Bulletin n°1 – Association des Cours Constitutionnelles Francophones

Association des Cours
Constitutionnelles Francophones

Le droit constitutionnel dans l’espace francophone

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Bulletin n°1

Le principe d'égalité dans la jurisprudence des Cours constitutionnelles et institutions de compétence équivalente

  •  Paris, France
  • © ACCF

Introduction

L’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français,créée en avril 1997 à l’initiative du Conseil constitutionnel français avec le soutien de l’Agence de la francophonie, se propose d’instituer entre les cours constitutionnelles ou organes assurant un contrôle de constitutionnalité des normes, un réseau de solidarité institutionnelle et d’échanges jurisprudentiels.

Parmi les moyens mis en œuvre dans cette perspective, il a été décidé de publier un bulletin annuel.

Ceci en est le premier numéro, à la réalisation duquel ont contribué l’Agence de la francophonie et le Ministère de la Coopération de la République française que soient également salués les services du Juriscope de Poitiers qui a assuré la traduction des jugements dont la langue d’origine n’est pas le français.

Doivent être remerciées toutes les cours qui ont envoyé à temps leur contribution. Celles qui n’ont pu être intégrées dans le présent volume seront disponibles dès que possible sur le site Internet.

Il convient de faire plusieurs remarques liminaires relatives à ce bulletin :

  • Tout d’abord seules les décisions en langue originale doivent être considérées comme les versions authentiques. Les traductions ci-dessous imprimées auront reçu l’approbation des cours mais ne peuvent être considérées comme textes officiels.
  • En ce qui concerne les choix éditoriaux :

Nombre de décisions présentées :

Du fait de l’ancienneté très différente, d’un pays à l’autre, de l’établissement d’un contrôle de constitutionnalité, certains dossiers documentaires sont beaucoup plus abondants que d’autres et certains pays ne figurent pas dans ce bulletin :

  • soit que leur Cour n’ait pas rendu de décisions relatives au principe d’égalité (Cour suprême du Burkina Faso, Tribunal suprême du Cap-Vert, Haut Conseil de la République des Comores,Conseil constitutionnel de Djibouti, Tribunal constitutionnel de Guinée Équatoriale, Conseil constitutionnel de Mauritanie);
  • soit que leurs décisions soient parvenues trop tardivement pour être traduites pour cette édition (Cour constitutionnelle de être traduites pour cette édition (Cour constitutionnelle de Moldavie);
  • soit que les contacts aient été très difficiles à établir du fait notamment d’une situation perturbée dans le pays.

Le parti a été pris d’intégrer toutes les décisions qui auraient été citées en référence dans les rapports des délégations au Congrès, augmentées, le cas échéant, des décisions intervenues entre avril 1997, date du Congrès, et avril 1998.

Toutefois, dans certains cas le nombre des décisions citées dans le rapport étant trop grand, il a été procédé à une sélection de celles-ci avec l’accord des Cours (Cour d’arbitrage de Belgique, Cour suprême du Canada, Conseil constitutionnelle de Côte d’Ivoire, Cour suprême constitutionnelle d’Égypte, Conseil constitutionnel de France, Cour constitutionnelle de Roumanie, Tribunal fédéral de Suisse).

L’ensemble des décisions relatives au principe d’égalité se trouve néanmoins sur le CD Rom qui accompagne ce Bulletin.

Présentation des décisions sélectionnées

Les textes des décisions retenue sont, dans la mesure du possible, et pour des-raisons de lisibilité et d’économie de papier, été réduits à leurs passages essentiels relatifs au principe d’égalité. Ont en conséquence été supprimés les visas, les motifs à l’appui d’autres aspects de la décision, et la composition de la formation de jugement.

Certaines cours ont elles-mêmes présenté des résumés de leurs décisions centrés sur le principe d’égalité. En ce cas, c’est le résumé qui figure sur le Bulletin.

Toutefois, pour permettre au lecteur du Bulletin de disposer des éléments nécessaires à la comparaison entre les pratiques rédactionnelles et processuelles des différentes cours, le Bulletin propose,pour chaque institution, une décision en texte intégral.

Enrichissement et codification des décisions

Pour faciliter la recherche du lecteur, sur la version papier du Bulletin n° 1 ou sur le CD Rom qui l’accompagne, ultérieurement sur la base de données du site, les décisions sont « enrichies, c’est-à-dire que leur sont affectés des descripteurs thématiques ou alphabétiques qui illustrent le contenu ou le sens du jugement.

Les descripteurs thématiques sont organisés en un système hiérarchisé et arborescent, le thésaurus, alors que les descripteurs de l’index alphabétique recensent par défaut les thèmes qui sont représentatifs de la décision mais ne figurent pas dans le thésaurus.

L’enrichissement des décisions a été fait en utilisant le thésaurus établi par la Sous-Commission de la Justice constitutionnelle de la Commission de Venise.

L’approbation formelle de ce réemploi a été acquise lors de la 36e réunion plénière de la Commission de Venise qui s’est tenue les 16 et 17 octobre 1998 (annexe 1).

Ce choix a été opéré pour deux raisons principales :

La première est qu’une dizaine de cours membres de l’ACCPUF participent à la Commission de Venise, et fournissent en conséquence déjà un travail d’enrichissement de leurs principales décisions.

La seconde est que la codification proposée par la Commission de Venise offre indirectement plusieurs avantages pour les cours membres de l’ACCPUF.

Tout d’abord, l’uniformisation des méthodes d’enrichissement permet aux membres de l’ACCPUF d’accéder par une seule et même méthode de recherche à la jurisprudence des Cours de États membres du Conseil de l’Europe ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

En deuxième lieu, ce choix accroît les possibilités que la jurisprudence des membres de l’ACCPUF soit désormais accessible par l’ensemble des pays membres de la Commission de Venise ainsi que par les utilisateurs universitaires ou professionnels du site de la Commission.

Bien entendu, ces avantages ont une contrepartie. La gestion thématique et l’évolution du thésaurus reste du ressort exclusif de la Commission de Venise dont il est la production (CODICES).

Lorsque les cours (Cour suprême du Canada, Tribunal d’arbitrage de Belgique,Tribunal fédéral suisse) ont fait parvenir des documents enrichis sur d’autres modèles, la codification CODICES a été rajoutée de manière à ce que les moteurs de recherche qui seront installés sur le site Internet ACCPUF puissent y accéder par un seul et même type de manipulation.

A terme, il est prévu que l’enrichissement des décisions soit opéré par les cours elles-mêmes, l’Association se contentant alors de les collecter et de procéder à leur mise en ligne, le cas échéant à la traduction des plus importantes.

Contenu du Bulletin n° 1

Compte tenu de ces précisions, l’ossature proposée pour le Bulletin n° 1comprend deux parties

  • des extraits pertinents du thésaurus en fonction du thème retenu, le principe d’égalité les rubriques fournies par les documents apparaissent en gras et sont complétées, en caractères italiques, parles références des décisions qui leur sont relatives;
  • la seconde partie, de loin la plus importante, comporte les décisions, classées par pays par ordre alphabétique (ordre internationalement reconnu de l’alphabet du nom des pays dans la langue du pays) et par ordre chronologique. Figurent les extraits langue du pays) et par ordre chronologique. Figurent les extraits pertinents relatifs au principe d’égalité des décisions sélectionnées par les cours et une décision en texte intégral aux fins d’illustrer les différences de présentation des jugements d’un organe de contrôle de constitutionnalité à l’autre.

Ce numéro 1, tout en ayant beaucoup bénéficié de l’expérience acquise par la Commission de Venise, est une première tentative, qui devra être améliorée en tenant compte de deux impératifs contradictoires que l’exercice doit concilier au mieux

  • mettre en valeur la diversité et la richesse des approches des jurisprudences;
  • permettre d’y avoir un accès facile et systématique.

Cette version sur support papier vient au soutien du site Internet de l’Association et d’une version CD-ROM laquelle comprend non seulement le contenu du Bulletin mais également toutes les décisions intégrales, à notre disposition, en hypertexte.

La banque de données, présente sur le site Internet et sur le CD Rom, comprend le même type d’informations mais dans tous les domaines d’intervention des juridictions. En outre, de grandes améliorations sont prévues afin de faciliter la consultation de ces services.

Enfin, l’ensemble de ces efforts de collecte, d’enrichissement et d’accessibilité de la jurisprudence devrait concourir à créer le réseau de solidarité et d’échanges entre les cours constitutionnelles de l’espace francophone que l’Association s’est donnée comme but de renforcer.

L’équipe rédactionnelle du Bulletin

Patricia HERDT

Dominique REMY-GRANGER

I. Présentation thématique

Outil 1 Thésaurus de la Commission pour la Démocratie par le Droit

Présentation thématique thésaurus systématique de la commission pour la démocratie par le droit (commission de Venise)

Le Thésaurus conçu par la Commission pour la Démocratie par le Droit (Commission de Venise du Conseil de l’Europe) a été créé en 1992. Deux versions (française et anglaise) permettent l’indexation de la jurisprudence constitutionnelle des institutions membres de la Commission, autour de cinq thèmes principaux (Justice constitutionnelle – Sources du droit constitutionnel – Principes généraux – Institutions – Droits fondamentaux). Sur ce modèle a été développée la présentation des décisions figurant dans le Bulletin, l’A.C.C.P.U.F. bénéficiant ainsi d’un système d’indexation vivant et dont l’exacte réplique est disponible en anglais.

Trois indicateurs sont utilisés ici pour le classement des décisions:

  • un code en trois lettres identifiant le pays d’origine de l’institution dont émane la décision. Ce code permet une présentation par pays, par ordre alphabétique;
  • l’année durant laquelle a été rendue la décision;
  • et enfin, précédé de la lettre A (correspondant à A.C.C.P.U.F.), le numéro de la décision disponible dans la banque de données de l’Association, qui permet une présentation par ordre chronologique. Cette numérotation n’est en aucun cas destinée à se substituer à la numérotation officielle de la décision.

Extraits pertinents du thésaurus (version 10)

1. – JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

1.1. – Juridiction constitutionnelle

1.2. – Saisine

1.3. – Types de contentieux

1.4. – Objet du contrôle

1.4.1. – Traités internationaux

1.4.2. – Droit des Communautés européennes

1.4.3. – Constitution

1.4.4. – Lois à valeur quasi-constitutionnelle

BEN / 1993 / A01 – EGY / 1972 / A01 – MLI / 1996 / A02 – MLI / 1997 / A03 RWA / 1996 / A04 – RWA / 1996 / A05 – SEN / 1993 / A02 – SEN / 1994 / A03

1.4.5. – Lois et autres normes à valeur législative

BEL / 1991 / A03 – BEL / 1992 / A05 – BEL / 1993 / A07 – BEL / 1993 / A08 – BEL / 1993 / A09 – BEL / 1996 / A19 – BEL / 1997 / A22 – BEN / 1996 / A06 – BUL / 1992 / A01 – EGY / 1972 / A02 – EGY / 1973 / A03 – EGY / 1975 / A05 – EGY / 1981 / A07 – EGY / 1987 / A08 – EGY / 1989 / A09 – EGY / 1989 / A10 – EGY / 1989 / A11 – EGY / 1990 / A12 – EGY / 1991 / A13 – FRA / 1973 / A01 – FRA / 1982 / A02 – FRA / 1982 / A03 – FRA / 1988 / A04 – FRA / 1990 / A05 – FRA / 1991 / A06 – FRA / 1994 / A07 – FRA / 1995 / A08 – FRA / 1995 / A09 – FRA / 1997 / A10 – GAB / 1992 / A01 – LIB / 1995 / A01 – LIB / 1996 / A02 – MAI / 1984 / A02 – MLI / 1996 / A01 – MON / 1967 / A02 – MON / 1967 / A03 – MON / 1994 / A05 – NIG / 1992 / A01 – ROM / 1993 / A01 – ROM / 1993 / A02 – Rom / 1993 / A03 – ROM / 1993 / A04 – ROM / 1994 / A05 – ROM / 1995 / A06 – ROM / 1995 / A07 – ROM / 1995 / A08 – ROM / 1995 / A09 – ROM / 1995 / A10 – ROM / 1995 / 011 – ROM / 1995 / A12 – RWA / 1983 / A01 – RWA / 1991 / A02 – RWA / 1993 / A03 – RWA / 1997 / A06 – RWA / 1997 / A07 – SEY / 1995 / A01

1.4.6. – Décrets présidentiels

1.4.7. – Règlements à valeur quasi-législative

1.4.8. – Normes d’entités régionales

1.4.9. – Règlements d’assemblées parlementaires

MAR / 1995 / A06 – NIG / 1993 / A02

1.4.10. – Règlements de l’exécutif

BEN / 1994 / A02 – BEN / 1996 / A07 – BEN / 1996 / A08 – GAB / 1993 / A02 MAI / 1990 / A03 – MAR / 1968 / A03

1.4.11. – Actes d’autorités décentralisées

1.4.12. – Décisions juridictionnelles

CAN / 1989 / A01 – CAN / 1991 / A02 – CAN / 1992 / A03 – CAN / 1995 / A04 CAN / 1995 / A05 – CAN / 1997 / A06 – MAI / 1969 / A01 – MAR / 1959 / A01 MAR / 1962 / A02 – ROM / 1996 / A12 – SUI / 1982 / A01 – SUI / 1989 /A02 – SUI / 1991 / A03 – SUI / 1992 / A04 – SUI / 1996 / A06 – SUI / 1997 / A07 – SUI / 1997 / A09

1.4.13. – Actes administratifs individuels

BEN / 1995 / A04 – BEN / 1996 / A05 – BEN / 1996 / A09 – GUI / 1993 / A01 MAI / 1995 / A04 – MAR / 1990 / A04 – MAR / 1993 / A05 – MON / 1975 / A04

1.4.14. – Actes de gouvernement

1.4.15. – carence d’acte

1.5. – Procédure

1.6. – Décisions

1.7. – Effets des décisions

2. – SOURCES DU DROIT CONSTITUTIONNEL

2.1. – Catégories

2.1.1. – Règles écrites

2.1.1.1. – Constitution

2.1.1.2. – Lois et normes à valeur quasi-constitutionnelle

2.1.1.3. – Droit communautaire

2.1.1.4. – Convention européenne des droits de l’homme de 1950

BEL / 1993 / A08 – BEL / 1993 / A09 – BEL / 1995 / A15 – CAN / 1995 / A04 – ROM / 1995 / A10 – SUI / 1996 / A06

2.1.1.5. – Charte sociale européenne de 1961

BEL / 1993 / A08

2.1.1.6. – Charte des Nations unies de 1945

2.1.1.7. – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966

BEL / 1993 / A08 – BUL / 1992 / A01 – MAI / 1984 / A02 – ROM / 1995 / A06 – SUI / 1996 / A06

2.1.1.8 – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966

BEL / 1993 / A08 – BEL / 1994 / A11 – BUL / 1992 / A01 – ROM / 1993 / A01

2.1.1.9. – Convention relative au statut des réfugiés

2.1.1.10. – Convention relative aux droits de l’enfant de 1989

2.1.1.11. – Charte européenne de l’autonomie locale de 1985

2.1.1.12. – Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969

BUL / 1992 / A01

2.1.1.13. – Autres sources internationales

BEL / 1996 / A18 – MAI / 1984 / A02 – MAI / 1995 / A05 – SEN / 1993 / A02

2.1.2. – Règles non écrites

2.1.2.1. – Coutume constitutionnelle

2.1.2.2. – Principes généraux du droit

2.1.2.3. – Droit naturel

2.1.3. – Jurisprudence

2.1.3.1. – Jurisprudence interne

MAI / 1995 / A05

2.1.3.2. – Jurisprudence internationale

2.1.3.2.1. – Cour européenne des droits de l’Homme

BEL / 1993 / A09

2.1.3.3 -Jurisprudence étrangère

MAI / 1984 / A02 – MAI / 1995 / A05 – SEY / 1995 / A01

2.2. – Hiérarchie

2.3. – Techniques d’interprétation

3. – PRINCIPES GÉNÉRAUX

3.1. – Souveraineté

3.2. – Démocratie

3.3. – Séparation des pouvoirs

BEL / 1991 / A02 – BEL / 1991 /A03 – BEL / 1992 /A05 – BEL / 1994 / A13 – BEL / 1995 / A17

3.4. – Etat social

3.5. – Etat fédéral

3.6. – Relations entre l’Etat et les institutions religieuses et philosophiques

3.7. – Principes territoriaux

3.8. – Etat de droit

3.9. – Sécurité juridique

3.10. – Protection de la confiance

3.11. – Droits acquis

3.12. – Intérêt général

BEL / 1995 / A16 – FRA / 1995 / A09 – FRA / 1997 / A10

3.13. – Légalité

3.14. – Nullum crimen sine lege

3.15. – Publicité des textes legislatifs et réglementaires

3.16. – Proportionnalité

BEL / 1990 / A01 – BEL /1992 /A06 – BEL / 1994 / A12 – CAN / 1995 / A05 – FRA / 1982 / A02 – FRA / 1988 / A04 – SUI / 1997 / A08

3.17. – Mise en balance des intérêts

3.18. – Marge d’appréciation

3.19. – Raisonnabilité

BEL / 1993 / A07 – BEL / 1994 / A12 – BEL / 1994 / A13 – BEL / 1995 / A14 – CAN / 1995 / A05

3.20. – Egalité

BUL / 1992 / A02 – FRA / 1991 / A06 – FRA / 1995 / A08 – FRA / 1995 / A09

3.21. – Interdiction de l’arbitraire

3.22. – Equité

3.23. – Principes fondamentaux du marché commun

4. – INSTITUTIONS

4.1. – Chef de l’Etat

4.2. – Organes législatifs

4.2.1. – Structure

4.2.2. – Compétences

BEL / 1997 / A23 – EGY / 1973 / A03 – EGY / 1974 / A04 – EGY / 1981 / A06 EGY / 1990 / A12 – EGY / 1991 / A13 – – SUI / 1991 / A03

4.2.3. – Composition

FRA / 1991 / A06 – MAR / 1995 / A06 – NIG / 1993 / A02

4.2.4. – Organisation

4.2.5. – Financement

4.2.6. – Contrôle de la validité des élections

4.2.7. – Procédure d’élaboration des lois

MAR / 1995 / A06

4.2.7.1. – Droit d’amendement

4.2.8. – Garanties d’exercice du pouvoir

4.2.9. – Relations avec le Chef de l’Etat

4.2.10. – Relations avec les organes législatifs

4.2.11. – Relations avec les juridictions

4.2.12. – Responsabilité

4.2.13. – Partis politiques

BEN / 1995 / A03 – GAB / 1992 / A01

4.2.14. – Statut des membres des organes législatifs

4.3. – Organes exécutifs

4.4. – Organes juridictionnels

4.4.1. – Compétences

4.4.2. – Procédure

4.4.3. – Décisions

4.4.4. – Organisation

4.4.4.1. – Membres

BEN / 1993 / A01

4.4.4.1.1. – statut

4.4.4.1.2. – Discipline

4.4.4.2. – Auxiliaires de justice

4.4.4.3. – Ministère public

4.4.4.4. – Greffe

4.4.5. – Juridiction suprême

4.4.6. – Juridictions judiciaires

4.4.6.1. – Juridictions civiles

4.4.6.2. – Juridictions pénales

4.4.6.3. – magistrature assise

4.4.7. – Juridictions administratives

4.4.8. – Juridictions financières

4.4.9. – Juridictions militaires

4.4.10. – Juridictions d’exception

4.4.11. – Autres juridictions

4.4.12. – Assistance des parties

4.4.12.1. – Barreau

4.4.12.2. – Assistance extérieure au barreau

4.4.13. – Responsabilité

4.5. – Fédéralisme et régionalisme

4.6. – Finances publiques

4.7. – Forces armées, forces de l’ordre

BEL / 1993 / A08 – BEN / 1996 / A05 – BEN / 1996 / A06

4.8. – Missions économiques de l’Etat

4.9. – Médiateur

4.10. – Transfert de compétence aux institutions internationales

4.11. – Union européenne

5. – DROITS FONDAMENTAUX

5.1. – Problématique générale

5.1.1. – Principes de base

5.1.1.1. – Nature de la liste des droits fondamentaux

5.1.1.2. – Egalité et non discrimination

BEL / 1990 / A01 – BEL / 1991 / A02 – BEL / 1992 /A05 – BEL / 1992 / A06 – BEL / 1993 / A09 – BEL / 1994 / A12 – BEL / 1995 / A16 – BEL / 1996 / A20 – BUL / 1992 / A02 – EGY / 1972 / A01 – EGY / 1973 / A03 – EGY / 1974 / A04 – EGY / 1981 / A06 – EGY / 1989 / A11 – FRA / 1973 / A01 – FRA / 1982 / A02 – FRA / 1988 / A04 – GAB / 1992 / A01 – MAI / 1969 / A01 – MAI / 1995 / A05 – MAR / 1995 / A06 – MON / 1967 / A02 – MON / 1967 / A03 – MON / 1975 / A04 – NIG / 1993 / A02 – ROM / 1993 / A03 – ROM / 1994 / A05 – ROM / 1995 / A06 RWA / 1991/ A02 – RWA / 1996 / A04 – SEN / 1994 / A03 – SEY / 1995 / A01 – SUI / 1989 / A02 – SUI / 1996 / A06 – SUI / 1997 / A08

5.1.1.3. – Ne bis in idem

5.1.2. – Bénéficiaires ou titulaires de droits

5.1.2.1. – Nationaux

5.1.2.2. – Etrangers

BUL / 1992 / A02

5.1.2.2.1. – Réfugiés et candidats réfugiés

BEL / 1994 / A13 – RWA / 1991 / A02

5.1.2.3. – Personnes physiques

5.1.2.3.1. – Mineurs

5.1.2.3.2. – Incapables

5.1.2.3.3. – Détenus

5.1.2.4. – Personnes morales

FRA / 1982 / A02 – MON / 1967 / A03

5.1.2.4.1. – Droit privé

MAR / 1962 / A02 – MON / 1967 / A02 – SUI / 1997 / A07

5.1.2.4.2. – Droit public

BEL / 1991 / A02 – EGY / 1972 / A02 – FRA / 1995 / A09 – GAB / 1992 / A01

5.1.3. – Effets

5.1.3.1. – Effets verticaux

5.1.3.2. – Effets horizontaux

5.1.4. – Limites et restrictions

EGY / 1990 / A12 – MAI / 1969 / A01 – SEY / 1995 / A01

5.1.5. – Situations d’exception

MAI / 1969 / A01

5.2. – Droits civils et politiques

5.2.1. – Droit à la vie

5.2.2. – Interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants

5.2.3. – Droit à l’intégrité physique

5.2.4. – Egalité

BEL / 1991 / A03 – BEL / 1991 / A04 – BEL / 1993 / A07 – BEL / 1994 / A11 – BEL / 1994 / A13 – BEL / 1995 / A15 – BEL / 1996 / A18 – BEL / 1996 / A21 – BEL / 1997 / A22 – BEN / 1993 / A01 – BEN / 1996 / A05 – CAN / 1995 / A04 – EGY / 1972 / A02 – EGY / 1981 / A07 – EGY / 1989 / A09 – EGY / 1990 / A12 – EGY / 1991 / A13 – FRA / 1994 / A07 – GAB / 1992 / A01 – GAB / 1993 / A02 – GUI / 1993 / A01 – MAI / 1995 / A04 – MAR / 1962 / A02 – MLI / 1997 / A03 – ROM / 1993 / A03 – ROM / 1993 / A04 – ROM / 1995 / A06 – ROM / 1995 / A07 – ROM / 1995 / A10 – ROM / 1996 / A12 – RWA / 1996 / A05 – SEN / 1993 / A02 – SUI / 1995 / A05

5.2.4.1. – Champ d’application

5.2.4.1.1. – Charges publiques

BEL / 1995 / A14 – BEL / 1995 / A17 – BEL / 1996 / A19 EGY / 1989 / A10 – FRA / 1995 / A09 – FRA / 1997 / A10 MAI / 1984 / A02 – MAR / 1959 / A01 – MAR / 1968 / A03 – MON / 1963 / A01 – MON / 1994 / A05 – ROM / 1993 / A01 – ROM / 1993 / A02 – ROM / 1993 / A09 – ROM / 1995 / A08 – ROM / 1995 / A11 – RWA / 1983 / A01 RWA / 1997 / A07 – SUI / 1992 / A04 – SUI / 1997 / A07 SUI / 1997 / A09 5.2.4.1.2. – Emploi BUL / 1992 / A01 – CAN / 1991 / A02

5.2.4.1.2. – Emploi

BUL / 1992 / A01 – CAN / 1991 / A02

5.2.4.1.2.1. – Privé

ROM / 1995 / A09

5.2.4.1.2.2. – Public

BEL / 1993 / A08 – BEN / 1994 / A02 – BEN / 1996 / A06 – BEN / 1996 / A07 – BEN / 1996 / A08 – BEN / 1996 / A09 – BEN / 1996 / A10 MAR / 1993 / A05 – MLI / 1996 / A02 – ROM / 1995 / A07 – RWA / 1993 / A03 – RWA / 1997 / A06

5.2.4.1.3. – Sécurité sociale

CAN / 1992 / A03 – CAN / 1995 / A05 – CAN / 1997 / A06 – FRA / 1990 / A05 – FRA / 1997 / A10 – ROM / 1995 / A09 – SUI / 1991 / A03

5.2.4.1.4. – Elections

BEN / 1995 / A03 – BEN / 1995 / A04 – CIV / 1995 / A01 CIV / 1995 / A02 – CIV / 1995 / A03 – CIV / 1995 / A04 CIV / 1995 / A05 – EGY / 1987 / A08 – FRA / 1982 / A03 FRA / 1991 / A06 – GAB / 1993 / A03 – GUI / 1994 / A02 LIB / 1996 / A02 – MAI / 1990 / A03 – MAR / 1995 / A07 MLI / 1996 / A01 – NIG / 1992 / A01 – NIG / 1993 / A02 SEN / 1993 / A01 – SUI / 1997 / A08

5.2.4.2. – Critères de différenciation

BUL / 1992 / A02

5.2.4.2.1. – Sexe

FRA / 1982 / A03 – SUI / 1982 / A01 – SUI / 1991 / A03 SUI / 1997 / A08

5.2.4.2.2. – Race

5.2.4.2.3. – Origine nationale ou ethnique

BEL / 1997 / A23 – MAR / 1990 / A04

5.2.4.2.4. – Citoyenneté

CAN / 1989 / A01 – MLI / 1997 / A03

5.2.4.2.5. – Origine sociale

5.2.4.2.6. – Religion

EGY / 1975 / A05

5.2.4.2.7. – Age

CAN / 1991 / A02

5.2.4.2.8. – Handicap physique ou mental

CAN / 1997 / A06 – ROM / 1995 / A11

5.2.4.3. – Discrimination positive

BEL / 1994 / A10 – FRA / 1995 / A08 – SUI / 1997 / A08

5.2.5. – Liberté individuelle

5.2.6. – Liberté de mouvement

5.2.7. – Droit à l’émigration

5.2.8. – Droit à la sécurité

5.2.9. – Garanties de procédure et procès équitable

BEN / 1993 / A01 – ROM / 1993 / A03 – RWA / 1996 / A05

5.2.9.1. – Champ d’application

5.2.9.1.1. – Procédure administrative non contentieuse

ROM / 1995 / A10

5.2.9.2. – Accès aux tribunaux

BEL / 1991 / A03 – BEL / 1994 / A13 – BEL / 1996 / A21 – EGY / 1989 / A11 – GAB / 1993 / A02 – ROM / 1994 / A05 – ROM / 1995 / A10

5.2.9.2.1. – Habeas corpus

5.2.9.3. – Publicité des débats

5.2.9.4. – Publicité des jugements

5.2.9.5. – Droit à la notification de la décision

5.2.9.6. – Droit à la consultation du dossier

5.2.9.7. – Délai raisonnable

5.2.9.8. – Indépendance

LIB / 1995 / A01 – SEN / 1994 / A03

5.2.9.9. – Impartialité

5.2.9.10. – Double degré de juridiction

5.2.9.11. – Interdiction de la reformatio in pejus

5.2.9.12. – Légalité des preuves

5.2.9.13. – Motivation

5.2.9.14. – Droits de la défense

BEL / 1995 / A15 – SUI / 1996 / A06

5.2.9.15. – Egalité des armes

BEL / 1996 / A21 – LIB / 1995 / A01 – ROM / 1994 / A05 – SEN / 1993 / A02

5.2.9.16. – Débats contradictoires

5.2.9.17. – Langues

5.2.9.18. – Présomption d’innocence

5.2.9.19. – Droit de ne pas s’incriminer soi-même

5.2.9.20. – Droit d’être informé des raisons de la détention

5.2.9.21. – Droit d’être informé des raisons de l’accusation

5.2.9.22. – Droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à l’affaire

5.2.9.23. – Droit à l’assistance d’un avocat

5.2.9.24. – Droit d’interroger les témoins

5.2.10. – Liberté du domicile et de l’établissement

5.2.11. – Liberté de conscience

5.2.12. – Liberté d’opinion

5.2.13 – Liberté des cultes

5.2.14. – Liberté d’expression

BEL / 1993 / A08

5.2.15. – Liberté de la presse écrite

5.2.16. – Droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication

SEN / 1993 / A01 – GAB / 1992 / A01 – GAB / 1993 / A03 – GUI / 1994 / A02

5.2.17. – Droit à l’information

5.2.18. – Droit à la transparence administrative

5.2.19. – Droits d’accès aux documents administratifs

5.2.20. – Droit à la nationalité

5.2.21. – Service national

5.2.22. – Liberté d’association

BEL / 1993 / A08

5.2.23. – Liberté de réunion

5.2.24. – Droit aux activités politiques

5.2.25. – Droit à l’honneur et à la réputation

5.2.26. – Droit à la vie privée

5.2.26.1. – Protection des données à caractère personnel

5.2.27. – Droit à la vie familiale

5.2.27.1. – Filiation

BEL / 1993 / A09 – BEL / 1997 / A22

5.2.27.2. – Aspects successoraux

BEL / 1993 / A09

5.2.28. – Inviolabilité du domicile

5.2.29. – Inviolabilité des communications

5.2.29.1. – Correspondance

5.2.29.2. – Communications téléphoniques

5.2.29.3. – Communications électroniques

5.2.30. – Droit de pétition

5.2.31. – Non-rétroactivité de la loi

5.2.31.1. – Loi pénale

5.2.31.2. – Loi civile

5.2.31.3. – Loi fiscale

5.2.32. – Droit de propriété

EGY / 1981 / A07 – ROM / 1993 / A02 – ROM / 1993 / A09 – RWA / 1991 / A02

5.2.32.1. – Expropriation

5.2.32.2. – Nationalisation

FRA / 1982 / A02

5.2.32.3. – Autres limitations

FRA / 1988 / A04 – MON / 1967 / A03

5.2.32.4. – Privatisation

5.2.33. – Liberté de l’emploi des langues

5.2.34. – Droits électoraux

EGY / 1990 / A12 – LIB / 1996 / A02 – MAI / 1990 / A03 – MLI / 1996 / A01 – SUI / 1997 / A08

5.2.34.1. – Droit de vote

CIV / 1995 / A04 – CIV / 1995 / A05 – FRA / 1982 / A03 – FRA / 1991 / A06 – GUI / 1994 / A02 – MAR / 1995 / A07 – MLI / 1997 / A03

5.2.34.2. – Eligibilité

FRA / 1982 / A03

5.2.35. – Droits en matière fiscale

BEL / 1994 / A12 – BEL / 1995 / A14 – BEL / 1995 / A17 – BEL / 1996 / A19 – FRA / 1973 / A01 – MAI / 1984 / A02 – MON / 1967 / A02 – MON / 1967 / A03 – ROM / 1993 / A01 – ROM / 1995 / A07 – ROM / 1995 / A06 – ROM / 1993 / A09 – RWA / 1983 / A01 – SUI / 1992 / A04

5.2.36. – Droit d’asile

5.2.37. – Droit au libre épanouissement de la personnalité

5.2.38. – Droits de l’enfant

5.2.39. – Protection des minorités ou des personnes appartenant à des minorités

5.3. – Droits économiques, sociaux et culturels

5.3.1. – Liberté de l’enseignement

5.3.2. – Droit à l’enseignement

BEL / 1994 / A11 – FRA / 1994 / A07 – ROM / 1993 / A04 – ROM / 1995 / A08

5.3.3. – Droit au travail

ROM / 1995 / A08

5.3.4. – Liberté de choix de la profession

5.3.5. – Liberté d’exercice d’une activité lucrative

MAR / 1990 / A04 – ROM / 1995 / A09

5.3.6. – Liberté du commerce et de l’industrie

SUI / 1995 / A05 – SUI / 1997 / A07

5.3.7. – Droit d’accès aux fonctions publiques

BEN / 1994 / A02 – BEN / 1996 /A07 – BEN / 1996 / A08 – MLI / 1996 / A02 ROM / 1995 / A08 – RWA / 1997 / A06

5.3.8. – Droit de grève

BEL / 1993 / A08

5.3.9. – Liberté syndicale

BEL / 1993 / A08

5.3.10. – Droit à la propriété intellectuelle

5.3.11. – Droit au logement

5.3.12. – Droit à la sécurité sociale

5.3.13. – Droit à des conditions de travail justes et favorables

5.3.14. – Droit à un niveau de vie suffisant

5.3.15. – Droit à la santé

5.3.16. – Droit à la culture

5.3.17. – Liberté de la science

5.3.18. – Liberté de l’art

5.4. – Droits collectifs

5.4.1. – Droit à l’environnement

5.4.2. – Droit au développement

5.4.3. – Droit à la paix

5.4.4. – Droit à l’autodétermination

Outil 2 Index alphabétique

L’index alphabétique est conçu comme un outil complémentaire au thésaurus de la Commission de Venise, assurant ainsi la souplesse de l’indexation et de la recherche par les utilisateurs.

A

Actionnaires: FRA / 1988 / A04 – FRA / 1995 / A09 – MON / 1967 / A03

Adoption plénière: BEL / 1997 / A22

Ancienneté: RWA / 1997 / A06

Antenne (temps d’antenne): GAB / 1992 / A01 – GAB / 1993 / A03

Appel: BEL / 1996 / A21

Appartenance politique: BEN / 1996 / A09

Assurance automobile: CAN / 1995 / A04

Assurance maladie: CAN / 1997 / A06

Avancement: MLI / 1996 / A02 – RWA / 1993 / A03

Avocats: SUI / 1996 / A06

Avocat (accès à la profession d’avocat): CAN / 1989 / A01 – ROM / 1995 / A09

B

Banques: FRA / 1982 / A02 – FRA / 1988 / A04

Branche économique (égalité au sein d’une même branche économique): SUI / 1995 / A05 – SUI / 1997 / A07

Bulletins de vote: BEN / 1995 / A03 – GUI / 1994 / A02

Bureaux de vote: CIV / 1995 / A01 – MAR / 1995 / A07

Bureaux de vote (maintien dans des zones d’accès difficile): CIV / 1995 / A04 – MAR / 1995 / A07

C

Campagne électorale: GAB / 1993 / A03 – GUI / 1994 / A02 – SEN / 1993 / A01

Candidats (à une élection): BEN / 1995 / A03 – BEN / 1995 / A04 – CIV / 1995 / A01 CIV / 1995 / A02 – CIV / 1995 / A03 – CIV / 1995 / A05 – EGY / 1987 / A08 – EGY / 1990 / A12 – GAB / 1993 / A03 – GUI / 1994 / A02 – LIB / 1996 / A02 – MAI / 1990 / A03 – MAR / 1995 / A07 – NIG / 1992 / A01 – SEN / 1993 / A01 – SUI / 1997 / A08

Candidats (à un emploi): BEN / 1996 / A10 – EGY / 1989 / A09

Cartes d’identité: GAB / 1993 / A02

Catégorisation: SEY / 1996 / A01

Charte africaine des droits fondamentaux et des peules: BEN / 1994 / A02 – BEN / 1995 / A04 – BEN / 1996 / A06 – BEN / 1996 / A07 – BEN / 1996 / A10 – SEN / 1993 / A02

Charte canadienne des droits et libertés: CAN / 1989 / A01 – CAN / 1991 / A02 – CAN / 1992 / A03 – CAN / 1995 / A04 – CAN / 1995 / A05 – CAN / 1997 / A06

Circonscriptions électorales (découpage des circonscriptions électorales): LIB / 1996 / A02

Circonscriptions électorales (densité de population): MLI / 1996 / A01

Circonstances exceptionnelles: LIB / 1995 / A01

Citoyenneté: MAI / 1995 / A04

Collectivités locales (libre administration): FRA / 1994 / A07

Concubins: SUI / 1992 / A04 – SUI / 1997 / A09

Concurrence: SUI / 1997 / A07

Conjoint (définition): CAN / 1995 / A04 – CAN / 1995 / A05

Conjoint de fait: CAN / 1995 / A04

Conjoints séparés de fait: BEL / 1996 / A19

Conscrits: EGY / 1991 / A13

Conseil national de la communication: GAB / 1992 / A01 – GAB / 1993 / A03

Constitution des Etats-Unis: MAI / 1984 / A02 – SEY / 1996 / A01

Convention relative à la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement: ROM / 1993 / A04

Critères sociaux: BUL / 1992 / A02

D

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789: BUL / 1992 / A02 – FRA / 1982 / A02 – SEN / 1993 / A02

Déclaration universelle des droits de l’Homme: CAN / 1995 / A04 – SEN / 1993 / A02

Délai pour agir en justice: EGY / 1989 / A11

Démission (obligation de démission): BEN / 1995 / A04

Départements ministériels: BEN / 1996 / A07

Députés: BUL / 1992 / A02 – MAR / 1995 / A06

Déroulement de carrière: BEN / 1994 / A02 – BEN / 1996 / A06 – BEN / 1996 / A07

Différence de traitement pénal: ROM / 1993 / A01

Diplômes: ROM / 1995 / A08

Directives territoriales d’aménagement: FRA / 1995 / A08

Discriminations: EGY / 1990 / A12

E

Egalité des chances: EGY / 1972 / A02 – EGY / 1981 / A07 – EGY / 1987 / A08 – EGY / 1989 / A09 – EGY / 1990 / A10 – EGY / 1991 / A13

Elections (organisation): CIV / 1995 / A02

Enfants à naître: BEL / 1991 / A04

Enfants naturels: MAI / 1995 / A04

Enseignants: BEN / 1996 / A08

Enseignement: SUI / 1982 / A01

Enseignement (matières enseignées): MAI / 1995 / A05

Enseignement privé: FRA / 1994 / A07

Enseignement public: FRA / 1994 / A07

Erreur manifeste d’appréciation: MAI / 1995 / A04

Etablissements d’enseignement privé: ROM / 1993 / A04

Etat démocratique (signification du terme): MAI / 1990 / A03

Etat d’urgence: MAI / 1969 / A01

F

Fonctionnaires: MLI / 1996 / A02

Fonction publique: BEL / 1993 / A08

Fonds national pour l’assistance aux victimes les plus nécessiteuses du génocide: RWA / 1997 / A07

G

Gendarmerie: BEL / 1993 / A07 – BEL / 1993 / A08

Grade (dans une profession): MAR / 1993 / A05

Groupes parlementaires: MAR / 1995 / A06

I

Illicéité (égalité de traitement dans l’illicéité): SUI / 1989 / A02

Incompatibilités: FRA / 1991 / A06

Indemnités parlementaires: ROM / 1995 / A07

Inégalités correctrices (voir thésaurus: discrimination positive): BEL / 1994 / A10

Ingénieurs: MAR / 1993 / A05

Intervention législative: SEY / 1996 / A01

Invalides: ROM / 1995 / A11

J

Justice (égalité devant la justice): BEN / 1993 / A01 – MAI / 1984 / A02 – ROM / 1994 / A05 – SEN / 1993 / A02

L

Listes électorales: FRA / 1982 / A03 – FRA / 1991 / A06

Locataires: EGY / 1981 / A07 – EGY / 1989 / A10

Locaux à usage professionnel: EGY / 1981 / A07 – EGY / 1989 / A10

Loi (date d’application de la loi): BEN / 1996 / A06

Loi (égalité devant la loi): BEN / 1995 / A03 – BEN / 1996 / A06 – BEN / 1996 / A08 BEN / 1996 / A10 – BUL / 1992 / A01 – BUL / 1992 / A02 – CAN / 1989 / A01 – CAN / 1991 / A02 – EGY / 1972 / A01 – EGY / 1972 / A02 – EGY / 1974 / A04 – EGY / 1981 / A06 – EGY / 1981 / A07 – EGY / 1987 / A08 – EGY / 1989 / A10 – EGY / 1989 / A11 EGY / 1990 / A12 – EGY / 1991 / A13 – FRA / 1982 / A03 – FRA / 1991 / A06 – FRA / 1995 / A08 – GAB / 1993 / A02 – GUI / 1993 / A01 – LIB / 1996 / A02 – MAI / 1984 / A02 – MAI / 1995 / A05 – MON / 1963 / A01 – MON / 1967 / A02 – MON / 1967 / A03 – MON / 1975 / A04 – NIG / 1992 / A01 – ROM / 1993 / A01 – ROM / 1993 / A04 ROM / 1995 / A07 – ROM / 1995 / A10 – ROM / 1995 / A11 – RWA / 1983 / A01 – RWA / 1991 / A02 – RWA / 1996 / A04 – RWA / 1996 / A05 – RWA / 1997 / A06 – SEN / 1993 / A02 – SUI / 1989 / A02

Loi (égalité dans la loi): CAN / 1989 / A01

Loi (égalité de protection et de bénéfice de la loi): CAN / 1989 / A01 – SEY / 1996 / A01

M

Manœuvre frauduleuse: GAB / 1993 / A03

Médecins: MAR / 1990 / A04

Modes de scrutin: MLI / 1996 / A01

Mutations: BEN / 1996 / A09

Mutualisation: FRA / 1988 / A04

N

Neutralité: EGY / 1972 / A01

Notaires: ROM / 1995 / A08

O

Orientation sexuelle: CAN / 1995 / A05

P

Parents adoptifs: CAN / 1992 / A03

Parents naturels: CAN / 1992 / A03

Peuple corse: FRA / 1991 / A06

Permis de construire: MON / 1975 / A04

Personnes handicapées: BUL / 1992 / A02

Plans d’épargne retraite: FRA / 1997 / A10

Préjudice anormal et spécial: MON / 1994 / A05

Prescription: ROM / 1993 / A02

Prestations: CAN / 1992 / A03

Preuve (absence de preuves des considérations discriminatoires): BEN / 1996 / A09

Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité): CIV / 1995 / A01 – CIV / 1995 / A02 – CIV / 1995 / A03 – GUI / 1994 / A02

Preuve (possibilité d’apporter une preuve contraire à une décision de taxation d’office): FRA / 1973 / A01

Prévoyance professionnelle: SUI / 1991 / A03

Privilèges: BUL / 1992 / A02

Profession: ROM / 1995 / A11

Profession (accès à une profession): BUL / 1992 / A01

Propriété immobilière: MAI / 1984 / A02

Propriété privée: ROM / 1993 / A03

Propriété publique: ROM / 1993 / A03

R

Récusation: BEN / 1993 / A01

Refus de réintégration: BEN / 1996 / A05

Retraite: CAN / 1991 / A02 – ROM / 1995 / A12 – SUI / 1991 / A03

S

Salaires: ROM / 1993 / A01

Salariés: ROM / 1995 / A10 – ROM / 1996 / A12

Sanctions disciplinaires: ROM / 1995 / A09 – ROM / 1995 / A10

Service militaire: EGY / 1991 / A13

Service public (égalité devant le service public): GUI / 1993 / A01

Service public de la justice (égalité devant le service public de la justice): LIB / 1995 / A01

Sociétaires (égalité entre les sociétaires): FRA / 1988 / A04

Suffrage (égalité du suffrage): FRA / 1995 / A08

T

Taxes: ROM / 1993 / A02 – ROM / 1995 / A06

Taxe sur la valeur ajoutée: SUI / 1997 / A07

Taxis: SUI / 1995 / A05

Z

Zones prioritaires de développement: FRA / 1995 / A08

II. Présentation des décisions par pays

Cour d’arbitrage du Royaume de Belgique

BEL / 1990 / A01
Belgique/ Cour d’Arbitrage / 23-05-1990 / Arrêt n° 18-90 / abstrats

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – Portée – Principes généraux du droit et principes fondamentaux de l’ordre juridique

Il peut être admis que les distinctions opérées par les dispositions attaquées se justifient par l’intention de sauvegarder un intérêt public supérieur, pourvu que les mesures prises puissent être raisonnablement considérées comme n’étant pas disproportionnées à l’objectif général poursuivi par le législateur. Elles le seraient notamment si une telle sauvegarde était recherchée au prix d’une méconnaissance de principes fondamentaux de l’ordre juridique belge.

BEL / 1991 / A02
Belgique/Cour d’Arbitrage/ 28-05-1991/Arrêt n°13-91 (jurisprudence constante)/abstrats

3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – Pouvoir d’appréciation du législateur

L’article 107ter (article 142 nouveau) de la Constitution ne confère pas à la Cour d’arbitrage un pouvoir d’appréciation et de décision qui serait comparable à celui des assemblées législatives. Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle du législateur.

Même arrêt :

5.1.2.4.2 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires des droits – personnes morales – droit public

Principe d’égalité – Application aux institutions publiques

Les règles d’égalité et de non-discrimination inscrites dans les articles 6 et 6bis (articles 10 et 11 nouveaux) de la Constitution s’appliquent non seulement aux citoyens pris individuellement mais peuvent s’appliquer aussi à des groupes composés de citoyens. Les facteurs essentiels de la commune sont un territoire, des habitants, des organes propres, des intérêts propres. La commune est une société de citoyens unis par des relations locales. L’article 31 de la Constitution charge les conseils communaux du règlement des intérêts communaux. Le principe d’autonomie communale contient la reconnaissance du pouvoir communal comme pouvoir indépendant. Il s’ensuit que toute commune a droit à un traitement égal par rapport aux autres groupes configurés de manière identique par le droit positif (jurisprudence appliquée aux provinces arrêt n° 31/91).

BEL / 1991 / A03
Belgique / Cour d’Arbitrage / 13-06-1991 / Arrêt n° 16-91 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Séparation des pouvoirs – Droit d’accès à un juge

L’article 14 des lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, permet à tous les citoyens d’introduire un recours en annulation auprès du Conseil d’Etat contre les actes du pouvoir exécutif et institue de la sorte, de la manière la plus générale qui soit, une garantie juridictionnelle essentielle.

Dans la mesure où l’article 29 attaqué de la loi du 20 juillet 1990 se rapporte aux arrêtés royaux du 27 février 1989 et du 18 décembre 1989, la Cour constate que cette disposition a pour objet de relever de son irrégularité un arrêté royal après que cette irrégularité a été établie par une décision du Conseil d’Etat d’une part et, d’autre part, d’empêcher le Conseil d’Etat de se prononcer sur l’irrégularité éventuelle d’un arrêté royal dont il a suspendu l’exécution. Les parties requérantes ainsi que l’ensemble de la catégorie des citoyens auxquels s’appliquaient les dispositions annulées de l’arrêté royal du 27 février 1989 et les dispositions suspendues de l’arrêté royal du 18 décembre 1989 se voient ainsi privés par le législateur d’une garantie juridictionnelle essentielle, s’appliquant à tous les citoyens.

Les parties requérantes font ainsi l’objet d’un traitement inégal, qui, en l’espèce, n’est pas objectivement justifié. L’article 29 de la loi du 20 juillet 1990 viole donc les articles 6 et 6bis (article 10 et 11 nouveaux) de la Constitution, dans les limites où il confirme les dispositions annulées de l’arrêté royal du 27 février 1989 et les dispositions suspendues de l’arrêté royal du 18 décembre 1989.

BEL / 1991 / A04
Belgique / Cour d’Arbitrage / 19-12-1991 / Arrêt n° 39-91 / abstrats

5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Enfants à naître

Principe d’égalité – Application aux enfants à naître

Les articles 6 et 6bis (articles 10 et 11 nouveaux) de la Constitution n’établissent pas par eux-mêmes que l’être humain bénéficierait, dès sa conception, de la protection qu’ils garantissent.

Il ne peut être inféré des dispositions internationales conventionnelles invoquées par les parties requérantes que l’adhésion que l’Etat belge y a donnée emporte la garantie constitutionnelle de droits identiques aux personnes vivantes et aux enfants à naître. Sans doute certaines dispositions qui figurent dans plusieurs conventions invoquées par les parties requérantes imposent-elles aux Etats signataires de prendre des mesures propres à permettre qu’une grossesse puisse être normalement menée à son terme dans les meilleures conditions possibles. Il existe en outre, notamment dans le droit civil et dans le droit social belges, des dispositions législatives qui protègent les intérêts et la santé de l’enfant à naître dès sa conception.

Si l’obligation de respecter la vie impose au législateur de prendre des mesures pour protéger aussi la vie à naître, il ne peut cependant en être déduit que le législateur soit obligé, à peine de méconnaître les articles 6 et 6bis (articles 10 et 11 nouveaux) de la Constitution, de traiter de manière identique l’enfant né et l’enfant à naître.

BEL / 1992 / A05
Belgique / Cour d’Arbitrage / 12-11-1992 / Arrêt n° 67-92 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle– lois et autres normes à valeur législative
3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non- discrimination

Séparation des pouvoirs – Droit d’accès à un juge

Lorsqu’un acte réglementaire est annulé pour vice de forme, c’est normalement à l’autorité qui a adopté cet acte qu’il appartient de le refaire, en respectant les règles de forme qu’elle avait méconnues. En l’espèce, le législateur a entendu porter remède à l’impossibilité légale dans laquelle se trouvait la province de Brabant de refaire l’acte annulé, c’est-à-dire d’adopter en 1990 ou en 1991 un règlement rétroagissant en 1988. De plus, le législateur a entendu, ce faisant, remédier aux difficultés financières et administratives qu’aurait entraînées pour la province de Brabant cette impossibilité de réfection de l’acte annulé, les centimes additionnels perçus en 1988 étant privés de base juridique et devant dès lors faire l’objet d’un remboursement, ce qui eût placé la province de Brabant dans une situation très difficile. En l’espèce, l’objectif poursuivi par le législateur n’est pas illégitime.

BEL / 1992 /A06
Belgique / Cour d’Arbitrage / 18-11-1992 / Arrêt n° 74-92 / abstrats

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – portée – Droits et libertés

Le respect des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination exige que les limitations imposées à une catégorie de personnes n’aillent pas audelà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé. Ce contrôle de proportionnalité doit être particulièrement rigoureux lorsqu’il est porté atteinte à un droit fondamental.

Même arrêt :

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – éligibilité

Égalité devant le suffrage

L’éligibilité est un droit fondamental dans une société démocratique. Elle ne peut faire l’objet que de limitations particulières, lesquelles, même indirectes, doivent se justifier notamment par des exigences spécifiques, indispensables à l’exercice d’une fonction déterminée. Le respect des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination exige que les limitations imposées à une catégorie de personnes n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé. Ce contrôle de proportionnalité doit être particulièrement rigoureux lorsqu’il est porté atteinte à un droit fondamental.

BEL / 1993 / A07
Belgique / Cour d’Arbitrage / 6-05-1993 / Arrêt n° 35-93 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Gendarmerie

Evolution dans le temps de l’interprétation de la norme de référence

A présent que cette réforme est en cours – en ce qui concerne la gendarmerie, elle a été achevée par la loi du 24 juillet 1992 –, la disposition attaquée n’apparaît pas comme déraisonnable si l’on tient compte des intentions du législateur; celui-ci a pu estimer qu’il était préférable de consacrer une loi distincte à l’adaptation, à la nouvelle conception de la gendarmerie, du statut pénal et disciplinaire qui était applicable depuis de nombreuses années. Dans ces conditions, le maintien temporaire de la compétence des juridictions militaires à l’égard des membres de la gendarmerie ne saurait être considéré comme discriminatoire, pour autant du moins que la nouvelle législation, comprenant un statut disciplinaire et pénal adapté et supprimant la compétence des juridictions militaires, entre en vigueur dans un délai raisonnable. Compte tenu des difficultés spécifiques que pose la transformation du statut de la gendarmerie, le délai de seize mois qui s’est écoulé depuis l’entrée en vigueur de la disposition attaquée sans que la loi du 24 juillet 1992 soit à son tour entrée en vigueur n’apparaît pas encore comme manifestement de nature à rendre discriminatoire la disposition attaquée.

BEL / 1993 / A08
Belgique / Cour d’Arbitrage / 15-07-1993 / Arrêt n° 62-93 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
2.1.1.5 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Charte sociale européenne de 1961
2.1.1.7 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
2.1.1.8 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966
4.7 Institutions – forces armées, forces de l’ordre

5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi-public
5.2.14 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – liberté d’expression
5.2.22 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – liberté d’association
5.3.8 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit de grève
5.3.9 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – liberté syndicale

Fonction publique – Gendarmerie

Egalité dans la fonction publique

L’article 24/9 de la loi du 27 décembre 1973 relative au statut du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, inséré par l’article 5 de la loi du 24 juillet 1992, comprend deux alinéas. L’alinéa 1er dispose que les membres du personnel susvisé «s’abstiennent, en toutes circonstances, de manifester publiquement leurs opinions politiques et de se livrer à des activités politiques. Aux termes de l’alinéa 2, «il leur est interdit de s’affilier ou de prêter leur concours à des partis politiques, de même qu’à des mouvements, groupements, organisations ou associations poursuivant des fins politiques. Il ressort de l’analyse de ces deux dispositions que la première vise toutes les prises de positions et activités politiques qui ont un caractère nettement public; la seconde vise par contre des actes qui n’ont pas nécessairement un caractère public, telle la simple affiliation à un parti politique.

Les deux dispositions imposent aux membres du personnel concerné des restrictions considérables en ce qui concerne, entre autres, la liberté d’expression et la liberté d’association.

Les articles 14 et 20 de la Constitution n’empêchent pas que certaines restrictions puissent être imposées aux fonctionnaires concernant la liberté d’expression et la liberté d’association, mais de telles restrictions doivent satisfaire aux exigences formulées par les articles 10.2 et 11.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par les articles 19.3 et 22.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Aux termes de l’article 10.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la liberté d’expression peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires entre autres au maintien de l’ordre.

Afin de garantir le fonctionnement des institutions vitales pour un Etat démocratique de droit ainsi que les droits des citoyens, il peut être nécessaire d’imposer certaines limitations à la liberté d’expression, plus particulièrement en vue d’assurer le respect du droit et le maintien de l’ordre.

La disposition qui prévoit que les membres du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie «s’abstiennent, en toutes circonstances, de manifester publiquement leurs opinions politiques et de se livrer à des activités politiques n’est pas, dans l’interprétation donnée ci-avant, manifestement disproportionnée à l’objectif visé, qui est de garantir un service de police efficace dont l’impartialité soit incontestable, au bénéfice des autorités et des citoyens, en vue de protéger le bon fonctionnement de la démocratie.

Aux termes de l’article 11.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il n’est pas interdit que des restrictions légales soient imposées à l’exercice de la liberté de réunion pacifique et d’association par les membres de la police. En vertu de l’article 22.2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’exercice par les membres de la police du droit de s’associer librement peut faire l’objet de restrictions légales.

Les dispositions précitées s’opposent à ce qu’il soit porté atteinte à l’essence même du droit d’association. Il résulte des formulations utilisées que seul peut être limité l’exercice du droit d’association par les membres des services de police, et uniquement dans la mesure où de telles restrictions répondent au critère de nécessité dans une société démocratique, puisque ce critère est à la base des conventions visées en général.

La disposition selon laquelle il est interdit aux membres du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie de s’affilier ou de prêter leur concours à des partis politiques, de même qu’à des mouvements, groupements, organisations ou associations poursuivant des fins politiques est, selon les travaux préparatoires, nécessaire en vue de garantir que la gendarmerie soit, en tant que service national de police, neutre et disponible (Doc. parl., Sénat, S.E., 1991-1992, n° 333/2, p. 3). Du fait de sa généralité, l’interdiction instaurée par le législateur est, dans l’interprétation donnée sous B.3.3, manifestement disproportionnée à l’objectif qu’il entendait poursuivre, étant donné que l’affiliation à un parti politique, à un mouvement ou à une organisation poursuivant des fins politiques ainsi que d’autres formes non publiques de coopération ne sont pas de nature à mettre en péril la neutralité du corps ni à faire obstacle à sa disponibilité.

L’article 24/10 de la loi du 27 décembre 1973 relative au statut du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, inséré par l’article 5 de la loi du 24 juillet 1992, dispose que les membres de ce personnel «ne peuvent s’affilier qu’à des associations professionnelles dont les statuts sont conformes aux conditions énumérées à l’article 12, 1° à 5°, de la loi du 11 juillet 1978 (…), groupant exclusivement des membres du personnel en service actif ou pensionnés et dont les statuts prévoient expressément que la majorité des membres du conseil d’administration sont des membres des cadres actifs en activité de service.

L’article 12, 1° à 5°, de la loi du 11 juillet 1978 énumère les conditions suivantes 1° Elles doivent défendre les intérêts de toutes les catégories de personnel de la gendarmerie auxquelles la loi est applicable; 2° Elles doivent exercer leur activité sur le plan national; 3° Leurs buts ne peuvent constituer une entrave au fonctionnement de la gendarmerie; 4° Elles ne peuvent être ni fédérées ni liées sous quelque forme que ce soit à une autre organisation syndicale ne remplissant pas les conditions fixées à l’article 16, § 2, de la loi du 14 janvier 1975 portant le règlement de discipline des forces armées; 5° Elles doivent se faire connaître au ministre de la Défense nationale par l’envoi, sous pli recommandé à la poste, d’une copie de leurs statuts et de la liste de leur dirigeants responsables.

L’article 11.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 22.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques autorisent que des restrictions légitimes soient apportées à l’exercice, par les membres des services de police, du droit d’association, en ce compris le droit de former des syndicats et de s’affilier aux syndicats en vue de protéger leurs intérêts. L’article 8.2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et l’article 5 de la Charte sociale européenne ont la même teneur. L’article 20 de la Constitution n’empêche pas davantage que des restrictions soient apportées à l’exercice du droit de constituer des syndicats et d’y adhérer, dans le chef des fonctionnaires en général et, spécialement, des membres du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, en particulier en raison des exigences posées par le bon fonctionnement du service public. De telles limitations ne sont toutefois admissibles que pour autant qu’elles soient nécessaires dans une société démocratique.

D’une part, l’on observera que les conditions d’agrément énoncées à l’article 12, 1°, 2°, 3° et 5°, de la loi du 11 juillet 1978 ainsi que l’exigence formulée à l’article 24/10, prévoyant que les associations professionnelles peuvent grouper exclusivement des membres du personnel en service actif ou pensionnés et que la majorité des membres du conseil d’administration doivent être des membres des cadres actifs en activité de service, ne constituent pas des restrictions qui puissent être considérées comme manifestement disproportionnées aux exigences du bon fonctionnement du service public, en l’occurrence le corps de la gendarmerie. Ces dispositions tendent en effet à garantir un minimum de représentativité au sein des associations professionnelles et à éviter que la gendarmerie soit gênée dans son fonctionnement.

D’autre part, l’on relèvera que la disposition contenue à l’article 12, 4°, ne peut davantage être considérée comme manifestement disproportionnée avec les exigences du bon fonctionnement du corps de la gendarmerie en tant que service public neutre par excellence, étant donné que cette disposition entend prévenir que les syndicats de la gendarmerie agréés, qui répondent aux critères fixés concernant la représentativité et la loyauté, ne s’affilient à des organisations interprofessionnelles qui ne répondent pas à ces critères. Ceci ne les prive pas du droit de constituer des organes de coordination des syndicats reconnus de la gendarmerie.

De ce qui précède, il résulte que l’article 24/10 de la loi du 27 décembre 1973 ne viole pas les articles 6 et 6bis de la Constitution.

L’article 24/11 de la loi du 27 décembre 1973 relative au statut du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, inséré par l’article 5 de la loi du 24 juillet 1992, dispose que toute forme de grève est interdite aux membres de ce personnel. Aux termes des travaux préparatoires, cette disposition vise, conjointement avec l’article 24/41, à garantir que la gendarmerie et donc son personnel soit en tout temps disponible. En situation de crise, lorsque d’autres services d’urgence font défaut à la suite de mouvements de grève ou de manifestations, l’autorité doit avoir en main tous les moyens lui permettant de mettre en œuvre cette part essentielle de la force publique qu’est la gendarmerie (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1428/1, p. 26; Doc. parl., Sénat, S.E. 1991-1992, n° 333/2, p. 3). Aux termes de l’article 8.1, d), lu conjointement avec l’article 2.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Belgique s’est engagée à prendre des mesures «en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte, parmi lesquels le droit de grève «exercé conformément aux lois de chaque pays. L’article 8.2 permet cependant de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit, entre autres par les membres de la police.

Il ressort de l’article 6 de la Charte sociale européenne que la Belgique, «en vue d’assurer l’exercice effectif du droit de négociation collective, s’est engagée à garantir «le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur. Aux termes de l’article 31 de la Charte, l’exercice effectif, tel qu’il est prévu dans la partie II, des droits et principes, parmi lesquels le droit de grève, peut faire l’objet de restrictions, autres que celles spécifiées dans la partie II, qui sont prescrites par la loi et sont nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le respect des droits et des libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique ou les bonnes mœurs. Les motifs mentionnés ci-avant sont de nature à justifier la différence de traitement entre les membres du corps opérationnel de la gendarmerie et ceux des autres services de police; l’interdiction de la grève répond en l’espèce à une nécessité dans une société démocratique pour garantir le respect des droits et des libertés d’autrui et pour protéger l’ordre public. Il est par ailleurs prévu dans la législation d’autres moyens permettant aux syndicats de la gendarmerie de défendre les intérêts collectifs de leurs membres.

L’article 24/41 de la loi du 27 décembre 1973, inséré par l’article 5 de la loi du 24 juillet 1992, dispose que le membre du personnel qui, dans la préparation ou l’exécution d’une mission de police administrative ou de police judiciaire, refuse d’obéir aux ordres de son supérieur ou s’abstient à dessein de les exécuter, est puni d’un emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 26 à 500 francs ou de l’une de ces peines seulement. Aux termes des travaux préparatoires de cette disposition, en perdant la qualité de militaire, le personnel de la gendarmerie ne sera plus soumis à la loi du 27 mai 1870 contenant le Code pénal militaire et échappera donc aux dispositions de ce Code qui ont essentiellement pour objet de garantir la disponibilité des forces armées et de leurs membres, à savoir celles qui concernent le refus d’ordre et la désertion. «Véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête du militaire et dont personne ne tient à faire usage, les dispositions relatives à la désertion et au refus d’ordre sont probablement les seuls atouts réellement efficaces dont l’autorité dispose pour pouvoir compter en toutes circonstances sur le concours des forces armées. Le fait qu’elles n’aient trouvé lieu à s’appliquer que très exceptionnellement à l’un ou à l’autre membre de la gendarmerie s’explique probablement par la circonstance que ce corps est composé exclusivement de personnel de carrière particulièrement motivé. Il n’en demeure pas moins qu’en situation de crise, où d’autres services d’urgence de première ligne font défaut à la suite de mouvements de grève ou de démonstrations en rue, l’autorité doit être assurée d’avoir en main tous les moyens, en ce compris l’instrument pénal, lui permettant de mettre en œuvre cette partie essentielle de la force publique qu’est la gendarmerie (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1428/1, pp. 25-26). Ce sont ces raisons qui ont amené le législateur à inscrire la disposition litigieuse dans la loi en prévoyant toutefois une peine sensiblement moins élevée que le Code pénal militaire et sans distinction, comme dans ce Code, entre les officiers et les sous-officiers, d’une part, entre temps de paix et temps de guerre, d’autre part (Ibidem, p. 26).

La mission spécifique que doit accomplir la gendarmerie en tant que service national de police, et en particulier la nécessité d’assurer le service en toutes circonstances en vue du maintien de l’ordre public et en vue de garantir le bon fonctionnement des institutions de l’Etat démocratique de droit, est de nature à justifier raisonnablement la disposition incriminée, qui n’est pas applicable aux autres services de police. Les moyens utilisés par le législateur ne peuvent pas raisonnablement être considérés comme disproportionnés à l’objectif qu’il poursuit, d’autant moins que leur champ d’application est strictement limité à la préparation et à l’exécution des missions de police administrative ou de police judiciaire.

BEL / 1993 / A09
Belgique / Cour d’Arbitrage / 1-12-1993 / Arrêt n° 83-93 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle– lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – convention européenne des droits de l’homme de 1950
2.1.3.2.1 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence internationale – Cour européenne des droits de l’homme
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination
5.2.27.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit à la vie familiale – filiation
5.2.27.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit à la vie familiale – aspects successoraux

Pouvoir d’appréciation du législateur – Evolution dans le temps de l’interprétation de la norme de référence

Lorsque le législateur met fin à une discrimination qui est apparue à la suite d’une évolution des notions de vie familiale et de vie privée, il lui appartient de le faire dès que la distinction qui avait motivé à l’origine un traitement différent n’est plus justifiée.

En l’espèce, rien ne justifie que l’entrée en vigueur de la disposition mettant fin au régime discriminatoire de l’article 756 ancien du Code civil (différence de traitement entre les enfants nés dans le mariage et hors mariage) fût retardée jusqu’au 6 juin 1987. En effet, il n’apparaît pas qu’en donnant à la disposition nouvelle une rétroactivité telle qu’elle eût été applicable à une succession ouverte le 10 janvier 1984, le législateur aurait porté une atteinte excessive à la sécurité juridique. Il s’ensuit qu’en maintenant l’article 756 ancien du Code civil en vigueur à titre transitoire, l’article 107 de la loi du 31 mars 1987 viole les articles 6 et 6bis (articles 10 et 11 nouveaux) de la Constitution.

La Cour d’arbitrage est d’avis que le principe de la sécurité juridique justifie que les successions ouvertes avant le prononcé de l’arrêt Marckx de la Cour européenne des droits de l’homme ne soient pas affectées par le constat d’inconstitutionnalité de l’ancien article 756 du Code civil. Il s’ensuit que l’ancien article 756 du Code civil peut encore s’appliquer aux successions ouvertes avant le 13 juin 1979 (date du prononcé de l’arrêt Marckx) mais qu’il est inapplicable aux successions ouvertes à partir de cette date.

BEL / 1994 / A10
Belgique / Cour d’Arbitrage / 27-01-1994 / Arrêt n° 9-94 / abstrats

5.2.4.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – discrimination positive

Inégalités correctrices (voir discrimination positive)

Principe d’égalité – Inégalités correctrices

L’on peut certes admettre que dans certaines circonstances, des inégalités ne soient pas inconciliables avec le principe d’égalité et l’interdiction de discrimination, lorsqu’elles visent précisément à remédier à une inégalité existante. Encore faut-il, pour que de telles inégalités correctrices soient compatibles avec le principe d’égalité et l’interdiction de discrimination, qu’elles soient appliquées dans les seuls cas où une inégalité manifeste est constatée, que la disparition de cette inégalité soit désignée par le législateur comme un objectif à promouvoir, que les mesures soient de nature temporaire, étant destinées à disparaître dès que l’objectif visé par le législateur est atteint, et qu’elles ne restreignent pas inutilement les droits d’autrui. Il appartient aux cours et tribunaux, au Conseil d’Etat et à la Cour d’arbitrage, selon le cas, de contrôler la conformité de telles mesures aux conditions précitées.

BEL / 1994 / A11
Belgique / Cour d’Arbitrage / 19-05-1994 / Arrêt n° 40-94 / abstrats

2.1.1.8 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.3.2 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit à l’enseignement

Principe d’égalité – Portée – Droits et libertés (droit international)

La lecture combinée de l’article 13.2 et de l’article 2.1 du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels fait apparaître que l’égalité d’accès – imposée par le Pacte – à l’enseignement secondaire et à l’enseignement supérieur doit être instaurée progressivement dans les Etats contractants, en tenant compte des possibilités économiques et de la situation des finances publiques spécifique à chacun de ces Etats, et non pas selon des conditions temporelles strictement uniformes.

Les litterae b) et c) de l’article 13.2 du Pacte n’ont donc pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne et, en soi, ne font pas naître un droit à l’accès gratuit à l’enseignement autre que primaire. Ces dispositions s’opposent toutefois, tout comme le littera a) du même article, à ce que la Belgique, après l’entrée en vigueur du Pacte à son égard – le 6 juillet 1983 –, prenne des mesures qui iraient à l’encontre de l’objectif de gratuité qui doit être immédiatement atteint en ce qui concerne l’enseignement primaire et progressivement instauré en ce qui concerne les enseignements secondaire et supérieur.

BEL / 1994 / A12 Belgique / Cour d’Arbitrage / 1-06-1994 / Arrêt n° 44-94 / abstrats

5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Principe d’égalité – Généralités

A supposer qu’il soit exact que des sociétés constituées dans un but exclusivement fiscal puissent échapper à la mesure critiquée et que des sociétés n’ayant pas été constituées dans ce but ne puissent y échapper, il ne s’ensuivrait pas que la mesure serait dénuée de pertinence. D’une part, dès lors qu’il peut être admis qu’une mesure prise par un législateur est de nature à prévenir un abus, la circonstance que des abus analogues ne sont pas encore visés ne lui ôte pas, à elle seule, sa justification. D’autre part, lorsque la loi vise à la fois des contribuables dont les situations sont diverses, il peut dans une certaine mesure être admis qu’elle appréhende cette réalité en faisant usage de catégories simplificatrices et approximatives.

BEL / 1994 / A13
Belgique / Cour d’Arbitrage / 14-07-1994 / Arrêt n° 61-94 / abstrats

3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.1.2.2.1 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – étrangers – réfugiés et candidats réfugiés
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Séparation des pouvoirs – droit d’accès à un juge

Aucune disposition de la Constitution ou d’une convention internationale n’oblige le législateur à instaurer de manière générale une procédure de référé administratif. Toutefois, lorsque le législateur estime qu’il est souhaitable de prévoir la possibilité d’une demande de suspension des actes administratifs, il ne peut refuser cette demande à certaines catégories de sujets de droit – en l’espèce, certaines catégories d’étrangers qui se déclarent réfugiés s’il n’existe pas pour ce faire une justification raisonnable.

BEL / 1995 / A14
Belgique / Cour d’Arbitrage / 2-02-1995 / Arrêt n° 8-95 / abstrats

3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Egalité devant les charges fiscales

C’est au législateur qu’il revient d’apprécier si et dans quelle mesure le souci de protéger l’environnement justifie d’imposer des sacrifices aux opérateurs économiques. Les écotaxes, qui tendent à modifier les habitudes des consommateurs et des producteurs en vue de protéger l’environnement, ont nécessairement pour conséquence de traiter différemment des autres personnes celles qui font le commerce d’objets dont l’élimination en dehors des circuits ordinaires (mise en décharge, incinération) est jugée nécessaire par le législateur. La Cour ne peut critiquer le choix opéré par le législateur que si les distinctions qui résultent de la loi sont manifestement arbitraires ou déraisonnables.

BEL / 1995 / A15
Belgique / Cour d’Arbitrage / 2-03-1995 / Arrêt n° 19-95 / abstrats

2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.14 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – droits de la défense

Principe d’égalité – Portée – Principes généraux du droit et principes fondamentaux de l’ordre juridique

Egalité devant la justice

Lorsqu’elle prévoit la délivrance de copies des dossiers répressifs et la soumet au paiement d’une taxe, la loi ne peut aboutir à traiter les justiciables d’une manière qui, eu égard à la nature des principes en cause, serait discriminatoire. Ces principes sont le respect des droits de la défense et le traitement équitable de la cause, garantis par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils impliquent le droit, pour le justiciable, de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de son argumentation, droit auquel le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination est applicable.

En ce qui concerne les dossiers répressifs, la circonstance que ceux des justiciables qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires au paiement des droits d’expédition n’auraient d’autre possibilité, pour assurer leur défense ou établir leur argumentation, que celle de consulter les pièces au greffe ou de les y faire consulter par leur représentant peut ne constituer qu’un inconfort et ne porte pas atteinte à la substance du droit de défense.

Mais, l’impossibilité de disposer de copies des pièces essentielles d’un dossier répressif peut, dans certains cas, mettre un justiciable dans l’incapacité de préparer utilement son argumentation et de s’entourer des conseils, notamment techniques, nécessaires à sa défense.

En ne prévoyant en aucune hypothèse – fût-ce en la subordonnant à l’intervention d’un juge qui pourrait la limiter à certaines pièces du dossier répressif – la possibilité pour les justiciables qui bénéficient de l’assistance judiciaire et qui, par définition, ne disposent pas des moyens nécessaires au paiement des droits d’expédition, d’obtenir gratuitement, fût-ce en débet, la copie de pièces du dossier répressif, le législateur entrave de manière disproportionnée l’exercice des droits mentionnés plus haut (au premier alinéa du présent extrait).

BEL / 1995 / A16
Belgique / Cour d’Arbitrage / 6-06-1995 / Arrêt n° 40-95 (jurisprudence constante) / abstrats

3.12 Principes généraux – intérêt général
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – Pouvoir d’appréciation du législateur

D’une manière générale, les pouvoirs publics doivent pouvoir adapter leur politique aux circonstances changeantes de l’intérêt général. Tout changement de politique pour faire face à une nécessité urgente manquerait son but si l’on partait du principe que les articles 10 et 11 de la Constitution exigent que le régime antérieur soit maintenu pendant une période déterminée.

BEL / 1995 / A17
Belgique / Cour d’Arbitrage / 13-09-1995 / Arrêt n° 64-95 / abstrats

3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Séparation des pouvoirs – Droit d’accès à un juge

Les personnes assujetties à la «redevance et à la «contribution de prélèvement sont soumises à une imposition dont la détermination de la base imposable et le montant relèvent, aux termes du décret, de la compétence du Gouvernement wallon, alors que les autres contribuables sont soumis à des impôts dont le montant et la base imposable sont déterminés par le législateur. Il existe donc entre les parties requérantes et les autres contribuables une différence de traitement en ce qui concerne l’autorité habilitée à déterminer la base imposable et le montant de l’impôt. Une telle différence de traitement n’est pas susceptible de trouver une justification, compte tenu de l’article 170 de la Constitution, puisque cette disposition garantit, sans exception, à tout citoyen qu’il ne sera pas soumis à un impôt sans que celui-ci ait été décidé par une assemblée délibérante démocratiquement élue.

BEL / 1996 / A18
Belgique/Cour d’Arbitrage/27-03-1996/Arrêt n°24-96 /abstrats (jurisprudence constante)

2.1.1.13 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – autres sources internationales
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Principe d’égalité – Portée – droits et libertés (droit international)

Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination sont applicables à tous les droits et à toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique, rendues applicables dans l’ordre juridique interne par un acte d’assentiment et ayant effet direct.

BEL /1996 / A19
Belgique / Cour d’Arbitrage / 27-06-1996 / Arrêt n° 39-96 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Doits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Conjoints séparés de fait

Egalité devant les charges fiscales

Il convient d’examiner la différence de traitement entre les conjoints vivant ensemble et ceux qui sont séparés de fait, en tant que le conjoint non séparé peut introduire une réclamation contre l’imposition établie au nom des deux conjoints sur la base des revenus de chacun d’eux, alors qu’un conjoint séparé de fait se voit refuser le droit d’introduire une réclamation contre une imposition établie au nom de l’autre conjoint sur les revenus de ce dernier, bien que, pour ces deux catégories de conjoints, le recouvrement des impôts à payer puisse être poursuivi sur tous les biens des deux conjoints.

[…]

Bien que des impositions distinctes soient établies, les conjoints séparés de fait restent, comme les conjoints vivant ensemble, tenus solidairement de payer la dette fiscale. En effet, aux termes de l’article 295 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 394 du C.I.R. 1992), chacune des quotités de l’impôt afférentes aux revenus respectifs des conjoints peut, non seulement quel que soit le régime matrimonial mais également quelle que soit la situation effective de cohabitation ou de séparation de fait, être recouvrée sur tous les biens propres et sur les biens communs des deux conjoints, sauf les exceptions établies par cet article.

Le traitement différent, sur le plan de l’enrôlement de l’impôt, des conjoints vivant ensemble et des conjoints séparés de fait entraîne leur traitement inégal au regard du droit de réclamation instauré à l’article 267 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 366 du C.I.R. 1992). Cette disposition est interprétée par la juridiction a quo, s’appuyant sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation, en ce sens que seule la personne, mentionnée au rôle, au nom de laquelle la cotisation est établie sur la base de ses revenus, a un droit personnel à contester cette imposition par l’introduction d’une réclamation, à l’exclusion des tiers. Dès lors, en cas de séparation de fait entraînant l’application de l’article 75, alinéa 1er , 25, du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 128, alinéa 1er , 25, du C.I.R. 1992), ce redevable ne peut être que le conjoint au nom duquel l’impôt est établi séparément et qui est mentionné au rôle, à l’exclusion de l’autre conjoint séparé de fait.

En ce qui concerne les conjoints séparés de fait, la dérogation au principe de l’enrôlement commun au nom des conjoints mariés peut se justifier par la considération que l’on ne peut obliger les conjoints séparés de fait à se communiquer chaque année tous les éléments de leurs revenus personnels. Mais rien ne justifie le traitement différent des deux catégories de conjoints en ce qui concerne le droit d’introduire une réclamation contre la cotisation établie sur la base des revenus de chacun des deux conjoints.

En effet, en excluant le conjoint séparé de fait de la notion de «redevable visée à l’article 267 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 366 du C.I.R. 1992), par suite de l’application des règles relatives à l’enrôlement, on prive ce conjoint du droit fondamental de se défendre en matière d’impôts sur les revenus alors que ce droit est garanti, sur la base des mêmes règles, aux conjoints vivant ensemble. Le conjoint séparé de fait ne dispose dès lors d’aucun recours lui permettant de contester l’impôt établi au nom de l’autre conjoint et au paiement duquel il pourrait être tenu.

Ni le souci de décourager les séparations fictives, ni la nature et les effets de l’introduction d’un recours, qui du reste vise uniquement à établir correctement l’impôt, ni la confidentialité du dossier fiscal ne peuvent justifier qu’il soit dérogé au droit fondamental de pouvoir contester devant une juridiction le bienfondé d’une dette, même s’il s’agit d’une dette fiscale et que le débiteur est tenu de la payer en vertu d’une solidarité établie par la loi.

Il est vrai que l’article 394bis du C.I.R. 1992 permet aux conjoints séparés de fait de limiter le recouvrement de l’impôt relatif aux revenus de l’autre conjoint à ce qui aurait été dû par celui-ci s’il avait exercé tous ses droits de réclamation et de dégrèvement d’office. Même si cette mesure peut contribuer à améliorer la situation du conjoint séparé de fait, il n’en résulte cependant pas que l’atteinte au droit de défense contenue dans l’article 267 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 366 du C.I.R. 1992) soit totalement supprimée.

L’article 267 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 366 du C.I.R. 1992) viole l’article 10 de la Constitution en tant qu’il n’accorde le droit de se pourvoir en réclamation contre une imposition qu’au seul redevable au nom duquel la cotisation est établie, à l’exclusion du conjoint séparé de fait au nom duquel cette cotisation n’est pas établie, alors que ce dernier, sur la base de l’article 295 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 394 du C.I.R. 1992), est tenu de payer la dette fiscale établie au nom de l’autre conjoint.

BEL / 1996 / A20
Belgique/Cour d’Arbitrage/12-07-1996/Arrêt n°47-96 (jurisprudence constante)/ abstrats

5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non- discrimination

Principe d’égalité – Portée – Droits et libertés

Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés.

BEL /1996 / A21
Belgique / Cour d’Arbitrage / 7-11-1996 / Arrêt n° 60-96 / abstrats

5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.2 Doits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Appel

Egalité devant la justice

Voy. l’arrêt 61/94, ci-dessus.

Lorsqu’il instaure la possibilité d’un appel, le législateur ne peut le faire de façon discriminatoire.

BEL / 1997 / A22
Belgique / Cour d’Arbitrage / 30-04-1997 / Arrêt n° 24-97 / Texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination
5.2.9.15 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – égalité des armes
5.2.9.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – débats contradictoires

Expertise pénale

Arrêt n° 24/97 du 30 avril 1997

En cause les questions préjudicielles concernant les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, posées par le tribunal correctionnel de Bruxelles et par le tribunal correctionnel (chambre du conseil) de Namur.

La Cour d’arbitrage,

composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior,

après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant

I. – Objet des questions préjudicielles

a) Par jugement du 14 mai 1996 en cause du procureur du Roi, de M. Hendrickx et de J.-M. Hendrickx contre T. Kerman et la s.a. ISS Servisystem, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 mai 1996, le tribunal de première instance de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante

«Les règles légales applicables à l’expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle, interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge du fond en matière pénale à respecter les règles de la contradiction prévues, en matière civile, par les articles 962 et suivants du Code judiciaire, et plus particulièrement les articles 965, 972, 973, 978 et 979 du Code judiciaire, violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution»

Cette affaire est inscrite sous le numéro 957 du rôle.

b) Par ordonnance du 26 juin 1996 en cause du procureur du Roi, Ph. Legrain et M. Legrain contre G. Simoes Dantas, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 juillet 1996, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Namur a posé la question préjudicielle suivante

«Les règles applicables à l’expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle, interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge du fond en matière pénale et sur intérêts civils à respecter les règles de la contradiction prévues, en matière civile, par les articles 962 et suivants du Code judiciaire, et plus particulièrement les articles 965, 972, 973, 978 et 979 du Code judiciaire, violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales»

Cette affaire est inscrite sous le numéro 980 du rôle.

II. – Les faits et les procédures antérieures

1. Affaire portant le numéro 957 du rôle

Dans le cadre de poursuites dirigées contre le responsable d’un accident de roulage, le tribunal de première instance de Bruxelles a désigné un expertmédecin, ayant pour mission de déterminer s’il existait un lien de causalité nécessaire entre l’accident et le décès, survenu dix semaines plus tard, de la victime de celui-ci.

Le prévenu dénonce l’absence de caractère contradictoire de cette expertise; tout en relevant que selon, notamment, la jurisprudence de la Cour de cassation, l’expertise en matière pénale n’est pas régie par les règles contenues en les articles 962 et suivants du Code judiciaire et plus particulièrement les articles 965, 972, 973, 978 et 979 organisant le caractère contradictoire de l’expertise en matière civile, le tribunal considère que ce n’est pas sans pertinence que le prévenu fait valoir qu’il existe une discrimination non justifiée par des circonstances objectives entre, d’une part, celui qui, défendeur dans un procès civil, bénéficie du caractère contradictoire des opérations d’expertise dont l’objet serait de déterminer si, pour l’application des articles 1382 et 1383 du Code civil, il existe une relation causale entre la faute qui lui est reprochée et le décès de la victime et d’autre part, celui qui, prévenu dans un procès pénal où il doit répondre d’une accusation d’homicide involontaire (articles 418 et 420 du Code pénal) reposant sur l’appréciation de la même faute et de la même relation causale, ne peut bénéficier du caractère contradictoire d’une expertise ayant le même objet.

Jugeant que la réponse à la question de savoir s’il y avait violation des articles 10 et 11 de la Constitution par les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle en tant qu’ils fonderaient le caractère non contradictoire de l’expertise en matière pénale, dont celle ordonnée par le juge du fond, lui apparaissait indispensable pour rendre sa décision, le tribunal a adressé à la Cour la question reproduite ci-dessus.

2. Affaire portant le numéro 980 du rôle

Dans le cadre d’une constitution de partie civile par la victime d’une tentative d’homicide volontaire, l’inculpé étant soit en état de démence soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actions, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Namur a souhaité entendre des experts qui auraient procédé à une expertise psychiatrique. Jugeant que l’enjeu touchait à l’ordre public, elle s’est interrogée, préalablement et d’office, sur le point de savoir si une telle expertise, menée de manière non contradictoire dans le cadre d’une instance répressive – ce qui est, selon la chambre du conseil, l’usage, voire la règle ne pose pas, au stade de la chambre du conseil, qualifiée de juridiction de fond et statuant sur intérêts civils, un problème de conformité aux règles constitutionnelles d’égalité devant la loi et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution) et ce, au regard des dispositions des articles 962 et suivants du Code judiciaire. Elle a adressé à la Cour la question reproduite ci-dessus.

III. – La procédure devant la Cour

a) Dans l’affaire inscrite sous le numéro 957 du rôle Par ordonnance du 22 mai 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n’y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l’article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste les 5 et 10 juin 1996.

L’avis prescrit par l’article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 juin 1996.

Des mémoires ont été introduits par

–T. Kerman, demeurant à 1030 Bruxelles, rue des Coteaux 49, et par la s.a. ISS Servisystem, dont le siège social est établi à 1070 Bruxelles, rue des Mégissiers 30/36, par lettre recommandée à la poste le 18 juillet 1996;

–le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 22 juillet 1996.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l’article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 17 septembre 1996.

Des mémoires en réponse ont été introduits par

–T. Kerman et la s.a. ISS Servisystem, par lettre recommandée à la poste le 9 octobre 1996;

–le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 17 octobre 1996.

b) Dans l’affaire inscrite sous le numéro 980 du rôle

Par ordonnance du 2 juillet 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n’y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l’article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1996.

L’avis prescrit par l’article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 20 juillet 1996.

Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 23 août 1996.

c) Dans les deux affaires

Par ordonnance du 9 juillet 1996, la Cour réunie en séance plénière a joint les affaires. Cette ordonnance a été notifiée aux parties par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1996.

Par ordonnance du 22 octobre 1996, la Cour a prorogé jusqu’au 22 mai 1997 le délai dans lequel l’arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 4 février 1997, le président M. Melchior a soumis les affaires à la Cour réunie en séance plénière.

Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l’audience au 27 février 1997.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu’à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 5 février 1997.

A l’audience publique du 27 février 1997

–ont comparu

  • Me M. Mahieu et Me J. F. Van Drooghenbroeck, avocats au barreau de Bruxelles, pour T. Kerman et la s.a. ISS Servisystem;
  • Me Ph. Traest, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres;
  • les juges-rapporteurs L. François et H. Coremans ont fait rapport;
  • les avocats précités ont été entendus;
  • les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s’est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l’emploi des langues devant la Cour.

IV. – En droit

–A–

Mémoire de T. Kerman et de la s.a. ISS Servisystem (affaire portant le numéro 957 du rôle)

A.1.1. Quant aux faits, il est relevé que le jugement ayant ordonné l’expertise n’en ordonnait ni n’en prohibait le caractère contradictoire. Les parties n’ont pas pu prendre connaissance du rapport d’expertise avant l’avis du parquet signalant la fixation de la date de l’audience. La demande de récusation du juge ayant ordonné l’expertise, motivée par la circonstance que le juge avait indiqué à l’expert que celle-ci n’est pas contradictoire et que ce caractère ne peut la rendre incompatible avec l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, a été rejetée par le tribunal, lequel a considéré

«Attendu que suite au dépôt du rapport d’expertise, il appartient aux requérants d’émettre toutes les considérations qu’ils estimeront utiles à la défense de leurs intérêts; qu’il appartiendra à M. le Juge Saint-Remy, président de la 45e chambre, de répondre aux éléments soulevés par les requérants; que même si M. le Juge Saint-Remy semble s’en être tenu jusqu’à présent à l’application des principes actuels et constants de la jurisprudence en la matière, aucun élément contraire n’ayant été soulevé par les requérants, rien ne permet de dire, dès à présent, qu’il n’offrirait pas toutes les garanties pour mener la suite des débats et statuer en la cause qui lui est soumise, et qui oppose M. le Procureur du Roi et la partie civile aux requérants, conformément aux dispositions de l’article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; que l’impartialité du magistrat doit être présumée jusqu’à preuve du contraire.»

Enfin, à la suite de l’indemnisation amiable des parties civiles par l’assureur de l’auteur de l’accident, celles-ci ont déclaré se désister de leur demande.

A.1.2. Le Code judiciaire consacre le caractère contradictoire de l’expertise qu’il organise.

Même si le non-respect de la contradiction, par l’expert, le juge ou encore l’une des parties, n’entraîne pas la nullité de l’expertise, la jurisprudence et la doctrine indiquent qu’il expose immanquablement à la réformation la décision judiciaire à l’élaboration de laquelle ce rapport a contribué et que la juridiction saisie de ce recours devra constater que le rapport d’expertise litigieux est inopposable aux parties au détriment desquelles le principe du contradictoire a été méconnu.

En revanche, les dispositions du Code d’instruction criminelle sont muettes quant à la nature contradictoire ou non de l’expertise en matière pénale. La Cour de cassation a décidé du caractère non contradictoire de celle-ci, alors qu’aucun texte ne permet de fonder cette règle prétorienne et que la doctrine unanime indique que la règle inverse peut se prévaloir des articles 2 et 972 et suivants du Code judiciaire.

Il résulte du caractère prétorien de la règle litigieuse qu’aucun grief d’inconstitutionnalité n’est formulé à l’encontre du contenu proprement dit des trois dispositions du Code d’instruction criminelle reprises dans le libellé de la question – elles devaient l’être pour que la Cour soit valablement saisie mais que la Cour d’arbitrage est interrogée sur la pertinence intrinsèque et, le cas échéant, sur la conformité aux articles 10 et 11 de la Constitution, des caractéristiques que la Cour de cassation, au terme d’une œuvre interprétative, a cru pouvoir conférer à une institution – l’expertise pénale dont l’existence est simplement consacrée par ces trois seules dispositions.

A.1.3. L’apparition progressive de la contradiction au cœur de l’expertise en matière répressive dans des dispositions particulières relatives à l’exploration corporelle (alinéas 2 et 3 insérés dans l’article 90bis du Code d’instruction criminelle par l’article 7 de la loi du 4 juillet 1989 modifiant la loi du 20 avril 1874 relative à la détention préventive; article 44bis du Code d’instruction criminelle inséré par l’article 1er de la loi du 15 avril 1958 et articles 5 et 9 de l’arrêté royal du 10 juin 1959 relatif au prélèvement sanguin en vue du dosage de l’alcool) invite à remettre en question la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation.

A.1.4. Dès lors que la conformité des articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle au prescrit des articles 10 et 11 de la Constitution dépend exclusivement de l’interprétation qu’il convient de leur donner et qu’il paraît hasardeux de déterminer l’interprétation que le juge a quo s’est appropriée, eu égard à l’emploi du conditionnel dans le libellé de la question préjudicielle («[…] interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge du fond en matière pénale à respecter les règles de la contradiction […]»), la Cour est invitée à dire concurremment pour droit, en recourant à celle de ses techniques qu’il lui plaira d’utiliser, d’une part, que les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’excluent pas, et au contraire commandent, l’application des articles 972 et suivants du Code judiciaire, et qu’en conséquence l’expertise en matière pénale doit revêtir un caractère contradictoire, à tout le moins lorsqu’elle est ordonnée par une juridiction de jugement, et que dans cette interprétation, ces dispositions ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution et, d’autre part, que les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle, interprétés en ce sens qu’ils excluent le caractère contradictoire de l’expertise pénale, même lorsqu’elle est ordonnée par une juridiction de jugement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.

A.1.5. La double interprétation mentionnée sous A.1.4 correspond aux enseignements (de lege lata et de lege ferenda) de la doctrine qui, unanimement, a critiqué la jurisprudence traditionnelle consacrée par la Cour de cassation.

De plus, les Codes néerlandais et français de procédure pénale ont introduit le caractère contradictoire dans la procédure de l’expertise. Les critiques de la doctrine ont été traduites dans divers projets de réforme et il ressort d’une vaste enquête effectuée dans les milieux judiciaires qu’une majorité de magistrats et d’avocats sont favorables au déroulement contradictoire de l’expertise pénale, même au stade de l’information ou de l’instruction préparatoires.

A.1.6. Les dispositions litigieuses sont susceptibles d’une interprétation conforme et conciliante.

Conformément à l’article 2 du Code judiciaire, les règles qu’il contient (en l’espèce, celles qui garantissent le caractère contradictoire de l’expertise) peuvent s’appliquer à l’expertise pénale, à moins que celle-ci ne soit régie soit par des dispositions légales non expressément abrogées, soit par des principes de droit de la procédure pénale dont l’application ne serait pas compatible avec le respect du contradictoire.

A.1.6.1. Il n’existe pas de dispositions légales non expressément abrogées dont l’application ne serait pas compatible avec les articles 972 et suivants du Code judiciaire. Les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle n’ont aucune incidence sur la nature de l’expertise pénale et ne sont pas incompatibles avec les articles 972 et suivants du Code judiciaire. Il en va de même des dispositions particulières relatives aux frais et honoraires des experts et au droit spécial de la procédure pénale (A.1.3). Les seules dispositions légales spécifiques à la procédure en matière pénale excluant l’application des règles de la procédure civile concernent de tout autres questions (délais de citation, formes des recours, point de départ et durée des délais de recours, etc.).

A.1.6.2. Quant aux principes de droit dont l’application ne serait pas compatible avec celle des articles 972 et suivants du Code judiciaire, leur recherche appelle la critique de la jurisprudence traditionnelle, qui n’est d’ailleurs pas uniformément suivie, et selon laquelle les articles 962 à 991 du Code judiciaire sont dans leur ensemble inapplicables aux expertises ordonnées par les juges répressifs, quel que soit le stade de la procédure et quel que soit l’objet de l’expertise.

La Cour de cassation tempère elle-même sa jurisprudence en admettant implicitement mais certainement que l’article 966 du Code judiciaire, relatif à la récusation de l’expert, est également applicable aux experts désignés en matière répressive et en décidant, avec réserve, qu’en matière pénale, l’expertise est exécutée, «en principe», de manière non contradictoire (Cass. 1er juin 1988, Pas. I, 480).

A.1.6.3. L’affirmation du procureur général Leclercq sur laquelle repose la jurisprudence de la Cour de cassation et selon laquelle «la procédure est déterminée par la nature de la juridiction et non par les intérêts en contestation» ne constitue pas un principe de droit dont l’application serait incompatible avec la règle du contradictoire prévue par le Code judiciaire.

En effet, si la nature de la juridiction compétente justifiait par elle-même l’inapplicabilité des dispositions du Code judiciaire, l’article 2 de ce Code serait totalement vidé de sa substance, puisque cette disposition prévoit précisément que les règles qui régissent la procédure mue devant les juridictions civiles sensu lato régissent en principe les procédures mues devant d’autres juridictions. Au contraire, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Cour d’arbitrage et les juridictions disciplinaires ont admis l’applicabilité de nombreuses dispositions du Code judiciaire aux procédures qui leur sont soumises. Cette dernière circonstance suffit à priver l’argument déduit de la nature des juridictions de toute sa pertinence. Elle suffit à tout le moins, par hypothèse, à exclure que cet argument soit érigé en «principe de droit, au sens de l’article 2 du Code judiciaire. Même s’il était fondé, le même argument ne serait pas assez précis pour écarter l’application des articles 972, 973 et 978 du Code judiciaire. Il résulte au contraire d’un enseignement constant de la doctrine et de la jurisprudence qu’au stade du jugement, la procédure pénale est essentiellement contradictoire.

A.1.6.4. Quant aux principes généraux de la procédure pénale qu’expriment les articles 153, 190 et 211, dont il résulte que la procédure de jugement est publique, orale et contradictoire, ils commandent tout au contraire l’application de la règle du contradictoire aux expertises pénales ordonnées par les juridictions de jugement; c’est d’ailleurs sur la base de cette règle que, par exemple, le juge du fond ne peut procéder à une visite des lieux qu’en présence des parties et en se constituant préalablement en audience publique; or, l’on n’aperçoit pas de différence notable qui, à ce degré de généralité et d’importance des principes, existerait entre l’expertise ordonnée par la juridiction de jugement et la visite des lieux ordonnée par la même juridiction.

Dès lors, en l’absence de principe de droit en procédure pénale qui permettrait d’écarter l’application des articles 962 et suivants du Code judiciaire aux expertises ordonnées par les juridictions répressives de jugement et, parmi ces dispositions, celles qui assurent à l’expertise un déroulement contradictoire, les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’excluent pas, et au contraire commandent, l’application des articles 972 et suivants du Code judiciaire, et, dans cette interprétation, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

A.1.7. Dans l’interprétation traditionnelle, les dispositions en cause engendrent une discrimination entre le défendeur à l’action civile fondée sur une mort accidentelle et portée devant une juridiction civile, d’une part, et le prévenu, et le cas échéant la personne qui en est civilement responsable, ainsi que leur assureur, contre lesquels, outre l’action publique dirigée contre le prévenu luimême, cette même action civile est dirigée devant une juridiction répressive, d’autre part.

Les seconds sont en effet privés du droit de participer à la recherche et à la manifestation de la vérité judiciaire et disposent de moyens d’investigation plus faibles et moins efficaces que le premier, alors qu’ils sont exposés à des poursuites pénales et donc à un jugement de nature à porter atteinte à leur honneur et à leur liberté. Au demeurant, cette différence de traitement contraste sans justification apparente avec la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle «le juge du fond ne peut procéder à une visite des lieux qu’en présence des parties et en se constituant préalablement en audience publique.

A.1.8. La jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle «lorsqu’une expertise n’a pas été faite conformément à des règles qui ne sont pas prescrites à peine de nullité, il ne peut s’en déduire que la cause n’a pas été entendue équitablement, alors que les parties ont été en mesure, devant la juridiction appelée à statuer au fond, de contester le rapport d’expertise, non seulement quant aux irrégularités alléguées, mais quant aux constatations et aux conclusions de l’expert est un tempérament qui ne suffit pas à faire disparaître la discrimination en cause car il est d’ordre purement théorique et formel.

En effet, d’une part, l’exercice, par le prévenu, de son droit de contester à l’audience un rapport d’expertise réalisé non contradictoirement peut, chaque fois que la contradiction ne peut être différée (disparition des données et pièces sur lesquelles est fondée l’expertise, autopsie), s’avérer impossible. Tel est aussi le cas lorsque, comme en l’espèce, l’expert déclare se fonder sur des éléments d’un dossier médical dont il ne reproduit rien, et qu’il ne livre que l’interprétation qu’il en retient. D’autre part, le caractère théorique et formel de l’argumentation de la jurisprudence traditionnelle résulte de manière plus générale du fait que cette argumentation laisse subsister la discrimination que subissent le prévenu, le civilement responsable et leurs assurés sur le plan de l’intime conviction du juge. En effet, même s’il leur est théoriquement loisible de critiquer le rapport de l’expert à l’audience, il reste que ce rapport aura précédé la formulation des critiques et sera soumis au juge dans sa seule version initiale, c’est-à-dire vierge de toute critique.

A.1.9. La jurisprudence traditionnelle aboutit à une seconde discrimination, qui résulte d’une comparaison des coûts. Le coût d’une contre-expertise que le prévenu doit supporter pour tenter de rétablir la contradiction, à supposer que la nature de l’expertise le permette – quod non en l’espèce est systématiquement plus élevé que le coût de la participation à une expertise judiciaire, contradictoire ab initio.

A.1.10. Ces discriminations ne peuvent être justifiées par le prétendu principe selon lequel les règles de procédure sont fonction de la nature de la juridiction saisie (A.1.6.2 à A.1.6.4) et la solution qui consiste, au nom du caractère trop libéral des règles du Code judiciaire en matière d’expertise, à conférer un caractère non contradictoire à l’expertise pénale ordonnée par une juridiction de jugement est hors de toute proportion avec l’objectif d’efficacité et de célérité poursuivi. Plusieurs éléments doivent en effet être pris en compte il incombe au ministère public, partie au procès pénal, d’assumer le rôle de la partie la plus diligente; l’informatisation récente des greffes permet aux juges d’assurer un contrôle réel sur le respect des délais fixés pour l’exécution des expertises; l’argument du prétendu manque d’efficacité des règles du Code judiciaire par rapport aux nécessités des poursuites pénales, est en tout cas sans objet en ce qui concerne les expertises ordonnées dans le cadre de l’action civile uniquement; l’article 990 du Code judiciaire qui permet aux experts de différer l’accomplissement de leur mission jusqu’au versement d’une provision est inapplicable aux expertises pénales; enfin, l’expertise unilatérale n’est pas toujours un gage d’efficacité car, faute de contradiction ou en raison des arguments techniques qui ne sont soulevés qu’à l’audience par les parties, elle mène régulièrement le procès pénal dans une impasse au stade de l’audience.

A.1.11. L’arrêt rendu par la Cour le 21 mars 1995 a censuré, en matière de prescription, une discrimination qui, comme en l’espèce, existait entre les parties à l’action civile née d’une infraction et les parties à l’action civile fondée sur une faute non constitutive d’infraction, et qui en outre, toujours comme en l’espèce, présentait un caractère paradoxal (J. T., 1995, p. 262).

Cette discrimination dénoncée par la Cour au profit des victimes de faits qualifiés d’infractions doit, mutatis mutandis et par identité de motifs, être dénoncée, cette fois en matière d’expertise et au profit des auteurs des mêmes faits. On observera d’ailleurs que cette discrimination est susceptible de se produire au détriment du demandeur à l’action civile portée devant la juridiction répressive, dans l’hypothèse où un rapport d’expertise non contradictoire exclurait la relation causale entre la faute et le décès de la victime.

Mémoires du Conseil des ministres (affaires portant les numéros 957 et 980 du rôle)

A.2.1. L’expertise en cause dans l’affaire portant le numéro 957 du rôle n’a pas été ordonnée par le procureur du Roi ou le juge d’instruction mais par une juridiction de jugement; les juridictions de jugement ont le pouvoir d’ordonner de telles expertises et de choisir des experts, certes en l’absence de toute règle dans le Code d’instruction criminelle, mais eu égard à la circonstance qu’aucune disposition de la loi ne le leur interdit. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’expertise ordonnée par le juge d’instruction et par les juridictions de fond n’est pas soumise aux règles de la contradiction.

A.2.2. Les expertises en cause ne concernent pas l’action civile mais l’action publique elle-même, en vue de livrer au juge les éléments nécessaires afin de juger de celle-ci. Contrairement à ce qu’énoncent les décisions en cause, les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle ne concernent nullement l’expertise ordonnée par le juge du fond en matière pénale, ni a fortiori l’expertise ordonnée par le tribunal correctionnel ou la chambre du conseil la compétence de la juridiction de fond de désigner un expert-médecin découle en effet de l’économie générale du Code et de la compétence des juridictions de jugement d’ordonner des mesures d’instruction supplémentaires.

A.2.3. La distinction entre les deux catégories de citoyens, mentionnées par les questions préjudicielles, c’est-à-dire les parties dans un procès civil et les parties dans un procès pénal, repose sur un critère objectif et ne viole aucunement les principes de l’égalité des Belges et de la non-discrimination prévus aux articles 10 et 11 de la Constitution belge.

En tant qu’elle est fonction de la nature de la juridiction qui ordonne l’expertise, la distinction repose sur un critère objectif.

A.2.4. Elle est également raisonnablement justifiée en tenant compte du but de la mesure critiquée et de la nature des principes en cause. La non-applicabilité des dispositions du Code judiciaire en ce qui concerne l’expertise pénale est en effet la conséquence du caractère inquisitoire et unilatéral de l’instruction en matière répressive, qui est un des principes de base du Code d’instruction criminelle et qui s’applique aux expertises ordonnées en vue de statuer tant sur l’action publique intentée contre le prévenu que sur l’action civile. La circonstance qu’il pourrait s’agir devant le tribunal civil et la juridiction pénale d’une appréciation de la même faute et de la même relation causale ne peut pas être décisive. Même s’il s’agit de l’appréciation de la même faute, il reste le fait que l’action publique est entamée par le ministère public devant la juridiction répressive, tandis qu’une procédure civile est entamée par un citoyen et ne peut aboutir à une condamnation pénale (affaire portant le numéro 957 du rôle). Et les différences fondamentales entre les procédures devant les juridictions répressives et les procédures devant les juridictions civiles peuvent justifier un traitement différent, même si l’expertise ordonnée par une juridiction répressive concerne en partie les intérêts civils (affaire portant le numéro 980 du rôle).

A.2.5. La nature essentiellement différente du procès pénal et du procès civil explique également la différence de traitement. La procédure pénale résulte d’un délit à la suite duquel des sanctions pénales et infamantes peuvent être infligées au prévenu; elle a pour objectif la vérité et vise à juger l’action publique.

De la nature spécifique d’une procédure pénale résultent dès lors la présomption d’innocence et le caractère secret et inquisitoire de l’instruction. A l’origine, l’information et l’instruction sont, par la force des choses, secrètes pour éviter soit de jeter le discrédit sur les personnes, soit d’alerter les coupables. Aussi bien, l’expertise peut être entamée à l’insu de la personne soupçonnée, qui peut ainsi n’en rien savoir. D’autre part, l’inculpé est présumé innocent. Il est absolument passif.

L’expertise, ordonnée par les juridictions de jugement, doit être considérée comme la suite de l’instruction préparatoire. Les juridictions de jugement ont en effet le droit et même l’obligation d’ordonner des mesures d’instruction complémentaires chaque fois qu’elles jugent l’instruction préparatoire incomplète. Seul le débat à l’audience de la juridiction de jugement est contradictoire. En effet, les articles 153, 190 et 211 du Code d’instruction criminelle ne garantissent la contradiction que lors de la seule audience.

A.2.6. Le procès civil vise, au contraire, à juger d’une demande de réparation il résulte non d’une initiative du ministère public mais en principe d’une contestation individuelle et ne peut aboutir à une peine infamante pour le défendeur, même s’il concerne un fait qui pourrait être qualifié de délit. Dans cette situation, le caractère contradictoire de l’expertise est plus logique et compatible avec les principes généraux de la procédure civile.

A.2.7. La distinction est aussi raisonnablement justifiée eu égard à la position du prévenu celui-ci est présumé innocent, a droit au silence et ne peut être obligé de coopérer à la recherche de la preuve. Si l’expertise pénale était contradictoire, son refus de coopération pourrait être interprété comme un aveu ou d’une manière qui ne lui serait pas favorable. Il peut en revanche préférer ne critiquer l’expertise que lors des débats à l’audience, la procédure étant alors accusatoire et les droits de défense pouvant peut-être s’exercer plus librement lorsque le prévenu n’a pas assisté aux opérations de l’expertise sur l’action publique.

A.2.8. Quant à la conformité des articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, évoquée par la question préjudicielle dans l’affaire portant le numéro 980 du rôle, l’on a dit que les articles 153, 190 et 211 du Code d’instruction criminelle ne garantissent le caractère contradictoire de la procédure que lors de la seule audience. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui a fait à plusieurs reprises application de ce principe, est conforme à celle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rappelé à différentes reprises que le caractère équitable d’un procès doit être apprécié en tenant compte de l’ensemble de la procédure «La tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuves, revêt un caractère équitable (Cour européenne des droits de l’homme, 22 avril 1992, affaire Vidal, Publ. Cour, série A, volume 235B, n° 33; Cour européenne des droits de l’homme, 15 juin 1992, affaire Lüdi, Publ. Cour, série A, volume 238, n° 43).

Mémoire en réponse de T. Kerman et de la s.a. ISS Servisystem (affaire portant le numéro 957 du rôle)

A.3.1. La jurisprudence traditionnelle rappelée par le Conseil des ministres ne suffit pas à justifier une réponse négative à la question préjudicielle – qui porte sur les dispositions en cause dans l’interprétation qui résulte précisément de cette jurisprudence traditionnelle et ne lie pas la Cour d’arbitrage. Celle-ci est invitée à consacrer une interprétation des règles légales actuellement soumises à sa censure telle que ces règles se révèlent conformes à la Constitution. Les considérations qui suivent sont donc formulées à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour d’arbitrage ne retiendrait pas cette interprétation conciliante.

A.3.2. Le critère organique, premier élément de justification avancé par le Conseil des ministres, ne résiste pas à l’analyse, à peine de vider l’article 2 du Code judiciaire de son contenu (A.1.6 et suivants).

A.3.3. La nature inquisitoire de la procédure, deuxième élément de justification avancé, est un argument dépourvu de toute pertinence, dans la mesure où, contrairement à ce qu’affirme le Conseil des ministres, la procédure répressive est bien contradictoire lorsque, comme en l’espèce, l’on se situe en phase de jugement. Il résulte notamment des articles 153, 190 et 211 du Code d’instruction criminelle que la procédure de jugement est publique, orale et contradictoire; elle partage donc le caractère contradictoire de la procédure civile.

A peine de se contredire, le Conseil des ministres ne peut, dans le cadre de la question préjudicielle soumise à la Cour en l’espèce, combattre une thèse qu’il promeut simultanément sur le plan législatif, lorsque le ministre de la Justice présente un avant-projet de réforme de la procédure pénale qui consacre le rétablissement de la contradiction en de nombreuses étapes de la procédure répressive et ce, dès le stade de l’information et de l’instruction préparatoires (A.1.5).

A.3.4. La présomption d’innocence, troisième élément de justification avancé, ne permet pas d’établir l’adéquation indispensable entre le but poursuivi, à savoir la protection accrue du délinquant lorsqu’il encourt une sanction infamante, protection déjà traduite dans la présomption d’innocence, et le moyen utilisé, à savoir le caractère unilatéral de l’expertise ordonnée par la juridiction de jugement le justiciable dans une procédure civile – et donc contradictoire dispose en effet d’une garantie plus étendue.

La thèse du Conseil des ministres présuppose, pour qu’il y ait «différence, que cette présomption ne bénéficie à l’auteur de l’infraction que lorsque celui-ci est poursuivi devant la juridiction répressive. Or, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la règle de la présomption d’innocence est également applicable pour la preuve de la responsabilité civile, devant la juridiction civile si l’action est fondée sur un fait qualifié d’infraction. Cette dernière hypothèse est précisément celle avec laquelle les exposants comparent l’hypothèse de la poursuite de l’auteur de l’infraction devant la juridiction répressive, pour en déduire qu’il y a discrimination à leur détriment.

A.3.5. Le critère de «différenciation objective, déduit par le Conseil des ministres de la répartition de la charge de la preuve dans les procédures civile et pénale, ne résiste pas plus à l’analyse, car il ne peut être objectivé (l’attitude que pourrait empiriquement adopter tel ou tel prévenu et la réaction de tel ou tel magistrat à cette attitude ne peuvent certainement pas constituer un critère de justification objective et raisonnable de la discrimination litigieuse) et est inopérant puisque, en vertu de l’article 1315 du Code civil et de l’article 870 du Code judiciaire, c’est à la victime qu’il incombe de prouver la faute – constitutive d’infraction de celui qu’elle a assigné devant la juridiction civile, de telle sorte qu’à l’instar du prévenu poursuivi devant la juridiction répressive, le défendeur à l’action civile attrait devant la juridiction civile n’est légalement pas tenu de collaborer à l’administration de la preuve; s’il s’abstient de comparaître à l’expertise ordonnée par la juridiction civile, il se verra opposer les conclusions – le cas échéant défavorables de l’expert.

A.3.6. La jurisprudence traditionnelle consacre également une discrimination entre le demandeur à l’action civile portée devant la juridiction civile, d’une part, et la partie civile devant la juridiction répressive, d’autre part (A.1.11, in fine), car cette jurisprudence prive, en matière pénale, à la fois le prévenu et la partie civile du bénéfice de la contradiction.

A supposer même que la discrimination litigieuse puisse, dans le chef de l’auteur de l’infraction, être justifiée objectivement et raisonnablement sur la base d’un ou plusieurs des critères proposés par le Conseil des ministres, quod non, cette discrimination conserve un caractère inconstitutionnel à l’égard de la victime qui a porté, ou qui n’avait d’autre choix que de porter, sa réclamation devant la juridiction répressive, et qui reste étrangère à tous ces critères.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres dans l’affaire portant le numéro 957 du rôle

A.4.1. Suite au désistement des parties civiles, la question préjudicielle posée par le tribunal correctionnel de Bruxelles se limite à l’expertise ordonnée dans le cadre de l’action publique elle-même.

A.4.2. Contrairement à ce que soutiennent les parties adverses, les articles 90bis et 44bis du Code d’instruction criminelle ne visent pas à garantir au prévenu une véritable contradiction lors de l’expertise en matière répressive mais à créer la possibilité de se faire assister par un médecin choisi librement, lors de l’exécution des investigations qui impliquent une atteinte à la personne concernée. Ils ne créent aucun droit pour le médecin en question d’assister au déroulement ultérieur de l’expertise mais donnent au médecin seulement le droit d’assister à l’exploration corporelle ou au prélèvement sanguin; enfin, ils ne créent aucun droit dans le chef des autres parties qui se présenteront lors du procès pénal.

A.4.3. Même s’il est vrai que la Cour connaît la technique de l’interprétation conforme, c’est à tort que les parties adverses soutiennent que les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle peuvent être interprétés en deux sens différents ils excluent le caractère contradictoire de l’expertise pénale; la doctrine critique certes la jurisprudence de la Cour de cassation qui l’affirme mais ces critiques, loin de soutenir une interprétation conciliante des dispositions en cause, réclament une modification de la législation.

A.4.4. Contrairement à ce que soutiennent les parties adverses, la question n’est pas de savoir si le principe selon lequel la procédure est déterminée par la nature de la juridiction et non par les intérêts en contestation, constitue oui ou non un principe de droit dont l’application serait incompatible avec la règle du contradictoire prévue par le Code judiciaire c’est en réalité le caractère inquisitoire et unilatéral de l’instruction en matière répressive, un des principes de base du Code d’instruction criminelle, qui est un principe de droit de la procédure pénale, établi dans la jurisprudence de la Cour de cassation, dont l’application n’est pas compatible avec le respect du contradictoire. Quant aux articles 153, 190 et 211 du Code d’instruction criminelle, ils garantissent la contradiction seulement à l’audience elle-même et ne prescrivent aucunement à l’expert, commis en matière répressive, de procéder en présence des parties à ses recherches et constatations, ni de discuter avec elles ses conclusions.

A.4.5. Le prévenu ayant droit au silence, celui-ci pourrait faire l’objet d’une interprétation défavorable si l’expertise était contradictoire; il s’agit là d’une différence fondamentale entre procès civil et procès pénal et le fait que le rapport d’expertise est soumis au juge dans sa seule version initiale, c’est-à-dire vierge de toute critique, n’y change rien. Dans un procès civil, l’expert fait également une distinction entre son rapport original, qui a été envoyé en prélecture à toutes les parties, et la réponse qu’il a donnée aux remarques de ces parties.

A.4.6. Les différences entre les procédures civiles et pénales justifient un traitement différent, même si l’expertise porte sur une faute et une relation causale identiques. L’espèce qui a fait l’objet de l’arrêt n° 21/95 ne peut être comparée à celle examinée ici la première portait sur une discrimination entre les parties à l’action civile née d’une infraction et les parties à l’action civile fondée sur une faute non constitutive d’infraction alors que la seconde porte sur une distinction entre une procédure devant le juge pénal et une procédure devant le juge civil, toutes les deux sur la base d’une faute qui est constitutive d’infraction.

–B–

B.1. Par souci de synthèse, il y a lieu de fondre les deux questions préjudicielles en une seule, formulée en ces termes

«Les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge pénal agissant en qualité de juge du fond à respecter les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme

B.2. L’expertise n’est traitée par le Code d’instruction criminelle qu’en ce qui concerne les attributions du procureur du Roi en cas de flagrant crime (articles 43 et 44) et celles du juge au tribunal de police (article 148).

Il est de jurisprudence que les articles 962 à 991 du Code judiciaire relatifs à l’expertise, dispositions dont certaines exigent qu’elle se déroule d’une manière contradictoire, ne doivent pas obligatoirement être appliqués aux expertises devant les juridictions pénales.

B.3. Il existe ainsi une différence de traitement entre parties à un procès devant des juridictions civiles et parties à un procès devant des juridictions pénales, les premières étant les seules pour lesquelles le déroulement de l’expertise ordonnée par le juge revêt obligatoirement un caractère contradictoire.

B.4. Les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.

L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5. La Cour est interrogée uniquement quant au caractère non contradictoire de l’expertise lorsque c’est un juge pénal en sa qualité de juge du fond qui désigne un expert. Elle se limite à l’examen de l’expertise ordonnée à ce stade de la procédure.

B.6. La différence de traitement est en relation avec un critère objectif en raison de la nature de la juridiction saisie, même au stade de l’examen des intérêts civils.

B.7. Tant lorsque le juge statue sur les poursuites pénales que lorsqu’il statue sur l’action civile – les intérêts de la partie civile ne se distinguant pas de ceux de toute partie à un procès civil et l’objet de l’expertise pouvant être identique la différence de traitement en cause ne peut être justifiée. La procédure est, dans ces phases, contradictoire; l’absence de caractère contradictoire de l’expertise aboutit à ce que la recherche de la preuve puisse se faire au prix d’une atteinte aux droits de défense, ceux-ci ne pouvant s’exercer que lors de la discussion du rapport au cours des débats à l’audience.

La possibilité de contester ultérieurement un rapport d’expertise judiciaire n’assure pas nécessairement le respect des droits de défense. L’ancienneté des faits, la disparition d’indices matériels, l’impossibilité de faire procéder à des devoirs qui ne peuvent s’accomplir que dans un temps proche des faits litigieux tous ces éléments réduisent les chances de pouvoir contester utilement les conclusions d’une expertise à laquelle on n’a pas pu participer. A supposer que celui qui critique une expertise obtienne du juge qu’il en ordonne une nouvelle, celle-ci ne sera pas obligatoirement contradictoire et ne permettra donc pas dans tous les cas la confrontation des points de vue.

Interprétées en ce sens qu’elles n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge du fond en matière pénale à respecter les règles de la contradiction, les dispositions mentionnées dans la question préjudicielle violent les articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

B.8. L’article 2 du Code judiciaire dispose cependant que les règles énoncées dans ce Code s’appliquent à toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci sont régies par des dispositions légales non expressément abrogées ou par des principes de droit dont l’application n’est pas compatible avec celle des dispositions dudit Code. On a pu dire que le Code judiciaire constitue «le droit commun de la procédure, y compris la procédure pénale (Exposé des motifs du projet de loi contenant le Code judiciaire, Doc., Sénat, 1963-1964, n° 60, p. IV, et rapport de M. Charles Van Reepinghen, Commissaire royal à la réforme judiciaire, idem, p. 60).

L’article 2 du Code judiciaire s’oppose à ce que, notamment, les dispositions qui, dans ce Code, se réfèrent à l’accord des parties ou subordonnent certains effets à leur initiative s’appliquent en matière pénale, où l’autonomie de la volonté des particuliers n’a pas de place. Mais à peine de méconnaître cet article 2, la circonstance que la juridiction ordonnant l’expertise est une juridiction pénale ne suffit pas à rendre inapplicables, parmi les dispositions du Code judiciaire qui assurent la contradiction, celles dont l’application est compatible avec les principes du droit répressif il n’existe pas de dispositions légales régissant l’expertise, ordonnée par le juge pénal, qui interdiraient ou rendraient impossible l’application à cette expertise de toutes les dispositions du Code judiciaire qui garantissent le caractère contradictoire de l’expertise en matière civile; il n’existe pas davantage de principes de droit qui excluraient l’application de toutes ces dispositions à l’expertise ordonnée par le juge pénal.

B.9. Lus, à la lumière de l’article 2 du Code judiciaire, de la façon qui vient d’être exposée, les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par ces motifs:

La Cour dit pour droit

–Les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient l’expert désigné par un juge pénal agissant en qualité de juge du fond à respecter aucune des règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

–Les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés à la lumière de l’article 2 du Code judiciaire comme ne dispensant pas l’expert désigné par un juge pénal agissant en qualité de juge du fond de respecter, dans la mesure, indiquée au B.8, où leur application est compatible avec les principes du droit répressif, les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage, à l’audience publique du 30 avril 1997, par le siège précité, complété par le juge R. Henneuse, le président M. Melchior étant légitimement empêché d’assister au prononcée du présent arrêt.

Le greffier, Le président f.f.,

L. Potoms L. François

BEL / 1997 / A23
Belgique / Cour d’Arbitrage / 6-11-1997 / Arrêt n° 67-97 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative 5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.27.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits à la vie familiale – filiation

Adoption plénière

Pouvoir d’interprétation de la Cour d’arbitrage

Aux termes de l’article 370, § 1er , alinéa 2, du Code civil, les adoptés par adoption plénière «cessent d’appartenir à leur famille d’origine. En l’absence de texte légal prévoyant une exception, cette disposition s’appliquerait aussi à l’adopté, selon l’interprétation qui en est donnée par le juge a quo, à l’égard de son auteur conjoint de l’adoptant. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre enfants adoptés plénièrement selon qu’ils le sont par le conjoint de leur parent d’origine ou par des époux, puisque le lien de filiation sera unique pour les uns et double pour les autres.

[…]

Etant entendu que l’article 370, § 1er , alinéa 2, du Code civil n’est pas applicable au cas de l’adoption plénière par le conjoint de l’auteur de l’adopté, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

En revanche, elle appellerait une réponse positive si cette disposition était interprétée de la manière indiquée par le juge a quo.

Dispositif. La Cour dit pour droit

L’article 370, § 1er , alinéa 2, du Code civil, interprété de la manière indiquée par le juge a quo, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Cette même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution si elle est interprétée comme ne s’appliquant pas au cas de l’adoption plénière par le conjoint de l’auteur de l’adopté.

BEL / 1997 / A24
Belgique/Cour d’Arbitrage/17-12-1997/Arrêt n°77-97 (jurisprudence constante) /abstrats

4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.2.4.2.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – origine nationale ou ethnique

Principe d’égalité – Application aux étrangers

L’article 191 de la Constitution dispose «Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi. Il s’ensuit qu’une différence de traitement qui défavorise un étranger ne peut être établie que par le législateur. L’article 191 n’a pas pour objet d’habiliter le législateur à se dispenser, lorsqu’il établit une telle différence, d’avoir égard aux principes fondamentaux consacrés par la Constitution. Il le rappelle d’ailleurs expressément en posant en règle que l’étranger qui se trouve sur le territoire «jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens. Il ne résulte donc en aucune façon de l’article 191 que le législateur puisse, lorsqu’il établit une différence de traitement au détriment d’étrangers, ne pas veiller à ce que cette différence ne soit pas discriminatoire, quelle que soit la nature des principes en cause.

BEL / 1998/ A25
Belgique/Cour d’Arbitrage/1-04-1998/Arrêt n° 34-98 (jurisprudence constante)/abstrats

3.16 Principes généraux – proportionnalité
3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non- discrimination

Principe d’égalité – Généralités

Les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.

L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

BEL / 1998 / A26
Belgique/Cour d’Arbitrage/1-04-1998/Arrêt n°40-98 (jurisprudence constante)/abstrats

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – Traitement différent de situations identiques

Les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s’opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnabilité entre les moyens employés et le but visé.

Cour constitutionnelle du Bénin

BEN / 1993 / A01
Bénin/Cour constitutionnelle/16, 18 et 25-11-1993/Décision DCC-04-93/Avis/extraits

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
4.4.4.1 Institutions – organes juridictionnels – organisation – membres
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable

Justice (égalité devant la justice) – Récusation

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que l’article 8 de la Loi Organique organise la récusation des membres de la Haute Cour de Justice;

– que cette récusation si elle est effective, modifie la composition de la Haute Cour de Justice;

Considérant que l’article 135 de la Constitution dispose:

«La Haute Cour de Justice est composée des membres de la Cour constitutionnelle, à l’exception de son Président, de six (6) députés élus par l’Assemblée nationale et du Président de la Cour suprême…»

– que la Constitution n’a envisagé ni prévu de suppléants à ces membres qui dans l’exercice de leurs fonctions n’en ont pas;

– que tous les membres désignés à la Haute Cour de Justice par la Constitution y sont ès qualité et qu’il est contraire à la Constitution de leur adjoindre des remplaçants;

Considérant que cette juridiction, dans sa composition résultant de l’admission de la récusation, risque de créer une inégalité entre les mis en accusation parce qu’elle ne pourrait remplacer le (s) membre (s) récusé (s) et siégerait sans celui ou ceux-ci;

– que le nombre de ces membres varierait ainsi d’une affaire à l’autre;

– que cette inégalité devant la justice est beaucoup plus choquante que celle consistant à faire siéger un parent ou un sachant;

– que la participation d’un tel membre, a l’avantage de respecter les dispositions expresses de la Constitution;

– que l’article 8 de la Loi Organique aboutissant en fait à modifier la composition de la Haute Cour de Justice doit être déclaré non conforme à la Constitution;

(…)

Décide:

Article 1er . – Sont déclarés conformes à la Constitution les articles 1, 2, 3, 6, 7, 9, 10, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 23, 26, 28, 30, de la Loi Organique n° 93-013 relative à la Haute Cour de Justice.

Article 2. – Sont déclarés non conformes à la Constitution les articles 8, 21 dans leur entièreté et 22 partiellement.

Article 3. – Sont déclarés conformes à la Constitution sous réserve de ce qui est développé ci-dessus les articles 4, 5, 11, 12, 14, 15, 20, 24, 25, 27, 29, 31, 32.

Article 4. – Les articles de la Loi Organique visés aux articles 2 et 3 de la présente décision ne sont pas séparables de l’ensemble de cette loi.

Article 5. – De nouveaux articles doivent être créés pour préciser les pouvoirs de la Chambre d’Instruction, la procédure de prise de Corps, et pour intégrer les dispositions constitutionnelles relatives aux effets de la décision de mise en accusation du Président de la République.

Article 6. – La présente décision sera notifiée au Président de la République et au Président de l’Assemblée nationale.

Article 7. – La présente décision sera publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1994 / A02
Bénin/Cour constitutionnelle/19 et 31-05-1994, et 3-06-1994/Décision DCC 1894/extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Charte africaine des Droits fondamentaux et des peuples – Déroulement de carrière

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que Monsieur AHOSSI Comlan Basile soutient que l’Arrêté Interministériel précité viole la Constitution en ce qu’il constitue une privatisation de la Fonction Publique n’obéissant à aucune logique défendable, puisqu’aux termes de l’article 13, paragraphe 2 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, «tous les citoyens ont également le droit d’accéder aux fonctions publiques de leur pays qu’ainsi ledit Arrêté n’est pas conforme à la Constitution

Considérant que les dispositions de l’article 8 alinéa 2 de la Constitution et de l’article 13-2 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples proclament le principe de l’égale accès des citoyens aux fonctions publiques que ce principe emporte lui-même une conséquence celle de l’égalité de déroulement de la carrière que l’organisation de ce principe relève du domaine de la loi conformément à l’article 98 de la Constitution Considérant que la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant Statut Général des Agents Permanents de l’Etat édicte en ses articles 12, 16 et 69 les conditions d’accès aux emplois publics et le mode de recrutement des fonctionnaires que les conditions énumérées à l’article 12, portent sur la citoyenneté, les droits civiques, la bonne moralité, la position militaire, l’aptitude physique, l’âge et la non discrimination fondée sur le sexe

Considérant que le Décret n° 93-103 portant Statut particulier des Corps des personnels de l’Administration des Douanes et des Droits Indirects en son article 7 dispose «les Préposés des Douanes sont recrutés exclusivement par voie de concours direct parmi les candidats des deux sexes remplissant les conditions prévues à l’article 12 du statut Général des Agents Permanents de l’Etat et titulaires du Brevet d’Etudes du Premier Cycle ou de tout autre diplôme reconnu équivalent…

Considérant que l’Arrêté querellé, par ses dispositions à portée générale, est un acte réglementaire qui justifie son contrôle en constitutionnalité qu’en son article 3-b, il limite aux seuls fonctionnaires en service au Ministère des Finances la possibilité de se présenter à ce test de recrutement

Considérant que si les exigences du Programme d’Ajustement Structurel et l’effectif pléthorique des agents en service au Ministère des Finances peuvent justifier que le test en cause ne soit pas ouvert à tous les citoyens, il doit néanmoins être accessible à tous les Agents Permanents de l’Etat de la catégorie concernée qui doivent bénéficier tous d’un droit égal dans le déroulement de arrière qu’en se limitant, comme il l’a fait, aux seuls agents en service dans le Ministère des Finances, l’accès audit test, l’Arrêté critiqué pose une mesure discriminatoire non conforme à la Constitution

Considérant que la disposition contenue dans l’article 3-b dudit Arrêté n’est pas séparable de l’ensemble du texte

Décide:

Article 1er . – L’Arrêté Interministériel n° 93-068/MFPRA/MFC/DC du 4 août 1993 portant fixation des modalités et programmes du test de sélection des Préposés des Douanes, n’est pas conforme à la Constitution

Article 2. – La présente décision sera notifiée à Monsieur AHOSSI Comlan Basile, au Ministère des Finances, au Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1995 / A03
Bénin/Cour constitutionnelle/23-03-1995/Décision EL-95-011/texte intégral

4.2.13 Institutions – organes législatifs – partis politiques
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Bulletins de vote – Candidats (à une élection) – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

Saisie d’une requête non datée du «Parti Communiste du Bénin» (P.C.B.) représenté par son Responsable Chargé des Relations Publiques, Monsieur Philippe NOUDJENOUME, B.P. 2582 Cotonou, enregistrée le 21 mars 1995 au Secrétariat de la Cour sous le numéro 0381, par laquelle ce parti sollicite de la Cour «d’infirmer la décision et l’acte pris par la Commission Electorale Nationale Autonome (C.E.N.A.)» et relatifs au changement de la couleur du bulletin de la liste «Pour une République Démocratique Indépendante et Moderne (R.D.I.M.)» soutenue par ledit Parti, et «d’ordonner que le P.C.B. soit rétabli dans son identité et dans sa couleur conformément aux articles 5, 6 et 23 de la Constitution du 11 décembre 1990, 31, 32 et 33 de la Loi n° 94-015 du 27 janvier 1995»;

Vu La Constitution du 11 décembre 1990;

Vu La Loi Organique n° 91-009 du 04 mars 1991 sur la Cour constitutionnelle;

Vu La Loi n° 94-013 du 17 janvier 1995 portant règles générales pour les Elections du Président de la République et des Membres de l’Assemblée nationale;

Vu La Loi n° 94-015 du 27 janvier 1995 définissant les règles particulières pour l’Election des Membres de l’Assemblée nationale;

VU Le Règlement Intérieur de la Cour constitutionnelle; Ensemble les pièces du dossier;

Ouï Monsieur Alfred ELEGBE en son rapport;

Après en avoir délibéré,

Considérant que Monsieur Philippe NOUDJENOUME:

expose que le P.C.B. a déposé, conformément à la loi, la déclaration de la liste de ses candidats aux élections législatives de mars 1995 ainsi que la couleur et l’emblème que le parti a choisis pour l’impression de ses bulletins; qu’aucune objection n’a été faite sur la régularité de ses signes distinctifs notamment la couleur rouge vermeil; qu’aucun parti en lice au Bénin n’a choisi une telle couleur, et que ses candidats ont fait campagne et largement diffusé le bulletin de vote ainsi accepté;

affirme que «durant tout ce temps, la C.E.N.A. avait préféré commander subrepticement pour le compte du P.C.B. des bulletins aux couleurs roses, permettant ainsi la confusion avec d’autres partis et donc la fraude»; soutient que la C.E.N.A. s’est donnée plus de pouvoir que la loi ne lui a accordé en modifiant de son propre chef la couleur de son bulletin, en violation des règles de transparence du processus électoral, de l’égalité de chance entre les candidats et de l’égalité de tous les citoyens devant la loi; que la C.E.N.A. refuse la recherche de toute solution susceptible de réparer sa faute et tente d’imposer au P.C.B. le soin de trouver et de payer à ses frais les bulletins;

Considérant que par son communiqué radio objet de sa lettre n° 141/CENA/PT du 07 mars 1995, la C.E.N.A. avait fait diffuser que «compte tenu de ses moyens financiers, la C.E.N.A. a décidé de laisser la possibilité aux Partis Politiques de choisir entre cinq (5) couleurs, la couleur du papier devant servir à imprimer leur bulletin de vote; les couleurs retenues étant le bleu, le blanc, le jaune, le vert et le rouge»;

Considérant qu’il ressort du récépissé définitif n° 0015 délivré le 08 mars 1995 par le Président de la C.E.N.A. qu’il «reconnaît avoir reçu la déclaration de Candidature du P.C.B. déposée par Monsieur NOUDJENOUME Philippe le 26 février 1995 et certifie après examen dudit dossier de candidature qu’il est conforme aux exigences de la loi et qu’en «conséquence, le Parti susvisé est autorisé à prendre part aux Elections Législatives prévues pour le 28 mars»; Considérant qu’aux termes de l’article 31 de la Loi n° 94-015 du 27 janvier 1995, «La déclaration doit mentionner… 3° la couleur, l’emblème ou le signe que le Parti choisit pour l’impression des bulletins…»;

Considérant que la couleur rouge vermeil choisie par le P.C.B. et acceptée par le C.E.N.A. pour l’impression de ses bulletins de vote ne l’a été par aucun autre parti; qu’au demeurant, cette couleur fait partie des couleurs retenues par la C.E.N.A. elle-même; que les circonstances de fait ne sauraient justifier la décision prise unilatéralement par cette institution de substituer à la couleur déposée par le P.C.B. une autre; que le principe de l’égalité entre les partis commande qu’ils connaissent le même traitement; que les négociations intervenues entre la C.E.N.A. et le P.C.B. ne sauraient remettre en cause ce principe fondamental de notre Droit; que, dès lors, il y a lieu d’annuler la décision de la C.E.N.A. relative au choix de la couleur pour l’impression des bulletins de vote du P.C.B.;

Décide:

Article 1er . – Est annulée la décision prise par la Commission Electorale Nationale Autonome (C.E.N.A.) et portant sur le changement de la couleur du bulletin de la liste «Pour une République Démocratique Indépendante et Moderne» (R.D.I.M.) soutenue par le Parti Communiste du Bénin (P.C.B.).

Article 2. – La présente décision sera notifiée au Parti Communiste du Bénin (P.C.B.) représenté par Monsieur Philippe NOUDJENOUME, à la Commission Electorale Nationale Autonome (C.E.N.A.) et publiée au Journal officiel.

Ont siégé à Cotonou, le vingt-trois mars mil neuf cent quatre-vingt-quinze,

Madame Elisabeth K. POGNON, Président

Messieurs Alexis HOUNTONDJI, Vice-Président

Bruno O. AHONLONSOU, Membre

Pierre EHOUMI, Membre

Alfred ELEGBE, Membre

Hubert MAGA, Membre

Maurice GLELE AHANHANZO, Membre

Le Rapporteur, Alfred ELEGBE

Le Président, Elisabeth K. POGNON.

BEN / 1995 / A04

Bénin / Cour constitutionnelle / 17-08-1995 / Décision DCC 95-029 / extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Démission (obligation de)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que dans la première requête susvisée, le Médecin-Lieutenant Colonel Soulé DANKORO soutient qu’il a été objet de persécution et de brimades sous diverses formes; que ces traitements ont atteint leur paroxysme avec la sanction disciplinaire de soixante (60) jours d’arrêt de rigueur prise à son encontre par le Ministre d’Etat à la Présidence de la République Chargé de la Coordination de l’Action Gouvernementale et de la Défense Nationale après le 1er janvier 1995, alors qu’à cette date, et suite à sa démission des Forces Armées du Bénin en application de l’article 81 alinéa 3 de la Constitution, il ne faisait plus partie de l’armée active;

Considérant que, dans la seconde requête, le Docteur Soulé DANKORO développe qu’ayant présenté le 30 décembre 1994 au Président de la République sa démission pour participer aux élections législatives de mars 1995, ce dernier ne peut, sans violer les articles 13 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples et 81 de la Constitution, ni la refuser en gardant le silence ni y faire obstacle en reportant sa date d’effet;

Considérant que les deux requêtes susvisées émanent de la même personne et tendent principalement, au contrôle de l’application de l’article 81 de la Constitution; qu’il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule et même décision;

Considérant que les «menaces d’intimidation, de brimades et de persécution de la part des plus Hautes Autorités civiles et militaires du Bénin sur le docteur Soulé DANKORO, alléguées par celui-ci, sont évoquées pour décrire l’atmosphère dans laquelle a été prise la sanction disciplinaire que le requérant défère à la censure de la Cour; que le véritable objet des recours présentés par le docteur Soulé DANKORO est l’inconstitutionnalité d’une part, des décisions du Président de la République suite à sa démission et, d’autre part, de la sanction disciplinaire;

Sur la démission du docteur Soulé DANKORO

Considérant qu’il résulte du dossier que le requérant a, par lettre datée du 30 décembre 1994, présenté au Président de la République, sur la base de l’article 81 alinéa 3 de la Constitution, sa démission des Forces Armées Béninoises pour être candidat aux élections législatives du 28 mars 1995; qu’à la date de la saisine de la Cour, le 1er mars 1995, aucune réponse n’avait été faite à sa demande; que, par lettre du 08 mars 1995, le Ministre d’Etat à la Présidence de la République, Chargé de la Coordination de l’Action Gouvernementale et de la Défense Nationale a notifié au Médecin-Lieutenant-Colonel DANKORO la décision du Président de la République d’accepter sa démission avec effet à compter du 1er juillet 1995;

Considérant que, de l’analyse de ces faits, le sieur DANKORO déduit que le silence gardé par le Président de la République sur sa démission équivaut à une décision implicite de rejet; que l’acceptation ultérieure du Président de la République de sa démission avec effet au 1er juillet 1995 prive de son objet cette démission qui a été donnée dans le but de lui permettre de se porter candidat aux élections du 28 mars 1995; qu’il est établi qu’il y a une volonté de l’empêcher de postuler aux élections législatives; que ces décisions du Président de la République violent, d’une part, l’article 13-1 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, et d’autre part, l’article 81 alinéa 3 de la Constitution en ce que ces dispositions constitutionnelles affirment la jouissance d’un droit fondamental de la personne humaine et en organisent l’exercice sans condition au profit des membres des Forces Armées et de Sécurité Publique; que cette démission est «dérogatoire de la démission telle que prévue par le droit commun;

Considérant que l’article 13-1 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples dispose: «Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi.;

Considérant que, pour exercer ce droit solennellement proclamé, l’article 81 alinéa 3 de la Constitution dispose «Tout membre des Forces Armées ou de Sécurité Publique qui désire être candidat aux fonctions de député doit au préalable donner sa démission des Forces Armées ou de Sécurité Publique.;

Considérant qu’aucune disposition constitutionnelle ne met de limite à l’exercice de ce droit en organisant la procédure de démission en vue de permettre à un membre des Forces Armées ou de la Sécurité Publique d’être candidat aux élections législatives; que cette démission ne saurait, en conséquence, être régie par l’article 49 de la Loi n° 81-014 du 10 octobre 1981 portant Statut Général des Personnels des Forces Armées du BENIN et qu’elle s’impose dès que l’intéressé donne sa démission; qu’ainsi le silence gardé pendant un certain temps par le Président de la République à donner suite à la démission du Médecin-Lieutenant-Colonel DANKORO et sa décision de l’affecter d’une condition suspensive en lui faisant produire effet à une date postérieure à celle à laquelle elle lui a été notifiée ne sont pas conformes à la Constitution;

Sur la sanction disciplinaire infligée au docteur Soulé DANKORO

(…)

Décide:

Article 1er . – Les décisions du Président de la République relatives à la démission du Médecin-Lieutenant-Colonel Soulé DANKORO en vertu de l’article 81 alinéa 3 de la Constitution ne sont pas conformes à la Constitution.

Article 2. – La Cour est incompétente pour connaître de la sanction disciplinaire infligée au Docteur Soulé DANKORO.

Article 3. – La présente décision sera notifiée au Docteur Soulé DANKORO, au Ministre d’Etat à la Présidence de la République Chargé de la Coordination de l’Action Gouvernementale et de la Défense Nationale et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A05
Bénin/Cour constitutionnelle/26-04 et 2-05-1996/Décision DCC 96-025/extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
4.7 Institutions – forces armées, forces de l’ordre
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Loi (égalité devant la loi) – Refus de réintégration

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que Messieurs GNAHO N. Claude et ALIMAGNIDOKPO Léopold, Elèves Agents des Forces de Sécurité Publique allèguent:

–qu’ils ont été radiés par une décision du Ministre de la Défense le 26 mars 1984;

–que, suite à un recours gracieux qu’ils ont formé devant le Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’Administration Territoriale (MISAT), une commission inter-ministérielle a conclu à leur réintégration;

–que les diverses instructions du MISAT à l’endroit de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN) n’ont pas été suivies au motif qu’ils étaient élèves au moment de la sanction;

–que d’autres citoyens, dans les mêmes conditions qu’eux, ont été réintégrés suite à des recours gracieux;

Considérant que les requérants estiment qu’ils subissent par ces faits, un préjudice certain à cause de l’abstention ou de la complaisance de l’autorité à reconsidérer leur situation administrative et financière; qu’ils sollicitent que la Cour déclare que le refus de la Direction Générale de la Police Nationale de s’exécuter, viole les articles 30, 35 et 26 de la Constitution;

(…)

Considérant que les requérants soutiennent en outre que par la Décision 0089/PR/CAB/MIL du 25 septembre 1984 et le Décret n° 93-308 du 20 décembre 1993, pris en application de la Loi n° 81-014 du 10 octobre 1981 portant Statut Général des personnels militaires des Forces Armées Populaires du Bénin et la Loi n° 88-006 du 25 avril 1988 qui l’a modifiée, plusieurs élèves ont été réintégrés dans les effectifs des Forces Armées; que le refus du DGPN de leur faire bénéficier de la même mesure de réintégration constitue une violation de l’article 26 de la Constitution;

Considérant qu’aux termes de l’article 26 alinéa 1er de la Constitution, «L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale»; que cette égalité s’analyse comme une règle selon laquelle les personnes relevant de la même catégorie doivent être soumises au même traitement sans discrimination; Considérant qu’il ressort du dossier que la résistance opposée par le DGPN à leur réintégration, n’est fondée sur aucune cause discriminatoire; qu’il y a lieu de dire et juger que cette attitude n’a pas violé la disposition constitutionnelle précitée;

Décide:

Article 1er . – La Cour est incompétente pour connaître de l’application de la loi.

Article 2. – Le refus du Directeur Général de la Police Nationale d’exécuter les instructions du MISAT est contraire à l’article 35 de la Constitution.

Article 3. – La présente décision sera notifiée à Messieurs GNAHO N. Claude et ALIMAGNIDOKPO Léopold, au Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’Administration Territoriale et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A06
Bénin/Cour constitutionnelle/19-01 et 2-05-1996/Décision DCC 96-026/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.7 Institutions – forces armées, forces de l’ordre
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Déroulement de carrière – Loi (égalité devant la loi) – Loi (date d’application)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que Monsieur ATTA L. Boniface développe qu’en disposant, d’une part, en son article 111 que: «pour compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, il sera procédé à la reconstitution de carrière des Officiers de Police, Officiers de Paix, Inspecteurs de Police, Brigadiers et Sous-Brigadiers dont le déroulement normal de carrière avait été bloqué du fait de la non parution des statuts particuliers tels que prévu aux articles 50 dernier alinéa et 104 alinéa 2 de la Loi n° 81-014 du 10 octobre 1981 portant Statut Général des personnels militaires des Forces Armées Populaires du Bénin, d’autre part, en son article 113 que: «la présente loi entre en vigueur pour compter de la date d’effet de la Loi n° 90-015 du 18 juin 1990…, la Loi n° 93-010 du 4 août 1993 viole le principe d’égalité des citoyens devant la loi; qu’il conclut que ladite loi porte atteinte au principe d’égalité du déroulement de carrière entre les agents de la même catégorie puisque «certains policiers qui sont encore en activité mais dont le déroulement normal de carrière avait été bloqué du fait de la non parution des statuts auront droit à la reconstitution de carrière mais seulement à partir du 18 juin 1990 tandis que les droits acquis à la reconstitution de carrière par ceux-ci du 10 octobre 1981 au 18 juin 1990 n’est pas prise en considération, et que ceux qui sont admis à la retraite entre 1981 et 1990 n’auront droit à rien; leur carrière reste bloquée et ne sera pas reconstituée»;

Considérant que l’article 26 de la Constitution dispose en son alinéa 1er : «L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale.»; que l’article 3 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples affirme: «Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi»;

Considérant que la Loi n° 93-010 du 04 août 1993 vise les personnels de la Police Nationale; qu’en son article 111, elle détermine les bénéficiaires de la reconstitution de carrière, à savoir tous ceux qui sont soumis à la Loi n° 81-014 du 10 octobre 1981 précitée; qu’en opérant une distinction par le biais de la date de son application, les articles 111 et 113 de la Loi n° 93-010 créent, sans la justifier, une discrimination entre les agents de la même catégorie; qu’il y a donc lieu de les déclarer contraires à la Constitution en ce que, de leur lecture combinée, il résulte qu’ils fixent cette date pour compter du 18 juin 1990 seulement;

Décide:

Article 1er . – Les articles 111 et 113 de la Loi n° 93-010 du 04 août 1993 sont contraires à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera notifiée à Monsieur ATTA L. Boniface, au Président de l’Assemblée nationale, au Président de la République et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A07
Bénin / Cour constitutionnelle / 12-08-1996 / Décision DCC 96-049 / extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Départements ministériels – Déroulement de carrière

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que les requérants soulèvent tantôt l’inconstitutionnalité de l’Arrêté Interministériel n° 010/MFPRA/MF/DA du 24 février 1995 portant fixation des modalités et programmes du test de sélection des Préposés des Douanes, tantôt la mauvaise application dudit arrêté;

Considérant que ledit arrêté ne comporte aucune disposition exigeant une autorisation à concourir; que le grief tiré du refus d’autorisation à concourir allégué par les requérants relève de l’appréciation de l’application de l’arrêté déféré; que la Cour constitutionnelle, juge de la constitutionnalité et non de la légalité, ne peut en connaître;

Considérant que les dispositions de l’article 8 alinéa 2 de la Constitution et de l’article 13-2 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples proclament le principe de l’égal accès des citoyens aux fonctions publiques; que ce principe emporte lui-même une conséquence, celle de l’égalité dans le déroulement de la carrière;

en deux (2) phases:

La première phase sera ouverte aux Fonctionnaires du Ministère des Finances;

La seconde phase sera ouverte aux Fonctionnaires des autres Départements ministériels sans autres distinctions que celles relatives aux conditions d’accès»;

Qu’en faisant ainsi une distinction entre les fonctionnaires du Ministère des Finances et ceux des autres Départements ministériels, ledit arrêté crée une mesure discriminatoire non conforme à la Constitution.

Décide:

Article 1er . – La Cour constitutionnelle est incompétente pour connaître de l’application de l’Arrêté Interministériel n° 010/MFPRA/MF/DA du 24 février 1995 portant fixation des modalités et programmes du test des Préposés des Douanes.

Article 2. – L’article 1er de l’arrêté précité n’est pas conforme à la Constitution.

Article 3. – La présente décision sera notifiée à Messieurs YELOUASSI Louis Marie, TEDO Séraphin, MONTCHO M. Fiacre, TCHENAGNI O. François, HOUNNOUGBO Antoine, LOKOSSOU O. René et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A08
Bénin / Cour constitutionnelle / 21-10-1996 / Décision DCC 96-067 / extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Enseignants – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que les requérants soutiennent que l’article 17-a de l’Arrêté n° 001/MEN/CAB/ DC/DAPS du 22 janvier 1996 «interdit aux enseignants titulaires du BEPC notamment de continuer dans le corps faute d’attestation d’enseigner ou de diriger.»; qu’à la veille de la parution dudit arrêté, le gouvernement a délivré «des attestations secrètes à caractère préservatif à des amis; que cet «acte qui a manqué de caractère officiel, voire juridique est contraire à l’article 26 alinéa 1 de la Constitution qui dispose: «l’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, d’opinion politique ou de position sociale;

Considérant que l’article 17-a déféré dispose: «l’autorisation d’enseigner est accordée à toutes personnes remplissant les conditions suivantes:

a) Pour l’Enseignement Maternel et Primaire:

–être âgé de vingt-et-un (21) ans au moins;

–être titulaire du Baccalauréat ou d’un diplôme équivalent ou d’un diplôme professionnel (CEAP ou CAP) option enseignement maternel ou primaire ou tout autre titre équivalent; que ledit article ne fait mention ni du BEPC ni d’attestation d’enseigner ou de diriger;

Considérant que la notion de l’égalité de tous devant la loi contenue dans l’article 26 alinéa 1 précité doit s’analyser comme étant un principe général selon lequel la loi doit être la même pour tous dans son adoption et dans son application et ne doit contenir aucune discrimination injustifiée; que, dans le cas d’espèce, les conditions fixées par l’article 17-a de l’arrêté sont applicables à tous les citoyens relevant de la même catégorie; qu’en conséquence, l’article déféré n’est pas contraire à la Constitution;

(…)

Décide:

Article 1er . – Les articles 17-a et 28 de l’Arrêté n° 0001/MEN/CAB/DC/DAPS du 22 janvier 1996 ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera notifiée à Messieurs SALAVI Gabriel et GABA Foly Abraham et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A09
Bénin / Cour constitutionnelle / 21-10-1996 / Décision DCC 96-068 / extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public

Appartenance politique – Mutations – Preuve (absence de preuve des considérations discriminatoires)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que les requérants exposent que c’est en raison de leur «appartenance politique» et surtout du soutien apporté à la candidature du l’ex Président Dieudonné Nicéphore SOGLO lors des dernières élections présidentielles» qu’ils ont été mutés arbitrairement;

Considérant que les requérants n’administrent pas la preuve des considérations discriminatoires dont ils font état; qu’il est constant que le titre d’affection querellé a été pris par l’autorité de tutelle sur la base des textes en vigueur notamment l’Arrêté n° 370/MEN/CAB/CC/CP/SCC du 28 avril 1992 portant Règlement de la Politique des Mutations du Personnel Enseignant; que le titre d’affectation n° 238/MENRS/CAB/ DC/SA du 31 juillet 1996 et la Note de Service n° 959/ DDE-B/MENS/SP/SES du 9 août 1996 ne recèlent pas des mesures qui violent les articles 23, 25 et 26 de la Constitution; qu’en conséquence, lesdits actes,en ce qui concerne les requérants, ne sont pas contraires à la Constitution;

Considérant que la présente décision porte sur le fond; qu’il n’y a donc pas lieu de se prononcer sur la demande de sursis à exécution;

Décide:

Article 1er . – Le recours de Monsieur CHABI Noël est sans objet.

Article 2. – Le Titre d’Affectation n° 238/MENRS/CAB/DC/SA du 31 juillet 1996, en ce qui concerne IBIKOUNLE Taïrou, FOSSOU C. Etienne, HOUNYEVA Pierre, AVOHOU S. Cossi, ADIKPETO H. Joseph, et la Note de Service n° 959/DDE-B/MENRS/SP/SES du 9 août 1996, en ce qui concerne ASSOGBA Léon Macaire, ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 3. – Il n’y a pas lieu à statuer sur le sursis à exécution.

Article 4. – La présente décision sera notifiée à Messieurs CHABI Noël, IBIKOUNLE Taïrou, FOSSOU C. Etienne, HOUNYEVA Pierre, AVOHOU S. Cossi, ADIKPETO H. Joseph, ASSOGBA Léon Macaire, au Ministre de l’Education Nationale et de la Recherche Scientifique (MENRS) et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A10
Bénin / Cour constitutionnelle / 13-11-1996 / Décision DCC 96-082 / extraits

5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques –égalité – champ d’application – emploi – public

Candidats (à un emploi) – Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que le 25 septembre 1996, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 6 alinéa 3 de la Loi Organique n° 92-021 du 21 août 1992, a lancé un «appel de candidatures pour pourvoir aux postes» de Directeur Général de l’ORTB, Secrétaire Général, Directeur de la Radiodiffusion, Directeur de la Télévision, Directeur régional ORTB Parakou, Directeur de l’Agence Bénin Presse (ABP);

Considérant que l’article 26 alinéa 1er de la Constitution dispose: «l’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale.; que l’article 3 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples affirme: «toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la Loi;

Considérant qu’en l’absence de dispositions légales portant réglementation des conditions de candidature aux postes visés par le document déféré, la HAAC a défini des critères de sélection; qu’en procédant comme elle l’a fait, elle a créé des catégories de candidats au sein desquelles n’est opérée aucune discrimination fondée sur quel que motif que ce soit; que, dès lors, elle n’a pas violé la Constitution;

Décide:

Article 1er . – Les recours, en ce qu’ils portent sur la compétence de la HAAC à lancer un appel de candidatures pour pourvoir à certains postes, sont irrecevables.

Article 2. – La Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour interpréter l’article 6 alinéa 3 de la Loi Organique n° 92-021 sur la HAAC.

Article 3. – Les conditions définies dans l’appel de candidatures ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 4. – La présente décision sera notifiée à Messieurs PRINCE AGBODJAN Serge Jean-Paul, LOKO Edouard, OGOUCHINA David, MARA Célestin, ZINSOU Isidore, AMLON Georges, TCHOBO Marcel, N’SECK Philippe, au Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et publiée au Journal officiel.

(…)

Cour Constitutionnelle de Bulgarie

Bul / 1992 / A01
Bulgarie/Cour constitutionnelle/27-07-1992/Décision 8 –Affaire constitutionnelle n° 7/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.7 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
2.1.1.8 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
2.1.1.12 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969
5.2.4.1.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi

Loi (égalité devant la loi) – Profession (accès à une profession)

La Cour constitutionnelle (…)

La procédure a été ouverte sur la demande de 49 députés de la 36e législature, visant à établir l’inconstitutionnalité du §9 des Dispositions transitoires et finales de la loi sur les banques et le crédit (LBC) promulguée au Journal de l’Etat, n° 25/1992, qui dispose: « Ne peuvent être élues aux organes de direction des banques et ne peuvent être nommées en vertu de l’art. 7, des personnes qui, pendant les 15 dernières années, avaient été élues aux organes de direction centraux, régionaux, départementaux, municipaux et communaux du Parti communiste bulgare (BKP), de l’Union de la jeunesse communiste (DKMS), du Front de la Patrie (OF), de l’Union des résistants contre le fascisme et le capitalisme, des Unions professionnelles bulgares et de l’Union agraire bulgare (BZNS), ou avaient été nommées à un poste de direction permanent au Comité central de BKP, de même que des agents, des collaborateurs rémunérés ou non de la Sécurité d’Etat. Cette limitation est applicable pendant un délai de 5 ans ».

Il est affirmé que les dispositions de du §9 des Dispositions transitoires et finales de la LBC sont en contradiction avec l’art. 6, al. 2, de la Constitution et avec des normes et accords internationaux ratifiés par notre pays, plus précisément avec l’art. 2, al. 2 et l’art. 25 du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966, de même qu’avec la Convention n° 111 de 1958.

Par décisions préliminaires du 21 avril 1992 et du 19 mai 1992, la Cour constitutionnelle a déterminé comme institutions intéressées à l’affaire BSP, BZNS (e), l’Union de la Patrie, la Jeunesse démocratique bulgare, l’Union antifasciste bulgare, KNSB, KT « Podkrepa », l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur et le président de la Banque nationale (BNB).

Par décision préliminaire du 2 juin 1992, la Cour constitutionnelle a déclaré la demande recevable au sens de l’art. 19, al. 1 de la loi sur la Cour constitutionnelle.

La Cour constitutionnelle, après avoir examiné les arguments et les avis des parties, dit ce qui suit:

Conformément à l’art. 5, al. 4, de la Constitution, le Pacte international sur les droits civils et politiques, le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, la Convention n° 111 concernant la discrimination dans le domaine du travail et des professions, ainsi que la Convention de Vienne sur le droit des traités (J.E., n° 87 de 1987), font partie de notre droit national à partir du moment où ils sont ratifiés, entrés en vigueur et promulgués, d’où il en découle également la reconnaissance de leur primauté dans notre droit.

Toutefois, les dispositions de l’art. 6, al. 2, de la Constitution n’admet aucune limitation, car elles énoncent que « tous les citoyens sont égaux devant la loi. N’est admissible aucune limitation des droits ou création de privilèges, fondés sur la race, l’appartenance nationale et ethnique, le sexe, l’origine, la religion, l’éducation, les convictions, l’appartenance politique, la situation personnelle et sociale ou la situation patrimoniale ». En outre, l’art. 48, al. 3 de la Constitution, proclame le principe selon lequel « tout citoyen choisit librement sa profession ou lieu de travail ».

Selon du §9 des Dispositions transitoires et finales de la LBC, il s’agit d’une limitation du droit d’occuper un poste de direction aux organes de direction des banques, ce qui constitue au sens de l’art. 1 de la Convention n° 111 une discrimination dans l’accès à une profession. Le texte est en contradiction également avec l’art. 2, al. 2, art. 6, al. 1 du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels et avec les articles 2 et 25 du Pacte international sur les droits civils et politiques.

Il s’en suit de tout ce qui précède, que le texte de du §9 des Dispositions transitoires et finales de la LBC est en contradiction avec l’art. 6, al. 2 de la Constitution, ainsi qu’avec les conventions internationales indiquées ci-dessus. Ces dernières sont considérées comme faisant partie du droit national et ont la primauté sur les normes nationales qui sont en contradiction avec elles. En conséquence, de l’application immédiate des dispositions constitutionnelles et de la primauté des normes internationales sur le droit national, il en découle qu’il faut admettre que du §9 des Dispositions transitoires et finales de la LBC a été adopté en violation de l’art. 6, al. 2 de la Constitution et des conventions internationales mentionnées ci-dessus.

Pour cette raison, en vertu de l’art. 149, al. 1, points 2 et 4 de la Constitution, la Cour constitutionnelle

Décide:

Déclare que le texte de du §9 des Dispositions transitoires et finales de la loi sur les banques et le crédit est frappé d’inconstitutionnalité et n’est pas conforme aux conventions internationales auxquelles la République de Bulgarie est partie.

(…)

BUL/1992/A02
Bulgarie/Cour constitutionnelle/10-11-1992/Décision 14 – Affaire constitutionnelle n° 19/texte intégral

3.20 Principes généraux – égalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – bénéficiaires ou titulaires de droits – étrangers
5.2.4.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation

Critères sociaux – Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – Députés – Loi (égalité devant la loi) – Personnes handicapées – Privilèges

La Cour constitutionnelle composée de: Açen Manov – Président, et les membres: Mladen Danaïlov, Miltcho Kostov, Tzanko Hadjistoitchev, Stanislav Dimitrov, Neno Nenovski, Nikolai Pavlov, Milena Jabinska, Liuben Kornezov, Pentcho Penev et Alexandre Arabadjiev, assistée par le greffier Tzveta Mineva, a statué le 3 novembre 1992, à huis-clos, sur l’affaire constitutionnelle n° 14 de 1992, rapportée par le juge Milena Jabinska.

La procédure a été ouverte sur demande du Président de la République d’interprétation de l’article 6 de la Constitution.

Par décision préliminaire du 8 juin 1992, la Cour constitutionnelle a constitué comme parties intéressées à l’affaire l’Assemblée nationale, la Cour suprême, le Procureur général, le Ministère de la justice, le Ministère des affaires étrangères, le Conseil supérieur des avocats, la Confédération du travail  » Podkrepa « , la Confédération des syndicats indépendants en Bulgarie et le Comité des droits de l’homme. La Cour a ordonné l’envoi aux parties intéressées de copies de la demande et de la décision préliminaire.

Par décision préliminaire du 10 juillet 1992, la Cour constitutionnelle a donné la possibilité au Président de la République de motiver, dans un délai de sept jours, la demande d’interprétation de l’art. 6 de la Constitution en relevant les circonstances concrètes qui créent des ambiguïtés quant au sens de la norme dans sa totalité ou dans ses différentes parties et quant à son application dans un domaine donné, aspect, etc.

Par une lettre du 20 juillet 1992, le Président a relevé des ambiguïtés de la norme constitutionnelle dans la partie où est employée la notion de loi par rapport aux caractères des caractères sociaux énumérés, sur la base desquels ne sont pas admis des limitations des droits, ni des privilèges, et a soulevé la question de savoir si les privilèges constituent des violations du principe de l’égalité devant la loi.

Par décision préliminaire du 13 octobre 1992, la Cour constitutionnelle a accepté de statuer sur la demande formée par le Président de la République en vue d’obtenir une interprétation de l’art. 6 de la Constitution, en rapport avec les questions:

1. – L’égalité de tous les citoyens devant la loi signifie-t-elle égalité également devant tous les actes normatifs?

2. – Est-ce que l’énumération des critères sociaux qui ne peuvent fonder une limitation des droits ou la création de privilèges est exhaustive ou bien est-elle donnée seulement à titre d’exemples?

3. – Les privilèges, constituent-ils des violations du principe de l’égalité devant la loi?

Dans le cadre de la possibilité de s’exprimer qui leur avait été donnée, des avis sur la demande ont été présentés le Président de l’Assemblée nationale, le Procureur général, le Ministère de la justice, le Ministère des affaires étrangères, la Confédération du travail  » Podkrepa  » et le Comité des droits de l’homme.

Afin de se prononcer sur la demande, la Cour constitutionnelle a pris en compte ce qui suit:

Partie I

Concernant l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

L’égalité de tous les citoyens devant la loi est un principe fondamental de toute société démocratique.

Dans le préambule de la Constitution, l’égalité est formulée comme une valeur universelle, à côté de la liberté, la paix, l’humanisme, l’équité et la tolérance.

Dans l’art. 6, al. 2, l’égalité des citoyens devant la loi est énoncée comme un principe constitutionnel faisant partie des fondements de la société civile et de l’Etat. C’est un principe général de tout le système juridique de la République de Bulgarie. Il constitue un fondement pour l’interprétation et l’application de la Constitution, de même que pour la création normative.

Dans l’art. 6, al. 2, l’égalité devant la loi est formulée également comme un droit fondamental des citoyens. Dans nombre de dispositions constitutionnelles, ce droit fondamental est concrétisé par rapport à des droits et des libertés déterminés (art. 19, al. 2, art. 46, al. 2, art. 47, al. 3, art. 119, al. 3, art. 121, al. 1 et autres).

L’égalité devant la loi signifie que tous les citoyens sont placés sur un pied d’égalité devant la loi et emporte une obligation de leur traitement égal de la part du pouvoir étatique.

Selon l’art. 4, al. 1, la République de Bulgarie est un Etat de droit. Elle est gouvernée conformément à la Constitution et aux lois du pays. En vertu de l’art. 5, al. 1, la Constitution est la loi suprême et les autres lois ne peuvent la contredire. Cela signifie que le droit est développé comme un système uni et cohérent, fondé sur le principe de la hiérarchie des actes normatifs.

La Constitution est la loi suprême. Elle est la base du système juridique en vigueur et de tout l’ordre étatique. Elle proclame, sous la forme de normes, les principes et les valeurs fondamentaux de l’Etat. Dans certains cas, les normes constitutionnelles ne sont pas directement applicables et nécessitent l’édiction de lois pour leur mise en oeuvre (art. 122, al. 2, art. 123, art. 134, al. 2, art. 138, art. 144 et autres).

Les lois réglementent les rapports sociaux fondamentaux (art. 11, al. 3, art. 16, art. 17, alinéas 1, 4, 5, art. 18, alinéas 1, 4, 5, etc.). Les actes réglementaires précisent et approfondissent les dispositions des lois. Ils sont pris pour l’application de la loi dans sa totalité ou de certaines de ses dispositions (art. 114 et 115), et ne peuvent, en conséquence, entrer en contradiction avec celle-ci.

Il n’est pas possible que les citoyens soient égaux devant la loi et qu’ils ne soient pas égaux devant les actes réglementaires. L’égalité des citoyens devant la loi exige logiquement leur égalité devant tous les actes normatifs les concernant – actes législatifs et réglementaires, et non uniquement devant la loi au sens propre d’un acte de l’Assemblée nationale. Une telle interprétation du texte de la norme constitutionnelle, correspond à l’esprit et à la lettre de la Constitution, ayant proclamé la reconnaissance et le respect de l’égalité comme une valeur universelle, et ayant élevé les droits de la personne en principe suprême (préambule, art. 4, al. 2, art. 25 – 57).

Partie II

Concernant les caractères sociaux qui ne peuvent fonder des limitations des droits ou une création de privilèges.

Afin de garantir le principe proclamé d’égalité de tous les citoyens devant la loi, art. 6, al. 2, indique les caractères sociaux qui ne peuvent servir de fondement à un traitement inégal. Ces caractères sont la race, l’appartenance nationale, l’appartenance ethnique, le sexe, l’origine, la religion, l’éducation, les convictions, l’appartenance politique, la situation personnelle et sociale, la situation patrimoniale. Ainsi, la Constitution énonce expressément des interdictions concernant les caractères sociaux mentionnés. Ces derniers ne peuvent juridiquement servir de fondements à une limitation des droits ou à la création de privilèges.

D’une façon générale, les caractères sociaux mentionnés peuvent être divisés en deux groupes principaux. Les premiers cinq caractères – race, appartenance nationale, appartenance ethnique, sexe et origine, découlent de l’art. 1 de la Déclaration des droits de l’homme, disposant que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et droits. Ce texte est littéralement reproduit dans l’art. 6, al. 1. L’inadmissibilité de limitations des droits quelles qu’elles soient ou de privilèges basés sur ces caractères, est une garantie pour les droits universels, reconnus et protégés par la Constitution de la République de Bulgarie.

Les autres caractères – religion, éducation, convictions, appartenance politique, situation personnelle et sociale ou situation patrimoniale, sont acquis ou modifiés au cours de la réalisation sociale des citoyens, à la suite de l’exercice de droits déterminés. Chacun de ces caractères représente pour le citoyen particulier une possibilité égale, prévue et garantie dans la Constitution, qui, conformément à l’art. 6, al. 2, ne peut servir de fondement à un traitement privilégié à son égard ou à une limitation de ses droits dans sa qualité de citoyen.

La limitation des droits et la création de privilèges exactement déterminés sur la base d’autres caractères sociaux, ne sont pas exclues par la Constitution, même s’il est vrai que l’énumération dans l’art. 6., al. 2, est si large, qu’en dehors de son champ il ne reste que très peu d’hypothèses.

Ainsi, conformément à l’art. 26, al. 2, les étrangers séjournant en République de Bulgarie ont tous les droits et devoirs selon cette Constitution, à l’exception des droits et devoirs pour lesquels la Constitution et les lois exigent la nationalité bulgare. Conformément à l’art. 65, al. 1, peut être élu député, tout citoyen bulgare qui n’a pas d’autre nationalité. Selon l’art. 93, al. 2, peut être élu Président, toute personne ayant la nationalité bulgare de naissance. Conformément à l’art. 22, les étrangers ne peuvent acquérir un droit de propriété sur des terres qu’en cas d’une succession légale. En d’autres termes, la limitation de droits selon la nationalité est prévue expressément dans la Constitution.

Des limitations des droits selon les conditions et la procédure déterminées par la loi, sont prévues pour les personnes purgeant des peines de privation de liberté et pour celles mises sous interdiction des droits (art. 31, 42). Une limitation du droit prévu dans l’art. 35 est possible dans le cadre d’une loi portant sur la défense de la sécurité nationale, de la santé publique et des droits et des libertés des autres citoyens. Une limitation temporaire de certains droits des citoyens est prévue dans l’art. 57, al. 3, en cas d’état de siège, etc.

Semblable aux hypothèses ci-dessus, est l’octroi de certains privilèges, socialement justifiés, à des citoyens regroupés selon d’autres caractères. A titre d’exemple, en raison des particularités et de l’importance des droits et des devoirs des députés, ces derniers bénéficient d’un régime juridique privilégié en matière de responsabilité pénale et d’immunité personnelle. Ainsi, selon l’art. 69, les députés ne portent pas de responsabilité pénale pour les avis exprimés et pour les votes à l’Assemblée nationale, et conformément à l’art. 70, ils ne peuvent être arrêtés et mis en examen qu’en cas de crimes graves, après une autorisation préalable de l’Assemblée nationale ou de son président. De l’immunité des députés, conformément à l’art. 132, bénéficient également les juges, les procureurs et les juges d’instruction. Selon l’art. 103, al. 1, le Président et le Vice-Président ne portent pas de responsabilité pour les actes relevant de l’exercice de leurs fonctions, à l’exception des cas de haute trahison et de violations de la Constitution.

Les enfants délaissés par leurs proches, bénéficient de la protection spéciale de l’Etat et de la société (art. 47, al. 4). Pour les personnes handicapées physiques et mentales, l’Etat créé des conditions pour la réalisation de leur droit au travail, alors que pour les autres citoyens, l’Etat veille à la création de conditions pour la réalisation de ce droit (art. 48).

Les cas ci-dessus relevés, ainsi que les autres cas expressément prévus dans la Constitution, font apparaître que selon la Constitution, une limitation des droits et la création de privilèges au bénéfice de groupes sociaux déterminés, sont admissibles. Toutefois, il faut souligner que dans toutes ces hypothèses, il s’agit de limitations des droits socialement nécessaires ou d’octrois de privilèges à des groupes déterminés de citoyens ne portant pas de préjudice à la primauté du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. L’indication exacte et exhaustive des caractères sociaux qui ne peuvent fonder une limitation des droits et une création de privilèges, représente une garantie contre un élargissement injustifié des hypothèses d’admissibilité des limitations des droits des citoyens ou de l’octroi de privilèges.

Partie III

Concernant les privilèges et le principe de l’égalité devant la loi.

Malgré l’adhésion tardive de la Bulgarie au constitutionnalisme européen, le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi est déjà proclamé dans la Constitution de Tarnovo de 1879. L’art. 57 dispose: « Tous les sujets bulgares sont égaux devant la loi. La division de la société en états est inadmissible en Bulgarie ». Il s’agit d’un principe fondamental du droit en général, affirmé également dans l’art. 6, al. 2.

En principe, les privilèges constituent des violations de l’égalité. Etymologiquement, « privilège » provient de privus legis, autrement dit  » en dehors du droit « . C’est la raison pour laquelle dans un Etat de droit, ils doivent être exclus par principe.

Néanmoins, dans certains cas, les privilèges admis par la Constitution sont socialement nécessaires et justifiés. Ils sont crées afin de surmonter une inégalité existante, dans le but d’aboutir à l’égalité recherchée. Telle est, à titre d’exemple, la protection spéciale de la part de l’Etat et de la société prévue dans l’art. 47, al. 4 et l’art. 51, al. 3, des enfants délaissés par leurs proches, des personnes âgées n’ayant pas de parents proches et ne pouvant subvenir à leurs besoins avec leur patrimoine, ainsi que des personnes handicapées physiques et mentales. Les privilèges accordés à ces citoyens constituent des biens compensatoires en vue de la situation sociale défavorable dans laquelle ils se trouvent.

Dans d’autres cas, en raison des particularités et l’importance des droits et des devoirs qu’ont certains citoyens (députés, ministres, juges, procureurs et juges d’instruction), ils bénéficient d’un régime juridique privilégié par rapport aux autres citoyens en matière de responsabilité pénale et d’immunité personnelle. Afin d’exécuter leurs obligations de haute responsabilité, la Constitution leur accorde un ensemble de droits leur assurant plus de liberté et d’autonomie, de sécurité et d’indépendance par rapport aux organes des pouvoirs exécutif et judiciaire.

Ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus, dans l’art. 6, al. 2, la Constitution énumère de manière exhaustive les caractères sociaux relatifs à l’inadmissibilité de limitations des droits ou de l’octroi de privilèges. Admettre des privilèges sur le fondement de ces éléments est une violation du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Sur le fondement des considérations ci-dessus exposées et en vertu de l’art. 149, al. 1, point 1 de la Constitution, la Cour constitutionnelle

Décide:

1. – L’égalité de tous les citoyens devant la loi au sens de l’art. 6, al. 2, de la Constitution, emporte l’égalité devant tous les actes normatifs.

2. – Les caractères sociaux qui ne peuvent fonder une limitation des droits ou la création de privilèges sont indiqués dans l’art. 6, al. 2, de la Constitution.

3. – Des privilèges fondés sur les caractères sociaux indiqués dans l’art. 6, al. 2, de la Constitution, constituent des violations du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Le juge Miltcho Kostov a signé la décision avec une opinion dissidente, jointe aux documents de l’affaire.

Président
Açen Manov

Cour Suprême du Canada

Liste des décisions de la Cour suprême relative au principe d’égalité:

(38 arrêts)

Année 1985

[1985] 1 R.C.S. 177 (Singh c. Ministère de l’Emploi et de l’Immigration)
[1985] 1 R.C.S. 295 (R. c. Big M. Drug Mart Ltd.)
[1985] 2 R.C.S. 536 (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd.)

Année 1986

[1986] 1 R.C.S. 103 (R. c. Oakes)

Année 1989

[1989] 1 R.C.S. 143 (Andrews c. Law Society of British Columbia)
[1989] 1 R.C.S. 927 (Irwin Toy Ltd. c. Québec [P.G.])
[1989] 1 R.C.S. 1296 (R. c. Turpin)
[1989] 2 R.C.S. 530 (Tremblay c. Daigle)
[1989] 2 R.C.S. 1326 (Edmonton Journal c. Alberta [P.G.])

Année 1990

[1990] 1 R.C.S. 695 (Rudolf Wolff & Co. c. Canada)
[1990] 2 R.C.S. 254 (R. c. S. [S.])
[1990] 2 R.C.S. 254 (R. c. S. [S.])
[1990] 2 R.C.S. 906 (R. c. Hess)
[1990] 3 R.C.S. 229 (McKinney c. Université de Guelph)
[1990] 3 R.C.S. 451 (Harrison c. Université de la Colombie-Britannique)
[1990] 3 R.C.S. 483 (Stoffman c. Vancouver Général Hospital)
[1990] 3 R.C.S. 570 (Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College)
[1990] 3 R.C.S. 697 (R. c. Keegstra)
[1990] 3 R.C.S. 892 (Canada [C.D.P.] c. Taylor)

Année 1991

[1991] 1 R.C.S. 933 (R. c. Swain)
[1991] 2 R.C.S. 5 (Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario [Commission des relations du travail])
[1991] 2 R.C.S. 22 (Tétreault-Gadoury c. Canada [Commission de l’emploi et de l’immigration])
[1991] 2 R.C.S. 158 (Renvoi: Circonscriptions électorales provinciales [Sask.])
[1991] 3 R.C.S. 154 (R. c. Wholesale Travel Group Inc.)

Année 1992

[1992] 1 R.C.S. 452 (R. c. Butler)
[1992] 1 R.C.S. 711 (Chiarelli c. Canada)
[1992] 2 R.C.S. 679 (Schachter c. Canada)

Année 1993

[1993] 1 R.C.S. 319 (New-Brunswick Broadcasting c. Nouvelle-Ecosse [P.A.L.])
[1993] 2 R.C.S. 872 (Weatherall c. Canada [P.G.])
[1993] 2 R.C.S. 995 (Haig c. Canada)
[1993] 3 R.C.S. 519 (Rodriguez c. Colombie-Britannique [P.G.])
[1993] 4 R.C.S. 695 (Symes c. Canada)

Année 1994

[1994] 3 R.C.S. 835 (Dagenais c. Société Radio-Canada)

Année 1995

[1995] 2 R.C.S. 419 (Miron c. Trudel)
[1995] 2 R.C.S. 513 (Egan c. Canada)
[1995] 2 R.C.S. 627 (Thibaudeau c. Canada)
[1995] 2 R.C.S. 1031 (Ontario c. Canadien Pacifique Ltée)
[1995] 4 R.C.S. 411 (R. c. O’Connor)

Année 1996

[1996] 3 R.C.S. 609 (Adler c. Ontario)

Année 1997

[1997] 3 R.C.S. 624 (Eldridge c. Colombie-Britannique)

Note explicative:

La référence [1996]3 R.C.S. 609 (Adler c. Ontario), ci-dessus, se décompose de la façon suivante:

[1996]: l’année du jugement est indiquée au début de la référence, entre crochets.

3: ce chiffre correspond au numéro du volume de publication, en l’occurrence le volume 3. La Cour suprême publie de deux à quatre volumes chaque année et les jugements sont publiés dans l’ordre chronologique de leur prononcé.

R.C.S.: Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada (en anglais S.C.R., Canada Supreme Court Reports). Tous les arrêts de la Cour suprême du Canada sont publiés dans ce recueil officiel des décisions.

609: ce chiffre correspond au numéro de la première page du jugement dans le volume indiqué après la date.

(Adler c. Ontario): entre parenthèses, est indiqué un intitulé abrégé de la cause qui est ordinairement placé devant la référence. Tous les jugements publiés dans le R.C.S. sont publiés sur Internet à l’adresse suivante :

http://www.scc-csc.gc.ca

CAN / 1989 / A01
Canada / Cour suprême / 2-09-1989 / [1989] 1 R.C.S. 143 (Andrews c. Law Society of British Columbia) /extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du recours – décisions juridictionnelles
5.2.4.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – citoyenneté

Avocat (accès à la profession d’avocat – Charte canadienne des droits et libertés – Loi (égalité devant la loi) – Loi (égalité dans la loi) – Loi (égalité de protection et de bénéfice de la loi)

(…)

Droit constitutionnel – Charte des droits – Egalité devant la loi, égalité dans la loi et égalité de protection et de bénéfice de la loi – Citoyenneté exigée pour l’inscription au barreau – L’obligation d’être citoyen est-elle discriminatoire à l’égard des résidents canadiens qualifiés qui n’ont pas la citoyenneté? – L’obligation estelle justifiée en vertu de l’article premier – Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15(1) – Barristers and Solicitors Act, R.S.B.C. 1979, chap. 26, art. 42.

L’intimé Andrews, un sujet britannique qui était résident permanent du Canada, remplissait toutes les conditions d’admission au barreau de la Colombie-Britannique à l’exception de celle relative à la citoyenneté canadienne. Son action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que cette condition violait le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés a été rejetée en première instance, mais accueillie en appel. Kinersly, une citoyenne américaine qui, à l’époque, était une résidente permanente du Canada qui faisait son stage dans la province de la Colombie-Britannique, a été ajoutée à titre de coïntimée suite à une ordonnance de cette Cour. Les questions constitutionnelles auxquelles doit répondre la Cour sont de savoir (1) si l’obligation d’être citoyen canadien pour être admis au barreau de la Colombie-Britannique porte atteinte aux droits à l’égalité garantis par le par. 15(1) de la Charte, et (2) dans l’affirmative, si cette atteinte est justifiée par l’article premier.

Arrêt:

Le paragraphe 15(1) de la Charte

Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Lamer, Wilson et L’Heureux-Dubé: Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Il ne s’agit pas d’une garantie générale d’égalité; la disposition porte sur l’application de la loi. La portée du terme «loi» ne soulève aucun problème en l’espèce puisque c’est une mesure législative qui est attaquée.

Le point de vue selon lequel «les personnes qui se trouvent dans une situation identique doivent être traitées de façon identique» n’entraînera pas nécessairement l’égalité, pas plus que toute distinction ou différence de traitement ne produira forcément une inégalité. L’expression «indépendamment de toute discrimination» que l’on trouve à l’art. 15 a une importance cruciale.

La discrimination est une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer des désavantages non imposés à d’autres, ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux avantages offerts à d’autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement.

De façon générale, les principes appliqués en vertu des lois sur les droits de la personne s’appliquent également aux questions de discrimination au sens du par. 15(1). Cependant, la Charte exige que l’examen fondé sur le par. 15(1) se fasse en deux étapes. La première étape consiste à déterminer s’il y a eu atteinte à un droit garanti. La deuxième étape consiste à déterminer, le cas échéant, si cette atteinte peut être justifiée en vertu de l’article premier. Les deux étapes doivent être maintenues analytiquement distinctes en raison de la différente attribution du fardeau de la preuve: le citoyen doit prouver qu’il y a eu violation du droit que lui garantit la Charte et l’Etat doit justifier cette violation.

Les motifs de discrimination énumérés au par. 15(1) ne sont pas exhaustifs. Les motifs analogues à ceux énumérés sont également visés et il se peut même que la disposition soit plus générale que cela, bien qu’il ne soit pas nécessaire, en l’espèce, de répondre à cette question étant donné que le motif invoqué tombe dans la catégorie des motifs analogues.

L’expression «indépendamment de toute discrimination» exige davantage qu’une simple constatation de distinction dans le traitement de groupes ou d’individus. Cette expression est une forme de réserve incorporée dans l’art. 15 lui-même qui limite les distinctions prohibées par la disposition à celles qui entraînent un préjudice ou un désavantage. L’examen doit également porter sur l’effet de la distinction ou de la classification attaquée sur le plaignant. Puisque ce ne sont pas toutes les distinctions et différenciations créées par la loi qui sont discriminatoires, un plaignant en vertu du par. 15(1) doit démontrer non seulement qu’il ne bénéficie pas d’un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu’elle offre, mais encore que la loi est discriminatoire.

Une règle qui exclut toute une catégorie de personnes de certains types d’emplois pour le seul motif qu’elles n’ont pas la citoyenneté et sans égard à leur diplômes et à leurs compétences professionnelles ou sans égard aux autres qualités ou mérites d’individus faisant partie du groupe, porte atteinte aux droits à l’égalité de l’art. 15. L’article 42 de la Barristers and Solicitors Act constitue une règle de ce genre.

Le juge La Forest: L’opinion du juge McIntyre quant à la signification du par. 15(1) est essentiellement retenue dans la mesure où elle est pertinente à la question de savoir si la disposition contestée constitue de la discrimination fondée sur des «différences personnelles non pertinentes» comme celles qui sont énumérées à l’art. 15 et qui se retrouvent traditionnellement dans les lois sur les droits de la personne. Les termes préliminaires de l’art. 15 qui se rapportent plus généralement à l’égalité peuvent cependant avoir un sens qui va au-delà de la protection contre la discrimination résultant de l’application de la loi. Néanmoins, ce ne sont pas toutes les classifications législatives qui doivent être rationnellement défendables devant les tribunaux; on n’a pas voulu que l’art. 15 serve à assujettir systématiquement les lois à l’examen judiciaire.

La mesure législative attaquée distingue les intimés d’autres personnes en fonction d’une caractéristique personnelle qui comporte plusieurs traits communs avec celles énumérées à l’art. 15. La citoyenneté est une caractéristique qui, normalement, ne relève pas du contrôle de l’individu et est, temporairement du moins, une caractéristique personnelle qu’on ne peut modifier par un acte volontaire et qu’on ne peut, dans certains cas, modifier qu’à un prix inacceptable. Les gens qui n’ont pas la citoyenneté constituent un groupe de personnes qui sont relativement dépourvues de pouvoir politique et dont les intérêts risquent d’être compromis par des décisions législatives.

Bien que la citoyenneté puisse être exigée à bon droit relativement à certains types d’objectifs légitimes du gouvernement, elle n’a généralement rien à voir avec les activités légitimes d’un gouvernement, si ce n’est dans un nombre restreint de domaines. L’emploi dans une mesure législative de la citoyenneté comme motif de distinction entre individus, en l’espèce pour conditionner l’accès à l’exercice d’une profession, comporte le risque de miner les valeurs essentielles ou fondamentales d’une société libre et démocratique qui sont enchâssées à l’art. 15. Une mesure législative qui pose la citoyenneté comme condition peut, dans certains cas, être acceptable dans la société libre et démocratique qu’est le Canada, mais le gouvernement doit justifier une telle mesure en vertu de l’article premier de la Charte.

L’article premier de la Charte

Le juge en chef Dickson et les juges Wilson et L’Heureux-Dubé: La mesure législative en cause n’est pas justifiée en vertu de l’article premier.

L’objectif de la loi ne se rapporte pas à des préoccupations suffisamment urgentes et réelles pour justifier la suppression des droits protégés par l’art. 15. Etant donné que l’art. 15 est conçu pour protéger les groupes défavorisés sur les plans social, politique et juridique dans notre société, la responsabilité qui incombe au gouvernement de justifier le type de discrimination dont sont victimes ces groupes est à juste titre lourde.

Le critère de proportionnalité n’est pas respecté. L’obligation d’être citoyen n’est pas bien adaptée pour atteindre l’objectif que les avocats connaissent les institutions et coutumes canadiennes et peut même être sans lien rationnel avec celui-ci. La plupart des citoyens, originaires ou non du Canada, sont engagés envers la société canadienne, mais la citoyenneté ne garantit pas cet engagement. Inversement, ceux qui n’ont pas la citoyenneté peuvent être profondément engagés envers notre pays. Même si les avocats exécutent une fonction gouvernementale, la citoyenneté ne garantit pas qu’ils vont s’acquitter de leurs fonctions publiques honorablement et consciencieusement; ils vont le faire parce qu’ils sont des avocats compétents et non parce qu’ils sont citoyens canadiens.

Le juge La Forest: Bien que le juge partage, d’une manière générale, l’opinion du juge McIntyre quant à la manière dont il faut aborder la mesure législative en vertu de l’article premier, en soupesant le droit violé par cette mesure en fonction des objectifs qu’elle vise, la mesure législative en cause ne respecte pas le critère de proportionnalité.

La citoyenneté ne garantit pas la réalisation des objectifs de familiarité avec les institutions et les coutumes canadiennes, ou d’engagement envers la société canadienne. La restriction aux citoyens canadiens de l’accès à la profession d’avocat est excessive. Il existe des moyens moins draconiens de réaliser ces objectifs.

Même si l’exercice de certaines activités de l’Etat devrait, pour des raisons à la fois symboliques et pratiques, être limité aux membres à part entière de notre société politique, une telle restriction ne devrait pas s’appliquer à l’ensemble de la profession juridique. La pratique du droit est d’abord et avant tout une profession de nature privée. Un avocat qui représente un particulier ne joue dans l’administration de la justice aucun rôle qui l’oblige à avoir la citoyenneté. Les avocats ordinaires ne sont pas au courant de renseignements gouvernementaux et il existe des règles visant à les empêcher d’obtenir des renseignements gouvernementaux confidentiels. Leur situation diffère de celle des avocats qui prennent part à la formulation ou à la mise en œuvre de politiques.

Les juges McIntyre et Lamer (dissidents): L’obligation d’être citoyen est raisonnable et défendable en vertu de l’article premier étant donné l’importance de la profession juridique dans le gouvernement du pays. La mesure n’est pas disproportionnée à l’objectif à atteindre. Ceux qui n’ont pas la citoyenneté sont encouragés à l’obtenir et le délai maximal imparti à celui qui n’a pas la citoyenneté pour devenir citoyen canadien est de trois ans à compter de la date où il acquiert son statut de résident permanent. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les nouveaux arrivants, qui cherchent à obtenir les privilèges et le statut propres au pays et le droit d’exercer les vastes pouvoirs que confère l’admission à la pratique du droit, acceptent la citoyenneté et ses obligations au même titre que ses avantages et bénéfices.

CAN / 1991 / A02
Canada / Cour suprême / 6-12-1990 / [1990] 3 R.C.S. 229 (McKinney c. Université de Guelph) / extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application –emploi
5.2.4.2.7 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – âge

Charte canadienne des droits et libertés – Loi (égalité devant la loi) – Retraite

(…)

Droit constitutionnel – Charte des droits – Applicabilité de la Charte – Gouvernement – L’université fait-elle partie du «gouvernement» avec la conséquence que ses politiques sont sujettes à révision en vertu de la Charte? – Dans l’affirmative, la politique de retraite obligatoire est-elle une «loi»? – Charte canadienne des droits et libertés, art. 15, 32.

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Egalité devant la loi – Discrimination fondée sur l’âge – Retraite obligatoire à 65 ans – La politique de retraite obligatoire est-elle une «loi»? – Dans l’affirmative, y a-t-il violation de l’art. 15(1) de la Charte? – Charte canadienne des droits et libertés, art. 15, 32.

Droit constitutionnel – Libertés publiques – Discrimination fondée sur l’âge – Protection contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi ne s’étendant pas aux personnes âgées de plus de 65 ans – La disposition viole-t-elle l’art. 15 de la Charte? – Dans l’affirmative, est-elle justifiée en vertu de l’article premier? – Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15 – Code des droits de la personne, 1981, L.O. 1981, ch. 53, art. 9a).

Les appelants, huit professeurs et un bibliothécaire des universités intimées, ont présenté des demandes de jugement déclaratoire portant que les politiques des universités sur la retraite obligatoire à l’âge de 65 ans violent l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et que l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981, en ne traitant pas les personnes qui ont atteint l’âge de 65 ans de la même manière que les autres, viole également l’art. 15. Ils ont aussi demandé une injonction interlocutoire et permanente et réclamé leur réintégration et des dommages-intérêts. Les politiques de retraite obligatoire ont été établies, selon l’université, par diverses combinaisons de résolutions du conseil, de règlements, de régimes de pensions et de conventions collectives.

(…)

La Haute Cour a rejeté la demande des appelants et la Cour d’appel à la majorité a confirmé cette décision. La Cour est appelée à répondre aux cinq questions constitutionnelles suivantes: (1) l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981 viole-t-il les droits garantis par le par. 15(1) de la Charte? (2) Dans l’affirmative, est-il justifié par l’article premier de la Charte? (3) La Charte s’applique-t-elle aux dispositions relatives à la retraite obligatoire des universités intimées? (4) Si elle s’applique, leurs dispositions respectives sur la retraite obligatoire portent-elles atteinte au par. 15(1)? (5) S’il y a violation du par. 15(1), leurs dispositions respectives sur la retraite obligatoire peuvent-elles être justifiées en vertu de l’article premier?

Les procureurs généraux du Canada, de la Nouvelle-Ecosse et de la Saskatchewan sont intervenus.

Arrêt (les juges Wilson et L’Heureux-Dubé sont dissidentes): Le pourvoi est rejeté.

(…)

Pour que l’art. 15 de la Charte s’applique, l’inégalité dont on se plaint doit découler de la «loi». Si les universités faisaient partie de l’appareil gouvernemental, leurs politiques en matière de retraite obligatoire équivaudraient à une loi aux fins de l’art. 15 de la Charte. En fait, dans la plupart des cas, les universités ont adopté ces politiques d’une manière formelle. Le fait que les employés les aient acceptées ne devrait pas modifier leur qualification de loi, même si cela était un facteur à considérer pour décider si, dans les circonstances, la violation constitue une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte.

L’acceptation d’une obligation contractuelle pourrait bien, dans certaines circonstances, constituer une renonciation à un droit reconnu par la Charte, surtout dans un cas comme la retraite obligatoire qui n’impose pas seulement des obligations, mais qui procure aussi des avantages aux employés. Dans l’ensemble toutefois, une telle entente devrait normalement être justifiée comme une limite raisonnable au sens de l’article premier, particulièrement dans le cas d’une convention collective, qui peut ou non gagner vraiment la faveur des employés victimes de la discrimination.

Dans l’hypothèse où ces politiques constituent une loi, elles sont discriminatoires au sens du par. 15(1) de la Charte, étant donné l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, puisque la distinction est fondée sur la caractéristique personnelle de l’âge énumérée dans cette disposition. La Charte confère une protection non seulement contre une discrimination directe ou intentionnelle, mais encore contre la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Le critère de la situation analogue n’a pas survécu à l’arrêt Andrews.

La distinction en l’espèce faite dans les politiques des universités, quoique fondée sur un motif énuméré au détriment de personnes de 65 ans et plus, constitue une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte quant au droit à l’égalité garanti par l’art. 15.

La combinaison des objectifs des dispositions contestées satisfait au «critère des objectifs». L’excellence en matière d’études supérieures est un objectif admirable et devrait être favorisée. La protection de la liberté universitaire est également un objectif dont l’importance est urgente et réelle.

La retraite obligatoire a un lien rationnel avec les objectifs recherchés. Elle est intimement liée au système de la permanence qui détermine l’ambiance particulière et essentielle de la vie universitaire et assure le renouvellement continu des membres du corps professoral, un processus nécessaire pour permettre aux universités d’être des centres d’excellence à la fine pointe des découvertes et des nouvelles idées. Cela garantit l’injection permanente de nouvelles ressources humaines. Dans un système fermé ayant des ressources limitées, on ne peut y parvenir qu’avec le départ d’autres personnes. La retraite obligatoire réalise cela d’une façon méthodique qui permet une planification à long terme tant par les universités que par l’individu.

Pour évaluer s’il y a eu atteinte minimale à un droit garanti par la Constitution, il faut évaluer non seulement la conciliation de revendications contraires de groupes ou d’individus, mais également la répartition de ressources limitées – dans ce cas l’accès à des installations de recherche ou autres. Les universités étaient raisonnablement fondées à conclure que la retraite obligatoire portait le moins possible atteinte au droit pertinent, compte tenu de ses objectifs urgents et réels. Au préjudice que subissent les personnes visées, il faut opposer le bénéfice que tire la société des politiques universitaires. La liberté universitaire et l’excellence sont essentielles à la vitalité de notre démocratie. Le renouvellement du corps professoral est nécessaire et garantit l’injection de nouvelles personnes et de nouvelles idées, une meilleure combinaison de professeurs plus jeunes et plus âgés qui est une caractéristique souhaitable d’un corps enseignant, ainsi qu’un meilleur accès aux installations de recherche exceptionnelles des universités, qui sont indispensables pour faire reculer les frontières du savoir. Si la retraite obligatoire a des effets préjudiciables sur le groupe visé, elle comporte aussi de nombreux aspects compensatoires comme l’enrichissement du milieu de travail accompagné d’une grande liberté universitaire avec un minimum de surveillance et d’évaluation du rendement. Ils font partie du «marché» que comporte l’acceptation d’un poste permanent, un marché que recherchent les associations de professeurs et d’autres groupes.

Les effets des politiques des universités en matière de retraite obligatoire ne sont pas sévères au point de l’emporter sur les objectifs urgents et réels du gouvernement. Les mêmes facteurs doivent être soupesés dans l’examen des effets préjudiciables.

A la suite d’une longue histoire, la retraite obligatoire à 65 ans est devenue la norme et fait maintenant partie de l’organisation même du marché du travail dans notre pays. Cela a des répercussions profondes sur l’organisation des régimes de retraite, sur l’équité et la permanence dans le milieu du travail et sur les chances d’emploi pour les autres. Telle était la situation lorsque l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981 a été adopté et lorsque la Charte est entrée en vigueur. Ces facteurs sont à considérer dans un examen fondé sur la Charte.

L’analyse de l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981, selon l’article premier ne peut pas être restreinte au contexte universitaire comme l’a fait la juridiction inférieure. En l’espèce, les appelants ont été privés de la protection du Code non pas parce qu’ils étaient des professeurs d’université, mais parce qu’ils avaient 65 ans ou plus. Restreindre l’examen de son application au contexte universitaire serait incompatible avec le premier élément du critère de proportionnalité formulé dans l’arrêt R. c. Oakes.

L’objectif de l’al. 9a) et de l’art. 4 du Code des droits de la personne, 1981 est d’étendre la protection contre la discrimination aux personnes d’une catégorie d’âge particulière à l’origine aux personnes de 45 à 65 ans. Les personnes âgées de plus de 65 ans bénéficiaient de nombreux autres programmes sociaux. En adoptant cette disposition, le législateur a soupesé, d’une part, la préoccupation tenant à l’absence de protection après l’âge de 65 ans et, d’autre part, la crainte qu’un changement puisse obliger à reporter la date de la retraite et à retarder ses avantages pour les travailleurs plus âgés, le marché du travail et les régimes de retraite. A supposer que le critère de proportionnalité puisse être respecté, ces raisons justifient la suppression du droit constitutionnel à la même protection de la loi. Le législateur a aussi considéré l’effet sur les jeunes travailleurs, mais la preuve sur ce point est conjecturale et on ne devrait pas lui accorder trop de poids.

La Loi a un lien rationnel avec ses objectifs comme cela ressort des considérations visant à déterminer si elle porte «le moins possible atteinte» au droit à l’égalité. L’examen du caractère approprié de la conduite prudente du législateur exige que l’on reconnaisse qu’elle était motivée par le souci que la transition des valeurs s’effectue de façon ordonnée. La résolution des Nations unies visant à décourager la discrimination fondée sur l’âge justifie sa recommandation en la limitant par la condition que cela soit fait «partout et dans tous les cas où la situation générale le permet.»

La retraite obligatoire porte «le moins possible» atteinte au droit à l’égalité sans discrimination fondée sur l’âge. Les origines historiques de la retraite obligatoire à 65 ans et son évolution comme élément important de l’organisation du milieu du travail sont très pertinentes dans cette évaluation. De plus, les répercussions de l’abolition de la retraite obligatoire se feraient sentir dans tous les aspects du rôle du personnel auquel elle est intimement liée: l’embauche, la formation, les renvois, la surveillance et l’évaluation, et la rémunération. Le législateur avait devant lui des théories socio-économiques concurrentes et il était en droit de faire un choix et d’agir avec prudence en apportant des modifications. Au sujet de ce genre de questions où il existe des éléments de preuve opposés en matière de sciences sociales, la question que doit examiner la Cour est de savoir si le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure que la Loi portait le moins possible atteinte au droit visé, compte tenu des objectifs urgents et réels du gouvernement.

Les préoccupations au sujet de la retraite obligatoire ne portent pas sur de simples questions de commodité administrative relativement à un petit pourcentage de la population. Elles portent plutôt sur les répercussions qu’aurait la suppression d’une règle qui est généralement avantageuse pour les travailleurs sur les objectifs impérieux que vise le législateur. La retraite obligatoire n’est pas une politique du gouvernement au sujet de laquelle la Charte peut être invoquée directement. Il s’agit d’une entente négociée dans le secteur privé et elle ne peut relever de la Charte que de façon indirecte parce que le législateur a tenté de protéger, et non pas de contester, une valeur reconnue par la Charte. La disposition en question n’a aucun objet discriminatoire.

La loi reflète simplement une politique facultative qui permet à ceux qui travaillent dans divers domaines du secteur privé de fixer leurs conditions de travail, soit personnellement soit par l’intermédiaire des organisations qui les représentent. Il ne s’agit pas d’une politique gouvernementale ni d’une condition imposée aux employés. Elle avait l’appui des universités et des organisations syndicales.

Pour les mêmes considérations analysées relativement à la question de l’atteinte minimale, il y a proportionnalité entre les effets de l’al. 9a) du Code sur le droit garanti et les objectifs de la disposition. Le législateur a voulu accorder une protection à un groupe qu’il estimait être celui qui en avait le plus besoin et il a exclu les autres en raison de considérations logiques et sérieuses dont il était raisonnablement fondé à croire qu’elles porteraient sérieusement atteinte aux droits des autres. Un législateur ne peut être tenu de traiter tous les aspects d’un problème à la fois. Il doit pouvoir adopter des mesures progressives pour soupeser les inégalités qui peuvent découler de la loi en fonction des autres inégalités qui résultent de l’adoption d’une ligne de conduite, et pour tenir compte des difficultés, qu’elles soient de nature sociale, économique ou budgétaire, qui se présenteraient s’il tentait de les traiter dans leur ensemble.

La ligne de démarcation est raisonnable et convenablement définie en fonction de l’âge, même si l’âge est un motif de discrimination prohibé. Ce point précis n’a pas été soumis à la Cour. En autorisant les programmes de promotion sociale en vertu du par. 15(2), la Charte reconnaît elle-même que des mesures légitimes prises pour traiter des problèmes d’inégalité peuvent elles-mêmes créer des inégalités. L’article premier de la Charte devrait donc permettre d’apporter des solutions partielles à la discrimination lorsqu’il existe des motifs raisonnables de limiter une mesure.

Le fait que la Charte remet entre les mains du pouvoir législatif la tâche de réglementer et de promouvoir la cause des droits de la personne dans le secteur privé incite à faire preuve d’une certaine retenue à l’égard du choix du législateur. De façon générale, les tribunaux ne devraient pas se servir à la légère de la Charte pour se prononcer après coup sur le jugement du législateur afin de déterminer le rythme qu’il devrait emprunter pour parvenir à l’idéal de l’égalité. Les tribunaux devraient adopter une attitude qui encourage les progrès législatifs en matière de protection des droits de la personne. Certaines des mesures adoptées ne sont peut-être pas parfaites, mais la reconnaissance des droits de la personne émerge lentement de l’expérience humaine et le fait d’avancer à petits pas ou progressivement peut parfois laisser présager la naissance d’un droit.

Le juge Sopinka: Le juge Sopinka souscrit aux raisons qu’invoque le juge La Forest pour conclure que l’université n’est pas une entité gouvernementale aux fins de l’application de la Charte canadienne des droits et libertés. Les fonctions principales d’une université ne sont pas gouvernementales et ne sont donc pas directement assujetties à la Charte. Cela s’applique a fortiori aux rapports qu’entretient l’université avec son personnel qui, dans le cas des présents pourvois, reposent sur une base consensuelle.

La réponse à la question de savoir si les politiques et les pratiques des universités en matière de retraite obligatoire sont une loi ne peut reposer sur l’hypothèse que les universités sont des organismes gouvernementaux. En tentant de classer la conduite d’une entité dans une affaire donnée, il est important de savoir d’abord qu’il s’agit d’un organisme gouvernemental et deuxièmement qu’elle agit en cette qualité à l’égard de la conduite que l’on cherche à assujettir à un examen fondé sur la Charte. Le rôle de la Charte est de protéger l’individu contre le pouvoir coercitif de l’Etat. Il doit y avoir un élément de coercition pour que les dispositions adoptées par une institution puissent être qualifiées de loi. Pour décider en l’espèce si les politiques et pratiques relatives à la retraite obligatoire sont une loi, il faudrait présumer que des facteurs hautement pertinents sont présents. Une telle décision reposerait sur des considérations entièrement artificielles et ne ferait que déformer la loi. La conclusion que la retraite obligatoire est justifiée en vertu de l’article premier est plus conforme aux principes démocratiques que la Charte est destinée à maintenir. Une décision contraire imposerait à tout le pays un régime qui a été conçu non pas dans le cadre du processus démocratique mais par la puissance du droit.

Le juge Cory: Les critères proposés par le juge Wilson pour déterminer si les entités dont il est évident en soi qu’elles ne font pas partie des branches législative, exécutive ou administrative du gouvernement font néanmoins partie du gouvernement auquel s’applique la Charte, sont adoptés. Les conclusions du juge Wilson que les universités font partie du «gouvernement» pour les fins de l’art. 32 de la Charte et que leurs politiques de mise à la retraite obligatoire sont sujettes à un examen fondé sur l’art. 15 et qu’elles contreviennent à l’art. 15 parce qu’elles établissent une discrimination fondée sur l’âge, sont également adoptées. Ces politiques survivent cependant à un examen fondé sur l’article premier de la Charte. Même si l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981 contrevient au par. 15(1) de la Charte parce qu’il établit une discrimination fondée sur l’âge, il constitue une limite raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l’article premier.

Le juge Wilson (dissidente): En vertu de l’art. 32, la Charte s’applique à la législation au sens large et aux actions de la branche exécutive ou administrative du gouvernement. Elle ne s’applique pas aux litiges entre particuliers en l’absence de tout lien avec le gouvernement. La distinction entre l’action gouvernementale et l’action privée peut être difficile à établir dans certaines circonstances, mais le texte de la Charte doit aussi être respecté. La Charte n’a pas été conçue comme un moyen subsidiaire aux lois sur les droits de la personne pour ce qui est de résoudre des cas de discrimination privée.

La notion selon laquelle le gouvernement ne fait que restreindre la liberté des gens n’est pas valide au Canada. Le gouvernement a également joué un rôle salutaire. La liberté ne correspond pas à l’absence d’intervention gouvernementale; au contraire, elle requiert souvent l’intervention et la protection du gouvernement contre l’action privée.

Il ne faut pas s’appuyer sur une notion d’intervention minimale de l’Etat pour justifier une interprétation restrictive de mots «gouvernement» et «action gouvernementale». De nos jours, les gouvernements doivent remplir plusieurs rôles vis-à-vis de ses citoyens, certains de ces rôles ne pouvant être remplis le mieux possible par l’appareil gouvernemental lui-même. Il ne faut pas laisser la forme l’emporter sur le fond: il ne faut pas laisser contourner les dispositions de la Charte en autorisant la création d’une entité distincte chargée de remplir ce rôle. Nous devons examiner la nature des rapports entre cette entité et le gouvernement pour déterminer si ses actes sont vraiment ceux d’un gouvernement.

Il faut se poser les questions suivantes quant aux entités dont il n’est pas évident en soi qu’elles font partie des branches législative, exécutive ou administrative du gouvernement, pour déterminer si elles sont assujetties à la Charte: (1) La branche législative, exécutive ou administrative du gouvernement exerce-t-elle un contrôle général sur l’entité en question? (2) L’entité exerce-t-elle une fonction gouvernementale traditionnelle ou une fonction qui, de nos jours, est reconnue comme une responsabilité de l’Etat? (3) L’entité agit-elle conformément au pouvoir que la loi lui a expressément conféré en vue d’atteindre un objectif que le gouvernement cherche à promouvoir dans le plus grand intérêt public?

Chacune des questions identifie des aspects du gouvernement dans son contexte contemporain. Une réponse affirmative à l’une ou l’autre de ces questions constituerait un indice sérieux, mais rien de plus, qu’il s’agit d’une entité qui fait partie du gouvernement. Les parties peuvent expliquer pourquoi l’organisme en question ne fait pas partie du gouvernement ou, dans le cas d’une réponse négative, pourquoi quelque autre aspect que les questions formulées précédemment ne visent pas fait en sorte qu’elle fasse partie du gouvernement.

En raison des divers liens qui existent entre la province et les universités, l’Etat exerce un contrôle important sur les universités au Canada. Il exerce ce contrôle: (1) par une participation considérable au financement, (2) par la nature législative de leur organisation, (3) par l’assujettissement de certains processus de décision à l’examen judiciaire et (4) par des politiques et programmes exigeant l’approbation du gouvernement.

Le gouvernement n’a pas été mêlé directement à la politique de mise à la retraite obligatoire établie par les universités. Cependant, il n’est pas essentiel d’établir un lien précis entre l’action contestée et le gouvernement. Les politiques et pratiques internes des universités devraient se conformer aux préceptes de la Constitution. Le principe de la liberté académique, qui a une portée restreinte et qui protège seulement contre la censure des idées, n’est pas incompatible avec le contrôle administratif exercé par l’Etat dans d’autres domaines.

A tous les niveaux, l’éducation a été traditionnellement une fonction du gouvernement au Canada comme l’indiquent les lois adoptées à ce sujet avant et après la Confédération. Les universités exercent une fonction publique importante que le gouvernement veut voir exercer et dont il estime avoir la responsabilité de veiller à ce qu’elle soit exercée. Les universités font donc partie du «gouvernement» pour les fins de l’art. 32 de la Charte et leurs politiques de retraite obligatoire sont donc sujettes à un examen fondé sur l’art. 15 de la Charte.

L’article 15 est déclaratoire des droits de tous à l’égalité dans le système judiciaire. Si la garantie d’égalité n’est pas respectée par ceux à qui la Charte s’applique, les tribunaux doivent remédier à cette inégalité.

Le terme «loi» à l’art. 15 devrait recevoir une interprétation libérale qui englobe à la fois l’activité législative et les politiques et pratiques même si elles sont adoptées à la suite d’un consensus. La garantie d’égalité s’applique sans égard à la forme particulière de discrimination. La discrimination, qu’elle soit consciente ou non, se manifeste souvent par des pratiques plutôt informelles. L’article 15 n’exige donc pas de chercher une «loi» discriminatoire au sens strict, mais simplement de chercher une discrimination qui doit être corrigée par la loi.

Il n’est pas absolument nécessaire que notre Cour parvienne en l’espèce à une conclusion définitive sur cet aspect de l’art. 15. En vertu de l’interprétation plus libérale du terme «loi», les politiques à l’origine de la retraite obligatoire constituent une «loi» au sens de l’art. 15. Même en vertu de l’interprétation la plus restrictive du terme «loi», la discrimination découle des lois habilitantes des universités et, en conséquence, l’atteinte au droit à l’égalité s’est produite de l’une des façons interdites.

Toutes les façons auxquelles les universités ont eu recours pour imposer la retraite obligatoire constituent des «règles exécutoires» au sens large. Cela ne change rien que certaines règles découlent d’un processus de négociation collective. C’était en fait la loi du milieu du travail. La retraite obligatoire établit une distinction réelle et voulue entre différentes personnes ou groupes de personnes et cette distinction constitue de la discrimination.

La garantie d’égalité vise à promouvoir la dignité humaine. Cette garantie porte essentiellement sur ces modes de discrimination que sont les stéréotypes et les préjugés et elle vise à protéger contre ces fléaux. Le caractère central de la notion de «préjugé» explique pourquoi le critère de la situation analogue n’a pas sa place dans la jurisprudence sur l’égalité.

Les motifs énumérés à l’art. 15 sont des exemples flagrants de discrimination que la société a enfin reconnus comme tels. Leur caractéristique commune est le désavantage et la vulnérabilité sur les plans politique, social et juridique.

Le simple fait que la distinction soit fondée sur l’âge ne donne pas automatiquement lieu à une quelconque présomption irréfutable de préjugé. Il nous amène plutôt à nous poser certaines questions. Y at-il préjugé? La politique de retraite obligatoire reflète-t-elle le stéréotype de la vieillesse? Un élément de la dignité humaine est-il en cause? Les professeurs sont-ils tenus de prendre leur retraite à 65 ans pour le motif non fondé qu’il y a diminution de la compétence et des capacités intellectuelles avec l’âge? La réponse à ces questions est oui et, en conséquence, l’art. 15 est violé.

Les universités détiennent leur pouvoir en matière de relations de travail avec les professeurs et les employés en vertu de leurs lois habilitantes qui, en elles-mêmes, ne violent pas la Charte. La mesure prise conformément à ces dispositions a entraîné la violation. Il n’est donc pas nécessaire de déterminer précisément si les politiques concrètes qui imposent la retraite à 65 ans constituent une «règle de droit» au sens de l’article premier. Si les mesures qui prévoient la retraite obligatoire ne sont pas raisonnables et si leur justification ne peut se démontrer, elles ne relèvent pas du pouvoir des universités et doivent être annulées.

Les politiques de retraite obligatoire ne peuvent satisfaire au critère de l’atteinte minimale. Ce critère est satisfait lorsque les autres moyens de traiter l’objectif avoué du gouvernement ne sont pas clairement meilleurs que le moyen adopté par le gouvernement. Il y a de meilleurs moyens en l’espèce.

En période de restrictions budgétaires, la concurrence à l’égard des ressources limitées constituera presque toujours un facteur de la répartition des bénéfices par le gouvernement. En outre, la reconnaissance des droits et libertés constitutionnels de certains dans ces circonstances comportera presque inévitablement un prix que d’autres auront à payer. Dire de ce prix qu’il justifie une négation des droits constitutionnels des appelants reviendrait à vicier complètement l’objectif de la consécration des droits et libertés dans la Constitution. Toutefois, les circonstances peuvent faire en sorte que d’autres facteurs militent contre l’ingérence des tribunaux lorsque le législateur a tenté de répartir équitablement les ressources. Mêmes si les seules contraintes financières étaient suffisantes pour justifier une interprétation plus souple du critère de l’atteinte minimale, les faits de l’espèce ne justifient pas l’application de cette norme d’examen.

La norme qui est présumée s’appliquer est celle de l’arrêt Oakes et ce n’est que dans circonstances exceptionnelles que la rigueur du critère de l’arrêt Oakes devrait être assouplie. Les universités intimées n’ont pas réussi à démontrer que l’application d’un critère plus souple en vertu de l’article premier était approprié. Même si ce critère était approprié, on n’a pas satisfait à cette norme. Il existe des moyens clairement meilleurs comme en fait foi le succès des méthodes de rechange.

Les jeunes professeurs ne font pas partie du genre de groupe vulnérable envisagé dans les arrêts qui ont appliqué un critère plus souple de l’atteinte minimale. Leur exclusion découle seulement de la politique de restriction budgétaire du gouvernement, mais non du fait qu’ils sont jeunes ou de la nature de leur rapport avec les universités.

Compte tenu de la nature des motifs pour lesquels la discrimination est interdite à l’art. 15 et du fait que les droits à l’égalité sont au cœur même de la Charte, il y a lieu de douter que les citoyens devraient être autorisés à renoncer à ces droits par contrat. Il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce.

Le paragraphe 24(1) de la Charte confère à la Cour un large pouvoir discrétionnaire d’accorder la réparation qu’elle estime convenable et juste, y compris le genre de redressement demandé par les appelants. Les principes ordinaires du droit des contrats ne doivent pas nécessairement dicter quelles sont les réparations convenables et justes au sens du par. 24(1). Les tribunaux devraient s’efforcer de préserver les accords tout en les débarrassant de leurs éléments inconstitutionnels.

La réintégration est une façon convenable et juste de réparer le tort fait aux appelants vu la rareté des postes d’enseignement et de la difficulté d’aller ailleurs. Il est convenable d’accorder des dommages-intérêts compensatoires puisque la perte de revenus et d’avantages résulte de la violation des droits qu’ont les appelants en vertu de l’art. 15. L’indemnisation des pertes qui découlent directement de la violation de droits constitutionnels devrait normalement être accordée sous réserve de raisons sérieuses contraires. Le manque d’argent et la bonne foi ne peuvent servir de justification valable pour refuser d’accorder des dommages-intérêts compensatoires.

Il n’y a pas lieu d’accorder d’injonction interlocutoire ou permanente. Les appelants sont rétablis dans leur situation en raison du jugement déclaratoire, de l’ordonnance de réintégration et de l’attribution de dommages-intérêts compensatoires.

L’alinéa 9a) du Code des droits de la personne, 81 enfreint l’art. 15 de la Charte parce qu’il prive les employés âgés de plus de 65 de toute protection contre la discrimination en matière d’emploi. Lorsque le gouvernement décide d’accorder une protection, il doit le faire d’une manière non discriminatoire et, en l’espèce, la province a omis de le faire. Dans le domaine de la législation en matière de droits de la personne, l’examen en vertu de la Charte devrait être plus sévère, et non moins sévère, que pour les autres genres de législations. En ne protégeant pas ces travailleurs, le Code a pour effet de renforcer le stéréotype selon lequel les employés plus âgés ne sont plus des membres utiles de la population active et qu’on peut donc librement et arbitrairement se passer de leurs services.

L’alinéa 9a) en entier doit être invalidé. L’alinéa ne fait pas que permettre la retraite obligatoire, qui est l’objectif avoué du législateur, il a aussi pour effet de permettre toutes formes de discrimination fondées sur l’âge envers les personnes âgées de plus de 65 ans. Le volet du lien rationnel énoncé dans l’arrêt Oakes n’est donc pas satisfait. En choisissant la bonne solution de la contestation constitutionnelle, la Cour doit tenir compte de l’étendue de l’incompatibilité de la disposition avec la Charte.

De toute façon, l’al. 9a) ne survivrait pas au deuxième volet du critère de proportionnalité de l’arrêt Oakes. Si la majorité des personnes touchées par une loi subissent un préjudice démesurément grave par suite de la violation de leurs droits, la loi contestée ne porte pas le moins possible atteinte aux droits des personnes visées par celle-ci. Même s’il est acceptable que des citoyens écartent par entente leurs droits fondamentaux en échange d’un gain économique, il reste que la majorité des travailleurs de la province n’ont pas accès à de tels arrangements.

Le juge L’Heureux-Dubé (dissidente): Les universités ne possèdent peut-être pas tous les éléments de nature gouvernementale nécessaires pour être considérées comme des organismes publics, mais elles ne sont pas non plus de nature entièrement privée. Leurs décisions internes sont sujettes au contrôle judiciaire et leur création, leur financement et leur fonctionnement sont régis par des lois. Certaines fonctions publiques exécutées par les universités peuvent justifier un contrôle fondé sur la Charte.

Le fait que les universités sont financées de façon substantielle sur les fonds publics ne peut être facilement écarté mais l’ampleur du financement ne prouve pas que le gouvernement exerce un contrôle sur les contrats de travail en l’espèce qui les assujettirait à un examen fondé sur la Charte. Le régime de retraite obligatoire n’a pas été adopté en raison d’un mandat du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif. En outre, ce sont des contrats privés d’emploi de l’université que l’on prétend être en conflit avec la Charte et non les fonctions publiques qui lui ont été déléguées.

Le test général proposé par le juge Wilson quant à l’étendue du gouvernement et de l’action gouvernementale aux fins du par. 32(1) de la Charte devrait être retenu. Les universités ne peuvent cependant être qualifiées de gouvernement en vertu de ce test, essentiellement pour les motifs exposés par le juge La Forest. L’analyse historique conduit à la même conclusion que la méthode fonctionnelle: les universités canadiennes ont toujours férocement défendu leur indépendance. Le mot «gouvernement», suivant le sens qu’on lui attribue généralement n’a jamais englobé les universités telles qu’elles étaient et telles qu’elles sont actuellement constituées. Il n’est donc pas nécessaire de répondre aux questions 4 et 5.

L’alinéa 9a) du Code des droits de la personne, 1981 constitue une discrimination déraisonnable et injuste fondée sur l’âge envers les personnes de plus de 65 ans en violation du par. 15(1) de la Charte. Il constitue un obstacle arbitraire et artificiel qui empêche des personnes âgées de plus de 65 ans de porter plainte contre une discrimination en matière d’emploi.

La violation du par. 15(1) ne peut être justifiée en vertu de l’article premier. Il n’existe aucune preuve convaincante que la retraite obligatoire et le système de permanence sont étroitement liés. La valeur de la permanence est menacée par l’incompétence et non par le vieillissement. La présomption d’une incapacité d’enseigner à 65 ans n’est pas bien fondée. L’écart entre les capacités physiques et intellectuelles parmi les différents groupes d’âge peut être amplement compensée par une plus grande expérience, une plus grande sagesse et des compétences plus étendues acquises au cours des années. La politique de retraite obligatoire ne répond donc pas à un objectif réel et urgent.

Même en supposant qu’un objectif légitime existe, les moyens utilisés sont trop envahissants. Les personnes de plus de 65 ans sont exclues de la protection du Code seulement en raison de leur âge et, indépendamment des circonstances, sont privées du recours à des lois protectrices et réparatrices en matière de droits de la personne. Depuis l’époque où l’âge de la retraite a été fixé à 65 ans, les progrès de la science médicale et l’amélioration des conditions de vie ont considérablement augmenté l’espérance de vie et amélioré la qualité de vie. Une petite «élite» peut se permettre de prendre sa retraite, mais ce sont les pauvres qui souffrent le plus cruellement des effets néfastes de la retraite obligatoire. Les femmes sont particulièrement touchées car elles sont moins susceptibles de bénéficier de pensions de retraite suffisantes. Il n’y a pas de justification raisonnable à un régime fixant à 65 ans l’âge de la retraite obligatoire.

L’alinéa 9a) du Code peut en être retranché et devrait donc être entièrement invalidé pour cause d’inconstitutionnalité.

CAN / 1992 / A03
Canada/Cour suprême/9-07-1992/[1992] 2 R.C.S. 679 (Schachter c. Canada) /extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – sécurité sociale

Charte canadienne des droits et libertés – Parents adoptifs – Parents naturels – Prestations

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Réparations – Prestations limitatives – Parents naturels ne bénéficiant pas des mêmes prestations que les parents adoptifs en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage – L’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 exige-t-il que le tribunal déclare inopérant l’article incompatible? –L’article 24 de la Charte donne-t-il au tribunal le pouvoir de statuer que les parents naturels ont droit aux mêmes prestations que les parents adoptifs? – Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1) – Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 15(1), 24(1) – Loi de 1971 sur l’assurance chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 32.

Droit constitutionnel – Charte des droits – Exécution – Réparation appropriée – Prestations limitatives – Parents naturels ne bénéficiant pas des mêmes prestations que les parents adoptifs en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage – L’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 exige-t-il que le tribunal déclare inopérant l’article incompatible? – L’article 24 de la Charte donne-t-il au tribunal le pouvoir de statuer que les parents naturels ont droit aux mêmes prestations que les parents adoptifs?

En 1985, l’épouse de l’intimé a reçu des prestations de maternité pendant 15 semaines en vertu de l’art. 30 de la Loi de 1971 de l’assurance-chômage. Bien qu’il ait eu l’intention de rester à la maison avec le nouveau-né dès que son épouse pourrait retourner au travail, l’intimé a finalement pris trois semaines de congé sans traitement. Il avait tout d’abord fait une demande de prestations en vertu de l’art. 30 pour justifier son absence du travail mais, puisque l’art. 30 était limité aux prestations de maternité, il a ensuite modifié une formule de demande de «prestations de paternité» en vertu de l’art. 32. Cet article prévoit le versement de prestations aux parents adoptifs pendant 15 semaines à la suite du placement d’un enfant dans leur foyer. Les deux parents peuvent se partager ces prestations comme ils l’entendent. La demande de l’intimé a été refusée parce qu’il n’était pas «disponible pour travailler», motif d’exclusion pour tous les prestataires, sauf ceux faisant une demande de prestations de maternité ou d’adoption.

L’intimé a interjeté appel de la décision auprès d’un conseil arbitral. L’appel a été rejeté et l’intimé a interjeté un autre appel devant un juge-arbitre. Cet appel n’a jamais été entendu puisque l’intimé avait fait connaître son intention de soulever des questions constitutionnelles; les parties ont convenu que la Section de première instance de la Cour fédérale serait mieux placée pour résoudre les questions constitutionnelles. Le juge de première instance a conclu à une violation de l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce que l’art. 32 établit une discrimination entre les parents naturels et les parents adoptifs relativement au congé parental. Il a accordé une réparation sous forme de jugement déclaratoire en vertu du par. 24(1) de la Charte et octroyé aux parents naturels les mêmes prestations que celles accordées aux parents adoptifs en vertu de l’art. 32. Les appelantes ont par la suite concédé qu’il y a eu violation de l’art. 15 de la Charte. La Cour d’appel a confirmé la décision du juge de première instance.

La disposition attaquée a depuis été modifiée et prévoit maintenant que les parents naturels ont droit, selon des modalités identiques, aux mêmes prestations que les parents adoptifs, pendant une période totale de 10 semaines au lieu des 15 semaines prévues initialement.

Les questions constitutionnelles formulées en Cour suprême sont de savoir (l) si le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 exige que l’art. 32 de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, parce qu’il crée un bénéfice inégal contrairement au par. 15(1) de la Charte, soit déclaré inopérant; et (2) si le par. 24(1) donne à la Section de première instance de la Cour fédérale le pouvoir de statuer que les parents naturels ont droit aux mêmes prestations, suivant les mêmes conditions, que celles que peuvent toucher les parents adoptifs en vertu de l’art. 32.

Arrêt:

Le pourvoi est accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, mais l’effet de cette déclaration d’invalidité peut être suspendu pendant un certain temps pour que le Parlement puisse modifier le texte législatif d’une façon qui lui permette de respecter ses obligations constitutionnelles. La seconde question constitutionnelle reçoit une réponse négative. Le paragraphe 24(1) de la Charte prévoit une réparation individuelle lorsque des mesures prises en vertu d’une loi violent les droits garantis à une personne par la Charte. Dans les circonstances appropriées, les tribunaux ont un pouvoir limité, en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, de donner une interprétation large à une loi pour en étendre le champ d’application.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin: En règle générale, lorsque seulement une partie d’une loi ou d’une disposition viole la Constitution, seule la partie fautive devrait être déclarée inopérante. La doctrine de la dissociation exige du tribunal qu’il précise soigneusement la mesure de l’incompatibilité entre la loi en question et les exigences de la Constitution et qu’il déclare inopérantes a) la partie incompatible, ainsi que b) toute partie du reste de la loi relativement à laquelle il n’y aurait pas lieu de supposer que le législateur l’aurait adoptée sans la partie incompatible.

Dans le cas de l’interprétation large, l’incompatibilité découle de ce que la loi exclut à tort plutôt que de ce qu’elle inclut à tort. Si l’incompatibilité découle de ce que la loi exclut, la déclaration d’invalidité de cette incompatibilité peut avoir pour effet logique d’inclure le groupe exclu dans le texte législatif en question. La portée de la loi est étendue par interprétation large au lieu de recevoir une interprétation atténuée.

L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne restreint pas le tribunal à l’examen du libellé employé par le législateur lorsqu’il détermine l’incompatibilité entre une loi et la Constitution. L’article 52 rend inopérantes les dispositions incompatibles d’une règle de droit et non pas les termes d’une loi. L’incompatibilité peut s’entendre tant de ce qui a été omis du libellé de la loi que de ce qui y a été inclus à tort.

L’objet de l’interprétation large est d’être aussi fidèle que possible, dans le cadre des exigences de la Constitution, au texte législatif adopté par le législateur. Il va sans dire que, dans certains cas, il n’y aura pas lieu de supposer que le législateur aurait adopté la partie d’une loi autorisée par la Constitution sans celle qui ne l’est pas. Dans ce cas, l’interprétation large ne conviendrait pas. S’il est parfois nécessaire de procéder par interprétation large pour assurer le respect des objectifs législatifs, il est également nécessaire parfois de procéder de cette façon pour assurer le respect des objets de la Charte. L’interprétation large est donc une mesure corrective légitime semblable à la dissociation et devrait pouvoir être utilisée en vertu de l’art. 52 dans les cas où elle constitue une technique appropriée pour satisfaire aux objets de la Charte et réduire au minimum l’ingérence judiciaire dans les parties de la loi qui en soi ne sont pas contraires à la Charte.

Dans le choix d’une mesure corrective en vertu de l’art. 52, la première étape consiste à déterminer l’étendue de l’incompatibilité qui doit être annulée. Habituellement, il sera essentiel d’examiner de quelle façon la loi en question viole la Charte et pourquoi cette violation ne peut être justifiée en vertu de l’article premier.

Dans certaines circonstances, le par. 52(1) exige qu’on détermine d’une façon très large la partie incompatible à annuler. Cela sera presque toujours le cas si la loi ou la disposition législative ne satisfait pas à la première partie du critère énoncé dans l’arrêt Oakes, en ce que l’objectif ne se rapporte pas à des préoccupations suffisamment urgentes et réelles pour justifier une atteinte à un droit garanti par la Charte. Si l’objectif même de la loi est inconstitutionnel, cette loi doit presque toujours être annulée dans sa totalité.

Lorsque l’on juge que l’objectif de la loi ou de la disposition législative se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles, mais que les moyens choisis pour l’atteindre n’ont pas de lien rationnel avec cet objectif, l’incompatibilité à invalider sera généralement la partie de la disposition qui ne satisfait pas au critère du lien rationnel. Peu importe que l’objectif de la loi se rapporte à des préoccupations réelles et urgentes, si les moyens utilisés pour l’atteindre n’ont pas un lien rationnel avec cet objectif, le maintien en vigueur de la loi dans sa forme existante n’en favorisera pas l’atteinte. Lorsqu’une loi ne satisfait pas au deuxième ou au troisième élément du critère de la proportionnalité, ou aux deux, on dispose d’une plus grande latitude pour déterminer quelles sont les dispositions incompatibles. Il pourrait convenir de procéder par annulation, dissociation ou interprétation large dans les cas où le texte législatif ne satisfait pas au deuxième ou au troisième élément, ou aux deux.

Une fois établie la mesure de l’incompatibilité d’une disposition, il faut se demander si la bonne réparation est la dissociation, l’interprétation large ou son annulation en totalité.

Il existe une distinction importante entre la dissociation et l’interprétation large. En ce qui concerne la dissociation, la partie incompatible de la disposition législative peut être déterminée avec une certaine précision en fonction des exigences de la Constitution, ce qui ne sera pas toujours possible dans le cas de l’interprétation large. Lorsqu’il n’est pas possible, à partir d’une analyse fondée sur la Constitution, de déterminer avec suffisamment de précision dans quelle mesure il faut élargir la portée d’une loi pour la rendre compatible avec la Constitution, il appartient aux législateurs et non aux tribunaux de combler les lacunes.

Lorsque l’on détermine s’il faut donner une interprétation large à un texte législatif, la question n’est pas de savoir si les tribunaux peuvent prendre des décisions qui entraînent des répercussions de nature financière, mais bien jusqu’à quel point il est de circonstance de le faire. De toute évidence, il ne conviendrait pas d’accorder une réparation qui entraîne un empiétement tellement important sur ce domaine qu’il modifie la nature du régime législatif en question. Le tribunal devrait se demander si le sens du texte qui reste serait grandement modifié par le retranchement des parties fautives. Le problème de l’annulation de la partie incompatible seulement est que le sens de la partie qui reste peut tellement changer en l’absence de la partie incompatible qu’il n’y a pas lieu de supposer que le législateur l’aurait quand même adoptée.

Lorsqu’il s’agit de savoir si l’on doit accorder des bénéfices à un groupe non inclus dans la loi, la question du changement de sens du reste de la loi tourne parfois autour de la taille relative des deux groupes pertinents. La supposition que le législateur aurait adopté le bénéfice est plus souvent fondée si le groupe à ajouter est numériquement moins important que le groupe initial de bénéficiaires. Cette supposition n’est cependant pas nécessairement fondée si le groupe à ajouter est numériquement beaucoup plus important que le groupe initial de bénéficiaires. Ce n’est pas seulement une question de chiffres. C’est plutôt que les chiffres peuvent indiquer que, pour des motifs financiers ou simplement parce que cela constituerait un changement marqué de l’objectif du programme initial, on ne peut pas supposer que le législateur aurait adopté le bénéfice en question sans l’exclusion.

Il est raisonnable d’examiner le sens de la partie qui reste lorsqu’on se demande si la supposition que le législateur l’aurait quand même adoptée est fondée. Si la partie qui reste a une très grande importance ou existe depuis longtemps, ce fait vient renforcer la supposition que cette partie aurait été adoptée sans la portion inacceptable. Le fait que les objets de la Constitution favorisent, sans imposer, le maintien de la partie acceptable d’une disposition vient renforcer la supposition que le législateur l’aurait adoptée sans la partie inacceptable.

La dernière étape consiste à déterminer s’il doit y avoir suspension temporaire de l’effet de la déclaration d’invalidité. Un tribunal peut déclarer une loi ou une disposition législative inopérante, mais suspendre l’effet de cette déclaration jusqu’à ce que le législateur fédéral ou provincial ait eu l’occasion de combler le vide. La question de la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité diffère totalement de celle de savoir si l’interprétation large ou l’annulation d’un texte législatif est la solution appropriée en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. La suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité ne devrait pas être préférée à l’interprétation large lorsqu’il convient de procéder par interprétation large. La question de savoir s’il y a lieu de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité ne devrait pas dépendre de considérations ayant trait au rôle des tribunaux et des législateurs, mais plutôt de considérations sur l’effet d’une déclaration d’invalidité sur le public.

(…)

Le droit violé en l’espèce est un droit positif: le droit au même bénéfice de la loi. Il s’agit d’un bénéfice pécuniaire, et non pas d’un bénéfice que la Constitution oblige le Parlement à verser au groupe inclus ou au groupe exclu. A la suite de la violation concédée de l’art. 15, le Parlement est tenu d’égaliser la prestation de ce bénéfice, si tant est qu’il doit y avoir prestation. Le bénéfice en soi n’est pas interdit par la Constitution; la disposition pertinente est simplement trop limitative. En conséquence, il ne serait pas approprié de procéder à l’annulation immédiate de la disposition car on priverait ainsi des personnes admissibles d’un bénéfice, sans offrir une réparation à l’intimé. Dans un tel cas, il faut tout au moins que l’effet de la déclaration d’invalidité soit suspendu pour permettre au Parlement d’harmoniser la disposition avec les exigences constitutionnelles.

En l’absence d’un mandat fondé sur un objectif législatif clair, il serait imprudent de donner à la disposition une interprétation large de manière à inclure le groupe exclu. Un examen du bénéfice et de la taille du groupe ainsi que des répercussions financières qui s’ensuivraient vient appuyer cette conclusion. La solution appropriée consistait à déclarer la disposition inopérante et à suspendre l’effet de cette déclaration jusqu’à ce que le législateur concerné ait soupesé tous les facteurs pertinents dans le cadre de la modification de la loi en vue de répondre aux exigences constitutionnelles. Il est révélateur que le Parlement ait modifié la disposition attaquée par suite de la présente action et que cette modification ne soit pas celle qu’aurait imposée une interprétation large.

Les juges La Forest et L’Heureux-Dubé: On a concédé que la loi en cause viole la Charte canadienne des droits et libertés et qu’elle ne fait pas partie du genre très limité de causes où seule une partie de la loi peut faire l’objet d’une interprétation atténuée ou d’une correction qui introduit, par interprétation large, des éléments reflétant de toute façon l’intention évidente du législateur. L’interprétation atténuée des lois est riche d’une longue tradition et l’interprétation large est possible lorsque cela revient essentiellement au même. Cependant, on ne devrait utiliser ces techniques que dans les cas les plus clairs. Compte tenu de la mesure prise subséquemment par le Parlement, il n’était pas opportun de déclarer inopérante la disposition attaquée et de suspendre l’effet de cette déclaration.

D’autres dimensions de la question de l’interprétation large et de l’interprétation atténuée commandent que des réserves soient apportées aux propositions que le juge en chef Lamer a énoncées comme étant des lignes directrices. L’application de l’interprétation atténuée ou de l’interprétation large ne devrait pas être liée étroitement à la liste établie dans l’arrêt R. c. Oakes parce qu’elle pourrait favoriser une attitude mécaniste, plutôt que l’étude de questions plus fondamentales qui se situent bien au-delà des faits.

CAN / 1995 / A04
Canada / Cour suprême / 25-05-1995 / [1995] 2 R.C.S. 418 (Miron c. Trudel) / texte intégral du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du recours – décisions juridictionnelles
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Assurance automobile – Charte canadienne des droits et libertés – Conjoint (définition) – Conjoint de fait – Déclaration universelle des droits de l’homme

John O. Miron et Jocelyne Valliere Appelants

c.

Richard Trudel, William James McIsaac
et Economical, Compagnie Mutuelle d’Assurance Intimés

et

Le procureur général du Canada
Le procureur général de l’Ontario
Le procureur général du Québec et
Le procureur du Manitoba Intervenants

Répertorié: Miron c. Trudel
N° du greffe: 22744.
1994: 2 juin; 1995: 25 mai.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’HeureuxDubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major en appel de la cour d’appel de l’Ontario

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Assurance-automobile – Police automobile type établie sous le régime d’une loi provinciale qui étend au «conjoint» du souscripteur les indemnités d’assurance en cas d’accident – Le terme «conjoint» n’inclut pas les conjoints de fait – La restriction des indemnités aux seules personnes mariées viole-t-elle l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés? – Dans l’affirmative, la violation peut-elle se justifier en vertu de l’article premier de la Charte? – Loi sur les assurances, L.R.O. 1980, ch. 218, art. 231, 233, Annexe C.

Droit constitutionnel – Charte des droits – Exécution – Réparation appropriée – Police automobile type établie sous le régime d’une loi provinciale qui étend au «conjoint» du souscripteur les indemnités d’assurance en cas d’accident – Le terme «conjoint» n’inclut pas les conjoints de fait – Restriction des indemnités aux seules personnes mariées en contravention de l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés – Violation non justifiable au regard de l’article premier de la Charte – La Cour devrait-elle, par «interprétation large» rétroactive donner une définition plus étendue au «conjoint», en vertu de l’art. 24 de la Charte?

Les appelants vivaient ensemble avec leurs enfants. Ils n’étaient pas mariés, mais leur famille fonctionnait comme une unité économique. En 1987, M a été blessé alors qu’il était passager à bord d’un véhicule à moteur non assuré conduit par un conducteur non assuré. A la suite de l’accident, M ne pouvait plus travailler et contribuer au soutien de sa famille. Il a présenté une réclamation d’indemnité d’assurance-accidents pour perte de revenu et dommages-intérêts fondée sur la police d’assurance de V, qui étendait au «conjoint» du souscripteur les indemnités d’assurance en cas d’accident. L’assureur intimé a rejeté sa réclamation parce que M n’était pas légalement marié à V et, partant, qu’il n’en était pas le «conjoint». Les appelants ont intenté une poursuite contre l’assureur, qui a déposé une requête préliminaire visant à faire déterminer si le terme «conjoint», utilisé dans les stipulations applicables de la police, comprend les conjoints de fait. Le juge des requêtes a conclu que le terme «conjoint» désignait une personne légalement mariée. Les appelants ont interjeté appel contre cette décision devant la Cour d’appel, en faisant valoir premièrement que M est un conjoint au sens de la police et, subsidiairement, que les modalités de la police, qui sont prévues dans la police automobile type, établie sous le régime de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1980, ch. 218, sont discriminatoires à son endroit et violent le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d’appel a rejeté leur demande.

Arrêt (Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier et Major sont dissidents):

Le pourvoi est accueilli.

Les juges Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci: L’analyse fondée sur le par. 15(1) comporte deux étapes. Premièrement, le demandeur doit démontrer qu’il y a eu négation de son droit «à la même protection» ou «au même bénéfice» de la loi qu’une autre personne. Deuxièmement, le demandeur doit démontrer que cette négation constitue une discrimination. Pour établir qu’il y a discrimination, le demandeur doit prouver que la négation repose sur l’un des motifs énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue et que le traitement inégal est fondé sur l’application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe, bien que, dans de rares cas, des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou des motifs analogues peuvent, à l’examen, se révéler non discriminatoires. Une fois que la violation du par. 15(1) est établie, il y a alors déplacement de la charge de la preuve et la partie qui cherche le maintien de la loi, habituellement l’Etat, doit établir la justification de cette discrimination conformément à l’article premier de la Charte. Cette façon de départager l’analyse entre le par. 15(1) et l’article premier est compatible avec la directive selon laquelle les tribunaux devraient interpréter les droits qui y sont énumérés d’une façon large et libérale, et ce sera alors à l’étape de l’analyse fondée sur l’article premier qu’il faudra restreindre la protection prima facie ainsi accordée pour la rendre conforme aux intérêts opposés sur les plans social et législatif. Par ailleurs, l’analyse préconisée ne banalise pas le par. 15(1) en qualifiant toutes les distinctions de discriminatoires. Une preuve de la pertinence par rapport à un objectif législatif du motif énuméré ou du motif analogue qui sert de fondement à une négation d’égalité n’est qu’un facteur servant à déterminer si une distinction est discriminatoire dans le contexte social et politique de chaque cas. Considérer que la pertinence est l’indice ultime de l’absence de discrimination est problématique en ce que cela peut permettre de valider des distinctions qui iraient à l’encontre du but poursuivi par le par. 15(1), et de donner lieu à des examens qui devraient plutôt être effectués en fonction de l’article premier.

L’exclusion des partenaires non mariés comme bénéficiaires des indemnités d’assurance-accidents offertes aux partenaires mariés va à l’encontre du par. 15(1) de la Charte. En l’espèce, la négation du droit au même bénéfice fondée sur l’état matrimonial est établie, et l’état matrimonial est un motif de discrimination analogue au sens du par. 15(1). Premièrement, la discrimination fondée sur ce motif touche la dignité et le mérite essentiels de la personne de la même façon que d’autres motifs de discrimination reconnus vont à l’encontre de normes fondamentales en matière de droits de la personne. Deuxièmement, l’état matrimonial possède des caractéristiques souvent associées aux motifs de discrimination reconnus au par. 15(1). Les personnes qui vivent en union de fait constituent un groupe historiquement désavantagé, même si, au cours des dernières années, ce désavantage a grandement diminué.

Une troisième caractéristique parfois associée à des motifs analogues – les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles immuables – existe aussi, mais sous une forme atténuée. En théorie, la personne est libre de choisir de se marier ou non, mais en pratique, la réalité pourrait bien être tout autre. Puisque l’on retrouve les éléments nécessaires à l’application de l’objectif général du par. 15(1) – la violation de la dignité et de la liberté, un désavantage historique de groupe et le risque de prise de décisions stéréotypées touchant le groupe –, la discrimination est établie.

Le ministère public n’a pas réussi à démontrer qu’exclure les partenaires non mariés membres d’unités familiales du droit aux indemnités d’assurance-accidents peut se justifier dans une société libre et démocratique. L’objet ou la valeur fonctionnelle de la loi en l’espèce, qui est le soutien des familles dont l’un des membres est blessé dans un accident d’automobile, est d’une importance urgente et réelle. Cependant, il n’y a pas de lien rationnel entre l’objectif de la loi et la discrimination, et la loi porte atteinte au droit plus qu’il est raisonnablement nécessaire de le faire pour atteindre cet objectif. L’état matrimonial n’est pas une caractéristique raisonnablement pertinente permettant de déterminer qui devrait avoir droit aux indemnités dans le cas où un membre de la famille est blessé dans un accident d’automobile, compte tenu des autres critères existants et de la nécessité de réduire au minimum le préjudice causé aux cas d’anomalies au sein du groupe. Si l’on avait considéré qu’il s’agissait de déterminer quels devraient être les bénéficiaires des indemnités en fonction d’un critère pertinent relativement à l’objectif ou aux valeurs fonctionnelles sous-jacentes à la loi, plutôt que d’examiner la question du point de vue de l’équivalence du mariage, on aurait pu recourir à des solutions de rechange qui portaient beaucoup moins atteinte aux droits garantis par la Charte. Comme réparation appropriée, la nouvelle définition de «conjoint» adoptée en 1990, qui comprend un couple hétérosexuel dont les membres ont cohabité durant trois ans ou ont vécu dans une relation permanente avec un enfant, devrait, par «interprétation large» rétroactive, s’appliquer à la disposition attaquée.

Le juge L’Heureux-Dubé: La personne qui invoque les droits doit faire la preuve des facteurs suivants pour que la distinction attaquée puisse être considérée comme discriminatoire: (1) la loi doit créer une distinction; (2) cette distinction doit entraîner une violation de l’un des quatre droits à l’égalité, fondée sur l’appartenance de la personne qui invoque le droit à un groupe identifiable, et (3) cette distinction doit être «discriminatoire» au sens de l’art. 15. Il est nécessaire de comparer des groupes différents pour être en état, d’une part, de discerner de quelle manière l’effet du texte législatif varie et, d’autre part, d’aider le tribunal à bien qualifier et identifier les groupes qui sont pertinents relativement à l’examen fondé sur l’art. 15. La seule comparaison appropriée en l’espèce est celle de personnes mariées et de personnes non mariées dont l’union est analogue au mariage, c’est-à-dire comportant une certaine permanence et une certaine interdépendance publiquement reconnues.

En l’espèce, si l’on présume que l’interprétation législative du terme «conjoint» au sens où il est utilisé dans les parties pertinentes de la police exclut les couples non mariés qui font vie commune, il est raisonnable de croire que cette distinction est susceptible de favoriser ou de perpétuer chez les personnes dont l’union est analogue au mariage l’opinion qu’elles méritent moins d’être reconnues ou valorisées en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne dignes du même intérêt, du même respect et de la même considération, et elle est en conséquence discriminatoire au sens de l’art. 15 de la Charte. On peut évaluer l’incidence discriminatoire en scrutant la nature de l’intérêt en question et celle du groupe lésés par la distinction attaquée. Les personnes cohabitant dans une union hétérosexuelle analogue au mariage ont subi et continuent de subir un désavantage, une désapprobation et une marginalisation dans la société, et elles sont en conséquence assez sensibles aux distinctions législatives comportant des effets préjudiciables. Le mariage n’est pas simplement une question de choix personnel. La décision de se marier ou non peut être l’une des décisions les plus personnelles qu’une personne prendra au cours de sa vie. Bien que certains droits et obligations se rattachent à ce choix, on ne saurait en toute justice le réduire à une question de contrat. En outre, il y a beaucoup de couples dans lesquels un seul des deux conjoints désire s’engager dans une union d’une certaine permanence et interdépendance, qui soit publiquement reconnue comme telle. Au cours des dernières années, tant les tribunaux que les législatures ont reconnu les injustices qui résultent souvent du déséquilibre de pouvoir de cette nature et ont pris des mesures pour y remédier, accordant ainsi une reconnaissance accrue aux unions non traditionnelles. En l’espèce, l’intérêt touché est la protection des unités familiales contre les répercussions potentiellement désastreuses d’une blessure subie par un des membres d’une telle unité. La protection de la «famille» est, d’ailleurs, l’un des intérêts les plus importants qu’on puisse imaginer dans notre société. Toute personne blessée a droit à la partie des coûts de soins de santé assurée par son régime provincial d’assurance-maladie, mais lorsque l’on tient compte de la perte de revenu ainsi que des douleurs et des souffrances, les coûts de soins de santé réels peuvent souvent ne constituer qu’une infime fraction des pertes totales subies à la suite d’une blessure dans un accident de la route. Il importe également de préciser qu’une personne qui n’a pas le droit de présenter une réclamation à une compagnie d’assurances privée en vertu de la police automobile type peut quand même demander une indemnité en vertu de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents de véhicules automobiles; cependant, les coûts, les délais et les difficultés de recouvrement dans ce dernier cas sont beaucoup plus élevés que dans le cas d’une personne assurée par une compagnie privée. Les conséquences financières que ces différences entraînent peuvent être profondes sur une famille, tout particulièrement si la partie blessée, rendue inhabile à la suite de l’accident, est le gagne-pain de cette famille. De plus, la distinction attaquée exclut, de manière catégorique, tous les couples dont l’union est analogue au mariage d’une couverture d’assurance conjointe.

La distinction attaquée ne peut être sauvegardée en vertu de l’article premier de la Charte. La police automobile type a un objectif urgent et réel, qui est de protéger la stabilité des unités familiales en offrant une protection contre les conséquences économiques susceptibles de découler des blessures subies par un des membres de la famille. Cependant, le gouvernement n’a pas établi que la distinction attaquée a un lien rationnel avec l’objectif de la loi. Au moment de l’accident, les conjoints de fait en Ontario étaient liés par une obligation alimentaire réciproque, mais se trouvaient exclus de la police automobile type dont l’objet fondamental était presque inévitablement lié à cette obligation réciproque et au rapport d’interdépendance sur lequel cette obligation est fondée. De plus, la distinction attaquée ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale puisque l’unité qu’a décidé de protéger le législateur (les personnes mariées) est trop limitative au regard de l’objet de la loi. Bien que l’unité que l’on désire protéger puisse être définie par rapport au mariage, elle peut également l’être d’une façon pratique et assez certaine en se référant à la durée de l’union ou à la présence d’enfants, comme le législateur l’a fait lorsqu’il a modifié la définition du terme «conjoint» en 1990 pour y inclure les conjoints de fait. Cette nouvelle définition devrait être insérée rétroactivement, par interprétation large, dans la loi.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier et Major (dissidents): La Charte s’applique à la police d’assurance puisque les conditions en sont établies par la Loi sur les assurances. Il y a violation du par. 15(1) si l’atteinte à l’un des quatre droits à l’égalité qui y sont mentionnés est discriminatoire. L’analyse à entreprendre selon le par. 15(1) comporte trois étapes. Premièrement, il faut déterminer si la loi établit une distinction entre le demandeur et d’autres personnes. Deuxièmement, il faut se demander si la distinction donne lieu à un désavantage et examiner si le texte législatif attaqué impose à un groupe de personnes auquel appartient le demandeur des fardeaux, obligations ou désavantages non imposés à d’autres, ou le prive d’un bénéfice qu’il accorde à d’autres. C’est à cette deuxième étape que l’on examine l’effet direct ou indirect de la loi. Troisièmement, il faut déterminer si la distinction est fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente mentionnée au par. 15(1) ou sur une caractéristique analogue. Cette troisième étape comporte deux aspects: la détermination des caractéristiques personnelles propres à un groupe et l’examen de leur pertinence par rapport aux valeurs fonctionnelles qui sous-tendent la loi. Par sa nature même, l’examen du par. 15(1) repose sur une analyse comparative. Le contexte joue un rôle indispensable lorsqu’il s’agit de définir les groupes à comparer, de déterminer si la distinction donne lieu à un préjudice et d’examiner la nature et la pertinence des caractéristiques personnelles sur lesquelles la distinction est fondée. Plus particulièrement il est indispensable dans une analyse contextuelle du par. 15(1) de se demander si une distinction repose sur une certaine réalité objective, physique ou biologique, ou sur une valeur fondamentale, ou en est l’expression. Cet examen est d’importance cruciale pour déterminer si la distinction préjudiciable a été établie à partir d’un fondement pertinent et, par conséquent, si elle est discriminatoire ou non.

Selon la méthode adoptée par notre Cour dans Andrews, on détermine, dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 15, si la distinction préjudiciable est attribuable à un motif énuméré ou à un motif analogue. Un tel motif est défini comme un motif communément utilisé pour établir des distinctions qui ont peu ou pas de lien rationnel avec la matière traitée, traduisant généralement l’existence d’un stéréotype. En ce qui concerne les motifs énumérés à l’art. 15, les distinctions ainsi fondées sont souvent discriminatoires, mais ne le seront pas nécessairement dans tous les cas. Elles peuvent n’être que le reflet d’une réalité ou valeur fondamentales et donc pertinentes. La pertinence est également au c{œ}ur même de la détermination de l’existence d’un motif analogue. Cette détermination exige une analyse délicate, et contextuelle, de la nature du motif en question afin d’établir s’il est le fondement de distinctions non pertinentes et, en conséquence, s’il constitue un motif analogue. Une fois le motif analogue établi et défini quant à sa nature et à sa portée, toute autre question de pertinence doit être examinée non pas en vertu de l’art. 15, mais en vertu de l’article premier en même temps que toute autre question de justification.

Le mariage est à la fois une institution sociale de base et un droit fondamental que les Etats peuvent légitimement favoriser dans les lois qu’ils adoptent. Tout au moins dans notre société, on ne peut acquérir le statut de personne mariée que par l’expression d’un choix libre et personnel, quelle qu’en soit la raison. Le mariage repose sur un fondement contractuel auquel la loi rattache certains droits et obligations. La décision de se marier emporte acceptation de diverses conséquences juridiques propres à l’institution du mariage, y compris l’obligation réciproque de soutien ainsi que les aliments et l’éducation des enfants issus du mariage. Lorsque des personnes choisissent de ne pas se marier, l’Etat écarterait ce choix s’il leur imposait les mêmes fardeaux et avantages qu’aux personnes mariées. Le mariage se distingue également d’autres relations du fait que les parties s’engagent par contrat à établir une relation permanente. La décision de se marier ou non est un choix conjoint, mais elle demeure néanmoins un choix.

La restriction du versement des indemnités d’assurance-accidents aux couples mariés ne porte pas atteinte à l’art. 15 de la Charte. La loi attaquée établit une distinction en ce qu’elle traite différemment les couples mariés et les couples non mariés. Cependant, on ne peut affirmer que cette distinction est préjudiciable dans le contexte général des droits et obligations qui se rattachent en propre et de façon appropriée au mariage. De plus, puisque les valeurs fonctionnelles qui sous-tendent la loi sont pertinentes quant à l’état matrimonial, cet état ne constitue pas une caractéristique personnelle pouvant être qualifiée de motif analogue. L’état matrimonial possède des caractéristiques uniques qui le distinguent des motifs énumérés au par. 15(1). Outre son fondement à la fois consensuel et contractuel, le mariage est aussi un état auquel, comme en témoigne sa politique sociale, le législateur rattache un ensemble de droits et obligations. Ces caractéristiques ne se trouvent dans aucun des motifs énumérés. Par ailleurs, dans la société contemporaine, les couples non mariés ne constituent pas un groupe distinct victime de stéréotypes ou de préjudices, même si cela s’est produit dans le passé. Favoriser le mariage en tant qu’institution sociale ne stigmatise pas les couples non mariés ni ne les rend victimes de stéréotypes.

Les couples non mariés ne sont pas dans une situation identique à celle des conjoints mariés en ce qui concerne les obligations réciproques de soutien. Bien que la police d’assurance s’intéresse clairement à l’interdépendance économique, cette interdépendance n’est pertinente que dans la mesure où elle se rapporte à l’institution du mariage. La valeur fonctionnelle des avantages en cause n’est pas de venir en aide à toutes les unités familiales qui vivent dans un état d’interdépendance financière, mais d’aider les couples mariés ou, comme le prévoient des lois ultérieures, de venir en aide à certains couples identifiés se trouvant dans une «union du type du mariage». La valeur fonctionnelle identifiée dans cette loi, savoir le soutien du mariage, n’est pas en soi discriminatoire. Les distinctions relatives à la portée de l’institution et aux avantages qui s’y rattachent peuvent faire l’objet d’une définition dans la loi.

La législature peut, dans le cadre de sa politique sociale légitime, définir l’étendue des «unions du type du mariage» et elle n’est pas tenue d’accorder tous les attributs du mariage à des couples non mariés. Une législature peut, dans le cadre de sa politique sociale, choisir si elle va conférer tout ou partie des attributs du mariage aux couples non mariés, et dans quelles circonstances, sans contrecarrer le par. 15(1) de la Charte. Les tribunaux doivent donc se garder de prêter des intentions au législateur dans ses choix de politique sociale en matière de statut, de droits et d’obligations du mariage, institution de base de notre société étroitement liée à ses valeurs fondamentales. En l’absence de preuve de modification de ces valeurs par un consensus clair reconnaissant que la Constitution devrait limiter les pouvoirs de l’Etat de légiférer relativement au mariage, c’est une question qu’il faut laisser au législateur le soin de trancher.

CAN / 1995 / A05
Canada / Cour suprême / 25-05-1995 / Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513 / extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
3.16 Principes généraux – proportionnalité
3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – sécurité sociale

Charte canadienne des droits et libertés – Conjoint (définition) – Orientation sexuelle

(…)

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Loi sur la sécurité de la vieillesse prévoyant le versement d’une allocation au conjoint du pensionné – Définition de «conjoint» restreinte aux personnes de sexe opposé – La définition de «conjoint» viole-t-elle l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés? – Dans l’affirmative, cette violation est-elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte? – Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, art. 2, 19(1).

Les appelants sont des homosexuels qui vivent depuis 1948 une union marquée par un engagement et une interdépendance qui s’apparentent à ceux qu’on attend d’un mariage. Lorsqu’en 1986 E a atteint l’âge de 65 ans, il a commencé à recevoir des prestations de sécurité de la vieillesse et un supplément de revenu garanti en application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. A 60 ans, N a demandé l’allocation de conjoint en vertu du par. 19(1) de la Loi, à laquelle est admissible le conjoint qui a entre 60 et 65 ans, lorsque le revenu du couple est inférieur à un montant déterminé. Sa demande a été rejetée pour le motif que l’union entre N et E n’était pas visée par la définition de «conjoint» à l’art. 2, qui s’entend de «la personne de sexe opposé qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme». Les appelants ont intenté une action en Cour fédérale en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que la définition contrevient au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif qu’elle établit une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Ils ont également demandé un jugement déclarant que la définition doit être élargie pour inclure les «partenaires engagés dans une union de personnes de même sexe mais ayant à tous autres égards les mêmes caractéristiques qu’une union conjugale». La Section de première instance a débouté les appelants. La Cour d’appel fédérale à la majorité a maintenu le jugement.

Arrêt (Les juges L’Heureux-Dubé, Cory, McLachlin et Iacobucci sont dissidents):

Le pourvoi est rejeté.

La définition de «conjoint» à l’art. 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est constitutionnelle.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier et Major: L’analyse effectuée dans le cadre de l’art. 15 de la Charte implique trois étapes: premièrement, il faut déterminer si la loi établit une distinction entre le demandeur et d’autres personnes. Deuxièmement, il faut se demander si la distinction donne lieu à un désavantage et examiner si le texte législatif attaqué impose à un groupe de personnes auquel appartient le demandeur fardeaux, obligations ou désavantages non imposés à d’autres, ou le prive d’un bénéfice qu’il accorde à d’autres. Troisièmement, il faut déterminer si la distinction est fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente mentionnée au par. 15(1) ou sur une caractéristique analogue. La présente affaire franchit avec succès la première étape puisque le législateur a clairement établi une distinction entre le demandeur et les autres personnes. Il est également satisfait à la deuxième étape: s’il est vrai que les appelants n’ont été victimes d’aucun préjudice puisqu’en étant traités à titre individuel, ils ont reçu du fédéral et de la province des bénéfices combinés beaucoup plus élevés que ceux qu’ils auraient reçus s’ils avaient été considérés comme des «conjoints», rien ne prouve que ce soit généralement le cas pour les couples homosexuels. L’orientation sexuelle est une caractéristique profondément personnelle qui est soit immuable, soit susceptible de n’être modifiée qu’à un prix personnel inacceptable et qui, partant, entre dans le champ de protection de l’art. 15 parce qu’elle est analogue aux motifs énumérés. Tout ce qui reste à déterminer à la troisième étape est la pertinence de la distinction établie par le législateur. Dans l’examen de la pertinence à cette fin, il faut considérer la nature de la caractéristique personnelle et sa pertinence quant aux valeurs fonctionnelles qui sous-tendent la loi. On doit nécessairement procéder à une forme d’analyse comparative pour déterminer si les faits donnés engendrent une inégalité. Cette analyse comparative doit se rattacher à l’examen de l’ensemble du contexte et il faut surtout savoir que la Charte n’a pas été adoptée en l’absence de tout contexte, mais doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés.

Le fait de restreindre des bénéfices aux couples mariés et aux conjoints de fait exclut nécessairement toute autre forme de couple qui cohabite, quelles que soient leurs raisons et peu importe leur orientation sexuelle. Ce que le législateur désirait manifestement, c’était consentir un soutien aux couples mariés qui sont âgés afin de promouvoir une politique d’intérêt public primordiale pour la société. En outre, en reconnaissance de l’évolution des réalités sociales, le législateur a modifié l’art. 2 de façon à ce que, dans la Loi, le terme «conjoint» soit interprété comme visant non seulement les couples mariés, mais également les couples vivant en union de fait. Le mariage est depuis des temps immémoriaux fermement enraciné dans notre tradition juridique, qui elle-même est le reflet de traditions philosophiques et religieuses anciennes. Mais la véritable raison d’être du mariage les transcende toutes et repose fermement sur la réalité biologique et sociale qui fait que seuls les couples hétérosexuels ont la capacité de procréer, que la plupart des enfants sont le fruit de ces unions et que ce sont ceux qui entretiennent ce genre d’union qui prennent généralement soin des enfants et qui les élèvent. Dans ce sens, le mariage est, de par sa nature, hétérosexuel. On pourrait le définir sur le plan juridique de façon à y inclure les couples homosexuels, mais cela ne changerait pas les réalités biologiques et sociales qui sous-tendent le mariage traditionnel.

Nombre des raisons qui sous-tendent l’appui et la protection qu’apporte le législateur au mariage se rapportent également aux couples hétérosexuels qui ne sont pas mariés. Un grand nombre de ces couples vivent ensemble indéfiniment, élèvent des enfants et en prennent soin suivant des instincts familiaux qui prennent racine dans la psyché humaine. Dans l’exercice de cette tâche critique, dont bénéficie l’ensemble de la société, ces couples ont besoin de soutien tout autant que les couples mariés. Face à la réalité sociale du nombre croissant de personnes qui décident de ne pas se marier, mais de vivre ensemble en union de fait, le législateur a choisi d’aider ces personnes. Le législateur est parfaitement justifié d’étendre ainsi son aide aux couples hétérosexuels, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est tenu de le faire et qu’il ne peut traiter les couples mariés et les couples non mariés différemment.

Ni dans son objectif, ni dans son effet, la loi ne constitue-t-elle une violation des valeurs fondamentales que la Charte tente de protéger. Aucun des couples exclus des bénéfices prévus dans la Loi ne peut satisfaire aux objectifs sociaux fondamentaux que le législateur cherche ainsi à promouvoir. Les personnes qui forment ces couples s’apportent sans contredit un soutien mutuel et, à l’occasion, elles peuvent adopter ou élever des enfants, mais cela demeure exceptionnel et ne change d’aucune façon le portrait d’ensemble. Les couples homosexuels sont différents des autres couples exclus en ce que leur relation comporte un aspect sexuel. Cet aspect n’a toutefois rien à voir avec les objectifs sociaux pour lesquels le législateur offre une mesure de soutien aux couples mariés et à ceux qui vivent en union de fait. La distinction établie par le législateur permet ici de décrire une unité sociale fondamentale qui jouit d’un certain soutien.

Si la disposition contestée avait violé l’art. 15, elle aurait été maintenue pour les considérations énoncées dans McKinney c. Université de Guelph, de même que pour celles dont il est fait état dans l’analyse de la discrimination en l’espèce.

Le juge Sopinka: La disposition législative contestée viole le par. 15(1) de la Charte pour les motifs exposés par le juge Cory. Cette violation est toutefois justifiée au regard de l’article premier. Le gouvernement doit pouvoir disposer d’une certaine souplesse dans la prestation des avantages sociaux et il n’est pas tenu d’adopter une attitude proactive pour ce qui est de la reconnaissance des nouvelles formes de relations dans la société. La Cour ferait preuve d’un manque de réalisme si elle présumait qu’il existe des ressources inépuisables pour répondre aux besoins de chacun. Si les tribunaux adoptaient une telle conception, les gouvernements pourraient hésiter à mettre sur pied de nouveaux régimes d’avantages sociaux puisqu’il faudrait, pour en connaître les paramètres, prévoir avec exactitude l’issue des procédures judiciaires instituées sous le régime du par. 15(1). La Cour a reconnu le droit du gouvernement de privilégier certains groupes désavantagés et de jouir d’une certaine marge de manœuvre à cet égard. Lorsqu’on évalue la définition de «conjoint» de la Loi sur la sécurité de la vieillesse en regard de l’objectif général d’atténuation de la pauvreté chez les conjoints âgés, on ne doit pas tenir pour inaltérable le choix du législateur. L’historique de la loi témoigne d’une constante évolution de la définition des personnes destinées à bénéficier de l’allocation. Le procureur général du Canada a fait valoir que les mesures choisies ne doivent pas nécessairement constituer une solution immuable. Par conséquent, puisque la disposition législative attaquée marque une étape importante vers l’intégration progressive de tous ceux qui sont jugés avoir un besoin impérieux d’aide financière, découlant de la retraite ou du décès du conjoint soutien de la famille, elle a un lien rationnel avec l’objectif. Quant à l’atteinte minimale, la disposition en question soulève le genre de question socio-économique relativement à laquelle le gouvernement doit faire office de médiateur entre groupes opposés plutôt que de défenseur d’un individu. Dans ces circonstances, la Cour sera d’autant plus réticente à se prononcer après coup sur le choix du législateur. Il y a également proportionnalité entre les effets de la disposition législative sur le droit garanti et son objectif. Le législateur a atteint un juste équilibre en apportant une aide financière à ceux qui ont été jugés en avoir le plus besoin.

Les juges Cory et Iacobucci (dissidents): Pour établir si le droit à l’égalité garanti par le par. 15(1) a été violé, la première étape consiste à déterminer si, en raison de la distinction créée par la disposition contestée, il y a eu violation du droit d’un plaignant à l’égalité. A cette étape de l’analyse, il s’agit principalement de vérifier si la disposition contestée engendre, entre le plaignant et d’autres personnes, une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Il faut, à la seconde étape, déterminer si la distinction ainsi créée donne lieu à une discrimination. A cette fin, il faut se demander, d’une part, si le droit à l’égalité a été enfreint sur le fondement d’une caractéristique personnelle qui est soit énumérée au par. 15(1), soit analogue à celles qui y sont énumérées et, d’autre part, si la distinction a pour effet d’imposer au plaignant des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres. Pour juger s’il y a égalité ou discrimination, il faut établir des comparaisons entre différents groupes de personnes. L’existence de la discrimination doit être appréciée à la lumière de l’ensemble des contextes social, politique et juridique. Il est nécessaire de distinguer entre la question de savoir s’il y a discrimination au sens du par. 15(1) et celle de savoir si cette discrimination est justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Cette distinction analytique entre le par. 15(1) et l’article premier est importante puisque le plaignant qui invoque la Charte a pour seul fardeau de prouver que la loi établit une distinction discriminatoire. Ce n’est que si la cour conclut qu’il y a violation du par. 15(1) que le gouvernement doit justifier cette discrimination.

Puisque la disposition contestée établit une nette distinction entre les couples de sexe opposé et les couples de même sexe, il s’agit en l’espèce d’une discrimination directe. Comme la Loi définit le conjoint de fait comme une «personne de sexe opposé», les couples homosexuels qui vivent en union de fait sont privés du bénéfice de l’allocation de conjoint à laquelle sont admissibles les couples hétérosexuels qui vivent en union de fait. Cette distinction équivaut à une négation claire du droit au même bénéfice de la loi. Outre qu’ils sont privés d’un avantage économique, les couples homosexuels n’ont pas la possibilité de décider s’ils souhaitent être publiquement reconnus comme conjoints de fait en raison de la définition de «conjoint» énoncée dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse. La reconnaissance et l’acceptation publiques des homosexuels en tant que couple peut se révéler d’une extrême importance pour eux et pour la société dans laquelle ils vivent. C’est porter atteinte à leur droit au même bénéfice de la loi que de nier aux couples homosexuels le droit de choisir.

La distinction établie dans la Loi est fondée sur une caractéristique personnelle, plus précisément l’orientation sexuelle. L’orientation sexuelle est un motif de discrimination analogue à ceux qui sont énumérés au par. 15(1). Le désavantage historique dont ont souffert les homosexuels est largement reconnu et abondamment étayé. L’orientation sexuelle est davantage que le simple «statut» d’un individu. C’est quelque chose qui se manifeste dans le comportement d’une personne par le choix de son partenaire. Tout comme la Charte protège les croyances et les pratiques religieuses en tant qu’aspects de la liberté de religion, on devrait également reconnaître que l’orientation sexuelle réunit des aspects du «statut» et du «comportement», et que tous deux devraient être protégés.

La distinction établie par l’art. 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse sur le fondement de l’orientation sexuelle est discriminatoire. La Loi nie aux couples homosexuels le droit au même bénéfice de la loi et elle ne fonde pas ce refus sur les mérites ou les besoins, mais uniquement sur l’orientation sexuelle. La définition de «conjoint» comme étant une personne de sexe opposé renforce le stéréotype selon lequel les homosexuels ne peuvent entretenir et, effectivement, n’entretiennent pas de relations durables où l’affection, le soutien et l’interdépendance financière se manifestent de la même façon que chez les couples hétérosexuels. La relation des appelants démontre précisément l’erreur de cette position. On ne peut juger que l’effet discriminatoire est négligeable alors que la loi renforce des préjugés fondés sur ces stéréotypes injustes.

La disposition contestée n’est pas sauvegardée aux termes de l’article premier de la Charte. Si l’objectif de l’allocation au conjoint, qui vise à réduire la pauvreté chez les «couples âgés», se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles, l’allocation dans sa forme actuelle n’a pas de lien rationnel avec ses objectifs législatifs. Un programme intégrant les appelants serait mieux à même d’atteindre l’objectif visé tout en respectant les droits garantis par la Charte aux gais et lesbiennes. La violation des droits des appelants garantis par l’art. 15, engendrée par le refus de l’allocation de conjoint, n’est pas une atteinte minimale du seul fait que le revenu total des appelants aurait été à peu près le même parce que N recevait une aide provinciale de supplément du revenu pour une raison totalement étrangère. Les programmes provincial et fédéral n’ont manifestement pas la même portée et, même s’ils faisaient partie d’un régime législatif commun, il en faut davantage pour fonder une justification au regard de l’article premier. Enfin, l’atteinte au droit garanti en l’espèce l’emporte sur la réalisation de l’objectif législatif. L’importance de fournir une assistance à certains couples âgés ne justifie pas la violation des droits à l’égalité des couples âgés qui ne bénéficient pas de cette aide pour des raisons constitutionnelles non pertinentes. La définition de «conjoint» à l’art. 2 de la Loi devrait se lire comme si les mots «de sexe opposé» étaient supprimés et les mots «ou comme étant dans une union analogue» étaient ajoutés après le membre de phrase «pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme».

Le juge L’Heureux-Dubé (dissidente): Il est nécessaire de revoir l’objectif fondamental de l’art. 15 de la Charte afin de concilier les conceptions divergentes que notre Cour a adoptées dans des affaires récentes, ainsi que dans la présente affaire et dans Miron et Thibaudeau. La protection et le respect de la dignité inhérente de la personne humaine est au cœur de l’art. 15. La cour doit donc accorder la première place à la «discrimination» dans son analyse. Pour que la discrimination soit appréciée ou reconnue dans tous ses contextes et sous toutes ses formes, il est préférable d’insister davantage sur l’impact (c’est-à-dire l’effet discriminatoire) que sur les éléments constitutifs (c’est-à-dire les motifs de la distinction). Les effets discriminatoires doivent, en outre, être considérés du point de vue de la victime plutôt que de celui de l’Etat. Il convient davantage d’examiner les questions relatives à la pertinence en tant que justifications au regard de l’article premier que comme des facteurs inhérents à la reconnaissance de la discrimination en premier lieu.

La personne qui invoque les droits doit faire la preuve des facteurs suivants pour que la distinction attaquée puisse être considérée comme discriminatoire au sens de l’art. 15 de la Charte: (1) la loi crée une distinction; (2) cette distinction entraîne une négation de l’un des quatre droits à l’égalité, fondée sur l’appartenance de la personne qui invoque le droit à un groupe identifiable, et (3) cette distinction est «discriminatoire» au sens de l’art. 15. Une distinction est discriminatoire au sens de l’art. 15 si elle est susceptible de favoriser ou de perpétuer l’opinion que les individus lésés par cette distinction sont moins capables ou moins dignes d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération. L’absence ou l’existence d’un effet discriminatoire doit être évaluée suivant une norme subjectiveobjective – l’opinion raisonnable d’une personne qui possède des caractéristiques semblables dans une situation semblable, et qui est objective et bien informée des circonstances. On en arrive à cette détermination en considérant deux catégories de facteurs: (1) la nature du groupe lésé par la distinction et (2) la nature du droit auquel la distinction porte atteinte. Pour ce qui est de la première catégorie, les groupes qui sont plus vulnérables sur le plan social ressentiront les effets préjudiciables d’une distinction d’origine législative plus vivement que les groupes qui ne sont pas aussi vulnérables. Dans l’analyse de la nature du groupe victime de la distinction contestée, il est pertinent de tenir compte d’un grand nombre des critères traditionnellement utilisés dans l’analyse fondée sur l’arrêt Andrews et, par exemple, de vérifier si la distinction contestée est fondée sur des attributs fondamentaux qui sont généralement considérés comme étant essentiels à la conception populaire de la «personnalité» ou de la «nature humaine», et de se poser des questions du genre suivant: Le groupe lésé est-il déjà victime d’un désavantage historique? La distinction est-elle raisonnablement susceptible d’aggraver ou de perpétuer ce désavantage? Les membres du groupe sont-ils actuellement exposés aux stéréotypes, aux préjugés sociaux ou à la marginalisation? Du fait de la distinction, risquent-ils d’être exposés dans l’avenir aux stéréotypes, aux préjugés sociaux ou à la marginalisation? L’appartenance à une «minorité discrète et isolée» dépourvue de tout pouvoir politique et, à ce titre, susceptible de voir ses droits négligés, est un facteur dont on peut également tenir compte. L’absence ou la présence de certains de ces facteurs ne sera cependant pas déterminante à l’égard de l’analyse. Les juges doivent cependant se montrer sensibles aux réalités de ceux qui subissent la distinction lorsqu’ils en pèsent l’impact sur les membres du groupe touché.

De même, plus le droit touché est fondamental ou plus les conséquences de la distinction sont graves, plus il est probable que la distinction en cause aura un effet discriminatoire, même à l’égard des groupes qui occupent une position privilégiée dans la société. Bien que la Charte ne soit pas un document de droits et de libertés économiques, la nature, l’importance et le contexte du préjudice économique ou de la négation de ce bénéfice sont des facteurs importants pour déterminer si la distinction qui entraîne ces conséquences économiques différentes est discriminatoire. On ne peut toutefois évaluer pleinement le caractère discriminatoire d’une distinction donnée sans également mesurer l’importance, sur le plan de la constitution et de la société, du droit auquel il a été porté atteinte. Les conséquences économiques tangibles ne sont que l’une des manifestations des préjudices plus intangibles et insidieux que cause la discrimination et que tente d’enrayer la Charte. Il se peut également que le préjudice touche un droit individuel important plutôt qu’un droit de nature économique. Les deux catégories de facteurs font ressortir que ce qui importe ce ne sont plus tant les «motifs», mais plutôt le contexte social de la distinction. L’adoption d’une démarche fondée sur les effets pour l’étude de la discrimination est la prochaine étape logique dans l’évolution de la jurisprudence relative à l’art. 15 depuis l’arrêt Andrews.

Les couples homosexuels se voient nier le droit au même bénéfice de la loi sur le fondement d’une distinction créée par l’art. 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, qui définit les couples comme une union entre personnes «de sexe opposé». Que les appelants puissent individuellement se prévaloir de bénéfices plus avantageux ne change rien au fait qu’on leur a nié l’avantage, à la fois tangible et intangible, de demander des prestations de vieillesse en tant que couple. La distinction contestée exclut les demandeurs parce qu’ils sont homosexuels. Si l’on considère tant la nature du groupe touché que celle du droit touché, on doit conclure que la distinction est discriminatoire. Les couples de même sexe sont un groupe très vulnérable sur le plan social puisqu’ils ont été victimes de désavantages, de stéréotypes, de marginalisation et de stigmatisation historiques considérables dans la société canadienne. La distinction se rapporte à un aspect fondamental de la personnalité et touche des personnes que, outre le fait d’être homosexuelles, sont âgées et pauvres. Quant à la question du droit touché, la loi contestée est une pierre angulaire de la protection sociale au Canada qui, elle, est une institution vénérée et fondamentale dans notre société.

La violation du par. 15(1) de la Charte ne peut être sauvegardée au regard de l’article premier puisqu’elle ne se rapporte pas dans une mesure proportionnelle à un objectif urgent et réel. Si l’objectif de la Loi est urgent et réel, le moyen utilisé pour atteindre l’objectif échoue toutefois aux trois volets du critère de la proportionnalité. La disposition exclut les couples qui satisfont à tous les autres critères prévus dans la Loi, à l’exception de la condition d’être de sexe opposé. Pour trouver à cette distinction un lien rationnel avec l’objectif de la loi, il nous faut conclure que les couples de même sexe sont si différents des couples mariés qu’il serait déraisonnable de leur permettre à eux aussi d’obtenir les mêmes bénéfices. Au mieux, le gouvernement a uniquement démontré qu’il s’agit là d’une supposition. L’hypothèse suivant laquelle les personnes de même sexe entretiennent une union qui, d’une certaine façon, n’est pas aussi interdépendante que l’union de personnes de sexe opposé, est en soi le fruit d’un stéréotype et non d’une réalité démontrable et empirique. La violation de l’art. 15 n’est pas non plus une atteinte minimale. Il existe une autre solution raisonnable: l’effet discriminatoire serait éliminé sans préjudice aux droits de tout autre groupe si on élargissait la Loi pour l’appliquer aux couples de même sexe qui satisfont par ailleurs à tous les autres critères non discriminatoires qui y sont prévus. La retenue dans le cadre de cet aspect du critère de l’article premier n’est pas appropriée lorsqu’il existe une autre solution raisonnable, facilement exécutable, qui ne suscite pas d’opinions contradictoires sur le plan des sciences sociales et qui ne causerait de préjudice à aucun autre groupe. Enfin, les effets préjudiciables de la distinction contestée excèdent ses effets bénéfiques.

Le juge McLachlin (dissidente): L’opinion des juges Cory et Iacobucci est, pour l’essentiel, acceptée. Compte tenu des principes énoncés dans Miron c. Trudel, rendu simultanément, la disposition contestée viole le par. 15(1) de la Charte et cette violation n’est pas justifiée au regard de l’article premier.

CAN / 1997 / A06
Canada / Cour suprême / 9-10-1997 / [1997] 3 R.C.S. 624 (Eldridge c. Colombie-Britannique) / extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application –sécurité sociale
5.2.4.2.8 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – handicap physique ou mental

Charte canadienne des droits et libertés – Assurance-maladie

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Déficience physique – Soins de santé financés sur les deniers publics – Services d’interprétation gestuelle non couverts par le régime d’assurance-maladie – La Charte s’applique-t-elle à la décision de ne pas fournir des services d’interprétation gestuelle dans le cadre du régime public de soins de santé et, dans l’affirmative, de quelle manière s’y applique-t-elle? – Le fait de ne pas fournir de tels services en vertu de lois établissant des régimes de soins de santé et d’hospitalisation porte-t-il atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’art. 15(1) aux personnes handicapées? – Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle justifiée conformément à l’article premier? – Si une atteinte à la Charte est constatée, quelle est la réparation convenable? – Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15(1) – Hospital Insurance Act, R.S.B.C. 1979, ch. 180 (maintenant R.S.B.C. 1996, ch. 204), art. 3(1), 5(1), 9, 10(1), 29b) – Medical and Health Care Services Act, S.B.C. 1992, ch. 76 (maintenant Medicare Protection Act, R.S.B.C. 1996, ch. 286), art. 1, 4(1)c), j), 6, 8.

(…)

En Colombie-Britannique, les soins de santé sont fournis par l’entremise de deux mécanismes principaux. Sous le régime de l’Hospital Insurance Act, l’Etat finance les services hospitaliers en remboursant aux hôpitaux les services médicalement nécessaires qu’ils fournissent à la population. Le financement des services médicalement nécessaires fournis par les médecins et d’autres professionnels de la santé vient du Medical Services Plan (le régime de services médicaux de la province, établi et régi par la Medical and Health Care Services Act). Ni l’un ni l’autre de ces régimes ne pourvoit au paiement de services d’interprétation gestuelle à l’intention des personnes atteintes de surdité.

Chacun des appelants est sourd de naissance. Leur moyen de communication préféré est le langage gestuel. Ils prétendent que l’absence d’interprète diminue leur capacité de communiquer avec leurs médecins et les autres professionnels de la santé qu’ils consultent, et augmente de ce fait le risque de mauvais diagnostics et de traitements inefficaces.

Les appelants ont demandé sans succès à la Cour suprême de la Colombie-Britannique un jugement déclaratoire portant que le fait de ne pas offrir des services d’interprètes gestuels en tant qu’avantage assuré dans le cadre du régime de services médicaux viole le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté, à la majorité, l’appel formé contre ce jugement. Les questions constitutionnelles dont était saisie la Cour étaient les suivantes: (1) La définition du mot «benefits» [«avantages»] à l’art. 1 de la Medicare Protection Act porte-t-elle atteinte au par. 15(1) de la Charte du fait qu’elle n’inclut pas la prestation de services d’interprètes médicaux aux personnes atteintes de surdité? (2) Dans l’affirmative, la disposition contestée est-elle justifiée conformément à l’article premier de la Charte? (3) Les articles 3, 5 et 9 de l’Hospital Insurance Act et le règlement portent-ils atteinte au par. 15(1) du fait qu’ils n’obligent pas les hôpitaux à fournir des services d’interprètes médicaux aux personnes atteintes de surdité? (4) En cas de réponse affirmative à la question 3, les dispositions contestées sont-elles justifiées conformément à l’article premier? En outre, il fallait décider si la Charte s’applique à la décision de ne pas fournir des services d’interprètes gestuels aux personnes atteintes de surdité dans le cadre du régime public de soins de santé et, dans l’affirmative, de quelle manière elle s’y applique. Et, enfin, si une atteinte à la Charte était constatée, il fallait élaborer la réparation convenable.

Arrêt:

Le pourvoi est accueilli. La première et la troisième questions constitutionnelles ont reçu une réponse négative. Il n’a pas été nécessaire de répondre aux deuxième et quatrième questions constitutionnelles.

(…)

En l’espèce, il faut se demander si la violation du par. 15(1) qui est alléguée découle des textes de loi contestés eux-mêmes ou des actes d’entités qui exercent un pouvoir de décision en vertu de ces textes. Le fait que la Medical and Health Care Services Act ne pourvoit pas expressément à la fourniture de l’interprétation gestuelle en tant que service médicalement nécessaire ne viole pas le par. 15(1) de la Charte. Cette loi n’interdit tout simplement pas à la Medical Services Commission, ni expressément ni par implication nécessaire, de décider que l’interprétation gestuelle est un service «médicalement nécessaire» et donc un avantage visé par la Loi. C’est la décision de l’organisme auquel a été délégué le pouvoir discrétionnaire de décider si un service constitue un avantage qui est constitutionnellement suspecte, et non la loi elle-même. Le pouvoir discrétionnaire qui est accordé à la commission des services médicaux ne menace pas nécessairement ou généralement les droits à l’égalité garantis au par. 15(1) de la Charte. La possibilité que la commission viole ces droits dans l’exercice de son pouvoir est cependant une conséquence de l’objet du pouvoir discrétionnaire, qui est de faire en sorte que tous les services médicalement nécessaires soient payés par le gouvernement.

L’Hospital Insurance Act doit être interprétée d’une manière conforme avec le par. 15(1). Les hôpitaux jouissent d’un pouvoir discrétionnaire considérable quant à la manière de fournir les services qui y sont énumérés. Aucun hôpital n’est tenu d’offrir tous les services mentionnés au par. 5(1) de la Loi. En outre, la Loi accorde à chaque hôpital un large pouvoir discrétionnaire quant aux modalités de la prestation des services qu’il décide de fournir et elle ne l’empêche pas de fournir les services d’interprètes gestuels. Le fait que la Loi n’exige pas expressément que l’interprétation gestuelle soit fournie ne rend pas cette loi vulnérable sur le plan constitutionnel. La violation potentielle du par. 15(1) découle intrinsèquement du pouvoir discrétionnaire exercé par un organisme subordonné, et non de la loi elle-même.

Les législatures ne peuvent pas édicter de lois qui portent atteinte à la Charte et elles ne peuvent pas autoriser ou habiliter quelque personne ou entité à le faire. Même s’il est possible à une législature de conférer des pouvoirs à un organisme qui n’est pas assujetti à la Charte, celle-ci s’applique à toutes les activités du gouvernement, qu’elles puissent ou non être par ailleurs qualifiées de «privées», et elle peut s’appliquer à des entités non gouvernementales à l’égard de certains actes de nature intrinsèquement gouvernementale. Tout comme il est interdit aux gouvernements de se soustraire à l’examen fondé sur la Charte en concluant des contrats commerciaux ou d’autres accords «privés», ils ne devraient pas être autorisés à échapper à leurs obligations constitutionnelles en déléguant la mise en œuvre de leurs politiques et programmes à des entités privées.

Deux remarques importantes s’imposent au sujet de ce principe. Premièrement, le seul fait qu’une entité exerce ce qu’on peut librement appeler une «fonction publique» ou le fait qu’une activité particulière puisse être dite de nature «publique» n’est pas suffisant pour que cette entité soit assimilée au «gouvernement» pour l’application de l’art. 32 de la Charte. Pour que la Charte s’applique à une entité privée, il doit être établi que celle-ci met en œuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé.

L’autre remarque importante concerne la manière précise dont le tribunal peut décider que la Charte s’applique à une entité privée. Premièrement, il peut être décidé que l’entité elle-même fait partie du «gouvernement» au sens de l’art. 32. Une telle conclusion requiert l’examen de la question de savoir si l’entité dont les actes ont suscité l’allégation d’atteinte à la Charte peut – soit de par sa nature même, soit à cause du degré de contrôle exercé par le gouvernement sur elle – être à juste titre considérée comme faisant partie du «gouvernement» au sens du par. 32(1). En pareil cas, toutes les activités de l’entité sont assujetties à la Charte, indépendamment du fait que l’activité en cause pourrait être qualifiée de «privée» si elle était exercée par un acteur non gouvernemental. Deuxièmement, une activité particulière d’une entité peut être sujette à révision en vertu de la Charte si cette activité peut être attribuée au gouvernement. Il convient alors d’examiner non pas la nature de l’entité dont l’activité est contestée, mais plutôt la nature de l’activité elle-même. Il faut, en pareil cas, s’interroger sur la qualité de l’acte en cause plutôt que sur la qualité de l’acteur.

En fournissant les services médicalement nécessaires, les hôpitaux remplissent un objectif gouvernemental déterminé. L’Hospital Insurance Act n’est pas un simple mécanisme destiné à empêcher les hôpitaux de facturer leurs services aux patients. Au contraire, elle pourvoit plutôt à la prestation d’un programme social complet. Les hôpitaux sont simplement le mécanisme choisi par la législature pour l’exécution de ce programme.

Il y a un lien direct et défini entre une politique gouvernementale donnée et la conduite contestée de l’hôpital. La discrimination alléguée – le fait de ne pas fournir d’interprétation gestuelle – est intimement liée au régime de prestation de services médicaux établi par la loi. La fourniture de ces services n’est pas simplement une question de régie interne de l’hôpital, elle est l’expression d’une politique du gouvernement. La législature, lorsqu’elle définit son objectif comme étant celui de garantir l’accès à un éventail de services médicaux, ne peut pas se soustraire à l’obligation que lui fait le par. 15(1) de la Charte de fournir ces services sans discrimination en confiant aux hôpitaux la charge de réaliser cet objectif. Dans l’exécution de cette responsabilité, les hôpitaux doivent se conformer à la Charte.

De même, lorsqu’elle décide si un service est un avantage au sens de la Medical Health Care Services Act, la commission des services médicaux met en œuvre une politique gouvernementale, savoir veiller à ce que tous les résidents reçoivent gratuitement les services médicalement nécessaires. Il ne fait donc aucun doute que lorsqu’elle exerce ce pouvoir discrétionnaire la commission remplit une fonction gouvernementale et qu’elle est assujettie à la Charte.

En tant que personnes atteintes de surdité, les appelants appartiennent à un groupe énuméré au par. 15(1) – les personnes atteintes de déficiences physiques. De plus, il ne fait aucun doute que la distinction en cause est fondée sur une caractéristique personnelle sans rapport avec les valeurs fonctionnelles qui sous-tendent le régime de soins de santé. Ces valeurs sont la promotion de la santé, la prévention et le traitement des maladies et affections et la matérialisation de ces valeurs par le truchement d’un régime de soins de santé financé sur les deniers publics.

La seule question à trancher en l’espèce est de savoir si les appelants ont droit au «même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination» aux termes du par. 15(1) de la Charte. A première vue, le régime d’assurance-maladie s’applique d’une manière égale aux entendants et aux personnes atteintes de surdité. Néanmoins, les appelants invoquent la discrimination découlant d’«effets préjudiciables», type de discrimination contre lequel le par. 15(1) de la Charte accorde une protection.

L’existence d’un but ou d’une intention discriminatoire n’est pas une condition nécessaire à l’existence d’une atteinte au par. 15(1). Il n’est pas nécessaire qu’une distinction établie par la loi soit motivée par le désir de défavoriser un individu ou un groupe pour constituer une atteinte au par. 15(1). Il suffit que l’effet de la loi prive une personne de l’égalité de protection ou de bénéfice de la loi.

La discrimination découlant d’effets préjudiciables est particulièrement pertinente dans le cas des déficiences. Dans le présent cas, l’effet préjudiciable subi par les personnes atteintes de surdité découle non pas du fait qu’on leur impose un fardeau que n’a pas à supporter la population en général, mais plutôt du fait qu’on ne fait pas en sorte qu’elles bénéficient d’une manière égale d’un service offert à tous. Une fois qu’il est admis que des communications efficaces constituent un élément indispensable à la prestation des services médicaux, il devient beaucoup plus difficile d’affirmer que l’omission de faire en sorte que les personnes atteintes de surdité puissent communiquer efficacement avec les professionnels de la santé qu’elles consultent n’est pas discriminatoire. Affirmer que les gouvernements devraient être autorisés à accorder des avantages à la population en général sans devoir faire en sorte que les membres défavorisés de la société aient les ressources pour bénéficier pleinement de ces avantages témoigne d’une vision étroite et peu généreuse du par. 15(1). Fait plus important encore, elle va à contre-courant de la jurisprudence de notre Cour sur l’égalité.

Le paragraphe 15(1) ne fait pas distinction entre les lois qui imposent des fardeaux inégaux et celles qui n’accordent pas des avantages égaux. Le gouvernement sera tenu (du moins à l’étape de l’analyse fondée sur le par. 15(1)) de prendre des mesures particulières pour faire en sorte que les groupes défavorisés soient capables de bénéficier d’une manière égale des services gouvernementaux. S’il existe des raisons de principe en faveur de la limitation de l’obligation du gouvernement de remédier au désavantage découlant de la fourniture d’avantages et de services, il convient davantage d’étudier ces principes au moment de trancher la question de savoir si la violation du par. 15(1) est justifiée conformément à l’article premier de la Charte.

Le principe selon lequel la discrimination peut découler du fait de ne pas prendre de mesures concrètes pour faire en sorte que les groupes défavorisés bénéficient d’une manière égale des services offerts à la population en général est largement accepté dans le domaine des droits de la personne. Une autre pierre angulaire de la jurisprudence en matière de droits de la personne est le fait que l’obligation de prendre des mesures concrètes pour faire en sorte que les membres d’un groupe défavorisé bénéficient d’une manière égale des services offerts à la population en général est subordonnée au principe des accommodements raisonnables. Dans les affaires concernant le par. 15(1), il est préférable d’appliquer ce principe dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier. Dans ce contexte, le principe des accommodements raisonnables équivaut généralement au concept des «limites raisonnables». Il ne devrait pas être utilisé pour restreindre la portée du par. 15(1).

Le fait pour la commission des services médicaux et les hôpitaux de ne pas fournir de services d’interprétation gestuelle lorsque ces services sont nécessaires pour permettre des communications efficaces constitue une violation à première vue des droits garantis par le par. 15(1) aux personnes atteintes de surdité. Cette omission prive ces personnes de l’égalité de bénéfice de la loi et crée de la discrimination à leur endroit par comparaison avec les entendants. Même si la norme énoncée a une large portée, cela ne veut pas dire que l’interprétation gestuelle doit être fournie dans tous les cas où un patient reçoit des soins de santé. La norme des «communications efficaces» est une norme souple, qui tient compte de facteurs tels que la complexité et l’importance de l’information à communiquer, le contexte dans lequel les communications auront lieu et le nombre de participants. Dans le cas des personnes atteintes de surdité dont la capacité de lire et d’écrire est limitée, il est permis de supposer que l’interprétation gestuelle sera requise dans la plupart des cas.

L’application du critère de l’arrêt Oakes commande un examen attentif du contexte dans lequel s’inscrit le texte de loi attaqué. En l’espèce le fait de ne pas fournir des services d’interprètes gestuels ne satisferait pas au volet de l’atteinte minimale du critère de l’arrêt Oakes, si on faisait montre de retenue. Par conséquent, il n’était pas nécessaire, dans le présent contexte où des «avantages sociaux» sont en cause et où il faut choisir entre les besoins de la population en général et ceux d’un groupe défavorisé, de décider s’il convient de faire montre de retenue. Cependant, la liberté d’action qui doit être accordée à l’Etat n’est pas infinie. Les gouvernements doivent démontrer que leurs actions ne portent pas atteinte aux droits en question plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire pour réaliser leurs objectifs. Dans la présente espèce, le gouvernement n’a manifestement pas démontré qu’il était raisonnablement fondé à conclure que le refus complet de fournir des services d’interprètes médicaux aux personnes atteintes de surdité constituait une atteinte minimale aux droits de celles-ci.

Qui plus est, ce n’est que pure spéculation que de prétendre que le gouvernement, si on l’oblige à fournir des interprètes aux personnes atteintes de surdité, devra également en fournir aux autres personnes qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles, augmentant ainsi de façon marquée le coût du programme. La possibilité qu’une action fondée sur le par. 15(1) puisse être présentée par les membres de ce dernier groupe ne saurait justifier l’atteinte aux droits constitutionnels des personnes atteintes de surdité. Les appelants ne réclament que l’égalité d’accès à des services qui sont disponibles à tous. Les intimés n’ont présenté aucune preuve que ce type d’accommodement, s’il était étendu à d’autres services gouvernementaux, grèverait de manière excessive le budget de l’Etat. Le gouvernement n’a fait aucun «accommodement raisonnable» pour tenir compte de la déficience des appelants et il n’a pas pris, à l’égard de leurs besoins, des mesures d’accommodement au point d’en subir des contraintes excessives.

La réparation convenable et juste consiste à déclarer que cette omission est inconstitutionnelle et à ordonner au gouvernement de la Colombie-Britannique d’appliquer la Medical and Health Care Services Act et l’Hospital Insurance Act d’une manière compatible avec les exigences du par. 15(1). Le jugement déclaratoire, par opposition à l’injonction, est la réparation convenable en l’espèce parce que le gouvernement dispose d’une myriade de solutions susceptibles de remédier à l’inconstitutionnalité du régime actuel. Il convient de suspendre l’effet du jugement déclaratoire pendant six mois afin de permettre au gouvernement d’examiner les possibilités qui s’offrent à lui et d’élaborer une solution appropriée.

Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire

CIV / 1995 / A01
Côte d’Ivoire/Conseil constitutionnel/27-10-1995/Décision n°E 0005-95/extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Bureaux de vote – Candidats (à une élection) – Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité)

Au nom du peuple de Côte d’Ivoire

Le Conseil constitutionnel,

(…)

Considérant que, pour solliciter l’annulation totale des élections le requérant invoque deux séries d’irrégularités concernant les unes, le déroulement du scrutin, les autres le dépouillement.

1.–S’agissant du déroulement du scrutin, le candidat Romain Francis WODIE allègue:

  • l’ouverture tardive de la plupart des bureaux de vote, l’éclatement irrégulier de certains bureaux, ce qui ne lui a pas permis d’y déléguer des représentants;
  • l’existence de bureaux de vote non déclarés préalablement et il en cite quatre;
  • l’installation d’un bureau de vote à Koumassi, au quartier général de son adversaire dans une ambiance de campagne électorale; Considérant que Monsieur Romain Francis WODIE n’a produit aucune pièce au soutien de sa requête contrairement à ce que lui commande l’article 63 du Code Electoral; qu’en outre, ses dénonciations sont formulées en termes généraux ne permettant aucune vérification sérieuse; qu’elles ne sont accompagnées d’aucun élément ni même de réserves formulées sur les procès-verbaux de dépouillement des votes par les représentants du requérant dans les circonscriptions où ils étaient; que les quelques exemples indiqués par le candidat WODIE, à les supposer établis, ce qui est loin d’être le cas, ne sont pas de nature à affecter le résultat d’ensemble du scrutin général; que, par ailleurs, l’ouverture tardive ou la fermeture prématurée des bureaux de vote, même établie n’a pu rompre l’égalité entre les candidats et n’a donc pu altérer la sincérité des votes; qu’il n’y a donc pas lieu de retenir les griefs invoqués;

2.– Concernant le dépouillement du scrutin:

Considérant que sur ce point, le candidat Romain Francis WODIE soutient qu’il y a irrégularité dans six cas:

  • transfert d’urnes en dehors du lieu du vote et le dépouillement hors de la présence de son représentant à Yopougon;
  • bourrage d’urnes à Yopougon sous les yeux du représentant du requérant et en présence des forces de l’ordre;
  • refus de remettre aux représentants des candidats copies des procès-verbaux de dépouillement ou refus de les laisser consigner aux bureaux de vote leurs réclamations;
  • modifications des résultats en présence des représentants du requérant par le Ministre de l’Intérieur et d’un de ses collaborateurs;
  • communication par le Directeur de l’Administration Territoriale de certains résultats avant que ceux-ci ne soient confirmés par les autorités administratives des circonscriptions électorales concernées;
  • nombreuses discordances entre les pourcentages des voix attribuées à l’un et l’autre candidat;

Considérant que Monsieur Romain Francis WODIE ne donne aucune précision sur les bureaux de vote où les urnes ont été déménagées et le dépouillement fait discrètement, où les urnes ont été bourrées et où les réclamations de ses représentants ont été repoussées; que le Conseil ne possède aucun élément permettant d’effectuer une enquête ni d’évaluer l’ampleur des prétendues irrégularités; que de même, les résultats qui auraient été modifiés ne font l’objet d’aucune précision; que de même encore, il n’est pas démontré la fausseté des résultats communiqués par Monsieur IPAUD LAGO, Directeur général de l’administration territoriale, ni la réalité des discordances entre les pourcentages des voix des candidats;

Considérant que les allégations du requérant, faute de preuve, doivent être rejetées;

(…)

Décide:

Que la requête en annulation de Monsieur Romain Francis WODIE est recevable mais mal fondée.

La rejette.

Proclame:

Monsieur Aimé Henri Konan BEDIE, Président de la République de Côte d’Ivoire pour compter de ce jour.

CIV / 1995 / A02
Côte d’Ivoire / Conseil constitutionnel / 29-12-1995 / Décision n° E 023-95 / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – Elections (organisation) – Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité)

Au nom du peuple de Côte d’Ivoire

Le Conseil constitutionnel,

(…)

Considérant que pour demander l’annulation de l’élection de Monsieur BROU Emile comme député à l’Assemblée nationale de la circonscription électorale d’Abengourou sous-préfecture, Monsieur ANO KOUASSI DIHIE invoque;

a) La mauvaise organisation des élections résultant notamment des difficultés relatives à la délivrance des ordonnances – de l’éclairage défectueux des bureaux de vote, des conditions peu transparentes dans lesquelles s’est effectué le transfert des urnes, de l’utilisation des ordonnances délivrées pour les élections présidentielles par des électeurs non inscrits sur la liste électorale;

b) Les pressions exercées par certaines personnalités pouvant avoir une influence sur les électeurs; notamment, visites dans les bureaux de vote effectuées par des personnes appartenant au PDCI, parti démocratique de Côte d’Ivoire – attitude affichée par des notables et chefs de villages favorables au candidat PDCI et consistant à réclamer aux électeurs ayant déjà voté les bulletins du candidat adverse – distribution de bulletins et de billets de banque après la clôture de la campagne – menaces exercées sur les allogènes en vue de les amener à voter pour le candidat BROU Emile.

a) Sur le moyen tiré de la mauvaise organisation des élections; Considérant que le requérant ne rapporte pas la preuve de cette mauvaise organisation, que d’ailleurs cette organisation a été celle là même qui a régi l’ensemble des opérations, qu’il n’y a donc pas eu rupture du principe de l’égalité de traitement entre les deux candidats, que le moyen soulevé doit être rejeté.

b) Sur le moyen tiré de la pression exercée sur les électeurs; Considérant que le requérant se contente d’affirmer ces pressions diverses sans rapporter ni offrir de rapporter la preuve de leur réalité et de leur influence sur l’électorat, alors surtout que les procès-verbaux de vote établis dans les quelques bureaux qu’il a cités portent la signature de ses représentants, sans aucune réclamation; que ce moyen doit donc être rejeté.

Décide:

Article 1er . – La requête de Monsieur ANO KOUASSI DIHIE est recevable.

Article 2. – La rejette comme étant mal fondée.

Article 3. – La présente décision sera transmise au Président de la République pour publication et notifiée au Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’aux parties.

CIV / 1995 / A03
Côte d’Ivoire / Conseil constitutionnel / 29-12-95 / Décision n° E 027-95 / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité)

(…)

Considérant que le requérant demande l’annulation du scrutin en soutenant qu’il a été constaté toute une série d’irrégularités:

  • existence de listings vierges;
  • utilisation d’ordonnances parallèles;
  • utilisation de l’encre non indélébile;
  • falsification des résultats.

(…)

2. – Sur le grief tiré de l’utilisation d’ordonnances parallèles Considérant que le requérant soutient qu’à Ahoué et Irho-Lamé toujours, des détenteurs d’ordonnances parallèles non datées et n’indiquant par les bureaux de vote concernés ont voté; que lapreuve de l’utilisation de ces ordonnances est établie par les mentions portées sur les procès-verbaux par ses représentants; Considérant que le procès-verbal de dépouillement du bureau de vote n° 27 d’Irho-Lamé mentionne que 35 personnes ont voté par ordonnance; que ces ordonnances ne portent pas de date;

Considérant que de telles ordonnances sont, en principe, nulles; Mais considérant qu’il n’a pas été prouvé que tel ou tel candidat a été le seul à en bénéficier; qu’au contraire, de fortes présomptions portent à croire qu’il en a été fait usage au bénéfice de trois candidats dont le requérant lui-même; qu’ainsi, les irrégularités qui en résultent s’annulent et ne peuvent en conséquence constituer obligatoirement une cause d’annulation des élections;

(…)

Décide:

Article 1er . – La requête de Monsieur LANCINE CAMARA demandant l’annulation de l’élection du Député AMOUSSAN BAKARI Maurice de la circonscription d’Anyama/Commune et Sous-Préfecture est recevable en la forme.

Article 2. – Cette requête est mal fondée. En conséquence, la rejette.

Article 3. – La présente décision sera transmise au Président de la République pour publication et notification au Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’aux parties.

(…)

CIV / 1995 / A04
Côte d’Ivoire / Conseil constitutionnel / 29-12-1995 / Décision n° E 030-95 / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

Bureaux de vote (maintien dans des zones d’accès difficile)

Au nom du peuple de Côte d’Ivoire

Le Conseil constitutionnel,

(…)

Considérant que pour contester l’élection de Monsieur KPAGNON BRASSIE, le requérant invoque d’une part, le désir de vengeance et la partialité du souspréfet de Buyo par le maintien des bureaux de vote situés dans les campements baoulés, difficiles d’accès et d’autre part, l’insécurité créée par la tension entre autochtones et allogènes baoulés depuis les élections présidentielles.

Sur le premier moyen;

Considérant que les bureaux de vote incriminés ont été régulièrement créés par l’autorité compétente dans les campements baoulés dans le but de permettre aux populations concernées d’accomplir leur droit de vote; que la suppression de ces bureaux de vote serait préjudiciable à l’exercice desdits droits compte tenu, comme le reconnaît le requérant lui-même, de l’éloignement et des difficultés d’accès à ces zones; qu’ainsi en maintenant les bureaux de vote dans les campements baoulés, le sous-préfet n’a commis aucune irrégularité de nature à rendre impossible le déroulement normal du scrutin;

Sur le second moyen;

Considérant que l’insécurité invoquée par le candidat n’est pas imputable au sous-préfet, celle-ci résultant du contexte général suscité par les élections présidentielles du 22 octobre 1995; que tous les candidats de la circonscription concernée y compris le requérant lui-même ont accepté de participer au scrutin, estimant par là que les tensions ne sont pas de nature à entacher la sincérité du vote; qu’il s’ensuit que la requête de Monsieur MIAKA OURETTO doit être rejetée comme non fondée;

Décide:

Article 1er . – La requête de MIAKA OURETTO tendant à l’annulation de l’élection de Monsieur KPAGNON BRASSIE le 26 novembre 1995 dans la circonscription de Buyo est recevable mais mal fondé; la rejette.

Article 2. – La présente décision sera transmise au Président de la République pour publication et notifiée au Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’aux parties.

CIV / 1995 / A05
Côte d’Ivoire / Conseil constitutionnel / 29-12-95 / Décision n° E 031-95 / texte intégral

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

Candidats (à une élection)

VU Enregistrée au Secrétariat général du Conseil constitutionnel le 4 décembre 1995 sous le n° E 117/95, la requête présentée par Monsieur OUATTARA MOUSSA et tendant à l’annulation des élections dans la circonscription de Kong-Koumbala pour la désignation d’un Député à l’Assemblée nationale;

Considérant que pour solliciter l’annulation des élections législatives dans la circonscription de Kong-Koumbala où il a fait acte de candidature, Monsieur ouattara moussa invoque les faits suivants:

  • pression sur les populations allogènes afin de les décourager à prendre part au scrutin;
  • l’urne du bureau de vote n° 33 de Koron non parvenue au chef-lieu de la sous-préfecture de Kong;
  • mauvaise organisation des élections (absence d’éclairage au bureau n° 03, communication tardive des résultats de certains bureaux);
  • vote d’électeurs sans titre d’identité;

VU La Constitution, notamment son article 30 nouveau;

VU La loi n° 94-439 du 16 août 1994 modifiée par la loi n° 95-523 du 6 juillet 1995 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel, notamment ses articles 37 à 42 et 51;

VU La loi n° 94-642 du 13 décembre 1994 portant Code Electoral, notamment ses articles 101 et 105;

VU Le mémoire en défense, en date du 18 décembre 1995 de El Hadj OUATTARA GAOUSSOU DRAMANE;

VU Les autres pièces du dossier;

Ouï le Conseiller-Rapporteur;

Sur la recevabilité:

Considérant que la requête de Monsieur OUATTARA MOUSSA répond aux conditions de forme et de délai prévues par l’article 105 susvisé du Code Electoral; qu’elle est recevable:

Au fond:

Sur le moyen tiré de la pression exercée sur les électeurs allogènes pour qu’ils ne votent pas pour le requérant:

Considérant que cette allégation n’est corroborée par aucune justification, aucun rapport des autorités politiques et administratives pourtant plusieurs fois invitées à la vigilance sur l’ensemble du territoire; que le moyen ne peut prospérer;

Sur le moyen tiré de l’absence de l’urne du bureau de vote n° 33 de Koron:

Considérant que le procès-verbal concernant ce bureau porte la mention suivante:

«Le vote n’a pu avoir lieu à Koron, faute de moyen de transport, car la benne transportant le président du bureau de vote et le matériel était tombée en panne en cours de route;

Considérant que cette situation, aussi regrettable, n’a pu pénaliser que le requérant seul mais l’ensemble des candidats; que dès lors, l’égalité de traitement entre les candidats n’a pas été rompue; qu’il y a lieu de rejeter ce moyen;

Sur le moyen tiré de l’absence ou de l’insuffisance de l’éclairage du bureau de vote n° 03 à Kong:

Considérant que les vérifications faites ont prouvé que le courant électrique fourni à la ville n’a pas été interrompu; que le requérant reconnaît lui-même qu’il ne s’est pas rendu à ce bureau et n’a donc pas constaté les faits qu’il allègue; qu’enfin, le procès-verbal relatif à ce bureau, signé par le représentant du requérant ne mentionne pas l’anomalie invoquée; que le moyen soulevé, ne reposant sur aucun fait réel doit être rejeté;

Sur le moyen tiré de la communication tardive des résultats de certains bureaux de vote par voie de message radio:

Considérant que ce moyen, pas plus que les précédents ne saurait être tenu; qu’en effet, il est constant que la lenteur dont se plaint le requérant est due uniquement aux difficultés naturelles du terrain; qu’en outre, le requérant n’invoque ni ne prouve une manipulation frauduleuse des résultats des bureaux concernés où ses représentants ne signalent aucune discordance entre les résultats communiqués et ceux relevés sur place;

Sur le moyen tiré des votes sans titre d’identité:

Considérant que le requérant se contente d’affirmer que plusieurs personnes, profitant de l’obscurité, ont voté sans carte d’identité;

Mais considérant qu’une telle affirmation vague, non prouvée, alors que les représentants de l’intéressé ont signé tous les procès-verbaux de vote sans réserve, ne peut être prise en considération;

Considérant, compte tenu de tout ce qui précède qu’aucun des moyens soulevés par Monsieur OUATTARA MOUSSA n’est fondé; qu’en conséquence, sa requête doit être rejetée;

Décide:

Article 1er . – La requête de Monsieur OUATTARA MOUSSA est recevable mais mal fondée; en conséquence la rejette.

Article 2. – La présente décision sera transmise au Président de la République pour publication et notifiée au Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’aux parties.

Cour suprême constitutionnelle d’Egypte

EGY / 1972 / A01
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 6-05-1972 / Affaire n° 8, 1 re année judiciaire constitutionnelle / abstrats

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur quasiconstitutionnelle
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Loi (égalité devant la loi) – Neutralité

(…)

Constitution – Principe de l’égalité – L’article 40 de la constitution actuelle – L’égalité stipulée par l’article sus-mentionnée et jadis adoptées par les précédentes est réalisée si les deux conditions de généralité et d’abstraction sont remplies dans les législations relatives au droit

(…)

(7) L’égalité stipulée par l’article 40 de la constitution actuelle et jadis consacrée par les constitutions précédentes se réalise si les conditions de généralité et d’abstraction sont remplies par les législations régissant les droits. Il ne s’agit pas, toutefois, d’une égalité mathématique, car le législateur, de par son autorité discrétionnaire de l’évaluation des exigences de l’intérêt public, possède le pouvoir d’établir des conditions qui définissent les positions légales où les individus sont égaux devant la loi. Si ces conditions sont remplies chez un groupe d’individus, l’égalité doit être établie entre eux, leurs circonstances et leurs positions légales étant similaires. Toutefois, si ces circonstances diffèrent, c’est-à-dire si les conditions sont remplies chez certains et non remplies chez d’autres, le principe d’égalité n’est plus de rigueur. A ce moment seulement, ceux qui remplissent les conditions pourront exercer les droits que le législateur leur a garantis. Attendu que le décret-loi attaqué n’a pas porté atteinte aux droits stipulés dans des jugements judiciaires définitifs et que ce qui a été soulevé à propos de l’application du principe de l’égalité porte sur l’établissement de l’égalité entre ceux qui ont obtenu des jugements définitifs et ceux qui n’en ont pas obtenu malgré la différence de leurs situations, l’allégation que le décret-loi attaqué comporte une violation du principe de l’égalité n’est pas fondée en raison de la différence des positions légales entre les deux parties.

(…)

EGY / 1972 / A02
Egypte /Cour suprême constitutionnelle / 1-07-1972 / Procès n° 4, 2e année judiciaire de la Cour / abstrats

1.45 Justice constitutionnelle – objet du recours – lois et autres normes à valeur législative
5.1.2.4.2 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales – droit public
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité Egalité des chances – Loi (égalité devant la loi)

(…)

La Constitution – le principe d’égalité – Les sociétés du secteur public – l’article 76 de la loi sur les établissements publics «et les sociétés du secteur public, promulguée par la loi n° 60 de 1971 – Il stipule que les sociétés du secteur public ne sont pas soumises au système de faillite – il ne recèle aucune contradiction avec le principe de l’égalité et celui de l’égalité des chances – fondement

(…)

4. – L’article 76 de la loi sur les établissements publics et les sociétés du secteur public, promulguée par la loi n° 60, de 1970, ne renferme aucune violation du principe de l’égalité et de celui de l’égalité des chances. Ces deux principes se réaliseront dans la législation, si les deux conditions de généralisation et d’objectivité se trouvent réunies. Ils ne signifient pas l’égalité mathématique; car le législateur peut, par son pouvoir d’estimation des exigences du bien public, fixer des conditions déterminant les cas juridiques où les individus sont égaux devant la loi; d’autant plus que si ces conditions sont satisfaites par un ensemble d’individus, il faut leur appliquer le principe de l’égalité; car ils obéissent aux mêmes circonstances et aux mêmes cas juridiques. Par contre si les circonstances varient – autrement dit si les conditions sont satisfaites par les uns et non pas par les autres – il ne sera plus possible de traiter à égalité les deux parties. Le recours du législateur à un tel procédé ne déroge pas aux deux conditions de généralisation et d’objectivité qui doivent être réunies de la règle juridique; car il s’adresse à la totalité, à travers ces conditions. Partant, si le législateur a estimé, pour les considérations susmentionnées, qu’il faut interdire la déclaration de faillite des sociétés du secteur public, il ne déroge pas pour autant au principe de l’égalité et de celui de l’égalité des chances, prévus par les articles 8 et 40 de la constitution.

(…)

EGY / 1973 / A03
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 3-11-1973 / Affaire n° 1, 3e année judiciaire / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

(…)

Constitution – principe d’égalité – signification – distinction entre ceux qui ont obtenu des jugements judiciaires définitifs et ceux qui n’ont pas obtenu de tels jugements – il ne s’agit pas d’une violation du principe de l’égalité

(…)

Voir affaire n° 8, 6/05/1972, ci-dessus.

EGY / 1974 / A04
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 29-06-1974 / Affaire n° 1, 5e année judiciaire / abstrats

4.2.2 Instituions – organes législatifs – compétences
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Loi (égalité devant la loi)

(…)

Constitution – Principe de l’égalité dont la réalisation est l’affaire des législations

(…)

3. – L’égalité ne saurait se réaliser que lorsque les deux conditions de généralité et d’abstraction sont remplies dans les législations. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’une égalité mathématique, et ce, parce que le législateur, de par son autorité discrétionnaire de l’évaluation des exigences de l’intérêt public, possède le pouvoir d’établir des conditions qui définissent les positions légales où les individus sont égaux devant la loi. Si ces conditions sont remplies chez un groupe d’individus, l’égalité doit être établie entre eux, leurs circonstances et leurs positions légales étant similaires. Toutefois, si ces circonstances diffèrent, c’est-à-dire les conditions sont remplies chez certains et non remplies chez d’autres, le principe d’égalité n’est plus de rigueur.

(…)

EGY / 1975 / A05
Egypte/Cour suprême constitutionnelle/1-03-1975/Procès n° 7, année juridique suprême 2 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.2.6 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – religion

(…)

Constitution – Principe d’égalité – Pas de distinction ou de séparation entre les membres d’une même religion si leurs situations légales sont identiques

(…)

La loi objet de réclamation est le décret de la loi n° 263 de l’année 1960 relative à l’interdiction des loges bahaïtes (…)

6. – Il n’y a pas d’opposition entre la loi, objet de contestation, et l’égalité, car ce principe ne signifie pas l’identité dans tous les aspects entre tous les individus si leurs positions juridiques sont différentes, et l’égalité entre eux n’est pas une égalité mathématique absolue; mais ce principe signifie ne pas faire de distinction ni de ségrégation parmi les membres d’une même confession, si leurs positions sont identiques, et la loi contestée n’enferme rien de cela; par conséquent il n’y a pas moyen de lui reprocher de violer le principe d’égalité.

(…)

EGY / 1981 / A06
Egypte/Cour suprême constitutionnelle/7-02-1981/Affaire n° 1, 1re année judiciaire/abstrats

4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Loi (égalité devant la loi)

(…)

Le principe d’égalité – le législateur a le droit d’imposer des conditions générales objectives, déterminant les cas juridiques où les individus sont égaux devant la loi

(…)

6.– Le principe de l’égalité des citoyens en droit ne signifie pas forcément l’égalité entre tous les individus, avec leurs circonstances distinctes et leurs situations juridiques. Le législateur peut, par contre et en fonction des exigences de l’intérêt public, poser des conditions générales objectives qui détermineraient les situations juridiques, où les individus seront égaux devant la loi, si bien que ceux qui rempliront ces conditions, pourraient à l’exclusion des autres, exercer les droits que le législateur leur a garantis. De la sorte, disparaît toute égalité entre eux et ceux qui ne remplissent pas ces conditions.

(…)

EGY / 1987 / A07
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 16-05-1987 / Affaire n° 131, 6 e année judiciaire / abstrats

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – Egalité des chances – Loi (égalité devant la loi)

(…)

La constitution – Les droits publics.

Les règles élaborées par le législateur pour organiser les droits publics – notamment les droits politiques – ne doivent pas faire en sorte qu’ils soient confisqués, qu’il y soit porté atteinte, ou que les restrictions imposées dans le cadre de cette réglementation, portent atteinte aux deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité devant la loi, stipulés dans les deux articles 8 et 40 de la constitution.

La constitution – Les droits publics – Le droit à la candidature – les deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité.

Le droit à la candidature est l’un des droits publics garantis par la constitution aux citoyens – Le fait de priver une catégorie déterminée de ce droit, sans une raison valable et sans la moindre nécessité pour sa mise en application – recèle une annihilation de sa règle fondamentale et une violation des deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité devant la loi, à travers une dérogation aux articles 8, 40 et 62 de la constitution.

(…)

5. – Il ne faut pas que les règles établies par le législateur, dans le but d’organiser les droits publics – notamment les droits politiques – aboutissent à la confiscation ou à la violation de ces droits. Il faut que les restrictions qu’elle impose dans le domaine d’une telle organisation, ne portent pas atteinte aux deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité, garantis par la constitution qui stipule dans son article 8 que «l’Etat garantit l’égalité des chances à tous les citoyens et dans son article 40 que «les citoyens sont égaux devant la loi, dans les droits aussi biens que dans les devoirs publics, sans la moindre discrimination à cause du sexe, de l’origine, de la langue, de la religion ou de la doctrine.

6. – Le but des articles 5 bis, 6 alinéa 1 et 17, alinéa 1 de la loi n° 38 de 1972, amendée par la loi n° 114 de 1983, objet du recours, est que le législateur, quand il a établi que l’élection des membres du Conseil du Peuple, par des élections sur la base des listes partisanes et quand il a considéré ensuite que la copie de la liste du parti auquel le candidat appartient, qui prouve ainsi une telle appartenance, comme une condition impérative à l’acceptation de sa candidature, aura limité le droit de candidature aux élections des membres du Conseil du Peuple, à ceux qui appartiennent aux partis politiques et dont les noms figurent sur les listes de ces partis, et aura privé par le fait même les autres d’un tel droit sans une raison valable et sans la moindre nécessité pour sa mise en application. Etant donné que le droit à la candidature est l’un des droits publics garantis par l’article 62 de la constitution aux citoyens, le fait d’en priver une catégorie déterminée recèle une annihilation de ce droit et une violation des deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité devant la loi, et constitue par conséquent une violation des articles 8, 40 et 62 de la constitution.

(…)

EGY / 1989 / A08
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 15-04-1989 / Affaire n° 23, 8 e année judiciaire / abstrats

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité Candidats (à un emploi) – Egalité des chances

(…)

Constitution – Droit à la candidature – Conseil Consultatif (EL Shoura) Le législateur en limitant le droit à la candidature au Conseil consultatitf (El Shoura) aux adhérents aux partis politiques, en prive les autres sans que cela ne soit justifié ni par la nature de ce droit, ni par les exigences de son application; Il viole ainsi les principes de l’équivalence des chances et de l’égalité; et par le fait même, les articles 8, 40 et 62 de la Constitution.

(…)

5. – Par les article 7, 8, alinéa premier, 10, et 12, alinéa premier et deuxième de la loi n° 120/1980, objet d’un recours en inconstitutionnalité, et avant son amendement par la loi n° 10/1989, le législateur a voulu que l’élection des membres du Conseil Consultatif (EL Shoura) soit faite en fonction de listes de partis, considérant ainsi la liste du parti auquel appartient le candidat comme condition impérative au dépôt de la demande de candidature. Par cette disposition, le législateur a voulu limiter le droit à la candidature au Conseil Consultatif (EL Shoura) aux adhérents aux partis politiques et à ceux dont les noms figurent sur les listes de ces partis; Il en a ainsi privé les autres sans que la nature de ce droit ou les exigences de son application ne nécessitent une telle limitation.

Cela étant, et vu que le droit à la candidature est un droit public garanti par la Constitution dans son article 62, et que la privation d’une catégorie de personnes de ce droit l’inhibe et transgresse le principe de l’équivalence des chances et de l’égalité devant la loi, une pareille privation constitue par conséquent une violation des articles 8, 40 et 62 de la Constitution.

(…)

EGY / 1989 / A09
Egypte/Cour suprême constitutionnelle/29-04-1989/Règle n° 28/texte intégral

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Locataires – Locaux à usage professionnel – Loi (égalité devant la loi)

Sous la présidence de Monsieur le Conseiller Mamdouh Mostopha Hassan, Président de la Cour et la présence de M.M. les Conseillers: Mounir Amine Abdel-Majid, Fawzi Assaad Morkos, Charif Berham Nour, Dr. Awad Mohammad Murr, Dr. Mouhammad Ibrahim Abou el-Aynayn et Wassef AlaaEddine, Membres.

Et la présence de M. le Conseiller: Sayed Abdel-Hamid Amara, Commissaire.

Et la présence de M. Raafat Mouhammad Abdel-Wahed, Secrétaire.

Règle n° 28

1. – Les Constitutions Egyptiennes – Principe d’égalité

Toutes les constitutions égyptiennes successives, depuis celle de 1923 à celle en application aujourd’hui redisent le principe de l’égalité devant la loi et en garantissent l’application sur tous les citoyens. Ce principe est considéré comme le fondement de la justice, de la liberté et de la paix sociale. Il a pour objectif la sauvegarde des droits et des libertés des citoyens pour faire face aux différentes formes de discriminations, qu’ils peuvent rencontrer.

2. – Le principe de l’égalité «son domaine» – Les formes de différenciation

Le principe de l’égalité ne s’applique pas seulement aux droits et libertés mentionnés dans la Constitution, mais aussi à tous les droits garantis aux citoyens par le législateur – Les formes de discrimination mentionnées expressément dans l’article 40 de la Constitution (le sexe, l’origine, la langue, la religion et la croyance) ne sont pas exclusives.

3. – Législation – droits «leur organisation» – Principe de l’égalité

Le pouvoir discrétionnaire du législateur dans la détermination des droits et des normes n’abolit pas un texte de la Constitution; il doit, dans le cadre des exigences de l’intérêt général, poser des conditions objectives selon lesquelles sont déterminées les conditions légales qui garantissent l’égalité des individus devant la loi.

4. – La location des lieux – Location

Quant aux considérations sur lesquelles s’appuie le législateur pour déterminer la règle générale relative à l’augmentation des loyers par rapport aux locaux non loués pour l’habitation et mentionnés dans l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981; elle réalise l’intérêt général et compense son propriétaire de la baisse du montant du loyer et le souci de trouver une source de financement pour le restaurer et l’entretenir afin de protéger le patrimoine national. Cet article touche les immeubles loués pour un autre usage que l’habitation et employés dans des domaines qui n’entrent pas dans le domaine de l’activité commerciale ou industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux, et industriels, ou aux impôts sur les bénéfices non commerciaux en tant qu’élément du patrimoine national qu’il faut conserver. Parce que ces immeubles sont d’un genre spécial, réservé à l’activité – sociale, religieuse ou culturelle – cela ne les empêchent pas d’être des immeubles loués pour des buts non d’habitation.

5. – Le principe de l’égalité – Article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981

L’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981comporte une exception pour les locaux employés pour des buts qui n’entrent pas dans le domaine commercial, industriel ou professionnel soumis à l’impôt sur les bénéfices commerciaux, ou industriels, et à l’impôt sur les bénéfices des professions non commerciales, en application de la règle générale mentionnée dans son article (7) relativement à l’augmentation sur le loyer des immeubles loués pour un usage non d’habitation – et qui vise à différencier deux catégories de propriétés soumises au même principe qui les rend égales et qui oblige à les soumettre à la même règle législative abstraite.

6. – Principe d’égalité – Location de lieux – «Loyer»

Priver une catégorie de propriétaires du droit d’augmenter le loyer, conduit à une discrimination qui conduit à perturber des positions légales semblables et suppose la négation du principe d’égalité entre ces propriétaires et entre ceux qui n’ont pas été privées de ce droit.

1 et 2. – Toutes les Constitutions Egyptiennes successives, depuis celle de 1923 jusqu’à celle en vigueur actuellement ont toutes affirmé le principe de l’égalité devant la loi et en ont garanti l’application à tous les citoyens, principe considéré comme le fondement de la justice, de la liberté et de la paix sociale, estimant que l’objectif visé est la sauvegarde des droits et des libertés des citoyens pour faire face aux formes de différentiations qui les touchent ou qui les empêchent de les exercer. Dans son essence, ce principe est devenu le moyen pour stipuler la protection légale à égalité dont l’application ne se restreint pas aux droits et aux libertés mentionnés dans la Constitution, mais son domaine s’étend aussi aux droits garantis aux citoyens par le législateur dans les limites de son pouvoir discrétionnaire et à la lumière de la politique législative qu’il juge conforme au bien public. Les formes de discrimination mentionnées dans l’article (40) de la Constitution lesquelles se basent sur l’origine, le sexe, la langue, la religion ou la croyance, n’ont pas été citées à titre exclusif; il existe d’autres formes de différenciations qui présentent un danger, ce qui oblige à les soumettre au contrôle judiciaire du tribunal, en application du principe d’égalité devant la loi et pour en garantir le respect dans tous les domaines où cette loi est appliquée. Lui est soumise l’augmentation du loyer décidée par certains textes législatifs, comme le texte de l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981 relative à certaines dispositions particulières dans la location et la vente des locaux et la réglementation des relations entre le locateur et le locataire, dont les effets sont les mêmes pour tous les locateurs, et que les positions légales sont les mêmes à tous les points de vue relativement au droit de les réclamer. Ceci parce que l’égalité désignée par l’article (40) de la Constitution se limite à prohiber toute distinction entre les citoyens dont les positions légales sont identiques dans les éléments qui les constituent.

3. – Il est entendu que le législateur a un droit discrétionnaire absolu dans la désignation des droits, tant que la décision législative qu’il a prise relativement à ces circonstances, a été prise conformément à une règle générale abstraite qui ne fait de distinction entre ceux dont les positions légales sont identiques et qui n’abolit pas un texte constitutionnel. Comme il a le pouvoir, pour les besoins de l’intérêt général, de poser des conditions concrètes, selon lesquelles seront déterminées les positions légales rendant égaux tous les individus devant la loi; de sorte que tous ceux qui remplissent ces conditions, peuvent, seuls, exercer ces droits que leur a garantis le législateur.

4. – Puisque le législateur a visé, à travers la règle générale relative à l’augmentation du loyer – comme l’ont dit le rapport de la Commission conjointe du comité de l’habitat et de la construction, et le bureau du comité d’affaires constitutionnelles et législatives – «à sauvegarder les bâtiments anciens considérés comme un patrimoine national qu’il faut conserver et préserver, comme le loyer de ces bâtiments est minime, ce qui fait que leurs propriétaires refusent des les entretenir et de les restaurer; et comme l’intérêt des habitants de ces locaux, en plus de l’intérêt général représenté par le fait qu’ils constituent un patrimoine national qu’il faut conserver, sans alourdir les charges de leurs habitants, et en même temps, veiller à l’intérêt de leurs propriétaires, le tout, dans le cadre de la solidarité sociale – la commission a conclu à la nécessité de modifier le loyer des vieux immeubles loués pour autre usage que l’habitation, dans des proportions, selon la date de l’édification de l’immeuble»… Par conséquent, ces considérations sur lesquelles s’est basé le législateur pour fixer le montant du loyer relativement aux locaux loués pour un autre usage que l’habitation, à savoir, pour réaliser l’intérêt général et compenser les propriétaires de la perte due à la baisse du loyer, et par souci de trouver une source de financement pour les frais de leur restauration et entretien, ces immeubles étant considérés comme partie du patrimoine national, ceci s’applique aussi aux immeubles loués pour un autre usage que l’habitation et qui sont employés pour des affaires entrant de le cadre de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle, soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux et industriels ou sur les bénéfices réalisés dans des professions non commerciales, considérés comme l’un des éléments du patrimoine national qu’il faut concerner; si ces immeubles ne sont pas strictement réservés à des genres d’activités déterminées – qu’elles soient sociales ou religieuses ou culturelles – cela ne signifie pas qu’ils sont loués pour usage habitationnel. Il aurait fallu la mettre dans le cadre de la règle générale mentionnée dans l’article (7) de la loi n ° 136 de l’année 1981, alors ils auraient été soumis à la décision de l’augmentation.

5 et 6. – Le traitement exceptionnel mentionné dans l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981 relatif à certaines dispositions spéciales pour louer ou vendre des locaux et pour la réglementation des relations entre le locateur et le locataire a conduit à différencier deux catégories de propriétaires soumis à un principe unique qui les rend tous égaux, et il fallait que le législateur les soumît à la règle législative unique et abstraite, de sorte que soit perçu le loyer imposé par la règle générale mentionnée dans l’article (7) de la loi, en faveur des propriétaires des immeubles loués à usage non habitationnel, sans exception. Et quelle que soit l’activité exercée dans ces immeubles, et puisque cette différenciation que le législateur a faite dans l’article (27) mentionnée plus haut ne repose pas, réellement sur des bases ayant trait à l’objectif recherché par le législateur quand il a imposé cette augmentation, priver une certaine catégorie de propriétaires de leur droit à l’augmentation, est considéré comme une discrimination qui conduit à la perturbation des situations légales semblables, et renferme une abolition du principe d’égalité entre ceux-là et entre les propriétaires qui non pas été frustrés de ce droit.

Procédures

En date du 14 mars 1985, la partie civile a déposé le texte du recours auprès du greffe de la Cour, demandant que soit déclaré anticonstitutionnel l’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981 relativement à certaines dispositions particulières concernant la location, la vente de locaux et la réglementation des rapports entre le locateur et le locataire dans ce que ce texte contient d’exhonoration des locaux loués pour être utilisés dans des affaires qui n’entrent pas dans le cadre de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux, et industriels ou aux impôts sur les professions non commerciales dans la proportion de l’augmentation de la valeur locative mentionnée dans l’article (7) de la loi.

La commission des instances du gouvernement a présenté un mémoire demandant le rejet du procès. Après avoir étudié le procès, la commission des commissaires a exprimé son opinion dans un rapport écrit. Le procès fut étudié de la manière exprimée dans le procès verbal de l’audience, et le tribunal a décidé de prononcer le verdict dans l’audience de ce jour.

Le Tribunal

Après avoir étudié le dossier et après consultation:

Les requérants avaient intenté le procès n° 172 pour l’année 1983 civile, au Sud du Caire, demandant d’obliger le 4e accusé de payer le montant de l’augmentation du loyer décidé dans l’alinéa «B» du paragraphe 2, de l’article (7) de la loi n° 136 pour l’année 1981 relativement à certaines dispositions particulières à la location, à la vente des lieux et à la réglementation de la relation entre le locateur et le locataire, par rapport aux locaux loués pour usage non habitationnel, et ce, à partir du 1er janvier 1982. Le tribunal de première instance a rejeté le procès; les requérants ont fait appel sous le n° 2176 pour l’année juridique 101, disant que l’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981, sus-mentionnée est anticonstitutionnel. Le Tribunal leur a permis de faire appel auprès de la Cour constitutionnelle. Ils ont intenté le procès qui est entre nos mains.

Etant donné que les requérants reprochent au texte de l’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981, objet de litige, que cette loi, même si elle a soumis les immeubles loués pour un usage autre que l’habitation à l’augmentation mentionnée dans son article (7), l’article 27 a exhonoré de cette augmentation les immeubles utilisés pour des affaires qui n’entrent pas dans l’activité commerciale ou industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux et industriels ou aux impôts sur les professions non commerciales, bien que ces locaux soient loués pour un usage non habitationnel; par conséquent et à cause de cette exception, le texte aura fait la différence entre deux catégories de propriétaires, dont les circonstances légales sont identiques, ce qui rend ce texte défectueux constitutionnellement pour avoir violé le principe de l’égalité mentionné dans l’article (40) de la Constitution.

Etant donné que l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981, relatif à certaines dispositions particulières quant à la location et vente des locaux et à la réglementation de la relation entre locateur et locataire stipule que: «A partir de la date de la mise en application de cette loi, sera augmenté, à partir du 1er janvier de chaque année, le loyer des locaux loués pour des usages autre que d’habitation, et construits jusqu’au 9 septembre 1977. Cette augmentation cyclique est fixe et proportionnelle à la valeur locative prise comme base pour calculer le montant des impôts à payer sur les terrains bâtis en même temps, même si on y a apporté des modifications essentielles. Le propriétaire doit réserver la moitié de cette augmentation pour faire les restaurations et les entretiens nécessaires; cette somme est considérée comme un dépôt qui lui est confié. Un arrêté du Ministre de l’habitat réglera la manière de traiter dans cette affaire. L’augmentation sera fixée proportionnellement comme suit…

L’article (27) de la même loi stipule que «pour l’application des dispositions de cette loi, on agira comme pour les locaux loués pour l’habitation, avec les locaux utilisés pour des affaires qui n’entrent pas dans le cadre des activités commerciales, industrielles ou professionnelles soumises aux impôts sur les bénéfices commerciaux, et industriels, ou les impôts sur les bénéfices réalisés dans les professions non commerciales…».

Etant donné qu’il résulte de ces deux textes que le législateur a laissé le loyer de locaux loués pour habitation, selon les dispositions prises par les lois précédentes lesquelles n’englobent pas la règle de l’augmentation, et n’y a rien ajouté de nouveau dans ce domaine. Quant aux locaux loués pour autre usage que l’habitation, le législateur a mis dans l’article (7) de la loi, une règle générale abstraite, exigeant qu’ils soient soumis à une augmentation cyclique, dont le montant a été fixé dans une proportion déterminée de la valeur locative prise comme base pour le calcul des impôts sur les terrains bâtis, et différentes selon la date de la construction du bâtiment, et il a considéré cette augmentation comme partie du loyer selon l’article (8) de la loi. Puis il a fait exception dans l’article (27) à la règle générale pour les locaux utilisés pour des affaires qui n’entrent pas dans l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux, et industriels ou aux impôts sur les bénéfices réalisés dans les professions non commerciales. Ce qui a conduit à exhonorer les immeubles utilisés à cet usage, de l’augmentation du loyer et par suite, la privation de son propriétaire du profit de l’augmentation.

Les constitutions égyptiennes successives, à commencer par celle de 1923 jusqu’à celle en vigueur aujourd’hui, ont toutes redit et affirmé le principe de l’égalité devant la loi et en ont garanti l’application pour tous les citoyens, le considérant comme le fondement de la justice, de la liberté et de la paix sociale, et ce en supposant que l’objectif visé, est représenté à l’origine par le souci de sauvegarder les droits et les libertés des citoyens pour faire face aux formes de discrimination qui font tort ou posent des limites à leur exercice. Ce principe est devenu, dans son essence, un moyen pour déterminer la protection légale équivalente dont l’application ne se limite pas aux droits et libertés mentionnés dans la Constitution, mais elle étend son effet sur les domaines des droits garantis aux citoyens par le législateur dans les limites de ses pouvoirs discrétionnaires et à la lumière de la politique législative qu’il juge réaliser l’intérêt général, et que les formes de distinction mentionnées dans l’article (40) de la Constitution qui se base sur l’origine, le sexe, la langue, la religion ou la croyance, n’ont pas été mentionnées en exclusivité, il se trouve d’autres formes de différenciations qui ont leur danger, ce qui oblige de les soumettre à la compétence de ce tribunal pour un contrôle juridique, en application du principe d’égalité devant la loi et pour en garantir le respect dans tous les domaines de son application. L’augmentation du loyer est imposée par certains textes législatifs, comme le texte de l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981 dont les dispositions s’appliquent à tous les locateurs à positions légales identiques en tous points, relativement au droit de les réclamer, parce que l’égalité voulue dans l’article (40) de la constitution se limite à ne pas permettre de faire distinction entre des citoyens dont les positions légales sont identiques, à travers l’identité des éléments sur lesquels elle se base.

Le législateur a un pouvoir discrétionnaire pour déterminer les droits de manière absolue dans son estimation. Les dispositions législatives qu’il a prises pour ces cas ont été faites selon une règle générale abstraite qui n’admet pas de distinction entre ceux dont les positions légales sont identiques sans abolir le texte de la constitution; et le législateur a le pouvoir, pour les nécessités de l’intérêt général, de poser des conditions objectives selon lesquelles sont déterminées les positions légales qui rendent les individus égaux devant la loi, de sorte que ceux en qui ces conditions sont remplies ont seuls possibilité d’exercer les droits garantis par le législateur; Cela étant, le législateur a cherché, à travers la règle générale relative à l’augmentation du loyer – selon ce que dit le rapport de la Commission mixte du comité de l’habitat et de la construction, et du bureau de la commission des affaires constitutionnelles et législatives – à «Conserver les immeubles anciens considérés comme un patrimoine national qu’il faut protéger et dont il faut prolonger la vie». «Le montant minime du loyer de ces immeubles fait que leurs propriétaires refusent de les entretenir et de les restaurer; et puisque l’intérêt des habitants de ces locaux, en plus de l’intérêt général représenté par ce que les locaux constituent un patrimoine national qu’il faut conserver sans alourdir les charges de leurs habitants, et en même temps sauvegarder l’intérêt de leurs propriétaires, le tout dans le cadre de la solidarité sociale, la commission a conclu qu’il faut modifier le loyer des vieux locaux loués pour un usage autre que l’habitation, dans des proportions différentes selon l’ancienneté de la construction de l’immeuble». De là, les considérations sur lesquelles s’est appuyé le législateur quand il a déterminé l’augmentation relative aux locaux loués pour un usage autre que l’habitation sont: la réalisation de l’intérêt général, le dédommagement de leurs propriétaires par suite de la baisse du loyer et le souci de trouver des sources pour financer les frais de la restauration et de l’entretien de ces locaux, considérés comme des éléments du patrimoine national, ceci s’étendant aussi aux immeubles loués pour un usage autre que l’habitation et utilisés pour des affaires qui n’entrent pas dans le domaine de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux et industriels ou aux impôts sur les bénéfices réalisés dans les professions non commerciales, en tant qu’ils sont l’un des éléments du patrimoine national qu’il faut conserver; ces immeubles, étant réservés à des sortes déterminées d’activités – qu’elles soient sociales ou religieuses ou culturelles – ne cessent d’être considérés comme des immeubles loués pour un usage non d’habitation, conformément à l’objectif pour lequel ils ont été loués. Il aurait fallu les incorporer à la règle générale mentionnée dans l’article (7) de la loi.

Ce traitement exceptionnel mentionné dans l’article (27) objet de récusation, a conduit à séparer deux catégories de propriétaires, rendus semblables par une réglementation sur les mêmes bases qui les rend tous égaux et que le législateur aurait dû les soumettre à la même règles législative abstraite; et puisque l’augmentation du loyer décidée dans la règle générale mentionnée dans l’article (7) de la loi, exclut le propriétaire des immeubles loués pour un usage autre que l’habitation, sans exception aucune, et quelle que soit la nature de l’activité qu’on y exerce, puisque cette différentiation a été faite par le législateur dans l’article (27) sus-mentionné, ne repose pas dans sa réalité sur des bases qui ont trait à l’objectif recherché par le législateur quand il a décidé cette augmentation, comme il a été démontré plus haut; de là, priver une catégorie déterminée de propriétaire du droit à l’augmentation, est compté comme une discrimination qui conduit à perturber des positions légales semblables, et contient une violation du principe d’égalité entre eux et entre les propriétaires qui n’ont pas été privés de ce droit.

Et étant donné, tout ce qui a précédé, il faut déclarer non constitutionnel l’article (27) mentionné, en ce qu’il contient d’exception des locaux employés pour des affaires qui n’entrent pas dans le domaine de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices des professions non commerciales, et cela relativement à l’application de ce que stipule l’article (7) de l’augmentation du loyer.

Pour ces motifs:

La Cour a jugé anticonstitutionnel l’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981, relatif à certaines dispositions particulières à la location et vente des locaux et à la réglementation de la relation entre le locateur et le locataire, en ce que cet article contient une exception pour les locaux utilisés pour des usages qui n’entrent pas dans le cadre de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices réalisés dans le commerce, et l’industrie ou les impôts sur les bénéfices des professions non commerciales. Cela relativement à l’application du contenu de l’article (7) sur l’augmentation du loyer; la Cour impose au gouvernement de payer les frais et la somme de cents livres égyptiennes (100 guineh) pour frais d’avocat.

EGY / 1989 / A10
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 21-05-1989 / Affaire n° 16, 8 e année judiciaire / abstrats

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Délai pour agir en justice – Loi (égalité devant la loi)

(…)

La nature du principe de l’égalité

L’égalité citée dans l’article 40 de la constitution n’est pas une égalité mathématique, le législateur possédant par son pouvoir discrétionnaire et l’intérêt public le pouvoir de poser des conditions objectives pour des situations légales où les citoyens sont considérés égaux devant la loi; ainsi, si ces conditions sont satisfaites par une certaine catégorie de citoyens, il faudrait établir l’égalité entre eux vu que leurs situations légales sont identiques. Et si cette égalité fait défaut les conditions n’étant présentes que chez certains, ils exerceront seuls les droits garantis pour eux par la loi.

(…)

4. – L’allégation du demandeur à ce que l’article 11 de la loi n° 135/80 aurait violé le principe de l’égalité devant la loi reconnu par l’article 40 de la Constitution, et que la privation des travailleurs qui n’ont pas intenté leurs procès dans le délai prévu, de l’amélioration qu’ils méritaient, impliquerait une distinction entre les travailleurs d’une même catégorie, est rejetée vu que la décision du tribunal affirmant que l’égalité citée dans l’article 40 de la constitution est loin d’être une égalité mathématique, le législateur possédant par son pouvoir discrétionnaire et pour les besoins de l’intérêt général le pouvoir de poser des conditions objectives délimitant les situations légales où les citoyens sont égaux devant la Loi; et si ces conditions sont satisfaites chez une catégorie de personnes, il faudrait alors assurer l’égalité entre elles car leurs situations légales sont identiques. Et au cas où cette égalité fait défaut, comme par exemple l’existence de ces conditions chez certaines personnes seulement, elles seront seules à exercer les droits garantis par la Loi.

Le droit à la justice est un des droits publics dont la Constitution garantit l’égalité de tous dans son exercice, et vu que le texte objet de recours ne distingue pas, dans le cadre de la procédure imposée pour intenter l’action, entre les travailleurs, mais a établi par contre l’égalité de tous devant ses dispositions, en leur imposant le respect du délai exigé comme date limite à l’expiration de laquelle le droit au procès devient caduc.

Ainsi, le texte objet de recours ne prive pas une catégorie de travailleurs du droit à la justice; ils sont tous régis par les mêmes règles que le législateur a posées dans la réglementation de ce droit; Par le fait même, il ne viole pas l’article 40 de la Constitution.

EGY / 1990 / A11
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 19-10-1990 / Affaire n°37, 9 e année judiciaire/abstrats

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.1.4 Droits fondamentaux – problématique générale – limites et restrictions
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux

Candidats (à une élection) – Discriminations – Egalité des chances – Loi (égalité devant la loi)

6. – La Constitution – La nature du principe de l’égalité.

Prééminence dans la constitution du principe de l’égalité de tous devant la loi dans le chapitre des libertés et des droits publics, en sa qualité de base de la justice, de la liberté et de la paix sociale. Son but est de préserver les droits citoyens et leurs libertés face à toute sorte de discrimination qui pourraient leur porter atteinte ou en limiter la pratique.

7. – Domaine du principe de l’égalité – Formes de discriminations.

Le principe de l’égalité ne s’applique pas seulement aux droits et libertés citées dans la Constitution mais s’applique à tous les droits reconnus aux citoyens par les lois. L’énumération des formes de discriminations dans l’article 40 de la Constitution, se limitant à la discrimination quant au sexe, à la race, à la langue, à la religion ou à l’idéologie, n’est pas une énumération limitative. Elles ont citées car elles sont pratiquement les plus courantes. En effet, il en existe d’autres non moins dangereuses et qui contredisent le principe de l’égalité et annihilent sa base.

8. – Le principe de l’égalité – La réglementation des droits.

L’égalité citée dans l’article 40 de la Constitution est une égalité légale enfermée dans des conditions objectives relatives à la nature du droit dont il est question, et aux besoins de son application. D’un autre côté, le pouvoir discrétionnaire du législateur lui permet de poser en fonction du bien public certaines conditions objectives pour les situations légales où les citoyens sont à égalité devant la loi, de telle sorte que seuls ceux qui les satisfont en profiteront.

(…)

13 – Le droit de vote et le droit à la candidature – Le principe de l’égalité.

La Constitution a garanti aux citoyens le droit de vote et celui à la candidature; Elle les considère égaux dans l’exercice de ces droits sans aucune discrimination, ni préférence en tout ce qui s’attache à ces droits. Ces deux droits ont été reconnus d’une façon absolue aux citoyens qui en réunissent les conditions indépendamment de leurs appartenances et opinions politiques dans le but de garantir la généralité du travail national.

14. – Droit à la candidature – Principe de l’équivalence des chances.

Tous les citoyens qui satisfont aux conditions d’exercer le droit à la candidature ont des chances égales dans la formation de la politique nationale.

15. – Partis politiques – La qualité de citoyen – Les droits politiques – Le principe de l’équivalence des chances et de l’égalité.

La non distinction dans l’exercice des droits politiques entre les adhérents aux partis politiques et les non adhérents est garantie par l’article 5 de la Constitution, relatif à la pluralité des partis politiques, qui a dispensé les citoyens d’en faire partie, et son article 62 relatif aux garanties des droits politiques, qui a parlé de «citoyenneté sans aucun lien avec un parti». De même les deux principes de l’équivalence des chances et de l’égalité devant la loi accordent le même traitement légal à tous les candidats; L’institution du système des partis a été décidée, par la loi n° 400/77 antérieurement à l’amendement constitutionnel concernant la pluralité des partis, conformément à quelques libertés et droits publics dont le droit à la candidature; Ainsi, le système des partis ne peut se retourner en une limite à ces droits.

(…)

17. –L’article 62 de la Constitution – Son interprétation – Le droit à la candidature – les principes de l’équivalence des chances et de l’égalité.

L’article 62 de la Constitution garantit le droit à la candidature sans aucune obligation d’appartenance politique; l’article 8 garantit l’équivalence des chances entre tous les citoyens, et l’article 40 l’égalité de tous face aux droits publics dont le droit à la candidature et la non-discrimination en raison de leurs opinions politiques diverses. La finalité de ces textes complémentaires est de considérer les citoyens qui satisfont aux conditions de candidature à l’Assemblée nationale, dans des situations légales identiques pour l’exercice de ces droits et sur une base de chances égales pour la réussite aux élections et loin de toute considération de leurs appartenances partisanes.

18. – Constitution – Législation, système électoral.

Le pouvoir discrétionnaire du législateur dans le choix d’un système électoral est limité par le respect des liens, freins et principes adoptés par la Constitution et par la préservation des libertés et des droits publics qu’elle garantit.

19. – Assemblée nationale – Droit à la candidature – Principe de l’égalité.

La loi n° 38/72 concernant l’Assemblée nationale, amendée par la loi n° 188/86 délimite le nombre de sièges réservés à chaque circonscription proportionnellement au nombre de citoyens qui s’y trouvent et attribue dans l’article 5bis au candidat libre un siège unique de façon arbitraire indépendamment du nombre des habitants de la circonscription; Ce siège est l’objet de concurrence entre des candidats libres et autres appartenant à des partis politiques. Ceci représente une violation de la règle générale que la loi a institué dans la délimitation du nombre des sièges de chaque circonscription proportionnellement au nombre des habitants, ainsi qu’une violation au principe de l’égalité dans le traitement des candidats.

20. – Assemblée générale – Le droit à la candidature – L’article 5bis de la loi n° 38/72 amendée – Les principes de l’équivalence des chances et de l’égalité.

L’article 5bis de la loi n° 38/72 concernant l’Assemblée nationale amendée par la loi n° 188/86, prévoyant dans chaque circonscription, et pour l’élection individuelle un siège unique, objet de concurrence entre les candidats libres et ceux des partis politiques et plusieurs autres réservés aux candidats des partis, comporte une violation flagrante au droit des citoyens n’appartenant pas à des partis politiques quant à leur candidature et sur la base de l’équivalence des chances avec les autres candidats, et une discrimination basée sur les opinions politiques en violation des articles 8, 40 et 62 de la Constitution.

(…)

6. – 7. – Le droit d’égalité devant la loi a été le premier à être cité dans la Constitution dans son chapitre consacré aux libertés et droits publics, en y occupant la première place vu qu’il est la base de la justice, de la liberté et de la paix sociale, et vu que son but est de préserver les droits des citoyens et leurs libertés face à toute forme de discrimination qui leur porte atteinte ou en limite l’exécution. Il s’agit donc d’un moyen de protection légale équitable applicable non seulement aux libertés et droits publics rappelés par la Constitution, mais aussi aux droits dont la source est la loi.

Et si la Constitution dans son article 40 a interdit la distinction entre les citoyens quant au sexe, la race, la langue, la religion ou l’idéologie, c’est parce que ces formes de discriminations sont les plus courantes et non pas parce qu’elle a voulu s’y limiter. Limiter la discrimination interdite à ces formes serait permettre et considérer conformes à la Constitution les autres. Il n’en va pas ainsi. La preuve est que plusieurs autres formes non signalées par la Constitution n’en sont pas moins importantes telle la discrimination entre les citoyens dans le domaine des libertés et droits publics garantis par la Constitution pour des considérations de naissance, de classe sociale, d’appartenance à des classes ou à l’adoption d’une opinion politique; Ainsi, toutes les formes de discrimination qui s’opposent de par leur contenu au principe de l’égalité et portent atteinte à son fondement doivent être soumises au contrôle judiciaire de la Haute Cour constitutionnelle afin de garantir le principe de l’égalité dans tous ses aspects pratiques.

8. – L’égalité signalée dans l’article 40 de la Constitution ne signifie pas une égalité effective rendant les citoyens égaux en droits et obligations quelles que soient leurs situations légales mais il s’agit d’une égalité juridique soumise à des conditions objectives quant à la nature du droit et aux exigences de son application. Le législateur, de par son pouvoir discrétionnaire et dans l’intérêt public, peut poser certaines conditions objectives aux situations légales où les citoyens seront égaux; Comme ces conditions sont satisfaites chez une catégorie de personnes, il a fallu établir l’égalité vu que leurs situations légales sont identiques; Par contre au cas où ces situations sont distinctes, vu que les conditions satisfaites chez les uns ne le sont pas chez les autres, l’égalité n’est plus de rigueur.

(…)

13. – La Constitution, tout en garantissant aux citoyens le droit de vote et le droit à la candidature, les a mis à égalité quant à leur application et n’a point permis de discriminations ou de préférence dans leur exécution; Au contraire, elle leur a accordé ces droits – à ceux qui satisfont aux conditions posées indépendamment de leurs appartenances et opinions politiques, dans le but de garder au travail national sa généralité sans aucun privilège.

14. – 15. – Les citoyens qui satisfont aux conditions prévues pour exercer le droit à la candidature disposent des mêmes chances pour contribuer et – de façon égale – à la formation de la politique nationale et à en déterminer les aspects définitifs. Ceci est confirmé par l’article 5 de la Constitution, qui, en insinuant la pluralité des partis, n’a point signalé l’obligation aux citoyens à adhérer à un parti politique ni la limitation de l’exercice des droits politiques par l’article 62 de la Constitution à l’appartenance partisane; Ainsi la liberté d’adhérer ou non à un parti politique et d’exercer les droits politiques à travers les partis est laissée au citoyen, tant que l’article 62 de la Constitution, relatif à la garantie de ces droits politiques a parlé de «citoyenneté» sans le moindre attribut partisan. Ceci prouve que l’article 5 de la Constitution en signalant la pluralité des partis, base du système politique de l’Etat, a imposé que le système partisan soit cadre par les principes fondamentaux de la société égyptienne. Nul doute que les deux principes de l’équivalence des chances et de l’égalité devant la loi exigent le traitement des candidats à égalité conformément à l’équivalence des chances de tous sans aucune discrimination quant à la qualité de partisan; Une telle discrimination serait basée sur la divergence des opinions politiques, chose interdite constitutionnellement. De plus, le système partisan a été adopté par la loi n° 40/77 avant l’amendement constitutionnel de la pluralité des partis politiques; Comme il fallait à cette loi un fondement constitutionnel à l’ombre de l’Union Socialiste Arabe, le législateur s’était basé sur quelques libertés et droits publics reconnus par la Constitution, dont la liberté d’opinion et celle de l’idéologie politique, le droit de vote et le droit à la candidature, ainsi que le droit de créer des partis politiques qui en découle,delà; il ne serait pas correct que le système partisan se retourne contre les libertés et les droits publics dont il émane, et le droit à la candidature est un de ces droits publics inévitables de la nature des systèmes démocratiques parlementaires et imposés par leur élément de base qui consiste à remettre la souveraineté au peuple.

16. – L’interprétation des textes de la Constitution doit se faire d’une façon uniforme; il s’agit d’un tout indissociable, où chaque texte sera interprété conformément à l’autre, afin d’éviter toute discordance.

17. – La Constitution a garanti aux citoyens dans son article 62 le droit à la candidature sans condition d’appartenance partisane, et dans son article 40 l’égalité face aux droits publics dont le droit à la candidature qui vient en tête des autres de par son attachement à la volonté populaire, expression de la souveraineté du peuple et les a préservé de toute discrimination en raison des divergences des opinions politiques, comme elle a obligé l’Etat dans son article 8 à leur garantir l’équivalence des chances. Ces textes qui se complètent, se lient, impliquent que les citoyens qui satisfont aux conditions de candidature à l’Assemblée nationale sont considérés par rapport à ce droit dans des situations légales identiques; De là, l’exercice de ce droit se fera à égalité et sur la base des mêmes chances de réussite abstraction faite de leurs appartenances partisanes ou de leur indépendance. Ainsi, la réussite du candidat – libre ou partisan – aura pour base la volonté des électeurs qui détiennent la souveraineté populaire, source de tous les pouvoirs.

18. – Bien que le législateur dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant au choix du système électoral, son pouvoir se voit limité par le respect des obstacles et principes posés par la Constitution et par ceux des libertés et droits publics qu’elle garantit.

19. – La loi n° 38/1972 relative l’Assemblée nationale et amendée par la loi n° 188/1986, délimite le nombre des députés de chaque zone électorale, en le variant d’une zone à l’autre comme en témoigne la note explicative de la loi n° 114/1983 comportant un amendement de la loi de l’Assemblée nationale à l’exception des mohafazats que le législateur a voulu exclure de cette règle pour les considérations mentionnées dans la même note explicative. Quoi qu’on pense de cette exception et à supposer que les autres mohafazats se plient à cette règle, la loi, en donnant au candidat individuel un siège unique dans chaque zone électorale en dépit du nombre variable des citoyens et en accordant les autres dans chaque zone aux candidats des listes des partis, se sert de la différence du nombre des citoyens comme base pour fixer le nombre des sièges affectés aux candidats des listes des partis, sans que cela ait des conséquences sur les candidats conformément à la loi électorale individuelle qui fait concourir les indépendants et autres membres des partis politiques vers un siège unique fixé arbitrairement par le législateur dans chaque zone électorale quel qu’en soit le nombre des citoyens, et viole ainsi – et sans aucune objectivité – la règle générale, pour fixer le nombre des sièges des députés de chaque zone électorale proportionnellement au nombre des habitants, ce qui porte atteinte au principe d’égalité vis-à-vis des deux catégories de candidats.

20. –L’article 5bis de la loi n° 38/1972 relative à l’assemblée nationale et amendée par la loi n° 188/1986, en stipulant qu’il y a pour chaque zone un seul membre élu individuellement, alors que l’élection des autres membres représentant la zone se fait sur des listes des partis, dévoile clairement l’intention du législateur dans le choix du siège unique – pour le système électoral individuel – objet d’une concurrence entre les candidats membres des partis politiques et d’autres indépendants bien qu’il ait consacré plusieurs sièges aux premiers des partis. En cela, cet article porte clairement atteinte au droit des citoyens non partisans à être candidats et à titre d’égalité avec les partisans des partis politiques, et cette atteinte entraîne entre les deux catégories des candidats vis-à-vis de la loi et des chances d’être élus, une discrimination basée sur la divergence des opinions politiques et constitue par là une violation aux articles 8, 40 et 62 de la Constitution; elle est donc anticonstitutionnelle puisqu’elle stipule que «chaque zone a un représentant élu à titre personnel alors que les autres le sont suivant les listes des partis.»

EGY / 1991 / A12
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 4-05-1991 / Affaire n° 38, 10 e année judiciaire constitutionnelle/ abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité Conscrits – Egalité des chances – Loi (égalité devant la loi) – Service militaire

(…)

Le principe d’égalité

L’égalité signalée par l’article 40 de la Constitution n’est pas une égalité mathématique, mais le législateur a le pouvoir discrétionnaire de poser, dans l’intérêt général, des conditions objectives de certaines situations légales où les citoyens sont égaux devant la loi; ainsi, seuls ceux qui satisfont ces conditions bénéficieront des droits prévus pour eux et garantis par la loi.

L’application du principe de l’équivalence des chances:

L’identité dans les situations légales est supposée comme une des conditions de l’application du principe de l’équivalence des chances.

Le service militaire – le principe de l’équivalence des chances et de l’égalité

L’article 44 de la loi sur le service militaire et national concerne l’égalité entre l’ancienneté et la période de l’expérience des conscrits avec leurs camarades de promotion nommés au même poste; le législateur en a limité l’application aux compétents préjudiciés par le service militaire au cas où leurs camarades de promotion les dépassent dans les nominations; cette considération est inexistante chez les conscrits non compétents et non concernés par une promotion vu que leurs situations légales sont différentes de celles des conscrits compétents. En leur appliquant l’article en question, ils seraient favorisés légalement par rapport aux conscrits compétents, alors que ces derniers sont seuls à bénéficier de l’inscription du camarade de promotion et du calcul de la période du service militaire dans l’ancienneté ou l’expérience alors que les premiers sont libérés de ce lien. Ainsi, il n’y a pas de violation des deux principes de l’équivalence des chances et de l’égalité.

(…)

EGY / 1998 / A13
Egypte/Cour suprême constitutionnelle/3-07-1998/52, N.K. Affaire n° 11, 17 e année judiciaire/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4. Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.32 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété
5.2.32 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété

Egalité des chances – Locataires – Locaux à usage professionnel – Loi (égalité devant la loi)

(…)

Etant donné que la loi n° 51 de 1981 organisant les établissements médicaux, stipule, dans son article premier, que «pour appliquer cette loi, est considéré comme un établissement médical tout endroit destiné à ausculter les malades ou à les traiter ou à les soigner ou pour y séjourner pour la convalescence; il comprend ce qui suit:

a) la clinique privée, c’est toute institution que possède ou que loue, ou que dirige un médecin ou un dentiste, chacun selon la profession qu’il est autorisé à exercer, et préparée pour recevoir les malades et les soigner médicalement. Il est permis qu’on y mette des lits, pas plus que trois.

(…)

L’article 5 de la même loi stipule que: «La location d’un établissement médical ne prend pas fin avec le décès du locataire, ou son abandon du lieu; le contrat de location reste valable pour ses héritiers et ses co-associés, pour qu’il serve au même usage; il lui est permis, à lui et à ses héritiers de résilier la location en faveur d’un médecin autorisé à exercer la profession. Dans tous les cas, le locateur est obligé de libeller un contrat de location en faveur de ceux qui ont droit de continuer à utiliser le local».

Etant donné que la Société accusatrice reproche à l’article 5 sus-mentionné, que ce qui a été décidé, visant à permettre la résiliation de la part du médecin ou des héritiers «après lui», du droit de louer sa clinique privée à un autre médecin autorisé à exercer la profession, la loi aurait violé des règles générales, entre autres celles qui interdisent au locataire de résilier son droit à la location, et en font un motif pour que le locateur reprenne le local loué, ce qui signifie la privation du propriétaire du lieu, celui-ci ne pouvant jamais profiter des bienfaits de son local; c’est aussi une violation des droits stipulés par l’article 20 de la loi n° 136 de 1981 sus-mentionnée, en faveur des propriétaires des locaux loués, dans le cas où on les résilie en faveur d’autrui. Cela constitue l’annulation de la protection garantie par la Constitution de la propriété privée dans les deux articles 32 et 34, et une déviation de se conformer au principe de l’égalité des chances, et de l’égalité entre les citoyens devant la loi, stipulées dans les deux articles 8 et 40 de la Constitution.

(…)

Etant donné que les constitutions égyptiennes, à commencer par celle de 1923 et jusqu’à celle en vigueur actuellement, ont toutes répété le principe de l’égalité devant la loi, et en ont garanti l’application pour tous les citoyens, en tant qu’il est le fondement de la justice, de la liberté et de la paix sociale, et en estimant que l’objectif visé représente dans son origine, la sauvegarde des droits des citoyens et de leurs libertés, en face des aspects distinctifs qui leur nuisent ou qui en entravent l’exercice. Ce principe est devenu – dans son essence – un moyen pour fixer la sauvegarde légale à égalité, dont le cadre de sa pratique ne se limite pas aux droits et libertés mentionnés dans la Constitution; mais l’étendue de ces affaires touche de même toutes les libertés garanties par le législateur aux citoyens dans les limites de son pouvoir discrétionnaire et à la lumière de ce qu’il considère comme relevant de l’intérêt général. Et si la Constitution, dans son article 40, met en garde de faire une discrimination entre les citoyens étant dans des situations identiques, sur le fondement du sexe, de l’origine, de la langue, de la religion ou de la croyance, toutefois quand la Constitution dit les mêmes aspects, et qu’il est interdit d’introduire une discrimination entre eux, cela revient à ce que ces cas sont les plus répandus dans la vie effective, et rien n’indique qu’il faut s’y limiter; car, si cela était vrai, la discrimination entre les citoyens dans d’autres cas, aurait été constitutionnellement permise, ce qui est contraire à l’égalité garantie par la Constitution; et cela empêche de poser ses bases et d’atteindre ses fins. Le principe est qu’il existe des aspects de discrimination non mentionnés dans l’article 40 de la Constitution et qui ne sont pas moindres dans leur importance, suivant leur contenu ou les traces qu’ils laissent. Comme la discrimination entre les citoyens dans le cadre des droits dont ils jouissent, ou les libertés qu’ils exercent, eu égard à leur origine familiale ou à leur situation sociale ou à leur appartenance à une classe sociale, ou à leurs penchants politiques ou ethniques ou à leur fanatisme tribal ou à leur attitude vis-à-vis de l’autorité générale, ou à leurs intérêts dans ses organisations, on les construit pour travaux personnels, et autres formes de discrimination qui n’ont pas de bases objectives qui lui ressemblent. Le texte objet de contestation, cherche, grâce aux qualités et aux droits qu’il a garantis pour les médecins seuls, à les préférer à d’autres locataires, et à refuser aux autres le droit d’en jouir, bien que leur situation juridique soit la même, sans que cette préférence soit basée sur des principes légaux. Il manque à ce texte des fondements objectifs; et le législateur avait interdit, par le texte de l’article 40 de la Constitution, considérant le contenu, une discrimination arbitraire.

Etant donné ce qui précède, le texte contesté à été introduit grâce à la protection de la propriété privée garantie par les Constitutions, annulant le principe d’égalité devant la loi, il contredit alors les dispositions des articles 32, 33 et 40 de la Constitution.

Pour ces motifs:

La Cour a jugé la non constitutionnalité de l’article 5 de la loi n° 51 de l’année 1981, qui organise les institutions médicales, en ce qu’il contient des exceptions relatives à la résiliation de la part du médecin, ou de ses héritiers après lui, de son droit de location d’un local pris comme lieu de sa clinique privée, en faveur d’un autre médecin autorisé à exercer la même profession, et une exemption de se soumettre aux prescriptions de l’article 20 de la loi n° 136 pour l’année 1981, relativement à certaines prescriptions particulières concernant la location et la vente des locaux, et à l’organisation de la relation entre locateur et locataire.

Conseil constitutionnel de France

Sélection établie avec le concours du Pr Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV.

FRA / 1973 / A01
France / Conseil constitutionnel / 27-12-1973 / 73-51 DC / Loi de finances pour 1974 et notamment son article 62 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – Objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Preuve (possibilité d’apporter une preuve contraire à une décision de taxation d’office)

(…)

1. – Considérant que les dispositions de l’article 62 de la loi de finances pour 1974 tendent à ajouter à l’article 180 du code général des impôts des dispositions qui ont pour objet de permettre au contribuable, taxé d’office à l’impôt sur le revenu dans les conditions prévues audit article, d’obtenir la décharge de la cotisation qui lui est assignée à ce titre s’il établit, sous le contrôle du juge de l’impôt, que les circonstances ne peuvent laisser présumer l’existence de ressources illégales ou occultes ou de comportement tendant à éluder le paiement normal de l’impôt;

2. – Considérant, toutefois, que la dernière disposition de l’alinéa ajouté à l’article 180 du code général des impôts par l’article 62 de la loi de finances pour 1974, tend à instituer une discrimination entre les citoyens au regard de la possibilité d’apporter une preuve contraire à une décision de taxation d’office de l’administration les concernant; qu’ainsi ladite disposition porte atteinte au principe de l’égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution;

3. – Considérant, dès lors, qu’il y a lieu de déclarer non conforme à la Constitution la dernière disposition de l’alinéa ajouté à l’article 180 du code général des impôts par l’article 62 de la loi de finances pour 1974;

4. – Considérant que cette disposition, qui se présente comme une exception à une faculté ouverte par le législateur d’écarter, au moyen d’une preuve contraire, l’application d’une taxation d’office, constitue donc un élément inséparable des autres dispositions contenues dans l’article 62 de la loi de finances; que, dès lors, c’est l’ensemble dudit article qui doit être regardé comme contraire à la Constitution;

5. – Considérant, au surplus, que l’article 62 de la loi de finances a été introduit dans ce texte sous forme d’article additionnel en méconnaissance évidente des prescriptions de l’article 42, premier alinéa, de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, aux termes duquel: Aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être présenté, sauf s’il tend à supprimer ou à réduire une dépense, à créer ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des dépenses publiques;

6. – Considérant qu’en l’état il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen par le Président du Sénat;

Décide:

Article 1er . – Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l’article 62 de la loi de finances pour 1974.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

FRA / 1982 / A02
France / Conseil constitutionnel / 16-01-1982 / Décision n° 81-132 DC / Loi de nationalisation / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – Objet du contrôle – Lois et autres normes à valeur législative
3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.2.4 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales
5.2.32.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété – nationalisation

Banques – Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

(…)

II. – Au fond.

Sur le principe des nationalisations:

Considérant que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame: Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression; que l’article 17 de la même Déclaration proclame également: La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité;

Considérant que le peuple français, par le référendum du 5 mai 1946, a rejeté un projet de Constitution qui faisait précéder les dispositions relatives aux institutions de la République d’une nouvelle Déclaration des droits de l’homme comportant notamment l’énoncé de principes différant de ceux proclamés en 1789 par les articles 2 et 17 précités.

Considérant qu’au contraire, par les référendums du 13 octobre 1946 et du 28 septembre 1958, le peuple français a approuvé des textes conférant valeur constitutionnelle aux principes et aux droits proclamés en 1789; qu’en effet, le préambule de la Constitution de 1946 réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et tend seulement à compléter ceux-ci par la formulation des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps; que, aux termes du préambule de la Constitution de 1958, le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946.

Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu’à nos jours, les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d’application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l’intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique; que la liberté qui, aux termes de l’article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre;

Considérant que l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 dispose: Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité; que cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet de rendre inapplicables aux opérations de nationalisation les principes sus rappelés de la Déclaration de 1789;

Considérant que, si l’article 34 de la Constitution place dans le domaine de la loi les nationalisations d’entreprises et les transferts d’entreprises du secteur public au secteur privé, cette disposition, tout comme celle qui confie à la loi la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété, ne saurait dispenser le législateur, dans l’exercice de sa compétence, du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’Etat.

Considérant qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel que le législateur a entendu fonder les nationalisations opérées par ladite loi sur le fait que ces nationalisations seraient nécessaires pour donner aux pouvoirs publics les moyens de faire face à la crise économique, de promouvoir la croissance et de combattre le chômage et procéderaient donc de la nécessité publique au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789;

Considérant que l’appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l’absence d’erreur manifeste, être récusée par celui-ci dès lors qu’il n’est pas établi que les transferts de biens et d’entreprises présentement opérés restreindraient le champ de la propriété privée et de la liberté d’entreprendre au point de méconnaître les dispositions précitées de la Déclaration de 1789;

Sur la désignation des sociétés faisant l’objet des nationalisations et sur le respect du principe d’égalité:

Considérant que les dispositions des articles 1er et 27 de la loi qui désignent respectivement les cinq sociétés industrielles et les deux compagnies financières faisant l’objet de mesures de nationalisation ont été prises sur le fondement et dans la limite des pouvoirs qui, comme il vient d’être dit, appartiennent au législateur; que les caractères spécifiques attachés à chacune de ces sociétés font obstacle à ce que le principe d’égalité puisse être utilement invoqué par comparaison avec la situation d’autres sociétés non visées par la loi de nationalisation; qu’ainsi les articles 1er et 27 de la loi ne sont pas contraires à la Constitution;

Considérant que, s’agissant de la nationalisation de banques, l’article 13 de la loi énonce en premier lieu dans son paragraphe I la règle générale selon laquelle sont désignées les sociétés tombant sous le coup de la nationalisation ainsi que les dérogations apportées à cette règle générale, puis, dans son paragraphe II, établit la liste des sociétés nationalisées;

Considérant qu’il est fait tout d’abord grief au législateur d’avoir, dans le paragraphe I de l’article 13, retenu comme critère général des nationalisations de banques la détention à la date du 2 janvier 1981 par les banques inscrites sur la liste du Conseil national du crédit d’un milliard de francs ou plus sous forme de dépôts à vue ou de placements liquides ou à court terme en francs ou devises au nom de résidents selon les définitions adoptées par le Conseil national du crédit; qu’il est reproché à cette disposition de recourir à un critère non significatif et arbitraire;

Considérant qu’il appartenait au législateur, en fonction de la nécessité publique constatée par lui, d’exclure de la nationalisation les banques les moins importantes; que le critère retenu pour déterminer le seuil au-dessous duquel les banques échappent à la nationalisation n’est pas sans rapport avec son objet;

Considérant que, d’autre part, l’article 13-I de la loi exclut de la nationalisation les banques ayant le statut de sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie fixé par l’ordonnance n° 67-837 du 28 septembre 1967 ou le statut de maison de réescompte fixé par le décret n° 60-439 du 12 février 1960; les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif; les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des personnes physiques ne résidant pas en France ou à des personnes morales n’ayant pas leur siège social en France;

Considérant que, sur le principe même des dérogations ainsi apportées au critère général de la détermination des banques nationalisables, il est allégué que de telles dérogations, qui laissent hors du champ d’application de la loi des sociétés de banque non moins importantes que celles qu’il inclut, seraient la preuve que les nationalisations de banques n’étaient pas nécessaires à la réalisation des buts que le législateur a entendu poursuivre;

Considérant que cette allégation ne saurait être retenue; qu’en effet, le législateur avait le pouvoir d’apprécier quelle devait être l’étendue des nationalisations de banques pour la réalisation des objectifs qu’il assignait à ces nationalisations;

Considérant qu’il est, également, fait grief aux dérogations faisant l’objet des dispositions précitées de méconnaître le principe d’égalité; Considérant que le principe d’égalité n’est pas moins applicable entre les personnes morales qu’entre les personnes physiques, car, les personnes morales étant des groupements de personnes physiques, la méconnaissance du principe d’égalité entre celles-là équivaudrait nécessairement à une méconnaissance de l’égalité entre celles-ci;

Considérant que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’une loi établisse des règles non identiques à l’égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes, mais qu’il ne peut en être ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence de situation et n’est pas incompatible avec la finalité de la loi;

Considérant que la dérogation visant les banques ayant le statut de sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie ou le statut de maison de réescompte n’est pas contraire au principe d’égalité, certains des éléments des statuts de ces établissements leur étant spécifiques;

Considérant que, si les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des personnes physiques ne résidant pas en France ou à des personnes morales n’ayant pas leur siège social en France ont le même statut juridique que les autres banques, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, les exclure de la nationalisation en prenant motif des risques de difficultés que la nationalisation de ces banques aurait pu entraîner sur le plan international et dont la réalisation aurait, à ses yeux, compromis l’intérêt général qui s’attache aux objectifs poursuivis par la loi de nationalisation;

Considérant au contraire que la dérogation portée au profit des banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif méconnaît le principe d’égalité; qu’en effet, elle ne se justifie ni par des caractères spécifiques de leur statut ni par la nature de leur activité ni par des difficultés éventuelles dans l’application de la loi propres à contrarier les buts d’intérêt général que le législateur a entendu poursuivre;

Considérant, dès lors, qu’il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l’article 13-1 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ainsi conçues: Les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif.

(…)

Sur l’indemnisation.

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la privation du droit de propriété pour cause de nécessité publique requiert une juste et préalable indemnité;

Considérant que, par l’effet des articles 2, 14 et 28 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, la nationalisation des diverses sociétés visées par ladite loi s’opère par le transfert à l’Etat en toute propriété des actions représentant leur capital à la date de jouissance des obligations remises en échange; que les articles 5, 17 et 31 de la loi déterminent la nature et le régime des obligations qui doivent être remises aux anciens actionnaires en vue d’assurer leur indemnisation; que les articles 6, 18 et 32 de la loi fixent les règles selon lesquelles est déterminée la valeur d’échange des actions des diverses sociétés;

Considérant qu’il convient d’examiner si ces dispositions répondent à la double exigence du caractère juste et du caractère préalable de l’indemnisation;

En ce qui concerne le caractère juste de l’indemnisation:

Considérant que les actionnaires des sociétés visées par la loi de nationalisation ont droit à la compensation du préjudice subi par eux, évalué au jour du transfert de propriété, abstraction faite de l’influence que la perspective de la nationalisation a pu exercer sur la valeur de leurs titres;

Considérant que les dispositions relatives à la valeur d’échange des actions inscrites à la cote officielle des agents de change, telles qu’elles résultent des article 6, 18-1 et 32 de la loi sont différentes de celles relatives à la valeur d’échange des actions des sociétés de banque non inscrites à la même cote à la date du 1er janvier 1978, qui résultent de l’article 18-2 de la loi; qu’il convient donc d’examiner distinctement chacune de ces deux séries de dispositions;

Quant à la valeur d’échange des actions inscrites à la cote officielle des agents de change;

Considérant que la détermination de la valeur des actions inscrites à la cote officielle des agents de change au jour de la dépossession ne pouvait se faire de façon directe, notamment du fait que leur cotation en bourse avait été nécessairement affectée et ceci depuis un temps assez long par la perspective même des nationalisations; qu’il appartenait donc au législateur de déterminer des règles de calcul de la valeur d’échange propres à conduire, avec une approximation inévitable mais limitée, à des résultats comparables; qu’il pouvait légitimement tenir compte des nécessités de simplicité et de rapidité du jeu des règles d’indemnisation, notamment en ce qui regarde le caractère préalable de l’indemnisation qui aurait été compromis si, pour l’essentiel de la valeur d’échange, la remise des obligations n’avait pu s’opérer au jour envisagé pour le transfert de propriété;

Considérant cependant que, quelle que fût leur force, ces nécessités pratiques ne pouvaient prévaloir sur l’exigence de la juste indemnité due à chacun des anciens propriétaires d’actions; Considérant que, sans doute, il était loisible au législateur de se référer, pour l’évaluation des actions, à une moyenne des cours de bourse pendant une certaine période, mais en assortissant cette méthode forfaitaire des aménagements propres à redresser les inégalités et les insuffisances substantielles qui pouvaient en découler;

Considérant que la moyenne des cours de bourse entre le 1er janvier 1978 et le 31 décembre 1980 est composée de cotations exprimées en francs courants; que si la dépréciation monétaire est vraisemblablement entrée en compte à la date où a eu lieu chaque cotation, il n’eût pas moins été nécessaire pour une application correcte de ce système que l’utilisation de cotations remontant loin dans le passé en vue d’exprimer la valeur des actions au 1er janvier 1982 fût affectée d’une correction adéquate, qui n’est pas prévue par la loi dans les dispositions présentement examinées;

Considérant, d’autre part, que l’utilisation uniforme d’une moyenne des cours de bourse sur une période aussi longue sans tenir compte de ce que le sens de l’évolution des cours a été différent et, en certains cas, opposé pour les diverses sociétés nationalisées, aboutit à des distorsions considérables en ce qui regarde ce qu’aurait pu être la valeur réelle des actions au moment de la dépossession;

Considérant, il est vrai, que, selon les dispositions susvisées, la référence à la moyenne des cours de bourse des années 1978, 1979 et 1980 n’entre que pour 50 p. 100 dans le calcul de la valeur d’échange des actions et se trouve complétée pour 25 p. 100 par la référence à la situation comptable nette et pour 25 p. 100 par la référence au produit par 10 du bénéfice net moyen;

Considérant que l’appel à d’autres critères que celui de la moyenne des cours de bourse aurait dû précisément, selon l’intention du législateur, corriger les imperfections de la référence à la moyenne des cours de bourse, affectée des modalités ci-dessus relevées qui en altéraient la pertinence;

Mais considérant que cette fin est inégalement atteinte par les dispositions présentement examinées; qu’en particulier, la référence à la situation nette comptable sans prise en compte des actifs des filiales ainsi que la référence au bénéfice net moyen sans prise en compte des bénéfices des filiales conduisent pour les sociétés en cause à des résultats très différents déterminés non par la différence de données économiques et financières objectives mais par la diversité des techniques de gestion et des méthodes de présentation comptable suivies par les sociétés qui, en elle-même, ne devrait pas avoir d’influence sur l’évaluation des indemnités;

Considérant, en outre, que les dispositions des articles présentement examinés ont pour effet nécessaire de priver les anciens actionnaires des dividendes qu’ils auraient perçus au titre de l’exercice 1981 et avec lesquels les intérêts que les obligations remises en échange produiront en 1982 ne font nullement double emploi;

Considérant au total qu’en ce qui concerne les actions des sociétés cotées en bourse, la méthode de calcul de leur valeur d’échange conduit à des inégalités de traitement dont l’ampleur ne saurait être justifiée par les seules considérations pratiques de rapidité et de simplicité; que ces inégalités de traitement se doublent, dans nombre de cas, d’une sous-estimation substantielle de ladite valeur d’échange; qu’enfin, le refus de reconnaître aux anciens actionnaires le bénéfice des dividendes attachés à l’exercice 1981 ou de leur accorder, sous une forme appropriée, un avantage équivalent, ampute sans justification les indemnités auxquelles ont droit les anciens actionnaires.

Quant à la valeur d’échange des actions des sociétés de banque non cotées en bourse:

Considérant que l’article 18-2 de la loi détermine la valeur d’échange des actions des sociétés de banque autres que celles dont les actions étaient inscrites le 1er janvier 1978 à la cote officielle des agents de change; que cette valeur d’échange est déterminée par référence, pour parts égales, à la situation nette comptable au 31 décembre 1980 et au produit par 10 du bénéfice net moyen des exercices 1978, 1979, 1980, définis l’une et l’autre dans des termes identiques à ceux retenus par l’article 18-1 pour la détermination de la valeur d’échange des actions cotées en bourse;

Considérant que ces dispositions appellent une appréciation analogue à celle formulée plus haut concernant le recours, pour apprécier la valeur d’échange des actions cotées en bourse, à la situation nette comptable et au produit par 10 du bénéfice net moyen; que cette appréciation est aggravée par le fait que le cours en bourse ne pouvant être pris en compte, les inégalités de traitement et les insuffisances d’évaluation pouvant résulter de ce mode de calcul produisent un plein effet; qu’en outre, les observations relatives aux dividendes attachés à l’exercice 1981 s’appliquent également au cas présentement examiné. Quant à l’ensemble des dispositions relatives à la valeur d’échange des actions:

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les articles 6, 18 et 32 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne sont pas, en ce qui concerne le caractère juste de l’indemnité, conformes aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen;

En ce qui concerne le caractère préalable de l’indemnisation:

Considérant au contraire que, sous réserve de ce qui vient d’être dit concernant l’exigence, à laquelle il n’est pas satisfait, du caractère juste de l’indemnisation, les modalités de règlement prévues pour celle-ci doivent être regardées comme en assurant suffisamment le caractère préalable;

Considérant, en effet, que, si le règlement de l’indemnisation ne s’opère pas par la remise de numéraire, les actionnaires dépossédés doivent, selon les dispositions des articles 5, 17 et 31 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, recevoir, à la date de dépossession, en échange de leurs actions, des obligations portant jouissance à cette date et produisant un intérêt semestriel payable à terme échu; que ces obligations sont inscrites à la cote officielle et donc immédiatement négociables;

Considérant que l’intérêt attaché à ces obligations est égal au taux de rendement des emprunts d’Etat dont le capital ou les intérêts ne sont pas indexés, émis à taux fixe et d’échéance finale supérieure à sept ans, constaté sur le marché secondaire de Paris par la caisse des dépôts et consignations durant les vingtcinq premières semaines du semestre précédant sa fixation; que ces dispositions tendent, d’une part, à permettre une négociation normale de ces titres sur le marché des obligations, d’autre part, à pallier les risques de dépréciation monétaire;

Considérant, enfin, que le remboursement de ces obligations au pair se fera par voie de tirage au sort en quinze tranches annuelles sensiblement égales, ce qui fait apparaître une échéance moyenne de remboursement à sept ans et demi, durée qui n’est ni anormale ni excessive;

Considérant ainsi qu’en eux-mêmes, les articles 5, 17 et 31 de la loi qui prévoient un mode d’indemnisation suffisamment équivalent à un paiement en numéraire, ne sont pas contraires à la Constitution.

(…)

En ce qui concerne la situation des actionnaires minoritaires des filiales des sociétés nationalisées:

Considérant que, par l’effet de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, certaines sociétés non directement visées par cette loi, dans lesquelles l’une des sociétés nationalisées était majoritaire, passent sous le contrôle majoritaire de l’Etat qui devient seul actionnaire de la société mère; qu’il est allégué par les sénateurs auteurs de la saisine que, de ce fait, les actionnaires minoritaires au sein des filiales considérées subiront un important préjudice en raison de la baisse de valeur de leurs actions et de la probabilité d’une restriction ou d’une suppression dans l’avenir de la distribution de dividendes; qu’ainsi l’absence de dispositions prévoyant l’indemnisation de ces actionnaires minoritaires serait contraire au principe d’égalité;

Considérant que, dans le cas visé par les auteurs de la saisine, la situation juridique des actionnaires ne se trouverait pas modifiée en ce qui concerne leurs droits au regard du ou des actionnaires majoritaires; que, d’ailleurs, le préjudice allégué est purement éventuel; qu’ainsi le fait que la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne prévoit aucune indemnisation au profit desdits actionnaires n’est en rien contraire au principe d’égalité;

Sur l’ensemble de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel: Considérant que, pour les motifs ci-dessus énoncés, ne sont pas conformes à la Constitution:

  • Les articles 4, 16 et 30 relatifs à certains pouvoirs des administrateurs généraux et des conseils d’administration;
  • Le membre de phrase de l’article 13-I ainsi conçu: Les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif;
  • Les articles 6, 18 et 32 relatifs à la détermination de la valeur d’échange des actions.

Considérant que les autres articles de la loi ne sont pas contraires à la Constitution;

Considérant, toutefois, que les dispositions des articles 6, 18 et 32 sont inséparables de l’ensemble de la loi.

Décide:

Article 1er . – Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions des articles 4, 6, 16, 18, 30 et 32 de la loi de nationalisation, ainsi que celles énoncées, à l’article 13-I, par les mots: Les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif.

Article 2. – Les dispositions des articles 6, 18 et 32 de la loi de nationalisation ne sont pas séparables de l’ensemble de cette loi.

Article 3. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

FRA / 1982 / A03
France/Conseil constitutionnel/18-11-1982/Décision n°82-146 DC/Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.4.2.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – sexe
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote
5.2.34.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – éligibilité

Listes électorales – Loi (égalité devant la loi)

(…)

Sur la conformité de la loi à la Constitution:

En ce qui concerne les dispositions de l’article L. 262 du code électoral, tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi:

2. – Considérant que pour les communes de 3500 habitants et plus les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste à deux tours; qu’aux termes de l’article L. 262 du code électoral, tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi soumise à l’examen du Conseil: Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l’entier supérieur lorsqu’il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l’entier inférieur lorsqu’il y a moins de quatre sièges à pourvoir… Si aucune liste n’a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l’entier supérieur, lorsqu’il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l’entier inférieur lorsqu’il y a moins de quatre sièges à pourvoir;

3. – Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, le fait que le nombre des sièges attribués à la liste venant en tête soit égal à la moitié des sièges à pourvoir, arrondi, lorsqu’il s’agit d’un nombre impair, au chiffre inférieur quand il y a moins de quatre sièges à pourvoir et au chiffre supérieur quand il y en a plus, serait contraire au principe d’égalité, aucune différence de situation ne justifiant l’application de ces règles différentes;

4. – Considérant qu’il appartient au législateur de poser la règle d’attribution du siège restant après division par deux du nombre total des sièges à pourvoir dont une moitié est attribuée à la liste parvenue en tête et l’autre répartie à la proportionnelle lorsque ce nombre total est impair; qu’aucun principe de valeur constitutionnelle n’impose que la règle appliquée soit identique quelque soit le nombre total des sièges à pourvoir mais que le principe d’égalité exige seulement que la même règle soit appliquée à chaque fois que le nombre de sièges à répartir est le même; que la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel répond à cette exigence et, dès lors, ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi;

En ce qui concerne les dispositions de l’article L. 260bis du code électoral, tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi:

5. – Considérant qu’en vertu de l’article 4 de la loi soumise à l’examen du Conseil, les conseillers municipaux des villes de 3500 habitants et plus sont élus au scrutin de liste; que les électeurs ne peuvent modifier ni le contenu ni l’ordre de présentation des listes et qu’en vertu de l’article L. 260bis: Les listes de candidats ne peuvent comporter plus de 75 p. 100 de personnes du même sexe;

6. – Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la Constitution: La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. Et qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen: Tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents;

7. – Considérant que du rapprochement de ces textes il résulte que la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance de l’élu; que ces principes de valeur constitutionnelle s’opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles; qu’il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l’élection des conseillers municipaux;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la règle qui, pour l’établissement des listes soumises aux électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur sexe, est contraire aux principes constitutionnels cidessus rappelés; qu’ainsi, l’article L. 260bis du code électoral tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel doit être déclaré contraire à la Constitution;

9. Considérant que doivent être déclarées contraires à la Constitution, par voie de conséquence, les dispositions qui, aux articles L. 265 et L. 268 du code électoral, font application de la règle posée à l’article L. 260bis;

En ce qui concerne les autres dispositions de la loi:

10. Considérant qu’en l’espèce il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office aucune autre question de conformité à la Constitution de la loi soumise à son examen.

Décide:

Article 1er . – La demande de M. Alain Tourret est irrecevable.

Article 2. – Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions de l’article 4 de la loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, qui introduisent dans le code électoral un article L. 260bis.

Est également déclarée contraire à la Constitution l’adjonction du mot sexe à l’article L. 265 ainsi que des mots et L. 260bis aux articles L. 265 et L. 268 du code électoral.

Article 3. – Les autres dispositions de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel sont déclarées conformes à la Constitution.

Article 4. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

FRA / 1988 / A04
France / Conseil constitutionnel / 7-01-1988 / Décision n° 87-232 DC / Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.32.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété – autres limitations

Actionnaires – Banques – Mutualisation – Sociétaires (égalité entre les sociétaires)

(…)

Le Conseil constitutionnel, rapporteur ayant été entendu;

1. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines soutiennent en premier lieu que l’ensemble de la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole est contraire à la Constitution en raison même de son objet, en second lieu que les dispositions particulières des articles 2, 3, 6, 8, 15 et 17 de la loi sont également contraires à la Constitution;

2. – Considérant que les sénateurs auteurs de l’autre saisine demandent que les dispositions de l’article 15 de la loi qu’ils défèrent au Conseil constitutionnel soient déclarées contraires à la Constitution. Sur l’ensemble de la loi et sur le principe de la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole

3. – Considérant que, selon son intitulé, la loi présentement examinée a pour objet la «mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole»; que, pour l’essentiel, le législateur a entendu la mutualisation de la manière suivante: une société anonyme, régie par la loi du 24 juillet 1966, est substituée à l’établissement public dénommé Caisse nationale de Crédit agricole; cette société, qui garde le nom de l’ancien établissement, recueille l’ensemble de son patrimoine et demeure chargée des mêmes missions; l’Etat, détenteur des actions de la société, est autorisé à céder celles-ci à des catégories limitativement énumérées de personnes morales ou physiques, au premier rang desquelles les caisses régionales de crédit agricole mutuel, dont l’ensemble se voit d’ailleurs réserver près des neuf dixièmes du capital social; qu’ainsi la mutualisation, telle que l’a conçue le législateur, résulte non de la soustraction de la Caisse nationale au droit commun des sociétés anonymes, sinon sur certains points particuliers, mais du fait que la possibilité d’en devenir actionnaire est réservée aux caisses régionales de Crédit agricole mutuel et accessoirement à des personnes physiques ayant des liens avec le Crédit agricole mutuel;

4. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines font valoir à l’encontre de cette opération de mutualisation et donc de l’ensemble de la loi, d’une part qu’un tel objet ne saurait être réalisé par voie d’autorité, d’autre part qu’en limitant à certaines catégories de personnes le droit d’acquérir des actions de la société substituée à l’ancien établissement public, la loi a méconnu le principe constitutionnel d’égalité;

(…)

7. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines soutiennent que «la loi rompt gravement l’égalité entre les citoyens dès lors qu’elle réserve à quelques uns d’entre eux seulement la possibilité d’acquérir le capital de la Caisse nationale de Crédit agricole»; qu’en effet, aussi longtemps que la caisse est demeurée dans le secteur public, c’est l’universalité des citoyens qui en a tiré bénéfice et que, dès lors, en cas de transfert au secteur privé, c’est l’universalité des citoyens qui doit avoir accès à son rachat; que, toujours selon les auteurs de la saisine, l’article 34 de la Constitution, par ses termes mêmes, exclut la privatisation au profit de certaines catégories de personnes et la création «d’une catégorie particulière et fermée de ce qu’on pourrait appeler les acquéreurs des biens nationaux»; qu’enfin, on ne saurait justifier les dispositions de la loi ainsi critiquées par la différence de situation qui existerait entre les caisses régionales de crédit agricole et les autres acquéreurs potentiels d’actions de la Caisse nationale car, ni en droit ni en fait, les caisses régionales de crédit agricole ne se distinguent de bien d’autres établissements bancaires;

8. – Considérant que, dès lors, selon les auteurs de cette saisine, si la loi a pu légitimement réserver une petite partie des actions de la Caisse nationale à certains salariés, elle est en revanche contraire à la Constitution en ce qu’elle dénie le droit d’acquérir des actions de la nouvelle société à toutes personnes autres que celles qu’elle énumère;

9. – Considérant que, si l’article 34 de la Constitution attribue compétence au législateur pour fixer les règles concernant «les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé», il ne lui impose, par lui-même, aucune modalité particulière pour la réalisation de ce transfert; que, cependant, dans l’exercice de sa compétence, le législateur ne saurait méconnaître aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle et notamment le principe d’égalité;

10. – Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit;

11. – Considérant que, né à la fin du siècle précédent, le Crédit agricole mutuel, sous la double impulsion des sociétaires et des pouvoirs publics, a abouti à la constitution d’un réseau bancaire composé des caisses locales, des caisses régionales et de la Caisse nationale de Crédit agricole; que, d’ailleurs, l’existence d’un tel réseau est reconnue par diverses dispositions législatives du titre I er du livre V du code rural et par les articles 20 et 21 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative aux établissements de crédit; que, si l’implantation de cet ensemble et sa clientèle sont loin d’être exclusivement rurales et si de nombreuses opérations des caisses ne diffèrent pas des opérations bancaires courantes, il n’est pas moins vrai que l’essentiel de ses activités est orienté au profit du monde agricole; que nombre des services bancaires qu’il peut rendre sont réservés non seulement aux sociétaires des caisses mais, parmi ceux-ci, à ceux d’entre eux qui exercent une profession agricole ou une profession se rattachant à l’agriculture;

12. – Considérant que la Caisse nationale de Crédit agricole, en sa qualité d’organe central du Crédit agricole mutuel, est investie d’un large pouvoir de contrôle et de surveillance sur le fonctionnement des caisses régionales; qu’elle centralise les excédents monétaires des caisses régionales, bénéficiant ainsi d’une partie de l’épargne collectée par elles; qu’en contrepartie elle mobilise certaines créances à court terme des caisses régionales et consent à celles-ci des avances pour financer des prêts à moyen et long terme; qu’il existe ainsi entre la Caisse nationale et les caisses régionales des flux de capitaux dans les deux sens et donc d’étroites relations financières;

13. – Considérant que, comme il sera dit plus loin à propos de l’article 8 de la loi, le législateur était habilité à transférer du secteur public au secteur privé l’organe central du réseau de crédit agricole mutuel; que, pour déterminer les catégories de personnes susceptibles d’acquérir les actions de la société anonyme substituée à l’ancien établissement public, il pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, se fonder sur la différence de situation existant, au regard de l’objet de la nouvelle loi, entre les caisses régionales de crédit agricole, étroitement liées à la Caisse nationale du point de vue juridique, financier et économique et les autres personnes physiques ou morales extérieures au Crédit agricole qui auraient pu envisager de devenir actionnaires; qu’au surplus, le législateur a pu tenir compte de l’intérêt général qui, selon son appréciation, postule le maintien d’un réseau bancaire homogène appelé, par sa structure, à préserver la vocation spécifique du Crédit agricole au service du monde agricole et rural; qu’ainsi la loi a pu réserver aux caisses régionales de Crédit agricole le droit d’acquérir près des neuf dixièmes des actions de la Caisse nationale;

14. – Considérant dès lors que, sous réserve de l’examen des dispositions particulières de la loi, celle-ci ne saurait, de prime abord et dans son ensemble, être regardée comme non conforme à la Constitution;

(…)

19. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines font valoir que les dispositions de l’article 6 de la loi portent atteinte à l’égalité qui doit exister entre les caisses régionales dans l’exercice de leur droit d’acquérir des actions de la Caisse nationale; qu’en effet ledit article 6 opère la répartition des offres d’actions réservées aux caisses régionales «au prorata du total du bilan de chacune d’elles arrêté à la fin de l’exercice 1986»;

20. – Considérant que, selon les députés auteurs de cette saisine, la référence ainsi faite au bilan de l’exercice 1986 ne tiendrait compte ni des différences de techniques de gestion et de méthodes de présentation comptable pouvant exister entre les caisses, ni de la nécessité, pour prendre une vue exacte de l’importance de chaque caisse, de disposer d’éléments couvrant une durée supérieure à l’année; que le caractère défectueux de cette référence pourrait donc conduire à des inégalités dans la détermination du nombre d’actions réservées à chaque caisse régionale;

21. – Considérant que, si dans le calcul du nombre d’actions offertes à chaque caisse, le législateur était tenu de ne pas procéder arbitrairement, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne lui imposait de recourir aux techniques d’analyse financière rigoureuses prévues pour déterminer la valeur d’entreprises en cas de cession totale ou partielle; que, eu égard à l’objet du calcul à opérer et à la similitude des pratiques comptables des caisses régionales, la référence au total du bilan 1986 ne méconnaît pas l’égalité entre les caisses;

22. – Considérant ainsi que l’article 6 n’est pas contraire à la Constitution;

(…)

34. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines font valoir que ces dispositions sont contraires à la Constitution en tant qu’elles garantissent une représentation majoritaire aux sociétaires membres des groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617 du code rural, alors même que les autres sociétaires seraient plus nombreux ou que leur participation financière serait plus importante; que, sans doute, la spécificité du Crédit agricole aurait pu justifier certains aménagements favorisant la représentation des agriculteurs, mais que la disposition critiquée excède manifestement l’importance de la dérogation à l’égalité qui aurait pu être admise;

35. – Considérant que les députés auteurs de cette saisine soutiennent en outre que l’article 15 n’est pas séparable du reste de la loi et que, par suite, la déclaration de non conformité à la Constitution dont il doit faire l’objet doit s’étendre à l’ensemble de la loi; qu’en effet, la loi n’aurait pas été votée par le Parlement si l’article 15 en avait été absent;

36. – Considérant que les sénateurs auteurs de l’autre saisine font pareillement valoir que l’article 15 est contraire au principe d’égalité en ce que ses dispositions privilégient dans l’administration des caisses régionales certaines catégories de sociétaires au détriment des autres; que, de plus, le texte critiqué est imprécis puisqu’il fixe un seuil minimum de représentation des catégories privilégiées ouvrant ainsi la possibilité d’accroître encore le taux de représentation qui leur est garanti, sans que d’ailleurs soit précisé quelles autorités pourraient fixer ce taux et selon quelles modalités;

37. – Considérant que, en vertu de l’article 616 du code rural, peuvent être sociétaires des caisses régionales de crédit agricole les membres des groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617, les collectivités mentionnées dans l’ensemble de cet article (de son 1° à son 17°) ainsi que les artisans ruraux n’employant pas plus de deux ouvriers de façon permanente; que ce recrutement a été élargi par le décret n° 71-671 du 11 août 1971 modifié par le décret n° 76804 du 20 août 1976 à certaines catégories de personnes physiques ou morales qui, sans avoir d’activités spécifiquement agricoles, ont des liens avec ces activités ou avec le milieu rural;

38. – Considérant qu’il suit de là que les sociétaires appartenant aux groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617 du code rural ne constituent pas nécessairement la majorité des sociétaires d’une caisse régionale de crédit agricole; qu’au contraire il peut se faire que cette majorité soit constituée par les autres sociétaires, c’est-à-dire par les collectivités énumérées aux 8° à 17° de l’article 617 et par les personnes physiques ou morales visées par le décret du 11 août 1971 modifié;

39. – Considérant que les dispositions de l’article 15 de la loi ont pour objet non d’accorder aux membres des groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617 du code rural des droits de vote supérieurs à ceux des autres sociétaires, mais de leur garantir la majorité au sein du conseil d’administration même s’ils ne constituent pas la majorité des membres de la caisse;

40. – Considérant que, pour déroger ainsi à l’égalité entre les sociétaires, le législateur s’est fondé d’une part sur le fait que certains des services que les caisses mettent à la disposition de leurs sociétaires sont réservés aux seuls agriculteurs qui se trouvent ainsi dans une situation différente de celle des autres sociétaires quant à l’intérêt personnel qu’ils ont à la gestion des caisses, d’autre part sur l’intérêt général qui s’attache à ce que les caisses régionales, en dépit de leurs activités débordant le monde strictement agricole, demeurent fidèles à l’orientation générale qui est celle du Crédit agricole;

41. – Considérant que, en elle-même, la prise en compte de telles considérations n’est pas contraire au principe constitutionnel d’égalité; qu’elle aurait pu justifier un aménagement approprié des droits de vote au sein des caisses régionales de nature à tempérer la stricte rigueur du principe majoritaire, à ne pas compromettre les avantages réservés aux agriculteurs dans le système de crédit agricole mutuel et à conserver à celui-ci sa vocation essentielle;

42. – Considérant cependant que ces données ne sauraient justifier que la représentation des sociétaires autres que les membres des groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617 du code rural soit en tout état de cause minoritaire quelle que soit la proportion de ces sociétaires; que, par le caractère général et absolu de ses dispositions, l’article 15 de la loi, en l’état, apporte au principe d’égalité une atteinte qui dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour faire droit à la situation particulière de certaines catégories de sociétaires, au maintien d’avantages spécifiques au profit des activités agricoles et à la préservation de la vocation du Crédit agricole; que, dès lors, l’article 15 doit être déclaré contraire à la Constitution;

43. – Considérant qu’il ne résulte ni du texte dont il s’agit, tel qu’il a été rédigé et adopté, ni des débats auxquels la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les dispositions de l’article 15 soient inséparables de l’ensemble du texte de la loi soumise au Conseil;

(…)

Décide:

Article 1er . – L’article 15 de la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole est déclaré contraire à la Constitution.

Article 2. – Les autres dispositions de la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 3. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1990 / A05
France / Conseil constitutionnel / 22-01-1990 / Décision n° 89-269 DC / Loi portant diverses dispositions relatives à la Sécurité sociale et à la santé / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur constitutionnelle
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application –sécurité sociale

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

1. –Considérant que la conformité à la Constitution de la loi portant diverses dispositions relatives à la Sécurité sociale et à la santé est contestée en raison des conditions de son adoption par l’Assemblée nationale, qui seraient contraires à l’article 49 de la Constitution, de l’insertion par voie d’amendement de certains de ses articles et du contenu de l’article 17;

(…)

Sur l’article 17 relatif aux rapports entre les médecins et les organismes de Sécurité sociale

15.–Considérant que l’article 17 de la loi comporte deux paragraphes; que le § I, qui modifie le premier alinéa de l’article L. 162-5 du code de la Sécurité sociale, dispose que: «Les rapports entre les caisses d’assurance maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales conclues séparément pour les médecins généralistes et les médecins spécialistes, par la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives pour l’ensemble du territoire de médecins généralistes ou de médecins spécialistes ou par une convention nationale conclue par la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et au moins une organisation syndicale représentative pour l’ensemble du territoire de médecins généralistes et une organisation syndicale représentative pour l’ensemble du territoire de médecins spécialistes»; que le § II de l’article 17 apporte au deuxième alinéa de l’article L. 162-5 du code de la Sécurité sociale ainsi qu’aux articles L. 162-6, L. 162-7 et L. 162-8 de ce code des modifications destinées à substituer au concept de convention unique la notion de pluralité de conventions;

16.–Considérant que les députés auteurs de la première saisine estiment que la possibilité d’organiser par des conventions distinctes les rapports entre les caisses primaires d’assurance maladie et les médecins spécialistes, d’une part, généralistes, d’autre part, implique que les modalités de remboursement des soins dispensés aux assurés sociaux soient différentes selon que le médecin auquel ils s’adressent relève de l’une ou l’autre convention; qu’il s’ensuit, d’après eux, que se trouvent par là même violés le principe d’égalité, le principe du libre choix du médecin, le principe de l’unité de la profession médicale ainsi que la liberté d’exercice de cette profession; qu’en tout état de cause, le législateur a méconnu l’étendue de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution ainsi que les dispositions de son article 21 relatives à l’exercice du pouvoir réglementaire national par le Premier ministre;

•En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe d’égalité tel qu’il est défini par le Préambule de la Constitution de 1946:

24.–Considérant que, dans leur mémoire ampliatif, les auteurs de la première saisine se réfèrent aux dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 en vertu desquelles la nation «garantit à tous… la protection de la santé»; qu’ils analysent cette disposition comme une affirmation spécifique du principe d’égalité qui commande que le remboursement aux assurés sociaux d’une partie des honoraires versés aux médecins soit effectué dans le même cadre juridique pour tous les assurés et tous les actes médicaux concernés; qu’ils soutiennent que la réalisation de cet objectif serait nécessairement affectée par la possibilité nouvelle de conventions distinctes;

25.–Considérant qu’en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, la nation «garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.»;

26.–Considérant qu’il incombe au législateur comme à l’autorité réglementaire, selon leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes posés par le onzième alinéa du Préambule, leurs modalités concrètes d’application; qu’il leur appartient en particulier de fixer des règles appropriées tendant à la réalisation de l’objectif défini par le Préambule; qu’à cet égard, le recours à une convention pour régir les rapports entre les caisses primaires d’assurance maladie et les médecins vise à diminuer la part des honoraires médicaux qui restera, en définitive, à la charge des assurés sociaux et, en conséquence, à permettre l’application effective du principe posé par les dispositions précitées du Préambule; que la possibilité d’organiser par des conventions distinctes les rapports entre les caisses primaires d’assurance maladie et respectivement les médecins généralistes et les médecins spécialistes a pour dessein de rendre plus aisée la conclusion de telles conventions; que, dans ces conditions, il ne saurait être fait grief à l’article 17 de la loi de méconnaître les dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946;

•En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe du libre choix du médecin par le malade:

27.–Considérant que, selon les députés auteurs de la première saisine, le principe du libre choix du médecin par le malade a valeur constitutionnelle, de même que son corollaire la liberté de prescription du médecin; qu’ils font valoir que la dualité des conventions affectera ces principes en ce qu’elle créera une discrimination financière qui dissuadera «les assurés de choisir l’une des catégories de médecins concernée par l’une ou l’autre convention» et influera sur la liberté de prescription des médecins généralistes;

28.–Considérant que l’article 17 de la loi ne méconnaît en rien les principes invoqués; qu’au surplus, demeure en vigueur l’article L. 162-2 du code de la Sécurité sociale qui se réfère à des principes déontologiques fondamentaux et notamment au libre choix du médecin par le malade et à la liberté de prescription du médecin;

29.–Considérant, dans ces conditions, et sans même qu’il soit besoin de déterminer si les principes en cause ont valeur constitutionnelle, que le moyen invoqué manque en fait;

(…)

Sur l’article 24 relatif à l’allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité

32.–Considérant que l’article 24 de la loi confère à l’article L. 815-5 du code de la Sécurité sociale une nouvelle rédaction aux termes de laquelle «l’allocation supplémentaire n’est due aux étrangers qu’en application des règlements communautaires ou de conventions internationales de réciprocité»;

33.–Considérant que le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques à la condition de respecter les engagements internationaux souscrits par la France et les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République;

34.–Considérant que l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité est accordée à des personnes âgées, notamment à celles devenues inaptes au travail, dans le cas où elles ne disposeraient pas d’un montant de ressources, quelle qu’en soit l’origine, leur assurant un minimum vital; que l’octroi de cette allocation est subordonné à un délai de résidence sur le territoire français;

35.–Considérant que l’exclusion des étrangers résidant régulièrement en France du bénéfice de l’allocation supplémentaire, dès lors qu’ils ne peuvent se prévaloir d’engagements internationaux ou de règlements pris sur leur fondement, méconnaît le principe constitutionnel d’égalité;

36.–Considérant qu’il suit de là que l’article 24 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution;

(…)

Décide:

Article 1er . – Sont déclarés contraires à la Constitution dans le texte de la loi portant diverses dispositions relatives à la Sécurité sociale et à la santé:

  • l’article 24;
  • à l’article 27, les mots «dont le Parlement sera saisi avant le 31 décembre 1990»;
  • à l’article 46, les mots «dans les territoires d’outre-mer et».

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1991 / A06
France / Conseil constitutionnel / 9-05-1991 / Décision n° 91-290 / Loi portant statut de la collectivité territoriale corse / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.20 Principes généraux – égalité
4.2.3 Institutions – organes législatifs – composition
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

Incompatibilités – Listes électorales – Loi (égalité devant la loi) – Peuple corse

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

7. – Considérant que les auteurs de la première saisine comme ceux de la troisième saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l’article 1er de la loi en ce qu’elles comportent la reconnaissance du «peuple corse»; que, selon les auteurs de la première saisine, l’inconstitutionnalité de l’article 1er entraîne, par voie de conséquence, celle de l’intégralité du texte de la loi dans la mesure où l’article 1er fonde la spécificité du statut de la collectivité territoriale de Corse; que les première et troisième saisines critiquent les dispositions de la loi qui dotent la collectivité territoriale de Corse d’une «organisation particulière» ainsi que le texte de l’article 85 relatif à la refonte de la liste électorale de chaque commune de Corse;

8. – Considérant que les auteurs de la première saisine font valoir, en outre, que sont contraires à la Constitution les modalités retenues par les articles 10 à 14 de la loi en vue d’assurer la représentation au Sénat de la collectivité territoriale de Corse; qu’il en va de même des dispositions qui définissent les attributions de cette collectivité car elles ont pour effet de priver les deux départements de Corse de compétences substantielles;

9. – Considérant que les auteurs de la troisième saisine contestent également les dispositions de l’article 7 en tant qu’elles édictent une incompatibilité spécifique aux élus de Corse ainsi que celles de l’article 53 en ce qu’elles prévoient l’insertion de l’enseignement de la langue et de la culture corses dans le temps scolaire des établissements situés dans la collectivité territoriale de Corse;

•En ce qui concerne l’article 1er :

10. – Considérant que l’article 1er de la loi est ainsi rédigé: «La République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l’insularité s’exercent dans le respect de l’unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut»;

11. – Considérant que cet article est critiqué en ce qu’il consacre juridiquement l’existence au sein du peuple français d’une composante «le peuple corse»; qu’il est soutenu par les auteurs de la première saisine que cette reconnaissance n’est conforme ni au préambule de la Constitution de 1958 qui postule l’unicité du «peuple français», ni à son article 2 qui consacre l’indivisibilité de la République, ni à son article 3 qui désigne le peuple comme seul détenteur de la souveraineté nationale; qu’au demeurant, l’article 53 de la Constitution se réfère aux «populations intéressées» d’un territoire et non pas au concept de peuple; que les sénateurs auteurs de la troisième saisine font valoir qu’il résulte des dispositions de la Déclaration des droits de 1789, de plusieurs alinéas du préambule de la Constitution de 1946, de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, du préambule de la Constitution de 1958 comme de ses articles 2, 3 et 91, que l’expression «le peuple», lorsqu’elle s’applique au peuple français, doit être considérée comme une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi;

12. – Considérant qu’aux termes du premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958 «le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946»; que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle il est ainsi fait référence émanait des représentants «du peuple français»; que le préambule de la Constitution de 1946, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1958, énonce que «le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés»; que la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d’outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination; que la référence faite au «peuple français» figure d’ailleurs depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels; qu’ainsi le concept juridique de «peuple français» a valeur constitutionnelle;

13. – Considérant que la France est, ainsi que le proclame l’article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine; que dès lors la mention faite par le législateur du «peuple corse, composante du peuple français» est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion;

14. – Considérant en conséquence que l’article 1er de la loi n’est pas conforme à la Constitution; que toutefois il ne ressort pas du texte de cet article, tel qu’il a été rédigé et adopté, que ses dispositions soient inséparables de l’ensemble du texte de la loi soumise au Conseil constitutionnel;

(…)

•En ce qui concerne l’édiction par l’article 7 de la loi d’une incompatibilité spécifique aux élus de Corse:

21. – Considérant que l’article 7 de la loi a notamment pour objet d’ajouter au code électoral un article L. 369bis; que cet article énonce dans son premier alinéa que «nul ne peut être conseiller à l’Assemblée de Corse et conseiller général»; qu’il définit, dans son second alinéa, les modalités d’application de l’incompatibilité ainsi édictée;

22. – Considérant que pour les auteurs de la troisième saisine une telle incompatibilité, qui est sans équivalent dans aucune autre collectivité territoriale de la République, est contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi électorale; qu’en effet, des élus investis d’un mandat de même nature, comme les conseillers régionaux et les conseillers à l’Assemblée de Corse, se trouvent soumis à un régime discriminatoire quant à la possibilité d’exercer le mandat de conseiller général;

23. – Considérant que l’article L. 46-1 ajouté au code électoral par la loi n° 851406 du 30 décembre 1985 limite la possibilité pour une même personne de cumuler plus de deux des mandats électoraux ou fonctions électives qu’il énumère; qu’au nombre des mandats pris en compte pour l’application de cette législation de portée générale figurent notamment le mandat de conseiller général et celui de conseiller régional; que l’article 8 de la loi présentement soumise à l’examen du Conseil constitutionnel place sur le même plan au regard de la réglementation générale des cumuls le mandat de conseiller à l’Assemblée de Corse et celui de conseiller régional; que dès lors qu’il entendait procéder à une semblable assimilation, le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, interdire aux conseillers à l’Assemblée de Corse de cumuler ce mandat avec celui de conseiller général alors qu’un tel cumul est autorisé sur l’ensemble du territoire de la République et qu’aucune justification tirée de la spécificité de la collectivité territoriale de Corse ne fonde une telle interdiction;

24. – Considérant qu’il y a lieu par suite pour le Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution l’article L. 369bis ajouté au code électoral par l’article 7 de la loi déférée;

•En ce qui concerne les conditions de représentation au Sénat de la collectivité territoriale de Corse:

25. – Considérant que l’article 10 de la loi dispose que dans les deux départements de Corse sont substitués aux conseillers régionaux en qualité de membres du collège électoral sénatorial des conseillers à l’Assemblée de Corse désignés dans les conditions définies par les articles 11 à 14; qu’il est prévu à cet effet que l’Assemblée de Corse, une fois son effectif réparti proportionnellement à la population de chacun des deux départements de Corse, procède à la désignation de ceux de ses membres appelés à la représenter au sein du collège électoral du département le plus peuplé; que les conseillers à l’Assemblée non désignés à ce titre font partie de plein droit du collège électoral du département le moins peuplé;

26. – Considérant que les auteurs de la première saisine formulent deux griefs à l’encontre de ces dispositions; que, d’une part, il est soutenu que leur entrée en vigueur aurait dû être subordonnée à l’adoption préalable d’une loi organique modifiant les dispositions relatives au nombre de sénateurs et à l’assise territoriale de leurs sièges; que, d’autre part, ces dispositions introduiraient une discrimination entre les sénateurs car ceux d’entre eux élus en Corse représenteraient non pas seulement une collectivité territoriale mais à la fois le département et la collectivité territoriale nouvellement créée;

27. – Considérant que le troisième alinéa de l’article 24 de la Constitution dispose que «le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat»; que, selon le premier alinéa de l’article 25 de la Constitution, la loi organique fixe le nombre des membres de chaque assemblée parlementaire; que la création d’une nouvelle catégorie de collectivité territoriale relève d’une loi comme le prescrit le premier alinéa de l’article 72 de la Constitution; que ressortit également à la compétence du législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, la fixation des règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires;

28. – Considérant qu’il résulte de ces diverses dispositions que l’entrée en vigueur d’une loi instituant une nouvelle catégorie de collectivités territoriales n’est pas subordonnée à l’adoption préalable d’une loi organique; que si l’article 24 de la Constitution impose que les différentes collectivités territoriales soient représentées au Sénat, il n’exige pas que chaque catégorie de collectivités dispose d’une représentation propre; que l’article L.O. 274 du code électoral, dans sa rédaction issue de l’article 3 de la loi organique n° 86-957 du 13 août 1986, en disposant que «le nombre de sénateurs élus dans les départements est de 304» implique seulement que, sous réserve d’exceptions prévues par d’autres textes ayant valeur de loi organique, les sénateurs soient élus dans le cadre du département; qu’il ne fait pas obstacle à ce que les dispositions législatives relatives au régime électoral du Sénat organisent la participation au collège électoral sénatorial de délégués de collectivités territoriales autres que le département;

29. – Considérant dans ces conditions, que les articles 10 à 14 de la loi, en prévoyant que dans les deux départements de Corse, des conseillers à l’Assemblée de Corse sont substitués aux conseillers régionaux au sein des collèges électoraux sénatoriaux, n’ont ni empiété sur la compétence réservée à la loi organique par la Constitution ni introduit de différence de traitement inconstitutionnelle entre les sénateurs élus dans les départements de Corse et les autres sénateurs; (…)

•En ce qui concerne l’article 53, alinéa 2, relatif à l’insertion de la langue et de la culture corses dans le temps scolaire:

35. – Considérant qu’en vertu de l’article 53, alinéa 2, de la loi, l’Assemblée de Corse adopte, sur proposition du Conseil exécutif, qui recueille l’avis du conseil économique, social et culturel de Corse, «un plan de développement de l’enseignement de la langue et de la culture corses, prévoyant notamment les modalités d’insertion de cet enseignement dans le temps scolaire»; qu’il est précisé que «ces modalités font l’objet d’une convention conclue entre la collectivité territoriale de Corse et l’Etat»;

36. – Considérant que les auteurs de la troisième saisine soutiennent que faire figurer sans motif justifié par l’intérêt général l’enseignement d’une langue régionale, quelle qu’elle soit, dans le temps scolaire des établissements situés sur le territoire de la collectivité territoriale concernée et d’elle seule, est contraire au principe d’égalité;

37. – Considérant que l’article 53 prévoit l’insertion dans le temps scolaire de l’enseignement de la langue et de la culture corses; que cet enseignement n’est pas contraire au principe d’égalité dès lors qu’il ne revêt pas un caractère obligatoire; qu’il n’a pas davantage pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements de la collectivité territoriale de Corse aux droits et obligations applicables à l’ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci; que, par suite, le fait pour le législateur d’autoriser la collectivité territoriale de Corse à promouvoir l’enseignement de la langue et de la culture corses, ne saurait être regardé comme portant atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle;

•En ce qui concerne l’article 85 relatif à la refonte des listes électorales:

38. – Considérant que l’article 85 de la loi comporte quatre alinéas; que le premier alinéa énonce qu’il sera procédé dans chaque commune de Corse à la refonte complète de la liste électorale avant la première élection de l’Assemblée de Corse et prescrit que pour être inscrit sur cette liste les électeurs remplissant les conditions prévues aux articles L. 11 à L. 14 du code électoral devront présenter leur demande entre la date de publication de la présente loi et le 31 décembre 1991; que le deuxième alinéa de l’article 85 rend applicables à ces opérations celles des dispositions du code électoral régissant l’établissement et la révision des listes électorales; qu’il précise, en outre, que la liste se substitue à la liste précédente le 1er mars 1992; que les troisième et quatrième alinéas de l’article 85 prévoient que les opérations de refonte sont contrôlées par une commission composée paritairement de membres du Conseil d’Etat et de magistrats de l’ordre judiciaire;

39. – Considérant que les auteurs des première et troisième saisines font valoir que la limitation de la refonte des listes électorales aux seules communes de Corse est contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi; que les auteurs de la première saisine ajoutent que la mise en œuvre des dispositions de l’article 85 peut conduire à priver momentanément un citoyen du droit de vote;

•Quant au moyen tiré de la violation du principe d’égalité:

40. – Considérant que le principe constitutionnel d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit;

41. – Considérant que la législation électorale ne confère pas aux citoyens une totale liberté de choix de leur lieu d’inscription sur les listes électorales; que, sous réserve des dispositions régissant la situation particulière des Français établis hors de France, des militaires et des mariniers, l’inscription sur les listes d’une commune est subordonnée, soit à une condition de domicile réel ou légal ou encore de résidence, soit à la circonstance que les intéressés figurent pour la cinquième fois sans interruption au rôle d’une des contributions directes communales; que, conformément au principe constitutionnel de l’égalité du suffrage, l’article L. 10 du code électoral énonce que «nul ne peut être inscrit sur plusieurs listes électorales»;

42. – Considérant que la situation des listes électorales des communes de Corse, telle qu’elle ressort des informations fournies lors des débats parlementaires, présente des particularités qui autorisent le législateur, dans le cadre de la réorganisation administrative de la Corse, à arrêter des modalités spécifiques de refonte des listes électorales, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi;

•Quant au moyen tiré de la privation du droit de suffrage:

43. – Considérant que la refonte des listes électorales des communes des départements de Corse ne produira son plein effet qu’à compter du 1er mars 1992; qu’indépendamment de cette refonte il sera procédé dans les autres communes françaises à la révision annuelle des listes électorales; que, dans le cadre de cette révision, il est loisible aux personnes qui ne satisfont pas dans les communes des départements de Corse aux conditions posées par les articles L. 11 à L. 14 du code électoral de solliciter leur inscription sur les listes d’une autre commune; qu’il suit de là que si l’article 85 de la loi est susceptible d’affecter le lieu d’exercice du droit de vote il n’affecte pas cet exercice lui-même;

44. – Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les moyens dirigés contre l’article 85 de la loi ne peuvent être accueillis;

(…)

Décide:

Article 1er . – Ne sont pas conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse:

–l’article 1er ;

–dans le texte de l’article 7, l’article L. 369bis ajouté au code électoral;

–dans le texte de l’article 26, les alinéas 2, 6 et 7;

–dans le texte de l’article 78, les paragraphes III et VI.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1994 / A07
France / Conseil constitutionnel / 13-01-1994 / Décision n° 93-329 DC / Loi relative aux conditions de l’aide aux investissements des établissements d’enseignement privés par les collectivités territoriales / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.3.2 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit à l’enseignement

Enseignement public – Enseignement privé – Collectivités locales (libre administration)

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

24.–Considérant que pour leur part les députés, auteurs de la seconde saisine, font valoir que le législateur a méconnu l’article 34 de la Constitution faute d’avoir exercé assez précisément sa compétence pour définir les conditions des concours financiers en cause; que la loi viole le principe d’égalité en permettant à parité entre établissements publics et établissements privés des concours financiers alors que les charges et contraintes des uns sont supérieures à celles des autres et en ne limitant les facultés d’aide aux investissements de chaque catégorie de collectivités territoriales que lorsqu’il s’agit du financement de l’enseignement public; qu’elle contrevient au principe de la laïcité de la République posé par l’article 2 de la Constitution et méconnaît le devoir de l’Etat concernant l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés imposé par le Préambule de la Constitution de 1946; qu’en effet elle tendrait nécessairement d’une part compte tenu du caractère limité des ressources publiques à provoquer le transfert de crédits d’investissement de l’enseignement public au bénéfice d’établissements privés, d’autre part à organiser l’enrichissement de personnes privées qui ne sont pas soumises aux exigences de la laïcité; qu’en outre elle enfreint le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales dès lors qu’elle fait peser sur ces dernières des charges financières nouvelles sans prévoir de transferts de ressources en contrepartie;

25.–Considérant qu’aux termes de l’article 72 de la Constitution «Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d’outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. Ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi…»;

26.–Considérant toutefois d’une part qu’aux termes de l’article 2 de la Constitution: «La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion…»; qu’aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 «L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat»; d’autre part que la liberté de l’enseignement constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958;

27.–Considérant qu’il résulte des dispositions et principes à valeur constitutionnelle ci-dessus rappelés que le législateur peut prévoir l’octroi d’une aide des collectivités publiques aux établissements d’enseignement privés selon la nature et l’importance de leur contribution à l’accomplissement de missions d’enseignement; que si le principe de libre administration des collectivités locales a valeur constitutionnelle, les dispositions que le législateur édicte ne sauraient conduire à ce que les conditions essentielles d’application d’une loi relative à l’exercice de la liberté de l’enseignement dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire; que les aides allouées doivent, pour être conformes aux principes d’égalité et de liberté, obéir à des critères objectifs; qu’il incombe au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de définir les conditions de mise en œuvre de ces dispositions et principes à valeur constitutionnelle; qu’il doit notamment prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements d’enseignement public contre des ruptures d’égalité à leur détriment au regard des obligations particulières que ces établissements assument;

•En ce qui concerne l’article 2:

28.–Considérant que l’article 2 de la loi pose le principe selon lequel les collectivités territoriales peuvent décider d’attribuer des subventions d’investissement aux établissements d’enseignement privés sous contrat de leur choix, selon des modalités qu’elles fixent librement, quel que soit le niveau d’enseignement scolaire concerné; que cet article ouvre aux collectivités territoriales les mêmes possibilités qu’il s’agisse d’établissements sous contrat simple ou sous contrat d’association; qu’il ne prévoit qu’un plafonnement global des aides susceptibles d’être allouées; que ces aides peuvent aller dans certains cas jusqu’à une prise en charge totale des investissements concernés;

29.–Considérant que s’agissant des conditions requises pour l’octroi des aides des différentes collectivités territoriales et la fixation de leur montant, l’article 2 ne comporte pas les garanties nécessaires pour assurer le respect du principe d’égalité entre les établissements d’enseignement privés sous contrat se trouvant dans des situations comparables; que ces différences de traitement ne sont pas justifiées par l’objet de la loi;

30.–Considérant par ailleurs que les dispositions de l’article 2 ne comportent pas non plus de garanties suffisantes pour éviter que des établissements d’enseignement privés puissent se trouver placés dans une situation plus favorable que celle des établissements d’enseignement public, compte tenu des charges et des obligations de ces derniers;

31.–Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’article 2 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution;

•En ce qui concerne les autres dispositions contestées:

32.–Considérant que le premier alinéa de l’article 3 de la loi prescrit que les formations offertes par les établissements d’enseignement secondaire sous contrat subventionnés doivent être compatibles avec les orientations définies par le schéma prévisionnel des formations, en réitérant une condition déjà prévue par l’article 27-3 de la loi susvisée du 22 juillet 1983 pour la conclusion des contrats; que cette disposition ne méconnaît aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle;

33.–Considérant que l’article 4 prescrit l’établissement d’une convention précisant l’affectation de l’aide et les conditions de remboursement des sommes non amorties en cas de cessation de l’activité d’éducation ou de résiliation du contrat; que les stipulations de la convention doivent être déterminées de façon à éviter que l’organisme bénéficiaire puisse profiter d’un avantage injustifié ou conduisant à méconnaître les règles constitutionnelles ci-dessus rappelées; que sous ces réserves d’interprétation, l’article 4 de la loi n’est pas contraire à la Constitution.

Décide:

Article 1er . – L’article 2 de la loi relative aux conditions de l’aide aux investissements des établissements d’enseignement privés par les collectivités territoriales est contraire à la Constitution.

Article 2. – Les dispositions du premier alinéa de l’article 3 et l’article 4 de cette même loi ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 3. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1995 / A08
France / Conseil constitutionnel / 26-01-1995 / Décision n° 94-358 DC / Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.20 Principes généraux – égalité
5.2.4.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – discriminations positives

Directives territoriales d’aménagement – Loi (égalité devant la loi) – Suffrage (égalité du suffrage) – Zones prioritaires de développement

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

•En ce qui concerne l’article 4:

2.–Considérant qu’en vertu de l’article 4 de la loi déférée qui modifie la rédaction de l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme, des directives territoriales d’aménagement peuvent fixer sur certaines parties du territoire les orientations fondamentales de l’Etat en matière d’aménagement et de développement, ainsi que ses principaux objectifs en matière de localisation des grandes infrastructures et des grands équipements, de préservation des espaces naturels, des sites et des paysages; que ces directives peuvent également préciser les modalités d’application des lois d’aménagement et d’urbanisme adaptées aux particularités géographiques locales; que les directives territoriales d’aménagement élaborées sous la responsabilité de l’Etat et à son initiative sont approuvées par décret en Conseil d’Etat; qu’il est prévu par ailleurs en premier lieu que les schémas directeurs et les schémas de secteur doivent être compatibles avec ces directives et en l’absence de ces directives avec les lois d’aménagement et d’urbanisme; en second lieu que les plans d’occupation des sols et les documents d’urbanisme en tenant lieu doivent être compatibles avec les orientations des schémas directeurs et des schémas de secteur, en l’absence de schémas avec les directives territoriales d’aménagement et en l’absence de ces dernières avec les lois d’aménagement et d’urbanisme; qu’enfin cet article énonce que les dispositions des directives territoriales d’aménagement qui précisent les modalités d’application des articles L. 145-1 et suivants du code de l’urbanisme sur les zones de montagne et des articles L. 146-1 et suivants sur les zones littorales s’appliquent aux personnes et opérations qui y sont mentionnées;

3.–Considérant que les députés, auteurs de la saisine, font valoir en premier lieu que les directives territoriales d’aménagement méconnaissent les principes d’égalité et d’indivisibilité de la République en ce qu’elles conduisent à faire coexister des régimes juridiques différents sur le territoire selon que ce dernier se trouve ou non couvert par un régime législatif spécial; qu’en deuxième lieu, le législateur a méconnu le principe de hiérarchie des normes juridiques faute d’indiquer si les directives ont une valeur juridique supérieure à celle des décrets en Conseil d’Etat faisant application des lois d’aménagement et d’urbanisme, et dès lors qu’il a prévu que chaque norme n’était soumise qu’à une obligation de compatibilité avec la norme immédiatement supérieure; qu’en outre la loi laisse subsister une faculté de dérogation par lesdites directives aux lois d’aménagement et d’urbanisme; qu’enfin le principe de légalité des délits et des peines est méconnu dès lors que ces directives peuvent conduire à modifier la définition des délits réprimés par les articles L. 160-1 et L. 480-4 du code de l’urbanisme;

4.–Considérant en premier lieu que si les directives territoriales d’aménagement peuvent comporter des adaptations à des particularités géographiques locales, celles-ci qui ne concernent selon les termes de la loi que «les modalités d’application des lois d’aménagement et d’urbanisme» ne peuvent conduire à méconnaître les dispositions de ces dernières; que dans ces conditions la circonstance que le législateur a indiqué que les schémas directeurs ou de secteur doivent être compatibles avec ces directives et en l’absence de ces dernières avec les lois d’aménagement et d’urbanisme ne saurait faire obstacle dans tous les cas prévus par ces lois à leur application; que les conditions de compatibilité prescrites par le législateur ne mettent pas en elles-mêmes en cause la possibilité pour tout intéressé de faire prévaloir, le cas échéant, par le moyen de l’exception d’illégalité, des dispositions législatives sur des documents ayant valeur réglementaire; que dès lors les griefs relatifs à la méconnaissance des dispositions combinées des articles 34 et 37 de la Constitution ne sauraient qu’être écartés;

5.–Considérant en deuxième lieu que les directives territoriales d’aménagement doivent prendre en compte, ainsi que l’a précisé le législateur, les orientations générales du schéma national mentionné à l’article 2 de la loi; que la circonstance que leur champ d’application soit limité à certaines parties du territoire national répond à la prise en compte de situations différentes et ne saurait par suite méconnaître le principe d’égalité non plus que porter atteinte au principe d’indivisibilité de la République; 6.–Considérant en troisième lieu que les dispositions de l’article en cause n’ont ni pour objet ni pour effet d’habiliter le pouvoir réglementaire à modifier les prescriptions des articles L. 160-1 et L. 480-4 du code de l’urbanisme; que dès lors le grief tiré d’une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines manque en fait;

(…)

•En ce qui concerne l’article 29:

15.–Considérant que cet article définit les conditions dans lesquelles il est procédé par l’Etat au contrôle des décisions de réorganisation et de suppression des services aux usagers par les établissements et organismes publics ainsi que par les entreprises nationales sous tutelle chargés d’un service public;

16.–Considérant que les auteurs de la saisine allèguent que le législateur a méconnu sa compétence en renvoyant à un décret en Conseil d’Etat la détermination des règles permettant d’assurer l’équilibre entre les obligations des organismes concernés et la compensation par l’Etat des charges qui en résultent ainsi que la fixation des critères spécifiques que doit respecter la décision de l’autorité de l’Etat compétente lorsque le projet de suppression concerne une zone prioritaire de développement du territoire; qu’ils soutiennent à cette fin que le législateur a ainsi privé de garanties légales le principe de continuité des services publics; qu’en faisant référence à des zones prioritaires de développement du territoire dont l’existence détermine la fixation par voie réglementaire de critères spécifiques, il a abandonné au pouvoir réglementaire l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et a méconnu le principe d’égalité devant la loi;

17.–Considérant que l’objet de l’article en cause est précisément de définir des garanties nouvelles de mise en œuvre du principe de continuité des services publics; que l’article 29 de la loi précise que doivent être pris en compte par les organismes concernés, pour l’égal accès de tous au service public, des objectifs «d’aménagement du territoire et de services rendus aux usagers» fixés dans des contrats de plan ou des contrats de service public conclus à cet effet; que ces contrats doivent préciser les conditions dans lesquelles l’Etat compense au bénéfice de ces organismes les charges en résultant; que cet article dispose en outre que toute décision de réorganisation ou de suppression d’un service aux usagers, non conforme aux objectifs fixés, doit être précédée d’une étude d’impact; que celle-ci est communiquée au représentant de l’Etat dans le département qui, au terme d’une procédure de concertation, peut saisir le ministre de tutelle en cas de désaccord; que cette saisine, qui a un effet suspensif de la décision de réorganisation ou de suppression du service, permet au ministre de statuer par une décision qui s’impose à l’organisme concerné; que les zones prioritaires de développement sont définies par l’article 42 de la loi, leur détermination étant destinée à tenir compte de situations spécifiques; que, dès lors, en renvoyant à un décret en Conseil d’Etat la fixation de critères propres à ces zones, le législateur n’a méconnu ni le principe d’égalité ni sa propre compétence; qu’à défaut d’application des règles de compensation prévues par les contrats ci-dessus mentionnés, la définition par ce décret en Conseil d’Etat de dispositions permettant d’assurer un équilibre entre les obligations des organismes concernés et la compensation par l’Etat des charges en résultant pour lui ne concerne aucune des matières que réserve au législateur l’article 34 de la Constitution;

18.–Considérant dès lors qu’aucun des griefs invoqués par les auteurs de la saisine ne saurait être retenu;

(…)

•En ce qui concerne l’article 41:

26.–Considérant que l’article 41 modifie les dispositions de l’article L. 510-1 du code de l’urbanisme; qu’il dispose que la construction, la reconstruction, l’extension, le changement d’utilisateur ou d’utilisation de locaux servant à des activités professionnelles ne relevant pas de l’Etat peuvent être soumis à un agrément de l’autorité administrative; que le IV de cet article L. 510-1 renvoie à un décret en Conseil d’Etat les conditions de sa mise en œuvre;

27.–Considérant que les requérants soutiennent que par les dispositions cidessus mentionnées qui renvoient à un décret en Conseil d’Etat la fixation de l’autorité compétente pour prendre la décision d’agrément en l’absence de conventions avec les collectivités locales ou les établissements publics de coopération intercommunale intéressés ainsi que la détermination des zones et opérations concernées, le législateur a méconnu sa compétence; qu’en outre en prévoyant une multiplicité de régimes en fonction des conventions signées et des décisions prises, il a également méconnu le principe d’égalité; 28.–Considérant en premier lieu que le législateur pouvait renvoyer à un décret en Conseil d’Etat les dispositions ayant pour objet de désigner l’autorité administrative habilitée à exercer au nom de l’Etat des attributions qui relèvent de la compétence du pouvoir exécutif;

29.–Considérant en second lieu que le législateur a précisé que les décisions qu’il envisage doivent prendre en compte les orientations définies par la politique d’aménagement et de développement du territoire et par la politique de la ville ainsi que la nécessité d’un équilibre entre les constructions destinées à l’habitation et les activités soumises au régime de l’agrément; qu’en prévoyant, dans le cadre de la législation qu’il a édictée relative à l’aménagement et au développement du territoire ainsi que de la législation relative à la politique de la ville, la passation de conventions locales et régionales destinées à tenir compte de la spécificité des situations territoriales, il a mis en place une procédure qui loin de méconnaître le principe d’égalité constitue un moyen d’en assurer la mise en œuvre; qu’il pouvait confier au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, le soin de déterminer, dans le respect de ces législations, les zones et opérations concernées en fonction des appréciations concrètes que requiert une telle détermination;

•En ce qui concerne l’article 42:

30.–Considérant que l’article 42 de la loi déférée prévoit que sont mises en œuvre des politiques renforcées et différenciées de développement dans des zones prioritaires caractérisées par des handicaps géographiques, économiques ou sociaux;

31.–Considérant que les députés font valoir qu’en ne définissant pas avec suffisamment de précision ces zones prioritaires, le législateur a non seulement méconnu sa compétence mais aussi le principe d’égalité devant la loi et le principe de libre administration des collectivités locales;

32.–Considérant que le législateur a distingué trois zones prioritaires du développement économique, les zones d’aménagement du territoire, les territoires ruraux de développement prioritaire et les zones urbaines sensibles lesquelles comprennent des zones dites de «redynamisation urbaine»; qu’aux 1, 2 et 3 de l’article, il a défini ce qu’il entendait par les zones en question; qu’en outre, l’article 43 de la loi déférée précise que les zones d’aménagement du territoire, les territoires ruraux de développement prioritaire et les zones de redynamisation urbaine sont ceux qui sont définis au premier alinéa de l’article 1465 du code général des impôts dans sa nouvelle rédaction issue de l’article 46 et au Ibis de l’article 1466 A du même code dans sa rédaction issue du II de l’article 52; qu’enfin, l’article 1465 A du code général des impôts dans sa rédaction issue du même article 52 de la loi fixe des critères quantitatifs pour la définition des zones de revitalisation rurale;

33.–Considérant en premier lieu que dans ces conditions le législateur pouvait renvoyer au pouvoir réglementaire la délimitation du périmètre de ces zones prioritaires sans méconnaître sa compétence;

34.–Considérant en second lieu que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, par l’octroi d’avantages fiscaux, des mesures d’incitation au développement et à l’aménagement de certaines parties du territoire national dans un but d’intérêt général; que de telles mesures ne constituent pas en elles-mêmes une atteinte à la libre administration des collectivités locales;

(…)

•En ce qui concerne l’article 80:

44.–Considérant que les dispositions de l’article 80 ont pour objet de modifier des articles du code des communes fixant les règles de désignation des délégués des communes au sein des conseils des communautés urbaines et établissent les modalités de répartition des sièges;

45.–Considérant que les auteurs de la saisine allèguent en premier lieu que ces dispositions, adoptées par voie d’amendement au Sénat, qui selon eux auraient pour seul objet de modifier des équilibres politiques au sein de l’une des communautés urbaines existantes, sont dépourvues de lien avec le texte soumis aux Assemblées; qu’ils font valoir en second lieu qu’elles méconnaissent le principe constitutionnel d’égalité du suffrage.

Quant à la procédure:

46.–Considérant que cet article n’est pas sans lien avec les dispositions cidessus mentionnées du titre V du texte soumis aux assemblées.

Quant au fond:

47.–Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution «les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d’outre mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi»; que le deuxième alinéa du même article dispose que ces collectivités «s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi»; que selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, «le suffrage est toujours universel, égal et secret»;

48.–Considérant qu’il résulte de ces dispositions que dès lors que des établissements publics de coopération entre les collectivités locales exercent en lieu et place de ces dernières des compétences qui leur auraient été sinon dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques; que s’il s’ensuit que la répartition des sièges doit respecter un principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité locale participante, il peut être toutefois tenu compte dans une mesure limitée d’autres considérations d’intérêt général et notamment de la possibilité qui serait laissée à chacune de ces collectivités de disposer d’au moins un représentant au sein du conseil concerné;

49.–Considérant que le législateur a accru le nombre des délégués des communes aux conseils de certaines communautés pour tenir compte de l’attribution qu’il a prévue d’un siège à chaque commune membre de la communauté dans le but d’assurer une représentation minimale des petites communes; qu’il a déterminé la répartition des sièges restant à pourvoir entre les seules communes dont la population est supérieure à un certain quotient; qu’il ressort de la combinaison des dispositions du code des communes ainsi modifiées, que la prise en compte du nombre de collectivités concernées n’intervient que dans une mesure limitée par rapport à la détermination de la répartition des sièges en fonction de la population calculée selon le mécanisme de la répartition proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne; qu’ainsi les écarts de représentation entre les communes selon l’importance respective de leur population telle qu’elle ressort du dernier recensement ne sont ni manifestement injustifiables ni disproportionnés de manière excessive; que dès lors le grief invoqué ne peut être accueilli;

(…)

Décide:

Article 1er . – Sont déclarés contraires à la Constitution:

  • le II de l’article 32,
  • le second alinéa du II de l’article 65,
  • le VI de l’article 68.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1995 / A09
France / Conseil constitutionnel / 28-12-1995 / Décision n° 95-369 DC / Loi de finances pour 1996 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur constitutionnelle
3.12 Principes généraux – intérêt général
3.20 Principes généraux – égalité
5.1.2.4.2 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales – droit public
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Actionnaires

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

–Sur l’article 4:

2.–Considérant que cet article a pour objet de limiter le champ d’application de la réduction d’impôt sur le revenu accordée au titre des contrats d’assurance-vie en application de l’article 199 septies du code général des impôts; qu’il supprime cette réduction pour les versements afférents aux contrats à primes périodiques et à primes uniques conclus ou prorogés à compter du 20 septembre 1995 ainsi que pour les primes payées à compter de la même date au titre de contrats à versements libres quelle que soit la date de conclusion de ces contrats; qu’il maintient la réduction d’impôt, dans tous les cas, pour les contrats concernant les handicapés et les contribuables dont la cotisation d’impôt sur le revenu définie à l’article 1417 du code général des impôts n’excède pas 7 000 francs;

3.–Considérant que les auteurs de la requête font grief à ces dispositions, d’une part d’être entachées de rétroactivité et de contrevenir ainsi au principe de sécurité juridique, d’autre part de méconnaître le principe d’égalité devant l’impôt en ce qu’elles traitent différemment les contrats à primes uniques ou périodiques et ceux à versements libres;

(…)

•En ce qui concerne le principe d’égalité

5.–Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi; Considérant que la distinction opérée par la loi entre les contrats à versements libres et les autres contrats repose sur des différences objectives de situation des souscripteurs, relatives aux effets de l’éventuelle remise en cause de leurs engagements compte tenu de la modification du régime fiscal applicable introduite par l’article concerné; que dès lors le grief tiré d’une violation du principe d’égalité ne saurait être accueilli;

–Sur l’article 9:

7.–Considérant que l’article 9 institue dans certaines conditions un abattement de 50% sur la valeur des biens professionnels, plafonné à cent millions de francs par donataire, lorsque ces biens sont transmis à titre gratuit entre vifs; qu’il prévoit en outre, à certaines conditions d’âge et causes de décès, l’extension de cet avantage aux droits de succession; que ces dispositions ont été présentées comme destinées à favoriser la transmission des entreprises en contribuant à assurer la pérennité des petites et moyennes entreprises;

8.–Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que compte tenu de la fixation d’un plafond d’exonération élevé, l’application de cette exonération en cas de pluralité de donateurs tend non pas à faciliter la transmission par un chef d’entreprise petite ou moyenne de son «outil professionnel» mais à privilégier fiscalement la transmission de certains éléments de patrimoine par rapport à tous les autres types de biens, en avantageant au surplus les actionnaires majoritaires par rapport aux actionnaires minoritaires; que d’ailleurs cet avantage fiscal est susceptible de bénéficier à une pluralité de donataires qui ne sont pas même tenus d’exercer une fonction dirigeante dans l’entreprise; que dès lors le principe d’égalité devant l’impôt est méconnu; qu’il en va de même en ce qui concerne la disposition qui étend le bénéfice de cet avantage aux transmissions d’entreprise résultant d’un décès accidentel lorsque la personne concernée est âgée de moins de soixante-cinq ans, dans la mesure où les conditions posées ne constituent nullement une différence significative au regard de l’objet de la réduction d’impôt; qu’enfin, en réservant le bénéfice de la disposition aux seules donations consenties par acte notarié en excluant les donations sous seing privé ayant fait l’objet de formalités d’enregistrement, la loi contrevient également au principe d’égalité;

9.–Considérant qu’en vertu de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la contribution commune aux charges de la Nation «doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés»; que si le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur décide de favoriser par l’octroi d’avantages fiscaux la transmission de certains biens, c’est à la condition que celui-ci fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose;

10.–Considérant qu’en instituant un abattement de 50% sur la valeur de biens professionnels transmis entre vifs à titre gratuit à un ou plusieurs donataires, à la seule condition que ceux-ci conservent ces biens pendant une période de cinq années, sans exiger qu’ils exercent de fonction dirigeante au sein de l’entreprise et en étendant le bénéfice de cette mesure aux transmissions par décès accidentel d’une personne âgée de moins de soixante-cinq ans, la loi a établi vis-à-vis des autres donataires et héritiers des différences de situation qui ne sont pas en relation directe avec l’objectif d’intérêt général ci-dessus rappelé; que dans ces conditions et eu égard à l’importance de l’avantage consenti, son bénéfice est de nature à entraîner une rupture caractérisée de l’égalité entre les contribuables pour l’application du régime fiscal des droits de donation et de succession que, dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs de la requête, l’article 9 de la loi ne peut être regardé dans son ensemble comme conforme à la Constitution;

(…)

–Sur l’article 33:

17.–Considérant que cet article qui fixe le montant de la dotation globale d’équipement des communes en autorisations de programme et crédits de paiement réserve le bénéfice de cette dotation, après constitution d’une quotepart au profit des collectivités territoriales et groupements mentionnés à l’article 104-1 de la loi susvisée du 7 janvier 1983, aux communes dont la population n’excède pas 20 000 habitants dans les départements de métropole et 35000 habitants dans les départements d’outre-mer et dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur à 1,3 fois le potentiel fiscal moyen par habitant de l’ensemble des communes de métropole dont la population n’excède pas 20 000 habitants, ainsi qu’aux groupements de communes remplissant les mêmes conditions de population mais sans qu’ils aient à répondre aux mêmes conditions de plafonnement du potentiel fiscal; qu’il détermine les modalités de répartition de cette dotation entre les départements et modifie la composition et les fonctions de la commission d’élus compétente en matière d’attributions de cette dotation au sein de chaque département

18.–Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que ces dispositions violent le principe d’égalité en ce qu’elles s’appliquent à tous les groupements de communes, sans égard au potentiel fiscal par habitant, en ce qu’elles traitent différemment communes et groupements de communes, enfin en ce qu’elles excluent du bénéfice de la dotation des communes et groupements de communes sur des bases exclusivement démographiques; qu’ils soutiennent en outre que les dispositions qui concernent les répartitions de la dotation sans affecter l’ampleur des charges financières de l’Etat sont étrangères au domaine des lois de finances;

19.–Considérant en premier lieu que l’article 33 modifie le montant de la dotation globale d’équipement, dont il supprime la première part, dans des proportions telles que les dispositions relatives aux modalités de sa répartition sont indissociablement liées à celles fixant ce montant; qu’il en va de même de celles relatives à la composition et aux fonctions de la commission chargée de donner un avis au préfet sur les projets d’investissement;

20.–Considérant en second lieu que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes au regard de l’objet de la loi;

21.–Considérant que le législateur a entendu aménager la répartition de l’effort financier que représentent pour l’Etat les concours à l’équipement des collectivités locales, compte tenu de la diminution de son montant; que la distinction opérée entre communes et groupements de communes est justifiée par le souci de favoriser par le regroupement intercommunal la cohérence des politiques d’investissement; que la prise en compte, s’agissant des regroupements, d’un critère de potentiel fiscal ne pouvait être utilement opérée au regard des groupements n’ayant pas une fiscalité propre; qu’enfin les distinctions démographiques retenues peuvent trouver une justification dans la nature et l’importance des opérations d’investissement susceptibles d’être engagées par les communes et groupement concernés; que dès lors les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme ayant méconnu le principe d’égalité;

(…)

Décide:

Article 1er . – Les articles 9 et 98 de la loi de finances pour 1996 sont déclarés contraires à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1997 / A10
France / Conseil constitutionnel / 20-03-1997 / Décision n° 97-388 DC / Loi créant les plans d’épargne retraite / texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.12 Principes généraux – intérêt général
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – sécurité sociale

Plans d’épargne retraite

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 25 février 1997 par MM. Claude ESTIER, Guy ALLOUCHE, François AUTAIN, Germain AUTHIE, Mmes Monique BEN GUIGA, Maryse BERGE LAVIGNE, MM. Jean BESSON, Jacques BIALSKI, Pierre BIARNES, Marcel BONY, Jean-Louis CARRERE, Robert CASTAING, Francis CAVALIER BENEZET, Gilbert CHABROUX, Michel CHARASSE, Marcel CHARMANT, Michel CHARZAT, William CHERVY, Raymond COURRIERE, Roland COURTEAU, Marcel DEBARGE, Bertrand DELANOE, Gérard DELFAU, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD, M Michel DREYFUS SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Bernard DUSSAUT, Léon FATOUS, Aubert GARCIA, Claude HAUT, Roland HUGUET, Philippe LABEYRIE, Philippe MADRELLE, Jacques MAHEAS, Jean-Pierre MASSERET, Marc MASSION, Georges MAZARS, Jean-Luc MELENCHON, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Guy PENNE, Daniel PERCHERON, Jean PEYRAFITTE, Jean-Claude PEYRONNET, Mme Danièle POURTAUD, MM. Paul RAOULT, René REGNAULT, Alain RICHARD, Michel ROCARD, Gérard ROUJAS, René ROUQUET, André ROUVIERE, Claude SAUNIER, Michel SERGENT, Franck SERUSCLAT, René-Pierre SIGNE, Fernand TARDY, André VEZINHET, Henri WEBER, Mme Gisèle PRINTZ, M. Bernard PIRAS, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BECART, Mme Danielle BIDART-REYDET, M. Claude BILLARD, Mmes Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, M. Guy FISCHER, Mme Jacqueline FRAYSSECAZALIS, MM. Félix LEYZOUR, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE et Ivan RENAR, sénateurs, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution de la conformité à celle-ci de la loi créant les plans d’épargne retraite.

Le Conseil constitutionnel,

Vu La Constitution;

Vu L’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance;

Vu La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales;

Vu L’ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 modifiée instituant une Commission des opérations de bourse et relative à l’information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse;

Vu La loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 de financement de la Sécurité sociale pour 1997;

Vu Le code général des impôts;

Vu Le code rural;

Vu Le code du travail;

Vu Le code des assurances;

Vu Le code de la mutualité;

Vu Le code de la Sécurité sociale;

Vu Les observations du Gouvernement, enregistrées le 11 mars 1997;

Vu Les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 14 mars 1997;

Vu Les observations en réponse du Gouvernement, enregistrées le 17 mars 1997;

Vu Les nouvelles observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 19 mars 1997;

Le rapporteur ayant été entendu;

1. – Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi créant les plans d’épargne retraite, en contestant en particulier la conformité à la Constitution en tout ou partie des articles 1er , 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 14, 16, 17, 20, 21, 22, 26, 27 et 30 Sur le grief tiré de la méconnaissance du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946

2. – Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent, en invoquant l’inconstitutionnalité de la loi tout entière, que le contenu même du droit à pension serait remis en cause par la loi déférée dans la mesure où celle-ci tendrait à instituer un système se substituant progressivement aux régimes obligatoires, de base et complémentaires, de Sécurité sociale; qu’ainsi elle contreviendrait au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946;

3. –Considérant qu’aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la Nation «garantit à tous notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence;

4. – Considérant que la loi déférée tend, aux termes de son article 1er , à permettre à tout salarié lié par un contrat de travail de droit privé et relevant du régime d’assurance vieillesse de base mentionné au titre V du livre III du code de la Sécurité sociale ou à l’article 1024 du code rural ainsi que des régimes de retraite complémentaire mentionnés au titre II du livre IX du code de la Sécurité sociale, et aux avocats salariés relevant de la Caisse nationale des barreaux français, d’adhérer à un plan d’épargne retraite; qu’elle n’a pas pour objet de mettre en cause le principe ou l’organisation de l’assurance vieillesse qu’elle se borne à instituer un système facultatif d’épargne en vue de la retraite qui, en vertu de son article 3, ouvrira droit, au profit des adhérents, sous certaines conditions d’âge ou de cessation d’activité, au paiement d’une rente viagère ou d’un versement unique, venant s’ajouter aux prestations des régimes obligatoires de base et complémentaires de la Sécurité sociale; qu’elle ne modifie pas les droits et obligations résultant du régime général d’assurance-vieillesse de la Sécurité sociale et des régimes complémentaires; qu’elle ne saurait dès lors être regardée comme portant atteinte aux principes énoncés par les dispositions précitées;

Sur les griefs tirés de la méconnaissance du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946

5. – Considérant que les auteurs de la saisine font valoir en premier lieu que le troisième alinéa de l’article 4 écarterait la possibilité de mettre en place un plan d’épargne retraite par voie d’accord collectif dans le cas où la conclusion d’un tel accord n’interviendrait pas dans un délai de six mois et qu’il méconnaîtrait ainsi le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946; qu’une telle disposition dénaturerait l’exigence de la négociation collective et qu’elle tendrait à faire de la décision unilatérale de l’employeur le mode habituel de la mise en place d’un plan d’épargne retraite alors qu’aucune urgence ne justifierait la brièveté du délai fixé par la loi; qu’ils soutiennent en second lieu que l’article 14, relatif à la constitution et à la composition des comités de surveillance méconnaîtrait également le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, dès lors que les compétences attribuées à ces comités ne leur permettraient pas d’assurer la participation des adhérents à la gestion des plans d’épargne retraite mais viseraient au contraire à en écarter les partenaires sociaux;

6. – Considérant que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose en son huitième alinéa que: «Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises, l’article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale; qu’ainsi c’est au législateur qu’il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en œuvre;

7. – Considérant que si cette disposition implique que la détermination des modalités concrètes de cette mise en œuvre fasse l’objet d’une concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives, elle n’a ni pour objet ni pour effet d’imposer que dans tous les cas cette détermination soit subordonnée à la conclusion d’accords collectifs;

8. – Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des termes mêmes de l’article 4 de la loi déférée que le législateur a entendu favoriser la mise en place des plans d’épargne retraite par un processus de négociation collective en lui assurant la priorité sur la création de ces plans par décision unilatérale de l’employeur; qu’en effet si la loi n’impose pas dans tous les cas que la souscription résulte d’un accord collectif, c’est seulement en cas d’impossibilité de conclure un tel accord ou, à défaut de sa conclusion dans un délai de six mois à compter du début de la négociation, que la souscription pourra résulter d’une décision unilatérale de l’employeur ou d’un groupement d’employeurs; qu’en tout état de cause, au delà de ce délai, la mise en place d’un plan d’épargne retraite par voie d’accord collectif demeure possible; que la limitation à six mois du délai laissé par la loi à la mise en place exclusive par voie d’accords collectifs des plans d’épargne retraite constitue une des conditions dans lesquelles le législateur pouvait, en l’espèce, sans en dénaturer la portée, mettre en œuvre les dispositions du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946;

9. – Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la participation effective des adhérents à la gestion des plans est assurée par la mise en place des comités de surveillance; qu’en effet, aux termes de l’article 14 de la loi, ces comités sont composés, au moins pour moitié, de représentants élus des adhérents du plan et qu’en vertu de l’article 15, le comité de surveillance définit les orientations de gestion du plan, et rend à deux reprises au moins chaque année des avis sur cette gestion et, le cas échéant sur celle du fonds, qui sont portés à la connaissance des adhérents du plan; qu’en application de l’article 16, le comité de surveillance peut, à l’initiative d’un tiers au moins de ses membres, demander en justice la désignation d’experts chargés de présenter un rapport sur la gestion du plan; que l’article 22 dispose que le comité peut demander aux commissaires aux comptes ou aux actuaires auprès desquels les fonds d’épargne retraite sont souscrits tout renseignement sur l’activité et la situation financière des fonds;

10. – Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les moyens allégués par les requérants doivent être rejetés;

Sur les griefs tirés de la méconnaissance de l’étendue de sa compétence par le législateur

11. – Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent qu’à plusieurs titres le législateur n’aurait pas exercé la compétence qu’il tient, notamment, de l’article 34 de la Constitution; qu’ainsi, à l’article 4, il n’aurait pas défini les modalités d’adhésion des salariés qui souscriront individuellement à un plan d’épargne retraite; qu’il n’aurait pas précisé lui-même les modalités selon lesquelles le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes s’applique aux plans d’épargne retraite en le privant ainsi de garanties; qu’une règle minimale de partage des droits à réversion d’une prestation relevant du domaine de la loi, lorsque l’assuré décédé a eu successivement plusieurs conjoints, aurait dû être fixée; que les requérants font valoir en outre dans leur mémoire en réplique que la seule référence au conjoint survivant énoncée par la loi porterait atteinte aux droits des personnes et de la famille; que la loi aurait dû déterminer, aux articles 1er , 4 et 5, la notion de groupement d’employeurs et ses modalités de constitution; que les règles contribuant à la protection des droits des assurés seraient incomplètes en ce que ne seraient pas posés, à l’article 6, le principe de l’information préalable de l’adhérent en cas de cessation ou de suspension des abondements de l’employeur et, à l’article 7, le principe d’un délai durant lequel l’adhérent peut demander le transfert de ses droits vers un autre plan ou contrat d’assurance de groupe; que ne seraient définis ni, à l’article 14, les modalités d’élection des représentants des adhérents ni, aux articles 15 et 22, les attributions et les moyens dont peuvent disposer les comités de surveillance; que le législateur a renvoyé à des décrets et non, comme il l’aurait dû, à des décrets en Conseil d’Etat, le soin d’assurer la mise en œuvre des articles 6, 7, 9 et 15; que le législateur aurait dû garantir les conditions dans lesquelles s’opérerait en vertu de l’article 9 le transfert de la contre-valeur des actifs représentatifs des droits attachés au plan d’épargne retraite; que le statut des deux membres de la commission des opérations de bourse siégeant, aux termes de l’article 12, au sein de la commission de contrôle n’est pas défini; que le législateur aurait dû poser, afin qu’il soit garanti, un principe d’équité entre les générations; qu’il aurait méconnu sa compétence en déléguant en vertu des dispositions de l’article 27, sans avoir fixé la moindre limite au pouvoir réglementaire, le soin de déterminer des exonérations de cotisations de Sécurité sociale; que la circonstance que cette délégation est prévue par l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale en vertu d’une disposition d’une loi déjà promulguée n’est pas de nature à interdire au Conseil constitutionnel de se prononcer dans la mesure où le champ d’application de cette disposition est affecté par la loi déférée; qu’enfin les requérants ajoutent dans leur mémoire en réplique qu’en renvoyant au décret le soin de définir les conditions dans lesquelles les droits du salarié dont le contrat de travail a été rompu pourront être transférés sur un autre plan, le législateur n’aurait pas fixé des garanties de nature à assurer la sécurité des salariés et aurait ainsi méconnu l’étendue de sa compétence;

12. – Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution: «La loi fixe les règles concernant: …les successions… La loi détermine les principes fondamentaux: – du régime… des obligations civiles et commerciales – du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale…; qu’il incombe, tant au législateur qu’au Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes proclamés par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, les modalités de leur mise en œuvre;

13. – Considérant, en premier lieu, que le principe constitutionnel d’égalité entre les sexes s’impose au pouvoir réglementaire, sans qu’il soit besoin pour le législateur d’en rappeler l’existence;

14. – Considérant, en deuxième lieu, qu’aucune règle constitutionnelle ne garantit un principe dit de l’équité entre les générations, qu’il incomberait au législateur de préciser et de mettre en œuvre;

15. – Considérant, en troisième lieu, que la régularité au regard de la Constitution d’une loi déjà promulguée peut être utilement contestée à l’occasion de l’examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine; que l’article 27 de la loi déférée, dès lors qu’il modifie les dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale, autorise le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la constitutionnalité de celles-ci; que si en vertu des dispositions précitées de l’article 34 de la Constitution, il incombe au législateur de déterminer les éléments de l’assiette des cotisations sociales et de poser le principe d’exonérations et de leur limitation, il appartient au pouvoir réglementaire de définir, sans dénaturer l’objet et la portée de la loi, les montants et les taux de ces exonérations; qu’en prévoyant, au cinquième alinéa de l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale, que les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance sont exclues de l’assiette des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales pour la partie inférieure à un montant fixé par décret, le législateur n’a pas méconnu l’étendue des compétences qu’il tient de l’article 34 de la Constitution;

16. – Considérant, en quatrième lieu, que les plans d’épargne retraite n’ouvriront pas droit à la liquidation d’une prestation dont les conditions d’attribution relèveraient du législateur en application des mêmes dispositions de la Constitution mais au paiement d’une rente viagère ou d’un versement unique; qu’au surplus, si le législateur a prévu que le droit à réversion ne pourra bénéficier qu’au seul conjoint survivant de l’adhérent et à ses enfants mineurs, incapables ou invalides, une telle disposition ne porte atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle;

17. – Considérant, en cinquième lieu, que l’ensemble des autres prescriptions dont les requérants soutiennent qu’elles devraient figurer dans la loi et auxquelles celle-ci ne fait pas référence ne se rattachent à aucune des dispositions de l’article 34 de la Constitution non plus qu’à aucune autre règle de valeur constitutionnelle;

18. – Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les moyens allégués par les requérants doivent être rejetés;

Sur les griefs tiré d’une méconnaissance de l’article L.O.111-3 du Code de la Sécurité sociale

19. – Considérant que les requérants soutiennent que l’article 26 de la loi déférée, en rendant les abondements des employeurs aux plans d’épargne retraite déductibles de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale, affecterait les prévisions de recettes résultant de la loi de financement de la Sécurité sociale, en méconnaissance de l’article L.O. 111-3 du code de la Sécurité sociale;

20. – Considérant qu’aux termes des trois premiers alinéas du I de l’article L.O. 111-3 du code de la Sécurité sociale: «Chaque année, la loi de financement de la Sécurité sociale:

1° Approuve les orientations de la politique de santé et de Sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l’équilibre financier de la Sécurité sociale;

2° Prévoit, par catégorie, les recettes de l’ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement»; et qu’aux termes du deuxième alinéa du II du même article «Seules les lois de financement peuvent modifier les dispositions prises en vertu des 1° à 5° du I»;

21. – Considérant que cette dernière disposition a pour objet de faire obstacle à ce que les conditions générales de l’équilibre financier, telles qu’elles résultent de la loi de financement de la Sécurité sociale de l’année, modifiée, le cas échéant, par des lois de financement rectificatives, ne soient compromises par des charges nouvelles résultant de l’application de textes législatifs ou réglementaires dont les incidences sur les conditions de cet équilibre, dans le cadre de l’année, n’auraient pu, au préalable, être appréciées et prises en compte par une des lois de financement susmentionnées;

22. – Considérant qu’en raison de ses conditions d’application, et notamment des délais nécessaires à sa mise en œuvre effective, la loi déférée n’est en tout état de cause pas de nature à affecter les conditions générales de l’équilibre financier de la Sécurité sociale en 1997; que le moyen invoqué doit en conséquence être rejeté.

Sur les griefs tirés de la violation du principe d’égalité

•En ce qui concerne les violations alléguées du principe d’égalité devant les charges publiques:

23. –Considérant en premier lieu que les auteurs de la saisine soutiennent que la loi accorderait des avantages fiscaux contraires au principe d’égalité devant les charges publiques, proclamé par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et au principe de progressivité de l’impôt sur le revenu qui en résulte; que l’article 26, en prévoyant que les versements des salariés aux plans d’épargne retraite seront déductibles de leur rémunération nette imposable, mettrait en place un mécanisme bénéficiant principalement aux salariés les plus aisés; que la souscription d’un plan d’épargne retraite de caractère facultatif constituerait davantage, en pratique, une opération de placement plutôt qu’un mécanisme de retraite et que l’avantage fiscal qui s’y attache ne répondrait dès lors à aucun motif d’intérêt général; qu’en outre, l’exonération de cotisations sociales sur leurs versements dont bénéficient les employeurs aggrave les incidences de ce dispositif sur le budget de l’Etat dès lors qu’il reviendrait à celui-ci de compenser les pertes de recettes occasionnées à la Sécurité sociale;

24. –Considérant qu’aux termes de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen: «Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés;

25. – Considérant que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte pour des motifs d’intérêt général des mesures d’incitation par l’octroi d’avantages fiscaux; que celui-ci a entendu favoriser pour les salariés qui le souhaitent, la constitution d’une épargne en vue de la retraite propre à compléter les pensions servies par les régimes obligatoires de Sécurité sociale et de nature à renforcer les fonds propres des entreprises; que les versements des salariés ainsi exonérés sont limités en vertu de l’article premier de la loi et que les sommes dont bénéficieront en retour ceux-ci ou leurs ayants-droit seront elles-mêmes assujetties à l’impôt sur le revenu; que dès lors l’avantage fiscal en cause n’est pas de nature à porter atteinte au principe de progressivité de l’impôt; que par suite les moyens invoqués ne peuvent être accueillis;

26. – Considérant que les requérants font valoir en second lieu que l’article 30, en exonérant les fonds d’épargne retraite de l’assujettissement à la contribution des institutions financières, méconnaîtrait également le principe d’égalité devant les charges publiques;

27. – Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit;

28. – Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la loi déférée, les fonds d’épargne retraite sont des personnes morales ayant pour objet exclusif la couverture des engagements pris dans le cadre de plans d’épargne retraite; qu’ils composent ainsi une catégorie spécifique quelle que soit la forme juridique sous laquelle ils sont constitués et peuvent dès lors être exonérés de manière uniforme de ladite contribution sans que soit méconnu le principe d’égalité que ce grief doit en conséquence être écarté

•En ce qui concerne les autres violations alléguées du principe d’égalité:

29. – Considérant que les auteurs de la requête font en premier lieu grief au deuxième alinéa de l’article 4 de la loi déférée d’écarter l’application des dispositions du chapitre IV du titre III du livre 1er du code du travail, interdisant ainsi à l’ensemble des personnels des entreprises publiques, des établissements publics à caractère industriel et commercial et des établissements publics qui assurent à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, d’adhérer à un plan d’épargne retraite à la suite d’un accord collectif alors que les autres salariés liés par un contrat de travail de droit privé se voient reconnaître cette possibilité qu’ils mettent en cause cette restriction selon eux injustifiée au droit à la négociation collective;

30. – Considérant qu’en vertu de l’article 1er de la loi déférée, les plans d’épargne retraite ont été institués au profit des seuls salariés relevant du régime général de Sécurité sociale que les salariés des entreprises et établissements concernés relèvent de manière générale, lorsqu’ils sont soumis à un statut législatif ou réglementaire particulier, de régimes spéciaux de Sécurité sociale que ces deux catégories de salariés sont dès lors placées dans une situation différente au regard de la protection des régimes de retraite et que le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, ouvrir des droits en matière d’épargne retraite au bénéfice des salariés soumis aux seules dispositions du code du travail que toutefois les salariés des entreprises et établissements concernés qui ne sont pas soumis à un régime statutaire, relèvent du régime général de la Sécurité sociale; que dès lors ils bénéficient des dispositions de la loi y compris en vertu d’un accord collectif intervenu avec l’employeur; qu’ainsi le moyen allégué doit être rejeté

31. – Considérant que les requérants font valoir en deuxième lieu que le second alinéa de l’article 1er méconnaîtrait le principe d’égalité en instaurant une différence de traitement entre les salariés des entreprises existant au moment de la promulgation de la loi et ceux des entreprises qui se créeront un an au moins après cette promulgation

32. – Considérant que la première phrase du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi déférée est ainsi rédigée: «Au terme d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, les salariés qui ne bénéficient d’une proposition de plan d’épargne retraite, ni au titre d’un accord collectif d’entreprise, professionnel ou interprofessionnel, ni au titre d’une décision unilatérale de leur employeur ou d’un groupement d’employeurs, pourront demander leur adhésion à un plan d’épargne retraite existant qu’il en résulte que les salariés des entreprises existant à la date de promulgation de la loi devront attendre un an avant de pouvoir adhérer à un tel plan d’épargne si aucune proposition d’adhésion ne leur est faite durant ce délai, alors que les salariés des entreprises qui seront créées passé ce délai pourront, sans attendre, procéder à une adhésion individuelle; que toutefois cette différence de traitement est justifiée par des considérations d’intérêt général tirées de la prise en compte des conditions de l’entrée en vigueur progressive de la loi; que dès lors le moyen invoqué doit être rejeté

33. – Considérant que les requérants estiment en troisième lieu contraire au principe d’égalité la différence de traitement entre les Français résidant en France et les Français établis hors de France résultant de l’article 2 de la loi déférée qui ouvre à l’ensemble de ces derniers la possibilité d’adhérer à un plan d’épargne retraite, alors que l’article 1er de la loi réserve de manière générale le bénéfice des fonds d’épargne retraite aux seuls salariés liés par un contrat de travail de droit privé affiliés à un régime de base de Sécurité sociale et à un régime de retraite complémentaire

34. – Considérant qu’il résulte des travaux préparatoires de la loi que le législateur a entendu favoriser la constitution d’une épargne retraite par les citoyens français résidant hors de France, quelle que soit leur situation professionnelle, afin d’encourager la mobilité géographique et d’assurer une meilleure protection sociale des Français travaillant à l’étranger que l’article 2 répond dès lors à un but d’intérêt général et que le moyen invoqué doit par suite être rejeté

35. – Considérant que les requérants soutiennent en quatrième lieu que le deuxième alinéa de l’article 5, qui proscrit le service de prestations définies dans le cadre des fonds d’épargne retraite, porterait une atteinte au principe d’égalité non justifiée par des considérations d’intérêt général

36. – Considérant que tous les adhérents seront à cet égard dans une situation identique dès lors que cette exclusion est générale; que par suite le moyen invoqué manque en fait

37. – Considérant que les requérants allèguent en cinquième lieu qu’il résulte de l’article 7 de la loi qu’en cas de rupture du contrat de travail, l’adhérent à un plan d’épargne retraite qui a choisi de demander le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan verrait ses droits «cristallisés au niveau qu’ils avaient atteint à la date de rupture du contrat de travail, sans qu’il puisse bénéficier des produits financiers ou des «bénéfices techniques générés par le plan alors que les salariés continuant d’adhérer au fonds le pourront qu’il s’ensuivrait une rupture d’égalité entre les uns et les autres;

38. – Considérant qu’aux termes de la première phrase du premier alinéa de l’article 7: «En cas de rupture du contrat de travail, l’adhérent à un plan d’épargne retraite peut demander le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan;

39. – Considérant qu’il ne résulte pas de cette disposition que l’adhérent à un plan d’épargne retraite dont le contrat de travail aura été rompu et qui aura demandé le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan sera traité différemment, au regard de ces droits, de l’adhérent demeurant salarié du souscripteur que dès lors le moyen invoqué doit être rejeté

40. – Considérant que les auteurs de la saisine font enfin valoir que la loi établirait des différences de traitement injustifiées entre adhérents individuels et «adhérents collectifs en matière de contrôle et d’information que l’article 14 interdirait aux salariés adhérant individuellement à un plan d’épargne retraite d’être représentés au travers des comités de surveillance et, en raison des règles de composition de ces comités, conduirait à ce que les plans mis en place par de petites entreprises, voire de moyennes entreprises, ne puissent être dotés de comités de surveillance que les articles 16, 21 et 22 relatifs aux conditions d’information des adhérents et des membres du comité de surveillance ne permettraient pas que soient assurés l’information des adhérents individuels et l’exercice de leur contrôle;

41. – Considérant que le deuxième alinéa de l’article 14 prévoit que le comité de surveillance est composé, pour moitié au moins, de représentants élus des adhérents du plan, sans distinguer entre les adhérents à titre individuel et les autres que tous pourront donc participer aux élections des représentants des adhérents qu’aucune disposition de la loi ne fait obstacle à la constitution de tels comités, quelle que soit la taille des entreprises ayant pu souscrire à un plan d’épargne retraite; que l’article 21 définit les conditions d’information des adhérents sans distinguer entre eux; que tous pourront par l’intermédiaire du comité de surveillance être informés du rapport annuel sur la gestion du plan prescrit à la charge du fonds d’épargne retraite par le cinquième alinéa de l’article 21, des conclusions du rapport d’expertise présenté en application de l’article 16 ou des renseignements communiqués par les commissaires aux comptes ou les actuaires de fonds d’épargne retraite, en application de l’article 22

42. – Considérant que dès lors le grief tiré d’une inégalité de traitement entre les adhérents à titre individuel et les autres adhérents manque en fait. Sur le grief tiré de l’atteinte au principe «de faveur»

43. – Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que le deuxième alinéa de l’article 4, en permettant de faire prévaloir entre les différents accords en matière d’épargne retraite susceptibles d’être conclus au niveau de l’entreprise, de la branche professionnelle ou au niveau interprofessionnel, celui dont les dispositions sont les moins favorables, contreviendrait au principe du droit du travail selon lequel, en cas de conflit de normes, la plus favorable doit recevoir application que ce principe constituerait un principe fondamental reconnu par les lois de la République trouvant son origine dans une loi de 1936;

44. – Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 4, les plans d’épargne retraite pourront déroger au second alinéa de l’article L. 132-13 du code du travail qui oblige les parties à une convention ou un accord collectif à adapter leur accord aux dispositions d’une convention ou d’un accord plus favorable intervenu postérieurement et de niveau supérieur et au second alinéa de l’article L. 132-23 du même code qui impose la même obligation aux parties à un accord d’entreprise en cas d’application postérieure d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel;

45. – Considérant que la seule disposition, introduite par la loi du 24 juin 1936 sous la forme d’un article 31vc du code du travail, selon laquelle «les conventions collectives ne doivent pas contenir de dispositions contraires aux lois et règlements en vigueur, mais peuvent stipuler des dispositions plus favorables a trait uniquement à la faculté ouverte à des accords collectifs de comporter des stipulations plus favorables que les lois et règlements en vigueur; que dès lors le moyen tiré de cette disposition est inopérant;

Sur le grief tiré de la violation du principe de liberté contractuelle

46. – Considérant que les requérants font valoir qu’il résulte de la combinaison du deuxième alinéa de l’article 4, du premier alinéa de l’article 6 et du deuxième alinéa de l’article 7 que par décision unilatérale un employeur pourra, sans participer à son financement, mettre en place un plan d’épargne retraite et ainsi interdire aux salariés de l’entreprise d’adhérer à un autre fonds; qu’ainsi seraient méconnus le principe de liberté contractuelle et le principe de l’autonomie de la volonté qui résulterait de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen disposant que «la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui

47. – Considérant qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article 4, la souscription d’un plan d’épargne retraite peut résulter d’un accord collectif d’entreprise ou d’un accord de branche, que ce plan est proposé à l’adhésion de tous les salariés de l’entreprise, et en cas d’accord de branche, à tous les salariés concernés, que les conditions d’adhésion sont alors définies de façon identique pour des catégories homogènes de salariés qu’en application du premier alinéa de l’article 6, les versements des salariés et l’abondement de l’employeur aux plans d’épargne retraite sont facultatifs et peuvent être suspendus ou repris sans pénalité qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article7, en l’absence de rupture du contrat de travail, l’adhérent ne peut demander qu’à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de son adhésion, le transfert intégral, sans pénalité, des droits acquis en vertu de ce plan sur un autre plan d’épargne retraite, cette demande ne pouvant être renouvelée qu’une fois

48. – Considérant que le principe de liberté contractuelle n’a pas en lui-même valeur constitutionnelle que sa méconnaissance ne peut être invoquée devant le Conseil constitutionnel que dans le cas où elle conduirait à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis que tel n’est pas le cas en l’espèce que ne résulte ni de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ni d’aucune autre norme de valeur constitutionnelle un principe constitutionnel dit de l’«autonomie de la volonté que les griefs allégués par les requérants ne peuvent dès lors qu’être rejetés Sur le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre

49. – Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que le premier alinéa de l’article 8 de la loi imposerait une obligation de créer des fonds d’épargne retraite contraire au principe de la liberté d’entreprendre qu’en effet l’obligation faite aux organismes assureurs de constituer de nouvelles personnes morales soumises à un agrément spécifique constituerait une exigence excessive privée de justifications appropriées d’intérêt général

50. – Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 8: «Les fonds d’épargne retraite sont des personnes morales ayant pour objet exclusif la couverture des engagements pris dans le cadre de plans d’épargne retraite que les autres dispositions de l’article 8 ainsi que les articles 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24 et 25 de la loi déférée déterminent les conditions dans lesquelles les fonds d’épargne retraite seront créés, gérés et contrôlés qu’en particulier, le législateur a soumis la création des fonds d’épargne retraite à un agrément administratif donné après avis d’une commission de contrôle et a défini des règles prudentielles spécifiques applicables aux fonds d’épargne retraite;

51. – Considérant que la liberté d’entreprendre, qui n’est ni générale ni absolue, s’exerce dans le cadre des règles instituées par la loi que les contraintes établies par le législateur en vue de préserver la sécurité financière des salariés, en ce qui concerne la création, la gestion et le contrôle des fonds d’épargne retraite ne portent pas à cette liberté des atteintes excessives propres à en dénaturer la portée

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

52. – Considérant que les requérants soutiennent que l’article 20, en interdisant aux membres de la commission de contrôle prévue par l’article 17 de recevoir, pendant la durée de leur mandat et dans les cinq ans qui suivent l’expiration de celui-ci, toute rétribution de la part d’un fonds d’épargne retraite, d’un prestataire de services d’investissement gérant par délégation des actifs d’un fonds ou de toute société exerçant sur le fonds ou le prestataire un contrôle exclusif, méconnaîtrait l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont le respect supposerait que «l’ensemble des fonctionnaires et agents qui participent à l’instruction des demandes d’agrément et au contrôle des fonds d’épargne retraite ainsi que ceux qui, par délégation des ministres concernés, prennent la décision d’agrément, ne puissent pendant un délai qui pourrait également être de cinq ans, recevoir de rétribution d’un fonds d’épargne retraite

53. – Considérant que l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose: «La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration que la disposition que les auteurs de la saisine appellent de leurs vœux est sans rapport avec l’application de ce principe; que dès lors le moyen invoqué est inopérant

54. – Considérant qu’il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution

Décide:

Article 1er . – La loi créant les plans d’épargne retraite n’est pas contraire à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 mars 1997, où siégeaient: MM.Roland DUMAS, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean CABANNES, Maurice FAURE, Yves GUENA, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR et M. Jacques ROBERT.

Cour constitutionnelle du Gabon

GAB / 1992 / A01
Gabon / Cour constitutionnelle / 28-02-1992 / Décision n° 001-CC / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.2.13 Institutions – organes législatifs – partis politiques
5.1.1.2 Droits fondamentaux – principes de base – égalité et non-discrimination
5.1.2.4.2 Droits fondamentaux – principes de base – bénéficiaires – personnes morales – droit public
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication

Antenne (temps d’antenne) – Conseil national de la communication

La Cour constitutionnelle,

(…)

SUR L’ARTICLE 36 EN CE QU’IL TRAITE DU TEMPS D’ANTENNE ENTRE LES PARTIS POLITIQUES

Considérant qu’au nombre des textes et normes de valeur constitutionnelle figure la Charte nationale des libertés de 1990, laquelle réaffirme en son article 5 le droit d’accès égal aux médias de l’Etat;

Considérant qu’aux termes de l’article 95 de la Constitution, le Conseil national de la Communication est chargé, entre autres missions, de veiller au traitement équitable de tous les partis et associations politiques;

que le droit d’accès égal aux médias de l’Etat implique nécessairement l’égalité du temps d’antenne entre tous les partis politiques, dès lors qu’ils sont reconnus;

qu’il s’ensuit qu’en disposant en son article 36 que le Conseil national de la Communication veille à la proportionnalité du temps d’antenne entre les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, la loi 14/91 crée une discrimination qui entache cette disposition d’inconstitutionnalité;

(…)

Décide:

Article 1er .– Sont déclarés non conformes à la Constitution les articles 18, 19, 20, 36 et 40 du texte de loi soumis à la Cour constitutionnelle.

Article 2. – Sont déclarées non séparables de l’ensemble du texte de la loi les dispositions de l’article 36 et séparables dudit texte les dispositions des articles 18, 19, 20 et 40.

Article 3. – Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution. Est également déclarée conforme aux prescriptions des articles 54 alinéa 3 et 60 de la Constitution la procédure législative qui a abouti à l’adoption de ladite loi.

Article 4. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République.

(…)

GAB / 1993 / A02
Gabon / Cour constitutionnelle / 28-01-1993 / Décision n° 0002-CC / extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Cartes d’identité – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

3. – Considérant que les requérants reprochent au texte attaqué d’avoir prévu en son article 13 qu’un décret déterminera les conditions d’exploitation et de gestion informatisée des cartes nationales d’identité alors que les limites et les conditions de l’usage de l’informatique doivent être fixées par la loi, conformément aux dispositions des articles 1er alinéa 6 et 47 cinquième tiret de la Constitution;

4. – Considérant certes qu’aux termes des articles de la Constitution ci-dessus visés, les conditions et les limites de l’usage de l’informatique afin que soient sauvegardés l’honneur, l’intimité personnelle et familiale des citoyens ainsi que le plein exercice de leurs droits sont fixées par la loi;

5. – Considérant toutefois que les dispositions de l’article 13 du Décret attaqué se bornent à annoncer qu’un décret déterminera les conditions d’exploitation et de gestion informatisée des cartes nationales d’identité conformément aux Lois en vigueur; qu’il en résulte que la seule annonce de ce Décret à venir ne constitue pas une violation des dispositions des articles 1er alinéa 6 et 47 cinquième tiret de la Constitution;

(…)

Sur le moyen tiré de la violation du principe d’égalité entre les citoyens

8. – Considérant que les requérants fondent ledit moyen sur le fait que l’avis dans le système juridictionnel gabonais étant insusceptible de recours, le demandeur de la carte nationale d’identité qui reçoit un avis négatif de la Commission Administrative, est privé de tout recours et se trouve par conséquent dans une situation qui crée une inégalité entre les citoyens devant la loi;

9. – Considérant qu’il est constant que seuls sont inattaquables les avis qui constituent des mesures préparatoires et consultatives destinées à l’élaboration d’actes Législatifs ou administratifs et qui de ce fait ne lient pas le destinataire dans son pouvoir de décision;

10. – Considérant au contraire qu’aux termes de l’article 11 du texte critiqué, l’établissement de la carte nationale d’identité est subordonné à un avis conforme de la Commission Administrative; que cet avis a par conséquent valeur de décision administrative; qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé;

(…)

16. – Considérant qu’il résulte notamment des articles 8, 9, 10 et 11 du décret attaqué que les dossiers de demande ou de renouvellement des cartes nationales d’identité sont obligatoirement adressés par les commissaires de police, les brigades de gendarmerie, les missions diplomatiques et consulaires à une structure centrale technique appelée Centre d’établissement des cartes nationales d’identité, lequel centre les transmet à son tour après examen à une commission administrative de délivrance et de renouvellement des cartes nationales d’identité; que celle-ci prend des décisions sous forme d’avis qui doivent être notifiées aux demandeurs par la même voie; qu’il est précisé à l’article 9 que les décisions de la commission administrative sont prises à la majorité simple et qu’en cas d’égalité de voix, celle du Président est prépondérante; que selon les articles 10 et 11 aucune carte nationale d’identité ne peut être établie par le centre sans l’avis conforme de la commission administrative, l’avis non conforme pouvant être attaqué par le demandeur devant la juridiction compétente;

17. – Considérant que la carte nationale d’identité est une pièce administrative qui sert à reconnaître à son titulaire la qualité de citoyen, avec les conséquences de droit qu’implique la possession de cette qualité; qu’elle revêt pour les citoyens, dans l’exercice de leurs droits, une importance d’autant plus primordiale que la plupart d’entre eux n’ont pas la possibilité de posséder une pièce d’identité autre que la carte nationale d’identité;

18. – Considérant que la délivrance ou le renouvellement de la carte nationale d’identité est subordonnée à des conditions limitativement énumérées à l’article 3 du texte attaqué et dont il appartient à l’Administration de constater la réunion lorsqu’elle est saisie d’une demande; qu’il en résulte que l’autorité compétente doit ou bien délivrer ladite carte lorsque les conditions sont réunies ou bien rejeter le dossier de la demande en indiquant au demandeur les éléments qui y font défaut, sous réserve des poursuites répressives dont pourraient faire l’objet les demandeurs suspects de faux ou d’usage de faux; qu’il s’ensuit que dans un cas ou dans l’autre l’Administration n’a aucune possibilité de choix contraire et qu’elle se trouve de ce fait dans une situation de compétence liée, laquelle constitue une garantie du respect du principe de la légalité républicaine;

19. – Considérant que les dispositions des articles 9, 10 et 11 susvisés confèrent paradoxalement un pouvoir discrétionnaire à l’Administration et exposent par conséquent les demandeurs de cartes nationales d’identité à des risques de discriminations, d’erreurs et de lenteurs préjudiciables;

20. – Considérant en effet que d’une part, à cause d’une procédure complexe, les personnes qui ont reçu un avis négatif et sont dans l’attente d’une décision juridictionnelle, se trouvent exposées à des lenteurs considérables susceptibles de porter atteinte à ceux de leurs droits et libertés dont l’exercice est subordonné à la présentation d’une carte nationale d’identité; que d’autre part, en raison des appréciations d’opportunité qui tiennent à la nature même du pouvoir discrétionnaire, des risques de discriminations et d’erreurs de nature à porter atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi sont à redouter de la part de la Commission Administrative; qu’enfin en conférant à cette Commission Administrative un pouvoir discrétionnaire qui est en contradiction avec la compétence liée résultant des dispositions de l’article 3, le décret querellé viole le principe de la légalité républicaine;

21. – Considérant que dans le préambule de la Constitution le peuple gabonais organise la vie commune notamment d’après le principe de la légalité républicaine et proclame solennellement son attachement au respect des libertés, des droits et des devoirs du citoyen; que le respect des droits implique nécessairement la possibilité pour les titulaires de ceux-ci de les exercer sans redouter le moindre obstacle;

22. – Considérant par conséquent que l’Administration est ici dans une situation de compétence liée, que les articles 9, 10 et 11 du décret attaqué, en tant qu’ils font obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte nationale d’identité et constituent une source potentielle de discriminations entre les citoyens devant la Loi, violent les dispositions des alinéas 1 et 3 du préambule et de l’article 2 de la Constitution.

Décide:

Article 1er . – Les articles 8, 9, 10 et 11 du décret n° 2056/PR/MDNSI du 27 novembre 1992 fixant les modalités de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d’identité sont déclarés contraires à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera notifiée aux requérants et publiée au Journal officiel de la République.

(…)

GAB / 1993 / A03
Gabon / Cour constitutionnelle / 3-12-1993 / Décision n° 023-93-CC / texte intégral

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication

Antenne (temps d’antenne) – Campagne électorale – Candidats (à une élection) – Conseil national de la communication – Manœuvre frauduleuse

Au nom du peuple gabonais,

La Cour constitutionnelle,

Vu La constitution;

Vu La Loi Organique 9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour constitutionnelle;

Vu La Loi Organique 14/91 du 24 mars 1992 portant organisation et fonctionnement du Conseil national de la Communication;

Vu La loi 13/92 du 11 mars 1993 portant code électoral;

Vu L’arrêté n° 002373/PM/PRACOM/PT du 4 novembre 1993 fixant la répartition du temps d’antenne et de l’espace d’insertion dans les médias de l’Etat pendant la campagne pour l’élection présidentielle de décembre 1993;

Ouï Maître David FOUMANE-MENGUE, Avocat des requérants en ses observations;

Ouï Maître Jean-Raymond ZASSI-MIKALA, Avocat du Sieur OMAR BONGO en ses observations;

Le Rapporteur ayant été entendu;

1. – Considérant que les requérants ont saisi la Cour constitutionnelle aux fins de voir invalider la candidature du Sieur OMAR BONGO sur le fondement des articles 155 et 156 du code électoral; qu’ils soutiennent à cet effet que depuis l’ouverture officielle de la campagne électorale le candidat OMAR BONGO bénéficie d’un traitement privilégié de la part des médias de l’Etat au détriment des autres candidats; que pour se faire offrir ce traitement privilégié il a corrompu les journalistes qui animent l’émission le grand jury en leur offrant une importante somme d’argent; qu’enfin, il utilise les moyens appartenant à l’Etat;

2. – Considérant que l’article 155 susvisé dispose notamment tous les candidats bénéficient, de la part de l’Etat, de l’égalité de traitement dès l’ouverture de la campagne officielle en vue de l’élection présidentielle. Le Conseil national de la Communication assure à chacun d’entre eux le même temps d’antenne et le même espace d’insertion dans les sociétés du secteur public de télévision, de radiodiffusion et de presse écrite. Le principe d’égalité entre les candidats doit être respecté dans les programmes d’information des sociétés du secteur public. Aucun candidat ne peut se prévaloir d’attribut particulier pour se faire offrir un traitement privilégié pendant la campagne électorale. Les moyens de transport et les infrastructures d’accueil appartenant à l’Etat ne peuvent être mis à la disposition d’un candidat au détriment des autres, tandis que l’article 156 énonce que toute manœuvre frauduleuse de la part du candidat dûment constatée par la Cour constitutionnelle et tendant à enfreindre le principe d’égalité visé à l’article 155 ci-dessus, entraîne automatiquement l’invalidation de la candidature de l’intéressé

3. – Considérant qu’il est constant que depuis l’ouverture de la campagne électorale le principe d’égalité de traitement des candidats à l’élection présidentielle n’est pas respecté par les médias de l’Etat, comme en témoignent une correspondance en date du 17 novembre 1993 adressée par le Président du Conseil national de la Communication au Président de la Cour constitutionnelle et au Ministre de la Communication ainsi qu’un procès-verbal de constat dressé le 24 novembre 1993 par un huissier de Justice;

4. – Considérant qu’il résulte cependant des dispositions de l’article 156 du code électoral que la violation du principe d’égalité visé à l’article 155 dudit code ne peut être une cause d’invalidation de candidature que si elle est la conséquence d’une manœuvre frauduleuse de la part du candidat; qu’il apparaît que par ces dispositions le législateur a voulu éviter que le candidat soit pénalisé pour des manœuvres ou des comportements dont il n’est pas responsable;

5. – Considérant que pour prouver que le non respect dudit principe par les médias de l’Etat est la conséquence d’une manœuvre frauduleuse du candidat OMAR BONGO, les requérants font valoir que celui-ci a reconnu, au cours de l’émission le grand jury du 20 novembre 1993, avoir corrompu les animateurs de cette émission en leur offrant une importante somme d’argent, ce qui, selon eux, constitue une manœuvre frauduleuse qui a déterminé le comportement discriminatoire de ces médias à l’égard des autres candidats;

6. – Considérant qu’à ce sujet le Sieur OMAR BONGO déclare avoir fait des largesses, en sa qualité de Président de la République, aux journalistes qui animent l’émission le grand jury, ceux-ci ayant sollicité sa générosité aux fins d’aplanir certaines difficultés relatives au fonctionnement de leur service; qu’il ajoute que de telles largesses ne sont pas rares aussi bien à l’égard des agents de l’Etat qu’à l’égard d’autres catégories de personnes;

7. – Considérant que le comportement discriminatoire des médias de l’Etat a été constaté dans tous les secteurs de la radiodiffusion et de la presse écrite; qu’il s’ensuit que les largesses faites par le Président de la République aux seuls animateurs du grand jury dans les conditions que l’on sait, ne sauraient revêtir le caractère d’une corruption et par conséquent d’une manœuvre frauduleuse;

8. – Considérant par conséquent qu’il ne résulte pas du dossier de la procédure la preuve que le non respect par les médias de l’Etat du principe d’égalité visé à l’article 155 du code électoral est la conséquence d’une manœuvre frauduleuse de la part du candidat OMAR BONGO;

9. – Considérant qu’en ce qui concerne l’utilisation par le candidat OMAR BONGO des moyens appartenant à l’Etat, l’intéressé a fait connaître que pour sa campagne il utilise les moyens de transport qui lui appartiennent ou qui ont été loués à ses frais; qu’il en a donné la preuve en produisant les factures relatives à la location d’un avion de la Compagnie Air-Gabon et de deux hélicoptères de nationalité suisse;

10. – Considérant qu’il ne résulte pas non plus du dossier de la procédure la preuve que le candidat OMAR BONGO a utilisé les moyens appartenant à l’Etat pour sa campagne électorale;

11. Considérant toutefois que lorsqu’il n’est pas la conséquence d’une manœuvre frauduleuse du candidat, comme c’est le cas en l’espèce, le non respect des médias de l’Etat du principe d’égalité ne peut procéder que de manœuvres, de complaisance ou de négligences coupables, ou d’excès de zèle dont les auteurs doivent faire l’objet d’observations publiques ou de sanctions appropriées de la part du Conseil national de la Communication, conformément aux dispositions des articles 96 de la Constitution et 41 de la Loi Organique du 24 mars 1992.

Décide:

Article 1er . – La requête présentée par le Forum Africain pour la Reconstruction, le Rassemblement national des Bûcherons, le Parti Radical des Républicains Indépendants, le Parti Libéral Démocrate et Messieurs Jules Aristide BOURDES OGOULIGUENDE, Jean-Pierre LEMBOUMBA LEPANDOU et Alexandre SAMBAT est rejetée.

Article 2. – La présente décision sera notifiée aux requérants et publiée au Journal officiel de la Gabon.

Siégeaient Madame Marie Madeleine MBORANTSUO, Président, MM. Augustin BOUMAH, Victor AFENE, Jean-Pierre NDONG, Marc Aurélien TONJOKOUE, Paul MALEKOU, Séraphin NDAOT, Dominique BOUNGOUERE, Madame Louise ANGUE.

Assistés de Maître Pierre François BARBERA-ISAAC, Greffier Et ont signé, le Président et le Greffier.

Cour suprême de Guinée

GUI / 1993 / A01
Guinée/Cour suprême/Chambre constitutionnelle et administrative/11-05-1993 / Arrêt n° 93-002-CS-CCA / texte intégral

(AFFAIRE U.N.P. [Union Nationale pour la Prospérité] et Paul Louis FABER c. [M.I.S.] le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité)

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Loi (égalité devant la loi) – Service public (égalité devant le service public)

Au nom du Peuple guinéen,

La Cour suprême de la République de Guinée, séant à Conakry, Chambre Constitutionnelle Administrative en son audience publique et ordinaire du Onze Mai Mil Neuf Cent Quatre-Vingt-Treize tenue au Palais du Peuple,

A rendu l’arrêt dont la teneur suit dans la cause;

Entre:

L’U.N.P. (Union Nationale pour la Prospérité) représentée par Maître Paul Louis FABER, Secrétaire Général et Maître Paul Louis FABER en qualité de militant actif;

Demandeurs comparant en personne et concluant par l’organe de leurs Conseils, Maître Jean DIENG, Dinah SAMPIL, Boubacar SOW et Maurice Lamey KAMANO, Avocats à la Cour D’UNE PART

ET Le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité (M.I.S.);

Défendeur comparant, représenté par les Sieurs Dembo TOURE et Daouda CONDE respectivement, Directeur des libertés Publiques et des affaires juridiques, et Conseiller.

En droit:

Sur le 1er Moyen:

Considérant que selon le 1er Moyen développé par le pourvoi, l’article 12 du règlement intérieur qui précise la composition du Congrès a été violé;

Considérant que selon cet article le Congrès se compose des Membres du Bureau Exécutif, des Membres du Bureau National des Bureaux Fédéraux, 5 Membres du Bureau National des Femmes et 5 Membres des Jeunes;

Considérant que le pourvoi soutient que les Bureaux Fédéraux dont la présence était nécessaire n’étaient pas encore tous constitués;

Considérant que des pièces fournies par le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, hors délais et sur demande de la Cour suprême, il résulte que le Congrès était composé de la manière suivante:

«étaient présents:

18 Membres du Bureau Exécutif provisoire;

27 Bureaux Fédéraux sur 28

5/5 Bureau National des Femmes

5/5 Bureau National des Jeunes»;

Considérant qu’on relève tout d’abord que seuls 18 Membres du Bureau Exécutif sur 31 étaient présent en violation de l’article 12 du règlement intérieur lequel parle des Membres du Bureau Exécutif et non d’une fraction du Bureau Exécutif, ce qui établit que l’exigence liée à la présence du Bureau Exécutif comme Membre statutaire du Bureau Exécutif n’était pas réuni;

Considérant que le Congrès ne remplit pas non plus les conditions de l’article 12 en ce que seules Fédérations sur 38, et non sur 28 comme ledit le Procès-Verbal de la séance d’ouverture du Congrès, étaient présentes;

Considérant en outre que non seulement le nombre de délégués n’était pas uniforme pour les différentes Fédérations mais en plus ces délégués ne produisent aucun mandat les habilitant à représenter dans les conditions statutaires les organismes de base, leurs délégants;

Considérant par ailleurs que les délégués statutaires n’ayant pas émargé ni produit d’habilitation, la représentativité et la régularité du Congrès par rapport aux Statuts et au règlement intérieur (documents contractuels) ne sont pas établis, par suite, il y a violation de l’article 12 et irrégularité du Congrès tenu et des décisions qui en ont résulté;

Sur le 2e Moyen:

Considérant que le pourvoi soutient aussi la violation de l’article 14 du règlement intérieur en ce que la convocation et l’ordre du Jour du Congrès n’ont pas été envoyés dans le délai et par la personne mentionnée dans ce texte, à savoir le Secrétaire Général;

Considérant que des pièces versées au dossier, il résulte qu’un acte en date du 5 septembre 1992, sous la signature de Monsieur Nana Souna YANSANE, Secrétaire Politique, indiquant la tenue prochaine du Congrès et l’ordre du Jour, a été émis au nom des Fédérations et des Bureaux Nationaux des Femmes et des Jeunes;

Considérant que le 7 octobre 1992 un communiqué sous la signature du Secrétaire à l’Administration Monsieur Naby Ibrahima CAMARA, informe les Militants et les Militantes de l’UNP de la tenue du 1er Congrès dont la convocation a été décidée par la majorité du Bureau Exécutif;

Considérant qu’il convient tout d’abord de relever les contradictions de date entre le communiqué du 7 octobre valant acte de convocation du Congrès et l’acte du 5 septembre 1992 de Monsieur Nana Souna YANSANE informant les Fédérations, de la tenue du Congrès et de l’ordre du Jour soit à un moment où le Congrès n’était pas encore convoqué par le Bureau Exécutif;

Considérant qu’il apparaît donc qu’aux termes même du communiqué du 7 octobre 1992, qui se déclare acte de convocation, le Congrès a été convoqué le 7 octobre 1992 pour être tenu les 10 et 11 octobre;

Qu’il est dès lors constant que ni les convocations, ni l’ordre du Jour n’ont été envoyés par le Secrétaire Général de l’UNP;

Qu’à supposer même qu’on retienne le communiqué du 7 octobre comme acte de convocation du Congrès, il reste qu’il est signé par Monsieur Naby I CAMARA et non par le Secrétaire Général et il n’est pas accompagné de l’ordre du Jour; Que dès lors l’article 14 du règlement intérieur n’a pas été observé et pour cela le Congrès tenu et les décisions qui y sont issues sont irréguliers;

Sur le 3e Moyen:

Considérant que le pourvoi fait état de la violation de l’article 15 du règlement intérieur en ce que le Congrès du 10 et du 11 octobre n’aurait pas été convoqué conformément à cette stipulation;

Considérant que selon cet article le Congrès est convoqué soit par le Bureau Exécutif, soit par les 2/3 des Membres du Congrès soit par les 2/3 des délégués des Fédérations, également l’article 22 des Statuts;

Considérant que l’acte de convocation versé au dossier, soit le communiqué du 7 octobre 1992, fait état de la convocation du Congrès par la majorité du Bureau Exécutif soit 18 Membres dont les signatures sont apposées au verso de l’acte;

Considérant que l’article 15 attribue le pouvoir de convoquer le Congrès non à une fraction même majoritaire du Bureau Exécutif mais au Bureau Exécutif tout court soit le Bureau Exécutif dans sa totalité sauf les cas de délégation de vote ou d’excuses justifiées;

Considérant qu’il est de principe que l’interprète n’a pas à distinguer là où la Loi ou le texte ne distingue pas;

Considérant par ailleurs que chaque fois que les fondateurs de l’UNP ont voulu une majorité qualifiée, ils l’ont exprimée dans les Statuts ou le règlement intérieur, l’article 15 étant précisément une illustration;

Que dès lors la convocation faite par les 18 Membres du Bureau Exécutif n’est pas conforme à la volonté contractuelle contenue dans l’article 15 du règlement intérieur. Par suite le moyen est fondé;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les articles 12, 14 et 15 du règlement intérieur et les articles 15 et 22 des Statuts n’ont pas été respectés; que pourtant les Statuts et le règlement intérieur sont des documents contractuels qui font la Loi des Parties (Article 668 du Code civil);

Que cette Loi des Parties s’impose à elles, à l’Administration et même au Législateur. Elle ne peut être anéantie ou modifiée que selon les volontés contractuelles contraires exprimées par les Parties. Que nul ne peut se substituer aux volontés exprimées dans les Statuts et le règlement intérieur pour régler la vie du Parti;

Que le dépôt de ces documents au Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité au moment de la naissance du parti et l’appréciation de leur conformité à la légalité par le Département de l’Intérieur en font des instruments juridiques dont le respect s’impose au Ministère de l’Intérieur et à tous. Que ne pas respecter les Statuts et le règlement intérieur équivaudrait à rendre inutile le dépôt de ces documents exigés par la Loi. Que dès lors, le Ministère de l’Intérieur a l’obligation légale (Article 668 du Code civil), (Article 17 de la Loi Organique N° 91/02) de ne prendre en compte que le Congrès, convoqué, tenu, siégeant et décidant dans les conditions définies dans les Statuts et le règlement intérieur déposés devant l’Administration;

Que le non-respect des articles 12, 14, 15 du règlement intérieur et les articles 15 et 22 des Statuts par ceux qui ont organisé le Congrès de l’UNP les 10 et 11 octobre 1993 emporte comme conséquence la violation des textes contractuels, Loi des parties, et l’irrégularité du point de vue contractuel et légal du Congrès tenu et des décisions qui en ont résulté;

Que dès lors, la lettre Administrative N° 001401/MIS/CAB du 4 novembre 1992 de Monsieur le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, admettant la validité des modifications statutaires et contractuelles du Congrès irrégulier des 10 et 11 octobre 1993, viole par là même les articles 668 du Code civil et 17 de la Loi organique N° 91/02 portant charte des partis politiques;

Que cette lettre Administrative non conforme aux Lois doit être déclarée nulle et de nul effet;

Sur le 4e Moyen:

Considérant que le pourvoi reproche à la lettre Administrative Ministérielle 001401/MIS/CAB d’avoir violé l’article 17 de la Loi Organique N° 91/02 portant charte des partis politiques en ce qu’elle a admis la validité des modifications statutaires et contractuelles non conformes aux Lois et aux règlements;

Considérant qu’à la suite du Congrès de l’UNP des 10 et 11 octobre 1992, des modifications ont touché l’organe de direction dont la liste a été déposée au Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité;

Considérant que cette liste ne pouvait être modifiée que dans les conditions déterminées par les Statuts et le règlement intérieur et dans le respect de la Loi;

Considérant que les modifications intervenues dans la direction résulte du Congrès non statutaire et irrégulier tenu les 10 et 11 octobre 1993;

Considérant que ce faisant, ces modifications sont non statutaires, non contractuelles et non légales.

Que dès lors, il y a violation de l’article 17 de la Loi Organique N° 91/02, qui dispose dans son 3e alinéa, «toute modification non conforme aux Lois et règlements sera refusée», sans même qu’il y ait lieu de rechercher si le Secrétaire Général élu lors des assises des 10 et 11 octobre 1992 remplissait en sa personne les conditions légales pour être Secrétaire Général de l’UNP;

Considérant qu’à ce titre aussi la lettre Administrative attaquée mérite d’être annulée;

Sur le 5e Moyen:

Considérant que le pourvoi reproche au Département de l’Intérieur et de la Sécurité d’avoir violé l’article 5 de la Loi Fondamentale qui énonce le caractère sacré de la personne humaine et de sa dignité et la protection qui leur est due par l’Etat, en ne signifiant pas aux requérants notamment à Maître Paul Louis FABER malgré l’indication portée sur la lettre querellée de lui en faire ampliation;

Considérant que ce moyen ne peut être retenu car la non expédition de la lettre Ministérielle N°001401/MIS/CAB ne viole en rien la dignité du requérant;

En revanche, les citoyens étant égaux devant la Loi et le service public, en envoyant la lettre N° 001401/MIS/CAB à Monsieur TOURE et en abstenant de le faire à l’endroit de Maître Paul Louis FABER alors que l’annonce de l’ampliation a été faite, l’acte de Monsieur le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité viole le principe constitutionnel (article 8 de la Loi Fondamentale) et le principe général du droit exprimant l’égalité des citoyens devant la Loi et le service public. A ce titre également l’acte querellé mérite d’être annulé;

Sur le 6e Moyen:

Considérant que le pourvoi soutient l’annulation de la décision Ministérielle pour manque de motif;

Considérant que si les motifs ne semblent pas apparaître expressis verbis dans la lettre attaquée, elle renferme cependant assez d’éléments permettant d’apprécier les soutiens de la décision; que partant le moyen n’est pas fondé.

Par ces motifs:

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière adminisrative, en premier et dernier ressort

Au fond

  1. Annule dans tous ses effets la lettre Administrative N° 001401/M.I.S./CAB prise par Monsieur le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité pour violation des articles 12, 14, 15 du règlement intérieur de l’UNP, des articles 15 et 22 des Statuts, de l’article 668 du Code civil, de l’Article 17 de la Loi organique 91/02, de l’article 8 de la Loi Fondamentale et d’un principe fondamental du droit
  2. Dit que les dépens sont à la charge du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité
  3. Déclare que le présent arrêt sera publié partout où le besoin sera.

Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jours, mois et an que dessus.

Et ont signé le Président, le Conseiller Rapporteur et le Greffier.

(M Lamine SIDIME Premier Président, Président;

M Chaïckou Yaya BALDE, Conseiller;

M. Robert GUILAO, Conseiller;

En présence de M. Alpha Ibrahima DIALLO Procureur Général Près la LA COUR SUPREME

Avec l’assistance de Maître Ibrahima BEAVOGUI Greffier en Chef Près Ladite Cour.)

GUI / 1994 / A02
Guinée/Cour suprême/Chambre constitutionnelle et administrative/4-01-1994/Arrêt n° 94-001-CS-CCA / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

Bulletins de vote – Campagne électorale – Candidats (à une élection) – Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité)

Au nom du Peuple guinéen,

(…)

3e série de Moyens liés à la non communication de la liste des bureaux de vote:

Considérant que les requérants soutiennent la violation de l’article L.O 71 de la Loi organique n°91/12, ce moyen est soulevé par Monsieur Alpha CONDE, Monsieur Facine TOURE, Monsieur Mamadou BHOYE BA;

Considérant qu’il est soutenu que cette liste n’a pas été établie et communiquée dans le délai requis;

Considérant que l’arrêté ayant été pris le 9/12/93, l’article L.O 71 de la Loi Organique n° 91/12 n’a pas été observé;

Que cependant malgré cette insuffisance, les Bureaux de Vote ont été identifiés par les Citoyens et électeurs car, outre que les électeurs se sont acquittés massivement de leur devoir civique, des individus mal intentionnés ont pu eux aussi identifier les lieux des bureaux de vote en vue de leur destruction;

Considérant, par ailleurs aux dires du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité que si l’arrêté a été pris tardivement c’était en raison de l’annulation de la première liste, du fait que des bureaux avaient été installés dans des résidences privées, ce qui a été considéré comme contraire à la transparence et à la sincérité du vote.

Considérant dès lors que l’établissement tardif de la liste qui est dû au souci de faire prévaloir la transparence ne peut constituer un motif d’annulation des élections;

Considérant aussi que la tardiveté n’a pas porté préjudice aux candidats et à leur parti dans la mesure où, à l’instar des citoyens ils ont pu identifier les lieux des bureaux de vote et y envoyer leurs représentants; Qu’il apparaît donc que sous ce rapport aussi ni la sincérité du vote, ni l’égalité des candidats n’ont été affectées par la non observation de l’article L.O 71 de la Loi Organique n° 91/12/CTRN;

Qu’il n’est davantage établi que la non-observation de la Loi a été motivée par une intention de nuire ou même par une négligence ou une erreur grossière entraînant une violation des principes cardinaux ordonnant les élections: à savoir la sincérité, la liberté et la possibilité du vote des électeurs et l’égalité entre les candidats. Le taux de participation et la présence significative des représentants des partis dans les bureaux en sont la preuve; Considérant dès lors que ce moyen ne peut être retenu pour annuler les élections du 19/12/93;

4e série de Moyens liés à la règlementation de la campagne électorale:

Considérant que les requérants soutiennent que les règles de la campagne électorale ont été violées en particulier les articles L.O 42 qui interdit de faire campagne en dehors de la période légale fixée, or le candidat du PUP aurait tenu une conférence administrative à KANKAN pendant cette période; L.O 46 nouveau qui indique une seule condition, la déclaration, pour faire des manifestations, rassemblement et réunions alors que Monsieur le Président de la République aurait interdit toute manifestation de rue; L.O 49 et R. 29 exigeant la fixation de l’emplacement des lieux d’affichage par acte du Maire ou du Président de la CRD, alors qu’un tel acte n’a pas été pris; L.O 59, et R. 41 sur l’égalité de traitement des candidats devant les Média d’Etat;

Considérant que la règle de l’article 42 n’est pas violée, car Monsieur LANSANA CONTE est intervenu à KANKAN comme Président de la République et non comme candidat. C’est si vrai qu’aucun des attributs de la campagne électorale n’a été mis à la disposition de Monsieur le Président;

Considérant que s’agissant de l’interdiction des manifestations de rues, qui est intervenue bien avant la convocation des élections, elle ne saurait être rattachée à celles-ci; Qu’un recours approprié dans le délai légal n’a pas été entrepris; Que ce moyen ne saurait donc être retenu;

Considérant d’ailleurs que le droit de manifestation n’a pas été supprimé car les autres formes de manifestation sont tenues, à preuve, la campagne électorale a permis aux candidats de faire porter leur message dans tout le Pays; Considérant que c’est la Loi même qui donne à l’autorité administrative un pouvoir de police pour limiter la liberté de manifestation surtout lorsque l’ordre public l’exige;

Considérant dès lors que ce moyen n’est pas fondé;

Considérant que la violation de l’article L.O 49 ne saurait davantage être retenue puisque la non prise des actes administratifs par les Maires et Président de CRD n’est pas démontrée; Considérant que si même cette démonstration était faite, cette défaillance n’a pas empêché la campagne d’où le moyen n’est pas fondé;

Considérant que s’agissant de l’accès inégal des candidats aux mass médias, la preuve n’est pas rapportée de cette inégalité;

Qu’aucune plainte n’a été adressée au Conseil national de la Communication (CNC) pour établir cet inégal accès aux Mass Média; Que c’est une erreur que de considérer que le droit de réponse exercé par la Radio et la Télévision était en faveur d’un candidat;

Qu’en tout état de cause, c’est la Loi elle-même qui a prescrit le droit de réponse; Que ce moyen ne peut prospérer;

(…)

Considérant que s’agissant de KANKAN certains requérants demandent l’annulation du Scrutin pour différents motifs:

  1. l’inégalité créée entre les candidats dont les Bulletins n’étaient pas en nombre égal;
  2. vote de Jeunes Personnes n’ayant pas atteint l’âge électoral;
  3. vote multiple d’une même personne;
  4. interpellation des votants sur le candidat choisi et indication de ce choix sur le registre d’émargement;

(…)

Considérant que suite à ces enquêtes la Cour a relevé des irrégularités graves que sont:

  1. l’émargement des votants avec indication écrite du nom du candidat pour lequel le vote a été fait;
  2. la signature sur les registres d’émargement de personnes n’ayant pas atteint 18 ans avec mention du numéro de la Carte d’Identité;
  3. le vote multiple d’un même électeur par utilisation en lieu et place de l’encre indélébile de l’encre normale qui est effacée sur le doigt par le Jus de Citron;
  4. la discrimination grave et consciente entre les candidats par rétention abusive et injustifiée de Bulletins et la répartition non régulière par les autorités Communales de KANKAN des Bulletins de vote; qu’en particulier alors que les Bulletins de Vote étaient manquants dans les Bureaux de Vote de KANKAN Ville, des sous-préfectures et CRD, qui avaient pourtant reçu leur dotation étaient servies gracieusement et dans des conditions irrégulières, au point que la Gendarmerie a interpellé de Jeunes Garçons de KOUMBAN qui retournaient dans leurs sous-préfecture avec des Bulletins remis par le Maire de KANKAN pour être utilisés dans leurs Bureaux de Vote; ces Jeunes Gens ont été condamnés par le Tribunal de KANKAN;
  5. la rétention, dans un taxi privé sans surveillance officielle, sous la responsabilité du seul chauffeur, des Bulletins de Vote de certains candidats alors que ces Bulletins n’étaient plus disponibles dans les Bureaux, ce qui a conduit à la suspension du Vote dans certains Bureaux en attendant l’arrivée de Bulletins supplémentaires de CONAKRY;

Considérant que le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité ayant rapporté la de la réception dans chaque circonscription électorale d’un nombre de Bulletin légèrement supérieur au nombre d’inscrits, les Bulletins de Vote n’auraient pas dû manquer et de fait, des manquants n’ont été signalés nulle part ailleurs;

Considérant que suite à cette instruction, la Cour a acquis la conviction d’une part, que ces anomalies volontaires, frauduleuses visaient à favoriser certains candidats et d’autre part, que des intimidations avaient porté atteinte à la liberté de choix et de décision dans les Bureaux de Vote de KANKAN;

Que dès lors la Cour admet le bien-fondé des demandes d’annulation du vote dans les Bureaux de Vote de la ville de KANKAN et déclarent nul le vote intervenu dans lesdits Bureaux de Vote de ladite Ville;

Que s’agissant des Bureaux de Vote des Sous-Préfectures et CRD de KANKAN, la Cour n’a pas eu la preuve d’une violation grave des principes fondamentaux du droit électoral; de nature à entraîner une sanction;

(…)

Par ces motifs:

1.–Déclare la Jonction des Deux (2) requêtes du 13/12/93 et du 28/12/1993 de Monsieur Siradiou DIALLO, Secrétaire Général du Parti du Renouveau et du Progrès (PRP) et les juge irrecevables pour défaut de qualité;

2.–Déclare la requête de Monsieur Jean-Marie DORE irrecevable pour défaut de moyens

3.–Déclare recevables les requêtes de Monsieur Lansana CONTE, de Monsieur Mohamed MANSOUR KABA, de Monsieur Alpha CONDE, de Monsieur Mamadou BHOYE BA, de Monsieur El Hadj ISMAØLA Mohamed GASSIM GHUSSEIN, de Monsieur Facine TOURE et décide leur jonction;

4.–Au fond.

Décide:

a)–le rejet des requêtes de Monsieur Mamadou BHOYE BA, de Monsieur Facine TOURE, de Monsieur Alpha CONDE et de Monsieur El Hadj ISMAØLA Mohamed GASSIM GHUSSEIN comme étant mal fondées;

b)–le bien-fondé des requêtes de Monsieur Lansana CONTE et de Monsieur Mohamed MANSOUR KABA, et l’annulation des suffrages exprimés dans la circonscription électorale de SIGUIRI le 19/12/1993 et des suffrages exprimés dans la Commune Urbaine de KANKAN le même jour;

Dit que ces suffrages annulés viennent en diminution du suffrage total exprimé;

5. – SUR LES RESULTATS DEFINITIFS;

(…)

Conseil constitutionnel du Liban

LIB / 1995/ A01
Liban/Conseil constitutionnel/25-02-1995/Décision n°2-95/texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – Lois et autres normes à valeur législative
5.2.9.8 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – indépendance
5.2.9.15 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – égalité des armes

Circonstances exceptionnelles – Service public de la justice (égalité devant le service public de la justice)

Ayant pris connaissance du dossier et des pièces qui accompagnent le recours présenté, ainsi que des conclusions du Conseiller rapporteur déposées en date du 18 février 1995,

Attendu que le recours présenté a été inscrit au greffe du Conseil le 6 février 1995 et vise à faire déclarer non conforme à la Constitution la loi n° 406 du 12 janvier 1995, publiée au n° 4 du Journal officiel du 26 janvier 1995, qui modifie certaines dispositions de la loi du 16 juillet 1962 relative à l’organisation des juridictions charei, sunnite et chiite; que les députés auteurs du recours ont demandé la suspension de l’application de cette loi et son annulation;

qu’à l’appui de leur demande, les requérants soutiennent d’abord que la loi n° 406 du 12 janvier 1995 a été adoptée en violation des principes et des règles de procédure qui doivent être suivies pour la présentation et le vote des lois;

qu’elle est contraire ensuite au principe de la séparation des pouvoirs, clairement énoncé dans la Constitution; qu’elle méconnaît enfin le paragraphe (h) du préambule de la Constitution, ainsi que les articles 20, 56 et l’alinéa 3 de l’article 65 de celle-ci;

Attendu que postérieurement à la présentation de la demande, trois requêtes ont été présentées au Conseil par les députés Khodr Ali Tlaiss, Ibrahim Bayane et Mounir Hojjeiri, que le député Tlaiss, dans sa requête soutient ne point reconnaître la signature telle qu’elle est apposée sur la demande déposée au Conseil; que cette demande lui serait ainsi étrangère;

que de leur côté, les députés Bayane et Hoggeiri affirment que leur participation au recours provient d’une équivoque.

Attendu enfin que le Conseil a reçu une requête du député Ayman Shoucair en date du 11 février 1995, dans laquelle celui-ci déclare se joindre au recours présenté, tel qu’il a été formulé dans son objet et ses motifs;

Vu ce qui précède;

En la forme:

Considérant que les titulaires du recours devant le Conseil constitutionnel, limitativement énumérés à l’article 19 de la Constitution, quand ils demandent l’annulation d’une loi inconstitutionnelle, exercent une prérogative que la Constitution leur confère dans l’intérêt général, et qui se trouve ainsi dépourvu de tout caractère litigieux personnel;

qu’un tel recours issu d’un pouvoir constitutionnel, devient définitif à dater de son inscription auprès du Conseil constitutionnel, et ne peut être postérieurement rétracté;

qu’en conséquence, les requêtes subséquentes présentées au Conseil par les députés Ibrahim Bayane et Mounir Hoggeiri, visant au retrait du recours qu’ils avaient antérieurement déposé, ne sauraient être acceptées;

que la demande du député Khodr Ali Tlaiss dans laquelle celui-ci déclare, d’une manière insuffisamment claire, ne point reconnaître la signature figurant sur la demande conjointe du recours, ne saurait avoir d’effet sur la validité de celui-ci;

qu’il en est de même de la demande présentée postérieurement par le député Aymane Shoucair en date du 11 février 1995, seize jours après la parution de la loi n° 406 au Journal officiel du 26 janvier 1995;

qu’en effet le nombre des Dix députés exigé par la Constitution pour la validité du recours se trouve atteint indépendamment des requêtes postérieures des deux députés sus-mentionnés;

qu’en conséquence, le recours, tel que présenté initialement au Conseil constitutionnel, en date du 6 février 1995, l’a été dans le délai fixé par l’article 19 (dernier alinéa) de la Loi du 14-7-1993, et se trouve recevable en la forme.

Au fond:

Considérant que la loi n° 406 du 12 janvier 1995 dont l’annulation est demandée est ainsi libellée:

Article unique. – Titre exceptionnel, et pour une seule fois, et contrairement à tout autre texte, le Président du Conseil des Ministres pourra transférer le Président de la Haute juridiction jaafarite ou le mettre en disponibilité.

Considérant que l’article 20 de la Constitution stipule:

Le pouvoir judiciaire fonctionnant dans les cadres d’un statut établi par la loi et assurant aux juges et aux justiciables les garanties indispensables, est exercé par les tribunaux des différents ordres et degrés.

La loi fixe les limites et les conditions de l’inamovibilité des magistrats. Les juges sont indépendants dans l’exercice de leur magistrature. Les arrêts et jugements de tous les tribunaux sont rendus et exécutés au nom du peuple libanais.

Considérant qu’il résulte de ce texte que les garanties nécessaires doivent être établies par la loi pour assurer l’indépendance des juges et la protection des justiciables;

que la diminution de ces garanties entraîne une violation de la disposition constitutionnelle qui les édicte;

que cette disposition doit être spécialement appliquée aux juridictions charei sunnite et jaafarite qui comme l’affirme le législateur à l’article 1 de la loi du 16 juillet 1962, constituent une composante du corps judiciaire de l’Etat;

Considérant d’autre part que l’article 459 de la loi du 16 juillet 1962 stipule:

Les juges des tribunaux charei ne peuvent être transférés, mis en disponibilité ou déférés au Conseil de discipline qu’après approbation de la Haute Cour des juridictions charei.

Considérant que la loi n° 406 du 12 janvier 1995, dont l’annulation est demandée, modifiant l’article 459 précité, accorde au Président du Conseil des Ministres de déplacer le Président de la Haute juridiction charei jaafarite ou de le mettre en disponibilité;

qu’elle conduit à amoindrir l’indépendance de la justice et diminue les garanties que l’article 20 de la Constitution octroie aux juges et aux justiciables;

Attendu qu’il est patent que ces garanties ont pour contrepartie, des obligations incombant aux juges, dont les statuts et les responsabilités sont déterminés par le législateur lui-même, dans le respect des principes de la Constitution;

que la loi n° 406 du 12 janvier 1995, objet du recours, s’avère ainsi contraire à l’article 20 de la Constitution, qu’elle viole en effet le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire en portant atteinte aux garanties qui doivent être assurées aux juges et aux justiciables;

qu’il convient en conséquence de la déclarer non conforme à la Constitution et de l’annuler.

Par ces motifs:

Après en avoir délibéré,

Le Conseil constitutionnel, faisant suite à sa décision du 11 février 1995, décide à l’unanimité

  1. De recevoir le recours en la forme;
  2. De déclarer irrecevables les demandes de retrait, survenues postérieurement à l’inscription du recours au greffe du Conseil, pour les motifs ci-haut mentionnés;
  3. D’annuler, parce que non conforme à la Constitution, la Loi n° 406 du 12 janvier 1995, publiée au Journal officiel le 26 janvier 1995, et ayant pour objet de modifier les dispositions relatives à l’organisation des juridictions charei sunnite et jaafarite;
  4. De publier la présente décision au Journal officiel. Le Conseil constitutionnel, réuni le 25 février 1995, sous la présidence de M. Wadji Mallat, en présence de tous ses membres, Messieurs: Jawad Osseyrane – Adib Allam – Kamel Raydane – Michel Turkieh – Pierre Gannagé – Salim elAzar – Mohammed el-Majzoub – Antoine Kheir et Khaled Kabbani

LIB / 1996 / A02
Liban / Conseil constitutionnel / 7-08-1996 / Décision n° 4-96 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du recours – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux Candidats (à une élection) – Circonscriptions électorales (découpage des circonscriptions électorales) – Loi (égalité devant la loi)

(…)

1. – Sur la non-conformité à la Constitution de l’article 2 nouveau de la loi 530/96.

Considérant que la loi n° 530/96 du 11 juillet 1996, publiée au Journal officiel n ° 29 du 12 juillet 1996 modifie certaines dispositions de la loi du 26 avril 1960 relative à l’élection des membres de la Chambre des députés;

Que l’article 2 de la loi nouvelle est ainsi libellé:

les circonscriptions électorales sont ainsi constituées:

Circonscription du Mohafazat de la ville de Beyrouth;

Circonscription du Mohafazat de la Bekaa;

Circonscription des Mohafazats du Liban-Sud et de Nabatieh;

Circonscription du Mohafazat du Liban-Nord;

Circonscriptions dans chaque Caza du Mohafazat du Mont-Liban;

Considérant que l’article 24 de la Constitution Libanaise stipule que la Chambre des députés est constituée de députés élus dont le nombre et les modalités d’élection sont fixés par les lois en vigueur; que cette disposition se limite à établir les principes qui doivent commander la répartition des différents sièges de la Chambre;

Que la Chambre des députés, lors de l’établissement des lois électorales doit cependant, en tout état de cause observer les principes généraux qui sont énoncés dans l’article 7 de la Constitution comme dans son préambule;

Que l’article 7 de la Constitution déclare:

tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune;

Que le paragraphe C du Préambule de la Constitution stipule à son tour Le Liban est une république démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens, sans distinction, ni préférence;

Que le § D de ce Préambule énonce enfin:

Le peuple est la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté qu’il exerce à travers les institutions constitutionnelles;

Considérant que l’élection constitue l’expression démocratique de cette souveraineté; qu’elle ne peut être démocratique que si sa réglementation est conforme aux principes de la Constitution, notamment au principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi;

Que la loi est la manifestation d’une volonté générale qui s’exprime à la Chambre des députés; qu’elle ne revêt ce caractère que si elle s’accorde avec les principes généraux de la Constitution; qu’elle doit être ainsi uniforme, la même pour tous les citoyens; que cette uniformité dans le domaine de la loi électorale se réalise par une égalité établie entre tous les suffrages des citoyens, de manière à ce que chaque suffrage ait la même force électorale dans les différentes circonscriptions;

Que la crédibilité d’un système électoral se fonde aussi sur le découpage des diverses circonscriptions électorales qui doit garantir lui-même une égalité de représentation;

Qu’il est considéré à juste titre que tout découpage doit être opéré sur des bases essentiellement démographiques pour être représentatif d’un territoire et de ses habitants;

Considérant que le critère démographique dans le découpage des circonscriptions électorales n’est cependant pas rigide et absolu; qu’il appartient au législateur de lui apporter des atténuations, lorsqu’il doit tenir compte de circonstances exceptionnelles; que cependant ces atténuations qui touchent le principe d’égalité ne sauraient être admises que si elles s’inspirent d’impératifs précis d’intérêt général et s’appliquent dans des limites étroites;

Que la loi attaquée a adopté des critères différents dans le découpage des circonscriptions électorales; qu’elle a en effet érigé les Mohafazats de Beyrouth, du Liban-Nord et de la Bekaa en circonscriptions électorales distinctes; qu’elle a adjoint au contraire le Mohafazat de Nabatieh à celui du Liban-Sud pour en faire une circonscription unique; qu’elle a enfin dans le Mohafazat du MontLiban considéré chaque caza comme une circonscription électorale propre;

Que le législateur dans l’article 2 nouveau de la loi attaquée a ainsi établi des différences dans le découpage des circonscriptions électorales, en consacrant des discriminations entre les électeurs et les candidats des diverses régions du pays, sans que ces différences ne soient fondées, dans le texte de la loi, sur des considérations exceptionnelles revêtant un caractère d’urgence, ce qui rend la loi attaquée contraire au principe d’égalité énoncé à l’article 7 de la Constitution, comme dans le préambule de celle-ci;

Considérant que l’article 24 de la Constitution a, d’autre part, établi la répartition des différents sièges de la Chambre sur le fondement de règles destinées à réaliser avec justice, un équilibre entre les diverses communautés, comme entre les différentes régions du pays, de manière à assurer leur représentation adéquate et de préserver leur coexistence commune;

Que ces règles auxquelles se réfèrent l’article 24 perdent nécessairement leur signification si la loi électorale, pour le découpage des circonscriptions électorales ne se fondent pas sur un critère unique applicable dans toutes les régions du pays, le législateur recourant pour opérer ce découpage soit au Mohafazat, soit au Casa, soit à un autre mode de délimitation géographique, pourvu qu’il soit uniforme; que cette uniformité assure en effet l’égalité de traitement des électeurs; qu’elle préserve aussi l’égalité des candidats, en leur conférant les mêmes droits, en les soumettant aussi aux mêmes obligations, à des charges financières et à des dépenses électorales comparables qui, en toute occasion, ne doivent pas dépasser un plafond que le législateur doit fixer;

Qu’on ne saurait admettre enfin que le législateur donne à des circonstances exceptionnelles et provisoires un caractère permanent, en fondant sur elles des règles stables et générales qui portent atteinte d’une manière durable au principe d’égalité;

Que l’article nouveau de la loi 530/96, en adoptant des critères différents dans la délimitation des circonscriptions électorales, sans souligner que ces différences sont provisoires, exceptionnelles, justifiées aux yeux du législateur par des circonstances d’une extrême gravité, mettant en cause des impératifs d’intérêt général, se trouve avoir violé le principe constitutionnel d’égalité devant la loi et doit donc être annulé;

2. – Sur la non-conformité à la Constitution de l’article 30 nouveau de la loi 530/96

Considérant que l’article 30 nouveau de la loi 530/96 est ainsi libellé:

Ne peuvent être élus, dans aucune circonscription électorale, les personnes mentionnées ci-dessous, au cours de l’exercice de leurs fonctions, et durant les six mois qui suivent leur démission et la cessation effective de leurs fonctions. Leur démission sera considérée comme acceptée de plein droit à la date de sa présentation, sans qu’il leur soit possible de réintégrer leur fonction:

  1. Les magistrats, quelle que soit leur catégorie ou leur degré.
  2. Les fonctionnaires de toute catégorie.
  3. Les Présidents désignés des Municipalités et les Présidents des commissions municipales désignés dans les diverses régions.
  4. Les Présidents et les membres des conseils des établissements publics et des offices autonomes, leurs directeurs, leurs fonctionnaires et employés.

Considérant que l’article 7 de la Constitution, comme le paragraphe C du Préambule établissent l’égalité dans les droits et les obligations des Libanais, sans distinction aucune;

Que d’autre part l’article 12 de la constitution stipule:

Tous les Libanais sont également admissibles à tous les emplois publics sans autre motif de préférence que leur mérite et leur compétence et suivant les conditions fixées par la loi.

Considérant que l’éligibilité constitue ainsi un droit fondé sur la Constitution, que les restrictions apportées à l’exercice de ce droit doivent toujours être interprétées d’une manière étroite;

Considérant qu’il appartient au législateur d’édicter ces restrictions, de déterminer leur nature et leur étendue à l’égard de ceux qui exercent des fonctions publiques, en vue d’éviter que ces fonctions ne soient exploitées à des fins électorales et de préserver ainsi l’égalité des chances de tous les candidats;

Considérant cependant que l’inéligibilité ainsi édictée ne saurait revêtir un caractère absolu et général, qu’elle doit viser seulement certaines catégories de fonctionnaires en relation avec l’objectif qu’elle doit satisfaire;

Considérant que l’article 30 nouveau de la loi attaquée contrevient aux articles 7 et 12 de la Constitution du fait qu’il prive toujours les fonctionnaires qui ont démissionné de toute possibilité de réintégrer leur fonction, même s’ils réunissent les conditions nécessaires à leur exercice, et bien que cette réintégration ne s’effectue pas de plein droit et dépende normalement du pouvoir d’appréciation de l’autorité exécutive;

Qu’il convient donc d’annuler l’article 30 nouveau de la loi 530/96, du fait qu’il viole les dispositions de la Constitution, sous réserve de l’application des dispositions des articles 50 et 51 de la loi relative à l’organisation judiciaire du 16 septembre 1983.

(…)

Par ces motifs et après avoir délibéré, le Conseil constitutionnel décide à l’unanimité:

  1. D’accepter en la forme les deux recours présentés;
  2. D’annuler les articles 2 nouveau, 30 nouveau de la loi 530 du 11 juillet 1996 parue au Journal officiel n° 29 du 12 juillet 1996;
  3. D’annuler les articles 1, 3, 4 et 5 de la loi 530/96;
  4. De notifier cette décision aux diverses autorités et de la publier au Journal officiel.

(…)

Chambre constitutionnelle de la Cour suprême d’Ile Maurice

MRI / 1969 / A01
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 13-02-1969 / Motee v. Queen (1969) M.R. 34 / extraits

1.4.12 justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non- discrimination
5.1.4 Droits fondamentaux – problématique générale – limites et restrictions
5.1.5 Droits fondamentaux – problématique générale – situations d’exception

Etat d’urgence

(…)

MOTEE c/ LA REINE

(…)

Droit pénal – Appel de la Cour de District – Droit Constitutionnel – Souveraineté du Parlement – Délégation de compétence par le Parlement – Validité d’une Loi ayant reçu l’assentiment du Gouverneur pendant la prorogation – Violation des droits de l’homme – Durée d’une période d’état d’urgence.

L’appelant a été condamné par le Magistrat du District de Port-Louis pour avoir été en possession d’une arme offensive, sans autorisation ni excuse prévue par la loi, en violation du Règlement édicté par le Gouverneur le 21 janvier 1968 conformément à l’Ordonnance en Conseil de 1939, modifiée, relative à l’organisation des pouvoirs pendant l’état d’urgence. L’argumentation du conseil de l’appelant était principalement dirigée contre la validité du Règlement susmentionné au moment des faits.

PRONONCE le rejet de l’appel et décide que

(i) l’assentiment du Gouverneur à une Loi adoptée par l’Assemblée est valide même s’il intervient pendant que l’Assemblée est prorogée;

(ii) le Parlement de Maurice est un organe souverain, et il n’existe aucune limite à son pouvoir de déléguer ses compétences à tout organe ou toute personne;

(iii) le Règlement en vertu duquel l’appelant a été condamné ne porte pas sur la liberté individuelle, et il n’y a aucune violation des dispositions de la Constitution relatives aux droits fondamentaux, et;

(iv) il n’existe aucune limite quant à la durée d’une période d’état d’urgence décrétée par le Gouverneur Général en vertu de l’article 19-7-b de la Constitution.

Maître Gujadhur, pour l’appelant

Maître d’Arifat, Doyen des Avocats de la Couronne, pour l’intimé

Arrêt prononcé le 13 février 1969.

Sir Michel Rivalland, Chef-Juge: L’appelant a été poursuivi devant le magistrat du district de Port-Louis pour avoir été en possession d’une arme offensive, sans autorisation ni excuse raisonnable, en violation de l’article 7-1 du Règlement de 1968 sur l’organisation des pouvoirs pendant l’état d’urgence (Contrôle des armes et des explosifs) qui se lit ainsi:

7-1. – Toute personne qui, sans autorisation ou excuse prévue par la loi, et dont la charge de la preuve lui appartient, transporte ou a en sa possession ou sous son autorité ou fabrique ou aide à la fabrication des armes offensives commettra une infraction et sera punie, si elle est reconnue coupable, d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas trois ans et d’une amende n’excédant pas mille roupies.

Le Règlement a été édicté par le Gouverneur le 21 janvier 1968 en vertu de l’Ordonnance modifiée en Conseil de 1939 sur l’organisation des pouvoirs pendant l’état d’urgence. L’appelant a été reconnu coupable des charges retenues contre lui et puni de deux mois d’emprisonnement aux travaux forcés et condamné à payer 15 roupies de frais.

(…)

Selon un autre moyen de droit invoqué par Me Gujadhur, cette période d’état d’urgence, comme elle est temporaire, aurait dû prendre fin après six mois, c’est-àdire le 12 septembre et comme son client n’a été reconnu coupable que le 25 septembre, la condamnation n’était pas fondée. Il nous apparaît que cette argumentation découle d’une mauvaise compréhension du régime de l’état d’urgence. Les types d’état d’urgence et les limites de durée prévues par la présente Constitution sont les suivantes:

a. En vertu de l’article 18-1 de la Constitution, le Gouverneur peut faire une Proclamation en déclarant que, vu la situation existante, les mesures autorisées par la loi sont nécessaires au regard de l’intérêt de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement. Ceci permet une dérogation aux droits fondamentaux de la liberté individuelle (article 5 de la Constitution) et de la discrimination (article 16) en ce sens que la Loi autorise des mesures qui sont raisonnablement justifiées pour faire face à la situation prévalant à un tel moment. Une telle Proclamation doit être ratifiée par une résolution de l’Assemblée Législative votée par au moins deux tiers des membres de l’Assemblée et demeure en vigueur pour une période spécifiée par l’Assemblée dans la résolution et n’excédant pas six mois et peut être étendue pour des périodes supplémentaires n’excédant à l’occasion pas six mois par résolution de l’Assemblée;

b. Une période d’état d’urgence mise en vigueur par une résolution de l’Assemblée votée à l’unanimité des membres de l’Assemblée et déclarant que les institutions démocratiques de Maurice sont en danger en cas de subversion. Une telle résolution reste en vigueur pour une période spécifiée par l’Assemblée et n’excède pas douze mois et peut être renouvelée par des périodes successives n’excédant pas douze mois par une résolution de l’Assemblée;

c. Une Proclamation du Gouverneur déclarant que l’état d’urgence existe en vertu de l’article 19-7-b de la Constitution. Une telle Proclamation est ratifiée par l’Assemblée dans le délai fixé par l’alinéa 8 de l’article 19 mais il n’y a aucune limite de temps fixé pour la durée de ce type d’état d’urgence qui est celui en vigueur à Maurice en vertu des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 3 de l’Ordonnance de 1968 sur l’indépendance de Maurice. Nous ne pouvons encore une fois ici s’immiscer dans les fonctions de l’Assemblée Législative et annuler la Proclamation en déclarant qu’elle aurait dû prendre fin après écoulement d’un certain temps alors qu’aucune limite n’a été fixée par la Constitution. Un quatrième type d’état d’urgence prévu par la Constitution et qui entre en vigueur automatiquement lorsque le pays est engagé dans une guerre n’a pas besoin d’être considéré car il n’a aucune relation avec le présent appel.

Nous considérons maintenant les faits de l’affaire: ils ne présentent aucune difficulté. Le juge du fond a retenu les preuves du Caporal Price selon lesquelles le 17 mars 1968 à 00 h 35 minutes, la voiture dans laquelle voyageait l’appelant a été arrêté à la rue St-François-Xavier et l’appelant fouillé. Tout près de la ceinture et à l’intérieur de sa chemise a été trouvé un fil de fer long de quatre pieds avec un morceau de plomb à une extrémité et une boucle pour le tenir de l’autre. L’explication donnée par l’appelant et retranscrite dans le procès-verbal dressé par la police et selon laquelle il a trouvé ce fil de fer dans un caniveau et qu’il avait l’intention de le porter au commissariat d’Abercombie et le tenait dans sa main lorsqu’il a rencontré le Caporal est en contradiction avec la version de ce dernier et nous n’avons aucune raison de ne pas suivre la conclusion de culpabilité établie par le magistrat.

A propos de la sentence, nous ne pouvons dire qu’elle est excessive.

L’appel est rejeté et l’appelant condamné aux dépens.

(…)

MRI / 1984 / A02
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 25-06-1984 / Union of Campement Sites Owners v. Government of Mauritius (1984) M.R. 100 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.7 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
2.1.1.13 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – autres sources internationales
2.1.3.3 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence étrangère
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Constitution des Etats-Unis – Justice (égalité devant la justice) – Loi (égalité devant la loi) – Propriété immobilière

UNION DES PROPRIETAIRES ET CONCESSIONNAIRES DE TERRAINS DE CAMPEMENT ET CONSORTS

c/

LE GOUVERNEMENT DE MAURICE ET CONSORTS

Constitution – Privation de biens – Egalité et discrimination – Convenant sur les droits civils et politiques – Droits – Constitutionnalité d’une Loi fiscale – Pouvoir de faire des Lois – Le gouvernement et le Parlement – La Loi comme détournement de pouvoir – Violation du contrat

Dans une action en vue de contester la constitutionnalité de la Loi relative à la taxe sur les terrains de campement, la Cour a décidé que:

a. pour interpréter la Constitution, il est préférable d’examiner ses propres dispositions que de chercher à s’inspirer d’autres Constitutions rédigées différemment;

b. la notion de taxe et la garantie générale de protection contre la cession forcée des biens s’excluent mutuellement;

c. le pouvoir du Parlement d’imposer une taxe n’est pas limitée par les dispositions de l’article 8 relatives à la cession forcée des biens, sauf que la mesure ou l’exécution d’une taxe, par opposition à son imposition, doit être raisonnablement justifiable dans une société démocratique; et dans cette perspective, les mesures et politiques fiscales relèvent de l’idéologie politique et ne sont pas soumis au contrôle juridictionnel;

d. la question de savoir si une Loi fiscale est la conséquence d’un détournement de pouvoir utilisé pour contourner une interdiction constitutionnelle ne peut pas porter sur la question de la bonne ou la mauvaise foi de la mesure mais seulement sur la compétence législative;

e. même si l’imposition d’une taxe n’est pas sujette au contrôle des cours, les cours sont néanmoins compétentes pour déterminer si la mesure fiscale est proprement une mesure fiscale et n’est pas, par exemple, un prêt obligatoire sans indemnisation;

f. considérer la taxe en question comme une violation des obligations contractuelles du gouvernement envers les concessionnaires de terrains de campement serait confondre l’exécutif et le législatif en un seul organe; et le gouvernement ne peut pas par voie contractuelle ou autrement s’approprier des pouvoirs législatifs du Parlement;

g. notre Constitution prévoit une égalité devant la justice, l’égale protection de la loi et le principe du caractère non-discriminatoire des lois sur des critères spécifiques et que, en ce sens, la Loi litigieux ne viole pas la Constitution.

Me M. David, Conseiller de la Reine, (assisté de Me R. d’Unienville), pour les demandeurs

M. D. Ramsewak, Procureur général par intérim, pour les défendeurs

La Cour, composée de M. Lallah, Chef-Juge par intérim et M. Espitalier-Noël, Doyen des Juges Puînés par intérim, a prononcé, le 25 juin 1984, l’arrêt suivant rédigé par:

M. Lallah, Chef-Juge par intérim: – Le 11 novembre l’année dernière, le Parlement a adopté une Loi, La Loi n° 32 de 1983 relative à la taxe sur les campements, imposant une taxe sur des terrains qui donnent sur la mer ou qui y sont situés tout près, ou encore permettent d’accéder à la mer, indépendamment si ces terrains font partie d’une propriété privée ou appartiennent à l’Etat.

Les lignes directrices de la Loi sont:

Le recouvrement de cette taxe aura lieu annuellement au mois de juillet à l’exception de l’année 1984 où la taxe levée pour la période expirant au 30 juin 1984 était exigible à partir du 31 mai 1984 et la taxe levée pour la période expirant au 30 juin 1985 est exigible à partir du 31 décembre 1984.

La taxe est exigible, en principe dès lors qu’un terrain fait partie d’une zone de 81,21 mètres à partir du rivage pendant la marée haute à l’exception des terrains utilisés pour l’exploitation agricole ou pour le pâturage. Il existe une difficulté qui rend incertaine la distance à partir de laquelle commence la terre pendant la marée haute et à partir de quelle limite un terrain devient taxable mais nous discuterons de cet aspect de la question à la fin de notre arrêt.

Le taux de la taxe varie en fonction de la zone dans laquelle se trouve le terrain. Il existe cinq catégories de zones. Et le montant de la taxe est déterminé pour tous les taux par rapport à la superficie du terrain.

La taxe ne dépend pas de la valeur du terrain mais de sa superficie et la zone dans laquelle il se situe. C’est donc une taxe qui porte sur la superficie et la localisation et non sur la valeur.

Dans le cas des terrains relevant des Pas Géométriques (ceux-ci, en vertu de la Loi sur les Pas Géométriques, sont des terrains classés situant au long des côtes jusqu’à une distance de 81,21 mètres à partir du rivage pendant la marée haute ou qui ont été réincorporés ou qui sont susceptibles d’être réincorporés au domaine de la Couronne), la taxe est versée par le concessionnaire, et dans le cas d’une autre catégorie de terrain, la taxe est payée par le propriétaire, ou dans certaines circonstances, par l’occupant du terrain.

La taxe est exigible comme une créance de la Couronne et fait partie des privilèges attachés à l’impôt conformément à la Loi sur les privilèges du Trésor Public.

Le Ministre des finances peut par arrêté prévoir une exemption de certains terrains à la taxation; il peut aussi ordonner la restitution des taxes perçues.

Il serait mieux, à ce stade, que nous mentionnions les principales prétentions des demandeurs pour contester la régularité constitutionnelle de la Loi.

Premièrement, il est reconnu qu’à l’exception de quelques terrains relevant des Pas Géométriques qui appartiennent à des personnes privées en vertu des cessions ou autrement, la majeure partie des Pas Géométriques appartient à la Couronne. Il n’est pas contesté que la Couronne a concédé un grand nombre de terrains des Pas Géométriques à des individus et sur lesquels ils ont construit, ce qui est communément appelé dans ce pays, de campements, c’est-à-dire des villas donnant sur la mer ou qui sont un peu plus en retrait selon les goûts et les moyens. Nous avons peu d’informations sur le nombre de personnes qui utilisent leur campement comme une résidence principale ou comme une résidence secondaire, pour laquelle ils sont imposables en vertu de l’article 11-1-f de la Loi relative à l’impôt sur le revenu. Cependant, ceci n’est pas important. Le point qui est considéré comme pertinent par les demandeurs est qu’en vertu des contrats de concessions existantes entre eux et la Couronne, ils payent une redevance dont le montant ne peut être augmenté au-delà d’un certain pourcentage dans l’éventualité d’une reconduction de la concession comme il y est indiqué et le contrat de concession produit devant nous constitue, nous a-t-on dit, un contrat type. Il n’a pas été contesté, selon nous, que les terrains sont différents du point de vue de leur valeur du fait des constructions qui s’y trouvent.

Deuxièmement, il est connu que les concessionnaires des Pas Géométriques ne sont pas les seuls à devoir payer la taxe sur les terrains de campement. Les propriétaires, ou dans certaines circonstances, les occupants des terrains des propriétés privées, doivent également payer la taxe si le terrain est affecté à l’implantation des campements comme prévu par la Loi.

Troisièmement, il n’est pas contesté que, alors qu’il existe une taxe sur la propriété immobilière dans les zones urbaines, il n’en existe aucune dans les zones rurales à l’exception des terrains de campement qui se trouvent tous dans les zones rurales et qui ont été les seuls à être assujettis à la taxe selon la Loi.

Enfin, il a été démontré que les taux appliqués sur la propriété immobilière dans les zones urbaines sont déterminés et varient en fonction de la valeur de la propriété. Le but est peut-être de faire ressortir la charge fiscale qui s’abat sur les citadins d’une part, et sur les concessionnaires de terrains de campement, d’autre part. Il a aussi été démontré que sur le plan financier, une personne qui perçoit des revenus de 40,000 roupies par an aurait à payer une taxe sur le terrain de campement de 3,025 roupies annuellement, en sus d’une redevance annuelle de 300 roupies pour la concession d’un terrain en comparaison avec son voisin qui possède un terrain qui se trouve tout juste à l’extérieur de la limite du périmètre des terrains de campement et qui, à ce titre, n’est pas assujetti à la taxe.

Me David soutient, sur la base des faits avancés par les demandeurs, que la Loi est inconstitutionnelle pour trois raisons.

Il soutient, premièrement, que la Constitution protège les droits de propriété, y inclus le capital, en interdisant la cession forcée de ces droits sauf pour des motifs d’intérêt général et en vertu d’une Loi qui doit prévoir une indemnisation; que ces droits peuvent être cédés par une Loi sans indemnisation conformément à la Constitution que lorsque la Loi a créé un impôt ou prévoit son recouvrement sauf s’il est démontré qu’à la fois l’impôt et son recouvrement ne sont pas raisonnables dans une société démocratique et que la taxe prévue par la Loi n’est pas justifiable dans une société démocratique.

Deuxièmement, Me David soutient que, du fait que la majeure partie des terrains de campement sont protégés par un contrat de concession en vertu duquel la Couronne ne peut pas augmenter la redevance de manière plus élevée à ce que le contrat prévoit, l’imposition d’une taxe constitue un détournement de pouvoir qui a pour but d’augmenter la redevance en violation des conditions posées dans le contrat de concession et, par conséquent, les prive de manière injustifiée de leurs droits contractuels. Cette privation de l’exercice de leurs droits contractuels serait une violation des droits de propriété prévus par la Constitution dans la mesure où elle a lieu sans indemnisation.

Me David prétend ensuite que la Loi viole le principe d’égalité devant la Loi en ce sens que la taxe imposée (a) conduit à traiter différemment les concessionnaires de terrains de campement et les propriétaires d’autres terrains dans les zones rurales parce que ces derniers ne sont pas assujettis à une taxe similaire, (b) manque de base pour justifier la différenciation des zones et les différents taux qui y sont applicables, (c) traite différemment des personnes se trouvant dans les situations semblables et (d) n’a pas été établie en fonction des avantages dont bénéficient les contribuables seulement.

M. Ramsewak, au nom des défendeurs, réplique que, premièrement, notre Constitution ne contient aucune garantie relative aux droits de propriété du même niveau que celle se trouvant dans les Constitutions indienne et américaine; deuxièmement, le pouvoir que détient Parlement pour adopter des lois fiscales n’est pas limité par les dispositions constitutionnelles régissant l’expropriation sauf s’il est démontré que le recouvrement d’une taxe, par opposition à son imposition, ne peut pas être raisonnablement justifié dans une société démocratique et que, dans ce contexte, la Loi n’est pas inconstitutionnelle, et qu’enfin, notre Constitution prévoit le principe d’égalité devant la justice, d’égalité à la protection de la loi et de la non-discrimination des lois dans des cas spécifiques et qu’en ce sens, la Loi ne viole pas la Constitution.

A l’appui de son argumentation, Me David a fait référence à de nombreux Constitutions, travaux et décisions étrangers à la fois du Commonwealth et d’autres pays. Les documents sont de sources indiennes, américaines, canadiennes, caraïbes et françaises. Il a été soutenu que ces systèmes juridiques partagent avec nous le même système démocratique dans lequel les droits de propriété, parmi d’autres droits fondamentaux, sont protégés par la Constitution. Il a aussi été fait allusion à de nombreux textes internationaux dans la mesure où ils traitent la question que nous avons à trancher.

Ces documents ont sans doute été d’une grande utilité et nous ont beaucoup éclairés sur la pensée de ceux qui ont eu à trancher des problèmes similaires. Cependant, les textes constitutionnels sont différents dans leurs formulations des mesures en vertu desquelles les droits individuels, collectifs et institutionnels sont protégés. En ce qu’il s’agit des textes internationaux, la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 proclame le droit de propriété. Mais le Pacte International relatif aux droits civils et politiques qui, avec le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ont été élaborés pour l’appliquer reconnaissent les droits de l’homme mais pas le droit de propriété. Et la Convention européenne des Droits de l’homme (qui était applicable à Maurice jusqu’en 1968 du fait qu’elle était une des colonies dont la responsabilité en matière des relations internationales incombait au Royaume-Uni) reconnaît dans son premier Protocole le droit de propriété mais le limite considérablement. Il prévoit notamment que la reconnaissance de ce droit « ne limite pas le pouvoir des Etats de faire les lois qu’ils jugent nécessaires… pour assurer le paiement des impôts…. Nous reviendrons sur ces conventions lorsque nous traiterons l’aspect de l’égalité devant la loi. Il serait mieux, dans un premier temps, d’analyser les dispositions de notre propre Constitution qui s’appliquent au droit de propriété selon la problématique posée par les conseils et de revenir à ces autres textes si nous rencontrons une difficulté.

Les articles de notre Constitution qui, selon nous, s’appliquent à cette affaire sont les articles 1er, 3, 8-1 et 4, 16-1, 2 et 3, 31, 45-1, 54-a-i jusqu’au iii et 103. Ils se lisent ainsi:

1. – L’Etat

Maurice est un Etat souverain et démocratique.

3. – Protection des droits fondamentaux et des libertés individuelles

Il est reconnu et proclamé qu’il a existé et qu’il continue d’exister à Maurice, sans discrimination à raison de la race, du lieu d’origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe mais dans le respect des droits et libertés d’autrui et de l’intérêt public, tous les droits de l’homme et libertés fondamentales énumérés cidessous, à savoir:

a. le droit de tout individu à la vie, à la liberté, à la sécurité personnelle et à la protection de la loi;

b. la liberté de conscience, d’expression, de réunion et d’association et la liberté de fonder des établissements scolaires;

c. le droit de tout individu à la protection de l’intimité de son domicile contre toute atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans compensation, et les dispositions du présent Titre auront effet pour assurer la protection des dits droits et libertés sous réserve des limitations par ces mêmes dispositions, limitations destinées à assurer que l’exercice des dits droits et libertés par un individu ne porte pas atteinte aux droits et libertés ou à l’intérêt public.

8. – Protection contre les atteintes à la propriété

1. Il ne sera procédé à la prise de possession forcée d’aucune propriété ou l’acquisition forcée d’aucun intérêt ou droit sur cette propriété sauf si les conditions suivantes sont réunies, à savoir:

a. la prise de possession ou l’acquisition est nécessaire ou utile dans l’intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité publique, de la santé publique, de l’aménagement urbain ou rural, au développement ou à l’utilisation de la propriété en vue de promouvoir l’intérêt public ou le développement social et économique du peuple de Maurice;

b. s’il existe une justification raisonnable pour les dommages pouvant en résulter pour toute personne ayant un intérêt ou un droit sur la propriété, et;

c. si des dispositions légales applicables à cette prise de possession ou acquisition;

(i) prévoient le paiement d’une indemnisation adéquate; et

(ii) assurent à toute personne ayant un droit ou intérêt sur la propriété la possibilité de saisir la Cour suprême directement ou en appel de la décision d’une autre autorité afin de déterminer l’existence de son intérêt ou droit, la légalité de la prise de possession ou de l’acquisition de la propriété, intérêt ou droit, le montant de tout dédommagement auquel elle a droit, et pour le paiement d’un tel dédommagement.

(…)

4. – Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire à l’alinéa 1er du présent article:

a. dans la mesure où la loi en question réglemente la prise de possession ou l’acquisition d’une propriété:

(i) pour l’acquittement de tout impôt ou taxe;

(ii) comme sanction d’une violation de la loi ou confiscation à la suite d’une telle violation ou en conséquence de l’incapacité d’un trafiquant de drogue ou de toute personne s’étant enrichie par des moyens frauduleux de prouver qu’il a acquis la propriété en question par des moyens légaux;

(iii) suite à un bail, une location, une hypothèque, une vente, un nantissement ou un contrat;

(iv) en exécution des jugements ou ordonnances des cours de justice

(v) du fait de son état dangereux ou menaçant pour la santé des humains, des animaux, des arbres ou des plantes;

(vi) en application des règles de la prescription acquisitive ou extinctive;

(vii) aussi longtemps que nécessaire pour permettre l’examen, l’enquête, le procès ou l’instruction, ou dans le cas d’une terre, les travaux nécessaires pour mener à bien:

A. un aménagement pour la conservation du sol ou la conservation d’autres ressources naturelles;

ou

B. un développement agricole ou une amélioration que le propriétaire ou l’occupant de la terre a été requis de faire et a, sans excuse raisonnable et légale, refusé ou omis de faire, sauf s’il est établi que cette disposition, ou selon le cas, son application, n’est pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique; ou

b. dans la mesure où la loi en question prévoit la prise de possession ou l’acquisition:

(i) de la propriété de l’ennemi;

(ii) de la propriété d’une personne décédée ou qui est inapte, suite à une incapacité légale, de l’administrer elle-même, afin de pourvoir à son administration pour le bénéfice des personnes ayant un intérêt quelconque dans la dite propriété;

(iii) de la propriété d’une personne déclarée en faillite ou d’une société en liquidation, afin de pourvoir à son administration pour le bénéfice des créanciers du failli ou de la société et ensuite pour le bénéfice des autres personnes ayant un intérêt quelconque dans la dite propriété;

ou

(iv) d’une propriété en fiducie afin que cette propriété soit dévolue à des personnes nommées pour administrer le fiducie en vertu de l’acte juridique créant le trust ou par une cour de justice afin de donner effet au fiducie, ou

c. dans la mesure où la loi en question:

(i) prévoit le paiement de la valeur de la propriété faisant l’objet de la prise de possession forcée de même que des intérêts au taux légal, par annuités égales sur une période n’excédant pas dix ans;

(ii) détermine la somme pour laquelle la prise de possession ou l’acquisition forcée de la propriété se fera ou prévoit des dispositions pour la détermination de la dite somme selon des principes prescrits.

16. – Protection contre toute discrimination

1. Sous réserves des dispositions des alinéas 4, 5 et 7 du présent article, aucune loi ne contiendra une disposition discriminatoire en elle-même ou dans ses effets.

2. Sous réserves des dispositions des alinéas 6, 7 et 8 du présent article, nul ne pourra être traité d’une façon discriminatoire par une personne agissant dans l’exécution d’une fonction publique conférée par la loi ou dans l’exécution des fonctions d’une autorité publique.

3. Dans le présent article, l’expression « discriminatoire » signifie: accorder un traitement différent à des personnes différentes, ces différences étant dues uniquement ou principalement à l’application des critères de race, de caste, de lieu d’origine, d’opinion politique, de couleur ou de croyance, en vertu desquels ces personnes sont soumises à des incapacités ou des restrictions auxquelles ne sont pas soumises les personnes ne répondant pas à ces critères, ou encore accorder des privilèges et avantages qui ne sont pas accordés aux personnes répondant à d’autres critères.

(…)

31. – Le Parlement de Maurice

  1. Le Parlement de Maurice est composé de Sa Majesté et d’une Assemblée Législative
  2. L’Assemblée est composée de personnes élues conformément à l’Annexe I qui prévoit la désignation de 70 membres.

45. – Pouvoir législatif

  1. Sous réserve des dispositions de la Constitution, le Parlement ne peut légiférer que pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement de Maurice.

(…)

54. – Projets et propositions de loi, motions, et pétitions

Sauf sur initiative d’un Ministre, l’Assemblée ne peut:

a. discuter d’un projet de loi (ni d’un amendement à ce projet) qui, de l’avis de celui qui préside, a pour objet

(i) une imposition fiscale ou la modification d’une telle imposition autrement qu’en la réduisant;

(ii) d’imposer une charge aux fonds consolidés ou tout autre fonds public de Maurice ou de modifier une charge autrement qu’en la réduisant; ou

(…)

103. – Fonds Consolidés

Tous les revenus ou autres sommes perçus ou reçus pour le Gouvernement (autres que des revenus ou des sommes payables en vertu de toute loi dans quelque autre fonds établi pour un besoin spécifique ou qui peuvent, en vertu de toute loi, être retenus par l’autorité les recevant afin de défrayer les dépenses de cette autorité sont versés dans et constituent les Fonds Consolidés.

Il ne sera pas nécessaire pour trancher cette affaire de considérer la question de savoir à quel point l’article 3 est une disposition qui comporte ou non un caractère impératif et dans quelle mesure il est applicable directement et dans quelle mesure les articles 3 et 8 s’appliquent l’un à l’autre. Mais nous analyserons les termes précisément utilisés dans ces deux articles et leurs significations en relation au droit fiscal.

Le droit relatif à la propriété prévu par l’article 3 est une « protection contre la privation des biens sans indemnisation » conformément aux conditions et limites posées par l’article. Il nous paraît que le concept d’impôt et la protection qu’envisage l’article 3 s’excluent l’un et l’autre. Parce qu’autrement, il y aurait une méconnaissance du concept d’impôt dans sa totalité ou, plutôt, une Loi imposant une taxe devrait contenir une disposition pour le supprimer pour les raisons suivantes. Une taxe dans sa nature et dans son effet sert à priver le titulaire d’un bien. Il prive le contribuable d’une partie de son capital composant son patrimoine. Et puisqu’il devrait être indemnisé de la manière prévue par l’article 8-1-c-i et 4, cette indemnisation ne pourrait être que d’un montant équivalent à la taxe imposée et perçue. L’imposition d’une taxe serait un exercice parlementaire futile.

Nous analyserons maintenant l’article 8 alinéas 1er et 4. L’alinéa 1er prévoit le cas où il y a une « cession forcée des biens » ou l’acquisition forcée d’un intérêt ou droit sur les biens. A notre point de vue, ces mots signifient ce qu’ils énoncent expressément. « La privation » (terme utilisé dans l’article 3) est moins précis et par conséquent peut être interprété. Et il n’est pas comme s’il est écrit: « Il ne sera porté atteinte à la propriété, dans toutes ses manifestations, de personne et aux intérêts ou droits sur la propriété ». L’imposition d’une taxe par la Loi n’est pas elle-même une dépossession forcée du contribuable de ses biens. C’est une dette qui s’établit après un calcul sauf si elle est fixée par la Loi. Elle devient alors exécutoire. C’est la manière et le mode de recouvrement de la créance ainsi créée qui serait un « cession forcée » des biens du débiteur. Le droit fiscal devrait alors se conformer à l’alinéa 4 en ce sens qu’il ne violerait l’interdiction prévue par l’alinéa 1er « sauf si, ou selon le cas, les actes accomplis sous son empire ne sont pas raisonnablement justifiables dans une société démocratique ».

Ce n’est pas seulement l’analyse des termes utilisés dans l’alinéa 1er qui conduit à la conclusion que ce n’est pas l’imposition d’une taxe mais plutôt son recouvrement qui constitue, selon l’énoncé de l’alinéa 1er, une cession forcée. Mais nous avons aussi considéré de nombreuses situations qui, si elles n’étaient pas expressément prévues à l’alinéa 4-a et b, constitueraient sans aucun doute, une cession forcée. Et ce sont seulement les lois d’application des situations prévues dans l’alinéa 4-a qui peuvent être contestées avec succès pour leur inconstitutionnalité sur la base du fait qu’elles ne sont pas raisonnablement justifiables dans une société démocratique. Dans la Loi qui nous est soumise, la taxe est recouvrée comme une créance de la Couronne et bénéficient des privilèges s’attachant à l’impôt en vertu de la Loi sur les privilèges du trésor. Il n’a pas été soutenu que le recouvrement constitue une application ou une exécution qui n’est pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique.

Nous devrions ajouter que notre conclusion selon laquelle la taxation et la protection contre les atteintes aux biens s’excluent mutuellement ne résulte pas d’une simple lecture des énoncés des articles 3 et 8. Plutôt, ces termes, à notre avis, ont été délibérément inclus pour structurer la Constitution qui proclame un ordre démocratique et met en place une série d’institutions conçues pour rendre effectif cet ordre en les investissant de pouvoirs et fonctions distincts. Une des institutions concernées est un Parlement représentatif (article 31) qui est investi du pouvoir suprême de faire des Lois pour la « paix, l’ordre et le bon gouvernement » (article 45), y inclus le pouvoir de réviser la Constitution elle-même (article 47) en respectant, bien entendu, les dispositions appropriées relatives au pouvoir de légiférer du Parlement.

Le pouvoir de faire une Loi fiscale doit être mis en œuvre conformément à une certaine procédure parlementaire (article 54) et l’impôt ainsi levé doit être versé sur le fonds public (article 103). Ces dispositions constitutionnelles illustrent le vieux principe selon lequel il n’y aurait pas d’impôt sans autorisation des représentants. Aussi, la responsabilité du gouvernement vis-à-vis du Parlement, et en retour, du Parlement vis-à-vis du peuple qu’il représente est assurée, dans le domaine de la fiscalité, par l’exigence selon laquelle le gouvernement détient l’initiative des mesures créant un impôt (article 54). Le gouvernement le ferait, en principe, conformément à sa politique fiscale et économique, à la fois s’il s’agit de la création d’un impôt direct ou indirect, pour laquelle il est responsable devant le Parlement et éventuellement devant le peuple. Sous réserves de ce que nous dirons au sujet de la levée d’un impôt comme un détournement de pouvoir pour contourner une interdiction constitutionnelle ou la violation du principe d’égalité devant la loi qui a été invoqué, une analyse des dispositions appropriées de la Constitution nous a conduits à la conclusion qui veut que la politique et les mesures fiscales relèvent de la pensée et du jugement politique et qu’elles ne sont pas soumises au contrôle des juges. Si la Constitution a en effet prévu que la levée de l’impôt par le Parlement, par opposition à son recouvrement, soit soumise au contrôle des juges sur la base de son incompatibilité au regard de ce qui est raisonnablement justifiable dans une société démocratique, nous aurions attendu à ce que les dispositions à cet effet soient expressément les mêmes que celles qui investissent les juges du pouvoir de contrôler la compatibilité des mesures de recouvrement avec ces valeurs. Par conséquent, la majeure partie de l’argumentation avancée à l’appui du premier moyen (par exemple, en ce qui concerne l’opportunité même de l’imposition de la taxe, son imposition à l’égard de certains seulement, le fait d’utiliser un critère relatif à la superficie et non à la valeur, le fait de créer cinq zones au lieu d’une ou davantage) pourrait être adressée de manière plus appropriée à une autre tribune.

Nous avons noté que le pouvoir discrétionnaire accordé au Ministre d’exempter certains terrains par arrêté ou de restituer des taxes perçues est un pouvoir souvent conféré au gouvernement par la législation fiscale (voir par exemple, l’article III de la Loi relative à l’impôt sur le revenu et l’article 47-1-a de la Loi sur les droits d’enregistrement). C’est vrai que l’article conférant au Ministre le pouvoir d’exempter certains terrains par arrêté est mal rédigé. Est-ce qu’il prévoit que les terrains visés seront désignés dans l’arrêté ou que des critères seront posés pour l’exemption? Peu importe sa signification, l’arrêté est soumis au contrôle du Parlement. Aussi, le ministre est responsable devant le Parlement de la façon don il exerce sa discrétion. Il peut, dans certaines circonstances, devoir à répondre devant les juridictions s’il exerce sa discrétion de manière à violer l’article 16-2 de la Constitution. Le fait de lui conférer ce pouvoir n’est pas, cependant, inconstitutionnel de même que sa décision de ne pas l’exercer ou de prendre un arrêté.

Le deuxième moyen de Me David porte sur la question de savoir si la Loi est ou non le fait d’un détournement de pouvoir. Détournement est peut-être un terme qui implique un jugement de valeur. Mais nous entendons les principes régissant ce moyen d’invalidation d’une Loi comme signifiant que le Parlement ne peut pas légiférer audelà de ses pouvoirs, par exemple, en contournant une interdiction constitutionnelle. Il ne soulève pas la question de la bonne ou de la mauvaise foi mais de la compétence du Parlement. Et les Cours de Maurice, en vertu de l’article 2 de la Constitution, sont susceptibles de prononcer l’invalidation d’une telle Loi dans la mesure où elle viole la Constitution. Il sera rappelé que l’article 2 déclare que la Constitution est la norme suprême de Maurice et que toute autre norme juridique qui lui est contraire « sera dans les limites de sa non-conformité nulle et non avenue ».

Dans ce même ordre d’idées nous devrions nous référer à un autre aspect de ces principes. Nous avons estimé que l’imposition d’une taxe, puisqu’elle est prévue par la Constitution, ne permet pas, en vertu de notre Constitution, de la contrôler. Par contre, il appartient bien aux cours de déterminer si une Loi fiscale est bien en réalité une Loi fiscale, par exemple, une Loi qui prévoit un emprunt obligatoire sans indemnisation. Tel fut le cas dans l’arrêt Lilleyman et consorts c/ Le Trésor Public et consorts, Cour d’Appel des Caraïbes, 1964) qui a été produit devant nous. Cette Cour a considéré que la Loi de 1962 relative à l’impôt sur l’épargne pour le développement national viole une disposition de la Constitution de la Guyane anglaise interdisant la cession forcée de la propriété ou les droits qui lui sont attachés sous réserves de certaines conditions. La Cour a pris en compte le fait que la Loi n’imposait pas une taxe, comme la Couronne l’affirmait, mais autorisait le fisc à retenir une partie des revenues des salariés pendant un certain nombre d’années sans intérêts mais en contrepartie leur offrait des billets de loterie et des obligations sous guise d’indemnisation soustraite au contrôle des cours. La situation n’est pas la même s’agissant de la Loi qui nous concerne. Les demandeurs ne contestent pas que la Loi impose une taxe. Ils soutiennent que la Loi viole leur droit de propriété.

Plus précisément, selon les demandeurs, la taxe sert à violer les droits contractuels de ceux d’entre eux qui ont bénéficier d’une concession d’un terrain de campement de la Couronne en ce sens que le contrat de concession n’autorise pas à la Couronne d’augmenter le loyer au-delà du niveau permis dans le contrat, l’imposition d’une taxe a pour effet d’augmenter considérablement le loyer sans leur consentement.

Il nous semble que les demandeurs ont mal compris un certain nombre de points. Premièrement, l’imposition d’une taxe est le fait, non du gouvernement, mais du Parlement même si on peut admettre que son adoption a été faite sur la proposition du gouvernement. Deuxièmement, le gouvernement ne peut pas contractuellement ou autrement s’approprier les pouvoirs de légiférer du Parlement. Ce serait en soi inconstitutionnel. Ce que le gouvernement pourrait en théorie, même si ce n’est pas concevable, faire c’est de poser comme condition pour la concession, le principe d’une compensation des concessionnaires s’agissant des taxes futures ou l’octroi d’une remise pour eux. Même dans ce cas, ce serait une affaire contractuelle et non constitutionnelle. Troisièmement, il n’est pas possible de déduire des clauses du contrat un engagement du gouvernement de ne pas présenter aucun projet de Loi qui imposerait une taxe ou tout autre impôt sur les propriétés concédées. Nous avons des doutes sur la possibilité qu’un tel engagement puisse être donnée sur la base de la Loi sur le domaine de la Couronne et la Loi sur les pas géométriques. Comme le LordJuge Devlin l’a dit dans l’arrêt Commissaires du Domaine de la Couronne c/ Page, Queen’s Bench, 1960, vol. 2 p. 274, que lorsque la Couronne passe un contrat avec une personne privée: « Il est absurde de croire qu’elle s’est engagée dans la manière dont elle va conduire les affaires de la nation. Personne ne peut imaginer par exemple lorsque la Couronne a passé un engagement qu’elle ne serait pas capable d’honorer pendant une période de guerre, elle a promis de ne pas déclarer la guerre aussi longtemps que le contrat s’applique ». C’était une affaire qui a illustré la dualité de la Couronne qui a agit à la fois en tant que personne privée et en tant que personne politique. C’est encore autre chose que de confondre le gouvernement et le Parlement même si aux yeux du profane les deux sont la même. Nous ne pouvoirs, par conséquent, faire droit au second moyen avancé par le conseil.

Nous traiterons maintenant le dernier moyen de Me David. Il reconnaît que notre Constitution ne contient de manière expresse aucune disposition de type de l’article 14 de la Constitution indienne ou du 14e Amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique. Il avance, néanmoins, qu’une telle disposition existe implicitement dans notre Constitution, d’autant que le Pacte relatif aux droits civils et politiques, duquel Maurice fait partie, contient des dispositions similaires.

L’article 14 de la Constitution est ainsi rédigé:

14. – Principe d’égalité

L’Etat ne privera personne du principe d’égalité devant la loi ou de l’égale protection de la loi dans l’Etat indien.

L’article 1er du 14e Amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique énonce que:

Aucun Etat… ne privera aucune personne soumise à son autorité de l’égale protection de la loi.

Article 26 du Pacte est ainsi rédigé:

Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Nous devrions d’abord revenir sur les observations que nous avons faites lorsque nous avons examiné le premier moyen avancé par Me David et selon lesquelles les Constitutions sont rédigées en de termes différents et chacune doit être interprétée selon ses propre contexte et structure. Les Constitutions américaine et indienne ont été élaborées à une époque différente et ont essayé, notamment dans le domaine des libertés fondamentales de l’individu et dans une plus grande mesure que les Constitutions modernes, de faire des formulations larges et étendues qui ont provoqué un certain nombre de révisions et dérogations ou qui ont nécessité le recours aux concepts implicites des domaines réservés et des limites. Nous devrions aussi être très prudents avant d’importer en bloc un article de type de l’article 14 de la Constitution indienne ou du 14e Amendement à la Constitution américaine dans la structure de notre Constitution. D’autant que l’article 111-2 de notre Constitution nous demande de nous inspirer de la Loi de 1889 sur l’interprétation aux fins d’interprétation de notre Constitution. Donc, nous essayerons de nous tenir aux dispositions substantielles de notre Constitution et de chercher ailleurs ou dans les notes marginales seulement en cas de difficulté patente.

S’agissant du Pacte, nous reconnaissons que, contrairement aux Constitutions indienne et américaine et même s’il est écrit en de termes larges, il a néanmoins bénéficié d’une appréciation pragmatique d’un grand nombre de nations qui de 1949 à 1966 se sont attribuées la tâche de transcrire les grands principes des droits de l’homme proclamés par la Déclaration universelle dans une convention comme le Pacte qui lie les Etats et qui peut être appliquée dans les différents systèmes juridiques des Etats. Nous reconnaissons aussi que notre Constitution, élaborée au cours de cet exercice, ressemble plus à un texte pragmatique et réaliste que les vieilles Constitutions et, en ce qui concerne les dispositions portant sur les droits de l’homme, ressemble au Pacte dont Maurice est, dans tous les cas, un Etat signataire. Il ne nous appartient pas, cependant, de nous prononcer sur la conformité de notre Constitution et de notre droit avec les stipulations du Pacte. C’est une fonction qui appartient au Comité des Droits de l’homme en vertu de l’article 40 du Pacte lorsqu’il examine les rapports des Etats signataires ou en vertu de l’article 5 du Protocole Facultatif lorsqu’il examine les communications reçues par des particuliers relevant de l’autorité des Etats signataires du Protocole Facultatif. Notre fonction est de se prononcer sur la conformité des Lois passées par le Parlement aux dispositions de notre Constitution.

Ceci étant dit et avant d’examiner les dispositions appropriées, il n’y a pas lieu de croire que les Constitutions américaine et indienne sont dans tous leurs aspects similaires à l’article 26 du Pacte. Ce que prévoit l’article 26, c’est l’égalité juridique et procédurale couplée avec l’exigence, pour atteindre ce but, selon laquelle la loi doit interdire toute discrimination sur des bases déterminées. En ce sens, l’égalité juridique et procédurale ne peut pas légitimement être sujette au critère de propriété, comme d’autres critères mentionnées. C’est peut être pour cette raison que beaucoup d’Etats ont mis en vigueur un système d’aide judiciaire afin de permettre aux plus démunis d’avoir accès au juge. On ne sait pas dans quelle mesure met-il en œuvre une égalité substantielle dans le sens d’une identité de traitement par opposition à l’égalité de traitement, une égalité générale plutôt que dans le résultat. S’il le fait, les Etats seraient dans la difficulté de justifier les distinctions qu’ils font sur la base des critères tenant aux circonstances, à l’âge, l’état-civil, aux capacités mentales qui privent une classe ou un groupe de personnes de certains droits lorsque ces distinctions n’ont pas été faites sur une base discriminatoire.

En ce sens, il serait intéressant de noter les commentaires du Canada et de Maurice elle-même dans leurs rapports soumis au Comité des Droits de l’homme en vertu de l’article 40 du Pacte (respectivement, le document CCPR/C1/Add 43, vol. 1 du 10 mai 1979, p. 185 et le document CCPR/C/1/Add 21 du 20 janvier 1978, page 22). L’explication va de soi.

La partie appropriée du rapport canadien est ainsi rédigée:

Article 26. – La Déclaration Canadienne des Droits de l’homme, qui s’applique à toutes les provinces, reconnaît « le droit de l’individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi » (article 1-b). Toute loi d’une Province qui abroge, restreint ou viole ce droit sera nulle (article 2). Comme précédemment indiqué, le droit d’égalité devant la loi reconnu par l’article 1-b de la Déclaration a été interprété dans l’arrêt Attorney-Général du Canada c/ Lavelle, Supreme Court Reports, 1974, p. 1349 (13651367, 1372) comme ne signifiant pas l’égalité devant la loi comme prévue par le 14e Amendement à la Constitution des Etats-Unis, mais plutôt l’égalité devant la loi comme conceptualisée par le Professeur A. V. Dicey lors de l’examen de son principe « règle de droit. Donc, « égalité devant la loi dans la Déclaration des Droits signifie l’égalité de traitement lors de l’exécution et l’application des lois du Canada par les autorités d’exécution et juridictions de droit commun du pays…

La partie appropriée du rapport mauricien est ainsi rédigée:

Article 26. – Comme ce rapport le démontre, la règle de droit est un principe fondamental de la Constitution. L’article 16 de la Constitution prévoit qu’aucune loi ne peut être discriminatoire en soi ou dans ses effets et qu’aucune personne ne peut être traitée de manière discriminatoire par un agent public ou une autorité. Le terme « discriminatoire » est défini à l’article 16-3 alors que l’article 16-5 pose de manière limitative les conditions et circonstances dans lesquelles une discrimination peut être opérée, par exemple en recrutant une personne qui détient un diplôme plus élevé qu’une autre ou en levant un impôt à un taux plus élevé sur une personne disposant de moyens plus aisés.

Nous examinerons maintenant les dispositions importantes de notre Constitution. Il apparaît que, sur la question d’égalité devant la loi et du traitement égal de la loi, notre Constitution a adopté les deux aspects d’un même principe, c’est-à-dire, des dispositions donnant effet à une égalité positive et des dispositions interdisant toute discrimination. Celles donnant effet à une égalité positive sont contenues dans les termes « Nul ne peut » (article 4, 5, 6, 7 et autres) ou « Toute personne qui ». Il existe aussi des dispositions qui garantissent l’égalité de traitement par les cours mais pas nécessairement identité de traitement (article 10). Ainsi, une personne qui est reconnue coupable d’une infraction par une cour et qui est sanctionnée plus sévèrement qu’une personne reconnue coupable d’une infraction similaire dans des circonstances similaires par une autre cour, ou peut-être par la même cour, ne peut se plaindre d’avoir reçu un traitement inconstitutionnel si le procès était régulier. D’autre part, il existe aussi des dispositions qui donnent effet au principe de non-discrimination tel que l’article 3 qui s’applique aux droits contenus dans le Titre II et l’article 16 qui s’applique à toute mesure réglementant tout autre droit.

Puisque nous avons vu que les droits qui seraient, d’après les demandeurs, violés par la Loi ne relèvent pas du Titre II, la disposition appropriée de la Constitution qui s’applique serait l’article 16. L’alinéa 3 de cet article énumère limitativement les critères en vertu desquels il est interdit de traiter différemment différentes personnes. Il est évident que la loi ne peut pas être contestée sur la base de ces critères.

La demande est rejetée et les demandeurs sont condamnés aux dépens.

Nous avons indiqué plus tôt dans notre arrêt qu’il existe une difficulté s’agissant la définition du terrain de campement. C’est une difficulté qui, à notre sens, ne rend pas inconstitutionnelle la Loi à partir du moment où aucune partie lésée n’a développé ce point afin de recourir à l’article 17. Mais la difficulté peut dans des cas propres produire des effets injustes et non-désirées. Nous proposons de suivre l’arrêt Jeekahrajee c/ The Registrar of Cooperatives and anor, Mauritius Reports, 1978, p. 215 et faire les commentaires qui peuvent aider à prévenir des injustices.

La distinction est:

« Terrain de campement » est un terrain:

a. qui donne sur la mer; et

b. qui

(i) permet un accès privé à la mer; ou

(ii) se situe, partiellement ou totalement dans la zone de 81,21 mètres du rivage pendant la marée haute; mais

c. qui ne comporte aucune partie utilisée pour l’agriculture ou le pâturage;

L’éminent Procureur général par intérim a lui-même suggéré qu’en théorie aucune limite n’est posée aux terrains à qui (a) s’applique; toute extension excessive d’un terrain tomberait sous le coup de la taxation. Nous disons que ce serait le cas en théorie seulement. En pratique, la situation serait bien différente. La même situation s’applique aux terrains à qui (b) ou (b) (i) ou (ii) entre en ligne de compte. Il apparaît que si une partie infirme d’un terrain empiète la zone de 81,21 mètres du rivage pendant la marée haute, tout le terrain devient taxable. Deux raisons exigent une meilleure précision dans la définition. Premièrement, comme toute mesure fiscale, la taxe doit autant que possible être appliquée par les particuliers eux-mêmes. Ceci convient à l’Administration, fait gagner du temps, économise de l’énergie et prévient des dépenses inutiles. Deuxièmement, il rend inutile des dépenses engagées par des individus et évite la difficulté de devoir diviser leur propriété en différentes parcelles afin de ne pas empiéter autant que possible la ceinture fatale. Nous espérons que ces observations seront d’une aide à tout le monde.

Avoués:

Me P. Balmanno, pour les demandeurs

Premier Avoué de la Couronne, pour les défendeurs

Affaire enregistrée sous le n° 28891

MRI / 1990 / A03
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 14-06-1990 / UDM v. Governor general (1990) M.R. 118 / extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux

Candidats (à une élection) – Etat démocratique (signification du terme)

UDM [Union Démocratique Mauricienne]

c/

LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL ET CONSORTS

Cour suprême, 14 juin 1990

M. Glover, Chef-Juge et M. Lallah, Doyen des Juges Puînés

Arrêt de la Cour suprême n° 171 de 1990

Articles 1er, 3, 8 et 33 de la Constitution – Elections locales et législatives – Si cautionnement pour être candidat est inconstitutionnel – Signification du terme « Etat démocratique »

Les demandeurs contestent la régularité des Règlements sur les élections législatives et locales sur la base des articles 1er, 3, 8 et 33 de la Constitution. Ces Règlements exigent des futurs candidats aux élections législatives et locales de déposer un cautionnement qui serait retenu s’ils n’obtiennent qu’un certain pourcentage de voix.

Prononce:

1. – Que les articles 3 et 8 de la Constitution portent sur la privation des biens; que les candidats ne sont pas obligés de participer à une contestation politique;

2. – Que les termes « Etat démocratique » contenus dans l’article 1er de la Constitution signifient que l’Etat doit être administré selon les valeurs démocratiques contenues dans d’autres articles de la Constitution;

3.– Que l’article 33 pose des conditions spécifiques pour l’éligibilité des candidats aux élections législatives et des principes démocratiques qui les régissent. Qu’alors que l’exigence d’un cautionnement n’est pas en soi inconstitutionnelle, le montant du cautionnement prévu par le Règlement de 1989 sur les élections législatives impose une condition financière.

Il est fait droit partiellement à la demande

Me G. Ollivry, Conseiller de la Reine et Sir H. Moollan, Conseiller de la Reine, pour les demandeurs

Mr Matadeen, avocat-général, pour les défendeurs

[L’arrêt est rédigé par Mr Glover, Chef-Juge]

Ces deux actions sont jointes en une seule affaire portant sur les élections législatives et locales. Elles concernent l’exigence, qui serait inconstitutionnelle, selon laquelle les futurs candidats devraient, lors de l’enregistrement de leur candidature, déposer une somme d’argent qui ne leur sera pas restituée s’ils n’obtiennent pas un certain pourcentage de vote et, de manière subsidiaire, elles portent sur la contestation du montant exigé pour le cautionnement.

L’exigence d’un cautionnement, qui a existé depuis longtemps sinon depuis toujours n’a jamais été contestée par personne et n’aurait jamais été contestée si le montant était resté au même niveau, mais l’éminent conseil des demandeurs excipe qu’une telle mesure, premièrement, viole les articles 3 et 8 de la Constitution relatifs à la privation des biens sans procédure en bonne et due forme, deuxièmement, l’article 1er qui pose le principe selon lequel nous sommes une démocratie et, troisièmement, s’agissant des élections législatives, l’article 33 qui pose les conditions pour être candidats. Ces moyens sont simplement rejetés par les défendeurs alors que le codéfendeur affirme qu’il se rapporte à notre décision.

Nous n’avons pas demandé au conseil des défendeurs et du co-défendeur de nous présenter leur position sur le premier point. Les articles 3 et 8 de la Constitution concernent la privation forcée des biens. De sorte que, si l’exigence d’un cautionnement est en vigueur, une personne qui intentionnellement participe à une bataille politique ne peut, parce qu’il est certain de recueillir qu’un nombre limité de voix ou parce que l’électorat a simplement rejeté ses propositions, dire qu’il est susceptible d’être privé ou a été privé de son cautionnement en violation de la Constitution.

Considérant maintenant le deuxième moyen avancé, nous devons déterminer le sens des termes « Etat démocratique qui se trouvent dans l’article 1er de la Constitution. Nous devons tout de suite rajouter que ceci n’est pas ou ne peut pas être la même chose que de définir le concept de « société démocratique évoqué dans certains articles du Titre II pour déterminer ce qui est raisonnable ou pas. Nous sommes d’avis que, parmi les autres juges de cette Cour qui ont été appelés à donner une telle définition aux fins de l’article 1er, l’approche du juge Ramphul, contenue dans l’arrêt Lincoln c/ Le Gouverneur Général et consorts, Mauritius Reports, 1974, p. 112, est la bonne. En bref, il n’est ni nécessaire ni approprié de chercher en dehors de la Loi Fondamentale pour savoir ce que le constituant avait à l’esprit lorsqu’il a utilisé les termes « société démocratique et encore moins de faire référence à certaines conventions qui fondent le droit constitutionnel britannique. L’article 1er dit que notre Etat sera dirigé conformément aux autres dispositions de la Constitution, qui contient l’essence des principes démocratiques qui nous gouvernent. Ceux-ci comprennent la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’accession à et la perte de la nationalité, le pouvoir conféré au Parlement, qui comprend une Assemblée Législative, pour voter des Lois, la responsabilité du gouvernement vis-à-vis du Parlement, l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant, de même que d’autres dispositions dont la mention n’est pas nécessaire en vue de la présente affaire.

C’est pour cette raison que le constituant peut, étant entendu que la mesure proposée soit adoptée par la majorité requise, y inclus la condition d’un vote à la majorité de trois quarts des membres de l’Assemblée dans le cas d’une révision importante, modifier la structure de notre démocratie sans que personne ne puisse affirmer que cet Etat n’est pas démocratique.

La Constitution ne contient aucune disposition qui prévoit un modèle d’administration locale. Sans donner la moindre impression que nous approuvons ce cours des choses, il n’y a rien dans notre droit qui peut interdire au Parlement d’abroger la Loi existante sur l’administration locale et de prévoir que les collectivités locales seront administrées par des conseils composés uniquement de membres nommés. De sorte qu’il n’est pas possible de contester l’exigence d’un cautionnement pour les candidats aux élections municipales ou villageoises sur la base qu’elle viole l’article 1er de la Constitution.

La situation est différente s’agissant les élections législatives parce que l’énoncé de l’article 1er, relatif à l’obligation du maintien de la démocratie, doit être interprété conjointement avec les dispositions des articles 33 et 34. Ces dispositions ne posent pas seulement les conditions pour être candidats et les circonstances dans lesquelles une personne devient inéligible, mais énoncent également qu’une personne qui remplit les différentes conditions et qui n’est pas inéligible a le droit d’être candidat et ceci implique que les électeurs peuvent légitimement attendre à ce qu’une telle personne ne soit pas empêchée d’être candidat.

On peut penser que l’exigence d’un cautionnement, qui n’est pas remboursé aux personnes qui ne recueillent qu’un nombre limité de voix, a pour objectif de décourager les farceurs ou les personnes dont la candidature ne sert qu’à vicier les résultats ou des personnes qui ne veulent que donner des avantages irréguliers à d’autres candidats ou aux candidats de certains partis, par exemple, en bénéficiant d’un plus grand temps d’antenne lors de la diffusion des émissions politiques. Même s’il existe d’autres moyens pour atteindre le même but, comme celui exigeant que tout acte de candidature soit parrainé par cent électeurs, il reste que le principe d’un cautionnement ne peut pas en soi être si discutable au point d’être inconstitutionnel. Ce qui est discutable c’est l’imposition d’un cautionnement d’un montant qui ressemble à une exigence censitaire qui a disparu de notre système électoral depuis 1948.

Les demandeurs ont versé aux débats des éléments de preuve qui nous a convaincus qu’un cautionnement, versé en argent liquide ou par chèque bancaire, d’un montant de 10,000 roupies par candidat équivaudrait, dans le cas d’un groupe de candidats, à une charge insurmontable. Il a aussi été fait ressortir à juste titre que notre Constitution a mis en place un système de partis qui fait qu’un parti politique qui voudrait présenter 62 candidats aux élections générales sera dans l’impossibilité, par ses propres moyens, de recueillir plus de la moitié d’un million de roupies pour verser le cautionnement de ses candidats, ce qui représente un coût plus élevé que la dépense de la campagne électorale.

L’éminent conseil des défendeurs a reconnu, lorsqu’on y a insisté, qu’une exigence d’un cautionnement d’un million de roupies devrait être annulée pour violation de la Constitution. Il soutient, par contre, qu’il est préférable de laisser au législateur le soin de déterminer le montant. Nous sommes entièrement d’accord et n’avons nullement l’intention de nous substituer au législateur. Il n’est pas question pour cette Cour ou ses juges d’essayer de dire ce qui serait un cautionnement raisonnable ou qu’un cautionnement est ou n’est pas la solution appropriée pour limiter le nombre de candidats à une élection. Ce que nous disons, et il est de notre devoir de le faire, c’est que, alors que l’exigence d’un cautionnement des candidats à une élection législative n’est pas en soi inconstitutionnelle, et que les dispositions de l’article 12-9 du Règlement relatif à l’Assemblée Législative de 1969 sont inattaquables et que le Règlement relatif aux élections législatives de 1989 (Notice Gouvernementale n° 132 de cette année), qui tend à exiger des candidats un cautionnement de 10,000 roupies est de nature à imposer une condition relative à la propriété qui ne peut pas tenir au regard des articles 1er, 33 et 34 de la Constitution.

Il y a lieu de noter incidemment que personne n’a essayé de nous éclairer sur les raisons qui ont conduit le pouvoir exécutif à édicter un tel Règlement. Et le codéfendeur, à qui le projet de Règlement a été, comme il devait, soumis pour avis – ce qu’il a effectivement fait – a, comme nous l’avons vu, adopté une attitude passive devant cette Cour.

Par ces motifs, nous prononçons l’annulation du Règlement sur les élections législatives de 1989.

Par contre, la requête relative aux élections municipales (n° 39242 du rôle de la Cour suprême) est rejetée et nous ne statuerons pas sur les dépens dans les deux affaires jointes.

Enfin, nous dirons un mot sur la procédure. Les requérants, qui dans les deux actions ont essayé d’invoquer la violation du Titre II (articles 3 et 8) et d’autres dispositions de la Constitution, avaient fait face à une difficulté. Le Règlement de 1967 sur le contentieux constitutionnel, pour des raisons qui ne sont pas facilement perceptibles, prévoit qu’une action en réparation d’une violation de la Constitution sur la base du Titre II peut être introduite par la voie d’assignation alors qu’une action sur tout autre Titre de la Constitution doit être introduite par requête adressée au juge des référés. Le Règlement n’envisage pas la situation où une action est entamée à la fois sur la base du deuxième et des autres Titres de la Constitution. Il ne peut être reproché aux demandeurs d’avoir introduit les deux actions par la voie d’assignation. Nous avons noté que des mesures sont prises, en vertu des articles 17-4 et 83-4 de la Constitution pour réformer et simplifier en ce sens le Règlement.

(…)

MRI / 1995 / A04
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 19-07-1995 / Panjanadum v. Prime Minister (1995) S.C.J. 248 / extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Citoyenneté – enfants naturels – erreur manifeste d’appréciation (contrôle de –)

Dans l’affaire de: – C. Panjanadum, Requérant,

c/

Le Premier Ministre de Maurice, Défendeur

Arrêt:

Le 18 juillet l’année dernière, le requérant a saisi la Cour suprême d’une demande d’autorisation pour intenter un recours pour excès de pouvoir contre deux décisions du défendeur qui ont été communiquées à son conseil juridique le 9 mai 1994 et le 28 juin respectivement (i) refusant la délivrance d’un certificat de nationalité à Ian Vassen Schmitt-Panjanadum, le fils du requérant et (ii) refusant de l’enregistrer comme citoyen de Maurice.

A la première audience, le Premier Avoué de l’Etat a, à juste titre, indiqué qu’il ne s’oppose pas à la demande d’autorisation et, le 21 juillet, dans une décision prononcée à l’audience, l’autorisation a été accordée au requérant pour poursuivre l’affaire.

Un certain nombre de faits allégués par le demandeur dans sa requête sont admis par le défendeur. Il s’agit de:

(i) Le requérant est né à Maurice le 1er novembre 1959 et est un citoyen de Maurice;

(ii) Le 13 janvier 1993, le requérant a fait auprès du défendeur et par le biais du Secrétaire du Ministère de l’Intérieur, une demande de délivrance d’un certificat de citoyenneté à l’enfant Ian Vassen Schmitt-Panjanadum en vertu de l’article 6 de la Loi sur la citoyenneté mauricienne (ci-après la Loi);

(iii) Le 19 mars 1994, le requérant a fait auprès du défendeur et par le biais du Secrétaire du Ministère de l’Intérieur une demande de délivrance de certificat de citoyenneté à l’enfant en vertu de l’article 16 de la Loi;

(iv) Toutes les pièces nécessaires ont été jointes aux deux demandes mentionnées aux paragraphes i. et ii;

(v) Le 9 mai 1994, le conseil juridique du requérant a reçu de la part du Secrétaire par intérim du Ministère de l’Intérieur une lettre l’informant que le certificat de nationalité ne peut pas être délivré à l’enfant du fait qu’il n’est pas citoyen de Maurice;

(vi) Le 28 juin 1994, une autre lettre a été reçue du Secrétaire par intérim du Ministère de l’Intérieur informant que la demande d’enregistrement de l’enfant comme citoyen de Maurice a été refusée.

Dans sa mémoire en défense, le Premier Secrétaire adjoint de l’Office du Premier Ministre rejette un certain nombre de faits contenus dans la requête, à savoir:

Paragraphe 3. Que Ian Vassen Schmitt est né le 1er septembre 1992 à Remiremont, Vosges, des rapports intimes que le requérant avait avec une certaine Nicole Catherine Schmitt, de nationalité française.

Paragraphe 4. Qu’avant la naissance de l’enfant le requérant et Nicole Catherine Schmitt ont fait une déclaration devant l’officier d’état-civil pour reconnaître « l’enfant en ventre de sa mère ».

Paragraphe 5. Que le 31 juillet 1993, le requérant a épousé Nicole Catherine Schmitt devant un officier d’état-civil en France et que l’enfant est ainsi légitimé.

Il nous apparaît que l’éminent conseil du défendeur ne conteste pas les allégations susmentionnées. En fait, les pièces versées par le requérant (Pièces A, B et C) prouvent que ces faits sont incontestables. Nous voudrions souligner que la légitimation de l’enfant par le mariage subséquent des parents dans le cas d’espèce n’est pas seulement conforme à l’article 331 de notre Code Napoléon mais confère en vertu du droit mauricien à l’enfant tous les droits d’un enfant légitime. L’article 333 dispose que « les enfants légitimés par le mariage subséquent des parents auront les mêmes droits que s’ils étaient nés de ce mariage ».

Le conseil du requérant soutient que la demande d’enregistrement de l’enfant comme mauricien est inutile parce que, au regard des faits de l’espèce, l’enfant est mauricien en vertu de l’article 23 de la Constitution. Il soutient, à titre subsidiaire, que la demande faite sur la base de l’article 16 de la Loi sur la citoyenneté mauricienne (ciaprès la Loi) est justifiée puisqu’il est possible pour le requérant de demander au défendeur de se prononcer sur une question de fait ou de droit portant sur la citoyenneté mauricienne de l’enfant. Le conseil prétend, enfin, qu’au regard des faits produits, il n’existe aucun motif légitime pour le défendeur de ne pas enregistrer l’enfant comme un citoyen de Maurice dans l’hypothèse où l’article 23 de la Constitution serait inapplicable.

Le conseil du défendeur, par contre, soutient que, indépendamment des effets de l’article 333 du Code Napoléon, l’article 23 de la Constitution doit être interprétée à la lumière de l’article 27-2 qui s’applique au Titre III de la Constitution intitulé « Citoyenneté ». Les dispositions pertinentes des deux articles sont:

Article 23. Tout individu né à l’étranger après le 11 mars 1968 devient citoyen mauricien à sa naissance si à cette date, son père est lui-même citoyen de Maurice…

Article 27, alinéa 2. Toute référence dans le présent Titre au père d’une personne sera, pour toute personne née hors du mariage, considérée comme une référence à la mère de cette personne.

Le conseil soutient que du fait que l’enfant est né hors du mariage, la citoyenneté du père est inopérante. Si la mère était citoyenne de Maurice, par contre, l’enfant serait, par l’effet de l’article 27-2 de la Constitution, devenu mauricien. Puisque la mère n’était pas citoyenne de Maurice, l’enfant est exclu de la citoyenneté mauricienne. Le conseil nous invite à adopter une approche restrictive de l’article 27-2 qui, selon lui, est conforme au raisonnement qu’avait faite cette Cour dans la récente affaire Gokulsing c/ The Hon. Sir Aneerood Jugnauth & anor, Supreme Cour Judgment, 1995, 227 en fait, nous avons dit dans cette affaire que les cours de justice devraient éviter, en interprétant la Constitution, de rajouter des termes qui n’existent pas car autrement nous serions accusés de prononcer des arrêts de règlement et non pas de développer le droit. Nous ne féliciterions pas nous-mêmes sur ce qui a été dit dans l’arrêt Gokulsing (supra) mais voudrions ajouter que le problème soulevé par le conseil du défendeur peut être distingué de l’affaire Gokulsing.

Nous ne croyons pas que l’article 27-2 de la Constitution devrait être interprété de manière à vider l’article 23 de son contenu. Nous ne croyons pas non plus que l’article 23 s’applique seulement aux enfants légitimes. Notre opinion est confortée par l’analogie que nous faisons entre notre article 23 avec l’article 11 de la Constitution des Bermudes qui a été examiné par le Conseil Privé dans l’arrêt Minister of Home Affairs and another c/ Fisher, Weekly Law Reports, 1971, vol. 2, p. 889. Il a été dit dans cette affaire que même s’il faut interpréter un texte constitutionnel de manière à donner un sens aux termes utilisés, le caractère et l’origine du texte doivent être pris en considération et que les dispositions portant sur les droits et libertés fondamentaux, y inclus l’unité de la famille en tant que groupe, ne doivent pas être interprétés restrictivement.

Par ailleurs, ce serait méconnaître l’esprit de notre Constitution qui contient des dispositions garantissant contre l’autocratie que de nier la citoyenneté mauricienne à un enfant naturel d’un père mauricien né de ses relations avec une mère étrangère alors qu’on accorderait la citoyenneté à l’enfant naturel d’une mère mauricienne qui est né de ses relations avec un père étranger. En fait, la Loi sur la citoyenneté mauricienne est entrée en vigueur le 14 décembre 1968 quelques mois après que la Constitution a été promulguée et qui avait pour objectif de mettre en application des dispositions du Titre II de la Constitution prévoit dans son article 2 que « toute référence au père d’une personne, sera, à propos d’une personne née hors du mariage et non reconnue par son père, interprétée comme signifiant la mère de la personne ». Nous croyons que l’article 27-2 de la Constitution doit être interprétée comme comportant ce qui est prévu par l’article 23 et non excluant ces dispositions de sorte qu’un enfant né des relations entre un père mauricien et une mère étrangère ne perde pas sa citoyenneté mauricienne. Il nous apparaît que ceci est la seule interprétation sensée et raisonnable que nous pouvons donner à ces deux articles de la Constitution, eu égard aux dispositions de notre Constitution sur les droits et libertés fondamentaux.

(…)

MRI / 1995 / A05
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 27-10-1995 / Pointu v. Ministry of Education (1995) S.C.J. 350 / texte intégral

2.1.1.1 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Constitution
2.1.1.13 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – autres sources internationales
2.1.3.1 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence interne
2.1.3.3 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence étrangère
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Enseignement (matières enseignées) – Loi (égalité devant la loi)

Marie-Gérard Christian Pointu, Demandeur

c/

1. Le Ministre de l’Education et des Sciences

2. L’Etat de Maurice, Défendeurs

avec la présence de:

Dharmdev MATADEEN, co-défendeur

Affaire n° 53877

et dans l’affaire de:

Roland Emmanuel MOSSES et 187 autres, Demandeurs

c/

1. Le Ministre de l’Education et des Sciences

2. L’Etat de Maurice, Défendeurs

avec la présence de:

Yajjessewur DINNOO, Co-défendeur

Affaire n° 54203

et dans l’affaire de:

Gérard COLIN et 11 autres, Demandeurs

c/

1. Le Ministre de l’Education et des Sciences

2. Le Syndicat Mauricien des Examens, Défendeurs

avec la présence de:

Yajjessewur DINNOO, Co-défendeur

Arrêt:

Maurice est un Etat souverain et démocratique. C’est ce que prévoit l’article 1er de la Constitution. C’est une société multiraciale, pluriculturelle et multilingue. Les langues communément et couramment utilisées dans la vie de tous les jours sont l’anglais, le français, le créole et le bhojpuri. D’autres langues que nous appellerons langues orientales sont aussi parlées dans certaines familles et le choix de la langue parlée dépend dans une large mesure de l’origine des parents.

Les enfants entrent à l’école primaire en classe 1re à l’âge de cinq ans. L’école peut être une école d’Etat ou une école subventionnée. Les écoles de cette dernière catégorie sont dirigées par des organisations religieuses et reçoivent des subventions de l’Etat. Tous les élèves des écoles primaires suivent un programme de six années jusqu’à la classe de VIe. Ils participent alors aux examens du Certificat d’Etudes Primaires (CEP) (voir les articles 10 et 14 du Règlement de 1957 sur l’Enseignement). Le programme des enseignements doit être approuvé par le Ministre. A l’heure actuelle, il apparaît que le programme comporte l’anglais et les mathématiques, des matières notées sur 300 points chacune, et le français et l’histoire-géographie (HG) sont notées sur 200 points chacune. Il est généralement accepté que le HG est une matière plus difficile que les autres et qu’il n’est pas aisé d’avoir une très bonne note dans cette matière. Les infrastructures et le personnel enseignant existent et ont toujours existé pour enseigner toutes ces matières dans toutes les écoles.

Le CEP est un examen d’une compétition féroce. Sur la base de ces examens, les élèves peuvent adhérer, par rapport à leur classement, à certaines écoles secondaires considérées à Maurice comme de « bons collèges », c’est-à-dire, des écoles d’un niveau élevé ou assez élevé. Il y a une course folle dans le classement qui est déterminé par une fraction de point.

Le calcul du classement, jusqu’aux examens de CEP de 1994, se faisait par la méthode linéaire. Les notes d’un candidat dans toutes les matières sont additionnées. Ceci est prévu dans le Règlement et le programme de l’examen préparé par le Syndicat Mauricien des Examens, l’institution responsable de la tenue à Maurice des examens en vertu de la Loi sur le Syndicat Mauricien des Examens. Les 2000 meilleurs garçons et les 2000 meilleures filles sont assurées d’avoir une place dans les bonnes écoles secondaires.

Au mois de mars cette année, le Ministre de l’Education, en agissant en vertu du Règlement sur l’Enseignement élaboré conformément à la Loi sur l’Enseignement, a modifié le régime des examens de CEP. Le Syndicat Mauricien des Examens, avec le concours du Ministre, a remplacé la méthode linéaire de classement par une méthode de péréquation.

Sous le nouveau régime, cinq matières au lieu de quatre seront comptées aux fins des examens de CEP à partir du 7 novembre 1995, date du début des prochains examens. En sus des quatre matières, les élèves seront autorisés à passer un examen sur une cinquième matière, notamment une langue orientale parmi le hindi, le tamoul, le marathi, l’arabe et le mandarin. Les langues orientales seront notées sur 200 points. Le mode de calcul pour le classement sera changé en ce sens que la note obtenue dans une langue orientale sera comptée pour le classement.

Sous le nouveau régime, l’anglais et les mathématiques seront des matières du tronc commun. Les élèves qui pendront seulement quatre matières seront notés conformément à la méthode linéaire. Mais pour ceux qui prendront une matière supplémentaire, à savoir une langue orientale, les deux meilleures notes des trois matières restantes, à savoir, le français, l’histoire-géographie et une langue orientale (que nous appellerons également langue asiatique). Les deux meilleures notes et celles de l’anglais et les mathématiques seront comptées. La nouvelle méthode est prévue par l’article 6 du Règlement édicté par le Syndicat Mauricien des Examens qui est ainsi rédigé:

Classements:

La méthode pour le classement est le suivant:

pour ceux qui ont pris une langue asiatique, il sera additionné aux notes obtenues en anglais et en mathématiques les deux meilleures notes obtenues dans les matières suivantes: français, histoire-géorgraphie et langue asiatique, et;

pour ceux qui n’ont pas pris une langue asiatique, les notes obtenues dans les quatre matières, à savoir, l’anglais, les mathématiques, le français et l’histoire-géographie seront additionnées

La note standardisée sera établie conformément aux valeurs suivantes:

Anglais 300

Mathématiques 300

Français 200

Histoire-géographie 200

Langue orientale 200

Pour obtenir la « note standardisée » susmentionnée en langue orientale, on appliquera une nouvelle méthode, la méthode de péréquation qui a été approuvée par le Syndicat Mauricien des Examens, proposée par le Dr Kingdon, un chercheur de l’Université de Londres. A partir des explications fournies par M. Clifford, secrétaire général de l’Autorité Catholique de l’Enseignement et du Dr Kingdon nous avons compris que le système fonctionnera ainsi:

(i) Les notes obtenues par des candidats aux examens CEP en anglais et en mathématiques seront considérées comme une note commune de référence;

(ii) les différentes notes en langues orientales seront additionnées aux notes d’anglais et de mathématiques afin de déterminer la note corrigée en langue orientale.

Les raisons qui ont suscitées la décision du Ministre doivent être mentionnées. Les langues orientales ont été enseignées depuis longtemps dans les écoles. Si les élèves avaient la possibilité d’étudier une langue orientale, nul n’y était obligé et elle n’était pas une matière obligatoire pour les examens de CEP. A côté de l’enseignement des langues orientales, un enseignement sur la religion catholique était dispensé dans beaucoup d’écoles. Il doit être souligné, et la Cour peut apprécier, que, vu la composition multiraciale de notre société, les élèves ayant une origine asiatique seront plus tentés ou enclins à étudier une langue orientale à l’école que ceux appartenant à la population générale, qui dans l’ensemble sont des catholiques. Ces derniers ont une préférence pour un enseignement sur la religion catholique.

En 1984, une Commission ad hoc parlementaire a été instituée en vertu de l’article 96 du Règlement Intérieur de ce qui était alors l’Assemblée Législative, et elle était présidée par le Ministre de l’Education d’alors et qui l’est encore. La nouvelle mission de la Commission, indiquée aux paragraphes 1.1 et 1.2 du rapport, était:

« de faire des propositions pour que les notes des candidats prenant une langue orientale parmi le hindi, l’ourdou, le tamoul, le télégou, le marathi, le mandarin et l’arabe des écoles agrées aux examens de CEP puissent être retenues par l’attribution du Certificat d’Etudes Primaires et pour le classement. »

La Commission de 1984 a fait des propositions suivantes dans son rapport soumis en 1986:

Votre Commission propose unanimement la solution suivante qui entrerait en vigueur à partir de 1993 pour le classement des candidats aux examens de CEP des écoles agréées:

 

Matière Notation sur:
Anglais 300 points
Mathématiques 300 points
Français 200 points
Choix entre Histoire-géographie et une langue orientale/culture et civilisations mauriciennes 200 points
TOTAL 1 000 points

Les notes en anglais, mathématiques et français (qui ont respectivement un coefficient 3, 3, et 2 sont additionnées à la note la plus élevée obtenue soit en histoire-géographie, soit en une langue orientale/cultures et civilisations mauriciennes (coefficient 2).

En 1986, le gouvernement avait voulu que les élèves qui avaient étudié une langue orientale pussent prendre cette langue aux examens de CEP. Cette langue n’aurait pas été comptée aux fins du classement mais il y aurait eu une mention sur le certificat délivré à l’élève qui a réussi un examen de langue.

En 1991, une autre Commission ad hoc a été créée et était présidée par M. Madun Dulloo qui était alors un Ministre afin de revoir le rapport de la Commission ad hoc soumis en 1986. La mission de cette Commission était:

« de reconsidérer la proposition 3.10.7 du Rapport de la Commission ad hoc (N° 7 de 1986) déposé le 6 mai 1986 et l’opportunité de prendre en compte les langues orientales lors du classement des candidats des écoles agréées aux examens de CEP et de faire toutes propositions appropriées. »

La Commission créée en 1991 a fait les propositions suivantes dans son rapport déposé en décembre 1993:

« Votre Commission fait alors unanimement les propositions suivantes:

a. L’obtention du Certificat

Les propositions du rapport de la Commission ad hoc déposé en mai 1986 sur l’obtention du certificat devraient être maintenues; c’est-à-dire, il faudrait au moins avoir obtenu:

(i) La mention E dans toutes les matières suivantes:

–Anglais

–Mathématiques

–Français

(ii) La mention C ou deux mentions D de ces cinq matières:

–Anglais

–Mathématiques

–Français

–Histoire-géographie

–Une langue orientale.

b. Le classement

Les propositions du Rapport de la Commission ad hoc déposé en mai 1986 pour que les langues orientales soient retenues devraient également être maintenues.

c. Cultures et Civilisations de Maurice

La proposition du Rapport de la Commission ad hoc déposée en mai 1986, à savoir l’introduction d’une nouvelle matière, c’est-à-dire, Cultures et Civilisations de Maurice, comme une option aux langues orientales, n’est pas réalisable et ne devrait pas être introduite.

d. Options

(i) Les élèves ne devraient pas être amenés à choisir des matières au niveau primaire comme ils ne sont pas en mesure à cet âge de le faire.

(ii) Dans le contexte actuel, les élèves ne devraient pas faire un choix en une langue orientale et une autre matière dans la mesure où ceci porterait préjudice aux langues orientales et empêcherait la promotion de ces langues.

e. Solutions

Les solutions suivantes devraient être utilisées:

–Pour ceux qui prendraient part à un examen de langue orientale, les notes obtenues en anglais et mathématiques seraient additionnées avec les deux notes les plus élevées obtenues dans ces matières – Français, histoire-géographie et langue orientale et

–Pour ceux qui ne prendraient pas part à un examen de langue orientale, les notes obtenues dans toutes les quatre matières, à savoir l’anglais, les mathématiques, le français et l’histoire-géographie seraient additionnées ensemble.

f. Les mentions

Le système actuel de mention devrait être maintenu, c’est-à-dire

 

Mention Note
A 70 points et au-delà
B 60 points et au-dessus et moins de 70 points
C 50 points et au-dessus et moins de 60 points
D 40 points et au-dessus et moins de 50 points
E 30 points et au-dessus et moins de 40 points
F Moins de 30 points

g. Valeur

Le présent système de valeurs proposé par le Rapport de la Commission ad hoc de mai 1986 devrait être maintenu, c’est-à-dire:

Anglais 300
Mathématiques 300
Français 200
Histoire-Géographie 200
Langue Orientale 200

h. Mise en place

Ces propositions devraient être mises en œuvre à partir de 1995″.

Ces propositions ont obtenu l’approbation du Conseil des Ministres en décembre 1993 et ont été communiquées au Ministère de l’Education au début de 1994, selon M. Ramchurn, un sous-directeur rattaché à ce ministère. Aucune école n’a été officiellement informée de cette décision avant mars 1995, lorsqu’elles ont appris que les langues orientales seront comptées pour le classement aux examens du CEP à partir de 1995 à travers un Règlement et les programmes proposés par le Syndicat Mauricien des Examens.

Les demandeurs dans les affaires qui ont été jointes ont invoqué les articles 3 et 16 de

la Constitution:

« 3. – Protection des droits fondamentaux et des libertés individuelles

Il est reconnu et proclamé qu’il a existé et qu’il continue d’exister à Maurice, sans discrimination à raison de la race, du lieu d’origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe mais dans le respect des droits et libertés d’autrui et de l’intérêt public, tous les droits de l’homme et libertés fondamentales énumérés ci-dessous, à savoir:

a. le droit de tout individu à la vie, à la liberté, à la sécurité personnelle et à la protection de la loi; (c’est nous qui soulignons)

b. la liberté de conscience, d’expression, de réunion et d’association et la liberté de fonder des établissements scolaires;

c. le droit de tout individu à la protection de l’intimité de son domicile contre toute atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans compensation, et les dispositions du présent Titre auront effet pour assurer la protection des dits droits et libertés sous réserve des limitations par ces mêmes dispositions, limitations destinées à assurer que l’exercice des dits droits et libertés par un individu ne porte pas atteinte aux droits et libertés ou à l’intérêt public.

16. – Protection contre toute discrimination

1. – Sous réserves des dispositions des alinéas 4, 5 et 7 du présent article, aucune loi ne contiendra une disposition discriminatoire en elle-même ou dans ses effets.

2. – Sous réserves des dispositions des alinéas 6, 7 et 8 du présent article, nul ne pourra être traité d’une façon discriminatoire par une personne agissant dans l’exécution d’une fonction publique conférée par la loi ou dans l’exécution des fonctions d’une autorité publique.

3. – Dans le présent article, l’expression « discriminatoire signifie: accorder un traitement différent à des personnes différentes, ces différences étant dues uniquement ou principalement à l’application des critères de race, de caste, de lieu d’origine, d’opinion politique, de couleur ou de croyance, en vertu desquels ces personnes sont soumises à des incapacités ou des restrictions auxquelles ne sont pas soumises les personnes ne répondant pas à ces critères, ou encore accorder des privilèges et avantages qui ne sont pas accordés aux personnes répondant à d’autres critères.

4. – L’alinéa 1er du présent article ne s’applique à aucune loi dans la mesure où celle-ci prévoit des dispositions relatives à:

a. l’affectation de revenu ou d’autres fonds de Maurice;

b. des personnes qui n’ont pas la citoyenneté mauricienne;

c. l’application, dans le cas de personnes répondant à l’un des critères visés à l’alinéa 3 du présent article (ou de personnes ayant un lien avec ces dernières), de règles concernant l’adoption, le mariage, le divorce, les obsèques, la dévolution de succession ou à toute autre matière régie par leur loi personnelle.

5. – Rien de ce qui est contenu dans une loi ne sera tenu pour non conforme ou contraire à l’alinéa 1er du présent article dans la mesure où celle-ci prévoit des compétences ou qualifications (autres que des compétences ou qualifications ayant uniquement trait à la race, la caste, le lieu d’origine, les opinions politiques, la couleur ou la croyance) requises de toute personne nommée à tout emploi dans la fonction publique, une force disciplinaire, une autorité locale ou une institution établie directement par une loi dans un but de service public.

6. – L’alinéa 2 du présent article ne s’applique pas à tout ce qui est expressément autorisé ou résulte nécessairement d’une disposition légale dont il est fait référence aux alinéas 4 et 5 du présent article.

7. – Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire au présent article, dans la mesure où cette loi contient des dispositions par lesquelles les personnes appartenant à l’une des catégories décrites à l’alinéa 3 du présent article, peuvent être soumises à une restriction des droits et libertés garantis par les articles 9, 11, 12, 13, 14 et 15, si cette restriction est, selon le cas, autorisée par l’alinéa 2 de l’article 9, l’alinéa 5 de l’article 11, l’alinéa 2 de l’article 12, l’alinéa 2 de l’article 13, l’alinéa 2 de l’article 14 ou l’alinéa 3 de l’article 15.

8. – L’alinéa 2 du présent article n’affectera pas la discrétion conférée à quelque personne par la Constitution ou toute autre loi quant à l’introduction, la conduite ou l’abandon de procédures civiles ou pénales devant une cour de justice. »

Le conseil des demandeurs soutient que le principe d’égalité reconnu par l’article 3 se trouve également dans l’article 1er de la Constitution qui proclame que Maurice est un Etat souverain et démocratique. Le conseil prétend également que le principe d’égalité devant la loi a toujours existé à Maurice depuis 1793 lorsque la Déclaration de 1789 a été rendue applicable à Maurice. Puisque le citoyen a droit à une protection égale de la loi et une protection contre des discriminations en vertu des articles 3 et 16, les droits des demandeurs, selon la thèse de leur conseil, ont été méconnus.

Les défendeurs et les co-défendeurs ont répliqué que les demandeurs doivent se reprocher eux-mêmes pour ne pas avoir étudié une langue orientale dans la mesure où les langues orientales ont été enseignées depuis longtemps. Leur conseil soutient en sus que, dans tous les cas, annuler la décision administrative d’inclure les langues orientales dans le programme des examens de CEP en novembre 1995 priverait un grand nombre d’élèves qui ont étudié une langue orientale à l’école d’une possibilité de prendre cette matière pour les examens et qui compterait pour le classement.

Il a aussi été soutenu que les demandeurs ne sont pas victimes d’un procédé déloyal du fait que la notation par le système de péréquation entrerait en vigueur. De plus, selon le conseil, tout désavantage infligé aux élèves qui ont étudié quatre matières serait contrebalancé par le fait que les élèves qui ont étudié une langue orientale ont employé leur temps libre à étudier cinq matières au lieu de quatre.

Sur la base que (i) les langues orientales sont enseignées depuis longtemps à l’école, (ii) ces langues étaient des matières qui étaient spécifiées dans le certificat depuis 1987 et (iii) qu’en 1991 une circulaire a indiqué qu’il n’y aurait pas d’enseignement simultané de langues orientales et d’éducation catholique, il a été affirmé de la part des défendeurs qu’il était évident depuis longtemps à toutes les écoles et à tous les élèves que, tôt ou tard, les langues orientales seraient prises en compte aux fins du classement aux examens de CEP. Puisque les demandeurs ont choisi d’ignorer ce fait, ils doivent se reprocher eux-mêmes pour n’avoir pas préparé un éventuel changement dans le programme des enseignements et examens.

Avant d’analyser les différents articles de la Constitution qui sont pertinents au regard de la présente affaire, nous croyons qu’il est nécessaire de déterminer si, lors de l’exercice de l’interprétation de la Constitution, il serait approprié pour nous de s’inspirer d’autres sources nationales et internationales. Dans les arrêts Lincoln c/ The Governor General & another, Mauritius Reports, 1974, p. 112, UDM c/ Campement Sites & another c/ The Government of Mauritius, Mauritius Reports, 1984, p. 100, il a été affirmé que nous ne devons pas sortir du texte de la Constitution pour interpréter la notion de démocratie. Dans d’autres arrêts, par exemple, Vallet c/ Ramgoolam & another, Mauritius Reports, 1973, p. 29, il a été fait référence à la Convention européenne des Droits de l’homme et à la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Dans les arrêts Police c/ Rose, Mauritius Reports, 1976, p. 79 et Police c/ Flore, Mauritius Reports, 1993, p. 106, la Cour s’est referrée à la jurisprudence indienne sur la notion d’égalité. Dans l’arrêt Jaulim c/ The Director of Public Prosecutions & another, Mauritius Reports, 1976, p. 96, la formation plénière de la Cour (composée de M. Latour-Adrien Chef-Juge, M. Garrioch, Doyen des Juges Puînés et M. Rault, Juge) s’est referrée à la page 100 aux principes de la Convention Européennes des Droits de l’homme comme indiqué dans le paragraphe qui suit:

« Pour la présente affaire nous nous sommes inspirés et nous nous sommes permis d’emprunter de la motivation d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’objectif de l’article 14 de la Convention européenne des Droits de l’homme, qui traite de la discrimination, la formule qui suit: « les principes qui peuvent être dégagés de la pratique juridique d’un nombre important d’Etats démocratiques » [voir Cour européenne des Droits de l’homme, affaire des linguistes belges, Recueil de Jurisprudence de la Cour, 1968, vol. 11832]. »

La même approche a été approuvée par le Conseil Privé dans beaucoup d’affaires. Dans l’arrêt Minister of Home Affairs c/ Fisher, The Law Reports, Appeal Cases, 1986, p. 319, v. p. 329, Lord Wilberforce, en interprétant les droits et des libertés fondamentaux garantis par la Constitution des Bermudes, souligne que:

« Ce texte constitutionnel comporte des caractéristiques spéciaux. (1) Il a été rédigé, notamment le Titre I, de manière large et générale et a posé de grands principes généraux. (2) Le Titre I a pour intitulé « Protection des droits et libertés fondamentaux de l’individu ». Il est reconnu que ce Titre, comme les parties similaires des textes constitutionnels rédigés pendant la décolonisation, et commençant par la Constitution de Nigeria et incluant la majorité des Constitutions des territoires des Caraïbes, a grandement été influencé par la Convention européenne pour la Sauvegarde des Droits et des Libertés Fondamentaux. Cette convention, à son tour, a subi l’influence de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948. Ces antécédents, et le style du Titre I lui-même, appellent à une interprétation généreuse en évitant ce qui a été appelé « l’austérité du légalisme » plus apte à offrir aux individus toute la protection des droits et libertés fondamentaux mentionnés. »

Le même principe a été appliqué dans l’arrêt Olivier c/ Buttigieg, The Law Reports, Appeal Cases, 1967, p. 115, Ong Ah Chuan c/ Public Prosecutor, The Law Reports, Appeal Cases, 1981, p. 648, Attorney-General of the Gambia c/ Momoudou Jobe, The Law Reports, Appeal Cases, 1984, p. 689, v. p. 706, Société United Docks & another c/ The Government of Mauritius, The Law Reports, Appeal Cases, 1985, p. 585, v. p. 605, Thornhill c/ The Attorney-General or Trinidad and Tobago, The Law Reports, Appeal Cases, 1981, p. 61.

Selon nous, la meilleure approche est qu’une Constitution, notamment la partie qui contient les droits fondamentaux, doit être interprétée dans une perspective historique, à la lumière de ses origines et, autant que possible, des décisions sur des dispositions similaires aux nôtres par des juridictions nationales et internationales.

Dans ce même ordre d’idées, nous pourrions faire référence à ce qu’a dit Me Anthony Lester, Conseiller de la Reine, lors d’un colloque juridique à Bangalore en février 1988 sur le thème « L’application par les autorités nationales des normes internationales des droits de l’homme »:

« Il est très accepté que des décisions des juridictions constitutionnelles de la famille juridique de la Common Law, tels la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique, la Cour suprême indienne, le Conseil Privé et d’autres bénéficient d’une grande autorité morale dans les affaires impliquant des garanties constitutionnelles des droits fondamentaux. La Cour suprême indienne en particulier a suivi des décisions des cours britanniques et celles des Etats-Unis et du Canada en raison de leur grande autorité morale. Dans l’affaire Ong Ah Chuan, le Conseil Privé a considéré qu’il n’est pas approprié de voir les décisions des Etats-Unis pour interpréter les droits de l’homme contenus dans les Constitutions de type Westminster. Cependant, le Conseil Privé n’a jamais suivi cette approche par la suite: ce n’est pas une bonne approche du fait de l’universalité des principes et des valeurs.

Ce que Me Anthony Lester, Conseiller de la Reine, a dit au cours de ce colloque reflète la conception moderne en matière des droits de l’homme. Ces droits ne sont pas limités à un territoire particulier mais sont universels et généraux. Ils sont invariablement liés au développement économique, à l’aide financière, l’établissement des relations diplomatiques et sont souvent utilisés comme un moyen de pression sur des pays qui ont une mauvaise image en matière des droits de l’homme.

A ce stade, nous ferions référence aux arrêts dans lesquels la Cour a examiné la notion de démocratie. Dans l’arrêt Vallet c/ Ramgoolam & another (supra), la Cour a écrit à la page 42 que:

« Quels sont donc les caractéristiques de la démocratie dans laquelle nous vivons? Il n’y a pas de doute que le constituant, en incluant dans la Constitution la pratique et les principes constitutionnels du Royaume-Uni, a voulu donner à Maurice un système démocratique proche de celui dont jouit le peuple britannique. Il n’y a également pas de doute que, en incluant la majorité des droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention européenne des Droits de l’homme, ils ont introduit dans la Constitution elle-même les garanties accordées par les Etats signataires (dont le Royaume-Uni qui a signé la Convention au nom de ses territoires, y inclus Maurice) pour respecter les principes fondamentaux de la démocratie. »

Dans l’arrêt Lincoln & another c/ The Governor General & another (supra), le juge Ramphul a fait à la page 126 les observations suivantes sur le modèle de démocratie mis en place dans notre pays:

« Il y a une autre observation que je voudrais faire. Elle concerne le type de démocratie auquel notre Constitution fait référence. A mon avis, on ne doit pas chercher en dehors de notre Constitution pour découvrir le modèle de démocratie qui existe à Maurice. Cependant, ce modèle peut être modifié par une révision de la Constitution. Il n’est donc pas utile de considérer les conventions de la Constitution britannique afin de découvrir la forme de démocratie qui existe à Maurice. »

Cette approche du juge Ramphul a été approuvée par la Cour, composée de M. Glover, Chef-Juge et de M. Lallah, Doyen des Juges Puînés, dans l’arrêt UDM an another c/ The Governor General and another (supra) dans lequel elle a observé que:

« Considérant maintenant le deuxième moyen avancé, nous devons déterminer le sens des termes « Etat démocratique » qui se trouvent dans l’article 1er de la Constitution. Nous devons tout de suite rajouter que ceci n’est pas ou ne peut pas être la même chose que de définir le concept de « société démocratique » évoqué dans certains articles du Titre II pour déterminer ce qui est raisonnable ou pas. Nous sommes d’avis que, parmi les autres juges de cette Cour qui ont été appelés à donner une telle définition aux fins de l’article 1er, l’approche du juge Ramphul, contenue dans l’arrêt Lincoln c/ Le Gouverneur Général et consorts, Mauritius Reports, 1974, p. 112, est la bonne. En bref, il n’est ni nécessaire ni approprié de chercher en dehors de la Loi Fondamentale pour savoir ce que le constituant avait à l’esprit lorsqu’il a utilisé les termes « société démocratique » et encore moins de faire référence à certaines conventions qui fondent le droit constitutionnel britannique. L’article 1er dit que notre Etat sera dirigé conformément aux autres dispositions de la Constitution, qui contient l’essence des principes démocratiques qui nous gouvernent. Ceux-ci comprennent la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’accession à et la perte de la nationalité, le pouvoir conféré au Parlement, qui comprend une Assemblée Législative, pour voter des Lois, la responsabilité du gouvernement vis-à-vis du Parlement, l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant, de même que d’autres dispositions dont la mention n’est pas nécessaire en vue de la présente affaire. »

Les deux conseils des demandeurs ont soutenu avec force que la démocratie ne pourrait exister sans égalité. Comme indiqué, les conseils ont fait référence au fait que, d’un point de vue historique, le principe d’égalité comme faisant partie des principes démocratiques a existé à Maurice depuis 1793. Nous sommes reconnaissants envers Me R. d’Unienville, Conseiller de la Reine, un des deux avocats des demandeurs, pour son exposé très éclaircissant sur l’histoire du concept d’égalité à Maurice.

Cet aspect historique a aussi été évoqué par le juge Ahnee dans son opinion dissidente dans l’arrêt Peerbocus c/ Regina, Mauritius Reports, 1991, p. 90 dans lequel il dit à la page 98 que « l’Assemblée coloniale de notre pays, siégeant dans ce qui est maintenant la deuxième chambre de notre Cour suprême, avait déjà depuis le XIV Thermidor An III (1er août 1794) proclamé que tous les citoyens de cette colonie « ont la jouissance de tous leurs droits naturels et imprescriptibles exposés dans la Déclaration des Droits présentée au Peuple Français en juin 1793 (v. d’Unienville, Histoire politique de l’Isle de France (1791-1794), Imprimerie du Gouvernement, Port-Louis, Ile Maurice, 1982, p. 58), laquelle Déclaration dans ses articles 3, 4, et 5 dispose que:

3. – Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.

4. – La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale. Elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

5. – Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics.

Il peut être intéressant de souligner que ces Droits font partie des normes juridiques que les anglais ont promis de sauvegarder à l’article 8 de l’Acte de Capitulation de 1810 qui prévoit « Que les habitants conserveront leur religion, loix et coutumes » (v. Lane, Laws of Mauritius Revised Edition, vol. 1, cap. 47, article 8) »

Il n’y a pas de doute que, vu la structure démocratique de notre nation, les principes démocratiques qui ont été retenus lors de l’écriture de notre Constitution, comme souligné dans les différentes décisions de notre Cour et les observations faites par le juge Ahnee dans son opinion dissidente dans l’affaire Peerbocus, que notre Constitution considère tout le monde comme égal et a droit à l’égale protection de la loi.

Nous avons maintenant à déterminer ce que signifie la notion d’égalité, qui selon nous est contenue dans le concept de démocratie de l’article 1er mais aussi dans l’article 3 comme décidé dans l’arrêt Union of Campement Sites & Lessees & ors c/ The Government of Mauritius (supra) dans lequel la Cour souligne ce qui suit:

« Il apparaît que, sur la question d’égalité devant la loi et du traitement égal de la loi, notre Constitution a adopté les deux aspects d’un même principe, c’est-àdire, des dispositions donnant effet à une égalité positive et des dispositions interdisant toute discrimination. Celles donnant effet à une égalité positive sont contenues dans les termes « Nul ne peut » (article 4, 5, 6, 7 et autres) ou « Toute personne qui ». Il existe aussi des dispositions qui garantissent l’égalité de traitement par les cours mais pas nécessairement une identité de traitement (article 10). Ainsi, une personne reconnue coupable d’une infraction par une cour et sanctionnée plus sévèrement qu’une personne reconnue coupable d’une infraction similaire dans des circonstances similaires par une autre cour, ou peut-être par la même cour, ne peut se plaindre d’avoir reçu un traitement inconstitutionnel si le procès était régulier. »

Nous ferons ici référence à une décision de la Cour suprême des Etats-Unis relative à l’article 1er du Quatorzième Amendement à la Constitution de ce pays. Cet article dispose:

« Aucun Etat… ne privera aucune personne relevant de son autorité de l’égale protection des lois. »

Dans l’arrêt Brown c/ Board of Education of Topeka, United States Reports, 1954, vol. 347, p. 438, la Cour suprême avait à trancher une affaire dans laquelle les parties lésées avaient été privées du droit de s’inscrire à des écoles fréquentées par des élèves blancs en vertu des lois exigeant ou tolérant une ségrégation raciale. Cette ségrégation avait privé les demandeurs de l’égale protection de la loi contrairement au Quatorzième Amendement. La Cour a considéré que:

« Nous concluons que dans le domaine de l’éducation publique la doctrine « séparé mais égal »n’a pas de place. Une infrastructure séparée pour l’éducation est inégale en soi. Par conséquent, nous considérons que les demandeurs et d’autres personnes se trouvant dans la même situation et au nom de qui des actions ont été exercées pour des faits de ségrégation pour lesquels il se sont plaints, ont été privés d’une égale protection des lois contrairement au Quatorzième Amendement ».

Nous ferons aussi référence à l’interprétation donnée par la Cour suprême de l’Inde à l’article 14 de la Constitution qui dispose:

« 14. – Principe d’égalité:

L’Etat ne privera aucune personne de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi dans le territoire de l’Inde. »

Dans l’arrêt State of Gujarat c/ Shri Ambica Mills, All India Reports, 1974, p. 1300, la Cour suprême a souligné:

« 52. – L’égale protection des lois est une des garanties de la protection égale des lois. Mais les lois peuvent être différentes. L’idée même d’une catégorisation comporte celle d’inégalité. En résolvant ce paradoxe la Cour n’a ni abandonné la demande pour une égalité n’a ni privé le législateur du droit de faire une catégorisation. Elle a adopté une attitude du juste milieu. Elle a résolu le conflit entre une demande pur la spécialisation législative et la généralité constitutionnelle par un concept de classification raisonnable. (V. Joseph Tussman et Jacobus Ten Breck, L’égale protection des lois, California Review, vol. 37, p. 341.

53. – Une catégorisation raisonnable est une catégorisation qui inclut tous ceux qui se trouvent dans la même situation et personne qui ne l’est pas. La question est alors celle-là: que signifie les termes « dans la même situation »? La réponse est que nous devrons chercher au-delà de la catégorisation proposée par la loi. Une catégorisation raisonnable est celle qui inclut toutes les personnes qui se trouvent dans la même situation aux fins de la loi. L’objet de la loi peut être soi de résoudre un problème public soit d’accomplir un bien public.

54. – Une catégorisation est sous-englobante lorsque tous ceux qui se trouvent dans la catégorie sont concernés par l’objet de la loi mais il existe d’autres personnes concernées par l’objet de la loi mais qui ne font pas partie de la catégorie. En d’autres mots, une catégorisation est irrégulière du fait qu’elle est sous-englobante lorsqu’un Etat accorde un droit ou impose un devoir dans un sens qui dépasse l’objectif mais n’accorde pas le même droit ou n’impose pas le même devoir à ceux qui se trouvent dans une situation similaire. Une catégorisation est sur-englobante lorsqu’elle inclut non seulement ceux qui se trouvent dans une situation semblable mais aussi tous ceux qui ne s’y trouvent pas. En d’autres mots, ce type de catégorisation impose un devoir sur une fraction plus large d’individus que celle qui est concernée par l’objectif de la loi. Hérod, en ordonnant l’exécution de tous les enfants du sexe masculin nés à une date particulière parce qu’un d’entre eux apporterait sa chute a utilisé une telle catégorisation (p. 1313). »

Ce précédent a été suivi dans l’arrêt Police c/ Flore, Mauritius Reports, 1993, p. 106 et s.

Dans l’arrêt Motor General A. P. c/ State of A. P., Supreme Court Cases, 1984, vol. 1, p. 222 et s., v. p. 229 et 230, il a été décidé que:

« Le principe d’égalité contenu dans l’article 14 exige que toutes les personnes soumises à une législation soient traitées de la même manière, dans les mêmes circonstances et conditions. Les personnes qui sont dans des situations semblables doivent être traitées également et les personnes dans des situations différentes ne doivent pas être traitées également. Afin de réussir l’examen de la catégorisation autorisée, deux conditions doivent être remplies, à savoir, (i) la catégorisation doit être fondée sur une différence intelligible qui distingue des personnes ou des choses regroupées ensemble de celles qui ne sont pas dans le groupe et (ii) cette différence doit aussi avoir un lien rationnel avec l’objet de la loi en question. Alors qu’une catégorisation peut être fondée sur plusieurs critères, ce qui est important c’est qu’il y a un lien entre la catégorisation et l’objet de la loi litigieuse » (c’est nous qui soulignons).

Dans l’arrêt R. K. Garg c/ Union of India, Supreme Court Cases, 1981, vol. 4, p. 675, v. p. 689-90, il a été décidé que:

« Une catégorisation ne peut être arbitraire, mais doit être rationnelle, c’est-àdire elle ne peut pas être fondée sur des qualités ou des caractéristiques que l’on peut trouver chez toutes les personnes faisant partie de la catégorie et pas chez ceux qui n’en font pas partie mais ces qualités ou caractéristiques doivent avoir un lien raisonnable avec l’objet de la loi. Afin de réussir l’examen, deux conditions doivent être remplies, à savoir (1) que la catégorisation doit être fondée sur une différence intelligible qui différencie ceux qui se trouvent dans la catégorie et ceux qui n’y sont pas et (2) cette différence doit avoir un lien rationnel avec l’objet de la loi.

La différence qui fonde la catégorisation et l’objet de la loi sont deux choses différentes et ce qui est important c’est qu’il y a une relation entre eux. En bref, alors que l’article 14 interdit une discrimination de catégorie en accordant des privilèges ou imposant des responsabilités sur ceux qui sont arbitrairement choisis d’un groupe de personnes se trouvant dans une situation similaire en fonction des privilèges qui seraient conférées ou des responsabilités qui seraient imposées, il n’interdit pas une catégorisation pour l’exécution des lois si cette catégorisation n’est pas arbitraire dans le sens évoqué. »

Dans l’arrêt Ajay Hasia c/ Khalid Mujib Sebravardi, Supreme Court Cases, 1981, vol. 1, p. 722, v. p. 740-740, il a été souligné que le principe d’égalité et de l’égale protection de la loi s’applique non seulement au législateur mais aussi à l’exécutif:

« Ce que l’article 14 interdit c’est l’arbitraire parce qu’un acte arbitraire est en soi discriminatoire. La notion de catégorisation qui est retenue par les cours n’est pas une paraphrase de l’article 14 et n’est pas non plus l’objectif et la fin de cet article. C’est une notion juridique afin de déterminer si un acte du législatif ou de l’exécutif est arbitraire et constitue donc une négation de l’égalité. Si la catégorisation n’est pas raisonnable et ne satisfait pas les deux conditions qui ont été posées, l’acte litigieux du législatif ou de l’exécutif serait manifestement arbitraire et la garantie d’égalité de l’article 14 serait méconnue. Donc, à chaque fois qu’une décision des autorités de l’Etat est arbitraire, que soit une loi ou un acte administratif ou un acte de l’article 12, immédiatement l’article 14 entre en ligne de compte et annule un tel acte » (c’est nous qui soulignons).

La décision dans l’affaire Bechan Singh c/ State of Punjab, Supreme Court Cases, 1982, vol. 3, p. 24:

« Toute forme d’arbitraire ou d’irrationalité est une abomination dans notre ordre constitutionnel. C’est maintenant une condition primordiale de l’article 14 que l’exercice d’une discrétion doit être conforme à des standards ou des normes afin qu’il ne dégénère pas dans l’arbitraire ou produit des effets inégaux sur des personnes se trouvant dans une situation semblable. Lorsqu’une discrétion absolue et non limitée est conférée à une autorité, que ce soit l’exécutif ou le judiciaire, elle pourrait être mise en œuvre arbitrairement et capricieusement par une telle autorité. Il ne saurait y avoir de protection égale sans le principe d’égalité dans l’exercice d’une discrétion qu’elle soit attribuée à l’exécutif ou au judiciaire » (c’est nous qui soulignons).

Le principe d’égalité devant la loi et de la protection égale de la loi comme imposant un traitement égal à tous ceux qui se trouvent dans une situation similaire a été appliqué par cette Cour dans l’arrêt State c/ Kanoja, Mauritius Reports, 1992, p. 169, v. p. 175, où elle considère que ce principe signifie que tout le monde doit être uniformément traité sauf s’il existe des raisons sérieuses de les traiter différemment.

Dans les arrêts américains et indiens que nous avons examinés, la Cour suprême de ces pays a interprété respectivement l’article 1er du 14e Amendement de la Constitution Américaine et l’article 14 de la Constitution indienne.

Bien entendu, les décisions des autres pays démocratiques ne sont acceptables que si elles ont été rendues sur la base des dispositions constitutionnelles similaires. En réalité, nous ne voyons aucune différence entre le principe d’égalité et de l’égale protection de la loi qui se trouve dans notre Constitution et celles des Etats-Unis d’Amérique et de l’Inde. C’est vrai que dans la Constitution indienne les deux principes d’égalité et d’égale protection de la loi sont inscrits dans le même article alors qu’aux Etats-Unis d’Amérique le principe d’égalité a été dégagé de la lecture de l’article énonçant l’égale protection de la loi et dans notre droit, le principe se dégage à partir d’une conjugaison des articles 1er et 3. Cette différence dans la présentation est, à notre point de vue, sans importance.

Il nous apparaît que les magistrats de ces pays ont combiné la notion d’égale protection et celle d’égalité. Comme le principe d’égalité, qui se trouve dans la Constitution toute entière, est plus particulièrement dans les articles 1er et 3, et comme l’article 3 englobe l’idée d’une protection de la loi, nous nous estimons autorisés à adopter la même approche que les juges américain et indien en combinant les principes contenus dans les articles 1er et 3.

En ce qui concerne l’article 3 de la Constitution, il a été considéré dans l’arrêt Société United Docks c/ The Government of Mauritius, Mauritius Reports, 1981, p. 500, que:

« La règle fondamentale est qu’une Constitution est un texte qui a une signification; ses énoncés vont plus haut et plus loin que ceux d’une loi ordinaire et il est impensable d’éventer un texte aussi solennel comme de l’air chaud. »

Cet extrait a été cité par la Cour suprême de Botswana dans l’arrêt Dow c/ Attorney General, Law Reports of the Commonwealth, vol. constitutional, 1991, p. 574.

Aussi, le Conseil Privé a considéré dans l’arrêt Société United Docks & another c/ Government of Mauritius, Mauritius Reports, 1984, p. 174, à la page 178 en interprétant notre Constitution que « l’énoncé de l’article 3 est seulement compatible avec un article opérationnel; ce n’est pas un simple préambule ou une introduction. »

A notre point de vue, l’article 3 qui prévoit l’égale protection de la loi, s’applique à tous les droits protégés par la Constitution et cette interprétation est conforme à « l’interprétation téléologique qu’on doit donner aux dispositions d’une Constitution. »

En déterminant la signification et la portée de ces principes, nous ne voyons aucune raison pourquoi ne devrons pas adopter la même ligne de raisonnement que les éminents juges des Etats-Unis et de l’Inde dont l’approche a été résumée dans l’arrêt de cette Cour prononcé par M. Rault, alors juge, dans l’affaire Police c/ Rose, Mauritius Reports, 1976, p. 79, v. p. 81 et suivant.

« Faire une différence n’est pas forcément faire une discrimination. Comme Lysias l’a souligné 2000 ans auparavant, une bonne justice n’accorde pas la même chose à tout le monde mais à chacun son dû: il consiste à traiter ce qui semblable de manière semblable, mais ce qui est différent de manière différente. Egalité devant la loi exige que les individus soient uniformément traités sauf s’il y existe une raison valable pour les traiter différemment. »

Il y a lieu de noter que les conseils, à la fois des défendeurs et du co-défendeurs, n’ont pas, à aucun moment, contester que le principe d’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi soit dégagé des articles 1er et 3 de la Constitution. La prétention des conseils était limitée aux conclusions qu’on pourrait dégager des faits; les conseils soutiennent qu’il n’y a manifestement aucune violation du principe d’égalité au du droit à l’égale protection de la loi.

Après une analyse des faits, il nous semble que ces éléments essentiels sont établis:

(i) tous les élèves n’étudient pas une langue orientale;

(ii) les enfants des demandeurs, qui n’ont pas étudié une langue orientale, n’ont été informés que les langues orientales seraient comptées pour le classement des examens de CEP qu’au mois de mars 1995 seulement;

(iii) en 1991, le Syndicat Mauricien des Examens a adressé une circulaire à toutes les écoles et dont l’intitulé était: « Emploi du temps proposé des écoles primaires – 1991 »;

Dans cette circulaire, le Syndicat Mauricien des Examens a établi un emploi du temps qui avait pour but de ne pas permettre l’enseignement simultané des langues orientales et d’une éducation catholique. Une autre circulaire a été émise en 1995 et elle indiquait expressément qu’un enseignement religieux ne doit pas être dispensé en même temps que les langues orientales. Les termes de la circulaire de 1995 sont les suivants:

Matières: Emploi du temps / Répartition des temps dans les écoles primaires:

Veuillez trouver ci-joint les nouveaux emplois du temps des classes Ire à la VIe. Ils entreront en vigueur à partir du lundi 10 juillet 1995. Nous espérons que ces nouveaux emplois du temps garantiront l’uniformité et une juste répartition des temps dans toutes les matières.

Votre attention est attirée sur le fait que l’Instruction Religieuse (IR) et les langues orientales ne doivent pas être enseignées simultanément.

Des modifications mineures (par exemple, heure du début, de la fin, recréation, pause etc.) peuvent être apportées au niveau de la direction des écoles pourvu que le temps alloué à chaque matière soit respecté.

L’inspectorat assurera un contrôle et vous assistera si nécessaire.

Le programme de 1991, et notamment son intitulé, indiquent bien ce qu’ils disent. Nous ne dégagerons pas du terme « proposé » plus ce qu’il n’en contient. Ce mot est défini dans le Petit Dictionnaire d’Oxford comme: « De soumettre à considération, discussion, solution, etc. de présenter, d’établir, d’exposer ». Nous ne sommes pas prêts non plus à considérer, à partir des faits, que les élèves devraient savoir qu’un jour les langues orientales seraient comptées pour le classement du fait que ces langues ont été enseignées depuis un certain nombre d’années et étaient inscrites sur le certificat depuis 1987. Nous considérons que, sur cet aspect de l’affaire, la notification est intervenue en mars et pas avant.

(iv) il n’existe pas une infrastructure et un personnel adéquat pour assurer l’enseignement des langues orientales dans toutes les écoles;

(v) il serait extrêmement difficile pour les enfants des demandeurs qui n’ont jamais eu la possibilité et qui n’ont pas étudié une langue orientale de prendre cette matière aux examens de CEP en novembre 1995 ou l’année prochaine;

(vi) l’histoire-géographie est une matière difficile et une cinquième matière peut aider. Une mauvaise note en histoire-géographie ou en français peut être substituée par une bonne note en langue orientale;

(vii) le système de péréquation a démontré qu’il ne peut pas empêcher le déséquilibre provoqué par la prise en compte des langues orientales pour le classement. Même le Dr Kingdon, qui a conduit une simulation à partir des résultats des examens CEP de 1993 et de 1994 a concédé qu’environ 5% des 2000 garçons et 6% des 2000 filles qui n’étaient pas candidats à un examen de langue orientale ont été classés au-dessus des 2000 et remplacés par ceux qui étaient candidats à un examen de langue orientale.

L’autorité pour approuver le programme des examens de CEP appartient au Ministre en vertu de l’article 10-5 du Règlement de 1957 sur l’enseignement établi conformément à la Loi de 1957 sur l’Enseignement.

L’article 10-5 prévoit que:

« L’inscription en classe Ire dans les écoles secondaires d’Etat se fera sur la base des résultats des examens du Certificat d’Etudes Primaires, et le programme sera approuvé par le Ministre (c’est nous qui soulignons).

Le « programme » qui doit être approuvé en vertu de ce Règlement ne peut être qu’un programme d’études qui est approuvé bien avant la tenue des examens de CEP chaque année et doit aussi signifier un programme qui donne une opportunité égale à tous les élèves pour étudier les matières contenues dans ce programme en indiquant clairement que ce programme ne sera pas modifié en substance pendant les six années du cursus. Il est important de citer ici l’article 14-1 du Règlement de 1957 sur l’Enseignement qui dispose:

« 14. – Durée du cursus à l’école

1. – Sous réserves de l’alinéa 23, le cursus dans les écoles primaires d’Etat ou subventionnées couvre toutes les années d’études, de la Ire à la VIe au terme de laquelle les élèves passent les examens du Certificat d’Etudes Primaires. »

Les termes du Règlement susmentionné démontrent clairement que le programme que le Ministre doit approuver en vertu de l’article 10-5 est un programme sur six années d’études.

Il n’y a pas d’indication sérieuse du moment où le Ministre a approuvé le programme incluant les langues orientales pour le classement aux examens de CEP qui devront se tenir à partir de novembre 1995. Ce qui est prouvé, c’est qu’en mars 1995, le Syndicat Mauricien des Examens dans ses règlements et programmes a inclus les langues orientales pour les besoins du classement. Cependant, les éléments de preuve fournis tentent de démontrer qu’il n’y a jamais eu d’approbation d’un tel programme d’une durée de six années pour les besoins des examens de CEP. La décision d’inclure dans le programme les langues orientales une année avant les examens de CEP est un excès de pouvoir.

Pour revenir aux principes d’égalité et de protection égale et confronter les faits au droit, nous voyons que la modification du programme dans les présentes affaires de façon à accorder un avantage à certains éventuels candidats du CEP et inversement imposé un handicap à ceux qui passent seulement quatre matières, le Ministre a fait une catégorisation qui ne tient pas à l’examen d’égalité auquel se réfèrent les arrêts indiens et qui est résumé dans l’arrêt Police c/ Rose (supra). Tous les élèves des écoles primaires appartiennent à la même catégorie dans la mesure où tous ont bénéficié des enseignements approuvés par le Ministre. Tous ont étudiés les matières du tronc commun sur la base du programme qui a existé avant le rapport de la Commission parlementaire de 1991. Ils ont tous bénéficié du service qui leur a été accordé dans ce cadre. Une différenciation qui impose un handicap sur un grand nombre d’entre ceux qui n’ont pas étudié une langue orientale, qui n’était pas obligatoire sur la base du programme de six années d’études approuvé par le Ministre, ne résiste pas à l’examen de traitement égal de tous les élèves se trouvant dans une situation semblable.

Nous considérons par conséquent la décision du Ministre de mettre en vigueur un nouveau programme dans de telles circonstances comme injuste et arbitraire et comme méconnaissant le principe d’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi de l’article 26 du Pacte international sur les droits civils et politiques contenu dans notre Constitution.

Dans l’arrêt Olivier c/ Buttigieg (supra) Lord Morris affirme que:

« lorsqu’une cour examine les droits et libertés fondamentaux de l’individu elle doit être prudente avant d’accepter l’idée que la violation qui leur est portée est minime. »

Le Ministre, en prenant la décision d’inclure les langues orientales aux fins du classement, ne pouvait pas être indifférent au contexte sociologique et à la composition raciale de Maurice et au fait qu’aucune de ces langues n’est étudiée par un nombre important d’élèves. Un nombre important de parents n’incite pas leurs enfants à étudier une matière qui n’est pas comptée pour le classement d’un examen aussi compétitif. C’est un facteur psychologique qui est particulièrement prédominant à Maurice. M. S. Ng Tat Chung, directeur de l’Etablissement d’Enseignement St Joseph, a affirmé clairement que tous les élèves qui sont inscrits à l’école primaire de l’Etablissement d’Enseignement St Joseph ont été préparés afin d’obtenir un bon classement aux examens de CEP et ils se concentrent particulièrement sur des matières qui comptent pour le classement.

Il n’apparaît pas non plus le l’acte du Ministre est destiné à satisfaire un intérêt public comme Me Ramsewak, Conseiller de la Reine, avocat des co-défendeurs le prétend. Il ne peut pas être prétendu, lorsque l’avenir des élèves est en jeu, que l’intérêt public exige que les élèves qui ont été dans une situation semblable en classe Ire devraient tout d’un coup être traités différemment des autres à la fin de leur cursus, et ceci parce qu’ils ont appris dix mois avant la tenue des examens qu’ils devraient étudier une matière supplémentaire.

En arrivant à notre décision susmentionnée, nous avons considéré, entre autres, les normes portant sur les droits de l’homme de rang international dans la perspective adoptée par le Comité des Droits de l’homme dans l’affaire Zwan de Vriez c/ La Hollande (182/84) dans laquelle le Comité a considéré que l’article 26 impose un code de bonne conduite à l’Etat à la fois dans l’exercice de ses fonctions législatives, administratives ou judiciaires.

Le code de bonne conduite, qui signifie que les citoyens doivent être traités de manière appropriée dans des circonstances données, certainement interdit au Ministre d’imposer, pour le classement des futurs examens de CEP qui auront lieu en novembre 1995, une matière additionnelle qui n’a pas été étudiée par tous les élèves depuis la classe Ire et qui ne fait pas partie du programme des six années d’études.

Nous voudrions faire deux observations finales.

Notre première observation concerne l’article 16 de la Constitution invoqué par les demandeurs. Même s’il apparaît que l’article 16 doit être interprété limitativement s’agissant de la notion de discrimination – c’est l’approche retenue dans l’arrêt Terrains de campement (supra) –, néanmoins, nous sommes conscients qu’il existe un point de vue différent exprimé par le juge Ahnee dans son opinion dissidente dans l’arrêt Peerbocus c/ Regina (supra) où, se référant à la décision des Lords du Comité Judiciaire du Conseil Privé dans l’arrêt Société United Docks (supra), il dit à la page 98:

« Il m’apparaît que la décision de leurs Seigneuries implique, indépendamment de la définition restrictive du terme « discrimination »à l’article 16-3, que cet article doit être interprétée à la lumière des dispositions plus larges et généreuses de l’article 3, un article plus proche des principes universels de démocratie. »

Cependant, vu que nous avons considéré qu’il y a une violation des articles 1er et 3, il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a une méconnaissance de l’article 16 de la Constitution.

La deuxième observation que nous voudrions faire est qu’on ne doit pas penser que notre décision signifie que tout acte administratif qui serait non raisonnable serait inconstitutionnel. Dans le cas d’espèce, nous avons décidé que l’acte litigieux n’est pas seulement déraisonnable mais viole le principe d’égalité et de l’égale protection de la loi contenu dans notre Constitution. Un acte qui méconnaît ce principe est nécessairement déraisonnable, mais tout acte qui est déraisonnable ne méconnaît pas nécessairement la Constitution.

Par ces motifs, nous considérons que la décision d’inclure une langue orientale pour le classement des futurs examens de CEP est inconstitutionnelle et qu’une telle décision est par conséquent nulle et ne peut pas être appliquée.

Les défendeurs et les co-défendeurs sont condamnés aux dépens dans les présentes affaires.

Une copie de l’arrêt sera inclus dans chaque dossier.

P. LAM SHANG LEEN JUGE

V. BOOLELL JUGE

E. BALANCY JUGE

27 octobre 1995

Arrêt rédigé par l’Honorable V. Boolell, Juge.

Me H. Lassemillante assisté de Mes R. Rault et de J. Moutou, avocats des demandeurs, et leurs services ont été retenus par Me P. V. Mootoosammy, avoué, dans la première affaire, et par Me D. Lagesse, avoué, dans la deuxième affaire.

Me R. d’Unienville, Conseiller de la Reine, pour les demandeurs, et ses services ont été retenus par Me A. Koenig, avoué, dans la troisième affaire.

M. D. Dabee, avocat parlementaire, assisté de Me R. Ramloll, avocat d’Etat, pour les défendeurs et leurs services ont été retenus par le Premier Avoué d’Etat.

Me D. Ramsewak, Conseiller de la Reine, pour les co-défendeurs, et ses services ont été retenus par Me O. A. Bahemia, avoué.

Cour suprême et Conseil constitutionnel du Maroc

MAR / 1959 / A01
Maroc / Cour suprême / Chambre administrative / 16-07-1959 / Arrêt n° 62 (Ville de Tanger c. Martin) / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – principe d’égalité – champ d’application – charges publiques

N.B. extrait du rapport de la délégation du Maroc, Premier Congrès, avril 1997: «(…) à l’occasion de dommages causés par le service public, la responsabilité de ce dernier peut être invoquée bien entendu lorsque le requérant prouve une faute commise par le service, mais il y a des cas où le juge admet cette responsabilité en l’absence de toute faute, considérant alors que c’est le principe d’égalité devant les charges publiques qui sert de fondement à la responsabilité de l’administration et au droit à réparation de la victime.

(…)

Attendu que l’arrêt attaqué impute directement à la ville de Tanger la responsabilité des dommages subis par le Sieur Martin du fait de l’exécution des travaux publics, sans relever de faute personnelle à l’encontre d’aucun agent de la ville que, par suite, c’est à tort que la Cour a fondé en droit la condamnation de la ville sur les dispositions de l’article 1351 relatif à la responsabilité des personnes privées et sur celles de l’article 1353 relatif à la responsabilité personnelle des agents des services publics et à la garantie de la collectivité publique en cas d’insolvabilité de ces derniers

Mais attendu que d’après l’article 1352 du Code susvisé «l’Etat est responsable des dommages causés directement par le fonctionnement des administrations et par les fautes de service de ses agents qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que l’inondation subie par l’atelier du Sieur Martin dans la nuit du 4 au 5 novembre 1955 est due au fait que le lit de l’oued Souani était occupé par les travaux de construction d’un égout collecteur, et que l’administration n’avait pas pris toutes le précautions nécessaires pour permettre, malgré lesdits travaux, un écoulement normal des eaux, soit en détournant leurs cours, soit en ménageant un passage suffisant le long des travaux que l’arrêt ainsi motivé établit l’existence d’un lien de cause à effet entre les conditions d’exécution d’un travail et les dommages subis par un tiers qu’il écarte d’autre part l’existence d’une situation de force majeure ou d’une faute imputable à la victime que ces constatations de fait sont de nature à justifier en droit la mise en jeu de la responsabilité directe de la ville de Tanger, eu égard aux dispositions sus-relatées de l’article 1352 du Code des obligations et contrats, rendant les collectivités publiques responsables des dommages causés directement par le fonctionnement de leurs administrations que dans ces conditions, compte tenu des dispositions de l’article 1352 du Code des obligations et contrats en vigueur dans la Province de Tanger qu’il convient de substituer d’office à celles des articles 1351 et 1353 visées à tort par la décision attaquée, n’est pas fondé le moyen selon lequel l’arrêt serait insuffisamment motivé et manquerait de base légale.

Par ces motifs:

Rejette le pourvoi de la ville de Tanger.

MAR / 1962 / A02
Maroc/Cour suprême/19-03-1962/Arrêt n° 178 (Société huilière annexe)/extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.1.2.4.1 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales – droit privé
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

(…)

Attendu que, par décision en date du 2 mars 1959, le ministre de l’Economie nationale a fixé le régime applicable, pendant une durée de trois années à compter du 1er mars 1959, à la répartition entre les industriels intéressés des huiles brutes alimentaires, importées en l’état ou provenant de graines oléagineuse, soit importées soit de production locale que par cette décision le ministre de l’Economie nationale a notamment opéré la concentration des industries de la trituration et du raffinage en confiant à trois unités de fabrication la charge de ces opérations et déterminé, dans le cadre de ladite concentration industrielle, les quotas attribués aux entreprises admises à participer à la répartition

Attendu que la Société huilière annexe, à laquelle un quota de 4% a été attribué, demande l’annulation pour excès de pouvoirs de la décision ministérielle susanalysée, en toutes ses dispositions

(…)

Sur le moyen tiré de la violation de la règle de l’égalité de traitement entre les industriels se livrant à la trituration et à l’extraction des graines oléagineuses et au raffinage des huiles comestibles

Attendu que la Société huilière annexe fait grief à la décision attaquée de l’avoir maintenue dans la catégorie des entreprises ne participant pas directement au raffinage des huiles comestibles et d’avoir réduit son quota de répartition de 6 pour cent à 4 pour cent

Attendu que si l’autorité investie d’un pouvoir de réglementation en matière économique, et notamment du pouvoir de répartir des produits entre divers utilisateurs industriels, est tenue de respecter, dans les mesures qu’elle édicte, l’égalité de traitement entre les intéressés, ce principe ne saurait s’opposer à ce que des mesures particulières soient prises à l’égard de différentes catégories d’entreprises, dès lors que ces mesures sont conformes à l’objet même de la réglementation instituée et justifiées par son but

Attendu qu’en l’espèce, l’organisation de l’industrie des huiles comestibles impliquait, eu égard à l’existence d’un potentiel de production excédant les besoins du marché, la concentration du raffinage sur un nombre limité d’unités de fabrication, les entreprises dont les usines n’étaient pas maintenues en fonctionnement bénéficiant d’un quota de répartition correspondant à un contingent mis en œuvre par les unités de fabrication que cette concentration a constitué l’objectif essentiel des accords professionnels conclu dès avant l’intervention du dahir du 2 rebia I 1373 (10 novembre 1953) que depuis son entrée dans cette organisation conventionnelle la société requérante a toujours été au nombre des entreprises qui, ne participant pas directement au raffinage, étaient rattachées à l’une des unités de fabrication maintenues en activité pour la mise en œuvre des produits correspondant au quota de vente qui lui était attribué qu’à cet égard, la décision du ministre de l’Economie nationale, en date du 2 mars 1959, s’est bornée à maintenir la société requérante dans la même situation qu’il n’est pas établi que cette décision ait sur ce point été inspirée par des motifs étrangers à l’objet du dahir du 2 rebia I 1373 (10 novembre 1953) tendant au maintien de la réglementation de l’industrie des huiles comestibles

Attendu enfin que si, par décision du 30 mars 1955, le directeur du Commerce avait fixé à 6% d’après les éléments d’appréciation dont il disposait à l’époque, le quota de vente d’huiles raffinées attribué à la Société huilière annexe dans la réglementation à base conventionnelle de l’industrie de l’huilerie alors en vigueur, cette décision précisait que «le quota de vente affecté à la Société huilière annexe restera intangible pendant toute la durée de la concentration, sauf modification générale apportée à ’organisation actuelle que la substitution d’une réglementation administrative à la réglementation à base d’entente professionnelle en vigueur lorsqu’est intervenue la décision susvisée du 30 mars 1955 doit être regardée comme constituant une modification générale apportée à l’organisation de l’industrie en cause que cette circonstance autorisait le ministre de l’Economie nationale à procéder à la révision des quotas de vente antérieurement fixés et, en particulier à celui de la Société huilière annexe, compte tenu des modifications intervenues entre temps dans la profession qu’en dressant la liste des entreprises comprises dans la nouvelle répartition et en fixant leurs quotas respectifs, y compris celui de la Société huilière annexe, le ministre de l’Economie nationale n’a fait qu’user du pouvoir d’appréciation que conférait à l’autorité administrative le dahir précité du 2 rebia I 1373 (10 novembre 1953) pour assurer la réglementation de l’industrie en cause qu’il n’est pas établi que le ministre se soit fondé sur des faits inexacts ou ait poursuivi des fins étrangères à celles en vue desquelles est intervenu le dahir précité

Attendu que, de tout ce qui précède, il résulte que la Société huilière annexe n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision du ministre de l’Economie nationale en date du 2 mars 1959

Par ces motifs:

Rejette le recours susvisé de la Société huilière annexe.

MAR / 1968 / A03
Maroc/Cour suprême/Chambre administrative/3-07-1968/Arrêt n°29 (Syndicat national professionnel des agents généraux d’assurance c.le ministre des Finances)/extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux / droits civils et politiques / principe d’égalité / champ d’application / charges publiques

(…)

Sur le deuxième moyen de la requête,

Attendu que le syndicat requérant fait grief à l’arrêté attaqué d’avoir méconnu le principe général selon lequel les charges doivent être réparties équitablement entre tous les citoyens, et ce, en faisant supporter par les seuls représentants des assurances les charges de la réduction du déficit technique dans la branche de l’assurance automobile, alors que, par respect du principe susrappelé, les dites charges auraient dû être réparties dans des proportions égales entre les représentants des assurances et les autres

Mais attendu que le principe d’égalité devant les charges publiques n’est applicable qu’à des personnes se trouvant dans des situations identiques et que l’administration peut instituer des régimes différents pour des catégories de personnes et d’activités différentes sans pour autant méconnaître le principe d’égalité

Attendu que les intermédiaires et les courtiers d’assurance sont régis par un statut spécial tant en ce qui concerne l’accès à la profession qu’en ce qui concerne son exercice, qu’il sont représentés en tant que tels au sein de la commission consultative des assurances, que leurs intérêts s’opposent à ceux des sociétés d’assurances et des assurés, ce qui fait qu’ils constituent une catégorie distincte des autres

Attendu au surplus, que l’arrêté attaqué fait partie d’un programme général visant à remettre de l’ordre dans le fonctionnement des assurances, prescrivant des mesures adéquates applicables tant aux sociétés d’assurances qu’aux assurés qu’il ne méconnaît donc pas le principe d’égalité devant les charges publiques Attendu qu’il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen est sans fondement

Par ces motifs:

Rejette le recours en annulation.

MAR / 1990 / A04
Maroc/Cour suprême/21-06-1990/Arrêt n°201 (Reynauld Robert c.ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Affaires administratives)/extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4.2.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – origine nationale ou ethnique
5.3.5 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – liberté d’exercice d’une activité lucrative

Médecins

(…)

Attendu que le Sieur Reynaud Robert, chirurgien-dentiste, demande l’annulation, pour excès de pouvoir, de la décision n° 9722 du 3 octobre 1988 par laquelle le ministre délégué auprès du premier ministre, chargé des Affaires administratives a refusé de faire droit à sa demande tendant à l’admettre au bénéfice des avantages prévus par le décret n° 2/81/26 du 25 mars 1982 au profit des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes qu’il soutient avoir conclu le 20 novembre 1975 avec le ministère de la justice un contrat pour servir en qualité de chirurgien-dentiste dans les services de l’Administration pénitentiaire, (…)

et qu’à ce titre il aurait dû bénéficier des avantages que le décret n° 2/81/26 du 25 mars 1982 a institués au profit des médecins, pharmaciens et chirurgiensdentistes, tant stagiaires que titulaires (article 17), et dont il a fixé, en son article 20, l’entrée en vigueur à la date de sa publication au Bulletin Officiel, publication intervenue au Bulletin Officiel n° 3623 du 7 avril 1982 alors que le requérant était encore en fonction en vertu du contrat précité qui n’est venu à expiration que le 20 novembre 1987

Attendu que, par lettre du 3 octobre 1988, le ministre délégué auprès du premier ministre, chargé des Affaires administratives a fondé son refus de faire droit à la demande du requérant sur un accord intervenu entre son département et celui des Finances, aux termes duquel les dispositions du décret précité ne devaient entrer en vigueur pour les étrangers liés par contrat au gouvernement marocain qu’à compter du 1er avril 1988, date à laquelle le requérant n’était plus en fonction puisque son contrat était venu à expiration le 20 novembre 1987

(…)

Attendu qu’il ressort des articles ci-dessus invoqués dans la requête que le décret précité n’établit aucune distinction entre les Marocains et les étrangers en ce qui concerne le bénéfice de ses dispositions

Par ces motifs:

Annule la décision attaquée.

MAR / 1993 / A05
Maroc/Cour suprême/7-10-1993/Arrêt n° 289 (Jaber Abdellatif c.ministre des Transports et ministre délégué auprès du premier ministre chargé des Affaires administratives)/extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public

Grade (dans une profession) – Ingénieurs

(…)

Sur la légalité de la décision attaquée

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier que le requérant fait partie de la troisième catégorie des ingénieurs d’application en navigation aérienne 1 et qu’à ce titre il bénéficie du classement à l’échelle 10, assume les mêmes responsabilités et exerce les mêmes fonctions que les ingénieurs d’application en navigation aérienne des deux premières catégories2 , lesquels ont été nommés au grade d’ingénieur d’Etat en application d’un arrêté ministériel du 23 juin 1974, pour ceux parmi eux qui sont titulaires du diplôme d’exploitation et de navigation

Attendu qu’en application du principe d’égalité, l’Administration aurait dû intégrer dans le grade d’ingénieur d’Etat non seulement les ingénieurs d’application en navigation aérienne des deux premières catégories, mais également ceux de la troisième catégorie à laquelle appartient le requérant dès lors que ce dernier était dans la même situation que ses collègues des deux premières catégories, qu’il exerçait les mêmes fonctions, assumait les mêmes responsabilités et bénéficiait comme eux du classement à l’échelle 10 qu’en refusant de faire droit à sa demande, l’Administration a pris une décision entachée d’excès de pouvoir et a méconnu le principe d’égalité qui imposait l’intégration du requérant dans le grade d’ingénieur d’Etat, échelle 11, à compter du jour de la réception par l’Administration de sa demande présentée à la date du 11 juillet 1998 et tendant à sa promotion au grade d’ingénieur d’Etat

Par ces motifs:

Annule la décision implicite par laquelle le ministre des transports et le ministre délégué chargé des Affaires administratives ont refusé de faire droit à la demande du requérant tendant à sa nomination au grade d’ingénieur d’état, échelle 11.

MAR / 1995 / A06
Maroc / Conseil constitutionnel / 3-01-1995 / Décision n° 52-95 / extraits

1.4.9 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements d’assemblées parlementaires
4.2.3 Institutions – organes législatifs – composition
4.2.7 Institutions – organes législatifs – procédure d’élaboration des lois
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Députés – Groupes parlementaires

(…)

Concernant l’article 125, premier alinéa

Considérant que l’alinéa premier de cet article, en ce qu’il réserve la possibilité de présenter des objections ou de faire des remarques concernant le procèsverbal de séance aux seuls groupes parlementaires, conduit à priver les députés non inscrits d’un droit dont les députés affiliés jouissent par le truchement de ces groupes que, par suite, il porte atteinte au principe d’égalité que la Constitution consacre entre les députés, qu’ils soient ou non affiliés à des groupes parlementaires.

(…)

Concernant l’article 237, premier alinéa

Considérant que l’alinéa premier de cet article, en ce qu’il réserve aux seuls présidents des groupes parlementaires le droit de s’opposer au vote sans discussion des projets et propositions de loi n’est pas conforme à la Constitution qui établit l’égalité entre tous les députés dans l’exercice du droit de participation aux débats et au vote et ne confère en la matière aucun privilège particulier aux présidents des groupes parlementaires.

(…)

Concernant l’article 284

Considérant que cet article, en limitant à un député par groupe parlementaire le droit de participer à la discussion qui suit les questions orales, prive les députés non inscrits d’un droit dont leurs collègues affiliés à des groupes jouissent par l’intermédiaire de porte-parole du groupe auquel ils appartiennent que, par suite, il porte atteinte à l’égalité reconnue par la Constitution entre tous les députés, sans distinction entre ceux qui sont affiliés à des groupes et ceux qui ne le sont pas.

MAR / 1995 / A07
Maroc / Conseil constitutionnel / 3-04-1995 / Décision n° 72-95 / extraits

5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Bureaux de vote – Candidats (à une élection)

(…)

Considérant que le requérant allègue, d’une part, que l’ouverture du scrutin a été retardée jusqu’à 9 heures dans le bureau de vote n° 10 de la commune de Tamda et soutient, d’autre part, que si les autres bureaux de vote de la circonscription électorale ont observé l’heure légale d’ouverture du scrutin, la clôture de celui-ci a eu lieu à 18 heures dans certains d’entre eux et a été retardée jusqu’à 20 heures dans d’autres

Considérant, d’une part, que s’il résulte du procès-verbal du bureau de vote n° 10 de la commune de Tamda – déposé au tribunal de première instance de SidiBennour – que le scrutin n’y a commencé qu’à 9 heures, le requérant n’a pas établi ni même allégué que ce retard, dû à l’absence momentanée des bulletins de vote au nom d’un des candidats, a eu une influence sur les résultats du scrutin

Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’examen de la décision n° 8/93 du 25 juin 1993 prise par le gouverneur de la province d’El Jadida que l’heure de clôture du scrutin a été reculée à 20 heures dans tous les bureaux de vote de la circonscription électorale de Zmamra, à l’exception de 10 bureaux de vote dans la commune d’El-Ghnadra et de 4 bureaux de vote dans la commune de SaniaBerguig, ce qui est confirmé par les pocès-verbaux des bureaux de vote précités Considérant que si l’article 31, alinéa 2, du dahir précité n° 1.77.177 autorise le gouverneur à reculer l’heure de clôture du scrutin à 20 heures, la décision d’appliquer cette mesure à certains bureaux de vote à l’exclusion d’autres compris dans la même circonscription électorale est de nature à porter atteinte au principe d’égalité entre les électeurs et à celui de l’égalité des chances entre les candidats

Considérant que le nombre de ceux qui n’ont pas participé au scrutin dans les bureaux de vote exclus de la décision de prolongation de la durée du scrutin s’est élevé, selon leurs procès-verbaux, à 1774 électeurs, alors que l’écart entre le nombre de voix obtenues par le candidat dont l’élection est contestée et celui des suffrages recueillis par le requérant ne dépasse pas 98 voix que, dans ces conditions, la discrimination opérée entre les électeurs en permettant à certains de voter pendant un laps de temps plus long que celui accordé à d’autres a pu influer sur le scrutin d’une manière qui fait douter de sa sincérité et conduit, par suite, à l’annuler et à invalider le résultat auquel il a abouti

Par ces motifs:

Et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête

Annule l’élection.

Cour constitutionnelle du Mali

MLI / 1996 / A01
Mali / Cour constitutionnelle / 25-10-1996 / Arrêt n° 96-003 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux

Circonscriptions électorales ( densité de population) – Modes de scrutin

La Cour constitutionnelle,

(…)

Sur les modes de scrutin

Considérant que les requérants soutiennent que la loi en question prévoit trois modes de scrutin un scrutin majoritaire simple uninominal, un scrutin de liste majoritaire simple et un scrutin proportionnel que ces trois scrutins par leur mécanisme propre, aboutissent toujours à des résultats différents qu’ainsi le résultat du vote des citoyens se trouve modifié selon le système appliqué qu’en instituant trois modes de scrutin selon les localités, pour la même élection, à la même chambre et pour la même législature, la loi attaquée viole le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens affirmée par l’article 2 de la Constitution, qu’à l’évidence les citoyens maliens, selon leurs localités, si cette loi devait connaître application, ne seront pas «égaux en droit qu’il s’agit d’une discrimination fondée apparemment sur la densité de population qu’ainsi les citoyens voteront différemment selon leur localité qu’une telle discrimination, fondée, semble-t-il sur le nombre est contraire au préambule de la Constitution que dispose que «le peuple souverain du Mali réaffirme sa détermination à maintenir et à consolider l’unité nationale que seule une loi uniforme instituant un seul mode de scrutin saurait remplir cette exigence, qu’au contraire la loi contestée instaure la division en ce qu’elle impose des modes de scrutin différents selon que le citoyen ressortisse de tel ou tel cercle que la volonté aveugle de se maintenir au pouvoir ne peut avoir raison du principe constitutionnel du maintien de l’unité nationale.

Considérant que l’article 174 de la loi dispose «dans les circonscriptions qui ont un à trois sièges de Députés, l’élection a lieu au scrutin majoritaire à un tour que l’article 175 dispose «dans les circonscriptions qui ont droit à quatre sièges de Députés ou plus, l’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel. Sur chaque liste, le sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation.

Considérant que l’article 2 de la Constitution dispose «tous les maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée que l’article de la Constitution dispose «la souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice que l’article 27 alinéa 1 de la Constitution dispose «le suffrage est universel, égal et secret.

Considérant que les articles 174 et 175 de la loi prévoient non trois modes de scrutin mais deux modes de scrutin pour l’élection des Députés à la même Chambre c’est à dire un scrutin majoritaire à un tour dans les circonscriptions qui ont un à trois sièges et la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel dans les circonscriptions qui ont plus de trois sièges.

Considérant que les citoyens doivent désigner leurs représentants conformément aux principes fondamentaux dont le principe d’égalité des électeurs que les électeurs ne seraient pas égaux suivant qu’ils se trouveraient dans une circonscription de un à trois sièges ou qu’ils se trouveraient dans une circonscription de plus de trois Députés que le principe d’égalité entre les électeurs serait rompu dans la mesure où dans les circonscriptions de un à trois sièges les voix des électeurs des petites formations politiques ne seraient pas prises en compte pour l’attribution des sièges car la majorité simple suffit tandis que dans les circonscriptions de plus de trois sièges avec la représentation proportionnelle suivant la règle de la pus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel, les voix des électeurs des petites formations politiques seraient obligatoirement prises en compte dans l’attribution des sièges que le principe d’égalité des électeurs serait enfin rompu puisque le principe d’indivisibilité du corps électoral qui ne permet une différenciation d’ordre démographique ou territorial au sein de la République ne serait pas respectée qu’en conséquence les articles 174 et 175 sont contraires à la Constitution.

Considérant que la souveraineté est nationale que le mandat impératif est nul que le député ne représente ni la circonscription dans laquelle il a été élu, ni la formation politique qui l’a présenté, il représente la nation entière que les candidats pour les élections législatives aussi bien que les électeurs sont dans les mêmes situations et doivent subir les mêmes traitements.

(…)

Arrête

Article 1er . – Sont déclarés contraires à la Constitution les articles 5, 14, 16, 18, 20, 50, 66, 68, 76, 150, 159, 168, 174, 175, 193;
L’article 12 alinéa (e);
L’article 24 alinéa 2;
Les mots «de jugement dans les articles 47, 49, 50, 51, 52, 53 et 198;
L’article 63 alinéa 2;
Les mots «tout élu dans l’article 67;
L’article 69 alinéa 2;
L’article 70 alinéa 1 et alinéa 7;
L’article 72 alinéa 4.

Dans l’article 74, les phrase «la liste constituée en violation des prescriptions du présent article ou de l’article 85 n’est pas enregistrée. Les voix données aux candidats appartenant à une telle liste sont considérées comme nulles.

Article 2. – Les dispositions des articles5, 14, 16, 18, 20, 50, 66, 68, 76, 150, 159, 168, 174, 175, 193 ne sont pas séparables de l’ensemble de cette loi.

Article 3. – Ordonne la publication de la présente décision au Journal officiel et sa notification aux requérants.

MLI / 1996 / A02
Mali / Cour constitutionnelle / 11-11-1996 / Arrêt n° 96-004 / extraits

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application –emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Avancement – Fonctionnaires

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant qu’aux termes de l’article 86 de la Constitution La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur:

–la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation

(…)

–que l’article 88 alinéa 1 de la Constitution dispose:

Les lois organiques sont soumises par le Premier Ministre à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation.

Considérant que la requête de Monsieur le Premier Ministre a été enregistrée au Greffe de la Cour, sous le n° 10 et 15 octobre 1996; que la loi n° 96-50/AN-RM portant loi organique déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, adoptée le 27 septembre 1996 n’a pas encore été promulguée:

qu’en conséquence ladite requête introduite dans les forme et délai de la Constitution est recevable;

Considérant que l’article 2 de la Constitution dispose: «Tous les maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs…»;

Considérant que les fonctionnaires et agents publics de l’Etat sont tous égaux en devoirs et en droits; que tout fonctionnaire public se trouvant dans l’une des positions statutaires suivantes: «en activité», «en détachement» ou «sous les drapeaux» a droit à un avancement ou d’échelon ou de grade conformément:

–soit au statut général des fonctionnaires ou au statut de la Magistrature ou enfin au statut général du Personnel des Forces Armées et de Sécurité;

que les Conseillers de la Cour constitutionnelle ayant la qualité de fonctionnaire public, étant du –fait de leur nomination à la Cour dans l’une des positions précitées doivent pouvoir bénéficier d’un avancement d’échelon et de grade;

que l’article 4 de la loi dispose… ni recevoir une promotion aux choix, ou à titre exceptionnel s’ils sont fonctionnaires publics; qu’en ne permettant pas aux membres de la Cour constitutionnelle, fonctionnaires publics, d’avancer de grade, les dispositions de cet article 4 méconnaissent le principe constitutionnel d’égalité.

(…)

Par ces motifs:

Article 1er . – Déclare recevable la requête du Premier Ministre, en contrôle de constitutionnalité de la loi n° 96-50/AN-RM portant loi organique déterminant les règles d’Organisation et de Fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que le procédure suivie devant elle adoptée par l’Assemblée nationale le 27 septembre 1996;

Article 2. – Déclare que ladite loi a été délibérée et adoptée dans les délai et forme de la Constitution;

Article 3. – Déclare contraires à la Constitution les articles 4, 6; le membre de phrase suivant:

«l’autorisation de le ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution dans l’article 49 et l’article 54 alinéa 1er de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité;

Article 4. – Déclare inséparable du reste du texte de la loi l’article 6, les termes «l’autorisation de le ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution dans l’article 49 et l’alinéa 1er de l’article 54;

Article 5. – Ordonne la notification du présent arrêt au Premier Ministre et sa publication au Journal officiel.

(…)

MLI / 1997 / A03
Mali / Cour constitutionnelle / 17-01-1997 / Arrêt CC 97-007 / texte intégral

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.4.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – citoyenneté
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

La Cour constitutionnelle,

Saisie par le Premier Ministre d’une lettre n° 001/PRIM-SGG du 13 janvier 1997, enregistrée au Greffe de la Cour constitutionnelle sous le n° 01 le 14 janvier 1997 aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi organique n° 97002/AN-RM sur le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités, les incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège et sur leurs indemnités adoptée le 8 janvier 1997.

Vu La Constitution
Vu La loi organique n° 92-028 du 5 octobre 1992 portant loi organique relative à l’Organisation et au Fonctionnement de la Cour constitutionnelle
Vu Le Décret n° 94-421/P-RM du 21 décembre 1994 portant Organisation du Secrétariat Général et du Greffe de la Cour constitutionnelle
Vu Le Règlement Intérieur de la Cour constitutionnelle
Vu La lettre du Premier Ministre

Oui le rapporteur en son rapport

Après en avoir délibéré

Sur la recevabilité de la saisine

Considérant que par lettre n° 001/PRIM-SGG du 13 janvier 1997 enregistrée au greffe le 14 janvier sous le n° 01, le Premier ministre a saisi la Cour constitutionnelle aux fins de contrôler la conformité à la Constitution de la loi n ° 97-002/AN-RM portant loi organique sur le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités, les incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège, et leurs indemnités adoptée le 8 janvier 1997

Considérant que le Premier ministre fonde sa saisine sur l’article 86 de la Constitution et l’article 30 de la loi n° 92-028 du 5 octobre 1992 portant loi organique relative à l’Organisation et au Fonctionnement de la Cour constitutionnelle;

Considérant que l’article 88 alinéa 1er de la Constitution dispose «les lois organiques sont soumises par le Premier Ministre à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation

Considérant que ladite loi n’a pas encore été promulguée

Que dès lors la requête du Premier ministre est recevable.

Sur la constitutionnalité de la loi n° 97-002/AN-RM adoptée le 8 janvier 1997

En ce qui concerne le fond,

Considérant que suivant l’article 70 alinéa 3 de la Constitution, les lois qualifiées de lois organiques par la Constitution ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par la Cour constitutionnelle de leur conformité à la Constitution

Considérant que l’article 70 alinéas 1 et 2 de la Constitution disposent que «les lois auxquelles la Constitution confère le caractère de la loi organique sont votées dans les conditions suivantes

la proposition ou le projet n’est soumis à la délibération et au vote de l’Assemblée nationale qu’après l’expiration d’un délai de quinze (15) jours après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale

le texte ne peut être adopté qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale.

Considérant que la lettre n° 57/PRIM-SGG en date du 3 décembre 1996 de dépôt du projet de loi par le Gouvernement a été enregistrée à l’Assemblée nationale le 4 décembre 1996 sous le n° 961

Considérant que ledit projet a été inscrit à l’ordre du jour de la séance plénière de délibération de l’Assemblée nationale le 08 janvier 1997 sous la référence de dépôt 96-72/AN-RM;

Considérant que l’Assemblée nationale a délibéré et adopté le 8 janvier 1997 par 78 voix pour 00 contre 00 abstention, la loi n° 97-002/AN-RM, portant loi organique sur le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités, les incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège, et sur leurs indemnités

Considérant que l’Assemblé Nationale comportant 114 députés, la loi soumise au contrôle a été adoptée conformément aux conditions constitutionnelles prescrites.

En ce qui concerne le fond:

Sur le nombre des députés

Considérant que l’article 70 de la Constitution dispose «… la loi détermine également les principes fondamentaux … du régime électoral …

Que l’article 63 de la constitution indique «qu’une loi organique fixe le nombre des membres de l’Assemblée nationale, leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités

La loi organique détermine aussi les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer en cas de vacance de siège, le remplacement des députés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale

Que dès lors, seule la loi organique ayant fixé le nombre des membres de l’Assemblée nationale, doit aussi préciser les critères ayant prévalu à la détermination de ce nombre ainsi que son mode de répartition

Qu’en ne procédant pas ainsi qu’il précède, l’article 1er de la loi n° 97-002/ANRM est contraire à l’article 63 de la Constitution

Sur l’éligibilité article 2

Considérant que l’article 2 de la loi déférée dispose «est éligible comme député à l’Assemblée nationale, tout citoyen de l’un ou l’autre sexe ressortissant de la République du Mali, inscrit sur les listes électorales ou justifiant qu’il devait l’être âgé de vingt et un (21) ans accomplis, domicilié depuis au moins un (1) an au moins sur le territoire national sous réserve des cas d’inéligibilité et d’incompatibilité prévus par la présente loi.

Considérant que tous les maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs (article 2 de la Constitution);

Considérant que le suffrage est universel, égal et secret;

Sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, tous les citoyens en âge de voter, jouissant de leurs droits civiques et politiques (article 27 de la Constitution);

Il ressort de ces dispositions constitutionnelles que le droit de suffrage est accordé à tout malien résidant à l’étranger dès lors qu’il remplit les conditions constitutionnelles ci-dessus visées

Qu’ainsi le droit d’être élu et le droit d’élire est inhérent à la citoyenneté à l’âge et à la jouissance des droits civiques et politiques

Que dès lors le membre de phrase «domicilié depuis au moins un an sur le territoire national est contraire à la Constitution.

Sur les incompatibilités Article 9

Considérant que le mandat impératif est nul que le député une fois élu devient le député de toute la nation entière conformément à la théorie de la souveraineté nationale telle que consacrée par l’article 26 de la Constitution «la souveraineté nationale appartient au Peuple tout entier qui l’exerce par ses représentant ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut en attribuer l’exercice

Qu’élus dans les mêmes conditions, les députés doivent être traités de la même manière

Qu’on ne saurait infliger un traitement spécifique à un député à l’intérieur de la circonscription dans laquelle il a été élu en raison de sa profession

Que dès lors les dispositions de l’article 9 sont contraires aux articles 2 et 26 de la Constitution.

Sur la délégation de vote

Considérant que la Cour constitutionnelle a, par son arrêt n° 96-005 du 11 novembre 1996, déclaré qu’une seule et même loi organique doit traiter le nombre des membres de l’Assemblée nationale, leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer en cas de vacance de siège, le remplacement des Députés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale et la délégation de vote

Considérant que l’article 64 alinéa 3 de la Constitution dispose «… la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote. Dans ce cas, nul ne peut recevoir délégation de plus d’un mandat

Que la loi soumise au contrôle ne traite pas de la délégation de vote que ce faisant, elle ne respecte pas la décision de la Cour constitutionnelle précitée alors que celle-ci n’est susceptible d’aucun recours et qu’elle s’impose aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes le personnes physiques et morales aux termes de l’article 94 de la Constitution

Que toute Assemblée nationale a besoins pour son fonctionnement régulier de recourir, exceptionnellement, à la délégation de vote que du reste, le règlement intérieur en date du 23 juillet 1992 prévoit en son article 72 la délégation de vote que le législateur doit traiter de la délégation de vote dans la loi organique soumise à censure

Arrête:

Article 1er . – Déclare recevable la saisine du Premier ministre aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi 97-002/AN-RM portant loi organique sur le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités, les incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège, et sur leurs indemnités adoptée par l’Assemblée nationale le 8 janvier 1997.

Article 2. – Déclare que ladite loi a été adoptée dans les conditions prévues par l’article 70 de la Constitution.

Article 3. – Déclare contraires à la Constitution les articles 1, et 9 et le membre de phrase «domicilié depuis au moins un an sur le territoire national de l’article 2.

Article 4. – Déclare les articles 2 et 9 séparables du texte de la loi organique déférée et l’article 1er non séparable.

Article 5. – déclare les autres dispositions de la loi organique 97-002/AN-RM adoptée le 8 janvier 1997 non contraires à la Constitution.

Article 6. – Ordonne la publication de l’arrêt au Journal officiel.

Ont siégé à Bamako, le 17 janvier 1997

M.M. Abdoulaye DICKO, Président

Abderhamane B. TOURE, Conseiller

Salif KANOUTE, Conseiller

Salif DIAKITE, Conseiller

Abdoulaye DIARRA, Conseiller

Mmes SIDIBE Aïssata CISSE, Conseiller

OUATTARA A. COULIBALY, Conseiller

M.M.Mamadou OUATTARA, Conseiller

Bouréima KANSAYE, Conseiller

Avec l’assistance de Maître Mamoudou KONE, greffier en Chef par intérim.

Et ont signé le Président et le Greffier

Suivent les signatures

Pour expédition certifiée conforme délivrée avant enregistrement

Bamako le 17 janvier 1997

Le Greffier en chef

MAMOUDOU KONE

Tribunal suprême de Monaco

MON / 1963 / A01
Monaco/Tribunal suprême/27-11-1963/Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers à Monaco/extraits

5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Loi (égalité devant la loi)

Compétence:

Contentieux administratif – Recours pour excès de pouvoirs – Actes rattachés à la perception d’une imposition – Actes ne présentant pas le caractère d’une décision administrative –Incompétence du Tribunal suprême
Contentieux constitutionnel – Caractère limitatif – Dispositions constitutionnelles ne faisant pas partie du titre III de la Constitution – Incompétence du Tribunal suprême
Impôts et taxes:
Egalité devant l’impôt – Principe applicable à des contribuables se trouvant dans des situations identiques et assujetties pour les mêmes opérations à des impositions différentes
Procédure devant le Tribunal suprême
Requête collective – Irrecevabilité – Intérêts distincts des requérants

Le tribunal suprême

(…)

Considérant que le principe de l’égalité devant l’impôt qui résulte de l’article 17 précité et qui est invoqué par la requête, ne peut être utilement allégué qu’entre contribuables se trouvant dans des situations identiques et qui auraient été assujettis pour les mêmes opérations à des impositions différentes;

Considérant que le syndicat requérant se borne à comparer sa situation fiscale au regard des impositions contestées aux situations fiscales hypothétiques dans lesquelles se seraient trouvés ses adhérents si ceux-ci avaient effectué, à titre individuel, les mêmes opérations en soutenant que lesdits adhérents n’auraient pas été soumis à ce tire aux mêmes impositions; qu’un tel moyen ne vise pas des contribuables se trouvant dans des situations identiques et n’est assorti, au surplus, d’aucune précision permettant de comparer lesdites situations; qu’ainsi le syndicat requérant n’est pas fondé, par ce moyen, à soutenir que les impositions contestées auraient été établies en violation de l’article 17 de la Constitution;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède:

D’une part que la requête doit être rejetée comme irrecevable en tant qu’elle émane de la Société Civile Coopérative d’Investissements Immobiliers;

D’autre part que la requête doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître en ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des contraintes et des actes s’y rattachant ainsi que des conclusions tendant à ce qu’il soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation des articles 4, 37, 38, 39, 66, 68, 70 et 73 de la Constitution du 17 décembre 1692;

Qu’enfin, ladite requête doit être rejetée comme non fondée en ce qui concerne les conclusions tendant à ce que soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation de l’article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962;

Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée la restitution au syndicat requérant des consignations effectuées par lui:

Considérant que ces conclusions doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet des conclusions principales;

Décide:

Article 1er. – La requête est rejetée comme irrecevable en tant qu’elle émane de la Société Coopérative d’Investissements Immobiliers.

Article 2. – Les conclusions de la requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des contraintes et actes s’y rattachant sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3. – Les conclusions tendant à ce qu’il soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation des articles 4, 37, 38, 39, 66, 68, 70 et 75 de la Constitution du 17 décembre 1962, sont rejetées comme n’étant pas susceptibles de recours devant le Tribunal suprême.

Article 4. – Les conclusions tendant à ce que soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation de l’article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962 sont rejetées comme non fondées.

Article 5. – Les conclusions tendant à la restitution aux requérants des consignations effectuées par eux sont rejetées par voie de conséquence.

Article 6. – Le Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers est condamné aux dépens.

MON / 1967 / A02
Monaco / Tribunal suprême / 6-03-1967 / Société anonyme des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers à Monaco / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.2.4.1 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales – droit privé
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Loi (égalité devant la loi)

Compétence:

Conformité d’un acte législatif à la Constitution – Dispositions constitutionnelles non comprises dans le titre III – Incompétence du Tribunal suprême
Droits et libertés constitutionnels:
Association – Impossibilité pour une société commerciale d’invoquer une atteinte à la liberté d’association.
Egalité devant la loi – Domaine d’application du principe – Personnes se trouvant dans une situation identique
Propriété privée – Privation – Garanties constitutionnelles – Loi assurant à l’Etat une participation au capital d’une société commerciale – absence de dépossession de la société –Inapplicabilité des garanties constitutionnelles

Le Tribunal suprême

(…)

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 17 de la Constitution:

Considérant que le principe d’égalité devant la loi posé par cet article n’est applicable qu’aux personnes physiques ou morales se trouvant dans une situation identique, quant à leurs droits et à leurs obligations;

Considérant que, sous le régime antérieur à la publication de la loi attaquée, l’objet social de la S.B.M. (Société soumise à la législation monégasque) et les privilèges dont elle était bénéficiaire imprimaient à ses activités un caractère particulier, que des franchises fiscales lui étaient accordées, qu’elle exerçait certains pouvoirs de police, qu’en outre, en ce qui concernait son fonctionnement intérieur, le Gouvernement Princier pouvait s’opposer à l’entrée en fonction des administrateurs élus par l’assemblée générale des actionnaires, que la désignation du Président, du Vice-Président et de l’Administrateur Délégué de la Société devait être approuvée par le Gouvernement, que sa gestion était surveillée et contrôlée par un Commissaire du Gouvernement, investi de pouvoirs étendus;

Considérant, par suite, que la situation de la S.B.M. n’était pas identique à celle des autres sociétés régies par la législation monégasque, même à celle des

Sociétés de monopole;

Considérant, dès lors, que le législateur était en droit de prendre des dispositions spécifiques à l’égard de la requérante;

Considérant enfin, compte tenu de la situation de la S.B.M. telle qu’elle vient d’être précisée, que cette Société n’est pas fondée à soutenir, nonobstant le contrat dont elle se prévaut, que les dispositions de la loi 807 constituent une violation du texte visé par le moyen;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution: Considérant que cet article dispose:

« La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi »;

Considérant que, selon son intitulé, la loi a pour objet d’assurer la participation de l’Etat à la S.B.M., que cet objet est exclusif de toute dépossession; qu’aucune disposition de la loi n’autorise le Tribunal à déclarer que le patrimoine de la S.B.M. ait subi une amputation quelconque; que cette société est une personne morale qui conservera jusqu’à sa dissolution tous ses droits sur ce patrimoine dont elle demeure propriétaire; que la gestion de la S.B.M. reste confiée à des administrateurs, responsables devant elle, devant les associés et devant les tiers;

Considérant que la requérante n’était ni directement, ni indirectement privée de tout ou partie de son droit de propriété, l’article 24 de la Constitution n’est pas applicable, en l’espèce, et que, par suite le moyen n’est pas fondé;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 30 de la Constitution;

Considérant que ce texte consacre le principe de la liberté de s’associer;

Considérant que la S.B.M. est une Société Commerciale à but exclusivement lucratif, qu’elle n’est pas assimilable aux Associations qui constituent des groupements à but désintéressé;

Considérant qu’il suit de là que la S.B.M. n’est pas fondée à invoquer la violation de l’article 30 de la Constitution.

Décide:

Article 1er. – La requête présentée par la S.B.M. est rejetée.

Article 2. – Les dépens sont mis à la charge de la S.B.M.

MON / 1967 / A03
Monaco / Tribunal suprême / 6-03-1967 / Sieur Estienne d’Orves / extraits

(Voir aussi 3 autres arrêts du 6 mars 1967 : Sieur Rieber ; Sieur Onassis ; Société Condor Financiera Panama )

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.2.4 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales
5.2.32.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits de propriété – autres limitations
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Actionnaires – loi (égalité devant la loi)

Droits et libertés constitutionnels:
Egalité devant la loi – Domaine d’application du principe – Personnes se trouvant dans une situation identique

Propriété privée:
Privation – Garanties constitutionnelles – Loi assurant à l’Etat une participation au capital d’une société commerciale – Absence de dépossession de la société – Inapplicabilité des garanties constitutionnelles
Restrictions à l’exercice du droit de propriété des actionnaires d’une société – Motifs d’intérêt général – Appréciation des motifs par le Tribunal suprême – Nécessité d’une compensation suffisante

Le Tribunal suprême

(…)

Attendu que le requérant déclare qu’il entend démontrer que la loi qu’il attaque porterait atteinte à la fois aux droits de la S.B.M. et aux droits des actionnaires de cette Société, qu’il conclut, en premier lieu, à l’annulation de la loi attaquée, pour violation au détriment du principe de la S.B.M. de l’égalité devant la loi, par les motifs que, en édictant notamment que le capital social de la S.B.M. serait porté de cinq millions à huit millions de francs, par création de six cent mille actions nouvelles attribuées à l’Etat et que quatre membres du Conseil d’Administration seraient nommés par le Gouvernement Princier, la loi attaquée a transformé la S.B.M. Société privée, en une société d’économie mixte et ainsi établi une discrimination entre cette société et les autres sociétés anonymes à monopole existant dans la Principauté – qu’en outre, en modifiant par voie d’autorité un contrat passé entre l’Etat et la S.B.M., dont les clauses figuraient dans les Statuts et dans le Cahier des Charges de la S.B.M., la loi n’a pas respecté le principe reconnu par le Code civil Monégasque, d’après lequel les conventions font la loi des parties et ainsi rompu l’égalité qui doit exister entre la S.B.M. et les autres Monégasques auxquels ce principe a été et demeure toujours applicable.

Attendu que le requérant invoque, en second lieu, la violation du même texte, à son détriment, en sa qualité d’actionnaire de la S.B.M., par les motifs que l’égalité entre les actionnaires est rompue au sein même de la S.B.M., chaque actionnaire ancien continuant à ne pouvoir disposer de plus de cent voix dans les votes qu’il émettra à l’Assemblée Générale, alors que l’Etat actionnaire se trouve dispensé de cette limitation – qu’en outre, les actionnaires anciens de la S.B.M., qui avaient adhéré à une Société de droit privé sont contraints, sans leur consentement, de se soumettre aux mesures qui transforment la S.B.M. en une Société d’économie mixte, mesures qui ne sont pas applicables aux actionnaires des autres Sociétés anonymes de monopole installées dans la Principauté.

Attendu que le requérant conclut, en troisième lieu, à l’annulation de la loi pour violation de l’article 24 de la Constitution et du droit de propriété de la S.B.M. sur son patrimoine, par les motifs que du fait de la transformation opérée par la loi attaquée d’une société privée en Société d’économie mixte, la S.B.M. sera dépossédée de son patrimoine par voie de transfert de celui-ci à une société nouvelle – qu’en tout état de cause, l’intrusion de six cent mille actions dans le capital social et la création de quatre postes d’Administrateurs nommés par le Gouvernement aura nécessairement pour résultat d’assurer à l’Etat actionnaire la majorité à l’Assemblée Générale et au Conseil d’Administration, de telle sorte que l’Etat deviendra maître absolu du patrimoine social, dont il disposera à son gré – qu’il s’agit là, en réalité, d’une expropriation, réalisée sans que l’utilité publique ait été légalement déclarée et sans qu’une juste indemnité ait été allouée à la S.B.M.

Attendu que le requérant invoque, en quatrième lieu, la violation du même texte et du même droit, à son détriment, par les motifs qu’il est actionnaire de la S.B.M.

– que tout actionnaire d’une société anonyme est propriétaire de ses actions, que cette qualité lui confère des droits corporels et incorporels, qu’il a droit à la possession matérielle de ses titres, qu’il a droit à une part des dividendes distribués proportionnelle au nombre de ses actions, ainsi qu’à une part du patrimoine social existant au moment de la liquidation de la Société, qu’il a le droit de vote à l’Assemblée Générale réunie en vue soit de procéder à la nomination des Administrateurs, soit de se prononcer sur les questions sociales de sa compétence, que l’intrusion imposée par la loi de six cent mille actions dans le capital social, aura nécessairement pour effet de réduire le montant de la part des actionnaires anciens, aussi bien dans les dividendes que dans le capital social, que ceux-ci se trouveront frustrés, au moins partiellement, de leurs droits corporels de propriété – que la loi attaquée accorde à l’Etat actionnaire un droit de vote illimité, à raison d’une voix par cent actions, tandis que chacun des actionnaires anciens ne disposera que d’un maximum de cent voix, qu’un tel système de votation aura inévitablement pour résultat d’attribuer à l’Etat actionnaire la majorité à l’Assemblée Générale et au Conseil d’Administration, qui pourront discrétionnairement user du patrimoine social, qu’ainsi le droit de vote des actionnaires anciens, devenant illusoire et inefficace, il est permis de considérer qu’ils en sont « privés », que ces violations du droit de propriété ne sont pas justifiées par une déclaration d’utilité publique et ne sont pas compensées par l’attribution d’une juste indemnité.

Attendu que le requérant conclut, en cinquième lieu, à l’annulation de la loi pour violation de l’article 30 de la Constitution – par le motif que ladite loi n’a pas respecté le principe de la liberté d’association, en Principauté, reconnu par le texte invoqué.

Attendu que Monsieur le Ministre d’Etat, en ses contre-requête et duplique, conclut au rejet de la requête, par les motifs:

En réponse au moyen, tiré de la violation de l’article 17 de la Constitution, au détriment de la S.B.M., que le principe de l’égalité devant la loi ne joue entre personnes physiques ou morales de nationalité monégasque, que si celles-ci se trouvent dans une situation identique de fait ou de droit – que la S.B.M. tient une place à part dans l’économie de la Principauté – qu’elle était soumise, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi attaquée, à un régime juridique et financier différent de celui des autres sociétés anonymes monégasques de monopole – qu’enfin, les mesures législatives nouvelles ont été prises dans l’intérêt général de la Principauté.

En réponse au moyen tiré de la violation du même texte, au détriment du requérant, que les actionnaires anciens n’ignoraient pas qu’ils étaient entrés dans une société régie par des Statuts particuliers qui la différenciaient des autres sociétés anonymes Monégasques de monopole que la Constitution n’interdit pas au Législateur d’accorder, à l’intérieur d’une Société, des droits préférentiels à certains actionnaires – qu’enfin, aucune contrainte n’a été imposée aux anciens actionnaires de la S.B.M. qui ont conservé entièrement le droit de disposer de leurs titres.

En réponse au moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution au détriment de la S.B.M.

–que ledit article concerne uniquement la privation totale du droit de propriété, qu’il résulte de l’intitulé même de la loi attaquée qu’elle n’a pas pour objet de déposséder la S.B.M. de son patrimoine, mais uniquement d’assurer à l’Etat une participation à l’activité de cette Société, qu’aucune disposition de ladite loi ne porte atteinte à ce patrimoine et encore moins n’opère transfert de propriété à un tiers, que le texte sur lequel est fondé le moyen n’est pas applicable en l’espèce.

En réponse au moyen tiré de la violation du même texte, au détriment du requérant, qu’en dehors de son droit à la possession matérielle de ses titres, l’actionnaire d’une société anonyme n’a qu’un droit de créance éventuel sur les bénéfices et sur le patrimoine social à l’époque de sa liquidation, que, d’après la loi, les actionnaires anciens de la S.B.M. conservent leurs titres, sous réserve de la faculté qui leur est accordée de les négocier en Bourse ou de les céder à l’Etat dans les délais et conditions prévus par l’article 4 de la loi attaquée – qu’ils continuent d’avoir vocation aux dividendes et à une part du patrimoine social, qu’ils sont maintenus dans leur droit de vote, qu’ils ne sont donc pas privés de leur droit de propriété, au sens de l’article 24 de la Constitution, que l’existence prétendue d’atteintes à ce droit repose sur des hypothèses dont le juge chargé d’apprécier la constitutionnalité d’une loi n’a pas à tenir compte.

En réponse au moyen tiré de la violation de l’article 30 de la Constitution – qu’une société commerciale ne peut être assimilée à une association.

Vu Les autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu La loi n° 807;

Vu La Constitution de la Principauté;

Vu L’Ordonnance Souveraine portant organisation du Tribunal suprême;

Ouï Monsieur Jean Brouchot, Président du Tribunal suprême en son rapport;

Ouï Maître Walicki, au nom du sieur d’Estienne d’Orves, en ses moyens à l’appui du recours;

Ouï Maîtres Marquet et George en leurs observations pour Son Excellence Monsieur le Ministre d’Etat

Ouï Monsieur le Procureur Général, en ses conclusions;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 17 de la Constitution au détriment, d’une part, de la S.B.M., d’autre part, du requérant:

Considérant que le principe de l’égalité devant la loi, posé par cet article, n’est applicable qu’aux personnes physiques ou morales se trouvant dans une situation identique quant à leurs droits et à leurs obligations;

Considérant que, sous le régime antérieur à la publication de la loi attaquée, l’objet social de la S.B.M. (Société soumise à la législation monégasque) et les privilèges dont elle était bénéficiaire imprimaient à ses activités un caractère particulier, que des franchises fiscales lui étaient accordées, qu’elle exerçait certains pouvoirs de police, qu’en outre, en ce qui concernait son fonctionnement intérieur, le Gouvernement princier pouvait s’opposer à l’entrée en fonction des administrateurs élus par l’Assemblée générale des actionnaires, que la désignation du Président, du Vice-Président et de l’Administrateur délégué, devait être approuvée par le Gouvernement, que sa gestion était surveillée et contrôlée par un Commissaire du Gouvernement, investi de pouvoirs étendus;

Considérant que la situation de la S.B.M. n’était pas identique à celle des autres sociétés régies par la Législation monégasque, même à celle des Sociétés de monopole;

Considérant, dès lors, que le législateur a pu prendre des dispositions spécifiques à l’égard de la S.B.M.;

Considérant, enfin, compte tenu de la situation de la S.B.M., telle qu’elle vient d’être précisée, que cette Société n’est pas fondée à soutenir, nonobstant le contrat dont elle se prévaut, que l’intervention du législateur et les dispositions de la loi n° 807 constituent une violation du texte visé par le moyen;

Considérant que les motifs ci-dessus développés s’appliquant, par voie de conséquence, aux actionnaires de la S.B.M., le moyen n’est pas fondé;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution, au détriment de la S.B.M.:

Considérant que ledit article dispose:

« La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi »;

Considérant que, selon son intitulé, la loi a pour objet « d’assurer la participation de l’Etat à la S.B.M. » que cet objet est exclusif de toute dépossession, qu’aucune disposition de la loi n’autorise le Tribunal à déclarer que le patrimoine de la S.B.M. a subi une amputation quelconque, que cette société est une personne morale, qui conservera, jusqu’à sa dissolution, ses droits sur ce patrimoine, dont elle demeure propriétaire; que la Société restera gérée par des administrateurs responsables devant elle-même, devant les actionnaires et devant les tiers »;

Considérant que la S.B.M. n’étant ni directement, ni indirectement privée de son droit de propriété, l’article 24 de la Constitution n’est pas applicable en l’espèce, et que, par suite, ce moyen n’est pas fondé.

Sur le moyen tiré de la violation du même texte au détriment du requérant:

Considérant que l’article 24 de la Constitution est relatif à la privation du droit de propriété;

Considérant que l’inviolabilité de la propriété garantie par ledit article ne met pas obstacle à certaines restrictions au plein exercice de ce droit dans l’intérêt de l’ordre public ou de la chose publique, ou en raison des circonstances économiques ou sociales qui l’exigent;

Considérant qu’il appartient au Tribunal suprême, statuant en matière constitutionnelle, d’apprécier si les atteintes apportées au droit de propriété pour les motifs ci-dessus rappelés, sont compatibles avec le principe garanti par la Constitution;

Considérant que les dispositions de la loi du 23 juin 1966, n° 807, comportent notamment, au profit de l’Etat Monégasque, la création d’actions nouvelles pourvues, en outre, d’une vocation au partage des bénéfices et de l’actif social, d’un privilège de vote, ainsi qu’une représentation particulière au Conseil d’Administration et que ces dispositions constituent des atteintes aux droits attachés à la propriété des actions existant antérieurement;

Considérant que la S.B.M., Société à monopole, est un élément essentiel de la prospérité de la Principauté, notamment en raison des missions qu’elle a reçues lors de sa constitution et des modifications ultérieures de ses statuts, missions indispensables à la vie de la Principauté;

Considérant que la loi attaquée s’est inspirée de motifs légitimes, présentant un caractère d’intérêt général;

Considérant que cette loi frappe exclusivement les actionnaires de la S.B.M., que les atteintes ainsi portées aux droits desdits actionnaires, au nom de l’intérêt général, et les dommages qu’elles ont causés doivent être compensés; qu’il y a lieu de rechercher si les compensations prévues par la loi sont suffisantes;

Considérant, d’une part, que le privilège de vote établi au profit de l’Etat ne lui attribue pas nécessairement une prépondérance majoritaire;

Considérant, d’autre part, que les dispositions légales comportent à la charge de l’Etat diverses contreparties, qui réduisent d’autant l’importance des atteintes aux droits patrimoniaux des actionnaires;

Considérant que pour une Société, telle que la S.B.M., chargée de missions d’intérêt général, la consistance des droits patrimoniaux des actionnaires ne peut être calculée en prenant pour base la valeur liquidative du patrimoine social;

Considérant que ni la prime ni le taux de rachat des actions n’ont été fixés contrairement aux usages;

Considérant que d’autres dispositions ont été prises en faveur des actionnaires, notamment l’inaliénabilité des actions créées, l’offre de rachat des actions anciennes, la garantie des emprunts obligatoires que la Société serait appelée à émettre;

Considérant, compte tenu de ces divers avantages accordés aux actionnaires, que la preuve n’est pas rapportée, qu’il ait été fait, en ce qui concerne la compensation aux atteintes à leurs droits patrimoniaux, une inexacte application de l’article 24 de la Constitution;

Considérant, en conséquence, que le moyen n’est pas fondé;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 30 de la Constitution;

Considérant que la S.B.M. est une Société commerciale à but exclusivement lucratif, qu’elle ne peut être assimilée à une Association qui constitue un groupement à but désintéressé;

Attendu que le requérant n’est pas fondé à invoquer la violation de l’article visé par le moyen.

Décide:

Article 1er. – La requête présentée par le sieur d’Estienne d’Orves est rejetée.

Article 2. – Les dépens sont mis à la charge du requérant.

MON / 1975 / A04
Monaco / Tribunal suprême / 31-01-1975 / Sieur G.R. WEILL / extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Loi (égalité devant la loi) – Permis de construire

Droits et libertés constitutionnels
Egalité devant la loi. Atteinte au principe – Inégalité de traitement
Procédure
Délais de réponse – Contre-requête – Dépôt dans les deux mois suivant la remise de la requête au défendeur – Délai ne comprenant pas le jour d’où il part et compté de quantième en quantième
Intérêt pour agir – Intérêt matériel – Recevabilité
Intervention – Intérêt au maintien de la décision attaquée – Recevabilité Urbanisme et construction
Permis de construire – Refus – Inégalité de traitement – Atteinte au principe de l’égalité devant la loi

Le Tribunal suprême

(…)

Que cette dérogation de fait, qui accroîtra la rentabilité de l’opération, est, par suite, contraire au principe d’égalité proclamé par l’article 17 de la Constitution et qu’elle n’est justifiée par aucune considération d’intérêt général;

(…)

Qu’en second lieu, l’arrêté a été pris en violation de l’article 17 précité de la Constitution en ce qu’il accorde à la Société Générale Mobilière et Immobilière ce qui a été refusé à la Société Praxitele;

(…)

Que le moyen tiré de la violation de l’article 17 de la Constitution est irrecevable, dès lors que le sieur Weill est dans une situation différente de celle de la Société et que, d’ailleurs, le principe d’égalité ne peut être invoqué à son égard, celle-ci n’étant pas de droit monégasque que ce moyen est d’autre part, sans fondement;: qu’en effet, l’inégalité n’est pas établie et que, même si elle existait, elle ne constituerait pas une illégalité s’agissant d’opérations distinctes pour lesquelles l’Administration conserve sa liberté d’appréciation;

(…)

Qu’en ce qui concerne la dérogation au gabarit réglementaire, l’article 17 de la Constitution n’a pas été méconnu, puisque la construction du « Vallespir » et celle du « Château Amiral » sont deux opérations distinctes et que d’ailleurs, aucune dérogation n’a été, en ce qui concerne la hauteur, accordée à l’un et à l’autre immeubles;

(…)

Que la violation de l’article 17 de la Constitution résulte de ce que la demande d’accord préalable, présentée le 12 mars 1974 par le sieur Weill, pour construire un immeuble à usage de bureaux et d’habitations sur son terrain, a été rejetée par le Ministre d’Etat, le 19 août suivant, par le seul motif que son projet comportait des dérogations, alors que la société était autorisée, le 17avril 1974, à construire, sur le terrain jouxtant celui du requérant, un immeuble de 15 étages;

Que la Société soutient, à tort, que le principe d’égalité, proclamé par l’article 17, ne s’appliquerait qu’aux Monégasques qui seraient, alors, seuls soumis à la loi et que, d’ailleurs le bénéficiaire de l’autorisation de construire est la Société civile Immobilière du 42, Boulevard d’Italie, qui est de droit monégasque;

Que cette société est dans une situation identique, non seulement à celle du sieur Weill, mais aussi à celle de la société Praxitélé;

Que la délivrance des autorisations de construire ne saurait être laissée à l’arbitraire de l’Administration, sans que soit porté atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi;

Qu’enfin si la société a cédé gratuitement des terrains à l’Etat, il en avait été de même pour la société Praxitélé et que le requérant était disposé à accorder le même avantage;

(…)

Qu’il appartenait au sieur Weill d’attaquer le rejet de sa demande d’accord préalable; qu’il ne précise pas le périmètre à l’intérieur duquel jouerait la notion, non d’égalité, mais d’identité technique et juridique; qu’enfin sont sans portée la réponse opposée par le requérant à l’argument tiré par la société de ce que le principe d’égalité des citoyens devant la loi ne s’appliquerait qu’aux monégasques, ainsi que l’argument qu’il présente en invoquant les cessions accordées en contrepartie des dérogations;

(…)

Vu Les autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu L’Ordonnance Constitutionnelle du 17 décembre 1962, et notamment ses articles 17 et 90;

Vu L’Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963, modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal suprême;

Vu L’Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959, concernant l’urbanisme, la construction et la voirie, modifiée par la loi n° 718 du 27 décembre 1961;

Vu L’Ordonnance Souveraine n° 2120 du 16 novembre 1959, modifiée notamment par l’Ordonnance Souveraine n° 3647 du 9 septembre 1966, concernant l’urbanisme, la construction et la voirie;

Vu L’Ordonnance du 21 octobre 1974, par laquelle le Président du Tribunal suprême a renvoyé la cause devant le Tribunal suprême délibérant en section administrative;

Ouï M. Louis Pichat, Membre du tribunal Suprême, en son rapport;

Ouï Maîtres Clérissi, Domestici et George en leurs plaidoiries;

Ouï M. le Procureur Général en ses conclusions;

(…)

Sur le moyen tiré de ce que la décision attaquée porterait atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi affirmé par l’article 17 de l’Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962;

Considérant qu’il résulte du dossier, d’une part, que la demande d’accord préalable présentée, le 12 mars 1974, par le sieur Weill, en vue de la construction d’un immeuble à usage de bureaux et d’habitation, sur le terrain lui appartenant, 38, Boulevard d’Italie, a été rejetée par le Ministre d’Etat, pour le seul motif qu’après examen de l’avis émis par le Comité consultatif pour la construction « le Gouvernement princier a considéré que l’avant-projet présenté comportant des dérogations à la réglementation en vigueur, la demande de M. Weill ne pouvait être accueillie favorablement », d’autre part, que le Ministre d’Etat a, le 17 avril 1974 accordé à la Société Générale Mobilière et Immobilière l’autorisation de construire un immeuble de même nature, en faisant bénéficier ladite société de certaines dérogations;

Considérant qu’en admettant même que les deux demandes précitées puissent, nonobstant la circonstance que les immeubles en cause seraient contigus et répondraient aux mêmes exigences d’urbanisme, être considérées comme portant sur des opérations distinctes, le seul fait d’avoir fait bénéficier la Société Générale Mobilière et Immobilière de dérogations, quand bien même celles-ci seraient justifiées, alors que la demande du Sieur Weill avait été rejetée pour l’unique motif qu’elle comportait l’octroi de dérogations, fait apparaître une inégalité de traitement à l’égard des deux traitements et est, par suite, de nature à entacher d’illégalité la décision attaquée comme n’ayant pas respecté l’article 17 de l’Ordonnance constitutionnelle sus-visée;

Décide :

Article 1er. – Il est donnée acte au sieur Weill du désistement des conclusions de sa requête tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de l’arrêté attaqué.

Article 2. – L’arrêté n° 74-156 du 17 avril 1974, par lequel le Ministre d’Etat a accordé une autorisation de construire à la Société générale Mobilière et Immobilière est annulé.

Article 3. – Les dépens exposés par la Société intervenante sont à sa charge. Les autres dépens sont mis à la charge de l’Etat.

Article 4. – Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’Etat.

MON / 1994 / A05
Monaco / Tribunal suprême / 1-02-1994 / Association des propriétaires de Monaco / texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Préjudice anormal et spécial

Compétence:
Contentieux constitutionnel – Recours en annulation – Loi n° 1159 du 29 décembre 1992 – Location de locaux à usage d’habitation – Rejet

Droits et libertés constitutionnels:

Droit de propriété – Conciliation avec des règles et principes de valeur constitutionnelle – Exigences résultant de caractères géographiques particuliers du territoire – Droit de priorité accordé aux monégasques – Non-rétroactivité de dispositions pénales d’application immédiate

Responsabilité de la puissance publique:

(–) du fait des lois – Principe d’égalité devant les charges publiques – Préjudice anormal et spécial

Le Tribunal suprême

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière et en matière constitutionnelle,

Vu la requête présentée par l’Association des propriétaires de la Principauté de Monaco le 26février 1993 et tendant à l’annulation de la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d’habitation;

Ce faire,

Attendu que la loi attaquée porte atteinte au droit de propriété reconnu par l’article 24 de la Constitution en ce qu’elle institue des mesures nouvelles par rapport à la loi du 18 juillet 1988 sans que les difficultés exceptionnelles, qui, selon la décision du Tribunal suprême du 20 juin 1989, justifiaient les restrictions à ce droit soient ni modifiées, ni aggravées; que notamment la loi revient sur la mesure de libération des loyers en instituant des plafonds et en restreignant la liste des locataires protégés;

Attendu, au surplus, que la loi contient des dispositions pénales rétroactives en violation de l’article 20, alinéa 4, de la Constitution puisque celles-ci s’appliquent aux locaux loués sur la base de la loi du 18 juillet 1988 avant sa modification;

Attendu, enfin, que la loi, portant une atteinte directe et indirecte au droit de propriété, elle doit entraîner une indemnisation par l’Etat des propriétaires justifiant un préjudice spécial;

Vu la contre-requête de Monsieur le Ministre d’Etat déposée le 30 avril 1993 et tendant au rejet de la requête avec condamnation aux dépens pour les motifs que, l’atteinte au droit de propriété ne peut être reconnue dès lors que la loi nouvelle, au regard de la jurisprudence du Tribunal suprême, ne comporte pas privation du droit de propriété en raison des caractères géographiques de territoire de l’Etat et est justifiée par la hausse importante des loyers provoquée par l’application de la loi du 18 juillet 1988;

Qu’il ne peut être prétendu que la loi revient à un blocage des loyers puisque le régime de limitation des taux ne concerne que les locaux vacants à la date de son entrée en vigueur;

Que le droit de reprise des propriétaires ne pourra s’exercer que dans le respect de la procédure instituée par la loi du 18 juillet 1988 et que le régime est plus libéral que le précédent;

Que la loi n’institue pas une reconduction automatique du bail, que cette reconduction ne constitue qu’une possibilité et qu’il y a lieu à l’application d’une procédure permettant de négocier le renouvellement du bail dans le cadre de la loi;

Que le droit à réparation du préjudice auquel pourraient prétendre les propriétaires ne peut être reconnu puisque ce préjudice n’est ni certain ni spécial;

Que l’affirmation selon laquelle la loi serait rétroactive dans ses dispositions pénales est inexacte et que l’association confond rétroactivité et application immédiate de la loi;

VU La réplique déposée le 28 mai 1993 par l’Association requérante et tendant aux mêmes fins que la requête initiale;

Attendu que le Tribunal suprême, qui a compétence pour interpréter les dispositions législatives attaquées, peut adopter à leur sujet le procédé des réserves d’interprétation;

Que la spécialité du préjudice ne concernera que la moitié environ des propriétaires appartenant au secteur réglementé;

Que la contre-requête contient des inexactitudes concernant la baisse excessive des loyers selon les informations qu’elle fournit dans sa réplique;

Qu’il est inexact de prétendre que la loi ne comporte aucun retour au blocage des loyers dès lors que, pendant les deux périodes de six ans pendant lesquelles elle s’appliquera, les loyers ne pourront être augmentés au-delà des seuils fixés;

Vu la duplique déposée par le Ministre d’Etat le 5 juillet 1993 et tendant à nouveau au rejet de la requête en ce que:

La simple lecture de la loi permet de montrer que les atteintes au droit de propriété n’existent pas; que ses dispositions visent simplement à concilier les intérêts des propriétaires et des locataires;

Que le préjudice spécial invoqué concernerait 25% des propriétaires et qu’une telle affirmation viderait de tout sens le concept même de rupture qui fonde cette condition du préjudice;

VU La loi attaquée;

VU Les autres pièces produites et jointes au dossier;

VU La Constitution et notamment ses articles 20 alinéa 4, 24 et 90-A-2;

VU L’Ordonnance du 16 avril 1963 modifiée, sur le Tribunal suprême;

VU L’Ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal suprême, en date du 27 décembre 1993, par laquelle il a ordonné le renvoi de la cause;

Ouï Monsieur Roland Drogo, Vice-Président du Tribunal suprême, en son rapport;

Ouï Maître Balat, avocat à la Cour d’appel de Paris, assisté de Maître Blot, avocat-défenseur;

Ouï Maître Piwnica, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, assisté de Maître Sanita, avocat-défenseur;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions;

Statuant et délibérant en matière constitutionnelle,

Considérant que l’Association requérante a déféré au Tribunal suprême la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988, sur la base de l’article 90-A-2 de la Constitution;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution,

Considérant que cet article dispose:

« la Propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi »;

Considérant que le libre exercice du droit de propriété consacré par ce texte doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l’Etat Monégasque; qu’il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l’Etat ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l’article 32 de la Constitution;

Considérant que l’article 3 de la loi déférée au Tribunal suprême modifiant l’article 5 de la loi du 18 juillet 1988 réduit la liste des attributaires prioritaires qui figurait dans ce texte;

Considérant que l’article 4 de la loi attaquée modifiant l’article 8 de la loi du 18 juillet 1988 décide que le prix de location, pendant la première période de six ans, ne pourra être supérieur de plus de 50% à celui qui aurait été pratiqué en application de l’article 14 de l’ordonnance-loi n°669 du 17 septembre 1959; que le même texte décide que le prix de location, pendant la seconde période de six ans, ne pourra être supérieur de plus de 155% à celui qui aurait été pratiqué en application de l’article 14 de l’ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959;

Considérant que l’article 9 de la loi attaquée dispose:

« Les locaux ayant fait l’objet d’une location en vertu de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 préalablement à la promulgation de la présente loi sont soumis aux dispositions de cette dernière. Toutefois, la location de ces locaux, lorsqu’ils deviennent vacants ou lorsque le bail est reconduit, n’est pas soumise aux dispositions du premier alinéa du chiffre II de l’article 8 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 modifiée. En toute hypothèse, le montant du loyer en cours de bail ne peut être augmenté qu’en application d’une clause d’indexation usuelle insérée dans le bail. Nonobstant les dispositions de l’article 5 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 modifiée, les locataires, entrés dans les lieux préalablement à la promulgation de la présente loi peuvent bénéficier, avec l’accord de leurs propriétaires, de la reconduction de leurs baux »;

Considérant qu’il ressort de ce texte ainsi que des travaux préparatoires que les articles 3 et 4 de la loi ne concernent pas les locaux ayant fait l’objet d’une location avant sa promulgation, même lorsque ces locaux deviennent vacants ou lorsque le bail est reconduit; que les locataires entrés dans les lieux préalablement à la promulgation de la loi peuvent bénéficier, avec l’accord de leurs propriétaires, de la reconduction des baux dans les conditions antérieures à cette promulgation;

Considérant qu’il ne peut être fait application des dispositions des articles 3 et 4 de la loi que dans le cadre tracé par l’article 9; que, dans ces conditions, ces dispositions ne portent pas à l’exercice du droit de propriété une atteinte excédant celles qui peuvent lui être apportées au regard des règles et principes ci-dessus rappelés;

Sur le caractère rétroactif des dispositions pénales contenues dans l’article 7 de la loi,

Considérant que l’article 7 de la loi dispose:

« L’article 16 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes: le propriétaire qui n’aura pas fait la déclaration prescrite par les articles 2 ou 8 sera puni de l’amende prévue au chiffre 3 de l’article 29 du Code pénal. Si la déclaration n’est pas effectuée dans les huit jours suivant le prononcé de la condamnation, le contrevenant sera puni de l’amende prévue au chiffre 1 de l’article 26 de ce code et le tribunal ordonnera, sous astreinte civile définitive au profit du Trésor, que la formalité soit accomplie dans les huit jours de la décision ».

Considérant que ce texte se contente d’affirmer le caractère d’application immédiate de la loi; que le moyen tiré de son effet rétroactif manque en fait;

Sur la responsabilité éventuelle de l’Etat du fait de l’application de la loi,

Considérant qu’il est loisible aux propriétaires des locaux auxquels la loi s’appliquera dans les conditions précédemment définies, au cas où cette application leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d’en demander, s’ils s’y croient fondés, réparation sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité de tous devant les charges publiques.

Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême du Niger

NIG / 1992 / A01
Niger/Cour suprême/Chambre constitutionnelle/24-09-1992/Avis n° 92-6/texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – loi (égalité devant la loi)

Vu La requête en date du 21 août 1992 introduite par le Secrétaire général du gouvernement sur instructions du Premier Ministre enregistrée le même jour au greffe de la Cour suprême;

Vu Les articles 2, 23 et 24 de l’acte fondamental n° XXI du 29 octobre 1991 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition;

Vu Les articles 26 et 41 de la loi n° 90-10 du 13 juin 1990 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême;

Après lecture du rapport de Monsieur OUMARA MAMADOU, Conseiller-Rapporteur et l’avis de Monsieur le Procureur général;

Attendu qu’il y a lieu de souligner que l’ordonnance n° 92-043 du 22 août 1992 portant Code Electoral ayant été signée et rendue publique en même temps que la saisine de la cour, la première question qu’on pourrait se poser est celle de l’opportunité même d’une saisine qui fait que l’avis de la cour viendra nécessairement à retardement alors que la publication de l’ordonnance selon la procédure d’urgence prévue par ce texte le rend applicable avant que la haute juridiction ne puisse tenir audience;

Que ceci dit, la Cour peut néanmoins tout en souhaitant que le souci de la saisine préalable soit sauvegardé à l’avenir, déclarer cette saisine régulière, donc recevable;

Au fond,

Attendu que le requérant estime que l’article 84 du Code électoral est non seulement contraire à la charte des partis politiques (article 6) mais est également non conforme à l’avant-projet de constitution et à l’article 80 du même code; que le fait pour l’article 84 de supprimer la présentation de candidatures indépendantes aux élections présidentielles constitue une violation des droits et libertés fondamentaux des citoyens;

Attendu qu’il y a lieu d’abord avant d’analyser les dispositions de l’article incriminé au regard des textes ayant valeur constitutionnelle (ou en voie de l’être) et législative en vigueur pendant la période de transition au Niger de faire les observations suivantes:

–Bien que signée avant l’adoption de la constitution, l’ordonnance portant Code électoral doit nécessairement se placer dans le cadre de l’avant-projet de constitution, qu’elle ne jouera en principe pleinement son rôle qu’une fois la constitution adoptée, et doit donc dès à présent en tenir compte, et ses dispositions ne sauraient aller à l’encontre de celles de la constitution;

Attendu que l’article 84 du Code électoral relatif aux élections présidentielles, en ses alinéas 2 et 3, dispose:

«Seuls les partis politiques légalement constitués peuvent présenter des candidats. Chaque parti politique ne peut présenter qu’une seule candidature;

Attendu qu’à la lecture des dispositions contenues dans l’article 84 (alinéa 2 et 3) il y a lieu de noter que le Code électoral a écarté ainsi toute possibilité de présentation de candidats indépendants aux élections présidentielles;

Attendu qu’à l’examen des dispositions de l’art. 84 du Code électoral, il apparaît que cet article n’est pas conforme à un certain nombre de textes en vigueur ou qui sont en voie de l’être; c’est ainsi que:

1. – Les dispositions de l’article 84 du Code électoral sont prises en violation de l’acte n° III de la Conférence nationale en date du 9 août 1991.

Attendu que l’article 3 de l’acte n° III dispose que la République du Niger est un Etat de droit, ce qui signifie que tout acte portant atteinte aux droits et libertés des citoyens doit être proscrit

Que l’article 4 du même acte III quant à lui stipule que:

«Les droits et libertés du citoyen tels que consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 sont garantis; que toutes ces trois déclarations consacrent et garantissent entre autres droits et libertés, le droit de vote reconnu à tout citoyen, le droit pour tout citoyen d’être éligible à un emploi public ainsi que la liberté d’adhésion du citoyen à une association politique de son choix; que l’article 84 a donc été pris en violation de l’acte III;

2. – Les dispositions de l’article 84 du Code électoral sont contraires à l’avant-projet de constitution de la 3e République.

Attendu que si l’avant-projet de constitution venait à être adopté dans ses dispositions relatives aux élections présidentielles, il consacrerait alors un régime politique de type semi-présidentiel avec un président de la République arbitre, donc placé au dessus des partis politiques, un président de la République irresponsable politiquement dont tous les actes seraient contresignés par le Premier Ministre ou les ministres; que l’esprit général de ce texte de l’avant-projet de constitution serait alors en parfaite harmonie avec un président de la République n’appartenant à aucun parti politique;

Attendu aussi que l’article 8 de l’avant-projet de constitution dispose que:

«La République du Niger est un Etat de droit et que tous les citoyens sont égaux devant la loi; que cela signifie qu’il ne doit y avoir aucune discrimination de quelque nature que ce soit entre les citoyens nigériens et partant que tous les citoyens candidats aux élections mêmes présidentielles doivent être égaux devant la loi; qu’il n’est donc pas permis de faire une discrimination politique entre les candidats selon qu’ils appartiennent ou non à des partis politiques pour accepter ou rejeter leur candidature; que par conséquent l’article 84 du Code électoral qui exige des candidats une adhésion à un parti politique constitue bien une discrimination entre les candidats et porte ainsi gravement atteinte aux droits et libertés des citoyens;

Attendu que l’article 9 quant à lui stipule que:

«Dans le cadre de la liberté d’association, les partis et groupements politiques se forment et exercent librement leurs activités sous réserve de respecter les principes de souveraineté nationale, de la démocratie et les lois de la République; que de même l’article 24 dispose:

«L’Etat reconnaît et garantit la liberté d’association; que ces deux articles posent le principe de la liberté d’association qui est celui pour chaque citoyen d’appartenir ou non à un parti politique; qu’il n’y a pas une obligation mais une liberté pour tout citoyen d’appartenir à un parti politique;

Attendu que l’article 37, alinéa 1 stipule:

«Le président de la République est élu pour 5 ans au suffrage universel, libre, direct, égal et secret. Il n’est rééligible qu’une seule fois; que ce mode d’élection du président de la République fait de ce dernier l’élu de toute la nation, de tous les citoyens nigériens; que le président de la République, une fois élu, n’est pas le président d’un parti politique ou d’un groupe de partis politiques même s’il appartenait à un parti politique et qu’il a été présenté par un parti politique ou un groupe de partis politiques; qu’une fois élu, le président de la République devrait prendre congé de son parti politique et devenir le président de tous les partis politiques et de toute la nation; que ce faisant, le président de la République serait ainsi placé au dessus des partis politiques et des luttes partisanes pour jouer son vrai rôle d’arbitre; que c’est pourquoi il y a lieu de dire que la présentation de candidats indépendants aux élections présidentielles, contrairement à l’article 84 du Code électoral, est tout à fait conforme aux dispositions de l’article 37 en son alinéa 1; qu’il n’est donc pas nécessaire qu’un citoyen nigérien appartienne à un parti politique ou qu’il soit présenté par un parti politique ou groupe de partis politiques pour être candidat aux élections présidentielles;

Attendu que l’article 37 à son alinéa 2 dispose:

«Est éligible à la présidence de la République, tout nigérien de nationalité d’origine âgé de quarante (40) ans au moins et jouissant de ses droits civiques et politiques; que l’alinéa 2 de l’article 37 ne mentionne pas expressément parmi les conditions d’éligibilité à la présidence de la République l’appartenance d’un candidat à un parti politique; qu’il suffit simplement au candidat de prouver, entre autres conditions, qu’il est nigérien d’origine et avoir 40 ans, et rien d’autre;

Attendu qu’aux termes de l’article 38 l’élection du président de la République a lieu au scrutin majoritaire à deux (2) tours;

que ce mode de scrutin permet aux électeurs de voter pour un candidat nommément désigné et non pour une liste de noms comme c’est le cas avec le scrutin proportionnel ou scrutin de liste retenu pour les élections législatives; que le scrutin majoritaire retenu comme mode d’élection pour le président de la République est tout à fait en harmonie avec la possibilité de présentation de candidats indépendants;

3. – Les dispositions de l’article 84 du Code électoral ne sont pas en conformité avec l’acte n°XXIV du 3 novembre 1991 portant charte des partis politiques.

Attendu qu’aux termes de l’article 6, tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques est libre d’adhérer au parti politique de son choix; que cet article 6 de la charte des partis politiques pose et consacre le principe de la liberté d’adhésion aux partis politiques; que cela signifie qu’un citoyen est libre d’adhérer ou non à un parti politique; qu’en aucun cas et pour quelque motif que ce soit on ne peut donc obliger un citoyen à appartenir à un parti politique tel qu’il est exigé par l’article 84 du Code électoral;

4. – Les dispositions de l’article 84 du Code électoral sont en contradiction avec les dispositions de l’article 80 du même code.

Attendu que l’article 80 du Code électoral stipule «Sont éligibles à la présidence de la République tous les citoyens nigériens de nationalité d’origine âgés de quarante (40) ans au moins, jouissant de leurs droits civiques et qui ne sont dans aucun des cas d’incapacité définis à l’article 8 de la présente ordonnance; qu’à la lecture de cet article 8, il n’apparaît pas que la non-adhésion d’un citoyen à un parti politique ait été expressément prévue comme étant un cas d’incapacité pouvant empêcher d’éligibilité d’un candidat aux élections présidentielles; qu’il y a lieu donc de dire que la présentation des candidats indépendants aux élections présidentielles n’a pas été expressément écartée par l’article 80; que par conséquent l’article 84, qui élimine les candidatures indépendantes, est contraire à l’article 80;

Attendu que pour se résumer, en disposant que seuls les partis politiques légalement constitués peuvent présenter des candidats à la présidence de la République, l’article 84 de l’ordonnance n°92-043 du 22 août 1992 a méconnu un grand principe, celui de la hiérarchie des textes, candidat à l’inconstitutionnalité, il le sera incontestablement une fois que les dispositions des articles 9 et 24 de l’avant-projet de constitution seront adoptés. Il faut rappeler que ces deux articles posent et garantissent le principe de la liberté d’association alors que l’article 84 du Code électoral fait obligation à tout candidat aux élections présidentielles d’appartenir à un parti politique, qu’il suit de là que cet article jure avec ce que sera la constitution au moment des élections présidentielles et avec la liberté d’association; que sans doute, la tentation peut-être forte de vouloir opérer un rapprochement entre l’idée de candidatures indépendantes combattue par la Cour dans un scrutin de liste, et celle de candidatures indépendantes dans les élections présidentielles. Mais la comparaison ne saurait être soutenue avec vraisemblance parce que dans le scrutin de liste envisagé lors des élections législatives, l’idée même de candidatures indépendantes est un non sens, elle s’oppose par définition et par nature à celle du scrutin uninominal envisagé pour les élections présidentielles;

Attendu qu’enfin la Cour estime qu’il y a aussi lieu de faire la différence entre les incompatibilités imposées à la candidature de certains citoyens en raison de leurs fonctions ou de la mission qui leur est confiée, et une mutilation véritable des droits attachés à la personne humaine. Les premières constituent des mesures de précaution contre le détournement de l’autorité publique à des fins partisanes, tandis que la seconde constituerait une exclusion injustifiée et l’imposition d’un carcan politique préjudiciable au principe de la liberté d’association; que pour tout dire, l’article 84 de l’ordonnance n° 92-043 du 21 août 1992 ne peut être maintenu dans sa rédaction actuelle si l’on veut rester conforme au droit;

Par ces motifs:

Vu l’article 62 de la loi 90-10 du 13 juin 1990 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême;

En la forme,

Reçoit la saisine comme étant régulièrement introduite;

Au fond,

Dit que les dispositions de l’article 84 du Code électoral;

  • violent l’acte III du 9 août 1991 de la Conférence nationale;
  • elles seraient contraires à l’esprit et au contenu de l’avant-projet de constitution de la 3e République s’il venait à être adopté dans ses dispositions contenues dans les articles 8, 9, 24, 37 et 38;
  • elles ne sont pas conformes à l’acte fondamental N XXIV du 3 novembre 1991 portant charte des partis politiques;
  • elles sont en contradiction avec les dispositions de l’article 80 du même code électoral,

Dit que le fait pour l’article 84 du Code électoral d’éliminer les candidatures indépendantes aux élections présidentielles constitue une atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens notamment le droit pour tout citoyen d’être éligible, la liberté pour tout citoyen d’adhérer librement au parti politique de son choix et l’égalité de tous les citoyens devant la loi

Dit que du point de vue du droit, aucune raison ne justifie l’élimination des candidatures indépendantes aux élections présidentielles, tout au contraire, le mode d’élection du président de la République et le rôle qui lui sera dévolu dans la prochaine constitution militent dans le sens du maintien des candidats indépendants aux élections présidentielles;

Dit que cet avis, dûment signé du Président et du Greffier en chef de la Cour suprême, sera communiqué au Premier Ministre à telles fins de droit;

Ainsi délibéré par la chambre constitutionnelle de la Cour suprême les jour, mois et an que ci-dessus;

Composition

Où siégeaient Messieurs: HADJI NADJIR, Vice-Président (président); AMADOU HAMA ALGINY, OUMARA MAMADOU, HIMA YANKORI et ABOUBACAR MAIDOKA, tous conseillers; en présence de Monsieur SOLI ABDOURAHAMANE, Procureur général et Maître ALI MAIGA, Greffier en Chef;

En foi de quoi le présent avis a été signé par le Président et le Greffier en Chef

NIG / 1993 / A02
Niger/Cour suprême/Chambre constitutionnelle/23-04-1993/Arrêt n°93-13/extraits

1.4.9 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements des assemblées parlementaires
4.2.3 Institutions – organes législatifs – composition
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

(…)

Considérant que les demandeurs au recours soutiennent que conformément à l’article 98 ci-dessus, le règlement intérieur de l’Assemblée, avant son application, tout comme les lois organiques, avant leur promulgation, doit être soumis au contrôle de conformité à la Constitution devant la Cour suprême;

Considérant qu’ils articulent qu’en tout état de cause, le mode et la procédure d’élection du Président constituent un règlement de l’Assemblée qui doit subir ce contrôle avant sa mise application; que la résolution n° 001/AN/1993 ayant servi à l’élection du Président en dehors de tout contrôle ne saurait servir de base légale à ladite élection;

Considérant que le sieur Moumouni Adamou Djermakoye dont l’élection est attaquée de ce chef, rétorque que la résolution incriminée n’est ni une loi organique, ni une loi ordinaire au sens de l’article 98 de la Constitution qu’elle ne doit pas être soumise au contrôle de conformité dont s’agit; que du reste l’article 71 a été respecté selon lui et il conclut au rejet de la requête comme non fondée;

Mais considérant que la loi organique est une loi qui complète ou précise les dispositions de la Constitution; qu’elle est identifiée par rapport à son objet, comme un complément nécessaire en ce qu’elle régit les pouvoirs publics directement issus de la Constitution à laquelle ils s’articulent;

Considérant que si du point de vue formel toute décision de l’Assemblée porte le nom générique de résolution le règlement intérieur n’échappe pas à cette règle mais répond à la définition de la loi organique de la même valeur du point de vue matériel, en ce qu’il fixe les règles d’organisation, de composition, de fonctionnement ainsi que les prérogatives des membres de l’Assemblée, dont il est une constitution interne à l’échelle réduite;

Considérant que le contrôle de constitutionnalité préalable de l’article 98 procède de la nécessaire soumission des pouvoirs constitués au droit en général et à la Constitution en particulier; que s’agissant de l’Assemblée nationale, son autonomie de réglementation trouve ses limites dans cette obligation constitutionnelle, en tant que déléguée du peuple souverain, dépositaire de la légalité constitutionnelle dans ce qu’elle a d’essentiel;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que la résolution n° 001/AN/1993, ayant servi à l’élection du sieur Moumouni Adamou Djermakoye, a été adoptée dans des conditions discutables et manifestement par une partie de l’Assemblée et au détriment des droits d’une autre partie de l’Assemblée; qu’elle n’a pas subi le contrôle de constitutionnalité obligatoire préalable devant permettre de vérifier sa conformité à la Constitution, alors même que son article 8 dispose que: «Les dispositions contenues dans la présente résolution font partie intégrante du règlement intérieur de l’Assemblée nationale;

Considérant qu’il s’agit là d’une violation flagrante et délibérée de la Constitution contraire au devoir des députés de l’Assemblée nationale;

Considérant qu’il y a lieu ainsi de recevoir le moyen comme fondé et de déclarer inconstitutionnels le mode et la procédure d’élection du sieur Moumouni Adamou Djermakoye aux fonctions de Président de l’Assemblée, comme n’ayant pas été soumis au contrôle de conformité préalable de la Cour suprême;

Sur le deuxième moyen du recours pris de la violation des articles 71 et 76, en ce que la Constitution dispose que:

  • les travaux de l’Assemblée nationale ont lieu suivant le règlement qu’elle adopte conformément à la Constitution, en conformité avec l’article 98 précité;
  • l’Assemblée nationale est dirigée par un Président assisté d’un bureau élu dans les conditions fixées par le règlement intérieur;
  • le règlement intérieur est la loi organique portant organisation et fonctionnement de l’Assemblée ainsi que des prérogatives et attributions de son Président, et les différents modes de scrutin à l’exclusion de ceux prévus expressément par la Constitution

Les demandeurs concluent à l’inconstitutionnalité de l’élection du sieur Moumouni Adamou Djermakoye dès lors qu’il n’y a eu ni adoption ni contrôle de conformité des règles fixant le mode et la procédure de cette élection;

Considérant que le défendeur persiste à dire qu’il n’y a pas lieu de soumettre la résolution contestée à la censure de la Cour suprême sans l’ensemble du règlement intérieur;

Sur le deuxième moyen en sa première branche, pris de la violation de l’article 76, en ce que les travaux de l’Assemblée ont lieu suivant le règlement intérieur qu’elle adopte conformément à la Constitution

Considérant qu’il résulte de l’alinéa premier de l’article 76 que l’Assemblée nationale élabore d’abord son Règlement intérieur en fonction duquel sont conduits ses travaux;

Considérant que ce règlement intérieur décrit toute la procédure parlementaire, l’organisation, la composition, le fonctionnement du bureau ainsi que les pouvoirs et prérogatives du Président;

Considérant que l’adoption du règlement ci-dessus spécifié n’est parfaite que si elle reçoit le sceau de conformité de la Chambre Constitutionnelle de la Cour suprême par rapport à la loi fondamentale, source de sa validité;

Considérant que cette obligation constitutionnelle impérative concerne toutes les lois organiques et tous les règlements de l’Assemblée;

Considérant que ladite obligation s’impose d’abord et principalement aux pouvoirs constitués, qui ne peuvent y déroger sans se remettre en cause, et ne sauraient en conséquence s’arroger d’autres prérogatives que celles découlant directement de la Constitution, fondement de leur légale existence;

Considérant que l’article 76 énumère les grandes lignes du règlement intérieur aux premier et sixième tirets de l’alinéa 2 quant à la nécessaire conformité de son contenu;

Considérant qu’aucune résolution ne saurait tirer sa valeur et son fondement hors et contre les prescriptions de la loi suprême

Considérant enfin qu’il est constant que la résolution n° 001/AN/1993 n’a pas reçu le quitus de conformité relativement aux prescriptions de la Constitution; qu’elle a été prise ab nihilo sans aucun lien de rattachement avec la norme suprême; qu’il y a lieu par conséquent de recevoir comme fondée la première branche du deuxième moyen et déclarer nulle et de nul effet la résolution en cause;

Sur le deuxième moyen du recours, en sa deuxième branche, pris de la violation de l’article 71 de la Constitution, en ce que l’Assemblée nationale est dirigée par un Président assisté d’un bureau élu dans les conditions fixées au règlement intérieur

Considérant que les requérants excipent que la résolution fait partie du règlement intérieur, loi organique de l’Assemblée, qui détermine le mode et la procédure d’élection des membres du bureau; que le défendeur allègue le contraire;

Considérant qu’il résulte des développements antérieurs que le règlement intérieur, quels qu’en soient la forme et le contenu doit être adopté conformément aux articles 98 et 76, notamment la nomination des personnes membres de l’organe directeur de l’Assemblée;

Considérant qu’il doit être entendu que ledit organe comprend d’abord et aussi bien le président que les autres membres; que c’est le même règlement intérieur qui régit leur élection;

Considérant que si la syntaxe de l’alinéa premier de l’article 71 traduit mal cette réalité, l’alinéa 2 complète utilement l’idée exprimée en ce que tous les membres du bureau doivent être élus périodiquement;

Mais considérant que les prescriptions impératives de la Constitution imposent des conditions rigoureuses de sélection sur la base du principe que tout pouvoir légal et légitime doit procéder de l’élection selon les formes qu’elles ont ordonnées; que la rigueur exige est proportionnelle à l’importance des fonctions convoitées; qu’il est tout à fait évident et logique qu’elles soumettent un membre aussi important que le président de l’Assemblée aux conditions maxima et les membres de rang modeste aux règles minima conformes;

Considérant que par les motifs ci-dessus exposés, il y a lieu de déclarer fondé le deuxième moyen en sa deuxième branche et de dire que l’ensemble des membres du bureau, y compris le président, doivent être élus selon les conditions visées à l’article 71, conformément aux articles 98 et 76 et aux usages consacrés en la matière;

Par ces motifs:

Vu la Constitution du 26 décembre 1992 en ses articles 92, 98, 71, 76 et 30;

Vu la loi 90-10 du 13 juin 1990 en ses articles 34, 36, 37, 47, 50, 51, 52, 53, 55 alinéa 1, 60 alinéa 2;

1. – Reçoit en la forme le recours intenté par le député Hama Amadou et 31 de ses collègues;

2. – Dit que la résolution n° 001/AN/1993 portant mode et procédure de l’élection du président, ensemble ou séparée, est du domaine du règlement intérieur;

3. – Déclare les prescriptions des articles 76 et 71 communes à l’ensemble du bureau comprenant le président et soumises au contrôle de conformité de l’article 98;

4. – Dit que la résolution n° 001/AN/1993 est anticonstitutionnelle pour défaut de conformité; la déclare nulle et non avenue avec les conséquences de droit;

5. – Dit que les travaux conduits sur le fondement de ladite résolution l’ont été en violation flagrante et délibérée de la Constitution du 26 décembre 1992; (…)

Cour constitutionnelle de Roumanie

ROM / 1993 / A01
Roumanie / Cour constitutionnelle / 25-02-1993 / Décision n° 6 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.8 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Loi (égalité devant la loi) – Salaires

La Cour constitutionnelle,

(…)

L’article 3 de la loi relative à l’harmonisation des salaires régis par les lois nos 53/1991, 40/1991 et 52/1991 et des salaires offerts par les sociétés commerciales et les régies autonomes (publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, première partie, n° 140 du 23 juin 1992) dispose que:

«1. – Les salaires de base perçus par les personnes qui cumulent plusieurs fonctions, y compris par les retraités qui cumulent retraite et salaire, sont ceux prévus à l’article premier.

2. – Les salaires perçus en raison du cumul des fonctions tel que défini à l’alinéa premier, ainsi que les revenus perçus en contrepartie d’autres activités que celles relevant de la fonction de base, quelle que soit l’entreprise dans le cadre de laquelle a été effectué le travail, font l’objet d’une imposition distincte, par l’application du taux légal majoré de 100%.

La loi n° 53/1991 concerne les salaires des sénateurs, des députés et du personnel affecté au Parlement de la Roumanie, la loi n° 52/1991 concerne les salaires des personnels affectés aux organes du pouvoir judiciaire, alors que la loi n° 40/1991 concerne les salaires du Président et des membres du Gouvernement de la Roumanie, ainsi que les salaires des personnels affectés à la Présidence et aux autres organes du pouvoir exécutif.

La loi modifiant la loi n° 58/1992, adoptée par le Parlement de la Roumanie lors des séances du 17 décembre 1992 (pour la Chambre des députés) et du 4 février 1993 (pour le Sénat), comporte deux articles. Le premier modifie l’article 3 alinéa 2 de la loi n° 58/1992 relative à l’harmonisation des salaires régis par les lois nos 53/1991, 40/1991 et 52/1991 et des salaires offerts par les sociétés commerciales et les régies autonomes. L’article modifié dispose en son alinéa 2: «Les salaires perçus suite au cumul des fonctions tel que défini à l’alinéa premier, ainsi que les revenus perçus en contrepartie d’autres activités que celles relevant de la fonction de base, quelque soit l’entreprise dans le cadre de laquelle a été effectué le travail, font l’objet d’une imposition distincte, par l’application du taux légal majoré de 30%.

(…)

L’appréciation de la constitutionnalité de l’article premier de la loi, qui établit une majoration de 30% du taux légal d’imposition pour les revenus résultant d’un cumul de fonctions par les personnes visées par les lois nos 40, 52 et 53 de 1991, peut se faire à travers la confrontation de cette disposition avec les dispositions des articles 16, alinéa 1er et 53, alinéa 2 de la Constitution. L’article 16 alinéa 1er stipule que: «Les citoyens sont égaux devant la loi et les autorités publiques, sans privilèges, ni discriminations.

Les critères de la non discrimination sont énumérés à l’article 4, alinéa 2 de la Constitution. Il s’agit de la race, la nationalité, l’origine ethnique, la langue, la religion, le sexe, les opinions, l’appartenance politique, la fortune, l’origine sociale. Cependant, il est important de souligner ici que les dispositions constitutionnelles doivent être complétées par la prise en compte des dispositions des actes internationaux intervenus dans le domaine des droits de l’homme, car ce n’est que de cette façon que le principe de l’égalité des droits retrouve ses véritables dimensions juridiques. Ceci ressort expressément de l’alinéa premier de l’article 20 de la Constitution qui prévoit que «Les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux autres pactes et traités auxquels la Roumanie est partie. Par conséquent, seront applicables à l’espèce les dispositions de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, aux termes duquel «Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à la même protection par loi, sans aucune discrimination. Ainsi, la loi doit interdit toute discrimination et doit garantir à toute personne une protection égale et efficace contre toute discrimination notamment fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique et toute autre type d’opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre discrimination fondée sur toute autre circonstance.

L’alinéa 2 de l’article 2 du pacte international concernant les droits économiques, sociaux et culturels, entré en vigueur le 3 janvier 1976, comporte des dispositions similaires.

A la lumière des dispositions ci-dessus, il faut observer que les dispositions légales dont la constitutionnalité est remise en question créent un supplément d’imposition, à savoir une augmentation de 30% du taux légal d’imposition pour une catégorie seulement de fonctionnaires. Ceci est une exception aux dispositions relevant du droit commun en la matière, à savoir les dispositions de la loi n° 32/1991 relative à l’impôt sur les salaires, laquelle, dans son article 7, alinéa 4, dispose que: «les revenus sous forme de salaires et les autres revenus salariaux perçus en contrepartie du travail fourni au bénéfice de plusieurs employeurs seront imposés séparément aux taux et dans les conditions prévues à l’alinéa premier du présent article.

Par conséquent, la loi n° 32/1991 vise les revenus salariaux perçus et non une discrimination sur des critères sociaux ou par catégorie de fonctionnaires. Il est certain que l’introduction de régimes d’imposition des revenus, différents selon les catégories sociales, les catégories de fonctionnaires ou sur la base des critères énoncés à l’article 4, alinéa 2 de la Constitution constituerait une rupture d’égalité des citoyens devant la loi. Plus encore, doivent être prises en compte également, dans l’appréciation de la constitutionnalité de la loi attaquée, les dispositions de l’article 53, alinéa 2 de la Constitution qui statue: «Le système légal d’imposition doit assurer une assise juste aux charges fiscales.

Par conséquent, il ressort qu’une fiscalité qui s’éloigne des règles généralement admises en ce qui concerne la base imposable, le taux d’imposition, les catégories de revenus, etc., devient une fiscalité discriminatoire dès lors qu’elle introduit des critères portant atteinte à l’égalité en droit des citoyens. La fiscalité doit être non seulement légale, mais aussi proportionnelle, raisonnable, équitable et ne doit pas établir des régimes d’imposition différents selon les différentes catégories de citoyens. Dans cette perspective juridique, la disposition légale qui introduit une augmentation de 30% du taux d’imposition, uniquement pour une catégorie de fonctionnaires, est une disposition discriminatoire et par conséquent contraire aux dispositions des articles 16, alinéa premier et 53, alinéa 2 de la Constitution.

(…)

En ce qui concerne la constitutionnalité de l’article 3 de la loi n° 58/1992, quelques observations s’imposent. Le groupe de députés soulève également la question de l’inconstitutionnalité de l’article 3 de la loi n° 58/1992 et tire la conclusion que «la seule disposition constitutionnelle (…) admissible dans le projet de loi pour la modification de la loi n° 58/1992 en rapport avec l’alinéa 2 de l’article 3 est offerte par l’abrogation de l’alinéa concerné, en assurant ainsi, par l’effet de la loi, un traitement non discriminatoire, égal pour tous les salariés de Roumanie, quelque soit leur domaine d’activité, conformément aux termes de l’alinéa 4 de l’article 7 de la loi n° 32/1991 relative à l’impôt sur les salaires.

Le rapport entre l’article 3 de la loi n° 58/1992 et l’article premier de la loi modificative est indiscutable, dès lors que le dernier article modifie le premier. L’article premier essaie de corriger les dispositions de l’article 3, dispositions discriminatoires et exagérées. Cependant, la solution de l’abrogation proposée par le groupe de députés ne rentre pas dans les compétences de la Cour constitutionnelle, l’unique autorité législative étant le Parlement de la Roumanie. Il est également facile d’observer que, si la majoration de 30% du taux d’impôt légal est considérée par la Cour, pour les raisons exposées, comme inconstitutionnelle, a fortiori et par l’effet de la symétrie des arguments, la majoration de 100% prévue par l’article 3 de la loi n° 58/1992 est elle aussi inconstitutionnelle. Il faut observer que la loi n° 58/1992 est en vigueur à ce jour et que le contrôle de la constitutionnalité des lois en vigueur ne peut s’exercer que par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, sur la base de l’article 144, lettre c) de la Constitution. Dans la présente affaire, la Cour constitutionnelle ne peut recevoir, ni statuer sur une requête en inconstitutionnalité du type visé ci-dessus, à travers la procédure prévue à l’article 144 de la Constitution, à savoir dans le cadre du contrôle antérieur à la promulgation. Plus encore, aux termes de la Constitution, la Cour constitutionnelle n’a pas le droit de se saisir d’office au sujet de l’inconstitutionnalité de l’article 3 de la loi n° 58/1992. La mise en conformité de ces dispositions avec la Constitution ne pourra être effectuée que par les autorités constitutionnelles compétentes dans l’élaboration des lois, ou alors par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité.

Vu les considérations ci-dessus:

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

  1. Déclare inconstitutionnelle la loi modificative de la loi n° 58/1992.
  2. La présente décision sera communiquée au Président de la Roumanie, ainsi qu’au Président de la Chambre des députés et au Président du Sénat, afin que soit déclenchée la procédure prévue à l’article 145, alinéa premier de la Constitution. La présente décision sera publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, 1re partie.

(…)

ROM / 1993 / A02
Roumanie / Cour constitutionnelle / 24-06-1993 / Décision n° 34 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.32 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Prescription – Taxes

(…)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Conformément à l’article 20, alinéa 2 de la loi visée dans la requête, le délai de prescription pour le calcul des accises ou de l’impôt frappant le pétrole brut de production interne et le gaz naturel, tout comme le délai de prescription du droit de demander l’exécution forcée dans ce domaine est de 5 ans.

Il est dit dans la requête que cette disposition serait inconstitutionnelle car, en instaurant un délai de prescription supérieur à 3 ans, ce qui est le délai de droit commun prévu par le décret n° 167/1958, elle contrevient aux dispositions de l’article 41, alinéa 2 de la Constitution, lequel concerne l’égale protection de la propriété privée, quelque soit son titulaire.

Il est incontestable que la prescription de 3 ans n’a pas le caractère d’une norme constitutionnelle et qu’à présent, la législation prévoit également d’autres délais de prescription qui tiennent compte de la diversité des situations exigeant des réglementations diverses, comme par exemple le délai de 5 ans pour l’exécution forcée des impôts et taxes (article 45, décret n° 221/1960), le délai de 5 ans pour la prescription des droits de l’administration du budget de l’Etat ou des contribuables, droits issus de l’ordonnance relative à la taxe sur la valeur ajoutée (article 29 de l’ordonnance n° 3/992, approuvée par la loi n° 130/1992), le délai de 10 ans concernant les vices cachés des bâtiments (article 30 de l’ordonnance n° 25/1992 relative à la qualité dans le domaine du bâtiment) ou le délai de 5 ans relatif à l’éviction en matière d’adjudication de biens (article 561 du Code de procédure civile). Par ailleurs, le contenu du décret n° 167/1958 lui-même conduit à dire que le délai de 3 ans ne représente pas le droit commun en matière de taxes et impôts. L’article 22 dudit décret précise que les délais de prescription des impôts et des taxes sont prévus par les lois spéciales.

Les revenus du budget de l’Etat lequel fait partie, aux termes de l’article 137, alinéa 1er de la Constitution, du budget public national, ne rentrent pas dans la propriété privée de l’Etat. Par conséquent, les dispositions de l’article 41, alinéa 2 de la Constitution relatives à l’égale protection de la propriété privée, quelque soit son titulaire ne sont pas applicables aux créances d’impôts et taxes en tant que revenus de l’Etat, et ce d’autant plus que les impôts et les taxes ne peuvent être institués, aux termes de l’article 138, alinéa 1er de la Constitution, que par la loi. Par conséquent, l’introduction par le législateur d’un délai de prescription relatif aux impôts et aux taxes, supérieur au délai de droit commun, n’est pas contraire à la Constitution, et cela vaut a fortiori pour les créances relatives à l’exécution d’une obligation prévue à l’article 53, alinéa 1er de la Constitution, aux termes duquel les citoyens doivent contribuer par des impôts et des taxes aux dépenses publiques. Une telle disposition est conforme aux dispositions de l’article 134, alinéa 2 de la Constitution, aux termes duquel l’Etat peut prendre certaines mesures pour générer des rentrées budgétaires susceptibles de lui permettre d’accomplir ses obligations.

(…)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Décide:

  1. Les dispositions de l’article 20, alinéa 2 de la loi relative aux accises frappant les produits d’importation et internes, et à l’impôt frappant le pétrole brut et le gaz naturel sont constitutionnelles.
  2. Les dispositions de l’article 22, alinéa 2 de la loi visée ci-dessus sont constitutionnelles, à condition de recevoir l’interprétation donnée par la présente décision. En même temps, la Cour constate que l’exception prévue à l’article 4 de la loi du contentieux administratif n° 29/1990 relative à l’article 3 de la même loi est abrogée conformément à l’article 150, alinéa 1er de la Constitution.
  3. La présente décision sera communiquée au Président de la République et sera publiée au Moniteur officiel de la Roumanie, 1re partie.

(…)

ROM / 1993 / A03
Roumanie/Cour constitutionnelle/Assemblée plénière/7-09-1993/décision n° 1/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.9 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable

Différence de traitement pénal – Propriété privée – Propriété publique

(…)

L’Assemblée plénière de la Cour constitutionnelle,

(…)

Retient ce qui suit:

1. – Pour se prononcer sur les exceptions d’inconstitutionnalité de certaines dispositions du Code pénal, les sections de la Cour constitutionnelle ont donné et souhaitent donner à présent des interprétations juridiques distinctes pour des situations juridiques identiques.

2. – De telles décisions contradictoires seraient contraires à l’idée de justice constitutionnelle, et les juridictions seraient dans l’impossibilité d’interpréter et d’appliquer de façon unitaire les dispositions du Code pénal relatives aux infractions dirigées contre la propriété.

3. – L’article 26 alinéa 2 du Règlement d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle oblige les juges de la Cour à se soumettre à l’interprétation adoptée par l’Assemblée plénière à la majorité de ses membres.

4. – L’assemblée plénière est appelée à décider:

a) si les dispositions du Code pénal relatives aux infractions dirigées contre l’avoir du peuple (avutul obstesc) sont constitutionnelles;

b) si la décision de la Cour constitutionnelle devenue définitive est obligatoire et exécutoire à compter de la date de sa publication au Monitorul oficial ou si la Cour peut fixer un délai à partir duquel la décision de la Cour produira ses effets, éventuellement sous condition.

En réponse au point a), l’Assemblée plénière décide que la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc) ne se confond pas avec la notion de propriété, et que bien qu’ayant disparu de la Constitution, cette notion n’est pas pour autant inconstitutionnelle, du moins tant qu’elle désigne l’intérêt général de la société, relève du bien commun et vise la propriété publique. Par le passé également, l’avoir du peuple (avutul obstesc) avait reçu une protection plus ferme que l’avoir privé des particuliers, dans ce sens où la procédure d’urgence du flagrant délit était applicable et les personnes ayant omis de prendre les mesures de prévention contre les dommages causés à l’avoir du peuple (avutul obstesc) voyaient leur responsabilité étendue. Il est intéressant de mentionner qu’à cette époque, il n’y avait pas dans la Constitution un texte similaire à l’article 41 alinéa 2 de l’actuelle Constitution.

Il est dès lors naturel de sanctionner les infractions contre la propriété publique comme des infractions contre l’avoir du peuple (avutul obstesc). Ce n’est pas la catégorie d’avoir du peuple (avutul obstesc) qui pose des problèmes en ce qui concerne son traitement pénal, mais la sphère de cette notion et, par conséquent, les dimensions et les limites de la responsabilité pénale.

La Cour retient que la propriété privée est protégée par la loi de façon unitaire, à savoir quel que soit le titulaire du droit (article 41 alinéa 2 de la Constitution) et que toute extension de la catégorie d’avoir du peuple (avutul obstesc) à la propriété privée est contraire à cette disposition et, par conséquent, inconstitutionnelle.

La protection particulière accordée aux intérêts généraux n’est pas seulement un problème de politique pénale, mais aussi de constitutionnalité, dès lors que cette extension pourrait créer un régime juridique contraire aux dispositions de l’article 41 de la Constitution.

En ce qui concerne la propriété, il est acquis aujourd’hui de façon certaine que les dispositions constitutionnelles actuelles consacrent deux formes de propriété, à savoir: la propriété publique et la propriété privée. Aux termes de l’article 135 alinéa 3, les titulaires de la propriété publique sont l’Etat et les collectivité locales.

A l’alinéa 4 de cet article sont mentionnés les biens qui font l’objet exclusif de la propriété publique, sachant que d’autres biens désignés par la loi peuvent entrer dans cette catégorie.

Par conséquent, à l’exception des biens visés à l’article 135 alinéa 4 et de ceux déclarés par la loi comme faisant l’objet de la propriété publique, les autres biens font l’objet de la propriété privée.

Les titulaires de la propriété privée sont l’Etat, les citoyens, les personnes morales telles que les sociétés commerciales.

Le propre de la propriété publique est le fait qu’elle est inaliénable. Les biens relevant de la propriété publique peuvent être gérés par les régies autonomes, les institutions publiques, ils peuvent faire l’objet d’une concession ou d’une location.

Aux termes de l’article 41 alinéa 2, la propriété privée est protégée par la loi, quelque soit son titulaire: l’Etat, une société commerciale ou le citoyen. Doit être souligné le fait que les biens des sociétés commerciales et des régies autonomes ne sont pas la propriété de l’Etat, même si l’Etat détient la majorité du capital desdites sociétés commerciales. L’article 5 de la loi n° 15/1990 prévoit que «la régie autonome est propriétaire des biens se trouvant dans son patrimoine. Dans l’exercice du droit de propriété, la régie autonome possède, utilise et dispose de façon autonome des biens se trouvant dans son patrimoine. L’article 20 de cette même loi dispose que «les biens du patrimoine de la société commerciale sont la propriété de la société commerciale..». L’article 35 de la loi n° 31/1990 relative aux sociétés commerciales prévoit que «les biens ayant fait l’objet d’un apport en société entrent dans la propriété de la société.

Par conséquent, les biens des régies autonomes et des sociétés commerciales se trouvent en propriété privée et non en propriété publique.

La propriété privée est protégée par la loi quel que soit son titulaire (l’Etat, la personne morale ou physique) conformément à l’article 41, alinéa 2 de la Constitution. Par conséquent, les vols visant la propriété privée, y compris la propriété privée de l’Etat, ne peuvent plus être qualifiés de vols portant sur l’avoir du peuple (avutul obstesc), cette dernière notion ne trouvant application qu’en ce qui concerne la propriété publique, telle que définie par l’article 135, alinéa 4 de la Constitution.

Dans son recours, le Procureur général soutient que doivent continuer à s’appliquer les dispositions de l’article 145 du Code pénal, lesquels donnent de l’avoir du peuple (avutul obstesc) la définition suivante: «le terme du peuple vise tout ce qui intéresse les organisations d’Etat, les organisations du peuple (organizatii obstesti) ou toute autre organisation ayant une activité utile du point de vue social et qui fonctionne conformément à la loi.

Il convient de remarquer que la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc), dans son acception forgée par la pratique judiciaire antérieure, inclut non seulement les biens des organisations d’Etat mais aussi ceux des organisations ayant une activité utile du point de vue social. Ont été inclus dans cette notion même les biens des associations des locataires et des sociétés commerciales, en raison du fait qu’elles avaient une activité utile du point de vue social.

Aux termes des articles 41 et 153 de la Constitution, la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc) ne peut plus recevoir la même acception, et doit se limiter aux seuls biens qui forment l’objet de la propriété publique.

(…)

Décide:

  1. Les dispositions du Code pénal relatives aux infractions dirigées contre l’avoir du peuple (avutul obstesc) sont abrogées partiellement conformément à l’article 150 alinéa 1er de la Constitution et, par conséquent, ces dispositions ne vont s’appliquer qu’aux biens visés à l’article 135 alinéa 4 de la Constitution, biens qui font l’objet exclusif de la propriété publique.
  2. Les décisions de la Cour constitutionnelle prononcées en matière d’exception d’inconstitutionnalité deviennent exécutoires à compter du moment où elles deviennent définitives, dans le respect des règles constitutionnelles, sans qu’il soit possible de retenir une date ultérieure à compter de laquelle ces décisions deviendraient applicables.

(…)

Opinion séparée:

Nous ne pouvons pas souscrire à l’opinion de la majorité des juges de la Cour constitutionnelle, opinion exprimée dans la décision d’interprétation ci-dessus confirmant les décisions de fond et l’opinion séparée exprimée face à la décision prononcée suite au recours, pour les raisons exposées dans la décision n° 38 du 7 juillet 1993, publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, première partie, n ° 176 du 26 juillet 1993, auxquelles nous ajoutons les considérations ci-dessous:

1. – La notion pénale d’avoir du peuple (avutul obstesc) a un caractère unitaire et elle fait l’objet d’une protection pénale spéciale. Le rapport très étroit existant entre le contenu et le degré d’extension de cette notion (son domaine) fait que la modification de certains éléments du contenu ou, le cas échéant, la modification du domaine de la notion entraîne inévitablement la transformation de la notion elle-même.

Par conséquent, limiter la notion d’avoir du peuple aux seuls biens formant la propriété publique entraîne une modification de la notion, non seulement en ce qui concerne son degré d’extension mais aussi en ce qui concerne son contenu, de nombreux aspects visés à l’article 145 du Code pénal devenant sans objet.

Puisque la notion d’avoir du peuple est définie par la loi, toute modification apportée à cette notion signifie une modification de la loi, et cette dernière opération est de la compétence exclusive du Parlement, «l’unique autorité législative du pays, aux termes de l’article 58, alinéa premier de la Constitution. Pour ces raisons, lorsque la Cour constitutionnelle décide que la notion d’avoir publique doit s’appliquer aux seuls biens formant l’objet de la propriété publique, elle se substitue au législateur dans le processus de réglementation de la répression pénale.

La seule solution permettant d’éviter cette substitution réside dans le constat du fait que les dispositions du Code pénal relatives à l’avoir du peuple (avutul obstesc) sont entièrement abrogées dès lors que la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc), par ses effets relatifs à la protection de la propriété privée, est contraire à l’article 41 alinéa 2 de la Constitution. Ceci ne signifie pas que les effets de l’abrogation sont étendus, il s’agit là simplement d’une conséquence du caractère unitaire de la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc) évoquée ci-dessus, qui rend impossible toute distinction entre les effets soumis aux dispositions de l’article 41 alinéa 2 de la Constitution et les autres effets, sans modification aucune de la notion d’avoir du peuple.

ROM / 1993 / A04
Roumanie / Cour constitutionnelle / 15-12-1993 / Décision n° 70 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.3.2 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit à l’enseignement

Convention relative à la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement – Etablissements d’enseignement privé – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Les dispositions légales en cause prévoient que:

«1. – Les étudiants de l’établissement public d’enseignement supérieur en cessation d’activité peuvent continuer leurs études dans tout autre établissement d’enseignement supérieur agrée ou autorisé, de façon provisoire, avec l’accord de l’établissement d’enseignement supérieur qui les reçoit et dans le respect des critères et conditions posés par le Sénat universitaire de cet établissement.

2. – Les étudiants de l’établissement privé d’enseignement supérieur, lequel cesse ses activités, pourront continuer leurs études dans tout autre établissement privé d’enseignement supérieur, avec l’accord de l’établissement d’enseignement supérieur qui les reçoit et dans le respect des critères et conditions posés par le Sénat universitaire de cet établissement.

Le texte constitutionnel évoqué, à savoir l’article 16, alinéa 1er , dispose que

«Les citoyens sont égaux devant la loi et les autorités publiques, sans privilège ni discrimination.

Dans la requête, il est mentionné que la discrimination est évidente dès lors que les étudiants d’un établissement d’enseignement supérieur peuvent continuer leurs études dans des établissements publics ou privés, alors que les étudiants d’un établissement privé d’enseignement supérieur ne peuvent continuer leurs études que dans des établissements de même nature, à savoir des établissements privés.

En analysant cet argument, il faut observer que, par son contenu, l’article 16, alinéa 1er de la Constitution doit être rapproché de dispositions de l’article 4, alinéa 2 de la loi fondamentale, lequel détermine les critères de la non discrimination, à savoir la race, la nationalité, l’origine ethnique, la langue, la religion, le sexe, l’opinion, l’appartenance politique, la fortune ou l’origine sociale. Dans le même sens, l’article 1, point 1 de la Convention relative à la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, ratifiée par la Roumanie par le Décret n° 149 du 14 décembre 1960, prévoit que «le terme discrimination comprend toute distinction, exclusion, limitation ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la situation économique ou la naissance a comme but ou comme résultat la suppression ou l’altération de l’égalité de traitement en ce qui concerne l’enseignement et surtout: a) l’interdiction de l’accès d’une personne ou d’un groupe de personnes à divers types ou degrés d’enseignement; b) la limitation à un niveau inférieur de l’éducation d’une personne ou d’un groupe de personnes; c) sous réserve de l’article 2 de la présente convention, la création ou le maintien de systèmes ou d’établissements d’enseignement séparés pour certaines personnes ou groupes de personnes, ou d) le placement d’une personne ou d’un groupe de personnes dans une situation incompatible avec la dignité humaine.

Par ailleurs, l’article 2, lettre c) de la Convention stipule que n’est pas considéré comme une discrimination, au sens de l’article 1er , dans l’hypothèse où elle n’est pas admise par l’Etat, «la création ou le maintien d’établissements privés d’enseignement, si ces établissements n’ont pas comme but l’exclusion d’un groupe quelconque, mais l’accroissement des possibilités d’enseignement offertes par le pouvoir public, dès lors que leur fonctionnement correspond à cet objectif et que l’enseignement dispensé est conforme aux normes prescrites ou approuvées par les autorités compétentes, particulièrement pour l’enseignement du même degré.

Nous pouvons facilement nous apercevoir que les dispositions attaquées ne sont pas en contradiction avec ces critères, car l’appartenance des étudiants à un établissement d’enseignement supérieur est le résultat de la volonté propre de ces personnes qui ont exercé leur option libre, sans discrimination aucune, pour l’enseignement public ou privé. En revanche, dès lors que ces personnes sont entrées dans le système choisi, elles sont soumises aux règles propres à chaque système. Par conséquent, les dispositions attaquées n’instaurent aucune discrimination, mais offrent au contraire des solutions différentes pour des situations différentes:

a) les étudiants des établissements publics d’enseignement, qui ont opté librement pour ce type d’enseignement, lequel présuppose conformément à la loi, le concours d’admission, la gratuité (voir aussi l’article 32, alinéa 4 de la Constitution), les bourses d’Etat, peuvent poursuivre leurs études, dans l’hypothèse de la cessation d’activité de l’établissement d’enseignement qui les avait déclarés reçus, dans un autre établissement, en bénéficiant des mêmes droits, ou bien ils peuvent renoncer à ces droits et choisir un établissement privé où ils ne pourront pas bénéficier des bourses d’Etat, où ils paieront des taxes, etc. On ne peut considérer que cette procédure leur octroie un privilège, car ils renoncent aux droits légaux qui étaient attachés à leur qualité d’étudiants des établissements publics d’enseignement;

b) les étudiants des établissements privés d’enseignement, qui ont opté librement pour ce type d’enseignement, étant déclarés inscrits ou admis selon les règles déterminées par chaque établissement et ayant connaissance du fait qu’il seront amenés à payer des taxes et qu’ils ne bénéficieront pas des bourses d’Etat – pourront poursuivre leurs études dans l’hypothèse de la cessation d’activité de l’établissement qui les avait accueillis, dans un autre établissement privé d’enseignement lequel fonctionnerait sur la base des mêmes critères. Leur permettre d’intégrer un établissement public serait leur octroyer un privilège, car bien qu’ils n’aient pas passé un concours d’admission comme les autres étudiants de l’établissement public, ils bénéficieraient dans cette hypothèse des mêmes droits que ces derniers.

Les situations différentes dans lesquelles se trouvent les étudiants des deux types d’établissements d’enseignement supérieur ont conduit le législateur à adopter des solutions différentes, sans qu’on puisse considérer qu’il y a de ce fait une atteinte au principe d’égalité lequel n’est pas synonyme bien entendu d’uniformité. Autrement dit, le principe de l’égalité ne s’oppose pas à ce qu’une loi pose des règles différentes pour des personnes qui seraient placées dans des situations différentes. Cette idée est encore confirmée par le fait que, lorsqu’il s’agit d’aspects communs, les solutions du législateur sont identiques. Le premier et le deuxième alinéa de l’article 11 retiennent la règle selon laquelle l’accueil des étudiants se fait «avec l’accord de l’établissement d’enseignement supérieur qui les accueille et dans le respect des critères et conditions fixés par le Sénat universitaire dudit établissement.. En cela, cet article fait l’application des dispositions de l’article 32, alinéa 6 de la Constitution qui stipule que «L’autonomie universitaire est garantie.

Vu ces considérations, la Cour constate que les dispositions de l’article 11, alinéa 1 et 2 ne contreviennent pas aux dispositions de l’article 16, alinéa 1er de la Constitution.

Néanmoins, la Cour considère qu’à l’avenir, une fois qu’il n’y aura plus que des établissements d’enseignement supérieur accrédités et qu’il y aura un rapprochement entre les établissements publics et privés concernant l’admission, le contenu, le niveau de formation, le législateur pourra réexaminer les solutions entérinées à ce jour par l’article 11 de la loi et le cas échéant, s’il constate qu’il n’y a plus de différences essentielles entre les deux catégories d’établissements, permettre le transfert dans les deux sens, et cela même lorsque la cessation d’activité d’un établissement d’enseignement supérieur n’est pas en question.

En ce qui concerne l’argument qui consiste à dire que les dispositions de l’article 11, alinéa 1 et 2 seraient contraires aux articles 41 et 135 de la Constitution, il faut observer que bien que la requête vise de façon globale les articles 41 et 135, il est évident que sont visés en effet les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 41: «La propriété privée est protégée par la loi, quel que soit son titulaire ainsi que les dispositions de l’alinéa 6 de l’article 135: «Aux termes de la loi, la propriété privée est inviolable. Là encore, la requête se limite à mentionner que la violation du principe inscrit dans les deux textes est évidente et que cette violation résulte du fait que «en accordant des droits plus restreints aux étudiants qui fréquentent les établissements d’enseignement privé, sont limités implicitement les droits des établissements d’enseignement privé. En réalité, il est évident que les dispositions de l’article 11, alinéa 1 et 2 sont sans rapport avec les dispositions constitutionnelles relatives à la propriété privée, les destinataires des dispositions attaquées étant les étudiants, ce qui est sans incidence sur la propriété des établissements privées. Par conséquent, La Cour constate que, sur ce point encore, la requête est également non fondée.

(…)

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

  1. Constate que les dispositions de l’article 11, alinéa 1 et 2 de la Loi relative à l’agrément des établissements d’enseignement supérieur et la reconnaissance des diplômes sont constitutionnelles.
  2. La décision sera communiquée au Président de la Roumanie et elle sera publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, 1re partie.

(…)

ROM / 1994 / A05
Roumanie / Cour constitutionnelle / 29-11-1994 / Décision n° 133 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur constitutionnelle
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux
5.2.9.15 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – égalité des armes

Justice (égalité devant la justice)

(…)

La Cour constitutionnelle,

(…)

L’article n° 19 de la loi n° 12/1991 relative à l’impôt sur le profit, lequel a été attaqué pour inconstitutionnalité, prévoit:

«Les contestations relatives à l’établissement, l’encaissement, le recouvrement de l’impôt sur le profit, les majorations de retard, ainsi que les autres sommes dues au budget de l’Etat et aux budgets des collectivités locales, conformément aux dispositions de la présente loi, seront déposées dans un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle le débiteur a eu connaissance de la dette; les directions générales des finances publiques départementales et de la municipalité de Bucarest doivent statuer sur les contestations dans les 30 jours suivant leur enregistrement.

La décision ainsi rendue peut être contestée devant le Ministère des finances, lequel est obligé de rendre une décision dans les 40 jours suivant l’enregistrement de ladite contestation. La décision rendue par le Ministère est définitive.

L’introduction d’une contestation ne suspend pas l’obligation du débiteur de verser au budget de l’Etat ou aux budgets des collectivités locales les sommes dues conformément à la présente loi.

Dans les différentes requêtes, est développé le moyen selon lequel l’article 19 de la loi n° 12/1991 est contraire aux dispositions constitutionnelles: l’article 21 relatif au libre accès à la justice, et l’article 125 relatif aux juridictions.

Les problèmes relatifs au libre accès à la justice et à la légitimité constitutionnelle des recours hiérarchiques ont déjà fait l’objet d’une analyse de constitutionnalité entérinée par la décision de l’Assemblée plénière de la Cour constitutionnelle n° 1 du 8 février 1994, publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, première partie, n° 69 du 16 mars 1994. Il a été décidé à cette occasion que l’instauration d’un recours hiérarchique n’est pas contraire au principe prévu à l’article 21 de la Constitution relatif au libre accès à la justice, dès lors que la décision de l’organe hiérarchique peut être attaquée par devant une juridiction, selon les règles de compétence et de procédure instituées par cette loi. Pour l’essentiel, les arguments retenus à l’appui de cette décision sont les suivants:

–la création de recours hiérarchiques, laquelle ressort de la compétence exclusive du législateur, a comme but le règlement rapide de certains litiges, le désencombrement des juridictions en ce qui concerne les affaires pouvant recevoir une solution à travers ces recours, tout en évitant aux intéressés d’avoir à engager des frais de justice. L’existence de ces recours ne fait pas obstacle à l’application de l’article 125 de la Constitution, aux termes duquel la justice est le fait des juridictions. Par conséquent, la décision de l’organe hiérarchique est soumise au contrôle judiciaire de la juridiction chargée du contentieux administratif ou de la juridiction compétente, conformément à la loi; les parties ne peuvent pas se voir limitées dans l’exercice de ce droit qui leur est garanti par la Constitution;

–le principe du libre accès à la justice suppose, pour les intéressés, la liberté d’utiliser sans restriction les procédures créées par le législateur, y compris les procédures spéciales créées en considération des situations particulières, selon les formes et les modalités prévues par la loi.

Toujours afin d’assurer l’accès aux juridictions, la Cour constitutionnelle s’est également prononcée par d’autres décisions, à savoir à titre d’exemple par la décision n° 59 du 18 mai 1994 ou, au sujet du problème soulevé par la présente affaire, par la décision de l’Assemblée plénière n° 34 du 24 juin 1993, publiée au Monitorul oficial, première partie, n° 144 du 1er juillet 1993. Par cette décision, la Cour constitutionnelle a constaté que l’exception prévue à l’article 4 de la loi du contentieux administratif n° 29/1990 et relative à l’article 3 de la même loi est abrogée conformément à l’article 150 alinéa 1er de la Constitution, de façon à ce que l’accès aux juridictions soit également assuré en matière d’impôts, de taxes et amendes prévues par les lois portant sur les impôts et les taxes.

Vu les considérations ci-dessus, la création de recours hiérarchiques ne contrevient pas au principe du libre accès à la justice, tant que la décision de l’organe hiérarchique peut être attaquée par devant les juridictions, avec le respect des règles de compétence et de procédure fixées par la loi. Par conséquent, les exceptions d’inconstitutionnalité de l’article 19 de la loi n° 12/1991 doivent être rejetées comme non fondées.

(…)

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

Rejette comme non fondées les exceptions d’inconstitutionnalité de l’article 19 de la loi n° 12/1991 soulevées par la société commerciale «SIROIMPEX SRL dans l’affaire n° 4796/1944 du tribunal de première instance de Sibiu et par la société commerciale «PHENIX S.A.R.L. de Sibiu dans l’affaire n° 7249/1994 du tribunal de première instance de Sibiu.

(…)

ROM /1995 / A06
Roumanie / Cour constitutionnelle / 7-02-1995 / Décision n° 16 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.7 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Taxes

(…)

La Cour constitutionnelle,

(…), l’article 19 de la loi citée ne contrevient pas non plus aux dispositions de l’article 20 de la Constitution ou de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Aux termes de l’article 20 de la loi fondamentale, les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées en accord avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, avec les pactes et autres traités ratifiés par la Roumanie. En cas de conflit entre ces accords internationaux et les lois internes, les premiers prévalent. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été ratifié par la Roumanie et par conséquent, conformément à l’article 11, alinéa 2 de la Constitution, il fait dorénavant partie du droit interne. De plus il faut observer qu’il n’y a pas de conflit entre ce Pacte et les dispositions du droit interne et que la Constitution consacre, en accord avec les réglementations internationales, des droits égaux devant la loi et les autorités publiques pour tous les citoyens, sans privilèges, ni discriminations.

Le fait que la loi instaure des taxes de timbre pour les demandes et les procès en matière civile, différentes de celles prévues pour le contentieux administratif, ne porte pas atteinte au principe de l’égalité, car ce principe n’impose pas une uniformité et par conséquent, pour des situations différentes, le législateur peut adopter des solutions différentes. Par contre, dans le cadre d’une même catégorie, tous les citoyens sont soumis aux mêmes taxes de timbre.

Par conséquent, l’exception invoquée doit être rejetée comme non fondée.

(…)

La Cour,

Au nom de la loi,

Rejette comme non fondée l’exception d’inconstitutionnalité des dispositions des articles 11 et 19 de la loi n° 29/190 relative au contentieux administratif invoquée par la société commerciale Hercules S.A. d’Alba Iulia dans l’affaire n° 706/1994 de la Cour d’appel d’Alba Iulia.

(…)

ROM / 1995 / A07
Roumanie / Cour constitutionnelle / 14-02-1995 / Décision n° 19 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Indemnités parlementaires – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Dans son article 71, la Constitution prévoit que les députés et les sénateurs reçoivent une indemnité mensuelle dont le montant, tout comme celui des autres droits est fixé par la loi. Par la dénomination même de la rémunération des parlementaires, le législateur a voulu mettre en évidence le fait que ces derniers sont placés dans un rapport de droit public, un rapport d’autorité et non dans un rapport juridique de travail, régit par les principes du code du travail. Par contre, le fait que le législateur ait évité le terme de «salaire pour désigner la rémunération des parlementaires n’est pas de nature à écarter toute ressemblance entre d’une part, les indemnités perçues par les parlementaires et les autres droits pécuniaires prévus par la loi et d’autre part, le salaire. Il en ressort que tant qu’il n’y a pas de réglementation spéciale en matière d’imposition des revenus, seront applicables les dispositions du droit commun et en tout état de cause, la loi spéciale relative aux indemnités parlementaires mensuelles et les autres droits des parlementaires ne peut introduire des principes dérogeant aux principes de la Constitution.

Le texte normatif de base en matière de rémunération des parlementaires, à savoir la loi n° 53/ 31 juillet 1991, a été adopté avant la Constitution. Voilà la raison pour laquelle, dans le titre de la loi, il était question de salaire: «la loi relative aux salaires des sénateurs, des députés et du personnel du Parlement de la Roumanie. Dans cette forme, la loi fixait pour les parlementaires qui participaient aux travaux du Parlement, en séance plénière, dans le cadre des commissions ou lors des travaux du Bureau permanent, une indemnité journalière de 200 lei et pour les parlementaires de province une allocation supplémentaire de 120 lei. Ce supplément n’était pas à inclure dans la base imposable, alors que les indemnités journalières l’étaient.

En 1993, la loi n° 41, publiée au Monitorul oficial n° 189 du 29 juillet 1993 a changé le titre de la loi n° 53/1991, lequel est devenu «loi concernant les indemnisations et les autres droits des sénateurs et des députés, ainsi que les salaires du personnel du Parlement de la Roumanie. En même temps, l’indemnité journalière de séance est devenue allocation de séance, en sachant qu’aux termes de l’article 21, alinéa 1 et 2, ces allocations bénéficient aux parlementaires qui participent aux séances plénières ou aux séances des structures internes aux Chambres, et que leur montant représente 2% de l’indemnité mensuelle des sénateurs ou des députés. Après l’entrée en vigueur de cette loi, il a été considéré que les allocations de séance, n’étant pas des indemnités, ne sont plus soumises à l’impôt, entrant ainsi dans la sphère des exceptions prévues par la loi n° 32/1991.

Afin de donner une légitimité à cette lecture, le Parlement a adopté la loi d’interprétation qui fait l’objet de la présente cause, avec le contenu suivant: «Les sommes d’argent encaissées à titre d’allocations de séance sur le fondement de l’article 21, alinéa 2 de la loi n° 53/1991 concernant les indemnisations et les autres droits des sénateurs et des députés, ainsi que les salaires du personnel du Parlement de la Roumanie, republiée, ne constituent pas des droits salariaux et ne sont pas soumis à l’impôt sur la base de la loi n° 32/1991 relative à l’impôt sur le salaire.

En rapprochant cette loi des dispositions de la Constitution, la Cour constitutionnelle retient que la loi crée un privilège pour une certaine catégorie de personnes, en ce qui concerne l’accomplissement des devoirs fondamentaux régis par l’article 53 de la Constitution. Quelque son appellation, la somme d’argent perçue par les parlementaires pour leur participation aux séances plénières ou à celles des structures internes des Chambres a la signification d’une «rémunération à caractère stimulant permanent, comme cela a été précisé dans la réponse du Gouvernement. Cette somme, tout comme l’indemnité mensuelle des parlementaires, est un droit dont le régime juridique est similaire à celui des droits salariaux.

Par conséquent, les allocations de séance n’ont pas un caractère compensatoire, ce qui est le cas pour les allocations de déplacement à Bucarest, accordées aux parlementaires ayant leur domicile en province. Les allocations de séance sont accordées indiscutablement pour la participation des parlementaires aux séances, à savoir pour l’accomplissement d’une de leurs obligations spécifiques découlant du rapport de droit public dans lequel ils sont placés, elles sont donc accordées en considération du «travail effectué, elles ne profitent qu’aux «sénateurs et députés qui participent aux séances. Il en ressort que, logiquement, les «allocations de séance doivent suivre, du point de vue de leur imposition, le régime juridique de l’indemnité mensuelle. Il est créé de cette façon un privilège pour les bénéficiaires de ces sommes, lequel est contraire à l’article 16, alinéa 1er qui consacre l’égalité des citoyens, sans privilèges, ni discriminations.

Par ailleurs, la Cour retient que la solution fournie par la loi d’interprétation attaquée est également contraire à l’article 53, alinéa 2 de la Constitution, qui dispose que le système légal d’imposition doit assurer une assise équitable des charges fiscales.

Comme il a été dit dans la décision n° 6/1993 de la Cour (décision publiée au Moniteur officiel de la Roumanie n° 61/26.03.1993), l’introduction d’exceptions au système d’imposition fondées sur des critères sociaux ou sur le critère de la fonction occupée est une atteinte portée à l’égalité des citoyens devant la loi et entraîne une assise injuste des «charges fiscales, ce qui est contraire à l’article 53, alinéa 2 de la Constitution, car: «la fiscalité doit être non seulement légale, mais aussi proportionnelle, raisonnable, équitable et ne doit pas établir des différences d’impôts sur le critère des groupes ou catégorie de citoyens.

Il est incontestable que l’exception instituée à l’égard des parlementaires quant à l’imposition d’une partie de leurs revenus, exception fondée sur l’exécution de l’obligation de mandat d’autorité d’autonomie qu’ils détiennent entraîne une discrimination par la création d’une catégorie de personnes favorisées du point de vue de la fiscalité, situation qui ne peut être justifiée à travers le statut des parlementaires.

La Cour retient également que la loi d’interprétation attaquée est contraire aux principes inscrits à l’article 1er , alinéa 3 de la Constitution: «La Roumanie est un Etat de droit, démocratique et social, dans lequel duquel la dignité de l’être humain, les droits et les libertés des citoyens, le libre développement de la personnalité humaine, la justice et le pluralisme politique représentent des valeurs suprêmes, et sont garanties. Ainsi, la protection sociale représente une dimension de l’Etat roumain qui ne peut pas être conçu sans la justice sociale. Par conséquent, la protection sociale fait partie de la sphère de la justice.

Dans ce cadre, il faut observer que vu l’indice de l’indemnité mensuelle des parlementaires et tous les droits inscrits à l’article 21 de la loi n° 53/1991, la non imposition des allocations de séance s’apparente à une injustice sociale, notamment sachant que toutes les autres catégories d’allocations de séance perçues par les titulaires de fonctions publiques sont soumises à l’impôt.

Le Parlement est, conformément à l’article 58, alinéa 1er de la Constitution «l’organe représentatif suprême du peuple roumain et l’unique autorité législative du pays, mais ce principe n’implique pas pour les parlementaires, la possibilité de créer, par la loi, des droits qui dépassent le cadre constitutionnel, ce qui est incompatible avec les exigences de l’Etat de droit, fondées sur la suprématie de la Constitution. Ainsi, conformément à l’article 51 de la Constitution, «Le respect de la Constitution, de sa suprématie et des lois est obligatoire et conformément à l’article 16, alinéa 2, «Nul n’est au-dessus de la loi, ces principes s’imposant aux parlementaires. Le Parlement peut modifier n’importe quelle loi, à condition que cette modification se fasse dans les limites de la Constitution, ce qui est également valable pour les lois d’interprétation, ce qui est le cas de la loi visée dans cette cause.

(…)

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

Constate que les allocations de séance prévues à l’article 21, alinéa 1 et 2 de la loi n° 53/1991 au bénéfice des députés et sénateurs constituent un revenu soumis à l’impôt conformément à la loi et par conséquent, la loi n° 53/1991 concernant les indemnisations et les autres droits des sénateurs et des députés, ainsi que les salaires du personnel du Parlement de la Roumanie, republiée est inconstitutionnelle.

La présente décision est communiquée au Président de la Roumanie, ainsi qu’au Président de la Chambre des députés et au président du Sénat, dans le but de l’ouverture de la procédure prévue à l’article 145, alinéa 1 de la Constitution et elle sera publiée au Moniteur officiel de la Roumanie, première partie.

(…)

ROM / 1995 / A08
Roumanie / Cour constitutionnelle / 2-05-1995 / décision n° 44 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur constitutionnelle
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public
5.3.2 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit à l’enseignement
5.3.3 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit au travail
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Diplômes – Notaires

La Cour constitutionnelle,

(…)

vu l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par la requête de la Cour suprême de justice, les points de vue du Président du Sénat et celui du Gouvernement, les opinions du Ministère de l’Enseignement, de la Faculté de Droit de Sibiu et de la Faculté de Droit de l’Université de Bucarest, la loi des notaires publics et de l’activité notariale, ainsi que les dispositions de la Constitution et de la loi n° 47/1992, retient que:

En principe, les diplômés d’une même filière de l’enseignement supérieur ne peuvent être traités de façon différente. Entre la nature de la mention obtenue et le régime légal de l’exercice de la profession doit s’établir une correspondance naturelle. L’existence dans le cadre de la faculté de droit de plusieurs mentions, dès le début des études universitaires comme par le passé ou seulement pour les troisièmes et quatrièmes années comme à présent, ne constitue pas un argument suffisant pour justifier un traitement différencié des diplômés titulaires de ces mentions, comme s’ils seraient des diplômés de filières différentes, comme cela a été dit dans la réponse fournie par la Faculté de Sibiu. Au fond, il s’agit d’une spécialisation dans les sciences juridiques et ça, quelque soit sa nature. Il s’agit d’une formation universitaire pour les futurs juristes, différente de la formation en sciences économiques, techniques, médicales, etc.

D’ailleurs, la décision du Gouvernement n° 283/1993, publiée au Monitorul Oficial n° 171 du 22 juillet 1993 régit la filière des sciences juridiques avec les deux mentions, à savoir droit et droit économique et administratif, d’où il ressort que les deux forment logiquement des spécialistes en droit, lesquels ont suivi pour l’essentiel le même type d’études universitaires. La nature de la mention obtenue dans une filière ne peut se retourner contre cette filière. Il ressort de l’analyse du programme d’études annexé au dossier que les matières juridiques fondamentales se retrouvent dans les formations conduisant à l’une ou l’autre des mentions, et que si le nombre d’heures ou parfois l’intitulé des disciplines enseignées diffère d’une mention à l’autre, les matières de base sont les mêmes.

Les deux premières années d’études sont actuellement identiques, la spécialisation apparaît seulement lors des troisième et quatrième années et là encore il y a un grand nombre de matières identiques en ce qui concerne le nombre d’heures dispensées ou leur intitulé, à savoir: le Droit civil, le Droit de l’environnement, le Droit commercial, le Droit de la propriété intellectuelle en ce qui concerne la troisième année et le Droit international privé, le Droit du travail et de la protection sociale, le Droit des transports, la Protection juridique des droits de l’homme en ce qui concerne la quatrième année.

Un aspect très intéressant pour la présente cause doit également être relevé: la matière optionnelle «activité notariale fait partie du programme de la quatrième année de la seule mention «droit économique et administratif. Dans ces conditions, l’interdiction instaurée par le texte en question est non seulement discriminatoire, mais aussi privée de tout fondement de fait ou légal.

Il est évident que la loi ne peut être en accord avec le contenu de la formation professionnelle des diplômés des facultés de droit si elle ne permet pas l’accès à la fonction de notaire aux diplômés titulaires de l’une ou l’autre des mentions, en sachant que, vu l’existence de la matière optionnelle visée ci-dessus, ce sont les diplômés de la mention «droit économique administratif qui seraient les plus à même d’assurer ces fonctions.

Il faut également observer que, dans l’avis du Sénat il y a une confusion entre les instituts dispensant une formation en trois ans et les facultés où la durée des études est de 4 ans minimum. La mention «droit administratif n’a jamais été l’expression d’un programme d’études de trois ans connu en général comme spécifique pour les formations du type subingineri et autres catégories professionnelles similaires.

Pour conclure, il faut retenir que les diplômés d’une même filière universitaire, à savoir les «sciences juridiques sont, quelque soit le mention obtenue, les titulaires d’une même licence, car il ne peut être soutenu le fait que la licence dans une filière déterminée n’est conférée que par une certaine mention de cette filière, même si cette mention est plus importante de par le nombre d’étudiants y inscrits.

Par conséquent, les dispositions de la loi des notaires publics et de l’activité notariale attaquée seront en accord avec les principes énoncés aux articles 1, alinéa 3; 16, alinéa 1 et 38 de la Constitution, seulement si ces dispositions sont interprétées comme visant la filière «sciences juridiques et non seulement une mention de cette filière.

Par ailleurs, la Cour retient que les diplômés titulaires de cette mention ont depuis toujours exercé la fonction de notaire; la limitation de leur accès à cette fonction porte atteinte aux principes inscrits dans les articles 1, alinéa 3 et 38 de la Constitution.

Conformément à l’article 38, d’une part, le droit au travail ne peut être limité et d’autre part, le choix de la profession et de son lieu de travail est libre. Pour cette raison, un acte normatif qui interdit à une catégorie déterminée de diplômés d’exercer une fonction jusqu’alors exercée par eux, va à l’encontre du texte constitutionnel évoqué ci-dessus. Par ailleurs ceci créerait une discrimination entre les diplômés titulaires de la mention «droit économique et administratif car, conformément à la nouvelle réglementation, parmi eux certains pourraient exercer la fonction de notaire, à savoir ceux visés par l’article 16, lettre g), alors que d’autres, bien qu’issus de la même promotion, ne pourraient pas le faire, alors qu’ils sont les titulaires diplômés d’une seule et unique mention, ayant suivi le même programme d’enseignement, ce qui, à l’évidence, ne peut être accepté. Ceci conduirait à un traitement juridique privilégié pour les uns et discriminatoire pour les autres, en contradiction avec l’article 16, alinéa 1er de la Constitution et cela non dans le cadre d’une filière d’enseignement, mais dans le cadre encore plus restreint d’une mention de cette filière.

Par conséquent, l’interprétation de la lettre b) de l’article 16 de la loi des notaires publics et de l’activité notariale doit être étendue à la lettre g) du même article, l’exception d’inconstitutionnalité invoquée par la Cour suprême de justice étant sans objet.

(…)

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

  1. Constate que les dispositions de l’article 16, lettre b) de la loi des notaires publics et de l’activité notariale sont constitutionnelles seulement si par le syntagme «licencié en droit – sciences juridiques on entend le diplômé d’une faculté de droit, quelque soit la mention détenue.
  2. Constate que les dispositions de l’article 16, lettre g) de la même loi sont constitutionnelles.
  3. La décision sera communiquée au Président de la Roumanie et sera publiée au Moniteur officiel de la Roumanie, première partie.

(…)

ROM / 1995 / A09
Roumanie/Cour constitutionnelle/2-05-1995/Décision n° 45/texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.2.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – privé
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – sécurité sociale
5.3.5 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – liberté d’exercice d’une activité lucrative

Avocat (accès à la profession d’avocat) – Retraite – Sanction disciplinaire

La Cour constitutionnelle,

Décision:

Relative à la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi pour l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat

La Cour constitutionnelle a été saisie le 4 avril 1995, par 52 députés, à savoir: Ion Diaconescu, Emil T. Popescu, Mihail Bucur, Ion Hui, Valentin Vasilescu, Aurelian Paul Alecu, Ràzvan Dobrescu, Viorel Pavel, Emilian Bratu, Petre Dugulescu, Valentin Argesanu, George Iulian Stancov, Otto-Ernest Weber, Ion Berciu, Mircea Ioan Popa, Sorin Victor Lepsea, Vasile Popovici, Dorel Coc, Sergiu George Rizescu, Remus-Constantin Opris, Barbu Pitigoi, Radu Livezeanu, Mircea-Mihai Munteanu, Gheorghe Comànescu, Costel Pàunescu, Horia Radu Pascu, Constantin-Serban Ràdulescu Zonner, Alexandru Athanasiu, Ion Guràu, Vasile Matei, Ion Cornità, Cornel Protopopescu, Ion Ratiu, Gabriel Tepelea, Aurel Stirbu, Laurentiu Priceputu, Liviu Neculai Marcu, Ioan Muresan, Mircea Ciumara, Horia Mircea Rusu, Teodora Bertzi, Cristian Ràdulescu, Alexandru Konia Hamar, Mihnea-Tudor Ionità, Teodor Vintilescu, Ion Dinu, George Stànescu, Nestor Càlin, Mircea Popescu, Sergiu Cunescu, Smaranda Dobrescu, afin qu’elle se prononce sur l’inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi pour l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat, à savoir: l’article 12, lettre d) qui prévoit que l’exercice de la profession d’avocat est incompatible avec «la qualité de retraité en raison de l’âge»; l’article 12, alinéa 2, selon lequel «le retraité bénéficiaire des pensions versées par la Caisse d’assurance des avocats qui sollicite la suspension du paiement de la pension n’est pas atteint par l’incompatibilité; l’article 68, lettre c) qui fixe une amende disciplinaire de 10 000 à 100 000 lei, laquelle est un revenu du budget du barreau et ensuite «le paiement de l’amende se fera dans un délai de 330 jours à compter de la date à laquelle la décision disciplinaire est devenue définitive. Le non-paiement dans le délai attire la suspension de droit jusqu’au paiement de la somme; l’article 68, lettre d), qui prévoit comme sanction disciplinaire «l’interdiction d’exercer la profession pendant une période d’un mois à un an; l’article 76, alinéa 3, qui affirme que «les actuels bureaux d’avocats régis par le décret-loi n° 90/1990 relatif à certaines mesures pour l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat en Roumanie peuvent continuer leur activité, dans les mêmes conditions, pendant une période de 3 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi; l’article 5, qui ne fait plus mention des bureaux d’assistance juridique comme forme d’exercice de la profession d’avocat.

La Cour a été saisie par écrit et la requête est motivée; ont été ainsi respectées les exigences de l’article 12, alinéa 2 de la loi n° 47/1992. Toutefois, il faut observer que la requête évoque l’inconstitutionnalité du seul article 76, alinéa 3, qui porterait atteinte au droit d’association.

La Cour constitutionnelle a été saisie à la même date par la Cour suprême de justice, quant à l’inconstitutionnalité de certains articles de la loi pour l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat, à savoir: l’article 9, lettre b) qui exige que l’avocat doit être «licencié d’une faculté de droit et titulaire de la mention Droit ou docteur en Droit, rapproché de l’article 14, alinéa 2, lettre b qui utilise l’expression «licencié d’une faculté de droit, la section juridique… car de leur rapprochement résulterait que n’a pas le droit d’exercer la profession d’avocat le licencié en Droit, titulaire de la mention Droit économique et administratif, ce qui serait contraire à la Constitution, à savoir aux articles 1, alinéa 3 (le libre développement de la personnalité humaine), 16, alinéa 1er (l’égalité des droits), 38, alinéa 1er (le droit au travail, sans limitations, le libre choix de la profession) et 49, alinéa 1er (la limitation de l’exercice de certains droits ou libertés); 12, alinéa 1er , lettre a) qui prévoit que l’exercice de la profession d’avocat est incompatible avec «l’activité salariée dans le cadre d’autres professions; l’article 12, alinéa 1er , lettre d) qui dispose que l’exercice de la profession d’avocat est incompatible avec «l’activité salariale exercée dans le cadre d’une autre profession; l’article 12, alinéa 1er , lettre d), qui prévoit l’incompatibilité de l’exercice de la profession d’avocat avec la qualité de retraité en raison de l’âge et l’article 23, lettre c) qui prévoit que la qualité d’avocat prend fin «au moment de l’acquisition de la qualité de retraité, réserve faite du cas prévu à l’article 12, dernier alinéa, à savoir le cas où le retraité inscrit auprès de la Caisse d’Assurance des Avocats demande la suspension du paiement de sa pension, car ces textes contreviennent aux dispositions des articles 1er , alinéa 3, 16, alinéa 1er et 38 de la Constitution, instituant une discrimination évidente par rapport à toutes les personnes qui peuvent cumuler les salaires, pour toutes autres fonctions, avec leurs pensions; l’article 12, alinéa 1er , lettre c) qui prévoit que l’exercice de la profession d’avocat est incompatible avec «l’accomplissement de faits de commerce en nom propre car, tout comme dans les cas précédents, la restriction ne se justifie pas au regard de l’article 49 de la Constitution; l’article 14, lettre c) qui régit la dispense d’examen d’entrée dans la profession d’avocat pour les personnes ayant eu une activité professionnelle de 4 années minimum en tant que juge, procureur ou notaire, cette dispense ne bénéficiant pas aux personnes ayant eu d’autres fonctions juridiques importantes (conseiller aux comptes, magistrat assistant à la Cour suprême de justice et à la Cour constitutionnelle, député, sénateur, conseiller juridique et autres), ce qui constitue une discrimination inconstitutionnelle; l’article 17 qui établit que ne peut exercer la profession d’avocat auprès d’une juridiction, du parchet ou des juridictions de la Cour des comptes l’avocat dont le conjoint, un parent ou un parent de son conjoint jusqu’au troisième degré est juge, procureur, juge financier, conseiller aux comptes ou procureur financier, car ceci constitue une limitation inconstitutionnelle par rapport aux dispositions de l’article 49; il est allégué que, dans de tels cas, opère l’incompatibilité du juge, du procureur et des autres personnes visées à l’article 24 et suivants du Code de procédure civile et à l’article 46 et suivants du Code de procédure pénale et que, à la limite, l’interdiction de plaider les causes dans lesquelles aurait à intervenir le conjoint ou un des parents mentionnés plus haut aurait pu suffire; l’article 34, alinéa 2 qui prévoit que l’avocat est responsable vis à vis de son client pour le seul préjudice causé par les actes et faits commis intentionnellement, car les avocats devraient voir leur responsabilité engagée également pour leur faute grave, conformément au principe de l’égalité des citoyens devant la loi; l’article 6, l’article 51 et la chapitre VI qui régit les procédures juridictionnelles spécifiques, car ces textes ne prévoient pas le droit de la personne intéressée de s’adresser aux juridictions chargées du contentieux administratif, dans les situations visées par ces textes, en violation de l’article 21 de la Constitution.

Sur le fondement de l’article 18, alinéa 2 de la loi n° 47/1992, ont été sollicité les avis des Présidents des deux chambres du Parlement, ainsi que le point de vue du Gouvernement. Sur le fondement de l’article 5 de la même loi et de l’article 11, alinéa 2 du règlement de la Cour, des informations ont été sollicitées auprès de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique universitaire du Ministère de l’enseignement, ainsi qu’auprès de la Faculté de Droit de Bucarest et de l’Union des Avocats de Roumaine.

Dans sa réponse, la Chambre des députés retient pour l’essentiel que:

–en ce qui concerne l’argument d’inconstitutionnalité de l’article 68, alinéa 1er , lettre c) et d) de la loi relatif aux sanctions disciplinaires, lequel porterait atteinte au caractère libre de la profession d’avocat, il est indiqué que l’article 38, alinéa 1er de la loi fondamentale dispose que «le choix de la profession et de l’emploi sont libres. En application des dispositions constitutionnelles, les article 1er et 42 de la loi dont la constitutionnalité est contestée prévoient que, bien que la profession d’avocat s’organise et le fonctionne de façon libre, elle s’exerce dans les conditions de la loi. Par conséquent, le législateur peut fixer le cadre général d’exercice de la profession d’avocat, y compris les sanctions pour les situations où l’avocat se rend coupable d’avoir violé la loi et le statut de la profession. Le caractère libre de la profession d’avocat ne crée pas un régime d’exonération de responsabilité disciplinaire pour l’avocat. Une solution contraire mettrait l’avocat dans une situation privilégiée où il ne répondrait jamais pour les faits qu’il aurait commis dans l’exercice de sa profession. L’article 68, alinéa 1er , lettre c), dont la constitutionnalité est contestée s’applique seulement dans le cas où l’avocat dont la responsabilité disciplinaire a été constaté selon la loi refuse de se conformer à la décision de la Cour supérieure de discipline, violant ainsi la loi et portant préjudice à la profession d’avocat;

–quant à l’argument qui consiste à dire que l’article 76, alinéa 3 porterait atteinte au droit d’association, il est précisé que ledit article est une conséquence de l’article 5 de la loi qui prévoit les modalités d’exercice de la profession: le cabinet individuel, les cabinets associés, issus de l’association de plusieurs cabinets individuels et la société civile professionnelle. Le nombre maximum d’avocats pouvant s’associer n’est pas précisé. Le droit d’association est un droit individuel qui s’exerce comme tel et par conséquent, la requête tendant à ce que soit retenue l’inconstitutionnalité de l’article 76, alinéa 3 est sans objet. Le texte visé instaure une période de transition durant laquelle les avocats peuvent opter pour n’importe laquelle des trois formes d’exercice de la profession prévues par la loi;

–quant à l’article 12, alinéa 1er , lettre a), il est dit que la requête adressée à la Cour suprême de justice avait retenu de façon erronée que le texte cité aurait un caractère discriminatoire désavantageant les avocats par rapport à toutes les autres personnes qui peuvent cumuler les salaires issues de l’exercice de plusieurs fonctions. L’article 12, alinéa 1er , lettre a) ne constitue pas une limitation du droit au travail, ni du droit de choisir librement sa profession. Chacun peut choisir et opter soit pour la profession d’avocat, soit pour une autre fonction. Si le législateur a retenu une incompatibilité entre l’exercice de la profession d’avocat et toute autre activité salariée, ceci répond à la nécessité que la profession d’avocat soit exercée dans les meilleures conditions, car cette activité a une importance sociale particulière. C’est par conséquent sans limiter le droit au travail que le législateur peut introduire une telle incompatibilité. Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 1er de la loi n° 2/1991 relatif au cumul des fonctions introduit une exception à la règle du cumul «lorsque la loi prévoit des incompatibilités pour le cumul de certaines fonctions. Il ressort par conséquent, que la loi pour l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat a créé une incompatibilité générale entre l’exercice de la profession d’avocat et l’activité salariée dans le cadre d’autres fonctions, dans l’esprit de l’article 1er , alinéa 2 de la loi n° 2/1991. En aucun cas l’article 12, alinéa 1er , lettre a) n’opère une discrimination entre ceux qui peuvent cumuler plusieurs fonctions et les avocats auxquels ce cumul est interdit. Les critères de non discrimination sont expressément prévus à l’article 4, alinéa 2 de la Constitution et n’ont aucun rapport avec le régime juridique applicable aux avocats et prévu à l’article 12, alinéa 1er , lettre a);

–l’interdiction prévue à l’article 12, alinéa 1er , lettre c), aux termes de laquelle les avocats ne peuvent accomplir des faits de commerce en nom propre, ne restreigne pas, au sens de l’article 49 de la Constitution, le droit d’exercer la profession d’avocat, car la restriction d’un droit opère directement par l’effet de la loi et non de façon conditionnelle, en rapport seulement avec l’exercice d’une certaine activité par le titulaire du droit. Le fait que la loi, y compris la Constitution, aient retenu certaines incompatibilités entre différentes qualités ou fonctions publiques relève d’une pratique législative commune et ne peut être interprété comme entraînant une restriction d’un droit dont l’exercice est incompatible avec une prestation ou une activité sociale définie;

–en ce qui concerne l’article 14, lettre c) qui prévoit la possibilité d’exonération d’examen pour ceux qui ont exercé pendant 4 années minimum la profession de juge, procureur ou notaire, il est retenu que cette mesure n’est pas discriminatoire, car d’autres catégories socioprofessionnelles étroitement liées à la profession d’avocat ont également été prises en compte. S’il est vrai que les conseillers aux comptes ont une compétence juridictionnelle, cette compétence s’applique à un domaine juridique très limité. Le même argument vaut pour les conseillers juridiques, les magistrats assistants à la Cour suprême de justice ou à la Cour constitutionnelle. Par conséquent, les intéresses ne peuvent réclamer une égalité de traitement avec d’autres catégories de sujets de droit, car ils se trouvent dans une situation différente de celle des sujets de droit auxquels sont applicables certaines dispositions légales;

–concernant l’inconstitutionnalité de l’article 17, doit être relevé le fait que les deux Codes de procédure, civile et pénale prévoient des cas d’incompatibilité du juge, du procureur et du greffier de séance, mais ces hypothèses d’incompatibilité concernent ces personnes seulement. Rien n’empêche le législateur de prévoir des cas d’incompatibilité similaires pour les avocats, de telle façon que l’argument qui associe ces types d’incompatibilités à la limitation du droit d’exercer la profession est dénoué de fondement légal;

–en ce qui concerne le caractère inconstitutionnel de l’article 34, alinéa 2, il est allégué que les rapports établis entre le client et son avocat sont régis par les principes et les normes de droit privé. Autrement dit, le client conclut avec son avocat un contrat d’assistance juridique, dont le contenu est régi par le Code civil. La Constitution ne prévoit pas le droit d’une partie au contrat d’obtenir de dommages et intérêts versées par l’autre partie, ou le droit d’engager sa responsabilité civile. Il en ressort que l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 34, alinéa 2 de la loi n’a pas de support légal et ne peut être retenue comme telle.

L’inconstitutionnalité des articles 9, lettre b), 14, alinéa 2, lettre b), 12, alinéa 1er , lettre d), 12, alinéa 2 et 23, lettre c), n’est pas analysée et est laissée à l’appréciation de la Cour.

Dans sa réponse, le Gouvernement a pris position par rapport à certaines dispositions attaquées, à savoir:

–en ce qui concerne l’article 9, lettre b), pris dans son rapport avec l’article 14, alinéa 2, lettre b), il est dit que le problème juridique sur lequel la Cour doit se prononcer est de savoir si un tel conditionnement limite le droit constitutionnel au travail. Il est allégué que, dans l’analyse de cet aspect, il ne convient pas de se rapporter à la lettre de l’article 38, alinéa 1er de la Constitution, mais qu’il faut considérer le problème dans une perspective plus ample. Ainsi, le diplômé d’une faculté de droit dispose d’un éventail large d’options de carrière, il pourra travailler en qualité de juge, de procureur, d’avocat, de notaire, de conseiller juridique, de fonctionnaire à différents niveaux de l’administration publique, conformément aux dispositions légales. Par conséquent, la limitation du droit au travail ne peut être évoquée. Toutefois, la spécificité des activités énumérées plus haut exige que le législateur impose des conditions minimum d’exercice, dues au fait que ces professions ont, dans leur ensemble, un rapport étroit avec l’intérêt publique, les exigences et les besoins du citoyen en matière de contact avec la justice et l’administration publique. Par conséquent, l’existence de conditions légales d’exercice de certaines professions est considérée comme justifiée. C’est pour cette raison que le Gouvernement a déjà exprimé un avis similaire portant sur la loi des notaires publics, alors que le problème qui lui était soumis était tout aussi controversé et impliquait des limitations de droits difficilement évaluables. En revanche, dans une perspective d’opportunité, le Gouvernement considère que l’article 9, lettre b) de la loi pourrait supporter une atténuation, afin que soit éliminée la distinction opérée entre les diplômés des deux anciennes sections des facultés de droit, dont une seule est considérée comme donnant accès à la profession d’avocat, en tenant compte du caractère essentiellement libre et indépendant de la profession d’avocat, tel qu’inscrit à l’article 1 de la loi. C’est la raison pour laquelle il est retenu que ceux qui vont exercer la profession d’avocat devraient avoir la possibilité d’intervenir, en fonction de leur spécialité, dans les causes qui relèvent de cette spécialité;

–en ce qui concerne l’article 12, alinéa 1er , lettres a) et d), ainsi que l’article 23, lettre c), il est retenu que ces articles contreviennent aux dispositions des articles 1er , alinéa 3, 16, alinéa 1er , 38, alinéa 1er et 49, alinéa 1er de la Constitution. En stipulant à l’article 12, alinéa 1er , lettre a) que l’exercice de la profession d’avocat est incompatible avec l’activité salariée relevant d’une autre profession, la loi visée n’est pas seulement contraire à l’esprit des principes posés par la loi n° 2/1991 relative au cumul des fonctions, mais elle est également contraire au droit constitutionnel au travail; pour ces mêmes raisons, l’article 12, alinéa 1er , lettre d) qui déclare l’incompatibilité de la profession d’avocat avec la qualité de retraité en raison de l’âge, est inconstitutionnel; de plus, il est précisé que, tant qu’un avocat retraité peut cumuler la pension et le salaire, pour des raisons d’égalité de traitement, la solution doit être la même pour n’importe quel retraité qui répond aux exigences posées par la loi pour l’exercice de la profession d’avocat. Quant à l’article 23, lettre c) qui prévoit que la qualité d’avocat cesse là où commence la qualité de retraité, réserve faite de l’article 12, dernier alinéa lequel vise la situation du retraité qui a sollicité la suspension du paiement de sa pension, il est retenu que de telles dispositions sont contraires à l’article 49, alinéa 1er de la Constitution;

–l’article 12, alinéa 1er , lettre c) lequel interdit à la personne qui accomplit directement des actes de commerce le droit d’exercer la profession d’avocat est également jugé inconstitutionnel, car contraire à l’article 49 de la Constitution. Dans l’opinion du Gouvernement, dans un état démocratique ayant une économie de marché, les deux professions ne sont pas incompatibles. En ce qui concerne les autres textes attaqués, le Gouvernement considère que les aspects évoqués relèvent plutôt de considérations d’opportunité qui pourraient éventuellement avoir des incidences sur les lois organiques concernées, mais qui restent sans rapport direct avec les normes constitutionnelles.

L’Union des avocats de Roumanie, ayant exprimé sa position quant aux dispositions légales attaquées, retient pour l’essentiel que:

–en ce qui concerne les dispositions de l’article 9, lettre b) et de l’article 14, alinéa 2, lettre b), l’Union des avocats est d’accord avec l’exception d’inconstitutionnalité formulée par la Cour suprême de justice;

–en ce qui concerne l’article 12, alinéa 1er , lettre a), il est retenu que la requête émanant de la Cour suprême de justice n’offre aucun argument quant à l’inconstitutionnalité de ce texte légal et par conséquent, elle ne peut être reçue pour les raisons ci-dessous:

a) conformément aux articles 1 et 2 de la loi, «la profession d’avocat est libre et «dans l’exercice de sa profession, l’avocat est indépendant et ne se soumet qu’à la loi, au statut de la profession et aux règles d’éthique professionnelle, de façon à ce que l’avocat puisse avoir une totale indépendance et liberté, ne pouvant pas être sujet d’un rapport juridique de travail, caractérisé par la subordination de l’employé à l’employeur et par le droit conféré à l’employeur de fixer les limites du travail à accomplir;

b) l’incompatibilité prévue à l’article 12, lettre a) comporte une seule exception, à savoir que «l’avocat peut exercé sa profession en tant que salarié dans une des formes prévues de façon impérative par la loi. La raison de cette exception réside dans le fait que celui qui emploie l’avocat est, à son tour, «un cabinet individuel ou une société civile professionnelle d’avocats soumise aux dispositions des articles 1 et 2 de la loi;

c) la tradition de la réglementation légale de l’exercice de la profession d’avocat en Roumanie se retrouve à travers les dispositions de la nouvelle loi. Ainsi, à l’article 3, lettre f) de la loi du 28 décembre 1931 il été expressément prévu que l’exercice de la profession d’avocat était incompatible avec toute autre «occupation (…) qui porte atteinte à l’indépendance de la profession d’avocat;

d) est également à évoquer, au titre du droit comparé, la règle française disposant au chapitre des «incompatibilités générales que «l’exercice de la profession d’avocat est incompatible avec toute activité de nature à porter atteinte à indépendance ou à la dignité de l’avocat, au caractère libéral de la profession, ainsi qu’avec tout autre activité salariée autre que celle d’avocat salarié. «L’avocat salarié n’est soumis à aucune subordination autre que celle qui régit ses conditions de travail;

e) conformément à l’article 7 de la loi «les barreaux et l’Union des avocats de Roumanie assurent l’exercice qualifié des droits de la défense. Le droit à la défense est un droit fondamental, inscrit à l’article 24 de la Constitution. Conformément à l’article 49, alinéa 1er de la Constitution, l’exercice de certains droits, dans le cas présent l’exercice du droit au travail, ne peut être limité que par l’effet de la loi. La limitation de l’exercice de ce droit est déterminée par le spécifique de l’exercice du droit à la défense par une personne qualifiée, car la garantie constitutionnelle du droit de la défense impose des conditions spécifiques (d’indépendance et de liberté) en l’absence desquelles le but de la loi ne pourrait être atteint;

–en ce qui concerne les articles 12, alinéa 1er , lettre d) et 23, lettre c), doit être retenu le fait que la tradition de la réglementation roumaine d’avant la Seconde Guerre mondiale est dans le sens où la profession d’avocat cesse «au moment où l’avocat prend sa retraite (article 64, lettre g de la loi de 1931) et «les licenciés et les docteurs en droit, anciens fonctionnaires ayant pris leur retraite, ne peuvent se réinscrire au barreau (article 5, loi de 1931). Au vu de ces textes, l’Union des avocats a transmis également l’opinion de la Caisse d’assurance des avocats qui retient, entre autres, que si la loi n° 3/1977 imposait une limité d’âge de 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes, âge au-delà duquel la profession d’avocat ne pouvait plus être exercée, la nouvelle réglementation ne pose plus de limité d’âge à l’exercice de la profession. L’inexistence d’une limite d’âge et la possibilité que l’avocat exerce son activité tant que ses capacités biologiques le lui permettent ont comme conséquence le fait qu’il ne peut plus s’agir d’une atteinte aux droits fondamentaux de la personne et encore moins d’une atteinte au droit au travail. L’âge minimum prévu par le décret n° 251/1978 pour les départs à la retraite indique simplement qu’à partir de ce moment l’avocat peut opter pour un départ à la retraite. C’est pour ces raisons que le cumul de la pension avec les revenus issus de l’exercice de la profession est considéré comme injustifié;

–en ce qui concerne l’article 12, alinéa 1er , lettre c), il est retenu le fait que les incompatibilités régies par cette disposition légale ne limitent pas l’exercice du droit d’être avocat et l’accomplissement des actes de commerce en son nom n’est pas un droit fondamental garantit par la Constitution. Il est également retenu que la tradition de la réglementation d’avant la deuxième guerre mondiale était caractérisée par l’incompatibilité de la profession d’avocat avec celle de commerçant, qu’elle soit exercée en nom propre ou par personne interposée (article 3, lettre a), loi de 1931

–en ce qui concerne l’article 14, lettre c), il est précisé que:

a) le droit d’intégrer la profession d’avocat ne peut être refusé, dès lors que l’intéressé répond aux conditions légales et qu’il a été reçu à l’examen organisé conformément à la loi;

b) l’exonération d’examen bénéficie limitativement à certaines catégories de diplômés des facultés de droit, parmi lesquels les personnes prévues à l’article 14, lettre c); ce bénéfice correspond aux intérêts généraux de la profession (une grande valeur professionnelle – lettre a), le rajeunissement de la profession par la formation délivrée à des nouveaux membres – lettre b), l’expérience professionnelle – lettre c). Par conséquent, le droit fondamental au travail, seul droit par rapport auquel un problème d’inconstitutionnalité pourrait se poser, ne subit aucune atteinte et reste pleinement garantit par le principe prévu à l’article 14, alinéa 1er de la loi;

–en ce qui concerne les interdictions prévues à l’article 17, il est mentionné qu’elles ont pour but d’assurer l’exercice de la profession dans des conditions de probité, tout en offrant des garanties pour tous les participants au procès. Les incompatibilités prévues aux articles 24 et suivants du Code de procédure civile et 46 et suivants du Code de procédure pénale s’appliquent au corps des magistrats et des auxiliaires de justice et non à la personne des avocats. Par conséquent, leur introduction quant aux avocats s’impose;

–en ce qui concerne l’article 34, alinéa 2, il est considéré que la disposition légale critiquée ne vise pas un droit constitutionnel et qu’en réalité le législateur a pris en compte la spécificité des obligations civiles nées des rapports établis entre l’avocat et son client; étant donné qu’il s’agit d’obligations «de moyens et non «de résultat, il est retenu que les dispositions de l’article 34, alinéa 2 ne font que renforcer la responsabilité de l’avocat par rapport au droit commun applicable à la matière;

–en ce qui concerne les articles 6 et 51, ainsi que le chapitre VI de la loi, il est précisé qu’il n’y a pas de contradiction avec les dispositions de l’article 21 de la Constitution, car aucun des textes cités n’interdit l’accès à la justice. Ces textes créent une juridiction professionnelle dont la décision finale pourra être soumise au contrôle des organes judiciaires;

–par rapport à l’article 68, est évoqué le précédent législatif (l’article 262 du décret-loi du 5 septembre 1940) et par rapport à l’argument qui avait consisté à dire qu’une disposition introduisant une sanction pécuniaire à caractère disciplinaire ne trouverait pas sa place dans un texte de loi, mais plutôt dans le statut de la profession, il est mentionné que les sanctions disciplinaires doivent être instituées par la loi et ne peuvent l’être par des «statuts.;

–par rapport à l’article 76, dernier alinéa, est mis en évidence le fait que ladite disposition a un caractère transitoire dont les raisons sont diverses:

a) l’exercice de la profession aux sein des «actuels bureaux d’avocats est anachronique, car il n’offre pas un cadre libéral et démocratique à la pratique de la profession, de telle façon que cette forme d’exercice de la profession peut être gardée, mais seulement de façon provisoire, pour faciliter le passage à des nouvelles formes d’organisation de la profession, dans la mesure où un changement brusque pourrait causer des désagréments plus grands que ceux générés par la survie temporaire de ces bureaux.

b) la survie illimitée du fonctionnement des «actuels bureaux d’avocats ferait naître des conflits insolubles entre les principes posés par la loi et leur possible mise en œuvre à travers des formes d’exercice de la profession connues dans tous les pays ayant une expérience démocratique avancée;

c) la structure des «actuels bureaux d’avocats porte atteinte à l’exercice du droit fondamental de libre association par l’entrée automatique des nouveaux membres et l’adhésion purement formelle des membres à une structure préexistante, dans laquelle «les associés ne définissent pas de but commun auquel ils devraient tous concourir, tout en gardant l’indépendance de chacun. La Direction générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique universitaire du Ministère de l’enseignement a communiqué la liste des fonctions que pouvaient occuper, jusqu’en 1990, les diplômés titulaires de la mention «droit économique et administratif, tout en précisant qu’aucune des diplômés titulaires de cette mention ne s’est vu attribuer un poste d’avocat. En revanche, a été évoquée la possibilité, pour ces diplômés, de présenter des examens d’équivalence entre 1990 et 1995, à la Faculté de droit de Bucarest, dans le but d’obtenir une mention «Droit. La création d’une nouvelle section «Droit économique et administratif s’est fait à la demande des établissements d’enseignement supérieur et du Gouvernement, en partant de la constatation du fait qu’il n’y a pas actuellement, dans l’administration, suffisamment de cadres ayant des études supérieures. Enfin, il est considéré que les domaines dans lesquels les diplômés de l’enseignement supérieur peuvent trouver un emploi sont du ressort des ministères, des autres autorités ayant un rôle de coordination des domaines en question, ainsi que du Ministère du travail et de la protection sociale.

La Faculté de Droit de Bucarest précise que, de 1990 à 1995, 1603 diplômés titulaires de la mention «droit économique et administratif («sciences administratives, «sciences administratives économiques) se sont inscrits pour présenter l’examen d’équivalence, dans le but d’obtenir la mention «Droit.

Monsieur le juge Ion Filipescu, docteur en Droit, professeur des Universités, membre de l’Académie, lequel n’a pu être présent aux débats, a exprimé une opinion aux termes de laquelle les dispositions des articles 6, 12, alinéa 1er , lettres a) et c), 14, lettre c), 17, 51 du chapitre VI, 68, lettre c) et 76, alinéa 3 sont constitutionnelles, alors que les dispositions des articles 12, alinéa 1er , lettre d), 9, lettre b), 14, lettre c) et 34, alinéa 2 sont inconstitutionnelles.

Le Président du Sénat de la Roumanie n’a pas communiqué son avis.

Sur le fondement de l’article 3, alinéa 2 de la loi n° 47/1992, la Cour constitutionnelle constate qu’elle est compétente pour se prononcer sur les deux requêtes introduites conformément aux dispositions de l’article 144, lettre a) de la Constitution et celles de l’article 17, alinéa 1er de la loi n° 47/1992.

Etant donné que les requêtes ainsi introduites concernent la même loi, les deux affaires seront jugées ensemble.

La Cour constitutionnelle,

vu les deux requêtes, les avis exprimés par le Président de la Chambre des députés et par le Gouvernement, les informations communiquées par le Ministère de l’enseignement et la Faculté de Droit de Bucarest, l’avis de l’Union des avocats de Roumanie, les dispositions de la loi pour l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat, les dispositions de l’article 144, lettre a) de la Constitution et de l’article 17 et suivants de la loi n° 47/1992, retient ce qui suit:

La Cour constate que l’exception d’inconstitutionnalité des dispositions de l’article 9, lettre b) et 14, alinéa 2, lettre b) soulevée par la Cour suprême de justice, en raison du fait que ces dispositions créent une discrimination injustifiée entre les diplômés de la Faculté de droit titulaires de la mention «Droit économique et administratif, lesquels se voient refuser l’accès à la profession d’avocat, est fondée.

Il ressort des dispositions légales en la matière que le profile des diplômés titulaires de l’une ou l’autre des mentions est le même. Pour cette raison, leur vocation à être avocats ne peut être refusée. Par conséquent, refuser aux diplômés titulaires de la mention «Droit économique et administratif l’accès à la profession d’avocat constitue une discrimination à leur égard. Il est évident que, pour des situations juridiques différentes, les normes juridiques applicables ne peuvent être les mêmes. En revanche, dans le cas présent, la formation dans les disciplines de base, desquelles dépend l’exercice de la profession d’avocat, étant essentiellement la même, une différence de traitement pour les diplômés titulaires des deux mentions voudrait dire que des normes juridiques distinctes sont rendues applicables à des situations juridiques identiques. L’usage en cours actuellement veut que le diplômé titulaire d’une mention «Droit économique et administratif puisse accomplir les fonctions de conseil juridique, de notaire, d’autres fonctions dans l’administration, dans l’arbitrage, etc., professions qui impliquent toutes la capacité de l’intéressé à résoudre, pour le compte des structures qui l’emploient, ainsi que dans l’intérêt des citoyens, des problèmes juridiques similaires, voire même identiques aux celles abordés par l’avocat. Il est inconcevable qu’un juriste qui peut défendre, par exemple, les intérêts patrimoniaux ou extra-patrimoniaux d’une société commerciale ou d’une régie autonome par devant les juridictions, nationales ou internationales, se voit ope legi interdit de défendre les mêmes intérêts ou des intérêts similaires des citoyens ou des personnes morales en tant qu’avocat, notamment sachant que, dans l’optique de la nouvelle réglementation, la profession d’avocat comprend également l’activité de conseil juridique, et non seulement l’activité de représentation.

Par conséquent, la discrimination instaurée par les articles 9, lettre b et 14, alinéa 2, lettre b), aux termes desquels seules les diplômés de la Faculté de droit titulaires de la mention «Droit peuvent être avocats est injustifiée, autant par rapport au fait que les diplômés de la Faculté de Droit, titulaires de la mention «Droit économique et administratif ont la même formation juridique supérieure, que par rapport aux missions dont ces diplômés se voient investis, notamment lorsqu’ils exercent en qualité de conseils d’entreprise, notaires ou arbitres, missions similaires, voire identiques à celles des avocats. A l’évidence, la mention détenue ne peut effacer la nature de la formation suivie, ni la vocation commune des diplômés des deux spécialités d’accomplir certaines activités qui se retrouvent dans le domaine d’activité des avocats, ce qui impose que les diplômés des deux spécialités soient soumis au même régime juridique.

Par conséquent, les dispositions des articles 9, lettre b) et 14, alinéa 2, lettre b) de la loi pour l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat contreviennent aux dispositions de l’article 16, alinéa 1er de la Constitution, aux termes duquel tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans discrimination aucune.

Quant à l’article 12, lettre a), la Cour suprême de justice considère que l’affirmation de l’incompatibilité de l’exercice de la profession d’avocat avec l’activité salariée relevant d’une autre profession est contraire aux articles 1er , alinéa 3, 16, alinéa 1er , 38, alinéa 1er et 49, alinéa 1er de la Constitution.

L’exception d’inconstitutionnalité est non fondée, car l’existence de certaines incompatibilités s’impose dans certains cas, vu le spécifique de la profession, comme dans le cas des magistrats. Conformément à l’article 1er de la loi, la profession d’avocat est libre et indépendante, des garanties de ce principe étant nécessaires. Or, l’incompatibilité de l’exercice de la profession d’avocat avec une activité salariée relevant d’une autre profession est une garantie, car, pour garder son indépendance, l’avocat ne doit pas exercer une activité qui pourrait le placer dans un état de subordination juridique ou lui imposerait des règles différentes lesquelles pourraient constituer des obstacles dans l’accomplissement de sa profession. En même temps, cette incompatibilité constitue une garantie pour les citoyens qui font appel aux services d’un avocat, lorsqu’ils entendent exercer leurs droit fondamental à être défendus.

Pour ces raisons, l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par la Cour suprême de justice à l’égard de l’article 12, alinéa 1er , lettre c), aux termes duquel l’exercice de faits de commerce en son nom propre est interdit, est non fondée.

Quant aux articles 12, alinéa 1er , lettre d) et 12, alinéa 2, lesquels instaurent une incompatibilité entre l’exercice de la profession d’avocat et la qualité de retraité en raison de l’âge, le groupe de députés, ainsi que la Cour suprême de justice, considèrent que d’une part, ces articles instaurent une discrimination évidente entre les avocats retraités et tous les autres retraités qui peuvent cumuler les salaires perçus dans l’exercice de toute autre fonction et leur pension, conformément à la loi n° 2/1991 relative au cumul des fonctions et d’autre part, ces articles violent le principe de la non limitation du droit au travail prévu par l’article 38 de la Constitution.

L’exception d’inconstitutionnalité est fondée. La règle issue de la loi n° 2/1991 dit que les retraités peuvent occuper un emploi et cumuler, le cas échéant, pension et salaire. Par conséquent, les dispositions de l’article 12, alinéa 1er , lettre d) de la loi entraînant, pour le retraité en raison de l’âge, l’incompatibilité avec l’exercice de la profession d’avocat et les dispositions de l’article 12, alinéa 2 entraînant pour l’avocat retraité, l’obligation de demander la suspension du versement de sa pension sont des dispositions discriminatoires. Les dispositions visées dans la requête ne tiennent pas compte du fait que la pension est versée pour le travail effectué antérieurement, et que ce versement ne peut empêcher la poursuite de l’activité en tant qu’avocat, du moment où, la liberté de travail, tout comme le droit à la retraite, sont consacrés par les articles 38, alinéa 1er et 43, alinéa 2 de la Constitution, en tant que droits fondamentaux. Par conséquent, dès lors que le principe du cumul de la pension avec le salaire est posé, l’interdiction de ce cumul pour les seuls avocats est exclue, car aucun motif spécial et raisonnable ne pourrait justifier une telle dérogation. La décision de la Cour constitutionnelle n° 32 du 13 avril 1994, publiée au Moniteur officiel, première partie, n° 259 du 15 septembre 1994 va dans le même sens.

Par conséquent, les dispositions des article 12, alinéa 1er , lettre d) et alinéa 2 de la loi sont inconstitutionnelles.

Pour identité de raisons et sur la base de l’article 20, alinéa 1er de la loi n° 47/1992, les dispositions de l’article 23, lettre c) de la même loi sont inconstitutionnelles.

Quant à l’article 14, alinéa 2, lettre c), aux termes duquel ne peuvent accéder à la profession d’avocat que ceux qui ont exercé au moins 4 ans en tant que juge, procureur ou notaire, il est considéré que l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par la Cour suprême de justice, selon laquelle le texte est discriminatoire, car il n’offre pas le droit d’intégrer la profession aux personnes ayant exercé d’autres fonctions juridiques importantes, est non fondée car, d’une part, les critères qui, selon l’article 4, alinéa 2 de la Constitution, établissent l’existence d’une discrimination ne s’y retrouvent pas et d’autre part, la violation du principe d’égalité ne peut pas non plus être alléguée, car il s’agit de personnes se trouvant dans des situations différentes.

Quant à l’article 17, la Cour suprême de justice considère que le texte qui interdit à l’avocat l’exercice de la profession auprès de la juridiction, du parquet et des juridictions de la Cour des comptes où son conjoint, son parent en ligne directe ou un parent de son conjoint jusqu’au 3e degré exerce la fonction de juge, de procureur, de juge financier, de conseiller aux comptes ou de procureur financier, instaure une restriction contraire à l’article 49 de la Constitution. Dans la requête, il est fait mention du fait que, dans de tels cas, trouvent application les règles relatives à l’incompatibilité du juge, du procureur et des autres personnes visées à l’article 24 et suivants du Code de procédure civile et 46 et suivants du Code de procédure pénale.

Les dispositions de l’article 17 n’instaure pas des restrictions de l’exercice de la profession d’avocat, mais des incompatibilités qui constituent des mesures de protection pour les parties et aussi des mesures à même d’enrayer les suspicions qui pourraient vicier l’acte de justice. Le texte de loi concerne l’avocat et non le juge, ni le procureur ou les autres fonctions qui sont visées par les dispositions des codes de procédure relatives aux incompatibilités. Quant à l’article 24 évoqué dans la requête, il faut mentionner le fait que, dans le procès civil, à la différence du procès pénal, les règles concernant l’incompatibilité, applicables aux seuls juges, visent des situations qui n’ont aucun rapport avec les dispositions de l’article 17 de la loi. La requête évoque, en réalité, les dispositions relatives à l’abstention et à la récusation régies par les articles 25 à 35 du Code de procédure civile lesquels s’appliquent aux procureurs, aux magistrats assistants et aux greffiers, réserve faite de l’article 27, point 7.

La Cour suprême de justice avait également considéré que l’article 34, alinéa 2, lequel dispose que l’avocat n’est responsable envers son client que pour le préjudice causé par des actes ou faits intentionnels, apporte une restriction inconstitutionnelle au droit du client d’obtenir de dommages et intérêts pour le préjudice causé par la faute grave de l’avocat.

Le fait que la loi limite la responsabilité de l’avocat envers son client pour les seuls préjudices causés intentionnellement, alors que l’application de la règle générale aurait entraîné la responsabilité de l’auteur pour tous les dommages causés par sa faute, crée un privilège au bénéfice des avocats, privilège contraire au principe d’égalité inscrit à l’article 16, alinéa 1er de la Constitution.

Le fait que les obligations assumées par l’avocat soit des obligations «de moyens et non des obligations «de résultat, n’a d’incidence que sur la preuve de la faute. S’il s’agit d’obligations «de résultat, la faute du débiteur est présumée, alors que s’il s’agit d’obligations «de moyens, la présomption n’existe plus et la faute doit être prouvée. Pour ces raisons, la spécificité de l’activité de l’avocat ne justifie pas la limitation de la responsabilité instaurée par l’article 34, alinéa 2 de la loi, et cela d’autant plus que, sur le plan civil, la responsabilité de l’avocat est celle d’un professionnel.

Le groupe de députés a évoqué l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article 68, lettre c) et d), du fait de l’incompatibilité des sanctions avec le caractère libéral de la profession d’avocat.

En effet, la profession d’avocat est une profession libérale et indépendante. Ce principe est fondamental. Néanmoins, la liberté indispensable à la profession d’avocat n’exclut pas certaines règles, dont le respect doit être garantit par des sanctions. Par conséquent, le paiement d’une amende et la suspension des fonctions pour le non-paiement de l’amende, donc pour un fait subséquent, ainsi que l’interdiction d’exercer la profession pour une période déterminée sont des sanctions qui ne contreviennent pas aux dispositions de la Constitution.

Par ailleurs, l’article 76, alinéa 3, qui contient une disposition transitoire relative aux actuels bureaux d’avocats, n’est qu’une conséquence de l’article 5 de la loi, qui vise les modalités d’exercice de la profession, à savoir les cabinets individuels, les cabinets associés et les sociétés civiles professionnelles. Dans la requête introduite par le groupe de députés, les deux textes sont considérés comme inconstitutionnels du fait de la violation du droit d’association consacré par la Constitution.

En ce qui concerne l’article 5, il faut retenir que ce qui est critiqué en réalité, c’est le fait que dans sa forme définitive, ce texte ne fait plus mention des bureaux d’assistance juridique à caractère associatif comme forme d’exercice de la profession. Par conséquent, l’exception d’inconstitutionnalité vise une lacune de la loi, or, la Cour constitutionnelle ne peut exercer son contrôle que sur les lois adoptées. La Cour constitutionnelle s’est déjà prononcé dans ce sens par sa décision n° 93 du 20 octobre 1994, publiée au Moniteur officiel, première partie, n° 326 du 25 novembre 1944.

L’article 76, alinéa 3 contient une disposition transitoire destinée à permettre le passage aux nouvelles modalités d’organisation de la profession établies par l’article 5 de la loi. Cet article ne viole aucune disposition constitutionnelle.

La Cour suprême de justice considère que les articles 6 et 51, ainsi que le chapitre VI de la loi sont inconstitutionnels car contraires à l’article 21 de la Constitution, car le législateur a omis de préserver le droit des intéressés de s’adresser aux juridictions de contentieux administratif. Nous pouvons retenir le fait que la loi n’a prévu que les voies d’attaque existantes dans le cadre de la profession d’avocat, ce qui ne signifie pas que les intéressés se voient interdire le libre accès à la justice régi par l’article 21 de la Constitution. Pour identité de raisons, la solution est la même en ce qui concerne l’article 27, alinéa 2 de la loi.

Par conséquent et seulement si les textes visés sont interprétés comme ci-dessus, lesdits textes sont constitutionnels.

Vu les considérations ci-dessus, les dispositions des articles 144, lettre a) et 145, alinéa 1er de la Constitution, ainsi que les dispositions des articles 20, alinéa 2 et 3 de la loi n° 47/1992, avec une majorité de 5 votes en ce qui concerne la constitutionnalité des dispositions des articles 9, lettre b) et 14, alinéa 2, lettre b) et à l’unanimité en ce qui concerne les autres dispositions légales,

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

Décide:

  1. Les dispositions des articles 5, 12, alinéa 1er , lettres a) et c), 17, 68, alinéa 1er , lettres c) et d) et 76, alinéa 3 sont constitutionnelles.
  2. Les dispositions des articles 6, 27, alinéa 2 et 51, ainsi que les dispositions du chapitre VI sont constitutionnelles dans la mesure où elles sont interprétées comme permettant aux intéressés l’accès à la justice, conformément à la loi.
  3. Les dispositions de l’article 9, lettre b), en ce qui concerne la référence à la «mention Droit et celles de l’article 14, alinéa 2, lettre b), en ce qui concerne la référence à la «section juridique sont inconstitutionnelles.
  4. Les dispositions de l’article 12, alinéa 1er , lettre d), et alinéa 2 et de l’article 23, lettre c) en ce qui concerne la phrase «à l’exception du cas prévu à l’article 12, dernier alinéa de la présente loi, sont inconstitutionnelles.
  5. Les dispositions de l’article 34, alinéa 2 sont inconstitutionnelles.
  6. La décision sera communiquée au Président de la Roumanie, ainsi qu’au Président de la Chambre des députés et au Président du Sénat, dans le but de l’ouverture de la procédure visée à l’article 145, alinéa 1er de la Constitution. La décision sera publiée au Moniteur officiel de la Roumanie, première partie.

Les délibérations ont eu lieu le 2 mai 1995 et y ont participé: Vasile Gionea, Président et les juges Viorel Mihai Ciobanu, Mihai Constantinescu, Antonie Iorgovan, Ioan Muraru, Florin Bucur Vasilescu et Victor Dan Zlàtescu.

Président,

Vasile Gionea

Docteur en Droit,

Professeur des Universités

Magistrat assistant,

Gabriela Dragomirescu

ROM / 1995 / A10
Roumanie / Cour constitutionnelle / 4-10-1995 / Décision n° 90 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – procédure administrative non contentieuse
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Loi (égalité devant la loi) – Salariés – Sanctions disciplinaires

La Cour constitutionnelle,

(…)

Quant au fond, et conformément à ce qui a été retenu par les décisions de la Cour constitutionnelle nos 59/1994 et 66/1995, le fait d’enlever de la compétence des juridictions les contestations relatives aux licenciements de certaines catégories de salariés ou aux redistributions de personnel administratif ou productif à l’occasion des réductions de personnel administratif ou productif, est contraire à l’article 21 de la Constitution, conformément auquel toute personne peut s’adresser à la justice pour la défense de ses droits, libertés et intérêts légitimes, aucune loi ne pouvant limiter l’exercice de ce droit. Cette contradiction persiste évidemment lorsque la contestation concerne l’application d’une sanction disciplinaire, cas où la compétence est dévolue exclusivement à un organe administratif de direction, conformément à l’article 175, alinéa 1er , lettre a) du Code du travail. Par ailleurs, cette compétence exclusive est contraire aux dispositions de l’article 125 de la Constitution, conformément auquel la justice est mise en œuvre par la Cour suprême de justice et par les autres juridictions créées par la loi.

En même temps, les dispositions de l’article 175, alinéa 1er , lettre a) créent une discrimination entre les salariés des organismes ou autorités publics subordonnés à un organe hiérarchique et les salariés des organismes ou autorités publics n’ayant pas de supérieur hiérarchique, comme, par exemple, les salariés du Gouvernement ou des autorités administratives autonomes. Une telle discrimination est en revanche contraire aux dispositions de l’article 16, alinéa 1er de la Constitution relatif à l’égalité des citoyens devant la loi et les autorités publiques. La procédure qui se déroule par devant l’organe administratif n’est pas une procédure administrative, car elle n’offre pas la garantie d’une procédure conforme aux dispositions de l’article 6, 1er point de la Convention pour la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales, conformément auquel toute personne a le droit de voir sa cause jugée équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par une juridiction indépendante et impartiale, créée par la loi. La primauté de ces règles internationales relatives aux droits de l’homme sur le droit interne, à savoir, en espèce, sur les dispositions de l’article 175, alinéa 1er , lettre a) du Code du travail est consacrée par l’article 20, alinéa 2 de la Constitution.

Vu que le Code du travail, bien qu’antérieur à la Constitution, a été expressément modifié après l’adoption de la Constitution par la loi n° 104/1992, lorsqu’il est en contradiction avec une disposition constitutionnelle, ce n’est pas l’application de l’article 150, alinéa 1er de la loi fondamentale qui est en cause, comme cela a pu être allégué lorsque l’exception a été soulevée, mais l’inconstitutionnalité de ladite disposition. C’est dans ce sens que s’est prononcée la Cour par ses décisions nos 59/1994 et 66/1995.

Ceci étant, il y a lieu de constater que les dispositions de l’article 175, alinéa 1er , lettre a) du Code du travail sont inconstitutionnelles. Par conséquent, les contestations relatives à l’application d’une sanction disciplinaire ressortissent de la compétence des juridictions.

(…)

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

Admet l’exception soulevée par Munteanu Zeno-Virgil dans l’affaire n° 5513/1994 du tribunal de première instance d’Oradea et constate que les dispositions de l’article 175, alinéa 1er , lettre a) du Code du travail sont inconstitutionnelles.

(…)

ROM / 1995 / A11
Roumanie / Cour constitutionnelle / 5-12-1995 / Décision n° 124 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.4.2.8 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – handicap physique ou mental

Invalides – Loi (égalité devant la loi) – Profession

La Cour constitutionnelle,

(…)

Sur le fond, l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 6, lettre g), première phrase qui dispose que les invalides de premier et second degré, et les handicapés assimilés aux invalides de premier et second degré bénéficient de la réduction d’impôt seulement si leur état les empêche d’exercer leur profession ou leur fonction, est mal fondée. Dans l’hypothèse où ces personnes exercent, comme tout autre salarié, une activité pour laquelle leur invalidité ne constitue pas un handicap, le bénéfice une réduction d’impôt serait équivalant à un avantage contraire à l’article 16 de la Constitution qui dispose que tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans privilèges, ni discriminations.

Dans la requête, il est allégué que le fait d’accorder la réduction d’impôt aux seules personnes empêchées, du fait de leur invalidité, d’exercer leurs fonctions est contraire à l’article 46 de la Constitution, aux termes duquel «l’Etat assure la mise en place d’une politique nationale de prévention, de traitement, de rééducation, d’enseignement, d’instruction et de réinsertion sociale des handicapés…. Il ressort de ces dispositions constitutionnelles que la réduction d’impôt n’est pas, par sa nature, une mesure de protection sociale spécifique. La protection sociale des handicapés a comme but essentiel leur insertion sociale et professionnelle. Les lois nos 53/1992 et 57/1992 ont introduit des formes spécifiques de protection des personnes handicapées, dans le but de leur insertion sociale et professionnelle, notamment dans les domaines médical, douanier (pour ce qui est de l’importation de produits spécifiques), de l’enseignement, du transport, de l’immobilier locatif, de la reconversion professionnelle, du régime du travail, des pensions et des congés, des tarifs d’abonnement pour divers services, etc.

De toutes les façons, la mise en place d’une protection sociale des personnes handicapées et des invalides est une prérogative exclusive du législateur, prérogative qui s’exerce en fonction de sa politique dans ce domaine. La Cour constate que l’article 6, lettre g), deuxième phrase, aux termes duquel les réductions régies par la première phrase dudit article ne s’appliquent pas aux personnes ayant la qualité d’associé et qui remplissent, en même temps, la fonction d’administrateur ou une autre fonction rémunérée au sein de la structure auprès de laquelle elles ont la qualité d’associées, ne concerne pas les personnes qui exercent ce type de fonction sur la base d’un contrat de travail.

Conformément à la loi n° 58/1991 relative à la privatisation des sociétés commerciales, à la loi n° 77/1994 relative aux associations des salariés et des membres de la direction des sociétés commerciales en cours de privatisation, à la loi n° 55/1995 relative à l’accélération du processus de privatisation, ainsi qu’aux principes généraux de l’économie de marché, tout salarié peut acquérir des actions de la société qui l’emploie. Plus encore, la loi n° 77/1994 fait de cette possibilité son unique hypothèse. Or si les salariés devaient être privés du bénéfice de la réduction d’impôt, bénéfice associé à leur invalidité, comme conséquence de l’acquisition de la qualité d’associé, cette situation aurait un caractère discriminatoire par rapport aux autres salariés qui peuvent exercer leur droit d’acquérir la qualité d’associé sans encourir des désagréments fiscaux. Pour cette raison, l’existence d’une différence de régime entre ces deux catégories de salariés est contraire à l’article 16 de la Constitution relatif à l’égalité des citoyens devant la loi et ne correspond à aucune des hypothèses de restrictions de droits prévues à l’article 49 de la Constitution.

Par conséquent, l’expression «toute autre fonction rémunérée concerne l’hypothèse où les personnes concernées sont employées sur un fondement autre que le contrat de travail, à savoir les collaborateurs extérieurs, les administrateurs des sociétés commerciales qui, conformément à la loi n° 31/1990, exercent leurs fonctions sur la base du pouvoir conféré à eux par l’assemblée générale des actionnaires. Ces administrateurs sont les mandataires des actionnaires, soumis au même régime que tout mandataire. Au fond, lorsque les actionnaires, comme tout mandant, ont accordé leur confiance aux administrateurs, ils ont nécessairement pris en compte leur invalidité et, à leur tour, les administrateurs ont accepté le mandat sans ignoré leur état d’invalidité.

(…)

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

Décide:

  1. La loi approuvant l’ordonnance du gouvernement n° 17/1995 modifiant la loi n° 32/1991 relative à l’impôt sur les salaires, republiée, pour ce qui est de l’article 6, lettre g), première phrase de l’ordonnance, est constitutionnelle.
  2. L’article 6, lettre g), deuxième phrase de ladite ordonnance est constitutionnel seulement dans la mesure où l’expression «toute autre fonction rémunérée concerne les fonctions accomplies sur une base autre que le contrat de travail.

(…)

ROM / 1996 / A12
Roumanie / Cour constitutionnelle / 8-10-1996 / Décision n° 115 / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Salariés

La Cour constitutionnelle,

(…)

Subsidiairement, sont formulés d’autres raisons à l’appui du recours, comme suit:

(…)

b) le fait que l’article 130, alinéa 1er , lettre j) du Code du travail introduit un traitement discriminatoire pour les personnes en état d’arrestation, soient-elles acquittées par la suite, par rapport aux employés qui sont absents sans qu’une faute puisse être retenue à leur charge, est en contradiction flagrante avec l’article 16, alinéa 1er de la Constitution, lequel consacre l’égalité en droits des citoyens.

(…)

La Cour, après examen de la décision attaquée et à la lumière des motifs invoqués par le demandeur, des dispositions de la Constitution, du Code du travail et de la loi n° 47/1992, des conclusions du demandeur et celles du Ministère public, retient que:

(…)

L’argument aux termes duquel l’article 130, alinéa 1er , lettre j) serait contraire au principe de l’égalité inscrit à l’article 16, alinéa 1er de la Constitution ne peut être reçu. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle, tout comme la doctrine et la jurisprudence d’autres juridictions constitutionnelles ont constamment affirmé que le principe de l’égalité n’est pas synonyme d’uniformité et qu’il n’interdit pas au législateur de fixer des règles différentes pour des personnes se trouvant dans des situations différentes.

Si le Code du travail ne prévoit pas de licenciement pour d’autres situations d’absence de l’employé, telles que le service militaire, la maternité ou le congé parental, ceci se justifie par le fait que ces personnes se trouvent dans des situations différentes, pour lesquelles la législation du travail a prévu des solutions différentes. Par conséquent, il n’est pas porté atteinte à l’égalité des citoyens. D’ailleurs, l’article 43, alinéa 2 de la Constitution garantit le droit au congé de maternité payé, l’article 52 impose l’obligation de satisfaire le service militaire et l’article 45 instaure un régime spécial d’assistance aux enfants et aux jeunes. Par conséquent, la législation du travail ne fait que répondre à des exigences constitutionnelles.

Enfin, si, dans certains cas, c’est la suspension de l’employé de ses fonctions jusqu’au moment où le jugement de condamnation devient définitif qui est prévue et non son licenciement, ceci n’est pas contraire au principe de l’égalité car, le fondement des deux institutions étant différent, les employés ne se trouvent pas dans des situations similaires.

L’article 130, alinéa 1er , lettre j) du Code du travail ne constitue pas une limitation du droit du travail et donc une atteinte aux dispositions de l’article 38, alinéa 1er de la Constitution.

(…)

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

Décide:

Rejette le recours formulé par Gerö Zsigmond à l’encontre de la décision de la Cour constitutionnelle n° 63 du 21 mai 1996.

(…)

Cour constitutionnelle du Rwanda

RWA / 1983 / A01
Rwanda / Cour constitutionnelle / 10-05-1983 / Arrêt n° 10/83 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle séant à Kigali, a rendu l’arrêt suivant après l’examen de la loi portant adhésion au protocole additionnel à la convention générale sur les privilèges et immunités de l’Organisation de l’Unité Africaine.

La Cour,

(…)

Attendu qu’il résulte de l’instruction que le Protocole Additionnel à la Convention Générale sur le Privilèges et Immunités de l’Organisation de l’Unité Africaine, dont le texte de Ratification est soumis à l’examen de conformité à la Constitution, établit, d’une part, en son article II, 2, b et h, au profit des Fonctionnaires des Institutions de l’Organisation de l’Unité Africaine, les immunités fiscales et douanières totales et, d’autre part, au 3 du même article, la faculté de ne pas appliquer lesdites immunités «aux nationaux dans leur pays d’origine sans que, d’ailleurs, il ressorte du texte du Protocole que les parties contractantes veuillent distinguer entre les nationaux œuvrant dans leur pays d’origine et ceux affectés à l’étranger que ces dispositions contiennent une discrimination susceptible de porter atteinte au principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi qui implique qu’à des situations semblables il soit fait application de solutions semblables que ce principe vaut pour tous les domaines y compris le domaine fiscal

Attendu qu’en effet le principe d’égalité devant la loi fiscale c’est-à-dire devant l’impôt, comme devant toutes les charges publiques, résultant du principe général d’égalité devant la loi signifie que tous les contribuables qui se trouvent dans une situation définie par la loi fiscale doivent être soumis au même régime sauf dérogation expresse de la loi qu’il s’en suit que la non application pure et simple de cette faculté comme son application éventuelle à une seule des deux catégories indiquées dans l’attendu précédent que le protocole omet de distinguer, constituerait pour le République Rwandaise une violation des articles 16 et 72 de la Constitution dans la mesure où il ne résulte pas du texte même de loi de Ratification la volonté certaine d’instituer un régime d’inégalité fiscale entre les citoyens et de préciser les limites de cette inégalité que dès lors la loi de Ratification «portant Adhésion au Protocole Additionnel à la Convention Générale sur les privilèges et Immunités de l’Organisation de l’Unité Africaine n’est pas conforme à la Constitution

Par ces motifs:

(…)

Arrête:

La loi portant Adhésion au Protocole Additionnel à la Convention Générale sur les Privilèges et Immunités de l’Organisation de l’Unité Africaine est contraire à la Constitution.

Ordonne que le présent arrêt soit transmis au Conseil national de Développement.

(…)

RWA / 1991 / A02
Rwanda/Cour constitutionnelle/19-10-1991/Arrêt n° 54-11.02-91/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.2.2.1 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – étrangers – réfugiés et candidats réfugiés
5.2.32 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété

Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle séant à Kigali, a rendu l’arrêt suivant après l’examen de la loi portant amnistie générale et voie de solution au problème des réfugiés.

La Cour,

(…)

Attendu, d’une part, que la loi portant amnistie générale et voie de solution au problème des réfugiés dispose en son article 4 alinéa 2 «Le réfugié rentrant ne peut pas réclamer les biens immeubles qu’il possédait auparavant si ceux-ci ont déjà été occupés ou ont déjà fait l’objet d’une affectation quelconque par les pouvoirs publics avant le 1er octobre 1990 que d’autre part la Constitution en son article 23 portant l’inviolabilité de la propriété privée stipule «Il ne peut y être porté atteinte que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité

(…)

Attendu, par ailleurs, que la loi sous examen se réfère en son article 1 à la situation de réfugié acquise au plus tard à la date de son entrée en vigueur pour déterminer son champ d’application puisque sont amnistiés seules mais toutes les infractions commises avant cette date

Attendu que curieusement l’article 4 alinéa 2 en interdisant la revendication des biens immeubles affectés seulement avant le 1er octobre, à l’exclusion de ceux qui auraient pu l’être postérieurement à cette date, alors que des personnes ont pu acquérir depuis qualité de réfugié, introduit entre réfugiés une discrimination qui n’est pas moins justifiée pas la constatation expresse d’une cause d’utilité publique, ce qui constitue ainsi une violation de l’article 16 de la Constitution aux termes duquel «tous les citoyens sont égaux devant la loi…

Attendu qu’il apparaît ainsi à la Cour que la loi sous examen est portée en contravention aux articles 16 et 23 de la loi fondamentale

Par ces motifs:

(…)

Arrête:

La loi portant amnistie générale et voie de solution au problème des réfugiés est contraire à la Constitution.

Ordonne que le présent arrêt soit transmis au Président du Conseil national du Développement.

(…)

RWA / 1993 / A03
Rwanda/Cour constitutionnelle/4-02-1993/Arrêt n° 001-11.02-93/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public

Avancement en grade

La Cour constitutionnelle, séant à Kigali, a rendu l’arrêt suivant après l’examen de la loi fixant les indemnités et avantages matériels alloués au Président de la République, au Premier Ministre, aux Ministres et Secrétaires d’Etat, ainsi que ceux afférents aux fonctions de Député

La Cour,

(…)

Attendu que la Constitution du 10 juin 1991 qui a mis fin à celle de 1978 institue un pouvoir législatif qu’elle confie à un organe dénommé Assemblée nationale

Attendu qu’en attendant la mise en place de cet organe, la même Constitution, par son article 101, valide le mandat des Députés au Conseil national de Développement jusqu’à la date des prochaines élections présidentielles et législatives

(…)

Attendu que pour exercer un mandat politique, tout agent de l’Etat doit demander une mise en disponibilité que les différents statuts du personnel de l’Etat régissent cette période de disponibilité

Attendu qu’en édictant des avantages d’avancement en grade ou classe pendant la période de disponibilité pour les députés, la loi crée une inégalité entre agents se trouvant dans les mêmes conditions, d’où la violation de l’article 16 de notre Constitution

Attendu que, de par son article 98, la Constitution du 10 juin 1991 abroge toutes les lois qui lui sont contraires et qu’ainsi la loi n° 18/90 du 14 avril 1990 a été abrogée le jour même de la promulgation de cette Constitution

Attendu que la loi sous examen ne peut prétendre abroger la loi ci-haut citée sans violer l’article 98 de la Constitution parce qu’elle lui reconnaîtrait force obligatoire durant toute la période du 10 juin 1991 à nos jours

Par ces motifs:

(…)

Arrête:

La loi fixant les indemnités et avantages matériels alloués au Président de la République, au Premier ministre, aux Ministres et Secrétaires d’Etat, ainsi que ceux affectés aux fonctions de député est contraire à la Constitution

Ordonne que le présent arrêt soit transmis au Président du Conseil national de Développement.

RWA / 1996 / A04
Rwanda/Cour constitutionnelle/22-08-1996/Arrêt n° 009-11.02-96/extraits

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle, séant à Kigali, a rendu l’arrêt suivant après examen de la loi organique sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du 1er octobre 1990

La Cour,

(…)

Attendu que le projet de loi sous examen a fait l’objet de critiques diverses quant à sa conformité à certains principes fondamentaux garantis par la Loi Fondamentale, tels que le principe de la non rétroactivité de la loi, l’égalité devant la loi, la personnalité de la responsabilité pénale et l’interdiction de la création de juridictions d’exception

Considérant que le principe de la non rétroactivité est effectivement proclamé par l’article 12, alinéa 2 et 3 de la Constitution du 10 juin 1991

Qu’il convient cependant de relever que ce principe a été réaménagé par l’article 6 de la loi du 18janvier 1996 portant révision de la Loi Fondamentale qui dispose comme suit

«Toutefois, la loi peut déroger, dans la stricte mesure où la situation l’exige, aux dispositions du présent alinéa, dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation

«Les actes ou omissions qui n’étaient pas punissables au moment où ils ont été commis, peuvent être poursuivis ou jugés s’ils étaient tenus pour criminels d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations.

Considérant que l’article 16 de la Constitution consacre l’égalité des citoyens devant la loi

Qu’il convient néanmoins de constater que ce principe n’a pas été contrarié par les dispositions de l’article 2 de la loi sous examen dans la mesure où il assure un traitement égal aux personnes classées dans la même catégorie

Que par ailleurs une doctrine établie conclut dans le même sens en énonçant que «la Constitution … a fixé aux pouvoirs publics … un objectif … faire en sorte que, la loi entendue au sens large du terme, soit la même pour tous, afin que des situations similaires soient traitées de manière identique … que des situations différentes soient traitées de manière distincte … en s’efforçant de tracer une ligne de démarcation entre la «différenciation, admise et tolérable, et la «discrimination, illégale et inadmissible (F. DELPEREE «Droit constitutionnel T. 1, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 1987, pp. 194 à 195).

(…)

Considérant que l’article 26, alinéa 3 du Protocole d’Accord entre le Gouvernement de la République Rwandaise et le Front Patriotique Rwandais sur le partage du pouvoir dans le cadre d’un Gouvernement de transition à base élargie, faisant partie intégrante de la Loi Fondamentale, interdit la création de juridictions d’exception

Qu’il convient néanmoins de constater que la création de chambres spécialisées rattachées aux tribunaux de première instance et aux juridictions militaires s’écarte nullement du prescrit de la disposition précitée de la Loi Fondamentale, du fait qu’elles s’appuient toujours sur les structures judiciaires existantes tout en répondant efficacement au contentieux exceptionnel du génocide et des crimes contre l’humanité

Par ces motifs:

(…)

Arrête:

Article 1er . – La loi organique sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du 1er octobre 1990 est conforme à la Loi Fondamentale.

Article 2. – Ordonne que le Présent arrêt soit transmis au Premier ministre.

(…)

RWA / 1996 / A05
Rwanda/Cour constitutionnelle/17-09-1996/Arrêt n° 0011-11.02-96/extraits

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable

Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle, séant à Kigali, a rendu l’arrêt suivant après examen de la loi organique relative aux moyens d’information et de contrôle de l’Assemblée nationale de transition à l’égard de l’action gouvernementale

La Cour,

(…)

Attendu que l’article 78 du Protocole d’Accord de Paix d’Arusha sur le Partage du pouvoir tel que modifié à ce jour dispose qu’une loi organique fixe les conditions et la procédure d’application des moyens d’information et de contrôle à l’égard de l’action gouvernementale par l’Assemblée nationale de Transition

Attendu que la Constitution du 10 juin 1991 consacre, en son article 16, l’égalité de tous les citoyens devant la loi et leur reconnaît un traitement égal devant celle-ci

Considérant par contre que l’alinéa 1er de l’article 9 de la loi sous examen viole ce principe du fait qu’il instaure un traitement de faveur à l’égard de personnes susceptibles par ailleurs d’être normalement poursuivies pour diverses infractions telles que les imputations dommageables, les dénonciations calomnieuses, les violations de secrets professionnels..

Attendu que dans son préambule la Constitution du 10 juin 1991, en son alinéa 5, proclame un souci «d’assurer la protection de la personne humaine et de promouvoir le respect des libertés fondamentales, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

Attendu que l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, reconnaît à toute personne le «droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi que ce même principe est également consacré par l’article 14 de la même Constitution qui précise que «la défense est un droit absolu dans tous les états et à tous les degrés de la procédure

Considérant cependant que l’alinéa 2 de l’article 9 de la loi sous examen prive les personnes qui se trouveraient lésées par le comportement des personnes visées à l’alinéa 1er du même article de leur droit à défendre leurs intérêts

Attendu que l’article 12 de la Constitution du 10 juin 1991, en ses alinéas 2 et 3, consacre le principe de la légalité des poursuites et des peines

Considérant néanmoins que le même alinéa 2 du même article 9 de la loi sous examen ne précise pas en vertu de quelles dispositions légales peut être poursuivie et punie une personne au seul motif d’avoir cherché à assurer la défense de ses intérêts.

Par ces motifs:

(…)

Arrête:

Article 1er . – La loi organique relative aux moyens d’information et de contrôle de l’Assemblée nationale de Transition à l’égard de l’action gouvernementale est contraire à la Loi Fondamentale en son article 9.

Article 2. – Ordonne que le présent arrêt soit transmis au Président de l’Assemblée nationale de Transition.

(…)

RWA / 1997 / A06
Rwanda/Cour constitutionnelle/7-01-1997/Arrêt n° 001-11.02-97/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Ancienneté – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle, séant à Kigali, a rendu l’arrêt suivant après examen de la loi portant création du Barreau au Rwanda

La Cour,

(…)

Attendu que la Constitution du 10 juin 1991 consacre, en son article 16, l’égalité de tous les citoyens devant la loi et leur reconnaît un traitement égal devant celle-ci;

Considérant cependant que l’article 18 de la loi sous examen viole le principe précité, du fait qu’il ne soumet pas aux mêmes conditions d’ancienneté de fonctions, et de conformité aux exigences de l’article 5 de la loi sous examen toutes les catégories de personnes susceptibles d’être dispensées du stage; Considérant par ailleurs, qu’il en va de même pour l’article 96 de la même loi sous examen en ce qui concerne l’accès à la profession de défenseur judiciaire;

Attendu que le Protocole de Paix d’Arusha en son article 27, a) confère à la Cour suprême les compétences de «diriger et coordonner les activités des cours et tribunaux de la République»;

Attendu que ce même Protocole d’Accord de Paix d’Arusha en son article 39, a) et c) reconnaît au Conseil Supérieur de la Magistrature la mission et le monopole d’une part, de «décider de la nomination, de la révocation et, en général, de la gestion de la carrière des magistrats du siège…», et, d’autre part, de «donner des avis consultatifs d’initiative ou sur demande, sur toutes questions intéressant l’administration de la justice»;

Considérant néanmoins que l’article 58 de la loi sous examen viole le Protocole d’Accord de Paix d’Arusha sur le partage du pouvoir dans ses dispositions ci-dessus rappelées du fait qu’il confère aux Présidents des Cours d’Appel et des Tribunaux de Première Instance le pouvoir d’appeler des avocats pour suppléer temporairement à l’absence de magistrats;

Par ces motifs:

(…)

Arrête:

Article 1er . – La loi portant création du barreau au Rwanda, dans ses articles 18, 58, et 96, est contraire à la Loi Fondamentale.

Article 2. – Ordonne que le présent arrêt soit transmis au Président de l’Assemblée nationale de Transition.

(…)

RWA / 1997 / A07
Rwanda / Cour constitutionnelle / 27-11-1997 / Arrêt n° 0022-11.02-97 / texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Fonds National pour l’assistance aux victimes les plus nécessiteuses du génocide (…)

La Cour constitutionnelle, séant à Kigali à rendu l’arrêt suivant après examen de la loi portant création du Fonds National pour l’Assistance aux victimes les plus nécessiteuses du génocide et des massacres perpétrés au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994.

La Cour,

Le Rapporteur ayant été entendu;

VU la lettre n° 0610/00/P/DJ/VK/AU/97 du 21 novembre 1997 du Président de l’Assemblée nationale de Transition adressée au Président de la Cour constitutionnelle, reçue au greffe de celle-ci le même jour et la saisissant pour se prononcer sur la constitutionnalité de la loi portant création du Fonds National pour l’assistance aux victimes les plus nécessiteuses du Génocide et des massacres perpétrés au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994;

VU l’ordonnance n° 19/97 du 26 novembre 1997 du Président de la Cour constitutionnelle fixant au jeudi 27 novembre 1997 à 9 heures du matin l’examen de ladite loi;

VU la lettre n° 201/02.11 du 12 mars 1997 du Premier ministre transmettant pour examen, à l’Assemblée nationale de Transition, le projet de loi portant création du Fonds National pour l’assistance aux victimes les plus nécessiteuses du Génocide et des massacres perpétrés au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994;

Attendu que la loi soumise à l’examen de la Cour constitutionnelle cherche, à bon droit, à organiser la solidarité nationale en faveur des victimes les plus nécessiteuses du Génocide et des massacres perpétrés au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994;

Attendu que, du reste, pour répondre à cette exigence, la loi Fondamentale, en son protocole d’Accord d’Arusha relatif au Partage du Pouvoir, dans son article 23, D3, confie au Gouvernement de transition à base élargie entre autres missions celle de «mettre en place un programme d’assistance aux victimes de guerre (civils et militaires) et des troubles sociaux survenus depuis la guerre, handicapé(e)s physiques, orphelin(e)s, veufs et veuves»;

Attendu que la Loi Fondamentale, spécialement dans l’article 16 de la Constitution du 10 juin 1991, consacre l’égalité de tous les citoyens devant la loi, et leur reconnaît un traitement égal devant celle-ci;

Considérant cependant que l’article 12 de la loi sous examen s’écarte de ce principe, du fait que, d’une part, l’énumération qu’il fait des personnes assujetties à la cotisation est loin d’être exhaustive, car il omet de mentionner certaines catégories socio-professionnelles à revenus généralement importants, et en énonce par contre d’autres sans ressources apparentes, et que, d’autre part, les montants qu’il fixe au titre des cotisations requises ne paraissent se baser sur aucun critère objectif et uniforme pour toutes les catégories des personnes visées;

Par ces motifs:

Vu L’Accord de Paix d’Arusha en son Protocole d’Accord entre le Gouvernement de la République Rwandaise et le Front Patriotique Rwandais sur le partage du pouvoir, spécialement en ses articles 6 d), 23 (D3 ), 27 b), et 28 c), 40, 72 et 73;

Vu La Constitution du 10 juin 1991, spécialement en ses articles 12, 16, 23, 33, 69 et 75, alinéaler ;

Vu La loi organique n° 07/96 du 06 juin 1996 portant Organisation, Fonctionnement et Compétence de la Cour suprême, en son article 1er ;

Vu La loi du 23 février 1963 portant organisation de la Cour suprême, en ses articles 44 et 45;

Arrête:

Article 1er . – La loi portant création du Fonds National pour l’assistance aux victimes les plus nécessiteuses du Génocide et des massacres perpétrés au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, dans son article 12, est contraire à la loi Fondamentale.

Article 2. – Ordonne que le présent arrêt soit transmis au Président de l’Assemblée nationale de transition.

Ainsi arrêté et prononcé par la Cour constitutionnelle, en son audience du 27 novembre 1997, où siégeaient Messieurs: P. RUTAYISIRE, président; D. GASARABWE et CH. HABARUGIRA, conseillers et E. MUKAHIRWA, greffier.

P. RUTAYISIRE: Président.

GASARABWE: Conseiller-rapporteur.

CH. HABARUGIRA: Conseiller

E. MUKAHIRWA: Greffier.

Conseil constitutionnel du Sénégal

SEN / 1993 / A01
Sénégal / Conseil constitutionnel / 13-03-1993 / Décision n° 6-93 / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication

Campagne électorale – Candidats (à une élection)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

IV. – Au fond:

Considérant que les candidats Abdoulaye BATHILY, Abdoulaye WADE, Iba Der THIAM, Landing SAVANE et Babacar NIANG, ont demandé l’annulation du scrutin, aux motifs que de nombreuses irrégularités ont été constatées:

  • dans les inscriptions sur les listes électorales;
  • pendant la pré-campagne électorale;
  • au cours de la campagne électorale;
  • le jour du scrutin;

A. Sur le moyen tiré des irrégularités dans les inscriptions sur les listes électorales

Considérant que les requérants ont soutenu que des inscriptions ont été faites en dehors de la période de révision exceptionnelle en violation des dispositions des articles L 14, L 23, L 24, L 27 du Code électoral; qu’il a été en outre procédé, selon eux à la rétention abusive de cartes d’identité et de cartes d’électeurs;

Considérant que les articles L 20, L 21, L 24, L 25, L 27 et L 28 du Code électoral disposent que l’ensemble du contentieux de la liste électorale est dévolu au Président du Tribunal départemental dont les décisions peuvent faire l’objet d’un recours en cassation, conformément aux dispositions de l’article 40 de la loi organique sur le Conseil d’Etat;

Qu’au surplus les recours formés contre la liste électorale soit en contestation, soit en réclamation, constituent un droit individuel; que seul l’électeur peut exercer;

Considérant que le Conseil constitutionnel n’est compétent que si les irrégularités commises lors de l’établissement des listes électorales, constituaient des manœuvres susceptibles de porter atteinte, par leur nature et leur gravité, à la sincérité des opérations électorales;

B. Sur le moyen tiré des irrégularités commises pendant la pré-campagne électorale

Considérant qu’à l’appui de leurs prétentions, les requérants ont excipé de la violation de l’article 37 du Code électoral en ce que le candidat Abdou DIOUF a bénéficié d’une propagande déguisée à la Radiodiffusion et à la Télévision le 30 décembre 1992;

Considérant que ce moyen vise essentiellement la controverse soulevée à l’occasion de la détermination du point de départ de la campagne électorale et par conséquent, du terme du délai de 30 jours précédant l’ouverture de la campagne électorale durant laquelle «est interdite toute propagande déguisée ayant pour support les médias dans le capital desquels l’Etat détient soit directement, soit indirectement, partie ou totalité des actions ou parts sociales»;

Considérant que ce litige a été définitivement tranché dans un avis du 18 janvier 1993 par le Haut Conseil de la Radio-Télévision, qui aux termes de l’article L 37 du Code électoral «est chargé de veiller à l’application stricte de cette interdiction» et de proposer les formes appropriées de réparations en tant que de besoin;

Considérant qu’il n’est ni prouvé ni offert d’être prouvé que cette prétendue irrégularité ait eu pour effet d’altérer la sincérité des élections;

C. Sur le moyen tiré des irrégularités commises pendant la campagne électorale ayant entraîné la rupture de l’égalité entre les candidats

  • par l’utilisation des biens et moyens publics;
  • par le traitement déséquilibré de l’information par le Journal «Le Soleil», par le «montage trompeur» du reportage d’un meeting d’un candidat et par la diffusion d’une manifestation de soutien d’un Chef Religieux, à la Télévision;

Considérant que la question de l’utilisation des biens ou moyens publics aux fins de la campagne est réglée par les dispositions des articles L 76 et L 77 qui sanctionnent pénalement ceux qui ont contrevenu aux dispositions de l’article L 37;

qu’ainsi les requérants auraient dû saisir le juge pénal compétent;

Qu’au demeurant, ces faits qui seraient délictueux n’ont pas été prouvés devant le juge électoral; qu’en admettant même que les faits dénoncés soient établis, il n’est nullement prouvé par les requérants qu’ils aient exercé une influence déterminante sur les électeurs pour modifier le résultat du scrutin;

Considérant qu’en ce qui concerne le «montage trompeur» du reportage d’un meeting à la télévision, il y a lieu de faire observer, que la Cour d’Appel de Dakar, saisie par un candidat par requête en date du 16 février 1993 a fait parvenir le 19 février 1993), une lettre au Directeur général de la Radio Télévision Sénégalaise dans laquelle elle lui a fait injonction de respecter les prescriptions légales relatives à la diffusion par la télévision des meetings des candidats;

Que par la lettre en date du 17 février 1993, elle a fait également une injonction au Président Directeur général du Journal «Le Soleil» pour que cet organe de presse respecte également le principe de l’égalité de traitement de l’information;

Que les actes ont été fort justement appréciés par la Cour d’Appel compétente;

Considérant qu’en ce qui concerne la diffusion des images d’une manifestation organisée par une autorité religieuse qui a eu lieu à Tivaouane le 19 février 1993, jour de clôture de la campagne électorale, ni le Haut Conseil de la Radio-Télévision, ni la Cour d’Appel, compétents en la matière, n’ont été saisis d’une quelconque réclamation alors que celle-ci était encore possible;

Considérant que si les requérants ont fait valoir que cette manifestation constituait une pression morale sur les électeurs, il n’est pas évident qu’elle a eu une influence déterminante sur le scrutin ayant pu porter atteinte à la liberté de vote des électeurs qui ont regardé cette émission; qu’il n’en reste pas moins que la diffusion de cette manifestation par la Télévision, alors que la campagne électorale allait être clôturée est regrettable;

(…)

Décide:

1. – le bien-fondé de sa compétence, en application de l’article 29 de la Constitution;

2. – que les recours de Messieurs

–Abdoulaye BATHILY

–Babacar NIANG

–Abdou DIOUF

–Abdoulaye WADE

–Iba Der THIAM

–Landing SAVANE

sont recevables en la forme;

3. – la jonction desdits recours;

4. – au fond, le rejet des recours de Abdoulaye BATHILY, Babacar NIANG, Abdoulaye WADE, Iba Der THIAM, Landing SAVANE comme mal-fondés.

Déclare:

(résultats) (…)

SEN / 1993 / A02
Sénégal/Conseil constitutionnel/23-06-1993/Décision n° 11-93/extraits

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
2.1.1.13 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – autres sources internationales
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.15 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – égalité des armes

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 – Justice (égalité devant la justice) – Loi (égalité devant la loi)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

4. – Considérant qu’en son article 33, la loi organique critiquée dispose:

«Les décisions de la Cour de Cassation ne sont susceptibles d’aucun recours, à l’exception de la requête en rectification d’erreur matérielle et de la requête en rabat d’arrêt. Celle-ci est présentée, de sa propre initiative ou sur instruction du Ministre de la Justice par le Procureur général, ou déposée par les parties ellesmêmes. La requête en rabat d’arrêt ne peut être accueillie que lorsque l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de procédure non imputable à la partie intéressée, et qui a affecté la solution donnée à l’affaire par la Cour de Cassation;

«Cette voie de recours n’est applicable aux arrêts rendus par la Cour suprême dans les matières qui relèvent des compétences de la Cour de Cassation depuis l’entrée en vigueur de la présente loi organique que si lesdits arrêts n’ont pas été entièrement exécutés à la date du pourvoi;

«Les requêtes en rabat d’arrêt sont jugées en Chambres réunies. Les magistrats ayant eu à prononcer antérieurement dans l’affaire ne prennent pas part au délibéré»;

(…)

Sur le principe de la non-rétroactvité des Lois:

6. – Considérant qu’en instituant, par le vote de la loi organique n° 92.25 du 30 mai 1992, une nouvelle voie de recours qu’est le rabat d’arrêt, et en décidant de l’appliquer aux décisions de l’ancienne Cour suprême, le législateur a conféré à ladite loi un caractère rétroactif;

7. – Considérant que la règle de la non-rétroactivité des lois n’a de valeur constitutionnelle qu’en matière pénale, conformément aux articles 6 de la Constitution, 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et 11.2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948; qu’en tout autre domaine, elle est un principe général du droit auquel la loi peut déroger; qu’il s’ensuit que le législateur est en droit de donner un caractère rétroactif à une loi;

8. – Considérant, néanmoins, que la modification, l’abrogation d’une loi comme la rétroactivité d’une loi nouvelle, ne peuvent remettre au cause des situations existantes, que dans le respect des droits et libertés de valeur constitutionnelle;

Qu’en effet, s’il appartient au législateur, sous réserve de l’application immédiate de la loi pénale plus douce, de déterminer la date d’entrée en vigueur d’une loi, le pouvoir qui lui est ainsi conféré n’est pas sans limites; Sur l’autorité de la chose jugée:

9. – Considérant qu’il n’est pas contestable qu’à la date de l’adoption de la loi organique n° 92.25 du 30 mai 1992, instituant la procédure de rabat d’arrêt, la décision déférée rendue par l’ancienne Cour suprême était devenue définitive du fait de l’épuisement des voies de recours et de l’expiration des délais de recours, prévus par les textes en vigueur au moment où elle a été rendue; que dès lors elle était devenue irrévocable;

10. – Considérant que ladite loi organique, en créant une nouvelle voie de recours et en la rendant applicable à une telle décision de justice remet en cause les droits reconnus des justiciables et aboutit ainsi à les priver de garanties constitutionnelles;

11. – Considérant que cette atteinte à l’autorité de la chose jugée viole, en outre, le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire à l’égard du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, consacré par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et l’article 80 de la Constitution ainsi que par les conventions, les lois et coutumes en vigueur;

Que le principe de la séparation de pouvoirs interdit aux pouvoirs législatif et exécutif d’empiéter sur le pouvoir judiciaire en censurant ou en anéantissant les décisions de justice passées en force de chose jugée, et en privant les citoyens des droits garantis par la Constitution;

12. – Considérant qu’en l’espèce, le fait de limiter la procédure de rabat d’arrêt aux décisions rendues par l’ancienne Cour suprême et non entièrement exécutées à la date de la requête en rabat d’arrêt, est contraire aux principes de valeur constitutionnelle;

Qu’en effet une telle restriction subordonne l’autorité de chose jugée s’attachant aux arrêts de l’ancienne Cour suprême, à leur exécution ou à leur inexécution qui ne relève nullement du juge, mais des parties elles-mêmes;

13. – Considérant, surtout, que la mise en ouvre de la procédure de rabat d’arrêt de l’article 33 alinéa 2 par la Cour de Cassation entraînerait une inégalité non justifiée entre les justiciables, en ouvrant la nouvelle voie de recours à certains d’entre eux et pas à d’autres, selon qu’ils cherchent à remettre en cause une sentence non entièrement exécutée ou une sentence déjà exécutée, en violation du principe de l’égalité devant la loi et devant la justice, consacré par l’article 6 de la Déclaration de 1789, l’article 7 de la Déclaration de 1948, l’article 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et les articles premier et 7 de la Constitution;

14. – Considérant en conséquence, qu’en adoptant la loi organique n° 92.25 du 30 mai 1992 créant la procédure de rabat d’arrêt et dont l’article 33 alinéa 2 étend l’application aux arrêts de la Cour suprême qui n’ont pas été entièrement exécutés à la date de pourvoi (en réalité de la requête en rabat d’arrêt), bien qu’ils soient passés en force de chose jugée, le législateur a outrepassé ses compétences et empiété sur les prérogatives du pouvoir judiciaire, en violation de principes à valeur constitutionnelle sans qu’en aucun cas, cette violation puisse être justifiée par la sauvegarde d’un intérêt général ou de l’ordre public.

Décide:

Article 1er . – L’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant la Cour de Cassation et relative au rabat de l’arrêt n° 34 du 11 avril 1992 de la Cour suprême est recevable.

Article 2. – L’alinéa 2 de l’article 33 de la loi organique n° 92.25 du 30 mai 1992, sur la Cour de Cassation, n’est pas conforme à la Constitution.

Article 3. – Il ne peut plus être fait application de cette disposition conformément à l’article 20 de la loi organique n° 92.23 du 30 mai 1992 sur le Conseil constitutionnel.

Article 4. – La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président de l’Assemblée nationale et aux auteurs du recours.

Article 5. – La présente décision sera publiée au Journal officiel du Sénégal.

(…)

SEN / 1994 / A03
Sénégal / Conseil constitutionnel / 27-07-1994 / Décision n° 15-94 / texte intégral

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.9.8 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – indépendance

Le Conseil constitutionnel,

VU La constitution, notamment en son article 76;

VU La loi organique n° 92.23 du 30 mai 1992 sur le Conseil constitutionnel, notamment en son article premier;

VU La loi organique modifiant la loi organique n° 092.27 du 30 mai 1992 portant statut des Magistrats;

VU La lettre N 02222 PR/SGG/SL du premier juillet 1994 du Président de la République tendant à faire déclarer la conformité de ladite loi organique à la constitution;

VU L’extrait du procès-verbal analytique de la séance du vendredi 10 juin 1994 de l’Assemblée nationale;

Monsieur Ibou DIAITE, ayant été entendu en son rapport;

Après en avoir délibéré conformément à la loi;

Considérant que par lettre n° 02222 PR/SGG/SL du premier juillet 1994, enregistrée au Greffe le 5 juillet 1944 sous le n° 2/C/94, le Président de la République a saisi le Conseil constitutionnel aux fins de déclarer conforme à la Constitution la loi organique modifiant la loi organique n° 92.27 du 30 mai 1992 portant statut des Magistrats;

Considérant que la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République se fonde sur l’article 67 alinéa 2 de la Constitution et l’article premier de la loi organique n° 92.23 du 30mai 1992 sur le Conseil constitutionnel;

Considérant que suivant l’article 67 alinéa 2 de la Constitution, les lois qualifiées organiques par la Constitution «ne peuvent être promulguées si le Conseil constitutionnel obligatoirement saisi par le Président de la République, ne les a déclarées conformes à la Constitution»; qu’en vertu de l’article premier de la loi organique sur le conseil constitutionnel, le Conseil se prononce «sur la constitutionnalité des lois organiques»;

Considérant que l’extrait du procès-verbal analytique de la séance du 10 juin 1994 de l’Assemblée nationale, joint à la lettre de saisine du Président de la République, indique que la loi organique dont le Conseil constitutionnel est saisi a été votée à la majorité de 66 voix, 1 contre et 5abstentions, que la majorité absolue des membres composant l’Assemblée étant de 61 voix, ce vote a donc été acquis conformément à l’article 67 alinéa premier de la Constitution qui dispose que «les lois qualifiées organiques par la constitution sont votées et modifiées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale»;

Considérant que dans ses articles premier, 3 et 4, la loi organique soumise à l’examen du Conseil abroge et remplace respectivement l’article 42, le dernier alinéa de l’article 47 et l’article 69 de la loi organique n° 92.27 du 30 mai 1992 portant Statut des Magistrats; que son article 2 complète ladite loi organique en y ajoutant un article 42bis; que son cinquième et dernier article prévoir une période transitoire de 3 ans pendant laquelle «les magistrats du premier grade ayant atteint les quatrième et cinquième échelons peuvent être nommés à un emplois hors hiérarchie des Cours d’appel, de l’Administration centrale du Ministère de la Justice et des Tribunaux régionaux hors classe»;

Considérant qu’il ressort de ces articles que la loi organique soumise au conseil, comme la loi organique n° 92.27 du 30 mai 1992 qu’elle modifie, est une application de l’article 80ter alinéa 4 de la Constitution en vertu duquel le Statut des Magistrats est fixé par une loi organique; que ses articles 1, 2, 3 et 5 ne violent aucun principe constitutionnel;

Considérant, au contraire, que son article 4 abrogeant et remplaçant l’article 69 de la loi organique n° 92.27 dispose:

«Article 69:

Les agents de l’Etat titulaires de la maîtrise en droit exerçant avant l’entrée en vigueur de la présente loi organique et désignés par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, pour combler le déficit du nombre de magistrats, dans certaines juridictions, peuvent, après un stage concluant de six mois dont les modalités seront fixées par décret, être nommés dans le corps des magistrats.

«Ceux dont le stage n’aura pas été concluant sont rendus à leur administration d’origine»;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées ce qui suit:

1. – Outre l’absence de toute indication sur la fonction exercée par les agents de l’Etat titulaires d’une maîtrise en Droit, qui peuvent être nommés dans le corps des magistrats, la désignation de ces agents par le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, n’est subordonnée à aucune condition d’ancienneté dans l’exercice de leur profession, alors que cette condition est exigée en ce qui concerne les autres personnes qui peuvent être nommées magistrats sur titre, qu’il s’agisse des fonctionnaires de la hiérarchie A (article 42 nouveau) ou même des professionnels du Droit comme les avocats, les greffiers en chef et les professeurs titulaires des Facultés de Droit (articles 42 et 47 nouveaux);

2. – Pour être nommés dans «le corps des magistrats», les agents de l’Etat visés ne doivent suivre qu’«un stage concluant» de 6 mois, alors que pour être nommés juges suppléants, – premier stade de la hiérarchie judiciaire – les titulaires d’une maîtrise en Droit admis sur concours à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (section judiciaire) doivent suivre une formation de deux ans sanctionnée obligatoirement par un brevet obtenu à l’issue d’un examen de sortie et qu’au surplus, les agents de l’Etat titulaires d’une maîtrise en Droit, désignés par le Ministre de la Justice, n’exerceront plus la fonction de juge à titre provisoire comme le prévoyait l’article 69 ancien, mais seront nommés dans «le corps des magistrats «à titre permanent; au demeurant l’expression «corps des magistrats «qui désignait la catégorie des juges de paix intégrés par la suite dans le corps des magistrats des Cours et Tribunaux n’a plus aucune signification juridique puisque l’article 71 de la loi organique n° 92.27 du 30 mai 1992 portant Statut des Magistrats dispose:

«le corps des magistrats des tribunaux est supprimé»;

3. – Enfin, cette nomination peut intervenir sans que l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature soit légalement exigé, à la différence de toutes les autres nominations sur titre;

Considérant que de telles lacunes et discriminations, non conformes aux normes internationales relatives à la qualification, à la sélection et à la formation des personnes devant remplir des fonctions de magistrat, sont susceptibles d’engendrer des iniquités et des situations arbitraires contraires au principe de l’indépendance des juges garanti par la Constitution, et au principe d’égalité également reconnu par le Constitution, par référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont l’article 6 dispose que «tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places, et emplois publics, selon leur capacité…» et à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui, par son article 21 paragraphe 2, affirme que «toute personne a droit à accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques de son pays.»

Décide:

1. – L’article 4 de la loi organique modifiant l’article 69 de la loi organique n° 92.27 du 30 mai 1992 portant Statut des Magistrats est déclaré non conforme à la Constitution.

2. – Les autres dispositions de la loi organique soumise au Conseil sont déclarées conformes à la Constitution.

3. – La présente décision sera publiée au Journal officiel et par toutes autres voies jugées opportunes.

Délibérée par le Conseil constitutionnel en sa séance du 27 juillet 1994.

Cour constitutionnelle des Seychelles

SEY / 1996 / A01
Seychelles/Cour constitutionnelle/3-04-1996/Affaire constitutionnelle n° 9/Roger Mancienne c. Le Procureur général/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.3.3 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence étrangère
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.4 Droits fondamentaux – problématique générale – limites et restrictions

Catégorisation –Constitution des Etats-Unis – Intervention législative – Loi (égale protection de la loi)

Devant la Cour constitutionnelle des Seychelles

Roger MANCIENNE

Saisissant

CONTRE

LE PROCUREUR GENERAL

Défendeur

Affaire constitutionnelle n° 9 de 1995

M. B. Georges, pour le saisissant
M. A. Fernando, pour le défendeur

Décision:

BWANA, Juge

Les conseils des parties reconnaissent que la Loi n° 20 de 1995 sur le développement économique (ci-après selon son acronyme, la LDE) a pour objectif de promouvoir un développement économique soutenu des Seychelles indépendamment des dispositions litigieuses qui seront analysées dans cette décision. Le contexte de cette Loi est décrit par M. James Michel, Ministre des Finances, dans son mémoire en défense comme suit:

Afin de promouvoir un développement économique des Seychelles et de maintenir un panier suffisant de devises étrangères, il faut encourager de nouveaux investissements. Les revenus des sources traditionnelles et courantes de devises étrangères, à savoir le tourisme et la pêche, sont sujets aux influences et tendances extérieures qui tendent à fluctuer en fonction des critères qui échappent au contrôle des Seychelles. L’importation de la nourriture et d’autres besoins épuisent considérablement lesdites réserves de changes du pays. La situation est devenue plus critique avec la réduction de l’aide étrangère venant du donateur traditionnel du pays. Vu les ressources limitées du pays, sa situation géographique et le nombre de sa population, le gouvernement a adopté dans un passé récent des mesures, sous la forme des Lois incitatives à l’investissement et à la diversification des activités économiques de base. La LDE fait partie d’une de ces mesures législatives. Malgré les nombreuses tentatives du gouvernement pour résoudre ce difficile problème économique (le manque de devises étrangères), la situation ne s’est toujours pas améliorée et ainsi le gouvernement était dans l’obligation de faire la LDE afin d’attirer ces investissements dans un monde qui devient sur le plan de l’investissement étranger excessivement compétitif.

Eu égard à ce contexte, il est évident que la LDE, comparée à d’autres mesures législatives similaires qui existent au Royaume-Uni et aux Etats-Unis d’Amérique, est dans l’ensemble une législation hybride. D’une façon générale, elle pose des conditions spéciales pour une catégorie de personnes, les investisseurs. Ce sont des personnes qui investissent pour un montant minimum. Ce montant minimum pour faire partie de la catégorie est 10 millions dollars américains. Un investisseur qui fait partie de cette catégorie en vertu des dispositions de la LDE jouirait de certains privilèges qui ne sont pas accordées à d’autres personnes. Ces faits constituent le fondement de la saisine.

Le saisissant, à travers son conseil, M. Bernard Georges assisté de la talentueuse Mademoiselle A. Harjanis, a soulevé plusieurs moyens à savoir:

  1. L’article 5-7-a et b de la LDE serait inconstitutionnel.
  2. Le dit article 5-7 viole l’article 27 de la Constitution en ce sens qu’une immunité accordée aux investisseurs contre les poursuites pénales et contre la saisie de leurs biens porte atteinte à l’égalité du saisissant vis-à-vis desdits investisseurs.
  3. Ladite immunité contre la confiscation de leurs biens méconnaît l’article 27 de la Constitution ou est susceptible de le violer dans la mesure où, par exemple, un créditeur titulaire d’un titre exécutoire ne pourra pas procéder à la saisie ou la vente des biens desdits investisseurs pour recouvrer sa créance.

Dans son exposé, M. Georges a décrit la LDE comme « un bon texte de Loi qui n’a pas besoin des immunités… les immunités sont inconstitutionnelles ». En fait, cette saisine a pour objectif de contester la constitutionnalité des immunités prévues par l’article 5-7-a et b de la LDE. Elle porte également sur la catégorisation des investisseurs en vertu de la LDE. Enfin, elle porte sur la question de savoir si le saisissant peut obtenir gain de cause en vertu de l’article 46 de la Constitution.

En ce qui concerne les immunités, M. Georges prétend que:

  1. Le Comité est investi du pouvoir de contracter au nom du gouvernement (article 5-9).
  2. Une fois un avantage accordé (article 6-2), il ne peut pas être retiré même si le bénéficiaire n’est plus un investisseur (article 6-4).
  3. Les avantages de l’article 5-7 violent l’article 27 de la Constitution, une disposition contenant une garantie effective. La principe d’égale protection de la Loi sera méconnu.

Lors de sa présentation de la question de la catégorisation, M. Georges a contesté le mode de catégorisation à partir de 10 millions dollars américains en invoquant l’analyse de la notion de la catégorisation opérée par de nombreuses grandes autorités, tel M. Baghwati, l’ancien Chef-Juge de l’Inde. Le Quatorzième Amendement à la Constitution des Etats-Unis aussi bien que la notion d’activisme judiciaire ont été cités comme exemples. Il a conclu remarquablement en ces termes: « Par conséquent, la création des catégories ne procède pas du critère de 10 millions de dollars américains, mais des immunités accordées… si tout ce qu’il dit est justifié et si ce que prétend le Ministre dans son mémoire est fondé, pourquoi les immunités sont-elles nécessaires… Je soutiens que la catégorisation n’est pas régulière… ». En ce qui concerne l’article 46, M. Georges avance qu’il y a une distinction à faire entre l’article 46 et l’article 130-1. Selon l’article 130 « … la personne qui allègue l’infraction doit démontrer au-delà de l’infraction que ses intérêts sont ou sont susceptibles d’être lésés par l’infraction. L’article 46 ne pose pas une telle condition… en vertu de l’article 46 le saisissant a seulement à démontrer qu’il existe une infraction, une infraction à son encontre… dans cette affaire, M. Roger Mancienne n’a pas à en faire la preuve, tout ce qu’il doit démontrer c’est que la Loi a créé une inégalité… que certaines personnes bénéficient d’une immunité et pas lui… ».

Dans sa réplique, M. A. Fernando, assisté de M. Romesh Kanakaratne et de M. Frank Simeon, Avocats d’Etat, a fait une analyse approfondie des éléments composant le principe d’égale protection de la loi; la catégorisation et le pouvoir de l’Etat de en la matière; le rôle et le devoir du juge dans une affaire de cette nature et enfin la question de savoir si le saisissant peut avoir gain de cause sur la base des articles 27 et 46. Je vais maintenant examiner ces moyens.

Vu l’importance des moyens soulevés dans cette affaire, il me paraît opportun de les analyser en deux temps, à savoir, premièrement les points de droit soulevés et deuxièmement la question de savoir si le saisissant peut soutenir avec succès qu’il est victime d’une discrimination. La deuxième partie peut ne pas être liée avec la conclusion de la première. Je vais donc commencer par examiner la question de la constitutionnalité de l’article 5-7 a et b. Ce faisant, je retiens l’observation de M. Georges (page 16 du dossier) selon laquelle:

« … La LDE deviendra un très bon texte de loi si on enlève certaines de ses dispositions… Je soutiens que la LDE est un très bon texte de loi sans les immunités… les immunités sont inconstitutionnelles… »

M. Georges considère que les immunités méconnaissent l’article 27 de la Constitution. M. Fernando réplique en citant de nombreuses autorités qui soutiennent la constitutionnalité de l’article 5-7 a et b.

(…)

Je vais maintenant examiner si l’article 5-7-a et b de la LDE viole l’article 27 de la Constitution.

L’article 27 traite de l’égalité. Il ne manque pas d’autorités sur ce sujet, comme l’ont indiqué les deux conseils. Il a été soutenu que l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi ont la même signification. Pour le dire plus simplement et clairement, le mon Egalité signifie:

« … la condition de posséder les mêmes droits, privilèges et immunités et d’être soumis substantiellement aux mêmes devoirs… » (Dictionnaire juridique de Black, 6e édition).

Cependant, lorsqu’il s’agit de l’interprétation de la Loi, en prenant en considération les différentes autorités citées par les deux conseils et les autorités suivantes:

–Le Quatorzième Amendement à la Constitution des Etats-Unis d’Amérique;

–Les grands arrêts suivants des Etats-Unis d’Amérique:

  1. Boyne c. State, ex relatione Dickerson, Nevada Reports, vol. 80, partie 160, 390 p., v. p. 227;
  2. Dans l’affaire Re Adoption of Richardson, California Appellate Reports, 2e série, vol. 251, California Reporter, vol. 222, p. 334;
  3. People c. Jacobs, California Appellate Reports, 3e série, vol. 27, California Reporter, vol. 246, p. 536;
  4. Dorsey c. Solomon, District Court of Maryland, Federal Supplement, vol. 435, v. p. 725, et 733.

Il est évident que l’égalité devant la loi signifie égalité dans les mêmes conditions et entre les personnes se trouvant dans une situation similaire et qui doivent atteindre un objectif similaire. Le Quatorzième Amendement (supra) exige que des personnes dans des situations similaires bénéficient d’une protection égale. Donc, il signifie que des personnes dans des situations similaires doivent recevoir un traitement similaire en vertu de la loi. Conformément à l’article 48-d de la Constitution, la position susmentionnée doit être prise en considération lors de l’interprétation de l’article 27.

L’article 27 est très long et ne contient aucune ambiguïté. Chacun doit recevoir un traitement égale de la loi. Il existe une exception comme dans toutes les dispositions substantiels de Titre III de la Constitution. En ce qui concerne l’article 27, « sauf dans un société démocratique » est une de ces exceptions. Cette formule est utilisée à plusieurs reprises dans la Constitution et est définie à l’article 49 comme suit:

« société démocratique signifie une société pluraliste qui est tolérante, qui garantie les droits et les libertés fondamentaux et l’Etat de droit et dans laquelle il existe une séparation équilibrée entre les pouvoirs de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire ». (C’est moi qui souligne.)

Ceci signifie, entre autres, que les droits des individus s’arrêtent là où commencent les droits des autres membres de la société. Il doit y avoir des lois, promulguées, exécutées et appliquées de manière régulière par les organes de l’Etat. L’autre exception au principe général de l’article 27-1 est l’article 27-2 qui dispose:

« L’alinéa premier n’interdit aucune loi, programme ou action qui a pour objet l’amélioration de la condition des personnes ou groupes désavantagés… »

Il n’est pas contesté par les deux conseils que la LDE a pour objectif de permettre un développement économique soutenue des Seychelles. Une telle croissance économique améliora sans doute les conditions de tous les seychellois. Ainsi, la LDE a été élaborée dans le but principal d’attirer les investisseurs qui possèdent un capital minimum de 10 millions de dollars américains. Ces investisseurs vont définitivement constituer une classe ou un groupe séparé. Donc être traité différemment des autres membres de la société est permis sur la base de l’article 27-1 (l’exception) et 2 et aussi d’autres autorités, y compris celles que nous avons citées des Etats-Unis d’Amérique. En fait, comme nous l’avons précédemment indiqué, la LDE est un type hybride de législation. Aux Etats-Unis d’Amérique et au Royaume-Uni, les législations hybrides n’ont jamais été déclarées inconstitutionnelles. Je peux aussi indiquer, même si ce n’est pas nécessaire à la motivation, que même les Lois sur le public en général catégorisent les membres de la société sous une forme ou une autre, sur la base de leurs objectifs et intentions. Si l’article 27-1 est interprété littéralement, toutes les lois promulguées vont le méconnaître.

La question suivante est: est-ce que l’article 5-7-a et b viole réellement l’article 27 de la Constitution? Après avoir analysé cette question capitale avec toutes les considérations juridiques nécessaires et après avoir enlevé toutes les ambiguïtés portant sur ce que signifie immunité contre les poursuites (supra), je réalise que ladite disposition de la LDE ne viole pas la Constitution. Ceci pour les raisons suivantes:

  1. Les concessions qui peuvent être offertes par le Comité en vertu de l’article 5-7-a doivent recevoir l’approbation du Président. Donc, le Président, en tant que chef de l’exécutif, assume une fonction de l’article 66 de la Constitution.
  2. En vertu de l’article 35-1 de la Loi sur l’interprétation et les dispositions générales, Cap 103, les immunités accordées aux investisseurs peuvent être enlevées indépendamment de l’article 5-10 de la LDE.
  3. Vu le premier motif, il est évident que les contrats et avantages accordés aux investisseurs seront soumis à des conditions. En toute logique, je ne vois pas comment un investisseur qui a accepté les conditions qui lui ont été posées va soulever subséquemment la question du traitement inégal dans la mesure où différentes conditions aurait été posées à d’autres investisseurs (comme M. Georges a invité cette Cour à le considérer dans ses dernières observations). Si un investisseur devait procéder ainsi, cela équivaudrait à ce qui est considéré dans le langage médical: « … une malformation symptomatique ne doit pas être traitée par la chirurgie parce que le risque d’avoir une maladie secondaire est aussi élevé parmi la population qui n’a pas de malformation ». Un tel investisseur prendra le risque de perdre son immunité en saisissant lejuge.

Je pourrais mentionner en passant et à ce niveau la question de l’investissement de l’argent sale aux Seychelles. Après avoir examiné les paragraphes 16 à 19 du mémoire en défense aussi bien que les législations récentes (par exemple, la Loi sur le blanchiment de l’argent) et le fait que l’article 5-2 aussi bien que l’article 6 vont permettre au Président d’examiner tout ceci avant d’accorder des avantages, il est évident qu’une telle probabilité n’existe pas. Il est de même de l’article 5-1 qui impose la condition de 10 millions de dollars américains. Il n’y a aucune mention de « ou équivalent » ou une phrase similaire. D’un point de vue strict, il y existe une ambiguïté même si M. Georges a modifié ses conclusions en ne l’évoquant pas comme la source d’une catégorisation irrégulière mais considère plutôt seulement les immunités/avantages accordés comme le vice de l’inconstitutionnalité. Le rôle et la place du dollar américain dans l’économie sont bien connus. C’est pourquoi le législateur a voulu restreindre cette catégorie d’investisseurs à ceux qui possèdent des dollars américains seulement. Cependant, on aurait dû analyser la situation de ceux qui possèdent l’équivalent de 10 millions de dollars. Il serait particulièrement intéressant de connaître la situation d’un seychellois qui investit ou qui a l’intention d’investir l’équivalent de 10 millions de dollars en roupies seychelloises… quelle serait sa position? Comme cette question pourrait être l’objet d’un recours à la Cour prochainement, je ne la discuterai pas davantage.

Avant de conclure sur cette partie, je vais examiner la question de l’activisme judiciaire comme soulevée par les deux conseils. M. Bhagwati, alors Chef-Juge de l’Inde, a été invoqué en intégralité. Défini de manière simple, l’activisme judiciaire est

… « un concept qui invite les juges à s’éloigner d’une stricte application des précédents en faveur d’une politique progressiste et l’implantation de nouvelles politiques sociales qui ne sont pas toujours compatibles avec les réserves attendues… il est caractérisé par des décisions appelant une ingénierie sociale et occasionnellement ces décisions représentent une intrusion dans les domaines législatif et exécutif… (Dictionnaire juridique de Black, op. cit.)

(…)

Dans le cas d’espèce, cette Cour est invitée, à travers la LDE, à devenir activiste. Selon moi, il y a lieu de décliner une telle invitation pour les raisons suivantes:

  1. Les conditions qui ont donné naissance à l’activisme judiciaire en Inde n’existent pas ici aux Seychelles ou plutôt, il n’a pas été soutenu devant la cour qu’elles existent.
  2. L’activisme judiciaire mène vers l’inconstitutionnalité… cette Cour ne doit pas être invitée à participer ou prendre des décisions qui sont ou mènent vers l’inconstitutionnalité. Ce n’est pas compatible avec l’article 46-5 de la Constitution. Ce serait aller au-delà de ces principes essentiels.
  3. Les raisons qui autrement mèneraient vers un empiétement sur d’autres fonctions des organes de l’Etat sont prises en considération par la LDE – l’amélioration du mode de vie économique et sociale du peuple seychellois.

Par ces motifs, je conclus que l’article 5-7-a est constitutionnel.

Je vais maintenant examiner l’article 5-7-b. Il concerne la cession forcée ou la saisie des biens d’un investisseur. La question de la cession forcée de la propriété est traitée par la Constitution qui garantit une indemnisation juste et entière. Donc le problème de la cession forcée ne se posera pas vu les garanties constitutionnelles claires. Lorsque les propriétés tombent sous le coup de l’application de l’article 5-7-b, il n’y a aucune contestation possible. Cependant, conjugué avec les articles 251 à 253 du Code de Procédure Civile des Seychelles, Cap 213, je ne vois aucune ambiguïté. Un requérant qui est victime d’un tel investisseur peut faire un recours et engager des poursuites à l’encontre de ce dernier. Ces investisseurs ne jouiront d’aucune immunité contre les poursuites civiles. S’ils sont condamnés, la cour peut émettre toute ordonnance en respectant l’article 18-15 de la Constitution. Je conclus également que l’article 5-7-b ne méconnaît pas la Constitution. Il n’étend pas l’immunité à la responsabilité civile.

La principe de la catégorisation a été beaucoup discuté par les deux conseils en se basant sur de nombreuses autorités. Cependant il apparaît qu’il existe deux approches à cette question qui peuvent être qualifiées d’approche ancienne et d’approche nouvelle. Ce qui est contesté ce sont les caractéristiques essentiels, à savoir:

  1. La catégorisation doit être permise par la Loi.
  2. Elle doit être raisonnable et doit être mise en place pour atteindre l’objectif social désiré.
  3. Elle doit être intelligible, différentielle et raisonnable en fonction de son objet.
  4. Il a été soutenu par M. Georges que la catégorisation doit, selon la nouvelle approche proposée par le juge Bhagwati, être davantage pragmatique et opportune que d’être des tentatives calculées.
  5. La Loi qui permet la catégorisation doit elle-même être raisonnable et non arbitraire.
  6. La catégorisation ne doit pas être capricieuse ou pas nécessaire.
  7. L’objectif social désiré doit être recherché et elle ne doit pas être immoral (en citant les arrêts Machai et Bearer Bonds).

Alors que M. Fernando soutient que les sept critères valident toujours la catégorisation contenue dans la LDE, M. Georges conteste. Il affirme que ladite catégorisation n’est pas régulière et n’est pas raisonnable. Il n’y a pas de nécessité d’avoir les garanties posées par l’article 6-2. Si l’objet est de résoudre la sérieuse difficulté économique que le pays connaît actuellement, est-ce que l’immunité est bien nécessaire? Est-ce que la LDE ne peut pas atteindre le même but sans les immunités? Le caractère moral de telles immunités est aussi mis en doute.

Il est généralement accepté que les juges ne doivent pas questionner la moralité des lois. Les raisons de cette réserve sont très simples. Entre autres, les Lois sont rédigées par le Parlement, composé de représentants des électeurs. Donc ces personnes, qui sont responsables, ne peuvent être présumées de légiférer de manière immorale. Autrement ce serait les assimiler à l’immoralité. En soi ce serait offenser le législateur, élu régulièrement par le peuple des Seychelles. La cour doit s’abstenir de faire de telles décisions. Et même, il serait intéressant de noter que Bhagwati lui-même, le promoteur de la nouvelle approche à la catégorisation, partage un point de vue similaire dans l’arrêt les Titres aux porteurs.

Dans la présente affaire, la question de la moralité porte également sur la possibilité que l’argent sale soit investi aux Seychelles. Cette question de l’argent sale a été discutée. Vu le double contrôle des articles 5-2 et 5-7 de la LDE, et l’approche proposée dans le mémoire en défense, je suis convaincu comme Lord Denning le dit dans l’ouvrage La Procédure juridique en bonne et due forme à la page 245: « ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre ». Ces capitaux qui se trouvent dans des banques de certains pays ne peuvent pas tout à coup devenir de l’argent sale lorsqu’ils sont investis aux Seychelles. L’examnen prévu par la LDE et d’autres législations similaires promulguées dans ce pays écarteront le danger que de l’argent obtenu immoralement soit investi ici. Un tel investisseur, à mon avis, perdrait toutes ses immunités si l’on découvre de quelle source provient son argent. Seychelles doit respecter les obligations internationales (article 48 de la Constitution). De telles obligations impliquent que les Seychelles se protègent pour qu’elles ne deviennent pas un paradis des « escrocs » comme le dit le saisissant. Si cela devrait arriver, alors il serait du devoir de tous les seychellois et tous ceux qui en possèdent de l’information d’identifier « l’escroc » pour le bien de leur pays et ses obligations internationales. En l’absence d’une telle circonstance, je ne vois pas la nécessité d’interdire une catégorisation sur la base des peurs qui n’existent pas. Dans le cas contraire, alors l’approche pragmatique suggérée ci-dessus ne serait pas appropriée.

Hormis la question de l’immoralité, les autres arguments, selon moi, sont en faveur de la catégorisation proposée par la LDE. Les buts socio-économiques espérés par la LDE ne sont pas contestés. Je suis d’accord avec le ministre Michel que dans un monde qui devient excessivement compétitif dans le fait d’attirer des investisseurs, la garantie de l’immunité est un avantage supplémentaire pour attirer l’investissement aux Seychelles. Les soi-disant « escrocs » qui pourront penser qu’ils peuvent trouver un paradis sécurisant ici peuvent être mis en difficulté avec les rigoureuses mesures de contrôle prévues par la LDE aussi bien que par d’autres Lois. Donc la catégorisation prévue par la LDE est régulière et est constitutionnelle. Elle est prévue par une Loi qui elle-même est raisonnable et qui tend à atteindre l’objectif socio-économique fixé.

Avant de terminer avec la question de la catégorisation, je ferais un commentaire sur la béatification de l’arpartheid en Afrique du Sud, considéré comme un type de catégorisation.

Je ne peux que citer M. Georges lui-même:

… « on peut soutenir par exemple que la pratique de l’apartheid en Afrique du Sud est conforme… à l’argument. Ceux qui ont une couleur de peau constituent une catégorie. C’était un critère intelligible: votre peau est noire, la mienne est blanche. C’était quoi l’objectif? L’objectif de l’apartheid était que si vous vivez parmi vous et ce serait mieux… si nous nous mélangeons ce serait faire injustice à tous les deux… » (c’est moi qui souligne.)

Avec tous les respects que je dois à M. Georges, il n’a pas raison. Pour quelqu’un de son niveau, il devrait savoir que l’apartheid est l’application d’une idéologie politique monstrueuse de ségrégation raciale faite par une minorité de blancs en Afrique du Sud contre la majorité des noirs. Le monde entier connaît tellement bien la souffrance infligée par la minorité à la majorité que je crois inopportun de demander à M. Georges de le noter. Toutes les lois promulguées par le gouvernement minoritaire pour appliquer leur idéologie étaient illégales en vertu du droit naturel et les normes de la nation civilisée.

Une catégorisation opérée par l’apartheid ne peut donc pas être comparée avec la LDE même du point de vue juridique. La première est une idéologie politique alors que la LDE est essentiellement économique. La première tendait à l’humiliation et l’élimination systématique de la majorité noire. La LDE est pour l’amélioration du niveau de vie de tous les seychellois, y compris les moins avantagés, conformément à l’article 27-2. Donc, l’apartheid est destructif alors que la LDE est progressiste dans le sens où elle tend au développement.

Enfin, je voudrais examiner le droit d’agir du saisissant. Je souscris à la thèse de M. Georges selon laquelle il y a une différence entre une saisine sur la base de l’article 46 et celle de l’article 130-1. Je reconnais que l’on doit démontrer sur la base de l’article 46 que la Loi viole la charte. Mais ceci n’est pas une fin en soi. Mais afin de le faire, le saisissant doit avoir juridiquement un intérêt pour saisir. En ce qui concerne la LDE, il doit être ou est susceptible d’être un investisseur. Il a été reconnu par M. Georges que le saisissant dans la présente affaire, Roger Mancienne, ne remplit pas les conditions. Il a fait un recours simplement en tant que citoyen de ce pays qui serait concerné par la LDE, en ce sens que si certains jouissent d’une immunité d’autres, comme Roger Mancienne, n’en jouissent pas de même. Une législation hybride vise une certaine catégorie de personnes. L’Etat a le pouvoir de catégoriser les gens par la Loi. Ceci s’applique à la LDE. Ceux faisant partie d’une catégorie ainsi créée sont juridiquement autorisés à jouir des privilèges, des avantages et des immunités qui ne sont pas accordés au reste de la population. Une législation hybride diffère d’une législation qui s’applique à tout le monde, mais les deux sont régulières. Donc, puisque Roger Mancienne, le saisissant, n’est et ne voudrait pas devenir un investisseur dans le sens des articles 2 et 5-1 de la LDE, il n’a pas intérêt pour agir dans la présente affaire.

Par ces motifs, la demande est rejetée entièrement. Il n’est pas statué sur les dépens.

S. J. BWANA

Juge

Fait le 10 mars 1996

PERERA, Juge

Dans cette saisine opérée sur la base de l’article 46-1 de la Constitution, le saisissant prétend que l’article 5-7-a et b de la Loi sur le Développement Economique (ci-après la LDE) viole, en ce qui lui concerne, l’article 27 de la Constitution.

L’article 27, inscrit dans la Constitution comme un droit fondamental, dispose que:

« Toute personne a droit à la protection de la loi y compris la jouissance des droits et libertés proclamés dans cette Charte sans discrimination sauf celle qui est nécessaire dans une société démocratique. »

C’est une affirmation positive d’un principe négatif de l’égalité devant la loi. La différence dans les principes a été brièvement analysée par le juge Subba Rao dans l’arrêt State of U.P c.Deoman, Supreme Court, 1960, p. 1125, v. p. 1134, comme suit:

« L’égalité de tous devant la loi est un principe fondamental de toute Constitution civilisée. Egalité devant la loi est un principe négatif; égale protection de la loi est un principe positif. Le premier déclare que chacun est égal devant la loi, que personne ne peut revendiquer des privilèges, que toutes les catégories sont soumises au droit commun du pays; le second implique une protection égale de tous ceux qui sont dans une situation semblable et des circonstances similaires » (c’est moi qui souligne).

C’est donc un engagement pour la protection ou une garantie de loi égale pour tous. Le principe d’égalité est dans sa nature abstraite. M. Sharvananda, alors juge, a souligné les deux aspects de l’égalité dans une affaire sri lankaise intitulée Paliwadana c. The Attorney General, FRD, 1, pp. 6 à 10 où il indique que:

« Le point fondamental c’est que tout le monde n’est pas semblable. Certains, par le simple fait de la naissance, peuvent hériter des fortunes. D’autres sont nés pauvres. D’autres acquièrent un talent ou des titres alors que d’autres demeurent sans formation. Il y a des différences dans la situation sociale et économique. Il est donc impossible d’appliquer des règles abstraites d’égalité à des conditions qui créent une inégalité dès le départ… Le principe qui est posé assure une égalité de traitement de tous en faisant totalement abstraction des circonstances qui créent les différences qui existent en général, comme l’âge, le sexe, l’éducation, et ainsi de suite… »

L’éminent juge indique plus loin que l’objet de l’article 12 (article 27 de notre Constitution) est:

« D’assurer que des distinctions injustes ou des discriminations arbitraires ne soient pas faites par l’Etat entre le citoyen A et le citoyen B qui répondent à la même description et que les différences qui existent entre eux ne soient pas retenues pour leur appliquer des lois particulières ou des décisions administratives différentes; une catégorisation raisonnable est permise et une certaine mesure d’inégalité est permise. L’Etat est autorisé à faire des lois inégales ou à prendre des décisions administratives inégales lorsqu’il traite des individus ou groupes qui sont dans des circonstances et situations différentes. » (C’est moi qui souligne.)

Sur quelle base le saisissant demande-t-il une réparation au titre de l’article 46-1? Une violation d’un droit fondamental lèse les droits d’un individu en tant que membre de la communauté et ainsi, il est exigé que la violation affecte ses droits en tant que membre d’une catégorie. Dans l’affaire Tong c. Taniera & Or., Law Reports of the Commonwealth, 1987, vol. 1, p. 15, le Chef-Juge Maxwell, en interprétant l’article 88-1 de la Constitution de Kiribati qui est similaire à notre article 46-1 indique:

« Pour avoir gain de cause dans une action aux fins d’obtenir une décision en vertu de l’article 88-1, le demandeur doit démontrer que ses intérêts sont ou sont susceptibles d’être lésés par la violation de la disposition invoquée de la Constitution. Dans cette affaire, aucune prétention en ce sens n’a été avancée de la part du demandeur pour démontrer que son intérêt est ou est susceptible d’être lésé par la méconnaissance de l’article 77-2 de la Constitution comme allégué. Même si une telle prétention était soutenue et qu’il était démontré que les intérêts du demandeur étaient ou étaient susceptibles d’être lésés, il devrait, selon moi, aussi démontrer que le préjudice qu’il subit est plus important que celui subi par les autres membres du [Parlement] de Maneaba. »

De même dans l’arrêt de la Cour suprême intitulé Morarjee c. Union of India, All India Reports, 1966, p. 1044, il a été décidé que:

« Afin de soutenir une dénégation de l’égale protection, invoquer simplement un traitement différent n’est pas en soi suffisant. Le requérant qui affirme que l’article 14 est violé doit non seulement démontrer qu’il a été traité différemment, mais qu’il a été traité ainsi contrairement à d’autres personnes qui se trouvent dans des circonstances semblables sans aucune raison et que donc le traitement différent n’est pas justifié. »

En ce qui concerne l’intérêt à agir du saisissant dans la présente saisine, M. Georges soutient que le saisissant n’a pas l’intention de devenir un investisseur tel que défini dans la LDE. Il indique que la LDE tend à créer un groupe de personnes qui ne peuvent pas former une catégorie régulière. Donc, si une telle catégorisation était annulée, le saisissant bénéficierait, en tant que citoyen, d’une égale protection de la loi, car il était traité différemment du fait des immunités accordées aux investisseurs. M. Georges soutient que le saisissant peut demander de la cour une décision déclarant que les dispositions litigieuses sont nulles. Ce serait étendre la signification du terme « personne » de l’article 46-1 au-delà de la signification prévue à l’article 49, qui le définit de manière restrictive comme voulant dire « un individu ou une personne morale ». Dans la présente affaire, le saisissant, tout en admettant qu’il n’allègue pas une violation en ce qui lui concerne, se présente comme le représentant d’une catégorie de citoyens qui par la force des choses ou des effets économiques ne sont plus qualifiés pour être des investisseurs dans le sens de la LDE. Ils constituent un groupe distinct.

La classification en deux groupes distincts est l’essence même de la LDE. Un petit résumé de ces décisions de Sri Lanka permettrait d’illustrer la position du saisissant dans la présente affaire:

1. – S.C. Perera c. The University Grants Commission, FRD, 1980, vol. 1, p. 103.

Dans cette affaire la commission a amalgamé des étudiants qui ont pris part à deux différents examens en avril et en août sur la base de deux programmes différents pour obtenir une inscription à l’Université. Une action a été engagée sur la base de l’égalité des chances qui est un corollaire de l’application de la règle générale de l’égalité contenue à l’article 12.

Décide que la réunification des deux groupes a constitué une classe d’égaux et par conséquent aucun groupe ne pourra tenir compte de l’appartenance au groupe originel.

2. – Elmore Perera c. Jayawickrama, Sri Lanka Reports, 1985, vol. 1, p. 287

Il n’a pas été accordé au requérant une extension de son contrat de travail après l’âge optionnel du départ à la retraite, qui était fixé à 55 ans. Il a contesté cette décision sur la base d’une circulaire gouvernementale en la matière.

Décide « Le requérant n’a pas démontré que les autres fonctionnaires se trouvant dans une situation semblable ont été dispensés de l’application de la circulaire et qu’il est le seul à qui la circulaire a été appliquée ».

3. – Reddiar c. Van Houten and Others, Sri Lanka Reports, 1988, vol. 1, p. 265

Les faits sont similaires à l’affaire Elmore Perera (supra).

Décide la circulaire s’applique aux hauts fonctionnaires de la collectivité et non à ceux de l’extérieur. Donc, le requérant n’a pas établi qu’il a été traité différemment de ceux qui se trouvaient dans la même situation.

4. – Nandasiri c. De Silva, Sri Lanka Reports, 1988, vol. 1, p. 102.

L’électricité utilisée par le requérant pour le fonctionnement de son moulin à broyer des piments a été coupée par la collectivité locale aux motifs qu’il polluait l’environnement, causait une nuisance sonore et le fonctionnement du moulin était dangereux pour la santé. Aucun permis n’a été accordé.

Décide la coupure était régulière.

Mais afin d’obtenir gain de cause dans une requête de l’article 12, il doit être démontré que ceux qui sont dans une situation semblable sont traités différemment.

L’application d’une loi sans discrimination est l’essence même de la justice. La justice est l’expression formelle du principe d’égalité. Mais la justice ne veut pas dire que l’on droit traiter tout le monde de la même manière, en faisant abstraction des différences individuelles. Ce que cette expression formelle veut dire c’est que tous doivent être traités comme des égaux. Donc, ce que le saisissant doit démontrer dans la présente affaire, c’est que ceux qui sont dans la même catégorie que lui par rapport à la LDE, sont traités différemment, et non pas qu’une catégorie différente jouit des privilèges et immunités que lui n’en a pas. Dans ces conditions, sa demande doit être rejetée avant toute discussion au fond.

Cependant, dans l’affaire indienne intitulée Anwar Ali Sarkar, Supreme Court Reports, 1952, p. 284, la Cour a considéré que le requérant n’avait pas d’intérêt à agir et qu’il ne pouvait pas contester la constitutionnalité d’une Loi qui établissait une différence avec d’autres infractions du Code Pénal qui ne le concernait pas. Mais, tout de même, la Cour a examiné la constitutionnalité des dispositions contestées. Dans le cas d’espèce, comme l’éminent conseil du défendeur n’a pas soulevé la question de l’intérêt à agir avant toute défense au fond, mais seulement comme un moyen de défense au fond, la Cour est contrainte de statuer sur tous les moyens de la saisine.

La LDE crée une catégorie d’ »individus bénéficiaires » des avantages, concessions et immunités. Ces individus bénéficiaires sont ceux qui ont investi pas moins de 10 millions de dollars américains selon un projet approuvé. Les immunités que conteste le saisissant s’appliquent seulement à une catégorie d’investisseurs.

M. Georges considère le seuil minimum de 10 millions de dollars américains comme un « critère arbitraire ». Il soutient également que la Loi ne dit pas si un investissement d’un montant équivalent dans une tout autre monnaie est reconnu. Je ne vois aucune pertinence dans ces prétentions qui semblent suggérer qu’il y a un motif caché dans la Loi. Si tel était le cas, le saisissant aurait dû démontrer le détournement de pouvoir et il ne peut attendre à ce que la Cour tire des conséquences à partir des faits existants. Le législateur aurait pu employer les termes « 10 millions de dollars américain ou tout montant équivalent en monnaie étrangère ». Assumer que la LDE ne reconnaît que les dollars américains, c’est d’en faire une interprétation trop littérale. Aussi, le « critère » de 10 millions de dollars américains est-il considéré par le législateur comme le minimum pour « aller au-delà de ce qui est habituel »… pour attirer de sérieux investisseurs… et accorder des garanties qui pourraient maintenir un investissement à long terme ». Le montant minimum peut bien correspondre à l’ampleur des « projets approuvés » selon le projet.

M. Georges aussi bien que M. Fernando ont invoqué le principe de la catégorisation et son évolution pour soutenir leurs prétentions respectives. Certes, l’article 27 n’autorise pas une discrimination entre deux personnes se trouvant dans la même catégorie, indépendamment de toute différence entre elles, et une catégorisation doit être fondée sur la base d’un critère intelligible qui permet de distinguer un groupe de l’autre et la différence doit avoir un lien rationnel avec l’objectif à atteindre.

M. Georges soutient que la LDE, en procédant à une catégorisation des individus qui ne constituent pas un groupe, ne crée pas une différence intelligible entre les investisseurs visés par la Loi et le saisissant. Il prétend également que les avantages, concessions et immunités accordés n’ont pas de lien rationnel avec l’objectif de la Loi qui tend à promouvoir une croissance économique élevée dans le pays. Par ailleurs, il invoque la « nouvelle doctrine » établie par le juge Bhagwati dans l’arrêt Royappa c. State of Tamil Nadu, Supreme Court Reports, 1974, vol. 2, p. 348, dans lequel une position bien progressiste a été adoptée et la catégorisation a été considérée comme arbitraire et comme méconnaissant le droit à l’égalité. Il existe toujours une controverse sur les arguments pour et contre les deux approches. Le Chef-Juge Sharvananda indique dans son ouvrage « Droits fondamentaux au Sri Lanka » que:

« Il doit être noté qu’aucun pays qui a une Constitution qui garantit le droit à l’égalité n’a encore adopté cette nouvelle approche de l’égale protection. »

Sommes-nous prêts à l’accepter ou à la rejeter? Même en Inde, des théoriciens du droit comme Seervai ont totalement rejeté cette approche parce qu’elle « projette de l’ombre sur la lumière apportée par la vieille approche sur de nombreux aspects de l’égalité ».

Dans l’arrêt indien The State c. V.C. Sukla, Supreme Court, 1980, p. 1382, il a été affirmé que

« Dans une société pluraliste et une grande démocratie comme la nôtre, où les besoins de la nation changent avec le temps, il est très difficile pour le législateur de faire des lois qui s’appliquent à tout le monde de la même manière. Une certaine dose de catégorisation est donc nécessaire pour gérer les différentes sphères de l’activité de l’Etat. Il est bien reconnu qu’en appliquant l’article 14, une précision mathématique ou une exactitude ou une parfaite égalité n’est pas exigée. Une similarité plutôt qu’une identité de traitement est suffisant. Les cours ne devraient pas adopter une approche idéologique en interprétant l’article 14 de sorte à détruire ou porter atteinte à des législations bénéfiques. Ce que l’article 14 interdit c’est une discrimination hostile. »

Denis Lloyd, dans son ouvrage fascinant « L’idée du droit« , soutient que la justice formelle n’a pas de sens parce que’elle ne dit pas comment les individus devraient ou ne devraient pas être catégorisés ou traités. Il indique à la page 120 que:

« Sur la base de l’égalité uniquement, nous ne savons pas comment nous analyserons ou ignorons les différences de sexe, de race, de religion, de lieu de naissance, de capacités physiques ou intellectuelles, de fortune et d’influence. En réalité, les individus ne naissent pas égaux que ce soit sur le plan physique, intellectuel ou sous d’autres plans, et ainsi la catégorisation pour l’égalité entre les humains est une nécessité formelle jusqu’à ce que nous indiquions comment nous allons diviser les individus en sous groupes en fonction des besoins moraux ou sociaux de la société. »

La LDE fait une catégorisation pour les besoins économiques de la société en offrant des possibilités d’investissement aux seychellois et aux étrangers qui peuvent investir un minimum de 10 millions de dollars américains. Mais cette catégorisation est-elle raisonnable? Ou est-elle, comme il a été soutenu, arbitraire ou discriminatoire à l’égard d’une catégorie de personnes qui ne font pas partie de l’autre catégorie du point de vue de l’article 27 de la Constitution. Le Chef-Juge Sharvananda dans son ouvrage (supra) indique à la page 85 que:

« Comme il n’y a aucune méconnaissance du Principe d’Egale Protection, si la loi traite de la même manière tous les membres d’une catégorie, l’Etat détient le pouvoir de faire une classification entre des personnes et placer celles qui sont substantiellement similaires sous la même règle de droit, et appliquer différentes règles à des personnes se trouvant dans des situations différentes. La catégorisation ne doit pas être arbitraire mais doit être fondée sur un critère de distinction régulier et substantiel tout ayant un lien raisonnable avec l’objectif à atteindre. »

En vertu de la LDE, les deux catégories sont les investisseurs bénéficiaires et ceux comme le saisissant qui, du fait des raisons économiques ou autres, ne sont pas en mesure ou ne veulent pas investir 10 millions de dollars américains dans un projet approuvé. Le critère de cette catégorisation est l’investissement qui distingue les deux groupes. Cet objectif est à atteindre comme indiqué dans le préambule de la LDE qui tend à soutenir une croissance économique élevée dans ce pays. Le Ministre des Finances, dans son mémoire en défense, a mis l’accent sur la place occupée par les devises étrangères dans le pays et a démontré les difficultés à avoir des devises étrangères pour importer les nourritures essentielles et autres produits de nécessité. Il a aussi indiqué que l’entrée des devises par les moyens traditionnels et les pays et organisations donateurs a échoué et que c’est dans une telle situation économique que le législateur a adopté la LDE.

Même si un mémoire ne peut pas être pris en compte pour élucider la politique officielle d’une Loi, dans la présente affaire, il sert comme une pièce qui relate les faits pour soutenir la défense et la catégorisation opérée par la LDE.

L’objet de la LDE est d’accorder des avantages et des concessions aux investisseurs potentiels désignés par la Loi. Le manquement en devises étrangères dans le pays est très connu par le public. Le Président, dans son « Discours à la Nation » fait devant l’Assemblée nationale le 13 février 1996 en vertu de l’article 65 de la Constitution, a indiqué ce qui suit sur le besoin d’accorder des avantages spéciaux et concession:

« Avec la Loi sur le Développement Economique nous avons fait au-delà de ce qui est habituel et créé un système qui nous permettra de négocier sérieusement avec de vrais investisseurs des projets qui demandent un investissement substantiel – un investissement qui créera un nouveau moyen pour la croissance économique pour notre peuple et notre pays de loin supérieur à ce qu’on pouvait attendre.

Afin d’inciter les investisseurs, il ne faut pas seulement dire que nous voulons faire des affaires, mais nous devons le démontrer. Pour le démontrer nous devons donner certaines garanties, garanties qui permettent la sécurité des investissements à long terme, des garanties qui ne changent pas avec les caprices et le temps. Avec la LDE nous avons donné ces garanties pour démontrer le caractère sérieux de notre intention dans cette entreprise… »

Il y a donc un lien évident entre le critère de la catégorisation et l’objet ultime de la Loi. L’objet doit être régulier. En ce sens, l’affaire indienne intitulé R.K. Garg c. The Union, ASC, 1981, p. 2138, plus connue sous le nom « Affaire des Titres aux porteurs » entre en ligne de compte. Dans cette affaire, le préambule de la Loi sur les Titres aux porteurs a expressément indiqué que « la planification sociale et économique exige une canalisation, pour la production économique, l’argent noir qui est devenu un sérieux danger pour notre économie nationale ». Il a aussi été indiqué que, dans le but de canaliser un tel argent, le gouvernement a émis des titres d’une valeur de 10,000 roupies chacun qui équivaudrait à 12,000 contre paiement 10 ans après, et il était nécessaire de prévoir certaines immunités et dispenses afin de permettre à ceux qui étaient en possession de l’argent noir d’acheter ces titres. Les dispenses et les exemptions étaient prévues par les articles 3 et 4 de la Loi. En bref, ils disposaient

« Article 3-1-a. – Nulle personne qui a acheté ce titre n’aura à indiquer la nature et l’origine d’une telle acquisition.

b. Aucune enquête ou investigation ne sera faite en ce sens;

c. Le fait pour une personne de souscrire ou d’acheter un tel titre ne peut pas être retenu comme un élément de preuve dans aucun procès pénale.

Article 4. – Dispense de l’impôt sur le revenu, sur la grande fortune et droits sur les legs. »

Dans cette affaire, le requérant a contesté la Loi pour violation de l’article 14, qui garantit l’égale protection de la Loi. Par une décision prononcée à la majorité, la requête a été rejetée sur la base que l’objet de la Loi est de canaliser l’argent noir pour les besoins de la production et que la catégorisation entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas de l’argent noir était une catégorisation valide.

Le juge Bhagwati a indiqué dans cette affaire que:

« L’argent noir constituait un problème économique tenace qui a défié le gouvernement depuis un assez long moment et c’est pour résoudre ce problème que, vu l’échec des autres solutions, le législateur a adopté la Loi, même si l’effet de certaines dispositions serait de conférer des avantages non mérités aux fraudeurs du fisc en possession de l’argent noir. » (C’est moi qui souligne.)

Même si la référence à « l’argent noir » désignait l’argent qui n’est comptabilisé, des biens non déclarés ou même de l’argent sale, rien n’interdisait à quelqu’un qui possédait légitimement les montants suffisants à acquérir ces titres. Mais personne qui détenait un tel capital n’investirait à un taux d’intérêt de 2% sur 10 ans et par conséquent, les investisseurs possédant de l’argent noir étaient catégorisés.

Il y avait une catégorisation intelligible entre ceux qui possédaient et ceux qui ne possédaient pas de l’argent noir et cette catégorisation avait un lien avec l’objet de la Loi, à savoir, la canalisation de l’argent noir pour la production. Cependant, le juge Gupta, dans son opinion dissidente considère que « tous les moyens de lutter contre l’argent noir n’ont pas été essayés », et par conséquent, le fait d’accorder des immunités consiste à donner un prime à la malhonnêteté, à la fraude fiscale, aux fraudes et infractions sans aucune justification ». Le juge Seervai, soutenant l’opinion dissidente, soutient que le préambule de la Loi n’affirme pas, comme il l’aurait dû, qu’il n’y avait pas d’autres moyens de lutter contre l’argent noir. La critique de la décision majoritaire dans l’affaire des Titres aux porteurs est fondée sur l’opportunité de la mesure, comme le soutient M. Georges devant cette Cour à propos de la LDE. Dans l’affaire des Titres aux porteurs et la présente affaire, le caractère raisonnable de la catégorisation doit être examiné à la lumière de l’objectif de la législation. Dans l’affaire des Titres aux porteurs, l’ultime objet était « la Planification socio-économique effective », alors que la LDE, a pour objet ultime de promouvoir une croissance économique effective », alors que la LDE, a pour objet ultime de promouvoir une croissance économique soutenue aux Seychelles. Dans les deux cas, l’objectif commun était l’économie du pays. Comme déjà indiqué, dans le préambule, le peuple des Seychelles a déclaré solennellement son attachement entre autres à l’exercice de ses droits et libertés individuels tout en respectant les droits et libertés des autres et l’intérêt général. Il doit exister une raison valable, selon le saisissant qui est un seychellois, pour s’éloigner d’un attachement aussi solennel. D’autre part, dans l’affaire Bombay c. Chamarbaugwala, Supreme Court Reports, 1957, p. 874, il a été décidé qu’il doit être présumé que le législateur connaît les limites de son pouvoir et qu’il doit être présumé que l’intention du législateur n’était pas d’outrepasser ses pouvoirs mais d’adopter une loi régulière. Ceci est la présomption de constitutionnalité.

Est-ce que le législateur des Seychelles a excédé ses pouvoirs en adoptant l’article 5-7 de la LDE et violé l’article 27 de la Constitution?

Cet article de la LDE dispose que:

« 5-7. –

a. Immunité contre toutes poursuites dans les procédures pénales à l’exception des poursuites relatives à des infractions pour faits de violence ou de trafic de stupéfiants aux Seychelles;

b. Immunité contre toute cession forcée des biens ou saisie des biens appartenant à un investisseur à l’exception d’une confiscation opérée en vertu d’une ordonnance de la Cour à la suite d’une poursuite pénale exclue au paragraphe a. »

M. Georges a beaucoup exploité l’utilisation des termes « immunité contre toutes poursuites dans les procédures pénales » par le législateur. Il affirme que l’on n’est jamais poursuivi dans des procédures pénales mais pour une infraction pénale. Cette affirmation est fondée sur le plan de la procédure. Mais en vertu de l’article 5-7, les immunités sont accordées comme des « concessions et avantages ». Comme il a été décidé dans l’arrêt Dickson c. Del Solar, The Law Reports, King’s Bench, 1930, vol. 1, p. 376, l’attribution des immunités à des personnes et aux biens d’un Etat, leurs dirigeants et aux agents diplomatiques sous la forme d’une exemption de toute procédure juridictionnelle, n’entraîne pas une exemption de toute responsabilité pénale, mais une exemption de procédures juridictionnelles locales. La portée c’est qu’un permis n’est pas accordé pour commettre des infractions en toute impunité par des diplomates respectables qui peuvent être certains d’avoir d’autres sanctions dans une telle hypothèse, et c’est ainsi dans le cas d’extension possible de l’immunité à l’activité commerciale des Etats modernes. Donc, les immunités, à la lumière des objets de la LDE, ne doivent être considérées comme « un permis de commettre des infractions ».

L’article 5-7 exclut toutes les infractions relatives à des faits de violence et du trafic de stupéfiants et ainsi limite les immunités notamment à des délits autres que des crimes. Ce n’est pas une immunité qui couvre la responsabilité pénale mais contre des poursuites pénales. Il n’y a donc rien qui interdit à ce que par exemple l’immunité d’un investisseur tel que la LDE le prévoit soit levée dans le cas où un investisseur renverse par son automobile un passant et le tue ou lui cause de sérieuses blessures, comme le demandent les diplomates dans des affaires de cette nature. Les automobiles que les investisseurs possèdent ne seront pas exemptées de l’exigence de l’article 4-1 de la Loi sur l’assurance des automobiles (assurance au tiers) (cap. 135) de s’assurer contre les risques aux tiers. Ainsi, il serait dans son intérêt de lever son immunité et se soumettre à la compétence de la Cour, du moins pour que la victime soit indemnisée par son assurance selon sa police. Ceci est un exemple simple et évident. En ce qui concerne d’autres infractions, non couvertes par l’exemption, il y a d’autres sanctions, telle l’expulsion, qui n’influent pas sur les avantages et concessions accordés par la Loi. Il y a beaucoup de groupes dans la communauté qui sont soumis à des lois qui ne s’appliquent pas au reste de la communauté, parce que ces lois s’appliquent seulement à tous les membres de ce groupe particulier et donc elles ne violent pas intrinsèquement le droit à l’égale protection de la loi.

Quelques exemples sont:

  1. Les agents diplomatiques et consulaires et leurs employés en vertu de la Loi sur les privilèges et immunités (La diplomates, les consuls, et les organisations internationales (cap. 181);
  2. L’article 119-3 de la Constitution accordant une immunité aux magistrats de la Cour d’Appel et les Juges contre toute poursuite pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions;
  3. L’article 5-1 de la Loi sur la protection des fonctionnaires (Cap. 191) accordant une immunité à toute personne exerçant une activité juridictionnelle contre toute poursuite pour des faits commis de bonne foi dans le cadre de ses fonctions.

Certes, il y a une différence en ce sens que l’article 5-7 accorde une immunité aux investisseurs « contre les poursuites dans toutes les procédures pénales ». Alors que les diplomates, les magistrats et fonctionnaires bénéficient d’une immunité par rapport à leurs fonctions dans leurs catégories distinctes. L’article 5-7 est certainement une disposition « au-delà de la normale ». Le législateur l’a considérée comme nécessaire afin d’atteindre l’objectif visé par la Loi, et donc il y a un lien avec l’objectif.

Wade et Philips dans leur ouvrage sur le Droit Constitutionnel citent à la page 57 l’article 41 de la Loi sur les conflits de travail de 1906 comme un « exemple où pour des raisons politiques internes des immunités spéciales ont été accordées ». Cet article interdit toute action contre un syndicat pour engager sa responsabilité délictuelle. Dans l’arrêt Vacher c. London Society of Compositers, The Law Reports, Appeal Cases, 1913, p. 107, il a été décidé que l’immunité des syndicats était une immunité contre tous les quasi-délits et elle n’était pas limitée aux actes commis dans le cadre des activités syndicales. Lord MacNaughten indique dans cette affaire que:

« Certaines personnes peuvent penser que la Loi est peu judicieuse et dangereuse pour la communauté. D’autres peuvent penser qu’elle méconnaît des principes bien établis. Mais le juge n’a rien à faire avec l’opportunité d’une loi qui lui est soumise pour interprétation… Ce serait, je le doute, imprudent et il est inutile de contrôler la politique d’une Loi ou de censurer le législateur. »

Cependant, le droit à l’égale protection de la loi prévu par l’article 27 ne s’applique pas aux discriminations qui seraient nécessaires dans une société démocratique. L’article 49 définit la « société démocratique » comme « une société plurielle et tolérante qui garantit les droits et les libertés de l’homme et l’Etat de droit et dans laquelle il existe une séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ». Le principe de démocratie est lui-même un principe flexible qui varie en fonction de la structure socio-politico-économique du pays. Donc, la démocratie telle qu’elle est pratiquée aux Etats-Unis peut ne pas être celle qui existe dans un autre pays démocratique où de nombreuses limites aux droits fondamentaux peuvent exister pour promouvoir le bien-être général du pays visé. Il est significatif que tous les droits fondamentaux déclarés dans la Charte seychelloise – Titre III, Ire Partie de la Constitution – prévoient des limitations et restrictions sauf l’article 27 qui est relatif à l’égale protection de la loi, lequel nous est soumis pour examen. Cependant, ceci ne fait pas de l’article 27 une norme absolue contrairement aux autres droits. M. Georges, peut-être en reconnaissant la faiblesse de ses prétentions, a soutenu le principe de l’activisme judiciaire pour la première fois devant la Cour et a invité cette Cour de rejeter la règle d’interprétation littérale de la loi et de jouer un rôle plus créatif dans le développement du droit en interprétant les droits fondamentaux de la Constitution.

Sauf quelques décisions autoritaires de cette Cour, qui ont été infirmées par la Cour d’Appel, j’ai été incapable de trouver une tentative fructueuse d’activisme judiciaire aux Seychelles. Mais ceci n’interdit pas l’interprétation libérale dans les affaires constitutionnelles dans les limites du pouvoir de cette Cour. M. Georges a invoqué cette approche mise à l’avant par le Chef-Juge P.N. Bhagwati de l’Inde, qui lors d’une conférence publiée dans le Commonwealth Law Bulletin d’octobre 1992, indique que:

« Puisque les différents pays du Commonwealth ont différentes attentes du politique, l’attente des individus du juge peut aussi être différente d’un pays à l’autre, même si je pense qu’il doit y avoir un dénominateur commun qui inspire la tradition du judiciaire dans l’échange des interprétations juridiques et constitutionnelles pour contrôler les atteintes de l’exécutif au droit et de la demande de la justice sociale et les droits fondamentaux de l’homme. Ceci appelle un certaine dose d’activisme judiciaire. »

Le Chef-Juge Bhagwati a lui-même posé les questions « que signifie l’activisme judiciaire? A quoi sert-il et qui? Lui-même a répondu à ces questions en reconnaissant que les deux principes fondamentaux du constitutionnalisme sont (1) des limites juridiques au pouvoir arbitraire et (2) une responsabilité complète du gouvernement vis-à-vis des gouvernés. Il indique que sans un pouvoir judiciaire créatif et actif, ces deux principes ne pourront pas être appliqués. Il conclut que l’activisme judiciaire a été utilisé extensivement en Inde afin d’actualiser ces deux principes et d’établir une nouvelle forme du constitutionnalisme ».

Le Chef-Juge Bhagwati a cité les affaires Priestly c. Fowler, Meeson R., and Welsby W.N. Reports, 1937, vol. 3, p. 1 qui pose le principe du droit de l’emploi, Donoghue c. Stevenson, The Law Reports, Appeal Cases, 1932, p. 562, qui établit le principe de négligence et Ridge c. Baldwin, The Law Reports, Appeal Cases, 1964, p. 40, qui tend à développer un droit administratif britannique créatif, comme des exemples d’activisme judiciaire au RoyaumeUni. Avec respect, le Royaume-Uni est un pays de Common Law et en l’absence d’une Constitution écrite, la jurisprudence et les précédents judiciaires développant la Common Law ou interprétant les Lois sont considérés comme une source du droit constitutionnel (Wade et Philips, supra, p. 4). Donc ce ne sont pas des exemples d’activisme judiciaire mais celles du développement de la Common Law.

En appliquant le principe de la catégorisation raisonnable, la Cour Fédérale de la Malaisie, dans l’affaire Harun Idris c. Public Prosecutor, Malaysia Law Journal, 1997, vol. 2, p. 155, considère que le principe de la catégorisation qui laisse au législateur l’appréciation du caractère raisonnable n’est pas convenable. Elle considère que la cour doit apprécier le caractère raisonnable de la catégorisation. Le juge Suffian en motivant sa décision, a cité le Chef-Juge Ong qui dans une affaire antérieure avait affirmé que:

« Les magistrats indiens pour qui j’ai le plus grand respect, m’impressionnent du fait qu’ils sont des idéalistes infatigables qui cherchent vaillamment à réconcilier l’inconciliable lorsque la bonne conscience est atteinte par un abus de pouvoir. »

Le juge Suffian affirme également que

« Parce que la position des magistrats indiens est sévèrement divisée comme celle des conseils qui apparaissent devant nous et parce que des fois ils abandonnent un précédent pour adopter le point de vue de la jurisprudence minoritaire élaborée peu d’années auparavant. Ce n’est pas surprenant parce que si nous sommes tous familiers avec le principe idéaliste de l’égalité, les magistrats indiens et malaysien ne sont pas familiers avec le principe en tant que notion juridique, du fait qu’il a été introduit en Inde seulement en 1949 et au Malaisie en 1957… Alors que les idéalistes et démocrates s’accordent pour dire qu’il ne doit pas y avoir une loi pour les riches et une autre pour les faibles et qu’au contraire la loi doit être la même pour tous, en pratique ce n’est qu’une théorie, puisque dans la vie réelle il est généralement accepté que la loi doit protéger les pauvres contre les riches et les faibles contre les puissants. »

Selon le principe de la catégorisation, elle doit établir une différence intelligible entre deux groupes et avoir un lien raisonnable avec l’objectif à atteindre. Donc, il revient en définitive à la Cour d’apprécier le caractère raisonnable. Cependant, comme le Chef-Juge Ong de la Malaisie l’avait correctement souligné, le juge Bhagwati a fait une approche du droit à l’égale protection de la loi à partir du point de vue d’un activiste dans l’arrêt Royappa c. State of Tamil Nadu (supra) et a soutenu que « l’article 14 contient une garantie contre l’arbitraire » et que l’égalité est un principe dynamique qui contient beaucoup d’aspects et de dimensions et ne peut être « circonscrit dans les limites traditionnelles et doctrinaires ». C’est la nouvelle approche.

Seervai, dans son traité sur le droit constitutionnel de l’Inde, vol. 1, p. 137, critique la nouvelle approche en ces termes:

« La nouvelle approche a à la fois un aspect positif et un aspect négatif. Dans le sens positif, elle soutient que l’article 14 contient une garantie contre l’arbitraire, et dans le sens négatif, que la théorie traditionnelle et doctrinaire de la catégorisation n’est pas correcte parce qu’elle ne voyait pas dans l’article 14 une garantie contre l’arbitraire… A part les nombreuses faiblesses de la nouvelle approche, elle considère une partie d’un fait comme un tout. Il ne fait pas de doute que les actes arbitraires normalement violent l’égalité; mais il n’est pas vrai que tout ce qui viole l’égalité doit être arbitraire… Dans une Constitution libérale et démocratique comme la nôtre, il ne serait pas approprié de qualifier des lois d’arbitraires. »

En poursuivant sa critique contre la nouvelle approche, Seervai indique que:

« Un des risques que les juges prennent en étant « dynamiques » ou « actifs » est, que des fois, leur activisme peut les emporter loin de la vérité et de la réalité, et c’est ce qui est arrivé au juge Bhagwati et ses collègues lorsqu’ils ont théorisé la nouvelle approche. »

Le virus de « l’activisme judiciaire » qui a pris naissance en Inde dans des affaires comme Royappa a atteint la Malaisie. En ce sens, je voudrais reproduire un rapport publié dans le magazine « Justice » par le Ministère de la Justice de Sri Lanka (éditions de février 1988):

« Le Dr Mahathir Mohamed, le Premier ministre de la Malaisie, a soutenu, en présentant la Loi constitutionnelle de 1988 au Dewan Rakyat [Parlement], que la révision avait pour objectif de clarifier les limites du pouvoir judiciaire du fait qu’il y avait des indications que le judiciaire contrôlait des matières qui relevaient de la compétence de l’exécutif, et ainsi nuisait l’Administration au point où le gouvernement ne pouvait plus maintenir la stabilité et la paix. Il disait que « Si les juges doivent d’abord démontrer leur indépendance, alors la justice sera reléguée à la seconde place ». Le Dr Mahathir a examiné la pratique juridictionnelle en GrandeBretagne et les principes des droits de la défense et du recours pour excès de pouvoir et a dit: « Nous sommes une démocratie et il n’est pas nécessaire pour nous d’accepter tous les caractères qui constituent la démocratie pour les autres. Dans notre démocratie, c’est le peuple qui a le pouvoir ». »

Les droits fondamentaux, sous réserves des limitations et restrictions, sont contenus dans la Constitution des Seychelles. Ils peuvent être révisés que selon la procédure prévue à l’article 91-1, c’est-à-dire par référendum à la majorité des 60% des votants. Donc, la révision appartient au peuple. Cette Cour a donc seulement un rôle du positiviste à jouer. Le positiviste pense que l’on peut avoir une meilleure compréhension des problèmes humains, sociaux et économiques lorsque les questions de la légalité et de la moralité demeurent distinctes. Le juge Bhagwati dans l’arrêt des Titres aux porteurs, en s’éloignant légèrement de son rôle d’activiste et en adoptant une approche positiviste indique:

« Notre analyse porte seulement sur la constitutionnalité d’une Loi et non sur sa moralité. Bien sur… nous ne voulons dire que la moralité n’a aucun rapport avec la constitutionnalité d’une Loi. Il peut exister des cas où des dispositions d’une Loi puent tellement l’immoralité que la législation doit être sanctionnée comme arbitraire et irrationnelle et donc pour violation de l’article 14. Mais l’examen dans de tels cas n’est pas de voir si les dispositions de la Loi méconnaissent la moralité mais si elles sont arbitraires et irrationnelles au régard de tous les faits et les circonstances de l’affaire. L’immoralité n’est pas en soi un cas d’ouverture d’un recours constitutionnel, et elle ne peut l’être parce que l’immoralité est essentiellement subjective, sauf lorsqu’elle est contenue dans une des dispositions de la Constitution, ou cristallisée dans un code de bonne conduite. » (c’est moi qui souligne.)

Seervai, en critiquant ce point de vue pose la question:

« Pourquoi la Loi litigieuse ne pue pas l’immoralité? »

Il répond lui-même:

« Les fraudeurs du fisc causent du mal à la nation et à l’économie nationale. Ils sont déshonnêtes, commettent des fraudes et infractions. La fraude fiscale réussie corrompe la moralité. Si une Loi qui récompense de telles personnes et pénalisent les contribuables honnêtes ne « pue pas l’immoralité », quelle Loi le serait? »

Une question pertinente posée dans une affaire appropriée. Mais qu’est-ce qui fait que les immunités accordées par l’article 5-7 « puent l’immoralité » comme le soutient M. Georges?

Comme le Chef-Juge Bhagwati l’a souligné « l’examen dans chaque affaire n’est pas de voir si les dispositions d’une Loi méconnaissent l’immoralité mais si elles sont arbitraires et irrationnelles eu égard aux faits et circonstances de l’affaire ». M. Georges s’accorde avec M. Fernando sur les principes juridiques qui s’appliquent dans la présente affaire. Cependant, il soutient qu’il n’a pas pu établir la nécessité de donner une justification aux immunités de l’article 5-7 pour atteindre l’objectif de la Loi.

La réplique de M. Fernando consiste à dire qu’elle tend à attirer des investisseurs et que le législateur détient le pouvoir d’adopter toutes dispositions pour atteindre l’objectif de la Loi. La réponse à cette question ne peut être donnée que par un activiste juridique, qui s’intéresse plus à ce que la Loi devrait être plutôt à ce qu’elle est. Comme je l’ai indiqué, cette Cour ne peut pas adopter une position d’activiste vu les limites à ses compétences posées par la Constitution. La moralité de certaines lois, par exemple la Loi britannique sur l’interruption volontaire de la grossesse de 1967, la Loi britannique sur les infractions sexuelles de 1967, qui légalise l’homosexualité en privé entre les majeurs consentants, les lois en vigueur sous le Régime NAZI en Allemagne et les lois sur l’apartheid en Afrique du Sud peuvent heurter un juge, mais il ne peut refuser de les appliquer pour immoralité ou parce qu’elles lui apparaissent injustes. S’il procède ainsi, il agirait contre les lois de son pays.

Le Chef-Juge Warren Burger d’Amérique dans un entretien exclusif publié dans The New York Times (4 juillet 1971) a été interrogé sur les grands défis de la Cour suprême dans les années à venir. Il répond:

« Je dirais que le plus grand défi est de conserver la même charge de travail et de maintenir la qualité que l’on attendrait de cette Cour. » Lors de la conclusion de son entretien, Burger résume son approche comme suit: « Intrinsèquement, la fonction de la Cour suprême ne changera pas rapidement sauf dans des cas spécifiques. Dans l’évolution de la pensée juridique, les principes juridiques ne seront pas justifiés s’ils évoluent trop rapidement. »

Une certaine approche libérale peut être mise en œuvre dans le cadre posé par la Constitution. Mais dans la présente affaire, pour des raisons citées, une telle approche n’est pas justifiée. La catégorisation opérée par la LDE a un but légitime. Il a une base rationnelle et donc n’a pas « assemblé en troupeau » un groupe de personnes arbitrairement. Par conséquent, la catégorisation faite par la LDE est justifiée à la fois au regard de l’approche classique de la catégorisation et de la « nouvelle approche » du Chef-Juge Bhagwati. La catégorisation n’est pas arbitraire et irrationnelle vu les circonstances dans lesquelles la Loi est intervenue. L’article 5-7-a n’accorde pas aux investisseurs un rang supérieur à celui du saisissant vis-à-vis de la loi et du droit à l’égale protection de la loi garantie par l’article 27 de la Constitution n’est pas méconnue.

En ce qui concerne l’article 5-7-b, l’immunité contre toute cession forcée des biens ne peut intervenir qu’en vertu de la Loi sur l’expropriation (Cap. 105). L’article 26-3-c lui-même indique qu’ »aucune loi n’autorisera pas la cession forcée des biens par l’Etat sauf:

c. S’il y a une justification raisonnable pour causer des difficultés à une personne qui a un intérêt dans la propriété ».

Le saisissant ne peut faire valoir une discrimination du fait que le législateur a garanti un investisseur que ses propriétés ne seront pas expropriées en vertu de la LDE. La deuxième partie de l’article 5-7-b concerne la saisie des avoirs. Elle peut intervenir en vertu de l’article 1961 du Code civil et de l’article 317 du Code de Procédure Civile des Seychelles (Cap. 213). Cette immunité est justifiable également pour les mêmes raisons que la cession forcée. Le législateur a prévu ces immunités comme des avantages pour atteindre l’objectif de la Loi. L’article 5-7-c n’est pas contesté.

M. Fernando a soulevé une objection concernant le mémoire accompagnant la saisine dans cette affaire. Pour les raisons que j’avais données dans l’affaire constitutionnelle n° 8 de 1995 (The United Opposition c. The Attorney General), je considère qu’il y a eu une violation de l’article 3 du Règlement de la Cour constitutionnelle de 1994. Cependant, comme le défendeur n’a pas voulu soulever une exception contre le saisissant sur ce point, il ne sera pas statué contre le saisissant. Mais, la Cour peut, à l’occasion d’un prochain vice de procédure dans une affaire constitutionnelle, prononcer toute décision qu’elle considère appropriée, notamment si le vice constitue une violation substantielle du Règlement.

En conclusion, le saisissant n’a pas pu établir qu’il appartient à la même catégorie que les investisseurs de la LDE. Il aurait dû démontrer par ailleurs que, étant dans cette catégorie, il était ou était susceptible d’être victime d’une discrimination par rapport aux autres catégories. Il est évident que le saisissant n’a pas un intérêt à agir sur la base de l’article 27. De plus, l’article 5-7-a et b ne viole pas les dispositions de l’article 27 du fait qu’il accorde des immunités à une catégorie de personnes raisonnablement différenciées afin d’atteindre l’objectif de la LDE. La prétention du saisissant selon laquelle les avantages et les concessions accordés par l’article 5-7 viole le droit à l’égale protection de la loi garantie par l’article 27 n’est pas fondée.

Cette demande est rejetée et le saisissant est condamné aux dépens.

A. R. PERERA

Juge

Fait, le 10 mai 1996.

V. ALLEEAR, Chef Juge

Le 26 décembre 1995, Roger Mancienne a saisi la Cour constitutionnelle d’une demande d’annulation des dispositions de l’article 5-7-a et b de la Loi sur le Développement Economique de 1995.

Il sera rappelé que l’Assemblée nationale a adopté la Loi sur le Développement Economique (Loi n° 20 de 1995), ci-après la Loi, le 21 novembre 1995. Le Président a donné son assentiment à la Loi le 27 novembre 1995. La Loi a été publiée au journal officiel le 4 décembre 1995 et est alors devenue une loi. Cependant, aucune date n’a été fixée pour l’entrée en vigueur de la Loi.

La Loi dans son intitulé complet dit:

« Une Loi pour donner des avantages et concessions aux personnes remplissant des conditions désireuses d’investir aux Seychelles afin de promouvoir une croissance économique élevée des Seychelles, pour la création d’un Comité qui aura la charge de déterminer et d’accorder des concessions et avantages et pour des objets connexes ».

La Loi contient dix articles. Dans cette saisine, l’article 5-7-a et b est soumis à notre examen et est ci-après reproduit.

« Aux fins de cet article une concession ou un avantage inclut:

a. L’immunité contre toutes poursuites dans les procédures pénales à l’exception des poursuites pénales relatives à des infractions pour faits de violence ou de trafic de stupéfiants aux Seychelles;

b. L’immunité contre toute cession forcée des biens ou saisie des biens appartenant à un investisseur à l’exception d’une confiscation opérée en vertu d’une ordonnance de la Cour à la suite d’une poursuite pénale exclue au paragraphe a. »

Le saisissant prétend que les dispositions susmentionnées de la Loi sont inconstitutionnelles en ce sens qu’elles violent l’article 27 de la Constitution en ce qui lui concerne. L’article 27 de la Constitution des Seychelles dispose que

« Toute personne a droit à la protection de la loi y compris la jouissance des droits et libertés proclamés dans cette Charte sans aucune discrimination sauf celle qui est nécessaire dans une société démocratique.

27-2. L’alinéa 1 n’interdit aucune loi, plan ou action qui a pour objet l’amélioration des conditions des personnes ou groupes désavantagés. »

Le saisissant allègue que, en accordant aux investisseurs en vertu de la Loi des « immunités de poursuites dans toutes procédures pénales », cette disposition de la Loi accorde une supériorité aux investisseurs par rapport au saisissant devant la loi et ainsi elle porte atteinte à l’égalité du saisissant vis-à-vis des dits investisseurs devant la loi. En d’autres mots, cette disposition de la Loi accorde un rang supérieur aux investisseurs potentiels par rapport au saisissant en violant le principe de l’égale protection contenue à l’article 27 (supra). Le saisissant soutient par ailleurs qu’en accordant aux investisseurs une immunité contre toute saisie de leurs avoirs en vertu de la Loi, les dispositions de l’article 27 de la Constitution sont susceptibles d’être méconnues à son égard s’il ne peut faire exécuter un titre exécutoire contre ledit investisseur afin de saisir ses biens, droit que le saisissant dispose en vertu du droit seychellois.

Dès le début, M. Georges, au non du saisissant, a indiqué clairement qu’il reconnaît le droit du gouvernement d’accorder des avantages et concessions à certaines catégories ou groupes de personnes. Il dit, par exemple, que quelqu’un qui investit dans un projet de construction d’un hôtel peut avoir des exemptions fiscales et de même le gouvernement peut accorder des exemptions fiscales à certaines personnes. Cependant, il soutient que les avantages et les concessions accordés par l’article 5-7 de la Loi sont inconstitutionnels en ce sens qu’ils violent les dispositions de l’égale protection de la loi contenues à l’article 27 de la Constitution.

M. Georges soutient également qu’il a eu des difficultés pour comprendre l’immunité accordée contre toute poursuite « dans toutes procédures pénales ». Il dit qu’il sait qu’il devrait exister une immunité contre toute poursuite pour des infractions ou contre toutes poursuites pénales. Cependant, du fait que l’article 5-7-a accorde une immunité contre toute poursuite dans toutes procédures pénales, il indique qu’il ne peut comprendre comment l’on peut bénéficier d’une immunité contre toute poursuite dans toutes procédures pénales ». Il dit que l’on n’est jamais poursuivi dans une procédure pénale. Il dit que l’on est poursuivi pour une infraction, ce qui constitue la procédure pénale.

M. Georges reconnaît qu’il n’y a pas de différence entre le droit à « l’égalité devant la loi » et le droit a « l’égale protection de la loi » et que le principe d’égalité posé par l’article 27 n’est pas absolu. Il a attiré l’attention de la Cour sur les dispositions de l’article 48 de la Constitution afin que la Cour interprète la « Charte seychelloise des Droits et des Libertés Fondamentaux » en fonction des obligations internationales des Seychelles.

Article 48 de la Constitution énonce que:

« Ce Titre doit être interprété de façon à le rendre conforme aux obligations internationales des Seychelles relatives aux droits et libertés de l’homme et la Cour, en interprétant les dispositions de ce Titre, doit prendre en considération

a. les textes internationaux contenant de telles obligations;

b. les rapports et les points de vue des organes appliquant et exécutant ces textes;

c. les rapports, les décisions ou avis des institutions internationales ou régionales appliquant ou exécutant les Conventions sur les droits et libertés de l’homme;

d. la Constitution des autres Etats ou nations démocratiques et les décisions constitutionnelles des cours de ces Etats ou nations ».

M. Georges affirme que la présente saisine a été opérée sur la base de l’article 46 de la Constitution des Seychelles. L’article 46 dispose que:

« Une personne qui prétend qu’une disposition de la présente Charte est méconnue ou est susceptible d’être méconnue à son égard par toute loi, acte ou omission peut, conformément à cet article, saisir la Cour constitutionnelle pour réparation. »

En statuant sur toute saisine en vertu de l’alinéa 1er, la Cour constitutionnelle peut annuler toute Loi ou toutes dispositions d’une Loi qui violent la Constitution. M. Georges a mis l’emphase sur le changement par des juges en Inde et aux Etats-Unis d’Amérique d’une approche doctrinaire traditionnelle à une interprétation libérale et large. Il a fait référence à quelques extraits de deux conférences données par l’ancien Chef-Juge de l’Inde, l’Honorable Juge Bhagwati. En 1992, l’ancien Chef-Juge Bhagwati est intervenu dans un atelier sur « Le rôle du judiciaire dans les sociétés démocratiques: l’équilibre entre l’activisme judiciaire et la retenue judiciaire ». L’ancien Chef-Juge a soutenu sur le sujet que:

« Une des questions de base et fondamentales à laquelle est confrontée toute démocratie respectant l’Etat de droit est: quel est le rôle ou quelle est la fonction du juge dans une démocratie, ce qui pose une autre question: est-ce que la fonction du juge est simplement d’appliquer la loi comme elle existe ou de faire la loi? L’approche anglo-saxonne continue à affirmer que le juge ne fait pas la loi. Il ne fait que l’interpréter. Il reflète ce que le législateur a dit et ceci est la théorie phonographique de la fonction du juge.

Lorsque la loi et son application sont simples ou la règle de droit est certaine et seulement son application douteuse, il n’y a aucune difficulté pour le juge. Mais il y a des cas où une décision dans un sens ou dans l’autre comptera pour l’avenir, va accélérer ou retarder, des fois plus, des fois moins, le développement du droit dans le bon sens et dans ces affaires où le juge doit chercher dans l’obscurité juridique, lorsque les lampes des précédents ou des principes généraux vacillent et diminuent d’intensité, le juge a une opportunité de reformuler la loi et lui donner un sens. C’est là que le judiciaire peut jouer un rôle déterminant et actif dans le développement et la formulation de la loi afin de la rendre conforme aux besoins de la communauté et à la promotion des droits de l’homme. Et il peut être reconnu que les juges peuvent faire la loi même si ce n’est pas de la même manière de et du même degré et de la même échelle que le législateur.

Le plus grand exemple de l’activisme judiciaire par la Cour suprême de l’Inde est l’affaire Keshavanand Bharati dans laquelle la Cour a dû interpréter l’article 368 de la Constitution indienne qui investit le Parlement du pouvoir de réviser la Constitution. La Cour suprême de l’Inde a rejeté l’interprétation littérale et a considéré que le pouvoir de réviser la Constitution n’était pas illimité et ne peut porter sur la structure de base de la Constitution et le Parlement n’était pas autorisé à réviser la Constitution de manière à modifier sa structure de base comme le républicanisme et le laïcisme. Dans une décision ultérieure, la Cour suprême a ajouté à cette liste le principe du contrôle juridictionnel. L’activisme judiciaire de la part de la Cour suprême de l’Inde avait pour objectif de protéger le citoyen contre les révisions drastiques et draconiennes opérées par le parti au pouvoir du fait qu’il est majoritaire au Parlement. »

M. Georges pose la question de savoir si le judiciaire devrait « s’intéresser ou non à la politique ». Il dit que tout ce qui touche à la Constitution est nécessairement de caractère politique notamment s’il s’agit d’une diminution des droits fondamentaux tel que l’égalité devant la loi. Il fait référence à une conférence de du Chef-Juge Bhagwati qui dit:

« Il y a deux situations dans lesquelles les juges ont besoin d’activisme judiciaire pour faire respecter les droits constitutionnels et légaux contre les actes de l’Etat. La première est lorsqu’il est considéré que le recours juridictionnel contre l’acte de l’Etat porte sur une question politique qui selon la Constitution fait partie du domaine de l’exécutif et ne relève pas de la compétence des cours de justice. Certes, il n’y a de doute que si la question qui est posée à la cour est purement politique et ne porte sur aucun droit constitutionnel ou légal ou obligation, la cour ne la tranchera pas du fait que la cour statue sur les droits et les obligations. Mais le simple caractère politique d’une question ne la soustrait pas de la compétence de la cour si elle porte sur un problème constitutionnel et légal. Tout litige constitutionnel porte sur la distribution des et l’exercice des pouvoirs et aucun litige constitutionnel ne peut ne pas être politique. « Le droit constitutionnel » selon Charles Black « représente la rencontre du droit et du politique ». Et Lord Scarman remarque que: « le droit et la politique ne peuvent, dans un niveau élevé ils ne doivent pas, être séparés ». Les décisions de la Cour suprême des Etats-Unis dans l’affaire Baker c. Carr annulant le découpage des circonscriptions électorales et dans l’affaire Brown c. Board of Education posant le principe de la déségrégation portaient sur des questions politiques mais la Cour les a tranchées parce qu’elles impliquaient une violation du principe d’égalité contenu dans la Constitution des Etats-Unis. »

M. Georges s’est référé à un article présenté par Bhagwati, l’ancien Chef-Juge de l’Inde, le 14 mai 1986 à l’invitation de la revue British International and Comparative Law. L’ancien Chef-Juge indique que:

« Il serait approprié à ce stage d’examiner la nature de la fonction de juger du fait de larges pouvoirs conférés à la Cour suprême par la Constitution. Dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle des organes de l’Etat, le judiciaire doit interpréter la Constitution et la loi et, du fait de mon expérience, c’est une fonction très créatrice. Il est souvent dit que les juges ne font pas la loi mais ils l’appliquent tout simplement: ils appliquent la loi telle qu’elle est à des faits et à une situation donnée. Cette approche de la fonction du juge, que je qualifie de phonographique, est illusoire. Je ne suis pas d’accord avec le point de vue conventionnel selon lequel dans les pays de Common Law les juges ne font que déclarer la loi; ils sont simplement la bouche de la loi; ils ne font ou n’inventent pas la loi pas plus que Colomb a découvert ou inventé l’Amérique. Sir Frédéric Pollock avait raison lorsqu’il disait que les juges font ou modifient la loi. La création du droit est inhérente et inévitable à la fonction de juger. Même lorsque le juge interprète seulement la loi, il y a une grande possibilité pour lui de la développer ou de la façonner. C’est lui qui infuse du sang dans le squelette créé par le législateur et crée un organisme vivant qui est approprié et adéquat aux besoins de la société et ainsi en établissant et façonnant le droit, il fait œuvre de création.

Un juge n’est pas un pantin. La grandeur du prétoire dépend de la création. La fonction de juger est une activité qui ne se terminera jamais et il est attendu d’un juge plus que la reproduction limitée, la répétition mécanique et sans âme. C’est pour cette raison que lorsqu’une loi est soumise à un juge, il doit la donner un sens et un contenu et dans le processus d’interprétation il crée le droit. Selon moi, il est nécessaire qu’un juge soit en accord avec les besoins sociaux et il doit avant tout être un homme d’Etat de droit. Le droit ne s’opère pas dans un vacuum. Il a un but social et une mission économique, et un grand juge doit avoir constamment à l’esprit, lorsqu’il interprète la loi, l’attente et les aspirations du peuple et les besoins de la société.

La Constitution indienne n’est pas une charte neutre. Ce n’est pas un parchemin sec. C’est un document vivant qui comporte une idéologie socio-économique dont l’objectif est d’atteindre une justice distributive dans laquelle les droits de l’homme n’appartiennent pas à quelques personnes fortunées mais à tous les individus indépendamment de leur caste, croyance, couleur, race, position et richesse. Le juge doit être en accord avec les valeurs constitutionnelles: la philosophie sociale de la Constitution doit l’inspirer dans sa fonction de juger et il doit adopter une approche qui le rend actif et lui permet d’atteindre le but de faire avancer les objectifs constitutionnels.

La Constitution de l’Inde contient un Titre sur les droits fondamentaux qui a une grande ressemblance avec la Déclaration des droits de l’homme contenue dans la Constitution des Etats-Unis. Ils sont appliqués par les cours de justice et comme je l’ai indiqué, la Cour suprême est toujours sur la qui-vive pour leur protection et application.

La Cour a affirmé son attachement contre l’arbitraire dans l’affaire Maneka Gandhi. La Cour a fait une interprétation du principe d’égalité de l’article 14 qui a transcendé le principe de la catégorisation. Pendant longtemps nous avons assimilé l’article 14 au principe de la catégorisation dans l’évolution de notre droit constitutionnel. L’article 14 ne disait que ceci: l’on peut catégoriser les individus et les choses aux fins de l’application d’une loi mais une telle catégorisation doit être fondée sur un critère intelligible qui a un lien avec l’objet à atteindre par la loi. La Cour a indiqué dans l’affaire Maneka Gandhi que l’article 14 ne doit pas être confondu avec le principe de la catégorisation. Il était à l’origine une garantie contre l’arbitraire des actes législatifs et administratifs et le principe de la catégorisation avait évolué comme un corollaire pour tester et déterminer si un acte législatif ou administratif en question était ou non arbitraire. La Cour disait: « L’égalité est un principe dynamique qui comporte de nombreux aspects et dimensions et il ne peut pas être enfermé dans une conception restrictive et traditionnelle. En réalité, l’égalité et l’arbitraire sont des ennemies jurées: l’un appartient à l’Etat de droit d’une République alors que l’autre appartient au caprice d’un monarque absolu. Lorsqu’un acte est arbitraire, il est implicitement discriminatoire du point de vue politique et du droit constitutionnel et, donc, viole l’article 14″. La Cour a posé le principe selon lequel tout acte législatif ou administratif doit être raisonnable et ne doit pas être arbitraire; le cas échéant, la Cour va l’annuler. »

Tout en reconnaissant que notre article 27 n’est pas absolu dans ses applications, M. Georges soutient que ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas absolue que le contraire est vrai. M. Georges a fait référence aux observations suivantes du juge Alagiriswamy dans l’affaire des Traiteurs.

« Mais ce que nous voulons souligner, et nous ne pouvons trop mettre l’accent sur ce point, l’article 14 énonce un principe fondamental qui constitue le cœur du républicanisme et brille comme un signal lumineux pointant vers une société socioéconomique égalitaire et sans classe que nous avons promise de construire lorsque nous avons donné rendez-vous au destin le jour où nous avons adopté notre Constitution. Si nous devons faire un choix entre une dévotion fanatique et une faible allégeance à ce grand principe d’égalité, sans hésitation nous préférions nous pencher vers le premier que le deuxième. Nous briserions notre foi dans ce grand et noble principe qui contient une espérance pour le peuple et qui est à la fois le but et la fin, parce que l’histoire démontre que c’est par des empiétements insidieux faits au nom du pragmatisme et pour des raisons de convenance que la liberté s’est graduellement diminuée mais imperceptiblement et nous ne devons admettre le même destin emporter l’égalité et l’égalitarisme au nom de l’opportunité et de la convenance. »

M. George accepte que l’extrait ci-dessus ait été critiqué. Cependant, il affirme que l’article 5-7 de la Loi est une affaire de simple mesure politique et demande à la Cour de ne pas permettre à la politique du moment d’emporter le principe d’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi. M. Georges a cité l’extrait suivant aux pages 38 et 39 de l’ouvrage de Shukla sur la Constitution de l’Inde dans son exposé.

« Principe fondamental. Le principe fondamental de l’article 14 est que tout le monde et toutes les choses se trouvant dans une situation semblable doivent être traités de la même manière à la fois en ce qui concerne les privilèges accordés et les responsabilités imposées. « Egalité devant la loi » signifie que la loi doit être la même pour ceux qui sont égaux et doit être appliquée de la même manière et que ceux qui sont dans la même situation doivent être traités de la même manière. Il n’interdit pas un traitement différent à ceux qui ne sont pas égaux. La règle est plutôt que ceux qui sont semblables doit être traités de la même manière et les différents doivent être traités différemment. Le traitement égal de ceux qui ne sont pas égaux est aussi condamnable que le traitement inégal de ceux qui sont égaux. A dire vrai tout le monde ne se ressemble pas et n’est pas égal dans tous les aspects. Une application uniforme de la loi à tous sera donc contraire au principe d’égalité. Afin d’éviter cette situation le droit doit distinguer entre ceux qui sont égaux et à qui il s’applique et ceux qui sont différent et à qui il ne doit pas être appliqué.

Catégorisation législative. Ceci nous amène vers une importante question sur la catégorisation législative ou les distinctions entre les personnes et les choses opérées par la loi. Il est reconnu que les personnes peuvent être groupées en catégories et que ces catégories peuvent être traitées différemment s’il y a une raison raisonnable pour une telle différence. L’article 14 interdit la législation de classes, mais n’interdit pas la catégorisation ou la différenciation fondée sur des critères raisonnables de distinction. Il n’interdit pas une législation qui est limitée dans son objectif à atteindre ou dans le cadre dans lequel elle doit s’appliquer. La règle de la différenciation est que les lois effectives faisant une différence entre des personnes ou choses différentes qui sont dans des situations différentes peuvent ne pas être les mêmes que celles s’appliquant à un autre groupe de personnes ou choses de sorte que la question du traitement inégal ne se pose pas entre les personnes soumises dans différentes conditions et différentes circonstances. Le principe d’égalité, comme indiqué, ne signifie pas que toute loi doit avoir une application universelle pour tous les individus qui ne sont pas par nature, par leur effort et chance dans la même position. Les différents besoins de différentes classes de personnes exigent un traitement différent.

En fait, le bien public nécessite que les personnes, les propriétés et les fonctions soient catégorisées et soumises à des législations différentes et appropriées. La gestion gouvernementale n’est pas simple. Elle rencontre et doit faire face à des problèmes qui proviennent des personnes à partir d’une variété infinie de relations. La catégorisation est la reconnaissance de ces relations et dans son élaboration le législateur doit bénéficier d’une grande latitude de discrétion et de jugement.

Le recueil des lois indiennes contient de nombreux exemples de législations dérogatoires qui s’appliquent à une classe ou groupe. Les auxiliaires de justice, les médecins, les banquiers, les assureurs, les mineurs et aussi toutes les autres catégories sont sujets à des législations spéciales. Dans un sens, l’effet d’une telle catégorisation est sans doute de différencier les personnes appartenant à ces catégories des autres, mais ceci ne rend pas les législations contraires à l’article 14, sous réserves qu’elles s’appliquent également à toutes les personnes se trouvant dans une catégorie désignée. »

Dans de nombreuses affaires, la Cour suprême a considéré que l’article 14 n’interdit pas une catégorisation pour les besoins de création des normes. Dans l’affaire Kedar Nath Bajoria c. State of West Bango, All India Reports, 1953, p. 404, il a été soutenu que:

« L’égale protection des lois garantie par l’article 14 de la Constitution ne signifie pas que toutes les lois doivent être de caractère général et d’application universelle et que l’Etat ne doit avoir le pouvoir de distinguer et de catégoriser les individus ou les choses pour les besoins de la création des normes. »

L’examen de la catégorisation. Le pouvoir de faire une catégorisation, comme nous l’avons indiqué, n’est pas sans limites. Pour qu’une catégorisation soit valide, il faut qu’elle soit raisonnable. Elle doit toujours être fondée sur un critère réel et substantiel ayant un lien raisonnable et approprié avec les besoins et en ce sens certaines conditions doivent être remplies, à savoir: (1) la catégorisation doit être fondée sur un critère intelligible distinguant les personnes et les choses qui sont groupées et celles qui ne sont pas dans le groupe, et (2) la différence établie doit avoir un lien rationnel avec l’objectif à atteindre par la Loi en question. A titre illustratif, on peut citer l’article 11 de la Loi indienne de 1872 sur les contrats en vertu de laquelle les mineurs ne peuvent pas contracter. Les deux catégories sont les adultes et les mineurs. Le critère de la catégorisation est l’âge. Le critère, évidemment, a un lien avec la capacité de contracter. Cet article, donc, est conforme aux conditions pour être une catégorisation régulière. Mais, supposons que le critère de la catégorisation est la couleur des cheveux, par exemple, tous ceux qui ont les cheveux noir peuvent contracter. Cette catégorisation échouerait parce que la différenciation n’a pas de relation avec l’objet de la loi – la capacité de contracter.

La Cour suprême de l’Inde a dans de nombreuses affaires posé certains principes importants qui précisent davantage les critères de la catégorisation autorisée. Ces principes sont:

a. Une loi peut être constitutionnelle même si elle s’applique à un seul individu si, sur la base de circonstances exceptionnelles, ou des raisons qui lui sont propres, le seul individu peut être traité comme une catégorie en lui-même;

b. Il y toujours une présomption en faveur de la constitutionnalité d’une loi et la charge repose sur celui la conteste de démontrer qu’il y a une violation manifeste des principes constitutionnels. La personne, donc, qui prétend que l’article 14 a été violé, doit démontrer non seulement qu’elle a été traitée différemment contrairement aux personnes dans une situation différente mais aussi contrairement aux personnes dans une situation semblable et qu’un tel traitement différent n’est pas fondé. Cependant, il est très hasardeux de trancher la question de la constitutionnalité d’une disposition sur la seule base des faits réels en soulevant une présomption. Il y a lieu de recourir aux présomptions lorsqu’il est difficile d’admettre une preuve directe ou lorsqu’il y a des difficultés à prouver un fait particulier;

c. Il doit être présumé que le législateur connaît parfaitement les besoins du peuple, que les lois sont destinées à résoudre des problèmes qui se dégagent par l’expérience, et que les discriminations sont fondées sur des critères adéquats;

d. Le législateur apprécie souverainement l’intensité du mal causé et peut limiter les restrictions aux cas où le besoin est le plus manifeste;

e. Afin de soutenir la présomption de constitutionnalité, la Cour peut prendre en considération des faits de notoriété publique, l’histoire, et toute situation prévalant au moment de l’élaboration de la loi;

f. Alors que la bonne foi et la connaissance des conditions existantes doivent être présumées de la part du législateur, s’il n’y a aucune raison juridique et aucun contexte relevé à la Cour et sur lequel la catégorisation peut être fondée, la présomption de constitutionnalité ne peut pas être maintenue au point d’affirmer qu’il doit toujours y avoir une raison non révélée ou inconnue pour soumettre certains individus ou personnes morales à une législation discriminatoire ou défavorable;

g. Une catégorisation n’a pas à être scientifiquement parfaite et complète du point de vue de la logique;

h. La validité d’une règle doit être examiné sur la base de ses effets en général et non dans des affaires particulières. La Cour doit voir si la catégorisation est juste au regard de toutes les considérations;

i. La Cour doit voir au-delà de la catégorisation prétendue et l’objectif de la loi et applique le test du « caractère arbitraire palpable » dans le contexte des besoins ressentis du moment et les exigences de la société dégagées par l’expérience pour déterminer le caractère raisonnable de la catégorisation.

Dans l’affaire Chiranjit Lal c. Union of India, All India Reports, 1951, p. 41, citée par M. Georges, le requérant à une ordonnance sur la base de l’article 42 de la Constitution cherchait protection de ses droits fondamentaux en vertu des articles 14 et 31 contre l’application d’une Loi fédérale, la Loi sur le Sholapur Spinning and Weavind Co. (dispositions d’urgence) de 1950. Le requérant était un actionnaire de la société Sholapur Spinning and Weaving Co. Ltd. La société comportait une usine du même nom de fabrication de tissus gérée par ses directeurs: mais en 1949, à la suite d’une mauvaise gestion et de négligences, l’usine s’était retrouvée en faillite. Cette gestion de la société a causé des préjudices à la production d’un besoin essentiel, mis à part les licenciements d’une certaine section de la communauté. Le gouvernement fédéral a édicté un décret-loi qui a remplacé la Loi susmentionnée. En vertu de cette Loi, la gestion des actifs de la société était confiée à des directeurs désignés par le gouvernement; les anciens directeurs étaient révoqués et les nouveaux actifs de la société, y inclus l’usine de textile, étaient confiés à la nouvelle administration. En ce qui concerne les actionnaires, la Loi disposait qu’ils ne pouvaient désigner un nouveau directeur ni ne pouvaient engager une procédure pour la dissolution de la société. Le requérant soutenait que la Loi violait le principe de l’égale protection des lois contenu à l’article 14 parce qu’une seule société et ses actionnaires étaient défavorisés par rapport à d’autres sociétés et actionnaires. La Cour suprême a rejeté la requête et a considéré la Loi régulière. Elle a considéré qu’une loi peut être constitutionnelle même si elle s’applique à une seule personne si, sur la base des circonstances exceptionnelles ou des raisons qui lui sont propres, cette personne peut être traitée différemment comme une catégorie en elle-même et jusqu’à ce qu’il soit démontré qu’il existe d’autres sociétés dans la même situation, cette Loi doit être présumée constitutionnelle. La société Sholapur constitue en elle-même une catégorie, parce que la mauvaise gestion de la société a causé un préjudice à la production d’une commodité essentielle et a provoqué un licenciement massif d’une section de la communauté. Dans l’affaire Chirangit Lal, la Loi concernait une seule société par actions et ses actionnaires.

Dans le cadre de son argumentation M. Georges a évoqué le « fondement de la catégorisation » et a fait référence à l’ouvrage de Shukla sur la Constitution de l’Inde à la page 56 et s.

« Une catégorisation opérée par une Loi peut être fondée sur plusieurs critères. Par exemple, une catégorisation peut être fondée sur un critère géographique ou territorial si celui-ci est lié à l’objectif de la Loi. Une Loi sur les baux peut être particulière à une certaine région du pays parce que la position des locataires varie de régions en régions et, ainsi, les locataires d’autres régions ne peuvent pas contester la régularité de la Loi. De même une règle ne viole pas l’article 14 si elle impose une capitation aux étudiants non résidents d’un Etat et dispense les étudiants résidants de cette taxe parce que l’Etat doit participer au fonctionnement de ses établissements d’enseignement. En matière de la taxe sur la propriété foncière, les Etats ont mis en place différents systèmes de recouvrement et de sanction. L’article 46-2 de la Loi sur l’impôt sur le revenu autorise les différents receveurs à utiliser la procédure propre à chaque Etat pour recouvrer les arriérés d’impôt. La régularité de l’article 46-2 était contestée sur la base qu’en autorisant l’utilisation de différentes procédures dans différents Etats les mauvais contribuables ne sont pas traités de manière égale dans tous les Etats. La Cour a considéré, premièrement, que chaque Etat peut mettre en place une procédure propre pour le recouvrement de ses besoins et deuxièmement, aucun ressortissant d’un Etat ne peut se plaindre du fait que la Loi de son Etat est plus rigoureuse que celles des autres Etats. Leurs besoins, définis par leurs législateurs, sont différents de ceux des autres Etats. Deuxièmement, sur la base du même principe, l’article 46-2 de la Loi sur l’impôt sur le revenu n’est pas inconstitutionnel s’il classifie les mauvais contribuables selon les pays et applique comme mode de recouvrement de sa créance la procédure de recouvrement de la taxe foncière dans les Etats. Dans l’affaire State of M.P. c. G.C. Mandawar, il a été décidé qu’aucune Loi ne peut être annulée au motif qu’elle serait différente de celle qui s’applique dans un autre Etat.

La catégorisation peut être fondée sur des considérations économiques. Par exemple, l’immunité accordée aux anciens dirigeants de l’Inde contre toutes actions au civil par l’article 87-B du Code de Procédure Civile est acceptée comme une catégorisation raisonnable par le fait que les dirigeants constituaient une catégorie séparée pour des raisons historiques parce qu’ils étaient les souverains avant l’Indépendance, et en contrepartie de l’abandon de leur souveraineté, il leur a été accordé une allocation et d’autres privilèges personnels. Mais avec le temps, la validité des raisons historiques pourraient ne plus avoir de sens et le maintien de l’inégalité serait contestée.

La catégorisation peut être faite en fonction de la nature des individus. La distinction opérée entre les agents publics et les agents privés par l’article 197 du Code de Procédure Pénale, qui exige pour la poursuite d’un fonctionnaire la sanction du gouvernement alors qu’une telle sanction n’est pas exigée pour la poursuite d’une personne privée, ne viole pas l’article 14. La protection des agents publics est nécessaire pour les sauvegarder de tout harcèlement. Une telle protection n’est pas nécessaire pour les personnes privées. De même, une catégorisation pqr une loi répressive entre la population civile et l’armée et entre les citoyens et les étrangers est justifiée.

Une catégorisation peut être effectuée en raison de la nature d’un commerce. Ainsi, une distinction peut être faite, s’agissant d’une Loi sur les salaires minima, entre une activité exercée dans une usine et celle effectuée en dehors de l’usine. Un grand producteur peut être traité différemment d’un petit producteur. Un taux plus élevé de taxe peut être imposé sur une grande entreprise de cinéma qui offre un grand nombre de places et est située dans un lieu animé où le nombre de cinéphiles sera plus grand et plus affluent que le taux imposé sur un petit cinéma donnant des spectacles et offrant moins de places et situé dans une localité où le nombre de cinéphiles est moins grand et qui fait un chiffre d’affaires moindre.

De même une catégorisation qui traite l’Etat différemment des personnes privées ne peut pas être contraire au principe de l’égale protection des lois. L’Etat en tant que banquier peut recevoir des facilités pour l’exploitation de son capital qui ne sont pas accordées à d’autres banquiers. Elles sont justifiées parce que le capital de l’Etat appartient à tout le peuple. En vertu du même principe, un délai plus long accordé au gouvernement pour intenter des actions en justice contrairement aux personnes privées est justifié.

Le critère de la catégorisation peut être en fonction de l’objectif de la Loi. Ainsi, afin de prévenir des actions vexatoires, une distinction peut être faite entre les plaideurs vexatoires et les autres plaideurs. Dans une procédure en justice, les prévenus mineurs peuvent être catégorisés séparément des prévenus adultes. Une juridiction prud’homale peut être traitée différemment des juridictions civiles au regard de l’obligation du ministère d’avocat. Les personnes ayant été mutées peuvent être traitées différemment des personnes n’ayant pas été mutées s’agissant du bénéfice de certaines indemnités. De différents tarifs pour les grands et petits taxis ne sont pas discriminatoires. »

M. Georges a ensuite présenté son analyse de la nouvelle approche, le « principe du caractère raisonnable » importé dans le principe d’égalité en les années soixante-dix. Il a fait référence à la page 65 et s. de l’ouvrage de Shukla.

« Nouvelle approche de l’égalité. – Depuis les années soixante-dix le principe d’égalité de l’article 14 a acquis une nouvelle et très importante dimension. Avant, comme nous l’avons noté, les exigences de l’article 14 étaient satisfaites si une Loi ou un acte administratif était conforme au principe de la catégorisation raisonnable et le test du lien raisonnable. Cependant, vers la fin des années soixante-treize, le juge Bhagwati personnellement et les juges Chandrachud et Krishna Iyer, dans leurs opinions concurrentes, dans l’arrêt E.P. Royappa c. State of T.N. ont développé une nouvelle approche de l’article 14 en ces termes:

« L’égalité est un principe dynamique qui contient beaucoup d’aspects et de dimensions et ne peut être ‘circonscrit dans les limites traditionnelles et doctrinaires’. Du point de vue du droit positif, l’égalité est le contraire de l’arbitraire. En fait, l’égalité et l’arbitraire sont des ennemies jurées; l’un appartient à l’Etat de droit dans une République alors que l’autre, aux caprices d’un monarque absolu. Lorsqu’un acte est arbitraire, il est implicitement discriminatoire du point de vue politique et du droit constitutionnel et, donc, viole l’article 14. »

Quelques mois plus tard, dans l’affaire M. Chhaganlal c. Greater Bombay Municipality, Supreme Court Cases, 1974, vol. 2, le juge Bhagwati en son nom personnel et le juge Krishna Iyer J. ont mis l’accent dans leur opinion concurrente que:

« L’article 14 énonce un principe fondamental qui constitue le cœur du républicanisme et brille comme un signal lumineux pointant vers une société socio-économique égalitaire et sans classe que nous avons promise de construire lorsque nous avons donné rendez-vous au destin le jour où nous avons adopté notre Constitution. Si nous devons faire un choix entre une dévotion fanatique et une faible allégeance à ce grand principe d’égalité, sans hésitation nous préférions nous pencher vers le premier que le deuxième. »

Dans la fameuse affaire Maneka Gandhi c. Union of India, citant lui-même dans l’affaire Royappa, le juge Bhagwati dégage le principe du caractère raisonnable dans l’article 14. Il dit:

« L’article 14 annule toute action de l’Etat ayant un caractère arbitraire et garantit l’équité et l’égalité de traitement. Le principe du caractère raisonnable, qui logiquement est un élément essentiel de l’égalité ou l’interdiction de l’arbitraire, envahit l’article 14 et y est omniprésent. »

Dans l’affaire Ajay Hasia c. Khalid Mujib, All India Reports, 1981, p. 487, le juge Bhagwati a consacré la nouvelle approche dans une décision unanime de la formation élargie de la Cour une semaine après:

« Il doit… maintenant être considéré comme bien établi que l’article 14 annule l’arbitraire parce que tout acte qui est arbitraire nécessairement implique une négation de l’égalité. Le principe de la catégorisation qui est élaboré par les cours n’est pas une paraphrase de l’article 14 ni dans son objectif ni dans le but de cet article. C’est seulement une formule jurisprudentielle pour déterminer si un acte législatif ou exécutif en question est arbitraire et donc constitue une négation de l’égalité. Si la catégorisation n’est pas raisonnable et ne satisfait pas les deux conditions susmentionnées (i) une différence intelligible et (ii) un lien rationnel entre la différence et l’objectif à atteindre, la législation ou l’acte administratif litigieux serait manifestement arbitraire et la garantie de l’égalité de l’article 14 serait violée. Dès lors qu’un acte, législatif ou administratif, est arbitraire en vertu de l’article 12, l’article 14 entre en ligne de compte et annule l’acte de l’Etat. »

Ces termes distinguent clairement la nouvelle approche de l’ancienne en ce sens que le caractère raisonnable de l’acte de l’Etat est l’exigence posée par l’article 14 et le principe de la catégorisation est une méthode pour satisfaire cette exigence. Quoi d’autre est exigé pour satisfaire cette exigence reste à déterminer ».

Il est intéressant de noter que dans toutes ces affaires susmentionnées, dans lesquelles la nouvelle approche de l’article 14 a été développée, aucun acte de l’Etat n’a été considéré comme manquant au caractère raisonnable et donc comme irrégulier au regard de l’article 14.

M. Georges a proposé l’adoption de la nouvelle approche et a indiqué qu’elle a été adoptée dans l’affaire McKay c. The Queen, tranchée par la Cour suprême du Canada en 1980. Dans cette affaire, le demandeur au pourvoi, McKay, faisait partie d’un bataillon stationnant à Victoria dans la Colombie Britannique. Il a été jugé par une Cour Martiale pour sept chefs d’accusation en vertu de l’article 120 de la Loi sur la défense nationale; dix chefs portaient sur le trafic de stupéfiants contrairement à l’article 3 de la Loi sur le trafic de stupéfiants. Il a été relaxé pour un des chefs. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de soixante jours. La Cour Martiale d’Appel a annulé un des chefs d’accusation portant sur le trafic de stupéfiants. Elle a confirmé les cinq autres chefs. Les chefs portant sur le trafic pour lesquels il a été condamné impliquaient également d’autres officiers de l’armée et trois de ces infractions ont été commises dans les casernes. L’infraction de détention de stupéfiant y a été commise.

Dans une opinion concurrente séparée, le juge McIntyre a fait les observations suivantes.

« Il me semble que le Parlement a incontestablement le pouvoir de faire des lois pour une catégorie dans la société par opposition aux autres sans violer la Charte Canadienne des Droits. Une difficulté surgit, cependant, lorsque nous essayons de déterminer un critère acceptable pour définir une catégorie séparée, et la nature de la législation dérogatoire impliquée. L’égalité dans ce contexte n’est pas synonyme d’application universelle. Il y a beaucoup de circonstances et de conditions différentes qui concernent différents groupes et qui déterminera le traitement. La question qui doit être résolue dans chaque cas est de déterminer si une inégalité créée par la Loi concernant une catégorie spécifique – ici le militaire – est arbitraire, capricieuse et n’est pas nécessaire ou si elle est rationnelle et acceptable comme une variation nécessaire du principe de l’application universelle de la loi pour atteindre un but précis ou un objectif social et nécessaire.

Il y a beaucoup de cas dans lesquels les besoins de la société et du bien-être de ses membres imposent une inégalité pour atteindre un objectif socialement désirable. Il serait difficile, sinon impossible, de proposer un examen général pour déterminer quel éloignement du principe général de l’égale application de la loi serait acceptable pour atteindre un but social désirable sans violation de la Charte Canadienne des Droits. Je pense, cependant, qu’au minimum il serait nécessaire de déterminer si l’inégalité a été créée pour atteindre un objectif constitutionnel fondé, si elle a été créée rationnellement en ce sens qu’elle n’est pas arbitraire ou capricieuse et n’est pas fondée sur un motif secret ou motif qui violerait les dispositions de la Déclaration Canadienne des Droits et s’il est nécessaire de s’éloigner du principe de l’application universelle de la loi pour atteindre un objectif social désirable et nécessaire. Des inégalités créées pour de tels objectifs peuvent être acceptées conformément à la Déclaration Canadienne des Droits. »

L’éminent juge a considéré qu’en procédant à cet examen, il est manifeste que la création d’un droit militaire et des juridictions a été faite pour atteindre un objectif fédéral constitutionnel. Il a été fait dans un but rationnel et non pas arbitrairement ou capricieusement et aucun détournement de pouvoir qui pourrait être interprété comme constituant une violation des droits et libertés protégés par la Déclaration Canadienne des Droits n’a été démontré.

Cependant, il ne faut oublier que puisque le principe d’égalité doit être maintenu, une dérogation n’est possible que si elle est nécessaire pour atteindre des objectifs sociaux désirés et seulement si elle respecte des limites nécessaires dans les circonstances existantes afin d’atteindre ces objectifs.

M. Georges a soutenu qu’il y a une convergence entre l’approche canadienne et l’approche indienne sur l’égale protection devant la loi. Il dit qu’il découle des précédents indiens et l’affaire McKay qu’une dérogation du principe d’égalité ne peut être approuvé que dans le cas où elle serait nécessaire pour atteindre un objectif social et désirable. L’inégalité qui sera créée doit être fondée sur un critère rationnel qui n’est pas arbitraire ou capricieux et ne doit pas être fondée sur un motif secret ou motif contraire à la Constitution.

M. Georges demande à la Cour d’adopter une approche « d’activiste » développée par le juge Bhagwati et d’autres. Il a plaidé pour l’abandon de la vieille approche et l’adoption de l’approche de la catégorisation raisonnable. Il soutient que même si l’on adopte la vieille approche de la différence intelligible et la relation raisonnable avec l’objectif à atteindre, l’article 5-7 de la Loi violerait l’article 27 de la Constitution. Il avance premièrement que la différence n’est pas intelligible et la catégorisation est inappropriée. Parce que le critère de 10 millions de dollars américains est un seuil arbitraire. Il n’y a rien d’intelligible avec les 10 millions de dollars américains. Il ajoute que si la Loi avait dit « un investissement substantiel à la discrétion du Comité » ce serait, selon son point de vue, une « différence intelligible ». Il soutient que celui qui se préparait à faire « un investissement substantiel » tomberait dans une catégorie intelligible ou un investissement dans les secteurs tels que l’hôtellerie avec plus de cent lits, une flottille de pêche, un terrain de golf, etc. Ces investisseurs, selon M. Georges, constitueraient une catégorie intelligible qui distinguerait les grands des petits investisseurs.

Il dit que le montant de 10 millions de dollars est arbitraire parce qu’un investisseur éventuel possédant 9,9 millions de dollars américains ne ferait pas partie de la catégorie et un autre avec 15 millions de livres sterling y serait également exclu. Il pose la question de ce qui va arriver si la valeur du dollar américain diminue considérablement entre le premier investissement de 10 millions de dollars américains et les investissements subséquents du même montant.

Selon l’argumentation de M. Georges, la Loi ne fait pas de distinction entre l’investisseur qui serait prêt à investir 10 millions de dollars américains dans un « projet sérieux » et le farceur d’un même montant. Il dit que les deux investisseurs ne peuvent pas faire partie de la même catégorie intelligible parce que un peut investir 10 millions de dollars américains et réaliser des profits et l’autre peut investir 10 millions de dollars américains et tout perdre dans un projet désastreux. Il dit que le seuil de 10 millions de dollars ne permet pas de créer une différence intelligible afin d’être catégorisé dans un groupe séparé ou une classe en ellemême.

M. Georges avance qu’il se trompe peut-être dans son analyse selon laquelle le seuil de 10 millions de dollars américains est la différence intelligible. Il se pourrait que le groupe spécial ou la classe n’est pas un investisseur possédant 10 millions mais le fait pour quelqu’un « d’être à la recherche d’une immunité et des concessions », se demande-t-il! Il avance que vu l’imprécision de la Loi sur la catégorisation, l’on ne peut dire avec certitude qu’il y a une différence intelligible. Reprenant les observations du Chef-Juge Bhagwati, il dit que la Loi « sent du pragmatisme et de l’opportunité plutôt qu’une tentative de catégorisation ».

Analysant l’objet de la Loi, il dit que l’intitulé complet de la Loi qualifie l’objet de la Loi « afin de promouvoir une croissance économique élevée pour les Seychelles ». Il ne peut voir un lien ou une relation raisonnable entre un investisseur de 10 millions de dollars américains et l’objet d’assurer une croissance économique élevée pour les Seychelles. Il dit qu’il n’y a pas de relation entre un investissement de 10 millions de dollars américains et une croissance économique élevée parce qu’un investisseur de 10 millions de dollars américains peut investir dans un hôtel qui ne réalise pas de profits mais de pertes. Il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un investissement de 10 millions de dollars américains créera une croissance économique soutenue des Seychelles. Il a donné un exemple à propos d’un investissement de l’Etat de plus de 8 millions de dollars américains dans l’industrie de la pêche en acquérant le navire « Spirit of Koxe » et qui s’est révélé d’être un échec. Il dit que c’est une preuve suffisante qu’il n’y a pas de lien entre le type d’investissement et la croissance économique soutenue.

M. Georges observe qu’en l’absence d’un critère déterminant sur comment un investisseur doit investir, aucun lien n’existe entre « la catégorisation » et « l’objet » à atteindre de la Loi. Il a fait part de son étonnement sur comment le fait d’accorder des immunités et des avantages aux investisseurs potentiels pourrait garantir une croissance économique soutenue des Seychelles. Il dit que le Groupe Berjaya et Heinz ont investi plus de 10 millions de dollars dans les Seychelles sans demander des immunités. Se référant à l’observation de Sa Seigneurie le juge McIntyre dans l’affaire McKay (supra), M. Georges affirme que nous devons « considérer seulement ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif social désiré ». Selon lui, on ne peut par aucun effort d’imagination dire que le fait d’accorder des immunités est nécessaire pour atteindre l’objectif décrit dans l’intitulé complet de la Loi. Il dit que la Loi peut exister sans l’article 5-7 et peut atteindre son objectif sans l’article 5-7. C’est une bonne Loi sans l’article 5-7, ajoute-t-il.

Faisant allusion au mémoire produit par le Ministre des Finances, M. Georges affirme que c’est très regrettable que le Ministre ait repris dans son mémoire les mêmes termes utilisés dans l’affaire indienne des Titres aux porteurs. Il doit être rappelé que dans l’affaire des Titres aux porteurs, le juge Bhagwati au nom de la majorité a souligné que (a) « L’argent noir constituait un problème économique tenace qui a défié le gouvernement depuis un assez long moment et c’est pour résoudre ce problème que, vu l’échec des autres solutions, le législateur a adopté la Loi, même si l’effet de certaines dispositions serait de conférer des avantages non mérités aux fraudeurs du fisc en possession de l’argent noir ».

M. Georges a mis l’emphase sur les paragraphes suivants du mémoire produit par le Ministre des Finances. Au paragraphe 10, il est affirmé que:

« Pour encourager l’investissement et avoir des devises étrangères, la République a promulgué les Lois suivantes – Loi de 1994 sur la promotion de l’investissement, Loi de 1994 sur les sociétés commerciales internationales, Loi de 1994 sur les trusts internationaux, Loi de 1994 sur l’Autorité seychelloise sur le commerce international, Loi de 1995 sur la zone du commerce international, Loi de 1995 réformant les institutions financières, Loi de 1995 sur la réforme de l’assurance. »

Le paragraphe 11 contient les prétentions suivantes:

« Les résultats économiques recueillis par lois énumérées au paragraphe 10 ont été encourageants mais la totalité de leur effet ne se fera sentir immédiatement et ne se matérialisera qu’avec le temps. »

Au paragraphe 12 dudit mémoire, le Ministre affirme que:

« Le problème des devises étrangères est un problème économique tenace qui a défié le gouvernement depuis quelque temps et les tentatives pour faire entrer des devises étrangères n’ont pas été matérialisées encore et c’est un devoir gouvernemental et national d’inventer un moyen pour réaliser ce but. »

Au paragraphe 13 du mémoire il est indiqué:

« C’est en vue de résoudre ce problème, et les autres tentatives ayant échoué, que le législateur a adopté la Loi de 1995 sur le développement économique. »

Au paragraphe 14, le Ministre indique dans son mémoire que:

« Il est nécessaire d’accorder des avantages et concessions aux investisseurs potentiels pour investir dans des projets approuvés et d’attirer les investissements pour garantir une croissance économique élevée pour le développement de la République, à un moment où l’investissement international est devenu excessivement compétitif. »

M. Georges soutient qu’au regard de cette affirmation du mémoire, il est évident que la Loi ne doit pas être analysée dans le contexte d’une série de mesures planifiées par le gouvernement pour redresser l’économie mais comme quelque chose qui vient « après coup ». Il dit que la Loi sent comme « l’affaire des Titres aux porteurs », de l’opportunisme et du pragmatisme.

Selon M. Georges, il est évident que la Loi est une violation faite au nom du pragmatisme et de l’opportunisme. Il dit que dans le paragraphe 14 du mémoire du Ministre, il n’est pas expliqué comment le fait d’accorder des concessions, avantages et des immunités est nécessaire. Il pose la question de savoir s’il est nécessaire d’accorder des immunités et avantages au point de violer le principe d’égalité devant la loi.

M. Georges affirme que c’est un objectif tout à fait désirable d’attirer l’investissement mais se demande si c’est un objectif social nécessaire ou un objectif économique. Il dit qu’il n’y a pas de garanties que les investissements économiques vont permettre d’atteindre l’objectif social désiré. Il se demande aussi si la Loi ne satisfera pas simplement un objectif politique, c’est-à-dire, des votes en faveur du gouvernement lors des prochaines élections.

M. Georges soutient que la Loi est « une mesure économique désespérée » proposée par le gouvernement qui pourrait avoir des retombées sociales mais pourrait également ne pas en avoir. Il dit qu’il est immoral de donner des avantages à des personnes du fait qu’elles sont riches. C’est encore plus immoral de leur accorder une immunité pénale. M. Georges pose enfin la question de savoir si la Loi sans l’immunité pénale n’atteindra pas le même objectif social que la Loi avec l’immunité.

En ce qui concerne le saisissant, M. Georges dit qu’il n’est certainement pas un investisseur de 10 millions de dollars américains. En vertu de l’article 46 de la Constitution il appartient au saisissant de démontrer qu’une disposition de la charte est ou est susceptible d’être violée à son égard. M. Georges soutient que la catégorisation n’est pas raisonnable parce qu’en accordant une immunité à un groupe de personnes et non pas au saisissant, ce dernier est traité inégalement.

M. Georges soutient enfin que si demain le saisissant détient un titre exécutoire à l’encontre d’un investisseur qui bénéficie des immunités en vertu de la Loi, il ne pourrait pas faire procéder à l’exécution de son titre contre les biens de l’investisseur.

Le saisissant n’a pas l’intention de faire partie de la catégorie des investisseurs et ne dit pas non plus « qu’il a été traité inéquitablement dans cette catégorie ». Mais comme un citoyen qui a droit à l’égale protection de la loi, le saisissant dit que tout ce qui constitue une catégorie qui est nulle viole le principe de l’égale protection. Donc, il a le droit de saisir la Cour et de soutenir ses prétentions afin d’obtenir gain de cause, conclut M. Georges.

M. Fernando soutient en premier lieu que l’ »égale protection de la loi » signifie une égalité de traitement dans des circonstances égales. Il implique que parmi les égaux, la loi devrait être égale et être également appliquée et que ceux qui se ressemblent doivent être traités de la même manière sans aucune forme de discrimination.

Il ne signifie pas que toutes les lois doivent avoir une application universelle dans le pays et devraient s’appliquer à tout le monde. Une catégorisation raisonnable est inhérente dans le principe même d’égalité, parce que tout le monde ne se ressemble pas et il y a des différences et des disparités entre les individus. Ceci, donc, n’interdit pas un traitement différent des inégaux. La règle est que ceux qui se ressemblent doivent être traités de la même manière et ceux qui ne se ressemblent pas doivent être traités différemment.

M. Fernando a cité un extrait d’un ouvrage (Les droits fondamentaux au Sri Lanka) écrit par le juge Sharvananda, l’ancien Chef-Juge de Sri Lanka. L’éminent auteur fait l’observation suivante à la page 83 – « Le principe de l’égale protection de la loi a un contenu positif. Il ne signifie pas que la même loi doit identiquement s’appliquer à tout le monde, et que toute loi doit avoir une application universelle dans le pays indépendamment des circonstances différentes. Ce qu’il implique, c’est l’application de la même loi et sans discrimination et celle-ci doit s’appliquer à toutes les personnes se trouvant dans une situation similaire. Il signifie une égalité de traitement dans des circonstances égales. Il implique qu’entre les égaux la loi doit être égale et appliquée également, que ceux qui se ressemblent doivent être traités de la même manière sans distinction en raison de la race, la religion, du statut social ou du pouvoir politique. »

Le principe directeur de cet article est que toutes les personnes et les choses se trouvant dans des circonstances similaires doivent être traitées de la même manière du point de vue des privilèges conférés et des devoirs imposés (Satis Chandra c. Union of India, Supreme Court Reports, 1953, p. 250, v. p. 252). Ce qu’il interdit c’est la discrimination entre des personnes qui se trouvent dans les mêmes circonstances et remplissent substantiellement les mêmes conditions. Le traitement égal n’intervient pas entre les personnes soumises à des conditions ou circonstances différentes. Le principe d’égalité signifie que la même loi ne s’applique pas à tout le monde mais que la loi doit traiter de la même manière ceux qui appartiennent à une catégorie; qu’il doit avoir une égalité de traitement dans des circonstances égales. Il n’interdit pas les catégorisations rationnelles.

A la page 123 de l’ouvrage de l’ancien Chef-Juge Sharvananda, il y est fait référence à l’affaire Pahtuma c. The State of Kerela de 1978 dans laquelle il a été décidé que – « ce que l’article 14 interdit c’est une discrimination hostile et non une catégorisation raisonnable. L’égalité devant la loi ne signifie pas que la même série de lois doit s’appliquer à tout le monde dans toutes les circonstances en ignorant les différences et les disparités qui existent entre les hommes et les choses. Une catégorisation raisonnable est inhérente au concept même d’égalité, parce que tous les humains vivant sur terre ne se ressemblent pas et ont différents problèmes; certains sont riches, d’autres sont pauvres; certains sont éduqués; d’autres n’ont pas d’éducation; certains peuvent être très avancés sur le plan économique d’autres ont un retard considérable sur le plan économique ».

Il a aussi été fait référence à un extrait de l’ouvrage de Kevin Tanuli et de Otuong Ming Ensing sur le droit constitutionnel de la Malaisie et de Singapour – « Lorsque nous disons que nous devons être traités également par la loi ceci ne veut pas dire que tout le monde doit être traité de la même manière. Nous avons tous des personnalités différentes et nous pouvons être distingués par nos manières, cultures et capacités. Tout ce que la loi exige, c’est que les personnes se trouvant dans les mêmes circonstances doivent être traitées de manière semblable. Ce serait ridicule de traiter un enfant de la même manière qu’un adulte à propos de la responsabilité pénale. La loi reconnaît ces différences et a mis en place le principe de la catégorisation. Selon ce principe, les individus d’une catégorie particulière doivent être traités de manière semblable de sorte que personne n’est distinguée par un traitement discriminatoire. »

Selon M. Fernando, avant qu’une personne ne puisse faire valoir ses droits à l’égalité ont été violés, elle doit démontrer qu’il y a eu une discrimination entre les personnes égales qui se trouvaient dans une situation semblable. Il dit que le saisissant n’a pas pu démontrer qu’il a été traité différemment parmi les personnes se trouvant dans une situation semblable. M. Fernando s’est référé à la décision de la Cour suprême de l’Inde dans l’affaire Pathuma (supra) dans laquelle elle a indiqué que – « Il est bien établi qu’avant qu’une personne ne puisse invoquer une discrimination à son encontre, elle doit démontrer que toutes les autres personnes se trouvent dans une situation similaire ou dans des circonstances égales… une discrimination méconnaissant l’article 14 ne peut avoir lieu que s’il y a une discrimination entre les égaux et non lorsque les inégaux sont traités différemment. »

Abordant la question de la charge de la preuve, M. Fernando s’est référé à l’ouvrage de Sharvananda à la page 132. « Une personne invoquant une discrimination irrégulière doit dans ses conclusions démontrer clairement comment, entre des personnes se trouvant dans des circonstances semblables, une discrimination a été opérée. Si le requérant établit une similarité entre les personnes ayant subi un traitement différent, il appartient à l’Etat d’établir que la différence est basée sur un objectif rationnel à atteindre. »

L’article 46-8 de notre Constitution dispose que « pour les demandes sur la base de l’alinéa 1er et lorsqu’une affaire est renvoyée à la Cour constitutionnelle sur la base de l’article 7, la personne alléguant une violation ou un risque de violation établit à première vue de bien fondé de ses prétentions et la charge de prouver qu’il n’y a pas eu de violation ou de risque de violation appartient, lorsque les allégations sont faites contre l’Etat, à l’Etat ». M. Fernando soutient que pour établir le bien fondé à première vue d’une affaire au regard de l’article 27, le saisissant devra nécessairement démontrer qu’il a été traité différemment des autres personnes se trouvant dans une situation similaire. Ce n’est qu’alors que la charge de la preuve passera du saisissant à l’Etat pour démontrer qu’il n’y a pas eu ou qu’il n’y a pas de risque de violation.

Selon M. Fernando, le saisissant n’a pas pu établir de bien fondé de ses prétentions à première vue et il demande à ce que la saisine soit rejetée pour ce motif.

Il a ensuite été soutenu que l’Etat a le pouvoir de catégoriser les individus pour des objectifs légitimes et soumettre ceux qui sont substantiellement similaires à la même règle de droit tout en appliquant différentes règles à ceux se trouvant dans des situations différentes. M. Fernando ajoute que l’Etat, lors de l’exercice de ses pouvoirs, a l’obligation de faire des catégorisations afin d’atteindre certains buts en donnant effet à ses politiques, et il doit, en ce sens, disposer de pouvoirs substantiels pour faire des catégorisations, selon les besoins et les exigences de la société et comme l’expérience l’a démontré. Il dit que dans une société à besoins divers où les exigences de la nation changent avec le temps, il est extrêmement difficile, voire impossible, de se passer des catégorisations. Donc, le législateur doit avoir une grande discrétion dans l’élaboration des catégorisations.

Pour soutenir cette prétention, M. Fernando s’est référé à un extrait de l’ouvrage de l’ancien Chef-Juge Sharvananda à la page 82 où l’éminent auteur dit – « Le principe d’égalité n’enlève pas de l’Etat le pouvoir de catégoriser les personnes pour des buts légitimes. Une différence de traitement en soi ne viole pas ce principe. Elle dénie une égale protection seulement lorsqu’il n’y a pas de fondement raisonnable pour la catégorisation. Le principe de l’égale protection est respecté tant que la catégorisation « a un lien rationnel avec un intérêt général légitime ». Une différence de traitement de deux catégories peut avoir lieu si elle est justifiée par une différence pertinente entre elles et la différence doit avoir un lien suffisant avec l’objectif à atteindre. Les cours doivent examiner la question de savoir si une catégorisation effectuée par une Loi est raisonnable à la lumière de son objectif. New Orléans c. Dukes, United States Reports, vol. 427, p. 297.

En reconnaissant le pouvoir de l’Etat de faire des catégorisations pour des buts légitimes, il ne doit pas être oublié que l’Etat ne peut pas agir arbitrairement. L’Etat a sans doute le pouvoir de catégoriser les individus et de soumettre ceux qui sont dans une situation substantiellement similaire à la même règle de droit. La catégorisation ne doit pas être arbitraire et doit être fondée sur une distinction réelle et substantielle tout en ayant un lien approprié et raisonnable avec l’objectif à atteindre. Il doit être évident que non seulement une catégorisation a été faite mais qu’elle est fondée sur un critère raisonnable – une différence qui a un lien approprié avec la catégorisation opérée. »

M. Fernando a ensuite analysé la justification de la catégorisation. Il est bien établi que pour qu’une catégorisation soit validée par la cour, deux conditions doivent être remplies. Elle doit avoir une différence manifeste entre les deux groupes. La différence doit avoir un lien rationnel avec l’objectif à atteindre par la Loi. En d’autres mots, il doit avoir une relation entre le fondement de la catégorisation et l’objet de la Loi. En ce sens, il est approprié de se référer à la décision dans l’affaire Budhan Chaudhry c. The State of Bihar, All India Reports, 1955, p. 191 (décision de la Cour suprême). Dans cette affaire, la formation constitutionnelle de sept juges de l’Inde a posé la vraie signification et sens de l’article 14 de la Constitution indienne, l’article correspondant de notre article 24.

« Il est maintenant bien établi qu’alors que l’article 14 interdit une législation de classe, il n’interdit pas une catégorisation raisonnable pour les besoins d’une législation. Cependant, afin de passer le test de la catégorisation permissible, deux conditions doivent être remplies, c’est-à-dire, (i) la catégorisation doit être fondée sur une différence intelligible qui distingue les personnes ou les choses qui sont catégorisées ensemble des autres qui ne font pas partie de la catégorie et (ii) la différence doit avoir un lien rationnel avec les objectifs à atteindre par la Loi. Ce qui est nécessaire c’est qu’il doit avoir un lien entre le fondement de la catégorisation et l’objet de la Loi. »

Il a été considéré dans l’affaire Lindslay c. National Carbonic Gas Co., United States Reports, 1910, vol. 200, p. 61, qu’une « catégorisation ayant un fondement raisonnable ne viole pas ce principe simplement du fait qu’elle n’a pas été faite avec une précision mathématique et parce qu’en pratique elle crée quelques inégalités. Afin de résister contre la contestation d’un traitement inégal, le traitement différent de deux catégories de personnes doit être justifié par une différence pertinente entre elles. »

Dans l’affaire des Titres aux porteurs, M. le juge Bhagwati a observé que – « La Loi litigieuse est fondée sur une catégorisation intelligible entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas d’argent noir et cette catégorisation a un lien avec l’objectif de la Loi, à savoir, la canalisation l’argent noir pour les besoins de la production ».

M. Fernando considère que la catégorisation de Loi litigieuse identifie deux groupes bien distincts. Un groupe est constitué d’individus qui sont désireux d’investir aux Seychelles un montant pas moins de 10 millions de dollars américains dans un projet à approuver par le Comité. L’autre groupe est constitué de ceux qui, comme le saisissant, n’ont pas le moyen ou ne sont pas désireux d’investir un tel montant de devises étrangères dans un plan à approuver par le Comité. Le fondement de la catégorisation, selon M. Fernando, est l’investissement de devises étrangères d’un montant pas moins de 10 millions de dollars américains. L’objectif à atteindre par la Loi litigieuse est indiqué dans le préambule de ladite Loi et aussi par le Ministre dans son mémoire, à savoir « pour assurer une croissance économique soutenue aux Seychelles ». M. Fernando soutient que le simple fait qu’il existe des personnes qui sont prêtes à investir un montant si élevé en devises étrangères « a un lien pour assurer une croissance économique soutenue aux Seychelles ». Ceci constitue le lien entre le fondement de la catégorisation et l’objectif à atteindre par la Loi litigieuse, ajoute M. Fernando.

Dans l’arrêt Plylar c. Doe, United States Reports, 1982, vol. 547, p. 202, le juge W. Brenon a observé – « La catégorisation doit avoir un lien raisonnable avec un objectif d’intérêt général légitime. » Dans l’ouvrage de Shukla, on peut y lire à la page 40 l’extrait suivant.

« L’objet de la catégorisation doit être régulier. La catégorisation doit être faite de bonne foi; les catégorisations qui sont scientifiques et rationnelles, qui ont un lien direct et raisonnable avec l’objectif à atteindre peuvent être irrégulières parce que l’objectif viole l’article 14. Dans un tel cas, l’objectif peut être annulé et non pas seulement la catégorisation, qui, après tout, est un moyen pour atteindre un objectif. »

M. Fernando a fait part de son accord avec l’affirmation susmentionnée et ajoute que « la catégorisation est justifiée si elle n’est pas manifestement arbitraire ».

Pour soutenir son affirmation, il cite la décision dans l’affaire Lindslay c. National Carbonic Gas Co, United States Reports, 1991, vol. 220, p. 61. « Une catégorisation qui a un fondement raisonnable ne viole pas cet article simplement du fait qu’elle n’a pas été faite avec une précision mathématique et qu’en pratique, elle crée quelques inégalités. »

M. Fernando a attiré l’attention de la Cour sur le fait que la catégorisation est une chose et la justifier est autre chose. Il affirme que l’on ne peut lier les effets d’une catégorisation avec les objets de la Loi. Il dit que c’est ce que l’éminent conseil du saisissant a essayé de faire en posant la question de savoir si les immunités accordées par la Loi sont nécessaires pour atteindre l’objectif de la Loi. M. Fernando dit que ce n’est pas ce que le principe de la catégorisation exige. Aussi longtemps que l’on peut justifier une catégorisation, alors ses effets ne doivent pas être considérés ou liés aux objectifs de la Loi, ajoute-t-il. Il remarque que seulement deux conditions doivent être remplies, à savoir, il faut qu’il y ait une différence claire entre les deux catégories et la différenciation doit être fondée sur certains objectifs à atteindre et il doit avoir un lien entre le fondement de la catégorisation et les objectifs qu’elle doit atteindre.

M. Fernando demande à la Cour de ne pas adopter une approche idéologique en interprétant l’article 24 de la Constitution de manière à détruire ou faire échouer toute législation bénéfique. Il soutient que la Loi litigieuse peut être décrite comme une législation bénéfique. Il a cité l’extrait suivant de l’ouvrage de Shukla à la page 62. La citation qui suit est constituée de l’observation du juge Krishna Iyer dans l’arrêt Banerjee c. Anita Pan de 1975. « Le droit est une science sociale et la constitutionnalité ne dépend pas de principes juridiques abstraits et rigides mais sur la réalité concrète et des conditions données; parce que la règle de droit vient des conditions de la vie. Les cours ne sont pas concernées par comment mieux créer une justice égale mais de voir si une catégorisation n’a pas de fondement rationnel lié à l’objet de la Loi. Certaines difficultés peuvent apparaître à la périphérie de toute catégorisation et quelques affaires difficiles ne doivent pas inciter la Cour à renverser la compartimentation législative. »

Analysant la prétention de l’éminent conseil du saisissant qui affirme que le fait d’accorder des immunités contre toutes poursuites pénales aux investisseurs potentiels est immoral, M. Fernando soutient que l’immoralité en soi n’est pas un motif pour faire un recours constitutionnel. Il s’est appuyé dans son argumentation sur l’observation suivante du juge Bhagwati dans l’affaire les Titres aux porteurs.

« Notre analyse porte seulement sur la constitutionnalité d’une Loi et non sur sa moralité. Bien sur… nous ne voulons dire que la moralité n’a aucun rapport avec la constitutionnalité d’une Loi. Il peut exister des cas où des dispositions d’une Loi puent tellement l’immoralité que la législation peut être sanctionnée comme arbitraire et irrationnelle et donc pour violation de l’article 14. Mais l’examen dans de tels cas n’est pas de voir si les dispositions de la Loi méconnaissent la moralité mais si elles sont arbitraires et irrationnelles eu égard à tous les faits et les circonstances de l’affaire. L’immoralité n’est pas en soi un cas d’ouverture d’un recours constitutionnel, et elle ne peut l’être parce que l’immoralité est essentiellement subjective, sauf lorsqu’elle est contenue dans une des dispositions de la Constitution, ou cristallisée dans un code de bonne conduite. » (C’est moi qui souligne.)

Selon le point de vue de M. Fernando, il est important de voir, non pas l’effet individuel de la Loi litigieuse, mais son effet général notamment les bienfaits que la Loi litigieuse apporterait au pays. En d’autres mots, il dit que la validité d’une Loi ne dépend de ses effets généraux et non pas ses effets dans des cas exceptionnels. M. Fernando pose la question suivante. Combien d’investisseurs potentiels qui viendraient aux Seychelles feront des fraudes? Le but de quelqu’un qui est prêt à investir un tel montant aux Seychelles n’est pas de commettre une infraction mais d’avoir la contrepartie, dit-il.

Notre Constitution, dit M. Fernando, prévoit des dérogations au principe d’égalité de l’article 27. L’article 59-1 accorde une immunité au civil et au pénal à la personne occupant les fonctions de Président. Il est clair, dit M. Fernando, que la Constitution elle-même reconnaît certaines dérogations au principe de l’égale protection. M. Fernando soutient que même un seul condamné peut en soi être traité comme une catégorie séparée et peut être gracié par le Président contrairement à l’article 27. Il dit que si le Président exerce ses prérogatives de grâce en faveur d’une personne, d’autres condamnés ne peuvent pas prétendre qu’ils doivent être traités de manière semblable. Un autre exemple de dérogation au principe d’égalité, dit-il, est contenu à l’article 199-3. L’article 199-3 de la Constitution accorde une immunité contre toutes poursuites pénales ou actions contre les juges, les juges d’appel et les secrétaires de la Cour suprême pour les faits commis ou les omissions commises dans l’exercice de leurs fonctions. M. Fernando indique qu’aucun praticien du droit ou le reste de la communauté ne peut se plaindre du fait qu’il ne jouit pas de telles immunités contre les poursuites au civil et au pénal dans l’exercice de ses fonctions comme les juges d’appel, les juges et les secrétaires de la Cour suprême parce qu’il est exclu de cette catégorie de personnes.

Cependant, M. Fernando remarque que l’immunité la plus importante est celle accordée aux diplomates étrangers en vertu de la Loi sur les privilèges et immunités des diplomates inspirée de la Convention de Vienne. M. Fernando explique que les immunités accordées par la Loi de 1980 sur les privilèges et les immunités sont étendues et larges et comprennent, par exemple, dit-il, l’arrestation, la détention, l’interrogation et la perquisition du domicile d’un diplomate. Il dit qu’un diplomate bénéficie d’une immunité juridictionnelle alors que l’immunité accordée par la loi litigieuse est limitée à quelques poursuites pénales et à l’investisseur seulement. M. Fernando dit que l’immunité accordée à un diplomate est étendue aux membres de sa famille, et même à ses employés, au personnel de son administration. Tout ceci, dit-il, démontre que la Convention de Vienne elle-même est une illustration que les Nations Unies elles-mêmes ont reconnu les principes de la catégorisation.

Le Titre III de la Constitution des Seychelles prévoit des droits et des libertés et garantit le droit à la propriété, à la santé, à l’éducation, droit d’avoir un abri, le droit à l’emploi, à la Sécurité sociale, à l’environnement, etc. Tous ces droits, soutient M. Fernando, ne peuvent être garantis par l’Etat que s’il existe une fondation économique solide dans le pays. Il dit que l’article 27 de la Constitution reconnaît des dérogations « nécessaires à une société démocratique » au principe de la protection égale. Il maintient que pour que le gouvernement puisse garantir tous ces droits, une économie solide en est la condition sine qua non.

M. Fernando s’est référé au préambule de la Constitution de la République des Seychelles où le peuple seychellois affirme solennellement leur dévouement pour développer un système démocratique qui garantira la création d’un ordre social adéquat et progressif garantissant la nourriture, les vêtements, l’abri, l’éducation, la santé et un niveau de vie fermement en croissance pour tous les seychellois. C’est l’engagement pris par le peuple seychellois lors de la promulgation de la Constitution. A son avis, l’ensemble de la Loi litigieuse est conforme à cette déclaration solennelle. Il dit que la Loi litigieuse peut garantir au peuple seychellois une croissance économique soutenue pour le développement de la société.

Faisant une petite digression, M. Fernando indique qu’au vu des critiques à l’encontre de la Loi litigieuse, il ne peut s’empêcher de faire les commentaires suivants à savoir que les investisseurs potentiels ne se trouvent pas aux Seychelles, leurs capitaux ne sont pas dans les banques seychelloises mais dans d’autres banques dans d’autres Etats. Il dit que ceux qui sont responsables de ce bruit et cette confusion n’étaient pas du tout concernés par le fait que les capitaux étaient dans leurs banques mais s’inquiétaient du fait que les capitaux seraient transférés aux Seychelles. Il dit que la presse internationale doit d’abord examiner et vérifier les capitaux se trouvant dans leurs banques.

S’agissant de l’immunité conférée par l’article 5-7-b de la Loi, M. Fernando indique qu’elle s’agit d’une garantie donnée par le gouvernement contre la cession forcée et la saisie des biens des investisseurs potentiels. Il dit que le droit d’un justiciable dans une affaire civile, à savoir le droit d’obtenir un titre exécutoire, n’est pas modifié par l’article 5-7-b et il ajoute que l’article 18-16 de la Constitution confirme ce fait.

M. Fernando soutient que la Loi litigieuse réussirait l’examen du caractère raisonnable que ce soit en vertu de la vieille ou la nouvelle approche. Il dit qu’il n’y a rien de « manifestement arbitraire » dans la Loi. Il dit que la nouvelle approche qui contient la garantie contre l’arbitraire a été critiquée par le juriste H. M. Seervai dans ses traités sur le droit constitutionnel de l’Inde du fait qu’elle ne tient pas. Selon lui, l’ancienne approche était la bonne et la nouvelle la mauvaise. Seervai a dit que l’extrait de l’arrêt Hasia ressemble plus à un discours sur l’égalité qu’une analyse attentive sur la portée et la nature du droit à l’égalité garantie à tout individu par l’article 14. Seervai a soutenu que la nouvelle approche ne tient pas pour un certain nombre de raisons. Selon lui, la nouvelle approche a sombré la lumière apportée par la vielle approche sur de nombreux aspects de l’égalité. La formation plénière de la Cour suprême de Sri Lanka dans une décision à la majorité de six à trois dans l’affaire Elmore Perra c. Montegue Jaya Wick Rama, Sri Lanka Reports, 1985, p. 287, n’a pas adopté la nouvelle approche développée par le juge Bhagwati.

M. Fernando soutient enfin qu’il n’y a rien d’arbitraire ou de déraisonnable dans la Loi litigieuse. Il dit que la Loi, si elle produit ses effets, sera bénéfique pour tout le peuple seychellois. La Loi ne comporte aucun motif caché. Il dit que la Loi litigieuse va permettre un développement économique soutenu des Seychelles.

C’est la première fois dans l’histoire de notre Cour constitutionnelle que nous sommes amenés à statuer sur la validité des dispositions d’une Loi au regard de l’article 27 de la Constitution. J’ai analysé les décisions des autres pays dans lesquelles les cours étaient confrontées à un problème similaire pour s’en inspirer. Ces décisions m’ont beaucoup aidé à arriver à une conclusion dans la présente affaire.

Les deux conseils qui sont apparus dans la présente affaire ont correctement présenté le droit. Ils ont tous les deux fait d’immenses références à des auteurs éminents et décisions des autres pays. Chacun a essayé de nous persuader que son interprétation du droit est la bonne et doit prévaloir. Les deux conseils doivent être loués pour leurs exposés exceptionnels.

Il m’appartient maintenant d’exercer cette fonction délicate et difficile qui est de statuer sur ce principe extrêmement complexe du droit à l’égale protection de la loi prévu par l’article 27 de la Constitution. Qu’est-ce que, en fait, le principe d’égalité ou d’égale protection de la loi signifie? L’égale protection de la loi ne signifie pas que tout le monde doit être traité similairement. Tout ce que la loi exige c’est que les personnes se trouvant dans des circonstances similaires doivent être traitées similairement. Le droit reconnaît ces différences et a donné naissance au principe de la catégorisation.

En vertu de ce principe, toutes les personnes dans une catégorie particulière doivent être traitées de la même manière de sorte que personne ne peut être traitée de manière discriminatoire. Le droit interdit la législation de classe mais permet la catégorisation raisonnable.

Lorsque aucun fondement raisonnable de la catégorisation n’apparaît au regard de la Loi ou n’est déductible de son contexte ou de ce qui est de notoriété publique, la Cour peut annuler la Loi pour discrimination manifeste comme elle l’avait fait dans l’affaire Ameerunissa Begum c. Mahboob Begum, All England Reports, 1953, p. 91, arrêt de la Cour suprême.

Une cour n’annulera pas d’emblée une Loi qui ne fait pas une catégorisation de ceux à qui elle s’appliquera si elle autorise le gouvernement à sélecter et catégoriser les personnes ou choses à qui ses dispositions s’appliqueront. Cependant, la Cour examinera la Loi pour voir si elle n’a posé aucun principe directeur ou critère pour guider le gouvernement dans l’exercice de ses fonctions de catégorisation et de sélection. Après un tel examen, la Cour annulera la Loi si elle ne pose aucun principe directeur ou critère pour l’exercice de la discrétion par le gouvernement dans la catégorisation ou la sélection au motif que la Loi délègue un pouvoir non limité et arbitraire au gouvernement afin de le permettre de faire des discriminations entre les personnes et les choses qui sont dans des circonstances semblables et donc la discrimination se trouve dans la Loi elle-même. Dans un tel cas, la Cour annulera à la fois la Loi et l’acte administratif édicté sous le régime de la Loi comme elle l’a fait dans l’arrêt State of West Bengol c. Anwar, All India Reports, Sacar India Reports, 1952, p. 75, arrêt de la Cour suprême, et Dwarka Parsa c. State Uttar Pradesh, All India Reports, 1954, p. 224.

Une Loi peut ne pas faire une catégorisation des personnes ou des choses pour les besoins d’application de ses dispositions mais peut autoriser le gouvernement à sélecter et à catégoriser les personnes et les choses à qui ses dispositions s’appliqueront mais peut en même temps poser des principes directeurs ou des critères qui sont une directive pour le gouvernement dans l’exercice de ses fonctions de sélection ou de catégorisation. La Cour considéra une telle Loi comme constitutionnelle, comme elle l’a fait dans l’affaire Kathi Raning Rowatt c. The State of Saurashtra, All India Reports, 1952, p. 123, arrêt de la Cour suprême.

Une Loi peut ne pas faire une catégorisation des personnes ou des choses à qui ses dispositions s’appliqueront et autorise le gouvernement à faire la sélection ou la catégorisation des personnes ou des choses à qui les dispositions s’appliqueront conformément à des principes directeurs posés par la Loi elle-même. Si en procédant à la sélection ou la catégorisation le gouvernement ne procède pas ou ne suit pas les principes directeurs, l’acte administratif et non pas la Loi sera considérée comme inconstitutionnel.

Il est accepté que les personnes peuvent être groupées en catégories et de telles catégories peuvent être traitées différemment s’il y a un fondement raisonnable à la différence opérée. Le principe d’égalité ne signifie pas que toute loi doit avoir une application universelle pour toutes les personnes qui ne sont pas par nature ou selon les circonstances dans une même situation. L’égale protection des lois garantie par l’article 27 de notre Constitution ne signifie pas que toutes les lois doivent être de caractère général et universel dans leur application.

Pour qu’une catégorisation soit valide, elle doit être raisonnable. C’est-à-dire, une catégorisation doit être fondée sur une différence intelligible qui distingue les personnes ou les choses qui sont groupées de celles qui ne font pas partie du groupe. La différence doit avoir un lien rationnel avec l’objet à atteindre par la Loi en question. Il est reconnu qu’un individu peut composer une catégorie en lui-même en raison des circonstances spéciales ou des raisons qui lui sont propres et qui ne s’appliquent pas à d’autres. La Cour doit voir audelà de la catégorisation ostensible et l’objectif déclaré de la Loi et appliquer le test de « l’arbitraire manifeste » dans le contexte des besoins du moment et des exigences de la société dégagés par l’expérience et examiner le caractère raisonnable de la catégorisation.

L’objet de la Loi litigieuse est de promouvoir un développement économique soutenu aux Seychelles. Les motifs qui ont conduit à la promulgation de la Loi sont exposés dans le mémoire produit par le Ministre des Finances. Ils se trouvent aux paragraphes 12 et 13 de ce document. Le paragraphe 12 indique que:

« Le problème des devises étrangères est une difficulté économique tenace qui a défié le gouvernement depuis quelque temps et les tentatives pour faire entrer des devises étrangères n’ont pas été matérialisées encore et c’est un devoir gouvernemental et national d’inventer un moyen pour réaliser ce but. »

Le paragraphe 13 indique que:

« C’est en vue de résoudre ce problème, et les autres tentatives ont échoué, que le législateur a adopté la Loi de 1995 sur le développement économique. »

La catégorie spéciale de personnes envisagée par la Loi sont les investisseurs potentiels qui ne sont prêts à investir pas moins de 10 millions de dollars américains dans des projets déterminés et approuvés par le Comité institué par la Loi. La Loi litigieuse prévoit que ces investisseurs constituent une catégorie. La Loi distingue ceux qui sont prêts à investir 10 millions de dollars américains ou plus et ceux qui ne possèdent pas 10 millions de dollars américains pour investir ou qui ne veulent pas investir un tel montant dans des projets approuvés par le Comité. Le critère de distinction entre les investisseurs potentiels et ceux qui ne font pas partie de la catégorie est la volonté de la première d’investir pour le développement économique du pays et le désintéressement de la seconde à investir dans des projets approuvés par le Comité.

Je ne vois aucune difficulté avec la mention de 10 millions de dollars américains. Cependant, si par exemple comme suggéré un « investissement substantiel » avait substitué la mention, il y aurait selon moi des difficultés de jugement du fait que « substantiel est puissamment subjectif comme seuil.

Je ne crois pas que le Comité rejettera un investisseur qui a l’équivalent de 10 millions de dollars américains en une monnaie facilement convertible et qui voudrait investir dans un projet approuvé par le Comité. A mon avis, ce serait idiot de procéder ainsi.

Le fondement de la catégorisation est les personnes qui possèdent et qui sont prêtes à investir le montant indiqué ou plus et ceux qui ne veulent pas investir ou qui ne peuvent pas investir par manque de moyens. Le lien rationnel entre la catégorisation et l’objet de la Loi est le même que l’objet de la Loi à savoir le développement et la croissance économiques des Seychelles. La catégorisation ne peut pas par aucun effort d’imagination être considérée comme arbitraire. A mon avis elle est tout à fait raisonnable. Il n’y a pas de discrimination dans la classe spéciale. En fait, il y a une égalité et une uniformité de traitement à l’intérieur de la classe. Personne qui fait partie de la classe n’est distinguée par un traitement discriminatoire ou préférentiel. De plus, il n’y a rien dans la Loi qui peut être considéré comme contraire à la moralité. N’est-il pas d’une logique économique que d’accorder des avantages et immunités à des investisseurs potentiels et riches pour le développement du pays dans son ensemble?

Le saisissant, qui, à mon avis, n’est pas inclus dans la catégorie ou la classe de personnes envisagée par la Loi, prétend que son droit à l’égalité devant la loi ou l’égale protection de la loi prévu par l’article 27 a été violé par l’article 5-7-a de la Loi. Je ne crois pas que le saisissant peut à ce niveau prétendre qu’il a été sujet d’un traitement discriminatoire en vertu de la Loi. Si le saisissant avait démontré qu’il avait 10 millions de dollars américains ou un montant équivalent facilement convertible en une monnaie étrangère et qu’il voulait investir un tel montant et avait fait l’objet d’un refus d’avoir des avantages ou des immunités prévus par la Loi et qui étaient accordés à d’autres personnes, alors j’aurais dit qu’il avait un réel motif et qu’il a fait l’objet d’une discrimination.

Le saisissant, selon mon point de vue et avec mes respects, ne peut pas être assimilé à la catégorie des investisseurs potentiels prévue par la Loi. Donc, je ne peux pas dire que le droit à l’égalité conféré par l’article 27 a été violé au regard du saisissant. Sur la base de ce seul motif, je déboute le saisissant de sa demande. Je ne trouve également pas fondé la prétention du saisissant selon laquelle en accordant aux investisseurs une immunité contre la saisie de leurs avoirs les dispositions de l’article 27 de la Constitution sont susceptibles d’être méconnues en ce sens que si le saisissant détient un titre exécutoire contre lesdits investisseurs il ne pourrait faire exécuter son titre et obtenir la saisie ou la vente des biens des investisseurs. Les droits de ceux qui possèdent un titre exécutoire à l’encontre de leurs débiteurs ne sont pas affectés par la Loi et sont protégés par la Constitution et le droit du pays. L’article 5-7-b prévoit une garantie donnée par le gouvernement aux investisseurs potentiels que leurs avoirs et investissements sont en sécurité et seront en sécurité.

En interprétant l’article 27 de la Constitution, j’ai pris en considération l’article 48 de la Constitution. J’ai aussi pris en considération des faits notoires, l’histoire et le contexte qui a prévalu au moment de l’élaboration de la Loi.

A mon avis il serait pertinent de se référer à l’argument du conseil du saisissant selon lequel la Cour doit adopter une approche d’activiste dans l’interprétation et rejeter l’interprétation phonographique ou la méthode traditionnelle dans des affaires qui portent sur les droits et les libertés fondamentaux. De longs extraits des discours du Chef-Juge Bhagwati ont été cités et je les ai notés. Je voudrais simplement indiquer qu’il m’apparaît que la fonction primordiale d’un juge c’est d’interpréter la loi dans un sens à ne pas cacher ou méconnaître l’objet de la loi ou l’intention du législateur. C’est tout ce je peux faire. Tout comme je vais repousser toute immixtion dans ma sphère d’activité, je me répugnerais à m’arroger des fonctions d’une autre institution. Ce serait, à mon avis, aussi dangereux de l’essayer car en ce faisant l’indépendance des autres organes de l’Etat serait menacée ou méconnue.

Aujourd’hui nous vivons dans un monde compétitif. Tous les pays sont en compétition l’un à l’autre pour des ressources limitées, le savoir-faire technique et l’expertise, etc. Les investisseurs potentiels du monde cherchent des pays où ils peuvent investir leurs capitaux en toute sécurité et où ils peuvent en contrepartie faire rapidement des profits. Parmi les critères qu’ils prennent en considération avant de faire un investissement, il y a celui de la stabilité politique, l’indépendance du judiciaire, la garantie que leurs profits puissent être rapatriés et que leurs investissements ne feront pas l’objet d’une cession forcée à l’autorité publique et ainsi de suite.

Il y a de nombreux pays du monde développé qui ont besoin d’une injection immédiate de capitaux pour le développement économique et la prospérité. Ces pays se rivalise l’un à l’autre en accordant des garanties, des avantages qui n’existent pas ailleurs afin d’attirer l’entrée des capitaux dans leurs économies. Les Seychelles avec leur revenu élevé par habitant, qui est plus de 5000 dollars américains, ne remplissent pas les critères pour recevoir de l’aide ou de prêts à des conditions souples que les institutions financières accordent aux pays pauvres. De plus, nous ne vivons plus dans à l’époque de la guerre froide où il était relativement facile de jouer une grande puissance contre une autre pour avoir de l’aide ou des prêts à conditions souples. Les Seychelles se trouvent dans une situation où elles sont pénalisées pour s’être bien conduites économiquement. Le Seychelles, donc, doivent offrir plus et faire mieux que les autres pays pour attirer les investissements étrangers. C’est à mon avis, la politique de la Loi en accordant des immunités et avantages.

Après tout, la Loi est audacieuse et est une norme très réussie qui doit être louée et soutenue. La Loi elle-même désigne les personnes à qui ses dispositions s’appliquent et indique clairement le fondement de la catégorisation de ces personnes. La catégorisation peut être raisonnablement considérée comme fondée sur une différence qui distingue de telles personnes – les investisseurs potentiels et ceux qui ne sont pas inclus dans cette catégorie. La différence, sans doute, a un lien raisonnable avec l’objectif à atteindre par la Loi, à savoir un développement économique soutenu des Seychelles.

A mon avis, il ne peut pas être soutenu que l’article 5-7 qui accorde une immunité contre les poursuites pénales est immoral ou déraisonnable à la lumière de l’affaire des Titres aux porteurs. Dans cette affaire, le gouvernement a canalisé l’argent noir pour les besoins productifs et a accordé des avantages à ceux qui étaient prêts à échanger de l’argent noir contre les titres. Dans la Loi litigieuse, il n’y a pas de telle disposition expresse ou implicite.

Il a été avancé que le législateur et l’exécutif, en accordant certaines immunités contre les poursuites pénales aux investisseurs potentiels en vertu de la Loi, avaient un motif caché et que de telles immunités n’étaient pas nécessaires, que de telles immunités vont faire des Seychelles un paradis des escrocs, que des investisseurs sérieux comme Heinz et le groupe Berjaya n’avaient pas besoins de telles immunités pour investir aux Seychelles.

Je crois que lesdites immunités sont accordées selon le même principe que les immunités encore plus larges accordées aux corps diplomatiques en vertu de la Convention de Vienne et aux Chefs d’Etats en vertu des Constitutions. Les corps diplomatiques et les Chefs-d’Etat ne font pas un usage abusif de leurs privilèges et immunités. Pendant les 15 années que j’ai été aux Seychelles, je n’ai entendu parler d’aucune plainte ou d’aucun rapport fait contre aucun membre du corps diplomatique basé aux Seychelles. Ces personnes peuvent commettre les crimes les plus graves et le droit ne les atteindra pas. Aucune machine judiciaire locale ne peut être mise en œuvre pour les appréhender. Elles bénéficient de l’immunité juridictionnelle. Je crois que les immunités sont accordées aux Chefs-d’Etat et aux corps diplomatiques dans le monde entier non pas parce que les diplomates ou leur personnel sont susceptibles de commettre des infractions dans le pays dans lesquels ils se trouveront mais pour les protéger contre tout harcèlement non nécessaire afin qu’ils puissent exécuter les fonctions qui leur ont été confiées par les pays respectifs qu’ils représentent.

Je crois qu’il serait approprié de faire l’observation suivante à l’encontre des critiques sur la Loi faite localement ou à l’étranger. Je pose une question pertinente. Où se trouve la majeure partie de l’argent noir? Est-ce qu’il se trouve dans des banques seychelloises ou dans des banques secrètes à l’étranger? Le système des comptes bancaires secrets, a-t-il pris naissance aux Seychelles ou ailleurs où il a très bien marché? Nous savons où se trouvent certaines de ces banques qui accordent de telles facilités et certains d’entre nous sont très contents du fait qu’elles existent et offrent de tels services. Ce que je ne peux aussi pas comprendre c’est à quel moment de l’argent blanc ou propre devient de l’argent noir ou sale. Il est propre lorsqu’il existe dans une banque en dehors des Seychelles et sale lorsqu’il arrive aux Seychelles?

D’après ce que j’ai lu, il m’apparaît, et qu’on me corrige, que certaines personnes connaissent l’identité et le lieu de résidence des investisseurs-escrocs potentiels qui attendent à venir aux Seychelles pour blanchir leur argent. Je pose seulement cette question. Si l’identité de ces personnes est connue, pourquoi rien n’est fait pour les arrêter? Est-ce que les institutions juridictionnelles des pays où résident lesdits « escrocs » sont si incapables de les appréhender et les traduire devant la justice? Il n’est pas étrange que juste après l’adoption de la LDE par les Seychelles que nous avons commencé d’entendre parler de l’existence desdits.

Il y a beaucoup de personnes qui affirment qu’elles croient en l’Etat de droit et l’indépendance du judiciaire. Il est très surprenant que ces mêmes personnes se donnent du mal en essayant d’influencer les décisions de la Cour lorsqu’elles pensent que leurs intérêts sont en danger.

Quelque temps auparavant, pas très longtemps de cela, un journal étranger a publié un reportage disant que les juges aux Seychelles sont « des agents du gouvernement en robe ». Quelle calomnie! Pourtant pour quelques uns c’était un hommage réconfortant. Dans les jours à venir, ledit reporteur aura à prouver son affirmation devant une cour de justice et présenter d’abondantes excuses. Je voudrais dire que de tels reportages ne m’influencent pas du tout mais je les traite comme un outrage comme ils le méritent. Cependant, je m’indigne de telles tentatives infâmes d’influencer les décisions de la cour. Comme c’est facile de voir de la poussière dans les yeux de vos amis et pas un grain dans les vôtres. La charité bien ordonnée commence par soi-même et certains ne devront pas l’oublier.

Selon une dernière analyse sur des principes de droit, qui sont appropriés à la présente affaire et qui ont été extensivement et minutieusement affirmés dans ma décision, je trouve que la Loi litigieuse est conforme à l’article 27 de la Constitution. Le saisissant n’a pas pu, à mon avis, démontrer qu’en faisant partie d’une catégorie envisagée par la Loi, il a été traité de manière discriminatoire ou est susceptible d’être traité de manière discriminatoire en violation de l’article 27 de la Constitution.

Par conséquent, le saisissant est débouté en sa demande et condamné aux dépens.

Fait, le 10 mai 1996.

Chef juge

V. ALLEEAR

Tribunal fédéral de Suisse

SUI / 1982 / A01
Suisse / Tribunal fédéral / Deuxième Cour de droit public / 12-02-1982 / P.1473-1981 / Fischer et consorts c. Conseil d’Etat du canton de Vaud / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.2.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – sexe

Enseignement

Examens d’admission au collège secondaire dans le canton de Vaud; égalité des sexes dans l’enseignement.

Droit applicable: art. 4 al. 2 Cst. (consid. 4c).

Le système des barèmes différenciés, défavorable aux élèves filles, qui est appliqué pour les examens d’admission au collège secondaire viole le principe de l’égalité des droits entre hommes et femmes prévu par le nouvel art. 4 al. 2 Cst. (consid. 5).

(…)

Le Tribunal fédéral a admis le recours pour les motifs suivants:

3. – a) Le règlement général du 10 février 1971 pour les établissements d’instruction publique secondaire du canton de Vaud donne au Département d’instruction publique et des cultes la compétence pour fixer les modalités des examens et les conditions d’admission au collège secondaire, ainsi que pour adopter les épreuves élaborées par des commissions de maîtres (art. 85 et 86 du règlement). Dans les limites des prescriptions édictées par ce département, l’établissement des barèmes de cotation et la décision d’admission sont de la compétence de la conférence des maîtres, pour les collèges situés en dehors de la commune de Lausanne, ou de la conférence des directeurs des collèges lausannois, assistés d’un représentant de la conférence des maîtres de chacun des établissements, pour l’ensemble des collèges lausannois (art. 87 du règlement).

(…)

b) Dans les collèges secondaires des communes de Lausanne, Morges et Pully présentement en cause, les barèmes appliqués pour l’évaluation des épreuves d’admission ne sont pas les mêmes pour les filles et pour les garçons, les barèmes utilisés pour l’appréciation des travaux des filles étant, dans l’ensemble, plus sévères. Il y a également des barèmes différents pour la prise en considération de l’écart à la moyenne primaire, qui est converti en plus de points pour les garçons que pour les filles.

(…)

c) Les examens litigieux se sont déroulés les 1er et 2 juin 1981, soit avant l’entrée en vigueur, le 14 juin 1981, du nouvel article constitutionnel prévoyant l’égalité des droits entre hommes et femmes. Toutefois, les décisions du Département de l’instruction publique du 12 août 1981 et celles du Conseil d’Etat vaudois du 9 octobre 1981 ont été rendues sous l’empire du nouveau droit. L’art. 4 al. 2 Cst. peut dès lors être pris en considération dans la mesure où il concrétise le principe de l’égalité de traitement que la jurisprudence a déduit de l’ancien art. 4 Cst. (ATF 103 Ia 519 consid. 2). En effet, dans son Message sur l’initiative populaire « pour l’égalité entre hommes et femmes » du 14 novembre 1979 (FF 1980 I 73 s.), le Conseil fédéral relevait que l’ancien art. 4 Cst. n’avait eu pratiquement aucune influence sur l’émancipation civile de la femme. Eu égard à la portée limitée du principe général de l’égalité formulée par cette disposition, une règle spéciale sur l’égalité des sexes aurait donc une signification distincte, qui traduirait une décision politique du constituant selon laquelle la différence de sexe ne justifie plus une différence de traitement (FF 1980 I 127).

Il faut ainsi admettre qu’en inscrivant dans la Constitution l’art. 4 al. 2 Cst., le peuple suisse a clairement démontré qu’il accordait à cette disposition une valeur spécifique, qui va plus loin dans la garantie constitutionnelle de l’égalité des sexes que l’ancien art. 4 Cst. Il se justifie dès lors d’examiner le cas des recourantes à la lumière du nouveau droit, même si, formellement, une seule d’entre elles a invoqué l’art. 4 al. 2 Cst. D’ailleurs, en se prévalant de l’ancien art. 4 Cst. et de l’art. 2 Cst. vaud., qui représente une étape intermédiaire entre l’ancien et le nouvel art. 4 Cst., les autres recourantes reprennent exactement la même argumentation.

5. – L’art. 4 al. 2 Cst. dispose que:

« L’homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l’égalité, en particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. »

a) Ce nouvel article pose sans ambiguïté le principe que l’homme et la femme doivent être traités de manière égale dans tous les domaines juridiques et sociaux, ainsi qu’à tous les niveaux étatiques (Confédération, cantons, communes). Le principe de l’égalité entre les sexes ne signifie cependant pas nivellement total, aussi des exceptions sont-elles tolérées lorsque la différence biologique ou fonctionnelle due au sexe exclut absolument une égalité de traitement; tel est le cas, par exemple, de la protection de la femme en sa qualité de mère (FF 1980 I 146).

En ce qui concerne l’instruction, l’art. 4 al. 2 Cst. considère qu’il s’agit précisément d’un des domaines privilégiés de l’égalité entre les sexes, où le législateur a mandat d’intervenir immédiatement. Le principe de l’égalité dans l’instruction et la formation professionnelle est d’ailleurs largement reconnu sur le plan européen. La plupart des Etats se sont en effet efforcés de concrétiser dans leurs lois nationales la Résolution (77) 1 de la Charte sociale européenne qui exige qu’hommes et femmes reçoivent une formation scolaire et professionnelle leur offrant les mêmes droits et de même nature. La Charte sociale européenne, signée par la Suisse le 6 mai 1976, n’a pas encore été ratifiée. Toutefois, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique s’est occupée de cette question depuis 1972. Elle a notamment créé une commission ad hoc en septembre 1979 pour étudier spécialement les questions de la formation des filles et de l’égalité des chances, étude qui aboutit à formuler une dizaine de recommandations lors de l’Assemblée générale des directeurs cantonaux de l’instruction publique qui s’est tenue, à Lucerne, en octobre dernier. Ces recommandations invitaient surtout les établissements scolaires à prévoir rigoureusement la même formation pour les garçons et les filles pendant le temps d’école obligatoire, selon un programme identique, et à encourager l’accès aux professions techniques pour les femmes. Actuellement, les nouvelles lois sur l’instruction publique mentionnent expressément que les mêmes possibilités de formation sont offertes aux élèves des deux sexes (cf. par ex., § 3 al. 2 et 12 al. 2 de la loi argovienne du 17 mars 1981; art. 18 du projet de la loi saint-galloise in Botschaft des Regierungsrates zum Entwurf eines Volksschulgesetzes du 23 juin 1981).

b) Dans le canton de Vaud, les écoles secondaires sont devenues mixtes en 1956. A cette époque, les filles ne suivaient pas le même programme que les garçons à l’école primaire et obtenaient des résultats systématiquement inférieurs aux examens d’admission au collège, d’où l’origine du système de barèmes différents appliqués à chacun des sexes, de manière à admettre la même proportion de filles que de garçons par rapport à la volée de référence (voir Bulletin du Grand Conseil vaudois, session ordinaire printemps 1979, vol. 1a, p. 1094). Ce système, qui se justifiait par le fait que les garçons avaient des leçons d’arithmétique pendant qu’on envoyait les filles à la couture, n’a d’ailleurs nullement empêché une légère disproportion dans le nombre des élèves masculins et féminins admis au collège dans les années soixante (par ex. en 1962, il y avait 43,5% de filles et 56,5% de garçons; en 1968, ces pourcentages avaient passé respectivement à 46,4% et 53,6%).

Dès que les programmes furent uniformisés pour les élèves des deux sexes, la tendance s’inversa, les filles réussissant mieux les examens que les garçons. On décida alors d’appliquer un barème plus favorable aux garçons pour assurer l’égalité des chances entre les deux groupes et maintenir l’équilibre entre garçons et filles dans les collèges. C’est ainsi que, lors de la session d’examens de juin 1981, il y aurait eu, sans la correction que permet le système de barèmes différenciés, 55% de filles (soit + 42) et 45% de garçons (soit – 84).

Actuellement, ce système est donc utilisé alors que les candidats masculins et féminins aux examens du collège suivent rigoureusement la même instruction et bénéficient de la même préparation pour passer le même examen d’admission dans le même établissement secondaire. Vouloir, dans ces conditions, apprécier de manière plus sévère les prestations scolaires des filles ne saurait être justifié par les prétendues différences dans le développement physique et l’évolution psychologique des garçons et des filles à l’âge de 10 ou 11 ans. En effet, les particularités qui les caractérisent ne peuvent être comparées aux différenciations fonctionnelles marquées qui, exceptionnellement, permettent de faire une entorse au principe de l’égalité des sexes.

c) Quant à la notion d’égalité des chances, elle n’a, selon le Conseil fédéral, jamais signifié autre chose que: « formellement, les hommes et les femmes doivent être placés dans la même situation juridique » (FF 1980 I 124). Sur le plan scolaire, cela signifie que chaque élève doit pouvoir se prévaloir individuellement de l’égalité de traitement juridique, indépendamment de son appartenance à l’un ou l’autre sexe. En transposant la notion d’égalité des chances sur le plan collectif, entre deux groupes sociaux, le Conseil d’Etat méconnaît le caractère individuel des droits constitutionnels que l’Etat confère à chaque citoyen. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, selon une allégation des recourants qui n’est pas contestée par le Conseil d’Etat, aucun autre canton suisse n’exige des filles des prestations supérieures à celles des garçons pour accéder à l’école secondaire.

d) Compte tenu de tous ces éléments, le Tribunal fédéral doit constater que dans la mesure où les autorités vaudoises appliquent un système de barèmes différenciés, défavorable aux filles, pour les examens d’admission du collège secondaire, elles violent le principe de l’égalité des droits entre hommes et femmes tel qu’il est inscrit à l’art. 4 al. 2 Cst.

SUI / 1989 / A02
Suisse / Tribunal fédéral / Cour de cassation pénale / 30-08-1989 / 6P.60-1989 / X. et Y. c. Ministère public et Cour de cassation du canton de Zurich / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Illicéité (égalité de traitement dans l’illicéité) – Loi (égalité devant la loi)

Art. 4 Cst.; égalité de traitement dans l’illicéité.

Lorsqu’une autorité, non pas dans un cas isolé, ni même dans plusieurs cas, mais selon une pratique constante, ne respecte pas la loi et qu’elle fait savoir qu’à l’avenir également, elle ne respectera pas la loi, le citoyen est en droit d’exiger d’être mis au bénéfice de l’illégalité, pour autant que cela ne lèse pas d’autres intérêts légitimes. Ce principe vaut également en matière pénale. Si l’autorité cantonale ne précise pas ses intentions, le Tribunal fédéral admet que, dorénavant, se fondant sur les considérants de l’arrêt fédéral, elle suivra une pratique conforme à la loi. Cas d’une condamnation pour publication obscène.

A. – Par mandat de répression du 9 octobre 1986 le Ministère public du district de Winterthour a condamné X. et Y., propriétaires de la vidéothèque « Movie-Land Flash-Video », chacun à 5000 F. d’amende avec un délai d’épreuve et de radiation de deux ans, pour publications obscènes répétées au sens de l’art. 204 ch. 1 al. 3 CP. Les condamnés se sont simultanément vu imposer, solidairement entre eux, une créance compensatrice de 20 000 F. Enfin les cassettes vidéo litigieuses ayant été séquestrées, il a été décidé qu’elles seraient détruites sitôt le mandat de répression entré en force.

(…)

1. – (…) les recourants invoquent une violation du principe de l’égalité devant la loi garanti par l’art. 4 Cst. Selon eux presque tous les commerces de vidéo de Zurich offrent des films semblables à ceux qui font l’objet du présent procès. Les recourants proposent de prouver ce qu’ils avancent, ce qui apparaît inutile, le TF étant informé du fait qu’à Zurich de nombreuses ventes d’articles pornographiques restent impunies. Il résulte d’ailleurs des considérants de l’arrêt attaqué que la cour de cassation cantonale est au courant de cette situation.

2. – Contrairement à l’opinion de la cour de cassation cantonale, l’ATF 100 IV 191 consid. 2 (JdT 1975 I 440) n’est pas applicable en l’espèce. Le problème n’est pas en effet que les autorités zurichoises s’abstiennent parfois de faire application de l’art. 204 CP, ce qui ne justifierait pas que les recourants bénéficient des mêmes faveurs injustifiées. C’est d’un usage général qu’il s’agit ici dont les recourants pourraient en principe se prévaloir.

Lorsque l’autorité s’abstient non seulement dans certains cas exceptionnels mais d’une manière générale d’appliquer la loi et donne à entendre qu’il en ira de même à l’avenir, le citoyen peut exiger d’être traité de la même manière (ATF 108 Ia 213 consid. a = JdT 1984 I 94; GEORG MÜLLER, Kommentar zur BV, n. 45 ad art. 4 et citations). Contrairement à ce que pense la juridiction cantonale, cette règle vaut dans tous les domaines du droit, y compris en droit pénal; seule la balance des intérêts peut, selon le domaine concerné, justifier exceptionnellement une autre solution (MÜLLER, op. cit., n. 47, et ARTHUR HAEFLIGER, Alle Schweizer sind vor dem Gesetze gleich, Berne 1985, p. 73/74 et citations).

Mais c’est seulement dans les cas où l’autorité ne paraît pas disposée à renoncer à sa pratique contraire à la loi que l’intérêt du justiciable à l’égalité de traitement l’emporte sur le respect de la légalité. Dans ce cas, en effet, après une application correcte mais isolée de la loi, on en reviendra à la pratique illégale antérieure.

Si elle admet l’illégalité et qu’elle interdise la pratique vicieuse, l’autorité reprend alors sa liberté (MÜLLER, op. cit., n. 46 et citations). Lorsque, comme en l’espèce, elle ne s’exprime pas sur ses intentions, le TF peut partir de l’idée, au vu des considérants de son arrêt, qu’elle en reviendra à une pratique conforme à la loi (ATF 98 Ib 26 = JdT 1976 I 11 rés., HAEFLIGER, op. cit., p. 74).

3. – La cour de cassation cantonale, s’écartant du point de vue du tribunal supérieur, a considéré à juste titre qu’elle devait tenir compte de la pratique des autorités zurichoises d’instruction et d’accusation, pour pouvoir décider si l’égalité de traitement n’imposait pas la libération des recourants. Elle a dû constater que, dans le canton de Zurich, les vidéothèques et sex-shops n’étaient poursuivis pour infractions à l’art. 204 CP que sur plainte ou dénonciation de personnes privées.

a) Si ce qui précède signifiait que même des cas d’infractions à l’art. 204 connus non seulement du public mais des autorités de poursuite ne sont poursuivis que sur plainte expresse d’une personne privée, cette attitude des autorités constituerait une violation du principe de l’égalité découlant de l’art. 4 Cst. Elle serait de plus contraire au principe de la légalité qui veut que toute infraction se poursuivant d’office – parmi lesquelles les publications obscènes réprimées par l’art. 204 CP – soit réprimée. Le résultat, inadmissible, de cette pratique serait que seuls quelques-uns des nombreux auteurs de ce genre d’infraction seraient poursuivis, la plupart restant impunis. Il en irait de même d’une pratique selon laquelle ne seraient poursuivies que les infractions dénoncées ou fortuitement découvertes. On peut s’abstenir de rechercher comment exactement se passent les choses à Zurich, car rien ne permet de penser qu’une pratique généralement illégale y sera maintenue à l’avenir. Dans la mesure d’ailleurs où les autorités d’instruction et d’accusation du canton de Zurich entendraient maintenir leur pratique relative à l’application de l’art. 204 CP, elles sont invitées à y renoncer. L’inégalité de traitement que provoque la pratique actuelle sera ainsi supprimée à l’avenir, ce qui prive les recourants du droit de réclamer leur acquittement pour ce motif. La question peut dès lors rester ouverte de savoir si leur acquittement ne porterait pas atteinte à des valeurs fondamentales et devrait donc être exclu pour ce motif aussi (cf. MÜLLER, op. cit., n. 47 et citations).

La cour de cassation cantonale invoque les difficultés de la police, trop peu nombreuse, obligée par les circonstances à limiter ses interventions. Mais ces difficultés ne sauraient justifier une pratique incompatible avec le principe de l’égalité devant la loi. Sans quoi il incomberait aux autorités politiques de fournir les moyens de la faire respecter.

b) Il faut voir au demeurant que le principe précité n’est violé que dans les cas où l’autorité traite différemment, sans motifs, deux situations identiques (ATF 107 Ia 228 et citations = JdT 1983 I 483 rés.).

Les recourants ont été poursuivis pour publications obscènes, soit pour avoir fait le commerce de cassettes pornographiques. Ils invoquent à tort le « modus vivendi » selon lequel de nombreux propriétaires de cinéma et loueurs de films exploitent impunément des productions modérément pornographiques. En effet, dans la mesure où cette tolérance existe, elle vise une situation différente de celle des recourants. Il faut voir d’ailleurs que la condamnation d’un particulier pour des publications d’une obscénité correspondant à celles qui font l’objet du « modus vivendi » impliquerait une inégalité de traitement, qui ne justifierait pas pour autant, conformément à la jurisprudence citée, l’abandon de celle-ci ou l’acquittement de l’intéressé.

c) Les recourants invoquent également à tort la pratique des autres cantons, le principe de l’égalité n’étant violé que dans les cas où une même autorité traite et juge différemment des cas semblables (ATF 104 Ia 158 et citations = JdT 1980 I 350 rés.; HAEFLIGER, op. cit., p. 72; MÜLLER, op. cit., n. 39).

SUI / 1991 / A03
Suisse / Tribunal fédéral / Ire Chambre du Tribunal fédéral des assurances / 17-12-1991 / B 9-91 / Caisse de pension d’Etat du Canton de Solothurn c. Z. et Tribunal des Assurances du Canton de Solothurn / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – sécurité sociale
5.2.4.2.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – sexe

Prévoyance professionnelle – Retraite (âge de mise à la retraite)

Art. 73 LPP: Recevabilité d’une action tendant au versement de prestations futures (consid. 1b).

Art. 4 al. 2 Cst.

Un traitement différent des fonctionnaires masculins et féminins concernant l’âge de la retraite est contraire à l’art. 4 al. 2 Cst. (confirmation de la jurisprudence; consid. 2).

Possibilité de remédier à une situation contraire à la Constitution par la voie du contrôle concret des normes? Les conditions objectives d’une intervention de l’autorité judiciaire dans un domaine ressortissant au législateur ne sont en l’espèce pas remplies, en raison de la retenue que le juge, de par sa fonction, doit s’imposer (consid. 5, 6).

A. – H. Z. né en 1929, avait pris une assurance prévoyance en tant que fonctionnaire, depuis le 1erjanvier 1950, à la Caisse de retraite d’Etat de Solothurn (lors de son adhésion « Roth-Stiftung du canton de Solothurn). Les statuts de cette Caisse prévoient que le droit à la pension de retraite s’ouvre pour les hommes à 65 ans révolus et pour les femmes à 62 ans révolus (art. 29 alinéa 1 de la Caisse de pension d’Etat décidé le 2 décembre 1968 par le Conseil cantonal de Solothurn, BGS 126.582.1).

Le 1er juillet 1990, M. Z. a demandé à la Caisse de pension de retraite d’Etat, se référant à l’égalité des droits garantie constitutionnellement entre hommes et femmes (art. 4 alinéa 2 Cst.), de lui verser une pension non diminuée dès l’âge de ses 62 ans révolus soit le 9 octobre 1991. La Caisse de pension a refusé cette requête le 10 septembre 1990.

B. – M. Z. a ensuite déposé plainte pour que lui soit attribué une pension non diminuée à partir du 9 octobre 1991 auprès du Tribunal d’assurance de Solothurn, celui-ci a par décision du 24 avril 1991 admis cette plainte comme le requérant l’a demandé. Le jugement est essentiellement fondé sur la différence d’âge prévu dans les statuts de la Caisse pour les fonctionnaires hommes et femmes et il viole l’article 4 alinéa 2 Cst. L’adaptation oubliée par le législateur devant être rectifiée par le juge.

C. – La Caisse de pension d’Etat de Solothurn demande dans son recours de droit administratif que soit annulée la décision du Tribunal du canton de Solothurn du 24 avril 1991 et que soit constaté qu’une pension complète doive être accordée à M. Z seulement à l’âge de 65 ans révolus, sous réserve des résultats de la révision en cours des statuts.

M. Z. demande le rejet du recours du droit administratif. Le Conseil fédéral pour l’assurance sociale renonce à déposer demande.

Le Tribunal fédéral d’assurance considère:

1. – Les conclusions de la requérante révèle le litige suivant: l’assuré masculin contre lequel est formé un recours administratif a-t-il, en tant qu’assuré masculin, en raison de la constitution fédérale, droit à être assuré comme un assuré féminin et peut-il par dérogation analogue au paragraphe 29 alinéa 1 des statuts obtenir dès ses 62 ans révolus versement d’une pension de retraite non diminuée?

(…)

2. – L’article 4 alinéa 2 Cst. adopté par référendum le 14 juin 1981 dispose que les femmes et les hommes doivent être traités à égalité (phrase 1). La loi prévoit l’égalité surtout au niveau de la famille, de la formation et du travail (phrase 2). Les hommes et les femmes ont droit au même salaire pour un travail équivalent (phrase 3).

a) les dispositions prévues par les dispositions constitutionnelles concernant la différence de traitement permise basée sur les différences fonctionnelles ou biologiques liées au sexe (BGE 108 Ia 29 consid. 5a) ont amené le Tribunal fédéral à déclarer comme étant contraire à l’article 4 alinéa 2 Cst. les dispositions concernant l’âge de mise à la retraite des fonctionnaires hommes et femmes (ZBI 87/1986 p. 482, voir aussi BGE 109 Ib 88 et s.). Le Tribunal fédéral d’assurance a suivi lui-même il y a peu cette interprétation, qui est dans la littérature même appliquée à des dispositions légales fédérales comparables (BGE 116 V 209 avec notes; voir HAEFLIGER, Alle Schweizer sind vor dem Gesetze gleich, 1985, p. 101; HENNINGER, Gleichberechtigung von Mann und Frau im Wandel, Freiburger Diss. 1984, p. 156 s.; HORT, L’égalité des droits entre hommes et femmes dans l’AVS, in: SZS 31/1987 p. 225 s., p. 228; REIMER-KAFKA, Die Gleichstellung von Mann und Frau in der Schweizerischen Sozialversicherung in: SZS 35/1991 p. 233 s.; WILI, die Entwicklung im Schweizerischen Bundesverfassungsrecht, 1989, Sonderheft zur ZSR, 1990, p. 154 s.). La vérification préalable de la constitutionnalité du paragraphe 29 alinéa 1 des statuts dans le cas présent, amène à la conclusion le fait de faire une différence selon le sexe pour l’âge de la retraite est contraire à l’article 4 alinéa 2 Cst. Cette carence ne se laisse pas rectifier par une interprétation conforme à la Constitution. Le sens exact de la disposition légale ne peut pas être écarté de cette manière (BGE 116 V 212 consid. II/2b avec notes). Finalement, cette différence de traitement ne se laisse pas éliminer par l’argument que les hommes ont la possibilité dès l’âge de 60 ans de prendre une propension puisque une telle procédure a pour résultat, par expérience, d’aboutir à une réduction de la rente (cf. § 29 alinéa 2 en liaison avec § 6 alinéa 1 des Statuts; BRÜHWILER, Die betriebliche Personnalvorsorge in der Schweiz, 1989, P. 505, Rz. 66 und FN 136).

b) L’interprétation du § 29 alinéa 1 des statuts par l’instance précédente n’a pas, dans le cadre de ce recours administratif, à être critiquée. La non – constitutionnalité de principe de la règle qui effectue une différence selon les sexes en ce qui concerne l’âge de la retraite n’est pas litigieuse non plus. La requérante fait seulement valoir que la rectification d’une disposition qui ne respecte pas légalité n’est pas de la compétence du juge mais est réservé au législateur.

(…)

4. – (…)

b) Suivant l’opinion du Tribunal cantonal, il faut ensuite reconnaître que, contrairement à l’interprétation de la requérante, le contenu résiduel de cette obligation constitutionnelle de traitement à égalité des hommes et des femmes n’est pas épuisé par une simple prise en charge du législateur. La jurisprudence s’attache à donner, en s’appuyant sur l’autorité constituante attribuée à l’article 4 alinéa 2 phrase 1 Cst., la signification d’une vraie garantie du droit fondamental à un traitement égal qui peut être directement poursuivi et exécuté par le Tribunal et ceci aussi dans des domaines de droit qui sont en principe attribués au législateur pour qu’il détermine une organisation conforme surtout à la Constitution (BGE 116 V 214; ZBI 88/1987 p. 309; Botschaft über die Volksinitiative « Gleiche Rechte für Mann und Frau du 14. novembre 1979, in: BBI 1980 I 142; J. P. MÜLLER, die Grundrechte der schweizerischen Bundesverfassung, 2. Ed., 1991 [von J. P. MÜLLER/ST. MÜLLER, Grundrechte-Besonderer Teil], p: 231; G. MÜLLER, Kommentar zur Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 1987, n. 139 zu Article 4 Cst. et les autres notes).

c) Si tant est que la jurisprudence considère une intervention du juge pour des violations du principe d’égalité de traitement des hommes et des femmes, elle prend soin de différencier si l’acte attaqué a été émis avant ou après l’entrée en vigueur de l’article 4 alinéa 2 Cst. (BGE 116 V 213 s., ZBI 88/1987 p. 306, 87/1986, p. 485; HAEFLIGER, précité., p. 93 s.).

Il faut aussi donner raison à l’instance précédente, en ce que l’article 29 alinéa 1 des statuts a été promulgué le 14 juin 1981 et doit donc par rapport à l’article 4 alinéa 2 Cst. être considéré comme une disposition ancienne pour laquelle le législateur cantonal disposait d’une période de transition pour s’adapter à l’ordre constitutionnel, période qu’il a laissé expirer sans agir. Les arguments du recours auprès du Tribunal administratif n’y changent rien. Comme la plaignante le concède, le premier pas pour la réalisation de l’égalité de traitement des sexes dans le domaine de la Caisse de pension d’Etat ont été faits en mai 1986, par conséquent, à une époque où la non-constitutionnalité, encore contenue dans les textes actuels, était connue depuis presque 5 ans. Sans cette attente, il aurait été possible aux organes compétents de prendre les mesures nécessaires. Si la requérante argumente avoir dû arrêter les tentatives de révisions, suite à une recommandation de la conférence des directeurs de finances jusqu’à la promulgation des travaux de la 10e LAVS, ceci ne change rien à l’inactivité objective constatée. Constatant le retard qui en découle , la requérante n’apporte pas d’argument constitutionnellement pertinent.

En considérant la carence du législateur, il résulte que l’instance précédente a approuvé à juste titre les conditions temporelles pour justifier une intervention du juge conformément à la jurisprudence (BGE 116 V 215).

(…)

6. – a) En tenant compte de l’obligation de l’égalité de traitement entre les assurés masculins et féminins, telle que la question se pose dans le cas précédent, l’organisation du droit à une retraite de prévoyance peut se réaliser sous différentes formes (RIEMER-KAFKA, précité., p. 234; WEBER-DÜRLER, Auf dem Weg zur Gleichberichtigung, in: ZSR 104/1985 I p. 1 et s., en particulier p. 22 et s.). Ce fait, à lui seul, n’empêche pas une intervention du juge, comme l’a déjà démontré le Tribunal fédéral d’assurance dans sa décision BGE 116 V 198. Cependant la multitude des possibilités de réglementation qui sont envisageables ainsi que d’autres points de vue dont il faut tenir compte, peuvent mener à un autre résultat. Le principe de traitement à égalité des sexes ne laisse, par exemple, pas la possibilité de tirer des conclusions sur l’âge unitaire de la mise à la retraite. De plus, il s’agit dans ce cas contrairement à l’organisation de la retraite de réversion qui en elle-même ne prend pas en compte le sexe, d’une question en premier politique, comme l’a démontré expressément la discussion au sujet de la révision de la 10e LAVS. Ceci n’est pas fondamentalement différent au niveau cantonal. Tout cela semble plaider contre une intervention du juge dans la législation existante insuffisante, conformément à la jurisprudence connue (BGE 116 V 212 consid. II/3a avec notes; G.MÜLLER, précité., Rz 138 zu Article 4 Cst.; voir aussi J. P. MÜLLER, Soziale Grundrechte in der Verfassung, 2 Ed., 1981, p. 193). Nous pouvons nous demander si cette retenue est appropriée, étant donné d’une part la sévérité des désavantages juridiques entraînés par l’anticonstitutionnalité, et d’autre part la trop longue inactivité du législateur (KÄLIN, Verfassungsgerichtsbarkeit in der Demokratie, 1987, p. 168 s.; grundlegend BIAGGINI, Verfassung und Richterrecht, Basler diss. 1991, p. 452 s., 464, 468 s.). Ce doute serait de plus fondé si le législateur ne se voyait pas empêcher, par une intervention claire, évidente et motivée du juge sur un cas précis, de décider une nouvelle organisation qui elle tiendrait compte des lois, des droits fondamentaux, ainsi que des principes constitutionnels (BGE 116 V 216 voir aussi BGE 99 Ia 637), mais qui ne tiendrait plus compte du plaignant dans ce cas précis (ZBI 87/1986 p.406).

Une telle décision n’est pas nécessaire dans ce cas. Même si une intervention du juge n’est pas exclue en raison des différentes possibilités de réglementations ainsi que pour d’autres points de vue déjà évoqués, la capacité fonctionnelle limitée du juge pour réglementer des domaines d’une façon fondamentalement neuve, représente ici une barrière insurmontable.

b) Le Tribunal fédéral d’assurance a, dans sa décision BGE 116 V 198, insisté sur le fait que ce ne peut pas être le rôle du juge de transformer de manière fondamentale un domaine déjà réglementé en se basant sur le principe de légalité de traitement de l’homme et de la femme (déjà évoqué voir 5 c). Si l’attribution d’une rente de veuf selon les réglementations qui définissent cette attribution (principe de l’extention du bénéficiaire) n’est, sans aucun doute, pas une intervention qualifiée, (BGE 116 V 215 consid II/3b) la question qui est ici posée concernant l’âge de la mise à la retraite, est plus large. Dans ce contexte, il apparaît qu’il est significatif que la requérante en tant que Caisse de Prévoyance est organisée selon la principe de la primauté de la prestation (Leistungprimat) ( § 30 des statuts). Les prestations qu’elle doit apporter, sont définies par les données des statuts, contrairement au système de la primauté de la cotisation (primauté de la cotisation et de la bonification d’âge) où les cotisations définies et effectuées individuellement le sont par les prestations, (HELBLING, précité; p. 113 s.; GERHARDS, Grundriss Zweite Säule, 1990, p. 50 s.; voir aussi BRÜHWILER; précité; Rz. 5S 205; RIEMER; précité, § 1 Rz. 17, p. 30). De tels objectifs de versements de prestations doivent être financés et sécurisés, ce qui implique d’établir de larges plans à long terme. Il est évident que le rapport comptable bien équilibré entre les cotisants et les bénéficiaires a une importance considérable voir même vitale pour la Caisse de prévoyance (VOLKMER, Finanzierung und finanzielles Gleichgewicht, Schweizer Personalvorsorge (SPV) 1989 H. 5 P 155 et s.; GERHARDS, précité , p. 103 s., en particulier Rz. 9 s.; voir les graphiques de présentation chez HELBLING, précité p. 251 et s.). Une diminution de l’âge de la pension, comme celui contre lequel le recours a été déposé le suggère, entraînerait des conséquences considérables qui pourraient avoir un effet imprévisible. Le législateur se verrait contraint, d’une façon certaine de sécuriser par des mesures adaptées le financement de l’aménagement des prestations. Vue sous cet angle, et vue sous l’angle des coûts supplémentaires qui en découlent, la diminution de l’âge de la retraite à 62 ans accomplis pour les hommes comme l’a décidé l’instance précédente, ainsi que sa réalisation, sont douteuses si l’on tient compte des expériences d’autres Caisses de prévoyance basées sur le principe de la primauté des prestations (voir Botschaft zur Verordnung über die Eidg. Versicherungskasse und zu den Statuten der Pensions – und Hilfskasse der SBB du 2 mars 1987, BBI 1987 II 493 s., 502).

Dans tous les cas, il est sûr que la diminution de l’âge de la prise de pension dans le système de la primauté des prestations n’est pas seulement du point de vue des prestations une intervention lourde, mais cela impose de plus une transformation fondamentale des bases et modalités de financement de la Caisse de prévoyance. Ceci exige une solution immédiate à des rapports complexes qui dépasse de loin la demande de prestation litigieuse et qui dans le cadre d’un jugement sur un cas précis ne peut être apportée par le juge. De telles transformations fondamentales qui sont principalement basées sur des réflexions concernant le sens et l’utilité et qui dans leurs conséquences sont difficiles à évaluer, ne peuvent donc pas être prises par le juge. Jurisprudence et doctrine sont sur ce point d’accord (BGE 116 V 215 et s.; 109 Ib 88 et s.; voir aussi BGE 114 II 246 ainsi que ZBI 87/1986 p. 409 s. Consid.8; WEBER-DÜRLER, précité, p. 21 s.; HÄNNI, Grenzen richterlicher Möglichkeiten bei der Durchsetzung von Gleichheitsansprüchen gemäss Art. 4 Cst. dans ZSR 107/1988, p. 591 et s., en particulier p. 609; HÄFLIGER, précité, p. 95; KÄLIN, précité, p. 175; J. P. MÜLLER, soziale Grundrechte, précité p. 194, et s.; J. P. MÜLLER dans Kommentar zur Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 1987, Einlatung zu den Grundrechten, Rz.88; BIAGGINI, précité, p. 465 et s.).

c) Le Tribunal cantonal n’a pas considéré de manière suffisante ces faits déterminants et a violé l’article 4 alinéa 2 Cst. En conséquence, dans ce cas-ci, il faut s’arrêter à la constatation de l’anticonstitutionalité des règlements actuellement d’application. Cette solution peut sembler, pour celui qui demande justice, non satisfaisante. Cependant on peut lui opposer que, par une intervention du juge, comme le Tribunal cantonal l’a fait pour permettre l’exécution du principe constitutionnel de traitement égal, il y aurait obligatoirement création d’autres inégalités.(BGE 103 V 62 consid. 2.). Cela a pour conséquence que seule une réglementation légale peut apporter une solution satisfaisante dans un Etat de droit (J.-P. MÜLLER, Soziale Grundrechte, précité, p. 197)

L’attribution d’une pension non diminuée à celui contre qui ce recours a été déposé ne peut donc actuellement pas de ce point de vue être accordée.

Par conséquent, le Tribunal fédéral d’Assurance reconnaît:

Le recours est admis. La décision du Tribunal d’assurance du Canton de Solothum du 24 avril 1991 est annulée.

SUI / 1992 / A04
Suisse / Tribunal fédéral / IIe Cour de droit public / 24-01-1992 / 2P.95-1991 / F. c. Tribunal administratif et Administration fiscale cantonale de Genève / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Concubins

Art. 4 Cst.; égalité de traitement entre concubins et couples mariés (rappel de la jurisprudence).

Dans la mesure où une égalité absolue ne peut pas être réalisée, il suffit que la réglementation cantonale n’entraîne pas, d’une manière générale, une imposition plus lourde et systématiquement défavorable des concubins par rapport aux époux (consid. 3).

(…)

3. – a) Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente (ATF 116 Ia 83 consid. 6b; 115 Ia 287 consid. 6 et références). Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 114 Ia 323 consid. 3a). La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 116 Ia 323 consid. 3c; 110 Ia 14).

En matière fiscale, le principe de l’égalité de traitement est concrétisé par les principes de la généralité et de l’égalité de l’imposition, ainsi que par le principe de la proportionnalité de la charge fiscale fondée sur la capacité économique (ATF 116 Ia 323 consid. 3d). D’après les principes de l’égalité d’imposition et de l’imposition selon la capacité contributive, les contribuables qui sont dans la même situation économique doivent supporter une charge fiscale semblable; lorsqu’ils sont dans des situations de fait différentes qui ont des effets sur leur capacité économique, leur charge fiscale doit en tenir compte et y être adaptée (ATF 114 Ia 323 consid. 3b).

A cet égard, la comparabilité des faits à réglementer joue un rôle important. Elle est plus faible s’agissant de l’égalité de traitement verticale, c’est-à-dire de la répartition de l’impôt entre les contribuables de situations financières différentes selon leur capacité contributive, de sorte que le législateur dispose d’une large marge d’appréciation et qu’on ne saurait exiger beaucoup plus qu’une évolution régulière du barème ou de la courbe de la charge fiscale. La marge du législateur est plus étroite s’agissant de la répartition horizontale de la charge fiscale, c’est-à-dire de l’égalité de traitement des contribuables ayant une même capacité contributive (ATF 110 Ia 14/15).

b) En Suisse, les concubins ne constituent pas, pour des raisons essentiellement pratiques, une catégorie de contribuables dans le droit fiscal actuel. Ils sont imposés séparément comme les personnes vivant seules et il n’est pas tenu compte de la communauté de fait qu’ils forment (ATF 110 Ia 19), de sorte que chacun est imposé sur ses revenus propres et qu’aucune compensation n’est possible entre les revenus, les pertes et les déductions de l’un et de l’autre. Lorsque le couple concubin a des enfants, le partenaire qui en a la garde (ou la charge effective, ou qui a l’autorité parentale, selon la législation) est imposé selon le régime réservé aux familles monoparentales lorsque le droit cantonal en prévoit un; l’autre concubin est traité selon son état civil (célibataire, divorcé, veuf) et bénéficie, le cas échéant, des abattements que prévoit le droit cantonal pour l’entretien des enfants confiés à leur autre parent (voir D. YERSIN, L’imposition du couple et de la famille, 1984, p. 21s. et p. 72; H. MASSHARDT, Kommentar zur direkten Bundessteuer, art. 25, nos 8 et 9). Par rapport à un couple marié dont les éléments imposables sont cumulés – et peuvent éventuellement se compenser -, la charge fiscale globale des concubins dépend dans une certaine mesure de la manière dont s’articulent les revenus des deux partenaires. Lorsque les deux concubins réalisent des revenus semblables, ils sont favorisés sur le plan fiscal, pour un revenu global donné, mais plus les écarts entre leurs revenus sont marqués, moins ils tirent avantage de leur situation. Il peut même arriver, lorsqu’un seul des deux partenaires assure l’entretien complet du couple et des enfants, comme en l’espèce, que la charge fiscale globale des concubins soit nettement supérieure à celle d’un couple marié.

c) S’agissant de réaliser le postulat selon lequel les couples mariés ne doivent pas payer plus d’impôt que des concubins, le Tribunal fédéral a souligné que le législateur cantonal dispose d’une marge d’appréciation importante. Outre qu’il s’agit de questions dont la solution dépend dans une large mesure de facteurs politiques qui imposent au juge constitutionnel de faire preuve de réserve (ATF 112 Ia 244), la complexité des faits à réglementer et le nombre de paramètres entrant en considération pour apprécier les situations à comparer, rendent très difficile, voire impossible, une réglementation schématique et générale apte à tenir compte de tous les éléments, souvent contradictoires, en présence et à réaliser une égalité absolue. A vouloir assurer une égalité parfaite dans le cadre d’une seule comparaison, le législateur court le risque de créer par la même occasion une inégalité au préjudice d’autres catégories de contribuables. Or, lorsqu’un domaine à réglementer présuppose l’existence d’un schématisme important, l’art. 4 Cst. n’exige pas que tous les contribuables soient traités d’une manière rigoureusement égale, quelle que soit leur situation personnelle (mariés, concubins, célibataires, avec ou sans enfants); sous réserve des cas où le tarif conduit à une inégalité flagrante, la norme constitutionnelle ne peut que garantir globalement l’égalité de traitement entre les justiciables (arrêt du Tribunal fédéral non publié du 8 décembre 1988 en la cause A. M. c. canton du Valais, consid. 2a).

Ces considérations gardent toute leur valeur s’agissant de la situation inverse, c’est-à-dire de la comparaison de la charge fiscale des concubins avec celle d’un couple marié. Ainsi, une marge importante d’appréciation doit être reconnue au législateur cantonal dans l’aménagement de l’imposition des concubins, car l’art. 4 Cst. n’exige pas que leur charge fiscale soit dans tous les cas rigoureusement semblable à celle des couples mariés. Certes, il n’appartient pas au droit fiscal de combattre le concubinage et de favoriser le mariage en lieu et place des dispositions pénales idoines qui disparaissent de plus en plus. Le législateur cantonal peut toutefois réserver un mode d’imposition différent aux concubins dans ces limites. Du moment qu’il n’est pas possible d’empêcher que des avantages soient accordés au mariage ou au concubinage, le statut juridique du mariage et sa signification sociale commandent que le législateur fiscal favorise non pas les concubins, mais les couples mariés (ATF 110 Ia 19/20).

Dès lors, d’éventuelles différences au détriment des concubins – qui sont la conséquence d’un statut librement choisi par les intéressés – ne sont pas contraires à l’art. 4 Cst., dans la mesure où une égalité absolue ne peut être réalisée entre ceux-ci et les couples mariés, les concubins ne pouvant être imposés ensemble, comme une unité. Il suffit que la réglementation prévue par le droit cantonal n’entraîne pas une imposition systématiquement et délibérément plus lourde des couples vivant en union libre par rapport à des époux (E. REIZE, Die Ehegattenbesteuerung als verfassungsrechtliches und steuerrechtliches Problem, 1976, p. 80). A cet égard, la comparaison peut se faire globalement, compte tenu de l’ensemble des différentes situations dans lesquelles se trouvent les concubins au cours de leur vie commune.

d) Dans le cas particulier, le recourant ne prétend pas que le système d’imposition des concubins en droit fiscal genevois soit, d’une manière générale, défavorable à ces derniers. Il est vrai qu’ayant entretenu seul sa famille au cours des années 1987 et 1988, il se trouve pénalisé du fait qu’il ne bénéficie pas des mêmes abattements qu’un contribuable marié. Toutefois, il n’établit pas que sa situation serait également moins bonne que celle d’un couple marié dans le cas où lui-même et sa compagne obtiendraient tous deux un gain de leur travail. Au contraire, dès que Viviane L. aura terminé sa formation et exercera sa profession, leur statut fiscal sera vraisemblablement plus favorable que celui d’un couple marié, leurs revenus n’étant pas cumulés. Le régime que le canton de Genève réserve aux concubins n’entraîne donc pas d’inégalité de traitement contraire à l’art. 4 Cst. à leur détriment. Sur ce point, le grief du recourant n’est donc pas fondé.

SUI / 1995 / A05
Suisse / Tribunal fédéral / IIe Cour de droit public / 7-06-1995 / 2P.213-1993 / Margot Knecht c. Conseil communal de la ville de Zurich et Conseil d’Etat du canton de Zurich / extraits

5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.3.6 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – liberté du commerce et de l’industrie

Branche économique (égalité au sein d’une même branche économique) – Taxis

Imposition fiscale des détenteurs de taxis. Egalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique (neutralité concurrentielle des mesures étatiques). Règlement du Conseil communal de la ville de Zurich prévoyant des tarifs différents selon que les détenteurs de taxis sont reliés ou non à une centrale permanente de diffusion d’ordres de course. Recours de diverses entreprises de taxis, dont la recourante, rejetés par le Conseil d’Etat du canton de Zurich. Recours de droit public admis par le Tribunal fédéral.

Art. 4 et 31 Cst.

  1. Nature juridique d’une redevance, intitulée taxe, qui compense l’utilisation du domaine public par les taxis et, simultanément, doit favoriser, au moyen d’un tarif différent, les taxis au bénéfice d’une liaison radio (consid. 3a).
  2. Conséquences tirées du principe de l’égalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique; l’art. 31 Cst. offre une meilleure protection que l’art. 4 Cst. (consid. 3b – 3d).
  3. Examen de la différence de tarif en cause à la lumière de la neutralité concurrentielle et de sa compatibilité avec le principe de l’égalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique (consid. 4).

Le Conseil communal de la ville de Zurich a décidé, le 19 décembre 1990, d’une modification de l’ordonnance sur les émoluments perçus pour le service des taxis (décision du Conseil communal n° 3994/1990). (…) La nouvelle réglementation distingue (…) les taxis au bénéfice d’une liaison radio avec une centrale permanente de diffusion d’ordres de course, qui sont soumis à une taxe de 35 francs par mois et par véhicule, des autres taxis, dont la taxe est portée à 90 francs.

(…)

A l’appui de son recours, Margot Knecht affirme en substance que la nouvelle ordonnance sur les émoluments procéderait à des distinctions arbitraires et violerait ainsi l’art. 4 Cst.; elle porterait également atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie de l’art. 31 Cst. en ce que la distinction opérée n’est pas justifiée par un intérêt public suffisant. Margot Knecht fait également valoir que le Conseil d’Etat aurait méconnu son droit d’être entendue, en écartant l’offre de preuve qu’elle avait faite.

Le Conseil communal de la ville de Zurich et le Conseil d’Etat du canton de Zurich ont recommandé le rejet du recours.

Le TF a admis le recours.

Motifs:

3. – a) Le conseil d’Etat reconnaît, en se référant au Conseil communal de la ville de Zurich, que la différenciation des tarifs entre les taxis qui bénéficient d’une liaison radio et ceux qui n’en n’ont pas a pour but principal de favoriser les services qui présentent le plus d’intérêt pour la collectivité publique. L’ordonnance attaquée présente donc sur ce point un caractère incitatif et d’orientation, même si, comme le Conseil communal de la ville de Zurich l’a relevé, chaque détenteur de taxi reste libre de se raccorder ou non à une centrale de diffusion d’ordres. La taxe prévue ne représente donc que partiellement une contrepartie à l’utilisation du domaine public. Elle n’est une redevance causale que dans cette mesure. Il s’agit à la fois d’une redevance causale et d’une redevance d’orientation. La question de savoir si cette taxe est une contribution mixte (voir à ce sujet ATF 118 Ib 60 consid. 3a; ATF 103 Ia 85 consid. 5a, JdT 1979 I 98; arrêt non publié du 8 août 1989 dans la cause M., consid. 2a, RJB 1991 p. 310; IMBODEN/RHINOW, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, vol. II, 6e éd., Bâle et Stuttgart 1986, n. 110 B 1; RHINOW/KRÄHENMANN, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, Ergänzungsband, Bâle et Francfort-sur-le-Main, 1990, n. 110 B 1; HÄFELIN/MÜLLER, Grundriss des Allgemeinen Verwaltungsrechts, 2e éd., Zurich 1993, n. 2091 s.), peut rester ouverte tout comme celle relative à l’applicabilité des principes de couverture des frais et d’équivalence (voir spéc. à ce sujet ZBl 1988 p. 219 s.).

La recourante n’invoque pas ces principes. Elle fait par contre valoir que la différenciation des tarifs prévue ne se fonde pas sur un intérêt public suffisant et n’est pas neutre sur le plan concurrentiel. Il en résulterait une violation de la liberté du commerce et de l’industrie. L’ordonnance ne respecterait par ailleurs pas le principe de l’égalité de traitement et serait arbitraire.

b) Les cantons et les communes ont le droit, sous certaines conditions, de limiter la liberté du commerce et de l’industrie des détenteurs de taxis. L’atteinte doit être dictée par un intérêt public prépondérant et les principes de proportionnalité et d’égalité devant la loi doivent être respectés. Selon l’art. 31 al. 2 Cst., les législations cantonales sur l’exercice du commerce et de l’industrie ne peuvent cependant pas déroger au principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Il ne peut s’agir que de mesures de police au sens étroit ou de mesures justifiées par des motifs de politique sociale (ATF 120 Ia 126 consid. 4a, JdT 1996 I 146; ATF 119 Ia 59 consid. 6a; ATF 118 Ia 175 consid. 1 avec réf., JdT 1994 I 643). Il est par contre interdit au canton d’ordonner des mesures de politique économique, soit celles qui interviennent dans la libre concurrence pour assurer ou favoriser certaines branches de l’activité lucrative ou certaines formes d’exploitation (ATF 118 Ia 175 consid. 1 avec réf., JdT 1994 I 643).

En vertu du principe de l’égalité de traitement des personnes appartenant à la même branche économique, sont interdites les mesures qui créent des distorsions de concurrence entre concurrents directs (ATF 120 Ia 236 consid. 1a, JdT 1996 I 154), de même que celles qui ne sont pas neutres sur le plan économique (ATF 119 Ia 59 consid. 6a). Sont des concurrents directs les entreprises qui appartiennent à la même branche, ont des offres semblables, destinées à la même clientèle pour satisfaire la même demande (ATF 119 Ia 433 consid. 2b; ATF 106 Ia 267 consid. 5a avec réf., JdT 1982 I 151). En l’espèce, il y a un rapport de concurrence directe entre les différentes catégories de détenteurs de taxis au bénéfice d’une autorisation A délivrée par la ville de Zurich.

c) La question se pose de savoir si la réglementation attaquée est ou non une mesure de politique économique. Certes, la différenciation prévue ne poursuit pas, en première ligne, un but de politique économique. Cependant, en tant que mesure fiscale d’incitation, elle intervient dans la libre concurrence entre les différentes catégories de détenteurs de taxis, qui se trouvent dans un rapport de concurrence direct. Savoir s’il s’agit d’une véritable mesure de politique économique ou si la taxe produit simplement des effets annexes de politique économique peut toutefois rester ouvert en l’espèce. En effet, même dans cette dernière hypothèse, la taxe devrait respecter le principe de l’égalité de traitement des personnes appartenant à la même branche économique.

Au cours de sa longue jurisprudence, le TF a déduit le principe de l’égalité de traitement des personnes appartenant à la même branche économique, soit exclusivement de l’art. 31 Cst. (p. ex. ATF 108 Ia 135 consid. 4, JdT 1984 I 2; ATF 91 I 98 consid. 2a, JdT 1966 I 301; ATF 89 I 27 consid. 2, JdT 1963 I 503; ATF 73 I 97 consid. 2, JdT 1947 I 508), soit conjointement de cette disposition et de l’art. 4 Cst. (cf. not. ATF 88 I 231 consid. 3, JdT 1963 I 316; ATF 87 I 446 consid. 6b, JdT 1962 I 148; ATF 61 I 321 consid. 2; ATF 49 I 228 consid. 2b, JdT 1923 I 628). L’examen de cette abondante jurisprudence permet de distinguer les cas suivants: le TF a parfois eu à se prononcer sur la validité de réglementations relatives aux heures d’ouverture des magasins et à des prescriptions analogues (p. ex. ATF 91 I 98, JdT 1963 I 316; ATF 89 I 27, JdT 1963 I 503; ATF 88 I 231, JdT 1963 I 316; ATF 87 I 446, JdT 1962 I 148; ATF 73 I 97, JdT 1947 I 506; ATF 49 I 228, JdT 1923 I 628; ATF 44 I 4, JdT 1918 I 528). Il s’est aussi agi de questions relatives à la charge fiscale (ATF 61 I 321; ATF 45 I 347, JdT 1920 I 142) ou à l’usage commun accru (cf. spéc. ATF 108 Ia 135, JdT 1984 I 2). Dans tous ces cas, les réglementations examinées intervenaient dans la libre concurrence sans que, comme dans la présente réglementation, leur principale motivation relève de la politique économique.

Cette jurisprudence du TF a soulevé des critiques dans la doctrine. Il lui a surtout été reproché de promouvoir l’égalité des chances entre concurrents directs, ce qui irait au-delà de la liberté du commerce et de l’industrie. Par ailleurs, en s’appuyant sur le principe de l’égalité de traitement des personnes appartenant à la même branche économique, le TF aurait autorisé des mesures tendant au maintien de certaines structures, donc des mesures de politique économique en soi interdites (cf. à ce sujet HANS HUBER, Die Gleichbehandlung der Gewerbegenossen, in: Festschrift für Walther Hug, Berne 1968, p. 454 s.; HANS MARTI, Die Wirtschaftsfreiheit der schweizerischen Bundesverfassung, Bâle et Stuttgart 1976, p. 76 s.; RENE A. RHINOW, in Commentaire de la Constitution, art. 31 Cst., n. 176 s., spéc. n. 185; PETER SALADIN, Grundrechte im Wandel, Berne 1982, p. 220 s.). Une partie de la doctrine est également d’avis que l’art. 31 Cst. ne permet pas de prétendre à une égalité durable, comme le droit général à l’égalité de traitement de l’art. 4 Cst. (dans ce sens, cf. surtout MARTI, op. cit., p. 74; DANIEL WYSS, Die Handels – und Gewerbefreiheit und die Rechtsgleichheit, Zurich 1971, p. 36 s.). Des avis isolés se sont enfin manifestés pour défendre l’idée selon laquelle le principe de l’égalité de traitement des personnes appartenant à la même branche économique découlerait certes de l’art. 4 Cst., mais aurait une portée particulière en matière de concurrence économique (dans ce sens déjà, cf. WALTHER BURCKHARDT, Kommentar der schweizerischen Bundesverfassung vom 29. mai 1874, 3e éd., Berne 1931, p. 236; ANTOINE FAVRE, Droit constitutionnel suisse, 2e éd., Fribourg 1970, p. 382).

C’est ainsi que le TF, se référant aux critiques soulevées par la doctrine, a régulièrement laissé indécise la question de savoir si le droit à l’égalité de traitement tiré de l’art. 31 Cst. n’était pas qu’une simple concrétisation, limitée au domaine de la liberté économique, du droit général à l’égalité de traitement de l’art. 4 Cst. (cf. surtout ATF 119 Ia 433 consid. 2b et 3a 436/445; ATF 112 Ia 30 consid. 3a 34 s., JdT 1987 I 157; ATF 106 Ia 267 consid. 5a 275, JdT 1982 I 151). Dans l’ATF 120 Ia 236 consid. 1a et b, JdT 1996 I 154, le TF s’est rapproché une nouvelle fois de son ancienne jurisprudence, en reconnaissant, sans toutefois le dire expressément, que le principe de l’égalité de traitement des personnes appartenant à la même branche économique a une portée plus étendue que le droit général à l’égalité de traitement (cf. à ce sujet PAUL RICHLI, Bemerkungen zu BGE 120 Ia 236, in AJP 1995 222). Dans la doctrine la plus récente, la question reste largement controversée (pour un fondement tiré de l’art. 31 Cst.: ETIENNE GRISEL, Liberté du commerce et de l’industrie, vol. I, Berne 1993, p. 125 s., n. 320 s., et vol. II, Berne 1995, p. 157, n. 826; PAUL RICHLI, Zur Leitung der Wirtschaftspolitik durch Verfassungsgrundsätze und zum Verhältnis zwischen Wirtschaftspolitik und Handels – und Gewerbefreiheit, Berne 1983, p. 108, n. 55; RENE A. RHINOW, op. cit., art. 31 Cst., n. 176 s., spéc. 183; pour un fondement tiré de l’art. 4 Cst.: ARTHUR HAEFLIGER, Alle Schweizer sind vor dem Gesetze gleich, Berne 1985, p. 239 s.; PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. I, Berne 1988, p. 392 s.; GEORG MÜLLER, in Commentaire de la Constitution, art. 4 Cst., n. 29; LEO SCHÜRMANN, Wirtschaftsverwaltungsrecht, Berne 1994, p. 47; sur la problématique en général, cf. ég. FRITZ GYGI, Wirtschaftsverfassungsrecht, Berne 1981, p. 155; HÄFELIN/HALLER, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 3e éd., Zurich 1993, n. 1435 s.; YVO HANGARTNER, Grundzüge des schweizerischen Staatsrechts; vol. II: Grundrechte, Zurich 1982, p. 187 s.; JÖRG PAUL MÜLLER, Die Grundrechte der schweizerischen Bundesverfassung, 2e éd., Berne 1991, p. 362, n. 59).

d) Selon la jurisprudence constante du TF, un arrêté, comme celui qui doit être examiné en l’espèce, viole le droit général à l’égalité de traitement prévu par l’art. 4 Cst., s’il fait des distinctions pour lesquelles on ne discerne aucun motif raisonnable et pertinent (ATF 119 Ia 123 consid. 2b, JdT 1995 I 626), respectivement – selon une autre formulation – s’il règle de manière différente des situations semblables ou essentiellement semblables sans motivation suffisante (ATF 120 Ia 126 consid. 6b, JdT 1996 I 146). Pour qu’une distinction soit admissible, il suffit donc qu’il y ait des motifs sérieux et pertinents qui, notamment, pourraient aussi relever de la politique économique. Le droit général à l’égalité de traitement n’exige rien de plus. On ne peut ainsi pas en déduire, sans se référer à la liberté du commerce et de l’industrie, que des distinctions ne doivent pas heurter le principe de l’égalité de traitement entre concurrents, respectivement le principe de la neutralité dans le jeu de la concurrence.

En revanche, l’art. 31 al. 2 Cst. interdit les mesures étatiques qui dérogent au principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Les actes d’autorité peuvent ainsi faire des distinctions qui reposent sur des motifs raisonnables et pertinents, compatibles avec l’art. 4 Cst., mais qui violent l’art. 31 Cst., parce qu’ils font des discriminations qui portent atteinte au principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Dans la mesure où cet aspect est essentiel pour assurer l’égalité de traitement entre concurrents, il ne peut pas être tiré de l’art. 4 Cst., mais seulement déduit de l’art. 31 Cst. Dans ce sens, la liberté du commerce et de l’industrie complète le droit général à l’égalité de traitement et offre une garantie plus étendue que celui-ci.

Les critiques formulées par la doctrine doivent être prises en compte, en ce sens que le principe ne peut conduire à une égalité absolue de tous les concurrents directs garantie par l’Etat, pas plus qu’il ne peut être mis au service d’une politique tendant au maintien de certaines structures. Matériellement, la garantie constitutionnelle de l’égalité de traitement entre concurrents empêche l’Etat d’adopter des réglementations qui reposent en soi sur des motifs raisonnables et pertinents mais qui, sans être principalement dictées par des motifs de politique économique, favorisent ou défavorisent certains concurrents par des charges différentes ou un accès au marché facilité ou rendu plus difficile par l’Etat. L’Etat ne peut en particulier pas octroyer des avantages économiques injustifiés à certains utilisateurs du domaine public au détriment de leurs concurrents directs (cf. GRISEL, op. cit., vol. I, p. 128, n. 325; TOBIAS JAAG, Gemeingebrauch und Sondernutzung öffentlicher Sachen, ZBl 1992 162; en relation avec les places de stationnement pour taxis, cf. surtout ATF 108 Ia 135 consid. 3, JdT 1984 I 2, confirmé dans un arrêt non publié du TF du 2 juin 1989 dans la cause B.). Il en va de même pour les mesures d’encouragement (GRISEL, op. cit., vol. II, p. 157 s., n. 827 s.; HÄFELIN/HALLER, op. cit., n. 1454; et les charges fiscales (ATF 61 I 321; GRISEL, op. cit., vol. II, p. 193 s.; HANS MARTI, Die Handels – und Gewerbefreiheit nach den neuen Wirtschaftsartikeln, Berne 1950, p. 248 s.). En l’espèce, le principe de l’égalité de traitement des concurrents revêt de l’importance sous ces trois points de vue.

e) Le TF examine en principe librement si les conditions requises pour une limitation admissible de la liberté du commerce et de l’industrie sont réunies et, en particulier, si le principe de l’égalité de traitement des personnes appartenant à la même branche économique est respecté. En matière d’octroi de concessions A pour taxis, le TF reconnaît cependant aux autorités communales et cantonales un large pouvoir d’appréciation, notamment en relation avec les questions de capacité et autres particularités locales (ATF 108 Ia 135 consid. 3, JdT 1984 I 2). Aucun de ces motifs, et notamment aucune question de capacité, ne joue de rôle en l’espèce pour l’imposition différenciée de l’utilisation des places de taxi. Le TF ne doit donc faire preuve de retenue que dans la mesure où il y a lieu de tenir compte des différentes particularités locales, mieux connues des autorités communales et cantonales que du TF.

4. – a) Les autorités municipales et cantonales justifient la différence d’imposition entre les taxis au bénéfice d’une liaison radio et les autres taxis sur la base de critères comme l’intensité de l’utilisation des places de stationnement pour taxis et le nombre des courses à vide sur la voie publique pour aller à la recherche de clients. L’arrêt attaqué affirme certes que le niveau d’utilisation du domaine public n’est pas décisif pour conclure à l’admissibilité de la différenciation tarifaire. Dans sa prise de position devant le TF, le Conseil d’Etat a cependant fait valoir que pour les détenteurs de taxis sans liaison radio, une présence prolongée sur la voie publique était une condition sine qua non de l’exercice de leur activité.

Si ces critères étaient réellement déterminants, les griefs formulés par la recourante – appréciation arbitraire des faits et violation du droit d’être entendu parce que ses offres de preuve n’ont pas été retenues – ne pourraient cependant pas être écartés sans autre, même compte tenu d’un certain pouvoir d’appréciation en relation avec les différentes particularités locales. Ces critères n’ont toutefois pas été considérés comme décisifs par les autorités inférieures, qui ne les ont examinés qu’à titre incident. L’arrêt attaqué ne les intègre d’ailleurs pas dans son raisonnement. Les questions de capacité – comme le nombre limité de places de stationnement – n’ont aussi joué aucun rôle pour déterminer quelles différences de traitement pouvaient être imposées, au détriment de certains concurrents. Le but décisif de la réglementation était bien plutôt de favoriser le raccordement des taxis à une centrale téléphonique et de tenir compte des coûts élevés générés par ce raccordement. Dans ces circonstances, les griefs de la recourante relatifs aux lacunes dans la constatation des faits et au rejet de ses offres de preuve s’avèrent infondés.

b) Il convient par contre de savoir si le critère de distinction reconnu comme déterminant est admissible. Avec la réglementation attaquée, l’Etat s’immisce dans la concurrence entre les différents conducteurs de taxis au bénéfice d’une concession A qui, en dépit des différences existantes, sont des concurrents directs. C’est une décision commerciale appartenant à chaque détenteur de taxi que de savoir s’il veut se connecter à une centrale et assumer les coûts supplémentaires qui en découlent, pour être plus facilement atteignable et renforcer sa présence sur le marché. Le Conseil d’Etat reconnaît d’ailleurs dans sa prise de position au TF, qu’une liaison radio augmente les possibilités de gain. Dans cette mesure, la réglementation attaquée suit le marché. Une réglementation fiscale qui renforce cette tendance générale du marché exerce une influence sur la concurrence régnant sur le marché des taxis. La réglementation attaquée influe donc sur la concurrence; elle a des effets de politique économique, même si ce n’est pas le principal but poursuivi. Dans l’absolu, une différence d’imposition de 660 francs par année ne semble pas très élevée. Les taxis sans liaison radio doivent cependant acquitter une taxe deux fois et demie plus élevée que ceux qui en sont munis. De ce point de vue, la différence apparaît particulièrement élevée.

La réglementation attaquée ne peut pas non plus être justifiée en invoquant un intérêt public à ce que tous les taxis soient raccordés à une centrale téléphonique. Certes, cette mesure favorise une plus grande disponibilité et une intervention plus rapide des taxis au profit de la clientèle, ce qui est dans l’intérêt des consommateurs. Eu égard à la grande différence de traitement instaurée par la réglementation attaquée, cela ne suffit cependant pas. En fait, ce traitement différencié procure un avantage concurrentiel supplémentaire à une catégorie de taxis bénéficiant d’une concession A au détriment d’une autre, avec laquelle elle se trouve en concurrence directe, ce qui va à l’encontre du principe de la liberté du commerce et de l’industrie. La réglementation attaquée n’étant pas neutre sur le plan concurrentiel, elle porte atteinte à l’art. 31 Cst.

SUI / 1996 / A06
Suisse / Tribunal fédéral / Ire Cour de droit public/ 10-04-1996 / 1P.111-1996 / L., dame M. et Me D. c. X. et Chambre supérieure du Tribunal des mineurs du canton de Vaud / texte intégral

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
2.1.1.7 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.9.14 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – droits de la défense

Avocats

Discrimination de l’avocat établi dans un autre canton: refus d’envoyer le dossier de la cause pénale à l’étude du défenseur établi à Neuchâtel, alors que cette facilité est accordée aux avocats vaudois.

La décision attaquée comporte une discrimination inadmissible dans l’exercice des droits de la défense; elle viole dès lors, en particulier, l’art. 6 par. 3 let. b CEDH en liaison avec l’art. 14 CEDH, l’art. 14 par. 1 Pacte ONU II, l’art. 14 par. 3 let. b Pacte ONU II en liaison avec l’art. 2 par. 1 Pacte ONU II (consid. 3a – c) et, dans les circonstances de l’espèce, l’art. 4 Cst. (consid. 3d).

Portée du concordat sur l’entraide judiciaire et la coopération intercantonale en matière pénale; droit de non-discrimination procédurale garanti par l’art. 60 Cst. (consid. 3e).

La décision attaquée est en outre contraire aux droits garantis à l’avocat par les art. 31 Cst. et 5 Disp. trans. Cst. (consid. 4).

Une poursuite pénale est actuellement en cours devant le Tribunal des mineurs du canton de Vaud contre L., dont le défenseur est Me D., avocat à Neuchâtel, autorisé à pratiquer dans le canton de Vaud par une décision du Tribunal cantonal du 22 juillet 1992.

Le 13 décembre 1995, Me D. a demandé la communication du dossier à son étude, pour consultation. Cette demande faisait suite à un échange de correspondance dans lequel l’avocat faisait valoir son droit de bénéficier, pour la consultation du dossier, des mêmes facilités que les avocats vaudois, à quoi la Présidente du Tribunal des mineurs répondait que « le juge a la faculté de communiquer le dossier à un avocat pour quelques jours, sans qu’il en résulte un droit pour le conseil », et que « la communication du dossier hors du canton n’est pas envisageable ». La requête de Me D. fut ainsi rejetée par décision du 18 décembre 1995; afin que le défenseur n’eût pas à se déplacer jusqu’au siège du Tribunal des mineurs à Lausanne, il fut seulement autorisé à prendre connaissance du dossier dans les locaux de l’office du juge d’instruction de l’arrondissement du Nord vaudois à Yverdon.

Agissant en son propre nom, pour le prévenu L. et pour la mère et représentante légale de ce dernier, dame M., Me D. a déféré cette décision à la Chambre supérieure du Tribunal des mineurs. Statuant le 24 janvier 1996, celle-ci a rejeté le recours pour les motifs déjà retenus par le magi strat intimé.

Les recourants, représentés par un autre avocat, ont saisi le Tribunal fédéral d’un recours de droit public tendant à l’annulation de l’arrêt du 24 janvier 1996. Ils le tiennent pour incompatible avec la libre circulation des personnes exerçant une profession libérale, en l’occurrence la profession d’avocat, garantie par les art. 31 Cst. et 5 Disp. trans. Cst.; ils considèrent aussi cet arrêt comme contraire aux garanties offertes au prévenu par les art. 6 par. 3 let. b CEDH, 14 CEDH et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (RS 0.103.2; ci-après le Pacte international ou Pacte ONU II), ainsi qu’à l’art. 4 Cst.

L’arrêt attaqué est fondé sur l’art. 100 al. 2 CPP/VD, qui dispose que l’avocat d’une partie a le droit de faire prendre copie du dossier au lieu fixé par le juge. A l’appui de sa réponse au recours de droit public, la juridiction intimée s’est referrée à une directive du Juge d’instruction cantonal concernant cette disposition. Il en ressort qu’un dossier peut être envoyé à l’étude d’un avocat, « pour autant que ce dernier ait une étude dans le canton de Vaud », afin de garantir « l’intégrité du dossier » et parce que l’ordre des avocats vaudois est en mesure de faire respecter la discipline. Un envoi du dossier hors du canton est en revanche rigoureusement exclu. Approuvée par la section compétente du Tribunal cantonal, cette directive doit être appliquée par tous les juges d’instruction et, par lettre du 20 février 1996, le Juge d’instruction cantonal a souhaité que le Tribunal des mineurs adopte une politique analogue, « pour (…) continuer à faciliter le travail des avocats ».

Le Tribunal fédéral a admis le recours et annulé l’arrêt attaqué.

Considérant en droit:

1. – a) En vertu de l’art. 87 OJ, le recours de droit public pour violation de l’art. 4 Cst. n’est recevable que contre une décision finale; il n’est recevable contre une décision incidente que lorsque celle-ci cause à l’intéressé un préjudice irréparable. Cette disposition n’est cependant pas applicable aux recours dénonçant, outre une violation de l’art. 4 Cst., la violation d’autres droits constitutionnels, lorsque ceux-ci ont une portée indépendante et que les griefs tirés de ces droits ne sont pas manifestement irrecevables ou mal fondés (ATF 117 Ia 247 consid. 2, 116 Ia 181 consid. 3, 115 Ia 311 consid. 2b).

b) Selon la jurisprudence relative à l’art. 88 OJ, le recours de droit public est ouvert seulement à la personne atteinte par l’acte attaqué dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés (ATF 118 Ia 51 consid. 3; 117 Ia 93 consid. 2).

Exerçant la profession d’avocat, Me D. a qualité pour invoquer les art. 31 Cst. et 5 Disp. trans. Cst. Le prononcé attaqué se rapporte directement à la défense de son client L., de sorte que ce dernier est personnellement lésé et est lui aussi autorisé à invoquer ces dispositions (ATF 105 Ia 67 consid. 1b); de surcroît, à titre de prévenu dans la cause pénale, L. a qualité pour invoquer les art. 6 et 14 CEDH et 14 Pacte ONU II, ainsi que pour se plaindre d’une application arbitraire des dispositions cantonales concernant l’accès au dossier.

Dame M. est lésée dans les droits procéduraux que le droit cantonal confère personnellement au représentant légal du prévenu mineur, tels que le droit d’être entendu et d’exercer des recours indépendamment de son pouvoir de représentation (cf. art. 42 al. 1, 55 let. a, 57 let. a de la loi vaudoise sur la juridiction pénale des mineurs, du 26 novembre 1973; Patrick Zweifel, La procédure et le droit applicables aux mineurs dans le canton de Vaud, thèse, Lausanne 1960, p. 37 et s., 128; Giusep Nay, Das Jugendstrafverfahren im bündnerischen Recht, thèse, Zurich 1975, p. 121/122); elle a dès lors elle aussi qualité pour agir.

2. – a) L’art. 4 Cst. garantit à toute personne le droit d’être entendue avant qu’une décision ne soit prise à son détriment. Il protège d’abord l’intéressé contre une application arbitraire des règles cantonales relatives au droit d’être entendu; en outre, lorsque celles-ci n’offrent pas une protection plus étendue, les règles déduites directement de l’art. 4 Cst. constituent une garantie minimale (ATF 121 I 54 consid. 2a, 230 consid. 2b). L’intéressé doit notamment avoir la possibilité de prendre connaissance des pièces du dossier, de faire administrer des preuves sur des faits importants pour la décision envisagée, de participer à l’administration de l’ensemble des preuves et de faire valoir ses arguments (ATF 120 Ia 379 consid. 3b, 119 Ia 260 consid. 6a, 119 Ib 12 consid. 4).

b) Selon la jurisprudence, l’accès au dossier ne comprend, en règle générale, que le droit de consulter les pièces au siège de l’autorité, de prendre des notes (ATF 115 Ia 293 p. 302/303, 112 Ia 377 consid. 2b) et, pour autant que cela n’entraîne aucun inconvénient excessif pour l’administration, de faire des photocopies (ATF 117 Ia 424 consid. 28, 116 Ia 325 consid. 3d/aa).

En pratique, les personnes représentées par un avocat bénéficient couramment de facilités plus étendues, adaptées aux besoins professionnels de ces mandataires et à la confiance que justifie leur statut (ATF 108 Ia 8 consid. 3): les pièces sont simplement envoyées à l’étude de l’avocat, cela même si le droit de procédure applicable, fédéral ou cantonal, ne le prévoit pas expressément. Cette solution est notamment admise par le Juge d’instruction cantonal vaudois, selon sa directive concernant l’art. 100 al. 2 CPP/VD, à l’égard des membres de l’ordre des avocats vaudois; elle est aussi pratiquée par la chancellerie du Tribunal fédéral à l’égard des avocats admis au barreau d’un canton.

Le Tribunal fédéral a envisagé que l’envoi des documents à l’avocat mandaté soit considéré comme une modalité essentielle de l’accès au dossier, garantie par l’art. 4 Cst., compte tenu du statut de l’avocat et des nécessités d’une défense efficace des justiciables (ATF 120 IV 242 consid. 2c; voir commentaire de Andreas Kley-Struller in PJA 1994 p. 1476 ch. 7). Il n’est pas nécessaire de statuer sur cette question dans la présente affaire. En effet, le refus d’envoyer le dossier à l’avocat établi dans un autre canton, alors qu’un confrère établi dans le canton du siège de la juridiction pourrait l’obtenir, se révèle de toute façon inadmissible en raison de son caractère discriminatoire, cela tant au regard des droits constitutionnels du prévenu que de ceux de l’avocat.

3. – a) Aux termes de l’art. 6 par. 3 let. b CEDH (sur ce point identique à l’art. 14 par. 3l et. b Pacte ONU II), toute personne accusée d’une infraction doit disposer notamment « du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense »; dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné que l’accès de l’avocat au dossier fait partie de ces « facilités nécessaires », mais elle n’a pas considéré comme incompatible avec les droits de la défense le fait que l’accusé lui-même n’ait pas pu compulser personnellement le dossier (arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les causes Kamasinski, du 19 décembre 1989, Série A n° 168, p. 39, par. 87 et 88, et Kremzow, du 21 septembre 1993, Série A n° 268 B, p. 42, par. 51 et 52). De manière générale, l’art. 6 par. 3 let. b CEDH est tenu pour respecté si l’accusé « a la possibilité d’organiser sa défense de manière appropriée et sans restriction quant à la possibilité de présenter au juge tous les moyens de défense pertinents, et par là même d’influencer l’issue de la procédure » (avis de la Commission européenne des droits de l’homme du 12 juillet 1984 dans l’affaire Can, Série A n° 96, p. 13 s., p. 17 par. 53; voir également Velu/Ergec, La Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles 1990, p. 486 ch. 585).

b) La Commission européenne des droits de l’homme a admis, au regard de l’art. 6 par. 1 CEDH, qu’un avocat établi à Bellinzone, mandaté dans une affaire vaudoise, ne puisse pas obtenir que le dossier de l’affaire soit communiqué à son étude et qu’il doive le consulter dans les locaux du Département tessinois de l’intérieur. Elle a relevé qu’il n’était pas démontré, ni même allégué, que cette manière de communiquer le dossier ait empêché la personne concernée de défendre pleinement sa cause devant le Tribunal fédéral (décision du 2 mars 1994, déclarant irrecevable la requête n° 18014/91, Lina Champrenaud c. Suisse; JAAC 1994, n° 101, p. 722 s., p. 724).

c) Dans la présente affaire, l’autorité vaudoise intimée n’a toutefois même pas autorisé la consultation du dossier de l’affaire auprès d’une autorité de la ville de Neuchâtel, lieu d’établissement de l’avocat, ni prétendu que, si un avocat du canton de Vaud avait été mandaté, elle l’eût obligé à consulter le dossier auprès d’une autorité de ce canton. La pratique cantonale critiquée est donc clairement discriminatoire et viole tant l’art. 4 Cst. que l’art. 6 par. 3 let. b CEDH en liaison avec l’art. 14 CEDH; elle viole en outre l’art. 14 par. 1 1re phrase Pacte ONU II (« Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice ») et l’art. 14 par. 3 let. b Pacte ONU II en liaison avec l’art. 2 par. 1 et l’art 26 Pacte ONU II. En effet, dans leur domaine propre, et en dépit de quelques nuances rédactionnelles, ces diverses garanties de procédure ont une portée équivalente (ATF 118 Ia 341 p. 351 consid. 4a; voir aussi ATF 120 Ib 142 consid. 4b/bb; cf. également Manfred Nowak, UNO-Pakt über bürgerliche und politische Rechte und Fakultativprotokoll [CCPR-Kommentar], Kehl am Rhein 1989, p. 46 s., ch. 31-34; p. 251 s., ch. 5-8; p. 269 s., ch. 42; p. 499 s.; Giorgio Malinverni, Les Pactes et la protection des droits de l’homme dans le cadre européen, in La Suisse et les Pactes des Nations unies relatifs aux droits de l’homme, Bâle 1991, p. 50 ch. 4; Observation générale n° 18 adoptée le 9 novembre 1989 par le Comité des droits de l’homme, ibidem, p. 176; Claude Rouiller, Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, in RDS 111/1992 I p. 115/116).

d) Certes, l’art. 4 Cst. n’empêche en principe pas les cantons de traiter différemment, d’une part, les avocats établis dans un canton ou autorisés à y exercer de façon permanente, et, d’autre part, les avocats établis dans un autre canton. Traditionnellement, un traitement différent peut se justifier par l’autonomie d’organisation des cantons au sein de la Confédération, par la nécessité d’une maîtrise du droit cantonal pour la défense efficace des justiciables dans des affaires complexes, par les coûts généralement plus élevés entraînés par le recours à un avocat établi hors du canton, en raison notamment des déplacements, ainsi que par la nécessaire surveillance des avocats par les autorités étatiques ou par les organisations professionnelles du canton où ils sont établis (ATF 60 I 12 consid. 2; voir aussi ATF 113 Ia 69 consid. 5c, 95 I 409 consid. 5).

En l’espèce toutefois, le refus d’envoyer le dossier à l’extérieur du canton de Vaud est clairement disproportionné au regard du but prétendument visé (maintien du dossier en bon état et respect des conditions posées par l’ordre des avocats vaudois). L’autorité intimée elle-même reconnaît que l’affaire ne présente aucune complexité. On ne saurait admettre avec elle, de façon toute générale, que « l’envoi systématique de dossiers hors du canton représenterait une entrave évidente à l’instruction des affaires ». Dans une affaire simple relevant de la compétence d’un tribunal des mineurs, le choix d’un défenseur externe au canton, mais bénéficiant d’une relation de confiance avec l’accusé, représente un avantage objectif non négligeable. L’autorité intimée se devait donc de faciliter et d’accélérer le déroulement de la procédure – en contribuant ainsi à en réduire les coûts – par l’envoi du dossier de l’affaire à l’étude de l’avocat établi hors du canton.

L’argument tiré du respect des règles disciplinaires de l’ordre des avocats vaudois n’est pas non plus déterminant. On peut, de manière générale, présumer que les avocats régulièrement inscrits au barreau d’un canton présentent, en matière de déontologie, des garanties équivalentes, attachées à la délivrance du brevet de capacité cantonal; cette présomption vaut a fortiori pour les avocats bénéficiant d’une autorisation permanente de plaider dans le canton d’accueil. L’autorité intimée ne prétend pas que Me D. ait violé les obligations que comporte l’autorisation générale de plaider dans le canton de Vaud. Le refus d’envoyer le dossier de l’affaire à l’étude de cet avocat constitue donc une violation manifeste du principe de la proportionnalité; il viole également l’art. 6 CEDH, car en matière d’accès à la justice et aux tribunaux, « un obstacle de fait [en l’occurrence, les coûts supplémentaires liés au déplacement de l’avocat] peut enfreindre la Convention à l’égal d’un obstacle juridique » (arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans la cause Airey, du 9 octobre 1979, Série A n° 32, par. 25).

e) La mesure contestée apparaît également anachronique au regard du concordat de 1992 sur l’entraide judiciaire et la coopération intercantonale en matière pénale (RS 351.71), auquel les cantons de Vaud et de Neuchâtel ont adhéré. Dans le but de lutter plus efficacement contre la criminalité, les cantons concordataires favorisent la coopération intercantonale en donnant aux autorités judiciaires la compétence d’accomplir, selon leur propre droit de procédure, des actes dans un autre canton, en dérogeant ainsi au principe de la territorialité inscrit à l’art. 355 al. 2 CP (voir Gérard Piquerez, Le concordat sur l’entraide judiciaire et la coopération intercantonale en matière pénale, Revue fribourgeoise de jurisprudence 3/1994 p. 1-31). Les facilités reconnues par les cantons concordataires aux autorités d’instruction et de répression, notamment en ce qui concerne les notifications postales directes (art. 7 du concordat) et la correspondance directe (art. 15), doivent aujourd’hui avoir comme corollaire la re-connaissance de commodités analogues dans les communications officielles entre ces autorités et les avocats appelés à assister des justiciables devant les juridictions d’un canton autre que celui où ils sont établis. Si ces avocats, membres d’un barreau cantonal, sont dûment mandatés, ils bénéficient en principe du droit de recevoir par la voie postale le dossier à leur étude hors du canton, à tout le moins lorsque ce droit est reconnu aux avocats ayant une étude dans le canton où se déroule la procédure. Ce droit peut être déduit de l’art. 4 Cst., de l’art. 6 par. 3 let. b CEDH en liaison avec l’art. 14 CEDH et de l’art. 14 Pacte ONU II; il se déduit également de l’art. 60 Cst. qui prévoit, de manière plus spécifique, le droit des « citoyens des autres Etats confédérés » – par quoi il faut entendre, aujourd’hui, les justiciables de ces cantons – d’être traités de manière non discriminatoire « pour tout ce qui concerne les voies juridiques ». On peut en effet admettre que l’art. 60 Cst. consacre, dans les rapports intercantonaux, un droit de non-discrimination procédurale analogue à celui qui existe aujourd’hui entre Etats membres de l’Union européenne par l’effet du droit communautaire (Olivier Jacot-Guillarmod, Le juge suisse face au droit européen, RDS 112/1993 II p. 227 et s., 468, 500 et 503). L’arrêt attaqué se révèle ainsi contraire aux dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées.

4. – a) Les recourants soutiennent que l’arrêt attaqué viole de surcroît les art. 31 Cst. et 5 Disp. trans. Cst. La profession d’avocat est une activité lucrative privée dont le libre exercice, sur tout le territoire de la Confédération, est garanti par l’art. 31 Cst. (ATF 119 Ia 41 consid. 4a, 112 Ia 318 consid. 2a). Elle fait partie des professions libérales pour lesquelles les cantons ont la faculté d’exiger, sur la base de l’art. 33 al. 1 Cst., une preuve de capacité de la part des personnes qui veulent l’exercer. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi fédérale prévue par l’art. 33 al. 2 Cst. (voir à ce propos l’esquisse d’une loi-cadre fédérale sur la libre circulation des avocats, du 22 avril 1993, élaborée par la Commission « Reconnaissance des brevets d’avocats » de la Fédération suisse des avocats, Bulletin de la FSA 147/1993, p. 1113), les certificats de capacité délivrés par chaque canton doivent être reconnus dans toute la Suisse en vertu de la clause de libre passage énoncée à l’art. 5 Disp. trans. Cst.

b) Le Tribunal fédéral a, depuis longtemps, jugé que la portée de l’art. 5 Disp. trans. Cst. ne se limite pas à la seule reconnaissance des certificats de capacité. Selon la jurisprudence, cette disposition garantit d’une façon générale la libre circulation intercantonale des avocats: elle impose l’égalité, dans et devant la législation de chaque canton, de tous les avocats établis en Suisse et détenteurs d’un certificat de capacité. Une procédure d’autorisation – générale ou limitée à une affaire déterminée, selon le choix du requérant (ATF 89 I 366 consid. 2) – peut certes être instituée pour les avocats externes au canton, mais l’art. 5 Disp. trans. Cst. interdit toute condition ou charge discriminatoire qui aurait pour effet d’empêcher – ou de rendre excessivement difficile – l’accès de ces avocats aux tribunaux du canton d’accueil (ATF 39 I 48 p. 51/52, 65 I 4 p. 6/7, 67 I 192 p. 199; voir aussi ATF 119 Ia 35 consid. 1). Il est ainsi inadmissible d’exiger d’un avocat externe qu’il se constitue un domicile professionnel dans le canton d’accueil (ATF 39 I 48, 65 I 4, 80 I 146); de même, l’avocat externe souhaitant occuper seulement dans une cause déterminée ne peut pas être contraint de fournir des sûretés importantes (ATF 42 I 277), ni d’accepter des mandats d’avocat d’office (ATF 67 I 332). S’il a assumé un tel mandat, il peut exiger des indemnités calculées de la même façon que celles versées en pareil cas à un avocat établi dans le canton (ATF 89 I 366).

c) La liberté économique reconnue à l’avocat par l’art. 31 Cst. interdit toute discrimination, du type de celle qui est dénoncée dans la présente affaire, fondée sur le domicile de la personne qui offre ses services. Il convient en effet de ne pas sous-estimer les incidences économiques des règles de procédure cantonales et des réglementations professionnelles qui ont sinon pour but, du moins comme effet de consacrer un « compartimentage cantonal » empêchant l’ouverture des marchés (Pierre Tercier, Les avocats et la concurrence, Bulletin de la Fédération suisse des avocats 1996, p. 4 s., p. 6-7). Sauf motif impérieux d’intérêt public, non démontré en l’espèce, constitue une restriction inadmissible à la liberté du commerce et de l’industrie le fait pour un avocat établi dans un canton (canton d’établissement), effectuant une libre prestation de service intercantonale en plaidant devant les tribunaux d’un autre canton (canton d’accueil), de devoir consulter le dossier de l’affaire sur le territoire du canton d’accueil, lorsque les avocats établis dans ce dernier canton peuvent recevoir le dossier à leur domicile professionnel. Même en l’absence de la loi fédérale prévue par l’art. 33 al. 2 Cst., l’effet utile des art. 31, 60 et 5 Disp. trans. Cst. exige que les avocats régulièrement inscrits au barreau d’un canton puissent librement et sans discrimination fournir des services dans d’autres cantons (sur l’ensemble de ces questions, voir Fritz Rothenbühler, Freizügigkeit für Anwälte – Grundzüge des schweizerischen und europäischen Anwaltsrechts unter besonderer Berücksichtigung der Freizügigkeit, thèse Fribourg, Berne 1995, p. 69-71 et p. 221-258; Dominique Dreyer, L’avocat dans la société actuelle: de la nécessité de passer du xixe siècle au xxie siècle, RDS 115/1996 II p. 395 s., p. 438-453).

d) Ce constat s’impose d’autant plus à l’approche de l’entrée en vigueur, le 1er juillet 1996, de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI; RS 943.02) qui a pour but de favoriser la libre prestation intercantonale des services dans toutes les activités économiques privées (message du Conseil fédéral du 23 novembre 1994; FF 1995 I 1193). Cette loi prévoit, à son art. 3, que la liberté d’accès au marché d’autres cantons ne peut être restreinte, en fonction des prescriptions applicables au lieu de destination, que si ces restrictions s’appliquent de la même façon aux offreurs locaux et répondent à la préservation d’intérêts publics prépondérants et au principe de la proportionnalité. Selon l’alinéa 4 de cette disposition, ces restrictions ne doivent de surcroît en aucun cas constituer un obstacle déguisé aux échanges, destiné à favoriser les intérêts économiques locaux (voir Thomas Cottier/Manfred Wagner, Das neue Bundesgesetz über den Binnenmarkt, PJA 1995, p. 15821590). Cette nouvelle loi favorisera la mise en œuvre effective de la liberté économique garantie par l’art. 31 Cst. Toutefois, aujourd’hui déjà, l’art. 31 al. 1 Cst. comporte le droit d’exercer librement une activité lucrative hors du canton de domicile, en accédant au marché d’un autre canton (ATF 87 I 451 p. 456; Klaus Vallender, Wirtschaftsfreiheit und begrenzte Staatsverantwortung, Berne 1995, p. 66 ch. 26; Etienne Grisel, Liberté du commerce et de l’industrie, Berne 1993, vol. I p. 122 ch. 310). Selon la jurisprudence, les distinctions fondées sur le domicile ne pourraient être compatibles avec la Constitution que dans les cas exceptionnels où elles se révéleraient indispensables en raison de circonstances particulières, dont aucun exemple n’apparaît dans les affaires soumises jusqu’ici au Tribunal fédéral (ATF 106 Ia 126 consid. 2b; voir aussi ATF 116 Ia 355). L’éventualité de telles circonstances ayant été envisagée aussi dans le cas de professions libérales (ATF 42 I 277 p. 279/280, 67 I 192 p. 200), le régime de ces professions n’est à cet égard pas différent de celui des autres activités lucratives.

L’arrêt attaqué doit ainsi être annulé aussi pour violation des art. 31 Cst. et 5 Disp. trans. Cst.

SUI / 1997 / A07
Suisse / Tribunal fédéral / IIe Cour de droit public / 31-01-1997 / 2A.120-1996 / X. et Co c. Administration fédérale des contributions et Commission fédérale de recours en matière de contributions et Administration fédérale des contributions c. X. et Co et Commission fédérale des recours en matière de contributions / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.1.2.4.1 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personne morales – droit privé
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.3.6 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – liberté du commerce et de l’industrie

Branche économique (égalité au sein d’une même branche économique) – Concurrence –Taxe sur la valeur ajoutée

Taxe sur la valeur ajoutée – Qualité pour recourir de l’AFC – Pouvoir d’examen du Tribunal fédéral – Constitutionnalité de l’OTVA – Prestation de la restauration – Livraison à domicile – Taux ordinaire ou taux réduit – Produits comestibles et boissons – Principes constitutionnels de l’interdiction de l’arbitraire, de l’égalité de traitement et de la proportionnalité – Liberté du commerce et de l’industrie.

1. Qualité pour recourir de l’AFC (art. 103 let. b OJ et 54 al. 2 OTVA). Cette dernière n’est pas tenue de démontrer qu’elle a un intérêt digne de protection à former un recours de droit administratif, hormis la mise en danger de l’intérêt public dans un cas concret. Elle peut même, en vue d’une application uniforme du droit et pour des raisons tirées de l’économie de procédure, former un recours sur les motifs (consid. 2c).

2. Pouvoir d’examen du Tribunal fédéral s’agissant d’une ordonnance reposant directement sur la Constitution fédérale (ordonnance indépendante), telle l’OTVA. Il peut en contrôler la constitutionnalité, notamment sous l’angle du respect des principes constitutionnels et des droits fondamentaux, ainsi que de la liberté du commerce et de l’industrie (consid. 3).

3. Livraison à domicile de produits comestibles et de boissons: prestation de la restauration, soumise au taux normal, ou simple livraison imposable au taux réduit? Examen, sous l’angle des principes de l’égalité de traitement et de l’interdiction de l’arbitraire, du critère choisi à l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA pour définir une prestation de la restauration, à savoir la mise à disposition d’installations particulières pour la consommation sur place (consid. 6). Après analyse des projets de l’OTVA et de la future LTVA, du droit allemand, du droit français et des dispositions du droit communautaire, constat de l’inexistence d’un critère de délimitation communément admis (consid. 6e). Acceptation du critère retenu dans l’OTVA, lequel n’est pas dépourvu de sens et ne viole pas l’art. 4 Cst. (consid. 6f).

4. Légalité des Instructions à l’usage des assujettis et de la brochure s’adressant à la branche de « L’hôtellerie et de la restauration »:

l’interprétation de l’AFC selon laquelle il y a prestation de la restauration lorsqu’il existe une possibilité de consommer sur place, indépendamment du fait que le client fasse ou non usage de cette possibilité, apparaît compatible avec le but poursuivi par l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA et ne contredit pas la systématique de l’OTVA (consid. 7b);

l’interprétation retenue par l’AFC n’est pas non plus constitutive d’une violation de l’égalité de traitement, du moment que le restaurateur peut aussi bénéficier, comme les commerces de détail, du taux réduit pour ses livraisons à domicile à condition qu’il exerce cette activité de manière séparée (consid. 8b).

5. Principe de la proportionnalité. L’AFC a la compétence d’édicter des directives qui permettent un contrôle efficace de l’impôt (art. 42 OTVA). En ce sens, il n’apparaît pas disproportionné que l’AFC exige de la part des entreprises de restauration qui font également des livraisons à domicile de produits comestibles et de boissons (en l’espèce des pizzas) qu’elles prennent des mesures sur le plan de l’organisation, afin de séparer leurs différentes activités (consid. 9b). En revanche, l’exigence de locaux séparés pour l’application du taux réduit viole le principe de la proportionnalité (consid. 9c). Problématique des ventes à l’emporter laissée ouverte (consid. 9d).

6. Absence de violation du principe de la neutralité concurrentielle (consid. 10).

(…) Par courrier du 14 mars 1995, la contribuable demanda à l’Administration fédérale des contributions de rendre une décision (art. 51 al. 1 let. f OTVA) constatant qu’une entreprise de restauration doit, comme les commerces de détail, soumettre au taux réduit de 2% ses livraisons à domicile sans service.

Par décision du 27 mars 1995, confirmée sur réclamation le 31 mai 1995, l’Administration fédérale des contributions constata:

« que les livraisons à domicile effectuées par des entreprises disposant d’installations permettant la consommation sur place sont imposables au taux de 6,5%, à moins que la vente ne soit faite à partir de locaux séparés tant sur le plan de la situation que sur le plan de l’organisation. »

(…)

La Commission fédérale de recours en matière de contributions considéra que l’élément caractéristique retenu dans l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA pour distinguer les prestations de la restauration des livraisons de produits comestibles et de boissons soit la mise à disposition d’installations particulières pour la consommation indépendamment du fait qu’elles soient utilisées ou non ne reposait pas sur un motif objectif sérieux et était arbitraire; au surplus, cette réglementation conduisait à une inégalité de traitement puisque des prestations identiques étaient imposées à des taux différents, suivant qu’elles étaient fournies par une entreprise de restauration ou un magasin d’alimentation. Il se justifiait plutôt de partir de l’aspect économique du processus. La livraison à domicile de pizzas devait être qualifiée d’opération mixte se composant d’une part de la livraison d’un objet (vente d’un produit comestible) et d’autre part d’un élément de prestation de services (chauffage, maintien de la chaleur, transport, etc.). La façon dont se déroulait l’opération montrait que les éléments de prestations de services étaient plus importants que les composantes de livraison. Par conséquent, l’opération devait être qualifiée dans son ensemble de prestation de la restauration imposable au taux de 6,5%.

C. Aussi bien la contribuable que l’Administration fédérale des contributions ont formé un recours de droit administratif contre cette décision.

a) En particulier, la contribuable conclut à ce que la décision attaquée soit annulée et à ce qu’il soit constaté que ses livraisons à domicile de pizzas prêtes à être consommées sont soumises au taux de 2%; subsidiairement, elle demande qu’il soit établi que les livraisons à domicile de pizzas prêtes à être consommées, faites par des entreprises n’appartenant pas à la branche de la restauration, sont imposables à 6,5%. Elle invoque une constatation inexacte des faits et une violation du droit fédéral. Elle admet que l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA peut être interprété de manière conforme à la Constitution fédérale, pourtant l’interprétation qu’en retire l’Administration fédérale des contributions exigence de locaux séparés de l’entreprise de restauration tant sur le plan de la situation que sur le plan de l’organisation viole les principes de l’égalité de traitement et de la liberté du commerce et de l’industrie. Le seul élément véritablement caractéristique d’une prestation de la restauration est la mise à disposition d’installations permettant la consommation sur place, ce qui n’est pas le cas lors des livraisons à domicile. Avec cette interprétation sont préservées non seulement l’égalité de traitement, mais aussi la neutralité concurrentielle entre les entreprises de la branche de la restauration et les magasins d’alimentation. L’instance inférieure fait fausse route en opérant la distinction entre prestation principale et prestation accessoire en rapport avec les composantes de livraison et de prestation de services de l’opération, parce que les différentes activités effectuées lors des livraisons à domicile ne peuvent pas être élevées au rang de prestations principales ou accessoires.

b) L’Administration fédérale des contributions conclut à l’annulation de la décision de la Commission fédérale de recours en matière de contributions et à ce qu’il soit constaté que les livraisons à domicile de produits comestibles et de boissons par des entreprises disposant d’installations servant à la consommation sur place sont imposables au taux de 6,5%, à moins que la vente n’intervienne dans des locaux séparés tant sur le plan de la situation que sur le plan de l’organisation. Subsidiairement, cette constatation doit être limitée aux livraisons à domicile de pizzas et à la personne de la contribuable, l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 deuxième tiret étant en même temps déclaré constitutionnel, et la cause renvoyée à l’instance inférieure afin que cette dernière tranche le recours de la contribuable également en ce qui concerne ses livraisons à domicile d’autres produits comestibles et de boissons.

c) La contribuable conclut au rejet du recours de l’Administration fédérale des contributions dans la mesure où il est recevable. L’Administration fédérale des contributions conclut à l’admission du recours de la contribuable dans la mesure où elle demande l’annulation de la décision attaquée et à son rejet pour le surplus. La Commission fédérale de recours en matière de contributions a renoncé à présenter des observations.

Considérants:

(…)

b) La contribuable a un intérêt digne de protection au sens de l’art. 103 let. a OJ à faire constater que les pizzas qu’elle livre à domicile sont soumises à la TVA au taux réduit de 2% et non au taux ordinaire de 6,5%. Elle est de ce fait légitimée à attaquer par la voie du recours de droit administratif la décision de la Commission fédérale de recours en matière de contributions dans le but d’obtenir une imposition plus avantageuse à son égard.

Sa conclusion subsidiaire tendant à ce qu’il soit constaté que les livraisons à domicile de pizzas effectuées par des entreprises n’appartenant pas au secteur de la restauration sont imposables au taux de 6,5% n’est en revanche pas recevable. Selon l’art. 51 al. 1let. f OTVA, l’Administration fédérale des contributions rend, d’office ou sur demande de l’assujetti, une décision lorsque « préventivement, dans un cas d’espèce, la détermination d’office de l’assujettissement, de la dette fiscale, du droit à la déduction de l’impôt préalable, de la base de calcul de l’impôt, du taux applicable ou de la responsabilité solidaire fait l’objet d’une demande ou semble s’imposer ». Cette disposition est manifestement construite sur le modèle de l’art. 5 al. 1 let. a de l’Arrêté du Conseil fédéral du 29 juillet 1941 instituant un impôt sur le chiffre d’affaires, disposition qui a fait l’objet d’une jurisprudence abondante. D’après celle-ci, l’assujetti pouvait déjà demander à l’Administration fédérale des contributions de rendre une décision en constatation pour un cas déterminé, même si ce dernier ne s’était pas encore réalisé dans son entreprise (Administration fédérale des contributions, 28 juin 1955, Archives 24 p. 144). En revanche, le contribuable ne pouvait pas en sortant d’un cas concret exiger une certaine imposition pour une branche entière (Tribunal fédéral, 22 décembre 1976, Archives 46 p. 195). Cela résulte du fait qu’une décision en constatation doit régler un rapport juridique individuel et concret (ATF 102 V 148 consid. 1; voir Fritz Gygi, Bundesverwaltungsrechtspflege, 2e éd. 1983, p. 144). De ce fait, il ne peut pas être entré en matière sur la conclusion en constatation de la contribuable portant sur les entreprises n’appartenant pas à la branche de la restauration. Ces entreprises ne sont pas non plus parties à la présente procédure, raison pour laquelle il est interdit de rendre une décision à leur égard. Mais, cela n’exclut pas que la contribuable puisse faire valoir une inégalité de traitement inconstitutionnelle par rapport à de telles entreprises.

(…)

b) L’instance inférieure considère cette disposition comme inconstitutionnelle par rapport à l’art. 4 Cst., parce qu’il n’existe aucun rapport objectivement relevant entre le critère de la mise à disposition « d’installations particulières » pour la consommation sur place par le fournisseur de la prestation et la prestation elle-même; il n’y a pas le moindre lien de causalité entre, d’une part, les tables et les chaises mises à disposition par la contribuable et, d’autre part, les livraisons à domicile des pizzas. Ce critère ne repose donc pas sur des motifs objectifs sérieux et est arbitraire. Il conduit également à une inégalité de traitement entre les magasins d’alimentation et les entreprises de restauration, parce qu’un commerçant (ne disposant pas d’installations pour la consommation) doit imposer au taux de 2% la livraison au domicile de ses clients d’une pizza prête à être consommée, alors que l’entreprise de restauration est soumise pour exactement la même livraison à domicile au taux de 6,5%.

En revanche, l’Administration fédérale des contributions considère comme constitutionnelle la définition des prestations de la restauration contenue à l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA. Cette disposition englobe deux sortes de prestations qui ne sont pas imposables au taux réduit de 2%: d’une part, toutes les opérations d’un assujetti qui tient à disposition des installations pour la consommation sur place (indépendamment du fait qu’elles soient ou non utilisées par le client) et, d’autre part, les cas non litigieux en l’espèce où des repas et des boissons sont préparés ou servis chez le client (ou dans un lieu désigné par lui). Le but de cette réglementation est de mettre sur un pied d’égalité les entreprises de restauration avec les entreprises du secteur de la paragastronomie comme des stands de marché équipés de tables et de chaises, des party services ou des services de livraison à domicile. L’égalité de traitement est préservée par la possibilité dont dispose le restaurateur de procéder aux livraisons à domicile et aux ventes à l’emporter depuis des locaux séparés de son entreprise de restauration tant sur le plan de la situation que de l’organisation; par ce moyen, il peut aussi bénéficier de l’imposition au taux réduit de 2% (Instructions à l’usage des assujettis TVA, ch. 213, 234, 244; Brochure n° 10 s’adressant à la branche de « L’hôtellerie et de la restauration », ch. 2.20, 2.26).

La contribuable admet que l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA peut être interprété conformément à la Constitution fédérale. Dans cette perspective, il n’est pas critiquable que pour déterminer les prestations de la restauration, il ait été examiné si des installations servant à la consommation sur place ont été tenues à disposition par l’entreprise de restauration; ce critère permet de distinguer les prestations de la restauration des livraisons d’aliments. Il est pourtant nécessaire que la clientèle ait la possibilité d’utiliser ces installations. Or, en cas de livraison à domicile ou de ventes à l’emporter, cette condition n’est pas remplie. L’imposition de ces livraisons au taux ordinaire de 6,5% viole le principe de l’égalité de traitement ainsi que la liberté du commerce et de l’industrie.

c) Ni l’instance inférieure ni les parties n’allèguent que l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA n’est pas conforme à l’art. 41ter Cst. ou à l’art. 8 disp. trans. Cst.

6. Il se justifie ensuite d’examiner si la description des prestations de la restauration contenue dans l’art. 27 al. 1 let. a OTVA respecte les interdictions de l’inégalité de traitement et de l’arbitraire résultant de l’art. 4 Cst. Est particulièrement visé le critère de distinction posé par l’auteur de l’ordonnance, qui doit servir à séparer les prestations de la restauration des autres prestations de services et livraisons, et qui consiste en la mise à disposition d’installations pour la consommation sur place.

a) Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente (ATF 118 Ia 1 consid. 3a; 116 Ia 81 consid. 6b, 113 consid. 2c).

b) La distinction entre les prestations de la restauration et les livraisons de marchandises a déjà donné lieu à des discussions lors des travaux préparatoires de l’ordonnance régissant la taxe sur la valeur ajoutée. Le projet d’ordonnance régissant la taxe sur la valeur ajoutée du 28 octobre 1993 indiquait que les denrées alimentaires solides et liquides étaient imposables au taux réduit à l’exclusion des boissons alcooliques, ainsi que les repas cuisinés, livrés au consommateur (« … mit Ausnahme der alkoholischen Getränke sowie der Lieferung konsumfertiger Mahlzeiten an Endverbraucher »). Les chiffres d’affaires résultant des repas cuisinés livrés au consommateur devaient, selon le commentaire accompagnant le projet d’ordonnance (art. 28), d’une manière générale valoir comme prestations de la restauration, le fait que les consommateurs puissent ou non trouver sur place des installations à leur intention ou se faire servir n’important aucunement.

Avec cette description des chiffres d’affaires imposables au taux normal, les entreprises du secteur de la paragastronomie comme les stands de marché, les party services, les services de livraison à domicile, etc… devaient pour des raisons de neutralité concurrentielle être mises sur un pied d’égalité avec la restauration traditionnelle. Au cours de la procédure de consultation, les cercles intéressés attirèrent l’attention sur le fait que le concept de « repas cuisinés » était difficile à appliquer en pratique et conduirait à des solutions arbitraires. A la place, il fut proposé d’utiliser la formulation de « (repas) destiné à la consommation sur place » ou « … sur place dans des locaux spécialement aménagés à cet effet ». La Fédération suisse des cafetiers, restaurateurs et hôteliers et la Fédération suisse du tourisme prirent sans condition le parti du maintien de la notion de « repas cuisiné » et la société suisse des hôteliers trouva que c’était à bon droit que le projet faisait abstraction de l’exigence d’un aménagement destiné à la consommation sur place; l’égalité fiscale entre les branches de la restauration et de la paragastronomie était considérée comme de première importance (Rapport du Département fédéral des finances relatif à la procédure de consultation concernant le projet d’ordonnance régissant la taxe sur la valeur ajoutée du 28 octobre 1993). Le Conseil fédéral a, pour des raisons pratiques, renoncé à utiliser dans la version définitive de l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA la notion de « repas cuisinés » pour la remplacer par le critère de la mise à disposition « d’installations particulières » pour la consommation sur place.

c) Dans l’avant projet de loi fédérale sur la taxe sur la valeur ajoutée du 28 août 1995, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national a proposé de rédiger les deux dernières phrases de l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 deuxième tiret LTVA comme suit:

« … Le taux de 2 pour cent ne s’applique pas aux produits comestibles et aux boissons délivrés dans le cadre de prestations de la restauration. La livraison de produits comestibles et de boissons par un assujetti n’est pas considérée comme une prestation de restauration si aucune prestation de services complémentaire n’est fournie au lieu de consommation » (art. 34 al. 1 let. a ch. 1 du projet).

Cette formulation doit selon le rapport de la Commission sur le projet de loi prévenir une inégalité de traitement entre les différents assujettis fournisseurs de produits alimentaires et de boissons; le critère déterminant pour les prestations de la restauration est le service; le taux réduit s’applique par exemple également lorsqu’une entreprise de restauration procède à une livraison « à l’emporter ». Cette nouvelle rédaction n’a pas donné lieu à des remarques particulières lors de la procédure de consultation mis à part le vœu d’une définition claire des termes produits comestibles et boissons (Rapport de la commission d’experts relatif à la procédure de consultation concernant le projet de loi régissant la taxe sur la valeur ajoutée du 15 avril 1996, publié dans la FF 1996 V 831, p. 861).

d) Le droit allemand, auquel les parties se réfèrent, prévoit que le taux réduit est appliqué « aux livraisons, aux prestations à soi-même, à l’importation et à l’acquisition intracommunautaire » de différents aliments et boissons. Cela n’est pourtant pas valable:

« pour la livraison d’aliments et de boissons pour la consommation sur place. Des aliments et des boissons sont livrés pour la consommation sur place lorsque, selon les circonstances de la livraison, ils sont destinés à être consommés en un endroit qui est en rapport avec le lieu de la livraison et que des installations particulières pour la consommation sur place sont tenues à disposition. » (§ 12 al. 2 ch. 1 Umsatzsteuergesetz/UStG 1993).

Selon la doctrine, une livraison d’aliments et de boissons « destinée à la consommation sur place » présuppose (1) que des installations particulières pour la consommation sur place soient tenues à disposition, (2) que les aliments et les boissons soient selon les circonstances de la livraison destinés à être consommés sur place et (3) qu’il existe un lien spatial entre le lieu de la livraison et l’endroit de la consommation. Les livraisons à domicile d’aliments et de boissons ne tombent pas sous cette disposition et profitent de ce fait d’une imposition au taux réduit, de même que les ventes à l’emporter ou à partir de stands, dans la mesure où le fournisseur de la prestation ne tient à disposition aucune installation pour la consommation sur place (Birkenfeld, Das grosse Umsatzsteuer handbuch, § 142, n° 38-61; Sölch/Ringleb/List, Umsatzsteuergesetz, § 12, n° 21-24; Rau/Dürrwächter, Kommentar zum Umsatzsteuergesetz, § 12 al. 2, n° 1 et 2, ch. 90-107).

Le droit français prévoit également l’imposition au taux réduit de la livraison de produits comestibles et de boissons à l’exception des boissons alcoolisées et de certains produits (sucres, chocolats, margarines, graisses végétales, caviar, etc., art. 278bis du Code général des impôts 1995). La vente à l’emporter est aussi imposée au taux réduit. En revanche, la vente d’aliments pour la consommation sur place représente une prestation de services imposable au taux normal. La restauration rapide tombe également dans ce cadre (Ministère du budget, Direction générale des impôts, Précis de fiscalité 1994, vol. 1, ch. 2335 s.; JeanJacques Philippe, La TVA à l’heure européenne, p. 190/191). Jacques Philippe, La TVA à l’heure européenne, p. 190/191).

En ce qui concerne le droit communautaire lui-même, celui-ci ne contient aucune réglementation sur l’imposition des prestations de la restauration.

e) Ce tour d’horizon démontre qu’il n’existe manifestement pas de critère communément admis pour délimiter les prestations de la restauration soumises au taux normal des livraisons de produits comestibles et de boissons imposables au taux réduit.

Selon le droit allemand, par « repas », au sens du § 12 al. 2 ch. 1 UStG, on entend spécialement des aliments cuisinés; toutefois, l’application du taux général n’est pas limité à la livraison de tels mets; au contraire, tous les aliments qui sont livrés prêts à être consommés entrent dans cette catégorie (Sölch/Ringleb/List, op. cit., § 12 n° 22-24). Le Conseil fédéral a, pour des raisons pratiques, renoncé à utiliser la notion de « repas cuisiné ». Un deuxième critère de distinction est dégagé aussi bien par le législateur allemand que par le Conseil fédéral: il s’agit des installations particulières pour la consommation sur place. Le droit français fait référence à la notion de consommation sur place sans spécifier si des installations spéciales pour la consommation doivent être tenues à disposition. La délimitation du droit allemand exclut largement les entreprises du secteur de la paragastronomie de l’imposition au taux normal. Le Conseil fédéral veut au contraire voir le secteur de la paragastronomie (au sens large du terme) expressément soumis au taux ordinaire et, dans ce but, il a précisé à l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA qu’il y a également prestation de la restauration lorsque l’assujetti prépare ou sert des produits comestibles et des boissons chez le client.

Enfin, la proposition de la contribuable de qualifier la remise de produits comestibles et de boissons de manière uniforme soit comme une « livraison de biens » (art. 5 OTVA), soit comme une « prestation de services » (art. 6 OTVA) ne permet pas d’arriver à une meilleure distinction. Comme l’Administration fédérale des contributions le fait remarquer à juste titre, une livraison de biens peut aussi contenir des prestations de services (par ex. reposant sur un contrat d’entreprise ou de mandat, voir l’art. 5 al. 2 OTVA). Les lois fiscales étrangères ne semblent pas accorder une grande importance à une telle distinction. Dès lors, il ne suffit pas simplement de qualifier les livraisons de produits comestibles et de boissons de « livraisons de biens » pour que le taux réduit puisse être appliqué; il faut encore s’assurer que la livraison ne contient aucune prestation de la restauration.

f) A la lumière de ces considérations, il ne peut pas être affirmé que le critère de distinction choisi par l’auteur de l’ordonnance à savoir la mise à disposition d’installations particulières pour la consommation sur place est dépourvu de sens. Au contraire, la possibilité de pouvoir consommer sur place des mets et des boissons, par exemple à une table, de même que la préparation de repas et de boissons ou le fait de les servir chez le client, apparaissent comme des éléments essentiels d’une prestation de la restauration.

De même, le principe de l’égalité de traitement au sens de l’art. 4 Cst. n’est pas violé. Il est vrai que les magasins de détail doivent imposer au taux de 2% la vente d’aliments et de boissons, tandis que les restaurants doivent parfois verser une TVA de 6,5% sur les mêmes produits comestibles et boissons. Toutefois, cette solution est déjà prévue par la Constitution fédérale, dans la mesure où elle fixe des taux différents d’imposition. Sous cet angle, le critère de distinction choisi à l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA tient uniquement compte des différences entre les magasins de détail et les entreprises de restauration.

Par conséquent, l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA ne viole pas l’art. 4 Cst. Pour cette raison, il n’y a pas lieu d’examiner si les critères de distinction développés par l’instance inférieure sont fondés. Quoi qu’il en soit, il faut observer qu’elle a dû limiter sa décision aux livraisons à domicile de pizzas à l’exclusion d’autres produits comestibles et qu’elle a exigé pour l’application du taux ordinaire de la TVA qu’il s’agisse de pizzas prêtes à être consommées; ce critère n’est pas contenu dans l’OTVA. La différenciation selon la sorte de produits comestibles et de boissons livrée conduirait également dans la pratique à des distinctions difficilement praticables.

7. Il reste à considérer si l’interprétation faite par l’Administration fédérale des contributions de l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA, telle qu’elle ressort notamment des Instructions à l’usage des assujettis et de la brochure s’adressant à la branche de « L’hôtellerie et de la restauration », est conforme au droit fédéral. Ces directives expriment la position de l’administration quant à l’interprétation des dispositions applicables de la Constitution fédérale et de l’ordonnance et doivent instaurer une pratique administrative unifiée, mais elles ne lient pas le Tribunal fédéral (ATF 121 II 473 consid. 2b). D’abord, il faut rechercher si l’Administration fédérale des contributions a suffisamment tenu compte de la disposition elle-même, soit de l’art. 27 OTVA (présent consid. 7). Ensuite, il faudra examiner si l’interprétation faite de l’art. 27 OTVA par l’Administration fédérale des contributions respecte les principes supérieurs du droit, notamment ceux découlant de l’art. 4 Cst. (consid. 8 et 9).

a) Selon les Instructions à l’usage des assujettis (ch. 213 s., 217, 224), ainsi que la brochure à l’attention de la branche de « L’hôtellerie et de la restauration » (ch. 2.20) de l’Administration fédérale des contributions, la remise de produits comestibles et de boissons vaut toujours prestation de la restauration lorsqu’il existe une possibilité de consommer sur place. Il est sans importance que le client fasse usage ou non de cette possibilité ou même qu’il puisse en faire usage. Selon les directives de l’Administration fédérale des contributions, une exception ne peut être faite que lorsque l’entreprise de restauration fait les livraisons à domicile à partir d’un « kiosque » aussi bien séparé sur le plan de la situation que de l’organisation ou dans des locaux de vente séparés (Instructions ch. 244; Brochure ch. 2.26); dans ce cas, les livraisons à domicile sont soumises à la TVA au taux de 2%. La contribuable objecte que les livraisons à domicile devraient dans chaque cas en tant que « livraisons de produits comestibles et de boissons » être imposées au taux réduit de 2%.

Ni le texte de l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA ni les travaux préparatoires se rapportant à cette disposition ne permettent de déterminer si l’application du concept de « prestations de la restauration » et par ce biais du taux ordinaire de 6,5% exige que le client se trouve dans le restaurant ou s’il suffit que des installations servant à la consommation soient tenues à disposition au siège de l’entreprise. Il est cependant possible de répondre à cette question en partant du but de l’OTVA et de sa systématique.

b) Dans l’art. 8 al. 2 let. e ch. 1 disp. trans. Cst., le constituant a soumis au taux réduit de 2% certains biens de première nécessité qui figuraient déjà dans la liste franche de l’art. 14 de l’Arrêté fédéral instituant un impôt sur le chiffre d’affaires (BO CN 1993 p. 343). Des considérations de politique sociale ont fondé l’exonération contenue dans l’Arrêté fédéral instituant un impôt sur le chiffre d’affaires (cf. Dieter Metzger, Handbuch der Warenumsatzsteuer, n° 75 s.). Il est vrai que la Constitution fédérale a ainsi soumis au taux réduit de véritables articles de luxe. Par exemple, à la différence du droit français, la livraison de caviar n’est pas exclue du taux de 2%. Cela ne constitue toutefois pas un motif pour étendre le champ d’application du taux réduit. Eu égard aux motifs de politique sociale qui sont à la base de l’introduction d’un taux réduit, il n’apparaît pas nécessaire de soumettre au taux réduit les livraisons à domicile de produits comestibles et de boissons. L’interprétation de l’Administration fédérale des contributions, selon laquelle il y a prestation de la restauration lorsqu’il y a une possibilité de consommer sur place, apparaît donc compatible avec le but poursuivi par la disposition.

Cette interprétation permet aussi dans une large mesure d’englober dans le taux normal les entreprises du secteur de la paragastronomie, ce qui semble correspondre aux vœux des cercles intéressés. Sous cet angle, la contribuable se réfère manifestement au droit allemand qui impose au taux réduit les livraisons à domicile de produits comestibles par les restaurants. Elle omet cependant le fait que le § 12 al. 2 ch. 1 UStG exige expressément un lien de causalité entre le lieu de la livraison et l’endroit où le produit comestible doit être consommé (voir ci-avant consid. 6d). En ce qui concerne l’art. 34 du projet de loi sur la taxe sur la valeur ajoutée du 28 août 1995, celui-ci pose une condition supplémentaire consistant en la fourniture d’une prestation de services complémentaire au lieu de la livraison (voir ci-avant consid. 6c; le texte de la disposition est identique au projet de loi actuel figurant dans le rapport de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national du 28 août 1996, FF 1996 V 910). L’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA ne pose dans ce cadre aucune condition, de sorte qu’il apparaît que l’interprétation de l’Administration fédérale des contributions ne contredit pas la systématique de l’OTVA.

8. Il se pose alors la question de savoir si l’interprétation faite par l’Administration fédérale des contributions de l’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA résiste à un examen sous l’angle de l’art. 4 Cst. La recourante se plaint d’une inégalité de traitement constitutive d’une violation de l’art. 4 Cst.

a) Il est vrai que les livraisons à domicile de produits comestibles et de boissons faites par un restaurant sont imposées au taux normal, tandis que des livraisons semblables faites par des commerces de détail, des traiteurs et des livreurs de pizzas, qui ne tiennent pas à disposition d’installations particulières pour la consommation sur place, sont soumises au taux réduit. Dans cette mesure, l’entreprise invoque avec raison que l’Administration fédérale des contributions, lors de l’application des deux taux, introduit un élément subjectif en imposant dans chaque cas au taux normal les livraisons faites par un restaurant. De cette manière, la qualité du sujet de l’impôt influence la qualification fiscale de l’opération. L’OTVA n’interdit pourtant pas cela; l’art. 14 OTVA contient de nombreux exemples où la qualité de l’assujetti détermine le traitement fiscal de l’opération. L’Administration fédérale des contributions fait aussi remarquer avec raison que les prestations des commerces de détail et des pizza services d’un côté et des restaurants d’un autre côté ne sont pas sans autre comparables. Au demeurant, cette question n’a pas besoin d’être tranchée définitivement du moment que le grief de l’entreprise doit déjà être rejeté pour un autre motif.

b) L’art. 27 al. 1 let. a ch. 1 OTVA ne doit pas être pris en considération de manière isolée, mais vu dans le contexte des autres directives prises par l’Administration fédérale des contributions. La contribuable n’a plus à imposer ses livraisons à domicile au taux de 6,5% dans la mesure où elle fournit ses prestations à partir d’un local commercial séparé tant sur le plan de la situation que de l’organisation; dans ce cas, ses livraisons à domicile sont également soumises au taux réduit. Cette mesure permet qu’elle soit traitée comme un commerce d’alimentation qui exerce une activité mixte, c’est dire qui vend ou livre d’un côté des produits comestibles et des boissons et qui de l’autre côté fournit des prestations de la restauration (par ex. une boulangerie-pâtisserie avec un tea-room annexe). Dans un cas comme dans l’autre, les assujettis peuvent bénéficier du taux réduit pour les livraisons de produits comestibles et de boissons lorsqu’ils exercent cette activité de façon séparée. Il n’y a dès lors pas d’inégalité de traitement.

(…)

10. La contribuable invoque également le principe de la neutralité concurrentielle des mesures prises par l’Etat. Selon le principe de l’égalité de traitement des différents concurrents économiques, comme cela découle de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral sur l’art. 31 Cst. (ATF 121 I 279 consid. 4a), sont interdites les mesures qui faussent la concurrence entre les concurrents directs, respectivement celles qui ne sont pas neutres du point de vue de la concurrence. L’inégalité de traitement qui fait l’objet de la présente discussion trouve déjà cependant son fondement dans la Constitution fédérale, laquelle prévoit des taux différents et rend donc nécessaire des critères de délimitation du type de ceux dont il est ici question. Il doit pourtant être exigé qu’il ne soit pas créé de distorsions de concurrence inutiles et évitables. Ce n’est toutefois pas le cas ici. Il est seulement exigé de la contribuable qu’elle prenne sur le plan de l’organisation les mesures qui sont nécessaires afin de permettre un décompte correct de l’impôt; aucune violation du principe de la neutralité concurrentielle ne peut donc être constatée.

11. Vu ce qui précède, la constatation formulée par l’Administration fédérale des contributions sur la base de l’art. 51 al. 1 let. f OTVA en procédure de décision sur réclamation doit être précisée dans le sens que la contribuable doit imposer au taux de 6,5% ses livraisons à domicile de produits comestibles et de boissons dans la mesure où elle ne sépare pas sur le plan de l’organisation cette activité du reste de son entreprise de restauration. Avec cette constatation, ni la contribuable ni l’Administration fédérale des contributions n’obtiennent entièrement gain de cause. Quoi qu’il en soit, le recours de l’Administration fédérale des contributions est en principe fondé. Les deux recours sont par conséquent partiellement admis au sens des considérants qui précèdent et la décision attaquée annulée.

(…)

SUI / 1997 / A08
Suisse / Tribunal fédéral / Ire Cour de droit public / 19-03-1997 / 1P.173-1996 / G. et cons. c. Grand Conseil du canton de Soleure / résumé

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.4.2.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – sexe
5.2.4.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – discrimination positive
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux

Candidats (à une élection)

Art. 85 let. a de la loi fédérale d’organisation judiciaire (recours pour violation des droits politiques); déclaration de nullité de l’initiative populaire soleuroise « Pour une représentation à droits égaux des femmes et des hommes dans les autorités cantonales initiative 2001 ».

Rapport entre l’art. 4 al. 2 phrase 1 de la Constitution fédérale et l’art. 4 al. 2 phrase 2 de la Constitution fédérale. L’interdiction de la discrimination constitue une limitation relative de l’obligation de réaliser l’égalité; elle exclut des inégalités de traitement disproportionnées entre les sexes (consid. 3a et 3b).

Exigence de pesée des intérêts dans l’examen de l’admissibilité de mesures positives tendant à la réalisation effective de l’égalité des sexes (consid. 3b et 3d).

Conséquences de l’initiative, qui exige de façon impérative, et sans égard aux qualifications, que la représentation des femmes au parlement, au gouvernement et dans les tribunaux corresponde à leur part dans la population (consid. 4).

Examen de cette mesure selon les critères du principe de la proportionnalité (consid. 5 et 7). Le quota proposé représente une atteinte disproportionnée à l’interdiction de discrimination de l’art. 4 al. 2 phrase 1 de la Constitution fédérale (consid. 7). Dans la mesure où il s’applique à des autorités élues par le peuple, il viole le droit général et égal d’élire et d’être élu, garanti par le droit constitutionnel de la Confédération (consid. 8).

L’initiative populaire « Pour une représentation à droits égaux des femmes et des hommes dans les autorités cantonales initiative 2001 » tend à une modification de la Constitution du canton de Soleure. Elle exige que la représentation des femmes au parlement, au gouvernement et dans les tribunaux cantonaux corresponde à leur part dans la population. L’initiative a été déclarée nulle par le parlement cantonal pour violation de la Constitution fédérale et n’a donc pas été soumise au vote du peuple.

Les recourants se sont adressés au Tribunal fédéral par la voie du recours de droit public; ils demandent que la décision du parlement cantonal soit annulée et que le peuple du canton de Soleure soit appelé à se prononcer sur cette initiative. Le recours a été déclaré recevable mais a été rejeté par le Tribunal fédéral.

Selon l’art. 4 al. 2 de la Constitution fédérale, l’homme et la femme sont égaux en droits (phrase 1); la loi pourvoit à l’égalité, en particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail (phrase 2). Cet article veut créer une égalité de fait entre hommes et femmes dans la réalité sociale et tend ainsi à promouvoir une égalité des chances. Chacun doit disposer des mêmes possibilités pour prendre part à la vie sociale. Si les principes des deux phrases de l’art. 4 al. 2 de la Constitution fédérale entrent en conflit, celui-ci sera résolu par une pesée des intérêts en jeu.

En l’espèce, le texte de l’initiative améliore les chances des femmes tout en heurtant le principe de l’égalité entre hommes et femmes. Les femmes représentent dans le canton de Soleure 50,74% de l’ensemble de la population. L’initiative contestée aurait des conséquences rigoureuses tant lors d’élections pour le parlement que pour les tribunaux; elle s’appliquerait pour toute nouvelle élection de juges. Elle tend non seulement à réaliser une égalité des chances, mais à créer une égalité dans le résultat. L’initiative va ainsi au-delà du but constitutionnel.

Pour atteindre une représentation proportionnelle d’hommes et de femmes au parlement, au gouvernement et dans les tribunaux, d’autres mesures que celles proposées par l’initiative sont plus adéquates. Les partis politiques ont la possibilité de promouvoir l’activité des femmes par le choix ainsi que par le soutien des candidates. Par ailleurs, les femmes peuvent élire les candidates féminines et sont libres de se présenter comme candidates. L’évolution de ces dernières années démontre clairement une augmentation de la participation des femmes dans le domaine politique. Sous l’angle de la proportionnalité, il est en outre à relever que l’initiative ne prévoit pas d’exceptions et ne tient pas compte des qualifications requises pour les différents postes. L’initiative met finalement en danger le droit général et égal d’élire et d’être élu. Elle aurait pour conséquence qu’un candidat masculin ou féminin ne pourrait plus être élu et que le citoyen ne pourrait pas librement faire son choix dès lors que le nombre maximal de représentants d’un sexe n’est pas atteint.

SUI / 1997 / A09
Suisse / Tribunal fédéral / IIe Cour de droit public / 2-09-1997 / 2P.325-1996 / c. Contre Tribunal administratif du canton de Neuchâtel et Département des finances des affaires sociales du canton de Neuchâtel / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décision juridictionnelles
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Concubins

Art. 4 Cst.; impôt sur les successions; imposition des concubins.

La législation neuchâteloise en matière d’impôt sur les successions n’est pas contraire à l’art. 4 Cst. pour le motif qu’elle exonère ou impose les héritiers à un taux dépendant de leurs liens de parenté et non pas de leurs liens personnels avec le défunt, qu’elle ne prévoit pas de statut spécial pour les concubins et ne les assimile pas à un couple marié (consid. 27).

(…)

2. – a) L’intéressée prétend que la loi cantonale est arbitraire et contraire au principe de l’égalité de traitement dans la mesure où elle impose plus lourdement un concubin que n’importe quel autre parent du défunt avec lequel ce dernier n’avait peut-être aucune relation personnelle. Elle affirme à cet égard que la famille traditionnelle a perdu sa signification et que le droit fiscal ne peut plus se fonder exclusivement sur les liens familiaux mais doit également tenir compte du concubinage qui est aujourd’hui une forme de vie commune répandue et socialement acceptée, ce qui justifierait que les concubins soient traités comme les couples mariés. A l’appui de sa thèse, elle cite de la jurisprudence qui, à son avis, démontrerait que le concubinage est une communauté de vie comparable au mariage. Elle soutient en outre que les principes du droit privé successoral ne seraient pas pertinents en matière d’impôt sur les successions. Elle demande l’application par analogie des règles posées par le Tribunal fédéral au sujet de l’égalité de traitement entre époux et concubins en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.

b) Le principe de l’égalité de traitement issu de l’art. 4 al. 1 Cst. et celui de l’interdiction de l’arbitraire sont étroitement liés (ATF 110 Ia 7 consid. 2b p. 13; arrêt du 31 janvier 1992 in Revue fiscale 1992, p. 440 consid. 2b p. 442). Un arrêté de portée générale viole le principe de l’interdiction de l’arbitraire s’il ne repose pas sur des motifs objectifs sérieux ou s’il est dépourvu de sens et de but. Il est contraire au principe de l’égalité de traitement lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente; cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 123 II 16 consid. 6a p. 26; 122 I 305 consid. 6a p. 313 et la jurisprudence citée). L’inégalité de traitement apparaît ainsi comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable, ou inversement (Danielle YERSIN, L’Egalité de traitement en droit fiscal, RDS 1992, vol. II, p. 145 s., n. 44, p. 178).

(…)

4. – a) La loi cantonale prévoit un système selon lequel sauf dans les cas prévus à l’art. 5 al. 1 lettres f et g, les héritiers sont exonérés ou imposés à un taux de faveur en fonction des liens familiaux qui les unissaient au défunt. Les degrés de parenté sont ceux qui sont prévus par le code civil (cf. l’art. 16 al. 1 de la loi cantonale) et qui sont utilisés pour déterminer l’ordre et l’importance des dévolutions successorales (cf. art. 457s. et 470 s. CC). De plus, la loi cantonale ne fait pas de distinction entre les héritiers légaux ou institués mais se fonde uniquement sur le degré de parenté avec le défunt. Elle ne prend pas en considération les liens effectifs qui auraient pu exister entre ce dernier et le contribuable. Le conjoint survivant est ainsi soit exonéré, soit imposé à un taux réduit (art. 5 al. 1 lettres de et 17 lettre a de la loi cantonale), sans que l’existence d’une communauté conjugale effective ou sa durée au moment du décès de l’autre époux ne soient prises en considération. Peu importe également que les conjoints soient séparés de corps ou en instance de divorce au moment de ce décès.

b) La plupart des législations cantonales en matière d’impôt sur les successions et les donations prévoient, en principe, un taux d’imposition privilégié, voire une exonération, pour le conjoint survivant et les proches parents du défunt ou du donateur (cf. Archives 48 p. 656 consid. 4 p.660; Ernst HÖHN, Steuerrecht, 7e éd., Berne 1993, p. 494 et 502; Yvo HANGARTNER, Verfassungsrechtliche Fragen der Erbschafts und Schenkungssteuern, in Steuerrecht im Rechtsstaat, Festschrift für Prof. Dr. Francis Cagianut, Berne 1990, p. 73).

Un tel système, qui est également prévu par la loi cantonale (cf. consid. 3a et 4a), favorise notamment la réalisation des objectifs familiaux, sociaux et moraux à la base du droit privé successoral, en particulier l’ordre de succession des héritiers légaux et les réserves dont jouissent certains d’entre eux, tel le conjoint survivant (cf. les art. 457s. et 471 CC; sur ces objectifs, cf. notamment Paul PIOTET, Droit successoral, Traité de droit privé suisse, Tome IV, Fribourg 1975, par. 1 p. 16). Il vise en outre à protéger le mariage et la famille en raison du rôle important qu’ils assument au sein de la société (cf. HANGARTNER, op. cit., p. 7374). Il tient également compte du fait que le défunt et ses proches parents étaient soumis à certaines obligations légales mutuelles d’entretien et d’assistance (cf. art. 159 al. 2-3, 163, 276s. et 328s. CC) – qui n’incombent pas légalement aux concubins durant leur vie commune – et que la fortune du défunt doit permettre de subvenir aux besoins des survivants dont ce dernier devait assumer, en tout ou partie, l’entretien (cf. Emil KÜNG, Die Erbschafts und Schenkungssteuern, in Revue fiscale, 1971, p. 467 s., p. 469-470; Michel SIEVEKING, La Nature et l’objet de l’impôt sur les successions en Suisse, thèse Lausanne 1970, p. 10-11; Ernst BISSEGGER, Die Erbschaftssteuer und ihre Bedeutung für Volkswirtschaft und Sozialpolitik, thèse Berne 1923, p. 65-70).

c) En soi, une telle réglementation n’est pas contraire à l’art. 4 Cst. (cf. ATF 96 I 53 consid. 3a p.56; arrêt du 13 juillet 1984 in Repertorio di Giurisprudenza Patria 119/1986, p. 246 consid. 4a p. 251; Archives 48 p. 656 consid. 4 p. 660).

5. – a) Certes, ainsi que le soutient la recourante, le concubinage de longue durée présente des points communs avec la communauté conjugale, notamment en raison des liens et des devoirs moraux qui se créent entre les partenaires. La jurisprudence qu’elle cite n’est toutefois pas pertinente dans le cas particulier. Elle concerne en effet des arrêts en rapport avec les assurances sociales ou le droit civil et non pas avec le droit fiscal; elle n’a en outre pas la portée que l’intéressée entend lui donner.

En effet, en considérant que la concubine qui s’occupe du ménage et reçoit de son compagnon des prestations en nature (sous forme de nourriture et de logement), et éventuellement de l’argent de poche, doit être considérée contrairement à la femme mariée dans une situation semblable comme une personne exerçant une activité lucrative dépendante soumise à l’obligation de cotiser à l’assurance-vieillesse et survivants (ATF 110 V 1), le Tribunal fédéral des assurances ne supprime pas une différence de traitement entre conjoints et concubins, mais au contraire la consacre. Par ailleurs, en affirmant que l’art. 153 al. 1 CC selon lequel l’époux qui reçoit une rente à la suite d’un divorce, cesse d’y avoir droit s’il se remarie doit être appliqué par analogie au conjoint divorcé qui vit en concubinage, le Tribunal fédéral se fonde sur la notion d’abus de droit (cf. ATF 118 II 235 consid. 3a p. 237 et les références citées) qui n’est d’aucun secours à la recourante en l’espèce.

b) L’intéressée souhaite que l’impôt litigieux soit déterminé en fonction de l’intensité des liens entre le défunt et le contribuable; un tel système reposerait toutefois sur un critère qui n’est pas objectif et créerait de ce fait pour l’autorité fiscale des difficultés d’application quasiment insurmontables (cf. arrêt du 13 juillet 1984 in Repertorio di Giurisprudenza Patria 119/1986, p. 246 consid. 4b p. 251), en particulier dans certaines situations délicates, telle par exemple celle d’un défunt marié mais vivant en concubinage avec une autre femme. Un tel critère devrait en outre être appliqué non seulement au concubin mais également à tout contribuable qui, à défaut de liens familiaux, pourrait faire valoir des liens personnels étroits avec le défunt (tels par exemple un parrain, une marraine, un filleul); il conduirait de plus à une imposition plus lourde des parents ou des alliés qui n’avaient que peu ou pas de liens avec lui. Un tel système, privilégiant les liens personnels au détriment des liens familiaux, n’est pas exigé par l’art. 4 Cst. (cf. dans ce sens l’arrêt précité du 13 juillet 1984 in Repertorio di Giurisprudenza Patria 119/1986, p. 246 consid. 4b p. 251).

c) Par ailleurs, comme le législateur cantonal est autorisé à adopter des solutions forfaitaires propres à simplifier l’imposition (cf. ATF 114 Ia 221 consid. 6a p. 231-232; YERSIN, op. cit., n° 102 s., p. 209 s.; KÜNG, op. cit., p. 468), la proximité des rapports familiaux entre le défunt et l’héritier apparaît comme un critère aisément applicable et contrôlable par l’autorité fiscale ou par le contribuable, notamment grâce aux registres d’état civil, ce qui renforce également la sécurité juridique.

d) Au surplus, ni les législations des autres cantons en matière d’impôt sur les successions et les donations (cf. Die Steuern der Schweiz, IIIe Partie, Erbschafts und Schenkungssteuern, Vermögensverkehrssteuern, Verbrauchs und Aufwandsteuern, partie A), ni le modèle de loi concernant ces impôts établi en août 1983 par la Conférence des directeurs cantonaux des finances ne font des concubins une catégorie particulière de contribuables.

6. – a) Le Tribunal fédéral a certes examiné à plusieurs reprises la question de l’égalité de traitement entre conjoints et concubins en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (cf. ATF 120 Ia 343 et 329 et les références citées; Archives 63 p. 330 consid. 4a p. 334). Il a toutefois également précisé que cette jurisprudence ne pouvait être appliquée, sans autre examen, à l’impôt sur les gains immobiliers, dont la nature est différente de celle des contributions précitées (arrêt du 31 janvier 1992 in Revue fiscale 1992 p. 440 consid. 3b p. 443).

L’impôt litigieux est également d’une nature différente de celle des impôts sur le revenu et sur la fortune. En effet, ces derniers sont calculés en particulier selon un taux progressif dépendant uniquement de l’importance des revenus ou de la fortune imposables; lors de l’imposition d’un couple marié, les éléments imposables des deux conjoints sont additionnés (cf. HÖHN, op. cit., p. 165-166, 325 et 338). En matière d’impôt successoral, le canton de Neuchâtel perçoit, d’une part, l’impôt litigieux dont chaque héritier doit s’acquitter sur le montant de sa propre part successorale selon un taux variant, non pas en fonction du montant de celle ci, mais du lien de parenté l’unissant au défunt (cf. art. 17 de la loi cantonale), et, d’autre part, un « émolument » sur la masse successorale payé par tous les héritiers, solidairement entre eux, selon un taux qui varie en fonction du montant de l’actif net successoral (cf. art. 4 et 8 de la loi neuchâteloise du 10 novembre 1920 concernant l’application de l’article 551 du code civil suisse et la perception d’un émolument en cas de dévolution d’hérédité); que le contribuable soit marié ou non n’est pas déterminant pour la fixation de cette dernière contribution.

Au vu de ces éléments, il est dès lors douteux que la jurisprudence précitée concernant l’égalité de traitement entre conjoints et concubins soit applicable en l’espèce. L’arrêt cantonal cité à cet égard par la recourante laisse d’ailleurs la question indécise dans le cas de l’impôt successoral perçu par le canton de Berne (cf. arrêt du 25 octobre 1993 in Revue fiscale 1994 p. 80 consid. 4f p. 89).

b) Il faut en outre relever que C. a, semble il, exercé une activité lucrative à 60% durant sa vie commune avec D. et que, dans la mesure où les revenus des concubins sont imposés séparément alors que ceux des époux sont additionnés (cf. art. 12 al. 1 de la loi neuchâteloise du 9 juin 1964 sur les contributions directes et art. 13 al. 1 de l’arrêté du Conseil fédéral du 9 décembre 1940 concernant la perception d’un impôt fédéral direct, en vigueur jusqu’au 1er janvier 1995), elle a bénéficié durant toutes ces années d’une imposition plus favorable que si elle avait été mariée avec lui. Elle ne saurait remettre en cause, lorsqu’il se révèle défavorable, le statut qu’elle même et le défunt ont librement choisi. Au surplus, dans la mesure où elle prétend que l’impôt litigieux est notamment calculé sur la valeur d’un immeuble dont elle aurait en grande partie financé l’acquisition par le défunt, il lui appartenait de se prévaloir de sa créance au moment de la fixation de sa part successorale imposable (cf. art. 7 et 22 de la loi cantonale).

7. – Au vu de ce qui précède, force est de constater que la réglementation de l’impôt litigieux intimement liée au droit privé des successions ne peut être considérée comme contraire à l’art. 4 Cst. pour le motif qu’elle ne prévoit pas de statut particulier pour les concubins ou ne les assimile pas à un couple marié. Il n’incombe pas au Tribunal fédéral mais, le cas échéant, au législateur cantonal de modifier le système légal dans le sens voulu par l’intéressée.

III. Annexes

1. Note du Secrétariat de la Commission de Venise du 14 septembre 1998 relative à la coopération avec l’ACCPUF 369

Strasbourg, le 14 septembre 1998.

Mme Remy-Granger, Secrétaire général de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français (ACCPUF) et agent de liaison pour le Conseil constitutionnel français auprès de la Commission de Venise, a adressé une lettre (CDL-JU [98] 18) au Secrétaire de la Commission, afin de lui proposer une coopération entre ces deux organes.

L’ACCPUF, créée en 1997, tente de favoriser la coopération entre les Cours constitutionnelles, les Conseils constitutionnels, les Cours suprêmes ou les Institutions parlementaires de contrôle constitutionnel francophones du monde entier. Parmi les objectifs de l’Association figurent la plublication d’un Bulletin de jurisprudence constitutionnelle ainsi que la constitution d’une base de données devant permettre d’accéder à la jurisprudence des cours participantes.

Un certain nombre de cours participent à la fois aux travaux de la Commission de Venise et de l’ACCPUF (Belgique, Bulgarie, Canada, France, Moldova, Roumanie, Suisse). Etant donné qu’elles doivent contribuer tant à la réalisation des bulletins que des bases de données, il est de leur intérêt d’harmoniser les résumés qu’elles transmettent aux deux organes ainsi que leur indexation.

La Sous-commission sur la justice constitutionnelle et les agents de liaison ont acquis une expérience considérable dans le cadre de la publication du Bulletin de jurisprudence constitutionnelle et de CODICES. Les réactions des lecteurs du Bulletin et des utilisateurs de CODICES reflètent la haute opinion que le public européen et étranger a de ces produits. L’ACCPUF souhaiterait profiter de cette expérience.

Mme Remy-Granger propose tout particulièrement d’utiliser, pour le Bulletin et la base de données futurs de l’Association, le thésaurus systématique existant. Elle reconnaît toutefois que la Sous-commission et les agents de liaison conserveraient le droit exclusif de modification du thésaurus. Un accès unifié aux publications-bases de données des deux organes serait ainsi garanti. Si l’Association estimait qu’il était nécessaire de compléter le thésaurus, elle présenterait ses propositions de modification par l’intermédiaire d’un agent de liaison représenté au sein des deux organes, à l’occasion d’une réunion de la Souscommission et des agents de liaison. Toute nouvelle version serait adoptée lors de réunions de la Sous-commission et vaudrait alors pour les deux organes sous sa forme unique.

L’Association propose également de mettre gratuitement les bulletins et les bases de données à la disposition de toutes les cours et des institutions équivalentes participantes. Le Bulletin et CODICES seraient ainsi envoyés aux cours et institutions de contrôle constitutionnel membres de l’ACCPUF, tandis que les cours participant aux travaux de la Sous-commission recevraient en échange les publications de l’ACCPUF.

Le Secrétariat est d’avis qu’une telle coopération pourrait être également bénéfique à la Sous-commission et aux cours participantes représentées par les agents de liaison. L’accès des cours participantes et des utilisateurs du Bulletin et de CODICES aux publications de l’ACCPUF serait facilité, à condition que la même logique de recherche soit mise en œuvre.

Les normes européennes en matière de démocratie et de droits de l’homme, reflétées dans les décisions des cours constitutionnelles participantes, présentent un grand intérêt pour les pays non européens. Les cours pourraient également faire connaître leurs décisions dans une zone géographique plus étendue, en particulier dans les pays qui sont encore en voie de parvenir au respect de ces normes. La possibilité d’avoir accès au Bulletin et à CODICES pourrait encourager ces pays à progresser dans cette direction.

Comme l’attestent, dans notre Bulletin, les contributions les plus intéressantes des cours constitutionnelles d’Etat ayant le statut d’observateur auprès de la Commission de Venise, les informations relatives aux décisions rendues dans les pays non européens enrichissent considérablement nos publications. Souvent, des problèmes constitutionnels similaires sont soulevés au même moment dans plusieurs pays. L’échange d’informations sur la matière dont ces problèmes sont résolus ailleurs ne peut être que bénéfique. Le seul inconvénient est que l’ACCPUF est orientée vers les juridictions francophones et ne publie qu’en français. Le problème de la langue pourrait ainsi gêner l’accès de certaines cours à ces publications.

Dans l’ensemble, les avantages de cette coopération semblent cependant l’emporter sur les inconvénients.

Le secrétariat propose par conséquent de prendre une décision sur un mandat visant à mettre en place un accord officiel entre la Commission de Venise (y compris au nom des agents de liaison) et l’ACCPUF. Cet accord devrait respecter les points suivants:

  1. Droit de l’ACCPUF d’utiliser le thésaurus systématique dans sa version valable au moment de la publication par l’ACCPUF;
  2. Droit de l’ACCPUF d’utiliser la structure du Bulletin (zones) dans son bulletin-sa base de données;
  3. Maintien du droit d’auteur et du droit de modification du thésaurus et de la structure du Bulletin en faveur de la Sous-commission et des agents de liaison;
  4. Indication de la source en cas d’utilisation du thésaurus et de la structure du Bulletin dans le bulletin et la base de données de l’ACCPUF. Il conviendra d’apposer la mention «en coopération avec la Commission de Venise et les agents de liaison des cours constitutionnelles», ainsi que de reproduire le logo de la Commission de Venise (lion) sur la couverture du bulletin-CD Rom. Une note de bas de page insérée au début du thésaurus dans le bulletin devra comporter les mêmes indications;
  5. Fixation, dans l’accord, des modalités d’échange des bulletins et des bases de données entre les cours participantes ou les institutions équivalentes des deux organes.

Cet accord serait soumis pour approbation lors de la prochaine réunion de la Sous-commission et des agents de liaison et pourrait ensuite être conclu par les deux secrétariats. Parallèlement, la coopération informelle visant à mettre en place les structures organisationnelles nécessaires (transfert de fichiers, etc.) pourrait être entamée.

2.Arrêt du Comité judiciaire du Conseil privé (de sa Majesté la Reine Elisabeth II d’Angleterre) du 18 février 1998, D. Matadeen et autres v. M.G.C. Pointu et autres. Cassation d’un arrêt de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de l’Ile Maurice 371

Privy Council Appeal n° 14 of 1997

D. Matadeen and Another Appellants
v.
M.G.C. Pointu and Others and Respondents
The Minister of Education and Science and Another Co-Respondents
From the Supreme Court of Mauritius

Judgment of the Lords of the Judicial Committee of the Privy Council.
Delivered the 18th February 1998

Present at the hearing:

Lord Browne-Wilkinson
Lord Hoffmann
Lord Hope of Craighead
Lord Clyde
Mr. Justice Gault

(Delivered by Lord Hoffmann)

1. The Certificate of Primary Education.

This appeal concerns the constitutional validity of new Regulations for the Certificate of Primary Education Examination (« CPE ») issued by the Mauritius Examination Syndicate in March 1995 and intended to apply to the examinations taken in November 1995 and thereafter. The CPE is taken by all children in Mauritius at the end of Standard 6, their last year in primary school. There are four compulsory subjects: English, Mathematics, French and Environmental Studies (formerly called Geography). Children who take the examination are ranked in order of attainment in these subjects. Ranking is a matter of great importance for a child’s future because it determines which secondary school he or she may attend. To obtain a place in one of the more academically oriented schools (les bons collèges) it is necessary to be one of the first 2,000 boys or 2,000 girls.

The Regulations challenged in these proceedings provided for an optional fifth paper in one of a number of Oriental languages. There had been such an optional paper since 1987 which could be taken into account for the purposes of deciding whether a candidate qualified for the Certificate of Primary Education («certification»), but only the four compulsory subjects counted for the purpose of the ranking. The effect of the change made by the new Regulations was that candidates who offered an Oriental language would be ranked on their marks in English, Mathematics and the best two out of the other three papers. A candidate who offered only the four compulsory subjects would be ranked on the results of those subjects as before.

The question of introducing Oriental languages into the CPE syllabus had been under discussion for some years. In 1986 a Select Committee of the Legislative Assembly (as Parliament was then called) recommended that an optional paper chosen from a number of classic Oriental languages – Hindi, Urdu, Tamil, Telegu, Marathi, Mandarin Chinese and Arabic – be added to the CPE for the purposes of both certification and ranking. To provide an option for children disinclined to study an Oriental language, the Committee recommended that a new subject to be called Cultures and Civilisations of Mauritius be introduced. This did not prove practicable and as a result the recommendations of the Committee were only partially implemented. The optional paper in Oriental languages was introduced for the purposes of certification but not for ranking. A new Select Committee was appointed to reconsider the matter in 1991. In December 1993, it recommended the scheme which was subsequently approved by the Government and adopted by the Regulations which are the subject-matter of this appeal.

It is unnecessary for their Lordships to say more about the merits of the scheme than that the Select Committee obviously gave the matter the most careful consideration. A large part of the population of Mauritius is of Eastern origin and the Oriental languages are part of the island’s cultural heritage. The optional paper was introduced in 1987 as a recognition of their importance. But many regarded this as insufficient because, given the importance of final order of merit, children naturally concentrate their efforts on the subjects which count for ranking. On the other hand, the avoidance of unfairness to children who did not want to take an Oriental language paper was a matter of some difficulty which had defeated the 1984 Select Committee. It is perhaps a tribute to the scheme put forward by the 1991 Select Committee that it has not at any stage been claimed by its opponents in these proceedings that it discriminates unfairly on racial grounds; that it gives an advantage to children from families which speak an Oriental language as their mother tongue. Indeed, it can be said that no objection is made to the principle of introducing an optional Oriental language subject into the syllabus of the CPE. The complaint is about timing. It is said that to make the change on less than a year’s notice was unfair to those children who had, for one reason or another, not studied an Oriental language from the beginning of their primary schooling. Thus the allegation is of discrimination, not on grounds of race, or place of origin, or home language, but simply between those children who had studied an Oriental language at school and those who had not.

2. The powers of the Minister

By section 3 (1) of the Education Act 1957, overall control of the educational system of Mauritius is vested in the Minister of Education. Examinations are conducted by the Mauritius Examinations Syndicate, a body established by the Mauritius Examinations Syndicate Act 1984, but the examinations are to be such as may be directed by the Minister: section 4(a). It was therefore the Minister who directed the amendment to the regulations by which Oriental languages were to count for ranking in the CPE.

3. The claim for constitutional redress

On 8th of May 1995 Mr. M.G.C. Pointu, acting on behalf of his ten year old daughter Florie Caroline, who was in Standard 5 at a Catholic school and had not studied an Oriental language, commenced proceedings before the Supreme Court of Mauritius for redress under section 17(1) of the Constitution, which reads as follows:

«Where any person alleges that any of sections 3 to 16 has been, is being, or is likely to be contravened in relation to him, then, without prejudice to any other action with respect to the same matter that is lawfully available, that person may apply to the Supreme Court for redress».

The plaint alleged contraventions of sections 3 and 16, to which their Lordships will in due course refer. Mr. Pointu was joined as plaintiff by a number of other parents of children in a similar position, including several who were of Oriental race. The original defendants were the Minister of Education and Science and the State of Mauritius as defendants. Later Mr. D. Matadeen, the father of a girl who had been studying Hindi and some other parents who also wanted to uphold the new Regulations, successfully intervened to be joined as additional defendants.

4. The constitutional guarantees

Their Lordships must now refer to the provisions of the Constitution upon which reliance was placed. Chapter 1 consists of the first two sections. Section 1 declares that «Mauritius shall be a sovereign democratic State…». Section 2 provides that the Constitution is to be the supreme law of Mauritius. Chapter II, consisting of sections 3 to 18, is headed «Protection of Fundamental Rights and Freedoms of the Individual». This Chapter is evidently based upon the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms («the European Convention») but there are also significant differences in language and structure and it cannot be assumed that particular sections were necessarily intended to have the same meanings.

As their Lordships have indicated, the plaint alleges that the CPE Regulations contravene sections 3 and 16, of which the relevant provisions read as follows:

«3. It is hereby recognised and declared that in Mauritius there have existed and shall continue to exist without discrimination by reason of race, place of origin, political opinions, colour, creed or sex, but subject to respect for the rights and freedoms of others and for the public interest, each and all of the following human rights and fundamental freedoms –

(a) the right of the individual to life, liberty, security of the person and the protection of the law;

(b) freedom of conscience, of expression, of assembly and association and freedom to establish schools; and

(c) the right of the individual to protection for the privacy of his home and other property and from deprivation of property without compensation, and the provisions of this Chapter shall have effect for the purpose of affording protection to those rights and freedoms subject to such limitations of that protection as are contained in those provisions, being limitations designed to ensure that the enjoyment of those rights and freedoms by any individual does not prejudice the rights and freedoms of others or the public interest.

16. (1) …no law shall make any provision that is discriminatory either of itself or in its effect.

(2) …no person shall be treated in a discriminatory manner by any person acting in the performance of any public function conferred by any law or otherwise in the performance of the functions of any public office or any public authority.

(3). In this section, «discriminatory» means affording different treatment to different persons attributable wholly or mainly to their respective descriptions by race, caste, place of origin, political opinions, colour, creed or sex whereby persons of one such description are subjected to disabilities or restrictions to which persons of another such description are not made subject or are accorded privileges or advantages that are not accorded to persons of another such description.»

5. The judgment of the Supreme Court

The plaintiffs’case as originally pleaded was that the new Regulations would contravene sections 3 and 16. It soon became apparent, however, that reliance upon section 16 (which has no parallel in the European Convention) posed formidable problems. Subsection (2) prohibits «discriminatory» treatment by persons performing public functions. This would cover functions such as that of the Minister exercising his powers under the Education Act 1957. There is therefore no difficulty about applying section 16 to the making of the Regulations. But «discriminatory» is defined in section 16 (3) to mean the affording of different treatment to different persons «attributable wholly or mainly to their respective descriptions by race, caste, place of origin, political opinions, colour, creed or sex». The discrimination upon which the plaintiffs relied did not fall within any of these descriptions. The Supreme Court said that the weight of authority was against any application of section 16 outside the forms of discrimination mentioned in subsection (3), citing Union of Campement Sites Owners and lessees v. Government of Mauritius [1984] 100 and the majority judgment in Peerbocus v. R. [1991] M.R. 91. But in view of their opinion on section 3, the court did not find it necessary to reach a decision on whether section 16 had been contravened.

The Supreme Court found the Regulations unconstitutional as contravening a «combined reading of sections 1 and 3». Section 1 itself is not justiciable by application for redress under section 17(1), which refers only to contraventions of sections 3 to 16. Strictly speaking, therefore, the contravention must have been of section 3, interpreted in the light of section 1. Their Lordship have no doubt that the democratic nature of the sovereign state of Mauritius is an important matter to be taken into account in the construction of any part of the Constitution and in particular its guarantees of fundamental rights and freedoms.

The basis of the Court’s decision was its interpretation of section 3 as containing a general justiciable principle of equality; a constitutional requirement, enforceable by the courts, that the law, or administrative action under the law, should treat everyone equally unless there was a sufficient objective jusitfication for not doing so. A similar principle has found by the courts to exist in the constitutions of certain other countries, notably the United States of America (where it has been derived from the «equal treatment» clause of the 14th Amendment and the «due process» clause of the 5th Amendment) and the Republic of India (Article 14, which gives the right to «equality before the law» and «the equal protection of the laws»). The Supreme Court referred to cases in both these jurisdictions and held that the same principle could be deduced from sections 1 and 3 of the Constitution of Mauritius. It was therefore unconstitutional, in the absence of objective justification, for the Regulations to discriminate between those children who had been studying Oriental languages and those who had not. The Court was of opinion that no objective justification could be found for making the change at such short notice.

6. Constitutional redress and judicial review

It is important to notice that the Supreme Court did not purport to hold the Regulations invalid on the ground that they were «unreasonable» or «irrational» in the sense in which those words are customarily used in administrative law and therefore an abuse of the statutory powers conferred upon the Minister by the Education Act 1957. As it happens, counsel for the Minister informed their Lordships that the Minister now took the view that the Regulations had indeed been unreasonable. He conceded that the period of notice was too short, although he did not accept that it need have been as long as the six years for which the plaintiffs had contended. It follows that it would have been open to the applicants to have the new Regulations quashed in proceedings for judicial review. But this was not the relief which they sought. They were applying for redress for infringement of their fundamental rights and freedoms under section 17 (1) and it was on this basis that the Supreme Court made its order. It logically follows that the Supreme Court would have made the same order if the amendment had been made by a special Act of Parliament. It is for this reason that the concession made by counsel for the Minister and his statement to the Board that the Minister, even if successful in the appeal, does not implement the Regulations without further notice, does not mean that this case becomes merely a question of whether the appropriate procedure was used. The reasoning of the Supreme Court, and in particular its formulation of the general justiciable principle of equality, raises a question of fundamental importance about the relationship between the courts and the legislature of Mauritius.

7. Constitutional interpretation.

Their Lordships consider that this fundamental question is whether section 3, properly construed in the light of the principle of democracy stated in section 1 and all other material considerations, expresses a general justiciable principle of equality. It is perhaps worth emphasising that the question is one of construction of the language of the section. It has often been said, in passages in previous opinions of the Board too familiar to need citation, that constitutions are not construed like commercial documents. This is because every utterance must be construed in its proper context, taking into account the historical background and the purpose for which the utterance was made. The context and purpose of a commercial contract is very different from that of a constitution. The background of a constitution is an attempt, at a particular moment in history, to lay down an enduring scheme of government in accordance with certain moral and political values. Interpretation must take these purposes into account. Furthermore, the concepts used in a constitution are often very different from those used in commercial documents. They may expressly state moral and political principles to which judges are required to give effect in accordance with their own conscientiously held views of what such principles entail. It is however a mistake to suppose that these considerations release judges from the task of interpreting the statutory language and enable them to give free rein to whatever they consider should have been the moral and political views of the framers of the constitution. What the interpretation of commercial documents and constitutions have in common is that in each case the court is concerned with the meaning of the language which has been used. As Kentridge A.J. said in giving the judgment of the South African Constitutional Court in State v. Zuma [1995] (4) B.C.L.R. 401, 412:

«If the language used by the lawgiver is ignored in favour of a general resort to «values» the result is not interpretation but divination».

8. The construction of section 3

The Supreme Court do not appear to have paid much attention to the language of section 3. Apart from a passing reference to its guarantee of the right of the individual to «the protection of the law», none of its provisions were relied upon as expressions of a general principle of equality. The main thrust of the judgment was an assertion that such a principle was essential to a democracy and therefore to be implied on the basis of section 1. The Court said that «the notion of equality… is contained… in the concept of democracy» and «the principle of equality… permeates the whole Constitution». There was also some reliance upon the Declaration of the Rights of Man adopted in 1793, when the island was a French colony, and the International Covenant on Civil and Political Rights, to which Mauritius is a party. It therefore seems to their Lordships appropriate, before turning to the language of section 3, to consider the main argument first. Is it of the essence of democracy that there should be a general justiciable principle of equality? The extent to which this proposition is true will establish the background against which section 3 must be interpreted.

9. Democracy and equality

As a formulation of the principle of equality, the Court cited Rault J. in Police v. Rose [1976] M.R. 79, 81:

«Equality before the law requires that persons should be uniformly treated, unless there is some valid reason to treat them differently.»

Their Lordships do not doubt that such a principle is one of the building blocks of democracy and necessarily permeates any democratic constitution. Indeed, their Lordships would go further and say that treating like cases alike and unlike cases differently is a general axiom of rational behaviour. It is, for example, frequently invoked by the courts in proceedings for judicial review as a ground for holding some administrative act to have been irrational: see Professor Jeffrey Jowell Q.C., Is Equality a Constitutional Principle? [1994] Current Legal Problems 1, 12-14 and De Smith, Woolf and Jowell, Judicial Review of Administrative Action, paras. 13-036 to 13-045.

But the very banality of the principle must suggest a doubt as to whether merely to state it can provide an answer to the kind of problem which arises in this case. Of course persons should be uniformly treated, unless there is some valid reason to treat them differently. But what counts as a valid reason for treating them differently? And, perhaps more important, who is to decide whether the reason is valid or not? Must it always be the courts? The reasons for not treating people uniformly often involve, as they do in this case, questions of social policy on which views may differ. These are questions which the elected representatives of the people have some claim to decide for themselves. The fact that equality of treatment is a general principle of rational behaviour does not entail that it should necessarily be a justiciable principle – that it should always be the judges who have the last word on whether the principle has been observed. In this, as in other areas of constitutional law, sonorous judicial statements of uncontroversial principle often conceal the real problem, which is to mark out the boundary between the powers of the judiciary, the legislature and the executive in deciding how that principle is to be applied.

A self-confident democracy may feel that it can give the last word, even in respect of the most fundamental rights, to the popularity elected organs of its constitution. The United Kingdom has traditionally done so; perhaps not always to universal satisfaction, but certainly without forfeiting its title to be a democracy. A generous power of judicial review of legislative action is not therefore of the essence of a democracy. Different societies may reach different solutions.

The United Kingdom theory of the sovereignty of Parliament is however an extreme case. The difficulty about it, as experience in many countries has shown, is that certain fundamental rights need to be protected against being overridden by the majority. No one has yet thought of a better form of protection than by entrenching them in a written constitution enforced by independent judges. Even the United Kingdom is to adopt a modified form of judicial review of statutes by its incorporation of the European Convention. Judge Learned Hand, who was in principle opposed to the power of the Supreme Court to annul Acts of Congress, acknowledged that in this matter his opponents «have the better argument so far as concerns Free Speech»:

«The most important issues here arise where a majority of the voters are hostile, often bitterly hostile, to the dissidents against whom the statute is directed; and legislatures are more likely than courts to repress what ought to be free.»

(The Bill of Rights [The Oliver Wendell Holmes Lectures, 1958], at p. 69). In many countries, therefore, the constitution deliberately places certain rights out of reach of being overridden even by majority decision and confers upon the courts the power to decide whether the protected right has been infringed. The Constitution of Mauritius clearly follows this pattern.

It by no means follows, however, that the rights which are constitutionally protected and subject to judicial review include a general justiciable principle of equality. The arguments are not all one way. In the United States, the interpretation of the equal treatment clause of the 14th Amendment as a proposition «majestic in its sweep» (per Powell J. in Regents of the University of California v. Bakke 438 U.S. 265, 284) has had its problems. The need for the courts to avoid usurping the decision-making powers of the democratically-elected organs of State has led to an elaborate jurisprudence which distinguishes between various grounds of discrimination, treating some (such a race) as «suspect» and requiring a high (some would say unsurmountable) degree of justification; others (such as age) as subject to a much more relaxed «rational basis» test (see Massachussets Board of Retirement v. Murgia 427 U.S. 307 (1976)) and still others as subject to an «intermediate» form of scrutiny. The allocation of different forms of «classification» to the three categories is worked out on a case by case basis which is highly productive of litigation.

Their Lordships think that the framers of a democratic constitution could reasonably take the view that they should entrench the protection of the individual against discrimination only on a limited number of grounds and leave the decision as to whether legitimate justification exits for other forms of discrimination or classification to majority decision in Parliament. There is no reason why a democratic constitution should not express a compromise which imitates neither the unlimited sovereignty of the United Kingdom Parliament nor the broad powers of judicial review of the Supreme Court of the United States. Instead of leaving it to courts to categorise forms of discrimination on a case by case basis and to concede varying degrees of autonomy to Parliament only as a matter of comity to the legislative branch of government, the constitution itself may identify those forms of discrimination which need to be protected by judicial review against being overridden by majority decision.

The problem was analysed by the Australian Constitutional Commission in its Final Report in 1988. The Commission concluded in paragraph 9.481:

«…notwithstanding the views expressed in some of the submissions, we believe that, having regard to the relevant experience of the United States and Canada, it is preferable to enumerate in the Constitution an exhaustive list of grounds on which discrimination is prohibited. This would avoid the kind of problems the courts have faced in Canada in recent years when trying to establish the relationship between the enumerated and unenumerated grounds of non-discrimination. It would also avoid the establishment of what many critics of the United States equal protection clause see as an arbitrary hierarchy of rights and interests. Another important consideration is that the recommendation we propose would substantially curtail the volume of litigation which statements of these rights tend to generate.»

Section 19 of the New Zealand Bill of Rights Act 1990 conferred the right to freedom from discrimination on a limited number of enumerated grounds and although the grounds were substantially extended by the Human Rights Act 1993, it remains a list of specific grounds and not a general principle of equality such as the 14th Amendment.

In The Union of Campement Sites Owners and Lessees v. The Government of Mauritius [1984] M.R. 100,107 Lallah, Ag. C.J. said:

«…Constitutions are formulated in different terms and must each be read within its own particular context and framework. The American and Indian Constitutions were drafted in a different age and have tended, particularly with regard to fundamental freedoms of the individual and to a greater extent than more modern Constitutions, to make broad and wide-ranging formulations which have necessitated a number of amendments and specific derogations or else have required recourse to implied concepts of eminent domain or police powers in order to keep literal interpretations of individual rights within manageable limits. We should be very cautious, therefore, in importing wholesale into the structure and framework of our constitution a complete article of the kind that Article 14 of the Indian Constitution or the 14th Amendment of the American Constitution are.»

Their Lordships consider that these observations, coming as they do from a judge with great experience in the international jurisprudence of human rights, should be borne carefully in mind. It is open to a democratic constitution to entrench a general principle of equality, as in the United States and India; to «entrench» protection against discrimination on specific grounds, as in New Zealand, or to entrench nothing, as in the United Kingdom. In order to discover into which of these categories the Constitution of Mauritius falls, it seems to their Lordships that there is no alternative to reading the Constitution. It is therefore to the language of section 3 that their Lordships next turn.

10. The language of section 3

Section 3, which loosely corresponds to article 14 of the European Convention, declares that certain human rights and fundamental freedoms listed in paragraphs (a), (b) and (c) «have existed and shall continue to exist» without discrimination «by reason of race, place of origin, political opinions, colour, creed or sex. It goes on to provide that «the provisions of this chapter shall have effect for the purpose of affording protection to those rights and freedoms. It thus enacts certain specified human rights and fundamental freedoms and provides not only that they shall be accorded to the people of Mauritius but that they shall be accorded without discrimination on any of the specified grounds. It follows therefore that discrimination as to a matter falling within the ambit of one of the specified rights and freedoms will violate section 3, even though the substantive right has not itself been infringed. This is the interpretation which has been given both to section 3 by the courts of Mauritius (see Jaulim v. Director of Public Prosecutions [1976] M.R. 96, 99) and to Article 14 by the European Court of Human Rights (see Belgian Linguistic (n° 2) (1968) 1 E.H.R.R. 252 at p. 283 and Abdulaziz v. U.K. (1985) 7 E.H.R.R. (471). In the present case, however, two points are immediately apparent:

(1) Although the enumerated rights and freedoms include «freedom to establish schools», which no doubt implies that the State cannot forbid attendance at a duly established school, they do not include a positive right to education or a right on the part of pupils to attend any particular school or type of school. In this respect the Constitution differs from Article 2 of the First Protocol to the European Convention («No person shall be denied the right to education») which was applied by the European Court of Human Rights in Belgian Linguistic (n° 2) (1968) 1 E.H.R.R. 252. The position in Mauritius is similar to that in the United States: see San Antonio School District v. Rodriguez 411 U.S. 1, 33 (1973) in Which powell J. said:

«Education, of course, is not among the rights afforded explicit protection under our Federal Constitution. Nor do we find any basis for saying it is implicitly so protected.

(2) The grounds of discrimination prohibited by section 3, like those in section 16, do not include the ground relied upon in this case.

At first sight, therefore, it is difficult to see how section 3 can have any application to this case. It does not involve any of the enumerated rights or any of the enumerated forms of discrimination. The only enumerated right which the Supreme Court mentioned as significant was the right of the individual mentioned in paragraph (a), to «the protection of the law» From the way in which even this reference was very much in passing, their Lordships think that without the support of section 1, the Supreme Court would not have regarded this right as capable of being construed as a general justiciable principle of equality. Their Lordships consider that in the context in which the words appear, they cannot for a number of reasons be so construed. The reasons are as follows:

(1) The words are «the protection of the law and not «the equal protection of the law. Section 3 in fact contains no reference at all to equality. In this respect it is to be distinguished from the 14th Amendment to the Constitution of the United States and Article 14 of the Indian Constitution.

(2) The words appear in a context of carefully enumerated grounds of unlawful discrimination, both in section 3 itself and in section 16. The language may be contrasted with the European Convention, which uses more general concepts in Article 14 and has no article corresponding to section 16. If the words «protection of the law in section 3 created a general principle of equality, that principle would swallow up all the enumerated grounds and much else besides.

(3) The protection of the law is one of the rights which are to be accorded without discrimination on the enumerated grounds. Thus to construe the words as creating a general principle of equality would lead to the absurdity of a general right to protection against discrimination which had itself to be accorded without discrimination, but only on the enumerated grounds.

(4) The construction given to the words «the protection of the law in section 3 must have regard to section 10, which is headed «Provisions to secure protection of law and is plainly intended, as section 3 says, to «have effect for the purpose of affording protection to that right. Section 10 is concerned with procedural rights such as that of an accused person to a fair trial and a civil litigant to an impartial tribunal. (Compare Article 6 of the European Convention ). It contains nothing to suggest that the constitution uses the phrase «the protection of the law to mean a principle of substantive equality. Their Lordships do not suggest that section 10 is necessarily exhaustive of the rights conferred by those words in section 3(a). That would be contrary to the construction given to section 3 by the Privy Council in Société United Docks v. Government of Mauritius [1985] A.C. 585, where Lord Templeman, giving the advice of the Board, said that section 3 was not a mere preamble but a freestanding enacting section which had to be given effect in accordance with its terms. But their Lordships consider that section 10 must throw light upon the question of what kind of rights are encompassed in the concept of «the protection of the law. It would be surprising if those words in section 3 had been used to mean rights of a radically different kind from those detailed in section 10.

11. La Déclaration des Droits et des Devoirs de l’Homme et du Citoyen

Their lordships next consider the effect, on the construction of section 3, of the Declaration des Droits et des Devoirs de l’Homme et du Citoyen, which was adopted by the Assemblée Coloniale of the Isle de France on the 14th Thermidor of the Year II (1st August 1794), no doubt unaware of the overthrow of the Robespierre government which had occurred five days earlier in Paris. Their Lordships consider that such matters are legitimate material for the construction of section 3, which declares that the rights it contains «have existed and shall continue to exist. The rights enacted by the Declaration, together with the rest of the French law then in force in the island, are said to have been preserved by the capitulations under which Mauritius was ceded to the United Kingdom in 1810. There is some academic dispute about the effect of capitulations in international law (see J.W. Bridge, Judicial Review in Mauritius and the Continuing Influence of English Law (1997) 46 I.C.L.Q. 787, n. 3) but the preservation of the French law of the island by the capitulations has been accepted by the Privy Council since at least 1858 (see Lang and Co. v. Reid and Co. (1858) 12 Moo. P.C.C. 72, 88) and their Lordships consider that it is now beyond dispute.

The 1793 Declaration included the following articles:

«3. Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.

4. La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale. Elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

Although the Declaration of the Rights of Man is a seminal document in the history of human rights, it is however a statement of principles or, perhaps more accurately, aspirations. It does not in itself mean that compliance with such principles by the legislature or executive was in every case to be justiciable in the courts. The fact that it was adopted in Mauritius tells one nothing about which organ of government was intended to decide how its principles should be applied. The contemporary background suggests very strongly that the Assemblée Coloniale did not have any form of judicial review in mind. The adoption of the Declaration took place at a time when France was ruled by the National Convention and its famous Committees and representatives en mission. Elected by universal suffrage, the Convention was considered the expression of the volonté générale to which Article 4 referred. The notion that its decrees should be subject to review by a court of independent judges would have been greeted with incredulity. As the historian Georges Lefebvre said, even of the Assembly under the Constitutional Monarchy of 1791, (The French Revolution, Routledge and Kegan Paul, 1965) at p. 153:

«Only the Assembly had regulatory powers – that is, the power to interpret its decrees and issue instructions about obeying them … [C]ourts were to obey the laws without debate, and there was no judicial body, as in the United States, to decide the constitutionality of a law. Like the purely representative system, subordination of the judiciary was to remain an unchanging principle of French public law.

Their Lordships therefore do not think that the adoption by Mauritius of the concept of égalité at the time of the French Revolution assists in answering the question raised by this case, which is, as their Lordships have said, not whether such a principle exists in Mauritius – it obviously does – but the nature of the constitutional mechanism by which it should be applied. The present Constitution is, by section 2, the supreme law of Mauritius and in their Lordships’opinion it would be wrong to curtail the powers of decision which it confers upon Parliament by reference to general statements enacted against an entirely different constitutional background.

12. The International Covenant on Civil and Political Rights

Since 1793 Mauritius has been a signatory to the International Covenant on Civil and Political Rights. It is a well-recognised canon of construction that domestic legislation, including the Constitution, should if possible be construed so as to conform to such international instruments. Again, their Lordships accept that such international conventions are a proper part of the background against which section 3 must be construed. The respondents argue that the Covenant requires the application of a general principle of equality and that the Constitution should therefore be read as containing one.

Article 2.1 of the Covenant contains an undertaking by each State Party:

«… to respect and to ensure to all individuals within its territory and subject to its jurisdiction the rights recognised in the present Covenant, without distinction of any kind, such as race, colour, sex, language, religion, political or other opinion, national or social origin, property, birth or other status.

This Article requires that the rights recognised in the Covenant should be accorded «without distinction of any kind, the enumerated grounds of discrimination being merely examples. But their Lordships would observe, as they did in relation to section 3 of the Constitution, that the right to education, or to attend a school, is not a right recognised in the Covenant any more than in the Constitution. Article 2.1 is therefore of no assistance. More relevant is Article 26, which reads as follows:

«All persons are equal before the law and are entitled without any discrimination to the equal protection of the law. In this respect, the law shall prohibit any discrimination and guarantee to all persons equal and effective protection against discrimination on any ground such as race, colour, sex, language, religion, political or other opinion, national or social origin, property, birth or other status.

This general guarantee of non-discrimination must be read with Article 2.2, which reads as follows:

«Where not already provided for by existing legislative or other measures, each State Party to the present Covenant undertakes to take the necessary steps, in accordance with its constitutional processes and with the provisions of the present Covenant, to adopt such legislative or other measures as may be necessary to give effect to the rights recognised in the present Covenant.

The language of Article 26, and in particular its use of the phrase «the equal protection of the law, makes it open to interpretation as a general principle of equality in the same way as the 14th Amendment. In Zwaan-de Vries v. The Netherlands (182/84) the Human Rights Committee established under Article 28 to adjudicate upon compliance with the Covenant decided that Article 26 was a guarantee of substantive equality and was not confined to mere formal equality before the law; see the article International Human Rights Norms by Lallah J., who had been a member of the Committee, in (1988) Mauritius Law Review 177,207. The Committee said at paragraph 13:

«The right to equality before the law and to equal protection of the law without any discrimination does not make all differences of treatment discriminatory. A differentiation based on reasonable and objective criteria does not amount to prohibited discrimination within the meaning of article 26.

So it is submitted that the Constitution of Mauritius should be interpreted to contain a similar principle and that the courts should invalidate any form of discrimination unless it is based upon reasonable and objective criteria.

Their Lordships consider that the fallacy in this argument is the assumption that a State Party can comply with the Covenant only by enacting its principles as part of its constitutional law and conferring upon its courts the power to invalidate legislation which it considers to infringe those principles. In other words, it is wrong to assume that compliance with the principles of Article 2.2 must be justiciable in domestic law. On the contrary, as Article 2.2 makes clear, the Covenant contemplates a diversity of constitutional arrangements, including both legisative and «other measures by which effect may be given to the rights recognised in the Covenant, including the right to the equal protection of the law. It is the legal and political system as a whole and not merely the human rights entrenched in the Constitution which must comply with the covenant. In conformity with this principle, the Human Rights Committee has held that a State Party is not obliged to incorporate the provisions of the Covenant into its domestic law (see McGoldrick, The Human Rights Committee, p. 271) and the European Court of Human Rights has taken the same view of incorporation of the European Convention (see Ireland v. U.K. (1979-80) 2 E.H.R.R. 25). Furthermore, interpretation of the Covenant allows a «margin of appreciation to the State Party in deciding what amounts to the equal protection of the law and there is no reason why that margin of appreciation should be engrossed by the judicial branch of government rather than the legislature or executive.

On the facts of the present case, in which the decision to amend the CPE syllabus was made by the Minister in the purported exercise of statutory powers, their Lordships are of opinion that the ordinary administrative law of Mauritius and in particular the power to quash the Minister’s decision as unreasonable, under the principles in Associated Provincial Picture Houses Ltd v. Wednesbury Corporation [1948] 1 K.B. 223, would have been entirely adequate to secure compliance with the equal treatment provisions of Article 26. There was no need to invoke any other constitutional protection. It is true that judicial review would have been of no avail if an identical measure, giving similarly short notice, had been passed by a special Act of Parliament. Subject to the margin of appreciation, such an Act might therefore have been regarded as being in breach of Article 26. But this hypothetical possibility is not enough to require that Acts of Parliament should be subject to wide-ranging judicial review: the matter would no doubt have been debated during the passage of the Bill and their Lordships think that it would be wrong to assume that Parliament would have acted irrationally merely because the Minister now accepts that his predecessor did so. Democracy in Mauritius, including respect for human rights and principles of rational behaviour, is sufficiently robust to make it unnecessary to put Parliament in such judicial leading strings. Thus the need for compliance with the Covenant is not in their Lordships’ opinion a reason for implying a general justicicable principle of equality into the Constitution.

13. Constitutional construction in Mauritius

Thus far their Lordships have examinated the case without any very close examination of previous authority on the construction of the constitution of Mauritius. It is therefore appropriate to conclude by considering whether there is any trend in earlier cases which is opposed to the view on the meaning of section 3 to which their Lordships have come.

In Police v. Rose [1976] M.R. 79 the accused was tried before the District Court of Rodrigues for arson under an Ordinance which conferred upon that court a jurisdiction which in Mauritius was possessed only by the Intermediate Court or the Court of Assize. He claimed that the Ordinance was unconstitutional because, in subjecting the inhabitants of Rodrigues to trial by an inferior tribunal, it discriminated against them on the ground of their place of origin. It will be noticed that the complaint was of discrimination on one of the grounds enumerated in section 16 and that accordingly no question of a general principle of equality arose. Rault J. said that even if the law in this respect treated Rodriguans differently from Mauritians, it did not follow that it constituted unlawful discrimination. The concept of «discrimination in section 16 involved not only difference of treatment but the absence of a valid reason for doing so. In the case of the Ordinance, the exigencies of the administration of justice on the island made it reasonable to provide that one magistrate should be able to try offences which in more populous areas would be tried by two. Their Lordships are in full agreement with the approach of the learned judge. But the case provides no support for a general principle of equality. It decides that even in the case of one of the enumerated grounds, difference of treatment is not necessarily discrimination.

Their Lordships have already made reference to the previous decision of the Board in Société United Docks v. Governement of Mauritius [1985] A.C. 585. It involved an application for constitutional redress by companies engaged in the business of handling and storing sugar. They complained that an Act of Parliament which conferred upon a statutory corporation the monopoly of these activities in respect of all sugar manufactured in Mauritius, would destroy their businesses and amount to a «deprivation of property without compensation, contrary to the fundamental right contained in section 3 (c). The Governement argued that section 8, which deals with the compulsory acquisition or taking possession of property, was exhaustive of the rights conferred by the words «deprivation of property in section 3. As the Governement had not acquired or taken possession of the businesses or property of the companies, they were not entitled to constitutional redress. The Board held that section 8 was not exhaustive and that although the companies could not found upon section 8, the Act had destroyed their businesses and thereby deprived them of their property within the meaning of section 3.

Their Lordships do not regard this case as deciding more than that the words of section 3 should be given their natural and ordinary meaning and that they should not be artificially restricted by reference to subsequent sections, even though the latter are said to have effect for the purpose of affording protection to the rights enumerated in section 3. The Board said in its opinion that «a Constitution concerned to protect the fundamental rights and freedoms of the individual should not be narrowly construed in a manner which produces anomalies and inexplicable inconsistencies. Their Lordships would not wish in any way to detract from this statement of principle but it cannot mean that either section 3 or the later sections can be construed as creating rights which they do not contain.

This was the view adopted by the majority of the court in Peerbocus v. R. [1991] M.R. 90, which concerned the question of whether an accused who had been tried by an all-male jury could complain that the selection of the jury had discriminated on grounds of sex. There had been no discrimination against him, because at that time all accused, male or female, were tried by all-male juries. He therefore had no complaint under section 3. And at that time section 16, unlike section 3, did not include sex as one of the grounds upon which discrimination was unlawful. The majority of the court therefore held that there had been no contravention of the constitution. Ahnee J. dissented, saying that he understood the judgment in Société United Docks v. Government of Mauritius [1985] 1 A.C. 585 to mean that:

«notwithstanding the apparently restricted definition of the word «discriminatory in section 16 (3), the section itself must be construed in the light of the broader and more generous provisions of section 3….

On this basis, the learned judge was willing to construe section 16 as prohibiting discrimination on grounds of sex, notwithstanding that the section (as it then stood) made no reference to sex and that, as Lord Goff of Chieveley subsequently observed on behalf of the Board in Poongavanam v. The Queen (J.C., 6th April 1992), the contrast with the express reference to sex in section 3 made it evident that the omission in section 16 was deliberate. Their Lordships consider that such a process cannot be described as construction, however broad or generous. Their Lordships mention it only because it was cited by the Supreme Court in this case with the suggestion that the view it expressed on the construction of section 16 could still be regarded as tenable.

14. Conclusion

Their Lordships’ conclusion is that sections 3 and 16, even if construed with section 1, do not apply to inequalities of treatment on grounds falling outside those enumerated. Such inequalities are not subject to constitutional review. The question of whether they are justifiable is one which the Constitution has entrusted to Parliament or, subject to the usual principles of judicial review, to the Minister or other public body upon whom Parliament has conferred decision-making authority. Their Lordships will therefore allow the appeal and dismiss the application for constitutional redress. The appellants are entitled to their costs before their Lordships’Board from the respondents. The co-respondents must pay their own costs. The costs order in the Supreme Court will stand.

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