Bulletin n°1 – Association des Cours Constitutionnelles Francophones

Association des Cours
Constitutionnelles Francophones

Le droit constitutionnel dans l’espace francophone

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Bulletin n°1

Le principe d'égalité dans la jurisprudence des Cours constitutionnelles et institutions de compétence équivalente

  •  Paris, France
  • © ACCF

Introduction

L’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français,créée en avril 1997 à l’initiative du Conseil constitutionnel français avec le soutien de l’Agence de la francophonie, se propose d’instituer entre les cours constitutionnelles ou organes assurant un contrôle de constitutionnalité des normes, un réseau de solidarité institutionnelle et d’échanges jurisprudentiels.

Parmi les moyens mis en œuvre dans cette perspective, il a été décidé de publier un bulletin annuel.

Ceci en est le premier numéro, à la réalisation duquel ont contribué l’Agence de la francophonie et le Ministère de la Coopération de la République française que soient également salués les services du Juriscope de Poitiers qui a assuré la traduction des jugements dont la langue d’origine n’est pas le français.

Doivent être remerciées toutes les cours qui ont envoyé à temps leur contribution. Celles qui n’ont pu être intégrées dans le présent volume seront disponibles dès que possible sur le site Internet.

Il convient de faire plusieurs remarques liminaires relatives à ce bulletin :

  • Tout d’abord seules les décisions en langue originale doivent être considérées comme les versions authentiques. Les traductions ci-dessous imprimées auront reçu l’approbation des cours mais ne peuvent être considérées comme textes officiels.
  • En ce qui concerne les choix éditoriaux :

Nombre de décisions présentées :

Du fait de l’ancienneté très différente, d’un pays à l’autre, de l’établissement d’un contrôle de constitutionnalité, certains dossiers documentaires sont beaucoup plus abondants que d’autres et certains pays ne figurent pas dans ce bulletin :

  • soit que leur Cour n’ait pas rendu de décisions relatives au principe d’égalité (Cour suprême du Burkina Faso, Tribunal suprême du Cap-Vert, Haut Conseil de la République des Comores,Conseil constitutionnel de Djibouti, Tribunal constitutionnel de Guinée Équatoriale, Conseil constitutionnel de Mauritanie);
  • soit que leurs décisions soient parvenues trop tardivement pour être traduites pour cette édition (Cour constitutionnelle de être traduites pour cette édition (Cour constitutionnelle de Moldavie);
  • soit que les contacts aient été très difficiles à établir du fait notamment d’une situation perturbée dans le pays.

Le parti a été pris d’intégrer toutes les décisions qui auraient été citées en référence dans les rapports des délégations au Congrès, augmentées, le cas échéant, des décisions intervenues entre avril 1997, date du Congrès, et avril 1998.

Toutefois, dans certains cas le nombre des décisions citées dans le rapport étant trop grand, il a été procédé à une sélection de celles-ci avec l’accord des Cours (Cour d’arbitrage de Belgique, Cour suprême du Canada, Conseil constitutionnelle de Côte d’Ivoire, Cour suprême constitutionnelle d’Égypte, Conseil constitutionnel de France, Cour constitutionnelle de Roumanie, Tribunal fédéral de Suisse).

L’ensemble des décisions relatives au principe d’égalité se trouve néanmoins sur le CD Rom qui accompagne ce Bulletin.

Présentation des décisions sélectionnées

Les textes des décisions retenue sont, dans la mesure du possible, et pour des-raisons de lisibilité et d’économie de papier, été réduits à leurs passages essentiels relatifs au principe d’égalité. Ont en conséquence été supprimés les visas, les motifs à l’appui d’autres aspects de la décision, et la composition de la formation de jugement.

Certaines cours ont elles-mêmes présenté des résumés de leurs décisions centrés sur le principe d’égalité. En ce cas, c’est le résumé qui figure sur le Bulletin.

Toutefois, pour permettre au lecteur du Bulletin de disposer des éléments nécessaires à la comparaison entre les pratiques rédactionnelles et processuelles des différentes cours, le Bulletin propose,pour chaque institution, une décision en texte intégral.

Enrichissement et codification des décisions

Pour faciliter la recherche du lecteur, sur la version papier du Bulletin n° 1 ou sur le CD Rom qui l’accompagne, ultérieurement sur la base de données du site, les décisions sont « enrichies, c’est-à-dire que leur sont affectés des descripteurs thématiques ou alphabétiques qui illustrent le contenu ou le sens du jugement.

Les descripteurs thématiques sont organisés en un système hiérarchisé et arborescent, le thésaurus, alors que les descripteurs de l’index alphabétique recensent par défaut les thèmes qui sont représentatifs de la décision mais ne figurent pas dans le thésaurus.

L’enrichissement des décisions a été fait en utilisant le thésaurus établi par la Sous-Commission de la Justice constitutionnelle de la Commission de Venise.

L’approbation formelle de ce réemploi a été acquise lors de la 36e réunion plénière de la Commission de Venise qui s’est tenue les 16 et 17 octobre 1998 (annexe 1).

Ce choix a été opéré pour deux raisons principales :

La première est qu’une dizaine de cours membres de l’ACCPUF participent à la Commission de Venise, et fournissent en conséquence déjà un travail d’enrichissement de leurs principales décisions.

La seconde est que la codification proposée par la Commission de Venise offre indirectement plusieurs avantages pour les cours membres de l’ACCPUF.

Tout d’abord, l’uniformisation des méthodes d’enrichissement permet aux membres de l’ACCPUF d’accéder par une seule et même méthode de recherche à la jurisprudence des Cours de États membres du Conseil de l’Europe ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

En deuxième lieu, ce choix accroît les possibilités que la jurisprudence des membres de l’ACCPUF soit désormais accessible par l’ensemble des pays membres de la Commission de Venise ainsi que par les utilisateurs universitaires ou professionnels du site de la Commission.

Bien entendu, ces avantages ont une contrepartie. La gestion thématique et l’évolution du thésaurus reste du ressort exclusif de la Commission de Venise dont il est la production (CODICES).

Lorsque les cours (Cour suprême du Canada, Tribunal d’arbitrage de Belgique,Tribunal fédéral suisse) ont fait parvenir des documents enrichis sur d’autres modèles, la codification CODICES a été rajoutée de manière à ce que les moteurs de recherche qui seront installés sur le site Internet ACCPUF puissent y accéder par un seul et même type de manipulation.

A terme, il est prévu que l’enrichissement des décisions soit opéré par les cours elles-mêmes, l’Association se contentant alors de les collecter et de procéder à leur mise en ligne, le cas échéant à la traduction des plus importantes.

Contenu du Bulletin n° 1

Compte tenu de ces précisions, l’ossature proposée pour le Bulletin n° 1comprend deux parties

  • des extraits pertinents du thésaurus en fonction du thème retenu, le principe d’égalité les rubriques fournies par les documents apparaissent en gras et sont complétées, en caractères italiques, parles références des décisions qui leur sont relatives;
  • la seconde partie, de loin la plus importante, comporte les décisions, classées par pays par ordre alphabétique (ordre internationalement reconnu de l’alphabet du nom des pays dans la langue du pays) et par ordre chronologique. Figurent les extraits langue du pays) et par ordre chronologique. Figurent les extraits pertinents relatifs au principe d’égalité des décisions sélectionnées par les cours et une décision en texte intégral aux fins d’illustrer les différences de présentation des jugements d’un organe de contrôle de constitutionnalité à l’autre.

Ce numéro 1, tout en ayant beaucoup bénéficié de l’expérience acquise par la Commission de Venise, est une première tentative, qui devra être améliorée en tenant compte de deux impératifs contradictoires que l’exercice doit concilier au mieux

  • mettre en valeur la diversité et la richesse des approches des jurisprudences;
  • permettre d’y avoir un accès facile et systématique.

Cette version sur support papier vient au soutien du site Internet de l’Association et d’une version CD-ROM laquelle comprend non seulement le contenu du Bulletin mais également toutes les décisions intégrales, à notre disposition, en hypertexte.

La banque de données, présente sur le site Internet et sur le CD Rom, comprend le même type d’informations mais dans tous les domaines d’intervention des juridictions. En outre, de grandes améliorations sont prévues afin de faciliter la consultation de ces services.

Enfin, l’ensemble de ces efforts de collecte, d’enrichissement et d’accessibilité de la jurisprudence devrait concourir à créer le réseau de solidarité et d’échanges entre les cours constitutionnelles de l’espace francophone que l’Association s’est donnée comme but de renforcer.

L’équipe rédactionnelle du Bulletin

Patricia HERDT

Dominique REMY-GRANGER

I. Présentation thématique

Outil 1 Thésaurus de la Commission pour la Démocratie par le Droit

Présentation thématique thésaurus systématique de la commission pour la démocratie par le droit (commission de Venise)

Le Thésaurus conçu par la Commission pour la Démocratie par le Droit (Commission de Venise du Conseil de l’Europe) a été créé en 1992. Deux versions (française et anglaise) permettent l’indexation de la jurisprudence constitutionnelle des institutions membres de la Commission, autour de cinq thèmes principaux (Justice constitutionnelle – Sources du droit constitutionnel – Principes généraux – Institutions – Droits fondamentaux). Sur ce modèle a été développée la présentation des décisions figurant dans le Bulletin, l’A.C.C.P.U.F. bénéficiant ainsi d’un système d’indexation vivant et dont l’exacte réplique est disponible en anglais.

Trois indicateurs sont utilisés ici pour le classement des décisions:

  • un code en trois lettres identifiant le pays d’origine de l’institution dont émane la décision. Ce code permet une présentation par pays, par ordre alphabétique;
  • l’année durant laquelle a été rendue la décision;
  • et enfin, précédé de la lettre A (correspondant à A.C.C.P.U.F.), le numéro de la décision disponible dans la banque de données de l’Association, qui permet une présentation par ordre chronologique. Cette numérotation n’est en aucun cas destinée à se substituer à la numérotation officielle de la décision.

Extraits pertinents du thésaurus (version 10)

1. – JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

1.1. – Juridiction constitutionnelle

1.2. – Saisine

1.3. – Types de contentieux

1.4. – Objet du contrôle

1.4.1. – Traités internationaux

1.4.2. – Droit des Communautés européennes

1.4.3. – Constitution

1.4.4. – Lois à valeur quasi-constitutionnelle

BEN / 1993 / A01 – EGY / 1972 / A01 – MLI / 1996 / A02 – MLI / 1997 / A03 RWA / 1996 / A04 – RWA / 1996 / A05 – SEN / 1993 / A02 – SEN / 1994 / A03

1.4.5. – Lois et autres normes à valeur législative

BEL / 1991 / A03 – BEL / 1992 / A05 – BEL / 1993 / A07 – BEL / 1993 / A08 – BEL / 1993 / A09 – BEL / 1996 / A19 – BEL / 1997 / A22 – BEN / 1996 / A06 – BUL / 1992 / A01 – EGY / 1972 / A02 – EGY / 1973 / A03 – EGY / 1975 / A05 – EGY / 1981 / A07 – EGY / 1987 / A08 – EGY / 1989 / A09 – EGY / 1989 / A10 – EGY / 1989 / A11 – EGY / 1990 / A12 – EGY / 1991 / A13 – FRA / 1973 / A01 – FRA / 1982 / A02 – FRA / 1982 / A03 – FRA / 1988 / A04 – FRA / 1990 / A05 – FRA / 1991 / A06 – FRA / 1994 / A07 – FRA / 1995 / A08 – FRA / 1995 / A09 – FRA / 1997 / A10 – GAB / 1992 / A01 – LIB / 1995 / A01 – LIB / 1996 / A02 – MAI / 1984 / A02 – MLI / 1996 / A01 – MON / 1967 / A02 – MON / 1967 / A03 – MON / 1994 / A05 – NIG / 1992 / A01 – ROM / 1993 / A01 – ROM / 1993 / A02 – Rom / 1993 / A03 – ROM / 1993 / A04 – ROM / 1994 / A05 – ROM / 1995 / A06 – ROM / 1995 / A07 – ROM / 1995 / A08 – ROM / 1995 / A09 – ROM / 1995 / A10 – ROM / 1995 / 011 – ROM / 1995 / A12 – RWA / 1983 / A01 – RWA / 1991 / A02 – RWA / 1993 / A03 – RWA / 1997 / A06 – RWA / 1997 / A07 – SEY / 1995 / A01

1.4.6. – Décrets présidentiels

1.4.7. – Règlements à valeur quasi-législative

1.4.8. – Normes d’entités régionales

1.4.9. – Règlements d’assemblées parlementaires

MAR / 1995 / A06 – NIG / 1993 / A02

1.4.10. – Règlements de l’exécutif

BEN / 1994 / A02 – BEN / 1996 / A07 – BEN / 1996 / A08 – GAB / 1993 / A02 MAI / 1990 / A03 – MAR / 1968 / A03

1.4.11. – Actes d’autorités décentralisées

1.4.12. – Décisions juridictionnelles

CAN / 1989 / A01 – CAN / 1991 / A02 – CAN / 1992 / A03 – CAN / 1995 / A04 CAN / 1995 / A05 – CAN / 1997 / A06 – MAI / 1969 / A01 – MAR / 1959 / A01 MAR / 1962 / A02 – ROM / 1996 / A12 – SUI / 1982 / A01 – SUI / 1989 /A02 – SUI / 1991 / A03 – SUI / 1992 / A04 – SUI / 1996 / A06 – SUI / 1997 / A07 – SUI / 1997 / A09

1.4.13. – Actes administratifs individuels

BEN / 1995 / A04 – BEN / 1996 / A05 – BEN / 1996 / A09 – GUI / 1993 / A01 MAI / 1995 / A04 – MAR / 1990 / A04 – MAR / 1993 / A05 – MON / 1975 / A04

1.4.14. – Actes de gouvernement

1.4.15. – carence d’acte

1.5. – Procédure

1.6. – Décisions

1.7. – Effets des décisions

2. – SOURCES DU DROIT CONSTITUTIONNEL

2.1. – Catégories

2.1.1. – Règles écrites

2.1.1.1. – Constitution

2.1.1.2. – Lois et normes à valeur quasi-constitutionnelle

2.1.1.3. – Droit communautaire

2.1.1.4. – Convention européenne des droits de l’homme de 1950

BEL / 1993 / A08 – BEL / 1993 / A09 – BEL / 1995 / A15 – CAN / 1995 / A04 – ROM / 1995 / A10 – SUI / 1996 / A06

2.1.1.5. – Charte sociale européenne de 1961

BEL / 1993 / A08

2.1.1.6. – Charte des Nations unies de 1945

2.1.1.7. – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966

BEL / 1993 / A08 – BUL / 1992 / A01 – MAI / 1984 / A02 – ROM / 1995 / A06 – SUI / 1996 / A06

2.1.1.8 – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966

BEL / 1993 / A08 – BEL / 1994 / A11 – BUL / 1992 / A01 – ROM / 1993 / A01

2.1.1.9. – Convention relative au statut des réfugiés

2.1.1.10. – Convention relative aux droits de l’enfant de 1989

2.1.1.11. – Charte européenne de l’autonomie locale de 1985

2.1.1.12. – Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969

BUL / 1992 / A01

2.1.1.13. – Autres sources internationales

BEL / 1996 / A18 – MAI / 1984 / A02 – MAI / 1995 / A05 – SEN / 1993 / A02

2.1.2. – Règles non écrites

2.1.2.1. – Coutume constitutionnelle

2.1.2.2. – Principes généraux du droit

2.1.2.3. – Droit naturel

2.1.3. – Jurisprudence

2.1.3.1. – Jurisprudence interne

MAI / 1995 / A05

2.1.3.2. – Jurisprudence internationale

2.1.3.2.1. – Cour européenne des droits de l’Homme

BEL / 1993 / A09

2.1.3.3 -Jurisprudence étrangère

MAI / 1984 / A02 – MAI / 1995 / A05 – SEY / 1995 / A01

2.2. – Hiérarchie

2.3. – Techniques d’interprétation

3. – PRINCIPES GÉNÉRAUX

3.1. – Souveraineté

3.2. – Démocratie

3.3. – Séparation des pouvoirs

BEL / 1991 / A02 – BEL / 1991 /A03 – BEL / 1992 /A05 – BEL / 1994 / A13 – BEL / 1995 / A17

3.4. – Etat social

3.5. – Etat fédéral

3.6. – Relations entre l’Etat et les institutions religieuses et philosophiques

3.7. – Principes territoriaux

3.8. – Etat de droit

3.9. – Sécurité juridique

3.10. – Protection de la confiance

3.11. – Droits acquis

3.12. – Intérêt général

BEL / 1995 / A16 – FRA / 1995 / A09 – FRA / 1997 / A10

3.13. – Légalité

3.14. – Nullum crimen sine lege

3.15. – Publicité des textes legislatifs et réglementaires

3.16. – Proportionnalité

BEL / 1990 / A01 – BEL /1992 /A06 – BEL / 1994 / A12 – CAN / 1995 / A05 – FRA / 1982 / A02 – FRA / 1988 / A04 – SUI / 1997 / A08

3.17. – Mise en balance des intérêts

3.18. – Marge d’appréciation

3.19. – Raisonnabilité

BEL / 1993 / A07 – BEL / 1994 / A12 – BEL / 1994 / A13 – BEL / 1995 / A14 – CAN / 1995 / A05

3.20. – Egalité

BUL / 1992 / A02 – FRA / 1991 / A06 – FRA / 1995 / A08 – FRA / 1995 / A09

3.21. – Interdiction de l’arbitraire

3.22. – Equité

3.23. – Principes fondamentaux du marché commun

4. – INSTITUTIONS

4.1. – Chef de l’Etat

4.2. – Organes législatifs

4.2.1. – Structure

4.2.2. – Compétences

BEL / 1997 / A23 – EGY / 1973 / A03 – EGY / 1974 / A04 – EGY / 1981 / A06 EGY / 1990 / A12 – EGY / 1991 / A13 – – SUI / 1991 / A03

4.2.3. – Composition

FRA / 1991 / A06 – MAR / 1995 / A06 – NIG / 1993 / A02

4.2.4. – Organisation

4.2.5. – Financement

4.2.6. – Contrôle de la validité des élections

4.2.7. – Procédure d’élaboration des lois

MAR / 1995 / A06

4.2.7.1. – Droit d’amendement

4.2.8. – Garanties d’exercice du pouvoir

4.2.9. – Relations avec le Chef de l’Etat

4.2.10. – Relations avec les organes législatifs

4.2.11. – Relations avec les juridictions

4.2.12. – Responsabilité

4.2.13. – Partis politiques

BEN / 1995 / A03 – GAB / 1992 / A01

4.2.14. – Statut des membres des organes législatifs

4.3. – Organes exécutifs

4.4. – Organes juridictionnels

4.4.1. – Compétences

4.4.2. – Procédure

4.4.3. – Décisions

4.4.4. – Organisation

4.4.4.1. – Membres

BEN / 1993 / A01

4.4.4.1.1. – statut

4.4.4.1.2. – Discipline

4.4.4.2. – Auxiliaires de justice

4.4.4.3. – Ministère public

4.4.4.4. – Greffe

4.4.5. – Juridiction suprême

4.4.6. – Juridictions judiciaires

4.4.6.1. – Juridictions civiles

4.4.6.2. – Juridictions pénales

4.4.6.3. – magistrature assise

4.4.7. – Juridictions administratives

4.4.8. – Juridictions financières

4.4.9. – Juridictions militaires

4.4.10. – Juridictions d’exception

4.4.11. – Autres juridictions

4.4.12. – Assistance des parties

4.4.12.1. – Barreau

4.4.12.2. – Assistance extérieure au barreau

4.4.13. – Responsabilité

4.5. – Fédéralisme et régionalisme

4.6. – Finances publiques

4.7. – Forces armées, forces de l’ordre

BEL / 1993 / A08 – BEN / 1996 / A05 – BEN / 1996 / A06

4.8. – Missions économiques de l’Etat

4.9. – Médiateur

4.10. – Transfert de compétence aux institutions internationales

4.11. – Union européenne

5. – DROITS FONDAMENTAUX

5.1. – Problématique générale

5.1.1. – Principes de base

5.1.1.1. – Nature de la liste des droits fondamentaux

5.1.1.2. – Egalité et non discrimination

BEL / 1990 / A01 – BEL / 1991 / A02 – BEL / 1992 /A05 – BEL / 1992 / A06 – BEL / 1993 / A09 – BEL / 1994 / A12 – BEL / 1995 / A16 – BEL / 1996 / A20 – BUL / 1992 / A02 – EGY / 1972 / A01 – EGY / 1973 / A03 – EGY / 1974 / A04 – EGY / 1981 / A06 – EGY / 1989 / A11 – FRA / 1973 / A01 – FRA / 1982 / A02 – FRA / 1988 / A04 – GAB / 1992 / A01 – MAI / 1969 / A01 – MAI / 1995 / A05 – MAR / 1995 / A06 – MON / 1967 / A02 – MON / 1967 / A03 – MON / 1975 / A04 – NIG / 1993 / A02 – ROM / 1993 / A03 – ROM / 1994 / A05 – ROM / 1995 / A06 RWA / 1991/ A02 – RWA / 1996 / A04 – SEN / 1994 / A03 – SEY / 1995 / A01 – SUI / 1989 / A02 – SUI / 1996 / A06 – SUI / 1997 / A08

5.1.1.3. – Ne bis in idem

5.1.2. – Bénéficiaires ou titulaires de droits

5.1.2.1. – Nationaux

5.1.2.2. – Etrangers

BUL / 1992 / A02

5.1.2.2.1. – Réfugiés et candidats réfugiés

BEL / 1994 / A13 – RWA / 1991 / A02

5.1.2.3. – Personnes physiques

5.1.2.3.1. – Mineurs

5.1.2.3.2. – Incapables

5.1.2.3.3. – Détenus

5.1.2.4. – Personnes morales

FRA / 1982 / A02 – MON / 1967 / A03

5.1.2.4.1. – Droit privé

MAR / 1962 / A02 – MON / 1967 / A02 – SUI / 1997 / A07

5.1.2.4.2. – Droit public

BEL / 1991 / A02 – EGY / 1972 / A02 – FRA / 1995 / A09 – GAB / 1992 / A01

5.1.3. – Effets

5.1.3.1. – Effets verticaux

5.1.3.2. – Effets horizontaux

5.1.4. – Limites et restrictions

EGY / 1990 / A12 – MAI / 1969 / A01 – SEY / 1995 / A01

5.1.5. – Situations d’exception

MAI / 1969 / A01

5.2. – Droits civils et politiques

5.2.1. – Droit à la vie

5.2.2. – Interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants

5.2.3. – Droit à l’intégrité physique

5.2.4. – Egalité

BEL / 1991 / A03 – BEL / 1991 / A04 – BEL / 1993 / A07 – BEL / 1994 / A11 – BEL / 1994 / A13 – BEL / 1995 / A15 – BEL / 1996 / A18 – BEL / 1996 / A21 – BEL / 1997 / A22 – BEN / 1993 / A01 – BEN / 1996 / A05 – CAN / 1995 / A04 – EGY / 1972 / A02 – EGY / 1981 / A07 – EGY / 1989 / A09 – EGY / 1990 / A12 – EGY / 1991 / A13 – FRA / 1994 / A07 – GAB / 1992 / A01 – GAB / 1993 / A02 – GUI / 1993 / A01 – MAI / 1995 / A04 – MAR / 1962 / A02 – MLI / 1997 / A03 – ROM / 1993 / A03 – ROM / 1993 / A04 – ROM / 1995 / A06 – ROM / 1995 / A07 – ROM / 1995 / A10 – ROM / 1996 / A12 – RWA / 1996 / A05 – SEN / 1993 / A02 – SUI / 1995 / A05

5.2.4.1. – Champ d’application

5.2.4.1.1. – Charges publiques

BEL / 1995 / A14 – BEL / 1995 / A17 – BEL / 1996 / A19 EGY / 1989 / A10 – FRA / 1995 / A09 – FRA / 1997 / A10 MAI / 1984 / A02 – MAR / 1959 / A01 – MAR / 1968 / A03 – MON / 1963 / A01 – MON / 1994 / A05 – ROM / 1993 / A01 – ROM / 1993 / A02 – ROM / 1993 / A09 – ROM / 1995 / A08 – ROM / 1995 / A11 – RWA / 1983 / A01 RWA / 1997 / A07 – SUI / 1992 / A04 – SUI / 1997 / A07 SUI / 1997 / A09 5.2.4.1.2. – Emploi BUL / 1992 / A01 – CAN / 1991 / A02

5.2.4.1.2. – Emploi

BUL / 1992 / A01 – CAN / 1991 / A02

5.2.4.1.2.1. – Privé

ROM / 1995 / A09

5.2.4.1.2.2. – Public

BEL / 1993 / A08 – BEN / 1994 / A02 – BEN / 1996 / A06 – BEN / 1996 / A07 – BEN / 1996 / A08 – BEN / 1996 / A09 – BEN / 1996 / A10 MAR / 1993 / A05 – MLI / 1996 / A02 – ROM / 1995 / A07 – RWA / 1993 / A03 – RWA / 1997 / A06

5.2.4.1.3. – Sécurité sociale

CAN / 1992 / A03 – CAN / 1995 / A05 – CAN / 1997 / A06 – FRA / 1990 / A05 – FRA / 1997 / A10 – ROM / 1995 / A09 – SUI / 1991 / A03

5.2.4.1.4. – Elections

BEN / 1995 / A03 – BEN / 1995 / A04 – CIV / 1995 / A01 CIV / 1995 / A02 – CIV / 1995 / A03 – CIV / 1995 / A04 CIV / 1995 / A05 – EGY / 1987 / A08 – FRA / 1982 / A03 FRA / 1991 / A06 – GAB / 1993 / A03 – GUI / 1994 / A02 LIB / 1996 / A02 – MAI / 1990 / A03 – MAR / 1995 / A07 MLI / 1996 / A01 – NIG / 1992 / A01 – NIG / 1993 / A02 SEN / 1993 / A01 – SUI / 1997 / A08

5.2.4.2. – Critères de différenciation

BUL / 1992 / A02

5.2.4.2.1. – Sexe

FRA / 1982 / A03 – SUI / 1982 / A01 – SUI / 1991 / A03 SUI / 1997 / A08

5.2.4.2.2. – Race

5.2.4.2.3. – Origine nationale ou ethnique

BEL / 1997 / A23 – MAR / 1990 / A04

5.2.4.2.4. – Citoyenneté

CAN / 1989 / A01 – MLI / 1997 / A03

5.2.4.2.5. – Origine sociale

5.2.4.2.6. – Religion

EGY / 1975 / A05

5.2.4.2.7. – Age

CAN / 1991 / A02

5.2.4.2.8. – Handicap physique ou mental

CAN / 1997 / A06 – ROM / 1995 / A11

5.2.4.3. – Discrimination positive

BEL / 1994 / A10 – FRA / 1995 / A08 – SUI / 1997 / A08

5.2.5. – Liberté individuelle

5.2.6. – Liberté de mouvement

5.2.7. – Droit à l’émigration

5.2.8. – Droit à la sécurité

5.2.9. – Garanties de procédure et procès équitable

BEN / 1993 / A01 – ROM / 1993 / A03 – RWA / 1996 / A05

5.2.9.1. – Champ d’application

5.2.9.1.1. – Procédure administrative non contentieuse

ROM / 1995 / A10

5.2.9.2. – Accès aux tribunaux

BEL / 1991 / A03 – BEL / 1994 / A13 – BEL / 1996 / A21 – EGY / 1989 / A11 – GAB / 1993 / A02 – ROM / 1994 / A05 – ROM / 1995 / A10

5.2.9.2.1. – Habeas corpus

5.2.9.3. – Publicité des débats

5.2.9.4. – Publicité des jugements

5.2.9.5. – Droit à la notification de la décision

5.2.9.6. – Droit à la consultation du dossier

5.2.9.7. – Délai raisonnable

5.2.9.8. – Indépendance

LIB / 1995 / A01 – SEN / 1994 / A03

5.2.9.9. – Impartialité

5.2.9.10. – Double degré de juridiction

5.2.9.11. – Interdiction de la reformatio in pejus

5.2.9.12. – Légalité des preuves

5.2.9.13. – Motivation

5.2.9.14. – Droits de la défense

BEL / 1995 / A15 – SUI / 1996 / A06

5.2.9.15. – Egalité des armes

BEL / 1996 / A21 – LIB / 1995 / A01 – ROM / 1994 / A05 – SEN / 1993 / A02

5.2.9.16. – Débats contradictoires

5.2.9.17. – Langues

5.2.9.18. – Présomption d’innocence

5.2.9.19. – Droit de ne pas s’incriminer soi-même

5.2.9.20. – Droit d’être informé des raisons de la détention

5.2.9.21. – Droit d’être informé des raisons de l’accusation

5.2.9.22. – Droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à l’affaire

5.2.9.23. – Droit à l’assistance d’un avocat

5.2.9.24. – Droit d’interroger les témoins

5.2.10. – Liberté du domicile et de l’établissement

5.2.11. – Liberté de conscience

5.2.12. – Liberté d’opinion

5.2.13 – Liberté des cultes

5.2.14. – Liberté d’expression

BEL / 1993 / A08

5.2.15. – Liberté de la presse écrite

5.2.16. – Droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication

SEN / 1993 / A01 – GAB / 1992 / A01 – GAB / 1993 / A03 – GUI / 1994 / A02

5.2.17. – Droit à l’information

5.2.18. – Droit à la transparence administrative

5.2.19. – Droits d’accès aux documents administratifs

5.2.20. – Droit à la nationalité

5.2.21. – Service national

5.2.22. – Liberté d’association

BEL / 1993 / A08

5.2.23. – Liberté de réunion

5.2.24. – Droit aux activités politiques

5.2.25. – Droit à l’honneur et à la réputation

5.2.26. – Droit à la vie privée

5.2.26.1. – Protection des données à caractère personnel

5.2.27. – Droit à la vie familiale

5.2.27.1. – Filiation

BEL / 1993 / A09 – BEL / 1997 / A22

5.2.27.2. – Aspects successoraux

BEL / 1993 / A09

5.2.28. – Inviolabilité du domicile

5.2.29. – Inviolabilité des communications

5.2.29.1. – Correspondance

5.2.29.2. – Communications téléphoniques

5.2.29.3. – Communications électroniques

5.2.30. – Droit de pétition

5.2.31. – Non-rétroactivité de la loi

5.2.31.1. – Loi pénale

5.2.31.2. – Loi civile

5.2.31.3. – Loi fiscale

5.2.32. – Droit de propriété

EGY / 1981 / A07 – ROM / 1993 / A02 – ROM / 1993 / A09 – RWA / 1991 / A02

5.2.32.1. – Expropriation

5.2.32.2. – Nationalisation

FRA / 1982 / A02

5.2.32.3. – Autres limitations

FRA / 1988 / A04 – MON / 1967 / A03

5.2.32.4. – Privatisation

5.2.33. – Liberté de l’emploi des langues

5.2.34. – Droits électoraux

EGY / 1990 / A12 – LIB / 1996 / A02 – MAI / 1990 / A03 – MLI / 1996 / A01 – SUI / 1997 / A08

5.2.34.1. – Droit de vote

CIV / 1995 / A04 – CIV / 1995 / A05 – FRA / 1982 / A03 – FRA / 1991 / A06 – GUI / 1994 / A02 – MAR / 1995 / A07 – MLI / 1997 / A03

5.2.34.2. – Eligibilité

FRA / 1982 / A03

5.2.35. – Droits en matière fiscale

BEL / 1994 / A12 – BEL / 1995 / A14 – BEL / 1995 / A17 – BEL / 1996 / A19 – FRA / 1973 / A01 – MAI / 1984 / A02 – MON / 1967 / A02 – MON / 1967 / A03 – ROM / 1993 / A01 – ROM / 1995 / A07 – ROM / 1995 / A06 – ROM / 1993 / A09 – RWA / 1983 / A01 – SUI / 1992 / A04

5.2.36. – Droit d’asile

5.2.37. – Droit au libre épanouissement de la personnalité

5.2.38. – Droits de l’enfant

5.2.39. – Protection des minorités ou des personnes appartenant à des minorités

5.3. – Droits économiques, sociaux et culturels

5.3.1. – Liberté de l’enseignement

5.3.2. – Droit à l’enseignement

BEL / 1994 / A11 – FRA / 1994 / A07 – ROM / 1993 / A04 – ROM / 1995 / A08

5.3.3. – Droit au travail

ROM / 1995 / A08

5.3.4. – Liberté de choix de la profession

5.3.5. – Liberté d’exercice d’une activité lucrative

MAR / 1990 / A04 – ROM / 1995 / A09

5.3.6. – Liberté du commerce et de l’industrie

SUI / 1995 / A05 – SUI / 1997 / A07

5.3.7. – Droit d’accès aux fonctions publiques

BEN / 1994 / A02 – BEN / 1996 /A07 – BEN / 1996 / A08 – MLI / 1996 / A02 ROM / 1995 / A08 – RWA / 1997 / A06

5.3.8. – Droit de grève

BEL / 1993 / A08

5.3.9. – Liberté syndicale

BEL / 1993 / A08

5.3.10. – Droit à la propriété intellectuelle

5.3.11. – Droit au logement

5.3.12. – Droit à la sécurité sociale

5.3.13. – Droit à des conditions de travail justes et favorables

5.3.14. – Droit à un niveau de vie suffisant

5.3.15. – Droit à la santé

5.3.16. – Droit à la culture

5.3.17. – Liberté de la science

5.3.18. – Liberté de l’art

5.4. – Droits collectifs

5.4.1. – Droit à l’environnement

5.4.2. – Droit au développement

5.4.3. – Droit à la paix

5.4.4. – Droit à l’autodétermination

Outil 2 Index alphabétique

L’index alphabétique est conçu comme un outil complémentaire au thésaurus de la Commission de Venise, assurant ainsi la souplesse de l’indexation et de la recherche par les utilisateurs.

A

Actionnaires: FRA / 1988 / A04 – FRA / 1995 / A09 – MON / 1967 / A03

Adoption plénière: BEL / 1997 / A22

Ancienneté: RWA / 1997 / A06

Antenne (temps d’antenne): GAB / 1992 / A01 – GAB / 1993 / A03

Appel: BEL / 1996 / A21

Appartenance politique: BEN / 1996 / A09

Assurance automobile: CAN / 1995 / A04

Assurance maladie: CAN / 1997 / A06

Avancement: MLI / 1996 / A02 – RWA / 1993 / A03

Avocats: SUI / 1996 / A06

Avocat (accès à la profession d’avocat): CAN / 1989 / A01 – ROM / 1995 / A09

B

Banques: FRA / 1982 / A02 – FRA / 1988 / A04

Branche économique (égalité au sein d’une même branche économique): SUI / 1995 / A05 – SUI / 1997 / A07

Bulletins de vote: BEN / 1995 / A03 – GUI / 1994 / A02

Bureaux de vote: CIV / 1995 / A01 – MAR / 1995 / A07

Bureaux de vote (maintien dans des zones d’accès difficile): CIV / 1995 / A04 – MAR / 1995 / A07

C

Campagne électorale: GAB / 1993 / A03 – GUI / 1994 / A02 – SEN / 1993 / A01

Candidats (à une élection): BEN / 1995 / A03 – BEN / 1995 / A04 – CIV / 1995 / A01 CIV / 1995 / A02 – CIV / 1995 / A03 – CIV / 1995 / A05 – EGY / 1987 / A08 – EGY / 1990 / A12 – GAB / 1993 / A03 – GUI / 1994 / A02 – LIB / 1996 / A02 – MAI / 1990 / A03 – MAR / 1995 / A07 – NIG / 1992 / A01 – SEN / 1993 / A01 – SUI / 1997 / A08

Candidats (à un emploi): BEN / 1996 / A10 – EGY / 1989 / A09

Cartes d’identité: GAB / 1993 / A02

Catégorisation: SEY / 1996 / A01

Charte africaine des droits fondamentaux et des peules: BEN / 1994 / A02 – BEN / 1995 / A04 – BEN / 1996 / A06 – BEN / 1996 / A07 – BEN / 1996 / A10 – SEN / 1993 / A02

Charte canadienne des droits et libertés: CAN / 1989 / A01 – CAN / 1991 / A02 – CAN / 1992 / A03 – CAN / 1995 / A04 – CAN / 1995 / A05 – CAN / 1997 / A06

Circonscriptions électorales (découpage des circonscriptions électorales): LIB / 1996 / A02

Circonscriptions électorales (densité de population): MLI / 1996 / A01

Circonstances exceptionnelles: LIB / 1995 / A01

Citoyenneté: MAI / 1995 / A04

Collectivités locales (libre administration): FRA / 1994 / A07

Concubins: SUI / 1992 / A04 – SUI / 1997 / A09

Concurrence: SUI / 1997 / A07

Conjoint (définition): CAN / 1995 / A04 – CAN / 1995 / A05

Conjoint de fait: CAN / 1995 / A04

Conjoints séparés de fait: BEL / 1996 / A19

Conscrits: EGY / 1991 / A13

Conseil national de la communication: GAB / 1992 / A01 – GAB / 1993 / A03

Constitution des Etats-Unis: MAI / 1984 / A02 – SEY / 1996 / A01

Convention relative à la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement: ROM / 1993 / A04

Critères sociaux: BUL / 1992 / A02

D

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789: BUL / 1992 / A02 – FRA / 1982 / A02 – SEN / 1993 / A02

Déclaration universelle des droits de l’Homme: CAN / 1995 / A04 – SEN / 1993 / A02

Délai pour agir en justice: EGY / 1989 / A11

Démission (obligation de démission): BEN / 1995 / A04

Départements ministériels: BEN / 1996 / A07

Députés: BUL / 1992 / A02 – MAR / 1995 / A06

Déroulement de carrière: BEN / 1994 / A02 – BEN / 1996 / A06 – BEN / 1996 / A07

Différence de traitement pénal: ROM / 1993 / A01

Diplômes: ROM / 1995 / A08

Directives territoriales d’aménagement: FRA / 1995 / A08

Discriminations: EGY / 1990 / A12

E

Egalité des chances: EGY / 1972 / A02 – EGY / 1981 / A07 – EGY / 1987 / A08 – EGY / 1989 / A09 – EGY / 1990 / A10 – EGY / 1991 / A13

Elections (organisation): CIV / 1995 / A02

Enfants à naître: BEL / 1991 / A04

Enfants naturels: MAI / 1995 / A04

Enseignants: BEN / 1996 / A08

Enseignement: SUI / 1982 / A01

Enseignement (matières enseignées): MAI / 1995 / A05

Enseignement privé: FRA / 1994 / A07

Enseignement public: FRA / 1994 / A07

Erreur manifeste d’appréciation: MAI / 1995 / A04

Etablissements d’enseignement privé: ROM / 1993 / A04

Etat démocratique (signification du terme): MAI / 1990 / A03

Etat d’urgence: MAI / 1969 / A01

F

Fonctionnaires: MLI / 1996 / A02

Fonction publique: BEL / 1993 / A08

Fonds national pour l’assistance aux victimes les plus nécessiteuses du génocide: RWA / 1997 / A07

G

Gendarmerie: BEL / 1993 / A07 – BEL / 1993 / A08

Grade (dans une profession): MAR / 1993 / A05

Groupes parlementaires: MAR / 1995 / A06

I

Illicéité (égalité de traitement dans l’illicéité): SUI / 1989 / A02

Incompatibilités: FRA / 1991 / A06

Indemnités parlementaires: ROM / 1995 / A07

Inégalités correctrices (voir thésaurus: discrimination positive): BEL / 1994 / A10

Ingénieurs: MAR / 1993 / A05

Intervention législative: SEY / 1996 / A01

Invalides: ROM / 1995 / A11

J

Justice (égalité devant la justice): BEN / 1993 / A01 – MAI / 1984 / A02 – ROM / 1994 / A05 – SEN / 1993 / A02

L

Listes électorales: FRA / 1982 / A03 – FRA / 1991 / A06

Locataires: EGY / 1981 / A07 – EGY / 1989 / A10

Locaux à usage professionnel: EGY / 1981 / A07 – EGY / 1989 / A10

Loi (date d’application de la loi): BEN / 1996 / A06

Loi (égalité devant la loi): BEN / 1995 / A03 – BEN / 1996 / A06 – BEN / 1996 / A08 BEN / 1996 / A10 – BUL / 1992 / A01 – BUL / 1992 / A02 – CAN / 1989 / A01 – CAN / 1991 / A02 – EGY / 1972 / A01 – EGY / 1972 / A02 – EGY / 1974 / A04 – EGY / 1981 / A06 – EGY / 1981 / A07 – EGY / 1987 / A08 – EGY / 1989 / A10 – EGY / 1989 / A11 EGY / 1990 / A12 – EGY / 1991 / A13 – FRA / 1982 / A03 – FRA / 1991 / A06 – FRA / 1995 / A08 – GAB / 1993 / A02 – GUI / 1993 / A01 – LIB / 1996 / A02 – MAI / 1984 / A02 – MAI / 1995 / A05 – MON / 1963 / A01 – MON / 1967 / A02 – MON / 1967 / A03 – MON / 1975 / A04 – NIG / 1992 / A01 – ROM / 1993 / A01 – ROM / 1993 / A04 ROM / 1995 / A07 – ROM / 1995 / A10 – ROM / 1995 / A11 – RWA / 1983 / A01 – RWA / 1991 / A02 – RWA / 1996 / A04 – RWA / 1996 / A05 – RWA / 1997 / A06 – SEN / 1993 / A02 – SUI / 1989 / A02

Loi (égalité dans la loi): CAN / 1989 / A01

Loi (égalité de protection et de bénéfice de la loi): CAN / 1989 / A01 – SEY / 1996 / A01

M

Manœuvre frauduleuse: GAB / 1993 / A03

Médecins: MAR / 1990 / A04

Modes de scrutin: MLI / 1996 / A01

Mutations: BEN / 1996 / A09

Mutualisation: FRA / 1988 / A04

N

Neutralité: EGY / 1972 / A01

Notaires: ROM / 1995 / A08

O

Orientation sexuelle: CAN / 1995 / A05

P

Parents adoptifs: CAN / 1992 / A03

Parents naturels: CAN / 1992 / A03

Peuple corse: FRA / 1991 / A06

Permis de construire: MON / 1975 / A04

Personnes handicapées: BUL / 1992 / A02

Plans d’épargne retraite: FRA / 1997 / A10

Préjudice anormal et spécial: MON / 1994 / A05

Prescription: ROM / 1993 / A02

Prestations: CAN / 1992 / A03

Preuve (absence de preuves des considérations discriminatoires): BEN / 1996 / A09

Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité): CIV / 1995 / A01 – CIV / 1995 / A02 – CIV / 1995 / A03 – GUI / 1994 / A02

Preuve (possibilité d’apporter une preuve contraire à une décision de taxation d’office): FRA / 1973 / A01

Prévoyance professionnelle: SUI / 1991 / A03

Privilèges: BUL / 1992 / A02

Profession: ROM / 1995 / A11

Profession (accès à une profession): BUL / 1992 / A01

Propriété immobilière: MAI / 1984 / A02

Propriété privée: ROM / 1993 / A03

Propriété publique: ROM / 1993 / A03

R

Récusation: BEN / 1993 / A01

Refus de réintégration: BEN / 1996 / A05

Retraite: CAN / 1991 / A02 – ROM / 1995 / A12 – SUI / 1991 / A03

S

Salaires: ROM / 1993 / A01

Salariés: ROM / 1995 / A10 – ROM / 1996 / A12

Sanctions disciplinaires: ROM / 1995 / A09 – ROM / 1995 / A10

Service militaire: EGY / 1991 / A13

Service public (égalité devant le service public): GUI / 1993 / A01

Service public de la justice (égalité devant le service public de la justice): LIB / 1995 / A01

Sociétaires (égalité entre les sociétaires): FRA / 1988 / A04

Suffrage (égalité du suffrage): FRA / 1995 / A08

T

Taxes: ROM / 1993 / A02 – ROM / 1995 / A06

Taxe sur la valeur ajoutée: SUI / 1997 / A07

Taxis: SUI / 1995 / A05

Z

Zones prioritaires de développement: FRA / 1995 / A08

II. Présentation des décisions par pays

Cour d’arbitrage du Royaume de Belgique

BEL / 1990 / A01
Belgique/ Cour d’Arbitrage / 23-05-1990 / Arrêt n° 18-90 / abstrats

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – Portée – Principes généraux du droit et principes fondamentaux de l’ordre juridique

Il peut être admis que les distinctions opérées par les dispositions attaquées se justifient par l’intention de sauvegarder un intérêt public supérieur, pourvu que les mesures prises puissent être raisonnablement considérées comme n’étant pas disproportionnées à l’objectif général poursuivi par le législateur. Elles le seraient notamment si une telle sauvegarde était recherchée au prix d’une méconnaissance de principes fondamentaux de l’ordre juridique belge.

BEL / 1991 / A02
Belgique/Cour d’Arbitrage/ 28-05-1991/Arrêt n°13-91 (jurisprudence constante)/abstrats

3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – Pouvoir d’appréciation du législateur

L’article 107ter (article 142 nouveau) de la Constitution ne confère pas à la Cour d’arbitrage un pouvoir d’appréciation et de décision qui serait comparable à celui des assemblées législatives. Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle du législateur.

Même arrêt :

5.1.2.4.2 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires des droits – personnes morales – droit public

Principe d’égalité – Application aux institutions publiques

Les règles d’égalité et de non-discrimination inscrites dans les articles 6 et 6bis (articles 10 et 11 nouveaux) de la Constitution s’appliquent non seulement aux citoyens pris individuellement mais peuvent s’appliquer aussi à des groupes composés de citoyens. Les facteurs essentiels de la commune sont un territoire, des habitants, des organes propres, des intérêts propres. La commune est une société de citoyens unis par des relations locales. L’article 31 de la Constitution charge les conseils communaux du règlement des intérêts communaux. Le principe d’autonomie communale contient la reconnaissance du pouvoir communal comme pouvoir indépendant. Il s’ensuit que toute commune a droit à un traitement égal par rapport aux autres groupes configurés de manière identique par le droit positif (jurisprudence appliquée aux provinces arrêt n° 31/91).

BEL / 1991 / A03
Belgique / Cour d’Arbitrage / 13-06-1991 / Arrêt n° 16-91 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Séparation des pouvoirs – Droit d’accès à un juge

L’article 14 des lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, permet à tous les citoyens d’introduire un recours en annulation auprès du Conseil d’Etat contre les actes du pouvoir exécutif et institue de la sorte, de la manière la plus générale qui soit, une garantie juridictionnelle essentielle.

Dans la mesure où l’article 29 attaqué de la loi du 20 juillet 1990 se rapporte aux arrêtés royaux du 27 février 1989 et du 18 décembre 1989, la Cour constate que cette disposition a pour objet de relever de son irrégularité un arrêté royal après que cette irrégularité a été établie par une décision du Conseil d’Etat d’une part et, d’autre part, d’empêcher le Conseil d’Etat de se prononcer sur l’irrégularité éventuelle d’un arrêté royal dont il a suspendu l’exécution. Les parties requérantes ainsi que l’ensemble de la catégorie des citoyens auxquels s’appliquaient les dispositions annulées de l’arrêté royal du 27 février 1989 et les dispositions suspendues de l’arrêté royal du 18 décembre 1989 se voient ainsi privés par le législateur d’une garantie juridictionnelle essentielle, s’appliquant à tous les citoyens.

Les parties requérantes font ainsi l’objet d’un traitement inégal, qui, en l’espèce, n’est pas objectivement justifié. L’article 29 de la loi du 20 juillet 1990 viole donc les articles 6 et 6bis (article 10 et 11 nouveaux) de la Constitution, dans les limites où il confirme les dispositions annulées de l’arrêté royal du 27 février 1989 et les dispositions suspendues de l’arrêté royal du 18 décembre 1989.

BEL / 1991 / A04
Belgique / Cour d’Arbitrage / 19-12-1991 / Arrêt n° 39-91 / abstrats

5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Enfants à naître

Principe d’égalité – Application aux enfants à naître

Les articles 6 et 6bis (articles 10 et 11 nouveaux) de la Constitution n’établissent pas par eux-mêmes que l’être humain bénéficierait, dès sa conception, de la protection qu’ils garantissent.

Il ne peut être inféré des dispositions internationales conventionnelles invoquées par les parties requérantes que l’adhésion que l’Etat belge y a donnée emporte la garantie constitutionnelle de droits identiques aux personnes vivantes et aux enfants à naître. Sans doute certaines dispositions qui figurent dans plusieurs conventions invoquées par les parties requérantes imposent-elles aux Etats signataires de prendre des mesures propres à permettre qu’une grossesse puisse être normalement menée à son terme dans les meilleures conditions possibles. Il existe en outre, notamment dans le droit civil et dans le droit social belges, des dispositions législatives qui protègent les intérêts et la santé de l’enfant à naître dès sa conception.

Si l’obligation de respecter la vie impose au législateur de prendre des mesures pour protéger aussi la vie à naître, il ne peut cependant en être déduit que le législateur soit obligé, à peine de méconnaître les articles 6 et 6bis (articles 10 et 11 nouveaux) de la Constitution, de traiter de manière identique l’enfant né et l’enfant à naître.

BEL / 1992 / A05
Belgique / Cour d’Arbitrage / 12-11-1992 / Arrêt n° 67-92 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle– lois et autres normes à valeur législative
3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non- discrimination

Séparation des pouvoirs – Droit d’accès à un juge

Lorsqu’un acte réglementaire est annulé pour vice de forme, c’est normalement à l’autorité qui a adopté cet acte qu’il appartient de le refaire, en respectant les règles de forme qu’elle avait méconnues. En l’espèce, le législateur a entendu porter remède à l’impossibilité légale dans laquelle se trouvait la province de Brabant de refaire l’acte annulé, c’est-à-dire d’adopter en 1990 ou en 1991 un règlement rétroagissant en 1988. De plus, le législateur a entendu, ce faisant, remédier aux difficultés financières et administratives qu’aurait entraînées pour la province de Brabant cette impossibilité de réfection de l’acte annulé, les centimes additionnels perçus en 1988 étant privés de base juridique et devant dès lors faire l’objet d’un remboursement, ce qui eût placé la province de Brabant dans une situation très difficile. En l’espèce, l’objectif poursuivi par le législateur n’est pas illégitime.

BEL / 1992 /A06
Belgique / Cour d’Arbitrage / 18-11-1992 / Arrêt n° 74-92 / abstrats

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – portée – Droits et libertés

Le respect des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination exige que les limitations imposées à une catégorie de personnes n’aillent pas audelà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé. Ce contrôle de proportionnalité doit être particulièrement rigoureux lorsqu’il est porté atteinte à un droit fondamental.

Même arrêt :

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – éligibilité

Égalité devant le suffrage

L’éligibilité est un droit fondamental dans une société démocratique. Elle ne peut faire l’objet que de limitations particulières, lesquelles, même indirectes, doivent se justifier notamment par des exigences spécifiques, indispensables à l’exercice d’une fonction déterminée. Le respect des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination exige que les limitations imposées à une catégorie de personnes n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé. Ce contrôle de proportionnalité doit être particulièrement rigoureux lorsqu’il est porté atteinte à un droit fondamental.

BEL / 1993 / A07
Belgique / Cour d’Arbitrage / 6-05-1993 / Arrêt n° 35-93 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Gendarmerie

Evolution dans le temps de l’interprétation de la norme de référence

A présent que cette réforme est en cours – en ce qui concerne la gendarmerie, elle a été achevée par la loi du 24 juillet 1992 –, la disposition attaquée n’apparaît pas comme déraisonnable si l’on tient compte des intentions du législateur; celui-ci a pu estimer qu’il était préférable de consacrer une loi distincte à l’adaptation, à la nouvelle conception de la gendarmerie, du statut pénal et disciplinaire qui était applicable depuis de nombreuses années. Dans ces conditions, le maintien temporaire de la compétence des juridictions militaires à l’égard des membres de la gendarmerie ne saurait être considéré comme discriminatoire, pour autant du moins que la nouvelle législation, comprenant un statut disciplinaire et pénal adapté et supprimant la compétence des juridictions militaires, entre en vigueur dans un délai raisonnable. Compte tenu des difficultés spécifiques que pose la transformation du statut de la gendarmerie, le délai de seize mois qui s’est écoulé depuis l’entrée en vigueur de la disposition attaquée sans que la loi du 24 juillet 1992 soit à son tour entrée en vigueur n’apparaît pas encore comme manifestement de nature à rendre discriminatoire la disposition attaquée.

BEL / 1993 / A08
Belgique / Cour d’Arbitrage / 15-07-1993 / Arrêt n° 62-93 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
2.1.1.5 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Charte sociale européenne de 1961
2.1.1.7 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
2.1.1.8 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966
4.7 Institutions – forces armées, forces de l’ordre

5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi-public
5.2.14 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – liberté d’expression
5.2.22 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – liberté d’association
5.3.8 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit de grève
5.3.9 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – liberté syndicale

Fonction publique – Gendarmerie

Egalité dans la fonction publique

L’article 24/9 de la loi du 27 décembre 1973 relative au statut du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, inséré par l’article 5 de la loi du 24 juillet 1992, comprend deux alinéas. L’alinéa 1er dispose que les membres du personnel susvisé «s’abstiennent, en toutes circonstances, de manifester publiquement leurs opinions politiques et de se livrer à des activités politiques. Aux termes de l’alinéa 2, «il leur est interdit de s’affilier ou de prêter leur concours à des partis politiques, de même qu’à des mouvements, groupements, organisations ou associations poursuivant des fins politiques. Il ressort de l’analyse de ces deux dispositions que la première vise toutes les prises de positions et activités politiques qui ont un caractère nettement public; la seconde vise par contre des actes qui n’ont pas nécessairement un caractère public, telle la simple affiliation à un parti politique.

Les deux dispositions imposent aux membres du personnel concerné des restrictions considérables en ce qui concerne, entre autres, la liberté d’expression et la liberté d’association.

Les articles 14 et 20 de la Constitution n’empêchent pas que certaines restrictions puissent être imposées aux fonctionnaires concernant la liberté d’expression et la liberté d’association, mais de telles restrictions doivent satisfaire aux exigences formulées par les articles 10.2 et 11.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par les articles 19.3 et 22.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Aux termes de l’article 10.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la liberté d’expression peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires entre autres au maintien de l’ordre.

Afin de garantir le fonctionnement des institutions vitales pour un Etat démocratique de droit ainsi que les droits des citoyens, il peut être nécessaire d’imposer certaines limitations à la liberté d’expression, plus particulièrement en vue d’assurer le respect du droit et le maintien de l’ordre.

La disposition qui prévoit que les membres du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie «s’abstiennent, en toutes circonstances, de manifester publiquement leurs opinions politiques et de se livrer à des activités politiques n’est pas, dans l’interprétation donnée ci-avant, manifestement disproportionnée à l’objectif visé, qui est de garantir un service de police efficace dont l’impartialité soit incontestable, au bénéfice des autorités et des citoyens, en vue de protéger le bon fonctionnement de la démocratie.

Aux termes de l’article 11.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il n’est pas interdit que des restrictions légales soient imposées à l’exercice de la liberté de réunion pacifique et d’association par les membres de la police. En vertu de l’article 22.2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’exercice par les membres de la police du droit de s’associer librement peut faire l’objet de restrictions légales.

Les dispositions précitées s’opposent à ce qu’il soit porté atteinte à l’essence même du droit d’association. Il résulte des formulations utilisées que seul peut être limité l’exercice du droit d’association par les membres des services de police, et uniquement dans la mesure où de telles restrictions répondent au critère de nécessité dans une société démocratique, puisque ce critère est à la base des conventions visées en général.

La disposition selon laquelle il est interdit aux membres du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie de s’affilier ou de prêter leur concours à des partis politiques, de même qu’à des mouvements, groupements, organisations ou associations poursuivant des fins politiques est, selon les travaux préparatoires, nécessaire en vue de garantir que la gendarmerie soit, en tant que service national de police, neutre et disponible (Doc. parl., Sénat, S.E., 1991-1992, n° 333/2, p. 3). Du fait de sa généralité, l’interdiction instaurée par le législateur est, dans l’interprétation donnée sous B.3.3, manifestement disproportionnée à l’objectif qu’il entendait poursuivre, étant donné que l’affiliation à un parti politique, à un mouvement ou à une organisation poursuivant des fins politiques ainsi que d’autres formes non publiques de coopération ne sont pas de nature à mettre en péril la neutralité du corps ni à faire obstacle à sa disponibilité.

L’article 24/10 de la loi du 27 décembre 1973 relative au statut du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, inséré par l’article 5 de la loi du 24 juillet 1992, dispose que les membres de ce personnel «ne peuvent s’affilier qu’à des associations professionnelles dont les statuts sont conformes aux conditions énumérées à l’article 12, 1° à 5°, de la loi du 11 juillet 1978 (…), groupant exclusivement des membres du personnel en service actif ou pensionnés et dont les statuts prévoient expressément que la majorité des membres du conseil d’administration sont des membres des cadres actifs en activité de service.

L’article 12, 1° à 5°, de la loi du 11 juillet 1978 énumère les conditions suivantes 1° Elles doivent défendre les intérêts de toutes les catégories de personnel de la gendarmerie auxquelles la loi est applicable; 2° Elles doivent exercer leur activité sur le plan national; 3° Leurs buts ne peuvent constituer une entrave au fonctionnement de la gendarmerie; 4° Elles ne peuvent être ni fédérées ni liées sous quelque forme que ce soit à une autre organisation syndicale ne remplissant pas les conditions fixées à l’article 16, § 2, de la loi du 14 janvier 1975 portant le règlement de discipline des forces armées; 5° Elles doivent se faire connaître au ministre de la Défense nationale par l’envoi, sous pli recommandé à la poste, d’une copie de leurs statuts et de la liste de leur dirigeants responsables.

L’article 11.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 22.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques autorisent que des restrictions légitimes soient apportées à l’exercice, par les membres des services de police, du droit d’association, en ce compris le droit de former des syndicats et de s’affilier aux syndicats en vue de protéger leurs intérêts. L’article 8.2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et l’article 5 de la Charte sociale européenne ont la même teneur. L’article 20 de la Constitution n’empêche pas davantage que des restrictions soient apportées à l’exercice du droit de constituer des syndicats et d’y adhérer, dans le chef des fonctionnaires en général et, spécialement, des membres du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, en particulier en raison des exigences posées par le bon fonctionnement du service public. De telles limitations ne sont toutefois admissibles que pour autant qu’elles soient nécessaires dans une société démocratique.

D’une part, l’on observera que les conditions d’agrément énoncées à l’article 12, 1°, 2°, 3° et 5°, de la loi du 11 juillet 1978 ainsi que l’exigence formulée à l’article 24/10, prévoyant que les associations professionnelles peuvent grouper exclusivement des membres du personnel en service actif ou pensionnés et que la majorité des membres du conseil d’administration doivent être des membres des cadres actifs en activité de service, ne constituent pas des restrictions qui puissent être considérées comme manifestement disproportionnées aux exigences du bon fonctionnement du service public, en l’occurrence le corps de la gendarmerie. Ces dispositions tendent en effet à garantir un minimum de représentativité au sein des associations professionnelles et à éviter que la gendarmerie soit gênée dans son fonctionnement.

D’autre part, l’on relèvera que la disposition contenue à l’article 12, 4°, ne peut davantage être considérée comme manifestement disproportionnée avec les exigences du bon fonctionnement du corps de la gendarmerie en tant que service public neutre par excellence, étant donné que cette disposition entend prévenir que les syndicats de la gendarmerie agréés, qui répondent aux critères fixés concernant la représentativité et la loyauté, ne s’affilient à des organisations interprofessionnelles qui ne répondent pas à ces critères. Ceci ne les prive pas du droit de constituer des organes de coordination des syndicats reconnus de la gendarmerie.

De ce qui précède, il résulte que l’article 24/10 de la loi du 27 décembre 1973 ne viole pas les articles 6 et 6bis de la Constitution.

L’article 24/11 de la loi du 27 décembre 1973 relative au statut du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, inséré par l’article 5 de la loi du 24 juillet 1992, dispose que toute forme de grève est interdite aux membres de ce personnel. Aux termes des travaux préparatoires, cette disposition vise, conjointement avec l’article 24/41, à garantir que la gendarmerie et donc son personnel soit en tout temps disponible. En situation de crise, lorsque d’autres services d’urgence font défaut à la suite de mouvements de grève ou de manifestations, l’autorité doit avoir en main tous les moyens lui permettant de mettre en œuvre cette part essentielle de la force publique qu’est la gendarmerie (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1428/1, p. 26; Doc. parl., Sénat, S.E. 1991-1992, n° 333/2, p. 3). Aux termes de l’article 8.1, d), lu conjointement avec l’article 2.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Belgique s’est engagée à prendre des mesures «en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte, parmi lesquels le droit de grève «exercé conformément aux lois de chaque pays. L’article 8.2 permet cependant de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit, entre autres par les membres de la police.

Il ressort de l’article 6 de la Charte sociale européenne que la Belgique, «en vue d’assurer l’exercice effectif du droit de négociation collective, s’est engagée à garantir «le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur. Aux termes de l’article 31 de la Charte, l’exercice effectif, tel qu’il est prévu dans la partie II, des droits et principes, parmi lesquels le droit de grève, peut faire l’objet de restrictions, autres que celles spécifiées dans la partie II, qui sont prescrites par la loi et sont nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le respect des droits et des libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique ou les bonnes mœurs. Les motifs mentionnés ci-avant sont de nature à justifier la différence de traitement entre les membres du corps opérationnel de la gendarmerie et ceux des autres services de police; l’interdiction de la grève répond en l’espèce à une nécessité dans une société démocratique pour garantir le respect des droits et des libertés d’autrui et pour protéger l’ordre public. Il est par ailleurs prévu dans la législation d’autres moyens permettant aux syndicats de la gendarmerie de défendre les intérêts collectifs de leurs membres.

L’article 24/41 de la loi du 27 décembre 1973, inséré par l’article 5 de la loi du 24 juillet 1992, dispose que le membre du personnel qui, dans la préparation ou l’exécution d’une mission de police administrative ou de police judiciaire, refuse d’obéir aux ordres de son supérieur ou s’abstient à dessein de les exécuter, est puni d’un emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 26 à 500 francs ou de l’une de ces peines seulement. Aux termes des travaux préparatoires de cette disposition, en perdant la qualité de militaire, le personnel de la gendarmerie ne sera plus soumis à la loi du 27 mai 1870 contenant le Code pénal militaire et échappera donc aux dispositions de ce Code qui ont essentiellement pour objet de garantir la disponibilité des forces armées et de leurs membres, à savoir celles qui concernent le refus d’ordre et la désertion. «Véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête du militaire et dont personne ne tient à faire usage, les dispositions relatives à la désertion et au refus d’ordre sont probablement les seuls atouts réellement efficaces dont l’autorité dispose pour pouvoir compter en toutes circonstances sur le concours des forces armées. Le fait qu’elles n’aient trouvé lieu à s’appliquer que très exceptionnellement à l’un ou à l’autre membre de la gendarmerie s’explique probablement par la circonstance que ce corps est composé exclusivement de personnel de carrière particulièrement motivé. Il n’en demeure pas moins qu’en situation de crise, où d’autres services d’urgence de première ligne font défaut à la suite de mouvements de grève ou de démonstrations en rue, l’autorité doit être assurée d’avoir en main tous les moyens, en ce compris l’instrument pénal, lui permettant de mettre en œuvre cette partie essentielle de la force publique qu’est la gendarmerie (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1428/1, pp. 25-26). Ce sont ces raisons qui ont amené le législateur à inscrire la disposition litigieuse dans la loi en prévoyant toutefois une peine sensiblement moins élevée que le Code pénal militaire et sans distinction, comme dans ce Code, entre les officiers et les sous-officiers, d’une part, entre temps de paix et temps de guerre, d’autre part (Ibidem, p. 26).

La mission spécifique que doit accomplir la gendarmerie en tant que service national de police, et en particulier la nécessité d’assurer le service en toutes circonstances en vue du maintien de l’ordre public et en vue de garantir le bon fonctionnement des institutions de l’Etat démocratique de droit, est de nature à justifier raisonnablement la disposition incriminée, qui n’est pas applicable aux autres services de police. Les moyens utilisés par le législateur ne peuvent pas raisonnablement être considérés comme disproportionnés à l’objectif qu’il poursuit, d’autant moins que leur champ d’application est strictement limité à la préparation et à l’exécution des missions de police administrative ou de police judiciaire.

BEL / 1993 / A09
Belgique / Cour d’Arbitrage / 1-12-1993 / Arrêt n° 83-93 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle– lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – convention européenne des droits de l’homme de 1950
2.1.3.2.1 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence internationale – Cour européenne des droits de l’homme
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination
5.2.27.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit à la vie familiale – filiation
5.2.27.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit à la vie familiale – aspects successoraux

Pouvoir d’appréciation du législateur – Evolution dans le temps de l’interprétation de la norme de référence

Lorsque le législateur met fin à une discrimination qui est apparue à la suite d’une évolution des notions de vie familiale et de vie privée, il lui appartient de le faire dès que la distinction qui avait motivé à l’origine un traitement différent n’est plus justifiée.

En l’espèce, rien ne justifie que l’entrée en vigueur de la disposition mettant fin au régime discriminatoire de l’article 756 ancien du Code civil (différence de traitement entre les enfants nés dans le mariage et hors mariage) fût retardée jusqu’au 6 juin 1987. En effet, il n’apparaît pas qu’en donnant à la disposition nouvelle une rétroactivité telle qu’elle eût été applicable à une succession ouverte le 10 janvier 1984, le législateur aurait porté une atteinte excessive à la sécurité juridique. Il s’ensuit qu’en maintenant l’article 756 ancien du Code civil en vigueur à titre transitoire, l’article 107 de la loi du 31 mars 1987 viole les articles 6 et 6bis (articles 10 et 11 nouveaux) de la Constitution.

La Cour d’arbitrage est d’avis que le principe de la sécurité juridique justifie que les successions ouvertes avant le prononcé de l’arrêt Marckx de la Cour européenne des droits de l’homme ne soient pas affectées par le constat d’inconstitutionnalité de l’ancien article 756 du Code civil. Il s’ensuit que l’ancien article 756 du Code civil peut encore s’appliquer aux successions ouvertes avant le 13 juin 1979 (date du prononcé de l’arrêt Marckx) mais qu’il est inapplicable aux successions ouvertes à partir de cette date.

BEL / 1994 / A10
Belgique / Cour d’Arbitrage / 27-01-1994 / Arrêt n° 9-94 / abstrats

5.2.4.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – discrimination positive

Inégalités correctrices (voir discrimination positive)

Principe d’égalité – Inégalités correctrices

L’on peut certes admettre que dans certaines circonstances, des inégalités ne soient pas inconciliables avec le principe d’égalité et l’interdiction de discrimination, lorsqu’elles visent précisément à remédier à une inégalité existante. Encore faut-il, pour que de telles inégalités correctrices soient compatibles avec le principe d’égalité et l’interdiction de discrimination, qu’elles soient appliquées dans les seuls cas où une inégalité manifeste est constatée, que la disparition de cette inégalité soit désignée par le législateur comme un objectif à promouvoir, que les mesures soient de nature temporaire, étant destinées à disparaître dès que l’objectif visé par le législateur est atteint, et qu’elles ne restreignent pas inutilement les droits d’autrui. Il appartient aux cours et tribunaux, au Conseil d’Etat et à la Cour d’arbitrage, selon le cas, de contrôler la conformité de telles mesures aux conditions précitées.

BEL / 1994 / A11
Belgique / Cour d’Arbitrage / 19-05-1994 / Arrêt n° 40-94 / abstrats

2.1.1.8 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.3.2 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit à l’enseignement

Principe d’égalité – Portée – Droits et libertés (droit international)

La lecture combinée de l’article 13.2 et de l’article 2.1 du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels fait apparaître que l’égalité d’accès – imposée par le Pacte – à l’enseignement secondaire et à l’enseignement supérieur doit être instaurée progressivement dans les Etats contractants, en tenant compte des possibilités économiques et de la situation des finances publiques spécifique à chacun de ces Etats, et non pas selon des conditions temporelles strictement uniformes.

Les litterae b) et c) de l’article 13.2 du Pacte n’ont donc pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne et, en soi, ne font pas naître un droit à l’accès gratuit à l’enseignement autre que primaire. Ces dispositions s’opposent toutefois, tout comme le littera a) du même article, à ce que la Belgique, après l’entrée en vigueur du Pacte à son égard – le 6 juillet 1983 –, prenne des mesures qui iraient à l’encontre de l’objectif de gratuité qui doit être immédiatement atteint en ce qui concerne l’enseignement primaire et progressivement instauré en ce qui concerne les enseignements secondaire et supérieur.

BEL / 1994 / A12 Belgique / Cour d’Arbitrage / 1-06-1994 / Arrêt n° 44-94 / abstrats

5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Principe d’égalité – Généralités

A supposer qu’il soit exact que des sociétés constituées dans un but exclusivement fiscal puissent échapper à la mesure critiquée et que des sociétés n’ayant pas été constituées dans ce but ne puissent y échapper, il ne s’ensuivrait pas que la mesure serait dénuée de pertinence. D’une part, dès lors qu’il peut être admis qu’une mesure prise par un législateur est de nature à prévenir un abus, la circonstance que des abus analogues ne sont pas encore visés ne lui ôte pas, à elle seule, sa justification. D’autre part, lorsque la loi vise à la fois des contribuables dont les situations sont diverses, il peut dans une certaine mesure être admis qu’elle appréhende cette réalité en faisant usage de catégories simplificatrices et approximatives.

BEL / 1994 / A13
Belgique / Cour d’Arbitrage / 14-07-1994 / Arrêt n° 61-94 / abstrats

3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.1.2.2.1 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – étrangers – réfugiés et candidats réfugiés
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Séparation des pouvoirs – droit d’accès à un juge

Aucune disposition de la Constitution ou d’une convention internationale n’oblige le législateur à instaurer de manière générale une procédure de référé administratif. Toutefois, lorsque le législateur estime qu’il est souhaitable de prévoir la possibilité d’une demande de suspension des actes administratifs, il ne peut refuser cette demande à certaines catégories de sujets de droit – en l’espèce, certaines catégories d’étrangers qui se déclarent réfugiés s’il n’existe pas pour ce faire une justification raisonnable.

BEL / 1995 / A14
Belgique / Cour d’Arbitrage / 2-02-1995 / Arrêt n° 8-95 / abstrats

3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Egalité devant les charges fiscales

C’est au législateur qu’il revient d’apprécier si et dans quelle mesure le souci de protéger l’environnement justifie d’imposer des sacrifices aux opérateurs économiques. Les écotaxes, qui tendent à modifier les habitudes des consommateurs et des producteurs en vue de protéger l’environnement, ont nécessairement pour conséquence de traiter différemment des autres personnes celles qui font le commerce d’objets dont l’élimination en dehors des circuits ordinaires (mise en décharge, incinération) est jugée nécessaire par le législateur. La Cour ne peut critiquer le choix opéré par le législateur que si les distinctions qui résultent de la loi sont manifestement arbitraires ou déraisonnables.

BEL / 1995 / A15
Belgique / Cour d’Arbitrage / 2-03-1995 / Arrêt n° 19-95 / abstrats

2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.14 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – droits de la défense

Principe d’égalité – Portée – Principes généraux du droit et principes fondamentaux de l’ordre juridique

Egalité devant la justice

Lorsqu’elle prévoit la délivrance de copies des dossiers répressifs et la soumet au paiement d’une taxe, la loi ne peut aboutir à traiter les justiciables d’une manière qui, eu égard à la nature des principes en cause, serait discriminatoire. Ces principes sont le respect des droits de la défense et le traitement équitable de la cause, garantis par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils impliquent le droit, pour le justiciable, de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de son argumentation, droit auquel le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination est applicable.

En ce qui concerne les dossiers répressifs, la circonstance que ceux des justiciables qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires au paiement des droits d’expédition n’auraient d’autre possibilité, pour assurer leur défense ou établir leur argumentation, que celle de consulter les pièces au greffe ou de les y faire consulter par leur représentant peut ne constituer qu’un inconfort et ne porte pas atteinte à la substance du droit de défense.

Mais, l’impossibilité de disposer de copies des pièces essentielles d’un dossier répressif peut, dans certains cas, mettre un justiciable dans l’incapacité de préparer utilement son argumentation et de s’entourer des conseils, notamment techniques, nécessaires à sa défense.

En ne prévoyant en aucune hypothèse – fût-ce en la subordonnant à l’intervention d’un juge qui pourrait la limiter à certaines pièces du dossier répressif – la possibilité pour les justiciables qui bénéficient de l’assistance judiciaire et qui, par définition, ne disposent pas des moyens nécessaires au paiement des droits d’expédition, d’obtenir gratuitement, fût-ce en débet, la copie de pièces du dossier répressif, le législateur entrave de manière disproportionnée l’exercice des droits mentionnés plus haut (au premier alinéa du présent extrait).

BEL / 1995 / A16
Belgique / Cour d’Arbitrage / 6-06-1995 / Arrêt n° 40-95 (jurisprudence constante) / abstrats

3.12 Principes généraux – intérêt général
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – Pouvoir d’appréciation du législateur

D’une manière générale, les pouvoirs publics doivent pouvoir adapter leur politique aux circonstances changeantes de l’intérêt général. Tout changement de politique pour faire face à une nécessité urgente manquerait son but si l’on partait du principe que les articles 10 et 11 de la Constitution exigent que le régime antérieur soit maintenu pendant une période déterminée.

BEL / 1995 / A17
Belgique / Cour d’Arbitrage / 13-09-1995 / Arrêt n° 64-95 / abstrats

3.3 Principes généraux – séparation des pouvoirs
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Séparation des pouvoirs – Droit d’accès à un juge

Les personnes assujetties à la «redevance et à la «contribution de prélèvement sont soumises à une imposition dont la détermination de la base imposable et le montant relèvent, aux termes du décret, de la compétence du Gouvernement wallon, alors que les autres contribuables sont soumis à des impôts dont le montant et la base imposable sont déterminés par le législateur. Il existe donc entre les parties requérantes et les autres contribuables une différence de traitement en ce qui concerne l’autorité habilitée à déterminer la base imposable et le montant de l’impôt. Une telle différence de traitement n’est pas susceptible de trouver une justification, compte tenu de l’article 170 de la Constitution, puisque cette disposition garantit, sans exception, à tout citoyen qu’il ne sera pas soumis à un impôt sans que celui-ci ait été décidé par une assemblée délibérante démocratiquement élue.

BEL / 1996 / A18
Belgique/Cour d’Arbitrage/27-03-1996/Arrêt n°24-96 /abstrats (jurisprudence constante)

2.1.1.13 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – autres sources internationales
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Principe d’égalité – Portée – droits et libertés (droit international)

Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination sont applicables à tous les droits et à toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique, rendues applicables dans l’ordre juridique interne par un acte d’assentiment et ayant effet direct.

BEL /1996 / A19
Belgique / Cour d’Arbitrage / 27-06-1996 / Arrêt n° 39-96 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Doits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Conjoints séparés de fait

Egalité devant les charges fiscales

Il convient d’examiner la différence de traitement entre les conjoints vivant ensemble et ceux qui sont séparés de fait, en tant que le conjoint non séparé peut introduire une réclamation contre l’imposition établie au nom des deux conjoints sur la base des revenus de chacun d’eux, alors qu’un conjoint séparé de fait se voit refuser le droit d’introduire une réclamation contre une imposition établie au nom de l’autre conjoint sur les revenus de ce dernier, bien que, pour ces deux catégories de conjoints, le recouvrement des impôts à payer puisse être poursuivi sur tous les biens des deux conjoints.

[…]

Bien que des impositions distinctes soient établies, les conjoints séparés de fait restent, comme les conjoints vivant ensemble, tenus solidairement de payer la dette fiscale. En effet, aux termes de l’article 295 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 394 du C.I.R. 1992), chacune des quotités de l’impôt afférentes aux revenus respectifs des conjoints peut, non seulement quel que soit le régime matrimonial mais également quelle que soit la situation effective de cohabitation ou de séparation de fait, être recouvrée sur tous les biens propres et sur les biens communs des deux conjoints, sauf les exceptions établies par cet article.

Le traitement différent, sur le plan de l’enrôlement de l’impôt, des conjoints vivant ensemble et des conjoints séparés de fait entraîne leur traitement inégal au regard du droit de réclamation instauré à l’article 267 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 366 du C.I.R. 1992). Cette disposition est interprétée par la juridiction a quo, s’appuyant sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation, en ce sens que seule la personne, mentionnée au rôle, au nom de laquelle la cotisation est établie sur la base de ses revenus, a un droit personnel à contester cette imposition par l’introduction d’une réclamation, à l’exclusion des tiers. Dès lors, en cas de séparation de fait entraînant l’application de l’article 75, alinéa 1er , 25, du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 128, alinéa 1er , 25, du C.I.R. 1992), ce redevable ne peut être que le conjoint au nom duquel l’impôt est établi séparément et qui est mentionné au rôle, à l’exclusion de l’autre conjoint séparé de fait.

En ce qui concerne les conjoints séparés de fait, la dérogation au principe de l’enrôlement commun au nom des conjoints mariés peut se justifier par la considération que l’on ne peut obliger les conjoints séparés de fait à se communiquer chaque année tous les éléments de leurs revenus personnels. Mais rien ne justifie le traitement différent des deux catégories de conjoints en ce qui concerne le droit d’introduire une réclamation contre la cotisation établie sur la base des revenus de chacun des deux conjoints.

En effet, en excluant le conjoint séparé de fait de la notion de «redevable visée à l’article 267 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 366 du C.I.R. 1992), par suite de l’application des règles relatives à l’enrôlement, on prive ce conjoint du droit fondamental de se défendre en matière d’impôts sur les revenus alors que ce droit est garanti, sur la base des mêmes règles, aux conjoints vivant ensemble. Le conjoint séparé de fait ne dispose dès lors d’aucun recours lui permettant de contester l’impôt établi au nom de l’autre conjoint et au paiement duquel il pourrait être tenu.

Ni le souci de décourager les séparations fictives, ni la nature et les effets de l’introduction d’un recours, qui du reste vise uniquement à établir correctement l’impôt, ni la confidentialité du dossier fiscal ne peuvent justifier qu’il soit dérogé au droit fondamental de pouvoir contester devant une juridiction le bienfondé d’une dette, même s’il s’agit d’une dette fiscale et que le débiteur est tenu de la payer en vertu d’une solidarité établie par la loi.

Il est vrai que l’article 394bis du C.I.R. 1992 permet aux conjoints séparés de fait de limiter le recouvrement de l’impôt relatif aux revenus de l’autre conjoint à ce qui aurait été dû par celui-ci s’il avait exercé tous ses droits de réclamation et de dégrèvement d’office. Même si cette mesure peut contribuer à améliorer la situation du conjoint séparé de fait, il n’en résulte cependant pas que l’atteinte au droit de défense contenue dans l’article 267 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 366 du C.I.R. 1992) soit totalement supprimée.

L’article 267 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 366 du C.I.R. 1992) viole l’article 10 de la Constitution en tant qu’il n’accorde le droit de se pourvoir en réclamation contre une imposition qu’au seul redevable au nom duquel la cotisation est établie, à l’exclusion du conjoint séparé de fait au nom duquel cette cotisation n’est pas établie, alors que ce dernier, sur la base de l’article 295 du C.I.R. 1964 (actuellement l’article 394 du C.I.R. 1992), est tenu de payer la dette fiscale établie au nom de l’autre conjoint.

BEL / 1996 / A20
Belgique/Cour d’Arbitrage/12-07-1996/Arrêt n°47-96 (jurisprudence constante)/ abstrats

5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non- discrimination

Principe d’égalité – Portée – Droits et libertés

Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés.

BEL /1996 / A21
Belgique / Cour d’Arbitrage / 7-11-1996 / Arrêt n° 60-96 / abstrats

5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.2 Doits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Appel

Egalité devant la justice

Voy. l’arrêt 61/94, ci-dessus.

Lorsqu’il instaure la possibilité d’un appel, le législateur ne peut le faire de façon discriminatoire.

BEL / 1997 / A22
Belgique / Cour d’Arbitrage / 30-04-1997 / Arrêt n° 24-97 / Texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination
5.2.9.15 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – égalité des armes
5.2.9.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – débats contradictoires

Expertise pénale

Arrêt n° 24/97 du 30 avril 1997

En cause les questions préjudicielles concernant les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, posées par le tribunal correctionnel de Bruxelles et par le tribunal correctionnel (chambre du conseil) de Namur.

La Cour d’arbitrage,

composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior,

après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant

I. – Objet des questions préjudicielles

a) Par jugement du 14 mai 1996 en cause du procureur du Roi, de M. Hendrickx et de J.-M. Hendrickx contre T. Kerman et la s.a. ISS Servisystem, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 mai 1996, le tribunal de première instance de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante

«Les règles légales applicables à l’expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle, interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge du fond en matière pénale à respecter les règles de la contradiction prévues, en matière civile, par les articles 962 et suivants du Code judiciaire, et plus particulièrement les articles 965, 972, 973, 978 et 979 du Code judiciaire, violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution»

Cette affaire est inscrite sous le numéro 957 du rôle.

b) Par ordonnance du 26 juin 1996 en cause du procureur du Roi, Ph. Legrain et M. Legrain contre G. Simoes Dantas, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 juillet 1996, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Namur a posé la question préjudicielle suivante

«Les règles applicables à l’expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle, interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge du fond en matière pénale et sur intérêts civils à respecter les règles de la contradiction prévues, en matière civile, par les articles 962 et suivants du Code judiciaire, et plus particulièrement les articles 965, 972, 973, 978 et 979 du Code judiciaire, violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales»

Cette affaire est inscrite sous le numéro 980 du rôle.

II. – Les faits et les procédures antérieures

1. Affaire portant le numéro 957 du rôle

Dans le cadre de poursuites dirigées contre le responsable d’un accident de roulage, le tribunal de première instance de Bruxelles a désigné un expertmédecin, ayant pour mission de déterminer s’il existait un lien de causalité nécessaire entre l’accident et le décès, survenu dix semaines plus tard, de la victime de celui-ci.

Le prévenu dénonce l’absence de caractère contradictoire de cette expertise; tout en relevant que selon, notamment, la jurisprudence de la Cour de cassation, l’expertise en matière pénale n’est pas régie par les règles contenues en les articles 962 et suivants du Code judiciaire et plus particulièrement les articles 965, 972, 973, 978 et 979 organisant le caractère contradictoire de l’expertise en matière civile, le tribunal considère que ce n’est pas sans pertinence que le prévenu fait valoir qu’il existe une discrimination non justifiée par des circonstances objectives entre, d’une part, celui qui, défendeur dans un procès civil, bénéficie du caractère contradictoire des opérations d’expertise dont l’objet serait de déterminer si, pour l’application des articles 1382 et 1383 du Code civil, il existe une relation causale entre la faute qui lui est reprochée et le décès de la victime et d’autre part, celui qui, prévenu dans un procès pénal où il doit répondre d’une accusation d’homicide involontaire (articles 418 et 420 du Code pénal) reposant sur l’appréciation de la même faute et de la même relation causale, ne peut bénéficier du caractère contradictoire d’une expertise ayant le même objet.

Jugeant que la réponse à la question de savoir s’il y avait violation des articles 10 et 11 de la Constitution par les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle en tant qu’ils fonderaient le caractère non contradictoire de l’expertise en matière pénale, dont celle ordonnée par le juge du fond, lui apparaissait indispensable pour rendre sa décision, le tribunal a adressé à la Cour la question reproduite ci-dessus.

2. Affaire portant le numéro 980 du rôle

Dans le cadre d’une constitution de partie civile par la victime d’une tentative d’homicide volontaire, l’inculpé étant soit en état de démence soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actions, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Namur a souhaité entendre des experts qui auraient procédé à une expertise psychiatrique. Jugeant que l’enjeu touchait à l’ordre public, elle s’est interrogée, préalablement et d’office, sur le point de savoir si une telle expertise, menée de manière non contradictoire dans le cadre d’une instance répressive – ce qui est, selon la chambre du conseil, l’usage, voire la règle ne pose pas, au stade de la chambre du conseil, qualifiée de juridiction de fond et statuant sur intérêts civils, un problème de conformité aux règles constitutionnelles d’égalité devant la loi et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution) et ce, au regard des dispositions des articles 962 et suivants du Code judiciaire. Elle a adressé à la Cour la question reproduite ci-dessus.

III. – La procédure devant la Cour

a) Dans l’affaire inscrite sous le numéro 957 du rôle Par ordonnance du 22 mai 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n’y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l’article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste les 5 et 10 juin 1996.

L’avis prescrit par l’article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 juin 1996.

Des mémoires ont été introduits par

–T. Kerman, demeurant à 1030 Bruxelles, rue des Coteaux 49, et par la s.a. ISS Servisystem, dont le siège social est établi à 1070 Bruxelles, rue des Mégissiers 30/36, par lettre recommandée à la poste le 18 juillet 1996;

–le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 22 juillet 1996.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l’article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 17 septembre 1996.

Des mémoires en réponse ont été introduits par

–T. Kerman et la s.a. ISS Servisystem, par lettre recommandée à la poste le 9 octobre 1996;

–le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 17 octobre 1996.

b) Dans l’affaire inscrite sous le numéro 980 du rôle

Par ordonnance du 2 juillet 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n’y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l’article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1996.

L’avis prescrit par l’article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 20 juillet 1996.

Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 23 août 1996.

c) Dans les deux affaires

Par ordonnance du 9 juillet 1996, la Cour réunie en séance plénière a joint les affaires. Cette ordonnance a été notifiée aux parties par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1996.

Par ordonnance du 22 octobre 1996, la Cour a prorogé jusqu’au 22 mai 1997 le délai dans lequel l’arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 4 février 1997, le président M. Melchior a soumis les affaires à la Cour réunie en séance plénière.

Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l’audience au 27 février 1997.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu’à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 5 février 1997.

A l’audience publique du 27 février 1997

–ont comparu

  • Me M. Mahieu et Me J. F. Van Drooghenbroeck, avocats au barreau de Bruxelles, pour T. Kerman et la s.a. ISS Servisystem;
  • Me Ph. Traest, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres;
  • les juges-rapporteurs L. François et H. Coremans ont fait rapport;
  • les avocats précités ont été entendus;
  • les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s’est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l’emploi des langues devant la Cour.

IV. – En droit

–A–

Mémoire de T. Kerman et de la s.a. ISS Servisystem (affaire portant le numéro 957 du rôle)

A.1.1. Quant aux faits, il est relevé que le jugement ayant ordonné l’expertise n’en ordonnait ni n’en prohibait le caractère contradictoire. Les parties n’ont pas pu prendre connaissance du rapport d’expertise avant l’avis du parquet signalant la fixation de la date de l’audience. La demande de récusation du juge ayant ordonné l’expertise, motivée par la circonstance que le juge avait indiqué à l’expert que celle-ci n’est pas contradictoire et que ce caractère ne peut la rendre incompatible avec l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, a été rejetée par le tribunal, lequel a considéré

«Attendu que suite au dépôt du rapport d’expertise, il appartient aux requérants d’émettre toutes les considérations qu’ils estimeront utiles à la défense de leurs intérêts; qu’il appartiendra à M. le Juge Saint-Remy, président de la 45e chambre, de répondre aux éléments soulevés par les requérants; que même si M. le Juge Saint-Remy semble s’en être tenu jusqu’à présent à l’application des principes actuels et constants de la jurisprudence en la matière, aucun élément contraire n’ayant été soulevé par les requérants, rien ne permet de dire, dès à présent, qu’il n’offrirait pas toutes les garanties pour mener la suite des débats et statuer en la cause qui lui est soumise, et qui oppose M. le Procureur du Roi et la partie civile aux requérants, conformément aux dispositions de l’article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; que l’impartialité du magistrat doit être présumée jusqu’à preuve du contraire.»

Enfin, à la suite de l’indemnisation amiable des parties civiles par l’assureur de l’auteur de l’accident, celles-ci ont déclaré se désister de leur demande.

A.1.2. Le Code judiciaire consacre le caractère contradictoire de l’expertise qu’il organise.

Même si le non-respect de la contradiction, par l’expert, le juge ou encore l’une des parties, n’entraîne pas la nullité de l’expertise, la jurisprudence et la doctrine indiquent qu’il expose immanquablement à la réformation la décision judiciaire à l’élaboration de laquelle ce rapport a contribué et que la juridiction saisie de ce recours devra constater que le rapport d’expertise litigieux est inopposable aux parties au détriment desquelles le principe du contradictoire a été méconnu.

En revanche, les dispositions du Code d’instruction criminelle sont muettes quant à la nature contradictoire ou non de l’expertise en matière pénale. La Cour de cassation a décidé du caractère non contradictoire de celle-ci, alors qu’aucun texte ne permet de fonder cette règle prétorienne et que la doctrine unanime indique que la règle inverse peut se prévaloir des articles 2 et 972 et suivants du Code judiciaire.

Il résulte du caractère prétorien de la règle litigieuse qu’aucun grief d’inconstitutionnalité n’est formulé à l’encontre du contenu proprement dit des trois dispositions du Code d’instruction criminelle reprises dans le libellé de la question – elles devaient l’être pour que la Cour soit valablement saisie mais que la Cour d’arbitrage est interrogée sur la pertinence intrinsèque et, le cas échéant, sur la conformité aux articles 10 et 11 de la Constitution, des caractéristiques que la Cour de cassation, au terme d’une œuvre interprétative, a cru pouvoir conférer à une institution – l’expertise pénale dont l’existence est simplement consacrée par ces trois seules dispositions.

A.1.3. L’apparition progressive de la contradiction au cœur de l’expertise en matière répressive dans des dispositions particulières relatives à l’exploration corporelle (alinéas 2 et 3 insérés dans l’article 90bis du Code d’instruction criminelle par l’article 7 de la loi du 4 juillet 1989 modifiant la loi du 20 avril 1874 relative à la détention préventive; article 44bis du Code d’instruction criminelle inséré par l’article 1er de la loi du 15 avril 1958 et articles 5 et 9 de l’arrêté royal du 10 juin 1959 relatif au prélèvement sanguin en vue du dosage de l’alcool) invite à remettre en question la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation.

A.1.4. Dès lors que la conformité des articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle au prescrit des articles 10 et 11 de la Constitution dépend exclusivement de l’interprétation qu’il convient de leur donner et qu’il paraît hasardeux de déterminer l’interprétation que le juge a quo s’est appropriée, eu égard à l’emploi du conditionnel dans le libellé de la question préjudicielle («[…] interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge du fond en matière pénale à respecter les règles de la contradiction […]»), la Cour est invitée à dire concurremment pour droit, en recourant à celle de ses techniques qu’il lui plaira d’utiliser, d’une part, que les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’excluent pas, et au contraire commandent, l’application des articles 972 et suivants du Code judiciaire, et qu’en conséquence l’expertise en matière pénale doit revêtir un caractère contradictoire, à tout le moins lorsqu’elle est ordonnée par une juridiction de jugement, et que dans cette interprétation, ces dispositions ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution et, d’autre part, que les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle, interprétés en ce sens qu’ils excluent le caractère contradictoire de l’expertise pénale, même lorsqu’elle est ordonnée par une juridiction de jugement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.

A.1.5. La double interprétation mentionnée sous A.1.4 correspond aux enseignements (de lege lata et de lege ferenda) de la doctrine qui, unanimement, a critiqué la jurisprudence traditionnelle consacrée par la Cour de cassation.

De plus, les Codes néerlandais et français de procédure pénale ont introduit le caractère contradictoire dans la procédure de l’expertise. Les critiques de la doctrine ont été traduites dans divers projets de réforme et il ressort d’une vaste enquête effectuée dans les milieux judiciaires qu’une majorité de magistrats et d’avocats sont favorables au déroulement contradictoire de l’expertise pénale, même au stade de l’information ou de l’instruction préparatoires.

A.1.6. Les dispositions litigieuses sont susceptibles d’une interprétation conforme et conciliante.

Conformément à l’article 2 du Code judiciaire, les règles qu’il contient (en l’espèce, celles qui garantissent le caractère contradictoire de l’expertise) peuvent s’appliquer à l’expertise pénale, à moins que celle-ci ne soit régie soit par des dispositions légales non expressément abrogées, soit par des principes de droit de la procédure pénale dont l’application ne serait pas compatible avec le respect du contradictoire.

A.1.6.1. Il n’existe pas de dispositions légales non expressément abrogées dont l’application ne serait pas compatible avec les articles 972 et suivants du Code judiciaire. Les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle n’ont aucune incidence sur la nature de l’expertise pénale et ne sont pas incompatibles avec les articles 972 et suivants du Code judiciaire. Il en va de même des dispositions particulières relatives aux frais et honoraires des experts et au droit spécial de la procédure pénale (A.1.3). Les seules dispositions légales spécifiques à la procédure en matière pénale excluant l’application des règles de la procédure civile concernent de tout autres questions (délais de citation, formes des recours, point de départ et durée des délais de recours, etc.).

A.1.6.2. Quant aux principes de droit dont l’application ne serait pas compatible avec celle des articles 972 et suivants du Code judiciaire, leur recherche appelle la critique de la jurisprudence traditionnelle, qui n’est d’ailleurs pas uniformément suivie, et selon laquelle les articles 962 à 991 du Code judiciaire sont dans leur ensemble inapplicables aux expertises ordonnées par les juges répressifs, quel que soit le stade de la procédure et quel que soit l’objet de l’expertise.

La Cour de cassation tempère elle-même sa jurisprudence en admettant implicitement mais certainement que l’article 966 du Code judiciaire, relatif à la récusation de l’expert, est également applicable aux experts désignés en matière répressive et en décidant, avec réserve, qu’en matière pénale, l’expertise est exécutée, «en principe», de manière non contradictoire (Cass. 1er juin 1988, Pas. I, 480).

A.1.6.3. L’affirmation du procureur général Leclercq sur laquelle repose la jurisprudence de la Cour de cassation et selon laquelle «la procédure est déterminée par la nature de la juridiction et non par les intérêts en contestation» ne constitue pas un principe de droit dont l’application serait incompatible avec la règle du contradictoire prévue par le Code judiciaire.

En effet, si la nature de la juridiction compétente justifiait par elle-même l’inapplicabilité des dispositions du Code judiciaire, l’article 2 de ce Code serait totalement vidé de sa substance, puisque cette disposition prévoit précisément que les règles qui régissent la procédure mue devant les juridictions civiles sensu lato régissent en principe les procédures mues devant d’autres juridictions. Au contraire, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Cour d’arbitrage et les juridictions disciplinaires ont admis l’applicabilité de nombreuses dispositions du Code judiciaire aux procédures qui leur sont soumises. Cette dernière circonstance suffit à priver l’argument déduit de la nature des juridictions de toute sa pertinence. Elle suffit à tout le moins, par hypothèse, à exclure que cet argument soit érigé en «principe de droit, au sens de l’article 2 du Code judiciaire. Même s’il était fondé, le même argument ne serait pas assez précis pour écarter l’application des articles 972, 973 et 978 du Code judiciaire. Il résulte au contraire d’un enseignement constant de la doctrine et de la jurisprudence qu’au stade du jugement, la procédure pénale est essentiellement contradictoire.

A.1.6.4. Quant aux principes généraux de la procédure pénale qu’expriment les articles 153, 190 et 211, dont il résulte que la procédure de jugement est publique, orale et contradictoire, ils commandent tout au contraire l’application de la règle du contradictoire aux expertises pénales ordonnées par les juridictions de jugement; c’est d’ailleurs sur la base de cette règle que, par exemple, le juge du fond ne peut procéder à une visite des lieux qu’en présence des parties et en se constituant préalablement en audience publique; or, l’on n’aperçoit pas de différence notable qui, à ce degré de généralité et d’importance des principes, existerait entre l’expertise ordonnée par la juridiction de jugement et la visite des lieux ordonnée par la même juridiction.

Dès lors, en l’absence de principe de droit en procédure pénale qui permettrait d’écarter l’application des articles 962 et suivants du Code judiciaire aux expertises ordonnées par les juridictions répressives de jugement et, parmi ces dispositions, celles qui assurent à l’expertise un déroulement contradictoire, les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’excluent pas, et au contraire commandent, l’application des articles 972 et suivants du Code judiciaire, et, dans cette interprétation, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

A.1.7. Dans l’interprétation traditionnelle, les dispositions en cause engendrent une discrimination entre le défendeur à l’action civile fondée sur une mort accidentelle et portée devant une juridiction civile, d’une part, et le prévenu, et le cas échéant la personne qui en est civilement responsable, ainsi que leur assureur, contre lesquels, outre l’action publique dirigée contre le prévenu luimême, cette même action civile est dirigée devant une juridiction répressive, d’autre part.

Les seconds sont en effet privés du droit de participer à la recherche et à la manifestation de la vérité judiciaire et disposent de moyens d’investigation plus faibles et moins efficaces que le premier, alors qu’ils sont exposés à des poursuites pénales et donc à un jugement de nature à porter atteinte à leur honneur et à leur liberté. Au demeurant, cette différence de traitement contraste sans justification apparente avec la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle «le juge du fond ne peut procéder à une visite des lieux qu’en présence des parties et en se constituant préalablement en audience publique.

A.1.8. La jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle «lorsqu’une expertise n’a pas été faite conformément à des règles qui ne sont pas prescrites à peine de nullité, il ne peut s’en déduire que la cause n’a pas été entendue équitablement, alors que les parties ont été en mesure, devant la juridiction appelée à statuer au fond, de contester le rapport d’expertise, non seulement quant aux irrégularités alléguées, mais quant aux constatations et aux conclusions de l’expert est un tempérament qui ne suffit pas à faire disparaître la discrimination en cause car il est d’ordre purement théorique et formel.

En effet, d’une part, l’exercice, par le prévenu, de son droit de contester à l’audience un rapport d’expertise réalisé non contradictoirement peut, chaque fois que la contradiction ne peut être différée (disparition des données et pièces sur lesquelles est fondée l’expertise, autopsie), s’avérer impossible. Tel est aussi le cas lorsque, comme en l’espèce, l’expert déclare se fonder sur des éléments d’un dossier médical dont il ne reproduit rien, et qu’il ne livre que l’interprétation qu’il en retient. D’autre part, le caractère théorique et formel de l’argumentation de la jurisprudence traditionnelle résulte de manière plus générale du fait que cette argumentation laisse subsister la discrimination que subissent le prévenu, le civilement responsable et leurs assurés sur le plan de l’intime conviction du juge. En effet, même s’il leur est théoriquement loisible de critiquer le rapport de l’expert à l’audience, il reste que ce rapport aura précédé la formulation des critiques et sera soumis au juge dans sa seule version initiale, c’est-à-dire vierge de toute critique.

A.1.9. La jurisprudence traditionnelle aboutit à une seconde discrimination, qui résulte d’une comparaison des coûts. Le coût d’une contre-expertise que le prévenu doit supporter pour tenter de rétablir la contradiction, à supposer que la nature de l’expertise le permette – quod non en l’espèce est systématiquement plus élevé que le coût de la participation à une expertise judiciaire, contradictoire ab initio.

A.1.10. Ces discriminations ne peuvent être justifiées par le prétendu principe selon lequel les règles de procédure sont fonction de la nature de la juridiction saisie (A.1.6.2 à A.1.6.4) et la solution qui consiste, au nom du caractère trop libéral des règles du Code judiciaire en matière d’expertise, à conférer un caractère non contradictoire à l’expertise pénale ordonnée par une juridiction de jugement est hors de toute proportion avec l’objectif d’efficacité et de célérité poursuivi. Plusieurs éléments doivent en effet être pris en compte il incombe au ministère public, partie au procès pénal, d’assumer le rôle de la partie la plus diligente; l’informatisation récente des greffes permet aux juges d’assurer un contrôle réel sur le respect des délais fixés pour l’exécution des expertises; l’argument du prétendu manque d’efficacité des règles du Code judiciaire par rapport aux nécessités des poursuites pénales, est en tout cas sans objet en ce qui concerne les expertises ordonnées dans le cadre de l’action civile uniquement; l’article 990 du Code judiciaire qui permet aux experts de différer l’accomplissement de leur mission jusqu’au versement d’une provision est inapplicable aux expertises pénales; enfin, l’expertise unilatérale n’est pas toujours un gage d’efficacité car, faute de contradiction ou en raison des arguments techniques qui ne sont soulevés qu’à l’audience par les parties, elle mène régulièrement le procès pénal dans une impasse au stade de l’audience.

A.1.11. L’arrêt rendu par la Cour le 21 mars 1995 a censuré, en matière de prescription, une discrimination qui, comme en l’espèce, existait entre les parties à l’action civile née d’une infraction et les parties à l’action civile fondée sur une faute non constitutive d’infraction, et qui en outre, toujours comme en l’espèce, présentait un caractère paradoxal (J. T., 1995, p. 262).

Cette discrimination dénoncée par la Cour au profit des victimes de faits qualifiés d’infractions doit, mutatis mutandis et par identité de motifs, être dénoncée, cette fois en matière d’expertise et au profit des auteurs des mêmes faits. On observera d’ailleurs que cette discrimination est susceptible de se produire au détriment du demandeur à l’action civile portée devant la juridiction répressive, dans l’hypothèse où un rapport d’expertise non contradictoire exclurait la relation causale entre la faute et le décès de la victime.

Mémoires du Conseil des ministres (affaires portant les numéros 957 et 980 du rôle)

A.2.1. L’expertise en cause dans l’affaire portant le numéro 957 du rôle n’a pas été ordonnée par le procureur du Roi ou le juge d’instruction mais par une juridiction de jugement; les juridictions de jugement ont le pouvoir d’ordonner de telles expertises et de choisir des experts, certes en l’absence de toute règle dans le Code d’instruction criminelle, mais eu égard à la circonstance qu’aucune disposition de la loi ne le leur interdit. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’expertise ordonnée par le juge d’instruction et par les juridictions de fond n’est pas soumise aux règles de la contradiction.

A.2.2. Les expertises en cause ne concernent pas l’action civile mais l’action publique elle-même, en vue de livrer au juge les éléments nécessaires afin de juger de celle-ci. Contrairement à ce qu’énoncent les décisions en cause, les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle ne concernent nullement l’expertise ordonnée par le juge du fond en matière pénale, ni a fortiori l’expertise ordonnée par le tribunal correctionnel ou la chambre du conseil la compétence de la juridiction de fond de désigner un expert-médecin découle en effet de l’économie générale du Code et de la compétence des juridictions de jugement d’ordonner des mesures d’instruction supplémentaires.

A.2.3. La distinction entre les deux catégories de citoyens, mentionnées par les questions préjudicielles, c’est-à-dire les parties dans un procès civil et les parties dans un procès pénal, repose sur un critère objectif et ne viole aucunement les principes de l’égalité des Belges et de la non-discrimination prévus aux articles 10 et 11 de la Constitution belge.

En tant qu’elle est fonction de la nature de la juridiction qui ordonne l’expertise, la distinction repose sur un critère objectif.

A.2.4. Elle est également raisonnablement justifiée en tenant compte du but de la mesure critiquée et de la nature des principes en cause. La non-applicabilité des dispositions du Code judiciaire en ce qui concerne l’expertise pénale est en effet la conséquence du caractère inquisitoire et unilatéral de l’instruction en matière répressive, qui est un des principes de base du Code d’instruction criminelle et qui s’applique aux expertises ordonnées en vue de statuer tant sur l’action publique intentée contre le prévenu que sur l’action civile. La circonstance qu’il pourrait s’agir devant le tribunal civil et la juridiction pénale d’une appréciation de la même faute et de la même relation causale ne peut pas être décisive. Même s’il s’agit de l’appréciation de la même faute, il reste le fait que l’action publique est entamée par le ministère public devant la juridiction répressive, tandis qu’une procédure civile est entamée par un citoyen et ne peut aboutir à une condamnation pénale (affaire portant le numéro 957 du rôle). Et les différences fondamentales entre les procédures devant les juridictions répressives et les procédures devant les juridictions civiles peuvent justifier un traitement différent, même si l’expertise ordonnée par une juridiction répressive concerne en partie les intérêts civils (affaire portant le numéro 980 du rôle).

A.2.5. La nature essentiellement différente du procès pénal et du procès civil explique également la différence de traitement. La procédure pénale résulte d’un délit à la suite duquel des sanctions pénales et infamantes peuvent être infligées au prévenu; elle a pour objectif la vérité et vise à juger l’action publique.

De la nature spécifique d’une procédure pénale résultent dès lors la présomption d’innocence et le caractère secret et inquisitoire de l’instruction. A l’origine, l’information et l’instruction sont, par la force des choses, secrètes pour éviter soit de jeter le discrédit sur les personnes, soit d’alerter les coupables. Aussi bien, l’expertise peut être entamée à l’insu de la personne soupçonnée, qui peut ainsi n’en rien savoir. D’autre part, l’inculpé est présumé innocent. Il est absolument passif.

L’expertise, ordonnée par les juridictions de jugement, doit être considérée comme la suite de l’instruction préparatoire. Les juridictions de jugement ont en effet le droit et même l’obligation d’ordonner des mesures d’instruction complémentaires chaque fois qu’elles jugent l’instruction préparatoire incomplète. Seul le débat à l’audience de la juridiction de jugement est contradictoire. En effet, les articles 153, 190 et 211 du Code d’instruction criminelle ne garantissent la contradiction que lors de la seule audience.

A.2.6. Le procès civil vise, au contraire, à juger d’une demande de réparation il résulte non d’une initiative du ministère public mais en principe d’une contestation individuelle et ne peut aboutir à une peine infamante pour le défendeur, même s’il concerne un fait qui pourrait être qualifié de délit. Dans cette situation, le caractère contradictoire de l’expertise est plus logique et compatible avec les principes généraux de la procédure civile.

A.2.7. La distinction est aussi raisonnablement justifiée eu égard à la position du prévenu celui-ci est présumé innocent, a droit au silence et ne peut être obligé de coopérer à la recherche de la preuve. Si l’expertise pénale était contradictoire, son refus de coopération pourrait être interprété comme un aveu ou d’une manière qui ne lui serait pas favorable. Il peut en revanche préférer ne critiquer l’expertise que lors des débats à l’audience, la procédure étant alors accusatoire et les droits de défense pouvant peut-être s’exercer plus librement lorsque le prévenu n’a pas assisté aux opérations de l’expertise sur l’action publique.

A.2.8. Quant à la conformité des articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, évoquée par la question préjudicielle dans l’affaire portant le numéro 980 du rôle, l’on a dit que les articles 153, 190 et 211 du Code d’instruction criminelle ne garantissent le caractère contradictoire de la procédure que lors de la seule audience. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui a fait à plusieurs reprises application de ce principe, est conforme à celle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rappelé à différentes reprises que le caractère équitable d’un procès doit être apprécié en tenant compte de l’ensemble de la procédure «La tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuves, revêt un caractère équitable (Cour européenne des droits de l’homme, 22 avril 1992, affaire Vidal, Publ. Cour, série A, volume 235B, n° 33; Cour européenne des droits de l’homme, 15 juin 1992, affaire Lüdi, Publ. Cour, série A, volume 238, n° 43).

Mémoire en réponse de T. Kerman et de la s.a. ISS Servisystem (affaire portant le numéro 957 du rôle)

A.3.1. La jurisprudence traditionnelle rappelée par le Conseil des ministres ne suffit pas à justifier une réponse négative à la question préjudicielle – qui porte sur les dispositions en cause dans l’interprétation qui résulte précisément de cette jurisprudence traditionnelle et ne lie pas la Cour d’arbitrage. Celle-ci est invitée à consacrer une interprétation des règles légales actuellement soumises à sa censure telle que ces règles se révèlent conformes à la Constitution. Les considérations qui suivent sont donc formulées à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour d’arbitrage ne retiendrait pas cette interprétation conciliante.

A.3.2. Le critère organique, premier élément de justification avancé par le Conseil des ministres, ne résiste pas à l’analyse, à peine de vider l’article 2 du Code judiciaire de son contenu (A.1.6 et suivants).

A.3.3. La nature inquisitoire de la procédure, deuxième élément de justification avancé, est un argument dépourvu de toute pertinence, dans la mesure où, contrairement à ce qu’affirme le Conseil des ministres, la procédure répressive est bien contradictoire lorsque, comme en l’espèce, l’on se situe en phase de jugement. Il résulte notamment des articles 153, 190 et 211 du Code d’instruction criminelle que la procédure de jugement est publique, orale et contradictoire; elle partage donc le caractère contradictoire de la procédure civile.

A peine de se contredire, le Conseil des ministres ne peut, dans le cadre de la question préjudicielle soumise à la Cour en l’espèce, combattre une thèse qu’il promeut simultanément sur le plan législatif, lorsque le ministre de la Justice présente un avant-projet de réforme de la procédure pénale qui consacre le rétablissement de la contradiction en de nombreuses étapes de la procédure répressive et ce, dès le stade de l’information et de l’instruction préparatoires (A.1.5).

A.3.4. La présomption d’innocence, troisième élément de justification avancé, ne permet pas d’établir l’adéquation indispensable entre le but poursuivi, à savoir la protection accrue du délinquant lorsqu’il encourt une sanction infamante, protection déjà traduite dans la présomption d’innocence, et le moyen utilisé, à savoir le caractère unilatéral de l’expertise ordonnée par la juridiction de jugement le justiciable dans une procédure civile – et donc contradictoire dispose en effet d’une garantie plus étendue.

La thèse du Conseil des ministres présuppose, pour qu’il y ait «différence, que cette présomption ne bénéficie à l’auteur de l’infraction que lorsque celui-ci est poursuivi devant la juridiction répressive. Or, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la règle de la présomption d’innocence est également applicable pour la preuve de la responsabilité civile, devant la juridiction civile si l’action est fondée sur un fait qualifié d’infraction. Cette dernière hypothèse est précisément celle avec laquelle les exposants comparent l’hypothèse de la poursuite de l’auteur de l’infraction devant la juridiction répressive, pour en déduire qu’il y a discrimination à leur détriment.

A.3.5. Le critère de «différenciation objective, déduit par le Conseil des ministres de la répartition de la charge de la preuve dans les procédures civile et pénale, ne résiste pas plus à l’analyse, car il ne peut être objectivé (l’attitude que pourrait empiriquement adopter tel ou tel prévenu et la réaction de tel ou tel magistrat à cette attitude ne peuvent certainement pas constituer un critère de justification objective et raisonnable de la discrimination litigieuse) et est inopérant puisque, en vertu de l’article 1315 du Code civil et de l’article 870 du Code judiciaire, c’est à la victime qu’il incombe de prouver la faute – constitutive d’infraction de celui qu’elle a assigné devant la juridiction civile, de telle sorte qu’à l’instar du prévenu poursuivi devant la juridiction répressive, le défendeur à l’action civile attrait devant la juridiction civile n’est légalement pas tenu de collaborer à l’administration de la preuve; s’il s’abstient de comparaître à l’expertise ordonnée par la juridiction civile, il se verra opposer les conclusions – le cas échéant défavorables de l’expert.

A.3.6. La jurisprudence traditionnelle consacre également une discrimination entre le demandeur à l’action civile portée devant la juridiction civile, d’une part, et la partie civile devant la juridiction répressive, d’autre part (A.1.11, in fine), car cette jurisprudence prive, en matière pénale, à la fois le prévenu et la partie civile du bénéfice de la contradiction.

A supposer même que la discrimination litigieuse puisse, dans le chef de l’auteur de l’infraction, être justifiée objectivement et raisonnablement sur la base d’un ou plusieurs des critères proposés par le Conseil des ministres, quod non, cette discrimination conserve un caractère inconstitutionnel à l’égard de la victime qui a porté, ou qui n’avait d’autre choix que de porter, sa réclamation devant la juridiction répressive, et qui reste étrangère à tous ces critères.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres dans l’affaire portant le numéro 957 du rôle

A.4.1. Suite au désistement des parties civiles, la question préjudicielle posée par le tribunal correctionnel de Bruxelles se limite à l’expertise ordonnée dans le cadre de l’action publique elle-même.

A.4.2. Contrairement à ce que soutiennent les parties adverses, les articles 90bis et 44bis du Code d’instruction criminelle ne visent pas à garantir au prévenu une véritable contradiction lors de l’expertise en matière répressive mais à créer la possibilité de se faire assister par un médecin choisi librement, lors de l’exécution des investigations qui impliquent une atteinte à la personne concernée. Ils ne créent aucun droit pour le médecin en question d’assister au déroulement ultérieur de l’expertise mais donnent au médecin seulement le droit d’assister à l’exploration corporelle ou au prélèvement sanguin; enfin, ils ne créent aucun droit dans le chef des autres parties qui se présenteront lors du procès pénal.

A.4.3. Même s’il est vrai que la Cour connaît la technique de l’interprétation conforme, c’est à tort que les parties adverses soutiennent que les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle peuvent être interprétés en deux sens différents ils excluent le caractère contradictoire de l’expertise pénale; la doctrine critique certes la jurisprudence de la Cour de cassation qui l’affirme mais ces critiques, loin de soutenir une interprétation conciliante des dispositions en cause, réclament une modification de la législation.

A.4.4. Contrairement à ce que soutiennent les parties adverses, la question n’est pas de savoir si le principe selon lequel la procédure est déterminée par la nature de la juridiction et non par les intérêts en contestation, constitue oui ou non un principe de droit dont l’application serait incompatible avec la règle du contradictoire prévue par le Code judiciaire c’est en réalité le caractère inquisitoire et unilatéral de l’instruction en matière répressive, un des principes de base du Code d’instruction criminelle, qui est un principe de droit de la procédure pénale, établi dans la jurisprudence de la Cour de cassation, dont l’application n’est pas compatible avec le respect du contradictoire. Quant aux articles 153, 190 et 211 du Code d’instruction criminelle, ils garantissent la contradiction seulement à l’audience elle-même et ne prescrivent aucunement à l’expert, commis en matière répressive, de procéder en présence des parties à ses recherches et constatations, ni de discuter avec elles ses conclusions.

A.4.5. Le prévenu ayant droit au silence, celui-ci pourrait faire l’objet d’une interprétation défavorable si l’expertise était contradictoire; il s’agit là d’une différence fondamentale entre procès civil et procès pénal et le fait que le rapport d’expertise est soumis au juge dans sa seule version initiale, c’est-à-dire vierge de toute critique, n’y change rien. Dans un procès civil, l’expert fait également une distinction entre son rapport original, qui a été envoyé en prélecture à toutes les parties, et la réponse qu’il a donnée aux remarques de ces parties.

A.4.6. Les différences entre les procédures civiles et pénales justifient un traitement différent, même si l’expertise porte sur une faute et une relation causale identiques. L’espèce qui a fait l’objet de l’arrêt n° 21/95 ne peut être comparée à celle examinée ici la première portait sur une discrimination entre les parties à l’action civile née d’une infraction et les parties à l’action civile fondée sur une faute non constitutive d’infraction alors que la seconde porte sur une distinction entre une procédure devant le juge pénal et une procédure devant le juge civil, toutes les deux sur la base d’une faute qui est constitutive d’infraction.

–B–

B.1. Par souci de synthèse, il y a lieu de fondre les deux questions préjudicielles en une seule, formulée en ces termes

«Les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge pénal agissant en qualité de juge du fond à respecter les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme

B.2. L’expertise n’est traitée par le Code d’instruction criminelle qu’en ce qui concerne les attributions du procureur du Roi en cas de flagrant crime (articles 43 et 44) et celles du juge au tribunal de police (article 148).

Il est de jurisprudence que les articles 962 à 991 du Code judiciaire relatifs à l’expertise, dispositions dont certaines exigent qu’elle se déroule d’une manière contradictoire, ne doivent pas obligatoirement être appliqués aux expertises devant les juridictions pénales.

B.3. Il existe ainsi une différence de traitement entre parties à un procès devant des juridictions civiles et parties à un procès devant des juridictions pénales, les premières étant les seules pour lesquelles le déroulement de l’expertise ordonnée par le juge revêt obligatoirement un caractère contradictoire.

B.4. Les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.

L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5. La Cour est interrogée uniquement quant au caractère non contradictoire de l’expertise lorsque c’est un juge pénal en sa qualité de juge du fond qui désigne un expert. Elle se limite à l’examen de l’expertise ordonnée à ce stade de la procédure.

B.6. La différence de traitement est en relation avec un critère objectif en raison de la nature de la juridiction saisie, même au stade de l’examen des intérêts civils.

B.7. Tant lorsque le juge statue sur les poursuites pénales que lorsqu’il statue sur l’action civile – les intérêts de la partie civile ne se distinguant pas de ceux de toute partie à un procès civil et l’objet de l’expertise pouvant être identique la différence de traitement en cause ne peut être justifiée. La procédure est, dans ces phases, contradictoire; l’absence de caractère contradictoire de l’expertise aboutit à ce que la recherche de la preuve puisse se faire au prix d’une atteinte aux droits de défense, ceux-ci ne pouvant s’exercer que lors de la discussion du rapport au cours des débats à l’audience.

La possibilité de contester ultérieurement un rapport d’expertise judiciaire n’assure pas nécessairement le respect des droits de défense. L’ancienneté des faits, la disparition d’indices matériels, l’impossibilité de faire procéder à des devoirs qui ne peuvent s’accomplir que dans un temps proche des faits litigieux tous ces éléments réduisent les chances de pouvoir contester utilement les conclusions d’une expertise à laquelle on n’a pas pu participer. A supposer que celui qui critique une expertise obtienne du juge qu’il en ordonne une nouvelle, celle-ci ne sera pas obligatoirement contradictoire et ne permettra donc pas dans tous les cas la confrontation des points de vue.

Interprétées en ce sens qu’elles n’obligeraient pas l’expert désigné par le juge du fond en matière pénale à respecter les règles de la contradiction, les dispositions mentionnées dans la question préjudicielle violent les articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

B.8. L’article 2 du Code judiciaire dispose cependant que les règles énoncées dans ce Code s’appliquent à toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci sont régies par des dispositions légales non expressément abrogées ou par des principes de droit dont l’application n’est pas compatible avec celle des dispositions dudit Code. On a pu dire que le Code judiciaire constitue «le droit commun de la procédure, y compris la procédure pénale (Exposé des motifs du projet de loi contenant le Code judiciaire, Doc., Sénat, 1963-1964, n° 60, p. IV, et rapport de M. Charles Van Reepinghen, Commissaire royal à la réforme judiciaire, idem, p. 60).

L’article 2 du Code judiciaire s’oppose à ce que, notamment, les dispositions qui, dans ce Code, se réfèrent à l’accord des parties ou subordonnent certains effets à leur initiative s’appliquent en matière pénale, où l’autonomie de la volonté des particuliers n’a pas de place. Mais à peine de méconnaître cet article 2, la circonstance que la juridiction ordonnant l’expertise est une juridiction pénale ne suffit pas à rendre inapplicables, parmi les dispositions du Code judiciaire qui assurent la contradiction, celles dont l’application est compatible avec les principes du droit répressif il n’existe pas de dispositions légales régissant l’expertise, ordonnée par le juge pénal, qui interdiraient ou rendraient impossible l’application à cette expertise de toutes les dispositions du Code judiciaire qui garantissent le caractère contradictoire de l’expertise en matière civile; il n’existe pas davantage de principes de droit qui excluraient l’application de toutes ces dispositions à l’expertise ordonnée par le juge pénal.

B.9. Lus, à la lumière de l’article 2 du Code judiciaire, de la façon qui vient d’être exposée, les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par ces motifs:

La Cour dit pour droit

–Les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés en ce sens qu’ils n’obligeraient l’expert désigné par un juge pénal agissant en qualité de juge du fond à respecter aucune des règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

–Les articles 43, 44 et 148 du Code d’instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés à la lumière de l’article 2 du Code judiciaire comme ne dispensant pas l’expert désigné par un juge pénal agissant en qualité de juge du fond de respecter, dans la mesure, indiquée au B.8, où leur application est compatible avec les principes du droit répressif, les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage, à l’audience publique du 30 avril 1997, par le siège précité, complété par le juge R. Henneuse, le président M. Melchior étant légitimement empêché d’assister au prononcée du présent arrêt.

Le greffier, Le président f.f.,

L. Potoms L. François

BEL / 1997 / A23
Belgique / Cour d’Arbitrage / 6-11-1997 / Arrêt n° 67-97 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative 5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.27.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits à la vie familiale – filiation

Adoption plénière

Pouvoir d’interprétation de la Cour d’arbitrage

Aux termes de l’article 370, § 1er , alinéa 2, du Code civil, les adoptés par adoption plénière «cessent d’appartenir à leur famille d’origine. En l’absence de texte légal prévoyant une exception, cette disposition s’appliquerait aussi à l’adopté, selon l’interprétation qui en est donnée par le juge a quo, à l’égard de son auteur conjoint de l’adoptant. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre enfants adoptés plénièrement selon qu’ils le sont par le conjoint de leur parent d’origine ou par des époux, puisque le lien de filiation sera unique pour les uns et double pour les autres.

[…]

Etant entendu que l’article 370, § 1er , alinéa 2, du Code civil n’est pas applicable au cas de l’adoption plénière par le conjoint de l’auteur de l’adopté, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

En revanche, elle appellerait une réponse positive si cette disposition était interprétée de la manière indiquée par le juge a quo.

Dispositif. La Cour dit pour droit

L’article 370, § 1er , alinéa 2, du Code civil, interprété de la manière indiquée par le juge a quo, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Cette même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution si elle est interprétée comme ne s’appliquant pas au cas de l’adoption plénière par le conjoint de l’auteur de l’adopté.

BEL / 1997 / A24
Belgique/Cour d’Arbitrage/17-12-1997/Arrêt n°77-97 (jurisprudence constante) /abstrats

4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.2.4.2.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – origine nationale ou ethnique

Principe d’égalité – Application aux étrangers

L’article 191 de la Constitution dispose «Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi. Il s’ensuit qu’une différence de traitement qui défavorise un étranger ne peut être établie que par le législateur. L’article 191 n’a pas pour objet d’habiliter le législateur à se dispenser, lorsqu’il établit une telle différence, d’avoir égard aux principes fondamentaux consacrés par la Constitution. Il le rappelle d’ailleurs expressément en posant en règle que l’étranger qui se trouve sur le territoire «jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens. Il ne résulte donc en aucune façon de l’article 191 que le législateur puisse, lorsqu’il établit une différence de traitement au détriment d’étrangers, ne pas veiller à ce que cette différence ne soit pas discriminatoire, quelle que soit la nature des principes en cause.

BEL / 1998/ A25
Belgique/Cour d’Arbitrage/1-04-1998/Arrêt n° 34-98 (jurisprudence constante)/abstrats

3.16 Principes généraux – proportionnalité
3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non- discrimination

Principe d’égalité – Généralités

Les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.

L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

BEL / 1998 / A26
Belgique/Cour d’Arbitrage/1-04-1998/Arrêt n°40-98 (jurisprudence constante)/abstrats

3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Principe d’égalité – Traitement différent de situations identiques

Les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s’opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnabilité entre les moyens employés et le but visé.

Cour constitutionnelle du Bénin

BEN / 1993 / A01
Bénin/Cour constitutionnelle/16, 18 et 25-11-1993/Décision DCC-04-93/Avis/extraits

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
4.4.4.1 Institutions – organes juridictionnels – organisation – membres
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable

Justice (égalité devant la justice) – Récusation

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que l’article 8 de la Loi Organique organise la récusation des membres de la Haute Cour de Justice;

– que cette récusation si elle est effective, modifie la composition de la Haute Cour de Justice;

Considérant que l’article 135 de la Constitution dispose:

«La Haute Cour de Justice est composée des membres de la Cour constitutionnelle, à l’exception de son Président, de six (6) députés élus par l’Assemblée nationale et du Président de la Cour suprême…»

– que la Constitution n’a envisagé ni prévu de suppléants à ces membres qui dans l’exercice de leurs fonctions n’en ont pas;

– que tous les membres désignés à la Haute Cour de Justice par la Constitution y sont ès qualité et qu’il est contraire à la Constitution de leur adjoindre des remplaçants;

Considérant que cette juridiction, dans sa composition résultant de l’admission de la récusation, risque de créer une inégalité entre les mis en accusation parce qu’elle ne pourrait remplacer le (s) membre (s) récusé (s) et siégerait sans celui ou ceux-ci;

– que le nombre de ces membres varierait ainsi d’une affaire à l’autre;

– que cette inégalité devant la justice est beaucoup plus choquante que celle consistant à faire siéger un parent ou un sachant;

– que la participation d’un tel membre, a l’avantage de respecter les dispositions expresses de la Constitution;

– que l’article 8 de la Loi Organique aboutissant en fait à modifier la composition de la Haute Cour de Justice doit être déclaré non conforme à la Constitution;

(…)

Décide:

Article 1er . – Sont déclarés conformes à la Constitution les articles 1, 2, 3, 6, 7, 9, 10, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 23, 26, 28, 30, de la Loi Organique n° 93-013 relative à la Haute Cour de Justice.

Article 2. – Sont déclarés non conformes à la Constitution les articles 8, 21 dans leur entièreté et 22 partiellement.

Article 3. – Sont déclarés conformes à la Constitution sous réserve de ce qui est développé ci-dessus les articles 4, 5, 11, 12, 14, 15, 20, 24, 25, 27, 29, 31, 32.

Article 4. – Les articles de la Loi Organique visés aux articles 2 et 3 de la présente décision ne sont pas séparables de l’ensemble de cette loi.

Article 5. – De nouveaux articles doivent être créés pour préciser les pouvoirs de la Chambre d’Instruction, la procédure de prise de Corps, et pour intégrer les dispositions constitutionnelles relatives aux effets de la décision de mise en accusation du Président de la République.

Article 6. – La présente décision sera notifiée au Président de la République et au Président de l’Assemblée nationale.

Article 7. – La présente décision sera publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1994 / A02
Bénin/Cour constitutionnelle/19 et 31-05-1994, et 3-06-1994/Décision DCC 1894/extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Charte africaine des Droits fondamentaux et des peuples – Déroulement de carrière

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que Monsieur AHOSSI Comlan Basile soutient que l’Arrêté Interministériel précité viole la Constitution en ce qu’il constitue une privatisation de la Fonction Publique n’obéissant à aucune logique défendable, puisqu’aux termes de l’article 13, paragraphe 2 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, «tous les citoyens ont également le droit d’accéder aux fonctions publiques de leur pays qu’ainsi ledit Arrêté n’est pas conforme à la Constitution

Considérant que les dispositions de l’article 8 alinéa 2 de la Constitution et de l’article 13-2 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples proclament le principe de l’égale accès des citoyens aux fonctions publiques que ce principe emporte lui-même une conséquence celle de l’égalité de déroulement de la carrière que l’organisation de ce principe relève du domaine de la loi conformément à l’article 98 de la Constitution Considérant que la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant Statut Général des Agents Permanents de l’Etat édicte en ses articles 12, 16 et 69 les conditions d’accès aux emplois publics et le mode de recrutement des fonctionnaires que les conditions énumérées à l’article 12, portent sur la citoyenneté, les droits civiques, la bonne moralité, la position militaire, l’aptitude physique, l’âge et la non discrimination fondée sur le sexe

Considérant que le Décret n° 93-103 portant Statut particulier des Corps des personnels de l’Administration des Douanes et des Droits Indirects en son article 7 dispose «les Préposés des Douanes sont recrutés exclusivement par voie de concours direct parmi les candidats des deux sexes remplissant les conditions prévues à l’article 12 du statut Général des Agents Permanents de l’Etat et titulaires du Brevet d’Etudes du Premier Cycle ou de tout autre diplôme reconnu équivalent…

Considérant que l’Arrêté querellé, par ses dispositions à portée générale, est un acte réglementaire qui justifie son contrôle en constitutionnalité qu’en son article 3-b, il limite aux seuls fonctionnaires en service au Ministère des Finances la possibilité de se présenter à ce test de recrutement

Considérant que si les exigences du Programme d’Ajustement Structurel et l’effectif pléthorique des agents en service au Ministère des Finances peuvent justifier que le test en cause ne soit pas ouvert à tous les citoyens, il doit néanmoins être accessible à tous les Agents Permanents de l’Etat de la catégorie concernée qui doivent bénéficier tous d’un droit égal dans le déroulement de arrière qu’en se limitant, comme il l’a fait, aux seuls agents en service dans le Ministère des Finances, l’accès audit test, l’Arrêté critiqué pose une mesure discriminatoire non conforme à la Constitution

Considérant que la disposition contenue dans l’article 3-b dudit Arrêté n’est pas séparable de l’ensemble du texte

Décide:

Article 1er . – L’Arrêté Interministériel n° 93-068/MFPRA/MFC/DC du 4 août 1993 portant fixation des modalités et programmes du test de sélection des Préposés des Douanes, n’est pas conforme à la Constitution

Article 2. – La présente décision sera notifiée à Monsieur AHOSSI Comlan Basile, au Ministère des Finances, au Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1995 / A03
Bénin/Cour constitutionnelle/23-03-1995/Décision EL-95-011/texte intégral

4.2.13 Institutions – organes législatifs – partis politiques
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Bulletins de vote – Candidats (à une élection) – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

Saisie d’une requête non datée du «Parti Communiste du Bénin» (P.C.B.) représenté par son Responsable Chargé des Relations Publiques, Monsieur Philippe NOUDJENOUME, B.P. 2582 Cotonou, enregistrée le 21 mars 1995 au Secrétariat de la Cour sous le numéro 0381, par laquelle ce parti sollicite de la Cour «d’infirmer la décision et l’acte pris par la Commission Electorale Nationale Autonome (C.E.N.A.)» et relatifs au changement de la couleur du bulletin de la liste «Pour une République Démocratique Indépendante et Moderne (R.D.I.M.)» soutenue par ledit Parti, et «d’ordonner que le P.C.B. soit rétabli dans son identité et dans sa couleur conformément aux articles 5, 6 et 23 de la Constitution du 11 décembre 1990, 31, 32 et 33 de la Loi n° 94-015 du 27 janvier 1995»;

Vu La Constitution du 11 décembre 1990;

Vu La Loi Organique n° 91-009 du 04 mars 1991 sur la Cour constitutionnelle;

Vu La Loi n° 94-013 du 17 janvier 1995 portant règles générales pour les Elections du Président de la République et des Membres de l’Assemblée nationale;

Vu La Loi n° 94-015 du 27 janvier 1995 définissant les règles particulières pour l’Election des Membres de l’Assemblée nationale;

VU Le Règlement Intérieur de la Cour constitutionnelle; Ensemble les pièces du dossier;

Ouï Monsieur Alfred ELEGBE en son rapport;

Après en avoir délibéré,

Considérant que Monsieur Philippe NOUDJENOUME:

expose que le P.C.B. a déposé, conformément à la loi, la déclaration de la liste de ses candidats aux élections législatives de mars 1995 ainsi que la couleur et l’emblème que le parti a choisis pour l’impression de ses bulletins; qu’aucune objection n’a été faite sur la régularité de ses signes distinctifs notamment la couleur rouge vermeil; qu’aucun parti en lice au Bénin n’a choisi une telle couleur, et que ses candidats ont fait campagne et largement diffusé le bulletin de vote ainsi accepté;

affirme que «durant tout ce temps, la C.E.N.A. avait préféré commander subrepticement pour le compte du P.C.B. des bulletins aux couleurs roses, permettant ainsi la confusion avec d’autres partis et donc la fraude»; soutient que la C.E.N.A. s’est donnée plus de pouvoir que la loi ne lui a accordé en modifiant de son propre chef la couleur de son bulletin, en violation des règles de transparence du processus électoral, de l’égalité de chance entre les candidats et de l’égalité de tous les citoyens devant la loi; que la C.E.N.A. refuse la recherche de toute solution susceptible de réparer sa faute et tente d’imposer au P.C.B. le soin de trouver et de payer à ses frais les bulletins;

Considérant que par son communiqué radio objet de sa lettre n° 141/CENA/PT du 07 mars 1995, la C.E.N.A. avait fait diffuser que «compte tenu de ses moyens financiers, la C.E.N.A. a décidé de laisser la possibilité aux Partis Politiques de choisir entre cinq (5) couleurs, la couleur du papier devant servir à imprimer leur bulletin de vote; les couleurs retenues étant le bleu, le blanc, le jaune, le vert et le rouge»;

Considérant qu’il ressort du récépissé définitif n° 0015 délivré le 08 mars 1995 par le Président de la C.E.N.A. qu’il «reconnaît avoir reçu la déclaration de Candidature du P.C.B. déposée par Monsieur NOUDJENOUME Philippe le 26 février 1995 et certifie après examen dudit dossier de candidature qu’il est conforme aux exigences de la loi et qu’en «conséquence, le Parti susvisé est autorisé à prendre part aux Elections Législatives prévues pour le 28 mars»; Considérant qu’aux termes de l’article 31 de la Loi n° 94-015 du 27 janvier 1995, «La déclaration doit mentionner… 3° la couleur, l’emblème ou le signe que le Parti choisit pour l’impression des bulletins…»;

Considérant que la couleur rouge vermeil choisie par le P.C.B. et acceptée par le C.E.N.A. pour l’impression de ses bulletins de vote ne l’a été par aucun autre parti; qu’au demeurant, cette couleur fait partie des couleurs retenues par la C.E.N.A. elle-même; que les circonstances de fait ne sauraient justifier la décision prise unilatéralement par cette institution de substituer à la couleur déposée par le P.C.B. une autre; que le principe de l’égalité entre les partis commande qu’ils connaissent le même traitement; que les négociations intervenues entre la C.E.N.A. et le P.C.B. ne sauraient remettre en cause ce principe fondamental de notre Droit; que, dès lors, il y a lieu d’annuler la décision de la C.E.N.A. relative au choix de la couleur pour l’impression des bulletins de vote du P.C.B.;

Décide:

Article 1er . – Est annulée la décision prise par la Commission Electorale Nationale Autonome (C.E.N.A.) et portant sur le changement de la couleur du bulletin de la liste «Pour une République Démocratique Indépendante et Moderne» (R.D.I.M.) soutenue par le Parti Communiste du Bénin (P.C.B.).

Article 2. – La présente décision sera notifiée au Parti Communiste du Bénin (P.C.B.) représenté par Monsieur Philippe NOUDJENOUME, à la Commission Electorale Nationale Autonome (C.E.N.A.) et publiée au Journal officiel.

Ont siégé à Cotonou, le vingt-trois mars mil neuf cent quatre-vingt-quinze,

Madame Elisabeth K. POGNON, Président

Messieurs Alexis HOUNTONDJI, Vice-Président

Bruno O. AHONLONSOU, Membre

Pierre EHOUMI, Membre

Alfred ELEGBE, Membre

Hubert MAGA, Membre

Maurice GLELE AHANHANZO, Membre

Le Rapporteur, Alfred ELEGBE

Le Président, Elisabeth K. POGNON.

BEN / 1995 / A04

Bénin / Cour constitutionnelle / 17-08-1995 / Décision DCC 95-029 / extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Démission (obligation de)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que dans la première requête susvisée, le Médecin-Lieutenant Colonel Soulé DANKORO soutient qu’il a été objet de persécution et de brimades sous diverses formes; que ces traitements ont atteint leur paroxysme avec la sanction disciplinaire de soixante (60) jours d’arrêt de rigueur prise à son encontre par le Ministre d’Etat à la Présidence de la République Chargé de la Coordination de l’Action Gouvernementale et de la Défense Nationale après le 1er janvier 1995, alors qu’à cette date, et suite à sa démission des Forces Armées du Bénin en application de l’article 81 alinéa 3 de la Constitution, il ne faisait plus partie de l’armée active;

Considérant que, dans la seconde requête, le Docteur Soulé DANKORO développe qu’ayant présenté le 30 décembre 1994 au Président de la République sa démission pour participer aux élections législatives de mars 1995, ce dernier ne peut, sans violer les articles 13 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples et 81 de la Constitution, ni la refuser en gardant le silence ni y faire obstacle en reportant sa date d’effet;

Considérant que les deux requêtes susvisées émanent de la même personne et tendent principalement, au contrôle de l’application de l’article 81 de la Constitution; qu’il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule et même décision;

Considérant que les «menaces d’intimidation, de brimades et de persécution de la part des plus Hautes Autorités civiles et militaires du Bénin sur le docteur Soulé DANKORO, alléguées par celui-ci, sont évoquées pour décrire l’atmosphère dans laquelle a été prise la sanction disciplinaire que le requérant défère à la censure de la Cour; que le véritable objet des recours présentés par le docteur Soulé DANKORO est l’inconstitutionnalité d’une part, des décisions du Président de la République suite à sa démission et, d’autre part, de la sanction disciplinaire;

Sur la démission du docteur Soulé DANKORO

Considérant qu’il résulte du dossier que le requérant a, par lettre datée du 30 décembre 1994, présenté au Président de la République, sur la base de l’article 81 alinéa 3 de la Constitution, sa démission des Forces Armées Béninoises pour être candidat aux élections législatives du 28 mars 1995; qu’à la date de la saisine de la Cour, le 1er mars 1995, aucune réponse n’avait été faite à sa demande; que, par lettre du 08 mars 1995, le Ministre d’Etat à la Présidence de la République, Chargé de la Coordination de l’Action Gouvernementale et de la Défense Nationale a notifié au Médecin-Lieutenant-Colonel DANKORO la décision du Président de la République d’accepter sa démission avec effet à compter du 1er juillet 1995;

Considérant que, de l’analyse de ces faits, le sieur DANKORO déduit que le silence gardé par le Président de la République sur sa démission équivaut à une décision implicite de rejet; que l’acceptation ultérieure du Président de la République de sa démission avec effet au 1er juillet 1995 prive de son objet cette démission qui a été donnée dans le but de lui permettre de se porter candidat aux élections du 28 mars 1995; qu’il est établi qu’il y a une volonté de l’empêcher de postuler aux élections législatives; que ces décisions du Président de la République violent, d’une part, l’article 13-1 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, et d’autre part, l’article 81 alinéa 3 de la Constitution en ce que ces dispositions constitutionnelles affirment la jouissance d’un droit fondamental de la personne humaine et en organisent l’exercice sans condition au profit des membres des Forces Armées et de Sécurité Publique; que cette démission est «dérogatoire de la démission telle que prévue par le droit commun;

Considérant que l’article 13-1 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples dispose: «Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi.;

Considérant que, pour exercer ce droit solennellement proclamé, l’article 81 alinéa 3 de la Constitution dispose «Tout membre des Forces Armées ou de Sécurité Publique qui désire être candidat aux fonctions de député doit au préalable donner sa démission des Forces Armées ou de Sécurité Publique.;

Considérant qu’aucune disposition constitutionnelle ne met de limite à l’exercice de ce droit en organisant la procédure de démission en vue de permettre à un membre des Forces Armées ou de la Sécurité Publique d’être candidat aux élections législatives; que cette démission ne saurait, en conséquence, être régie par l’article 49 de la Loi n° 81-014 du 10 octobre 1981 portant Statut Général des Personnels des Forces Armées du BENIN et qu’elle s’impose dès que l’intéressé donne sa démission; qu’ainsi le silence gardé pendant un certain temps par le Président de la République à donner suite à la démission du Médecin-Lieutenant-Colonel DANKORO et sa décision de l’affecter d’une condition suspensive en lui faisant produire effet à une date postérieure à celle à laquelle elle lui a été notifiée ne sont pas conformes à la Constitution;

Sur la sanction disciplinaire infligée au docteur Soulé DANKORO

(…)

Décide:

Article 1er . – Les décisions du Président de la République relatives à la démission du Médecin-Lieutenant-Colonel Soulé DANKORO en vertu de l’article 81 alinéa 3 de la Constitution ne sont pas conformes à la Constitution.

Article 2. – La Cour est incompétente pour connaître de la sanction disciplinaire infligée au Docteur Soulé DANKORO.

Article 3. – La présente décision sera notifiée au Docteur Soulé DANKORO, au Ministre d’Etat à la Présidence de la République Chargé de la Coordination de l’Action Gouvernementale et de la Défense Nationale et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A05
Bénin/Cour constitutionnelle/26-04 et 2-05-1996/Décision DCC 96-025/extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
4.7 Institutions – forces armées, forces de l’ordre
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Loi (égalité devant la loi) – Refus de réintégration

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que Messieurs GNAHO N. Claude et ALIMAGNIDOKPO Léopold, Elèves Agents des Forces de Sécurité Publique allèguent:

–qu’ils ont été radiés par une décision du Ministre de la Défense le 26 mars 1984;

–que, suite à un recours gracieux qu’ils ont formé devant le Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’Administration Territoriale (MISAT), une commission inter-ministérielle a conclu à leur réintégration;

–que les diverses instructions du MISAT à l’endroit de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN) n’ont pas été suivies au motif qu’ils étaient élèves au moment de la sanction;

–que d’autres citoyens, dans les mêmes conditions qu’eux, ont été réintégrés suite à des recours gracieux;

Considérant que les requérants estiment qu’ils subissent par ces faits, un préjudice certain à cause de l’abstention ou de la complaisance de l’autorité à reconsidérer leur situation administrative et financière; qu’ils sollicitent que la Cour déclare que le refus de la Direction Générale de la Police Nationale de s’exécuter, viole les articles 30, 35 et 26 de la Constitution;

(…)

Considérant que les requérants soutiennent en outre que par la Décision 0089/PR/CAB/MIL du 25 septembre 1984 et le Décret n° 93-308 du 20 décembre 1993, pris en application de la Loi n° 81-014 du 10 octobre 1981 portant Statut Général des personnels militaires des Forces Armées Populaires du Bénin et la Loi n° 88-006 du 25 avril 1988 qui l’a modifiée, plusieurs élèves ont été réintégrés dans les effectifs des Forces Armées; que le refus du DGPN de leur faire bénéficier de la même mesure de réintégration constitue une violation de l’article 26 de la Constitution;

Considérant qu’aux termes de l’article 26 alinéa 1er de la Constitution, «L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale»; que cette égalité s’analyse comme une règle selon laquelle les personnes relevant de la même catégorie doivent être soumises au même traitement sans discrimination; Considérant qu’il ressort du dossier que la résistance opposée par le DGPN à leur réintégration, n’est fondée sur aucune cause discriminatoire; qu’il y a lieu de dire et juger que cette attitude n’a pas violé la disposition constitutionnelle précitée;

Décide:

Article 1er . – La Cour est incompétente pour connaître de l’application de la loi.

Article 2. – Le refus du Directeur Général de la Police Nationale d’exécuter les instructions du MISAT est contraire à l’article 35 de la Constitution.

Article 3. – La présente décision sera notifiée à Messieurs GNAHO N. Claude et ALIMAGNIDOKPO Léopold, au Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’Administration Territoriale et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A06
Bénin/Cour constitutionnelle/19-01 et 2-05-1996/Décision DCC 96-026/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.7 Institutions – forces armées, forces de l’ordre
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Déroulement de carrière – Loi (égalité devant la loi) – Loi (date d’application)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que Monsieur ATTA L. Boniface développe qu’en disposant, d’une part, en son article 111 que: «pour compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, il sera procédé à la reconstitution de carrière des Officiers de Police, Officiers de Paix, Inspecteurs de Police, Brigadiers et Sous-Brigadiers dont le déroulement normal de carrière avait été bloqué du fait de la non parution des statuts particuliers tels que prévu aux articles 50 dernier alinéa et 104 alinéa 2 de la Loi n° 81-014 du 10 octobre 1981 portant Statut Général des personnels militaires des Forces Armées Populaires du Bénin, d’autre part, en son article 113 que: «la présente loi entre en vigueur pour compter de la date d’effet de la Loi n° 90-015 du 18 juin 1990…, la Loi n° 93-010 du 4 août 1993 viole le principe d’égalité des citoyens devant la loi; qu’il conclut que ladite loi porte atteinte au principe d’égalité du déroulement de carrière entre les agents de la même catégorie puisque «certains policiers qui sont encore en activité mais dont le déroulement normal de carrière avait été bloqué du fait de la non parution des statuts auront droit à la reconstitution de carrière mais seulement à partir du 18 juin 1990 tandis que les droits acquis à la reconstitution de carrière par ceux-ci du 10 octobre 1981 au 18 juin 1990 n’est pas prise en considération, et que ceux qui sont admis à la retraite entre 1981 et 1990 n’auront droit à rien; leur carrière reste bloquée et ne sera pas reconstituée»;

Considérant que l’article 26 de la Constitution dispose en son alinéa 1er : «L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale.»; que l’article 3 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples affirme: «Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi»;

Considérant que la Loi n° 93-010 du 04 août 1993 vise les personnels de la Police Nationale; qu’en son article 111, elle détermine les bénéficiaires de la reconstitution de carrière, à savoir tous ceux qui sont soumis à la Loi n° 81-014 du 10 octobre 1981 précitée; qu’en opérant une distinction par le biais de la date de son application, les articles 111 et 113 de la Loi n° 93-010 créent, sans la justifier, une discrimination entre les agents de la même catégorie; qu’il y a donc lieu de les déclarer contraires à la Constitution en ce que, de leur lecture combinée, il résulte qu’ils fixent cette date pour compter du 18 juin 1990 seulement;

Décide:

Article 1er . – Les articles 111 et 113 de la Loi n° 93-010 du 04 août 1993 sont contraires à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera notifiée à Monsieur ATTA L. Boniface, au Président de l’Assemblée nationale, au Président de la République et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A07
Bénin / Cour constitutionnelle / 12-08-1996 / Décision DCC 96-049 / extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Départements ministériels – Déroulement de carrière

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que les requérants soulèvent tantôt l’inconstitutionnalité de l’Arrêté Interministériel n° 010/MFPRA/MF/DA du 24 février 1995 portant fixation des modalités et programmes du test de sélection des Préposés des Douanes, tantôt la mauvaise application dudit arrêté;

Considérant que ledit arrêté ne comporte aucune disposition exigeant une autorisation à concourir; que le grief tiré du refus d’autorisation à concourir allégué par les requérants relève de l’appréciation de l’application de l’arrêté déféré; que la Cour constitutionnelle, juge de la constitutionnalité et non de la légalité, ne peut en connaître;

Considérant que les dispositions de l’article 8 alinéa 2 de la Constitution et de l’article 13-2 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples proclament le principe de l’égal accès des citoyens aux fonctions publiques; que ce principe emporte lui-même une conséquence, celle de l’égalité dans le déroulement de la carrière;

en deux (2) phases:

La première phase sera ouverte aux Fonctionnaires du Ministère des Finances;

La seconde phase sera ouverte aux Fonctionnaires des autres Départements ministériels sans autres distinctions que celles relatives aux conditions d’accès»;

Qu’en faisant ainsi une distinction entre les fonctionnaires du Ministère des Finances et ceux des autres Départements ministériels, ledit arrêté crée une mesure discriminatoire non conforme à la Constitution.

Décide:

Article 1er . – La Cour constitutionnelle est incompétente pour connaître de l’application de l’Arrêté Interministériel n° 010/MFPRA/MF/DA du 24 février 1995 portant fixation des modalités et programmes du test des Préposés des Douanes.

Article 2. – L’article 1er de l’arrêté précité n’est pas conforme à la Constitution.

Article 3. – La présente décision sera notifiée à Messieurs YELOUASSI Louis Marie, TEDO Séraphin, MONTCHO M. Fiacre, TCHENAGNI O. François, HOUNNOUGBO Antoine, LOKOSSOU O. René et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A08
Bénin / Cour constitutionnelle / 21-10-1996 / Décision DCC 96-067 / extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Enseignants – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que les requérants soutiennent que l’article 17-a de l’Arrêté n° 001/MEN/CAB/ DC/DAPS du 22 janvier 1996 «interdit aux enseignants titulaires du BEPC notamment de continuer dans le corps faute d’attestation d’enseigner ou de diriger.»; qu’à la veille de la parution dudit arrêté, le gouvernement a délivré «des attestations secrètes à caractère préservatif à des amis; que cet «acte qui a manqué de caractère officiel, voire juridique est contraire à l’article 26 alinéa 1 de la Constitution qui dispose: «l’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, d’opinion politique ou de position sociale;

Considérant que l’article 17-a déféré dispose: «l’autorisation d’enseigner est accordée à toutes personnes remplissant les conditions suivantes:

a) Pour l’Enseignement Maternel et Primaire:

–être âgé de vingt-et-un (21) ans au moins;

–être titulaire du Baccalauréat ou d’un diplôme équivalent ou d’un diplôme professionnel (CEAP ou CAP) option enseignement maternel ou primaire ou tout autre titre équivalent; que ledit article ne fait mention ni du BEPC ni d’attestation d’enseigner ou de diriger;

Considérant que la notion de l’égalité de tous devant la loi contenue dans l’article 26 alinéa 1 précité doit s’analyser comme étant un principe général selon lequel la loi doit être la même pour tous dans son adoption et dans son application et ne doit contenir aucune discrimination injustifiée; que, dans le cas d’espèce, les conditions fixées par l’article 17-a de l’arrêté sont applicables à tous les citoyens relevant de la même catégorie; qu’en conséquence, l’article déféré n’est pas contraire à la Constitution;

(…)

Décide:

Article 1er . – Les articles 17-a et 28 de l’Arrêté n° 0001/MEN/CAB/DC/DAPS du 22 janvier 1996 ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera notifiée à Messieurs SALAVI Gabriel et GABA Foly Abraham et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A09
Bénin / Cour constitutionnelle / 21-10-1996 / Décision DCC 96-068 / extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public

Appartenance politique – Mutations – Preuve (absence de preuve des considérations discriminatoires)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que les requérants exposent que c’est en raison de leur «appartenance politique» et surtout du soutien apporté à la candidature du l’ex Président Dieudonné Nicéphore SOGLO lors des dernières élections présidentielles» qu’ils ont été mutés arbitrairement;

Considérant que les requérants n’administrent pas la preuve des considérations discriminatoires dont ils font état; qu’il est constant que le titre d’affection querellé a été pris par l’autorité de tutelle sur la base des textes en vigueur notamment l’Arrêté n° 370/MEN/CAB/CC/CP/SCC du 28 avril 1992 portant Règlement de la Politique des Mutations du Personnel Enseignant; que le titre d’affectation n° 238/MENRS/CAB/ DC/SA du 31 juillet 1996 et la Note de Service n° 959/ DDE-B/MENS/SP/SES du 9 août 1996 ne recèlent pas des mesures qui violent les articles 23, 25 et 26 de la Constitution; qu’en conséquence, lesdits actes,en ce qui concerne les requérants, ne sont pas contraires à la Constitution;

Considérant que la présente décision porte sur le fond; qu’il n’y a donc pas lieu de se prononcer sur la demande de sursis à exécution;

Décide:

Article 1er . – Le recours de Monsieur CHABI Noël est sans objet.

Article 2. – Le Titre d’Affectation n° 238/MENRS/CAB/DC/SA du 31 juillet 1996, en ce qui concerne IBIKOUNLE Taïrou, FOSSOU C. Etienne, HOUNYEVA Pierre, AVOHOU S. Cossi, ADIKPETO H. Joseph, et la Note de Service n° 959/DDE-B/MENRS/SP/SES du 9 août 1996, en ce qui concerne ASSOGBA Léon Macaire, ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 3. – Il n’y a pas lieu à statuer sur le sursis à exécution.

Article 4. – La présente décision sera notifiée à Messieurs CHABI Noël, IBIKOUNLE Taïrou, FOSSOU C. Etienne, HOUNYEVA Pierre, AVOHOU S. Cossi, ADIKPETO H. Joseph, ASSOGBA Léon Macaire, au Ministre de l’Education Nationale et de la Recherche Scientifique (MENRS) et publiée au Journal officiel.

(…)

BEN / 1996 / A10
Bénin / Cour constitutionnelle / 13-11-1996 / Décision DCC 96-082 / extraits

5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques –égalité – champ d’application – emploi – public

Candidats (à un emploi) – Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant que le 25 septembre 1996, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 6 alinéa 3 de la Loi Organique n° 92-021 du 21 août 1992, a lancé un «appel de candidatures pour pourvoir aux postes» de Directeur Général de l’ORTB, Secrétaire Général, Directeur de la Radiodiffusion, Directeur de la Télévision, Directeur régional ORTB Parakou, Directeur de l’Agence Bénin Presse (ABP);

Considérant que l’article 26 alinéa 1er de la Constitution dispose: «l’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale.; que l’article 3 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples affirme: «toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la Loi;

Considérant qu’en l’absence de dispositions légales portant réglementation des conditions de candidature aux postes visés par le document déféré, la HAAC a défini des critères de sélection; qu’en procédant comme elle l’a fait, elle a créé des catégories de candidats au sein desquelles n’est opérée aucune discrimination fondée sur quel que motif que ce soit; que, dès lors, elle n’a pas violé la Constitution;

Décide:

Article 1er . – Les recours, en ce qu’ils portent sur la compétence de la HAAC à lancer un appel de candidatures pour pourvoir à certains postes, sont irrecevables.

Article 2. – La Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour interpréter l’article 6 alinéa 3 de la Loi Organique n° 92-021 sur la HAAC.

Article 3. – Les conditions définies dans l’appel de candidatures ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 4. – La présente décision sera notifiée à Messieurs PRINCE AGBODJAN Serge Jean-Paul, LOKO Edouard, OGOUCHINA David, MARA Célestin, ZINSOU Isidore, AMLON Georges, TCHOBO Marcel, N’SECK Philippe, au Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et publiée au Journal officiel.

(…)

Cour Constitutionnelle de Bulgarie

Bul / 1992 / A01
Bulgarie/Cour constitutionnelle/27-07-1992/Décision 8 –Affaire constitutionnelle n° 7/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.7 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
2.1.1.8 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
2.1.1.12 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969
5.2.4.1.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi

Loi (égalité devant la loi) – Profession (accès à une profession)

La Cour constitutionnelle (…)

La procédure a été ouverte sur la demande de 49 députés de la 36e législature, visant à établir l’inconstitutionnalité du §9 des Dispositions transitoires et finales de la loi sur les banques et le crédit (LBC) promulguée au Journal de l’Etat, n° 25/1992, qui dispose: « Ne peuvent être élues aux organes de direction des banques et ne peuvent être nommées en vertu de l’art. 7, des personnes qui, pendant les 15 dernières années, avaient été élues aux organes de direction centraux, régionaux, départementaux, municipaux et communaux du Parti communiste bulgare (BKP), de l’Union de la jeunesse communiste (DKMS), du Front de la Patrie (OF), de l’Union des résistants contre le fascisme et le capitalisme, des Unions professionnelles bulgares et de l’Union agraire bulgare (BZNS), ou avaient été nommées à un poste de direction permanent au Comité central de BKP, de même que des agents, des collaborateurs rémunérés ou non de la Sécurité d’Etat. Cette limitation est applicable pendant un délai de 5 ans ».

Il est affirmé que les dispositions de du §9 des Dispositions transitoires et finales de la LBC sont en contradiction avec l’art. 6, al. 2, de la Constitution et avec des normes et accords internationaux ratifiés par notre pays, plus précisément avec l’art. 2, al. 2 et l’art. 25 du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966, de même qu’avec la Convention n° 111 de 1958.

Par décisions préliminaires du 21 avril 1992 et du 19 mai 1992, la Cour constitutionnelle a déterminé comme institutions intéressées à l’affaire BSP, BZNS (e), l’Union de la Patrie, la Jeunesse démocratique bulgare, l’Union antifasciste bulgare, KNSB, KT « Podkrepa », l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur et le président de la Banque nationale (BNB).

Par décision préliminaire du 2 juin 1992, la Cour constitutionnelle a déclaré la demande recevable au sens de l’art. 19, al. 1 de la loi sur la Cour constitutionnelle.

La Cour constitutionnelle, après avoir examiné les arguments et les avis des parties, dit ce qui suit:

Conformément à l’art. 5, al. 4, de la Constitution, le Pacte international sur les droits civils et politiques, le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, la Convention n° 111 concernant la discrimination dans le domaine du travail et des professions, ainsi que la Convention de Vienne sur le droit des traités (J.E., n° 87 de 1987), font partie de notre droit national à partir du moment où ils sont ratifiés, entrés en vigueur et promulgués, d’où il en découle également la reconnaissance de leur primauté dans notre droit.

Toutefois, les dispositions de l’art. 6, al. 2, de la Constitution n’admet aucune limitation, car elles énoncent que « tous les citoyens sont égaux devant la loi. N’est admissible aucune limitation des droits ou création de privilèges, fondés sur la race, l’appartenance nationale et ethnique, le sexe, l’origine, la religion, l’éducation, les convictions, l’appartenance politique, la situation personnelle et sociale ou la situation patrimoniale ». En outre, l’art. 48, al. 3 de la Constitution, proclame le principe selon lequel « tout citoyen choisit librement sa profession ou lieu de travail ».

Selon du §9 des Dispositions transitoires et finales de la LBC, il s’agit d’une limitation du droit d’occuper un poste de direction aux organes de direction des banques, ce qui constitue au sens de l’art. 1 de la Convention n° 111 une discrimination dans l’accès à une profession. Le texte est en contradiction également avec l’art. 2, al. 2, art. 6, al. 1 du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels et avec les articles 2 et 25 du Pacte international sur les droits civils et politiques.

Il s’en suit de tout ce qui précède, que le texte de du §9 des Dispositions transitoires et finales de la LBC est en contradiction avec l’art. 6, al. 2 de la Constitution, ainsi qu’avec les conventions internationales indiquées ci-dessus. Ces dernières sont considérées comme faisant partie du droit national et ont la primauté sur les normes nationales qui sont en contradiction avec elles. En conséquence, de l’application immédiate des dispositions constitutionnelles et de la primauté des normes internationales sur le droit national, il en découle qu’il faut admettre que du §9 des Dispositions transitoires et finales de la LBC a été adopté en violation de l’art. 6, al. 2 de la Constitution et des conventions internationales mentionnées ci-dessus.

Pour cette raison, en vertu de l’art. 149, al. 1, points 2 et 4 de la Constitution, la Cour constitutionnelle

Décide:

Déclare que le texte de du §9 des Dispositions transitoires et finales de la loi sur les banques et le crédit est frappé d’inconstitutionnalité et n’est pas conforme aux conventions internationales auxquelles la République de Bulgarie est partie.

(…)

BUL/1992/A02
Bulgarie/Cour constitutionnelle/10-11-1992/Décision 14 – Affaire constitutionnelle n° 19/texte intégral

3.20 Principes généraux – égalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – bénéficiaires ou titulaires de droits – étrangers
5.2.4.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation

Critères sociaux – Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – Députés – Loi (égalité devant la loi) – Personnes handicapées – Privilèges

La Cour constitutionnelle composée de: Açen Manov – Président, et les membres: Mladen Danaïlov, Miltcho Kostov, Tzanko Hadjistoitchev, Stanislav Dimitrov, Neno Nenovski, Nikolai Pavlov, Milena Jabinska, Liuben Kornezov, Pentcho Penev et Alexandre Arabadjiev, assistée par le greffier Tzveta Mineva, a statué le 3 novembre 1992, à huis-clos, sur l’affaire constitutionnelle n° 14 de 1992, rapportée par le juge Milena Jabinska.

La procédure a été ouverte sur demande du Président de la République d’interprétation de l’article 6 de la Constitution.

Par décision préliminaire du 8 juin 1992, la Cour constitutionnelle a constitué comme parties intéressées à l’affaire l’Assemblée nationale, la Cour suprême, le Procureur général, le Ministère de la justice, le Ministère des affaires étrangères, le Conseil supérieur des avocats, la Confédération du travail  » Podkrepa « , la Confédération des syndicats indépendants en Bulgarie et le Comité des droits de l’homme. La Cour a ordonné l’envoi aux parties intéressées de copies de la demande et de la décision préliminaire.

Par décision préliminaire du 10 juillet 1992, la Cour constitutionnelle a donné la possibilité au Président de la République de motiver, dans un délai de sept jours, la demande d’interprétation de l’art. 6 de la Constitution en relevant les circonstances concrètes qui créent des ambiguïtés quant au sens de la norme dans sa totalité ou dans ses différentes parties et quant à son application dans un domaine donné, aspect, etc.

Par une lettre du 20 juillet 1992, le Président a relevé des ambiguïtés de la norme constitutionnelle dans la partie où est employée la notion de loi par rapport aux caractères des caractères sociaux énumérés, sur la base desquels ne sont pas admis des limitations des droits, ni des privilèges, et a soulevé la question de savoir si les privilèges constituent des violations du principe de l’égalité devant la loi.

Par décision préliminaire du 13 octobre 1992, la Cour constitutionnelle a accepté de statuer sur la demande formée par le Président de la République en vue d’obtenir une interprétation de l’art. 6 de la Constitution, en rapport avec les questions:

1. – L’égalité de tous les citoyens devant la loi signifie-t-elle égalité également devant tous les actes normatifs?

2. – Est-ce que l’énumération des critères sociaux qui ne peuvent fonder une limitation des droits ou la création de privilèges est exhaustive ou bien est-elle donnée seulement à titre d’exemples?

3. – Les privilèges, constituent-ils des violations du principe de l’égalité devant la loi?

Dans le cadre de la possibilité de s’exprimer qui leur avait été donnée, des avis sur la demande ont été présentés le Président de l’Assemblée nationale, le Procureur général, le Ministère de la justice, le Ministère des affaires étrangères, la Confédération du travail  » Podkrepa  » et le Comité des droits de l’homme.

Afin de se prononcer sur la demande, la Cour constitutionnelle a pris en compte ce qui suit:

Partie I

Concernant l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

L’égalité de tous les citoyens devant la loi est un principe fondamental de toute société démocratique.

Dans le préambule de la Constitution, l’égalité est formulée comme une valeur universelle, à côté de la liberté, la paix, l’humanisme, l’équité et la tolérance.

Dans l’art. 6, al. 2, l’égalité des citoyens devant la loi est énoncée comme un principe constitutionnel faisant partie des fondements de la société civile et de l’Etat. C’est un principe général de tout le système juridique de la République de Bulgarie. Il constitue un fondement pour l’interprétation et l’application de la Constitution, de même que pour la création normative.

Dans l’art. 6, al. 2, l’égalité devant la loi est formulée également comme un droit fondamental des citoyens. Dans nombre de dispositions constitutionnelles, ce droit fondamental est concrétisé par rapport à des droits et des libertés déterminés (art. 19, al. 2, art. 46, al. 2, art. 47, al. 3, art. 119, al. 3, art. 121, al. 1 et autres).

L’égalité devant la loi signifie que tous les citoyens sont placés sur un pied d’égalité devant la loi et emporte une obligation de leur traitement égal de la part du pouvoir étatique.

Selon l’art. 4, al. 1, la République de Bulgarie est un Etat de droit. Elle est gouvernée conformément à la Constitution et aux lois du pays. En vertu de l’art. 5, al. 1, la Constitution est la loi suprême et les autres lois ne peuvent la contredire. Cela signifie que le droit est développé comme un système uni et cohérent, fondé sur le principe de la hiérarchie des actes normatifs.

La Constitution est la loi suprême. Elle est la base du système juridique en vigueur et de tout l’ordre étatique. Elle proclame, sous la forme de normes, les principes et les valeurs fondamentaux de l’Etat. Dans certains cas, les normes constitutionnelles ne sont pas directement applicables et nécessitent l’édiction de lois pour leur mise en oeuvre (art. 122, al. 2, art. 123, art. 134, al. 2, art. 138, art. 144 et autres).

Les lois réglementent les rapports sociaux fondamentaux (art. 11, al. 3, art. 16, art. 17, alinéas 1, 4, 5, art. 18, alinéas 1, 4, 5, etc.). Les actes réglementaires précisent et approfondissent les dispositions des lois. Ils sont pris pour l’application de la loi dans sa totalité ou de certaines de ses dispositions (art. 114 et 115), et ne peuvent, en conséquence, entrer en contradiction avec celle-ci.

Il n’est pas possible que les citoyens soient égaux devant la loi et qu’ils ne soient pas égaux devant les actes réglementaires. L’égalité des citoyens devant la loi exige logiquement leur égalité devant tous les actes normatifs les concernant – actes législatifs et réglementaires, et non uniquement devant la loi au sens propre d’un acte de l’Assemblée nationale. Une telle interprétation du texte de la norme constitutionnelle, correspond à l’esprit et à la lettre de la Constitution, ayant proclamé la reconnaissance et le respect de l’égalité comme une valeur universelle, et ayant élevé les droits de la personne en principe suprême (préambule, art. 4, al. 2, art. 25 – 57).

Partie II

Concernant les caractères sociaux qui ne peuvent fonder des limitations des droits ou une création de privilèges.

Afin de garantir le principe proclamé d’égalité de tous les citoyens devant la loi, art. 6, al. 2, indique les caractères sociaux qui ne peuvent servir de fondement à un traitement inégal. Ces caractères sont la race, l’appartenance nationale, l’appartenance ethnique, le sexe, l’origine, la religion, l’éducation, les convictions, l’appartenance politique, la situation personnelle et sociale, la situation patrimoniale. Ainsi, la Constitution énonce expressément des interdictions concernant les caractères sociaux mentionnés. Ces derniers ne peuvent juridiquement servir de fondements à une limitation des droits ou à la création de privilèges.

D’une façon générale, les caractères sociaux mentionnés peuvent être divisés en deux groupes principaux. Les premiers cinq caractères – race, appartenance nationale, appartenance ethnique, sexe et origine, découlent de l’art. 1 de la Déclaration des droits de l’homme, disposant que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et droits. Ce texte est littéralement reproduit dans l’art. 6, al. 1. L’inadmissibilité de limitations des droits quelles qu’elles soient ou de privilèges basés sur ces caractères, est une garantie pour les droits universels, reconnus et protégés par la Constitution de la République de Bulgarie.

Les autres caractères – religion, éducation, convictions, appartenance politique, situation personnelle et sociale ou situation patrimoniale, sont acquis ou modifiés au cours de la réalisation sociale des citoyens, à la suite de l’exercice de droits déterminés. Chacun de ces caractères représente pour le citoyen particulier une possibilité égale, prévue et garantie dans la Constitution, qui, conformément à l’art. 6, al. 2, ne peut servir de fondement à un traitement privilégié à son égard ou à une limitation de ses droits dans sa qualité de citoyen.

La limitation des droits et la création de privilèges exactement déterminés sur la base d’autres caractères sociaux, ne sont pas exclues par la Constitution, même s’il est vrai que l’énumération dans l’art. 6., al. 2, est si large, qu’en dehors de son champ il ne reste que très peu d’hypothèses.

Ainsi, conformément à l’art. 26, al. 2, les étrangers séjournant en République de Bulgarie ont tous les droits et devoirs selon cette Constitution, à l’exception des droits et devoirs pour lesquels la Constitution et les lois exigent la nationalité bulgare. Conformément à l’art. 65, al. 1, peut être élu député, tout citoyen bulgare qui n’a pas d’autre nationalité. Selon l’art. 93, al. 2, peut être élu Président, toute personne ayant la nationalité bulgare de naissance. Conformément à l’art. 22, les étrangers ne peuvent acquérir un droit de propriété sur des terres qu’en cas d’une succession légale. En d’autres termes, la limitation de droits selon la nationalité est prévue expressément dans la Constitution.

Des limitations des droits selon les conditions et la procédure déterminées par la loi, sont prévues pour les personnes purgeant des peines de privation de liberté et pour celles mises sous interdiction des droits (art. 31, 42). Une limitation du droit prévu dans l’art. 35 est possible dans le cadre d’une loi portant sur la défense de la sécurité nationale, de la santé publique et des droits et des libertés des autres citoyens. Une limitation temporaire de certains droits des citoyens est prévue dans l’art. 57, al. 3, en cas d’état de siège, etc.

Semblable aux hypothèses ci-dessus, est l’octroi de certains privilèges, socialement justifiés, à des citoyens regroupés selon d’autres caractères. A titre d’exemple, en raison des particularités et de l’importance des droits et des devoirs des députés, ces derniers bénéficient d’un régime juridique privilégié en matière de responsabilité pénale et d’immunité personnelle. Ainsi, selon l’art. 69, les députés ne portent pas de responsabilité pénale pour les avis exprimés et pour les votes à l’Assemblée nationale, et conformément à l’art. 70, ils ne peuvent être arrêtés et mis en examen qu’en cas de crimes graves, après une autorisation préalable de l’Assemblée nationale ou de son président. De l’immunité des députés, conformément à l’art. 132, bénéficient également les juges, les procureurs et les juges d’instruction. Selon l’art. 103, al. 1, le Président et le Vice-Président ne portent pas de responsabilité pour les actes relevant de l’exercice de leurs fonctions, à l’exception des cas de haute trahison et de violations de la Constitution.

Les enfants délaissés par leurs proches, bénéficient de la protection spéciale de l’Etat et de la société (art. 47, al. 4). Pour les personnes handicapées physiques et mentales, l’Etat créé des conditions pour la réalisation de leur droit au travail, alors que pour les autres citoyens, l’Etat veille à la création de conditions pour la réalisation de ce droit (art. 48).

Les cas ci-dessus relevés, ainsi que les autres cas expressément prévus dans la Constitution, font apparaître que selon la Constitution, une limitation des droits et la création de privilèges au bénéfice de groupes sociaux déterminés, sont admissibles. Toutefois, il faut souligner que dans toutes ces hypothèses, il s’agit de limitations des droits socialement nécessaires ou d’octrois de privilèges à des groupes déterminés de citoyens ne portant pas de préjudice à la primauté du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. L’indication exacte et exhaustive des caractères sociaux qui ne peuvent fonder une limitation des droits et une création de privilèges, représente une garantie contre un élargissement injustifié des hypothèses d’admissibilité des limitations des droits des citoyens ou de l’octroi de privilèges.

Partie III

Concernant les privilèges et le principe de l’égalité devant la loi.

Malgré l’adhésion tardive de la Bulgarie au constitutionnalisme européen, le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi est déjà proclamé dans la Constitution de Tarnovo de 1879. L’art. 57 dispose: « Tous les sujets bulgares sont égaux devant la loi. La division de la société en états est inadmissible en Bulgarie ». Il s’agit d’un principe fondamental du droit en général, affirmé également dans l’art. 6, al. 2.

En principe, les privilèges constituent des violations de l’égalité. Etymologiquement, « privilège » provient de privus legis, autrement dit  » en dehors du droit « . C’est la raison pour laquelle dans un Etat de droit, ils doivent être exclus par principe.

Néanmoins, dans certains cas, les privilèges admis par la Constitution sont socialement nécessaires et justifiés. Ils sont crées afin de surmonter une inégalité existante, dans le but d’aboutir à l’égalité recherchée. Telle est, à titre d’exemple, la protection spéciale de la part de l’Etat et de la société prévue dans l’art. 47, al. 4 et l’art. 51, al. 3, des enfants délaissés par leurs proches, des personnes âgées n’ayant pas de parents proches et ne pouvant subvenir à leurs besoins avec leur patrimoine, ainsi que des personnes handicapées physiques et mentales. Les privilèges accordés à ces citoyens constituent des biens compensatoires en vue de la situation sociale défavorable dans laquelle ils se trouvent.

Dans d’autres cas, en raison des particularités et l’importance des droits et des devoirs qu’ont certains citoyens (députés, ministres, juges, procureurs et juges d’instruction), ils bénéficient d’un régime juridique privilégié par rapport aux autres citoyens en matière de responsabilité pénale et d’immunité personnelle. Afin d’exécuter leurs obligations de haute responsabilité, la Constitution leur accorde un ensemble de droits leur assurant plus de liberté et d’autonomie, de sécurité et d’indépendance par rapport aux organes des pouvoirs exécutif et judiciaire.

Ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus, dans l’art. 6, al. 2, la Constitution énumère de manière exhaustive les caractères sociaux relatifs à l’inadmissibilité de limitations des droits ou de l’octroi de privilèges. Admettre des privilèges sur le fondement de ces éléments est une violation du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Sur le fondement des considérations ci-dessus exposées et en vertu de l’art. 149, al. 1, point 1 de la Constitution, la Cour constitutionnelle

Décide:

1. – L’égalité de tous les citoyens devant la loi au sens de l’art. 6, al. 2, de la Constitution, emporte l’égalité devant tous les actes normatifs.

2. – Les caractères sociaux qui ne peuvent fonder une limitation des droits ou la création de privilèges sont indiqués dans l’art. 6, al. 2, de la Constitution.

3. – Des privilèges fondés sur les caractères sociaux indiqués dans l’art. 6, al. 2, de la Constitution, constituent des violations du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Le juge Miltcho Kostov a signé la décision avec une opinion dissidente, jointe aux documents de l’affaire.

Président
Açen Manov

Cour Suprême du Canada

Liste des décisions de la Cour suprême relative au principe d’égalité:

(38 arrêts)

Année 1985

[1985] 1 R.C.S. 177 (Singh c. Ministère de l’Emploi et de l’Immigration)
[1985] 1 R.C.S. 295 (R. c. Big M. Drug Mart Ltd.)
[1985] 2 R.C.S. 536 (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd.)

Année 1986

[1986] 1 R.C.S. 103 (R. c. Oakes)

Année 1989

[1989] 1 R.C.S. 143 (Andrews c. Law Society of British Columbia)
[1989] 1 R.C.S. 927 (Irwin Toy Ltd. c. Québec [P.G.])
[1989] 1 R.C.S. 1296 (R. c. Turpin)
[1989] 2 R.C.S. 530 (Tremblay c. Daigle)
[1989] 2 R.C.S. 1326 (Edmonton Journal c. Alberta [P.G.])

Année 1990

[1990] 1 R.C.S. 695 (Rudolf Wolff & Co. c. Canada)
[1990] 2 R.C.S. 254 (R. c. S. [S.])
[1990] 2 R.C.S. 254 (R. c. S. [S.])
[1990] 2 R.C.S. 906 (R. c. Hess)
[1990] 3 R.C.S. 229 (McKinney c. Université de Guelph)
[1990] 3 R.C.S. 451 (Harrison c. Université de la Colombie-Britannique)
[1990] 3 R.C.S. 483 (Stoffman c. Vancouver Général Hospital)
[1990] 3 R.C.S. 570 (Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College)
[1990] 3 R.C.S. 697 (R. c. Keegstra)
[1990] 3 R.C.S. 892 (Canada [C.D.P.] c. Taylor)

Année 1991

[1991] 1 R.C.S. 933 (R. c. Swain)
[1991] 2 R.C.S. 5 (Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario [Commission des relations du travail])
[1991] 2 R.C.S. 22 (Tétreault-Gadoury c. Canada [Commission de l’emploi et de l’immigration])
[1991] 2 R.C.S. 158 (Renvoi: Circonscriptions électorales provinciales [Sask.])
[1991] 3 R.C.S. 154 (R. c. Wholesale Travel Group Inc.)

Année 1992

[1992] 1 R.C.S. 452 (R. c. Butler)
[1992] 1 R.C.S. 711 (Chiarelli c. Canada)
[1992] 2 R.C.S. 679 (Schachter c. Canada)

Année 1993

[1993] 1 R.C.S. 319 (New-Brunswick Broadcasting c. Nouvelle-Ecosse [P.A.L.])
[1993] 2 R.C.S. 872 (Weatherall c. Canada [P.G.])
[1993] 2 R.C.S. 995 (Haig c. Canada)
[1993] 3 R.C.S. 519 (Rodriguez c. Colombie-Britannique [P.G.])
[1993] 4 R.C.S. 695 (Symes c. Canada)

Année 1994

[1994] 3 R.C.S. 835 (Dagenais c. Société Radio-Canada)

Année 1995

[1995] 2 R.C.S. 419 (Miron c. Trudel)
[1995] 2 R.C.S. 513 (Egan c. Canada)
[1995] 2 R.C.S. 627 (Thibaudeau c. Canada)
[1995] 2 R.C.S. 1031 (Ontario c. Canadien Pacifique Ltée)
[1995] 4 R.C.S. 411 (R. c. O’Connor)

Année 1996

[1996] 3 R.C.S. 609 (Adler c. Ontario)

Année 1997

[1997] 3 R.C.S. 624 (Eldridge c. Colombie-Britannique)

Note explicative:

La référence [1996]3 R.C.S. 609 (Adler c. Ontario), ci-dessus, se décompose de la façon suivante:

[1996]: l’année du jugement est indiquée au début de la référence, entre crochets.

3: ce chiffre correspond au numéro du volume de publication, en l’occurrence le volume 3. La Cour suprême publie de deux à quatre volumes chaque année et les jugements sont publiés dans l’ordre chronologique de leur prononcé.

R.C.S.: Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada (en anglais S.C.R., Canada Supreme Court Reports). Tous les arrêts de la Cour suprême du Canada sont publiés dans ce recueil officiel des décisions.

609: ce chiffre correspond au numéro de la première page du jugement dans le volume indiqué après la date.

(Adler c. Ontario): entre parenthèses, est indiqué un intitulé abrégé de la cause qui est ordinairement placé devant la référence. Tous les jugements publiés dans le R.C.S. sont publiés sur Internet à l’adresse suivante :

http://www.scc-csc.gc.ca

CAN / 1989 / A01
Canada / Cour suprême / 2-09-1989 / [1989] 1 R.C.S. 143 (Andrews c. Law Society of British Columbia) /extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du recours – décisions juridictionnelles
5.2.4.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – citoyenneté

Avocat (accès à la profession d’avocat – Charte canadienne des droits et libertés – Loi (égalité devant la loi) – Loi (égalité dans la loi) – Loi (égalité de protection et de bénéfice de la loi)

(…)

Droit constitutionnel – Charte des droits – Egalité devant la loi, égalité dans la loi et égalité de protection et de bénéfice de la loi – Citoyenneté exigée pour l’inscription au barreau – L’obligation d’être citoyen est-elle discriminatoire à l’égard des résidents canadiens qualifiés qui n’ont pas la citoyenneté? – L’obligation estelle justifiée en vertu de l’article premier – Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15(1) – Barristers and Solicitors Act, R.S.B.C. 1979, chap. 26, art. 42.

L’intimé Andrews, un sujet britannique qui était résident permanent du Canada, remplissait toutes les conditions d’admission au barreau de la Colombie-Britannique à l’exception de celle relative à la citoyenneté canadienne. Son action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que cette condition violait le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés a été rejetée en première instance, mais accueillie en appel. Kinersly, une citoyenne américaine qui, à l’époque, était une résidente permanente du Canada qui faisait son stage dans la province de la Colombie-Britannique, a été ajoutée à titre de coïntimée suite à une ordonnance de cette Cour. Les questions constitutionnelles auxquelles doit répondre la Cour sont de savoir (1) si l’obligation d’être citoyen canadien pour être admis au barreau de la Colombie-Britannique porte atteinte aux droits à l’égalité garantis par le par. 15(1) de la Charte, et (2) dans l’affirmative, si cette atteinte est justifiée par l’article premier.

Arrêt:

Le paragraphe 15(1) de la Charte

Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Lamer, Wilson et L’Heureux-Dubé: Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Il ne s’agit pas d’une garantie générale d’égalité; la disposition porte sur l’application de la loi. La portée du terme «loi» ne soulève aucun problème en l’espèce puisque c’est une mesure législative qui est attaquée.

Le point de vue selon lequel «les personnes qui se trouvent dans une situation identique doivent être traitées de façon identique» n’entraînera pas nécessairement l’égalité, pas plus que toute distinction ou différence de traitement ne produira forcément une inégalité. L’expression «indépendamment de toute discrimination» que l’on trouve à l’art. 15 a une importance cruciale.

La discrimination est une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer des désavantages non imposés à d’autres, ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux avantages offerts à d’autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement.

De façon générale, les principes appliqués en vertu des lois sur les droits de la personne s’appliquent également aux questions de discrimination au sens du par. 15(1). Cependant, la Charte exige que l’examen fondé sur le par. 15(1) se fasse en deux étapes. La première étape consiste à déterminer s’il y a eu atteinte à un droit garanti. La deuxième étape consiste à déterminer, le cas échéant, si cette atteinte peut être justifiée en vertu de l’article premier. Les deux étapes doivent être maintenues analytiquement distinctes en raison de la différente attribution du fardeau de la preuve: le citoyen doit prouver qu’il y a eu violation du droit que lui garantit la Charte et l’Etat doit justifier cette violation.

Les motifs de discrimination énumérés au par. 15(1) ne sont pas exhaustifs. Les motifs analogues à ceux énumérés sont également visés et il se peut même que la disposition soit plus générale que cela, bien qu’il ne soit pas nécessaire, en l’espèce, de répondre à cette question étant donné que le motif invoqué tombe dans la catégorie des motifs analogues.

L’expression «indépendamment de toute discrimination» exige davantage qu’une simple constatation de distinction dans le traitement de groupes ou d’individus. Cette expression est une forme de réserve incorporée dans l’art. 15 lui-même qui limite les distinctions prohibées par la disposition à celles qui entraînent un préjudice ou un désavantage. L’examen doit également porter sur l’effet de la distinction ou de la classification attaquée sur le plaignant. Puisque ce ne sont pas toutes les distinctions et différenciations créées par la loi qui sont discriminatoires, un plaignant en vertu du par. 15(1) doit démontrer non seulement qu’il ne bénéficie pas d’un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu’elle offre, mais encore que la loi est discriminatoire.

Une règle qui exclut toute une catégorie de personnes de certains types d’emplois pour le seul motif qu’elles n’ont pas la citoyenneté et sans égard à leur diplômes et à leurs compétences professionnelles ou sans égard aux autres qualités ou mérites d’individus faisant partie du groupe, porte atteinte aux droits à l’égalité de l’art. 15. L’article 42 de la Barristers and Solicitors Act constitue une règle de ce genre.

Le juge La Forest: L’opinion du juge McIntyre quant à la signification du par. 15(1) est essentiellement retenue dans la mesure où elle est pertinente à la question de savoir si la disposition contestée constitue de la discrimination fondée sur des «différences personnelles non pertinentes» comme celles qui sont énumérées à l’art. 15 et qui se retrouvent traditionnellement dans les lois sur les droits de la personne. Les termes préliminaires de l’art. 15 qui se rapportent plus généralement à l’égalité peuvent cependant avoir un sens qui va au-delà de la protection contre la discrimination résultant de l’application de la loi. Néanmoins, ce ne sont pas toutes les classifications législatives qui doivent être rationnellement défendables devant les tribunaux; on n’a pas voulu que l’art. 15 serve à assujettir systématiquement les lois à l’examen judiciaire.

La mesure législative attaquée distingue les intimés d’autres personnes en fonction d’une caractéristique personnelle qui comporte plusieurs traits communs avec celles énumérées à l’art. 15. La citoyenneté est une caractéristique qui, normalement, ne relève pas du contrôle de l’individu et est, temporairement du moins, une caractéristique personnelle qu’on ne peut modifier par un acte volontaire et qu’on ne peut, dans certains cas, modifier qu’à un prix inacceptable. Les gens qui n’ont pas la citoyenneté constituent un groupe de personnes qui sont relativement dépourvues de pouvoir politique et dont les intérêts risquent d’être compromis par des décisions législatives.

Bien que la citoyenneté puisse être exigée à bon droit relativement à certains types d’objectifs légitimes du gouvernement, elle n’a généralement rien à voir avec les activités légitimes d’un gouvernement, si ce n’est dans un nombre restreint de domaines. L’emploi dans une mesure législative de la citoyenneté comme motif de distinction entre individus, en l’espèce pour conditionner l’accès à l’exercice d’une profession, comporte le risque de miner les valeurs essentielles ou fondamentales d’une société libre et démocratique qui sont enchâssées à l’art. 15. Une mesure législative qui pose la citoyenneté comme condition peut, dans certains cas, être acceptable dans la société libre et démocratique qu’est le Canada, mais le gouvernement doit justifier une telle mesure en vertu de l’article premier de la Charte.

L’article premier de la Charte

Le juge en chef Dickson et les juges Wilson et L’Heureux-Dubé: La mesure législative en cause n’est pas justifiée en vertu de l’article premier.

L’objectif de la loi ne se rapporte pas à des préoccupations suffisamment urgentes et réelles pour justifier la suppression des droits protégés par l’art. 15. Etant donné que l’art. 15 est conçu pour protéger les groupes défavorisés sur les plans social, politique et juridique dans notre société, la responsabilité qui incombe au gouvernement de justifier le type de discrimination dont sont victimes ces groupes est à juste titre lourde.

Le critère de proportionnalité n’est pas respecté. L’obligation d’être citoyen n’est pas bien adaptée pour atteindre l’objectif que les avocats connaissent les institutions et coutumes canadiennes et peut même être sans lien rationnel avec celui-ci. La plupart des citoyens, originaires ou non du Canada, sont engagés envers la société canadienne, mais la citoyenneté ne garantit pas cet engagement. Inversement, ceux qui n’ont pas la citoyenneté peuvent être profondément engagés envers notre pays. Même si les avocats exécutent une fonction gouvernementale, la citoyenneté ne garantit pas qu’ils vont s’acquitter de leurs fonctions publiques honorablement et consciencieusement; ils vont le faire parce qu’ils sont des avocats compétents et non parce qu’ils sont citoyens canadiens.

Le juge La Forest: Bien que le juge partage, d’une manière générale, l’opinion du juge McIntyre quant à la manière dont il faut aborder la mesure législative en vertu de l’article premier, en soupesant le droit violé par cette mesure en fonction des objectifs qu’elle vise, la mesure législative en cause ne respecte pas le critère de proportionnalité.

La citoyenneté ne garantit pas la réalisation des objectifs de familiarité avec les institutions et les coutumes canadiennes, ou d’engagement envers la société canadienne. La restriction aux citoyens canadiens de l’accès à la profession d’avocat est excessive. Il existe des moyens moins draconiens de réaliser ces objectifs.

Même si l’exercice de certaines activités de l’Etat devrait, pour des raisons à la fois symboliques et pratiques, être limité aux membres à part entière de notre société politique, une telle restriction ne devrait pas s’appliquer à l’ensemble de la profession juridique. La pratique du droit est d’abord et avant tout une profession de nature privée. Un avocat qui représente un particulier ne joue dans l’administration de la justice aucun rôle qui l’oblige à avoir la citoyenneté. Les avocats ordinaires ne sont pas au courant de renseignements gouvernementaux et il existe des règles visant à les empêcher d’obtenir des renseignements gouvernementaux confidentiels. Leur situation diffère de celle des avocats qui prennent part à la formulation ou à la mise en œuvre de politiques.

Les juges McIntyre et Lamer (dissidents): L’obligation d’être citoyen est raisonnable et défendable en vertu de l’article premier étant donné l’importance de la profession juridique dans le gouvernement du pays. La mesure n’est pas disproportionnée à l’objectif à atteindre. Ceux qui n’ont pas la citoyenneté sont encouragés à l’obtenir et le délai maximal imparti à celui qui n’a pas la citoyenneté pour devenir citoyen canadien est de trois ans à compter de la date où il acquiert son statut de résident permanent. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les nouveaux arrivants, qui cherchent à obtenir les privilèges et le statut propres au pays et le droit d’exercer les vastes pouvoirs que confère l’admission à la pratique du droit, acceptent la citoyenneté et ses obligations au même titre que ses avantages et bénéfices.

CAN / 1991 / A02
Canada / Cour suprême / 6-12-1990 / [1990] 3 R.C.S. 229 (McKinney c. Université de Guelph) / extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application –emploi
5.2.4.2.7 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – âge

Charte canadienne des droits et libertés – Loi (égalité devant la loi) – Retraite

(…)

Droit constitutionnel – Charte des droits – Applicabilité de la Charte – Gouvernement – L’université fait-elle partie du «gouvernement» avec la conséquence que ses politiques sont sujettes à révision en vertu de la Charte? – Dans l’affirmative, la politique de retraite obligatoire est-elle une «loi»? – Charte canadienne des droits et libertés, art. 15, 32.

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Egalité devant la loi – Discrimination fondée sur l’âge – Retraite obligatoire à 65 ans – La politique de retraite obligatoire est-elle une «loi»? – Dans l’affirmative, y a-t-il violation de l’art. 15(1) de la Charte? – Charte canadienne des droits et libertés, art. 15, 32.

Droit constitutionnel – Libertés publiques – Discrimination fondée sur l’âge – Protection contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi ne s’étendant pas aux personnes âgées de plus de 65 ans – La disposition viole-t-elle l’art. 15 de la Charte? – Dans l’affirmative, est-elle justifiée en vertu de l’article premier? – Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15 – Code des droits de la personne, 1981, L.O. 1981, ch. 53, art. 9a).

Les appelants, huit professeurs et un bibliothécaire des universités intimées, ont présenté des demandes de jugement déclaratoire portant que les politiques des universités sur la retraite obligatoire à l’âge de 65 ans violent l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et que l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981, en ne traitant pas les personnes qui ont atteint l’âge de 65 ans de la même manière que les autres, viole également l’art. 15. Ils ont aussi demandé une injonction interlocutoire et permanente et réclamé leur réintégration et des dommages-intérêts. Les politiques de retraite obligatoire ont été établies, selon l’université, par diverses combinaisons de résolutions du conseil, de règlements, de régimes de pensions et de conventions collectives.

(…)

La Haute Cour a rejeté la demande des appelants et la Cour d’appel à la majorité a confirmé cette décision. La Cour est appelée à répondre aux cinq questions constitutionnelles suivantes: (1) l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981 viole-t-il les droits garantis par le par. 15(1) de la Charte? (2) Dans l’affirmative, est-il justifié par l’article premier de la Charte? (3) La Charte s’applique-t-elle aux dispositions relatives à la retraite obligatoire des universités intimées? (4) Si elle s’applique, leurs dispositions respectives sur la retraite obligatoire portent-elles atteinte au par. 15(1)? (5) S’il y a violation du par. 15(1), leurs dispositions respectives sur la retraite obligatoire peuvent-elles être justifiées en vertu de l’article premier?

Les procureurs généraux du Canada, de la Nouvelle-Ecosse et de la Saskatchewan sont intervenus.

Arrêt (les juges Wilson et L’Heureux-Dubé sont dissidentes): Le pourvoi est rejeté.

(…)

Pour que l’art. 15 de la Charte s’applique, l’inégalité dont on se plaint doit découler de la «loi». Si les universités faisaient partie de l’appareil gouvernemental, leurs politiques en matière de retraite obligatoire équivaudraient à une loi aux fins de l’art. 15 de la Charte. En fait, dans la plupart des cas, les universités ont adopté ces politiques d’une manière formelle. Le fait que les employés les aient acceptées ne devrait pas modifier leur qualification de loi, même si cela était un facteur à considérer pour décider si, dans les circonstances, la violation constitue une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte.

L’acceptation d’une obligation contractuelle pourrait bien, dans certaines circonstances, constituer une renonciation à un droit reconnu par la Charte, surtout dans un cas comme la retraite obligatoire qui n’impose pas seulement des obligations, mais qui procure aussi des avantages aux employés. Dans l’ensemble toutefois, une telle entente devrait normalement être justifiée comme une limite raisonnable au sens de l’article premier, particulièrement dans le cas d’une convention collective, qui peut ou non gagner vraiment la faveur des employés victimes de la discrimination.

Dans l’hypothèse où ces politiques constituent une loi, elles sont discriminatoires au sens du par. 15(1) de la Charte, étant donné l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, puisque la distinction est fondée sur la caractéristique personnelle de l’âge énumérée dans cette disposition. La Charte confère une protection non seulement contre une discrimination directe ou intentionnelle, mais encore contre la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Le critère de la situation analogue n’a pas survécu à l’arrêt Andrews.

La distinction en l’espèce faite dans les politiques des universités, quoique fondée sur un motif énuméré au détriment de personnes de 65 ans et plus, constitue une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte quant au droit à l’égalité garanti par l’art. 15.

La combinaison des objectifs des dispositions contestées satisfait au «critère des objectifs». L’excellence en matière d’études supérieures est un objectif admirable et devrait être favorisée. La protection de la liberté universitaire est également un objectif dont l’importance est urgente et réelle.

La retraite obligatoire a un lien rationnel avec les objectifs recherchés. Elle est intimement liée au système de la permanence qui détermine l’ambiance particulière et essentielle de la vie universitaire et assure le renouvellement continu des membres du corps professoral, un processus nécessaire pour permettre aux universités d’être des centres d’excellence à la fine pointe des découvertes et des nouvelles idées. Cela garantit l’injection permanente de nouvelles ressources humaines. Dans un système fermé ayant des ressources limitées, on ne peut y parvenir qu’avec le départ d’autres personnes. La retraite obligatoire réalise cela d’une façon méthodique qui permet une planification à long terme tant par les universités que par l’individu.

Pour évaluer s’il y a eu atteinte minimale à un droit garanti par la Constitution, il faut évaluer non seulement la conciliation de revendications contraires de groupes ou d’individus, mais également la répartition de ressources limitées – dans ce cas l’accès à des installations de recherche ou autres. Les universités étaient raisonnablement fondées à conclure que la retraite obligatoire portait le moins possible atteinte au droit pertinent, compte tenu de ses objectifs urgents et réels. Au préjudice que subissent les personnes visées, il faut opposer le bénéfice que tire la société des politiques universitaires. La liberté universitaire et l’excellence sont essentielles à la vitalité de notre démocratie. Le renouvellement du corps professoral est nécessaire et garantit l’injection de nouvelles personnes et de nouvelles idées, une meilleure combinaison de professeurs plus jeunes et plus âgés qui est une caractéristique souhaitable d’un corps enseignant, ainsi qu’un meilleur accès aux installations de recherche exceptionnelles des universités, qui sont indispensables pour faire reculer les frontières du savoir. Si la retraite obligatoire a des effets préjudiciables sur le groupe visé, elle comporte aussi de nombreux aspects compensatoires comme l’enrichissement du milieu de travail accompagné d’une grande liberté universitaire avec un minimum de surveillance et d’évaluation du rendement. Ils font partie du «marché» que comporte l’acceptation d’un poste permanent, un marché que recherchent les associations de professeurs et d’autres groupes.

Les effets des politiques des universités en matière de retraite obligatoire ne sont pas sévères au point de l’emporter sur les objectifs urgents et réels du gouvernement. Les mêmes facteurs doivent être soupesés dans l’examen des effets préjudiciables.

A la suite d’une longue histoire, la retraite obligatoire à 65 ans est devenue la norme et fait maintenant partie de l’organisation même du marché du travail dans notre pays. Cela a des répercussions profondes sur l’organisation des régimes de retraite, sur l’équité et la permanence dans le milieu du travail et sur les chances d’emploi pour les autres. Telle était la situation lorsque l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981 a été adopté et lorsque la Charte est entrée en vigueur. Ces facteurs sont à considérer dans un examen fondé sur la Charte.

L’analyse de l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981, selon l’article premier ne peut pas être restreinte au contexte universitaire comme l’a fait la juridiction inférieure. En l’espèce, les appelants ont été privés de la protection du Code non pas parce qu’ils étaient des professeurs d’université, mais parce qu’ils avaient 65 ans ou plus. Restreindre l’examen de son application au contexte universitaire serait incompatible avec le premier élément du critère de proportionnalité formulé dans l’arrêt R. c. Oakes.

L’objectif de l’al. 9a) et de l’art. 4 du Code des droits de la personne, 1981 est d’étendre la protection contre la discrimination aux personnes d’une catégorie d’âge particulière à l’origine aux personnes de 45 à 65 ans. Les personnes âgées de plus de 65 ans bénéficiaient de nombreux autres programmes sociaux. En adoptant cette disposition, le législateur a soupesé, d’une part, la préoccupation tenant à l’absence de protection après l’âge de 65 ans et, d’autre part, la crainte qu’un changement puisse obliger à reporter la date de la retraite et à retarder ses avantages pour les travailleurs plus âgés, le marché du travail et les régimes de retraite. A supposer que le critère de proportionnalité puisse être respecté, ces raisons justifient la suppression du droit constitutionnel à la même protection de la loi. Le législateur a aussi considéré l’effet sur les jeunes travailleurs, mais la preuve sur ce point est conjecturale et on ne devrait pas lui accorder trop de poids.

La Loi a un lien rationnel avec ses objectifs comme cela ressort des considérations visant à déterminer si elle porte «le moins possible atteinte» au droit à l’égalité. L’examen du caractère approprié de la conduite prudente du législateur exige que l’on reconnaisse qu’elle était motivée par le souci que la transition des valeurs s’effectue de façon ordonnée. La résolution des Nations unies visant à décourager la discrimination fondée sur l’âge justifie sa recommandation en la limitant par la condition que cela soit fait «partout et dans tous les cas où la situation générale le permet.»

La retraite obligatoire porte «le moins possible» atteinte au droit à l’égalité sans discrimination fondée sur l’âge. Les origines historiques de la retraite obligatoire à 65 ans et son évolution comme élément important de l’organisation du milieu du travail sont très pertinentes dans cette évaluation. De plus, les répercussions de l’abolition de la retraite obligatoire se feraient sentir dans tous les aspects du rôle du personnel auquel elle est intimement liée: l’embauche, la formation, les renvois, la surveillance et l’évaluation, et la rémunération. Le législateur avait devant lui des théories socio-économiques concurrentes et il était en droit de faire un choix et d’agir avec prudence en apportant des modifications. Au sujet de ce genre de questions où il existe des éléments de preuve opposés en matière de sciences sociales, la question que doit examiner la Cour est de savoir si le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure que la Loi portait le moins possible atteinte au droit visé, compte tenu des objectifs urgents et réels du gouvernement.

Les préoccupations au sujet de la retraite obligatoire ne portent pas sur de simples questions de commodité administrative relativement à un petit pourcentage de la population. Elles portent plutôt sur les répercussions qu’aurait la suppression d’une règle qui est généralement avantageuse pour les travailleurs sur les objectifs impérieux que vise le législateur. La retraite obligatoire n’est pas une politique du gouvernement au sujet de laquelle la Charte peut être invoquée directement. Il s’agit d’une entente négociée dans le secteur privé et elle ne peut relever de la Charte que de façon indirecte parce que le législateur a tenté de protéger, et non pas de contester, une valeur reconnue par la Charte. La disposition en question n’a aucun objet discriminatoire.

La loi reflète simplement une politique facultative qui permet à ceux qui travaillent dans divers domaines du secteur privé de fixer leurs conditions de travail, soit personnellement soit par l’intermédiaire des organisations qui les représentent. Il ne s’agit pas d’une politique gouvernementale ni d’une condition imposée aux employés. Elle avait l’appui des universités et des organisations syndicales.

Pour les mêmes considérations analysées relativement à la question de l’atteinte minimale, il y a proportionnalité entre les effets de l’al. 9a) du Code sur le droit garanti et les objectifs de la disposition. Le législateur a voulu accorder une protection à un groupe qu’il estimait être celui qui en avait le plus besoin et il a exclu les autres en raison de considérations logiques et sérieuses dont il était raisonnablement fondé à croire qu’elles porteraient sérieusement atteinte aux droits des autres. Un législateur ne peut être tenu de traiter tous les aspects d’un problème à la fois. Il doit pouvoir adopter des mesures progressives pour soupeser les inégalités qui peuvent découler de la loi en fonction des autres inégalités qui résultent de l’adoption d’une ligne de conduite, et pour tenir compte des difficultés, qu’elles soient de nature sociale, économique ou budgétaire, qui se présenteraient s’il tentait de les traiter dans leur ensemble.

La ligne de démarcation est raisonnable et convenablement définie en fonction de l’âge, même si l’âge est un motif de discrimination prohibé. Ce point précis n’a pas été soumis à la Cour. En autorisant les programmes de promotion sociale en vertu du par. 15(2), la Charte reconnaît elle-même que des mesures légitimes prises pour traiter des problèmes d’inégalité peuvent elles-mêmes créer des inégalités. L’article premier de la Charte devrait donc permettre d’apporter des solutions partielles à la discrimination lorsqu’il existe des motifs raisonnables de limiter une mesure.

Le fait que la Charte remet entre les mains du pouvoir législatif la tâche de réglementer et de promouvoir la cause des droits de la personne dans le secteur privé incite à faire preuve d’une certaine retenue à l’égard du choix du législateur. De façon générale, les tribunaux ne devraient pas se servir à la légère de la Charte pour se prononcer après coup sur le jugement du législateur afin de déterminer le rythme qu’il devrait emprunter pour parvenir à l’idéal de l’égalité. Les tribunaux devraient adopter une attitude qui encourage les progrès législatifs en matière de protection des droits de la personne. Certaines des mesures adoptées ne sont peut-être pas parfaites, mais la reconnaissance des droits de la personne émerge lentement de l’expérience humaine et le fait d’avancer à petits pas ou progressivement peut parfois laisser présager la naissance d’un droit.

Le juge Sopinka: Le juge Sopinka souscrit aux raisons qu’invoque le juge La Forest pour conclure que l’université n’est pas une entité gouvernementale aux fins de l’application de la Charte canadienne des droits et libertés. Les fonctions principales d’une université ne sont pas gouvernementales et ne sont donc pas directement assujetties à la Charte. Cela s’applique a fortiori aux rapports qu’entretient l’université avec son personnel qui, dans le cas des présents pourvois, reposent sur une base consensuelle.

La réponse à la question de savoir si les politiques et les pratiques des universités en matière de retraite obligatoire sont une loi ne peut reposer sur l’hypothèse que les universités sont des organismes gouvernementaux. En tentant de classer la conduite d’une entité dans une affaire donnée, il est important de savoir d’abord qu’il s’agit d’un organisme gouvernemental et deuxièmement qu’elle agit en cette qualité à l’égard de la conduite que l’on cherche à assujettir à un examen fondé sur la Charte. Le rôle de la Charte est de protéger l’individu contre le pouvoir coercitif de l’Etat. Il doit y avoir un élément de coercition pour que les dispositions adoptées par une institution puissent être qualifiées de loi. Pour décider en l’espèce si les politiques et pratiques relatives à la retraite obligatoire sont une loi, il faudrait présumer que des facteurs hautement pertinents sont présents. Une telle décision reposerait sur des considérations entièrement artificielles et ne ferait que déformer la loi. La conclusion que la retraite obligatoire est justifiée en vertu de l’article premier est plus conforme aux principes démocratiques que la Charte est destinée à maintenir. Une décision contraire imposerait à tout le pays un régime qui a été conçu non pas dans le cadre du processus démocratique mais par la puissance du droit.

Le juge Cory: Les critères proposés par le juge Wilson pour déterminer si les entités dont il est évident en soi qu’elles ne font pas partie des branches législative, exécutive ou administrative du gouvernement font néanmoins partie du gouvernement auquel s’applique la Charte, sont adoptés. Les conclusions du juge Wilson que les universités font partie du «gouvernement» pour les fins de l’art. 32 de la Charte et que leurs politiques de mise à la retraite obligatoire sont sujettes à un examen fondé sur l’art. 15 et qu’elles contreviennent à l’art. 15 parce qu’elles établissent une discrimination fondée sur l’âge, sont également adoptées. Ces politiques survivent cependant à un examen fondé sur l’article premier de la Charte. Même si l’al. 9a) du Code des droits de la personne, 1981 contrevient au par. 15(1) de la Charte parce qu’il établit une discrimination fondée sur l’âge, il constitue une limite raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l’article premier.

Le juge Wilson (dissidente): En vertu de l’art. 32, la Charte s’applique à la législation au sens large et aux actions de la branche exécutive ou administrative du gouvernement. Elle ne s’applique pas aux litiges entre particuliers en l’absence de tout lien avec le gouvernement. La distinction entre l’action gouvernementale et l’action privée peut être difficile à établir dans certaines circonstances, mais le texte de la Charte doit aussi être respecté. La Charte n’a pas été conçue comme un moyen subsidiaire aux lois sur les droits de la personne pour ce qui est de résoudre des cas de discrimination privée.

La notion selon laquelle le gouvernement ne fait que restreindre la liberté des gens n’est pas valide au Canada. Le gouvernement a également joué un rôle salutaire. La liberté ne correspond pas à l’absence d’intervention gouvernementale; au contraire, elle requiert souvent l’intervention et la protection du gouvernement contre l’action privée.

Il ne faut pas s’appuyer sur une notion d’intervention minimale de l’Etat pour justifier une interprétation restrictive de mots «gouvernement» et «action gouvernementale». De nos jours, les gouvernements doivent remplir plusieurs rôles vis-à-vis de ses citoyens, certains de ces rôles ne pouvant être remplis le mieux possible par l’appareil gouvernemental lui-même. Il ne faut pas laisser la forme l’emporter sur le fond: il ne faut pas laisser contourner les dispositions de la Charte en autorisant la création d’une entité distincte chargée de remplir ce rôle. Nous devons examiner la nature des rapports entre cette entité et le gouvernement pour déterminer si ses actes sont vraiment ceux d’un gouvernement.

Il faut se poser les questions suivantes quant aux entités dont il n’est pas évident en soi qu’elles font partie des branches législative, exécutive ou administrative du gouvernement, pour déterminer si elles sont assujetties à la Charte: (1) La branche législative, exécutive ou administrative du gouvernement exerce-t-elle un contrôle général sur l’entité en question? (2) L’entité exerce-t-elle une fonction gouvernementale traditionnelle ou une fonction qui, de nos jours, est reconnue comme une responsabilité de l’Etat? (3) L’entité agit-elle conformément au pouvoir que la loi lui a expressément conféré en vue d’atteindre un objectif que le gouvernement cherche à promouvoir dans le plus grand intérêt public?

Chacune des questions identifie des aspects du gouvernement dans son contexte contemporain. Une réponse affirmative à l’une ou l’autre de ces questions constituerait un indice sérieux, mais rien de plus, qu’il s’agit d’une entité qui fait partie du gouvernement. Les parties peuvent expliquer pourquoi l’organisme en question ne fait pas partie du gouvernement ou, dans le cas d’une réponse négative, pourquoi quelque autre aspect que les questions formulées précédemment ne visent pas fait en sorte qu’elle fasse partie du gouvernement.

En raison des divers liens qui existent entre la province et les universités, l’Etat exerce un contrôle important sur les universités au Canada. Il exerce ce contrôle: (1) par une participation considérable au financement, (2) par la nature législative de leur organisation, (3) par l’assujettissement de certains processus de décision à l’examen judiciaire et (4) par des politiques et programmes exigeant l’approbation du gouvernement.

Le gouvernement n’a pas été mêlé directement à la politique de mise à la retraite obligatoire établie par les universités. Cependant, il n’est pas essentiel d’établir un lien précis entre l’action contestée et le gouvernement. Les politiques et pratiques internes des universités devraient se conformer aux préceptes de la Constitution. Le principe de la liberté académique, qui a une portée restreinte et qui protège seulement contre la censure des idées, n’est pas incompatible avec le contrôle administratif exercé par l’Etat dans d’autres domaines.

A tous les niveaux, l’éducation a été traditionnellement une fonction du gouvernement au Canada comme l’indiquent les lois adoptées à ce sujet avant et après la Confédération. Les universités exercent une fonction publique importante que le gouvernement veut voir exercer et dont il estime avoir la responsabilité de veiller à ce qu’elle soit exercée. Les universités font donc partie du «gouvernement» pour les fins de l’art. 32 de la Charte et leurs politiques de retraite obligatoire sont donc sujettes à un examen fondé sur l’art. 15 de la Charte.

L’article 15 est déclaratoire des droits de tous à l’égalité dans le système judiciaire. Si la garantie d’égalité n’est pas respectée par ceux à qui la Charte s’applique, les tribunaux doivent remédier à cette inégalité.

Le terme «loi» à l’art. 15 devrait recevoir une interprétation libérale qui englobe à la fois l’activité législative et les politiques et pratiques même si elles sont adoptées à la suite d’un consensus. La garantie d’égalité s’applique sans égard à la forme particulière de discrimination. La discrimination, qu’elle soit consciente ou non, se manifeste souvent par des pratiques plutôt informelles. L’article 15 n’exige donc pas de chercher une «loi» discriminatoire au sens strict, mais simplement de chercher une discrimination qui doit être corrigée par la loi.

Il n’est pas absolument nécessaire que notre Cour parvienne en l’espèce à une conclusion définitive sur cet aspect de l’art. 15. En vertu de l’interprétation plus libérale du terme «loi», les politiques à l’origine de la retraite obligatoire constituent une «loi» au sens de l’art. 15. Même en vertu de l’interprétation la plus restrictive du terme «loi», la discrimination découle des lois habilitantes des universités et, en conséquence, l’atteinte au droit à l’égalité s’est produite de l’une des façons interdites.

Toutes les façons auxquelles les universités ont eu recours pour imposer la retraite obligatoire constituent des «règles exécutoires» au sens large. Cela ne change rien que certaines règles découlent d’un processus de négociation collective. C’était en fait la loi du milieu du travail. La retraite obligatoire établit une distinction réelle et voulue entre différentes personnes ou groupes de personnes et cette distinction constitue de la discrimination.

La garantie d’égalité vise à promouvoir la dignité humaine. Cette garantie porte essentiellement sur ces modes de discrimination que sont les stéréotypes et les préjugés et elle vise à protéger contre ces fléaux. Le caractère central de la notion de «préjugé» explique pourquoi le critère de la situation analogue n’a pas sa place dans la jurisprudence sur l’égalité.

Les motifs énumérés à l’art. 15 sont des exemples flagrants de discrimination que la société a enfin reconnus comme tels. Leur caractéristique commune est le désavantage et la vulnérabilité sur les plans politique, social et juridique.

Le simple fait que la distinction soit fondée sur l’âge ne donne pas automatiquement lieu à une quelconque présomption irréfutable de préjugé. Il nous amène plutôt à nous poser certaines questions. Y at-il préjugé? La politique de retraite obligatoire reflète-t-elle le stéréotype de la vieillesse? Un élément de la dignité humaine est-il en cause? Les professeurs sont-ils tenus de prendre leur retraite à 65 ans pour le motif non fondé qu’il y a diminution de la compétence et des capacités intellectuelles avec l’âge? La réponse à ces questions est oui et, en conséquence, l’art. 15 est violé.

Les universités détiennent leur pouvoir en matière de relations de travail avec les professeurs et les employés en vertu de leurs lois habilitantes qui, en elles-mêmes, ne violent pas la Charte. La mesure prise conformément à ces dispositions a entraîné la violation. Il n’est donc pas nécessaire de déterminer précisément si les politiques concrètes qui imposent la retraite à 65 ans constituent une «règle de droit» au sens de l’article premier. Si les mesures qui prévoient la retraite obligatoire ne sont pas raisonnables et si leur justification ne peut se démontrer, elles ne relèvent pas du pouvoir des universités et doivent être annulées.

Les politiques de retraite obligatoire ne peuvent satisfaire au critère de l’atteinte minimale. Ce critère est satisfait lorsque les autres moyens de traiter l’objectif avoué du gouvernement ne sont pas clairement meilleurs que le moyen adopté par le gouvernement. Il y a de meilleurs moyens en l’espèce.

En période de restrictions budgétaires, la concurrence à l’égard des ressources limitées constituera presque toujours un facteur de la répartition des bénéfices par le gouvernement. En outre, la reconnaissance des droits et libertés constitutionnels de certains dans ces circonstances comportera presque inévitablement un prix que d’autres auront à payer. Dire de ce prix qu’il justifie une négation des droits constitutionnels des appelants reviendrait à vicier complètement l’objectif de la consécration des droits et libertés dans la Constitution. Toutefois, les circonstances peuvent faire en sorte que d’autres facteurs militent contre l’ingérence des tribunaux lorsque le législateur a tenté de répartir équitablement les ressources. Mêmes si les seules contraintes financières étaient suffisantes pour justifier une interprétation plus souple du critère de l’atteinte minimale, les faits de l’espèce ne justifient pas l’application de cette norme d’examen.

La norme qui est présumée s’appliquer est celle de l’arrêt Oakes et ce n’est que dans circonstances exceptionnelles que la rigueur du critère de l’arrêt Oakes devrait être assouplie. Les universités intimées n’ont pas réussi à démontrer que l’application d’un critère plus souple en vertu de l’article premier était approprié. Même si ce critère était approprié, on n’a pas satisfait à cette norme. Il existe des moyens clairement meilleurs comme en fait foi le succès des méthodes de rechange.

Les jeunes professeurs ne font pas partie du genre de groupe vulnérable envisagé dans les arrêts qui ont appliqué un critère plus souple de l’atteinte minimale. Leur exclusion découle seulement de la politique de restriction budgétaire du gouvernement, mais non du fait qu’ils sont jeunes ou de la nature de leur rapport avec les universités.

Compte tenu de la nature des motifs pour lesquels la discrimination est interdite à l’art. 15 et du fait que les droits à l’égalité sont au cœur même de la Charte, il y a lieu de douter que les citoyens devraient être autorisés à renoncer à ces droits par contrat. Il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce.

Le paragraphe 24(1) de la Charte confère à la Cour un large pouvoir discrétionnaire d’accorder la réparation qu’elle estime convenable et juste, y compris le genre de redressement demandé par les appelants. Les principes ordinaires du droit des contrats ne doivent pas nécessairement dicter quelles sont les réparations convenables et justes au sens du par. 24(1). Les tribunaux devraient s’efforcer de préserver les accords tout en les débarrassant de leurs éléments inconstitutionnels.

La réintégration est une façon convenable et juste de réparer le tort fait aux appelants vu la rareté des postes d’enseignement et de la difficulté d’aller ailleurs. Il est convenable d’accorder des dommages-intérêts compensatoires puisque la perte de revenus et d’avantages résulte de la violation des droits qu’ont les appelants en vertu de l’art. 15. L’indemnisation des pertes qui découlent directement de la violation de droits constitutionnels devrait normalement être accordée sous réserve de raisons sérieuses contraires. Le manque d’argent et la bonne foi ne peuvent servir de justification valable pour refuser d’accorder des dommages-intérêts compensatoires.

Il n’y a pas lieu d’accorder d’injonction interlocutoire ou permanente. Les appelants sont rétablis dans leur situation en raison du jugement déclaratoire, de l’ordonnance de réintégration et de l’attribution de dommages-intérêts compensatoires.

L’alinéa 9a) du Code des droits de la personne, 81 enfreint l’art. 15 de la Charte parce qu’il prive les employés âgés de plus de 65 de toute protection contre la discrimination en matière d’emploi. Lorsque le gouvernement décide d’accorder une protection, il doit le faire d’une manière non discriminatoire et, en l’espèce, la province a omis de le faire. Dans le domaine de la législation en matière de droits de la personne, l’examen en vertu de la Charte devrait être plus sévère, et non moins sévère, que pour les autres genres de législations. En ne protégeant pas ces travailleurs, le Code a pour effet de renforcer le stéréotype selon lequel les employés plus âgés ne sont plus des membres utiles de la population active et qu’on peut donc librement et arbitrairement se passer de leurs services.

L’alinéa 9a) en entier doit être invalidé. L’alinéa ne fait pas que permettre la retraite obligatoire, qui est l’objectif avoué du législateur, il a aussi pour effet de permettre toutes formes de discrimination fondées sur l’âge envers les personnes âgées de plus de 65 ans. Le volet du lien rationnel énoncé dans l’arrêt Oakes n’est donc pas satisfait. En choisissant la bonne solution de la contestation constitutionnelle, la Cour doit tenir compte de l’étendue de l’incompatibilité de la disposition avec la Charte.

De toute façon, l’al. 9a) ne survivrait pas au deuxième volet du critère de proportionnalité de l’arrêt Oakes. Si la majorité des personnes touchées par une loi subissent un préjudice démesurément grave par suite de la violation de leurs droits, la loi contestée ne porte pas le moins possible atteinte aux droits des personnes visées par celle-ci. Même s’il est acceptable que des citoyens écartent par entente leurs droits fondamentaux en échange d’un gain économique, il reste que la majorité des travailleurs de la province n’ont pas accès à de tels arrangements.

Le juge L’Heureux-Dubé (dissidente): Les universités ne possèdent peut-être pas tous les éléments de nature gouvernementale nécessaires pour être considérées comme des organismes publics, mais elles ne sont pas non plus de nature entièrement privée. Leurs décisions internes sont sujettes au contrôle judiciaire et leur création, leur financement et leur fonctionnement sont régis par des lois. Certaines fonctions publiques exécutées par les universités peuvent justifier un contrôle fondé sur la Charte.

Le fait que les universités sont financées de façon substantielle sur les fonds publics ne peut être facilement écarté mais l’ampleur du financement ne prouve pas que le gouvernement exerce un contrôle sur les contrats de travail en l’espèce qui les assujettirait à un examen fondé sur la Charte. Le régime de retraite obligatoire n’a pas été adopté en raison d’un mandat du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif. En outre, ce sont des contrats privés d’emploi de l’université que l’on prétend être en conflit avec la Charte et non les fonctions publiques qui lui ont été déléguées.

Le test général proposé par le juge Wilson quant à l’étendue du gouvernement et de l’action gouvernementale aux fins du par. 32(1) de la Charte devrait être retenu. Les universités ne peuvent cependant être qualifiées de gouvernement en vertu de ce test, essentiellement pour les motifs exposés par le juge La Forest. L’analyse historique conduit à la même conclusion que la méthode fonctionnelle: les universités canadiennes ont toujours férocement défendu leur indépendance. Le mot «gouvernement», suivant le sens qu’on lui attribue généralement n’a jamais englobé les universités telles qu’elles étaient et telles qu’elles sont actuellement constituées. Il n’est donc pas nécessaire de répondre aux questions 4 et 5.

L’alinéa 9a) du Code des droits de la personne, 1981 constitue une discrimination déraisonnable et injuste fondée sur l’âge envers les personnes de plus de 65 ans en violation du par. 15(1) de la Charte. Il constitue un obstacle arbitraire et artificiel qui empêche des personnes âgées de plus de 65 ans de porter plainte contre une discrimination en matière d’emploi.

La violation du par. 15(1) ne peut être justifiée en vertu de l’article premier. Il n’existe aucune preuve convaincante que la retraite obligatoire et le système de permanence sont étroitement liés. La valeur de la permanence est menacée par l’incompétence et non par le vieillissement. La présomption d’une incapacité d’enseigner à 65 ans n’est pas bien fondée. L’écart entre les capacités physiques et intellectuelles parmi les différents groupes d’âge peut être amplement compensée par une plus grande expérience, une plus grande sagesse et des compétences plus étendues acquises au cours des années. La politique de retraite obligatoire ne répond donc pas à un objectif réel et urgent.

Même en supposant qu’un objectif légitime existe, les moyens utilisés sont trop envahissants. Les personnes de plus de 65 ans sont exclues de la protection du Code seulement en raison de leur âge et, indépendamment des circonstances, sont privées du recours à des lois protectrices et réparatrices en matière de droits de la personne. Depuis l’époque où l’âge de la retraite a été fixé à 65 ans, les progrès de la science médicale et l’amélioration des conditions de vie ont considérablement augmenté l’espérance de vie et amélioré la qualité de vie. Une petite «élite» peut se permettre de prendre sa retraite, mais ce sont les pauvres qui souffrent le plus cruellement des effets néfastes de la retraite obligatoire. Les femmes sont particulièrement touchées car elles sont moins susceptibles de bénéficier de pensions de retraite suffisantes. Il n’y a pas de justification raisonnable à un régime fixant à 65 ans l’âge de la retraite obligatoire.

L’alinéa 9a) du Code peut en être retranché et devrait donc être entièrement invalidé pour cause d’inconstitutionnalité.

CAN / 1992 / A03
Canada/Cour suprême/9-07-1992/[1992] 2 R.C.S. 679 (Schachter c. Canada) /extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – sécurité sociale

Charte canadienne des droits et libertés – Parents adoptifs – Parents naturels – Prestations

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Réparations – Prestations limitatives – Parents naturels ne bénéficiant pas des mêmes prestations que les parents adoptifs en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage – L’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 exige-t-il que le tribunal déclare inopérant l’article incompatible? –L’article 24 de la Charte donne-t-il au tribunal le pouvoir de statuer que les parents naturels ont droit aux mêmes prestations que les parents adoptifs? – Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1) – Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 15(1), 24(1) – Loi de 1971 sur l’assurance chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 32.

Droit constitutionnel – Charte des droits – Exécution – Réparation appropriée – Prestations limitatives – Parents naturels ne bénéficiant pas des mêmes prestations que les parents adoptifs en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage – L’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 exige-t-il que le tribunal déclare inopérant l’article incompatible? – L’article 24 de la Charte donne-t-il au tribunal le pouvoir de statuer que les parents naturels ont droit aux mêmes prestations que les parents adoptifs?

En 1985, l’épouse de l’intimé a reçu des prestations de maternité pendant 15 semaines en vertu de l’art. 30 de la Loi de 1971 de l’assurance-chômage. Bien qu’il ait eu l’intention de rester à la maison avec le nouveau-né dès que son épouse pourrait retourner au travail, l’intimé a finalement pris trois semaines de congé sans traitement. Il avait tout d’abord fait une demande de prestations en vertu de l’art. 30 pour justifier son absence du travail mais, puisque l’art. 30 était limité aux prestations de maternité, il a ensuite modifié une formule de demande de «prestations de paternité» en vertu de l’art. 32. Cet article prévoit le versement de prestations aux parents adoptifs pendant 15 semaines à la suite du placement d’un enfant dans leur foyer. Les deux parents peuvent se partager ces prestations comme ils l’entendent. La demande de l’intimé a été refusée parce qu’il n’était pas «disponible pour travailler», motif d’exclusion pour tous les prestataires, sauf ceux faisant une demande de prestations de maternité ou d’adoption.

L’intimé a interjeté appel de la décision auprès d’un conseil arbitral. L’appel a été rejeté et l’intimé a interjeté un autre appel devant un juge-arbitre. Cet appel n’a jamais été entendu puisque l’intimé avait fait connaître son intention de soulever des questions constitutionnelles; les parties ont convenu que la Section de première instance de la Cour fédérale serait mieux placée pour résoudre les questions constitutionnelles. Le juge de première instance a conclu à une violation de l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce que l’art. 32 établit une discrimination entre les parents naturels et les parents adoptifs relativement au congé parental. Il a accordé une réparation sous forme de jugement déclaratoire en vertu du par. 24(1) de la Charte et octroyé aux parents naturels les mêmes prestations que celles accordées aux parents adoptifs en vertu de l’art. 32. Les appelantes ont par la suite concédé qu’il y a eu violation de l’art. 15 de la Charte. La Cour d’appel a confirmé la décision du juge de première instance.

La disposition attaquée a depuis été modifiée et prévoit maintenant que les parents naturels ont droit, selon des modalités identiques, aux mêmes prestations que les parents adoptifs, pendant une période totale de 10 semaines au lieu des 15 semaines prévues initialement.

Les questions constitutionnelles formulées en Cour suprême sont de savoir (l) si le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 exige que l’art. 32 de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, parce qu’il crée un bénéfice inégal contrairement au par. 15(1) de la Charte, soit déclaré inopérant; et (2) si le par. 24(1) donne à la Section de première instance de la Cour fédérale le pouvoir de statuer que les parents naturels ont droit aux mêmes prestations, suivant les mêmes conditions, que celles que peuvent toucher les parents adoptifs en vertu de l’art. 32.

Arrêt:

Le pourvoi est accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, mais l’effet de cette déclaration d’invalidité peut être suspendu pendant un certain temps pour que le Parlement puisse modifier le texte législatif d’une façon qui lui permette de respecter ses obligations constitutionnelles. La seconde question constitutionnelle reçoit une réponse négative. Le paragraphe 24(1) de la Charte prévoit une réparation individuelle lorsque des mesures prises en vertu d’une loi violent les droits garantis à une personne par la Charte. Dans les circonstances appropriées, les tribunaux ont un pouvoir limité, en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, de donner une interprétation large à une loi pour en étendre le champ d’application.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin: En règle générale, lorsque seulement une partie d’une loi ou d’une disposition viole la Constitution, seule la partie fautive devrait être déclarée inopérante. La doctrine de la dissociation exige du tribunal qu’il précise soigneusement la mesure de l’incompatibilité entre la loi en question et les exigences de la Constitution et qu’il déclare inopérantes a) la partie incompatible, ainsi que b) toute partie du reste de la loi relativement à laquelle il n’y aurait pas lieu de supposer que le législateur l’aurait adoptée sans la partie incompatible.

Dans le cas de l’interprétation large, l’incompatibilité découle de ce que la loi exclut à tort plutôt que de ce qu’elle inclut à tort. Si l’incompatibilité découle de ce que la loi exclut, la déclaration d’invalidité de cette incompatibilité peut avoir pour effet logique d’inclure le groupe exclu dans le texte législatif en question. La portée de la loi est étendue par interprétation large au lieu de recevoir une interprétation atténuée.

L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne restreint pas le tribunal à l’examen du libellé employé par le législateur lorsqu’il détermine l’incompatibilité entre une loi et la Constitution. L’article 52 rend inopérantes les dispositions incompatibles d’une règle de droit et non pas les termes d’une loi. L’incompatibilité peut s’entendre tant de ce qui a été omis du libellé de la loi que de ce qui y a été inclus à tort.

L’objet de l’interprétation large est d’être aussi fidèle que possible, dans le cadre des exigences de la Constitution, au texte législatif adopté par le législateur. Il va sans dire que, dans certains cas, il n’y aura pas lieu de supposer que le législateur aurait adopté la partie d’une loi autorisée par la Constitution sans celle qui ne l’est pas. Dans ce cas, l’interprétation large ne conviendrait pas. S’il est parfois nécessaire de procéder par interprétation large pour assurer le respect des objectifs législatifs, il est également nécessaire parfois de procéder de cette façon pour assurer le respect des objets de la Charte. L’interprétation large est donc une mesure corrective légitime semblable à la dissociation et devrait pouvoir être utilisée en vertu de l’art. 52 dans les cas où elle constitue une technique appropriée pour satisfaire aux objets de la Charte et réduire au minimum l’ingérence judiciaire dans les parties de la loi qui en soi ne sont pas contraires à la Charte.

Dans le choix d’une mesure corrective en vertu de l’art. 52, la première étape consiste à déterminer l’étendue de l’incompatibilité qui doit être annulée. Habituellement, il sera essentiel d’examiner de quelle façon la loi en question viole la Charte et pourquoi cette violation ne peut être justifiée en vertu de l’article premier.

Dans certaines circonstances, le par. 52(1) exige qu’on détermine d’une façon très large la partie incompatible à annuler. Cela sera presque toujours le cas si la loi ou la disposition législative ne satisfait pas à la première partie du critère énoncé dans l’arrêt Oakes, en ce que l’objectif ne se rapporte pas à des préoccupations suffisamment urgentes et réelles pour justifier une atteinte à un droit garanti par la Charte. Si l’objectif même de la loi est inconstitutionnel, cette loi doit presque toujours être annulée dans sa totalité.

Lorsque l’on juge que l’objectif de la loi ou de la disposition législative se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles, mais que les moyens choisis pour l’atteindre n’ont pas de lien rationnel avec cet objectif, l’incompatibilité à invalider sera généralement la partie de la disposition qui ne satisfait pas au critère du lien rationnel. Peu importe que l’objectif de la loi se rapporte à des préoccupations réelles et urgentes, si les moyens utilisés pour l’atteindre n’ont pas un lien rationnel avec cet objectif, le maintien en vigueur de la loi dans sa forme existante n’en favorisera pas l’atteinte. Lorsqu’une loi ne satisfait pas au deuxième ou au troisième élément du critère de la proportionnalité, ou aux deux, on dispose d’une plus grande latitude pour déterminer quelles sont les dispositions incompatibles. Il pourrait convenir de procéder par annulation, dissociation ou interprétation large dans les cas où le texte législatif ne satisfait pas au deuxième ou au troisième élément, ou aux deux.

Une fois établie la mesure de l’incompatibilité d’une disposition, il faut se demander si la bonne réparation est la dissociation, l’interprétation large ou son annulation en totalité.

Il existe une distinction importante entre la dissociation et l’interprétation large. En ce qui concerne la dissociation, la partie incompatible de la disposition législative peut être déterminée avec une certaine précision en fonction des exigences de la Constitution, ce qui ne sera pas toujours possible dans le cas de l’interprétation large. Lorsqu’il n’est pas possible, à partir d’une analyse fondée sur la Constitution, de déterminer avec suffisamment de précision dans quelle mesure il faut élargir la portée d’une loi pour la rendre compatible avec la Constitution, il appartient aux législateurs et non aux tribunaux de combler les lacunes.

Lorsque l’on détermine s’il faut donner une interprétation large à un texte législatif, la question n’est pas de savoir si les tribunaux peuvent prendre des décisions qui entraînent des répercussions de nature financière, mais bien jusqu’à quel point il est de circonstance de le faire. De toute évidence, il ne conviendrait pas d’accorder une réparation qui entraîne un empiétement tellement important sur ce domaine qu’il modifie la nature du régime législatif en question. Le tribunal devrait se demander si le sens du texte qui reste serait grandement modifié par le retranchement des parties fautives. Le problème de l’annulation de la partie incompatible seulement est que le sens de la partie qui reste peut tellement changer en l’absence de la partie incompatible qu’il n’y a pas lieu de supposer que le législateur l’aurait quand même adoptée.

Lorsqu’il s’agit de savoir si l’on doit accorder des bénéfices à un groupe non inclus dans la loi, la question du changement de sens du reste de la loi tourne parfois autour de la taille relative des deux groupes pertinents. La supposition que le législateur aurait adopté le bénéfice est plus souvent fondée si le groupe à ajouter est numériquement moins important que le groupe initial de bénéficiaires. Cette supposition n’est cependant pas nécessairement fondée si le groupe à ajouter est numériquement beaucoup plus important que le groupe initial de bénéficiaires. Ce n’est pas seulement une question de chiffres. C’est plutôt que les chiffres peuvent indiquer que, pour des motifs financiers ou simplement parce que cela constituerait un changement marqué de l’objectif du programme initial, on ne peut pas supposer que le législateur aurait adopté le bénéfice en question sans l’exclusion.

Il est raisonnable d’examiner le sens de la partie qui reste lorsqu’on se demande si la supposition que le législateur l’aurait quand même adoptée est fondée. Si la partie qui reste a une très grande importance ou existe depuis longtemps, ce fait vient renforcer la supposition que cette partie aurait été adoptée sans la portion inacceptable. Le fait que les objets de la Constitution favorisent, sans imposer, le maintien de la partie acceptable d’une disposition vient renforcer la supposition que le législateur l’aurait adoptée sans la partie inacceptable.

La dernière étape consiste à déterminer s’il doit y avoir suspension temporaire de l’effet de la déclaration d’invalidité. Un tribunal peut déclarer une loi ou une disposition législative inopérante, mais suspendre l’effet de cette déclaration jusqu’à ce que le législateur fédéral ou provincial ait eu l’occasion de combler le vide. La question de la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité diffère totalement de celle de savoir si l’interprétation large ou l’annulation d’un texte législatif est la solution appropriée en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. La suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité ne devrait pas être préférée à l’interprétation large lorsqu’il convient de procéder par interprétation large. La question de savoir s’il y a lieu de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité ne devrait pas dépendre de considérations ayant trait au rôle des tribunaux et des législateurs, mais plutôt de considérations sur l’effet d’une déclaration d’invalidité sur le public.

(…)

Le droit violé en l’espèce est un droit positif: le droit au même bénéfice de la loi. Il s’agit d’un bénéfice pécuniaire, et non pas d’un bénéfice que la Constitution oblige le Parlement à verser au groupe inclus ou au groupe exclu. A la suite de la violation concédée de l’art. 15, le Parlement est tenu d’égaliser la prestation de ce bénéfice, si tant est qu’il doit y avoir prestation. Le bénéfice en soi n’est pas interdit par la Constitution; la disposition pertinente est simplement trop limitative. En conséquence, il ne serait pas approprié de procéder à l’annulation immédiate de la disposition car on priverait ainsi des personnes admissibles d’un bénéfice, sans offrir une réparation à l’intimé. Dans un tel cas, il faut tout au moins que l’effet de la déclaration d’invalidité soit suspendu pour permettre au Parlement d’harmoniser la disposition avec les exigences constitutionnelles.

En l’absence d’un mandat fondé sur un objectif législatif clair, il serait imprudent de donner à la disposition une interprétation large de manière à inclure le groupe exclu. Un examen du bénéfice et de la taille du groupe ainsi que des répercussions financières qui s’ensuivraient vient appuyer cette conclusion. La solution appropriée consistait à déclarer la disposition inopérante et à suspendre l’effet de cette déclaration jusqu’à ce que le législateur concerné ait soupesé tous les facteurs pertinents dans le cadre de la modification de la loi en vue de répondre aux exigences constitutionnelles. Il est révélateur que le Parlement ait modifié la disposition attaquée par suite de la présente action et que cette modification ne soit pas celle qu’aurait imposée une interprétation large.

Les juges La Forest et L’Heureux-Dubé: On a concédé que la loi en cause viole la Charte canadienne des droits et libertés et qu’elle ne fait pas partie du genre très limité de causes où seule une partie de la loi peut faire l’objet d’une interprétation atténuée ou d’une correction qui introduit, par interprétation large, des éléments reflétant de toute façon l’intention évidente du législateur. L’interprétation atténuée des lois est riche d’une longue tradition et l’interprétation large est possible lorsque cela revient essentiellement au même. Cependant, on ne devrait utiliser ces techniques que dans les cas les plus clairs. Compte tenu de la mesure prise subséquemment par le Parlement, il n’était pas opportun de déclarer inopérante la disposition attaquée et de suspendre l’effet de cette déclaration.

D’autres dimensions de la question de l’interprétation large et de l’interprétation atténuée commandent que des réserves soient apportées aux propositions que le juge en chef Lamer a énoncées comme étant des lignes directrices. L’application de l’interprétation atténuée ou de l’interprétation large ne devrait pas être liée étroitement à la liste établie dans l’arrêt R. c. Oakes parce qu’elle pourrait favoriser une attitude mécaniste, plutôt que l’étude de questions plus fondamentales qui se situent bien au-delà des faits.

CAN / 1995 / A04
Canada / Cour suprême / 25-05-1995 / [1995] 2 R.C.S. 418 (Miron c. Trudel) / texte intégral du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du recours – décisions juridictionnelles
2.1.1.4 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Convention européenne des droits de l’homme de 1950
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Assurance automobile – Charte canadienne des droits et libertés – Conjoint (définition) – Conjoint de fait – Déclaration universelle des droits de l’homme

John O. Miron et Jocelyne Valliere Appelants

c.

Richard Trudel, William James McIsaac
et Economical, Compagnie Mutuelle d’Assurance Intimés

et

Le procureur général du Canada
Le procureur général de l’Ontario
Le procureur général du Québec et
Le procureur du Manitoba Intervenants

Répertorié: Miron c. Trudel
N° du greffe: 22744.
1994: 2 juin; 1995: 25 mai.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’HeureuxDubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major en appel de la cour d’appel de l’Ontario

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Assurance-automobile – Police automobile type établie sous le régime d’une loi provinciale qui étend au «conjoint» du souscripteur les indemnités d’assurance en cas d’accident – Le terme «conjoint» n’inclut pas les conjoints de fait – La restriction des indemnités aux seules personnes mariées viole-t-elle l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés? – Dans l’affirmative, la violation peut-elle se justifier en vertu de l’article premier de la Charte? – Loi sur les assurances, L.R.O. 1980, ch. 218, art. 231, 233, Annexe C.

Droit constitutionnel – Charte des droits – Exécution – Réparation appropriée – Police automobile type établie sous le régime d’une loi provinciale qui étend au «conjoint» du souscripteur les indemnités d’assurance en cas d’accident – Le terme «conjoint» n’inclut pas les conjoints de fait – Restriction des indemnités aux seules personnes mariées en contravention de l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés – Violation non justifiable au regard de l’article premier de la Charte – La Cour devrait-elle, par «interprétation large» rétroactive donner une définition plus étendue au «conjoint», en vertu de l’art. 24 de la Charte?

Les appelants vivaient ensemble avec leurs enfants. Ils n’étaient pas mariés, mais leur famille fonctionnait comme une unité économique. En 1987, M a été blessé alors qu’il était passager à bord d’un véhicule à moteur non assuré conduit par un conducteur non assuré. A la suite de l’accident, M ne pouvait plus travailler et contribuer au soutien de sa famille. Il a présenté une réclamation d’indemnité d’assurance-accidents pour perte de revenu et dommages-intérêts fondée sur la police d’assurance de V, qui étendait au «conjoint» du souscripteur les indemnités d’assurance en cas d’accident. L’assureur intimé a rejeté sa réclamation parce que M n’était pas légalement marié à V et, partant, qu’il n’en était pas le «conjoint». Les appelants ont intenté une poursuite contre l’assureur, qui a déposé une requête préliminaire visant à faire déterminer si le terme «conjoint», utilisé dans les stipulations applicables de la police, comprend les conjoints de fait. Le juge des requêtes a conclu que le terme «conjoint» désignait une personne légalement mariée. Les appelants ont interjeté appel contre cette décision devant la Cour d’appel, en faisant valoir premièrement que M est un conjoint au sens de la police et, subsidiairement, que les modalités de la police, qui sont prévues dans la police automobile type, établie sous le régime de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1980, ch. 218, sont discriminatoires à son endroit et violent le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d’appel a rejeté leur demande.

Arrêt (Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier et Major sont dissidents):

Le pourvoi est accueilli.

Les juges Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci: L’analyse fondée sur le par. 15(1) comporte deux étapes. Premièrement, le demandeur doit démontrer qu’il y a eu négation de son droit «à la même protection» ou «au même bénéfice» de la loi qu’une autre personne. Deuxièmement, le demandeur doit démontrer que cette négation constitue une discrimination. Pour établir qu’il y a discrimination, le demandeur doit prouver que la négation repose sur l’un des motifs énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue et que le traitement inégal est fondé sur l’application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe, bien que, dans de rares cas, des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou des motifs analogues peuvent, à l’examen, se révéler non discriminatoires. Une fois que la violation du par. 15(1) est établie, il y a alors déplacement de la charge de la preuve et la partie qui cherche le maintien de la loi, habituellement l’Etat, doit établir la justification de cette discrimination conformément à l’article premier de la Charte. Cette façon de départager l’analyse entre le par. 15(1) et l’article premier est compatible avec la directive selon laquelle les tribunaux devraient interpréter les droits qui y sont énumérés d’une façon large et libérale, et ce sera alors à l’étape de l’analyse fondée sur l’article premier qu’il faudra restreindre la protection prima facie ainsi accordée pour la rendre conforme aux intérêts opposés sur les plans social et législatif. Par ailleurs, l’analyse préconisée ne banalise pas le par. 15(1) en qualifiant toutes les distinctions de discriminatoires. Une preuve de la pertinence par rapport à un objectif législatif du motif énuméré ou du motif analogue qui sert de fondement à une négation d’égalité n’est qu’un facteur servant à déterminer si une distinction est discriminatoire dans le contexte social et politique de chaque cas. Considérer que la pertinence est l’indice ultime de l’absence de discrimination est problématique en ce que cela peut permettre de valider des distinctions qui iraient à l’encontre du but poursuivi par le par. 15(1), et de donner lieu à des examens qui devraient plutôt être effectués en fonction de l’article premier.

L’exclusion des partenaires non mariés comme bénéficiaires des indemnités d’assurance-accidents offertes aux partenaires mariés va à l’encontre du par. 15(1) de la Charte. En l’espèce, la négation du droit au même bénéfice fondée sur l’état matrimonial est établie, et l’état matrimonial est un motif de discrimination analogue au sens du par. 15(1). Premièrement, la discrimination fondée sur ce motif touche la dignité et le mérite essentiels de la personne de la même façon que d’autres motifs de discrimination reconnus vont à l’encontre de normes fondamentales en matière de droits de la personne. Deuxièmement, l’état matrimonial possède des caractéristiques souvent associées aux motifs de discrimination reconnus au par. 15(1). Les personnes qui vivent en union de fait constituent un groupe historiquement désavantagé, même si, au cours des dernières années, ce désavantage a grandement diminué.

Une troisième caractéristique parfois associée à des motifs analogues – les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles immuables – existe aussi, mais sous une forme atténuée. En théorie, la personne est libre de choisir de se marier ou non, mais en pratique, la réalité pourrait bien être tout autre. Puisque l’on retrouve les éléments nécessaires à l’application de l’objectif général du par. 15(1) – la violation de la dignité et de la liberté, un désavantage historique de groupe et le risque de prise de décisions stéréotypées touchant le groupe –, la discrimination est établie.

Le ministère public n’a pas réussi à démontrer qu’exclure les partenaires non mariés membres d’unités familiales du droit aux indemnités d’assurance-accidents peut se justifier dans une société libre et démocratique. L’objet ou la valeur fonctionnelle de la loi en l’espèce, qui est le soutien des familles dont l’un des membres est blessé dans un accident d’automobile, est d’une importance urgente et réelle. Cependant, il n’y a pas de lien rationnel entre l’objectif de la loi et la discrimination, et la loi porte atteinte au droit plus qu’il est raisonnablement nécessaire de le faire pour atteindre cet objectif. L’état matrimonial n’est pas une caractéristique raisonnablement pertinente permettant de déterminer qui devrait avoir droit aux indemnités dans le cas où un membre de la famille est blessé dans un accident d’automobile, compte tenu des autres critères existants et de la nécessité de réduire au minimum le préjudice causé aux cas d’anomalies au sein du groupe. Si l’on avait considéré qu’il s’agissait de déterminer quels devraient être les bénéficiaires des indemnités en fonction d’un critère pertinent relativement à l’objectif ou aux valeurs fonctionnelles sous-jacentes à la loi, plutôt que d’examiner la question du point de vue de l’équivalence du mariage, on aurait pu recourir à des solutions de rechange qui portaient beaucoup moins atteinte aux droits garantis par la Charte. Comme réparation appropriée, la nouvelle définition de «conjoint» adoptée en 1990, qui comprend un couple hétérosexuel dont les membres ont cohabité durant trois ans ou ont vécu dans une relation permanente avec un enfant, devrait, par «interprétation large» rétroactive, s’appliquer à la disposition attaquée.

Le juge L’Heureux-Dubé: La personne qui invoque les droits doit faire la preuve des facteurs suivants pour que la distinction attaquée puisse être considérée comme discriminatoire: (1) la loi doit créer une distinction; (2) cette distinction doit entraîner une violation de l’un des quatre droits à l’égalité, fondée sur l’appartenance de la personne qui invoque le droit à un groupe identifiable, et (3) cette distinction doit être «discriminatoire» au sens de l’art. 15. Il est nécessaire de comparer des groupes différents pour être en état, d’une part, de discerner de quelle manière l’effet du texte législatif varie et, d’autre part, d’aider le tribunal à bien qualifier et identifier les groupes qui sont pertinents relativement à l’examen fondé sur l’art. 15. La seule comparaison appropriée en l’espèce est celle de personnes mariées et de personnes non mariées dont l’union est analogue au mariage, c’est-à-dire comportant une certaine permanence et une certaine interdépendance publiquement reconnues.

En l’espèce, si l’on présume que l’interprétation législative du terme «conjoint» au sens où il est utilisé dans les parties pertinentes de la police exclut les couples non mariés qui font vie commune, il est raisonnable de croire que cette distinction est susceptible de favoriser ou de perpétuer chez les personnes dont l’union est analogue au mariage l’opinion qu’elles méritent moins d’être reconnues ou valorisées en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne dignes du même intérêt, du même respect et de la même considération, et elle est en conséquence discriminatoire au sens de l’art. 15 de la Charte. On peut évaluer l’incidence discriminatoire en scrutant la nature de l’intérêt en question et celle du groupe lésés par la distinction attaquée. Les personnes cohabitant dans une union hétérosexuelle analogue au mariage ont subi et continuent de subir un désavantage, une désapprobation et une marginalisation dans la société, et elles sont en conséquence assez sensibles aux distinctions législatives comportant des effets préjudiciables. Le mariage n’est pas simplement une question de choix personnel. La décision de se marier ou non peut être l’une des décisions les plus personnelles qu’une personne prendra au cours de sa vie. Bien que certains droits et obligations se rattachent à ce choix, on ne saurait en toute justice le réduire à une question de contrat. En outre, il y a beaucoup de couples dans lesquels un seul des deux conjoints désire s’engager dans une union d’une certaine permanence et interdépendance, qui soit publiquement reconnue comme telle. Au cours des dernières années, tant les tribunaux que les législatures ont reconnu les injustices qui résultent souvent du déséquilibre de pouvoir de cette nature et ont pris des mesures pour y remédier, accordant ainsi une reconnaissance accrue aux unions non traditionnelles. En l’espèce, l’intérêt touché est la protection des unités familiales contre les répercussions potentiellement désastreuses d’une blessure subie par un des membres d’une telle unité. La protection de la «famille» est, d’ailleurs, l’un des intérêts les plus importants qu’on puisse imaginer dans notre société. Toute personne blessée a droit à la partie des coûts de soins de santé assurée par son régime provincial d’assurance-maladie, mais lorsque l’on tient compte de la perte de revenu ainsi que des douleurs et des souffrances, les coûts de soins de santé réels peuvent souvent ne constituer qu’une infime fraction des pertes totales subies à la suite d’une blessure dans un accident de la route. Il importe également de préciser qu’une personne qui n’a pas le droit de présenter une réclamation à une compagnie d’assurances privée en vertu de la police automobile type peut quand même demander une indemnité en vertu de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents de véhicules automobiles; cependant, les coûts, les délais et les difficultés de recouvrement dans ce dernier cas sont beaucoup plus élevés que dans le cas d’une personne assurée par une compagnie privée. Les conséquences financières que ces différences entraînent peuvent être profondes sur une famille, tout particulièrement si la partie blessée, rendue inhabile à la suite de l’accident, est le gagne-pain de cette famille. De plus, la distinction attaquée exclut, de manière catégorique, tous les couples dont l’union est analogue au mariage d’une couverture d’assurance conjointe.

La distinction attaquée ne peut être sauvegardée en vertu de l’article premier de la Charte. La police automobile type a un objectif urgent et réel, qui est de protéger la stabilité des unités familiales en offrant une protection contre les conséquences économiques susceptibles de découler des blessures subies par un des membres de la famille. Cependant, le gouvernement n’a pas établi que la distinction attaquée a un lien rationnel avec l’objectif de la loi. Au moment de l’accident, les conjoints de fait en Ontario étaient liés par une obligation alimentaire réciproque, mais se trouvaient exclus de la police automobile type dont l’objet fondamental était presque inévitablement lié à cette obligation réciproque et au rapport d’interdépendance sur lequel cette obligation est fondée. De plus, la distinction attaquée ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale puisque l’unité qu’a décidé de protéger le législateur (les personnes mariées) est trop limitative au regard de l’objet de la loi. Bien que l’unité que l’on désire protéger puisse être définie par rapport au mariage, elle peut également l’être d’une façon pratique et assez certaine en se référant à la durée de l’union ou à la présence d’enfants, comme le législateur l’a fait lorsqu’il a modifié la définition du terme «conjoint» en 1990 pour y inclure les conjoints de fait. Cette nouvelle définition devrait être insérée rétroactivement, par interprétation large, dans la loi.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier et Major (dissidents): La Charte s’applique à la police d’assurance puisque les conditions en sont établies par la Loi sur les assurances. Il y a violation du par. 15(1) si l’atteinte à l’un des quatre droits à l’égalité qui y sont mentionnés est discriminatoire. L’analyse à entreprendre selon le par. 15(1) comporte trois étapes. Premièrement, il faut déterminer si la loi établit une distinction entre le demandeur et d’autres personnes. Deuxièmement, il faut se demander si la distinction donne lieu à un désavantage et examiner si le texte législatif attaqué impose à un groupe de personnes auquel appartient le demandeur des fardeaux, obligations ou désavantages non imposés à d’autres, ou le prive d’un bénéfice qu’il accorde à d’autres. C’est à cette deuxième étape que l’on examine l’effet direct ou indirect de la loi. Troisièmement, il faut déterminer si la distinction est fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente mentionnée au par. 15(1) ou sur une caractéristique analogue. Cette troisième étape comporte deux aspects: la détermination des caractéristiques personnelles propres à un groupe et l’examen de leur pertinence par rapport aux valeurs fonctionnelles qui sous-tendent la loi. Par sa nature même, l’examen du par. 15(1) repose sur une analyse comparative. Le contexte joue un rôle indispensable lorsqu’il s’agit de définir les groupes à comparer, de déterminer si la distinction donne lieu à un préjudice et d’examiner la nature et la pertinence des caractéristiques personnelles sur lesquelles la distinction est fondée. Plus particulièrement il est indispensable dans une analyse contextuelle du par. 15(1) de se demander si une distinction repose sur une certaine réalité objective, physique ou biologique, ou sur une valeur fondamentale, ou en est l’expression. Cet examen est d’importance cruciale pour déterminer si la distinction préjudiciable a été établie à partir d’un fondement pertinent et, par conséquent, si elle est discriminatoire ou non.

Selon la méthode adoptée par notre Cour dans Andrews, on détermine, dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 15, si la distinction préjudiciable est attribuable à un motif énuméré ou à un motif analogue. Un tel motif est défini comme un motif communément utilisé pour établir des distinctions qui ont peu ou pas de lien rationnel avec la matière traitée, traduisant généralement l’existence d’un stéréotype. En ce qui concerne les motifs énumérés à l’art. 15, les distinctions ainsi fondées sont souvent discriminatoires, mais ne le seront pas nécessairement dans tous les cas. Elles peuvent n’être que le reflet d’une réalité ou valeur fondamentales et donc pertinentes. La pertinence est également au c{œ}ur même de la détermination de l’existence d’un motif analogue. Cette détermination exige une analyse délicate, et contextuelle, de la nature du motif en question afin d’établir s’il est le fondement de distinctions non pertinentes et, en conséquence, s’il constitue un motif analogue. Une fois le motif analogue établi et défini quant à sa nature et à sa portée, toute autre question de pertinence doit être examinée non pas en vertu de l’art. 15, mais en vertu de l’article premier en même temps que toute autre question de justification.

Le mariage est à la fois une institution sociale de base et un droit fondamental que les Etats peuvent légitimement favoriser dans les lois qu’ils adoptent. Tout au moins dans notre société, on ne peut acquérir le statut de personne mariée que par l’expression d’un choix libre et personnel, quelle qu’en soit la raison. Le mariage repose sur un fondement contractuel auquel la loi rattache certains droits et obligations. La décision de se marier emporte acceptation de diverses conséquences juridiques propres à l’institution du mariage, y compris l’obligation réciproque de soutien ainsi que les aliments et l’éducation des enfants issus du mariage. Lorsque des personnes choisissent de ne pas se marier, l’Etat écarterait ce choix s’il leur imposait les mêmes fardeaux et avantages qu’aux personnes mariées. Le mariage se distingue également d’autres relations du fait que les parties s’engagent par contrat à établir une relation permanente. La décision de se marier ou non est un choix conjoint, mais elle demeure néanmoins un choix.

La restriction du versement des indemnités d’assurance-accidents aux couples mariés ne porte pas atteinte à l’art. 15 de la Charte. La loi attaquée établit une distinction en ce qu’elle traite différemment les couples mariés et les couples non mariés. Cependant, on ne peut affirmer que cette distinction est préjudiciable dans le contexte général des droits et obligations qui se rattachent en propre et de façon appropriée au mariage. De plus, puisque les valeurs fonctionnelles qui sous-tendent la loi sont pertinentes quant à l’état matrimonial, cet état ne constitue pas une caractéristique personnelle pouvant être qualifiée de motif analogue. L’état matrimonial possède des caractéristiques uniques qui le distinguent des motifs énumérés au par. 15(1). Outre son fondement à la fois consensuel et contractuel, le mariage est aussi un état auquel, comme en témoigne sa politique sociale, le législateur rattache un ensemble de droits et obligations. Ces caractéristiques ne se trouvent dans aucun des motifs énumérés. Par ailleurs, dans la société contemporaine, les couples non mariés ne constituent pas un groupe distinct victime de stéréotypes ou de préjudices, même si cela s’est produit dans le passé. Favoriser le mariage en tant qu’institution sociale ne stigmatise pas les couples non mariés ni ne les rend victimes de stéréotypes.

Les couples non mariés ne sont pas dans une situation identique à celle des conjoints mariés en ce qui concerne les obligations réciproques de soutien. Bien que la police d’assurance s’intéresse clairement à l’interdépendance économique, cette interdépendance n’est pertinente que dans la mesure où elle se rapporte à l’institution du mariage. La valeur fonctionnelle des avantages en cause n’est pas de venir en aide à toutes les unités familiales qui vivent dans un état d’interdépendance financière, mais d’aider les couples mariés ou, comme le prévoient des lois ultérieures, de venir en aide à certains couples identifiés se trouvant dans une «union du type du mariage». La valeur fonctionnelle identifiée dans cette loi, savoir le soutien du mariage, n’est pas en soi discriminatoire. Les distinctions relatives à la portée de l’institution et aux avantages qui s’y rattachent peuvent faire l’objet d’une définition dans la loi.

La législature peut, dans le cadre de sa politique sociale légitime, définir l’étendue des «unions du type du mariage» et elle n’est pas tenue d’accorder tous les attributs du mariage à des couples non mariés. Une législature peut, dans le cadre de sa politique sociale, choisir si elle va conférer tout ou partie des attributs du mariage aux couples non mariés, et dans quelles circonstances, sans contrecarrer le par. 15(1) de la Charte. Les tribunaux doivent donc se garder de prêter des intentions au législateur dans ses choix de politique sociale en matière de statut, de droits et d’obligations du mariage, institution de base de notre société étroitement liée à ses valeurs fondamentales. En l’absence de preuve de modification de ces valeurs par un consensus clair reconnaissant que la Constitution devrait limiter les pouvoirs de l’Etat de légiférer relativement au mariage, c’est une question qu’il faut laisser au législateur le soin de trancher.

CAN / 1995 / A05
Canada / Cour suprême / 25-05-1995 / Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513 / extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
3.16 Principes généraux – proportionnalité
3.19 Principes généraux – raisonnabilité
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – sécurité sociale

Charte canadienne des droits et libertés – Conjoint (définition) – Orientation sexuelle

(…)

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Loi sur la sécurité de la vieillesse prévoyant le versement d’une allocation au conjoint du pensionné – Définition de «conjoint» restreinte aux personnes de sexe opposé – La définition de «conjoint» viole-t-elle l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés? – Dans l’affirmative, cette violation est-elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte? – Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, art. 2, 19(1).

Les appelants sont des homosexuels qui vivent depuis 1948 une union marquée par un engagement et une interdépendance qui s’apparentent à ceux qu’on attend d’un mariage. Lorsqu’en 1986 E a atteint l’âge de 65 ans, il a commencé à recevoir des prestations de sécurité de la vieillesse et un supplément de revenu garanti en application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. A 60 ans, N a demandé l’allocation de conjoint en vertu du par. 19(1) de la Loi, à laquelle est admissible le conjoint qui a entre 60 et 65 ans, lorsque le revenu du couple est inférieur à un montant déterminé. Sa demande a été rejetée pour le motif que l’union entre N et E n’était pas visée par la définition de «conjoint» à l’art. 2, qui s’entend de «la personne de sexe opposé qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme». Les appelants ont intenté une action en Cour fédérale en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que la définition contrevient au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif qu’elle établit une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Ils ont également demandé un jugement déclarant que la définition doit être élargie pour inclure les «partenaires engagés dans une union de personnes de même sexe mais ayant à tous autres égards les mêmes caractéristiques qu’une union conjugale». La Section de première instance a débouté les appelants. La Cour d’appel fédérale à la majorité a maintenu le jugement.

Arrêt (Les juges L’Heureux-Dubé, Cory, McLachlin et Iacobucci sont dissidents):

Le pourvoi est rejeté.

La définition de «conjoint» à l’art. 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est constitutionnelle.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier et Major: L’analyse effectuée dans le cadre de l’art. 15 de la Charte implique trois étapes: premièrement, il faut déterminer si la loi établit une distinction entre le demandeur et d’autres personnes. Deuxièmement, il faut se demander si la distinction donne lieu à un désavantage et examiner si le texte législatif attaqué impose à un groupe de personnes auquel appartient le demandeur fardeaux, obligations ou désavantages non imposés à d’autres, ou le prive d’un bénéfice qu’il accorde à d’autres. Troisièmement, il faut déterminer si la distinction est fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente mentionnée au par. 15(1) ou sur une caractéristique analogue. La présente affaire franchit avec succès la première étape puisque le législateur a clairement établi une distinction entre le demandeur et les autres personnes. Il est également satisfait à la deuxième étape: s’il est vrai que les appelants n’ont été victimes d’aucun préjudice puisqu’en étant traités à titre individuel, ils ont reçu du fédéral et de la province des bénéfices combinés beaucoup plus élevés que ceux qu’ils auraient reçus s’ils avaient été considérés comme des «conjoints», rien ne prouve que ce soit généralement le cas pour les couples homosexuels. L’orientation sexuelle est une caractéristique profondément personnelle qui est soit immuable, soit susceptible de n’être modifiée qu’à un prix personnel inacceptable et qui, partant, entre dans le champ de protection de l’art. 15 parce qu’elle est analogue aux motifs énumérés. Tout ce qui reste à déterminer à la troisième étape est la pertinence de la distinction établie par le législateur. Dans l’examen de la pertinence à cette fin, il faut considérer la nature de la caractéristique personnelle et sa pertinence quant aux valeurs fonctionnelles qui sous-tendent la loi. On doit nécessairement procéder à une forme d’analyse comparative pour déterminer si les faits donnés engendrent une inégalité. Cette analyse comparative doit se rattacher à l’examen de l’ensemble du contexte et il faut surtout savoir que la Charte n’a pas été adoptée en l’absence de tout contexte, mais doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés.

Le fait de restreindre des bénéfices aux couples mariés et aux conjoints de fait exclut nécessairement toute autre forme de couple qui cohabite, quelles que soient leurs raisons et peu importe leur orientation sexuelle. Ce que le législateur désirait manifestement, c’était consentir un soutien aux couples mariés qui sont âgés afin de promouvoir une politique d’intérêt public primordiale pour la société. En outre, en reconnaissance de l’évolution des réalités sociales, le législateur a modifié l’art. 2 de façon à ce que, dans la Loi, le terme «conjoint» soit interprété comme visant non seulement les couples mariés, mais également les couples vivant en union de fait. Le mariage est depuis des temps immémoriaux fermement enraciné dans notre tradition juridique, qui elle-même est le reflet de traditions philosophiques et religieuses anciennes. Mais la véritable raison d’être du mariage les transcende toutes et repose fermement sur la réalité biologique et sociale qui fait que seuls les couples hétérosexuels ont la capacité de procréer, que la plupart des enfants sont le fruit de ces unions et que ce sont ceux qui entretiennent ce genre d’union qui prennent généralement soin des enfants et qui les élèvent. Dans ce sens, le mariage est, de par sa nature, hétérosexuel. On pourrait le définir sur le plan juridique de façon à y inclure les couples homosexuels, mais cela ne changerait pas les réalités biologiques et sociales qui sous-tendent le mariage traditionnel.

Nombre des raisons qui sous-tendent l’appui et la protection qu’apporte le législateur au mariage se rapportent également aux couples hétérosexuels qui ne sont pas mariés. Un grand nombre de ces couples vivent ensemble indéfiniment, élèvent des enfants et en prennent soin suivant des instincts familiaux qui prennent racine dans la psyché humaine. Dans l’exercice de cette tâche critique, dont bénéficie l’ensemble de la société, ces couples ont besoin de soutien tout autant que les couples mariés. Face à la réalité sociale du nombre croissant de personnes qui décident de ne pas se marier, mais de vivre ensemble en union de fait, le législateur a choisi d’aider ces personnes. Le législateur est parfaitement justifié d’étendre ainsi son aide aux couples hétérosexuels, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est tenu de le faire et qu’il ne peut traiter les couples mariés et les couples non mariés différemment.

Ni dans son objectif, ni dans son effet, la loi ne constitue-t-elle une violation des valeurs fondamentales que la Charte tente de protéger. Aucun des couples exclus des bénéfices prévus dans la Loi ne peut satisfaire aux objectifs sociaux fondamentaux que le législateur cherche ainsi à promouvoir. Les personnes qui forment ces couples s’apportent sans contredit un soutien mutuel et, à l’occasion, elles peuvent adopter ou élever des enfants, mais cela demeure exceptionnel et ne change d’aucune façon le portrait d’ensemble. Les couples homosexuels sont différents des autres couples exclus en ce que leur relation comporte un aspect sexuel. Cet aspect n’a toutefois rien à voir avec les objectifs sociaux pour lesquels le législateur offre une mesure de soutien aux couples mariés et à ceux qui vivent en union de fait. La distinction établie par le législateur permet ici de décrire une unité sociale fondamentale qui jouit d’un certain soutien.

Si la disposition contestée avait violé l’art. 15, elle aurait été maintenue pour les considérations énoncées dans McKinney c. Université de Guelph, de même que pour celles dont il est fait état dans l’analyse de la discrimination en l’espèce.

Le juge Sopinka: La disposition législative contestée viole le par. 15(1) de la Charte pour les motifs exposés par le juge Cory. Cette violation est toutefois justifiée au regard de l’article premier. Le gouvernement doit pouvoir disposer d’une certaine souplesse dans la prestation des avantages sociaux et il n’est pas tenu d’adopter une attitude proactive pour ce qui est de la reconnaissance des nouvelles formes de relations dans la société. La Cour ferait preuve d’un manque de réalisme si elle présumait qu’il existe des ressources inépuisables pour répondre aux besoins de chacun. Si les tribunaux adoptaient une telle conception, les gouvernements pourraient hésiter à mettre sur pied de nouveaux régimes d’avantages sociaux puisqu’il faudrait, pour en connaître les paramètres, prévoir avec exactitude l’issue des procédures judiciaires instituées sous le régime du par. 15(1). La Cour a reconnu le droit du gouvernement de privilégier certains groupes désavantagés et de jouir d’une certaine marge de manœuvre à cet égard. Lorsqu’on évalue la définition de «conjoint» de la Loi sur la sécurité de la vieillesse en regard de l’objectif général d’atténuation de la pauvreté chez les conjoints âgés, on ne doit pas tenir pour inaltérable le choix du législateur. L’historique de la loi témoigne d’une constante évolution de la définition des personnes destinées à bénéficier de l’allocation. Le procureur général du Canada a fait valoir que les mesures choisies ne doivent pas nécessairement constituer une solution immuable. Par conséquent, puisque la disposition législative attaquée marque une étape importante vers l’intégration progressive de tous ceux qui sont jugés avoir un besoin impérieux d’aide financière, découlant de la retraite ou du décès du conjoint soutien de la famille, elle a un lien rationnel avec l’objectif. Quant à l’atteinte minimale, la disposition en question soulève le genre de question socio-économique relativement à laquelle le gouvernement doit faire office de médiateur entre groupes opposés plutôt que de défenseur d’un individu. Dans ces circonstances, la Cour sera d’autant plus réticente à se prononcer après coup sur le choix du législateur. Il y a également proportionnalité entre les effets de la disposition législative sur le droit garanti et son objectif. Le législateur a atteint un juste équilibre en apportant une aide financière à ceux qui ont été jugés en avoir le plus besoin.

Les juges Cory et Iacobucci (dissidents): Pour établir si le droit à l’égalité garanti par le par. 15(1) a été violé, la première étape consiste à déterminer si, en raison de la distinction créée par la disposition contestée, il y a eu violation du droit d’un plaignant à l’égalité. A cette étape de l’analyse, il s’agit principalement de vérifier si la disposition contestée engendre, entre le plaignant et d’autres personnes, une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Il faut, à la seconde étape, déterminer si la distinction ainsi créée donne lieu à une discrimination. A cette fin, il faut se demander, d’une part, si le droit à l’égalité a été enfreint sur le fondement d’une caractéristique personnelle qui est soit énumérée au par. 15(1), soit analogue à celles qui y sont énumérées et, d’autre part, si la distinction a pour effet d’imposer au plaignant des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres. Pour juger s’il y a égalité ou discrimination, il faut établir des comparaisons entre différents groupes de personnes. L’existence de la discrimination doit être appréciée à la lumière de l’ensemble des contextes social, politique et juridique. Il est nécessaire de distinguer entre la question de savoir s’il y a discrimination au sens du par. 15(1) et celle de savoir si cette discrimination est justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Cette distinction analytique entre le par. 15(1) et l’article premier est importante puisque le plaignant qui invoque la Charte a pour seul fardeau de prouver que la loi établit une distinction discriminatoire. Ce n’est que si la cour conclut qu’il y a violation du par. 15(1) que le gouvernement doit justifier cette discrimination.

Puisque la disposition contestée établit une nette distinction entre les couples de sexe opposé et les couples de même sexe, il s’agit en l’espèce d’une discrimination directe. Comme la Loi définit le conjoint de fait comme une «personne de sexe opposé», les couples homosexuels qui vivent en union de fait sont privés du bénéfice de l’allocation de conjoint à laquelle sont admissibles les couples hétérosexuels qui vivent en union de fait. Cette distinction équivaut à une négation claire du droit au même bénéfice de la loi. Outre qu’ils sont privés d’un avantage économique, les couples homosexuels n’ont pas la possibilité de décider s’ils souhaitent être publiquement reconnus comme conjoints de fait en raison de la définition de «conjoint» énoncée dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse. La reconnaissance et l’acceptation publiques des homosexuels en tant que couple peut se révéler d’une extrême importance pour eux et pour la société dans laquelle ils vivent. C’est porter atteinte à leur droit au même bénéfice de la loi que de nier aux couples homosexuels le droit de choisir.

La distinction établie dans la Loi est fondée sur une caractéristique personnelle, plus précisément l’orientation sexuelle. L’orientation sexuelle est un motif de discrimination analogue à ceux qui sont énumérés au par. 15(1). Le désavantage historique dont ont souffert les homosexuels est largement reconnu et abondamment étayé. L’orientation sexuelle est davantage que le simple «statut» d’un individu. C’est quelque chose qui se manifeste dans le comportement d’une personne par le choix de son partenaire. Tout comme la Charte protège les croyances et les pratiques religieuses en tant qu’aspects de la liberté de religion, on devrait également reconnaître que l’orientation sexuelle réunit des aspects du «statut» et du «comportement», et que tous deux devraient être protégés.

La distinction établie par l’art. 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse sur le fondement de l’orientation sexuelle est discriminatoire. La Loi nie aux couples homosexuels le droit au même bénéfice de la loi et elle ne fonde pas ce refus sur les mérites ou les besoins, mais uniquement sur l’orientation sexuelle. La définition de «conjoint» comme étant une personne de sexe opposé renforce le stéréotype selon lequel les homosexuels ne peuvent entretenir et, effectivement, n’entretiennent pas de relations durables où l’affection, le soutien et l’interdépendance financière se manifestent de la même façon que chez les couples hétérosexuels. La relation des appelants démontre précisément l’erreur de cette position. On ne peut juger que l’effet discriminatoire est négligeable alors que la loi renforce des préjugés fondés sur ces stéréotypes injustes.

La disposition contestée n’est pas sauvegardée aux termes de l’article premier de la Charte. Si l’objectif de l’allocation au conjoint, qui vise à réduire la pauvreté chez les «couples âgés», se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles, l’allocation dans sa forme actuelle n’a pas de lien rationnel avec ses objectifs législatifs. Un programme intégrant les appelants serait mieux à même d’atteindre l’objectif visé tout en respectant les droits garantis par la Charte aux gais et lesbiennes. La violation des droits des appelants garantis par l’art. 15, engendrée par le refus de l’allocation de conjoint, n’est pas une atteinte minimale du seul fait que le revenu total des appelants aurait été à peu près le même parce que N recevait une aide provinciale de supplément du revenu pour une raison totalement étrangère. Les programmes provincial et fédéral n’ont manifestement pas la même portée et, même s’ils faisaient partie d’un régime législatif commun, il en faut davantage pour fonder une justification au regard de l’article premier. Enfin, l’atteinte au droit garanti en l’espèce l’emporte sur la réalisation de l’objectif législatif. L’importance de fournir une assistance à certains couples âgés ne justifie pas la violation des droits à l’égalité des couples âgés qui ne bénéficient pas de cette aide pour des raisons constitutionnelles non pertinentes. La définition de «conjoint» à l’art. 2 de la Loi devrait se lire comme si les mots «de sexe opposé» étaient supprimés et les mots «ou comme étant dans une union analogue» étaient ajoutés après le membre de phrase «pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme».

Le juge L’Heureux-Dubé (dissidente): Il est nécessaire de revoir l’objectif fondamental de l’art. 15 de la Charte afin de concilier les conceptions divergentes que notre Cour a adoptées dans des affaires récentes, ainsi que dans la présente affaire et dans Miron et Thibaudeau. La protection et le respect de la dignité inhérente de la personne humaine est au cœur de l’art. 15. La cour doit donc accorder la première place à la «discrimination» dans son analyse. Pour que la discrimination soit appréciée ou reconnue dans tous ses contextes et sous toutes ses formes, il est préférable d’insister davantage sur l’impact (c’est-à-dire l’effet discriminatoire) que sur les éléments constitutifs (c’est-à-dire les motifs de la distinction). Les effets discriminatoires doivent, en outre, être considérés du point de vue de la victime plutôt que de celui de l’Etat. Il convient davantage d’examiner les questions relatives à la pertinence en tant que justifications au regard de l’article premier que comme des facteurs inhérents à la reconnaissance de la discrimination en premier lieu.

La personne qui invoque les droits doit faire la preuve des facteurs suivants pour que la distinction attaquée puisse être considérée comme discriminatoire au sens de l’art. 15 de la Charte: (1) la loi crée une distinction; (2) cette distinction entraîne une négation de l’un des quatre droits à l’égalité, fondée sur l’appartenance de la personne qui invoque le droit à un groupe identifiable, et (3) cette distinction est «discriminatoire» au sens de l’art. 15. Une distinction est discriminatoire au sens de l’art. 15 si elle est susceptible de favoriser ou de perpétuer l’opinion que les individus lésés par cette distinction sont moins capables ou moins dignes d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération. L’absence ou l’existence d’un effet discriminatoire doit être évaluée suivant une norme subjectiveobjective – l’opinion raisonnable d’une personne qui possède des caractéristiques semblables dans une situation semblable, et qui est objective et bien informée des circonstances. On en arrive à cette détermination en considérant deux catégories de facteurs: (1) la nature du groupe lésé par la distinction et (2) la nature du droit auquel la distinction porte atteinte. Pour ce qui est de la première catégorie, les groupes qui sont plus vulnérables sur le plan social ressentiront les effets préjudiciables d’une distinction d’origine législative plus vivement que les groupes qui ne sont pas aussi vulnérables. Dans l’analyse de la nature du groupe victime de la distinction contestée, il est pertinent de tenir compte d’un grand nombre des critères traditionnellement utilisés dans l’analyse fondée sur l’arrêt Andrews et, par exemple, de vérifier si la distinction contestée est fondée sur des attributs fondamentaux qui sont généralement considérés comme étant essentiels à la conception populaire de la «personnalité» ou de la «nature humaine», et de se poser des questions du genre suivant: Le groupe lésé est-il déjà victime d’un désavantage historique? La distinction est-elle raisonnablement susceptible d’aggraver ou de perpétuer ce désavantage? Les membres du groupe sont-ils actuellement exposés aux stéréotypes, aux préjugés sociaux ou à la marginalisation? Du fait de la distinction, risquent-ils d’être exposés dans l’avenir aux stéréotypes, aux préjugés sociaux ou à la marginalisation? L’appartenance à une «minorité discrète et isolée» dépourvue de tout pouvoir politique et, à ce titre, susceptible de voir ses droits négligés, est un facteur dont on peut également tenir compte. L’absence ou la présence de certains de ces facteurs ne sera cependant pas déterminante à l’égard de l’analyse. Les juges doivent cependant se montrer sensibles aux réalités de ceux qui subissent la distinction lorsqu’ils en pèsent l’impact sur les membres du groupe touché.

De même, plus le droit touché est fondamental ou plus les conséquences de la distinction sont graves, plus il est probable que la distinction en cause aura un effet discriminatoire, même à l’égard des groupes qui occupent une position privilégiée dans la société. Bien que la Charte ne soit pas un document de droits et de libertés économiques, la nature, l’importance et le contexte du préjudice économique ou de la négation de ce bénéfice sont des facteurs importants pour déterminer si la distinction qui entraîne ces conséquences économiques différentes est discriminatoire. On ne peut toutefois évaluer pleinement le caractère discriminatoire d’une distinction donnée sans également mesurer l’importance, sur le plan de la constitution et de la société, du droit auquel il a été porté atteinte. Les conséquences économiques tangibles ne sont que l’une des manifestations des préjudices plus intangibles et insidieux que cause la discrimination et que tente d’enrayer la Charte. Il se peut également que le préjudice touche un droit individuel important plutôt qu’un droit de nature économique. Les deux catégories de facteurs font ressortir que ce qui importe ce ne sont plus tant les «motifs», mais plutôt le contexte social de la distinction. L’adoption d’une démarche fondée sur les effets pour l’étude de la discrimination est la prochaine étape logique dans l’évolution de la jurisprudence relative à l’art. 15 depuis l’arrêt Andrews.

Les couples homosexuels se voient nier le droit au même bénéfice de la loi sur le fondement d’une distinction créée par l’art. 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, qui définit les couples comme une union entre personnes «de sexe opposé». Que les appelants puissent individuellement se prévaloir de bénéfices plus avantageux ne change rien au fait qu’on leur a nié l’avantage, à la fois tangible et intangible, de demander des prestations de vieillesse en tant que couple. La distinction contestée exclut les demandeurs parce qu’ils sont homosexuels. Si l’on considère tant la nature du groupe touché que celle du droit touché, on doit conclure que la distinction est discriminatoire. Les couples de même sexe sont un groupe très vulnérable sur le plan social puisqu’ils ont été victimes de désavantages, de stéréotypes, de marginalisation et de stigmatisation historiques considérables dans la société canadienne. La distinction se rapporte à un aspect fondamental de la personnalité et touche des personnes que, outre le fait d’être homosexuelles, sont âgées et pauvres. Quant à la question du droit touché, la loi contestée est une pierre angulaire de la protection sociale au Canada qui, elle, est une institution vénérée et fondamentale dans notre société.

La violation du par. 15(1) de la Charte ne peut être sauvegardée au regard de l’article premier puisqu’elle ne se rapporte pas dans une mesure proportionnelle à un objectif urgent et réel. Si l’objectif de la Loi est urgent et réel, le moyen utilisé pour atteindre l’objectif échoue toutefois aux trois volets du critère de la proportionnalité. La disposition exclut les couples qui satisfont à tous les autres critères prévus dans la Loi, à l’exception de la condition d’être de sexe opposé. Pour trouver à cette distinction un lien rationnel avec l’objectif de la loi, il nous faut conclure que les couples de même sexe sont si différents des couples mariés qu’il serait déraisonnable de leur permettre à eux aussi d’obtenir les mêmes bénéfices. Au mieux, le gouvernement a uniquement démontré qu’il s’agit là d’une supposition. L’hypothèse suivant laquelle les personnes de même sexe entretiennent une union qui, d’une certaine façon, n’est pas aussi interdépendante que l’union de personnes de sexe opposé, est en soi le fruit d’un stéréotype et non d’une réalité démontrable et empirique. La violation de l’art. 15 n’est pas non plus une atteinte minimale. Il existe une autre solution raisonnable: l’effet discriminatoire serait éliminé sans préjudice aux droits de tout autre groupe si on élargissait la Loi pour l’appliquer aux couples de même sexe qui satisfont par ailleurs à tous les autres critères non discriminatoires qui y sont prévus. La retenue dans le cadre de cet aspect du critère de l’article premier n’est pas appropriée lorsqu’il existe une autre solution raisonnable, facilement exécutable, qui ne suscite pas d’opinions contradictoires sur le plan des sciences sociales et qui ne causerait de préjudice à aucun autre groupe. Enfin, les effets préjudiciables de la distinction contestée excèdent ses effets bénéfiques.

Le juge McLachlin (dissidente): L’opinion des juges Cory et Iacobucci est, pour l’essentiel, acceptée. Compte tenu des principes énoncés dans Miron c. Trudel, rendu simultanément, la disposition contestée viole le par. 15(1) de la Charte et cette violation n’est pas justifiée au regard de l’article premier.

CAN / 1997 / A06
Canada / Cour suprême / 9-10-1997 / [1997] 3 R.C.S. 624 (Eldridge c. Colombie-Britannique) / extraits du sommaire

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application –sécurité sociale
5.2.4.2.8 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – handicap physique ou mental

Charte canadienne des droits et libertés – Assurance-maladie

Droit constitutionnel – Charte des droits – Droits à l’égalité – Déficience physique – Soins de santé financés sur les deniers publics – Services d’interprétation gestuelle non couverts par le régime d’assurance-maladie – La Charte s’applique-t-elle à la décision de ne pas fournir des services d’interprétation gestuelle dans le cadre du régime public de soins de santé et, dans l’affirmative, de quelle manière s’y applique-t-elle? – Le fait de ne pas fournir de tels services en vertu de lois établissant des régimes de soins de santé et d’hospitalisation porte-t-il atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’art. 15(1) aux personnes handicapées? – Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle justifiée conformément à l’article premier? – Si une atteinte à la Charte est constatée, quelle est la réparation convenable? – Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15(1) – Hospital Insurance Act, R.S.B.C. 1979, ch. 180 (maintenant R.S.B.C. 1996, ch. 204), art. 3(1), 5(1), 9, 10(1), 29b) – Medical and Health Care Services Act, S.B.C. 1992, ch. 76 (maintenant Medicare Protection Act, R.S.B.C. 1996, ch. 286), art. 1, 4(1)c), j), 6, 8.

(…)

En Colombie-Britannique, les soins de santé sont fournis par l’entremise de deux mécanismes principaux. Sous le régime de l’Hospital Insurance Act, l’Etat finance les services hospitaliers en remboursant aux hôpitaux les services médicalement nécessaires qu’ils fournissent à la population. Le financement des services médicalement nécessaires fournis par les médecins et d’autres professionnels de la santé vient du Medical Services Plan (le régime de services médicaux de la province, établi et régi par la Medical and Health Care Services Act). Ni l’un ni l’autre de ces régimes ne pourvoit au paiement de services d’interprétation gestuelle à l’intention des personnes atteintes de surdité.

Chacun des appelants est sourd de naissance. Leur moyen de communication préféré est le langage gestuel. Ils prétendent que l’absence d’interprète diminue leur capacité de communiquer avec leurs médecins et les autres professionnels de la santé qu’ils consultent, et augmente de ce fait le risque de mauvais diagnostics et de traitements inefficaces.

Les appelants ont demandé sans succès à la Cour suprême de la Colombie-Britannique un jugement déclaratoire portant que le fait de ne pas offrir des services d’interprètes gestuels en tant qu’avantage assuré dans le cadre du régime de services médicaux viole le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté, à la majorité, l’appel formé contre ce jugement. Les questions constitutionnelles dont était saisie la Cour étaient les suivantes: (1) La définition du mot «benefits» [«avantages»] à l’art. 1 de la Medicare Protection Act porte-t-elle atteinte au par. 15(1) de la Charte du fait qu’elle n’inclut pas la prestation de services d’interprètes médicaux aux personnes atteintes de surdité? (2) Dans l’affirmative, la disposition contestée est-elle justifiée conformément à l’article premier de la Charte? (3) Les articles 3, 5 et 9 de l’Hospital Insurance Act et le règlement portent-ils atteinte au par. 15(1) du fait qu’ils n’obligent pas les hôpitaux à fournir des services d’interprètes médicaux aux personnes atteintes de surdité? (4) En cas de réponse affirmative à la question 3, les dispositions contestées sont-elles justifiées conformément à l’article premier? En outre, il fallait décider si la Charte s’applique à la décision de ne pas fournir des services d’interprètes gestuels aux personnes atteintes de surdité dans le cadre du régime public de soins de santé et, dans l’affirmative, de quelle manière elle s’y applique. Et, enfin, si une atteinte à la Charte était constatée, il fallait élaborer la réparation convenable.

Arrêt:

Le pourvoi est accueilli. La première et la troisième questions constitutionnelles ont reçu une réponse négative. Il n’a pas été nécessaire de répondre aux deuxième et quatrième questions constitutionnelles.

(…)

En l’espèce, il faut se demander si la violation du par. 15(1) qui est alléguée découle des textes de loi contestés eux-mêmes ou des actes d’entités qui exercent un pouvoir de décision en vertu de ces textes. Le fait que la Medical and Health Care Services Act ne pourvoit pas expressément à la fourniture de l’interprétation gestuelle en tant que service médicalement nécessaire ne viole pas le par. 15(1) de la Charte. Cette loi n’interdit tout simplement pas à la Medical Services Commission, ni expressément ni par implication nécessaire, de décider que l’interprétation gestuelle est un service «médicalement nécessaire» et donc un avantage visé par la Loi. C’est la décision de l’organisme auquel a été délégué le pouvoir discrétionnaire de décider si un service constitue un avantage qui est constitutionnellement suspecte, et non la loi elle-même. Le pouvoir discrétionnaire qui est accordé à la commission des services médicaux ne menace pas nécessairement ou généralement les droits à l’égalité garantis au par. 15(1) de la Charte. La possibilité que la commission viole ces droits dans l’exercice de son pouvoir est cependant une conséquence de l’objet du pouvoir discrétionnaire, qui est de faire en sorte que tous les services médicalement nécessaires soient payés par le gouvernement.

L’Hospital Insurance Act doit être interprétée d’une manière conforme avec le par. 15(1). Les hôpitaux jouissent d’un pouvoir discrétionnaire considérable quant à la manière de fournir les services qui y sont énumérés. Aucun hôpital n’est tenu d’offrir tous les services mentionnés au par. 5(1) de la Loi. En outre, la Loi accorde à chaque hôpital un large pouvoir discrétionnaire quant aux modalités de la prestation des services qu’il décide de fournir et elle ne l’empêche pas de fournir les services d’interprètes gestuels. Le fait que la Loi n’exige pas expressément que l’interprétation gestuelle soit fournie ne rend pas cette loi vulnérable sur le plan constitutionnel. La violation potentielle du par. 15(1) découle intrinsèquement du pouvoir discrétionnaire exercé par un organisme subordonné, et non de la loi elle-même.

Les législatures ne peuvent pas édicter de lois qui portent atteinte à la Charte et elles ne peuvent pas autoriser ou habiliter quelque personne ou entité à le faire. Même s’il est possible à une législature de conférer des pouvoirs à un organisme qui n’est pas assujetti à la Charte, celle-ci s’applique à toutes les activités du gouvernement, qu’elles puissent ou non être par ailleurs qualifiées de «privées», et elle peut s’appliquer à des entités non gouvernementales à l’égard de certains actes de nature intrinsèquement gouvernementale. Tout comme il est interdit aux gouvernements de se soustraire à l’examen fondé sur la Charte en concluant des contrats commerciaux ou d’autres accords «privés», ils ne devraient pas être autorisés à échapper à leurs obligations constitutionnelles en déléguant la mise en œuvre de leurs politiques et programmes à des entités privées.

Deux remarques importantes s’imposent au sujet de ce principe. Premièrement, le seul fait qu’une entité exerce ce qu’on peut librement appeler une «fonction publique» ou le fait qu’une activité particulière puisse être dite de nature «publique» n’est pas suffisant pour que cette entité soit assimilée au «gouvernement» pour l’application de l’art. 32 de la Charte. Pour que la Charte s’applique à une entité privée, il doit être établi que celle-ci met en œuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé.

L’autre remarque importante concerne la manière précise dont le tribunal peut décider que la Charte s’applique à une entité privée. Premièrement, il peut être décidé que l’entité elle-même fait partie du «gouvernement» au sens de l’art. 32. Une telle conclusion requiert l’examen de la question de savoir si l’entité dont les actes ont suscité l’allégation d’atteinte à la Charte peut – soit de par sa nature même, soit à cause du degré de contrôle exercé par le gouvernement sur elle – être à juste titre considérée comme faisant partie du «gouvernement» au sens du par. 32(1). En pareil cas, toutes les activités de l’entité sont assujetties à la Charte, indépendamment du fait que l’activité en cause pourrait être qualifiée de «privée» si elle était exercée par un acteur non gouvernemental. Deuxièmement, une activité particulière d’une entité peut être sujette à révision en vertu de la Charte si cette activité peut être attribuée au gouvernement. Il convient alors d’examiner non pas la nature de l’entité dont l’activité est contestée, mais plutôt la nature de l’activité elle-même. Il faut, en pareil cas, s’interroger sur la qualité de l’acte en cause plutôt que sur la qualité de l’acteur.

En fournissant les services médicalement nécessaires, les hôpitaux remplissent un objectif gouvernemental déterminé. L’Hospital Insurance Act n’est pas un simple mécanisme destiné à empêcher les hôpitaux de facturer leurs services aux patients. Au contraire, elle pourvoit plutôt à la prestation d’un programme social complet. Les hôpitaux sont simplement le mécanisme choisi par la législature pour l’exécution de ce programme.

Il y a un lien direct et défini entre une politique gouvernementale donnée et la conduite contestée de l’hôpital. La discrimination alléguée – le fait de ne pas fournir d’interprétation gestuelle – est intimement liée au régime de prestation de services médicaux établi par la loi. La fourniture de ces services n’est pas simplement une question de régie interne de l’hôpital, elle est l’expression d’une politique du gouvernement. La législature, lorsqu’elle définit son objectif comme étant celui de garantir l’accès à un éventail de services médicaux, ne peut pas se soustraire à l’obligation que lui fait le par. 15(1) de la Charte de fournir ces services sans discrimination en confiant aux hôpitaux la charge de réaliser cet objectif. Dans l’exécution de cette responsabilité, les hôpitaux doivent se conformer à la Charte.

De même, lorsqu’elle décide si un service est un avantage au sens de la Medical Health Care Services Act, la commission des services médicaux met en œuvre une politique gouvernementale, savoir veiller à ce que tous les résidents reçoivent gratuitement les services médicalement nécessaires. Il ne fait donc aucun doute que lorsqu’elle exerce ce pouvoir discrétionnaire la commission remplit une fonction gouvernementale et qu’elle est assujettie à la Charte.

En tant que personnes atteintes de surdité, les appelants appartiennent à un groupe énuméré au par. 15(1) – les personnes atteintes de déficiences physiques. De plus, il ne fait aucun doute que la distinction en cause est fondée sur une caractéristique personnelle sans rapport avec les valeurs fonctionnelles qui sous-tendent le régime de soins de santé. Ces valeurs sont la promotion de la santé, la prévention et le traitement des maladies et affections et la matérialisation de ces valeurs par le truchement d’un régime de soins de santé financé sur les deniers publics.

La seule question à trancher en l’espèce est de savoir si les appelants ont droit au «même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination» aux termes du par. 15(1) de la Charte. A première vue, le régime d’assurance-maladie s’applique d’une manière égale aux entendants et aux personnes atteintes de surdité. Néanmoins, les appelants invoquent la discrimination découlant d’«effets préjudiciables», type de discrimination contre lequel le par. 15(1) de la Charte accorde une protection.

L’existence d’un but ou d’une intention discriminatoire n’est pas une condition nécessaire à l’existence d’une atteinte au par. 15(1). Il n’est pas nécessaire qu’une distinction établie par la loi soit motivée par le désir de défavoriser un individu ou un groupe pour constituer une atteinte au par. 15(1). Il suffit que l’effet de la loi prive une personne de l’égalité de protection ou de bénéfice de la loi.

La discrimination découlant d’effets préjudiciables est particulièrement pertinente dans le cas des déficiences. Dans le présent cas, l’effet préjudiciable subi par les personnes atteintes de surdité découle non pas du fait qu’on leur impose un fardeau que n’a pas à supporter la population en général, mais plutôt du fait qu’on ne fait pas en sorte qu’elles bénéficient d’une manière égale d’un service offert à tous. Une fois qu’il est admis que des communications efficaces constituent un élément indispensable à la prestation des services médicaux, il devient beaucoup plus difficile d’affirmer que l’omission de faire en sorte que les personnes atteintes de surdité puissent communiquer efficacement avec les professionnels de la santé qu’elles consultent n’est pas discriminatoire. Affirmer que les gouvernements devraient être autorisés à accorder des avantages à la population en général sans devoir faire en sorte que les membres défavorisés de la société aient les ressources pour bénéficier pleinement de ces avantages témoigne d’une vision étroite et peu généreuse du par. 15(1). Fait plus important encore, elle va à contre-courant de la jurisprudence de notre Cour sur l’égalité.

Le paragraphe 15(1) ne fait pas distinction entre les lois qui imposent des fardeaux inégaux et celles qui n’accordent pas des avantages égaux. Le gouvernement sera tenu (du moins à l’étape de l’analyse fondée sur le par. 15(1)) de prendre des mesures particulières pour faire en sorte que les groupes défavorisés soient capables de bénéficier d’une manière égale des services gouvernementaux. S’il existe des raisons de principe en faveur de la limitation de l’obligation du gouvernement de remédier au désavantage découlant de la fourniture d’avantages et de services, il convient davantage d’étudier ces principes au moment de trancher la question de savoir si la violation du par. 15(1) est justifiée conformément à l’article premier de la Charte.

Le principe selon lequel la discrimination peut découler du fait de ne pas prendre de mesures concrètes pour faire en sorte que les groupes défavorisés bénéficient d’une manière égale des services offerts à la population en général est largement accepté dans le domaine des droits de la personne. Une autre pierre angulaire de la jurisprudence en matière de droits de la personne est le fait que l’obligation de prendre des mesures concrètes pour faire en sorte que les membres d’un groupe défavorisé bénéficient d’une manière égale des services offerts à la population en général est subordonnée au principe des accommodements raisonnables. Dans les affaires concernant le par. 15(1), il est préférable d’appliquer ce principe dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier. Dans ce contexte, le principe des accommodements raisonnables équivaut généralement au concept des «limites raisonnables». Il ne devrait pas être utilisé pour restreindre la portée du par. 15(1).

Le fait pour la commission des services médicaux et les hôpitaux de ne pas fournir de services d’interprétation gestuelle lorsque ces services sont nécessaires pour permettre des communications efficaces constitue une violation à première vue des droits garantis par le par. 15(1) aux personnes atteintes de surdité. Cette omission prive ces personnes de l’égalité de bénéfice de la loi et crée de la discrimination à leur endroit par comparaison avec les entendants. Même si la norme énoncée a une large portée, cela ne veut pas dire que l’interprétation gestuelle doit être fournie dans tous les cas où un patient reçoit des soins de santé. La norme des «communications efficaces» est une norme souple, qui tient compte de facteurs tels que la complexité et l’importance de l’information à communiquer, le contexte dans lequel les communications auront lieu et le nombre de participants. Dans le cas des personnes atteintes de surdité dont la capacité de lire et d’écrire est limitée, il est permis de supposer que l’interprétation gestuelle sera requise dans la plupart des cas.

L’application du critère de l’arrêt Oakes commande un examen attentif du contexte dans lequel s’inscrit le texte de loi attaqué. En l’espèce le fait de ne pas fournir des services d’interprètes gestuels ne satisferait pas au volet de l’atteinte minimale du critère de l’arrêt Oakes, si on faisait montre de retenue. Par conséquent, il n’était pas nécessaire, dans le présent contexte où des «avantages sociaux» sont en cause et où il faut choisir entre les besoins de la population en général et ceux d’un groupe défavorisé, de décider s’il convient de faire montre de retenue. Cependant, la liberté d’action qui doit être accordée à l’Etat n’est pas infinie. Les gouvernements doivent démontrer que leurs actions ne portent pas atteinte aux droits en question plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire pour réaliser leurs objectifs. Dans la présente espèce, le gouvernement n’a manifestement pas démontré qu’il était raisonnablement fondé à conclure que le refus complet de fournir des services d’interprètes médicaux aux personnes atteintes de surdité constituait une atteinte minimale aux droits de celles-ci.

Qui plus est, ce n’est que pure spéculation que de prétendre que le gouvernement, si on l’oblige à fournir des interprètes aux personnes atteintes de surdité, devra également en fournir aux autres personnes qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles, augmentant ainsi de façon marquée le coût du programme. La possibilité qu’une action fondée sur le par. 15(1) puisse être présentée par les membres de ce dernier groupe ne saurait justifier l’atteinte aux droits constitutionnels des personnes atteintes de surdité. Les appelants ne réclament que l’égalité d’accès à des services qui sont disponibles à tous. Les intimés n’ont présenté aucune preuve que ce type d’accommodement, s’il était étendu à d’autres services gouvernementaux, grèverait de manière excessive le budget de l’Etat. Le gouvernement n’a fait aucun «accommodement raisonnable» pour tenir compte de la déficience des appelants et il n’a pas pris, à l’égard de leurs besoins, des mesures d’accommodement au point d’en subir des contraintes excessives.

La réparation convenable et juste consiste à déclarer que cette omission est inconstitutionnelle et à ordonner au gouvernement de la Colombie-Britannique d’appliquer la Medical and Health Care Services Act et l’Hospital Insurance Act d’une manière compatible avec les exigences du par. 15(1). Le jugement déclaratoire, par opposition à l’injonction, est la réparation convenable en l’espèce parce que le gouvernement dispose d’une myriade de solutions susceptibles de remédier à l’inconstitutionnalité du régime actuel. Il convient de suspendre l’effet du jugement déclaratoire pendant six mois afin de permettre au gouvernement d’examiner les possibilités qui s’offrent à lui et d’élaborer une solution appropriée.

Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire

CIV / 1995 / A01
Côte d’Ivoire/Conseil constitutionnel/27-10-1995/Décision n°E 0005-95/extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Bureaux de vote – Candidats (à une élection) – Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité)

Au nom du peuple de Côte d’Ivoire

Le Conseil constitutionnel,

(…)

Considérant que, pour solliciter l’annulation totale des élections le requérant invoque deux séries d’irrégularités concernant les unes, le déroulement du scrutin, les autres le dépouillement.

1.–S’agissant du déroulement du scrutin, le candidat Romain Francis WODIE allègue:

  • l’ouverture tardive de la plupart des bureaux de vote, l’éclatement irrégulier de certains bureaux, ce qui ne lui a pas permis d’y déléguer des représentants;
  • l’existence de bureaux de vote non déclarés préalablement et il en cite quatre;
  • l’installation d’un bureau de vote à Koumassi, au quartier général de son adversaire dans une ambiance de campagne électorale; Considérant que Monsieur Romain Francis WODIE n’a produit aucune pièce au soutien de sa requête contrairement à ce que lui commande l’article 63 du Code Electoral; qu’en outre, ses dénonciations sont formulées en termes généraux ne permettant aucune vérification sérieuse; qu’elles ne sont accompagnées d’aucun élément ni même de réserves formulées sur les procès-verbaux de dépouillement des votes par les représentants du requérant dans les circonscriptions où ils étaient; que les quelques exemples indiqués par le candidat WODIE, à les supposer établis, ce qui est loin d’être le cas, ne sont pas de nature à affecter le résultat d’ensemble du scrutin général; que, par ailleurs, l’ouverture tardive ou la fermeture prématurée des bureaux de vote, même établie n’a pu rompre l’égalité entre les candidats et n’a donc pu altérer la sincérité des votes; qu’il n’y a donc pas lieu de retenir les griefs invoqués;

2.– Concernant le dépouillement du scrutin:

Considérant que sur ce point, le candidat Romain Francis WODIE soutient qu’il y a irrégularité dans six cas:

  • transfert d’urnes en dehors du lieu du vote et le dépouillement hors de la présence de son représentant à Yopougon;
  • bourrage d’urnes à Yopougon sous les yeux du représentant du requérant et en présence des forces de l’ordre;
  • refus de remettre aux représentants des candidats copies des procès-verbaux de dépouillement ou refus de les laisser consigner aux bureaux de vote leurs réclamations;
  • modifications des résultats en présence des représentants du requérant par le Ministre de l’Intérieur et d’un de ses collaborateurs;
  • communication par le Directeur de l’Administration Territoriale de certains résultats avant que ceux-ci ne soient confirmés par les autorités administratives des circonscriptions électorales concernées;
  • nombreuses discordances entre les pourcentages des voix attribuées à l’un et l’autre candidat;

Considérant que Monsieur Romain Francis WODIE ne donne aucune précision sur les bureaux de vote où les urnes ont été déménagées et le dépouillement fait discrètement, où les urnes ont été bourrées et où les réclamations de ses représentants ont été repoussées; que le Conseil ne possède aucun élément permettant d’effectuer une enquête ni d’évaluer l’ampleur des prétendues irrégularités; que de même, les résultats qui auraient été modifiés ne font l’objet d’aucune précision; que de même encore, il n’est pas démontré la fausseté des résultats communiqués par Monsieur IPAUD LAGO, Directeur général de l’administration territoriale, ni la réalité des discordances entre les pourcentages des voix des candidats;

Considérant que les allégations du requérant, faute de preuve, doivent être rejetées;

(…)

Décide:

Que la requête en annulation de Monsieur Romain Francis WODIE est recevable mais mal fondée.

La rejette.

Proclame:

Monsieur Aimé Henri Konan BEDIE, Président de la République de Côte d’Ivoire pour compter de ce jour.

CIV / 1995 / A02
Côte d’Ivoire / Conseil constitutionnel / 29-12-1995 / Décision n° E 023-95 / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – Elections (organisation) – Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité)

Au nom du peuple de Côte d’Ivoire

Le Conseil constitutionnel,

(…)

Considérant que pour demander l’annulation de l’élection de Monsieur BROU Emile comme député à l’Assemblée nationale de la circonscription électorale d’Abengourou sous-préfecture, Monsieur ANO KOUASSI DIHIE invoque;

a) La mauvaise organisation des élections résultant notamment des difficultés relatives à la délivrance des ordonnances – de l’éclairage défectueux des bureaux de vote, des conditions peu transparentes dans lesquelles s’est effectué le transfert des urnes, de l’utilisation des ordonnances délivrées pour les élections présidentielles par des électeurs non inscrits sur la liste électorale;

b) Les pressions exercées par certaines personnalités pouvant avoir une influence sur les électeurs; notamment, visites dans les bureaux de vote effectuées par des personnes appartenant au PDCI, parti démocratique de Côte d’Ivoire – attitude affichée par des notables et chefs de villages favorables au candidat PDCI et consistant à réclamer aux électeurs ayant déjà voté les bulletins du candidat adverse – distribution de bulletins et de billets de banque après la clôture de la campagne – menaces exercées sur les allogènes en vue de les amener à voter pour le candidat BROU Emile.

a) Sur le moyen tiré de la mauvaise organisation des élections; Considérant que le requérant ne rapporte pas la preuve de cette mauvaise organisation, que d’ailleurs cette organisation a été celle là même qui a régi l’ensemble des opérations, qu’il n’y a donc pas eu rupture du principe de l’égalité de traitement entre les deux candidats, que le moyen soulevé doit être rejeté.

b) Sur le moyen tiré de la pression exercée sur les électeurs; Considérant que le requérant se contente d’affirmer ces pressions diverses sans rapporter ni offrir de rapporter la preuve de leur réalité et de leur influence sur l’électorat, alors surtout que les procès-verbaux de vote établis dans les quelques bureaux qu’il a cités portent la signature de ses représentants, sans aucune réclamation; que ce moyen doit donc être rejeté.

Décide:

Article 1er . – La requête de Monsieur ANO KOUASSI DIHIE est recevable.

Article 2. – La rejette comme étant mal fondée.

Article 3. – La présente décision sera transmise au Président de la République pour publication et notifiée au Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’aux parties.

CIV / 1995 / A03
Côte d’Ivoire / Conseil constitutionnel / 29-12-95 / Décision n° E 027-95 / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité)

(…)

Considérant que le requérant demande l’annulation du scrutin en soutenant qu’il a été constaté toute une série d’irrégularités:

  • existence de listings vierges;
  • utilisation d’ordonnances parallèles;
  • utilisation de l’encre non indélébile;
  • falsification des résultats.

(…)

2. – Sur le grief tiré de l’utilisation d’ordonnances parallèles Considérant que le requérant soutient qu’à Ahoué et Irho-Lamé toujours, des détenteurs d’ordonnances parallèles non datées et n’indiquant par les bureaux de vote concernés ont voté; que lapreuve de l’utilisation de ces ordonnances est établie par les mentions portées sur les procès-verbaux par ses représentants; Considérant que le procès-verbal de dépouillement du bureau de vote n° 27 d’Irho-Lamé mentionne que 35 personnes ont voté par ordonnance; que ces ordonnances ne portent pas de date;

Considérant que de telles ordonnances sont, en principe, nulles; Mais considérant qu’il n’a pas été prouvé que tel ou tel candidat a été le seul à en bénéficier; qu’au contraire, de fortes présomptions portent à croire qu’il en a été fait usage au bénéfice de trois candidats dont le requérant lui-même; qu’ainsi, les irrégularités qui en résultent s’annulent et ne peuvent en conséquence constituer obligatoirement une cause d’annulation des élections;

(…)

Décide:

Article 1er . – La requête de Monsieur LANCINE CAMARA demandant l’annulation de l’élection du Député AMOUSSAN BAKARI Maurice de la circonscription d’Anyama/Commune et Sous-Préfecture est recevable en la forme.

Article 2. – Cette requête est mal fondée. En conséquence, la rejette.

Article 3. – La présente décision sera transmise au Président de la République pour publication et notification au Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’aux parties.

(…)

CIV / 1995 / A04
Côte d’Ivoire / Conseil constitutionnel / 29-12-1995 / Décision n° E 030-95 / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

Bureaux de vote (maintien dans des zones d’accès difficile)

Au nom du peuple de Côte d’Ivoire

Le Conseil constitutionnel,

(…)

Considérant que pour contester l’élection de Monsieur KPAGNON BRASSIE, le requérant invoque d’une part, le désir de vengeance et la partialité du souspréfet de Buyo par le maintien des bureaux de vote situés dans les campements baoulés, difficiles d’accès et d’autre part, l’insécurité créée par la tension entre autochtones et allogènes baoulés depuis les élections présidentielles.

Sur le premier moyen;

Considérant que les bureaux de vote incriminés ont été régulièrement créés par l’autorité compétente dans les campements baoulés dans le but de permettre aux populations concernées d’accomplir leur droit de vote; que la suppression de ces bureaux de vote serait préjudiciable à l’exercice desdits droits compte tenu, comme le reconnaît le requérant lui-même, de l’éloignement et des difficultés d’accès à ces zones; qu’ainsi en maintenant les bureaux de vote dans les campements baoulés, le sous-préfet n’a commis aucune irrégularité de nature à rendre impossible le déroulement normal du scrutin;

Sur le second moyen;

Considérant que l’insécurité invoquée par le candidat n’est pas imputable au sous-préfet, celle-ci résultant du contexte général suscité par les élections présidentielles du 22 octobre 1995; que tous les candidats de la circonscription concernée y compris le requérant lui-même ont accepté de participer au scrutin, estimant par là que les tensions ne sont pas de nature à entacher la sincérité du vote; qu’il s’ensuit que la requête de Monsieur MIAKA OURETTO doit être rejetée comme non fondée;

Décide:

Article 1er . – La requête de MIAKA OURETTO tendant à l’annulation de l’élection de Monsieur KPAGNON BRASSIE le 26 novembre 1995 dans la circonscription de Buyo est recevable mais mal fondé; la rejette.

Article 2. – La présente décision sera transmise au Président de la République pour publication et notifiée au Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’aux parties.

CIV / 1995 / A05
Côte d’Ivoire / Conseil constitutionnel / 29-12-95 / Décision n° E 031-95 / texte intégral

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

Candidats (à une élection)

VU Enregistrée au Secrétariat général du Conseil constitutionnel le 4 décembre 1995 sous le n° E 117/95, la requête présentée par Monsieur OUATTARA MOUSSA et tendant à l’annulation des élections dans la circonscription de Kong-Koumbala pour la désignation d’un Député à l’Assemblée nationale;

Considérant que pour solliciter l’annulation des élections législatives dans la circonscription de Kong-Koumbala où il a fait acte de candidature, Monsieur ouattara moussa invoque les faits suivants:

  • pression sur les populations allogènes afin de les décourager à prendre part au scrutin;
  • l’urne du bureau de vote n° 33 de Koron non parvenue au chef-lieu de la sous-préfecture de Kong;
  • mauvaise organisation des élections (absence d’éclairage au bureau n° 03, communication tardive des résultats de certains bureaux);
  • vote d’électeurs sans titre d’identité;

VU La Constitution, notamment son article 30 nouveau;

VU La loi n° 94-439 du 16 août 1994 modifiée par la loi n° 95-523 du 6 juillet 1995 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel, notamment ses articles 37 à 42 et 51;

VU La loi n° 94-642 du 13 décembre 1994 portant Code Electoral, notamment ses articles 101 et 105;

VU Le mémoire en défense, en date du 18 décembre 1995 de El Hadj OUATTARA GAOUSSOU DRAMANE;

VU Les autres pièces du dossier;

Ouï le Conseiller-Rapporteur;

Sur la recevabilité:

Considérant que la requête de Monsieur OUATTARA MOUSSA répond aux conditions de forme et de délai prévues par l’article 105 susvisé du Code Electoral; qu’elle est recevable:

Au fond:

Sur le moyen tiré de la pression exercée sur les électeurs allogènes pour qu’ils ne votent pas pour le requérant:

Considérant que cette allégation n’est corroborée par aucune justification, aucun rapport des autorités politiques et administratives pourtant plusieurs fois invitées à la vigilance sur l’ensemble du territoire; que le moyen ne peut prospérer;

Sur le moyen tiré de l’absence de l’urne du bureau de vote n° 33 de Koron:

Considérant que le procès-verbal concernant ce bureau porte la mention suivante:

«Le vote n’a pu avoir lieu à Koron, faute de moyen de transport, car la benne transportant le président du bureau de vote et le matériel était tombée en panne en cours de route;

Considérant que cette situation, aussi regrettable, n’a pu pénaliser que le requérant seul mais l’ensemble des candidats; que dès lors, l’égalité de traitement entre les candidats n’a pas été rompue; qu’il y a lieu de rejeter ce moyen;

Sur le moyen tiré de l’absence ou de l’insuffisance de l’éclairage du bureau de vote n° 03 à Kong:

Considérant que les vérifications faites ont prouvé que le courant électrique fourni à la ville n’a pas été interrompu; que le requérant reconnaît lui-même qu’il ne s’est pas rendu à ce bureau et n’a donc pas constaté les faits qu’il allègue; qu’enfin, le procès-verbal relatif à ce bureau, signé par le représentant du requérant ne mentionne pas l’anomalie invoquée; que le moyen soulevé, ne reposant sur aucun fait réel doit être rejeté;

Sur le moyen tiré de la communication tardive des résultats de certains bureaux de vote par voie de message radio:

Considérant que ce moyen, pas plus que les précédents ne saurait être tenu; qu’en effet, il est constant que la lenteur dont se plaint le requérant est due uniquement aux difficultés naturelles du terrain; qu’en outre, le requérant n’invoque ni ne prouve une manipulation frauduleuse des résultats des bureaux concernés où ses représentants ne signalent aucune discordance entre les résultats communiqués et ceux relevés sur place;

Sur le moyen tiré des votes sans titre d’identité:

Considérant que le requérant se contente d’affirmer que plusieurs personnes, profitant de l’obscurité, ont voté sans carte d’identité;

Mais considérant qu’une telle affirmation vague, non prouvée, alors que les représentants de l’intéressé ont signé tous les procès-verbaux de vote sans réserve, ne peut être prise en considération;

Considérant, compte tenu de tout ce qui précède qu’aucun des moyens soulevés par Monsieur OUATTARA MOUSSA n’est fondé; qu’en conséquence, sa requête doit être rejetée;

Décide:

Article 1er . – La requête de Monsieur OUATTARA MOUSSA est recevable mais mal fondée; en conséquence la rejette.

Article 2. – La présente décision sera transmise au Président de la République pour publication et notifiée au Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’aux parties.

Cour suprême constitutionnelle d’Egypte

EGY / 1972 / A01
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 6-05-1972 / Affaire n° 8, 1 re année judiciaire constitutionnelle / abstrats

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur quasiconstitutionnelle
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Loi (égalité devant la loi) – Neutralité

(…)

Constitution – Principe de l’égalité – L’article 40 de la constitution actuelle – L’égalité stipulée par l’article sus-mentionnée et jadis adoptées par les précédentes est réalisée si les deux conditions de généralité et d’abstraction sont remplies dans les législations relatives au droit

(…)

(7) L’égalité stipulée par l’article 40 de la constitution actuelle et jadis consacrée par les constitutions précédentes se réalise si les conditions de généralité et d’abstraction sont remplies par les législations régissant les droits. Il ne s’agit pas, toutefois, d’une égalité mathématique, car le législateur, de par son autorité discrétionnaire de l’évaluation des exigences de l’intérêt public, possède le pouvoir d’établir des conditions qui définissent les positions légales où les individus sont égaux devant la loi. Si ces conditions sont remplies chez un groupe d’individus, l’égalité doit être établie entre eux, leurs circonstances et leurs positions légales étant similaires. Toutefois, si ces circonstances diffèrent, c’est-à-dire si les conditions sont remplies chez certains et non remplies chez d’autres, le principe d’égalité n’est plus de rigueur. A ce moment seulement, ceux qui remplissent les conditions pourront exercer les droits que le législateur leur a garantis. Attendu que le décret-loi attaqué n’a pas porté atteinte aux droits stipulés dans des jugements judiciaires définitifs et que ce qui a été soulevé à propos de l’application du principe de l’égalité porte sur l’établissement de l’égalité entre ceux qui ont obtenu des jugements définitifs et ceux qui n’en ont pas obtenu malgré la différence de leurs situations, l’allégation que le décret-loi attaqué comporte une violation du principe de l’égalité n’est pas fondée en raison de la différence des positions légales entre les deux parties.

(…)

EGY / 1972 / A02
Egypte /Cour suprême constitutionnelle / 1-07-1972 / Procès n° 4, 2e année judiciaire de la Cour / abstrats

1.45 Justice constitutionnelle – objet du recours – lois et autres normes à valeur législative
5.1.2.4.2 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales – droit public
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité Egalité des chances – Loi (égalité devant la loi)

(…)

La Constitution – le principe d’égalité – Les sociétés du secteur public – l’article 76 de la loi sur les établissements publics «et les sociétés du secteur public, promulguée par la loi n° 60 de 1971 – Il stipule que les sociétés du secteur public ne sont pas soumises au système de faillite – il ne recèle aucune contradiction avec le principe de l’égalité et celui de l’égalité des chances – fondement

(…)

4. – L’article 76 de la loi sur les établissements publics et les sociétés du secteur public, promulguée par la loi n° 60, de 1970, ne renferme aucune violation du principe de l’égalité et de celui de l’égalité des chances. Ces deux principes se réaliseront dans la législation, si les deux conditions de généralisation et d’objectivité se trouvent réunies. Ils ne signifient pas l’égalité mathématique; car le législateur peut, par son pouvoir d’estimation des exigences du bien public, fixer des conditions déterminant les cas juridiques où les individus sont égaux devant la loi; d’autant plus que si ces conditions sont satisfaites par un ensemble d’individus, il faut leur appliquer le principe de l’égalité; car ils obéissent aux mêmes circonstances et aux mêmes cas juridiques. Par contre si les circonstances varient – autrement dit si les conditions sont satisfaites par les uns et non pas par les autres – il ne sera plus possible de traiter à égalité les deux parties. Le recours du législateur à un tel procédé ne déroge pas aux deux conditions de généralisation et d’objectivité qui doivent être réunies de la règle juridique; car il s’adresse à la totalité, à travers ces conditions. Partant, si le législateur a estimé, pour les considérations susmentionnées, qu’il faut interdire la déclaration de faillite des sociétés du secteur public, il ne déroge pas pour autant au principe de l’égalité et de celui de l’égalité des chances, prévus par les articles 8 et 40 de la constitution.

(…)

EGY / 1973 / A03
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 3-11-1973 / Affaire n° 1, 3e année judiciaire / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

(…)

Constitution – principe d’égalité – signification – distinction entre ceux qui ont obtenu des jugements judiciaires définitifs et ceux qui n’ont pas obtenu de tels jugements – il ne s’agit pas d’une violation du principe de l’égalité

(…)

Voir affaire n° 8, 6/05/1972, ci-dessus.

EGY / 1974 / A04
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 29-06-1974 / Affaire n° 1, 5e année judiciaire / abstrats

4.2.2 Instituions – organes législatifs – compétences
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Loi (égalité devant la loi)

(…)

Constitution – Principe de l’égalité dont la réalisation est l’affaire des législations

(…)

3. – L’égalité ne saurait se réaliser que lorsque les deux conditions de généralité et d’abstraction sont remplies dans les législations. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’une égalité mathématique, et ce, parce que le législateur, de par son autorité discrétionnaire de l’évaluation des exigences de l’intérêt public, possède le pouvoir d’établir des conditions qui définissent les positions légales où les individus sont égaux devant la loi. Si ces conditions sont remplies chez un groupe d’individus, l’égalité doit être établie entre eux, leurs circonstances et leurs positions légales étant similaires. Toutefois, si ces circonstances diffèrent, c’est-à-dire les conditions sont remplies chez certains et non remplies chez d’autres, le principe d’égalité n’est plus de rigueur.

(…)

EGY / 1975 / A05
Egypte/Cour suprême constitutionnelle/1-03-1975/Procès n° 7, année juridique suprême 2 / abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.2.6 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – religion

(…)

Constitution – Principe d’égalité – Pas de distinction ou de séparation entre les membres d’une même religion si leurs situations légales sont identiques

(…)

La loi objet de réclamation est le décret de la loi n° 263 de l’année 1960 relative à l’interdiction des loges bahaïtes (…)

6. – Il n’y a pas d’opposition entre la loi, objet de contestation, et l’égalité, car ce principe ne signifie pas l’identité dans tous les aspects entre tous les individus si leurs positions juridiques sont différentes, et l’égalité entre eux n’est pas une égalité mathématique absolue; mais ce principe signifie ne pas faire de distinction ni de ségrégation parmi les membres d’une même confession, si leurs positions sont identiques, et la loi contestée n’enferme rien de cela; par conséquent il n’y a pas moyen de lui reprocher de violer le principe d’égalité.

(…)

EGY / 1981 / A06
Egypte/Cour suprême constitutionnelle/7-02-1981/Affaire n° 1, 1re année judiciaire/abstrats

4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non-discrimination

Loi (égalité devant la loi)

(…)

Le principe d’égalité – le législateur a le droit d’imposer des conditions générales objectives, déterminant les cas juridiques où les individus sont égaux devant la loi

(…)

6.– Le principe de l’égalité des citoyens en droit ne signifie pas forcément l’égalité entre tous les individus, avec leurs circonstances distinctes et leurs situations juridiques. Le législateur peut, par contre et en fonction des exigences de l’intérêt public, poser des conditions générales objectives qui détermineraient les situations juridiques, où les individus seront égaux devant la loi, si bien que ceux qui rempliront ces conditions, pourraient à l’exclusion des autres, exercer les droits que le législateur leur a garantis. De la sorte, disparaît toute égalité entre eux et ceux qui ne remplissent pas ces conditions.

(…)

EGY / 1987 / A07
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 16-05-1987 / Affaire n° 131, 6 e année judiciaire / abstrats

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – Egalité des chances – Loi (égalité devant la loi)

(…)

La constitution – Les droits publics.

Les règles élaborées par le législateur pour organiser les droits publics – notamment les droits politiques – ne doivent pas faire en sorte qu’ils soient confisqués, qu’il y soit porté atteinte, ou que les restrictions imposées dans le cadre de cette réglementation, portent atteinte aux deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité devant la loi, stipulés dans les deux articles 8 et 40 de la constitution.

La constitution – Les droits publics – Le droit à la candidature – les deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité.

Le droit à la candidature est l’un des droits publics garantis par la constitution aux citoyens – Le fait de priver une catégorie déterminée de ce droit, sans une raison valable et sans la moindre nécessité pour sa mise en application – recèle une annihilation de sa règle fondamentale et une violation des deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité devant la loi, à travers une dérogation aux articles 8, 40 et 62 de la constitution.

(…)

5. – Il ne faut pas que les règles établies par le législateur, dans le but d’organiser les droits publics – notamment les droits politiques – aboutissent à la confiscation ou à la violation de ces droits. Il faut que les restrictions qu’elle impose dans le domaine d’une telle organisation, ne portent pas atteinte aux deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité, garantis par la constitution qui stipule dans son article 8 que «l’Etat garantit l’égalité des chances à tous les citoyens et dans son article 40 que «les citoyens sont égaux devant la loi, dans les droits aussi biens que dans les devoirs publics, sans la moindre discrimination à cause du sexe, de l’origine, de la langue, de la religion ou de la doctrine.

6. – Le but des articles 5 bis, 6 alinéa 1 et 17, alinéa 1 de la loi n° 38 de 1972, amendée par la loi n° 114 de 1983, objet du recours, est que le législateur, quand il a établi que l’élection des membres du Conseil du Peuple, par des élections sur la base des listes partisanes et quand il a considéré ensuite que la copie de la liste du parti auquel le candidat appartient, qui prouve ainsi une telle appartenance, comme une condition impérative à l’acceptation de sa candidature, aura limité le droit de candidature aux élections des membres du Conseil du Peuple, à ceux qui appartiennent aux partis politiques et dont les noms figurent sur les listes de ces partis, et aura privé par le fait même les autres d’un tel droit sans une raison valable et sans la moindre nécessité pour sa mise en application. Etant donné que le droit à la candidature est l’un des droits publics garantis par l’article 62 de la constitution aux citoyens, le fait d’en priver une catégorie déterminée recèle une annihilation de ce droit et une violation des deux principes de l’égalité des chances et de l’égalité devant la loi, et constitue par conséquent une violation des articles 8, 40 et 62 de la constitution.

(…)

EGY / 1989 / A08
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 15-04-1989 / Affaire n° 23, 8 e année judiciaire / abstrats

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité Candidats (à un emploi) – Egalité des chances

(…)

Constitution – Droit à la candidature – Conseil Consultatif (EL Shoura) Le législateur en limitant le droit à la candidature au Conseil consultatitf (El Shoura) aux adhérents aux partis politiques, en prive les autres sans que cela ne soit justifié ni par la nature de ce droit, ni par les exigences de son application; Il viole ainsi les principes de l’équivalence des chances et de l’égalité; et par le fait même, les articles 8, 40 et 62 de la Constitution.

(…)

5. – Par les article 7, 8, alinéa premier, 10, et 12, alinéa premier et deuxième de la loi n° 120/1980, objet d’un recours en inconstitutionnalité, et avant son amendement par la loi n° 10/1989, le législateur a voulu que l’élection des membres du Conseil Consultatif (EL Shoura) soit faite en fonction de listes de partis, considérant ainsi la liste du parti auquel appartient le candidat comme condition impérative au dépôt de la demande de candidature. Par cette disposition, le législateur a voulu limiter le droit à la candidature au Conseil Consultatif (EL Shoura) aux adhérents aux partis politiques et à ceux dont les noms figurent sur les listes de ces partis; Il en a ainsi privé les autres sans que la nature de ce droit ou les exigences de son application ne nécessitent une telle limitation.

Cela étant, et vu que le droit à la candidature est un droit public garanti par la Constitution dans son article 62, et que la privation d’une catégorie de personnes de ce droit l’inhibe et transgresse le principe de l’équivalence des chances et de l’égalité devant la loi, une pareille privation constitue par conséquent une violation des articles 8, 40 et 62 de la Constitution.

(…)

EGY / 1989 / A09
Egypte/Cour suprême constitutionnelle/29-04-1989/Règle n° 28/texte intégral

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Locataires – Locaux à usage professionnel – Loi (égalité devant la loi)

Sous la présidence de Monsieur le Conseiller Mamdouh Mostopha Hassan, Président de la Cour et la présence de M.M. les Conseillers: Mounir Amine Abdel-Majid, Fawzi Assaad Morkos, Charif Berham Nour, Dr. Awad Mohammad Murr, Dr. Mouhammad Ibrahim Abou el-Aynayn et Wassef AlaaEddine, Membres.

Et la présence de M. le Conseiller: Sayed Abdel-Hamid Amara, Commissaire.

Et la présence de M. Raafat Mouhammad Abdel-Wahed, Secrétaire.

Règle n° 28

1. – Les Constitutions Egyptiennes – Principe d’égalité

Toutes les constitutions égyptiennes successives, depuis celle de 1923 à celle en application aujourd’hui redisent le principe de l’égalité devant la loi et en garantissent l’application sur tous les citoyens. Ce principe est considéré comme le fondement de la justice, de la liberté et de la paix sociale. Il a pour objectif la sauvegarde des droits et des libertés des citoyens pour faire face aux différentes formes de discriminations, qu’ils peuvent rencontrer.

2. – Le principe de l’égalité «son domaine» – Les formes de différenciation

Le principe de l’égalité ne s’applique pas seulement aux droits et libertés mentionnés dans la Constitution, mais aussi à tous les droits garantis aux citoyens par le législateur – Les formes de discrimination mentionnées expressément dans l’article 40 de la Constitution (le sexe, l’origine, la langue, la religion et la croyance) ne sont pas exclusives.

3. – Législation – droits «leur organisation» – Principe de l’égalité

Le pouvoir discrétionnaire du législateur dans la détermination des droits et des normes n’abolit pas un texte de la Constitution; il doit, dans le cadre des exigences de l’intérêt général, poser des conditions objectives selon lesquelles sont déterminées les conditions légales qui garantissent l’égalité des individus devant la loi.

4. – La location des lieux – Location

Quant aux considérations sur lesquelles s’appuie le législateur pour déterminer la règle générale relative à l’augmentation des loyers par rapport aux locaux non loués pour l’habitation et mentionnés dans l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981; elle réalise l’intérêt général et compense son propriétaire de la baisse du montant du loyer et le souci de trouver une source de financement pour le restaurer et l’entretenir afin de protéger le patrimoine national. Cet article touche les immeubles loués pour un autre usage que l’habitation et employés dans des domaines qui n’entrent pas dans le domaine de l’activité commerciale ou industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux, et industriels, ou aux impôts sur les bénéfices non commerciaux en tant qu’élément du patrimoine national qu’il faut conserver. Parce que ces immeubles sont d’un genre spécial, réservé à l’activité – sociale, religieuse ou culturelle – cela ne les empêchent pas d’être des immeubles loués pour des buts non d’habitation.

5. – Le principe de l’égalité – Article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981

L’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981comporte une exception pour les locaux employés pour des buts qui n’entrent pas dans le domaine commercial, industriel ou professionnel soumis à l’impôt sur les bénéfices commerciaux, ou industriels, et à l’impôt sur les bénéfices des professions non commerciales, en application de la règle générale mentionnée dans son article (7) relativement à l’augmentation sur le loyer des immeubles loués pour un usage non d’habitation – et qui vise à différencier deux catégories de propriétés soumises au même principe qui les rend égales et qui oblige à les soumettre à la même règle législative abstraite.

6. – Principe d’égalité – Location de lieux – «Loyer»

Priver une catégorie de propriétaires du droit d’augmenter le loyer, conduit à une discrimination qui conduit à perturber des positions légales semblables et suppose la négation du principe d’égalité entre ces propriétaires et entre ceux qui n’ont pas été privées de ce droit.

1 et 2. – Toutes les Constitutions Egyptiennes successives, depuis celle de 1923 jusqu’à celle en vigueur actuellement ont toutes affirmé le principe de l’égalité devant la loi et en ont garanti l’application à tous les citoyens, principe considéré comme le fondement de la justice, de la liberté et de la paix sociale, estimant que l’objectif visé est la sauvegarde des droits et des libertés des citoyens pour faire face aux formes de différentiations qui les touchent ou qui les empêchent de les exercer. Dans son essence, ce principe est devenu le moyen pour stipuler la protection légale à égalité dont l’application ne se restreint pas aux droits et aux libertés mentionnés dans la Constitution, mais son domaine s’étend aussi aux droits garantis aux citoyens par le législateur dans les limites de son pouvoir discrétionnaire et à la lumière de la politique législative qu’il juge conforme au bien public. Les formes de discrimination mentionnées dans l’article (40) de la Constitution lesquelles se basent sur l’origine, le sexe, la langue, la religion ou la croyance, n’ont pas été citées à titre exclusif; il existe d’autres formes de différenciations qui présentent un danger, ce qui oblige à les soumettre au contrôle judiciaire du tribunal, en application du principe d’égalité devant la loi et pour en garantir le respect dans tous les domaines où cette loi est appliquée. Lui est soumise l’augmentation du loyer décidée par certains textes législatifs, comme le texte de l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981 relative à certaines dispositions particulières dans la location et la vente des locaux et la réglementation des relations entre le locateur et le locataire, dont les effets sont les mêmes pour tous les locateurs, et que les positions légales sont les mêmes à tous les points de vue relativement au droit de les réclamer. Ceci parce que l’égalité désignée par l’article (40) de la Constitution se limite à prohiber toute distinction entre les citoyens dont les positions légales sont identiques dans les éléments qui les constituent.

3. – Il est entendu que le législateur a un droit discrétionnaire absolu dans la désignation des droits, tant que la décision législative qu’il a prise relativement à ces circonstances, a été prise conformément à une règle générale abstraite qui ne fait de distinction entre ceux dont les positions légales sont identiques et qui n’abolit pas un texte constitutionnel. Comme il a le pouvoir, pour les besoins de l’intérêt général, de poser des conditions concrètes, selon lesquelles seront déterminées les positions légales rendant égaux tous les individus devant la loi; de sorte que tous ceux qui remplissent ces conditions, peuvent, seuls, exercer ces droits que leur a garantis le législateur.

4. – Puisque le législateur a visé, à travers la règle générale relative à l’augmentation du loyer – comme l’ont dit le rapport de la Commission conjointe du comité de l’habitat et de la construction, et le bureau du comité d’affaires constitutionnelles et législatives – «à sauvegarder les bâtiments anciens considérés comme un patrimoine national qu’il faut conserver et préserver, comme le loyer de ces bâtiments est minime, ce qui fait que leurs propriétaires refusent des les entretenir et de les restaurer; et comme l’intérêt des habitants de ces locaux, en plus de l’intérêt général représenté par le fait qu’ils constituent un patrimoine national qu’il faut conserver, sans alourdir les charges de leurs habitants, et en même temps, veiller à l’intérêt de leurs propriétaires, le tout, dans le cadre de la solidarité sociale – la commission a conclu à la nécessité de modifier le loyer des vieux immeubles loués pour autre usage que l’habitation, dans des proportions, selon la date de l’édification de l’immeuble»… Par conséquent, ces considérations sur lesquelles s’est basé le législateur pour fixer le montant du loyer relativement aux locaux loués pour un autre usage que l’habitation, à savoir, pour réaliser l’intérêt général et compenser les propriétaires de la perte due à la baisse du loyer, et par souci de trouver une source de financement pour les frais de leur restauration et entretien, ces immeubles étant considérés comme partie du patrimoine national, ceci s’applique aussi aux immeubles loués pour un autre usage que l’habitation et qui sont employés pour des affaires entrant de le cadre de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle, soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux et industriels ou sur les bénéfices réalisés dans des professions non commerciales, considérés comme l’un des éléments du patrimoine national qu’il faut concerner; si ces immeubles ne sont pas strictement réservés à des genres d’activités déterminées – qu’elles soient sociales ou religieuses ou culturelles – cela ne signifie pas qu’ils sont loués pour usage habitationnel. Il aurait fallu la mettre dans le cadre de la règle générale mentionnée dans l’article (7) de la loi n ° 136 de l’année 1981, alors ils auraient été soumis à la décision de l’augmentation.

5 et 6. – Le traitement exceptionnel mentionné dans l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981 relatif à certaines dispositions spéciales pour louer ou vendre des locaux et pour la réglementation des relations entre le locateur et le locataire a conduit à différencier deux catégories de propriétaires soumis à un principe unique qui les rend tous égaux, et il fallait que le législateur les soumît à la règle législative unique et abstraite, de sorte que soit perçu le loyer imposé par la règle générale mentionnée dans l’article (7) de la loi, en faveur des propriétaires des immeubles loués à usage non habitationnel, sans exception. Et quelle que soit l’activité exercée dans ces immeubles, et puisque cette différenciation que le législateur a faite dans l’article (27) mentionnée plus haut ne repose pas, réellement sur des bases ayant trait à l’objectif recherché par le législateur quand il a imposé cette augmentation, priver une certaine catégorie de propriétaires de leur droit à l’augmentation, est considéré comme une discrimination qui conduit à la perturbation des situations légales semblables, et renferme une abolition du principe d’égalité entre ceux-là et entre les propriétaires qui non pas été frustrés de ce droit.

Procédures

En date du 14 mars 1985, la partie civile a déposé le texte du recours auprès du greffe de la Cour, demandant que soit déclaré anticonstitutionnel l’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981 relativement à certaines dispositions particulières concernant la location, la vente de locaux et la réglementation des rapports entre le locateur et le locataire dans ce que ce texte contient d’exhonoration des locaux loués pour être utilisés dans des affaires qui n’entrent pas dans le cadre de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux, et industriels ou aux impôts sur les professions non commerciales dans la proportion de l’augmentation de la valeur locative mentionnée dans l’article (7) de la loi.

La commission des instances du gouvernement a présenté un mémoire demandant le rejet du procès. Après avoir étudié le procès, la commission des commissaires a exprimé son opinion dans un rapport écrit. Le procès fut étudié de la manière exprimée dans le procès verbal de l’audience, et le tribunal a décidé de prononcer le verdict dans l’audience de ce jour.

Le Tribunal

Après avoir étudié le dossier et après consultation:

Les requérants avaient intenté le procès n° 172 pour l’année 1983 civile, au Sud du Caire, demandant d’obliger le 4e accusé de payer le montant de l’augmentation du loyer décidé dans l’alinéa «B» du paragraphe 2, de l’article (7) de la loi n° 136 pour l’année 1981 relativement à certaines dispositions particulières à la location, à la vente des lieux et à la réglementation de la relation entre le locateur et le locataire, par rapport aux locaux loués pour usage non habitationnel, et ce, à partir du 1er janvier 1982. Le tribunal de première instance a rejeté le procès; les requérants ont fait appel sous le n° 2176 pour l’année juridique 101, disant que l’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981, sus-mentionnée est anticonstitutionnel. Le Tribunal leur a permis de faire appel auprès de la Cour constitutionnelle. Ils ont intenté le procès qui est entre nos mains.

Etant donné que les requérants reprochent au texte de l’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981, objet de litige, que cette loi, même si elle a soumis les immeubles loués pour un usage autre que l’habitation à l’augmentation mentionnée dans son article (7), l’article 27 a exhonoré de cette augmentation les immeubles utilisés pour des affaires qui n’entrent pas dans l’activité commerciale ou industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux et industriels ou aux impôts sur les professions non commerciales, bien que ces locaux soient loués pour un usage non habitationnel; par conséquent et à cause de cette exception, le texte aura fait la différence entre deux catégories de propriétaires, dont les circonstances légales sont identiques, ce qui rend ce texte défectueux constitutionnellement pour avoir violé le principe de l’égalité mentionné dans l’article (40) de la Constitution.

Etant donné que l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981, relatif à certaines dispositions particulières quant à la location et vente des locaux et à la réglementation de la relation entre locateur et locataire stipule que: «A partir de la date de la mise en application de cette loi, sera augmenté, à partir du 1er janvier de chaque année, le loyer des locaux loués pour des usages autre que d’habitation, et construits jusqu’au 9 septembre 1977. Cette augmentation cyclique est fixe et proportionnelle à la valeur locative prise comme base pour calculer le montant des impôts à payer sur les terrains bâtis en même temps, même si on y a apporté des modifications essentielles. Le propriétaire doit réserver la moitié de cette augmentation pour faire les restaurations et les entretiens nécessaires; cette somme est considérée comme un dépôt qui lui est confié. Un arrêté du Ministre de l’habitat réglera la manière de traiter dans cette affaire. L’augmentation sera fixée proportionnellement comme suit…

L’article (27) de la même loi stipule que «pour l’application des dispositions de cette loi, on agira comme pour les locaux loués pour l’habitation, avec les locaux utilisés pour des affaires qui n’entrent pas dans le cadre des activités commerciales, industrielles ou professionnelles soumises aux impôts sur les bénéfices commerciaux, et industriels, ou les impôts sur les bénéfices réalisés dans les professions non commerciales…».

Etant donné qu’il résulte de ces deux textes que le législateur a laissé le loyer de locaux loués pour habitation, selon les dispositions prises par les lois précédentes lesquelles n’englobent pas la règle de l’augmentation, et n’y a rien ajouté de nouveau dans ce domaine. Quant aux locaux loués pour autre usage que l’habitation, le législateur a mis dans l’article (7) de la loi, une règle générale abstraite, exigeant qu’ils soient soumis à une augmentation cyclique, dont le montant a été fixé dans une proportion déterminée de la valeur locative prise comme base pour le calcul des impôts sur les terrains bâtis, et différentes selon la date de la construction du bâtiment, et il a considéré cette augmentation comme partie du loyer selon l’article (8) de la loi. Puis il a fait exception dans l’article (27) à la règle générale pour les locaux utilisés pour des affaires qui n’entrent pas dans l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux, et industriels ou aux impôts sur les bénéfices réalisés dans les professions non commerciales. Ce qui a conduit à exhonorer les immeubles utilisés à cet usage, de l’augmentation du loyer et par suite, la privation de son propriétaire du profit de l’augmentation.

Les constitutions égyptiennes successives, à commencer par celle de 1923 jusqu’à celle en vigueur aujourd’hui, ont toutes redit et affirmé le principe de l’égalité devant la loi et en ont garanti l’application pour tous les citoyens, le considérant comme le fondement de la justice, de la liberté et de la paix sociale, et ce en supposant que l’objectif visé, est représenté à l’origine par le souci de sauvegarder les droits et les libertés des citoyens pour faire face aux formes de discrimination qui font tort ou posent des limites à leur exercice. Ce principe est devenu, dans son essence, un moyen pour déterminer la protection légale équivalente dont l’application ne se limite pas aux droits et libertés mentionnés dans la Constitution, mais elle étend son effet sur les domaines des droits garantis aux citoyens par le législateur dans les limites de ses pouvoirs discrétionnaires et à la lumière de la politique législative qu’il juge réaliser l’intérêt général, et que les formes de distinction mentionnées dans l’article (40) de la Constitution qui se base sur l’origine, le sexe, la langue, la religion ou la croyance, n’ont pas été mentionnées en exclusivité, il se trouve d’autres formes de différenciations qui ont leur danger, ce qui oblige de les soumettre à la compétence de ce tribunal pour un contrôle juridique, en application du principe d’égalité devant la loi et pour en garantir le respect dans tous les domaines de son application. L’augmentation du loyer est imposée par certains textes législatifs, comme le texte de l’article (7) de la loi n° 136 de l’année 1981 dont les dispositions s’appliquent à tous les locateurs à positions légales identiques en tous points, relativement au droit de les réclamer, parce que l’égalité voulue dans l’article (40) de la constitution se limite à ne pas permettre de faire distinction entre des citoyens dont les positions légales sont identiques, à travers l’identité des éléments sur lesquels elle se base.

Le législateur a un pouvoir discrétionnaire pour déterminer les droits de manière absolue dans son estimation. Les dispositions législatives qu’il a prises pour ces cas ont été faites selon une règle générale abstraite qui n’admet pas de distinction entre ceux dont les positions légales sont identiques sans abolir le texte de la constitution; et le législateur a le pouvoir, pour les nécessités de l’intérêt général, de poser des conditions objectives selon lesquelles sont déterminées les positions légales qui rendent les individus égaux devant la loi, de sorte que ceux en qui ces conditions sont remplies ont seuls possibilité d’exercer les droits garantis par le législateur; Cela étant, le législateur a cherché, à travers la règle générale relative à l’augmentation du loyer – selon ce que dit le rapport de la Commission mixte du comité de l’habitat et de la construction, et du bureau de la commission des affaires constitutionnelles et législatives – à «Conserver les immeubles anciens considérés comme un patrimoine national qu’il faut protéger et dont il faut prolonger la vie». «Le montant minime du loyer de ces immeubles fait que leurs propriétaires refusent de les entretenir et de les restaurer; et puisque l’intérêt des habitants de ces locaux, en plus de l’intérêt général représenté par ce que les locaux constituent un patrimoine national qu’il faut conserver sans alourdir les charges de leurs habitants, et en même temps sauvegarder l’intérêt de leurs propriétaires, le tout dans le cadre de la solidarité sociale, la commission a conclu qu’il faut modifier le loyer des vieux locaux loués pour un usage autre que l’habitation, dans des proportions différentes selon l’ancienneté de la construction de l’immeuble». De là, les considérations sur lesquelles s’est appuyé le législateur quand il a déterminé l’augmentation relative aux locaux loués pour un usage autre que l’habitation sont: la réalisation de l’intérêt général, le dédommagement de leurs propriétaires par suite de la baisse du loyer et le souci de trouver des sources pour financer les frais de la restauration et de l’entretien de ces locaux, considérés comme des éléments du patrimoine national, ceci s’étendant aussi aux immeubles loués pour un usage autre que l’habitation et utilisés pour des affaires qui n’entrent pas dans le domaine de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices commerciaux et industriels ou aux impôts sur les bénéfices réalisés dans les professions non commerciales, en tant qu’ils sont l’un des éléments du patrimoine national qu’il faut conserver; ces immeubles, étant réservés à des sortes déterminées d’activités – qu’elles soient sociales ou religieuses ou culturelles – ne cessent d’être considérés comme des immeubles loués pour un usage non d’habitation, conformément à l’objectif pour lequel ils ont été loués. Il aurait fallu les incorporer à la règle générale mentionnée dans l’article (7) de la loi.

Ce traitement exceptionnel mentionné dans l’article (27) objet de récusation, a conduit à séparer deux catégories de propriétaires, rendus semblables par une réglementation sur les mêmes bases qui les rend tous égaux et que le législateur aurait dû les soumettre à la même règles législative abstraite; et puisque l’augmentation du loyer décidée dans la règle générale mentionnée dans l’article (7) de la loi, exclut le propriétaire des immeubles loués pour un usage autre que l’habitation, sans exception aucune, et quelle que soit la nature de l’activité qu’on y exerce, puisque cette différentiation a été faite par le législateur dans l’article (27) sus-mentionné, ne repose pas dans sa réalité sur des bases qui ont trait à l’objectif recherché par le législateur quand il a décidé cette augmentation, comme il a été démontré plus haut; de là, priver une catégorie déterminée de propriétaire du droit à l’augmentation, est compté comme une discrimination qui conduit à perturber des positions légales semblables, et contient une violation du principe d’égalité entre eux et entre les propriétaires qui n’ont pas été privés de ce droit.

Et étant donné, tout ce qui a précédé, il faut déclarer non constitutionnel l’article (27) mentionné, en ce qu’il contient d’exception des locaux employés pour des affaires qui n’entrent pas dans le domaine de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices des professions non commerciales, et cela relativement à l’application de ce que stipule l’article (7) de l’augmentation du loyer.

Pour ces motifs:

La Cour a jugé anticonstitutionnel l’article (27) de la loi n° 136 de l’année 1981, relatif à certaines dispositions particulières à la location et vente des locaux et à la réglementation de la relation entre le locateur et le locataire, en ce que cet article contient une exception pour les locaux utilisés pour des usages qui n’entrent pas dans le cadre de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle soumise aux impôts sur les bénéfices réalisés dans le commerce, et l’industrie ou les impôts sur les bénéfices des professions non commerciales. Cela relativement à l’application du contenu de l’article (7) sur l’augmentation du loyer; la Cour impose au gouvernement de payer les frais et la somme de cents livres égyptiennes (100 guineh) pour frais d’avocat.

EGY / 1989 / A10
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 21-05-1989 / Affaire n° 16, 8 e année judiciaire / abstrats

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Délai pour agir en justice – Loi (égalité devant la loi)

(…)

La nature du principe de l’égalité

L’égalité citée dans l’article 40 de la constitution n’est pas une égalité mathématique, le législateur possédant par son pouvoir discrétionnaire et l’intérêt public le pouvoir de poser des conditions objectives pour des situations légales où les citoyens sont considérés égaux devant la loi; ainsi, si ces conditions sont satisfaites par une certaine catégorie de citoyens, il faudrait établir l’égalité entre eux vu que leurs situations légales sont identiques. Et si cette égalité fait défaut les conditions n’étant présentes que chez certains, ils exerceront seuls les droits garantis pour eux par la loi.

(…)

4. – L’allégation du demandeur à ce que l’article 11 de la loi n° 135/80 aurait violé le principe de l’égalité devant la loi reconnu par l’article 40 de la Constitution, et que la privation des travailleurs qui n’ont pas intenté leurs procès dans le délai prévu, de l’amélioration qu’ils méritaient, impliquerait une distinction entre les travailleurs d’une même catégorie, est rejetée vu que la décision du tribunal affirmant que l’égalité citée dans l’article 40 de la constitution est loin d’être une égalité mathématique, le législateur possédant par son pouvoir discrétionnaire et pour les besoins de l’intérêt général le pouvoir de poser des conditions objectives délimitant les situations légales où les citoyens sont égaux devant la Loi; et si ces conditions sont satisfaites chez une catégorie de personnes, il faudrait alors assurer l’égalité entre elles car leurs situations légales sont identiques. Et au cas où cette égalité fait défaut, comme par exemple l’existence de ces conditions chez certaines personnes seulement, elles seront seules à exercer les droits garantis par la Loi.

Le droit à la justice est un des droits publics dont la Constitution garantit l’égalité de tous dans son exercice, et vu que le texte objet de recours ne distingue pas, dans le cadre de la procédure imposée pour intenter l’action, entre les travailleurs, mais a établi par contre l’égalité de tous devant ses dispositions, en leur imposant le respect du délai exigé comme date limite à l’expiration de laquelle le droit au procès devient caduc.

Ainsi, le texte objet de recours ne prive pas une catégorie de travailleurs du droit à la justice; ils sont tous régis par les mêmes règles que le législateur a posées dans la réglementation de ce droit; Par le fait même, il ne viole pas l’article 40 de la Constitution.

EGY / 1990 / A11
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 19-10-1990 / Affaire n°37, 9 e année judiciaire/abstrats

1.4.5. Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.1.4 Droits fondamentaux – problématique générale – limites et restrictions
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux

Candidats (à une élection) – Discriminations – Egalité des chances – Loi (égalité devant la loi)

6. – La Constitution – La nature du principe de l’égalité.

Prééminence dans la constitution du principe de l’égalité de tous devant la loi dans le chapitre des libertés et des droits publics, en sa qualité de base de la justice, de la liberté et de la paix sociale. Son but est de préserver les droits citoyens et leurs libertés face à toute sorte de discrimination qui pourraient leur porter atteinte ou en limiter la pratique.

7. – Domaine du principe de l’égalité – Formes de discriminations.

Le principe de l’égalité ne s’applique pas seulement aux droits et libertés citées dans la Constitution mais s’applique à tous les droits reconnus aux citoyens par les lois. L’énumération des formes de discriminations dans l’article 40 de la Constitution, se limitant à la discrimination quant au sexe, à la race, à la langue, à la religion ou à l’idéologie, n’est pas une énumération limitative. Elles ont citées car elles sont pratiquement les plus courantes. En effet, il en existe d’autres non moins dangereuses et qui contredisent le principe de l’égalité et annihilent sa base.

8. – Le principe de l’égalité – La réglementation des droits.

L’égalité citée dans l’article 40 de la Constitution est une égalité légale enfermée dans des conditions objectives relatives à la nature du droit dont il est question, et aux besoins de son application. D’un autre côté, le pouvoir discrétionnaire du législateur lui permet de poser en fonction du bien public certaines conditions objectives pour les situations légales où les citoyens sont à égalité devant la loi, de telle sorte que seuls ceux qui les satisfont en profiteront.

(…)

13 – Le droit de vote et le droit à la candidature – Le principe de l’égalité.

La Constitution a garanti aux citoyens le droit de vote et celui à la candidature; Elle les considère égaux dans l’exercice de ces droits sans aucune discrimination, ni préférence en tout ce qui s’attache à ces droits. Ces deux droits ont été reconnus d’une façon absolue aux citoyens qui en réunissent les conditions indépendamment de leurs appartenances et opinions politiques dans le but de garantir la généralité du travail national.

14. – Droit à la candidature – Principe de l’équivalence des chances.

Tous les citoyens qui satisfont aux conditions d’exercer le droit à la candidature ont des chances égales dans la formation de la politique nationale.

15. – Partis politiques – La qualité de citoyen – Les droits politiques – Le principe de l’équivalence des chances et de l’égalité.

La non distinction dans l’exercice des droits politiques entre les adhérents aux partis politiques et les non adhérents est garantie par l’article 5 de la Constitution, relatif à la pluralité des partis politiques, qui a dispensé les citoyens d’en faire partie, et son article 62 relatif aux garanties des droits politiques, qui a parlé de «citoyenneté sans aucun lien avec un parti». De même les deux principes de l’équivalence des chances et de l’égalité devant la loi accordent le même traitement légal à tous les candidats; L’institution du système des partis a été décidée, par la loi n° 400/77 antérieurement à l’amendement constitutionnel concernant la pluralité des partis, conformément à quelques libertés et droits publics dont le droit à la candidature; Ainsi, le système des partis ne peut se retourner en une limite à ces droits.

(…)

17. –L’article 62 de la Constitution – Son interprétation – Le droit à la candidature – les principes de l’équivalence des chances et de l’égalité.

L’article 62 de la Constitution garantit le droit à la candidature sans aucune obligation d’appartenance politique; l’article 8 garantit l’équivalence des chances entre tous les citoyens, et l’article 40 l’égalité de tous face aux droits publics dont le droit à la candidature et la non-discrimination en raison de leurs opinions politiques diverses. La finalité de ces textes complémentaires est de considérer les citoyens qui satisfont aux conditions de candidature à l’Assemblée nationale, dans des situations légales identiques pour l’exercice de ces droits et sur une base de chances égales pour la réussite aux élections et loin de toute considération de leurs appartenances partisanes.

18. – Constitution – Législation, système électoral.

Le pouvoir discrétionnaire du législateur dans le choix d’un système électoral est limité par le respect des liens, freins et principes adoptés par la Constitution et par la préservation des libertés et des droits publics qu’elle garantit.

19. – Assemblée nationale – Droit à la candidature – Principe de l’égalité.

La loi n° 38/72 concernant l’Assemblée nationale, amendée par la loi n° 188/86 délimite le nombre de sièges réservés à chaque circonscription proportionnellement au nombre de citoyens qui s’y trouvent et attribue dans l’article 5bis au candidat libre un siège unique de façon arbitraire indépendamment du nombre des habitants de la circonscription; Ce siège est l’objet de concurrence entre des candidats libres et autres appartenant à des partis politiques. Ceci représente une violation de la règle générale que la loi a institué dans la délimitation du nombre des sièges de chaque circonscription proportionnellement au nombre des habitants, ainsi qu’une violation au principe de l’égalité dans le traitement des candidats.

20. – Assemblée générale – Le droit à la candidature – L’article 5bis de la loi n° 38/72 amendée – Les principes de l’équivalence des chances et de l’égalité.

L’article 5bis de la loi n° 38/72 concernant l’Assemblée nationale amendée par la loi n° 188/86, prévoyant dans chaque circonscription, et pour l’élection individuelle un siège unique, objet de concurrence entre les candidats libres et ceux des partis politiques et plusieurs autres réservés aux candidats des partis, comporte une violation flagrante au droit des citoyens n’appartenant pas à des partis politiques quant à leur candidature et sur la base de l’équivalence des chances avec les autres candidats, et une discrimination basée sur les opinions politiques en violation des articles 8, 40 et 62 de la Constitution.

(…)

6. – 7. – Le droit d’égalité devant la loi a été le premier à être cité dans la Constitution dans son chapitre consacré aux libertés et droits publics, en y occupant la première place vu qu’il est la base de la justice, de la liberté et de la paix sociale, et vu que son but est de préserver les droits des citoyens et leurs libertés face à toute forme de discrimination qui leur porte atteinte ou en limite l’exécution. Il s’agit donc d’un moyen de protection légale équitable applicable non seulement aux libertés et droits publics rappelés par la Constitution, mais aussi aux droits dont la source est la loi.

Et si la Constitution dans son article 40 a interdit la distinction entre les citoyens quant au sexe, la race, la langue, la religion ou l’idéologie, c’est parce que ces formes de discriminations sont les plus courantes et non pas parce qu’elle a voulu s’y limiter. Limiter la discrimination interdite à ces formes serait permettre et considérer conformes à la Constitution les autres. Il n’en va pas ainsi. La preuve est que plusieurs autres formes non signalées par la Constitution n’en sont pas moins importantes telle la discrimination entre les citoyens dans le domaine des libertés et droits publics garantis par la Constitution pour des considérations de naissance, de classe sociale, d’appartenance à des classes ou à l’adoption d’une opinion politique; Ainsi, toutes les formes de discrimination qui s’opposent de par leur contenu au principe de l’égalité et portent atteinte à son fondement doivent être soumises au contrôle judiciaire de la Haute Cour constitutionnelle afin de garantir le principe de l’égalité dans tous ses aspects pratiques.

8. – L’égalité signalée dans l’article 40 de la Constitution ne signifie pas une égalité effective rendant les citoyens égaux en droits et obligations quelles que soient leurs situations légales mais il s’agit d’une égalité juridique soumise à des conditions objectives quant à la nature du droit et aux exigences de son application. Le législateur, de par son pouvoir discrétionnaire et dans l’intérêt public, peut poser certaines conditions objectives aux situations légales où les citoyens seront égaux; Comme ces conditions sont satisfaites chez une catégorie de personnes, il a fallu établir l’égalité vu que leurs situations légales sont identiques; Par contre au cas où ces situations sont distinctes, vu que les conditions satisfaites chez les uns ne le sont pas chez les autres, l’égalité n’est plus de rigueur.

(…)

13. – La Constitution, tout en garantissant aux citoyens le droit de vote et le droit à la candidature, les a mis à égalité quant à leur application et n’a point permis de discriminations ou de préférence dans leur exécution; Au contraire, elle leur a accordé ces droits – à ceux qui satisfont aux conditions posées indépendamment de leurs appartenances et opinions politiques, dans le but de garder au travail national sa généralité sans aucun privilège.

14. – 15. – Les citoyens qui satisfont aux conditions prévues pour exercer le droit à la candidature disposent des mêmes chances pour contribuer et – de façon égale – à la formation de la politique nationale et à en déterminer les aspects définitifs. Ceci est confirmé par l’article 5 de la Constitution, qui, en insinuant la pluralité des partis, n’a point signalé l’obligation aux citoyens à adhérer à un parti politique ni la limitation de l’exercice des droits politiques par l’article 62 de la Constitution à l’appartenance partisane; Ainsi la liberté d’adhérer ou non à un parti politique et d’exercer les droits politiques à travers les partis est laissée au citoyen, tant que l’article 62 de la Constitution, relatif à la garantie de ces droits politiques a parlé de «citoyenneté» sans le moindre attribut partisan. Ceci prouve que l’article 5 de la Constitution en signalant la pluralité des partis, base du système politique de l’Etat, a imposé que le système partisan soit cadre par les principes fondamentaux de la société égyptienne. Nul doute que les deux principes de l’équivalence des chances et de l’égalité devant la loi exigent le traitement des candidats à égalité conformément à l’équivalence des chances de tous sans aucune discrimination quant à la qualité de partisan; Une telle discrimination serait basée sur la divergence des opinions politiques, chose interdite constitutionnellement. De plus, le système partisan a été adopté par la loi n° 40/77 avant l’amendement constitutionnel de la pluralité des partis politiques; Comme il fallait à cette loi un fondement constitutionnel à l’ombre de l’Union Socialiste Arabe, le législateur s’était basé sur quelques libertés et droits publics reconnus par la Constitution, dont la liberté d’opinion et celle de l’idéologie politique, le droit de vote et le droit à la candidature, ainsi que le droit de créer des partis politiques qui en découle,delà; il ne serait pas correct que le système partisan se retourne contre les libertés et les droits publics dont il émane, et le droit à la candidature est un de ces droits publics inévitables de la nature des systèmes démocratiques parlementaires et imposés par leur élément de base qui consiste à remettre la souveraineté au peuple.

16. – L’interprétation des textes de la Constitution doit se faire d’une façon uniforme; il s’agit d’un tout indissociable, où chaque texte sera interprété conformément à l’autre, afin d’éviter toute discordance.

17. – La Constitution a garanti aux citoyens dans son article 62 le droit à la candidature sans condition d’appartenance partisane, et dans son article 40 l’égalité face aux droits publics dont le droit à la candidature qui vient en tête des autres de par son attachement à la volonté populaire, expression de la souveraineté du peuple et les a préservé de toute discrimination en raison des divergences des opinions politiques, comme elle a obligé l’Etat dans son article 8 à leur garantir l’équivalence des chances. Ces textes qui se complètent, se lient, impliquent que les citoyens qui satisfont aux conditions de candidature à l’Assemblée nationale sont considérés par rapport à ce droit dans des situations légales identiques; De là, l’exercice de ce droit se fera à égalité et sur la base des mêmes chances de réussite abstraction faite de leurs appartenances partisanes ou de leur indépendance. Ainsi, la réussite du candidat – libre ou partisan – aura pour base la volonté des électeurs qui détiennent la souveraineté populaire, source de tous les pouvoirs.

18. – Bien que le législateur dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant au choix du système électoral, son pouvoir se voit limité par le respect des obstacles et principes posés par la Constitution et par ceux des libertés et droits publics qu’elle garantit.

19. – La loi n° 38/1972 relative l’Assemblée nationale et amendée par la loi n° 188/1986, délimite le nombre des députés de chaque zone électorale, en le variant d’une zone à l’autre comme en témoigne la note explicative de la loi n° 114/1983 comportant un amendement de la loi de l’Assemblée nationale à l’exception des mohafazats que le législateur a voulu exclure de cette règle pour les considérations mentionnées dans la même note explicative. Quoi qu’on pense de cette exception et à supposer que les autres mohafazats se plient à cette règle, la loi, en donnant au candidat individuel un siège unique dans chaque zone électorale en dépit du nombre variable des citoyens et en accordant les autres dans chaque zone aux candidats des listes des partis, se sert de la différence du nombre des citoyens comme base pour fixer le nombre des sièges affectés aux candidats des listes des partis, sans que cela ait des conséquences sur les candidats conformément à la loi électorale individuelle qui fait concourir les indépendants et autres membres des partis politiques vers un siège unique fixé arbitrairement par le législateur dans chaque zone électorale quel qu’en soit le nombre des citoyens, et viole ainsi – et sans aucune objectivité – la règle générale, pour fixer le nombre des sièges des députés de chaque zone électorale proportionnellement au nombre des habitants, ce qui porte atteinte au principe d’égalité vis-à-vis des deux catégories de candidats.

20. –L’article 5bis de la loi n° 38/1972 relative à l’assemblée nationale et amendée par la loi n° 188/1986, en stipulant qu’il y a pour chaque zone un seul membre élu individuellement, alors que l’élection des autres membres représentant la zone se fait sur des listes des partis, dévoile clairement l’intention du législateur dans le choix du siège unique – pour le système électoral individuel – objet d’une concurrence entre les candidats membres des partis politiques et d’autres indépendants bien qu’il ait consacré plusieurs sièges aux premiers des partis. En cela, cet article porte clairement atteinte au droit des citoyens non partisans à être candidats et à titre d’égalité avec les partisans des partis politiques, et cette atteinte entraîne entre les deux catégories des candidats vis-à-vis de la loi et des chances d’être élus, une discrimination basée sur la divergence des opinions politiques et constitue par là une violation aux articles 8, 40 et 62 de la Constitution; elle est donc anticonstitutionnelle puisqu’elle stipule que «chaque zone a un représentant élu à titre personnel alors que les autres le sont suivant les listes des partis.»

EGY / 1991 / A12
Egypte / Cour suprême constitutionnelle / 4-05-1991 / Affaire n° 38, 10 e année judiciaire constitutionnelle/ abstrats

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.2.2 Institutions – organes législatifs – compétences
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité Conscrits – Egalité des chances – Loi (égalité devant la loi) – Service militaire

(…)

Le principe d’égalité

L’égalité signalée par l’article 40 de la Constitution n’est pas une égalité mathématique, mais le législateur a le pouvoir discrétionnaire de poser, dans l’intérêt général, des conditions objectives de certaines situations légales où les citoyens sont égaux devant la loi; ainsi, seuls ceux qui satisfont ces conditions bénéficieront des droits prévus pour eux et garantis par la loi.

L’application du principe de l’équivalence des chances:

L’identité dans les situations légales est supposée comme une des conditions de l’application du principe de l’équivalence des chances.

Le service militaire – le principe de l’équivalence des chances et de l’égalité

L’article 44 de la loi sur le service militaire et national concerne l’égalité entre l’ancienneté et la période de l’expérience des conscrits avec leurs camarades de promotion nommés au même poste; le législateur en a limité l’application aux compétents préjudiciés par le service militaire au cas où leurs camarades de promotion les dépassent dans les nominations; cette considération est inexistante chez les conscrits non compétents et non concernés par une promotion vu que leurs situations légales sont différentes de celles des conscrits compétents. En leur appliquant l’article en question, ils seraient favorisés légalement par rapport aux conscrits compétents, alors que ces derniers sont seuls à bénéficier de l’inscription du camarade de promotion et du calcul de la période du service militaire dans l’ancienneté ou l’expérience alors que les premiers sont libérés de ce lien. Ainsi, il n’y a pas de violation des deux principes de l’équivalence des chances et de l’égalité.

(…)

EGY / 1998 / A13
Egypte/Cour suprême constitutionnelle/3-07-1998/52, N.K. Affaire n° 11, 17 e année judiciaire/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4. Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.32 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété
5.2.32 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété

Egalité des chances – Locataires – Locaux à usage professionnel – Loi (égalité devant la loi)

(…)

Etant donné que la loi n° 51 de 1981 organisant les établissements médicaux, stipule, dans son article premier, que «pour appliquer cette loi, est considéré comme un établissement médical tout endroit destiné à ausculter les malades ou à les traiter ou à les soigner ou pour y séjourner pour la convalescence; il comprend ce qui suit:

a) la clinique privée, c’est toute institution que possède ou que loue, ou que dirige un médecin ou un dentiste, chacun selon la profession qu’il est autorisé à exercer, et préparée pour recevoir les malades et les soigner médicalement. Il est permis qu’on y mette des lits, pas plus que trois.

(…)

L’article 5 de la même loi stipule que: «La location d’un établissement médical ne prend pas fin avec le décès du locataire, ou son abandon du lieu; le contrat de location reste valable pour ses héritiers et ses co-associés, pour qu’il serve au même usage; il lui est permis, à lui et à ses héritiers de résilier la location en faveur d’un médecin autorisé à exercer la profession. Dans tous les cas, le locateur est obligé de libeller un contrat de location en faveur de ceux qui ont droit de continuer à utiliser le local».

Etant donné que la Société accusatrice reproche à l’article 5 sus-mentionné, que ce qui a été décidé, visant à permettre la résiliation de la part du médecin ou des héritiers «après lui», du droit de louer sa clinique privée à un autre médecin autorisé à exercer la profession, la loi aurait violé des règles générales, entre autres celles qui interdisent au locataire de résilier son droit à la location, et en font un motif pour que le locateur reprenne le local loué, ce qui signifie la privation du propriétaire du lieu, celui-ci ne pouvant jamais profiter des bienfaits de son local; c’est aussi une violation des droits stipulés par l’article 20 de la loi n° 136 de 1981 sus-mentionnée, en faveur des propriétaires des locaux loués, dans le cas où on les résilie en faveur d’autrui. Cela constitue l’annulation de la protection garantie par la Constitution de la propriété privée dans les deux articles 32 et 34, et une déviation de se conformer au principe de l’égalité des chances, et de l’égalité entre les citoyens devant la loi, stipulées dans les deux articles 8 et 40 de la Constitution.

(…)

Etant donné que les constitutions égyptiennes, à commencer par celle de 1923 et jusqu’à celle en vigueur actuellement, ont toutes répété le principe de l’égalité devant la loi, et en ont garanti l’application pour tous les citoyens, en tant qu’il est le fondement de la justice, de la liberté et de la paix sociale, et en estimant que l’objectif visé représente dans son origine, la sauvegarde des droits des citoyens et de leurs libertés, en face des aspects distinctifs qui leur nuisent ou qui en entravent l’exercice. Ce principe est devenu – dans son essence – un moyen pour fixer la sauvegarde légale à égalité, dont le cadre de sa pratique ne se limite pas aux droits et libertés mentionnés dans la Constitution; mais l’étendue de ces affaires touche de même toutes les libertés garanties par le législateur aux citoyens dans les limites de son pouvoir discrétionnaire et à la lumière de ce qu’il considère comme relevant de l’intérêt général. Et si la Constitution, dans son article 40, met en garde de faire une discrimination entre les citoyens étant dans des situations identiques, sur le fondement du sexe, de l’origine, de la langue, de la religion ou de la croyance, toutefois quand la Constitution dit les mêmes aspects, et qu’il est interdit d’introduire une discrimination entre eux, cela revient à ce que ces cas sont les plus répandus dans la vie effective, et rien n’indique qu’il faut s’y limiter; car, si cela était vrai, la discrimination entre les citoyens dans d’autres cas, aurait été constitutionnellement permise, ce qui est contraire à l’égalité garantie par la Constitution; et cela empêche de poser ses bases et d’atteindre ses fins. Le principe est qu’il existe des aspects de discrimination non mentionnés dans l’article 40 de la Constitution et qui ne sont pas moindres dans leur importance, suivant leur contenu ou les traces qu’ils laissent. Comme la discrimination entre les citoyens dans le cadre des droits dont ils jouissent, ou les libertés qu’ils exercent, eu égard à leur origine familiale ou à leur situation sociale ou à leur appartenance à une classe sociale, ou à leurs penchants politiques ou ethniques ou à leur fanatisme tribal ou à leur attitude vis-à-vis de l’autorité générale, ou à leurs intérêts dans ses organisations, on les construit pour travaux personnels, et autres formes de discrimination qui n’ont pas de bases objectives qui lui ressemblent. Le texte objet de contestation, cherche, grâce aux qualités et aux droits qu’il a garantis pour les médecins seuls, à les préférer à d’autres locataires, et à refuser aux autres le droit d’en jouir, bien que leur situation juridique soit la même, sans que cette préférence soit basée sur des principes légaux. Il manque à ce texte des fondements objectifs; et le législateur avait interdit, par le texte de l’article 40 de la Constitution, considérant le contenu, une discrimination arbitraire.

Etant donné ce qui précède, le texte contesté à été introduit grâce à la protection de la propriété privée garantie par les Constitutions, annulant le principe d’égalité devant la loi, il contredit alors les dispositions des articles 32, 33 et 40 de la Constitution.

Pour ces motifs:

La Cour a jugé la non constitutionnalité de l’article 5 de la loi n° 51 de l’année 1981, qui organise les institutions médicales, en ce qu’il contient des exceptions relatives à la résiliation de la part du médecin, ou de ses héritiers après lui, de son droit de location d’un local pris comme lieu de sa clinique privée, en faveur d’un autre médecin autorisé à exercer la même profession, et une exemption de se soumettre aux prescriptions de l’article 20 de la loi n° 136 pour l’année 1981, relativement à certaines prescriptions particulières concernant la location et la vente des locaux, et à l’organisation de la relation entre locateur et locataire.

Conseil constitutionnel de France

Sélection établie avec le concours du Pr Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV.

FRA / 1973 / A01
France / Conseil constitutionnel / 27-12-1973 / 73-51 DC / Loi de finances pour 1974 et notamment son article 62 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – Objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Preuve (possibilité d’apporter une preuve contraire à une décision de taxation d’office)

(…)

1. – Considérant que les dispositions de l’article 62 de la loi de finances pour 1974 tendent à ajouter à l’article 180 du code général des impôts des dispositions qui ont pour objet de permettre au contribuable, taxé d’office à l’impôt sur le revenu dans les conditions prévues audit article, d’obtenir la décharge de la cotisation qui lui est assignée à ce titre s’il établit, sous le contrôle du juge de l’impôt, que les circonstances ne peuvent laisser présumer l’existence de ressources illégales ou occultes ou de comportement tendant à éluder le paiement normal de l’impôt;

2. – Considérant, toutefois, que la dernière disposition de l’alinéa ajouté à l’article 180 du code général des impôts par l’article 62 de la loi de finances pour 1974, tend à instituer une discrimination entre les citoyens au regard de la possibilité d’apporter une preuve contraire à une décision de taxation d’office de l’administration les concernant; qu’ainsi ladite disposition porte atteinte au principe de l’égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution;

3. – Considérant, dès lors, qu’il y a lieu de déclarer non conforme à la Constitution la dernière disposition de l’alinéa ajouté à l’article 180 du code général des impôts par l’article 62 de la loi de finances pour 1974;

4. – Considérant que cette disposition, qui se présente comme une exception à une faculté ouverte par le législateur d’écarter, au moyen d’une preuve contraire, l’application d’une taxation d’office, constitue donc un élément inséparable des autres dispositions contenues dans l’article 62 de la loi de finances; que, dès lors, c’est l’ensemble dudit article qui doit être regardé comme contraire à la Constitution;

5. – Considérant, au surplus, que l’article 62 de la loi de finances a été introduit dans ce texte sous forme d’article additionnel en méconnaissance évidente des prescriptions de l’article 42, premier alinéa, de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, aux termes duquel: Aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être présenté, sauf s’il tend à supprimer ou à réduire une dépense, à créer ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des dépenses publiques;

6. – Considérant qu’en l’état il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen par le Président du Sénat;

Décide:

Article 1er . – Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l’article 62 de la loi de finances pour 1974.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

FRA / 1982 / A02
France / Conseil constitutionnel / 16-01-1982 / Décision n° 81-132 DC / Loi de nationalisation / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – Objet du contrôle – Lois et autres normes à valeur législative
3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.2.4 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales
5.2.32.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété – nationalisation

Banques – Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

(…)

II. – Au fond.

Sur le principe des nationalisations:

Considérant que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame: Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression; que l’article 17 de la même Déclaration proclame également: La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité;

Considérant que le peuple français, par le référendum du 5 mai 1946, a rejeté un projet de Constitution qui faisait précéder les dispositions relatives aux institutions de la République d’une nouvelle Déclaration des droits de l’homme comportant notamment l’énoncé de principes différant de ceux proclamés en 1789 par les articles 2 et 17 précités.

Considérant qu’au contraire, par les référendums du 13 octobre 1946 et du 28 septembre 1958, le peuple français a approuvé des textes conférant valeur constitutionnelle aux principes et aux droits proclamés en 1789; qu’en effet, le préambule de la Constitution de 1946 réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et tend seulement à compléter ceux-ci par la formulation des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps; que, aux termes du préambule de la Constitution de 1958, le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946.

Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu’à nos jours, les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d’application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l’intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique; que la liberté qui, aux termes de l’article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre;

Considérant que l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 dispose: Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité; que cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet de rendre inapplicables aux opérations de nationalisation les principes sus rappelés de la Déclaration de 1789;

Considérant que, si l’article 34 de la Constitution place dans le domaine de la loi les nationalisations d’entreprises et les transferts d’entreprises du secteur public au secteur privé, cette disposition, tout comme celle qui confie à la loi la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété, ne saurait dispenser le législateur, dans l’exercice de sa compétence, du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’Etat.

Considérant qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel que le législateur a entendu fonder les nationalisations opérées par ladite loi sur le fait que ces nationalisations seraient nécessaires pour donner aux pouvoirs publics les moyens de faire face à la crise économique, de promouvoir la croissance et de combattre le chômage et procéderaient donc de la nécessité publique au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789;

Considérant que l’appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l’absence d’erreur manifeste, être récusée par celui-ci dès lors qu’il n’est pas établi que les transferts de biens et d’entreprises présentement opérés restreindraient le champ de la propriété privée et de la liberté d’entreprendre au point de méconnaître les dispositions précitées de la Déclaration de 1789;

Sur la désignation des sociétés faisant l’objet des nationalisations et sur le respect du principe d’égalité:

Considérant que les dispositions des articles 1er et 27 de la loi qui désignent respectivement les cinq sociétés industrielles et les deux compagnies financières faisant l’objet de mesures de nationalisation ont été prises sur le fondement et dans la limite des pouvoirs qui, comme il vient d’être dit, appartiennent au législateur; que les caractères spécifiques attachés à chacune de ces sociétés font obstacle à ce que le principe d’égalité puisse être utilement invoqué par comparaison avec la situation d’autres sociétés non visées par la loi de nationalisation; qu’ainsi les articles 1er et 27 de la loi ne sont pas contraires à la Constitution;

Considérant que, s’agissant de la nationalisation de banques, l’article 13 de la loi énonce en premier lieu dans son paragraphe I la règle générale selon laquelle sont désignées les sociétés tombant sous le coup de la nationalisation ainsi que les dérogations apportées à cette règle générale, puis, dans son paragraphe II, établit la liste des sociétés nationalisées;

Considérant qu’il est fait tout d’abord grief au législateur d’avoir, dans le paragraphe I de l’article 13, retenu comme critère général des nationalisations de banques la détention à la date du 2 janvier 1981 par les banques inscrites sur la liste du Conseil national du crédit d’un milliard de francs ou plus sous forme de dépôts à vue ou de placements liquides ou à court terme en francs ou devises au nom de résidents selon les définitions adoptées par le Conseil national du crédit; qu’il est reproché à cette disposition de recourir à un critère non significatif et arbitraire;

Considérant qu’il appartenait au législateur, en fonction de la nécessité publique constatée par lui, d’exclure de la nationalisation les banques les moins importantes; que le critère retenu pour déterminer le seuil au-dessous duquel les banques échappent à la nationalisation n’est pas sans rapport avec son objet;

Considérant que, d’autre part, l’article 13-I de la loi exclut de la nationalisation les banques ayant le statut de sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie fixé par l’ordonnance n° 67-837 du 28 septembre 1967 ou le statut de maison de réescompte fixé par le décret n° 60-439 du 12 février 1960; les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif; les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des personnes physiques ne résidant pas en France ou à des personnes morales n’ayant pas leur siège social en France;

Considérant que, sur le principe même des dérogations ainsi apportées au critère général de la détermination des banques nationalisables, il est allégué que de telles dérogations, qui laissent hors du champ d’application de la loi des sociétés de banque non moins importantes que celles qu’il inclut, seraient la preuve que les nationalisations de banques n’étaient pas nécessaires à la réalisation des buts que le législateur a entendu poursuivre;

Considérant que cette allégation ne saurait être retenue; qu’en effet, le législateur avait le pouvoir d’apprécier quelle devait être l’étendue des nationalisations de banques pour la réalisation des objectifs qu’il assignait à ces nationalisations;

Considérant qu’il est, également, fait grief aux dérogations faisant l’objet des dispositions précitées de méconnaître le principe d’égalité; Considérant que le principe d’égalité n’est pas moins applicable entre les personnes morales qu’entre les personnes physiques, car, les personnes morales étant des groupements de personnes physiques, la méconnaissance du principe d’égalité entre celles-là équivaudrait nécessairement à une méconnaissance de l’égalité entre celles-ci;

Considérant que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’une loi établisse des règles non identiques à l’égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes, mais qu’il ne peut en être ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence de situation et n’est pas incompatible avec la finalité de la loi;

Considérant que la dérogation visant les banques ayant le statut de sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie ou le statut de maison de réescompte n’est pas contraire au principe d’égalité, certains des éléments des statuts de ces établissements leur étant spécifiques;

Considérant que, si les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des personnes physiques ne résidant pas en France ou à des personnes morales n’ayant pas leur siège social en France ont le même statut juridique que les autres banques, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, les exclure de la nationalisation en prenant motif des risques de difficultés que la nationalisation de ces banques aurait pu entraîner sur le plan international et dont la réalisation aurait, à ses yeux, compromis l’intérêt général qui s’attache aux objectifs poursuivis par la loi de nationalisation;

Considérant au contraire que la dérogation portée au profit des banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif méconnaît le principe d’égalité; qu’en effet, elle ne se justifie ni par des caractères spécifiques de leur statut ni par la nature de leur activité ni par des difficultés éventuelles dans l’application de la loi propres à contrarier les buts d’intérêt général que le législateur a entendu poursuivre;

Considérant, dès lors, qu’il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l’article 13-1 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ainsi conçues: Les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif.

(…)

Sur l’indemnisation.

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la privation du droit de propriété pour cause de nécessité publique requiert une juste et préalable indemnité;

Considérant que, par l’effet des articles 2, 14 et 28 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, la nationalisation des diverses sociétés visées par ladite loi s’opère par le transfert à l’Etat en toute propriété des actions représentant leur capital à la date de jouissance des obligations remises en échange; que les articles 5, 17 et 31 de la loi déterminent la nature et le régime des obligations qui doivent être remises aux anciens actionnaires en vue d’assurer leur indemnisation; que les articles 6, 18 et 32 de la loi fixent les règles selon lesquelles est déterminée la valeur d’échange des actions des diverses sociétés;

Considérant qu’il convient d’examiner si ces dispositions répondent à la double exigence du caractère juste et du caractère préalable de l’indemnisation;

En ce qui concerne le caractère juste de l’indemnisation:

Considérant que les actionnaires des sociétés visées par la loi de nationalisation ont droit à la compensation du préjudice subi par eux, évalué au jour du transfert de propriété, abstraction faite de l’influence que la perspective de la nationalisation a pu exercer sur la valeur de leurs titres;

Considérant que les dispositions relatives à la valeur d’échange des actions inscrites à la cote officielle des agents de change, telles qu’elles résultent des article 6, 18-1 et 32 de la loi sont différentes de celles relatives à la valeur d’échange des actions des sociétés de banque non inscrites à la même cote à la date du 1er janvier 1978, qui résultent de l’article 18-2 de la loi; qu’il convient donc d’examiner distinctement chacune de ces deux séries de dispositions;

Quant à la valeur d’échange des actions inscrites à la cote officielle des agents de change;

Considérant que la détermination de la valeur des actions inscrites à la cote officielle des agents de change au jour de la dépossession ne pouvait se faire de façon directe, notamment du fait que leur cotation en bourse avait été nécessairement affectée et ceci depuis un temps assez long par la perspective même des nationalisations; qu’il appartenait donc au législateur de déterminer des règles de calcul de la valeur d’échange propres à conduire, avec une approximation inévitable mais limitée, à des résultats comparables; qu’il pouvait légitimement tenir compte des nécessités de simplicité et de rapidité du jeu des règles d’indemnisation, notamment en ce qui regarde le caractère préalable de l’indemnisation qui aurait été compromis si, pour l’essentiel de la valeur d’échange, la remise des obligations n’avait pu s’opérer au jour envisagé pour le transfert de propriété;

Considérant cependant que, quelle que fût leur force, ces nécessités pratiques ne pouvaient prévaloir sur l’exigence de la juste indemnité due à chacun des anciens propriétaires d’actions; Considérant que, sans doute, il était loisible au législateur de se référer, pour l’évaluation des actions, à une moyenne des cours de bourse pendant une certaine période, mais en assortissant cette méthode forfaitaire des aménagements propres à redresser les inégalités et les insuffisances substantielles qui pouvaient en découler;

Considérant que la moyenne des cours de bourse entre le 1er janvier 1978 et le 31 décembre 1980 est composée de cotations exprimées en francs courants; que si la dépréciation monétaire est vraisemblablement entrée en compte à la date où a eu lieu chaque cotation, il n’eût pas moins été nécessaire pour une application correcte de ce système que l’utilisation de cotations remontant loin dans le passé en vue d’exprimer la valeur des actions au 1er janvier 1982 fût affectée d’une correction adéquate, qui n’est pas prévue par la loi dans les dispositions présentement examinées;

Considérant, d’autre part, que l’utilisation uniforme d’une moyenne des cours de bourse sur une période aussi longue sans tenir compte de ce que le sens de l’évolution des cours a été différent et, en certains cas, opposé pour les diverses sociétés nationalisées, aboutit à des distorsions considérables en ce qui regarde ce qu’aurait pu être la valeur réelle des actions au moment de la dépossession;

Considérant, il est vrai, que, selon les dispositions susvisées, la référence à la moyenne des cours de bourse des années 1978, 1979 et 1980 n’entre que pour 50 p. 100 dans le calcul de la valeur d’échange des actions et se trouve complétée pour 25 p. 100 par la référence à la situation comptable nette et pour 25 p. 100 par la référence au produit par 10 du bénéfice net moyen;

Considérant que l’appel à d’autres critères que celui de la moyenne des cours de bourse aurait dû précisément, selon l’intention du législateur, corriger les imperfections de la référence à la moyenne des cours de bourse, affectée des modalités ci-dessus relevées qui en altéraient la pertinence;

Mais considérant que cette fin est inégalement atteinte par les dispositions présentement examinées; qu’en particulier, la référence à la situation nette comptable sans prise en compte des actifs des filiales ainsi que la référence au bénéfice net moyen sans prise en compte des bénéfices des filiales conduisent pour les sociétés en cause à des résultats très différents déterminés non par la différence de données économiques et financières objectives mais par la diversité des techniques de gestion et des méthodes de présentation comptable suivies par les sociétés qui, en elle-même, ne devrait pas avoir d’influence sur l’évaluation des indemnités;

Considérant, en outre, que les dispositions des articles présentement examinés ont pour effet nécessaire de priver les anciens actionnaires des dividendes qu’ils auraient perçus au titre de l’exercice 1981 et avec lesquels les intérêts que les obligations remises en échange produiront en 1982 ne font nullement double emploi;

Considérant au total qu’en ce qui concerne les actions des sociétés cotées en bourse, la méthode de calcul de leur valeur d’échange conduit à des inégalités de traitement dont l’ampleur ne saurait être justifiée par les seules considérations pratiques de rapidité et de simplicité; que ces inégalités de traitement se doublent, dans nombre de cas, d’une sous-estimation substantielle de ladite valeur d’échange; qu’enfin, le refus de reconnaître aux anciens actionnaires le bénéfice des dividendes attachés à l’exercice 1981 ou de leur accorder, sous une forme appropriée, un avantage équivalent, ampute sans justification les indemnités auxquelles ont droit les anciens actionnaires.

Quant à la valeur d’échange des actions des sociétés de banque non cotées en bourse:

Considérant que l’article 18-2 de la loi détermine la valeur d’échange des actions des sociétés de banque autres que celles dont les actions étaient inscrites le 1er janvier 1978 à la cote officielle des agents de change; que cette valeur d’échange est déterminée par référence, pour parts égales, à la situation nette comptable au 31 décembre 1980 et au produit par 10 du bénéfice net moyen des exercices 1978, 1979, 1980, définis l’une et l’autre dans des termes identiques à ceux retenus par l’article 18-1 pour la détermination de la valeur d’échange des actions cotées en bourse;

Considérant que ces dispositions appellent une appréciation analogue à celle formulée plus haut concernant le recours, pour apprécier la valeur d’échange des actions cotées en bourse, à la situation nette comptable et au produit par 10 du bénéfice net moyen; que cette appréciation est aggravée par le fait que le cours en bourse ne pouvant être pris en compte, les inégalités de traitement et les insuffisances d’évaluation pouvant résulter de ce mode de calcul produisent un plein effet; qu’en outre, les observations relatives aux dividendes attachés à l’exercice 1981 s’appliquent également au cas présentement examiné. Quant à l’ensemble des dispositions relatives à la valeur d’échange des actions:

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les articles 6, 18 et 32 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne sont pas, en ce qui concerne le caractère juste de l’indemnité, conformes aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen;

En ce qui concerne le caractère préalable de l’indemnisation:

Considérant au contraire que, sous réserve de ce qui vient d’être dit concernant l’exigence, à laquelle il n’est pas satisfait, du caractère juste de l’indemnisation, les modalités de règlement prévues pour celle-ci doivent être regardées comme en assurant suffisamment le caractère préalable;

Considérant, en effet, que, si le règlement de l’indemnisation ne s’opère pas par la remise de numéraire, les actionnaires dépossédés doivent, selon les dispositions des articles 5, 17 et 31 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, recevoir, à la date de dépossession, en échange de leurs actions, des obligations portant jouissance à cette date et produisant un intérêt semestriel payable à terme échu; que ces obligations sont inscrites à la cote officielle et donc immédiatement négociables;

Considérant que l’intérêt attaché à ces obligations est égal au taux de rendement des emprunts d’Etat dont le capital ou les intérêts ne sont pas indexés, émis à taux fixe et d’échéance finale supérieure à sept ans, constaté sur le marché secondaire de Paris par la caisse des dépôts et consignations durant les vingtcinq premières semaines du semestre précédant sa fixation; que ces dispositions tendent, d’une part, à permettre une négociation normale de ces titres sur le marché des obligations, d’autre part, à pallier les risques de dépréciation monétaire;

Considérant, enfin, que le remboursement de ces obligations au pair se fera par voie de tirage au sort en quinze tranches annuelles sensiblement égales, ce qui fait apparaître une échéance moyenne de remboursement à sept ans et demi, durée qui n’est ni anormale ni excessive;

Considérant ainsi qu’en eux-mêmes, les articles 5, 17 et 31 de la loi qui prévoient un mode d’indemnisation suffisamment équivalent à un paiement en numéraire, ne sont pas contraires à la Constitution.

(…)

En ce qui concerne la situation des actionnaires minoritaires des filiales des sociétés nationalisées:

Considérant que, par l’effet de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, certaines sociétés non directement visées par cette loi, dans lesquelles l’une des sociétés nationalisées était majoritaire, passent sous le contrôle majoritaire de l’Etat qui devient seul actionnaire de la société mère; qu’il est allégué par les sénateurs auteurs de la saisine que, de ce fait, les actionnaires minoritaires au sein des filiales considérées subiront un important préjudice en raison de la baisse de valeur de leurs actions et de la probabilité d’une restriction ou d’une suppression dans l’avenir de la distribution de dividendes; qu’ainsi l’absence de dispositions prévoyant l’indemnisation de ces actionnaires minoritaires serait contraire au principe d’égalité;

Considérant que, dans le cas visé par les auteurs de la saisine, la situation juridique des actionnaires ne se trouverait pas modifiée en ce qui concerne leurs droits au regard du ou des actionnaires majoritaires; que, d’ailleurs, le préjudice allégué est purement éventuel; qu’ainsi le fait que la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne prévoit aucune indemnisation au profit desdits actionnaires n’est en rien contraire au principe d’égalité;

Sur l’ensemble de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel: Considérant que, pour les motifs ci-dessus énoncés, ne sont pas conformes à la Constitution:

  • Les articles 4, 16 et 30 relatifs à certains pouvoirs des administrateurs généraux et des conseils d’administration;
  • Le membre de phrase de l’article 13-I ainsi conçu: Les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif;
  • Les articles 6, 18 et 32 relatifs à la détermination de la valeur d’échange des actions.

Considérant que les autres articles de la loi ne sont pas contraires à la Constitution;

Considérant, toutefois, que les dispositions des articles 6, 18 et 32 sont inséparables de l’ensemble de la loi.

Décide:

Article 1er . – Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions des articles 4, 6, 16, 18, 30 et 32 de la loi de nationalisation, ainsi que celles énoncées, à l’article 13-I, par les mots: Les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif.

Article 2. – Les dispositions des articles 6, 18 et 32 de la loi de nationalisation ne sont pas séparables de l’ensemble de cette loi.

Article 3. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

FRA / 1982 / A03
France/Conseil constitutionnel/18-11-1982/Décision n°82-146 DC/Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.4.2.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – sexe
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote
5.2.34.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – éligibilité

Listes électorales – Loi (égalité devant la loi)

(…)

Sur la conformité de la loi à la Constitution:

En ce qui concerne les dispositions de l’article L. 262 du code électoral, tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi:

2. – Considérant que pour les communes de 3500 habitants et plus les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste à deux tours; qu’aux termes de l’article L. 262 du code électoral, tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi soumise à l’examen du Conseil: Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l’entier supérieur lorsqu’il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l’entier inférieur lorsqu’il y a moins de quatre sièges à pourvoir… Si aucune liste n’a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l’entier supérieur, lorsqu’il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l’entier inférieur lorsqu’il y a moins de quatre sièges à pourvoir;

3. – Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, le fait que le nombre des sièges attribués à la liste venant en tête soit égal à la moitié des sièges à pourvoir, arrondi, lorsqu’il s’agit d’un nombre impair, au chiffre inférieur quand il y a moins de quatre sièges à pourvoir et au chiffre supérieur quand il y en a plus, serait contraire au principe d’égalité, aucune différence de situation ne justifiant l’application de ces règles différentes;

4. – Considérant qu’il appartient au législateur de poser la règle d’attribution du siège restant après division par deux du nombre total des sièges à pourvoir dont une moitié est attribuée à la liste parvenue en tête et l’autre répartie à la proportionnelle lorsque ce nombre total est impair; qu’aucun principe de valeur constitutionnelle n’impose que la règle appliquée soit identique quelque soit le nombre total des sièges à pourvoir mais que le principe d’égalité exige seulement que la même règle soit appliquée à chaque fois que le nombre de sièges à répartir est le même; que la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel répond à cette exigence et, dès lors, ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi;

En ce qui concerne les dispositions de l’article L. 260bis du code électoral, tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi:

5. – Considérant qu’en vertu de l’article 4 de la loi soumise à l’examen du Conseil, les conseillers municipaux des villes de 3500 habitants et plus sont élus au scrutin de liste; que les électeurs ne peuvent modifier ni le contenu ni l’ordre de présentation des listes et qu’en vertu de l’article L. 260bis: Les listes de candidats ne peuvent comporter plus de 75 p. 100 de personnes du même sexe;

6. – Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la Constitution: La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. Et qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen: Tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents;

7. – Considérant que du rapprochement de ces textes il résulte que la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance de l’élu; que ces principes de valeur constitutionnelle s’opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles; qu’il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l’élection des conseillers municipaux;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la règle qui, pour l’établissement des listes soumises aux électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur sexe, est contraire aux principes constitutionnels cidessus rappelés; qu’ainsi, l’article L. 260bis du code électoral tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel doit être déclaré contraire à la Constitution;

9. Considérant que doivent être déclarées contraires à la Constitution, par voie de conséquence, les dispositions qui, aux articles L. 265 et L. 268 du code électoral, font application de la règle posée à l’article L. 260bis;

En ce qui concerne les autres dispositions de la loi:

10. Considérant qu’en l’espèce il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office aucune autre question de conformité à la Constitution de la loi soumise à son examen.

Décide:

Article 1er . – La demande de M. Alain Tourret est irrecevable.

Article 2. – Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions de l’article 4 de la loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, qui introduisent dans le code électoral un article L. 260bis.

Est également déclarée contraire à la Constitution l’adjonction du mot sexe à l’article L. 265 ainsi que des mots et L. 260bis aux articles L. 265 et L. 268 du code électoral.

Article 3. – Les autres dispositions de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel sont déclarées conformes à la Constitution.

Article 4. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

FRA / 1988 / A04
France / Conseil constitutionnel / 7-01-1988 / Décision n° 87-232 DC / Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.16 Principes généraux – proportionnalité
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.32.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété – autres limitations

Actionnaires – Banques – Mutualisation – Sociétaires (égalité entre les sociétaires)

(…)

Le Conseil constitutionnel, rapporteur ayant été entendu;

1. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines soutiennent en premier lieu que l’ensemble de la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole est contraire à la Constitution en raison même de son objet, en second lieu que les dispositions particulières des articles 2, 3, 6, 8, 15 et 17 de la loi sont également contraires à la Constitution;

2. – Considérant que les sénateurs auteurs de l’autre saisine demandent que les dispositions de l’article 15 de la loi qu’ils défèrent au Conseil constitutionnel soient déclarées contraires à la Constitution. Sur l’ensemble de la loi et sur le principe de la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole

3. – Considérant que, selon son intitulé, la loi présentement examinée a pour objet la «mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole»; que, pour l’essentiel, le législateur a entendu la mutualisation de la manière suivante: une société anonyme, régie par la loi du 24 juillet 1966, est substituée à l’établissement public dénommé Caisse nationale de Crédit agricole; cette société, qui garde le nom de l’ancien établissement, recueille l’ensemble de son patrimoine et demeure chargée des mêmes missions; l’Etat, détenteur des actions de la société, est autorisé à céder celles-ci à des catégories limitativement énumérées de personnes morales ou physiques, au premier rang desquelles les caisses régionales de crédit agricole mutuel, dont l’ensemble se voit d’ailleurs réserver près des neuf dixièmes du capital social; qu’ainsi la mutualisation, telle que l’a conçue le législateur, résulte non de la soustraction de la Caisse nationale au droit commun des sociétés anonymes, sinon sur certains points particuliers, mais du fait que la possibilité d’en devenir actionnaire est réservée aux caisses régionales de Crédit agricole mutuel et accessoirement à des personnes physiques ayant des liens avec le Crédit agricole mutuel;

4. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines font valoir à l’encontre de cette opération de mutualisation et donc de l’ensemble de la loi, d’une part qu’un tel objet ne saurait être réalisé par voie d’autorité, d’autre part qu’en limitant à certaines catégories de personnes le droit d’acquérir des actions de la société substituée à l’ancien établissement public, la loi a méconnu le principe constitutionnel d’égalité;

(…)

7. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines soutiennent que «la loi rompt gravement l’égalité entre les citoyens dès lors qu’elle réserve à quelques uns d’entre eux seulement la possibilité d’acquérir le capital de la Caisse nationale de Crédit agricole»; qu’en effet, aussi longtemps que la caisse est demeurée dans le secteur public, c’est l’universalité des citoyens qui en a tiré bénéfice et que, dès lors, en cas de transfert au secteur privé, c’est l’universalité des citoyens qui doit avoir accès à son rachat; que, toujours selon les auteurs de la saisine, l’article 34 de la Constitution, par ses termes mêmes, exclut la privatisation au profit de certaines catégories de personnes et la création «d’une catégorie particulière et fermée de ce qu’on pourrait appeler les acquéreurs des biens nationaux»; qu’enfin, on ne saurait justifier les dispositions de la loi ainsi critiquées par la différence de situation qui existerait entre les caisses régionales de crédit agricole et les autres acquéreurs potentiels d’actions de la Caisse nationale car, ni en droit ni en fait, les caisses régionales de crédit agricole ne se distinguent de bien d’autres établissements bancaires;

8. – Considérant que, dès lors, selon les auteurs de cette saisine, si la loi a pu légitimement réserver une petite partie des actions de la Caisse nationale à certains salariés, elle est en revanche contraire à la Constitution en ce qu’elle dénie le droit d’acquérir des actions de la nouvelle société à toutes personnes autres que celles qu’elle énumère;

9. – Considérant que, si l’article 34 de la Constitution attribue compétence au législateur pour fixer les règles concernant «les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé», il ne lui impose, par lui-même, aucune modalité particulière pour la réalisation de ce transfert; que, cependant, dans l’exercice de sa compétence, le législateur ne saurait méconnaître aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle et notamment le principe d’égalité;

10. – Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit;

11. – Considérant que, né à la fin du siècle précédent, le Crédit agricole mutuel, sous la double impulsion des sociétaires et des pouvoirs publics, a abouti à la constitution d’un réseau bancaire composé des caisses locales, des caisses régionales et de la Caisse nationale de Crédit agricole; que, d’ailleurs, l’existence d’un tel réseau est reconnue par diverses dispositions législatives du titre I er du livre V du code rural et par les articles 20 et 21 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative aux établissements de crédit; que, si l’implantation de cet ensemble et sa clientèle sont loin d’être exclusivement rurales et si de nombreuses opérations des caisses ne diffèrent pas des opérations bancaires courantes, il n’est pas moins vrai que l’essentiel de ses activités est orienté au profit du monde agricole; que nombre des services bancaires qu’il peut rendre sont réservés non seulement aux sociétaires des caisses mais, parmi ceux-ci, à ceux d’entre eux qui exercent une profession agricole ou une profession se rattachant à l’agriculture;

12. – Considérant que la Caisse nationale de Crédit agricole, en sa qualité d’organe central du Crédit agricole mutuel, est investie d’un large pouvoir de contrôle et de surveillance sur le fonctionnement des caisses régionales; qu’elle centralise les excédents monétaires des caisses régionales, bénéficiant ainsi d’une partie de l’épargne collectée par elles; qu’en contrepartie elle mobilise certaines créances à court terme des caisses régionales et consent à celles-ci des avances pour financer des prêts à moyen et long terme; qu’il existe ainsi entre la Caisse nationale et les caisses régionales des flux de capitaux dans les deux sens et donc d’étroites relations financières;

13. – Considérant que, comme il sera dit plus loin à propos de l’article 8 de la loi, le législateur était habilité à transférer du secteur public au secteur privé l’organe central du réseau de crédit agricole mutuel; que, pour déterminer les catégories de personnes susceptibles d’acquérir les actions de la société anonyme substituée à l’ancien établissement public, il pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, se fonder sur la différence de situation existant, au regard de l’objet de la nouvelle loi, entre les caisses régionales de crédit agricole, étroitement liées à la Caisse nationale du point de vue juridique, financier et économique et les autres personnes physiques ou morales extérieures au Crédit agricole qui auraient pu envisager de devenir actionnaires; qu’au surplus, le législateur a pu tenir compte de l’intérêt général qui, selon son appréciation, postule le maintien d’un réseau bancaire homogène appelé, par sa structure, à préserver la vocation spécifique du Crédit agricole au service du monde agricole et rural; qu’ainsi la loi a pu réserver aux caisses régionales de Crédit agricole le droit d’acquérir près des neuf dixièmes des actions de la Caisse nationale;

14. – Considérant dès lors que, sous réserve de l’examen des dispositions particulières de la loi, celle-ci ne saurait, de prime abord et dans son ensemble, être regardée comme non conforme à la Constitution;

(…)

19. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines font valoir que les dispositions de l’article 6 de la loi portent atteinte à l’égalité qui doit exister entre les caisses régionales dans l’exercice de leur droit d’acquérir des actions de la Caisse nationale; qu’en effet ledit article 6 opère la répartition des offres d’actions réservées aux caisses régionales «au prorata du total du bilan de chacune d’elles arrêté à la fin de l’exercice 1986»;

20. – Considérant que, selon les députés auteurs de cette saisine, la référence ainsi faite au bilan de l’exercice 1986 ne tiendrait compte ni des différences de techniques de gestion et de méthodes de présentation comptable pouvant exister entre les caisses, ni de la nécessité, pour prendre une vue exacte de l’importance de chaque caisse, de disposer d’éléments couvrant une durée supérieure à l’année; que le caractère défectueux de cette référence pourrait donc conduire à des inégalités dans la détermination du nombre d’actions réservées à chaque caisse régionale;

21. – Considérant que, si dans le calcul du nombre d’actions offertes à chaque caisse, le législateur était tenu de ne pas procéder arbitrairement, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne lui imposait de recourir aux techniques d’analyse financière rigoureuses prévues pour déterminer la valeur d’entreprises en cas de cession totale ou partielle; que, eu égard à l’objet du calcul à opérer et à la similitude des pratiques comptables des caisses régionales, la référence au total du bilan 1986 ne méconnaît pas l’égalité entre les caisses;

22. – Considérant ainsi que l’article 6 n’est pas contraire à la Constitution;

(…)

34. – Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines font valoir que ces dispositions sont contraires à la Constitution en tant qu’elles garantissent une représentation majoritaire aux sociétaires membres des groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617 du code rural, alors même que les autres sociétaires seraient plus nombreux ou que leur participation financière serait plus importante; que, sans doute, la spécificité du Crédit agricole aurait pu justifier certains aménagements favorisant la représentation des agriculteurs, mais que la disposition critiquée excède manifestement l’importance de la dérogation à l’égalité qui aurait pu être admise;

35. – Considérant que les députés auteurs de cette saisine soutiennent en outre que l’article 15 n’est pas séparable du reste de la loi et que, par suite, la déclaration de non conformité à la Constitution dont il doit faire l’objet doit s’étendre à l’ensemble de la loi; qu’en effet, la loi n’aurait pas été votée par le Parlement si l’article 15 en avait été absent;

36. – Considérant que les sénateurs auteurs de l’autre saisine font pareillement valoir que l’article 15 est contraire au principe d’égalité en ce que ses dispositions privilégient dans l’administration des caisses régionales certaines catégories de sociétaires au détriment des autres; que, de plus, le texte critiqué est imprécis puisqu’il fixe un seuil minimum de représentation des catégories privilégiées ouvrant ainsi la possibilité d’accroître encore le taux de représentation qui leur est garanti, sans que d’ailleurs soit précisé quelles autorités pourraient fixer ce taux et selon quelles modalités;

37. – Considérant que, en vertu de l’article 616 du code rural, peuvent être sociétaires des caisses régionales de crédit agricole les membres des groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617, les collectivités mentionnées dans l’ensemble de cet article (de son 1° à son 17°) ainsi que les artisans ruraux n’employant pas plus de deux ouvriers de façon permanente; que ce recrutement a été élargi par le décret n° 71-671 du 11 août 1971 modifié par le décret n° 76804 du 20 août 1976 à certaines catégories de personnes physiques ou morales qui, sans avoir d’activités spécifiquement agricoles, ont des liens avec ces activités ou avec le milieu rural;

38. – Considérant qu’il suit de là que les sociétaires appartenant aux groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617 du code rural ne constituent pas nécessairement la majorité des sociétaires d’une caisse régionale de crédit agricole; qu’au contraire il peut se faire que cette majorité soit constituée par les autres sociétaires, c’est-à-dire par les collectivités énumérées aux 8° à 17° de l’article 617 et par les personnes physiques ou morales visées par le décret du 11 août 1971 modifié;

39. – Considérant que les dispositions de l’article 15 de la loi ont pour objet non d’accorder aux membres des groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617 du code rural des droits de vote supérieurs à ceux des autres sociétaires, mais de leur garantir la majorité au sein du conseil d’administration même s’ils ne constituent pas la majorité des membres de la caisse;

40. – Considérant que, pour déroger ainsi à l’égalité entre les sociétaires, le législateur s’est fondé d’une part sur le fait que certains des services que les caisses mettent à la disposition de leurs sociétaires sont réservés aux seuls agriculteurs qui se trouvent ainsi dans une situation différente de celle des autres sociétaires quant à l’intérêt personnel qu’ils ont à la gestion des caisses, d’autre part sur l’intérêt général qui s’attache à ce que les caisses régionales, en dépit de leurs activités débordant le monde strictement agricole, demeurent fidèles à l’orientation générale qui est celle du Crédit agricole;

41. – Considérant que, en elle-même, la prise en compte de telles considérations n’est pas contraire au principe constitutionnel d’égalité; qu’elle aurait pu justifier un aménagement approprié des droits de vote au sein des caisses régionales de nature à tempérer la stricte rigueur du principe majoritaire, à ne pas compromettre les avantages réservés aux agriculteurs dans le système de crédit agricole mutuel et à conserver à celui-ci sa vocation essentielle;

42. – Considérant cependant que ces données ne sauraient justifier que la représentation des sociétaires autres que les membres des groupements visés aux 1° à 7° de l’article 617 du code rural soit en tout état de cause minoritaire quelle que soit la proportion de ces sociétaires; que, par le caractère général et absolu de ses dispositions, l’article 15 de la loi, en l’état, apporte au principe d’égalité une atteinte qui dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour faire droit à la situation particulière de certaines catégories de sociétaires, au maintien d’avantages spécifiques au profit des activités agricoles et à la préservation de la vocation du Crédit agricole; que, dès lors, l’article 15 doit être déclaré contraire à la Constitution;

43. – Considérant qu’il ne résulte ni du texte dont il s’agit, tel qu’il a été rédigé et adopté, ni des débats auxquels la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les dispositions de l’article 15 soient inséparables de l’ensemble du texte de la loi soumise au Conseil;

(…)

Décide:

Article 1er . – L’article 15 de la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole est déclaré contraire à la Constitution.

Article 2. – Les autres dispositions de la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 3. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1990 / A05
France / Conseil constitutionnel / 22-01-1990 / Décision n° 89-269 DC / Loi portant diverses dispositions relatives à la Sécurité sociale et à la santé / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur constitutionnelle
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application –sécurité sociale

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

1. –Considérant que la conformité à la Constitution de la loi portant diverses dispositions relatives à la Sécurité sociale et à la santé est contestée en raison des conditions de son adoption par l’Assemblée nationale, qui seraient contraires à l’article 49 de la Constitution, de l’insertion par voie d’amendement de certains de ses articles et du contenu de l’article 17;

(…)

Sur l’article 17 relatif aux rapports entre les médecins et les organismes de Sécurité sociale

15.–Considérant que l’article 17 de la loi comporte deux paragraphes; que le § I, qui modifie le premier alinéa de l’article L. 162-5 du code de la Sécurité sociale, dispose que: «Les rapports entre les caisses d’assurance maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales conclues séparément pour les médecins généralistes et les médecins spécialistes, par la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives pour l’ensemble du territoire de médecins généralistes ou de médecins spécialistes ou par une convention nationale conclue par la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et au moins une organisation syndicale représentative pour l’ensemble du territoire de médecins généralistes et une organisation syndicale représentative pour l’ensemble du territoire de médecins spécialistes»; que le § II de l’article 17 apporte au deuxième alinéa de l’article L. 162-5 du code de la Sécurité sociale ainsi qu’aux articles L. 162-6, L. 162-7 et L. 162-8 de ce code des modifications destinées à substituer au concept de convention unique la notion de pluralité de conventions;

16.–Considérant que les députés auteurs de la première saisine estiment que la possibilité d’organiser par des conventions distinctes les rapports entre les caisses primaires d’assurance maladie et les médecins spécialistes, d’une part, généralistes, d’autre part, implique que les modalités de remboursement des soins dispensés aux assurés sociaux soient différentes selon que le médecin auquel ils s’adressent relève de l’une ou l’autre convention; qu’il s’ensuit, d’après eux, que se trouvent par là même violés le principe d’égalité, le principe du libre choix du médecin, le principe de l’unité de la profession médicale ainsi que la liberté d’exercice de cette profession; qu’en tout état de cause, le législateur a méconnu l’étendue de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution ainsi que les dispositions de son article 21 relatives à l’exercice du pouvoir réglementaire national par le Premier ministre;

•En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe d’égalité tel qu’il est défini par le Préambule de la Constitution de 1946:

24.–Considérant que, dans leur mémoire ampliatif, les auteurs de la première saisine se réfèrent aux dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 en vertu desquelles la nation «garantit à tous… la protection de la santé»; qu’ils analysent cette disposition comme une affirmation spécifique du principe d’égalité qui commande que le remboursement aux assurés sociaux d’une partie des honoraires versés aux médecins soit effectué dans le même cadre juridique pour tous les assurés et tous les actes médicaux concernés; qu’ils soutiennent que la réalisation de cet objectif serait nécessairement affectée par la possibilité nouvelle de conventions distinctes;

25.–Considérant qu’en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, la nation «garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.»;

26.–Considérant qu’il incombe au législateur comme à l’autorité réglementaire, selon leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes posés par le onzième alinéa du Préambule, leurs modalités concrètes d’application; qu’il leur appartient en particulier de fixer des règles appropriées tendant à la réalisation de l’objectif défini par le Préambule; qu’à cet égard, le recours à une convention pour régir les rapports entre les caisses primaires d’assurance maladie et les médecins vise à diminuer la part des honoraires médicaux qui restera, en définitive, à la charge des assurés sociaux et, en conséquence, à permettre l’application effective du principe posé par les dispositions précitées du Préambule; que la possibilité d’organiser par des conventions distinctes les rapports entre les caisses primaires d’assurance maladie et respectivement les médecins généralistes et les médecins spécialistes a pour dessein de rendre plus aisée la conclusion de telles conventions; que, dans ces conditions, il ne saurait être fait grief à l’article 17 de la loi de méconnaître les dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946;

•En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe du libre choix du médecin par le malade:

27.–Considérant que, selon les députés auteurs de la première saisine, le principe du libre choix du médecin par le malade a valeur constitutionnelle, de même que son corollaire la liberté de prescription du médecin; qu’ils font valoir que la dualité des conventions affectera ces principes en ce qu’elle créera une discrimination financière qui dissuadera «les assurés de choisir l’une des catégories de médecins concernée par l’une ou l’autre convention» et influera sur la liberté de prescription des médecins généralistes;

28.–Considérant que l’article 17 de la loi ne méconnaît en rien les principes invoqués; qu’au surplus, demeure en vigueur l’article L. 162-2 du code de la Sécurité sociale qui se réfère à des principes déontologiques fondamentaux et notamment au libre choix du médecin par le malade et à la liberté de prescription du médecin;

29.–Considérant, dans ces conditions, et sans même qu’il soit besoin de déterminer si les principes en cause ont valeur constitutionnelle, que le moyen invoqué manque en fait;

(…)

Sur l’article 24 relatif à l’allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité

32.–Considérant que l’article 24 de la loi confère à l’article L. 815-5 du code de la Sécurité sociale une nouvelle rédaction aux termes de laquelle «l’allocation supplémentaire n’est due aux étrangers qu’en application des règlements communautaires ou de conventions internationales de réciprocité»;

33.–Considérant que le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques à la condition de respecter les engagements internationaux souscrits par la France et les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République;

34.–Considérant que l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité est accordée à des personnes âgées, notamment à celles devenues inaptes au travail, dans le cas où elles ne disposeraient pas d’un montant de ressources, quelle qu’en soit l’origine, leur assurant un minimum vital; que l’octroi de cette allocation est subordonné à un délai de résidence sur le territoire français;

35.–Considérant que l’exclusion des étrangers résidant régulièrement en France du bénéfice de l’allocation supplémentaire, dès lors qu’ils ne peuvent se prévaloir d’engagements internationaux ou de règlements pris sur leur fondement, méconnaît le principe constitutionnel d’égalité;

36.–Considérant qu’il suit de là que l’article 24 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution;

(…)

Décide:

Article 1er . – Sont déclarés contraires à la Constitution dans le texte de la loi portant diverses dispositions relatives à la Sécurité sociale et à la santé:

  • l’article 24;
  • à l’article 27, les mots «dont le Parlement sera saisi avant le 31 décembre 1990»;
  • à l’article 46, les mots «dans les territoires d’outre-mer et».

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1991 / A06
France / Conseil constitutionnel / 9-05-1991 / Décision n° 91-290 / Loi portant statut de la collectivité territoriale corse / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.20 Principes généraux – égalité
4.2.3 Institutions – organes législatifs – composition
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

Incompatibilités – Listes électorales – Loi (égalité devant la loi) – Peuple corse

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

7. – Considérant que les auteurs de la première saisine comme ceux de la troisième saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l’article 1er de la loi en ce qu’elles comportent la reconnaissance du «peuple corse»; que, selon les auteurs de la première saisine, l’inconstitutionnalité de l’article 1er entraîne, par voie de conséquence, celle de l’intégralité du texte de la loi dans la mesure où l’article 1er fonde la spécificité du statut de la collectivité territoriale de Corse; que les première et troisième saisines critiquent les dispositions de la loi qui dotent la collectivité territoriale de Corse d’une «organisation particulière» ainsi que le texte de l’article 85 relatif à la refonte de la liste électorale de chaque commune de Corse;

8. – Considérant que les auteurs de la première saisine font valoir, en outre, que sont contraires à la Constitution les modalités retenues par les articles 10 à 14 de la loi en vue d’assurer la représentation au Sénat de la collectivité territoriale de Corse; qu’il en va de même des dispositions qui définissent les attributions de cette collectivité car elles ont pour effet de priver les deux départements de Corse de compétences substantielles;

9. – Considérant que les auteurs de la troisième saisine contestent également les dispositions de l’article 7 en tant qu’elles édictent une incompatibilité spécifique aux élus de Corse ainsi que celles de l’article 53 en ce qu’elles prévoient l’insertion de l’enseignement de la langue et de la culture corses dans le temps scolaire des établissements situés dans la collectivité territoriale de Corse;

•En ce qui concerne l’article 1er :

10. – Considérant que l’article 1er de la loi est ainsi rédigé: «La République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l’insularité s’exercent dans le respect de l’unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut»;

11. – Considérant que cet article est critiqué en ce qu’il consacre juridiquement l’existence au sein du peuple français d’une composante «le peuple corse»; qu’il est soutenu par les auteurs de la première saisine que cette reconnaissance n’est conforme ni au préambule de la Constitution de 1958 qui postule l’unicité du «peuple français», ni à son article 2 qui consacre l’indivisibilité de la République, ni à son article 3 qui désigne le peuple comme seul détenteur de la souveraineté nationale; qu’au demeurant, l’article 53 de la Constitution se réfère aux «populations intéressées» d’un territoire et non pas au concept de peuple; que les sénateurs auteurs de la troisième saisine font valoir qu’il résulte des dispositions de la Déclaration des droits de 1789, de plusieurs alinéas du préambule de la Constitution de 1946, de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, du préambule de la Constitution de 1958 comme de ses articles 2, 3 et 91, que l’expression «le peuple», lorsqu’elle s’applique au peuple français, doit être considérée comme une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi;

12. – Considérant qu’aux termes du premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958 «le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946»; que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle il est ainsi fait référence émanait des représentants «du peuple français»; que le préambule de la Constitution de 1946, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1958, énonce que «le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés»; que la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d’outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination; que la référence faite au «peuple français» figure d’ailleurs depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels; qu’ainsi le concept juridique de «peuple français» a valeur constitutionnelle;

13. – Considérant que la France est, ainsi que le proclame l’article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine; que dès lors la mention faite par le législateur du «peuple corse, composante du peuple français» est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion;

14. – Considérant en conséquence que l’article 1er de la loi n’est pas conforme à la Constitution; que toutefois il ne ressort pas du texte de cet article, tel qu’il a été rédigé et adopté, que ses dispositions soient inséparables de l’ensemble du texte de la loi soumise au Conseil constitutionnel;

(…)

•En ce qui concerne l’édiction par l’article 7 de la loi d’une incompatibilité spécifique aux élus de Corse:

21. – Considérant que l’article 7 de la loi a notamment pour objet d’ajouter au code électoral un article L. 369bis; que cet article énonce dans son premier alinéa que «nul ne peut être conseiller à l’Assemblée de Corse et conseiller général»; qu’il définit, dans son second alinéa, les modalités d’application de l’incompatibilité ainsi édictée;

22. – Considérant que pour les auteurs de la troisième saisine une telle incompatibilité, qui est sans équivalent dans aucune autre collectivité territoriale de la République, est contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi électorale; qu’en effet, des élus investis d’un mandat de même nature, comme les conseillers régionaux et les conseillers à l’Assemblée de Corse, se trouvent soumis à un régime discriminatoire quant à la possibilité d’exercer le mandat de conseiller général;

23. – Considérant que l’article L. 46-1 ajouté au code électoral par la loi n° 851406 du 30 décembre 1985 limite la possibilité pour une même personne de cumuler plus de deux des mandats électoraux ou fonctions électives qu’il énumère; qu’au nombre des mandats pris en compte pour l’application de cette législation de portée générale figurent notamment le mandat de conseiller général et celui de conseiller régional; que l’article 8 de la loi présentement soumise à l’examen du Conseil constitutionnel place sur le même plan au regard de la réglementation générale des cumuls le mandat de conseiller à l’Assemblée de Corse et celui de conseiller régional; que dès lors qu’il entendait procéder à une semblable assimilation, le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, interdire aux conseillers à l’Assemblée de Corse de cumuler ce mandat avec celui de conseiller général alors qu’un tel cumul est autorisé sur l’ensemble du territoire de la République et qu’aucune justification tirée de la spécificité de la collectivité territoriale de Corse ne fonde une telle interdiction;

24. – Considérant qu’il y a lieu par suite pour le Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution l’article L. 369bis ajouté au code électoral par l’article 7 de la loi déférée;

•En ce qui concerne les conditions de représentation au Sénat de la collectivité territoriale de Corse:

25. – Considérant que l’article 10 de la loi dispose que dans les deux départements de Corse sont substitués aux conseillers régionaux en qualité de membres du collège électoral sénatorial des conseillers à l’Assemblée de Corse désignés dans les conditions définies par les articles 11 à 14; qu’il est prévu à cet effet que l’Assemblée de Corse, une fois son effectif réparti proportionnellement à la population de chacun des deux départements de Corse, procède à la désignation de ceux de ses membres appelés à la représenter au sein du collège électoral du département le plus peuplé; que les conseillers à l’Assemblée non désignés à ce titre font partie de plein droit du collège électoral du département le moins peuplé;

26. – Considérant que les auteurs de la première saisine formulent deux griefs à l’encontre de ces dispositions; que, d’une part, il est soutenu que leur entrée en vigueur aurait dû être subordonnée à l’adoption préalable d’une loi organique modifiant les dispositions relatives au nombre de sénateurs et à l’assise territoriale de leurs sièges; que, d’autre part, ces dispositions introduiraient une discrimination entre les sénateurs car ceux d’entre eux élus en Corse représenteraient non pas seulement une collectivité territoriale mais à la fois le département et la collectivité territoriale nouvellement créée;

27. – Considérant que le troisième alinéa de l’article 24 de la Constitution dispose que «le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat»; que, selon le premier alinéa de l’article 25 de la Constitution, la loi organique fixe le nombre des membres de chaque assemblée parlementaire; que la création d’une nouvelle catégorie de collectivité territoriale relève d’une loi comme le prescrit le premier alinéa de l’article 72 de la Constitution; que ressortit également à la compétence du législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, la fixation des règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires;

28. – Considérant qu’il résulte de ces diverses dispositions que l’entrée en vigueur d’une loi instituant une nouvelle catégorie de collectivités territoriales n’est pas subordonnée à l’adoption préalable d’une loi organique; que si l’article 24 de la Constitution impose que les différentes collectivités territoriales soient représentées au Sénat, il n’exige pas que chaque catégorie de collectivités dispose d’une représentation propre; que l’article L.O. 274 du code électoral, dans sa rédaction issue de l’article 3 de la loi organique n° 86-957 du 13 août 1986, en disposant que «le nombre de sénateurs élus dans les départements est de 304» implique seulement que, sous réserve d’exceptions prévues par d’autres textes ayant valeur de loi organique, les sénateurs soient élus dans le cadre du département; qu’il ne fait pas obstacle à ce que les dispositions législatives relatives au régime électoral du Sénat organisent la participation au collège électoral sénatorial de délégués de collectivités territoriales autres que le département;

29. – Considérant dans ces conditions, que les articles 10 à 14 de la loi, en prévoyant que dans les deux départements de Corse, des conseillers à l’Assemblée de Corse sont substitués aux conseillers régionaux au sein des collèges électoraux sénatoriaux, n’ont ni empiété sur la compétence réservée à la loi organique par la Constitution ni introduit de différence de traitement inconstitutionnelle entre les sénateurs élus dans les départements de Corse et les autres sénateurs; (…)

•En ce qui concerne l’article 53, alinéa 2, relatif à l’insertion de la langue et de la culture corses dans le temps scolaire:

35. – Considérant qu’en vertu de l’article 53, alinéa 2, de la loi, l’Assemblée de Corse adopte, sur proposition du Conseil exécutif, qui recueille l’avis du conseil économique, social et culturel de Corse, «un plan de développement de l’enseignement de la langue et de la culture corses, prévoyant notamment les modalités d’insertion de cet enseignement dans le temps scolaire»; qu’il est précisé que «ces modalités font l’objet d’une convention conclue entre la collectivité territoriale de Corse et l’Etat»;

36. – Considérant que les auteurs de la troisième saisine soutiennent que faire figurer sans motif justifié par l’intérêt général l’enseignement d’une langue régionale, quelle qu’elle soit, dans le temps scolaire des établissements situés sur le territoire de la collectivité territoriale concernée et d’elle seule, est contraire au principe d’égalité;

37. – Considérant que l’article 53 prévoit l’insertion dans le temps scolaire de l’enseignement de la langue et de la culture corses; que cet enseignement n’est pas contraire au principe d’égalité dès lors qu’il ne revêt pas un caractère obligatoire; qu’il n’a pas davantage pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements de la collectivité territoriale de Corse aux droits et obligations applicables à l’ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci; que, par suite, le fait pour le législateur d’autoriser la collectivité territoriale de Corse à promouvoir l’enseignement de la langue et de la culture corses, ne saurait être regardé comme portant atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle;

•En ce qui concerne l’article 85 relatif à la refonte des listes électorales:

38. – Considérant que l’article 85 de la loi comporte quatre alinéas; que le premier alinéa énonce qu’il sera procédé dans chaque commune de Corse à la refonte complète de la liste électorale avant la première élection de l’Assemblée de Corse et prescrit que pour être inscrit sur cette liste les électeurs remplissant les conditions prévues aux articles L. 11 à L. 14 du code électoral devront présenter leur demande entre la date de publication de la présente loi et le 31 décembre 1991; que le deuxième alinéa de l’article 85 rend applicables à ces opérations celles des dispositions du code électoral régissant l’établissement et la révision des listes électorales; qu’il précise, en outre, que la liste se substitue à la liste précédente le 1er mars 1992; que les troisième et quatrième alinéas de l’article 85 prévoient que les opérations de refonte sont contrôlées par une commission composée paritairement de membres du Conseil d’Etat et de magistrats de l’ordre judiciaire;

39. – Considérant que les auteurs des première et troisième saisines font valoir que la limitation de la refonte des listes électorales aux seules communes de Corse est contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi; que les auteurs de la première saisine ajoutent que la mise en œuvre des dispositions de l’article 85 peut conduire à priver momentanément un citoyen du droit de vote;

•Quant au moyen tiré de la violation du principe d’égalité:

40. – Considérant que le principe constitutionnel d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit;

41. – Considérant que la législation électorale ne confère pas aux citoyens une totale liberté de choix de leur lieu d’inscription sur les listes électorales; que, sous réserve des dispositions régissant la situation particulière des Français établis hors de France, des militaires et des mariniers, l’inscription sur les listes d’une commune est subordonnée, soit à une condition de domicile réel ou légal ou encore de résidence, soit à la circonstance que les intéressés figurent pour la cinquième fois sans interruption au rôle d’une des contributions directes communales; que, conformément au principe constitutionnel de l’égalité du suffrage, l’article L. 10 du code électoral énonce que «nul ne peut être inscrit sur plusieurs listes électorales»;

42. – Considérant que la situation des listes électorales des communes de Corse, telle qu’elle ressort des informations fournies lors des débats parlementaires, présente des particularités qui autorisent le législateur, dans le cadre de la réorganisation administrative de la Corse, à arrêter des modalités spécifiques de refonte des listes électorales, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi;

•Quant au moyen tiré de la privation du droit de suffrage:

43. – Considérant que la refonte des listes électorales des communes des départements de Corse ne produira son plein effet qu’à compter du 1er mars 1992; qu’indépendamment de cette refonte il sera procédé dans les autres communes françaises à la révision annuelle des listes électorales; que, dans le cadre de cette révision, il est loisible aux personnes qui ne satisfont pas dans les communes des départements de Corse aux conditions posées par les articles L. 11 à L. 14 du code électoral de solliciter leur inscription sur les listes d’une autre commune; qu’il suit de là que si l’article 85 de la loi est susceptible d’affecter le lieu d’exercice du droit de vote il n’affecte pas cet exercice lui-même;

44. – Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les moyens dirigés contre l’article 85 de la loi ne peuvent être accueillis;

(…)

Décide:

Article 1er . – Ne sont pas conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse:

–l’article 1er ;

–dans le texte de l’article 7, l’article L. 369bis ajouté au code électoral;

–dans le texte de l’article 26, les alinéas 2, 6 et 7;

–dans le texte de l’article 78, les paragraphes III et VI.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1994 / A07
France / Conseil constitutionnel / 13-01-1994 / Décision n° 93-329 DC / Loi relative aux conditions de l’aide aux investissements des établissements d’enseignement privés par les collectivités territoriales / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.3.2 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit à l’enseignement

Enseignement public – Enseignement privé – Collectivités locales (libre administration)

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

24.–Considérant que pour leur part les députés, auteurs de la seconde saisine, font valoir que le législateur a méconnu l’article 34 de la Constitution faute d’avoir exercé assez précisément sa compétence pour définir les conditions des concours financiers en cause; que la loi viole le principe d’égalité en permettant à parité entre établissements publics et établissements privés des concours financiers alors que les charges et contraintes des uns sont supérieures à celles des autres et en ne limitant les facultés d’aide aux investissements de chaque catégorie de collectivités territoriales que lorsqu’il s’agit du financement de l’enseignement public; qu’elle contrevient au principe de la laïcité de la République posé par l’article 2 de la Constitution et méconnaît le devoir de l’Etat concernant l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés imposé par le Préambule de la Constitution de 1946; qu’en effet elle tendrait nécessairement d’une part compte tenu du caractère limité des ressources publiques à provoquer le transfert de crédits d’investissement de l’enseignement public au bénéfice d’établissements privés, d’autre part à organiser l’enrichissement de personnes privées qui ne sont pas soumises aux exigences de la laïcité; qu’en outre elle enfreint le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales dès lors qu’elle fait peser sur ces dernières des charges financières nouvelles sans prévoir de transferts de ressources en contrepartie;

25.–Considérant qu’aux termes de l’article 72 de la Constitution «Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d’outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. Ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi…»;

26.–Considérant toutefois d’une part qu’aux termes de l’article 2 de la Constitution: «La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion…»; qu’aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 «L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat»; d’autre part que la liberté de l’enseignement constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958;

27.–Considérant qu’il résulte des dispositions et principes à valeur constitutionnelle ci-dessus rappelés que le législateur peut prévoir l’octroi d’une aide des collectivités publiques aux établissements d’enseignement privés selon la nature et l’importance de leur contribution à l’accomplissement de missions d’enseignement; que si le principe de libre administration des collectivités locales a valeur constitutionnelle, les dispositions que le législateur édicte ne sauraient conduire à ce que les conditions essentielles d’application d’une loi relative à l’exercice de la liberté de l’enseignement dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire; que les aides allouées doivent, pour être conformes aux principes d’égalité et de liberté, obéir à des critères objectifs; qu’il incombe au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de définir les conditions de mise en œuvre de ces dispositions et principes à valeur constitutionnelle; qu’il doit notamment prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements d’enseignement public contre des ruptures d’égalité à leur détriment au regard des obligations particulières que ces établissements assument;

•En ce qui concerne l’article 2:

28.–Considérant que l’article 2 de la loi pose le principe selon lequel les collectivités territoriales peuvent décider d’attribuer des subventions d’investissement aux établissements d’enseignement privés sous contrat de leur choix, selon des modalités qu’elles fixent librement, quel que soit le niveau d’enseignement scolaire concerné; que cet article ouvre aux collectivités territoriales les mêmes possibilités qu’il s’agisse d’établissements sous contrat simple ou sous contrat d’association; qu’il ne prévoit qu’un plafonnement global des aides susceptibles d’être allouées; que ces aides peuvent aller dans certains cas jusqu’à une prise en charge totale des investissements concernés;

29.–Considérant que s’agissant des conditions requises pour l’octroi des aides des différentes collectivités territoriales et la fixation de leur montant, l’article 2 ne comporte pas les garanties nécessaires pour assurer le respect du principe d’égalité entre les établissements d’enseignement privés sous contrat se trouvant dans des situations comparables; que ces différences de traitement ne sont pas justifiées par l’objet de la loi;

30.–Considérant par ailleurs que les dispositions de l’article 2 ne comportent pas non plus de garanties suffisantes pour éviter que des établissements d’enseignement privés puissent se trouver placés dans une situation plus favorable que celle des établissements d’enseignement public, compte tenu des charges et des obligations de ces derniers;

31.–Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’article 2 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution;

•En ce qui concerne les autres dispositions contestées:

32.–Considérant que le premier alinéa de l’article 3 de la loi prescrit que les formations offertes par les établissements d’enseignement secondaire sous contrat subventionnés doivent être compatibles avec les orientations définies par le schéma prévisionnel des formations, en réitérant une condition déjà prévue par l’article 27-3 de la loi susvisée du 22 juillet 1983 pour la conclusion des contrats; que cette disposition ne méconnaît aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle;

33.–Considérant que l’article 4 prescrit l’établissement d’une convention précisant l’affectation de l’aide et les conditions de remboursement des sommes non amorties en cas de cessation de l’activité d’éducation ou de résiliation du contrat; que les stipulations de la convention doivent être déterminées de façon à éviter que l’organisme bénéficiaire puisse profiter d’un avantage injustifié ou conduisant à méconnaître les règles constitutionnelles ci-dessus rappelées; que sous ces réserves d’interprétation, l’article 4 de la loi n’est pas contraire à la Constitution.

Décide:

Article 1er . – L’article 2 de la loi relative aux conditions de l’aide aux investissements des établissements d’enseignement privés par les collectivités territoriales est contraire à la Constitution.

Article 2. – Les dispositions du premier alinéa de l’article 3 et l’article 4 de cette même loi ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 3. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1995 / A08
France / Conseil constitutionnel / 26-01-1995 / Décision n° 94-358 DC / Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.20 Principes généraux – égalité
5.2.4.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – discriminations positives

Directives territoriales d’aménagement – Loi (égalité devant la loi) – Suffrage (égalité du suffrage) – Zones prioritaires de développement

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

•En ce qui concerne l’article 4:

2.–Considérant qu’en vertu de l’article 4 de la loi déférée qui modifie la rédaction de l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme, des directives territoriales d’aménagement peuvent fixer sur certaines parties du territoire les orientations fondamentales de l’Etat en matière d’aménagement et de développement, ainsi que ses principaux objectifs en matière de localisation des grandes infrastructures et des grands équipements, de préservation des espaces naturels, des sites et des paysages; que ces directives peuvent également préciser les modalités d’application des lois d’aménagement et d’urbanisme adaptées aux particularités géographiques locales; que les directives territoriales d’aménagement élaborées sous la responsabilité de l’Etat et à son initiative sont approuvées par décret en Conseil d’Etat; qu’il est prévu par ailleurs en premier lieu que les schémas directeurs et les schémas de secteur doivent être compatibles avec ces directives et en l’absence de ces directives avec les lois d’aménagement et d’urbanisme; en second lieu que les plans d’occupation des sols et les documents d’urbanisme en tenant lieu doivent être compatibles avec les orientations des schémas directeurs et des schémas de secteur, en l’absence de schémas avec les directives territoriales d’aménagement et en l’absence de ces dernières avec les lois d’aménagement et d’urbanisme; qu’enfin cet article énonce que les dispositions des directives territoriales d’aménagement qui précisent les modalités d’application des articles L. 145-1 et suivants du code de l’urbanisme sur les zones de montagne et des articles L. 146-1 et suivants sur les zones littorales s’appliquent aux personnes et opérations qui y sont mentionnées;

3.–Considérant que les députés, auteurs de la saisine, font valoir en premier lieu que les directives territoriales d’aménagement méconnaissent les principes d’égalité et d’indivisibilité de la République en ce qu’elles conduisent à faire coexister des régimes juridiques différents sur le territoire selon que ce dernier se trouve ou non couvert par un régime législatif spécial; qu’en deuxième lieu, le législateur a méconnu le principe de hiérarchie des normes juridiques faute d’indiquer si les directives ont une valeur juridique supérieure à celle des décrets en Conseil d’Etat faisant application des lois d’aménagement et d’urbanisme, et dès lors qu’il a prévu que chaque norme n’était soumise qu’à une obligation de compatibilité avec la norme immédiatement supérieure; qu’en outre la loi laisse subsister une faculté de dérogation par lesdites directives aux lois d’aménagement et d’urbanisme; qu’enfin le principe de légalité des délits et des peines est méconnu dès lors que ces directives peuvent conduire à modifier la définition des délits réprimés par les articles L. 160-1 et L. 480-4 du code de l’urbanisme;

4.–Considérant en premier lieu que si les directives territoriales d’aménagement peuvent comporter des adaptations à des particularités géographiques locales, celles-ci qui ne concernent selon les termes de la loi que «les modalités d’application des lois d’aménagement et d’urbanisme» ne peuvent conduire à méconnaître les dispositions de ces dernières; que dans ces conditions la circonstance que le législateur a indiqué que les schémas directeurs ou de secteur doivent être compatibles avec ces directives et en l’absence de ces dernières avec les lois d’aménagement et d’urbanisme ne saurait faire obstacle dans tous les cas prévus par ces lois à leur application; que les conditions de compatibilité prescrites par le législateur ne mettent pas en elles-mêmes en cause la possibilité pour tout intéressé de faire prévaloir, le cas échéant, par le moyen de l’exception d’illégalité, des dispositions législatives sur des documents ayant valeur réglementaire; que dès lors les griefs relatifs à la méconnaissance des dispositions combinées des articles 34 et 37 de la Constitution ne sauraient qu’être écartés;

5.–Considérant en deuxième lieu que les directives territoriales d’aménagement doivent prendre en compte, ainsi que l’a précisé le législateur, les orientations générales du schéma national mentionné à l’article 2 de la loi; que la circonstance que leur champ d’application soit limité à certaines parties du territoire national répond à la prise en compte de situations différentes et ne saurait par suite méconnaître le principe d’égalité non plus que porter atteinte au principe d’indivisibilité de la République; 6.–Considérant en troisième lieu que les dispositions de l’article en cause n’ont ni pour objet ni pour effet d’habiliter le pouvoir réglementaire à modifier les prescriptions des articles L. 160-1 et L. 480-4 du code de l’urbanisme; que dès lors le grief tiré d’une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines manque en fait;

(…)

•En ce qui concerne l’article 29:

15.–Considérant que cet article définit les conditions dans lesquelles il est procédé par l’Etat au contrôle des décisions de réorganisation et de suppression des services aux usagers par les établissements et organismes publics ainsi que par les entreprises nationales sous tutelle chargés d’un service public;

16.–Considérant que les auteurs de la saisine allèguent que le législateur a méconnu sa compétence en renvoyant à un décret en Conseil d’Etat la détermination des règles permettant d’assurer l’équilibre entre les obligations des organismes concernés et la compensation par l’Etat des charges qui en résultent ainsi que la fixation des critères spécifiques que doit respecter la décision de l’autorité de l’Etat compétente lorsque le projet de suppression concerne une zone prioritaire de développement du territoire; qu’ils soutiennent à cette fin que le législateur a ainsi privé de garanties légales le principe de continuité des services publics; qu’en faisant référence à des zones prioritaires de développement du territoire dont l’existence détermine la fixation par voie réglementaire de critères spécifiques, il a abandonné au pouvoir réglementaire l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et a méconnu le principe d’égalité devant la loi;

17.–Considérant que l’objet de l’article en cause est précisément de définir des garanties nouvelles de mise en œuvre du principe de continuité des services publics; que l’article 29 de la loi précise que doivent être pris en compte par les organismes concernés, pour l’égal accès de tous au service public, des objectifs «d’aménagement du territoire et de services rendus aux usagers» fixés dans des contrats de plan ou des contrats de service public conclus à cet effet; que ces contrats doivent préciser les conditions dans lesquelles l’Etat compense au bénéfice de ces organismes les charges en résultant; que cet article dispose en outre que toute décision de réorganisation ou de suppression d’un service aux usagers, non conforme aux objectifs fixés, doit être précédée d’une étude d’impact; que celle-ci est communiquée au représentant de l’Etat dans le département qui, au terme d’une procédure de concertation, peut saisir le ministre de tutelle en cas de désaccord; que cette saisine, qui a un effet suspensif de la décision de réorganisation ou de suppression du service, permet au ministre de statuer par une décision qui s’impose à l’organisme concerné; que les zones prioritaires de développement sont définies par l’article 42 de la loi, leur détermination étant destinée à tenir compte de situations spécifiques; que, dès lors, en renvoyant à un décret en Conseil d’Etat la fixation de critères propres à ces zones, le législateur n’a méconnu ni le principe d’égalité ni sa propre compétence; qu’à défaut d’application des règles de compensation prévues par les contrats ci-dessus mentionnés, la définition par ce décret en Conseil d’Etat de dispositions permettant d’assurer un équilibre entre les obligations des organismes concernés et la compensation par l’Etat des charges en résultant pour lui ne concerne aucune des matières que réserve au législateur l’article 34 de la Constitution;

18.–Considérant dès lors qu’aucun des griefs invoqués par les auteurs de la saisine ne saurait être retenu;

(…)

•En ce qui concerne l’article 41:

26.–Considérant que l’article 41 modifie les dispositions de l’article L. 510-1 du code de l’urbanisme; qu’il dispose que la construction, la reconstruction, l’extension, le changement d’utilisateur ou d’utilisation de locaux servant à des activités professionnelles ne relevant pas de l’Etat peuvent être soumis à un agrément de l’autorité administrative; que le IV de cet article L. 510-1 renvoie à un décret en Conseil d’Etat les conditions de sa mise en œuvre;

27.–Considérant que les requérants soutiennent que par les dispositions cidessus mentionnées qui renvoient à un décret en Conseil d’Etat la fixation de l’autorité compétente pour prendre la décision d’agrément en l’absence de conventions avec les collectivités locales ou les établissements publics de coopération intercommunale intéressés ainsi que la détermination des zones et opérations concernées, le législateur a méconnu sa compétence; qu’en outre en prévoyant une multiplicité de régimes en fonction des conventions signées et des décisions prises, il a également méconnu le principe d’égalité; 28.–Considérant en premier lieu que le législateur pouvait renvoyer à un décret en Conseil d’Etat les dispositions ayant pour objet de désigner l’autorité administrative habilitée à exercer au nom de l’Etat des attributions qui relèvent de la compétence du pouvoir exécutif;

29.–Considérant en second lieu que le législateur a précisé que les décisions qu’il envisage doivent prendre en compte les orientations définies par la politique d’aménagement et de développement du territoire et par la politique de la ville ainsi que la nécessité d’un équilibre entre les constructions destinées à l’habitation et les activités soumises au régime de l’agrément; qu’en prévoyant, dans le cadre de la législation qu’il a édictée relative à l’aménagement et au développement du territoire ainsi que de la législation relative à la politique de la ville, la passation de conventions locales et régionales destinées à tenir compte de la spécificité des situations territoriales, il a mis en place une procédure qui loin de méconnaître le principe d’égalité constitue un moyen d’en assurer la mise en œuvre; qu’il pouvait confier au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, le soin de déterminer, dans le respect de ces législations, les zones et opérations concernées en fonction des appréciations concrètes que requiert une telle détermination;

•En ce qui concerne l’article 42:

30.–Considérant que l’article 42 de la loi déférée prévoit que sont mises en œuvre des politiques renforcées et différenciées de développement dans des zones prioritaires caractérisées par des handicaps géographiques, économiques ou sociaux;

31.–Considérant que les députés font valoir qu’en ne définissant pas avec suffisamment de précision ces zones prioritaires, le législateur a non seulement méconnu sa compétence mais aussi le principe d’égalité devant la loi et le principe de libre administration des collectivités locales;

32.–Considérant que le législateur a distingué trois zones prioritaires du développement économique, les zones d’aménagement du territoire, les territoires ruraux de développement prioritaire et les zones urbaines sensibles lesquelles comprennent des zones dites de «redynamisation urbaine»; qu’aux 1, 2 et 3 de l’article, il a défini ce qu’il entendait par les zones en question; qu’en outre, l’article 43 de la loi déférée précise que les zones d’aménagement du territoire, les territoires ruraux de développement prioritaire et les zones de redynamisation urbaine sont ceux qui sont définis au premier alinéa de l’article 1465 du code général des impôts dans sa nouvelle rédaction issue de l’article 46 et au Ibis de l’article 1466 A du même code dans sa rédaction issue du II de l’article 52; qu’enfin, l’article 1465 A du code général des impôts dans sa rédaction issue du même article 52 de la loi fixe des critères quantitatifs pour la définition des zones de revitalisation rurale;

33.–Considérant en premier lieu que dans ces conditions le législateur pouvait renvoyer au pouvoir réglementaire la délimitation du périmètre de ces zones prioritaires sans méconnaître sa compétence;

34.–Considérant en second lieu que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, par l’octroi d’avantages fiscaux, des mesures d’incitation au développement et à l’aménagement de certaines parties du territoire national dans un but d’intérêt général; que de telles mesures ne constituent pas en elles-mêmes une atteinte à la libre administration des collectivités locales;

(…)

•En ce qui concerne l’article 80:

44.–Considérant que les dispositions de l’article 80 ont pour objet de modifier des articles du code des communes fixant les règles de désignation des délégués des communes au sein des conseils des communautés urbaines et établissent les modalités de répartition des sièges;

45.–Considérant que les auteurs de la saisine allèguent en premier lieu que ces dispositions, adoptées par voie d’amendement au Sénat, qui selon eux auraient pour seul objet de modifier des équilibres politiques au sein de l’une des communautés urbaines existantes, sont dépourvues de lien avec le texte soumis aux Assemblées; qu’ils font valoir en second lieu qu’elles méconnaissent le principe constitutionnel d’égalité du suffrage.

Quant à la procédure:

46.–Considérant que cet article n’est pas sans lien avec les dispositions cidessus mentionnées du titre V du texte soumis aux assemblées.

Quant au fond:

47.–Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution «les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d’outre mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi»; que le deuxième alinéa du même article dispose que ces collectivités «s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi»; que selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, «le suffrage est toujours universel, égal et secret»;

48.–Considérant qu’il résulte de ces dispositions que dès lors que des établissements publics de coopération entre les collectivités locales exercent en lieu et place de ces dernières des compétences qui leur auraient été sinon dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques; que s’il s’ensuit que la répartition des sièges doit respecter un principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité locale participante, il peut être toutefois tenu compte dans une mesure limitée d’autres considérations d’intérêt général et notamment de la possibilité qui serait laissée à chacune de ces collectivités de disposer d’au moins un représentant au sein du conseil concerné;

49.–Considérant que le législateur a accru le nombre des délégués des communes aux conseils de certaines communautés pour tenir compte de l’attribution qu’il a prévue d’un siège à chaque commune membre de la communauté dans le but d’assurer une représentation minimale des petites communes; qu’il a déterminé la répartition des sièges restant à pourvoir entre les seules communes dont la population est supérieure à un certain quotient; qu’il ressort de la combinaison des dispositions du code des communes ainsi modifiées, que la prise en compte du nombre de collectivités concernées n’intervient que dans une mesure limitée par rapport à la détermination de la répartition des sièges en fonction de la population calculée selon le mécanisme de la répartition proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne; qu’ainsi les écarts de représentation entre les communes selon l’importance respective de leur population telle qu’elle ressort du dernier recensement ne sont ni manifestement injustifiables ni disproportionnés de manière excessive; que dès lors le grief invoqué ne peut être accueilli;

(…)

Décide:

Article 1er . – Sont déclarés contraires à la Constitution:

  • le II de l’article 32,
  • le second alinéa du II de l’article 65,
  • le VI de l’article 68.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1995 / A09
France / Conseil constitutionnel / 28-12-1995 / Décision n° 95-369 DC / Loi de finances pour 1996 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur constitutionnelle
3.12 Principes généraux – intérêt général
3.20 Principes généraux – égalité
5.1.2.4.2 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales – droit public
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Actionnaires

(…)

Le Conseil constitutionnel,

(…)

–Sur l’article 4:

2.–Considérant que cet article a pour objet de limiter le champ d’application de la réduction d’impôt sur le revenu accordée au titre des contrats d’assurance-vie en application de l’article 199 septies du code général des impôts; qu’il supprime cette réduction pour les versements afférents aux contrats à primes périodiques et à primes uniques conclus ou prorogés à compter du 20 septembre 1995 ainsi que pour les primes payées à compter de la même date au titre de contrats à versements libres quelle que soit la date de conclusion de ces contrats; qu’il maintient la réduction d’impôt, dans tous les cas, pour les contrats concernant les handicapés et les contribuables dont la cotisation d’impôt sur le revenu définie à l’article 1417 du code général des impôts n’excède pas 7 000 francs;

3.–Considérant que les auteurs de la requête font grief à ces dispositions, d’une part d’être entachées de rétroactivité et de contrevenir ainsi au principe de sécurité juridique, d’autre part de méconnaître le principe d’égalité devant l’impôt en ce qu’elles traitent différemment les contrats à primes uniques ou périodiques et ceux à versements libres;

(…)

•En ce qui concerne le principe d’égalité

5.–Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi; Considérant que la distinction opérée par la loi entre les contrats à versements libres et les autres contrats repose sur des différences objectives de situation des souscripteurs, relatives aux effets de l’éventuelle remise en cause de leurs engagements compte tenu de la modification du régime fiscal applicable introduite par l’article concerné; que dès lors le grief tiré d’une violation du principe d’égalité ne saurait être accueilli;

–Sur l’article 9:

7.–Considérant que l’article 9 institue dans certaines conditions un abattement de 50% sur la valeur des biens professionnels, plafonné à cent millions de francs par donataire, lorsque ces biens sont transmis à titre gratuit entre vifs; qu’il prévoit en outre, à certaines conditions d’âge et causes de décès, l’extension de cet avantage aux droits de succession; que ces dispositions ont été présentées comme destinées à favoriser la transmission des entreprises en contribuant à assurer la pérennité des petites et moyennes entreprises;

8.–Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que compte tenu de la fixation d’un plafond d’exonération élevé, l’application de cette exonération en cas de pluralité de donateurs tend non pas à faciliter la transmission par un chef d’entreprise petite ou moyenne de son «outil professionnel» mais à privilégier fiscalement la transmission de certains éléments de patrimoine par rapport à tous les autres types de biens, en avantageant au surplus les actionnaires majoritaires par rapport aux actionnaires minoritaires; que d’ailleurs cet avantage fiscal est susceptible de bénéficier à une pluralité de donataires qui ne sont pas même tenus d’exercer une fonction dirigeante dans l’entreprise; que dès lors le principe d’égalité devant l’impôt est méconnu; qu’il en va de même en ce qui concerne la disposition qui étend le bénéfice de cet avantage aux transmissions d’entreprise résultant d’un décès accidentel lorsque la personne concernée est âgée de moins de soixante-cinq ans, dans la mesure où les conditions posées ne constituent nullement une différence significative au regard de l’objet de la réduction d’impôt; qu’enfin, en réservant le bénéfice de la disposition aux seules donations consenties par acte notarié en excluant les donations sous seing privé ayant fait l’objet de formalités d’enregistrement, la loi contrevient également au principe d’égalité;

9.–Considérant qu’en vertu de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la contribution commune aux charges de la Nation «doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés»; que si le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur décide de favoriser par l’octroi d’avantages fiscaux la transmission de certains biens, c’est à la condition que celui-ci fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose;

10.–Considérant qu’en instituant un abattement de 50% sur la valeur de biens professionnels transmis entre vifs à titre gratuit à un ou plusieurs donataires, à la seule condition que ceux-ci conservent ces biens pendant une période de cinq années, sans exiger qu’ils exercent de fonction dirigeante au sein de l’entreprise et en étendant le bénéfice de cette mesure aux transmissions par décès accidentel d’une personne âgée de moins de soixante-cinq ans, la loi a établi vis-à-vis des autres donataires et héritiers des différences de situation qui ne sont pas en relation directe avec l’objectif d’intérêt général ci-dessus rappelé; que dans ces conditions et eu égard à l’importance de l’avantage consenti, son bénéfice est de nature à entraîner une rupture caractérisée de l’égalité entre les contribuables pour l’application du régime fiscal des droits de donation et de succession que, dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs de la requête, l’article 9 de la loi ne peut être regardé dans son ensemble comme conforme à la Constitution;

(…)

–Sur l’article 33:

17.–Considérant que cet article qui fixe le montant de la dotation globale d’équipement des communes en autorisations de programme et crédits de paiement réserve le bénéfice de cette dotation, après constitution d’une quotepart au profit des collectivités territoriales et groupements mentionnés à l’article 104-1 de la loi susvisée du 7 janvier 1983, aux communes dont la population n’excède pas 20 000 habitants dans les départements de métropole et 35000 habitants dans les départements d’outre-mer et dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur à 1,3 fois le potentiel fiscal moyen par habitant de l’ensemble des communes de métropole dont la population n’excède pas 20 000 habitants, ainsi qu’aux groupements de communes remplissant les mêmes conditions de population mais sans qu’ils aient à répondre aux mêmes conditions de plafonnement du potentiel fiscal; qu’il détermine les modalités de répartition de cette dotation entre les départements et modifie la composition et les fonctions de la commission d’élus compétente en matière d’attributions de cette dotation au sein de chaque département

18.–Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que ces dispositions violent le principe d’égalité en ce qu’elles s’appliquent à tous les groupements de communes, sans égard au potentiel fiscal par habitant, en ce qu’elles traitent différemment communes et groupements de communes, enfin en ce qu’elles excluent du bénéfice de la dotation des communes et groupements de communes sur des bases exclusivement démographiques; qu’ils soutiennent en outre que les dispositions qui concernent les répartitions de la dotation sans affecter l’ampleur des charges financières de l’Etat sont étrangères au domaine des lois de finances;

19.–Considérant en premier lieu que l’article 33 modifie le montant de la dotation globale d’équipement, dont il supprime la première part, dans des proportions telles que les dispositions relatives aux modalités de sa répartition sont indissociablement liées à celles fixant ce montant; qu’il en va de même de celles relatives à la composition et aux fonctions de la commission chargée de donner un avis au préfet sur les projets d’investissement;

20.–Considérant en second lieu que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes au regard de l’objet de la loi;

21.–Considérant que le législateur a entendu aménager la répartition de l’effort financier que représentent pour l’Etat les concours à l’équipement des collectivités locales, compte tenu de la diminution de son montant; que la distinction opérée entre communes et groupements de communes est justifiée par le souci de favoriser par le regroupement intercommunal la cohérence des politiques d’investissement; que la prise en compte, s’agissant des regroupements, d’un critère de potentiel fiscal ne pouvait être utilement opérée au regard des groupements n’ayant pas une fiscalité propre; qu’enfin les distinctions démographiques retenues peuvent trouver une justification dans la nature et l’importance des opérations d’investissement susceptibles d’être engagées par les communes et groupement concernés; que dès lors les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme ayant méconnu le principe d’égalité;

(…)

Décide:

Article 1er . – Les articles 9 et 98 de la loi de finances pour 1996 sont déclarés contraires à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

(…)

FRA / 1997 / A10
France / Conseil constitutionnel / 20-03-1997 / Décision n° 97-388 DC / Loi créant les plans d’épargne retraite / texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
3.12 Principes généraux – intérêt général
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.4.1.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – sécurité sociale

Plans d’épargne retraite

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 25 février 1997 par MM. Claude ESTIER, Guy ALLOUCHE, François AUTAIN, Germain AUTHIE, Mmes Monique BEN GUIGA, Maryse BERGE LAVIGNE, MM. Jean BESSON, Jacques BIALSKI, Pierre BIARNES, Marcel BONY, Jean-Louis CARRERE, Robert CASTAING, Francis CAVALIER BENEZET, Gilbert CHABROUX, Michel CHARASSE, Marcel CHARMANT, Michel CHARZAT, William CHERVY, Raymond COURRIERE, Roland COURTEAU, Marcel DEBARGE, Bertrand DELANOE, Gérard DELFAU, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD, M Michel DREYFUS SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Bernard DUSSAUT, Léon FATOUS, Aubert GARCIA, Claude HAUT, Roland HUGUET, Philippe LABEYRIE, Philippe MADRELLE, Jacques MAHEAS, Jean-Pierre MASSERET, Marc MASSION, Georges MAZARS, Jean-Luc MELENCHON, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Guy PENNE, Daniel PERCHERON, Jean PEYRAFITTE, Jean-Claude PEYRONNET, Mme Danièle POURTAUD, MM. Paul RAOULT, René REGNAULT, Alain RICHARD, Michel ROCARD, Gérard ROUJAS, René ROUQUET, André ROUVIERE, Claude SAUNIER, Michel SERGENT, Franck SERUSCLAT, René-Pierre SIGNE, Fernand TARDY, André VEZINHET, Henri WEBER, Mme Gisèle PRINTZ, M. Bernard PIRAS, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BECART, Mme Danielle BIDART-REYDET, M. Claude BILLARD, Mmes Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, M. Guy FISCHER, Mme Jacqueline FRAYSSECAZALIS, MM. Félix LEYZOUR, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE et Ivan RENAR, sénateurs, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution de la conformité à celle-ci de la loi créant les plans d’épargne retraite.

Le Conseil constitutionnel,

Vu La Constitution;

Vu L’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance;

Vu La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales;

Vu L’ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 modifiée instituant une Commission des opérations de bourse et relative à l’information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse;

Vu La loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 de financement de la Sécurité sociale pour 1997;

Vu Le code général des impôts;

Vu Le code rural;

Vu Le code du travail;

Vu Le code des assurances;

Vu Le code de la mutualité;

Vu Le code de la Sécurité sociale;

Vu Les observations du Gouvernement, enregistrées le 11 mars 1997;

Vu Les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 14 mars 1997;

Vu Les observations en réponse du Gouvernement, enregistrées le 17 mars 1997;

Vu Les nouvelles observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 19 mars 1997;

Le rapporteur ayant été entendu;

1. – Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi créant les plans d’épargne retraite, en contestant en particulier la conformité à la Constitution en tout ou partie des articles 1er , 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 14, 16, 17, 20, 21, 22, 26, 27 et 30 Sur le grief tiré de la méconnaissance du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946

2. – Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent, en invoquant l’inconstitutionnalité de la loi tout entière, que le contenu même du droit à pension serait remis en cause par la loi déférée dans la mesure où celle-ci tendrait à instituer un système se substituant progressivement aux régimes obligatoires, de base et complémentaires, de Sécurité sociale; qu’ainsi elle contreviendrait au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946;

3. –Considérant qu’aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la Nation «garantit à tous notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence;

4. – Considérant que la loi déférée tend, aux termes de son article 1er , à permettre à tout salarié lié par un contrat de travail de droit privé et relevant du régime d’assurance vieillesse de base mentionné au titre V du livre III du code de la Sécurité sociale ou à l’article 1024 du code rural ainsi que des régimes de retraite complémentaire mentionnés au titre II du livre IX du code de la Sécurité sociale, et aux avocats salariés relevant de la Caisse nationale des barreaux français, d’adhérer à un plan d’épargne retraite; qu’elle n’a pas pour objet de mettre en cause le principe ou l’organisation de l’assurance vieillesse qu’elle se borne à instituer un système facultatif d’épargne en vue de la retraite qui, en vertu de son article 3, ouvrira droit, au profit des adhérents, sous certaines conditions d’âge ou de cessation d’activité, au paiement d’une rente viagère ou d’un versement unique, venant s’ajouter aux prestations des régimes obligatoires de base et complémentaires de la Sécurité sociale; qu’elle ne modifie pas les droits et obligations résultant du régime général d’assurance-vieillesse de la Sécurité sociale et des régimes complémentaires; qu’elle ne saurait dès lors être regardée comme portant atteinte aux principes énoncés par les dispositions précitées;

Sur les griefs tirés de la méconnaissance du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946

5. – Considérant que les auteurs de la saisine font valoir en premier lieu que le troisième alinéa de l’article 4 écarterait la possibilité de mettre en place un plan d’épargne retraite par voie d’accord collectif dans le cas où la conclusion d’un tel accord n’interviendrait pas dans un délai de six mois et qu’il méconnaîtrait ainsi le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946; qu’une telle disposition dénaturerait l’exigence de la négociation collective et qu’elle tendrait à faire de la décision unilatérale de l’employeur le mode habituel de la mise en place d’un plan d’épargne retraite alors qu’aucune urgence ne justifierait la brièveté du délai fixé par la loi; qu’ils soutiennent en second lieu que l’article 14, relatif à la constitution et à la composition des comités de surveillance méconnaîtrait également le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, dès lors que les compétences attribuées à ces comités ne leur permettraient pas d’assurer la participation des adhérents à la gestion des plans d’épargne retraite mais viseraient au contraire à en écarter les partenaires sociaux;

6. – Considérant que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose en son huitième alinéa que: «Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises, l’article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale; qu’ainsi c’est au législateur qu’il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en œuvre;

7. – Considérant que si cette disposition implique que la détermination des modalités concrètes de cette mise en œuvre fasse l’objet d’une concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives, elle n’a ni pour objet ni pour effet d’imposer que dans tous les cas cette détermination soit subordonnée à la conclusion d’accords collectifs;

8. – Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des termes mêmes de l’article 4 de la loi déférée que le législateur a entendu favoriser la mise en place des plans d’épargne retraite par un processus de négociation collective en lui assurant la priorité sur la création de ces plans par décision unilatérale de l’employeur; qu’en effet si la loi n’impose pas dans tous les cas que la souscription résulte d’un accord collectif, c’est seulement en cas d’impossibilité de conclure un tel accord ou, à défaut de sa conclusion dans un délai de six mois à compter du début de la négociation, que la souscription pourra résulter d’une décision unilatérale de l’employeur ou d’un groupement d’employeurs; qu’en tout état de cause, au delà de ce délai, la mise en place d’un plan d’épargne retraite par voie d’accord collectif demeure possible; que la limitation à six mois du délai laissé par la loi à la mise en place exclusive par voie d’accords collectifs des plans d’épargne retraite constitue une des conditions dans lesquelles le législateur pouvait, en l’espèce, sans en dénaturer la portée, mettre en œuvre les dispositions du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946;

9. – Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la participation effective des adhérents à la gestion des plans est assurée par la mise en place des comités de surveillance; qu’en effet, aux termes de l’article 14 de la loi, ces comités sont composés, au moins pour moitié, de représentants élus des adhérents du plan et qu’en vertu de l’article 15, le comité de surveillance définit les orientations de gestion du plan, et rend à deux reprises au moins chaque année des avis sur cette gestion et, le cas échéant sur celle du fonds, qui sont portés à la connaissance des adhérents du plan; qu’en application de l’article 16, le comité de surveillance peut, à l’initiative d’un tiers au moins de ses membres, demander en justice la désignation d’experts chargés de présenter un rapport sur la gestion du plan; que l’article 22 dispose que le comité peut demander aux commissaires aux comptes ou aux actuaires auprès desquels les fonds d’épargne retraite sont souscrits tout renseignement sur l’activité et la situation financière des fonds;

10. – Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les moyens allégués par les requérants doivent être rejetés;

Sur les griefs tirés de la méconnaissance de l’étendue de sa compétence par le législateur

11. – Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent qu’à plusieurs titres le législateur n’aurait pas exercé la compétence qu’il tient, notamment, de l’article 34 de la Constitution; qu’ainsi, à l’article 4, il n’aurait pas défini les modalités d’adhésion des salariés qui souscriront individuellement à un plan d’épargne retraite; qu’il n’aurait pas précisé lui-même les modalités selon lesquelles le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes s’applique aux plans d’épargne retraite en le privant ainsi de garanties; qu’une règle minimale de partage des droits à réversion d’une prestation relevant du domaine de la loi, lorsque l’assuré décédé a eu successivement plusieurs conjoints, aurait dû être fixée; que les requérants font valoir en outre dans leur mémoire en réplique que la seule référence au conjoint survivant énoncée par la loi porterait atteinte aux droits des personnes et de la famille; que la loi aurait dû déterminer, aux articles 1er , 4 et 5, la notion de groupement d’employeurs et ses modalités de constitution; que les règles contribuant à la protection des droits des assurés seraient incomplètes en ce que ne seraient pas posés, à l’article 6, le principe de l’information préalable de l’adhérent en cas de cessation ou de suspension des abondements de l’employeur et, à l’article 7, le principe d’un délai durant lequel l’adhérent peut demander le transfert de ses droits vers un autre plan ou contrat d’assurance de groupe; que ne seraient définis ni, à l’article 14, les modalités d’élection des représentants des adhérents ni, aux articles 15 et 22, les attributions et les moyens dont peuvent disposer les comités de surveillance; que le législateur a renvoyé à des décrets et non, comme il l’aurait dû, à des décrets en Conseil d’Etat, le soin d’assurer la mise en œuvre des articles 6, 7, 9 et 15; que le législateur aurait dû garantir les conditions dans lesquelles s’opérerait en vertu de l’article 9 le transfert de la contre-valeur des actifs représentatifs des droits attachés au plan d’épargne retraite; que le statut des deux membres de la commission des opérations de bourse siégeant, aux termes de l’article 12, au sein de la commission de contrôle n’est pas défini; que le législateur aurait dû poser, afin qu’il soit garanti, un principe d’équité entre les générations; qu’il aurait méconnu sa compétence en déléguant en vertu des dispositions de l’article 27, sans avoir fixé la moindre limite au pouvoir réglementaire, le soin de déterminer des exonérations de cotisations de Sécurité sociale; que la circonstance que cette délégation est prévue par l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale en vertu d’une disposition d’une loi déjà promulguée n’est pas de nature à interdire au Conseil constitutionnel de se prononcer dans la mesure où le champ d’application de cette disposition est affecté par la loi déférée; qu’enfin les requérants ajoutent dans leur mémoire en réplique qu’en renvoyant au décret le soin de définir les conditions dans lesquelles les droits du salarié dont le contrat de travail a été rompu pourront être transférés sur un autre plan, le législateur n’aurait pas fixé des garanties de nature à assurer la sécurité des salariés et aurait ainsi méconnu l’étendue de sa compétence;

12. – Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution: «La loi fixe les règles concernant: …les successions… La loi détermine les principes fondamentaux: – du régime… des obligations civiles et commerciales – du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale…; qu’il incombe, tant au législateur qu’au Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes proclamés par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, les modalités de leur mise en œuvre;

13. – Considérant, en premier lieu, que le principe constitutionnel d’égalité entre les sexes s’impose au pouvoir réglementaire, sans qu’il soit besoin pour le législateur d’en rappeler l’existence;

14. – Considérant, en deuxième lieu, qu’aucune règle constitutionnelle ne garantit un principe dit de l’équité entre les générations, qu’il incomberait au législateur de préciser et de mettre en œuvre;

15. – Considérant, en troisième lieu, que la régularité au regard de la Constitution d’une loi déjà promulguée peut être utilement contestée à l’occasion de l’examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine; que l’article 27 de la loi déférée, dès lors qu’il modifie les dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale, autorise le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la constitutionnalité de celles-ci; que si en vertu des dispositions précitées de l’article 34 de la Constitution, il incombe au législateur de déterminer les éléments de l’assiette des cotisations sociales et de poser le principe d’exonérations et de leur limitation, il appartient au pouvoir réglementaire de définir, sans dénaturer l’objet et la portée de la loi, les montants et les taux de ces exonérations; qu’en prévoyant, au cinquième alinéa de l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale, que les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance sont exclues de l’assiette des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales pour la partie inférieure à un montant fixé par décret, le législateur n’a pas méconnu l’étendue des compétences qu’il tient de l’article 34 de la Constitution;

16. – Considérant, en quatrième lieu, que les plans d’épargne retraite n’ouvriront pas droit à la liquidation d’une prestation dont les conditions d’attribution relèveraient du législateur en application des mêmes dispositions de la Constitution mais au paiement d’une rente viagère ou d’un versement unique; qu’au surplus, si le législateur a prévu que le droit à réversion ne pourra bénéficier qu’au seul conjoint survivant de l’adhérent et à ses enfants mineurs, incapables ou invalides, une telle disposition ne porte atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle;

17. – Considérant, en cinquième lieu, que l’ensemble des autres prescriptions dont les requérants soutiennent qu’elles devraient figurer dans la loi et auxquelles celle-ci ne fait pas référence ne se rattachent à aucune des dispositions de l’article 34 de la Constitution non plus qu’à aucune autre règle de valeur constitutionnelle;

18. – Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les moyens allégués par les requérants doivent être rejetés;

Sur les griefs tiré d’une méconnaissance de l’article L.O.111-3 du Code de la Sécurité sociale

19. – Considérant que les requérants soutiennent que l’article 26 de la loi déférée, en rendant les abondements des employeurs aux plans d’épargne retraite déductibles de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale, affecterait les prévisions de recettes résultant de la loi de financement de la Sécurité sociale, en méconnaissance de l’article L.O. 111-3 du code de la Sécurité sociale;

20. – Considérant qu’aux termes des trois premiers alinéas du I de l’article L.O. 111-3 du code de la Sécurité sociale: «Chaque année, la loi de financement de la Sécurité sociale:

1° Approuve les orientations de la politique de santé et de Sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l’équilibre financier de la Sécurité sociale;

2° Prévoit, par catégorie, les recettes de l’ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement»; et qu’aux termes du deuxième alinéa du II du même article «Seules les lois de financement peuvent modifier les dispositions prises en vertu des 1° à 5° du I»;

21. – Considérant que cette dernière disposition a pour objet de faire obstacle à ce que les conditions générales de l’équilibre financier, telles qu’elles résultent de la loi de financement de la Sécurité sociale de l’année, modifiée, le cas échéant, par des lois de financement rectificatives, ne soient compromises par des charges nouvelles résultant de l’application de textes législatifs ou réglementaires dont les incidences sur les conditions de cet équilibre, dans le cadre de l’année, n’auraient pu, au préalable, être appréciées et prises en compte par une des lois de financement susmentionnées;

22. – Considérant qu’en raison de ses conditions d’application, et notamment des délais nécessaires à sa mise en œuvre effective, la loi déférée n’est en tout état de cause pas de nature à affecter les conditions générales de l’équilibre financier de la Sécurité sociale en 1997; que le moyen invoqué doit en conséquence être rejeté.

Sur les griefs tirés de la violation du principe d’égalité

•En ce qui concerne les violations alléguées du principe d’égalité devant les charges publiques:

23. –Considérant en premier lieu que les auteurs de la saisine soutiennent que la loi accorderait des avantages fiscaux contraires au principe d’égalité devant les charges publiques, proclamé par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et au principe de progressivité de l’impôt sur le revenu qui en résulte; que l’article 26, en prévoyant que les versements des salariés aux plans d’épargne retraite seront déductibles de leur rémunération nette imposable, mettrait en place un mécanisme bénéficiant principalement aux salariés les plus aisés; que la souscription d’un plan d’épargne retraite de caractère facultatif constituerait davantage, en pratique, une opération de placement plutôt qu’un mécanisme de retraite et que l’avantage fiscal qui s’y attache ne répondrait dès lors à aucun motif d’intérêt général; qu’en outre, l’exonération de cotisations sociales sur leurs versements dont bénéficient les employeurs aggrave les incidences de ce dispositif sur le budget de l’Etat dès lors qu’il reviendrait à celui-ci de compenser les pertes de recettes occasionnées à la Sécurité sociale;

24. –Considérant qu’aux termes de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen: «Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés;

25. – Considérant que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte pour des motifs d’intérêt général des mesures d’incitation par l’octroi d’avantages fiscaux; que celui-ci a entendu favoriser pour les salariés qui le souhaitent, la constitution d’une épargne en vue de la retraite propre à compléter les pensions servies par les régimes obligatoires de Sécurité sociale et de nature à renforcer les fonds propres des entreprises; que les versements des salariés ainsi exonérés sont limités en vertu de l’article premier de la loi et que les sommes dont bénéficieront en retour ceux-ci ou leurs ayants-droit seront elles-mêmes assujetties à l’impôt sur le revenu; que dès lors l’avantage fiscal en cause n’est pas de nature à porter atteinte au principe de progressivité de l’impôt; que par suite les moyens invoqués ne peuvent être accueillis;

26. – Considérant que les requérants font valoir en second lieu que l’article 30, en exonérant les fonds d’épargne retraite de l’assujettissement à la contribution des institutions financières, méconnaîtrait également le principe d’égalité devant les charges publiques;

27. – Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit;

28. – Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la loi déférée, les fonds d’épargne retraite sont des personnes morales ayant pour objet exclusif la couverture des engagements pris dans le cadre de plans d’épargne retraite; qu’ils composent ainsi une catégorie spécifique quelle que soit la forme juridique sous laquelle ils sont constitués et peuvent dès lors être exonérés de manière uniforme de ladite contribution sans que soit méconnu le principe d’égalité que ce grief doit en conséquence être écarté

•En ce qui concerne les autres violations alléguées du principe d’égalité:

29. – Considérant que les auteurs de la requête font en premier lieu grief au deuxième alinéa de l’article 4 de la loi déférée d’écarter l’application des dispositions du chapitre IV du titre III du livre 1er du code du travail, interdisant ainsi à l’ensemble des personnels des entreprises publiques, des établissements publics à caractère industriel et commercial et des établissements publics qui assurent à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, d’adhérer à un plan d’épargne retraite à la suite d’un accord collectif alors que les autres salariés liés par un contrat de travail de droit privé se voient reconnaître cette possibilité qu’ils mettent en cause cette restriction selon eux injustifiée au droit à la négociation collective;

30. – Considérant qu’en vertu de l’article 1er de la loi déférée, les plans d’épargne retraite ont été institués au profit des seuls salariés relevant du régime général de Sécurité sociale que les salariés des entreprises et établissements concernés relèvent de manière générale, lorsqu’ils sont soumis à un statut législatif ou réglementaire particulier, de régimes spéciaux de Sécurité sociale que ces deux catégories de salariés sont dès lors placées dans une situation différente au regard de la protection des régimes de retraite et que le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, ouvrir des droits en matière d’épargne retraite au bénéfice des salariés soumis aux seules dispositions du code du travail que toutefois les salariés des entreprises et établissements concernés qui ne sont pas soumis à un régime statutaire, relèvent du régime général de la Sécurité sociale; que dès lors ils bénéficient des dispositions de la loi y compris en vertu d’un accord collectif intervenu avec l’employeur; qu’ainsi le moyen allégué doit être rejeté

31. – Considérant que les requérants font valoir en deuxième lieu que le second alinéa de l’article 1er méconnaîtrait le principe d’égalité en instaurant une différence de traitement entre les salariés des entreprises existant au moment de la promulgation de la loi et ceux des entreprises qui se créeront un an au moins après cette promulgation

32. – Considérant que la première phrase du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi déférée est ainsi rédigée: «Au terme d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, les salariés qui ne bénéficient d’une proposition de plan d’épargne retraite, ni au titre d’un accord collectif d’entreprise, professionnel ou interprofessionnel, ni au titre d’une décision unilatérale de leur employeur ou d’un groupement d’employeurs, pourront demander leur adhésion à un plan d’épargne retraite existant qu’il en résulte que les salariés des entreprises existant à la date de promulgation de la loi devront attendre un an avant de pouvoir adhérer à un tel plan d’épargne si aucune proposition d’adhésion ne leur est faite durant ce délai, alors que les salariés des entreprises qui seront créées passé ce délai pourront, sans attendre, procéder à une adhésion individuelle; que toutefois cette différence de traitement est justifiée par des considérations d’intérêt général tirées de la prise en compte des conditions de l’entrée en vigueur progressive de la loi; que dès lors le moyen invoqué doit être rejeté

33. – Considérant que les requérants estiment en troisième lieu contraire au principe d’égalité la différence de traitement entre les Français résidant en France et les Français établis hors de France résultant de l’article 2 de la loi déférée qui ouvre à l’ensemble de ces derniers la possibilité d’adhérer à un plan d’épargne retraite, alors que l’article 1er de la loi réserve de manière générale le bénéfice des fonds d’épargne retraite aux seuls salariés liés par un contrat de travail de droit privé affiliés à un régime de base de Sécurité sociale et à un régime de retraite complémentaire

34. – Considérant qu’il résulte des travaux préparatoires de la loi que le législateur a entendu favoriser la constitution d’une épargne retraite par les citoyens français résidant hors de France, quelle que soit leur situation professionnelle, afin d’encourager la mobilité géographique et d’assurer une meilleure protection sociale des Français travaillant à l’étranger que l’article 2 répond dès lors à un but d’intérêt général et que le moyen invoqué doit par suite être rejeté

35. – Considérant que les requérants soutiennent en quatrième lieu que le deuxième alinéa de l’article 5, qui proscrit le service de prestations définies dans le cadre des fonds d’épargne retraite, porterait une atteinte au principe d’égalité non justifiée par des considérations d’intérêt général

36. – Considérant que tous les adhérents seront à cet égard dans une situation identique dès lors que cette exclusion est générale; que par suite le moyen invoqué manque en fait

37. – Considérant que les requérants allèguent en cinquième lieu qu’il résulte de l’article 7 de la loi qu’en cas de rupture du contrat de travail, l’adhérent à un plan d’épargne retraite qui a choisi de demander le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan verrait ses droits «cristallisés au niveau qu’ils avaient atteint à la date de rupture du contrat de travail, sans qu’il puisse bénéficier des produits financiers ou des «bénéfices techniques générés par le plan alors que les salariés continuant d’adhérer au fonds le pourront qu’il s’ensuivrait une rupture d’égalité entre les uns et les autres;

38. – Considérant qu’aux termes de la première phrase du premier alinéa de l’article 7: «En cas de rupture du contrat de travail, l’adhérent à un plan d’épargne retraite peut demander le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan;

39. – Considérant qu’il ne résulte pas de cette disposition que l’adhérent à un plan d’épargne retraite dont le contrat de travail aura été rompu et qui aura demandé le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan sera traité différemment, au regard de ces droits, de l’adhérent demeurant salarié du souscripteur que dès lors le moyen invoqué doit être rejeté

40. – Considérant que les auteurs de la saisine font enfin valoir que la loi établirait des différences de traitement injustifiées entre adhérents individuels et «adhérents collectifs en matière de contrôle et d’information que l’article 14 interdirait aux salariés adhérant individuellement à un plan d’épargne retraite d’être représentés au travers des comités de surveillance et, en raison des règles de composition de ces comités, conduirait à ce que les plans mis en place par de petites entreprises, voire de moyennes entreprises, ne puissent être dotés de comités de surveillance que les articles 16, 21 et 22 relatifs aux conditions d’information des adhérents et des membres du comité de surveillance ne permettraient pas que soient assurés l’information des adhérents individuels et l’exercice de leur contrôle;

41. – Considérant que le deuxième alinéa de l’article 14 prévoit que le comité de surveillance est composé, pour moitié au moins, de représentants élus des adhérents du plan, sans distinguer entre les adhérents à titre individuel et les autres que tous pourront donc participer aux élections des représentants des adhérents qu’aucune disposition de la loi ne fait obstacle à la constitution de tels comités, quelle que soit la taille des entreprises ayant pu souscrire à un plan d’épargne retraite; que l’article 21 définit les conditions d’information des adhérents sans distinguer entre eux; que tous pourront par l’intermédiaire du comité de surveillance être informés du rapport annuel sur la gestion du plan prescrit à la charge du fonds d’épargne retraite par le cinquième alinéa de l’article 21, des conclusions du rapport d’expertise présenté en application de l’article 16 ou des renseignements communiqués par les commissaires aux comptes ou les actuaires de fonds d’épargne retraite, en application de l’article 22

42. – Considérant que dès lors le grief tiré d’une inégalité de traitement entre les adhérents à titre individuel et les autres adhérents manque en fait. Sur le grief tiré de l’atteinte au principe «de faveur»

43. – Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que le deuxième alinéa de l’article 4, en permettant de faire prévaloir entre les différents accords en matière d’épargne retraite susceptibles d’être conclus au niveau de l’entreprise, de la branche professionnelle ou au niveau interprofessionnel, celui dont les dispositions sont les moins favorables, contreviendrait au principe du droit du travail selon lequel, en cas de conflit de normes, la plus favorable doit recevoir application que ce principe constituerait un principe fondamental reconnu par les lois de la République trouvant son origine dans une loi de 1936;

44. – Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 4, les plans d’épargne retraite pourront déroger au second alinéa de l’article L. 132-13 du code du travail qui oblige les parties à une convention ou un accord collectif à adapter leur accord aux dispositions d’une convention ou d’un accord plus favorable intervenu postérieurement et de niveau supérieur et au second alinéa de l’article L. 132-23 du même code qui impose la même obligation aux parties à un accord d’entreprise en cas d’application postérieure d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel;

45. – Considérant que la seule disposition, introduite par la loi du 24 juin 1936 sous la forme d’un article 31vc du code du travail, selon laquelle «les conventions collectives ne doivent pas contenir de dispositions contraires aux lois et règlements en vigueur, mais peuvent stipuler des dispositions plus favorables a trait uniquement à la faculté ouverte à des accords collectifs de comporter des stipulations plus favorables que les lois et règlements en vigueur; que dès lors le moyen tiré de cette disposition est inopérant;

Sur le grief tiré de la violation du principe de liberté contractuelle

46. – Considérant que les requérants font valoir qu’il résulte de la combinaison du deuxième alinéa de l’article 4, du premier alinéa de l’article 6 et du deuxième alinéa de l’article 7 que par décision unilatérale un employeur pourra, sans participer à son financement, mettre en place un plan d’épargne retraite et ainsi interdire aux salariés de l’entreprise d’adhérer à un autre fonds; qu’ainsi seraient méconnus le principe de liberté contractuelle et le principe de l’autonomie de la volonté qui résulterait de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen disposant que «la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui

47. – Considérant qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article 4, la souscription d’un plan d’épargne retraite peut résulter d’un accord collectif d’entreprise ou d’un accord de branche, que ce plan est proposé à l’adhésion de tous les salariés de l’entreprise, et en cas d’accord de branche, à tous les salariés concernés, que les conditions d’adhésion sont alors définies de façon identique pour des catégories homogènes de salariés qu’en application du premier alinéa de l’article 6, les versements des salariés et l’abondement de l’employeur aux plans d’épargne retraite sont facultatifs et peuvent être suspendus ou repris sans pénalité qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article7, en l’absence de rupture du contrat de travail, l’adhérent ne peut demander qu’à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de son adhésion, le transfert intégral, sans pénalité, des droits acquis en vertu de ce plan sur un autre plan d’épargne retraite, cette demande ne pouvant être renouvelée qu’une fois

48. – Considérant que le principe de liberté contractuelle n’a pas en lui-même valeur constitutionnelle que sa méconnaissance ne peut être invoquée devant le Conseil constitutionnel que dans le cas où elle conduirait à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis que tel n’est pas le cas en l’espèce que ne résulte ni de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ni d’aucune autre norme de valeur constitutionnelle un principe constitutionnel dit de l’«autonomie de la volonté que les griefs allégués par les requérants ne peuvent dès lors qu’être rejetés Sur le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre

49. – Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que le premier alinéa de l’article 8 de la loi imposerait une obligation de créer des fonds d’épargne retraite contraire au principe de la liberté d’entreprendre qu’en effet l’obligation faite aux organismes assureurs de constituer de nouvelles personnes morales soumises à un agrément spécifique constituerait une exigence excessive privée de justifications appropriées d’intérêt général

50. – Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 8: «Les fonds d’épargne retraite sont des personnes morales ayant pour objet exclusif la couverture des engagements pris dans le cadre de plans d’épargne retraite que les autres dispositions de l’article 8 ainsi que les articles 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24 et 25 de la loi déférée déterminent les conditions dans lesquelles les fonds d’épargne retraite seront créés, gérés et contrôlés qu’en particulier, le législateur a soumis la création des fonds d’épargne retraite à un agrément administratif donné après avis d’une commission de contrôle et a défini des règles prudentielles spécifiques applicables aux fonds d’épargne retraite;

51. – Considérant que la liberté d’entreprendre, qui n’est ni générale ni absolue, s’exerce dans le cadre des règles instituées par la loi que les contraintes établies par le législateur en vue de préserver la sécurité financière des salariés, en ce qui concerne la création, la gestion et le contrôle des fonds d’épargne retraite ne portent pas à cette liberté des atteintes excessives propres à en dénaturer la portée

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

52. – Considérant que les requérants soutiennent que l’article 20, en interdisant aux membres de la commission de contrôle prévue par l’article 17 de recevoir, pendant la durée de leur mandat et dans les cinq ans qui suivent l’expiration de celui-ci, toute rétribution de la part d’un fonds d’épargne retraite, d’un prestataire de services d’investissement gérant par délégation des actifs d’un fonds ou de toute société exerçant sur le fonds ou le prestataire un contrôle exclusif, méconnaîtrait l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont le respect supposerait que «l’ensemble des fonctionnaires et agents qui participent à l’instruction des demandes d’agrément et au contrôle des fonds d’épargne retraite ainsi que ceux qui, par délégation des ministres concernés, prennent la décision d’agrément, ne puissent pendant un délai qui pourrait également être de cinq ans, recevoir de rétribution d’un fonds d’épargne retraite

53. – Considérant que l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose: «La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration que la disposition que les auteurs de la saisine appellent de leurs vœux est sans rapport avec l’application de ce principe; que dès lors le moyen invoqué est inopérant

54. – Considérant qu’il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution

Décide:

Article 1er . – La loi créant les plans d’épargne retraite n’est pas contraire à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 mars 1997, où siégeaient: MM.Roland DUMAS, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean CABANNES, Maurice FAURE, Yves GUENA, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR et M. Jacques ROBERT.

Cour constitutionnelle du Gabon

GAB / 1992 / A01
Gabon / Cour constitutionnelle / 28-02-1992 / Décision n° 001-CC / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
4.2.13 Institutions – organes législatifs – partis politiques
5.1.1.2 Droits fondamentaux – principes de base – égalité et non-discrimination
5.1.2.4.2 Droits fondamentaux – principes de base – bénéficiaires – personnes morales – droit public
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication

Antenne (temps d’antenne) – Conseil national de la communication

La Cour constitutionnelle,

(…)

SUR L’ARTICLE 36 EN CE QU’IL TRAITE DU TEMPS D’ANTENNE ENTRE LES PARTIS POLITIQUES

Considérant qu’au nombre des textes et normes de valeur constitutionnelle figure la Charte nationale des libertés de 1990, laquelle réaffirme en son article 5 le droit d’accès égal aux médias de l’Etat;

Considérant qu’aux termes de l’article 95 de la Constitution, le Conseil national de la Communication est chargé, entre autres missions, de veiller au traitement équitable de tous les partis et associations politiques;

que le droit d’accès égal aux médias de l’Etat implique nécessairement l’égalité du temps d’antenne entre tous les partis politiques, dès lors qu’ils sont reconnus;

qu’il s’ensuit qu’en disposant en son article 36 que le Conseil national de la Communication veille à la proportionnalité du temps d’antenne entre les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, la loi 14/91 crée une discrimination qui entache cette disposition d’inconstitutionnalité;

(…)

Décide:

Article 1er .– Sont déclarés non conformes à la Constitution les articles 18, 19, 20, 36 et 40 du texte de loi soumis à la Cour constitutionnelle.

Article 2. – Sont déclarées non séparables de l’ensemble du texte de la loi les dispositions de l’article 36 et séparables dudit texte les dispositions des articles 18, 19, 20 et 40.

Article 3. – Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution. Est également déclarée conforme aux prescriptions des articles 54 alinéa 3 et 60 de la Constitution la procédure législative qui a abouti à l’adoption de ladite loi.

Article 4. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République.

(…)

GAB / 1993 / A02
Gabon / Cour constitutionnelle / 28-01-1993 / Décision n° 0002-CC / extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.9.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – accès aux tribunaux

Cartes d’identité – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

3. – Considérant que les requérants reprochent au texte attaqué d’avoir prévu en son article 13 qu’un décret déterminera les conditions d’exploitation et de gestion informatisée des cartes nationales d’identité alors que les limites et les conditions de l’usage de l’informatique doivent être fixées par la loi, conformément aux dispositions des articles 1er alinéa 6 et 47 cinquième tiret de la Constitution;

4. – Considérant certes qu’aux termes des articles de la Constitution ci-dessus visés, les conditions et les limites de l’usage de l’informatique afin que soient sauvegardés l’honneur, l’intimité personnelle et familiale des citoyens ainsi que le plein exercice de leurs droits sont fixées par la loi;

5. – Considérant toutefois que les dispositions de l’article 13 du Décret attaqué se bornent à annoncer qu’un décret déterminera les conditions d’exploitation et de gestion informatisée des cartes nationales d’identité conformément aux Lois en vigueur; qu’il en résulte que la seule annonce de ce Décret à venir ne constitue pas une violation des dispositions des articles 1er alinéa 6 et 47 cinquième tiret de la Constitution;

(…)

Sur le moyen tiré de la violation du principe d’égalité entre les citoyens

8. – Considérant que les requérants fondent ledit moyen sur le fait que l’avis dans le système juridictionnel gabonais étant insusceptible de recours, le demandeur de la carte nationale d’identité qui reçoit un avis négatif de la Commission Administrative, est privé de tout recours et se trouve par conséquent dans une situation qui crée une inégalité entre les citoyens devant la loi;

9. – Considérant qu’il est constant que seuls sont inattaquables les avis qui constituent des mesures préparatoires et consultatives destinées à l’élaboration d’actes Législatifs ou administratifs et qui de ce fait ne lient pas le destinataire dans son pouvoir de décision;

10. – Considérant au contraire qu’aux termes de l’article 11 du texte critiqué, l’établissement de la carte nationale d’identité est subordonné à un avis conforme de la Commission Administrative; que cet avis a par conséquent valeur de décision administrative; qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé;

(…)

16. – Considérant qu’il résulte notamment des articles 8, 9, 10 et 11 du décret attaqué que les dossiers de demande ou de renouvellement des cartes nationales d’identité sont obligatoirement adressés par les commissaires de police, les brigades de gendarmerie, les missions diplomatiques et consulaires à une structure centrale technique appelée Centre d’établissement des cartes nationales d’identité, lequel centre les transmet à son tour après examen à une commission administrative de délivrance et de renouvellement des cartes nationales d’identité; que celle-ci prend des décisions sous forme d’avis qui doivent être notifiées aux demandeurs par la même voie; qu’il est précisé à l’article 9 que les décisions de la commission administrative sont prises à la majorité simple et qu’en cas d’égalité de voix, celle du Président est prépondérante; que selon les articles 10 et 11 aucune carte nationale d’identité ne peut être établie par le centre sans l’avis conforme de la commission administrative, l’avis non conforme pouvant être attaqué par le demandeur devant la juridiction compétente;

17. – Considérant que la carte nationale d’identité est une pièce administrative qui sert à reconnaître à son titulaire la qualité de citoyen, avec les conséquences de droit qu’implique la possession de cette qualité; qu’elle revêt pour les citoyens, dans l’exercice de leurs droits, une importance d’autant plus primordiale que la plupart d’entre eux n’ont pas la possibilité de posséder une pièce d’identité autre que la carte nationale d’identité;

18. – Considérant que la délivrance ou le renouvellement de la carte nationale d’identité est subordonnée à des conditions limitativement énumérées à l’article 3 du texte attaqué et dont il appartient à l’Administration de constater la réunion lorsqu’elle est saisie d’une demande; qu’il en résulte que l’autorité compétente doit ou bien délivrer ladite carte lorsque les conditions sont réunies ou bien rejeter le dossier de la demande en indiquant au demandeur les éléments qui y font défaut, sous réserve des poursuites répressives dont pourraient faire l’objet les demandeurs suspects de faux ou d’usage de faux; qu’il s’ensuit que dans un cas ou dans l’autre l’Administration n’a aucune possibilité de choix contraire et qu’elle se trouve de ce fait dans une situation de compétence liée, laquelle constitue une garantie du respect du principe de la légalité républicaine;

19. – Considérant que les dispositions des articles 9, 10 et 11 susvisés confèrent paradoxalement un pouvoir discrétionnaire à l’Administration et exposent par conséquent les demandeurs de cartes nationales d’identité à des risques de discriminations, d’erreurs et de lenteurs préjudiciables;

20. – Considérant en effet que d’une part, à cause d’une procédure complexe, les personnes qui ont reçu un avis négatif et sont dans l’attente d’une décision juridictionnelle, se trouvent exposées à des lenteurs considérables susceptibles de porter atteinte à ceux de leurs droits et libertés dont l’exercice est subordonné à la présentation d’une carte nationale d’identité; que d’autre part, en raison des appréciations d’opportunité qui tiennent à la nature même du pouvoir discrétionnaire, des risques de discriminations et d’erreurs de nature à porter atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi sont à redouter de la part de la Commission Administrative; qu’enfin en conférant à cette Commission Administrative un pouvoir discrétionnaire qui est en contradiction avec la compétence liée résultant des dispositions de l’article 3, le décret querellé viole le principe de la légalité républicaine;

21. – Considérant que dans le préambule de la Constitution le peuple gabonais organise la vie commune notamment d’après le principe de la légalité républicaine et proclame solennellement son attachement au respect des libertés, des droits et des devoirs du citoyen; que le respect des droits implique nécessairement la possibilité pour les titulaires de ceux-ci de les exercer sans redouter le moindre obstacle;

22. – Considérant par conséquent que l’Administration est ici dans une situation de compétence liée, que les articles 9, 10 et 11 du décret attaqué, en tant qu’ils font obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte nationale d’identité et constituent une source potentielle de discriminations entre les citoyens devant la Loi, violent les dispositions des alinéas 1 et 3 du préambule et de l’article 2 de la Constitution.

Décide:

Article 1er . – Les articles 8, 9, 10 et 11 du décret n° 2056/PR/MDNSI du 27 novembre 1992 fixant les modalités de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d’identité sont déclarés contraires à la Constitution.

Article 2. – La présente décision sera notifiée aux requérants et publiée au Journal officiel de la République.

(…)

GAB / 1993 / A03
Gabon / Cour constitutionnelle / 3-12-1993 / Décision n° 023-93-CC / texte intégral

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication

Antenne (temps d’antenne) – Campagne électorale – Candidats (à une élection) – Conseil national de la communication – Manœuvre frauduleuse

Au nom du peuple gabonais,

La Cour constitutionnelle,

Vu La constitution;

Vu La Loi Organique 9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour constitutionnelle;

Vu La Loi Organique 14/91 du 24 mars 1992 portant organisation et fonctionnement du Conseil national de la Communication;

Vu La loi 13/92 du 11 mars 1993 portant code électoral;

Vu L’arrêté n° 002373/PM/PRACOM/PT du 4 novembre 1993 fixant la répartition du temps d’antenne et de l’espace d’insertion dans les médias de l’Etat pendant la campagne pour l’élection présidentielle de décembre 1993;

Ouï Maître David FOUMANE-MENGUE, Avocat des requérants en ses observations;

Ouï Maître Jean-Raymond ZASSI-MIKALA, Avocat du Sieur OMAR BONGO en ses observations;

Le Rapporteur ayant été entendu;

1. – Considérant que les requérants ont saisi la Cour constitutionnelle aux fins de voir invalider la candidature du Sieur OMAR BONGO sur le fondement des articles 155 et 156 du code électoral; qu’ils soutiennent à cet effet que depuis l’ouverture officielle de la campagne électorale le candidat OMAR BONGO bénéficie d’un traitement privilégié de la part des médias de l’Etat au détriment des autres candidats; que pour se faire offrir ce traitement privilégié il a corrompu les journalistes qui animent l’émission le grand jury en leur offrant une importante somme d’argent; qu’enfin, il utilise les moyens appartenant à l’Etat;

2. – Considérant que l’article 155 susvisé dispose notamment tous les candidats bénéficient, de la part de l’Etat, de l’égalité de traitement dès l’ouverture de la campagne officielle en vue de l’élection présidentielle. Le Conseil national de la Communication assure à chacun d’entre eux le même temps d’antenne et le même espace d’insertion dans les sociétés du secteur public de télévision, de radiodiffusion et de presse écrite. Le principe d’égalité entre les candidats doit être respecté dans les programmes d’information des sociétés du secteur public. Aucun candidat ne peut se prévaloir d’attribut particulier pour se faire offrir un traitement privilégié pendant la campagne électorale. Les moyens de transport et les infrastructures d’accueil appartenant à l’Etat ne peuvent être mis à la disposition d’un candidat au détriment des autres, tandis que l’article 156 énonce que toute manœuvre frauduleuse de la part du candidat dûment constatée par la Cour constitutionnelle et tendant à enfreindre le principe d’égalité visé à l’article 155 ci-dessus, entraîne automatiquement l’invalidation de la candidature de l’intéressé

3. – Considérant qu’il est constant que depuis l’ouverture de la campagne électorale le principe d’égalité de traitement des candidats à l’élection présidentielle n’est pas respecté par les médias de l’Etat, comme en témoignent une correspondance en date du 17 novembre 1993 adressée par le Président du Conseil national de la Communication au Président de la Cour constitutionnelle et au Ministre de la Communication ainsi qu’un procès-verbal de constat dressé le 24 novembre 1993 par un huissier de Justice;

4. – Considérant qu’il résulte cependant des dispositions de l’article 156 du code électoral que la violation du principe d’égalité visé à l’article 155 dudit code ne peut être une cause d’invalidation de candidature que si elle est la conséquence d’une manœuvre frauduleuse de la part du candidat; qu’il apparaît que par ces dispositions le législateur a voulu éviter que le candidat soit pénalisé pour des manœuvres ou des comportements dont il n’est pas responsable;

5. – Considérant que pour prouver que le non respect dudit principe par les médias de l’Etat est la conséquence d’une manœuvre frauduleuse du candidat OMAR BONGO, les requérants font valoir que celui-ci a reconnu, au cours de l’émission le grand jury du 20 novembre 1993, avoir corrompu les animateurs de cette émission en leur offrant une importante somme d’argent, ce qui, selon eux, constitue une manœuvre frauduleuse qui a déterminé le comportement discriminatoire de ces médias à l’égard des autres candidats;

6. – Considérant qu’à ce sujet le Sieur OMAR BONGO déclare avoir fait des largesses, en sa qualité de Président de la République, aux journalistes qui animent l’émission le grand jury, ceux-ci ayant sollicité sa générosité aux fins d’aplanir certaines difficultés relatives au fonctionnement de leur service; qu’il ajoute que de telles largesses ne sont pas rares aussi bien à l’égard des agents de l’Etat qu’à l’égard d’autres catégories de personnes;

7. – Considérant que le comportement discriminatoire des médias de l’Etat a été constaté dans tous les secteurs de la radiodiffusion et de la presse écrite; qu’il s’ensuit que les largesses faites par le Président de la République aux seuls animateurs du grand jury dans les conditions que l’on sait, ne sauraient revêtir le caractère d’une corruption et par conséquent d’une manœuvre frauduleuse;

8. – Considérant par conséquent qu’il ne résulte pas du dossier de la procédure la preuve que le non respect par les médias de l’Etat du principe d’égalité visé à l’article 155 du code électoral est la conséquence d’une manœuvre frauduleuse de la part du candidat OMAR BONGO;

9. – Considérant qu’en ce qui concerne l’utilisation par le candidat OMAR BONGO des moyens appartenant à l’Etat, l’intéressé a fait connaître que pour sa campagne il utilise les moyens de transport qui lui appartiennent ou qui ont été loués à ses frais; qu’il en a donné la preuve en produisant les factures relatives à la location d’un avion de la Compagnie Air-Gabon et de deux hélicoptères de nationalité suisse;

10. – Considérant qu’il ne résulte pas non plus du dossier de la procédure la preuve que le candidat OMAR BONGO a utilisé les moyens appartenant à l’Etat pour sa campagne électorale;

11. Considérant toutefois que lorsqu’il n’est pas la conséquence d’une manœuvre frauduleuse du candidat, comme c’est le cas en l’espèce, le non respect des médias de l’Etat du principe d’égalité ne peut procéder que de manœuvres, de complaisance ou de négligences coupables, ou d’excès de zèle dont les auteurs doivent faire l’objet d’observations publiques ou de sanctions appropriées de la part du Conseil national de la Communication, conformément aux dispositions des articles 96 de la Constitution et 41 de la Loi Organique du 24 mars 1992.

Décide:

Article 1er . – La requête présentée par le Forum Africain pour la Reconstruction, le Rassemblement national des Bûcherons, le Parti Radical des Républicains Indépendants, le Parti Libéral Démocrate et Messieurs Jules Aristide BOURDES OGOULIGUENDE, Jean-Pierre LEMBOUMBA LEPANDOU et Alexandre SAMBAT est rejetée.

Article 2. – La présente décision sera notifiée aux requérants et publiée au Journal officiel de la Gabon.

Siégeaient Madame Marie Madeleine MBORANTSUO, Président, MM. Augustin BOUMAH, Victor AFENE, Jean-Pierre NDONG, Marc Aurélien TONJOKOUE, Paul MALEKOU, Séraphin NDAOT, Dominique BOUNGOUERE, Madame Louise ANGUE.

Assistés de Maître Pierre François BARBERA-ISAAC, Greffier Et ont signé, le Président et le Greffier.

Cour suprême de Guinée

GUI / 1993 / A01
Guinée/Cour suprême/Chambre constitutionnelle et administrative/11-05-1993 / Arrêt n° 93-002-CS-CCA / texte intégral

(AFFAIRE U.N.P. [Union Nationale pour la Prospérité] et Paul Louis FABER c. [M.I.S.] le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité)

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Loi (égalité devant la loi) – Service public (égalité devant le service public)

Au nom du Peuple guinéen,

La Cour suprême de la République de Guinée, séant à Conakry, Chambre Constitutionnelle Administrative en son audience publique et ordinaire du Onze Mai Mil Neuf Cent Quatre-Vingt-Treize tenue au Palais du Peuple,

A rendu l’arrêt dont la teneur suit dans la cause;

Entre:

L’U.N.P. (Union Nationale pour la Prospérité) représentée par Maître Paul Louis FABER, Secrétaire Général et Maître Paul Louis FABER en qualité de militant actif;

Demandeurs comparant en personne et concluant par l’organe de leurs Conseils, Maître Jean DIENG, Dinah SAMPIL, Boubacar SOW et Maurice Lamey KAMANO, Avocats à la Cour D’UNE PART

ET Le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité (M.I.S.);

Défendeur comparant, représenté par les Sieurs Dembo TOURE et Daouda CONDE respectivement, Directeur des libertés Publiques et des affaires juridiques, et Conseiller.

En droit:

Sur le 1er Moyen:

Considérant que selon le 1er Moyen développé par le pourvoi, l’article 12 du règlement intérieur qui précise la composition du Congrès a été violé;

Considérant que selon cet article le Congrès se compose des Membres du Bureau Exécutif, des Membres du Bureau National des Bureaux Fédéraux, 5 Membres du Bureau National des Femmes et 5 Membres des Jeunes;

Considérant que le pourvoi soutient que les Bureaux Fédéraux dont la présence était nécessaire n’étaient pas encore tous constitués;

Considérant que des pièces fournies par le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, hors délais et sur demande de la Cour suprême, il résulte que le Congrès était composé de la manière suivante:

«étaient présents:

18 Membres du Bureau Exécutif provisoire;

27 Bureaux Fédéraux sur 28

5/5 Bureau National des Femmes

5/5 Bureau National des Jeunes»;

Considérant qu’on relève tout d’abord que seuls 18 Membres du Bureau Exécutif sur 31 étaient présent en violation de l’article 12 du règlement intérieur lequel parle des Membres du Bureau Exécutif et non d’une fraction du Bureau Exécutif, ce qui établit que l’exigence liée à la présence du Bureau Exécutif comme Membre statutaire du Bureau Exécutif n’était pas réuni;

Considérant que le Congrès ne remplit pas non plus les conditions de l’article 12 en ce que seules Fédérations sur 38, et non sur 28 comme ledit le Procès-Verbal de la séance d’ouverture du Congrès, étaient présentes;

Considérant en outre que non seulement le nombre de délégués n’était pas uniforme pour les différentes Fédérations mais en plus ces délégués ne produisent aucun mandat les habilitant à représenter dans les conditions statutaires les organismes de base, leurs délégants;

Considérant par ailleurs que les délégués statutaires n’ayant pas émargé ni produit d’habilitation, la représentativité et la régularité du Congrès par rapport aux Statuts et au règlement intérieur (documents contractuels) ne sont pas établis, par suite, il y a violation de l’article 12 et irrégularité du Congrès tenu et des décisions qui en ont résulté;

Sur le 2e Moyen:

Considérant que le pourvoi soutient aussi la violation de l’article 14 du règlement intérieur en ce que la convocation et l’ordre du Jour du Congrès n’ont pas été envoyés dans le délai et par la personne mentionnée dans ce texte, à savoir le Secrétaire Général;

Considérant que des pièces versées au dossier, il résulte qu’un acte en date du 5 septembre 1992, sous la signature de Monsieur Nana Souna YANSANE, Secrétaire Politique, indiquant la tenue prochaine du Congrès et l’ordre du Jour, a été émis au nom des Fédérations et des Bureaux Nationaux des Femmes et des Jeunes;

Considérant que le 7 octobre 1992 un communiqué sous la signature du Secrétaire à l’Administration Monsieur Naby Ibrahima CAMARA, informe les Militants et les Militantes de l’UNP de la tenue du 1er Congrès dont la convocation a été décidée par la majorité du Bureau Exécutif;

Considérant qu’il convient tout d’abord de relever les contradictions de date entre le communiqué du 7 octobre valant acte de convocation du Congrès et l’acte du 5 septembre 1992 de Monsieur Nana Souna YANSANE informant les Fédérations, de la tenue du Congrès et de l’ordre du Jour soit à un moment où le Congrès n’était pas encore convoqué par le Bureau Exécutif;

Considérant qu’il apparaît donc qu’aux termes même du communiqué du 7 octobre 1992, qui se déclare acte de convocation, le Congrès a été convoqué le 7 octobre 1992 pour être tenu les 10 et 11 octobre;

Qu’il est dès lors constant que ni les convocations, ni l’ordre du Jour n’ont été envoyés par le Secrétaire Général de l’UNP;

Qu’à supposer même qu’on retienne le communiqué du 7 octobre comme acte de convocation du Congrès, il reste qu’il est signé par Monsieur Naby I CAMARA et non par le Secrétaire Général et il n’est pas accompagné de l’ordre du Jour; Que dès lors l’article 14 du règlement intérieur n’a pas été observé et pour cela le Congrès tenu et les décisions qui y sont issues sont irréguliers;

Sur le 3e Moyen:

Considérant que le pourvoi fait état de la violation de l’article 15 du règlement intérieur en ce que le Congrès du 10 et du 11 octobre n’aurait pas été convoqué conformément à cette stipulation;

Considérant que selon cet article le Congrès est convoqué soit par le Bureau Exécutif, soit par les 2/3 des Membres du Congrès soit par les 2/3 des délégués des Fédérations, également l’article 22 des Statuts;

Considérant que l’acte de convocation versé au dossier, soit le communiqué du 7 octobre 1992, fait état de la convocation du Congrès par la majorité du Bureau Exécutif soit 18 Membres dont les signatures sont apposées au verso de l’acte;

Considérant que l’article 15 attribue le pouvoir de convoquer le Congrès non à une fraction même majoritaire du Bureau Exécutif mais au Bureau Exécutif tout court soit le Bureau Exécutif dans sa totalité sauf les cas de délégation de vote ou d’excuses justifiées;

Considérant qu’il est de principe que l’interprète n’a pas à distinguer là où la Loi ou le texte ne distingue pas;

Considérant par ailleurs que chaque fois que les fondateurs de l’UNP ont voulu une majorité qualifiée, ils l’ont exprimée dans les Statuts ou le règlement intérieur, l’article 15 étant précisément une illustration;

Que dès lors la convocation faite par les 18 Membres du Bureau Exécutif n’est pas conforme à la volonté contractuelle contenue dans l’article 15 du règlement intérieur. Par suite le moyen est fondé;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les articles 12, 14 et 15 du règlement intérieur et les articles 15 et 22 des Statuts n’ont pas été respectés; que pourtant les Statuts et le règlement intérieur sont des documents contractuels qui font la Loi des Parties (Article 668 du Code civil);

Que cette Loi des Parties s’impose à elles, à l’Administration et même au Législateur. Elle ne peut être anéantie ou modifiée que selon les volontés contractuelles contraires exprimées par les Parties. Que nul ne peut se substituer aux volontés exprimées dans les Statuts et le règlement intérieur pour régler la vie du Parti;

Que le dépôt de ces documents au Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité au moment de la naissance du parti et l’appréciation de leur conformité à la légalité par le Département de l’Intérieur en font des instruments juridiques dont le respect s’impose au Ministère de l’Intérieur et à tous. Que ne pas respecter les Statuts et le règlement intérieur équivaudrait à rendre inutile le dépôt de ces documents exigés par la Loi. Que dès lors, le Ministère de l’Intérieur a l’obligation légale (Article 668 du Code civil), (Article 17 de la Loi Organique N° 91/02) de ne prendre en compte que le Congrès, convoqué, tenu, siégeant et décidant dans les conditions définies dans les Statuts et le règlement intérieur déposés devant l’Administration;

Que le non-respect des articles 12, 14, 15 du règlement intérieur et les articles 15 et 22 des Statuts par ceux qui ont organisé le Congrès de l’UNP les 10 et 11 octobre 1993 emporte comme conséquence la violation des textes contractuels, Loi des parties, et l’irrégularité du point de vue contractuel et légal du Congrès tenu et des décisions qui en ont résulté;

Que dès lors, la lettre Administrative N° 001401/MIS/CAB du 4 novembre 1992 de Monsieur le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, admettant la validité des modifications statutaires et contractuelles du Congrès irrégulier des 10 et 11 octobre 1993, viole par là même les articles 668 du Code civil et 17 de la Loi organique N° 91/02 portant charte des partis politiques;

Que cette lettre Administrative non conforme aux Lois doit être déclarée nulle et de nul effet;

Sur le 4e Moyen:

Considérant que le pourvoi reproche à la lettre Administrative Ministérielle 001401/MIS/CAB d’avoir violé l’article 17 de la Loi Organique N° 91/02 portant charte des partis politiques en ce qu’elle a admis la validité des modifications statutaires et contractuelles non conformes aux Lois et aux règlements;

Considérant qu’à la suite du Congrès de l’UNP des 10 et 11 octobre 1992, des modifications ont touché l’organe de direction dont la liste a été déposée au Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité;

Considérant que cette liste ne pouvait être modifiée que dans les conditions déterminées par les Statuts et le règlement intérieur et dans le respect de la Loi;

Considérant que les modifications intervenues dans la direction résulte du Congrès non statutaire et irrégulier tenu les 10 et 11 octobre 1993;

Considérant que ce faisant, ces modifications sont non statutaires, non contractuelles et non légales.

Que dès lors, il y a violation de l’article 17 de la Loi Organique N° 91/02, qui dispose dans son 3e alinéa, «toute modification non conforme aux Lois et règlements sera refusée», sans même qu’il y ait lieu de rechercher si le Secrétaire Général élu lors des assises des 10 et 11 octobre 1992 remplissait en sa personne les conditions légales pour être Secrétaire Général de l’UNP;

Considérant qu’à ce titre aussi la lettre Administrative attaquée mérite d’être annulée;

Sur le 5e Moyen:

Considérant que le pourvoi reproche au Département de l’Intérieur et de la Sécurité d’avoir violé l’article 5 de la Loi Fondamentale qui énonce le caractère sacré de la personne humaine et de sa dignité et la protection qui leur est due par l’Etat, en ne signifiant pas aux requérants notamment à Maître Paul Louis FABER malgré l’indication portée sur la lettre querellée de lui en faire ampliation;

Considérant que ce moyen ne peut être retenu car la non expédition de la lettre Ministérielle N°001401/MIS/CAB ne viole en rien la dignité du requérant;

En revanche, les citoyens étant égaux devant la Loi et le service public, en envoyant la lettre N° 001401/MIS/CAB à Monsieur TOURE et en abstenant de le faire à l’endroit de Maître Paul Louis FABER alors que l’annonce de l’ampliation a été faite, l’acte de Monsieur le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité viole le principe constitutionnel (article 8 de la Loi Fondamentale) et le principe général du droit exprimant l’égalité des citoyens devant la Loi et le service public. A ce titre également l’acte querellé mérite d’être annulé;

Sur le 6e Moyen:

Considérant que le pourvoi soutient l’annulation de la décision Ministérielle pour manque de motif;

Considérant que si les motifs ne semblent pas apparaître expressis verbis dans la lettre attaquée, elle renferme cependant assez d’éléments permettant d’apprécier les soutiens de la décision; que partant le moyen n’est pas fondé.

Par ces motifs:

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière adminisrative, en premier et dernier ressort

Au fond

  1. Annule dans tous ses effets la lettre Administrative N° 001401/M.I.S./CAB prise par Monsieur le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité pour violation des articles 12, 14, 15 du règlement intérieur de l’UNP, des articles 15 et 22 des Statuts, de l’article 668 du Code civil, de l’Article 17 de la Loi organique 91/02, de l’article 8 de la Loi Fondamentale et d’un principe fondamental du droit
  2. Dit que les dépens sont à la charge du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité
  3. Déclare que le présent arrêt sera publié partout où le besoin sera.

Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jours, mois et an que dessus.

Et ont signé le Président, le Conseiller Rapporteur et le Greffier.

(M Lamine SIDIME Premier Président, Président;

M Chaïckou Yaya BALDE, Conseiller;

M. Robert GUILAO, Conseiller;

En présence de M. Alpha Ibrahima DIALLO Procureur Général Près la LA COUR SUPREME

Avec l’assistance de Maître Ibrahima BEAVOGUI Greffier en Chef Près Ladite Cour.)

GUI / 1994 / A02
Guinée/Cour suprême/Chambre constitutionnelle et administrative/4-01-1994/Arrêt n° 94-001-CS-CCA / extraits

5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.16 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits relatifs aux médias audiovisuels et aux autres modes de communication
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

Bulletins de vote – Campagne électorale – Candidats (à une élection) – Preuve (absence de preuve de la rupture d’égalité)

Au nom du Peuple guinéen,

(…)

3e série de Moyens liés à la non communication de la liste des bureaux de vote:

Considérant que les requérants soutiennent la violation de l’article L.O 71 de la Loi organique n°91/12, ce moyen est soulevé par Monsieur Alpha CONDE, Monsieur Facine TOURE, Monsieur Mamadou BHOYE BA;

Considérant qu’il est soutenu que cette liste n’a pas été établie et communiquée dans le délai requis;

Considérant que l’arrêté ayant été pris le 9/12/93, l’article L.O 71 de la Loi Organique n° 91/12 n’a pas été observé;

Que cependant malgré cette insuffisance, les Bureaux de Vote ont été identifiés par les Citoyens et électeurs car, outre que les électeurs se sont acquittés massivement de leur devoir civique, des individus mal intentionnés ont pu eux aussi identifier les lieux des bureaux de vote en vue de leur destruction;

Considérant, par ailleurs aux dires du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité que si l’arrêté a été pris tardivement c’était en raison de l’annulation de la première liste, du fait que des bureaux avaient été installés dans des résidences privées, ce qui a été considéré comme contraire à la transparence et à la sincérité du vote.

Considérant dès lors que l’établissement tardif de la liste qui est dû au souci de faire prévaloir la transparence ne peut constituer un motif d’annulation des élections;

Considérant aussi que la tardiveté n’a pas porté préjudice aux candidats et à leur parti dans la mesure où, à l’instar des citoyens ils ont pu identifier les lieux des bureaux de vote et y envoyer leurs représentants; Qu’il apparaît donc que sous ce rapport aussi ni la sincérité du vote, ni l’égalité des candidats n’ont été affectées par la non observation de l’article L.O 71 de la Loi Organique n° 91/12/CTRN;

Qu’il n’est davantage établi que la non-observation de la Loi a été motivée par une intention de nuire ou même par une négligence ou une erreur grossière entraînant une violation des principes cardinaux ordonnant les élections: à savoir la sincérité, la liberté et la possibilité du vote des électeurs et l’égalité entre les candidats. Le taux de participation et la présence significative des représentants des partis dans les bureaux en sont la preuve; Considérant dès lors que ce moyen ne peut être retenu pour annuler les élections du 19/12/93;

4e série de Moyens liés à la règlementation de la campagne électorale:

Considérant que les requérants soutiennent que les règles de la campagne électorale ont été violées en particulier les articles L.O 42 qui interdit de faire campagne en dehors de la période légale fixée, or le candidat du PUP aurait tenu une conférence administrative à KANKAN pendant cette période; L.O 46 nouveau qui indique une seule condition, la déclaration, pour faire des manifestations, rassemblement et réunions alors que Monsieur le Président de la République aurait interdit toute manifestation de rue; L.O 49 et R. 29 exigeant la fixation de l’emplacement des lieux d’affichage par acte du Maire ou du Président de la CRD, alors qu’un tel acte n’a pas été pris; L.O 59, et R. 41 sur l’égalité de traitement des candidats devant les Média d’Etat;

Considérant que la règle de l’article 42 n’est pas violée, car Monsieur LANSANA CONTE est intervenu à KANKAN comme Président de la République et non comme candidat. C’est si vrai qu’aucun des attributs de la campagne électorale n’a été mis à la disposition de Monsieur le Président;

Considérant que s’agissant de l’interdiction des manifestations de rues, qui est intervenue bien avant la convocation des élections, elle ne saurait être rattachée à celles-ci; Qu’un recours approprié dans le délai légal n’a pas été entrepris; Que ce moyen ne saurait donc être retenu;

Considérant d’ailleurs que le droit de manifestation n’a pas été supprimé car les autres formes de manifestation sont tenues, à preuve, la campagne électorale a permis aux candidats de faire porter leur message dans tout le Pays; Considérant que c’est la Loi même qui donne à l’autorité administrative un pouvoir de police pour limiter la liberté de manifestation surtout lorsque l’ordre public l’exige;

Considérant dès lors que ce moyen n’est pas fondé;

Considérant que la violation de l’article L.O 49 ne saurait davantage être retenue puisque la non prise des actes administratifs par les Maires et Président de CRD n’est pas démontrée; Considérant que si même cette démonstration était faite, cette défaillance n’a pas empêché la campagne d’où le moyen n’est pas fondé;

Considérant que s’agissant de l’accès inégal des candidats aux mass médias, la preuve n’est pas rapportée de cette inégalité;

Qu’aucune plainte n’a été adressée au Conseil national de la Communication (CNC) pour établir cet inégal accès aux Mass Média; Que c’est une erreur que de considérer que le droit de réponse exercé par la Radio et la Télévision était en faveur d’un candidat;

Qu’en tout état de cause, c’est la Loi elle-même qui a prescrit le droit de réponse; Que ce moyen ne peut prospérer;

(…)

Considérant que s’agissant de KANKAN certains requérants demandent l’annulation du Scrutin pour différents motifs:

  1. l’inégalité créée entre les candidats dont les Bulletins n’étaient pas en nombre égal;
  2. vote de Jeunes Personnes n’ayant pas atteint l’âge électoral;
  3. vote multiple d’une même personne;
  4. interpellation des votants sur le candidat choisi et indication de ce choix sur le registre d’émargement;

(…)

Considérant que suite à ces enquêtes la Cour a relevé des irrégularités graves que sont:

  1. l’émargement des votants avec indication écrite du nom du candidat pour lequel le vote a été fait;
  2. la signature sur les registres d’émargement de personnes n’ayant pas atteint 18 ans avec mention du numéro de la Carte d’Identité;
  3. le vote multiple d’un même électeur par utilisation en lieu et place de l’encre indélébile de l’encre normale qui est effacée sur le doigt par le Jus de Citron;
  4. la discrimination grave et consciente entre les candidats par rétention abusive et injustifiée de Bulletins et la répartition non régulière par les autorités Communales de KANKAN des Bulletins de vote; qu’en particulier alors que les Bulletins de Vote étaient manquants dans les Bureaux de Vote de KANKAN Ville, des sous-préfectures et CRD, qui avaient pourtant reçu leur dotation étaient servies gracieusement et dans des conditions irrégulières, au point que la Gendarmerie a interpellé de Jeunes Garçons de KOUMBAN qui retournaient dans leurs sous-préfecture avec des Bulletins remis par le Maire de KANKAN pour être utilisés dans leurs Bureaux de Vote; ces Jeunes Gens ont été condamnés par le Tribunal de KANKAN;
  5. la rétention, dans un taxi privé sans surveillance officielle, sous la responsabilité du seul chauffeur, des Bulletins de Vote de certains candidats alors que ces Bulletins n’étaient plus disponibles dans les Bureaux, ce qui a conduit à la suspension du Vote dans certains Bureaux en attendant l’arrivée de Bulletins supplémentaires de CONAKRY;

Considérant que le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité ayant rapporté la de la réception dans chaque circonscription électorale d’un nombre de Bulletin légèrement supérieur au nombre d’inscrits, les Bulletins de Vote n’auraient pas dû manquer et de fait, des manquants n’ont été signalés nulle part ailleurs;

Considérant que suite à cette instruction, la Cour a acquis la conviction d’une part, que ces anomalies volontaires, frauduleuses visaient à favoriser certains candidats et d’autre part, que des intimidations avaient porté atteinte à la liberté de choix et de décision dans les Bureaux de Vote de KANKAN;

Que dès lors la Cour admet le bien-fondé des demandes d’annulation du vote dans les Bureaux de Vote de la ville de KANKAN et déclarent nul le vote intervenu dans lesdits Bureaux de Vote de ladite Ville;

Que s’agissant des Bureaux de Vote des Sous-Préfectures et CRD de KANKAN, la Cour n’a pas eu la preuve d’une violation grave des principes fondamentaux du droit électoral; de nature à entraîner une sanction;

(…)

Par ces motifs:

1.–Déclare la Jonction des Deux (2) requêtes du 13/12/93 et du 28/12/1993 de Monsieur Siradiou DIALLO, Secrétaire Général du Parti du Renouveau et du Progrès (PRP) et les juge irrecevables pour défaut de qualité;

2.–Déclare la requête de Monsieur Jean-Marie DORE irrecevable pour défaut de moyens

3.–Déclare recevables les requêtes de Monsieur Lansana CONTE, de Monsieur Mohamed MANSOUR KABA, de Monsieur Alpha CONDE, de Monsieur Mamadou BHOYE BA, de Monsieur El Hadj ISMAØLA Mohamed GASSIM GHUSSEIN, de Monsieur Facine TOURE et décide leur jonction;

4.–Au fond.

Décide:

a)–le rejet des requêtes de Monsieur Mamadou BHOYE BA, de Monsieur Facine TOURE, de Monsieur Alpha CONDE et de Monsieur El Hadj ISMAØLA Mohamed GASSIM GHUSSEIN comme étant mal fondées;

b)–le bien-fondé des requêtes de Monsieur Lansana CONTE et de Monsieur Mohamed MANSOUR KABA, et l’annulation des suffrages exprimés dans la circonscription électorale de SIGUIRI le 19/12/1993 et des suffrages exprimés dans la Commune Urbaine de KANKAN le même jour;

Dit que ces suffrages annulés viennent en diminution du suffrage total exprimé;

5. – SUR LES RESULTATS DEFINITIFS;

(…)

Conseil constitutionnel du Liban

LIB / 1995/ A01
Liban/Conseil constitutionnel/25-02-1995/Décision n°2-95/texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – Lois et autres normes à valeur législative
5.2.9.8 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – indépendance
5.2.9.15 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable – égalité des armes

Circonstances exceptionnelles – Service public de la justice (égalité devant le service public de la justice)

Ayant pris connaissance du dossier et des pièces qui accompagnent le recours présenté, ainsi que des conclusions du Conseiller rapporteur déposées en date du 18 février 1995,

Attendu que le recours présenté a été inscrit au greffe du Conseil le 6 février 1995 et vise à faire déclarer non conforme à la Constitution la loi n° 406 du 12 janvier 1995, publiée au n° 4 du Journal officiel du 26 janvier 1995, qui modifie certaines dispositions de la loi du 16 juillet 1962 relative à l’organisation des juridictions charei, sunnite et chiite; que les députés auteurs du recours ont demandé la suspension de l’application de cette loi et son annulation;

qu’à l’appui de leur demande, les requérants soutiennent d’abord que la loi n° 406 du 12 janvier 1995 a été adoptée en violation des principes et des règles de procédure qui doivent être suivies pour la présentation et le vote des lois;

qu’elle est contraire ensuite au principe de la séparation des pouvoirs, clairement énoncé dans la Constitution; qu’elle méconnaît enfin le paragraphe (h) du préambule de la Constitution, ainsi que les articles 20, 56 et l’alinéa 3 de l’article 65 de celle-ci;

Attendu que postérieurement à la présentation de la demande, trois requêtes ont été présentées au Conseil par les députés Khodr Ali Tlaiss, Ibrahim Bayane et Mounir Hojjeiri, que le député Tlaiss, dans sa requête soutient ne point reconnaître la signature telle qu’elle est apposée sur la demande déposée au Conseil; que cette demande lui serait ainsi étrangère;

que de leur côté, les députés Bayane et Hoggeiri affirment que leur participation au recours provient d’une équivoque.

Attendu enfin que le Conseil a reçu une requête du député Ayman Shoucair en date du 11 février 1995, dans laquelle celui-ci déclare se joindre au recours présenté, tel qu’il a été formulé dans son objet et ses motifs;

Vu ce qui précède;

En la forme:

Considérant que les titulaires du recours devant le Conseil constitutionnel, limitativement énumérés à l’article 19 de la Constitution, quand ils demandent l’annulation d’une loi inconstitutionnelle, exercent une prérogative que la Constitution leur confère dans l’intérêt général, et qui se trouve ainsi dépourvu de tout caractère litigieux personnel;

qu’un tel recours issu d’un pouvoir constitutionnel, devient définitif à dater de son inscription auprès du Conseil constitutionnel, et ne peut être postérieurement rétracté;

qu’en conséquence, les requêtes subséquentes présentées au Conseil par les députés Ibrahim Bayane et Mounir Hoggeiri, visant au retrait du recours qu’ils avaient antérieurement déposé, ne sauraient être acceptées;

que la demande du député Khodr Ali Tlaiss dans laquelle celui-ci déclare, d’une manière insuffisamment claire, ne point reconnaître la signature figurant sur la demande conjointe du recours, ne saurait avoir d’effet sur la validité de celui-ci;

qu’il en est de même de la demande présentée postérieurement par le député Aymane Shoucair en date du 11 février 1995, seize jours après la parution de la loi n° 406 au Journal officiel du 26 janvier 1995;

qu’en effet le nombre des Dix députés exigé par la Constitution pour la validité du recours se trouve atteint indépendamment des requêtes postérieures des deux députés sus-mentionnés;

qu’en conséquence, le recours, tel que présenté initialement au Conseil constitutionnel, en date du 6 février 1995, l’a été dans le délai fixé par l’article 19 (dernier alinéa) de la Loi du 14-7-1993, et se trouve recevable en la forme.

Au fond:

Considérant que la loi n° 406 du 12 janvier 1995 dont l’annulation est demandée est ainsi libellée:

Article unique. – Titre exceptionnel, et pour une seule fois, et contrairement à tout autre texte, le Président du Conseil des Ministres pourra transférer le Président de la Haute juridiction jaafarite ou le mettre en disponibilité.

Considérant que l’article 20 de la Constitution stipule:

Le pouvoir judiciaire fonctionnant dans les cadres d’un statut établi par la loi et assurant aux juges et aux justiciables les garanties indispensables, est exercé par les tribunaux des différents ordres et degrés.

La loi fixe les limites et les conditions de l’inamovibilité des magistrats. Les juges sont indépendants dans l’exercice de leur magistrature. Les arrêts et jugements de tous les tribunaux sont rendus et exécutés au nom du peuple libanais.

Considérant qu’il résulte de ce texte que les garanties nécessaires doivent être établies par la loi pour assurer l’indépendance des juges et la protection des justiciables;

que la diminution de ces garanties entraîne une violation de la disposition constitutionnelle qui les édicte;

que cette disposition doit être spécialement appliquée aux juridictions charei sunnite et jaafarite qui comme l’affirme le législateur à l’article 1 de la loi du 16 juillet 1962, constituent une composante du corps judiciaire de l’Etat;

Considérant d’autre part que l’article 459 de la loi du 16 juillet 1962 stipule:

Les juges des tribunaux charei ne peuvent être transférés, mis en disponibilité ou déférés au Conseil de discipline qu’après approbation de la Haute Cour des juridictions charei.

Considérant que la loi n° 406 du 12 janvier 1995, dont l’annulation est demandée, modifiant l’article 459 précité, accorde au Président du Conseil des Ministres de déplacer le Président de la Haute juridiction charei jaafarite ou de le mettre en disponibilité;

qu’elle conduit à amoindrir l’indépendance de la justice et diminue les garanties que l’article 20 de la Constitution octroie aux juges et aux justiciables;

Attendu qu’il est patent que ces garanties ont pour contrepartie, des obligations incombant aux juges, dont les statuts et les responsabilités sont déterminés par le législateur lui-même, dans le respect des principes de la Constitution;

que la loi n° 406 du 12 janvier 1995, objet du recours, s’avère ainsi contraire à l’article 20 de la Constitution, qu’elle viole en effet le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire en portant atteinte aux garanties qui doivent être assurées aux juges et aux justiciables;

qu’il convient en conséquence de la déclarer non conforme à la Constitution et de l’annuler.

Par ces motifs:

Après en avoir délibéré,

Le Conseil constitutionnel, faisant suite à sa décision du 11 février 1995, décide à l’unanimité

  1. De recevoir le recours en la forme;
  2. De déclarer irrecevables les demandes de retrait, survenues postérieurement à l’inscription du recours au greffe du Conseil, pour les motifs ci-haut mentionnés;
  3. D’annuler, parce que non conforme à la Constitution, la Loi n° 406 du 12 janvier 1995, publiée au Journal officiel le 26 janvier 1995, et ayant pour objet de modifier les dispositions relatives à l’organisation des juridictions charei sunnite et jaafarite;
  4. De publier la présente décision au Journal officiel. Le Conseil constitutionnel, réuni le 25 février 1995, sous la présidence de M. Wadji Mallat, en présence de tous ses membres, Messieurs: Jawad Osseyrane – Adib Allam – Kamel Raydane – Michel Turkieh – Pierre Gannagé – Salim elAzar – Mohammed el-Majzoub – Antoine Kheir et Khaled Kabbani

LIB / 1996 / A02
Liban / Conseil constitutionnel / 7-08-1996 / Décision n° 4-96 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du recours – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux Candidats (à une élection) – Circonscriptions électorales (découpage des circonscriptions électorales) – Loi (égalité devant la loi)

(…)

1. – Sur la non-conformité à la Constitution de l’article 2 nouveau de la loi 530/96.

Considérant que la loi n° 530/96 du 11 juillet 1996, publiée au Journal officiel n ° 29 du 12 juillet 1996 modifie certaines dispositions de la loi du 26 avril 1960 relative à l’élection des membres de la Chambre des députés;

Que l’article 2 de la loi nouvelle est ainsi libellé:

les circonscriptions électorales sont ainsi constituées:

Circonscription du Mohafazat de la ville de Beyrouth;

Circonscription du Mohafazat de la Bekaa;

Circonscription des Mohafazats du Liban-Sud et de Nabatieh;

Circonscription du Mohafazat du Liban-Nord;

Circonscriptions dans chaque Caza du Mohafazat du Mont-Liban;

Considérant que l’article 24 de la Constitution Libanaise stipule que la Chambre des députés est constituée de députés élus dont le nombre et les modalités d’élection sont fixés par les lois en vigueur; que cette disposition se limite à établir les principes qui doivent commander la répartition des différents sièges de la Chambre;

Que la Chambre des députés, lors de l’établissement des lois électorales doit cependant, en tout état de cause observer les principes généraux qui sont énoncés dans l’article 7 de la Constitution comme dans son préambule;

Que l’article 7 de la Constitution déclare:

tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune;

Que le paragraphe C du Préambule de la Constitution stipule à son tour Le Liban est une république démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens, sans distinction, ni préférence;

Que le § D de ce Préambule énonce enfin:

Le peuple est la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté qu’il exerce à travers les institutions constitutionnelles;

Considérant que l’élection constitue l’expression démocratique de cette souveraineté; qu’elle ne peut être démocratique que si sa réglementation est conforme aux principes de la Constitution, notamment au principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi;

Que la loi est la manifestation d’une volonté générale qui s’exprime à la Chambre des députés; qu’elle ne revêt ce caractère que si elle s’accorde avec les principes généraux de la Constitution; qu’elle doit être ainsi uniforme, la même pour tous les citoyens; que cette uniformité dans le domaine de la loi électorale se réalise par une égalité établie entre tous les suffrages des citoyens, de manière à ce que chaque suffrage ait la même force électorale dans les différentes circonscriptions;

Que la crédibilité d’un système électoral se fonde aussi sur le découpage des diverses circonscriptions électorales qui doit garantir lui-même une égalité de représentation;

Qu’il est considéré à juste titre que tout découpage doit être opéré sur des bases essentiellement démographiques pour être représentatif d’un territoire et de ses habitants;

Considérant que le critère démographique dans le découpage des circonscriptions électorales n’est cependant pas rigide et absolu; qu’il appartient au législateur de lui apporter des atténuations, lorsqu’il doit tenir compte de circonstances exceptionnelles; que cependant ces atténuations qui touchent le principe d’égalité ne sauraient être admises que si elles s’inspirent d’impératifs précis d’intérêt général et s’appliquent dans des limites étroites;

Que la loi attaquée a adopté des critères différents dans le découpage des circonscriptions électorales; qu’elle a en effet érigé les Mohafazats de Beyrouth, du Liban-Nord et de la Bekaa en circonscriptions électorales distinctes; qu’elle a adjoint au contraire le Mohafazat de Nabatieh à celui du Liban-Sud pour en faire une circonscription unique; qu’elle a enfin dans le Mohafazat du MontLiban considéré chaque caza comme une circonscription électorale propre;

Que le législateur dans l’article 2 nouveau de la loi attaquée a ainsi établi des différences dans le découpage des circonscriptions électorales, en consacrant des discriminations entre les électeurs et les candidats des diverses régions du pays, sans que ces différences ne soient fondées, dans le texte de la loi, sur des considérations exceptionnelles revêtant un caractère d’urgence, ce qui rend la loi attaquée contraire au principe d’égalité énoncé à l’article 7 de la Constitution, comme dans le préambule de celle-ci;

Considérant que l’article 24 de la Constitution a, d’autre part, établi la répartition des différents sièges de la Chambre sur le fondement de règles destinées à réaliser avec justice, un équilibre entre les diverses communautés, comme entre les différentes régions du pays, de manière à assurer leur représentation adéquate et de préserver leur coexistence commune;

Que ces règles auxquelles se réfèrent l’article 24 perdent nécessairement leur signification si la loi électorale, pour le découpage des circonscriptions électorales ne se fondent pas sur un critère unique applicable dans toutes les régions du pays, le législateur recourant pour opérer ce découpage soit au Mohafazat, soit au Casa, soit à un autre mode de délimitation géographique, pourvu qu’il soit uniforme; que cette uniformité assure en effet l’égalité de traitement des électeurs; qu’elle préserve aussi l’égalité des candidats, en leur conférant les mêmes droits, en les soumettant aussi aux mêmes obligations, à des charges financières et à des dépenses électorales comparables qui, en toute occasion, ne doivent pas dépasser un plafond que le législateur doit fixer;

Qu’on ne saurait admettre enfin que le législateur donne à des circonstances exceptionnelles et provisoires un caractère permanent, en fondant sur elles des règles stables et générales qui portent atteinte d’une manière durable au principe d’égalité;

Que l’article nouveau de la loi 530/96, en adoptant des critères différents dans la délimitation des circonscriptions électorales, sans souligner que ces différences sont provisoires, exceptionnelles, justifiées aux yeux du législateur par des circonstances d’une extrême gravité, mettant en cause des impératifs d’intérêt général, se trouve avoir violé le principe constitutionnel d’égalité devant la loi et doit donc être annulé;

2. – Sur la non-conformité à la Constitution de l’article 30 nouveau de la loi 530/96

Considérant que l’article 30 nouveau de la loi 530/96 est ainsi libellé:

Ne peuvent être élus, dans aucune circonscription électorale, les personnes mentionnées ci-dessous, au cours de l’exercice de leurs fonctions, et durant les six mois qui suivent leur démission et la cessation effective de leurs fonctions. Leur démission sera considérée comme acceptée de plein droit à la date de sa présentation, sans qu’il leur soit possible de réintégrer leur fonction:

  1. Les magistrats, quelle que soit leur catégorie ou leur degré.
  2. Les fonctionnaires de toute catégorie.
  3. Les Présidents désignés des Municipalités et les Présidents des commissions municipales désignés dans les diverses régions.
  4. Les Présidents et les membres des conseils des établissements publics et des offices autonomes, leurs directeurs, leurs fonctionnaires et employés.

Considérant que l’article 7 de la Constitution, comme le paragraphe C du Préambule établissent l’égalité dans les droits et les obligations des Libanais, sans distinction aucune;

Que d’autre part l’article 12 de la constitution stipule:

Tous les Libanais sont également admissibles à tous les emplois publics sans autre motif de préférence que leur mérite et leur compétence et suivant les conditions fixées par la loi.

Considérant que l’éligibilité constitue ainsi un droit fondé sur la Constitution, que les restrictions apportées à l’exercice de ce droit doivent toujours être interprétées d’une manière étroite;

Considérant qu’il appartient au législateur d’édicter ces restrictions, de déterminer leur nature et leur étendue à l’égard de ceux qui exercent des fonctions publiques, en vue d’éviter que ces fonctions ne soient exploitées à des fins électorales et de préserver ainsi l’égalité des chances de tous les candidats;

Considérant cependant que l’inéligibilité ainsi édictée ne saurait revêtir un caractère absolu et général, qu’elle doit viser seulement certaines catégories de fonctionnaires en relation avec l’objectif qu’elle doit satisfaire;

Considérant que l’article 30 nouveau de la loi attaquée contrevient aux articles 7 et 12 de la Constitution du fait qu’il prive toujours les fonctionnaires qui ont démissionné de toute possibilité de réintégrer leur fonction, même s’ils réunissent les conditions nécessaires à leur exercice, et bien que cette réintégration ne s’effectue pas de plein droit et dépende normalement du pouvoir d’appréciation de l’autorité exécutive;

Qu’il convient donc d’annuler l’article 30 nouveau de la loi 530/96, du fait qu’il viole les dispositions de la Constitution, sous réserve de l’application des dispositions des articles 50 et 51 de la loi relative à l’organisation judiciaire du 16 septembre 1983.

(…)

Par ces motifs et après avoir délibéré, le Conseil constitutionnel décide à l’unanimité:

  1. D’accepter en la forme les deux recours présentés;
  2. D’annuler les articles 2 nouveau, 30 nouveau de la loi 530 du 11 juillet 1996 parue au Journal officiel n° 29 du 12 juillet 1996;
  3. D’annuler les articles 1, 3, 4 et 5 de la loi 530/96;
  4. De notifier cette décision aux diverses autorités et de la publier au Journal officiel.

(…)

Chambre constitutionnelle de la Cour suprême d’Ile Maurice

MRI / 1969 / A01
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 13-02-1969 / Motee v. Queen (1969) M.R. 34 / extraits

1.4.12 justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non- discrimination
5.1.4 Droits fondamentaux – problématique générale – limites et restrictions
5.1.5 Droits fondamentaux – problématique générale – situations d’exception

Etat d’urgence

(…)

MOTEE c/ LA REINE

(…)

Droit pénal – Appel de la Cour de District – Droit Constitutionnel – Souveraineté du Parlement – Délégation de compétence par le Parlement – Validité d’une Loi ayant reçu l’assentiment du Gouverneur pendant la prorogation – Violation des droits de l’homme – Durée d’une période d’état d’urgence.

L’appelant a été condamné par le Magistrat du District de Port-Louis pour avoir été en possession d’une arme offensive, sans autorisation ni excuse prévue par la loi, en violation du Règlement édicté par le Gouverneur le 21 janvier 1968 conformément à l’Ordonnance en Conseil de 1939, modifiée, relative à l’organisation des pouvoirs pendant l’état d’urgence. L’argumentation du conseil de l’appelant était principalement dirigée contre la validité du Règlement susmentionné au moment des faits.

PRONONCE le rejet de l’appel et décide que

(i) l’assentiment du Gouverneur à une Loi adoptée par l’Assemblée est valide même s’il intervient pendant que l’Assemblée est prorogée;

(ii) le Parlement de Maurice est un organe souverain, et il n’existe aucune limite à son pouvoir de déléguer ses compétences à tout organe ou toute personne;

(iii) le Règlement en vertu duquel l’appelant a été condamné ne porte pas sur la liberté individuelle, et il n’y a aucune violation des dispositions de la Constitution relatives aux droits fondamentaux, et;

(iv) il n’existe aucune limite quant à la durée d’une période d’état d’urgence décrétée par le Gouverneur Général en vertu de l’article 19-7-b de la Constitution.

Maître Gujadhur, pour l’appelant

Maître d’Arifat, Doyen des Avocats de la Couronne, pour l’intimé

Arrêt prononcé le 13 février 1969.

Sir Michel Rivalland, Chef-Juge: L’appelant a été poursuivi devant le magistrat du district de Port-Louis pour avoir été en possession d’une arme offensive, sans autorisation ni excuse raisonnable, en violation de l’article 7-1 du Règlement de 1968 sur l’organisation des pouvoirs pendant l’état d’urgence (Contrôle des armes et des explosifs) qui se lit ainsi:

7-1. – Toute personne qui, sans autorisation ou excuse prévue par la loi, et dont la charge de la preuve lui appartient, transporte ou a en sa possession ou sous son autorité ou fabrique ou aide à la fabrication des armes offensives commettra une infraction et sera punie, si elle est reconnue coupable, d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas trois ans et d’une amende n’excédant pas mille roupies.

Le Règlement a été édicté par le Gouverneur le 21 janvier 1968 en vertu de l’Ordonnance modifiée en Conseil de 1939 sur l’organisation des pouvoirs pendant l’état d’urgence. L’appelant a été reconnu coupable des charges retenues contre lui et puni de deux mois d’emprisonnement aux travaux forcés et condamné à payer 15 roupies de frais.

(…)

Selon un autre moyen de droit invoqué par Me Gujadhur, cette période d’état d’urgence, comme elle est temporaire, aurait dû prendre fin après six mois, c’est-àdire le 12 septembre et comme son client n’a été reconnu coupable que le 25 septembre, la condamnation n’était pas fondée. Il nous apparaît que cette argumentation découle d’une mauvaise compréhension du régime de l’état d’urgence. Les types d’état d’urgence et les limites de durée prévues par la présente Constitution sont les suivantes:

a. En vertu de l’article 18-1 de la Constitution, le Gouverneur peut faire une Proclamation en déclarant que, vu la situation existante, les mesures autorisées par la loi sont nécessaires au regard de l’intérêt de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement. Ceci permet une dérogation aux droits fondamentaux de la liberté individuelle (article 5 de la Constitution) et de la discrimination (article 16) en ce sens que la Loi autorise des mesures qui sont raisonnablement justifiées pour faire face à la situation prévalant à un tel moment. Une telle Proclamation doit être ratifiée par une résolution de l’Assemblée Législative votée par au moins deux tiers des membres de l’Assemblée et demeure en vigueur pour une période spécifiée par l’Assemblée dans la résolution et n’excédant pas six mois et peut être étendue pour des périodes supplémentaires n’excédant à l’occasion pas six mois par résolution de l’Assemblée;

b. Une période d’état d’urgence mise en vigueur par une résolution de l’Assemblée votée à l’unanimité des membres de l’Assemblée et déclarant que les institutions démocratiques de Maurice sont en danger en cas de subversion. Une telle résolution reste en vigueur pour une période spécifiée par l’Assemblée et n’excède pas douze mois et peut être renouvelée par des périodes successives n’excédant pas douze mois par une résolution de l’Assemblée;

c. Une Proclamation du Gouverneur déclarant que l’état d’urgence existe en vertu de l’article 19-7-b de la Constitution. Une telle Proclamation est ratifiée par l’Assemblée dans le délai fixé par l’alinéa 8 de l’article 19 mais il n’y a aucune limite de temps fixé pour la durée de ce type d’état d’urgence qui est celui en vigueur à Maurice en vertu des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 3 de l’Ordonnance de 1968 sur l’indépendance de Maurice. Nous ne pouvons encore une fois ici s’immiscer dans les fonctions de l’Assemblée Législative et annuler la Proclamation en déclarant qu’elle aurait dû prendre fin après écoulement d’un certain temps alors qu’aucune limite n’a été fixée par la Constitution. Un quatrième type d’état d’urgence prévu par la Constitution et qui entre en vigueur automatiquement lorsque le pays est engagé dans une guerre n’a pas besoin d’être considéré car il n’a aucune relation avec le présent appel.

Nous considérons maintenant les faits de l’affaire: ils ne présentent aucune difficulté. Le juge du fond a retenu les preuves du Caporal Price selon lesquelles le 17 mars 1968 à 00 h 35 minutes, la voiture dans laquelle voyageait l’appelant a été arrêté à la rue St-François-Xavier et l’appelant fouillé. Tout près de la ceinture et à l’intérieur de sa chemise a été trouvé un fil de fer long de quatre pieds avec un morceau de plomb à une extrémité et une boucle pour le tenir de l’autre. L’explication donnée par l’appelant et retranscrite dans le procès-verbal dressé par la police et selon laquelle il a trouvé ce fil de fer dans un caniveau et qu’il avait l’intention de le porter au commissariat d’Abercombie et le tenait dans sa main lorsqu’il a rencontré le Caporal est en contradiction avec la version de ce dernier et nous n’avons aucune raison de ne pas suivre la conclusion de culpabilité établie par le magistrat.

A propos de la sentence, nous ne pouvons dire qu’elle est excessive.

L’appel est rejeté et l’appelant condamné aux dépens.

(…)

MRI / 1984 / A02
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 25-06-1984 / Union of Campement Sites Owners v. Government of Mauritius (1984) M.R. 100 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.7 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
2.1.1.13 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – autres sources internationales
2.1.3.3 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence étrangère
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Constitution des Etats-Unis – Justice (égalité devant la justice) – Loi (égalité devant la loi) – Propriété immobilière

UNION DES PROPRIETAIRES ET CONCESSIONNAIRES DE TERRAINS DE CAMPEMENT ET CONSORTS

c/

LE GOUVERNEMENT DE MAURICE ET CONSORTS

Constitution – Privation de biens – Egalité et discrimination – Convenant sur les droits civils et politiques – Droits – Constitutionnalité d’une Loi fiscale – Pouvoir de faire des Lois – Le gouvernement et le Parlement – La Loi comme détournement de pouvoir – Violation du contrat

Dans une action en vue de contester la constitutionnalité de la Loi relative à la taxe sur les terrains de campement, la Cour a décidé que:

a. pour interpréter la Constitution, il est préférable d’examiner ses propres dispositions que de chercher à s’inspirer d’autres Constitutions rédigées différemment;

b. la notion de taxe et la garantie générale de protection contre la cession forcée des biens s’excluent mutuellement;

c. le pouvoir du Parlement d’imposer une taxe n’est pas limitée par les dispositions de l’article 8 relatives à la cession forcée des biens, sauf que la mesure ou l’exécution d’une taxe, par opposition à son imposition, doit être raisonnablement justifiable dans une société démocratique; et dans cette perspective, les mesures et politiques fiscales relèvent de l’idéologie politique et ne sont pas soumis au contrôle juridictionnel;

d. la question de savoir si une Loi fiscale est la conséquence d’un détournement de pouvoir utilisé pour contourner une interdiction constitutionnelle ne peut pas porter sur la question de la bonne ou la mauvaise foi de la mesure mais seulement sur la compétence législative;

e. même si l’imposition d’une taxe n’est pas sujette au contrôle des cours, les cours sont néanmoins compétentes pour déterminer si la mesure fiscale est proprement une mesure fiscale et n’est pas, par exemple, un prêt obligatoire sans indemnisation;

f. considérer la taxe en question comme une violation des obligations contractuelles du gouvernement envers les concessionnaires de terrains de campement serait confondre l’exécutif et le législatif en un seul organe; et le gouvernement ne peut pas par voie contractuelle ou autrement s’approprier des pouvoirs législatifs du Parlement;

g. notre Constitution prévoit une égalité devant la justice, l’égale protection de la loi et le principe du caractère non-discriminatoire des lois sur des critères spécifiques et que, en ce sens, la Loi litigieux ne viole pas la Constitution.

Me M. David, Conseiller de la Reine, (assisté de Me R. d’Unienville), pour les demandeurs

M. D. Ramsewak, Procureur général par intérim, pour les défendeurs

La Cour, composée de M. Lallah, Chef-Juge par intérim et M. Espitalier-Noël, Doyen des Juges Puînés par intérim, a prononcé, le 25 juin 1984, l’arrêt suivant rédigé par:

M. Lallah, Chef-Juge par intérim: – Le 11 novembre l’année dernière, le Parlement a adopté une Loi, La Loi n° 32 de 1983 relative à la taxe sur les campements, imposant une taxe sur des terrains qui donnent sur la mer ou qui y sont situés tout près, ou encore permettent d’accéder à la mer, indépendamment si ces terrains font partie d’une propriété privée ou appartiennent à l’Etat.

Les lignes directrices de la Loi sont:

Le recouvrement de cette taxe aura lieu annuellement au mois de juillet à l’exception de l’année 1984 où la taxe levée pour la période expirant au 30 juin 1984 était exigible à partir du 31 mai 1984 et la taxe levée pour la période expirant au 30 juin 1985 est exigible à partir du 31 décembre 1984.

La taxe est exigible, en principe dès lors qu’un terrain fait partie d’une zone de 81,21 mètres à partir du rivage pendant la marée haute à l’exception des terrains utilisés pour l’exploitation agricole ou pour le pâturage. Il existe une difficulté qui rend incertaine la distance à partir de laquelle commence la terre pendant la marée haute et à partir de quelle limite un terrain devient taxable mais nous discuterons de cet aspect de la question à la fin de notre arrêt.

Le taux de la taxe varie en fonction de la zone dans laquelle se trouve le terrain. Il existe cinq catégories de zones. Et le montant de la taxe est déterminé pour tous les taux par rapport à la superficie du terrain.

La taxe ne dépend pas de la valeur du terrain mais de sa superficie et la zone dans laquelle il se situe. C’est donc une taxe qui porte sur la superficie et la localisation et non sur la valeur.

Dans le cas des terrains relevant des Pas Géométriques (ceux-ci, en vertu de la Loi sur les Pas Géométriques, sont des terrains classés situant au long des côtes jusqu’à une distance de 81,21 mètres à partir du rivage pendant la marée haute ou qui ont été réincorporés ou qui sont susceptibles d’être réincorporés au domaine de la Couronne), la taxe est versée par le concessionnaire, et dans le cas d’une autre catégorie de terrain, la taxe est payée par le propriétaire, ou dans certaines circonstances, par l’occupant du terrain.

La taxe est exigible comme une créance de la Couronne et fait partie des privilèges attachés à l’impôt conformément à la Loi sur les privilèges du Trésor Public.

Le Ministre des finances peut par arrêté prévoir une exemption de certains terrains à la taxation; il peut aussi ordonner la restitution des taxes perçues.

Il serait mieux, à ce stade, que nous mentionnions les principales prétentions des demandeurs pour contester la régularité constitutionnelle de la Loi.

Premièrement, il est reconnu qu’à l’exception de quelques terrains relevant des Pas Géométriques qui appartiennent à des personnes privées en vertu des cessions ou autrement, la majeure partie des Pas Géométriques appartient à la Couronne. Il n’est pas contesté que la Couronne a concédé un grand nombre de terrains des Pas Géométriques à des individus et sur lesquels ils ont construit, ce qui est communément appelé dans ce pays, de campements, c’est-à-dire des villas donnant sur la mer ou qui sont un peu plus en retrait selon les goûts et les moyens. Nous avons peu d’informations sur le nombre de personnes qui utilisent leur campement comme une résidence principale ou comme une résidence secondaire, pour laquelle ils sont imposables en vertu de l’article 11-1-f de la Loi relative à l’impôt sur le revenu. Cependant, ceci n’est pas important. Le point qui est considéré comme pertinent par les demandeurs est qu’en vertu des contrats de concessions existantes entre eux et la Couronne, ils payent une redevance dont le montant ne peut être augmenté au-delà d’un certain pourcentage dans l’éventualité d’une reconduction de la concession comme il y est indiqué et le contrat de concession produit devant nous constitue, nous a-t-on dit, un contrat type. Il n’a pas été contesté, selon nous, que les terrains sont différents du point de vue de leur valeur du fait des constructions qui s’y trouvent.

Deuxièmement, il est connu que les concessionnaires des Pas Géométriques ne sont pas les seuls à devoir payer la taxe sur les terrains de campement. Les propriétaires, ou dans certaines circonstances, les occupants des terrains des propriétés privées, doivent également payer la taxe si le terrain est affecté à l’implantation des campements comme prévu par la Loi.

Troisièmement, il n’est pas contesté que, alors qu’il existe une taxe sur la propriété immobilière dans les zones urbaines, il n’en existe aucune dans les zones rurales à l’exception des terrains de campement qui se trouvent tous dans les zones rurales et qui ont été les seuls à être assujettis à la taxe selon la Loi.

Enfin, il a été démontré que les taux appliqués sur la propriété immobilière dans les zones urbaines sont déterminés et varient en fonction de la valeur de la propriété. Le but est peut-être de faire ressortir la charge fiscale qui s’abat sur les citadins d’une part, et sur les concessionnaires de terrains de campement, d’autre part. Il a aussi été démontré que sur le plan financier, une personne qui perçoit des revenus de 40,000 roupies par an aurait à payer une taxe sur le terrain de campement de 3,025 roupies annuellement, en sus d’une redevance annuelle de 300 roupies pour la concession d’un terrain en comparaison avec son voisin qui possède un terrain qui se trouve tout juste à l’extérieur de la limite du périmètre des terrains de campement et qui, à ce titre, n’est pas assujetti à la taxe.

Me David soutient, sur la base des faits avancés par les demandeurs, que la Loi est inconstitutionnelle pour trois raisons.

Il soutient, premièrement, que la Constitution protège les droits de propriété, y inclus le capital, en interdisant la cession forcée de ces droits sauf pour des motifs d’intérêt général et en vertu d’une Loi qui doit prévoir une indemnisation; que ces droits peuvent être cédés par une Loi sans indemnisation conformément à la Constitution que lorsque la Loi a créé un impôt ou prévoit son recouvrement sauf s’il est démontré qu’à la fois l’impôt et son recouvrement ne sont pas raisonnables dans une société démocratique et que la taxe prévue par la Loi n’est pas justifiable dans une société démocratique.

Deuxièmement, Me David soutient que, du fait que la majeure partie des terrains de campement sont protégés par un contrat de concession en vertu duquel la Couronne ne peut pas augmenter la redevance de manière plus élevée à ce que le contrat prévoit, l’imposition d’une taxe constitue un détournement de pouvoir qui a pour but d’augmenter la redevance en violation des conditions posées dans le contrat de concession et, par conséquent, les prive de manière injustifiée de leurs droits contractuels. Cette privation de l’exercice de leurs droits contractuels serait une violation des droits de propriété prévus par la Constitution dans la mesure où elle a lieu sans indemnisation.

Me David prétend ensuite que la Loi viole le principe d’égalité devant la Loi en ce sens que la taxe imposée (a) conduit à traiter différemment les concessionnaires de terrains de campement et les propriétaires d’autres terrains dans les zones rurales parce que ces derniers ne sont pas assujettis à une taxe similaire, (b) manque de base pour justifier la différenciation des zones et les différents taux qui y sont applicables, (c) traite différemment des personnes se trouvant dans les situations semblables et (d) n’a pas été établie en fonction des avantages dont bénéficient les contribuables seulement.

M. Ramsewak, au nom des défendeurs, réplique que, premièrement, notre Constitution ne contient aucune garantie relative aux droits de propriété du même niveau que celle se trouvant dans les Constitutions indienne et américaine; deuxièmement, le pouvoir que détient Parlement pour adopter des lois fiscales n’est pas limité par les dispositions constitutionnelles régissant l’expropriation sauf s’il est démontré que le recouvrement d’une taxe, par opposition à son imposition, ne peut pas être raisonnablement justifié dans une société démocratique et que, dans ce contexte, la Loi n’est pas inconstitutionnelle, et qu’enfin, notre Constitution prévoit le principe d’égalité devant la justice, d’égalité à la protection de la loi et de la non-discrimination des lois dans des cas spécifiques et qu’en ce sens, la Loi ne viole pas la Constitution.

A l’appui de son argumentation, Me David a fait référence à de nombreux Constitutions, travaux et décisions étrangers à la fois du Commonwealth et d’autres pays. Les documents sont de sources indiennes, américaines, canadiennes, caraïbes et françaises. Il a été soutenu que ces systèmes juridiques partagent avec nous le même système démocratique dans lequel les droits de propriété, parmi d’autres droits fondamentaux, sont protégés par la Constitution. Il a aussi été fait allusion à de nombreux textes internationaux dans la mesure où ils traitent la question que nous avons à trancher.

Ces documents ont sans doute été d’une grande utilité et nous ont beaucoup éclairés sur la pensée de ceux qui ont eu à trancher des problèmes similaires. Cependant, les textes constitutionnels sont différents dans leurs formulations des mesures en vertu desquelles les droits individuels, collectifs et institutionnels sont protégés. En ce qu’il s’agit des textes internationaux, la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 proclame le droit de propriété. Mais le Pacte International relatif aux droits civils et politiques qui, avec le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ont été élaborés pour l’appliquer reconnaissent les droits de l’homme mais pas le droit de propriété. Et la Convention européenne des Droits de l’homme (qui était applicable à Maurice jusqu’en 1968 du fait qu’elle était une des colonies dont la responsabilité en matière des relations internationales incombait au Royaume-Uni) reconnaît dans son premier Protocole le droit de propriété mais le limite considérablement. Il prévoit notamment que la reconnaissance de ce droit « ne limite pas le pouvoir des Etats de faire les lois qu’ils jugent nécessaires… pour assurer le paiement des impôts…. Nous reviendrons sur ces conventions lorsque nous traiterons l’aspect de l’égalité devant la loi. Il serait mieux, dans un premier temps, d’analyser les dispositions de notre propre Constitution qui s’appliquent au droit de propriété selon la problématique posée par les conseils et de revenir à ces autres textes si nous rencontrons une difficulté.

Les articles de notre Constitution qui, selon nous, s’appliquent à cette affaire sont les articles 1er, 3, 8-1 et 4, 16-1, 2 et 3, 31, 45-1, 54-a-i jusqu’au iii et 103. Ils se lisent ainsi:

1. – L’Etat

Maurice est un Etat souverain et démocratique.

3. – Protection des droits fondamentaux et des libertés individuelles

Il est reconnu et proclamé qu’il a existé et qu’il continue d’exister à Maurice, sans discrimination à raison de la race, du lieu d’origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe mais dans le respect des droits et libertés d’autrui et de l’intérêt public, tous les droits de l’homme et libertés fondamentales énumérés cidessous, à savoir:

a. le droit de tout individu à la vie, à la liberté, à la sécurité personnelle et à la protection de la loi;

b. la liberté de conscience, d’expression, de réunion et d’association et la liberté de fonder des établissements scolaires;

c. le droit de tout individu à la protection de l’intimité de son domicile contre toute atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans compensation, et les dispositions du présent Titre auront effet pour assurer la protection des dits droits et libertés sous réserve des limitations par ces mêmes dispositions, limitations destinées à assurer que l’exercice des dits droits et libertés par un individu ne porte pas atteinte aux droits et libertés ou à l’intérêt public.

8. – Protection contre les atteintes à la propriété

1. Il ne sera procédé à la prise de possession forcée d’aucune propriété ou l’acquisition forcée d’aucun intérêt ou droit sur cette propriété sauf si les conditions suivantes sont réunies, à savoir:

a. la prise de possession ou l’acquisition est nécessaire ou utile dans l’intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité publique, de la santé publique, de l’aménagement urbain ou rural, au développement ou à l’utilisation de la propriété en vue de promouvoir l’intérêt public ou le développement social et économique du peuple de Maurice;

b. s’il existe une justification raisonnable pour les dommages pouvant en résulter pour toute personne ayant un intérêt ou un droit sur la propriété, et;

c. si des dispositions légales applicables à cette prise de possession ou acquisition;

(i) prévoient le paiement d’une indemnisation adéquate; et

(ii) assurent à toute personne ayant un droit ou intérêt sur la propriété la possibilité de saisir la Cour suprême directement ou en appel de la décision d’une autre autorité afin de déterminer l’existence de son intérêt ou droit, la légalité de la prise de possession ou de l’acquisition de la propriété, intérêt ou droit, le montant de tout dédommagement auquel elle a droit, et pour le paiement d’un tel dédommagement.

(…)

4. – Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire à l’alinéa 1er du présent article:

a. dans la mesure où la loi en question réglemente la prise de possession ou l’acquisition d’une propriété:

(i) pour l’acquittement de tout impôt ou taxe;

(ii) comme sanction d’une violation de la loi ou confiscation à la suite d’une telle violation ou en conséquence de l’incapacité d’un trafiquant de drogue ou de toute personne s’étant enrichie par des moyens frauduleux de prouver qu’il a acquis la propriété en question par des moyens légaux;

(iii) suite à un bail, une location, une hypothèque, une vente, un nantissement ou un contrat;

(iv) en exécution des jugements ou ordonnances des cours de justice

(v) du fait de son état dangereux ou menaçant pour la santé des humains, des animaux, des arbres ou des plantes;

(vi) en application des règles de la prescription acquisitive ou extinctive;

(vii) aussi longtemps que nécessaire pour permettre l’examen, l’enquête, le procès ou l’instruction, ou dans le cas d’une terre, les travaux nécessaires pour mener à bien:

A. un aménagement pour la conservation du sol ou la conservation d’autres ressources naturelles;

ou

B. un développement agricole ou une amélioration que le propriétaire ou l’occupant de la terre a été requis de faire et a, sans excuse raisonnable et légale, refusé ou omis de faire, sauf s’il est établi que cette disposition, ou selon le cas, son application, n’est pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique; ou

b. dans la mesure où la loi en question prévoit la prise de possession ou l’acquisition:

(i) de la propriété de l’ennemi;

(ii) de la propriété d’une personne décédée ou qui est inapte, suite à une incapacité légale, de l’administrer elle-même, afin de pourvoir à son administration pour le bénéfice des personnes ayant un intérêt quelconque dans la dite propriété;

(iii) de la propriété d’une personne déclarée en faillite ou d’une société en liquidation, afin de pourvoir à son administration pour le bénéfice des créanciers du failli ou de la société et ensuite pour le bénéfice des autres personnes ayant un intérêt quelconque dans la dite propriété;

ou

(iv) d’une propriété en fiducie afin que cette propriété soit dévolue à des personnes nommées pour administrer le fiducie en vertu de l’acte juridique créant le trust ou par une cour de justice afin de donner effet au fiducie, ou

c. dans la mesure où la loi en question:

(i) prévoit le paiement de la valeur de la propriété faisant l’objet de la prise de possession forcée de même que des intérêts au taux légal, par annuités égales sur une période n’excédant pas dix ans;

(ii) détermine la somme pour laquelle la prise de possession ou l’acquisition forcée de la propriété se fera ou prévoit des dispositions pour la détermination de la dite somme selon des principes prescrits.

16. – Protection contre toute discrimination

1. Sous réserves des dispositions des alinéas 4, 5 et 7 du présent article, aucune loi ne contiendra une disposition discriminatoire en elle-même ou dans ses effets.

2. Sous réserves des dispositions des alinéas 6, 7 et 8 du présent article, nul ne pourra être traité d’une façon discriminatoire par une personne agissant dans l’exécution d’une fonction publique conférée par la loi ou dans l’exécution des fonctions d’une autorité publique.

3. Dans le présent article, l’expression « discriminatoire » signifie: accorder un traitement différent à des personnes différentes, ces différences étant dues uniquement ou principalement à l’application des critères de race, de caste, de lieu d’origine, d’opinion politique, de couleur ou de croyance, en vertu desquels ces personnes sont soumises à des incapacités ou des restrictions auxquelles ne sont pas soumises les personnes ne répondant pas à ces critères, ou encore accorder des privilèges et avantages qui ne sont pas accordés aux personnes répondant à d’autres critères.

(…)

31. – Le Parlement de Maurice

  1. Le Parlement de Maurice est composé de Sa Majesté et d’une Assemblée Législative
  2. L’Assemblée est composée de personnes élues conformément à l’Annexe I qui prévoit la désignation de 70 membres.

45. – Pouvoir législatif

  1. Sous réserve des dispositions de la Constitution, le Parlement ne peut légiférer que pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement de Maurice.

(…)

54. – Projets et propositions de loi, motions, et pétitions

Sauf sur initiative d’un Ministre, l’Assemblée ne peut:

a. discuter d’un projet de loi (ni d’un amendement à ce projet) qui, de l’avis de celui qui préside, a pour objet

(i) une imposition fiscale ou la modification d’une telle imposition autrement qu’en la réduisant;

(ii) d’imposer une charge aux fonds consolidés ou tout autre fonds public de Maurice ou de modifier une charge autrement qu’en la réduisant; ou

(…)

103. – Fonds Consolidés

Tous les revenus ou autres sommes perçus ou reçus pour le Gouvernement (autres que des revenus ou des sommes payables en vertu de toute loi dans quelque autre fonds établi pour un besoin spécifique ou qui peuvent, en vertu de toute loi, être retenus par l’autorité les recevant afin de défrayer les dépenses de cette autorité sont versés dans et constituent les Fonds Consolidés.

Il ne sera pas nécessaire pour trancher cette affaire de considérer la question de savoir à quel point l’article 3 est une disposition qui comporte ou non un caractère impératif et dans quelle mesure il est applicable directement et dans quelle mesure les articles 3 et 8 s’appliquent l’un à l’autre. Mais nous analyserons les termes précisément utilisés dans ces deux articles et leurs significations en relation au droit fiscal.

Le droit relatif à la propriété prévu par l’article 3 est une « protection contre la privation des biens sans indemnisation » conformément aux conditions et limites posées par l’article. Il nous paraît que le concept d’impôt et la protection qu’envisage l’article 3 s’excluent l’un et l’autre. Parce qu’autrement, il y aurait une méconnaissance du concept d’impôt dans sa totalité ou, plutôt, une Loi imposant une taxe devrait contenir une disposition pour le supprimer pour les raisons suivantes. Une taxe dans sa nature et dans son effet sert à priver le titulaire d’un bien. Il prive le contribuable d’une partie de son capital composant son patrimoine. Et puisqu’il devrait être indemnisé de la manière prévue par l’article 8-1-c-i et 4, cette indemnisation ne pourrait être que d’un montant équivalent à la taxe imposée et perçue. L’imposition d’une taxe serait un exercice parlementaire futile.

Nous analyserons maintenant l’article 8 alinéas 1er et 4. L’alinéa 1er prévoit le cas où il y a une « cession forcée des biens » ou l’acquisition forcée d’un intérêt ou droit sur les biens. A notre point de vue, ces mots signifient ce qu’ils énoncent expressément. « La privation » (terme utilisé dans l’article 3) est moins précis et par conséquent peut être interprété. Et il n’est pas comme s’il est écrit: « Il ne sera porté atteinte à la propriété, dans toutes ses manifestations, de personne et aux intérêts ou droits sur la propriété ». L’imposition d’une taxe par la Loi n’est pas elle-même une dépossession forcée du contribuable de ses biens. C’est une dette qui s’établit après un calcul sauf si elle est fixée par la Loi. Elle devient alors exécutoire. C’est la manière et le mode de recouvrement de la créance ainsi créée qui serait un « cession forcée » des biens du débiteur. Le droit fiscal devrait alors se conformer à l’alinéa 4 en ce sens qu’il ne violerait l’interdiction prévue par l’alinéa 1er « sauf si, ou selon le cas, les actes accomplis sous son empire ne sont pas raisonnablement justifiables dans une société démocratique ».

Ce n’est pas seulement l’analyse des termes utilisés dans l’alinéa 1er qui conduit à la conclusion que ce n’est pas l’imposition d’une taxe mais plutôt son recouvrement qui constitue, selon l’énoncé de l’alinéa 1er, une cession forcée. Mais nous avons aussi considéré de nombreuses situations qui, si elles n’étaient pas expressément prévues à l’alinéa 4-a et b, constitueraient sans aucun doute, une cession forcée. Et ce sont seulement les lois d’application des situations prévues dans l’alinéa 4-a qui peuvent être contestées avec succès pour leur inconstitutionnalité sur la base du fait qu’elles ne sont pas raisonnablement justifiables dans une société démocratique. Dans la Loi qui nous est soumise, la taxe est recouvrée comme une créance de la Couronne et bénéficient des privilèges s’attachant à l’impôt en vertu de la Loi sur les privilèges du trésor. Il n’a pas été soutenu que le recouvrement constitue une application ou une exécution qui n’est pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique.

Nous devrions ajouter que notre conclusion selon laquelle la taxation et la protection contre les atteintes aux biens s’excluent mutuellement ne résulte pas d’une simple lecture des énoncés des articles 3 et 8. Plutôt, ces termes, à notre avis, ont été délibérément inclus pour structurer la Constitution qui proclame un ordre démocratique et met en place une série d’institutions conçues pour rendre effectif cet ordre en les investissant de pouvoirs et fonctions distincts. Une des institutions concernées est un Parlement représentatif (article 31) qui est investi du pouvoir suprême de faire des Lois pour la « paix, l’ordre et le bon gouvernement » (article 45), y inclus le pouvoir de réviser la Constitution elle-même (article 47) en respectant, bien entendu, les dispositions appropriées relatives au pouvoir de légiférer du Parlement.

Le pouvoir de faire une Loi fiscale doit être mis en œuvre conformément à une certaine procédure parlementaire (article 54) et l’impôt ainsi levé doit être versé sur le fonds public (article 103). Ces dispositions constitutionnelles illustrent le vieux principe selon lequel il n’y aurait pas d’impôt sans autorisation des représentants. Aussi, la responsabilité du gouvernement vis-à-vis du Parlement, et en retour, du Parlement vis-à-vis du peuple qu’il représente est assurée, dans le domaine de la fiscalité, par l’exigence selon laquelle le gouvernement détient l’initiative des mesures créant un impôt (article 54). Le gouvernement le ferait, en principe, conformément à sa politique fiscale et économique, à la fois s’il s’agit de la création d’un impôt direct ou indirect, pour laquelle il est responsable devant le Parlement et éventuellement devant le peuple. Sous réserves de ce que nous dirons au sujet de la levée d’un impôt comme un détournement de pouvoir pour contourner une interdiction constitutionnelle ou la violation du principe d’égalité devant la loi qui a été invoqué, une analyse des dispositions appropriées de la Constitution nous a conduits à la conclusion qui veut que la politique et les mesures fiscales relèvent de la pensée et du jugement politique et qu’elles ne sont pas soumises au contrôle des juges. Si la Constitution a en effet prévu que la levée de l’impôt par le Parlement, par opposition à son recouvrement, soit soumise au contrôle des juges sur la base de son incompatibilité au regard de ce qui est raisonnablement justifiable dans une société démocratique, nous aurions attendu à ce que les dispositions à cet effet soient expressément les mêmes que celles qui investissent les juges du pouvoir de contrôler la compatibilité des mesures de recouvrement avec ces valeurs. Par conséquent, la majeure partie de l’argumentation avancée à l’appui du premier moyen (par exemple, en ce qui concerne l’opportunité même de l’imposition de la taxe, son imposition à l’égard de certains seulement, le fait d’utiliser un critère relatif à la superficie et non à la valeur, le fait de créer cinq zones au lieu d’une ou davantage) pourrait être adressée de manière plus appropriée à une autre tribune.

Nous avons noté que le pouvoir discrétionnaire accordé au Ministre d’exempter certains terrains par arrêté ou de restituer des taxes perçues est un pouvoir souvent conféré au gouvernement par la législation fiscale (voir par exemple, l’article III de la Loi relative à l’impôt sur le revenu et l’article 47-1-a de la Loi sur les droits d’enregistrement). C’est vrai que l’article conférant au Ministre le pouvoir d’exempter certains terrains par arrêté est mal rédigé. Est-ce qu’il prévoit que les terrains visés seront désignés dans l’arrêté ou que des critères seront posés pour l’exemption? Peu importe sa signification, l’arrêté est soumis au contrôle du Parlement. Aussi, le ministre est responsable devant le Parlement de la façon don il exerce sa discrétion. Il peut, dans certaines circonstances, devoir à répondre devant les juridictions s’il exerce sa discrétion de manière à violer l’article 16-2 de la Constitution. Le fait de lui conférer ce pouvoir n’est pas, cependant, inconstitutionnel de même que sa décision de ne pas l’exercer ou de prendre un arrêté.

Le deuxième moyen de Me David porte sur la question de savoir si la Loi est ou non le fait d’un détournement de pouvoir. Détournement est peut-être un terme qui implique un jugement de valeur. Mais nous entendons les principes régissant ce moyen d’invalidation d’une Loi comme signifiant que le Parlement ne peut pas légiférer audelà de ses pouvoirs, par exemple, en contournant une interdiction constitutionnelle. Il ne soulève pas la question de la bonne ou de la mauvaise foi mais de la compétence du Parlement. Et les Cours de Maurice, en vertu de l’article 2 de la Constitution, sont susceptibles de prononcer l’invalidation d’une telle Loi dans la mesure où elle viole la Constitution. Il sera rappelé que l’article 2 déclare que la Constitution est la norme suprême de Maurice et que toute autre norme juridique qui lui est contraire « sera dans les limites de sa non-conformité nulle et non avenue ».

Dans ce même ordre d’idées nous devrions nous référer à un autre aspect de ces principes. Nous avons estimé que l’imposition d’une taxe, puisqu’elle est prévue par la Constitution, ne permet pas, en vertu de notre Constitution, de la contrôler. Par contre, il appartient bien aux cours de déterminer si une Loi fiscale est bien en réalité une Loi fiscale, par exemple, une Loi qui prévoit un emprunt obligatoire sans indemnisation. Tel fut le cas dans l’arrêt Lilleyman et consorts c/ Le Trésor Public et consorts, Cour d’Appel des Caraïbes, 1964) qui a été produit devant nous. Cette Cour a considéré que la Loi de 1962 relative à l’impôt sur l’épargne pour le développement national viole une disposition de la Constitution de la Guyane anglaise interdisant la cession forcée de la propriété ou les droits qui lui sont attachés sous réserves de certaines conditions. La Cour a pris en compte le fait que la Loi n’imposait pas une taxe, comme la Couronne l’affirmait, mais autorisait le fisc à retenir une partie des revenues des salariés pendant un certain nombre d’années sans intérêts mais en contrepartie leur offrait des billets de loterie et des obligations sous guise d’indemnisation soustraite au contrôle des cours. La situation n’est pas la même s’agissant de la Loi qui nous concerne. Les demandeurs ne contestent pas que la Loi impose une taxe. Ils soutiennent que la Loi viole leur droit de propriété.

Plus précisément, selon les demandeurs, la taxe sert à violer les droits contractuels de ceux d’entre eux qui ont bénéficier d’une concession d’un terrain de campement de la Couronne en ce sens que le contrat de concession n’autorise pas à la Couronne d’augmenter le loyer au-delà du niveau permis dans le contrat, l’imposition d’une taxe a pour effet d’augmenter considérablement le loyer sans leur consentement.

Il nous semble que les demandeurs ont mal compris un certain nombre de points. Premièrement, l’imposition d’une taxe est le fait, non du gouvernement, mais du Parlement même si on peut admettre que son adoption a été faite sur la proposition du gouvernement. Deuxièmement, le gouvernement ne peut pas contractuellement ou autrement s’approprier les pouvoirs de légiférer du Parlement. Ce serait en soi inconstitutionnel. Ce que le gouvernement pourrait en théorie, même si ce n’est pas concevable, faire c’est de poser comme condition pour la concession, le principe d’une compensation des concessionnaires s’agissant des taxes futures ou l’octroi d’une remise pour eux. Même dans ce cas, ce serait une affaire contractuelle et non constitutionnelle. Troisièmement, il n’est pas possible de déduire des clauses du contrat un engagement du gouvernement de ne pas présenter aucun projet de Loi qui imposerait une taxe ou tout autre impôt sur les propriétés concédées. Nous avons des doutes sur la possibilité qu’un tel engagement puisse être donnée sur la base de la Loi sur le domaine de la Couronne et la Loi sur les pas géométriques. Comme le LordJuge Devlin l’a dit dans l’arrêt Commissaires du Domaine de la Couronne c/ Page, Queen’s Bench, 1960, vol. 2 p. 274, que lorsque la Couronne passe un contrat avec une personne privée: « Il est absurde de croire qu’elle s’est engagée dans la manière dont elle va conduire les affaires de la nation. Personne ne peut imaginer par exemple lorsque la Couronne a passé un engagement qu’elle ne serait pas capable d’honorer pendant une période de guerre, elle a promis de ne pas déclarer la guerre aussi longtemps que le contrat s’applique ». C’était une affaire qui a illustré la dualité de la Couronne qui a agit à la fois en tant que personne privée et en tant que personne politique. C’est encore autre chose que de confondre le gouvernement et le Parlement même si aux yeux du profane les deux sont la même. Nous ne pouvoirs, par conséquent, faire droit au second moyen avancé par le conseil.

Nous traiterons maintenant le dernier moyen de Me David. Il reconnaît que notre Constitution ne contient de manière expresse aucune disposition de type de l’article 14 de la Constitution indienne ou du 14e Amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique. Il avance, néanmoins, qu’une telle disposition existe implicitement dans notre Constitution, d’autant que le Pacte relatif aux droits civils et politiques, duquel Maurice fait partie, contient des dispositions similaires.

L’article 14 de la Constitution est ainsi rédigé:

14. – Principe d’égalité

L’Etat ne privera personne du principe d’égalité devant la loi ou de l’égale protection de la loi dans l’Etat indien.

L’article 1er du 14e Amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique énonce que:

Aucun Etat… ne privera aucune personne soumise à son autorité de l’égale protection de la loi.

Article 26 du Pacte est ainsi rédigé:

Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Nous devrions d’abord revenir sur les observations que nous avons faites lorsque nous avons examiné le premier moyen avancé par Me David et selon lesquelles les Constitutions sont rédigées en de termes différents et chacune doit être interprétée selon ses propre contexte et structure. Les Constitutions américaine et indienne ont été élaborées à une époque différente et ont essayé, notamment dans le domaine des libertés fondamentales de l’individu et dans une plus grande mesure que les Constitutions modernes, de faire des formulations larges et étendues qui ont provoqué un certain nombre de révisions et dérogations ou qui ont nécessité le recours aux concepts implicites des domaines réservés et des limites. Nous devrions aussi être très prudents avant d’importer en bloc un article de type de l’article 14 de la Constitution indienne ou du 14e Amendement à la Constitution américaine dans la structure de notre Constitution. D’autant que l’article 111-2 de notre Constitution nous demande de nous inspirer de la Loi de 1889 sur l’interprétation aux fins d’interprétation de notre Constitution. Donc, nous essayerons de nous tenir aux dispositions substantielles de notre Constitution et de chercher ailleurs ou dans les notes marginales seulement en cas de difficulté patente.

S’agissant du Pacte, nous reconnaissons que, contrairement aux Constitutions indienne et américaine et même s’il est écrit en de termes larges, il a néanmoins bénéficié d’une appréciation pragmatique d’un grand nombre de nations qui de 1949 à 1966 se sont attribuées la tâche de transcrire les grands principes des droits de l’homme proclamés par la Déclaration universelle dans une convention comme le Pacte qui lie les Etats et qui peut être appliquée dans les différents systèmes juridiques des Etats. Nous reconnaissons aussi que notre Constitution, élaborée au cours de cet exercice, ressemble plus à un texte pragmatique et réaliste que les vieilles Constitutions et, en ce qui concerne les dispositions portant sur les droits de l’homme, ressemble au Pacte dont Maurice est, dans tous les cas, un Etat signataire. Il ne nous appartient pas, cependant, de nous prononcer sur la conformité de notre Constitution et de notre droit avec les stipulations du Pacte. C’est une fonction qui appartient au Comité des Droits de l’homme en vertu de l’article 40 du Pacte lorsqu’il examine les rapports des Etats signataires ou en vertu de l’article 5 du Protocole Facultatif lorsqu’il examine les communications reçues par des particuliers relevant de l’autorité des Etats signataires du Protocole Facultatif. Notre fonction est de se prononcer sur la conformité des Lois passées par le Parlement aux dispositions de notre Constitution.

Ceci étant dit et avant d’examiner les dispositions appropriées, il n’y a pas lieu de croire que les Constitutions américaine et indienne sont dans tous leurs aspects similaires à l’article 26 du Pacte. Ce que prévoit l’article 26, c’est l’égalité juridique et procédurale couplée avec l’exigence, pour atteindre ce but, selon laquelle la loi doit interdire toute discrimination sur des bases déterminées. En ce sens, l’égalité juridique et procédurale ne peut pas légitimement être sujette au critère de propriété, comme d’autres critères mentionnées. C’est peut être pour cette raison que beaucoup d’Etats ont mis en vigueur un système d’aide judiciaire afin de permettre aux plus démunis d’avoir accès au juge. On ne sait pas dans quelle mesure met-il en œuvre une égalité substantielle dans le sens d’une identité de traitement par opposition à l’égalité de traitement, une égalité générale plutôt que dans le résultat. S’il le fait, les Etats seraient dans la difficulté de justifier les distinctions qu’ils font sur la base des critères tenant aux circonstances, à l’âge, l’état-civil, aux capacités mentales qui privent une classe ou un groupe de personnes de certains droits lorsque ces distinctions n’ont pas été faites sur une base discriminatoire.

En ce sens, il serait intéressant de noter les commentaires du Canada et de Maurice elle-même dans leurs rapports soumis au Comité des Droits de l’homme en vertu de l’article 40 du Pacte (respectivement, le document CCPR/C1/Add 43, vol. 1 du 10 mai 1979, p. 185 et le document CCPR/C/1/Add 21 du 20 janvier 1978, page 22). L’explication va de soi.

La partie appropriée du rapport canadien est ainsi rédigée:

Article 26. – La Déclaration Canadienne des Droits de l’homme, qui s’applique à toutes les provinces, reconnaît « le droit de l’individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi » (article 1-b). Toute loi d’une Province qui abroge, restreint ou viole ce droit sera nulle (article 2). Comme précédemment indiqué, le droit d’égalité devant la loi reconnu par l’article 1-b de la Déclaration a été interprété dans l’arrêt Attorney-Général du Canada c/ Lavelle, Supreme Court Reports, 1974, p. 1349 (13651367, 1372) comme ne signifiant pas l’égalité devant la loi comme prévue par le 14e Amendement à la Constitution des Etats-Unis, mais plutôt l’égalité devant la loi comme conceptualisée par le Professeur A. V. Dicey lors de l’examen de son principe « règle de droit. Donc, « égalité devant la loi dans la Déclaration des Droits signifie l’égalité de traitement lors de l’exécution et l’application des lois du Canada par les autorités d’exécution et juridictions de droit commun du pays…

La partie appropriée du rapport mauricien est ainsi rédigée:

Article 26. – Comme ce rapport le démontre, la règle de droit est un principe fondamental de la Constitution. L’article 16 de la Constitution prévoit qu’aucune loi ne peut être discriminatoire en soi ou dans ses effets et qu’aucune personne ne peut être traitée de manière discriminatoire par un agent public ou une autorité. Le terme « discriminatoire » est défini à l’article 16-3 alors que l’article 16-5 pose de manière limitative les conditions et circonstances dans lesquelles une discrimination peut être opérée, par exemple en recrutant une personne qui détient un diplôme plus élevé qu’une autre ou en levant un impôt à un taux plus élevé sur une personne disposant de moyens plus aisés.

Nous examinerons maintenant les dispositions importantes de notre Constitution. Il apparaît que, sur la question d’égalité devant la loi et du traitement égal de la loi, notre Constitution a adopté les deux aspects d’un même principe, c’est-à-dire, des dispositions donnant effet à une égalité positive et des dispositions interdisant toute discrimination. Celles donnant effet à une égalité positive sont contenues dans les termes « Nul ne peut » (article 4, 5, 6, 7 et autres) ou « Toute personne qui ». Il existe aussi des dispositions qui garantissent l’égalité de traitement par les cours mais pas nécessairement identité de traitement (article 10). Ainsi, une personne qui est reconnue coupable d’une infraction par une cour et qui est sanctionnée plus sévèrement qu’une personne reconnue coupable d’une infraction similaire dans des circonstances similaires par une autre cour, ou peut-être par la même cour, ne peut se plaindre d’avoir reçu un traitement inconstitutionnel si le procès était régulier. D’autre part, il existe aussi des dispositions qui donnent effet au principe de non-discrimination tel que l’article 3 qui s’applique aux droits contenus dans le Titre II et l’article 16 qui s’applique à toute mesure réglementant tout autre droit.

Puisque nous avons vu que les droits qui seraient, d’après les demandeurs, violés par la Loi ne relèvent pas du Titre II, la disposition appropriée de la Constitution qui s’applique serait l’article 16. L’alinéa 3 de cet article énumère limitativement les critères en vertu desquels il est interdit de traiter différemment différentes personnes. Il est évident que la loi ne peut pas être contestée sur la base de ces critères.

La demande est rejetée et les demandeurs sont condamnés aux dépens.

Nous avons indiqué plus tôt dans notre arrêt qu’il existe une difficulté s’agissant la définition du terrain de campement. C’est une difficulté qui, à notre sens, ne rend pas inconstitutionnelle la Loi à partir du moment où aucune partie lésée n’a développé ce point afin de recourir à l’article 17. Mais la difficulté peut dans des cas propres produire des effets injustes et non-désirées. Nous proposons de suivre l’arrêt Jeekahrajee c/ The Registrar of Cooperatives and anor, Mauritius Reports, 1978, p. 215 et faire les commentaires qui peuvent aider à prévenir des injustices.

La distinction est:

« Terrain de campement » est un terrain:

a. qui donne sur la mer; et

b. qui

(i) permet un accès privé à la mer; ou

(ii) se situe, partiellement ou totalement dans la zone de 81,21 mètres du rivage pendant la marée haute; mais

c. qui ne comporte aucune partie utilisée pour l’agriculture ou le pâturage;

L’éminent Procureur général par intérim a lui-même suggéré qu’en théorie aucune limite n’est posée aux terrains à qui (a) s’applique; toute extension excessive d’un terrain tomberait sous le coup de la taxation. Nous disons que ce serait le cas en théorie seulement. En pratique, la situation serait bien différente. La même situation s’applique aux terrains à qui (b) ou (b) (i) ou (ii) entre en ligne de compte. Il apparaît que si une partie infirme d’un terrain empiète la zone de 81,21 mètres du rivage pendant la marée haute, tout le terrain devient taxable. Deux raisons exigent une meilleure précision dans la définition. Premièrement, comme toute mesure fiscale, la taxe doit autant que possible être appliquée par les particuliers eux-mêmes. Ceci convient à l’Administration, fait gagner du temps, économise de l’énergie et prévient des dépenses inutiles. Deuxièmement, il rend inutile des dépenses engagées par des individus et évite la difficulté de devoir diviser leur propriété en différentes parcelles afin de ne pas empiéter autant que possible la ceinture fatale. Nous espérons que ces observations seront d’une aide à tout le monde.

Avoués:

Me P. Balmanno, pour les demandeurs

Premier Avoué de la Couronne, pour les défendeurs

Affaire enregistrée sous le n° 28891

MRI / 1990 / A03
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 14-06-1990 / UDM v. Governor general (1990) M.R. 118 / extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux

Candidats (à une élection) – Etat démocratique (signification du terme)

UDM [Union Démocratique Mauricienne]

c/

LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL ET CONSORTS

Cour suprême, 14 juin 1990

M. Glover, Chef-Juge et M. Lallah, Doyen des Juges Puînés

Arrêt de la Cour suprême n° 171 de 1990

Articles 1er, 3, 8 et 33 de la Constitution – Elections locales et législatives – Si cautionnement pour être candidat est inconstitutionnel – Signification du terme « Etat démocratique »

Les demandeurs contestent la régularité des Règlements sur les élections législatives et locales sur la base des articles 1er, 3, 8 et 33 de la Constitution. Ces Règlements exigent des futurs candidats aux élections législatives et locales de déposer un cautionnement qui serait retenu s’ils n’obtiennent qu’un certain pourcentage de voix.

Prononce:

1. – Que les articles 3 et 8 de la Constitution portent sur la privation des biens; que les candidats ne sont pas obligés de participer à une contestation politique;

2. – Que les termes « Etat démocratique » contenus dans l’article 1er de la Constitution signifient que l’Etat doit être administré selon les valeurs démocratiques contenues dans d’autres articles de la Constitution;

3.– Que l’article 33 pose des conditions spécifiques pour l’éligibilité des candidats aux élections législatives et des principes démocratiques qui les régissent. Qu’alors que l’exigence d’un cautionnement n’est pas en soi inconstitutionnelle, le montant du cautionnement prévu par le Règlement de 1989 sur les élections législatives impose une condition financière.

Il est fait droit partiellement à la demande

Me G. Ollivry, Conseiller de la Reine et Sir H. Moollan, Conseiller de la Reine, pour les demandeurs

Mr Matadeen, avocat-général, pour les défendeurs

[L’arrêt est rédigé par Mr Glover, Chef-Juge]

Ces deux actions sont jointes en une seule affaire portant sur les élections législatives et locales. Elles concernent l’exigence, qui serait inconstitutionnelle, selon laquelle les futurs candidats devraient, lors de l’enregistrement de leur candidature, déposer une somme d’argent qui ne leur sera pas restituée s’ils n’obtiennent pas un certain pourcentage de vote et, de manière subsidiaire, elles portent sur la contestation du montant exigé pour le cautionnement.

L’exigence d’un cautionnement, qui a existé depuis longtemps sinon depuis toujours n’a jamais été contestée par personne et n’aurait jamais été contestée si le montant était resté au même niveau, mais l’éminent conseil des demandeurs excipe qu’une telle mesure, premièrement, viole les articles 3 et 8 de la Constitution relatifs à la privation des biens sans procédure en bonne et due forme, deuxièmement, l’article 1er qui pose le principe selon lequel nous sommes une démocratie et, troisièmement, s’agissant des élections législatives, l’article 33 qui pose les conditions pour être candidats. Ces moyens sont simplement rejetés par les défendeurs alors que le codéfendeur affirme qu’il se rapporte à notre décision.

Nous n’avons pas demandé au conseil des défendeurs et du co-défendeur de nous présenter leur position sur le premier point. Les articles 3 et 8 de la Constitution concernent la privation forcée des biens. De sorte que, si l’exigence d’un cautionnement est en vigueur, une personne qui intentionnellement participe à une bataille politique ne peut, parce qu’il est certain de recueillir qu’un nombre limité de voix ou parce que l’électorat a simplement rejeté ses propositions, dire qu’il est susceptible d’être privé ou a été privé de son cautionnement en violation de la Constitution.

Considérant maintenant le deuxième moyen avancé, nous devons déterminer le sens des termes « Etat démocratique qui se trouvent dans l’article 1er de la Constitution. Nous devons tout de suite rajouter que ceci n’est pas ou ne peut pas être la même chose que de définir le concept de « société démocratique évoqué dans certains articles du Titre II pour déterminer ce qui est raisonnable ou pas. Nous sommes d’avis que, parmi les autres juges de cette Cour qui ont été appelés à donner une telle définition aux fins de l’article 1er, l’approche du juge Ramphul, contenue dans l’arrêt Lincoln c/ Le Gouverneur Général et consorts, Mauritius Reports, 1974, p. 112, est la bonne. En bref, il n’est ni nécessaire ni approprié de chercher en dehors de la Loi Fondamentale pour savoir ce que le constituant avait à l’esprit lorsqu’il a utilisé les termes « société démocratique et encore moins de faire référence à certaines conventions qui fondent le droit constitutionnel britannique. L’article 1er dit que notre Etat sera dirigé conformément aux autres dispositions de la Constitution, qui contient l’essence des principes démocratiques qui nous gouvernent. Ceux-ci comprennent la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’accession à et la perte de la nationalité, le pouvoir conféré au Parlement, qui comprend une Assemblée Législative, pour voter des Lois, la responsabilité du gouvernement vis-à-vis du Parlement, l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant, de même que d’autres dispositions dont la mention n’est pas nécessaire en vue de la présente affaire.

C’est pour cette raison que le constituant peut, étant entendu que la mesure proposée soit adoptée par la majorité requise, y inclus la condition d’un vote à la majorité de trois quarts des membres de l’Assemblée dans le cas d’une révision importante, modifier la structure de notre démocratie sans que personne ne puisse affirmer que cet Etat n’est pas démocratique.

La Constitution ne contient aucune disposition qui prévoit un modèle d’administration locale. Sans donner la moindre impression que nous approuvons ce cours des choses, il n’y a rien dans notre droit qui peut interdire au Parlement d’abroger la Loi existante sur l’administration locale et de prévoir que les collectivités locales seront administrées par des conseils composés uniquement de membres nommés. De sorte qu’il n’est pas possible de contester l’exigence d’un cautionnement pour les candidats aux élections municipales ou villageoises sur la base qu’elle viole l’article 1er de la Constitution.

La situation est différente s’agissant les élections législatives parce que l’énoncé de l’article 1er, relatif à l’obligation du maintien de la démocratie, doit être interprété conjointement avec les dispositions des articles 33 et 34. Ces dispositions ne posent pas seulement les conditions pour être candidats et les circonstances dans lesquelles une personne devient inéligible, mais énoncent également qu’une personne qui remplit les différentes conditions et qui n’est pas inéligible a le droit d’être candidat et ceci implique que les électeurs peuvent légitimement attendre à ce qu’une telle personne ne soit pas empêchée d’être candidat.

On peut penser que l’exigence d’un cautionnement, qui n’est pas remboursé aux personnes qui ne recueillent qu’un nombre limité de voix, a pour objectif de décourager les farceurs ou les personnes dont la candidature ne sert qu’à vicier les résultats ou des personnes qui ne veulent que donner des avantages irréguliers à d’autres candidats ou aux candidats de certains partis, par exemple, en bénéficiant d’un plus grand temps d’antenne lors de la diffusion des émissions politiques. Même s’il existe d’autres moyens pour atteindre le même but, comme celui exigeant que tout acte de candidature soit parrainé par cent électeurs, il reste que le principe d’un cautionnement ne peut pas en soi être si discutable au point d’être inconstitutionnel. Ce qui est discutable c’est l’imposition d’un cautionnement d’un montant qui ressemble à une exigence censitaire qui a disparu de notre système électoral depuis 1948.

Les demandeurs ont versé aux débats des éléments de preuve qui nous a convaincus qu’un cautionnement, versé en argent liquide ou par chèque bancaire, d’un montant de 10,000 roupies par candidat équivaudrait, dans le cas d’un groupe de candidats, à une charge insurmontable. Il a aussi été fait ressortir à juste titre que notre Constitution a mis en place un système de partis qui fait qu’un parti politique qui voudrait présenter 62 candidats aux élections générales sera dans l’impossibilité, par ses propres moyens, de recueillir plus de la moitié d’un million de roupies pour verser le cautionnement de ses candidats, ce qui représente un coût plus élevé que la dépense de la campagne électorale.

L’éminent conseil des défendeurs a reconnu, lorsqu’on y a insisté, qu’une exigence d’un cautionnement d’un million de roupies devrait être annulée pour violation de la Constitution. Il soutient, par contre, qu’il est préférable de laisser au législateur le soin de déterminer le montant. Nous sommes entièrement d’accord et n’avons nullement l’intention de nous substituer au législateur. Il n’est pas question pour cette Cour ou ses juges d’essayer de dire ce qui serait un cautionnement raisonnable ou qu’un cautionnement est ou n’est pas la solution appropriée pour limiter le nombre de candidats à une élection. Ce que nous disons, et il est de notre devoir de le faire, c’est que, alors que l’exigence d’un cautionnement des candidats à une élection législative n’est pas en soi inconstitutionnelle, et que les dispositions de l’article 12-9 du Règlement relatif à l’Assemblée Législative de 1969 sont inattaquables et que le Règlement relatif aux élections législatives de 1989 (Notice Gouvernementale n° 132 de cette année), qui tend à exiger des candidats un cautionnement de 10,000 roupies est de nature à imposer une condition relative à la propriété qui ne peut pas tenir au regard des articles 1er, 33 et 34 de la Constitution.

Il y a lieu de noter incidemment que personne n’a essayé de nous éclairer sur les raisons qui ont conduit le pouvoir exécutif à édicter un tel Règlement. Et le codéfendeur, à qui le projet de Règlement a été, comme il devait, soumis pour avis – ce qu’il a effectivement fait – a, comme nous l’avons vu, adopté une attitude passive devant cette Cour.

Par ces motifs, nous prononçons l’annulation du Règlement sur les élections législatives de 1989.

Par contre, la requête relative aux élections municipales (n° 39242 du rôle de la Cour suprême) est rejetée et nous ne statuerons pas sur les dépens dans les deux affaires jointes.

Enfin, nous dirons un mot sur la procédure. Les requérants, qui dans les deux actions ont essayé d’invoquer la violation du Titre II (articles 3 et 8) et d’autres dispositions de la Constitution, avaient fait face à une difficulté. Le Règlement de 1967 sur le contentieux constitutionnel, pour des raisons qui ne sont pas facilement perceptibles, prévoit qu’une action en réparation d’une violation de la Constitution sur la base du Titre II peut être introduite par la voie d’assignation alors qu’une action sur tout autre Titre de la Constitution doit être introduite par requête adressée au juge des référés. Le Règlement n’envisage pas la situation où une action est entamée à la fois sur la base du deuxième et des autres Titres de la Constitution. Il ne peut être reproché aux demandeurs d’avoir introduit les deux actions par la voie d’assignation. Nous avons noté que des mesures sont prises, en vertu des articles 17-4 et 83-4 de la Constitution pour réformer et simplifier en ce sens le Règlement.

(…)

MRI / 1995 / A04
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 19-07-1995 / Panjanadum v. Prime Minister (1995) S.C.J. 248 / extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

Citoyenneté – enfants naturels – erreur manifeste d’appréciation (contrôle de –)

Dans l’affaire de: – C. Panjanadum, Requérant,

c/

Le Premier Ministre de Maurice, Défendeur

Arrêt:

Le 18 juillet l’année dernière, le requérant a saisi la Cour suprême d’une demande d’autorisation pour intenter un recours pour excès de pouvoir contre deux décisions du défendeur qui ont été communiquées à son conseil juridique le 9 mai 1994 et le 28 juin respectivement (i) refusant la délivrance d’un certificat de nationalité à Ian Vassen Schmitt-Panjanadum, le fils du requérant et (ii) refusant de l’enregistrer comme citoyen de Maurice.

A la première audience, le Premier Avoué de l’Etat a, à juste titre, indiqué qu’il ne s’oppose pas à la demande d’autorisation et, le 21 juillet, dans une décision prononcée à l’audience, l’autorisation a été accordée au requérant pour poursuivre l’affaire.

Un certain nombre de faits allégués par le demandeur dans sa requête sont admis par le défendeur. Il s’agit de:

(i) Le requérant est né à Maurice le 1er novembre 1959 et est un citoyen de Maurice;

(ii) Le 13 janvier 1993, le requérant a fait auprès du défendeur et par le biais du Secrétaire du Ministère de l’Intérieur, une demande de délivrance d’un certificat de citoyenneté à l’enfant Ian Vassen Schmitt-Panjanadum en vertu de l’article 6 de la Loi sur la citoyenneté mauricienne (ci-après la Loi);

(iii) Le 19 mars 1994, le requérant a fait auprès du défendeur et par le biais du Secrétaire du Ministère de l’Intérieur une demande de délivrance de certificat de citoyenneté à l’enfant en vertu de l’article 16 de la Loi;

(iv) Toutes les pièces nécessaires ont été jointes aux deux demandes mentionnées aux paragraphes i. et ii;

(v) Le 9 mai 1994, le conseil juridique du requérant a reçu de la part du Secrétaire par intérim du Ministère de l’Intérieur une lettre l’informant que le certificat de nationalité ne peut pas être délivré à l’enfant du fait qu’il n’est pas citoyen de Maurice;

(vi) Le 28 juin 1994, une autre lettre a été reçue du Secrétaire par intérim du Ministère de l’Intérieur informant que la demande d’enregistrement de l’enfant comme citoyen de Maurice a été refusée.

Dans sa mémoire en défense, le Premier Secrétaire adjoint de l’Office du Premier Ministre rejette un certain nombre de faits contenus dans la requête, à savoir:

Paragraphe 3. Que Ian Vassen Schmitt est né le 1er septembre 1992 à Remiremont, Vosges, des rapports intimes que le requérant avait avec une certaine Nicole Catherine Schmitt, de nationalité française.

Paragraphe 4. Qu’avant la naissance de l’enfant le requérant et Nicole Catherine Schmitt ont fait une déclaration devant l’officier d’état-civil pour reconnaître « l’enfant en ventre de sa mère ».

Paragraphe 5. Que le 31 juillet 1993, le requérant a épousé Nicole Catherine Schmitt devant un officier d’état-civil en France et que l’enfant est ainsi légitimé.

Il nous apparaît que l’éminent conseil du défendeur ne conteste pas les allégations susmentionnées. En fait, les pièces versées par le requérant (Pièces A, B et C) prouvent que ces faits sont incontestables. Nous voudrions souligner que la légitimation de l’enfant par le mariage subséquent des parents dans le cas d’espèce n’est pas seulement conforme à l’article 331 de notre Code Napoléon mais confère en vertu du droit mauricien à l’enfant tous les droits d’un enfant légitime. L’article 333 dispose que « les enfants légitimés par le mariage subséquent des parents auront les mêmes droits que s’ils étaient nés de ce mariage ».

Le conseil du requérant soutient que la demande d’enregistrement de l’enfant comme mauricien est inutile parce que, au regard des faits de l’espèce, l’enfant est mauricien en vertu de l’article 23 de la Constitution. Il soutient, à titre subsidiaire, que la demande faite sur la base de l’article 16 de la Loi sur la citoyenneté mauricienne (ciaprès la Loi) est justifiée puisqu’il est possible pour le requérant de demander au défendeur de se prononcer sur une question de fait ou de droit portant sur la citoyenneté mauricienne de l’enfant. Le conseil prétend, enfin, qu’au regard des faits produits, il n’existe aucun motif légitime pour le défendeur de ne pas enregistrer l’enfant comme un citoyen de Maurice dans l’hypothèse où l’article 23 de la Constitution serait inapplicable.

Le conseil du défendeur, par contre, soutient que, indépendamment des effets de l’article 333 du Code Napoléon, l’article 23 de la Constitution doit être interprétée à la lumière de l’article 27-2 qui s’applique au Titre III de la Constitution intitulé « Citoyenneté ». Les dispositions pertinentes des deux articles sont:

Article 23. Tout individu né à l’étranger après le 11 mars 1968 devient citoyen mauricien à sa naissance si à cette date, son père est lui-même citoyen de Maurice…

Article 27, alinéa 2. Toute référence dans le présent Titre au père d’une personne sera, pour toute personne née hors du mariage, considérée comme une référence à la mère de cette personne.

Le conseil soutient que du fait que l’enfant est né hors du mariage, la citoyenneté du père est inopérante. Si la mère était citoyenne de Maurice, par contre, l’enfant serait, par l’effet de l’article 27-2 de la Constitution, devenu mauricien. Puisque la mère n’était pas citoyenne de Maurice, l’enfant est exclu de la citoyenneté mauricienne. Le conseil nous invite à adopter une approche restrictive de l’article 27-2 qui, selon lui, est conforme au raisonnement qu’avait faite cette Cour dans la récente affaire Gokulsing c/ The Hon. Sir Aneerood Jugnauth & anor, Supreme Cour Judgment, 1995, 227 en fait, nous avons dit dans cette affaire que les cours de justice devraient éviter, en interprétant la Constitution, de rajouter des termes qui n’existent pas car autrement nous serions accusés de prononcer des arrêts de règlement et non pas de développer le droit. Nous ne féliciterions pas nous-mêmes sur ce qui a été dit dans l’arrêt Gokulsing (supra) mais voudrions ajouter que le problème soulevé par le conseil du défendeur peut être distingué de l’affaire Gokulsing.

Nous ne croyons pas que l’article 27-2 de la Constitution devrait être interprété de manière à vider l’article 23 de son contenu. Nous ne croyons pas non plus que l’article 23 s’applique seulement aux enfants légitimes. Notre opinion est confortée par l’analogie que nous faisons entre notre article 23 avec l’article 11 de la Constitution des Bermudes qui a été examiné par le Conseil Privé dans l’arrêt Minister of Home Affairs and another c/ Fisher, Weekly Law Reports, 1971, vol. 2, p. 889. Il a été dit dans cette affaire que même s’il faut interpréter un texte constitutionnel de manière à donner un sens aux termes utilisés, le caractère et l’origine du texte doivent être pris en considération et que les dispositions portant sur les droits et libertés fondamentaux, y inclus l’unité de la famille en tant que groupe, ne doivent pas être interprétés restrictivement.

Par ailleurs, ce serait méconnaître l’esprit de notre Constitution qui contient des dispositions garantissant contre l’autocratie que de nier la citoyenneté mauricienne à un enfant naturel d’un père mauricien né de ses relations avec une mère étrangère alors qu’on accorderait la citoyenneté à l’enfant naturel d’une mère mauricienne qui est né de ses relations avec un père étranger. En fait, la Loi sur la citoyenneté mauricienne est entrée en vigueur le 14 décembre 1968 quelques mois après que la Constitution a été promulguée et qui avait pour objectif de mettre en application des dispositions du Titre II de la Constitution prévoit dans son article 2 que « toute référence au père d’une personne, sera, à propos d’une personne née hors du mariage et non reconnue par son père, interprétée comme signifiant la mère de la personne ». Nous croyons que l’article 27-2 de la Constitution doit être interprétée comme comportant ce qui est prévu par l’article 23 et non excluant ces dispositions de sorte qu’un enfant né des relations entre un père mauricien et une mère étrangère ne perde pas sa citoyenneté mauricienne. Il nous apparaît que ceci est la seule interprétation sensée et raisonnable que nous pouvons donner à ces deux articles de la Constitution, eu égard aux dispositions de notre Constitution sur les droits et libertés fondamentaux.

(…)

MRI / 1995 / A05
Maurice / Cour suprême / Chambre constitutionnelle / 27-10-1995 / Pointu v. Ministry of Education (1995) S.C.J. 350 / texte intégral

2.1.1.1 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Constitution
2.1.1.13 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – autres sources internationales
2.1.3.1 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence interne
2.1.3.3 Sources du droit constitutionnel – catégories – jurisprudence – jurisprudence étrangère
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Enseignement (matières enseignées) – Loi (égalité devant la loi)

Marie-Gérard Christian Pointu, Demandeur

c/

1. Le Ministre de l’Education et des Sciences

2. L’Etat de Maurice, Défendeurs

avec la présence de:

Dharmdev MATADEEN, co-défendeur

Affaire n° 53877

et dans l’affaire de:

Roland Emmanuel MOSSES et 187 autres, Demandeurs

c/

1. Le Ministre de l’Education et des Sciences

2. L’Etat de Maurice, Défendeurs

avec la présence de:

Yajjessewur DINNOO, Co-défendeur

Affaire n° 54203

et dans l’affaire de:

Gérard COLIN et 11 autres, Demandeurs

c/

1. Le Ministre de l’Education et des Sciences

2. Le Syndicat Mauricien des Examens, Défendeurs

avec la présence de:

Yajjessewur DINNOO, Co-défendeur

Arrêt:

Maurice est un Etat souverain et démocratique. C’est ce que prévoit l’article 1er de la Constitution. C’est une société multiraciale, pluriculturelle et multilingue. Les langues communément et couramment utilisées dans la vie de tous les jours sont l’anglais, le français, le créole et le bhojpuri. D’autres langues que nous appellerons langues orientales sont aussi parlées dans certaines familles et le choix de la langue parlée dépend dans une large mesure de l’origine des parents.

Les enfants entrent à l’école primaire en classe 1re à l’âge de cinq ans. L’école peut être une école d’Etat ou une école subventionnée. Les écoles de cette dernière catégorie sont dirigées par des organisations religieuses et reçoivent des subventions de l’Etat. Tous les élèves des écoles primaires suivent un programme de six années jusqu’à la classe de VIe. Ils participent alors aux examens du Certificat d’Etudes Primaires (CEP) (voir les articles 10 et 14 du Règlement de 1957 sur l’Enseignement). Le programme des enseignements doit être approuvé par le Ministre. A l’heure actuelle, il apparaît que le programme comporte l’anglais et les mathématiques, des matières notées sur 300 points chacune, et le français et l’histoire-géographie (HG) sont notées sur 200 points chacune. Il est généralement accepté que le HG est une matière plus difficile que les autres et qu’il n’est pas aisé d’avoir une très bonne note dans cette matière. Les infrastructures et le personnel enseignant existent et ont toujours existé pour enseigner toutes ces matières dans toutes les écoles.

Le CEP est un examen d’une compétition féroce. Sur la base de ces examens, les élèves peuvent adhérer, par rapport à leur classement, à certaines écoles secondaires considérées à Maurice comme de « bons collèges », c’est-à-dire, des écoles d’un niveau élevé ou assez élevé. Il y a une course folle dans le classement qui est déterminé par une fraction de point.

Le calcul du classement, jusqu’aux examens de CEP de 1994, se faisait par la méthode linéaire. Les notes d’un candidat dans toutes les matières sont additionnées. Ceci est prévu dans le Règlement et le programme de l’examen préparé par le Syndicat Mauricien des Examens, l’institution responsable de la tenue à Maurice des examens en vertu de la Loi sur le Syndicat Mauricien des Examens. Les 2000 meilleurs garçons et les 2000 meilleures filles sont assurées d’avoir une place dans les bonnes écoles secondaires.

Au mois de mars cette année, le Ministre de l’Education, en agissant en vertu du Règlement sur l’Enseignement élaboré conformément à la Loi sur l’Enseignement, a modifié le régime des examens de CEP. Le Syndicat Mauricien des Examens, avec le concours du Ministre, a remplacé la méthode linéaire de classement par une méthode de péréquation.

Sous le nouveau régime, cinq matières au lieu de quatre seront comptées aux fins des examens de CEP à partir du 7 novembre 1995, date du début des prochains examens. En sus des quatre matières, les élèves seront autorisés à passer un examen sur une cinquième matière, notamment une langue orientale parmi le hindi, le tamoul, le marathi, l’arabe et le mandarin. Les langues orientales seront notées sur 200 points. Le mode de calcul pour le classement sera changé en ce sens que la note obtenue dans une langue orientale sera comptée pour le classement.

Sous le nouveau régime, l’anglais et les mathématiques seront des matières du tronc commun. Les élèves qui pendront seulement quatre matières seront notés conformément à la méthode linéaire. Mais pour ceux qui prendront une matière supplémentaire, à savoir une langue orientale, les deux meilleures notes des trois matières restantes, à savoir, le français, l’histoire-géographie et une langue orientale (que nous appellerons également langue asiatique). Les deux meilleures notes et celles de l’anglais et les mathématiques seront comptées. La nouvelle méthode est prévue par l’article 6 du Règlement édicté par le Syndicat Mauricien des Examens qui est ainsi rédigé:

Classements:

La méthode pour le classement est le suivant:

pour ceux qui ont pris une langue asiatique, il sera additionné aux notes obtenues en anglais et en mathématiques les deux meilleures notes obtenues dans les matières suivantes: français, histoire-géorgraphie et langue asiatique, et;

pour ceux qui n’ont pas pris une langue asiatique, les notes obtenues dans les quatre matières, à savoir, l’anglais, les mathématiques, le français et l’histoire-géographie seront additionnées

La note standardisée sera établie conformément aux valeurs suivantes:

Anglais 300

Mathématiques 300

Français 200

Histoire-géographie 200

Langue orientale 200

Pour obtenir la « note standardisée » susmentionnée en langue orientale, on appliquera une nouvelle méthode, la méthode de péréquation qui a été approuvée par le Syndicat Mauricien des Examens, proposée par le Dr Kingdon, un chercheur de l’Université de Londres. A partir des explications fournies par M. Clifford, secrétaire général de l’Autorité Catholique de l’Enseignement et du Dr Kingdon nous avons compris que le système fonctionnera ainsi:

(i) Les notes obtenues par des candidats aux examens CEP en anglais et en mathématiques seront considérées comme une note commune de référence;

(ii) les différentes notes en langues orientales seront additionnées aux notes d’anglais et de mathématiques afin de déterminer la note corrigée en langue orientale.

Les raisons qui ont suscitées la décision du Ministre doivent être mentionnées. Les langues orientales ont été enseignées depuis longtemps dans les écoles. Si les élèves avaient la possibilité d’étudier une langue orientale, nul n’y était obligé et elle n’était pas une matière obligatoire pour les examens de CEP. A côté de l’enseignement des langues orientales, un enseignement sur la religion catholique était dispensé dans beaucoup d’écoles. Il doit être souligné, et la Cour peut apprécier, que, vu la composition multiraciale de notre société, les élèves ayant une origine asiatique seront plus tentés ou enclins à étudier une langue orientale à l’école que ceux appartenant à la population générale, qui dans l’ensemble sont des catholiques. Ces derniers ont une préférence pour un enseignement sur la religion catholique.

En 1984, une Commission ad hoc parlementaire a été instituée en vertu de l’article 96 du Règlement Intérieur de ce qui était alors l’Assemblée Législative, et elle était présidée par le Ministre de l’Education d’alors et qui l’est encore. La nouvelle mission de la Commission, indiquée aux paragraphes 1.1 et 1.2 du rapport, était:

« de faire des propositions pour que les notes des candidats prenant une langue orientale parmi le hindi, l’ourdou, le tamoul, le télégou, le marathi, le mandarin et l’arabe des écoles agrées aux examens de CEP puissent être retenues par l’attribution du Certificat d’Etudes Primaires et pour le classement. »

La Commission de 1984 a fait des propositions suivantes dans son rapport soumis en 1986:

Votre Commission propose unanimement la solution suivante qui entrerait en vigueur à partir de 1993 pour le classement des candidats aux examens de CEP des écoles agréées:

 

Matière Notation sur:
Anglais 300 points
Mathématiques 300 points
Français 200 points
Choix entre Histoire-géographie et une langue orientale/culture et civilisations mauriciennes 200 points
TOTAL 1 000 points

Les notes en anglais, mathématiques et français (qui ont respectivement un coefficient 3, 3, et 2 sont additionnées à la note la plus élevée obtenue soit en histoire-géographie, soit en une langue orientale/cultures et civilisations mauriciennes (coefficient 2).

En 1986, le gouvernement avait voulu que les élèves qui avaient étudié une langue orientale pussent prendre cette langue aux examens de CEP. Cette langue n’aurait pas été comptée aux fins du classement mais il y aurait eu une mention sur le certificat délivré à l’élève qui a réussi un examen de langue.

En 1991, une autre Commission ad hoc a été créée et était présidée par M. Madun Dulloo qui était alors un Ministre afin de revoir le rapport de la Commission ad hoc soumis en 1986. La mission de cette Commission était:

« de reconsidérer la proposition 3.10.7 du Rapport de la Commission ad hoc (N° 7 de 1986) déposé le 6 mai 1986 et l’opportunité de prendre en compte les langues orientales lors du classement des candidats des écoles agréées aux examens de CEP et de faire toutes propositions appropriées. »

La Commission créée en 1991 a fait les propositions suivantes dans son rapport déposé en décembre 1993:

« Votre Commission fait alors unanimement les propositions suivantes:

a. L’obtention du Certificat

Les propositions du rapport de la Commission ad hoc déposé en mai 1986 sur l’obtention du certificat devraient être maintenues; c’est-à-dire, il faudrait au moins avoir obtenu:

(i) La mention E dans toutes les matières suivantes:

–Anglais

–Mathématiques

–Français

(ii) La mention C ou deux mentions D de ces cinq matières:

–Anglais

–Mathématiques

–Français

–Histoire-géographie

–Une langue orientale.

b. Le classement

Les propositions du Rapport de la Commission ad hoc déposé en mai 1986 pour que les langues orientales soient retenues devraient également être maintenues.

c. Cultures et Civilisations de Maurice

La proposition du Rapport de la Commission ad hoc déposée en mai 1986, à savoir l’introduction d’une nouvelle matière, c’est-à-dire, Cultures et Civilisations de Maurice, comme une option aux langues orientales, n’est pas réalisable et ne devrait pas être introduite.

d. Options

(i) Les élèves ne devraient pas être amenés à choisir des matières au niveau primaire comme ils ne sont pas en mesure à cet âge de le faire.

(ii) Dans le contexte actuel, les élèves ne devraient pas faire un choix en une langue orientale et une autre matière dans la mesure où ceci porterait préjudice aux langues orientales et empêcherait la promotion de ces langues.

e. Solutions

Les solutions suivantes devraient être utilisées:

–Pour ceux qui prendraient part à un examen de langue orientale, les notes obtenues en anglais et mathématiques seraient additionnées avec les deux notes les plus élevées obtenues dans ces matières – Français, histoire-géographie et langue orientale et

–Pour ceux qui ne prendraient pas part à un examen de langue orientale, les notes obtenues dans toutes les quatre matières, à savoir l’anglais, les mathématiques, le français et l’histoire-géographie seraient additionnées ensemble.

f. Les mentions

Le système actuel de mention devrait être maintenu, c’est-à-dire

 

Mention Note
A 70 points et au-delà
B 60 points et au-dessus et moins de 70 points
C 50 points et au-dessus et moins de 60 points
D 40 points et au-dessus et moins de 50 points
E 30 points et au-dessus et moins de 40 points
F Moins de 30 points

g. Valeur

Le présent système de valeurs proposé par le Rapport de la Commission ad hoc de mai 1986 devrait être maintenu, c’est-à-dire:

Anglais 300
Mathématiques 300
Français 200
Histoire-Géographie 200
Langue Orientale 200

h. Mise en place

Ces propositions devraient être mises en œuvre à partir de 1995″.

Ces propositions ont obtenu l’approbation du Conseil des Ministres en décembre 1993 et ont été communiquées au Ministère de l’Education au début de 1994, selon M. Ramchurn, un sous-directeur rattaché à ce ministère. Aucune école n’a été officiellement informée de cette décision avant mars 1995, lorsqu’elles ont appris que les langues orientales seront comptées pour le classement aux examens du CEP à partir de 1995 à travers un Règlement et les programmes proposés par le Syndicat Mauricien des Examens.

Les demandeurs dans les affaires qui ont été jointes ont invoqué les articles 3 et 16 de

la Constitution:

« 3. – Protection des droits fondamentaux et des libertés individuelles

Il est reconnu et proclamé qu’il a existé et qu’il continue d’exister à Maurice, sans discrimination à raison de la race, du lieu d’origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe mais dans le respect des droits et libertés d’autrui et de l’intérêt public, tous les droits de l’homme et libertés fondamentales énumérés ci-dessous, à savoir:

a. le droit de tout individu à la vie, à la liberté, à la sécurité personnelle et à la protection de la loi; (c’est nous qui soulignons)

b. la liberté de conscience, d’expression, de réunion et d’association et la liberté de fonder des établissements scolaires;

c. le droit de tout individu à la protection de l’intimité de son domicile contre toute atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans compensation, et les dispositions du présent Titre auront effet pour assurer la protection des dits droits et libertés sous réserve des limitations par ces mêmes dispositions, limitations destinées à assurer que l’exercice des dits droits et libertés par un individu ne porte pas atteinte aux droits et libertés ou à l’intérêt public.

16. – Protection contre toute discrimination

1. – Sous réserves des dispositions des alinéas 4, 5 et 7 du présent article, aucune loi ne contiendra une disposition discriminatoire en elle-même ou dans ses effets.

2. – Sous réserves des dispositions des alinéas 6, 7 et 8 du présent article, nul ne pourra être traité d’une façon discriminatoire par une personne agissant dans l’exécution d’une fonction publique conférée par la loi ou dans l’exécution des fonctions d’une autorité publique.

3. – Dans le présent article, l’expression « discriminatoire signifie: accorder un traitement différent à des personnes différentes, ces différences étant dues uniquement ou principalement à l’application des critères de race, de caste, de lieu d’origine, d’opinion politique, de couleur ou de croyance, en vertu desquels ces personnes sont soumises à des incapacités ou des restrictions auxquelles ne sont pas soumises les personnes ne répondant pas à ces critères, ou encore accorder des privilèges et avantages qui ne sont pas accordés aux personnes répondant à d’autres critères.

4. – L’alinéa 1er du présent article ne s’applique à aucune loi dans la mesure où celle-ci prévoit des dispositions relatives à:

a. l’affectation de revenu ou d’autres fonds de Maurice;

b. des personnes qui n’ont pas la citoyenneté mauricienne;

c. l’application, dans le cas de personnes répondant à l’un des critères visés à l’alinéa 3 du présent article (ou de personnes ayant un lien avec ces dernières), de règles concernant l’adoption, le mariage, le divorce, les obsèques, la dévolution de succession ou à toute autre matière régie par leur loi personnelle.

5. – Rien de ce qui est contenu dans une loi ne sera tenu pour non conforme ou contraire à l’alinéa 1er du présent article dans la mesure où celle-ci prévoit des compétences ou qualifications (autres que des compétences ou qualifications ayant uniquement trait à la race, la caste, le lieu d’origine, les opinions politiques, la couleur ou la croyance) requises de toute personne nommée à tout emploi dans la fonction publique, une force disciplinaire, une autorité locale ou une institution établie directement par une loi dans un but de service public.

6. – L’alinéa 2 du présent article ne s’applique pas à tout ce qui est expressément autorisé ou résulte nécessairement d’une disposition légale dont il est fait référence aux alinéas 4 et 5 du présent article.

7. – Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire au présent article, dans la mesure où cette loi contient des dispositions par lesquelles les personnes appartenant à l’une des catégories décrites à l’alinéa 3 du présent article, peuvent être soumises à une restriction des droits et libertés garantis par les articles 9, 11, 12, 13, 14 et 15, si cette restriction est, selon le cas, autorisée par l’alinéa 2 de l’article 9, l’alinéa 5 de l’article 11, l’alinéa 2 de l’article 12, l’alinéa 2 de l’article 13, l’alinéa 2 de l’article 14 ou l’alinéa 3 de l’article 15.

8. – L’alinéa 2 du présent article n’affectera pas la discrétion conférée à quelque personne par la Constitution ou toute autre loi quant à l’introduction, la conduite ou l’abandon de procédures civiles ou pénales devant une cour de justice. »

Le conseil des demandeurs soutient que le principe d’égalité reconnu par l’article 3 se trouve également dans l’article 1er de la Constitution qui proclame que Maurice est un Etat souverain et démocratique. Le conseil prétend également que le principe d’égalité devant la loi a toujours existé à Maurice depuis 1793 lorsque la Déclaration de 1789 a été rendue applicable à Maurice. Puisque le citoyen a droit à une protection égale de la loi et une protection contre des discriminations en vertu des articles 3 et 16, les droits des demandeurs, selon la thèse de leur conseil, ont été méconnus.

Les défendeurs et les co-défendeurs ont répliqué que les demandeurs doivent se reprocher eux-mêmes pour ne pas avoir étudié une langue orientale dans la mesure où les langues orientales ont été enseignées depuis longtemps. Leur conseil soutient en sus que, dans tous les cas, annuler la décision administrative d’inclure les langues orientales dans le programme des examens de CEP en novembre 1995 priverait un grand nombre d’élèves qui ont étudié une langue orientale à l’école d’une possibilité de prendre cette matière pour les examens et qui compterait pour le classement.

Il a aussi été soutenu que les demandeurs ne sont pas victimes d’un procédé déloyal du fait que la notation par le système de péréquation entrerait en vigueur. De plus, selon le conseil, tout désavantage infligé aux élèves qui ont étudié quatre matières serait contrebalancé par le fait que les élèves qui ont étudié une langue orientale ont employé leur temps libre à étudier cinq matières au lieu de quatre.

Sur la base que (i) les langues orientales sont enseignées depuis longtemps à l’école, (ii) ces langues étaient des matières qui étaient spécifiées dans le certificat depuis 1987 et (iii) qu’en 1991 une circulaire a indiqué qu’il n’y aurait pas d’enseignement simultané de langues orientales et d’éducation catholique, il a été affirmé de la part des défendeurs qu’il était évident depuis longtemps à toutes les écoles et à tous les élèves que, tôt ou tard, les langues orientales seraient prises en compte aux fins du classement aux examens de CEP. Puisque les demandeurs ont choisi d’ignorer ce fait, ils doivent se reprocher eux-mêmes pour n’avoir pas préparé un éventuel changement dans le programme des enseignements et examens.

Avant d’analyser les différents articles de la Constitution qui sont pertinents au regard de la présente affaire, nous croyons qu’il est nécessaire de déterminer si, lors de l’exercice de l’interprétation de la Constitution, il serait approprié pour nous de s’inspirer d’autres sources nationales et internationales. Dans les arrêts Lincoln c/ The Governor General & another, Mauritius Reports, 1974, p. 112, UDM c/ Campement Sites & another c/ The Government of Mauritius, Mauritius Reports, 1984, p. 100, il a été affirmé que nous ne devons pas sortir du texte de la Constitution pour interpréter la notion de démocratie. Dans d’autres arrêts, par exemple, Vallet c/ Ramgoolam & another, Mauritius Reports, 1973, p. 29, il a été fait référence à la Convention européenne des Droits de l’homme et à la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Dans les arrêts Police c/ Rose, Mauritius Reports, 1976, p. 79 et Police c/ Flore, Mauritius Reports, 1993, p. 106, la Cour s’est referrée à la jurisprudence indienne sur la notion d’égalité. Dans l’arrêt Jaulim c/ The Director of Public Prosecutions & another, Mauritius Reports, 1976, p. 96, la formation plénière de la Cour (composée de M. Latour-Adrien Chef-Juge, M. Garrioch, Doyen des Juges Puînés et M. Rault, Juge) s’est referrée à la page 100 aux principes de la Convention Européennes des Droits de l’homme comme indiqué dans le paragraphe qui suit:

« Pour la présente affaire nous nous sommes inspirés et nous nous sommes permis d’emprunter de la motivation d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’objectif de l’article 14 de la Convention européenne des Droits de l’homme, qui traite de la discrimination, la formule qui suit: « les principes qui peuvent être dégagés de la pratique juridique d’un nombre important d’Etats démocratiques » [voir Cour européenne des Droits de l’homme, affaire des linguistes belges, Recueil de Jurisprudence de la Cour, 1968, vol. 11832]. »

La même approche a été approuvée par le Conseil Privé dans beaucoup d’affaires. Dans l’arrêt Minister of Home Affairs c/ Fisher, The Law Reports, Appeal Cases, 1986, p. 319, v. p. 329, Lord Wilberforce, en interprétant les droits et des libertés fondamentaux garantis par la Constitution des Bermudes, souligne que:

« Ce texte constitutionnel comporte des caractéristiques spéciaux. (1) Il a été rédigé, notamment le Titre I, de manière large et générale et a posé de grands principes généraux. (2) Le Titre I a pour intitulé « Protection des droits et libertés fondamentaux de l’individu ». Il est reconnu que ce Titre, comme les parties similaires des textes constitutionnels rédigés pendant la décolonisation, et commençant par la Constitution de Nigeria et incluant la majorité des Constitutions des territoires des Caraïbes, a grandement été influencé par la Convention européenne pour la Sauvegarde des Droits et des Libertés Fondamentaux. Cette convention, à son tour, a subi l’influence de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948. Ces antécédents, et le style du Titre I lui-même, appellent à une interprétation généreuse en évitant ce qui a été appelé « l’austérité du légalisme » plus apte à offrir aux individus toute la protection des droits et libertés fondamentaux mentionnés. »

Le même principe a été appliqué dans l’arrêt Olivier c/ Buttigieg, The Law Reports, Appeal Cases, 1967, p. 115, Ong Ah Chuan c/ Public Prosecutor, The Law Reports, Appeal Cases, 1981, p. 648, Attorney-General of the Gambia c/ Momoudou Jobe, The Law Reports, Appeal Cases, 1984, p. 689, v. p. 706, Société United Docks & another c/ The Government of Mauritius, The Law Reports, Appeal Cases, 1985, p. 585, v. p. 605, Thornhill c/ The Attorney-General or Trinidad and Tobago, The Law Reports, Appeal Cases, 1981, p. 61.

Selon nous, la meilleure approche est qu’une Constitution, notamment la partie qui contient les droits fondamentaux, doit être interprétée dans une perspective historique, à la lumière de ses origines et, autant que possible, des décisions sur des dispositions similaires aux nôtres par des juridictions nationales et internationales.

Dans ce même ordre d’idées, nous pourrions faire référence à ce qu’a dit Me Anthony Lester, Conseiller de la Reine, lors d’un colloque juridique à Bangalore en février 1988 sur le thème « L’application par les autorités nationales des normes internationales des droits de l’homme »:

« Il est très accepté que des décisions des juridictions constitutionnelles de la famille juridique de la Common Law, tels la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique, la Cour suprême indienne, le Conseil Privé et d’autres bénéficient d’une grande autorité morale dans les affaires impliquant des garanties constitutionnelles des droits fondamentaux. La Cour suprême indienne en particulier a suivi des décisions des cours britanniques et celles des Etats-Unis et du Canada en raison de leur grande autorité morale. Dans l’affaire Ong Ah Chuan, le Conseil Privé a considéré qu’il n’est pas approprié de voir les décisions des Etats-Unis pour interpréter les droits de l’homme contenus dans les Constitutions de type Westminster. Cependant, le Conseil Privé n’a jamais suivi cette approche par la suite: ce n’est pas une bonne approche du fait de l’universalité des principes et des valeurs.

Ce que Me Anthony Lester, Conseiller de la Reine, a dit au cours de ce colloque reflète la conception moderne en matière des droits de l’homme. Ces droits ne sont pas limités à un territoire particulier mais sont universels et généraux. Ils sont invariablement liés au développement économique, à l’aide financière, l’établissement des relations diplomatiques et sont souvent utilisés comme un moyen de pression sur des pays qui ont une mauvaise image en matière des droits de l’homme.

A ce stade, nous ferions référence aux arrêts dans lesquels la Cour a examiné la notion de démocratie. Dans l’arrêt Vallet c/ Ramgoolam & another (supra), la Cour a écrit à la page 42 que:

« Quels sont donc les caractéristiques de la démocratie dans laquelle nous vivons? Il n’y a pas de doute que le constituant, en incluant dans la Constitution la pratique et les principes constitutionnels du Royaume-Uni, a voulu donner à Maurice un système démocratique proche de celui dont jouit le peuple britannique. Il n’y a également pas de doute que, en incluant la majorité des droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention européenne des Droits de l’homme, ils ont introduit dans la Constitution elle-même les garanties accordées par les Etats signataires (dont le Royaume-Uni qui a signé la Convention au nom de ses territoires, y inclus Maurice) pour respecter les principes fondamentaux de la démocratie. »

Dans l’arrêt Lincoln & another c/ The Governor General & another (supra), le juge Ramphul a fait à la page 126 les observations suivantes sur le modèle de démocratie mis en place dans notre pays:

« Il y a une autre observation que je voudrais faire. Elle concerne le type de démocratie auquel notre Constitution fait référence. A mon avis, on ne doit pas chercher en dehors de notre Constitution pour découvrir le modèle de démocratie qui existe à Maurice. Cependant, ce modèle peut être modifié par une révision de la Constitution. Il n’est donc pas utile de considérer les conventions de la Constitution britannique afin de découvrir la forme de démocratie qui existe à Maurice. »

Cette approche du juge Ramphul a été approuvée par la Cour, composée de M. Glover, Chef-Juge et de M. Lallah, Doyen des Juges Puînés, dans l’arrêt UDM an another c/ The Governor General and another (supra) dans lequel elle a observé que:

« Considérant maintenant le deuxième moyen avancé, nous devons déterminer le sens des termes « Etat démocratique » qui se trouvent dans l’article 1er de la Constitution. Nous devons tout de suite rajouter que ceci n’est pas ou ne peut pas être la même chose que de définir le concept de « société démocratique » évoqué dans certains articles du Titre II pour déterminer ce qui est raisonnable ou pas. Nous sommes d’avis que, parmi les autres juges de cette Cour qui ont été appelés à donner une telle définition aux fins de l’article 1er, l’approche du juge Ramphul, contenue dans l’arrêt Lincoln c/ Le Gouverneur Général et consorts, Mauritius Reports, 1974, p. 112, est la bonne. En bref, il n’est ni nécessaire ni approprié de chercher en dehors de la Loi Fondamentale pour savoir ce que le constituant avait à l’esprit lorsqu’il a utilisé les termes « société démocratique » et encore moins de faire référence à certaines conventions qui fondent le droit constitutionnel britannique. L’article 1er dit que notre Etat sera dirigé conformément aux autres dispositions de la Constitution, qui contient l’essence des principes démocratiques qui nous gouvernent. Ceux-ci comprennent la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’accession à et la perte de la nationalité, le pouvoir conféré au Parlement, qui comprend une Assemblée Législative, pour voter des Lois, la responsabilité du gouvernement vis-à-vis du Parlement, l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant, de même que d’autres dispositions dont la mention n’est pas nécessaire en vue de la présente affaire. »

Les deux conseils des demandeurs ont soutenu avec force que la démocratie ne pourrait exister sans égalité. Comme indiqué, les conseils ont fait référence au fait que, d’un point de vue historique, le principe d’égalité comme faisant partie des principes démocratiques a existé à Maurice depuis 1793. Nous sommes reconnaissants envers Me R. d’Unienville, Conseiller de la Reine, un des deux avocats des demandeurs, pour son exposé très éclaircissant sur l’histoire du concept d’égalité à Maurice.

Cet aspect historique a aussi été évoqué par le juge Ahnee dans son opinion dissidente dans l’arrêt Peerbocus c/ Regina, Mauritius Reports, 1991, p. 90 dans lequel il dit à la page 98 que « l’Assemblée coloniale de notre pays, siégeant dans ce qui est maintenant la deuxième chambre de notre Cour suprême, avait déjà depuis le XIV Thermidor An III (1er août 1794) proclamé que tous les citoyens de cette colonie « ont la jouissance de tous leurs droits naturels et imprescriptibles exposés dans la Déclaration des Droits présentée au Peuple Français en juin 1793 (v. d’Unienville, Histoire politique de l’Isle de France (1791-1794), Imprimerie du Gouvernement, Port-Louis, Ile Maurice, 1982, p. 58), laquelle Déclaration dans ses articles 3, 4, et 5 dispose que:

3. – Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.

4. – La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale. Elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

5. – Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics.

Il peut être intéressant de souligner que ces Droits font partie des normes juridiques que les anglais ont promis de sauvegarder à l’article 8 de l’Acte de Capitulation de 1810 qui prévoit « Que les habitants conserveront leur religion, loix et coutumes » (v. Lane, Laws of Mauritius Revised Edition, vol. 1, cap. 47, article 8) »

Il n’y a pas de doute que, vu la structure démocratique de notre nation, les principes démocratiques qui ont été retenus lors de l’écriture de notre Constitution, comme souligné dans les différentes décisions de notre Cour et les observations faites par le juge Ahnee dans son opinion dissidente dans l’affaire Peerbocus, que notre Constitution considère tout le monde comme égal et a droit à l’égale protection de la loi.

Nous avons maintenant à déterminer ce que signifie la notion d’égalité, qui selon nous est contenue dans le concept de démocratie de l’article 1er mais aussi dans l’article 3 comme décidé dans l’arrêt Union of Campement Sites & Lessees & ors c/ The Government of Mauritius (supra) dans lequel la Cour souligne ce qui suit:

« Il apparaît que, sur la question d’égalité devant la loi et du traitement égal de la loi, notre Constitution a adopté les deux aspects d’un même principe, c’est-àdire, des dispositions donnant effet à une égalité positive et des dispositions interdisant toute discrimination. Celles donnant effet à une égalité positive sont contenues dans les termes « Nul ne peut » (article 4, 5, 6, 7 et autres) ou « Toute personne qui ». Il existe aussi des dispositions qui garantissent l’égalité de traitement par les cours mais pas nécessairement une identité de traitement (article 10). Ainsi, une personne reconnue coupable d’une infraction par une cour et sanctionnée plus sévèrement qu’une personne reconnue coupable d’une infraction similaire dans des circonstances similaires par une autre cour, ou peut-être par la même cour, ne peut se plaindre d’avoir reçu un traitement inconstitutionnel si le procès était régulier. »

Nous ferons ici référence à une décision de la Cour suprême des Etats-Unis relative à l’article 1er du Quatorzième Amendement à la Constitution de ce pays. Cet article dispose:

« Aucun Etat… ne privera aucune personne relevant de son autorité de l’égale protection des lois. »

Dans l’arrêt Brown c/ Board of Education of Topeka, United States Reports, 1954, vol. 347, p. 438, la Cour suprême avait à trancher une affaire dans laquelle les parties lésées avaient été privées du droit de s’inscrire à des écoles fréquentées par des élèves blancs en vertu des lois exigeant ou tolérant une ségrégation raciale. Cette ségrégation avait privé les demandeurs de l’égale protection de la loi contrairement au Quatorzième Amendement. La Cour a considéré que:

« Nous concluons que dans le domaine de l’éducation publique la doctrine « séparé mais égal »n’a pas de place. Une infrastructure séparée pour l’éducation est inégale en soi. Par conséquent, nous considérons que les demandeurs et d’autres personnes se trouvant dans la même situation et au nom de qui des actions ont été exercées pour des faits de ségrégation pour lesquels il se sont plaints, ont été privés d’une égale protection des lois contrairement au Quatorzième Amendement ».

Nous ferons aussi référence à l’interprétation donnée par la Cour suprême de l’Inde à l’article 14 de la Constitution qui dispose:

« 14. – Principe d’égalité:

L’Etat ne privera aucune personne de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi dans le territoire de l’Inde. »

Dans l’arrêt State of Gujarat c/ Shri Ambica Mills, All India Reports, 1974, p. 1300, la Cour suprême a souligné:

« 52. – L’égale protection des lois est une des garanties de la protection égale des lois. Mais les lois peuvent être différentes. L’idée même d’une catégorisation comporte celle d’inégalité. En résolvant ce paradoxe la Cour n’a ni abandonné la demande pour une égalité n’a ni privé le législateur du droit de faire une catégorisation. Elle a adopté une attitude du juste milieu. Elle a résolu le conflit entre une demande pur la spécialisation législative et la généralité constitutionnelle par un concept de classification raisonnable. (V. Joseph Tussman et Jacobus Ten Breck, L’égale protection des lois, California Review, vol. 37, p. 341.

53. – Une catégorisation raisonnable est une catégorisation qui inclut tous ceux qui se trouvent dans la même situation et personne qui ne l’est pas. La question est alors celle-là: que signifie les termes « dans la même situation »? La réponse est que nous devrons chercher au-delà de la catégorisation proposée par la loi. Une catégorisation raisonnable est celle qui inclut toutes les personnes qui se trouvent dans la même situation aux fins de la loi. L’objet de la loi peut être soi de résoudre un problème public soit d’accomplir un bien public.

54. – Une catégorisation est sous-englobante lorsque tous ceux qui se trouvent dans la catégorie sont concernés par l’objet de la loi mais il existe d’autres personnes concernées par l’objet de la loi mais qui ne font pas partie de la catégorie. En d’autres mots, une catégorisation est irrégulière du fait qu’elle est sous-englobante lorsqu’un Etat accorde un droit ou impose un devoir dans un sens qui dépasse l’objectif mais n’accorde pas le même droit ou n’impose pas le même devoir à ceux qui se trouvent dans une situation similaire. Une catégorisation est sur-englobante lorsqu’elle inclut non seulement ceux qui se trouvent dans une situation semblable mais aussi tous ceux qui ne s’y trouvent pas. En d’autres mots, ce type de catégorisation impose un devoir sur une fraction plus large d’individus que celle qui est concernée par l’objectif de la loi. Hérod, en ordonnant l’exécution de tous les enfants du sexe masculin nés à une date particulière parce qu’un d’entre eux apporterait sa chute a utilisé une telle catégorisation (p. 1313). »

Ce précédent a été suivi dans l’arrêt Police c/ Flore, Mauritius Reports, 1993, p. 106 et s.

Dans l’arrêt Motor General A. P. c/ State of A. P., Supreme Court Cases, 1984, vol. 1, p. 222 et s., v. p. 229 et 230, il a été décidé que:

« Le principe d’égalité contenu dans l’article 14 exige que toutes les personnes soumises à une législation soient traitées de la même manière, dans les mêmes circonstances et conditions. Les personnes qui sont dans des situations semblables doivent être traitées également et les personnes dans des situations différentes ne doivent pas être traitées également. Afin de réussir l’examen de la catégorisation autorisée, deux conditions doivent être remplies, à savoir, (i) la catégorisation doit être fondée sur une différence intelligible qui distingue des personnes ou des choses regroupées ensemble de celles qui ne sont pas dans le groupe et (ii) cette différence doit aussi avoir un lien rationnel avec l’objet de la loi en question. Alors qu’une catégorisation peut être fondée sur plusieurs critères, ce qui est important c’est qu’il y a un lien entre la catégorisation et l’objet de la loi litigieuse » (c’est nous qui soulignons).

Dans l’arrêt R. K. Garg c/ Union of India, Supreme Court Cases, 1981, vol. 4, p. 675, v. p. 689-90, il a été décidé que:

« Une catégorisation ne peut être arbitraire, mais doit être rationnelle, c’est-àdire elle ne peut pas être fondée sur des qualités ou des caractéristiques que l’on peut trouver chez toutes les personnes faisant partie de la catégorie et pas chez ceux qui n’en font pas partie mais ces qualités ou caractéristiques doivent avoir un lien raisonnable avec l’objet de la loi. Afin de réussir l’examen, deux conditions doivent être remplies, à savoir (1) que la catégorisation doit être fondée sur une différence intelligible qui différencie ceux qui se trouvent dans la catégorie et ceux qui n’y sont pas et (2) cette différence doit avoir un lien rationnel avec l’objet de la loi.

La différence qui fonde la catégorisation et l’objet de la loi sont deux choses différentes et ce qui est important c’est qu’il y a une relation entre eux. En bref, alors que l’article 14 interdit une discrimination de catégorie en accordant des privilèges ou imposant des responsabilités sur ceux qui sont arbitrairement choisis d’un groupe de personnes se trouvant dans une situation similaire en fonction des privilèges qui seraient conférées ou des responsabilités qui seraient imposées, il n’interdit pas une catégorisation pour l’exécution des lois si cette catégorisation n’est pas arbitraire dans le sens évoqué. »

Dans l’arrêt Ajay Hasia c/ Khalid Mujib Sebravardi, Supreme Court Cases, 1981, vol. 1, p. 722, v. p. 740-740, il a été souligné que le principe d’égalité et de l’égale protection de la loi s’applique non seulement au législateur mais aussi à l’exécutif:

« Ce que l’article 14 interdit c’est l’arbitraire parce qu’un acte arbitraire est en soi discriminatoire. La notion de catégorisation qui est retenue par les cours n’est pas une paraphrase de l’article 14 et n’est pas non plus l’objectif et la fin de cet article. C’est une notion juridique afin de déterminer si un acte du législatif ou de l’exécutif est arbitraire et constitue donc une négation de l’égalité. Si la catégorisation n’est pas raisonnable et ne satisfait pas les deux conditions qui ont été posées, l’acte litigieux du législatif ou de l’exécutif serait manifestement arbitraire et la garantie d’égalité de l’article 14 serait méconnue. Donc, à chaque fois qu’une décision des autorités de l’Etat est arbitraire, que soit une loi ou un acte administratif ou un acte de l’article 12, immédiatement l’article 14 entre en ligne de compte et annule un tel acte » (c’est nous qui soulignons).

La décision dans l’affaire Bechan Singh c/ State of Punjab, Supreme Court Cases, 1982, vol. 3, p. 24:

« Toute forme d’arbitraire ou d’irrationalité est une abomination dans notre ordre constitutionnel. C’est maintenant une condition primordiale de l’article 14 que l’exercice d’une discrétion doit être conforme à des standards ou des normes afin qu’il ne dégénère pas dans l’arbitraire ou produit des effets inégaux sur des personnes se trouvant dans une situation semblable. Lorsqu’une discrétion absolue et non limitée est conférée à une autorité, que ce soit l’exécutif ou le judiciaire, elle pourrait être mise en œuvre arbitrairement et capricieusement par une telle autorité. Il ne saurait y avoir de protection égale sans le principe d’égalité dans l’exercice d’une discrétion qu’elle soit attribuée à l’exécutif ou au judiciaire » (c’est nous qui soulignons).

Le principe d’égalité devant la loi et de la protection égale de la loi comme imposant un traitement égal à tous ceux qui se trouvent dans une situation similaire a été appliqué par cette Cour dans l’arrêt State c/ Kanoja, Mauritius Reports, 1992, p. 169, v. p. 175, où elle considère que ce principe signifie que tout le monde doit être uniformément traité sauf s’il existe des raisons sérieuses de les traiter différemment.

Dans les arrêts américains et indiens que nous avons examinés, la Cour suprême de ces pays a interprété respectivement l’article 1er du 14e Amendement de la Constitution Américaine et l’article 14 de la Constitution indienne.

Bien entendu, les décisions des autres pays démocratiques ne sont acceptables que si elles ont été rendues sur la base des dispositions constitutionnelles similaires. En réalité, nous ne voyons aucune différence entre le principe d’égalité et de l’égale protection de la loi qui se trouve dans notre Constitution et celles des Etats-Unis d’Amérique et de l’Inde. C’est vrai que dans la Constitution indienne les deux principes d’égalité et d’égale protection de la loi sont inscrits dans le même article alors qu’aux Etats-Unis d’Amérique le principe d’égalité a été dégagé de la lecture de l’article énonçant l’égale protection de la loi et dans notre droit, le principe se dégage à partir d’une conjugaison des articles 1er et 3. Cette différence dans la présentation est, à notre point de vue, sans importance.

Il nous apparaît que les magistrats de ces pays ont combiné la notion d’égale protection et celle d’égalité. Comme le principe d’égalité, qui se trouve dans la Constitution toute entière, est plus particulièrement dans les articles 1er et 3, et comme l’article 3 englobe l’idée d’une protection de la loi, nous nous estimons autorisés à adopter la même approche que les juges américain et indien en combinant les principes contenus dans les articles 1er et 3.

En ce qui concerne l’article 3 de la Constitution, il a été considéré dans l’arrêt Société United Docks c/ The Government of Mauritius, Mauritius Reports, 1981, p. 500, que:

« La règle fondamentale est qu’une Constitution est un texte qui a une signification; ses énoncés vont plus haut et plus loin que ceux d’une loi ordinaire et il est impensable d’éventer un texte aussi solennel comme de l’air chaud. »

Cet extrait a été cité par la Cour suprême de Botswana dans l’arrêt Dow c/ Attorney General, Law Reports of the Commonwealth, vol. constitutional, 1991, p. 574.

Aussi, le Conseil Privé a considéré dans l’arrêt Société United Docks & another c/ Government of Mauritius, Mauritius Reports, 1984, p. 174, à la page 178 en interprétant notre Constitution que « l’énoncé de l’article 3 est seulement compatible avec un article opérationnel; ce n’est pas un simple préambule ou une introduction. »

A notre point de vue, l’article 3 qui prévoit l’égale protection de la loi, s’applique à tous les droits protégés par la Constitution et cette interprétation est conforme à « l’interprétation téléologique qu’on doit donner aux dispositions d’une Constitution. »

En déterminant la signification et la portée de ces principes, nous ne voyons aucune raison pourquoi ne devrons pas adopter la même ligne de raisonnement que les éminents juges des Etats-Unis et de l’Inde dont l’approche a été résumée dans l’arrêt de cette Cour prononcé par M. Rault, alors juge, dans l’affaire Police c/ Rose, Mauritius Reports, 1976, p. 79, v. p. 81 et suivant.

« Faire une différence n’est pas forcément faire une discrimination. Comme Lysias l’a souligné 2000 ans auparavant, une bonne justice n’accorde pas la même chose à tout le monde mais à chacun son dû: il consiste à traiter ce qui semblable de manière semblable, mais ce qui est différent de manière différente. Egalité devant la loi exige que les individus soient uniformément traités sauf s’il y existe une raison valable pour les traiter différemment. »

Il y a lieu de noter que les conseils, à la fois des défendeurs et du co-défendeurs, n’ont pas, à aucun moment, contester que le principe d’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi soit dégagé des articles 1er et 3 de la Constitution. La prétention des conseils était limitée aux conclusions qu’on pourrait dégager des faits; les conseils soutiennent qu’il n’y a manifestement aucune violation du principe d’égalité au du droit à l’égale protection de la loi.

Après une analyse des faits, il nous semble que ces éléments essentiels sont établis:

(i) tous les élèves n’étudient pas une langue orientale;

(ii) les enfants des demandeurs, qui n’ont pas étudié une langue orientale, n’ont été informés que les langues orientales seraient comptées pour le classement des examens de CEP qu’au mois de mars 1995 seulement;

(iii) en 1991, le Syndicat Mauricien des Examens a adressé une circulaire à toutes les écoles et dont l’intitulé était: « Emploi du temps proposé des écoles primaires – 1991 »;

Dans cette circulaire, le Syndicat Mauricien des Examens a établi un emploi du temps qui avait pour but de ne pas permettre l’enseignement simultané des langues orientales et d’une éducation catholique. Une autre circulaire a été émise en 1995 et elle indiquait expressément qu’un enseignement religieux ne doit pas être dispensé en même temps que les langues orientales. Les termes de la circulaire de 1995 sont les suivants:

Matières: Emploi du temps / Répartition des temps dans les écoles primaires:

Veuillez trouver ci-joint les nouveaux emplois du temps des classes Ire à la VIe. Ils entreront en vigueur à partir du lundi 10 juillet 1995. Nous espérons que ces nouveaux emplois du temps garantiront l’uniformité et une juste répartition des temps dans toutes les matières.

Votre attention est attirée sur le fait que l’Instruction Religieuse (IR) et les langues orientales ne doivent pas être enseignées simultanément.

Des modifications mineures (par exemple, heure du début, de la fin, recréation, pause etc.) peuvent être apportées au niveau de la direction des écoles pourvu que le temps alloué à chaque matière soit respecté.

L’inspectorat assurera un contrôle et vous assistera si nécessaire.

Le programme de 1991, et notamment son intitulé, indiquent bien ce qu’ils disent. Nous ne dégagerons pas du terme « proposé » plus ce qu’il n’en contient. Ce mot est défini dans le Petit Dictionnaire d’Oxford comme: « De soumettre à considération, discussion, solution, etc. de présenter, d’établir, d’exposer ». Nous ne sommes pas prêts non plus à considérer, à partir des faits, que les élèves devraient savoir qu’un jour les langues orientales seraient comptées pour le classement du fait que ces langues ont été enseignées depuis un certain nombre d’années et étaient inscrites sur le certificat depuis 1987. Nous considérons que, sur cet aspect de l’affaire, la notification est intervenue en mars et pas avant.

(iv) il n’existe pas une infrastructure et un personnel adéquat pour assurer l’enseignement des langues orientales dans toutes les écoles;

(v) il serait extrêmement difficile pour les enfants des demandeurs qui n’ont jamais eu la possibilité et qui n’ont pas étudié une langue orientale de prendre cette matière aux examens de CEP en novembre 1995 ou l’année prochaine;

(vi) l’histoire-géographie est une matière difficile et une cinquième matière peut aider. Une mauvaise note en histoire-géographie ou en français peut être substituée par une bonne note en langue orientale;

(vii) le système de péréquation a démontré qu’il ne peut pas empêcher le déséquilibre provoqué par la prise en compte des langues orientales pour le classement. Même le Dr Kingdon, qui a conduit une simulation à partir des résultats des examens CEP de 1993 et de 1994 a concédé qu’environ 5% des 2000 garçons et 6% des 2000 filles qui n’étaient pas candidats à un examen de langue orientale ont été classés au-dessus des 2000 et remplacés par ceux qui étaient candidats à un examen de langue orientale.

L’autorité pour approuver le programme des examens de CEP appartient au Ministre en vertu de l’article 10-5 du Règlement de 1957 sur l’enseignement établi conformément à la Loi de 1957 sur l’Enseignement.

L’article 10-5 prévoit que:

« L’inscription en classe Ire dans les écoles secondaires d’Etat se fera sur la base des résultats des examens du Certificat d’Etudes Primaires, et le programme sera approuvé par le Ministre (c’est nous qui soulignons).

Le « programme » qui doit être approuvé en vertu de ce Règlement ne peut être qu’un programme d’études qui est approuvé bien avant la tenue des examens de CEP chaque année et doit aussi signifier un programme qui donne une opportunité égale à tous les élèves pour étudier les matières contenues dans ce programme en indiquant clairement que ce programme ne sera pas modifié en substance pendant les six années du cursus. Il est important de citer ici l’article 14-1 du Règlement de 1957 sur l’Enseignement qui dispose:

« 14. – Durée du cursus à l’école

1. – Sous réserves de l’alinéa 23, le cursus dans les écoles primaires d’Etat ou subventionnées couvre toutes les années d’études, de la Ire à la VIe au terme de laquelle les élèves passent les examens du Certificat d’Etudes Primaires. »

Les termes du Règlement susmentionné démontrent clairement que le programme que le Ministre doit approuver en vertu de l’article 10-5 est un programme sur six années d’études.

Il n’y a pas d’indication sérieuse du moment où le Ministre a approuvé le programme incluant les langues orientales pour le classement aux examens de CEP qui devront se tenir à partir de novembre 1995. Ce qui est prouvé, c’est qu’en mars 1995, le Syndicat Mauricien des Examens dans ses règlements et programmes a inclus les langues orientales pour les besoins du classement. Cependant, les éléments de preuve fournis tentent de démontrer qu’il n’y a jamais eu d’approbation d’un tel programme d’une durée de six années pour les besoins des examens de CEP. La décision d’inclure dans le programme les langues orientales une année avant les examens de CEP est un excès de pouvoir.

Pour revenir aux principes d’égalité et de protection égale et confronter les faits au droit, nous voyons que la modification du programme dans les présentes affaires de façon à accorder un avantage à certains éventuels candidats du CEP et inversement imposé un handicap à ceux qui passent seulement quatre matières, le Ministre a fait une catégorisation qui ne tient pas à l’examen d’égalité auquel se réfèrent les arrêts indiens et qui est résumé dans l’arrêt Police c/ Rose (supra). Tous les élèves des écoles primaires appartiennent à la même catégorie dans la mesure où tous ont bénéficié des enseignements approuvés par le Ministre. Tous ont étudiés les matières du tronc commun sur la base du programme qui a existé avant le rapport de la Commission parlementaire de 1991. Ils ont tous bénéficié du service qui leur a été accordé dans ce cadre. Une différenciation qui impose un handicap sur un grand nombre d’entre ceux qui n’ont pas étudié une langue orientale, qui n’était pas obligatoire sur la base du programme de six années d’études approuvé par le Ministre, ne résiste pas à l’examen de traitement égal de tous les élèves se trouvant dans une situation semblable.

Nous considérons par conséquent la décision du Ministre de mettre en vigueur un nouveau programme dans de telles circonstances comme injuste et arbitraire et comme méconnaissant le principe d’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi de l’article 26 du Pacte international sur les droits civils et politiques contenu dans notre Constitution.

Dans l’arrêt Olivier c/ Buttigieg (supra) Lord Morris affirme que:

« lorsqu’une cour examine les droits et libertés fondamentaux de l’individu elle doit être prudente avant d’accepter l’idée que la violation qui leur est portée est minime. »

Le Ministre, en prenant la décision d’inclure les langues orientales aux fins du classement, ne pouvait pas être indifférent au contexte sociologique et à la composition raciale de Maurice et au fait qu’aucune de ces langues n’est étudiée par un nombre important d’élèves. Un nombre important de parents n’incite pas leurs enfants à étudier une matière qui n’est pas comptée pour le classement d’un examen aussi compétitif. C’est un facteur psychologique qui est particulièrement prédominant à Maurice. M. S. Ng Tat Chung, directeur de l’Etablissement d’Enseignement St Joseph, a affirmé clairement que tous les élèves qui sont inscrits à l’école primaire de l’Etablissement d’Enseignement St Joseph ont été préparés afin d’obtenir un bon classement aux examens de CEP et ils se concentrent particulièrement sur des matières qui comptent pour le classement.

Il n’apparaît pas non plus le l’acte du Ministre est destiné à satisfaire un intérêt public comme Me Ramsewak, Conseiller de la Reine, avocat des co-défendeurs le prétend. Il ne peut pas être prétendu, lorsque l’avenir des élèves est en jeu, que l’intérêt public exige que les élèves qui ont été dans une situation semblable en classe Ire devraient tout d’un coup être traités différemment des autres à la fin de leur cursus, et ceci parce qu’ils ont appris dix mois avant la tenue des examens qu’ils devraient étudier une matière supplémentaire.

En arrivant à notre décision susmentionnée, nous avons considéré, entre autres, les normes portant sur les droits de l’homme de rang international dans la perspective adoptée par le Comité des Droits de l’homme dans l’affaire Zwan de Vriez c/ La Hollande (182/84) dans laquelle le Comité a considéré que l’article 26 impose un code de bonne conduite à l’Etat à la fois dans l’exercice de ses fonctions législatives, administratives ou judiciaires.

Le code de bonne conduite, qui signifie que les citoyens doivent être traités de manière appropriée dans des circonstances données, certainement interdit au Ministre d’imposer, pour le classement des futurs examens de CEP qui auront lieu en novembre 1995, une matière additionnelle qui n’a pas été étudiée par tous les élèves depuis la classe Ire et qui ne fait pas partie du programme des six années d’études.

Nous voudrions faire deux observations finales.

Notre première observation concerne l’article 16 de la Constitution invoqué par les demandeurs. Même s’il apparaît que l’article 16 doit être interprété limitativement s’agissant de la notion de discrimination – c’est l’approche retenue dans l’arrêt Terrains de campement (supra) –, néanmoins, nous sommes conscients qu’il existe un point de vue différent exprimé par le juge Ahnee dans son opinion dissidente dans l’arrêt Peerbocus c/ Regina (supra) où, se référant à la décision des Lords du Comité Judiciaire du Conseil Privé dans l’arrêt Société United Docks (supra), il dit à la page 98:

« Il m’apparaît que la décision de leurs Seigneuries implique, indépendamment de la définition restrictive du terme « discrimination »à l’article 16-3, que cet article doit être interprétée à la lumière des dispositions plus larges et généreuses de l’article 3, un article plus proche des principes universels de démocratie. »

Cependant, vu que nous avons considéré qu’il y a une violation des articles 1er et 3, il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a une méconnaissance de l’article 16 de la Constitution.

La deuxième observation que nous voudrions faire est qu’on ne doit pas penser que notre décision signifie que tout acte administratif qui serait non raisonnable serait inconstitutionnel. Dans le cas d’espèce, nous avons décidé que l’acte litigieux n’est pas seulement déraisonnable mais viole le principe d’égalité et de l’égale protection de la loi contenu dans notre Constitution. Un acte qui méconnaît ce principe est nécessairement déraisonnable, mais tout acte qui est déraisonnable ne méconnaît pas nécessairement la Constitution.

Par ces motifs, nous considérons que la décision d’inclure une langue orientale pour le classement des futurs examens de CEP est inconstitutionnelle et qu’une telle décision est par conséquent nulle et ne peut pas être appliquée.

Les défendeurs et les co-défendeurs sont condamnés aux dépens dans les présentes affaires.

Une copie de l’arrêt sera inclus dans chaque dossier.

P. LAM SHANG LEEN JUGE

V. BOOLELL JUGE

E. BALANCY JUGE

27 octobre 1995

Arrêt rédigé par l’Honorable V. Boolell, Juge.

Me H. Lassemillante assisté de Mes R. Rault et de J. Moutou, avocats des demandeurs, et leurs services ont été retenus par Me P. V. Mootoosammy, avoué, dans la première affaire, et par Me D. Lagesse, avoué, dans la deuxième affaire.

Me R. d’Unienville, Conseiller de la Reine, pour les demandeurs, et ses services ont été retenus par Me A. Koenig, avoué, dans la troisième affaire.

M. D. Dabee, avocat parlementaire, assisté de Me R. Ramloll, avocat d’Etat, pour les défendeurs et leurs services ont été retenus par le Premier Avoué d’Etat.

Me D. Ramsewak, Conseiller de la Reine, pour les co-défendeurs, et ses services ont été retenus par Me O. A. Bahemia, avoué.

Cour suprême et Conseil constitutionnel du Maroc

MAR / 1959 / A01
Maroc / Cour suprême / Chambre administrative / 16-07-1959 / Arrêt n° 62 (Ville de Tanger c. Martin) / extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – principe d’égalité – champ d’application – charges publiques

N.B. extrait du rapport de la délégation du Maroc, Premier Congrès, avril 1997: «(…) à l’occasion de dommages causés par le service public, la responsabilité de ce dernier peut être invoquée bien entendu lorsque le requérant prouve une faute commise par le service, mais il y a des cas où le juge admet cette responsabilité en l’absence de toute faute, considérant alors que c’est le principe d’égalité devant les charges publiques qui sert de fondement à la responsabilité de l’administration et au droit à réparation de la victime.

(…)

Attendu que l’arrêt attaqué impute directement à la ville de Tanger la responsabilité des dommages subis par le Sieur Martin du fait de l’exécution des travaux publics, sans relever de faute personnelle à l’encontre d’aucun agent de la ville que, par suite, c’est à tort que la Cour a fondé en droit la condamnation de la ville sur les dispositions de l’article 1351 relatif à la responsabilité des personnes privées et sur celles de l’article 1353 relatif à la responsabilité personnelle des agents des services publics et à la garantie de la collectivité publique en cas d’insolvabilité de ces derniers

Mais attendu que d’après l’article 1352 du Code susvisé «l’Etat est responsable des dommages causés directement par le fonctionnement des administrations et par les fautes de service de ses agents qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que l’inondation subie par l’atelier du Sieur Martin dans la nuit du 4 au 5 novembre 1955 est due au fait que le lit de l’oued Souani était occupé par les travaux de construction d’un égout collecteur, et que l’administration n’avait pas pris toutes le précautions nécessaires pour permettre, malgré lesdits travaux, un écoulement normal des eaux, soit en détournant leurs cours, soit en ménageant un passage suffisant le long des travaux que l’arrêt ainsi motivé établit l’existence d’un lien de cause à effet entre les conditions d’exécution d’un travail et les dommages subis par un tiers qu’il écarte d’autre part l’existence d’une situation de force majeure ou d’une faute imputable à la victime que ces constatations de fait sont de nature à justifier en droit la mise en jeu de la responsabilité directe de la ville de Tanger, eu égard aux dispositions sus-relatées de l’article 1352 du Code des obligations et contrats, rendant les collectivités publiques responsables des dommages causés directement par le fonctionnement de leurs administrations que dans ces conditions, compte tenu des dispositions de l’article 1352 du Code des obligations et contrats en vigueur dans la Province de Tanger qu’il convient de substituer d’office à celles des articles 1351 et 1353 visées à tort par la décision attaquée, n’est pas fondé le moyen selon lequel l’arrêt serait insuffisamment motivé et manquerait de base légale.

Par ces motifs:

Rejette le pourvoi de la ville de Tanger.

MAR / 1962 / A02
Maroc/Cour suprême/19-03-1962/Arrêt n° 178 (Société huilière annexe)/extraits

1.4.12 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – décisions juridictionnelles
5.1.2.4.1 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales – droit privé
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité

(…)

Attendu que, par décision en date du 2 mars 1959, le ministre de l’Economie nationale a fixé le régime applicable, pendant une durée de trois années à compter du 1er mars 1959, à la répartition entre les industriels intéressés des huiles brutes alimentaires, importées en l’état ou provenant de graines oléagineuse, soit importées soit de production locale que par cette décision le ministre de l’Economie nationale a notamment opéré la concentration des industries de la trituration et du raffinage en confiant à trois unités de fabrication la charge de ces opérations et déterminé, dans le cadre de ladite concentration industrielle, les quotas attribués aux entreprises admises à participer à la répartition

Attendu que la Société huilière annexe, à laquelle un quota de 4% a été attribué, demande l’annulation pour excès de pouvoirs de la décision ministérielle susanalysée, en toutes ses dispositions

(…)

Sur le moyen tiré de la violation de la règle de l’égalité de traitement entre les industriels se livrant à la trituration et à l’extraction des graines oléagineuses et au raffinage des huiles comestibles

Attendu que la Société huilière annexe fait grief à la décision attaquée de l’avoir maintenue dans la catégorie des entreprises ne participant pas directement au raffinage des huiles comestibles et d’avoir réduit son quota de répartition de 6 pour cent à 4 pour cent

Attendu que si l’autorité investie d’un pouvoir de réglementation en matière économique, et notamment du pouvoir de répartir des produits entre divers utilisateurs industriels, est tenue de respecter, dans les mesures qu’elle édicte, l’égalité de traitement entre les intéressés, ce principe ne saurait s’opposer à ce que des mesures particulières soient prises à l’égard de différentes catégories d’entreprises, dès lors que ces mesures sont conformes à l’objet même de la réglementation instituée et justifiées par son but

Attendu qu’en l’espèce, l’organisation de l’industrie des huiles comestibles impliquait, eu égard à l’existence d’un potentiel de production excédant les besoins du marché, la concentration du raffinage sur un nombre limité d’unités de fabrication, les entreprises dont les usines n’étaient pas maintenues en fonctionnement bénéficiant d’un quota de répartition correspondant à un contingent mis en œuvre par les unités de fabrication que cette concentration a constitué l’objectif essentiel des accords professionnels conclu dès avant l’intervention du dahir du 2 rebia I 1373 (10 novembre 1953) que depuis son entrée dans cette organisation conventionnelle la société requérante a toujours été au nombre des entreprises qui, ne participant pas directement au raffinage, étaient rattachées à l’une des unités de fabrication maintenues en activité pour la mise en œuvre des produits correspondant au quota de vente qui lui était attribué qu’à cet égard, la décision du ministre de l’Economie nationale, en date du 2 mars 1959, s’est bornée à maintenir la société requérante dans la même situation qu’il n’est pas établi que cette décision ait sur ce point été inspirée par des motifs étrangers à l’objet du dahir du 2 rebia I 1373 (10 novembre 1953) tendant au maintien de la réglementation de l’industrie des huiles comestibles

Attendu enfin que si, par décision du 30 mars 1955, le directeur du Commerce avait fixé à 6% d’après les éléments d’appréciation dont il disposait à l’époque, le quota de vente d’huiles raffinées attribué à la Société huilière annexe dans la réglementation à base conventionnelle de l’industrie de l’huilerie alors en vigueur, cette décision précisait que «le quota de vente affecté à la Société huilière annexe restera intangible pendant toute la durée de la concentration, sauf modification générale apportée à ’organisation actuelle que la substitution d’une réglementation administrative à la réglementation à base d’entente professionnelle en vigueur lorsqu’est intervenue la décision susvisée du 30 mars 1955 doit être regardée comme constituant une modification générale apportée à l’organisation de l’industrie en cause que cette circonstance autorisait le ministre de l’Economie nationale à procéder à la révision des quotas de vente antérieurement fixés et, en particulier à celui de la Société huilière annexe, compte tenu des modifications intervenues entre temps dans la profession qu’en dressant la liste des entreprises comprises dans la nouvelle répartition et en fixant leurs quotas respectifs, y compris celui de la Société huilière annexe, le ministre de l’Economie nationale n’a fait qu’user du pouvoir d’appréciation que conférait à l’autorité administrative le dahir précité du 2 rebia I 1373 (10 novembre 1953) pour assurer la réglementation de l’industrie en cause qu’il n’est pas établi que le ministre se soit fondé sur des faits inexacts ou ait poursuivi des fins étrangères à celles en vue desquelles est intervenu le dahir précité

Attendu que, de tout ce qui précède, il résulte que la Société huilière annexe n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision du ministre de l’Economie nationale en date du 2 mars 1959

Par ces motifs:

Rejette le recours susvisé de la Société huilière annexe.

MAR / 1968 / A03
Maroc/Cour suprême/Chambre administrative/3-07-1968/Arrêt n°29 (Syndicat national professionnel des agents généraux d’assurance c.le ministre des Finances)/extraits

1.4.10 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements de l’exécutif
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux / droits civils et politiques / principe d’égalité / champ d’application / charges publiques

(…)

Sur le deuxième moyen de la requête,

Attendu que le syndicat requérant fait grief à l’arrêté attaqué d’avoir méconnu le principe général selon lequel les charges doivent être réparties équitablement entre tous les citoyens, et ce, en faisant supporter par les seuls représentants des assurances les charges de la réduction du déficit technique dans la branche de l’assurance automobile, alors que, par respect du principe susrappelé, les dites charges auraient dû être réparties dans des proportions égales entre les représentants des assurances et les autres

Mais attendu que le principe d’égalité devant les charges publiques n’est applicable qu’à des personnes se trouvant dans des situations identiques et que l’administration peut instituer des régimes différents pour des catégories de personnes et d’activités différentes sans pour autant méconnaître le principe d’égalité

Attendu que les intermédiaires et les courtiers d’assurance sont régis par un statut spécial tant en ce qui concerne l’accès à la profession qu’en ce qui concerne son exercice, qu’il sont représentés en tant que tels au sein de la commission consultative des assurances, que leurs intérêts s’opposent à ceux des sociétés d’assurances et des assurés, ce qui fait qu’ils constituent une catégorie distincte des autres

Attendu au surplus, que l’arrêté attaqué fait partie d’un programme général visant à remettre de l’ordre dans le fonctionnement des assurances, prescrivant des mesures adéquates applicables tant aux sociétés d’assurances qu’aux assurés qu’il ne méconnaît donc pas le principe d’égalité devant les charges publiques Attendu qu’il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen est sans fondement

Par ces motifs:

Rejette le recours en annulation.

MAR / 1990 / A04
Maroc/Cour suprême/21-06-1990/Arrêt n°201 (Reynauld Robert c.ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Affaires administratives)/extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4.2.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critère de différenciation – origine nationale ou ethnique
5.3.5 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – liberté d’exercice d’une activité lucrative

Médecins

(…)

Attendu que le Sieur Reynaud Robert, chirurgien-dentiste, demande l’annulation, pour excès de pouvoir, de la décision n° 9722 du 3 octobre 1988 par laquelle le ministre délégué auprès du premier ministre, chargé des Affaires administratives a refusé de faire droit à sa demande tendant à l’admettre au bénéfice des avantages prévus par le décret n° 2/81/26 du 25 mars 1982 au profit des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes qu’il soutient avoir conclu le 20 novembre 1975 avec le ministère de la justice un contrat pour servir en qualité de chirurgien-dentiste dans les services de l’Administration pénitentiaire, (…)

et qu’à ce titre il aurait dû bénéficier des avantages que le décret n° 2/81/26 du 25 mars 1982 a institués au profit des médecins, pharmaciens et chirurgiensdentistes, tant stagiaires que titulaires (article 17), et dont il a fixé, en son article 20, l’entrée en vigueur à la date de sa publication au Bulletin Officiel, publication intervenue au Bulletin Officiel n° 3623 du 7 avril 1982 alors que le requérant était encore en fonction en vertu du contrat précité qui n’est venu à expiration que le 20 novembre 1987

Attendu que, par lettre du 3 octobre 1988, le ministre délégué auprès du premier ministre, chargé des Affaires administratives a fondé son refus de faire droit à la demande du requérant sur un accord intervenu entre son département et celui des Finances, aux termes duquel les dispositions du décret précité ne devaient entrer en vigueur pour les étrangers liés par contrat au gouvernement marocain qu’à compter du 1er avril 1988, date à laquelle le requérant n’était plus en fonction puisque son contrat était venu à expiration le 20 novembre 1987

(…)

Attendu qu’il ressort des articles ci-dessus invoqués dans la requête que le décret précité n’établit aucune distinction entre les Marocains et les étrangers en ce qui concerne le bénéfice de ses dispositions

Par ces motifs:

Annule la décision attaquée.

MAR / 1993 / A05
Maroc/Cour suprême/7-10-1993/Arrêt n° 289 (Jaber Abdellatif c.ministre des Transports et ministre délégué auprès du premier ministre chargé des Affaires administratives)/extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – emploi – public

Grade (dans une profession) – Ingénieurs

(…)

Sur la légalité de la décision attaquée

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier que le requérant fait partie de la troisième catégorie des ingénieurs d’application en navigation aérienne 1 et qu’à ce titre il bénéficie du classement à l’échelle 10, assume les mêmes responsabilités et exerce les mêmes fonctions que les ingénieurs d’application en navigation aérienne des deux premières catégories2 , lesquels ont été nommés au grade d’ingénieur d’Etat en application d’un arrêté ministériel du 23 juin 1974, pour ceux parmi eux qui sont titulaires du diplôme d’exploitation et de navigation

Attendu qu’en application du principe d’égalité, l’Administration aurait dû intégrer dans le grade d’ingénieur d’Etat non seulement les ingénieurs d’application en navigation aérienne des deux premières catégories, mais également ceux de la troisième catégorie à laquelle appartient le requérant dès lors que ce dernier était dans la même situation que ses collègues des deux premières catégories, qu’il exerçait les mêmes fonctions, assumait les mêmes responsabilités et bénéficiait comme eux du classement à l’échelle 10 qu’en refusant de faire droit à sa demande, l’Administration a pris une décision entachée d’excès de pouvoir et a méconnu le principe d’égalité qui imposait l’intégration du requérant dans le grade d’ingénieur d’Etat, échelle 11, à compter du jour de la réception par l’Administration de sa demande présentée à la date du 11 juillet 1998 et tendant à sa promotion au grade d’ingénieur d’Etat

Par ces motifs:

Annule la décision implicite par laquelle le ministre des transports et le ministre délégué chargé des Affaires administratives ont refusé de faire droit à la demande du requérant tendant à sa nomination au grade d’ingénieur d’état, échelle 11.

MAR / 1995 / A06
Maroc / Conseil constitutionnel / 3-01-1995 / Décision n° 52-95 / extraits

1.4.9 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements d’assemblées parlementaires
4.2.3 Institutions – organes législatifs – composition
4.2.7 Institutions – organes législatifs – procédure d’élaboration des lois
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Députés – Groupes parlementaires

(…)

Concernant l’article 125, premier alinéa

Considérant que l’alinéa premier de cet article, en ce qu’il réserve la possibilité de présenter des objections ou de faire des remarques concernant le procèsverbal de séance aux seuls groupes parlementaires, conduit à priver les députés non inscrits d’un droit dont les députés affiliés jouissent par le truchement de ces groupes que, par suite, il porte atteinte au principe d’égalité que la Constitution consacre entre les députés, qu’ils soient ou non affiliés à des groupes parlementaires.

(…)

Concernant l’article 237, premier alinéa

Considérant que l’alinéa premier de cet article, en ce qu’il réserve aux seuls présidents des groupes parlementaires le droit de s’opposer au vote sans discussion des projets et propositions de loi n’est pas conforme à la Constitution qui établit l’égalité entre tous les députés dans l’exercice du droit de participation aux débats et au vote et ne confère en la matière aucun privilège particulier aux présidents des groupes parlementaires.

(…)

Concernant l’article 284

Considérant que cet article, en limitant à un député par groupe parlementaire le droit de participer à la discussion qui suit les questions orales, prive les députés non inscrits d’un droit dont leurs collègues affiliés à des groupes jouissent par l’intermédiaire de porte-parole du groupe auquel ils appartiennent que, par suite, il porte atteinte à l’égalité reconnue par la Constitution entre tous les députés, sans distinction entre ceux qui sont affiliés à des groupes et ceux qui ne le sont pas.

MAR / 1995 / A07
Maroc / Conseil constitutionnel / 3-04-1995 / Décision n° 72-95 / extraits

5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Bureaux de vote – Candidats (à une élection)

(…)

Considérant que le requérant allègue, d’une part, que l’ouverture du scrutin a été retardée jusqu’à 9 heures dans le bureau de vote n° 10 de la commune de Tamda et soutient, d’autre part, que si les autres bureaux de vote de la circonscription électorale ont observé l’heure légale d’ouverture du scrutin, la clôture de celui-ci a eu lieu à 18 heures dans certains d’entre eux et a été retardée jusqu’à 20 heures dans d’autres

Considérant, d’une part, que s’il résulte du procès-verbal du bureau de vote n° 10 de la commune de Tamda – déposé au tribunal de première instance de SidiBennour – que le scrutin n’y a commencé qu’à 9 heures, le requérant n’a pas établi ni même allégué que ce retard, dû à l’absence momentanée des bulletins de vote au nom d’un des candidats, a eu une influence sur les résultats du scrutin

Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’examen de la décision n° 8/93 du 25 juin 1993 prise par le gouverneur de la province d’El Jadida que l’heure de clôture du scrutin a été reculée à 20 heures dans tous les bureaux de vote de la circonscription électorale de Zmamra, à l’exception de 10 bureaux de vote dans la commune d’El-Ghnadra et de 4 bureaux de vote dans la commune de SaniaBerguig, ce qui est confirmé par les pocès-verbaux des bureaux de vote précités Considérant que si l’article 31, alinéa 2, du dahir précité n° 1.77.177 autorise le gouverneur à reculer l’heure de clôture du scrutin à 20 heures, la décision d’appliquer cette mesure à certains bureaux de vote à l’exclusion d’autres compris dans la même circonscription électorale est de nature à porter atteinte au principe d’égalité entre les électeurs et à celui de l’égalité des chances entre les candidats

Considérant que le nombre de ceux qui n’ont pas participé au scrutin dans les bureaux de vote exclus de la décision de prolongation de la durée du scrutin s’est élevé, selon leurs procès-verbaux, à 1774 électeurs, alors que l’écart entre le nombre de voix obtenues par le candidat dont l’élection est contestée et celui des suffrages recueillis par le requérant ne dépasse pas 98 voix que, dans ces conditions, la discrimination opérée entre les électeurs en permettant à certains de voter pendant un laps de temps plus long que celui accordé à d’autres a pu influer sur le scrutin d’une manière qui fait douter de sa sincérité et conduit, par suite, à l’annuler et à invalider le résultat auquel il a abouti

Par ces motifs:

Et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête

Annule l’élection.

Cour constitutionnelle du Mali

MLI / 1996 / A01
Mali / Cour constitutionnelle / 25-10-1996 / Arrêt n° 96-003 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections
5.2.34 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux

Circonscriptions électorales ( densité de population) – Modes de scrutin

La Cour constitutionnelle,

(…)

Sur les modes de scrutin

Considérant que les requérants soutiennent que la loi en question prévoit trois modes de scrutin un scrutin majoritaire simple uninominal, un scrutin de liste majoritaire simple et un scrutin proportionnel que ces trois scrutins par leur mécanisme propre, aboutissent toujours à des résultats différents qu’ainsi le résultat du vote des citoyens se trouve modifié selon le système appliqué qu’en instituant trois modes de scrutin selon les localités, pour la même élection, à la même chambre et pour la même législature, la loi attaquée viole le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens affirmée par l’article 2 de la Constitution, qu’à l’évidence les citoyens maliens, selon leurs localités, si cette loi devait connaître application, ne seront pas «égaux en droit qu’il s’agit d’une discrimination fondée apparemment sur la densité de population qu’ainsi les citoyens voteront différemment selon leur localité qu’une telle discrimination, fondée, semble-t-il sur le nombre est contraire au préambule de la Constitution que dispose que «le peuple souverain du Mali réaffirme sa détermination à maintenir et à consolider l’unité nationale que seule une loi uniforme instituant un seul mode de scrutin saurait remplir cette exigence, qu’au contraire la loi contestée instaure la division en ce qu’elle impose des modes de scrutin différents selon que le citoyen ressortisse de tel ou tel cercle que la volonté aveugle de se maintenir au pouvoir ne peut avoir raison du principe constitutionnel du maintien de l’unité nationale.

Considérant que l’article 174 de la loi dispose «dans les circonscriptions qui ont un à trois sièges de Députés, l’élection a lieu au scrutin majoritaire à un tour que l’article 175 dispose «dans les circonscriptions qui ont droit à quatre sièges de Députés ou plus, l’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel. Sur chaque liste, le sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation.

Considérant que l’article 2 de la Constitution dispose «tous les maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée que l’article de la Constitution dispose «la souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice que l’article 27 alinéa 1 de la Constitution dispose «le suffrage est universel, égal et secret.

Considérant que les articles 174 et 175 de la loi prévoient non trois modes de scrutin mais deux modes de scrutin pour l’élection des Députés à la même Chambre c’est à dire un scrutin majoritaire à un tour dans les circonscriptions qui ont un à trois sièges et la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel dans les circonscriptions qui ont plus de trois sièges.

Considérant que les citoyens doivent désigner leurs représentants conformément aux principes fondamentaux dont le principe d’égalité des électeurs que les électeurs ne seraient pas égaux suivant qu’ils se trouveraient dans une circonscription de un à trois sièges ou qu’ils se trouveraient dans une circonscription de plus de trois Députés que le principe d’égalité entre les électeurs serait rompu dans la mesure où dans les circonscriptions de un à trois sièges les voix des électeurs des petites formations politiques ne seraient pas prises en compte pour l’attribution des sièges car la majorité simple suffit tandis que dans les circonscriptions de plus de trois sièges avec la représentation proportionnelle suivant la règle de la pus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel, les voix des électeurs des petites formations politiques seraient obligatoirement prises en compte dans l’attribution des sièges que le principe d’égalité des électeurs serait enfin rompu puisque le principe d’indivisibilité du corps électoral qui ne permet une différenciation d’ordre démographique ou territorial au sein de la République ne serait pas respectée qu’en conséquence les articles 174 et 175 sont contraires à la Constitution.

Considérant que la souveraineté est nationale que le mandat impératif est nul que le député ne représente ni la circonscription dans laquelle il a été élu, ni la formation politique qui l’a présenté, il représente la nation entière que les candidats pour les élections législatives aussi bien que les électeurs sont dans les mêmes situations et doivent subir les mêmes traitements.

(…)

Arrête

Article 1er . – Sont déclarés contraires à la Constitution les articles 5, 14, 16, 18, 20, 50, 66, 68, 76, 150, 159, 168, 174, 175, 193;
L’article 12 alinéa (e);
L’article 24 alinéa 2;
Les mots «de jugement dans les articles 47, 49, 50, 51, 52, 53 et 198;
L’article 63 alinéa 2;
Les mots «tout élu dans l’article 67;
L’article 69 alinéa 2;
L’article 70 alinéa 1 et alinéa 7;
L’article 72 alinéa 4.

Dans l’article 74, les phrase «la liste constituée en violation des prescriptions du présent article ou de l’article 85 n’est pas enregistrée. Les voix données aux candidats appartenant à une telle liste sont considérées comme nulles.

Article 2. – Les dispositions des articles5, 14, 16, 18, 20, 50, 66, 68, 76, 150, 159, 168, 174, 175, 193 ne sont pas séparables de l’ensemble de cette loi.

Article 3. – Ordonne la publication de la présente décision au Journal officiel et sa notification aux requérants.

MLI / 1996 / A02
Mali / Cour constitutionnelle / 11-11-1996 / Arrêt n° 96-004 / extraits

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
5.2.4.1.2.2 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application –emploi – public
5.3.7 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit d’accès aux fonctions publiques

Avancement – Fonctionnaires

La Cour constitutionnelle,

(…)

Considérant qu’aux termes de l’article 86 de la Constitution La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur:

–la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation

(…)

–que l’article 88 alinéa 1 de la Constitution dispose:

Les lois organiques sont soumises par le Premier Ministre à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation.

Considérant que la requête de Monsieur le Premier Ministre a été enregistrée au Greffe de la Cour, sous le n° 10 et 15 octobre 1996; que la loi n° 96-50/AN-RM portant loi organique déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, adoptée le 27 septembre 1996 n’a pas encore été promulguée:

qu’en conséquence ladite requête introduite dans les forme et délai de la Constitution est recevable;

Considérant que l’article 2 de la Constitution dispose: «Tous les maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs…»;

Considérant que les fonctionnaires et agents publics de l’Etat sont tous égaux en devoirs et en droits; que tout fonctionnaire public se trouvant dans l’une des positions statutaires suivantes: «en activité», «en détachement» ou «sous les drapeaux» a droit à un avancement ou d’échelon ou de grade conformément:

–soit au statut général des fonctionnaires ou au statut de la Magistrature ou enfin au statut général du Personnel des Forces Armées et de Sécurité;

que les Conseillers de la Cour constitutionnelle ayant la qualité de fonctionnaire public, étant du –fait de leur nomination à la Cour dans l’une des positions précitées doivent pouvoir bénéficier d’un avancement d’échelon et de grade;

que l’article 4 de la loi dispose… ni recevoir une promotion aux choix, ou à titre exceptionnel s’ils sont fonctionnaires publics; qu’en ne permettant pas aux membres de la Cour constitutionnelle, fonctionnaires publics, d’avancer de grade, les dispositions de cet article 4 méconnaissent le principe constitutionnel d’égalité.

(…)

Par ces motifs:

Article 1er . – Déclare recevable la requête du Premier Ministre, en contrôle de constitutionnalité de la loi n° 96-50/AN-RM portant loi organique déterminant les règles d’Organisation et de Fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que le procédure suivie devant elle adoptée par l’Assemblée nationale le 27 septembre 1996;

Article 2. – Déclare que ladite loi a été délibérée et adoptée dans les délai et forme de la Constitution;

Article 3. – Déclare contraires à la Constitution les articles 4, 6; le membre de phrase suivant:

«l’autorisation de le ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution dans l’article 49 et l’article 54 alinéa 1er de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité;

Article 4. – Déclare inséparable du reste du texte de la loi l’article 6, les termes «l’autorisation de le ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution dans l’article 49 et l’alinéa 1er de l’article 54;

Article 5. – Ordonne la notification du présent arrêt au Premier Ministre et sa publication au Journal officiel.

(…)

MLI / 1997 / A03
Mali / Cour constitutionnelle / 17-01-1997 / Arrêt CC 97-007 / texte intégral

1.4.4 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois à valeur quasi-constitutionnelle
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.2.4.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – critères de différenciation – citoyenneté
5.2.34.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits électoraux – droit de vote

La Cour constitutionnelle,

Saisie par le Premier Ministre d’une lettre n° 001/PRIM-SGG du 13 janvier 1997, enregistrée au Greffe de la Cour constitutionnelle sous le n° 01 le 14 janvier 1997 aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi organique n° 97002/AN-RM sur le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités, les incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège et sur leurs indemnités adoptée le 8 janvier 1997.

Vu La Constitution
Vu La loi organique n° 92-028 du 5 octobre 1992 portant loi organique relative à l’Organisation et au Fonctionnement de la Cour constitutionnelle
Vu Le Décret n° 94-421/P-RM du 21 décembre 1994 portant Organisation du Secrétariat Général et du Greffe de la Cour constitutionnelle
Vu Le Règlement Intérieur de la Cour constitutionnelle
Vu La lettre du Premier Ministre

Oui le rapporteur en son rapport

Après en avoir délibéré

Sur la recevabilité de la saisine

Considérant que par lettre n° 001/PRIM-SGG du 13 janvier 1997 enregistrée au greffe le 14 janvier sous le n° 01, le Premier ministre a saisi la Cour constitutionnelle aux fins de contrôler la conformité à la Constitution de la loi n ° 97-002/AN-RM portant loi organique sur le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités, les incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège, et leurs indemnités adoptée le 8 janvier 1997

Considérant que le Premier ministre fonde sa saisine sur l’article 86 de la Constitution et l’article 30 de la loi n° 92-028 du 5 octobre 1992 portant loi organique relative à l’Organisation et au Fonctionnement de la Cour constitutionnelle;

Considérant que l’article 88 alinéa 1er de la Constitution dispose «les lois organiques sont soumises par le Premier Ministre à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation

Considérant que ladite loi n’a pas encore été promulguée

Que dès lors la requête du Premier ministre est recevable.

Sur la constitutionnalité de la loi n° 97-002/AN-RM adoptée le 8 janvier 1997

En ce qui concerne le fond,

Considérant que suivant l’article 70 alinéa 3 de la Constitution, les lois qualifiées de lois organiques par la Constitution ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par la Cour constitutionnelle de leur conformité à la Constitution

Considérant que l’article 70 alinéas 1 et 2 de la Constitution disposent que «les lois auxquelles la Constitution confère le caractère de la loi organique sont votées dans les conditions suivantes

la proposition ou le projet n’est soumis à la délibération et au vote de l’Assemblée nationale qu’après l’expiration d’un délai de quinze (15) jours après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale

le texte ne peut être adopté qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale.

Considérant que la lettre n° 57/PRIM-SGG en date du 3 décembre 1996 de dépôt du projet de loi par le Gouvernement a été enregistrée à l’Assemblée nationale le 4 décembre 1996 sous le n° 961

Considérant que ledit projet a été inscrit à l’ordre du jour de la séance plénière de délibération de l’Assemblée nationale le 08 janvier 1997 sous la référence de dépôt 96-72/AN-RM;

Considérant que l’Assemblée nationale a délibéré et adopté le 8 janvier 1997 par 78 voix pour 00 contre 00 abstention, la loi n° 97-002/AN-RM, portant loi organique sur le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités, les incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège, et sur leurs indemnités

Considérant que l’Assemblé Nationale comportant 114 députés, la loi soumise au contrôle a été adoptée conformément aux conditions constitutionnelles prescrites.

En ce qui concerne le fond:

Sur le nombre des députés

Considérant que l’article 70 de la Constitution dispose «… la loi détermine également les principes fondamentaux … du régime électoral …

Que l’article 63 de la constitution indique «qu’une loi organique fixe le nombre des membres de l’Assemblée nationale, leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités

La loi organique détermine aussi les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer en cas de vacance de siège, le remplacement des députés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale

Que dès lors, seule la loi organique ayant fixé le nombre des membres de l’Assemblée nationale, doit aussi préciser les critères ayant prévalu à la détermination de ce nombre ainsi que son mode de répartition

Qu’en ne procédant pas ainsi qu’il précède, l’article 1er de la loi n° 97-002/ANRM est contraire à l’article 63 de la Constitution

Sur l’éligibilité article 2

Considérant que l’article 2 de la loi déférée dispose «est éligible comme député à l’Assemblée nationale, tout citoyen de l’un ou l’autre sexe ressortissant de la République du Mali, inscrit sur les listes électorales ou justifiant qu’il devait l’être âgé de vingt et un (21) ans accomplis, domicilié depuis au moins un (1) an au moins sur le territoire national sous réserve des cas d’inéligibilité et d’incompatibilité prévus par la présente loi.

Considérant que tous les maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs (article 2 de la Constitution);

Considérant que le suffrage est universel, égal et secret;

Sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, tous les citoyens en âge de voter, jouissant de leurs droits civiques et politiques (article 27 de la Constitution);

Il ressort de ces dispositions constitutionnelles que le droit de suffrage est accordé à tout malien résidant à l’étranger dès lors qu’il remplit les conditions constitutionnelles ci-dessus visées

Qu’ainsi le droit d’être élu et le droit d’élire est inhérent à la citoyenneté à l’âge et à la jouissance des droits civiques et politiques

Que dès lors le membre de phrase «domicilié depuis au moins un an sur le territoire national est contraire à la Constitution.

Sur les incompatibilités Article 9

Considérant que le mandat impératif est nul que le député une fois élu devient le député de toute la nation entière conformément à la théorie de la souveraineté nationale telle que consacrée par l’article 26 de la Constitution «la souveraineté nationale appartient au Peuple tout entier qui l’exerce par ses représentant ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut en attribuer l’exercice

Qu’élus dans les mêmes conditions, les députés doivent être traités de la même manière

Qu’on ne saurait infliger un traitement spécifique à un député à l’intérieur de la circonscription dans laquelle il a été élu en raison de sa profession

Que dès lors les dispositions de l’article 9 sont contraires aux articles 2 et 26 de la Constitution.

Sur la délégation de vote

Considérant que la Cour constitutionnelle a, par son arrêt n° 96-005 du 11 novembre 1996, déclaré qu’une seule et même loi organique doit traiter le nombre des membres de l’Assemblée nationale, leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer en cas de vacance de siège, le remplacement des Députés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale et la délégation de vote

Considérant que l’article 64 alinéa 3 de la Constitution dispose «… la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote. Dans ce cas, nul ne peut recevoir délégation de plus d’un mandat

Que la loi soumise au contrôle ne traite pas de la délégation de vote que ce faisant, elle ne respecte pas la décision de la Cour constitutionnelle précitée alors que celle-ci n’est susceptible d’aucun recours et qu’elle s’impose aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes le personnes physiques et morales aux termes de l’article 94 de la Constitution

Que toute Assemblée nationale a besoins pour son fonctionnement régulier de recourir, exceptionnellement, à la délégation de vote que du reste, le règlement intérieur en date du 23 juillet 1992 prévoit en son article 72 la délégation de vote que le législateur doit traiter de la délégation de vote dans la loi organique soumise à censure

Arrête:

Article 1er . – Déclare recevable la saisine du Premier ministre aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi 97-002/AN-RM portant loi organique sur le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités, les incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège, et sur leurs indemnités adoptée par l’Assemblée nationale le 8 janvier 1997.

Article 2. – Déclare que ladite loi a été adoptée dans les conditions prévues par l’article 70 de la Constitution.

Article 3. – Déclare contraires à la Constitution les articles 1, et 9 et le membre de phrase «domicilié depuis au moins un an sur le territoire national de l’article 2.

Article 4. – Déclare les articles 2 et 9 séparables du texte de la loi organique déférée et l’article 1er non séparable.

Article 5. – déclare les autres dispositions de la loi organique 97-002/AN-RM adoptée le 8 janvier 1997 non contraires à la Constitution.

Article 6. – Ordonne la publication de l’arrêt au Journal officiel.

Ont siégé à Bamako, le 17 janvier 1997

M.M. Abdoulaye DICKO, Président

Abderhamane B. TOURE, Conseiller

Salif KANOUTE, Conseiller

Salif DIAKITE, Conseiller

Abdoulaye DIARRA, Conseiller

Mmes SIDIBE Aïssata CISSE, Conseiller

OUATTARA A. COULIBALY, Conseiller

M.M.Mamadou OUATTARA, Conseiller

Bouréima KANSAYE, Conseiller

Avec l’assistance de Maître Mamoudou KONE, greffier en Chef par intérim.

Et ont signé le Président et le Greffier

Suivent les signatures

Pour expédition certifiée conforme délivrée avant enregistrement

Bamako le 17 janvier 1997

Le Greffier en chef

MAMOUDOU KONE

Tribunal suprême de Monaco

MON / 1963 / A01
Monaco/Tribunal suprême/27-11-1963/Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers à Monaco/extraits

5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Loi (égalité devant la loi)

Compétence:

Contentieux administratif – Recours pour excès de pouvoirs – Actes rattachés à la perception d’une imposition – Actes ne présentant pas le caractère d’une décision administrative –Incompétence du Tribunal suprême
Contentieux constitutionnel – Caractère limitatif – Dispositions constitutionnelles ne faisant pas partie du titre III de la Constitution – Incompétence du Tribunal suprême
Impôts et taxes:
Egalité devant l’impôt – Principe applicable à des contribuables se trouvant dans des situations identiques et assujetties pour les mêmes opérations à des impositions différentes
Procédure devant le Tribunal suprême
Requête collective – Irrecevabilité – Intérêts distincts des requérants

Le tribunal suprême

(…)

Considérant que le principe de l’égalité devant l’impôt qui résulte de l’article 17 précité et qui est invoqué par la requête, ne peut être utilement allégué qu’entre contribuables se trouvant dans des situations identiques et qui auraient été assujettis pour les mêmes opérations à des impositions différentes;

Considérant que le syndicat requérant se borne à comparer sa situation fiscale au regard des impositions contestées aux situations fiscales hypothétiques dans lesquelles se seraient trouvés ses adhérents si ceux-ci avaient effectué, à titre individuel, les mêmes opérations en soutenant que lesdits adhérents n’auraient pas été soumis à ce tire aux mêmes impositions; qu’un tel moyen ne vise pas des contribuables se trouvant dans des situations identiques et n’est assorti, au surplus, d’aucune précision permettant de comparer lesdites situations; qu’ainsi le syndicat requérant n’est pas fondé, par ce moyen, à soutenir que les impositions contestées auraient été établies en violation de l’article 17 de la Constitution;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède:

D’une part que la requête doit être rejetée comme irrecevable en tant qu’elle émane de la Société Civile Coopérative d’Investissements Immobiliers;

D’autre part que la requête doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître en ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des contraintes et des actes s’y rattachant ainsi que des conclusions tendant à ce qu’il soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation des articles 4, 37, 38, 39, 66, 68, 70 et 73 de la Constitution du 17 décembre 1692;

Qu’enfin, ladite requête doit être rejetée comme non fondée en ce qui concerne les conclusions tendant à ce que soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation de l’article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962;

Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée la restitution au syndicat requérant des consignations effectuées par lui:

Considérant que ces conclusions doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet des conclusions principales;

Décide:

Article 1er. – La requête est rejetée comme irrecevable en tant qu’elle émane de la Société Coopérative d’Investissements Immobiliers.

Article 2. – Les conclusions de la requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des contraintes et actes s’y rattachant sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3. – Les conclusions tendant à ce qu’il soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation des articles 4, 37, 38, 39, 66, 68, 70 et 75 de la Constitution du 17 décembre 1962, sont rejetées comme n’étant pas susceptibles de recours devant le Tribunal suprême.

Article 4. – Les conclusions tendant à ce que soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation de l’article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962 sont rejetées comme non fondées.

Article 5. – Les conclusions tendant à la restitution aux requérants des consignations effectuées par eux sont rejetées par voie de conséquence.

Article 6. – Le Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers est condamné aux dépens.

MON / 1967 / A02
Monaco / Tribunal suprême / 6-03-1967 / Société anonyme des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers à Monaco / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.2.4.1 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales – droit privé
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Loi (égalité devant la loi)

Compétence:

Conformité d’un acte législatif à la Constitution – Dispositions constitutionnelles non comprises dans le titre III – Incompétence du Tribunal suprême
Droits et libertés constitutionnels:
Association – Impossibilité pour une société commerciale d’invoquer une atteinte à la liberté d’association.
Egalité devant la loi – Domaine d’application du principe – Personnes se trouvant dans une situation identique
Propriété privée – Privation – Garanties constitutionnelles – Loi assurant à l’Etat une participation au capital d’une société commerciale – absence de dépossession de la société –Inapplicabilité des garanties constitutionnelles

Le Tribunal suprême

(…)

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 17 de la Constitution:

Considérant que le principe d’égalité devant la loi posé par cet article n’est applicable qu’aux personnes physiques ou morales se trouvant dans une situation identique, quant à leurs droits et à leurs obligations;

Considérant que, sous le régime antérieur à la publication de la loi attaquée, l’objet social de la S.B.M. (Société soumise à la législation monégasque) et les privilèges dont elle était bénéficiaire imprimaient à ses activités un caractère particulier, que des franchises fiscales lui étaient accordées, qu’elle exerçait certains pouvoirs de police, qu’en outre, en ce qui concernait son fonctionnement intérieur, le Gouvernement Princier pouvait s’opposer à l’entrée en fonction des administrateurs élus par l’assemblée générale des actionnaires, que la désignation du Président, du Vice-Président et de l’Administrateur Délégué de la Société devait être approuvée par le Gouvernement, que sa gestion était surveillée et contrôlée par un Commissaire du Gouvernement, investi de pouvoirs étendus;

Considérant, par suite, que la situation de la S.B.M. n’était pas identique à celle des autres sociétés régies par la législation monégasque, même à celle des

Sociétés de monopole;

Considérant, dès lors, que le législateur était en droit de prendre des dispositions spécifiques à l’égard de la requérante;

Considérant enfin, compte tenu de la situation de la S.B.M. telle qu’elle vient d’être précisée, que cette Société n’est pas fondée à soutenir, nonobstant le contrat dont elle se prévaut, que les dispositions de la loi 807 constituent une violation du texte visé par le moyen;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution: Considérant que cet article dispose:

« La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi »;

Considérant que, selon son intitulé, la loi a pour objet d’assurer la participation de l’Etat à la S.B.M., que cet objet est exclusif de toute dépossession; qu’aucune disposition de la loi n’autorise le Tribunal à déclarer que le patrimoine de la S.B.M. ait subi une amputation quelconque; que cette société est une personne morale qui conservera jusqu’à sa dissolution tous ses droits sur ce patrimoine dont elle demeure propriétaire; que la gestion de la S.B.M. reste confiée à des administrateurs, responsables devant elle, devant les associés et devant les tiers;

Considérant que la requérante n’était ni directement, ni indirectement privée de tout ou partie de son droit de propriété, l’article 24 de la Constitution n’est pas applicable, en l’espèce, et que, par suite le moyen n’est pas fondé;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 30 de la Constitution;

Considérant que ce texte consacre le principe de la liberté de s’associer;

Considérant que la S.B.M. est une Société Commerciale à but exclusivement lucratif, qu’elle n’est pas assimilable aux Associations qui constituent des groupements à but désintéressé;

Considérant qu’il suit de là que la S.B.M. n’est pas fondée à invoquer la violation de l’article 30 de la Constitution.

Décide:

Article 1er. – La requête présentée par la S.B.M. est rejetée.

Article 2. – Les dépens sont mis à la charge de la S.B.M.

MON / 1967 / A03
Monaco / Tribunal suprême / 6-03-1967 / Sieur Estienne d’Orves / extraits

(Voir aussi 3 autres arrêts du 6 mars 1967 : Sieur Rieber ; Sieur Onassis ; Société Condor Financiera Panama )

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.1.2.4 Droits fondamentaux – problématique générale – bénéficiaires ou titulaires de droits – personnes morales
5.2.32.3 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits de propriété – autres limitations
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Actionnaires – loi (égalité devant la loi)

Droits et libertés constitutionnels:
Egalité devant la loi – Domaine d’application du principe – Personnes se trouvant dans une situation identique

Propriété privée:
Privation – Garanties constitutionnelles – Loi assurant à l’Etat une participation au capital d’une société commerciale – Absence de dépossession de la société – Inapplicabilité des garanties constitutionnelles
Restrictions à l’exercice du droit de propriété des actionnaires d’une société – Motifs d’intérêt général – Appréciation des motifs par le Tribunal suprême – Nécessité d’une compensation suffisante

Le Tribunal suprême

(…)

Attendu que le requérant déclare qu’il entend démontrer que la loi qu’il attaque porterait atteinte à la fois aux droits de la S.B.M. et aux droits des actionnaires de cette Société, qu’il conclut, en premier lieu, à l’annulation de la loi attaquée, pour violation au détriment du principe de la S.B.M. de l’égalité devant la loi, par les motifs que, en édictant notamment que le capital social de la S.B.M. serait porté de cinq millions à huit millions de francs, par création de six cent mille actions nouvelles attribuées à l’Etat et que quatre membres du Conseil d’Administration seraient nommés par le Gouvernement Princier, la loi attaquée a transformé la S.B.M. Société privée, en une société d’économie mixte et ainsi établi une discrimination entre cette société et les autres sociétés anonymes à monopole existant dans la Principauté – qu’en outre, en modifiant par voie d’autorité un contrat passé entre l’Etat et la S.B.M., dont les clauses figuraient dans les Statuts et dans le Cahier des Charges de la S.B.M., la loi n’a pas respecté le principe reconnu par le Code civil Monégasque, d’après lequel les conventions font la loi des parties et ainsi rompu l’égalité qui doit exister entre la S.B.M. et les autres Monégasques auxquels ce principe a été et demeure toujours applicable.

Attendu que le requérant invoque, en second lieu, la violation du même texte, à son détriment, en sa qualité d’actionnaire de la S.B.M., par les motifs que l’égalité entre les actionnaires est rompue au sein même de la S.B.M., chaque actionnaire ancien continuant à ne pouvoir disposer de plus de cent voix dans les votes qu’il émettra à l’Assemblée Générale, alors que l’Etat actionnaire se trouve dispensé de cette limitation – qu’en outre, les actionnaires anciens de la S.B.M., qui avaient adhéré à une Société de droit privé sont contraints, sans leur consentement, de se soumettre aux mesures qui transforment la S.B.M. en une Société d’économie mixte, mesures qui ne sont pas applicables aux actionnaires des autres Sociétés anonymes de monopole installées dans la Principauté.

Attendu que le requérant conclut, en troisième lieu, à l’annulation de la loi pour violation de l’article 24 de la Constitution et du droit de propriété de la S.B.M. sur son patrimoine, par les motifs que du fait de la transformation opérée par la loi attaquée d’une société privée en Société d’économie mixte, la S.B.M. sera dépossédée de son patrimoine par voie de transfert de celui-ci à une société nouvelle – qu’en tout état de cause, l’intrusion de six cent mille actions dans le capital social et la création de quatre postes d’Administrateurs nommés par le Gouvernement aura nécessairement pour résultat d’assurer à l’Etat actionnaire la majorité à l’Assemblée Générale et au Conseil d’Administration, de telle sorte que l’Etat deviendra maître absolu du patrimoine social, dont il disposera à son gré – qu’il s’agit là, en réalité, d’une expropriation, réalisée sans que l’utilité publique ait été légalement déclarée et sans qu’une juste indemnité ait été allouée à la S.B.M.

Attendu que le requérant invoque, en quatrième lieu, la violation du même texte et du même droit, à son détriment, par les motifs qu’il est actionnaire de la S.B.M.

– que tout actionnaire d’une société anonyme est propriétaire de ses actions, que cette qualité lui confère des droits corporels et incorporels, qu’il a droit à la possession matérielle de ses titres, qu’il a droit à une part des dividendes distribués proportionnelle au nombre de ses actions, ainsi qu’à une part du patrimoine social existant au moment de la liquidation de la Société, qu’il a le droit de vote à l’Assemblée Générale réunie en vue soit de procéder à la nomination des Administrateurs, soit de se prononcer sur les questions sociales de sa compétence, que l’intrusion imposée par la loi de six cent mille actions dans le capital social, aura nécessairement pour effet de réduire le montant de la part des actionnaires anciens, aussi bien dans les dividendes que dans le capital social, que ceux-ci se trouveront frustrés, au moins partiellement, de leurs droits corporels de propriété – que la loi attaquée accorde à l’Etat actionnaire un droit de vote illimité, à raison d’une voix par cent actions, tandis que chacun des actionnaires anciens ne disposera que d’un maximum de cent voix, qu’un tel système de votation aura inévitablement pour résultat d’attribuer à l’Etat actionnaire la majorité à l’Assemblée Générale et au Conseil d’Administration, qui pourront discrétionnairement user du patrimoine social, qu’ainsi le droit de vote des actionnaires anciens, devenant illusoire et inefficace, il est permis de considérer qu’ils en sont « privés », que ces violations du droit de propriété ne sont pas justifiées par une déclaration d’utilité publique et ne sont pas compensées par l’attribution d’une juste indemnité.

Attendu que le requérant conclut, en cinquième lieu, à l’annulation de la loi pour violation de l’article 30 de la Constitution – par le motif que ladite loi n’a pas respecté le principe de la liberté d’association, en Principauté, reconnu par le texte invoqué.

Attendu que Monsieur le Ministre d’Etat, en ses contre-requête et duplique, conclut au rejet de la requête, par les motifs:

En réponse au moyen, tiré de la violation de l’article 17 de la Constitution, au détriment de la S.B.M., que le principe de l’égalité devant la loi ne joue entre personnes physiques ou morales de nationalité monégasque, que si celles-ci se trouvent dans une situation identique de fait ou de droit – que la S.B.M. tient une place à part dans l’économie de la Principauté – qu’elle était soumise, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi attaquée, à un régime juridique et financier différent de celui des autres sociétés anonymes monégasques de monopole – qu’enfin, les mesures législatives nouvelles ont été prises dans l’intérêt général de la Principauté.

En réponse au moyen tiré de la violation du même texte, au détriment du requérant, que les actionnaires anciens n’ignoraient pas qu’ils étaient entrés dans une société régie par des Statuts particuliers qui la différenciaient des autres sociétés anonymes Monégasques de monopole que la Constitution n’interdit pas au Législateur d’accorder, à l’intérieur d’une Société, des droits préférentiels à certains actionnaires – qu’enfin, aucune contrainte n’a été imposée aux anciens actionnaires de la S.B.M. qui ont conservé entièrement le droit de disposer de leurs titres.

En réponse au moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution au détriment de la S.B.M.

–que ledit article concerne uniquement la privation totale du droit de propriété, qu’il résulte de l’intitulé même de la loi attaquée qu’elle n’a pas pour objet de déposséder la S.B.M. de son patrimoine, mais uniquement d’assurer à l’Etat une participation à l’activité de cette Société, qu’aucune disposition de ladite loi ne porte atteinte à ce patrimoine et encore moins n’opère transfert de propriété à un tiers, que le texte sur lequel est fondé le moyen n’est pas applicable en l’espèce.

En réponse au moyen tiré de la violation du même texte, au détriment du requérant, qu’en dehors de son droit à la possession matérielle de ses titres, l’actionnaire d’une société anonyme n’a qu’un droit de créance éventuel sur les bénéfices et sur le patrimoine social à l’époque de sa liquidation, que, d’après la loi, les actionnaires anciens de la S.B.M. conservent leurs titres, sous réserve de la faculté qui leur est accordée de les négocier en Bourse ou de les céder à l’Etat dans les délais et conditions prévus par l’article 4 de la loi attaquée – qu’ils continuent d’avoir vocation aux dividendes et à une part du patrimoine social, qu’ils sont maintenus dans leur droit de vote, qu’ils ne sont donc pas privés de leur droit de propriété, au sens de l’article 24 de la Constitution, que l’existence prétendue d’atteintes à ce droit repose sur des hypothèses dont le juge chargé d’apprécier la constitutionnalité d’une loi n’a pas à tenir compte.

En réponse au moyen tiré de la violation de l’article 30 de la Constitution – qu’une société commerciale ne peut être assimilée à une association.

Vu Les autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu La loi n° 807;

Vu La Constitution de la Principauté;

Vu L’Ordonnance Souveraine portant organisation du Tribunal suprême;

Ouï Monsieur Jean Brouchot, Président du Tribunal suprême en son rapport;

Ouï Maître Walicki, au nom du sieur d’Estienne d’Orves, en ses moyens à l’appui du recours;

Ouï Maîtres Marquet et George en leurs observations pour Son Excellence Monsieur le Ministre d’Etat

Ouï Monsieur le Procureur Général, en ses conclusions;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 17 de la Constitution au détriment, d’une part, de la S.B.M., d’autre part, du requérant:

Considérant que le principe de l’égalité devant la loi, posé par cet article, n’est applicable qu’aux personnes physiques ou morales se trouvant dans une situation identique quant à leurs droits et à leurs obligations;

Considérant que, sous le régime antérieur à la publication de la loi attaquée, l’objet social de la S.B.M. (Société soumise à la législation monégasque) et les privilèges dont elle était bénéficiaire imprimaient à ses activités un caractère particulier, que des franchises fiscales lui étaient accordées, qu’elle exerçait certains pouvoirs de police, qu’en outre, en ce qui concernait son fonctionnement intérieur, le Gouvernement princier pouvait s’opposer à l’entrée en fonction des administrateurs élus par l’Assemblée générale des actionnaires, que la désignation du Président, du Vice-Président et de l’Administrateur délégué, devait être approuvée par le Gouvernement, que sa gestion était surveillée et contrôlée par un Commissaire du Gouvernement, investi de pouvoirs étendus;

Considérant que la situation de la S.B.M. n’était pas identique à celle des autres sociétés régies par la Législation monégasque, même à celle des Sociétés de monopole;

Considérant, dès lors, que le législateur a pu prendre des dispositions spécifiques à l’égard de la S.B.M.;

Considérant, enfin, compte tenu de la situation de la S.B.M., telle qu’elle vient d’être précisée, que cette Société n’est pas fondée à soutenir, nonobstant le contrat dont elle se prévaut, que l’intervention du législateur et les dispositions de la loi n° 807 constituent une violation du texte visé par le moyen;

Considérant que les motifs ci-dessus développés s’appliquant, par voie de conséquence, aux actionnaires de la S.B.M., le moyen n’est pas fondé;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution, au détriment de la S.B.M.:

Considérant que ledit article dispose:

« La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi »;

Considérant que, selon son intitulé, la loi a pour objet « d’assurer la participation de l’Etat à la S.B.M. » que cet objet est exclusif de toute dépossession, qu’aucune disposition de la loi n’autorise le Tribunal à déclarer que le patrimoine de la S.B.M. a subi une amputation quelconque, que cette société est une personne morale, qui conservera, jusqu’à sa dissolution, ses droits sur ce patrimoine, dont elle demeure propriétaire; que la Société restera gérée par des administrateurs responsables devant elle-même, devant les actionnaires et devant les tiers »;

Considérant que la S.B.M. n’étant ni directement, ni indirectement privée de son droit de propriété, l’article 24 de la Constitution n’est pas applicable en l’espèce, et que, par suite, ce moyen n’est pas fondé.

Sur le moyen tiré de la violation du même texte au détriment du requérant:

Considérant que l’article 24 de la Constitution est relatif à la privation du droit de propriété;

Considérant que l’inviolabilité de la propriété garantie par ledit article ne met pas obstacle à certaines restrictions au plein exercice de ce droit dans l’intérêt de l’ordre public ou de la chose publique, ou en raison des circonstances économiques ou sociales qui l’exigent;

Considérant qu’il appartient au Tribunal suprême, statuant en matière constitutionnelle, d’apprécier si les atteintes apportées au droit de propriété pour les motifs ci-dessus rappelés, sont compatibles avec le principe garanti par la Constitution;

Considérant que les dispositions de la loi du 23 juin 1966, n° 807, comportent notamment, au profit de l’Etat Monégasque, la création d’actions nouvelles pourvues, en outre, d’une vocation au partage des bénéfices et de l’actif social, d’un privilège de vote, ainsi qu’une représentation particulière au Conseil d’Administration et que ces dispositions constituent des atteintes aux droits attachés à la propriété des actions existant antérieurement;

Considérant que la S.B.M., Société à monopole, est un élément essentiel de la prospérité de la Principauté, notamment en raison des missions qu’elle a reçues lors de sa constitution et des modifications ultérieures de ses statuts, missions indispensables à la vie de la Principauté;

Considérant que la loi attaquée s’est inspirée de motifs légitimes, présentant un caractère d’intérêt général;

Considérant que cette loi frappe exclusivement les actionnaires de la S.B.M., que les atteintes ainsi portées aux droits desdits actionnaires, au nom de l’intérêt général, et les dommages qu’elles ont causés doivent être compensés; qu’il y a lieu de rechercher si les compensations prévues par la loi sont suffisantes;

Considérant, d’une part, que le privilège de vote établi au profit de l’Etat ne lui attribue pas nécessairement une prépondérance majoritaire;

Considérant, d’autre part, que les dispositions légales comportent à la charge de l’Etat diverses contreparties, qui réduisent d’autant l’importance des atteintes aux droits patrimoniaux des actionnaires;

Considérant que pour une Société, telle que la S.B.M., chargée de missions d’intérêt général, la consistance des droits patrimoniaux des actionnaires ne peut être calculée en prenant pour base la valeur liquidative du patrimoine social;

Considérant que ni la prime ni le taux de rachat des actions n’ont été fixés contrairement aux usages;

Considérant que d’autres dispositions ont été prises en faveur des actionnaires, notamment l’inaliénabilité des actions créées, l’offre de rachat des actions anciennes, la garantie des emprunts obligatoires que la Société serait appelée à émettre;

Considérant, compte tenu de ces divers avantages accordés aux actionnaires, que la preuve n’est pas rapportée, qu’il ait été fait, en ce qui concerne la compensation aux atteintes à leurs droits patrimoniaux, une inexacte application de l’article 24 de la Constitution;

Considérant, en conséquence, que le moyen n’est pas fondé;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 30 de la Constitution;

Considérant que la S.B.M. est une Société commerciale à but exclusivement lucratif, qu’elle ne peut être assimilée à une Association qui constitue un groupement à but désintéressé;

Attendu que le requérant n’est pas fondé à invoquer la violation de l’article visé par le moyen.

Décide:

Article 1er. – La requête présentée par le sieur d’Estienne d’Orves est rejetée.

Article 2. – Les dépens sont mis à la charge du requérant.

MON / 1975 / A04
Monaco / Tribunal suprême / 31-01-1975 / Sieur G.R. WEILL / extraits

1.4.13 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – actes administratifs individuels
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination

Loi (égalité devant la loi) – Permis de construire

Droits et libertés constitutionnels
Egalité devant la loi. Atteinte au principe – Inégalité de traitement
Procédure
Délais de réponse – Contre-requête – Dépôt dans les deux mois suivant la remise de la requête au défendeur – Délai ne comprenant pas le jour d’où il part et compté de quantième en quantième
Intérêt pour agir – Intérêt matériel – Recevabilité
Intervention – Intérêt au maintien de la décision attaquée – Recevabilité Urbanisme et construction
Permis de construire – Refus – Inégalité de traitement – Atteinte au principe de l’égalité devant la loi

Le Tribunal suprême

(…)

Que cette dérogation de fait, qui accroîtra la rentabilité de l’opération, est, par suite, contraire au principe d’égalité proclamé par l’article 17 de la Constitution et qu’elle n’est justifiée par aucune considération d’intérêt général;

(…)

Qu’en second lieu, l’arrêté a été pris en violation de l’article 17 précité de la Constitution en ce qu’il accorde à la Société Générale Mobilière et Immobilière ce qui a été refusé à la Société Praxitele;

(…)

Que le moyen tiré de la violation de l’article 17 de la Constitution est irrecevable, dès lors que le sieur Weill est dans une situation différente de celle de la Société et que, d’ailleurs, le principe d’égalité ne peut être invoqué à son égard, celle-ci n’étant pas de droit monégasque que ce moyen est d’autre part, sans fondement;: qu’en effet, l’inégalité n’est pas établie et que, même si elle existait, elle ne constituerait pas une illégalité s’agissant d’opérations distinctes pour lesquelles l’Administration conserve sa liberté d’appréciation;

(…)

Qu’en ce qui concerne la dérogation au gabarit réglementaire, l’article 17 de la Constitution n’a pas été méconnu, puisque la construction du « Vallespir » et celle du « Château Amiral » sont deux opérations distinctes et que d’ailleurs, aucune dérogation n’a été, en ce qui concerne la hauteur, accordée à l’un et à l’autre immeubles;

(…)

Que la violation de l’article 17 de la Constitution résulte de ce que la demande d’accord préalable, présentée le 12 mars 1974 par le sieur Weill, pour construire un immeuble à usage de bureaux et d’habitations sur son terrain, a été rejetée par le Ministre d’Etat, le 19 août suivant, par le seul motif que son projet comportait des dérogations, alors que la société était autorisée, le 17avril 1974, à construire, sur le terrain jouxtant celui du requérant, un immeuble de 15 étages;

Que la Société soutient, à tort, que le principe d’égalité, proclamé par l’article 17, ne s’appliquerait qu’aux Monégasques qui seraient, alors, seuls soumis à la loi et que, d’ailleurs le bénéficiaire de l’autorisation de construire est la Société civile Immobilière du 42, Boulevard d’Italie, qui est de droit monégasque;

Que cette société est dans une situation identique, non seulement à celle du sieur Weill, mais aussi à celle de la société Praxitélé;

Que la délivrance des autorisations de construire ne saurait être laissée à l’arbitraire de l’Administration, sans que soit porté atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi;

Qu’enfin si la société a cédé gratuitement des terrains à l’Etat, il en avait été de même pour la société Praxitélé et que le requérant était disposé à accorder le même avantage;

(…)

Qu’il appartenait au sieur Weill d’attaquer le rejet de sa demande d’accord préalable; qu’il ne précise pas le périmètre à l’intérieur duquel jouerait la notion, non d’égalité, mais d’identité technique et juridique; qu’enfin sont sans portée la réponse opposée par le requérant à l’argument tiré par la société de ce que le principe d’égalité des citoyens devant la loi ne s’appliquerait qu’aux monégasques, ainsi que l’argument qu’il présente en invoquant les cessions accordées en contrepartie des dérogations;

(…)

Vu Les autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu L’Ordonnance Constitutionnelle du 17 décembre 1962, et notamment ses articles 17 et 90;

Vu L’Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963, modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal suprême;

Vu L’Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959, concernant l’urbanisme, la construction et la voirie, modifiée par la loi n° 718 du 27 décembre 1961;

Vu L’Ordonnance Souveraine n° 2120 du 16 novembre 1959, modifiée notamment par l’Ordonnance Souveraine n° 3647 du 9 septembre 1966, concernant l’urbanisme, la construction et la voirie;

Vu L’Ordonnance du 21 octobre 1974, par laquelle le Président du Tribunal suprême a renvoyé la cause devant le Tribunal suprême délibérant en section administrative;

Ouï M. Louis Pichat, Membre du tribunal Suprême, en son rapport;

Ouï Maîtres Clérissi, Domestici et George en leurs plaidoiries;

Ouï M. le Procureur Général en ses conclusions;

(…)

Sur le moyen tiré de ce que la décision attaquée porterait atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi affirmé par l’article 17 de l’Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962;

Considérant qu’il résulte du dossier, d’une part, que la demande d’accord préalable présentée, le 12 mars 1974, par le sieur Weill, en vue de la construction d’un immeuble à usage de bureaux et d’habitation, sur le terrain lui appartenant, 38, Boulevard d’Italie, a été rejetée par le Ministre d’Etat, pour le seul motif qu’après examen de l’avis émis par le Comité consultatif pour la construction « le Gouvernement princier a considéré que l’avant-projet présenté comportant des dérogations à la réglementation en vigueur, la demande de M. Weill ne pouvait être accueillie favorablement », d’autre part, que le Ministre d’Etat a, le 17 avril 1974 accordé à la Société Générale Mobilière et Immobilière l’autorisation de construire un immeuble de même nature, en faisant bénéficier ladite société de certaines dérogations;

Considérant qu’en admettant même que les deux demandes précitées puissent, nonobstant la circonstance que les immeubles en cause seraient contigus et répondraient aux mêmes exigences d’urbanisme, être considérées comme portant sur des opérations distinctes, le seul fait d’avoir fait bénéficier la Société Générale Mobilière et Immobilière de dérogations, quand bien même celles-ci seraient justifiées, alors que la demande du Sieur Weill avait été rejetée pour l’unique motif qu’elle comportait l’octroi de dérogations, fait apparaître une inégalité de traitement à l’égard des deux traitements et est, par suite, de nature à entacher d’illégalité la décision attaquée comme n’ayant pas respecté l’article 17 de l’Ordonnance constitutionnelle sus-visée;

Décide :

Article 1er. – Il est donnée acte au sieur Weill du désistement des conclusions de sa requête tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de l’arrêté attaqué.

Article 2. – L’arrêté n° 74-156 du 17 avril 1974, par lequel le Ministre d’Etat a accordé une autorisation de construire à la Société générale Mobilière et Immobilière est annulé.

Article 3. – Les dépens exposés par la Société intervenante sont à sa charge. Les autres dépens sont mis à la charge de l’Etat.

Article 4. – Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’Etat.

MON / 1994 / A05
Monaco / Tribunal suprême / 1-02-1994 / Association des propriétaires de Monaco / texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques

Préjudice anormal et spécial

Compétence:
Contentieux constitutionnel – Recours en annulation – Loi n° 1159 du 29 décembre 1992 – Location de locaux à usage d’habitation – Rejet

Droits et libertés constitutionnels:

Droit de propriété – Conciliation avec des règles et principes de valeur constitutionnelle – Exigences résultant de caractères géographiques particuliers du territoire – Droit de priorité accordé aux monégasques – Non-rétroactivité de dispositions pénales d’application immédiate

Responsabilité de la puissance publique:

(–) du fait des lois – Principe d’égalité devant les charges publiques – Préjudice anormal et spécial

Le Tribunal suprême

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière et en matière constitutionnelle,

Vu la requête présentée par l’Association des propriétaires de la Principauté de Monaco le 26février 1993 et tendant à l’annulation de la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d’habitation;

Ce faire,

Attendu que la loi attaquée porte atteinte au droit de propriété reconnu par l’article 24 de la Constitution en ce qu’elle institue des mesures nouvelles par rapport à la loi du 18 juillet 1988 sans que les difficultés exceptionnelles, qui, selon la décision du Tribunal suprême du 20 juin 1989, justifiaient les restrictions à ce droit soient ni modifiées, ni aggravées; que notamment la loi revient sur la mesure de libération des loyers en instituant des plafonds et en restreignant la liste des locataires protégés;

Attendu, au surplus, que la loi contient des dispositions pénales rétroactives en violation de l’article 20, alinéa 4, de la Constitution puisque celles-ci s’appliquent aux locaux loués sur la base de la loi du 18 juillet 1988 avant sa modification;

Attendu, enfin, que la loi, portant une atteinte directe et indirecte au droit de propriété, elle doit entraîner une indemnisation par l’Etat des propriétaires justifiant un préjudice spécial;

Vu la contre-requête de Monsieur le Ministre d’Etat déposée le 30 avril 1993 et tendant au rejet de la requête avec condamnation aux dépens pour les motifs que, l’atteinte au droit de propriété ne peut être reconnue dès lors que la loi nouvelle, au regard de la jurisprudence du Tribunal suprême, ne comporte pas privation du droit de propriété en raison des caractères géographiques de territoire de l’Etat et est justifiée par la hausse importante des loyers provoquée par l’application de la loi du 18 juillet 1988;

Qu’il ne peut être prétendu que la loi revient à un blocage des loyers puisque le régime de limitation des taux ne concerne que les locaux vacants à la date de son entrée en vigueur;

Que le droit de reprise des propriétaires ne pourra s’exercer que dans le respect de la procédure instituée par la loi du 18 juillet 1988 et que le régime est plus libéral que le précédent;

Que la loi n’institue pas une reconduction automatique du bail, que cette reconduction ne constitue qu’une possibilité et qu’il y a lieu à l’application d’une procédure permettant de négocier le renouvellement du bail dans le cadre de la loi;

Que le droit à réparation du préjudice auquel pourraient prétendre les propriétaires ne peut être reconnu puisque ce préjudice n’est ni certain ni spécial;

Que l’affirmation selon laquelle la loi serait rétroactive dans ses dispositions pénales est inexacte et que l’association confond rétroactivité et application immédiate de la loi;

VU La réplique déposée le 28 mai 1993 par l’Association requérante et tendant aux mêmes fins que la requête initiale;

Attendu que le Tribunal suprême, qui a compétence pour interpréter les dispositions législatives attaquées, peut adopter à leur sujet le procédé des réserves d’interprétation;

Que la spécialité du préjudice ne concernera que la moitié environ des propriétaires appartenant au secteur réglementé;

Que la contre-requête contient des inexactitudes concernant la baisse excessive des loyers selon les informations qu’elle fournit dans sa réplique;

Qu’il est inexact de prétendre que la loi ne comporte aucun retour au blocage des loyers dès lors que, pendant les deux périodes de six ans pendant lesquelles elle s’appliquera, les loyers ne pourront être augmentés au-delà des seuils fixés;

Vu la duplique déposée par le Ministre d’Etat le 5 juillet 1993 et tendant à nouveau au rejet de la requête en ce que:

La simple lecture de la loi permet de montrer que les atteintes au droit de propriété n’existent pas; que ses dispositions visent simplement à concilier les intérêts des propriétaires et des locataires;

Que le préjudice spécial invoqué concernerait 25% des propriétaires et qu’une telle affirmation viderait de tout sens le concept même de rupture qui fonde cette condition du préjudice;

VU La loi attaquée;

VU Les autres pièces produites et jointes au dossier;

VU La Constitution et notamment ses articles 20 alinéa 4, 24 et 90-A-2;

VU L’Ordonnance du 16 avril 1963 modifiée, sur le Tribunal suprême;

VU L’Ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal suprême, en date du 27 décembre 1993, par laquelle il a ordonné le renvoi de la cause;

Ouï Monsieur Roland Drogo, Vice-Président du Tribunal suprême, en son rapport;

Ouï Maître Balat, avocat à la Cour d’appel de Paris, assisté de Maître Blot, avocat-défenseur;

Ouï Maître Piwnica, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, assisté de Maître Sanita, avocat-défenseur;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions;

Statuant et délibérant en matière constitutionnelle,

Considérant que l’Association requérante a déféré au Tribunal suprême la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988, sur la base de l’article 90-A-2 de la Constitution;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution,

Considérant que cet article dispose:

« la Propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi »;

Considérant que le libre exercice du droit de propriété consacré par ce texte doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l’Etat Monégasque; qu’il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l’Etat ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l’article 32 de la Constitution;

Considérant que l’article 3 de la loi déférée au Tribunal suprême modifiant l’article 5 de la loi du 18 juillet 1988 réduit la liste des attributaires prioritaires qui figurait dans ce texte;

Considérant que l’article 4 de la loi attaquée modifiant l’article 8 de la loi du 18 juillet 1988 décide que le prix de location, pendant la première période de six ans, ne pourra être supérieur de plus de 50% à celui qui aurait été pratiqué en application de l’article 14 de l’ordonnance-loi n°669 du 17 septembre 1959; que le même texte décide que le prix de location, pendant la seconde période de six ans, ne pourra être supérieur de plus de 155% à celui qui aurait été pratiqué en application de l’article 14 de l’ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959;

Considérant que l’article 9 de la loi attaquée dispose:

« Les locaux ayant fait l’objet d’une location en vertu de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 préalablement à la promulgation de la présente loi sont soumis aux dispositions de cette dernière. Toutefois, la location de ces locaux, lorsqu’ils deviennent vacants ou lorsque le bail est reconduit, n’est pas soumise aux dispositions du premier alinéa du chiffre II de l’article 8 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 modifiée. En toute hypothèse, le montant du loyer en cours de bail ne peut être augmenté qu’en application d’une clause d’indexation usuelle insérée dans le bail. Nonobstant les dispositions de l’article 5 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 modifiée, les locataires, entrés dans les lieux préalablement à la promulgation de la présente loi peuvent bénéficier, avec l’accord de leurs propriétaires, de la reconduction de leurs baux »;

Considérant qu’il ressort de ce texte ainsi que des travaux préparatoires que les articles 3 et 4 de la loi ne concernent pas les locaux ayant fait l’objet d’une location avant sa promulgation, même lorsque ces locaux deviennent vacants ou lorsque le bail est reconduit; que les locataires entrés dans les lieux préalablement à la promulgation de la loi peuvent bénéficier, avec l’accord de leurs propriétaires, de la reconduction des baux dans les conditions antérieures à cette promulgation;

Considérant qu’il ne peut être fait application des dispositions des articles 3 et 4 de la loi que dans le cadre tracé par l’article 9; que, dans ces conditions, ces dispositions ne portent pas à l’exercice du droit de propriété une atteinte excédant celles qui peuvent lui être apportées au regard des règles et principes ci-dessus rappelés;

Sur le caractère rétroactif des dispositions pénales contenues dans l’article 7 de la loi,

Considérant que l’article 7 de la loi dispose:

« L’article 16 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes: le propriétaire qui n’aura pas fait la déclaration prescrite par les articles 2 ou 8 sera puni de l’amende prévue au chiffre 3 de l’article 29 du Code pénal. Si la déclaration n’est pas effectuée dans les huit jours suivant le prononcé de la condamnation, le contrevenant sera puni de l’amende prévue au chiffre 1 de l’article 26 de ce code et le tribunal ordonnera, sous astreinte civile définitive au profit du Trésor, que la formalité soit accomplie dans les huit jours de la décision ».

Considérant que ce texte se contente d’affirmer le caractère d’application immédiate de la loi; que le moyen tiré de son effet rétroactif manque en fait;

Sur la responsabilité éventuelle de l’Etat du fait de l’application de la loi,

Considérant qu’il est loisible aux propriétaires des locaux auxquels la loi s’appliquera dans les conditions précédemment définies, au cas où cette application leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d’en demander, s’ils s’y croient fondés, réparation sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité de tous devant les charges publiques.

Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême du Niger

NIG / 1992 / A01
Niger/Cour suprême/Chambre constitutionnelle/24-09-1992/Avis n° 92-6/texte intégral

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

Candidats (à une élection) – loi (égalité devant la loi)

Vu La requête en date du 21 août 1992 introduite par le Secrétaire général du gouvernement sur instructions du Premier Ministre enregistrée le même jour au greffe de la Cour suprême;

Vu Les articles 2, 23 et 24 de l’acte fondamental n° XXI du 29 octobre 1991 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition;

Vu Les articles 26 et 41 de la loi n° 90-10 du 13 juin 1990 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême;

Après lecture du rapport de Monsieur OUMARA MAMADOU, Conseiller-Rapporteur et l’avis de Monsieur le Procureur général;

Attendu qu’il y a lieu de souligner que l’ordonnance n° 92-043 du 22 août 1992 portant Code Electoral ayant été signée et rendue publique en même temps que la saisine de la cour, la première question qu’on pourrait se poser est celle de l’opportunité même d’une saisine qui fait que l’avis de la cour viendra nécessairement à retardement alors que la publication de l’ordonnance selon la procédure d’urgence prévue par ce texte le rend applicable avant que la haute juridiction ne puisse tenir audience;

Que ceci dit, la Cour peut néanmoins tout en souhaitant que le souci de la saisine préalable soit sauvegardé à l’avenir, déclarer cette saisine régulière, donc recevable;

Au fond,

Attendu que le requérant estime que l’article 84 du Code électoral est non seulement contraire à la charte des partis politiques (article 6) mais est également non conforme à l’avant-projet de constitution et à l’article 80 du même code; que le fait pour l’article 84 de supprimer la présentation de candidatures indépendantes aux élections présidentielles constitue une violation des droits et libertés fondamentaux des citoyens;

Attendu qu’il y a lieu d’abord avant d’analyser les dispositions de l’article incriminé au regard des textes ayant valeur constitutionnelle (ou en voie de l’être) et législative en vigueur pendant la période de transition au Niger de faire les observations suivantes:

–Bien que signée avant l’adoption de la constitution, l’ordonnance portant Code électoral doit nécessairement se placer dans le cadre de l’avant-projet de constitution, qu’elle ne jouera en principe pleinement son rôle qu’une fois la constitution adoptée, et doit donc dès à présent en tenir compte, et ses dispositions ne sauraient aller à l’encontre de celles de la constitution;

Attendu que l’article 84 du Code électoral relatif aux élections présidentielles, en ses alinéas 2 et 3, dispose:

«Seuls les partis politiques légalement constitués peuvent présenter des candidats. Chaque parti politique ne peut présenter qu’une seule candidature;

Attendu qu’à la lecture des dispositions contenues dans l’article 84 (alinéa 2 et 3) il y a lieu de noter que le Code électoral a écarté ainsi toute possibilité de présentation de candidats indépendants aux élections présidentielles;

Attendu qu’à l’examen des dispositions de l’art. 84 du Code électoral, il apparaît que cet article n’est pas conforme à un certain nombre de textes en vigueur ou qui sont en voie de l’être; c’est ainsi que:

1. – Les dispositions de l’article 84 du Code électoral sont prises en violation de l’acte n° III de la Conférence nationale en date du 9 août 1991.

Attendu que l’article 3 de l’acte n° III dispose que la République du Niger est un Etat de droit, ce qui signifie que tout acte portant atteinte aux droits et libertés des citoyens doit être proscrit

Que l’article 4 du même acte III quant à lui stipule que:

«Les droits et libertés du citoyen tels que consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 sont garantis; que toutes ces trois déclarations consacrent et garantissent entre autres droits et libertés, le droit de vote reconnu à tout citoyen, le droit pour tout citoyen d’être éligible à un emploi public ainsi que la liberté d’adhésion du citoyen à une association politique de son choix; que l’article 84 a donc été pris en violation de l’acte III;

2. – Les dispositions de l’article 84 du Code électoral sont contraires à l’avant-projet de constitution de la 3e République.

Attendu que si l’avant-projet de constitution venait à être adopté dans ses dispositions relatives aux élections présidentielles, il consacrerait alors un régime politique de type semi-présidentiel avec un président de la République arbitre, donc placé au dessus des partis politiques, un président de la République irresponsable politiquement dont tous les actes seraient contresignés par le Premier Ministre ou les ministres; que l’esprit général de ce texte de l’avant-projet de constitution serait alors en parfaite harmonie avec un président de la République n’appartenant à aucun parti politique;

Attendu aussi que l’article 8 de l’avant-projet de constitution dispose que:

«La République du Niger est un Etat de droit et que tous les citoyens sont égaux devant la loi; que cela signifie qu’il ne doit y avoir aucune discrimination de quelque nature que ce soit entre les citoyens nigériens et partant que tous les citoyens candidats aux élections mêmes présidentielles doivent être égaux devant la loi; qu’il n’est donc pas permis de faire une discrimination politique entre les candidats selon qu’ils appartiennent ou non à des partis politiques pour accepter ou rejeter leur candidature; que par conséquent l’article 84 du Code électoral qui exige des candidats une adhésion à un parti politique constitue bien une discrimination entre les candidats et porte ainsi gravement atteinte aux droits et libertés des citoyens;

Attendu que l’article 9 quant à lui stipule que:

«Dans le cadre de la liberté d’association, les partis et groupements politiques se forment et exercent librement leurs activités sous réserve de respecter les principes de souveraineté nationale, de la démocratie et les lois de la République; que de même l’article 24 dispose:

«L’Etat reconnaît et garantit la liberté d’association; que ces deux articles posent le principe de la liberté d’association qui est celui pour chaque citoyen d’appartenir ou non à un parti politique; qu’il n’y a pas une obligation mais une liberté pour tout citoyen d’appartenir à un parti politique;

Attendu que l’article 37, alinéa 1 stipule:

«Le président de la République est élu pour 5 ans au suffrage universel, libre, direct, égal et secret. Il n’est rééligible qu’une seule fois; que ce mode d’élection du président de la République fait de ce dernier l’élu de toute la nation, de tous les citoyens nigériens; que le président de la République, une fois élu, n’est pas le président d’un parti politique ou d’un groupe de partis politiques même s’il appartenait à un parti politique et qu’il a été présenté par un parti politique ou un groupe de partis politiques; qu’une fois élu, le président de la République devrait prendre congé de son parti politique et devenir le président de tous les partis politiques et de toute la nation; que ce faisant, le président de la République serait ainsi placé au dessus des partis politiques et des luttes partisanes pour jouer son vrai rôle d’arbitre; que c’est pourquoi il y a lieu de dire que la présentation de candidats indépendants aux élections présidentielles, contrairement à l’article 84 du Code électoral, est tout à fait conforme aux dispositions de l’article 37 en son alinéa 1; qu’il n’est donc pas nécessaire qu’un citoyen nigérien appartienne à un parti politique ou qu’il soit présenté par un parti politique ou groupe de partis politiques pour être candidat aux élections présidentielles;

Attendu que l’article 37 à son alinéa 2 dispose:

«Est éligible à la présidence de la République, tout nigérien de nationalité d’origine âgé de quarante (40) ans au moins et jouissant de ses droits civiques et politiques; que l’alinéa 2 de l’article 37 ne mentionne pas expressément parmi les conditions d’éligibilité à la présidence de la République l’appartenance d’un candidat à un parti politique; qu’il suffit simplement au candidat de prouver, entre autres conditions, qu’il est nigérien d’origine et avoir 40 ans, et rien d’autre;

Attendu qu’aux termes de l’article 38 l’élection du président de la République a lieu au scrutin majoritaire à deux (2) tours;

que ce mode de scrutin permet aux électeurs de voter pour un candidat nommément désigné et non pour une liste de noms comme c’est le cas avec le scrutin proportionnel ou scrutin de liste retenu pour les élections législatives; que le scrutin majoritaire retenu comme mode d’élection pour le président de la République est tout à fait en harmonie avec la possibilité de présentation de candidats indépendants;

3. – Les dispositions de l’article 84 du Code électoral ne sont pas en conformité avec l’acte n°XXIV du 3 novembre 1991 portant charte des partis politiques.

Attendu qu’aux termes de l’article 6, tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques est libre d’adhérer au parti politique de son choix; que cet article 6 de la charte des partis politiques pose et consacre le principe de la liberté d’adhésion aux partis politiques; que cela signifie qu’un citoyen est libre d’adhérer ou non à un parti politique; qu’en aucun cas et pour quelque motif que ce soit on ne peut donc obliger un citoyen à appartenir à un parti politique tel qu’il est exigé par l’article 84 du Code électoral;

4. – Les dispositions de l’article 84 du Code électoral sont en contradiction avec les dispositions de l’article 80 du même code.

Attendu que l’article 80 du Code électoral stipule «Sont éligibles à la présidence de la République tous les citoyens nigériens de nationalité d’origine âgés de quarante (40) ans au moins, jouissant de leurs droits civiques et qui ne sont dans aucun des cas d’incapacité définis à l’article 8 de la présente ordonnance; qu’à la lecture de cet article 8, il n’apparaît pas que la non-adhésion d’un citoyen à un parti politique ait été expressément prévue comme étant un cas d’incapacité pouvant empêcher d’éligibilité d’un candidat aux élections présidentielles; qu’il y a lieu donc de dire que la présentation des candidats indépendants aux élections présidentielles n’a pas été expressément écartée par l’article 80; que par conséquent l’article 84, qui élimine les candidatures indépendantes, est contraire à l’article 80;

Attendu que pour se résumer, en disposant que seuls les partis politiques légalement constitués peuvent présenter des candidats à la présidence de la République, l’article 84 de l’ordonnance n°92-043 du 22 août 1992 a méconnu un grand principe, celui de la hiérarchie des textes, candidat à l’inconstitutionnalité, il le sera incontestablement une fois que les dispositions des articles 9 et 24 de l’avant-projet de constitution seront adoptés. Il faut rappeler que ces deux articles posent et garantissent le principe de la liberté d’association alors que l’article 84 du Code électoral fait obligation à tout candidat aux élections présidentielles d’appartenir à un parti politique, qu’il suit de là que cet article jure avec ce que sera la constitution au moment des élections présidentielles et avec la liberté d’association; que sans doute, la tentation peut-être forte de vouloir opérer un rapprochement entre l’idée de candidatures indépendantes combattue par la Cour dans un scrutin de liste, et celle de candidatures indépendantes dans les élections présidentielles. Mais la comparaison ne saurait être soutenue avec vraisemblance parce que dans le scrutin de liste envisagé lors des élections législatives, l’idée même de candidatures indépendantes est un non sens, elle s’oppose par définition et par nature à celle du scrutin uninominal envisagé pour les élections présidentielles;

Attendu qu’enfin la Cour estime qu’il y a aussi lieu de faire la différence entre les incompatibilités imposées à la candidature de certains citoyens en raison de leurs fonctions ou de la mission qui leur est confiée, et une mutilation véritable des droits attachés à la personne humaine. Les premières constituent des mesures de précaution contre le détournement de l’autorité publique à des fins partisanes, tandis que la seconde constituerait une exclusion injustifiée et l’imposition d’un carcan politique préjudiciable au principe de la liberté d’association; que pour tout dire, l’article 84 de l’ordonnance n° 92-043 du 21 août 1992 ne peut être maintenu dans sa rédaction actuelle si l’on veut rester conforme au droit;

Par ces motifs:

Vu l’article 62 de la loi 90-10 du 13 juin 1990 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême;

En la forme,

Reçoit la saisine comme étant régulièrement introduite;

Au fond,

Dit que les dispositions de l’article 84 du Code électoral;

  • violent l’acte III du 9 août 1991 de la Conférence nationale;
  • elles seraient contraires à l’esprit et au contenu de l’avant-projet de constitution de la 3e République s’il venait à être adopté dans ses dispositions contenues dans les articles 8, 9, 24, 37 et 38;
  • elles ne sont pas conformes à l’acte fondamental N XXIV du 3 novembre 1991 portant charte des partis politiques;
  • elles sont en contradiction avec les dispositions de l’article 80 du même code électoral,

Dit que le fait pour l’article 84 du Code électoral d’éliminer les candidatures indépendantes aux élections présidentielles constitue une atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens notamment le droit pour tout citoyen d’être éligible, la liberté pour tout citoyen d’adhérer librement au parti politique de son choix et l’égalité de tous les citoyens devant la loi

Dit que du point de vue du droit, aucune raison ne justifie l’élimination des candidatures indépendantes aux élections présidentielles, tout au contraire, le mode d’élection du président de la République et le rôle qui lui sera dévolu dans la prochaine constitution militent dans le sens du maintien des candidats indépendants aux élections présidentielles;

Dit que cet avis, dûment signé du Président et du Greffier en chef de la Cour suprême, sera communiqué au Premier Ministre à telles fins de droit;

Ainsi délibéré par la chambre constitutionnelle de la Cour suprême les jour, mois et an que ci-dessus;

Composition

Où siégeaient Messieurs: HADJI NADJIR, Vice-Président (président); AMADOU HAMA ALGINY, OUMARA MAMADOU, HIMA YANKORI et ABOUBACAR MAIDOKA, tous conseillers; en présence de Monsieur SOLI ABDOURAHAMANE, Procureur général et Maître ALI MAIGA, Greffier en Chef;

En foi de quoi le présent avis a été signé par le Président et le Greffier en Chef

NIG / 1993 / A02
Niger/Cour suprême/Chambre constitutionnelle/23-04-1993/Arrêt n°93-13/extraits

1.4.9 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – règlements des assemblées parlementaires
4.2.3 Institutions – organes législatifs – composition
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.4.1.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – élections

(…)

Considérant que les demandeurs au recours soutiennent que conformément à l’article 98 ci-dessus, le règlement intérieur de l’Assemblée, avant son application, tout comme les lois organiques, avant leur promulgation, doit être soumis au contrôle de conformité à la Constitution devant la Cour suprême;

Considérant qu’ils articulent qu’en tout état de cause, le mode et la procédure d’élection du Président constituent un règlement de l’Assemblée qui doit subir ce contrôle avant sa mise application; que la résolution n° 001/AN/1993 ayant servi à l’élection du Président en dehors de tout contrôle ne saurait servir de base légale à ladite élection;

Considérant que le sieur Moumouni Adamou Djermakoye dont l’élection est attaquée de ce chef, rétorque que la résolution incriminée n’est ni une loi organique, ni une loi ordinaire au sens de l’article 98 de la Constitution qu’elle ne doit pas être soumise au contrôle de conformité dont s’agit; que du reste l’article 71 a été respecté selon lui et il conclut au rejet de la requête comme non fondée;

Mais considérant que la loi organique est une loi qui complète ou précise les dispositions de la Constitution; qu’elle est identifiée par rapport à son objet, comme un complément nécessaire en ce qu’elle régit les pouvoirs publics directement issus de la Constitution à laquelle ils s’articulent;

Considérant que si du point de vue formel toute décision de l’Assemblée porte le nom générique de résolution le règlement intérieur n’échappe pas à cette règle mais répond à la définition de la loi organique de la même valeur du point de vue matériel, en ce qu’il fixe les règles d’organisation, de composition, de fonctionnement ainsi que les prérogatives des membres de l’Assemblée, dont il est une constitution interne à l’échelle réduite;

Considérant que le contrôle de constitutionnalité préalable de l’article 98 procède de la nécessaire soumission des pouvoirs constitués au droit en général et à la Constitution en particulier; que s’agissant de l’Assemblée nationale, son autonomie de réglementation trouve ses limites dans cette obligation constitutionnelle, en tant que déléguée du peuple souverain, dépositaire de la légalité constitutionnelle dans ce qu’elle a d’essentiel;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que la résolution n° 001/AN/1993, ayant servi à l’élection du sieur Moumouni Adamou Djermakoye, a été adoptée dans des conditions discutables et manifestement par une partie de l’Assemblée et au détriment des droits d’une autre partie de l’Assemblée; qu’elle n’a pas subi le contrôle de constitutionnalité obligatoire préalable devant permettre de vérifier sa conformité à la Constitution, alors même que son article 8 dispose que: «Les dispositions contenues dans la présente résolution font partie intégrante du règlement intérieur de l’Assemblée nationale;

Considérant qu’il s’agit là d’une violation flagrante et délibérée de la Constitution contraire au devoir des députés de l’Assemblée nationale;

Considérant qu’il y a lieu ainsi de recevoir le moyen comme fondé et de déclarer inconstitutionnels le mode et la procédure d’élection du sieur Moumouni Adamou Djermakoye aux fonctions de Président de l’Assemblée, comme n’ayant pas été soumis au contrôle de conformité préalable de la Cour suprême;

Sur le deuxième moyen du recours pris de la violation des articles 71 et 76, en ce que la Constitution dispose que:

  • les travaux de l’Assemblée nationale ont lieu suivant le règlement qu’elle adopte conformément à la Constitution, en conformité avec l’article 98 précité;
  • l’Assemblée nationale est dirigée par un Président assisté d’un bureau élu dans les conditions fixées par le règlement intérieur;
  • le règlement intérieur est la loi organique portant organisation et fonctionnement de l’Assemblée ainsi que des prérogatives et attributions de son Président, et les différents modes de scrutin à l’exclusion de ceux prévus expressément par la Constitution

Les demandeurs concluent à l’inconstitutionnalité de l’élection du sieur Moumouni Adamou Djermakoye dès lors qu’il n’y a eu ni adoption ni contrôle de conformité des règles fixant le mode et la procédure de cette élection;

Considérant que le défendeur persiste à dire qu’il n’y a pas lieu de soumettre la résolution contestée à la censure de la Cour suprême sans l’ensemble du règlement intérieur;

Sur le deuxième moyen en sa première branche, pris de la violation de l’article 76, en ce que les travaux de l’Assemblée ont lieu suivant le règlement intérieur qu’elle adopte conformément à la Constitution

Considérant qu’il résulte de l’alinéa premier de l’article 76 que l’Assemblée nationale élabore d’abord son Règlement intérieur en fonction duquel sont conduits ses travaux;

Considérant que ce règlement intérieur décrit toute la procédure parlementaire, l’organisation, la composition, le fonctionnement du bureau ainsi que les pouvoirs et prérogatives du Président;

Considérant que l’adoption du règlement ci-dessus spécifié n’est parfaite que si elle reçoit le sceau de conformité de la Chambre Constitutionnelle de la Cour suprême par rapport à la loi fondamentale, source de sa validité;

Considérant que cette obligation constitutionnelle impérative concerne toutes les lois organiques et tous les règlements de l’Assemblée;

Considérant que ladite obligation s’impose d’abord et principalement aux pouvoirs constitués, qui ne peuvent y déroger sans se remettre en cause, et ne sauraient en conséquence s’arroger d’autres prérogatives que celles découlant directement de la Constitution, fondement de leur légale existence;

Considérant que l’article 76 énumère les grandes lignes du règlement intérieur aux premier et sixième tirets de l’alinéa 2 quant à la nécessaire conformité de son contenu;

Considérant qu’aucune résolution ne saurait tirer sa valeur et son fondement hors et contre les prescriptions de la loi suprême

Considérant enfin qu’il est constant que la résolution n° 001/AN/1993 n’a pas reçu le quitus de conformité relativement aux prescriptions de la Constitution; qu’elle a été prise ab nihilo sans aucun lien de rattachement avec la norme suprême; qu’il y a lieu par conséquent de recevoir comme fondée la première branche du deuxième moyen et déclarer nulle et de nul effet la résolution en cause;

Sur le deuxième moyen du recours, en sa deuxième branche, pris de la violation de l’article 71 de la Constitution, en ce que l’Assemblée nationale est dirigée par un Président assisté d’un bureau élu dans les conditions fixées au règlement intérieur

Considérant que les requérants excipent que la résolution fait partie du règlement intérieur, loi organique de l’Assemblée, qui détermine le mode et la procédure d’élection des membres du bureau; que le défendeur allègue le contraire;

Considérant qu’il résulte des développements antérieurs que le règlement intérieur, quels qu’en soient la forme et le contenu doit être adopté conformément aux articles 98 et 76, notamment la nomination des personnes membres de l’organe directeur de l’Assemblée;

Considérant qu’il doit être entendu que ledit organe comprend d’abord et aussi bien le président que les autres membres; que c’est le même règlement intérieur qui régit leur élection;

Considérant que si la syntaxe de l’alinéa premier de l’article 71 traduit mal cette réalité, l’alinéa 2 complète utilement l’idée exprimée en ce que tous les membres du bureau doivent être élus périodiquement;

Mais considérant que les prescriptions impératives de la Constitution imposent des conditions rigoureuses de sélection sur la base du principe que tout pouvoir légal et légitime doit procéder de l’élection selon les formes qu’elles ont ordonnées; que la rigueur exige est proportionnelle à l’importance des fonctions convoitées; qu’il est tout à fait évident et logique qu’elles soumettent un membre aussi important que le président de l’Assemblée aux conditions maxima et les membres de rang modeste aux règles minima conformes;

Considérant que par les motifs ci-dessus exposés, il y a lieu de déclarer fondé le deuxième moyen en sa deuxième branche et de dire que l’ensemble des membres du bureau, y compris le président, doivent être élus selon les conditions visées à l’article 71, conformément aux articles 98 et 76 et aux usages consacrés en la matière;

Par ces motifs:

Vu la Constitution du 26 décembre 1992 en ses articles 92, 98, 71, 76 et 30;

Vu la loi 90-10 du 13 juin 1990 en ses articles 34, 36, 37, 47, 50, 51, 52, 53, 55 alinéa 1, 60 alinéa 2;

1. – Reçoit en la forme le recours intenté par le député Hama Amadou et 31 de ses collègues;

2. – Dit que la résolution n° 001/AN/1993 portant mode et procédure de l’élection du président, ensemble ou séparée, est du domaine du règlement intérieur;

3. – Déclare les prescriptions des articles 76 et 71 communes à l’ensemble du bureau comprenant le président et soumises au contrôle de conformité de l’article 98;

4. – Dit que la résolution n° 001/AN/1993 est anticonstitutionnelle pour défaut de conformité; la déclare nulle et non avenue avec les conséquences de droit;

5. – Dit que les travaux conduits sur le fondement de ladite résolution l’ont été en violation flagrante et délibérée de la Constitution du 26 décembre 1992; (…)

Cour constitutionnelle de Roumanie

ROM / 1993 / A01
Roumanie / Cour constitutionnelle / 25-02-1993 / Décision n° 6 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
2.1.1.8 Sources du droit constitutionnel – catégories – règles écrites – Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Loi (égalité devant la loi) – Salaires

La Cour constitutionnelle,

(…)

L’article 3 de la loi relative à l’harmonisation des salaires régis par les lois nos 53/1991, 40/1991 et 52/1991 et des salaires offerts par les sociétés commerciales et les régies autonomes (publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, première partie, n° 140 du 23 juin 1992) dispose que:

«1. – Les salaires de base perçus par les personnes qui cumulent plusieurs fonctions, y compris par les retraités qui cumulent retraite et salaire, sont ceux prévus à l’article premier.

2. – Les salaires perçus en raison du cumul des fonctions tel que défini à l’alinéa premier, ainsi que les revenus perçus en contrepartie d’autres activités que celles relevant de la fonction de base, quelle que soit l’entreprise dans le cadre de laquelle a été effectué le travail, font l’objet d’une imposition distincte, par l’application du taux légal majoré de 100%.

La loi n° 53/1991 concerne les salaires des sénateurs, des députés et du personnel affecté au Parlement de la Roumanie, la loi n° 52/1991 concerne les salaires des personnels affectés aux organes du pouvoir judiciaire, alors que la loi n° 40/1991 concerne les salaires du Président et des membres du Gouvernement de la Roumanie, ainsi que les salaires des personnels affectés à la Présidence et aux autres organes du pouvoir exécutif.

La loi modifiant la loi n° 58/1992, adoptée par le Parlement de la Roumanie lors des séances du 17 décembre 1992 (pour la Chambre des députés) et du 4 février 1993 (pour le Sénat), comporte deux articles. Le premier modifie l’article 3 alinéa 2 de la loi n° 58/1992 relative à l’harmonisation des salaires régis par les lois nos 53/1991, 40/1991 et 52/1991 et des salaires offerts par les sociétés commerciales et les régies autonomes. L’article modifié dispose en son alinéa 2: «Les salaires perçus suite au cumul des fonctions tel que défini à l’alinéa premier, ainsi que les revenus perçus en contrepartie d’autres activités que celles relevant de la fonction de base, quelque soit l’entreprise dans le cadre de laquelle a été effectué le travail, font l’objet d’une imposition distincte, par l’application du taux légal majoré de 30%.

(…)

L’appréciation de la constitutionnalité de l’article premier de la loi, qui établit une majoration de 30% du taux légal d’imposition pour les revenus résultant d’un cumul de fonctions par les personnes visées par les lois nos 40, 52 et 53 de 1991, peut se faire à travers la confrontation de cette disposition avec les dispositions des articles 16, alinéa 1er et 53, alinéa 2 de la Constitution. L’article 16 alinéa 1er stipule que: «Les citoyens sont égaux devant la loi et les autorités publiques, sans privilèges, ni discriminations.

Les critères de la non discrimination sont énumérés à l’article 4, alinéa 2 de la Constitution. Il s’agit de la race, la nationalité, l’origine ethnique, la langue, la religion, le sexe, les opinions, l’appartenance politique, la fortune, l’origine sociale. Cependant, il est important de souligner ici que les dispositions constitutionnelles doivent être complétées par la prise en compte des dispositions des actes internationaux intervenus dans le domaine des droits de l’homme, car ce n’est que de cette façon que le principe de l’égalité des droits retrouve ses véritables dimensions juridiques. Ceci ressort expressément de l’alinéa premier de l’article 20 de la Constitution qui prévoit que «Les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux autres pactes et traités auxquels la Roumanie est partie. Par conséquent, seront applicables à l’espèce les dispositions de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, aux termes duquel «Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à la même protection par loi, sans aucune discrimination. Ainsi, la loi doit interdit toute discrimination et doit garantir à toute personne une protection égale et efficace contre toute discrimination notamment fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique et toute autre type d’opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre discrimination fondée sur toute autre circonstance.

L’alinéa 2 de l’article 2 du pacte international concernant les droits économiques, sociaux et culturels, entré en vigueur le 3 janvier 1976, comporte des dispositions similaires.

A la lumière des dispositions ci-dessus, il faut observer que les dispositions légales dont la constitutionnalité est remise en question créent un supplément d’imposition, à savoir une augmentation de 30% du taux légal d’imposition pour une catégorie seulement de fonctionnaires. Ceci est une exception aux dispositions relevant du droit commun en la matière, à savoir les dispositions de la loi n° 32/1991 relative à l’impôt sur les salaires, laquelle, dans son article 7, alinéa 4, dispose que: «les revenus sous forme de salaires et les autres revenus salariaux perçus en contrepartie du travail fourni au bénéfice de plusieurs employeurs seront imposés séparément aux taux et dans les conditions prévues à l’alinéa premier du présent article.

Par conséquent, la loi n° 32/1991 vise les revenus salariaux perçus et non une discrimination sur des critères sociaux ou par catégorie de fonctionnaires. Il est certain que l’introduction de régimes d’imposition des revenus, différents selon les catégories sociales, les catégories de fonctionnaires ou sur la base des critères énoncés à l’article 4, alinéa 2 de la Constitution constituerait une rupture d’égalité des citoyens devant la loi. Plus encore, doivent être prises en compte également, dans l’appréciation de la constitutionnalité de la loi attaquée, les dispositions de l’article 53, alinéa 2 de la Constitution qui statue: «Le système légal d’imposition doit assurer une assise juste aux charges fiscales.

Par conséquent, il ressort qu’une fiscalité qui s’éloigne des règles généralement admises en ce qui concerne la base imposable, le taux d’imposition, les catégories de revenus, etc., devient une fiscalité discriminatoire dès lors qu’elle introduit des critères portant atteinte à l’égalité en droit des citoyens. La fiscalité doit être non seulement légale, mais aussi proportionnelle, raisonnable, équitable et ne doit pas établir des régimes d’imposition différents selon les différentes catégories de citoyens. Dans cette perspective juridique, la disposition légale qui introduit une augmentation de 30% du taux d’imposition, uniquement pour une catégorie de fonctionnaires, est une disposition discriminatoire et par conséquent contraire aux dispositions des articles 16, alinéa premier et 53, alinéa 2 de la Constitution.

(…)

En ce qui concerne la constitutionnalité de l’article 3 de la loi n° 58/1992, quelques observations s’imposent. Le groupe de députés soulève également la question de l’inconstitutionnalité de l’article 3 de la loi n° 58/1992 et tire la conclusion que «la seule disposition constitutionnelle (…) admissible dans le projet de loi pour la modification de la loi n° 58/1992 en rapport avec l’alinéa 2 de l’article 3 est offerte par l’abrogation de l’alinéa concerné, en assurant ainsi, par l’effet de la loi, un traitement non discriminatoire, égal pour tous les salariés de Roumanie, quelque soit leur domaine d’activité, conformément aux termes de l’alinéa 4 de l’article 7 de la loi n° 32/1991 relative à l’impôt sur les salaires.

Le rapport entre l’article 3 de la loi n° 58/1992 et l’article premier de la loi modificative est indiscutable, dès lors que le dernier article modifie le premier. L’article premier essaie de corriger les dispositions de l’article 3, dispositions discriminatoires et exagérées. Cependant, la solution de l’abrogation proposée par le groupe de députés ne rentre pas dans les compétences de la Cour constitutionnelle, l’unique autorité législative étant le Parlement de la Roumanie. Il est également facile d’observer que, si la majoration de 30% du taux d’impôt légal est considérée par la Cour, pour les raisons exposées, comme inconstitutionnelle, a fortiori et par l’effet de la symétrie des arguments, la majoration de 100% prévue par l’article 3 de la loi n° 58/1992 est elle aussi inconstitutionnelle. Il faut observer que la loi n° 58/1992 est en vigueur à ce jour et que le contrôle de la constitutionnalité des lois en vigueur ne peut s’exercer que par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, sur la base de l’article 144, lettre c) de la Constitution. Dans la présente affaire, la Cour constitutionnelle ne peut recevoir, ni statuer sur une requête en inconstitutionnalité du type visé ci-dessus, à travers la procédure prévue à l’article 144 de la Constitution, à savoir dans le cadre du contrôle antérieur à la promulgation. Plus encore, aux termes de la Constitution, la Cour constitutionnelle n’a pas le droit de se saisir d’office au sujet de l’inconstitutionnalité de l’article 3 de la loi n° 58/1992. La mise en conformité de ces dispositions avec la Constitution ne pourra être effectuée que par les autorités constitutionnelles compétentes dans l’élaboration des lois, ou alors par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité.

Vu les considérations ci-dessus:

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

  1. Déclare inconstitutionnelle la loi modificative de la loi n° 58/1992.
  2. La présente décision sera communiquée au Président de la Roumanie, ainsi qu’au Président de la Chambre des députés et au Président du Sénat, afin que soit déclenchée la procédure prévue à l’article 145, alinéa premier de la Constitution. La présente décision sera publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, 1re partie.

(…)

ROM / 1993 / A02
Roumanie / Cour constitutionnelle / 24-06-1993 / Décision n° 34 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4.1.1 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité – champ d’application – charges publiques
5.2.32 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droit de propriété
5.2.35 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – droits en matière fiscale

Prescription – Taxes

(…)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Conformément à l’article 20, alinéa 2 de la loi visée dans la requête, le délai de prescription pour le calcul des accises ou de l’impôt frappant le pétrole brut de production interne et le gaz naturel, tout comme le délai de prescription du droit de demander l’exécution forcée dans ce domaine est de 5 ans.

Il est dit dans la requête que cette disposition serait inconstitutionnelle car, en instaurant un délai de prescription supérieur à 3 ans, ce qui est le délai de droit commun prévu par le décret n° 167/1958, elle contrevient aux dispositions de l’article 41, alinéa 2 de la Constitution, lequel concerne l’égale protection de la propriété privée, quelque soit son titulaire.

Il est incontestable que la prescription de 3 ans n’a pas le caractère d’une norme constitutionnelle et qu’à présent, la législation prévoit également d’autres délais de prescription qui tiennent compte de la diversité des situations exigeant des réglementations diverses, comme par exemple le délai de 5 ans pour l’exécution forcée des impôts et taxes (article 45, décret n° 221/1960), le délai de 5 ans pour la prescription des droits de l’administration du budget de l’Etat ou des contribuables, droits issus de l’ordonnance relative à la taxe sur la valeur ajoutée (article 29 de l’ordonnance n° 3/992, approuvée par la loi n° 130/1992), le délai de 10 ans concernant les vices cachés des bâtiments (article 30 de l’ordonnance n° 25/1992 relative à la qualité dans le domaine du bâtiment) ou le délai de 5 ans relatif à l’éviction en matière d’adjudication de biens (article 561 du Code de procédure civile). Par ailleurs, le contenu du décret n° 167/1958 lui-même conduit à dire que le délai de 3 ans ne représente pas le droit commun en matière de taxes et impôts. L’article 22 dudit décret précise que les délais de prescription des impôts et des taxes sont prévus par les lois spéciales.

Les revenus du budget de l’Etat lequel fait partie, aux termes de l’article 137, alinéa 1er de la Constitution, du budget public national, ne rentrent pas dans la propriété privée de l’Etat. Par conséquent, les dispositions de l’article 41, alinéa 2 de la Constitution relatives à l’égale protection de la propriété privée, quelque soit son titulaire ne sont pas applicables aux créances d’impôts et taxes en tant que revenus de l’Etat, et ce d’autant plus que les impôts et les taxes ne peuvent être institués, aux termes de l’article 138, alinéa 1er de la Constitution, que par la loi. Par conséquent, l’introduction par le législateur d’un délai de prescription relatif aux impôts et aux taxes, supérieur au délai de droit commun, n’est pas contraire à la Constitution, et cela vaut a fortiori pour les créances relatives à l’exécution d’une obligation prévue à l’article 53, alinéa 1er de la Constitution, aux termes duquel les citoyens doivent contribuer par des impôts et des taxes aux dépenses publiques. Une telle disposition est conforme aux dispositions de l’article 134, alinéa 2 de la Constitution, aux termes duquel l’Etat peut prendre certaines mesures pour générer des rentrées budgétaires susceptibles de lui permettre d’accomplir ses obligations.

(…)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Décide:

  1. Les dispositions de l’article 20, alinéa 2 de la loi relative aux accises frappant les produits d’importation et internes, et à l’impôt frappant le pétrole brut et le gaz naturel sont constitutionnelles.
  2. Les dispositions de l’article 22, alinéa 2 de la loi visée ci-dessus sont constitutionnelles, à condition de recevoir l’interprétation donnée par la présente décision. En même temps, la Cour constate que l’exception prévue à l’article 4 de la loi du contentieux administratif n° 29/1990 relative à l’article 3 de la même loi est abrogée conformément à l’article 150, alinéa 1er de la Constitution.
  3. La présente décision sera communiquée au Président de la République et sera publiée au Moniteur officiel de la Roumanie, 1re partie.

(…)

ROM / 1993 / A03
Roumanie/Cour constitutionnelle/Assemblée plénière/7-09-1993/décision n° 1/extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.1.1.2 Droits fondamentaux – problématique générale – principes de base – égalité et non discrimination
5.2.9 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – garanties de procédure et procès équitable

Différence de traitement pénal – Propriété privée – Propriété publique

(…)

L’Assemblée plénière de la Cour constitutionnelle,

(…)

Retient ce qui suit:

1. – Pour se prononcer sur les exceptions d’inconstitutionnalité de certaines dispositions du Code pénal, les sections de la Cour constitutionnelle ont donné et souhaitent donner à présent des interprétations juridiques distinctes pour des situations juridiques identiques.

2. – De telles décisions contradictoires seraient contraires à l’idée de justice constitutionnelle, et les juridictions seraient dans l’impossibilité d’interpréter et d’appliquer de façon unitaire les dispositions du Code pénal relatives aux infractions dirigées contre la propriété.

3. – L’article 26 alinéa 2 du Règlement d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle oblige les juges de la Cour à se soumettre à l’interprétation adoptée par l’Assemblée plénière à la majorité de ses membres.

4. – L’assemblée plénière est appelée à décider:

a) si les dispositions du Code pénal relatives aux infractions dirigées contre l’avoir du peuple (avutul obstesc) sont constitutionnelles;

b) si la décision de la Cour constitutionnelle devenue définitive est obligatoire et exécutoire à compter de la date de sa publication au Monitorul oficial ou si la Cour peut fixer un délai à partir duquel la décision de la Cour produira ses effets, éventuellement sous condition.

En réponse au point a), l’Assemblée plénière décide que la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc) ne se confond pas avec la notion de propriété, et que bien qu’ayant disparu de la Constitution, cette notion n’est pas pour autant inconstitutionnelle, du moins tant qu’elle désigne l’intérêt général de la société, relève du bien commun et vise la propriété publique. Par le passé également, l’avoir du peuple (avutul obstesc) avait reçu une protection plus ferme que l’avoir privé des particuliers, dans ce sens où la procédure d’urgence du flagrant délit était applicable et les personnes ayant omis de prendre les mesures de prévention contre les dommages causés à l’avoir du peuple (avutul obstesc) voyaient leur responsabilité étendue. Il est intéressant de mentionner qu’à cette époque, il n’y avait pas dans la Constitution un texte similaire à l’article 41 alinéa 2 de l’actuelle Constitution.

Il est dès lors naturel de sanctionner les infractions contre la propriété publique comme des infractions contre l’avoir du peuple (avutul obstesc). Ce n’est pas la catégorie d’avoir du peuple (avutul obstesc) qui pose des problèmes en ce qui concerne son traitement pénal, mais la sphère de cette notion et, par conséquent, les dimensions et les limites de la responsabilité pénale.

La Cour retient que la propriété privée est protégée par la loi de façon unitaire, à savoir quel que soit le titulaire du droit (article 41 alinéa 2 de la Constitution) et que toute extension de la catégorie d’avoir du peuple (avutul obstesc) à la propriété privée est contraire à cette disposition et, par conséquent, inconstitutionnelle.

La protection particulière accordée aux intérêts généraux n’est pas seulement un problème de politique pénale, mais aussi de constitutionnalité, dès lors que cette extension pourrait créer un régime juridique contraire aux dispositions de l’article 41 de la Constitution.

En ce qui concerne la propriété, il est acquis aujourd’hui de façon certaine que les dispositions constitutionnelles actuelles consacrent deux formes de propriété, à savoir: la propriété publique et la propriété privée. Aux termes de l’article 135 alinéa 3, les titulaires de la propriété publique sont l’Etat et les collectivité locales.

A l’alinéa 4 de cet article sont mentionnés les biens qui font l’objet exclusif de la propriété publique, sachant que d’autres biens désignés par la loi peuvent entrer dans cette catégorie.

Par conséquent, à l’exception des biens visés à l’article 135 alinéa 4 et de ceux déclarés par la loi comme faisant l’objet de la propriété publique, les autres biens font l’objet de la propriété privée.

Les titulaires de la propriété privée sont l’Etat, les citoyens, les personnes morales telles que les sociétés commerciales.

Le propre de la propriété publique est le fait qu’elle est inaliénable. Les biens relevant de la propriété publique peuvent être gérés par les régies autonomes, les institutions publiques, ils peuvent faire l’objet d’une concession ou d’une location.

Aux termes de l’article 41 alinéa 2, la propriété privée est protégée par la loi, quelque soit son titulaire: l’Etat, une société commerciale ou le citoyen. Doit être souligné le fait que les biens des sociétés commerciales et des régies autonomes ne sont pas la propriété de l’Etat, même si l’Etat détient la majorité du capital desdites sociétés commerciales. L’article 5 de la loi n° 15/1990 prévoit que «la régie autonome est propriétaire des biens se trouvant dans son patrimoine. Dans l’exercice du droit de propriété, la régie autonome possède, utilise et dispose de façon autonome des biens se trouvant dans son patrimoine. L’article 20 de cette même loi dispose que «les biens du patrimoine de la société commerciale sont la propriété de la société commerciale..». L’article 35 de la loi n° 31/1990 relative aux sociétés commerciales prévoit que «les biens ayant fait l’objet d’un apport en société entrent dans la propriété de la société.

Par conséquent, les biens des régies autonomes et des sociétés commerciales se trouvent en propriété privée et non en propriété publique.

La propriété privée est protégée par la loi quel que soit son titulaire (l’Etat, la personne morale ou physique) conformément à l’article 41, alinéa 2 de la Constitution. Par conséquent, les vols visant la propriété privée, y compris la propriété privée de l’Etat, ne peuvent plus être qualifiés de vols portant sur l’avoir du peuple (avutul obstesc), cette dernière notion ne trouvant application qu’en ce qui concerne la propriété publique, telle que définie par l’article 135, alinéa 4 de la Constitution.

Dans son recours, le Procureur général soutient que doivent continuer à s’appliquer les dispositions de l’article 145 du Code pénal, lesquels donnent de l’avoir du peuple (avutul obstesc) la définition suivante: «le terme du peuple vise tout ce qui intéresse les organisations d’Etat, les organisations du peuple (organizatii obstesti) ou toute autre organisation ayant une activité utile du point de vue social et qui fonctionne conformément à la loi.

Il convient de remarquer que la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc), dans son acception forgée par la pratique judiciaire antérieure, inclut non seulement les biens des organisations d’Etat mais aussi ceux des organisations ayant une activité utile du point de vue social. Ont été inclus dans cette notion même les biens des associations des locataires et des sociétés commerciales, en raison du fait qu’elles avaient une activité utile du point de vue social.

Aux termes des articles 41 et 153 de la Constitution, la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc) ne peut plus recevoir la même acception, et doit se limiter aux seuls biens qui forment l’objet de la propriété publique.

(…)

Décide:

  1. Les dispositions du Code pénal relatives aux infractions dirigées contre l’avoir du peuple (avutul obstesc) sont abrogées partiellement conformément à l’article 150 alinéa 1er de la Constitution et, par conséquent, ces dispositions ne vont s’appliquer qu’aux biens visés à l’article 135 alinéa 4 de la Constitution, biens qui font l’objet exclusif de la propriété publique.
  2. Les décisions de la Cour constitutionnelle prononcées en matière d’exception d’inconstitutionnalité deviennent exécutoires à compter du moment où elles deviennent définitives, dans le respect des règles constitutionnelles, sans qu’il soit possible de retenir une date ultérieure à compter de laquelle ces décisions deviendraient applicables.

(…)

Opinion séparée:

Nous ne pouvons pas souscrire à l’opinion de la majorité des juges de la Cour constitutionnelle, opinion exprimée dans la décision d’interprétation ci-dessus confirmant les décisions de fond et l’opinion séparée exprimée face à la décision prononcée suite au recours, pour les raisons exposées dans la décision n° 38 du 7 juillet 1993, publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, première partie, n ° 176 du 26 juillet 1993, auxquelles nous ajoutons les considérations ci-dessous:

1. – La notion pénale d’avoir du peuple (avutul obstesc) a un caractère unitaire et elle fait l’objet d’une protection pénale spéciale. Le rapport très étroit existant entre le contenu et le degré d’extension de cette notion (son domaine) fait que la modification de certains éléments du contenu ou, le cas échéant, la modification du domaine de la notion entraîne inévitablement la transformation de la notion elle-même.

Par conséquent, limiter la notion d’avoir du peuple aux seuls biens formant la propriété publique entraîne une modification de la notion, non seulement en ce qui concerne son degré d’extension mais aussi en ce qui concerne son contenu, de nombreux aspects visés à l’article 145 du Code pénal devenant sans objet.

Puisque la notion d’avoir du peuple est définie par la loi, toute modification apportée à cette notion signifie une modification de la loi, et cette dernière opération est de la compétence exclusive du Parlement, «l’unique autorité législative du pays, aux termes de l’article 58, alinéa premier de la Constitution. Pour ces raisons, lorsque la Cour constitutionnelle décide que la notion d’avoir publique doit s’appliquer aux seuls biens formant l’objet de la propriété publique, elle se substitue au législateur dans le processus de réglementation de la répression pénale.

La seule solution permettant d’éviter cette substitution réside dans le constat du fait que les dispositions du Code pénal relatives à l’avoir du peuple (avutul obstesc) sont entièrement abrogées dès lors que la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc), par ses effets relatifs à la protection de la propriété privée, est contraire à l’article 41 alinéa 2 de la Constitution. Ceci ne signifie pas que les effets de l’abrogation sont étendus, il s’agit là simplement d’une conséquence du caractère unitaire de la notion d’avoir du peuple (avutul obstesc) évoquée ci-dessus, qui rend impossible toute distinction entre les effets soumis aux dispositions de l’article 41 alinéa 2 de la Constitution et les autres effets, sans modification aucune de la notion d’avoir du peuple.

ROM / 1993 / A04
Roumanie / Cour constitutionnelle / 15-12-1993 / Décision n° 70 / extraits

1.4.5 Justice constitutionnelle – objet du contrôle – lois et autres normes à valeur législative
5.2.4 Droits fondamentaux – droits civils et politiques – égalité
5.3.2 Droits fondamentaux – droits économiques, sociaux et culturels – droit à l’enseignement

Convention relative à la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement – Etablissements d’enseignement privé – Loi (égalité devant la loi)

La Cour constitutionnelle,

(…)

Les dispositions légales en cause prévoient que:

«1. – Les étudiants de l’établissement public d’enseignement supérieur en cessation d’activité peuvent continuer leurs études dans tout autre établissement d’enseignement supérieur agrée ou autorisé, de façon provisoire, avec l’accord de l’établissement d’enseignement supérieur qui les reçoit et dans le respect des critères et conditions posés par le Sénat universitaire de cet établissement.

2. – Les étudiants de l’établissement privé d’enseignement supérieur, lequel cesse ses activités, pourront continuer leurs études dans tout autre établissement privé d’enseignement supérieur, avec l’accord de l’établissement d’enseignement supérieur qui les reçoit et dans le respect des critères et conditions posés par le Sénat universitaire de cet établissement.

Le texte constitutionnel évoqué, à savoir l’article 16, alinéa 1er , dispose que

«Les citoyens sont égaux devant la loi et les autorités publiques, sans privilège ni discrimination.

Dans la requête, il est mentionné que la discrimination est évidente dès lors que les étudiants d’un établissement d’enseignement supérieur peuvent continuer leurs études dans des établissements publics ou privés, alors que les étudiants d’un établissement privé d’enseignement supérieur ne peuvent continuer leurs études que dans des établissements de même nature, à savoir des établissements privés.

En analysant cet argument, il faut observer que, par son contenu, l’article 16, alinéa 1er de la Constitution doit être rapproché de dispositions de l’article 4, alinéa 2 de la loi fondamentale, lequel détermine les critères de la non discrimination, à savoir la race, la nationalité, l’origine ethnique, la langue, la religion, le sexe, l’opinion, l’appartenance politique, la fortune ou l’origine sociale. Dans le même sens, l’article 1, point 1 de la Convention relative à la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, ratifiée par la Roumanie par le Décret n° 149 du 14 décembre 1960, prévoit que «le terme discrimination comprend toute distinction, exclusion, limitation ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la situation économique ou la naissance a comme but ou comme résultat la suppression ou l’altération de l’égalité de traitement en ce qui concerne l’enseignement et surtout: a) l’interdiction de l’accès d’une personne ou d’un groupe de personnes à divers types ou degrés d’enseignement; b) la limitation à un niveau inférieur de l’éducation d’une personne ou d’un groupe de personnes; c) sous réserve de l’article 2 de la présente convention, la création ou le maintien de systèmes ou d’établissements d’enseignement séparés pour certaines personnes ou groupes de personnes, ou d) le placement d’une personne ou d’un groupe de personnes dans une situation incompatible avec la dignité humaine.

Par ailleurs, l’article 2, lettre c) de la Convention stipule que n’est pas considéré comme une discrimination, au sens de l’article 1er , dans l’hypothèse où elle n’est pas admise par l’Etat, «la création ou le maintien d’établissements privés d’enseignement, si ces établissements n’ont pas comme but l’exclusion d’un groupe quelconque, mais l’accroissement des possibilités d’enseignement offertes par le pouvoir public, dès lors que leur fonctionnement correspond à cet objectif et que l’enseignement dispensé est conforme aux normes prescrites ou approuvées par les autorités compétentes, particulièrement pour l’enseignement du même degré.

Nous pouvons facilement nous apercevoir que les dispositions attaquées ne sont pas en contradiction avec ces critères, car l’appartenance des étudiants à un établissement d’enseignement supérieur est le résultat de la volonté propre de ces personnes qui ont exercé leur option libre, sans discrimination aucune, pour l’enseignement public ou privé. En revanche, dès lors que ces personnes sont entrées dans le système choisi, elles sont soumises aux règles propres à chaque système. Par conséquent, les dispositions attaquées n’instaurent aucune discrimination, mais offrent au contraire des solutions différentes pour des situations différentes:

a) les étudiants des établissements publics d’enseignement, qui ont opté librement pour ce type d’enseignement, lequel présuppose conformément à la loi, le concours d’admission, la gratuité (voir aussi l’article 32, alinéa 4 de la Constitution), les bourses d’Etat, peuvent poursuivre leurs études, dans l’hypothèse de la cessation d’activité de l’établissement d’enseignement qui les avait déclarés reçus, dans un autre établissement, en bénéficiant des mêmes droits, ou bien ils peuvent renoncer à ces droits et choisir un établissement privé où ils ne pourront pas bénéficier des bourses d’Etat, où ils paieront des taxes, etc. On ne peut considérer que cette procédure leur octroie un privilège, car ils renoncent aux droits légaux qui étaient attachés à leur qualité d’étudiants des établissements publics d’enseignement;

b) les étudiants des établissements privés d’enseignement, qui ont opté librement pour ce type d’enseignement, étant déclarés inscrits ou admis selon les règles déterminées par chaque établissement et ayant connaissance du fait qu’il seront amenés à payer des taxes et qu’ils ne bénéficieront pas des bourses d’Etat – pourront poursuivre leurs études dans l’hypothèse de la cessation d’activité de l’établissement qui les avait accueillis, dans un autre établissement privé d’enseignement lequel fonctionnerait sur la base des mêmes critères. Leur permettre d’intégrer un établissement public serait leur octroyer un privilège, car bien qu’ils n’aient pas passé un concours d’admission comme les autres étudiants de l’établissement public, ils bénéficieraient dans cette hypothèse des mêmes droits que ces derniers.

Les situations différentes dans lesquelles se trouvent les étudiants des deux types d’établissements d’enseignement supérieur ont conduit le législateur à adopter des solutions différentes, sans qu’on puisse considérer qu’il y a de ce fait une atteinte au principe d’égalité lequel n’est pas synonyme bien entendu d’uniformité. Autrement dit, le principe de l’égalité ne s’oppose pas à ce qu’une loi pose des règles différentes pour des personnes qui seraient placées dans des situations différentes. Cette idée est encore confirmée par le fait que, lorsqu’il s’agit d’aspects communs, les solutions du législateur sont identiques. Le premier et le deuxième alinéa de l’article 11 retiennent la règle selon laquelle l’accueil des étudiants se fait «avec l’accord de l’établissement d’enseignement supérieur qui les accueille et dans le respect des critères et conditions fixés par le Sénat universitaire dudit établissement.. En cela, cet article fait l’application des dispositions de l’article 32, alinéa 6 de la Constitution qui stipule que «L’autonomie universitaire est garantie.

Vu ces considérations, la Cour constate que les dispositions de l’article 11, alinéa 1 et 2 ne contreviennent pas aux dispositions de l’article 16, alinéa 1er de la Constitution.

Néanmoins, la Cour considère qu’à l’avenir, une fois qu’il n’y aura plus que des établissements d’enseignement supérieur accrédités et qu’il y aura un rapprochement entre les établissements publics et privés concernant l’admission, le contenu, le niveau de formation, le législateur pourra réexaminer les solutions entérinées à ce jour par l’article 11 de la loi et le cas échéant, s’il constate qu’il n’y a plus de différences essentielles entre les deux catégories d’établissements, permettre le transfert dans les deux sens, et cela même lorsque la cessation d’activité d’un établissement d’enseignement supérieur n’est pas en question.

En ce qui concerne l’argument qui consiste à dire que les dispositions de l’article 11, alinéa 1 et 2 seraient contraires aux articles 41 et 135 de la Constitution, il faut observer que bien que la requête vise de façon globale les articles 41 et 135, il est évident que sont visés en effet les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 41: «La propriété privée est protégée par la loi, quel que soit son titulaire ainsi que les dispositions de l’alinéa 6 de l’article 135: «Aux termes de la loi, la propriété privée est inviolable. Là encore, la requête se limite à mentionner que la violation du principe inscrit dans les deux textes est évidente et que cette violation résulte du fait que «en accordant des droits plus restreints aux étudiants qui fréquentent les établissements d’enseignement privé, sont limités implicitement les droits des établissements d’enseignement privé. En réalité, il est évident que les dispositions de l’article 11, alinéa 1 et 2 sont sans rapport avec les dispositions constitutionnelles relatives à la propriété privée, les destinataires des dispositions attaquées étant les étudiants, ce qui est sans incidence sur la propriété des établissements privées. Par conséquent, La Cour constate que, sur ce point encore, la requête est également non fondée.

(…)

La Cour constitutionnelle,

Au nom de la loi,

  1. Constate que les dispositions de l’article 11, alinéa 1 et 2 de la Loi relative à l’agrément des établissements d’enseignement supérieur et la reconnaissance des diplômes sont constitutionnelles.
  2. La décision sera communiquée au Président de la Roumanie et elle sera publiée au Le Moniteur officiel de la Roumanie, 1re partie.

(…)

ROM / 1994 / A05
Roumanie / Cour constitutionnelle / 29-11-1994 / Décision n° 133 / extraits

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