consacré par plusieurs occasions le droit à l’égalité devant la loi. Par exemple dans son Avis n° 04 / A.L / CC / 98 du 13 juin 1998 relatif à la constitutionnalité des articles 4 à 7, 11, 12, 14, 15 et 23 de la loi portant régime des indemnités et de retraite du membre du Parlement, le Conseil constitutionnel déclare que : « – considérant que le principe d’égalité des citoyens devant la loi tel que prévu à l’article 29 de la Constitution oblige le législateur à soumettre les citoyens se trouvant dans des situations semblables à des règles semblables et ceux se trouvant dans des situations différentes à des règles différentes ;
Considérant que ces principes commandent que le législateur fonde son appréciation dans l’exercice de ses compétences, sur des critères objectifs et rationnels ».

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Les circonstances de temps et de lieu ne constituent pas des critères déterminants dans la jurisprudence de notre juridiction relative à l’appréciation du respect des droits et libertés.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Dans notre conception de la protection des droits de l’homme, les facteurs déterminants sont la Constitution et l’esprit de la Constitution.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés des citoyens ?

D’après une analyse approfondie de la jurisprudence de notre juridiction, il n’apparait pas que les crises politiques, économiques et sociales ont une influence directe sur l’interprétation des droits et libertés des citoyens.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Notre juridiction n’a pas eu à ce jour à se prononcer sur les lois et règlements adoptés en vue de lutter contre la pandémie du nouveau coronavirus. Bien qu’elles comptent certaines restrictions aux droits et libertés, les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus visent à protéger un droit humain fondamental ; le droit à la vie.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

À ce jour, la crise sanitaire n’a pas eu des conséquences sur les méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus de la part de notre juridiction.

 

 

Tribunal constitutionnel d’Andorre

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui, il s’agit d’une partie importante des compétences du Tribunal constitutionnel d’Andorre.

La protection des droits de l’homme est développée dans plusieurs lois constitutionnelles et ordinaires.

Dans le Préambule de la Constitution du 28 avril 1993 (CA), il est dit : « […] des mécanismes susceptibles de garantir la sécurité juridique dans l’exercice des droits fondamentaux de la personne, lesquels, s’ils ont toujours été présents dans la société andorrane et respectés par celle-ci, ne faisaient pas l’objet d’une véritable réglementation ».

L’article 1.2 de la CA lui-même prévoit également : « La Constitution proclame que l’État andorran respecte et promeut, dans son action, les principes […] de défense des droits de l’homme, ainsi que la dignité de la personne ».

L’article 4 dispose ce qui suit : « La Constitution reconnaît que la dignité humaine est intangible et, par conséquent, garantit les droits inviolables et imprescriptibles de la personne, qui constituent le fondement de l’ordre politique, de la paix sociale et de la justice ».

L’article 5 dispose : « La Déclaration universelle des droits de l’homme est en vigueur en Andorre ».

En conséquence, l’ensemble du titre II « Des droits et libertés » s’occupe des :

— droits fondamentaux de la personne et des libertés publiques
– chapitre III, articles 8 à 23 (droit à la vie, à l’intégrité physique et morale, interdiction de la torture, des peines et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la peine de mort, droits à la liberté et à la sécurité, habeas corpus, au recours devant une juridiction, à obtenir de celle-ci une décision fondée en droit, ainsi qu’à un procès équitable, devant un tribunal impartial créé préalablement par la loi, à la défense et à l’assistance d’un avocat, le droit à un procès d’une durée raisonnable, à la présomption d’innocence, à être informé de l’accusation, à ne pas être contraint de se déclarer coupable, à ne pas faire de déclaration contre soi-même et, en cas de procès pénal, à l’exercice d’un recours, le principe d’égalité, la justice gratuite, la liberté de pensée, de religion et de culte, et le droit de toute personne de ne pas déclarer ou manifester sa pensée, sa religion ou ses croyances, la liberté de manifester sa propre religion ou ses croyances est soumise aux seules limites établies par la loi et nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé et de la morale publiques ou des droits et des libertés fondamentales d’autrui, les libertés d’expression, de communication et d’information, de réponse et de rectification, et la protection du secret professionnel. Interdiction de censurer préalablement ou de tout autre moyen de contrôle idéologique de la part des pouvoirs publics, obligation des pouvoirs publics de promouvoir une politique de protection de la famille, égalité dans les droits et dans les obligations des époux, égalité des enfants devant la loi, indépendamment de leur filiation, le respect de l’intimité, de l’honneur et de l’image, la protection contre les intrusions illégales dans sa vie privée et familiale, l’inviolabilité du domicile, le secret des communications, les droits de réunion et de manifestation pacifiques à des fins licites, le droit d’association dans des buts licites, le droit à la création et au fonctionnement d’organisations professionnelles, patronales et syndicales, les travailleurs et les chefs d’entreprises ont le droit de défendre leurs intérêts économiques et sociaux, le droit à l’éducation, la liberté d’enseignement et celle de créer des centres d’enseignement, la liberté de circuler librement sur le territoire national).

– droits politiques des Andorrans – chapitre IV, articles 24 à 26 (droit de vote, droit à un égal accès aux fonctions et aux charges publiques, droit de créer librement des partis politiques).

– droits et principes économiques, sociaux et culturels – chapitre V, articles 27 à 36 (droit à la propriété privée et à l’héritage, liberté d’entreprise, droit au travail, à la promotion sociale par le travail, à une rémunération suffisante pour assurer au travailleur et à sa famille une existence conforme à la dignité humaine, droit à la protection de la santé, droit à jouir d’un logement digne, l’État veille à l’utilisation rationnelle du sol et de toutes les ressources naturelles afin de garantir à chacun une qualité de vie digne, ainsi que de rétablir et de préserver pour les générations futures un équilibre écologique rationnel de l’atmosphère, de l’eau et de la terre, et de protéger la flore et la faune locale, droits des consommateurs et des usagers garantis par la loi).

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Elle est explicite.

Dans la Constitution et au titre II, le chapitre VII consacre les articles 39 à 42- « Les garanties des droits et des libertés. »

L’article 39.1 dispose : « 1. Les droits et les libertés reconnus aux Chapitres III et IV du présent Titre sont directement applicables et s’imposent immédiatement aux pouvoirs publics. Leur portée ne peut être limitée par la loi et les Tribunaux en assurent la protection. »

Et l’article 41 prévoit : « 1. La loi organise la protection des droits et des libertés reconnus aux Chapitres III et IV devant les tribunaux ordinaires, selon une procédure d’urgence qui, dans tous les cas, prévoit deux instances. 2. La loi établit une procédure exceptionnelle de recours devant le Tribunal constitutionnel contre les actes des pouvoirs publics qui portent atteinte aux droits mentionnés dans le paragraphe précédent. »

Enfin, le titre VIII de la Constitution réglemente le Tribunal constitutionnel et parmi ses règles souligne :

« 1. Le Tribunal constitutionnel est l’interprète suprême de la Constitution ; il siège en tant qu’organe juridictionnel et ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux personnes privées. » (Article 95.1).

« Le Tribunal constitutionnel connaît (…) c) Des recours d’empara constitutionnels » (article 98).

Contre les actes des pouvoirs publics qui lèsent des droits fondamentaux : Sont fondés à demander la protection au Tribunal constitutionnel :

a) les personnes qui ont été partie, directement ou en tant que tiers intervenants, dans la procédure judiciaire préalable mentionnée à l’article 41 alinéa 2 de la Constitution.

b) les personnes qui ont un intérêt légitime mis en cause par des dispositions ou des actes du Conseil Général n’ayant pas force de loi.

c) le ministère public en cas de violation du droit fondamental à la juridiction (article 102).

La loi qualifiée fixe le statut juridique des membres du Tribunal constitutionnel, les procédures et le fonctionnement de cette institution (article 104).

Cette « Loi qualifiée du Tribunal constitutionnel » a été adoptée le 3 septembre de 1993 et a été modifiée à plusieurs reprises.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

En effet, il existe un lien étroit entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie. La Constitution de la Principauté d’Andorre prévoit clairement que « l’Andorre est un État indépendant, de droit, démocratique et social » (article 1.1). Et cette déclaration implique : « La Constitution proclame comme principes inspirants de l’action de l’État andorran le respect et la promotion de la liberté, de l’égalité, de la justice, de la défense des droits de l’homme et de la dignité de la personne ».

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Sans protection des droits de l’homme, on ne peut pas parler de l’État de droit (même s’il existe une autorité de droit et que tous les pouvoirs publics y sont soumis) ou de démocratie (même s’il y a plusieurs manifestations d’expression de la volonté populaire).

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Bien que les concepts d’État de droit et de démocratie soient généralement intimement liés, ils peuvent parfois avancer sur des chemins opposés. Cela peut se produire lorsque l’État, bien que de droit, s’oppose à plusieurs reprises aux expressions démocratiques et lorsque les expressions démocratiques attaquent les fondements de l’État de droit. La solution à ce conflit doit se faire précisément sur la base de la plus grande reconnaissance et de la meilleure protection des droits de l’homme et des libertés publiques.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Ce n’était pas nécessaire. L’État de droit et la démocratie, bien que toujours imparfaits, sont bien installés dans la Principauté d’Andorre et sa consolidation n’a pas été nécessaire.

Toutefois, la jurisprudence du Tribunal constitutionnel a pu corriger des cas spécifiques de violation ou d’ignorance des droits fondamentaux et, à cet égard, a contribué à consolider l’État de droit et la démocratie.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel, puisqu’il est l’interprète suprême de la Constitution (article 95 CA), vise à garantir l’État de droit et la démocratie.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Comme nous l’avons dit, il n’a pas été nécessaire de contribuer à l’enracinement de la démocratie historiquement installée en Andorre et consacrée par la Constitution.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Peut-être, en raison du nombre d’affaires examinées par le Tribunal constitutionnel, le droit à la juridiction et à la tutelle judiciaire effective a-t-il été l’un des domaines dans lesquels la jurisprudence du Tribunal constitutionnel a le plus contribué au renforcement de l’État de droit et de la démocratie.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Nous pensons sincèrement que le bilan est positif.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Formellement, il ne joue pas ou ne peut pas jouer un rôle politique. En réalité, cependant, bien que ses actions soient strictement motivées par des critères juridiques et non politiques, le contact avec des questions spécifiques de nature politique signifie que nécessairement, de l’extérieur et en raison de la question objective sur laquelle il opère, on lui attribue un rôle politique ou parapolitique.

Il convient également de garder à l’esprit que la grande majorité des membres du Tribunal constitutionnel de la Principauté d’Andorre, bien qu’ils aient la nationalité andorrane pro tempore pendant leur mandat, ont la nationalité espagnole ou française. Ce fait contribue de manière décisive au fait qu’ils ne jouent pas un rôle politique.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. Les citoyens andorrans sont conscients du fait que l’existence d’un Tribunal constitutionnel favorise la promotion de l’État de droit et de la démocratie.

 

2.    LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

La référence la plus courante et la plus obligatoire dans les décisions du Tribunal constitutionnel est le texte de la Constitution andorrane elle-même.

La Convention de Rome pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 est également une référence importante, de même que ses protocoles additionnels.

De même, les décisions du Tribunal constitutionnel d’Andorre suivent et intègrent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. La formation particulière des magistrats membres du Tribunal est en fin de compte un élément très digne d’être pris en compte.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

En principe, la jurisprudence du Tribunal constitutionnel n’établit pas, de manière générale et abstraite, de hiérarchie entre les différents droits fondamentaux de la personne. Toutefois, dans des cas spécifiques de conflit – par exemple entre le droit à la liberté d’expression et le droit à la vie privée – une primauté est établie, dans le cas spécifique, de l’un sur l’autre selon les lignes que suivent la plupart des différentes jurisprudences dans le domaine des droits de l’homme.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Le droit le plus souvent invoqué par les requérants est le droit à la juridiction, soit exclusivement, soit de manière simultanée avec certains des autres droits mentionnés dans le même article, qu’ils soient considérés comme des droits autonomes, des manifestations ou des aspects du droit à la juridiction. Il en est ainsi avec le droit d’obtenir une décision fondée en droit, le droit à un procès équitable auprès d’un tribunal impartial prédéterminé par la loi, le droit à la défense et l’assistance technique d’un avocat, le droit à un procès d’une durée raisonnable, la présomption d’innocence, le droit à être informé de ce dont on l’accuse, de ne pas s’avouer coupable, de ne pas témoigner contre soi-même et, dans les procédures pénales, du recours. Il convient cependant de noter que le droit à la liberté, à la vie privée, à l’honneur et à l’image, à être protégé par des lois contre toute ingérence illégitime dans la vie privée et familiale et l’inviolabilité du domicile et le secret des communications sont de plus en plus allégués.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Jusqu’à présent, n’ont pas été invoqués devant le Tribunal constitutionnel les droits fondamentaux qui ne sont pas recueillis directement ou indirectement dans la Constitution andorrane.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Comme nous l’avons dit dans la réponse précédente 2, le Tribunal constitutionnel n’établit aucune hiérarchie entre les différents droits de l’homme. Ce n’est qu’en cas de conflit de droits possible que l’on donne la prépondérance à un droit par rapport à un autre.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

La plus importante. De toutes les saisines de ce Tribunal, 95,22 % sont des recours en protection constitutionnelle portant sur la prétendue violation d’un droit fondamental.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Nous n’accordons pas de régime particulier aux droits fondamentaux.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Pas en principe, mais cela dépend de chaque cas spécifique.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Le recours d’empara constitue un document technique, non original, mais très adapté à la protection des droits fondamentaux.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Le Tribunal a les mêmes pouvoirs que dans tous les éventuels cas d’inconstitutionnalité d’une loi. La loi contestée ou les articles spécifiques qui sont déclarés inconstitutionnels, sont annulés et cessent absolument de faire partie du système juridique. Le Tribunal constitutionnel, pour utiliser une formule qui a déjà été entendue, agit pleinement comme un « législateur négatif ».

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Jusqu’à présent, il n’a pas été nécessaire de « constitutionnaliser un droit ou une liberté fondamentale qui ne sont pas proclamés dans la Constitution ».

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Les normes internationales relatives aux droits fondamentaux jouent un rôle fondamental en Andorre. L’article 5 de la Constitution proclame textuellement « la Déclaration universelle des droits de l’homme est en vigueur en Andorre ». Les autres traités internationaux en Andorre ont une valeur de droit formel. Ils doivent respecter la Constitution et à cette fin l’article 101 dispose que le Tribunal constitutionnel, à la demande des personnes autorisées, rend un avis préalable d’inconstitutionnalité, préférentiellement, sur les traités internationaux avant leur ratification.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

L’article 2 de la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel dispose que sa compétence est supérieure, dans son ordre et dans l’exercice de ses pouvoirs, à celle des autres juridictions. Ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux individus et leurs décisions ont une valeur de chose jugée. La doctrine du Tribunal constitutionnel, lorsqu’il interprète la Constitution, s’impose également aux différents organes de juridiction ordinaire.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Le Tribunal constitutionnel n’exécute pas ses décisions lui-même. Toutes les mesures d’exécution sont prononcées par les organes de juridiction ordinaire dans le cadre de leurs compétences respectives.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Cela dépend de chaque cas spécifique. La sanction peut être de faire, de ne pas faire, de cesser une action, de donner quelque chose ou de dédommager.

 

2. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Nous n’avons pas eu l’occasion de nous pencher sur cette question. Tel qu’il en découle de l’opinion la plus répandue, « conception relative » s’oppose à « conception absolue », le Tribunal constitutionnel d’Andorre maintient le caractère absolu et universel des droits de l’homme, sans préjudice du fait que, lorsque les droits de l’homme de nature différente entrent en conflit, des priorités sont appliquées entre eux.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les valeurs sociales sont prises en compte lorsqu’il s’agit de protéger les droits de l’homme. L’article 1.2 de la Constitution dispose : « La Constitution proclame que l’État andorran respecte et promeut, dans son action, les principes de liberté, d’égalité, de justice, de tolérance, de défense des droits de l’homme, ainsi que la dignité de la personne ».

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture et les valeurs qu’elle implique occupent une place de choix dans la définition des droits de l’homme, dans le respect de l’idée de multiculturalisme.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La Constitution andorrane prévoit dans son article 11.1 : « La Constitution garantit la liberté de pensée, de religion et de culte, et nul ne peut être contraint de déclarer ou de manifester sur son idéologie, sa religion ou ses convictions ». L’alinéa 3 reconnaît la situation particulière de l’Église catholique.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui, la recherche de la paix et de la cohésion sociale constitue un des facteurs déterminants dans la définition des droits de l’homme par ce Tribunal constitutionnel.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

En effet, notre jurisprudence accepte la conception universelle des droits de l’homme.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non. Le Tribunal n’a pas eu l’occasion d’affirmer cette appartenance à la conception universelle des droits de l’homme et ne l’aurait probablement pas fait non plus parce qu’il essaie toujours de résoudre les controverses qui lui sont soumises, sans faire de déclarations de nature théorique ou doctrinale.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

En raison du caractère particulier de la procédure de recours d’empara, par laquelle les questions relatives aux droits de l’homme parviennent au Tribunal, le droit le plus souvent consacré par notre jurisprudence est le droit à la juridiction, c’est-à-dire le droit à une protection juridictionnelle effective, à un procès équitable étayé par un tribunal impartial prédéterminé par la loi et dans une durée raisonnable. Toujours dans ce même domaine procédural, le droit à la défense, à la présomption d’innocence, à être informé de l’accusation, de ne pas se déclarer coupable, de ne pas témoigner contre soi-même et le droit de faire appel. Le Tribunal constitutionnel est également saisi avec une relative assiduité de questions liées au droit à la liberté et à la sécurité et aux droits à la vie privée et à l’honneur.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Toute norme juridique doit être interprétée, appréciée et valorisée, en tenant compte de la réalité sociale – temps et lieu – à laquelle elle doit s’appliquer, sans relativiser son contenu. Au contraire, en tenant compte de son esprit et de son objectif. C’est ainsi que le Tribunal constitutionnel d’Andorre tente de faire.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Toute circonstance personnelle, objective, temporaire ou circonstancielle pouvant être présente dans le cas qui est soumis à notre jugement.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Elles n’ont pas d’influence décisive, mais elles font partie de cette « réalité sociale » dont le Tribunal tient compte.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Si elles ont été considérées conformes à la Constitution, elles ont été appliquées, également en matière de droits de l’homme, en respectant leur essence. Parfois, elles ont servi à établir une limitation objective ou temporaire. De nombreux droits de l’homme ont, dans leur contenu, une « configuration » légale, à laquelle nous nous tenons, tant qu’elle est constitutionnelle.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Elle n’a pas eu de conséquences directes, mais la crise sanitaire a en effet nuancé le contenu et la temporalité de certains droits de l’homme et des libertés fondamentales tels que la liberté de circulation, la liberté de réunion et de manifestation, la liberté d’entreprise, etc.

14. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.


  • [1]
    En vertu de la révision constitutionnelle adoptée par référendum populaire du 1er novembre 2020, il est prévu qu’une Cour constitutionnelle prendra la place de l’actuel Conseil constitutionnel. Toutefois, en attendant l’installation de la Cour constitutionnelle dans un délai d’une année à compter de la date de promulgation de la révision constitutionnelle, le Conseil constitutionnel continue à exercer ses missions conformément à l’article 224 de la Constitution. C’est pourquoi, les réponses données dans le cadre du présent questionnaire s’appuient sur la pratique du Conseil constitutionnel.  [Retour au contenu]

 

 

Tribunal constitutionnel d’Angola

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui. En admettant que, dans l’usage courant, l’expression droits de l’homme, droits inviolables, droits fondamentaux et droits constitutionnels sont des terminologies utilisées de manière indistincte mais équivalente et indiquent les droits qui devraient être reconnus à tout individu en tant que personne. C’est l’un des principaux objectifs de l’État, la promotion et la défense des droits et libertés fondamentaux de l’homme, autant qu’un individu qu’en tant que membre de groupes sociaux organisés, et de veiller à ce que la garantie de son efficacité soit respectée par les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, organes et institutions, ainsi que par toutes les personnes physiques et morales, comme prévue à l’article 2 de la Constitution de la République d’Angola (CRA).

Cet aspect est renforcé par le contenu de l’article 28 de la CRA, qui consacre la force juridique des dispositions constitutionnelles relatives aux droits, libertés et garanties fondamentaux comme étant directement applicables et liant toutes les entités publiques et privées.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

La protection des droits de l’homme dans la juridiction angolaise est clairement explicite, car, à plusieurs reprises, la CRA pose le principe de la dignité humaine et du respect des droits de l’homme, des libertés et des garanties fondamentales, comme valeurs élémentaires de l’ordre juridique (articles 1, 2, 12, 13 et 21 de la CRA).

La garantie de ces droits est matérialisée par les organes de l’État, plus précisément par le pouvoir judiciaire, qui garantit et assure le respect de la Constitution, des lois, traités et autres dispositions normatives en vigueur, la protection des droits et intérêts légitimes des citoyens et des institutions et statue sur la légalité des actes administratifs (articles 175, 176 et 177 de la CRA) ; par le pouvoir exécutif, à travers la mise en œuvre de politiques publiques qui facilitent la réalisation des droits de l’homme (article 21 de la CRA) et, également, par le pouvoir législatif, à travers la création de diplômes juridiques qui mettent l’accent sur le respect de la dignité de la personne humaine (articles 161 à 165 de la CRA). Cette mission est étendue à d’autres organes de l’État tels que l’Ombudsman et d’autres institutions qui composent la société civile.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. Cette relation peut être observée dans le fait que la CRA reconnait les droits et libertés fondamentaux. La Constitution illustre de manière exemplaire l’existence significative de la rhétorique des droits. Ce n’est pas un hasard si la CRA est citée par de nombreux experts comme l’une des Constitutions les plus complètes en matière de droits, libertés et garanties fondamentaux. Clairement, les articles 1 et 2 de la CRA démontrent la perspective du législateur constituant, selon laquelle la garantie de l’État de droit et de la démocratie dépend avant tout du respect des droits inhérents à la personne (dignité de la personne humaine).

La reconnaissance de ces droits fondamentaux dans la Constitution est donc l’un des éléments caractéristiques de l’État de droit. Ce fait est garanti dans la rigidité de la Constitution (articles 233 à 237 de la CRA) et dans le contrôle de constitutionnalité des lois et actes normatifs attribué à la Cour constitutionnelle (n° 2, article 181 de la CRA). D’autre part, les droits fondamentaux non seulement constituent les principes suprêmes de l’ordre constitutionnel, mais qualifient également la même structure démocratique de l’État, qui serait subvertie chaque fois qu’ils seraient ignorés ou violés.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

La protection des droits de l’homme avec la garantie de l’État de droit et de la démocratie est établie à travers une protection juridictionnelle effective. Il existe un organe suprême qui supervise et protège les droits, garanties et libertés fondamentaux, à savoir la Cour constitutionnelle (article 181 de la CRA). Cette fonction est étendue à d’autres juridictions de droit commun qui apprécient la constitutionnalité des règles à titre incident.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Partant de l’origine étymologique des expressions “État de droit” et “État démocratique”, ils sont compris comme un État régi par des normes juridiques (État de droit) et dirigé par des citoyens élus au suffrage universel (État démocratique). Le système juridique reconnaît l’expression « État de droit démocratique », comme une réalité intégrée et idéale à atteindre par la consécration de la souveraineté populaire, la primauté de la Constitution et de la loi, la séparation des pouvoirs et l’interdépendance des fonctions, l’unité nationale, le pluralisme des expressions et de l’organisation politique et la démocratie représentative et participative.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle à travers ses décisions et ses effets (question principale res judicata, réforme de la décision en appel et réforme procédurale) a largement contribué à la consolidation de l’État de droit démocratique. Notamment, la Cour constitutionnelle a statué sur diverses questions de droit constitutionnel, telles que le droit à la propriété, le droit au logement, le droit de recours, le droit à la liberté, le droit à la liberté de circulation, la liberté d’expression et le droit à un jugement juste et équitable, annulant les décisions contestées fondées sur la violation des droits fondamentaux.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle angolaise visent à garantir l’État de droit et la démocratie, ce qu’implique avant tout le respect des normes constitutionnelles (principe de la suprématie de la Constitution) et la garantie des droits, libertés et garanties fondamentaux.

De ces décisions, on peut noter la soumission claire inconditionnelle à la Constitution à la loi et aux valeurs des normes constitutionnelles, qui constituent l’apanage de l’État de droit et de la démocratie.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

La réalisation de la paix, la stabilité de la vie politique, ainsi que la normalité constitutionnelle, ont créé les conditions nécessaires à l’institution de la Cour constitutionnelle en Angola – dont les fonctions étaient auparavant exercées par la Cour Suprême. C’était en 2008 que la Cour constitutionnelle a été effectivement consacrée. Depuis lors, la pratique de la justice est devenue l’apanage de cette prestigieuse institution. Parfois, lors de l’annulation des décisions d’autres juridictions, elle était la cible de critiques, de malentendus, en raison de la nouveauté de son caractère décisionnel et du fait qu’elle était plus qu’un Juge des lois et de la pondération axiologique et téléologique et moins légaliste.

Les décisions de la Cour constitutionnelle ont joué un rôle important dans la construction et la consolidation de l’État démocratique et de droit, dans la défense du droit constitutionnel et dans la préservation de l’intégrité de l’ordre juridique.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Les décisions des tribunaux étant impératives et obligatoires pour tous, les décisions de la Cour constitutionnelle ont servi de fondement à la fonction sociale exercée par cet organe. Les décisions sur le recours extraordinaire d’inconstitutionnalité (modèle espagnol de recours de protection) et le recours ordinaire prévu par la législation ordinaire (Loi n° 2/08 – Loi organique de la Cour constitutionnelle et Loi n° 3/ 08 – Loi de Procédure constitutionnelle, toutes deux du 17 juin) ont contribué à la mise en œuvre du principe de primauté de la Constitution et à la défense des droits et intérêts légitimes de la population. La Cour constitutionnelle, avec sa jurisprudence, a défini des positions évolutives de l’État de droit démocratique.

Dans le cadre du contrôle concret, la Cour constitutionnelle s’est distinguée en affirmant l’importance du principe du contradictoire (voir l’ARRÊT de la Cour constitutionnelle n° 490/2018), l’interdiction de la reformatio in pejus, l’habeas corpus (voir l’ARRÊT n° 582/2019), l’absence de contestation et le droit à un procès équitable (voir l’ARRÊT n° 482/2018).

En termes de contrôle abstrait, l’ARRÊT n° 467/2017 a déclaré l’inconstitutionnalité de plusieurs articles contenus dans la loi, pourtant abrogée, n° 25/2015 du 18 septembre, Loi de la mesure de Précaution en matière de procédure pénale, qui attribue la compétence au magistrat du parquet pour ordonner la détention préventive. La Cour a toutefois décidé de retarder les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité jusqu’au moment de mise en œuvre par le juge des garanties.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

La Cour constitutionnelle angolaise, en plus de sa fonction de contrôle et de défense des droits de l’homme, exerce sa compétence sur les questions d’ordre juridique des partis et en matière électorale (article 181 de la CRA). Dans le processus électoral, la Cour constitutionnelle est appelée à jouer un rôle prépondérant dans l’accréditation des listes de partis et dans la validation des élections elles-mêmes en cas de contestation.

La Cour constitutionnelle s’est consolidée avec la compétence électorale exercée en 2008, 2012 et 2017 et son appel fréquent à régler les questions relatives aux partis et coalitions politiques, dans le processus de constitution et de modification, ainsi que dans la résolution des conflits internes.

Le rôle politique joué par le juge constitutionnel en Angola est supra-partisan.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. La structure organique et fonctionnelle de la Cour constitutionnelle promeut l’État de droit et démocratique. En effet, le système juridique met à disposition tous les mécanismes indispensables et fondamentaux : le droit d’accès à la loi et à une protection juridictionnelle effective de tous les citoyens est garanti, surtout avec la consécration de défenseurs officieux et la possibilité de recourir à d’autres instances de juridictions hiérarchiquement supérieures et/ou spécialisées.

Les tribunaux sont tenus de protéger les droits fondamentaux des citoyens, ainsi que de prendre des décisions justes et équitables, fondées sur la CRA et la loi. En termes de contrôle concret, nous avons l’ARRÊT n° 122/2010, dans lequel la Cour constitutionnelle a annulé une procédure pénale pour une atteinte aux droits fondamentaux.

 

2.    LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle angolaise font davantage référence à la législation nationale elle-même, mais les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme sont également utilisés comme support juridique, à savoir la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 26 de la CRA), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et autres.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non, notre jurisprudence n’établit aucune sorte de hiérarchie par rapport aux sources des droits de l’homme, au contraire, elle place toutes les sources (nationales et internationales) au même niveau, bien que la CRA établisse, dans son article 27, que « Le régime juridique des droits, libertés et garanties énoncé dans le présent chapitre est applicable aux droits, libertés et garanties et aux droits fondamentaux de nature analogue, consacré par la Constitution, ou par loi ou par convention internationale ».

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits les plus discutés à la Cour constitutionnelle angolaise sont ce que la doctrine appelle les droits de première génération et parmi eux le droit à la liberté physique, le droit d’aller et venir. À noter que cette année, 63% des procès déjà examinés par notre Cour concernaient la privation de liberté.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Non, il n’y a pas de nouveaux droits à invoquer auprès de notre Cour.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Cette Cour n’a jamais été confrontée à une situation dans laquelle elle a été contrainte d’établir toute sorte de hiérarchie entre les droits de l’homme. Cependant, c’est une compréhension pacifique que le droit à la vie est au-dessus de tous les autres.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux occupent une place privilégiée dans notre jurisprudence. Comme déjà mentionné, 63 % des procès déjà examinés par notre Cour, cette année, étaient liés à la défense des droits fondamentaux, principalement la liberté d’aller et venir. En effet, la Cour constitutionnelle a le pouvoir de réapprécier toutes les décisions d’organismes publics en matière juridique constitutionnelle, celles qui violent ou menacent l’exercice des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Notre Cour est considérée comme une Cour des droits de l’homme. Ainsi, cette Cour constitutionnelle, gardienne de la Constitution (où sont inscrits les droits fondamentaux), est le principal défenseur des droits de l’homme.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Comme nous sommes dans un État de droit et démocratique, où le respect des droits de l’homme est consacré, la mission de la Cour constitutionnelle, en tant que juridiction des droits de l’homme, est de veiller au respect par tous des normes constitutionnelles relatives à la protection des droits de l’homme.

Donc, la Constitution elle-même exige que les procédures judiciaires relatives à la protection des droits de l’homme soient conformes au principe d’un procès équitable et conformes à la loi, et qu’elles se déroulent dans les plus brefs délais.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non, notre Cour ne distingue pas les droits des libertés quant à leur protection, c’est-à-dire que les mêmes mécanismes de défense des droits servent aussi à défendre les libertés et les garanties. Il est juste que le législateur constituant, de manière ténue, a distingué les droits fondamentaux des libertés et garanties fondamentales, cependant, la Cour constitutionnelle utilise les mêmes expédients pour défendre à la fois les droits et les libertés.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Le principal moyen de protéger les droits et libertés des citoyens est la garantie d’accès à la loi et aux tribunaux, puisque, conformément à l’article 29 de la CRA, tout citoyen, quelle que soit sa situation économique, peut recourir aux instances judiciaires pour empêcher ou prévenir les atteintes à ses droits et libertés ou demander réparation en cas de violation. Au-delà des tribunaux, il existe également des institutions publiques dédiées à la réception des citoyens concernant leurs droits et libertés, dont le bureau de l’Ombudsman (voir article 212-A de la CRA).

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Notre Cour a toujours le dernier mot en matière de droits de l’homme. Toute loi en vigueur, si elle est déclarée inconstitutionnelle par notre Cour, cesse de s’appliquer dans notre système juridique. À titre d’exemple, la Cour constitutionnelle, à travers l’ARRÊT n° 447/2017, a déclaré inconstitutionnel le décret présidentiel n° 74/15 du 24 mars, qui a établi le régime juridique des organisations non gouvernementales : elle a compris que ce diplôme limitait les droits et libertés des citoyens et que seule l’Assemblée nationale (Parlement) a ce pouvoir limitatif. Ainsi, le diplôme susmentionné a été purgé du système juridique angolais.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Le seul moyen utilisé par la Cour constitutionnelle pour constitutionnaliser les droits et libertés, ce sont ses décisions collectives (acórdãos/arrêt). De nombreux ARRÊTS de la Cour constitutionnelle finissent par devenir la règle en matière de protection des droits fondamentaux. À titre d’exemple, on peut citer l’ARRÊT n° 328/2014, dans lequel la Cour a statué que certaines normes d’un diplôme qui punissait la conduite illégale d’emprisonnement étaient inconstitutionnelles. La décision a été prise dans le cadre d’un processus de contrôle concret, c’est- à-dire qu’il n’a produit d’effets que dans ce processus spécifique et que les règles visées sont toujours restées en vigueur. Pourtant, les autres tribunaux n’ont pas appliqué les règles susmentionnées, suite à l’interprétation de notre Cour.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

La CRA attribue aux normes juridiques internationales (traités) assurant la protection des droits et libertés fondamentales la même force juridique que les normes nationales (voir articles 26 et 27). La jurisprudence internationale, en revanche, est rarement évoquée dans les décisions de nos tribunaux.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle ont eu un grand impact sur les autres tribunaux, car elles influencent leur façon de penser, d’agir et de décider. Par exemple, l’ARRÊT n° 328/2014, dans lequel la Cour constitutionnelle a statué que certaines normes d’un diplôme punissant la conduite illégale d’une peine d’emprisonnement étaient inconstitutionnelles. La décision a été prise dans le cadre d’un processus de contrôle concret, ce qui signifie qu’elle n’a produit d’effets que dans ce processus spécifique et que les règles susmentionnées étaient toujours en vigueur. Malgré cela, les autres juridictions n’ont pas appliqué les normes susmentionnées, suite à l’interprétation de la Cour constitutionnelle quant à sa constitutionnalité.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

La principale limite des pouvoirs de la Cour constitutionnelle est la Constitution elle-même, qui établit que, dans le cadre du contrôle préventif, chaque fois qu’une norme est déclarée inconstitutionnelle, le président de la République doit opposer son veto à son approbation, et en aucun cas que le diplôme soit approuvé ou promulgué par le président sans que les règles déclarées inconstitutionnelles soient purgées, voir article 229 de la CRA.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

En règle générale, notre Cour n’impose pas de sanctions pour les violations des droits de l’homme. Ce que fait la Cour, c’est faire rétablir la légalité, c’est-à-dire que si un citoyen a été illégalement privé de sa liberté physique, la Cour constitutionnelle le déclare et le tribunal d’exécution se limite à se conformer à sa décision et, par conséquent, à libérer le citoyen, voir l’ARRÊT n° 677/2021.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Oui, selon la jurisprudence des tribunaux angolais, il existe une conception concernant la question des droits de l’homme. En tant qu’organes souverains qui doivent exercer le rôle de gardiens de la Constitution, les tribunaux angolais dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, excellent dans la sauvegarde des droits de l’homme.

Cette mission est exercée par toutes les juridictions et notamment par la Cour constitutionnelle, en raison de sa nature de juridiction des droits de l’homme, qui administre la justice dans l’objet de nature juridico-constitutionnelle. Les tribunaux de juridiction commune et d’autres organes du pouvoir judiciaire ont également un rôle fondamental dans la sauvegarde des droits de l’homme.

De ce point de vue, les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle excellent à garantir la sauvegarde des droits fondamentaux.

La Constitution de la République d’Angola consacre le Titre II (Droits et devoirs fondamentaux) d’où nous soulignons l’article 23 « principe d’égalité », l’article 31 « Droit à l’intégrité personnelle », l’article 40 « Liberté d’expression et d’information », l’article 46 « Liberté de séjour, de circulation et d’émigration », l’article 47 « Liberté de réunion et de manifestation », l’article 48 « Liberté d’association », et l’article 61 « Crimes odieux et violents ».

La Cour constitutionnelle, dans son arrêt 375/15 concernant la garde d’un mineur, a invoqué la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant à laquelle l’Angola adhère et est par conséquent lié, et a décidé de la garde d’un mineur, dans le sens de la garantie du respect du principe constitutionnel de sauvegarde des intérêts des mineurs.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les droits sociaux fondamentaux sont inscrits dans la Constitution et donc ils ont la consécration constitutionnelle, en tant que telle, et sont pleinement protégés. La CRA les consacre dans son chapitre III (Droits et devoirs économiques, sociaux et culturels), où nous soulignons les articles 76 « Droit au travail », 77 « Santé et protection sociale », 79 « Droit à l’éducation Culture et sport », et 85 « Droit au logement et à la qualité de vie ».

Existent également des lois ordinaires qui assurent la sauvegarde des droits sociaux en harmonie avec les dispositions de la Constitution, garantissant au législateur essentiellement la protection des familles et des institutions, à travers des mesures liées à la valeur de ces institutions.

Ainsi, les droits sociaux tels que le droit à l’éducation, à la santé et à la protection sociale, le droit au travail, sont des droits que l’État garantit de manière inaliénable et, en cas de violation de ces droits, les tribunaux sont appelés à veiller à ce que leurs destinataires puissent en bénéficier.

Par conséquent, nous pouvons affirmer que les droits économiques et sociaux ont la primauté dans la résolution des litiges soumis à cette juridiction.

À titre d’exemples, on peut citer les arrêts 446/17, 486/18 et 540/19, dans lesquels cette Cour a analysé le droit au travail, la stabilité de l’emploi, l’interdiction du licenciement abusif et le droit à une juste indemnisation en cas de nullité ou de licenciement sans fondement.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

L’État angolais reconnaît le droit à la culture pour ses citoyens. Ce droit est consacré par les articles 7 et 79 de la CRA qui permettent de l’exercer en harmonie avec ce qui est inscrit dans la Constitution. L’article 7 reconnaît la validité et la force juridique d’une coutume qui n’est pas contraire à la Constitution ou qui ne porte pas atteinte à la dignité de la personne humaine.

Les manifestations culturelles doivent s’exercer en harmonie avec la Constitution. Si une coutume donnée est préjudiciable aux droits fondamentaux des citoyens, il appartiendra aux tribunaux en général de veiller à ce que ces droits soient respectés et de telles pratiques sanctionnées.

Ainsi, les usages et coutumes qui portent atteinte au droit à la vie, à la dignité de la personne humaine, au droit à l’éducation, à la liberté d’expression et à tous les droits fondamentaux qui méritent une protection constitutionnelle sont punis par la loi.

L’État favorise l’accès de tous à l’alphabétisation, à l’éducation, à la culture et au sport, en encourageant la participation de divers agents privés à sa mise en œuvre.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

En Angola, le libre exercice du culte et de la religion est inscrit dans l’article 41 de la CRA, et la réglementation de l’activité se trouve dans un diplôme spécifique, la loi n° 2/04, du 21 mai. La République d’Angola est un État laïc (article 10 de la CRA) et il existe une séparation entre l’État et les confessions religieuses.

Toutefois, c’est à l’État de déterminer la structure organisationnelle et territoriale des églises. Les églises, en plus de propager la religion selon un certain dogme, ont pour mission de sensibiliser leurs fidèles et la société à un modèle social plus juste et équitable. Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion est absolument garanti.

Ainsi, l’émergence d’églises au sein d’un certain groupe et de citoyens peut aussi se traduire par la conception de certains projets qui couvrent certains domaines de la société, notamment le domaine social. Dans ce contexte, l’État en général et les tribunaux en particulier garantissent que l’intervention des églises dans la société ne soit pas nuisible aux droits de l’homme.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui, la paix et la cohésion sociale sont des facteurs déterminants dans la sauvegarde des droits humains. En tant qu’État démocratique et de droit, l’État angolais protège les droits, libertés et garanties des citoyens, comme prévus à l’article 2 de la CRA.

L’article 11 de la CRA consacre la paix et la sécurité nationale et l’article 23 consacre le principe d’égalité, définissant, au paragraphe 1, que « tous les citoyens sont égaux devant la loi ». La République d’Angola a vécu un conflit qui a duré plus de 30 ans et, par conséquent, pendant cette période, sa population a été privée des droits les plus élémentaires tels que l’éducation, la santé, le logement et les manifestations culturelles.

Avec la fin de la guerre dans le pays, plusieurs mesures d’ordre politique et social ont été prises pour améliorer les conditions sociales des citoyens, accroître l’inclusion sociale, améliorer l’éducation et lutter contre l’analphabétisme, promouvoir les ressources humaines et le développement économique et social.

Ainsi, le respect du noyau essentiel des droits fondamentaux consacrés par la Constitution de la République d’Angola se concentre sur les droits intangibles qui ne peuvent être modifiés et doivent être respectés même en cas de révision constitutionnelle, comme le stipule le paragraphe E de l’article 236 de la CRA.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle angolaise est attachée à la conception universelle des droits de l’homme. La Constitution de la République d’Angola établit au paragraphe 2 de son article 26, concernant la « Portée des droits fondamentaux », que « Les préceptes constitutionnels et juridiques relatifs aux droits fondamentaux doivent être interprétés et intégrés conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et les traités internationaux en la matière ratifiés par la République d’Angola ».

Dans cette perspective, l’Angola étant un État partie aux instruments juridiques internationaux sus-cités, l’éventail des droits qui y sont consacrés, tels que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité personnelle, le droit de ne pas être maintenu en esclavage, de ne pas être soumis à des peines, le droit à la protection juridique devant la loi, le droit à un procès équitable par un tribunal impartial et indépendant, le droit à la liberté de conscience et de religion, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, entre autres, sont des instruments juridiques applicables dans les décisions de justice.

Par le fait d’être la compréhension de cette Cour que le principe constitutionnel de « nemum neteur se ipsum accusre » doit être respecté, la Cour constitutionnelle de la République d’Angola, dans son arrêt n° 122/10, a considéré que le principe de non-auto- incrimination avait été violé, en méconnaissance de l’article 63 de la CRA, ainsi que de l’alinéa g) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Nous pouvons ici considérer que la Cour constitutionnelle, dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, garantit et sauvegarde la protection des droits de l’homme aux termes de la Constitution et de la loi, ainsi qu’en vertu des conventions internationales auxquelles l’Angola est partie.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Oui, la doctrine nationale et étrangère à propos de ce sujet est analysée dans son ensemble visant à protéger la défense des droits et libertés fondamentaux individuels et collectifs, à travers les tribunaux.

Les tribunaux angolais, dans leurs décisions, sont habilités à mentionner la doctrine qui permet une meilleure compréhension des questions de fait et de droit.

Ainsi, la Cour constitutionnelle, qui s’est penchée dans son arrêt n° 648/2020 sur la providence de l’habeas corpus, consacré par l’article 68 de la CRA, a fait référence à la pensée du professeur Guilherme de Sousa Nucci, qui affirme que « l’habeas corpus est compris comme un remède salutaire, plus puissant pour garantir la liberté supprimée ou abrégée, dont le but est de soulager le patient, avec une vraie promptitude et une promptitude admirable, de l’oppression illégale. L’habeas corpus se distingue des autres mesures conservatoires en faveur de la liberté et de la défense des droits individuels par le fait qu’il constitue une procédure rapide, avec une réponse rapide face à une atteinte à la liberté d’une personne, par un acte inconstitutionnel ou illégal » (dans Habeas Corpus Editora Forense, page 23). Avec cette citation reflétée dans le savant arrêt de cette Cour, l’opinion de son auteur a été expressément acceptée par la Cour constitutionnelle.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

La Constitution de la République d’Angola n’établit pas de hiérarchie dans la consécration des droits, libertés et garanties fondamentaux, c’est à l’État d’en assurer l’efficacité aux termes du paragraphe b) de l’article 21 de la CRA.

En ce qui concerne les droits, libertés et garanties les plus consacrés dans la jurisprudence de cette Cour, nous prenons en compte la durée d’existence (11 ans) et la procédure légalement établie par la loi n° 03/08 du 17 juin, qui contient les termes en vertu desquels les appelants sont autorisés à interposer des recours ordinaires et extraordinaires d’inconstitutionnalité.

Ces recours visent le contrôle des normes jugées nocives à la CRA, des décisions (sentences) des autres juridictions qui contredisent les principes, droits, libertés et garanties fondamentaux prévus par la CRA, ainsi que des actes administratifs et exécutoires définitifs attentatoires aux droits, libertés et garanties fondamentaux.

Ainsi, nous considérons que les droits, libertés et garanties le plus souvent consacrés font référence au principe de légalité, au droit à la vie, au droit à la liberté, au principe d’égalité, au principe de dignité humaine, à l’intérêt supérieur des mineurs, au droit à l’habeas corpus et à l’accès à la loi et à une protection juridictionnelle efficace.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Non, l’appréciation du respect des droits et libertés ne dépend pas des circonstances de temps et de lieu. L’article 22 de la CRA dispose en son paragraphe 1, que « Tous jouissent des droits des libertés et des garanties constitutionnelles et sont soumis aux devoirs établis dans la Constitution et la loi ». Le paragraphe 2, de la même disposition précise que « les citoyens angolais résidant ou se trouvant à l’étranger jouissent des droits, libertés et garanties et de la protection de l’État et sont soumis aux devoirs consacrés par la Constitution ».

Toutefois, dans des cas exceptionnels, tels que l’état de guerre, l’état de siège ou l’état d’urgence, la CRA autorise la suspension des droits et libertés et garanties des citoyens, comme le prévoit son article 58. Les droits et libertés des citoyens sont si importants que leur garantie ne peut dépendre de circonstances telles que le temps et le lieu.

La Constitution de la République d’Angola ne laisse aucune liberté de conformer l’exercice d’un droit fondamental à une circonstance donnée et la discrétion des pouvoirs publics est liée par ce qui est établi dans la CRA et dans la loi.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Le facteur primordial pour une protection adéquate des droits des personnes est le devoir de l’État de protéger ses citoyens et la reconnaissance qu’il existe une étendue de protection des normes constitutionnelles qui garantissent les droits des citoyens.

Cette protection des droits fondamentaux délimite les valeurs et les intérêts qui sont protégés par une norme. Lors de la protection d’un droit fondamental, l’attention est portée à l’essentiel du droit en question, ainsi qu’à la nécessité de le protéger. Le noyau essentiel des droits fondamentaux englobe les dimensions des valeurs personnelles que la CRA protège, et qui caractérisent et justifient l’existence autonome de ce droit fondamental.

Il est important de souligner la pertinence des instruments juridiques internationaux auxquels l’Angola est partie, puisque de tels accords, après avoir été ratifiés, font partie du système juridique du pays.

Ainsi, les droits fondamentaux inscrits dans la CRA offrent des garanties constitutionnelles qui obligent le législateur ordinaire et l’État à traiter des droits inhérents aux personnes, à la famille, à l’emploi, à la santé, à l’éducation, entre autres.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Non, les crises politiques n’influencent en rien l’interprétation des droits et libertés des citoyens. Les tribunaux angolais sont des organes souverains qui exercent leur activité de manière indépendante et impartiale, comme le prévoit l’article 175 de la CRA : « Dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, les tribunaux sont indépendants et impartiaux, étant uniquement soumis à la Constitution et la loi ».

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non, la situation de la Covid-19 et les mesures exceptionnelles imposées par l’exécutif n’ont pas influencé la perception des droits de l’Homme.

La Constitution de la République d’Angola prévoit dans ses articles 58 et 204 la limitation ou la suspension des droits, libertés et garanties et les états de nécessité constitutionnelle, l’état de guerre, l’état de siège et l’état d’urgence.

Dans cette perspective, le diplôme élaboré pour traiter de cette question était un décret présidentiel sur la situation de calamité publique. Dans une situation de calamité publique, les restrictions aux droits fondamentaux sont autorisées, sans mettre en péril l’essentiel des droits fondamentaux. Dans le domaine des restrictions, le plus couvert était le droit à la libre circulation, qui était restreint par un devoir civique de collecte à domicile et par une clôture sanitaire.

Dans cette perspective, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt n° 683/21, a examiné une demande d’examen abstrait successif des normes des articles 25 n° 3 et 29, n° 1 et 4 du décret présidentiel n° 276/20 du 23 octobre, qui a mis à jour les mesures temporaires exceptionnelles devant être en vigueur pendant la situation de calamité publique déclarée à la suite de la pandémie de Covid-19, et du paragraphe 2 de l’article 4 et du paragraphe 2 de l’article 5 de la loi 16/91 du 11 mai – Loi sur le droit de réunion et de manifestation.

Concernant l’inconstitutionnalité matérielle alléguée, la Cour constitutionnelle a estimé que « la limitation du nombre de personnes dans les réunions et activités tenues dans des espaces clos, ainsi que le rassemblement de plus d’un certain nombre de personnes sur la voie publique, les sanctions respectives et le cadre juridique, sont prévues par une loi expresse, soit dans la Constitution, soit dans les lois décrites, ainsi que dans les directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de prévenir la propagation de la maladie ».

La Cour constitutionnelle considère également dans l’arrêt que « ces mesures qui incluent les restrictions imposées par les normes dont la constitutionnalité est soulevée, sont adéquates pour l’endiguement et l’atténuation du virus et indispensables aux fins prévues (éviter la contagion) et sont rationnelles, car les avantages sont le plus petit nombre de contagions, déjà dûment prouvé dans plusieurs États lorsqu’ils imposent un confinement partiel ou même total, dans la situation dans laquelle nous vivons, bien qu’elle soit temporaire et nous espérons pouvoir très bientôt retrouver la liberté perdue avec cette restriction et d’autres restrictions limitatrices de droits fondamentaux ».

Dans ce contexte, la Cour a décidé de déclarer la constitutionnalité des articles 25, n° 3 et 29, n° 1 et 4 du décret présidentiel n° 276/20 du 23 octobre.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non, en raison des mesures pandémiques Covid-19 prises par l’État angolais, le système de santé n’a subi aucun effondrement et par conséquent, il n’y a eu aucun impact sur les méthodes et techniques concernant la protection des droits des individus.

 

 

 

 

 

Cour constitutionnelle de Belgique

[1]

(tous les arrêts cités sont consultables en ligne sur www.const-court.be)

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

Lorsqu’elle a été créée en 1984, la Cour constitutionnelle de Belgique, qui était alors dénommée « Cour d’arbitrage », avait une compétence limitée au contrôle du respect, par les différents législateurs issus de la fédéralisation du pays (législateur fédéral, législateurs fédérés), de leurs champs de compétences territoriales et matériels respectifs. Dans l’idée des créateurs de la Cour, il ne s’agissait donc pas du tout de contrôler le respect des droits de l’homme, mais uniquement d’arbitrer les conflits de compétences qui ne manquent pas de survenir dans tout État fédéral.

En 1988, la compétence de la Cour a été étendue une première fois, pour permettre à la Cour de contrôler le respect par les différents législateurs du principe d’égalité et de non- discrimination[2]. La Cour a interprété cette compétence comme lui permettant d’examiner toutes les différences de traitement qui lui étaient présentées, dans tous les domaines. Elle a ainsi inclus progressivement dans ses normes de contrôle toutes les dispositions constitutionnelles, puis aussi conventionnelles internationales, garantissant des droits et libertés, en combinaison avec le principe d’égalité et de non-discrimination (par exemple : je suis discriminé, car je n’ai pas accès au juge dans telle situation, alors que d’autres justiciables ont accès au juge dans une situation comparable, ce qui viole mon droit au procès équitable ; je suis discriminé, car je ne peux pas établir ma filiation dans telle situation, alors que la filiation peut être établie dans une situation comparable, ce qui viole mon droit au respect de la vie familiale …).

En 2003, la compétence de la Cour a été étendue une nouvelle fois. La Cour a à ce moment acquis la compétence de contrôler directement (et non plus via la combinaison avec le principe d’égalité et de non-discrimination) le respect des articles de la Constitution qui garantissent des droits et libertés (voir ci- dessous, réponse 2.a)).

Enfin, en 2007, la dénomination de la Cour a été modifiée : la Cour d’arbitrage se nomme depuis ce moment « Cour constitutionnelle », afin de mieux refléter son véritable rôle.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

La Cour constitutionnelle de Belgique exerce quotidiennement un contrôle du respect des droits de l’homme par les législateurs (fédéral et fédérés) sur une double base :

a) Explicite : l’article 142 de la Constitution et les articles 1er, 2° et 23, 3° de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi sur la Cour) confient à la Cour la compétence de statuer sur les recours en annulation et les questions préjudicielles portant sur la violation, notamment, des articles figurant au Titre II de la Constitution, lequel est intitulé « Des Belges et de leurs droits », ainsi que des articles 170 et 172 (droits fondamentaux en matière fiscale) et 191 (droits fondamentaux des personnes étrangères) de la Constitution ;

b) Implicite[3] : les textes précités ne confèrent pas à la Cour constitutionnelle la compétence d’effectuer un contrôle du respect des dispositions de droit international ou supranational garantissant des droits et libertés. Toutefois, la Cour a développé deux techniques qui lui permettent d’inclure dans ses normes de référence toutes les normes de droit conventionnel international ou supranational garantissant les droits de l’homme rendues obligatoires en Belgique par un texte législatif d’assentiment. Il s’agit d’une part de la technique combinatoire (tous les droits et libertés peuvent être combinés avec les articles 10 et 11 de la Constitution, qui garantissent le principe d’égalité[4]) et de la technique dite de « l’ensemble indissociable » (lorsqu’un droit est garanti par une disposition constitutionnelle et par une disposition de droit international de manière analogue, la Cour inclut la source de droit international dans son examen[5]).

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

L’État de droit renvoie à une conception juridique des rapports entrelespouvoirsetlescitoyensetauxdroitsetlibertésbénéficiant à ceux-ci et protégés par le juge, alors que la démocratie est avant tout un système politique fondé sur l’idée d’égalité des citoyens et sur le suffrage universel. Les notions d’État de droit et de démocratie sont parfois confondues, alors qu’elles correspondent à deux façons complémentaires, la première plus juridique, la seconde plus politique, d’appréhender un même objet, à savoir, l’organisation de la société et l’articulation des pouvoirs et des rapports avec les citoyens.

Ainsi que l’a montré H. Dumont dans une étude récente, l’État de droit et la démocratie ne doivent cependant être ni amalgamées, ni opposées, car les relations entre ces deux notions « relèvent d’une dialectique plus subtile faite à la fois de complémentarité et de tension[6] » . Pour cet auteur, la justice constitutionnelle occupe une place privilégiée au cœur de la relation entre État de droit et démocratie, car elle a un rôle à jouer dans la recherche perpétuelle de l’équilibre entre la soumission de tous les pouvoirs au droit, et particulièrement, au droit constitutionnel et aux droits de l’homme (sauvegarde de l’État de droit) et la sauvegarde de la volonté souveraine des citoyens égaux (sauvegarde de la démocratie), étant entendu qu’en certaines occasions, ces deux valeurs peuvent entrer en conflit (adoption d’une loi ou d’une révision constitutionnelle contraires aux droits de l’homme).

État de droit et droits de l’homme sont intimement liés en ce que les droits de l’homme sont les premières règles de droit auxquelles les pouvoirs sont soumis. La démocratie, elle aussi, entretient avec les droits de l’homme un rapport existentiel. Avec J. Lacroix et J-Y. Pranchère, on peut affirmer : « La démocratie sans droits n’est pas une démocratie. La volonté majoritaire des électeurs, telle qu’exprimée dans les urnes, n’est pas le seul critère de la démocratie ; elle n’est qu’une conséquence de ces critères premiers que sont l’égalité des droits et la liberté de tous »[7].

La Commission de Venise établit ainsi le lien entre les notions de démocratie, d’État de droit et de droits de l’homme : « L’État de droit est lié non seulement aux droits de l’homme, mais aussi à la démocratie, c’est-à-dire à la troisième valeur fondamentale du Conseil de l’Europe. La démocratie implique l’association de la population aux décisions au sein d’une société : les droits de l’homme protègent l’individu contre l’arbitraire et des atteintes excessives à ses libertés, et garantissent la dignité humaine. L’État de droit veille à ce que l’exercice de la puissance publique soit circonscrit et fasse l’objet d’un contrôle indépendant. L’État de droit promeut la démocratie en établissant l’obligation pour les personnes exerçant la puissance publique de rendre compte et en garantissant les droits de l’homme, qui protègent les minorités contre les décisions arbitraires de la majorité »[8].

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

La notion d’État de droit est relativement peu invoquée de manière explicite dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Belgique. Parmi les quelques apparitions de la notion dans des arrêts, on trouve l’affirmation, en 2002, selon laquelle « l’État belge est conçu comme un État de droit »[9]. La Cour précise dans le même arrêt que « l’une des caractéristiques d’un État de droit est que les dirigeants sont soumis aux règles de droit »[10].

Le lien le plus souvent établi par la Cour constitutionnelle entre État de droit et droits de l’homme concerne le droit d’accès à un juge et, plus largement, le droit à un procès équitable[11]. L’interdiction pour tout pouvoir, y compris le pouvoir législatif, de remettre en cause des décisions judiciaires devenues définitives[12] et le droit à une exécution effective des décisions de justice[13] sont aussi jugés essentiels dans un État de droit. Dans le même ordre d’esprit, se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[14], la Cour constitutionnelle juge que la confiance des justiciables dans une bonne administration de la justice et dans les cours et tribunaux « est fondamentale dans une démocratie et un État de droit »[15], ce qui suppose notamment l’impartialité des juridictions[16]. Si l’on considère que les juridictions de l’ordre judiciaire sont les organes chargés de protéger les droits civils des citoyens, y compris leurs droits fondamentaux, on peut comprendre qu’un lien fort est établi entre protection des droits de l’homme et État de droit via l’éventail des garanties du procès équitable.

Le droit (et la faculté pratique) de toute personne de prendre connaissance en tous temps des textes officiels, puisque c’est cette faculté de connaissance qui permettra à chacun de s’y conformer[17] sont également explicitement reliés à la notion d’État de droit.

Par ailleurs, un lien explicite est établi entre démocratie et État de droit, puisque la Cour affirme tantôt que « le droit d’élire et celui d’être élu sont des droits politiques fondamentaux dans un État de droit »[18] et tantôt que ces droits sont « les droits politiques fondamentaux de la démocratie représentative »[19], ajoutant à l’occasion que le droit de vote « est d’une importance cruciale pour l’établissement et le maintien des fondements de la démocratie »[20].

Un lien explicite est aussi établi entre État de droit, démocratie et droits de l’homme à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité des dispositifs législatifs visant à lutter contre les discriminations. Dans ce contexte, la Cour a jugé que le principe d’égalité et de non-discrimination est « l’un des fondements d’un État de droit démocratique »[21]. La Cour juge par ailleurs que « dans une société démocratique, il est nécessaire de protéger les valeurs et les principes qui fondent la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme contre les personnes ou les organisations qui tentent de saper ces valeurs et principes »[22]. Parmi ces valeurs figurent l’égalité des sexes[23] et le refus des discriminations raciales[24], le pluralisme et la tolérance[25], la liberté d’expression[26] et celle de manifester ses convictions, notamment par le port de signes religieux[27], l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire[28]. La Cour reconnaît par ailleurs que la démocratie fait partie d’un patrimoine commun de valeurs fondamentales que partagent les citoyens de Belgique[29]. Prenant acte de la fragilité de la démocratie, la Cour, à la suite de la Cour européenne des droits de l’homme, affirme que la démocratie doit pouvoir se défendre avec énergie contre ceux et, notamment, les partis politiques, qui tentent de la détruire ou d’en saper les fondements[30].

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Les exemples tirés de la jurisprudence de la Cour, cités ci-dessus, montrent que la Cour les utilise ensemble, indifféremment comme deux notions connexes ou qu’elle établit en tous cas un lien fort entre elles deux.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La Cour rend entre 160 et 200 arrêts par an, l’essentiel du contentieux étant occupé par le contrôle du respect des droits et libertés constitutionnels, combinés, comme dit ci-avant, avec les droits et libertés figurant dans les conventions internationales. À titre d’exemple, en 2020, 90 % des arrêts rendus par la Cour concernaient au moins un grief tiré de la violation d’un droit fondamental. À cet égard, on peut affirmer que la Cour constitutionnelle participe à la consolidation de l’État de droit, dès lors que celui-ci est compris comme imposant aux différents pouvoirs, y compris le pouvoir législatif, de respecter le droit en vigueur, à commencer par les droits et libertés fondamentaux.

En outre, comme dit ci-dessus, la Cour lie expressément le respect par les législateurs des garanties fondamentales en matière juridictionnelle au respect de l’État de droit.

Toutefois, les contours de la compétence de la Cour, qui ne lui permettent pas de contrôler le respect de l’intégralité du texte constitutionnel, limitent également la contribution qu’elle peut apporter au contrôle du respect de l’État de droit. Ainsi, la Cour se déclare systématiquement incompétente pour vérifier le respect par les différents législateurs de la procédure d’adoption des lois[31]. En particulier, la Cour refuse d’exercer un contrôle sur le respect de l’obligation préalable de consultation de la section de législation du Conseil d’État. Il en résulte qu’en principe[32], aucun contrôle du respect de la procédure d’adoption des normes de valeur législative n’est exercé en Belgique.

De même, aucun contrôle n’est possible quant au respect par le Constituant des normes conventionnelles garantissant des droits de l’homme, la Cour se déclarant systématiquement incompétente pour connaître des choix du Constituant[33].

Par ailleurs, à la différence de nombreux conseils et cours membres de l’ACCF, la Cour constitutionnelle de Belgique ne joue aucun rôle en matière de contrôle ou de validation des processus électoraux. Elle n’est pas compétente non plus pour connaître des recours en matière électorale. À cet égard, la Cour constitutionnelle ne participe pas, actuellement, au renforcement de la démocratie en Belgique. Toutefois, l’actuel système de vérification des pouvoirs des élus apparaissant contraire à l’article 3 du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 13 de cette Convention[34], il n’est pas exclu que la compétence de la Cour soit amenée à être étendue à cet égard36[35].

En revanche, la Cour s’est vu attribuer en 2014 la compétence de connaître des recours contre les décisions de la commission de contrôle en matière de contrôle des dépenses électorales engagées pour les élections de la Chambre des Représentants. Elle n’a pas encore eu l’occasion d’exercer cette compétence. De même, depuis 2014 également, elle est compétente pour statuer sur chaque consultation populaire régionale, préalablement à son organisation. La Cour n’a, à ce jour, pas encore été saisie de demande portant sur cet objet, la possibilité d’organiser des consultations populaires n’ayant pas encore été mise en œuvre.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Ainsi qu’il est exposé ci-dessus, la Cour, dans les limites de sa compétence, œuvre à la préservation de l’État de droit et de la démocratie en contrôlant la compatibilité des lois et normes de valeur législative avec les droits et libertés fondamentaux.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

La Cour n’a pas l’habitude de juger de la qualité de ses propres décisions. En revanche, la doctrine exerce ce rôle.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Comme déjà exposé, la Cour exerce un contrôle approfondi du respect par les différents législateurs des droits fondamentaux, ce qui contribue à pérenniser l’État de droit en Belgique. Ce contrôle s’exerce par rapport à l’ensemble des droits fondamentaux proclamés et garantis par la Constitution et par les textes internationaux applicables en Belgique (Convention européenne des droits de l’homme, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Pactes onusiens, …) et dans tous les domaines du droit.

En matière de renforcement de la démocratie, on peut citer ici plus particulièrement les décisions relatives aux droits électoraux. La Cour rappelle que « Les droits politiques visés par l’article 8 de la Constitution trouvent leur fondement dans le droit du citoyen de prendre part à l’exercice de la souveraineté. Ils concernent le droit de participer, comme électeur ou comme candidat, aux élections des assemblées délibérantes de l’État fédéral, des communautés, des régions, des provinces et des communes. L’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme garantissent également le droit à des élections libres et périodiques »[36]. La Cour a ainsi eu l’occasion d’examiner minutieusement les garanties offertes par le système de vote électronique[37], les conditions d’éligibilité[38], les incompatibilités et interdictions de cumul de mandats[39], les dispositions relatives à la limitation et au contrôle des dépenses électorales[40], les incapacités[41], le découpage des circonscriptions électorales[42], les règles de comptage des voix et de dévolution des sièges[43] et les modalités d’exercice du droit de vote[44].

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Compte-tenu des limites à la compétence de la Cour exposées ci-dessus (voir réponse à la question 6), le bilan est positif.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

La Cour constitutionnelle n’est pas un acteur politique, elle ne relève ni du pouvoir législatif, ni du pouvoir exécutif. Régulièrement, elle répète qu’elle ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation comparable à celui du législateur[45], ou encore, qu’elle n’est pas juge de l’opportunité de la mesure soumise à son contrôle[46].

Toutefois, ainsi que l’exprime P. Nikolic, « Le juge constitutionnel n’est en aucune manière une instance politique qui prend des décisions politiques, en arbitrant quant aux enjeux, c’est-à-dire les finalités et les moyens mis en œuvre pour les réaliser. Mais cela ne veut pas dire que les décisions du juge soient dépourvues d’une signification politique – objective, en quelque sorte »[47]. À cet égard, dès lors que la Cour constitutionnelle participe, bien que d’une manière particulière, à l’élaboration de la norme législative, on peut considérer qu’elle joue un rôle « politique », au sens premier du terme. Ainsi que le souligne A. Alen, président émérite de la Cour constitutionnelle, « Les Cours constitutionnelles traitent évidemment des litiges dans lesquels ‘la politique’ ou les choix politiques jouent toujours un certain rôle », car si « la tâche d’un juge n’est pas de résoudre des ‘conflits politiques’ », « l’impuissance du monde politique à maîtriser certains problèmes de société peut pousser les citoyens à faire appel aux juges pour que ceux-ci tranchent certains litiges »[48].

Enfin, la Cour est attentive aux conséquences, notamment budgétaires, de ses décisions[49]. En ce sens, on pourrait dire, avec le juge émérite François Daoût, qu’elle fait du « conséquentialisme politique », en précisant que le terme « politique » renvoie ici à « l’ensemble de ce qui permet à la société de fonctionner », ce qui pose « de redoutables questions lorsqu’il s’agit de droits fondamentaux »[50].

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

L’accès à la Cour constitutionnelle est aisé. Les recours en annulation peuvent être introduits par toute personne physique ou morale (par exemple une organisation non gouvernementale, une association de citoyens se donnant pour objet de défendre les droits humains …) qui justifie d’un intérêt. Il n’y a pas de droit de rôle à payer. Il n’est pas exigé d’être assisté par un avocat. Les seules conditions de recevabilité sont que le recours doit être introduit dans les six mois de la publication de la norme attaquée, par lettre recommandée à la poste (démarche très facile) et que le recours indique clairement quelle est la norme attaquée, quelles sont les normes violées et pour quelle raison. La Cour apprécie la condition de l’intérêt de manière large, particulièrement dans le chef des associations de défense des droits humains, qui saisissent d’ailleurs régulièrement la Cour[51].

La Cour peut aussi être saisie par la voie incidente, par le biais de questions préjudicielles. Toute juridiction peut interroger la Cour à titre préjudiciel, sur n’importe quelle norme législative, sans limitation de temps. Les juridictions ont accès direct à la Cour constitutionnelle, il n’y a pas de filtre opéré par les juridictions supérieures. Il en résulte que dans tout litige en quelque matière que ce soit, toute question ou difficulté relative aux droits fondamentaux peut être soumise à la Cour.

 

2.  LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTION NELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Dès lors que la Cour n’est formellement compétente que pour le contrôle au regard de la Constitution (voir ci-dessus, I, 1 et 2), les références nationales sont invoquées dans chaque décision. Néanmoins, les références internationales sont également très fréquemment évoquées, jamais de manière isolée, mais toujours en combinaison avec les références constitutionnelles nationales. Parmi les références internationales, c’est la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles additionnels qui occupent la première place, en termes d’occurrences dans la jurisprudence de la Cour. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les traités de l’Union sont également très fréquemment invoqués. Les pactes onusiens et les autres conventions du Conseil de l’Europe viennent ensuite.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

La Cour constitutionnelle évite en général d’établir une hiérarchie entre les différentes sources des droits de l’homme, en utilisant les techniques combinatoire et de l’ensemble indissociable[52] décrites ci-dessus. Elle inscrit ainsi sa jurisprudence dans le mouvement contemporain du « pluralisme constitutionnel » ou du « constitutionnalisme multi-niveaux », qui envisage les textes nationaux et supranationaux comme des parties d’un cadre constitutionnel composite[53]. Toutefois, il arrive de temps en temps que la Cour doive constater, à l’occasion de l’examen d’une situation concrète, que les sources nationales et internationales, tels qu’elles sont interprétées, respectivement, par la Cour constitutionnelle et par les juridictions européennes, consacrent et protègent certains droits à des degrés différents. Confrontée à une hypothèse de ce type en matière de droit à la protection de la vie privée, la Cour a récemment jugé : « Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il incombe au premier chef aux États, conformément au principe de subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans la Convention, les autorités nationales, en particulier les juges nationaux, étant en principe mieux placées pour évaluer la proportionnalité d’une limitation aux droits et libertés au regard des faits et des réalités qui caractérisent la société concernée. Il en découle que l’appréciation d’une limitation à un droit fondamental par le juge national peut conduire à ce que le niveau de protection imposé au regard de la situation nationale soit supérieur à celui que la Cour européenne des droits de l’homme prévoit »[54]. Il en découle logiquement une prééminence, dans ce cas précis, de la norme nationale par rapport à la norme internationale.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Le droit fondamental dont la violation est le plus souvent invoquée devant la Cour constitutionnelle est le principe d’égalité et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution). Ce phénomène s’explique en partie par l’évolution historique des compétences de la Cour (voir ci-dessus, I, 1 et 2). Ce principe est rarement invoqué de manière isolée, il est le plus souvent invoqué en combinaison avec un ou plusieurs autres articles constitutionnels ou de conventions internationales. Les droits et libertés qui sont le plus souvent invoqués sont, dans l’ordre : le droit à la protection de la vie privée et familiale (article 22 de la Constitution et article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme), le droit à la dignité humaine, telle que garantie par les droits culturels, économiques et sociaux (article 23 de la Constitution), les garanties du droit à un procès équitable (article 13 de la Constitution et article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme), le droit de propriété (article 16 de la Constitution et article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme), l’habeas corpus et les garanties en matière pénale (articles 12 et 14 de la Constitution), les droits de l’enfant (article 22bis de la Constitution et Convention pour la sauvegarde des droits de l’enfant), la liberté d’expression et de culte (article 19 de la Constitution).

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Les droits économiques, sociaux et culturels garantissant la possibilité pour chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine (droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle, droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé, à l’aide sociale, juridique et médicale, droit à un logement décent, droit à la protection d’un environnement sain, droit à l’épanouissement culturel et social, droit aux prestations familiales) peuvent être qualifiés de droits de « type nouveau » dans la mesure où ces droits ne se sont pas vus reconnaître un statut constitutionnel équivalent à celui des autres droits, lors de l’adoption de l’article 23 par le Constituant en 1994.

Il ressort en effet des travaux préparatoires de l’article 23 de la Constitution que le Constituant ne souhaitait pas conférer de droits subjectifs précis, dont le respect pourrait être invoqué directement devant un juge, mais énonçait toutefois un objectif constitutionnel à atteindre progressivement. L’article 23 de la Constitution est néanmoins invocable devant la Cour, mais le contrôle quant au respect de cet article suit une méthodologie différente, dictée par la mise en œuvre de l’obligation dite de standstill ou de « non-régression » qui impose aux législateurs de maintenir le bénéfice des normes en vigueur et de ne jamais aller à l’encontre des objectifs poursuivis, autrement dit de ne jamais régresser. La jurisprudence constante de la Cour lorsqu’elle contrôle le respect de ces droits est la suivante : « L’article 23 de la Constitution contient, en ce qui concerne les droits qu’il garantit, une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement le degré de protection offert par la législation applicable, sans qu’existent pour ce faire des motifs d’intérêt général »[55].

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Il n’y a pas lieu de hiérarchiser les droits de l’homme de manière abstraite. En revanche, il peut arriver que deux droits ou libertés fondamentaux viennent à se heurter à l’occasion de l’examen d’une situation déterminée, ce qui conduit la Cour à devoir arbitrer le conflit entre ces deux droits. Ce faisant, la Cour est forcément amenée à faire primer un des deux droits en présence sur l’autre, ce qui pourrait être perçu comme établissant une hiérarchie. Toutefois, cette « hiérarchie » n’est pas figée et elle pourrait être inversée à la faveur d’une autre affaire, étant donné qu’elle est contextualisée et dépendante des caractéristiques de la norme examinée.

Un exemple permet d’illustrer ce propos. Dans une situation de pénurie ou de rareté de logements accessibles aux familles à revenus moyens ou modestes, les pouvoirs publics ont pour mission de favoriser l’accès au logement. Les mesures adoptées en la matière sont susceptibles de constituer une ingérence dans le droit de propriété, par exemple lorsqu’il s’agit d’inciter, à l’aide de taxes ou de sanctions administratives, les propriétaires de logements inoccupés à les remettre en état et à les mettre sur le marché locatif ou encore lorsqu’il s’agit de forcer les propriétaires à louer leurs biens. La Cour a jugé à plusieurs reprises que de telles mesures constituaient, compte tenu de l’obligation assumée par les pouvoirs publics de favoriser l’accès au logement pour tous, une restriction admissible au droit de propriété[56]. À l’inverse, la législation pénale adoptée en vue de lutter contre l’occupation illégitime de biens privés, en vue de protéger le droit de propriété, représente une ingérence dans le droit au logement des personnes qui n’ont pas d’autre moyen pour accéder à un logement décent. La Cour a jugé dans ce contexte que la protection du droit de propriété justifiait une ingérence dans le droit au logement décent[57]. Dans le premier cas, on pourrait conclure que la Cour accorde une place prépondérante au droit au logement par rapport au droit de propriété, alors que dans le second cas, on assiste au phénomène exactement inverse. En réalité, l’inversion de la « hiérarchie » entre droit de propriété et droit au logement décent s’explique par les circonstances de chaque espèce et par l’examen minutieux de la mesure législative attaquée que réalise la Cour afin de déterminer si, compte tenu de son obligation de garantir aussi bien le droit au logement décent que le droit de propriété, l’ingérence dans un de ces droits en vue de tendre à la réalisation de l’autre occasionnée par les mesures adoptées par le législateur n’est pas disproportionnée.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Comme déjà expliqué ci-dessus, le contrôle du respect par les différents législateurs de Belgique fédérale des droits fondamentaux occupe environ 90 % des arrêts rendus par la Cour. Il s’agit donc du « core business » du juge constitutionnel belge.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

L’on n’aperçoit pas la portée de cette question et, particulièrement, de ce qu’il faut comprendre par l’expression « régime particulier » en ce qui concerne la Cour constitutionnelle.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non, les droits et libertés sont également protégés et les ingérences dans les droits et libertés sont examinées selon la même technique de contrôle : recherche et détermination de l’ingérence, recherche du but poursuivi par la mesure, examen de l’adéquation de la mesure et du but et examen de la proportionnalité de l’ingérence par rapport au but poursuivi.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

La Cour constitutionnelle n’agit que par ses arrêts, qui sont rendus soit au contentieux de l’annulation, assorti, le cas échéant, d’une suspension temporaire dans l’attente de l’arrêt d’annulation, soit au contentieux préjudiciel. Dès lors, la seule façon dont elle peut protéger les droits et libertés des citoyens, c’est en contrôlant le respect par les différents législateurs belges de ces droits et libertés et en annulant ou invalidant les dispositions législatives qui constituent des atteintes injustifiées aux droits et libertés garantis en Belgique.

La technique de contrôle la plus courante mise en œuvre par la Cour n’est pas originale, elle s’inspire en très grande partie de la technique de contrôle adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme[58] et par d’autres juridictions nationales ou internationales. Elle part du principe que les droits de l’homme ne sont généralement pas absolus et n’excluent pas, en principe, une ingérence d’une autorité publique dans la jouissance de ces droits. Pour être jugée conforme à la Constitution, cette ingérence doit cependant être prévue par un texte légal de manière suffisamment précise et prévisible, elle doit répondre à un besoin social impérieux dans une société démocratique et elle doit être proportionnée à l’objectif légitime qu’elle poursuit[59]. La technique de contrôle mise en œuvre par la Cour consiste donc à rechercher l’objectif poursuivi par la disposition en cause, à s’interroger sur la nécessité de la mesure adoptée pour concourir à la réalisation de cet objectif et à appliquer un test de proportionnalité. Ce dernier comporte en réalité deux volets : d’une part, la disposition en cause est-elle adéquate pour atteindre l’objectif, son application contribue-t-elle à la réalisation de l’objectif (test de pertinence ou d’adéquation), d’autre part, la mesure en cause ne va-t-elle pas trop loin, ne comporte-t-elle pas une atteinte au droit ou à la liberté concerné disproportionnée par rapport au bénéfice que l’on peut en attendre sur le plan de la réalisation de l’objectif poursuivi (test de proportionnalité au sens strict) ? Ce dernier test est parfois, mais pas toujours, doublé du test « des mesures alternatives moins attentatoires » (existe-t-il d’autres mesures qui permettent d’atteindre le même objectif avec la même efficacité et qui occasionnent une ingérence moindre dans l’exercice du droit ou de la liberté considéré ?)[60].

Une variante de cette technique classique est celle de la balance des intérêts. La formule est également empruntée à la Cour européenne des droits de l’homme : « pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit [fondamental en cause], il convient de vérifier si le législateur a ménagé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble; il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées »[61].

Le contrôle dit de « standstill », plus original, est décrit ci-avant (voir réponse à la question 4).

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Au contentieux de l’annulation, la Cour peut, en principe, prendre deux types de décisions : soit elle rejette le recours, soit elle annule la disposition attaquée. Si le requérant prouve que l’application immédiate de la norme risque d’entraîner un préjudice grave difficilement réparable, il peut également demander la suspension temporaire de la disposition querellée.

Au contentieux préjudiciel, la Cour peut, en principe, également adopter deux types de décisions : soit elle constate que la disposition en cause ne viole pas la norme de contrôle invoquée, soit, elle constate que la disposition en cause viole la norme de référence invoquée. Les conséquences attachées à une annulation ou à un constat de violation sont décrites ci-après (réponse à la question 15).

La Cour peut, si elle l’estime nécessaire, neutraliser l’effet de l’arrêt d’annulation en ordonnant le maintien de tous ou de certains des effets produits par la norme annulée de manière définitive ou limitée dans le temps (article 8, alinéa 3, de la loi sur la Cour constitutionnelle)[62]. Elle peut faire de même au contentieux préjudiciel (article 28, alinéa 2, de la loi sur la Cour constitutionnelle)[63].

Au fil du temps, la Cour constitutionnelle a développé d’autres techniques de dispositifs, lui permettant d’adapter la portée de l’annulation ou du constat de violation, de façon à perturber le moins possible l’ordre juridique tout en tirant les conséquences nécessaires de la violation constitutionnelle constatée. Ainsi, elle rend des arrêts dits « d’interprétation conforme » (contentieux préjudiciel)[64] ou de rejet « sous réserve d’interprétation » (contentieux de l’annulation)[65], qui lui permettent de ne sanctionner qu’une interprétation de la norme soumise à son examen, la norme devant dorénavant être interprétée de la manière jugée conforme aux droits fondamentaux en jeu. Elle rend également des arrêts dits « lacunes », qui lui permettent d’indiquer précisément le « manque » dans la norme examinée qui fait qu’elle n’est pas conforme aux droits fondamentaux et qui permettent, dans certains cas, aux autorités d’application de la norme de la « compléter » elles-mêmes, sans avoir à attendre une intervention législative[66]. Ces techniques permettent d’éviter une annulation ou une déclaration d’invalidité qui serait disproportionnée ou inadaptée, compte tenu du fait qu’il peut être de la sorte plus adéquatement remédié à la violation du droit fondamental en jeu constatée par la Cour.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Le catalogue des droits et libertés du Titre II de la Constitution belge, qui était très moderne lors de son adoption en 1831, présente aujourd’hui des lacunes[67]. Il a certes été complété au fil du temps, mais cela ne s’est pas fait de manière systématique, de sorte que certains droits « contemporains » ne figurent pas dans la Constitution belge. En utilisant la technique combinatoire évoquée plus haut (supra, partie I, réponse à la question 2), la Cour peut cependant combler les lacunes présentées par la Constitution belge. Au besoin, elle fait appel à des principes généraux du droit qui, une fois combinés avec une disposition de la Constitution, acquièrent une portée proche de celle des droits et libertés garantis formellement par la Constitution.

Ainsi, par exemple, la Constitution belge est très peu loquace en termes de garanties juridictionnelles. Elle se limite à prévoir le principe de légalité en matière pénale (articles 12 et 14) et le droit d’être jugé par le juge assigné par la loi (article 13). La Cour constitutionnelle combine donc abondamment les articles 10 et 11 de la Constitution (principe d’égalité et de non-discrimination) avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, voire même avec le principe général du droit à un procès équitable, pour exercer un contrôle étendu du respect des garanties juridictionnelles (droit de la défense[68], droit à l’impartialité du juge[69], droit à l’assistance d’un avocat[70], …).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Comme dit ci-dessus (I, 1 et 2), la Cour constitutionnelle utilise énormément les dispositions de droit international conventionnel dans son contrôle, toujours en combinaison avec les dispositions constitutionnelles pertinentes. Le cas échéant, elle inclut une disposition internationale parmi les normes de référence même si cette norme n’a pas été invoquée par les requérants ou par la juridiction qui a posé la question préjudicielle (mise en œuvre de la technique de l’ensemble indissociable, voir supra, partie I, réponse à la question 2). Ceci permet à la Cour d’intégrer dans son raisonnement tous les enseignements des juridictions internationales compétentes en matière de protection des droits et libertés. Il s’agit, en premier lieu, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. De plus en plus fréquemment aussi, la Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. De cette manière, la Cour peut procurer au droit concerné une interprétation en phase avec son évolution et éviter, autant que faire se peut, un conflit entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence supranationale. Cette façon de travailler permet également de donner la priorité à la protection la plus étendue, conformément à l’article 53 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les arrêts de la Cour portant annulation ou constatant la violation d’un droit ou d’une liberté ont un effet direct sur la jurisprudence (voir ci-dessous, réponse à la question 15). Les arrêts portant rejet d’un recours en annulation sont obligatoires pour les autres juridictions en ce qui concerne les questions de droit tranchées par ces arrêts (article 9, § 2, de la loi du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle).

Par ailleurs, la jurisprudence des cours suprêmes (Cour constitutionnelle, Cour de cassation et Conseil d’État) joue indéniablement un rôle d’influence sur la façon dont les juridictions de l’ordre judiciaire et les juridictions administratives interprètent et appliquent les droits et libertés garantis en Belgique. Il n’est toutefois pas possible de mesurer cette influence, faute de données chiffrées sur le nombre de décisions judiciaires et de juridictions administratives se référant à des décisions adoptées par les trois cours précitées.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Les décisions de la Cour sont généralement suivies par les juridictions de l’ordre judiciaire et par les juridictions administratives.

En principe, les décisions de la Cour sont aussi suivies de lois ou décrets de réparation, lorsqu’il y a lieu.

Néanmoins, il arrive que certains arrêts restent sans réaction législative, soit qu’une loi annulée ne soit pas remplacée, ce qui laisse place à une lacune législative, soit qu’une disposition déclarée inconstitutionnelle au contentieux préjudiciel ne soit pas abrogée ou remplacée par le législateur compétent. Dans ces cas de figure, la Cour ne dispose pas de pouvoir d’injonction ou de contrainte qui lui permettrait d’imposer au législateur d’adopter une disposition réparatrice.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Les effets des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle de Belgique sont différents selon qu’ils sont rendus au contentieux de l’annulation ou au contentieux préjudiciel.

Au contentieux de l’annulation, l’arrêt constatant qu’une norme législative viole un droit de l’homme garanti par la Constitution, le cas échéant combinée avec une source internationale, entraîne en principe (voy. cependant la possibilité de maintien des effets ; supra question 10) l’annulation ex tunc et erga omnes de la disposition querellée. La disposition annulée disparaît de l’ordre juridique depuis sa promulgation, elle est censée n’avoir jamais existé. Les effets juridiques produits par la norme avant son annulation peuvent être rapportés, par le biais du recours en rétractation devant les juridictions ayant rendu des décisions fondées sur cette norme ou par le biais de recours devant les juridictions administratives ou judiciaires.

Au contentieux préjudiciel, l’arrêt constatant qu’une norme législative viole un droit de l’homme n’a qu’une portée limitée, en principe, au litige à l’occasion duquel la question préjudicielle a été posée. Le juge saisi et les juges statuant sur recours ne peuvent pas faire application de cette norme dans cette affaire. La norme déclarée inconstitutionnelle demeure dans l’ordre juridique pour le surplus. Toutefois, les autres juridictions ne peuvent ignorer l’arrêt de la Cour, qui jouit d’une autorité de chose jugée « renforcée » ou « élargie », qui dépasse bien souvent le litige concerné. En pratique, les autres juridictions auront le choix, soit d’écarter la norme déclarée inconstitutionnelle, soit de poser une nouvelle question préjudicielle à la Cour.

Il n’y a pas de conséquences directes en termes de responsabilité de l’État ou du législateur. Il n’y a pas non plus d’autre dédommagement de la « victime » de la violation d’un droit de l’homme par une disposition législative que la satisfaction que procure l’annulation et la non-application de la norme à sa situation.

 

3.   LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

De manière générale, la Cour a tendance à s’inscrire dans une conception universaliste des droits de l’homme. Elle utilise toutes les sources internationales des droits de l’homme ratifiées par la Belgique, qu’elles soient européennes ou mondiales. Elle se réfère aussi abondamment aux jurisprudences des juridictions supranationales européennes et aux travaux du Conseil de l’Europe. En revanche, s’il lui arrive d’utiliser, en cours d’instruction ou de délibéré, des sources jurisprudentielles étrangères, elle ne les cite jamais.

Si l’on comprend bien la question, sans doute est-ce le lieu d’aborder ce qu’il est convenu d’appeler « l’exception de l’identité nationale »[71]. La construction de l’Union européenne et l’intégration toujours plus poussée des législations des différents États membres entraînent un phénomène d’universalisation – à l’échelle de l’Union européenne – des standards du contrôle des droits fondamentaux. Face à ce phénomène, plusieurs juridictions constitutionnelles européennes[72] mobilisent, pour se prémunir contre une atteinte jugée trop importante à la souveraineté nationale et aux valeurs que celle-ci entend protéger, le concept d’ « identité nationale ». La Cour constitutionnelle belge a fait référence à la notion d’identité dans l’arrêt n° 62/2016, en considérant que la disposition constitutionnelle qui autorise le transfert de pouvoirs déterminés à des institutions de droit international public et, notamment, aux institutions de l’Union européenne, « n’autorise en aucun cas qu’il soit porté une atteinte discriminatoire à l’identité nationale inhérente aux structures fondamentales, politiques et constitutionnelles ou aux valeurs fondamentales de la protection que la Constitution confère aux sujets de droit ». Cette incise n’a cependant pas été suivie d’effet concret. On pourrait peut-être y voir un indice de ce que la Cour pourrait, un jour à l’avenir, décider qu’un droit fondamental reconnu par la Constitution belge doit être interprété de manière particulière dans l’ordre constitutionnel belge, ce qui tendrait à rompre le caractère universel du droit en question. Ceci n’est toutefois qu’une supposition et une hypothèse, rien ne permet d’affirmer à l’heure actuelle que la Cour s’engagera dans cette voie.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les valeurs sociétales peuvent être appréhendées comme des valeurs à protéger. La protection de ces valeurs peut être considérée comme un objectif à poursuivre par le législateur, cet objectif devenant alors la base de la justification d’une ingérence dans un droit ou dans une liberté. Le raisonnement de la Cour étant centré sur l’objectif poursuivi et la constitutionnalité de la mesure querellée s’analysant à l’aune de cet objectif, les valeurs sociétales occupent, le cas échéant, un rôle central dans le raisonnement de la Cour.

Par exemple, la Cour a été récemment saisie de recours contre les législations interdisant de manière quasi absolue l’abattage d’animaux en vue de leur consommation sans étourdissement préalable. Cette interdiction de principe se heurtait à certains prescrits religieux, de sorte que la législation en cause représentait une ingérence dans la liberté de culte de personnes se présentant comme de confession israélite et de confession musulmane. La Cour a reconnu la réalité de l’ingérence dans la liberté de culte des requérants. Pour juger de sa proportionnalité, la Cour a eu notamment égard au fait que « La promotion, lors de l’abattage, de la protection et du respect du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles peut être considérée comme une valeur morale qui est partagée par de nombreuses personnes » ainsi qu’à la circonstance que « La protection du bien-être animal constitue une valeur éthique à laquelle il est attaché une importance accrue dans la société belge, ainsi que dans d’autres sociétés démocratiques contemporaines. Il convient de tenir compte de ces évolutions sociales dans l’appréciation du bien-être animal en tant que motif justifiant une restriction de droits et de libertés »[73].

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Si l’on comprend cette question comme portant sur les influences culturelles sur les contours et l’interprétation des droits de l’homme en Belgique, il est incontestable que des influences de l’héritage culturel occidental ont marqué et marquent encore la façon dont les droits de l’homme sont compris et dont ils évoluent.

Par contre, dans un pays biculturel, voire, à bien des égards, multiculturel comme la Belgique, on pourrait penser que les droits de l’homme pourraient revêtir des formulations et des définitions diverses selon la culture de l’interprète. Il est possible que des différences, à la marge, se fassent jour en fonction des auteurs ou des interprètes individuels, puisque les contours et les définitions des différents droits de l’homme ne sont pas figés et qu’il s’agit de « droit vivant », qui évolue.

En revanche, les juridictions supérieures, chargées de contrôler le respect des droits de l’homme s’attachent à adopter et à maintenir des définitions uniformes, sans égard pour les différences culturelles entre les différentes composantes de la population belge. À ce sujet, il n’est pas sans intérêt de souligner que la Cour constitutionnelle, composée paritairement de membres francophones et néerlandophones, siège toujours en formation bilingue. Cette particularité garantit une uniformité de la définition et de l’interprétation des droits de l’homme dans les deux grandes communautés du pays.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La Belgique est un État laïc. La religion n’occupe aucune place dans la définition des droits de l’homme.

Les articles 10 et 11 de la Constitution interdisent toute discrimination, en ce compris les discriminations fondées sur les convictions. L’interdiction de la discrimination sur la base de convictions, y compris religieuses, est consacrée par la loi en Belgique (loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et législations régionales et communautaires similaires).

La liberté des cultes et de leur exercice public est garantie par l’article 19 de la Constitution.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Le maintien de la paix communautaire et de la cohésion sociale n’entre pas comme tel dans la définition des droits de l’homme, mais il joue un rôle en tant qu’objectif poursuivi, objectif qui peut légitimer une ingérence dans un droit fondamental[74].

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

La juridiction de la Cour constitutionnelle est évidemment limitée à la Belgique et aux situations juridiques qui peuvent y être rattachées. Dans ce champ, la Cour interprète et applique les droits de l’homme de manière uniforme, sans particularisme régional et sans faire de distinction en fonction de la nationalité de la personne en cause. Ceci n’empêche pas la Cour d’avoir égard aux particularismes d’autres systèmes juridiques. Ainsi, par exemple, la polygamie est un état qui n’est pas admis en Belgique, en tant qu’il apparaît contraire au principe d’égalité de la femme et de l’homme, principe qui est central dans le système des droits et des valeurs belges. La Cour valide en conséquence le choix du législateur d’empêcher le regroupement familial avec plus d’une épouse[75]. En revanche, elle accepte de reconnaître des effets juridiques au mariage bigame, lorsqu’il s’agit soit de tirer les conséquences du lien de filiation des enfants issus de la seconde union[76], soit de protéger la sécurité financière des veuves[77]. La Cour applique donc le droit à l’égalité des femmes et des hommes de manière universelle, mais elle n’en tire pas des conséquences qui seraient dommageables, par exemple, pour les droits des enfants, qui constituent également des droits qu’elle estime universels, ainsi que pour les droits à la pension de survie des veuves, qui peuvent se rattacher au droit à la dignité humaine, qui est aussi un droit à portée universelle.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non, en tous cas pas explicitement.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Voir ci-dessus, la réponse à la question 3 de la partie II. Les droits et libertés qui sont le plus fréquemment invoqués devant la Cour sont aussi ceux qui sont le plus souvent consacrés par la jurisprudence de celle-ci.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Comme évoqué ci-avant, les droits et libertés garantis par la Constitution belge datent, pour la plupart, de son origine, donc de 1830. Certains articles ont été ajoutés dans le Titre II par la suite et consacrent donc des droits et libertés reconnus plus récemment et dans une formulation plus contemporaine. Par un travail d’interprétation constant, la Cour constitutionnelle adapte la portée et le contenu des droits et libertés aux évolutions de la société, en s’appuyant également sur les textes internationaux et sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne.

Un exemple permet d’illustrer ceci. L’article 29 de la Constitution, qui date de 1830, garantit le secret des lettres de manière absolue et ne permet pas, en principe, d’ingérence dans le droit à l’inviolabilité de la correspondance. Un tel caractère absolu n’est, à l’évidence, plus adapté à la société contemporaine, dans laquelle les services de police et de renseignements ont besoin d’avoir un accès, contrôlé et encadré, à certaines communications privées afin de mener à bien leur mission de protection de la population. La Cour a donc jugé : « Si le secret des lettres, garanti par l’article 29 de la Constitution, a pu être conçu comme absolu, lors de l’adoption de la Constitution, il ne peut être fait abstraction aujourd’hui, pour en déterminer la portée, d’autres dispositions constitutionnelles ainsi que de conventions internationales. Les articles 15 et 22 de la Constitution, qui garantissent respectivement l’inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée et familiale, sont liés à l’article 29 et participent de la même volonté du Constituant de protéger l’individu dans sa sphère privée afin de permettre son développement et son épanouissement. Si l’article 29 de la Constitution ne prévoit, explicitement, aucune restriction au droit fondamental qu’il consacre, une telle restriction peut néanmoins se justifier si elle est nécessaire pour assurer le respect d’autres droits fondamentaux. Tenu de garantir notamment la liberté individuelle (article 12, alinéa 1er, de la Constitution), le droit à la vie (article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme) et le droit de propriété (article 16 de la Constitution et article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme), le législateur se doit d’organiser une répression efficace des atteintes qui sont portées à ces droits fondamentaux par des activités criminelles, ce qui peut rendre nécessaires des restrictions au secret des lettres, pour autant que ces restrictions soient proportionnées au but légitime poursuivi »[78]. L’appréciation du respect des droits et libertés par la Cour constitutionnelle tient donc, à l’évidence, compte de la circonstance « temps ».

En revanche, l’appréciation du respect des droits et libertés est la même pour toute la Belgique, il n’y a pas de différence selon le lieu.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Les droits fondamentaux doivent tout d’abord être inscrits dans un ou plusieurs textes fondamentaux applicables directement, dont les citoyens peuvent se prévaloir devant les juridictions internes de l’État. Ils doivent être formulés le plus clairement possible et faire l’objet d’une information suffisante auprès, d’une part, de leurs destinataires (les citoyens sans discrimination aucune) et, d’autre part, des autorités nationales et locales, y compris les forces de l’ordre, auxquelles il incombe de les respecter et de les faire respecter.

La proclamation d’un catalogue de droits fondamentaux ne signifie pas qu’ils ne puissent souffrir d’ingérence. Celles-ci, pour être admises, doivent cependant elles aussi être inscrites dans un texte clair et accessible. Il est préférable que les ingérences soient prévues par un texte de nature législative, car une loi offre la garantie démocratique d’avoir été délibérée et votée par une assemblée composée de mandataires élus.

Les ingérences ne sont admissibles que si elles peuvent être justifiées par la poursuite d’un objectif légitime, correspondant à un besoin social impérieux dans une société démocratique, à la condition qu’elles soient adéquates pour atteindre cet objectif et qu’elles soient proportionnées à son importance.

Enfin, pour une protection adaptée des droits des personnes, il faut qu’existe une possibilité de saisir un juge indépendant et impartial qui ait la compétence de vérifier le caractère admissible de l’ingérence et d’annuler ou de faire cesser l’ingérence si celle- ci ne répond pas aux critères d’admissibilité.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Lors de son examen de la pertinence et de la proportionnalité des ingérences dans les droits et libertés fondamentaux, la Cour tient compte du contexte d’adoption de la norme incriminée. Parmi d’autres éléments, le contexte de crise économique ou sociale est pris en considération. Ainsi, la Cour tient compte du risque de crise de l’emploi[79], de la crise de l’euro[80] ou encore d’une crise sanitaire provoquée par la dioxine[81]. Le contexte de crise économique dans lequel certaines mesures sont adoptées peut justifier une différence de traitement entre les habitants ou les acteurs économiques, selon qu’ils sont localisés dans une région plus durement touchée par la crise ou dans une région moins concernée[82].

La Cour tient compte également du contexte de crise politique, dite « crise communautaire » en Belgique, qui oppose les deux grandes communautés du pays. Certains arrêts de la Cour témoignent du fait que la Cour reconnaît le contexte de crise et adapte son contrôle, en vue de « sauvegarder les équilibres communautaires »[83].

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

V. réponse à la question 13 ci-dessous.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Il n’est pas possible de répondre aujourd’hui de manière complète à ces deux questions. Étant donné les procédures et délais applicables à la Cour constitutionnelle, celle-ci n’a encore eu l’occasion de se pencher au fond sur les mesures prises au niveau législatif pour lutter contre la propagation de l’épidémie, mesures qui ont en effet occasionné des ingérences dans les droits et libertés fondamentaux, que de manière limitée.

À ce jour, la Cour a annulé une disposition qui excluait les personnes internées pour cause de maladie mentale du droit d’être entendues en personne par la chambre de protection sociale, jugeant que cette exclusion allait au-delà de ce qui est strictement nécessaire à la réalisation de l’objectif légitime de lutte contre la propagation de la maladie causée par le coronavirus, d’autres mesures moins radicales apparaissant possibles[84]. Le contrôle mis en œuvre par la Cour dans cet arrêt est tout à fait classique par rapport aux techniques de contrôle qu’elle utilise régulièrement. Par un autre arrêt[85], la Cour rejette un recours en annulation dirigé contre une disposition qui autorisait, de manière exceptionnelle, des personnes ne disposant pas d’un diplôme en art infirmier à accomplir certains actes relevant de cet art, en vue de soulager les praticiens et les services épuisés par la lutte contre la pandémie. Dans cet arrêt, la Cour met également en œuvre un contrôle classique sur la base du principe d’égalité et de non-discrimination, ainsi qu’un contrôle classique de standstill. Enfin, par deux arrêts[86], la Cour rejette les demandes de suspension des mesures flamandes prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie au motif que les requérants ne démontrent pas que l’application de ces mesures, qui limitent certes leur liberté de circuler, leur cause un préjudice grave difficilement réparable. À cette occasion aussi, la Cour adopte un raisonnement habituel.

14. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Le rapport annuel de la Cour, disponible sur son site internet, présente des statistiques des activités de la Cour : Rapport annuel 2020 (const-court.be)

Les arrêts cités ci-dessus sont également disponibles sur le site internet de la Cour : Jurisprudence (const-court.be)

Toute information complémentaire peut être obtenue auprès de Bernadette Renauld, référendaire :

Bernadette.renauld@const-court.br

 


  • [1]
    Préparées par Bernadette Renauld, référendaire.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Cette évolution s’explique par le fait qu’à ce moment, les communautés (entités fédérées) ont acquis la compétence de régler l’enseignement, qui est une matière historiquement sensible en Belgique. L’octroi de cette compétence aux législateurs fédérés a été rendu acceptable par l’attribution à la Cour du contrôle du respect des principes fondamentaux en matière d’enseignement, au premier rang desquels figure le principe d’égalité. La Cour a « détaché » le principe d’égalité et de non-discrimination de la matière de l’enseignement, pour en faire un fondement autonome de sa compétence.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Parmi une littérature abondante sur ces techniques, notammentPironnet, « La compétence de la Cour constitutionnelle est-elle (indirectement) illimitée ? Le point sur les techniques du raisonnement combinatoire et de l’ensemble indissociable », Le pli juridique, 2021/1, pp. 14-19.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Jurisprudence constante, parmi beaucoup d’autres, arrêt n° 4/2021 :
    « Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique. »  [Retour au contenu]
  • [5]
    Jurisprudence constante, parmi beaucoup d’autres, arrêt n° 2/2021 : « La Cour n’est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de dispositions conventionnelles ou du droit de l’Union européenne. Toutefois, lorsqu’une disposition conventionnelle ou du droit de l’Union liant la Belgique a une portée analogue à celle d’une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle ou du droit de l’Union constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées. Il s’ensuit que, dans le contrôle qu’elle exerce au regard des articles (…) de la Constitution, la Cour tient compte des dispositions de droit international ou de droit de l’Union qui garantissent des droits ou libertés analogues. »  [Retour au contenu]
  • [6]
    Dumont, « La démocratie, moteur des mutations de l’État de droit et vice-versa. Points de repère pour penser une relation dialectique équilibrée », in R. Leysen, K. Muylle, J. Theunis, & W. Verrijdt, (eds.) Semper perseverans. Liber amicorum André Alen, Antwerpen, Intersentia, 2020, p. 79.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Lacroix et J.-Y. Pranchère, Les droits de l’homme rendent-ils idiot ?,Paris, Seuil, 2019, p. 15  [Retour au contenu]
  • [8]
    Liste des critères de l’État de droit adoptée par la Commission de Venise lors de sa 106e session plénière (Venise, 11-12 mars 2016, CD-AD(2016)007).  [Retour au contenu]
  • [9]
    Arrêt n° 151/2002.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Voy. la définition de la notion par P. Nikolic : « L’État de droit signifie, avant tout, la limitation d’un pouvoir d’État incontrôlé, discrétionnaire, arbitraire, abusif. Il vise, précisément, à limiter le pouvoir dans l’État ou de l’État en le subordonnant au Droit ; en soumettant tous les pouvoirs de l’État et leurs actes au Droit, en général, et au Droit constitutionnel en particulier. » (P. Nikolic, « Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois dans le système de l’État de droit. Esquisse pour une approche globalisante », in J. du Bois de Gaudusson, P. Claret,P. Sadran, & B. Vincent, (éds.), Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic. Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 193  [Retour au contenu]
  • [11]
    Arrêts n° 202/2004, 105/2007, 107/2007, 22/2008, 98/2008, 182/2008,19/2011, 201/2011, 18/2012, 77/2012, 139/2012, 99/2014, 48/2015, 108/2015,178/2015, 62/2018 et 49/2019  [Retour au contenu]
  • [12]
    Arrêt n° 9/2012.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Arrêts n° 122/2012, 56/2014, 87/2018.  [Retour au contenu]
  • [14]
    CEDH, grande chambre, 15 décembre 2005, Kyprianou c. Chypre, 173 ; grande chambre, 23 avril 2015, Morice c. France, § 132 ; CEDH, 26 février 1993, Padovani c. Italie, § 27 ; CEDH, grande chambre, 6 mai 2003, Kleyn e.a. c. Pays-Bas, § 191 ; 9 novembre 2006, Sacilor Lormines c. France, § 60.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Arrêt n° 41/2018. Dans le même sens, arrêt n° 53/2017.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Arrêts n° 157/2009, 123/2011, 155/2011, 3/2016, 29/2017 et 53/2017.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Arrêt n° 106/2004.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Arrêts n° 187/2005, 130/2006, 79/2012, 87/2014, 136/2015, 169/2015.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Arrêts n° 9/89, 18/90, 26/90, 76/94, 25/2002, 30/2003, 35/2003, 36/2003, 73/2003, 96/2004, 103/2004, 78/2005, 90/2006, 133/2006, 138/2007, 149/2007, 151/2007, 80/2010, 22/2012, 86/2012, 134/2013, 72/2014.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Arrêt n° 81/2012, 134/2013.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Arrêt n° 17/2009.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Arrêt n° 203/2019.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Arrêt n° 72/2016.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Arrêt n° 40/2009.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Arrêts n° 107/2009, 80/2014, 60/2015.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Arrêt n° 195/2009.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Arrêt n° 145/2012.  [Retour au contenu]
  • [28]
    Arrêt n° 107/98.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Arrêt n° 145/2012.  [Retour au contenu]
  • [30]
    Arrêts n° 45/96, 10/2001, 35/2003, 195/2009.  [Retour au contenu]
  • [31]
    Arrêt n° 82/2017 : « Sauf à l’égard des mécanismes de fédéralisme coopératif (…) visés à l’article 30bis de la loi [sur la Cour constitutionnelle], la Cour n’est pas compétente pour contrôler le processus ou les modalités d’élaboration d’une loi ». La Cour s’est dès lors déclarée incompétente pour contrôler l’absence de consultation de la section de législation du Conseil d’État (arrêts n° 73/95, n° 97/99, n° 153/2015 et n° 58/2016), l’absence de consultation du comité de gestion de sécurité sociale (arrêt n° 97/99), l’absence de consultation syndicale préalable (arrêts n° 45/92 et n° 64/2009) ou encore le fait qu’une loi soit adoptée pendant la période des affaires courantes (arrêt n° 70/2013).  [Retour au contenu]
  • [32]
    Une nuance peut toutefois être apportée à ce constat lorsqu’un tel contrôle découle d’une obligation imposée par le droit européen. Tel est le cas, par exemple, de l’article 6 de la Convention du 25 juin 1998 (Convention d’Aarhus) et de certaines directives, qui imposent la consultation préalable du public concerné pour les décisions qui peuvent avoir un impact sur l’environnement et qui peuvent être invoquées devant la Cour en combinaison avec, par exemple, l’article 23 de la Constitution, lequel impose aux législateurs une obligation de non-régression en ce qui concerne le droit à un environnement sain : pour un exemple récent, voy. l’arrêt n° 6/2021.  [Retour au contenu]
  • [33]
    Jurisprudence constante. Voy. par ex., arrêt n° 160/2020.  [Retour au contenu]
  • [34]
    Cour eur. dr. h., Gde Ch., Mugemangango c. Belgique, 10 juillet 2020.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Voy. notamment à ce sujet : M. Verdussen, « Le droit à un contrôle électoral impartial, effectif et équitable : l’arrêt Mugemangango met la Belgique au pied du mur » (obs. sous Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Mugemangango c. Belgique, 10 juillet 2020, Rev. trim. D. H., 2021, pp. 638 et suiv.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Arrêt n° 130/2016.  [Retour au contenu]
  • [37]
    Arrêt n° 134/2013.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Arrêt n° 26/90.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Arrêts n° 30/2003, 130/2006 et 81/2012.  [Retour au contenu]
  • [40]
    Arrêts n° 10/2001 et 195/2009.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Arrêt n° 187/2005.  [Retour au contenu]
  • [42]
    Arrêts n° 90/94 et 73/2003.  [Retour au contenu]
  • [43]
    Arrêts n° 25/2002, 35 et 36/2003.  [Retour au contenu]
  • [44]
    Arrêt n° 100/2000.  [Retour au contenu]
  • [45]
    Par ex. arrêts n° 125/2016 (« La Cour ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation et de décision comparable à celui des assemblées législatives démocratiquement élues. Il ne lui appartient pas d’apprécier si une mesure instaurée par [la norme législative] est opportune ou souhaitable »), 118/2017, 22/2020, 114/2020, 9/2021.  [Retour au contenu]
  • [46]
    Par ex. arrêts n° 125/2016, 58/2019, 153/2019, 22/2020.  [Retour au contenu]
  • [47]
    Ibid., p. 198.  [Retour au contenu]
  • [48]
    Alen, « La judiciarisation des conflits politiques », in R. Arnold et I. Danéliené, (eds.), The Concept of Democracy as Developed by Constitutional Justice ; Le concept de démocratie développé par la justice constitutionnelle, Vilnius, Constitutional Court of the Republic of Lithuania, 2020, pp. 67-68  [Retour au contenu]
  • [49]
    à ce sujet J. Spreutels et E. Peremans, « Le budget de l’État dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Belgique », in R. Leysen, K. Muylle, J. Theunis et W. Verrijdt (eds), Semper perseverans. Liber amicorum A. Alen, Anvers, Intersentia, 2020, pp. 509-527.  [Retour au contenu]
  • [50]
    F. Daoût, « Que fait le juge constitutionnel quand il juge ? », Le Pli juridique, 2021/1, n° 55, p. 8.  [Retour au contenu]
  • [51]
    Voy par ex : « Selon l’article 3 de ses statuts, l’association sans but lucratif « Ligue des droits de l’homme » a pour objet de lutter contre toute injustice et contre toute atteinte aux droits des personnes ou des communautés et de défendre les principes d’égalité, de liberté et d’humanisme sur lesquels sont fondées les sociétés démocratiques et qui sont inscrits dans les conventions et déclarations relatives aux droits de l’homme. Sans qu’une telle définition de l’objet social d’une association doive être prise à la lettre comme un moyen que cette association se donne d’attaquer n’importe quelle norme sous le prétexte que toute norme a une incidence sur les droits de quelqu’un, il peut être admis qu’une disposition qui réprime la manifestation de certaines opinions soit de nature à pouvoir affecter défavorablement l’objet social de l’association » (arrêt n° 40/2009).  [Retour au contenu]
  • [52]
    Prenant comme point de départ ce raisonnement de la Cour constitutionnelle, Géraldine Rosoux a déployé une thèse autour de la « dématérialisation » des droits fondamentaux, qui permet de détacher le droit fondamental de son ancrage matériel et textuel et d’éviter ainsi de hiérarchiser les sources : G. Rosoux, Vers une « dématérialisation » des droits fondamentaux ? Convergence des droits fondamentaux dans une protection fragmentée, à la lumière du raisonnement du juge constitutionnel belge, Bruxelles, Bruylant, 2015, 1069 p.  [Retour au contenu]
  • [53]
    A. Alen et W. Verrijdt, « La relation entre la Constitution belge et le droit international et européen », in I. Riassetto, L. Heuschling et G. Ravarani (coord.), Liber amicorum Rusen Ergec, Luxembourg, Pasicrisie luxembourgeoise, 2017, pp. 39 et suiv.  [Retour au contenu]
  • [54]
    Arrêt n° 41/2019.  [Retour au contenu]
  • [55]
    Pour des exemples récents, voy. les arrêts n° 77/2018 (droit à l’aide médicale et sociale), 104/2018 (droit au logement), 64/2019 (droit à l’aide sociale), 148/2019 (droit aux conditions de travail et de rémunération équitables), 198/2019 (droit aux prestations familiales), 67/2020 (droit de négociation collective des conditions de travail), 113/2020 (droit à la sécurité sociale), 20/2021 (droit à la protection d’un environnement sain).  [Retour au contenu]
  • [56]
    Voy. notamment les arrêts n° 91/2010, 159/2016, 99/2017.  [Retour au contenu]
  • [57]
    Voy. l’arrêt n° 39/2020.  [Retour au contenu]
  • [58]
    Dès ses tous premiers arrêts rendus au contentieux de l’égalité et de la non-discrimination, la Cour « copie » une formule mise au point par la Cour européenne des droits de l’homme. Actuellement, elle s’énonce comme suit : « Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. »  [Retour au contenu]
  • [59]
    Voy. par ex., arrêt n° 5/2021.  [Retour au contenu]
  • [60]
    Par exemple, arrêts n° 77/2018, 67/2020, 2/2021.  [Retour au contenu]
  • [61]
    Arrêt n° 4/2021.  [Retour au contenu]
  • [62]
    Par exemple, arrêt n° 11/2021.  [Retour au contenu]
  • [63]
    Par exemple, arrêt n° 10/2020.  [Retour au contenu]
  • [64]
    Par exemple, arrêt n° 7/2021.  [Retour au contenu]
  • [65]
    Par exemple, arrêt n° 117/2020.  [Retour au contenu]
  • [66]
    Voy. par exemple arrêts n° 123/2019 et 38/2020.  [Retour au contenu]
  • [67]
    C’est un euphémisme. Il y a longtemps que les constitutionnalistes appellent une réécriture du Titre II de leurs vœux : en 2000, F. Tulkens et H. Dumont invitaient le Constituant, en ce qui concerne les droits fondamentaux du Titre II de la Constitution, à « rompre avec la culture du bricolage » (J.T., 2000, p. 5) et en 2001, S. van Drooghenbroeck plaidait « pour une mise à jour du droit constitutionnel belge des libertés publiques et des droits de l’homme » (A.P.T. 2001, pp. 130-153). La dernière réforme de l’État, qui s’est produite en 2014, a été une occasion manquée à cet égard : M. Verdussen, « Droits fondamentaux », in M. Uyttendaele et M. Verdussen, (dir.), Dictionnaire de la Sixième Réforme de l’État, Bruxelles, Larcier, 2015, pp. 397-404.  [Retour au contenu]
  • [68]
    Par exemple, arrêt n° 22/2021  [Retour au contenu]
  • [69]
    Par exemple, arrêt n° 154/2020.  [Retour au contenu]
  • [70]
    Par exemple, arrêt n° 7/2013.  [Retour au contenu]
  • [71]
    Voy. à ce sujet G. Rosoux, « Entre identité nationale et traditions constitutionnelles communes, La Constitution comme prisme du droit de l’Union », in R. Leysen, K. Muylle, J. Theunis et W. Verrijdt (eds), Semper perseverans. Liber amicorum A. Alen, Anvers, Intersentia, 2020, pp. 1021-1033 ; A. Alen et W. Verrijdt, op. cit., pp. 31-54.  [Retour au contenu]
  • [72]
    la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, dans laquelle le Conseil constitutionnel français se réfère expressément à l’« identité constitutionnelle » de la France et l’arrêt Frontini de la Cour constitutionnelle italienne du 27 décembre 1973 dans lequel la Cour évoque les « principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel et les droits inaliénables de la personne ».  [Retour au contenu]
  • [73]
    Arrêt n° 117/2021.  [Retour au contenu]
  • [74]
    Arrêts n° 18/90, 35/2003, 35/2004, 57 et 58/2014.  [Retour au contenu]
  • [75]
    Arrêt n° 95/2008.  [Retour au contenu]
  • [76]
    Arrêt n° 95/2008.  [Retour au contenu]
  • [77]
    Arrêt n° 96/2009.  [Retour au contenu]
  • [78]
    Arrêt n° 202/2004.  [Retour au contenu]
  • [79]
    Arrêt n° 116/2015.  [Retour au contenu]
  • [80]
    Arrêt n° 18/2013.  [Retour au contenu]
  • [81]
    Arrêt n° 68/2008.  [Retour au contenu]
  • [82]
    Arrêt n° 105/2006.  [Retour au contenu]
  • [83]
    Arrêts n° 18/90, 57 et 58/2014.  [Retour au contenu]
  • [84]
    Arrêt n°76/2021. La disposition avait été préalablement suspendue, par l’arrêt n°32/2021.  [Retour au contenu]
  • [85]
    Arrêt n°56/2021.  [Retour au contenu]
  • [86]
    Arrêts n°88 et 89/2021.  [Retour au contenu]

 

 

Cour constitutionnelle du Bénin

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui. C’est même une de ses attributions essentielles.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

La compétence de la Cour constitutionnelle en matière de protection des droits humains est explicite. Elle découle notamment des articles 3, 114, 117, 120 et 121 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui affirment respectivement :
Article 3 : « […] Tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels […] » ;
Article 114 : « La Cour constitutionnelle est la plus haute Juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques […] » ;
Article 117 : « La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur […] la constitutionnalité des lois et des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques en général, sur la violation des droits de la personne humaine […] » ;
Article 120 : « La Cour constitutionnelle doit statuer dans le délai de quinze jours après qu’elle a été saisie d’un texte de loi ou d’une plainte en violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques […] » ;
Article 121, in fine : « Elle [la Cour constitutionnelle] statue plus généralement sur les violations des droits de la personne […] ».

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

C’est par la protection de tous les droits de l’homme, en particulier ceux relatifs aux garanties procédurales, à la séparation des pouvoirs et aux droits de participation politique que l’État  de  droit et la démocratie trouvent leur pleine portée.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Pas vraiment. Quoiqu’elles correspondent à des notions différentes, l’État de droit et la démocratie visent le même objectif dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle à savoir assurer le libre choix des gouvernants par les gouvernés, veiller au pluralisme des idées et groupements et protéger les droits et libertés des citoyens contre l’arbitraire des gouvernants.

— Illustration (Extraits de la décision DCC 34-94 du 23 décembre 1994) :
« […] En ce qui concerne le principe de la création de la Commission Électorale nationale Autonome (CENA) et ses attributions
Considérant que la CENA s’analyse comme une autorité administrative autonome et indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ;
Considérant que la création de la CENA, en tant qu’autorité administrative indépendante, est liée à la recherche d’une formule permettant d’isoler, dans  l’administration  de  l’État,  un organe disposant d’une réelle autonomie par rapport au Gouvernement, aux départements ministériels et au Parlement, pour l’exercice d’attributions concernant le domaine sensible des libertés publiques, en particulier des élections honnêtes, régulières, libres et transparentes ;
Considérant que l’institution de la CENA se fonde sur les exigences de l’État de droit et de la démocratie pluraliste affirmées dans le Préambule de la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Considérant que l’attachement du Peuple béninois aux principes de la démocratie et des droits de l’Homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, s’est traduit par l’intégration à la Constitution du 11 décembre 1990 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples qui fait siens les principes précités ; que les dispositions de ladite Charte font partie intégrante du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ;
Considérant que la Déclaration universelle des droits de l’Homme dispose en son article 21 alinéa 3 : « […] La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret, suivant une procédure équivalente assurant la liberté de vote […] » ;
Considérant que la création d’une Commission électorale indépendante est une étape importante de renforcement et de garantie des libertés publiques et des droits de la personne ; qu’elle permet, d’une part, d’instaurer une tradition d’indépendance et d’impartialité en vue d’assurer la liberté et la transparence des élections, et d’autre part, de gagner la confiance des électeurs et des partis et mouvements politiques ; ».

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle a permis de consolider l’État de droit en veillant au respect par les autorités politiques, administratives et juridictionnelles de leurs compétences, ce qui a permis ainsi de lutter contre l’arbitraire et pour les droits fondamentaux, tout en garantissant le pluralisme nécessaire à la démocratie.

  • Illustration de la soumission de la plus haute autorité de l’État au droit (Extraits de la décision DCC 96-017 du 5 avril 1996) :

« Considérant que les deux requérants développent qu’au cours de la prestation de son serment, le 04 avril 1996, le président de la République a omis de prononcer le membre de phrase : « […] les mânes des ancêtres […] » ; que ce faisant, il n’a pas respecté la Constitution ;
Considérant que l’article 53 de la Constitution dispose en son alinéa 2 : « Devant Dieu, les Mânes des Ancêtres, la Nation et devant le Peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté » ;
Considérant que le président de la République n’a pas effectivement prononcé le membre de phrase : « […] les mânes des ancêtres […] » ;
Considérant que le texte du serment, tel que fixé par la Constitution, est une formule sacramentelle indivisible; qu’il ne saurait donc subir une quelconque modification et doit être prononcé dans son intégralité; que, dès lors, il y a lieu de déclarer non conforme à la Constitution le serment tel qu’il a été prêté par le président de la République ;
DECIDE
Article 1 : Est déclaré non conforme à la Constitution, le serment prêté le 4 avril 1996 à Porto-Novo par le président de la République […] ».

 

  • Illustration en matière de lutte contre l’arbitraire et pour la séparation des pouvoirs (Extraits de la décision DCC 96-060 du 26 septembre 1996) :

« Considérant que la Constitution du 11 décembre 1990 instaure au Bénin un État de droit, proclame et consacre les droits de l’homme et les libertés publiques ; que la liberté d’aller et de venir, coralliaire de la liberté individuelle, constitue l’un des principaux droits de la personne humaine garantis par la Constitution; qu’il ne peut y être porté atteinte que par la loi ;Considérant […] que la rétention du passeport de dame BERTRAN […] sans intervention de l’autorité judiciaire est arbitraire et la prive d’un droit fondamental, celui d’aller et de venir, reconnu et garanti par l’article 25 de la Constitution et l’article 12 alinéa 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; que l’autorité administrative n’a pas compétence pour tenir, proprio motu, un citoyen à sa disposition ; que ce faisant, elle viole la Constitution. »

 

  • Illustration en matière de respect du pluralisme politique

(Extraits de la décision DCC 09-016 du 19 Février 2009) :
« […] La Constitution, norme fondatrice de l’État, ne se réduit pas à la détermination des règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir dans l’État ; […] elle met toujours en œuvre une certaine idée de droit, c’est-à-dire, l’image de l’ordre social qu’il conviendrait de réaliser en vue du bien commun du peuple ; […] elle est donc porteuse d’un idéal de société qui doit inspirer toute l’activité politique de l’État ; […] le préambule de la Constitution, expression éclatante de cette idée de droit, affirme solennellement la détermination du peuple béninois de créer un État de droit et de démocratie pluraliste ; […] la démocratie pluraliste ne saurait être de manière absolue et exclusive la loi de la majorité, mais la protection de la minorité, qu’en effet, si la règle démocratique exige que la majorité décide et que la minorité s’incline, dans l’exercice de ce pouvoir de décision, la majorité doit cependant s’imposer à elle-même, le cas échéant, une limite qu’elle ne saurait transgresser sous peine de devenir tyrannique, à savoir le respect des droits de la minorité ; […] . ».

 

  •  Illustration en matière de prévention de troubles électoraux et de contribution à l’alternance politique (Extraits des Décisions DCC 96-002 du 5 janvier 1996, DCC 05 69 des 25 et 26 Juillet 2005, DCC 05-139 du 17 novembre 2005 et DCC 05-145 du 1erdécembre 2005) :

L’article 44 de la Constitution relatif aux conditions requises pour se présenter à l’élection présidentielle dispose entre autres, dans sa version originelle, que : « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République s’il : – n’est de nationalité béninoise de naissance ou acquise depuis au moins dix ans ; […] – ne réside sur le territoire de la République du Bénin au moment des élections ; […]. ». En se fondant sur ces dispositions, le législateur a voulu, à deux reprises, exclure des compétitions électorales, d’une part, le candidat Nicéphore SOGLO, président en exercice en 1996, d’autre part, le candidat Boni YAYI, candidat annoncé à l’élection présidentielle de 2006. Ces deux tentatives ont échoué grâce à la vigilance de la Cour constitutionnelle, ce qui a permis d’éviter des contestations ou violences préjudiciables à la démocratie. Quels étaient les faits ?

En 1995, l’Assemblée nationale adopte la loi N° 95-015 définissant les règles particulières pour l’élection du président de la République, le 22 septembre, en première lecture, et le 11 décembre 1995, en seconde lecture. L’article 5 de ce texte prévoit que : « Au cas où un citoyen se trouve au bénéfice de plusieurs nationalités, il est tenu, lors du dépôt de sa candidature pour la fonction de président de la République, de renoncer officiellement à toute nationalité autre que celle du Bénin et d’en fournir la preuve en versant au dossier de candidature tous documents officiels pouvant faire foi ». Deux députés saisissent la Cour constitutionnelle et demandent l’invalidation de la loi ou de cette disposition au motif que la loi votée en ces termes ajoute une restriction et une limitation à la condition de nationalité prévue à l’article 44 de la Constitution. En réponse à cette requête, la Cour a retenu qu’« en procédant comme il l’a fait, l’article 5 de la loi […] [querellée] créé une condition supplémentaire en matière de nationalité pour l’élection du président de la République, alors que la seule condition exigée à ce titre par la Constitution en son article 44 est d’être « de nationalité béninoise de naissance ou acquise depuis au moins dix ans » ». Selon la haute juridiction, « l’expression « s’il n’est de nationalité béninoise ou acquise depuis au moins dix ans » par laquelle s’exprime le constituant révèle son souci fondamental à savoir que le candidat à l’élection présidentielle doit nécessairement être de nationalité béninoise […] qu’il ait ou non une autre nationalité ; […] il en découle que le législateur impose une condition supplémentaire, au demeurant restrictive, de celle prévue par la Constitution ; qu’en conséquence l’article 5 doit être déclaré inconstitutionnel. » (DCC 96-002 du 5 janvier 1996).

En 2005, les députés parmi lesquels se trouvent plusieurs futurs candidats ou soutiens à des futurs candidats, de plus en plus inquiets de la montée en puissance du Dr Boni YAYI, Président de la Banque ouest africaine de développement (B.O.A.D.) dont le siège est à Lomé, capitale du Togo voisin, dans les cœurs des populations, votent une nouvelle loi électorale qui écarte de fait le probable candidat. Le texte prévoit que : « Nul ne peut être candidat à l’élection présidentielle s’il : – […] – ne réside sur le territoire de la République du Bénin au moment des élections. Le moment des élections durant lequel le candidat doit résider sur le territoire de la République du Bénin correspond à la période allant de l’installation de la Commission électorale nationale autonome (CENA) à la proclamation des résultats définitifs du scrutin ». Il faut relever que la loi prévoyait, pour cette élection présidentielle, que l’installation de la CENA, organe non permanent, aurait lieu six mois avant les élections.

Or M. Boni YAYI, au moment de l’adoption de cette loi, et même jusqu’à trois mois avant le scrutin, avait sa résidence à Lomé au Togo. Saisie par plusieurs requérants proches du futur candidat, la Cour répondra, par décision DCC 05 69 des 25 et 26 Juillet 2005, ce qui suit : « Considérant que selon les requérants, le dernier alinéa de l’article 5 de la loi sous examen est contraire à l’article 44 de la Constitution en ce que, en décidant de préciser la notion de « moment des élections », le législateur crée par cette disposition des conditions nouvelles par rapport à celles prévues par l’article 44 de la Constitution ; […] ; Considérant que la seule condition exigée par la Constitution en son article 44, 5e tiret, est « de résider sur le territoire de la République du Bénin au moment des élections » ; qu’en procédant comme il l’a fait, le législateur crée une condition supplémentaire relative à la durée de résidence ; qu’en conséquence, le dernier alinéa de l’article 5 de la Loi 2005-26 sous examen doit être déclaré contraire à la Constitution ; […] ».

En 2005, la décision rendue par la Cour a permis au candidat visé par la loi d’exclusion de se présenter et d’être élu à une écrasante majorité de 75 % de voix, évitant ainsi des frustrations, contestations et violences électorales.

Mais un autre obstacle qui aurait pu aboutir au même résultat a dû aussi être déjoué par la Cour constitutionnelle, c’est le refus par le pouvoir en place, en fin de mandat, de débloquer les ressources financières pour organiser l’élection présidentielle devant aboutir à son départ du pouvoir et à l’alternance au pouvoir.

Le Président Mathieu KEREKOU devant achever son deuxième et dernier mandat constitutionnel comme président de la République en avril 2006, l’élection présidentielle devant permettre de désigner son successeur devait avoir lieu en mars 2006. Comme ce fut le cas depuis 1995, cette élection devait être organisée par la Commission Électorale nationale Autonome (CENA), organe administratif indépendant, installé à quelques mois de chaque scrutin et qui reçoit les fonds nécessaires à l’organisation de l’élection du Gouvernement. Alors que deux mois s’étaient écoulés depuis l’installation de la CENA et que le Gouvernement, au motif de vouloir « ramener les différents budgets de la CENA et des autres institutions à des normes raisonnables », a refusé de débloquer les ressources financières nécessaires à l’organisation du scrutin, deux requérants saisissent, le 14 novembre 2005, la haute juridiction. Ils exposent que : « Depuis bientôt deux mois, la Commission Électorale nationale Autonome, malgré la volonté affichée de ses membres d’organiser dans le délai constitutionnel […] les consultations électorales […], se heurte à des obstacles liés essentiellement au non déblocage par le Ministère des Finances des fonds y afférents […]. Les activités de la CENA se trouvent […] bloquées et du coup le processus électoral […] ; […] faute par le Gouvernement d’avoir doté la CENA des moyens financiers, l’installation des Commissions Électorales Départementales (CED) par deux fois a été programmée et reportée ». Les requérants estiment donc que, sur la base des articles 114 et 117 de la Constitution, et vu« […] la nécessité de ne pas compromettre […] le déroulement de l’élection présidentielle de mars 2006 », la Cour devrait constater

« l’extrême urgence commandée par le calendrier électoral établi par la CENA » et, d’une part, « enjoindre au Ministre des Finances et de l’Economie de mettre sans délai à la disposition de la CENA 2006 les moyens financiers dont elle a besoin pour accomplir sa mission », d’autre part, de dire et juger :

  • que « le terme constitutionnel du mandat actuel du président de la République est le 6 avril 2006 » ;
  • que « la CENA est une structure autonome, un organe administratif et technique indépendant des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire » ;

[…]

  • qu’il y a « obligation constitutionnelle pour le Gouvernement de doter la CENA des moyens financiers dont elle a besoin pour accomplir sa mission ».

La Cour constitutionnelle invoque alors l’article 114 de la Constitution, et précise que cette disposition fait d’elle « l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». Elle ajoute « qu’en cette qualité, elle a compétence pour prendre toute décision susceptible d’éviter la paralysie du fonctionnement régulier des institutions et des pouvoirs publics ». Après avoir convoqué et écouté un ministre du Gouvernement qui a confirmé que les moyens financiers n’avaient pas encore été mis à la disposition de la CENA à la date du 17 novembre 2005, la Cour constate qu’il résulte des faits que « depuis son installation le 23 septembre 2005, la CENA ne dispose pas encore de moyens financiers pour démarrer ses activités ; […] le terme du mandat présidentiel en cours étant le 6 avril 2006 à minuit, il urge que le processus électoral se poursuive ; qu’en conséquence, la Cour, organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics, demande au Gouvernement et à l’Assemblée nationale de prendre en urgence toutes les mesures administratives et législatives nécessaires au déroulement harmonieux du processus électoral pour l’élection du président de la République en mars 2006, ordonne au Gouvernement et spécialement au Ministre des Finances et de l’ Économie de mettre dans les vingt-quatre (24) heures de la présente décision à la disposition de la CENA une avance substantielle de fonds pour assurer le démarrage immédiat de ses activités, dit et juge que la CENA devra gérer ces fonds conformément aux règles de l’orthodoxie financière » (Décision DCC 05-139 du 17 novembre 2005).

Constatant que deux à trois semaines après cette décision, le Gouvernement n’avait toujours pas débloqué de fonds pour la tenue du scrutin, trois requérants saisissent à nouveau la haute juridiction. Le premier demande à la Cour de constater le non- respect de sa décision DCC 05-139. Le deuxième invoque une série de dispositions constitutionnelles et demande à la Cour de constater que le Gouvernement, son Chef et le ministre des Finances et de l’Économie les ont violées. Quant au troisième, il introduit auprès de la Cour un « recours en vue de débloquer le processus électoral ».

La Cour accède à ces différentes demandes. Elle cite d’abord l’article 124, alinéas 2 et 3, de la Constitution aux termes duquel :

« […] Les décisions de la Courconstitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles » ; […] – Elles doivent en conséquence être exécutées avec la diligence nécessaire ». Elle en déduit que « le Gouvernement est tenu d’exécuter la Décision DCC 05-139 en mettant une avance substantielle à la disposition de la CENA ». La Cour ajoute « qu’en se comportant comme ils l’ont fait, le Gouvernement et le Ministre des Finances et de l’Économie ont violé par ailleurs l’article 35 de la Constitution aux termes duquel « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun  » » (Décision DCC 05-145 du 1er décembre 2005).

Déférant cette fois-ci aux injonctions de la Cour, le Gouvernement a fini par mettre les moyens à la disposition de la CENA et l’élection présidentielle de mars 2006 a eu lieu effectivement les 5 et 19 mars 2006. Elle a débouché sur une alternance à la tête de l’État puisque Monsieur Boni YAYI a été élu. Le Président Mathieu KEREKOU dont les deux mandats constitutionnels étaient arrivés à terme et qui ne pouvait plus se présenter à l’élection lui a donc cédé sa place.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui. C’est même quasi exclusivement ce à quoi tend la jurisprudence de la Cour.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui, mais pas exclusivement. Les décisions de la Cour sont également appréciées pour leur contribution à la pacification de la vie politique nationale à travers l’exercice de la fonction de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Dans plusieurs domaines (voir réponse à la question n° 6).

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui. Le bilan est largement positif. En témoigne la fin de l’instabilité politique et constitutionnelle qui a autrefois valu au Bénin le sobriquet d’ « enfant malade de l’Afrique ». On peut même affirmer qu’il n’y aurait pas pu avoir de démocratie et d’État de droit au Bénin sans la Cour constitutionnelle.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

En théorie non. Mais en pratique oui du fait que la Cour joue le rôle d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. Ce rôle amène la Cour à anticiper des conflits politiques, à déjouer des manipulations ou instrumentalisations politiques. Enfin, du fait que certaines dispositions de la Constitution sont susceptibles d’interprétations influencées par des idéologies, la Cour joue un rôle politique, même sans le vouloir.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. Les conditions d’accès à la Cour sont très libérales. Outre la possibilité de saisine de la Cour par chaque député et/ou le président de la République dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori des lois, « tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes, et actes présumés inconstitutionnels » (article 3 alinéa 3 de la Constitution). Cette saisine peut se faire soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité (article 122 de la Constitution). La Cour peut également se prononcer d’office sur la constitutionnalité des lois et de tout texte réglementaire censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques (article 121). Enfin, les citoyens ont la possibilité de venir se faire entendre par la Cour au cours d’audiences publiques.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

La Cour se réfère souvent au droit national (Constitution stricto sensu et Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui fait partie intégrante de la Constitution béninoise selon l’article 7 de ladite Constitution). Mais il lui arrive aussi d’invoquer des normes internationales, qu’elles aient été prévues par le Préambule de la Constitution ou non, qu’elles soient des textes ou même de la jurisprudence des organes quasi juridictionnels internationaux.

  • Illustration d’utilisation des normes internationales ( jurisprudence internationale) comme norme de référence pour la protection des droits de l’homme (Extraits de la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011)

« Considérant que l’Organisation Internationale du Travail dans son Recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304e rapport, cas 1719 : « L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale » ; qu’en outre, dans son 336e rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions » ; qu’ainsi, l’Organisation Internationale du Travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ».

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Oui. La Constitution (y compris la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui en fait partie) est au sommet. Viennent ensuite la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) de 1948 et tous autres textes auxquels renvoie le Préambule de la Constitution. Les autres normes internationales, qu’elles soient des textes ou de la jurisprudence, suivent. Enfin, il faut préciser que des principes à valeur constitutionnelle ou des impératifs constitutionnels ont servi parfois de normes de référence.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Tous les droits sans exclusive, qu’ils soient civils, politiques, économiques et sociaux, sont invoqués, mais le droit à l’égalité et à la non-discrimination, le droit à être jugé dans un délai raisonnable, le droit à ne pas subir un traitement cruel, inhumain ou dégradant, les droits de la défense, le droit de vote sont les plus invoqués.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Pas vraiment.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Pas formellement. La Cour sanctionne aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques et sociaux, aussi bien le droit à un environnement sain que les droits des personnes vulnérables (veuves, personnes vivant avec handicaps…). Mais, dans la pratique, certaines atteintes graves à l’intégrité physique et morale, en l’occurrence les cas de traitements inhumains et dégradants, de torture ou d’atteinte à la vie sont considérés comme assez graves et la Cour va, dans certains cas, jusqu’à préciser que la violation en question ouvre droit à dommages et intérêts à titre de réparation.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Ces droits occupent une place essentielle dans la jurisprudence de la Cour. Plus de trois quarts des décisions y sont relatives.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Par l’interprétation des dispositions constitutionnelles.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non, aucune différence. Les mécanismes de protection sont les mêmes.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Outre les techniques classiques de contrôle de constitutionnalité a priori et a posteriori des lois (par voie directe comme par la voie de la question préjudicielle appelée en droit béninois « exception d’inconstitutionnalité » soulevée devant une juridiction ordinaire), la Constitution a prévu des techniques originales de saisine d’office par la Cour constitutionnelle elle-même. Cette technique permet à la Cour de se prononcer même si la requête est initialement irrecevable.

Mais de manière pratique, le fait d’être saisie par voie de plaintes, de faits de violations de droits de l’homme et d’organiser des audiences publiques pour instruire (mettre en état) les dossiers ainsi que la possibilité offerte de faire des transports judiciaires pour constater de visu certaines situations de violations alléguées, ou enfin, le fait de décider dans le dispositif de certaines décisions que certaines violations graves de droits constatées devraient ouvrir droit à des dommages et intérêts, peuvent également apparaître comme des techniques originales mises en œuvre pour la protection des droits et libertés.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Pouvoir d’annulation partielle ou totale (déclaration d’inconstitutionnalité partielle ou totale d’une disposition), pouvoir de reformulation (déclaration de constitutionnalité sous réserve de…).

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Par une interprétation libérale de la Constitution (exemple le droit à réparation n’était pas expressément prévu par la Constitution. Ce droit est aujourd’hui constitutionnalisé du fait d’une interprétation extensive de certaines dispositions constitutionnelles).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

La Cour utilise les normes de droit international comme norme de référence, non pas à titre principal, mais à titre accessoire à une disposition constitutionnelle pour en définir la portée.

Voir à cet égard la réponse à la question 1 du sous thème 2 (DCC 11-065 du 30 septembre 2011).

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

En vertu de l’article 124 de la Constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle s’imposent à toutes les juridictions nationales. Depuis que des décisions de la Cour constitutionnelle ont commencé à « condamner » les autres juridictions pour non- respect des droits procéduraux (principe du contradictoire, délai raisonnable de jugement, délai anormalement long de l’instruction, etc..), un effort est fait par les juridictions ordinaires pour éviter de nouvelles « condamnations » de la Cour. Ces juridictions prennent en compte aussi l’étendue et la portée des droits tels que retenus par la Cour constitutionnelle.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

La mission de la Cour s’arrête dès le prononcé de sa décision. Elle ne peut en donner aucune suite par elle-même. Quoi qu’obligatoire, l’exécution des décisions dépend de la bonne volonté des autorités publiques concernées. Mais la quasi-totalité des décisions de la Cour sont mises en œuvre par les autorités politiques, administratives et juridictionnelles.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Une décision de la Cour constitutionnelle oblige l’auteur de la violation des droits de l’Homme à mettre fin immédiatement à cette violation et/ou à réparer le préjudice causé à la victime. Les auteurs peuvent également subir des sanctions administratives de la part de leur hiérarchie.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les valeurs sociétales ne sont prises en compte dans la protection des droits humains que pour autant qu’elles ne soient pas en contradiction avec la Constitution. Cette dernière met en exergue certaines d’entre elles. Voir les deux exemples ci-après :
Article 35. – « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun. »
Article 36. – « Chaque béninois a le devoir de respecter et de considérer son semblable sans discrimination aucune et d’entretenir avec les autres des relations qui permettent de sauvegarder, de renforcer et de promouvoir le respect, le dialogue et la tolérance réciproque en vue de la paix et de la cohésion nationale. »

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Pas de place spécifique.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Le Bénin est un État laïc (article 2 de la Constitution). Il n’y a pas de définition des droits de l’homme en fonction d’une quelconque religion.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui, la définition des droits de l’Homme concorde avec la recherche de la paix et de la cohésion sociale. Les droits humains ne sauront donc être définis en faisant une impasse sur la paix et la cohésion sociale.

  • Illustration de la recherche de la cohésion nationale (Extraits de la décision DCC 17-018 du 31 janvier 2017)

« Considérant qu’il ressort des éléments du dossier que le journal la « Bonne Nouvelle », dans sa parution n° 078 du vendredi 02 septembre 2016 a publié à sa manchette des écrits du pasteur John MIGAN ainsi qu’il suit : « Réforme constitutionnelle en République du Bénin, John MIGAN plaide pour la suppression de la fête du 10 janvier, cette fête est une grande abomination qui irrite l’ Éternel. » ; qu’à la page 10, celui-ci écrit : « La main de l’ennemi derrière les idoles : quoiqu’il en soit, derrière une idole se cache un démon, un être spirituel contrôlé par le diable » ; qu’à la page 11, il précise : « Vu tout ce qui a été dit précédemment, je voudrais conclure ce message que le Seigneur a mis sur mon cœur, en exhortant en général tous mes compatriotes à revenir à l’Éternel en abandonnant l’adoration des idoles et en particulier les leaders de cette Nation d’enlever de notre Constitution l’expression » les mânes de nos ancêtres » et de consacrer la date du 10 janvier à l’Éternel Dieu plutôt qu’aux idoles »[…] » ;
Considérant que l’impact des propos tenus par les citoyens doit s’apprécier à l’aune de leurs responsabilités dans la société ; qu’en diabolisant une religion et en invitant à la suppression d’une fête qui lui est consacrée par la loi, « l’évangéliste et chantre de Dieu, Chevalier de l’Ordre national du Mérite du Bénin » John MIGAN sème les germes de la haine et de l’intolérance religieuse préjudiciables à la paix et à la cohésion nationale, méconnaissant ainsi les dispositions des articles 2 alinéa 1er, 10, 34 et 36 précités de la Constitution ; que dès lors, il échet pour la Cour de dire et juger que le Sieur John MIGAN a méconnu la Constitution ; »

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Jamais.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Le droit à l’égalité et à la non-discrimination sous toutes ses formes, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, le droit de ne pas être détenu arbitrairement et dans des conditions inhumaines et dégradantes, le droit de vote, les droits de la défense.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

La Cour constitutionnelle du Bénin étant compétente pour juger des faits de violation de droits de l’homme, y compris entre particuliers, et non pas seulement des contrariétés à la Constitution d’une norme inférieure, il est normal qu’elle prenne en compte des circonstances de temps et de lieu dans l’appréciation des faits qui lui sont soumis. Par ailleurs, en matière de contrôle de constitutionnalité, il arrive que certains droits soient interprétés par la Cour en tenant compte du contexte et des moyens de l’État, notamment les droits économiques et sociaux ou les mesures spécifiques que l’État doit prendre en faveur des personnes vulnérables (handicapées, âgées, veuves. ).

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Les circonstances de leur violation.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Dans une certaine mesure, oui. Le droit de grève par exemple, consacré par l’article 31 de la Constitution, a connu des interprétations différentes par la Cour. Les décisions DCC 06- 034 du 4 avril 2006, DCC 11-065 du 30 septembre 2011 et DCC 18-001 du 18 janvier 2001 et les logiques qui les portent semblent être tributaires des crises sociopolitiques et économiques ou de l’idéologie dominante au sein des membres de la juridiction au moment de leur adoption.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Pas spécialement.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

L’un des procédés de protection des droits humains réside dans le fonctionnement de la Cour. Or, la crise sanitaire a affecté le fonctionnement de la haute Juridiction. Les audiences publiques et les transports judiciaires ont été suspendus, les membres de la Cour siégeaient parfois à quatre et non plus à sept. Le personnel administratif a travaillé par rotation, etc. En cela, on peut dire que la crise sanitaire a eu des conséquences sur les méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

L’adresse du site de la Cour constitutionnelle du Bénin : https ://courconstitutionnelle.bj/

 

 

Cour constitutionnelle de Bulgarie

 

1.   DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

La protection des droits de l’homme fait partie des compétences de la Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie. Un catalogue des droits et libertés fondamentaux a été établi dans la Constitution formelle. Dans certaines parties du Titre 1 (Principes de base) et l’ensemble du Titre 2 (« Droits et obligations fondamentaux des citoyens ») se trouve le catalogue des droits et libertés. La Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur une demande en constatation d’inconstitutionnalité des lois et autres actes de l’Assemblée nationale, ainsi que des actes du Président (article 149, alinéa 1, p. 2 de la Constitution). La Cour constitutionnelle se prononce également sur la conformité des traités internationaux conclus par la République de Bulgarie avec la Constitution avant leur ratification, ainsi que sur la conformité des lois avec les normes généralement reconnues du droit international et avec les traités internationaux auxquels la Bulgarie est partie (article 149, al. 1, p. 4 de la Constitution). Entre ces traités internationaux visés à l’art. 149, al. 1, p. 4 sont également des actes qui établissent un catalogue des droits de l’homme, tels que la Convention européenne des droits de l’homme.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est implicite. Voir la réponse à la question 1.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle perçoit l’État de droit dans ses deux composantes – l’État de droit formel (le principe de sécurité juridique) et l’État de droit matériel (le principe de justice substantielle). La Cour fait valoir que l’« État de droit » désigne l’exercice du pouvoir de l’État sur la base d’une constitution, dans le cadre de lois qui sont matériellement et formellement conformes à la constitution et qui visent à préserver la dignité humaine, la liberté, la justice et la sécurité juridique (Décision n° 1/2005, a. c. n° 8/2004).

La protection des droits de l’homme est liée à la démocratie par le principe du pluralisme politique (article 11 de la Constitution), qui s’exprime dans l’exercice du pouvoir de l’État conformément à la volonté politique librement exprimée et, par conséquent, la Cour constitutionnelle reconnaît qu’il s’agit d’un instrument de « la libre formation de la volonté du peuple à l’État organisé » (Décision n° 13/2010, a. c. n° 12 de 2010).

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

La Cour constitutionnelle ne s’est pas prononcée explicitement sur cette question.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La Cour constitutionnelle a contribué à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie par au moins deux compétences :1.la compétence de déclarer des lois inconstitutionnelles en raison d’un conflit avec les droits fondamentaux ; 2. la compétence de statuer sur les litiges relatifs à la constitutionnalité des partis et associations politiques (art. 149, al. 1, p. 5 de la Constitution) et de déclarer inconstitutionnels les partis et associations politiques, qui sont constitués sur une base religieuse et/ou établis à des fins de saisie forcée du pouvoir de l’État (article 11, al. 3 de la Constitution), ainsi que les organisations dont les activités sont dirigées contre la souveraineté, l’intégrité territoriale du pays et l’unité de la nation, pour inciter à des incitations raciales, nationales, ethniques ou la haine religieuse, la violation des droits et libertés des citoyens, ainsi que les organisations qui créent des structures secrètes ou paramilitaires, ou cherchent à atteindre leurs objectifs par la violence (article 44, al. 2 de la Constitution).

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

La garantie de l’État de droit et de la démocratie est une finalité de la Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie, car ce sont des normes qui sont soit explicitement inscrites dans la Constitution, soit implicitement. La Constitution (article 4, al. 1) dispose que la République de Bulgarie est un État de droit. Il est régi par la Constitution et les lois du pays. De nombreux éléments de la forme démocratique de gouvernement sont inscrits dans la Constitution, par exemple la souveraineté du peuple (art. 1, al. 2), le pluralisme politique (art. 11, al. 1).

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle n’établit pas explicitement une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

En Bulgarie, des droits et libertés fondamentaux numériques n’ont pas été intégrés dans le texte constitutionnel. Le juge constitutionnel en a reconnu l’existence et plus concrètement il a fait intégrer le droit des données personnelles et de l’autodétermination informationnelle dans le cadre du droit à la vie privée qui est proclamée expressément à l’article 32 de la Constitution de la République de Bulgarie.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle est constante (Décision n° 20/1998, a. c. n° 16/1998 ; Décision n° 15/2010, a. c.n° 9/2010 ; Décision n° 2/2011, a. c. n° 2/2011, décision n° 7/2016, a. c. 8/2015, décision n° 8/2016, a. c. n° 9/2015 ; Décision n° 3/2019, a.c n° 16/2018 ; Décision n° 10/2020, a. c. n° 7/2020) sur la possibilité de restreindre l’exercice des droits fondamentaux des citoyens dans les cas où il existe un objectif légitime (uniquement lorsque cela est nécessaire pour préserver les valeurs constitutionnelles les plus élevées, et pour empêcher la violation d’autres intérêts publics), la restriction est établie par la loi, dans les limites prévues par la Constitution et le principe de proportionnalité est respecté.

La Cour constitutionnelle soutient que le besoin de proportionnalité, sans être explicitement inscrit dans la Constitution, est une exigence de l’État de droit. Selon cette exigence, la restriction des droits est un moyen proportionné d’atteindre un objectif déterminé, lorsque le degré de sa restriction admissible n’est pas dépassé, compte tenu de l’importance de l’intérêt protégé. La mesure dans laquelle la restriction du droit est admissible dépend de l’importance de l’intérêt, qui est également considéré comme faisant l’objet d’une protection constitutionnelle (Décision n° 7/1996, a. c. n° 1/1996).

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

En vertu de l’art. 5 paragr. 4 de la Constitution, les traités internationaux ratifiés, promulgués et entrés en vigueur pour la République de Bulgarie font partie du droit interne du pays. Ils ont unе supériorité sur les normes du droit interne qui les contredisent. La Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur la conformité des lois avec les normes généralement reconnues du droit international et avec les traités internationaux auxquels la Bulgarie est partie (article 149, al. 1, p. 4 de la Constitution).

Dans ce contexte, la Cour reconnaît que les normes de la CEDH ont une « signification civilisationnelle paneuropéenne et générale pour l’ordre juridique des États parties à la CEDH et sont des normes de l’ordre public européen. Par conséquent, l’interprétation des dispositions pertinentes de la Constitution dans le domaine des droits de l’homme doit être aussi cohérente que possible avec l’interprétation des règles de la CEDH. Ce principe d’interprétation conforme correspond également à la compétence contraignante internationalement reconnue par la Bulgarie de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’interprétation et l’application de la CEDH. Pour les raisons qui précèdent, la Cour considère que le contenu des droits et libertés découlant des principes de la Convention doit être établi par interprétation, respectivement, de l’interprétation des règles constitutionnelles et de la CEDH. » (Décision n° 2/1998, a. c. n° 15/1997).

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

La Cour constitutionnelle soutient que «la vitalité d’une Constitution en tant qu’« organisme vivant » est jugée par sa capacité à s’adapter aux relations sociales en constante évolution et aux acquis de la pensée juridique ». La Cour a jugé que l’abandon des anciennes interprétations et l’adoption de nouveaux points de vue sur le contenu des dispositions constitutionnelles est inhérent à la pratique de toute juridiction constitutionnelle et la Cour constitutionnelle ne fait pas exception (Décision n° 4/2012, a. c. n° 14/2011, Décision n° 3/2020, a. c. n° 5/2019).

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

La Cour constitutionnelle, ayant rendu sa décision, ne peut l’annuler. Cependant, elle considère qu’elle n’est pas liée « à jamais » par ses avis juridiques. L’évolution du droit est un processus objectif, qui permet à l’interprétation des dispositions juridiques d’être « ouverte » à d’autres points de vue, ainsi que de prendre en compte les changements intervenus entre-temps dans le contexte social global. Le besoin de stabilité de la jurisprudence n’a pas plus de poids que les considérations du droit en tant que produit du développement social et de l’évolution de la pensée juridique, et tout écart par rapport à la pratique existante doit être justifié. Par conséquent, en cas de nécessité publique et de justification sociale, la Cour constitutionnelle peut former de nouvelles compréhensions et de nouvelles catégories juridiques, influencées par la pensée juridique évolutive et l’évaluation des circonstances modifiées (en ce sens, voir décision n° 4/2012, a. c. n° 14 / 2011, Décision n° 3/2020, a.c. n° 5/2019). Des exemples d’un tel changement d’avis motivé sont disponibles dans la pratique actuelle de la Cour constitutionnelle (Décisionn°13/2002,a.c.n° 17/2002, Décision n° 10/2011, a. c. n° 6/2011, Décision n° 9/2014, a. c. 3/2014, Décision n° 22/1998, a. c. n° 18/1998, Décision n° 6/2008, a. c. n° 5/2008, Décision n° 3/2020, a. c. n° 5/2019). En ce sens, la Cour constitutionnelle exprime la position selon laquelle la notion d’« État de droit » est dynamique et le principe constitutionnel établi à l’art. 4, paragr. 1 de la Constitution, évolue et s’enrichit constamment de nouveaux éléments.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

14. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Décision n° 7/1996, a. c. n° 1/1996 ; Décision n° 2/1998, a. c. n° 15/1997 ; Décision n° 20/1998, a. c. n° 16/1998 ; Décision n° 22/1998, a. c. n° 18/1998 ; Décision n° 13/2002, a. c. n° 17/2002 ; Décision n° 1/2005, a. c. n° 8/2004 ; Décision n° 6/2008, a. c. n° 5/2008 ; Décision n° 13/2010, a. c. n° 12 de 2010 ; Décision n° 15/2010, a. c. n° 9/2010 ; Décision n° 2/2011, a. c. n° 2/2011 ; Décision n° 10/2011, a. c. n° 6/2011 ; Décision n° 4/2012, a. c. n° 14 / 2011 ; Décision n° 9/2014, a. c.3/2014; Décision n° 7/2016, a. c.8/2015; Décision n° 8/2016, a. c. n° 9/2015 ; Décision n° 3/2019, a. c. n° 16/2018 ; Décision n° 3/2020, a. c. n° 5/2019 ; Décision n° 10/2020, a. c. n° 7/2020.

 

 

Conseil constitutionnel du Burkina Faso

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

En tant que garant du respect de la Constitution, la protection des droits de l’homme garantis par la loi fondamentale fait partie des compétences du Conseil constitutionnel.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence n’est pas expressément prévue dans la Constitution. Cependant, le Conseil constitutionnel, à travers d’une part le contrôle a priori qu’il exerce sur la loi et d’autre part sur le contrôle a posteriori, assure le respect des droits de l’homme.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Le respect et la protection des droits de l’homme sont une composante de l’État de droit et de la démocratie. Il existe donc un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Il ne peut y avoir d’État de droit et de démocratie sans protection des droits de l’homme. La vitalité d’un État de droit ou d’un État démocratique repose sur le respect des droits de l’homme.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Il n’existe pas une différence, selon le Conseil constitutionnel, entre l’État de droit et la démocratie.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Le Conseil constitutionnel joue un rôle important dans la consolidation de l’État de droit et de la démocratie. La Constitution en son article 152 lui a donné une compétence en matière constitutionnelle et électorale. Ainsi, il veille au bon fonctionnement des institutions en ce qu’il exerce un contrôle de droit sur les lois organiques et participe à la mise en place des nouvelles institutions issues des échéances électorales (élections législatives et présidentielle).

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

C’est la mission fondamentale du Conseil constitutionnel.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

La plupart des conflits trouvent leur source dans les décisions prises par les juridictions constitutionnelles. La qualité des décisions du Conseil constitutionnel n’est pas contestée en ce qu’aucun conflit n’y a trouvé sa source.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Dans le cadre du règlement des conflits institutionnels (comme par exemple en 2014 après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre pour la mise en place des institutions de la transition) et en matière électorale à travers le contrôle de la régularité, de la transparence et de la sincérité des élections nationales (législatives et présidentielle).

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan est positif. Les institutions fonctionnent normalement.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le juge constitutionnel burkinabè ne joue pas un rôle politique. Il a une fonction juridictionnelle.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Les conditions d’accès au Conseil constitutionnel favorisent la promotion de l’État de droit, car la saisine directe du citoyen est ouverte.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Le Conseil constitutionnel se réfère à la Constitution et au Bloc de constitutionnalité de façon générale en matière de protection des droits de l’homme.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Le Conseil constitutionnel n’établit pas une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme. Elles peuvent toutes être invoquées selon les cas soumis à la juridiction.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Ce sont les droits de première catégorie qui sont invoqués. La liberté d’expression, le droit d’accès à une juridiction (double degré de juridiction) etc…

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Pour le moment, non.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Pour le moment, le Conseil constitutionnel n’a pas établi dans une décision une hiérarchie entre les droits de l’homme.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Ils sont protégés par le Conseil constitutionnel.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Pas de procédés particuliers.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Il n’est pas établi une différence entre la protection des droits et celle des libertés.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Il n’y a pas de technique originale mise en œuvre pour la protection des droits et libertés. Les violations des droits et libertés garantis par la Constitution sont constatées soit lors d’un contrôle a priori soit dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. La seule originalité, est l’auto saisine dont dispose le Conseil constitutionnel (il peut se saisir de toute question relevant de sa compétence).

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Dans le cas où la violation est avérée, le Conseil constitutionnel annule la disposition incriminée. Cette décision a un effet erga omnes.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Les droits protégés sont ceux garantis par la Constitution.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Les normes du droit international sont invoquées dans la protection des droits de l’homme notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Conformément à l’article 159 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à tous les pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel incombe aux pouvoirs publics et à tous ses destinataires. Les décisions du Conseil constitutionnel ont toujours été exécutées. Du reste, le Conseil constitutionnel ne dispose d’aucun moyen pour faire exécuter ses décisions.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Lorsqu’une disposition légale est sanctionnée par le Conseil constitutionnel, cette disposition n’est plus applicable et ne peut plus être invoquée. Elle disparaît de l’ordonnancement juridique interne.

 

3.  LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Il n’existe pas de conception relative des droits de l’homme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les valeurs sociétales sont celles énoncées dans le Préambule de la Constitution qui en fait partie intégrante. Elles peuvent être invoquées dans la protection des droits de l’homme.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture constitue le socle de toute société. Elle définit les valeurs sur la base desquelles repose la vie en société. En conséquence, la définition des droits de l’homme ne peut pas se faire en marge de la culture.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La liberté de culte est garantie par la Constitution. C’est un droit fondamental garanti et reconnu à toute personne.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

La recherche de la paix et de la cohésion sociale est un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme. Dans un État de droit, la prise en compte des droits de l’homme est déterminante dans la recherche de la paix et de la cohésion sociale.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

La liberté d’expression et le droit d’accès à une juridiction (double degré de juridiction) sont les plus consacrés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Non. Les droits et les libertés sont universels et intangibles.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Non.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

 

 

Cour constitutionnelle du Burundi

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui, la protection des droits de l’homme fait partie des compétences de la Cour constitutionnelle de la République du Burundi. En effet, à part le contrôle de la constitutionalité des lois et des actes réglementaires pris dans les matières autres que celles relevant du domaine de la loi qui constituent la mission principale de la Cour constitutionnelle du Burundi, elle assure également le respect la Charte des Droits fondamentaux. Il importe de signaler qu’au sens de l’article 19 de la Constitution, les droits et devoirs proclamés et garantis par les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme régulièrement ratifiés par le Burundi font partie intégrante de la Constitution.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Tenant compte de ce qui vient d’être développé dans la réponse n° 1, la compétence est à la fois implicite et explicite.

3. Existe-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

On ne peut pas parler de la garantie d’un État de droit et de la démocratie sans protection et promotion des droits de l’homme. Les États démocratiques qui se soucient réellement des principes qui gouvernent l’État de droit et la démocratie manifestent la grande volonté de prôner constamment la protection des droits et libertés des citoyens.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Un État de droit doit respecter les principes de la démocratie, de la bonne gouvernance et surtout, il doit garantir la protection des droits de l’homme. Sans cette protection, l’existence des valeurs « État de droit ou État démocratique » sont directement remise en cause.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Un État est dit démocratique lorsqu’il se soucie d’autres valeurs qui caractérisent un État de droit notamment  la  protection  des droits humains, la bonne Gouvernance etc. État de droit et démocratie se renforcent mutuellement et font partie des valeurs et des principes indissociables. L’on peut dire que l’un est corolaire de l’autre.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à  consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment si non pourquoi ?

La Cour constitutionnelle du Burundi est la juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité des lois et interprète la Constitution (art. 123 de la Constitution). Bien plus, selon l’article 234 de la  même  Constitution,  la  Cour est aussi compétente pour statuer sur la régularité des élections présidentielles, législatives et des référendums  et  en  proclame les résultats définitifs. Tenant compte de ce qui précède, l’on peut affirmer sans ambages que la Cour constitutionnelle du Burundi contribue incontestablement à la consolidation de l’État de droit et la démocratie.

7. La garantie de l’État de droit et la démocratie est- elle la finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Nous pouvons affirmer que la finalité de notre jurisprudence tend à garantir non seulement l’État de droit et la démocratie, mais aussi l’équilibre entre les organes ou institutions de l’État.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’entrave de la démocratie

Les décisions de la Cour constitutionnelle du Burundi sont une solution à la démocratie. Elles n’ont jamais constitué une entrave à cette dernière.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

En matière de contrôle de la constitutionalité des lois, en matière de contrôle de la régularité des élections, etc.

10. Le bilan de votre contribution à l’État de droit et la démocratie est-il positif ? Si non pourquoi ?

Le bilan de notre jurisprudence est largement positif en ce qui concerne la contribution à un État de droit et la démocratie.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Non. Le juge de la Cour constitutionnelle ne joue aucun rôle politique. La loi ne le lui permet pas. Ainsi, selon le prescrit de l’article 214 al. 2 de la Constitution, le juge constitutionnel comme d’autres juges des juridictions burundaises, dans l’exercice de ses fonctions, n’est soumis qu’à la Constitution et à la loi.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorise-t-elle une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. La Cour constitutionnelle du Burundi est saisie par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, par un quart des membres de l’Assemblée nationale ou un quart des membres du Sénat, ou par l’Ombudsman.

Signalons que toute personne physique ou morale intéressé ainsi que le Ministère public peuvent saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionalité des lois, soit directement par voie d’action soit indirectement par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire soumise à une autre juridiction (article 236 de la Constitution).

Un autre point qu’il faut préciser : en cas de saisine de la Cour constitutionnelle pour exception d’inconstitutionnalité, la juridiction qui avait été saisie de l’affaire sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans    un délai de trente jours. Ainsi, sur la base de ce qui précède, il    est évident qu’il n’y a pas de restrictions pour saisir la Cour constitutionnelle dans le but de faire respecter la même Constitution. Cela constitue une approche positive consacrée par la Constitution du Burundi et qui favorise une promotion de l’État de droit et de la démocratie. Bien plus, le fait que la Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur la régularité de chaque élection et en proclame les résultats définitifs, renforce la promotion de l’État de droit et la démocratie.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLE DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelle sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

La Constitution de la République du Burundi, la loi organique régissant la Cour constitutionnelle, le  Code  électoral  en  cas  de saisine pour statuer sur la régularité de l’élection et les Conventions internationales régulièrement ratifiées par le Burundi.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Il n’y a pas de jurisprudence qui établit une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme. En effet, la source des droits de l’homme est la Constitution qui, comme déjà précisé précédemment, garantit les droits et devoirs fondamentaux de l’individu et du citoyen à telle enseigne que les droits et libertés garantis par les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme régulièrement ratifiés par l’État du Burundi font partie intégrante de la Constitution de la République du Burundi.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les types de droits et libertés souvent évoqués devant la Cour constitutionnelle de la République du Burundi sont notamment : le droit de la défense garanti par l’article 39 de la Constitution et le contentieux en matière électorale.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Il n’existe pas de droits d’un type nouveau invocables devant la Cour constitutionnelle du Burundi. Sans base légale (la Constitution ou les lois en vigueur), nul droit ne peut être invoqué devant notre Cour, sinon, la Cour déclarerait pareille action irrecevable.

5. Établissez–vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Aucune jurisprudence de notre Cour n’établit de hiérarchie entre les droits de l’homme.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Une jurisprudence comme tel n’existe pas.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Les droits fondamentaux occupent une place de choix dans la Constitution burundaise, tout un titre (articles 19 à 74). Signalons également que les droits fondamentaux sont implicitement évoqués dans chaque affaire où la Cour est saisie pour un contrôle de la constitutionnalité ou de la régularité des élections etc.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Pas de différence. Les deux aspects, droits et libertés, sont garantis par la Constitution à son Titre II qui traite en général de la Charte des droits et des devoirs de l’individu et du citoyen.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

La Cour constitutionnelle peut invalider toutes dispositions jugées contraires à la Constitution. Il en est de même pour un projet de loi non conforme à la Constitution qui, dans ce cas, ne peut être promulgué.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Les pouvoirs sont les implications de nos décisions qui sont elles- mêmes prévues par la Constitution. En effet ; en vertu de l’article 32, lorsqu’une loi ou un acte réglementaire est déclaré contraire à la Constitution, elle ou il est abrogé.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

En vertu de l’article 19 de la Constitution, les droits et devoirs proclamés par les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme régulièrement ratifiés par l’État du Burundi font partie intégrante de la Constitution. Ainsi, une personne physique ou morale peut saisir la Cour constitutionnelle en cas de la violation de la Constitution.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Il importe de signaler qu’au Burundi, avant sa mise en application, un traité doit être d’abord ratifié. Notre Constitution donne une place importante aux instruments internationaux en rapport avec la protection des droits humains. En effet, l’article 19 de la Constitution déjà cité, le consacre en précisant que les droits   et devoirs proclamés et garantis par les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme régulièrement ratifiés par l’État du Burundi font partie intégrante de la Constitution.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière des droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions rendues par la Cour constitutionnelle du Burundi ont une grande portée : il s’agit des décisions qui prennent directement leurs effets étant donné qu’elles ne sont susceptibles d’aucun recours.

14. Quelles sont l’étendue et limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une pro- tection effective des droits et libertés des citoyens ?

L’étendue et les limites des pouvoirs de notre Cour en matière d’exécution de nos décisions sont précisées par la Constitution elle-même si on s’en tient aux compétences dévolues à la Cour (voir l’article 234 de la Constitution).

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction ; par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Comme déjà évoqué dans  les  réponses  antérieures,  lorsque  la Cour, dans son travail quotidien, procède à statuer sur la constitutionalité des lois ou assurer le respect de la Constitution ou statue sur la régularité des élections présidentielles, législatives et des référendums ; de façon indirecte ; il s’agit d’une sanction lorsque la Cour décide par exemple qu’un projet de loi n’est pas conforme à la Constitution, car dans ce cas, le projet de loi ne peut être promulgué.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre juridiction, une conception relative des droits de l’homme ?

Une jurisprudence comme telle n’existe pas, mais la théorie sur les droits de l’homme précise que les droits de l’homme sont inaliénables, ils sont inhérents à la personne humaine.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Nos valeurs sociétales sont en parfaite harmonie avec la notion de promotion des droits de l’homme. En effet l’entraide mutuelle, le respect de la dignité et de la vie humaine restent des valeurs qui caractérisent notre société.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Notre culture est aussi en parfaite harmonie avec les droits de l’homme. En effet, dans notre culture, il y a beaucoup d’interdits qui sont le reflet de la protection des droits de l’homme voire même de la protection de l’environnement. Exemple, il est strictement interdit dans notre culture de commettre un crime jusqu’à interdire de tuer un lézard, etc.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La liberté de la religion est garantie par la Constitution de la République du Burundi.  L’article  31  de  la  Constitution  le  clarifie  de cette manière : « La liberté d’expression est garantie. L’État respecte la liberté de religion, de pensée, de conscience et d’opinion ». La jouissance de cette liberté de religion est confortée par le principe de la laïcité de l’État et le respect de sa diversité religieuse consacrée par l’article 1 de la Constitution.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est- elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

On ne saurait parler de droits humains sans se soucier de la  paix et de la cohésion sociale. L’assertion que la recherche de   la cohésion sociale constitue un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme se répond par l’affirmative.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle de droit de l’homme ?

Oui. Les droits de l’homme sont inhérents à la personne humaine.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et liberté les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Le droit à la défense est le droit le plus consacré par notre jurisprudence.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Non.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une considération adaptée des droits des personnes ?

L’égalité devant la loi, la dignité humaine et l’accès à la justice.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés des citoyens ?

Non. Dans notre jurisprudence, aucune crise politique, économique ou sociale n’a eu une influence sur l’interprétation des droits et libertés.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont- elle eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

La crise sanitaire n’a eu aucune incidence sur nos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus, car nous travaillons comme d’accoutume.

 

Tribunal constitutionnel de Cabo Verde

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui. Aux termes de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, art. 35, la Cour suprême du Canada est la dernière instance d’appel de notre pays dans tous les domaines du droit au Canada, tranchant des questions de droit d’importance pour le public. La Cour exerce ainsi le contrôle ultime dans tous les domaines du droit, notamment le droit constitutionnel, le droit administratif, le droit criminel et le droit privé (ibid., art. 40). Ainsi, la Cour assure uniformité, cohérence et justesse dans la définition, l’évolution et l’interprétation des principes juridiques dans l’ensemble du système judiciaire canadien, incluant les droits de la personne. En ce qui concerne la compétence en matière constitutionnelle et des droits de la personne, il n’y a pas, au Canada, de Cour constitutionnelle au sens propre de l’expression. Le contrôle de la constitutionnalité est exercé par les tribunaux judiciaires, mais le tribunal suprême du pays exerce le contrôle ultime de la constitutionnalité.

Oui, dans la mesure où la Constitution de la République de Cabo Verde, aux termes de l’article 215, paragraphe 1, confère à la Cour constitutionnelle la compétence d’administrer la justice en matières juridico-constitutionnelles, notamment, en ce qui concerne :

a) Le contrôle de constitutionnalité et de légalité, aux termes de la Constitution ;
b) …
c) La compétence en matière d’élections et d’organisations de partis politiques, aux termes de la loi ;
d) Le recours constitutionnel en amparo.

La loi n° 56/VI/2005 du 28 février relative à la compétence, l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, le statut de ses juges et les procédures de sa juridiction (Loi sur la Cour constitutionnelle), a élargi les compétences prévues à l’article 215 de la Constitution.

Dans toutes les formes ou modes d’action de la Cour constitutionnelle, la finalité ultime est d’assurer la protection de la Constitution, soit dans une perspective objective, soit dans une dimension plus subjective qui relève de la catégorie des droits, libertés et garanties, dont le mécanisme le plus privilégié de tutelle est le recours en amparo ; et, aux termes de l’article 20 de la Constitution, « Il est reconnu à chacun le droit de demander à la Cour constitutionnelle, par voie de recours en amparo, la protection de ses droits, libertés et garanties fondamentaux, reconnus par la Constitution ».

La République de Cabo Verde est un État démocratique, qui consacre la dignité de la personne humaine et la souveraineté populaire et les droits de l’homme comme valeurs importantes du système juridique.

Dans un pays où la Constitution conçoit la dignité de la personne humaine comme une valeur absolue qui se superpose à l’État lui-même, il n’est pas surprenant de trouver un vaste catalogue de droits, libertés et garanties des citoyens, auquel on ajoute un nombre non négligeable de droits constitutionnellement intégrés à travers « les clauses ouvertes » prévues à l’article 17, paragraphe 1, et à l’article 29, paragraphe 2, de la Constitution, selon lequel « les lois ou conventions internationales pourront consacrer des droits, des libertés et des garanties non prévus par la Constitution ».

Afin de compléter le système de protection des droits fondamentaux consacré par la Constitution, il faut souligner l’heureuse option du législateur constitutionnel de prévoir, à l’article 17, paragraphe 3, que « Les normes constitutionnelles et légales relatives aux droits fondamentaux doivent être interprétées et intégrées en harmonie avec la Déclaration universelle des droits de l’homme ».

Mais la performance des systèmes constitutionnels n’est pas évaluée seulement par l’étendue des droits fondamentaux qui y sont prévus ; l’efficacité des mécanismes de garantie des positions subjectives et fondamentales doit aussi être considérée.

Si le catalogue des droits, libertés et garanties fondamentaux n’est pas associé à un système de tutelle efficace, les normes respectives ne seront que de déclamatoires proclamations sémantiques. La manière dont s’exerce la justice constitutionnelle est déterminante pour l’efficacité du système.

Au Cabo Verde, la protection des droits fondamentaux s’exerce, indirectement, à travers le contrôle de constitutionnalité dans ses différentes modalités et le contentieux électoral, sur la base du principe de constitutionnalité inscrit à l’article 3, paragraphe 3, de la Constitution, et, directement, à travers le recours en amparo et le recours en Habeas Data, prévus respectivement aux articles 20 et 46 de la Constitution.

Par conséquent, il va de soi qu’au Cabo Verde la Cour constitutionnelle est chargée d’assurer l’effectivité de la protection des droits fondamentaux/droits de l’homme.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est explicite parce que la Constitution, dans son article 215, paragraphe 1, attribue à la Cour constitutionnelle la compétence, spécifiquement, d’administrer la justice en matières juridico-constitutionnelles.

La protection des droits fondamentaux est, bien entendu, une question de nature juridico-constitutionnelle, dont l’effectivité est assurée, en dernier ressort, par la Cour constitutionnelle, indirectement, à travers le contrôle de constitutionnalité dans ses différentes modalités et le contentieux électoral, fondé sur le principe de constitutionnalité aux termes de l’article 3, paragraphe 3, de la Constitution, et, directement, par le recours en amparo et le recours en Habeas Data, prévus respectivement aux articles 20 et 46 de la Constitution.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

La Constitution de la République de Cabo Verde prévoit, en son article 1, paragraphe 1, que « Le Cabo Verde est une République souveraine, unitaire et démocratique, qui assure le respect de la dignité de la personne humaine et reconnaît l’inviolabilité et l’inaliénabilité des droits de l’homme comme fondement de toute la communauté humaine, de la paix et de la justice » et prévoit, dans la Partie II relative aux « Droits et devoirs fondamentaux », la plupart des droits de l’homme prévus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, et établit un véritable catalogue de droits, libertés et garanties fondamentales.

Par ailleurs, dans l’avant-dernier paragraphe du préambule de la Constitution de 1992, il est prévu que :
« Endossant pleinement le principe de souveraineté populaire, le texte de la Constitution consacre un État de droit démocratique avec un vaste catalogue de droits, libertés et garanties des citoyens, la conception de la dignité de la personne humaine comme valeur absolue et se superposant à l’État lui-même, un système de gouvernement d’équilibre des pouvoirs entre les différents organes de souveraineté, un pouvoir judiciaire fort et indépendant, un pouvoir local dont les titulaires des organes sont élus par les collectivités et tenus responsables devant celles-ci, une Administration publique au service des citoyens et conçue comme un instrument de défense de la Constitution caractéristique d’un régime démocratique pluraliste ».

Par conséquent, le rapport établi dans la Constitution est évident entre l’État de droit démocratique et les droits de l’homme, où la dignité de la personne humaine est placée au-dessus la République, laquelle n’existe qu’en fonction de cette même dignité humaine.

L’État de Cabo Verde est, aux termes de l’article 104 de la Constitution, un État de droit dont le pouvoir politique est légitimé par des élections libres, secrètes et périodiques.

Le Cabo Verde est un État qui assure le respect des libertés individuelles, des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques et sociaux à tous les individus ; autrement dit, il assure le respect des droits de l’homme par l’établissement de règles juridiques pour la protection du citoyen auxquelles les autorités politiques elles-mêmes se soumettent.

C’est pourquoi, l’article 2, paragraphe 1, de la Constitution, dispose que « La République de Cabo Verde est organisée en un État de droit démocratique fondé sur les principes de souveraineté populaire, de pluralisme d’expression et d’organisation politique démocratique et dans le respect des droits fondamentaux ».

L’article 3, paragraphe 2, de la Constitution, prévoit que : « l’État se subordonne à la Constitution et est fondé sur la légalité démocratique, doit respecter et faire respecter les lois ». En d’autres termes, un État régi par des normes juridiques et qui considère la Constitution comme sa valeur la plus haute, à laquelle il se soumet, et respecte les lois légitimement approuvées par le Parlement.

Bien qu’il semble exister une tension permanente entre les Droits de l’Homme (Droits fondamentaux) et l’État de droit démocratique, dans la mesure où les Droits de l’Homme confèrent aux individus, y compris les groupes minoritaires, des droits que la majorité démocratique est tenue de respecter, parce qu’aucune majorité démocratiquement élue ne peut exercer ses pouvoirs de manière arbitraire, il existe clairement une protection des droits de l’homme qui se matérialise à travers les normes relatives aux droits fondamentaux consacrées par la Constitution, normes juridiques qui doivent être respectées par toutes les entités publiques et privées telles que prévues à l’article 18 de la Constitution.

En outre, le principe de la séparation des pouvoirs consacré à l’article 119, paragraphe 2, de la Constitution garantit la séparation entre le pouvoir exécutif et les autres pouvoirs régaliens, étant également assurée l’indépendance des tribunaux (art. 211, paragraphe 1, de la Constitution). Ce qui signifie qu’en cas de violation de ces droits, libertés et garanties ou de tout intérêt des individus, le citoyen peut recourir aux tribunaux pour demander la protection des droits violés, surtout s’agissant des droits, libertés et garanties, pour lesquels un mécanisme spécial de protection a été consacré, qui est le recours en amparo (article 20 de la Constitution).

La Cour constitutionnelle a décidé, dans deux arrêts de 2017 et dans un arrêt de 2018, qu’en plus d’être une juridiction essentiellement de protection de la Constitution, elle est également une instance pour la protection de la démocratie et des droits fondamentaux (Arrêt n° 6/2017 du 21 avril, publié au Boletim oficial, série I, n° 27 du 16 mai 2017 ; Arrêt n° 7/2017 du 25 mai, publié au Boletim oficial, série I, n° 42 du 21 juillet 2017 ; et Arrêt n° 8/2018 du 25 avril, publié au Boletim oficial, série I, n° 25 du 2 mai 2018).

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

L’État de Cabo Verde respecte la hiérarchie des normes juridiques.

En tant qu’État de droit, le Cabo Verde est un État régi par des normes juridiques, où la souveraineté nationale s’exprime à travers l’Assemblée législative qui représente la volonté populaire.

Le pouvoir politique est exercé, aux termes de l’article 4 de la Constitution, par le peuple à travers le référendum, les élections et d’autres formes constitutionnellement établies.

Ainsi, le principe de la primauté du droit oblige le pouvoir politique à se soumettre au droit. Par ailleurs, la loi elle-même et les autres actes de l’État doivent être conformes à la Constitution, comme le prévoit l’article 3, paragraphe 3, de la Constitution.

En prévoyant dans la partie II, titre II, chapitre I, un ensemble de droits fondamentaux individuels, la Constitution assure non seulement les droits et libertés fondamentaux des individus, mais également des garanties de protection de ces droits et libertés fondamentaux.

Les droits, les libertés et les garanties ne sont pas conçus comme des droits absolus, de sorte que le régime admet des restrictions, pour autant qu’elles soient déterminées par des lois générales et abstraites, qui n’ont pas d’effets rétroactifs, ne réduisent pas l’extension et le contenu essentiel des normes constitutionnelles et qui se limitent à ce qui est nécessaire pour sauvegarder d’autres droits protégés par la Constitution (article 17, paragraphe 5, de la Constitution).

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Dans les affaires où la Cour s’est référée à l’État de droit démocratique prévu par la Constitution, elle l’a fait sur la base des normes constitutionnelle, à savoir l’article 1, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, de la Constitution, qui disposent que :

« Le Cabo Verde est une République souveraine, unitaire et démocratique, quiassurelerespectpourladignitédelapersonne humaine et reconnaît l’inviolabilité et l’inaliénabilité des droits de l’homme comme fondement de toute la communauté humaine, de la paix et de la justice » ; et « La République de Cabo Verde s’organise en État de droit démocratique fondé sur les principes de la souveraineté populaire, dans le pluralisme d’expression et d’organisation politique démocratique et respect des droits et libertés fondamentaux ».

Aux termes de la Constitution et des orientations jurisprudentielles de la Cour constitutionnelle, l’État de droit est fondé sur les principes de souveraineté populaire, de pluralisme d’expression et d’organisation politique démocratique et de reconnaissance et de respect de la dignité de la personne humaine, de respect des droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, d’indépendance des tribunaux, de primauté de la Constitution et des lois et de protection de la confiance (Arrêt n° 24/2016 du 20 octobre).

Ainsi, dans les affaires soumises à la Cour, celle-ci n’a établi aucune différence entre l’État de droit et la démocratie, même si elle a émis des orientations sur les principes ou, si l’on préfère, les caractéristiques de l’État de droit et du principe démocratique.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle ont été respectées par ses raisonnements et son équilibre, qui reposent essentiellement sur des principes et normes constitutionnels (Arrêt n° 7/2016 du 21 avril ; Arrêt n° 13/2016 du 7 juillet ; Arrêt n° 24/2016 du 20 octobre ; Arrêt n° 27/2017 du 14 décembre ; Arrêt n° 10/2020 du 20 mars ; Arrêt n° 8/2018 du 25 avril ; Arrêt n° 10/2018 du 3 mai ; Arrêt n° 29/2017 du 5 décembre).

En ce qui concerne le contentieux électoral, la Cour constitutionnelle a déjà émis, sous divers angles, des orientations jurisprudentielles sur le principe démocratique, le droit fondamental à la participation politique, l’interprétation restrictive des normes qui établissent l’inéligibilité ou d’autres conditions à la participation politique.

En plus de l’autorité qui est extraite du raisonnement, qui a été considéré comme exhaustif par la communauté juridique et au- delà, le fait que les décisions rendues par la Cour constitutionnelle, dans les matières relevant de sa compétence, prévalent sur celles de tout autre tribunal et sont obligatoires pour toutes les entités publiques et privées, conformément à l’article 6 de la Loi sur la Cour constitutionnelle, a contribué à la consolidation progressive de l’État de droit et de la démocratie.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

La finalité ultime de la Cour constitutionnelle est la protection de la Constitution en tant que loi fondamentale, sans perdre de vue qu’aux termes de la Constitution, la République de Cabo Verde s’organise en État de droit démocratique.

Ainsi, en assurant l’effectivité de la Constitution, directement ou indirectement, la Cour constitutionnelle garantit l’État de droit et la démocratie, non seulement lorsqu’elle intervient pour trancher des questions de constitutionnalité qui concernent des questions d’organisation et de fonctionnement de l’État, mais aussi lorsqu’il s’agit de statuer sur les contrôles a posteriori de la constitutionnalité dans lesquels la protection des droits, libertés et garanties individuelles se superpose à la dimension objective de la défense de la Constitution.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

En répondant à la question n° 6 relative à la contribution de notre jurisprudence à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie, il a été indiqué qu’elle a très vraisemblablement contribué à la consolidation progressive de l’État de droit et de la démocratie.

Toutefois, si des critères pouvant être considérés comme objectifs sont adoptés, tels que la motivation, la pondération des valeurs et les principes pouvant être utilisés comme paramètres ou critères de décision ou l’impact que chaque décision peut avoir sur la conformation de l’ordre constitutionnel et sur la protection des droits fondamentaux, la perception est que la qualité des décisions de la Cour constitutionnelle a été évaluée comme méritoire et ses décisions qualifiées de bien motivées.

L’une des raisons qui amène la Cour constitutionnelle à penser que ses orientations ont été favorablement considérées, y compris par la communauté politique, est le respect scrupuleux de ses décisions par tous les destinataires. Et cela se mesure par l’absence de contestation de ses décisions, du moins publiquement.

Ceci, malgré la forte teneur politique d’une partie importante des affaires qui sont soumises à la décision de la Cour constitutionnelle.

Dès lors, l’effort de la Cour pour obtenir tous les éléments possibles afin de décider avec impartialité, rigueur et indépendance ne peut être négligé. Dès lors, elle ne ménage pas d’effort pour accéder aux travaux préparatoires pour connaître le parcours, l’historique et les raisons qui ont conduit le législateur constitutionnel ou infra constitutionnel à adopter une certaine solution juridique.

Dans ses décisions, elle utilise des éléments littéraires, historiques, philosophiques endogènes et, chaque fois que cela se justifie, elle recourt à la doctrine et jurisprudence étrangères autorisées en la matière, pour motiver ses décisions.

La Cour a reconnu et respecté la marge de liberté du législateur, notamment dans le domaine où la protection des droits fondamentaux n’exige pas un contrôle plus exigeant de la part du pouvoir judiciaire. Par exemple, lorsqu’il s’agit de questions liées à la protection des droits, libertés et garanties individuels, le contrôle relatif à l’intérêt public, la nécessité d’une intervention restrictive, l’adéquation et la proportionnalité ont été plus strictes, tandis qu’en ce qui concerne les droits, les libertés et les garanties sociales et culturelles, le contrôle doit être plus laxiste.

Bref, les juges de la Cour constitutionnelle sont conscients que la Constitution leur confère des pouvoirs importants, mais ils ne revendiquent pas la propriété exclusive de l’interprétation et de l’application de la Loi fondamentale.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle contribue au renforcement de l’État de droit et de la démocratie lorsqu’elle garantit la protection des droits fondamentaux de tous les citoyens, par ses décisions rendues dans le cadre des recours en amparo et notamment des droits de procédure pénale, de présomption d’innocence, de procès équitable, du droit d’être jugé dans les plus brefs délais, le droit de recours, le droit général au développement de la personnalité, la protection des données, les droits et garanties de liberté sur le corps et la propriété et l’initiative économique, les droits professionnels dans le cadre de l’administration publique, qu’il s’agisse d’accès ou d’évolution de carrière.

En matière de droits politiques, il y a une vaste jurisprudence sur le droit de participer à la vie politique, à travers le contentieux électoral, dès la présentation des candidats jusqu’à la proclamation des résultats. Dans la plupart des cas, la Cour constitutionnelle intervient en tant qu’instance d’appel, à l’exception du processus électoral pour l’élection du président de la République dans lequel les candidatures sont présentées et évaluées directement à la Cour constitutionnelle, bien que la réalisation d’activités liées aux campagnes, le financement, l’observation des élections, soient de la compétence de la Commission nationale d’élections. Toutefois, les actes ou décisions de cet organe électoral peuvent faire l’objet de recours devant la Cour constitutionnelle.

Il convient de noter que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle a joué un rôle important dans le renforcement de l’État de droit et de la démocratie, notamment en matière de contentieux électoral, puisque la Cour constitutionnelle a, dans ce domaine, rendu des décisions en temps utile, équilibrées et gardé la distance nécessaire par rapport aux partis politiques, ce qui a contribué à l’acceptation pacifique des décisions de la Cour constitutionnelle (Cf. Arrêt n° 18/2016 du 8 août ; Arrêts n° 21 et 22/2016 du 16 septembre ; Arrêts n° 51 et 52/2020 du 17 décembre).

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan de la Cour constitutionnelle à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est positif.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Bien que ses décisions puissent avoir des conséquences sur l’exercice du pouvoir politique relatif au principe de la séparation des pouvoirs consacré à l’article 119, paragraphe 2 de la Constitution, le juge constitutionnel appartient au pouvoir judiciaire, qui est indépendant (cf. Article 211 de la Constitution), et n’intègre aucun organe souverain dont le pouvoir est fondamentalement politique.

Cependant, on ne peut nier que le juge constitutionnel a, en quelque sorte, un rôle politique, sans être un homme politique, puisqu’il intervient et décide sur des matières à forte teneur politique avec un impact direct sur la vie politique du pays. Par exemple, lorsque le juge constitutionnel déclare l’inconstitutionnalité des lois, les bannissant du système juridique, avec un caractère obligatoire et contraignant pour tous, y compris pour le législateur, il ne légifère pas, mais sa décision influence celui qui légifère.

Du point de vue des critères de décision, cependant, il ne peut être considéré comme ayant un rôle politique. Car sa fonction principale est de décider, de dire le droit. Lorsqu’on demande si le juge constitutionnel joue un rôle politique, on veut savoir si, dans l’exercice de ses fonctions, il est indépendant, impartial, non partisan.

Les juges de la Cour constitutionnelle jouissent, aux termes de la Constitution et de la Loi sur la Cour constitutionnelle, des garanties et sont soumis aux incompatibilités semblables aux autres juges, notamment en ce qui concerne la stabilité du mandat, qui ne peut cesser avant son terme, sauf en cas de décès ou d’incapacité physique ou psychique permanente ; renonciation ; acceptation de fonction ou pratique d’acte légalement incompatible avec l’exercice de ses fonctions ; licenciement d’office à la suite d’une procédure disciplinaire ou pénale.

Par conséquent, le juge constitutionnel ne joue pas un rôle politique, car ses critères de décision sont juridiques et non politiques.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Si l’on considère que la question est uniquement de savoir si l’accès à la Cour constitutionnelle est direct ou indirect, restreint ou étendu à un univers plus large de justiciables, la réponse doit être fondée sur les dispositions de la Constitution et de la Loi sur la Cour constitutionnelle, et de la loi n° 109/IV/94 du 24 octobre relative aux conditions d’accès à la Cour constitutionnelle.

Du point de vue de l’accès, c’est-à-dire du moyen par lequel on peut accéder à la Cour constitutionnelle, cela dépend de l’affaire que l’on entend soumettre à l’appréciation de la Cour constitutionnelle.

S’agissant du contrôle a priori de la constitutionnalité, le président de la République a la légitimité par rapport à toute norme contenue dans le traité ou l’accord international qui lui sera soumis pour la promulgation.

Le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, au moins quinze députés, le Premier ministre, le Procureur général de la République et le Médiateur ont la compétence pour demander le contrôle a posteriori de la constitutionalité à la Cour constitutionnelle.

Peut également demander le contrôle a posteriori/incident/ exception d’inconstitutionnalité quiconque a, dans le cadre d’un procès, la légitimité pour recourir de la décision qui a appliqué une norme considérée inconstitutionnelle ou a refusé son application en raison de son inconstitutionnalité.

Peut saisir la Cour constitutionnelle, à travers le recours en amparo, quiconque estime que ses droits, libertés et garanties ont été violés par tout pouvoir public, après avoir épuisé toutes voies de recours ordinaires.

En ce qui concerne les contentieux électoraux, à travers lesquels, en général, la protection des droits de participation politique est recherchée, la légitimité de saisine de la Cour constitutionnelle est ouverte aux partis politiques, aux candidats aux élections et à ses mandataires.

Ainsi, l’accès à la Cour constitutionnelle est ouvert à un ensemble assez large d’entités.

D’autre part, la gratuité de la plupart des recours devant la Cour constitutionnelle encourage la saisine de la Cour, ceci favorisant le renforcement de l’État de droit démocratique.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Dans ses arrêts sur la protection des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle a principalement cité des décisions des cours internationales, telles que la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, la Cour constitutionnelle d’Espagne, la Cour suprême des États- Unis d’Amérique et la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne (Voir Arrêt n° 8/2018 du 25 avril, publié au Boletim Oficial, Série I, n° 25 du 2 mai 2018 ; Arrêt n° 29/2017 du 5 décembre, publié au Boletim Oficial, Série I, n° 6 de février 2018, sur la dignité de la personne humaine et la présomption d’innocence de l’accusé).

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

De façon générale, sont considérées comme sources formelles des droits de l’homme : les constitutions, les coutumes, les conventions internationales, les lois et la jurisprudence.

La Constitution de la République de Cabo Verde établit une hiérarchie claire des sources du droit en stipulant à l’article 12, paragraphe 4, que « Les normes et principes du droit international général ou commun et du droit international conventionnel valablement approuvés ou ratifiés prévalent, après son entrée en vigueur dans l’ordre juridique international et interne, sur tous les actes législatifs et normatifs internes de valeur infra constitutionnelle ».

Le législateur constitutionnel place la Constitution au sommet de la hiérarchie de ces sources, et sont ensuite placés, par ordre décroissant, la coutume, les conventions internationales et les actes législatifs et normatifs internes de valeur infra- constitutionnelle.

La Cour constitutionnelle étant le principal garant de la Constitution, elle respecte évidemment la hiérarchie des sources établie par la Constitution, sous peine de violer le principe de constitutionnalité prévu à l’article 3, au paragraphe 3, de la Constitution.

Par conséquent, sa jurisprudence doit se conformer à la hiérarchie des sources des droits de l’homme.

[Question ajoutée par la Cour] : Quelle est la place du droit international dans la hiérarchie des sources du droit interne ?

L’article 12, paragraphe 4, de la Constitution définit la position hiérarchique de la norme internationale dans l’ordonnancement juridique capverdien, comme suit :
« Les normes et principes du droit international général ou commun et du droit international conventionnel valablement approuvés ou ratifiés prévalent, après son entrée en vigueur dans l’ordre juridique international et interne, sur tous les actes législatifs et normatifs internes de valeur infra constitutionnelle ».

Il résulte de la disposition supra citée que les normes internationales valablement approuvées ou ratifiées prévalent sur les normes internes de valeur infra-constitutionnelle.

Cela signifie qu’en règle générale, une norme incorporée dans l’ordonnancement juridique capverdien est protégée des dérogations par les normes ordinaires du droit capverdien, tout en ayant un effet de révocation sur celles-ci (Arrêt n° 30/2021 du 29 juin).

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Selon l’arrêt n° 29/2017 du 5 décembre (Ibidem), la plupart des recours en amparo dont la Cour constitutionnelle a été saisie ces dernières années était motivés sur des violations de ce qui a été convenu d’appeler des droits fondamentaux de procédure, c’est-à-dire, notamment, le droit ou la garantie à la présomption d’innocence, le droit de la défense, le droit du contradictoire, auxquels il faut ajouter le droit à la liberté sur le corps, le droit de propriété, le droit d’initiative économique et le droit de participation politique.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Certainesaffairesplusrécentesdontla Courconstitutionnelleaété saisie ont été motivées sur les droits dits de troisième génération, tel que le droit de l’environnement, [notamment dans le cadre du contrôle a posteriori de la constitutionalité de la norme de l’article 3 de la loi n° 17/VIII/ 2012 du 23 août (l’arrêt n° 01/2017 du 12 janvier, qui a déclaré la norme qui a établi la répartition de la taxe écologique entre l’État et les mairies inconstitutionnelle, pour violation des principes de décentralisation, d’autonomie financière des mairies et de juste répartition des ressources)].

Il y a également une demande de contrôle a posteriori de la constitutionalité des normes contenues dans l’Accord SOFA (Status of Forces Agreement) entre le Gouvernent de la République de Cabo Verde et le Gouvernement des États- Unis d’Amérique relatif au statut du personnel des États-Unis d’Amérique en République de Cabo Verde, pour violation présumée des normes constitutionnelles sur l’environnement, dont le demandeur est le Médiateur. La Cour n’a pas encore tranché cette demande.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Ni la Constitution ni la jurisprudence de la Cour constitutionnelle n’établissent de hiérarchie entre les droits de l’homme (Cf. Arrêt n° 29/2017 du 5 décembre).

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux sont inscrits dans la Constitution et bénéficient, aux termes de l’article 15 de la Constitution, d’une protection renforcée.

« 1. L’État reconnaît comme inviolables les droits et libertés consacrés dans la Constitution et garantit leur protection.
2. Toutes les autorités publiques ont le devoir de respecter et de garantirlelibreexercicedesdroitsetlibertésetl’accomplissement des obligations constitutionnelles ou légales. »

S’agissant de la protection des droits, libertés et garanties, la Constitution prévoit qu’à tous les individus est reconnu le droit de saisir la Cour constitutionnelle, par voie de recours en amparo, pour la protection de ses droits, libertés et garanties fondamentaux constitutionnellement reconnus et qu’à tous est reconnu le droit d’exiger, aux termes de la loi, la réparation des dommages causés par la violation de leurs droits, libertés et garanties (Article 20 de la Constitution).

Un pourcentage important des décisions de la Cour constitutionnelle porte sur la protection des droits, libertés et garanties, parce que le recours en amparo est le mécanisme de protection des droits fondamentaux le plus utilisé au Cabo Verde.

Il faut noter également qu’en matière de protection des droits, libertés et garanties fondamentaux, les juridictions ordinaires sont aussi compétentes (Cf. Arrêt n° 26/2020 du 9 juillet, publié au Boletim Oficial, série I, n° 139, du 23 décembre 2020, et les arrêts n° 49/2020 des 5 novembre et 51/2020 du 6 novembre, publiés au Boletim Oficial, Série I, n° 16, du 12 février 2020 ; Arrêt n° 23/2021 du 14 juin, publié auBoletim Oficial, Série I n° 62 du 21 juin 2021).

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Le régime spécial conféré aux droits fondamentaux découle, d’une part, du fait qu’aux termes de l’article 20, paragraphe 1, de la Constitution, le recours en amparo pour la protection des droits, libertés et garanties, a un caractère urgent et son instruction se caractérise par la célérité, et il n’est recevable que lorsque tous les moyens de recours ordinaires ont été épuisés : « 1. (…) : a) Le recours en amparo ne peut être interposé que contre les actes ou omissions des pouvoirs publics, portant atteinte aux droits, libertés et garanties fondamentaux, après avoir épuisé de toutes les voies de recours ordinaires ; b) Le recours en amparo peut être interposé par simple requête, et il s’agit d’une procédure urgente ».

D’autre part, aux termes de l’article 22, paragraphe 6, de la Constitution, le législateur a été chargé de mettre en place des procédures judiciaires rapides et prioritaires qui assurent une protection effective et en temps utile contre les menaces ou atteintes aux droits, libertés et garanties individuelles.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non.

Aussi bien les droits que les libertés fondamentales sont intégrés dans l’ensemble des droits, libertés et garanties, reconnus inviolables par la Constitution, dont elle garantit la protection, et dont la tutelle peut être requise à travers le recours en amparo.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Par l’intégration des droits fondamentaux dans la Constitution, en particulier les droits, libertés et garanties, en les déclarant inviolables et en garantissant leur protection, en tenant toujours compte du contenu de la loi en question, ainsi que du besoin de protection de son noyau essentiel, le législateur constitutionnel a établi un ensemble de garanties pour la protection de ces mêmes droits et libertés qui ne peuvent être restreintes par la loi qu’aux termes des dispositions de l’article 17 de la Constitution.

En matière de droits et libertés fondamentaux, l’État a le devoir de s’abstenir, un devoir de non-ingérence ou de non-intrusion qui empêche l’exercice de ces droits ou libertés subjectifs.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

À l’instar des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité d’autres lois, la déclaration d’inconstitutionnalité des lois qui violent les droits de l’homme a une force obligatoire générale et prend effet à compter de l’entrée en vigueur de la norme jugée inconstitutionnelle ou illégale et de la reprise des normes qu’elle a abrogées, aux termes de l’article 284 et de l’article 285 paragraphe 1 de la Constitution, mais, en cas d’inconstitutionnalité ou d’illégalité à une norme constitutionnelle ou légale postérieure, la déclaration ne prend effet qu’à compter de son entrée en vigueur (article 285, paragraphe 2).

La Cour constitutionnelle peut déclarer l’inconstitutionnalité des normes, les bannissant du système juridique parce ces normes sont nulles, avec caractère obligatoire et contraignant pour tous, y compris pour le législateur. Dès lors, la Cour constitutionnelle peut paralyser une initiative législative, déclarer la nullité des normes contenues dans les lois en vigueur, sans que le législateur puisse les rétablir.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Aux termes de l’article 6 de la Loi sur la Cour constitutionnelle, les décisions rendues par la Cour constitutionnelle, dans les matières de sa compétence, prévalent sur celles de toutes les autres juridictions et s’imposent à toutes les entités publiques et privées.

Les décisions de la Cour constitutionnelle ont été respectées et exécutées par les juridictions ordinaires.

Cependant, il convient de remarquer que, ces dernières années, la Cour constitutionnelle a œuvré dans le sens de la constitutionnalisation de certains droits et libertés, en particulier les droits, libertés et garanties fondamentaux, à travers le recours en amparo, et ceci de deux manières. D’abord, lorsque, dans le cadre dudit recours, le demandeur considère qu’une juridiction ordinaire a fait une interprétation d’une norme, qui porte atteinte à son droit ou à sa liberté, en violation de la Constitution, la Cour constitutionnelle est amenée à se prononcer sur la question de savoir si l’interprétation de la norme en question était ou non conforme à la Constitution. Si elle considère que l’interprétation de la juridiction ordinaire viole la Constitution, elle détermine quelle est l’interprétation conforme ou la plus conforme à la Constitution et déclare le recours en amparo fondé, sanctionne la violation de la Constitution et ordonne à la juridiction dont l’interprétation a été jugée non conforme de prendre des mesures pour réparer la violation de la norme constitutionnelle (Arrêt n° 28/2019 du 16 août, publié au Bulletin officiel, série I, n° 100, du 26 septembre 2019 ; Arrêt n° 50/2019 du 25 décembre, publié au Bulletin officiel, série I, n° 14, du 4 février 2020).

Ensuite, encore, dans le cadre d’un recours en amparo, si la Cour constitutionnelle estime qu’une norme a une forte probabilité d’être inconstitutionnelle, dans la mesure où il lui interdit d’apprécier l’inconstitutionnalité de cette norme dans le cadre de ce recours en amparo, elle peut, une fois avoir décidé sur le recours en amparo, envoyer, aux termes de l’article 25, n° 3, de la loi n° 109/IV/94 du 24 octobre, l’affaire au Procureur général de la République pour qu’il puisse, s’il le considère opportun, demander le contrôle a posteriori de la constitutionalité de la norme en question (Arrêt n° 10/2018 du 3 mai, publié au Boletim Oficial, série I, n° 35, du 6 juin 2018 ; Arrêt n° 30/2019 du 30 août, publié Boletim Oficial, série I, n° 110, du 29 octobre 2019).

En effet, il semble qu’avec la constitutionnalisation de certains droits et libertés fondamentaux, mais aussi avec la réaffirmation des grands principes du droit pénal, la Cour constitutionnelle entend rappeler que l’interprétation des normes relatives aux droits fondamentaux doit être faite à partir de dispositions constitutionnelles et non l’inverse.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Aux termes de l’article 12, paragraphe 4, de la Constitution, les traités valablement approuvés ou ratifiés prévalent, après leur entrée en vigueur dans l’ordre international et national, sur tous les actes législatifs et normatifs nationaux de valeur infra- constitutionnelle, c’est-à-dire qu’ils ont une valeur supra-légale et infra-constitutionnelle.

Il existe cependant des normes contenues dans certains traités ou conventions internationaux qui, aux termes de la Constitution, occupent une place particulière, à côté des normes constitutionnelles, telles que les normes du Statut de Rome, prévu à l’article 11, paragraphe 8, de la Constitution, selon lequel :

« L’État de Cabo Verde peut, en vue d’instaurer une justice internationale qui promeut le respect des droits de la personne humaine et des peuples, accepter la juridiction de la Cour pénale internationale, dans les conditions de complémentarité et d’autres termes établis dans le Statut de Rome » et les normes relatives aux droits, libertés et garanties qui peuvent être intégrées à travers les clauses dites « ouvertes » prévues à l’article 17, paragraphe 1, et à l’article 29, paragraphe 2, de la Constitution, à condition que les conditions d’intégration prévues par les préceptes constitutionnels définies par l’arrêt n° 7/2016 du 21 avril, soient réunis en ces termes : « Il y a quatre conditions aux dispositions prévues à la clause liminaire de l’article 17 (1) pour la réception de droits atypiques par le système capverdien de droits fondamentaux :

a) absence de disposition dans la Constitution ;
b) il doit s’agir de droit, liberté ou garantie ;
c) disposition dans un traité auquel le Cabo Verde est partie ou il doit s’agir d’une disposition légale ;
d) matérialité constitutionnelle ».

Les normes constitutionnelles et légales relatives aux droits fondamentaux doivent, aux termes de l’article 17, paragraphe 3, de la Constitution, être interprétées et intégrées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Sur la jurisprudence internationale en matière de droits de l’homme, l’article 210 de la Constitution prévoit que :
« 1. La justice est administrée, au nom du peuple, par les tribunaux et organes non juridictionnels pour la résolution des conflits, créés aux termes de la Constitution et de la loi, conformément aux normes de compétence et de procédure légalement établies.
2. La justice est également administrée par des tribunaux établis par des traités, conventions ou accords internationaux auxquels le Cabo Verde est partie, conformément aux normes de compétence et de procédure respectives. »

Il faut aussi remarquer que la force exécutoire des décisions de certaines instances internationales, en plus de ne pas souffrir de vices de constitutionnalité, dépend des conditions cumulatives suivantes :

Primo : ces décisions doivent être des décisions rendues par des organes judiciaires, c’est-à-dire des Cours au sens strict du terme ;

Secundo : ces Cours doivent être instituées par des traités, conventions ou accords internationaux auxquels le Cabo Verde est partie ; ces Cours doivent exercer une juridiction qui a été expressément consentie par cet État ;

Tertio : qui résultent de l’agissement en conformité aux règles de compétence et de procédure prévues dans le traité (Arrêt n° 30/2021, du 29 juin).

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Comme pour les autres décisions de la Cour constitutionnelle, les décisions de la Cour constitutionnelle en matière de droits et libertés prévalent, aux termes de l’article 6 de la Loi sur la Cour constitutionnelle, sur celles de toutes les autres juridictions et sont impératives pour toutes entités publiques et privées (Arrêt n° 27/2017, du 14 décembre).

Si, dans le cadre d’un contrôle a posteriori de la constitutionnalité, la Cour constitutionnelle déclare l’inconstitutionnalité ou l’illégalité de toute norme ou résolution ou le sens dans lequel la norme a été appliquée, le procès descend jusqu’à l’instance d’appel où il est obligatoire de réformer la décision conformément à l’arrêt sur la question de constitutionnalité ou d’illégalité, conformément à l’article 93 de la Loi sur la Cour constitutionnelle.

D’autre part, toute décision qui applique des normes ou des résolutions de contenu normatif ou individuel et matériel concret qui ont été précédemment jugées inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle, doit faire l’objet d’un recours obligatoire auprès du Parquet. Cela revient à dire qu’à travers le Parquet, qui est l’inspecteur de légalité, la Cour constitutionnelle contrôle l’exécution de ses décisions.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Pourvu que ces droits et libertés soient inscrits dans la Constitution, une fois portée devant la Cour constitutionnelle à travers le recours d’amparo, la décision rendue sur ces questions devient obligatoire pour toutes les entités publiques et privées.

La Cour constitutionnelle, dans le cadre du recours d’amparo, lorsqu’elle apprécie la requête, peut adopter les mesures suivantes :

a) reconnaître au demandeur la pleine titularité des droits, libertés et garanties violés et le droit de les exercer aux termes de la Constitution ;
b) déclarer l’acte contesté nul ou inexistant ;
c) ordonner, en cas d’omission, au défendeur d’adopter, dans le délai fixé par arrêt, les mesures appropriées pour préserver et rétablir l’exercice des droits, libertés et garanties par le requérant ;
d) déclarer le droit, la liberté ou la garantie fondamentale violés par la pratique de l’acte ou par suite de l’omission objet du recours ;
e) ordonner au défendeur de s’abstenir d’accomplir des actes qui pourraient porter atteinte, de quelque manière que ce soit, au plein exercice par le demandeur de ses droits, libertés ou garanties ;
f) indiquer spécifiquement l’organisme, l’agent ou le fonctionnaire qui doit accomplir ou s’abstenir d’accomplir les actes qui y sont visés.

Si, toutefois, ses ordres ou déterminations ne sont pas exécutés par ceux qui ont le devoir de les exécuter, elle pourra, à la demande du titulaire du droit violé et reconnu, adopter d’autres mesures. Ils pourront être condamnés pour crime de désobéissance, pour le non-respect injustifié d’une décision définitive.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Étant donné que les droits de l’homme font partie des droits, libertés et garanties consacrés par la Constitution, suite à un arrêt favorable, la Constitution reconnaît le droit d’exiger, en vertu de la loi, réparation des dommages causés par la violation de leurs droits, libertés et garanties (article 20, paragraphe 2).

En plus de ce qui précède, l’article 16 prévoit que :
« 1. L’État et les autres entités publiques sont civilement responsables des actes ou omissions de leurs agents commis dans l’exercice des fonctions publiques ou à cause d’elles, et qui, de quelque manière que ce soit, violent les droits, libertés et garanties avec préjudice pour le titulaire ou pour le tiers.
2. Les agents de l’État et des autres entités publiques sont, aux termes de la loi, pénalement et disciplinairement responsables des actes ou omissions qui entraînent une violation des droits, libertés et garanties. »

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non.

La conception adoptée par la Cour constitutionnelle en matière de droits de l’homme est une conception universaliste, dans la mesure où la dignité de la personne humaine reçue par la Constitution de la République est considérée comme un principe/ valeur juridique objectif(ve) dénué(e) de conceptions religieuses,philosophiques ou culturelles. Il s’agit d’une conception typique d’un État laïc, comme prévue à l’article 2, paragraphe 2, de la Constitution : « La République de Cabo Verde reconnaît et respecte la séparation entre les Églises et l’État ».

Ce qui importe d’un point de vue légal et constitutionnel, c’est la dignité de la personne humaine, c’est-à-dire de l’individu en tant que tel, indépendamment des contingences de la vie en société.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les valeurs sociales les plus importantes ont été inscrites dans la Constitution en tant que droits et devoirs économiques, sociaux et culturels, au chapitre III du titre II de la partie II.

La Constitution prévoit expressément le droit à la sécurité sociale, à la santé et au logement, mais la Cour constitutionnelle n’a pas encore été saisie de la violation d’un quelconque de ces droits.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

En termes généraux, on peut dire que la culture comprend tous les aspects de la condition humaine, qu’il s’agisse des modèles appris, acquis ou transmis par les individus dans la société. Ainsi, parmi les plus larges manifestations de la condition humaine, il y a les croyances, les idées, les attitudes, les valeurs, les normes, les coutumes, la morale, les connaissances, l’art, la conduite des individus en société, entre autres.

Or, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels auquel l’État de Cabo Verde est partie vise avant tout à protéger un ensemble de droits culturels, sans lesquels l’être humain ne peut développer sa personnalité.

Il ne fait aucun doute que la culture comme manière d’être et propre à chaque peuple a influencé la conception des droits de l’homme et toutes les conditions doivent être créées pour que chacun puisse avoir le droit à la jouissance et à la création culturelle, ainsi que le devoir de préserver, défendre et valoriser le patrimoine culturel (article 79 de la Constitution).

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La conception adoptée par la Cour constitutionnelle en matière de droits de l’homme est une conception universaliste et intrinsèque, dans la mesure où la dignité de la personne humaine reçue par la Constitution de la République est un principe/valeur juridique dénué(e) de conceptions religieuses, philosophiques ou culturelles. Il s’agit d’une conception typique d’un État laïc, comme prévue au paragraphe 2 de l’article 2 de la Constitution : « La République de Cabo Verde reconnaît et respecte la séparation entre les Églises et l’État ».

Ce qui importe d’un point de vue légal et constitutionnel, c’est la dignité de la personne humaine, c’est-à-dire de l’individu considéré en tant que tel, indépendamment des contingences de la vie en société.

Il est admis que certaines religions, comme le christianisme, considéré comme le précurseur de l’idée de la dignité de la personne humaine comme l’égalité, ont en quelque sorte contribué à l’élaboration de la conception des droits de l’homme que nous avons aujourd’hui.

Cependant, la définition des droits de l’homme proposée par la Cour constitutionnelle repose sur une idée neutre, intrinsèque, universelle, inclusive, et conforme à un État laïc et non confessionnel, tel que proclamé au paragraphe 2 de l’article 2 de la Constitution : « La République de Cabo Verde reconnaît et respecte la séparation entre les Églises et l’État (…) ».

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui.

Conformément à l’article 1(1) de la Constitution, « Le Cabo Verde (…) reconnaît l’inviolabilité et l’inaliénabilité des droits de l’homme comme fondement de toute la communauté, de la paix et de la justice ».

Et dans les relations internationales, l’État de Cabo Verde prône l’abolition de toutes les formes de domination, d’oppression et d’agression, le désarmement et la résolution pacifique des conflits, ainsi que la création d’un ordre international justecapable d’assurer la paix et l’amitié entre les peuples ; il fournit aux organisations internationales, à savoir les Nations Unies et l’Union africaine, la collaboration nécessaire pour la résolution pacifique des conflits et pour assurer la paix et la justice internationales, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et soutient tous les efforts de la communauté internationale pour veiller au respect des principes inscrits dans la Charte des Nations Unies.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle est une jurisprudence attachée au concept universel des droits de l’homme. En effet, cette exigence découle, d’une part, des dispositions de l’article 17, paragraphe 3, de la Constitution, selon lesquelles les normes constitutionnelles et juridiques en matière de droits fondamentaux doivent être interprétées et intégrées en harmonie avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et, d’autre part, en application des dispositions de l’article 25 de la Constitution, d’après lesquelles, à l’exception des droits politiques et droits et devoirs constitutionnellement ou légalement réservés aux nationaux, les étrangers et les nationaux résidant sur le territoire national jouissent des mêmes droits, libertés et garanties et soumis aux mêmes devoirs que les citoyens capverdiens (Arrêt n° 16/2018 du 28 juin, publié au Boletim Oficial, série I, n° 49, du 20 juillet 2018 ; Arrêt n° 15/2019 du 21 mars, publié au Boletim Oficial, série I, n° 46, du 24 avril 2019 ; Arrêt n° 36/2019 du 15 octobre, publié au Boletim Oficial, série I n° 110, du 29 octobre 2019 ; Arrêt n° 28/2020 du 24 juillet, publié au Boletim Oficial, série I, n° 139, du 23 décembre 2020 ; Arrêt n° 47/2020 du 29 octobre, publié au Boletim Oficial, série I, n.º 3, du 12 janvier 2021 ; Arrêt n° 57/2020 du 22 décembre, publié au Boletim Oficial, série I n° 16, du 12 février 2021 ; Arrêt n° 1/2021 du 12 janvier, publié au Boletim Oficial, série I n° 25, du 8 mars 2021).

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Comme il avait été répondu à la question n° 3, selonl’arrêtn° 29/2017 du 5 décembre (ibid.), la plupart des recours en amparo dont la Cour constitutionnelle a été saisie ces dernières années étaient motivés sur des violations de ce qu’il a été convenu d’appeler des droits fondamentaux de procédure, c’est-à-dire, notamment, le droit ou la garantie à la présomption d’innocence, le droit de la défense, le droit du contradictoire, la liberté sur le corps, le droit d’accès à la justice et d’observation, dans un délai raisonnable, ou dans le délai le plus court compatible avec les garanties de la défense, par une procédure régulière, la protection des droits ou intérêts légalement protégés, le droit à l’inviolabilité du domicile, de la correspondance et des télécommunications, le droit de propriété, l’initiative économique ou la participation politique.

En effet, les droits les plus fréquemment reconnus par la Cour constitutionnelle, à travers les décisions rendues en recours en amparo, sont les droits à la liberté sur le corps, en particulier, le droit de ne pas être maintenu en prison au-delà des délais légalement fixés, par la Constitution, le droit de la procédure pénale, et le droit à la défense.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Aux termes de la Constitution, l’appréciation du respect des droits et libertés doit toujours tenir compte du fait que les droits fondamentaux ne sont pas absolus, bien qu’ils doivent être interprétés et appliqués de la façon la plus large possible.

La Constitution admet expressément qu’il peut y avoir des restrictions aux droits, libertés et garanties, à condition que ces restrictions soient effectuées par des lois générales et abstraites, qui n’ont pas d’effets rétroactifs, qui ne réduisent pas l’étendue et le contenu essentiel des normes respectives qui les prévoient et qui se limitent à ce qui est nécessaire pour sauvegarder d’autres droits constitutionnellement protégés, aux termes du paragraphe 5 de l’article 17 de la Constitution.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Le droit au développement de la personnalité est un droit fondamental prévu à l’article 41 de la Constitution et, par conséquent, il bénéficie du régime des droits, libertés et garanties résumés à l’article 26 de la Constitution, à savoir la possibilité d’être protégé à travers le recours en amparo.

Aux termes du paragraphe 4 de l’article 1 de la Constitution, l’État doit créer les conditions indispensables à la levée de tous les obstacles pouvant entraver le plein épanouissement de la personne humaine et limiter l’égalité des personnes, et la participation effective de l’organisation de la vision politique, économique, sociale et culturelle.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Non.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non.

En raison de l’entrée en vigueur des lois approuvées pour lutter contre la pandémie de nouveau coronavirus, certains droits, libertés et garanties ont été limités, mais toujours dans le cadre constitutionnel, à savoir l’article 27 de la Constitution, qui autorise la suspension des droits, libertés et garanties en cas de déclaration de l’état de siège ou d’urgence, aux termes des dispositions prévues aux articles 271 et suivants de la Constitution.

Pendant la période d’état d’urgence, la Cour constitutionnelle fonctionnait et le Collège se réunissait régulièrement et délibérait par le système de visioconférence.

Malgré la validité temporaire de l’état d’urgence, les citoyens n’ont pas été privés de la protection de leurs droits, libertés et garanties prévus par la Cour constitutionnelle.

À ce jour, la Cour constitutionnelle n’a été saisie d’aucune procédure concernant une violation des droits, libertés et garanties survenue en raison de la déclaration de l’état d’urgence.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

 

 

 

Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

La protection des droits de l’homme fait partie de nos compétences, de sorte qu’elle est prévue dans la Constitution, la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel et d’autres textes juridiques relatifs aux compétences du Conseil constitutionnel.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est énoncée de façon à la fois explicite et implicite dans la Constitution et les textes relatifs aux compétences du Conseil constitutionnel à savoir :

— La compétence explicite :

    • Le Conseil constitutionnel est saisi par la Cour suprême sur la requête d’un citoyen qui soulève l’inconstitutionnalité d’une loi ou d’une décision de diverses institutions touchant aux droits et libertés fondamentaux des personnes (Article 19 de la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel)[1] ;
    • Le Conseil constitutionnel examine et statue sur le recours concernant l’inscription d’un parti politique se présentant aux élections et la liste de candidats, l’inscription électorale et la liste électorale, le vote et le résultat provisoire des élections, la plainte pour toute violation du chapitre X (Dispositions pénales de la loi sur les élections des députés) et la campagne électorale (articles 26.1 nouveau à 26.7 nouveau de la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil Constitutionnel)[2].

— La compétence implicite :

    • Le Conseil constitutionnel garantit le respect de la Constitution, interprète la Constitution et les lois, examine et statue sur des contentieux liés aux élections des députés et des sénateurs (article 136 nouveau de la Constitution, article 15 nouveau et article 25 nouveau de la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel).
    • Le Conseil constitutionnel exerce le contrôle a priori de la constitutionnalité des lois (article 140 nouveau et article 143 nouveau de la Constitution, article 16 nouveau et article 17 nouveau de la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil Constitutionnel).
    • Le Conseil constitutionnel exerce le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois (article 141 nouveau de la Constitution et article 18 nouveau de la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel) .

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Il existe un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie. Les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie sont interdépendants et indissociables et se renforcent mutuellement.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Les droits de l’homme sont la base des libertés, de la justice et de la paix, pourtant les droits de l’homme peuvent être garantis uniquement sous la condition de l’État de droit. Les droits de l’homme sont attachés à la démocratie, et la démocratie est solide grâce à la loi. Le Conseil constitutionnel établit le lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie à travers ses décisions ; c’est un exercice de sa compétence d’assurer le respect de la Constitution, d’interpréter la Constitution et les lois votées par l’Assemblée nationale et examinées par le Sénat, de se prononcer sur des contentieux liés aux élections législatives et sénatoriales. En effet, l’article 31 de la Constitution dispose que « Le Royaume du Cambodge reconnaît et respecte les droits de l’homme tels qu’ils sont inscrits dans la Charte des Nations Unies, dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et dans tous les traités et conventions relatifs aux droits de l’homme, de la femme et de l’enfant ». Et le chapitre III de la Constitution est consacré aux droits et devoirs des citoyens cambodgiens sur lesquels se fonde le Conseil constitutionnel pour prendre ses décisions.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

L’État de droit n’est pas tout à fait semblable à la démocratie, mais ils sont interdépendants et indissociables. L’État de droit est une notion de gouvernance en vertu de laquelle l’ensemble des individus, des institutions et des entités publiques et privées y compris l’État lui-même doivent observer la loi. Selon l’approche de sa compétence, le Conseil constitutionnel adhère strictement aux principes de l’État de droit en se conformant carrément à la Constitution et à la loi.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge a contribué au renforcement de l’État de droit et de la démocratie. Dans l’exercice de sa compétence visant à assurer le respect de la Constitution, à interpréter la Constitution et les lois votées par l’Assemblée nationale et examinées par le Sénat, le Conseil constitutionnel, par ses décisions, a contribué à la protection de la suprématie constitutionnelle, de la sécurité juridique, de l’indépendance du pouvoir judiciaire, de la séparation des pouvoirs, de l’égalité et à la protection des droits et libertés fondamentaux[3].

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

La garantie de l’État de droit et de la démocratie est une finalité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. L’indépendance du Conseil constitutionnel est un prérequis pour l’État de droit.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Le Conseil constitutionnel juge la qualité de ses décisions en fonction de leur conformité à la Constitution, et par le biais de laquelle, nous estimons qu’elles contribuent à l’ancrage de la démocratie dans la société cambodgienne.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel a contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie, car le Conseil constitutionnel examine des demandes tendant au contrôle de constitutionnalité des lois et à l’interprétation de la Constitution et des lois, reçoit des recours et se prononce sur des contentieux liés aux élections législatives et sénatoriales. Le Conseil constitutionnel a contribué à consolider l’État de droit et la démocratie dans tous les domaines.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan de la contribution du Conseil constitutionnel à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est positif.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le Conseil constitutionnel est une institution indépendante et impartiale en terme d’exercice de ses compétences.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Les conditions d’accès au Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge favorisent la promotion de l’État de droit et de la démocratie[4].

 

2.  LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les références les plus souvent invoquées dans nos décisions en matière de protection des droits de l’homme sont la Constitution, loi suprême du Royaume du Cambodge, et la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Selon sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère la Constitution comme source principale des droits de l’homme et comme loi suprême du pays. À part la Constitution, d’autres normes internationales sont également reconnues comme la source des droits de l’homme telles qu’elles ont été inscrites dans le texte de notre Constitution.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits et libertés les plus souvent évoqués devant le Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge sont les droits de vote.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Les droits d’un type nouveau, s’ils sont invocables devant le Conseil constitutionnel, assurément nous les examinerons s’ils sont jugés conformes à l’esprit de la Constitution, des lois nationales et des textes internationaux que le Cambodge a ratifiés.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Il n’y a pas d’établissement de hiérarchie entre les droits de l’homme. La mise en œuvre des droits de l’homme doit être garantie dans le cadre de la Constitution.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Voir réponse n° 5 (Sous-thème 2).

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Voir réponse n° 5 (Sous-thème 2).

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Les droits et les libertés ne sont pas exactement identiques, mais le Conseil constitutionnel garantit la protection des droits et des libertés dans le cadre de la Constitution et des lois en vigueur.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Pour protéger les droits et libertés des citoyens, le Conseil constitutionnel :

    • exerce le contrôle a priori de la constitutionnalité des lois avant leur promulgation afin de garantir le respect de la Constitution et des droits et libertés des citoyens ;
    • exerce le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois après leur promulgation afin de garantir le respect de la Constitution et des droits et libertés des citoyens ;
    • exerce le contrôle, à la demande de la Cour suprême, de la constitutionalité de toute disposition de loi ou de décision des institutions variées touchant aux droits et libertés fondamentaux ;
    • examine et statue sur les contentieux liés aux élections en vue de garantir les droits de vote[5].

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Pour toute loi ou disposition d’un article de loi dont le Conseil constitutionnel juge qu’elle viole les droits de l’homme, le Conseil constitutionnel a le pouvoir de la déclarer inconstitutionnelle afin qu’elle ne puisse être promulguée ou appliquée. En tout cas la décision du Conseil constitutionnel est sans recours[6].

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La Constitution du Royaume du Cambodge a inscrit clairement et d’une manière exhaustive les droits et libertés couvrant tous les domaines, sur la base desquels nos interprétations aux fins de constitutionnaliser certains droits et libertés ne s’avèrent pas difficiles.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Le Royaume du Cambodge reconnaît et respecte les droits de l’homme tels qu’ils sont inscrits dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et tous les traités et conventions relatifs aux droits de l’homme, de la femme et de l’enfant (article 31 de la Constitution). En conséquence, le Conseil constitutionnel accorde une place importante aux normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans son jugement pour rendre sa décision.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions du Conseil constitutionnel ont une incidence sur la jurisprudence des autres juridictions, car elles ont l’autorité sur tous les pouvoirs constitués.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

En terme de pouvoirs, les décisions du Conseil constitutionnel ont l’autorité sur tous les pouvoirs constitués. Toute disposition d’un article de loi déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel ne peut être promulguée ou appliquée. La décision du Conseil constitutionnel est définitive et sans recours. Quant aux limites des pouvoirs, on peut citer : Le Conseil constitutionnel du Cambodge n’a pas la faculté d’auto-saisine ; seules les lois organiques doivent être déférées obligatoirement au Conseil Constitutionnel, alors que pour les lois ordinaires, elles le sont facultativement. Quant aux sanctions prises par le Conseil constitutionnel pour punir un acte de non-respect de ses décisions, elles ne sont pas coercitives.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Les conséquences qui s’attachent à la sanction par le Conseil constitutionnel d’une violation des droits de l’homme sont la garantie de la protection des droits de l’homme[7].

 

3.  LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Avec la conception universelle, le Conseil constitutionnel considère la conception des droits de l’homme dans le cadre de l’harmonisation de la société cambodgienne sur la base de l’héritage des expériences de l’histoire et des bonnes mœurs et traditions de la nation.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Le Conseil constitutionnel tient compte des valeurs sociétales dans la prise de sa décision liée à la protection des droits de l’homme pour garantir le respect de la Constitution, l’application de la loi et la promotion de la démocratie sous les aspects réels de la société cambodgienne afin d’assurer la paix, l’unité nationale et le renforcement de l’État de droit.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

L’État a l’obligation de préserver et de développer la culture nationale (article 69 de la Constitution).

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

« Les citoyens khmers des deux sexes ont le plein droit à la croyance. La liberté de croyance et la pratique religieuse doivent être garanties par l’État […]. Le bouddhisme est la religion de l’État » (article 43 de la Constitution).

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

La recherche de la paix et de la cohésion sociale est un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme (voir la réponse 2 dans le sous-thème 3). Le Préambule de la Constitution du Royaume du Cambodge considère le renforcement de l’unité nationale comme une base de la paix et de l’unification nationale permettant la garantie des droits de l’homme.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est attachée à la conception universelle des droits de l’homme comme prévus par l’article 31, alinéa 1 de la Constitution.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de partager des pensées des droits de l’homme dans des conférences ou réunions, et en particulier, il a partagé ses expériences dans le cadre de l’Association des Cours Constitutionnelles Francophones (ACCF).

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Les droits et libertés les plus consacrés par notre jurisprudence sont les droits de vote.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

En général, les circonstances affectent dans une certaine mesure le contenu des droits et libertés, mais le Conseil constitutionnel fait de son mieux pour donner une place importante à la protection des droits et libertés des citoyens selon la teneur de la Constitution et d’autres normes juridiques y compris la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Voir réponse n° 1 (Sous-thème 3).

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Les crises politiques, économiques et sociales peuvent avoir une certaine influence sur notre interprétation, mais nous nous efforçons d’exercer nos compétences pour garantir les droits et libertés des citoyens.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus sont appropriées et indispensables pour assurer la sécurité et la vie des citoyens.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

En cas de crise sanitaire, le Conseil constitutionnel met en œuvre des mesures sanitaires sous réserve toutefois qu’elles n’affectent pas ses méthodes et techniques de protection des droits et libertés des personnes. De ce fait, le Conseil constitutionnel a appliqué un nouveau mode de travail comme la limitation du nombre de personnes présentes à l’audience publique, la tenue de réunions via la visioconférence…[8]


 

 

Conseil constitutionnel du Cameroun

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

La protection des droits de l’homme n’est pas étrangère au Conseil constitutionnel du Cameroun, elle fait effectivement partie de ses compétences.

D’abord au titre du contentieux électoral, en statuant sur des recours qui mettent en cause la régularité de l’élection, le Conseil constitutionnel fait respecter les libertés et droits qui s’exercent dans la sphère politique : la liberté de candidature et du suffrage, l’égalité entre les candidats et la sincérité du vote.

Mais c’est surtout dans le cadre du contrôle de la conformité des normes à la Constitution que la protection des libertés et droits fondamentaux trouve un terrain à sa mesure, à travers le contrôle des lois organiques et des lois ordinaires et le contrôle des traités. Il s’agit du contrôle dans lequel la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis vient équilibrer le contrôle du respect des conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est implicite en ce sens que le Cameroun affirme dans le Préambule de la Constitution, son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées. La Constitution précise que ce Préambule en fait partie intégrante.

Aussi, les missions assignées au Conseil constitutionnel découlent-elles de tous les instruments juridiques nationaux et internationaux en vigueur.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Au Cameroun, les droits de l’homme, droits fondamentaux, constituent le socle de l’État de droit et de la démocratie, car ils structurent l’ordre juridique de l’État.

L’État de droit implique que les gouvernants ne soient pas placés au-dessus des lois, mais exercent une fonction encadrée et régie par le droit. Il existe, à cet effet, un ordre juridique hiérarchisé et un ensemble de droits et de libertés. Par ailleurs, il est reconnu un ensemble de droits fondamentaux inscrits dans les instruments juridiques de valeur supérieure (constitutionnels ou internationaux).

Aussi, la liberté des décisions des organes de l’État est-elle à tous les niveaux encadrée par l’existence de normes juridiques dont la hiérarchisation est un moyen de protection des droits fondamentaux et dont le respect est garanti par l’intervention du juge.

Par ailleurs, les décisions du Conseil constitutionnel rétablissent   la primauté du droit, car elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Il existe bel et bien un lien entre ces trois concepts.

En effet, la démocratie consacre la légitimité du pouvoir politique au peuple auquel sont reconnus les droits de l’homme entendus comme des droits inaliénables de tous les êtres humains, sans distinction aucune, notamment de race, de sexe, de nationalité, d’origine ethnique, de langue, de religion ou toute autre situation.

Or, ce peuple a donné mandat aux représentants, aux dirigeants, aux gouvernants qui exercent leurs fonctions selon les balises définies par un ensemble de normes juridiques. Les règles qui découlent de ces normes juridiques garantissent la sécurité juridique qui apparaît comme une exigence fondamentale de  l’État de droit.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

En principe il n’existe pas une différence entre l’État de droit et la démocratie. Les deux concepts se complètent, car avec l’État de droit, les pouvoirs publics, les gouvernants exercent leurs fonctions suivant un ordre juridique hiérarchisé. Ces fonctions sont encadrées et régies par le droit. Tandis qu’avec la démocratie, la légitimité du pouvoir politique appartient au peuple et c’est ce peuple qui attribue le pouvoir de représentation aux dirigeants, aux gouvernants qui votent les lois et les mettent en application.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à  consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a effectivement contribué à consolider l’État de droit et la démocratie au Cameroun par la gestion du contentieux électoral et en ayant rendu les décisions sur la liberté de candidature, l’égalité entre les candidats et la sincérité du vote.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui, dans les matières qui relèvent de son domaine de compétence en matière de contrôle de constitutionnalité des lois et de contrôle de la sincérité des élections nationales.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Les décisions du Conseil constitutionnel sont toutes appréciées à leur juste valeur y compris en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

En matière de contentieux électoral pour le moment.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan de la contribution du Conseil constitutionnel à la promotion de l’État de droit et de la démocratie peut être qualifié de positif, car il assure la stabilité des institutions républicaines.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Non.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Les conditions d’accès au Conseil constitutionnel favorisent effectivement la promotion de l’État de droit et de la démocratie dans l’état actuel de son fonctionnement.

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les références nationales et internationales à la fois.

En effet, les droits et les libertés politiques jouissent au Cameroun d’une garantie constitutionnelle, car, non seulement ils ont un statut constitutionnel, mais en plus, il existe des procédures permettant de garantir leur exercice, y compris par les voies ouvertes par le contentieux administratif.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

La hiérarchie considérée est celle qui est consacrée de façon générale pour les normes.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits et libertés politiques.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Non.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

En principe non.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Officiellement, la juridiction est jeune.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Il n’en existe pas.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

La protection des droits et celle des libertés sont toutes subordonnées à la loi, même si le droit a un contenu délimité qui porte ou se rapporte à un objet précis et défini tandis que la liberté est d’essence universelle et est indéterminée.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Le Cameroun n’évoluant pas en marge, les techniques  originales ne sont pas mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens. Il existe un cadre juridique et un cadre institutionnel, avec entre autres le Conseil constitutionnel qui s’appuie sur les instruments juridiques en vigueur pour statuer sur la protection des droits et libertés des citoyens, dans le cadre de ses compétences.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Le Conseil constitutionnel du Cameroun est l’instance compétente en matière constitutionnelle. Il statue sur la constitutionnalité de toutes les lois, y compris les lois qui sont censées violer les droits de l’homme.

Aussi peut-il déclarer contraire à la Constitution soit la loi entière, soit une disposition de la loi qui en est inséparable ; dans ce cas, la loi mise en cause ne pourra être ni promulguée ni mise en application.

Il peut également déclarer contraires à la Constitution certaines dispositions de la loi qui sont séparables de l’ensemble de la loi. Dans ce cas, soit le président de la République promulgue la loi     à l’exception de ces dispositions, soit il demande une nouvelle lecture au Parlement.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La constitutionnalisation des droits et libertés relève de la Constitution et non du Conseil constitutionnel.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Ces normes sont intégrées dans l’ordonnancement juridique national et ont une valeur supra nationale. Elles constituent pour les lois nationales une source.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir d’exécution, car ses décisions doivent être mises en exécution par toutes les autorités concernées.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

La principale conséquence qui s’attache à une sanction prononcée par le Conseil constitutionnel d’une violation des droits de l’homme est l’annulation ab initio de la disposition en cause.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Le problème ne s’est pas encore posé.

2.Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Le problème ne s’est pas encore posé.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La diversité culturelle est un élément de fierté de la personnalité nationale. La culture bénéficie d’une protection constitutionnelle et entre dans la liste des droits garantis par la Constitution.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Le Cameroun est un État laïc. La Constitution garantit la neutralité et l’indépendance de l’État vis-à-vis de toutes les religions.

La liberté de religion étant constitutionnellement consacrée, la religion constitue l’un des droits fondamentaux de l’homme protégés par la Constitution.

En effet, le Préambule de la Constitution reconnaît à tout être humain des droits inaliénables, sans distinction, entre autres, de religion. Aussi, nul ne peut être inquiété en raison de ses opinions ou de ses croyances en matière religieuse.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui, mais compatible avec les cultures nationales.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Le droit de vote et d’être candidat à des élections.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Non, l’appréciation du respect des droits et libertés est basée sur les seuls instruments juridiques en vigueur.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

La culture nationale.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre des droits et libertés de citoyens ?

Non, l’interprétation se fait selon ce qui est prévu par la loi.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non, pas pour le  moment.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

En principe, non.

 

Cour suprême du Canada

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui. Aux termes de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, art. 35, la Cour suprême du Canada est la dernière instance d’appel de notre pays dans tous les domaines du droit au Canada, tranchant des questions de droit d’importance pour le public. La Cour exerce ainsi le contrôle ultime dans tous les domaines du droit, notamment le droit constitutionnel, le droit administratif, le droit criminel et le droit privé (ibid., art. 40). Ainsi, la Cour assure uniformité, cohérence et justesse dans la définition, l’évolution et l’interprétation des principes juridiques dans l’ensemble du système judiciaire canadien, incluant les droits de la personne. En ce qui concerne la compétence en matière constitutionnelle et des droits de la personne, il n’y a pas, au Canada, de Cour constitutionnelle au sens propre de l’expression. Le contrôle de la constitutionnalité est exercé par les tribunaux judiciaires, mais le tribunal suprême du pays exerce le contrôle ultime de la constitutionnalité.

Au plan constitutionnel, la Charte canadienne des droits et libertés, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (« la Charte ») protège les libertés et les droits fondamentaux essentiels afin que le Canada demeure une société libre et démocratique. Elle veille à ce que ni le Gouvernement ni l’un de ses mandataires ne retire ou limite ces droits ou libertés de façon déraisonnable. Elle constitue ainsi un puissant levier de protection des droits de la personne et possède le pouvoir d’influer sur notre société en interprétant les lois et la Constitution canadienne. La Charte permet aux Canadiens de contester toute mesure gouvernementale qui, selon eux, contrevient à leurs droits ou libertés. Les contestations les plus controversées et complexes sont résolues généralement au plus haut niveau, soit la Cour suprême du Canada. Les causes jugées en matière de droits de la personne dans le passé ont permis d’établir des précédents juridiques substantiels et ont entraîné des changements importants aux lois fédérales, provinciales et territoriales.

Le Canada dispose également d’autres instruments qui protègent les droits de la personne et qui relèvent des lois fédérales, provinciales et territoriales et de la common law, du droit civil et du droit international.

    • En 1960, le Gouvernement du Canada a adopté la Déclaration canadienne des droits, (S.C. 1960, ch. 44), la première loi fédérale portant sur les droits de la personne au pays. Elle garantit un grand nombre de libertés et de droits fondamentaux dans les champs de compétence fédéraux. Malgré l’entrée en vigueur de la Charte en 1982, la Déclaration canadienne des droits est toujours en vigueur et demeure pertinente dans la mesure où elle contient des dispositions qui ne se retrouvent pas dans la Charte (Singh M.E.I., [1985] 1 R.C.S. 177).
    • La Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), H-6), adoptée en 1977, interdit la discrimination dans le contexte de l’emploi, de la fourniture de biens, de services et d’installations ou d’hébergement habituellement à la disposition du public. Elle interdit les actes discriminatoires fondés sur divers motifs, notamment la race, l’origine nationale ou ethnique, le sexe et la déficience. Cette loi s’applique au Gouvernement du Canada, aux gouvernements des Premières Nations et aux entreprises privées réglementées par le Gouvernement fédéral, notamment les secteurs des banques, des transporteurs aériens, des télécommunications, de la radiodiffusion et du transport interprovincial.
    • Chaque province ou territoire applique également sa propre loi sur les droits de la personne à l’intérieur de ses limites territoriales. Ces lois s’appliquent également aux travaux et aux entreprises de nature ou de réglementation

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Explicite. Prière de voir la réponse à la question 1.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. Depuis 1982, la Charte constitue un volet essentiel de la démocratie au Canada et continuera de marquer son identité comme pays. La Charte énonce que le Canada est multiculturel, et qu’il faut toujours tenir compte de ce facteur en l’interprétant. Elle protège également les droits des peuples autochtones du Canada (Premières Nations, Inuit et Métis). En vertu de l’article 35 de la Constitution, distinct de la Charte, les droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones sont reconnus et confirmés.

De même, la Charte confirme, en termes explicites, les valeurs démocratiques qui se dégagent implicitement de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, désormais connue sous le nom de Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.U.). Elle reprend les valeurs de liberté et d’égalité reconnues par la législation et la jurisprudence canadiennes, et elle offre une protection constitutionnelle aux droits des Premières Nations du Canada. L’adoption de la Charte a suscité, et continue de susciter, de nouveaux débats jurisprudentiels sur le contenu des droits et libertés qui y sont protégés, notamment les libertés fondamentales d’expression et d’association (art. 2(b) et (d)), le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 7), les garanties contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives (art. 8), le droit d’être présumé innocent en matière criminelle (art. 11(d)) ainsi que les droits à l’égalité (art. 15).

Par ailleurs, l’art. 3 de la Charte prévoit que « [t]out citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales ». Cet article a pour but de protéger le droit de jouer un rôle important dans le processus électoral, soit un aspect de la démocratie (Frank c. Canada, [2019] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 26 et 27 ; Opitz c. Wrzesnewskyj, [2012] 3 R.C.S. 55, au paragraphe 28 ; Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, aux paragraphes 69 et 70 ; Figueroa c. Canada (P.g.), [2003] 1 R.C.S. 912, aux paragraphes 25, 26 et 30). La participation au processus électoral possède ainsi une valeur intrinsèque indépendamment du résultat des élections (voir, par exemple, Figueroa, précité, au paragraphe 29).

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Prière de voir la réponse à la question 3.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Oui. La primauté du droit exige que tout pouvoir officiel soit exercé conformément à la loi. La Constitution est la loi suprême du Canada. Elle a prépondérance sur les autres sources qui expriment le principe de l’État de droit. Ainsi, les principes et règles fondamentaux en matière constitutionnelle ne sont pas fixés dans un seul document faisant autorité. La Constitution comporte de nombreux documents, dont des lois adoptées par le Parlement de Westminster (la Loi constitutionnelle de 1867) et d’autres adoptées par le Parlement du Canada (la Loi constitutionnelle de 1982, dont la Charte fait partie). La Constitution comprend également des principes et règles non écrits et élaborés en jurisprudence, incluant le principe de la démocratie ainsi que la primauté du droit. La primauté du droit est aussi reconnue de manière explicite dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982, et de manière implicite dans celui de la Loi constitutionnelle de 1867 (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, p. 750). La Constitution étant suprême, toute loi et tout règlement, tant fédéraux que provinciaux, doivent s’y conformer. Une règle de droit qui est incompatible avec la Constitution sera déclarée inconstitutionnelle et donc inopérante (Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1)).

La Constitution canadienne renferme à la fois des dispositions explicites et des principes non écrits visant à protéger l’État de droit. Plusieurs principes relatifs à l’État de droit sont explicitement intégrés dans le texte formel de la Constitution. Il s’agit, à titre d’exemple, du partage des compétences législatives entre le Parlement fédéral et les législatures des provinces (Loi constitutionnelle de 1867, art. 91 et 92), du pouvoir de nomination des juges, du pouvoir de « créer, maintenir et organiser » la Cour suprême du Canada (ibid., art. 101) et des garanties prévues dans la Charte.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui. La Cour a reconnu que la primauté du droit constitue « un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle » (Roncarelli c. Duplessis, p. 142) qui se situe « à la base de notre système de gouvernement » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 70). Le principe de la primauté du droit jouit ainsi d’une force normative indéniable et peut limiter les actes du Gouvernement (Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 3 R.C.S. 3, 2002 CSC 57, par. 54), et plus spécifiquement les actes des pouvoirs exécutif et judiciaire (Colombie Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, 2005 CSC 49, par. 60). Toutefois, la question de savoir si le principe de la primauté du droit peut servir de principe général fondant un recours visant à invalider une loi en raison de son contenu demeure controversée (P. W. Hogg et C. F. Zwibel « The Rule of Law in the Supreme Court of Canada » (2005), 55 U.T.L.J. 715). Il n’en demeure pas moins que la primauté du droit est un principe général qui ne constitue ni « une invitation à banaliser ou à remplacer les termes écrits de la Constitution » ni un « instrument permettant à celui qui s’oppose à certaines mesures législatives de s’y soustraire » (Colombie Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, par. 67)).

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Prière de voir les réponses aux questions 5 et 6.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Non.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Le système juridique canadien est fondé sur la primauté de la Constitution. La Coursuprêmedu Canadan’apasd’arrêtfondateur comme, par exemple, Marbury c. Madison aux États-Unis (5 U.S. 137 (1803)), qui établit le principe du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des décisions prises par les organes de l’État. Malgré tout, la Cour demeure l’arbitre ultime des questions relatives à la légalité de toute action gouvernementale. Les fondements les plus fréquents de contrôle de légalité sont le partage des compétences législatives fédérales et provinciales, les droits fondamentaux protégés par la Charte et le contrôle judiciaire des actes administratifs.

Prière de voir aussi la réponse à la question 1.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Positif. Prière de voir les réponses aux questions 1, 5 et 6.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Non. La garantie d’indépendance judiciaire jouit d’une protection constitutionnelle au Canada (Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673), étant tributaire de trois « conditions essentielles » (ibid., par. 21), à savoir (i) l’inamovibilité, (ii) la sécurité financière, et (iii) l’indépendance institutionnelle. L’indépendance judiciaire présente des dimensions tant individuelles qu’institutionnelles. L’indépendance individuelle se manifeste, à titre d’exemple, par l’inamovibilité. L’indépendance institutionnelle ressort de rapports institutionnels ou administratifs du tribunal avec les pouvoirs exécutif et législatif du Gouvernement. En conséquence, un juge peut satisfaire aux critères essentiels à l’indépendance judiciaire individuelle, mais le tribunal où il siège ne constitue pas un tribunal indépendant s’il n’est pas indépendant des autres organes du Gouvernement dans ce qui est essentiel à sa fonction (ibid., par. 20). La Cour a également souligné la nécessité de maintenir l’indépendance judiciaire vis-à-vis des organes exécutif et législatif du Gouvernement (Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, 2003 CSC 35, par. 22).

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

La Cour peut être saisie d’une affaire de trois façons. Premièrement, comme c’est le cas dans la plupart des dossiers, une partie peut interjeter appel de la décision d’une cour d’instance inférieure, à condition d’y être autorisée au préalable par la Cour, c’est-à-dire, les appels sur demande d’autorisation. Deuxièmement, il y a des appels pour lesquels une autorisation n’est pas requise, soit les appels dits « de plein droit ». La plupart de ces appels relèvent du droit pénal et, à l’occasion, d’un appel d’un jugement concernant un avis prononcé par une cour d’appel sur une question qui lui a été déférée par un gouvernement provincial (désigné sous le vocable de « renvoi »). Troisièmement, la Cour donne son avis (de nouveau, désigné sous le vocable de « renvoi ») sur les questions que lui soumet le gouverneur en conseil (c’est-à-dire, plus concrètement, par la législature fédérale). L’importance des arrêts de la Cour pour la société canadienne est pleinement reconnue. La Cour assure uniformité, cohérence et justesse dans la définition, l’évolution et l’interprétation des principes juridiques dans l’ensemble du système judiciaire canadien.

    • En règle générale, il faut obtenir l’autorisation de la Cour suprême pour se pourvoir devant elle. L’autorisation est accordée par la Cour si, à titre d’exemple, l’affaire comporte une question d’importance pour le public ou une question importante de droit (ou une question mixte de droit et de fait) qui justifie l’intervention de la Cour. La décision de la Cour d’autoriser ou non un appel repose sur son appréciation de l’importance pour le public des questions de droit soulevées. La Cour décide donc de ce qu’elle entend et peut ainsi encadrer l’évolution de la jurisprudence
    • La Cour statue sur la plupart des demandes d’autorisation d’appel à partir des conclusions soumises par écrit par les La Cour examine en moyenne de 500 à 600 demandes d’autorisation d’appel chaque année. Elle ne motive généralement pas sa décision sur une demande d’autorisation d’appel.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les références nationales. Le droit international constitue une source secondaire en matière de protection des droits de la personne. Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour suprême, une loi interne est présumée conforme au droit international. Cela signifie qu’un organe législatif est présumé agir conformément aux obligations du Canada au niveau international, qu’il s’agisse de traités internationaux ou de principes du droit international coutumier. En règle générale, les tribunaux judiciaires sont tenus de privilégier une interprétation du droit interne qui est conforme à ces obligations et principes, et d’éviter une interprétation qui entrerait en conflit avec ces derniers (R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292, 2007 CSC 26, par. 53).

Au Canada, comme ailleurs, la question des situations de conflits ou de concurrence entre la Constitution et les normes internationales évoque la question plus fondamentale de la relation entre le droit interne et le droit international. À maintes reprises, la Cour suprême du Canada a été appelée à se prononcer à ce sujet, et ce, dans le cadre d’un vaste éventail de domaines du droit, notamment ceux de l’immigration et des droits de la personne, mais aussi ceux du droit du travail, du droit commercial et du droit criminel. Bien qu’il n’y ait eu aucune difficulté liée à la mise en œuvre de ces décisions jusqu’à ce jour, les questions de conflits ou de concurrence entre le droit international et le droit interne canadien se retrouvent souvent devant la Cour.

L’arrêt Baker demeure une référence en la matière du droit international en tant que « source pertinente et persuasive » au Canada, notamment en ce qui a trait aux droits de la personne (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). La question posée dans l’affaire Baker était alors la suivante : « Vu que la Loi sur l’immigration n’incorpore pas expressément le langage des obligations internationales du Canada en ce qui concerne la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, les autorités d’immigration fédérales doivent-elles considérer l’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un requérant sous le régime […] de la Loi sur l’immigration ? ». La majorité de la Cour suprême a répondu à cette question par l’affirmative, en soulignant que les valeurs exprimées par le droit international des droits de la personne peuvent être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois canadiennes (ibid., par. 70). Concrètement, cela signifie que toute décision prise sous l’égide de la Loi sur l’immigration à des fins humanitaires doit tenir compte des engagements pris par le Canada, en l’occurrence ceux découlant de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, même si cette Convention n’a pas été mise en vigueur par le Parlement. Toute décision contraire pourra être écartée au motif qu’elle est déraisonnable.

Dans l’affaire Suresh, la Cour a jugé que l’expulsion d’une personne vers son pays d’origine et dans lequel elle risquait la torture constituait une mesure contraire aux principes de justice fondamentale et donc contraire à l’article 7 de la Charte, lequel prévoit que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». La Cour a confirmé que l’interprétation des principes de justice fondamentale ne pouvait s’effectuer en vase clos, et que l’on doit tenir compte du contexte international dans lequel ces principes s’inscrivent, notamment les obligations internationales contractées par le Canada ainsi que les valeurs exprimées dans « [l]es diverses sources du droit international des droits de la personne — les déclarations, les pactes, les conventions, les décisions judiciaires et quasi judiciaires des tribunaux internationaux, et les règles coutumières » (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, par. 46, citant États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283, 2001 CSC 7, par. 79-81). Ce faisant, la Cour a expressément reconnu que le droit international peut servir à mieux cerner les principes sur lesquels repose la Constitution canadienne (ibid., par. 60).

Dans l’affaire Mugesera c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40, la Cour suprême s’est inspirée du droit international afin d’apporter des clarifications aux éléments constitutifs d’un crime contre l’humanité dans le Code criminel. La Cour a fait appel à la jurisprudence internationale établie par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Bien qu’elle ne soit pas en principe liée par ces décisions internationales, la Cour fut d’avis que « les cours de justice canadiennes appliquant des dispositions de droit interne, tels les [dispositions] du Code criminel [relatives aux crimes contre l’humanité], qui incorporent expressément le droit international coutumier, ne devraient pas les écarter à la légère » (ibid., par. 126). La Cour a effectivement adopté cette jurisprudence, lui permettant d’éclairer le droit canadien en la matière.

Dans l’arrêt Kazemi, une action civile avait été intentée au Québec contre l’Iran, le chef d’État de l’Iran et deux agents de l’État pour la torture alléguée et le décès d’une citoyenne canadienne (Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176). Il s’agissait de savoir si la Loi sur l’immunité des États faisait obstacle à l’action. L’appelant soutenait que le droit international exigeait que l’on reconnaisse une exception à l’immunité des États dans les cas de torture. La Cour a jugé que le libellé de cette loi canadienne écartait le droit international comme source de nouvelles exceptions, y compris en cas de torture (ibid., par. 58). Elle a ajouté qu’en cas d’ambiguïté, il aurait été loisible à la Cour de faire appel au droit international pour « préciser le sens » des dispositions législatives (ibid., para. 63). Elle a aussi conclu qu’il n’existait pas de conflit entre le droit canadien en matière d’immunité et la norme internationale impérative qu’est devenue la prohibition contre la torture. Enfin, la Cour a noté que si le Gouvernement canadien se livrait à des actes de torture, une telle conduite violerait les règles et principes de droit international applicables au Canada, serait contraire au Code criminel et violerait la Constitution.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Oui. Prière de voir plus généralement la réponse à la question 1, sous-thème 1.

À l’occasion, les tribunaux canadiens se réfèrent aussi à des textes constitutionnels en provenance d’autres pays démocratiques ainsi qu’à la jurisprudence s’y rapportant. La jurisprudence des pays de common law (par exemple, le Royaume-Uni, les États- Unis et l’Inde), de droit civil (par exemple, la France) et celle des pays qui possèdent dans leur constitution une charte des droits et libertés (par exemple, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud) est particulièrement pertinente.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Non. La Charte n’établit pas de hiérarchie de droits. « Il faut se garder d’adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d’autres droits, tant dans l’interprétation de la Charte que dans l’élaboration de la common law. Lorsque deux droits sont en conflit […] les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits » (Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, page 877 ; voir aussi : R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668 ; et Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238).

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Lors de son adoption en 1982, l’article 1 de la Charte représentait une innovation en matière de droits de la personne, dans la mesure où il établissait un cadre général permettant de justifier les limites des droits et libertés garantis par la Charte.

Depuis lors, l’article premier établit un équilibre entre les droits de l’individu et les intérêts de la société en autorisant l’imposition de certaines limites aux droits et libertés garantis par la Charte.

« La plupart des constitutions modernes reconnaissent que les droits ne sont pas absolus et peuvent être restreints si cela est nécessaire pour atteindre un objectif important et si la restriction apportée est proportionnée ou bien adaptée » (Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, par. 36).

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Le droit international ayant force au Canada, y compris les instruments internationaux auxquels le Canada est partie, il peut servir à interpréter la portée des droits garantis par la Charte (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 46, 59 à 75 ; Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 3 R.C.S. 157 ; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, [2015] 1 R.C.S. 245). Une attention particulière est souvent portée aux textes des Nations Unies et à ceux de l’Organisation des États américains qui sont pertinents. Lorsqu’il est question d’analyser les droits protégés par la Charte, la Cour suprême du Canada examine aussi les principes et les méthodes d’analyse utilisés en droit international. Ainsi, il est possible de se référer aux documents relatifs aux systèmes régionaux ainsi qu’aux textes internationaux, soit, à titre d’exemple, ceux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3 ; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712 ; États-Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469).

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

La Cour suprême du Canada et les jugements qu’elle rend sont très respectés par les autres organes de l’État. Ceci est le cas même lorsque la Cour fournit des « opinions » au terme d’une procédure de renvoi. En général, les parties ne rencontrent pas de difficultés dans l’exécution des décisions de la Cour. En matière constitutionnelle, il arrive parfois que le Gouvernement, d’un point de vue pratique, ne puisse prendre de mesures législatives en réponse à une déclaration d’invalidité constitutionnelle. En pareil cas, la Cour peut suspendre la déclaration d’invalidité afin d’éviter que ne soit créé un vide législatif. L’affaire Carter en est un exemple (Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331).

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

La Charte renferme trois dispositions qui régissent l’octroi de réparations lorsqu’un tribunal invalide une disposition législative. Le paragraphe 24(1) prévoit des réparations advenant un acte inconstitutionnel du Gouvernement ; le paragraphe 24(2) prévoit l’exclusion d’éléments de preuve obtenus en violation des droits garantis par la Charte, et le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que toute loi incompatible avec la Constitution est inopérante.

Aux termes de l’art. 24 de la Charte, toute personne dont les droits ont été violés peut s’adresser à un « tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». Dans certaines limites juridictionnelles, l’exercice du pouvoir de réparation du tribunal est discrétionnaire.

Lorsque survient une violation de la Charte en raison d’un acte gouvernemental ou d’une décision, on peut invoquer le paragraphe 24(1) afin d’obtenir une mesure de réparation (R. 974649 Ontario Inc., [2001] 3 R.C.S. 575, paragraphe 14). Par contre, lorsque cette violation découle d’une loi, et non pas d’une mesure discrétionnaire, le pouvoir de redressement pertinent se trouve au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Autrement dit, dans la mesure où le paragraphe 52(1) n’est pas en jeu étant donné que la loi ou la disposition législative pertinente n’est pas en elle-même inconstitutionnelle, il est possible d’invoquer le paragraphe 24(1) de la Charte en vue d’obtenir une mesure réparatrice individuelle au profit d’une personne dont les droits ont été violés par un acte gouvernemental (Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux pages 719 et 720 ; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, [2011] 3 R.C.S. 134, au paragraphe 144).

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

« Aucun droit […] n’est absolu » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 ; voir aussi : P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, page 182 ; B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, paragraphe 226 ; Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S 772, paragraphe 29). Il en est ainsi parce que nous vivons dans une société où chacun doit toujours tenir compte des droits d’autrui. Pour reprendre les propos de John Stuart Mill, cités par la Cour dans Amselem : [TRADUCTION] « La seule liberté digne de ce nom est de travailler à notre propre avancement à notre gré, aussi longtemps que nous ne cherchons pas à priver les autres du leur ou à entraver leurs efforts pour l’obtenir » : On Liberty and Considerations on Representative Government (1946), page 11. Dans la réalité, il arrive souvent que les droits fondamentaux d’une personne entrent en conflit ou en opposition avec ceux d’autrui » (Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, paragraphe 61). Il importe de mentionner que la possibilité d’un conflit entre des droits garantis par la Charte n’emporte pas nécessairement l’inconstitutionnalité. Lorsqu’il y a un conflit entre plusieurs droits, il faut traiter le problème dans le contexte factuel de conflits réels. Il faut premièrement se demander si les droits prétendument en conflit sont conciliables (R. c. N.S., [2012] 3 R.C.S. 726, aux paragraphes 30 à 32). Lorsque les droits en cause sont inconciliables, il y a véritablement conflit. Dans de tels cas, la Cour conclura à l’existence d’une limite au droit qui est à l’origine de la difficulté et soupèsera les intérêts en cause au regard de l’article premier de la Charte (Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, paragraphes 73 à 74). Si un conflit inadmissible surgit, la disposition en cause ne pourrait, par définition, se justifier au sens de l’article premier de la Charte et le conflit cesserait d’exister. Dans les deux cas, la Cour fonde son analyse sur le principe que la Charte ne crée pas une hiérarchie de droits et que les droits de la Charte doivent être interprétés largement (commentaire provenant du Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, paragraphes 50 à 53).

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

L’article 27 de la Charte prévoit que « [t]oute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». Dans la jurisprudence, l’objet de l’article 27 n’est pas commenté d’une façon détaillée allant au-delà de ce qu’on peut en déduire en lisant le texte de cette disposition, c’est-à-dire que les droits et libertés garantis par la Charte doivent s’interpréter de manière à promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Ainsi, la jurisprudence nous enseigne que l’article 27 ne confère pas de droits substantiels susceptibles d’être limités, mais qu’il vise à faciliter l’interprétation des droits et libertés garantis par la Charte (Roach c. Canada (Ministre d’État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté), [1994] 2 C.F. 406 (C.A.F.)).

L’article 27 est un facteur dont les tribunaux ont tenu compte dans un certain nombre de litiges pour interpréter les droits et les libertés garantis par la Charte. Il a été utilisé pour définir de manière large le contenu de la liberté de conscience et de religion garantie à l’alinéa 2a), de façon à y inclure la coercition indirecte (R. c. Edwards Books and Art Ltd. et al, [1986] 2 R.C.S. 713), et pour appuyer une approche non confessionnelle de la gouvernance (R. c. Big M Drug Mart Ltd. [1985] 1 R.C.S. 295; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263). La Cour suprême a par ailleurs fait référence aux valeurs du multiculturalisme consacrées par l’article 27 comme étant liées au devoir de neutralité religieuse de l’État (Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 R.C.S. 3). L’article 27 a également été cité en tant qu’élément à prendre en considération afin de déterminer les circonstances dans lesquelles une femme peut être autorisée à porter un niqab pendant son témoignage dans le cadre d’une procédure criminelle (R. c. N.S., 2010 ONCA 670, confirmé par [2012] 3 R.C.S. 726, bien que cette question n’ait pas été évoquée par les juges majoritaires de la Cour suprême ; le juge Lebel en a toutefois fait mention dans ses motifs concordants quant au résultat). Cet article a également été utilisé pour définir le droit à un interprète prévu à l’article 14, de telle sorte qu’il comprenne les services dans une langue autre que l’anglais et le français (R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951).

Le recours à l’article 27 pour interpréter la portée de la liberté d’expression conférée par l’alinéa 2b) de la Charte a été rejeté ; toutefois, cet article a été employé pour examiner les limites de l’article premier pouvant être imposées à cette liberté conférée par la Charte (R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 ; voir également Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892 et American Freedom Defence Initiative c. Edmonton (City), 2016 ABQB 555 ; à comparer toutefois avec l’arrêt R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, où, en parvenant à la conclusion que l’atteinte à l’alinéa 2b) n’était pas justifiée en vertu de l’article premier de la Charte, la majorité des juges s’est révélée en désaccord avec la nature particulière de la déférence accordée à l’article 27 par les juges dissidents).

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

L’alinéa 2a) de la Charte a pour objet d’interdire toute ingérence dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un être supérieur ou différent (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la page 759 ; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la page 346 ; Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, au paragraphe 41 ; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 R.C.S. 567, au paragraphe 32).

La liberté de religion a été définie comme étant « le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation » (Big M, précité, à la page 336 ; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau- Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825 ; Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, au paragraphe 57 ; Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256, au paragraphe 32 ; Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607, au paragraphe 71 ; Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), [2017] 2 R.C.S. 386, au paragraphe 63). Le terme « religion » n’a pas été défini expressément, mais la Cour suprême a signalé que les croyances ou pratiques de source séculière n’étaient pas protégées par la garantie relative à la liberté de religion, précisant qu’une religion s’entendait typiquement d’un système particulier et complet de dogmes et de pratiques, qu’elle comportait généralement une croyance dans l’existence d’une puissance divine, surhumaine ou dominante, et des croyances ou convictions personnelles qui favorisent la communication avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle (Amselem, précité, au paragraphe 39). En revanche, soulignons que la Cour a déclaré que les droits des athées, des agnostiques, des sceptiques et des indifférents étaient eux aussi garantis par l’alinéa 2a) (Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 R.C.S. 3 au paragraphe 70).

La Cour suprême a aussi déclaré, à maintes reprises, que la portée de la liberté de religion peut être restreinte lorsqu’elle porte atteinte aux droits fondamentaux d’autrui (Ross, précité, au paragraphe 72 ; Big M, précité, à la page 337 ; Amselem, précité, au paragraphe 62). Lorsque les droits de deux individus sont en conflit, il y a lieu de régler ce conflit en délimitant correctement les droits et valeurs en cause (Université Trinity Western, précité, aux paragraphes 29 à 31 ; Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, précité, aux paragraphes 50 et 52).

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui. Les valeurs et les principes qui guident les tribunaux dans l’application de l’article premier de la Charte comprennent le respect de la dignité inhérente de l’être humain, l’engagement à l’égard de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect des identités culturelles et collectives et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, page 136).

Prière de voir plus généralement la réponse à la question 9, sous- thème 2.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Prière de voir la réponse à la question 1 ci-dessus.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Prière de voir la réponse à la question 1, sous-thème 1.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Selon l’analyse contextuelle, une doctrine d’interprétation importante, la question de la Charte doit s’inscrire dans le contexte social, politique et juridique réel dans lequel elle se pose (à titre d’exemple, les affaires relatives à des dispositions réglementaires par opposition à celles concernant le domaine pénal, ou encore la question des citoyens et des non-citoyens (Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326 ; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425 ; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154 ; Canada (M.E.I.) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711 ; R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154 ; May c. Établissement Ferndale, [2005] 3 S.C.R. 809)). L’analyse contextuelle se fonde parfois sur les principes et les politiques dont s’inspire la loi ou le domaine du droit en question (à titre d’exemple, l’extradition (Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779 ; l’immigration : Chiarelli, précité) ; les fouilles aux douanes (R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312) ; la sécurité routière (R. c. Orbanski ; R. c. Elias, [2005] 2 R.C.S. 3)). Lorsque des garanties juridiques sont en jeu, l’analyse contextuelle propose une interprétation souple de la Charte quand l’État ne fait pas peser sur l’individu un risque d’emprisonnement (R. c. Pontes, [1995] 3 R.C.S. 44 ; Michaud c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 3 ; R. c. Richard, [1996] 3 R.C.S. 525 ; R. c. Jarvis, [2002] 3  R.C.S. 757, aux paragraphes 60 à 65).

L’approche contextuelle est aussi pertinente pour la détermination d’un juste équilibre entre les droits individuels et les intérêts sociaux (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199) que cet exercice s’opère dans le cadre de la disposition elle-même (R. c. Jordan, [2016] 1 R.C.S. 631, aux paragraphes 19 à 28 ; R. c. Saeed, [2016] 1 R.C.S. 518, aux paragraphes 4 et 5) ou de l’article premier (Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232). L’approche contextuelle peut également être utilisée afin de déterminer la réparation appropriée à accorder (Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679 ; R. c. Grant, [2009] 2 R.C.S. 353 ; Ernst c. Alberta Energy Regulator, [2017] 1 R.C.S. 3). Les facteurs contextuels ou « l’ensemble des faits législatifs et sociaux », peuvent amener la Cour suprême à s’éloigner de ses propres précédents (États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283 ; R. c. Bedford, [2013] 3 R.C.S. 1101). Dans certains cas, la preuve relevant des sciences sociales ou les faits sociaux ou législatifs sera déterminante (R. c. Bedford, [2013] 3 R.C.S. 1101).

En conséquence, l’analyse de la Charte repose avant tout sur les faits. « Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas […] une simple formalité ; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte » (MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357 à la page 361).

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Prière de voir la réponse précédente.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Oui. Prière de voir la réponse à la question 9 ci-dessus (sous- thème 3).

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Aucune loi de ce type n’a encore fait l’objet d’un recours devant la Cour suprême.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non. La crise sanitaire n’a pas eu de conséquences sur nos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus. Toutefois, les tribunaux de toutes les régions du Canada ont dû suspendre ou réduire leurs activités afin de respecter la distanciation physique et les autres exigences en matière de santé et de sécurité. De nombreux tribunaux ont entendu seulement des affaires urgentes en tenant des audiences à distance, pendant qu’ils établissaient des plans en vue de traiter les autres affaires. La Cour suprême du Canada a reporté certaines audiences qui devaient avoir lieu au printemps 2020 afin de réaménager la salle d’audience de façon à respecter les prescriptions des autorités sanitaires locales.

Malgré cette urgence sanitaire sans précédent, les juges et le personnel de la Cour suprême ont pris soin d’appliquer de nouveaux processus, protocoles et moyens technologiques pour entendre les appels et faire en sorte que justice continue d’être rendue. Les juges ont continué de rendre jugement sur les appels et sur les demandes d’autorisation d’appel. Les affaires ont continué de suivre leur cours grâce aux dossiers d’instance électroniques. Bien que la Cour ait depuis longtemps la capacité de recourir exceptionnellement à la vidéoconférence durant ses audiences, l’utilisation de cette technologie est devenue la norme.

En juin 2020, la Cour suprême a utilisé la plateforme Zoom pour entendre virtuellement trois appels et une demande d’autorisation d’appel. Elle a aussi fait appel à la technologie pour fournir des services d’interprétation simultanée et s’acquitter de son obligation de rendre la justice dans les deux langues officielles du Canada. Elle a également permis à quelques membres du public d’assister à ces audiences virtuelles, en plus de continuer de diffuser ses audiences en direct sur son site Web.

De septembre 2020 jusqu’à la plus récente audience en 2021, la Cour a tenu une session spéciale pour entendre des appels qui avaient été reportés durant le printemps. En collaboration avec les autorités sanitaires locales, elle a entendu les plaidoiries dans une salle d’audience réaménagée. Afin d’assurer la distanciation physique requise, le nombre de juges siégeant sur la tribune a été réduit et un certain nombre d’entre eux occupent maintenant des fauteuils sur le plancher de la salle d’audience. Des cloisons transparentes ont été installées entre les juges et à quelques autres endroits dans la salle d’audience. Alors que les juges étaient présents dans la salle d’audience, des avocats et avocates ont plaidé en personne, d’autres l’ont fait par vidéoconférence.

La pandémie nous a rappelé que nos cours de justice devaient faire preuve de souplesse et de résilience. Elles l’ont fait et continuent de le faire, dans le respect des engagements de notre système de justice envers les justiciables.

 

 

Cour suprême des Comores

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

La protection des droits de l’homme fait partie des compétences de la Cour suprême de l’Union des Comores.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est affirmée explicitement dans l’ordonnance N°19-003/PR abrogeant la Loi organique N°05-012 /AU du 27 juin 2005 relative à la Cour suprême qui dispose en son article 191 relatif aux droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques que la Chambre constitutionnelle garantit la protection des libertés et droits fondamentaux prévus notamment par le préambule et les autres dispositions de la Constitution, en rapport avec les textes législatifs.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Il existe un rapport étroit entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit dans la mesure où une réelle protection des droits de l’homme ne saurait être assurée que par un système dans lequel le droit a une prééminence sur le pouvoir politique et la puissance publique respecte les normes juridiques établies.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Nous estimons qu’il ne peut y avoir une réelle démocratie sans un État de droit, seul gage d’une protection effective des droits de l’homme ; il n’y a pas de démocratie sans garantie de l’État de droit.

 

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

En réponse aux questions n° 5, 6, 7, 8, 9 et 10, il n’existe pas une jurisprudence de la Cour dans les domaines des droits de l’homme en général, ni de la démocratie et de l’État de droit.

Depuis l’indépendance des Comores le 6 juillet 1975 et suite aux différentes modifications constitutionnelles des régimes politiques successifs, l’ancienne Cour constitutionnelle et la nouvelle Section constitutionnelle et Électorale de la Cour suprême issue de la révision constitutionnelle du référendum du 30 juillet 2018, ont été saisies uniquement en matière électorale.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le juge constitutionnel joue un rôle éminemment politique dans la stabilisation du processus électoral, mais également en garantissant l’égalité des droits devant sa juridiction.

Aux termes de l’article 164 de l’ordonnance N°19-003/PR relative à la Cour suprême, la Chambre constitutionnelle se prononce sur la constitutionnalité des lois et sur la conformité à la Constitution des lois organiques ; elle examine les engagements internationaux conclus par l’Union et statue sur les questions de priorité constitutionnelle ; elle statue sur la conformité du règlement de l’Assemblée à la Constitution avant sa mise en application ; la Chambre constitutionnelle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques à l’égard du législateur.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

La saisine de la Section constitutionnelle est largement ouverte par l’article 179 de l’ordonnance N°19-003/PR relative à la Cour suprême qui dispose que « Toute personne qui est partie à un procès ou une instance a le droit de soulever une question prioritaire de constitutionnalité pour contester une disposition législative qu’elle dit porter atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution lui garantit ».

La saisine est ouverte en toute matière, à l’occasion d’une instance civile, pénale, commerciale, sociale, fiscale ou administrative.

La question prioritaire de constitutionnalité peut avoir été soulevée devant le juge d’instruction, devant le tribunal, en appel ou en cassation.

En application de l’article 180 de l’ordonnance suscitée, la juridiction constitutionnelle peut être également saisie de cette question sur renvoi de la Section Administrative, Judiciaire ou des Comptes de la Cour suprême.

Dans tous les cas, lorsque la question est transmise, la juridiction doit surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité de la loi ou de la disposition contestée.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

La juridiction constitutionnelle sera sans nul doute amenée à évoquer dans ses décisions à venir les références nationales et internationales, notamment aux conventions internationales auxquelles la Constitution renvoie dans son préambule.

Par ailleurs, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples a été ratifiée par l’Union des Comores ; seule la loi de mise en œuvre n’est pas encore votée.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

En réponse aux questions 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9, il n’existe pas une jurisprudence de la Cour dans les domaines des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

La Chambre constitutionnelle dispose du contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires ; elle se prononce sur la conformité à la Constitution des lois organiques.

La Chambre constitutionnelle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques à l’égard du législateur.

Elle dispose en la matière d’un pouvoir d’investigation.

La saisine est faite dans les mêmes formes que celles prévues à l’article 179 de l’ordonnance citée ci-dessus.

Aux termes de l’article 165 de l’ordonnance précitée, « les décisions de la Chambre constitutionnelle sont exclusives de tout recours.

Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La Chambre constitutionnelle n’a pas encore eu l’opportunité de se prononcer sur les questions relatives aux droits de l’homme et aux libertés publiques.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Aux termes de l’article 12 alinéa 3 de la Constitution, « les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure à celles des lois de l’Union, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

La Chambre constitutionnelle ne dispose pas encore d’une jurisprudence en matière de droits et libertés.

Mais dans tous les cas, en application des dispositions de l’article 165 de l’ordonnance N°19-003/PR relative à la Cour suprême, les décisions de la juridiction constitutionnelle s’imposent aux autres juridictions nationales.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

En réponse aux questions 14 et 15, la Chambre constitutionnelle ne dispose pas des pouvoirs spécifiques pour faire exécuter ses propres décisions ; en l’absence de saisine, le juge constitutionnel n’a pas été amené à prendre des sanctions d’une violation des droits de l’homme.

Cette situation ne permet donc pas d’apporter une réponse concrète aux questions 14 et 15.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

En l’absence d’une jurisprudence en la matière, il n’existe pas une conception relative des droits de l’homme consacrée par la Chambre constitutionnelle.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les valeurs sociétales, notamment celles d’ordre moral ou coutumier contribuent au renforcement de la protection des droits de l’homme en dehors de toute sanction.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture façonne l’individu et lui fait prendre conscience de son identité et de l’environnement dans lequel il évolue.

Elle occupe une place importante dans la définition des droits de l’homme et reste intimement liée à la perception par l’individu de sa société, de ses droits culturels et de ses droits humains.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La religion musulmane consacre et protège les droits de l’homme même s’il existe des limites au niveau de la protection de certains droits ou libertés notamment en matière des droits de personnes (transsexualisme, conception in vitro), et au niveau du droit de la famille (successions, mariage homosexuel, reconnaissance d’un enfant né hors mariage).

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

La paix, la fraternité et la solidarité sont des valeurs cardinales de la société comorienne. Les droits de l’homme sont définis au regard de ces valeurs qui sont incontournables pour le renforcement du progrès économique et social du pays.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

En réponse aux questions 6, 7 et 8, l’absence de jurisprudence de la juridiction constitutionnelle en la matière, ne nous permet pas d’apporter, en l’état, des réponses concrètes à ces questions.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Oui, car cette appréciation est évolutive notamment selon le lieu considéré, mais surtout et aussi en raison du contexte.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Pour une protection adaptée des droits des personnes, il y a lieu de prendre en considération les facteurs culturels, environnementaux, économiques et sociaux.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Il n’y a pas de jurisprudence en la matière, mais ce sont des éléments susceptibles d’avoir une influence sur l’interprétation des droits et libertés des citoyens.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

La gestion de la pandémie a été assurée par l’Exécutif et l’Assemblée de l’Union n’a pas été saisie pour autoriser l’Exécutif à prendre les mesures adéquates et appropriées sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

La Chambre constitutionnelle n’a pas non plus été saisie pour se prononcer sur la situation.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

En l’absence de saisine du juge constitutionnel pour examiner les mesures prises par les autorités administratives dans le cadre de la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, le problème sur les méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ne s’est pas posé.

 

 

Cour constitutionnelle du Congo

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui, la protection des droits de l’homme fait partie des compétences de notre juridiction constitutionnelle.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est implicite en ce qu’il n’y a pas de disposition constitutionnelle qui prévoit explicitement que la Cour constitutionnelle est compétente en matière de protection des droits de l’homme.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, il existe un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et la démocratie.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Le lien qui existe entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie se traduit par le fait que l’encadrement du pouvoir par le droit permet l’exercice des droits de l’homme. Un État démocratique, au sein duquel la hiérarchie des normes est respectée et leur contrôle juridictionnel assuré, rend effectif l’exercice des droits de l’homme et est la garantie de leur protection.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Oui, selon l’approche de notre juridiction constitutionnelle, il existe bel et bien une différence entre l’État de droit et la démocratie. L’État de droit a, en effet, toujours été considéré comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise aux normes juridiques hiérarchisées, au sommet desquelles se trouve la Constitution.

La démocratie, quant à elle, est perçue comme un régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple.

Il y a lieu de préciser que notre juridiction constitutionnelle, au regard des autres principes et fondements de la démocratie, estime qu’il ne peut exister de démocratie sans un État de droit. À l’inverse, un État de droit n’est pas nécessairement un régime démocratique.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La jurisprudence de notre juridiction constitutionnelle a contribué à consolider l’État de droit et la démocratie en procédant à un contrôle de constitutionnalité des normes, en censurant des lois qui sont contraires à la Constitution et en rendant, en toute indépendance, des décisions suffisamment motivées.

Pour illustrer cette consolidation de l’État de droit et de la démocratie par notre Cour constitutionnelle, les décisions suivantes, parmi tant d’autres, peuvent être citées :

    • La décision n° 005/DCC/SVA/19 du 6 juin 2019 sur le recours en inconstitutionnalité des articles 3, 8, 10, 12, 13, 15, 18 alinéas 2, 22, 27, 28, 31, 33, 36, 42, 43, 47, 48, 52, 53 et 54 de la loi n° 21-2018du 13 juin 2018 fixant les règles d’occupation et d’acquisition des terres et terrains. Cette décision met en exergue le principe de la garantie du droit de propriété. Elle peut être consultée sur le site web de la Cour constitutionnelle (www. courconstitutionnelle.cg) ;
    • L’avis n° 002-CC-SVC/17 du 9 mai 2017 sur la conformité à la Constitution de la loi organique relative aux conditions de création, d’existence et aux modalités de financement des partis Dans cet avis, la Cour constitutionnelle assure la garantie du principe de l’inviolabilité de la propriété privée prévue à l’article 23 de la Constitution (www. courconstitutionnelle.cg) ;
    • La décision n° 003/DCC/EL/PR/21 du 06 avril 2021 sur les recours aux fins d’annulation et report de l’élection du président de la République, scrutin des 17 et 21 mars 2021, et portant proclamation des résultats définitifs de ladite élection, rendue au cours d’une audience publique et médiatisée (ww courconstitutionnelle.cg).

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

La garantie de l’État de droit et de la démocratie est une finalité de la jurisprudence de notre juridiction constitutionnelle.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui, nous jugeons la qualité de nos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

La jurisprudence de notre juridiction constitutionnelle a contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie en ce qu’elle exprime la position de la Cour constitutionnelle sur la garantie de ces valeurs.

Cette contribution se perçoit dans le domaine du contrôle juridictionnel des normes, du respect du principe d’égalité et du principe de la séparation des pouvoirs.

Cette contribution à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie s’est réalisée dans les domaines de la propriété immobilière, du droit de la famille, du droit social, du droit pénal et du contentieux électoral.

En matière de propriété immobilière, par exemple, notre Cour constitutionnelle, par décision n° 002/DCC/SVA/18 du 13 septembre 2018 sur le recours en inconstitutionnalité de l’article 16 de la loi n° 21-2018 du 13 juin 2018 fixant les règles d’occupation et d’acquisition des terres et terrains, a eu à annuler cet article motif pris de ce que cette disposition violait le droit de propriété tel que garanti par l’article 23 alinéa 1 de notre Constitution.

En rapport avec la séparation des pouvoirs, notre juridiction constitutionnelle a, par décision n° 004/DCC/SVC/19 du 18 avril 2019, précisé le contenu de sa mission de régulation, prévue par l’article 175 alinéa 3 de notre Constitution, en ces termes :

« au sens de l’article 175 alinéa 3 de la Constitution la mission principale de la Cour constitutionnelle est de veiller au respect, par chacun des pouvoirs publics de l’État, de ses attributions et, par conséquent de statuer sur les conflits positifs de compétence entre eux et de censurer leurs incompétences négatives » (www. courconstitutionnelle.cg).

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan de notre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est positif.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le juge constitutionnel congolais ne joue pas de rôle politique. En effet, l’article 12 de la loi organique n° 28-2018 du 7 août 2018 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle telle que modifiée et complétée par la loi organique n°57-2020 du 18 novembre 2020 dispose : « Avant la prise de leurs fonctions, les membres de la Cour constitutionnelle appartenant à des partis politiques et associations ou à des syndicats démissionnent de ceux-ci ».

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Les conditions d’accès à notre juridiction constitutionnelle favorisent une promotion de l’État de droit et de la démocratie. En effet, en dehors de certaines matières (interprétations des dispositions constitutionnelles, contrôle des lois avant leur promulgation, contentieux électoral) pour lesquelles les personnes habilitées à saisir la Cour constitutionnelle sont limitativement énumérées, notre Constitution permet à tout particulier de saisir la Cour constitutionnelle pour un contrôle a posteriori des lois et traités aussi bien par voie d’action que par voie d’exception (article 180 de notre Constitution).

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les références qui sont le plus souvent invoquées dans nos décisions en matière de protection des droits de l’homme, sont internationales.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Notre Cour constitutionnelle, à travers sa jurisprudence, n’est pas encore parvenue à établir une hiérarchie entre les différentes sources des droits de l’homme.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits et libertés le plus souvent évoqués devant notre juridiction sont du type des droits civils et politiques, également appelés libertés et droits fondamentaux ; droits de la première génération.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Il existe des droits d’un type nouveau invocables devant notre juridiction. Il s’agit des droits collectifs qui représentent les droits humains dits de la « troisième génération », comme le droit à un environnement sain.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Nous établissons une hiérarchie entre les droits de l’homme parce qu’il existe parmi ceux-ci, des droits et libertés fondamentaux qui sont essentiels à l’individu et constituent des piliers d’un État de droit et d’une démocratie.

Les droits fondamentaux cités par notre Constitution et qui découlent principalement des principes d’égalité et de liberté, tels que fixés par les textes internationaux faisant partie du bloc de constitutionnalité, sont placés au sommet de cette hiérarchie.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux bénéficient d’une protection dans notre jurisprudence.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Nous donnons un régime particulier aux droits fondamentaux par le mécanisme du contrôle de constitutionnalité de tous les textes de loi qui peuvent violer ces droits, en veillant à ce qu’il n’y ait aucune atteinte injustifiée à ces droits.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Nous n’établissons aucune différence entre la protection des droits et celle des libertés. Le mécanisme de protection offert par notre Cour constitutionnelle, à travers le contrôle de la constitutionnalité des normes, garantit la protection constitutionnelle aussi bien des droits que celle des libertés.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

En dehors de ses attributions constitutionnelles relatives au contrôle de constitutionnalité des normes, notre Cour constitutionnelle ne met pas en œuvre des techniques originales pour protéger les droits et libertés des citoyens.

Cependant, il existe dans notre pays d’autres mécanismes de protection des droits fondamentaux, d’une part, par le juge judiciaire, gardien naturel des libertés individuelles, disposant de réels pouvoirs, et, d’autre part, par la mobilisation des citoyens eux-mêmes.

En effet, à travers les associations, les organisations non- gouvernementales, les pétitions et les manifestations, les citoyens contribuent à la défense de leurs droits et libertés.

Les citoyens deviennent, aussi et de plus en plus, vigilants sur les droits et libertés que notre Constitution et les textes internationaux dûment ratifiés garantissent.

Ils n’hésitent pas, en cas de violation, à saisir la Cour constitutionnelle pour en assurer la garantie.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Notre Cour constitutionnelle a le pouvoir de déclarer inconstitutionnel et de prononcer l’annulation d’un texte lorsqu’elle constate que ce texte ou l’une des dispositions inséparables de l’ensemble du texte critiqué est contraire à la Constitution (article 46 alinéa 2 de la même loi organique déjà citée).

Dans ce dernier cas, le texte ou la disposition déclaré inconstitutionnel ne peut être ni promulgué, ni mis en application (article 181 alinéa 1er de notre Constitution).

Notre Cour constitutionnelle peut, en vertu de son pouvoir de modulation, limiter les effets traditionnels de ses décisions d’inconstitutionnalité (article 47 de la même loi).

À titre d’illustration, notre Cour constitutionnelle, par décision n° 002/DCC/SVA/18 du 13 septembre 2018, avait décidé que l’annulation de l’article 16 de la loi fixant des règles d’acquisition et d’occupation des terres et terrains n’avait pas d’effet rétroactif. Cette annulation ne s’appliquait qu’aux situations en cours à sa date (www.courconstitutionnelle.cg).

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Notre Cour constitutionnelle ne constitutionnalise pas, mais se réfère aux droits et libertés dès lors qu’ils sont prévus par la Constitution et par les textes internationaux faisant partie du bloc de constitutionnalité.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Conformément au cinquième paragraphe du Préambule de notre Constitution, les principes fondamentaux proclamés par la Charte des Nations Unies du 24 octobre 1945, la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples du 26 juin 1981, la charte de l’Unité nationale et la Charte des droits et des libertés du 29 mai 1991 ainsi que tous les textes nationaux et internationaux pertinents dûment ratifiés, relatifs aux droits humains, font partie intégrante de notre Constitution.

Par contre, sans être liée par la jurisprudence et les autres textes internationaux, notre Cour constitutionnelle peut, toutefois, souverainement, dans certains cas, s’en inspirer dans la mesure du possible.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

De façon générale, la portée des décisions rendues par notre Cour constitutionnelle (y compris celles relatives aux droits et libertés) est précisée par l’article 181 alinéa 2 de notre Constitution qui dispose que :

« Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives, juridictionnelles et aux particuliers ».

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Une fois que la décision est rendue, notre Cour constitutionnelle, par l’intermédiaire du service de greffe de son secrétariat général, la notifie aux personnes et aux autorités concernées.

La portée de l’article 181 alinéa 2 ci-dessus cité suffit pour réserver aux décisions de la Cour constitutionnelle l’exécution qu’elles méritent.

Notre Cour se borne simplement à notifier ses décisions, étant précisé qu’il n’y a jamais eu un cas de résistance ou de refus d’exécuter une décision rendue par la haute juridiction en matière constitutionnelle.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Une disposition déclarée inconstitutionnelle pour cause de violation des droits de l’homme ou pour quelque motif que ce soit, ne peut être ni promulguée, ni mise en application (article 181 alinéa 1er de notre Constitution).

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Il existe, selon la jurisprudence de notre Cour constitutionnelle, une conception relative des droits de l’homme.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

La protection des droits de l’homme tient compte de nos valeurs sociétales qui constituent un motif d’intérêt général pouvant justifier l’exception à un certain nombre de principes (d’égalité de l’homme et la femme dans le mariage par exemple).

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Nous prenons en compte nos particularités culturelles et traditionnelles (bonnes mœurs) dans la définition des droits de l’homme (cf. décision n° 004 DCC/SVA/20 du 22 juillet 2020 sur le recours en inconstitutionnalité des articles 121, 128, 135, 136 et 141 de la loi n° 073/84 du 17 octobre 1984 portant code de la famille (www.courconstitutionnelle.cg).

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La religion n’a aucune place dans la définition des droits de l’homme compte tenu du principe de la laïcité affirmé par la Constitution.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Nous estimons que la recherche de la paix et de la cohésion sociale, qui constituent des motifs d’intérêt général, est un facteur déterminant dans la définition circonstanciée des droits de l’homme.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

La jurisprudence de notre Cour constitutionnelle s’inscrit dans une conception universelle des droits de l’homme.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Notre Cour constitutionnelle n’a jamais eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme.

Même si la violation du principe d’égalité est souvent récurrente dans les affaires portées devant la Cour constitutionnelle, il faut aussi reconnaître que les recours portent sur des questions diverses et variées. Cela rejaillit, évidemment, sur sa jurisprudence.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

En rapport avec les droits et libertés des personnes, notre Cour constitutionnelle consacre les principes d’égalité de tous devant la loi, de l’homme et la femme dans le mariage et du respect de la dignité humaine.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

L’appréciation du respect des droits et libertés doit tenir compte des circonstances de temps et de lieu. On peut être amené à les limiter en raison de circonstances particulières de temps et de lieu si l’intérêt public le justifie.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Pour une protection adaptée des droits des personnes, l’on devrait prendre en compte les réalités sociologiques, culturelles et traditionnelles.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Les crises politiques, économiques et sociales peuvent avoir une influence sur notre interprétation des droits et libertés des citoyens, et ce, pendant seulement ces périodes de crise.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie de coronavirus ne peuvent pas changer la définition que nous avons des droits de l’homme.

Elles font, cependant, que l’exercice desdits droits connaisse quelques restrictions.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

La crise sanitaire n’a pas changé le mécanisme du contrôle de constitutionnalité des normes.

Elle constitue, toutefois, une circonstance exceptionnelle pouvant justifier que certains textes de loi qui limitent les droits et libertés des individus soient déclarés conformes à la Constitution.

 

 

 

Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui, la protection des droits de l’homme fait partie intégrante des compétences du Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence du Conseil constitutionnel est explicite à travers le Préambule de la Constitution qui, faisant partie intégrante de la Constitution, fait expressément référence aux instruments juridiques internationaux.

En outre, cette compétence est fondée sur le Titre I de la Constitution qui est essentiellement relatif aux droits, aux libertés et aux devoirs à travers quarante-sept (47) articles.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, il en existe.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Les droits de l’homme sont une dimension de l’État de droit et de la démocratie. De plus, les droits de l’homme n’ont pas de réalité en dehors de l’État de droit.

La protection des droits de l’homme contenus dans la Loi fondamentale est davantage garantie dans un État de droit et dans la démocratie.

Dans un État de droit, la violation des droits de l’homme est effectivement sanctionnée par voie de contrôle juridictionnel, ce que fait le Conseil constitutionnel.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Non, les deux notions sont intimement liées dans la mesure où il ne peut exister de démocratie en dehors de l’État de droit.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui, notre jurisprudence a contribué à consolider l’État de droit et la démocratie.

En effet, l’impartialité dont fait montre la juridiction constitutionnelle ainsi que la motivation en droit de ses décisions, surtout celles relatives au contentieux électoral, ont permis de consolider l’État de droit et la démocratie.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui, elle est une finalité de notre jurisprudence.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui, la qualité de nos décisions est appréciée en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

L’absence de contestation, de critique relative à l’erreur de droit commise par la juridiction constitutionnelle dans le cadre du contentieux tant électoral que celui de la constitutionnalité des lois en matière des droits de la personne humaine sont des éléments de la contribution du Conseil constitutionnel à l’ancrage de la démocratie et de l’État de droit.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui, le bilan de notre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est actuellement positif notamment à travers le foisonnement de la saisine du Conseil constitutionnel aux fins de faire respecter les droits de l’homme et la démocratie.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Non, le juge constitutionnel ne joue pas un rôle politique même si son office se fait dans le champ politique. Il est une juridiction indépendante et impartiale implantée dans le champ politique sans pour autant être un acteur politique.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, l’accès à la juridiction est ouvert pour ce qui est du recours par voie d’action aux autorités politiques y compris aux groupes parlementaires, et pour les lois relatives aux droits de l’homme à l’organe national en charge de la défense des droits de l’homme. Tout cela permet à l’opposition parlementaire de saisir la juridiction constitutionnelle.

Pour ce qui est de la voie d’exception, la saisine est ouverte à tout plaideur.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les références internationales sont rares nonobstant la possibilité d’y recourir. Par conséquent, dans son office, la juridiction constitutionnelle a plus recours aux références nationales.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non, il n’existe pas de hiérarchie entre les sources des droits de l’homme, elles sont toutes équivalentes dans l’action du Conseil constitutionnel, pourvu qu’elles puissent résoudre la question à laquelle le juge est confronté.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits et libertés les plus évoqués sont l’égalité, le droit d’accès aux fonctions électives, le droit à un procès effectif.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Oui, le droit à un environnement sain, la protection de l’environnement.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Théoriquement oui, dans la mesure où le droit à la vie est le droit duquel découlent tous les autres droits.

Mais dans la pratique, la juridiction n’a jamais été confrontée à une telle hiérarchisation.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Ils font l’objet d’une revendication permanente, faisant ainsi la juridiction constitutionnelle.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Néant.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Néant.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Néant.

10. De quel pouvoir dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

La censure d’une loi qui viole les droits de l’homme aboutit systématiquement à son abrogation si la loi a déjà fait l’objet d’une promulgation ou à l’absence de promulgation lorsque la loi n’a pas encore été promulguée.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La Constitution, à travers son Préambule faisant appel aux instruments juridiques internationaux et son titre premier, constitutionnalise la protection des droits de l’homme.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

En droit ivoirien, les traités ou accords internationaux sont supérieurs aux lois, sous condition de réciprocité. Dans ce cas, les juridictions ordinaires, lorsqu’elles sont saisies, font prévaloir les traités, dont ceux relatifs aux droits de l’homme, sur les lois violant lesdits droits.

En ce qui concerne la jurisprudence internationale, le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion d’y faire référence.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

La jurisprudence des autres juridictions peut éventuellement servir de source d’inspiration ou intellectuelle.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à tout pouvoir public, toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale.

Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a pas le pouvoir de prendre des actes d’exécution contre le refus ou l’inertie en cette matière. Il revient au président de la République de procéder, conformément à la Constitution, à l’exécution des décisions de justice.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Sans objet.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

14. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet pas de répondre utilement aux questions du sous-thème.

 

 

 

Conseil constitutionnel français

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Pensé à l’origine comme « un instrument de rationalisation du parlementarisme »[1], le Conseil constitutionnel n’a pas été conçu par le constituant de 1958 pour être le gardien des droits et libertés des citoyens. Une évolution marquée par trois étapes structurantes en a fait le protecteur des droits et libertés fondamentaux.

La première étape de cette évolution est la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, par laquelle il élève le principe de la liberté d’association au rang des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République »[2] mentionné dans le Préambule de la Constitution de 1946. Désormais, son contrôle ne sera plus limité à la lettre de la Constitution de la Ve République ; par référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, du Préambule de la Constitution de 1946 et des « principes politiques économiques et sociaux nécessaires à notre temps » qu’énonce ce dernier, et depuis 2004, de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur constitutionnelle de nouveaux droits. L’ensemble des normes susmentionnées constitue désormais le « bloc de constitutionnalité », selon l’expression de Louis Favoreu[3].

Par la suite, les initiateurs de projets de révision constitutionnelle visant à étendre les pouvoirs du Conseil constitutionnel ont pu tirer parti de ce visage de « protecteur des droits et libertés » que s’est donné le juge constitutionnel ; les révisions constitutionnelles de 1974 et 2008, en ouvrant à une minorité parlementaire la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel d’un contrôle a priori et en créant la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), voie juridictionnelle spécifique visant à protéger les droits et libertés, ont définitivement ancré cette compétence désormais essentielle du Conseil constitutionnel.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Depuis l’entrée en vigueur le 1er mars 2010 de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a introduit la procédure de la QPC, la Constitution prévoit en son nouvel article 61-1 que « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

La compétence du Conseil constitutionnel en matière de protection des droits et libertés est donc explicitement prévue dans le cadre du seul contrôle a posteriori. Il n’en reste pas moins qu’ « à la différence de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne et de la Constitution d’autres pays occidentaux comme celle de l’Italie, de l’Espagne ou du Portugal, la Constitution française du 4 octobre 1958 ne comporte pas un exposé complet et structuré des droits et libertés des individus »[4]. Le catalogue français des droits fondamentaux est pour l’essentiel à rechercher dans les éléments du bloc de constitutionnalité auxquels se réfère le Préambule de la Constitution de 1958.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

D’un point de vue historique, en ce qui concerne les relations entre la revendication des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit en France, « la première, dans le prolongement des conquêtes de la Révolution française, s’est plus préoccupée, pendant longtemps, du contenu des droits que de leur garantie, tandis qu’à l’inverse la théorie de l’État de droit […] a surtout mis l’accent sur les aspects formels et procéduraux de l’encadrement du pouvoir par le droit, insistant sur la hiérarchie des normes et le contrôle juridictionnel »[5]. Depuis les années 1980, « l’État de droit, dans une vision renouvelée, ne se caractérise plus seulement par le respect de la hiérarchie des normes, mais implique aussi la reconnaissance des droits fondamentaux, marquant le passage d’une conception formelle à une conception substantielle »[6]. Désormais, « les deux notions s’impliquent mutuellement au point d’apparaître comme indissociables : les droits de l’homme sont une dimension de l’État de droit, tandis que les droits de l’homme n’ont pas de réalité en dehors de l’État de droit »[7].

Louis Favoreu affirme quant à lui que l’État de droit constitue une étape supplémentaire et un perfectionnement par rapport à la démocratie :
« Le droit constitutionnel moderne met l’accent sur l’État de droit plus que sur la démocratie. Non pas que celle-ci soit une notion dépassée ou obsolète ; mais parce que l’État de droit constitue une étape supplémentaire et un perfectionnement par rapport à la démocratie. En effet, si, dans un premier temps, il a été essentiel de veiller à ce que le choix des gouvernants s’opère de la meilleure façon, dans un second temps, il est apparu que cela ne suffisait pas et qu’il fallait aussi s’assurer qu’une fois désignés les gouvernants usaient de leurs pouvoirs conformément à la constitution et dans les limites prévues par celle-ci »[8].

Au niveau européen, les relations entretenues par ces trois notions, qui forment le triple socle sur lequel repose le Conseil de l’Europe, ont pu être définies en ces termes par la Commission de Venise : « L’État de droit est lié non seulement aux droits de l’homme, mais aussi à la démocratie, c’est-à-dire à la troisième valeur fondamentale du Conseil de l’Europe. La démocratie implique l’association de la population aux décisions au sein d’une société ; les droits de l’homme protègent l’individu contre l’arbitraire et des atteintes excessives à ses libertés, et garantissent la dignité humaine. L’État de droit veille à ce que l’exercice de la puissance publique soit circonscrit et fasse l’objet d’un contrôle indépendant. L’État de droit promeut la démocratie en établissant l’obligation pour les personnes exerçant la puissance publique de rendre compte et en garantissant les droits de l’homme, qui protègent les minorités contre les décisions arbitraires de la majorité »[9].

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

La terminologie « État de droit » n’apparaît pas dans le corpus des sources constitutionnelles françaises et ne se rencontre pas dans les décisions du Conseil constitutionnel ; seule la doctrine fait usage de ce terme. En revanche, les normes de référence du contrôle de constitutionnalité contiennent l’ensemble des droits et garanties spécifiques composant la notion d’ « État de droit » dégagé par la Commission de Venise dans son rapport de 2011[10], à savoir :

    • Le principe de légalité ;
    • La sécurité juridique ;
    • La prévention de l’abus de pouvoir ;
    • L’égalité devant la loi et la non-discrimination ;
    • L’accès à la

L’État de droit et la démocratie sont généralement admis comme étant des conditions d’existence des droits de l’homme, mais il n’existe pas de jurisprudence du Conseil constitutionnel se prononçant spécifiquement sur cette relation triangulaire entre protection des droits de l’homme, garantie de l’État de droit (ou l’une de ses composantes) et démocratie.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Le Conseil constitutionnel a affirmé pour la première fois dans sa décision n° 85-197 DC du 23 août 1985 que la loi « n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution »[11]. Ainsi, le Conseil a considéré que « la démocratie ne se résume pas à la souveraineté, qu’elle soit populaire ou nationale, mais suppose que l’exercice de cette souveraineté se fasse dans le cadre d’un État de droit, c’est-à-dire dans la soumission de tous, à commencer par l’État lui-même et ses organes, au droit établi et modifié selon des formes déterminées »[12].

La démocratie ne se limite plus au pouvoir absolu du peuple souverain, mais « s’enracine dans le droit grâce à un corpus de normes à valeur constitutionnelle garanties par un juge qui échappe […] à la « tyrannie de la majorité » »[13].

La loi n’exprime donc la volonté générale que dans la mesure où lui préexiste l’État de droit.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel a indéniablement contribué à consolider l’État de droit et la démocratie en France.

En ce qui concerne la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la consolidation de l’État de droit, cf. la réponse au point 4 ci-dessus.

Le principe démocratique est quant à lui explicitement consacré par la Constitution, au dernier alinéa de l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 (la République est fondée sur le principe démocratique ainsi énoncé : le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ») ainsi qu’au premier alinéa de l’article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui prescrit aux partis et groupements politiques de « respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ».

L’inclusion de ces éléments parmi les normes de référence du contrôle de constitutionnalité permet au Conseil constitutionnel de garantir, par sa jurisprudence, les conditions de la démocratie (cf. la réponse au point 9 ci-dessous).

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

De toute évidence, oui : l’existence même d’une juridiction constitutionnelle – indépendante – chargée de contrôler le respect de la norme juridique suprême de l’État postule en soi l’existence et la consolidation d’un État de droit.

Le Conseil constitutionnel, dont la création sous la Ve République ne répondait pas initialement à cet objectif, remplit aujourd’hui le rôle de gardien de l’État de droit dans le cadre des compétences qui lui sont constitutionnellement dévolues.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas pour habitude d’évaluer la qualité de ses propres décisions : cette activité est essentiellement effectuée par la doctrine.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

À chaque fois qu’il prononce l’inconstitutionnalité d’une disposition en vigueur ou qu’il empêche la promulgation d’une disposition jugée non conforme à la Constitution, le Conseil constitutionnel participe à la consolidation et à la préservation de l’État de droit en France.

Les très nombreux domaines dans lesquels le Conseil constitutionnel a prononcé des censures dans le cadre du contrôle de constitutionnalité ne peuvent pas être tous énumérés ici ; on utilisera néanmoins les statistiques réalisées en 2020 et visant à tirer un bilan quantitatif des 10 ans de la QPC pour relever que les domaines dans lesquels le Conseil constitutionnel a prononcé le plus grand pourcentage de décisions de non-conformité dans le cadre du contrôle a posteriori sont le droit pénal (incluant la procédure pénale), le droit de l’environnement et le droit social :

3. RÉPARTITION DES SOLUTIONS PAR BRANCHE DU DROIT

Par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel garantit les conditions de la démocratie. Sur ce point, deux lignes jurisprudentielles méritent d’être rapportées[14] :

En premier lieu, le Conseil constitutionnel a affirmé avec constance que constituent des objectifs de valeur constitutionnelle le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale (décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984), la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels (décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986), le pluralisme des courants de pensées et d’opinions (décision n° 2004-497 DC du 1er juillet 2004) et le pluralisme des médias (décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009). Dans la jurisprudence constitutionnelle, le pluralisme fait donc l’objet d’une double protection : dans la vie politique, d’une part, et dans les médias, d’autre part. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a intégré cet acquis jurisprudentiel au dernier alinéa de l’article 4 de la Constitution, qui prévoit désormais que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Selon le Conseil constitutionnel, le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions ainsi consacré « est un fondement de la démocratie » (décision n° 2017-651 QPC du 31 mai 2017).

En second lieu, le Conseil constitutionnel souligne régulièrement l’importance de la liberté d’expression dans une démocratie en ces termes : « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés » (voir, par exemple, la décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010).

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Comme indiqué au point 7, l’existence même d’une juridiction constitutionnelle indépendante chargée de contrôler le respect de la norme juridique suprême de l’État pose le cadre d’un État de droit ; par son fonctionnement, la juridiction constitutionnelle promeut l’État de droit et en garantit la protection.

En veillant à la régularité de l’élection du président de la République, de l’élection des parlementaires et des opérations de référendum, dont il proclame les résultats, le Conseil constitutionnel est le garant de la vie démocratique française. Par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel garantit les conditions de la démocratie (v. réponse au point 9 ci-dessus).

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le Conseil constitutionnel ne joue aucun rôle politique, mais les normes de référence qui sont le fondement du contrôle de constitutionnalité résultent elles-mêmes de choix politiques au sens le plus large de ce terme.

Le Conseil constitutionnel rappelle avec constance depuis sa décision IVG n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ». Ce faisant, le Conseil souligne que, confronté aux choix politiques des pouvoirs exécutif et législatif, son rôle se limite à vérifier la conformité de ces choix législatifs aux normes contenues dans le bloc de constitutionnalité.

Jacques Robert, membre du Conseil constitutionnel de 1989 à 1998, note que : « en réfléchissant avec un peu de recul, on conviendra que toute décision du juge constitutionnel ne peut qu’être politique (mais politique au sens le plus noble du terme) puisque toute loi est par nature un acte politique. La loi étant un acte politique, arrêter la loi est nécessairement aussi un acte politique, politique ne veut pas dire (comme on le croit souvent) partial ou partisan »[15].

Il n’en reste pas moins que le seul déterminant des décisions du Conseil constitutionnel est de nature juridique puisqu’elles visent à garantir le respect des plus grands principes du droit.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Avant l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité (ou « question citoyenne »), le Conseil constitutionnel restait hors de portée du citoyen. De ce point de vue, l’extension des conditions d’accès rendue possible par l’introduction de la QPC a constitué une incontestable avancée de l’État de droit en plaçant le pouvoir de saisine du Conseil constitutionnel dans les mains du simple citoyen.

Face à la réitération des législations d’urgence dans le champ sécuritaire ou sanitaire observée depuis quelques années, le fait que le Conseil constitutionnel contrôle rapidement les lois de déclaration d’état d’urgence ou celles le prolongeant paraît également constituer un progrès supplémentaire de l’État de droit. La question est ouverte de l’institution en ce champ d’une automaticité de sa saisine[16].

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

  1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 Liberté d’association, les normes de référence du contrôle de constitutionnalité, autrement appelées « bloc de constitutionnalité »[17], ont été étendues à des références nationales : il s’agit de la Constitution de 1958 et des textes que vise son Préambule : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, auxquels s’ajoutent désormais la Charte de l’environnement de 2004, ainsi que les normes non écrites que sont les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes et objectifs à valeur constitutionnelle dégagés par le juge constitutionnel depuis 1958.

Depuis une décision de 1975[18], le Conseil constitutionnel juge de manière constante que tout moyen soulevé devant lui tiré de l’inconventionnalité d’une loi est irrecevable : saisi d’un moyen tiré de la violation par la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à la vie, le Conseil a jugé qu’il ne lui appartient pas, « lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international » (considérant 7). Cette jurisprudence, constante depuis lors, a conduit l’ensemble des juridictions françaises, judiciaires comme administratives, à exercer le contrôle de conventionnalité.

Néanmoins, si le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la conformité de la loi française aux normes contenues dans les traités internationaux, il porte attention à l’interprétation qu’il convient de donner à certains textes internationaux. En d’autres termes, la recherche d’une cohérence de son contrôle de constitutionnalité avec les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne est une dimension intégrante de sa démarche.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Cette question est sans objet s’agissant de la France, car les sources des normes constitutionnelles y sont exclusivement nationales.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Devant le Conseil constitutionnel, « il n’est désormais plus guère de sujet qui ne pût être appréhendé, fût-ce très indirectement, à l’aune des droits et libertés »[19].

Il n’existe pas, à ce jour, de statistiques précises sur les droits et libertés les plus fréquemment évoqués devant le Conseil constitutionnel. On notera néanmoins que la grande majorité des droits et libertés invoqués à l’appui d’une saisine sont tirés de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Constitution du 4 octobre 1958 ne consacrant explicitement que très peu de droits et libertés.

Il aura fallu attendre la décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association pour que le Conseil constitutionnel affirme explicitement que le Préambule de la Constitution de 1958, et à travers lui le Préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, appartenaient au bloc de constitutionnalité. Par cette affirmation, le Conseil constitutionnel a « rendu aux libertés, dans la hiérarchie des normes, la place que les Constituants de 1789 avaient voulue pour elle, la seule qui leur convienne dans un État libéral, tout au sommet de l’édifice »[20].

Parmi les droits et libertés fréquemment invoqués devant le Conseil constitutionnel, on pourra notamment citer l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui évoque « les droits naturels et imprescriptibles de l’homme » que sont « la liberté, la sûreté, la propriété et la résistance à l’oppression » et dont il a pu être considéré qu’il « constitue une sorte de « noyau dur » sur lequel « repose tout l’édifice » »[21], ainsi que l’article 16 de la DDHC[22], qui constitue « la clef de voûte »118[23] des droits et libertés que la Constitution garantit. À lui seul, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre le droit à un procès équitable (déc. n° 2004-496 DC du 10 juin 2004), les principes d’indépendance et d’impartialité du juge (déc. n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012), la confiance légitime (déc. n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013) ainsi que le contrôle des lois de validation (déc. n° 2013-366 QPC du 14 février 2014)119[24]

On citera encore parmi les principes fréquemment invoqués devant le Conseil constitutionnel le principe d’égalité, qui comprend au sein du bloc de constitutionnalité une douzaine de déclinaisons :

    • principe d’égalité des hommes (article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) ;
    • principe d’égalité dans l’accès aux emplois publics (article 6 de la Déclaration de 1789) ;
    • principe d’égalité devant les charges publiques (article 13 de la Déclaration de 1789) ;
    • principe de non-discrimination (article 1er du Préambule de la Constitution de 1946) ;
    • principe d’égalité entre les hommes et les femmes (article 3 du Préambule de la Constitution de 1946) ;
    • principe d’égalité dans la protection de la santé (article 11 du Préambule de la Constitution de 1946) ;
    • principe d’égalité devant les charges résultant de calamités nationales (article 12 du Préambule de la Constitution de 1946) ;
    • principe d’égalité d’accès à l’instruction (article 13 du Préambule de la Constitution de 1946) ;
    • principe d’égalité avec les peuples d’outre-mer (article 16 du Préambule de la Constitution de 1946) ;
    • principe d’égal accès aux fonctions publiques pour les peuples d’outre-mer (article 18 du Préambule de la Constitution de 1946) ;
    • principe d’égalité avec les peuples d’outre-mer (Préambule de la Constitution de 1958) ;
    • principe de non-discrimination (article 1er de la Constitution de 1958) ;
    • principe d’égalité en tant que devise de la République (article 2 de la Constitution de 1958) ;
    • principe d’égalité du suffrage (article 3 de la Constitution de 1958).

Une liste exhaustive des droits et libertés consacrés par le Conseil constitutionnel peut être consultée dans les tables analytiques du Conseil constitutionnel : https://www.conseil-constitutionnel. fr/sites/default/files/2021-01/1958_202101_tables.pdf

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Par le procédé décrit à la réponse au point 11 de la présente partie II, le Conseil constitutionnel a dégagé huit principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Les deux derniers d’entre eux l’ont été en matière de justice des mineurs et de dispositions particulières applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle :

    • La recherche du relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées (décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, considérant 26) ;
    • Le maintien de la législation des départements d’Alsace et de Moselle tant qu’elle n’est pas remplacée (décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, considérant 4).

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel dégage des principes et objectifs de valeur constitutionnelle, lesquels « ne sont ni des règles écrites, ni des prescriptions précises, mais des finalités assez générales, qui remplissent une fonction de justification importante dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel »[25]. Le recours aux principes et objectifs de valeur constitutionnelle ne garantit pas systématiquement une meilleure protection des droits et libertés, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a pu s’y référer « pour limiter un droit de valeur constitutionnelle expressément reconnu par la Constitution : par exemple le droit de grève ou le droit de libre communication des idées doivent être conciliés avec la sauvegarde du maintien de l’ordre public, qui est un objectif de valeur constitutionnelle »[26].

Dernièrement, le principe de fraternité a été élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018.

La protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres vivants, est le dernier objectif à valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Si l’on se situe exclusivement sur le plan des sources formelles des normes constitutionnelles, les droits fondamentaux/droits de l’homme contenus dans le bloc de constitutionnalité ont tous une même valeur constitutionnelle. Néanmoins, la pratique nous amène à constater que peuvent survenir des « collisions » ou « conflits » entre droits fondamentaux égaux sur le plan formel et pareillement protégés par les normes de référence du contrôle de constitutionnalité.

Dans l’hypothèse d’un conflit entre plusieurs droits ou libertés, certains droits et libertés font l’objet d’une application prioritaire, sans qu’il n’existe pour autant une hiérarchie immuable et absolue entre eux. Dans le même temps, il peut arriver que le Conseil constitutionnel identifie des principes ou objectifs de valeur constitutionnelle qui limitent le champ d’application de certains droits et libertés constitutionnellement garantis.

Aucun des droits et libertés que la Constitution garantit n’a à ce jour été formellement qualifié d’ « intangible », comme l’est par exemple en Allemagne le principe de dignité de l’être humain, consacré à l’article 1er al. 1 de la Loi fondamentale allemande.

La Constitution ne consacre pas non plus le caractère interrogeable d’un droit ou d’une liberté, comme le sont par exemple le droit à la vie, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, l’interdiction de l’esclavage et de la servitude ou encore le principe de non-rétroactivité de la loi pénale au sein de la Convention européenne des droits de l’homme (articles 2, 3, 4 et 7).

La doctrine est divisée sur la question de la hiérarchisation des normes de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel. Pour Louis Favoreu, « le Conseil constitutionnel aurait consacré la hiérarchie des normes avec la décision de 1984 sur les entreprises de presse. Il existerait deux types de libertés. Certaines seraient générales, absolues (sûreté, presse), d’autres à l’inverse ne seraient ni générales, ni absolues. Trois éléments permettraient de les déterminer. Le premier est l’absence de régime d’autorisation préalable. Le deuxième est que le rôle du législateur doit être de les rendre plus effectives. Enfin, elles doivent avoir une application uniforme sur tout le territoire[27] »[28].

En définitive, on ne peut procéder qu’à certaines observations en matière de résolution des conflits entre normes de référence :

  • Certaines normes de référence du contrôle de constitutionnalité font plus facilement l’objet de limitations que d’autres ;
  • « En cas de conflit entre normes de référence, une prévalence d’application est accordée à celles qui sont issues de la Déclaration de 1789 et du Préambule de la Constitution de 1946 »[29] ;
  • Il a pu arriver que le Conseil constitutionnel privilégie la conciliation des droits et libertés issus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et un objectif à valeur constitutionnelle[30].

Ces observations ne peuvent néanmoins nullement mener à la conclusion de l’existence d’un « noyau dur » ou d’une hiérarchie quelconque entre les droits et libertés qui constituent les normes de référence du contrôle de constitutionnalité.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux constituent, sur le plan formel, des normes de valeur constitutionnelle.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Les droits fondamentaux ne bénéficient pas dans l’ordre constitutionnel français d’un régime particulier qui ne s’appliquerait pas aux autres normes de référence du contrôle de constitutionnalité.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Il n’existe pas dans l’ordre constitutionnel français ni dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel de distinction entre la protection des droits et celle des libertés. Tout au plus la nature et l’intensité du contrôle opéré sur les atteintes aux différents droits et libertés constitutionnels connaissent-elles des variations.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Au-delà du pouvoir originel dont dispose le Conseil constitutionnel d’abroger des dispositions contraires à la Constitution, il apporte également une protection des droits et libertés des citoyens par la reconnaissance jurisprudentielle et progressive de nouveaux droits. Ce faisant, il ne crée pas de nouvelles normes ; il identifie plutôt des nouvelles catégories de droits et libertés par le biais des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR)126[31], des principes particulièrement nécessaires à notre temps (PPNT), des droits et libertés constitutionnellement garantis dans le cadre du contentieux de la question prioritaire de constitutionnalité, des principes constitutionnels et des objectifs à valeur constitutionnelle. Ces différentes catégories n’entraînent pas toutes le même degré de contrôle de la part du Conseil.

Le Conseil constitutionnel a également rendu impossible la régression des libertés en affirmant que la loi ne peut réglementer l’exercice d’une liberté de valeur constitutionnelle de manière telle que cela puisse « aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986).

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Pour permettre au Conseil constitutionnel d’exercer de manière effective ses compétences de censeur des lois qui portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, le constituant a affirmé le principe de l’effet immédiat et absolu (erga omnes) de ses décisions.

En vertu de ce principe, une disposition déclarée contraire à la Constitution dans le cadre d’un contrôle a priori ne peut être promulguée ni mise en application (art. 62 al. 1 de la Constitution). Une disposition déclarée non conforme à la Constitution dans le cadre d’un contrôle a posteriori cesse en principe immédiatement d’être applicable et ne pourra plus produire d’effets pour l’avenir (art. 62 al. 2 de la Constitution).

Par exception à ce principe, le constituant a toutefois prévu la possibilité pour le juge constitutionnel de moduler les effets dans le temps de ses décisions d’inconstitutionnalité, en vue d’éviter que les inconvénients d’une telle déclaration soient plus néfastes que les avantages qu’elle procure aux justiciables. Le Conseil constitutionnel dispose donc dans cette hypothèse d’un important pouvoir d’appréciation des effets réels ou supposés de l’abrogation de la disposition concernée.

Enfin, la technique des « réserves d’interprétation » permet au Conseil constitutionnel de ne pas se laisser enfermer « dans un choix binaire : déclarer la loi qui lui est déférée conforme à la Constitution ou non conforme, la censurer ou rejeter le recours »127[32]. Confronté à une disposition législative susceptible d’au moins deux interprétations, le recours à une réserve d’interprétation lui permet de choisir celle qui la rend conforme à la Constitution, en orientant les autorités administratives et juridictionnelles quant à son application.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

En identifiant des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, des principes ou objectifs à valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel contribue à la diversification des sources du droit constitutionnel et ce faisant, étoffe le corpus des droits fondamentaux.

Trois conditions cumulatives sont nécessaires pour reconnaître un nouveau PFRLR[33] :

    • pour être « fondamental », le principe doit énoncer une règle suffisamment importante, avoir un degré suffisant de généralité et intéresser des domaines essentiels pour la vie de la Nation, comme les libertés fondamentales, la souveraineté nationale ou l’organisation des pouvoirs publics (Cons. const., déc. n° 98-407 DC du 14 1999, considérant 9) ;
    • ensuite, le principe doit trouver une base textuelle dans une ou plusieurs lois intervenues sous un régime républicain antérieur à 1946 (Cons. const., déc. n° 86-224 DC du 23 janv. 1987, considérant 15) ;
    • enfin, le principe doit avoir fait l’objet d’une application continue. Aucune dérogation au principe, par une loi républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946, ne peut être acceptée (Cons. const., déc. n° 88-244 DC du 20 1988, considérant 12).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Comme indiqué au point 1) de ce sous-thème, l’influence du droit international sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la protection des droits de l’homme devrait en théorie être négligeable, car depuis sa décision du 15 janvier 1975[34], le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la conformité des lois aux traités internationaux, bien que soit posé à l’article 55 de la Constitution le principe de primauté des traités sur les lois.

Dans des décisions rendues en 1986 et 1989[35], le Conseil constitutionnel a « explicité ce qui n’était qu’implicite »[36] dans sa décision de 1975 : puisque le contrôle de la supériorité des traités par rapport aux lois ne peut être effectué dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, il doit être effectué par les juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d’État. Le principe d’un contrôle de la conformité des lois aux traités internationaux a été accepté par la Cour de cassation par une décision de 1975[37], tandis que le Conseil d’État a reconnu dans un délai sensiblement plus long, par une décision de 1989[38], qu’il appartient au juge administratif de procéder à ce contrôle, même lorsque la loi est postérieure au traité international en cause.

Le contrôle de la conformité des lois aux traités internationaux constitue désormais une tâche quotidienne des juridictions judiciaires et administratives.

Dans le domaine de la protection des droits fondamentaux, il convient néanmoins d’observer l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur celle du Conseil constitutionnel. Certains des droits nouveaux que le Conseil constitutionnel a déduits des dispositions de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 correspondent aux droits explicitement reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme et interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme. Tel est notamment le cas du droit au respect de la vie privée[39] ou du principe de la dignité de la personne humaine[40].

Cet exemple démontre que si le Conseil constitutionnel refuse d’étendre les normes de son contrôle à une convention internationale (ici la Convention européenne des droits de l’homme), il n’en demeure pas moins qu’il peut s’inspirer de la jurisprudence de la juridiction internationale compétente (la Cour européenne des droits de l’homme) pour déduire ou enrichir sa conception des droits garantis par la Constitution française. L’influence de certaines normes du droit international (ici la Convention européenne des droits de l’homme) sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux droits fondamentaux est donc « purement intellectuelle »[41].

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

La pleine effectivité des décisions du Conseil constitutionnel « s’entend comme l’hypothèse où les destinataires [de ces décisions], essentiellement le législateur, le juge ordinaire et l’Administration, prennent les mesures exécutant les obligations issues de ces décisions »[42].

L’article 62 de la Constitution prévoit en son second alinéa que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours » et « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Or il n’existe aucune hiérarchie entre le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel : cette affirmation s’illustre par l’absence de sanction du non-respect de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel par les autres juges. Le Conseil ne peut pas annuler les jugements des deux cours suprêmes que sont le Conseil d’État et la Cour de cassation, situés au sommet des deux ordres de juridiction.

En l’absence d’un mécanisme permettant au Conseil de contrôler et de sanctionner les violations de ses décisions, l’effectivité de ses décisions pourrait apparaître comme tributaire de la bonne volonté de leurs destinataires. Particulièrement en matière de contrôle a posteriori, puisqu’une décision de non-conformité suppose que le destinataire prenne des mesures exécutant les obligations issues de la décision de non-conformité, sans quoi elle ne pourra produire les effets juridiques attendus par le Conseil constitutionnel.

On observe une effectivité globale et statistique des décisions du Conseil, il a pourtant pu arriver que les conséquences d’une décision d’inconstitutionnalité ou d’une réserve d’interprétation ne soient pas tirées par le destinataire ordinaire d’une QPC (législateur, juge judiciaire ou juge administratif). La vaste étude menée en 2017 par S. Benzima, aujourd’hui professeur de droit public, dans le cadre de sa thèse, a toutefois démontré que l’ineffectivité des décisions QPC reste marginale[43].

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Étant donné qu’en matière de saisine a priori, une décision du Conseil constitutionnel déclarant une loi inconstitutionnelle fait systématiquement obstacle à sa promulgation, nous concentrerons ici notre réponse sur l’exécution des décisions rendues dans le cadre du contrôle a posteriori.

L’effectivité des décisions du Conseil constitutionnel apparaît la « condition sine qua non à la viabilité de la question prioritaire de constitutionnalité »[44], l’existence d’une sanction étant traditionnellement reconnue comme la condition de l’effectivité d’une norme juridique. Par définition, le contrôle qu’effectue le Conseil constitutionnel dans l’hypothèse d’une question prioritaire de constitutionnalité porte sur des dispositions législatives « vivantes », qui ont « produit des effets et permis la constitution de situations juridiques »[45].

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 dont est issue la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité n’a pas été accompagnée de l’institution d’un mécanisme de contrôle des violations des décisions d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel, ni par lui-même ni par aucun autre organe.

Il n’en reste pas moins que, sous l’empire de l’article 62 de la Constitution et comme il vient d’être souligné, les retards de prise en compte des décisions du Conseil constitutionnel sont marginaux.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

En France, les conséquences d’une décision d’inconstitutionnalité ne diffèrent pas selon l’objet de la violation. En matière de saisine a priori, une décision du Conseil constitutionnel déclarant une loi inconstitutionnelle fait obstacle à sa promulgation. Dans l’hypothèse où seule une partie du texte est déclarée inconstitutionnelle, la loi peut être partiellement promulguée si les articles non conformes sont « dissociables » de l’ensemble du dispositif. Le Conseil constitutionnel peut aussi déclarer des dispositions législatives conformes à la Constitution sous certaines réserves d’interprétation.

Lorsque le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’un contrôle a posteriori (question prioritaire de constitutionnalité), prononce une déclaration d’inconstitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, les dispositions déclarées contraires à la Constitution sont systématiquement abrogées.

Lorsque le Conseil constitutionnel assortit sa validation de dispositions législatives d’une réserve d’interprétation, celle-ci s’incorpore à la loi et s’impose à toutes les autorités compétentes par application de l’article 62 de la Constitution.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non : le Conseil constitutionnel ne fait pas partie des juridictions constitutionnelles qui auraient pu se prononcer en faveur d’un relativisme des droits de l’homme.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Comme il le rappelle de manière constante depuis sa décision IVG[46], le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement. Toutefois, les valeurs sociétales ne sont pas pour autant totalement absentes de sa jurisprudence, en particulier dans le domaine des récentes mutations du droit de la famille. À cet égard, le Conseil constitutionnel a eu à statuer sur la conformité à la Constitution de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Dans sa décision du 17 mai 2013[47], le Conseil constitutionnel a préféré se fonder sur la catégorie des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la république », en précisant leur définition et en délimitant leur champ d’application, plutôt que sur des valeurs sociétales.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la culture comprise au sens des droits culturels n’occupe pas une place primordiale dans la définition des droits de l’homme. On peut néanmoins percevoir dans cette jurisprudence une influence de la « culture », celle-ci pouvant notamment désigner des traditions locales. À cet égard, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur la notion de « peuple corse »[48] ou sur les populations d’outre-mer[49], sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires[50], et très récemment sur les langues régionales[51], ou encore les particularismes locaux tels que le droit d’Alsace-Moselle[52] ou la tradition tauromachique[53].

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Aucune disposition de la Constitution de 1958 ne consacre expressément ni la liberté religieuse ni même la liberté de culte ; les normes de référence du contrôle de constitutionnalité consacrent en revanche la liberté d’opinion « même religieuse »[54], le respect de « toutes les croyances »[55] et le principe de laïcité[56].

En l’absence de fondement constitutionnel à la liberté religieuse et à la liberté de culte, il n’existe pas devant le Conseil constitutionnel de contentieux massif concernant la liberté de religion.

Le Conseil constitutionnel a évoqué pour la première fois « l’exercice de la liberté religieuse » dans sa décision n° 2010- 613 DC du 7 octobre 2010, Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Saisi par le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, le Conseil a affirmé que « l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ». Ce faisant, il a évoqué la liberté religieuse en tant que situation légale, et non en tant que principe formellement consacré par le bloc de constitutionnalité.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Le Préambule de la Déclaration de 1789 proclame un certain nombre de droits nécessaires à l’établissement de la paix sociale en énonçant notamment que l’une des finalités de cette Déclaration des droits est de permettre que « les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent au maintien de la constitution et au bonheur de tous ».

Le Conseil constitutionnel n’est pas investi d’un mandat spécifique de maintien de la paix ou de la cohésion sociale. Le terme de « paix sociale » a été employé une unique fois par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011. Le Conseil constitutionnel y a affirmé que l’objectif d’intérêt général de « paix sociale » justifie la restriction à la liberté d’expression résultant de l’interdiction de rapporter la preuve du fait diffamatoire lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans[57].

En veillant à maintenir l’équilibre entre les intérêts constitutionnellement protégés, le Conseil constitutionnel contribue au maintien de la paix et de la cohésion sociale.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Selon la conception universaliste des droits de l’homme, les droits humains s’appliquent sans aucune distinction à toute personne humaine en sa qualité d’être humain.

L’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 affirme que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » ; cette formulation laisserait à penser que le principe d’égalité est absolu. Or le Conseil constitutionnel, amené à se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois successives relatives à l’immigration, a admis que ce principe d’égalité était relatif, et qu’en conséquence, il n’interdisait pas que l’exercice de certains droits soit conditionné par la citoyenneté.

Ainsi a-t-il déclaré, dans sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, que, s’agissant de l’entrée et du séjour en France, « les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux » et que « le législateur peut prendre à [leur] égard des dispositions spécifiques » (cons. 2 et 3). Depuis sa décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel juge que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (cons. 8).

A contrario, le Conseil constitutionnel a récemment reconnu la portée universelle et donc extraterritoriale du nouvel objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » (déc. n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, paragr. 4). Saisi de la conformité à la Constitution de dispositions interdisant la production, le stockage et la circulation en France ainsi que l’exportation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne, en raison de leurs effets sur la santé humaine, la santé animale ou l’environnement, le Conseil constitutionnel a affirmé que « l’objectif de protection de l’environnement a une portée universelle, qui ne se limite pas au territoire national, métropolitain comme ultramarin et que le législateur peut prendre en compte les effets environnementaux à l’étranger des activités exercées en France et de les réglementer à ce titre »[58].

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Le Conseil constitutionnel ne s’est jamais expressément prononcé sur cette question.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Il n’existe pas, à ce jour, de statistiques précises sur les droits et libertés les plus fréquemment évoqués ou consacrés par le Conseil constitutionnel (v. sous-thème 2, question 3).

Bien que le recours aux moyens soulevés d’office[59] permette au Conseil constitutionnel de « développer un contrôle qui s’affirme au-delà et indépendamment de la saisine initiale »[60], il existe une certaine corrélation entre droits invoqués et droits consacrés ; les droits et libertés les plus fréquemment invoqués devant le Conseil sont aussi ceux qu’il est le plus susceptible de consacrer.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Le Conseil constitutionnel opère un contrôle in abstracto d’une norme vis-à-vis d’une autre norme, c’est-à-dire qu’il tranche les questions qui lui sont soumises indépendamment de tout cas déterminé d’application de la loi ; par voie de conséquence, il est censé rester indifférent aux effets de ses décisions.

Pourtant, « il n’est pas contesté qu’il puisse prendre en compte les conséquences prévisibles aussi bien de la loi soumise à son appréciation, que de ses décisions elles-mêmes »[61]. La thèse de doctorat de Sylvies Salles, publiée en 2016, a relevé la présence d’un certain « conséquentialisme » – entendu comme un jugement fondé sur les effets et non sur les fondements qui soutiennent la décision – dans la jurisprudence constitutionnelle. Le juge constitutionnel peut être amené à prendre en compte les conséquences politiques, économiques, sociales, institutionnelles de ses décisions, notamment pour prévenir les conséquences néfastes d’une solution vis-à-vis des droits et libertés.

Bien que l’ouverture des archives et la publication des grandes délibérations du Conseil constitutionnel entre 1958 et 1983 aient prouvé que le « réflexe conséquentialiste » existe depuis la création de l’institution[62], le conséquentialisme ou l’appréciation objective des conséquences de la loi tend à s’accentuer depuis l’entrée en vigueur de la QPC, comme le montre le recours régulier à la technique de la modulation des effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Comme mentionné au point 9 ci-dessus, qu’il s’agisse du contrôle a priori ou du contrôle a posteriori, le Conseil constitutionnel effectue un contrôle in abstracto. Ce contrôle de norme à norme n’oblige pas le Conseil constitutionnel à prendre en considération les conséquences prévisibles de la disposition soumise à son appréciation ou les effets de leur éventuelle abrogation, mais on observe qu’il adopte progressivement un « réflexe conséquentialiste » évoqué au point 9, pour éviter que ses décisions ne concentrent les critiques de nature « conséquentialiste »[63].

À cette fin, et comme l’y habilite la Constitution depuis la réforme du 28 juillet 2008, le Conseil constitutionnel module dans le temps des effets de ses décisions d’inconstitutionnalité :

Article 62 al. 2 de la Constitution :
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

L’interprétation que fait le Conseil constitutionnel des droits et libertés des citoyens est marquée par les critères de constance et de stabilité, qu’aucune crise politique, économique ou sociale n’est venue ébranler jusqu’à présent.

Le Conseil constitutionnel a néanmoins pu tenir un rôle pacificateur lors de certaines crises politiques ou sociales ; il est possible de citer à titre d’exemple la position du juge constitutionnel vis-à-vis de l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie et des diverses révisions constitutionnelles à la suite de l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Amené à se prononcer sur certaines questions que soulevait la mise en œuvre du régime de l’état d’urgence sanitaire, le Conseil constitutionnel a vérifié, comme à son habitude, que le législateur avait concilié de manière équilibrée l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés garantis par la Constitution.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Tout au long de la crise sanitaire, le Conseil constitutionnel a assuré son rôle de garant des libertés fondamentales en recourant à ses méthodes de fonctionnement habituelles. Cette période, pas plus qu’aucune autre, n’a souffert d’une « éclipse des droits fondamentaux ».

La suspension des délais dans lesquels le Conseil constitutionnel est contraint de rendre ses décisions en matière de QPC a compté parmi les premières mesures législatives d’urgence destinées à répondre à l’épidémie de covid-19. Le Conseil constitutionnel a affirmé que cette suspension « ne remet pas en cause l’exercice de ce recours ni interdit qu’il soit statué sur une question prioritaire de constitutionnalité durant cette période »[64].

Seule l’organisation des travaux du Conseil constitutionnel a dû être adaptée aux contraintes sanitaires.


  • [1]
    V. Champeil-Desplats, « Le Conseil constitutionnel, protecteur des droits et libertés ? », CRDF, n° 9, 2011, p. 11-22  [Retour au contenu]
  • [2]
    Conseil constitutionnel, décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association  [Retour au contenu]
  • [3]
    L. Favoreu, « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, 1977, pp. 33-48  [Retour au contenu]
  • [4]
    Rapport France en vue de la VIIIe Conférence des cours constitutionnelles européennes, « Le Conseil constitutionnel français. In Annuaire international de justice constitutionnelle, 6-1990, 1992. La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux – Le principe de non-rétroactivitédes lois. », pp. 133-159  [Retour au contenu]
  • [5]
    D. Lochak, « L’État de droit et droits de l’homme : une assimilation progressive », in Les droits de l’homme, La Découverte, 2018, pp. 55-70  [Retour au contenu]
  • [6]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [8]
    L. Favoreu, « De la démocratie à l’État de droit », Le Débat, Gallimard, 1991/2, n° 64, pp. 154 à 158  [Retour au contenu]
  • [9]
    Liste des critères de l’État de droit, adoptée par la Commission de Venise à sa 106e session plénière (Venise, 11-12 mars 2016), sur internet : https ://venice.coe.int/images/SITE%20IMAGES/Publications/ Rule_of_Law_Checklist_FRA.pdf  [Retour au contenu]
  • [10]
    Rapport sur la prééminence du droit – Adopté par la Commission de Venise lors de sa 86e session plénière (Venise, 25-26 mars 2011), sur internet : https ://venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2011)003rev-f  [Retour au contenu]
  • [11]
    Conseil constitutionnel, décision n° 85-197 DC du 23 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie  [Retour au contenu]
  • [12]
    G. Carcassonne, La Constitution, Le Seuil, 2016, p. 295  [Retour au contenu]
  • [13]
    Y. Mény, « Révolution constitutionnelle et démocratie : chances et risques d’une nouvelle définition de la démocratie », Cahiers du Conseil constitutionnel, hors-série – Colloque du Cinquantenaire, 3 novembre 2009  [Retour au contenu]
  • [14]
    Source : https ://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/ la-democratie  [Retour au contenu]
  • [15]
    « Le juge constitutionnel est-il un contre-pouvoir ? », Table ronde du Centre français de droit comparé (Paris, 21 juin 2010), Revue internationale de droit comparé, vol. 62, n° 3, pp. 788-812, sur internet : https ://www.persee.fr/docAsPDF/ridc_0035-3337_2010_ num_62_3_19967.pdf  [Retour au contenu]
  • [16]
    V. l’entretien avec le Président Fabius, rapport d’activité 2021 du Conseil constitutionnel, p. 6. Sur internet : https ://www.conseil- constitutionnel.fr/sites/default/files/2021-09/2021_rapport_activite.pdf  [Retour au contenu]
  • [17]
    Le bloc de constitutionnalité peut être défini comme « l’ensemble des principes et des règles de valeur constitutionnelle dont le respect s’impose au pouvoir législatif comme au pouvoir exécutif » et dont le Conseil constitutionnel doit assurer le respect, L. Favoreu, « Bloc de constitutionnalité », in O. Duhamel et Y. Mény (dir.), Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 87  [Retour au contenu]
  • [18]
    Cons. const., déc. n° 75-54 du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse  [Retour au contenu]
  • [19]
    A. Levade, « L’invocation des droits fondamentaux dans les saisines parlementaires et l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 49, octobre 2015, p. 73 à 86  [Retour au contenu]
  • [20]
    J. Rivero, note sous la décision du 23 novembre 1977, A.J.D.A.,1978, chr. p. 569  [Retour au contenu]
  • [21]
    D. Breillat, « La hiérarchie des droits de l’homme », in Droit et politique à la croisée des cultures, 1999, p. 353-372  [Retour au contenu]
  • [22]
    « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de »  [Retour au contenu]
  • [23]
    R. Fraisse, « L’article 16 de la Déclaration, clef de voûte des droits et libertés », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, juin 2014, n° 44, p. 9-21  [Retour au contenu]
  • [24]
    G. Carcassonne, La Constitution, Le Seuil, 2016, p. 437  [Retour au contenu]
  • [25]
    F. Hamon, M. Troper, Droit constitutionnel, LGDJ, 2012, 908 p.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Ibid  [Retour au contenu]
  • [27]
    L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 9e éd., 1997, p. 602  [Retour au contenu]
  • [28]
    D. Breillat, « La hiérarchie des droits de l’homme », in Droit et politique à la croisée des cultures, 1999, p. 370  [Retour au contenu]
  • [29]
    A. Ménard, « De la prévalence à l’intangibilité des « droits et libertés que la Constitution garantit » : Étude de la résolution des conflits de normes de référence au contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel » In R. Colavitti et S. Corioland (dir.), Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et État de droit, L’Harmattan, 2021, p. 72  [Retour au contenu]
  • [30]
    Cons. const., déc. n° 2018-761 QPC du 1er février 2019, Association Médecins du Monde et autres  [Retour au contenu]
  • [31]
    Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République peuvent être définis comme « les normes constitutionnelles affirmées explicitement ou implicitement dans certaines grandes lois des Ie, IIe ou IIIe Républiques » et qui sont progressivement reconnus par le Conseil constitutionnel.  [Retour au contenu]
  • [32]
    O. Dutheillet de Lamothe, « L’effectivité et l’efficacité du contrôle de constitutionnalité en France », disponible en ligne : https ://www. conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/pdf/Conseil/controloi.pdf  [Retour au contenu]
  • [33]
    Source : https ://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/point-sur-les- principe-fondamentaux-reconnus-par-les-lois-de-la-republique/h/8 1e11564030804b3d04528a2d86e7577.html  [Retour au contenu]
  • [34]
    const., déc. n° 75-54 du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse  [Retour au contenu]
  • [35]
    Cons. const., déc. n° 86-216 DC du 3 septembre 1986 et n° 89-268 DC du 29 décembre 1989  [Retour au contenu]
  • [36]
    O. Dutheillet de Lamothe, « L’influence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le Conseil constitutionnel », sur Internet : https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/l-influence- de-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-sur-le-conseil- constitutionnel  [Retour au contenu]
  • [37]
    Cass. Ch. mixte, 24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre  [Retour au contenu]
  • [38]
    CE, Ass., 20 octobre 1989, n° 108243,  [Retour au contenu]
  • [39]
    Par sa décisionn° 99-416 DCdu 23 juillet 1999, le Conseil constitutionnel a jugé que le droit au respect de la vie privée constitue une composante de la liberté personnelle garantie par l’article 2 de la Déclaration de 1789  [Retour au contenu]
  • [40]
    Par sa décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a déduit du Préambule de la Constitution de 1946 le principe de la dignité humaine en s’inspirant des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.  [Retour au contenu]
  • [41]
    O. Dutheillet de Lamothe, « L’influence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le Conseil constitutionnel », sur Internet : https ://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/l-influence- de-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-sur-le-conseil- constitutionnel  [Retour au contenu]
  • [42]
    S. Benzina, « L’effectivité des décisions QPC du Conseil constitutionnel », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 57, octobre 2017  [Retour au contenu]
  • [43]
    S. Benzina, « L’effectivité des décisions QPC du Conseil constitutionnel », LGDJ, coll. Thèses, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, 2017, 772 p.  [Retour au contenu]
  • [44]
    S. Benzina, « L’effectivité des décisions QPC du Conseil constitutionnel », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 57, octobre 2017  [Retour au contenu]
  • [45]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [46]
    Conseil constitutionnel, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse, cons. 1  [Retour au contenu]
  • [47]
    Conseil constitutionnel, décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe  [Retour au contenu]
  • [48]
    Conseil constitutionnel, décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, cons. 13 : « Considérant que la France est, ainsi que le proclame l’article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine ; que dès lors la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion ».  [Retour au contenu]
  • [49]
    Conseil constitutionnel, décision n° 1984-177 DC, Statut du territoire de Polynésie française et n° 1984-178 DC, Statut du territoire de Nouvelle-Calédonie  [Retour au contenu]
  • [50]
    Conseil constitutionnel, décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires  [Retour au contenu]
  • [51]
    Conseil constitutionnel, décision n° 2021-818 DC du 21 mai 2021, Loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion  [Retour au contenu]
  • [52]
    Conseil constitutionnel, décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA [Interdiction du travail le dimanche en Alsace-Moselle]  [Retour au contenu]
  • [53]
    Conseil constitutionnel, décision n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012, Association Comité radicalement anti-corrida Europe et autre [Immunité pénale en matière de courses de taureaux]  [Retour au contenu]
  • [54]
    Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 10  [Retour au contenu]
  • [55]
    Article 1er de la Constitution de 1958  [Retour au contenu]
  • [56]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [57]
    Conseil constitutionnel, décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011, Mme Térésa et autre [Exception de vérité des faits diffamatoires de plus de dix ans], cons. 5  [Retour au contenu]
  • [58]
    Ph. Billet, « Un nouvel objectif de valeur constitutionnelle : la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains », La semaine juridique, Administrations et collectivités territoriales, n° 21-22, 25 mai 2020, p. 11  [Retour au contenu]
  • [59]
    Les moyens soulevés d’office peuvent être définis comme les « normes de référence que le Conseil constitutionnel produit de son propre office pour substituer, compléter ou confirmer l’argumentaire des requérants », A.-C. Bezzina, Les questions et les moyens soulevés d’office par le Conseil constitutionnel, Dalloz, 2014, p. 11.  [Retour au contenu]
  • [60]
    L. Marguet, « Le Conseil au soutien des justiciables ? Quand le Conseil s’empare des moyens d’inconstitutionnalité – Réflexions autour des moyens soulevés d’office », Revue des droits de l’homme, n° 20  [Retour au contenu]
  • [61]
    D. Fallon, « Le contrôle concret de constitutionnalité des lois par le Conseil constitutionnel », Revue belge de droit constitutionnel, décembre 2017, n° 1-2, pp. 129-157  [Retour au contenu]
  • [62]
    V. par exemple les propos d’André Ségalat, membre du Conseil constitutionnel de 1977 à 1986, lors de la séance du 24 décembre 1979, décision n° 79-110 DC, Vote du budget pour 1980 : « nous ne pouvons pas, enfin, ne pas nous interroger sur les conséquences qu’aurait une annulation », in B. Mathieu et al., Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1983, Dalloz, 2009, p. 317.  [Retour au contenu]
  • [63]
    « [O]n reprocha au Conseil constitutionnel de n’avoir pas suffisamment pris en compte les conséquences de l’abrogation du texte réprimant le harcèlement sexuel en délivrant, par cette indifférence, tout à la fois, un message de mépris à l’égard des victimes de tels comportements et d’impunité à l’égard de leurs auteurs », G. Canivet, « Le conséquentialisme dans le contrôle de constitutionnalité – Vérification d’une hypothèse », in Constitution, justice, démocratie, 2020, p. 39-51  [Retour au contenu]
  • [64]
    Conseil constitutionnel, décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, paragr. 5.  [Retour au contenu]

 

 

 

Cour constitutionnelle du Gabon

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

« La Cour constitutionnelle est la haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle », selon l’article 83 de notre Constitution. Elle est donc celle qui assure la protection de notre norme fondamentale, et plus précisément de ce qu’il convient d’appeler, selon l’expression consacrée, notre bloc de constitutionalité.

Une constitution, nous le savons, comprend :

    • d’une part, l’ensemble des règles qui organisent les pouvoirs publics et les rapports entre eux ;
    • et d’autre part, une « liste » de libertés fondamentales.

Gardienne de la Constitution, notre Cour est par conséquent celle qui garantit le respect des droits et libertés qui y sont intégrés.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence dévolue à la Cour constitutionnelle est explicite. Elle est clairement exprimée par la Constitution.

    • à l’article 83 : « Elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques » ;
    • à l’article 84 tiret 2 : « la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation, des ordonnances ainsi que des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques, après leur publication » ;
    • à l’article 86 concernant le contrôle par voie d’exception : « Tout justiciable peut, à l’occasion d’un procès devant un tribunal ordinaire, soulever une exception d’inconstitutionnalité à l’encontre d’une loi ou d’une ordonnance qui méconnaîtrait ses droits fondamentaux ».

Il n’est pas anodin pour nous que la Constitution ait, à plusieurs reprises, mentionné ce rôle de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales. À l’évidence, le Constituant gabonais a voulu marquer l’importance de cette mission dévolue à la Cour constitutionnelle.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Plus qu’un simple rapport, nous considérons que ces trois notions sont indissociables. Elles participent d’un même mouvement.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Il n’est pas possible, de notre point de vue, d’envisager un véritable État de droit, ni une véritable démocratie, sans que s’établisse une protection des droits de l’Homme effective.

Il faut ici revenir à la conception que nous retenons de ces deux notions que sont l’État de droit et la démocratie.

Pour la première, il faut rappeler que la notion d’État de droit s’est imposée comme incontournable dans l’esprit des constituants qui ont participé à l’élaboration des constitutions issues du grand mouvement des Conférences Nationales.

Pour reprendre le Pr Fromont, « L’État de droit est avant tout une idée, celle selon laquelle l’action de l’État n’est légitime que si elle obéit au droit, c’est-à-dire à un ensemble de règles préétablies ». Le respect de la hiérarchie des normes avec au sommet la constitution est la caractéristique fondamentale d’un État de droit. Le pouvoir politique, celui-là même qui crée la norme, doit également s’y soumettre.

Mais au-delà de cette hiérarchie formelle, il ne s’agit pas que le pouvoir obéisse à n’importe quel droit.

L’État de droit ne vaut que s’il porte et garantit un corpus de droits et libertés fondamentaux. Car il s’agit à travers l’État de droit que s’affirme la suprématie des droits et libertés fondamentaux.

Il ne faut pas oublier que l’État de droit s’impose tout d’abord comme une garantie contre l’arbitraire du pouvoir politique, en ce sens que ce dernier doit se soumettre au droit, mais également que la consécration de cette notion d’État de droit s’accompagne de l’affirmation d’un certain nombre de valeurs fondamentales.

Ainsi, sans l’affirmation d’un corpus de droits et libertés fondamentaux au sommet de la pyramide des normes, il n’y pas d’État de droit qui vaille.

Il en va de même de la notion de démocratie.

Au-delà de la définition de gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, la démocratie se réalise avant tout par la combinaison de différents critères.

Une première originalité, par rapport aux autres régimes politiques, tient à la participation des citoyens à la prise de décision.

Une autre condition est l’existence d’un pluralisme politique qui ouvre la possibilité d’un choix, pour les gouvernés, dans la détermination de leurs gouvernants. C’est-à-dire, tout à la fois, que ne s’impose pas un seul courant idéologique et que la liberté des partis politiques puisse s’affirmer.

La reconnaissance d’une opposition organisée par l’intermédiaire des partis politiques est également caractéristique d’un système démocratique.

Elle doit être posée également comme condition indispensable de la démocratie : des droits et libertés fondamentaux reconnus aux individus et aux partis et groupements susceptibles de postuler à l’exercice du pouvoir politique, de sorte qu’ils soient en capacité, pour les uns d’opérer un choix éclairé et libre, et pour les autres de pouvoir influencer l’opinion et offrir une alternative aux citoyens.

Pluralisme, respect des droits et libertés fondamentaux, séparation des pouvoirs sont ainsi essentiels pour caractériser un régime démocratique.

Ainsi, incontestablement, si l’on se place dans cette perspective, droits de l’homme, État de droit et démocratie sont indéfectiblement liés.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

État de droit, garantie des libertés et droits fondamentaux, et démocratie peuvent aujourd’hui difficilement s’envisager séparément, ils ne sont pour autant pas strictement superposables. Si les trois éléments doivent en principe se trouver réunis dans un État de droit garantissant les droits et libertés fondamentaux, les procédés de mise en œuvre de chacun, comportent des différences et peuvent même se révéler contradictoires.

La réalisation de l’État de droit s’opère essentiellement dans un cadre juridique, à travers un rapport de normes. La norme inférieure se devant de respecter la norme supérieure, avec au sommet une constitution dont la protection est assurée par une juridiction constitutionnelle.

La notion de démocratie telle que nous l’avons évoquée plus haut est beaucoup plus complexe, dépendante de multiples critères, et surtout a une dimension politique évidente.

Un État de droit est en définitive facilement identifiable. La soumission au droit jusqu’au sommet par les plus hautes instances politiques en est le principal révélateur.

De la démocratie, il en va tout autrement.

La démocratie est avant tout un but, une finalité, au service des citoyens et de l’affirmation de leurs droits et libertés fondamentaux. Et même, pour les États communément qualifiés de démocratie, des améliorations sont toujours envisageables et la perfection n’est jamais atteinte.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Notre réponse ne peut être que positive.

Concernant tout d’abord la contribution de la Cour à l’État de droit, cela relève pour nous de l’évidence. Il ne peut en être autrement, car État de droit démocratique et contrôle de constitutionnalité sont indéfectiblement liés.

Par ailleurs, la jurisprudence abondante de notre Cour constitutionnelle dans les domaines de la séparation des pouvoirs, du respect des droits et libertés fondamentaux et de l’affirmation du pluralisme démocratique avec la participation des citoyens à la désignation de leurs représentants a contribué énormément à consolider l’État de droit et la démocratie dans notre pays.

En effet, dans sa décision n° 002/93/CC du 28 janvier 1993, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur une requête introduite par le Parti Gabonais du Progrès et dix-sept députés à propos de la conformité à la Constitution du décret n° 2056/PR/MDNSI fixant les modalités de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d’identité.

À ce propos, la Cour avait ordonné l’annulation partielle dudit décret motif pris de ce que certains articles de ce décret faisaient obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte nationale d’identité et constituaient, de ce fait, une source potentielle de discrimination entre les citoyens devant la loi, violant ainsi les dispositions des alinéas 1 et 3 du préambule et de l’article 2 de la Constitution.

Dans une autre décision n° 022/CC datée du 30 avril 2018 et relative à la requête présentée par le Premier ministre aux fins d’interprétation des articles 4, 28, 28a, 31, 34, 35 et 36 de la Constitution, la Cour constitutionnelle avait relevé des lacunes aux articles 4, 34 et 36 de la Constitution, suite au non renouvellement du mandat des députés à l’Assemblée nationale dans les délais prévus par la Constitution.

Par cette décision, la Cour constitutionnelle avait constaté la fin des pouvoirs des députés de la douzième législature et, par voie de conséquence, la cessation des fonctions du Gouvernement issu de la majorité des députés à l’Assemblée nationale et avait transféré au seul Sénat les pouvoirs du Parlement.

À travers ces décisions, entre autres, qui ont instauré pour l’une, l’égalité de tous les citoyens à l’accès à la carte nationale d’identité et pour l’autre, le respect des délais constitutionnels à la tenue des élections législatives, la Cour constitutionnelle a contribué ainsi à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Nous ne pouvons envisager l’action de notre Cour que dans cette perspective. Notre fonction première est d’assurer le respect de la Constitution.

En effet, celle-ci proclame en son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce directement, par le référendum ou par l’élection, selon le principe de la démocratie pluraliste, et indirectement par les institutions constitutionnelles » ; en son article 5 : « La République Gabonaise est organisée selon les principes de la souveraineté nationale, de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et celui de l’État de droit » ; ou encore à l’article 110 : « La forme républicaine de l’État, ainsi que le caractère pluraliste de la démocratie sont intangibles et ne peuvent faire l’objet d’aucune révision ».

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Parmi les critères qui fondent un régime démocratique, on peut citer la séparation des pouvoirs, le respect des droits et libertés fondamentaux, l’affirmation du pluralisme et bien sûr la participation des citoyens à la désignation de leurs représentants.

Dans tous ces domaines, nous intervenons soit pour faire respecter la répartition des compétences entre les trois pouvoirs telle que fixée par la Constitution, soit pour préciser les limites de tel droit ou liberté, soit encore pour garantir la transparence du processus électoral et légitimer l’élection. Toutes nos actions, à travers les compétences qui nous ont été attribuées par le constituant, ne concourent et ne peuvent concourir qu’à cette fin : la consolidation de la démocratie.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Bien évidemment, le contrôle de constitutionnalité constitue la pierre angulaire de notre action. L’absence de contrôle de constitutionnalité provoque l’effondrement de tout l’édifice normatif. Autrement dit, sans contrôle de constitutionalité, pas d’État de droit. Mais au-delà, la légitimité d’un contrôle de constitutionnalité se justifie par le fait que s’instaure une synergie entre l’édification de l’État de droit, matérialisée par le contrôle de constitutionnalité et l’avènement de la démocratie, à travers laquelle s’affirment le principe de la souveraineté nationale et celui de la séparation des pouvoirs.

Si le contrôle de constitutionnalité est non seulement la compétence principale de notre juridiction, mais également celle qui fonde son existence et ses spécificités, d’autres compétences viennent compléter le dispositif. La réalisation de l’État de droit et l’affirmation de la démocratie ne peuvent se suffire du seul contrôle de constitutionnalité qui n’est, en définitive, que la partie d’un tout, d’un ensemble de compétences aux objectifs convergents.

Une première de ces compétences est celle de juge de l’élection. Le contrôle que nous exerçons en la matière est décisif pour la légitimité des représentants élus.

Dans ce contexte, la fonction de juge électoral prend une dimension fondamentale. Il n’y a pas de démocratie sans des élections libres et pluralistes et c’est à la Cour de s’en assurer.

Mais il ne faut pas non plus négliger toute une série de compétences qui participe au rôle de « régulateur » du fonctionnement des institutions. Ces interventions sont diverses. Elles s’expriment soit par une médiation entre les différents pouvoirs ou une collaboration, mais encore par des compétences exercées en propre.

Elles nous permettent d’intervenir plus en amont et d’insuffler dans les mécanismes de décisions politiques les principes et les règles qui président à un État de droit démocratique.

On peut citer :

    • les procédures visant à assurer le respect de la répartition des compétences entre les différentes institutions comme prévue par la Constitution. Il est de fait, important pour poser les assises de l’État de droit, que chacun des corps constitués trouve dans les juridictions constitutionnelles un garant, apte à le protéger de tout empiétement, volontaire ou non, de telle autre institution ;
    • les différentes interventions de nature consultative sont incontestablement une garantie pour l’État de droit. Elles ont un effet préventif certain, elles contribuent à atténuer par la discussion qu’elles instaurent, le caractère trop abrupt d’une décision juridictionnelle.

Elles permettent également lorsque les institutions de la République, l’indépendance ou les intérêts supérieurs de la Nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés, de rappeler, en ces périodes de crises, quels principes constitutionnels doivent continuer de s’imposer.

Un autre domaine fondamental où la Cour constitutionnelle intervientàtitreconsultatifestceluidelarévisionconstitutionnelle.

La Constitution gabonaise prévoit que tout projet ou toute proposition de révision est soumis, pour avis, à la Cour constitutionnelle.

La procédure consultative devant la Cour constitutionnelle impose au pouvoir constituant dérivé certaines contraintes aptes à préserver une certaine cohésion des dispositions constitutionnelles, et à préserver nombre de principes que la Cour considère comme essentiels, sans pour autant aller à l’encontre du pouvoir constituant, ni entraver son action.

Le pouvoir constituant conserve le dernier mot de ce qui est fondamental, mais la Cour à sa manière participe activement au processus décisionnel.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Modestement, nous apportons notre contribution à la promotion de l’État de droit, notamment en encadrant le processus électoral pour plus de transparence et de pluralisme, en garantissant la séparation des pouvoirs à travers nos compétences en matière de régulation, en censurant ou en orientant la production normative de telle sorte que les droits et libertés connaissent une effectivité certaine.

Nous relevons également les changements positifs dans le comportement de la classe politique et des citoyens qui sont de plus en plus attentifs au respect des principes portés par notre Constitution et par notre jurisprudence.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

La Cour constitutionnelle a une seule vocation : dire le droit. Elle ne statue pas en opportunité.

Elle est une juridiction. L’action de la Cour s’inscrit dans l’exercice du pouvoir judiciaire.

La Cour constitutionnelle est une juridiction qui n’a à juger qu’en droit. Par principe, tout contrôle d’opportunité qui donnerait une dimension politique à ses décisions est exclu. Elle n’a pas, par ses décisions, à se substituer à la volonté des représentants élus qui bénéficient de la légitimité découlant de leur élection.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Notre pays, dès l’origine, a opté pour un contrôle de constitutionnalité le plus ouvert possible.

En effet, la Cour constitutionnelle est saisie par les autorités publiques à savoir : le président de la République, le Premier ministre, les présidents des Chambres du Parlement, un dixième des membres de chaque Chambre, les présidents de la Cour de cassation, du Conseil d’État, de la Cour des comptes, les présidents des Autorités Administratives Indépendantes ainsi que toute personne physique ou toute personne morale.

Même si nous avons pu, à travers les différentes révisions constitutionnelles, opérer des ajustements, nous avons conservé le même schéma, à savoir :

    • une combinaison d’un contrôle par voie d’action a priori et d’un contrôle a posteriori par voie d’exception ;
    • et une saisine largement ouverte, aussi bien aux différents acteurs institutionnels, mais tout autant aux citoyens, qui, nous ne devons pas l’oublier, doivent être les principaux bénéficiaires de l’affermissement des droits et libertés.

Concernant le contrôle a priori, l’action des autorités publiques est certes prépondérante, mais les possibilités de saisine ouvertes aux particuliers ne doivent pas être négligées, tout à la fois parce qu’elles impliquent davantage le citoyen dans le processus démocratique et qu’elles ouvrent aux juridictions constitutionnelles la possibilité d’établir des bases jurisprudentielles en des domaines négligés par les autorités publiques.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’Homme : références internationales ou nationales ?

Avant toute chose, il faut revenir sur notre toute première décision, la décision n° 001/CC du 28 février 1992, « Loi organique n° 14/91 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de la Communication ».

Par cette décision, notre juridiction a affirmé que « la conformité d’un texte de loi à la Constitution doit s’apprécier non seulement par rapport aux dispositions de celle-ci, mais aussi par rapport au contenu des textes et normes de valeur constitutionnelle énumérés dans le préambule de la Constitution, auxquels le peuple gabonais a solennellement affirmé son attachement et qui constituent, avec la Constitution, ce qu’il est convenu d’appeler le bloc de constitutionnalité ».

En conférant ainsi valeur constitutionnelle au préambule de facto quatre grandes déclarations étaient intégrées à notre « bloc de constitutionnalité » :

    • la première dont on connaît la portée historique et le prestige international, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
    • la deuxième, qui inscrit les droits de l’homme dans une perspective universelle, la Déclaration universelle de 1948 ;
    • la troisième, à vocation régionale, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 ;
    • et enfin une dernière déclaration d’origine interne qui exprime la perception proprement gabonaise des droits et libertés de nature fondamentale : la Charte nationale des Libertés.

Ces déclarations viennent compléter la liste des droits et libertés énoncés à l’article premier de notre Constitution.

Si ces déclarations se complètent, elles se superposent également pour partie, étant entendu qu’un grand nombre de droits et libertés se retrouvent exprimés quasiment à l’identique dans ces différents instruments.

Aussi est-il difficile de dire quelles sont les références nationales ou internationales qui sont les plus utilisées.

Notre principale préoccupation est surtout de trouver la source normative et l’approche de tel ou tel droit ou liberté qui sont les mieux à même d’assurer la protection la plus efficace. Peu nous importe que la source ait une origine nationale ou internationale dès lors qu’elle est intégrée dans le bloc de constitutionnalité.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Nous n’avons jusqu’à présent opéré, dans nos décisions, aucune hiérarchisation entre les différentes sources.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Incontestablement, ce sont les droits et libertés « dits de première génération », les « droits-libertés » (liberté d’expression, d’opinion, de réunion, d’association), les droits politiques (droit de vote et d’éligibilité), tous les droits en lien avec la notion de droit au procès équitable, et bien évidemment le principe d’égalité.

S’ils sont plus invoqués c’est certainement parce qu’ils sont mieux connus et mieux appréhendés par les citoyens. Ils sont aussi naturellement plus facilement invocables, car ils peuvent être mis à mal par l’intervention de l’État puisque le plus souvent cette intervention va imposer des restrictions.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Sans avoir explicitement consacré des droits et des libertés « d’un type nouveau », nous sommes particulièrement attentifs au respect de la dimension environnementale de certains droits et libertés et de leur impact en matière de développement durable.

Nous rappelons à ce titre, que le tiret 8 de l’article 1 de la Constitution proclame : « L’État, selon ses possibilités, garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère, aux handicapés, aux vieux travailleurs et aux personnes âgées, la protection de la santé, la sécurité sociale, un environnement naturel préservé, le repos et les loisirs ».

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Tous les droits et libertés intégrés dans notre bloc de constitutionnalité ont par définition valeur constitutionnelle, on ne saurait par conséquent établir de hiérarchie du point de vue juridique.

Cependant, dans la pratique, parce qu’ils sont très souvent invoqués par les requérants, parce qu’ils bénéficient par la multiplication des décisions d’une jurisprudence solide et établie, parce qu’ils sont essentiels par leur substance même, comme le droit à la vie, ils bénéficient d’une protection plus évidente.

D’autres, parce que leurs contours sont plus flous, parce qu’ils nécessitent une intervention particulière de l’État, voient leur protection plus difficile à mettre en œuvre.

Mais pour autant, il ne s’agit pas d’établir une hiérarchie.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Cette place est essentielle, rares sont les décisions qui ne font pas référence directement ou indirectement à tel ou tel droit ou liberté.

Hormis celles relatives à l’organisation de telle ou telle institution, à la conformité des traités internationaux, ou par exemple aux règlements des assemblées, les droits et libertés sont au centre de nos préoccupations.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Nous ne considérons pas que nous utilisons des procédés spécifiques pour donner un régime particulier aux droits fondamentaux.

Nous vérifions seulement que le texte qui nous est soumis ne vide pas de sa substance tel ou tel droit ou liberté et que les limites qui lui sont posées sont strictement nécessaires au regard de certaines contraintes que peuvent être le maintien de l’ordre public ou la satisfaction de l’intérêt général, toujours par un examen in concreto.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

A priori, nous n’avons pas mis en œuvre des techniques que l’on pourrait considérer comme originales. Il nous semble que notre contrôle est tout à fait classique et que les méthodes de protection des droits et libertés que nous actionnons se retrouvent à l’identique dans la plupart des juridictions constitutionnelles.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Les droits et libertés intégrés dans notre bloc de constitutionnalité bénéficient d’une protection à l’identique des autres dispositions de la Constitution. Leur violation est de même sanctionnée par l’inconstitutionnalité du texte incriminé.

Au demeurant, ce qui distingue véritablement les droits fondamentaux des autres dispositions constitutionnelles, surtout celles qui ont un caractère « technique », est que notre marge d’appréciation, ce pouvoir d’interprétation propre au juge, est beaucoup plus large.

D’une certaine manière, comme les droits et libertés sont le plus souvent seulement énoncés par la Constitution, c’est à nous, à l’examen de la production législative, d’en établir les contours et d’en fixer les limites, donc leur donner toute leur réalité.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Cf. question 1.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’Homme ?

Les traités et la jurisprudence internationale ne font pas partie de notre bloc de constitutionnalité. En conséquence, nous ne contrôlons pas la conformité de nos lois, ou tout autre acte, à ces normes dans le cadre du contrôle de constitutionnalité.

Nous restons toutefois très attentifs aux prises de positions internationales et aux évolutions jurisprudentielles que peuvent connaître les juridictions internationales, notamment celles qui ont en charge la protection des droits et libertés fondamentaux.

Nous en faisons d’ailleurs de même concernant la jurisprudence de nos « homologues » étrangers qui peuvent être source d’inspiration. Mais en aucun cas nous ne sommes tenus par ces normes internationales.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Conformément à l’article 92 de notre Constitution, « Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales ». Ces dispositions s’appliquent bien évidemment à l’identique, que ce soit des décisions rendues en matière de droits de l’homme, ou sur toute autre disposition constitutionnelle.

Nous préciserons que dans le cadre d’un contrôle par voie d’exception, « Si elle déclare la loi ou l’ordonnance incriminée contraire à la Constitution, cette loi ou cette ordonnance cesse de produire ses effets à compter de la décision » (article 86), elle est donc immédiatement écartée du procès en cours.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Comme indiqué à la question précédente, les décisions de la Cour constitutionnelle s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales.

La Constitution, néanmoins, n’a pas prévu de dispositif de sanction en cas de non-respect des décisions de la Cour que ce soit en matière de protection des droits de l’homme ou en tout autre domaine.

Pour autant, à ce jour, nous n’avons pas recensé de cas où une autorité politique, administrative, ou juridictionnelle se soit opposée frontalement à une décision de la Cour constitutionnelle, ce dont nous nous félicitons.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Elles sont les mêmes que pour toute violation de la Constitution à savoir qu’une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée, publiée ou appliquée (article 85).

De même, dans le cadre d’un contrôle par voie d’exception, « Si elle déclare la loi ou l’ordonnance incriminée contraire à la Constitution, cette loi ou cette ordonnance cesse de produire ses effets à compter de la décision ».

Nous préciserons que les institutions doivent réagir dans ce cas, à savoir que « Le Parlement examine, au cours de la prochaine session, dans le cadre d’une procédure de renvoi, les conséquences découlant de la décision de non-conformité à la Constitution rendue par la Cour.

Lorsque la Cour admet l’inconstitutionnalité d’une ordonnance, le Gouvernement remédie à la situation juridique résultant de la décision de la Cour dans un délai d’un mois ».

Enfin, afin d’éviter la censure d’inconstitutionnalité qui peut s’avérer parfois brutale, la Cour a parfois recours à la technique des « réserves d’interprétation » qui lui permet de canaliser la volonté du législateur sans pour autant le censurer. Cette technique est particulièrement bienvenue en matière de droits et libertés fondamentaux.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

L’État de droit comme la démocratie dépendent autant des normes posées par une Constitution que des pratiques politiques, tout autant la constitution est la transcription juridique des valeurs que porte une société donnée.

Un système juridique n’est pas disjoint du réel, de l’état d’une société donnée à un instant donné. Constitution et société s’influencent mutuellement.

Le tiret 8 de l’article 1 de notre Constitution ne dit rien d’autre : « l ’État, selon ses possibilités, garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère, aux handicapés, aux vieux travailleurs et aux personnes âgées, la protection de la santé, la sécurité sociale, un environnement naturel préservé, le repos et les loisirs ».

L’histoire aussi pèse de tout son poids.

Dans ces conditions, les droits de l’Homme ne peuvent être que relatifs ; même ces droits que l’on considère devoir s’appliquer à tous, en tout temps et en tous les lieux, ne revêtent pas de caractère absolu ; ils connaissent des limites.

Le tout étant pour nous, juges constitutionnels, de faire que ces atteintes, ces limites soient les plus réduites possible.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

La Constitution, notre norme fondamentale, est le reflet de notre constitution sociale. Les valeurs sociétales et culturelles qui caractérisent le peuple gabonais s’y retrouvent en filigrane.

Nous rappellerons ici l’alinéa 3 du préambule de notre Constitution : « Le peuple gabonais (…) Proclame solennellement son attachement à ses valeurs sociales profondes et traditionnelles, à son patrimoine culturel, matériel et spirituel, au respect des libertés, des droits et des devoirs du citoyen ».

À travers ces dispositions, le préambule opère une conciliation entre le respect des traditions, de la culture et du patrimoine gabonais en général, avec l’affirmation des droits et libertés des citoyens, mais également de leurs devoirs.

Il manifeste la volonté d’assurer les libertés essentielles, mais également qu’elles s’expriment dans le cadre d’un système institutionnel respectueux des valeurs fondamentales qui ont construit la société gabonaise dans l’histoire.

Notre Cour en tient compte quant au sens à donner à ses décisions.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’Homme ?

Cf. 2.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’Homme ?

Le Gabon est une République laïque comme le proclame l’article 2 de la Constitution. Il n’existe pas de religion d’État et le même article 2 affirme la séparation de l’État et de l’Église et reconnaît toutes les croyances, sous réserve du respect de l’ordre public.

Nous adoptons donc une stricte neutralité au regard des différentes religions dans l’exercice de nos compétences et il ne nous appartient pas de fonder nos décisions sur les bases philosophiques de tel ou tel courant religieux.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est- elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’Homme ?

La paix est un droit, ce n’est pas un vain mot. Les grandes déclarations de droits ont, chacune à leur manière, affirmé cette nécessité.

Ainsi en est-il de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en son article 23, ou encore la Déclaration sur les Droits des Peuples à la paix approuvée par l’Assemblée générale dans sa résolution 39/11 du 12 novembre 1984 qui proclame solennellement que les peuples de la Terre ont un droit sacré à la paix. Il est fermement affirmé comme partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité.

Ce droit à la paix doit être bien compris, et ce de manière englobante, et doit se réaliser à travers toutes ses composantes, notamment le droit à la vie, le droit à la dignité, et enfin et surtout le droit à la sûreté, ce droit indispensable à l’effectivité de nos droits et libertés fondamentaux.

Cette sûreté ne se réalise pas seulement par le maintien de l’ordre public qu’elle affirme, mais tout autant elle s’exprime à travers la sécurité juridique, par des institutions fortes qui veillent à l’édification d’un corpus de normes stables, claires et protectrices de nos droits et libertés.

Ce sont là les caractéristiques d’un État de droit qui protègent les droits de l’Homme et qui assurent la cohésion sociale.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’Homme ?

Par la Décision n° 001/CC du 28 février 1992 « Loi organique n° 14/91 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de la Communication », nous avons donné valeur constitutionnelle au préambule de notre Constitution et par là- même intégré quatre déclarations de droits dans notre bloc de constitutionalité :

    • la première dont on connaît la portée historique et le prestige international, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
    • la deuxième, qui inscrit les droits de l’homme dans une perspective universelle, la Déclaration universelle de 1948 ;
    • la troisième, à vocation régionale, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 ;
    • et enfin une dernière déclaration d’origine interne qui exprime la perception proprement gabonaise des droits et libertés de nature fondamentale : la Charte nationale des Libertés.

Le fait d’intégrer directement ces déclarations traduit la volonté d’incorporer dans le droit positif constitutionnel interne un ensemble de principes qui emportent l’adhésion de la communauté internationale tout entière.

Il se manifeste ainsi la volonté de s’intégrer à une communauté internationale unie par le principe de l’universalité des droits de l’Homme.

Des deux grandes déclarations, nous retenons l’approche universaliste des droits et libertés fondamentaux que des États de droit se doivent d’approuver à l’identique.

Particulièrement, concernant la Déclaration universelle des droits de l’homme, c’est le principe d’universalité qui est au cœur du dispositif.

Elle exprime fermement cette idée selon laquelle les droits de l’Homme doivent s’appliquer sans exception sans restriction à l’humanité tout entière sans qu’il y ait lieu de prendre en compte l’origine, la race, ni même la nationalité ou la citoyenneté.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’Homme ?

Les grandes déclarations qui ont intégré notre bloc de constitutionnalité n’établissent pas seulement un catalogue de droits et libertés, elles posent aussi les bases d’une certaine forme d’organisation de la société et des rapports entre l’État et ses citoyens.

Ainsi, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, se sont imposées les idées d’un parlement élu, d’une loi ayant pour fonction la protection des libertés et des droits privés, le respect de l’individu et de ses droits constituant la base de la société.

Elle pose les références à des principes d’organisation politique, qui, justement, doivent participer à la préservation des droits naturels.

C’est notamment le cas concernant le principe de la séparation des pouvoirs qu’impose expressément l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Il incombe ainsi aux institutions de préserver, dans un modèle libéral dont la Déclaration pose également les fondements, toute une série de principes, notamment le principe de souveraineté nationale, de séparation des pouvoirs, de consentement à l’impôt, d’égal accès aux emplois publics, et le règne de la loi, expression de la volonté générale.

Concernant la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, elle établit un lien entre les droits de l’Homme et la paix des Nations. Cette dernière ne pouvant s’établir qu’en présence d’États démocratiques respectueux des droits de l’Homme et soucieux de s’affirmer comme des États de droit.

De la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, nous retenons qu’elle réalise une construction qui, tout à la fois, reprend les principes relatifs aux droits et libertés universellement admis dans le monde contemporain et intègre des spécificités propres à la société africaine, et qu’elle s’est focalisée sur ceux des droits qui, au regard du contexte sociopolitique africain, apparaissaient comme les plus menacés.

Enfin, s’agissant de la Charte nationale des Libertés, émanation des travaux de la Conférence nationale, son apport le plus important traduit la principale revendication de cette dernière : l’instauration du pluralisme et la liberté politique.

C’est sur ces quatre piliers que nous bâtissons notre jurisprudence, choisissant l’approche qui nous semble la plus pertinente pour garantir l’effectivité de tel ou tel droit.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Le volume extrêmement important du contentieux électoral que nous avons eu à traiter depuis la création de notre juridiction nous a conduit à développer, en dehors même du contrôle de constitutionnalité stricto sensu, une abondante jurisprudence relative aux droits et libertés en lien avec le processus électoral.

Ainsi en est-il notamment de la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, le droit de vote et l’éligibilité bien évidemment.

De manière générale, c’est relativement aux droits dits de « première génération » que nous avons eu à nous prononcer, le droit à l’intimité de la vie privée, l’inviolabilité du domicile, la liberté d’aller et de venir, le secret de la correspondance, la sûreté individuelle, la liberté religieuse et tous les droits et libertés en lien avec la notion de procès équitable.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

À notre sens, il ne peut en être autrement.

Proclamer une liste de droits et libertés est une chose. Les concrétiser, leur donner une réalité, en fixer le cadre, porter une appréciation sur telle loi, et s’interroger sur le point de savoir si elle garantit suffisamment tel ou tel droit ou liberté, ne peuvent se faire qu’en tenant compte des circonstances de temps et de lieu.

Nous devons donner une protection effective des droits et libertés par notre fonction de contrôle, mais notre action s’inscrit nécessairement dans une perspective plus générale.

Elle instaure en quelque sorte un dialogue avec le législateur, lequel, lorsqu’il légifère, pose des règles de droit qu’il considère comme les mieux à même de régir une situation de fait existante ou à venir.

Si, bien sûr, selon la formule consacrée nous ne disposons pas d’« un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement », l’état de notre société à un instant donné est nécessairement pris en compte dans notre analyse.

Ceci est vrai en période dite « normale » et cela l’est tout autant en situation de « crise ».

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

L’affirmation du corpus des droits et libertés bénéficiant d’une protection réelle ne va pas de soi. Elle nécessite un contexte préalable favorable, mais également un effort continu. Et, il faut convenir que certains facteurs entravent ou tout du moins ralentissent le processus de sécurisation de ces droits et libertés et par là même, la démocratisation et la marche vers l’État de droit.

Ces éléments doivent impérativement être pris en compte si l’on veut mesurer de manière effective les progrès parcourus.

Nous devons, dans l’exercice de notre fonction de juge constitutionnel, avoir une démarche pragmatique et prendre la mesure de tous ces éléments pour rendre des décisions aptes à faire progresser la protection des droits et libertés fondamentaux.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Les crises de quelque nature qu’elles soient, ne remettent pas en cause notre interprétation des droits et libertés des citoyens.

Elles nous imposent surtout de redéfinir les limites qui vont s’imposer à elles, d’évaluer au plus près les atteintes que nous pourrons considérer comme tolérables au regard des circonstances, et de s’assurer qu’elles se justifient par la volonté de rétablir une situation normale.

À l’évidence, ces situations d’exception peuvent nous conduire à admettre la légalité de décisions qui seraient invalidées dans des circonstances normales.

Parce qu’à cet instant, la situation est telle qu’il faut, pour assurer certains enjeux vitaux pour notre société, pour garantir la cohésion du tissu social, consentir à faire peser davantage de contraintes à l’exercice des libertés.

Il s’avère à ce moment donné, qu’eu égard à la gravité de la situation, il faille restreindre les libertés pour rétablir l’ordre public entendu au sens large.

La stabilité des institutions, le retour à la paix, la protection de la vie de nos concitoyens, peuvent justifier ces restrictions et redéfinir le point d’équilibre avec les libertés. Il ne s’agit évidemment pas de renier l’État de droit et les fondements de la démocratie.

Il est essentiel que les mesures prises restent adaptées, nécessaires et strictement proportionnées à la menace.

La juridiction doit s’assurer de la présence de garanties légales dans le respect des exigences constitutionnelles et examiner la proportionnalité des mesures visant à répondre aux nécessités du moment, que ce soit concernant leur durée, leur intensité ou leur dimension territoriale.

Ce rôle est fondamental afin que ce « droit de crise » ne vienne définitivement se substituer au droit de « paix ».

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Le Gabon, à l’instar des autres États, a dû, face à la propagation mondiale du covid, adopter toute une série de mesures afin d’endiguer cette pandémie, à savoir :

    • instauration d’un couvre-feu ou interdiction de sortie du domicile ;
    • confinement des personnes ou encore restrictions à la liberté d’aller et venir ;
    • mesures de mise à l’isolement des personnes contaminées ;
    • interdiction totale ou partielle de certaines activités commerciales ou industrielles ;
    • limitation de l’accès, voire fermeture de catégories d’établissements recevant du public et des lieux de réunion si les précautions ordinaires ne peuvent être observées ou dans des zones de circulation active du virus ;
    • réglementation des réunions et rassemblements, notamment sur la voie publique ;
    • fermeture partielle ou totale des frontières, ou obligation d’un test à l’arrivée ou au départ du

Autant de dispositions qui se sont à l’évidence révélées attentatoires aux libertés.

Liberté individuelle, liberté d’aller et venir, liberté de réunion ou de manifestation, liberté du commerce et de l’industrie ont ainsi eu à connaître des restrictions, restrictions sans aucune commune mesure avec celles établies en « période normale ».

Cependant, le droit à la vie étant un droit hautement fondamental, toutes ces restrictions n’ont pas eu une influence sur notre perception des droits de l’Homme.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

 

 

 

Tribunal constitutionnel de Guinée équatoriale

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui, puisque la Cour constitutionnelle est chargée d’interpréter la Constitution de la Guinée équatoriale, et elle contient un compte rendu des droits de l’homme et des libertés.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

C’est explicite, puisque la Cour constitutionnelle de Guinée équatoriale est chargée d’interpréter la Constitution et, par conséquent, les questions relatives aux droits de l’homme qu’elle contient.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

En effet, il existe, puisque la primauté du droit signifie que la primauté du droit dans les relations humaines et la démocratie est comprise comme une méthode de protection des droits de l’homme.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Le lien qui existe a été évoqué plus haut ; sans démocratie il est très difficile de parler d’État de droit et de droits de l’homme.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Aucune différence ne peut être établie dans le contexte dans lequel nous opérons en République de Guinée équatoriale.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à  consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui, notre jurisprudence y a contribué, par exemple, lorsqu’elle interprète le principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Évidemment oui, puisque les deux aspects sont indissociables.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Évidemment oui.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Comme souligné ci-dessus, lorsque la jurisprudence a interprété des questions conflictuelles, elle a contribué à consolider l’État    de droit.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

C’est évidemment positif, dans la mesure où les citoyens adaptent leur comportement aux critères établis.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Bien sûr qu’il l’est, puisque, lorsqu’il interprète la Constitution, il   le fait pour améliorer les institutions politiques.

12.Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Bien sûr, puisqu’il n’y a pas de limitation d’accès à la juridiction.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les deux.

2. Votre juridiction établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Oui.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Une protection juridictionnelle efficace.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Tout type de nouveau droit peut être invoqué.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Il est évident qu’il existe une hiérarchie, puisque le droit à la vie  n’est pas le même que le droit à la liberté d’expression.

6. Quel est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Ils sont prioritaires.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Par la procédure de protection constitutionnelle.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Il ne devrait y avoir aucune différence.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

L’intervention d’avocats dans les procédures où sont discutés les droits de l’homme.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

La Cour a le pouvoir de la déclarer inconstitutionnelle.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Les droits fondamentaux et humains sont inscrits dans la Constitution et dans les différents traités internationaux auxquels l’État est partie.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Les réglementations internationales sur ces questions ont priorité sur les réglementations internes.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Ils sont bien reçus et servent de référence pour prendre nos décisions.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

La Cour constitutionnelle n’exécute pas ses décisions, mais délègue cette fonction aux organes de juridiction ordinaire où ces droits ont été violés.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Les conséquences  dépendent  du  droit  fondamental  qui  a  été violé, parfois cela consiste à annuler la résolution en vertu de laquelle un droit fondamental a été violé ou à déclarer un précepte juridique inconstitutionnel.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre juridiction, une conception relative des droits de l’homme ?

Il y en a qui le font et d’autres non.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Il existe des valeurs sociales qui coïncident avec les droits de l’homme et d’autres qui ne le font pas, l’équilibre dans ce dernier cas est l’œuvre des tribunaux.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture du lieu joue un rôle selon le droit de l’homme dont il s’agit.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Cela dépend de quelle religion, car il y a des religions qui les ont promues et d’autres dont les principes sont contraires.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non, notre conception est universelle.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Les droits du travail et ceux d’égalité devant la loi.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Selon quels aspects.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Éducation aux droits de l’homme et au respect de la loi.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Cela dépend de la nature de la crise et du moment de sa production.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

 

 

 

Haute cour constitutionnelle de Madagascar

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Prévue par la Constitution.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

La démocratie est la base de l’État de droit qui à son tour met tout en œuvre pour protéger les droits de l’homme.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

C’est complémentaire.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à  consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Si les dispositions constitutionnelles sont claires, pas de jurisprudence. La Haute Cour constitutionnelle est gardienne de la Constitution.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

L’application stricte de la Constitution renforce l’État de droit et   la démocratie.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Selon la Constitution, non.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les textes internationaux pour les droits de l’homme sont incorporés dans la Constitution.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Droit d’être candidat aux élections nationales.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Non.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Non.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux sont prévus par la Constitution.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Oui.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Les citoyens disposent de la technique de l’exception d’inconstitutionnalité devant toutes les juridictions.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Par décision, la Cour peut déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions légales.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Voir supra.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Les traités et la  jurisprudence ont une valeur supraconstitutionnelle.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions et arrêts de la Cour ne sont susceptibles d’aucun recours.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Voir supra.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Tous textes violant les droits de l’homme seront déclarés inconstitutionnels et donc inapplicables.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Oui.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Cette protection est assurée par la Cour car prévue par la Constitution.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture du respect des droits de l’homme est en régression à Madagascar.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

L’État malgache est laïc.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Voir supra.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Non.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

La dignité humaine, le droit à la vie …

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Oui.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Oui.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Oui.

 

 

 

 

Cour constitutionnelle du Mali

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Il s’agit d’une compétence explicitement  prévue  par  l’article 85 de la Constitution qui dispose que la Cour constitutionnelle « garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ».

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui et, inversement, ce rapport réside dans l’avènement  d’un  État de droit et de démocratie pluraliste pour lequel le Peuple malien a opté en exprimant sa volonté. C’est la garantie  des  droits de l’Homme tels que consacrés par le Titre premier de la Constitution du 25 février 1992.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Ce lien est établi aussi bien par le Préambule que le corpus de la Constitution.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Cette différence n’est pas encore retenue par notre juridiction dans son approche du droit constitutionnel.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à  consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui. Par le contrôle de constitutionnalité.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui. Il s’agit d’un objectif constitutionnel majeur pour notre Cour.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui. La consolidation de la démocratie reste une référence pour toutes nos décisions.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Le contrôle de constitutionnalité des révisions en est l’illustration parfaite. Examinant la constitutionnalité de la loi constitutionnelle (initiée par le Président Alpha Oumar Konaré en fin de  mandat), notre Cour constitutionnelle a procédé à une « interprétation constructive » de sa compétence consistant  à  déduire,  de  sa  double  qualité  de  «  juge  de  la  constitutionnalité  des  lois  »  et   d’ « organe régulateur du fonctionnement des institutions et des pouvoirs publics », la faculté de juger les révisions constitutionnelles avant  leur  approbation.  En  effet,  pour  imposer à  ces  derniers  le  respect  des  règles  procédurales  prévues,  elle a apprécié la constitutionnalité des lois constitutionnelles non approuvées par le Peuple. Un exemple de contrôle a priori d’un référendum de  révision  :  il  s’agit  d’une  compétence  qui  ne  lui est ni expressément attribuée, ni  refusée  par  le  Constituant  malien. D’une manière très audacieuse, la Cour s’est arrogée une compétence  que  le  Gouvernement  tentait  même  de  contester   (V. l’Arrêt n° 01-128 du 12 décembre 2001).

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan est mitigé. Et cet état est surtout lié à notre environnement juridique qui reste marqué depuis une décennie par une crise politico-sécuritaire. À cela s’ajoute la fermeture de la saisine de la Cour constitutionnelle aux citoyens.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Oui. Il a joué ce rôle en faveur de la sortie de crise politique, de la continuité et de la stabilité institutionnelle de notre État.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Non. Une ouverture de la saisine de la Cour proposée par les différents projets de révision s’impose dans notre contexte pour une meilleure promotion de l’État de droit et de la démocratie.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Dans nos décisions, les normes internationales sont rarement évoquées.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits civils et politiques.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Non.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Non.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux occupent une place primordiale.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

En faisant référence à la Constitution et aux lois qui les garantissent.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

La différence n’est pas observée dans notre jurisprudence.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Les techniques utilisées par notre juridiction restent classiques.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

En cas de violation constatée et si la Cour ne constate pas en même temps que la disposition déclarée inconstitutionnelle est inséparable de la loi, elle peut déclarer la loi non conforme à la Constitution et ordonner la publication de sa décision au journal officiel.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Au moyen d’une interprétation finaliste guidée par les objectifs constitutionnels.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Elles occupent une place supra-législative.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Comme toutes les autres décisions, elles ont une portée absolue.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Elles restent indéterminées par les textes.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

La non promulgation et l’inapplication de la disposition déclarée inconstitutionnelle.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Une telle conception n’est pas encore admise dans notre jurisprudence.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

La défense de la diversité culturelle et linguistique de la communauté nationale reste une détermination du Peuple proclamée dans le Préambule de la Constitution. De même, la protection du patrimoine culturel constitue un engagement constitutionnel.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Elle occupe une place primordiale dans la Constitution. En effet,   la liberté culturelle est reconnue et garantie par la Constitution (Article 8).

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

De même, l’article 4 de la Constitution dispose que «  Toute  personne a droit à la liberté de religion ».

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui. Une valeur constitutionnelle, la promotion de la paix et la cohésion sociale constituent un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Autant qu’elle reste en phase avec nos valeurs sociétales. Le souci de protéger les droits de l’homme est partagé. Mais il convient d’adapter les moyens à nos réalités.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Les droits civils et politiques.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Non.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Les facteurs socio-culturels et économiques.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Oui. Particulièrement, les décisions prises durant la période de transition.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Oui. Elles obligent à relativiser notre conception des droits de l’homme par la prise en compte de « l’état de nécessité ».

13. La crise sanitaire a -t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

 

 

 

Cour constitutionnelle du Maroc

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

La Cour constitutionnelle assure la protection des droits fondamentaux à travers l’exercice de ses compétences.

a) À cet égard, la Cour assure le contrôle a priori obligatoire des lois organiques (art. 85 et 132 de la Constitution), des règlements intérieurs des deux Chambres du Parlement (art.132 de la Constitution) ainsi que des règlements intérieurs des Conseils régis par des lois organiques (art. 22 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle).

b) La Cour constitutionnelle assure également le contrôle a priori facultatif des lois ordinaires sur saisine, avant leur promulgation, par le Roi, ou le Chef du Gouvernement, ou le Président de la Chambre des Représentants ou le Président de la Chambre des Conseillers, ou le cinquième des membres de la Chambre des Représentants, ou quarante membres de la Chambre des Conseillers (art. 132 de la Constitution).

c) La Cour constitutionnelle assure le contrôle de la conformité des engagements internationaux à la Constitution (art. 55 de la Constitution).

d) La Cour statue sur le déclassement des textes pris en forme législative (art. 73 de la Constitution).

e) La Cour règle les différends entre le Parlement et le Gouvernement (art. 79 de la Constitution).

f) La Cour statue sur la régularité de l’élection des membres du Parlement (art. 132 de la Constitution).

g) La Cour statue sur la régularité des opérations de référendum (art. 132 de la Constitution).

h) La Cour contrôle la régularité de la procédure de révision constitutionnelle par voie parlementaire (art. 174 de la Constitution).

i) La Cour contrôle le statut et la situation des parlementaires (art. 61 de la Constitution, article 11 de la loi organique n° 11, art. 12 de la loi organique n° 28.11, art. 12 de la loi organique n° 27.11, art.13 de la loi n° 28.11 et gestion des incompatibilités).

j) La Cour constitutionnelle est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution (art. 133 de la Constitution).

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La protection et l’effectivité des droits de l’homme garantissent l’État de droit et, partant, aboutissent à l’instauration d’un régime démocratique où les citoyens trouvent leur épanouissement. L’inverse est le corollaire de l’autoritarisme et de l’arbitraire.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle a constamment veillé à ce que les droits fondamentaux, qui déterminent l’État de droit et la démocratie, soient respectés par les pouvoirs publics et les décideurs : principes d’égalité des chances, en matière électorale, contrôle des lois électorales favorisant la libre expression des électeurs, régularité et sincérité des opérations électorales, principe de séparation des pouvoirs, interprétation des textes en faveur du choix démocratique, critères de découpage électoral etc.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle est constante à cet effet, c’est même sa raison d’exister que de garantir l’effectivité des droits de l’homme et des libertés qui définissent l’État de droit et de la démocratie. Ses décisions sont rendues et contribuent à l’ancrage de la démocratie.

Dans les domaines du contrôle de la conformité des lois à la Constitution, comme dans ceux relatifs au contentieux électoral depuis la préparation des opérations y afférentes, aux candidatures, à la campagne électorale, aux opérations de vote, de dépouillement et du prononcé des résultats du scrutin, la Cour constitutionnelle exerce son contrôle et tend à renforcer l’État de droit et la démocratie.

Son bilan, à cet égard, est très positif : des centaines de décisions contrôlant la sincérité et la régularité des scrutins législatifs ont été rendues, favorisant, toutes, le renforcement de la démocratie.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le juge constitutionnel a la mission de rendre des jugements au vu des dossiers qui lui sont soumis. Il dit et applique la loi.

Il est soumis à des réserves découlant de l’article 8 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle : ce sont des réserves relatives à la probité, à la neutralité, l’indépendance et l’intégrité.

La composition de la Cour constitutionnelle fait que la moitié de ses membres sont désignés par le Parlement sur présentation de leur candidature par les bureaux des deux Chambres composant le Parlement. Dans ce contexte, ce sont les partis politiques qui, par le biais du Bureau de chaque Chambre du Parlement, présentent des candidats qui devront être élus à la majorité des 2/3 des membres composant la Chambre parlementaire devant laquelle ils se présentent.

Mais, dès qu’ils prêtent serment devant Sa Majesté Le Roi, ils n’obéissent plus qu’à leur conscience, qu’à leur devoir de probité, d’indépendance et d’intégrité.

Et pour éviter toute dépendance ou influence à l’égard des formations dont ils sont issus, la Constitution a limité la durée du mandat des membres de la Cour constitutionnelle à 9 ans non renouvelable.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

La Cour constitutionnelle, à travers les différentes saisines qu’elle reçoit, promeut l’État de droit et la démocratie, notamment en matière de contrôle a priori de la conformité des lois, des règlements intérieurs, des engagements internationaux et en matière de règlement des différends entre le Parlement et le Gouvernement, ou de révision constitutionnelle.

L’accès à la Cour des justiciables pouvant soulever le moyen d’exception d’inconstitutionnalité d’un texte de la loi, à l’occasion d’un procès devant une juridiction, rentre dans le cadre de l’article 133 de la Constitution, après l’adoption d’une loi organique définissant les conditions de son exercice. La Cour a eu, à cet égard, à se prononcer sur la conformité de cette loi organique à la Constitution et l’a invalidée sur plusieurs dispositions.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

En vertu du Préambule de la Constitution dont il fait partie intégrante, le Maroc réaffirme son attachement aux droits de l’homme, tels qu’ils sont universellement reconnus. Il s’engage à protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l’homme et du droit international humanitaire et contribuer à leur développement dans leur indivisibilité et leur universalité.

Il accorde aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication de ces conventions, la primauté sur le droit interne du pays.

Le Maroc a ainsi ratifié ou adhéré aux instruments internationaux des droits de l’homme.

Sur la base du postulat de convergence, la Cour a développé une jurisprudence qui, tout en consolidant les garanties constitutionnelles des droits de l’homme, assure une convergence, tout aussi démontrée, avec les instruments internationaux des droits de l’homme.

Dans sa décision n° 40/17 sur l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination, la Cour a mobilisé, dans la jurisprudence marocaine, le référentiel déclaratif relatif aux droits de l’homme, en évoquant les principes de Paris concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme.

2. Votre juridiction établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

La jurisprudence marocaine, en matière de protection et de promotion des droits de l’homme, s’est toujours basée sur le postulat de convergence.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

L’analyse, à la fois positiviste et objectiviste, des dispositions constitutionnelles, n’établit aucune hiérarchie des droits. Elle en reconnaît le caractère fondamental.

La Constitution prévoit aussi des objectifs à valeur constitutionnelle, qui définissent les obligations positives de l’État pour assurer l’effectivité d’un droit ou pour mettre en œuvre un principe nécessaire à sa réalisation.

La fondamentalité des droits s’exprime dans :

    • La reconnaissance des libertés et droits fondamentaux, notamment sous le titre II, c’est-à-dire le tiers de la Constitution ;
    • La continuité dans l’exercice de ces droits même en période d’état d’exception (art. 59) ;
    • La protection des acquis en matière de libertés et droits fondamentaux contre toute révision (art. 175).

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Vue sous l’angle de l’ingénierie constitutionnelle, la Constitution du Maroc appartient à la troisième génération des constitutions.

Elle annonce un large éventail de principes dont la garantie constitue la condition préalable et la pleine jouissance des droits civils, politiques, économiques, culturels, sociaux et environnementaux. Peuvent être évoqués, à titre d’exemple, la bonne gouvernance, la participation, la dignité, la justice sociale, la protection sociale (art. 31).

Sont également invoqués les droits catégoriels : les personnes en situation d’handicap (art. 34), les enfants (art. 32 et 39), les personnes âgées (art. 34), les détenus (art. 23), les ressortissants étrangers (art. 30).

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

L’indivisibilité des droits de l’homme est l’une des caractéristiques essentielles de la stratégie de rédacteur des dispositions relatives aux droits de l’homme. L’effectivité, à son tour, est un vecteur indispensable à la réalisation des droits de l’homme.

Le Préambule, qui fait partie intégrante de la Constitution, les adopte formellement.

Il en résulte que le trait principal des constitutions de la troisième génération, est l’adoption des règles de la réalisation de ces droits.

6. Quel est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux occupent une place de choix dans la jurisprudence constitutionnelle marocaine.

Le juge constitutionnel, saisi d’une requête, regarde nécessairement, en la forme et au fond, si les droits et libertés sont respectés.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Les mécanismes prévus pour la protection des droits fondamentaux sont les suivants :

    • Le contrôle abstrait préventif a priori des lois ordinaires, des règlements intérieurs des Chambres du Parlement et des Conseils régis par les lois
    • Le contrôle concret a posteriori relatif au régime de l’exception d’inconstitutionnalité ;
    • Le contentieux relatif à la définition du domaine de la loi et du domaine réglementaire ;
    • Le contentieux électoral et le statut des parlementaires.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

L’indivisibilité requiert la protection indifféremment des droits et des libertés.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

La Constitution met en place un système intégré de protection des droits de l’homme ainsi résumé :

I. La complémentarité des missions des détenteurs d’obligations en matière de protection des droits de l’homme ;

Ce sont :

    • Le Roi, Chef de l’État, veille à la protection des droits et libertés des citoyens (art. 42) ;
    • Le Parlement qui exerce le pouvoir législatif et légifère en matière de libertés et droits fondamentaux (art. 70 et 71) ;
    • Le juge qui relève du pouvoir judiciaire indépendant et qui est en charge de la protection des droits et libertés (art. 107 et 117).

II. La complémentarité des missions des mécanismes judiciaires et non judiciaires de protection des droits de l’homme :

    • La protection judiciaire est exercée par les juridictions de l’ordre judiciaire et par la justice constitutionnelle.
    • Les missions des instances non judiciaires de protection des droits de l’homme (art. 161 et 164).

Ce sont des missions assignées au Conseil National des Droits de l’Homme, au Médiateur, au Conseil de la communauté Marocaine à l’Étranger et l’Autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes les formes de discrimination.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

La Cour invalide les textes qui ne respectent pas les droits de l’homme à travers le contrôle a priori des lois et engagements internationaux ou par le recours en annulation dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La Constitution prévoit plusieurs vecteurs d’interprétation dont l’utilisation peut assurer une meilleure protection des droits et libertés.

Ces vecteurs doivent en principe guider l’action législative. Il en est ainsi des valeurs d’ouverture, de modération et de tolérance, le libre exercice des cultes (art. 3), l’égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives (art. 30), la consolidation de la justice sociale (art. 35), l’esprit de responsabilité et de citoyenneté engagée (art. 37), les desseins tolérants de l’Islam (art. 41), la bonne gouvernance sécuritaire (art. 54).

Par ailleurs, la Cour déploie des techniques d’interprétation et des modes de raisonnement en vue d’assurer une protection effective des droits garantis par la Constitution.

Ainsi, dans sa décision n° 382/2000, le juge constitutionnel a établi l’incompétence négative du législateur en matière de législation sur les incompatibilités.

La Cour a utilisé également des réserves d’interprétation directives pour attirer l’attention du législateur sur le régime des inéligibilités, dans le cadre du contentieux électoral, de la   régression, par rapport aux garanties établies (Décision n° 27/17).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

La Constitution réaffirme l’attachement du Maroc aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus.

Elle annonce :

    • L’engagement d’accorder aux conventions internationales, dûment ratifiées par le Maroc, la primauté sur le droit interne du
    • L’engagement de bannir et combattre toute discrimination à l’encontre de quiconque en raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture, de l’origine sociale, de la langue.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Une disposition déclarée inconstitutionnelle par la Cour ne peut être ni promulguée ni mise en application.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre juridiction, une conception relative des droits de l’homme ?

L’ensemble des libertés et des droits fondamentaux garantis par la Constitution sont protégés et traités par la jurisprudence sur la base du principe de l’indivisibilité.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Le bloc des droits garantis, couvre, sur le plan matériel, les différentes catégories des droits sociaux telles les dispositions des articles 5, 7, 9, 11, 12, 29, 31, 34, 35 etc…

Ces droits sociaux sont également garantis par les différents instruments des droits de l’homme que le Maroc a ratifiés ou auxquels il a adhéré.

La Constitution garantit également, sur le plan social, des droits catégoriels : personnes en situation d’handicap (art. 33), des personnes âgées (art. 34).

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

L’article 5 de la Constitution prévoit que l’État œuvre à la préservation des langues, en tant que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie, ainsi qu’à la protection des expressions et des parlers pratiqués au Maroc.

De même, le Maroc veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle.

Il est créé un Conseil National des langues et de la culture, chargé notamment de la protection et du développement des langues officielles qui sont l’arabe et l’amazigh, et des diverses expressionsculturellesmarocaines, quiconstituentunpatrimoine authentique et une source d’inspiration contemporaine.

Il regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines.

Les pouvoirs publics doivent apporter leur appui au développement de la création culturelle et artistique.

Sont garanties les libertés de création, de publication et d’expression en matière littéraire et artistique (art. 25).

Le Préambule de la Constitution dont il fait partie intégrante, souligne que l’unité du Maroc, forgée par la convergence de ses composantes, arabo-islamique, amazigh et saharo-hassanie est nourrie de ses affluents, africains, andalous, hébraïques et méditerranéens.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La Constitution dispose à cet égard que la prééminence accordée à la religion musulmane va de pair avec l’attachement du peuple marocain aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue pour la compréhension mutuelle entre les cultures et les civilisations du monde.

La liberté d’exercice des cultes est garantie par l’article 3 de la Constitution.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

La cohésion sociale et la recherche de la paix déterminent, en grande partie, la définition des droits de l’homme.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

La réponse est positive.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Le respect des droits et libertés garantis par la Constitution demeure même en temps d’état d’exception.

L’article 59 prévoit, à cet égard, que pendant cet état d’exception, le Parlement doit siéger et les libertés et les droits fondamentaux prévus par la Constitution demeurent garantis.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

L’exercice des droits et libertés garantis par la Constitution doit être conçu dans un esprit de responsabilité et de citoyenneté engagée. Il doit se faire en corrélation avec l’accomplissement des devoirs.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

La perception que la Cour fait de la protection des droits de l’homme est une et indivisible.

Certaines dispositions législatives ou réglementaires ont dû être prises en matière de lutte contre la pandémie comme la plupart des pays. La Cour n’a pas été saisie a priori sur le contrôle de conformité, parce qu’aucune de ces dispositions n’a restreint le domaine des droits et libertés garantis par la Constitution.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Au cours de la pandémie du covid-19, les méthodes et techniques de protection des droits et libertés ont été, sur la forme et compte tenu des mesures préventives de lutte contre le virus, aménagées, sans plus.

 

 

 

Conseil constitutionnel de Mauritanie

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Implicite.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

L’État de droit est consubstantiel de l’État démocratique, et place le principe de la primauté du droit et des droits fondamentaux dans son organisation politique et sociale. Et la garantie des droits fondamentaux dans la perspective de la construction de l’État de droit et la consolidation de la démocratie est l’une des fonctions les plus importantes du Conseil constitutionnel.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Sans aller plus loin, on peut considérer que la protection des droits de l’homme est une garantie fondamentale dans tout État démocratique, fondé lui-même sur la primauté du droit et l’exercice des droits fondamentaux.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Le Conseil n’a pas établi dans sa jurisprudence une différence entre l’État de droit et la démocratie ; sa démarche tend cependant à renforcer l’État de droit et la démocratie, les deux notions étant intimement liées.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui.

Le Conseil constitutionnel a pris, dès sa création, des décisions dont les apports à la construction de l’État de droit et à la consolidation de la démocratie sont appréciables.

Ainsi, en se référant à l’article 11 de la Constitution qui dispose que « les partis et groupements politiques concourent à la formation et l’expression de la volonté politique (…) », le Conseil constitutionnel a décidé que « les groupements politiques sont les images essentielles du fonctionnement des Assemblées parlementaires » et que le Règlement de l’Assemblée nationale doit prévoir des « mécanismes pour faire représenter les députés qui (….) n’appartiennent à aucun groupe (…) » (DC/002 des 17 et 22 juin 1992, Règlement de l’Assemblée nationale).

Par cette décision, le juge constitutionnel s’est érigé en défenseur du pluralisme auquel doivent obéir les institutions politiques du pays.

La décision du juge fait également écho, implicitement, à l’article 99 de la Constitution, qui interdit toute révision de la Constitution qui « porte atteinte au caractère pluraliste de la démocratie mauritanienne ou au principe de l’alternance démocratique au pouvoir et à son corollaire, le principe de la limitation des mandats ».

Dans une autre décision, non moins importante, le juge constitutionnel a annulé la disposition de la Loi organique relative à l’élection des sénateurs représentant les mauritaniens établis à l’étranger, qui prévoyait que « les sénateurs représentant les mauritaniens établis à l’étranger seraient élus au suffrage indirect par un collège électoral composé de sénateurs (…) ». Se référant à l’article 3 de la Constitution, le juge invalide cette disposition de la Loi organique, motif pris de ce que le suffrage n’est pas universel, le collège électoral étant composé de membres élus par les seuls citoyens résidant sur le territoire national ; que cette disposition méconnaît par ailleurs l’article 47 de la Constitution, qui prévoit une « représentation distincte du sénat pour les mauritaniens établis à l’étranger » (DC/006 du 20 juillet 1993).

Dans cette même décision, le juge constitutionnel apporte sur le volet des libertés publiques et individuelles, une contribution importante. En se référant à l’article 10 de la Constitution, qui dispose que « l’État garantit à tous les citoyens les libertés publiques et individuelles et notamment : la liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties du territoire de la République ; la liberté d’entrée et de sortie du territoire national (…) », le juge constitutionnel en déduit le droit de s’établir à l’étranger :

« considérant que ces dispositions emportent non seulement la liberté d’aller et de venir en Mauritanie, mais également le droit de s’établir à l’étranger, droit reconnu implicitement par l’article 47 de la Constitution », op. cit., DC/006.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Notamment.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Par l’application du principe de la séparation des pouvoirs aux organes constitutionnels en matière institutionnelle, et par le développement du contentieux constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité et de protection des droits fondamentaux et des libertés publiques.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Non.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

La saisine de notre juge constitutionnel, ouverte aux organes constitutionnels (président de la République, Premier ministre, Président de l’Assemblée nationale, un tiers des députés) et aux justiciables, favorise le développement du contentieux constitutionnel et, en conséquence, la promotion de l’État de droit et de la démocratie.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les références nationales sont le plus souvent invoquées, le contentieux constitutionnel tourne le plus souvent autour d’un contrôle abstrait.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Sans être exhaustif, on peut citer la liberté de circulation et d’établissement, le droit de la défense ou encore la présomption d’innocence.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Les droits dits de la 2e génération, à savoir les droits économiques et sociaux.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Non.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Leur place est encore faible en raison du développement moyen de la jurisprudence constitutionnelle.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

On trouve ces droits soit dans les instruments juridiques internationaux (Traités et Conventions) incorporés dans le Préambule de la Constitution, soit dans le corps de la Constitution. Ils font partie du « bloc de constitutionnalité ».

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Il arrive en effet que le juge constitutionnel utilise la technique de l’erreur manifeste d’appréciation ou celle de la réserve d’interprétation pour protéger les droits et libertés individuels.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Le juge constitutionnel ne dispose pas d’autres pouvoirs que ceux du contrôle de constitutionnalité des lois.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Le juge constitutionnel constitutionnalise certains droits et libertés par rattachement soit à une disposition de la Constitution, soit à des principes généraux du droit, soit enfin à des « principes constitutionnels » qui joueraient ici un rôle comparable à celui joué par les « principes fondamentaux tirés des lois de la République » dans la jurisprudence constitutionnelle française à partir de 1971.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

La référence au droit international conventionnel de protection des droits de l’homme dans la Constitution est assez importante et permettra, à l’avenir, un développement de la protection juridictionnelle de ces droits et libertés.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Aux termes de l’article 87 al. 3 de la Constitution, les « décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Il en résulte que « revêtues de l’autorité de la chose jugée », elles « s’imposent aux autres juridictions ».

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Le Conseil constitutionnel ne dispose pas de pouvoirs particuliers dans l’exécution de ses décisions, celles-ci ont un effet erga omnes.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Les décisions du juge constitutionnel sont revêtues de l’autorité de la chose jugée ; elles ont un effet erga omnes, c’est à dire qu’elles sont applicables à tous. Ainsi une loi déclarée inconstitutionnelle est nulle et de nul effet.

Les décisions du juge constitutionnel ont des fois un effet inter partes, c’est à dire qu’elles sont applicables aux seules parties dont le litige a conduit à sa décision dans le cadre du contrôle par voie d’exception.

Dans ce cas, la loi inconstitutionnelle est seulement déclarée inapplicable au procès en cours.

Cependant, dans la pratique, une loi déclarée inconstitutionnelle dans le cadre d’un procès devient difficilement applicable par la suite dans d’autres instances judiciaires, de sorte que cette loi est condamnée à plus ou moins brève échéance.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Sans objet.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Sans objet.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Sans objet.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Sans objet.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Oui, selon le principe de proportionnalité.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Les facteurs tirés des circonstances et de la situation personnelle du bénéficiaire.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Sans objet.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Sans objet.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Sans objet.

 

 

 

Cour constitutionnelle de la République de Moldova

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Les droits fondamentaux sont une valeur suprême consacrée dans la Constitution de la République de Moldova. Dès lors, la Cour assure la protection des droits fondamentaux à chaque fois qu’un droit devient applicable, notamment par le contrôle de constitutionnalité exercé à travers l’instrument de l’exception d’inconstitutionnalité.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est explicite. L’article 135 paragraphe 1 lettre g) de la Constitution prévoit que la Cour constitutionnelle tranche les exceptions d’inconstitutionnalité des actes juridiques.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Parfois, un conflit peut exister entre ces deux valeurs. Aucune d’entre elles n’a de priorité abstraite.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Les dispositions de l’article 1 paragraphe 3 de la Constitution consacrent le principe de l’État de droit, dont les exigences concernent les objectifs majeurs de l’activité de l’État, préfigurées dans ce qui est appelé la primauté de la loi. L’État de droit assure la suprématie de la Constitution, la corroboration des lois, l’existence du régime de séparation des pouvoirs publics, qui doit agir dans le cadre de la loi, notamment dans les limites d’une loi qui exprime une volonté générale.

L’État de droit représente un mécanisme dont le fonctionnement implique l’instauration d’un climat d’ordre, dans lequel la reconnaissance et l’exercice des droits d’un individu ne peuvent être conçus d’une manière absolue et discrétionnaire, mais uniquement en corrélation avec le respect des droits d’autrui et de la communauté dans son ensemble (voir l’Arrêt n° 7 de 2013).

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

L’article 1 paragraphe 3 de la Constitution assure la prééminence du droit, tandis que l’article 5 prévoit que la démocratie dans la République de Moldova s’exerce dans les conditions du pluralisme politique, incompatible avec la dictature et le totalitarisme. Les deux sont des instruments qui se complètent de manière réciproque. Ainsi, par exemple, dans sa jurisprudence, la Cour a établi que, caractéristiques pour un État de droit, les élections et les référendums sont des instruments par excellence de la démocratie directe, par lesquels les électeurs expriment leur choix.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Afin de renforcer l’État de droit et la démocratie, les droits fondamentaux doivent être garantis. Cela exprime l’affirmation de l’autorité de l’État quant à l’inviolabilité de chaque individu.

Le contrôle de constitutionnalité, dans son ensemble, n’est pas seulement une garantie légale fondamentale de la primauté de la Constitution. C’est un moyen de donner à la Cour constitutionnelle le pouvoir d’assurer de manière efficace la séparation et l’équilibre des pouvoirs dans un État démocratique. Dans sa jurisprudence, la Cour a souligné que le contrôle de constitutionnalité n’est pas un frein à la démocratie, mais un outil nécessaire, car il permet à la minorité parlementaire et aux citoyens de veiller au respect des dispositions de la Constitution.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Un élément central de la prééminence du droit est la sécurité juridique. La sécurité juridique n’exclut pas la modification des règles dans le processus politique, mais toute modification de ce type doit être effectuée de manière claire et transparente. Partant, lorsque la Cour exerce son contrôle de constitutionnalité ou interprète une norme constitutionnelle, elle veille à ce que l’acte juridictionnel assure le fonctionnement de la démocratie et de l’État de droit.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

L’exercice de la juridiction constitutionnelle a la même valeur quel que soit le caractère de la saisine et vise toujours à garantir la suprématie de la Constitution ainsi que des valeurs constitutionnelles.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Durant la période de l’urgence en santé publique (années 2020- 2021), la Cour a contribué à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie en exerçant un contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions normatives concernant le régime de l’état d’urgence. Ainsi, la Cour a noté que l’état d’urgence n’implique pas la suspension temporaire du principe de la prééminence du droit et n’autorise pas ceux qui exercent le pouvoir à agir contrairement à la loi, car ils sont obligés de respecter ces principes en permanence et la prééminence du droit doit primer. Par définition, la démocratie et l’État de droit impliquent la garantie des droits politiques et des libertés individuelles, ainsi qu’un système efficace de séparation et de collaboration des pouvoirs de l’État.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

La contribution de la Cour dans la promotion de l’État de droit et de la démocratie peut être considérée comme étant positive, car ses actes empêchent tant la violation de ces principes, que des droits fondamentaux. En outre, avec la mise en œuvre des recommandations de la Cour, notamment de ses notifications adressées au législateur, la sécurité juridique est assurée.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Inévitablement, les juges constitutionnels influencent la société par leurs arrêts, y compris sur le plan politique. Lorsqu’ils invalident une décision politique afin de protéger les droits de l’homme, ils jouent un rôle politique.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Par voie d’exception, le contrôle de constitutionnalité représente un instrument par lequel le citoyen a la possibilité d’agir pour se défendre contre le législateur lui-même lorsqu’une loi affecte ses droits constitutionnels. Pour apprécier la recevabilité d’une saisine qui soulève une exception d’inconstitutionnalité, la Cour vérifie que les conditions suivantes soient remplies : l’objet de l’exception ; que l’exception soit soulevée par une des parties ou par son représentant, ou qu’elle soit soulevée d’office par le tribunal ; que les dispositions contestées soient applicables à la résolution de l’affaire ; qu’il n’y ait pas d’arrêt précédent de la Cour portant sur les dispositions contestées.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Il faut noter que lors de l’exercice du contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions légales relatives aux droits et aux libertés fondamentaux d’une personne, la Cour constitutionnelle, par les arrêts qu’elle délivre, confirme le principe de l’applicabilité directe de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la jurisprudence de la Haute Cour et contribue de manière significative à l’intégration effective des dispositions de la Convention européenne dans toutes les réglementations internes relatives aux droits de l’homme. L’évolution continue de la jurisprudence de la Cour européenne a déterminé la Cour constitutionnelle, dans certaines situations, à reconsidérer sa propre jurisprudence.

La Cour constitutionnelle invoque la jurisprudence de la Cour européenne à chaque fois que cela est nécessaire, en fonction de l’objet de la saisine.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Dans ses arrêts, la Cour constitutionnelle fait référence non seulement aux dispositions de la Convention européenne, mais aussi à la jurisprudence de la Cour européenne sur l’interprétation de certaines dispositions conventionnelles.

Cependant, le renvoi à la jurisprudence de la Cour européenne, qui établit un degré minimum de protection, n’exclut pas l’établissement d’un degré plus élevé de protection des droits et des libertés fondamentaux par la Cour constitutionnelle à travers les arrêts délivrés.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Le droit à un procès équitable, la protection de la propriété, le droit au respect de la vie privée, l’égalité, le droit à l’assistance et à la protection sociale sont les plus souvent invoqués devant la Cour.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Le progrès technologique génère également de nouveaux sujets soulevés dans le contentieux constitutionnel. Par exemple, en ce qui concerne la renonciation au numéro d’identification des personnes physiques pour des motifs religieux, la Cour a noté qu’en imposant l’obligation de posséder un numéro d’identification pour la soumission des déclarations électroniques sur le patrimoine et les intérêts personnels, il n’y avait pas d’ingérence dans le droit à la liberté de conscience. Cette obligation représente une mesure législative générale appliquée de manière neutre, sans aucun lien avec les convictions personnelles de l’individu (Arrêt n° 6 du 14 janvier 2019).

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Nous n’avons pas de hiérarchie. Chaque droit a un poids différent, en fonction des circonstances factuelles et juridiques de l’affaire.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

La plupart des saisines concernent des violations alléguées des droits fondamentaux.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

À chaque fois que la Cour détermine le champ d’application d’un droit, elle doit également analyser ses limites. La limitation doit être justifiée conformément à l’exigence de proportionnalité. Ainsi, la Cour vérifie si les limitations du droit sont prévues par la loi, si elles poursuivent un but légitime et si elles sont proportionnelles, afin de ne pas affecter l’essence même du droit.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Bien qu’à l’origine, au cours de l’évolution, les droits fondamentaux aient été appelés libertés publiques, il n’y a pas de différence de nature juridique entre les droits et les libertés, ceux-ci constituant une seule notion juridique. La Constitution fait usage des deux catégories, par exemple le droit à la vie et à l’intégrité physique, le droit à la défense, le droit à l’information, le droit de propriété etc., mais aussi la liberté de conscience, de création, d’opinion, de réunion etc… La Cour fait plutôt une distinction entre les droits absolus et les droits relatifs. Ainsi, le droit de s’associer et de former des partis politiques, le droit d’accès à un tribunal comme élément important d’accès à la justice, le droit à la liberté de circulation, le droit de propriété, ne font pas partie de la catégorie des droits absolus dont l’exercice ne peut être limité et, par conséquent, peuvent être soumis à des restrictions.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

À travers sa jurisprudence, la Cour a établi que dans le processus de légifération, il faut éviter les réglementations divergentes dans le cadre d’un même acte normatif. La Cour applique souvent le test de la qualité de la loi lors de l’exercice du contrôle de constitutionnalité. En l’absence de l’exigence de précision de la loi, de la prévisibilité avec une certitude suffisante du comportement exigé de la part du justiciable, on constate un manque de protection suffisante contre les ingérences arbitraires dans le droit de l’individu. Ainsi, par exemple, la Cour a considéré que les motifs pour la remise en liberté sous contrôle judiciaire sont régis de manière divergente par deux dispositions du même acte normatif et que cette incohérence normative crée une insécurité juridique susceptible d’affecter le droit de l’individu à la liberté et à la sûreté.

En vérifiant les limitations aux droits invoqués, la Cour a développé, à travers sa jurisprudence, certains tests ou critères de vérification. Le test des mesures moins intrusives vérifie si le législateur a pu adopter des mesures législatives qui réalisent de manière tout aussi efficace le but légitime poursuivi et qui limitent moins le droit fondamental protégé, comparé aux mesures contestées. La Cour doit déclarer inconstitutionnelles les dispositions normatives contestées si elle constate qu’il existe d’autres moyens qui peuvent tout aussi bien atteindre le but légitime poursuivi, en portant moins atteinte aux droits fondamentaux en question (voir l’Arrêt n° 26 de 2018 sur la constitutionnalité de la restriction de l’admission dans les communautés, ainsi que dans les institutions d’enseignement et de récréation des enfants non vaccinés).

Dans un autre ordre d’idées, le test de la précision de la loi exige que la loi, dans les situations où elle offre une certaine marge d’appréciation, indique avec suffisamment de clarté ses limites. À cet égard, la Cour a retenu que lors de la rédaction d’un acte normatif, afin qu’il réponde aux exigences de qualité, assurant le droit de chacun de connaître ses droits et ses obligations, le législateur doit respecter les règles de technique législative.

La Cour a également établi un ensemble de critères qui peuvent être utilisés pour la mise en balance du droit d’accès aux informations d’intérêt public et du droit au respect de la vie privée. Il s’agit des critères suivants, qui ne sont pas exhaustifs : la contribution à un débat d’intérêt public ; le degré de notoriété de la/des personne(s) concernée(s) et les sujets des informations demandées ; le contenu, la forme et les conséquences de la publication (voir l’Arrêt n° 29 de 2019).

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Les dispositions normatives deviennent nulles à partir de l’adoption par la Cour constitutionnelle de l’arrêt d’inconstitutionnalité. La règle générale est que les arrêts de la Cour ont un effet ex nunc, ce qui signifie qu’ils emportent un effet pour l’avenir. Cependant, toutes les décisions de justice fondées sur la norme déclarée inconstitutionnelle restent intactes, étant régies par le principe de l’autorité de la chose jugée. En revanche, dès l’adoption de l’arrêt de la Cour, la norme déclarée inconstitutionnelle « disparaît du fond actif de la législation ».

De même, lorsque la Cour déclare inconstitutionnelle une certaine disposition légale, compte tenu des effets que l’arrêt en question peut produire, la Cour peut indiquer de manière expresse dans le dispositif de l’arrêt si la révision des décisions de justice irrévocables peut être demandée, et, si cela s’avère nécessaire, indique la période pour laquelle l’arrêt produit des effets rétroactifs ainsi que le délai durant lequel une révision peut être demandée. Dans le cas contraire s’applique le principe de l’action future de l’arrêt.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

À l’identification d’un droit fondamental, la Cour est guidée par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que la jurisprudence progressive de la Cour européenne. Ainsi, en se rapportant à celles-ci, la Cour a constitutionnalisé le principe non bis in idem, qui, bien qu’il soit prévu dans le droit national de procédure pénale et dans le Protocole additionnel à la Convention européenne, n’a pas de reflet explicite dans le texte constitutionnel. Cela n’a pas empêché la Cour de le reconnaître et de le qualifier au regard d’un droit constitutionnel (article 22 de la Constitution).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Au fil des années, la République de Moldova a ratifié plusieurs conventions et traités internationaux (conclus par l’Organisation des Nations Unies, le Conseil de l’Europe, ainsi que d’autres organisations internationales). Les principes et les normes générales du droit international, reconnus par la République de Moldova, font partie intégrante du droit interne et le niveau hiérarchique des dispositions des traités internationaux dans l’ordre juridique interne est déterminé par le contenu de ces traités.

À travers les règlementations constitutionnelles, les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ont acquis un statut particulier, se situant, dans la hiérarchie des actes normatifs, à un échelon équivalent à la Loi fondamentale et ayant, en cas de divergence, une prééminence sur les dispositions internes.

Dans l’esprit du texte constitutionnel, la Cour constitutionnelle dispose d’instruments nécessaires pour assurer les garanties de protection des droits et des libertés fondamentaux de l’homme par les arrêts délivrés, la jurisprudence constitutionnelle nationale étant un « agent efficace et dynamisant » des procédures d’assimilation et de mise en œuvre du droit international. La jurisprudence internationale sert souvent d’obiter dictum dans l’arrêt de la Cour.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les arrêts, les décisions et les avis de la juridiction constitutionnelle, qui assurent la suprématie de la Constitution, sont définitifs, incontestables et obligatoires pour tous.

En tout état de cause, le respect de l’effet général obligatoire des actes de la Cour constitutionnelle ne signifie pas seulement donner une efficacité à leurs dispositifs, mais également aux considérations, donc à l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle aux textes de la Constitution. L’interprétation donnée aux dispositions constitutionnelles porte un caractère officiel et obligatoire pour tous les sujets des rapports juridiques. L’arrêt interprétant un texte constitutionnel a la force d’une loi et est obligatoire. Il s’applique directement par tous les tribunaux.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

La Cour constitutionnelle établit elle-même les limites de sa compétence. En exerçant le contrôle de constitutionnalité de l’acte contesté, la Cour constitutionnelle peut également statuer sur d’autres actes normatifs dont la constitutionnalité dépend, en tout ou partie, de la constitutionnalité de l’acte contesté. La Cour elle-même veille à l’exécution de ses actes par le Gouvernement et le Parlement. L’exécution de l’arrêt et de l’avis est communiquée à la Cour constitutionnelle dans le délai indiqué par elle.

De même, afin de prévenir la violation des droits et des libertés fondamentaux, la Cour a retenu dans sa jurisprudence (voir l’Arrêt n° 21 de 2018) l’application de l’effet rétroactif des arrêts de la Cour constitutionnelle en matière de droit de la procédure pénale. Ainsi, lorsqu’elle déclare inconstitutionnelle une certaine disposition des règles de procédure pénale, la Cour va indiquer de manière expresse dans le dispositif de l’arrêt si la révision des décisions de justice irrévocables peut être demandée et, le cas échéant, indique la période pendant laquelle son arrêt est rétroactif, ainsi que le délai pour demander une révision. Dans le cas contraire, le principe de l’action future de l’arrêt sera appliqué. Les effets dans le temps des arrêts de la Cour seront établis selon les critères suivants : 1) assurer la sécurité des rapports juridiques ; 2) éviter les lacunes de réglementation ; 3) assurer le respect du principe de séparation des pouvoirs dans l’État ; 4) évaluer les effets possibles sur le budget national et la planification financière ou sur l’uniformité des procédures administratives ; et 5) autres raisons importantes pour l’intérêt général de la communauté.

Si une norme de droit pénal matériel est déclarée inconstitutionnelle, la règle de l’effet rétroactif de la norme pénale la plus favorable, garantie par l’article 22 de la Constitution, s’applique.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Se fondant sur l’inconstitutionnalité de la disposition normative qui enfreint les droits fondamentaux, le justiciable peut demander la révision de la décision de justice irrévocable pour défendre son droit.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

La Cour considère que tout droit peut être mis en balance avec un intérêt concurrent. Il n’y a donc pas de droits absolus.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Dans sa jurisprudence, la Cour a établi que la particularité des droits sociaux est qu’ils dépendent principalement de la situation économique de l’État. Le niveau auquel ils sont offerts reflète non seulement le développement économique et social, mais aussi la relation entre l’État et le citoyen, fondée sur la responsabilité mutuelle et la reconnaissance du principe de solidarité. Le degré d’expression des principes de responsabilité et de solidarité dans l’ordre juridique de l’État détermine également le caractère social de l’État. Le poids qu’acquiert le principe de solidarité dépend du niveau d’appréciation éthique de la coexistence en société, de la culture de la société, mais aussi de la perception qu’a l’individu du sens de la justice et du sentiment d’unité avec les autres, ainsi que du partage de leur destin dans une certaine période de temps et de lieu (voir l’Arrêt n° 5 de 2012).

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture est reflétée comme élément obiter dictum dans l’arrêt de la Cour, dans la mesure où elle est dans l’esprit du texte constitutionnel. En corroborant la culture de la société de la République de Moldova avec le principe constitutionnel de l’égalité, la Cour a constaté que les mesures d’inclusion des femmes dans la vie politique et d’assurance d’une représentation équilibrée des sexes dans les organes du pouvoir sont des obligations positives de l’État résultant d’actes internationaux auxquels la République de Moldova est partie.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Le maintien d’une attitude neutre vis-à-vis de la religion a été établi comme principe depuis la fondation de l’État de la République de Moldova. En particulier, l’adoption d’une religion d’État a été évitée et toute idéologie officielle de l’État a été interdite. Ainsi, il a été décidé de consacrer la neutralité religieuse et de promouvoir le pluralisme en tant que principes constitutionnels. Ce fait dénote que le principe de laïcité fait partie de l’identité constitutionnelle de la République de Moldova, qui oblige l’État à adopter une attitude neutre sur le fonctionnement des confessions religieuses, garantissant ainsi le respect des droits fondamentaux de chaque personne. Ce principe guide la Cour dans l’exercice de la compétence constitutionnelle (voir l’Arrêt n° 14 de 2016). La Cour a établi que la laïcité n’implique pas l’indifférence de l’État envers les religions, mais plutôt que l’État garantit la protection de la liberté religieuse dans un régime de pluralisme confessionnel et culturel.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

En ce qui concerne le terme de « paix », celui-ci a un sens plus large, allant au-delà de la simple agression en elle-même. Par exemple, en 2018, la Cour a noté que la limitation des radiodiffuseurs et des distributeurs des services d’information en masse à retransmettre des programmes produits dans des pays autres que les États membres de l’Union européenne, les États-Unis, le Canada et les États qui ont ratifié la Convention européenne sur la télévision transfrontière répond à l’exigence de qualité de la loi. Dans ce cas, la Cour s’est conduite par le droit international en la matière auquel la République de Moldova est partie, mais aussi par les défis actuels dans le domaine de la sécurité informationnelle.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et aux libertés de l’homme doivent être interprétées et appliquées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux Pactes et aux autres traités auxquels la République de Moldova est partie. S’il existe des incohérences entre les pactes et les traités relatifs aux droits fondamentaux de l’homme auxquels la République de Moldova est partie et ses lois nationales, les réglementations internationales ont la priorité.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

La Cour a adopté dans sa jurisprudence la notion d’« instrument vivant ». La Constitution est un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des conditions de vie actuelles.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, la plupart sont des arrêts par lesquels ont été tranchées les saisines portant sur la violation du droit de propriété, du principe d’égalité et de non-discrimination, du droit à la défense, du libre accès à la justice, d’un procès équitable résolu dans un délai raisonnable, de la liberté de réunion et d’association.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

L’appréciation de la violation d’un droit fondamental se fait en évaluant les circonstances de temps et de lieu, car le concept des droits de l’homme est progressif et évolue d’une étape à l’autre de la société. Cela justifie la reconsidération de la jurisprudence de la Cour.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

La Cour examine le caractère adéquat et nécessaire de la restriction dans l’exercice du droit invoqué, en tenant compte des facteurs sociétaux qui justifient le but légitime de la restriction, ou l’attente légitime poursuivie par le sujet d’un droit, ou la nature et l’étendue des risques de la protection des droits.

Par exemple, la Cour a reconnu comme étant constitutionnelle l’interdiction de la commercialisation des produits de tabac par les unités de commerce proches des institutions d’enseignement et des institutions médico-sanitaires. L’arrêt de la Cour s’est fondé sur la nécessité de réduire le nombre de fumeurs sur la base de données scientifiques. La santé de la population a constitué le facteur important dans cet arrêt, en tant qu’intérêt d’une importance accrue pour la coexistence dans une société (voir l’Arrêt n° 9 de 2019).

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

De manière inhérente, le développement des droits fondamentaux est également déterminé par les crises dans la communauté (politique, économique, sociale). Par exemple, en ce qui concerne le droit de vote des citoyens, la Cour a souligné que le référendum est un instrument de la démocratie directe. Cependant, cet exercice comporte certaines limites. Ainsi, les questions adressées au peuple qui ne parviennent pas à coordonner l’action politique que les dirigeants politiques veulent mettre en œuvre avec le contexte politique, économique et social de l’État deviennent automatiquement d’intérêt politique et doivent donc être évitées afin de ne pas approfondir encore plus la crise.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

En 2020, la Cour a établi que les autorités chargées de la gestion de l’état d’urgence ont besoin de flexibilité afin de pouvoir réagir rapidement à la diversité des situations d’urgence pouvant mettre le pays en danger. L’utilisation d’une formulation rigide ou une description exhaustive des mesures peut limiter la capacité de l’exécutif à faire face à la situation d’urgence à laquelle il est confronté. La Cour a également noté que de telles mesures peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire des actions de l’exécutif.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Pendant la période de la crise sanitaire, la Cour a vérifié la proportionnalité des restrictions appliquées par les autorités. En ce sens, la Cour a examiné le caractère adéquat et nécessaire de l’ingérence, en mettant en balance l’intérêt de l’individu et l’intérêt légitime général de lutte contre la pandémie.

 

 

 

Tribunal suprême Monaco

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Explicite.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Art. 2 de la Constitution du 17 décembre 1962 : « Le principe du gouvernement est la monarchie héréditaire et constitutionnelle. La Principauté est un État de droit attaché au respect des libertés et droits fondamentaux ».

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Non, l’État de droit est l’une des portes d’entrée de la démocratie.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui (cf. annexe joint).

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Voir annexe ci-dessus.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Oui et non, tout dépend de ce que l’on entend par politique.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui largement.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les deux.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Oui. Constitution, Lois et Ordonnances Souveraines (sauf organiques), sources administratives.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Séjour, résidence, travail.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

La sécurité juridique et la confiance légitime.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

La distinction entre « droit de » et « droits à ».

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Centrale.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

/

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

/

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Pouvoir d’annulation erga omnes et indemnisation des dommages causés.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Rédaction du Titre III de la Constitution et interprétation téléologique et substructive.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Voir hiérarchie ci-dessus.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Voir  réponse 10.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

L’exécution est la règle suivie. En cas de défaillance, la DESDH pourrait être saisie.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Voir réponse 10.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

La proportionnalité des atteintes aux libertés reste un élément d’appréciation.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

/

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

/

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

/

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Voir réponse 1.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Tous.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Oui.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

/

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Oui, voir réponse 9.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Oui, voir réponse 9.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Oui et non.

Oui voir réponses précédentes.

Non, car la théorie des circonstances exceptionnelles existe depuis un temps immémorial.

 

 

 

Conseil constitutionnel du Mozambique

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

La protection des droits de l’homme fait partie intégrante de notre juridiction. Et c’est dans ce contexte que la Constitution de la République du Mozambique a consacré leur protection aux articles 35 et suivants.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est explicitement énoncée dans la Constitution et c’est dans les articles 35 à 47 de la Constitution.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Il existe en effet une relation entre les droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie, car il n’y a de protection des droits de l’homme que si l’État est fondé sur le respect de la loi et respecte le pouvoir du peuple.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

La relation entre les droits de l’homme et l’État de droit et la démocratie s’établit par l’interdépendance, car on ne peut pas parler d’État de droit et de démocratie s’il ne respecte pas les droits de l’homme, car nous savons que l’État de droit est fondé sur le respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Dans notre juridiction, bien que ces deux concepts soient complémentaires, c’est-à-dire que l’État de droit repose sur la démocratie, il y a une différence entre les concepts d’un point de vue conceptuel, car pour notre juridiction, nous disons que nous sommes un État de droit parce que le pouvoir politique, judiciaire et administratif, repose sur la Constitution, les décisions prises ne peuvent aller à son encontre, alors que la démocratie est liée au pouvoir qui est donné au peuple d’élire les organes qui gouverneront le pays. Il y a donc complémentarité, car ce pouvoir attribué au peuple est prévu dans la Constitution, matérialisant l’État de droit.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à  consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La jurisprudence  de  notre  Conseil  constitutionnel  contribue  à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie  à  travers ses décisions qui, lorsqu’elles jugent des questions d’inconstitutionnalité ou non, constituent une garantie d’application des lois qui ne contreviennent pas à la Constitution.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

C’est en effet l’un des buts de notre Cour et cela est implicite dans les pouvoirs attribués à notre Cour.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui, car il est important pour nous de connaître l’impact des décisions de notre Cour sur la consolidation de la démocratie.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Notre Cour a plusieurs compétences allant de l’appréciation et la déclaration de l’inconstitutionnalité des lois et des illégalités des autres actes normatifs des organes de l’État et de l’appréciation des recours et réclamations électorales, alors ce sont des compétences qui ont un très grand impact sur le renforcement de l’État de droit et la démocratie dans la mesure où ce sont des compétences qui déterminent la constitutionnalité ou non des lois qui doivent être appliquées et garantissent ainsi le respect de l’État de droit et de la démocratie. Et s’agissant également des élections, comme il s’agit d’un sujet sensible, l’action de la Cour se doit d’être impartiale et indépendante afin de ne pas porter atteinte aux fondements de cet État de droit et de démocratie.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Pour les raisons ci-dessus, nous pensons que la contribution de notre Cour à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est positive, car le respect des normes établies dans la Constitution et d’autres lois est le fondement de la performance de notre Cour.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le juge constitutionnel joue un rôle plus actif dans l’abstraction de la fonction politique du droit, agissant comme un véritable exécutant des fonctions politiques de l’État.

En ce sens, dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants et ne doivent obéir qu’à la loi.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Conformément à la Constitution de la République du Mozambique, le Conseil constitutionnel apprécie et déclare, avec force obligatoire générale, l’inconstitutionnalité des lois et l’illégalité d’autres actes normatifs des organes de l’État, à tout moment pendant leur mandat.

Ainsi, le président de la République, le président de l’Assemblée de la République, au moins un tiers des députés de l’Assemblée de la République, le Premier ministre, le procureur général de  la République, le Médiateur et deux mille citoyens peuvent demander au Conseil constitutionnel de déclarer les lois inconstitutionnelles ou des actes normatifs de l’État illégaux.

En outre, selon la Constitution, les jugements et autres décisions fondés sur l’inconstitutionnalité doivent être obligatoirement transmis   au   Conseil   constitutionnel,   dans   les   cas   suivants  :

1) a) lorsque l’application d’une règle est refusée en raison de son  inconstitutionnalité  ;
b)  lorsque  le  procureur  général  ou le ministère  public  demande  une  appréciation  abstraite  de  la constitutionnalité ou de la légalité de toute règle dont l’application a été refusée, au motif de son inconstitutionnalité ou de son illégalité, par décision judiciaire susceptible de recours.

Ainsi, nous pouvons affirmer que les conditions d’accès à sa juridiction favorisent la promotion de l’État de droit et de la démocratie.

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Au niveau national, la Constitution de la République est la principale référence citée pour la protection des droits de l’homme.

Au niveau international, la Déclaration universelle  des  droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et d’autres instruments pertinents.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Dans le cadre général des sources du droit au Mozambique, les lois sont les principales sources immédiates (ou  directes)  du  droit, comme le prévoit clairement le Code civil. Les lois sont définies comme « toutes les dispositions génériques émanant des organes étatiques compétents ».

Il convient de noter, désormais, que la Constitution est la Loi suprême du Mozambique. Il est rappelé, comme déjà vu, que la notion même de droit fondamental indique sa positivisation dans le texte constitutionnel, son inclusion dans la loi constitutionnelle étant, en règle générale, nécessaire.

Les lois et autres textes législatifs représentent des instruments importants en tant que sources à la fois des normes relatives aux droits fondamentaux et des normes nécessaires à leur application. Les normes inscrites dans les lois ordinaires peuvent établir des normes de droits fondamentaux. C’est le résultat de l’ouverture du système des droits fondamentaux établi dans la Constitution de la République du Mozambique, selon lequel les « droits fondamentaux inscrits dans la Constitution n’excluent aucun autre contenu dans les lois ».

Dans la dimension internationale, les normes relatives aux droits de l’homme peuvent être trouvées dans différentes sources du droit international public, les traités et les coutumes étant leurs principales sources.

Le point de départ pour identifier les sources du droit au niveau international est l’article 38.1 du Statut de la Cour internationale de Justice, qui est généralement considéré  par  la  doctrine comme la liste traditionnelle des sources du droit international. L’article 38.1 du Statut de la Cour internationale de Justice identifie cinq sources de droit international à appliquer par cette Cour : les conventions internationales, la coutume internationale, les principes généraux du droit, les décisions judiciaires et la doctrine.

Cependant, la Constitution du Mozambique établit que les traités et accords internationaux, valablement approuvés et ratifiés, sont en vigueur dans le système juridique mozambicain après leur publication officielle et aussi longtemps qu’ils sont internationalement contraignants pour l’État du Mozambique.

Ainsi, selon la Constitution mozambicaine, les normes du droit international ont la même valeur dans l’ordre juridique interne que les actes normatifs infra-constitutionnels émanant de l’Assemblée de la République et du Gouvernement, selon leur mode de réception respectif.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Au regard de notre Constitution, il existe  des  catégories  de  droits fondamentaux : les « droits, devoirs  et  libertés  »,  les  droits individuels, les libertés et garanties, les droits, libertés et garanties de participation politique, d’une part, et d’autre part,  les « droits économiques, droits et devoirs sociaux et culturels ».

Naturellement, au Conseil Constitutionnel  du  Mozambique,  les premiers sont les plus mentionnés – par exemple, le droit  de former des partis politiques, le droit d’aller en justice, le suffrage universel, le droit à la liberté et à la sécurité, à l’intégrité physique et morale, la propriété privée, la participation politique et la liberté d’expression, la participation à l’administration de la justice, sont les plus cités.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Aux termes de la Constitution de la République du Mozambique (CRM), le Conseil constitutionnel apprécie et déclare, avec force obligatoire générale, l’inconstitutionnalité des lois et l’illégalité d’autres actes normatifs des organes de l’État, à tout moment pendant leur mandat. Et la Constitution de la République est toujours la boussole pour établir  sa  jurisprudence,  en  fonction de l’action qui s’y déroule. Le Conseil constitutionnel apprécie l’objet de ce qui lui est soumis.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

En supposant qu’il n’y ait pas de hiérarchie entre les différentes normes constitutionnelles, il n’y a pas de conflit entre les normes constitutionnelles sur le plan normatif. Ce qui peut arriver, c’est que leur impact sur une situation donnée génère une collision entre les droits fondamentaux.

Considérant qu’il n’existe pas de droits fondamentaux absolus, pour résoudre une collision entre droits fondamentaux, il est nécessaire de les rendre compatibles. Cela peut être fait en recourant au principe  de  proportionnalité  ou  en  recourant  à  un accord pratique. Avec l’application de l’accord pratique, l’exercice combiné des droits fondamentaux peut se produire  avec la réduction du champ d’application des deux (collision avec réduction bilatérale) ou, si l’application de la première technique n’est pas possible, l’exercice combiné de ceux-ci par revitalisation d’un seul d’entre eux (collision avec réduction  unilatérale).  Il  peut même arriver que la réalisation simultanée des droits en collision devienne impossible, l’exercice de l’un excluant l’autre, provoquant ainsi une collision excluante.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

La Constitution de la République du Mozambique reconnaît une série de droits fondamentaux, leur accordant une place de choix en considérant leur garantie comme l’un des principaux objectifs de l’État.

Dans son préambule, elle réaffirme, développe et approfondit les principes fondamentaux de l’État de droit mozambicain, consacre le caractère souverain de l’État de droit démocratique, fondé sur le pluralisme d’expression, l’organisation des partis, le respect et la garantie des droits et libertés fondamentaux des citoyens.

La Constitution de la République étant la boussole du Conseil constitutionnel, sa jurisprudence place les droits fondamentaux en position suprême.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Les droits fondamentaux sont les positions juridiques de base reconnues par le droit mozambicain et international en vue de défendre les valeurs et les intérêts les plus pertinents qui assistent les personnes physiques et morales au Mozambique, quelle que soit leur nationalité (ou même, dans le cas des apatrides, des personnes sans aucune nationalité).

L’État a l’obligation de respecter les droits fondamentaux et de prendre des mesures pour les réaliser, soit par des lois, soit dans les domaines administratif et judiciaire.

Les entités tant privées que publiques, ainsi que les personnes physiques et morales, sont tenues de les respecter.

La Constitution de la République du Mozambique leur accorde une place de choix en considérant leur garantie comme l’un des objectifs principaux de l’État. De plus, comme ils sont contenus dans la Loi fondamentale, cette volonté du Mozambique de participer à la communauté internationale s’exprime par son adhésion sans réserve aux principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Au regard de notre Constitution, il existe deux grandes catégories de droits fondamentaux : les « droits, libertés et garanties », d’une part, et les « droits et devoirs économiques, sociaux et culturels », d’autre part.

Les premiers – par exemple,  le  droit  à  la  liberté  et  à  la sécurité, à l’intégrité physique et morale, à la propriété privée, à la participation politique et à la liberté d’expression, de participer à l’administration de la justice – correspondent au noyau fondamental de la vie dans une société démocratique. Indépendamment de l’existence de lois qui les protègent, ils sont toujours exécutoires, bénéficiant d’un régime constitutionnel spécifique qui rend difficile leur restriction ou leur suspension.

En revanche, les droits économiques, sociaux et culturels – par exemple, le droit au travail, au logement, à la sécurité sociale, à l’environnement et à la qualité de vie – sont souvent différés dans leur application. Ils dépendent de l’existence de conditions sociales,  économiques  ou   même   politiques   pour   les   mener à bien. Le fait de ne pas le faire ne confère pas au citoyen, en principe, le pouvoir de contraindre l’État ou des tiers à agir, ni le droit d’être indemnisé.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

La loi organique du Conseil constitutionnel, la loi n° 6/2006 du 2 août, consacre le contrôle successif selon lequel le Conseil constitutionnel apprécie et déclare, avec force obligatoire générale, l’inconstitutionnalité des lois et  l’illégalité  d’autres actes normatifs des organes de l’État, à tout moment de leur validité.

En cas de violation de leurs droits et libertés, les citoyens peuvent être en mesure d’obtenir cette disposition légale conformément à l’article 60 (2) (f) et (g) de la loi susmentionnée, en particulier par l’intermédiaire du Médiateur ou en recueillant les signatures d’au moins 2 000 citoyens.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Le Conseil constitutionnel, en tant que « gardien » de la constitutionnalité  et  de  la   légalité,   est   chargé   d’administrer la justice dans les questions de nature constitutionnelle.

Cela signifie qu’il n’intervient que dans les affaires soulevées contre lui par ceux qui sont légalement autorisés à le faire. Par exemple, dans les processus de révision préventive, le président de la République peut demander au Conseil constitutionnel d’apprécier la constitutionnalité de tout diplôme qui lui est transmis pour promulgation.  En  cas  de  contrôle  spécifique  de constitutionnalité et de légalité, les jugements ou autres décisions des tribunaux sur la base de l’inconstitutionnalité doivent être transmis au Conseil constitutionnel.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Le chapitre III de la Constitution de la République du Mozambique parle des droits, libertés et garanties individuels, en prévoyant à l’article 56 que « les droits et libertés individuels sont directement applicables, lient les entités publiques et privées, sont garantis par l’État et doivent être exercés dans le cadre de la Constitution et des lois ». C’est dans ce chapitre que nous trouvons, par exemple, le droit à l’indemnisation et à la responsabilité de l’État,     le droit à la liberté et à la sécurité ;  la limitation des sanctions et    des mesures de sécurité ; l’accès aux tribunaux ; le droit de faire appel devant les tribunaux ; l’habeas corpus, entre autres.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Conformément à l’article 18 de la Constitution de la République, les  traités  et  accords  internationaux,  valablement  approuvés  et ratifiés, sont en vigueur dans l’ordre juridique mozambicain après leur publication officielle et aussi longtemps qu’ils lient  l’État du Mozambique sur le plan international.

Par conséquent, les règles du droit international ont dans  l’ordre juridique interne la même valeur que les actes normatifs infraconstitutionnels émanant de l’Assemblée de la République (le Parlement mozambicain) et du Gouvernement, en fonction de leur forme respective d’accueil.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Comme nous l’avons mentionné plus haut, les droits et libertés individuels sont directement applicables, lient les entités publiques et privées, sont garantis par l’État et doivent être exercés dans le cadre de la Constitution et des lois.

Toutefois, la loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que les arrêts du Conseil constitutionnel sont obligatoires pour tous les citoyens, institutions et autres personnes morales, ne sont pas passifs pour faire appel et l’emportent sur d’autres décisions.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Étant donné que l’un des  pouvoirs  du  Conseil  constitutionnel  est d’apprécier et de déclarer l’inconstitutionnalité des lois et l’illégalité des actes normatifs des organes de l’État, tous les organes de l’État et toute autre entité ont le devoir de coopérer avec le Conseil constitutionnel dans l’exercice de leurs fonctions ; leurs décisions sont obligatoires et lient tous les éléments ci-dessus.

La loi organique sur le Conseil constitutionnel est péremptoire lorsqu’elle décide qu’en cas de non-respect de ses jugements, l’auteur de l’infraction engage la commission d’un crime de désobéissance, si un crime plus grave ne convient pas.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Le chapitre III de la Constitution de la République du Mozambique concernant les droits, libertés et garanties individuels a pour corollaire (en principes généraux) que  la  loi  ne  peut  limiter les droits, libertés et garanties que dans les cas expressément prévus par la Constitution.

Mutatis mutandis, toute personne est reconnue comme pouvant prétendre, conformément à la loi, à l’indemnisation des dommages causés par la violation de ses droits fondamentaux.

L’État est responsable des dommages causés par les actes illégaux de ses agents, dans l’exercice de leurs fonctions, sans préjudice du droit au retour, conformément à la loi.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Sur cette question, prenons, à titre d’exemple, deux arrêts du Conseil constitutionnel illustrant notre conception des droits de l’homme ; il s’agit de l’arrêt n° 3/CC/2011 du 7 octobre et de l’arrêt n° 4/CC/2013 du 17 septembre.

S’agissant de l’arrêt n° 3/CC/2011, le Conseil constitutionnel considère que l’article 184 de la loi sur le travail est matériellement inconstitutionnel, car, en vertu de l’article 56, paragraphes 2 et 3, de la Constitution de la République, il  limite,  dans  le  domaine des relations juridiques, en particulier des relations individuelles de travail, le droit de recours devant les tribunaux, reconnu au citoyen par la règle de l’article 70, la règle contenue dans la première partie de l’article 62, paragraphe 1, tous deux de la Constitution de la République. Il limite également le pouvoir judiciaire des tribunaux en matière de travail en le  partageant avec les centres de médiation du travail.

Quant à l’arrêt n° 4/CC/2013 du 17 septembre, un cas formulé   par 2 000 citoyens, le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnelle la règle contenue à l’article 291, paragraphe 2, du Code de procédure pénale, fondée sur la violation du principe constitutionnel de l’interdiction des excès, inhérent à l’État de droit consacré à l’article 3 de la Constitution.

Il déclare également inconstitutionnelle la règle contenue à l’article 293, paragraphe 1, du Code de procédure pénale dans la mesure où elle attribue au ministère public le pouvoir d’ordonner la détention provisoire en dehors des cas de flagrant délit ;

Et déclare inconstitutionnelle la règle contenue dans l’article 308 (3) du Code de procédure pénale, pour violation du commandement normatif,  en  vertu  de  laquelle  la  loi  ne  devrait pas fixer des périodes de détention préventive à durée indéterminée.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Notre système juridique prévoit la protection des valeurs sociales relatives aux droits de l’homme, en particulier les droits prévus   au chapitre V  de  la  Constitution  de  la  République  inhérents  aux droits et devoirs économiques et sociaux,  selon  lesquels  l’État reconnaît et garantit le droit de propriété ; établit le travail comme le droit et le devoir de chaque citoyen, et le travailleur     se voit accorder le droit à une rémunération équitable, au repos, aux vacances et à la retraite conformément à la loi ;  de même,   les travailleurs ont la liberté de s’organiser en associations professionnelles ou en syndicats ; le travailleur a également le droit de faire grève et son exercice est réglementé par la loi ; en  ce qui concerne l’éducation, l’État promeut l’éducation en tant que droit et devoir de chaque citoyen, ainsi que le droit aux soins médicaux et de santé et le devoir de promouvoir et de défendre   la santé publique.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture occupe une place prépondérante dans le système juridique mozambicain où, conformément à la Constitution de la République, l’État promeut le développement de la culture   et de la personnalité nationales et garantit la libre expression des traditions et des valeurs de la  société  mozambicaine.  À son tour, l’État encourage également la diffusion de la culture mozambicaine et développe des actions au profit du peuple mozambicain des réalisations culturelles d’autres peuples.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La place de  la  religion  dans  la  définition  des  droits  de  l’homme, le  christianisme  comme  principal  précurseur,  défend  le  don  et    le diffuseur des droits de l’homme, étant  la  doctrine  chrétienne, une grande source,  où  il  a  prôné,  et  prône  encore,  «  l’homme à l’image et ressemblance de Dieu », défendant l’égalité entre les hommes, l’amour du prochain, la fraternité et la générosité  même envers les ennemis. Le christianisme  était  encore  essentiel au concept actuel des droits de l’homme, tel que nous le voyons aujourd’hui, en prônant la séparation de l’Église et de l’État.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Une culture de la paix est un ensemble de valeurs, d’attitudes,  de traditions, de comportements et de modes de vie basés sur :    le respect de la vie, l’élimination de la violence et la promotion et la pratique de la non-violence par l’éducation, le dialogue et la coopération ; Dans le plein respect des principes de souveraineté, d’intégrité territoriale et d’indépendance politique  des  États  et de non-ingérence dans les affaires qui relèvent essentiellement   de la juridiction interne des États,  conformément  à  la  Charte  des Nations Unies et au droit international ;  Dans  le  plein  respect et la promotion de tous les  droits  de  l’homme  et  libertés fondamentales ; Engagement à  la  résolution  pacifique des conflits ; Dans les efforts pour répondre aux besoins de développement et de protection de l’environnement pour les générations présentes et futures ; Dans le respect et la promotion du droit au développement  ;  Dans  le  respect  et  la  promotion de l’égalité des droits et des chances pour les femmes et les hommes ; En respectant et en promouvant le droit de tous à la liberté d’expression, d’opinion et d’information ; Adhérant aux principes de liberté, de justice, de démocratie, de tolérance, de solidarité, de coopération, de pluralisme, de diversité culturelle, de dialogue et de compréhension à tous les niveaux de la société et entre les nations ; et animée par une atmosphère nationale et internationale qui favorise la paix.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui, selon l’article 43 de la Constitution de la République du Mozambique, les dispositions constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux sont interprétées et intégrées en harmonie avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Oui, à la fois dans le pays et à l’étranger.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Les droits et libertés les plus inscrits dans notre jurisprudence, selon la Constitution de la République du Mozambique, sont les suivants : tous les citoyens ont droit à la liberté d’expression, à la liberté de la presse, ainsi qu’au droit à l’information. Ils jouissent également de la liberté d’association, bien que les associations armées à caractère militaire ou paramilitaire qui promeuvent la violence, le racisme, la xénophobie ou qui présentent des fins contraires à la loi soient interdites. Ils jouissent de la liberté de former ou de participer à des partis politiques, à la lumière de  la Constitution, la liberté de pratiquer ou non une religion est consacrée, et nul ne peut être discriminé, persécuté, lésé, privé de ses droits, bénéficier ou être dispensé de devoirs en raison de sa foi, de sa croyance ou de sa pratique religieuse.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Les facteurs à prendre en considération pour une protection adéquate des droits de l’homme sont les suivants : l’aspiration à protéger la dignité humaine de tous est au cœur du concept des droits de l’homme. Ce concept place la personne humaine au centre de ses préoccupations, repose sur un système de valeurs universel et commun dédié à la protection de la vie et fournit   le modèle pour la construction d’un système de droits humains protégé par des normes et standards internationalement acceptés.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Oui, le Mozambique est confronté à des conditions économiques assez difficiles en raison de faiblesses internes et de la pandémie et avant même qu’il ne soit dans une certaine tourmente en raison d’une croissance économique modérée.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Au Mozambique, nous avons une combinaison de  violations des droits humains qui ont été exacerbées par la pandémie. À commencer par exemple par l’abus de force par la police. Pour mettre en œuvre les mesures de confinement, la police a eu recours à une force excessive contre les personnes qui ont quitté leur domicile pour chercher de la nourriture pendant le confinement.

Sachant que de nombreuses personnes dépendent de l’économie informelle, travaillent sur les marchés et vendent des produits dans la rue, elles n’ont eu d’autre choix que de quitter la maison pour aller travailler et gagner les revenus dont elles ont besoin pour manger et nourrir leur famille.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)  dispose que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » ; il est donc incontestable que la santé est un droit pour tous, chacun a le droit d’obtenir des soins et d’accéder aux services de santé de base et aux médicaments considérés comme essentiels tels que définis par l’OMS (Organisation mondiale de la santé).

La loi sur la santé correspond à un ensemble de normes de droit, privées et publiques, dont l’objectif principal est de promouvoir la santé humaine, qu’elle soit considérée du point de vue de la prestation de soins individuels, ou comme un bien d’une communauté.

La Constitution de la République du Mozambique prévoit en son article 89 que tous les citoyens ont droit à la santé et aux soins médicaux et de santé, aux termes de la loi, ainsi que le devoir de promouvoir et de défendre la santé publique.

 

 

Cour constitutionnelle du Niger

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

De manière spécifique, la protection des droits de l’Homme ne fait pas partie des compétences de la Cour constitutionnelle. Cette compétence est dévolue aux juridictions de l’ordre judiciaire.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

La Cour constitutionnelle ne se prononce sur la protection des droits de l’homme que lorsqu’elle est saisie sur la constitutionnalité des lois portant atteinte aux droits de l’Homme.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, il existe un lien entre la protection des droits de l’Homme et  la garantie de l’État de droit et de la Démocratie. La protection des droits de l’Homme est une garantie de l’État de droit et de la Démocratie.

La Constitution nigérienne a prévu toute une panoplie des droits de la personne humaine à travers son titre II (articles 10 à 45).

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Le lien est établi à travers les garanties qui sont accordées et surtout les structures de protection des droits de l’Homme. Certaines structures sont publiques, en l’occurrence la commission nationale des droits humains et d’autres sont privées, il s’agit des organisations de la société civile chargées de la protection des droits humains.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

En principe, l’État de droit et la démocratie vont de pair. Une démocratie consolidée est celle où l’État de droit est effectif ; mais dans des systèmes démocratiques en gestation en Afrique, l’État de droit ne rime pas forcément avec la démocratie.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à  consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui, car les décisions de notre Cour s’imposent aux autorités civiles et militaires et aux citoyens. En général, les décisions et avis de la Cour sont toujours respectés, sauf en 2009 lorsque l’ancien Président Tandja MAMADOU a ignoré l’avis et l’arrêt  de la Cour constitutionnelle ; cette dernière a été dissoute par Tandja MAMADOU.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Par le respect des prérogatives des différentes institutions de l’État et surtout par l’encadrement du pouvoir exécutif.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

La question est complexe. Le juge constitutionnel est le régulateur du fonctionnement des institutions politiques ; il ne peut pas être membre d’un parti politique.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

La Constitution, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des peuples, la Charte africaine des droits de l’Homme et  des peuples, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non, car les sources sont reprises dans le préambule de la Constitution.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits civils et politiques.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Non.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Non.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux ont une place importante ; la Cour veille toujours au respect des droits et libertés de la personne humaine. Ces droits ont été clairement inscrits dans la Constitution dont la Cour est gardienne.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

C’est surtout à travers le contentieux sur l’exception d’inconstitutionnalité, lorsque les justiciables soulèvent les violations de leurs droits.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Les deux sont mis sur un pied d’égalité. La Cour considère que la protection des droits est aussi importante que la protection des libertés.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Il n’y a pas de techniques originales.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

La Cour ne dispose pas d’un pouvoir spécifique. Elle ne peut se prononcer sur ces lois que lorsqu’elle est saisie soit par voie d’action soit par voie d’exception.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La Cour a des prérogatives de constituant dérivé. Elle peut toutefois consolider des droits et libertés prévus par la Constitution.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Elle est importante puisque le préambule de la Constitution les invoque.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle s’imposent aux juridictions de l’ordre administratif et judiciaire.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Il est dit que les décisions de la Cour s’imposent aux autorités administratives et militaires et aux citoyens. Mais si ces derniers ne les respectent pas, la Cour ne dispose d’aucun moyen pour les y obliger.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Notre Cour ne dispose d’aucun moyen de sanction.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Aucune place, la Cour rend ses décisions conformément à la Constitution et aux lois organiques.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Pas de réponse.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Pas de réponse.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Les droits civils et politiques, les droits humains ainsi que les libertés d’expression.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Oui.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Les facteurs sociaux et religieux.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Non.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

 

 

Cour constitutionnelle de la République centrafricaine

 

DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

La protection des droits de l’homme fait partie des compétences de la Cour constitutionnelle. La Cour, en tant que gardienne de la Constitution, est garante de la protection de la panoplie des droits énoncés dans la Constitution dans les articles 1 à 23.

L’article 1er alinéa 2 de la Constitution énonce clairement : « La République reconnaît l’existence des Droits de l’Homme comme base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde ».

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est explicite. À cet effet, l’article 95 alinéa 1er de la Constitution dispose : « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle (…) ».

Ces dispositions sont reprises dans la loi organique sur la Cour.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, ce rapport est direct et explicite. Le Préambule de la Constitution dans son paragraphe 6 l’évoque. Il dispose : La République Centrafricaine, « Résolu(e) à construire un État de droit fondé sur une démocratie pluraliste, le respect de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs en vue de garantir la sécurité des personnes et des biens, la protection des plus faibles, notamment des personnes vulnérables, des minorités et le plein exercice des libertés et des droits fondamentaux ».

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Puisque l’État de droit est la garantie de la démocratie et des droits de l’homme, la protection des droits de l’homme est un élément intrinsèque tant de l’État de droit que de la démocratie.

Pour ce qui est de l’État de droit, au nombre des éléments classiques de l’État de droit, deux renvoient directement à la protection des droits de l’homme. Ce sont l’égalité des sujets de droit et l’indépendance de la justice.

En ce qui concerne la démocratie, dès lors que l’on considère la démocratie comme le gouvernement du peuple par le peuple, la finalité de toute démocratie comme de tout État devrait être le bien-être et la protection du citoyen dans ses droits. La relation entre démocratie et droits de l’homme est complexe. Une approche de la démocratie fondée sur les droits et ancrée dans l’État de droit apparaît de plus en plus comme la meilleure protection contre les violations des droits de l’homme. Il faut que les gouvernants ne se contentent pas de simples affirmations. Nous le voyons dans les récents événements en Afrique. Sous le couvert du sursaut patriotique, combien de fois n’a-t-on pas affirmé intervenir pour arrêter la souffrance du peuple (protection de leurs droits) ? Des transitions sont mises en place, avec des promesses d’élections libres crédibles et transparentes, gages de démocratie retrouvée. Et après, les « sauveurs » retombent dans les mêmes erreurs et l’État de droit démocratique est renvoyé aux calendes grecques, ouvrant ainsi la voie à une succession interminable de groupes se réclamant de la démocratie.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Sur le plan théorique, il s’agit de deux éléments indissociables. Mais dans la pratique, il existe des distorsions qui ont amené la Cour dans sa jurisprudence à considérer que le lien naturel entre l’État de droit et la démocratie est inexistant dans de nombreux cas. Nous donnerons deux exemples pour illustrer ce fait.

À l’occasion du contrôle de constitutionnalité des lois par exemple, un texte voté selon la procédure prescrite peut avoir un contenu qui viole des droits fondamentaux. Ainsi une loi obligeant un

6. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

L’ancrage de la démocratie ou la consolidation démocratique est le processus qui suit la transition démocratique et qui consiste à garder en place une démocratie nouvellement arrivée dans un pays qui auparavant subissait un régime non-démocratique. La République Centrafricaine, notre pays, a souffert pendant plusieurs décennies des soubresauts politico militaires qui l’ont secouée. La légitimité constitutionnelle retrouvée depuis 2016 est encore très fragile et menacée. La Cour constitutionnelle s’efforce de la protéger. En effet, dans sa Feuille de Route dénommée « Horizon 2024 » (car le mandat de l’actuelle Cour court jusqu’en 2024), elle a fait de la consolidation de l’État de droit, le premier pilier de ses actions.

L’ancrage démocratique pour elle est une préoccupation constante qui transparaît à travers chaque décision ou avis rendus.

7. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Les interventions les plus significatives de la Cour concernent :

    • La protection de la Constitution

Par le contrôle de constitutionnalité, elle assure le respect de la norme fondamentale par ses décisions qui ne sont susceptibles d’aucun recours et qui s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, et à toute personne physique ou morale. Tout texte déclaré inconstitutionnel est nul et de nul effet ; il ne peut être ni promulgué ni appliqué. S’il est en vigueur, il est retiré de l’ordonnancement juridique. Par des avis, elle dégage l’interprétation qu’il convient de donner à une disposition de la Constitution. Il n’y a pas très longtemps, elle a rejeté une initiative parlementaire visant à modifier la Constitution sur la durée du mandat des députés et du président de la République.

    • Le domaine des élections

Compte tenu des effets désastreux des élections mal organisées sur la situation du pays, la Constitution a doté la Cour de larges compétences en matière électorale. Elle contrôle tout le processus électoral. Elle proclame les résultats après avoir vidé le contentieux. Elle est chargée du contentieux des candidatures et de l’éligibilité. À ce titre, elle a rendu de nombreuses décisions d’invalidation des candidatures ou des résultats électoraux en cas d’appartenance aux groupes armés, car la Constitution prohibe toute prise de pouvoir par des voies non démocratiques.

    • La promotion et la protection des libertés et droits fondamentaux

La Cour n’hésite pas à rétablir les citoyens dans leurs droits à l’occasion du contrôle de constitutionnalité non seulement des actes législatifs, mais aussi des actes réglementaires lorsque ces actes sont inconstitutionnels et annulés. Ceci est facilité par la saisine directe de la Cour par toute personne (citoyen ou étranger), sans filtrage.

8. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan de la contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est positif. L’indépendance de la Cour est respectée en général par les autorités. Les pressions directes sont rares. Les juges constitutionnels sont au nombre de 9 dont 6 sont élus par le corps des enseignants de droit (2 dont une femme), le barreau (2 dont une femme), et les magistrats (2 dont une femme). Cette composition garantit l’indépendance de l’institution en vue de sa mission.

9. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

La matière sur laquelle le juge intervient est politique. Mais les solutions qui sont dégagées sont conformes au droit. Le constitutionnalisme est la doctrine qui consacre la suprématie et la prééminence de la loi fondamentale. Il exige la saisine de la politique par la règle de droit.

10. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

La Constitution du 30 mars 2016 comporte tous les modes possibles de saisine de la juridiction constitutionnelle. Il s’agit d’un acquis fondamental lié à l’histoire du pays et au souci de la promotion de la justice constitutionnelle. En vue de préserver et consolider le rôle essentiel de la justice constitutionnelle pendant la transition, le pouvoir constituant de 2015 a rendu facile l’accès à la Cour constitutionnelle. La saisine peut être faite par :

    • Les autorités constituées ;
    • Les juridictions ;
    • Les particuliers à l’occasion d’un procès ou sans procès.

De plus, le recours est direct et sans filtrage. La procédure est entièrement gratuite. L’accompagnement par un conseil est laissé à l’appréciation du requérant. Les délais de recours sont relativement courts (un mois de délai normal et 8 jours en cas d’urgence).

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Normes nationales

    • La Constitution
    • Loi instituant la parité entre homme et femme
    • Le Code de la famille
    • Le Code électoral

Normes internationales

Elles sont expressément visées dans le Préambule de la Constitution. Ce sont :

    • l’Acte Constitutif de l’Union africaine adopté le 12 juillet 2000, qui vise à promouvoir le règlement pacifique des différends entre États dans le respect de la Justice, de l’Égalité, de la Liberté et de la Souveraineté des Peuples ;
    • la Charte de l’Organisation des Nations Unies ;
    • la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ;
    • les Pactes Internationaux du 16 décembre 1966 relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels d’une part et aux droits civils et politiques d’autre part ;
    • la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981 et la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance du 30 juin 2007 ;
    • les Conventions Internationales relatives à l’interdiction de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, à la protection des droits de l’enfant et celles relatives aux peuples autochtones et tribaux.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits fondamentaux

Ceux découlant de l’égalité : égalité des sexes, égalité devant la loi, égalité devant l’impôt, égalité devant la justice

Ceux découlant de la liberté : liberté d’opinion, d’expression, de réunion, de culte, de liberté syndicale, de droit de grève

Les droits individuels

    • dignité de la personne (droit de disposer de son corps, ) ;
    • droit à la vie privée et à l’intimité ;
    • droit et liberté d’aller et venir ;
    • droit de la propriété ;
    • liberté d’entreprendre ;
    • liberté d’opinion ;
    • liberté de culte ;
    • droit de grève ;
    • liberté de création artistique ;
    • droit à la sûreté (présomption d’innocence, respect des droits de la défense, bénéfice de la protection de la force publique, ).

Les droits (ou libertés) collectifs

    • liberté de réunion ;
    • liberté de la presse ;
    • liberté d’association ;
    • droit de manifester. Les droits sociaux
    • droit à l’emploi ;
    • droit à la sécurité ;
    • droit à l’instruction (enseignement gratuit) et à la culture ;
    • protection de la santé ;
    • protection de l’environnement.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

La Cour n’a pas encore eu l’opportunité de reconnaître et d’affirmer les droits d’un type nouveau. Cependant, elle veille au respect de certains droits qui sont affirmés à l’occasion des réformes ou de l’alignement de la législation nationale sur les normes internationales.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

La Cour constitutionnelle ne semble pas porter vers l’idée d’une hiérarchisation des droits de l’homme, du moins pour l’instant. Elle semble leur reconnaître une valeur égale, qu’ils soient prévus par les dispositions internes ou reconnus par des conventions internationales ratifiées. Cependant, cette position ne l’empêche pas de porter une attention particulière sur certains droits dont elle privilégie la protection. Il s’agit des droits protégeant les catégories défavorisées : les femmes, les handicapés, les jeunes et les minorités.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Après la protection de l’ordre constitutionnel, la protection des libertés et droits fondamentaux est le second domaine de compétence de la Cour constitutionnelle.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

À la différence de la Constitution française par exemple, les droits et libertés fondamentaux sont énoncés non pas dans le Préambule, mais clairement spécifiés dans les articles 1 à 23 de la Constitution. Leur constitutionnalisation définit leur régime.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non, un examen de la jurisprudence de la Cour ne met en évidence aucune différence entre la protection des droits et celle des libertés.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Sur certains points, la cause est déclarée d’ordre public par la Cour, ce qui permet au juge de les soulever d’office. Cette technique permet de renforcer la protection des droits et libertés ainsi menacés. C’est notamment le cas du droit à l’honneur et à la considération. En période électorale, les injures sexistes à l’égard des candidates (femmes) sont considérées comme des causes d’ordre public d’invalidation des candidats masculins coupables. Le juge peut rechercher les injures, les soulever d’office et les sanctionner alors que les requêtes introduites n’en font pas mention. Il en est ainsi parce que les effets des injures sexistes à l’égard de la femme sont désastreux sur l’électorat en tenant compte des mœurs.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Lorsqu’à l’occasion du contrôle de conformité d’un texte, il y a violation des droits de l’homme, le texte peut être déclaré non conforme totalement ou non conforme partiellement selon le cas.

Lorsque la Cour constate la non-conformité totale d’une loi à la Constitution, la loi ne peut être appliquée.

Lorsque la Cour constitutionnelle constate la non-conformité partielle, elle se prononce sur le caractère séparable ou non de     la ou des dispositions censurées. Si le caractère séparable est constaté, le président de la République peut, soit promulguer la  loi organique amputée de la ou des dispositions incriminées, soit demander au Parlement de procéder à une nouvelle délibération de la loi, afin qu’elle soit conforme à la décision de la Cour constitutionnelle. Si le caractère non séparable est constaté, la    loi ne peut être promulguée. Il est alors procédé de la même manière qu’à l’article 26 ci-dessus. Après la nouvelle délibération, la loi est de nouveau transmise à la Cour constitutionnelle pour recevoir de celle-ci un visa de conformité avant sa promulgation.  Si la décision de la Cour n’a pas été appliquée, la loi ne peut être promulguée. Le Président de la Cour en informe le président de    la République.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La Cour peut constitutionnaliser certains droits et libertés. Elle le fait souvent à l’occasion de l’interprétation de la Constitution. Quand elle est saisie d’une demande d’avis et que la question concerne l’interprétation de la Constitution, elle ne rend pas un avis comme demandé, car un avis ne lie pas. Il est facultatif. Il ne peut en être ainsi quand la Cour doit interpréter la norme fondamentale. Elle rend alors une décision. À l’occasion, elle considère le droit ou la liberté ainsi visé comme englobé dans un droit ou une liberté expressément prévu par la Constitution.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Dans la hiérarchie des normes, les traités et conventions internationales (ratifiés) ont une valeur supérieure à la  loi.  Ils  sont donc sources de droit à part entière. De même les principes généraux du droit à valeur universelle sont invoqués comme fondements  de  solutions  jurisprudentielles.  Il  en  est  ainsi  de  la jurisprudence internationale qui s’appuie sur ces principes généraux.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

La portée est absolue. En effet, l’article 106 de la Constitution dispose :
« Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, et à toute personne physique ou morale.
Tout texte déclaré inconstitutionnel est nul et de nul effet ; il ne peut être ni promulgué ni appliqué. S’il est en vigueur, il est retiré de l’ordonnancement juridique ».

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

La Cour n’a aucun pouvoir sur l’exécution des décisions rendues. Lorsqu’elle constate la non-exécution, elle dispose de faibles moyens d’intervention :

    • Elle saisit le président de la République ;
    • Elle fait un rapport à la Haute Autorité chargée de la Bonne Gouvernance qui elle-même ne dispose pas de moyen de contrainte.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Tout texte déclaré inconstitutionnel est nul et de nul effet ; il ne peut être ni promulgué ni appliqué. S’il est en vigueur, il est retiré de l’ordonnancement juridique.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les valeurs sociétales telles que la paix, la justice, l’équité, la tolérance, la responsabilité sont des valeurs sur lesquelles la Cour constitutionnelle a eu l’occasion d’asseoir certaines de ses grandes décisions. Ainsi à l’occasion du rejet d’une proposition de loi constitutionnelle initiée par les députés, la Cour a consulté préalablement les forces vives de la Nation (parti politiques, organisations de la société civile, Gouvernement). De l’avis de tous, la révision constitutionnelle sollicitée comportait de graves menaces pour la paix et la justice.

En réponse à plusieurs demandes de modifications de la loi électorale par le Gouvernement, la Cour a su imposer la concertation (partis politiques, société civile et Gouvernement) pour préserver la paix et la justice.

En se fondant sur la responsabilité et la redevabilité, la Cour a exigé du Gouvernement de respecter la baisse progressive du taux d’abattement de salaire inscrite dans la loi de finances et que le Gouvernement n’a pas respectée en maintenant un taux fixe sur plusieurs années alors qu’il avait l’obligation légale de le faire baisser annuellement. Suite à cette décision de la Cour, le Gouvernement a dû s’exécuter.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Le droit à la culture est bien pris en compte, notamment dans les articles 9 et 17 de la Constitution. Ce droit est compris comme un droit d’accès à la culture universelle.

Art. 9 : « Chacun a le droit d’accéder aux sources du savoir. L’État garantit à tout citoyen l’accès à l’instruction, à la culture et à la formation professionnelle ».

Art. 17 : « La liberté de création intellectuelle, artistique et culturelle est reconnue et garantie. Elle s’exerce dans les conditions fixées par la loi ».

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Deux dispositions de la Constitution définissent la place de la religion dans la Constitution.

Art. 10 : « La liberté de conscience, de réunion, de religion et des cultes est garantie à tous dans les conditions fixées par la loi ».

Art. 25 : « Les principes de la République sont :

    • le Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ;
    • la séparation de l’État et de la religion ;
    • (…) ».

La liberté de religion est garantie par la Constitution qui fait de la séparation entre l’État et la religion un des 7 principes de la République.

De plus, les articles 6 et 31 ajoutent que tous les êtres humains sont égaux devant la loi sans distinction de race, d’origine ethnique, de région, de sexe, de religion, d’appartenance politique et de position sociale et qu’il est interdit aux partis politiques et groupements politiques de s’identifier à une religion. On comprend alors la préoccupation du pouvoir constituant, car c’est au nom de la religion qu’ont été réalisées les violations les plus flagrantes des droits humains en République Centrafricaine dans les heures sombres de son histoire.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

La paix et la cohésion sociale sont mentionnées respectivement 7 et 2 fois dans la Constitution. La paix sociale est mentionnée parmi les 7 principes de la République à l’article 31 de la Constitution. Cette insistance vise à mettre en évidence les deux notions comme facteurs déterminants dans la définition des droits de l’homme.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non, pas expressément.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Ce sont :

    • la liberté de réunion ;
    • la liberté de la presse ;
    • la liberté d’association ;
    • le droit de manifester

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

La Cour considère que les droits et libertés doivent être à accès universel. Leur respect ne peut dépendre des circonstances et du temps.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

  • La spécificité et la vulnérabilité de certains titulaires de droits
  • Les circonstances : transition, guerre, épidémies, politique

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Les crises politiques, économiques et sociales étant des facteurs favorisant les violations massives des droits humains, il va sans dire qu’elles peuvent avoir une influence sur l’interprétation des droits et libertés des citoyens. Le juge, dans la fonction de qualification à l’occasion des décisions qu’il rend, s’efforce d’interpréter la loi en vue de faire saisir par celles-ci des faits originaux non formellement prévus, mais qui entrent dans l’esprit de la formulation définitive.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Les manifestations relativement faibles du coronavirus dans notre pays n’ont pas entraîné des mesures exceptionnelles de grande envergure. Leurs effets étant minimes sur les droits humains, elles n’ont pas donné l’occasion à la Cour de modifier sa perception des droits de l’homme.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

 

 

Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

De manière explicite, la combinaison des articles 149 et 150 de la Constitution lui confère une compétence en matière de protection des droits de l’homme, car tout juge congolais, membre du pouvoir judiciaire est appelé à participer à cette mission collective. Cette compétence est exercée essentiellement en matière de contrôle de constitutionnalité des normes. En effet, la Cour examine la constitutionnalité des actes par rapport à la Constitution. Sur ce point, notre Constitution accorde une protection particulière à un certain nombre des droits et libertés nommément énumérés. À ce titre, à chaque fois qu’elle examine un acte soumis à son contrôle, elle a pour élément d’appréciation les dispositions de la Constitution y compris celles ayant trait aux droits et libertés individuelles.

Notons que la compétence de la Cour constitutionnelle de la RDC en matière de contrôle de constitutionnalité résulte des articles 160 alinéa 1er et 162 alinéa 2 de la Constitution, 43 et 48 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Il appert des dispositions précitées que la Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de constitutionnalité des traités et accords internationaux, des lois, des actes ayant force de loi, des édits, des règlements intérieurs des Chambres parlementaires, du congrès et des institutions d’appui à la démocratie ainsi que des actes réglementaires des autorités administratives.

Dans le souci de garantir la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux, la Cour a procédé à l’extension de sa compétence notamment sur les actes d’assemblées politiques délibérantes, dans la mesure où ces derniers portent atteinte aux droits fondamentaux auxquels la Constitution attache une protection particulière, comme le droit de la défense et au recours, le droit à l’égale protection de lois, etc… à condition qu’aucune autre juridiction ne soit compétente pour les examiner.

Ainsi, à chaque fois qu’elle examine les actes ci-hauts énumérés, la Cour constitutionnelle confronte les normes soumises à son contrôle au cadre juridique des droits et libertés auxquels la Constitution accorde une protection particulière.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Il s’agit d’une compétence explicite, tel que précisé plus haut et qui résulte de la combinaison des articles 149 et 150 de la Constitution que la Cour constitutionnelle de la RDC tire à l’occasion de l’examen des actes de sa compétence, en se fondant en outre, notamment sur le paragraphe 6 du Préambule de sa Constitution qui réaffirme notamment l’adhésion de la RDC et son attachement à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, sans oublier les articles 1er, 19 alinéa 3 et 61 point 5 de la même Constitution. Cependant, même si la Constitution de la RDC ne permet pas à la Cour constitutionnelle de se saisir d’office pour faire constater la violation d’un droit ou d’une liberté individuelle, il faut préciser que l’article 49 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle permet au Procureur général près cette dernière de saisir d’office celle-ci pour inconstitutionnalité des actes de la compétence de la Cour lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques.

3. Existe-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la Démocratie ?

En six ans d’activités, la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo s’est forgé une jurisprudence qui d’ores et déjà pose des repères dans l’administration de la justice constitutionnelle. La lutte pour l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo puis, à présent, l’implantation de la démocratie au travers de la restauration de l’État de droit, ont permis à la justice constitutionnelle d’acquérir l’importance et le rayonnement qui sont aujourd’hui les siens. La justice constitutionnelle a pour but de garantir la démocratie comme système politique et l’ensemble des principes qui la sous-tendent. Il n’en est pas moins vrai que pour bien jouer son rôle, elle exige et garantit à la fois une certaine vision ou un certain type de démocratie qu’il convient de définir clairement. Donc au regard de ce développement, nous affirmons qu’il existe un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

La Cour établit ce lien à travers son œuvre de contrôle des actes de sa compétence, avec pour finalité d’assurer la garantie des trois éléments décrits.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Non. Selon l’approche de la Cour constitutionnelle de la RDC, l’État de droit implique la soumission de tous les actes juridiques aux actes supérieurs et, en dernier ressort, à la Constitution qui elle-même véhicule des principes et valeurs démocratiques. C’est dans ce sens que lors de l’examen de la constitutionnalité des actes de sa compétence, elle cherche à se rassurer du respect de cette primauté dans le contenu desdits actes. C’est même au nom de cette primauté qu’elle n’a pas hésité à s’attribuer une compétence résiduelle pour contrôler la constitutionnalité de certains actes juridiques échappant a priori à sa compétence. La Constitution étant elle-même l’émanation du peuple souverain, ce dernier dispose d’un pouvoir, tant directement qu’au travers de ses représentants, pour faire contrôler devant la Cour les normes attentatoires à l’ordre constitutionnel et démocratique ; il y a donc un rapport de complémentarité, tant les deux s’enchevêtrent, se compénètrent.

C’est suivant cette logique que l’article 162 de la Constitution permet à toute personne d’initier le contrôle de constitutionnalité tant par voie d’action (directement devant la Cour) que par voie d’exception (lorsque l’inconstitutionnalité est soulevée devant une juridiction à l’occasion d’un procès en cours).

De même, suivant l’article 160 alinéa 3 de la Constitution, aux même fins d’examen de la constitutionnalité, les lois peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle, avant leur promulgation, entre autres, par le dixième des députés et sénateurs (ceux-ci sont les représentants du peuple).

6. Votre juridiction a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui, la Cour constitutionnelle se rassure que tous les actes des gouvernants, qui relèvent de sa compétence, soient censurés afin d’assurer la primauté de la Constitution et le développement du constitutionnalisme. Il en est ainsi du cas où elle a contrôlé les actes instituant les mesures d’urgence pour faire face aux circonstances exceptionnelles. La Cour a admis la possibilité légale de suspension de l’exercice de certains droits comme voie alternative de garantie de l’effectivité d’autres droits, tout en faisant de l’article 61 de la Constitution, énumérant les droits et principes indérogeables quelles qu’en soient les circonstances, la norme de référence absolue en période de circonstances exceptionnelles. Ce qui lui fait dire sous R. Const. 1571 : « Quoique ce système entraîne la réduction des libertés publiques, il ne peut supprimer toute garantie constitutionnelle et légale, en l’occurrence le noyau dur ou le noyau irréductible et incompressible des droits fondamentaux, constitué en droit congolais de l’agrégat des droits et libertés consacrés par l’article 61 de la Constitution ».

Ce faisant, la Cour constitutionnelle offre une protection procédurale et substantielle à l’État de droit, et assure par ce fait sa mission d’outil de mesure démocratique. C’est ce qui ressort des arrêts R. Const. 1233 et R. Const. 1257. Aussi, dans le cadre de son pouvoir de régulation des pouvoirs publics et de l’ordre démocratique, la Cour contribue, à travers sa jurisprudence, notamment sous R. Const. 1640, à la vitalité de l’ordre démocratique qu’elle a d’ailleurs élevé au rang d’objectif à valeur constitutionnelle et dont la préservation lui incombe.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

C’est une finalité. En effet, dans plusieurs arrêts, la Cour a eu à rappeler la poursuite de l’idéal de l’État de droit qu’elle doit rechercher, ce, découlant des articles 1er, 149 et 150 de la Constitution comme mentionné plus haut. La Constitution qui est l’acte basique de la Cour constitutionnelle précise, entre autres, en son article 1er que la RDC est un État de droit et démocratique. Les articles 149, alinéa 1er et 150, alinéa 1er reconnaissent au pouvoir judiciaire, dont la Cour constitutionnelle fait partie, la qualité de garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens. C’est à ce titre qu’à chaque fois qu’elle examine un acte, la Cour cherche à atteindre cet idéal en tant qu’acteur de l’instauration de l’État de droit et de la vitalité de l’ordre démocratique dans le pays.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’encrage de la démocratie ?

Oui, car la Cour constitutionnelle de la RDC offre une protection procédurale et substantielle à l’État de droit, et assure par ce fait sa mission d’outil de mesure démocratique. C’est l’idée même du gouvernement de la Constitution, sans glisser dans celui des juges.

Dans une démarche de concrétisation des droits fondamentaux, la Cour s’est engagée à remplir, outre sa mission de justice constitutionnelle, celle de justice individuelle en protégeant les citoyens contre des violations verticales et horizontales des droits. Le droit à la santé a été affirmé et protégé par la Cour dans son arrêt R. Const. 1200, autant que l’obligation du port des masques a été validée en tant que moyen nécessaire pour la protection de la santé publique. Il s’agit, en l’espèce, d’un maniement subtil du test de proportionnalité suivant le triptyque : restriction prévue par la loi, poursuivant un but légitime et réalisée par des moyens nécessaires ou efficaces dans une société démocratique.

Ce n’est qu’à ce titre qu’il est envisageable de développer un droit constitutionnel effectif au service du maintien de l’État de droit même en circonstances exceptionnelles. La restriction et la suspension des libertés sous les régimes spéciaux de crise, doivent s’opérer sous la censure du juge constitutionnel. Il est donc de bon aloi que l’activité jurisprudentielle de la Cour se concentre sur la défense des acquis substantiels de la Constitution et de la démocratie.

9. En quoi et dans quelle contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le noyau du pouvoir juridictionnel de la Cour constitutionnelle de la RDC réside évidemment dans la tâche qui lui incombe d’assurer le respect de la Constitution par un ou plusieurs des moyens qui s’offrent à elle : contrôle de la législation et autres normes émanant de la puissance publique, règlement de conflits surgis entre les principaux organes de l’État ou différents niveaux d’administration, décisions concernant les requêtes émanant directement d’individus alléguant une violation de leurs droits fondamentaux. Dans tous ces cas, la Cour est compétente pour annuler l’acte qu’elle juge inconstitutionnel.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Le bilan est tout naturellement positif à en juger par la sollicitation de plus en plus accrue de la Cour par différents acteurs. En effet, plusieurs crises institutionnelles ont été évitées du fait de l’œuvre de la Cour constitutionnelle de la RDC. En l’occurrence, celle évitée par l’arrêt R. Const. 338 du 17 octobre 2016, par lequel la Cour a validé le processus électoral qui s’exposait à l’inconstitutionnalité à cause d’un certain nombre des contraintes objectives qui lui avaient été présentées par la Commission électorale nationale indépendante. La Cour a résolu un problème d’impossibilité de la tenue dans le délai constitutionnel, du calendrier du 12 février 2016 de la Commission électorale nationale indépendante, de l’organisation du scrutin pour l’élection du président de la République. En outre, la lutte pour l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo puis, à présent, l’implantation de la démocratie par la restauration de l’État de droit, ont permis à la justice constitutionnelle d’acquérir l’importance et le rayonnement qui sont aujourd’hui les siens. Plutôt qu’une simple tendance, il s’agit là de la consolidation d’un principe constitutionnel nouveau. Une fois la Constitution établie comme loi suprême, son respect doit être garanti. Et nous pouvons affirmer qu’autant que possible, la Cour joue son rôle de manière positive.

En outre, toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou règlementaire.

Il s’agit ici de saisir la Cour par voie d’action directe en inconstitutionnalité. Peut donc le faire toute personne physique ou morale de droit public ou de droit privé contre une loi ou un règlement lorsqu’elle considère que l’acte a violé la Constitution. Le constituant congolais a ainsi apporté une innovation très importante concernant la saisine de la Cour constitutionnelle a posteriori. Il a libéralisé l’accès à la justice constitutionnelle de telle sorte que celle-ci est désormais ouverte aux particuliers.

Le constituant a voulu, à travers le concept « toute personne », permettre à la population une meilleure appropriation de la Constitution, mais également veiller à la régularité des actes législatifs, règlementaires, et le cas échéant, d’assemblée. D’ailleurs, la saisine de la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité est autorisée, sous réserve de l’exigence de respect du délai de six mois prévu par l’article 50 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle. Le législateur distingue deux délais d’action. Il s’agit du délai de six mois pour tous les actes législatifs et règlementaires d’une part, et le délai de soixante jours pour la loi d’approbation ou d’autorisation de ratification d’un traité. Les délais courent à partir de la publication de ces actes au Journal Officiel. En d’autres termes, toute personne qui veut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité des actes sus évoqués doit le faire dans les délais de six mois ou de soixante jours selon les cas après l’entrée en vigueur desdits actes. Sinon, il y a irrecevabilité.

Depuis le démarrage de la Cour jusqu’à ce jour, il y a lieu de constater un « activisme judiciaire » dans le chef des justiciables, d’autant plus que la procédure est gratuite. La Cour a enregistré beaucoup de requêtes. Il y a lieu de préserver l’accès à la Cour au plus grand nombre de justiciables.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Il ne joue pas un rôle politique au vrai sens du mot. Mais dans son rôle, il se positionne en rempart contre l’arbitraire dans la violation de la Constitution et contribue à la pacification des rapports institutionnels qui peuvent influer sur la marche politique. Il s’agit là, dans une certaine mesure, d’un rôle politique lorsqu’il s’accorde dans l’encadrement des activités et actes politiques, ce dans le seul souci de veiller à la primauté de la Constitution et au fonctionnement régulier des institutions politiques. C’est dans ce sens que par les arrêts R. Const. 099/TSR du 6 septembre 2007, R. Const. 0089 du 8 septembre 2015 et R. Const. 338 du 17 octobre 2016, la Cour constitutionnelle de la RDC a affirmé sa compétence implicite, qui découle du pouvoir de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, cette réponse est illustrée par les signaux ci-après :

Pour ce qui est de la qualité du requérant, l’article 162 de la Constitution accorde la possibilité à toute personne de saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif et règlementaire. En outre, elle peut la saisir par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui la concerne devant la juridiction.

S’agissant de la recevabilité de la requête, la loi organique ne complique pas la procédure de dépôt de la requête. En effet, aux termes de l’article 88 alinéa 2 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la requête émanant d’une partie autre que le Procureur général « mentionne, sous peine d’irrecevabilité, les nom, qualité, et adresse du requérant ainsi que l’objet et les moyens de la demande ». Cette disposition est reprise et complétée par l’article 91 alinéa 2 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle qui exige que « la requête soit signée par la partie elle- même ou par un avocat dûment mandaté ». Cette dernière disposition est un élément marquant de la démocratisation de la procédure devant la Cour constitutionnelle, car elle accorde au requérant la possibilité de saisir aussi directement cette dernière sans l’assistance d’un avocat.

Enfin, conformément à l’article 96 alinéa 2 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la procédure devant cette dernière est totalement gratuite.

Les trois signaux relevés justifient le nombre croissant des requêtes reçues par la Cour constitutionnelle depuis son installation effective en 2015. En effet, du 11 avril 2015, date de son installation, au 17 septembre 2021, la Cour constitutionnelle a enregistré 3.335 affaires et rendu, toutes matières confondues, 2.969 arrêts.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

a) Références internationales : La Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

b) Référence nationale : La Constitution.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

La Cour constitutionnelle, installée effectivement seulement en 2015, n’a pas encore été confrontée à un tel exercice. Cependant, il faut reconnaître l’existence de deux faisceaux qui peuvent servir de référence pour répondre à cette question. D’une part, au paragraphe 6 du Préambule de la Constitution, le constituant affirme l’adhésion et l’attachement du peuple congolais à la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples… D’autre part, à l’article 215 de notre Constitution, il est énoncé ce qui suit : « Les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois (…) ». Cette dernière disposition est la base du monisme avec primauté du droit international, doctrine soutenue par la République Démocratique du Congo. Pour autant que ce soit la Constitution qui reconnaît, à la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples une place de choix dans la protection des droits de l’homme en RDC, nous pouvons affirmer qu’en RDC, la hiérarchie entre les sources des droits de l’homme est établie par l’article précité de la Constitution.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Il s’agit le plus souvent des droits civils et politiques, à titre d’exemple : les droits de la défense, le droit de vote, la liberté de circulation, le droit de recours, le droit à l’égale protection des lois, la liberté d’expression… Il faut reconnaître qu’à ce jour, la Cour constitutionnelle n’a pas encore enregistré le cas d’évocation devant elle des droits économiques, sociaux et culturels. Mais au regard de ses compétences, rien n’interdit qu’elle puisse examiner la violation de ces derniers droits, bien entendu sur requête de tout citoyen ou du Procureur général.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

À travers les droits de type nouveau, il y a lieu de mentionner pour l’essentiel, le droit à l’éducation, le droit de fonder une famille et de subvenir à ses besoins, mais aussi de nombreux droits généralement considérés comme des droits « civils » ; par exemple : le droit aux loisirs, aux soins de santé, au respect de la vie privée et à la non-discrimination.

Ces droits sont pour la plupart garantis par la Constitution de la République Démocratique du Congo et peuvent être invoqués devant la Cour. Mais à l’état actuel de la procédure devant la Cour, les seuls droits souvent invoqués sont ceux auxquels la Constitution attache une importance particulière, comme renseignés aux articles 19, alinéa 3 et 61 point 5 de la Constitution. Les réclamations autour des droits de type nouveau n’ont pas encore été invoquées devant la Cour. La dynamique contentieuse pourrait déterminer la prise de position de la Cour au regard de la fréquence de sa saisine à ce sujet.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Au regard de ses compétences constitutionnelles, la Cour constitutionnelle n’établit pas une hiérarchie expresse entre les droits de l’homme. En effet, la Constitution de la RDC réserve tout un titre à la protection des droits fondamentaux, qui vont des articles 11 à 61, sans en établir une hiérarchie. Néanmoins, l’interprétation de l’article 61 de la Constitution qui consacre un noyau granitique des droits non dérogeables même en temps de guerre, d’état de siège et d’état d’urgence peut conduire à la conclusion d’une hiérarchisation des droits de l’homme constitutionnellement garantis.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

La Cour constitutionnelle de la RDC accorde une place considérable et de choix à la protection des droits fondamentaux. En effet, c’est dans le souci d’assurer une protection efficace à la protection des droits fondamentaux que la Cour a étendu sa compétence à connaître de la constitutionnalité de certains actes qui n’étaient pas de sa compétence.

C’est le cas des actes d’assemblée qu’elle censure en justifiant son intervention suivant la motivation en ces termes : « Dans la poursuite de l’idéal de l’État de droit et la protection des droits fondamentaux et libertés publiques découlant des articles 1er, 149 et 150 de la Constitution, la Cour a étendu sa compétence à l’égard des seuls actes d’assemblée sous la double condition que l’acte déféré ne relève de la compétence matérielle d’aucun autre juge, et que le requérant allègue à suffisance de droit la violation d’un droit fondamental auquel la Constitution accorde une protection particulière ». La Cour constitutionnelle a rappelé sa jurisprudence notamment à travers les arrêts de principe sous R. Const. 356 du 10 mars 2017, affaire Cyprien LOMBOTO LOMBONGE c/ Assemblée provinciale de la Tshuapa ; R. Const. 411/2017 du 17 mars 2017, affaire Aimé BOKUNGU BUBU c/ Assemblée provinciale de la Mongala et R. Const. 410/2017 du 17 mars 2017, affaire Vincent MANI BAHOMO c/ Assemblée provinciale du Sud-Ubangi.

Et, depuis ces premiers arrêts jusqu’à ce jour, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle a, à maintes reprises, censuré des actes d’assemblée, notamment les motions de censure et/ou de défiance, les résolutions de mise en accusation ou la levée des immunités des élus lorsque celles-ci méconnaissent un des droits fondamentaux auxquels la Constitution accorde une protection particulière ; dans la majorité des cas, les droits de la défense et l’égale protection des lois.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

La Cour constitutionnelle accorde un régime particulier aux droits fondamentaux au travers du contrôle de constitutionnalité des actes de sa compétence à l’occasion de la censure qu’elle fait desdits actes une fois qu’elle est saisie.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celles des libertés ?

Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle de la RDC ne fait pas de différence entre la protection des droits et celle des libertés. Elle les considère tous comme des droits fondamentaux qui s’imposent à elle et pour lesquels elle est revêtue de l’autorité de garant, conformément à l’article 150 de la Constitution en tant que composante du Pouvoir judiciaire.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

La possibilité de limitation des effets de ses arrêts rendus lors d’un contrôle a priori, abstrait, lui permettant le réexamen a posteriori du même acte dès lors que dans le concret, un citoyen invoque la violation d’un droit constitutionnellement garanti.

En outre, à travers la technique des réserves interprétatives, la Cour contribue, comme « législateur indirect », à la réécriture des textes juridiques en leur conférant une portée compatible avec les droits fondamentaux et les libertés publiques.

À titre illustratif, lors d’un contrôle a posteriori, la Cour constitutionnelle de la RDC a eu à procéder au réexamen d’une loi organique portant statut des magistrats déjà déclarée conforme à la Constitution lors du contrôle a priori et y a décelé une disposition qui consacrait la violation du droit de la défense et l’a annulée, suivant la motivation ci-après sous R. Const. 212/216 :

« la Cour dira inconstitutionnel l’article 61 alinéa 4 point 3 de la Loi organique n° 15/014 du 1er août 2015 modifiant et complétant la Loi organique n° 6/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats dès lors que le droit de la défense du magistrat et celui d’exercer un recours apparaissent manifestement n’être pas garantis devant la juridiction disciplinaire par la disposition attaquée alors qu’ils font partie des droits et principes fondamentaux garantis par la Constitution. Qu’aux termes de l’article 150 de la Constitution, le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens ».

Aussi, appelée à apprécier a priori la conformité à la Constitution du Règlement intérieur du Sénat tel que modifié et complété, la Cour a, sous R. Const. 1597, émis des réserves d’interprétation sur trois dispositions afin de protéger les droits de la défense des Sénateurs.

Enfin, pour assurer la sécurité juridique et l’ordre public, il est arrivé à la Cour constitutionnelle de déclarer un acte contraire à la Constitution, mais de moduler les effets de sa décision.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Au regard des compétences qui lui sont dévolues par la Constitution, la Cour constitutionnelle de la RDC dispose d’un pouvoir effectif dans le contrôle des actes. Il s’agit notamment des traités et accords internationaux, des actes législatifs et réglementaires.

Ceci veut dire que dans l’examen de ces actes, la Cour passe au crible chaque disposition y compris l’exposé des motifs afin de faire prévaloir le respect de la Constitution, particulièrement les dispositions garantissant les droits et libertés fondamentaux avec effet d’annulation de l’acte reconnu inconstitutionnel.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

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12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Nous l’avons mentionné plus haut ; suivant son Préambule, appuyé par les articles 153 et 215 de la Constitution, la RDC prône la doctrine moniste avec primauté du droit international. C’est dire que les normes du droit international ont une valeur supérieure aux lois internes, à la condition cependant que ces normes relèvent des traités et accords internationaux régulièrement conclus et qu’ils soient publiés au Journal officiel de la RDC.

Par ailleurs, il y a lieu de préciser que les normes en matière de droits de l’homme étant d’application immédiate, elles s’imposent au juge congolais. Il en est de même de la jurisprudence en matière de protection des droits de l’homme qui peut inspirer le travail du juge.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Dans l’ensemble, les décisions de la Cour constitutionnelle de la RDC s’imposent aux autres juridictions, aux pouvoirs publics et même aux particuliers, les articles 168 de la Constitution et 53 de la Loi organique sur la Cour ayant conféré à ses « dit pour droit » une autorité absolue de la chose jugée, ne laissant aucune marge de manœuvre aux autres juridictions, plus particulièrement lorsqu’elles doivent trancher un conflit dont la solution repose sur un acte déclaré contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour la protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Il faut déjà commencer par préciser que conformément aux articles 168 de la Constitution de la RDC et 64 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, les arrêts de cette dernière sont immédiatement exécutoires. La Cour constitutionnelle étant pourvue d’un Parquet Général assurant le rôle d’officier du ministère public, c’est au Procureur général, Chef de cet office que la loi organique confère le pouvoir de poursuivre l’exécution des arrêts de la Cour.

C’est ainsi que dans la majorité des cas, l’exécution des arrêts de la Cour constitutionnelle de la RDC ne pose pas de problème. Dans le cas où il y a eu retard dans l’exécution, le Procureur général près la Cour constitutionnelle n’a pas hésité à rappeler à l’ordre, par correspondance, l’autorité concernée pour l’exécution immédiate ou de requérir, avec instruction claire, un Officier du Ministère Public du ressort pour assurer l’exécution de la décision de la Cour. C’est notamment le cas de l’exécution de l’arrêt sous Const. 1171 du 29 mai 2020.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Il sied de noter qu’il s’agit de la même sanction qui est rattachée à tous les actes soumis à la censure de la Cour constitutionnelle, même ceux qui contiennent des dispositions qui portent atteinte aux droits et libertés des citoyens. Pour l’article 168 alinéa 2 de la Constitution, « tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit ». C’est dans cette même logique que l’article 112 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Constitution précise que « l’arrêt d’inconstitutionnalité empêche la promulgation ou la mise en application de l’acte ou du texte juridique entrepris ou de certaines de ses dispositions. Il le rend nul ou inapplicable dans le cas d’espèce ».

Pour le cas du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception ou question préjudicielle de constitutionnalité, l’article 53 alinéa 2 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle impose une sanction immédiate :
« l’acte déclaré non conforme à la Constitution ne peut être appliqué dans le procès en cours ».

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Tenant compte de la conception universaliste des droits de l’homme qu’impose la Constitution de la RDC, la Cour constitutionnelle ne tient pas compte des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme. En effet, l’article 11 de la Constitution, qui dispose que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, veut que leur respect soit assuré par tous, en premier par la Cour constitutionnelle.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Au regard de sa conception universaliste des droits de l’homme susvisée, la Cour constitutionnelle de la RDC protège les droits de l’homme consacrés dans la Constitution sans tenir compte des facteurs liés à la culture. Elle s’appuie sur l’article 11 de la Constitution qui impose que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Dans le cadre de l’universalisme des droits de l’homme et la laïcité de l’État, la Cour constitutionnelle de la RDC protège les droits de l’homme consacrés dans la Constitution sans tenir compte des facteurs liés à la religion.

Elle s’appuie sur l’article 1er de la Constitution qui précise que la République Démocratique du Congo est un État laïc. Ainsi, la religion n’a aucune influence dans le rôle de protection des droits qu’exerce la Cour constitutionnelle, car il se dégage de l’article 13 de la même Constitution qu’aucun Congolais ne peut faire l’objet d’une quelconque discrimination, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion notamment.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Pour la Cour constitutionnelle, les droits de l’homme sont des droits innés de l’individu, qu’il possède indépendamment de toute reconnaissance par une autorité et qui doivent être protégés indépendamment des circonstances en présence. Ces droits doivent être au centre du processus de la recherche de la paix et de la cohésion sociale, tout en sauvegardant les équilibres, car la paix et la cohésion sociale confèrent les conditions propices à l’exercice des droits fondamentaux.

6.  Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui, comme déjà indiqué ci-dessus. Il ressort des décisions de la Cour constitutionnelle de la RDC que tout citoyen congolais a des droits inhérents à sa personne, inaliénables et sacrés, et donc opposables en toutes circonstances à la société et au pouvoir. C’est pourquoi même dans ses arrêts sous R. Const. 1200 et 1571, elle a réaffirmé ce qui est contenu à l’article 61 de la Constitution, que même en cas de proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège, il ne peut être dérogé à un certain nombre des droits et libertés fondamentaux, dont le droit de la défense, le droit à la vie, le droit à un recours, etc. Nous pouvons donc conclure que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle tend à une conception universaliste et égalitaire de la définition des droits de l’homme.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Pas de manière formelle, sa jurisprudence étant dans la conception universaliste.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Il s’agit de :

a) Droits de la défense :

Pour la Cour, les droits de la défense comportent essentiellement trois aspects. L’intéressé doit être informé qu’une procédure est engagée contre lui et doit recevoir communication des griefs invoqués à son encontre ; cette information, qui doit le mettre en mesure de présenter utilement sa défense, doit intervenir dans un délai raisonnable avant l’édiction de la sanction ou de la mesure le concernant, c’est-à-dire ni trop tôt, ni trop tard (R. Const. 1459 du 9 avril 2021 ; Aff. Gouverneur NZENGE c/ Assemblée provinciale du Nord Ubangi, R. Const. 1400/1416 du 5 février 2021, Aff. Gouv. MUSAFIRI C/ Assemblée Provinciale du Maniema, R. Const. 1535 du 11 juin 2021 ; R. Const. 1461/1472, Affaire Gouverneur Valentin Nsenga C/ Assemblée Provinciale du Bas-Uélé ; R. Const. 1457).

b) Droit à l’égale protection des lois :

Le droit à une égale protection des lois impose en effet que les hommes soient traités de la même façon, qu’ils disposent des mêmes droits et soient soumis aux mêmes devoirs et que personne ne soit victime d’une application discriminatoire d’une disposition de la Constitution ou de la loi. Par son arrêt sous R. Const. 1256, la Cour constitutionnelle a eu à déclarer inconstitutionnel un acte d’assemblée qui portait atteinte au principe de l’égale protection des lois au requérant qui n’avait pas bénéficié d’un droit prescrit par l’article 146 de la Constitution.

c) La liberté de circulation :

Dans la cause sous R. Const. 117 en appréciation de la conformité à la Constitution du Règlement intérieur de l’Assemblée provinciale du Haut- Katanga, la Cour a déclaré conforme à la Constitution ledit Règlement intérieur à l’exception de l’alinéa 2 de l’article 8 jugé contraire à l’alinéa 1er de l’article 30 de la Constitution en ce qu’il inclut les voies publiques qui ceinturent le bâtiment, siège de l’Assemblée provinciale comme étant une zone faisant partie des dépendances de son enceinte déclarée neutre et inviolable.

d) La liberté d’expression :

Sous R. Const. 136, en appréciation de la conformité à la Constitution du Règlement intérieur de l’Assemblée provinciale du Kasaï, la Cour a conclu que l’alinéa 1er de l’article 85 dudit Règlement était contraire à la Constitution, en ce qu’il rend obligatoire le vote, ce en violation de l’article 23 de la Constitution.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

En principe non. Sauf en temps des circonstances exceptionnelles visées dans le cadre de la déclaration de guerre, de l’état de siège ou de l’état d’urgence visés aux articles 85, 86, 143, 144 et 145 de la Constitution.

Dans ce cas, certaines mesures restrictives à prendre par le président de la République sont autorisées.

Néanmoins, la Cour, même dans cette situation de légalité d’exception, exerce obligatoirement le contrôle sur les mesures susvisées avant leur mise en œuvre par le Gouvernement, en s’assurant qu’elles ne dérogent pas aux droits et libertés limitativement garantis par l’article 61 de la Constitution qui établit une sorte de hiérarchisation des droits de l’homme en période de crise et fixe le noyau dur de ceux qui sont inviolables.

Suivant une démarche pédagogique, la Cour brosse, dans ses arrêts successifs, un cadre conceptuel de la notion de l’état d’urgence et de l’état de siège. Elle admet, dans son arrêt R. Const. 1550, que l’état d’urgence ou de siège permet, dans une zone géographique déterminée, l’application des mesures exceptionnelles visant à restreindre les libertés des individus pour garantir la sécurité et l’ordre public, sans pour autant supprimer toutes les garanties constitutionnelles. Sous R. Const. 1571, elle souligne la possibilité légale de suspension de l’exercice de certains droits comme voie alternative de garantie de l’effectivité d’autres droits, tout en faisant de l’article 61 de la Constitution, énumérant les droits et principes non-dérogeables quelles qu’en soient les circonstances, la norme de référence absolue en période des circonstances exceptionnelles. Cette disposition constitutionnelle prend un nouveau relief et devient de ce fait le cadre et la limite d’exercice des pouvoirs dérogatoires résultant des régimes spéciaux de crise. Une sorte de norme vectrice et protectrice de l’État de droit substantiel.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

  • Il faut d’abord identifier les matières et personnes protégées par les droits de l’homme ;
  • Identifier les facteurs favorisant la violation des droits visés ainsi que les auteurs qui s’activent à les violer ;
  • Envisager les mesures préventives (de dissuasion) pour décourager le recours à ces violations, et enfin ;
  • Envisager des mesures répressives pour passer de l’étape d’un droit mou vers un droit plus coercitif, car les valeurs humaines passent avant toutes autres.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Non, sauf pour ce qui est dit à l’article 61 de la Constitution et explicité ci-dessus.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Dans le cas du droit constitutionnel congolais, c’est par ordonnance du Chef de l’État que des mesures exceptionnelles sont prises, après proclamation de l’état d’urgence sanitaire.

Dans ce cas, la Cour a affirmé notamment dans ses arrêts sous R. Const. 1200 du 13 avril 2020 et R. Const. 1561 que, conformément à l’article 145 de la Constitution, son contrôle consiste à vérifier que même en cas d’état d’urgence, les mesures exceptionnelles ainsi prises, ne dérogent aux droits et libertés consacrés à l’article 61 de la Constitution à savoir : « le droit à la vie, l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, le principe de la légalité des infractions, les droits de la défense et le droit de recours, l’interdiction de l’emprisonnement pour dette, la liberté de pensée, de conscience et de religion ».

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non, la Cour a d’ailleurs renforcé sa vigilance sur le contrôle des actes surtout ceux ayant trait aux mesures exceptionnelles. Au cours de cette dernière période dominée par la pandémie de la Covid-19, ces différents dispositifs exceptionnels ont été activés par les autorités constitutionnelles qualifiées. Il est apparu que la Cour, actrice de la stabilisation du système démocratique et gardienne ultime de l’État de droit, a joué sa partition dans le schéma constitutionnel de l’état d’urgence et de l’état de siège, conformément à l’article 145 précité de la Constitution.

 

 

 

 

Cour constitutionnelle de Roumanie

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est implicite. Il n’y a pas de compétence spéciale dans ce sens.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. Selon les standards du patrimoine constitutionnel européen, on peut établir facilement un tel rapport.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Par le biais de l’interprétation de la Constitution. Ainsi, la Constitution roumaine comporte un titre intitulé « Droits, libertés et devoirs fondamentaux » et toutes les autorités de l’État roumain doivent agir en conformité avec les règles inscrites dans la Constitution, c’est-à-dire en respectant les rapports entre ces autorités, ainsi que les droits de l’homme.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Oui, la démocratie signifie la gouvernance par le peuple, tandis que l’État de droit signifie l’encadrement juridique du pouvoir du peuple. Par définition, entre les deux notions il y a une tension qui ne peut être résolue que par la conciliation.

La Cour a même défini ces notions d’État de droit et de démocratie constitutionnelle. Ainsi, par la Décision n° 104 du 6 mars 2018, la Cour constitutionnelle de Roumanie a constaté que la démocratie constitutionnelle, dans un État de droit, n’est pas une abstraction, mais une réalité d’un système dans le cadre duquel la suprématie de la Constitution limite la souveraineté du législateur, qui, dans le processus de création des normes juridiques et d’adoption des actes normatifs, doit tenir compte de certains principes comme celui de la légalité qui a un rang constitutionnel.

En ce qui concerne l’État de droit, par la Décision n° 17 du 21 janvier 2015, la Cour a retenu que les exigences de ce principe concernent les objectifs majeurs de l’activité de l’État préfigurés par ce qu’on appelle habituellement le règne de la loi, formule qui implique la subordination de l’État face au droit, la mise à disposition d’instruments qui permettent au droit d’exercer une censure sur les options politiques et, dans ce cadre, d’apaiser les éventuelles tendances abusives, arbitraires des structures étatiques.

L’État de droit assure la suprématie de la Constitution, la corrélation des lois et de tous les actes normatifs avec celui-ci, l’existence du régime de séparation des pouvoirs publics qui doivent agir dans les limites de la loi, c’est-à-dire une loi qui exprime la volonté générale.

L’État de droit consacre une série de garanties, y compris juridictionnelles, qui assurent le respect des droits et des libertés des citoyens par l’autolimitation de l’État, c’est-à-dire l’encadrement des autorités publiques dans les repères du système normatif.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui. Par son activité, la Cour a contribué à consolider l’État de droit et la démocratie. Ainsi, la Cour a fait valoir les conséquences de sa compétence d’analyse d’une loi avant d’être promulguée (en déclarant inconstitutionnelle une loi ou seulement des dispositions de celle-ci), par la voie du contrôle a priori, sur saisine du Président de la Roumanie, du président de l’une des Chambres, du Gouvernement, de la Haute Cour de Cassation et de Justice, de l’avocat du peuple, de cinquante députés au moins ou de vingt-cinq sénateurs au moins. Par son indépendance et son impartialité, on apprécie qu’elle a gagné la confiance des citoyens qui utilisent, à présent, assez souvent l’instrument de l’exception d’inconstitutionnalité (dans le cadre du contrôle a posteriori).

Il ne faut pas oublier que la Cour constitutionnelle de la Roumanie a suivi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Non.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

La Cour a défini l’État de droit et la démocratie constitutionnelle (voir le point n° 5). Elle a contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie par ses décisions qui visaient la protection des droits fondamentaux et les rapports constitutionnels entre les autorités publiques.

En ce qui concerne la protection des droits fondamentaux, la Cour a déduit, par le biais de l’interprétation des droits inscrits dans la Constitution, l’existence de nouveaux droits à valeur constitutionnelle (comme le droit à la réplique – Décision n° 8 du 31 janvier 1996), ce qui a renforcé la position des citoyens face aux autorités publiques.

Dans le même domaine des droits fondamentaux, on peut mentionner la protection du droit de propriété (lorsqu’il s’agissait des taux d’intérêts dus par les organes fiscaux pour des sommes d’argent injustement imposées aux contribuables – Décision n° 694 du 20 octobre 2015), l’accès libre à la justice et le droit à la défense lorsqu’il s’agissait de l’interdiction inscrite dans le Code de procédure civile de formuler un recours dans des affaires qui visaient des montants au-dessus du seuil de 1.000.000 lei (le seuil qui visait la valeur de l’objet a été considéré excessif par la Cour constitutionnelle) – Décision n° 369 du 30 mai 2017.

La Cour a contribué à l’élargissement de la sphère de certains principes inscrits dans la Constitution. Ainsi, par la Décision n° 318 du 9 septembre 2003, la Cour a constaté que le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus favorable s’applique aussi dans le cas de la loi contraventionnelle. La Cour est arrivée à cette conclusion suite à une analyse détaillée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

En ce qui concerne les rapports constitutionnels entre les autorités publiques, pour donner un exemple récent, par la Décision n° 85 du 24 février 2020, la Cour a décidé que le président de la République ne peut pas désigner en tant que candidat à la fonction de Premier ministre la même personne qui venait de quitter sa position de chef du Gouvernement suite à une motion de censure et qui n’était pas en mesure de rassembler une majorité au Parlement. Dans ces conditions, la Cour a décidé que le président de la République devait désigner une autre personne.

En ce qui concerne l’engagement de la responsabilité du Gouvernement, la Cour a décidé qu’en promouvant un projet de loi contenant des réglementations dans une multitude de matières par l’engagement de la responsabilité du Gouvernement, l’article 114, paragraphe 1 de la Constitution a été violé. Ce texte constitutionnel prévoit expressément qu’une procédure d’engagement de la responsabilité du Gouvernement vise un seul projet de loi, et la raison d’une telle réglementation réside dans le fait que ladite procédure est une procédure qui limite le rôle législatif du Parlement, de sorte qu’elle doit être réalisée uniquement dans des conditions restrictives (Décision n° 61 du 12 février 2020).

Par la Décision n° 418 du 3 juillet 2019, la Cour a décidé que dans la procédure parlementaire du réexamen de la loi, du fait du contrôle de constitutionnalité, le Parlement n’a pas la compétence constitutionnelle de modifier les dispositions légales qui n’ont pas été contestées du point de vue de leur constitutionnalité, ni celles contestées, mais dont la constitutionnalité a été établie par l’acte juridictionnel de la Cour. Le Parlement n’est compétent pour légiférer que dans le sens d’une mise en accord des dispositions jugées inconstitutionnelles avec la décision de la Cour constitutionnelle.

Par la Décision n° 417 du 3 juillet 2019, la Cour a constaté l’existence d’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Parlement et la Haute Cour de cassation et de justice, généré par le refus de cette dernière de se conformer aux dispositions légales exigeant la création de formations de jugement spécialisées pour juger en première instance des infractions de corruption et des infractions assimilées.

Par la Décision n° 331 du 21 mai 2019, la Cour a décidé que le Parlement ne peut pas légiférer sur la modification des dépenses budgétaires sans demander au Gouvernement des informations à ce sujet. Compte tenu du caractère impératif de l’obligation de demander les informations mentionnées, il résulte que son non- respect mène à l’inconstitutionnalité de la loi adoptée.

Par la Décision n° 26 du 16 janvier 2019, la Cour a décidé que les pouvoirs constitutionnels du Ministère Public ne peuvent être transférés au Service Roumain de Renseignements au moyen de protocoles de coopération secrets. Dans le conflit juridique de nature constitutionnelle fut aussi impliqué le Parlement, étant donné qu’il a exercé de manière inadéquate l’attribution de contrôle du service de renseignements.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui, le bilan est positif.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Non.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, l’accès des particuliers à la Cour constitutionnelle de Roumanie est assez facile, par le truchement de tribunaux qui peuvent saisir la Cour avec des exceptions d’inconstitutionnalité.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

La Cour constitutionnelle de Roumanie fait assez souvent référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, parfois à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et assez rarement à la jurisprudence des autres cours constitutionnelles.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non.

Il faut mentionner, toutefois, qu’assez vite après l’adhésion de la Roumanie à la Convention EDH – le 7 octobre 1993 –, la Cour constitutionnelle s’est retrouvée dans la situation d’analyser la place de cette convention dans la hiérarchie des sources et le rôle qu’elle peut avoir parmi les normes de référence de la juridiction constitutionnelle. Dans la foulée, la Cour a considéré que, non seulement la Convention EDH représente une norme de référence pour le contrôle de constitutionnalité, mais aussi « l’interprétation fournie par la Cour EDH à travers ses arrêts dans des cas d’espèce », autant dire la jurisprudence de la Cour EDH. Ainsi, dans la décision 81 du 15 juillet 1994, la Cour constitutionnelle a dû examiner la constitutionnalité de l’incrimination des relations entre personnes de même sexe, et elle a invalidé la disposition pertinente du Code pénal au vu de l’article 8 de la CEDH tel qu’interprété par la jurisprudence de la juridiction strasbourgeoise, lequel a été déclaré norme de référence à travers l’article 20 de la Constitution (lequel oblige à une interprétation des dispositions constitutionnelles concordante avec les dispositions des conventions internationales sur les droits humains). Il convient de noter toutefois que la Cour constitutionnelle n’a fait ni un contrôle de conventionalité, ni une application directe de la CEDH, mais elle s’est contentée d’interpréter la disposition de la Constitution roumaine relative à la protection de la vie privée (article 26) d’une manière qui puisse être conciliée avec l’article 8 de la CEDH qui a été utilisé comme norme de référence interposée par le biais de l’article 20 de la Constitution roumaine.

La Cour constitutionnelle s’est bien gardée de trancher la question de savoir quelle est la place de la CEDH dans la hiérarchie des normes (supra-, quasi- ou infra-constitutionnelle), et elle ne lui a jamais clairement assigné un rôle de norme de référence. Tout au plus, par le biais d’une application conjointe des articles 11 et 20 de la Constitution, la Cour constitutionnelle se permet d’invoquer des affaires de la Cour EDH comme argument supplémentaire pour renforcer ses propres considérations.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

La Constitution roumaine comporte un catalogue des droits et libertés fondamentaux. La doctrine a établi plusieurs classifications de ces droits fondamentaux. Ainsi, selon le critère de l’obligation de l’État d’agir ou de s’abstenir, il est fait distinction entre les droits positifs et les droits négatifs ; selon le critère du titulaire/bénéficiaire de ces droits, il est fait distinction entre les libertés individuelles et celles collectives ; alors que selon le critère du contenu normatif des droits fondamentaux, il est fait distinction entre les droits sociaux, politiques ou économiques. Enfin, selon le critère de la possibilité de restreindre leur exercice, il est fait distinction entre les droits absolus et les droits relatifs.

Selon une évaluation faite au sein de la Cour constitutionnelle de Roumanie ces dernières années, les citoyens invoquent surtout des droits positifs (des droits sociaux – droit au salaire, droit à la pension, au niveau de vie, etc.). Mais, en 2020 et 2021, dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, on a invoqué aussi des droits négatifs, comme la liberté individuelle ou la liberté de circulation.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Non.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Non, la Cour constitutionnelle de Roumanie ne connaît pas de hiérarchie entre les droits humains.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux sont consacrés par la Constitution, ils ont rang de loi fondamentale et font fonction de norme de référence dans le contrôle de constitutionnalité.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Il n’y a pas de régime particulier pour les droits fondamentaux.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Il n’y a pas de technique originale.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

La Cour invalide les lois qui méconnaissent les droits fondamentaux.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Par le biais des décisions rendues, dans certaines situations, en interprétant des droits déjà existants dans la Constitution. Par exemple, le droit à la réplique a été reconnu comme dérivant de la liberté d’expression, en tant que limite de celle-ci (Décision n° 8 du 31 janvier 1996, publiée au Journal Officiel, Ière Partie, n° 129 du 21 juin 1996).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

La Constitution roumaine mentionne le rapport entre les normes internationales et les normes internes en matière de droits de l’homme. L’art. 11 de la Constitution[1] constitue la norme générale, tandis que l’art. 20 de la Constitution[2]. Il y a des droits, comme le droit à la vie, ainsi que le droit à l’intégrité physique et psychique, qui sont considérés par la doctrine comme étant des droits absolus.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Elles sont prises en compte dans une certaine mesure. Par exemple, la Cour a déclaré constitutionnelle une initiative de révision de la Constitution qui limitait le mariage à la seule union entre un homme et une femme, en considérant qu’il revient au peuple de se prononcer. La proposition n’a pas abouti, faute du quorum requis au référendum (Décision n° 580 du 20 juillet 2016).

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture n’a pas de place particulière.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La religion n’a pas de place particulière.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Non.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Oui, la Cour constitutionnelle a invoqué la théorie du droit vivant (Décision n° 766 du 15 juin 2011 ou Décision n° 64 du 24 février 2015). Dans la Décision n° 766 du 15 juin 2011, la Cour a changé de jurisprudence, car elle s’est reconnue compétente pour analyser une exception d’inconstitutionnalité, même si entre le moment de sa saisine et l’analyse d’une telle exception, la disposition légale a été abrogée par le législateur. Dans la Décision n° 64 du 24 février 2015, la Cour a reconnu le droit des salariés à la consultation et à l’information comme partie du droit à la protection sociale du travail.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

On peut observer que le droit de propriété, l’accès libre à la justice, le droit à la défense, la liberté individuelle, le principe d’égalité sont parmi les droits et libertés les plus invoqués par notre jurisprudence. À présent, la Cour n’a pas de statistiques officielles qui permettent de donner une réponse plus détaillée.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Oui, surtout de temps. Ainsi, comme déjà précisé, la Cour a reconnu la théorie/doctrine du droit vivant. Par la Décision n° 766 du 15 juin 2011, elle a constaté que la société évolue et les nouvelles réalités politiques, sociales, économiques, culturelles doivent se retrouver dans le contenu du droit positif. Le droit est vivant ; ainsi, avec l’évolution de la société, il doit s’adapter aux changements survenus dans le cadre de la société.

Par la Décision n° 64 du 24 février 2015, la Cour a constaté que les droits fondamentaux n’ont pas d’existence abstraite en tenant compte du fait que les concepts constitutionnels mêmes sont soumis à leur tour à une interprétation évolutive.

Ainsi, les conceptions de la société sur certains sujets sensibles peuvent varier au fil du temps et il faut en tenir compte. Par exemple, par la Décision n° 534 du 18 juillet 2018, la Cour a décidé que les dispositions de l’art. 277 alinéas 2 et 4 du Code civil sont constitutionnelles uniquement dans la mesure où elles permettent l’octroi du droit de séjourner sur le territoire de l’État roumain, dans les conditions prévues par le droit européen, des époux – citoyens des États membres de l’Union européenne et/ou des citoyens des États tiers –, qualité acquise suite à des mariages entre personnes du même sexe, conclus ou contractés dans un État membre de l’Union européenne.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Il y a plusieurs facteurs : les facteurs économiques, les facteurs sociaux et les facteurs politiques.

En ce qui concerne les facteurs économiques, dans les conditions d’une société où le citoyen devient de plus en plus démuni et vulnérable, il faut trouver le juste équilibre pour assurer une protection adaptée des droits des personnes qui vise leur survie même. La Cour a prononcé une décision très intéressante qui visait la dation en paiement. Ainsi, même si sous l’emprise de l’ancien Code civil, cette institution n’était pas inscrite expressément, la Cour, sur la base de la jurisprudence existante des tribunaux, l’a reconnue sous la réserve du contrôle d’un juge (Décision n° 623 du 25 octobre 2016).

En ce qui concerne les facteurs sociaux, on peut mentionner ici la Décision n° 75 du 26 février 2015. La Cour a constaté l’inconstitutionnalité des dispositions légales qui fixaient un seuil très élevé (25.000 membres) pour fonder un parti politique, même si à d’autres occasions, dans le passé (Décision n° 433 du 25 mai 2006 et Décision n° 954 du 6 juillet 2010), elle a constaté la constitutionnalité de ces dispositions. La Cour a invoqué la théorie du droit vivant et les conditions qui ont changé dans le cadre de la société et qu’il n’était plus requis d’imposer un seuil si important dans les conditions d’une société plus mûre du point de vue politique.

En ce qui concerne les facteurs politiques, la Cour a mentionné plusieurs fois la nécessité que le législateur modifie le cadre juridique existant à ce moment-là. Ainsi, par la Décision n° 61 du 14 janvier 2010, la Cour a constaté que le système électoral roumain présente un certain nombre d’imperfections et, à ce titre, il doit être reconsidéré dans la perspective des élections législatives de 2012, qui devraient garantir, à tous égards, l’organisation et le déroulement d’élections démocratiques en Roumanie. À cet égard, la Cour a considéré qu’il faut, tout d’abord, partir des réalités économiques, politiques et sociales du pays, du rôle des partis politiques dans le processus électoral, de la nécessité de rationaliser le Parlement et, enfin, réglementer un type de scrutin correspondant aux conclusions tirées et ayant un correspondant dans les types de scrutin que l’on trouve dans la plupart des pays européens.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Non, la Cour constitutionnelle n’a pas changé de méthode d’interprétation, peu importe la crise traversée par le pays.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non, la Cour a sanctionné toute disposition contraire à la Constitution.

13. La crise sanitaire a -t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

14. Avez-vous des observations particulières ou des points spécifiques que vous souhaiteriez évoquer ?

Non.


  • [1]
    Art.11 :
    « (1) L’État roumain s’engage à accomplir exactement et de bonne foi les obligations qui lui incombent par les traités auxquels il est partie.
    (2)
    Les traités ratifiés par le Parlement, conformément à la loi, font partie du droit interne.
    (3)
    Lorsqu’un traité auquel la Roumanie veut devenir partie comprend des dispositions contraires à la Constitution, il ne pourra être ratifié qu’après la révision de la Constitution ».  [Retour au contenu]
  • [2]
    Art. 20 :
    « (1) Les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées en concordance avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, avec les pactes et les autres traités auxquels la Roumanie est partie.
    (2) En cas de non-concordance entre les pactes et les traités portant sur les droits fondamentaux de l’homme auxquels la Roumanie est partie, et les lois internes, les réglementations internationales ont la primauté, sauf le cas des dispositions plus favorables prévues par la Constitution ou les lois internes ».[/footnoteest la norme spéciale qui consacre la règle lex mitior.

    Ainsi, dans sa version d’origine, la Constitution avait réglé l’articulation entre le droit interne et le droit international dans ses articles 11 et 20. Selon l’article 11, l’incorporation du droit international public reste nécessaire, et elle doit être filtrée par les représentants démocratiques du peuple. L’article 20 accordait aux dispositions internationales dans le domaine des droits humains le privilège d’une application prioritaire sur les dispositions divergentes du droit interne, tout en imposant la règle de l’interprétation conforme du droit interne avec le droit international public.

    La doctrine a longuement débattu la question de savoir si l’article 20 consacrait une primauté du droit international en matière des droits humains sur la Constitution ou seulement sur les sources infra-constitutionnelles de droit. La pratique de la Cour constitutionnelle et du système judiciaire s’est contentée de faire l’application directe des dispositions conventionnelles à chaque fois qu’elles contredisaient des normes législatives et infra-législatives internes, alors que les textes de la Constitution n’ont jamais été écartés d’application.

    Suite à la révision constitutionnelle de 2003, l’article 11 contient un troisième alinéa qui dispose : « Au cas où un traité auquel la Roumanie entend devenir partie comprend des dispositions contraires à la Constitution, sa ratification peut avoir lieu uniquement après la révision de la Constitution ». Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en Roumanie, le contrôle préventif de la constitutionnalité des traités internationaux n’est pas automatique. Également, l’article 20 de la Constitution révisée en 2003 contient désormais un alinéa supplémentaire, qui fait application du principe mitior lex, et selon lequel la priorité des actes de droit international est reconnue « à l’exception du cas où la Constitution ou les lois internes ne contient des dispositions plus favorables ». Cela réconforte la lecture de l’article 20 faite avant cette révision, selon laquelle la loi fondamentale détient la suprématie, mais son interprétation et son application in concreto peuvent être modulées afin d’accommoder une pluralité des sources.

    13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

    Il faut que les juridictions nationales respectent les décisions de la Cour constitutionnelle dans le cadre constitutionnel existant, tandis que les autres juridictions internationales ou d’autres pays sont libres de s’inspirer des décisions de notre Cour.

    14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

    Aucune.

    15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

    La sanction est l’inconstitutionnalité de la disposition légale.

     
    3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE
    1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

    Oui. En principe, presque tous les droits et libertés fondamentaux peuvent être restreints dans les conditions prévues par l’art. 53 de la Constitution[footnote]Article 53 :
    « (1) L’exercice de certains droits ou de certaines libertés peut être restreint uniquement par la loi seulement s’il s’impose, selon le cas, pour : protéger la sécurité nationale, l’ordre, la santé ou la morale publique, les droits et les libertés des citoyens; le déroulement de l’instruction pénale; prévenir les conséquences d’une calamité naturelle ou d’un sinistre extrêmement grave.
    (2) La restriction ne pourra être décidée que si elle nécessaire dans une société démocratique. La mesure doit être proportionnelle à la situation l’ayant déterminée, être appliquée de manière non discriminatoire et ne peut porter atteinte à l’existence du droit ou de la liberté ».  [Retour au contenu]

 

 

Cour suprême du Rwanda

 

DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Elle est implicite.

3. Y a-t-il une relation entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, car les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie sont interdépendants, se renforcent mutuellement et font partie des valeurs et des principes fondamentaux, universels et indissociables. Autrement dit, personne ne peut parler d’État de droit ou de démocratie s’il n’y a pas de protection et de respect des droits de l’homme.

En outre, dans le préambule de notre Constitution, il est précisé que le Rwanda s’engage à construire un État de droit, fondé sur le respect des droits de l’homme, et qu’il s’engage également à construire un État fondé sur une démocratie consensuelle et pluraliste.

4. Comment liez-vous la protection des droits de l’homme avec la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

L’État de droit est garanti par la mise en place d’institutions démocratiques chargées de la protection des droits fondamentaux, notamment :

La Commission nationale des droits de la personne. C’est une Commission indépendante et autonome, qui a la capacité d’agir comme une police judiciaire et de saisir les tribunaux. Elle soumet un rapport annuel sur les droits de l’homme aux deux chambres du Parlement ;

L’Office de l’Ombudsman, qui a la mission de recevoir et examiner les plaintes des particuliers et des associations en rapport avec les actes des agents ou des services publics et privés et, si ces plaintes sont fondées, attirer l’attention de ces agents et de ces services en vue de les résoudre ;

La création de centres d’accueil où les victimes de violence reçoivent des soins médicaux et psychologiques et une assistance juridique ;

En dehors des institutions, toute personne peut saisir les tribunaux compétents pour défendre ses droits ;

Le pouvoir judiciaire est indépendant, autonome sur le plan administratif et financier.

5. Y a-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Il n’y a pas de décision jurisprudentielle sur cette question.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie : si oui, comment, si non, pourquoi ?

Oui, car sur la base des décisions de la Cour suprême, certaines dispositions légales jugées inconstitutionnelles ont été abrogées ou modifiées.

Par exemple l’affaire n° RS/INCONST/SPEC 00003/2019/SC déposée par KABASINGA Florida demandant l’annulation de l’article 133 de la loi n° 68/2018 du 30 août 2018 déterminant les délits et les peines en général, KABASINGA soutenait que l’article 133 alinéa 5 qui disposait : « Si la défloration d’un enfant est suivie de la cohabitation en tant que mari et femme, la peine est la réclusion à perpétuité qui ne peut être atténuée par aucune circonstance ».

La Cour a constaté que cet article va à l’encontre du droit à un procès équitable et de l’indépendance du juge lorsqu’il détermine les peines comme le prévoit la Constitution. Elle a par conséquent jugé que l’article en question, qui ne permet pas au juge de se baser sur les circonstances atténuantes lors de la détermination de la peine, est contraire au principe de l’indépendance du juge étant donné que la Cour a également décidé que le fait d’être privé par la loi des droits d’atténuation de la peine en cas de circonstances atténuantes équivaut à être privé du droit à un procès équitable, et que l’article susmentionné est donc inconstitutionnel.

Enfin, l’interprétation authentique de certains articles de la loi et de la Constitution par la Cour suprême dans les affaires qui lui sont soumises contribue également à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle un objectif de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’enracinement de la démocratie ?

Oui, en analysant les différents rapports qui montrent le degré de satisfaction de la population sur les activités des cours et tribunaux et les rapports internationaux. Sur la base de ces rapports, la Cour adopte des stratégies appropriées en vue de l’amélioration de nos décisions.

9. De quelle manière et dans quels domaines votre jurispru- dence a-t-elle contribué au renforcement de l’État de droit et de la démocratie ?

Notre jurisprudence a renforcé l’État de droit et la démocratie de différentes manières, parmi lesquelles, des décisions qui ont été rendues sur des requêtes relatives à l’inconstitutionnalité de lois organiques, d’instruments internationaux, de lois et de décrets- lois.

À titre d’exemple, dans l’affaire n° RS/INCONST/SPEC00002/2018/ SC déposée par MUGISHA, le requérant demandait l’annulation des articles 233, 236 et 154 de la loi n° 68/2018 du 30 août 2018 déterminant les infractions et les peines en général, alléguant que ces dispositions enfreignent la liberté d’expression. La Cour lui a donné raison et déclaré que l’article 154 de ladite loi qui parlait de l’outrage à un culte religieux, est contraire à l’article 38 de la Constitution et enfreint la liberté de la presse. Quant à l’article 233 de la même loi, relatif à l’outrage envers les autorités du pays et les agents du service public, la Cour a décidé que cet article est contraire à l’article 15 de la Constitution qui préconise l’égalité de tous devant la loi, mais aussi contraire à l’article 38 qui instaure la liberté de la presse, d’expression et d’accès à l’information.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, sinon pourquoi ?

Le bilan est positif.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Non, le juge constitutionnel ne joue pas de rôle politique parce qu’au Rwanda, selon les dispositions de l’article 18 de la loi n° 09/2004 du 27 avril 2004 portant code d’éthique judiciaire, la profession de juge est incompatible avec l’exercice d’un mandat politique.

12. Les conditions d’accès à votre tribunal favorisent-elles la promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, selon l’article 72 de la loi n° 30/2018 du 2 juin 2018 déterminant la compétence des juridictions, toute personne (physique ou morale) intéressée peut saisir la Cour suprême en déposant une requête en déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi si elle a un intérêt.

À noter que toute saisine de la Cour suprême est gratuite.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent citées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : des références internationales ou nationales ?

Les références les plus citées sont la Constitution, les conventions internationales ratifiées par le Rwanda et les lois nationales.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Oui, selon les dispositions de l’article 95 de notre Constitution, la hiérarchie des normes des lois au Rwanda est comme suit :

  1. La Constitution ;
  2. Les lois organiques ;
  3. Les traités et accords internationaux ratifiés par le Rwanda ;
  4. Les lois ordinaires ;
  5. Les règlements.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits et libertés les plus souvent invoqués sont le droit à un procès équitable, l’égalité devant la loi, la protection de l’enfant, la protection de la famille, la protection contre la discrimination, le droit à la vie, la liberté d’expression et l’accès à l’information.

4. Y a-t-il de nouveaux types de droits qui peuvent être invo- qués devant votre tribunal ?

Oui ; étant donné que l’article 29 de la Constitution n’énumère pas de manière exhaustive les droits à un procès équitable, toute personne intéressée peut saisir la Cour suprême pour revendiquer un droit relatif à un procès équitable. Tel a été le cas dans l’affaire RS/INCONST/SPEC 00003/2019/SC susmentionnée, où le requérant revendiquait le droit à la réduction de la peine sur la base du droit à un procès équitable. Malgré l’absence de ce droit dans la liste énumérée par l’article 29, la Cour a déclaré inconstitutionnel l’article 133, 4 du Code pénal qui empêchait au juge le droit d’atténuer la peine en cas de circonstances atténuantes.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui, pourquoi et comment ?

Non, il n’y a pas de hiérarchie établie entre les droits de l’homme.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux sont d’une importance capitale dans notre jurisprudence. Ces droits sont constitutionnels et chaque juge est appelé à les protéger.

7. Par quels moyens donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Normalement la Cour suprême peut statuer avec un siège de trois juges. Mais pour les affaires relatives à l’inconstitutionnalité, le siège doit être au moins de cinq juges.

8. Faites-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non, les droits et les libertés sont protégés par la Constitution et les lois de la même manière.

9. Quelles sont les techniques originales utilisées pour pro- téger les droits et les libertés des citoyens ?

Les techniques originales utilisées sont entre autres :

Cour électronique (e-court) où les justiciables peuvent saisir la Cour électroniquement, suivre leurs affaires en lignes et même plaider en ligne (conférence vidéo, Skype) et recevoir les copies d’arrêts en ligne ;

Assistance juridique disponible pour les indigents ;

Sensibilisation du public aux droits et libertés par émission hebdomadaire à la radio, la semaine de la justice tenue annuellement, journal publié trimestriellement par la Cour suprême, le Site web, les réseaux sociaux tel que twitter et Facebook, etc .

10. Quels sont les pouvoirs dont dispose votre Cour pour contrôler la constitutionnalité des lois qui violeraient les droits de l’homme ?

La Cour dispose d’un pouvoir de contrôle de constitutionnalité a posteriori et cela se fait sur requête de toute personne intéressée.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La jurisprudence de notre Cour influence la modification des lois en vue de protéger des droits et des libertés.

12. Quelle est la place des normes de droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Selon l’article 95 de la Constitution, qui prévoit la hiérarchie des lois, les traités et accords internationaux ratifiés par le Rwanda occupent la troisième place après la Constitution et les lois organiques.

13. Quel est l’impact des décisions sur les droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les arrêts et les ordonnances de la Cour suprême lient toutes les autres juridictions du pays.

14. Quelle est l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour pour faire appliquer vos décisions afin de protéger effica- cement les droits et libertés des citoyens ?

Lorsque la Cour suprême déclare l’inconstitutionnalité d’une disposition d’une loi, elle en informe le Parlement et le Gouvernement. Cette déclaration est publiée au Journal Officiel de la République du Rwanda. L’arrêt de la Cour met en évidence les raisons qui ont motivé l’inconstitutionnalité de cette disposition et donne une nouvelle orientation.

Les décisions de la Cour sont tenues en considération et sont généralement suivies par la révision de la loi.

15. Quelles sont les conséquences de la sanction d’une violation des droits de l’homme par votre tribunal ?

Dans le cas où la Cour suprême constate qu’une certaine disposition de la loi viole les droits de l’homme, cette disposition sera déclarée inconstitutionnelle par conséquent, abrogée ou rédigée de manière à ne pas être en contradiction avec la Constitution. La conséquence en est que toute personne intéressée peut utiliser cet arrêt pour revendiquer ses droits, que ce soit devant les juridictions compétentes ou devant d’autres pouvoirs étatiques.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Oui.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Il n’existe aucune jurisprudence de la Cour à ce niveau.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

La culture est la base de la définition et de la protection des droits de l’homme selon la Constitution (voir article 11).

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La liberté de religion est garantie par l’État conformément à la loi (art. 37 de la Constitution). L’État Rwandais est laïc (article 4 de la Constitution).

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à une école de pensée des droits de l’homme ?

Pas encore.

8. Quels sont les droits et libertés les plus fréquemment consacrés par votre jurisprudence ?

Le droit à un procès équitable, l’égalité devant la loi, la protection de l’enfant, la protection contre toute sorte de discrimination, le droit à la vie, le droit à la liberté d’expression et d’accès à l’information.

9. L’évaluation du respect des droits et libertés doit-elle prendre en compte les circonstances de temps et de lieu ?

Oui.

10. Quels facteurs devraient être pris en compte pour une protection adéquate des droits des individus ?

Les facteurs sociétaux.

11. Les crises politiques, économiques et sociales influencent- elles votre interprétation des droits et libertés des citoyens ?

En général, la Cour jouit d’une certaine indépendance dans l’interprétation des droits et libertés des citoyens.

12. Les lois établissant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la nouvelle pandémie de coronavirus sont- elles influencé votre perception des droits de l’homme ?

Non, la perception des droits de l’homme ne change pas, mais peut seulement changer les mécanismes mis en place pour les sauvegarder.

13. La crise sanitaire a-t-elle affecté vos méthodes et tech- niques de protection des droits et libertés des individus ?

Oui. Dans le cadre des mesures sanitaires, les audiences publiques sont pour le moment suspendues, ceci va influer sur le nombre de décisions rendues qui va diminuer et sur le long délai avant que l’affaire ne soit tranchée etc.

 

 

 

Conseil constitutionnel du Sénégal

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui, le juge exerce cette protection.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est implicite. En effet, la protection des droits de l’homme n’est pas explicitement dévolue au Conseil constitutionnel au titre des compétences qui lui sont conférées par la Constitution du 22 janvier 2001 ou par la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil. Cependant la juridiction constitutionnelle est souvent amenée à l’exercer lors du contrôle de constitutionnalité des lois, soit par voie d’action, soit par voie d’exception.

3. Existe-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, le préambule de la Constitution, qui fait partie intégrante de la Constitution, établit clairement le rapport entre ces trois notions. Le constituant y proclame en effet la démocratie, l’État de droit et la protection des droits de l’homme comme conditions de l’inaltérabilité de la souveraineté nationale ainsi que le « respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen comme base de la société sénégalaise ».

De surcroit, les différents droits et libertés sont prévus dans le corpus constitutionnel en son Titre II, intitulé « Des droits fondamentaux et des devoirs des citoyens » (articles 7 à 25-3).

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Il existe une relation dialectique entre ces trois notions, l’une ne pouvant exister sans les autres. L’interconnexion entre ces notions fait que le juge constitutionnel ne procède pas à une hiérarchisation entre elles. C’est en veillant à la protection des droits de l’homme que le juge assure la garantie de l’État de droit et de la démocratie (Cc 23 juin 1993 Rabat d’arrêt ; Cc 2/C/2021 du 20 juillet 2021 ; Cc 3 mars 2014).

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

La juridiction n’a pas encore eu l’occasion de trancher cette question.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui, à travers le contrôle de constitutionnalité des lois et l’examen des demandes d’avis, le Conseil constitutionnel a toujours veillé à la conformité de la loi au bloc de constitutionnalité, garantissant l’État de droit et la démocratie. Il en est ainsi de la séparation des pouvoirs (Cc, 11/C/93 du 23 juin 1993, Rabat d’Arrêt), du respect des droits fondamentaux (Cc 3 mars 2014, Cc 2/C/2021 du 20 juillet 2021), du droit de vote, de la transparence des élections (Cc 26 juillet 2017) etc.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Le Conseil constitutionnel, notamment à travers sa fonction de régulation (Cc 2 mars 1993 ; Cc 13 mars 1993 ; Cc 26 juillet 2017 ; Cc 26 mars 2001), mais aussi dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, veille constamment à la sauvegarde de l’État de droit et à la garantie de la démocratie, consacrées par la Constitution.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Les décisions du Conseil constitutionnel sont souvent analysées en fonction de leur contribution à la consolidation de la démocratie.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

La jurisprudence du Conseil a contribué au renforcement de l’État de droit et de la démocratie en assurant la protection des droits fondamentaux et en garantissant la régularité et la transparence du processus électoral.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui, le bilan du Conseil constitutionnel est positif. En effet, la séparation des pouvoirs est sauvegardée ; le droit fondamental de vote des citoyens et le droit au recours des parlementaires sont consacrés et, en général, les droits et libertés de la personne humaine sont protégés (Cc, 1993 Rabat d’Arrêt ; Cc 2/C/2021 du 20 juillet 2021, Code pénal et Code de procédure pénale et Cc 3/C/2021 du 22 juillet 2021, Code électoral).

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Dans sa fonction de régulation du processus électoral, le Conseil constitutionnel peut être considéré comme un arbitre de la scène politique (Cc 2 mars 1993).

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, en plus de la voie d’action, il y a une ouverture pour l’accès des citoyens par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité qui peut être soulevée devant une Cour d’Appel ou la Cour suprême lors d’un procès ordinaire. Cependant, l’exception d’inconstitutionnalité, bien que prévue par la Constitution et la loi organique sur le Conseil constitutionnel, est très peu utilisée. Le Conseil constitutionnel a, à ce propos, organisé des séminaires à l’intention des avocats et des magistrats, en décembre 2020 pour promouvoir davantage cette voie de droit.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Les références internationales sont le plus souvent invoquées, notamment : la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981, mais aussi la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ces textes, cités dans le Préambule de la Constitution, font donc partie de ce qu’on appelle communément le « bloc de constitutionnalité ».

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non, les sources nationales (Constitution) et internationales des droits de l’homme ne peuvent faire l’objet d’une hiérarchisation dès lors que le Préambule qui intègre ces dernières dans la Constitution leur confère une dignité constitutionnelle.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Les droits et libertés le plus souvent évoqués devant notre juridiction sont notamment : l’égalité, la liberté syndicale, le droit de vote, le droit de grève, le droit de propriété, le droit de la défense et la liberté de manifestation.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Oui, à l’issue de la révision constitutionnelle de 2016, ont été consacrés certains droits nouveaux, notamment le droit à un environnement sain, le droit du Peuple à ses ressources naturelles, le droit d’exiger la préservation du patrimoine foncier. Ces droits sont énoncés aux articles 25, 25-1, 25-2 et 25-3 de la Constitution.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Dans le souci de protéger les droits intimement liés à la personne humaine, le Conseil distingue entre « les droits dits intangibles valables en tout temps et en toutes circonstances, comme le droit à la vie, l’interdiction de l’esclavage, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide, l’interdiction de la torture qui sont consacrés dans les conventions internationales », des autres droits et libertés, qui « peuvent faire l’objet de restriction par le législateur pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique » (Cc 3/C/95 du 19 juin 1995 et Cc 2/C/2021 du 20 juillet 2021).

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Ils ont valeur constitutionnelle.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Lorsqu’en raison des circonstances particulières, une application littérale de la loi risque d’aboutir à l’atteinte d’un droit fondamental, le Conseil constitutionnel, par sa fonction d’interprétation, privilégie la protection de ce droit fondamental en assouplissant les conditions d’application de la loi (Cc 26 juillet 2017).

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Le Conseil constitutionnel établit une différence de régime entre droits et libertés en accordant une protection plus étendue aux droits qu’aux libertés. Cette distinction procède de leur différence de régime, les libertés pouvant faire l’objet de limitations et de restrictions contrairement aux droits qui ne peuvent faire l’objet que de limitations.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Le Conseil constitutionnel recourt à des techniques originales telles que le contrôle de proportionnalité, les réserves d’interprétation pour protéger les droits et les libertés des citoyens (Cc 26 juillet 2017).

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Le Conseil constitutionnel, à travers le contrôle de constitutionnalité, a le pouvoir de déclarer la loi non conforme à la Constitution. S’il s’agit d’un contrôle par voie d’action, la loi ne pourra pas être promulguée et s’il s’agit d’un contrôle par voie d’exception il ne pourra, selon la loi organique 2016-23 précitée, plus être fait application de la disposition déclarée contraire à la Constitution.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Les droits et libertés étant inscrits dans la Constitution, le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer ou de consacrer d’autres droits et libertés que ceux contenus dans la loi fondamentale. De manière indirecte, certains objectifs et principes de valeur constitutionnelle se dégagent des dispositions figurant dans la Constitution ou de textes visés par son Préambule. Il en est ainsi des objectifs d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, du principe de clarté de la loi qui participent de la sécurité juridique, etc. (Cc 2/C/2021 du 20 juillet 2021).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels renvoie le Préambule de la Constitution constituent des normes de référence du Conseil constitutionnel en cas d’examen de constitutionnalité d’une loi.

Pour les autres traités en général, sous réserve de ratification, de publication et d’application par l’autre partie, ils ont, en vertu de l’article 98 de la Constitution, « une autorité supérieure à celle des lois » (Cc 1/C/2015 du 2 mars 2015 concernant l’Accord entre le Sénégal et l’Union africaine).

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

14. Quelle sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel en toute matière est une obligation constitutionnelle découlant du texte de la Constitution (art 92). Les pouvoirs publics s’y conforment.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

En cas de sanction d’une violation des droits de l’homme sans que la séparabilité ne puisse être opérée avec les autres dispositions du texte soumis à l’examen du Conseil, la loi en cause n’est plus applicable. Si la divisibilité est possible par rapport au reste du texte jugé constitutionnel, la disposition en cause est déclarée, seule, contraire à la Constitution.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de prendre position sur cette question. Toutefois, le Préambule de la Constitution proclame que « le Peuple du Sénégal souverain (est) profondément attaché à ses valeurs culturelles fondamentales qui constituent le ciment de l’unité nationale (…) ».

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Voir réponse sous question numéro 1.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Voir réponse sous question numéro 1.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Voir réponse sous question numéro 1.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Voir réponse sous question numéro 1.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Voir réponse sous question numéro 1.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Les droits et libertés le plus souvent évoqués devant notre juridiction sont : l’égalité, la liberté syndicale, le droit de vote, le droit de grève, le droit de propriété et la liberté de manifestation.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, même en cas de circonstances particulières, les droits et libertés doivent être sauvegardés (Cc 26 juillet 2017, droit de vote des primo votants ne disposant pas de carte d’identité CEDEAO).

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Les facteurs à prendre en considération peuvent être d’ordre juridique, sociologique, culturel ou historique.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Non.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus ont-t-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question.

13. La crise sanitaire a -t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question.

 

LISTE DES TEXTES DE RÉFÉRENCES ET DES JURISPRUDENCES CITÉES

  1. Textes
  • Constitution du 22 janvier 2001 modifiée
  • Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
  • Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979
  • Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981
  • Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989
  • Loi organique 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel

 

  1. Jurisprudence
  • Cc 23 juin 1993
  • Cc 2 mars 1993
  • Cc 19 juin 1995
  • Cc 13 mars 1993
  • Cc 26 mars 2001
  • Cc 3 mars 2014
  • Cc 2 mars 2015
  • Cc 26 juillet 2017
  • Cc 20 juillet 2021
  • Cc 22 juillet 2021

 

  1. Site du Conseil constitutionnel

https ://conseilconstitutionnel.sn

 

 

 

Cour constitutionnelle de Serbie

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Explicite. L’article 166 de la Constitution dispose que « La Cour constitutionnelle est un organe d’État autonome et indépendant qui protège la constitutionnalité et la légalité ainsi que les droits et libertés de l’homme et des minorités ».

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Conformément à la Constitution (article 1), « La République de Serbie est un État du peuple serbe et de tous les citoyens qui y vivent, fondé sur l’État de droit et la justice sociale, les principes de la démocratie civile, les droits et libertés de l’homme et des minorités et l’appartenance aux principes et valeurs européens ».

La question de l’État de droit est particulièrement étroitement liée à la protection efficace des droits de l’homme. L’article 3 de la Constitution dispose que « L’État de droit est une condition fondamentale de la Constitution et se fonde sur les droits de l’homme inaliénables. L’État de droit s’exerce à travers des élections libres et directes, des garanties constitutionnelles des droits de l’homme et des minorités, la séparation des pouvoirs, un pouvoir judiciaire indépendant et l’obéissance du gouvernement à la Constitution et à la loi ».

Les dispositions relatives aux droits de l’homme et des minorités sont interprétées en faveur de la promotion des valeurs d’une société démocratique, conformément aux normes internationales applicables en matière de droits de l’homme et des minorités et aux pratiques des institutions internationales qui surveillent leur mise en œuvre.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Le lien entre la protection des droits de l’homme (et des minorités) et la garantie de l’État de droit et de la démocratie est établi par l’application directe des droits garantis et dans la réalisation des garanties constitutionnelles des droits de l’homme et des minorités.

Les dispositions relatives aux droits de l’homme et des minorités sont interprétées « en faveur du progrès d’une société démocratique, conformément aux normes internationales applicables en matière de droits de l’homme et des minorités, ainsi que de la pratique des institutions internationales qui contrôlent leur mise en œuvre » (article 18 de la Constitution) et « elles servent à préserver la dignité humaine et à réaliser la pleine liberté et l’égalité de chaque individu dans une société juste, ouverte et démocratique, fondée sur le principe de l’État de droit » (article 19 de la Constitution).

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Non.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

La Cour constitutionnelle cherche à exercer sa fonction exclusivement au service de l’État de droit et de la protection efficace des droits et libertés de l’homme. La Cour constitutionnelle contribue à l’instauration de l’État de droit en se prononçant sur la constitutionnalité de nombreuses dispositions de lois systémiques, mais aussi en engageant de sa propre initiative la procédure d’évaluation de la constitutionnalité et en prononçant des mesures provisoires interdisant l’exécution d’actes individuels jusqu’à décision sur la constitutionnalité des lois sur la base desquelles ces actes ont été adoptés.

En réalisant sa pleine contribution au renforcement de l’État de droit et à la protection des droits et libertés de l’homme, la Cour constitutionnelle démontre sa volonté de contribuer à l’amélioration des processus démocratiques en République de Serbie en respectant l’expérience et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et en se familiarisant avec la pratique des autres cours constitutionnelles de la région et en Europe.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

La Cour constitutionnelle a pour objectif d’élaborer des principes qui contribuent au développement de l’État de droit : la protection des droits, le principe de proportionnalité et de spécificité des réglementations. Par ses positions constitutionnelles- judiciaires, qu’elle ne modifie pas souvent ou arbitrairement, la Cour constitutionnelle protège les valeurs protégées par la Constitution et surtout les droits et libertés de l’homme.

L’objectif de la protection des droits garantis par la Constitution se reflète principalement dans les dispositions de l’article 87 de la loi sur la Cour constitutionnelle, qui prévoit que « si un acte ou une action individuels viole ou nie les droits et liberté de l’homme ou des minorités, garantis par la Constitution, de plusieurs personnes, et que seules certaines d’entre elles ont déposé un recours constitutionnel, la décision de la Cour constitutionnelle s’applique également aux personnes qui n’ont pas déposé de recours constitutionnel, si elles sont dans la même situation juridique ».

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, exécutives et contraignantes pour tous (article 166 de la Constitution). La protection constitutionnelle des droits et libertés de l’homme suppose la protection de l’individu devant la Constitution et la loi, implique que pour l’État de droit, un individu ne peut être soumis au volontariat et à l’injustice substantielle et que ses droits peuvent être exercés devant une juridiction indépendante et impartiale. Les décisions de la Cour constitutionnelle sont exécutoires, ce qui est essentiel au développement d’une société démocratique. Par ses décisions, appliquant le principe de proportionnalité, la Cour constitutionnelle contribue de manière significative au développement de la démocratie et à l’instauration de l’État de droit, car elle protège ainsi les valeurs constitutionnelles et peut interdire à tout détenteur de pouvoir (législatif, exécutif, judiciaire, mais aussi aux autres titulaires de l’autorité publique) de toucher excessivement aux valeurs constitutionnelles.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

La Cour constitutionnelle de Serbie contribue à l’État de droit par des décisions dans les procédures de contrôle normatif et lors de l’évaluation de la conformité des lois et autres actes généraux avec la Constitution et la loi. Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, exécutoires et contraignantes pour tous. C’est ainsi que la Cour constitutionnelle apporte une contribution exceptionnelle à l’État de droit, à travers le cadre juridique, institutionnel et politique qui assure une protection efficace des droits de l’homme et des libertés au plus haut niveau.

En agissant et en statuant sur un recours constitutionnel, la Cour constitutionnelle contribue de manière significative à la réalisation de la pleine fonction du pouvoir judiciaire constitutionnel, qui, à part la protection de la Constitution en tant que lex superior et les principes de constitutionnalité et de légalité, protège les droits de l’homme et les libertés et devient ainsi la clé de l’établissement de l’État de droit et de la démocratie de l’État et de la société.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Nous le jugeons positif. Par ses décisions, la Cour constitutionnelle défend l’État de droit, indépendamment des événements politiques quotidiens et des déterminations juridiques et politiques de l’État. Ses activités laissent une marque visible dans le contrôle de constitutionnalité et de légalité et à travers l’autorité constitutionnelle de la Cour pour signaler à l’Assemblée nationale l’incompatibilité de certaines lois avec la Constitution. Une telle initiative de la Cour est souvent vérifiée par la décision de l’Assemblée nationale de modifier la loi dont la Cour relève l’inconstitutionnalité. C’est clairement un exemple positif qui justifie la place et le rôle de la Cour constitutionnelle dans la préservation de l’État de droit.

La Cour européenne des droits de l’homme est d’avis qu’un recours constitutionnel doit, en principe, être considéré comme un recours efficace, au sens de l’article 35 alinéa 1 de la Convention, depuis le 7 août 2008, lorsque les premières décisions de la Cour constitutionnelle sur le bien-fondé des recours constitutionnels ont été publiées au « Journal officiel de la RS »[1].

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Selon l’article 16 de la loi sur la Cour constitutionnelle, « un juge de la Cour constitutionnelle ne peut exercer aucune autre fonction ou fonction publique ou professionnelle, à l’exception d’un poste de professeur à la Faculté de droit de la République de Serbie ». À cet égard, l’article 15, alinéa 1 de la loi prévoit clairement, entre autres, qu’un juge de la Cour constitutionnelle doit être révoqué s’il devient membre d’un parti politique.

La Cour constitutionnelle a par nature un rôle non seulement juridique, mais aussi politique et social. En tant qu’institution, il s’agit d’un organe étatique indépendant et autonome, mais le pouvoir judiciaire constitutionnel se reflète dans les procédures d’évaluation de la constitutionnalité et de la légalité des actes. La Cour constitutionnelle était en mesure de trancher des litiges qui avaient un contenu essentiellement politique et pouvaient avoir des conséquences politiques, mais la Cour constitutionnelle a agi de telle manière qu’elle se « défendait » contre l’influence de l’autorité exécutive par les raisonnements et les arguments juridiques.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Le site Internet de la Cour constitutionnelle contient des instructions et un formulaire pour le dépôt d’un recours constitutionnel. Le formulaire est simple et clair, accompagné de documents confirmant les allégations de violation des droits lors de la saisine de la Cour constitutionnelle. En outre, l’accès à la Cour constitutionnelle a été facilité par le fait qu’aucun frais n’est payé dans la procédure. En règle générale, la décision est prise lors de la session de la Chambre de la Cour, sans audience. La Cour peut accepter le recours et des dommages-intérêts (si une telle demande est présentée), mais elle peut également annuler un acte individuel. En cas d’annulation de la décision de justice contestée, la décision de la Cour constitutionnelle peut donner lieu à un nouveau procès devant une juridiction ordinaire.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Dans ses décisions, la Cour constitutionnelle se réfère à la Constitution de la République de Serbie, aux documents internationaux ratifiés et aux dispositions pertinentes des lois et autres règlements qui s’appliquent à un cas spécifique.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Conformément à l’article 16, alinéa 2 de la Constitution, « les règles généralement acceptées du droit international et les accords internationaux ratifiés font partie intégrante de l’ordre juridique de la RS et sont directement applicables. Les accords internationaux ratifiés doivent être conformes à la Constitution ».

Conformément à l’article 18, alinéa 3 de la Constitution, « les dispositions relatives aux droits de l’homme et des minorités sont interprétées en faveur de la promotion des valeurs d’une société démocratique, conformément aux normes internationales applicables aux droits de l’homme et des minorités, ainsi qu’à la pratique des institutions internationales contrôlant leur mise en œuvre ». Cela signifie pratiquement que lors de l’interprétation de ces dispositions, les positions et les décisions des organes internationaux des droits de l’homme doivent être prises en compte, ce qui détermine essentiellement l’engagement en faveur de la promotion des droits de l’homme en Serbie.

La relation entre le droit national et le droit international est réglementée en détail dans la partie de la Constitution intitulée Constitutionnalité et légalité – l’article 194 de la Constitution est appelé la Hiérarchie des actes juridiques généraux nationaux et internationaux. L’ordre juridique de la République de Serbie est unique et la Constitution est l’acte juridique suprême de la République de Serbie, et conformément à l’article 194 précité, toutes les lois et autres actes généraux adoptés en République de Serbie doivent être conformes à la Constitution. En outre, les accords internationaux ratifiés et les règles généralement acceptées du droit international font partie de l’ordre juridique de la République de Serbie et ils ne doivent pas être en conflit avec la Constitution. D’autre part, les lois et autres actes généraux adoptés en République de Serbie ne doivent pas être en conflit avec les traités internationaux ratifiés et les règles généralement acceptées du droit international.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Vu les décisions acceptant les recours constitutionnels individuels, la Cour a constaté le plus souvent une violation du droit à une procédure impartiale en vertu de l’article 32, alinéa 1 de la Constitution, puis une violation du droit à une procédure dans un délai raisonnable dans la procédure achevée ou dans les procédures administratives inachevées, ainsi qu’une violation des droits de propriété.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Dans le système juridique de la Serbie, tous les droits bénéficient d’une protection judiciaire. Nous utilisons le terme « droits et libertés de l’homme » et aucune division de ces droits en droits fondamentaux et autres droits constitutionnels n’est faite.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Dans le cadre des droits et libertés définis par la Constitution, il n’est pas nécessaire d’exercer une quelconque hiérarchie ou division des droits en droits fondamentaux et autres droits. La protection peut être recherchée en cas de violation d’un droit ou d’une liberté dont le fondement juridique se trouve dans la Constitution. La Cour constitutionnelle de Serbie a adopté la position selon laquelle tous les droits et libertés contenus dans la Constitution peuvent faire l’objet d’une protection devant la Cour constitutionnelle, quelle que soit leur place dans la systématique de la Constitution, selon laquelle les règles généralement acceptées du droit international et les traités internationaux ratifiés doivent être pris en compte.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Dans le système juridique de la Serbie, le terme « droits et libertés de l’homme » est utilisé et aucune division de ces droits en droits fondamentaux et autres droits constitutionnels n’est faite. Tous les droits bénéficient d’une protection judiciaire. Lors de la session tenue les 30 octobre 2008 et 2 avril 2009, la Cour constitutionnelle de Serbie a adopté la position selon laquelle « l’objet de la protection devant la Cour constitutionnelle sont tous les droits et libertés contenus dans la Constitution, quelle que soit leur place dans la Constitution, en tenant compte des règles généralement acceptées du droit international et des traités internationaux ratifiés ».

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Dans les décisions sur les recours constitutionnels. Avec l’adoption de la Constitution en 2006, une nouvelle compétence de la Cour constitutionnelle a été introduite, c’est-à-dire un moyen de protection des droits et libertés de l’homme – un recours constitutionnel, qui introduit pour la première fois la constitutionnalité des décisions de justice, y compris les plus hautes, la Cour suprême de cassation. Dans les procédures de recours constitutionnel, la Cour constitutionnelle est guidée par le principe de l’État de droit et des valeurs démocratiques. Le recours constitutionnel est un recours juridique spécial pour la protection des droits et libertés garantis. La procédure de recours constitutionnel devant la Cour constitutionnelle est la dernière instance pour la protection des droits ou libertés violés ou niés, à condition que la procédure puisse être engagée si le requérant a utilisé tous les recours juridiques devant les autorités nationales pour protéger son droit.

La Cour européenne des droits de l’homme estime que les systèmes juridiques qui prévoient la protection par la Cour constitutionnelle des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tels que le système de la République de Serbie, donnent à l’individu la possibilité de vérifier l’étendue de cette protection. Le tribunal de Strasbourg considère que le recours constitutionnel est un recours juridictionnel efficace, depuis le 7 août 2008.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

La Cour constitutionnelle protège les droits et libertés de la Constitution, et au sein de ces droits et libertés garantis par l’acte juridique le plus élevé, il n’y a plus de division des droits en droits fondamentaux et autres, mais une protection est assurée à chacun en cas de violation d’un droit ou d’une liberté trouvant sa base légale dans la Constitution.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Se prononçant sur un recours constitutionnel, la Cour constitutionnelle protège les droits et libertés de l’homme et des minorités. La Constitution envisage le recours constitutionnel comme un instrument juridique qui assure la protection directe des droits des citoyens garantis par la Constitution par la Cour constitutionnelle elle-même. Le recours constitutionnel est défini principalement comme un recours juridique individuel et subsidiaire pour la protection par la Cour constitutionnelle des droits de l’homme et des libertés garantis par la Constitution.

Certaines caractéristiques et éléments du recours constitutionnel ressortent comme dominants. Avant tout, le fait que le recours constitutionnel est la base pour parvenir à une protection directe des droits et libertés proclamés. Le droit de soumettre un recours constitutionnel est le droit de chaque individu dans la société afin de protéger ses droits et libertés garantis par la Constitution, de manière simple, sans frais ni formalités excessives. En outre, peuvent faire l’objet d’un recours constitutionnel tous les actes juridiques individuels émis par les organes de l’État, mais aussi les organisations qui ont des pouvoirs publics, ainsi que les actions officielles des organes de l’État. En outre, la procédure de la Cour constitutionnelle sur le recours constitutionnel est devenue partie intégrante de la procédure ordinaire de la compétence globale de la Cour constitutionnelle.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Le système constitutionnel serbe a un système mixte de contrôle de la constitutionnalité des lois.

Le contrôle normatif, en tant que compétence fondamentale et primaire de la Cour constitutionnelle, est confirmé dans la Constitution (article 167, alinéa 1) et comprend le contrôle de la constitutionnalité des lois et de tous les autres actes juridiques généraux dans l’ordre juridique de la République de Serbie, puis le contrôle de la légalité de tous les actes généraux inférieurs à la loi. Dans l’exercice de cette fonction, la Cour constitutionnelle n’est pas une juridiction qui juge les personnes morales et physiques, mais qui juge « les lois et autres actes juridiques généraux » qui violent la Constitution.

D’après le moment où la Cour contrôle la constitutionnalité de la loi, ce contrôle peut être un contrôle a posteriori et un contrôle préalable ou un contrôle préventif. Le contrôle a posteriori de la constitutionnalité est effectué après l’entrée en vigueur de la loi (ou d’un autre acte général), contrairement au contrôle préalable qui est effectué avant l’adoption de la loi par le Parlement, c’est- à-dire avant sa promulgation, sa publication officielle et son entrée en vigueur. Le contrôle a posteriori est la règle, alors que le contrôle a priori se limite à évaluer la constitutionnalité de la loi. Le contrôle préalable de la constitutionnalité d’une loi spécifique exclut la possibilité de son contrôle ultérieur (article 169, alinéa 4).

La Cour constitutionnelle est la gardienne de l’ordre juridique constitutionnel, mais elle protège aussi directement les droits et libertés de l’homme et des minorités garantis par la Constitution. Les droits et libertés de l’homme sont essentiellement protégés par le processus de protection de la constitutionnalité et de la légalité.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La Constitution de la République de Serbie divise les droits protégés en droits de l’homme et en droits des minorités. Les dispositions relatives aux droits de l’homme sont intitulées “Droits de l’homme et libertés de l’homme” et la section sur les droits des minorités est intitulée “Droits des personnes appartenant à des minorités nationales”.

La deuxième partie de la Constitution est intitulée “Droits de l’homme et des minorités” (articles 18 à 81) et comprend trois sections :

  • La première section (articles 18 à 22) contient les “Principes de base”, qui comprennent : l’application directe des droits garantis, l’objectif des garanties constitutionnelles, la restriction des droits de l’homme et des minorités, l’interdiction générale de la discrimination, la protection judiciaire des droits et libertés de l’homme et des minorités et le droit de s’adresser aux institutions internationales pour assurer la protection des droits et libertés.
  • La deuxième section (articles 23 à 74) énonce les droits personnels, politiques, sociaux-économiques et culturels- éducatifs de l’homme.
  • La troisième section (articles 75 à 81) contient les droits des minorités.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Selon l’article 16 de la Constitution, « les règles généralement acceptées du droit international et les traités internationaux ratifiés font partie intégrante de l’ordre juridique de la République de Serbie et sont directement applicables. Les traités internationaux ratifiés doivent être conformes à la Constitution ».

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

L’effet juridique des décisions de la Cour constitutionnelle est déterminé par la loi sur la Cour constitutionnelle. Une loi, un statut d’une province autonome ou d’une unité d’autonomie locale, un autre acte général ou un accord collectif, que la Cour constitutionnelle juge contraire à la Constitution, aux règles généralement acceptées du droit international et aux traités internationaux ratifiés, cesse d’être valable le jour de la publication de la décision prise par la Cour constitutionnelle dans le Journal officiel de la République de Serbie.

L’exécution d’actes individuels définitifs adoptés sur la base de règlements qui ne peuvent plus être appliqués, ne peut plus être autorisée ou mise en œuvre, et si l’exécution a commencé, elle sera suspendue. Toute personne dont les droits ont été violés par un acte individuel définitif ou final, promulgué sur la base d’une loi ou d’un autre acte général, que la Cour constitutionnelle a jugé non conforme à la Constitution, aux règles généralement acceptées du droit international, aux traités internationaux ratifiés ou à la loi, a le droit de demander à l’autorité compétente de modifier cet acte individuel, dans les six mois à compter de la date de publication de la décision dans le Journal officiel de la République de Serbie, s’il ne s’est pas écoulé plus de deux ans entre le dépôt de l’acte individuel et la présentation de la proposition ou de l’initiative d’ouverture de la procédure. Si l’on détermine que la modification d’un acte individuel ne peut éliminer les conséquences découlant de l’application d’un acte général que la Cour constitutionnelle a jugé non conforme à la Constitution, aux règles généralement acceptées du droit international, aux traités internationaux ratifiés ou à la loi, la Cour constitutionnelle peut déterminer qu’il y soit remédié par la restitution en état initial, par l’indemnisation des dommages ou autrement.

Lorsque la Cour constitutionnelle constate que l’acte individuel contesté ou l’action a violé ou nié les droits et libertés de l’homme ou des minorités garantis par la Constitution, elle annulera l’acte individuel, c’est-à-dire interdira l’exécution ultérieure ou ordonnera l’exécution d’une certaine action et ordonnera la suppression des conséquences néfastes dans un certain délai. La décision de la Cour constitutionnelle approuvant le recours constitutionnel est la base légale pour soumettre une demande d’indemnisation des dommages ou d’élimination d’autres conséquences dommageables devant l’autorité compétente, conformément à la loi. La décision de la Cour constitutionnelle, par laquelle le recours constitutionnel a été adopté, prend effet à compter du jour de sa remise aux participants à la procédure (article 89, alinéa 2 de la Loi sur la Cour constitutionnelle). Cette norme est impérative et s’étend à tous les types de procédures : pénales, civiles, administratives, correctionnelles et toutes autres procédures dans lesquelles les droits et obligations des participants à la procédure sont décidés. Il existe une obligation d’accepter et de respecter toutes les conséquences juridiques de l’annulation d’une décision juridique définitive d’un tribunal ordinaire, c’est-à-dire les conséquences juridiques découlant de l’annulation d’une décision définitive d’un tribunal. La conséquence principale juridique de l’annulation d’une décision juridique définitive d’un tribunal ordinaire, dans toutes les procédures, est le respect et l’application de la norme du droit violé garanti par la Constitution lors du nouveau procès à l’occasion de l’exécution de la décision de la Cour constitutionnelle, et si la condamnation juridique pénale définitive est “encaissée” et que dans la procédure d’exécution de la décision de la Cour constitutionnelle devant la cour pénale, un verdict d’acquittement, c’est-à-dire de rejet est prononcé, la conséquence juridique de l’annulation est l’existence de l’institution de la condamnation sans fondement.

La Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour unifier la jurisprudence des tribunaux ordinaires, mais étant donné sa position constitutionnelle établie par la Constitution, en tant qu’autorité de l’État qui protège les droits et libertés de l’homme et des minorités, elle indique qu’il est nécessaire que les tribunaux ordinaires compétents, dans les situations où ils jugent que la jurisprudence antérieure n’est pas conforme au droit matériel applicable, avant de prendre une décision, prennent toutes les mesures et actions prévues par les lois de procédure pertinentes, afin que la Cour suprême de cassation, en tant que plus haute juridiction de la République, prenne position sur la question juridique litigieuse et contribue ainsi à l’unification de la jurisprudence.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, exécutoires et généralement contraignantes. L’État et les autres autorités, les organisations auxquelles l’autorisation publique est confiée, les partis politiques, les syndicats, les associations de citoyens ou les communautés religieuses sont tenus, dans la limite de leurs droits et obligations, d’exécuter les décisions et arrêts de la Cour constitutionnelle.

L’effet d’une décision de cassation rendue dans les litiges de contrôle normatif des règlements se traduit par le fait qu’une loi ou un autre acte général pour lequel la Cour constate qu’il n’est pas conforme à la Constitution (dans son ensemble ou ses dispositions individuelles) cesse d’être valable le jour de la publication de la décision de la Cour constitutionnelle dans le Journal officiel (article 168, alinéa 3). Par conséquent, la décision de la Cour constitutionnelle agit en principe pour l’avenir (ex nunc).

Le cas échéant, l’exécution de la décision et de l’arrêt de la Cour constitutionnelle est assurée par le Gouvernement, selon les modalités déterminées par une décision spéciale de la Cour constitutionnelle.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

La Cour constitutionnelle peut annuler un acte individuel, interdire la poursuite d’une action ou ordonner une autre mesure ou action pour éliminer les conséquences dommageables d’une violation établie ou d’un déni avéré des droits et libertés garantis et déterminer les modalités d’une satisfaction équitable du requérant (article 89 alinéa 2 de la Loi sur la Cour constitutionnelle).

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

La Constitution de la République de Serbie contient un catalogue de droits absolus, qui sont principalement : le droit à la dignité, le droit à la vie, l’inviolabilité de l’intégrité physique et mentale, l’interdiction de l’esclavage et des positions semblables à l’esclavage, les droits des personnes privées de liberté, les droits spécifiques de l’accusé, la liberté de pensée et de conscience, le droit à la personnalité juridique, le droit à l’objection de conscience, la liberté d’expression de la nationalité et l’interdiction d’inciter à la haine raciale, nationale et religieuse.

Cependant, la Constitution (ainsi que la Convention européenne) est dominée par des droits relatifs, de sorte que le principe de restriction des droits de l’homme est l’un des principes clés sur lesquels repose le concept de droits de l’homme.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Les principes fondamentaux définissent l’objectif fondamental des garanties constitutionnelles des droits inaliénables de l’homme et des minorités afin de servir « la préservation de la dignité humaine et la réalisation de la pleine liberté et de l’égalité de chaque individu dans une société juste, ouverte et démocratique fondée sur le principe de l’État de droit ». Pareillement, l’interdiction générale de la discrimination qui s’applique à l’exercice de tous les droits de l’homme et des minorités est proclamé, le principe d’application directe des droits de l’homme et des minorités et le principe de protection judiciaire devant les institutions nationales et internationales sont proclamés afin de les protéger. La Constitution garantit les droits personnels, politiques, sociaux-économiques et culturels- éducatifs de l’homme. La Constitution garantit l’utilisation de la langue et du système de l’écriture, la liberté d’expression de la nationalité et d’autres droits des minorités nationales, la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui encourage le respect des différences, et qui encourage un esprit de tolérance, de respect mutuel, de compréhension et de coopération entre toutes les personnes vivant sur son territoire, quelle que soit leur identité ethnique, linguistique ou religieuse (article 81 de la Constitution).

En ce qui concerne les restrictions, la Cour constitutionnelle souligne qu’une restriction à un droit fondamental est justifiée lorsque le but légitime recherché dans les circonstances sociales actuelles ne pourrait pas être atteint dans la même mesure par une restriction différente, mais inférieure d’un droit spécifique. Lors de la réalisation du test de proportionnalité, la Cour constitutionnelle prend une décision en tenant compte de tous les faits, principes, valeurs sociales pertinents, ainsi que de la jurisprudence pertinente.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

4. Le droit à la culture n’est pas explicitement énoncé dans le corpus des droits humains garantis par la Constitution, mais il l’est à travers la garantie des droits humains fondamentaux. À savoir que l’article 73 de la Constitution garantit le droit à la liberté de création scientifique et artistique, et la République de Serbie encourage et aide le développement de la science, de la culture et de l’art.

En outre, la République de Serbie réglemente et fournit le système dans le domaine de la culture et de la protection des biens culturels, ainsi que le système des services publics, qui comprend toutes les institutions culturelles (article 97).

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

La Constitution établit le principe d’un État laïc, de sorte que les églises et les communautés religieuses sont séparées de l’État et qu’aucune religion ne peut être établie en tant que religion d’État ou obligatoire (article 11). À cet égard, la liberté de pensée, de conscience et de religion est garantie (article 43), des règles et des critères sont fixés sur lesquels se fondent les relations entre l’Église, les communautés religieuses et l’État (article 44) et l’objection de conscience est garantie (article 45).

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Le respect des droits de l’homme est important pour préserver la paix et renforcer la cohésion d’une société. La protection des droits de l’homme contribue inévitablement à la cohésion sociale, à la justice sociale et à la paix. Par le processus éducatif, on apprend la coexistence, le respect de la diversité, la résolution des désaccords et des conflits, dans le respect des droits d’autrui et par la lutte contre toutes les formes de discrimination.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

La Constitution garantit et, en tant que telle, applique directement les droits de l’homme et des minorités garantis par les règles généralement acceptées du droit international et les traités internationaux ratifiés, et la loi ne peut prescrire les modalités d’exercice de ces droits que si elle est établie par la Constitution ou s’il est nécessaire d’exercer un droit particulier en raison de sa nature, où la loi ne doit pas affecter l’essence du droit garanti.

Les droits de l’homme et des minorités garantis par la Constitution ne peuvent être restreints par la loi que si la Constitution autorise des restrictions à la fois aux fins et dans la mesure autorisée par la Constitution, et dans ces cas sans porter atteinte à l’essence du droit garanti. Le niveau atteint des droits de l’homme et des droits des minorités ne peut pas être réduit, et les tribunaux et autres autorités, lorsqu’ils restreignent ces droits, sont tenus, entre autres, de déterminer s’il existe un moyen d’atteindre l’objectif de restriction par une restriction inférieure des droits.

Toute personne est égale devant la Constitution et la loi, et la Constitution énonce en outre une disposition générale contre la discrimination en stipulant que chacun a droit à une protection juridique égale et en stipulant explicitement que toute discrimination directe ou indirecte est interdite, notamment en raison de la race, du sexe, de la nationalité, de l’origine sociale, de la naissance, de la religion, des convictions politiques ou autres, du statut de propriété, de la culture, de la langue, de l’âge et d’un handicap mental ou physique. Au même instant, il a été déterminé que les mesures spéciales que la République de Serbie peut introduire afin d’atteindre la pleine égalité des personnes ou des groupes de personnes qui se trouvent dans une situation essentiellement inégale avec d’autres citoyens (par exemple, les personnes handicapées, les enfants) ne sont pas considérées comme discriminatoires. En outre, il a été établi que toute personne a droit à une protection judiciaire si un droit de l’homme ou des minorités garanti par la Constitution a été violé ou nié et que toute personne a droit d’en supprimer les conséquences, ainsi que le droit des citoyens de se tourner vers les institutions internationales pour protéger leurs libertés et leurs droits garantis par la Constitution.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

La Républiquede Serbieestmembredu Conseildel’Europedepuis le 3 avril 2003 et elle a adhéré à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales le 3 mars 2004, s’engageant ainsi à garantir à toute personne relevant de sa compétence les droits et libertés garantis par cette convention et ses protocoles d’accompagnement.

La Cour constitutionnelle de Serbie coopère au sein d’instances internationales et d’organisations professionnelles, dont les plus importantes sont la Commission de Venise (depuis 2003), la Conférence des cours constitutionnelles européennes (depuis 2006), l’Association des cours constitutionnelles francophones (depuis 2008) et la Conférence mondiale des cours constitutionnelles (depuis 2011). Pareillement, la Cour constitutionnelle est particulièrement attachée au développement de la coopération régionale.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle adoptant les recours constitutionnels constatent le plus souvent une violation du droit à un procès équitable, une violation du droit à un procès dans un délai raisonnable dans une procédure qui s’est terminée par une procédure administrative inachevée, ainsi qu’une violation du droit de propriété.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Le principe de liberté de décision ou d’appréciation libre implique que la Cour constitutionnelle dispose d’une certaine liberté en fonction des circonstances : sociales et économiques, pour interpréter ses obligations internationales et pour promouvoir et protéger les droits de l’homme.

La Cour européenne a également souligné dans ses arrêts que les autorités nationales sont, en règle générale, mieux placées pour évaluer les circonstances de chaque cas spécifique en raison du contact direct avec les parties à la procédure et de la connaissance des besoins et opportunités locaux. Elle souligne donc que sa mission n’est pas de se substituer aux autorités nationales compétentes, mais d’apprécier, dans l’exercice de sa fonction de contrôle, si celles-ci évoluaient dans les limites du champ laissé de l’évaluation libre. La Cour constitutionnelle de Serbie agit de la même manière. Elle donne l’appréciation finale du respect des principes de la Constitution, agissant sur les demandes individuelles – les recours constitutionnels, ce qui lui donne la possibilité d’évaluer et de prendre une décision dans chaque cas spécifique.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Au cours de la procédure de protection juridictionnelle constitutionnelle, à l’occasion de l’examen au fond d’un recours constitutionnel dans les limites de la demande qui y est formulée, la Cour constitutionnelle détermine si le droit ou la liberté garantis par la Constitution ont été violés ou niés dans la procédure de décision sur les droits et obligations du plaignant du recours constitutionnel.

Conformément à la disposition susmentionnée de la Constitution, la Cour constitutionnelle n’est compétente dans la procédure d’un recours constitutionnel que pour examiner l’existence de violations ou de dénis des droits et libertés garantis par la Constitution, et par conséquent les allégations du recours constitutionnel doivent être fondées sur des motifs constitutionnels juridiques qui, du point de vue du contenu du droit ou de la liberté constitutionnelle déterminés par la Constitution, étayent les allégations de sa violation ou de sa négation. Toutes les circonstances de l’affaire sont prises en compte, telles que : le progrès historique, politique, juridique, économique, social, culturel, religieux, ethnique, mais aussi technologique. Dans tous les cas, l’interdiction générale de discrimination s’applique sans exception.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Les processus politiques, accompagnés d’une crise économique ou autre, ont un impact complexe et multiple sur la pratique et la conduite constitutionnelles. Les gouvernements sont parfois contraints de prendre des mesures spéciales et de prendre des décisions politiques qui affectent indirectement l’exercice de certains droits humains et libertés, notamment les droits sociaux. Les processus politiques, accompagnés d’une crise économique ou autre, ont un impact complexe et multiple sur la pratique et la conduite constitutionnelles. Les gouvernements sont parfois contraints de prendre des mesures spéciales et de prendre des décisions politiques qui affectent indirectement l’exercice de certains droits humains et libertés, notamment les droits sociaux. Cependant, dans l’appréciation de ces mesures, si l’appréciation de leur légalité et constitutionnalité parvient à la Cour constitutionnelle, la Cour constitutionnelle est guidée exclusivement par le raisonnement et l’argumentation juridiques, qui défendent en tout état de cause le rôle de “gardien de la Constitution”.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Les 66 initiatives d’initiation de la procédure d’évaluation de la constitutionnalité et de la légalité ont été soumises à la Cour constitutionnelle (Décision portant déclaration de l’état d’urgence, Loi portant confirmation des décrets pris par le Gouvernement avec la co-signature du président de la République en période d’état d’urgence, Arrêté interdisant les rassemblements dans les lieux publics à l’intérieur, Arrêté interdisant les visites et restreignant la circulation dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées, Décret sur les modalités de participation de l’accusé au procès principal dans une procédure pénale tenue pendant l’état d’urgence…). Sur la base des initiatives soumises, 10 cas ont été formés. 10 recours constitutionnels ont également été déposés, faisant référence à certaines mesures adoptées par le Gouvernement de Serbie pendant l’état d’urgence.

Sur la base de plusieurs initiatives, un dossier a été formé pour engager la procédure d’appréciation de la constitutionnalité et de la légalité de la Décision déclarant l’état d’urgence, qui s’est achevée lors de la session de la Grande Chambre, tenue le 21 mai 2020. Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a rendu une décision rejetant les initiatives et rejetant les demandes de suspension de l’exécution des actes et actions individuels, prises sur la base de ladite Décision contestée.

Concernant certaines allégations des initiatives selon lesquelles, dans ce cas particulier, il suffisait de déclarer la situation d’urgence en République de Serbie, la Cour constitutionnelle, dans son explication, souligne que notre ordre juridique, en tant que catégorie juridique et non constitutionnelle, connaît également la situation d’urgence.

Dans la doctrine constitutionnelle juridique, l’opinion dominante est qu’il est difficile, voire impossible, de faire une distinction claire entre un état d’urgence et une situation d’urgence. Les mesures dérogatoires aux droits de l’homme, pour autant qu’elles soient justifiées et proportionnées, ainsi que d’autres mesures pouvant être adoptées en cas d’état d’urgence et susceptibles d’étendre les droits réglementés par la loi ou de réduire les obligations statutaires prévues par la loi, offrent à l’État de bien plus grandes possibilités de réagir de manière opportune et efficace pour éliminer le danger public pour la vie des citoyens. D’après la Cour constitutionnelle, la “capacité” juridique de la situation d’urgence ne garantit pas une réponse aussi efficace des autorités et services de l’État qu’en cas d’état d’urgence (efficacité insuffisante des services, problèmes de coordination, impossibilité de réorganisation fondamentale de la santé, etc.).

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

La Cour constitutionnelle de la République de Serbie n’a pas interrompu son travail pendant l’état d’urgence, déclaré en raison de l’épidémie du virus de la Covid-19, et le travail a été organisé conformément aux mesures et recommandations des autorités de l’État. Conformément à ces mesures et recommandations, et principalement afin de protéger la santé des citoyens, tout comme la santé des employés de la Cour constitutionnelle, la Cour a suspendu le travail du bureau de réception des recours par contact direct avec les parties depuis le 23 mars 2020, jusqu’à la fin de l’état d’urgence. Au cours de cette période, les parties, comme dans des circonstances normales, ont soumis leurs recours par la poste. Le public a été informé de cette mesure par le biais du site Internet de la Cour, ainsi que par un avis affiché sur la porte d’entrée de la Cour constitutionnelle. Pendant l’état d’urgence, il n’y avait pas de délais pour le dépôt des recours constitutionnels.

Le travail dans la Cour a également été organisé conformément aux mesures et recommandations qui ont été appliquées pendant l’état d’urgence. Afin de protéger la santé des employés et de prévenir la transmission et la propagation de l’infection, la Cour constitutionnelle n’a pas tenu de sessions. Le travail à domicile était organisé pour la plupart des employés, mais des équipes en alternance et en service étaient également organisées à la Cour. Pendant la période d’application des mesures et recommandations, plus de 1 500 affaires ont été traitées par la Cour constitutionnelle de la République de Serbie.

Après l’abolition de l’état d’urgence, la Cour constitutionnelle a commencé à travailler comme à son habitude le 11 mai 2020, avec l’application des mesures de prévention recommandées, et les premières sessions se sont tenues le 12 mai 2020.


  • [1]
    Recours constitutionnel n° 134/2007 du 10 juillet 2008 publié dans le Journal officiel de la République de Serbie 74/2008 du 7 août 2008  [Retour au contenu]

 

 

Tribunal fédéral suisse

 

REMARQUES INTRODUCTIVES

La Suisse est un État fédéral depuis 1848. Il comporte trois niveaux politiques : la Confédération, les cantons et les communes. Chaque niveau dispose d’un pouvoir législatif et exécutif. La Confédération et les cantons disposent en outre d’un pouvoir judiciaire.

En raison du fédéralisme suisse, tant la Confédération que les cantons ont le pouvoir d’adopter une constitution. Notre pays compte donc une Constitution fédérale (ci-après : Cst.)[1] et vingt-six constitutions cantonales[2].

Aux termes de l’art. 188 Cst., le Tribunal fédéral est l’autorité judiciaire suprême de la Confédération suisse et assume à ce titre un double rôle. En tant qu’autorité judiciaire de dernière instance, il fait respecter la législation fédérale en matière civile, pénale et administrative. En tant que juridiction constitutionnelle, sa mission est de protéger les particuliers et de leur garantir le respect des droits constitutionnels et des droits fondamentaux.

La juridiction constitutionnelle du Tribunal fédéral s’exerce en principe dans le cadre des recours unifiés institués en matière civile (art. 72 ss de la loi sur le Tribunal fédéral ; ci-après : LTF[3]), pénale (art. 78 ss LTF) et de droit public (art. 82 ss LTF). Ces recours permettent aux particuliers de se plaindre de ce qu’une décision, fédérale ou cantonale, ou un acte normatif cantonal contreviennent au droit fédéral, y compris la Constitution, au droit international, au droit intercantonal, aux droits constitutionnels cantonaux ou aux droits politiques (art. 95 LTF). Quant au recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 ss LTF), il peut être dirigé, pour violation de droits constitutionnels, contre des décisions cantonales qui ne peuvent pas faire l’objet d’un recours ordinaire.

Le contrôle exercé par le Tribunal fédéral n’est pas automatique. Le Tribunal doit être saisi d’un recours formé par un particulier, après épuisement des instances cantonales et fédérales. Le recourant doit invoquer et motiver le grief de violation d’un droit fondamental.

Le Tribunal fédéral ne revoit en principe pas l’état de fait des affaires qui lui sont soumises. L’état de fait ne peut être corrigé devant le Tribunal fédéral que s’il contient une erreur grossière de la part de l’autorité inférieure, respectivement s’il repose sur une violation du droit. Le Tribunal fédéral limite son examen exclusivement aux questions de droit.

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence est inscrite dans la Constitution fédérale dans une formulation très générale. L’art. 189 Cst. dispose en effet que le Tribunal fédéral connaît notamment des contestations pour violation du droit fédéral, du droit international et des droits constitutionnels cantonaux. La notion de droit fédéral précitée doit être comprise dans un sens large ; elle inclut également les droits fondamentaux[4], de même que le droit international comprend les traités internationaux ratifiés par la Suisse comme par exemple la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : CEDH)[5].

L’art. 95 LTF reprend la formulation de l’art. 189 Cst. et précise que le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral, du droit international et de droits constitutionnels cantonaux. L’art. 106 LTF prévoit en outre que le Tribunal fédéral n’examine la violation de droits fondamentaux que si ce grief a été invoqué et motivé par le recourant.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui. Le législateur fédéral définit le rôle du Tribunal fédéral en ces termes[6] :
« La mission première du Tribunal fédéral est de sauvegarder les fondements de l’État fédéral, de la démocratie et de l’État de droit. Dans son œuvre de concrétisation de la Constitution, le Tribunal fédéral doit définir et appliquer ces principes, qui ont une importance particulière tant pour les individus concernés que pour les processus démocratiques et les structures fédéralistes de la Suisse. Contrairement au législateur qui se concentre le plus souvent sur l’actualité politique et sur l’efficacité de ses décisions, le juge constitutionnel doit sauvegarder les valeurs fondamentales et durables de la Constitution, telles que les expriment les droits fondamentaux ; il peut, pour ainsi dire, agir comme « instance correctrice » qui garantit l’évolution de l’ordre juridique conformément aux droits fondamentaux. […] La juridiction constitutionnelle […] fait partie de la substance intangible de tout État fondé sur le droit et la démocratie ».

La doctrine, également, reconnaît au Tribunal fédéral un rôle très important dans le développement non seulement des droits individuels, mais aussi des éléments essentiels de l’État de droit, de la démocratie et du fédéralisme suisse.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

À travers la protection des droits fondamentaux, le Tribunal fédéral joue un rôle central en assurant le maintien de la séparation entre l’État, qui garantit ces droits, et la société civile, où ils sont appelés à opérer[7]. La juridiction constitutionnelle a pour but de surveiller la forme et le contenu des activités de l’État pour que celles-ci respectent un ensemble de règles qui les rendent prévisibles et justes. L’existence d’un État de droit dépend des principes de forme et de fond qui le composent, comme par exemple l’égalité, l’interdiction de l’arbitraire, le procès équitable ou la séparation des pouvoirs. Mais l’État de droit dépend également du respect effectif de ces principes dans l’ensemble des activités étatiques ; respect qui est assuré par le juge constitutionnel. Le rôle du juge constitutionnel est par conséquent indissociable de la notion d’État de droit[8].

À travers la protection des droits politiques, le juge constitutionnel assure l’exercice par le citoyen des différentes prérogatives que l’ordre juridique lui reconnaît et garantit ainsi le caractère démocratique de l’organisation et de l’activité de l’État. Le juge constitutionnel est non seulement chargé du contentieux électoral, mais également d’assurer le respect des procédures de référendum et d’initiatives populaires consacrées par la Constitution[9].

La démocratie constitue une valeur fondamentale de la société suisse. Démocratie et garantie des droits fondamentaux vont le plus souvent de pair. La seconde est condition du bon fonctionnement de la première[10].

Notre Constitution rappelle dans son Préambule que le peuple et les cantons suisses ont adopté la Constitution pour renforcer la démocratie. Elle est l’expression et le fondement de notre démocratie.

Le Tribunal fédéral est garant des valeurs démocratiques, sa mission première étant de sauvegarder les fondements de l’État fédéral, de la démocratie et de l’État de droit[11]. La protection des droits fondamentaux est un des moyens de remplir cette mission.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

L’État de droit et la démocratie, mais également la séparation des pouvoirs, le fédéralisme et la garantie des droits fondamentaux, sont des principes fondateurs de l’ordre juridique suisse[12]. Les notions de démocratie et d’État de droit sont étroitement liées. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus (cf. I. 3 et 4 ci-dessus), la mission première du Tribunal fédéral est de sauvegarder les fondements de l’État fédéral, de la démocratie et de l’État de droit. Dans son œuvre de concrétisation de la Constitution, le Tribunal fédéral doit définir et appliquer ces principes, qui ont une importance particulière tant pour les individus concernés que pour les processus démocratiques et les structures fédéralistes de la Suisse[13].

  1. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus (I. 3 et 4), la mission du Tribunal fédéral est la sauvegarde des fondements de la démocratie et de l’État de droit et la protection des droits fondamentaux est un des moyens de la remplir. Dans ce but, le Tribunal fédéral n’a cessé de concrétiser et développer le catalogue des droits fondamentaux dans de nombreux arrêts.

Dès les années trente, en raison notamment de la crise économique et de la montée du totalitarisme, la doctrine a considéré que les droits fondamentaux garantis par la Constitution de l’époque étaient insuffisants et qu’ils devaient être complétés. Dès les années soixante, face à l’inaction du constituant et encouragé par la doctrine, le Tribunal fédéral a reconnu de nouveaux droits constitutionnels non écrits pour combler les lacunes que comportait l’énumération des droits fondamentaux faite par notre ancienne Constitution[14]. On peut notamment citer :

    • la garantie de la propriété[15]
    • la liberté d’expression[16]
    • la liberté personnelle[17]
    • la liberté de la langue[18]
    • la liberté de réunion[19]
    • le droit à des conditions minimales d’existence[20]

Les droits constitutionnels non écrits reconnus par le Tribunal fédéral ont par la suite reçu une légitimité démocratique de la part des citoyens et des cantons. Ils ont en effet été intégrés au catalogue des droits fondamentaux lors de la révision totale de la Constitution qui a été acceptée en votation populaire à la double majorité du peuple et des cantons en avril 1999[21].

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui, dans la mesure où la sauvegarde des fondements de la démocratie et de l’État de droit constitue la mission du Tribunal fédéral (cf. I. 3 ss ci-dessus).

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Le Tribunal fédéral ne commente pas publiquement sa jurisprudence. Il s’abstient donc de juger la qualité de ses décisions. En revanche, il arrive que la doctrine, les médias ou l’opinion publique critiquent certains jugements rendus par le Tribunal fédéral – ce qui est parfaitement normal dans un État de droit et une société démocratique. Le Tribunal fédéral n’intervient pas dans ces débats.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

C’est vraisemblablement dans le domaine de la garantie des droits politiques[22] que la jurisprudence du Tribunal fédéral a le plus d’importance pour la démocratie directe[23]. À l’origine, la liberté de vote a été reconnue par le Tribunal fédéral comme droit constitutionnel non écrit. Elle garantit à toute personne qui jouit des droits politiques « la faculté d’exiger qu’aucun résultat de votation ou d’élection ne soit reconnu s’il ne traduit pas de manière fiable et sûre la volonté librement exprimée du corps électoral »[24]. De cette notion, le Tribunal fédéral a notamment déduit l’égalité électorale, la préparation et le déroulement corrects du scrutin par les autorités ainsi que la protection de la libre formation de l’opinion des citoyens avant des votations[25].

La protection des droits politiques reste une question d’actualité, une préoccupation du citoyen, y compris dans un État démocratique tel que la Suisse.

Le Tribunal fédéral a récemment dû examiner la validité de l’annulation et du renvoi des élections communales dans le canton du Tessin suite à la pandémie de coronavirus[26]. Il a retenu que, dans la mesure où le Conseil fédéral n’avait pas réglé la question relative à la tenue ou non d’élections cantonales ou communales dans l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19) du 13 mars 2020[27], les cantons avaient par conséquent conservé leurs compétences en la matière et pouvaient adopter, en application de l’art. 40 de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme[28], des mesures telles que le renvoi des élections dans le but de protéger la santé publique. Sous l’angle de la proportionnalité, le Tribunal fédéral a estimé que le report des élections a tenu compte des mesures sanitaires et de la possibilité d’organiser ultérieurement les élections dans le plein respect de la garantie des droits politiques. Dans ces conditions, la mesure d’ajournement constituait une mesure appropriée et nécessaire au regard de la situation sanitaire existante. La durée du report était certes importante – car elle correspondait à un quart de la législature – mais, au moment de la décision, la propagation des infections liées au coronavirus était en phase aiguë et le canton du Tessin était le canton le plus touché par la pandémie. À ce stade de la propagation de l’épidémie, il s’agissait de prendre des mesures décisives pour ralentir la propagation du virus. Cette situation ne permettait pas de faire des prévisions fiables sur l’évolution de la maladie et donc sur la possibilité d’organiser des élections dans un délai raisonnablement court. Un report des élections de quelques semaines seulement ou la fixation d’une nouvelle date proche de l’échéance ne semblait pas sérieusement envisageable. Le fait que le gouvernement cantonal ait directement fixé la nouvelle date des élections au 18 avril 2021 tient compte de la situation extraordinaire qui existait, laquelle nécessitait de donner la priorité à la protection de la santé publique, mais aussi de la nécessité de fixer de manière fiable une date précise qui permette d’organiser correctement les élections et de préparer à nouveau le matériel de vote. Compte tenu des particularités de l’affaire, le report des élections d’un an, bien que considérable et proche de la limite de la proportionnalité, était à cet égard encore admissible. Il tient également compte de la loi communale qui prévoit que la date des élections est fixée au cours du mois d’avril. Au vu de toutes ces circonstances, le Tribunal fédéral a jugé que l’on pouvait considérer que la mesure litigieuse respectait le principe de proportionnalité et la garantie des droits politiques.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Le rôle principal du juge constitutionnel est de trancher des litiges en leur appliquant des règles de droit et de veiller ainsi au respect de ces dernières[29]. Il n’a en principe pas de rôle politique. Mais force est de constater que les décisions qu’il rend produisent des effets politiques. Au sens large, ses décisions sont susceptibles d’avoir un impact sur la vie de la société. Au sens strict, elles peuvent donner lieu à des réactions politiques. Elles peuvent notamment entraîner des débats parlementaires, voire des modifications de lois[30]. Par ailleurs, comme le Tribunal fédéral ne peut pas invalider lui-même des normes adoptées par l’Assemblée fédérale (pour plus de détails, cf. II. 9 ci-dessous), il a pour pratique de signaler que des normes fédérales violent la Constitution et d’inviter le législateur à modifier des dispositions légales. Il le fait dans les considérants d’arrêts[31], puis dans la rubrique « indications à l’intention du législateur » qui figure dans son rapport annuel de gestion[32].

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, car les conditions d’accès prévues par la LTF donnent aux justiciables un large accès au Tribunal fédéral. Le recours au Tribunal fédéral est en effet ouvert, après épuisement de toutes les autres possibilités de recours, à toutes les personnes physiques, quels que soient leur nationalité ou leur statut, et aux personnes morales, y compris les associations, qui sont lésées et qui sont titulaires du droit fondamental invoqué. L’art. 89 al. 1 LTF précise qu’a la qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire, est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

En outre, l’accès au Tribunal fédéral est garanti par l’art. 191 Cst.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Sur le plan national, il existe des dispositions de protection des droits de l’homme dans la Constitution fédérale[33] et dans les constitutions cantonales[34]. Ainsi, lorsqu’il exerce son contrôle de constitutionnalité, le Tribunal fédéral vérifie toujours le respect des garanties constitutionnelles fédérales dont les recourants se prévalent et, le cas échéant, celui des droits fondamentaux cantonaux invoqués dans l’acte de recours. En parallèle, la Cour suprême suisse se réfère fréquemment aussi aux garanties consacrées par les traités de droits de l’homme ratifiés par notre pays. Ainsi, de très nombreux arrêts rendus par le Tribunal fédéral sont, au moins partiellement, fondés sur la CEDH, sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (ci-après : Pacte ONU II)[35], et, dans une moindre mesure, sur le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturel du 16 décembre 1966 (ci-après : Pacte ONU I)[36]. À noter que ces trois actes internationaux ont fait l’objet d’une réception particulière dans notre ordre juridique. Il ressort en effet des travaux préparatoires concernant la Constitution fédérale de 1999 que, lors de l’élaboration du nouveau texte, il a été tenu compte pour chaque droit fondamental des dispositions de droit international contenues tant dans la CEDH que dans les Pactes ONU I et II. Il arrive également aux juges fédéraux de s’appuyer sur d’autres textes internationaux, tels que la Convention-cadre du 1er février 1995 pour la protection des minorités nationales[37], la Convention internationale du 21 décembre 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale[38], la Convention du 18 décembre 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes[39] ou la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant[40].

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

La Suisse fait partie des États d’obédience moniste. Notre pays reconnaît en effet au droit international une validité immédiate sur le plan interne. Les normes de droit international déploient leurs effets dans l’ordre juridique suisse sans qu’il soit nécessaire de les introduire dans le droit national par un acte spécial de transformation. Une norme de droit international acquiert ainsi automatiquement validité et force obligatoire dans l’ordre juridique suisse dès que la procédure interne d’adoption a abouti et que la norme internationale est en vigueur sur le plan international. C’est pourquoi le Conseil fédéral vérifie, avant la ratification d’un traité, que son contenu est conforme au droit interne. Si la volonté politique de mettre en œuvre certaines obligations au niveau interne fait défaut, la Suisse peut en principe émettre des réserves, conformément aux règles de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Il découle de ce qui précède que les normes des conventions ratifiées par la Suisse sont mises sur pied d’égalité avec le droit national. L’ordre juridique international et l’ordre juridique interne forment un seul système cohérent. Ainsi, par exemple, la CEDH fait partie du droit national et les droits qui y sont garantis ont un contenu constitutionnel.

Pour le reste, le Tribunal fédéral a retenu le principe de faveur pour régler les éventuelles divergences entre les droits de l’homme garantis par des normes conventionnelles et les droits fondamentaux consacrés par des dispositions nationales. Selon la jurisprudence, il y a lieu d’appliquer prioritairement le droit fondamental qui offre la protection la plus étendue[41]. Il appartient donc au juge d’examiner le niveau de protection des droits fondamentaux offert par le droit suisse pour s’assurer qu’il n’est pas inférieur à celui prévu par la CEDH ou à celui imposé par d’autres conventions liant la Suisse. Ainsi par exemple, le Tribunal fédéral s’est penché sur l’étendue de la liberté de conscience et de croyance telle que garantie par notre Constitution fédérale pour la comparer avec celle reconnue par la CEDH ainsi que par le Pacte ONU II[42]. Les juges fédéraux ont alors retenu que la portée des différentes normes entrant en ligne de compte était pratiquement identique.

En ce qui concerne plus particulièrement la CEDH, on peut actuellement considérer que les garanties fédérales et conventionnelles se valent entre elles. D’une part, le Constituant de 1999 a systématiquement tenu compte des garanties offertes par la CEDH lorsqu’il a établi le catalogue fédéral des droits fondamentaux (cf. II. 1 ci-dessus). D’autre part, le Tribunal fédéral a intégré dans sa jurisprudence l’interprétation que la Cour européenne des droits de l’homme donne aux différentes normes de la Convention, y compris dans les affaires auxquelles notre pays n’est pas partie.

D’un point de vue procédural, pourtant, le régime consécutif à la violation des droits fondamentaux diffère selon qu’est invoquée la Constitution ou une convention internationale. Il en va en tout cas ainsi lorsqu’est en cause une disposition du droit fédéral. En effet, le Tribunal fédéral peut seulement constater que le droit fédéral n’est pas conforme à la Constitution ; il ne peut refuser de l’appliquer. Il en va différemment au plan du droit conventionnel dès lors que le système moniste appliqué en Suisse l’est avec prééminence du droit international. En conclusion, même si une disposition du droit fédéral contrevient simultanément à un droit constitutionnel et à un droit conventionnel de même contenu, le juge ne peut refuser de l’appliquer qu’en se référant au droit conventionnel.

Le Tribunal fédéral s’est également déterminé sur l’articulation entre les droits fondamentaux figurant dans la Constitution fédérale et ceux contenus dans les constitutions cantonales. Dans ce cas de figure, c’est aussi le principe de faveur qui s’applique. Ainsi, en cas de concurrence entre une garantie inscrite dans une constitution cantonale et une garantie d’origine fédérale, le juge devra appliquer celle offrant la protection la plus favorable à son titulaire[43].

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Tous les types de droits et libertés consacrés par droit international ou fédéral sont invoqués et évoqués dans les litiges de droit constitutionnel tranchés par le Tribunal fédéral. L’invocation et l’évocation des droits fondamentaux contenus dans les constitutions cantonales sont en revanches plus rares.

Les causes soumises au Tribunal fédéral ont le plus souvent pour objet des questions de violation du principe de l’interdiction des discriminations, du principe de l’interdiction de l’arbitraire et de garanties procédurales. Il nous est malheureusement impossible de fournir des données très précises à ce sujet. Nous renvoyons aux statistiques succinctes contenues dans les rapports annuels de gestion du Tribunal fédéral[44].

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Sur le plan fédéral, l’une des spécificités du droit suisse est d’avoir permis l’émergence de droits constitutionnels non écrits sous l’empire de la Constitution fédérale de 1874 (cf. I. 6 ci-dessus). La Constitution fédérale actuelle, adoptée en 1999, contient un catalogue détaillé et complet des droits fondamentaux, mais ces derniers ne sont pas destinés à rester figés. En effet, la révision de la Constitution n’a pas voulu réduire le rôle de la Cour suprême suisse dans le processus de concrétisation de ces droits[45]. Le Tribunal fédéral doit poursuivre sa mission de sauvegarde de la démocratie en protégeant les droits fondamentaux, en les concrétisant et en les développant. Il n’est dès lors pas exclu que la Cour suprême suisse reconnaisse à l’avenir de nouveaux droits non écrits invocables devant elle.

Au niveau cantonal, il existe également des catalogues de droits fondamentaux. La majorité des constitutions cantonales adoptées après l’entrée en vigueur de la Constitution fédérale de 1999 reprennent à leur compte les droits garantis sur le plan fédéral. Cependant, dans certains cas, les constituants cantonaux ont consacré des droits sociaux qui n’existent pas au niveau fédéral. À titre d’exemple, on peut citer l’art. 35 de la Constitution fribourgeoise[46] qui fonde le droit à la protection de la personne âgée, l’art. 19 de la Constitution genevoise[47] qui confère à toute personne le droit à un environnement sain ou encore l’art. 38 de la Constitution genevoise qui consacre le droit au logement. On peut encore signaler ici une affaire récente dans laquelle le Tribunal fédéral a admis la recevabilité d’une initiative populaire visant l’inscription des droits fondamentaux des primates dans la Constitution du canton de Bâle-Ville[48]. Ainsi, si l’initiative en question recueille l’approbation du peuple bâlois, il sera possible d’invoquer en justice le droit à la vie des primates ainsi que leur droit à l’intégrité corporelle et mentale. Il s’agirait alors d’un droit d’un type inédit invocable devant la juridiction suprême suisse. Le Constituant fédéral a d’ailleurs explicitement prévu la compétence du Tribunal fédéral pour connaître de recours fondés sur la violation de droits constitutionnels de rang cantonal[49].

En ce qui concerne le droit international, il a été maintes fois répété que les droits sociaux contenus dans certains traités internationaux ne conféraient pas des droits subjectifs justiciables, mais étaient uniquement des normes à caractère programmatique constituant de simples injonctions à l’adresse du législateur[50]. Cette position très restrictive défendue par le Conseil fédéral et le Tribunal fédéral a été critiquée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans le cadre de son examen du rapport initial présenté par la Suisse[51]. Au fil du temps, notre pays a adopté une position moins fermée sur le sujet. Ainsi, l’applicabilité directe de certains droits sociaux internationaux est à présent admise en Suisse[52]. Il en découle que de nouveaux droits de source internationale peuvent être directement invocables devant le Tribunal fédéral.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Les droits fondamentaux contenus dans la Constitution fédérale sont en principe de même rang[53]. En effet, notre Constitution fédérale n’établit pas explicitement de hiérarchie entre les différentes dispositions qu’elle renferme[54]. Pour sa part, le Tribunal fédéral a très tôt retenu qu’il n’existe pas de droit fondamental supérieur ou inférieur dans le champ d’application de la même Constitution en ce sens que le premier doit céder le pas au second, mais tous les droits fondamentaux existent côte à côte avec la même force juridique[55]. La garantie de la dignité humaine occupe tout de même une position particulière dans le catalogue fédéral des droits fondamentaux : elle ne constitue pas seulement le principe directeur suprême de l’État, mais elle est en même temps un élément important pour l’interprétation et la concrétisation des autres droits, notamment du noyau intangible des droits fondamentaux. Une certaine hiérarchisation résulte également du fait que certains droits fondamentaux (par exemple l’interdiction de la torture) ou contenus de droits fondamentaux (en particulier le noyau intangible) ont une validité absolue ; pour certains droits fondamentaux, les restrictions admissibles doivent répondre à des critères particulièrement stricts (par exemple l’interdiction de la discrimination). Il n’existe cependant aucune garantie qui, d’une manière générale, occuperait une position préférentielle par rapport à d’autres droits. Bien que le Tribunal fédéral ait, dans des cas isolés, accordé une plus grande priorité aux droits fondamentaux immatériels qu’aux droits économiques, il a en même temps déclaré que les droits fondamentaux concernés doivent être coordonnés en cas de conflits de normes correspondants. En cas d’applicabilité simultanée de plusieurs droits fondamentaux (au sens de droits fondamentaux concurrents ou conflictuels), les revendications contradictoires doivent donc être pondérées et équilibrées entre elles.

L’équivalence générale des normes relatives aux droits fondamentaux ne signifie pas que chaque droit fondamental se voit accorder le même poids à tout moment – les conflits relatifs aux droits fondamentaux ne pourraient être résolus de cette manière. En cas de conflit, il convient plutôt de considérer chaque droit avec son contenu concrètement affecté et avec la gravité de son atteinte, puis d’effectuer une pesée des intérêts en présence[56].

Devant le Tribunal fédéral, la possibilité de procéder à un examen cumulatif des griefs est conditionnée à l’exigence que, à peine d’irrecevabilité, le recourant motive suffisamment en quoi les droits fondamentaux dont il se prévaut sont applicables et seraient violés[57].

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Comme les droits fondamentaux sont formulés de manière assez générale dans la Constitution fédérale, ils ont besoin de concrétisation. C’est là qu’intervient la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui définit le champ d’application et les restrictions possibles de ces droits[58]. Les droits fondamentaux tiennent dès lors une place très importante dans la jurisprudence du Tribunal fédéral.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

La LTF, qui règle la procédure devant le Tribunal fédéral, contient plusieurs articles prévoyant un régime particulier pour les droits fondamentaux.

La LTF prévoit une voie de droit extraordinaire – le recours constitutionnel subsidiaire (art. 116 LTF) – subsidiaire par rapport aux trois recours unifiés prévus aux articles 72 à 89 LTF, qui permet de se plaindre de la violation de droits constitutionnels. Ces droits se déduisent de la Constitution fédérale (art. 7 à 36 Cst.), de la CEDH ou des droits individuels protégés par le Pacte ONU II ou encore par des droits garantis par les constitutions cantonales[59].

L’article 98 LTF est une disposition spéciale, qui déroge aux dispositions ordinaires régissant les motifs de recours qui peuvent être invoqués devant le Tribunal fédéral. L’article 98 LTF prévoit qu’un recourant peut uniquement invoquer la violation de droits constitutionnels lorsque la décision attaquée porte sur l’octroi ou le refus de mesures provisionnelles. Le Tribunal fédéral n’entre en matière que si le recourant a cité de manière précise, dans l’acte de recours, le ou les droits constitutionnels dont il invoque la violation en exposant de manière circonstanciée en quoi chacun des droits invoqués serait violé par la décision attaquée (art. 106 al. 2 LTF). Le Tribunal fédéral ne peut pas examiner d’office s’il y a eu violation d’un droit constitutionnel. Dès lors que le recours est limité aux griefs constitutionnels, le Tribunal fédéral ne peut pas non plus examiner d’office d’autres questions de droit, hormis les conditions de recevabilité du recours[60].

On remarquera d’ailleurs que ce mécanisme est assez paradoxal ; en effet, le Tribunal fédéral doit appliquer d’office une disposition fédérale du niveau de la loi ou relevant d’une simple ordonnance, alors qu’il ne peut agir de la sorte pour les garanties les plus fondamentales, telles que concrétisées par les droits fondamentaux.

La LTF prévoit en outre, dans son chapitre sur la révision, un article particulier (art. 122 LTF) consacré à la révision d’un arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la CEDH. Cette révision peut être demandée si, dans un arrêt définitif, la CourEDH a constaté une violation de la CEDH ou de ses protocoles, si une indemnité n’est pas de nature à remédier aux effets de la violation et si la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Différentes expressions sont utilisées, tant par les tribunaux que par la doctrine, pour décrire l’idée de droits fondamentaux (droits fondamentaux, droits de l’homme, libertés, libertés publiques, libertés individuelles, droits constitutionnels). Elles sont parfois utilisées comme des synonymes[61].

Dans une affaire portant sur le thème du suicide assisté, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser la différence qu’il fait entre la protection des droits et la protection des libertés. Pour les juges fédéraux, un droit porte sur une prestation que l’on peut exiger de l’État alors qu’une liberté vise à respecter l’autonomie de la personne, c’est-à-dire un choix qui est garanti par l’État[62]. Ils ont relevé que, dans le cas d’espèce, la jurisprudence ne garantissait pas un droit de mourir, mais plutôt une liberté de mourir.

La doctrine établit également une distinction entre les droits fondamentaux et les libertés individuelles. Les premiers sont généralement définis comme étant des prétentions subjectives, qui visent à obtenir de l’État un comportement déterminé qu’une personne peut faire valoir devant un juge et qui apparaissent soit comme un élément constitutif de la démocratie ou de l’État régi par le droit, soit comme une exigence essentielle de l’existence humaine[63]. Quant aux libertés[64], la doctrine les considère comme une catégorie particulière de droits fondamentaux[65], qui garantissent à l’individu une sphère d’autonomie – de liberté précisément – dans laquelle l’État n’intervient en principe pas[66].

Il ressort de ce qui précède que la jurisprudence et la doctrine se rejoignent sur plusieurs points. D’une part, elles s’accordent à reconnaître que les notions de « droit  » et de « liberté  » sont parfois utilisées l’une pour l’autre ou même confondues. D’autre part, elles établissent des critères semblables pour distinguer ces deux notions : les libertés se caractérisent par leur dimension purement défensive vis-à-vis des ingérences étatiques ; les droits ont en revanche un caractère positif en qu’ils fondent une obligation de faire de la part de l’État.

La Constitution rassemble les droits fondamentaux au chapitre 1er du titre II[67]. Cette partie contient aussi bien des droits fondamentaux que des libertés. La caractéristique commune de ces droits (droits fondamentaux et libertés) est d’être justiciables, c’est-à-dire que leur violation peut être invoquée directement devant le juge lorsque leur garantie est suffisamment précise et claire, quant à leur contenu, pour pouvoir constituer le fondement d’une décision concrète[68].

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

La Suisse connaît un système de juridiction constitutionnelle diffus[69]. Le Tribunal fédéral n’est pas seul juge constitutionnel en Suisse. Tous les organes d’application du droit sont habilités à examiner si les droits et libertés des citoyens sont respectés.

Sous l’impulsion de la doctrine, le Tribunal fédéral a développé une jurisprudence novatrice en reconnaissant des droits constitutionnels non écrits destinés à protéger les droits et libertés des citoyens (cf. I. 6 ci-dessus).

Les juges fédéraux ont également fait preuve de créativité pour tempérer la rigidité du principe de l’immunité des lois fédérales consacré par l’art. 190 Cst. D’une part, ils ont eu recours au principe de l’interprétation conforme à la Constitution[70] ainsi qu’au principe de l’interprétation conforme au droit international[71]. D’autre part, ils ont développé la théorie selon laquelle la clause d’immunité des lois fédérales est un simple « Anwendungsgebot » et non un « Prüfungsverbot », ce qui leur permet d’examiner la constitutionnalité et la conventionnalité des lois fédérales (cf. II. 10 ci-dessous).

Par ailleurs, le Tribunal fédéral a développé une jurisprudence relativement originale pour résoudre les conflits entre les normes de droit interne et les normes de droit international directement applicables. Il a reconnu le principe de la primauté du droit international, tout en admettant certaines exceptions (cf. II. 12 ci-dessous).

Le contrôle de la constitutionnalité effectué par les juges fédéraux intervient a posteriori, après l’adoption de la norme contestée. Le contrôle a priori est inconnu au niveau fédéral. À noter toutefois que le Tribunal fédéral donne parfois son avis dans le cadre des travaux préparatoires fédéraux, lorsqu’il est consulté – au même titre que les partis politiques, les gouvernements cantonaux et les associations faîtières – par le Parlement, le Conseil fédéral et l’administration fédérale. L’art. 147 Cst. prescrit en effet l’organisation d’une procédure de consultation notamment pour les actes législatifs importants et les autres projets de grande portée. La prise de position du Tribunal fédéral n’a pas d’effet contraignant. Lorsqu’il prend position sur des projets de réforme, le Tribunal fédéral fait généralement preuve de réserve. Il renonce souvent à prendre position eu égard au principe de la séparation des pouvoirs. Il s’est tout de même prononcé quelques fois, notamment dans le cadre des travaux préparatoires de la Constitution fédérale de 1999[72] ou dans le cadre du projet de révision totale de l’organisation judiciaire fédérale ayant entraîné l’ajout de l’art. 29a dans la Constitution fédérale[73] ou encore dans le cadre de la proposition d’abrogation de l’art. 190 Cst.[74].

Dans la mesure où les tribunaux suisses n’ont pas la faculté de refuser d’appliquer une loi fédérale inconstitutionnelle, il revient à l’administration fédérale d’opérer un contrôle préventif de constitutionnalité des actes adoptés par l’Assemblée fédérale[75].

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Le Tribunal fédéral a notamment pour mission de garantir la protection des droits constitutionnels de rang fédéral, de ceux prévus par les constitutions cantonales et des droits fondamentaux consacrés dans les traités internationaux ratifiés par la Suisse. Il s’acquitte de sa tâche à travers l’exercice du contrôle de la constitutionnalité, respectivement de conventionnalité, des actes normatifs de rang cantonal – par voie aussi bien abstraite que concrète – et à travers sa pratique d’examen des actes normatifs de rang fédéral, à l’occasion de leurs décisions d’application.

L’étendue du contrôle exercé par les juges fédéraux est relativement large lorsque sont examinés des actes cantonaux. Peu importe à cet égard que le recours soit dirigé contre l’acte législatif lui-même indépendamment d’un cas concret (donnant lieu à un contrôle abstrait) ou contre une décision d’application de cet acte (donnant lieu à un contrôle concret ou incident).

Le contrôle est en revanche réduit à l’égard des actes de rang fédéral. D’une part, le contrôle juridictionnel abstrait des actes normatifs fédéraux est exclu et, d’autre part, leur contrôle concret est sévèrement limité par la Constitution fédérale. D’un côté, les actes de l’Assemblée fédérale (pouvoir législatif de la Confédération) et du Conseil fédéral (pouvoir exécutif de la Confédération) ne peuvent pas être portés devant le Tribunal fédéral sauf exceptions prévues par la loi (art. 189 al. 4 Cst.). D’un autre côté, le Tribunal fédéral est tenu d’appliquer les lois fédérales et le droit international (art. 190 Cst.). Ainsi, contrairement à ce qui prévaut dans la plupart des autres États, la Suisse ne connaît qu’un contrôle juridictionnel restreint à l’égard des actes législatifs fédéraux. Ces derniers bénéficient d’une sorte d’immunité en raison du principe de la séparation des pouvoirs. Les tribunaux et les autorités qui mettent en œuvre le droit ne peuvent pas refuser d’appliquer les lois fédérales. Cette limitation du contrôle des normes fédérales est l’une des principales caractéristiques du système constitutionnel helvétique. Celui- ci traduit la conception selon laquelle les lois fédérales édictées par le Parlement et, en cas de référendum, soumises au vote du peuple, jouissent d’une forte légitimité démocratique et doivent dès lors être respectées.

Sous l’impulsion de la doctrine majoritaire qui était favorable à l’extension de la juridiction constitutionnelle du Tribunal fédéral vis-à-vis des lois fédérales, les juges fédéraux ont cependant fait évoluer leur jurisprudence à l’intérieur du cadre posé par l’art. 190 Cst. :

    • dans un premier temps, les juges fédéraux ont considéré que le principe posé par l’art. 190 Cst. les obligeait à appliquer tout acte fédéral sans égard à sa constitutionnalité[76].
    • par la suite, le principe de l’interprétation conforme à la Constitution et le principe de l’interprétation conforme au droit international ont fait leur apparition dans la jurisprudence du Tribunal fédéral[77]. Ces principes partent de la prémisse que le législateur fédéral ne propose pas des solutions contraires à la Constitution et aux traités ratifiés par la Suisse. Cela signifie que le juge doit conférer à une disposition légale celle qui est en harmonie avec la Constitution et le doit international lorsque les méthodes ordinaires d’interprétation laissent subsister un doute sur son sens[78].
    • depuis 1991, le Tribunal fédéral estime que le principe de l’immunité des lois fédérales l’oblige à appliquer les actes législatifs adoptés par l’Assemblée fédérale (Anwendungsgebot), mais ne lui interdit pas d’examiner leur constitutionnalité (pas de Prüfungsverbot)[79]. La Cour suprême suisse peut donc examiner la conformité d’une loi fédérale à la Constitution et constater une éventuelle violation des droits constitutionnels des citoyens. Elle ne peut toutefois pas sanctionner cette constatation par une annulation ou par un refus d’application de la loi en question. Ainsi, lorsque les juges fédéraux constatent une violation de la Constitution fédérale, ils ne peuvent qu’inviter le législateur à modifier la disposition en cause (cf. I. 11 ci-dessus).

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Comme exposé plus haut (cf. I. 6), le Tribunal fédéral a construit une jurisprudence novatrice en reconnaissant des droits constitutionnels non écrits sous l’empire de la Constitution fédérale de 1874.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

D’après la conception moniste qui prévaut en Suisse, les dispositions de droit international public font partie intégrante du droit national dès leur entrée en vigueur en Suisse. Les particuliers peuvent les invoquer directement devant les tribunaux, dans la mesure où elles sont directement applicables (self-executing). Dans ce sens, la CEDH fait partie du droit national. Les droits fondamentaux qui y sont garantis ont un contenu constitutionnel. Le particulier peut donc invoquer directement la violation de la CEDH, au même titre qu’une violation de la Constitution fédérale. Il en va pour l’essentiel de même avec le Pacte ONU II.

Notre Constitution fédérale ne traite pas explicitement la question de la place du droit international dans la hiérarchie des normes, alors qu’elle règle clairement la relation entre le droit fédéral et le droit cantonal en consacrant la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal contraire[80]. La Constitution fédérale énonce simplement que la Confédération et les cantons doivent respecter le droit international[81]. Selon le Conseil fédéral, le devoir de respecter les traités internationaux que la Suisse a ratifiés – y compris bien entendu ceux relatifs aux droits de l’homme – s’adresse à tous les organes de l’État et « découle du principe qui  veut que les normes de droit international l’emportent par principe sur celles de droit interne »[82]. Il n’est cependant pas possible de déduire sans réserve de la Constitution fédérale une reconnaissance de la suprématie du droit international sur le droit interne. On ne peut pas davantage en tirer une règle générale destinée à résoudre les conflits entre le droit international et le droit interne[83]. Le Constituant de 1999 a préféré opter pour une solution de compromis pragmatique. Il reconnaît entre les lignes la primauté de principe du droit international tout en laissant la possibilité, pour la pratique, de reconnaître des exceptions à cette primauté.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en cas de conflit, les normes du droit international qui lient la Suisse priment en principe celles du droit interne qui lui sont contraires[84]. Il ne peut être dérogé au principe de la primauté du droit international que lorsque le législateur a délibérément voulu ignorer l’obligation internationale et assumer délibérément la responsabilité politique correspondante[85]. Une telle dérogation est exclue lorsque les obligations de la Suisse en matière de droits de l’homme sont en cause[86] ; le droit international public prime alors le droit interne également lorsque le législateur suisse veut s’en écarter. À cette première exception est venue s’ajouter une seconde. Le Tribunal fédéral a en effet décidé que la primauté du droit interne s’écartant volontairement du droit international doit être écartée dès lors qu’il s’agit du droit conventionnel régissant les rapports entre la Suisse et l’Union européenne[87].

On peut signaler ici que la reconnaissance du principe de la primauté du droit international tant par le Conseil fédéral que par le Tribunal fédéral a donné lieu au lancement d’une initiative populaire visant à établir la primauté de la Constitution sur le droit international, sous réserve des règles impératives du droit international[88]. Cette initiative a finalement été rejetée par le peuple et les cantons suisses lors des votations fédérales du 25 novembre 2018[89]. Ce résultat peut sans doute être interprété comme une validation de la primauté du droit international sur le droit interne en cas de conflit irréductible, question sur laquelle le Tribunal n’a pas encore pu expressément se prononcer.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions du Tribunal fédéral jouent un rôle important dans notre pays. En effet, selon le Conseil fédéral, le Tribunal fédéral a, en sa qualité de Cour suprême, des tâches particulières à accomplir, différentes de celles des autres tribunaux. Il doit notamment assumer la « sauvegarde d’une application uniforme du droit, le développement de la jurisprudence et la garantie des droits constitutionnels »[90].

En sa qualité de Cour suprême, le Tribunal fédéral a en quelque sorte le dernier mot sur les instances inférieures. Celles-ci s’efforcent en règle générale d’aligner leur propre jurisprudence sur celle de la Cour suprême, afin d’éviter des recours intentés avec succès contre leurs propres décisions.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Le Tribunal fédéral ne dispose pas de moyens propres pour assurer l’exécution de ses arrêts.

Aux termes de l’article 69 LTF, les arrêts qui imposent le paiement d’une somme d’argent ou la fourniture d’une sûreté pécuniaire sont exécutés conformément à la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP ; RS 281.1). Quant à l’exécution des jugements qui n’imposent pas le paiement d’une somme d’argent ou la fourniture d’une sûreté pécuniaire, elle relève de la compétence des cantons. Ceux-ci doivent alors exécuter les décisions de la Cour suprême de la même manière que les jugements passés en force de leurs propres tribunaux (art. 70 al. 1 LTF). Cela a pour conséquence que la partie qui entend obtenir l’exécution de l’arrêt fédéral doit s’adresser à l’autorité cantonale compétente.

En cas d’exécution défectueuse d’un arrêt du Tribunal fédéral par un canton, la partie intéressée peut déposer un recours devant le Conseil fédéral qui prendra alors les mesures nécessaires. (art. 70 al. 4 LTF et art. 182 al. 2 Cst.). La décision rendue sur recours par le Conseil fédéral est définitive. Elle ne peut pas être portée devant le Tribunal fédéral.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

Le pouvoir correcteur du Tribunal fédéral dépend de la nature de l’objet frappé d’inconstitutionnalité. On peut opérer les distinctions suivantes :

    • inconventionnalité de normes contenues dans des lois fédérales

Lorsque le Tribunal fédéral constate qu’une norme adoptée par le Parlement est contraire au droit international, il a deux options compte tenu de ce qui a été relevé plus haut (cf. II. 12) :

    • En principe, il refusera d’appliquer la norme fédérale contestée au nom du principe de la primauté du droit

Exceptionnellement, il appliquera ladite norme dans l’hypothèse où l’Assemblée fédérale avait pleinement conscience, en édictant la loi, que celle-ci comprenait une disposition contraire au droit international[91].

    • inconstitutionnalité de normes contenues dans des lois fédérales

Comme exposé ci-dessus (cf. II. 10), les juges fédéraux peuvent constater qu’une loi fédérale viole les droits constitutionnels des citoyens, mais ils n’ont pas le pouvoir de sanctionner cette constatation par une annulation ou par un refus d’application de la loi en question. Ainsi, lorsque les juges fédéraux constatent une inconstitutionnalité, ils ne peuvent qu’inviter le législateur à modifier la disposition en cause. Le Tribunal fédéral s’adresse alors à l’Assemblée fédérale dans les considérants d’un arrêt, puis dans la rubrique « indications à l’intention du législateur » qui figure dans son rapport annuel de gestion (cf. I. 11 ci-dessus). À noter que les juges fédéraux font preuve de retenue là où plusieurs possibilités s’ouvrent au législateur pour faire cesser une inconstitutionnalité[92]. Lors d’une éventuelle future révision de la loi, le législateur est libre de tenir compte des critiques du Tribunal fédéral et modifier une disposition litigieuse.

    • inconstitutionnalité de normes contenues dans des actes normatifs cantonaux ou communaux

On peut relever ici que les constitutions cantonales sont garanties par la Confédération qui en vérifie au préalable la constitutionnalité[93]. Selon la jurisprudence, une constitution cantonale à laquelle l’Assemblée fédérale a accordé sa garantie n’est pas soumise au contrôle du Tribunal fédéral, à moins qu’une incompatibilité avec le droit de force supérieure ne résulte d’une modification de ce droit survenue après l’octroi de la garantie[94]. Il résulte que le contrôle abstrait des constitutions cantonales est exclu. Quant au contrôle concret, il est limité au contrôle de la conformité au droit constitutionnel fédéral entré en vigueur après l’octroi de la garantie fédérale.

Lorsque le recours porte sur le contrôle abstrait d’actes normatifs cantonaux ou communaux, la décision d’inconstitutionnalité est de nature cassatoire. Le Tribunal fédéral admet le recours, constate l’inconstitutionnalité des dispositions concernées et annule ces dernières. Dans les cas où la suppression des passages inconstitutionnels dénature l’acte normatif dans son ensemble, le Tribunal fédéral a la possibilité d’annuler le texte intégral. En annulant l’acte attaqué ou certaines de ses dispositions, le Tribunal fédéral prive de validité les normes contestées et élimine ainsi en principe l’inconstitutionnalité constatée. Les juges fédéraux n’ont pas la faculté de modifier ou de remplacer la norme déclarée inconstitutionnelle[95].

Lorsque la constitutionnalité d’une norme cantonale ou communale est examinée dans le cadre d’un contrôle concret, le Tribunal fédéral ne censure que la décision individuelle – objet du recours – qui se fonde sur une disposition inconstitutionnelle ; cette dernière n’est pas annulée.

Une norme cantonale ou communale jugée inconstitutionnelle ne peut être modifiée ou abrogée formellement que par l’autorité législative qui l’a adoptée ; le processus législatif normal doit être entamé. Il est déjà arrivé qu’une loi annulée par le Tribunal fédéral ne soit pas annulée formellement par le législateur. L’annulation se traduit souvent simplement par le fait que la loi n’est plus appliquée par les autorités. Enfin, une disposition inconstitutionnelle qui continuerait d’être appliquée par les autorités ou qui ne serait pas modifiée ou remplacée malgré l’arrêt du Tribunal fédéral, pourrait de nouveau être attaquée avec succès lors d’un cas d’application concret de la norme[96].

Dans certains cas, le Tribunal fédéral peut renoncer à l’annulation de la norme cantonale ou communale inconstitutionnelle, respectivement à l’annulation de la décision qui se fonde sur une norme inconstitutionnelle. C’est par exemple le cas lorsque l’abandon de la norme inconstitutionnelle entraînerait un véritable vide juridique que le juge ne peut pas combler dans le cadre de ses compétences et qu’il est justifié, vu le principe de la séparation des pouvoirs, de laisser au législateur le soin d’élaborer une norme satisfaisante. Dans ces cas, le Tribunal fédéral prend alors une décision incitative. Cette décision comporte un appel plus ou moins précis et directif à l’égard du législateur afin qu’il élabore une réglementation conforme à la Constitution. Elle n’implique pas d’obligations formelles pour le législateur et ne figure pas dans le dispositif de l’arrêt. Ainsi, par exemple, dans un arrêt de 2004[97], le Tribunal fédéral a constaté l’inconstitutionnalité des dispositions de la loi cantonale sur l’élection du parlement, mais il a finalement rejeté le recours sans annuler les dispositions litigieuses. En effet, il a reconnu que le canton n’était pas en mesure de modifier sa législation jusqu’à la nouvelle élection du parlement qui avait lieu seulement quatre mois après l’arrêt. De plus, en raison des nouvelles dispositions de la Constitution cantonale, l’annulation des dispositions inconstitutionnelles ne permettait pas de revenir sur l’ancien système électoral. Dès lors qu’une situation conforme à la Constitution ne pouvait pas être rétablie par la simple annulation des dispositions litigieuses, le Tribunal a considéré que l’élection à venir devait avoir lieu sur la base de la loi (inconstitutionnelle) en vigueur. En même temps, dans ses considérants, il a invité les autorités cantonales compétentes à élaborer un système électoral conforme à la Constitution pour le renouvellement du parlement à l’issue de la prochaine législature.

    • inconstitutionnalité d’une décision particulière

Lorsque seule la décision particulière attaquée est frappée d’inconstitutionnalité, elle est annulée par le Tribunal fédéral. Celui-ci peut réformer la décision et statuer sur le fond, par exemple, en ordonnant la libération immédiate d’un détenu ou en admettant une demande de récusation concernant un juge cantonal. Le Tribunal fédéral peut rendre une décision complètement différente de celle de l’autorité précédente. Les juges fédéraux peuvent également renvoyer l’affaire, en principe à l’autorité précédente – mais ils peuvent également la renvoyer à l’autorité de première instance – pour qu’elle prenne une nouvelle décision. L’autorité à laquelle la cause est renvoyée doit se fonder sur les considérants de droit contenus dans l’arrêt de renvoi.

À toutes fins utiles, il peut enfin être signalé que, contrairement à d’autres juridictions, le Tribunal fédéral ne peut pas ordonner le paiement de dommages-intérêts lorsqu’il constate une violation de droits constitutionnels. Le justiciable a en revanche la possibilité d’agir en responsabilité dans le cadre d’une procédure distincte.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non, le Tribunal fédéral a une approche universaliste des droits fondamentaux. Il se réfère, autant que faire se peut, à la jurisprudence des organes internationaux de contrôle des droits de l’homme. L’art. 190 Cst. dispose que « le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international ». Cette règle oblige notamment le Tribunal fédéral à appliquer l’ensemble du droit international applicable à notre pays, à savoir tous les traités internationaux ratifiés par la Suisse, y compris bien entendu ceux relatifs aux droits de l’homme. Les juges fédéraux ne s’écartent en principe des droits consacrés dans les traités et des standards définis par leurs organes de contrôle qu’en présence de réserves ou de déclarations interprétatives. En effet, ils sont alors tenus de tenir compte de la volonté politique de ne pas mettre en œuvre au niveau interne certains droits internationaux des droits de l’homme. Il peut s’avérer intéressant de relever ici que l’adhésion de notre pays à la CEDH a été assortie de réserves et déclarations interprétatives destinées à limiter ponctuellement le champ d’application de certaines garanties consacrées par les art. 5 et 6 CEDH[98]. Au fil du temps, la Suisse a modifié son droit interne pour le rendre conforme aux exigences de la CEDH et a finalement pu retirer toutes ses réserves initiales262[99].

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

La volonté des juges fédéraux de tenir compte du contexte sociétal a notamment été perceptible au moment de la création de droits constitutionnels non écrits par voie prétorienne (cf. I. 6 ci-dessus).

On devine également l’attachement de notre Cour suprême aux valeurs sociétales quand elle retient qu’un revirement de jurisprudence peut s’avérer justifié en cas d’évolution des circonstances ou de modification des conceptions[100].

En jugeant anticonstitutionnel le suffrage exclusivement masculin pratiqué dans le demi-canton d’Appenzell Rhodes- Intérieures[101], le Tribunal fédéral a également montré sa sensibilité aux enjeux sociétaux. Notre pays étant un État fédéral, les citoyens y exercent leurs droits politiques sur trois niveaux. Au niveau fédéral, ces droits sont réglés par la Confédération. Aux niveaux cantonal et communal, ils sont réglés par les cantons[102]. Sur le plan fédéral, les femmes ont le droit de vote depuis 1971. Mais, au début des années 1990, les femmes d’Appenzell Rhodes-Intérieures ne faisaient toujours pas partie du corps électoral cantonal ni communal. Le Tribunal fédéral, appelé à juger de la constitutionnalité de cette exclusion, a estimé que la marge d’appréciation laissée aux cantons en matière de droit de vote ne justifiait pas un tel traitement discriminatoire et a contraint, par interprétation conforme de sa Constitution, le canton récalcitrant à accorder le droit de vote aux femmes. Dans cette affaire, il a été clairement indiqué que le juge doit s’efforcer d’interpréter une disposition dans un sens qui correspond le mieux aux circonstances et aux conceptions du moment. Il peut donc être amené à abandonner une interprétation traditionnelle, qui se justifiait au moment de l’adoption de la loi, mais qui n’est plus soutenable en raison de la modification des circonstances ou des conceptions.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Le droit à la culture n’est pas inscrit en tant que tel dans notre Constitution fondamentale. Il existe en revanche un droit constitutionnel de la culture constitué de plusieurs composantes. L’art. 2 al. 2 Cst. dispose que la Confédération favorise entre autres la diversité culturelle du pays. L’art. 18 Cst. proclame la liberté de la langue. L’art. 19 Cst. instaure le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit. L’art. 20 Cst. garantit la liberté de la science. L’art. 21 Cst. consacre la liberté de l’art. L’art. 41 al. 1 lettre f Cst. fixe comme objectif de fournir aux enfants, aux jeunes, ainsi qu’aux personnes en âge de travailler la possibilité de bénéficier d’une formation initiale et d’une formation continue correspondant à leurs aptitudes. L’art. 41 al. 1 lettre g Cst. mentionne notamment comme but social de l’État de soutenir les enfants et les jeunes dans leur intégration culturelle. Par ailleurs, l’encouragement fédéral de la culture est consacré à l’art. 69 Cst. Selon cette disposition, la culture est du ressort des cantons alors que la Confédération a une compétence subsidiaire de promotions des activités culturelles présentant un intérêt national. Le secteur du cinéma fait figure d’exception vu que la Confédération dispose dans ce domaine d’une compétence primaire (art. 71 Cst.).

Au vu de ce qui précède, on peut affirmer que la culture occupe une place importante dans notre ordre juridique. Cela ne signifie toutefois pas que chacune des dispositions énumérées ci-dessus fonde des droits subjectifs justiciables devant les tribunaux. Certains articles ont un caractère programmatique et visent seulement à conduire l’action des pouvoirs publics.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Le Préambule de la Constitution fédérale suisse commence par une invocation divine (« au nom de Dieu Tout-Puissant »), mais aucun droit fondamental ne peut être déduit de ce texte introductif. Aux termes de l’art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de ses convictions religieuses. Par ailleurs, l’art. 15 Cst. garantit à tous les habitants de Suisse, pour toutes les confessions religieuses, la liberté de conscience et de croyance. La croyance, la pratique d’une religion, sa transmission à des tiers ainsi que la liberté d’adhérer à tout moment à une communauté religieuse, ou de la quitter, sont garanties, sous réserve des conditions de restriction prévues pour tout droit fondamental. La réglementation des rapports avec les communautés religieuses est du ressort des cantons selon l’art. 72 al. 1 Cst. Cette dernière disposition ne contraint pas les cantons à observer une totale neutralité religieuse. Lorsqu’ils réglementent les relations entre les églises et l’État, les cantons peuvent décider d’octroyer un statut de droit public à certaines communautés religieuses et pas à d’autres[103]. Enfin, l’interdiction de la construction de minarets a été inscrite à l’art. 72 al. 3 Cst. suite à l’approbation populaire d’une initiative fédérale le 29 novembre 2009.

Le Tribunal fédéral a rendu de nombreux jugements en matière religieuse. Il a notamment eu l’occasion de se pencher à plusieurs reprises sur la question de l’intégration des enfants musulmans à l’école publique. Concernant par exemple les cours mixtes de natation dispensés aux élèves musulmans, le Tribunal fédéral a été saisi pour la première fois en 1993 d’un recours contre le refus d’une demande de dispense d’un père pour sa fille. Les juges fédéraux avaient octroyé dite dispense pour des motifs d’ordre religieux[104]. Depuis 2008, le Tribunal fédéral a revu sa jurisprudence, considérant que les autorités scolaires pouvaient refuser une telle dispense, car l’obligation de respecter des préceptes religieux ne représentait pas en soi un motif justificatif suffisant. Le Tribunal fédéral a précisé que sa jurisprudence avait pour vocation d’aider les écoles à remplir leur mission d’intégration. Pour lui, la réalité scolaire multiculturelle exige des efforts d’adaptation et d’intégration accrus. Selon les juges fédéraux, ce n’est qu’en s’adaptant au mode de vie suisse que les enfants de cultures différentes pourront participer ultérieurement à la vie économique, sociale et culturelle. Ainsi, la paix sociale et l’égalité des chances se verront garanties[105]. S’agissant par exemple du port du foulard par une écolière de confession musulmane, le Tribunal fédéral a considéré que le devoir de neutralité des autorités ne permet pas de fonder une interdiction générale des couvre-chefs pour les écoliers. Aux yeux des juges fédéraux, le port d’un signe religieux est en principe compatible avec l’obligation des élèves d’entretenir entre eux des relations respectueuses. Une interdiction du port du foulard n’est pas nécessaire pour garantir la liberté de croyance des écoliers les uns envers les autres, du moment qu’il n’y a aucun indice qui laisse penser que l’écolière en question ferait du prosélytisme. Le port d’un signe religieux ne dispense pas l’écolière de la fréquentation de certaines branches d’enseignement ou de la participation aux excursions scolaires. Du point de vue de l’intégration et de l’égalité des chances, il est en effet important de s’assurer qu’une jeune fille très croyante de confession musulmane puisse fréquenter l’école. Une interdiction du port du foulard pourrait se justifier uniquement s’il était concrètement porté atteinte aux intérêts publics, aux droits des enfants ou des tiers.

On peut encore mentionner trois arrêts du Tribunal fédéral dans lesquels il est question de symboles religieux ainsi que de neutralité confessionnelle de l’État et de ses agents :

    • En 1990, les juges fédéraux ont retenu que la décision de faire placer un crucifix dans les salles d’école était contraire au principe de la neutralité confessionnelle de l’école. Aux yeux des juges suprêmes suisses, il est concevable que celui qui fréquente l’école publique voie dans la présence d’un tel symbole la volonté de se référer à des conceptions de la religion chrétienne en matière d’enseignement ou de placer l’enseignement sous l’influence d’une telle religion ; il n’est pas non plus exclu que quelques personnes se sentent lésées dans leurs convictions religieuses par la présence constante, dans les salles de classe, du symbole d’une religion à laquelle ils n’appartiennent pas. Cela peut avoir des conséquences non négligeables spécialement sur l’évolution spirituelle des élèves et sur leurs convictions religieuses[106].
    • Dans une affaire datant de 1997, le Tribunal fédéral a admis le licenciement d’une enseignante d’une école primaire du canton de Genève qui avait refusé de renoncer au port du voile islamique dans le cadre de son activité d’enseignement. L’accent a été mis sur le rapport qu’entretenaient les jeunes élèves avec leur enseignante, qui détenait une part de l’autorité scolaire et personnifiait l’école. Après avoir relevé que les enfants de niveau primaire sont particulièrement influençables et que les enseignants jouent un rôle important dans leur vie[107], les juges fédéraux sont parvenus à la conclusion que l’interdiction de porter un foulard islamique à l’école correspondait à un intérêt public important (neutralité et paix confessionnelles à l’école notamment) et respectait le principe de la proportionnalité.
    • En 2019, le Tribunal fédéral a reconnu la validité d’un règlement bâlois qui interdisait aux magistrats et autres membres du pouvoir judiciaire le port de symboles religieux visibles dans leurs contacts avec le Les juges fédéraux ont retenu que la réglementation contestée ne portait pas gravement atteinte à la liberté de religion des personnes concernées dès lors que l’interdiction était limitée dans le temps et ne s’appliquait que dans des situations bien définies. Ils ont par ailleurs noté que seuls les symboles religieux visibles étaient prohibés et qu’il existait un intérêt public à ce que les parties à une procédure judiciaire n’aient pas le sentiment d’être confrontées à un parti pris confessionnel. À cet égard, le Tribunal fédéral a indiqué que l’exigence d’impartialité des juges, consacrée par l’art. 30 al. 1 Cst., devait également être garantie sur le plan idéologique et religieux[108].

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

L’aspiration à la paix et à la cohésion sociale apparaît en filigrane dans la jurisprudence du Tribunal fédéral chaque fois qu’il met en œuvre des dispositions constitutionnelles qui mentionnent explicitement ou implicitement ces deux notions. À noter que le terme de paix apparaît à quatre reprises dans notre Constitution fédérale : dans le Préambule[109], à l’art. 28 al. 3 Cst.[110], à l’art. 58 al. 2 Cst.[111] et l’art. 72 al. 2 Cst.[112]. Quant au terme de cohésion, il figure à l’art. 2 al. 2 Cst. Parmi les articles qui font allusion à la paix ou à la cohésion sociale de manière implicite, on peut notamment citer l’art. 2 Cst. qui définit la mission de la Confédération, l’art. 36 al. 1 Cst. qui consacre la clause générale de police ou encore l’art. 44 al. 2 Cst. qui instaure le principe de la paix confédérale.

Ainsi, d’une certaine manière, le Tribunal fédéral tient compte de la recherche de la paix et de la cohésion sociale chaque fois qu’il applique l’une ou l’autre des dispositions constitutionnelles se référant à la paix, au vivre ensemble, à la sécurité intérieure, à l’ordre public ou à d’autres concepts similaires.

La recherche de la paix sociale se dessine par ailleurs dans les arrêts où notre Haute Cour examine les conditions nécessaires à la restriction d’un droit fondamental. Les principes ancrés à l’art. 36 Cst. (légalité, intérêt public et proportionnalité) ont pour objectif premier de protéger le citoyen de l’arbitraire, mais ils contribuent aussi au maintien de l’ordre et de la paix interne du pays. Ainsi, lorsque le Tribunal fédéral vérifie si les conditions de restriction 2C d’un droit constitutionnel sont respectées et plus particulièrement lorsqu’il tient compte des menaces à l’ordre public dans son examen du cas, il est en quête d’une forme de paix et de cohésion sociale.

La volonté de maintenir la cohésion sociale ressort aussi nettement des affaires dans lesquelles il est question d’intégration et d’égalité des chances des personnes appartenant à d’autres États, d’autres cultures ou d’autres religions. Le Tribunal fédéral a été plusieurs fois amené à traiter la question de l’intégration des enfants musulmans à l’école publique (pour plus de détails sur la jurisprudence en la matière, cf. III. 4 ci-dessus).

On peut enfin signaler un arrêt dans lequel il est question du principe de la paix confédérale. Celui-ci implique que la Confédération et les cantons exercent leurs compétences avec bienveillance et s’abstiennent de toute démarche qui serait de nature à troubler leurs rapports. Ainsi, en 1990, le Tribunal fédéral a déclaré nulle une initiative du peuple jurassien en faveur de l’unité de l’ancien Jura bernois[113]. Il a estimé que les moyens choisis par les initiants, qui imposent aux autorités cantonales d’agir de manière unilatérale et permanente en vue du rattachement au canton du Jura des districts de Moutier, de Courtelary et de La Neuveville, étaient de nature à troubler la paix confédérale.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui (cf. III.1 ci-dessus).

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Le Tribunal fédéral ne rattache sa pratique des droits de l’homme à aucun courant particulier. Dans la mesure où les arrêts des juges fédéraux sont alignés sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, on peut tout de même affirmer que leur pratique s’inscrit dans la culture européenne des droits de l’homme.

Il ressort des travaux préparatoires ayant abouti à l’adoption de la Constitution fédérale actuelle que celle-ci a été ouverte à de nouveaux courants dans la perspective des défis à venir et qu’elle a été enrichie de nouveaux enseignements issus de la doctrine et de la pratique[114]. On peut distinguer quatre sources différentes ayant contribué à la genèse du catalogue fédéral des droits fondamentaux. Les droits fondamentaux figurant dans Constitution fédérale de 1874 constituent la première source de référence[115]. La jurisprudence du Tribunal fédéral reconnaissant des droits fondamentaux non écrits a également été déterminante pour le Constituant. Celui-ci a en effet pris le soin de codifier les droits constitutionnels dégagés par voie prétorienne (cf. I. 6 ci-dessus). Les droits fondamentaux garantis dans les constitutions cantonales ont également été pris en compte dans le cadre des travaux préparatoires de la Constitution fédérale de 1999[116]. Les catalogues internationaux des droits de l’homme sont la quatrième et dernière source d’influence pour le Constituant de 1999. Celui-ci a en effet systématiquement tenu compte des droits fondamentaux contenus dans la CEDH tels que concrétisés par la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) ainsi que dans les Pactes ONU I et II (cf. II. 1 ci-dessus)[117]. Il en résulte que ces quatre sources peuvent exercer une influence sur l’interprétation que le Tribunal fédéral donne aux différents droits fondamentaux.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Il nous est malheureusement difficile de répondre à cette question, car le Tribunal fédéral ne tient pas ce genre de statistiques.

Signalons néanmoins que notre Cour suprême a consacré plusieurs droits qu’elle a déduits du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), soit par exemple :

    • le droit d’obtenir une décision motivée, afin que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient[118]
    • le droit d’offrir des preuves pertinentes, le droit d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes et de participer à l’administration des preuves essentielles lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre[119]
    • le droit de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre[120]
    • le droit pour l’intéressé de prendre connaissance du dossier[121]

On peut encore rappeler ici que les juges fédéraux ont consacré divers droits constitutionnels non écrits sous l’empire de la Constitution fédérale de 1874 (cf. I. 6 ci-dessus).

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Notre Haute Cour tient compte des circonstances temporelles, car le contenu concret des droits fondamentaux est déterminé selon un processus évolutif[122]. Le Tribunal fédéral doit en effet poursuivre sa mission de sauvegarde de la démocratie en développant les droits fondamentaux lorsque les circonstances le justifient. Il n’est dès lors pas exclu que le Tribunal fédéral reconnaisse à l’avenir de nouveaux droits non écrits directement invocables devant lui. Par ailleurs, on peut rappeler que l’écoulement du temps peut donner lieu à un revirement de la jurisprudence pour répondre à l’évolution des conceptions juridiques[123].

Les tribunaux suisses tiennent également compte des circonstances de lieu lorsqu’ils estiment que cela est justifié au regard de l’affaire en cause. Il y a lieu de relever à cet égard que le Tribunal fédéral s’impose une certaine retenue lorsqu’il s’agit de tenir compte de circonstances locales[124]. Il estime en effet que les autorités cantonales ont une meilleure connaissance que lui sur ces questions.

La prise en compte de circonstances temporelles et locales intervient notamment lorsqu’il y a lieu d’apprécier si une restriction aux droits fondamentaux respecte l’exigence de proportionnalité de l’art. 36 Cst. Le principe de la proportionnalité exige que les mesures mises en œuvre soient propres à atteindre le but visé (règle de l’aptitude) et que celui-ci ne puisse être atteint par une mesure moins contraignante (règle de la nécessité) ; il doit en outre y avoir un rapport raisonnable entre ce but et les intérêts compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts). À titre d’exemple, on peut citer un arrêt de 2001 dans lequel ont été pris en compte tant des éléments temporels (manifestation prévue durant le Forum de Davos) que géographiques (configuration de la station de Davos). Dans cette affaire, les juges fédéraux ont été saisis d’un recours contre le refus d’une autorisation de manifester à l’occasion du Forum économique mondial qui se tenait à Davos[125]. Les organisateurs avaient prévu de manifester le samedi 27 janvier 2001 en s’en tenant à un horaire et à un parcours très précis. Le refus des autorités grisonnes était motivé par la crainte d’un blocage complet de la circulation ce jour-là en raison de la configuration des lieux et de la situation particulière de Davos le samedi pendant la saison d’hiver et la durée du Forum. La décision se référait également à la nécessité de protéger efficacement les participants du Forum économique mondial ainsi qu’au risque d’actes de violence, tels que survenus lors des manifestations contre l’OMC dans le monde entier. Le Tribunal fédéral a considéré que le refus des autorités satisfaisait aux exigences de l’art. 36 Cst. Il a par ailleurs souligné que les autorités grisonnes avaient seulement empêché un rassemblement aux jour, heure et lieu voulus, sans prononcer aucune interdiction absolue de manifester. On peut encore citer un arrêt de 1982 dans lequel le Tribunal fédéral a déclaré inconstitutionnelle la disposition d’une loi cantonale qui interdisait – de manière générale et indépendante des circonstances locales – toute procession ou manifestation religieuse sur la voie publique[126].

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Lorsque le Tribunal fédéral passe les atteintes aux droits fondamentaux au crible du principe de proportionnalité, il prend en considération tous les facteurs qu’il estime pertinents. Ils sont variables et dépendent de la nature de l’affaire jugée. Par exemple, dans les affaires d’expulsion du territoire suisse, le Tribunal fédéral a notamment été amené à prendre en compte l’état de santé de la personne menacée d’expulsion, la durée de son séjour en Suisse, ses connaissances linguistiques, son âge au moment du renvoi, la solidité des liens tissés dans le pays hôte ainsi que dans le pays de destination[127].

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Comme évoqué plus haut (cf. I. 6 ci-dessus), il est arrivé qu’une crise économique ait un impact sur l’interprétation des droits fondamentaux en Suisse. Ainsi, la crise économique des années 1930 est en grande partie à l’origine de la création par le Tribunal fédéral des premiers droits constitutionnels non écrits. En ce qui concerne le droit constitutionnel non écrit à des conditions minimales d’existence, sa consécration en 1995 découlerait de « l’aggravation spectaculaire de la crise économique »[128].

Des situations de crise et de menace pour l’ordre public ont également amené le Tribunal fédéral à consacrer le principe constitutionnel non écrit de la clause générale de police, puis à en préciser les contours[129]. Une autorité suisse peut se prévaloir de ce principe pour restreindre sans base légale un droit fondamental. Inscrite actuellement à l’art. 36 al. 1 Cst., la clause générale de police autorise le pouvoir exécutif ou législatif, dans des situations exceptionnelles et urgentes, à prendre des mesures indispensables pour protéger les biens de police, en particulier l’ordre public, d’un « danger sérieux, direct et imminent ». Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la clause générale de police est conçue pour faire face à des situations d’urgence graves dans lesquelles il n’existe pas d’autres moyens juridiques de remédier à un danger concret et imminent. Les autorités compétentes n’ont en revanche pas le droit d’y avoir recours dans des cas prévisibles et répétitifs[130].

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

À titre préalable, il peut être intéressant de rappeler ici que le Tribunal fédéral n’est pas compétent pour procéder à un contrôle abstrait des ordonnances adoptées par le Conseil fédéral[131] ou des lois adoptées par l’Assemblée fédérale pour faire face à la pandémie de Covid-19[132].

La perception que le Tribunal fédéral a des droits de l’homme n’a pas changé suite à l’adoption des actes législatifs instaurant des mesures pour lutter contre la pandémie. Les juges fédéraux ont continué à appliquer les conditions générales de restrictions des droits fondamentaux posées à l’art. 36 Cst. Ils ont en revanche dû se pencher sur des cas de figure jusqu’alors inédits.

Ainsi, comme exposé ci-dessus (cf. I. 9), la question de la validité de l’annulation et du renvoi d’élections communales suite à la pandémie de coronavirus (Covid-19) a dû par exemple être examinée par notre Cour suprême[133]. Au regard de la situation sanitaire existante au moment des faits, les juges fédéraux ont estimé que le report des élections d’un an respectait le principe de proportionnalité et la garantie des droits politiques.

Notre Cour suprême a notamment été saisie de plusieurs recours déposés par des étrangers placés en détention administrative qui ont fait valoir que la situation sanitaire mondiale rendait impossible leur renvoi et justifiait dès lors leur mise en liberté. Pour le Tribunal fédéral, il y a lieu d’évaluer la possibilité d’exécuter la décision de renvoi en fonction des circonstances de chaque cas d’espèce. Le facteur décisif est de savoir si l’exécution de la mesure d’éloignement semble possible dans un délai prévisible respectivement raisonnable avec une probabilité suffisante[134]. La détention viole le principe de proportionnalité, lorsqu’il y a de bonnes raisons de penser que tel ne pourra pas être le cas. Si, au moment où l’autorité ou le juge statue, l’exécution forcée du renvoi vers le pays concerné est exclue, elle ne peut être qualifiée de possible dans un délai prévisible et donc de réalisable que si l’autorité ou le juge dispose d’indications suffisamment concrètes permettant de retenir qu’il existe au moins une chance sérieuse d’y procéder, même si elle s’avère mince[135]. Ces indications sont en particulier fournies par le Secrétariat d’État aux migrations[136]. À défaut, force est d’admettre qu’il n’y a pas de perspective sérieuse d’exécution de la décision de renvoi et le détenu doit être libéré. La vague possibilité que l’obstacle au renvoi puisse être levé dans un avenir prévisible ne suffit pas à justifier le maintien en détention[137].

Dans un arrêt du 26 mai 2021 (destiné à la publication, 6B_1295/2020), le TF a retenu que le fait de prononcer un huis clos partiel en raison de la pandémie de coronavirus tout en permettant à une vingtaine de journalistes d’assister aux débats d’appel ne violait pas le principe de la publicité de la justice.

Les juges fédéraux ont également été saisis par une partie qui s’était vu imposer contre sa volonté durant la crise sanitaire la tenue d’une vidéoconférence, pour l’audience de débats principaux dans le cadre d’une procédure civile. Constatant que le Code de procédure civile ne contenait pas de base légale permettant de tenir des débats principaux par visioconférence sans l’accord de toutes les parties, le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que, malgré la pandémie de Covid-19, un tribunal civil ne pouvait pas faire acte de législateur et imposer aux parties la tenue d’une audience par vidéoconférence[138].

Dans trois arrêts distincts rendus durant l’été 2021, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la compétence des cantons à édicter des mesures pour lutter contre le coronavirus[139]. Il a été saisi de recours contre les ordonnances cantonales arrêtées en 2020 pour limiter les manifestations dans le canton de Schwyz et obliger le port du masque dans les commerces du canton de Fribourg. Le Tribunal fédéral a en premier lieu examiné si les cantons disposaient d’une base légale suffisante pour édicter les ordonnances. Par la suite, il a traité du point de savoir si l’interdiction des manifestations de plus de 10, respectivement 30 personnes contenue dans l’ordonnance schwyzoise et l’obligation de porter un masque pour les personnes de plus de 12 ans dans les commerces et supermarchés du canton de Fribourg respectaient le principe de proportionnalité. Il est parvenu à la conclusion que les ordonnances cantonales n’étaient pas critiquables.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

La crise sanitaire a donné lieu à une intervention du Conseil fédéral dans le domaine judiciaire. Notre Gouvernement a en effet décidé de suspendre certains délais du 20 mars au 20 avril 2020[140]. Pour le reste, le Conseil fédéral n’a pas empiété sur le fonctionnement de la justice, dans la mesure où les tribunaux jouissent d’une marge de manœuvre importante pour faire face aux difficultés liées à la pandémie.

Le Tribunal fédéral n’a jamais cessé de fonctionner durant la crise sanitaire. Du 19 mars au 11 mai 2020, le Tribunal fédéral a cependant décidé de réduire son activité et de se concentrer sur les tâches prioritaires avec un effectif sur place réduit[141]. La protection juridique des droits fondamentaux a été garantie sans restriction, avec une priorité pour les affaires les plus urgentes, en particulier celles en lien avec les détentions, la protection de l’adulte et de l’enfant ainsi que les mesures provisionnelles. Les autres procédures ont été menées dans le cadre du fonctionnement limité du tribunal et du travail effectué à domicile. À partir du 11 mai 2020, le Tribunal fédéral a rétabli progressivement son fonctionnement ordinaire[142]. Le travail à domicile a toutefois continué à être recommandé. Durant la deuxième vague, le Tribunal fédéral a continué à fonctionner de manière ordinaire tout en veillant à ce que son dispositif de mesures soit continuellement adapté aux règles édictées par le Conseil fédéral ainsi qu’aux recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP).

Dans son rapport de gestion relatif à l’année 2020, la Cour suprême a également relevé que le nombre des affaires liquidées a été le quatrième plus élevé de tous les temps. Tout en reconnaissant que l’institution n’était pas véritablement préparée à la pandémie de Covid-19 et au télétravail qu’elle a entraîné, le rapport relève que, au vu des circonstances, le quotient de liquidation atteint était remarquable et que les cours avaient utilisé de façon optimale les possibilités d’organisation pour accomplir efficacement leurs tâches[143].

Aucune audience n’a été tenue par vidéoconférence au sein du Tribunal fédéral. À cet égard, la Commission administrative a, par décision du 19 novembre 2020[144], après avoir consulté la Conférence des présidents, constaté en lien avec la situation de pandémie de Covid-19 que le droit en vigueur ne permettait pas de dispenser un membre du Tribunal de siéger en présentiel lors d’une séance publique au sens de l’art. 59 LTF et d’être connecté par vidéoconférence.

À noter que le nombre de délibérations publiques selon l’art. 58 al. 1 LTF a diminué en 2020 par rapport à l’année précédente (19 cas en 2020 contre 46 en 2019)[145]. Cela s’explique par le fait qu’au début de la pandémie, la Commission administrative a décidé de recommander aux présidences de cours de reporter les délibérations publiques. Les délibérations maintenues ont eu lieu en présentiel. Les parties, leurs représentants ainsi que les médias accrédités y ont assisté dans le strict respect des règles d’hygiène et de comportement fixées par l’OFSP. La présence du public a dans un premier temps été interdite[146]. Aujourd’hui, les délibérations sont à nouveau accessibles au public.

En résumé, les techniques et modes de protection des droits fondamentaux n’ont pas connu de changement majeur durant la crise sanitaire, même si les affaires de droit constitutionnel ont été traitées pendant quelques semaines dans le cadre du fonctionnement limité du tribunal et que le public n’a toujours eu accès aux délibérations des Cours.

 


  • [1]
    Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101) ; la Constitution fédérale et les textes législatifs fédéraux cités dans la présente contribution sont disponibles sur le site Fedlex https ://www.fedlex.admin.ch/fr/cc/internal-law/1  [Retour au contenu]
  • [2]
    Les constitutions cantonales sont également disponibles dans leur intégralité sur le site Fedlex https ://fedlex.admin.ch/fr/cc/ internal-law/13  [Retour au contenu]
  • [3]
    RS 173.110  [Retour au contenu]
  • [4]
    Aubert/Mahon, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, 2003, ad 189 Cst., p. 1441 n° 5  [Retour au contenu]
  • [5]
    Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale du 4 novembre 1950 ; RS 101  [Retour au contenu]
  • [6]
    Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale du 4 novembre 1950 ; RS 101  [Retour au contenu]
  • [7]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3e éd., 2013, p. 640 n° 1894  [Retour au contenu]
  • [8]
    Auer/Malinverni /Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3e éd., 2013, p. 641 n° 1895  [Retour au contenu]
  • [9]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3e éd., 2013, p. 641 n° 1897  [Retour au contenu]
  • [10]
    Thierry Tanquerel, « Les fondements démocratiques de la Constitution », in Verfassungsrecht der Schweiz/Droit constitutionnel suisse, 2001 p. 314 n° 42  [Retour au contenu]
  • [11]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 514  [Retour au contenu]
  • [12]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 193  [Retour au contenu]
  • [13]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 514  [Retour au contenu]
  • [14]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, volume II, 3e éd., 2013, p. 33 s. n° 74 et n° 75  [Retour au contenu]
  • [15]
    Arrêt Keller du 11 mai 1960, in ZBl [Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Gemeindeverwaltung], 62/1961 p. 69 ss, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [16]
    ATF 87 I 114, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [17]
    ATF 89 I 92, consid. 3  [Retour au contenu]
  • [18]
    ATF 91 I 480, consid. II/1  [Retour au contenu]
  • [19]
    ATF 96 I 219, consid. 4  [Retour au contenu]
  • [20]
    ATF 121 I 367, 2  [Retour au contenu]
  • [21]
    rrêté du Conseil fédéral constatant le résultat de la votation populaire du 18 avril 1999, FF 1999 V 5306  [Retour au contenu]
  • [22]
    Art. 34 Cst.  [Retour au contenu]
  • [23]
    René Rhinow, Zum Schutz von Freiheit, Demokratie und Föderalismus, Ein Plädoyer für einen massvollen Ausbau der Verfassungsgerichtsbarkeit, in Jusletter du 14 mars 2011 n° 15  [Retour au contenu]
  • [24]
    ATF 123 I 63, consid. 4b  [Retour au contenu]
  • [25]
    René Rhinow, Zum Schutz von Freiheit, Demokratie und Föderalismus, Ein Plädoyer für einen massvollen Ausbau der Verfassungsgerichtsbarkeit, in Jusletter du 14 mars 2011 n° 15  [Retour au contenu]
  • [26]
    Arrêt 1C_169/2020 du 22 décembre 2020, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [27]
    Ordonnance 2 du Conseil fédéral du 13 mars 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19), publiée au RO 2020 773, abrogée le 22 juin 2020e  [Retour au contenu]
  • [28]
    Loi sur les épidémies ; RS 818.101  [Retour au contenu]
  • [29]
    J.-F. Aubert, Observations sur les rapports entre le droit et la politique, in Geisteswissenschaftliche Dimensionen der Politik, 2000, p. 309, n° 18  [Retour au contenu]
  • [30]
    Y. Grandjean, Le rôle du juge dans le cycle des politiques publiques, 2012, p. 103  [Retour au contenu]
  • [31]
    ATF 137 I 128, consid. 4.3.2 ; ATF 136 II 136, consid. 2.7  [Retour au contenu]
  • [32]
    Le rapport de gestion 2009 cite par exemple l’ATF 136 II 136 et le rapport de gestion 2010 cite l’ATF 137 I 128 ; les rapports annuels de gestion du Tribunal fédéral peuvent être consultés sur le site http :// www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherit-template/federal- publikationen/federal-pub-geschaeftsbericht.htm  [Retour au contenu]
  • [33]
    La Constitution fédérale contient un catalogue de droits fondamentaux. Le chapitre 1 du titre 2 commence par une liste détaillée des droits fondamentaux (art. 7 à 34), puis termine avec deux dispositions consacrées à leur réalisation (art. 35) ainsi qu’à leur restriction (art. 36).  [Retour au contenu]
  • [34]
    La majorité des constitutions cantonales adoptées après l’entrée en vigueur de la Constitution fédérale de 1999 reprennent à leur compte les droits garantis sur le plan fédéral. Par ailleurs, dans certains cas, les constituants cantonaux ont consacré des droits sociaux qui n’existent pas au niveau fédéral (cf. II. 4 ci-dessous).  [Retour au contenu]
  • [35]
    RS 0.103.2  [Retour au contenu]
  • [36]
    RS 0.103.1  [Retour au contenu]
  • [37]
    RS 0.441.1  [Retour au contenu]
  • [38]
    RS 0.104  [Retour au contenu]
  • [39]
    RS 0.108  [Retour au contenu]
  • [40]
    RS 0.107  [Retour au contenu]
  • [41]
    ATF 122 II 140, consid. 2 ; le principe de faveur est expressément consacré par les art. 53 CEDH et art. 5 par. 2 Pactes ONU I et II. Ces dispositions rappellent que les garanties internationales sont subsidiaires par rapport aux garanties nationales, et subsidiaires entre elles.  [Retour au contenu]
  • [42]
    ATF 123 I 296, consid. 2b  [Retour au contenu]
  • [43]
    ATF 112 Ia 124, consid. 3 ; ATF 108 Ia 155, consid. 3 ; ATF 104 Ia 435,consid. 2  [Retour au contenu]
  • [44]
    Les rapports annuels de gestion du Tribunal fédéral peuvent être consultés sur le site https ://bger.ch/fr/index/federal/ federal-inherit-template/federal-publikationen/federal-pub- geschaeftsbericht.htm  [Retour au contenu]
  • [45]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, volume II, 3e éd., 2013, p. 36 n° 78  [Retour au contenu]
  • [46]
    Constitution du canton de Fribourg du 16 mai 2004 ; RS 219  [Retour au contenu]
  • [47]
    Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 ; RS 131.234  [Retour au contenu]
  • [48]
    ATF 147 I 183, consid. 8  [Retour au contenu]
  • [49]
    Art. 189 al. 1 let. d Cst. et art. 95 let. c LTF9  [Retour au contenu]
  • [50]
    ATF 121 V 246 2; ATF 120 Ia 1, consid. 5b  [Retour au contenu]
  • [51]
    Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Examen des rapports présentés par les états parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte – Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels – Suisse, 1998, p. 2 n° 10  [Retour au contenu]
  • [52]
    ATF 140 II 185 consid. 4 ; ATF 133 I 156, consid. 3.6.4  [Retour au contenu]
  • [53]
    Regina Kiener, Grundrechte in der Bundesverfassung, in Verfassungsrecht der Schweiz/Droit constitutionnel suisse, volume II, 2020, p. 1199 n° 11  [Retour au contenu]
  • [54]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, volume I, 3e éd., 2013, p. 504 n° 1487  [Retour au contenu]
  • [55]
    ATF 22 I 1012, consid. 5  [Retour au contenu]
  • [56]
    Kiener, Grundrechte in der Bundesverfassung, in Verfassungsrecht der Schweiz/Droit constitutionnel suisse, volume II, 2020, p. 1199-1200 n° 11 et les références citées  [Retour au contenu]
  • [57]
    ATF 137 I 167, consid. 3.7  [Retour au contenu]
  • [58]
    Mahon, Droit constitutionnel, vol. II, 3e éd., 2015, p. 22  [Retour au contenu]
  • [59]
    -M. Frésard, in Commentaire de la LTF, 2e éd., 2014, n° 3 ss ad art. 116 LTF  [Retour au contenu]
  • [60]
    B. Corboz, in Commentaire de la LTF, 2e éd., 2014, n° 4 ss ad art. 98 LTF  [Retour au contenu]
  • [61]
    P. Mahon, Droit constitutionnel, vol. II, 3e éd., 2015, p. 3  [Retour au contenu]
  • [62]
    ATF 142 I 195 consid. 3.4. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a confirmé l’existence du droit de choisir les modalités et le moment de sa fin de vie fondé sur le droit à l’autodétermination et sur la liberté personnelle lorsque la personne concernée est en mesure de se déterminer librement et d’agir en conséquence. Il a en revanche nié l’existence d’un droit au suicide assisté que l’État devrait garantir :
    « l’individu qui désire mourir ne dispose pas d’un droit de bénéficier d’une aide au suicide, que ce soit par la mise à disposition des moyens nécessaires […] ou par le biais d’une aide active […]. En revanche, le droit protège l’individu s’il est entravé illicitement dans son projet de suicide. Les personnes capables de discernement qui sont en mesure de prendre elles-mêmes le produit létal bénéficient ainsi d’un droit protégeant leur décision ».  [Retour au contenu]
  • [63]
    P. Mahon, Droit constitutionnel, vol. II, 3e éd., 2015, p. 2  [Retour au contenu]
  • [64]
    Parmi les libertés inscrites dans la Constitution, on trouve notamment la liberté personnelle, la liberté d’expression, la liberté de la presse ou encore la liberté religieuse.  [Retour au contenu]
  • [65]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3e éd., 2013, p. 8 n° 12  [Retour au contenu]
  • [66]
    P. Mahon, Droit constitutionnel, vol. II, 3e éd., 2015, p. 4  [Retour au contenu]
  • [67]
    Art. 7 à 36 Cst.  [Retour au contenu]
  • [68]
    Aubert/Mahon, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, 2003, ad titre II, chapitre premier, p. 61-62 n° 5  [Retour au contenu]
  • [69]
    G. Kolly, « Le Tribunal fédéral suisse », in Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, 2016, p. 50 ; Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3e éd., 2013, p. 643 n° 1903  [Retour au contenu]
  • [70]
    ATF 95 I 330, consid. 3  [Retour au contenu]
  • [71]
    ATF 117 Ib 367, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [72]
    Département fédéral de justice et police, Réforme de la Constitution fédérale – Résultats de la procédure de consultation, 1996 passim  [Retour au contenu]
  • [73]
    Message du Conseil fédéral du 28 février 2001 concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4043  [Retour au contenu]
  • [74]
    Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 12 août 2011 ; Initiatives parlementaires – Juridiction constitutionnelle – faire en sorte que la Constitution soit applicable pour les autorités chargées de mettre en œuvre le droit, FF 2011 6709  [Retour au contenu]
  • [75]
    Office fédéral de la justice, Guide de législation, 2019 176 n° 687  [Retour au contenu]
  • [76]
    ATF 91 I 17, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [77]
    ATF 95 I 330, consid. 3  [Retour au contenu]
  • [78]
    ATF 146 V 271, consid. 5.1 ; ATF 142 V 457, consid. 3.1 ; ATF 141 II 338, consid. 3.1 ; ATF 140 I 305, consid. 6.2 ; ATF 137 I 128, consid. 4.3.1 ; ATF133 II 305, consid. 5.2 ; ATF 131 II 710, consid. 4.1 ; ATF 130 II 65, consid.4.2 ; ATF 129 II 249, consid. 5.4  [Retour au contenu]
  • [79]
    ATF 144 I 126, consid. 3 ; ATF 140 I 353, consid. 4.1 ; ATF 139 I 180, consid.2.2 ; ATF 117 Ib 367, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [80]
    Art. 49 Cst.  [Retour au contenu]
  • [81]
    Art. 5 al. 4 Cst.  [Retour au contenu]
  • [82]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 136 ; Rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010 sur la relation entre le droit international et le droit interne, FF 2010 2107  [Retour au contenu]
  • [83]
    Rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010 sur la relation entre le droit international et le droit interne, FF 2010 2107 ; Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 136  [Retour au contenu]
  • [84]
    ATF 146 V 87, consid. 8.2.2 ; ATF 144 II 293, consid. 6.3 ; ATF 142 II 35, consid. 3.2 ; ATF 139 I 16, consid. 5.1 ; ATF 138 II 524, consid. 5.1 ; ATF 136 II 241, consid. 16 ; ATF 125 II 417, consid. 4d.  [Retour au contenu]
  • [85]
    ATF 144 II 293, consid. 6.3 ; ATF 142 II 35, consid. 3.2 ; ATF 138 II 524, consid. 5.3.2 ; ATF 99 Ib 39, consid. 3 (jurisprudence dite Schubert). Pour qu’on puisse qualifier de délibérée une décision contraire à un traité international, il faut que l’Assemblée fédérale ait, lors de ses débats, abordé de manière détaillée les implications de la loi fédérale sur le plan du droit international ou les éléments risquant d’entrer en contradiction avec ce dernier  [Retour au contenu]
  • [86]
    ATF 142 II 35, 3.2 ; ATF 139 I 16, consid. 5.1 ; ATF 125 II 417, consid. 4d (jurisprudence dite PKK) ; cf. rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010 sur la relation entre le droit international et le droit interne, FF 2010 2113  [Retour au contenu]
  • [87]
    ATF 142 II 35, consid. 3.2  [Retour au contenu]
  • [88]
    Message du Conseil fédéral du 5 juillet 2017 relatif à l’initiative populaire « Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination) », FF 2017 5027  [Retour au contenu]
  • [89]
    Arrêté du Conseil fédéral constatant le résultat de la votation populaire du 25 novembre 2018, FF 2019 5652  [Retour au contenu]
  • [90]
    Message du Conseil fédéral du 28 février 2001 concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4025  [Retour au contenu]
  • [91]
    ATF 136 III 168, consid. 3.3.3 et 3.3.4. Dans cette affaire portant sur le problème du conflit entre la législation sur le nom des époux et la CEDH, le Tribunal fédéral a analysé les débats parlementaires. Il est parvenu à la conclusion que le refus d’adapter la législation fédérale à la CEDH ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme indiquait que le législateur suisse avait délibérément accordé plus de poids au principe de l’unité de la famille et du nom de famille qu’à celui de l’égalité tel que la Cour européenne le comprend. Il s’est dit amené à considérer la loi fédérale comme applicable, conformément à l’ATF 99 Ib 39.  [Retour au contenu]
  • [92]
    ATF 136 II 120, consid. 3.5.3  [Retour au contenu]
  • [93]
    Art. 51 al. 2 et 172 al. 2 Cst.  [Retour au contenu]
  • [94]
    ATF 138 I 378, consid. 5.2 ; ATF 131 I 85, consid. 2.4 ; ATF 131 I 126, consid. 3.1 ; ATF 121 I 138, consid. 5c ; ATF 118 Ia 124, consid. 3a ; ATF 116 Ia 359, consid. 4b  [Retour au contenu]
  • [95]
    ATF 124 I 145, 5b ; ATF 123 I 112, consid. 2b  [Retour au contenu]
  • [96]
    A. Auer, « L’effet des décisions d’inconstitutionnalité du Tribunal fédéral », in PJA 5/1992, p. 560-562  [Retour au contenu]
  • [97]
    ATF 131 I 74, consid. 5-6  [Retour au contenu]
  • [98]
    Arrêté fédéral de l’Assemblée fédérale de la Confédération suisse du 3 octobre 1974 approuvant la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, publié au RO 1974 2148 ss.  [Retour au contenu]
  • [99]
    Arrêté fédéral de l’Assemblée fédérale de la Confédération suisse du 13 juin 1978 concernant la réserve apportée à l’art. 5 CEDH, publié au RO 1982 928 ; Arrêté fédéral de l’Assemblée fédérale de la Confédération suisse du 8 mars 2000 relatif au retrait des réserves et déclarations interprétatives à l’art. 6 CEDH, publié au RO 2002 1142.  [Retour au contenu]
  • [100]
    ATF 139 V 307, consid. 6  [Retour au contenu]
  • [101]
    ATF 116 Ia 359, consid. 5-6  [Retour au contenu]
  • [102]
    Art. 39 al. 1 Cst.  [Retour au contenu]
  • [103]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 291  [Retour au contenu]
  • [104]
    ATF 119 Ia 178, consid. 6-8  [Retour au contenu]
  • [105]
    ATF 135 I 79, consid. 7 ; également arrêt 2C_1079/2012 du 11 avril 2013, consid. 3  [Retour au contenu]
  • [106]
    ATF116 Ia 252 consid. 7b  [Retour au contenu]
  • [107]
    ATF 123 I 296 consid. 4 : « Même par leur seul comportement, ceux-ci peuvent avoir une grande influence sur leurs élèves ; ils représentent un modèle auquel les élèves sont particulièrement réceptifs en raison de leur jeune âge, de la quotidienneté de la relation – à laquelle ils ne peuvent en principe se soustraire – et de la nature hiérarchique de ce rapport. En fait, l’enseignant est détenteur d’une part de l’autorité scolaire et représente l’État, auquel son comportement doit être imputé. Il est donc spécialement important qu’il exerce ses fonctions, c’est-à-dire transmette des connaissances et développe des aptitudes, en restant confessionnellement neutre. Il ne doit pas seulement renoncer à utiliser des moyens illicites pour tenter d’endoctriner ses élèves, tels que des pressions psychiques, la sanction d’opinions opposées ou la discrimination, mais il doit en outre être particulièrement attentif à respecter la liberté de religion de ses élèves, c’est-à-dire à observer une grande discrétion dans l’expression de ses croyances, à ne pas les heurter dans leurs convictions et à ne pas abuser de son autorité pour contrarier l’éducation que leurs parents entendent leur donner ou pour les influencer dans leur choix, le moment venu. Il lui appartient ainsi de prendre en considération les différentes croyances de ses élèves et de faire régner dans l’école une atmosphère de tolérance religieuse ».  [Retour au contenu]
  • [108]
    Arrêt 2C_546/2018 du 11 mars 2019, consid. 4  [Retour au contenu]
  • [109]
    « Au nom de Dieu Tout-Puissant! Le peuple et les cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l’autre et l’équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres, arrêtent la Constitution que voici : (…) ».  [Retour au contenu]
  • [110]
    « La grève et le lock-out sont licites quand ils se rapportent aux relations de travail et sont conformes aux obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation ».  [Retour au contenu]
  • [111]
    « L’armée contribue à prévenir la guerre et à maintenir la paix; elle assure la défense du pays et de sa population. Elle apporte son soutien aux autorités civiles lorsqu’elles doivent faire face à une grave menace pesant sur la sécurité intérieure ou à d’autres situations d’exception. La loi peut prévoir d’autres tâches ».  [Retour au contenu]
  • [112]
    « Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons peuvent prendre des mesures propres à maintenir la paix entre les membres des diverses communautés religieuses ».  [Retour au contenu]
  • [113]
    ATF 118 Ia 195, consid. 5  [Retour au contenu]
  • [114]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 118  [Retour au contenu]
  • [115]
    Ainsi, par exemple, la liberté du commerce et de l’industrie est devenue la liberté économique.  [Retour au contenu]
  • [116]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 54 ss  [Retour au contenu]
  • [117]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 552 : « Quant au catalogue des droits fondamentaux, il concrétise aussi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme »  [Retour au contenu]
  • [118]
    ATF 145 III 324, consid. 6.1 ; ATF 143 IV 40, consid. 3.4.3; ATF 142 I 135, consid. 2.1  [Retour au contenu]
  • [119]
    ATF 140 I 285, consid. 6.3.1  [Retour au contenu]
  • [120]
    ATF 126 I 15, consid. 2a  [Retour au contenu]
  • [121]
    ATF 135 II 286, consid. 5.1  [Retour au contenu]
  • [122]
    Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 140  [Retour au contenu]
  • [123]
    ATF 144 IV 265, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [124]
    ATF 140 I 168, consid. 4.2.1 2C  [Retour au contenu]
  • [125]
    ATF 127 I 164, consid. 3-4  [Retour au contenu]
  • [126]
    ATF 108 Ia 41, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [127]
    ATF 146 IV 105, consid. 3-4 ; ATF 145 IV 455, consid. 9  [Retour au contenu]
  • [128]
    Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3e éd., 2013, p. 34, n° 75  [Retour au contenu]
  • [129]
    ATF 61 I 103, 5 ; ATF 60 I 108, consid. 3-4  [Retour au contenu]
  • [130]
    ATF 126 I 112, 4b  [Retour au contenu]
  • [131]
    Arrêt 2C_280/2020 du 15 avril 2020, consid. 2.2 et arrêt 2F_7/2020 du 27 avril 2020, consid. 2.3.2  [Retour au contenu]
  • [132]
    Art. 190 Cst.  [Retour au contenu]
  • [133]
    Arrêt 1C_169/2020 du 22 décembre 2020, consid. 2  [Retour au contenu]
  • [134]
    Arrêt 2C_597/2020 du 3 août 2020, consid. 4.1  [Retour au contenu]
  • [135]
    Arrêt 2C_597/2020 du 3 août 2020, consid. 4.1  [Retour au contenu]
  • [136]
    Arrêts 2C_597/2020 du 3 août 2020, consid. 4.1 ; 2C_442/2020 du 24 juin 2020, consid. 5.3.1 ; 2C_323/2020 du 18 juin 2020, consid. 5.4.2 ; 2C_414/2020 du 12 juin 2020, consid. 3.3.1 ; 2C_312/2020 du 25 mai 2020, consid. 2.3.1 ; 2C_386/2020 du 9 juin 2020, consid. 4.2.2  [Retour au contenu]
  • [137]
    Arrêts 2C_518/2020 du 10 juillet 2020, consid. 4.3.1 ; 2C_442/2020 du 24 juin 2020, consid. 5.3.3  [Retour au contenu]
  • [138]
    ATF 146 III 194, consid. 3-4  [Retour au contenu]
  • [139]
    Arrêt 2C_793/2020 du 8 juillet 2021, consid. 5 ; arrêt 2C_941/2020 du 8 juillet 2021, consid. 3 ; arrêt 2C_8/2021 du 25 juin 2021, consid. 3 ; cf. communiqué de presse du Tribunal fédéral du 21 juillet 2021  [Retour au contenu]
  • [140]
    Ordonnance du Conseil fédéral du 20 mars 2020 sur la suspension des délais dans les procédures civiles et administratives pour assurer le maintien de la justice en lien avec le coronavirus (Covid-19 ; publiée au RO 2020 849), abrogée le 20 avril 2020.  [Retour au contenu]
  • [141]
    Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 19 mars 2020  [Retour au contenu]
  • [142]
    Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 7 mai 2020  [Retour au contenu]
  • [143]
    Rapport de gestion 2020, p. 9  [Retour au contenu]
  • [144]
    Rapport de gestion 2020, p. 8  [Retour au contenu]
  • [145]
    Rapport de gestion 2020, p. 8  [Retour au contenu]
  • [146]
    Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 19 mars 2020  [Retour au contenu]

 

 

Cour constitutionnelle du Togo

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Explicite (v. les articles 99 de la Constitution et 39 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle).

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Par le contrôle de constitutionnalité des lois, l’exception d’inconstitutionnalité et en matière de gestion du contentieux électoral.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Non.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à  consolider  l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

Oui.

Les décisions de la Cour constitutionnelle sont acceptées et respectées par tous (article 106, alinéa 2 de la Constitution).

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

Contrôle de la conformité à la Constitution des lois votées par l’Assemblée nationale

L’exception d’inconstitutionnalité

Gestion du contentieux des élections nationales

Proclamation des résultats des élections nationales

 10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

Oui.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

Non.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

Normes nationales et internationales (bloc de constitutionnalité).

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

Non.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

Égalité et liberté.

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Oui (articles 38 et 41 de la Constitution).

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

Non.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Les droits fondamentaux sont au cœur de la jurisprudence.

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

Les visas.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Censure des lois organiques méconnaissant les droits fondamentaux, censure des lois ordinaires par le biais de l’exception d’inconstitutionnalité.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Pouvoir de censure (invalidation des dispositions incriminées).

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

La jurisprudence (autorité absolue de la chose jugée).

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Les traités régulièrement ratifiés sont des normes de référence (bloc de constitutionnalité).

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Les décisions de la Cour constitutionnelle s’imposent aux autres juridictions (article 106 al 2 de la Constitution).

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Les décisions de la Cour s’imposent à tout le monde (article 106, alinéa 2 de la Constitution).

Les limites : la Cour ne dispose pas de moyens de coercition.

15.Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

La loi organique invalidée ne peut être promulguée  (article  104, alinéa 10 de la Constitution).

La loi ordinaire  invalidée  par  voie  d’exception est retirée de l’ordonnancement juridique (article 104, alinéa 10 de la Constitution).

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Valeur constitutionnelle.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Coutume au sens juridique.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Les principes religieux ne sont pas des références juridiques pour la Cour constitutionnelle.

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Oui.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

Droits civils, politiques et sociaux.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit- elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Oui.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Selon que le pays connaît la paix sociale ou traverse une crise socio-politique ou sanitaire.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont- elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Oui (à l’exception des droits intangibles).

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Oui.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus

Oui (état d’urgence).

 

 

 

Instance provisoire du contrôle de constitutionnalité des projets de loi de Tunisie

 

1. DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT ET DÉMOCRATIE

1. La protection des droits de l’homme fait-elle partie des compétences de votre juridiction ?

Oui, sans l’ombre d’un doute, puisque les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont garantis par la Constitution et que l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (ci-après IPCCPL) est chargée de procéder au contrôle (a priori) de la constitutionnalité des projets de loi, sur saisine de 30 députés, du président de la République ou du Chef du Gouvernement.

2. Cette compétence est-elle explicite ou implicite ?

Cette compétence découle du fait que l’IPCCPL dispose d’une compétence générale en matière de contrôle a priori des projets de loi, des dispositions générales de la Constitution du 27 janvier 2014 (Chapitre I) qui énoncent certains principes fondamentaux  et de la garantie des droits et libertés par son Chapitre II. La Constitution pose aussi dans son article 49 un principe de proportionnalité entre l’exercice des droits et libertés et les limites susceptibles d’être décidées par le législateur, conférant ainsi à l’Instance davantage de possibilités  en  vue  de  protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

3. Existe-t-il un rapport entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, la réponse semble évidente, mais l’est moins qu’il n’y  paraît prima facie, dans la mesure où l’expression « État de droit » a souvent été appliquée à des régimes où l’État était certes encadré par le droit, mais où le régime politique n’était pas nécessairement démocratique ni les droits de l’homme et les libertés fondamentales protégés. Le rapport entre les deux notions est très étroit, on peut dire qu’il est dialectique, car sans démocratie il n’y a pas de protection réelle des droits de l’homme et sans protection des droits de l’homme, il n’y a pas d’État de droit.

4. Comment établissez-vous un lien entre la protection des droits de l’homme et la garantie de l’État de droit et de la démocratie ?

Le lien entre la protection des droits de l’homme, la garantie de l’État de droit et la démocratie tient à l’exercice effectif (réel) des droits de l’homme reconnus par une Constitution au sein d’un État, notamment via la poursuite des auteurs et la restauration des droits des victimes, ainsi que la reconnaissance des garanties d’un procès équitable à tous les prévenus et justiciables (principe de légalité des infractions et des sanctions, droits de la défense, délai raisonnable, etc.). L’instance a toujours essayé de se montrer intransigeante en matière de respect des procédures, qu’elle considère comme une composante de l’ordre public constitutionnel auquel le législateur et les différents pouvoirs publics ne peuvent déroger.

5. Existe-t-il une différence entre l’État de droit et la démocratie selon l’approche de votre juridiction ?

Non, l’IPCCPL tente de contribuer à l’instauration d’un État de droit, dans le respect des principes énoncés par la Constitution du 27 janvier 2014 et selon une acception qui combine la protection des droits et libertés fondamentaux et le jeu, ainsi que les règles, de la démocratie.

6. Votre jurisprudence a-t-elle contribué à consolider l’État de droit et la démocratie : si oui comment, si non pourquoi ?

En ses quelques années d’existence (création en 2014), l’IPCCPL a apporté sa pierre à l’édification de la démocratie en Tunisie, notamment lorsqu’elle a été amenée à se prononcer sur les compétences des titulaires de l’initiative législative, sur les domaines respectifs de la loi et du règlement, sur l’autonomie des instances constitutionnelles indépendantes créées par la Constitution du 27 janvier 2014, ainsi que sur l’exercice de divers droits de l’homme, notamment l’égalité au sens large (entre tous les citoyens), la parité hommes-femmes en matière électorale, les droits électoraux, le droit à un environnement sain, la liberté d’association, la protection des données personnelles, etc.

7. La garantie de l’État de droit et de la démocratie est-elle une finalité de la jurisprudence de votre Cour ?

Oui, sans aucun doute, l’Instance estime qu’elle a pour mission d’accompagner le processus de démocratisation du pays et d’assurer l’ancrage du nouvel ordre constitutionnel dans toutes ses dimensions, via  les  principes  et  valeurs  en  rapport  avec la suprématie de la règle de droit au sens large, des droits de l’homme et de la démocratie.

8. Jugez-vous la qualité de vos décisions en fonction de leur contribution à l’ancrage de la démocratie ?

Oui, c’est la doctrine de l’Instance et son orientation principale.

9. En quoi et dans quels domaines votre jurisprudence a-t-elle contribué à renforcer l’État de droit et la démocratie ?

L’IPCCPL a souvent été amenée à régir les relations entre les protagonistes du processus législatif et a eu la difficile tâche    de poser des limites aux uns et aux autres dans le respect des formalités substantielles. À cet égard, elle a toujours cherché, quelle que soit l’issue de sa décision quant au fond, à poser certains principes qu’elle juge fondamentaux  pour  l’ancrage  de l’ordre constitutionnel dans ses dimensions en rapport aux droits de l’homme, à la démocratie et à la suprématie de la loi.

10. Le bilan de votre contribution à la promotion de l’État de droit et de la démocratie est-il positif, si non pourquoi ?

En l’état actuel du contexte politique et constitutionnel tunisien, le bilan de la contribution de l’IPCCPL à la promotion de l’État de droit et à la démocratie est difficile à évaluer. En effet, l’Instance exerce ses fonctions sur la base d’un texte juridique de qualité médiocre, lui-même fondé sur une conception réductrice du contrôle de la constitutionnalité des lois (article 148/7 de la Constitution du 27 janvier 2014). En vertu de ces textes, l’Instance ne peut assurer qu’un contrôle a priori des projets de loi et ne peut se prononcer ni sur la conventionalité, ni sur le règlement intérieur de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Elle n’a pas non plus vocation à se prononcer sur les contingences politiques et constitutionnelles (vacance du poste de la Présidence de la République, conflits entre les deux têtes de l’Exécutif, etc.) et ne dispose pas d’une compétence consultative. Sa saisine est limitée (30 députés, président de la République  ou Chef du Gouvernement) et elle ne peut être saisie ni par les citoyens ni les tribunaux. D’un autre côté, la composition paire de l’instance (6 membre, dont 3 hauts magistrats es qualité et 3 professeurs de droit) ne permet pas de dégager des majorités tranchées lors de la prise de la décision, ce qui a pu aboutir dans certains cas à des situations de blocage, car, en cas de partage des voix, celle du président n’est pas prépondérante selon les textes. Les délais pour statuer sont très courts et les conditions du travail difficiles, étant donné que les membres ne sont pas affectés à l’Instance à temps plein et poursuivent intégralement leurs activités professionnelles par ailleurs. L’Instance n’a pas pu adopter une politique de communication visant à expliciter ses décisions et ses démarches. Elle a aussi été victime d’une certaine incertitude liée à une situation censée être provisoire (une année à partir de mai 2014), mais qui se poursuit à ce jour (2021) et du jugement pas toujours objectif de certains faiseurs d’opinion, aussi bien juristes que politiciens. Néanmoins, en dépit de tous ces défis et obstacles, l’IPCCPL est souvent parvenue à pacifier des conflits politiques, à discipliner le jeu politique et à assurer le respect de la Constitution en tentant d’apporter des réponses conformes à l’esprit et à la lettre du texte constitutionnel, au- delà de toute position partisane ou d’enjeux électoraux. Elle a pu enrichir le dispositif constitutionnel tunisien d’un grand nombre de principes en rapport étroit avec l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme. La cinquantaine de décisions qu’elle a produites pourrait servir de fondement à la jurisprudence de la future Cour constitutionnelle si jamais cette dernière parvient à voir le jour.

11. Le juge constitutionnel joue-t-il un rôle politique ?

L’IPCCPL exerce ses fonctions dans un environnement politique, elle est saisie par des organes politiques et se meut d’un contexte de transition démocratique surpolitisé. Ainsi,  elle  joue implicitement un rôle d’arbitre dans le cadre d’un conflit opposant la majorité à l’opposition à l’occasion d’un projet de loi et la solution juridique qu’elle apporte, si elle est très souvent critiquée parce qu’elle ne donne entièrement raison ou tort à aucune des parties en présence, mais se soucie surtout de la conformité des dispositions  soumises  à  son  examen  à  l’esprit  et à la lettre de la Constitution, a au moins pour effet d’apaiser   les tensions. Dans cette optique, l’Instance veille à adopter une position de neutralité vis-à-vis de tous les protagonistes politiques et cherche avant tout à assurer la suprématie de la Constitution. La neutralité politique dans un contexte de  surpolitisation  génère, inévitablement, des critiques, principalement politiques, ce qui porte préjudice à l’image de marque de l’Instance.

12. Les conditions d’accès à votre juridiction favorisent-elles une promotion de l’État de droit et de la démocratie ?

Oui, dans un sens, car même s’il s’agit d’une instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi, elle est ouverte à la saisine des principaux acteurs de la vie politique (président de la République, Chef du Gouvernement et 30 députés) et a surtout été sollicitée à maintes reprises par l’opposition, assurant ainsi un équilibre avec la majorité parlementaire. Toutefois, le monopole de la saisine par des organes politiques ne permet pas une influence significative des organisations de la société civile, ni des justiciables, sur le contrôle de la constitutionnalité des lois. En vérité, du fait des règles de saisine, le contrôle de l’Instance demeure abstrait et cantonné à la sphère politique et aux (en)jeux des partis politiques.

 

2. LES MÉTHODES ET TECHNIQUES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

1. Quelles sont les références les plus souvent invoquées dans vos décisions en matière de protection des droits de l’homme : références internationales ou nationales ?

La Constitution et son préambule en premier lieu, mais aussi (plus rarement) les conventions internationales signées et ratifiées par la Tunisie, même si l’Instance n’a jamais été saisie directement sur la base de références internationales.

2. Votre jurisprudence établit-elle une hiérarchie entre les sources des droits de l’homme ?

L’Instance n’a pas eu l’occasion de se prononcer au sujet de la hiérarchisation des sources des droits de l’homme.

3. Quels types de droits et libertés sont le plus souvent évoqués devant votre juridiction ?

L’égalité, la parité, les droits électoraux, la liberté d’association, la protection des données personnelles (à l’occasion d’une éventuelle levée du secret professionnel) …

4. Existe-t-il des droits d’un type nouveau invocables devant votre juridiction ?

Le droit à l’eau et le droit à un environnement sain.

5. Établissez-vous une hiérarchie entre les droits de l’homme ; si oui pourquoi et comment ?

L’Instance n’a pas eu l’occasion de se placer sur le terrain de la hiérarchisation des différents droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés par la Constitution.

6. Quelle est la place des droits fondamentaux dans votre jurisprudence ?

Ces droits occupent une place essentielle, mais l’Instance n’a pas eu l’opportunité d’être saisie directement au sujet de questions liées aux droits fondamentaux. Elle s’est cependant souvent appuyée sur le principe de proportionnalité consacré par l’article 49 de la Constitution pour justifier son raisonnement. Ce principe est formulé en ces termes : « Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou  les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications. Les instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte. Aucune révision ne peut porter atteinte aux acquis en matière de droits de l’Homme et de libertés garantis par la présente Constitution » (traduction, JORT, numéro spécial, 15 avril 2015, p. 8).

7. Par quels procédés donnez-vous un régime particulier aux droits fondamentaux ?

L’Instance se réfère notamment à l’article 49 la Constitution  relatif au principe de proportionnalité entre les droits et libertés  et les restrictions susceptibles de leur être apportées par le législateur.

8. Établissez-vous une différence entre la protection des droits et celle des libertés ?

Non.

9. Quelles sont les techniques originales mises en œuvre pour protéger les droits et libertés des citoyens ?

Recours à la technique des réserves d’interprétation (en s’inspirant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel français à cet égard) pour faire prévaloir le droit à un environnement sain lors de la révision du Code des hydrocarbures et pour interdire l’exploitation du gaz de schiste en Tunisie.

10. De quels pouvoirs dispose votre Cour en matière de contrôle de constitutionnalité des lois censées violer les droits de l’homme ?

Si l’Instance devait être saisie d’un texte de cette nature, elle pourrait invalider les dispositions violant les droits de l’homme d’un projet de loi quelconque soumis à son examen, car, contrairement au texte relatif à la Cour constitutionnelle (loi n° 2015-50 du 3 décembre 2015), la loi relative à l’Instance (n° 2014- 14 du 18 avril 2014) ne limite pas le champ des dispositions ayant vocation à être examinées par  l’Instance  en  cas  de  saisine,  ce qui signifie que théoriquement, elle pourrait étendre son contrôle au-delà des griefs d’inconstitutionnalité soulevés par les requérants, même si elle ne l’a encore jamais fait à ce jour.

11. Par quels moyens votre Cour constitutionnalise-t-elle certains droits et libertés ?

Dans certains cas, l’Instance s’est inspirée du droit comparé pour constitutionnaliser certains principes, comme l’exigence de lisibilité de la loi et/ou de sécurité juridique.

12. Quelle est la place des normes du droit international (traités et jurisprudence internationale) dans la protection des droits de l’homme ?

Bien que l’Instance n’ait pas été saisie directement à ce sujet, les normes de droit international, surtout les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, constituent une source d’inspiration de l’IPCCPL, sachant que l’article 20 de la Constitution du 27 janvier 2014 reconnaît la supériorité des traités internationaux dûment ratifiés (procédure longue) sur les lois internes.

13. Quelle est la portée des décisions rendues en matière de droits et libertés sur la jurisprudence des autres juridictions ?

Il n’y a pas suffisamment de recul pour pouvoir répondre à cette question.

14. Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs de votre Cour en matière d’exécution de vos décisions pour une protection effective des droits et libertés des citoyens ?

Les décisions de l’IPCCPL sont publiées au JORT et s’imposent à tous les pouvoirs. Le Parlement corrige les dispositions déclarées inconstitutionnelles et parfois il les supprime purement et simplement.

15. Quelles sont les conséquences qui s’attachent à une sanction, par votre juridiction, d’une violation des droits de l’homme ?

La loi examinée doit être modifiée, sinon elle ne peut pas être promulguée.

 

3. LES DROITS DE L’HOMME EN CONTEXTE

1. Existe-t-il, selon votre jurisprudence, une conception relative des droits de l’homme ?

Non.

2. Quelle est la place des valeurs sociétales dans la protection des droits de l’homme par votre Cour ?

Pas encore de jurisprudence en la matière, l’Instance n’a jamais été sollicitée sur des questions de ce genre.

3. Quelle est la place de la culture dans la définition des droits de l’homme ?

Pas encore de jurisprudence en la matière, l’Instance n’a pas encore été sollicitée sur des questions de ce genre.

4. Quelle est la place de la religion dans la définition des droits de l’homme ?

Pas encore de jurisprudence à ce  sujet.  La  religion  n’est  pas  une source  de  droit  dans  la  Constitution  tunisienne.  L’article  1er   de la Constitution qui fait de l’islam la religion de l’État n’a pas été invoqué devant l’Instance au support d’un contrôle de constitutionnalité en matière des droits de l’homme et il est, en tout état de cause, contrebalancé par son article 2 qui consacre  un État civil, étant précisé que l’intégralité des dispositions de la Constitution (préambule compris, qui en fait « partie intégrante » selon son article 145) se lit comme une « unité cohérente » conformément à l’article 146 de la Constitution. Ainsi, aux termes de l’article 1er de la Constitution du 27 janvier 2014 : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime. Le présent article  ne peut faire l’objet de révision ». Pour sa part, l’article 2 dispose ce qui suit : « La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit. Le présent article ne peut faire l’objet de révision ». Enfin, selon l’article 146 : « Les dispositions de la présente Constitution sont comprises et interprétées les unes par rapport aux autres, comme une unité cohérente » (à lire aussi en rapport avec l’article 49, précité).

5. La recherche de la paix et de la cohésion sociale est-elle un facteur déterminant dans la définition des droits de l’homme ?

Oui, la Constitution tunisienne consacre les principes de solidarité et toute la gamme des droits économiques et sociaux.

6. Votre jurisprudence est-elle attachée à une conception universelle des droits de l’homme ?

Pas encore de jurisprudence sur la question.

7. Votre Cour a-t-elle eu l’occasion d’affirmer son appartenance à un courant de pensée des droits de l’homme ?

Non.

8. Quels sont les droits et libertés les plus consacrés par votre jurisprudence ?

L’égalité dans l’absolu et la parité.

9. L’appréciation du respect des droits et libertés doit-elle tenir compte des circonstances de temps et de lieu ?

Oui en cas de circonstances exceptionnelles.

10. Quels sont les facteurs à prendre en considération pour une protection adaptée des droits des personnes ?

Le texte et le contexte.

11. Les crises politiques, économiques et sociales ont-elles une influence sur votre interprétation des droits et libertés de citoyens ?

Les crises peuvent pousser à des interprétations extensives, surtout s’il s’agit d’utilités économiques au profit de l’État, mais pas en matière des droits et libertés des citoyens.

12. Les lois instituant des circonstances exceptionnelles pour la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, ont-elles eu une influence sur votre perception des droits de l’homme ?

Non, mais il n’y a pas eu de saisine à ce sujet.

13. La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur vos méthodes et techniques de protection des droits et libertés des individus ?

Non.

 

 

 

 

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