< Retour | Accueil > Publications > Bulletin n°15 – Conférence des chefs d’institution – réponses au questionnaire
Bulletin n°15 – Conférence des chefs d’institution – réponses au questionnaire
La protection constitutionnelle de la liberté d'expression
Réponses au questionnaire
LA PROTECTION CONSTITUTIONNELLE DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
QUESTIONNAIRE
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
L’objectif de ce premier sous-thème est de renseigner sur ce qui permet aux juridictions de dégager leur perception de la liberté d’expression. Chaque juridiction entretenant avec les normes un rapport qui lui est propre, l’identification des normes de référence et de la substance qui y est attachée permettra ainsi de rendre compte de la diversité du droit applicable en matière de protection de la liberté d’expression.
- 1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
- 2. La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
- 3. Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
- 4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
- 5. Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisis ?
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
Ce deuxième sous-thème porte sur l’effectivité de la protection juridictionnelle de la liberté d’expression. Son objectif est de mettre en exergue les méthodes, les techniques et les outils que les juridictions utilisent pour encadrer (protection comme limitation) la liberté d’expression.
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
Ce dernier sous-thème porte sur les perspectives de la protection de la liberté d’expression, placée face aux défis du XXIe siècle. Toutes les juridictions constitutionnelles sont confrontées, à des degrés divers, à de nouvelles exigences démocratiques dans nos sociétés en mutation (voir, par exemple, le rôle et la place des réseaux sociaux). Certains observateurs avertis parlent même de « menaces contre la démocratie ».
L’objectif de ce dernier sous-thème est de savoir comment les juridictions constitutionnelles comptent y faire face dans les années à venir, chacune ayant à travailler dans un contexte politique, économique, social et culturel qui lui est propre.
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Cour constitutionnelle d’Albanie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est l’un des droits et libertés fondamentaux et la pierre angulaire sur laquelle repose l’existence même d’une société démocratique. Cela est affirmé dans la Constitution de la République d’Albanie, qui, à l’article 22, dispose que la liberté d’expression est garantie ainsi que la liberté de la presse, de la radio et de la télévision. Et dans son article 23, la Constitution garantit également le droit à l’information.
La Cour constitutionnelle s’appuie également sur la Convention européenne des droits de l’homme, tant pour la protection de cette liberté que pour le contrôle de constitutionnalité de sa restriction, si une telle chose est invoquée.
En Albanie, il existe un vaste cadre juridique spécifiquement lié aux médias, à l’information et à la communication de masse : la Loi sur les médias audiovisuels (2013) ; la Loi sur le droit à l’information (2014) ; la Loi sur les communications électroniques (2008, avec quelques modifications en 2012) ; la Loi sur la protection des données personnelles (2008, avec quelques modifications en 2012 et 2014).
2. La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
L’article 22 de la Constitution, outre qu’il garantit cette liberté, prévoit également que la censure préalable des médias de communication est interdite. La loi peut exiger l’octroi d’une autorisation pour le fonctionnement des stations de radio ou des chaînes de télévision.
Concernant la restriction, l’article 175 de la Constitution prévoit que pendant l’état de guerre ou l’état d’urgence, certains droits et libertés ne peuvent être restreints, en définissant expressément les dispositions constitutionnelles pertinentes. Les articles 22 et 23 de la Constitution ne rentrent pas dans cette catégorie, ce qui signifie que ces libertés peuvent être restreintes en cas d’état de guerre ou d’état d’urgence. Certains droits et libertés peuvent être restreints en cas de catastrophe naturelle, mais pas la liberté d’expression et le droit à l’information.
3. Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est l’un des principaux fondements de la société et l’une des principales conditions de son progrès et de l’épanouissement de toute personne. Ce droit protège non seulement les informations ou idées acceptables par le public et celles considérées comme non offensantes, mais également les informations ou idées qui offensent, choquent ou dérangent ; telles sont les exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit, sans lesquelles il ne peut y avoir de société démocratique.
La liberté d’expression comprend la liberté de pensée et la liberté de recevoir ou de donner des informations et des idées sans ingérence des autorités publiques et sans égard aux frontières nationales.
La liberté d’expression est également la base et la condition préalable nécessaire pour garantir un certain nombre d’autres libertés et droits fondamentaux. C’est pourquoi la mise en œuvre de ce droit nécessite en tout état de cause une compréhension et une interprétation assez larges.
4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression, diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle d’Albanie a défini la liberté d’expression en restant littéralement conforme à la norme constitutionnelle et en gardant l’esprit de la norme constitutionnelle. Elle prend également en considération la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à laquelle elle se réfère pour le contenu et l’interprétation de la Convention, ainsi que pour l’évaluation des critères de limitation de ce droit. La Cour constitutionnelle d’Albanie se réfère également aux jurisprudences des autres cours constitutionnelles, même s’il n’y en a pas eu de cas avec la liberté d’expression.
Dans l’interprétation des articles 5, 116, 122 et 17 de la Constitution, la Cour constitutionnelle d’Albanie a reconnu la compétence exclusive de la Cour européenne des droits de l’homme dans le système juridique albanais et l’effet direct de ses décisions dans l’interprétation des normes constitutionnelles des droits de l’homme. De l’autre côté, même les juges, à quelque niveau qu’ils soient, doivent exécuter directement les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, conformément à l’article 122 de la Constitution et aux articles 19 et 46 de la Convention, pour autant qu’il soit considéré que le respect de la Convention européenne des droits de l’homme est une obligation non seulement pour la Cour constitutionnelle, mais aussi pour les tribunaux ordinaires, spécialement la Cour Suprême, en raison de ses compétences et de son rôle particulier.
5. Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Dans certaines affaires, la Cour constitutionnelle d’Albanie a constaté que la liberté d’expression est liée au droit à l’information. La Cour a affirmé qu’en plus de la garantie subjective en tant que droits constitutionnels fondamentaux, ils (la liberté d’expression et le droit à l’information) sont objectivement liés au principe de l’établissement d’un État démocratique, énoncé dans le Préambule de la Constitution de la République d’Albanie. La liberté d’expression est considérée comme l’une des pierres angulaires de l’État démocratique ; sans garantir la liberté d’expression, on ne peut pas parler de pluralisme, de tolérance et de création d’une libre volonté politique, si nécessaires à une société démocratique. L’échange des idées et la libre information comptent parmi les moyens les plus importants et les plus efficaces pour contrôler la démocratie en tant que forme de gouvernement. Grâce à eux, le pouvoir de l’État devient plus transparent, plus efficace et plus proche du citoyen.
La Cour constitutionnelle a également considéré la liberté d’expression comme étant liée à la liberté de réunion et au droit de vote comme une exigence de l’État de droit, en ce qui concerne la conduite d’élections libres et égales, qui sont réalisées lorsque les individus votent de manière éclairée pour l’alternative et les programmes politiques des sujets électoraux.
6. Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie n’a pas encore traité de telles affaires. La Cour n’a pas été confrontée à de tels recours.
7. Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La Constitution de la République d’Albanie ne contient pas de telles dispositions, et d’ailleurs, la Cour constitutionnelle elle-même n’a fait aucune interprétation quant à la mise en œuvre de la liberté d’expression selon les domaines ci-dessus mentionnés.
8. À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
Conformément à l’article 16 de la Constitution, les droits et libertés fondamentaux, ainsi que les obligations prévues par la Constitution pour les citoyens albanais, sont reconnus/s’appliquent également aux étrangers et aux apatrides sur le territoire de la République d’Albanie, ainsi qu’aux personnes morales, dans la mesure où ils sont compatibles avec les buts généraux de ces personnes et avec l’essence de ces droits, libertés et obligations.
Or, l’article 22 de la Constitution, qui garantit la liberté d’expression, n’a pas fait une telle distinction, et la Cour constitutionnelle elle-même ne l’a pas fait non plus dans sa pratique judiciaire.
Faisant référence au champ d’application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, il garantit la liberté d’expression de « toute personne », y compris les particuliers et les entreprises privées, même lorsque ces dernières exercent des activités rentables (lucratives). En outre, l’article 10 garantit la liberté d’expression pour une grande variété d’informations ou d’idées, par exemple dans les domaines politique, commercial et même celui du divertissement.
9. Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La Constitution dispose dans son article 18 que toutes les personnes sont égales devant la loi, par conséquent, elles sont égales dans la jouissance des droits et libertés constitutionnels. La Cour constitutionnelle a remarqué qu’en principe, même les fonctionnaires, comme tout individu, jouissent de la liberté d’expression garantie par l’article 22, point 1, de la Constitution, qui inclut également le droit de critiquer les institutions de l’État ou leurs employés. Dans cette perspective, lorsque les opinions, jugements d’évaluation ou déclarations critiques des fonctionnaires (par exemple du président de la République, en tant que titulaire de la plus haute fonction publique de l’État) sont adressés à d’autres autorités publiques, ils restent dans les limites de la liberté d’expression des opinions politiques, avec les restrictions prévues par la Constitution (décision n° 1/2022 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression.
1. Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie a été créée en 1992 conformément à la loi portant sur « Les principales dispositions constitutionnelles ». Pour la première fois, la Cour constitutionnelle a encadré la liberté d’expression en 1997 ; l’affaire concernait la restriction de la liberté de la presse et la diffusion de l’information en cas d’état d’urgence. La Cour constitutionnelle a souligné qu’en temps de crise, le législateur dispose d’un large pouvoir pour établir l’état d’urgence et approuver les mesures nécessaires, telles que l’imposition de certaines restrictions à la liberté de la presse et de l’information.
Selon la Cour constitutionnelle, la liberté de la presse et de l’information est un principe de valeur constitutionnelle et que le législateur a voulu établir un équilibre entre les intérêts de l’individu et les intérêts généraux de l’État démocratique et de la société, les concilier, en prévoyant la restriction de ces droits sous certaines conditions (décision n° 14/1997de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
2. La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie a été engagée à plusieurs reprises pour exercer un contrôle abstrait de la constitutionnalité de normes juridiques qui concernaient également la garantie de la liberté d’expression. Bien qu’il s’agisse d’un droit prévu dans une disposition spéciale de la Constitution, dans diverses situations il se présente comme étant étroitement lié à d’autres droits fondamentaux et, dans certains cas, la restriction de l’un d’eux affecte, par conséquent, également d’autres droits.
Étant saisie pour exercer le contrôle d’une disposition de la loi « Sur la déclaration et le contrôle des biens, des obligations financières des élus et de certains fonctionnaires », qui prévoyait que les données obtenues à travers la déclaration personnelle soient accessibles au public, la Cour constitutionnelle a examiné la question dans le sens du rapport créé dans ce cas : la collision ou l’interférence d’éléments particuliers de la liberté d’expression et de l’obtention des informations (articles 22 et 23 de la Constitution et article 10 de la Convention) avec la liberté de respecter la vie privée et familiale (article 35 de la Constitution et article 8 de la Convention).
Après avoir précisé et définis les critères et les standards qui doivent être pris en compte pour évaluer laquelle de ces deux valeurs constitutionnelles, dans une réalité concrète, a la priorité sur l’autre valeur, la Cour est parvenue à la conclusion que l’ingérence ou la restriction de la sphère de la vie privée dans la forme/manière de donner les informations sur les biens et les sources (la provenance) de ces biens, ainsi que la possibilité de leur publication, est justifiée et nécessaire dans la réalité ou conditions actuelles de la société albanaise (décision n° 16/2004 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Dans une autre affaire, la Cour constitutionnelle a été saisie d’une requête de l’Association albanaise des Médias électroniques pour contrôler la constitutionnalité d’une disposition de la loi « Sur les médias audiovisuels dans la République d’Albanie », laquelle ne permettait pas à une personne physique ou morale, de nationalité albanaise ou étrangère, d’avoir plus de 40% du capital total d’une société actionnaire possédant une licence nationale de diffusion audio ou une licence nationale de diffusion audiovisuelle.
La Cour constitutionnelle a examiné l’affaire du point de vue de la liberté d’expression et du droit d’information, en soulignant que l’exercice réel et effectif de la liberté d’expression ne dépend pas simplement de l’obligation de l’État de ne pas intervenir, mais peut nécessiter des mesures positives de protection à travers ses lois et ses pratiques. Dans un secteur aussi sensible que celui des médias audiovisuels, outre l’obligation négative de ne pas intervenir, l’État a l’obligation positive de créer un cadre législatif et administratif pour garantir un pluralisme effectif.
Par conséquent, en réaffirmant que la liberté d’expression et le droit à l’information sont inhérents aux intérêts vitaux de la démocratie et de l’État de droit, la Cour a estimé qu’il existait dans cette affaire un intérêt public comme critère constitutionnel pour la limitation imposée par la loi; pourtant en estimant que cet outil sélectionné n’avait pas de lien raisonnable et proportionné avec le but légitime du législateur de fournir une variété d’informations, la Cour constitutionnelle a décidé d’abroger la disposition légale (décision n° 56/2016 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Pendant la période de pandémie causée par le Covid-19, la Cour constitutionnelle d’Albanie a également été mise en branle pour vérifier le respect des critères constitutionnels qui permettent la restriction de certains droits. Le Parti républicain albanais a demandé l’abrogation de l’ordonnance du ministre de la Santé et de la Protection sociale, portant sur l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes dans des lieux fermés ou ouverts, des conférences, des rassemblements, des réunions de parti, des cérémonies festives, des cérémonies de mariage et des cérémonies funéraires rassemblant un nombre de personnes allant au-delà de la famille proche, jusqu’à un second ordre. Le requérant invoquait une violation de la liberté d’expression, car en interdisant les activités et les réunions des partis, l’ordonnance limitait la possibilité pour les membres des partis politiques de l’opposition de se rassembler et d’échanger leurs idées, ainsi que la liberté de réunion.
La Cour constitutionnelle a estimé que l’ordonnance contestée avait imposé une restriction à la liberté de réunion et, par conséquent, à la liberté d’expression de manière collective, ce qui se matérialiserait lors de la réunion pour informer les électeurs. En examinant ces restrictions des droits constitutionnels dans l’aspect du respect des critères établis par l’article 17 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a souligné que l’intérêt public de la protection de la santé dicte l’adoption de mesures restrictives et que cette restriction poursuivait un « but légitime », à savoir celui de « protéger la santé de la population contre une maladie infectieuse à fort impact ». Toutefois, puisque l’acte litigieux ne respectait pas le critère de proportionnalité de l’intervention, faute de prévoir un délai pour la durée des mesures restrictives, la Cour a décidé d’abroger l’expression « jusqu’à un second ordre » et d’obliger l’organisme compétent de réexaminer la durée des restrictions (décision n° 11/2021 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Une question d’une grande importance dans la jurisprudence constitutionnelle albanaise est également l’affaire concernant la destitution (impeachment) du président de la République, initiée par le Parlement albanais, au motif que le président de la République aurait commis de graves violations de la Constitution, entre autres celui du principe de neutralité, dans les déclarations qu’il a faites dans les médias, conférences de presse et sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter), avant et pendant la campagne électorale, ainsi que le jour du silence électoral.
Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a souligné qu’en principe, les agents publics, comme tout individu, jouissent de la liberté d’expression garantie par l’article 22, point 1, de la Constitution, qui inclut également le droit de critiquer les institutions de l’État ou leurs employés. Dans cette perspective, les opinions, jugements évaluatifs ou déclarations critiques du président de la République, en tant que titulaire de la plus haute fonction publique de l’État, lorsqu’ils sont adressés à d’autres autorités publiques, restent dans les limites de la liberté d’expression des opinions politiques, selon les restrictions prévues par la Constitution.
La Constitution reconnaît au président de la République le droit d’envoyer des messages directs avec lesquels il attire l’attention de l’opinion publique sur certaines questions, ou de demander avis et informations aux institutions de l’État (article 92, lettres « a » et « h » de la Constitution). Cependant, la Cour constitutionnelle a également souligné que le discours public doit être modéré et acceptable par la société, restant dans certaines limites lesquels dépendent aussi du degré d’émancipation de la société et du contexte historique dans lequel ce discours est tenu (Décision n° 1/ 2022 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
3. La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Les droits et libertés fondamentaux de l’homme sont indivisibles, inaliénables et inviolables et constituent le fondement de l’ordre juridique. La Constitution garantit la liberté d’expression au sens étroit et le droit à l’information dans deux dispositions distinctes, respectivement dans ses articles 22 et 23. La liberté d’expression et le droit à l’information, outre la garantie subjective en tant que droits constitutionnels fondamentaux, sont également objectivement liés au principe de construction d’un État démocratique, énoncé dans le Préambule de notre Constitution. Mettre en œuvre ce principe important signifie également garantir la liberté d’expression, la liberté de la presse et le droit à l’information, qui sont nécessaires à un ordre libre et constitutionnel.
La Cour constitutionnelle d’Albanie dans sa jurisprudence a réaffirmé l’importance du droit de chacun à s’exprimer en tant que droit fondamental dans une société démocratique. Ce droit, ensemble avec d’autres droits, n’est pas aligné de façon à établir une hiérarchie dans la Constitution, pour autant que la loi fondamentale ne prévoit pas un tel classement. Cependant, lors de l’examen au cas par cas, la Cour constitutionnelle examine également la relation entre les droits constitutionnels fondamentaux afin d’évaluer si le juste équilibre entre les intérêts censés être protégés/garantis (principe de proportionnalité) a été respecté.
4. La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Dans les affaires traitant la protection de la liberté d’expression, il n’y a pas de cas de changement/modification de jurisprudence de la Cour constitutionnelle. En principe, la Cour constitutionnelle adhère au principe de stabilité et de cohérence de sa jurisprudence, tout en acceptant son changement et son évolution, visant l’élaboration et l’amélioration des normes constitutionnelles.
5. Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle pourrait modifier sa position pour différentes raisons, telles que le développement ou l’évolution de la société, des moyens de communication et d’information, la sensibilisation accrue de la société, ainsi que l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme ou les obligations au cas où cette Cour constaterait une violation à cet égard par rapport à la manière dont ce droit est mis en œuvre dans notre pays.
6. Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
Selon la Constitution, la Cour constitutionnelle est la seule autorité chargée de résoudre, par des décisions définitives et contraignantes pour tous, tout type de litige constitutionnel, ainsi que d’effectuer l’interprétation finale de l’acte fondamental. L’impact incontestable des décisions de la Cour constitutionnelle est tel qu’elle impose à tous les organes de l’État le pouvoir contraignant de la motivation de sa décision. Selon la Constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle ont force obligatoires générales et sont définitives. Elles constituent une jurisprudence constitutionnelle et ont donc force de loi. À cet égard, la Cour constitutionnelle a souligné que la Cour elle-même n’est pas exemptée de l’obligation de mettre en œuvre les décisions constitutionnelles.
Dans sa pratique, la Cour a souligné à plusieurs reprises que, conformément au principe de subsidiarité, les tribunaux ordinaires, et notamment la Cour Suprême, ont l’obligation d’examiner et de répondre aux prétentions, de nature constitutionnelle des individus, soulevées lors des procédures judiciaires.
En ce qui concerne l’influence mutuelle, dans certains cas, la Cour constitutionnelle a reconnu et accepté la manière dont une certaine norme est interprétée par les juges ordinaires, c’est-à-dire comment cette norme vit dans l’ordre juridique, dans le but d’unifier la pratique judiciaire dans les décisions unificatrices de la Cour Suprême.
7. Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie se réfère souvent à la jurisprudence des cours constitutionnelles homologues, non seulement lorsqu’elle n’a pas eu une pratique similaire, mais aussi lorsqu’elle entend développer et élargir sa vision sur un sujet particulier.
8. Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu à examiner des requêtes traitant la liberté d’expression sous ces aspects.
9. L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le législateur constitutionnel a veillé à trouver le juste équilibre entre la protection de l’intérêt public et les droits objectifs, parmi lesquels le droit à l’information et l’obligation de respecter la vie privée. En tout état de cause, la Cour constitutionnelle, lors de l’évaluation des limitations des droits, prend en compte les dispositions constitutionnelles de l’article 17 de la Constitution, qui stipule que les limitations des droits et libertés prévus dans la Constitution ne peuvent être imposées que par la loi dans l’intérêt public ou pour la protection des droits d’autrui et que la limitation doit être proportionnée à la situation qui l’a dictée, ne peut violer l’essence des libertés et des droits et ne peut en aucun cas dépasser les limitations prévues dans la Convention européenne des droits de l’homme.
Le critère de mise en balance permet de mesurer et d’évaluer l’intérêt général ou les intérêts publics qui sont protégés par rapport au droit limité. Un droit ou un intérêt, malgré son importance publique, ne peut peser de manière disproportionnée par rapport à un autre droit ou intérêt protégé par la Constitution et la loi. La marge de cette appréciation, et par conséquent, le rapport qui se crée entre l’intérêt protégé et l’intérêt violé, change dans chaque cas concret. Cela dépend d’une série de circonstances et de conditions qui diffèrent d’un pays à l’autre, d’une période à l’autre, de l’éventail des droits qui sont mis en balance, ainsi que des conséquences qu’entraînerait la priorité de chacun d’eux (la décision n° 16/2004 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
10. Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Conformément aux dispositions de l’article 17 de la Constitution, en cas de limitations des libertés ou des droits constitutionnels, la Cour constitutionnelle évalue également si le principe de proportionnalité de l’ingérence a été respecté. Dans tous les cas, la légitimité de l’ingérence dépendrait principalement de son intensité, du degré de violation du droit, de la nécessité de cette ingérence pour la société et dans la réalité concrète qui l’a dictée, de l’efficacité et de la proportionnalité par rapport à l’objectif visé et les moyens utilisés pour l’atteindre.
11. Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Des restrictions à la liberté d’expression, particulièrement celles à la liberté de la presse, sont observées dans les cas où cela est requis par la protection de l’intérêt national et de l’intégrité territoriale, la préservation de la sécurité et de l’ordre public, etc. La Cour constitutionnelle a souligné que la liberté de la presse, bien que garantie par la Constitution, est soumise à certaines limitations. Par conséquent, tout droit lié à cette liberté ou qui dérive de celle-ci est soumis à ces restrictions (décision n° 14/1997 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
12. Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Outre les critères de limitation de la liberté d’expression consacrés à l’article 17 de la Constitution, la Cour constitutionnelle peut également vérifier si c’est l’interprétation ou la mise en œuvre, et non le contenu de la norme, qui a conduit à la limitation de la liberté. Par conséquent, la Cour constitutionnelle peut évaluer si l’interprétation, même de la part des tribunaux, était arbitraire et a donc limité cette liberté dans la mesure où elle en a affecté l’essence.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
1. Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les circonstances qui conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression sont : l’importance de cette liberté dans un État de droit et démocratique, le développement actuel de la société, de communication et d’information, la sensibilisation accrue de la société à s’informer et à s’exprimer, ainsi que l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme dans ce domaine.
2. Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle d’Albanie, il n’y a pas eu de cas où elle devrait faire le départ entre la liberté d’expression et la censure ou la diffamation.
3. Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie n’a pas eu à se prononcer sur les lois de régulation d’Internet ou sur la réglementation en matière de réseaux sociaux. La Cour constitutionnelle n’a pas pris de décision concernant la législation à cet égard, ni même sur des cas particuliers.
4. Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
La Cour constitutionnelle n’a pas examiné des affaires dans lesquelles elle a différemment abordé la liberté d’expression selon la manière dont elle est exercée par les individus, c’est-à-dire via les modes d’expressions classiques ou via les réseaux sociaux.
5. Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a précisé que sans garantir la liberté d’expression, il n’est pas question de pluralisme, de tolérance et de création de libre volonté politique, tellement nécessaires à une société démocratique. L’échange d’idées et l’information libre comptent parmi les moyens les plus importants et les plus efficaces pour contrôler la démocratie en tant que forme de gouvernement. Grâce à eux, le pouvoir de l’État devient plus transparent, plus efficace et plus proche du citoyen.
La liberté d’expression est également la base et la condition préalable nécessaire pour garantir un certain nombre d’autres libertés et droits fondamentaux. Tenant en considération le rôle clé des médias indépendants pendant la campagne électorale, à la lumière de la liberté d’expression, en particulier le débat sur les candidats et leurs programmes contribue au droit du public de s’informer et renforce la possibilité des électeurs de voter en faisant des choix éclairés entre les candidats en compétition. En interprétant cette liberté dans le contexte de la liberté de la presse, elle offre au public l’un des meilleurs moyens de découvrir et de se forger une opinion sur les idées et les attitudes de ses dirigeants politiques. De manière plus générale, la liberté du débat politique réside précisément au cœur du concept d’une société démocratique, qui prévaut dans l’ensemble de la Convention.
Considérant la liberté d’expression entrelacée à la liberté de réunion et au droit de vote, la Cour constitutionnelle a souligné que la protection des opinions et la liberté de leur expression s’appliquent aux partis politiques en raison de leur rôle essentiel pour assurer le pluralisme et le bon fonctionnement de la démocratie. D’autre part, le droit de vote est étroitement lié à la liberté de réunion et liberté d’expression en tant qu’exigence de l’État de droit, en ce qui concerne la conduite d’élections libres et égales, qui sont réalisées lorsque les individus votent de manière éclairée pour l’alternative et programmes politiques des sujets électoraux.
Dans le contexte de la liberté d’expression et du droit de réunion, la diffusion d’informations et d’idées revêt une importance particulière. Il ne fait aucun doute que les rassemblements politiques et les réunions des partis occupent une place importante dans le processus électoral, car à travers eux, les participants et les organisateurs donnent et échangent des opinions, des idées et des questions de programmes politiques avec lesquelles les partis politiques rivalisent lors des élections, tandis que les électeurs sont informés pour faire le bon choix.
La Cour constitutionnelle souligne que lorsque les droits constitutionnels sont restreints, pour vérifier la proportionnalité de l’ingérence, il suffit non seulement de l’existence de moyens alternatifs, mais il est également très important d’évaluer dans quelle mesure ces moyens alternatifs permettent l’exercice du droit, même avec un certain degré de restriction. Lorsque des restrictions sont imposées à la liberté d’expression et de réunion pendant le processus électoral, pour la Cour constitutionnelle, c’est très important d’évaluer la portée et le degré d’utilisation des moyens de communication alternatifs qui permettent aux partis politiques de diffuser leur message et leurs idées politiques auprès des électeurs à travers : des vidéoconférences, des engagements actifs sur des plateformes électroniques très suivies, des réseaux sociaux, des réunions en ligne, des émissions de télévision, des médias, etc.
Dans ce contexte, lorsque la Cour constitutionnelle a été mise en branle par un parti politique pour examiner l’ordonnance du ministre de la Santé imposant des restrictions à la liberté de réunion et avec elle à la liberté d’expression de manière collective, qui se matérialiserait lors du rassemblement pour informer les électeurs, la Cour a évalué les restrictions en termes de respect des critères établis par l’article 17 de la Constitution. Elle est parvenue à la conclusion que dans le contexte des circonstances inhabituelles créées par la pandémie de Covid-19, arrêter la propagation de ce virus constitue un « besoin social urgent », c’est pourquoi les mesures prises sont liées à cet objectif, dans le cadre des obligations et des responsabilités des autorités de l’État pour la protection de la population contre les maladies infectieuses. Selon la Cour constitutionnelle, outre le nombre limité de personnes autorisées à se rassembler, les formes alternatives d’exercice de la liberté d’expression et du droit de réunion justifient le concept de leur restriction temporaire.
Cependant, lorsque ces restrictions durent indéfiniment, perdant la caractéristique de temporalité et lorsque pour cette durée indéfinie aucune justification n’est donnée, elles se transforment en une interdiction totale de ce droit, diminuant le rôle joué par les formes alternatives. La Cour constitutionnelle a donc estimé que l’ordonnance ne respecte pas le critère de proportionnalité en raison de l’absence de délai pour la durée des mesures restrictives (Décision n° 1/2021 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
6. Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non, un tel traitement spécifique n’existe pas.
7. La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Comme indiqué dans la réponse à la question 2 du sous-thème 1, la liberté d’expression connait certaines restrictions selon la Constitution, uniquement pendant l’état de guerre ou l’état d’urgence ; cette restriction ne s’applique pas en cas de catastrophe naturelle.
8. En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
L’article 170 de la Constitution dispose qu’en cas de danger pour l’ordre constitutionnel et la sécurité publique, le Parlement, à la demande du Conseil des ministres, peut instaurer l’état d’urgence sur une partie ou sur la totalité du territoire de l’État. L’état d’urgence dure aussi longtemps que le risque persiste, mais pas plus de 60 jours. Avec l’instauration de l’état d’urgence, l’intervention des forces armées se fait sur décision du Parlement et seulement lorsque les forces de police ne parviennent pas à rétablir l’ordre. La prolongation de l’état d’urgence ne peut se faire qu’avec le consentement du Parlement tous les 30 jours, pour une période n’excédant pas les 90 jours. Après l’adoption de la Constitution de 1998, la Cour constitutionnelle d’Albanie n’a pas examiné d’affaires dans lesquelles elle a défini la notion de l’ordre public.
9. Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
La Cour constitutionnelle, en tant que l’autorité effectuant l’interprétation finale de la norme constitutionnelle et protégeant les droits et libertés fondamentaux de l’homme a le pouvoir de contrôler le respect de la liberté d’expression en période de troubles de la même manière qu’elle agirait dans les situations normales.
10. La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression, en tant qu’une des libertés fondamentales de l’homme consacrées par la Constitution et par conséquent valeur fondamentale pour garantir l’État démocratique, est considérée comme un instrument qui garantit le rôle de la juridiction constitutionnelle.
11. Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La Cour constitutionnelle a souligné que la liberté d’expression est l’une des pierres angulaires d’un État démocratique. Sans garantir la liberté d’expression, on ne peut pas parler de pluralisme, de tolérance et de création de libre volonté politique, tellement nécessaires à une société démocratique (décisions n° 56 / 2016 ; n° 16/2004 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Les aspects dynamiques de la manifestation de la liberté d’expression sont avant tout le droit de vote et le droit à l’information. Le droit à l’information a été individualisé par la Cour constitutionnelle dans plusieurs de ses composantes, telles que : la liberté personnelle de recevoir des informations, la liberté personnelle de fournir des informations et la liberté de la presse, ou en d’autres termes, le droit des médias de recevoir et de fournir des informations.
Par conséquent, selon l’approche de la Cour constitutionnelle, ce droit est l’un des éléments essentiels qui conditionnent la construction d’une société où prévalent l’État de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Tribunal constitutionnel d’Andorre
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Constitution andorrane (CA) intègre la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, dans l’ordre juridique andorran (article 5). L’Andorre reconnaît les principes de droit international public universellement admis et les traités et les accords internationaux s’intègrent dans l’ordre juridique andorran dès leur publication au Journal officiel de la Principauté d’Andorre, et ils ne peuvent être modifiés ou abrogés par la loi (article 3 CA). La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été ratifiée par le Conseil général (Parlement) le 21 novembre 1995 et cette ratification a été publiée au Journal officiel de la Principauté d’Andorre le 21 décembre 1995. Elle fait donc partie du droit interne.
La Constitution recueille les droits et les libertés dans son Titre II, elle reconnaît dans son chapitre III, parmi de nombreux droits, les libertés d’expression, de communication et d’information, garanties par l’interdiction de toute censure préalable ou tout autre moyen de contrôle idéologique de la part des pouvoirs publics, ainsi que les droits de réponse et de rectification, et la protection du secret professionnel (article 12).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Non. La Constitution reconnaît le droit au respect de la vie privée, de l’honneur et de l’image dans son article 14. Le contenu des droits et des libertés reconnus aux chapitres III et IV de la Constitution ne peut pas être limité par la loi et l’exercice des droits et des libertés reconnus dans le Titre II ne peut être établi que par la loi, et celui des droits reconnus dans les chapitres III et IV ne peut l’être que par une loi qualifiée (lois qui requièrent une majorité renforcée pour leur approbation).
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et certains Protocoles comportent des clauses spécifiques de restriction, et ces textes ont été approuvés par l’État andorran avec certaines réserves attenantes à la spécificité du pays.
La loi est le seul instrument permettant l’établissement de restrictions aux droits de l’homme lorsque sa seule fin est d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et des libertés d’autrui et de satisfaire les exigences justes de la morale, de l’ordre public et du bien-être général.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Le Tribunal constitutionnel d’Andorre n’a pas eu à définir pour l’instant la liberté d’expression.
Selon les textes en application, toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir censure ou ingérence des autorités publiques. La loi 30/2014, du 27 novembre, qualifiée portant sur la protection civile des droits à la vie privée, à l’honneur et à l’image précise que « la liberté d’expression signifie le droit de diffuser publiquement, par tout moyen et devant tout public, des pensées, des idées et des opinions. Elle est liée à une société démocratique et doit y trouver son fondement et ses limites. La liberté d’information est également associée à l’État démocratique, car seul un peuple correctement informé est en mesure d’exercer ses droits en toute connaissance de cause. La liberté d’information remplit une fonction fondamentale à travers les médias sociaux : la formation d’une opinion publique libre. Cependant, la fonction importante des médias implique non seulement leur reconnaissance de droits et de garanties, mais aussi certaines obligations consistant à fournir une information de qualité, en évitant les abus. L’information véridique – un terme à ne pas confondre avec la vérité objective absolue – exige la nécessité d’une enquête diligente avant sa diffusion. Les droits de réponse et de rectification étendent la liberté d’information, car ils donnent à la personne qui s’estime lésée par des informations inexactes le pouvoir de les reproduire et/ou de les rectifier. Il s’agit également de droits qui protègent le droit à la vie privée, à l’honneur et à l’image de soi, de sorte qu’il convient de les réglementer dans la présente loi en ce qui concerne les personnes physiques touchées par une ingérence illégitime. Parallèlement aux droits de réponse et de rectification, cette loi réglemente le secret professionnel et la déontologie des journalistes, entendus comme loi et également le devoir des professionnels de l’information qui garantit la confidentialité de leurs sources. »
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Le Tribunal constitutionnel a estimé que la Constitution devait être interprétée à la lumière de la Convention européenne des droits de l’homme puisque cette Convention, intégrée dans l’ordre juridique andorran conformément aux dispositions de l’article 3.4 de la Constitution, pouvait être utilisée comme un élément d’interprétation et la jurisprudence construite par la Cour européenne des Droits de l’homme est souvent retenue.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression en tant que droit d’exprimer librement ce que l’on pense, est une liberté fondamentale, proclamée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ainsi, chacun a le droit d’exprimer ses idées dans le respect de l’autre, même si ces idées agacent. La loi 30/2014, ci-dessus citée qui recueille les droits énoncés à l’article 19 du Pacte international des droits civils et politiques, distingue trois principes fondamentaux : le droit d’avoir ses opinions sans interférence (liberté d’opinion) ; le droit de rechercher et de recevoir des informations (accès à l’information) ; et le droit de communiquer des informations (liberté d’expression).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le cas ne s’est pas posé.
L’article 11 de la Constitution garantit la liberté de pensée, de religion et de culte, et le droit de toute personne de ne pas déclarer ou manifester sa pensée, sa religion ou ses croyances. L’alinéa 2 indique que la liberté de manifester sa propre religion ou ses croyances est soumise aux seules limites établies par la loi et nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé et de la morale publiques ou des droits et des libertés fondamentales d’autrui. Et l’alinéa 3 garantit à l’Église Catholique l’exercice libre et public de ses activités et le maintien de ses relations de collaboration particulière avec l’État, conformément à la tradition andorrane.
La liberté de pensée, de conscience et de religion est considérée comme essentielle dans les sociétés démocratiques et elle apparaît dans de nombreux catalogues internationaux. La Cour européenne a souligné très souvent son importance et « a élevé la liberté de religion au rang de droit substantiel de la Convention d’abord indirectement et puis de façon plus directe« .
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Non, car bien que la liberté d’expression soit protégée et même si elle constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, elle n’est pas absolue, ainsi que l’a précisé la Cour européenne des droits de l’Homme, en reconnaissant sa nécessaire conciliation avec l’intérêt légitime d’un État démocratique.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Toute personne a droit à la liberté d’expression et ce Tribunal n’a pas eu à se prononcer sur cette question.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Le Tribunal constitutionnel a été amené à examiner la liberté d’expression dans une affaire où la requérante qui était un agent de police avait publié dans un journal un article d’opinion en portant des propos jugés diffamatoires par le gouvernement et les autorités publiques, ce qui lui a valu une sanction disciplinaire. Le Tribunal constitutionnel a rappelé que, d’un côté, la liberté d’expression est un droit fondamental protégé à l’article 12 de la Constitution, tandis que de l’autre, le législateur a établi des limites spécifiques à cette liberté à l’égard des fonctionnaires, lesquels sont assujettis à un devoir de réserve, dont la violation est sanctionnée (article 98 f de la loi 8/2004 du 27 mai 2004). Ce faisant, si la liberté d’expression est garantie aux agents de la fonction publique, elle trouve ses limites dans l’obligation de réserve qui leur est imposée. Dans le cadre de l’examen d’une allégation de violation de l’article 12 par un agent public, il revient au Tribunal constitutionnel, en tenant compte des circonstances de chaque affaire, de rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l’individu à la liberté d’expression et l’intérêt légitime d’un État démocratique à veiller à ce que les agents de la fonction publique agissent conformément à leurs devoirs et responsabilités (arrêt du 15 mars 2019, affaire 2018-55-RE). Le Tribunal, en l’espèce, a donc rejeté le recours en protection constitutionnelle formée par cette policière.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est une liberté reconnue par la Constitution et à ce titre elle est protégée par le Tribunal constitutionnel comme tous les autres droits et libertés depuis sa création en décembre 1993. Il a été amené à se prononcer dans l’affaire 99-19-RE, arrêt du 7 avril 2000, sur la procédure à suivre en cas de violation de cette liberté : Dans cette affaire le requérant soutient qu’en n’ayant pas réglementé l’attribution de fréquences à des opérateurs privés depuis la loi du 12 octobre 1989 sur la radiodiffusion et la télévision, ni organisé de concours permettant l’attribution de fréquences, le Gouvernement aurait institué un monopole de droit et de fait ; que cette situation constituerait une atteinte à la liberté d’expression et de communication protégée par l’article 12 de la Constitution. Le Tribunal constitutionnel a considéré que bien que le requérant reconnaisse que la violation de l’article 12 devrait être invoquée dans une procédure fondée sur l’article 41.1 de la Constitution, il soutient que cette violation peut néanmoins être soulevée devant le Tribunal constitutionnel sur la base d’un principe d’économie processuelle, lui évitant ainsi d’avoir à entreprendre une action fondée sur l’article 41.1, longue et dénuée de chances de succès, la juridiction inférieure ne pouvant désavouer la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée rendue par le Tribunal supérieur. Le Tribunal considère donc qu’à supposer même que soit admise l’existence d’un principe d’économie processuelle, celui-ci ne saurait avoir pour effet de permettre d’ignorer la distinction des procédures contentieuses inscrites dans la Constitution et dans la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non, le Tribunal constitutionnel ne fait pas de distinction entre les droits et les libertés fondamentales.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La protection de tous les droits est équivalente.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La liberté d’expression a été rarement soulevée devant ce Tribunal. En fait, il y a eu que trois recours en protection constitutionnelle dans lesquels la liberté d’expression était mise en cause. Les deux précédemment cités (99-19-RE et 2018-55-RE) et l’affaire 2002-12-RE, arrêt du 28 février 2003, dans laquelle étaient contraposés le droit à la vie privée et le droit à l’information. Il s’agissait de la mort d’un sportif de haut niveau dans une avalanche au cours d’un reportage photographique. La famille du défunt, en demandant la protection de son droit à la vie privée, voulait empêcher le photographe de publier dans le futur les photographies de l’accident. Le Tribunal constitutionnel a considéré que « d’une part, il a été établi d’une manière évidente qu’il y a eu consentement exprès de l’intéressé en ce qui concerne la réalisation du reportage photographique du jour de l’accident. Il savait qu’il allait être photographié, que cette activité était prise en charge par un professionnel et, que les images obtenues, il n’y a pas de doute sur ce point, seraient largement publiées dans tout moyen de communication. Il est également évident que le ski, et plus particulièrement, le ski dans sa modalité de hors-piste est un sport à risque, et parfois à haut risque (…). Même si l’on peut admettre la possibilité d’une révocation postérieure de l’autorisation, le caractère personnel du droit à la vie privée oblige à considérer qu’elle ne peut être réalisée que par l’intéressé lui-même et non pas par les membres de sa famille. (…) D’autre part, nous devons considérer un autre aspect du droit à la vie privée. En plus du consentement exprès du défunt, l’activité concrète était destinée à une diffusion publique, et elle s’est produite dans un lieu public. Ces faits lui donnent une notoriété et une publicité qui, ajoutés au consentement exprès de la victime, constituent objectivement une limite à la réclamation du droit à la vie privée à caractère absolu. Cet argument réfute aussi la compréhensible, mais pas bien fondée en droit, affirmation des requérants selon laquelle le consentement du défunt, l’activité publique et les autres aspects cités, ne peuvent pas être retenus d’une manière taxative, objective et indiscutable à partir du moment même de la production de l’accident. La nature de l’activité pratiquée et consentie contenait non simplement un risque certain, mais aussi la possibilité d’un incident comme celui qui s’est produit. Logiquement, le professionnel de l’image engagé pour couvrir l’activité a agi d’une manière concordante, aussi bien en ce qui concerne l’exercice de son propre droit en tant que professionnel, qu’en ce qui concerne la logique des événements et du droit à l’information. Un parallélisme pourrait être fait avec des affaires similaires, analogues ou identiques d’incidents dans la pratique de sports à risque, par exemple les accidents ayant eu lieu dans des courses automobiles, au cours desquelles les télévisions pourraient choisir entre continuer à informer ou arrêter la diffusion au moment même où l’accident se produit. En tout cas, il y a encore deux aspects qui, s’ils s’étaient produits, auraient pu avoir une incidence sur cette affaire. Le premier fait référence à l’obtention d’images avec fraude, sans consentement ou par des moyens illicites, hypothèses qui ont ou peuvent avoir une incidence sur le droit à la vie privée. Mais il a été démontré que ces hypothèses ne s’appliquent pas à cette affaire. Le second, très justement signalé par le Tribunal supérieur de justice dans le deuxième fondement juridique : « On ne pourrait parler dans ces conditions d’une violation du droit à l’intimité que si l’objet du reportage graphique –ce qui ne se produit pas dans cette affaire- avait une incidence morbide dans la souffrance des victimes ou dans des détails qui outrepasseraient la simple reproduction d’un accident qui, à cause des circonstances dans lesquelles il s’est produit, aurait une importance publique ».
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Pas de modification.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
Certainement parce que le Tribunal constitutionnel est le garant de la constitution et ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux personnes privées. Les jugements des juges du fond, une fois définitifs, sont revêtus de l’autorité de la chose jugée et ne peuvent être modifiés ou annulés que dans les cas prévus par la loi ou lorsque, exceptionnellement, le Tribunal constitutionnel, au terme d’une procédure de recours en protection constitutionnelle (recours d’empara), estime qu’ils ont été rendus en violation d’un droit fondamental.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est une référence constante pour ce Tribunal.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Comme il a été précédemment dit, dans le cadre de l’examen d’une allégation de violation de la liberté d’expression, il revient au Tribunal constitutionnel, en tenant compte des circonstances de chaque affaire, de rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l’individu à la liberté d’expression et l’intérêt légitime d’un État démocratique.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Il s’agit d’analyser chaque affaire et de faire un contrôle de proportionnalité.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le contrôle de proportionnalité certainement.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Nous n’avons pas de jurisprudence sur cet aspect.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Pas de réponse.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
La Constitution précise les motifs pour lesquels les droits de l’homme peuvent être limités, dans son article 42, il s’agit de l’état d’alerte et de l’état d’urgence. Les limitations aux droits de l’homme trouvent leur fondement dans la nécessité de protéger l’ordre public, d’une part, et d’autre part de protéger contre les abus de droit.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Nous n’avons pas eu à nous prononcer.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Ce Tribunal n’a pas eu à se prononcer. Il faut dire que la loi 30/2014, du 27 novembre, qualifiée portant sur la protection civile des droits à la vie privée, à l’honneur et à l’image a essayé de prévoir ces éventualités. Elle a considéré que le marché de la communication présente aujourd’hui des caractéristiques différentes et adopte une structure beaucoup plus large, décentralisée et plurielle. À ces fins, cette loi a défini son champ d’application en définissant deux concepts. D’une part, les opérateurs de médias qui se définissent comme des personnes physiques ou morales, dont l’activité principale est de publier et de communiquer au grand public, de manière professionnelle, des expressions ou des informations à titre périodique, quel que soit le support utilisé pour la publication et la communication de l’information. D’autre part, les fournisseurs de contenus informatifs ou d’opinion, dont l’activité principale ou accessoire consiste à publier, à titre professionnel ou non, des informations, des expressions ou des contenus, par voie électronique et sur support numérique. De cette manière, une attention adéquate est accordée au nouveau panorama de la communication et de la fourniture d’informations dans l’environnement numérique.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Le fait d’être sur Internet renforce un sentiment d’impunité dû à l’anonymat, les dommages causés sont massifs et les possibilités de contrôle par la personne concernée sont réduites. Par conséquent, cette même loi, sans ignorer le caractère essentiel de la liberté d’expression et d’information dans une société démocratique, de protection civile complète des droits à l’honneur, à la vie privée et à l’image de soi exige d’accorder une attention particulière à l’ingérence qui a lieu par tout moyen de communication et par tout support. Ces abus peuvent prendre des formes multiples telles que le cyberharcèlement, l’incitation à la discrimination, à la haine, à la violence ou à la ségrégation à l’égard d’autrui, l’atteinte aux mineurs, par le partage de données personnelles en public, intentionnellement et pour une raison précise. La diffusion d’idées fondées sur la supériorité raciale ou la haine raciale. Dans certains cas, les limites de la liberté d’expression sont dépassées, comme lorsqu’il s’agit de menaces ou harcèlement en ligne, de partage de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique. À cette fin, le troisième chapitre de cette loi établit des règles claires, prévisibles et équilibrées pour déterminer le ou les auteurs et attribuer la responsabilité de l’ingérence illégitime dans les droits à l’honneur, à la vie privée et à l’image de soi. Le régime de responsabilité repose sur les notions de contrôle éditorial permettant de distinguer trois figures : les auteurs, les co-gérants et les opérateurs de médias et les fournisseurs de contenus informatifs ou d’opinion qui agissent en tant que fournisseurs de services d’intermédiation.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Non.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
L’article 42 de la Constitution prévoit que pendant l’état d’urgence, les droits sur la garde à vue (article 9.2 de la Constitution), la liberté d’expression, de communication et d’information (article 12), l’inviolabilité du domicile, la garantie au secret des communications (article 15), le droit de réunion et de manifestation pacifiques (article 16), la défense de leurs intérêts économiques et sociaux par les travailleurs et les employeurs (article 19) et la liberté de circuler librement sur le territoire (article 21) peuvent être suspendus. L’application de la suspension aux droits contenus dans les articles 9 alinéa 2 (sur la garde à vue) et 15 (sur l’inviolabilité du domicile et le secret des communications) doit toujours être effectuée sous le contrôle de la justice, sans préjudice de la procédure de protection établie à l’article 9 alinéa 3.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La question ne s’est pas posée.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Ainsi que nous l’avons déjà manifesté, le Tribunal constitutionnel n’a pas souvent été saisi sur la violation du droit à la liberté d’expression ; toutefois, à travers du mécanisme du recours en protection (recours « d’empara »), il est absolument bien placé institutionnellement et a une grande légitimité devant les citoyens pour protéger la liberté d’expression en périodes de troubles, le cas échéant.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Pas de façon particulière par rapport à n’importe quels autres droits fondamentaux inscrits à la Constitution et dont le Tribunal constitutionnel en est le garant.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Certes, sans aucun doute la liberté d’expression est un des outils au service de la construction d’une société démocratique, mais « plus démocratique » dans les années à venir ?
C’est un outil indispensable, nécessaire, parmi d’autres, mais ce n’est pas le seul et il doit cohabiter et même céder, parfois, devant d’autres droits tout aussi importants et indispensables pour les citoyens et la société d’un État de droit.
Cour constitutionnelle d’Arménie
Nous annonçons que la liberté d’expression d’opinion en République d’Arménie est consacrée par l’article 42 de la Constitution, selon lequel toute personne a le droit d’exprimer librement son opinion. Ce droit implique la liberté d’avoir sa propre opinion, de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations ou des idées, par tous les moyens, sans intervention des autorités publiques ou locales et sans considération de frontières étatiques. La liberté des médias (presse, radio, télévision) et des autres moyens d’information est garantie. L’État garantit l’existence et le fonctionnement de la radio et de la télévision publiques indépendantes qui offrent des programmes variés d’information, éducatifs, culturels et de divertissement.
Le même article définit que l’exercice du droit à la liberté d’opinion ne peut être restreint que par la loi si cela est nécessaire à la sécurité publique, au maintien de l’ordre public, à la protection de la santé, de la morale publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
La Cour constitutionnelle, dans plusieurs de ses décisions (DCC-1396, DCC-1592, DCC-1612, DCC-1646, DCC-1661, etc.), a exprimé des positions juridiques sur la liberté d’expression d’opinion.
En particulier, la Cour constitutionnelle a constaté que.
– Étant l’un des piliers de la société civile et de la démocratie, la liberté d’expression consacrée à l’article 42 de la Constitution garantit la libre formation de la volonté publique, une communication ouverte et sans entraves entre la société et l’État. La liberté d’échange d’idées et d’opinions au sein de la société est la garantie du pluralisme, à travers lequel la démocratie prend vie (DCC-1646).
– L’article 42 de la Constitution, qui consacre la liberté d’expression d’opinion, entre autres choses, garantit également la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées par tous les moyens d’information sans l’ingérence des organes étatiques et des organes d’autogouvernance locaux et indépendamment des frontières étatiques, la considérant comme une composante intégrale de la liberté d’expression d’opinion (DCC-1661).
– La liberté d’expression n’est pas seulement une composante des droits et libertés humains, mais elle revêt également une importance fondamentale dans le système des intérêts publics, dont la garantie est une exigence légale constitutionnelle et internationale. En même temps, la liberté d’expression est soumise à des restrictions tant par les documents juridiques internationaux que sur la base des motifs prévus par la Constitution et conformément à la procédure établie par la loi, afin de protéger la sécurité de l’État, l’ordre public, la santé et la moralité (intérêts publics) ou l’honneur et la bonne réputation d’autrui ainsi que d’autres droits et libertés fondamentaux (DDC-1396).
– Toute limitation du droit à la liberté d’expression doit être établie par la loi, servir à la protection d’un intérêt légitime, et être nécessaire pour garantir cet intérêt donné (DDC-997).
– La liberté d’expression constitue également une manifestation unique du contrôle public sur l’autorité publique par le biais de la libre parole, incluant la liberté de critiquer sévèrement, de pointer les lacunes existantes, de soulever et de présenter des problèmes au niveau public et individuel, ainsi que les mesures prises par l’autorité publique pour les surmonter. À cet égard, la Cour constitutionnelle, dans le cadre de sa décision DDC-1010, a déclaré que le contrôle démocratique mis en œuvre par l’opinion publique favorise la transparence des actions de l’autorité étatique et encourage les activités responsables des organes et des fonctionnaires de l’État.
– La Cour constitutionnelle évalue la poursuite d’un objectif légitime d’ingérence dans le droit fondamental à la libre expression d’opinion dans le contexte du principe constitutionnel de proportionnalité. Le rapport entre la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression et les autres valeurs constitutionnelles détermine la nature de ses éventuelles restrictions. Il est clair que la nécessité de toute limitation du droit à la liberté d’expression doit être justifiée et que l’intérêt public et la demande de protection pour lesquels l’ingérence dans cette liberté a lieu doivent être présentés (DCC-1646).
– L’ingérence dans le droit fondamental poursuit un objectif légitime étant donné que la dignité humaine, qui est la pierre angulaire d’une société démocratique, étant la base de tous les droits et libertés, prédétermine également les limites de la réalisation de ces droits, étant, selon la Constitution, inaliénable et inviolable. Le législateur, en établissant les dispositions légales prévues dans la disposition litigieuse, avait pour objectif légalement et constitutionnellement nécessaire de protéger des valeurs fondamentales telles que l’honneur et la bonne réputation de la personne, la sécurité de l’État, l’ordre public, la santé et la moralité, chacune des qui constitue une base pour limiter la liberté d’expression d’opinion, et parmi eux seulement, l’existence d’une telle liberté est suffisante en soi du point de vue de la légitimité du but de limiter cette liberté. La défense pénale contre les infractions graves vise à protéger non seulement l’honneur et la bonne réputation des individus, mais également les droits et libertés fondamentaux, la sécurité de l’État, l’ordre public, la santé et la morale. Une infraction grave porte atteinte à l’ordre social normal et ne correspond pas au système de valeurs morales de la société civile (DCC-1646)։
– Compte tenu du rôle clé de la presse dans la diffusion d’informations sur des questions d’intérêt public dans une société démocratique, il est légitime d’accorder une plus grande protection à l’activité journalistique. En d’autres termes, d’une part, le droit à la liberté d’expression et d’expression doit être garanti et protégé, d’autre part, la vitalité d’une presse responsable ne doit pas être mise en danger (DCC-1646)։
– Les forces politiques participant aux élections et leurs représentants profitent de larges opportunités pour exprimer leur opinion pendant la campagne préélectorale, ce qui, dans une société démocratique, donne la possibilité de former librement la volonté du peuple, c’est donc une condition nécessaire pour garantir le principe de la liberté des élections. Néanmoins, la propagande préélectorale ne peut pas s’accompagner d’appels à la haine, de violence et de menaces (même si la menace n’est pas réelle), qui perturbent un environnement social apaisé et sain. Les forces politiques et leurs représentants doivent faire preuve d’un maximum de retenue et de politiquement correct pendant la campagne préélectorale, à l’exclusion de tout appel et menace de haine, de violence et de tout comportement dégradant (DCC-1606):
Cour constitutionnelle de Belgique
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle de Belgique est compétente pour contrôler la compatibilité des normes de valeur législative avec, notamment, les dispositions figurant au titre II de la Constitution, qui sont les dispositions proclamant et garantissant les droits et libertés fondamentaux. La liberté d’expression figure dans ce texte depuis son adoption, en 1831.
L’article 19 de la Constitution belge dispose : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés. »
La Cour constitutionnelle considère que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme[1] (CEDH), l’article 11, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[2] (la Charte) et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques[3] (PIDCP) ont une portée analogue à celle de l’article 19 de la Constitution belge, de sorte qu’elle utilise généralement ces normes de référence de manière combinée, comme formant un ensemble indissociable[4].
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
La seule limitation que contient l’article 19 de la Constitution porte sur la répression des infractions commises à l’occasion de l’usage de la liberté d’expression. En d’autres termes, la Constitution interdit que la liberté d’expression soit soumise à des restrictions préventives, mais non que les infractions qui sont commises à l’occasion de la mise en œuvre de cette liberté soient sanctionnées.
En ce qui concerne la liberté de la presse, la Constitution interdit la censure. Pour garantir cette liberté et éviter une « censure » par les éditeurs ou imprimeurs, elle établit un système de responsabilité exclusive de l’auteur, à tout le moins lorsqu’il est connu et domicilié en Belgique.
La Constitution belge ne prévoit donc pas explicitement que la liberté d’expression soit limitée en vue, par exemple, de sauvegarder un intérêt supérieur, l’intérêt général ou les droits et libertés d’autrui. La seule limite prévue par la Constitution est la répression, a posteriori, des infractions commises lors de l’exercice de la liberté d’expression.
En revanche, les textes internationaux utilisés couramment par la Cour lors de son contrôle (voir thème 1, question 1), qui sont plus récents, prévoient de telles possibilités de limitations.
L’article 10 de la CEDH permet les limitations à la liberté d’expression pour autant qu’elles soient prévues par une loi et qu’elles soient nécessaires à « la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
L’article 19 du PIDCP dispose dans le même sens que l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
La technique utilisée par la Cour constitutionnelle de « l’ensemble indissociable », qui lui permet d’appréhender les sources constitutionnelles nationales et conventionnelles internationales comme formant un tout, permet de dépasser le mode strictement répressif qui est celui de la Constitution et d’admettre aujourd’hui que des ingérences dans la liberté d’expression soient créées a priori par le législateur, à condition qu’elles respectent les exigences posées par la Convention européenne des droits de l’homme[5]. Ainsi, on peut constater que les juridictions, en ce compris la Cour constitutionnelle, relativisent l’interdiction des mesures préventives inscrite dans l’article 19 de la Constitution lorsqu’elles estiment que la mesure préventive en cause est une condition nécessaire pour sauvegarder un autre droit fondamental, comme le droit à la vie privée, à la réputation, à l’honneur …[6]
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle répète régulièrement que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique »[7]. Dans un arrêt déjà ancien, elle a considéré que la liberté d’expression constitue « le droit de manifester spontanément et librement ses opinions en toutes matières et par tous les moyens, sous réserve de la répression des délits commis dans l’exercice de cette liberté »[8]. À la suite de la Cour européenne des droits de l’homme[9], elle juge que la liberté d’expression « vaut non seulement pour les ‘informations’ ou ‘idées’ accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui ‘choquent, inquiètent ou heurtent’ l’État ou une fraction de la population »[10]. Elle ajoute : « Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ».
La définition de la liberté d’expression donnée par la Cour constitutionnelle est déterminée par les dispositions constitutionnelles et internationales précitées, notamment dans les contours des limites qu’elle admet : « les limitations à la liberté d’expression doivent s’interpréter strictement. Il doit être démontré que les restrictions sont nécessaires dans une société démocratique, qu’elles répondent à un besoin social impérieux et qu’elles demeurent proportionnées aux buts légitimes poursuivis »[11].
La Cour ajoute que « la liberté d’expression et la liberté de religion comprennent non seulement le droit d’exprimer son opinion en toute matière, mais également le droit de ne pas divulguer ses convictions »[12], ce qui est par ailleurs aussi un aspect du droit au respect de la vie privée. Ce droit implique par exemple que les parents ne peuvent être obligés de motiver leur demande de dispense du cours de religion ou de morale philosophique pour leur enfant[13].
Enfin, la liberté d’expression comprend un versant « passif », constitué par la liberté de recevoir des informations : « La liberté d’expression comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix »[14]. Emboîtant le pas à la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle considère en effet que « lorsque l’accès à l’information est déterminant pour l’exercice par l’individu de son droit à la liberté d’expression, en particulier ‘ la liberté de recevoir et de communiquer des informations ‘ », refuser cet accès peut constituer une ingérence dans l’exercice de ce droit[15]. Un aspect de ce droit à recevoir des informations est constitué par le droit d’accès aux documents administratifs[16].
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
En ce qui concerne la liberté d’expression, la principale source d’inspiration de la Cour constitutionnelle est la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour calque le contenu et l’admissibilité des limitations qu’elle donne à la liberté d’expression sur ce qui se dégage de l’abondante jurisprudence de la Cour strasbourgeoise en cette matière. La Cour cite très fréquemment des extraits d’arrêts et aligne ainsi sa propre jurisprudence sur celle de la Cour européenne. Lorsque la matière relève du champ d’application du droit européen[17], la Cour se réfère également à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. La Cour constitutionnelle ne s’est jamais montrée plus restrictive que la jurisprudence de la Cour européenne ou que celle de la Cour de justice de l’Union européenne en définissant la liberté d’expression. Le cas échéant, elle pourrait au contraire aller plus loin dans la protection de la liberté d’expression, dès lors que la Convention européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux sources nationales[18].
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Découlent directement de la liberté d’expression, en vertu du texte constitutionnel :
– la liberté de la presse, garantie par l’article 25 de la Constitution : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. Lorsque l’auteur est connu et domicilié en Belgique, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi. »
– la liberté des cultes, garantie par le même article 19 de la Constitution et par ses articles 20 (« Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos ») et 21 (« L’État n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s’il y a lieu »). La Cour a précisé que la liberté de religion comprend, entre autres, la liberté d’exprimer sa religion, soit seul, soit avec d’autres et que la participation à la vie d’une communauté religieuse est une expression de la conviction religieuse qui bénéficie de la protection de la liberté de religion.[19]
– le droit d’accès aux documents administratifs, garanti par l’article 32 de la Constitution (« Chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s’en faire remettre copie, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 »).
La jurisprudence de la Cour a en outre établi un lien entre la liberté d’expression et les libertés suivantes :
– un aspect de la liberté d’enseignement : « la liberté d’expression garantie par l’article 19 de la Constitution constitue un aspect de la liberté active de l’enseignement, conçue comme la liberté de dispenser un enseignement selon ses conceptions idéologiques, philosophiques et religieuses »[20].
– la liberté académique, conçue comme « le principe selon lequel les enseignants et les chercheurs doivent jouir, dans l’intérêt même du développement du savoir et du pluralisme des opinions, d’une très grande liberté pour mener des recherches et exprimer leurs opinions dans l’exercice de leurs fonctions », est également un aspect de la liberté d’expression[21].
Par ailleurs, la liberté d’expression est l’un des objectifs de la liberté de réunion et d’association[22] et elle trouve un prolongement dans la liberté de s’assembler, laquelle peut toutefois, lorsqu’elle s’exerce en plein air, être soumise à autorisation préalable[23]. En son versant négatif (le droit de ne pas divulguer ses convictions), la liberté d’expression entretient un lien étroit avec le droit au respect de la vie privée[24].
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La Cour n’a jamais été saisie d’un recours ou d’une question préjudicielle portant sur un usage de la liberté d’expression qui pourrait être qualifié de blasphème. Elle n’a pas eu à contrôler la compatibilité avec la liberté d’expression de dispositions qui interdiraient ou puniraient l’expression d’opinions « anti-religieuses » ou « blasphématoires ». Au demeurant, de telles dispositions ne font pas partie du corpus législatif belge.
En revanche, la Cour a été saisie d’affaires mettant en jeu la liberté d’expression en matière religieuse, aussi appelée liberté de religion et de culte. La Cour juge de manière constante que la liberté de religion comprend, entre autres, la liberté d’exprimer sa religion ou sa conviction, soit seul, soit avec d’autres[25]. La Cour estime que « La liberté d’expression et la liberté des cultes ne sont pas absolues. Certes, pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus, même le rejet des valeurs fondamentales de notre société démocratique peut être exprimé, mais la manière de l’exprimer est susceptible de restrictions »[26].
Les affaires les plus nombreuses concernant la liberté d’expression en matière de religion ou de culte portent sur les prescriptions vestimentaires et les interdictions de porter des signes (vêtements, couvre-chefs, accessoires) religieux.
La Cour a ainsi été saisie de plusieurs recours portant sur la loi « visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage », qui interdit le port de tout vêtement dissimulant le visage dans les lieux publics et dans les lieux accessibles au public[27]. La Cour reconnaît qu’une telle interdiction, pénalement sanctionnée, porte atteinte à la liberté de culte des femmes qui « portent le voile intégral sur la base d’un choix personnel qu’elles estiment conforme à leurs convictions religieuses ». Suivant en cela la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle estime qu’il n’appartient pas à l’État de se prononcer sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles- ci. Elle rappelle aussi que « dans une société démocratique, il est nécessaire de protéger les valeurs et principes qui fondent la Convention européenne des droits de l’homme ». Elle procède ensuite à l’examen de l’ingérence, en vue de déterminer si celle-ci est prévue par une loi suffisamment accessible et précise, si elle est nécessaire dans une société démocratique, si elle répond à un besoin social impérieux et si elle est proportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis par le législateur. Elle conclut de son analyse que le législateur pouvait estimer que l’interdiction de dissimuler le visage dans les lieux accessibles au public est nécessaire pour des raisons de sécurité publique, que, dès lors que la dissimulation du visage a pour conséquence de priver le sujet de droit, membre de la société, de toute possibilité d’individualisation par le visage alors que cette individualisation constitue une condition fondamentale liée à son essence même, l’interdiction de porter dans les lieux accessibles au public un tel vêtement, fût-il l’expression d’une conviction religieuse, répond à un besoin social impérieux dans une société démocratique et que l’égalité des sexes, que le législateur considère comme une valeur fondamentale de la société démocratique, justifie que l’État puisse s’opposer, dans la sphère publique, à la manifestation d’une conviction religieuse par un comportement non conciliable avec ce principe d’égalité entre l’homme et la femme. La Cour juge encore que l’interdiction, pénalement sanctionnée, n’est pas disproportionnée, à la condition qu’elle ne soit pas interprétée comme visant également les lieux de culte, qui sont des lieux accessibles au public.
La Cour a aussi été saisie de questions portant sur l’interdiction de porter des signes religieux ou convictionnels dans les établissements scolaires. Elle considère, à la suite de la Cour européenne des droits de l’homme, « qu’une interdiction de porter des signes religieux dans un établissement d’enseignement constitue une ingérence dans l’exercice du droit de manifester ses convictions religieuses » et examine dès lors si l’interdiction répond à un besoin social impérieux et si elle est nécessaire et proportionnée à cet objectif[28]. La Cour a considéré que tel était bien le cas en l’espèce.
La Cour a encore été confrontée à des questions relatives à l’interdiction de l’abattage des animaux de consommation sans étourdissement préalable[29]. Elle a reconnu que cette interdiction, qui entraînait un obstacle à la manifestation d’une conviction religieuse sous la forme de l’abattage rituel, relevait du champ d’application de la liberté de religion. Elle a confronté cette restriction à la liberté de religion de certains croyants à l’objectif poursuivi, qui était de protéger les droits et libertés des personnes qui tiennent au bien-être des animaux dans leur conception de la vie. Elle a jugé que cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique et qu’elle n’entraînait pas de conséquences disproportionnées.
La jurisprudence précitée peut donner le sentiment que la Cour constitutionnelle admet assez facilement les ingérences dans la liberté d’expression des convictions religieuses, lorsqu’elles sont motivées par la poursuite d’un objectif d’intérêt général et qu’elles ne sont pas disproportionnées. Il advient toutefois aussi que la Cour constate que la mesure portant atteinte à la liberté de religion n’est pas justifiée. Ainsi, au sujet de dispositions prévoyant que pour obtenir la reconnaissance en tant que communauté religieuse locale, ce qui offre plusieurs avantages, il faut pouvoir prouver que l’on ne reçoit, directement ou indirectement, aucun soutien ou financement étranger affectant l’indépendance, la Cour a jugé : « Il n’est nullement démontré que la limitation du financement ou soutien étranger des communautés religieuses, en ce compris l’exigence que ses ministres du culte et leurs suppléants ne soient pas rémunérés, directement ou indirectement, par une autorité étrangère, est raisonnablement proportionnée à la préservation de l’État de droit démocratique. Ce modèle sociétal se caractérise par un ensemble de règles juridiques – civiles et pénales -, auxquelles les communautés religieuses et leurs membres sont aussi soumis et dont l’application peut être exigée devant les juridictions en cas de non-respect. La condition supplémentaire selon laquelle le financement ou soutien étranger ne peut pas affecter l’indépendance de la communauté religieuse locale est une ingérence disproportionnée dans la liberté de culte »[30].
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
En principe, la liberté d’expression protégeant le discours politique et le débat d’idées est très étendue. Les questions qui relèvent de l’intérêt général sont généralement couvertes par la liberté d’expression de manière extensive. Ainsi, la Cour juge-t-elle que « le législateur dispose, en principe, d’une marge d’appréciation restreinte lorsqu’il entrave la liberté d’exprimer des opinions qui, comme celles des organisations d’employeurs ou de travailleurs, relèvent d’un débat touchant à l’intérêt général, même lorsqu’elles se matérialisent sous une forme publicitaire »[31]. La Cour constitutionnelle fait sienne la position de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière : la liberté d’expression couvre aussi (et peut-être surtout) l’expression d’idées « qui ‘choquent, inquiètent ou heurtent’ l’État ou une fraction de la population ». Elle ajoute : « Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique »[32]. La limite de cette protection étendue est à trouver dans la distinction à faire entre le débat d’idées, même virulent ou dérangeant, et le discours de haine ou d’incitation à la haine et à la discrimination dont les auteurs ne sont, eux, pas protégés par la liberté d’expression et sont passibles de poursuites pénales[33]. Les mêmes principes sont applicables à l’expression artistique[34].
La liberté de la presse est essentielle à la démocratie. Les journalistes jouissent d’une liberté d’expression étendue, qui comprend aussi un droit à garder leurs sources secrètes, pour « permettre à la presse de jouer son rôle de « chien de garde » et d’informer le public sur des questions d’intérêt général »[35].
L’information à caractère commercial est protégée par la liberté d’expression[36]. En pratique, on observe cependant que les restrictions admissibles en ce domaine peuvent être importantes. Ainsi, la protection de la santé justifie des limitations importantes – voire l’interdiction – de la publicité pour le tabac et les produits du tabac[37] ou encore les restrictions apportées aux possibilités de publicités commerciales par les pharmaciens[38]. De même, la Cour admet l’interdiction de la publicité pour les établissements d’enseignement supérieur à la radio et à la télévision, dès lors que le législateur décrétal a « postulé qu’un choix d’études erroné est une des causes des faibles taux de réussite et qu’une diffusion sans nuance d’informations est une des causes de choix d’études erronés »[39].
Il peut être tenu compte de l’identité de la personne visée par les propos litigieux dans l’appréciation de la proportionnalité de la restriction à la liberté d’expression ou de la répression de l’usage qui en a été fait. En règle générale, on considère que les femmes et les hommes politiques doivent admettre de tolérer assez largement la critique, tant qu’elle concerne leurs positions politiques et leur vie publique. En revanche, leur vie privée doit en principe être protégée, même si à l’époque des réseaux sociaux, il n’est pas toujours facile de faire la différence entre vie privée et vie publique.
En 2020, la Cour a été saisie d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité avec la liberté d’expression de l’article 1er de la loi du 6 avril 1847 portant répression des offenses envers le Roi, qui réprime notamment les discours, cris ou menaces publics constituant une offense envers la personne du Roi de manière nettement plus lourde[40] que les injures adressées aux particuliers. La Cour a d’abord estimé qu’il y avait lieu de tenir compte, d’une part, du fait que la disposition en cause avait été adoptée dans un contexte historique fondamentalement différent du contexte actuel et, d’autre part, de l’évolution des conceptions sur ce qui peut être jugé nécessaire dans une société démocratique. Elle a ensuite rappelé[41] : « L’expression d’opinions critiques à l’encontre d’institutions ou de personnalités publiques, parmi lesquelles le Roi, ou à l’encontre du système constitutionnel d’un État, même si elles choquent, inquiètent, heurtent ou s’inscrivent dans un débat politique ou dans un débat sur des matières d’intérêt général, relève, en principe, de la protection de la liberté d’expression, sauf lorsqu’il s’agit de propos qui incitent à la violence ou qui constituent un discours de haine, auquel cas ce dernier terme « doit être compris comme couvrant toutes formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance »[42] et « L’exercice de la liberté d’expression, même dans le cadre d’un débat politique ou d’un débat sur des matières d’intérêt général, implique néanmoins certaines obligations et responsabilités, notamment l’obligation de principe de ne pas franchir certaines limites censées protéger la réputation et les droits d’autrui »[43]. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour considère que « l’intérêt que pourrait avoir un État à protéger la réputation du chef d’État ne saurait justifier l’octroi à celui-ci d’un privilège ou d’une protection particulière en ce qui concerne les opinions exprimées à son encontre »[44] et en conclut que l’ingérence dans la liberté d’expression occasionnée par la disposition en cause, en ce que cette disposition offre au Roi une protection plus large que celle qui est offerte à d’autres personnes, n’est pas justifiée, parce que « ni l’irresponsabilité [politique] du Roi ni la position de symbole qu’il occupe dans l’État ne sauraient justifier que la réputation du Roi soit davantage protégée que la réputation d’autres personnes »[45].
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
La liberté d’expression est largement reconnue aux personnes privées, aux personnes publiques, aux personnes physiques[46] et aux personnes morales[47] ou groupements, quelle que soit par ailleurs leur nationalité[48]. Son étendue peut être modulée en fonction de l’auteur de l’expression (voir question 9), de son contenu ou du domaine dans lequel elle s’exerce (voir question 7) ou encore de la personnalité mise en cause dans le message (voir question 7).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression vaut pour toute personne, mais les fonctionnaires et, singulièrement, les magistrats, les militaires et les policiers, peuvent être soumis à une obligation de réserve.
La Cour a jugé que la disposition qui prévoit que les membres des services de police (gendarmerie) doivent s’abstenir « en toutes circonstances, de manifester publiquement leurs opinions politiques et de se livrer à des activités politiques » n’est pas manifestement disproportionnée à l’objectif de garantir un service de police efficace dont l’impartialité est incontestable, au bénéfice des autorités et des citoyens, en vue de protéger le bon fonctionnement de la démocratie[49].
Les enseignants, dont le statut peut être rapproché, à certains égards, de celui des agents de l’État, jouissent en revanche d’une liberté d’expression étendue, dès lors que la liberté d’expression constitue un aspect de la liberté active de l’enseignement. En particulier, les enseignants du supérieur bénéficient de la liberté académique, ce qui signifie que les chercheurs, notamment universitaires, doivent jouir, dans l’intérêt même du développement du savoir et du pluralisme des opinions, d’une très grande liberté pour mener des recherches et exprimer leurs opinions dans l’exercice de leurs fonctions[50].
Le devoir de réserve qui s’impose aux magistrats de la Cour constitutionnelle a été décrit comme ceci par le Président Pierre Nihoul dans une publication récente : « Ce devoir implique qu’ils s’abstiennent d’émettre une opinion sur une affaire en cours ou sur les arrêts rendus par la Cour ou de les commenter. Ce devoir est également valable à l’égard des arrêts rendus par un siège de la Cour dont ils ne faisaient pas partie. Ce devoir s’étend également aux sujets qui pourraient donner lieu à une procédure devant la Cour. Les juges s’abstiennent dès lors de répondre aux sollicitations des médias, des parties ou même des chercheurs et étudiants sur les sujets de droit ou de société qui pourraient être soumis à la Cour. Dans la pratique, le respect de cette obligation n’a jamais posé de difficultés à la Cour »[51].
Cette synthèse de ce qu’implique le devoir de réserve peut être étendue à l’ensemble des magistrats belges, qu’ils appartiennent à l’ordre judiciaire ou aux juridictions administratives. Au-delà de ce devoir de réserve, les magistrats jouissent, comme tout citoyen, de la liberté d’expression, ce qui impose parfois d’opérer une délicate balance des intérêts entre la liberté du magistrat et son devoir d’impartialité. Le Tribunal disciplinaire francophone a jugé à cet égard que « [d]ans une société démocratique, le magistrat a non seulement le droit, mais le devoir de s’exprimer sur le fonctionnement du système judiciaire »[52], ce qui indique une position plutôt favorable à la liberté d’expression des magistrats, considérant que le fonctionnement du système judiciaire est un sujet d’intérêt général qui doit jouir à ce titre d’une large protection en termes de liberté d’expression.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle de Belgique n’était, à l’origine, compétente que pour trancher les conflits de compétences entre les différents législateurs issus du processus institutionnel de fédéralisation de la Belgique. Elle a acquis progressivement la compétence de contrôler le respect, par ces différents législateurs, des droits et libertés fondamentaux garantis en Belgique. Cette évolution s’est faite par étapes, pour des raisons tenant à l’évolution institutionnelle du pays dont l’exposé dépasserait le cadre de la présente conférence. À partir de 1989, elle est compétente pour contrôler le respect du principe d’égalité et de non-discrimination ainsi que les droits fondamentaux en matière d’enseignement. Dès ce moment, elle va étendre elle-même sa compétence en matière de contrôle du respect des droits fondamentaux en combinant le principe d’égalité et de non-discrimination avec les autres droits et libertés. On peut donc affirmer que la Cour est en mesure de contrôler le respect de la liberté d’expression garantie par la Constitution dès 1989. En 2003, la compétence de la Cour a été formellement étendue, par la loi spéciale, au contrôle de tous les droits et libertés garantis par le Titre II de la Constitution.
Le premier arrêt de la Cour rendu en matière de liberté d’expression porte le numéro 62/93 et la date du 15 juillet 1993.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
En termes quantitatifs, la violation de la liberté d’expression n’est pas le grief le plus souvent invoqué devant la Cour, loin s’en faut. À titre d’exemple, en 2022, la Cour n’a connu qu’une affaire mettant en jeu cette liberté fondamentale. En 2021, 10 affaires ont amené la Cour à en connaitre. Ce grief vient loin derrière d’autres dispositions constitutionnelles, beaucoup plus fréquemment invoquées, telle la disposition garantissant le droit à la vie privée et familiale (invoqué à 10 reprises en 2022, à 20 reprises en 2021), la disposition proclamant les droits culturels, économiques et sociaux (invoqué à 13 reprises en 2022, à 22 reprises en 2021), les dispositions garantissant le droit de propriété (15 occurrences en 2022, 17 occurrences en 2021) et les droits des contribuables (13 occurrences en 2022, 17 occurrences en 2021). On ne peut donc pas dire que la liberté d’expression occupe, du point de vue quantitatif, une place particulière dans la jurisprudence de la Cour. Il est possible, mais difficilement vérifiable que le fait que la violation de la liberté d’expression soit moins invoquée que la violation d’autres droits fondamentaux soit dû au fait qu’il s’agit d’une liberté assez bien respectée par les pouvoirs législatifs belges[53].
En termes qualitatifs, il ne semble pas non plus que l’on doive reconnaître une place particulière à la liberté d’expression, si ce n’est que la Cour répète régulièrement qu’elle constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique (cf. 3e thème, ci-dessous). Le contrôle de la Cour en matière de liberté d’expression suit le même schéma que celui que la Cour exerce pour d’autres droits et libertés fondamentaux : recherche de l’objectif poursuivi par la disposition constituant une ingérence dans l’exercice de la liberté, examen de la nécessité de l’ingérence et de sa proportionnalité.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
En règle générale, on ne saurait hiérarchiser les droits et libertés a priori et de manière non contextualisée. Lorsque deux droits ou libertés fondamentaux entrent en concurrence, la Cour cherche à déterminer si une juste balance des intérêts entre les deux a été opérée par le législateur. Cette balance tient compte de l’importance de l’objectif poursuivi et de l’ampleur de l’ingérence constatée dans le droit ou la liberté qui doit la subir. Ainsi, la Cour, s’inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[54], estime-t-elle :
« Lorsque le droit au respect de la vie privée risque d’entrer en conflit avec la liberté d’expression, il convient de ménager un juste équilibre entre ces droits et libertés, qui méritent une protection équivalente. Le législateur dispose d’une marge d’appréciation lorsqu’il élabore un régime légal qui assure le respect de la vie privée dans la sphère des relations entre les individus. Il existe en effet plusieurs manières différentes d’assurer le respect de la vie privée et la nature de l’obligation dépend de l’aspect spécifique de la vie privée qui se trouve en cause. Dans le même sens, le législateur dispose d’une marge d’appréciation pour juger de la nécessité et de l’ampleur d’une ingérence dans la liberté d’expression. Cette marge d’appréciation du législateur n’est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a ménagé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées »[55].
Il existe cependant des domaines dans lesquels on peut supposer que des valeurs sont jugées particulièrement fondamentales par la Cour, de sorte que la liberté d’expression doit céder face à la sauvegarde de ces valeurs : la Cour admet toujours les limitations de la liberté d’expression – à condition qu’elles soient nécessaires et proportionnées à la sauvegarde de la valeur en question – lorsqu’il est question de lutter contre le négationnisme[56], le racisme et la xénophobie[57], le sexisme[58] ou l’incitation à la discrimination sur la base d’un des critères généralement protégés par les conventions internationales (origine ethnique, état de santé, handicap, orientation sexuelle …)[59]. On peut rapprocher ceci de l’attitude de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que certains types de propos peuvent être purement et simplement exclus de la protection de l’article 10 de la Convention par le jeu de l’article 17 de celle-ci. Cet article 17 dispose notamment qu’aucune disposition de la Convention ne pourrait être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, le droit de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention. Sur cette base, la Cour européenne des droits de l’homme exclut de la sphère de la protection de l’article 10 les propos racistes, négationnistes, antisémites ou islamophobes[60]. En tout état de cause, il ne fait guère de doute pour la Cour européenne des droits de l’homme comme pour la Cour constitutionnelle belge que l’ingérence dans la liberté d’expression justifiée par l’objectif de lutter contre le racisme, le négationnisme, l’appel à la violence ou à la discrimination ou le sexisme est nécessaire dans une société démocratique.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Il n’est pas possible de repérer une variation ou une évolution de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression, probablement parce que, dès lors que la Cour opère un contrôle de proportionnalité et, le cas échéant, une balance des intérêts en présence, le résultat de ce contrôle est fortement influencé par les caractéristiques de chaque espèce. L’énoncé des principes est, quant à lui, stable et fortement inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (voir thème 1, question 4 et ci-dessous, question 7).
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Sans objet.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
L’influence la plus directe exercée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur celle des juridictions de fond découle du mécanisme même de la question préjudicielle (exception d’inconstitutionnalité). Lorsqu’est soulevée devant une juridiction une question de compatibilité d’une disposition législative avec la liberté d’expression, cette juridiction est généralement tenue de soumettre la question à la Cour constitutionnelle et elle est obligée de tenir compte de la réponse de celle-ci dans la suite de la procédure. En principe, la réponse de la Cour constitutionnelle ne s’impose que pour la solution du litige dans le cadre duquel elle a été posée. Toutefois, on observe que les arrêts de la Cour rendus au contentieux préjudiciel jouissent d’une autorité de chose jugée « relative renforcée ». En effet, les autres juridictions confrontées à la même interrogation à l’occasion d’autres litiges peuvent décider de ne pas poser[61] la même question préjudicielle si elles se conforment à la réponse que la Cour a déjà donnée. De cette manière, les juridictions sont amenées à appliquer la jurisprudence de la Cour, notamment en matière de liberté d’expression. Il faut souligner ici encore, par ailleurs, que dès lors que la jurisprudence de la Cour est elle-même fortement influencée par celle de la Cour européenne des droits de l’homme et que l’ensemble des juridictions belges est généralement attentif à cette même jurisprudence, l’influence la plus directe sur leur jurisprudence provient certainement autant de la Cour européenne des droits de l’homme que de la Cour constitutionnelle.
Les influences sont souvent, comme le souligne la question, mutuelles et même circulaires. Un exemple d’influence exercée sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle par celle du Conseil d’État est donné en matière d’accès aux documents administratifs qui, comme dit ci-dessus, fait partie de la liberté d’accès à l’information, laquelle fait, à son tour, partie de la liberté d’expression au sens large. Par l’arrêt n° 43/2020, la Cour fait sienne la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle « chaque recours à une disposition d’exception doit faire l’objet d’une motivation concrète qui renvoie aux données spécifiques, propres à l’affaire. Aucun motif d’exception ne peut justifier qu’un administré se voie systématiquement refuser la publicité de l’administration » et « Il ne suffit pas […] d’invoquer de manière abstraite le motif d’exclusion pour refuser la publicité. Il y a lieu de vérifier concrètement si, au moment où elle est demandée, la publicité porte effectivement atteinte à la protection de la vie privée ». La Cour en déduit que des motifs d’exclusion d’accès aux documents administratifs qui se présentaient comme absolus doivent, pour être compatibles avec le droit d’accès aux documents administratifs, être interprétés comme étant relatifs.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Comme déjà dit ci-dessus (voir thème 1, question 4), la Cour constitutionnelle s’appuie constamment, en matière de liberté d’expression, sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle est plus abondante et plus variée que celle de la Cour constitutionnelle. Tous les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression contiennent un renvoi, une référence ou une citation de la jurisprudence strasbourgeoise. La Cour emprunte à la Cour européenne des droits de l’homme non seulement l’énoncé des principes et le vocabulaire, mais aussi la méthode et les standards de contrôle des ingérences dans la liberté d’expression et de la presse et, lorsque c’est possible, les solutions dégagées par celle-ci. La technique dite de « l’ensemble indissociable » (voir thème 1, question 1) permet à la Cour non seulement d’utiliser la Convention européenne des droits de l’homme comme norme de contrôle, mais également d’intégrer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’ensemble de ses sources.
À titre d’exemple, il est clair que la position de la Cour constitutionnelle suivant laquelle la communication commerciale est couverte par la liberté d’expression est directement influencée par la jurisprudence strasbourgeoise à ce sujet :
« L’information à caractère commercial est protégée par la liberté d’expression (CEDH, 20 novembre 1989, Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, § 26 ; 24 février 1994, Casado Coca c. Espagne, § 50 ; grande chambre, 13 juillet 2012, Mouvement raëlien c. Suisse, § 61 ; 30 janvier 2018, Sekmadienis Ltd. c. Lituanie) »[62].
Il en va de même de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la question soumise à la Cour s’inscrit dans le champ du droit européen :
« Selon la Cour de justice, ‘une transmission des données relatives au trafic et des données de localisation à des autorités publiques à des fins sécuritaires est susceptible […] d’entraîner des effets dissuasifs sur l’exercice par les utilisateurs […] de leur liberté d’expression, garantie à l’article 11 de la Charte. De tels effets dissuasifs peuvent affecter en particulier les personnes dont les communications sont soumises, selon les règles nationales, au secret professionnel ainsi que les lanceurs d’alertes dont les activités sont protégées par la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. En outre, ces effets sont d’autant plus graves que le nombre et la variété des données conservées sont élevés’ (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2020, C-623/17, Privacy international, point 72 ; voir dans le même sens CJUE, grande chambre, 8 avril 2014, C-293/12 et C-594/12, Digital Rights Ireland e.a., point 28 ; 21 décembre 2016, C-203/15 et C-698/15, Tele2 Sverige e.a., point 101 ; 6 octobre 2020, C- 511/18, C-512/18 et C-520/18, La Quadrature du Net e.a., point 118) »[63].
De manière générale, la Cour constitutionnelle ne s’inspire pas explicitement des jurisprudences des juridictions constitutionnelles d’autres pays, sauf cas exceptionnels. Il n’y a pas d’exemples en matière de liberté d’expression.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La conciliation entre la liberté d’expression et d’autres droits et libertés résulte toujours d’une balance des intérêts en présence (voir aussi ci-dessus, thème 2, question 3). Il s’en déduit que cette conciliation est extrêmement casuistique et que, suivant le cas d’espèce, la priorité sera donnée à la liberté d’expression ou à l’autre droit en balance.
En principe, si le but poursuivi par la mesure qui occasionne une ingérence dans la liberté d’expression est la sauvegarde ou la protection d’un autre droit fondamental ou d’une autre liberté publique, ce but sera considéré comme légitime et nécessaire dans une société démocratique. Ainsi, la Cour admet que la protection des droits et de la réputation d’autrui est un but légitime[64], de même que la protection de la santé publique[65], la lutte contre l’inégalité sur la base du sexe[66], ou encore la lutte contre la diffusion du racisme.[67] Dans chaque affaire, le juge, qu’il s’agisse de la Cour constitutionnelle, du juge judiciaire ou d’une juridiction administrative, va donc être amené à rechercher si l’ingérence dans la liberté d’expression est pertinente pour atteindre ce but et si elle est proportionnée à l’importance de l’objectif. Ce contrôle de proportionnalité peut inclure, dans certains cas, une recherche de l’existence de mesures aussi efficaces, mais entraînant un effet moindre sur la liberté d’expression.
La Cour n’a jamais eu à connaitre d’une législation relative au blasphème ou à la critique de la religion (voir aussi thème 1, question 6). La liberté d’expression n’a donc jamais été opposée, dans la jurisprudence de la Cour, à la protection des droits des croyants. En d’autres termes, la protection des droits des croyants ou d’une religion, quelle qu’elle soit n’a jamais été invoquée comme objectif poursuivi en vue de justifier une atteinte à la liberté d’expression. Par contre les mesures portant atteinte à la liberté de religion ou de croyance sont aussi appréhendées comme des ingérences dans la liberté d’expression. Il en va par exemple, des interdictions de porter certaines tenues vestimentaires ou d’arborer des signes convictionnels[68].
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Il est impossible de répondre à cette question de manière générale et abstraite. À chaque occasion, comme dit ci-dessus (voir question 8), la Cour procède à une balance des intérêts en présence et recherche si la mesure en cause satisfait au test de proportionnalité. Cet examen conduit tantôt à faire prévaloir l’intérêt général, tantôt les droits d’une catégorie de personnes, suivant les circonstances.
À titre d’exemples, on peut mentionner :
– un cas dans lequel la balance des intérêts penche en faveur de la liberté d’expression d’une personne ou d’une catégorie de personnes, par rapport à l’intérêt général ou aux intérêts de l’État : une régulation préventive de la publicité en faveur de l’achat d’animaux, en vue de limiter les achats impulsifs et de contribuer ainsi au bien-être des animaux, a été jugée incompatible avec la liberté d’expression parce que l’exercice de la liberté d’expression en matière commerciale par de nombreux détenteurs, vendeurs et éleveurs d’animaux était ainsi subordonné à une mesure préventive dont le contenu, la nature et la portée n’avaient pas été déterminés[69].
– un cas dans lequel la balance des intérêts penche en faveur de la liberté d’expression d’une personne ou d’une catégorie de personnes, par rapport à l’intérêt général ou aux intérêts de l’État : l’érection en infraction de la diffusion de certains messages ou toute autre manière de les mettre à la disposition du public avec l’intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, lorsque cette diffusion n’implique pas de risque qu’une ou plusieurs infractions terroristes puissent être commises, porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression[70].
– un cas dans lequel la balance des intérêts penche en faveur de l’intérêt général et permet de justifier l’ingérence ou la limitation de la liberté d’expression : une interdiction totale de publicité et d’affichage pour les produits du tabac, qui porte atteinte à la liberté d’expression des annonceurs et des producteurs de produits du tabac, est justifiée par l’objectif de santé publique visant à réduire la consommation de ces produits, surtout chez les jeunes[71].
– un cas dans lequel la balance des intérêts penche en faveur de l’intérêt général et permet de justifier l’ingérence dans la liberté d’expression : l’objectif de lutter contre les paroles et les comportements sexistes, qui portent atteinte à la valeur fondamentale de l’égalité des hommes et des femmes, justifie que des sanctions pénales soient prévues en cas de comportements attentatoires à la dignité humaine de la personne à cause de sa simple appartenance à un sexe, de cas dans lesquels est exprimé un mépris envers un sexe, une croyance fondamentale en l’infériorité intrinsèque d’un sexe[72]. Il faut souligner que la Cour fait à cette occasion une balance précise et qu’elle aboutit à cette conclusion après avoir relevé que l’infraction exige une intention spéciale (voir aussi ci-dessous, question 10).
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La liberté d’expression n’est pas absolue. Elle peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la protection des objectifs mentionnés dans les dispositions conventionnelles cités en réponse à la question 1, thème 1.
Pour le contrôle de la constitutionnalité et de la conventionnalité des ingérences dans la liberté d’expression, deux outils principaux sont mobilisés :
– le contrôle de légalité : pour être admise, l’ingérence dans la liberté d’expression doit être prévue par une loi (légalité formelle) suffisamment accessible et précise (légalité matérielle)[73] : par exemple, une disposition qui conditionne la reconnaissance d’une communauté religieuse locale au fait qu’elle ne reçoive aucune financement ou soutien étranger qui « affecte l’indépendance de la communauté religieuse » et les explications qu’en a données le législateur ne permettent pas « de déterminer de manière suffisamment prévisible quel financement ou soutien étranger est autorisé » et violent la liberté de religion et d’expression pour ce motif[74].
– le contrôle de nécessité dans une société démocratique, qui est en réalité un contrôle de proportionnalité : Les ingérences dans la liberté d’expression ne sont admises par la Cour que si elles satisfont au test de proportionnalité : il faut que la mesure soit justifiée par la poursuite d’un objectif légitime et impérieux et que l’ingérence n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. La Cour admettait par exemple en 2000 que la nécessité d’organiser et d’attribuer les fréquences hertziennes justifie que celles-ci soient réservées aux émissions locales et que les radios privées ne puissent émettre au plan national[75]. Pour prendre un autre exemple, la Cour estime à la suite de la Cour européenne des droits de l’homme que « lorsqu’il s’agit de prendre des mesures qui peuvent limiter la liberté d’expression, l’État doit éviter de recourir à des mesures pénales lorsque d’autres mesures, telles que des sanctions civiles, permettent d’atteindre l’objectif poursuivi »[76]. Lorsque le législateur estime qu’il est tout de même nécessaire de recourir à l’outil de l’incrimination pénale, le contrôle de proportionnalité exercé par la Cour est rigoureux : « Il ne peut donc s’agir d’une infraction dont l’existence serait présumée dès lors que les éléments matériels en sont réunis. Il appartient à la partie poursuivante de prouver l’existence du dol spécial requis.(…) L’exigence, d’une part, d’un dol spécial et, d’autre part, que l’infraction ait eu pour conséquence d’avoir gravement porté atteinte à la dignité de personnes déterminées exclut que puissent être incriminés, en l’absence d’un tel élément intentionnel ou d’un tel effet à l’égard d’une personne déterminée, les pamphlets, les plaisanteries, les caricatures, les opinions et, singulièrement, les opinions relatives à la place et au rôle différents des personnes en fonction de leur sexe au sein de la société, les publicités et toute expression qui, faute du dol spécial requis, relève de la liberté d’expression »[77]. Ainsi, si la Cour constate que l’ingérence dans la liberté d’expression causée par l’incrimination pénale est disproportionnée ou qu’elle n’est pas nécessaire dans une société démocratique, par exemple parce qu’il n’est pas prouvé que les propos incriminés ont créé un risque de passage à l’acte de terrorisme, elle annule la disposition attaquée[78].
- 11. Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Si la sauvegarde de l’ordre public est assurément un motif permettant de justifier une atteinte à la liberté d’expression en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour rappelle toutefois qu’il y a toujours lieu de tenir compte du respect de la liberté d’expression[79]. Le motif de sauvegarder l’ordre public ne saurait annihiler le contrôle opéré par la Cour sur l’atteinte à la liberté. Dès lors, il en va de la sauvegarde de l’ordre public comme de tous les autres motifs justifiant une ingérence ou une limitation de la liberté d’expression : l’ampleur de l’ingérence doit se trouver dans un juste rapport de proportionnalité par rapport à l’importance de l’objectif. L’arrêt n° 31/2018, rendu à propos de l’incrimination d’incitation au terrorisme, cité ci-dessus, en est un bon exemple. La Cour a jugé que l’objectif de simplifier la preuve de l’incitation au terrorisme ne pouvait justifier la suppression de la référence, dans la définition de l’infraction, au risque que les propos aient mené à la commission d’infractions terroristes.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Non.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Il n’y a pas d’exemple, dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Belgique, dans lequel elle a « réservé un régime juridique particulier » à la liberté d’expression. Par ailleurs, la Constitution elle-même ne prévoit pas de régime particulier de cette liberté en fonction de certaines circonstances.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La censure est une interdiction de faire usage de la liberté d’expression. Dès lors qu’il s’agit d’une mesure préventive, elle est en principe interdite par l’article 19 de la Constitution belge (voir thème 1, question 1). La Cour constitutionnelle l’a rappelé à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu en 2021 concernant la liberté d’expression en matière commerciale. Un des législateurs belges avait, en vue de lutter contre les achats impulsifs d’animaux qui conduisent fréquemment à des abandons, ce qui nuit au bien-être de ceux-ci, limité la possibilité de faire de la publicité pour les achats et les dons d’animaux destinés à des fins de production agricole à trois possibilités, dont, notamment à la publicité dans un groupe fermé sur des réseaux sociaux. Le législateur avait en outre habilité le pouvoir exécutif à définir les modalités d’utilisation des groupes fermés, ainsi qu’un régime d’enregistrement préalable à l’utilisation de ces groupes fermés. Saisie de recours contre cette disposition, la Cour constate d’abord que ce régime d’encadrement de la publicité en vue de la commercialisation ou de la donation d’animaux entre dans le champ d’application de la liberté d’expression. La Cour juge ensuite que la mesure attaquée n’est pas compatible avec la liberté d’expression en ces termes : « Compte tenu de l’interdiction, mentionnée à l’article 19 de la Constitution, de soumettre la liberté d’expression à des restrictions préventives, le législateur décrétal peut habiliter le Gouvernement à réglementer l’exercice de cette liberté pour autant que cette réglementation ne subordonne pas la diffusion de messages, quel que soit leur caractère, à la condition de remplir des exigences préalables qui pourraient dissuader des individus de faire usage de leur liberté, ce qui s’assimilerait à une mesure préventive. La disposition attaquée permet au Gouvernement de prévoir les modalités d’utilisation des groupes fermés sur les réseaux sociaux et un régime d’enregistrement préalable à leur utilisation avant que des publicités puissent être diffusées sur ceux-ci. Un tel enregistrement préalable signifie que les auteurs ou participants d’un groupe fermé sur les réseaux sociaux doivent enregistrer leur groupe publicitaire avant de pouvoir exercer leur liberté. En effet, il est interdit de diffuser un message commercial dans un groupe fermé sans que ce groupe soit enregistré auprès de l’autorité. L’exercice de la liberté d’expression en matière commerciale par de nombreux détenteurs, vendeurs et éleveurs d’animaux est ainsi subordonné à une mesure préventive dont le contenu, la nature et la portée n’ont pas été déterminés. »[80]
Il ressort de cet arrêt que les mesures préventives sont celles qui pourraient avoir pour but ou pour effet de dissuader les individus de faire usage de la liberté d’expression. Elles ne sont généralement pas admissibles, car la volonté du Constituant a été « de n’autoriser en règle le législateur à prévoir des mesures sanctionnant l’usage abusif de la liberté d’expression qu’après que celle-ci a été exercée »[81]. La Cour considère que l’interdiction de la censure implique « que l’intervention judiciaire n’est possible que lorsqu’une diffusion a déjà eu lieu »[82]. En revanche, les dispositions qui prévoient l’incrimination de certains propos, telle l’incitation à la haine ou à la discrimination, ne contiennent pas de mesures préventives puisqu’elles visent des propos déjà tenus. Ces dispositions peuvent être jugées compatibles avec la liberté d’expression, à condition qu’elles soient proportionnées à l’objectif poursuivi[83].
De manière exceptionnelle, la Cour a admis qu’un législateur adopte une mesure limitant la liberté d’expression de manière préventive. Il s’agissait d’une disposition permettant au Conseil de la radio et de la télévision d’intervenir préventivement en interdisant la diffusion d’une émission dans le cas où une infraction évidente, importante et grave à l’interdiction de diffuser des programmes nuisibles aux mineurs était commise[84]. La Cour prend soin de préciser, dans cette hypothèse, que la suspension de la retransmission du programme litigieux n’est possible que lorsque l’organisme de diffusion a déjà enfreint à deux reprises au moins la disposition en cause au cours des douze mois précédents, ce qui en garantit la proportionnalité.
La calomnie et la diffamation sont définies par l’article 443 du Code pénal belge : « Celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l’honneur de cette personne ou à l’exposer au mépris public, et dont la preuve légale n’est pas rapportée, est coupable de calomnie lorsque la loi admet la preuve du fait imputé, et de diffamation lorsque la loi n’admet pas cette preuve. »
La diffamation est une infraction pénale compatible avec la liberté d’expression garantie par l’article 19 de la Constitution puisqu’elle ne constitue pas une mesure préventive. Elle est également compatible avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui autorise les sanctions en vue de protéger la réputation ou les droits d’autrui.
La Cour constitutionnelle n’a pas eu à connaitre de cas de diffamation, si ce n’est dans l’hypothèse spécifique des dispositions incriminant le négationnisme. Faisant sienne l’appréciation de la Cour européenne des droits de l’homme dans la décision sur la recevabilité Roger Garaudy c. France, du 24 juin 2003, elle estime que « la négation ou la minimisation de l’Holocauste » doit être considérée comme « l’une des formes les plus aigües de diffamation raciale envers les Juifs et d’incitation à la haine à leur égard »[85]. Compte tenu de l’importance de l’objectif poursuivi, qui consiste à protéger les droits et la réputation d’autrui, la Cour considère que cette incrimination n’est pas contraire à la liberté d’expression.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les textes restrictifs de la liberté d’expression ou comportant une ingérence dans l’exercice de cette liberté sont jugés par la Cour constitutionnelle compatibles avec l’article 19 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 11, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’ils poursuivent un objectif d’intérêt général, si la mesure qu’ils mettent en œuvre est adéquate pour atteindre cet objectif et si elle satisfait au test de proportionnalité.
La Cour n’a pas été saisie de recours ou de questions préjudicielles concernant la compatibilité des lois de régulation des réseaux sociaux ou des fournisseurs d’Internet avec la liberté d’expression.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Cf. la réponse à la question précédente. Il n’est pas possible de répondre à cette question, à ce jour, étant donné l’absence de jurisprudence pertinente.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Durant la campagne électorale, les médias audiovisuels sont tenus de respecter un règlement, adopté par le collège d’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel[86] qui encadre leur responsabilité dans la couverture des élections. Chaque média définit lui-même comment il entend couvrir la période de campagne, en fonction de sa liberté éditoriale, mais les modalités qu’il adopte doivent respecter certains principes (équilibre, représentativité, interdiction de diffuser des propos ou des images incitant à la haine et à la discrimination…) qui sous-tendent l’esprit démocratique prévalant en toute période électorale.
L’obligation d’adopter des lignes conduites claires et transparentes quant à la couverture de la période électorale concerne les médias audiovisuels et les services en ligne (podcasts, vlogs, catalogues de vidéos …), mais pas les services ouvertement partisans, édités par des partis ou par des candidats.
La Cour constitutionnelle de Belgique n’a pas de compétences en matière de surveillance des élections ou de contentieux électoral.
À une occasion, la Cour a laissé entendre qu’elle pourrait faire une différence entre période électorale et période non électorale. Il s’agissait d’une interdiction faite aux éditeurs de services audiovisuels de diffuser de la publicité pour les partis politiques. La Cour a constaté que cette interdiction avait un caractère absolu et permanent et qu’elle ne se limitait pas à la campagne électorale. Elle en a conclu qu’en raison de ce caractère absolu et permanent, elle n’était pas raisonnablement justifiée[87].
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non.
Par rapport aux influences étrangères, mais dans un autre contexte que le contexte électoral, il peut être renvoyé à l’arrêt n° 133/2023, déjà cité en réponse à la question 6 du thème 1, par lequel la Cour a jugé que la condition de ne pas recevoir d’aide ou de financement étranger qui affecte l’indépendance pour être reconnu comme communauté religieuse locale et bénéficier des garanties et avantages liés à ce statut était disproportionnée.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
L’article 187 de la Constitution dispose : « La Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie ». Il en résulte que les libertés garanties par la Constitution ne peuvent être niées ou suspendues au motif que l’État connaitrait une situation d’urgence ou de trouble. Les restrictions « ordinaires », dûment justifiées par l’objectif poursuivi et satisfaisant au test de proportionnalité sont possibles en période de troubles de la même manière qu’en période non troublée, la situation de trouble étant le cas échéant prise en considération dans l’examen de la proportionnalité, mais la suspension totale des libertés ne peut jamais être justifiée, même en période troublée[88]. C’est ce que confirme la Cour constitutionnelle en ces termes : « une simple limitation d’un droit fondamental n’est pas, en soi, contraire à l’article 187 de la Constitution [surtout si] le contrôle juridictionnel prévu par la Constitution reste intact »[89].
Il n’y a pas d’exemple, dans l’histoire récente de Belgique, dans lequel la liberté d’expression des citoyens ou des médias aurait été limitée par le législateur en raison d’une période de troubles.
Toutefois, la récente crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 donne matière à réflexion.
Tout d’abord, dès lors que le confinement généralisé interdisait les rassemblements de plusieurs personnes, à l’intérieur, mais également en plein air, il est évident que la liberté de réunion et le droit de manifestation, qui sont des façons collectives d’exercer la liberté d’expression, ont été fortement restreints, voire tout à fait annihilés à certaines périodes. Il en va de même de la liberté de religion, dès lors que l’exercice collectif des cultes a été interdit pendant plusieurs semaines ou que l’assistance au culte a été drastiquement limitée, pour certaines périodes, à 15 personnes. Il en va encore ainsi de certaines formes d’expression artistique, telles que les arts de la scène. La Cour constitutionnelle n’a pas été saisie de ces mesures, qui échappaient à sa compétence, car elles étaient d’ordre réglementaire. Le Conseil d’État de Belgique les a, pour sa part, validées dans l’ensemble, considérant notamment que les citoyens à qui il était interdit de manifester ou de se réunir conservaient leur liberté d’expression, laquelle pouvait s’exprimer par d’autres moyens[90], ou encore qu’étant donné l’importance du but de santé publique poursuivi dans la situation pandémique provoquée par le virus, les restrictions à la liberté de professer sa religion collectivement n’étaient pas disproportionnées[91]. Dans deux affaires, le Conseil d’État a cependant constaté que les mesures adoptées pour contenir la pandémie portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Il a ainsi ordonné à l’État belge d’adopter des mesures provisoires, en concertation avec les représentants des cultes reconnus et de la morale non confessionnelle, remplaçant des mesures qu’il avait jugées disproportionnées dès lors qu’elles prévoyaient une jauge tellement basse qu’elles rendaient impossibles certains cultes exigeant un nombre minimum de fidèles présents[92]. Il a aussi suspendu une mesure, prise au cours du second confinement et ordonnant la fermeture des salles de spectacle, pour défaut de démonstration de la proportionnalité de cette ingérence dans, notamment, la liberté d’expression[93].
Ensuite, comme partout dans le monde, s’est posée la question de la désinformation et du danger que celle-ci pouvait faire courir en termes de santé publique (les affirmations fantaisistes pouvant faire croire au public, soit qu’il n’y avait pas de pandémie, soit que des remèdes farfelus étaient efficaces), ainsi que la crainte, liée à cette question, que la crise sanitaire ne serve de prétexte aux autorités pour réduire la liberté d’expression des médias et, en corollaire, l’accès au public à l’information. Le Conseil de l’Europe a, dans ce contexte, rappelé ses lignes directrices sur la protection de la liberté d’expression et d’information en temps de crise[94], et souligné l’importance d’un journalisme fiable, fondé sur des règles professionnelles et éthiques, pour informer le public et surveiller les mesures prises face à la pandémie[95]. Dans le même contexte, il a aussi été rappelé que la lutte contre la désinformation ne saurait justifier la censure : selon la Commission de Venise, « il n’est pas certain qu’il existe un motif valable pour […] restreindre [la liberté d’expression] en situation d’urgence » et les principes de nécessité et de proportionnalité « appellent à n’activer et appliquer qu’avec la plus grande prudence les mesures qui affectent la liberté des médias »[96]. La Cour constitutionnelle de Belgique n’a été saisie d’aucune affaire mettant en jeu une restriction de la liberté d’expression en ce sens due au contexte de crise sanitaire[97].
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Comme dit ci-dessus, la Constitution belge ne permet pas que les droits et libertés soient suspendus en raison de la survenance d’une période de troubles. La Cour ne saurait donc retenir a priori une définition différente des concepts intervenant dans le contrôle de constitutionnalité, notamment du concept de l’ordre public dont la sauvegarde constituerait la justification de l’ingérence dans la liberté, au motif qu’une période de trouble serait en cours ou aurait été reconnue officiellement.
En revanche, il est possible que l’existence d’une période de troubles, due par exemple à une menace terroriste ou à une menace sanitaire, soit prise en considération dans le contrôle de proportionnalité de la mesure et qu’elle ait à ce titre pour effet d’autoriser une ingérence plus importante dans la liberté d’expression. Jusqu’à présent, il n’y a toutefois pas d’exemple d’arrêt de la Cour indiquant qu’elle pourrait aller en ce sens.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Dès lors qu’à part la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, la Belgique n’a pas connu, au cours de son histoire récente, de période de troubles, il n’y a pas de matière pour répondre à cette question.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression ne se différencie pas des autres droits et libertés reconnus par la Constitution belge en ce qui concerne le rôle et la légitimité de la Cour constitutionnelle. La protection de tous les droits et libertés constitutionnels est au cœur du rôle de la Cour et contribue par conséquent à consolider sa légitimité.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Comme dit ci-dessus, la Cour constitutionnelle répète chaque fois qu’elle en a l’occasion que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique »[98].
Les défis auxquels font face les démocraties contemporaines sont différents de ceux que relevaient les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Constitution belge ou de la Convention européenne des droits de l’homme, pour ne citer qu’eux. Néanmoins, la liberté d’expression demeure fondamentale en démocratie. Elle lui est essentielle à la fois dans son versant actif (la liberté d’exprimer ses opinions en toutes matières), mais aussi dans son versant passif (la liberté de recevoir et d’aller chercher des informations fiables et correctes). Or, ces deux aspects peuvent entrer en tension (sans parler des possibilités de conflits avec d’autres droits fondamentaux, comme le droit au respect de la vie privée, le droit à l’honneur, le droit à ne pas faire l’objet de discriminations …), et l’importance qu’ont pris aujourd’hui les réseaux sociaux et les forums de toutes espèces ne fait qu’exacerber cette tension. Si chacun a le droit de s’exprimer, y compris en ce qui concerne les idées qui gênent et dérangent, jusqu’où va le droit de répandre, sciemment ou pas, des informations erronées ou des contre-vérités ? Dès lors que l’opinion publique est versatile et sensible aux messages simples et chocs, faut-il réglementer ou contrôler ce qui se dit, ainsi que les moyens financiers utilisés par les médias et les particuliers pour la mise en œuvre de l’expression ? Dès lors que certains publics sont plus vulnérables, est-il légitime de les protéger, par exemple en réglementant l’usage des moyens modernes de communication, le cas échéant en bridant la liberté d’expression de certaines personnes ? Quel organe dispose de la légitimité, mais aussi de la capacité, d’exercer de tels contrôles ? Ces interrogations sont au cœur des réflexions des démocraties[99] et le seront encore, assurément, dans les années à venir.
Cour constitutionnelle du Bénin
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
En matière de liberté d’expression, la Cour constitutionnelle du Bénin fonde ses décisions sur la loi fondamentale qui est la Constitution en son article 23 qui dispose que : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression… ».
Il est également possible de faire référence à la charte africaine des droits de l’homme. Cette charte, qui fait partie intégrante de la Constitution du Bénin, prescrit, en effet, en son article 9, alinéa 2 que la liberté d’expression est le droit pour toute personne d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
La formulation qui consacre la liberté d’expression dans la Constitution a prévu que cette liberté devrait s’exprimer « dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est un droit garanti par la Constitution à tout citoyen vivant sur le territoire béninois de s’exprimer. Cependant, le contenu de ses propos ne peut être de nature à enfreindre ni la loi ni la Constitution. (Voir la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans ce sens notamment, DCC 13-071 du 11 juillet 2013).
- 4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Le contenu qui est donné à la liberté d’expression est le même que celui retenu par la Cour africaine des droits de l’Homme. Cependant, la Cour constitutionnelle du Bénin se réfère plutôt à sa propre jurisprudence.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
De la liberté d’expression découle, au Bénin, plusieurs autres libertés. Il s’agit notamment, de la liberté de presse, la liberté d’opinion, la liberté de réunion et d’expression des croyances (voir dans ce sens les articles 23, 24 et 25 de la Constitution).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
« La liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression » ressortent de concert des prescriptions de l’article 23 de la Constitution du Bénin. Cependant, cette liberté est assujettie, outre l’ordre public, au respect de la laïcité de l’État (art. 23 de la Constitution). Par ailleurs, la Constitution prévoit que les institutions, les communautés religieuses ou philosophiques, ont le droit de se développer sans entraves. Elles ne sont pas soumises à la tutelle de l’État. Elles règlent et administrent leurs affaires de manière autonome.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La Constitution du Bénin n’a pas apporté de restrictions d’ordre général à la liberté d’expression. Elle n’a donc pas créé des catégories ou des particularités.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
En République du Bénin, la liberté d’expression est reconnue à toute personne sans discrimination. Cependant, les personnes publiques et les personnes exerçant des activités juridictionnelles sont soumises à travers des textes spécifiques, à une obligation de réserve.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les agents de l’État bénéficient comme tout citoyen béninois, d’une liberté d’expression. Cette liberté peut être limitée par le secret professionnel ou des dispositions légales spécifiques à chaque catégorie d’agent de l’État.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est encadrée par la Constitution de la République du Bénin. La Cour constitutionnelle ne s’y prononce qu’en cas de saisine par un citoyen qui estime que sa liberté d’expression a été entravée. En 2005, la Cour constitutionnelle du Bénin a décidé que les propos publics, tenus par une personnalité publique, relevaient du « mépris et d’insulte ».
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La question de la liberté d’expression a fait l’objet de peu de recours contrairement à d’autres droits garantis par la Constitution comme, par exemple, en matière de détention préventive ou de délai raisonnable.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le droit est considéré comme une prérogative accordée à une personne qui lui permet d’user d’une chose ou d’exiger d’une autre personne l’exécution d’une prestation. Quant à la liberté, elle est un droit reconnu à chacun de choisir son comportement, ses orientations personnelles et professionnelles. Il découle de ces deux définitions qu’une distinction peut être faite entre le droit, qui entraîne une exigence envers d’autres personnes, et la liberté qui concerne la reconnaissance de la propre volonté de l’intéressée. Dans la protection qui est accordée à la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle du Bénin, tout en reconnaissant cette liberté de s’exprimer, met à la charge de la personne qui en est titulaire, le respect des autres droits et libertés. La Cour n’établit donc pas une hiérarchisation entre les droits et les libertés, elle met à la charge de toute personne exerçant la liberté d’expression, la protection des autres droits et libertés.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Sinon, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La protection accordée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin n’a pas varié.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Les décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin n’ont pas varié en matière de liberté d’expression.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression consiste à déclarer conforme ou non le contenu des propos tenus dans l’usage de la liberté d’expression. Le bénéficiaire de la décision de la Cour constitutionnelle peut se prévaloir de celle-ci devant les juridictions du fond saisies des mêmes faits.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
En cette matière, la Cour constitutionnelle du Bénin se réfère à sa propre jurisprudence et au droit comparé avec un souci réel d’adaptation des solutions d’inspiration étrangère
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’expression n’entraîne pas au Bénin l’anéantissement des autres droits et libertés. La personne qui exerce sa liberté d’expression a l’obligation de respecter les autres droits et libertés notamment, la vie privée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression conduit au Bénin à protéger aussi bien l’intérêt général, par le refus de propos visant à déstabiliser l’État et entraver la cohésion nationale (voir notamment, DCC 13-071 du 11 juillet 2013 ; DCC 14-156 du 19 août 2014), que les droits et libertés individuelles par le refus de déclarer contraires à la Constitution certains propos tenus dans l’exercice de la liberté d’expression (voir notamment, DCC 05-084 du 18 août 2005, DCC 14-099 du 22 mai 2014, DCC 16-084 du 16 juin 2016).
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La Cour constitutionnelle du Bénin recourt effectivement au principe de proportionnalité en confrontant l’exercice de la liberté d’expression et la violation, par le contenu des propos tenus, d’une loi spécifique ou de la Constitution.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, ce n’est pas l’exercice de la liberté d’expression qui est déclaré contraire ou non à la Constitution. Mais plutôt le contenu des propos. Si le contenu des propos tenus au cours de l’usage de la liberté d’expression est de nature à troubler l’ordre public, ces propos sont jugés contraires à la Constitution. La liberté d’expression n’est pas pour autant retirée à la personne qui a tenu de tels propos. Il convient de souligner que la Constitution du Bénin fait une distinction entre la liberté d’expression accordée à tous et la liberté de presse également garantie par la Constitution.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Dans le contrôle du respect de la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle du Bénin prend également en compte l’identité de la personne qui s’exprime, la fonction qu’elle occupe et l’impact de ses propos sur la population.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
En République du Bénin, le développement du numérique et la digitalisation des services publics ont conduit à l’adoption d’un code du numérique. Cette loi prévoit certaines règles qui encadrent la liberté d’expression.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression est protégée jusqu’au moment où l’exercice de cette liberté ne viole pas d’autres droits reconnus à toute personne vivant au Bénin. La loi relative à la libéralisation de l’espace audiovisuel fait obligation aux organes de radiodiffusion et de télévision de conserver pendant quinze (15) jours au moins l’enregistrement intégral de leurs émissions dans le but de permettre l’exercice du droit de réponse conformément aux dispositions de la loi en vigueur en la matière. Il ne peut y avoir de censure que dans le respect des textes en vigueur. Pour ce qui concerne la diffamation, elle est punie par les dispositions pénales en vigueur.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Le Bénin n’a pas prévu de textes restrictifs de la liberté d’expression.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Lorsque la liberté d’expression est exercée par les individus via les réseaux sociaux, en plus de la Constitution, le code du numérique du Bénin est applicable. En revanche, lorsque la liberté d’expression est exercée via les modes d’expressions classiques, il n’est pas fait référence au code du numérique.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Il existe une protection particulière de la liberté d’expression en période électorale, notamment en ce qui concerne les propos tenus au cours de la campagne électorale. Le code électoral en vigueur au Bénin indique en effet que la campagne électorale vise à « amener les électeurs à soutenir les candidats en compétition ». En application de cette disposition, la Cour constitutionnelle a jugé que « l’appel à ne pas soutenir un candidat adverse ou l’invocation du risque qu’il y a pour les électeurs auxquels on s’adresse à lui donner leurs suffrages, participe au jeu normal d’une confrontation électorale », il n’y a donc pas violation de la Constitution de ce chef. (Voir dans ce sens, DCC 23-038 du 23 février 2023).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Toute personne vivant sur le territoire béninois a les mêmes droits protégés par la Constitution qu’un citoyen de nationalité béninoise. Cependant, les organisations diplomatiques et autres organismes étrangers représentés au Bénin doivent respecter les règles diplomatiques qui les régissent.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La liberté d’expression étant protégée par la Constitution, les limites à l’usage de cette liberté sont mentionnées dans les lois spécifiques à chaque question (code électoral, code pénal pour les troubles à l’ordre public, etc.)
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La liberté d’expression étant protégée par la Constitution, les limites à l’usage de cette liberté sont mentionnées dans les lois spécifiques à chaque question (Code électoral, Code pénal pour les troubles à l’ordre public, etc.).
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
La Cour constitutionnelle du Bénin a également pour attribution la régulation du fonctionnement des Institutions de la République. De ce fait, elle joue plutôt un rôle préventif des troubles.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression est une liberté parmi tant d’autres qui sont protégés par la Constitution. Elle n’assure donc pas à elle seule la légitimité de la Cour constitutionnelle. Pour rappel, la création de la Cour constitutionnelle du Bénin est une volonté du peuple béninois qui s’est manifestée lors de la conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est donné à chaque personne vivant sur le territoire béninois la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle lorsqu’elle estime que ses droits protégés par la Constitution sont méconnus. La Cour constitutionnelle du Bénin tient donc sa légitimité du rôle central de protection que le peuple béninois lui a conféré.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression est un droit protégé qui est un outil permettant à chaque citoyen de s’exprimer librement et sans crainte. Cependant, cette liberté doit s’exercer dans le respect des textes en vigueur pour assurer la construction d’une société plus démocratique.
Cour constitutionnelle de Bulgarie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est prévue par la Constitution. Les dispositions des articles 39, 40 et 41 de la Constitution de la République de Bulgarie affirment comme droits fondamentaux de l’individu le droit d’exprimer et de diffuser librement des opinions et le droit de rechercher, de recevoir et de transmettre des informations. Ce droit s’étend à la liberté de chacun d’avoir des opinions et de recevoir, de communiquer et de transmettre des opinions, des idées ou des informations, quel que soit le moyen d’expression utilisé. Il s’agit de l’un des droits fondamentaux de l’individu. Il est au cœur des processus démocratiques, il est l’un des principes les plus importants sur lesquels se construit toute société démocratique, et il est une condition de son progrès et de l’épanouissement de chaque individu. Son importance exceptionnelle est soulignée dans la décision interprétative de la Cour constitutionnelle n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
La liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Les justifications de sa limitation sont contenues dans la Constitution – dans les articles 39, 40 et 41, qui ne permettent pas qu’il soit utilisé pour porter atteinte aux droits et intérêts explicitement énumérés, ainsi que dans l’article 57, alinéa 2, général à tous les droits, qui n’en permet pas l’abus, ni l’exercice s’il porte atteinte aux droits ou intérêts légitimes d’autrui.
La formulation qui consacre la liberté d’expression est immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter. L’art. 39, alinéa 1, dispose que toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions par la parole, par écrit ou oralement, par le son, l’image ou tout autre moyen. L’alinéa 2 de cette disposition précise que ce droit ne peut être utilisé pour porter atteinte aux droits et à la réputation d’autrui ou pour appeler à une modification violente de l’ordre constitutionnellement établi, à la commission de délits, à l’incitation à l’hostilité ou à la violence à l’égard de la personne.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Dans sa décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996, la Cour constitutionnelle a apporté des éclaircissements détaillés sur la nature des libertés de communication dont la liberté d’expression fait partie. Elle a déclaré que la liberté d’expression établie à l’article 39 alinéa 1 de la Constitution est « une sorte de ‘droit mère’ » de tous les autres droits de communication, car ils en découlent. La Constitution garantit et protège la liberté d’avoir une opinion et de la faire connaitre à d’autres – à la fois en tant que comportement personnel et en tant que processus social, indépendamment du contenu de l’opinion. Les concepts d’« expression » et de « diffusion » ne se limitent pas à la « parole », mais englobent toute une série de moyens et de manières d’exprimer des pensées, des opinions, des points de vue, des informations et des données. Le droit d’exprimer librement ses opinions couvre tous les moyens qui « transmettent » ou diffusent des opinions, des idées ou des informations, indépendamment du contenu ou du moyen de « transmission ». Il présuppose l’existence d’un sujet qui fait connaitre son opinion. La Cour affirme que la « La protection constitutionnelle s’étend à la source de l’opinion (information), à la ‘transmission’ elle-même et au destinataire ».
L’article 39, alinéa 1, met l’accent sur le droit d’exprimer et de diffuser librement une opinion. Ce droit s’étend à la possibilité de diffuser l’opinion par divers moyens, y compris la presse écrite, la radio, la télévision, etc. En ce sens, l’expression « droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions » est plus large que les synonymes « liberté d’expression », « liberté de la presse », etc. La Cour considère qu’elle a le caractère d’un concept générique qui intègre les autres et dénote en même temps un droit indépendant.
Considéré en soi, le droit prévu à l’article 39, alinéa 1, est avant tout un droit individuel de la personne. Il est directement lié à la liberté de pensée (article 37, alinéa 1 de la Constitution) et de croyance (article 38 de la Constitution) et à la dignité de la personne humaine, élevée au rang de principe suprême par le préambule de la Constitution, et sa garantie par l’État est un principe constitutionnel fondamental (article 4, alinéa 2 de la Constitution).
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Sans que la Cour constitutionnelle ne donne une définition univoque de la liberté d’expression, on peut déduire de sa jurisprudence que le contenu du concept n’est pas différent de la manière dont il est utilisé dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) (article 10) et en particulier dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans ses décisions où la Cour constitutionnelle contrôle la conformité d’une disposition législative à la Constitution et/ou à la CEDH, elle ne constate pas de divergence entre le contenu que les deux systèmes juridiques donnent à la liberté d’expression.
La Cour constitutionnelle estime pertinent de noter que, contrairement aux dispositions constitutionnelles d’autres pays et à la jurisprudence relative à l’application de l’article 10 de la CEDH, les droits prévus aux articles 39-41 de la Constitution de la République de Bulgarie n’intègrent pas directement le droit à l’expression artistique dans la liberté d’expression. Une disposition distincte lui est consacrée – l’article 54, alinéa 2, de la Constitution, selon lequel la liberté de création artistique, scientifique et technique est reconnue et garantie par la loi (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Comme c’est déjà noté la Cour constitutionnelle considère que la liberté d’expression établie à l’article 39 alinéa 1 de la Constitution est « une sorte de ‘droit mère’ » de tous les autres droits de communication, car ils en découlent (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996). La Cour constitutionnelle considère comme un principe directeur le droit d’exprimer librement son opinion, qui découle directement de l’inviolabilité de la dignité humaine, de la liberté de pensée et de l’autodétermination individuelle. Elle affirme qu’il s’agit d’une part d’un droit indépendant et d’autre part d’une sorte de notion générique qui englobe les autres droits proclamés dans les dispositions des articles 39 à 41 de la Constitution. C’est un droit fondamental qui incorpore en quelque sorte les autres. Néanmoins, les trois dispositions en question (articles 39, 40, 41) contiennent – à côté du droit fondamental – un catalogue de droits supplémentaires et spécifiques : la liberté de la presse, la liberté des autres moyens de communication de masse (surtout la radio et la télévision), le droit de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations. La liberté de la presse et des autres médias est garantie constitutionnellement par l’interdiction de la censure, et le droit de rechercher et de recevoir des informations (article 41, alinéa 1) – par l’obligation des autorités de l’État de les fournir (Décision n° 7 du 4 juin 1996, affaire n° 1/1996).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Du point de vue de la valeur du droit d’exprimer une opinion sur la liberté du débat politique – dans le cadre de la discussion publique, la Cour constitutionnelle considère que les déclarations qui affectent les activités des autorités publiques ou qui constituent une critique des personnalités politiques, des fonctionnaires ou du gouvernement méritent un niveau de protection plus élevée. La Cour affirme que les autorités publiques en général, ainsi que les personnalités politiques et les fonctionnaires, peuvent être soumis à un niveau de critique publique plus élevé que celui auquel sont soumis les particuliers (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996, Décision № 20 du 14 juillet 1998 affaire constitutionnelle № 16/98).
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a noté que la question de savoir à qui appartiennent les droits fondamentaux visés aux articles 39 à 41 de la Constitution ne peut recevoir de réponse univoque. Selon la Cour constitutionnelle, les titulaires de ces droits – selon l’hypothèse spécifique – peuvent être à la fois l’individu et le public. Les dispositions des articles 39, 40 et 41 de la Constitution protègent le droit de l’individu à la libre expression de son essence et de sa dignité en tant que participant égal à la communauté sociale. Le droit de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations en vertu de l’article 41, alinéa 1, de la Constitution appartient à chacun – personnes physiques et morales. Il s’applique également à la presse et aux autres médias. Le droit prévu à l’article 39, alinéa 1, est avant tout un droit individuel. La Constitution l’accorde à « chacun ». Et même « chacun » inclut les personnes physiques et morales, il est directement lié à la liberté de pensée (article 37, alinéa 1) et de croyance (article 38) et est lié à la dignité de la personne. La qualité de titulaire est également attribuée à l’individu, dans certains cas, à l’entreprise, dans d’autres cas, et aux institutions, dans un troisième cas. Par conséquent, le droit à la liberté d’expression, conçu à la fois comme un droit fondamental général et du point de vue de ses manifestations spécifiques, n’est pas seulement et exclusivement un droit individuel qui peut être considéré et interprété comme un droit protecteur, mais il est en même temps une garantie institutionnelle et, en ce sens, il possède également des aspects positifs en termes d’obligations de l’État (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Voir la réponse à la question 7 du sous-thème 1.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, aucune hiérarchie ne peut être établie entre les différents droits fondamentaux des citoyens, au sein desquels la liberté d’expression occupe une place particulière. Toutefois, on peut noter que dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a estimé que « sans l’absolutiser ni lui donner une place particulière dans une quelconque hiérarchie de valeurs et de droits, son importance est fondamentale pour l’ordre constitutionnel établi. Pour l’individu, le droit d’exprimer son opinion et de la diffuser par la parole, qu’elle soit écrite ou orale, par l’image sonore ou autrement (article 39, alinéa 1) semble être immanent à son essence et à sa capacité de se réaliser dans la réalité sociale. La liberté d’opinion exerce une contrainte sur la capacité de régulation de l’État dans de nombreux domaines de la vie publique. Ce droit sous-tend à la fois le pluralisme politique (article 11, alinéa 1) et l’inadmissibilité du monopole des sphères politiques, idéologiques et spirituelles en général (article 11, alinéa 2), ainsi que d’autres droits (par exemple le droit à l’information en vertu de l’article 41, alinéa 1) » (Décision n° 15 du 28 septembre 1993 dans l’affaire n° 17/1993, Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996).
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Voir la réponse précédente.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle n’a pas modifié sa jurisprudence en matière de la liberté d’expression.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle influence la jurisprudence des juridictions du fond. Ceci est particulièrement vrai pour les décisions interprétatives de la Cour constitutionnelle qui, dans le dispositif de la décision, précisent le sens et le contenu du texte constitutionnel. Une fois adoptées, elles s’imposent à tous, y compris les juridictions du fond.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle tient souvent compte de la jurisprudence des tribunaux d’autres systèmes juridiques. Dans le domaine des droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle se réfère souvent aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH). En ce sens, dans les motifs de la décision n°2/1998 dans l’affaire n° 15/1997, elle a déclaré que « les normes de la CEDH en matière de droits de l’homme ont une portée européenne et civilisationnelle pour l’ordre juridique des États partis à la CEDH et sont des normes de l’ordre public européen. Par conséquent, l’interprétation des dispositions pertinentes de la Constitution en matière de droits de l’homme doit être cohérente, dans la mesure du possible, avec l’interprétation des normes de la CEDH. Ce principe d’interprétation conforme est également compatible avec la compétence contraignante de la Cour européenne des droits de l’homme, internationalement reconnue, en matière d’interprétation et d’application de la CEDH ».
Ceci constitue une base pour la Cour constitutionnelle, dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité aux cas où les droits garantis par la Constitution et la Convention sont en jeu, de prendre en compte les clarifications, les garanties et le développement des normes relatives à ces droits, adoptées dans la jurisprudence évolutive de la Cour européenne des droits de l’homme (Décision n°11 du 28 juillet 2022 dans l’affaire constitutionnelle n°3/2022). Une condition préalable à l’utilisation de cette approche d’interprétation conforme à la jurisprudence de la CourEDH est l’ambiguïté ou le manque de clarté dans la signification d’une disposition constitutionnelle spécifique, dans laquelle il est possible de trouver différentes prescriptions normatives (Décision n° 8 du 18 octobre 2022 dans l’affaire constitutionnelle n°15/2022). Plus précisément, dans une affaire relative à la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle a estimé que pour « statuer sur le fond, elle prend également en compte les dispositions pertinentes de (…) la CEDH, ainsi que les concepts établis dans la jurisprudence de la CJUE et de la CourEDH, qui sont essentiels en matière de deux droits fondamentaux – le droit à la protection des données personnelles et le droit à la liberté d’expression et d’information – lorsqu’elle clarifie le sens et la portée de la disposition contestée dans la requête » (Décision n°8 du 15 novembre 2019, dans affaire constitutionnelle n° 4/2019).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Voir la réponse à la question 10 du sous-thème 2.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Voir la réponse à la question 10 du sous-thème 2.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Souvent, la Cour constitutionnelle en vue de la protection de la liberté d’expression exerce un contrôle de proportionnalité. La Cour estime qu’une mesure restrictive en matière de liberté d’expression doit être proportionnelle à la nature de l’intérêt protégé. La Cour a conclu que cette exigence existe lors de l’interprétation des articles 39-41 de la Constitution, estimant que « la mesure dans laquelle il est permis de restreindre le droit à la liberté d’expression dépend de l’importance de l’intérêt évalué comme étant également soumis à la protection constitutionnelle » (Décision n° 7 du 4 juillet 1996 dans l’affaire n° 1/1996, Décision n° 20 du 14 juillet 1998 dans l’affaire n° 16/98).
La Cour constitutionnelle considère que « la mise en balance est un point important dans l’appréciation de la compatibilité d’une mesure restrictive à l’égard d’un droit fondamental, en l’occurrence le droit à la liberté d’expression et d’information » (Décision n°8 du 15 novembre 2019 dans l’affaire constitutionnelle n°4/2019).
La Cour constitutionnelle note qu’il s’agit d’une approche pragmatique dans la jurisprudence lorsqu’il s’agit de statuer sur des litiges relatifs aux droits. Elle vise à surmonter « le formalisme en droit » et se concentre sur la vie réelle. Fondée sur l’argument de la nature non absolue des droits, cette approche garantit que chacun des intérêts concurrents est reconnu selon ses propres mérites – il n’y a pas de perdants et chacun reçoit ce qui lui est dû dans les circonstances. La Cour affirme que par nature, la mise en balance est une activité d’analyse et d’évaluation qui s’effectue au cas par cas. Il ne s’agit pas d’une activité consistant à organiser des règles pour résoudre de futurs cas spécifiques de tension entre des droits fondamentaux, susceptibles d’être appliqués universellement à la lumière d’une hiérarchie rigide d’intérêts et de principes. Le processus de mise en balance donne la primauté aux intérêts dans des circonstances particulières et n’établit donc pas de règles précises et permanentes, mais au contraire, elles sont sujettes à changement (Décision n° 8 du 15 novembre 2019 dans l’affaire constitutionnelle n°4/2019).
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Voir la réponse à la question précédente. La Cour constitutionnelle évalue au cas par cas la relation entre la liberté d’expression et l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Comme indiqué ci-dessus, les outils jurisprudentiels les plus couramment utilisés pour contrôler le respect des droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression, sont l’interprétation conforme (y compris avec la jurisprudence de la CourEDH) et le contrôle de proportionnalité.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
En 1998, la Cour constitutionnelle a eu l’occasion à se prononcer sur la constitutionnalité des normes du Code pénal qui prévoient responsabilité pénale pour injure et diffamation. La Cour considère que La responsabilité pénale pour injure et diffamation est l’une des garanties juridiques qui assurent la protection de la dignité de l’individu. Son inscription dans le Code pénal répond à l’exigence constitutionnelle et dans les traités internationaux, de l’obligation de l’État de garantir la dignité de la personne. Par conséquent, la responsabilité (pénale et civile) pour injure et diffamation comme moyen de protection de l’honneur, de la dignité personnelle et de la réputation constitue une restriction proportionnelle du droit à la liberté d’expression telle qu’elle est autorisée par la Constitution et la CEDH (Décision n°20 du 14 juillet 1998 dans l’affaire constitutionnelle n°16/1998).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Jusqu’à présent, la Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ces questions.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ces questions.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ces questions.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Comme indiqué, la liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Les justifications de sa limitation sont contenues dans la Constitution – dans les articles 39, 40 et 41, qui ne permettent pas qu’elle soit utilisée pour porter atteinte aux droits et intérêts expressément énumérés, ainsi que dans l’article 57, alinéa 2, commun à tous les droits, qui ne permet pas leur abus, ni leur exercice s’il porte atteinte aux droits ou aux intérêts légitimes d’autrui. L’article 57, alinéa 3 de la Constitution dispose qu’en cas de déclaration de guerre, d’état de siège ou d’autre état d’exception, l’exercice des droits individuels des citoyens peut être temporairement limité par la loi, à l’exception des droits prévus aux articles 28, 29, 31, par. 1, 2 et 3, de l’article 32, par. 1 et de l’article 37. Il s’agit de droits absolus, dont l’exercice ne peut être restreint pour quelque motif que ce soit, la liberté d’expression n’en faisant pas partie, à savoir : le droit à la vie et l’interdiction de la torture, les garanties du droit à la liberté personnelle, à savoir le droit de toute personne d’être remise à la justice dans un délai légalement défini, l’interdiction de la condamnation sur la base de l’autoconfession, la présomption d’innocence, l’inviolabilité de la vie privée et la liberté de conscience, de pensée et de choix de la religion.
La Constitution ne contient pas des règles prévoyant des restrictions particulières relatives à la liberté d’expression en période de troubles.
Dans le dispositif de sa décision interprétative n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n°1/1996, la Cour constitutionnelle a expressément déclaré que la restriction de ces droits est autorisée dans le but de protéger d’autres droits et intérêts également protégés par la Constitution et qu’elle ne peut se faire que pour les motifs prévus par la Constitution. Leur restriction par la loi pour des motifs autres que ceux spécifiés dans la Constitution n’est pas autorisée.
En imposant ces restrictions, les organes législatifs, exécutifs et judiciaires sont tenus de garder à l’esprit la grande importance publique du droit à la liberté d’expression, à la liberté des médias et au droit à l’information, et les restrictions (exceptions) auxquelles ces droits peuvent être soumis sont donc appliquées de manière restrictive et uniquement pour assurer la protection d’un intérêt concurrent.
Parmi ces justifications, la possibilité d’interférer avec le droit d’exprimer librement son opinion lorsqu’il est utilisé pour porter atteinte aux droits et à la réputation d’autrui est la plus grande, puisque l’honneur et la dignité ainsi que la réputation de l’individu sont ainsi protégés par l’article 4, alinéa 2, et par l’article 32 de la Constitution. Cette restriction constitutionnelle ne signifie pas que la critique publique, en particulier des personnalités politiques, des fonctionnaires et des autorités publiques, ne peut pas avoir lieu.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Jusqu’à présent, la Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de répondre à cette question dans sa jurisprudence.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Dès 1996, la Cour constitutionnelle a estimé que la liberté d’expression est l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose toute société démocratique et l’une des conditions essentielles de son progrès et de l’épanouissement de chaque individu. Cette liberté s’applique non seulement aux « informations » ou « idées » qui trouvent un accueil favorable, qui ne sont pas considérées comme offensantes ou qui sont reçues avec indifférence, mais aussi à celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou toute autre partie de la population. Telles sont les exigences du pluralisme, de la tolérance, sans lesquelles une « société démocratique » ne saurait être qualifiée de telle (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire constitutionnelle n°1/1996).
Conseil constitutionnel du Burkina Faso
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression trouve son fondement dans l’article 8 de la Constitution burkinabé qui dispose que « les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis.
Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ».
De même, l’article 101, alinéa 2 de la Constitution inscrit dans le domaine de la loi, la détermination de plusieurs principes fondamentaux, dont celui de « la protection et de l’exercice de la liberté de presse »
La liberté d’expression est en outre consacrée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 et l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 1er juin 1981 (entrée en vigueur le 21 octobre 1986). Il faut préciser que ces instruments juridiques internationaux ont été rappelés dans la Constitution burkinabé en son préambule qui en fait partie intégrante.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui, la formulation de l’article 8 de la Constitution consacrant la liberté d’expression contient sa propre limitation ; en effet, cet article 8 de la Constitution, après avoir déclaré que « Les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis » précise aussitôt que « toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ». Ces limitations résultent des lois :
– numéro 057-2015/CNT du 04 septembre 2015 portant régime juridique de la presse écrite,
– numéro 058-2015/CNT du septembre 2015 portant régime juridique de la presse en ligne, et
– numéro 059-2015/CNT du 04 septembre 2015 portant régime juridique de la radiodiffusion sonore et télévisuelle.
Les principales limitations à la liberté de la presse se situent dans le respect de la vie privée et la dignité des personnes.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La loi ne donne pas une définition de la liberté d’expression. Considérée comme une liberté fondamentale, l’article 8, alinéa 2, de la Constitution dispose expressément que « toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ». Selon l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen que ce soit ».
La liberté d’expression peut donc être définie comme le droit pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer ses opinions par tous les moyens, sous réserve des limitations imposées par la loi.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion dans sa jurisprudence de donner une définition de la liberté d’expression.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Comme énoncé au point 4 ci-dessus, notre juridiction n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les différentes déclinaisons de la liberté d’expression.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi des cas de violation de la liberté d’expression. Il n’a pas encore eu à opérer une conciliation entre liberté d’expression et blasphème.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est réglementée dans la loi. En plus des limitations d’ordre général, certains agents publics (militaires, magistrats, fonctionnaires…) sont soumis à une obligation de réserve.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à tous, avec des aménagements tenant compte des spécificités des métiers, dans l’intérêt général.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression est reconnue à tous les agents publics. Elle s’exprime dans le respect des obligations de réserve qui leur sont imposées par la loi.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur la protection de la liberté d’expression dans sa décision n° 2019-013/CC du 19 juillet 2019 sur la constitutionnalité de la loi 044- 2019/AN du 21 juin 2019 portant Code pénal. Il s’est autosaisi pour contrôler la loi. Il n’est pas souvent saisi.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas une importante jurisprudence en matière de protection de la liberté d’expression
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion d’établir cette hiérarchie, étant entendu qu’il est saisi rarement.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé dans le fond sur la protection de la liberté d’expression.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Se référer à la réponse précédente.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
Se référer à la réponse de la question n° 4.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Réponses précédentes. L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Réponses précédentes. L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Réponses précédentes. L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Il n’y a pas de jurisprudence du Conseil Constitutionnel en la matière.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Voir les réponses précédentes : L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les périodes de troubles sociaux ou de crise sécuritaire peuvent conduire les autorités à aménager un régime juridique particulier de la liberté d’expression, dans le souci de préserver la paix et la cohésion sociale.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Elle s’exerce dans le cadre des lois et règlements qui y apportent des limitations. Ainsi, la diffamation ne saurait être considérée comme l’exercice légitime de La liberté d’expression.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les différentes restrictions à la liberté d’expression sont dans la loi. Elles sont de divers ordres. Au Burkina Faso, le législateur a adopté les lois, n° 057-2015/CNT du 4 septembre 2015 portant régime juridique de la presse écrite, 058-2015/CNT du septembre 2015 portant régime juridique de la presse en ligne et 059-2015/CNT du 4 septembre 2015 portant régime juridique de la radiodiffusion sonore et télévisuelle. Le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ces lois.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Comme indiqué plus haut, le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé au fond sur les questions relatives à la liberté de la presse.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Les limitations sont celles prévues par la loi.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Les limitations sont les mêmes pour tous.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La protection de la liberté d’expression se fait à deux niveaux : devant les juridictions administratives contre les abus de l’exécutif, et devant le Conseil constitutionnel contre les dispositions législatives portant atteinte au droit garanti par la Constitution. Le Conseil constitutionnel n’a pas encore été saisi pour statuer sur des cas d’atteinte à la liberté d’expression en période de trouble ou portant sur l’accès à Internet et la limitation de la pluralité dans les médias.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas de jurisprudence en la matière qui puisse dégager une définition de la notion d’ordre public.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Le Conseil constitutionnel veille au respect des droits et libertés garantis par la Constitution. À ce titre, la protection de la liberté d’expression fait partie de ses missions. En période de troubles, le rôle du Conseil constitutionnel est encore plus accru, face aux velléités de restrictions du législateur.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Le Conseil constitutionnel veille au respect de la liberté d’expression tout comme les autres droits et libertés garantis par la Constitution. En usant très souvent de son pouvoir d’auto-saisine, il pourra renforcer son rôle et sa légitimité.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression est un des piliers de l’État de droit. Lorsqu’elle est bien réglementée, elle favorise l’émergence d’une société ouverte, tolérante et respectueuse de l’État de droit.
Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel respecte la Constitution et les lois en vigueur et se fonde sur les principes de l’état de droit et les principes de la démocratie libérale pluraliste qui englobent la liberté de presse, la liberté d’information, la liberté de réunion, la liberté de grève et de manifestation pacifique, la liberté de création et d’adhésion à un parti politique, à un syndicat, à une association, à une organisation non gouvernementale, à la société civile, etc.
L’article 31 de la Constitution du Royaume du Cambodge stipule que « Le Royaume du Cambodge reconnaît et respecte les droits de l’homme tels qu’ils sont inscrits dans la Charte des Nations Unies, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans tous les traités et conventions relatifs aux droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Les citoyens khmers sont égaux devant la loi, ils ont les mêmes droits, les mêmes libertés et les mêmes devoirs sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de croyances, de religions, de tendances politiques, d’origine de naissance, de classe sociale, de fortune ou d’autres situations. L’exercice des droits et libertés par chaque individu ne doit pas porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. Ces droits et libertés doivent s’exercer dans les conditions fixées par la loi. »
L’article 41 stipule que « Tout citoyen khmer a la liberté d’exprimer ses opinions personnelles, la liberté de presse, la liberté de publication et la liberté de réunion. Nul ne peut profiter de la jouissance de ces droits pour en abuser et porter atteinte à l’honneur d’autrui, aux bonnes mœurs et coutumes de la société, à l’ordre public et à la sécurité nationale. Le régime de la presse est réglementé par la loi. »
L’article 1er de la loi sur le régime de la presse stipule que « La présente loi détermine le régime de la presse et garantit la liberté de la presse, et la liberté de publication conformément aux articles 31 et 41 de la Constitution du Royaume du Cambodge. » Et l’article 3 de la même loi stipule que « Pour garantir l’indépendance de la presse, la censure est interdite. »
Pour les autres lois concernées, voir les notes 1 et 2.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. Voir le paragraphe 3 de la réponse à la première question plus haut.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Telle qu’elle est définie dans la réponse à la première question, la liberté d’expression est un droit fondamental qui permet à chacun d’exprimer librement ses opinions à condition que ces opinions n’affectent pas l’honneur des autres ni les bonnes mœurs sociales, l’ordre public et la sécurité nationale.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition et le contenu que le Cambodge accorde à la liberté d’expression ne diffèrent pas de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Le Conseil constitutionnel considère la liberté d’expression comme une liberté matricielle dont découlent d’autres libertés. À ce titre, notre Conseil a été saisi pour le contrôle de constitutionnalité de plusieurs lois organiques qu’il a jugées conformes à la Constitution. Ce sont à titre d’exemples, les lois portant sur les partis politiques, sur les élections législatives, sur les élections sénatoriales, sur les élections des conseils communaux, sur les élections des conseils de capitale, province, ville, district, arrondissement, sur le statut des députés, sur le statut des sénateurs, sur le syndicat, sur les associations et les organisations non gouvernementales, etc. À part cela, concernant une requête relative au contrôle de constitutionnalité de la loi de 1991 portant sur les manifestations, le Conseil constitutionnel a constaté qu’il semble que le requérant concevait la liberté d’expression comme étant une liberté sans limites et compte tenu de l’esprit de la Constitution, le Conseil a jugé que la loi de 1991, qui fait l’objet de la contestation, est conforme à la Constitution, en interprétant comme suit : « la manifestation est une action d’un groupe d’individus qui manifestent en public pour exprimer leurs sentiments, leurs points de vue, ou leur volonté. Les droits à la manifestation et ceux à la grève sont les droits des citoyens stipulés dans la Constitution. Mais les citoyens doivent s’en servir pacifiquement sans toucher aux droits d’autrui et à l’ordre public, à l’environnement, au bien-être public et à la sécurité publique. »
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le Conseil constitutionnel n’a jamais été confronté à la conciliation entre la liberté d’expression et le blasphème, car le Royaume du Cambodge pratique le principe d’harmonisation religieuse.
Par décision no 107/003/2009 CC.L du 23 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a interprété le droit à la croyance religieuse des citoyens cambodgiens comme suit « à tout moment et en toute circonstance, les citoyens khmers des deux sexes ont leur pleine liberté de croire ou d’exercer les pratiques de croyance et de religion selon leur propre conscience. L’État doit garantir le bon déroulement de la liberté de croyance et des pratiques religieuses, mais cette liberté et ces pratiques ont tout de même des limites. L’exercice de la liberté de croire et d’exercer les pratiques de croyance et de religion ne doit pas porter atteinte aux autres croyances ou religions, et doit également respecter les droits d’autrui à la liberté et aux pratiques de croyance et de religion pour préserver l’harmonisation religieuse… » Cela permet au Royaume du Cambodge de maintenir à bien l’harmonie ethnique et religieuse.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est plus ou moins restreinte selon les domaines, en particulier dans le domaine de la sécurité nationale.
L’article 41 de la Constitution stipule que « Tout citoyen khmer a la liberté d’exprimer ses opinions personnelles, la liberté de presse, la liberté de publication et la liberté de réunion. Nul ne peut profiter de la jouissance de ces droits pour en abuser et porter atteinte à l’honneur d’autrui, aux bonnes mœurs et coutumes de la société, à l’ordre public et à la sécurité nationale. L’exercice de ces droits et libertés ne doit pas porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. » Ces droits et libertés doivent s’exercer selon la prescription de la loi, tout particulièrement dans le domaine de la sécurité nationale, de la défense nationale et de la souveraineté nationale.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La Constitution du Royaume du Cambodge reconnaît que toute personne (personne privée, personne publique, mineur, personne physique privée/personne physique publique, personne morale privée/publique) a le droit et la liberté d’exprimer ses opinions, mais la révélation des informations privées ou des renseignements secrets qui porte atteinte à la dignité, aux intérêts d’autrui et à la sécurité nationale est restreinte par la loi.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les fonctionnaires et les militaires jouissent de la même liberté d’expression comme tous les citoyens. Mais dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et devoirs, les fonctionnaires et les militaires sont soumis aux conditions fixées par la loi, notamment la loi portant sur le statut commun des fonctionnaires civils et la loi sur le statut particulier des militaires des forces armées royales cambodgiennes qui définissent les droits, les devoirs et les responsabilités des fonctionnaires et des militaires.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Après son établissement en date du 15 juin 1998, le Conseil constitutionnel a adressé le 24 décembre 1998 un avis au Roi concernant l’amendement de la Constitution permettant l’établissement du Sénat et a examiné en 1999 la constitutionnalité du règlement intérieur du Sénat et de la loi de 2001 portant sur les élections des conseils communaux dont le contenu se rapporte partiellement à la liberté d’expression. Ce n’est qu’en 2004 que le Conseil constitutionnel a défini l’encadrement de la liberté d’expression par sa décision n° 063/005/2004 CC.L du 6 octobre 2004 selon laquelle le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité de l’article 63 de la loi pénale transitoire en interprétant l’article 80 de la Constitution comme suit « tout député jouit de l’immunité parlementaire qui le met à l’abri des inquiétudes d’abus de la part des pouvoirs exécutif ou judiciaire. Toutefois, cette immunité a aussi ses limites. Les députés ne peuvent pas profiter de l’immunité parlementaire pour porter atteinte aux droits d’autrui (article 31 de la Constitution) ou commettre des infractions pénales. »
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La liberté d’expression est considérée comme un des principes sur lequel le Conseil constitutionnel se fonde pour rendre ses décisions.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La considération accordée à la liberté d’expression par rapport aux autres droits et libertés doit être prise d’une manière équilibrée, en pesant les intérêts en présence, tout en maintenant l’harmonie dans la société et en restant dans le cadre déterminé par la Constitution et les lois en vigueur.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La protection accordée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel à la liberté d’expression n’a pas varié.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Voir la réponse à la question 4 du sous-thème 2.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La décision du Conseil constitutionnel est définitive, sans recours et a autorité sur tous les pouvoirs constitués.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Dans l’élaboration de ses décisions, le Conseil constitutionnel se fonde sur la Constitution, en tant que loi suprême du pays, et sur les lois concernées en vigueur. Toutefois, le Conseil constitutionnel du Cambodge étudie et tire des leçons des jurisprudences des juridictions des autres pays, en particulier celles des pays membres de l’Association des cours constitutionnelles francophones (ACCF), de la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle (WCCJ) et de l’Association des cours constitutionnelles d’Asie (AACC).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Voir la réponse à la question 3 du sous-thème 2.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La plupart des décisions du Conseil constitutionnel relatives à la constitutionnalité des lois ont une valeur de jurisprudence contribuant à la protection des droits et libertés fondamentaux et à la garantie du respect des principes de l’état de droit.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le Conseil constitutionnel a utilisé le contrôle de proportionnalité dans l’élaboration de certaines décisions au regard de l’intérêt public qui conduisent à la restriction de la liberté d’expression. Naturellement, le Conseil constitutionnel se sert de ce type de contrôle jugé raisonnablement nécessaire. À titre d’exemple, le Conseil constitutionnel a par sa décision nº202/002/2020 CC.L du 27 avril 2020 déclaré que la loi sur la gestion de la nation en état d’urgence était conforme à la Constitution, en donnant plus de poids à l’intention du législateur qu’au titulaire de la liberté, étant donné que, selon l’exposé de faits relatif à la rédaction de cette loi, cette loi avait pour objectif de donner au Gouvernement le pouvoir de prendre des mesures indispensables pour répondre à l’état d’urgence du pays dans le but de protéger la sécurité nationale et l’ordre public, protéger la vie et la santé du peuple et protéger les biens et l’environnement.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La liberté d’expression n’est pas un droit absolu et peut être limitée ou contrôlée dans certaines circonstances dans le but de protéger les intérêts essentiels de l’État, la sécurité nationale et l’ordre public.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Au Cambodge, le courant de l’industrie 4.0 a eu un impact significatif sur la situation socio-économique du pays, avec l’usage de la technologie de l’intelligence artificielle, de l’analyse des données, de l’Internet des objets… Ces technologies numériques ont conduit à une mutation rapide sans précédent dans les domaines politique, économique, social, culturel… Face à ce défi, le Gouvernement royal a mis en place et mis tout en œuvre la politique socio-économique numérique pour la période 2022-2035 en mettant l’accent comme vision sur « l’édification d’un Gouvernement numérique aux fins de rehausser le niveau de vie et la confiance de la population par le biais de l’amélioration de la prestation des services publics ». En même temps que l’attention portée à la politique, le Gouvernement porte aussi son attention à un autre niveau, celle de se préparer à la mise en place d’un cadre légal pour la réglementation de cette mutation technologique.
D’ailleurs, s’agissant de la compétence du Conseil constitutionnel comme celle des autres juridictions concernées, l’utilisation de ces technologies pourrait entraîner certains défis à leurs égards, notamment concernant les questions touchant à la protection des droits d’individu liés à la vie privée, aux données confidentielles personnelles, à la liberté d’expression, au droit du travail, à l’usage mal intentionné des outils technologiques, tout cela nécessite la détermination d’une certaine limite dans les applications pratiques qui incombe aux institutions juridictionnelles d’étudier et de fixer, dans un esprit proactif, de pair avec les efforts déployés par le pouvoir exécutif dans le même domaine.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression est reconnue par la Constitution et les lois cambodgiennes. Chaque individu est responsable de ses opinions exprimées conformément aux principes des lois en vigueur et aucune censure n’est exigée par la loi. Toute expression d’opinions qui porte atteinte à l’honneur d’autrui, aux bonnes mœurs de la société, à l’ordre public et à la sécurité nationale est restreinte par la loi.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
À ce jour, le Conseil constitutionnel n’a pas encore reçu aucune saisine relative à ce sujet.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Selon la Constitution et les lois en vigueur, il n’existe pas de distinction entre la liberté d’expression via les réseaux sociaux et via les modes d’expression classiques. Nul ne peut profiter de la jouissance de ces droits pour en abuser et porter atteinte à l’honneur d’autrui, aux bonnes mœurs et coutumes de la société, à l’ordre public et à la sécurité nationale.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Il n’y a pas de renforcement de la limitation de la liberté d’expression en période électorale. Toute forme de la liberté d’expression doit être exercée conformément à la loi sur les élections et aux lois concernées en vigueur pour garantir une élection libre, juste, transparente et sans violence.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
L’article 53 nouveau, paragraphe 3, de la Constitution stipule que « le Royaume du Cambodge s’oppose absolument, sous quelque forme que ce soit, à toute interférence étrangère dans ses affaires intérieures. »
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
En période de troubles, certaines restrictions sont imposées à l’exercice de la liberté d’expression via Internet ou à l’expression d’opinions concernant le pluralisme dans les médias. D’une façon concrète, pendant la crise sanitaire causée par la Covid-19, le Royaume du Cambodge a fait une loi sur la gestion de la nation en état d’urgence, stipulant la prohibition ou la limitation de partager ou de diffuser des informations pouvant provoquer la panique générale ou inciter au trouble social ou porter atteinte à la sécurité nationale ou causer la confusion de la situation d’urgence. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel a déclaré que cette loi était conforme à la Constitution dans le but de garantir la sécurité nationale et l’ordre public, de protéger la vie et la santé des citoyens.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La notion de l’ordre public est définie conformément à la Constitution et aux lois en vigueur pour garantir la sécurité nationale et l’ordre social, et protéger la vie et la santé des citoyens.
Le fondement de l’ordre public est illustré dans certaines normes juridiques, notamment la Constitution, le Code pénal, la loi sur la gestion de la nation en état d’urgence, la loi sur les mesures préventives contre la propagation de la Covid-19 et d’autres maladies contagieuses graves et dangereuses, la loi sur la manifestation pacifique, la loi du travail, etc.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Dans toutes les circonstances, y compris en cas de troubles, le Conseil constitutionnel remplit ses fonctions en s’appuyant sur le principe d’indépendance et d’impartialité, et sur la Constitution et les lois en vigueur ainsi que sur les instruments internationaux dont le Cambodge est signataire.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Le Conseil constitutionnel remplit ses fonctions en s’appuyant sur le principe d’indépendance et d’impartialité, et sur la Constitution et les lois en vigueur ainsi que sur les instruments internationaux dont le Cambodge est signataire, dans la protection de la liberté d’expression comme dans la solution de tous les problèmes de la société.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Le Conseil constitutionnel conçoit la liberté d’expression exercée avec responsabilité conformément à la Constitution et à loi comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique, car la liberté d’expression est un élément fondamental de la démocratie.
NOTE
- Lois et normes juridiques nationales
1.1 Loi sur les partis politiques
Article 6.- nouveau (deux)
Tous les partis politiques doivent s’abstenir de commettre l’un des actes suivants :
1- promouvoir la sécession mettant en danger l’unité nationale et l’intégrité territoriale
2- faire du sabotage de la démocratie libérale pluraliste et de la monarchie constitutionnelle
3- nuire à la sécurité de l’État
4- créer des forces armées
5- inciter les gens pouvant aboutir à la déchirure nationale
6- se servir des messages audios, des images, des documents écrits ou des activités d’un condamné pour une infraction criminelle ou correctionnelle pour en tirer un avantage politique en faveur de son propre parti politique
7- consentir explicitement ou implicitement ou se faire complice avec un condamné pour une infraction criminelle ou correctionnelle pour qu’il commette une action dans l’intérêt politique de son parti
8- soutenir ou planifier ou se faire complice avec tout individu agissant dans le but de contrecarrer les intérêts du Royaume du Cambodge tels que stipulés du point 1 au point 5 plus haut.
1.2. Loi sur les associations et les organisations non gouvernementales
Article 24.-
Les organisations non gouvernementales locales, les organisations non gouvernementales étrangères ou les associations étrangères doivent maintenir leur neutralité envers tous les partis politiques dans le Royaume du Cambodge.
- Lois et normes juridiques internationales
2.1. Déclaration universelle des droits de l’homme
Article 19.-
Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression. Ce droit implique la liberté d’opinion sans ingérence et la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser les informations et opinions sans limites par tous moyens d’expression.
2.2 Pacte international relatif aux droits civils et droits politiques
Article 19.-
- Toute personne a droit à ses opinions sans ingérence.
- Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et toutes les idées sans limites, par voie orale, écrite ou imprimée, sous forme artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
- L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spécifiques. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
- a) Au respect des droits et de la réputation d’autrui ;
- b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
2.3 Article 13 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant
- L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées de toute sorte sans limites, par voie orale, écrite ou imprimée, sous forme artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.
- L’exercice de ce droit peut être soumis à certaines restrictions, si ces restrictions sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires comme suit :
- a) Le respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou
- b) La sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
Conseil constitutionnel du Cameroun
Sous-thème 1 – Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
En tant que droit fondamental à I ‘épanouissement de la personne humaine, la liberté d’expression est reconnue par l‘État du Cameroun et implique le droit d’avoir des opinions et de ne pas être inquiété, tout comme celui de recevoir des informations et des idées et de les communiquer.
Ainsi consacrée par le droit positif elle est notamment prévue dans : – le Préambule de la Constitution :
– la loi n 090/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale, modifiée par celle n°096/04 du 16janvier 1996 ;
-le décret du 3 avril 2000 fixant les modalités de création et d’exploitation des entreprises de communication audiovisuelle entre autres.
Le Préambule de la Constitution est assimilé à la déclaration de droits dans la mesure où il énonce les droits fondamentaux garantis par l’État du Cameroun. La garantie de la liberté d’expression qui y est mentionnée constitue une déclaration qui en assure la protection.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Le cadre juridique et institutionnel mis en place par le gouvernement a permis I ‘éclosion des organes de presse écrite et audiovisuelle.
À cet effet, la formulation de la liberté d’expression n’est pas immédiatement suivie d’une mention limitative ou restrictive de son exercice. Néanmoins, la Constitution précise qu’elle est garantie dans les conditions fixées par la loi. Ce qui subodore que la détermination des modalités d’exercice de cette prérogative est du domaine de la loi et incombe donc au législateur.
Pour corroborer cette affirmation, l’article 26 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 dispose que « sont du domaine de la loi : a) les droits, les garanties et obligations fondamentaux du citoyen au rang desquels figurent la liberté d’expression.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Ni le constituant ni le législateur camerounais ne donnent une définition explicite de la liberté d’expression. Mais par interprétation constructive des textes y relatifs, il ressort qu’elle est étroitement liée à la liberté de communication sociale, d’opinion et de presse. Pour ce faire, elle peut s’appréhender comme la faculté d’avoir une opinion, de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans craindre de représailles de la part des autorités publiques et sans considération de frontière.
- Et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffère-t-il de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition et le contenu donnés à la liberté d’expression ne diffèrent pas fondamentalement de ceux retenus par les ordres juridiques régional et international. Néanmoins, il est possible que cette définition soit adaptée en fonction des contextes et des cas particuliers, car, la société est en perpétuelle mutation et « ubi societas, ibi jus »
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont, selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression implique logiquement d’autres libertés notamment celles d’opinion, de communication et de presse entre autres.
Toutefois, le Conseil Constitutionnel du Cameroun n’étant pas compétent pour contrôler le respect des droits et libertés fondamentaux, les requêtes et les décisions rendues ne portent pas sur cette matière.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non. Car cela ne relève pas de la compétence du Conseil constitutionnel.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (Politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est consacrée au Cameroun de manière uniforme et non spécifique en fonction des secteurs. Néanmoins, il peut arriver qu’elle subisse des restrictions en raison de l’impératif de préservation de l’ordre public, de la sécurité nationale et même pour la sauvegarde des bonnes mœurs. Son exercice est donc logiquement subordonné au respect du principe de légalité.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à tous, aussi bien aux personnes publiques qu’aux personnes privées, aux personnes physiques qu’aux personnes morales.
Son contenu et son encadrement diffèrent en fonction des catégories auxquelles elle est reconnue. À titre illustratif, l’exercice de la liberté d’expression par un organe de presse (personne physique ou morale) est subordonné à la déclaration contre décharge au Préfet territorialement compétent (article 7 de la loi de 1990 sur la communication sociale modifiée par celle de 1996).
Dans la même veine, toute entreprise de distribution des organes de presse est tenue au préalable d’en faire la déclaration soit à la Préfecture, soit à la Sous-préfecture de son lieu de résidence (article 31 alinéa I de la loi de 1990 sur la communication sociale modifiée par celle de 1996).
La distribution et le colportage occasionnel pour leur part sont relativement plus libres, car n’étant assujettis à aucune déclaration, mais nécessitent néanmoins un agrément (Article 31, alinéa 3 et article 32 de la loi de 1990 sur la communication sociale modifiée par celle de 1996).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Bien que tous les hommes naissent libres et égaux en droits conformément à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les fonctionnaires, militaires, contractuels d’administration et autres Agents de l’État ainsi que leurs assimilés jouissent de la liberté d’expression tout en étant liés par l’obligation de réserve et l’obligation de discrétion et de secret professionnel. Ces dernières leur interdisent de divulguer des faits, documents et informations dont ils ont eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions, sous peine de poursuites pénales conformément à la législation en vigueur.
De plus, ils doivent s’abstenir d’exprimer publiquement leurs opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales ou de se servir en fonction de celles-ci (articles 35, 40, 117, alinéa 5 du décret 11 094/199 du 7 octobre 1994 portant Statut général de la Fonction publique de l’État).
Sous-thème 2 – Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
L’encadrement de la liberté d’expression ne relève ni formellement ni explicitement des prérogatives de notre juridiction.
Toutefois, la garantie du principe du contradictoire par des mécanismes tels que l’information des parties intéressées, l’échange des mémoires en réponse et en réplique, la possibilité de donner la parole aux justiciables lors des audiences pourraient constituer des modalités de mise en Œuvre de la liberté d’expression au sein du Conseil constitutionnel du Cameroun.
Quelques dispositions de la décision n 001/CC du 17 juillet 2019 portant adoption du Règlement intérieur illustrent les manifestations de la liberté d’expression au Conseil Constitutionnel :
– « le greffe tient à la disposition des parties tout document ayant un rapport avec le recours et leur en facilite la consultation », art. 51 alinéa I ;
– « Il communique aux parties intéressées, le cas échéant, à leur demande et à leurs frais, tout document ayant un rapport avec le recours », art. 51 alinéa 2 ;
– « La procédure devant le Conseil Constitutionnel est (…) contradictoire », art. 54 ;
– « Le caractère contradictoire de la procédure consiste dans l’échange, entre les parties, des écritures et pièces », art. 55, alinéa 2 ;
– « Les parties et leurs conseils ou représentants sont tenus de s’exprimer avec modération », art. 62 alinéa 2.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Oui, car le principe du contradictoire est respecté dans les conditions fixées par la loi.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Non.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
L’absence de variation s’explique par le fait que la protection de la liberté d’expression ne figure pas au rang de nos compétences.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
En cas d’évolution du droit positif dans le sens de l’insertion de la protection des droits et libertés fondamentaux parmi les compétences du Conseil Constitutionnel du Cameroun, notre jurisprudence pourrait subir une modification et faire ainsi mention de la liberté d’expression.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
Si la garantie de la liberté d’expression faisait partie de nos compétences, notre jurisprudence en la matière aurait pu influencer celle des juridictions de fond, car aux termes de l’article 50, alinéa 1 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Non, car les attributions de chaque juridiction sont déterminées par la loi.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La conciliation de la liberté d’expression avec les autres droits et libertés tels que la liberté de la vie privée, de la religion est possible lorsque l’exercice de chaque liberté tient compte des limites fixées par les règles juridiques en vigueur pour chaque prérogative en fonction des spécificités rattachées aux situations particulières. Ainsi, chacune éviterait d’empiéter dans le champ de l’autre. Le respect d’une certaine déontologie dans l’exercice de la liberté d’expression contribue significativement à cette conciliation. À cet effet, il existe un code de déontologie de l’Union des journalistes du Cameroun.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Notre juridiction ne connait pas des affaires relatives à la garantie de la liberté d’expression.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Notre juridiction ne connait pas des affaires relatives à la garantie de la liberté d’expression.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Notre juridiction promeut la liberté d’expression dans le respect du principe de légalité et en tenant compte de la nécessité de sauvegarder l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Non.
Sous-thème 3 – La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
La liberté d’expression peut être limitée en cas d’état d’urgence ou d’état d’exception (article 9 de la Constitution).
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Au Conseil Constitutionnel du Cameroun, la censure de la liberté d’expression intervient lorsqu’au cours de l’audience, des menaces, outrages ou attaques de quelque nature que ce soit sont dirigés par un individu contre un ou plusieurs membres du Conseil. Dans ce cas, la parole lui est retirée et il peut être expulsé de la salle d’audience selon la gravité de l’acte posé. S’il persiste, le Président dresse un procès-verbal du fait et il est interpellé immédiatement par la sécurité puis conduit au parquet pour être poursuivi conformément à la loi sur la base dudit procès-verbal.
3- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer — et si oui dans quel sens — sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Nous n’avons pas eu à nous prononcer sur ces questions car, elles n’ont jamais été soumises à notre appréciation.
4- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
L’appréciation de l’exercice de la liberté d’expression ne relève pas de notre compétence. Cependant, les membres du Conseil Constitutionnel doivent s’abstenir, pendant la durée de leurs fonctions :
– de prendre des positions publiques sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire I ‘objet de décisions de la part du Conseil ; – de plaider ou de participer à un arbitrage.
Ils sont astreints à l’obligation de réserve et de discrétion professionnelle même après la cessation de leur mandat (Article 26 de la décision n 001/CC du 17 juillet 2019 portant adoption du Règlement intérieur).
5- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
II existe un renforcement de la protection de la liberté d’expression en période électorale dans la mesure où les parties habilitées à saisir le Conseil Constitutionnel connaissent une extension. II s’agit :
– du Président de la République ;
– du Président de l’Assemblée nationale ;
– du Président du Sénat ;
– d’un tiers des députés ou sénateurs ;
– des chefs des exécutifs régionaux lorsque les intérêts de leurs régions sont en cause ;
– de tout candidat, tout parti politique ayant pris part à I ‘élection ou toute personne ayant qualité d’agent du Gouvernement pour ladite élection (article 129 de la loi n 02012/OOI du 19 avril 2012 portant Code électoral, modifié et complété par la loi n o2012/017 du 21 décembre 2012 et la loi du 25 avril 2019).
De plus, le Conseil peut être saisi avant et après le scrutin en vue de permettre aux intéressés de s’exprimer à chaque étape du processus.
6- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Oui. En effet, chaque organe de presse étranger doit faire l’objet de la part des distributeurs d’un dépôt en deux exemplaires auprès des ministres chargés des Relations Extérieures, de l’Administration territoriale, de l’Information et de la Justice, 24 heures au moins avant sa distribution et sa mise à la disposition du public.
De plus, la circulation, la distribution et la mise en vente au Cameroun d’organes de presse étrangers peuvent être interdites par décision du ministre chargé de l’Administration territoriale.
7- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Oui. Mais le Conseil Constitutionnel n’est pas compétent pour se prononcer dans ces circonstances.
8- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ? Non.
9- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Conformément à l’article 46 de la Constitution, le Conseil Constitutionnel est l’instance compétente en matière constitutionnelle. II statue sur la constitutionnalité des lois. II est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours (article 50 de la Constitution). II n’est cependant pas compétent pour protéger la liberté d’expression en période de troubles.
10- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression est un instrument de garantie du droit d’accès à la justice constitutionnelle et s’exprime à travers le respect du principe du contradictoire. Sous cet angle, elle permet à la justice constitutionnelle de jouer son rôle dans le respect du droit en vigueur en la matière.
11- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Effectivement, dans les années à venir, la liberté d’expression devrait être un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans la mesure où elle permet au peuple de se prononcer sur la gestion de la cité et d’influencer quelques fois les positions des décideurs. La liberté d’expression doit s’exercer au service du peuple et dans l’intérêt de ce dernier. En somme, elle permet une meilleure concrétisation de la démocratie.
Cour suprême du Canada
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- 1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Pour trancher des dossiers et questions juridiques en matière de liberté d’expression, la Cour suprême du Canada (« la Cour » ou « la CSC ») se fonde principalement sur l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)) (ci-après, « Charte »).
Cette disposition précise que :
- Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
(…)
- liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication.
Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits (S.C. 1960, ch. 44), aux alinéas 1d) (« liberté de parole ») et 1f) (« liberté de presse »).
La Cour a aussi parfois recours à certains instruments d’application internationale qui renferment des dispositions semblables, par exemple : l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (A.G. Rés. 217 A (III), Doc. N. U. A/810, p. 71 (1948)); l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (R.T. Can. 1976 n° 47); l’article 13 de la Convention relative aux droits de l’enfant (R.T. Can. 1992 n° 3); le sous-article 5d) (viii) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (660 R.T.N.U. 195); et l’article 21 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (R.T. Can. 2010 n°8).
Finalement, il existe aussi certaines lois fédérales et provinciales qui peuvent imposer des limites ou des contraintes sur la liberté d’expression (voir les réponses aux autres questions plus bas).
- 2. La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Non, l’alinéa 2b) de la Charte n’est pas immédiatement suivi dans le même article d’une notion qui viendrait la limiter.
Cependant, l’article premier de la Charte indique clairement que tous les droits et libertés qui s’y retrouvent ne sont pas illimités ou absolus ; cette disposition agit donc comme contrainte ou limite pour la liberté d’expression, comme pour tous les droits et libertés protégés par la Charte.
L’article premier de la Charte énonce ce qui suit :
- La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Selon la jurisprudence de la Cour (voir l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 (ci-après, « Oakes »)), le cadre d’analyse pour déterminer si une limite gouvernementale qui porte atteinte à un droit protégé par la Charte (comme la liberté d’expression) peut néanmoins se justifier aux termes de l’article premier, se décrit ainsi :
- Le fardeau de prouver qu’une restriction est justifiable en vertu de l’article premier incombe à la partie qui veut faire valider cette restriction — c.-à-d., en général, l’État.
- La norme de preuve est celle qui s’applique en matière civile — c.-à-d., la preuve selon la prépondérance des probabilités.
- Afin d’être justifiable en vertu de l’article premier, une restriction visant un droit ou une liberté doit être prescrite par une règle de droit.
- Une restriction à un droit garanti par la Charte doit être raisonnable, et sa justification doit pouvoir se démontrer par :
- un objectif législatif réel et urgent (autrement dit, un objectif suffisamment important pour justifier que l’on restreigne un droit protégé par la Charte) ; et
- un degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre.
- Le deuxième volet de « proportionnalité » comporte trois éléments :
- le « lien rationnel » : La restriction doit avoir un lien rationnel avec l’objectif. Il doit y avoir un lien de causalité entre la mesure contestée et l’objectif réel et urgent.
- l’« atteinte minimale » : La restriction ne doit pas porter atteinte au droit ou à la liberté plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire de le faire pour atteindre l’objectif. Le gouvernement est tenu de prouver l’absence de moyens moins attentatoires d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle.
- la « pondération finale » : Il doit y avoir une proportionnalité entre les effets préjudiciables de la loi et ses effets bénéfiques.
De plus, l’article 33 de la Charte agit comme une clause de dérogation. Selon cette disposition, un gouvernement (fédéral ou provincial) « peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte ». Alors, il serait possible d’adopter une loi qui porte atteinte à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte, en s’appuyant sur l’article 33.
Finalement, il existe certaines lois fédérales ou provinciales qui peuvent imposer des limites sur la liberté d’expression (voir les réponses aux autres questions ci-dessous).
- 3. Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est un droit fondamental qui protège toute forme d’expression dans une société — c.-à-d., toute activité qui transmet ou tente de transmettre une signification ou communication quelconque (voir l’arrêt de la CSC dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 (ci-après, « Irwin Toy »)), à l’exception des gestes de violence, ou les paroles qui incitent la violence (voir Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 R.C.S. 467 (ci-après, « Whatcott »), au paragraphe 112: « L’alinéa 2b) de la Charte ne protège pas l’écrit ou le discours qui exprime la violence ou la menace de recourir à la violence »).
La liberté d’expression représente la « capacité de s’exprimer et de participer à des échanges d’idées » (1704604 Ontario Ltd. c. Pointes Protection Association, 2020 CSC 22, [2020] 2 R.C.S. 587 (ci-après, « Pointes Protection »), au paragraphe 1).
La jurisprudence de la CSC révèle une définition et interprétation large et généreuse de la liberté d’expression. La liberté d’expression est « à la fois un droit et une valeur fondamentale » (Pointes Protection, précité, au paragraphe 1) et constitue la « pierre angulaire d’une démocratie pluraliste » comme le Canada (Bent c. Platnick, 2020 CSC 23, [2020] 2 R.C.S. 645 (ci-après, « Bent »), au paragraphe 1).
Dans l’arrêt récent Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43 (ci-après, « Ward »)), la majorité de la CSC a expliqué que la liberté d’expression « découle de la notion de dignité humaine » (paragraphe 59).
La portée de la liberté d’expression « se définit par ses différentes manifestations et les intérêts divers qu’elle protège » — notamment, « la recherche de la vérité, [. . .] l’épanouissement personnel ou [. . .] la tenue d’un débat d’idées riche et ouvert » (Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 48, citant Whatcott, précité, au paragraphe 171; voir aussi R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 (ci- après, « Keegstra »), à la p. 766).
La liberté d’expression ne protège pas simplement le droit de s’exprimer ou de communiquer ses propres croyances et opinions, mais aussi le droit de communiquer les uns avec les autres. Elle protège tout autant celui qui s’exprime que celui qui l’écoute (Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326 (ci-après, « Edmonton Journal »)). La protection de la liberté d’expression existe non pas au nom de la personne qui exerce ce droit, mais plutôt dans l’intérêt public, puisque la liberté d’expression bénéficie à tous ceux et celles qui vivent dans une société où l’on respecte cette liberté d’opinion (Ward, précité, au paragraphe 60).
La protection de la liberté d’expression a pour objectif d’« assurer que chacun puisse manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, toutes les expressions du cœur ou de l’esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient‑elles » (Ward, précité, au paragraphe 59, citant l’arrêt de la Cour dans Irwin Toy, précité, à la p. 968). Elle « ne commence véritablement que lorsqu’elle fait naître un devoir de tolérance envers les propos d’autrui », y compris « les expressions impopulaires, désobligeantes ou répugnantes » (Ward, précité, au paragraphe 60).
- 4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition de la liberté d’expression que l’on retrouve dans la jurisprudence de la CSC est conforme et semblable à celle établie par les jurisprudences et dispositions d’autres ordres juridiques, surtout sur le plan international.
Par exemple, l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » Cette définition, comme celle attribuée à la liberté d’expression protégée par la Charte canadienne, reprend les thèmes de tolérance pour des opinions contraires, et le droit non seulement de s’exprimer librement, mais aussi d’entendre ou de recevoir les communications des autres.
Dans l’affaire Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33 (ci- après, « Harper »), la CSC a reconnu que la liberté d’expression « protège non seulement celui qui communique le message, mais aussi celui qui le reçoit » (paragraphe 17), et a reconnu aussi que ce « droit à l’information », qui découle de la liberté d’expression, est également « consacré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, […] et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques », conventions dont le Canada est signataire (paragraphe 18).
- 5. Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
En principe, la liberté d’expression n’est pas une « liberté matricielle », et elle ne donne pas naissance à d’autres droits ou libertés distincts de la liberté d’expression. Il n’existe donc aucune « déclinaison » formelle ou officielle de la liberté d’expression.
Il est important de noter que le texte même de l’alinéa 2b) de la Charte (le texte principal pour la liberté d’expression au Canada) énonce des exemples ou sous-catégories — on se réfère à la « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ».
Alors, à titre d’exemple, la « liberté de la presse » ne serait pas un droit distinct qui découle de la liberté d’expression, mais plutôt une manifestation spécifique de la liberté d’expression dans un contexte particulier.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La Cour n’a pas encore été appelée à trancher précisément des dossiers ou des questions juridiques portant sur un conflit (ou une conciliation) entre la liberté d’expression et le blasphème.
Toutefois, la Cour a rendu jugement dans quelques dossiers ou recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse. En général, ces dossiers comprennent souvent des revendications multiples selon lesquelles une personne allègue avoir été victime d’une limite ou mesure qui porte atteinte à la fois à son droit de liberté d’expression (protégé par l’alinéa 2b) de la Charte) ainsi que son droit de liberté de religion (protégé par l’alinéa 2a) de la Charte). L’approche de la Cour dans de tels cas varie selon le contexte.
- Par exemple, dans l’affaire Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, [2018] 2 R.C.S. 293 (ci-après, « S.B.C. c. Trinity Western»), une université religieuse souhaitait ouvrir une faculté de droit exigeant que ses étudiants et les membres de son corps professoral adhèrent à un code de conduite fondé sur des croyances religieuses, qui interdisait toute « intimité sexuelle qui viole le caractère sacré du mariage entre un homme et une femme ». La Law Society of British Columbia (« LSBC »), l’organisme chargé de réglementer la profession juridique dans la province de la Colombie‐Britannique, avait adopté une résolution déclarant que la faculté de droit proposée par l’université ne serait pas agréée en raison de son code de conduite obligatoire. Les conseillers ont donc adopté la résolution. L’université et un diplômé du programme de premier cycle de l’université ont fait valoir que la résolution de la LSBC (qui refusait de reconnaître la faculté de droit proposée) portait atteinte à la liberté de religion des étudiants, et ont eu gain de cause en première instance et devant la cour d’appel provinciale. La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel de la LSBC et a rétabli sa résolution comme étant une décision administrative raisonnable. Dans ses motifs, la majorité de la Cour a pris note du fait que trois autres protections conférées par la Charte étaient susceptibles d’être en cause dans cette affaire — la liberté d’expression (l’alinéa 2b)); la liberté d’association (l’alinéa 2d)); et le droit à l’égalité (l’article 15). La majorité conclut que « la prétention fondée sur le droit à la liberté de religion suffit pour permettre la prise en compte des droits à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à l’égalité » dans son analyse : « que les protections garanties par la Charte aux étudiants éventuels de la faculté de droit proposée par [l’université] soient formulées sous l’angle de leur liberté de se livrer à la pratique religieuse consistant à étudier le droit dans un milieu d’apprentissage imprégné des croyances religieuses de la communauté, sous l’angle de leur liberté de s’exprimer et de s’associer à une communauté imprégnée de ces croyances ou sous l’angle de leur protection contre la discrimination fondée sur le motif énuméré de la religion, les restrictions en cause […] ont été mises en balance de manière proportionnée avec le mandat crucial de protection de l’intérêt public conféré à la LSBC » (paragraphe 78). (Voir aussi Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 33, [2018] 2 R.C.S. 453 (ci-après, « Trinity Western c. B.H.C. »), au paragraphe 34).
- Par contre, dans l’affaire Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825 (ci-après, « Ross»), la Cour a traité à la fois de la liberté de religion et de la liberté d’expression. Dans ce dossier, un enseignant ayant fait publiquement, en dehors de ses heures de travail, des déclarations racistes et discriminatoires contre les Juifs, fait valoir qu’une ordonnance émise par la Commission des droits de la personne de la province — qui ordonnait au conseil scolaire de prendre des mesures disciplinaires contre l’enseignant — avait porté atteinte à ses droits de liberté de religion et d’expression protégés aux alinéas 2a) et 2b) de la Charte. La cour de première instance conclut que, même si l’ordonnance violait les droits de l’enseignant, elle pouvait être sauvegardée en vertu de l’article premier de la Charte; la cour d’appel accueille l’appel de l’enseignant, statuant que les clauses de l’ordonnance portaient atteinte à ses libertés d’expression et de religion et ne pouvaient être justifiées au sens de l’article premier de la Charte. La Cour suprême du Canada accueille l’appel et rétablit les clauses de l’ordonnance, concluant que ces clauses portaient atteinte aux libertés de religion et d’expression de l’enseignant, mais pouvaient se justifier au sens de l’article premier de la Charte.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Non —la liberté d’expression est protégée dans le droit canadien de la même façon et au même degré pour tout contexte ou tout domaine.
Chaque cas est différent et peut dépendre de son contexte factuel ; il est donc impossible de prédire si la liberté d’expression recevra une protection plus large ou plus restreinte selon le domaine en question.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
Le texte de l’alinéa 2b) de la Charte précise que la liberté d’expression est un droit reconnu à « Chacun ». Cela veut dire que la liberté d’expression est reconnue à toutes les personnes ou individus au Canada : citoyens canadiens, résidents permanents ou nouveaux arrivants.
La liberté d’expression n’est pas limitée aux personnes physiques. Contrairement à d’autres droits et libertés protégées par la Charte dont la portée exclut les sociétés et les personnes morales (par exemple, l’article 12, qui protège seulement les « êtres humains » contre les traitements ou peines cruels et inusités — voir Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, [2020] 3 R.C.S. 426, au paragraphe 1), la liberté d’expression fait partie des droits et libertés qui sont reconnus aux personnes morales : voir Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712 (ci-après, « Ford ») et Irwin Toy, précité. Par exemple, de façon générale, la publicité commerciale est une forme d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte : voir R. c. Guignard, [2002] 1 R.C.S. 472 ; Ford, précité ; Irwin Toy, précité ; Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084 ; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199 (ci-après, « RJR-MacDonald Inc. ») ; etc.
Quant aux personnes publiques (comme une institution, une association ou une municipalité), en théorie rien n’empêcherait la reconnaissance d’un droit de liberté d’expression aux personnes publiques, bien qu’il existe très peu de jurisprudence à ce sujet. Il est clair, selon les arrêts de la CSC, que l’alinéa 2b) de la Charte protège plusieurs activités expressives de toute une gamme d’institutions, organisations ou associations, qu’elles soient de nature privée ou publique :
- Le piquetage par un syndicat (voir D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages, [2002] 1 R.C.S. 156; Dolphin Delivery Ltd. c. S.D.G.M.R., section locale 580, [1986] 2 R.C.S. 573; B.C.G.E.U c. British Columbia (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214; Morasse c. Nadeau-Dubois; [2016] 2 R.C.S. 232);
- La distribution de tracts (U.A.C., section locale 1518 c. Kmart Canada Ltd.; [1999] 2 R.C.S. 1083; Allsco Building Products Ltd. c. T.U.A.C., section locale 1288 P, [1999] 2 R.C.S. 1136);
- Le bruit produit par un haut-parleur situé à l’extérieur d’un club et donnant sur la rue (Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 R.C.S. 141 (ci-après, « Montréal»), au paragraphe 58);
- L’importation de matériel obscène imprimé ou graphique par une librairie (Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120 (ci-après, « Little Sisters»));
- Les dépenses dans le cadre de campagnes électorales ou référendaires (Harper, précité; Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569; C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2017] 1 R.C.S. 93);
- La publication de sondages (Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877);
- La publicité politique sur des véhicules de transport en commun (Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiants et étudiantes — Section Colombie-Britannique, [2009] 2 R.C.S. 295);
- Voir aussi École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, au paragraphe 95 : le texte des droits à la liberté de religion et à la liberté d’expression « ne renvoie pas à des ‘individus’, mais à ‘chacun’ […] ce qu’on a interprété comme incluant les sociétés ».
En ce qui concerne les mineurs, comme tout autre droit ou liberté protégé par la Charte qui est reconnu à « Chacun », la liberté d’expression est reconnue aux enfants au Canada. Cependant, puisqu’un mineur n’a pas la qualité pour agir dans le cadre du processus juridique, un parent ou gardien doit agir au nom de l’enfant pour faire valoir ses droits, y compris la liberté d’expression.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les droits et libertés énoncés dans la Charte (y compris la liberté d’expression) sont reconnus aussi aux agents et employés de l’État — par exemple les fonctionnaires gouvernementaux et les militaires.
Par contre, l’employeur de la fonction publique ou de la Défense nationale pourrait envisager et imposer des limites ou contraintes sur la liberté d’expression pour les fonctionnaires ou les militaires. Ce serait ensuite une question de déterminer si ces limites sont permises et justifiées en vertu de l’article premier de la Charte.
Par exemple, dans l’arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69 (ci-après, « Osborne »), la Cour a conclu qu’une loi fédérale, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33, qui interdisait aux fonctionnaires fédéraux de « travailler » pour ou contre un candidat ou un parti politique, portait atteinte à la liberté d’expression des fonctionnaires, mais que la limite pouvait se justifier aux termes de l’article premier de la Charte.
Aussi, pour les fonctionnaires, la liberté de critiquer publiquement des politiques gouvernementales est limitée par l’obligation de loyauté des fonctionnaires envers l’employeur (c.-à-d., le gouvernement ou l’État), qui découle de la common law (voir Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455 (ci-après, « Fraser ») ; Haydon et autres c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (C.F., 1re inst.) (ci-après, « Haydon 2001 ») ; et Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 C.F. 749 (ci-après, « Haydon 2004 »), au paragraphe 43 (C.F.)). L’objectif de cette obligation de loyauté — assurer une fonction publique impartiale et efficace — a été considéré comme un objectif législatif urgent et réel (voir Haydon 2001, précité, aux paragraphes 69 à 75 ; Haydon 2004, précité, au paragraphe 45 ; et Osborne, précité). Pour être justifiée, l’obligation de loyauté doit porter atteinte le moins possible à la liberté d’expression et ne doit pas exiger le silence absolu (voir Osborne, précité ; Haydon 2001, précité, au paragraphe 86). Afin de garantir une atteinte minimale et d’assurer la proportionnalité entre l’effet et l’objectif de la restriction, il est nécessaire de soupeser l’obligation de loyauté et la liberté d’expression (voir Fraser, précité; Haydon 2001, précité, au paragraphe 67; Haydon 2004, précité, au paragraphe 45; et Alberta Union of Provincial Employees (A.U.P.E.) v. Alberta, 2002 ABCA 202, 218 (4th) D.L.R. 16, au paragraphe 29).
De plus, les politiciens et personnes élues jouissent aussi, de façon générale, de la liberté d’expression. Par exemple, la liberté de parole au cours des délibérations parlementaires constitue le privilège le plus important des députés individuels fédéraux ; elle est protégée par la Loi constitutionnelle de 1867 et par la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, ainsi que par l’alinéa 2b) de la Charte. La liberté d’expression permet aux députés de « formuler librement toute observation pendant les travaux au Parlement », tout en « jouissant d’une complète immunité de poursuite criminelle ou civile » (voir le site web Privilège parlementaire :
La Chambre des communes ne saurait mener efficacement ses travaux si ses députés ne pouvaient s’exprimer en toute liberté.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est encadrée (de façon explicite et officielle, et inscrite aux lois du pays) au sein du système juridique au Canada depuis plusieurs décennies.
En 1960, la Déclaration canadienne des droits, précitée, a été la première loi fédérale du pays à protéger les droits de la personne et les libertés fondamentales, y compris la « liberté de parole » à l’alinéa 1d), et la « liberté de presse » à l’alinéa 1f), tel qu’indiqué dans la réponse à la question 1 du sous-thème 1, ci-haut.
Ensuite, la Charte canadienne des droits et libertés, précitée, a été adoptée en 1982. Elle confère une protection constitutionnelle à de nombreux droits et libertés, y compris la liberté d’expression (voir l’alinéa 2b), qui protège la « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse ».
Au niveau provincial, c’est l’« Act to Protect Certain Civil Rights » (S.S. 1947, c. 35) de la Saskatchewan qui, en 1947, représente la première charte des droits de la personne au Canada. L’Act protégeait plusieurs droits de la personne et libertés fondamentales, y compris la liberté d’expression (article 4).
À part son encadrement dans la législation fédérale et provinciale, la notion d’un droit à la liberté d’expression a de longues racines en droit canadien, et dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada on y retrouve certaines décisions pertinentes qui ont précédé l’adoption de la Déclaration en 1960.
Surtout, le renvoi de 1938 sur les lois de la province de l’Alberta (Reference Re Alberta Statutes — The Bank Taxation Act; The Credit of Alberta Regulation Act; and the Accurate News and Information Act, [1938] R.C.S. 100 ; voir surtout les pages 132 à 135) est souvent reconnu comme la première décision de la Cour suprême du Canada portant directement ou indirectement sur une réclamation d’un droit de liberté d’expression. Dans ce jugement, la Cour a conclu qu’une loi provinciale portant sur les médias était invalide sur le plan constitutionnel, puisque cette loi aurait porté atteinte au droit de « discussion publique libre » sur les « affaires publiques » (en permettant une ingérence gouvernementale importante dans le bon fonctionnement des journaux dans la province) et aurait empiété sur la compétence fédérale en matière criminelle. La Cour a voulu protéger la portée de la liberté d’expression et son rôle important dans le bon fonctionnement des institutions démocratiques.
Tel que discuté en plus grand détail dans la réponse à la question 4 du sous-thème 2, ci-dessous, d’autres arrêts antérieurs à la Déclaration de 1960 ont aussi aidé à encadrer la liberté d’expression dans le droit canadien — voir par exemple, Boucher c. Le Roi, [1951] R.C.S. 265, et Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2 R.C.S. 299. (Voir aussi : Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, et Switzman c. Elbling, [1957] SCR 285.)
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non, la liberté d’expression n’occupe pas une place particulière dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. Il n’existe aucune hiérarchie entre les droits et libertés protégés par la Charte (voir la réponse à la question suivante), et tous les droits et libertés qui s’y retrouvent sont protégés par la Constitution de façon égale.
Toutefois, la Cour a reconnu à maintes reprises que la liberté d’expression constitue un droit d’une importance capitale dans toute société démocratique. Elle est « à la fois un droit et une valeur fondamentale » (Pointes Protection, précité, au paragraphe 1) et elle constitue la « pierre angulaire d’une démocratie pluraliste » comme le Canada (Bent, précité, au paragraphe 1).
De plus, il est important de noter que la liberté d’expression, tout comme la liberté de religion, d’association et de réunion pacifique, se retrouve parmi les « libertés fondamentales » énoncées à l’article 2, plutôt que parmi les « droits démocratiques » énoncés aux articles 3 à 5 (comme le droit de vote ou la durée maximale des législatures) ou parmi les « garanties juridiques » énoncées aux articles 7 à 14 (comme le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ; ou le droit à la protection contre les fouilles ou les saisies abusives ; ou les droits qui se rattachent aux personnes inculpées dans une affaire criminelle). Sa classification comme une « liberté fondamentale » ne fait pas de la liberté d’expression un droit plus ou moins important que les autres ; plutôt, la liberté d’expression, comme tout autre droit protégé et garanti par la Charte, n’est pas absolue et doit souvent être conciliée avec d’autres droits fondamentaux, afin d’établir un « juste équilibre ».
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Non, il n’existe aucune hiérarchie entre droits et libertés au Canada. La Charte canadienne des droits et libertés n’établit pas de telle hiérarchie ou de priorité entre les droits qui s’y retrouvent.
Comme la Cour l’a énoncé dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, à la page 877 : « Il faut se garder d’adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d’autres droits, tant dans l’interprétation de la Charte que dans l’élaboration de la common law. Lorsque deux droits sont en conflit […] les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits ».
Voir aussi les arrêts suivants : R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668 ; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411 ; Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), [2011] 1 R.C.S. 19 (ci-après, « Radio-Canada ») ; et Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La protection accordée à la liberté d’expression fait preuve d’une évolution progressive et graduelle dans la jurisprudence canadienne ; mais elle est aussi marquée par certains grands événements législatifs.
Dans une première phase, avant l’adoption de la Déclaration canadienne des droits en 1960, il existe très peu de jurisprudence ou de décisions juridiques au sujet de la liberté d’expression. Les quelques arrêts de la Cour suprême du Canada qui se réfèrent à la liberté d’expression ou de parole ne le font que de façon indirecte, dans le contexte d’affaires criminelles (voir, par exemple, Boucher c. Le Roi, [1951] R.C.S. 265 (ci-après, « Boucher ») ou de disputes entre le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial portant sur le partage des compétences dans la Constitution canadienne (voir, par exemple, Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2 R.C.S. 299). Dans ces affaires, la liberté d’expression est souvent discutée à titre d’exemple de droit universel de la personne, basé sur la common law britannique ou sur le droit civil en vigueur au Québec. Cette conception de la liberté d’expression préalable à l’adoption de la Déclaration envisage un droit assez large, presque sans limites ou restrictions, en l’absence d’activité criminelle. Voir par exemple Perrault c. Gauthier, (1898) 28 R.C.S. 241, à la page 256, citant Allen c. Flood, [1898] A. C. 1, à la page 118 ; voir aussi Boucher, précité, à la page 288.
Ensuite, après l’adoption de la Déclaration en 1960, mais avant l’arrivée de la Charte en 1982, encore une fois il existe très peu de décisions dans la jurisprudence de la Cour portant directement sur la liberté d’expression. Les quelques arrêts qu’on y retrouve suggèrent toutefois une portée quasi illimitée pour la liberté d’expression — voir, par exemple, Cherneskey c. Armadale Publishers Ltd., [1979] 1 R.C.S. 1067.
La prochaine phase d’évolution correspond à l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982. Depuis cette date, les tribunaux judiciaires canadiens ont rendu des centaines de décisions qui invoquent les dispositions de la Charte, y compris la liberté d’expression énoncée à l’alinéa 2b), pour faire conformer les lois canadiennes aux principes et aux valeurs de la société canadienne.
En ce qui concerne la liberté d’expression, l’adoption de la Charte a provoqué plusieurs litiges impliquant ce droit, et la Cour a rendu de nombreuses décisions juridiques portant directement ou indirectement sur la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) — voir la liste partielle dans les réponses aux questions 3, 8 et 9 du sous-thème 1, ci-haut, ainsi que plusieurs autres arrêts. Au sein de cette jurisprudence, la Cour a confirmé que la liberté d’expression est une « valeur fondamentale » de grande importance, car elle réside au cœur d’un gouvernement démocratique, favorise la recherche de la vérité au moyen d’un échange ouvert d’idées, favorise l’épanouissement personnel des individus, et touche directement la dignité humaine de la personne.
Pendant cette phase, les tribunaux judiciaires canadiens ont interprété l’alinéa 2b) de façon très large et ont souvent conclu qu’il y avait atteinte à première vue à la liberté d’expression. Dans des cas sans équivoque, le procureur général du Canada admettra qu’il y a eu contravention à cette disposition et s’attachera à justifier la limite imposée à cette liberté en invoquant l’article premier.
Selon la Cour suprême, cette disposition doit être analysée en fonction d’un critère à trois volets : 1) L’activité en question a-t-elle le contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d’application de la protection offerte par l’alinéa 2b) ? 2) Le lieu ou le mode d’expression ont-ils pour effet d’écarter cette protection ? 3) Si l’activité expressive est protégée par l’alinéa 2b), est-ce que la mesure gouvernementale, de par son objet ou son effet, porte atteinte au droit protégé ? (Voir les arrêts suivants, à titre d’exemples de cette analyse : Radio-Canada, précité ; Montréal, précité ; et Irwin Toy, précité.)
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Tel qu’expliqué dans la réponse à la question précédente, c’est surtout l’adoption de nouvelles lois en matière de droits de la personne qui a modifié le traitement jurisprudentiel de la liberté d’expression — c.-à-d., l’adoption de la Déclaration canadienne des droits en 1960, suivie de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982.
Surtout, l’adoption de la Charte et l’entrée en vigueur des droits et libertés qu’elle protège sur le plan constitutionnel a grandement modifié le paysage juridique au Canada, y compris la nature et la protection des droits de la personne, et le rôle des tribunaux. Désormais, ces droits bénéficient maintenant d’une protection constitutionnelle, grâce à leur encadrement dans la Charte ; cela veut dire que, puisque la Charte est la loi la plus importante au pays, et fait partie de la Constitution canadienne (contrairement à la Déclaration de 1960), toutes les autres lois (municipales, provinciales et fédérales) doivent s’y conformer. Si elles ne sont pas conformes aux droits et libertés énoncés dans la Charte, y compris la liberté d’expression, ces lois peuvent être déclarées invalides. La Charte permet aux individus de contester des lois ou des mesures gouvernementales qui pourraient contrevenir à leurs droits, y compris la liberté d’expression. Depuis son adoption en 1982, les gouvernements à tous les niveaux doivent tenir compte des droits et libertés garantis par la Charte lorsqu’ils envisagent des lois ou des mesures susceptibles d’affecter ces droits. La Charte constitue donc un volet essentiel de la démocratie au Canada et un élément important de l’identité nationale.
La Charte a profondément changé le rôle des tribunaux judiciaires canadiens, y compris la Cour suprême du Canada. Les causes impliquant la Charte ont permis d’établir des précédents juridiques et ont entraîné des changements importants aux lois fédérales, provinciales et territoriales, et même municipales. La Cour suprême du Canada est une importante institution nationale, située au sommet du pouvoir judiciaire de l’État canadien, et l’adoption de la Charte, qui prévoit un rôle particulier pour tous les tribunaux judiciaires, a évidemment renforcé et appuyé son importance. Il en découle donc une modification importante à la jurisprudence, et les décisions juridiques au sujet de la liberté d’expression ne font aucune exception.
De plus, la jurisprudence des tribunaux canadiens en matière de liberté d’expression a aussi connu une évolution progressive et graduelle en raison des changements au niveau des normes sociales, des mœurs de la société canadienne, des modes de communication et de la technologie, etc. Comme la juge Bertha Wilson, juge à la Cour suprême, l’a indiqué : « Le droit évolue lentement, graduellement ; c’est sa nature. Il réagit aux changements dans la société ; il en est rarement l’instigateur » (citée dans un discours récent du très honorable Richard Wagner, C.P., juge en chef du Canada, intitulé « Principes déontologiques et compétence culturelle : un devoir d’apprendre », prononcé le 6 mai 2021). Par exemple, l’utilisation de plus en plus fréquente des ressources en ligne dans Internet, ainsi que la quasi-explosion du contenu numérique en ligne représentent de nouveaux défis pour la protection et le contrôle de la liberté d’expression au Canada.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Oui, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada a non seulement influencé la jurisprudence des juridictions du fond (ou des tribunaux des instances inférieures), mais encore plus, elle l’a dirigée et dictée.
En effet, le système juridique au Canada et la structure de ses tribunaux judiciaires reposent sur le principe de stare decisis (« s’en tenir à ce qui a été décidé »).
Le principe de stare decisis « vertical » signifie que les règles de droit qu’énoncent les décisions émanant de juridictions de degré supérieur lient les tribunaux d’instance inférieure. Aussi font-elles autorité ; elles ne peuvent être contestées tant qu’elles n’auront pas été modifiées ou abandonnées par ces juridictions supérieures. Voir R. c. Sullivan, 2022 CSC 19 (ci-après, « Sullivan »), au paragraphe 59 : « les autres tribunaux sont liés par les précédents qu’établit une autorité judiciaire supérieure ».
Le principe de stare decisis « horizontal » exige que « les décisions pertinentes du même niveau de juridiction soient suivies en raison de la courtoisie judiciaire, à moins que des raisons impérieuses justifient de ne pas le faire » (Sullivan, précité, au paragraphe 24).
Alors, selon la règle de stare decisis, les principes et les règles de droit établis et confirmés par la Cour suprême du Canada, étant le plus haut tribunal du pays et le tribunal d’appel de dernier ressort pour tout le Canada, doivent nécessairement lier les tribunaux des instances inférieures (les cours fédérales et provinciales, y compris les cours d’appel intermédiaires).
En matière de liberté d’expression, par exemple, une décision émise par la Cour suprême du Canada selon laquelle une loi est déclarée inopérante et inconstitutionnelle, en raison d’une atteinte à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, doit être respectée et suivie par tous les tribunaux des instances inférieures à travers le Canada. Voir Sullivan, précité, au paragraphe 65 : « La décision en matière constitutionnelle d’un tribunal liera évidemment les juridictions inférieures par la voie du stare decisis vertical ».
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Oui, les décisions de la Cour suprême du Canada portant sur la liberté d’expression, comme c’est le cas pour d’autres sujets, peuvent se référer et s’inspirer de la jurisprudence de tribunaux d’autres ordres juridiques, notamment nationaux et internationaux. Le cas échéant, la Cour agit avec discernement et prudence, et, lorsque cela est raisonnable et souhaitable, elle peut être appelée à adapter ces jurisprudences étrangères aux particularités de son office, de sa jurisprudence et des règles de droit applicables.
En ce qui concerne l’influence d’autres ordres juridiques nationaux sur les décisions de la Cour, l’arrêt Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640 (ci-après, « Grant ») est un bon exemple (voir aussi la décision Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712, qui a été rendue simultanément). Dans cette affaire, la Cour s’est inspirée de la jurisprudence de ressorts étrangers appliquant un régime de common law semblable à celui du Canada, afin de mieux protéger la liberté d’expression des médias se prononçant sur des affaires d’intérêt public. Elle a examiné la façon dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud ont choisi de modifier « les règles relatives à la diffamation applicables chez eux de façon à accorder une plus grande protection aux communications concernant des questions d’intérêt public » (paragraphe 85). Elle a ensuite choisi de créer un nouveau moyen de défense qui permet aux médias de s’exonérer dans le cadre d’une poursuite en diffamation lorsqu’ils peuvent établir qu’ils ont agi de façon responsable en tentant de vérifier l’information communiquée au sujet d’une affaire d’intérêt public (voir les paragraphes 85 à 86, et 98 à 126). Ce faisant, la Cour a choisi une approche analogue à celle adoptée par les tribunaux de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud et du Royaume-Uni, mais distincte de celle préconisée par les tribunaux américains (voir le paragraphe 85).
L’arrêt Grant n’est qu’un exemple. Dans plusieurs autres arrêts portant sur la liberté d’expression, la Cour s’est référée à la jurisprudence d’autres ordres juridiques nationaux. Entre autres, il n’est pas rare que la Cour, tant dans ses motifs majoritaires que dissidents, se réfère à de la jurisprudence des États-Unis, tantôt pour s’en inspirer, tantôt pour s’en distancier. Ce fut le cas notamment dans Irwin Toy, précité ; Keegstra, précité ; Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139 ; Little Sisters, précité ; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892 ; et RJR-MacDonald Inc., précité.
Quant à l’influence d’autres ordres juridiques internationaux sur les décisions de la Cour en matière de liberté d’expression, soulignons que la Cour a déjà eu recours aux principes et règles de droit établis dans des conventions internationales. Par exemple, dans l’affaire R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, le fait qu’un certain nombre de conventions internationales, ratifiées par le Canada, imposent des restrictions explicites à la liberté d’expression afin de protéger les droits et la réputation des individus a été considéré comme étayant la thèse d’un objectif urgent et réel dans le cadre de l’analyse de justification sous l’article premier de la Charte (voir à ce sujet la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut). Selon la Cour, cela « révèle qu’il y a un consensus au sein de la communauté internationale sur le fait que la protection de la réputation est un objectif suffisamment important pour justifier l’imposition de certaines restrictions à la liberté d’expression » (paragraphe 50). De plus, en matière d’interprétation constitutionnelle, le droit international, tout comme le droit comparé d’ailleurs, joue un rôle dans l’interprétation des droits garantis par la Charte. Il peut servir à appuyer ou à confirmer une interprétation d’un droit ou d’une liberté dégagée en appliquant la démarche établie dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 (voir par exemple l’arrêt Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, au paragraphe 28).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Dans le système juridique canadien, la conciliation entre la liberté d’expression et d’autres droits et libertés également protégés par la Constitution s’explique par la recherche d’un équilibre raisonnable, et s’achève par voie de l’article premier de la Charte, qui permet aux gouvernements d’établir des limites et contraintes aux droits constitutionnels lorsque ces limites sont justifiables au sein d’une société démocratique comme le Canada (voir la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut).
La possibilité d’un conflit entre divers droits garantis par la Charte n’entraîne pas nécessairement une déclaration d’inconstitutionnalité. Lorsqu’il y a un conflit apparent entre deux ou plusieurs droits, il est essentiel de considérer le problème au sein du contexte factuel de conflits réels.
Il faut premièrement se demander si les droits prétendument en conflit peuvent être conciliables (voir Trinity Western c. B.H.C., précité, aux paragraphes 28 et 29 ; et R. c. N.S., [2012] 3 R.C.S. 726, aux paragraphes 30 à 32).
Lorsque les droits en cause sont inconciliables, il y a véritablement conflit. Dans de tels cas, la Cour pourrait conclure à l’existence d’une limite au droit qui est à l’origine de la difficulté ; elle soupèsera les divers intérêts en cause, au regard de l’article premier de la Charte (voir Ross, précité, aux paragraphes 73 et 74). Si un conflit réel et inacceptable surgit, la disposition en cause ne pourrait, par définition, se justifier au sens de l’article premier de la Charte, et le conflit cesserait d’exister.
Dans les deux cas, la Cour fonde son analyse sur les principes fondamentaux que la Charte ne crée pas une hiérarchie de droits et que les droits de la Charte doivent être interprétés largement (voir le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, aux paragraphes 50 à 53 ; voir aussi les réponses aux questions 2 et 3 du sous-thème 2, ci-haut).
Dans l’arrêt Hansman c. Neufeld, 2023 CSC 14 (ci-après, « Hansman »), par exemple, dans le contexte d’une poursuite en diffamation, la Cour avait comme tâche ou projet de « clarifier le juste équilibre » entre deux « valeurs opposées » — la liberté d’expression et la protection de la réputation —, les deux valeurs étant « essentielles au maintien d’une démocratie fonctionnelle » (paragraphe 1). L’exercice judiciaire et analytique au cœur de ce projet comprend une « évaluation de l’intérêt public » (paragraphe 39). Dans le contexte d’une poursuite en diffamation, cela veut dire qu’il faut considérer à la fois l’intérêt public à protéger l’expression du défendeur (celui qui aurait prononcé les paroles diffamatoires), et déterminer si cet intérêt public l’emporte sur le préjudice qu’aurait vraisemblablement subi le demandeur (victime de ladite diffamation).
Cet exercice d’évaluation constitue « l’essence de l’analyse », car il permet au tribunal de trouver « le juste équilibre entre la protection de la réputation de la personne et la liberté d’expression » (paragraphe 58).
Plusieurs facteurs peuvent aider le tribunal à trancher la question : « l’importance de l’expression, le résumé des litiges passés entre les parties, l’existence d’effets indirects ou à plus grande échelle, produits sur d’autres expressions relativement à des affaires d’intérêt public, l’effet paralysant potentiel pour l’expression d’une partie ou d’autres personnes dans l’avenir; le résumé des activités militantes ou de défense de l’intérêt public menées par le défendeur antérieurement, toute disproportion entre les ressources mises à contribution dans la poursuite et le préjudice causé ou l’octroi éventuel de dommages‑intérêts et la question de savoir si l’expression ou la demande pourrait être à l’origine d’hostilités à l’endroit d’un groupe reconnu comme étant vulnérable » (Hansman, précité, au paragraphe 60, citant l’arrêt Pointes Protection, précité, au paragraphe 80).
Cet exercice d’évaluation des intérêts publics qui sous-tendent des valeurs opposées n’est qu’un exemple des méthodes employées par les tribunaux judiciaires au Canada pour aborder la question d’un conflit entre deux ou plusieurs droits fondamentaux, comme la liberté d’expression.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Pour tout litige impliquant la liberté d’expression (comme pour tout autre droit protégé par la Charte, il n’y a rien qui favorise une partie ou l’autre. Tel qu’expliqué dans la réponse à la question 7, au sous-thème 1, ci-haut, chaque cas est différent, et ses faits et circonstances doivent être considérés attentivement. Il faut donc adopter une analyse contextuelle et objective pour chaque affaire.
Il est important de noter, cependant, que selon le cadre d’analyse établi pour les litiges impliquant des droits constitutionnels protégés par la Charte, le fardeau de preuve change de l’État à l’individu selon le stade d’analyse juridique.
En général, tel qu’expliqué en partie dans la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut, lorsqu’un individu plaide qu’une loi ou une mesure gouvernementale a porté atteinte à sa liberté d’expression ou à tout autre droit protégé par la Charte, voici le cadre d’analyse applicable :
- Le fardeau de prouver qu’une loi ou une action gouvernementale porte atteinte à un droit protégé par la Charte incombe à la partie qui souhaite invoquer la protection du droit en question — c.-à-d., généralement, l’individu.
- Ensuite, le fardeau de prouver qu’une restriction est justifiable en vertu de l’article premier de la Charte incombe à la partie qui veut faire valider cette restriction — c.-à-d., généralement, l’État.
- La norme de preuve est celle qui s’applique en matière civile — c.-à-d., la preuve selon la prépondérance des probabilités.
Alors, bien que ni l’État ni l’individu ne reçoit un avantage particulier dans les litiges impliquant la liberté d’expression (ni pour tout autre droit protégé par la Charte). Cependant, l’identité de la partie provoque certains changements au niveau du processus et du fardeau de preuve au sein de l’analyse.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La proportionnalité joue un rôle important comme outil jurisprudentiel dans la protection de la liberté d’expression, et dans l’établissement de limites et balises pour cette protection.
Le contrôle de la proportionnalité s’effectue au stade de « justification » du cadre d’analyse juridique pour la Charte — c.-à-d., après que la Cour a conclu qu’il y a eu une atteinte au droit protégé par la Charte (en l’espèce, la liberté d’expression protégée à l’alinéa 2b)). Selon l’article premier de la Charte, il incombe à l’État de démontrer que cette atteinte est justifiée au sein d’une société libre et démocratique.
Tel qu’expliqué en plus grand détail dans la réponse à la question 2 au sous-thème 1, ci-haut, le test « Oakes » fait appel au concept de la proportionnalité de façon explicite. Une limite ou restriction à un droit garanti par la Charte doit être « raisonnable », et sa justification doit pouvoir se démontrer par un objectif législatif réel et urgent, ainsi qu’un degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif législatif et le moyen utilisé pour l’atteindre.
Ce principe de « proportionnalité » comporte trois éléments : a) le « lien rationnel » de causalité entre l’objectif législatif et la mesure contestée ; b) l’« atteinte minimale » de la mesure au droit ou à la liberté, pas plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire de le faire ; et c) la « pondération finale », selon laquelle il faut assurer une proportionnalité suffisante entre les effets préjudiciables de la limite et ses effets bénéfiques.
L’intensité du contrôle de la proportionnalité ne varie pas selon l’identité de la partie requérante, mais tel qu’expliqué dans la réponse à la question 9 au sous-thème 2 ci-haut, le fardeau de preuve change d’une partie à l’autre selon le stade d’analyse : par exemple, il incombe à l’individu qui revendique un droit constitutionnel de démontrer qu’une mesure gouvernementale porte atteinte à son droit, mais il incombe à l’État de démontrer que la mesure se justifie aux termes de l’article premier de la Charte.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Des considérations d’ordre public permettent d’encadrer la liberté d’expression dans la jurisprudence canadienne, en limitant la portée des formes d’expression qui sont protégés par l’alinéa 2b) de la Charte, soit en concluant que l’expression en question est exclue du champ d’application de l’alinéa 2b), ou en concluant qu’une limite à l’expression en question est justifiable en vertu de l’article premier de la Charte.
Par exemple, selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, l’expression qui prend la forme de la violence n’est pas protégée par l’alinéa 2b) de la Charte ; peu importe que la violence possède ou non une valeur expressive, elle ne s’inscrit pas dans le champ d’application de cette protection : voir Keegstra, précité ; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731 ; et Irwin Toy, précité.
Il s’agit d’un exemple d’activité ou d’expression qui n’est pas protégée par l’alinéa 2b), non pas en raison du critère de justification en vertu de l’article premier de la Charte, mais en raison des « limites internes » de la liberté d’expression elle-même — c.-à-d., lorsque le mode d’expression de l’activité en question (par exemple, la violence) ou le lieu où elle se déroule « est en dissonance avec la protection offerte par la Charte » (Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, au paragraphe 15).
En général, au Canada, les propos haineux ou l’expression qui incite la violence ou la haine ne sont pas protégés par la Charte. Diverses lois fédérales, provinciales et territoriales imposent des restrictions à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, y compris l’interdiction d’une expression publique de messages ayant pour but d’inciter la haine contre les membres d’un groupe particulier. Par exemple, aux termes des articles 318 et 319 du Code criminel, des sanctions pénales sont imposées à quiconque préconise intentionnellement le génocide ou incite à la haine dans un endroit public. Selon la Cour suprême, « un discours haineux nie toujours des droits fondamentaux » (voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 147, citant l’arrêt Keegstra, précité). Les propos haineux, s’ils ne sont pas réglementés ou interdits, « préparent le terrain en vue de porter des attaques plus virulentes contre les groupes vulnérables », attaques qui peuvent prendre « la forme de mesures discriminatoires, d’ostracisme, de ségrégation, d’expulsion et de violences et, dans les cas les plus extrêmes, de génocide » (voir Whatcott, précité, au paragraphe 74, citant l’arrêt Keegstra, précité).
De façon semblable, la plupart des lois provinciales et territoriales au Canada en matière des droits de la personne interdisent la publication ou la diffusion de messages qui expriment l’intention d’établir une distinction discriminatoire ou suggèrent ou incitent des actes discriminatoires, ce qui relève aussi de l’ordre public, puisque les mesures visant à empêcher la propagation de la haine s’inscrivent dans un cadre législatif plus vaste consistant à lutter contre la discrimination : « l’interdiction des représentations qui sont objectivement perçues comme exposant un groupe protégé à la haine a un lien rationnel avec l’objectif d’éliminer la discrimination ainsi que les autres effets préjudiciables de la haine » (Whatcott, précité, au paragraphe 99).
Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour a résumé sa jurisprudence à ce sujet ainsi : « la liberté d’expression peut être limitée de manière justifiée dans une société libre et démocratique pour prévenir les effets discriminatoires des propos haineux » (paragraphe 47). Les limites à la liberté d’expression « se justifient lorsqu’il existe, dans un contexte donné, des raisons sérieuses de craindre un préjudice suffisamment précis auquel le discernement et le jugement critique de l’auditoire ne sauraient faire obstacle » (paragraphe 61). Même lorsque les propos en question ne sont pas du même ordre que la définition de la haine, ces limites se justifient aussi dans le contexte de propos qui auraient pour effet de forcer certaines personnes à « défendre leur propre humanité fondamentale ou leur propre statut social avant même d’être admis[es] à participer au débat démocratique » (Ward, précité, au paragraphe 63, citant l’arrêt Whatcott, précité, au paragraphe 75).
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
En général, tel qu’expliqué dans la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut, et la réponse à la question 10 du sous-thème 2, ci-haut, pour la Cour suprême du Canada et pour l’ensemble de l’appareil judiciaire canadien, l’outil juridique principal pour le contrôle de la protection de la liberté d’expression est la notion de « proportionnalité » au cœur de l’analyse de justification en vertu de l’article premier de la Charte.
Cependant, il existe d’autres outils juridiques ou légaux sur lesquels les tribunaux judiciaires canadiens peuvent s’appuyer et/ou pour lesquels les tribunaux sont parfois appelés à trancher des questions juridiques importantes.
Par exemple, dans le cadre de litiges privés, il est possible qu’un individu tente de limiter ou de réprimer la liberté d’expression d’autrui par l’entremise d’une action civile visant à faire cesser et/ou réparer un préjudice causé par des propos diffamatoires du défendeur. Dans le cadre d’une telle action, en plus des dommages-intérêts compensatoires, le demandeur pourrait demander que soit rendue une injonction interlocutoire et/ou permanente pour faire cesser le comportement délictuel, et donc restreindre la liberté d’expression du défendeur. Ce type d’action, en plus de faire cesser la diffamation et d’indemniser la personne qui en est victime, peut avoir un effet plus large sur la liberté d’expression, en dissuadant d’autres individus de diffuser du contenu expressif diffamatoire. Dans le contexte d’une telle dynamique, les tribunaux judiciaires peuvent être appelés à trancher certaines questions relatives à la diffamation, et à la liberté d’expression, et d’établir des bornes et limites à cette liberté.
D’autant plus que ce genre d’action civile en diffamation peut se dérouler dans un contexte législatif où l’État tente de réglementer la portée de la diffamation et la résolution de conflits semblables. Par exemple, certaines provinces au Canada ont adopté de nouvelles lois régissant la liberté d’expression ou qui peuvent y imposer certaines limites ou contraintes. (Voir la réponse à la question 2 du sous-thème 3, ci-dessous.) La Cour suprême du Canada et les tribunaux des instances inférieures à travers le pays sont parfois appelés à trancher des dossiers impliquant ces lois et mesures, afin de déterminer si elles portent atteinte à la liberté d’expression, et si oui, si cette limite est justifiée.
Le rôle joué par les tribunaux judiciaires dans ces circonstances, à titre d’« outil jurisprudentiel », y compris son étendue et ses limites, est abordé plus amplement ci-dessous, dans la réponse à la question 2 du sous-thème 3, ci-dessous.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Il n’incombe pas à la Cour suprême du Canada (ni à aucun autre tribunal juridique) de créer ou réserver un régime juridique particulier pour la liberté d’expression, ou d’identifier les conditions qui justifieraient l’imposition d’un tel régime particulier, ou d’envisager la nécessité d’en imposer un. Ce n’est pas le rôle ou la fonction des tribunaux judiciaires canadiens d’identifier des conditions ou situations pour lesquelles le degré de protection d’un droit constitutionnel sera modifié.
Par contre, il est possible d’envisager des situations ou des circonstances dans lesquelles un gouvernement (fédéral, ou provincial) pourrait imposer des mesures d’urgence (en réponse à une crise quelconque, qu’elle soit de nature militaire ou économique, ou qui relève des questions de santé ou de sécurité) qui seraient susceptibles de limiter ou restreindre la liberté d’expression, ou d’affecter son cadre d’analyse juridique.
Dans un tel cas, la Cour serait peut-être appelée à trancher la question à savoir si les mesures d’urgence peuvent être justifiées même si elles portent atteinte à la liberté d’expression ou à d’autres droits et libertés protégés par la Charte. Dans ces circonstances, il est possible d’envisager un cadre d’analyse ou un régime juridique modifié en ce qui concerne la liberté d’expression.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Comme tous les droits protégés au Canada, celui à la liberté d’expression n’est pas absolu. En effet, il est reconnu que certains contenus expressifs peuvent être limités, voire censurés, soit afin de prévenir la violence ou le crime, ou d’assurer l’ordre public, soit afin de protéger d’autres droits concurrents comme celui à la protection de la réputation d’une personne ou encore celui à l’égalité (voir Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, 2002 CSC 85 (ci-après, « Prud’homme »), au paragraphe 38 ; Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, [2004] 3 R.C.S. 95, 2004 CSC 53 (ci-après, « Néron »), aux paragraphes 52 à 55 ; Whatcott, précité, au paragraphe 66; Bent, précité, au paragraphe 1; Hansman, précité, au paragraphe 1). Ainsi, les tribunaux sont appelés à distinguer le contenu expressif légal de celui qui ne l’est pas, tant dans le cadre de litiges privés que dans le cadre de litiges publics, et tant dans le contexte de censure que dans le contexte de diffamation.
Litiges privés
Lorsque le droit à la liberté d’expression d’une personne entre en conflit avec le droit d’une autre à la protection de sa réputation, dans le cadre d’un recours privé en diffamation, il n’existe pas de règle absolue afin de déterminer lequel doit prévaloir. Déterminer si une action en diffamation doit être accueillie est le fruit d’une analyse contextuelle propre à chaque cas, que ce soit en droit civil québécois ou en common law.
En droit civil québécois, comme dans toute action en responsabilité civile, délictuelle ou quasi délictuelle, l’analyse contextuelle portera sur l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité entre les deux (Néron, précité, au paragraphe 56 ; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214 (ci-après, « Bou Malhab »), au paragraphe 22). En ce qui concerne le préjudice, le tribunal doit se demander « si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers » (Prud’homme, précité, au paragraphe 34 ; Néron, précité, au paragraphe 57 ; Bou Malhab, précité, au paragraphe 28). Or, même si une réponse affirmative s’impose, un contenu expressif jugé diffamatoire n’engagera pas la responsabilité civile de son auteur en l’absence de la commission d’une faute civile de la part de ce dernier (Prud’homme, précité, au paragraphe 35). La jurisprudence reconnaît au moins trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de contenu expressif diffamatoire : (1) lorsqu’une personne prononce des propos diffamatoires tout en les sachant faux; (2) lorsqu’une personne diffuse des choses diffamatoires sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses; et (3) lorsqu’une personne médisante tient, sans justes motifs, des propos diffamatoires, mais véridiques, à l’égard d’un tiers (Prud’homme, précité, au paragraphe 36).
Ainsi, en droit civil québécois, la communication d’une information fausse n’est pas nécessairement fautive ni suffisante pour accueillir une action en diffamation. À l’inverse, la transmission d’une information véridique peut parfois constituer une faute et permettre d’accueillir une action en diffamation (Prud’homme, par. 37).
Bref, la possibilité de réprimer du contenu expressif, et donc d’établir une limite à la liberté d’expression, par la voie d’une action privée en diffamation dépend fermement du contexte.
En common law, l’analyse contextuelle pour une action en diffamation porte sur les trois éléments suivants : (1) les mots en cause sont diffamatoires au sens où ils tendent à entacher la réputation du demandeur aux yeux d’une personne raisonnable ; (2) ces mots visent bel et bien le demandeur ; et (3) les mots en cause ont été diffusés, c.-à-d., qu’ils ont été communiqués à au moins une personne autre que le demandeur (voir Grant, précité, au paragraphe 28). Si ces éléments sont établis suivant la prépondérance des probabilités, la fausseté et le préjudice sont présumés (Grant, précité, au paragraphe 28). Il y a alors inversement du fardeau de la preuve et il revient au défendeur d’invoquer un moyen de défense pour éviter d’être tenu responsable (Grant, précité, au paragraphe 29). En fonction des circonstances de chaque affaire, différents moyens de défense peuvent être invoqués :
- À l’égard des énoncés d’opinion et ceux de fait, le défendeur peut invoquer la défense d’« immunité ». Certaines situations, comme les débats parlementaires ou les instances judiciaires, entraînent une immunité absolue. D’autres, comme les lettres de recommandation ou les rapports de solvabilité, ne confèrent qu’une immunité relative, au sens où elle peut être levée s’il est démontré que le défendeur a agi avec malveillance (Grant, précité, au paragraphe 30).
- À l’égard des énoncés d’opinion, un défendeur peut invoquer non seulement l’immunité, mais aussi la défense de « commentaire loyal », lorsque le commentaire porte sur une question d’intérêt public, est fondé sur des faits, peut intrinsèquement être identifié comme tel, et répond au critère objectif suivant : est‑ce que n’importe qui pourrait honnêtement exprimer cette opinion, vu les faits prouvés ? Enfin, même si le commentaire répond au critère objectif, la défense de commentaire loyal peut échouer si le demandeur réussit à démontrer que le défendeur était animé par la malice (WIC Radio Ltd. c. Simpson, [2008] 2 S.C.R. 420, 2008 CSC 40, au paragraphe 28 ; Grant, précité, au paragraphe 31).
- À l’égard des énoncés de fait, en plus de la défense d’immunité, un défendeur peut faire valoir que l’énoncé est « substantiellement vrai », ou encore, lorsque le contenu porte sur une question d’intérêt public, il peut plaider que la communication du contenu expressif en cause était responsable — c.-à-d., qu’il s’est efforcé avec diligence de vérifier les allégations, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes (Grant, précité, aux paragraphes 85 et 98 à 126).
Toujours en lien avec les recours privés en diffamation, il convient de souligner que plusieurs provinces se sont dotées de lois cherchant à prévenir les « poursuites stratégiques contre la mobilisation publique » (aussi connues comme des lois « anti-SLAPP », en vertu de l’expression en anglais, « Strategic Lawsuits Against Public Participation »). Ce type de poursuites en diffamation, également nommées « poursuites-bâillons », se caractérisent « invariablement par le fait qu’elle[s] vise[nt] à réduire le défendeur au silence et, plus largement, à réprimer le débat sur des questions d’intérêt public, plutôt qu’à réparer un préjudice grave subi par le demandeur » (Hansman, précité, au paragraphe 48). En d’autres mots, ces poursuites abusives constituent une forme d’intimidation judiciaire avec l’objectif de censurer le défendeur (Hansman, précité, au paragraphe 46 ; voir aussi Pointes Protection, précité, aux paragraphes 1 et 2).
Les lois anti-SLAPP instaurent « un mécanisme de filtrage préliminaire des instances découlant de l’expression sur des affaires d’intérêt public » (Hansman, précité, au paragraphe 49), permettant de distinguer le contenu expressif sur des questions d’intérêt public qui est légitime de celui qui est illégitime. Bien que ces lois peuvent varier d’une province à une autre, elles créent généralement « un mécanisme d’examen préalable au procès qui permet à la partie défenderesse de demander au tribunal d’ordonner le rejet d’une instance introduite contre elle, à condition de satisfaire à certains critères » (Hansman, précité, au paragraphe 50).
Selon la Loi uniforme sur la protection de la participation publique (2017), adoptée le 1er mai 2017 par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, une personne faisant face à une instance judiciaire en diffamation ou autrement, qu’elle juge abusive, peut présenter une requête au tribunal afin de rejeter l’instance contre elle parce que celle-ci : a) découle du fait de son contenu expressif ; et b) l’expression en cause se rapporte à une affaire d’intérêt public (voir le paragraphe 4.(1)). Si ces conditions sont satisfaites, le tribunal doit ordonner le rejet de l’instance, à moins que la personne ayant introduit l’instance puisse convaincre le tribunal : a) qu’il existe des motifs de croire, d’une part, que le bien-fondé de l’instance est substantiel, et, d’autre part, que le requérant n’a pas de défense valable dans l’instance; et b) que le préjudice subi du fait de l’expression du requérant est suffisamment grave pour que l’intérêt public dans la poursuite de l’instance l’emporte sur l’intérêt public dans la protection de cette expression (voir le paragraphe 4.(2)). La caractéristique essentielle des lois anti-SLAPP « est la reconnaissance du fait que même les demandes dont le bien‑fondé est substantiel seront rejetées lorsque l’intérêt public à préserver la libre discussion l’emporte sur le préjudice causé au demandeur que le litige est censé réparer » (Hansman, précité, au paragraphe 51 ; voir aussi Pointes Protection, précité, au paragraphe. 62).
Ainsi, dans le cadre de recours privés (en diffamation, ou autrement) s’attaquant à des propos relatifs à des affaires d’intérêt public, l’application des critères énoncés dans les lois anti-SLAPP peut aussi permettre au tribunal de distinguer ce qui constitue un exercice légitime ou illégitime du droit à la liberté d’expression. De même, elle permet d’identifier quel contenu expressif le demandeur peut légitimement tenter de réprimer, voire censurer, par voie judiciaire (en raison de son caractère diffamatoire, ou autrement).
Litiges publics
Il arrive que l’État interdise, et parfois criminalise, certains contenus expressifs afin de favoriser d’autres intérêts sociaux légitimes et/ou de protéger d’autres valeurs et droits importants et/ou d’assurer l’ordre public et prévenir la violence ou la commission de crimes (voir aussi les réponses aux questions 2 et 3 du sous-thème 1, ci-haut, la réponse à la question 11 du sous-thème 2, ci-haut, et la réponse à la question 8 du sous-thème 3, ci-dessous). Par exemple, la production, impression, publication, circulation ou possession aux fins de diffusion de matériel obscène est criminalisée au Canada (article 163 Code criminel), et ce, dans le but tant de prévenir les violences sexuelles et l’exploitation de femmes et d’enfants que d’assurer l’égalité entre les hommes et les femmes (voir R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452). De même, la communication publique de déclarations incitant à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, constitue une infraction criminelle (article 319 Code criminel), et ce, afin de favoriser la tolérance, la non-discrimination et protéger le droit à l’égalité de tous au sein de la société canadienne (Whatcott, précité, aux paragraphes 74, 79 et 145 ; voir aussi Ward, précité, au paragraphe 62).
Lorsque des limites à la liberté d’expression imposées par l’État sont remises en cause devant les tribunaux par voie de contestations constitutionnelles, les tribunaux sont appelés à distinguer ce qui constitue une censure légitime d’une censure illégitime. Cette distinction survient généralement lors de l’analyse de justification sous l’article premier de la Charte, dans le cadre de l’application du test énoncé dans l’arrêt Oakes, précité (voir la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut). Plus précisément, elle survient lorsqu’un individu réussit à démontrer qu’une loi ou une mesure gouvernementale enfreint son droit à la liberté d’expression — puisque l’objectif ou l’effet de la loi ou de la mesure est de censurer ou de limiter son expression ou son mode d’expression. Une fois l’atteinte à la liberté d’expression constatée et démontrée, l’État peut tenter de justifier l’acte de censure en démontrant que celui-ci rencontre les exigences du test de l’arrêt Oakes, tel qu’expliqué ci-haut dans la réponse à la question 2 du sous-thème 1.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
En général, les lois et règlements qui ont pour effet de limiter ou restreindre la portée de la liberté d’expression sont abordés et interprétés comme tout autre texte législatif au Canada — c.-à-d., selon la règle « moderne » d’interprétation législative, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21).
Alors, tout texte qui tente d’imposer une limite ou une restriction sur la liberté d’expression — que ce soit une loi de régulation d’Internet, ou des lois provinciales « anti-SLAPP » — doit être interprété selon cette règle.
Pour répondre à la question de ce qui constitue une atteinte à la liberté d’expression, la Cour dans l’arrêt Toronto a indiqué qu’il y a « entrave substantielle » à la liberté d’expression lorsque l’effet de la loi ou de la mesure gouvernementale « a pour effet de frustrer radicalement l’exercice de cette expression au point où toute expression significative est ‘empêch[ée] en réalité » (paragraphe 27, citant l’arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815, au paragraphe 33). L’expression en question « n’a pas besoin d’être rendue complètement impossible », mais l’effet restrictif doit être quand même assez évident et assez substantiel (paragraphe 27).
Et, tel que discuté dans la réponse 2 du sous-thème 1, ci-haut, toute limite ou restriction imposée sur la liberté d’expression doit satisfaire aux exigences du test de justification énoncé dans l’arrêt Oakes — c.-à-d., une restriction imposée sur la liberté d’expression doit être raisonnable, et sa justification doit pouvoir se démontrer par un objectif législatif réel et urgent, et un degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre.
En ce qui concerne les lois de régulation d’Internet, ou de réglementation en matière de réseaux sociaux, la Cour suprême du Canada n’a pas encore été appelée à trancher de telles questions ou d’interpréter de telles lois avec une perspective axée sur la liberté d’expression.
Par contre, l’arrêt Google Inc. c. Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34, [2017] 1 R.C.S. 824, aborde ces questions en partie, de façon indirecte. Dans ce dossier, un tribunal avait prononcé une injonction contre un distributeur de produits, l’interdisant d’exercer certaines activités sur Internet, et ensuite une autre injonction avait été prononcée pour interdire à Google d’afficher les sites web du distributeur. En confirmant la validité de l’injonction prononcée contre Google, la Cour indique, « bien qu’il soit toujours important d’accorder une attention respectueuse aux questions liées à la liberté d’expression », en l’espèce ces questions ne font pas pencher la balance en faveur de Google (paragraphe 45). L’ordonnance prononcée contre Google « ne vise pas la suppression de propos qui, à première vue, font intervenir des valeurs liées à la liberté d’expression » ; plutôt, l’ordonnance visait « le délistage de sites Web qui contreviennent à plusieurs ordonnances judiciaires » (paragraphe 48). Jusqu’à présent, la jurisprudence n’a « pas reconnu que la liberté d’expression exige qu’on facilite la vente illégale de biens » (paragraphe 48). Même si l’injonction soulevait des questions relatives à la liberté d’expression, « celles-ci sont largement contrebalancées par la nécessité d’empêcher le préjudice irréparable qui découlerait du fait que Google facilite la violation [par le distributeur] des ordonnances judiciaires » (paragraphe 49).
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Non — en théorie, la liberté d’expression est protégée de la même façon et au même degré pour tous les individus au Canada, peu importe le mode de communication, le lieu, le contexte, la technologie utilisée, etc. La Cour n’aborde donc pas la question de la portée du droit avec des variations selon le contexte.
Toutefois, la Cour reconnaît que certains modes d’expression ou méthodes de communication peuvent entraîner certaines conséquences ou nuances qui doivent être intégrées à l’analyse juridique.
Par exemple, dans l’arrêt Ward, précité, les motifs dissidents (mais pas sur ce point) ont reconnu que les effets néfastes de certains propos négatifs ou haineux peuvent être « amplifiés par l’Internet, qui permet la diffusion du contenu ‘sur une très grande échelle, très rapidement et dans l’anonymat’ » (paragraphe 195, citant l’arrêt A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, [2012] 2 R.C.S. 567, au paragraphe 22). Et comme l’a noté la majorité dans Ward, la diffusion de certains propos par Internet les rend plus « accessibles à un auditoire plus large » (paragraphe 121). Ces considérations peuvent évidemment influencer l’analyse de la liberté d’expression et de la portée de ce droit et de ses limites.
De même, dans une série d’arrêts au sujet des crimes de nature sexuelle impliquant la communication sur Internet (actes sexuels avec des personnes mineures ; pornographie juvénile ; leurre d’enfant ; etc.), la Cour a reconnu que l’Internet comme médium de communication a « rendu les activités criminelles plus efficaces, plus répandues et plus difficiles à tracer » (R. c. Ramelson, 2022 CSC 44 (ci-après, « Ramelson »), au paragraphe 2). Alors, les tribunaux doivent assurer une considération nuancée des communications virtuelles lorsque la liberté d’expression est soulevée comme une défense potentielle par l’accusé, c.-à-d., « l’importance de l’espace virtuel pour la liberté d’expression » (Ramleson, au paragraphe 57).
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Non, il n’y a rien d’explicite dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada pour exiger un renforcement de la protection de la liberté d’expression (ou de ses limites) en période électorale. Il n’incombe pas à la Cour de modifier le cadre analytique applicable selon différents contextes ou circonstances.
Toutefois, tel que noté dans la réponse 9 du sous-thème 1, ci-haut, il est toujours possible qu’un palier gouvernemental (municipal, provincial, territorial, fédéral) adopte une nouvelle loi ou une mesure qui vise précisément la liberté d’expression (ou de ses limites) des Canadiens et Canadiennes, et/ou des fonctionnaires gouvernementaux. Dans un tel cas, la Cour suprême serait sans doute appelée à trancher la question à savoir si une telle loi ou mesure gouvernementale qui porte atteinte aux droits d’expression des individus peut se justifier à l’égard de l’article premier de la Charte.
Par exemple, dans l’arrêt Osborne, précité, la Cour a conclu qu’une loi fédérale qui limitait les propos et les activités expressives des fonctionnaires portait atteinte à la liberté d’expression, mais que cette limite pouvait se justifier selon le critère Oakes.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Il n’existe pas non plus un cadre d’analyse différent ou un traitement spécifique pour la liberté d’expression des acteurs étrangers lors des périodes électorales.
Le texte de la Charte indique clairement que « chacun » au Canada bénéficie de la protection pour la liberté d’expression énoncée à l’alinéa 2b), que ce soit un individu canadien, ou un acteur étranger. Alors, en théorie, la liberté d’expression d’un acteur étranger est protégée au Canada de la même façon et au même degré que celle d’un citoyen canadien, que ce soit en période électorale ou autrement.
Toutefois, le problème d’ingérences étrangères (lors d’une période électorale, ou non) constitue une menace sérieuse à la démocratie canadienne. Selon le site web « Lutte contre l’ingérence étrangère » du ministère fédéral de la Justice, le gouvernement du Canada a recours à diverses mesures pour la contrer — notamment, les enquêtes et le dépôt d’accusations criminelles, en conformité avec les lois canadiennes.
Ces lois comprennent la Loi sur la protection de l’information, qui criminalise certains comportements préjudiciables au Canada, notamment l’espionnage ou la violence pour le compte d’une entité étrangère ; des infractions prévues au Code criminel qui ciblent différents types de comportements liés à l’ingérence étrangère, notamment le sabotage, l’intimidation, le piratage informatique et la corruption ; et la Loi électorale du Canada qui comprend des infractions et d’autres dispositions qui portent sur la participation étrangère aux processus électoraux fédéraux (par exemple, l’influence indue sur le vote d’un électeur).
Dans la mesure que ces lois ou dispositions portent atteinte aux droits de liberté d’expression des acteurs étrangers, le gouvernement devra justifier ces limites en répondant aux critères Oakes pour l’analyse de l’article premier de la Charte, en identifiant la nécessité de lutter contre l’ingérence étrangère en période électorale comme un objectif législatif réel et urgent, et en démontrant les autres éléments de justification, y compris un lien rationnel, une atteinte minimale, la proportionnalité, etc. (voir la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut).
Selon cette dynamique, il est essentiel que toute loi ou mesure gouvernementale qui porte atteinte à la liberté d’expression établisse un juste équilibre entre la nécessité de garantir une réponse efficace à l’ingérence étrangère et le respect des libertés et droits fondamentaux de toutes les personnes (citoyens, résidents permanents, autres) au Canada.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Encore une fois, en théorie — non, la liberté d’expression n’est pas encadrée de restrictions particulières ou explicites en période de troubles. Le cadre analytique et juridique demeure le même que celui en vigueur pour tout autre contexte, c.-à-d. :
- La personne qui prétend avoir subi une atteinte à son droit de liberté d’expression doit démontrer que
- l’activité en question avait un contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d’application de la protection offerte par l’alinéa 2b) de la Charte ;
- le lieu ou le mode d’expression de l’activité n’avaient pas l’effet d’écarter cette protection ;
- la loi ou la mesure gouvernementale, de par son objet ou son effet, porte atteinte au droit protégé ;
- Et en cas d’atteinte, le gouvernement a le fardeau de démontrer que la limite ou la restriction était justifiée au sein d’une société libre et démocratique à l’égard de l’article premier de la Charte et le critère Oakes.
Comme avec les réponses aux questions 5 et 6 du sous-thème 3, ci-haut, il est toutefois possible qu’un gouvernement adopte certaines lois ou mesures en période de troubles (d’ordre économique, ou lors d’une crise de santé publique ou de sécurité nationale) qui auraient pour effet de limiter ou restreindre la liberté d’expression au Canada.
Dans de telles circonstances, les tribunaux judiciaires canadiens seraient appelés à trancher la question de savoir si ces lois ou mesures peuvent se justifier aux termes de l’article premier de la Charte. Lors de cette analyse, les tribunaux devront considérer les circonstances socio-économiques et/ou politiques dans lesquelles la mesure a été adoptée, puisque toute analyse de la portée et des limites des droits et libertés protégés par la Charte est nécessairement contextuelle.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Il n’y a rien d’explicite dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada (ni dans celle des tribunaux des instances inférieures à travers le pays) qui signalerait une définition de la notion d’« ordre public » différente ou avec une portée plus restrictive pour la liberté d’expression, en période de troubles. Tel qu’expliqué dans la réponse à la question précédente, le cadre d’analyse et le fondement juridique demeurent le même face à n’importe quelle circonstance.
Toutefois, en période de troubles, tel qu’expliqué dans la réponse à la question précédente, les gouvernements canadiens pourraient adopter des lois ou mesures qui auraient l’effet de créer une portée plus restrictive pour la liberté d’expression, en réponse à une crise économique ou politique, ou à une menace à la santé publique ou la sécurité nationale. Les tribunaux judiciaires au Canada auraient ensuite la tâche d’examiner ces mesures et déterminer si elles se justifient aux termes de l’article premier de la Charte, tenant compte de la situation ou de la crise en question. Il se pourrait que la définition d’« ordre public » puisse varier selon le contexte.
Par exemple, en réponse aux répercussions de la pandémie du virus COVID-19 sur les Canadiens et Canadiennes, différents paliers gouvernementaux (municipaux et provinciaux, et le gouvernement fédéral) ont adopté certaines lois, mesures et politiques pour protéger la santé et le bien-être des citoyens et résidents canadiens. Selon plusieurs personnes et commentateurs, ces mesures ont eu un effet néfaste sur certains droits et libertés fondamentaux au Canada, y compris la liberté d’expression. En février 2022, des milliers de personnes ont manifesté à Ottawa (et dans plusieurs autres villes canadiennes), se joignant au prétendu « Convoi de la liberté ». En réponse à ces manifestations et blocages, le gouvernement fédéral a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, L.R.C. 1985, ch. 22 (4e suppl.), et a déclaré un état d’urgence du 14 au 23 février 2022.
La déclaration et les mesures policières d’urgence qui en découlaient ont donné naissance à des centaines d’arrestations et le dépôt d’accusations criminelles. Plusieurs des accusés subissent présentement des procès criminels et soulèvent des moyens de défense qui invoquent parfois leur droit à la liberté d’expression, tandis que la poursuite cite des infractions et atteintes à l’ordre public. À noter que la déclaration d’un état d’urgence a fait l’objet d’une Commission d’enquête, et que les procès criminels de certaines personnes accusées sont toujours en cours. Ces questions sont donc susceptibles d’être éventuellement débattues devant la Cour suprême du Canada.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
En période de troubles, comme en période de paix, la Cour suprême du Canada occupe une place institutionnelle très importante au sommet de l’appareil juridique canadien, pour la protection de la liberté d’expression comme pour la défense de tous les droits et libertés fondamentaux au Canada. La Cour sert les Canadiens et Canadiennes (et les résidents permanents, immigrants et visiteurs) en tranchant des questions de droit d’importance pour le public; elle contribue ainsi à l’évolution de tous les domaines du droit au Canada, y compris les questions relatives aux droits de la personne. La Cour et son travail contribuent grandement aux fondements d’un pays fort, sécuritaire et démocratique, qui repose sur la primauté du droit. L’importance des arrêts de la Cour pour la société canadienne est pleinement reconnue. La Cour assure uniformité, cohérence et justesse dans la définition, l’évolution et l’interprétation des principes juridiques dans l’ensemble du système judiciaire canadien.
La Cour est une institution ouverte, impartiale et indépendante. En tant que cour d’appel de dernière instance du pays, elle a compétence pour entendre des litiges concernant tous les domaines du droit. Elle est la gardienne ultime de la Constitution, et elle veille à la protection des droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, y compris la liberté d’expression.
Ce faisant, le rôle de la Cour comme institution démocratique fondamentale, appuyée par les principes de l’indépendance judiciaire et la primauté du droit, est d’assurer que tous les Canadiens et Canadiennes, ainsi que les visiteurs, immigrants, nouveaux arrivés et résidents permanents peuvent jouir de la pleine protection offerte par la Charte, y compris la liberté d’expression à titre de « pierre angulaire » de la démocratie canadienne.
Comme l’a dit le très honorable Richard Wagner, C.P., juge en chef du Canada, lors d’un discours intitulé « Principes déontologiques et compétence culturelle : un devoir d’apprendre », prononcé le 6 mai 2021 devant les juges de la Cour supérieure de l’Ontario, le respect de la légitimité de la Cour suprême du Canada a été « essentiel » tout au long de la pandémie COVID- 19, alors que les Canadiennes et Canadiens ont vu « plusieurs de leurs libertés individuelles restreintes »; les citoyens et résidents du Canada « s’attendent à ce que les leaders au sein de leurs communautés — y compris nous, les juges — se conforment aux restrictions et autres consignes des autorités sanitaires ». En assurant sa légitimité comme institution démocratique, la Cour aide à « maintenir [et] renforcer la confiance du public à l’endroit de la magistrature ». Cette légitimité est particulièrement importante dans le contexte de la liberté d’expression; si ce droit fondamental n’est pas protégé, les individus ne pourront pas s’exprimer sur les lois et mesures gouvernementales qui touchent à leurs autres droits fondamentaux.
Et dans son allocution prononcée lors de sa cérémonie d’accueil officielle, le juge en chef Wagner avait aussi abordé ce thème : « Nous traversons une époque trouble. Il vous suffit de feuilleter un journal et, tous les jours, vous verrez un nombre incalculable d’exemples de pays où la primauté du droit s’affaiblit, à divers degrés, où les gouvernements intimident la magistrature, les barreaux et les médias traditionnels au moyen de menaces et d’arrestations et où les partis pris des institutions mènent à des résultats différents selon la classe sociale, le sexe, la religion, la langue ou la race du justiciable. Au Canada, heureusement, tout cela nous a essentiellement été épargné. Je dirais que c’est parce que les Canadiens continuent de croire fermement que leurs institutions, particulièrement leurs institutions juridiques et judiciaires, agissent avec équité et justice. La Cour a une voix puissante, parce qu’elle défend la vérité et la justice, ainsi que la démocratie et la primauté du droit. »
En raison de la « démocratie dynamique » du Canada, « nous profitons — grâce à la Charte et à d’autres règles de notre droit — de robustes protections en matière de droits et libertés individuels, et nous respectons les institutions publiques qui constituent des tribunes nous permettant de régler nos différends de façon pacifique et constructive » (ibid.).
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Oui, la liberté d’expression appuie clairement la Cour suprême du Canada dans sa mission de protéger la Constitution canadienne et veiller à la protection des droits et libertés fondamentaux de chacun et chacune au Canada. La protection de la liberté d’expression, et le respect de ce droit dans le processus judiciaire peuvent sans doute jouer un rôle important pour ce projet. Puisque la Charte accorde aux tribunaux judiciaires un mandat de protéger les droits et libertés fondamentaux de chacun et chacune, une protection rigoureuse de la liberté d’expression permet aux justiciables de pouvoir s’exprimer quant aux lois et mesures gouvernementales qu’ils trouvent injustes, arbitraires ou discriminatoires.
Alors, en ayant recours aux tribunaux judiciaires pour faire valoir ses droits fondamentaux, une personne exerce non seulement son droit de liberté d’expression, mais demande aussi aux tribunaux de protéger ses autres droits et libertés, appuyant et valorisant ainsi la légitimité des tribunaux comme institution démocratique.
Comme le juge en chef Wagner l’a exprimé dans une allocution intitulée « Rendez-vous avec les juges : venez en apprendre davantage sur votre Cour suprême au Musée canadien pour les droits de la personne (Winnipeg) », prononcée le 25 septembre 2019 : « C’est le rôle des tribunaux de veiller à ce que les droits des gens soient protégés… Lutter pour ses droits n’est jamais chose facile, mais grâce aux efforts de tous ceux et celles qui nous ont précédés que nous jouissons de tels droits aujourd’hui. Ces droits et bien d’autres sont reconnus, et il est possible de s’adresser aux tribunaux pour les faire respecter. Et ces droits, comme ceux qui sont garantis par la Charte, sont fondamentaux pour le maintien de notre démocratie et de la primauté du droit. »
De plus, la liberté d’expression contribue aussi à la légitimité et le rôle démocratique des tribunaux judiciaires, puisque ce droit protège aussi les juges au Canada, en lien avec le principe de l’indépendance judiciaire. L’indépendance de la magistrature au Canada est garantie de façon explicite et implicite dans la Constitution canadienne. Cette indépendance se définit en termes d’inamovibilité, de sécurité financière et d’indépendance administrative. Si les juges n’étaient pas indépendants, et s’ils ne pouvaient s’exprimer librement sur les lois et mesures gouvernementales, l’accès à la justice pour la population en souffrirait, et le public n’aurait plus confiance envers les tribunaux judiciaires.
Le lien entre l’indépendance judiciaire et les droits fondamentaux (comme la liberté d’expression) est « aussi simple qu’il est évident » : « Lorsque les droits politiques et les libertés civiles reculent, ce recul s’accompagne immanquablement d’une régression de l’indépendance des tribunaux et de l’accès à la justice. La présence de juges indépendants garantit le respect des droits politiques et des libertés civiles. Tant que le système judiciaire demeure accessible et indépendant, et que les décisions et ordonnances des tribunaux sont exécutées, la survie des droits politiques et des libertés civiles est assurée. Lorsque l’accès aux tribunaux est inexistant ou entravé par les gouvernements et les forces de la majorité, les droits politiques et les libertés civiles reculent » (ibid.).
Au Canada, la liberté d’expression et l’indépendance judiciaire font partie intégrale de l’identité canadienne. Comme le juge en chef Wagner l’a dit dans une allocution intitulée « Les conférences de Cambridge 2019 : la civilité et la collégialité », prononcée le 4 juillet 2019, le Canada est souvent considéré « comme un modèle », en raison de « la solidité de ses institutions légales et, j’oserais même dire, de ses valeurs morales. La magistrature professionnelle et indépendante sur laquelle notre pays peut compter, sa Charte des droits et libertés et sa détermination à rendre la justice accessible aux personnes qui en ont besoin, ce sont là les choses que voient les gens d’ailleurs lorsqu’ils tournent leur regard vers le Canada. » Et encore : « Dans un système qui érige l’indépendance judiciaire en principe constitutionnel, le droit d’être en désaccord est fondamental. »
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, la Cour suprême du Canada a toujours conçu la liberté d’expression comme un outil important au soutien d’une société plus libre et plus démocratique.
La liberté d’expression est « essentiell[e] au maintien de la démocratie fonctionnelle » (Hansman, précité, au paragraphe 1), puisqu’il s’agit en effet de « la pierre angulaire de toute démocratie pluraliste » (paragraphe 77, citant la Cour d’appel). La liberté d’expression et l’échange d’idées, ainsi que la libre circulation des idées, sont « essentiels à une démocratie dynamique » (Ramelson, précité, au paragraphe 47).
Une protection juridique robuste de la liberté d’expression assure la vitalité du débat public et la libre circulation d’idées diverses et contradictoires, ce qui est essentiel au bon fonctionnement et au dynamisme de toute démocratie pluraliste (voir Hansman, précité, aux paragraphes 1 et 77 ; Ramelson, précité, au paragraphe 47 ; Edmonton Journal, précité, aux pages 1336 et 1337). En effet, sans une protection adéquate de la liberté d’expression, il devient plus difficile, voire impossible, pour les citoyens d’exprimer complètement et librement leurs opinions et d’échanger ouvertement, tant sur les valeurs sous-tendant les politiques d’un gouvernement que sur les questions sociopolitiques et économiques au cœur de l’actualité (voir Keegstra, précité). De même, sans une protection adéquate de la liberté d’expression, il est plus difficile d’assurer la présence et la contribution de médias d’information indépendants, impartiaux et vigoureux, qui, par leur travail, contribuent à ce que la population tienne imputable les pouvoirs politiques et judiciaires (voir Denis c. Côté, 2019 CSC 44, [2019] 3 R.C.S. 482, au paragraphe 45 ; Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480, au paragraphe 23).
Bref, sans protection de la liberté d’expression, les fondements d’une démocratie libérale s’érodent, ce qui peut ouvrir la porte aux abus et à l’arbitraire.
Dans ce contexte, il est indéniable que la liberté d’expression — et l’analyse de ses paramètres, de ses limites, et de sa portée — constitue un outil d’une grande importance non seulement pour conserver la vitalité de la démocratie canadienne, mais également pour l’accroître dans les années à venir. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on tient compte du rôle crucial que peut jouer la liberté d’expression dans le maintien et l’accroissement de la tolérance des citoyens envers les propos d’autrui qui divergent de leurs convictions personnelles. Puisque la liberté d’expression n’atteint son plein objectif — de protéger pour chacun la capacité de manifester ses pensées, ses opinions et ses croyances — que « lorsqu’elle fait naître un devoir de tolérance envers les propos d’autrui » (Ward, précité, au paragraphe 60), ce devoir de tolérance, corollaire à la liberté d’expression, permet d’assurer « le développement d’une société démocratique, ouverte et pluraliste » (paragraphe 60).
Tribunal constitutionnel du Cap-Vert
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- 1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Essentiellement dans la Constitution de la République adoptée en 1992 et révisée en 1995, 1999 et 2010, qui contient une déclaration des droits incluant diverses libertés de communication; dans les instruments internationaux conventionnels qui lient l’État du Cabo Verde, à savoir l’article 19 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et l’article 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qui, en vertu de l’article 12, deuxième paragraphe, de la Constitution, sont considérés comme des lois cabo-verdiennes; et, enfin, dans la législation infra-constitutionnelle qui régit les élections, le statut des titulaires de fonctions publiques, les médias, la sécurité nationale, le Code Pénal et diverses autres matières connexes.
- 2. La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
En effet, l’article 48(4) de la CRCV, concernant la liberté d’expression et d’information, établit le droit à l’honneur et à la considération des personnes, le droit à la réputation, à l’image et à l’intimité de la vie personnelle et familiale comme des limites aux libertés d’expression et d’information. Les libertés d’expression et d’information sont également limitées, aux termes du paragraphe 5 du même article 48: a) par le devoir de protection des enfants et des jeunes; b) par l’interdiction de l’apologie de la violence, de la pédophilie, du racisme, de la xénophobie et de toute forme de discrimination, notamment à l’égard des femmes; c) par l’interdiction de la diffusion d’appels à commettre les actes visés au paragraphe précédent (b). Il convient de noter que, selon la jurisprudence du Tribunal Constitutionnel, le régime de base de l’article 48 s’applique à toute liberté de communication, à savoir celles qui sont disséminées dans le texte constitutionnel, qui consacre la liberté de création intellectuelle, y compris la création littéraire, artistique et scientifique, et à l’article 60, paragraphe 1, qui reconnaît la liberté de la presse.
- 3. Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
L’article 48, paragraphe 1, de la Constitution définit lui-même la liberté d’expression comme le droit de toute personne d’exprimer et de diffuser ses idées par le mot, l’image ou tout autre moyen, ce qui, aux termes de la loi elle-même, crée un espace de non-ingérence de l’extérieur, dans la mesure où, selon ses termes, « nul ne peut être harcelé pour ses opinions politiques, philosophiques, religieuses ou autres ».
- 4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Dans l’affaire la plus importante en la matière, jugée en 2016, le Tribunal Constitutionnel a souligné la nécessité de comprendre la liberté d’expression dans son contexte, notamment en récupérant son rôle dans l’histoire des îles, qui ont longtemps été marquées par un espace public associé à la possibilité qu’avaient les habitants d’avoir une certaine représentation politique dans les Conseils Municipaux, qu’ils finissaient par contrôler, et plus tard, à partir du XIXe siècle, à l’utilisation de la presse comme forme de résistance et de dénonciation contre les excès et l’incurie des autorités coloniales. Mais elle s’est aussi attachée à développer le contenu de la loi en fonction de références historiques plus universelles liées à la théorie libérale des droits et aux déclarations du XIXe siècle, notamment française et américaine, et surtout à l’aligner sur les conceptions de base des juridictions régionales africaines, du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies et même de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Ainsi, d’une part, il ne diffère pas en substance des orientations jurisprudentielles de ces organes, d’autre part, il est vrai que le système n’a pas encore été largement testé à cet égard, du moins d’un point de vue constitutionnel.
- 5. Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Dans ce cas, la position du Tribunal Constitutionnel ne découle pas tant des développements prétoriens, mais plutôt de la construction même insérée dans le texte constitutionnel, qui reconnaît expressément la liberté de communiquer des idées et des pensées comme fondamentale, à travers une formule large, qui, selon l’Arrêt 13/2016, du 7 juillet 2016, 1. 5, a) établit un régime commun pour les variations expressément consacrées par la Constitution, à savoir la liberté d’information, la liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique et la liberté de la presse; elle crée un régime complémentaire, qui couvrirait toute forme non standardisée d’expression de l’opinion ou de la pensée.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
L’article 49 de la Constitution reconnaît la liberté de conscience, de religion et de culte selon la formule suivante: «1: La liberté de conscience, de religion et de culte est inviolable, chacun ayant le droit, individuellement ou collectivement, de professer ou non une religion, d’avoir une conviction religieuse de son choix, de participer aux actes de culte et d’exprimer librement sa foi et de diffuser sa doctrine ou sa conviction, à condition que cela ne porte pas atteinte aux droits d’autrui et au bien commun ». Au paragraphe 7 du même article, le législateur constituant a établi une garantie de protection des lieux de culte, de leurs symboles, de leurs spécificités et des rites religieux, en interdisant leur imitation ou leur « ridiculisation » (« 7. La protection des lieux de culte, des symboles, des insignes et des rites religieux est garantie et leur imitation ou leur ridiculisation est interdite »).
Par conséquent, si nous supposons que le blasphème correspond à « toute parole ou attitude insultante à l’égard d’une divinité ou d’une religion », bien qu’il n’y ait pas de limitation expresse dans le texte constitutionnel lui-même, l’interdiction du ridicule pourrait constituer une base constitutionnelle pour limiter la liberté d’expression, en autorisant le législateur ordinaire à établir certaines situations dans lesquelles la protection de la religion pourrait conduire à des limitations de la liberté d’expression.
Cependant, ni la loi sur les médias, ni la loi sur la Liberté et l’Égalité Religieuse ne l’ont fait en ces termes, et il n’existe qu’une seule loi pénale qui sanctionne les infractions commises à l’encontre des personnes morales. Mais seulement en ce que concerne l’imputation de faits faux qui affectent gravement la crédibilité, le prestige ou la confiance qui lui sont dus.
En tout cas, conformément à la nature libérale et républicaine de l’État, dont découle le principe de laïcité et l’exigence qu’il ne soit divisé par aucune conception du bien, ainsi qu’au droit au libre développement de la personnalité, le système repose sur une liberté d’appréciation et de communication favorable ou défavorable à toute religion, et il n’y a pas beaucoup de possibilités d’interdire le blasphème. Ce qui peut arriver, c’est que les libertés de communication soient affectées pour protéger la religion de manière limitée et proportionnelle, conformément à l’interprétation exprimée par la Cour de justice dans l’affaire Arrêt 13/2016, du 7 juillet, dans l’Affaire du Contrôle Abstrait Successif de Constitutionnalité n° 1/2016 concernant l’inconstitutionnalité de certaines règles restrictives du Code Électoral, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, I Série, N. 43, 27 juillet 2016, pp. 1421-1479. 1.11, en ce sens que la Loi Fondamentale connaît peu d’absolus, permettant ainsi l’affectation équilibrée de toute liberté si des intérêts publics constitutionnellement légitimes le justifient. Malheureusement, la mesure dans laquelle cette limite peut être établie n’a pas encore été clarifiée, étant donné que cette Cour n’a pas encore été confrontée à une question liée à la liberté d’expression concernant les questions religieuses.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias)?
Oui, pour différentes raisons et de différentes manières. Dans la sphère politique, il y a un renforcement de la liberté d’expression, en vertu des statuts constitutionnels que les titulaires de fonctions politiques acquièrent, notamment lorsqu’ils exercent des fonctions de députés de la nation, qui sont irresponsables civilement, pénalement ou disciplinairement des votes et opinions qu’ils émettent dans l’exercice de leurs fonctions (article 170, paragraphe 1, de la Constitution), la même chose se produisant en vertu du code électoral avec les candidats à des fonctions publiques électives pendant la période de la campagne électorale. D’autre part, les titulaires de fonctions publiques peuvent être soumis à des restrictions particulières visant à protéger le secret de l’État, le secret de la justice ou des obligations spéciales de secret. En général, les statuts professionnels, y compris en ce qui concerne les médias et les journalistes, équilibrent le renforcement de la liberté d’expression dans certaines sphères et son inhibition dans d’autres, découlant parfois de la loi, parfois des codes d’éthique et de déontologie qui s’y rapportent.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue dans l’ordre juridique cabo-verdien principalement aux personnes physiques, et parmi celles-ci largement aux citoyens, avec une certaine limitation de son utilisation pour les étrangers et les apatrides dans les questions de politique nationale, et pour ceux qui ne sont pas en situation régulière ou qui ne sont que temporairement sur le territoire national ; les enfants se voient reconnaître, par application de la Convention des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant de 1989 et de la Charte Africaine des droits et du bien-être de l’enfant de 1990, le Statut de l’Enfant et de l’Adolescent, ainsi que la liberté d’expression compatible avec leur âge et leur maturité. Les personnes morales privées se voient également reconnaître la liberté d’expression compatible avec leur nature et leurs besoins. La reconnaissance de la liberté d’expression pour les personnes physiques et morales peut être déduite des dispositions de l’article 48(7) de la CRCV sur le droit de réponse : « Le droit de réponse et le droit de rectification sont garantis, dans des conditions d’égalité, à toutes les personnes physiques et morales (…) »
.
Le système cabo-verdien ne reconnaît pas les positions juridiques individuelles des autorités publiques. Il est généralement admis que les entités publiques, telles que le Gouvernement ou d’autres institutions souveraines, à l’exception des règles imposant le secret, ont la prérogative de communiquer librement leurs positions et leurs interprétations sur toute question d’intérêt public ou liée à leurs domaines d’activité et, dans certaines situations, le devoir d’informer. Elles sont toutefois soumises à la responsabilité juridique, à la responsabilité politique et au contrôle social de leur contenu.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les fonctionnaires jouissent également de la liberté d’expression, même si celle-ci peut être limitée par la loi. Aux termes de l’article 241, paragraphe 7, de la Constitution, il s’agit de garantir l’impartialité dans l’exercice de la fonction publique. Ainsi, la loi 20/X/2023, du 24 mars, qui établit le Cadre Juridique de la Fonction Publique, fixe les bases et définit les principes fondamentaux de la fonction publique, dans la mesure où elle stipule dans son article 14 (1-n) que « dans l’exercice de la fonction publique, les fonctionnaires et les agents sont soumis aux devoirs suivants: n) Garder le secret professionnel sur les affaires et les faits dont ils ont connaissance en vertu de leurs fonctions, qui ne sont pas censés être d’intérêt public et qu’ils n’ont pas l’autorisation de leur supérieur hiérarchique de divulguer au public, sans préjudice du droit des citoyens d’être informés du déroulement des procédures dans lesquelles ils sont directement concernés et du droit des citoyens d’accéder aux archives et aux dossiers administratifs, aux termes des lois et des règles régissant l’administration ouverte ».
D’autres agents de l’État, tels que les diplomates, les magistrats, les huissiers et les inspecteurs publics, peuvent être soumis à des limitations supplémentaires « découlant des exigences de leurs fonctions », « afin de sauvegarder l’intérêt public et les intérêts légitimes de l’État ».
La liberté d’expression des juges est fortement conditionnée par des clauses statutaires qui établissent des obligations spéciales de s’abstenir de s’exprimer par quelque moyen que ce soit, non seulement sur les affaires soumises à leur propre jugement ou à celui d’autres personnes, mais aussi de porter un jugement sur les ordonnances, les votes ou les sentences des organes judiciaires, à l’exception de la critique sur le dossier dans l’exercice du pouvoir judiciaire ou dans les travaux techniques (article 31, paragraphe 1, f), Statut des Juges ; article 30, paragraphe 1, f), Statut des Procureurs de la République). Ils ne peuvent faire de déclarations ou de commentaires relatifs à la procédure, sauf pour défendre leur honneur ou pour satisfaire un autre droit ou intérêt légitime (article 32, Statut des Juges ; article 31, Statut des Procureurs de la République). Le même devoir de confidentialité est également imposé aux fonctionnaires diplomatiques par leur statut respectif (article 93, premier alinéa).
La liberté d’expression des militaires peut également être restreinte dans les conditions prévues par la loi, comme le prévoit l’article 250 de la Constitution de la République, qui dispose que « la loi peut établir des restrictions à l’exercice des droits d’expression, de réunion, de manifestation, d’association et de pétition collective, ainsi qu’à la capacité électorale passive des militaires en service effectif, dans la stricte mesure des nécessités de la condition militaire », il en va de même pour les membres de la police, puisque, selon l’article 244, paragraphe 5, « pour sauvegarder l’impartialité, la cohésion et la discipline des services et forces de sécurité, des restrictions à l’exercice des droits d’expression, de réunion, de manifestation, d’association et de pétition collective, ainsi qu’à la capacité électorale passive, peuvent être imposées par la loi à leurs agents ».
Dans le premier cas, ces limites sont concrétisées par le Statut Militaire, qui impose des devoirs d’obéissance (article 12), le Règlement de Discipline Militaire, qui limite la liberté d’expression (article 9(e)) et la liberté d’expression à travers les médias (article 9(f)), et le Code de Justice Militaire, qui prévoit les crimes d’instigation au mécontentement ou à l’irrespect, de violation du secret ou d’incitation à commettre un crime militaire ; dans le second, les membres des forces de sécurité ou de renseignement sont normalement liés par la réaffirmation du devoir de secret, qu’ils soient liés aux services de renseignement (article 26, Statut du Personnel du SIR) ou à la police de l’ordre public (article 26, Régime Disciplinaire du Personnel de la Police Nationale).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
1.1. Après l’installation du Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde le 15 octobre 2015, ce Tribunal s’est prononcée pour la première fois sur la liberté d’expression dans l’arrêt 13/2016, du 7 juillet, Président de la République c. Assemblée Nationale, dans l’affaire du Contrôle Abstrait Successif de Constitutionnalité 1/2016 concernant l’inconstitutionnalité de certaines règles restrictives du code électoral, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin Officiel, Série I, n° 43, 27 juillet 2016, p. 1421-1479;
1.2. Il a été suivi par :
L’Arrêt 30/2020, du 11 septembre, PAICV c. CNE, sur l’interdiction de la distribution de T-shirts et de masques de protection respiratoire individuelle, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin Officiel, série I, N. 139, 23 décembre 2020, pp. 2182-2198 ;
L’Arrêt 13/2021, du 29 mars, MPD c. CNE, sur l’anticipation illicite de la propagande électorale graphique, Rap. : JC Pina Delgado, publié dans Bulletin Officiel, Série I, N. 57, 31 mai 2021, pp. 1817-1826 ;
L’Arrêt 175/2023, du 27 novembre, Amadeu Oliveira c. STJ, Admission Partielle des Comportements Contestés, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin Officiel, Série I, N. 122, 30 novembre 2023, pp. 2497-2515.
- Les décisions suivantes font également référence à la liberté d’expression :
L’Arrêt 15/2018, du 28 juin, Amândio Vicente c. Cour d’Appel de Sotavento, Rap. : JC Pinto Semedo, non publié, et arrêt 17/2018, du 26 juillet, Amândio Vicente c. Cour d’Appel de Sotavento, Rap. : JC Pinto Semedo, publié au Bulletin Officiel, Série I, N. 51, 3 août 2018, p. 1328-1333 ;
L’Arrêt 27/2018, du 20 décembre, Judy Ike Hills c. STJ, sur la violation de la garantie de l’inviolabilité du domicile, de la correspondance et des télécommunications et de la garantie de la présomption d’innocence dans sa dimension de in dubio pro reo, Rap. Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, Série I, n° 11, 31 janvier 2019, p. 146-178 ;
L’Arrêt 31/2020, du 11 septembre, PAICV c. CNE, Sur la compétence du CNE pour engager temporairement du personnel pour aider à la supervision des élections et du vote, Rap. : JC Aristides R. Lima, publié dans le Bulletin Officiel, Série I, N. 139, 23 décembre 2020, pp. 2198-2209 ;
L’Arrêt 42/2022, du 2 novembre, BCV c. Président du TRS, Rap.: JC Pinto Semedo, publié au Bulletin Officiel, Série I, No. 2, 5 janvier 2023, pp. 58-62.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non pas en termes quantitatifs, puisque la plupart des affaires portées devant le Tribunal Constitutionnel concernent les garanties constitutionnelles de la procédure pénale, mais en termes qualitatifs, puisque bon nombre des décisions ayant le plus grand impact sur le système politique ont résulté de situations impliquant la liberté d’expression, en particulier pendant les périodes électorales. Malgré cela, très peu de développements en matière de liberté d’expression ont été traités par le Tribunal Constitutionnel, de sorte qu’il existe une multitude de questions qui doivent encore être testées et explorées.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La protection accordée à la liberté d’expression ne conduit pas à établir une hiérarchie entre les droits et libertés fondamentaux. Toutes deux sont incluses dans la catégorie des droits, libertés et garanties reconnus comme inviolables par la Constitution de la République et dont le système constitutionnel garantit la protection, notamment par le biais du recours d’amparo. La période pendant laquelle le législateur constituant a fait prévaloir les droits à l’honneur et à la réputation sur les libertés de communication s’est étendue de 1999, date de la deuxième révision de la Constitution, à 2010, date de l’approbation de la troisième révision, où la version originale de 1992 est revenue à la formule selon laquelle il n’y a pas de hiérarchie entre les droits, libertés ou garanties fondamentaux individuels. En cas de conflit entre ces droits, des opérations d’équilibrage abstraites sont effectuées par le biais de la loi, ou des jugements concrets sur le conflit entre les droits fondamentaux.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Bien que le Tribunal Constitutionnel ait récemment ouvert la possibilité d’adapter sa conception largement favorable de la protection de la liberté d’expression en cas de conflit de droits, en raison de l’émergence du phénomène du populisme et des attaques verbales généralisées contre les institutions de la République, à savoir les tribunaux, elle est restée attachée à sa conception traditionnelle ancrée dans la distinction entre l’expression de l’opinion, qui tend à être libre, et les actions contraires aux institutions, qui peuvent être limitées par la loi (Arrêt 175/2023).
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La Jurisprudence du Tribunal Constitutionnel en matière de liberté d’expression est restée stable depuis son arrêt 13/2016 du 7 juillet jusqu’à son dernier arrêt en la matière, 175/2023 du 27 novembre.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Si l’on ne peut affirmer qu’il existe une influence réciproque, il est clair que les décisions du Tribunal Constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité, comme l’arrêt 13/2016, ont des effets erga omnes aux termes de l’article 280 de la Constitution, imposant ainsi un devoir d’obéissance général et abstrait, et que les autres décisions sont contraignantes dans le contexte de l’affaire dans laquelle elles sont rendues, prévalant ainsi sur celles de toute autre juridiction, conformément à l’article 6 de la loi relative au Tribunal Constitutionnel. Dans les décisions rendues dans le cadre de recours constitutionnels (de soutien ou de contrôle concret de constitutionnalité), les cours d’appel doivent réformer leurs décisions conformément à l’interprétation adoptée par le Tribunal Constitutionnel.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Le Tribunal Constitutionnel, dans des affaires concernant les libertés de communication, a déjà fait référence à la jurisprudence d’autres juridictions nationales (Cour Constitutionnelle Fédérale d’Allemagne: Luth; Spiegel ; Cour Constitutionnelle du Portugal: arrêt 254/11; Cour Constitutionnelle de Colombie ; Cour Constitutionnelle du Pérou ; Cour Constitutionnelle de Hongrie ; Cour Suprême du Brésil : ADIN 3.741 ; Cour Suprême des États-Unis: New York v. Sullivan, Burson v. Freeman, Citizens United ; Cour Suprême du Canada : Thomson Company v. AG of Canada ; Cour Suprême d’Argentine: Asociación de Teleradiodifusoras c. Gobierno de Buenos Aires ; Cour Suprême des Philippines : Social Weather Stations c. Commision on Elections ; Cour de Cassation Française : Phillip A. c. Cour d’Appel de Paris) ; régionales (Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : Konaté c. Burkina Faso ; Cour de Justice de la CEDEAO : Hydara et al. c. Gambie ; Cour Européenne des Droits de l’Homme : Lingens c. Autriche) et universelles (dans ce cas, il ne s’agit pas d’une juridiction, mais plutôt d’un organe de surveillance des droits de l’homme, le Comité des Droits de l’Homme : Rafael Morais c. Angola; Cheul c. Corée).
Néanmoins, en règle générale, ils évitent toujours de donner une raison décisive à leur décision. Il s’agit plutôt d’un aperçu non exhaustif des différents points de vue sur le traitement de ces questions par d’autres tribunaux. Les Éléments endogènes de nature normative ou culturelle continuent d’être considérés comme le cœur des décisions prises dans ce domaine et dans d’autres.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
En général, la position du Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde découle de sa compréhension que la Constitution tend à équilibrer des intérêts contrastés. Ainsi, la préoccupation de l’institution est, tout en respectant les sphères d’action du pouvoir législatif et des autres pouvoirs judiciaires, d’équilibrer les droits ou d’autres réalités sociales importantes telles que la religion et d’autres, dans les limites de la Constitution.
À cet égard, il convient de préciser que le Tribunal Constitutionnel ne croit pas que le système cabo-verdien de protection des droits soit soumis à une perspective absolutiste des droits fondamentaux, du moins pas au point d’empêcher leur affectation dans certaines situations constitutionnellement justifiables. Cependant, elle n’a pas non plus hésité, premièrement, à empêcher l’ingérence légitimée du législateur dans certains types de droits, ceux qui ont un caractère de garantie fondamentale, deuxièmement, à établir une limite à l’ingérence dans d’autres droits – leur noyau essentiel – et, troisièmement, à contrôler toute ingérence par le biais des conditions prévues à l’article 17, paragraphes 4 et 5, de la Constitution. Fondamentalement, la perspective non absolutiste des droits conduit inévitablement à une non-hiérarchisation entre eux et à une tendance à devoir résoudre les conflits qui surgissent entre eux sans garantir la prévalence abstraite de l’un sur l’autre. C’est par l’harmonisation législative et la pondération des jugements que les cas de collision entre ces droits sont résolus.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La jurisprudence du Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde, sans méconnaître l’intérêt public dans ses différentes manifestations comme base de limitation de tout droit, notamment la liberté d’expression, et en soutenant systématiquement qu’en vertu du principe démocratique elle est obligée de garantir une certaine marge d’appréciation au législateur, a considéré que le système penche vers une protection plus vigoureuse de l’individu au détriment de la puissance publique. De plus, selon la conception du Tribunal, la limitation d’un droit, en plus d’être nécessairement fondée sur la nécessité de préserver un intérêt public pertinent ou de garantir l’effectivité d’autres droits, est toujours une mesure exceptionnelle.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le test de proportionnalité est le principal moyen de contrôle juridique utilisé par ce Tribunal lorsqu’il s’agit de protéger la liberté d’expression et d’affecter les droits. Mais il n’est pas le seul, car lorsqu’il est promu par le législateur, il y a un contrôle préalable de généralité et d’abstraction, un contrôle qu’il ne produit pas d’effets rétroactifs et, surtout, que l’acte législatif n’affecte pas le noyau essentiel du droit.
Ce n’est que dans les cas où le Tribunal Constitutionnel considère que le noyau essentiel du droit n’a pas été atteint qu’elle soumet la mesure au test de proportionnalité, en la soumettant à un triple examen d’adéquation, vérifiant que le moyen utilisé est approprié pour atteindre les fins invoquées pour justifier la limitation du droit, de nécessité, visant à certifier que le moyen le plus bénéfique a été utilisé, et de juste mesure, cherchant à savoir si le sacrifice imposé à la liberté est équivalent à l’intensité de l’intérêt public que l’on veut réaliser ou du bien juridique que l’on veut protéger.
L’intensité du contrôle peut varier en fonction de la qualité du titulaire du droit (à savoir, s’il s’agit d’un citoyen ordinaire ou d’une personne publique telle qu’un homme politique ; s’il est soumis à un statut spécifique qui limite sa liberté ou non), du moment (une campagne électorale, par exemple) et de l’espace où se déroule l’acte de communication (un espace politique tel qu’un parlement ou une assemblée municipale ; dans des établissements d’enseignement, etc.).
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Le concept d’ordre public est défini de manière générique par l’article 244 de la Constitution, qui assigne à la police la fonction de protéger la légalité démocratique, de prévenir la criminalité et de garantir la sécurité intérieure, la tranquillité publique et l’exercice des droits des citoyens. Il n’y a pas d’affaires spécifiques sur lesquelles le Tribunal Constitutionnel a statué et dans lesquelles l’ordre public a été invoqué comme motif de limitation de la liberté d’expression. Cependant, dans l’abstrait, en tant qu’intérêt public reconnu par la Constitution, l’ordre public peut servir de base pour justifier des mesures législatives limitant la liberté d’expression, sous réserve, dans tous les cas, du contrôle de la conformité des limitations à la Constitution.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Outre le contrôle exercé sur les actes du pouvoir législatif par le biais des actions préventives et successives de contrôle de constitutionnalité, par le biais du processus de soutien (loi n° 109/IV/94 du 24 octobre) et du processus de contrôle concret de constitutionnalité (loi n° 56/VI/2005 du 28 février), le Tribunal Constitutionnel est compétente pour contrôler si les tribunaux statuent sur les affaires relatives à la liberté d’expression conformément à ce qui est établi par la Constitution, de même en période électorale, dans la mesure où elle est également la juridiction électorale suprême, contrôlant les actes relatifs à la liberté de communication en période électorale adoptés par la Commission Nationale Électorale, organe administratif spécial, et en tant que juridiction suprême des partis, pour les actes adoptés par les partis politiques. Lorsqu’il s’agit d’un conflit de droits dans un cas concret porté à l’attention du pouvoir judiciaire, afin d’évaluer si d’autres alternatives d’interprétation plus bénignes étaient disponibles pour permettre d’harmoniser les droits, le Tribunal recourt à un jugement de pondération. Le Tribunal Constitutionnel peut également effectuer un contrôle de conventionnalité lorsqu’un acte de l’autorité publique (judiciaire ou administrative) est contraire à une règle conventionnelle de protection des droits prévue par un traité international.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Certes, les circonstances de temps et de lieu, à savoir des moments marqués par une tension sociale ou politique latente et dans des espaces susceptibles d’encourager la violence physique et même verbale contre les personnes, ou des contextes politiques nationaux et internationaux spécifiques, seraient dûment pris en compte dans tout jugement d’équilibre rendu par le Tribunal Constitutionnel et, en théorie, justifieraient des niveaux plus intenses de limitation des libertés de communication.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Le Tribunal Constitutionnel, dans son Arrêt 13/2016, a considéré que l’interdiction de la censure était une garantie fondamentale associée à toute liberté de communication reconnue par le système cabo-verdien de protection des droits (paragraphe 1.5). En tant que telle, la censure est considérée comme un acte qui attaque directement le noyau essentiel de la liberté, en niant de manière intense la libre expression et la diffusion des idées par le mot, l’image ou tout autre moyen, en interférant dans les positions légales que leurs détenteurs ont pour les exprimer, à travers l’interdiction de la diffusion de certains types de contenu, la suppression de l’information, l’imposition de restrictions à la liberté de la presse ou la punition d’individus pour avoir exprimé des opinions considérées comme nocives par ces institutions. Cette restriction ou ce contrôle peut être effectué par l’adoption de lois ou de règlements, la restriction de la liberté de la presse, le blocage ou le filtrage des contenus mis en ligne ou par d’autres moyens.
La diffamation, dont le nomem juris est désormais exclusivement appelé insulte, que les faits ou jugements offensants imputés ou diffusés soient vrais ou non (respectivement, la diffamation et l’insulte au sens strict). Les types d’infraction inclus dans la catégorie des crimes contre l’honneur sont considérés comme des restrictions qualifiées des libertés de communication et comprennent diverses exclusions, permettant dans certains cas, à savoir la diffamation/l’injure, la preuve de la vérité (exceptio veritatis), qui exclut la punissabilité de l’acte ou l’exonération de l’agent de la punition.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les textes limitant la liberté d’expression sont traités dans les termes prévus par la Constitution de la République du Cabo Verde, à l’article 17, alinéas 4 et 5, qui établit explicitement le système de contrôle des actes limitant les droits, combiné dans ce cas avec les dispositions de l’article 48 de la Constitution de la République, qui établit le régime de base de la liberté de communication, et les dispositions spécifiques relatives à la liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique et à la liberté de la presse.
Dans la mesure où, dans le système cabo-verdien de protection des droits, toute restriction à un droit est toujours une exception au principe général de liberté et ne peut être gratuite, les règles restrictives sont soumises à un contrôle strict défini par cette disposition de la loi fondamentale et développé par le Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde. L’analyse part de l’intérêt public présenté par le pouvoir législatif pour justifier la limitation du droit à travers les projets de loi, les débats parlementaires, les réponses envoyées au Tribunal ou soumises au débat par le Procureur Général, analyse les autres éléments obtenus par le Tribunal, vérifie la nature générale et abstraite de la règle, ainsi que la possibilité de produire des effets rétroactifs et, surtout, si la solution juridique qu’elle apporte atteint le noyau essentiel du droit ou, en cas de réponse négative, si elle est disproportionnée parce qu’elle n’est pas adéquate, parce qu’il existe des moyens plus bénins ou parce qu’elle a été mal calibrée, imposant un sacrifice excessif à la liberté.
Le Tribunal n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les lois de régulation de l’internet visant les grands fournisseurs du pays ou sur la régulation des réseaux sociaux.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Théoriquement, le cadre juridique actuel conduit encore à une approche uniforme, que la liberté soit exercée par des moyens traditionnels ou par des réseaux sociaux. Cependant, le Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde, qui a toujours recours à des jugements d’équilibre pour pondérer les solutions qu’elle apporte aux questions juridiques qui lui sont soumises, aurait tendance à considérer toute distinction significative en termes de nature et d’effets résultant de l’utilisation de différents moyens de communication si elle avait à se prononcer sur la question.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
D’un point de vue législatif, la période électorale peut être marquée soit par un renforcement de la liberté d’expression, soit par sa compression, en fonction du moment et, sans doute, des sujets eux-mêmes. Comme le Tribunal Constitutionnel l’a déjà jugé en période de campagne électorale, la liberté des candidatures, en particulier la propagande politique, est généralement renforcée (Arrêt 13/2021, du 29 mars, MPD c. CNE, sur l’anticipation illicite de la propagande électorale graphique, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, I Série, N. 57, 31 mai 2021, pp. 1817-1826), ce qui peut conduire à l’utilisation de divers moyens de transmission d’un message, y compris l’offre d’accessoires faisant allusion à la candidature (Arrêt 30/2020, du 11 septembre, PAICV c. CNE, sur l’interdiction de la distribution de T-shirts et de masques individuels de protection respiratoire, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, I Série, N. 57, 31 mai 2021, pp. 1817-1826). CNE, sur l’interdiction de la distribution de T-shirts et de masques de protection respiratoire individuels, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel I Série, N. 139, 23 décembre 2020, pp. 2182-2198), mais, selon la loi, pendant la période de réflexion avant les élections, les actes d’expression typiques, tels que la poursuite de la campagne électorale et les appels au vote, sont interdits et même punis par la loi.
D’autre part, la tentative de conditionner la liberté d’expression pour protéger largement les candidatures de références citoyennes ou médiatiques a été rejetée catégoriquement par le Tribunal Constitutionnel dans l’arrêt 13/2016, du 7 juillet, Rap.: JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, I Série, N. 43, 27 juillet 2016, pp. 1421-1479, dans le cadre du contrôle abstrait successif, dans lequel il a décidé 3. 5. à la majorité, de déclarer, avec les effets prévus aux articles 284, paragraphe 1, et 285, paragraphe 1, de la Constitution de la République, l’inconstitutionnalité partielle, sans réduction du texte, de l’article 106, paragraphe 1, de la loi n° 92/V/99, du 8 février, dans sa version consolidée résultant des révisions apportées par la loi n° 118/V/2000, du 24 avril, par la loi n° 12/VII/2017, du 22 juin, et par la loi n° 56/VII/2010, du 9 mars, lorsqu’il est interprété comme suit: a) Interdire aux citoyens qui ne sont pas membres d’une organisation candidate aux élections d’exprimer leur opinion sur les élections par tous les moyens à leur disposition, car cela viole la liberté d’expression et la liberté de la presse, protégées respectivement par les articles 48, paragraphe 1, et 60, paragraphe 1, de la Constitution; et, b) Interdire aux médias d’informer le public sur les questions électorales dans les programmes d’information, même s’ils le font, en respectant le devoir d’égalité de traitement, en reproduisant des images et des sons faisant partie d’un appel au vote lancé par des candidats ou lors d’une manifestation organisée par eux, pour violation de la liberté d’information et de la liberté de la presse protégées respectivement par les articles 48-2 et 60-1 de la Constitution de la République. « Il ne s’ensuit pas que des situations spécifiques et avérées justifiant la limitation ne peuvent être prises en considération par le Tribunal, qui maintient une compréhension souple de la question.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Constitution n’abordant pas spécifiquement cette question, la législation infra-constitutionnelle intervient sur ce sujet à deux niveaux, en se concentrant essentiellement sur la liberté de la presse. D’une part, du point de vue de la propriété des organes de presse établis au Cabo Verde, la loi fondamentale, bien que prévoyant la possibilité de réserver certains secteurs des médias aux personnes physiques et morales de nationalité cabo-verdienne, ne s’est pas concrétisée, maintenant tous les secteurs ouverts sans aucune limitation de la liberté d’initiative économique; d’autre part, en ce qui concerne l’exercice d’activités sur le territoire national par des entreprises et des organismes de presse étrangers, il est permis de réaliser des activités de collecte et de traitement de nouvelles qui ne sont pas publiées à l’étranger, mais seulement si les correspondants sont accrédités par le département gouvernemental dans le domaine des médias ; en ce qui concerne la capture et la diffusion de signaux de télévision provenant de stations étrangères, elles doivent être autorisées par le Conseil des Ministres, qui fixe les conditions qui doivent être remplies pour réaliser cette activité. L’article 29 de la loi sur la presse écrite et les Agences de Presse, tout en autorisant la libre circulation des publications étrangères dans le pays, permet, par décision conjointe des membres du gouvernement responsables des secteurs des médias et de la justice, d’interdire la distribution, la circulation ou la vente de publications étrangères dans le pays pour des raisons de souveraineté, d’ordre public et de sécurité ou pour violation de la loi.
On pense que le Tribunal Constitutionnel, si l’on en croit l’approche qu’elle a maintenue, ne manquerait pas d’envisager une ingérence plus forte du pouvoir législatif ou du pouvoir judiciaire ordinaire lorsqu’il s’agit de situations d’ingérence malveillante d’acteurs étrangers qui affectent l’intégrité du processus électoral cabo-verdien, qu’il s’agisse d’un organe de presse enregistré ou non.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Le plein exercice de la liberté d’expression, qui n’est pas protégé contre l’affectation en période d’exception constitutionnelle – qu’il s’agisse de l’état de siège prévu à l’article 270 ou de l’état d’urgence prévu à l’article 271, tous les deux de la Constitution – peut être limité par des décrets présidentiels autorisés par le Parlement, qui suspendent les droits, et par des mesures qui sont nécessaires compte tenu des raisons qui ont conduit à leur adoption, y compris potentiellement des limitations de l’accès à Internet et des limites au pluralisme des médias, bien que cette mesure ait toujours été beaucoup plus difficile à soumettre à un test de proportionnalité.
Dans la pratique, cependant, la suspension des droits constitutionnels ne s’est produite qu’une seule fois sous la Constitution de 1992, en 2020, en raison de la propagation de la pandémie de SRAS-Cov 2. À cette occasion, bien qu’il y ait eu des cas de limitation d’autres libertés qui renforcent la parole, à savoir la liberté de mouvement, la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté d’initiative économique et la liberté de culte, avec des effets sur la liberté d’informer, la liberté de création artistique, la liberté d’enseigner, il n’y a pas eu de limitation spécifique de la liberté d’expression au sens strict ou de la liberté de la presse.
Le Tribunal n’a pas développé d’approche particulière pour traiter ces questions car ces mesures n’ont pas été contestées par le biais de recours, mais un tel contrôle impliquerait toujours, en principe, une évaluation formelle du respect des procédures constitutionnelles et légales pour décréter l’état de siège ou l’état d’urgence, une vérification des pouvoirs des organes qui sont intervenus, le respect des limites constitutionnelles matérielles à la suspension des droits et, enfin, le respect de la proportionnalité de la mesure compte tenu de l’intensité de l’impact sur le droit, de la durée de l’état d’urgence et du champ d’application territorial de ce dernier.
- 8. En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
En cas d’exception constitutionnelle (état de siège ou état d’urgence), divers droits, libertés et garanties peuvent être suspendus, y compris toutes les libertés de communication, à condition que cela soit fait de manière proportionnelle et dans les conditions prévues par la Constitution, comme il ressort des articles 272(1) et 27 de la Constitution, et de la loi sur l’état d’exception constitutionnelle et la suspension des droits. La préservation de l’ordre public est liée aux causes qui permettent de décréter l’exception constitutionnelle, à savoir dans des circonstances de trouble de l’ordre constitutionnel ou de calamité publique, intervenant dans la mesure où, si le trouble de l’ordre constitutionnel est grave, sur la base du principe de proportionnalité, la déclaration de l’état de siège est autorisée, tandis que les altérations moins graves de l’ordre constitutionnel ne permettent que la déclaration de l’état d’urgence et des interventions sans doute moins intenses sur la liberté d’expression et d’autres droits, en plus de maintenir l’exécution de ces mesures par les autorités civiles et non par les autorités militaires, comme l’état de siège pourrait l’autoriser.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Dans la mesure où l’article 275 de la Constitution lui-même interdit tout effet de la déclaration de l’état de siège ou de l’état d’urgence sur les règles constitutionnelles relatives à la compétence et au fonctionnement des organes souverains, y compris les tribunaux, le Tribunal Constitutionnel conserve sa compétence intacte dans les périodes de forte agitation, en particulier pour contrôler dans l’abstrait toute règle ou résolution de contenu individuel et concret qui se réfère à l’autorisation, au décret, à la réglementation ou au règlement de l’état d’urgence, notamment celles qui entraînent la suspension de droits, en plus de pouvoir intervenir dans les recours constitutionnels d’amparo ou de contrôle concret de constitutionnalité sur les actes judiciaires et administratifs qui se réfèrent à son interprétation ou à son exécution.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
On peut dire qu’il s’agit de l’un des instruments les plus importants pour consolider la légitimité que lui confère directement la Constitution de la République en tant qu’organe spécial de contrôle des actes publics. Dans la mesure où elle opère à l’intersection de l’État de Droit et de l’État Démocratique, les décisions en la matière placent le Tribunal Constitutionnel au centre du système politique, contribuant à consolider sa position de Tribunal de Protection des Droits et de Tribunal de Protection du Système Démocratique, telle qu’elle est conçue par la Loi Fondamentale.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Le Tribunal considère que la liberté d’expression est l’une des manifestations les plus importantes de la liberté, dont la place centrale dans le système constitutionnel est incontestable, puisqu’elle découle de la nature humaine elle-même, sa dimension communicationnelle étant essentielle à la construction d’une communauté politique et étant, en même temps, un élément incontournable de la formation de la volonté collective inhérente à l’autogouvernement du peuple par le peuple, et donc essentielle au fonctionnement de l’État de Droit et de l’État Démocratique. (Arrêt 30/2020, du 11 septembre, PAICV c. CNE, sur l’interdiction de la distribution de T-shirts et de masques individuels de protection respiratoire, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin Officiel, Série I, N. 139, 23 décembre 2020, pp. 2182-2198, 7.2.1).
En garantissant des espaces effectifs pour l’exercice des libertés qui y sont associées, la liberté d’expression permet aux citoyens d’exprimer librement leurs opinions, leurs idées et leurs critiques, facilitant ainsi un débat sain et diversifié sur les questions politiques, sociales, économiques et culturelles. Elle permet de critiquer librement le gouvernement, les hommes politiques et les autres organismes publics sans crainte de représailles, car les citoyens sont protégés contre l’intervention de l’État et l’ingérence des autorités publiques, ce qui contribue à prévenir les situations d’abus de pouvoir, de corruption et d’autoritarisme. En conséquence, il encourage la participation active des citoyens à la vie politique et à la prise de décision, que ce soit par le biais du vote, de manifestations pacifiques, de pétitions ou d’activités de plaidoyer, en défendant leurs droits et leurs intérêts, contribuant ainsi à une société plus engagée et plus responsable. En permettant le libre échange d’idées et d’informations, elle favorise la créativité, l’innovation et le développement de nouvelles solutions aux défis auxquels la société est confrontée et contribue au progrès de la science, de la culture et de la technologie. Elle est également fondamentale pour protéger la diversité des opinions, des croyances et des identités et promouvoir le respect mutuel et la tolérance, même en cas de divergences de vues, ce qui favorise la cohésion sociale et la coexistence pacifique des différents groupes qui composent une société démocratique.
Dans ce sens, il continue à être un élément central dans la consolidation d’une société démocratique, ce qui ne signifie pas qu’il faille en avoir une conception absolutiste dans le cadre du système constitutionnel cabo-verdien, marqué par une démocratie rationalisée et une vision modérée de la fonction des droits associés à un État qui, bien que construit sur une structure libérale égalitaire, projette des éléments républicains et communautaires.
Par conséquent, même si elle minimise les notions substantielles de bien, elle n’hésite pas à rejeter les discours incompatibles avec ce modèle en raison de leur extrémisme, ceux qui sont notoirement nuisibles aux intérêts de la République et ceux qui sont notoirement faux.
Elle doit donc être considérée comme essentielle pour la survie d’un État comme celui du Cabo Verde, qui est à la fois libéral, parce qu’il est fondé sur l’idée des droits inhérents à l’individu, juridique, en ce sens que tout acte du pouvoir public n’est légitime que s’il est conforme aux normes juridiques, en particulier celles de nature constitutionnelle, républicain, qui reconnaît que les institutions publiques ont certains intérêts légitimes propres qui méritent d’être protégés, et social, qui vise à créer une société juste et équilibrée. Cependant, de manière appropriée pour contribuer au développement de la personnalité de l’individu et pour servir le contrôle de tout pouvoir public, il ne s’agit pas de mettre en péril de manière extrême le sens de la dignité des autres membres de la communauté, d’affaiblir les institutions de la République libérale de droit démocratique, qui lui permettent d’exister, et encore moins d’affaiblir un micro-État, qui est déjà vulnérable, dans un contexte géopolitique international dynamique et imprévisible.
Il appartiendra aux juridictions judiciaires et au Tribunal Constitutionnel de continuer à procéder à cet arbitrage, en tenant compte, bien sûr, de l’importance constitutive du droit en question, mais aussi de la nécessité de maintenir la flexibilité nécessaire pour prendre en compte les circonstances qui marquent le contexte de son application.
Annexe
Infractions Limitant la Liberté d’Expression, de Communication et de Presse dans le Code Pénal
Le Code Pénal du Cabo Verde définit comme une infraction pénale un ensemble de comportements qui limitent la liberté d’expression, de communication et de presse parce qu’ils sont susceptibles de violer les droits juridiques fondamentaux.
L’article 165 prévoit le délit de Diffamation, dont l’alinéa 1 dispose que « Quiconque, en connaissance de la fausseté ou au mépris manifeste de la vérité, impute à autrui la commission d’un délit ou la participation à celui-ci, ou reproduit ou propage cette fausseté, est puni d’une peine d’emprisonnement de 6 à 18 mois ou d’une peine d’amende de 80 à 200 jours ». L’alinéa 2 du même article porte la peine à un emprisonnement de 6 mois à 3 ans ou à une amende de 100 à 300 jours, « s’il y a publicité ou en cas de diffamation répétée envers la même personne ».
L’article 166 prévoit le délit d’Injure, dont le paragraphe 1 dispose que « quiconque aura injurié autrui en lui imputant des faits ou des jugements qui portent atteinte à son nom et à son crédit, à son honneur, à sa considération ou à sa dignité, ou aura reproduit de telles imputations, sera puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 18 mois ou d’une peine d’amende de 60 à 150 jours. Le paragraphe 2 du même article stipule que « Les références à autrui faites au moyen d’expressions ou de qualificatifs inutiles et délibérément offensants ou vexatoires, même si elles sont faites à l’occasion de faits véridiques et certains, seront punies de la peine du paragraphe 1 ». La peine sera augmentée jusqu’à 2 ans ou une amende de 80 à 200 jours s’il y a répétition de la publicité ou de l’injure à l’égard de la même personne. Le paragraphe 3 établit également l’assimilation de la diffamation et de l’injure verbales à celles faites par écrit, par gestes, par images ou par tout autre moyen d’expression.
L’article 167 prévoit également que les peines pour les délits de Diffamation et d’Injure seront augmentées d’un tiers dans leurs limites minimales et maximales si la victime est un membre d’un organe souverain ou d’un organe politique constitutionnel, un membre d’un organe du pouvoir local, un magistrat, un avocat, un huissier, un fonctionnaire ou toute autre personne chargée d’un service public, à condition que le délit ait été commis dans l’exercice de ses fonctions.
L’article 168, quant à lui, prévoit l’application des peines visées à l’article 166 (Blessures), pour « Quiconque offense la mémoire d’une personne décédée depuis moins d’un an, par calomnie, injure ou toute autre forme ».
Est également puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 6 mois ou d’une amende de 80 à 200 jours le délit commis à l’encontre d’une personne morale par « Quiconque, sans avoir de raisons de les croire vrais de bonne foi, affirme ou répand des faits faux qui affectent gravement la crédibilité, le prestige ou la confiance dus à une personne morale, à une institution ou à un service public ».
En ce qui concerne les infractions contre la vie privée, l’article 183 prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou une amende de 60 à 150 jours pour « Quiconque, sans consentement ni justification et dans l’intention de divulguer ou de diffuser des faits ou des circonstances relatifs à l’intimité de la vie personnelle, familiale ou sexuelle d’une autre personne, (…) transmet ou diffuse une conversation, une communication téléphonique, un message électronique, une facture détaillée ou enregistre ou transmet, par quelque moyen ou forme que ce soit, l’image d’une autre personne se trouvant dans un lieu privé ou divulgue des faits relatifs à la vie privée ou à la maladie grave d’une autre personne». Ces peines seront augmentées d’un tiers de leurs limites minimales et maximales si l’infraction est commise dans le but d’obtenir une récompense pour l’auteur ou une autre personne ou de nuire à une autre personne ou à l’État.
L’article 184, paragraphe 3, prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou une amende de 60 à 150 jours pour quiconque diffuse un enregistrement de paroles ou d’images sans consentement. Comme pour les délits contre la vie privée, les peines seront augmentées d’un tiers de leurs limites minimales et maximales si l’acte est commis dans le but d’obtenir une récompense pour l’auteur ou une autre personne ou de nuire à une autre personne ou à l’État.
De même, l’article 186 prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 18 mois ou une amende de 80 à 200 jours pour quiconque (…) porte à la connaissance du public ou d’un tiers (…) un enregistrement ou un document obtenu de quelque manière que ce soit ou porte atteinte à l’intimité de la vie privée ou enregistre illégalement des paroles ou des images. Dans ce cas également, les peines seront augmentées d’un tiers de leurs limites minimales et maximales si le délit est commis dans le but d’obtenir une récompense pour l’auteur ou une autre personne ou de nuire à une autre personne ou à l’État.
En ce qui concerne la protection du secret de la correspondance, l’article 189 numéro 3 prévoit une peine d’emprisonnement de 6 mois à 2 ans ou une amende de 80 à 200 jours, ou une peine d’emprisonnement d’un an au plus ou une amende de 100 jours au plus, selon qu’il s’agit ou non du même agent qui a, sans son consentement, ouvert, soustrait, supprimé ou détourné de sa destination un colis, une lettre, un télégramme ou tout autre écrit fermé et qui ne lui est pas adressé, ou appris son contenu par quelque moyen que ce soit, ou empêché le destinataire d’être connu de quelque manière que ce soit, ou qui, sans consentement, interfère avec le contenu d’une communication faite par télécommunication ou autre moyen de transmission, en fait un enregistrement ou en prend connaissance, et qui, sans consentement, divulgue le contenu des écrits ou de l’un des moyens de communication susmentionnés. La peine de l’auteur sera augmentée d’un tiers des limites minimales et maximales si l’infraction est commise dans le but d’obtenir une récompense pour lui-même ou pour une autre personne ou de nuire à une autre personne ou à l’État.
Il existe également une peine pour publicité indue de la correspondance, avec une amende de 80 à 200 jours, pour quiconque, sans intérêt légitime qui le justifie, se trouve en possession d’une correspondance qui n’est pas destinée à la connaissance du public, même si elle lui est adressée, et la publie indûment.
L’article 190 établit le délit de publication indue de la correspondance, en précisant que quiconque publie indûment une correspondance qui n’est pas destinée à être connue du public, même si elle lui est adressée, sera puni d’une amende de 80 à 200 jours.
En ce qui concerne la violation ou l’exploitation d’un secret, l’article 191, paragraphe 1, stipule que quiconque révèle, sans son consentement, le secret d’autrui qu’il a appris en raison de son statut, de son commerce, de son emploi ou de son métier, sera puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende de 60 à 150 jours.
La violation du secret professionnel est punie aux termes de l’article 192, qui dispose que « Quiconque, en violation de l’obligation de secret ou de réserve professionnelle imposée par la loi, aura divulgué le secret d’autrui, sera puni d’un emprisonnement de 6 mois à 3 ans ou d’une amende de 80 à 200 jours ».
L’article 266 du titre IV, qui porte sur des crimes contre la communauté internationale, définit le Crime d’Outrage aux Symboles Étrangers dans les termes suivants : « Quiconque outrage publiquement, par des mots, des gestes, la diffusion d’écrits, d’images ou de sons, ou tout autre moyen de communication avec le public, un drapeau officiel ou un autre symbole d’un État ou d’un territoire étranger, est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 jours, à condition que ce fait soit considéré comme un délit dans cet État ou ce territoire ».
L’article 267 punit le délit d’incitation à la guerre ou au génocide, d’une peine d’emprisonnement de 2 à 6 ans, pour ceux qui incitent publiquement et de manière répétée à la haine contre un peuple, un groupe ethnique, racial ou religieux, par quelque moyen que ce soit, dans l’intention de détruire tout ou partie de ce peuple ou de ce groupe ou de déclencher une guerre.
Dans le chapitre consacré aux infractions contre l’ordre et la tranquillité publics, l’article 288 prévoit une peine d’emprisonnement de 18 mois ou une amende de 80 à 200 jours, si une peine plus lourde n’est pas imposée en vertu d’une autre disposition légale, pour « Quiconque incite publiquement, ou par des moyens de communication avec le public, à la commission d’un crime spécifique contre une personne ou une institution » (Incitation Publique à commettre un Crime).
Dans la même veine, l’apologie publique d’un crime est punie par les dispositions de l’article 289, qui se lit comme suit : « Quiconque, publiquement ou par le biais de tout moyen de communication avec le public, loue ou récompense une autre personne pour avoir commis un crime, d’une manière qui crée un danger effectif d’un autre crime du même type, est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 jours, si une peine plus grave n’est pas imposée en vertu d’une autre disposition légale ».
Toutefois, il convient de souligner que, tant dans le cas de l’incitation publique à commettre un crime que dans celui de l’apologie publique d’un crime, la peine ne peut jamais être supérieure à celle qui correspond au crime incité.
Dans le chapitre des crimes contre la souveraineté et l’indépendance nationale, l’article 309 prévoit la répression du crime de violation des secrets d’État, en stipulant que « Quiconque, mettant en danger les intérêts du Cabo Verde relatifs à l’indépendance nationale, à la préservation de son intégrité territoriale ou à sa défense en cas de guerre ou d’action armée contre le Cabo Verde, transmet ou rend accessible au public ou à des personnes non autorisées à cet effet, un document, un objet, un fait ou une information qui, compte tenu de sa nature et de ces intérêts, devrait rester secret, est puni d’une peine d’emprisonnement de 2 à 8 ans. Le paragraphe 2 du même article stipule que la même peine s’applique à quiconque, dans le but d’accomplir les actes mentionnés au paragraphe 1, collabore avec un gouvernement, un service, un groupe ou une association étrangère, ou leurs agents, ou recrute ou aide un agent à accomplir ces actes. Le paragraphe 3 prévoit une réduction d’un tiers de la peine susmentionnée dans ses limites minimale et maximale, si les actes visés aux paragraphes 1 et 2 ne compromettent que les intérêts du Cabo Verde dans la conduite de sa politique extérieure.
Il y a également le délit d’outrage aux symboles nationaux, aux termes duquel « quiconque outrage publiquement, par le mot, le geste, la divulgation d’écrits, l’image ou le son, ou par tout autre moyen de communication avec le public, le drapeau national, l’hymne national ou tout autre symbole de la souveraineté nationale, est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 18 mois ou d’une peine d’amende de 60 à 150 jours ».
Parmi les délits contre l’administration et la conduite de la justice, l’article 335 prévoit le délit de violation du secret de la justice, qui stipule que « Quiconque, d’une manière non autorisée par la loi, fait connaître le contenu d’un acte de procédure couvert par le secret de la justice ou pour lequel il a été décidé d’exclure la publicité, est puni d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à 4 ans, s’il s’agit d’une procédure pénale, ou d’une peine d’emprisonnement de 6 mois au maximum ou d’une amende de 80 jours au maximum, s’il s’agit d’un délit ou d’une procédure disciplinaire ».
Cour suprême des Comores
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
En Union des Comores, la liberté d’expression est énoncée dans la Constitution du 6 août 2018 en son article 21 en ces termes que « le droit à la liberté est inviolable », que « la liberté de pensée et d’expression, d’association… et les autres libertés sont garanties ».
Elle est reprise dans la loi organique du 27 juin 2023 relative à la Cour Suprême par l’article 205 qui consacre la protection constitutionnelle des libertés fondamentales.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
La liberté d’expression est malmenée partout, notamment par ceux qui s’en servent, en raison des abus touchant à la vie privée des gens, à cause de publications et déclarations intempestives qui heurtent la conscience de personnes et en raison des conséquences nuisibles à la paix publique et au respect d’autres libertés comme le droit à exprimer son opinion et sa foi religieuse dans un esprit de pondération.
Le préambule de la Constitution du 6 août 2018 énonce qu’en Union des Comores, « le peuple comorien affirme solennellement sa volonté de cultiver une identité nationale basée sur un seul peuple, une seule religion, l’Islam Sunnite ». C’est une entrave au caractère absolu de la liberté d’expression au même titre que différentes limitions consécutives allant dans le sens la protection des personnes, leurs biens et leur intégrité physique.
Ainsi, toute opinion de nature à contredire ou s’opposer à l’orientation non laïque de la vie sociale et aboutir à des modifications profondes dans la pratique du culte et la célébration des événements religieux notamment dans l’organisation des prières collectives, le mariage et les funérailles est prohibée sous le contrôle de la grande autorité religieuse de référence, outre l’assistance des juridictions qui toujours besoin de réguler les initiatives et les influences de ce pouvoir.
Les décisions de l’autorité religieuse en la matière sont appliquées sans que la Cour Suprême n’ait jamais eu à intervenir, mais qui reste gardienne de la règle selon laquelle la liberté d’expression s’arrête là où l’ordre public risque d’être perturbé.
- Quelle Définition donnez-vous de la liberté d’expression ?
C’est le droit reconnu par la loi comme une manifestation de la liberté de la pensée, une composante de la démocratie permettant à l’individu de faire connaitre le produit de son activité intellectuelle orale ou écrite, sans risquer de heurter la morale et l’ordre public. La liberté d’expression dans le domaine de la vie politique d’une Nation est le droit fondamental de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas autrui », qui se rapproche de la liberté d’opinion, du droit à se syndiquer, faire grève ou manifester.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques / régional ou international ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens, /pro ou contra/ ?
La Cour Suprême se réfère à la jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’homme qui illustre à travers d’exemples la règle que toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements :
- Affaire du journaliste Norbert Zongo tué au Burkina Faso ;
- Affaire de la condamnation de diffamation d’un journaliste à l’encontre d’un procureur qu’il accusait de corruption, qui a valu l’intervention de ladite Cour.
Tant que dans un pays, les mécanismes de garantie des libertés ne fonctionnent pas correctement, la liberté d’expression ne peut être sauvegardée à l’échelle locale.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
C’est en premier la liberté des médias, c’est-à-dire la possibilité effective pour des gens qui se réclament de la qualité de journalistes de choisir, produire et diffuser des informations dans l’intérêt public indépendamment de toute interférence politique, économique, juridique et sociale et sans que leur sécurité mentale ou physique soit menacée. Nombreux en Afrique peinent à faire découler la liberté d’expression des principes de dignité, d’impartialité ; ils font prévaloir l’engagement personnel pour leurs idées et gagner en audience.
À ce jour, le contentieux de nature à susciter une jurisprudence de protection de la liberté d’expression peine à parvenir au greffe de la Cour Suprême ;
Cette dernière est d’avis qu’une liberté d’expression qui s’exprime avec violence, dégradations et pillages nuit au vivre ensemble, raison pour laquelle des mesures de protection des personnes et de leurs biens motivent l’action des juridictions sous le contrôle de la Cour Suprême.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le blasphème se définit comme la « parole ou le discours qui outrage la divinité, la religion par des attaques démesurées portées contre les instruments d’une croyance suscitant colère et désarroi des personnes qui n’aspirent qu’à pacifiquement pratiquer leur foi.
Devant les juridictions du fond, tout ce qui se rapproche du blasphème né d’une parole, d’un discours, d’un écrit ou un geste qui s’attaque à la foi de tout un chacun, fait l’objet d’un examen sans que la Cour Suprême n’ait eu encore à intervenir pour fixer une jurisprudence, tant les principes sont clairs ; le blasphème n’étant pas malgré tout une infraction légale prévue par ledit Code, il appartient à l’autorité religieuse de proposer les sanctions qui ne sauraient être le châtiment corporel préconisé par certains, mais que la Cour Suprême ne peut que rejeter.
La lutte contre le blasphème passe par la répression d’autres comportements ; que des Nations se soient déterminées à accorder caractère absolu à la liberté d’expression après avoir notamment décriminalisé le blasphème, toute répression à l’encontre de ce phénomène est l’objet d’un consensus.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? /Politique, militaire, Régalien, Art, Médias/ ?
La liberté d’expression est une liberté d’opinion que d’innombrables personnes peinent à exprimer à travers les réseaux sociaux, alors que les réseaux sociaux sont devenus une plateforme pour véhiculer le vrai et le faux.
En période électorale, les langues se délient laissant place à des échanges véhéments sur la place publique et dans les médias. Ces échanges sont en principe autorisés ; toutefois hors période électorale, la défense d’intérêts professionnels est souvent sujette à la violence et aux dégradations à caractère partisan. Il est difficile dans ces circonstances de garantir la possibilité de disposer de la capacité à décoder l’information, détecter les manipulations et les fausses informations, s’émanciper et construire ses propres convictions.
- À quels titulaires, la liberté d’expression est-elle reconnue /mineurs, personnes privées et personnes publiques/ ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu / l’institution qui en est titulaire personnes privées et personnes publiques, personnes morales privées et publiques ?
Pouvoir s’exprimer par le droit de vote fut partout le principe majeur défendu par les minorités et les femmes.
Il est un texte dont les juridictions constitutionnelles se réfèrent pour, le cas échéant, l’appliquer, à savoir que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; que toute personne peut parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les conditions déterminées par la loi ».
Chaque personne gagne à s’autocensurer et jauger la personne susceptible de recevoir l’information, mineurs scolarisés ou population sensible, car véhiculer une information qui heurte et blesse l’autre laisse la porte ouverte à des réactions tristes et démesurées.
L’absence de conflit politique ou social, c’est ce qui favorise la liberté d’expression, particulièrement la liberté de la presse. La Cour Suprême n’a pas une jurisprudence au service de l’encadrement de la liberté d’expression.
- Quid de la liberté des agents de l’État / fonctionnaires, militaires/ ?
Aux Comores, militaires et fonctionnaires ne sont pas logés sous la même enseigne.
Toutefois, les uns comme les autres ont le droit de s’exprimer et revendiquer des intérêts professionnels.
En matière d’expression collective, les militaires sont les seuls membres de la fonction publique de l’État à être privés de toute possibilité de regroupement professionnel de façon indépendante de la hiérarchie.
Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression.
La liberté d’expression constitue une condition de la liberté de la pensée ; elle exprime l’identité et l’autonomie intellectuelle des individus et conditionne leurs relations aux autres individus et à la société.
Pour certains, notamment les fonctionnaires, la liberté d’expression comprend la protection de la liberté d’opinion, d’information et de réception de l’information, notamment pour exprimer ses convictions.
En Union des Comores, comme partout ailleurs, l’obligation d’impartialité en raison des affaires qui sont soumises à examen, le souci de ne pas se laisser déborder par ses convictions politiques ou par des intérêts financiers, sont des principes qui malheureusement ne sont pas étayés par une jurisprudence qui sera appelée à venir. Ce sont les médias qui sont les mieux placés pour poser des règles d’encadrement de la liberté d’expression.
La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
Le XXIe siècle devra voir émerger la conviction que nul n’a le droit de manifester son opinion par la violence de ses propos emprunts de subjectivité religieuse ou de rejet de l’autre, car plus que jamais les Nations ne s’organiseront pour que la foi s’exprime à travers une violence.
Bien des gens confrontés aux drames qui bousculent le monde aux portes de l’Europe et du Moyen-Orient devront se ressaisir pour réhabiliter les échanges démocratiques des Nations.
Des choses graves sont survenues dans le monde en particulier la France.
Qu’il s’agisse par exemple de l’interdiction du spectacle d’un humoriste aux facettes partisanes, des attentats perpétrés çà et là, de la régulation des réseaux sociaux et Internet à travers le monde, la liberté d’expression devra être balisée dans l’exercice de l’état de droit ; les juges constitutionnels en seront les garants à l’image de la Cour africaine des droits de l’homme.
Lorsque dans un pays se réclamant de la démocratie et de l’état de droit, un citoyen peut se permettre d’appeler les autres à la révolte, le XXIe siècle devra se déterminer à faire bouger les choses.
Certains affirment que le XXIe siècle sera l’aboutissement de la victoire de la dictature sur la démocratie ; c’est une problématique essentielle du monde.
Conseil constitutionnel français
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
S’il n’existe pas en droit interne de déclaration de droits protégeant spécifiquement la liberté d’expression en France, la protection constitutionnelle de la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions se fonde sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
L’article 11 de la Déclaration de 1789 envisage implicitement une telle limite, sous la forme d’une conciliation, en réservant les cas d’« abus de cette liberté », qu’il appartient à la loi de déterminer.
Le Conseil constitutionnel juge à cet égard que le principe ainsi proclamé ne s’oppose pas à ce que le législateur, compétent aux termes de l’article 34 de la Constitution pour fixer « les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », édicte des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer. Il lui est aussi loisible, à ce titre, d’instituer des dispositions destinées à faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Ce faisant, le Conseil soumet expressément les atteintes à cette liberté à son degré de contrôle le plus exigeant qui soit, celui du contrôle entier de proportionnalité.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789, la liberté d’expression consiste à « parler, écrire, imprimer librement ». Cette liberté doit être préservée aussi bien dans sa dimension « passive », le citoyen étant alors récepteur de l’information, que dans sa dimension « active », le citoyen étant alors émetteur de l’information.
Le Conseil juge par ailleurs spécifiquement, depuis 2009, que, en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
* D’une façon générale, la conception française de la liberté d’expression est similaire à celle que l’on rencontre dans les autres États européens. Il s’agit d’une liberté garantie par le texte constitutionnel, lequel lui-même prévoit également des limites à l’exercice de cette liberté.
Dans la détermination de cette conciliation, les autres juridictions européennes opèrent traditionnellement un contrôle de proportionnalité. C’est notamment le cas, entre autres, en Allemagne, en Espagne et en Italie.
Des différences plus notoires concernant la conception de la liberté d’expression seraient à trouver tout particulièrement du côté des États-Unis. En effet, le Premier amendement à la Constitution américaine ne contient aucune limitation expresse à l’exercice de ce droit puisqu’il indique que le Congrès américain ne pourra adopter aucune loi restreignant ce droit. Au vu de cette conception très extensive et en s’appuyant sur l’absence de limitation prévue par le texte, la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis préserve ce caractère très étendu de la liberté d’expression en des termes qui ne se confondent pas entièrement avec le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel ainsi que ses homologues européens.
* Si le Conseil constitutionnel prend en compte des éléments de droit comparé dans son raisonnement sur certaines affaires, ces éléments ne sont pas mentionnés dans ses décisions.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont, selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Oui. La formulation de l’article 11 de la Déclaration de 1789 fait de la liberté d’expression l’un des « droits les plus précieux de l’Homme ». Le Conseil constitutionnel juge à cet égard qu’il s’agit d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et une condition de la démocratie.
Le Conseil rappelle qu’elle revêt une importance particulière notamment dans le débat politique et au cours des campagnes électorales : elle garantit à la fois l’information de chacun et la défense de toutes les opinions, mais prémunit aussi contre les conséquences des abus commis sur son fondement en permettant d’y répondre et de les dénoncer.
La liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 comprend plusieurs dimensions : elle possède ainsi une dimension individuelle (elle protège par exemple le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée), mais aussi collective (la liberté de réunion et celle de manifestation sont rattachées au droit d’expression collective des idées et des opinions qui découlent).
En matière pénale, le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur la possibilité d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication, dès lors que ces abus « portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ». Toutefois, les infractions et les peines ainsi instaurées n’échappent pas à l’exigence que l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication soit nécessaire, adaptée et proportionnée :
– ainsi, dans sa décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions relatives réprimant la négation, la minoration ou la banalisation notamment des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sans exiger que ces derniers aient fait l’objet d’une condamnation judiciaire préalable ;
– dans sa décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions relatives au délit de consultation habituelle de sites Internet terroristes ;
– dans sa décision n° 2020-845 QPC du 19 juin 2020, il a considéré que le délit de recel d’apologie du terrorisme portait à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La France étant une République laïque (art. 1er de la Constitution), sa législation ne comporte pas d’infraction sanctionnant, en tant que telle, la critique d’une religion. Aucune jurisprudence du Conseil ne porte sur la notion de blasphème.
Certaines formes d’expression religieuse sont protégées sur le fondement de la liberté d’opinion et de la liberté de conscience. À ce titre, l’article 10 de la Déclaration de 1789 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, saisi de dispositions contestées autorisant le préfet à fermer provisoirement certains lieux de culte pour prévenir la commission d’actes de terrorisme, à raison de certains propos, idées, théories ou activités qui s’y tiennent, le Conseil constitutionnel a jugé, après avoir souligné l’existence de plusieurs garanties, que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Il a également écarté la méconnaissance de la liberté d’expression et de communication et du droit d’expression collective des idées et des opinions.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Cette question et la question 8 font l’objet d’une réponse commune.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Le principe d’un contrôle de proportionnalité opéré par le Conseil pour s’assurer du respect de la liberté d’expression ne varie pas en fonction du domaine considéré. En outre, cette liberté est reconnue à tous les sujets de droit.
La jurisprudence tient cependant compte de la nature de l’atteinte que portent les dispositions contestées à cette exigence, qui peuvent être plus ou moins fortes, et justifiées par des objectifs plus ou moins importants, selon le domaine et les personnes considérées.
Dans les affaires qu’a eu à connaitre du Conseil, la liberté d’expression généralement invoquée est celle de personnes privées. Mais sa jurisprudence protège également le rôle particulier de certaines personnes morales (intermédiaires techniques, médias audiovisuels publics et privés).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les lois et règlements portant statuts de certains agents publics sont susceptibles d’encadrer la façon dont peut s’exercer leur liberté d’expression (« devoir de réserve », secret professionnel et discrétion professionnelle prévus aux articles L. 121-6 et L. 121-7 du code général de la fonction publique). Les mesures individuelles qui en découlent sont soumises au juge du fond, qui s’assure directement du respect de ces principes en fonction du rang hiérarchique de l’agent, des circonstances dans lesquelles il s’exprime, de la publicité et des formes de son expression.
Le Conseil a eu peu d’occasions d’intervenir directement sur ces questions.
Récemment, dans sa décision n° 2023-856 DC du 16 novembre 2023, le Conseil a néanmoins été saisi de dispositions qui complétaient celles interdisant aux magistrats toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République, ainsi que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions, afin de prévoir que « l’expression publique des magistrats ne saurait nuire à l’exercice impartial de leurs fonctions ni porter atteinte à l’indépendance de la justice ». Il a jugé que ces nouvelles dispositions, qui se bornent à rappeler certains des devoirs qui s’imposent à tout magistrat, ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel a pour la première fois affirmé la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression et de communication dans sa décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, par laquelle il a jugé que le droit de libre communication et la liberté de parler, écrire et imprimer constituent « une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale », de sorte que « la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » .
Par la suite, dans sa décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, le Conseil a complété la formulation de son énoncé de principe pour faire explicitement apparaître qu’il opère un contrôle de proportionnalité sur les atteintes à la liberté d’expression. Ainsi, après avoir rappelé que cette liberté est « d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés », le Conseil a jugé que « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Ce faisant, il a soumis les atteintes à cette liberté à son degré de contrôle le plus exigeant qui soit.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Cf. supra, la réponse à la question 1.5.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Non, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi de dispositions portant atteinte à la liberté d’expression au nom de la protection d’autres droits et libertés constitutionnellement garantis, il vérifie que le législateur a assuré une conciliation qui ne soit pas déséquilibrée entre les différentes exigences constitutionnelles en présence. Cela le conduit alors à tenir compte notamment de la finalité poursuivie par les dispositions contestées, de leur champ d’application et des garanties légales entourant leur mise en œuvre.
Réciproquement, le Conseil peut être amené à contrôler la conformité de dispositions portant atteinte à d’autres droits et libertés en considération du fait qu’elles constituent des garanties de l’exercice de la liberté d’expression.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Comme indiqué en réponse à la question 2.1., depuis sa décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel procède à un contrôle de proportionnalité des atteintes à la liberté d’expression et de communication, ce qui l’amène à se montrer particulièrement vigilant quant aux restrictions susceptibles d’être apportées à cette liberté par des dispositions législatives.
Cela ne signifie pas pour autant que la liberté d’expression et de communication serait absolue. Le Conseil a par exemple déclaré conformes à la Constitution, après s’être prononcé sur le terrain de la liberté d’expression, des dispositions réprimant certains comportements, comme l’apologie du terrorisme, permettant que des restrictions administratives soient apportées à l’exercice de la liberté d’expression ou encore d’obtenir la cessation de la diffusion de certains propos par des services de communication au public en ligne.
Par ailleurs, le Conseil a jugé, dès sa décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010, que la libre communication des pensées et des opinions, protégée par l’article 11 de la Déclaration de 1789, est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, au sens de son article 61-1. Elle peut ainsi être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La question est sans objet en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, telle que précisée dans les réponses aux questions qui précèdent (notamment la question 2.4.).
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Il ne fait pas de doute que les juridictions administratives et judiciaires doivent, ainsi que le leur impose l’article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958, se conformer à la jurisprudence constitutionnelle.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Cf. supra, la réponse à la question 1.4.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Cf. supra, la réponse à la question 2.3.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La jurisprudence développée par le Conseil constitutionnel intègre la nécessité de concilier ces différents intérêts, de sorte qu’il ne peut être apporté une réponse tranchée à cette question.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Cf. supra, les réponses aux questions 2.1. et 2.3.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Comme indiqué plus haut, le Conseil constitutionnel intègre directement, dans son énoncé de principe relatif à la protection constitutionnelle de la liberté d’expression, la nécessité de prévenir « des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ».
De la même façon, il juge avec constance, en se fondant également sur l’article 34 de la Constitution, qu’« il est loisible au législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer » .
Selon qu’il est saisi de dispositions législatives instituant des mesures répressives (telles que la création d’une infraction pénale) ou préventives (tels qu’un dispositif de restrictions administratives), le Conseil opère ainsi, sur le fondement de la liberté d’expression, un contrôle qui le conduit à s’assurer que ces mesures sont justifiées par les nécessités de l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Lorsqu’il est saisi de dispositions législatives mettant en cause la liberté d’expression, le Conseil constitutionnel les appréhende sur le fondement de l’article 11 de la Déclaration de 1789 à partir du moment où le grief dirigé à leur encontre est bien opérant.
Il arrive que le Conseil privilégie un autre fondement pour examiner des dispositions législatives qui, tout en étant susceptibles d’avoir une incidence sur la liberté d’expression, portent plus directement atteinte à un autre droit ou liberté constitutionnellement garanti.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Il ne résulte pas de la jurisprudence du Conseil que de telles circonstances appellent à réserver un régime particulier à la liberté d’expression.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Si la jurisprudence du Conseil ne connait pas une notion comme celle de « censure », il s’assure que la loi n’apporte à la liberté d’expression que des restrictions adaptées, nécessaires et proportionnées (contrôle de proportionnalité).
En droit français, toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé (article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). Elle est constituée même si l’allégation est faite sous forme déguisée ou dubitative ou si elle est insinuée, et si elle vise une personne qui sans être désignée par son nom, est identifiable. Peu importe que le fait en question soit vrai ou faux, s’il est suffisamment précis.
Dans sa décision n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013, le Conseil constitutionnel était saisi de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 qui définit les cas dans lesquels une personne poursuivie pour diffamation peut s’exonérer de toute responsabilité en établissant la preuve du fait diffamatoire. Une disposition particulière de cet article interdit de rapporter la preuve des faits diffamatoires lorsque l’imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision. Le requérant soutenait que cette interdiction portait atteinte à la liberté d’expression et aux droits de la défense.
Le Conseil a jugé que les dispositions concernant l’amnistie, la prescription de l’action publique, la réhabilitation et la révision n’ont pas, par elles-mêmes, pour objet d’interdire qu’il soit fait référence à des faits qui ont motivé une condamnation amnistiée, prescrite ou qui a été suivie d’une réhabilitation ou d’une révision ou qu’il soit fait référence à des faits constituant une infraction amnistiée ou prescrite. La restriction à la liberté d’expression qui résultait des dispositions contestées visait sans distinction, tous les propos ou écrits résultant de travaux historiques ou scientifiques ainsi que les imputations se référant à des événements dont le rappel ou le commentaire s’inscrivent dans un débat public d’intérêt général. Dès lors, le Conseil constitutionnel a jugé que, par son caractère général et absolu, cette interdiction portait à la liberté d’expression une atteinte qui n’était pas proportionnée au but poursuivi.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Comme indiqué précédemment, le Conseil constitutionnel apprécie la proportionnalité de l’atteinte portée à la liberté d’expression au regard des objectifs poursuivis par le législateur.
Depuis une dizaine d’années, le Conseil a été amené à contrôler la conformité à la Constitution de plusieurs textes visant à mieux réguler Internet en imposant certaines obligations aux intermédiaires techniques.
Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, il juge en la matière que, « en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions », la liberté d’expression « implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer. »
– Dans sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, le Conseil était saisi de dispositions tendant à renforcer la lutte contre la pédopornographie en instituant un dispositif de blocage de l’accès à certains sites Internet. Il a notamment jugé que « les dispositions contestées ne confèrent à l’autorité administrative que le pouvoir de restreindre, pour la protection des utilisateurs d’Internet, l’accès à des services de communication au public en ligne lorsque et dans la mesure où ils diffusent des images de pornographie infantile ; que la décision de l’autorité administrative est susceptible d’être contestée à tout moment et par toute personne intéressée devant la juridiction compétente, le cas échéant en référé ; que, dans ces conditions, ces dispositions assurent une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » .
– En revanche, dans sa décision n° 2020 801 DC du 18 juin 2020 relative à la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet , le Conseil constitutionnel a censuré, sur le fondement de la liberté d’expression et de communication, des dispositions imposant à certains opérateurs de plateforme en ligne de retirer, dans un délai d’une heure, des contenus diffusés en ligne à caractère terroriste ou pédopornographique et, sous vingt-quatre heures, des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel.
S’agissant, en premier lieu, des contenus à caractère terroriste ou pédopornographique, la loi déférée modifiait l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 précitée instituant un dispositif de blocage administratif des adresses électroniques des services de communication au public en ligne afin de permettre à l’autorité administrative de demander aux hébergeurs ou aux éditeurs de tels services de retirer les contenus que cette dernière estimait contraires aux articles 227-23 et 421-2-5 du Code pénal. Il était prévu, en cas de manquement de leur part à cette obligation, l’application d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
Examinant les dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a admis que l’objectif poursuivi par le législateur était de nature à justifier l’adoption de mesures susceptibles de restreindre l’exercice de la liberté d’expression et de communication. Cependant, le Conseil a considéré que, en dépit de la pertinence de l’objectif poursuivi, les dispositions contestées portaient à la liberté d’expression une atteinte qui n’était pas adaptée, nécessaire et proportionnée.
Il a tout d’abord constaté que la détermination du caractère illicite des contenus « ne repos[ait] pas sur leur caractère manifeste » et qu’elle était « soumise à la seule appréciation de l’administration ». Ainsi, en visant des contenus dont le caractère illicite n’apparaît pas manifestement et peut être sujet à débat, les dispositions censurées permettaient que soient retirés des contenus en réalité licites. Par ailleurs, l’appréciation sur ce point de l’administration ne présentait pas à cet égard une garantie suffisante.
Le Conseil a ensuite constaté que le délai d’une heure laissé à l’éditeur ou l’hébergeur pour déférer à la demande de l’administration ne lui permettait pas, même en contestant en référé cette demande, d’en faire examiner la légalité avant de devoir y déférer, sous peine d’une lourde sanction pénale pouvant atteindre un an d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende.
Le Conseil en a conclu que les dispositions contestées méconnaissaient la liberté d’expression et de communication.
S’agissant, en second lieu, des dispositions de la loi qui visaient à imposer à certains opérateurs de plateforme en ligne, sous peine de sanction pénale, de retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de vingt-quatre heures des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel, le Conseil constitutionnel s’est d’abord attaché à rechercher l’objectif poursuivi. Il a ainsi admis que, en adoptant ces dispositions, « le législateur a voulu prévenir la commission d’actes troublant gravement l’ordre public et éviter la diffusion de propos faisant l’éloge de tels actes. Il a ainsi entendu faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ».
Le Conseil a toutefois relevé que l’obligation de retrait prévue par les dispositions contestées « s’impose à l’opérateur dès lors qu’une personne lui a signalé un contenu illicite en précisant son identité, la localisation de ce contenu et les motifs légaux pour lesquels il est manifestement illicite ». Ainsi, au regard de ces conditions simples de signalement, le dispositif adopté par le législateur reposait sur une possibilité très large de saisine des opérateurs. Aucun mécanisme de filtre n’était prévu ni aucune autre condition que la conviction du signalant d’être face à un contenu manifestement illicite. Cela signifiait donc que chaque opérateur pouvait être saisi d’un nombre important de signalements et qu’il lui incombait d’examiner systématiquement tous les contenus signalés afin de ne pas risquer d’être sanctionné pénalement.
Or, cette obligation d’examen pouvait se révéler complexe pour l’opérateur. En effet, si le législateur avait prévu que seuls les contenus manifestement illicites devaient être retirés par les opérateurs de plateforme en ligne, il avait en revanche retenu de multiples qualifications pénales justifiant ce retrait. En outre, l’examen devant être réalisé par l’opérateur ne devait pas se limiter au motif indiqué dans le signalement, mais s’étendait à l’ensemble des incriminations pénales précitées. Le Conseil en a conclu qu’« Il revient en conséquence à l’opérateur d’examiner les contenus signalés au regard de l’ensemble (des infractions mentionnées), alors même que les éléments constitutifs de certaines d’entre elles peuvent présenter une technicité juridique ou, s’agissant notamment de délits de presse, appeler une appréciation au regard du contexte d’énonciation ou de diffusion des contenus en cause ».
Cette obligation d’examen était également rendue plus rigoureuse en raison du délai de vingt-quatre heures que la loi déférée imposait aux opérateurs de plateforme en ligne pour retirer les propos illicites. À ce titre, le Conseil a relevé que, « compte tenu des difficultés précitées d’appréciation du caractère manifeste de l’illicéité des contenus signalés et du risque de signalements nombreux, le cas échéant infondés, un tel délai est particulièrement bref » .
Le Conseil constitutionnel a en outre relevé que le législateur n’avait prévu aucune disposition permettant à un opérateur de s’exonérer de sa responsabilité pénale en raison de circonstances qui auraient rendu son examen de propos signalés particulièrement difficile ou impossible dans le délai de vingt-quatre heures.
Enfin, le Conseil constitutionnel a constaté que « le fait de ne pas respecter l’obligation de retirer ou de rendre inaccessibles des contenus manifestement illicites est puni de 250 000 euros d’amende » et que « la sanction pénale est encourue pour chaque défaut de retrait et non en considération de leur répétition ».
Le Conseil a conclu de ces différents éléments que, « compte tenu des difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement et de l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité, les dispositions contestées ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites. Elles portent donc une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
Appliquant une grille d’analyse comparable dans sa décision n° 2022-841 DC du 13 août 2022, le Conseil constitutionnel a jugées conformes à la Constitution certaines dispositions de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Non, le Conseil a fait application des exigences de l’article 11 de la Déclaration de 1789 aux services publics de communication en ligne (cf. supra, réponse à la question 3.3.)
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Dans deux domaines, celui de la vie politique, d’une part, et celui des médias, d’autre part, la liberté d’expression et de communication doit être conciliée avec le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, consacré au troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution.
S’agissant du respect de ce principe, le Conseil constitutionnel est plus exigeant dans l’examen des textes relatifs à l’organisation ou à la régulation de la vie politique, que dans l’examen de textes relatifs à la seule organisation et réglementation du secteur de la communication audiovisuelle. En effet, lorsque la régulation de la vie politique est concernée, c’est l’expression des opinions politiques et la représentation des citoyens qui est directement en cause.
Le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions laisse toutefois au législateur une certaine marge de manœuvre. Il peut ainsi subordonner une aide aux partis et groupements à la condition qu’ils justifient d’un minimum d’audience, réserver la participation à la campagne radiotélévisée aux seuls partis et groupements habilités par la commission de contrôle de la consultation à Mayotte, ou bien encore fixer un seuil de 5% des suffrages exprimés pour accéder à la répartition des sièges au Parlement européen.
Lorsqu’est affectée la liberté d’expression et de communication, le Conseil constitutionnel s’assure que la conciliation opérée entre cette liberté et le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions n’est pas manifestement déséquilibrée. Il a par exemple jugé, dans sa décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016, qu’en prévoyant l’application du principe d’équité au traitement audiovisuel des candidats à l’élection du Président de la République pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », le législateur organique « a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et de liberté de communication ». Il relève dans cette décision que : « le législateur organique a, d’une part, entendu favoriser, dans l’intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral ; qu’il a entendu, d’autre part et dans le même but, accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l’information en période électorale, qui ne saurait remettre en cause les principes fixés par le législateur et dont l’application relève du conseil supérieur de l’audiovisuel ; que, si ces éditeurs conservent un rôle déterminant de diffusion de l’information à destination des citoyens en période électorale, leur diversité a été renforcée ; qu’il existe en outre d’autres modes de diffusion qui contribuent à l’information des citoyens en période électorale sans relever de réglementations identiques » .
Dans sa décision n° 2017-651 QPC du 31 mai 2017 relative aux conditions dans lesquelles les partis et groupements politiques ont accès aux antennes du service public de radiodiffusion et de télévision pour la campagne officielle en vue des élections législatives, il a censuré des dispositions qui conduisaient à attribuer aux partis non représentés à l’Assemblée nationale des temps d’émission très réduits par rapport à ceux bénéficiant d’une telle représentation et cela sans distinction selon l’importance des courants d’idées ou d’opinions qu’ils représentent. Selon le Conseil, les dispositions en cause méconnaissaient l’article 4 de la Constitution et affectaient l’égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée. Il a plus précisément jugé qu’« Il est loisible au législateur, lorsqu’il donne accès aux antennes du service public aux partis et groupements politiques pour leur campagne en vue des élections législatives, d’arrêter des modalités tendant à favoriser l’expression des principales opinions qui animent la vie démocratique de la Nation et de poursuivre ainsi l’objectif d’intérêt général de clarté du débat électoral » ce qui lui permettait de « prendre en compte la composition de l’Assemblée nationale à renouveler et, eu égard aux suffrages qu’ils avaient recueillis, réserver un temps d’antenne spécifique à ceux des partis et groupements qui y sont représentés ». Cependant, le Conseil souligne que le législateur doit également « déterminer des règles propres à donner aux partis et groupements politiques qui ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale un accès aux antennes du service public de nature à assurer leur participation équitable à la vie démocratique de la Nation et à garantir le pluralisme des courants d’idées et d’opinions. Les modalités selon lesquelles le législateur détermine les durées d’émission attribuées aux partis et groupements qui ne disposent plus ou n’ont pas encore acquis une représentation à l’Assemblée nationale ne sauraient ainsi pouvoir conduire à l’octroi d’un temps d’antenne manifestement hors de proportion avec leur représentativité, compte tenu des modalités particulières d’établissement des durées allouées aux formations représentées à l’Assemblée nationale ».
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Si certains textes de loi peuvent prévoir de telles mesures, elles ne découlent pas directement de la jurisprudence du Conseil en matière de liberté d’expression.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
L’état d’urgence est un régime d’exception permettant de renforcer les pouvoirs des autorités civiles. La loi 3 avril 1955 prévoit qu’il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de calamité publique. Décidé par décret en conseil des ministres pour une durée initiale de 12 jours, l’état d’urgence peut être prolongé par l’adoption d’une loi votée par le Parlement. Il autorise le ministre de l’Intérieur et les préfets à décider, notamment : de l’interdiction des manifestations, cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique ; de l’interdiction de certaines réunions publiques ou la fermeture de lieux publics et de lieux de culte ; du blocage de sites Internet prônant des actes terroristes ou en faisant l’apologie.
L’état d’urgence a été décrété dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 après les attentats de Paris et de Saint-Denis. Prorogé plusieurs fois par la loi, il a pris fin le 1er novembre 2017.
Dans sa décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016 , le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de certaines dispositions de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence permettant à l’autorité administrative lorsque l’état d’urgence a été déclaré, d’ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ainsi que d’interdire les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les mesures de fermeture provisoire et d’interdiction de réunions prévues par les dispositions contestées ne peuvent être prononcées qu’en cas de péril imminent ou de calamité publique, et uniquement pour les lieux situés dans la zone couverte par cet état d’urgence ou pour des réunions devant s’y tenir.
Il a également relevé que, d’une part, tant la mesure de fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature que sa durée doit être justifiée et proportionnée aux nécessités de la préservation de l’ordre public ayant motivé une telle fermeture. D’autre part, la mesure d’interdiction de réunion doit être justifiée par le fait que cette réunion est « de nature à provoquer ou entretenir le désordre » et proportionnée aux raisons l’ayant motivée. Celles de ces mesures qui présentent un caractère individuel doivent être motivées. Enfin, le juge administratif est chargé de s’assurer que chacune de ces mesures est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit.
En troisième lieu, le Conseil constitutionnel a relevé qu’en vertu de l’article 14 de la loi du 3 avril 1955, les mesures de fermeture provisoire et d’interdiction de réunions prises en application de cette loi cessent au plus tard en même temps que prend fin l’état d’urgence. Il a rappelé que l’état d’urgence, déclaré par décret en Conseil des ministres, doit, au-delà d’un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée et que cette durée ne saurait être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence. Le Conseil constitutionnel a jugé enfin que, si le législateur prolonge l’état d’urgence par une nouvelle loi, les mesures de fermeture provisoire et d’interdiction de réunions prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées.
Se fondant sur l’ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées opèrent une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre le droit d’expression collective des idées et des opinions et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Si ces questions relèvent d’une appréciation plus politique que jurisprudentielle, il n’est que de déduire des réponses aux questions qui précèdent que le juge constitutionnel français est, comme l’y invite la Constitution elle-même, le premier défenseur de la liberté d’expression, dont il souligne lui-même qu’elle est une condition de la démocratie.
Cour constitutionnelle du Gabon
Sous-thème : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
En matière de Liberté d’expression, la Cour Constitutionnelle se fonde principalement sur son bloc de constitutionnalité formulé depuis la décision n°001/CC du 28 février 1992, sur la loi organique n°14/91 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de la Communication et qui englobe la Constitution du 26 mars 1991, à laquelle il faut ajouter les textes compris dans le préambule de ladite Constitution à savoir : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la Charte nationale des Libertés de 1990.
En effet, aux termes des dispositions de l’article premier, point 2, la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication, la libre pratique de la religion sont garanties à tous, sous réserve du respect de l’ordre public.
En outre, la Cour Constitutionnelle dans son office se fonde sur les principes de l’État de Droit et de la démocratie ainsi que sur ceux à valeur sociale, culturelle, spirituelle et traditionnelle auxquels le peuple gabonais est attaché conformément au préambule de la Constitution du 26 mars 1991.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui, la formulation qui consacre la liberté d’expression est immédiatement suivie dans le même article, d’une notion qui la limite. En effet, la Constitution de la République gabonaise, au point 2 de son article premier, prévoit que « la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication, la libre pratique de la religion sont garanties à tous, sous réserve du respect de l’ordre public ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est une liberté fondamentale pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer librement ses opinions par tous les moyens qu’elle juge opportuns dans tous les domaines de la vie. Elle a pour corollaire la liberté de la presse. C’est donc un droit inviolable et imprescriptible de l’homme consacré par la Constitution et qui lie obligatoirement les personnes publiques. Elle peut s’exercer par voie écrite ou orale.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Non, nous avons la définition et le même contenu que les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Oui, la liberté d’expression est une liberté matricielle, de laquelle découlent d’autres libertés, à savoir :
- La liberté de conscience ;
- La liberté d’association ;
- La liberté de presse ;
- La liberté d’opinion ;
- La liberté de pensée ;
- La libre pratique de la religion ;
- La liberté de manifestation.
Les déclinaisons de la liberté d’expression dont le juge constitutionnel a été saisi concernent :
- La liberté de la presse
Dans sa décision n°001/CC du 28 février 1992, la Cour Constitutionnelle a été amenée à réguler l’exercice de la liberté d’opinion en consacrant le droit d’accès égal aux médias de l’État qui implique nécessairement l’égalité du temps d’antenne entre tous les partis politiques dès lors qu’ils sont reconnus.
- La liberté de la communication audiovisuelle
Dans sa décision n°13/CC des 24, 25 et 26 mai 1993, la Cour Constitutionnelle a été saisie sur la question de l’exercice de la liberté de communication consacrée par l’article 94 de la Constitution qui dispose que « la communication audiovisuelle et écrite est libre en République gabonaise, sous réserve du respect de l’ordre public, de la liberté et de la dignité du citoyen », aux fins de savoir si son application nécessite au préalable la mise en place de textes d’application et d’exploitation de toute entreprise de communication qui se crée.
La Cour a estimé que la liberté d’expression est un droit fondamental dont l’exercice nécessite des lois d’application, conformément aux dispositions de l’article 47, premier tiret, de la Constitution qui prévoit que « En dehors des cas expressément prévus par la Constitution, la loi fixe les règles concernant : – l’exercice des droits fondamentaux et devoirs des citoyens ».
- La liberté de la presse écrite et audiovisuelle
S’agissant de la liberté de la presse écrite, la Cour Constitutionnelle, dans sa décision n°019/CC du 2 novembre 1993, avait jugé, d’une part, que la loi ne peut réglementer l’exercice de ladite liberté que pour rendre celui-ci plus effectif ou pour la concilier avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont le respect de l’ordre public, la liberté d’autrui, la dignité du citoyen et le pluralisme des courants socioculturels ; et, d’autre part, que l’exercice de la liberté de la communication audiovisuelle doit être nécessairement concilié, non seulement avec lesdits objectifs, mais aussi avec contraintes techniques inhérentes au moyen de sa mise en œuvre.
La Cour a ainsi consacré la règle de conciliation entre l’exercice de la liberté de la presse écrite et les principes et objectifs de valeur constitutionnelle.
De même, dans sa décision n°021/CC du 12 novembre 1993, la Cour Constitutionnelle a exigé aux médias d’État, en cas de force majeure, d’emménager, pour le candidat à l’élection présidentielle empêché, un temps d’antenne ou un espace d’insertion particulier.
- La liberté de conscience, de pensée et d’opinion
Enfin, s’agissant de la liberté de conscience, de pensée et d’opinion, la Cour Constitutionnelle, dans sa décision n°005/CC du 18 août 1994, a estimé que s’il apparaît normal que la démission d’un député de l’Assemblée nationale entraîne la perte de son mandat vu qu’elle est l’expression d’une volonté consciente de son auteur, il apparaît, en revanche, antidémocratique et singulièrement contraire à la liberté de conscience, de pensée et d’opinion, d’instaurer un lien de dépendance entre le mandat parlementaire et l’appartenance à son parti politique du titulaire de ce mandat.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non, le juge constitutionnel gabonais n’a jamais été confronté à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème, l’État gabonais étant laïc.
Tout comme le juge constitutionnel gabonais n’a jamais été confronté à un recours relatif à la liberté d’expression en matière religieuse.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Par principe, la liberté d’expression est la même pour tous, sous réserve du respect de l’ordre public.
Cependant, il existe effectivement des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large parmi lesquels ceux relevant du politique, des médias et du milieu artistique.
La liberté d’expression peut être restreinte pour certains agents de l’État en raison de l’obligation de réserve qui pèse sur eux, à l’instar des Juges constitutionnels, des militaires souvent appelés “la grande muette”, comme cela est le cas pour tous les pays du monde.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
La liberté d’expression est, par principe, reconnue de façon égalitaire à tous les sujets de droit, personnes physiques, morales, personnes privées et publiques.
Le contenu de la liberté d’expression est le même pour tous, mais son encadrement diffère d’une personne physique à une autre et selon l’institution qui en est titulaire. En effet, la liberté d’expression est moins étendue chez les mineurs qui sont privés du droit de vote par exemple, ce qui constitue une restriction à leur liberté de s’exprimer. En revanche, elle est plus étendue pour les syndicalistes, les parlementaires de l’Opposition, les enseignants, les étudiants, etc.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Par principe, la liberté d’expression est reconnue à tous les agents de l’État, qu’ils soient fonctionnaires ou militaires. Toutefois, elle peut être plus encadrée pour certains agents publics (magistrats, médecins, militaires, etc.), tout comme elle peut être plus ouverte pour d’autres agents (enseignants…).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrer-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est encadrée dès la décision de la Cour Constitutionnelle n°001/CC du 28 février 1992 dans laquelle elle a censuré les dispositions de l’article 36 de la loi organique n°14/91 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de la Communication qui disposait que : « Le Conseil National de la Communication veille à la proportionnalité du temps d’antenne entre les partis politiques représentés à la l’Assemblée nationale ». La Cour a estimé que ces dispositions portaient atteinte à la liberté d’expression au regard des dispositions de l’article 95 de la Constitution, lesquelles énoncent que le Conseil National de la Communication est chargé, entre autres missions, de ‘‘veiller au traitement équitable de tous les partis et associations politiques’’.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Oui, elle occupe une place particulière dans la jurisprudence constitutionnelle du Gabon, car la Cour a rendu de nombreuses décisions se rapportant à la liberté d’expression. Certaines portant sur le temps d’antenne des partis politiques en période électorale (décision n°001/CC du 28 février 1992, décision n°003/CNC du 15 février 2001, avis n°002/CC 29 octobre 2002, décision n°021/CC du 12 novembre 1993…), d’autres consacrant le principe de conciliation de l’exercice effectif de la presse écrite avec les principes et objectifs de valeur constitutionnelle (décision n°019/CC du 2 novembre 1993). D’autres déclarant singulièrement contraire à la liberté de conscience, de pensée et d’opinion, le fait d’instaurer un lien de dépendance entre le mandat d’un parlementaire et l’appartenance à son parti politique du titulaire de ce mandat (décision n°005/CC du 18 août 1994).
Toutes ces décisions rendues par la Cour Constitutionnelle ont permis d’asseoir le pluralisme politique, l’expression démocratique et contribué à l’affermissement de l’État de droit.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Non, la Cour Constitutionnelle n’a établi aucune hiérarchie entre droits et libertés. En revanche, il lui arrive de concilier certains droits et libertés lorsque ceux-ci se contredisent dans un même texte.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Oui, elle a varié. Selon qu’on soit en période normale ou en période de circonstances exceptionnelles, la Cour est emmenée à apprécier différemment la protection de la liberté d’expression.
En effet, en période normale, le Juge Constitutionnel admet un encadrement plus souple de la liberté d’expression. Cela peut se vérifier par ses décisions du 28 février 1992, du 2 novembre 1993 et du 18 août 1994. Cependant, en période de pandémie ou état d’urgence sanitaire, l’encadrement par le Juge Constitutionnel a été plus rigoureux. Cela a été le cas dans sa décision n°020/CC du 13 mai 2020 portant contrôle de constitutionnalité de la loi n°003/2020 fixant les mesures de prévention, de lutte et de riposte contre les catastrophes sanitaires. En effet, dans cette décision, la Cour avait confirmé l’instauration des mesures sanitaires restrictives de libertés fondamentales prises par le Gouvernement.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
C’est la survenance de périodes de circonstances exceptionnelles qui a souvent conduit la Cour Constitutionnelle à modifier sa jurisprudence en matière de liberté d’expression. C’était le cas durant la période de Covid-19 et lors des échéances électorales. Dans sa décision n°005/CC du 18 août 1994, la Cour est plus stricte dans le respect de l’exercice de la liberté d’expression en considérant la violation de ladite liberté ’’antidémocratique’’. Cependant, dans sa décision n°020/2020 du 13 mai 2020, elle admet la restriction de la liberté d’expression pour des raisons de santé publique.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement)?
Non.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Non.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Pour le Juge constitutionnel gabonais, tous les droits et libertés ont la même importance. Il ne saurait faire prévaloir un droit sur un autre. Aussi, dans sa démarche, recherche-t-il toujours un équilibre. Il en est ainsi de la décision n°019/CC du 2 novembre 1993 dans laquelle la Cour a considéré que, s’agissant de la liberté de la presse écrite, la loi ne peut en réglementer l’exercice que pour rendre celui-ci plus effectif ou pour le concilier avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont le respect de l’ordre public, la liberté d’autrui, la dignité du citoyen et le pluralisme des courants socioculturels.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression établi par la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle conduit à protéger de manière égalitaire l’État et l’individu. Cela peut être vérifié à travers les décisions et avis suivants :
- décision n°001/CC du 28 février 1992 ;
- décision n°003/CNC du 15 février 2001 ;
- avis n°002/CC 29 octobre 2002 ;
- décision N°021/CC du 12 novembre 1993 ;
- décision n°019/CC du 2 novembre 1993 ;
- décision N°005/CC du 18 août 1994 ;
- décision n°0016bis/CC des 12,13 et 14 octobre 1992 ;
- décision n°309/CC du 26 mars 2019.
Toutefois, en période de crise, cet encadrement conduit à protéger davantage l’État. Cela a été le cas à travers les décisions suivantes :
- décision n°13/CC des 24, 25 et 26 mai 1993 ;
- décision n°020/CC du 13 mai 2020.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
L’outil jurisprudentiel principal utilisé en vue de la protection de la liberté d’expression est le contrôle de constitutionnalité. Dans le cadre du contrôle de conformité d’une norme à la Constitution, la Cour peut opérer aussi un contrôle de proportionnalité lorsqu’il y a une carence.
En effet, l’intensité de ce contrôle tient à l’intention du législateur.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La jurisprudence de la Cour Constitutionnelle n’est pas abondante en la matière, mais au regard des décisions n°13/CC des 24, 25 et 26 mai 1993, n°020/CC du 13 mai 2020 et n°019/CC du 2 novembre 1993, l’exercice de la liberté d’expression nécessite un encadrement par la loi. À ce sujet, la Cour admet des restrictions des droits et libertés fondamentaux pour la sauvegarde de l’ordre public. Il existe donc un rapport de conciliation entre la liberté d’expression et le respect de l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Oui, la Cour Constitutionnelle fait également recours aux réserves d’interprétations. Il s’agit des réserves d’interprétation neutralisante, des réserves d’interprétation constructive et des réserves d’interprétation directive.
Ce sont des techniques de contrôle à la disposition de la Cour et dont elle fait usage selon que de besoin.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
C’est en période de circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire lors de l’état d’urgence, l’état d’alerte ou l’état de siège proclamé par le Président de la République, dans les conditions posées aux articles 25 et 26 de la Constitution, que le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent proclamer par décret, l’état d’urgence ou de siège en cas d’atteinte à l’ordre public, calamité publique ou au cas où le fonctionnement régulier des institutions, l’intégrité territoriale sont menacés.
Ces circonstances impliquent une réorganisation de l’État qui occasionne généralement des restrictions de l’exercice des droits et libertés fondamentaux, au nombre desquels, la liberté d’expression. Les citoyens sont alors soumis à un régime juridique particulier réservé à la liberté d’expression comme cela a été le cas durant la période du Covid-19.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression est une liberté fondamentale qui implique que tout individu soit libre d’exprimer sa pensée dans le respect de l’ordre public, de la vie privée et de la dignité des citoyens. La censure, quant à elle, est une restriction à la liberté d’expression imposée par les pouvoirs publics ou par soi-même. En revanche, la diffamation constitue toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle elle est imputée.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer et si oui dans quel sens- sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
La Cour Constitutionnelle, à ce jour, ne s’est pas prononcée sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Non, la Cour Constitutionnelle n’a jamais été saisie sur ces questions.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
En période électorale, il existe un renforcement de la protection de la liberté d’expression. C’est une période propice à la libre expression. En effet, la saisine de la Cour par les citoyens est prolixe pour contester la régularité des élections.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Certaines mesures particulières touchent effectivement les acteurs étrangers. C’est le cas des journalistes et observateurs internationaux qui n’ont pas obtenu d’accréditation. C’est une mesure courante dans tous les États du monde justifiée par les nécessités de sécurité.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Oui, la liberté d’expression connait quelques restrictions en période de troubles, notamment postélectoraux, lorsque les institutions de la République, l’intégrité territoriale, l’ordre public, la sûreté de l’État sont menacés. Dans ce cas, la Cour fait application de l’article 25 de la Constitution qui dispose : « le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, après délibération du conseil des ministres et consultation des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, proclamer par décret l’état d’urgence ou l’état de siège, qui lui confèrent des pouvoirs spéciaux, dans les conditions déterminées par la loi ».
Il est à noter qu’à ce jour, la Cour Constitutionnelle n’a jamais été saisie sur ces questions par un citoyen ou par les pouvoirs publics.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Oui, en période de troubles, la Cour Constitutionnelle retient une définition de l’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression.
En effet, la Cour Constitutionnelle se fonde sur les articles 25 et 26 de la Constitution qui justifient ce changement du champ matériel de la notion d’ordre public. Ces articles disposent, pour ce qui est de l’article 25, que le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, après délibération du conseil des ministres et consultation des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, proclamer par décret l’état d’urgence ou l’état de siège qui lui confèrent des pouvoirs spéciaux, dans les conditions déterminées par la loi .
En ce qui concerne l’article 26 , lorsque les institutions de la République, 1’indépendance ou les intérêts supérieurs de la Nation, 1’intégrité du territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances après consultation officielle du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que la Cour constitutionnelle…
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Conformément aux dispositions de l’article 83 de la Constitution, la Cour Constitutionnelle est la plus Haute Juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité des lois et de la régularité des élections. Elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des Institutions et de l’activité des Pouvoirs publics.
De ce fait, la Cour Constitutionnelle, garante des droits et libertés fondamentaux, occupe une place centrale dans la protection de la liberté d’expression en période de troubles du fait que ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression, comme d’autres droits fondamentaux, permet en effet d’asseoir la légitimité et le rôle de la Cour Constitutionnelle. En effet, le rôle et la légitimité de la Cour Constitutionnelle ne se limitent pas à la seule protection de la liberté d’expression. Le rôle et la légitimité de la Cour Constitutionnelle se fondent sur la protection globale des droits et libertés fondamentaux.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, la liberté d’expression est un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir. En effet, la liberté d’expression est l’un des piliers fondamentaux de la démocratie qui veut que l’on exprime librement son opinion. Elle demeure d’une part, une condition nécessaire à la participation politique et sociale des citoyens, et d’autre part, favorise la capacité pour ces derniers à défendre leurs droits, mais aussi à protester et à dénoncer les injustices.
Tribunal suprême de justice de Guinée-Bissau
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression en tant que droit fondamental en Guinée- Bissau est consacrée au niveau constitutionnel et dans les lois ordinaires du pays (article 51 de la Constitution de la République de Guinée-Bissau, CRGB). La combinaison de l’article 51 de la CRGB avec l’article 56 (qui traite de ces droits lorsqu’ils sont exercés par des médias) et l’article 57 (qui réglemente le droit de radiodiffusion), forment la base du régime juridique fondé sur des règles et des principes qui façonnent la liberté d’expression et d’information en Guinée-Bissau.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Les limites de la liberté d’expression semblent évidentes dans un sens plus littéral aux termes de l’article 35 de la CRGB qui dispose que : « aucun des droits et libertés garantis aux citoyens ne peut être exercé contre l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire, l’unité nationale, les institutions de la République et les principes et objectifs consacrés dans la présente Constitution ». Cette disposition doit cependant être interprétée de manière restrictive, évidemment, afin de prévenir d’éventuelles fragilités des positions subjectives des personnes physiques face à l’État.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression en tant que droit de l’homme protégé par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 permet à toute personne d’exprimer librement ses opinions, idées et pensées sans crainte de représailles ou de censure de la part du régime politique en place ou des autres membres de la société. Ce droit fondamental couvre tous les moyens de communication entre les personnes, y compris les mots, images, livres, correspondances écrites, télécommunications, divertissements, etc.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La précédente définition est conforme à celles des organisations juridiques régionales et internationales. Les règles édictées par les organes compétents des organisations internationales, dont la Guinée-Bissau est membre, sont directement applicables dans l’ordre interne, si elles sont établies dans les traités constitutifs respectifs.
Au niveau international, la Guinée-Bissau a ratifié de nombreuses conventions internationales portant sur les droits de l’homme, notamment les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP) et aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), bien qu’elle n’ait pas signé le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
En tant que membre fondateur de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975 par le traité de Lagos (Nigeria), la Guinée-Bissau est soumise à la Cour de Justice de la CEDEAO qui est compétente pour statuer sur les cas de violation des droits de l’homme dans les États membres.
Au niveau régional, la Guinée-Bissau a ratifié la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples1.
La liberté d’expression et d’information est consacrée à l’article 192 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 193 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression en tant que droit fondamental est étroitement liée à la liberté de communication sociale en général. Elle est donc intimement liée à d’autres valeurs, telles que la liberté de religion, la liberté d’association, qu’elle soit communautaire, politique ou syndicale.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
L’État de Guinée-Bissau est laïc et, par conséquent, reconnaît et protège toutes les confessions religieuses dans le pays. La Cour Suprême de Justice, en sa qualité de Cour constitutionnelle, n’a jamais statué sur des questions d’inconstitutionnalité découlant de l’exercice de la liberté d’expression en matière religieuse.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression dans le pays n’est pas étendue ou restreinte selon les domaines ou secteurs d’activité publique ou privée. Toutefois, l’exercice de certains postes ou fonctions implique le secret professionnel et un devoir de réserve sur certains sujets.
1 L’article 9(1) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples souligne que : « Toute personne a droit à l’information.
Le même paragraphe précise que « toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».
2 Article 19 de la DUDH : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». 3 Article 19(1) : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions ».
Le paragraphe 2 du même article ajoute : « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
Sensibles (V. aggravation de la peine pour le délit de diffamation et de calomnie, art. 127 du Code pénal guinéen).
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue et garantie à toutes les personnes physiques et morales, qu’elles soient publiques ou privées.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) est garantie constitutionnellement et légalement, toutefois, elle est assortie d’un devoir de réserve dans certains domaines particulièrement sensibles.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression en tant que droit fondamental précède l’établissement d’une juridiction constitutionnelle dans le pays. La liberté d’expression a été fondamentale pour la proclamation unilatérale d’indépendance de la Guinée-Bissau en 1973, en tant qu’État souverain, indépendant et émancipé.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La liberté d’expression, en tant que droit fondamental, occupe une place centrale dans le cadre jurisprudentiel et constitutionnel de la protection des droits. Il est donc compréhensible que la Constitution consacre l’accès au droit et à une protection judiciaire effective des droits fondamentaux.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le titre II de la Constitution de la Guinée-Bissau traite des droits, libertés, garanties et devoirs fondamentaux, sans établir une hiérarchie entre eux.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La reconnaissance et la garantie juridictionnelle de la liberté d’expression sont constantes et ignorent les circonstances du dossier devant les différentes juridictions du pays.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La liberté d’expression en tant que droit fondamental reste inchangée dans sa définition et son application nationale.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Un exemple notable est l’arrêt de la Cour Suprême de Justice en 1993, sous sa formation de Cour constitutionnelle, qui exige la définition de l’acronyme du parti politique appelé RGB « Movimento Bâ-Fata ».
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Les juridictions bissau-guinéennes se réfèrent toujours à la jurisprudence comparative régionale et internationale.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
En Guinée-Bissau, l’exercice de la liberté d’expression n’entre pas en conflit avec d’autres droits et libertés, tels que la liberté de culte et le droit à la vie privée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le cadre jurisprudentiel de la liberté d’expression, par la définition concrète du régime procédural de son exercice, protège l’intérêt général sous-jacent au droit objectif.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La mise en œuvre de la liberté d’expression, consacrée par la Constitution, est soumise à un contrôle judiciaire rigoureux visant à vérifier la proportionnalité de son exercice.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La liberté d’expression et l’ordre public coexistent, avec certaines restrictions, à la liberté de manifester et de se réunir dans les lieux publics, afin de maintenir la tranquillité et l’ordre public nécessaires à la paix sociale.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Les tribunaux de Guinée-Bissau sont habilités par la Constitution à garantir et contrôler le respect de la liberté d’expression en évaluant la conformité constitutionnelle des règles qui violeraient la Constitution (article 126 de la CRGB).
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Face à la menace d’une réduction en substance des droits, libertés et garanties des citoyens inscrits dans la Constitution, il est essentiel, conformément aux exigences ontologiques d’un État de droit, de prendre en compte la position subjective des citoyens face aux pouvoirs publics.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression est un droit fondamental, tandis que les mécanismes de censure servent à restreindre le contenu de cette liberté et l’accès à une information transparente. L’exercice de la liberté d’expression impliquant la diffamation constitue une infraction pénale prévue et sanctionnée par la législation guinéenne.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les nouvelles technologies d’information et de communication, notamment les réseaux sociaux, sous le contrôle des autorités de régulation, ne restreignent pas la liberté d’expression dans notre pays.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
La liberté d’expression sur les réseaux sociaux pose un problème sérieux dans la société, notamment dans notre pays, car il est difficile d’identifier les contrevenants, contrairement à la liberté d’expression traditionnelle par le biais d’interviews, d’entretiens publics et de manifestations.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
En Guinée-Bissau, une loi réglemente la période de campagne électorale sans limiter ni renforcer la liberté d’expression.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Les étrangers bénéficient d’un traitement réciproque et non discriminatoire, jouissent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs, mais ne doivent pas s’immiscer dans les questions de souveraineté, de sécurité et de défense des autres États.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La liberté d’expression n’est pas restreinte pendant les périodes d’instabilité ou lorsque le pluralisme de la presse est limité.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La réalité guinéenne est que, même en période d’instabilité, la liberté d’expression bénéficie d’une protection juridictionnelle.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
En tant qu’organes souverains dotés d’une fonction judiciaire, les tribunaux ont le devoir de garantir et de promouvoir la liberté d’expression. L’efficacité de leur fonctionnement et l’amélioration constante de la protection judiciaire des droits fondamentaux sont des signes de civilisation juridique.
Par définition, les droits fondamentaux doivent bénéficier d’une protection juridictionnelle au sein de l’État de droit.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Dans notre structure organisationnelle, la Cour constitutionnelle a pour rôle de contrôler la constitutionnalité des règles qui enfreignent les dispositions de la Constitution et d’administrer la justice constitutionnelle.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression, en tant que droit fondamental, constitue une norme au service d’une société démocratique moderne. Elle est donc un élément clé pour assurer une coexistence harmonieuse et promouvoir le progrès social entre les peuples.
Conseil constitutionnel du Liban
Sous-thème : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- 1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Plusieurs textes constitutionnels fondent les libertés d’opinion et d’expression, et les libertés qui leur sont associées, telles les libertés de conscience, d’association ou de la presse. Ces normes de référence ne se limitent pas au corps de la Constitution, mais s’étendent aux dispositions de son Préambule[100] et celles des conventions internationales et régionales auxquelles se réfère l’alinéa (B) du Préambule :
Le Préambule de la Constitution libanaise, qui lui fut adjoint en 1990, proclame à son alinéa (C) que « Le Liban est une république démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion[101] et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence ». Ainsi, selon les termes de l’alinéa (C) précité, le régime libanais est fondé sur le respect des libertés publiques, en tête desquelles le constituant place les deux libertés d’opinion et de conscience. Ces libertés forment les piliers du régime démocratique au Liban, aux côtés de la justice sociale et l’égalité des citoyens.
Par ailleurs, l’article 13 de la Constitution énonce que : « La liberté d’exprimer sa pensée par la parole ou par écrit, la liberté de la presse, la liberté de réunion et la liberté d’association sont garanties dans les limites fixées par la loi ».
De plus, il est important de souligner que le Conseil constitutionnel accorde une valeur constitutionnelle à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (DUDH)[102]. Celui- ci considère que la DUDH, à l’instar du Préambule de la Constitution qui y fait référence, fait partie intégrante de la Constitution. Ses dispositions lui servent de normes de référence au même titre que celles de la Constitution et de son préambule. Aux sources textuelles de la liberté d’expression susmentionnées, nous pouvons donc ajouter l’article 19 de la DUDH qui dispose ce qui suit : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
De même, l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 énonce ce qui suit :
« 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
- Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
- L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
- a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui ;
- b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. »
Il est important de noter que l’article 9 de la Constitution libanaise proclame solennellement que la liberté de conscience, qui est associée à la liberté d’opinion dans l’alinéa (C) du Préambule précité, est « absolue »[103].
L’article 10 de la Constitution consacre la liberté de l’enseignement, qui peut être également considérée comme une déclinaison de la liberté d’expression. Il dispose que « L’enseignement est libre en tant qu’il n’est pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs et qu’il ne touche pas à la dignité des confessions. Il ne sera porté aucune atteinte au droit des communautés d’avoir leurs écoles, sous réserve des prescriptions générales sur l’instruction publique édictées par l’État. »
Par ailleurs, l’article 39 de la Constitution garantit la liberté d’expression des parlementaires. Il dispose qu’« aucun membre de la Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions ou votes qu’il aurait émis pendant la durée de son mandat ».
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
L’article 13 de la Constitution précité garantit la liberté d’expression, ainsi que les autres libertés qui lui sont associées dans le même article, telles que la liberté de la presse, de réunion et d’association, dans les limites fixées par la loi. Ainsi, la réglementation des libertés susmentionnées relève du domaine réservé à la loi. Il appartient donc au législateur d’en réglementer l’exercice ainsi que de fixer des limites à leur exercice. Par ailleurs, le Conseil pose une règle générale suivant laquelle les libertés et droits fondamentaux sont du domaine exclusif de la loi (règle qui est induite des différents textes constitutionnels relatifs aux libertés et droits fondamentaux, et qu’on retrouve de manière éparse dans la Constitution, notamment dans son Chapitre second)[104]. L’exclusivité de la compétence législative dans les matières relevant des libertés fondamentales est traditionnellement considérée comme une garantie de ces droits et libertés. Toutefois, le juge constitutionnel contrôle également la méconnaissance des dispositions constitutionnelles par le législateur, notamment en matière de libertés et droits fondamentaux, dont il demeure l’ultime protecteur.
Si le juge constitutionnel admet qu’il appartient au législateur de fixer certaines limites à l’exercice des libertés, ces restrictions, nécessaires à la préservation de l’ordre public, doivent toutefois être conformes à certains objectifs qui en assurent l’exercice. Ainsi, dans la décision no 2/1999, le Conseil considère que « si la Constitution accorde au législateur le droit d’élaborer les règles générales qui garantissent les droits et libertés prévus par la Constitution en vue de permettre aux individus d’exercer lesdites libertés, il est également tenu de concilier le respect de ces libertés avec la préservation de l’ordre public, ce qui permet de poser des contraintes à la liberté individuelle afin de poursuivre les criminels, de préserver le bien-être des citoyens ainsi que leur sécurité et de protéger leurs biens et sans lequel l’exercice desdites libertés ne saurait être assuré, à condition toutefois d’accompagner l’exercice des libertés des garanties essentielles et suffisantes »[105]. La préservation de l’ordre public parait ainsi encadrée par les limites nécessaires à la réalisation de certains objectifs déterminés tels que la poursuite des auteurs de crimes, la préservation du bien-être des citoyens et leur sécurité, et enfin la protection de leurs biens. Tous ces objectifs viseraient à assurer l’exercice effectif desdites libertés. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel s’assure que lesdites libertés sont accompagnées des « garanties essentielles et suffisantes » à leur exercice[106].
Dans un autre registre, la vie privée jouit d’une protection constitutionnelle en vertu de l’article 8 (liberté individuelle/légalité des infractions et des peines)[107] et de l’article 14 de la Constitution (inviolabilité du domicile)[108]. De même, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (DUDH)[109] et l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, prévoient que nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. Le juge constitutionnel pourrait donc être porté à l’avenir à procéder à une conciliation entre ces deux libertés fondamentales, à savoir la liberté d’expression d’une part, et la vie privée, d’autre part, sur base des textes référentiels précités.
Par ailleurs, l’article 9 précité garantit et protège l’exercice de la liberté de conscience, à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. L’ordre public est donc posé par le constituant comme une limite à l’exercice de la liberté de conscience, entendu implicitement dans ses deux manifestations, aussi bien individuelle que collective.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Le Conseil n’a pas encore eu l’occasion de définir la liberté d’expression. Toutefois, toute définition de la liberté d’expression en droit libanais doit nécessairement être conforme à celle qui en est donnée dans les textes constitutionnels susmentionnés et aux éléments qui y sont fournis. Elle devrait en premier lieu prendre en compte les deux modalités orale et écrite de cette expression, prévues à l’article 13 de la Constitution, et intégrer les autres libertés qui y sont associées dans le même article, à savoir les libertés de la presse, de réunion et d’association.
De même, la définition qui en est donnée par l’article 19 de la DUDH pourrait également être retenue par le Conseil constitutionnel : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques susmentionné pourrait par ailleurs servir de support à une définition plus développée de la liberté d’expression.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
NA
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Le Constituant proclame que le régime républicain libanais, démocratique et parlementaire, est fondé sur les libertés publiques (alinéa (C) du Préambule). Or, suivant le même alinéa (C), la liberté d’opinion occupe une place première, avec la liberté de conscience à laquelle elle est associée, parmi les libertés publiques. De même, la liberté d’expression est associée dans l’article 13 de la Constitution à d’autres libertés telles que la liberté de la presse, de réunion et d’association. Il ressort donc du texte même de la Constitution, ainsi que de son Préambule, que les libertés d’opinion et d’expression constituent le socle sur lequel reposent d’autres libertés publiques, telles les libertés de conscience, de la presse, de réunion ou d’association, qui y sont étroitement associées, et desquelles elles puisent leur essence[110]. Nous pouvons également ranger la liberté de l’enseignement, garantie par l’article 10 de la Constitution, au nombre des libertés associées à la liberté d’opinion et d’expression.
Le juge constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer de manière spécifique sur cette question. Toutefois, il a abordé la liberté d’expression dans un cadre plus global, qui est celui de la protection de la liberté individuelle, à l’occasion d’un recours relatif à la loi sur les écoutes téléphoniques dont il était saisi en 1999[111]. Le Conseil a considéré que les contraintes prévues par la loi contestée, qui permettait d’intercepter les communications téléphoniques, peuvent être justifiées si elles visent à protéger les libertés ainsi que la propriété des citoyens, à condition d’être accompagnées de garanties suffisantes. La préservation de l’ordre public, considéré comme un principe à valeur constitutionnelle, est ainsi encadrée par les finalités posées par le Conseil et qui visent à protéger d’autres libertés ainsi que la propriété des citoyens. Celui-ci distingue en outre entre les autorisations accordées par les autorités judiciaires et celles décidées par l’Administration. Il estime que l’interception des communications conformément à une décision judiciaire n’est pas contraire à la Constitution, le juge étant considéré comme le « protecteur des droits fondamentaux et des libertés publiques », à condition toutefois qu’elle soit effectuée dans le cadre d’une poursuite judiciaire et dans les limites prévues par la Constitution. En revanche, il considère « qu’il en est autrement et qu’il est complètement injustifié lorsque l’interception des communications conformément à une décision administrative est confiée à un pouvoir administratif, étant donné que ceci n’offre aucune garantie permettant d’éviter tout abus de pouvoir et qu’il n’est pas raisonnable de confier à un ministre, qui représente une autorité administrative, le pouvoir de contrôler une autre autorité administrative similaire ou plus élevée ».
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La législation répressive sanctionne, en des termes considérés pour le moins « élastiques », le blasphème, l’outrage et le mépris des cultes[112]. Toutefois, les textes de loi qui régissent ces infractions étant antérieurs à la création du Conseil constitutionnel en 1990, ce dernier n’a pas eu l’occasion de contrôler leur constitutionnalité[113]. À ce jour, seules les juridictions judiciaires, notamment les juridictions répressives, ainsi que les juridictions administratives (Conseil d’État), ont eu à connaitre de litiges relatifs à la liberté d’expression et de conscience[114].
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Les textes des alinéas (C) du Préambule ainsi que de l’article 13 de la Constitution sont formulés en termes généraux, et ne déterminent pas les domaines dans le cadre desquels s’exerce la liberté d’expression. Toutefois, l’article 13 précité laisse le soin au législateur d’encadrer l’exercice de cette liberté, ainsi que les libertés qui lui sont associées, à savoir les libertés de la presse, de réunion et d’association, et d’y poser des limites. Or certaines lois spéciales limitent la liberté d’expression, notamment celles relatives au Statut de la fonction publique et celles organisant les forces armées (V. réponse no 9). Dans le domaine artistique, plusieurs lois soumettent l’industrie cinématographique à un régime d’autorisation préalable[115].
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
L’article 13 de la Constitution, formulé en termes généraux, ne distingue pas entre les personnes qui bénéficient de la liberté d’expression. S’il est placé sous le chapitre II intitulé « Des Libanais, leurs droits et leurs devoirs », cela ne signifie pas pour autant que les étrangers ne jouissent pas de cette liberté sur le sol libanais, dans les limites édictées par la loi. Par ailleurs, certaines lois spéciales, à l’instar de celles régissant le statut des fonctionnaires publics ou les forces armées, prévoient des restrictions à la liberté d’expression (v. réponse suivante no 9).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Comme susmentionné dans les réponses nos 7 et 8, la Constitution ne distingue pas entre les personnes bénéficiaires de la liberté d’expression. Toutefois, la loi organisant le Statut de la fonction publique[116] interdit aux fonctionnaires de l’État d’adhérer à des partis, organismes, conseils ou associations politiques, ou confessionnels à caractère politique, ou d’y exercer une quelconque responsabilité ou mission (article 14 de la loi). De même, il leur est défendu d’adhérer à des organisations professionnelles ou à des syndicats. Il est également interdit au fonctionnaire de prononcer ou de publier, sans autorisation écrite de son chef de service, des discours, articles, déclarations ou écrits sur quelque sujet que ce soit, de divulguer les informations officielles auxquelles il a accès dans l’exercice de ses fonctions, même après la fin de son mandat, à moins que son ministère ne l’y autorise par écrit, de participer à des grèves ou d’organiser des pétitions collectives liées au travail ou de participer à leur organisation, quels qu’en soient les motifs. Il faut noter que cette loi datant de 1959, et modifiée en 1992, n’a jamais été soumise à l’examen du Conseil constitutionnel.
La liberté d’expression des forces armées (armée, sûreté générale, forces de la sécurité intérieure, sécurité de l’État) est également strictement encadrée par la loi, et ceux-ci sont interdits de voter. Les lois régissant le statut des différents corps militaires n’ont jamais été soumises au contrôle de constitutionnalité.
Les juges de l’ordre judiciaire et administratif sont soumis à un devoir de réserve[117]. De même, l’article 9 de la loi relative à la Création du Conseil constitutionnel interdit à ses membres, pendant la durée de leur mandat, « d’exprimer des opinions et des avis ou de donner des consultations sur des questions qui pourraient leur être soumises. De même ils sont tenus au devoir de réserve et de confidentialité dans leur travail ». Les juges judiciaires et administratifs sont également tenus par les textes, ainsi que par le serment prêté lors de leur prise de fonction, d’observer strictement le secret des délibérations.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La première décision en vertu de laquelle le Conseil aborda la liberté d’expression est la décision no 2/1999 du 24 nov. 1999 susmentionnée[118].
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Tel qu’indiqué plus haut, le Conseil constitutionnel n’a eu que rarement à connaitre d’une loi mettant spécifiquement en cause (ou en œuvre) la liberté d’expression. Toutefois, le juge constitutionnel rappelle dans différentes décisions la place importante faite aux libertés publiques en général dans la Constitution et dans les instruments internationaux auxquels son Préambule se réfère, notamment la DUDH[119]. Il encadre les contraintes apportées par le législateur à l’exercice de telles libertés et droits fondamentaux de conditions strictes, et les soumet à une interprétation restrictive.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Dans sa décision no 1/2003[120], le juge constitutionnel reconnaît que les droits fondamentaux consacrés dans les conventions internationales puisent leur source dans le droit naturel, indistinctement. Il affirme également, de manière explicite, et suivant une jurisprudence devenue constante, que le Liban doit se conformer aux conventions auxquelles le Préambule se réfère en vertu de son alinéa (B), et que ces conventions revêtent une valeur constitutionnelle identique du fait de ce renvoi. Toutefois, il instaure une hiérarchie entre les droits fondamentaux qui tient à leur régime juridique et non à leur source formelle. Concernant le régime juridique régissant les droits prévus dans la déclaration universelle de 1948, il distingue à cet effet entre deux catégories de droits fondamentaux consacrés par les conventions onusiennes :
- Les droits de l’homme transcendants, qui sont des droits absolus et imprescriptibles qui échappent par leur nature même à leur soumission continue aux variables du temps et de l’espace, tels le droit de l’homme à la vie et à la protection de l’intégrité physique et morale, le droit au mariage et à la reproduction, le droit au travail, le droit à la propriété et toutes les libertés publiques.
- Les droits économiques et sociaux, tel le droit au travail, le droit de propriété et le mariage, qui ne peuvent être considérés comme absolus du fait qu’ils existent et sont obligatoires dans des régions et à des temps définis et qui sont liés organiquement à des régimes et situations circonstancielles et historiques, et sont par conséquent plus susceptibles à l’émaciation (précarité) et la disparition, comme il est expressément prévu à l’alinéa 2 de l’article 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme[121].
Cette distinction entre les régimes juridiques de ces deux catégories de droits est très intéressante à plusieurs égards. Le juge constitutionnel relève de manière explicite les critères suivant lesquels cette distinction est fondée : celle-ci se fait sur la base de la nature de ces droits, de leur substance, et non leur source formelle (internationale, onusienne), et qui justifie une « variabilité » dans le régime juridique propre à chaque catégorie. C’est le contenu qui intéresse le juge constitutionnel, plus que la forme ou le contenant. Le critère matériel l’emporte sur le critère formel.
Enfin, le Conseil constitutionnel conclut que certaines libertés, telles les libertés énumérées dans l’article 13 de la Constitution (qui nous intéressent en l’espèce), font l’objet d’un degré supérieur de protection que d’autres, tels le droit de propriété, la liberté de l’activité économique ou les droits sociaux :
« Considérant que la jurisprudence constitutionnelle caractérisée par l’attention ultime qu’elle accorde à la protection de ce qui a trait aux libertés publiques comme la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement et la liberté d’association, qui sont garanties par l’article 13 de la Constitution dans les limites fixées par la loi, cependant, cette intransigeance apparaît moins visible quand il s’agit par exemple du droit de propriété, de la liberté de l’activité économique ou des droits sociaux (Nicolas Molfessis, op. cit. p. 69). À cette fin, la jurisprudence constitutionnelle est, concernant le domaine des droits sociaux et de la liberté de l’activité économique, caractérisée par une sorte de variabilité selon les cas exposés à chaque fois à son examen, vu que celle-ci considère que le législateur peut, sans porter atteinte au droit à l’emploi, méconnaitre d’autres principes à valeur constitutionnelle, sans les dénaturer, comme la liberté de l’activité économique ou le principe d’égalité, ce qui permet par exemple, en vue d’améliorer l’emploi des jeunes, de prendre des mesures propres à cette catégorie de travailleurs et de traiter différemment certaines catégories d’entreprises. »
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Le Conseil n’a eu à connaitre que très rarement de lois mettant en cause la liberté d’expression. Pour cette raison, sa position n’a pas pu varier ou évoluer dans le temps.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ? NA
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Comme il a été indiqué, le Conseil n’a pas eu à connaitre de manière spécifique de la liberté d’expression. Toutefois, les décisions du Conseil constitutionnel, qui ne sont susceptibles d’aucun recours, jouissent de l’autorité absolue de la chose jugée. Elles ont un effet erga omnes et s’imposent à tous les pouvoirs publics, y compris les juridictions de l’ordre judiciaire et administratif[122]. Dès lors, et en raison de cette autorité, les juridictions judiciaires et administratives sont tenues de prendre en compte les décisions du Conseil. Celles-ci s’imposent non seulement par les effets de leur dispositif, mais leur force obligatoire s’étend également aux considérants déterminants de la décision[123].
Par ailleurs, on a pu observer que les juridictions de l’ordre judiciaire et administratif ont de plus en plus tendance à citer les décisions du Conseil constitutionnel et à adopter les principes déclarés à valeur constitutionnelle par notre juridiction[124]. Ce dialogue entre les différentes juridictions favorise la constitutionnalisation des différentes branches du droit, notamment le droit administratif et le droit pénal.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Le droit libanais est largement inspiré du droit français, et la Constitution libanaise de 1926 est inspirée en partie de la Constitution française de la troisième République. Conséquemment, l’analyse de la jurisprudence constitutionnelle montre que le juge libanais a tendance à s’inspirer de la jurisprudence de son homologue français, ainsi que de la doctrine constitutionnelle française, notamment en matière de libertés publiques. Il y fait souvent référence de manière explicite dans ses décisions.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’opinion revêtant une primauté parmi les libertés publiques en vertu de l’alinéa (C) du Préambule, la liberté d’expression qui en découle devrait bénéficier d’une protection accrue auprès du juge constitutionnel. Le Conseil constitutionnel se doit donc de prendre en considération cette prééminence lorsqu’il aura à concilier la liberté d’expression avec d’autres droits et libertés, ou avec les objectifs à valeur constitutionnelle qui viendraient en limiter l’exercice, telle que la préservation de l’ordre public à titre d’exemple.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’analyse de la jurisprudence constitutionnelle depuis 1995 jusqu’à nos jours montre que le Conseil constitutionnel a tendance à mettre en avant les libertés individuelles et les droits fondamentaux, et à leur accorder un régime de protection accru, et ce de manière générale[125].
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le Conseil constitutionnel a étendu et renforcé le contrôle exercé sur les lois mettant en cause les droits et libertés fondamentaux de manière générale, et ce de plusieurs manières :
– D’abord, dès les premières décisions le Conseil a recours aux dispositions du Préambule en tant que normes de référence, et dès 1996, il proclame la valeur constitutionnelle dudit Préambule en affirmant qu’il fait partie intégrante de la Constitution ;
– Le Conseil a incorporé les dispositions de la DUDH parmi les normes de référence du bloc de constitutionnalité, par le biais de l’alinéa B du Préambule qui y renvoie. De plus, il n’a pas hésité à faire une lecture extensive des « pactes » onusiens auxquels se réfère son Préambule, en élargissant le domaine du bloc de constitutionnalité aux deux pactes internationaux de 1966. Les textes onusiens lui servent ainsi de normes de référence pour le contrôle de la constitutionnalité des lois. Il a récemment reconnu la valeur constitutionnelle de la Charte des pays de la Ligue arabe ;
– Le Conseil a recours de manière constante à la théorie dite de « l’effet cliquet », qui lui permet de s’assurer que le législateur, lorsqu’il modifie ou abolit une loi ou une disposition relative aux droits et libertés fondamentaux, la remplace par une autre qui présenterait des garanties au moins équivalentes à celles qui sont abolies ou modifiées[126]. Même dans le cas d’une loi nouvelle, le Conseil s’assure que la loi contestée fournit les « garanties essentielles et suffisantes » à l’exercice des libertés et droits fondamentaux auxquels il apporte des restrictions, sous peine d’annuler partiellement ou intégralement la loi contestée (Déc. no 2/1999 précitée) ;
– Par ailleurs, on décèle une approche casuistique du principe de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel libanais, à travers l’application, de manière éparse et non ordonnée, des exigences matérielles propres à cette notion (adéquation, nécessité, proportionnalité stricto sensu pouvant se traduire dans la recherche d’un certain équilibre entre les différentes libertés ou droits fondamentaux d’une part, et, d’autre part, certaines exigences telles que la préservation de l’ordre public ou de l’intérêt général, par exemple). À titre d’exemple, dans la décision no 2/1999 (Écoutes téléphoniques) susmentionnée, le Conseil met en œuvre le principe de proportionnalité (sans le mentionner explicitement) en considérant que le législateur est tenu de concilier et d’harmoniser (al tawfik wal mouaama) la protection des libertés avec la sauvegarde de l’ordre public.
– Le Conseil constitutionnel interprète de manière stricte les contraintes apportées aux libertés et droits fondamentaux[127].
– Le Conseil a par ailleurs soumis l’appréciation des circonstances exceptionnelles, qui permettent au législateur de déroger aux exigences constitutionnelles, à son contrôle. Dans la décision no 7/2014, le Conseil donne une définition précise des circonstances exceptionnelles en l’encadrant de conditions strictes (de nécessité et de temps), tout en affirmant que son appréciation demeure soumise à son appréciation[128].
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Dans la décision no 2/1999 (Écoutes téléphoniques) susmentionnée, le Conseil reconnaît le domaine réservé du législateur en matière de protection des libertés et droits fondamentaux. Il énumère dans sa décision les libertés individuelles prévues aux articles suivants : article 8 (la liberté individuelle), article 13 (la liberté d’exprimer sa pensée par la parole ou par la plume) et article 14 (l’inviolabilité du domicile).
Le Conseil constitutionnel admet qu’il appartient au législateur d’encadrer l’exercice des libertés et d’y apporter des limites en vue de la préservation de l’ordre public, auquel il accorde la valeur constitutionnelle. Toutefois, les contraintes apportées à l’exercice des droits et libertés au nom de l’ordre public sont soumises à certaines conditions : elles doivent poursuivre certains objectifs qui permettent d’assurer l’exercice effectif des libertés, telles que la poursuite des criminels, la préservation du bien-être des citoyens ainsi que de leur sécurité et la protection de leurs biens. Elles doivent par ailleurs être accompagnées des garanties essentielles et suffisantes. Le juge évoque ainsi la fonction conciliatrice de l’ordre public, ainsi que sa fonction de condition d’effectivité des libertés et droits fondamentaux (qui sont deux caractéristiques propres aux objectifs à valeur constitutionnelle en droit français). On peut ainsi y lire : « Considérant que si la Constitution accorde au législateur le droit d’élaborer les règles générales qui garantissent les droits et libertés prévus à la Constitution en vue de permettre aux individus d’exercer lesdites libertés, il est également tenu de concilier et d’harmoniser (le respect de ces libertés avec la préservation de l’ordre public, ce qui permet de poser des contraintes à la liberté individuelle afin de poursuivre les criminels, de préserver le bien-être des citoyens ainsi que leur sécurité et de protéger leurs biens et sans lequel l’exercice desdites libertés ne peut être assuré, à condition toutefois d’accompagner l’exercice des libertés des garanties essentielles et suffisantes.
[…]
Considérant que la protection et le respect de la vie privée de l’individu sont les fondements essentiels de la liberté individuelle garantie par la Constitution, qui ne peut être sujet à aucune contrainte sauf dans le but de préserver l’ordre public et de fournir les garanties nécessaires à l’exercice de ladite liberté. »[129]
Dans le même esprit, le Conseil considère que l’appréciation faite par le législateur libanais de l’intérêt général, qui peut justifier les restrictions apportées à des droits fondamentaux, reste soumise à son contrôle. Il lui appartient dès lors de s’assurer de l’existence de cet intérêt à la lumière des objectifs de la législation contestée, et ce en vue de s’assurer de sa constitutionnalité, surtout si cet intérêt général a des fondements constitutionnels (à l’instar du principe de non-implantation des réfugiés, prévu à l’alinéa (I) du Préambule[130]).
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
- réponses 10 et 11 ci-dessus.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ? NA
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ? NA
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Il est intéressant de noter qu’une loi fut adoptée en 2018 pour régir les transactions électroniques et les données à caractère personnel[131] .
Concernant la cybercriminalité, le texte comporte un chapitre consacré aux infractions liées aux systèmes d’information et aux données (Chapitre 6), dont les plus importantes sont l’accès illégal à un système d’information, l’atteinte à l’intégrité d’un système d’information ou à l’intégrité des données, et l’ingérence ou l’obstruction d’un système d’information. L’article 453 a également modifié le Code pénal afin de définir la contrefaçon électronique.
L’une des modifications les plus importantes introduites au Code pénal dans le Chapitre 6 est l’article 118, qui modifie l’article 209 du Code pénal afin d’élargir les moyens de publication pour y inclure les « moyens électroniques ». Cette modification était attendue afin de créer une base légale permettant de poursuivre les blogueurs sur les pages électroniques et les pages de réseaux sociaux pour les délits de diffamation et de calomnie. Ces infractions n’étant pas prévues par le Code pénal, leurs auteurs ne pouvaient pas être poursuivis pénalement en vertu du principe fondamental de la légalité des délits et des peines énoncés à l’article 8 de la Constitution. Les règles de procédure y afférentes ont également été modifiées.
Cette loi ne fut pas l’objet d’un recours en inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel. Toutefois, certains auteurs ont relevé le caractère attentatoire à la liberté d’expression de certaines de ses dispositions[132]. Dans le chapitre six notamment, consacré aux délits d’information, la loi a introduit des dispositions réglementant les pouvoirs du ministère public dans le contexte des infractions commises par voie électronique. Son article 126 dispose ce qui suit : « Le ministère public peut décider d’interrompre les services électroniques, de bloquer des sites Internet ou de geler temporairement les comptes sur ceux-ci pour une durée maximale de trente jours, renouvelable une fois par décision motivée, à condition que cette mesure expire par définition. À l’expiration du délai imparti. Le juge d’instruction ou le tribunal compétent qui connait de l’affaire peut en décider provisoirement jusqu’à ce que la décision définitive soit rendue dans l’affaire. L’autorité judiciaire peut également revenir sur sa décision si de nouvelles circonstances le justifient. La décision du juge d’instruction et du tribunal d’interrompre des services électroniques, de bloquer des sites Internet ou de geler des comptes sur ceux-ci est susceptible de recours selon les procédures et délais requis pour la décision de mise en liberté ».
Cet article pourrait éventuellement porter atteinte à la liberté d’expression par le biais de la sanction prise sur décision du ministère public avant tout procès, ce qui constituerait un moyen de pression préalable sur les sites Internet. Il faut noter ici que les pouvoirs du ministère public sont largement plus étendus que ceux du juge du fond qui prononce la peine, puisque l’article 125 autorise le tribunal saisi de l’affaire, par sa décision finale, à suspendre des services électroniques, à bloquer des sites Internet ou à supprimer des comptes sur Internet « exclusivement » dans les cas où ils sont liés à des délits déterminés, notamment ceux relatifs au « terrorisme, à la pornographie sur mineurs ou aux jeux de hasard interdits, à la fraude électronique organisée, au blanchiment d’argent, aux délits affectant la sécurité intérieure et extérieure, ou liés à la violation de l’intégrité des systèmes d’information, tels que la diffusion virus. »
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu à ce jour l’occasion de se prononcer sur des lois mettant en cause la liberté d’expression exercée par les individus via les réseaux sociaux.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
La loi électorale no 44/2017[133] régit l’activité des médias, dans leurs diverses déclinaisons (audio-visuelle, presse écrite, électronique/ publiques ou privées), durant la période de la campagne électorale, sous le contrôle de la Commission de supervision des élections. Celle-ci doit veiller au respect de la liberté d’expression des diverses opinions et tendances politiques dans les programmes médiatiques pendant la période de campagne électorale, en émettant des recommandations contraignantes aux médias, en vue de garantir l’égalité, l’équilibre et l’impartialité dans le traitement entre les candidats et les listes. Ces conditions s’appliquent à tous les programmes d’information politique et publique, y compris les bulletins d’information, les programmes de débats politiques, les interviews, les réunions, les dialogues, les tables rondes et la retransmission en direct des fêtes électorales, qui restent gratuits. La Commission doit assurer un équilibre dans les apparitions médiatiques entre les listes et les candidats en compétition, de sorte que le média, lorsqu’il accueille un représentant d’une liste ou un candidat, soit tenu de veiller, en contrepartie, à accueillir ses concurrents dans des conditions similaires, en termes de « timing », de durée et de type de programme. (art. 72). La loi prévoit également qu’il « appartient à chaque liste ou candidat d’organiser diverses activités légitimes afin d’expliquer le programme électoral de manière appropriée et selon des modalités qui ne soient pas contraires aux lois et règlements ». Les médias et agences de publicité qui désirent mener une activité publicitaire ou promotionnelle payante liée aux élections sont soumis à une déclaration préalable auprès de la Commission, sous peine d’interdiction. Par ailleurs, toute liste ou candidat a le droit de recourir gratuitement aux médias officiels pour présenter des programmes électoraux (art. 73).
Concernant les restrictions à la liberté d’expression imposées aux moyens médiatiques privés, aux listes et aux candidats, l’article 74 de la loi électorale prévoit ce qui suit :
- Il n’est permis à aucun média privé d’annoncer son soutien à un candidat ou à une liste électorale. Compte tenu du principe d’indépendance, les médias susmentionnés doivent, pendant la période de campagne électorale, clairement différencier entre les faits vérifiés d’une part, et les opinions et commentaires d’autre part, dans leurs différents bulletins d’information ou programmes politiques.
- Pendant la période de campagne électorale, les médias privés, les listes et les candidats doivent respecter les obligations suivantes :
– S’abstenir de toute diffamation, calomnie ou insulte envers l’une des listes ou des candidats.
– S’abstenir de diffuser tout ce qui inclut une incitation aux conflits confessionnels, sectaires ou ethniques, une incitation à commettre des actes de violence ou des émeutes, ou un soutien au terrorisme, à la criminalité ou à des actes de vandalisme.
– S’abstenir de diffuser tout ce qui pourrait constituer un moyen de pression, d’intimidation, de trahison, d’excommunication, de tentation ou la promesse de gains matériels ou moraux.
– S’abstenir de déformer, retenir, falsifier, supprimer ou déformer des informations.
– S’abstenir de transmettre ou de rediffuser tout matériel montrant les violations mentionnées ci-dessus, sous peine de tenir l’institution pour responsable de la violation de cette loi.
Par ailleurs, les fonctionnaires de l’État, les institutions publiques, les municipalités et conseils municipaux, ainsi que ceux qui occupent leur poste ne sont pas autorisés à promouvoir des élections en faveur d’un candidat ou d’une liste ni à distribuer des tracts en faveur ou contre un candidat ou une liste. De même, il est interdit de distribuer des tracts ou tout autre document favorable ou défavorable à un candidat ou une liste pendant toute la journée du scrutin aux portes du centre de vote ou en tout autre lieu situé à l’intérieur du centre de vote, sous peine de confiscation sans préjudice des autres sanctions prévues par cette loi.
Une période de silence électoral de 24 heures est prévue à l’article 78 de la loi n° 44/2017.[134] Toutefois, les restrictions qui y sont prévues durant la période de silence électoral s’adressent principalement aux médias et non aux candidats ou partis politiques.
Enfin, les sondages d’opinion sont strictement encadrés et sous le contrôle de la Commission. Durant les dix jours précédant le jour du scrutin et jusqu’à la fermeture de toutes les urnes, il est interdit de publier, diffuser ou distribuer tous sondages d’opinion et commentaires à leur sujet sous quelque forme que ce soit (art. 79).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
L’article 60 de la loi no 44/2017 intitulé « Dépenses et financement » dispose qu’il « est strictement interdit à un candidat ou à une liste d’accepter ou de recevoir des contributions ou des aides émanant d’un pays étranger ou d’une personne physique ou morale non libanaise, directement ou indirectement ». Toutefois, dans la pratique, le contrôle des sources de financement de la campagne électorale est quasiment impossible en période électorale. Ces difficultés sont dues en partie au peu d’autonomie et de moyens dont jouit la Commission de supervision des élections pour effectuer un contrôle efficace, mais également à l’absence de législation régissant le financement des partis politiques et des médias. La loi sur le secret bancaire se dresse également en obstacle à l’application de l’article 60 susmentionné, et au contrôle du financement de la campagne électorale de manière générale.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Le décret-loi no 52 du 5 août 1967 relatif à la déclaration de l’état d’urgence et de zone militaire permet à l’autorité militaire de restreindre drastiquement les libertés publiques de manière générale, et en particulier la liberté d’expression[135]. En vertu de l’article 4 de ce décret-loi, l’autorité militaire a le droit d’interdire les réunions qui perturbent la sécurité (alinéa 8), de donner l’ordre de fermer temporairement les cinémas, théâtres, parcs d’attractions et divers lieux de rassemblement (alinéa 9), d’empêcher la circulation des personnes et des voitures dans des lieux et à des moments déterminés par décision (alinéa 10), d’interdire les publications qui portent atteinte à la sécurité et de prendre les mesures nécessaires pour imposer la censure aux journaux, publications, bulletins divers, radio, télévision, films et pièces de théâtre (alinéa 11).
Par ailleurs, et en vertu de l’article 5 de ce même décret-loi, l’autorité militaire suprême peut déférer devant le tribunal militaire les crimes contre la sûreté de l’État, contre la Constitution et contre la sécurité et la sûreté publiques, même si ces crimes se sont produits en dehors du territoire sur lequel l’état d’urgence est déclaré ou de la zone militaire concernée, et les délits de franchissement de la frontière avec l’intention de commettre des actes d’agression ou de violation de la sécurité. Toutes les violations des dispositions de l’article quatre du présent décret législatif seront également déférées au tribunal militaire.
Ce décret-loi étant antérieur à la date de création du Conseil constitutionnel, il n’a pas pu faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
L’état d’urgence étant régi par une loi (en l’occurrence le décret-loi no 52/1967 précité), c’est le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative au Liban, qui est appelé à connaitre des mesures prises en temps de troubles par l’Administration.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Comme susindiqué, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour connaitre des mesures prises par les autorités militaires ou administratives en vertu de la loi sur l’état d’urgence.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La jurisprudence libérale du Conseil constitutionnel a, au fil des décisions, renforcé son rôle de protecteur des libertés publiques et droits fondamentaux. En dépit de ses compétences limitées et des moyens de saisine restreints, cette jurisprudence permet d’asseoir une certaine légitimité au Conseil, grâce à la force absolue que revêtent ses décisions, et leur effet obligatoire à l’égard de toutes les autorités publiques, et en premier lieu le législateur, ainsi qu’à l’égard des juridictions de l’ordre judiciaire et administratif.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La prééminence que le Constituant a voulu accorder aux libertés publiques en vertu de la révision constitutionnelle de 1990, au lendemain de la guerre civile qu’a connue le Liban durant quinze années, revêt une importance extrême. Ces libertés publiques, et à leur tête les libertés d’opinion et de conscience, forment l’un des piliers du régime démocratique libanais.
Dans un récent rapport sur le Liban datant de 2022[136], le rapporteur spécial des Nations Unies, M. Olivier de Schutter, relevait qu’« une feuille de route claire basée sur les droits humains était nécessaire pour permettre la relève du Liban ». En cette période de crise aigüe que traverse le Liban, sur les plans institutionnel, économique et social, il est du devoir du Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution, de veiller à la bonne application de celle-ci. En sa qualité de protecteur des libertés et droits fondamentaux, il est tenu de prendre en compte la place prééminente qui est faite aux libertés d’opinion et d’expression par le constituant. Celles-ci occupent une place quasi sacrée parmi les libertés publiques. Il lui incombe également d’apporter le même degré de protection aux libertés de la presse, de réunion et d’association, au même titre que la liberté d’opinion et d’expression auxquelles les premières sont associées dans l’article 13 de la Constitution. La liberté de l’enseignement, garantie par l’article 10 de la Constitution, doit également jouir d’un régime de protection identique. Par ailleurs, la liberté de conscience, qui est qualifiée d’« absolue » par le constituant, et qui occupe une primauté parmi les libertés publiques au même titre que la liberté d’opinion, devrait bénéficier d’une protection accrue pour les mêmes raisons.
En conclusion, nous estimons qu’il appartient au Conseil constitutionnel de faire preuve de vigilance, et de veiller à ce que les libertés publiques, et notamment la liberté d’expression, soient toujours respectées, afin que le Liban demeure un phare de lumière et d’espoir dans cette partie du monde où les libertés, les droits fondamentaux et la dignité humaine sont bafoués au quotidien.
Cour constitutionnelle du Luxembourg
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Cour a eu l’occasion de se prononcer sur un des aspects de la liberté d’expression – celui de la liberté de manifester – dans un arrêt du 30 septembre 2022[137]. Les juges constitutionnels ont été saisis de la question de la conformité des lois prévoyant des mesures anti-Covid à la Constitution. La question a été analysée, d’une part, à la lumière de l’ancien article 24 de la Constitution (actuel article 23, qui garantit la liberté d’expression) et, d’autre part, à la lumière de l’ancien article 10bis de la Constitution (l’actuel article 15 de la Constitution[138], qui assure l’égalité devant la loi). En l’espèce, la Cour a considéré que les mesures étaient conformes à la Constitution. Dans leur analyse, les juges ont souligné l’importance du droit de manifestation publique dans une démocratie. En l’espèce, la Cour a considéré ce qui suit :
« Le choix adopté par le législateur se justifie, s’agissant au moins du cas ici pertinent qui est celui des manifestations publiques en vue de l’exercice de la liberté d’expression, par l’importance particulière que le droit de manifestation publique de ses convictions revêt dans une démocratie. L’interdiction pure et simple des réunions d’un nombre important de personnes aurait été une mesure extrême, que le législateur a remplacée par une mesure consistant à tolérer ces manifestations, sous condition du port du masque, au prix d’une moindre efficacité de la lutte contre la propagation du virus. Par conséquent, les critères de rationalité, d’adéquation et de proportionnalité sont respectés malgré le fait que pour des manifestations plus importantes, l’obligation de distanciation physique ne s’appliquait pas, et la mesure législative ne méconnait pas le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi. »
Les fondements juridiques énoncés dans l’arrêt ne sont pas les seuls applicables au Luxembourg en matière de liberté d’expression. Cette liberté est protégée tant par des dispositions de droit national (1.1) que par des dispositions de source internationale ou européenne (1.2).
À titre préliminaire il convient de rappeler que les traités internationaux et le droit de l’Union européenne priment sur le droit interne luxembourgeois, y compris sur la Constitution[139]. Selon la doctrine, les dispositions de droit national et de droit supranational « s’entremêlent pour offrir une protection cohérente et intégrée »[140] aux justiciables qui peuvent invoquer tant la loi que les dispositions de source supranationale devant les tribunaux[141].
Outre les dispositions constitutionnelles et les lois énumérées ci-après, il n’y a pas d’instrument séparé qui comporterait une déclaration des droits concernant la liberté d’expression. Cependant, dans un récent arrêt, la Cour a eu recours à la notion de « socle commun »[142], que la doctrine qualifie de « sorte de bloc de constitutionnalité » [143]. Rendu après un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne sur la question du droit au recours effectif en matière de demande d’échange de renseignements en matière fiscale, l’arrêt considère que « la CEDH[144] et la Charte[145] forment avec le principe fondamental de l’État de droit et les principes d’accès au juge et de recours effectif un socle commun ».
- Dispositions de droit national
- La Constitution
La Constitution révisée contient un chapitre II dédié aux « droits et libertés ». Parmi les libertés publiques énumérées à la section 3 de ce chapitre se trouve la liberté d’expression. L’article23, qui correspond à l’ancien article 24[146] étudié dans l’arrêt précité, dispose ce qui suit :
« La liberté de manifester ses opinions et la liberté de la presse sont garanties, hormis les infractions commises à l’occasion de l’exercice de ces libertés.
La censure ne peut pas être établie. »
La Constitution consacre donc expressément deux aspects de la liberté d’expression : la liberté de manifester ses opinions et la liberté de la presse.
En outre, la Constitution contient un texte similaire pour la liberté de manifester ses convictions philosophiques ou religieuses (article 24) :
« La liberté de manifester ses convictions philosophiques ou religieuses, celle d’adhérer ou de ne pas adhérer à une religion sont garanties, hormis les infractions commises à l’occasion de l’exercice de ces libertés. »
Enfin, la Constitution contient une clause transversale, inspirée de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[147] qui dispose que toute limitation aux libertés publiques doit être prévue par la loi et doit respecter le principe de proportionnalité (article 37) :
« Toute limitation de l’exercice des libertés publiques doit être prévue par la loi et respecter leur contenu essentiel. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires dans une société démocratique et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »[148]
- La loi
Un des aspects de la liberté d’expression – la liberté de la presse – est régi par la loi modifiée du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias[149]. Dans ses premiers deux articles, la loi pose le principe de la liberté d’expression dans le domaine des médias (article 1) et renvoie expressément à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 2) pour ce qui concerne les restrictions à cette liberté dans les termes qui suivent :
« Conformément à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome, le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 29 août 1953, toute restriction ou ingérence en la matière doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée au but légitime poursuivi. »
La loi prévoit, entre autres, les droits du journaliste (le droit de recevoir des informations, le droit à la protection des sources)[150] et ses devoirs (exactitude des informations, respect de la présomption d’innocence, de la protection de la vie privée, de la réputation et de l’honneur, le tout accompagné d’un devoir de diligence)[151]
La loi modifiée du 27 juillet 1991 sur les médias électroniques[152] assure « dans le domaine des médias électroniques, l’exercice du libre accès de la population du Grand-Duché à une multitude de sources d’information et de divertissement, en garantissant la liberté d’expression et d’information ainsi que le droit de recevoir et de retransmettre sur le territoire du Grand-Duché tous les services de médias audiovisuels ou sonores conformes aux dispositions légales » (article 1).
Le Code pénal comprend des limites à la liberté d’expression, à travers les crimes et délits suivants :
- la provocation aux crimes : article 66 du Code pénal,
- la persécution obsessive : article 442-2 du Code pénal,
- les injures et diffamations publiques : articles 443 à 452 du Code pénal,
- l’incitation au racisme, révisionnisme et autres discriminations : article 454 à 457-4 du Code pénal.
La voie de l’action civile est ouverte aux personnes qui souhaitent se voir réparer le dommage qui a été causé lors de l’exercice de la liberté d’expression sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle de droit commun (articles 1382 et 1383 du Code civil)[153].
- Dispositions de source supranationale
Les instruments suivants sont applicables[154] au Luxembourg en matière de liberté d’expression :
- Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[155], adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale de l’ONU à New York (Article 19)
- La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950[156]. Comme indiqué plus haut, l’article 2 de la loi du 8 juin 2004 renvoie expressément à l’article 10(2) de la CEDH en matière de limitation à la liberté d’expression.
- La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000[157] (Article 11 et article 52(1) pour ce qui concerne les limitations aux libertés).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Les articles 23 et 24 de la Constitution visent comme exception « les infractions commises à l’occasion de l’exercice de ces libertés ». Il s’agit ici, selon les commentateurs, d’un renvoi « à l’ordre public dans son acception étroite du droit pénal »[158].
En outre, comme indiqué plus haut, la clause transversale de l’article 37 de la Constitution impose une analyse de proportionnalité pour toute limitation des libertés constitutionnelles. L’arrêt du 30 septembre 2022 précité, qui a consacré ce principe avant l’introduction de cet article dans la Constitution, a mis en balance un des aspects de liberté d’expression (la liberté de manifester) avec « les exigences de la protection de la vie et de la santé publique ». Bien que la Cour ne l’ait pas expressément formulé ainsi, la protection de la santé publique peut être vue ici en tant que composante de l’ordre public (qui a justifié en l’espèce l’intervention du législateur pour limiter le nombre de personnes en situation de rassemblement).
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Il n’y a pas de définition explicite de la liberté d’expression dans la jurisprudence de la Cour, l’arrêt du 30 septembre 2022 analysant la question préjudicielle en se référant simplement à l’ancien article 24 de la Constitution (qui consacrait la liberté d’expression). Malgré cette absence de définition, relevons que dans le même arrêt la Cour souligne « l’importance particulière que le droit de manifestation publique de ses convictions revêt dans une démocratie ».
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Comme indiqué plus haut, la Cour n’a pas eu l’occasion de donner une définition explicite de la liberté d’expression. Cependant, les juges constitutionnels luxembourgeois sont enclins à se référer à la jurisprudence de la Cour EDH et de la CJUE dans ce domaine (cf. notre réponse à la question 7 du sous-thème 2).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Dans l’arrêt précité du 30 septembre 2022, la Cour a considéré que le droit de manifester était nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression. Il vient ainsi en soutien à la liberté d’expression.
D’autre part, cette liberté a été également examinée, par application du principe de proportionnalité, dans un « ensemble des droits qui prennent leur fondement dans le droit naturel ». En l’espèce, la liberté d’expression a été examinée ensemble avec le « droit à la vie privée qui inclut le droit de choisir sa tenue vestimentaire ». La Cour a considéré qu’« une obligation au port d’un masque constitue une ingérence dans ce dernier droit, mais une ingérence en l’occurrence justifiée et non excessive au moment de son adoption et au moment des faits poursuivis ».
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La Constitution contient quelques consécrations particulières pour la liberté d’opinion d’un député à l’article 84 :
« Aucune action, ni civile ni pénale, ne peut être dirigée contre un député à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »
Ainsi que pour la liberté d’opinion d’un membre du Gouvernement à l’article 94(2) :
« Les membres du Gouvernement ne répondent ni civilement ni pénalement des opinions qu’ils émettent à l’occasion de l’exercice de leur fonction. »
Cependant, la Cour n’a pas eu à se prononcer sur ces aspects de la liberté d’expression.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Outre le statut des députés et des membres du Gouvernement mentionné plus haut, la Constitution ne fait pas d’autre distinction quant aux titulaires de la liberté d’expression.
La loi contient des déclinaisons spécifiques en matière de droit de la presse et du droit des médias. Les incriminations pénales visent essentiellement des atteintes d’ordre privé (entre particuliers), bien que les personnes morales de droit privé ou public (à l’exclusion de l’État et des communes) puissent également faire l’objet de poursuites pénales au Luxembourg depuis 2010[159].
La Cour n’a pas eu l’occasion de se pencher sur une éventuelle différence de contenu ou d’encadrement selon le titulaire du droit d’expression.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Dans l’exercice de leurs missions, les fonctionnaires et les agents de l’État ont un devoir de neutralité[160]. Il s’agit d’un devoir de « faire abstraction des opinions des administrés »[161]. S’ils jouissent de la liberté d’expression dans la sphère privée (pratique religieuse, participation dans des partis politiques, etc.) [162], ils sont néanmoins tenus à un devoir de réserve[163] qui prévoit que le fonctionnaire doit « éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public ». Cependant, d’une part, cette exigence n’est pas applicable aux fonctionnaires exerçant un mandat syndical[164] et, d’autre part, elle « ne saurait cependant vider de sa substance la liberté d’expression du fonctionnaire public » qui pourra toujours s’exprimer de manière critique du moment où ces opinions sont formulées « de façon mesurée et nuancée »[165].
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le seul arrêt qui porte sur la question date du 30 septembre 2022 (cf. question 1 thème 1 supra).
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non. Cependant, on peut supposer que cet état de fait est dû à plusieurs facteurs. D’une part, la Cour ne peut être saisie qu’à titre préjudiciel[166]; d’autre part, elle n’a été créée qu’assez tardivement dans l’histoire du Grand-Duché – en 1996[167]. Enfin, notre Cour n’est pas juge de conventionnalité[168] ; or la CEDH, qui peut être appliquée directement par les tribunaux, a une source conventionnelle qui permet aux juges de fond d’articuler la liberté d’expression telle qu’en principe articulée dans les textes de loi avec les exigences de la CEDH (sous contrôle de la Cour de cassation ou de la Cour administrative le cas échéant), sans avoir à recourir à une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Il est prématuré de porter un jugement de valeur à ce stade.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
N/A
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
N/A
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Il est encore prématuré de répondre spécifiquement à cette question en ce qui concerne la liberté d’expression. Cependant, on peut généralement affirmer que la jurisprudence de la Cour influence les juridictions du fond, et vice versa.
D’une part, quant à l’influence de la Cour sur les juridictions du fond, nous avons déjà énoncé que la Cour statue sur les questions préjudicielles qui lui sont soumises par les juridictions du fond. Si notre Cour conclut à l’inconstitutionnalité d’une disposition de loi, « celle-ci cesse […] d’avoir un effet juridique » dès le lendemain de la publication de l’arrêt[169]. La juridiction qui a posé la question préjudicielle n’applique pas la disposition concernée au cas d’espèce. Il est important de noter que la disposition concernée n’est pas pour autant abrogée : il s’agit d’un pouvoir réservé au seul législateur. Cependant, ce système de « désapplication » ne conduit pas pour autant à ce qu’en pratique les tribunaux du fond continuent à appliquer la loi dans d’autres litiges, au contraire[170].
D’autre part, quant à l’influence des juridictions du fond, la Cour constitutionnelle est composée de juges des juridictions administratives et des juridictions judiciaires qui continuent à exercer leurs fonctions d’origine en même temps que leurs fonctions auprès de la Cour constitutionnelle[171]. Cette double casquette des juges permet une interaction constante et un échange de perspectives entre les différentes juridictions[172], ce qui favorise une influence mutuelle. Les décisions rendues par les juridictions du fond dont sont issus les juges qui composent notre Cour peuvent ainsi informer et guider les délibérations de la Cour, enrichissant ainsi la jurisprudence constitutionnelle et assurant une cohérence juridique à travers les différents niveaux de juridiction.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
En absence de jurisprudence fournie sur la question de la liberté d’expression, la réponse portera sur une vision globale de la jurisprudence de notre Cour et l’influence, ou l’inspiration, de la pratique d’autres juridictions nationales ou internationales.
Les juridictions luxembourgeoises s’inspirent régulièrement de la jurisprudence d’autres ordres juridiques nationaux, régionaux et internationaux.
Les cours constitutionnelles voisines :0notre droit (y compris constitutionnel) a été construit du fait de l’application directe des droits français, belge/néerlandais ou allemand au territoire luxembourgeois. Nos juges, généralement au moins trilingues, sont formés dans les facultés de droit de nos pays voisins. Cette proximité constitutionnelle, juridique et linguistique conduit à ce que nous examinions fréquemment les décisions des Cours constitutionnelles et suprêmes de nos voisins européens, invoquées également par les parties, ainsi que la doctrine en la matière. Cependant, « [l]e droit étranger est, au mieux, un argument en raison, mais jamais un précédent formellement obligatoire. »[173]
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) ainsi que les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ont un impact significatif sur le droit luxembourgeois : étant donné la primauté des dispositions de droit supranational sur les dispositions de droit interne, la jurisprudence de ces deux Cours est source d’inspiration en matière de protection des droits fondamentaux, notamment en matière de principe de proportionnalité et de respect de l’État de droit. Par exemple dans un arrêt du 22 janvier 2021, la Cour souligne qu’« il importe de noter qu’aussi bien la Cour de justice de l’Union européenne que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaissent le principe de sécurité juridique comme principe général inhérent à leurs ordres juridiques respectifs ainsi que les principes de confiance légitime et de non-rétroactivité des lois comme principes généraux ou fondamentaux, en tant qu’expressions de la sécurité juridique. […] lesdits principes sont également à rattacher au principe fondamental de l’État de droit, ce dernier devant agir selon les règles de droit, de sorte à renforcer la protection juridictionnelle de tout individu »[174]. Dans un second arrêt rendu très peu de temp après, à la suite d’un renvoi préjudiciel devant la CJUE, la Cour rejoint la solution donnée par les juges de la CJUE sur la question du recours effectif, pour préciser que « [l]a CEDH et la Charte forment avec le principe fondamental de l’État de droit et les principes d’accès au juge et de recours effectif un socle commun. »[175]. De plus, après avoir cité expressément l’arrêt du 22 janvier 2021, la Cour confirme le statut constitutionnel du principe de proportionnalité : « L’équilibre à trouver [entre le droit d’accès au juge et l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale] doit résulter d’une juste mise en balance, le principe de proportionnalité étant un principe à valeur constitutionnelle (cf. arrêt du 22 janvier 2021, n° 00152 du registre). »
En matière de liberté d’expression, la Cour EDH a rendu six arrêts qui concernent le Grand- Duché[176]. S’ils ne portent pas expressément sur la pratique de la Cour constitutionnelle, ils peuvent cependant constituer une source d’inspiration pour la pratique de notre Cour en matière de liberté d’expression.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Comme indiqué plus haut, l’arrêt du 30 septembre 2022 a permis à la Cour d’examiner la liberté d’expression ensemble avec un « ensemble des droits qui prennent leur fondement dans le droit naturel », et plus particulièrement avec le « droit à la vie privée qui inclut le droit de choisir sa tenue vestimentaire ». Ces droits ne se trouvaient pas ici en opposition, car ils devaient se concilier avec les impératifs de protection de la santé publique, et partant, de l’ordre public.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le seul arrêt de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression a conclu à la constitutionnalité des mesures anti-Covid. À ce stade, il est trop tôt de dégager une tendance dans un sens ou dans un autre.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La question a été analysée, d’une part, à la lumière de l’ancien article 24 de la Constitution (actuel article 23, qui garantit la liberté d’expression) et, d’autre part, à la lumière de l’ancien article 10bis de la Constitution (l’actuel article 15 de la Constitution), qui assure l’égalité devant la loi.
La première analyse a impliqué l’application du principe de proportionnalité[177] (qui a une valeur constitutionnelle selon la jurisprudence de la Cour, cf. question 7 supra, in fine). La Cour a considéré que «[d]ans les circonstances qui ont donné lieu à l’intervention du pouvoir législatif dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19, les droits et libertés discutés sont appelés à se concilier suivant un juste équilibre à établir, conformément au principe de proportionnalité, avec d’autres droits naturels de la personne humaine, à savoir le droit à la vie et à la protection de la santé, ce dernier droit étant également consacré, de manière indirecte, par l’article 11, paragraphe 5, de la Constitution aux termes duquel « la loi règle quant à ses principes […] la protection de la santé ». Les restrictions aux droits et libertés imposées pour protéger d’autres personnes, compte tenu de la nature de la pandémie, sont susceptibles de se justifier dans un esprit de solidarité entre membres d’une même société et doivent être acceptées à condition que la proportionnalité entre les risques encourus par les uns et les restrictions imposées aux autres soit respectée ».
D’autre part, l’examen du principe de l’égalité devant la loi[178] implique lui aussi une analyse de proportionnalité très similaire. Il est précédé par une analyse de comparabilité entre « les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée ». Selon la jurisprudence constante de la Cour «0[s]i tel est le cas [i.e si ces catégories sont comparables], le législateur peut néanmoins, sans violer le principe d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives et qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but »[179].
Dans les deux cas de figure, l’intention du législateur est examinée. Il est encore trop tôt de se prononcer sur la question de l’intensité du contrôle de l’intention du législateur.
Au regard de la jurisprudence de la Cour sur d’autres libertés constitutionnelles, il est probable que ces mêmes outils soient employés à nouveau pour de nouvelles questions sur la liberté d’expression.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
- la réponse à la question 2, sous-thème 1.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ? N/A
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ? N/A
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ? N/A
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ? Non.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
N/A
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
La Cour n’a pas eu l’occasion de se pencher sur cette question. Il convient de mentionner néanmoins que, contrairement à d’autres pays, le Luxembourg n’a pas de période de « silence électoral » stricte. En revanche, l’Autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel (ALIA) élabore, en collaboration avec les partis et les médias de service public, des principes directeurs sur : la durée de la campagne dans les médias (y compris l’arrêt de la propagande le jour des élections), l’accès aux programmes politiques et spots électoraux, la répartition du temps d’antenne, les normes techniques, l’accessibilité pour les personnes handicapées et les critères linguistiques. Les partis politiques en lice pour les élections disposent d’un temps d’antenne gratuit sur les médias publics pendant la campagne. Ces mesures assurent un accès équitable aux médias, renforçant ainsi la liberté d’expression en période électorale.
D’autre part, la loi interdit la publication ou la diffusion de sondages pendant les cinq jours qui précèdent le jour des élections ainsi que pendant le déroulement des opérations électorales.[180]
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Cour n’a pas eu l’occasion de répondre à des questions relevant de ce domaine.
Il convient de relever que la mise en œuvre du règlement (UE) n° 833/2014 du Conseil du 31 juillet 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine[181] qui s’est soldée par l’interdiction de la chaîne RT France[182] a également eu un volet luxembourgeois. Avant de demander l’autorisation de diffusion en France, la maison mère d’ANO Novosti s’est vu refuser au Grand-Duché une licence de diffusion [183]. Il s’agissait en réalité d’un manque de compétence des autorités luxembourgeoises pour accorder ces droits[184].
En préparation des élections européennes de 2024, le Luxembourg a fait partie des initiatives européennes visant à contrer la désinformation et les ingérences étrangères. Ensemble avec le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), en collaboration avec la Commission européenne, l’ALIA a lancé une campagne de sensibilisation pour inciter les citoyens de rester vigilants face aux informations trompeuses et fausses qui circulent en ligne.[185]
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
L’arrêt du 30 septembre 2022 porte sur des restrictions à la liberté d’expression durant la pandémie Covid. La Cour a considéré que les mesures prises étaient justifiées puisque satisfaisant les critères de proportionnalité requis. (cf. question 9 infra).
Comme indiqué à la réponse à la question 1, l’article 37 de la Constitution impose que toute atteinte aux libertés soit prévue par la loi, sous la condition du respect du principe de proportionnalité. D’autre part, en cas de crise internationale ou en cas de crise nationale impliquant « de menaces réelles pour les intérêts vitaux de tout ou partie de la population ou de péril imminent résultant d’atteintes graves à la sécurité publique », l’article 48 de la Constitution donne le droit au Grand-Duc de prendre des mesures dérogeant aux lois existantes, à condition de respecter le principe de proportionnalité. Ce pouvoir ne permet pas déroger à la Constitution, ni de la suspendre[186].
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Cf. réponse 7 supra.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Les missions de la Cour sont strictement encadrées par la Constitution et par la loi. Elles sont en large partie cantonnées au contrôle de la conformité de la loi à la Constitution[187]. Ce contrôle est fait ex post à travers des questions préjudicielles posées par les juridictions de fond. La source de la légitimité de la Cour pour protéger la liberté d’expression (ou d’examiner la conformité d’une loi à l’égard de tout autre droit ou liberté constitutionnel) réside dans la Constitution et dans la loi qui organise son fonctionnement.
En effet, le juge constitutionnel dispose de deux outils pour vérifier le but poursuivi par le législateur et le choix des mesures prises. D’une part, à travers le principe de proportionnalité[188] et, d’autre part, à travers le principe de l’égalité devant la loi (qui comporte une analyse de proportionnalité parmi les étapes de l’analyse)[189].
L’arrêt étudié tout le long de ce questionnaire a été rendu justement sur des mesures prises durant la pandémie Covid-19. Contrairement à d’autres pays, ces mesures ne sont pas de nature règlementaire, mais bien législatives. En l’espèce, la Cour a considéré que «[d]ans la mise en œuvre de la conciliation nécessaire des droits et libertés invoqués avec les exigences de la protection de la vie et de la santé publique, la Cour constitutionnelle ne sera amenée à conclure à la violation de la Constitution que s’il apparaît une rupture du juste équilibre, devant être préservé entre les risques existants et les moyens nécessaires pour y pallier par la mise en place d’une mesure inadéquate au regard de la situation, par nature évolutive, à laquelle le législateur avait à faire face ».
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Les missions de la Cour sont essentiellement cantonnées au contrôle de la conformité de la loi à la Constitution[190]. Comme indiqué plus haut, la Cour est exclusivement composée de juges de carrière qui continuent à exercer leurs activités au sein de leurs juridictions d’origine. La doctrine considère que cette façon de composer la Cour « implique que pour le pouvoir constituant l’interprétation de la Constitution est exclusivement une opération juridique, dépouillée de toute considération politique »[191].
Cette approche devrait s’appliquer également en matière de liberté d’expression.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression permet d’exprimer ses opinions et de contribuer au débat démocratique dans la société, débat qui s’exprime en définitive à travers des élections libres, ouvertes et transparentes. À ce titre, la liberté d’expression participe en fin de compte à la construction et au maintien de l’État de droit.
Toutefois, le bénéfice de la liberté d’expression doit rester cantonné à l’expression d’idées et d’opinions. Il ne saurait admis que sous couvert de la liberté d’expression, ses bénéficiaires fassent apparaître comme des réalités et des faits établis de simples opinions dénuées de fondement factuel.
L’abus de la liberté d’expression à travers la présentation d’opinions comme étant des faits établis, risque en fin de compte de déstabiliser les fondements de la démocratie.
La question qui se pose alors est celle de savoir comment assurer une telle séparation entre fait et opinion.
On retrouve ici la distinction, classique dans les médias, entre information et commentaire, que les professionnels des médias (journalistes, éditeurs, fournisseurs de services de médias audiovisuels) doivent clairement séparer dans leurs publications. Des instances de régulation des médias sont là pour surveiller le respect de cette règle déontologique de base.
Comment aborder cette question à l’égard des non-professionnels des médias : politiques, influenceurs, initiateurs de manifestations … ?
Idéalement, les destinataires de ces communications sont en mesure de faire la part des choses, d’où l’intérêt et l’importance de l’éducation aux médias à l’attention de toutes les couches de la population, étant précisé qu’il faut ici évidemment viser au-delà des médias classiques (presse écrite, médias audiovisuels) toutes les formes de communication modernes : réseaux sociaux, publications sur Internet, commentaires sous les publications sur Internet …
Pour aller plus loin, d’éventuelles mesures contraignantes semblent devoir prendre la forme de la voie législative. Le rôle des Cours constitutionnelles sera alors d’opérer le test de proportionnalité entre valeurs qui peuvent se trouver en opposition : la liberté d’expression qui met en péril le fonctionnement démocratique et l’État de droit versus la démocratie et l’État de droit. Le dilemme est évident, mais pas insurmontable.
Haute Cour constitutionnelle de Madagascar
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe- t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ? Constitution.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ? Oui.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Liberté d’émettre ses opinions sur tel ou tel sujet concernant les choses publiques.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ? Non.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ? Cela dépend de quelles autres libertés d’expression.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ? Non.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ?
(politique, militaire, régalien, art, médias) ? Oui, plus restreinte.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ? Oui.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ? Cela dépend de leur statut.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ? Cette liberté est inscrite dans la Constitution.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ? Non.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ? Oui.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ? Non.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Pas de modification.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ? Oui.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ? Oui.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ? Les libertés ne doivent toucher la vie privée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ? Les deux.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ? —
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ? L’ordre public prime sur les libertés.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ? La censure n’existe plus à Madagascar. La diffamation est une infraction pénale
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ? Non.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ? Non.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ? Non.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ? Non.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ? Pas de restriction.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ? La sauvegarde de l’ordre public prime.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ? La Haute Cour Constitutionnelle est gardienne de la Constitution.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ? Oui.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ? Oui.
Cour constitutionnelle du Royaume du Maroc
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
- La constitution marocaine énonce une panoplie des droits et libertés, dont la liberté d’expression, couvrant 22 articles (19-40) regroupés sous le titre II de la constitution. Elle met en place un dispositif dédié à la liberté d’expression plus exhaustif notamment à travers les principes et les engagements stipulés dans son préambule qui réaffirme l’attachement du Maroc aux droits humains tels qu’ils sont universellement reconnus.
Ainsi, la constitution consacre à la liberté d’expression quatre articles essentiels :
- L’article 25, qui « garantit les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes », mais également « les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique » ;
- L’article 27, qui introduit le « droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis de mission de service public » ;
- L’article 28, qui proclame la liberté de la presse en interdisant toute forme de censure préalable, « Tous ont le droit d’exprimer et de diffuser librement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, des informations, des idées et des opinions » ;
- L’article 29 qui « garantit les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique ». De plus, le droit de grève est garanti, sous réserve que les conditions et modalités de son exercice soient définies par une loi organique.
Sachant bien que la Constitution dans son article 10 garantit à l’opposition parlementaire un ensemble de droit et libertés à même de lui permettre de s’acquitter convenablement de son rôle, à titre d’exemple :
- la liberté d’opinion, d’expression et de réunion,
- un temps d’antenne au niveau des médias publics, proportionnel à leur représentativité.
- En ce qui concerne l’existence d’une déclaration en la matière, il convient de préciser que la liberté d’expression trouve son essence dans le code des libertés publiques constitué, outre la constitution, des lois régissant ces libertés dont essentiellement :
- la loi organique relative aux partis politiques
- le Dahir réglementant le droit d’association
- le Dahir relatif aux rassemblements publics
- la loi relative à la presse et à l’édition
- la loi portant statut des journalistes professionnels
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Bien que la liberté d’expression soit affirmée constitutionnellement, elle est soumise à certaines limitations ou restrictions qui sont généralement justifiées et proportionnées aux objectifs poursuivis. Il en découle que ces limites doivent être interprétées et appliquées de manière à respecter les droits fondamentaux des individus.
On peut s’en tenir à quelques dispositions de la Constitution :
Article 27 : Le droit à l’information ne peut être limité que par la loi, dans le but d’assurer la protection de tout ce qui concerne la défense nationale, la sûreté intérieure et extérieure de l’État, ainsi que la vie privée des personnes, de prévenir l’atteinte aux droits et libertés énoncés dans la Constitution.
Article 28 : Bien qu’il garantisse la liberté de presse, il reconnaît également que cette liberté doit respecter les lois en vigueur. Parmi ces restrictions figure le respect de la vie privée, du droit à l’image, des droits d’auteurs et de tous droits nécessaires à une société qui se veut démocratique.
Article 29 : stipule que « Sont garanties les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique. La loi fixe les conditions de l’exercice de ces libertés ».
En outre, les limitations à la liberté d’expression sont généralement réglementées par des lois spécifiques qui définissent les circonstances dans lesquelles la liberté d’expression peut être restreinte de manière légale et proportionnée.
Dans ce cadre, il est important de mettre en exergue les dispositions de l’article 206 du Code pénal qui restreint la liberté d’expression à tout citoyen qui se verrait coupable d’atteinte à l’intégrité, à la souveraineté ou à l’indépendance de l’État par le biais de propagande de nature à ébranler la fidélité que les citoyens doivent à l’État et aux institutions du peuple marocain.
On peut citer de même la loi 10-21 complétant et modifiant la loi n° 57.11 relatives aux listes électorales générales, aux opérations de référendum et à l’utilisation des moyens audiovisuels publics lors des campagnes électorales et référendaires. Cette loi énonce dans son article 18 que « les programmes diffusés pendant la période électorale, ainsi que les émissions préparées pour la campagne électorale, ne doivent en aucun cas comporter des contenus susceptibles de perturber l’ordre public ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est un droit fondamental garanti par la Constitution, offrant un espace pour l’expression aussi bien individuelle que collective (la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté de réunion, manifestation pacifique…).
Cependant, cette liberté n’est pas absolue et peut être soumise à des limitations dans certaines circonstances, afin de protéger l’ordre public, les droits et la réputation d’autrui, ainsi que pour prévenir la diffamation et l’incitation à la haine.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition de la liberté d’expression ne peut être différente des engagements internationaux du Royaume relatifs aux droits de l’homme dont le Maroc est signataire, notamment :
- La Déclaration universelle des droits de l’homme (Article 19)
- Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Article 10)
- La déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme (Article 5)
- La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Article 7)
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Effectivement, la liberté d’expression est une liberté matricielle, un fondement à partir duquel d’autres libertés peuvent découler.
En fait, la jurisprudence constitutionnelle marocaine comprend explicitement ou implicitement certaines déclinaisons de la liberté d’expression, comme en témoignent les exemples suivants :
- Les magistrats jouissent de la liberté d’expression, en compatibilité avec leur devoir de réserve et l’éthique judiciaire conformément à l’article 111 de la Constitution. (Décis. Cour constitutionnelle n°211 /23 en date du 08/03/2023). Le magistrat s’engage à respecter les principes et règles énoncés dans le code de déontologie judiciaire. (Décis Cour C n°210/23 en date du 07/03/2023) ;
- La liberté intellectuelle et politique des partis : Le juge constitutionnel considère que les principes démocratiques d’organisation et d’administration des partis politiques ne remettent nullement en cause la liberté intellectuelle et politique des partis (Décis. Conseil constitutionnel n° 818/2011 en date du 20/10/2011).
- La liberté d’expression politique : Elle englobe le droit des individus et des groupes à exprimer leurs opinions politiques et à participer à des débats politiques (Décis Cons C n° 818/2011).
- En ce qui concerne la présomption d’innocence, il s’agit d’un principe fondamental qui protège les droits d’un parlementaire lors d’une procédure de levée de son immunité parlementaire. Ainsi, l’obligation faite à celui-ci, convoqué par le procureur général, de faire une déclaration constitue une atteinte à sa liberté et viole l’un des droits fondamentaux garantis par la Constitution. En cas de poursuite, la personne poursuivie est en effet libre de s’abstenir de toute déclaration en application du principe de la présomption d’innocence (Décis. Cons C n° 586/2004 en date du 12/08.2004).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
- Jusqu’à présent la Cour n’a connu aucune affaire en rapport avec le blasphème.
- La Cour n’a pas eu l’occasion de connaitre ce genre de situations en matière religieuse.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (Politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Effectivement, la liberté d’expression au Maroc peut être large ou restreinte en fonction du domaine dans lequel elle est exercée, citons à titre d’exemple :
- Dans le domaine politique : la loi n° 57.11 relative aux listes électorales générales, aux opérations de référendums et à l’utilisation des moyens audiovisuels publics lors des campagnes électrodes et référendaires, précise dans son article 118 que les programmes de la période électorale, ainsi que les émissions préparées pour la campagne électorale ne doivent en aucun cas comporter des matières susceptibles de :
- porter atteinte aux constantes de la Nation telles qu’elles sont définies dans la Constitution ;
- troubler l’ordre public ;
- porter atteinte à la dignité humaine, à la vie privée ou manquer au respect dû à autrui ;
- inciter au racisme, à la haine ou à la violence
- Dans le domaine judiciaire : les magistrats jouissent de la liberté d’expression, en compatibilité avec leur devoir de réserve et l’éthique judiciaire. Ils peuvent appartenir à des associations ou créer des associations professionnelles, dans le respect des devoirs d’impartialité et d’indépendance et dans les conditions prévues par la loi. Ils ne peuvent adhérer à des partis politiques ou à des organisations syndicales (ART 111 de la Constitution)
- Dans le domaine militaire : La liberté d’expression est relativement restreinte en raison de la nécessité de préserver la sécurité nationale. Les membres des forces armées sont soumis à des règles strictes en matière de communication et de divulgation d’informations sensibles (Loi n° 01-12 relatives aux garanties fondamentales accordées aux militaires des forces armées royales).
- Dans le domaine régalien : Les domaines relevant de l’autorité régalienne de l’État, tels que la diplomatie, sont soumis à des restrictions en matière de liberté d’expression afin de protéger les intérêts stratégiques de l’État (ART 41 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques 1961)
- Dans le domaine artistique : La liberté d’expression est large, mais ne doit en aucun cas porter préjudice aux constantes de la nation telles qu’elles sont définies dans la Constitution. Ainsi l’article 25 dispose de ce qui suit : « Sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes ». Sont garanties les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et technique ».
- Dans le domaine médiatique : La liberté d’expression des médias est un droit garanti par la Constitution, l’article 11 dispose ce qui suit « La loi définit les règles garantissant l’accès équitable aux médias publics et le plein exercice des libertés et droits fondamentaux liés aux campagnes électorales et aux opérations de vote. Les autorités en charge de l’organisation des élections veillent à l’application de ces règles ».
De même, l’article 28 de la Constitution précise que la liberté de la presse est garantie et ne peut être limitée par aucune forme de censure préalable, et que tous les citoyens ont le droit d’exprimer et de diffuser librement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, des informations, des idées et des opinions.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à plusieurs titulaires, qu’ils soient des personnes privées ou publiques dans le respect de la Constitution et des lois en vigueur.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les agents de l’État, y compris les fonctionnaires et les militaires, bénéficient d’une liberté d’expression limitée dans l’exercice de leurs fonctions, comme en témoignent les exemples ci-dessous :
- Les fonctionnaires : Les fonctionnaires jouissent de la liberté d’expression. Néanmoins, ils sont soumis à des règles strictes définit par la loi dans l’obligation de discrétion professionnelle et de réserve pour tout ce qui concerne les faits et les informations dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de les leur fonction (Dahir n°1.58.008 du 24 février 1958 portant statut général de la fonction publique).
- Les magistrats : L’article 37 de la loi organique n° 106/13 portant statuts des magistrats stipule que « les magistrats jouissent de la liberté d’expression, en compatibilité avec leur devoir de réserve et l’éthique judiciaire, y compris la préservation de la réputation, du prestige et de l’indépendance de la justice… ».
Par ailleurs, la liberté d’expression du corps judiciaire marocain est confirmée dans le code de la déontologie judiciaire notamment les articles 12-13-18- 21 (B.O en date du 08/03/2023)
- Les militaires : Renvoi à la question n° 7.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Rien à signaler (R.A.S)
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Jusqu’à présent, le travail de la Cour n’est pas suffisant pour éclairer pleinement cette question.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La Cour n’a pas eu l’occasion d’établir une jurisprudence significative en la matière.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La Cour n’a pas encore établi une jurisprudence assez fournie en ce qui concerne la liberté d’expression.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Le nombre limité de décisions en relation avec la liberté d’expression ne permet pas de renseigner cet élément.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
La Cour constitutionnelle ne dispose pas d’informations suffisantes pour renseigner ce point.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Cour constitutionnelle n’a pas encore été confrontée à ce genre de situations.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’expression est conçue comme un droit fondamental, dont les limitations sont déterminées par la Constitution et les textes en vigueur, afin de protéger la liberté d’autrui.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le travail de la Cour jusqu’à présent n’est pas suffisant pour renseigner cette question et aboutir à un tel classement.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
L’interprétation demeure un outil jurisprudentiel primordial que la Cour adopte dans sa mission de contrôle afin de veiller à la protection des libertés et droits fondamentaux.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Jusqu’à présent, ce genre de situations ne s’est pas encore présenté devant la Cour constitutionnelle.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
R.A.S
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
R.A.S
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La diffamation est incriminée par le Code pénal marocain qui mentionne que les propos diffamatoires, racistes incitant à la haine raciale ou au meurtre sont punis par la loi (Art 442 ; 444 ; 442/2 ; 308/5)
En matière électorale, la juridiction constitutionnelle s’efforce d’établir un équilibre entre la protection de cette liberté fondamentale et la nécessité de réguler certains discours pour préserver des valeurs telles que la dignité humaine, les mœurs et la protection des droits d’autrui. Ainsi, le juge constitutionnel veille à ce que la compétition électorale se déroule dans des conditions loyales. Il condamne aussi l’usage de la diffamation, de l’injure, et des informations mensongères lors des campagnes électorales si ces dernières sont à même de tromper les électeurs et d’enlever des voix à un candidat. (Décis. Cons C n° 393/2000 en date du 03/05/2000).
Dans le même sens, le Conseil constitutionnel a fait face à la médiocrité du contenu du discours politique ; il a décidé l’annulation de l’élection d’un élu lorsque le plaignant parvenait à prouver qu’il faisait l’objet d’une atteinte à sa réputation. Le climat de tension et de concurrence propre aux périodes électorales ne doit en aucun cas enfreindre les règles de bienséance tout en garantissant la liberté d’expression dans un cadre de concurrence loyale. (Décis Cons. C n° 934/2014 en date du 18/02.2014).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ? R.A.S
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ? R.A.S
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale? R.A.S
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
En principe, les étrangers bénéficient des mêmes droits et libertés reconnues aux citoyennes et citoyens marocains, conformément à la loi (Art 30 de la Constitution)
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ? R.A.S
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ? R.A.S
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ? R.A.S
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
De toute évidence, la liberté d’expression peut jouer un rôle crucial dans le renforcement de la légitimité et du rôle de la juridiction constitutionnelle ; en permettant aux médias, aux acteurs politiques et à la doctrine de s’exprimer librement sur les décisions de la haute juridiction, cela favorise la transparence et renforce le débat démocratique, ce qui permet en retour une légitimation des décisions de la Cour.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression au Maroc est un outil crucial pour la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir. Elle favorise la participation citoyenne, le débat ouvert sur les questions sociales et politiques, ainsi que la responsabilisation des institutions politiques. En permettant une diversité d’opinions et en favorisant la transparence, elle renforce les fondements d’une démocratie solide où les droits des citoyens sont respectés et où les décisions politiques sont prises de manière éclairée.
Cour suprême de Maurice
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Oui. La liberté d’expression est l’un des droits fondamentaux protégés par la Constitution sous les sections 3 (Fundamental rights and freedoms of individuals) et 12 (Protection of freedom of expression) sous le Chapitre Il de la Constitution de l’ile Maurice (la « Constitution »).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter ; à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. Sous la section 12 (2) de la Constitution, la protection de la liberté d’expression est limitée par l’ordre public et la vie privée d’autrui.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est définie sous la section 12 (1) de la Constitution comme suit — « freedom to hold opinions and to receive and impart ideas and information without interference, and freedom from interference With his correspondence ».
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition sous la Section 12 de la Constitution ne diffère pas de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques. La provision sous la Section 12 de la Constitution peut être interprétée comme étant dérivée et inspirée des provisions de la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Non, la liberté d’expression est un droit en elle-même. Aucune déclinaison de la liberté d’expression n’a été expressément prescrite par notre jurisprudence.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Sous la section 185 du Code pénal, les actes constituant « outrage on religious worship » sont pénalisés.
En outre, sous la section 206 (1) du Code pénal, les actes constituants « outrage against public d’expression sous la section 12 de la Constitution envers la section 206 du Code pénal dans l’affaire Hosany l. v The State 2016 SCJ 501. La Cour Supreme a constaté que la prohibition sous la section 206 relève des limitations prescrites sous la Section 12 (2) de la Constitution et que la Section 206 est conforme à la Section 12 de la Constitution.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est reconnue comme un droit constitutionnel sous réserve des limitations précises mises en place par la Constitution comme suit —
« 12. Protection of freedom of expression
Except With his own consent, no person shall be hindered in the enjoyment of his freedom of expression, that is to say, freedom to hold opinions and to receive and impart ideas and information without interference, and freedom from interference With his correspondence.
- Nothinq contained in or done under the authority of anv law shall be held to be inconsistent With or in contravention of this section to the extent that the law in question makes provision—
- in the interests of defence, public safety, public order, public moralitv or public health•
- for the purpose of protectinq the reputations, riqhts and freedoms of other persons or the private lives of persons concerned in leqal proceedinqs, preventinq the disclosure of information received in confidence, maintaininq the authoritv and independence of the Courts, or requlatinq the technical administration or the technical operation of telephonv, teleqraphv, posts, wireless broadcastinq, television, public exhibitions or public entertainments;
for the imposition of restrictions upon public officers,
except sofar as that provision or, as the case may be, the thing done under its authority is shown not to be reasonablyjustifiable in a democratic society. »
La liberté d’expression est de même restreinte par d’autres lois comme suit —
- Section 46 and Section 47 of the Information and Communications Technologies Act 2001;
- Section 17,19,20,21,23 and 24 of the Cybercrime and Security Act 2023; et
- Data Protection Act
Ent outre, la liberté d’expression médiatique peut être limitée par des pouvoirs juridiques (injonctions, actions pour diffamation) et pendant que se déroulent devant les tribunaux (sub judice rule).
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est applicable à tous les sujets de l’État (privés et publiques). La liberté d’expression est reconnue comme un droit constitutionnel sous réserve des limitations précises mises en place sous la Constitution.
Les limitations comprennent également les limitations sur les agents de l’État. Ses limitations se trouvent sous Article 12 (2) (c) et plus précisément sous le « Official Secrets Act 1972 »
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression est reconnue comme un droit constitutionnel sous réserve des limitations précises mises en place par la Constitution. Les limitations comprennent des limitations sur les agents de l’État exerçant leurs fonctions sous Article 12 (2) (c) et plus précisément sous le « Official Secrets Act 1972 ».
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est ancrée dans la Constitution de l’île Maurice dès 1968, mais l’origine de cette liberté fondamentale remonte à la nuit des temps, comme l’indique la section 3 de notre Constitution.
Section 3. Droits fondamentaux et libertés individuelles.
Il est reconnu et proclamé qu’il a existé et qu’il continue d’exister à Maurice, sans discrimination à raison de la race, du lieu d’origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe, mais dans le respect des droits et libertés d’autrui et de l’intérêt public, tous les droits de l’homme et libertés fondamentales suivants
- le droit de tout individu à la vie, à la liberté, à la sécurité personnelle, et à la protection de la loi
- la liberté de conscience, d’expression, de réunion et d’association, et la liberté de fonder des établissements scolaires ,
- le droit de tout individu à la protection de l’intimité de son domicile contre toute atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans compensation.
Les dispositions du présent chapitre auront effet pour assurer la protection des dits droits et libertés sous réserve des limitations prévues par ces mêmes dispositions, limitations destinées à assurer que l’exercice des dits droits et libertés par un individu ne porte atteinte aux droits et libertés d’autrui ou à l’intérêt public.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Comme indiqué précédemment, la liberté d’expression, figure parmi une des libertés protégées par notre Constitution, et a, donc une place prépondérante dans notre jurisprudence. Elle constitue également l’un des fondements essentiels d’une société démocratique
Article 12. de la liberté d’expression.
- Sauf avec son propre consentement, il ne sera porté aucune entrave au droit de quiconque à la liberté d’expression, c’est-à-dire la liberté d’opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans ingérence, et le droit au secret de la correspondance.
- Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire au présent article, dans la mesure où cette loi prévoit des dispositions
- a) Dans l’intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité publique ou de la santé publique
- b) Dans le but de protéger la réputation, les droits et libertés d’autrui ou la vie privée de personnes appelées à un procès, empêchant la divulgation d’informations confidentielles, pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ou l’organisation de l’administration technique ou le bon fonctionnement des postes, télégraphes ou téléphones, de la radiodiffusion, de la télévision, des spectacles ou divertissements publics
- c) Pour l’imposition de restrictions à des fonctionnaires publics, sauf s’il est établi que cette disposition ou, selon le cas, son application, n’est pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Notre constitution fait mention des « droits fondamentaux » et des « libertés individuelles », sans pour autant en dresser une hiérarchie entre les deux. Cependant, il est à noter que l’exercice de ces libertés n’est pas absolu, car elles sont sujettes à des limitations prescrites par la Constitution elle-même.
- La protection accordée par votre jurisprudence de la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Il n’y a pas eu de grand revirement dans la jurisprudence par rapport à la liberté d’expression, qui a été une des libertés fondamentales avant 1968 et cette position demeure inchangée jusqu’à présent.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
L’évolution des mœurs de la société, l’ascension à de nouveaux traités/ conventions/ protocoles a un impact sur le concept de la liberté d’expression et conséquemment sur l’approche de la jurisprudence.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Notre système juridique suit la règle du précédent (stare decisis), ce qui veut dire que les arrêts des juridictions supérieures font jurisprudence et que les principes généraux du droit dégagés par cette jurisprudence sont des règles prétoriennes obligatoires pour toutes les juridictions inférieures.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Il est à noter que les jurisprudences provenant d’ailleurs n’établissent pas un précédent ayant force obligatoire, mais ont une valeur persuasive. Surtout en matière des libertés fondamentales, les jurisprudences régionales et internationales sont régulièrement citées, vu le fait que ces droits fondamentaux s’inspirent largement de la Déclaration universelle des droits de l’homme et aussi du fait que Maurice soit signataire aux divers traités internationaux (par exemple international Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR)). Bien évidemment, la cour est en mesure d’adapter ces jurisprudences selon les spécificités de notre système juridique.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’expression est loin d’être un droit absolu. La Constitution elle-même prévoit des circonstances, où cette liberté peut être sujette à des limitations dans le but de maintenir l’ordre public, la moralité et aussi dans le but d’empêcher des entraves à la liberté de la vie privée d’autres individus.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression conduit à protéger davantage la liberté de l’individu, qui est un des fondements d’une société démocratique.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La Cour Suprême a statué dans l’arrêt Madhewoo, que le critère général est celui établi par la Cour européenne des droits de l’homme, et a ainsi retenu qu’une ingérence sera considérée comme nécessaire dans une société démocratique pour atteindre un but légitime si elle répond à un besoin social impérieux et notamment si elle est proportionnée au but légitime poursuivi et si les raisons avancées par les autorités nationales pour la justifier sont pertinentes et suffisantes.
Il est aussi nécessaire de citer l’affaire du Directeur des Poursuites publiques c. Boodhoo [1992 MR 2841 où la Cour Suprême a retenu que :
« freedom of expression constitutes one of the essential foundations of a democratic society. Because its irresponsible use and unbrid/ed abuse can nevertheless jeopardise those very foundations, this important norm is expressed to carry « With it specia/ duties and responsibi/ities » as proc/aimed in article 19 of the International Covenant on Civil and Political Rights and article 10(2) of the European Convention on Human Rights. For the same reason, this fundamental right, in common With certain other fundamental rights, is not absolute but is subject to limitations which the international community in its human rights instruments has considered to be necessary in a democratic society. These limitations are incorporated in express terms in section 12(2)(a), (b) and (c) of our Constitution which sets out the specific aims of those limitations but which subjects those limitations themselves to the governing norm of what is reasonably justifiable in a democratic society.
The necessity of any constitutionally permissible limitations must, like al/ derogations, be narrowly construed and must respond to what has generally been understood to be a « pressing social need ». Thus, the application in practice of limitations which are permissible in principle must be closely monitored so as to ensure that they stay, in any particular case, within the limits proportionate to the leaitimate aim pursued.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et I’ordre public ? Dans quelle mesure I’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Article 12, Alinéa 2 (a) limite la liberté d’expression dans certains cas précis, incluant dans l’intérêt de l’ordre public.
- Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire au présent article, dans la mesure OCI cette loi prévoit des dispositions.
- a) dans l’intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité publique ou de la santé publique.
- Avez-vous recours å d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Oui, en effet, une personne peut intenter une action pour diffamation. L’état peut également intenter une action au pénal s’il y a eu une infraction des lois limitant la liberté d’expression, telles que sous la section 46 de l’information and Communication Technologies Act (ICTA), les provisions relatives å la cyberbullying, l’utilisation abusive de faux profils, ainsi de suite, dans la nouvelle loi de 2021, la Cybersecurity and Cybercrime Act.
Sous thème 3 : la liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les circonstances conduisant l’État à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression sont la prise en compte de la sécurité nationale, de l’ordre public et de la protection des droits individuels.
À titre d’exemple, les réservations et limitations à la liberté d’expression peuvent être justifiées pour prévenir les discours haineux, la diffamation ou l’incitation à la violence, pour protéger les droits et la réputation des individus, pour régulariser la liberté d’expression sur les réseaux sociaux et pour maintenir l’harmonie sociale dans le pays.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Le départ entre la liberté d’expression et la censure repose sur la légitimité et la proportionnalité des conditions de censure. La liberté d’expression implique le droit fondamental de s’exprimer sans interférences ou restrictions, tandis que la censure consiste généralement de restrictions imposées par les autorités. Ces restrictions doivent être des mesures légitimes, proportionnelles et justifiées dans une démocratie, et certainement pas arbitraires.
La liberté d’expression est favorisée tant qu’elle n’implique pas la communication de fausses allégations ou de faits faux susceptibles de nuire à la réputation d’une personne, ou la diffamation. Les lois concernant la diffamation sont établies pour équilibrer la liberté d’expression avec la protection des droits individuels. Elles définissent des critères spécifiques en ce qui concerne les éléments de diffamation et imposent des sanctions où il y a lieu de sanctionner.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les textes restrictifs de la liberté d’expression doivent être précis et clairs. Ils sont interprétés de façon restrictive dans la mesure où une interprétation favorisant la liberté d’expression sera préférée tant que cette interprétation ne porte pas atteinte à la sécurité nationale, de l’ordre public et de la protection des droits individuels.
Il existe l’Information and Communication Technologies Act 2001 (I’ICTA) qui régularise la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. La Cour Supreme de l’Ile Maurice a statué dans le cas de Seegum v The State of Mauritius 2021 SCJ 162 que :
« We hold that section 46(h)(ii) of ICTA (as it stood at the time of the commission of the present offences), in so far as it relates to the offence of using an information and communication service for the purpose of causing annoyance, for which the appellant was prosecuted, must be struck down as unconstitutional, being in breach of the principle of legality implied under section 10(4) of the Constitution. »
La nouvelle loi de décembre 2021 (Cybersecurity and Cybercrime Act) voit maintenant les premières affaires en cours, et le temps nous en dira plus.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Tant que la liberté d’expression porte atteinte à la sécurité nationale, à l’ordre public et à la protection des droits des personnes, elle est abordée de la même façon. Il existe des sanctions pénales qui sanctionnent les délits commis dans l’exercice de l’usage de la liberté d’expression, que ce soit en présence ou sur les réseaux sociaux.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Il en va de la pratique générale qu’il n’y ait pas de propagande 48 heures avant les élections pour ne pas corrompre l’esprit des électeurs.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Un traitement spécifique n’est pas réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères. Or, dans la mesure où ces ingérences étrangères peuvent nuire à l’harmonie sociale dans le pays, L’État peut mettre en place des lois pour régulariser le droit à la liberté d’expression.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Non, la liberté d’expression ne connait pas généralement des restrictions particulières en période de troubles. Or, si la liberté d’expression nuit à l’harmonie sociale dans le pays, l’ordre public ou la sécurité publique, L’État peut mettre en place des lois ou règlements pour régulariser le droit à la liberté d’expression. Les outils qu’utilisera l’État doivent être légitimes, proportionnels et justifiés aux mesures requises en période de trouble et à la situation de trouble qui perdure.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Oui, il semble que la définition de la notion d’ordre public doit être plus restrictive de la liberté d’expression. Les restrictions au nom d’ordre public doivent être conformes aux normes internationales, aux droits de l’homme, doivent être nécessaires, proportionnées et temporaires. L’État doit équilibrer la nécessité de maintenir l’ordre public avec le respect des droits fondamentaux des citoyens.
L’ordre public, semble-t-il, est un concept qui évolue avec les bonnes mœurs du pays. L’ordre public ‘de base’ a changé et continue à changer, aujourd’hui, face au mouvement d’une certaine autonomie de la volonté qui conduit à construire un nouvel ordre public, apparemment de protection, mais qui traduit tout de même une certaine conception de la société considérée, notamment quant à ce qu’il est convenu d’appeler les « droits de l’Homme ». Ces droits de l’homme étant ancrés dans la Constitution de l’Ile Maurice, il faut tout de même faire la part des choses entre l’ordre public ‘de base’ et les droits de l’homme (qui quelque part forment aussi partie de l’ordre public).
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
En cas de période de troubles, mon rôle est de veiller à ce que le droit fondamental de la liberté d’expression soit respecté. Dans la mesure où L’État imposera une mesure de censure, mon rôle est de veiller à ce que cette mesure soit légitime, proportionnelle et justifiée. L’Ile Maurice étant plutôt paisible, nous ne connaissons pas fréquemment des périodes de troubles.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Oui. La liberté d’expression est un droit ancré dans la Constitution de l’Ile Maurice. Or, toute personne qui allègue que son droit à liberté d’expression est bafoué doit saisir la Cour Supreme.
La section 12 de la Constitution est comme suit :
- Protection of freedom of expression.
- Except With his own consent, no person shal/ be hindered in the enjoyment of his freedom of expression, that is to say, freedom to hold opinions and to receive and impart ideas and information without interference, and freedom from interference With his correspondence.
- Nothing contained in or done under the authority of any law sha/l be held to be inconsistent With or in contravention of this section to the extent that the law in question makes provision—
in the interests of defence, public safety, public order, public morality or public health;
- for the purpose of protecting the reputations, rights and freedoms of other persons or the private lives of persons concerned in legal proceedings, preventing the disc/osure of information received in confidence, maintaining the authority and independence of the Courts, or regulating the technical administration or the technical operation of telephony, telegraphy, posts, wireless broadcasting, television, public exhibitions or public entertainments; or
- for the imposition of restrictions upon public officers,
except so far as that provision or, as the case may be, the thing done under its authority is shown not to be reasonablyjustifiable in a democratic society.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, la liberté d’expression est certes un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique — elle permet des échanges d’idées constructives et elle permet de dévoiler des fléaux sociaux et la réalité sur le fait des choses.
Elle doit certainement être encouragée, dans les limites des paramètres acceptés.
Conseil constitutionnel de Mauritanie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Il n’existe pas de déclaration de droits en la matière, mais l’article 10 de notre constitution consacre la liberté d’expression en ces termes : « L’État garantit à tous les citoyens les libertés publiques et individuelles, notamment la liberté d’opinion et de penser ; la liberté d’expression. »
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui, l’alinéa 2 du même article prévoit que : « La liberté ne peut être limitée que par une loi ». Autrement dit, en termes positifs, la liberté d’expression peut être limitée par la loi.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est définie comme suit dans les instruments internationaux incorporés dans le droit national : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de rechercher, de recevoir et répandre les informations et les idées par quelque moyen que ce soit. Art 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 » ou « le droit à l’information, le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions. Article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 28 juin 1981 » ou encore « la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées. Article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ». Ces dispositions incorporées dans le Préambule de la Constitution complètent le cadre juridique de la liberté d’expression qui peut être définie comme la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ? Non
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
1.Oui, la liberté d’expression est la manifestation de la liberté de pensée, qui engendre elle-même d’autres libertés connexes, telles que celles permettant la formation de l’opinion et de son expression. La liberté d’expression recouvre donc d’autres libertés substantielles qui permettent l’exercice d’autres droits et libertés.
2.Sans objet
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ? Non
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire ,régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est plus restreinte dans les domaines militaire, régalien et juridictionnel pour les magistrats et juges constitutionnels
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue aux citoyens, personnes physiques, mais aussi aux syndicats, aux partis politiques et aux médias. Si son contenu semble être le même, son encadrement peut se révéler plus strict pour les grands corps de l’État, contrairement à la presse. En effet, le droit à l’information et la liberté de la presse sont considérés comme corolaires de la liberté d’expression et droits inaliénables du citoyen (Art 2 de l’ordonnance 017-2006).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les agents de l’État et établissements publics à caractère administratifs sont soumis à l’obligation d’impartialité, de neutralité et de discrétion, qui interdit l’information et la communication de faits et documents dont ils ont la connaissance dans l’exercice de leurs fonctions (Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ; décret n°0213-2017 du 30 mai 2017)
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
En l’état, notre juridiction ne connait pas de contentieux relatif à la liberté d’expression, les justiciables se contentant des procédures classiques devant les juridictions de droit commun
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ? Sans objet
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ? Sans objet
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ? Sans objet
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ? Sans objet
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ? Sans objet
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ? Sans objet
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ? Sans objet
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ? Sans objet
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ? Sans objet
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ? Sans objet
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ? Sans objet
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Nonobstant l’absence de jurisprudence de la juridiction constitutionnelle dans ce domaine, la menace imminente sur les institutions, ou sur l’indépendance de la nation ou sur l’intégrité du territoire, peut conduire à réserver un régime particulier à la liberté d’expression, lorsque le fonctionnement normal des pouvoirs publics constitutionnels est entravé (art 39 de la Const.).
Il en est de même en cas de troubles graves à l’ordre public (art 71 de la Const.).
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation? Sans objet
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les articles 83 et 84 de la loi n°2013-025 portant sur les communications électroniques sont en effet assez restrictifs de la liberté d’expression. Notre juridiction n’a pas cependant été, à présent, mise en situation de se prononcer.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ? Sans objet.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ? Non.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ? Non.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ? Sans objet.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ? Sans objet
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
En tant que gardienne de la stabilité de l’ordre constitutionnel et de la démocratie.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ? Oui
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Conçue comme l’un des piliers fondamentaux du processus démocratique, la liberté d’expression permet une expression encadrée des opinions et une participation active des citoyens pour bâtir une société plurielle et tolérante.
Cour constitutionnelle de Moldavie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est protégée par l’article 32 de la Constitution de 1994 et par la loi sur la liberté d’expression de 2010.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Le texte de l’article de la Constitution qui proclame la liberté d’expression fixe également ses limites. Ainsi « la liberté d’expression ne peut porter atteinte à l’honneur, à la dignité ou au droit d’autrui à sa propre vision. La contestation et la diffamation de l’État et du peuple, l’incitation à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial, à la violence publique, ainsi que d’autres manifestations menaçant le régime constitutionnel sont interdites et punies par la loi. ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Selon la Constitution, « tout citoyen se voit garantir la liberté de pensée, d’opinion, ainsi que la liberté d’expression en public par la parole, l’image ou tout autre moyen possible ».
La loi sur la liberté d’expression dispose que : « (1) Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit inclut la liberté de rechercher, de recevoir et de communiquer des faits et des idées. (2) La liberté d’expression protège tant le contenu que la forme des informations exprimées, y compris les informations qui offensent, choquent ou dérangent. »
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La République de Moldova est partie à la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour constitutionnelle transpose donc la définition et le contenu de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression est un droit essentiel dans le système constitutionnel de la République de Moldova. En même temps, étant un droit qui peut affecter substantiellement les droits d’autrui, il interfère avec le champ d’application d’autres droits.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le principe de laïcité fait partie de l’identité constitutionnelle de la République de Moldavie, qui oblige l’État à adopter une attitude neutre dans le fonctionnement des cultes religieux, garantissant ainsi le respect des droits fondamentaux de chacun. La laïcité présuppose l’existence d’un pluralisme dans le système de valeurs, la protection égale des personnes religieuses et non religieuses et exige une attitude neutre de la part de l’État envers les deux catégories.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions fondamentales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Toutefois, toute limitation de cette liberté doit être justifiée de manière convaincante. La justification de la limitation doit se faire à la lumière du critère de proportionnalité, imposé par l’article 54 de la Constitution, critère qui exige, entre autres, que les raisons avancées par le législateur soient pertinentes et suffisantes.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Tout le monde a le droit à la liberté d’expression. Ce droit inclut la liberté de rechercher, de recevoir et de communiquer des faits et des idées. La liberté d’expression protège à la fois le contenu et la forme des informations exprimées, y compris les informations qui offensent, choquent ou dérangent.
Aussi, la protection garantie par la liberté d’expression s’étend également aux fonctionnaires. Mais en même temps, même si ces personnes bénéficient de la protection de la liberté d’expression, il est légitime que l’État les soumette, en raison de leur statut, à une obligation de réserve. Un juste équilibre doit être maintenu entre l’obligation de réserve et la liberté d’expression des fonctionnaires, qui satisfait à l’exigence de nécessité d’ingérence dans une société démocratique.
Le degré de notoriété des personnes concernées et des sujets des informations demandées constitue un autre critère important pour évaluer les limites de la liberté d’expression. À cet égard, une distinction doit être faite entre les personnes privées et les personnes agissant dans un contexte public, telle que les personnalités politiques ou publiques. Par conséquent, il faut distinguer la présentation de faits susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique, concernant des hommes politiques dans l’exercice de leurs fonctions officielles, et la présentation d’une personne n’exerçant pas de telles fonctions.
Selon la loi sur la liberté d’expression, « l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis aux restrictions prévues par la loi, nécessaires dans une société démocratique pour la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sûreté publique, pour défendre l’ordre et prévenir les délits, pour protéger la santé et la moralité, la réputation ou les droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.»
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les personnes publiques et les personnes physiques exerçant des fonctions publiques ont droit au respect de la vie privée et familiale (loi sur la liberté d’expression).
Les informations sur la vie privée et familiale des personnes publiques et des personnes physiques exerçant des fonctions publiques peuvent être divulguées si ces informations présentent un intérêt public. La diffusion des informations concernées ne doit pas entraîner de dommages injustifiés à des tiers.
Si des personnalités publiques et des personnes physiques exerçant elles-mêmes des fonctions publiques attirent l’attention sur des aspects de leur vie privée et familiale, les médias ont le droit d’enquêter sur ces aspects.
Il est interdit aux militaires, pendant leur service militaire, d’exprimer publiquement des opinions contraires aux intérêts de la défense nationale (Loi relative au statut des militaires).
Les personnes exerçant des fonctions publiques peuvent faire l’objet de critiques, et leurs actions, de vérifications par les médias, quant à la manière dont elles ont exercé ou exercent leurs fonctions, dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir la transparence et l’exercice responsable de leurs fonctions et devoirs.
Afin d’évaluer la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression, un certain nombre de facteurs doivent être pris en compte. Premièrement, il doit accorder une attention particulière à l’intérêt public présenté par les informations divulguées. Le deuxième facteur à considérer dans cet exercice de mise en balance est l’authenticité des informations divulguées.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est consacrée dans la Constitution de 1994. Depuis la création de la Cour constitutionnelle en 1995, la jurisprudence constitutionnelle couvre la liberté d’expression.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La liberté d’expression est un droit essentiel dans le système constitutionnel de la République de Moldavie. Lorsqu’elle examine les renvois relatifs à la liberté d’expression, la Cour analyse la nature de « l’ingérence » dans la liberté d’expression, telle que protégée par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Dans sa jurisprudence, la Cour a établi que toute limitation de la liberté d’expression doit être justifiée de manière convaincante. La justification de la limitation doit se faire dans le respect du critère de proportionnalité, imposé par l’article 54 de la Constitution, critère qui exige, entre autres, que les raisons avancées par le législateur soient pertinentes et suffisantes.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
L’évolution du contrôle de constitutionnalité en matière de liberté d’expression est déterminée par l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Parallèlement, à partir de 2016, depuis que l’institution de l’exception d’inconstitutionnalité s’est développée, la Cour vérifie l’incidence du droit revendiqué par l’auteur de l’exception d’inconstitutionnalité et s’il y a une ingérence dans le droit fondamental.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Il s’agit tout d’abord de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, dans laquelle l’existence d’une violation du droit à la liberté d’expression est constatée en raison d’une loi adoptée par le Parlement de la République de Moldavie ou, dans des affaires contre d’autres États, en raison d’une loi similaire à la loi de la République de Moldavie.
Deuxièmement, les circonstances de la vie actuelle qui impliquent des changements de mentalité au sein de la société, des changements technologiques, etc.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La jurisprudence constitutionnelle s’impose à tous les tribunaux et à toutes les autorités de l’État.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Convention européenne et la jurisprudence de la Cour européenne prévalent sur le droit national. Lors de l’examen des saisines, la Cour applique les normes issues de la jurisprudence européenne. En outre, la Cour s’inspire de la jurisprudence des tribunaux de juridiction constitutionnelle d’autres États.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Les ingérences dans la liberté d’expression peuvent prendre la forme d’un large éventail de mesures qui se manifestent généralement dans le contexte d’une formalité, de conditions, de restrictions ou de sanctions. Lors de l’examen des saisines, on implique la mise en balance du droit à la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information, ou le droit à la vie privée, ou la liberté de conscience, etc.
Ainsi, la Cour a souligné que le droit d’accès à l’information d’intérêt public constitue une lex specialis, liée au droit à la libre expression, qui en représente le cadre général. Le lien entre ces droits est particulièrement pertinent lorsque les autorités de l’État interfèrent avec le droit d’accès à l’information, car la demande d’accès à l’information est présentée en vue de la communiquer au public. Lors de la mise en balance de ces droits concurrents, les critères suivants sont pris en compte : la contribution des informations demandées à un débat d’intérêt public ; le degré de notoriété des personnes concernées par les informations demandées ; le contenu, la forme et les conséquences de la publication de l’information ; d’autres critères pertinents au cas.
Analysant la concurrence entre la liberté d’expression et la liberté de réunion, la Cour a noté que cette dernière doit être considérée comme une lex specialis.
À une autre occasion, la Cour a mentionné que le maintien d’une attitude neutre à l’égard de la religion est un principe établi depuis la fondation de la République de Moldavie, c’est pourquoi les cultes religieux s’abstiendront d’exprimer ou de manifester publiquement leurs préférences politiques ou de favoriser un parti politique ou une organisation sociopolitique.
De même, l’exercice de la liberté d’expression ne peut porter atteinte à l’honneur, à la dignité ou au droit de la personne à sa propre vision en tant qu’éléments de la vie privée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La personne bénéficie de la liberté d’expression. L’État ne bénéficie pas de la protection de la liberté d’expression. En outre, la législation nationale consacre la liberté de critiquer l’État, les autorités publiques et les personnes exerçant des fonctions publiques. Les personnes exerçant des fonctions publiques peuvent faire l’objet de critiques. Leurs actions peuvent faire l’objet de vérifications par les médias, quant à la manière dont elles ont exercé ou exercent leurs fonctions, dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir la transparence et l’exercice responsable de leurs devoirs.
En même temps, la norme constitutionnelle prévoit que l’exercice de la liberté d’expression ne peut porter atteinte à l’honneur, à la dignité ou au droit de la personne à sa propre vision.
Toutefois, la protection de l’intérêt public constituerait un critère de restriction de la liberté d’expression si elle est liée à des questions affectant le public dans une mesure telle qu’elle pourrait affecter le bien-être des citoyens ou la vie de la communauté. En ce sens, la norme constitutionnelle permet aux pouvoirs publics d’interdire et de punir par la loi les actions de contestation et de diffamation de l’État et du peuple, l’incitation à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial, à la violence, ainsi que d’autres manifestations qui attaquent le régime constitutionnel.
Dans sa jurisprudence, la Cour a noté que l’affichage d’un symbole associé à un mouvement ou une entité politique exprime l’adhésion à une idée et relève de la protection de la liberté d’expression. Lorsque le droit à la liberté d’expression s’exerce dans le contexte du discours politique à travers l’utilisation de symboles, une attention particulière doit être accordée à toute restriction, en particulier si des symboles ayant des significations multiples sont utilisés. Une distinction essentielle doit être établie entre les expressions choquantes et offensantes et celles qui perdent leur droit à être tolérées dans une société démocratique.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La Cour analyse si les limitations à l’exercice de la liberté d’expression établies par les dispositions contestées répondent aux exigences de qualité de la loi (si l’ingérence est prévue par la loi), si elles poursuivent un but légitime, si elles atteignent, une fois mises en œuvre, le but en question et s’ils sont nécessaires et proportionnés au but poursuivi.
Toute limitation de la liberté d’expression doit être justifiée de manière convaincante. La justification de la limitation doit se faire à la lumière du critère de proportionnalité, imposé par l’article 54 de la Constitution de la République de Moldavie, critère qui exige, entre autres, que les raisons avancées par le législateur soient pertinentes et suffisantes.
Par ailleurs, le contrôle de la qualité de la loi limitant la liberté d’expression de l’individu est nécessaire pour garantir la prévisibilité de son comportement, et la portée des restrictions établies par la loi ne doit pas être étendue au détriment de la personne ou appliquée par analogie. Dans cette perspective, la Cour analyse l’intention du législateur lors de l’adoption de la loi qui établit les limitations, mais aussi la perception du titulaire des droits (par exemple, quel est le but poursuivi par l’individu en affichant en public certains symboles interdits par la loi).
En référence au but poursuivi par la limitation de la liberté d’expression, la Cour analyse si les limitations pourraient avoir des connotations multiples. Sous cet aspect, le législateur doit prendre en compte la multitude et la complexité des situations qui peuvent survenir dans la pratique lors de l’établissement des limitations. Dans sa jurisprudence, la Cour a estimé que l’exposition publique de symboles interdits par le droit national, en l’absence d’autres actions dénotant un soutien aux idées totalitaires, ne peut être assimilée à une promotion d’idéologies totalitaires, dangereuses pour la société. Cela représente donc une limitation de la liberté d’expression. (voir décision n°28 du 23 novembre 2015)
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
L’article 54 de la Constitution de la République de Moldavie dispose que l’exercice des droits et libertés peut être soumis aux restrictions prévues par la loi, nécessaires dans une société démocratique pour la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sûreté publique, pour défendre l’ordre et prévenir les délits, pour protéger la santé et la moralité, la réputation ou les droits d’autrui, empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Ainsi, la diffusion et/ou l’utilisation publique de symboles fascistes, racistes ou xénophobes, la propagation et/ou l’utilisation de symboles fascistes à des fins politiques, ainsi que la promotion d’idéologies fascistes, racistes ou xénophobes et/ou la négation de l’holocauste sont sanctionnées conformément à la législation en vigueur. Les garanties concernant la liberté d’expression ne s’étendent pas aux discours incitant à la haine ou à la violence.
La nécessité de toute restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit être établie de manière convaincante. La Cour décide si les raisons avancées dans la loi pour justifier la restriction sont « pertinentes et suffisantes » pour protéger l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Dans le processus d’exercice de contrôle concernant la justification d’une ingérence dans la liberté d’expression, la Cour applique les critères issus de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, notamment : Contribution à un débat d’intérêt général ; la nature et le contenu du discours et son impact potentiel ; la sévérité de la sanction.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
L’état d’urgence adopté dans l’État détermine le régime juridique appliqué à la liberté d’expression. À l’époque du Covid ou de la guerre en Ukraine, certaines sources journalistiques ont été bloquées en raison des fausses informations qu’elles rapportaient.
La Cour a reconnu le fait que les autorités de la République de Moldova ont l’obligation de lutter activement contre les opérations d’information hostiles contre la société, ainsi que l’obligation d’assurer l’information correcte des citoyens. (Voir point 6 ci-dessous)
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Conformément à la loi, l’indépendance éditoriale des médias est reconnue et garantie par loi, mais la censure est interdite. Il est interdit de s’immiscer dans l’activité éditoriale des médias, sauf dans les cas prévus par la loi. Si l’ingérence est prévue par la loi, elle doit être interprétée de manière restrictive.
De même, la création d’autorités publiques pour le contrôle préalable des informations à diffuser par les médias n’est pas autorisée. L’obligation imposée par le tribunal par une décision définitive de diffuser ou de ne pas diffuser une information ne constitue pas une censure.
La censure dans les médias publics, ainsi que l’entrave intentionnelle et illégale à l’activité des médias, engagent la responsabilité pénale.
En matière de diffamation, toute personne a le droit de défendre son honneur, sa dignité et sa réputation professionnelle endommagés par la diffusion de fausses informations sur les faits, de jugements de valeur sans fondement factuel suffisant ou par des injures.
Personne ne peut être tenu responsable du style humoristique et satirique si son utilisation n’induit pas le public en erreur sur les faits.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
La Cour applique toujours le test de proportionnalité en cas de restriction de l’exercice du droit à la liberté d’expression. La Cour vérifie si la mesure juridique contestée poursuit un but légitime, si elle présente un lien rationnel avec ce but légitime, s’il n’existe pas d’autres mesures moins intrusives permettant également d’atteindre le but légitime poursuivi et s’il existe un juste équilibre entre les intérêts concurrents.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Compte tenu de l’importance croissante accordée à la séparation des pouvoirs et de l’importance de sauvegarder l’indépendance du pouvoir judiciaire, la Cour a estimé que l’ingérence dans la liberté d’expression d’un juge nécessite une analyse détaillée. La Cour constitutionnelle a appliqué le critère de la Cour européenne des droits de l’homme selon lequel l’exclusion du juge du pouvoir judiciaire à la suite de déclarations faites dans la presse viole le droit à la liberté d’expression, consacré à l’article 10 de la Convention, est extrêmement sévère et susceptible de produire un effet « décourageant » sur les juges qui auraient voulu participer au débat public sur l’efficacité des institutions judiciaires. La Cour Constitutionnelle a établi dans sa jurisprudence que dans le cas d’un Président de la Cour Constitutionnelle, il ne peut s’agir de dépasser les limites du droit à la libre expression dans le cas de son interview dans des émissions de télévision concernant les décisions adoptées par la Cour constitutionnelle. En outre, il est du devoir du président de la Cour d’expliquer l’activité de la Cour constitutionnelle. (Décision de la Cour Constitutionnelle n°20 du 23 mars 2016)
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Dans sa jurisprudence, la Cour a considéré que l’objectif de neutralité politique des organisations non commerciales pendant la campagne électorale relève de la notion d’«ordre public», en tant que fondement de la limitation du droit d’expression consacré par la Constitution. La fourniture de services gratuits par des organisations non commerciales aux concurrents électoraux pendant la campagne électorale a été admise par la Cour comme une forme de soutien politique au sens de la liberté d’expression. Dans cette affaire, la Cour a jugé que l’application de l’interdiction d’offrir de services par les organisations non commerciales repose sur le fait que, contrairement aux organisations commerciales, elles peuvent bénéficier des facilités offertes par l’État. Afin d’accorder ces avantages légaux, le législateur a demandé aux organisations non commerciales de faire preuve de neutralité politique pendant la campagne électorale. (Arrêt n° 6 du 10 mars 2022).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Cour a qualifié constitutionnelle, l’interdiction établie par la loi de transmettre des programmes de télévision et de radio à contenu informatif, informatif-analytique, militaire et politique qui ne sont pas produits dans les États membres de l’Union européenne, aux États- Unis d’Amérique, au Canada ou dans les États qui ont ratifié la Convention européenne sur la télévision transfrontalière, qui représente une mesure générale et s’applique à des situations prédéterminées, quelles que soient les circonstances de chaque cas individuel (Arrêt n°16 du 4 juin 2018).
La raison de ces limitations résidait dans la nécessité de former une opinion publique correcte par le biais d’institutions médiatiques susceptibles de créer de l’extérieur une image déformée de la politique intérieure de l’État.
Les principes de communication audiovisuelle établis dans le Code de l’audiovisuel étaient applicables uniquement aux radiodiffuseurs et distributeurs de services relevant de la juridiction de la République de Moldova et ne pouvaient produire d’effets concernant les services de programmes des radiodiffuseurs ou les services des distributeurs relevant de la juridiction d’autres États.
La Cour a admis que les autorités de la République de Moldova ont l’obligation de lutter activement contre les opérations d’information hostiles contre la société, ainsi que l’obligation de garantir une information correcte aux citoyens.
Dans cette affaire, la Cour a accepté l’interdiction de diffuser uniquement les services de programmes diffusés à la radio et à la télévision, et non sur Internet.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Selon la loi, pendant l’état d’urgence, de siège ou de guerre, en fonction de la gravité de la situation qui a déterminé son instauration, l’exercice de certains droits ou libertés des citoyens peut être restreint, si nécessaire, conformément au texte de la Constitution.
La restriction en question doit être conforme aux obligations résultant des traités internationaux sur les droits fondamentaux auxquels la République de Moldova est partie et ne peut impliquer une discrimination de personnes ou de groupes de personnes uniquement pour des raisons de race, de nationalité, de langue, de religion, de sexe, convictions politiques ou origine sociale.
Par exemple, dans l’arrêt no. 15 du 28 avril 2021, la Cour a jugé que la compétence du Parlement pour déclarer l’état d’urgence n’est pas illimitée. Parce que cette mesure implique des limitations substantielles des droits fondamentaux. Le Parlement doit justifier dans quelle mesure les pouvoirs ordinaires de l’exécutif sont insuffisants pour surmonter la situation de crise, et d’autre part, dans quelle mesure l’augmentation des pouvoirs du pouvoir exécutif peut compenser la carence en question.
Cette obligation du Parlement résulte de l’obligation constitutionnelle générale des autorités de motiver leurs propres décisions et est dictée par la culture de la justification, dans laquelle tout exercice du pouvoir doit être justifié.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
En général, la portée des politiques publiques reste la même. Cependant, cet intérêt peut avoir un poids différent lors de situations exceptionnelles. Cet intérêt peut donc peser davantage lorsqu’il entre en conflit avec la liberté d’expression.
Ainsi, dans l’arrêt n°9 du 11 avril 2023, la Cour estime que l’interdiction d’utiliser des symboles généralement connus qui sont utilisés dans le cadre d’actions d’agression militaire, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, ainsi que de propagande ou la glorification de ces actes, peut être justifiée par le but légitime d’assurer la sécurité nationale, l’ordre public et les droits d’autrui.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
La Cour est la seule autorité et a la plus grande légitimité pour censurer d’éventuels abus du pouvoir législatif envers l’exercice du droit à la liberté d’expression, grâce à sa compétence pour déclarer inconstitutionnelles les lois qui violent ce droit.
Par exemple, dans l’arrêt n° 17 du 23 juin 2020, la Cour a délimité les pouvoirs entre le législatif et l’exécutif pendant l’état d’urgence. La Cour a établi que l’état d’urgence est un régime juridique régi par le principe de légalité de l’administration, fondé sur l’État de droit. La Constitution n’interdit pas au Parlement d’accorder des pouvoirs supplémentaires à l’Exécutif, dans les limites des dispositions constitutionnelles, pour faire face à une situation d’urgence. Dans le même temps, afin d’éviter les abus, il est nécessaire de disposer de certaines garanties capables de concilier l’équilibre des pouvoirs dans l’État, d’une part, et la nécessité d’assurer la sécurité de l’État, d’autre part. Ainsi, toute mesure prise par les autorités publiques qui affecte les droits ou libertés prévus par la loi doit correspondre au principe de proportionnalité. Une mesure prise par les pouvoirs publics est proportionnée si elle est adaptée à la réalisation de l’objectif poursuivi dans le cadre des pouvoirs attribués par la loi, si elle est nécessaire à la réalisation de l’objectif et si elle est raisonnable. La mesure prise par les pouvoirs publics est raisonnable si l’ingérence qu’elle produit n’est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Lors de l’examen du cas, la Cour constitutionnelle constate l’existence de lacunes dans la législation dues à la non-application de certaines dispositions de la Constitution et attire l’attention du législateur sur la nécessité d’ajuster la législation.
Par exemple, dans l’arrêt HCC n°34 du 13 décembre 2016, la Cour a souligné la nécessité d’établir des instruments efficaces, qui permettraient aux autorités responsables d’appliquer des sanctions immédiates et dissuasives, telles que la suspension du droit de diffusion pendant toute la durée du scrutin pour les institutions médiatiques qui violent l’obligation d’impartialité pendant la période électorale. Sur la base de cette décision, la législation a été modifiée.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Définitivement oui. Il s’agit d’un droit général (« droit parapluie ») qui inclut la liberté d’expression politique. En particulier, les enquêtes journalistiques peuvent conduire à la responsabilité des hommes politiques.
Tribunal suprême de Monaco
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
À Monaco, la liberté d’expression est protégée par l’article 23 de la Constitution du 17 décembre 1962 qui garantit « la liberté de manifester ses opinions en toutes matières », ainsi que la « liberté des cultes » et leur « expression publique ».
La Principauté est également liée par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ratifiée le 30 novembre 2005, dont l’article 10 alinéa 1er, énonce : « Toute personne a droit à la liberté d’expression », qui comprend « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées ».
Monaco est, en outre, partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié le 28 août 1997, dont l’article 19 alinéa 2 déclare : « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
Enfin, la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique pose le principe de la liberté d’expression et de la liberté des médias.
En matière de liberté d’expression, le Tribunal suprême se fonde sur l’article 23 de la Constitution (TS, 3 déc. 2002, Sieurs R. G., J.-L. N. et J.-M. R. c/ ministre d’État ) et parfois, dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir, sur l’article 10 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme ou l’un ou l’autre de ces fondements (v. en dernier lieu, TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco ; TS, 7 avr. 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco; 31 mai 1976, Dame P. c/ ministre d’État).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Dans la Constitution, la liberté de manifester ses opinions est garantie « sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés ». Ces délits sont l’offense publique à l’égard du Prince et de la famille princière (art. 58 à 60 c. pén.), la provocation aux crimes et délits, la diffamation, l’injure et les autres délits prévus par la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique.
Dans la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 10 alinéa 2 prévoit que la liberté d’expression peut être soumise à « certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ». La Principauté de Monaco a, de surcroît, formulé des réserves à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme liées à la protection de la vie privée et familiale, spécialement concernant la personne du Prince et la famille princière (v. infra).
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques vise, à l’article 19 alinéa 3, deux types de restrictions à la liberté d’expression, tenant d’une part, « au respect des droits ou de la réputation d’autrui » et, d’autre part, « à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ».
Enfin, la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique déclare ne limiter la liberté d’expression « que dans la mesure requise par le respect de la dignité de la personne humaine, de la vie privée et familiale, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ainsi que par la sauvegarde de l’ordre public ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Le Tribunal suprême n’a pas posé de définition de la liberté d’expression. Il évoque seulement « la liberté d’expression » (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco) ou la « liberté de manifester ses opinions garantie par l’article 23 de la Constitution » (TS, 3 déc. 2002, Sieurs R. G., J.-L. N. et J.-M. R. c/ ministre d’État).
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
En pratique, le Tribunal suprême paraît adopter une approche correspondant à la définition de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon laquelle la liberté d’expression comprend « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». C’est l’approche retenue également par les juridictions ordinaires, qui s’approprient cette définition (v. par ex. TPI, 23 mars 2006, H. c/ Société Prisma).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression est liée à d’autres libertés qui impliquent une expression publique. La Constitution monégasque envisage ainsi, dans le même article 23, la liberté de manifester ses opinions et la liberté d’exercer publiquement une religion.
En jurisprudence, la liberté d’expression peut également être invoquée devant le Tribunal suprême au sens de liberté de manifestation, lorsqu’il s’agit d’exprimer publiquement une opinion en participant à un rassemblement de personnes (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco).
La liberté d’expression peut encore être invoquée avec d’autres droits ou libertés fondamentaux, tels que la liberté syndicale (article 28) lorsqu’il s’agit d’exprimer publiquement des opinions syndicales (TS, 31 mai 1976, dame P. c/ ministre d’État), ou le droit à la vie privée et familiale (article 22), lorsqu’il est question de l’expression publique d’une opinion personnelle relevant de la vie privée (TS, 7 avr. 2014, Sieur S.G. c/ État de Monaco) ou encore le principe d’égalité (article 17), qui interdit toute discrimination fondée sur des opinions quelles qu’elles soient (TS, 13 mars 2023, Union des syndicats de Monaco et autre c./ État de Monaco ; rappr. 3 décembre 2002, Sieurs R. G., J.-L.N. et J.-M.R. c/ ministre d’État).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le Tribunal suprême n’a pas été confronté à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème. En effet, si le catholicisme est religion d’État en Principauté (article 9), la Constitution garantit également la liberté des cultes et leur expression publique (article 23). Il s’agit de deux principes de force égale et la religion catholique n’est pas imposée. Le texte constitutionnel précise que « nul ne peut être contraint de concourir aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos ».
En revanche, le Tribunal suprême s’est récemment prononcé sur le terrain voisin de la liberté d’association, suite à une requête formée par des témoins de Jéhovah, qui n’avaient pas été autorisés à se constituer en association. Par une décision du 18 février 2019, il a relevé l’intégration de la religion catholique dans l’ordre public monégasque tout en réaffirmant la protection constitutionnelle et légale dont bénéficie la liberté d’association en Principauté. Il a annulé la décision administrative de refus, l’Administration n’ayant pas établi, en l’état de la présence non contestée des témoins de Jéhovah en Principauté depuis plusieurs années, de risques avérés de troubles à l’ordre public.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est garantie quel que soit le domaine. Le Tribunal suprême veille notamment à la liberté d’expression en matière politique et au respect de la pluralité des courants d’opinion (v. par ex. TS, 3 déc. 2002, Sieurs R. G., J.-L. N. et J.-M. R. c/ ministre d’État ; TS, 7 avril 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco ; TS, 31 mai 1976, dame P. c/ ministre d’État).
S’agissant des médias, le principe est la liberté de la presse et la libre publication de tout support (loi n° 1299, du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique). Ainsi qu’il a été précédemment indiqué, ce principe est toutefois limité par la protection du respect de la vie privée et familiale, spécialement concernant la personne du Prince et la famille princière. La Principauté de Monaco a ainsi apporté des réserves à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Les dispositions de l’article 10 de la Convention s’appliquent sans préjudice de ce qui est établi, d’une part, à l’article 22 de la Constitution consacrant le principe du droit au respect de la vie privée et familiale, spécialement en ce qui concerne la personne du Prince dont l’inviolabilité est garantie par l’article 3 alinéa 2 de la Constitution et, d’autre part, aux articles 58 à 60 du Code pénal relatifs à l’offense envers la personne du Prince et Sa famille »[192].
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à toute personne en Principauté, puisque l’étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux (article 32).
Monaco veille, par ailleurs, à ce que les enfants et les personnes handicapées puissent exercer leur liberté d’expression et d’opinion, conformément aux conventions ratifiées (Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la Principauté le 21 juin 1993, et Convention du 13 décembre 2006 des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la Principauté le 19 septembre 2017).
La liberté d’expression ne disparaît pas au cours de la relation de travail et elle est reconnue aux salariés du secteur privé (TPI, 9 juin 2005, SBM c/ N.) comme aux salariés du secteur public, dans la limite des obligations incombant aux fonctionnaires ou aux militaires (v. infra).
Les personnels de l’hôpital public[193], ainsi que le Haut-commissaire à la protection des droits et libertés et à la médiation[194] sont expressément soumis à un devoir de réserve. De même que les personnels du Palais de Justice, magistrats[195], greffiers[196] et personnel pénitentiaire[197]. Les magistrats doivent, en outre, respecter un recueil de principes éthiques et déontologiques qui leur rappelle « [d’]user avec retenue, modération et décence de [leur] liberté d’expression »[198]. Les membres du Tribunal suprême sont également liés par une Charte de déontologie[199] qui leur impose de se conduire « de manière à entretenir la confiance des justiciables dans l’indépendance, l’intégrité et l’impartialité du Tribunal » et à veiller « à ce que les relations qu’ils entretiennent dans leur vie privée comme dans leur vie professionnelle ne soient pas de nature à faire naître, chez les justiciables, un soupçon raisonnable de partialité, à les rendre vulnérables à une influence extérieure ou à porter atteinte à la dignité de leurs fonctions ».
S’agissant des professions libérales, les règles de déontologie ne prévoient pas de restriction à la liberté d’expression, sauf ce qui relève du secret professionnel et parfois de l’obligation de respect dû aux autorités établies[200]. Enfin, une pleine liberté d’expression est reconnue aux élus du Conseil National qui doivent seulement s’abstenir d’attaques personnelles, de manifestations ou d’interruptions troublant l’ordre[201].
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
À Monaco et de manière classique, les fonctionnaires et agents de l’État ont, dans l’exercice de leurs fonctions, une obligation de « loyauté », une « obligation de neutralité » et un « devoir de réserve » (art. 6-1 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l’État[202]). Ils doivent s’abstenir de « toute démarche, activité ou manifestation incompatible avec la discrétion et la réserve qu’impliquent [leurs] fonctions ». Le devoir de réserve perdure en dehors de leurs fonctions, puisqu’il oblige les fonctionnaires et agents « à faire preuve de mesure et de retenue dans l’expression de [leurs] opinions, aussi bien durant [leur] service, qu’en dehors de celui‑ci » (art. 11 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l’État[203]). Pour les agents de police, le code de déontologie de la sûreté publique apporte des précisions supplémentaires : « Lorsqu’ils ne sont pas en service, les personnels de la Direction de la Sûreté publique s’expriment librement dans la limite de leur devoir de réserve, de la loyauté à l’égard des institutions, et de l’obligation de ne pas porter atteinte au crédit ou à la réputation de la Direction de la Sûreté publique ».
Le Tribunal suprême a été conduit à se prononcer sur la liberté d’expression d’un agent de police, qui, dans le contexte de la crise sanitaire, avait participé, en dehors de ses fonctions, à des rassemblements devant les établissements scolaires afin d’alerter sur les dangers du port du masque pour les enfants. Le Tribunal a considéré que ces rassemblements ayant « pour objectif de critiquer une mesure sanitaire prise par le Gouvernement », l’agent de police avait manqué à son obligation de loyauté et à son devoir de réserve, le fait qu’il n’ait pas été en service au moment des faits n’ayant pas d’influence sur la méconnaissance de ses obligations (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco).
S’agissant des militaires, on notera qu’ils ont un devoir de réserve renforcé, puisqu’ils doivent « observer en tous lieux une stricte neutralité politique » et s’abstenir « de toute démarche, activité ou manifestation incompatibles avec la discrétion et la réserve rigoureuses qu’implique l’état de militaire » (art. 8 de l’Ordonnance Souveraine n° 8.017 du 1er juin 1984 portant statut des militaires de la force publique).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le Tribunal suprême a été créé par la première Constitution monégasque, en date du 5 janvier 1911 (article 14) et se prononce depuis sa création sur la liberté d’expression, dès lors que la « liberté de manifester ses opinions en toutes matières » figurait déjà dans la loi constitutionnelle de 1911 (article 10).
L’arrêt le plus ancien en la matière remonte au 13 avril 1931 (Sieur C. c/ État de Monaco) et porte sur la liberté d’expression d’un fonctionnaire. Le Tribunal suprême y rappelait que « l’existence et l’exercice du pouvoir disciplinaire [à l’égard des fonctionnaires] se concilient (…) avec les droits et libertés garantis par la constitution, pourvu que des sanctions soient réellement appliquées à des faits qui violent les obligations spéciales des fonctionnaires, qu’elles soient de nature disciplinaire et conformes à la législation en vigueur ». Le Tribunal suprême en déduisait que dans le cas d’espèce, où un fonctionnaire avait été suspendu à la suite d’une démarche effectuée au Consulat général de France à Monaco, « la liberté d’opinion garantie par l’article 10 de la constitution » n’avait pas été violée.
On trouve deux autres arrêts en 1952, concernant également des fonctionnaires invoquant la liberté de manifester leur opinons, mais dans lesquels le Tribunal suprême s’est déclaré incompétent, la responsabilité pénale des fonctionnaires relevant de la compétence des juridictions ordinaires (TS, 29 mai 1952, Sieur S. c/ ministre d’État et, du même jour, Sieur B. c/ ministre d’État).
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Le Tribunal suprême veille au respect de la liberté d’expression, au même titre que les autres droits et libertés dont il est le garant. On ne note pas de contentieux particulièrement important en volume sur ce fondement.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La jurisprudence du Tribunal suprême apparaît essentiellement casuistique et ne fait pas apparaître de hiérarchie formelle entre droit et liberté en matière de protection de la liberté d’expression.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
En matière de liberté d’expression, les premières décisions rendues au XXe siècle adoptent une approche de la liberté d’expression plus restrictive, notamment concernant les fonctionnaires. Ainsi, la décision précitée du 13 avril 1931 a pu soutenir que « les fonctionnaires exercent les droits et libertés garantis dans des conditions moins larges que les conditions dans lesquelles les particuliers exercent les mêmes droits et libertés », sans détailler les raisons pour lesquelles les faits reprochés au fonctionnaire étaient contraires à ses devoirs ni apprécier le bien-fondé de la mesure disciplinaire (TS, 13 avril 1931, Sieur C. c/ État de Monaco).
Dans les dernières décisions, au contraire, le Tribunal suprême examine les faits reprochés au fonctionnaire et vérifie le caractère proportionné ou non de la sanction prononcée, pour déterminer l’existence d’une atteinte à la liberté d’expression (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco).
De manière générale, on note un renforcement de la protection des droits et libertés, par la réaffirmation de leur valeur constitutionnelle (TS, 18 février 2019, 30 juin 2017, Association monégasque pour le culte des témoins de Jéhovah et M. j.p. GA c/ État de Monaco) et par des réserves d’interprétation destinées à garantir la protection des droits fondamentaux (TS, 10 mars 2023, Union des Syndicats de Monaco et Syndicats des agents de l’État et de la Commune c/ État de Monaco).
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La protection de la liberté d’expression, mais aussi des droits et libertés de manière générale, paraît avoir varié dans le temps, à la fois en raison de l’évolution du cadre institutionnel et des fonctions du Tribunal suprême (à partir de la nouvelle constitution du 17 décembre 1962), et de la tendance contemporaine à la fondamentalisation du droit.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La reconnaissance, par le Tribunal suprême, de la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression sur le fondement de l’article 23 de la constitution, paraît avoir influencé les juridictions ordinaires, notamment en évacuant tout débat sur d’éventuelles différences sémantiques entre « liberté d’expression » et « liberté de manifester ses opinions », seule formule visée à l’article 23 et qui aurait pu se rapprocher davantage de la liberté de manifestation, avec une dimension d’expression publique plus forte. Ainsi, le tribunal de première instance a pris appui sur cette reconnaissance pour déclarer que « la liberté d’expression du journaliste, unanimement reconnue en droit européen, est un principe à valeur constitutionnelle en Principauté de Monaco consacré par les dispositions de l’article 23 de la Constitution » (TPI, 1er mars 2007, SAM Éditions latino-américaines c/ Madame B.-N.).
Par ailleurs, le choix fait par le Tribunal suprême de se fonder également sur l’article 10 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme dans le cadre du contentieux administratif a pu éventuellement conforter le recours à ce fondement par les juges du fond. Le fondement conventionnel de la liberté d’expression est en effet invoqué par la cour d’appel (CA, 20 mars 2018, la société RCS MEDIAGROUP S.P.A. c/ Madame c. CA.) et le tribunal du travail estime, quant à lui, que « La liberté d’expression reconnue au salarié constitue une liberté fondamentale » (TT, 20 janv. 2023, M. A. c/ Société anonyme monégasque dénommée B. B. MONACO)
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La jurisprudence du Conseil constitutionnel français, celle du Conseil d’État et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sont nécessairement des sources d’inspiration pour le Tribunal suprême dans sa fonction de juge constitutionnel et de juge administratif, également garant des droits et libertés fondamentaux.
Il les adapte le cas échéant en tenant compte des règles et principes constitutionnels applicables dans l’État monégasque, dont « les exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l’État » (TS, 20 juin 1989, Association des propriétaires de la Principauté de Monaco c/ État de Monaco), mais aussi de « sa composition démographique et culturelle et de l’intégration de la religion d’État, par son statut constitutionnel, dans l’ordre public monégasque » (TS, 18 février 2019, 30 juin 2017, Association monégasque pour le culte des témoins de Jéhovah et M. j.p. GA c/ État de Monaco).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’expression doit être conciliée avec les autres droits et libertés fondamentaux et, à ce titre, le droit monégasque accorde une attention particulière à la conciliation entre la liberté d’expression et le droit à vie privée et familiale.
En effet, le Prince et la famille princière bénéficient d’une protection renforcée de leur droit à la vie privée et familiale. C’est l’objet des réserves déjà évoquées à l’article 10 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, liées à la protection de la vie privée et familiale, spécialement concernant la personne du Prince et la famille princière. Ces réserves se fondent sur le principe de l’inviolabilité de la personne du Prince et sur les textes du Code pénal relatifs à l’offense envers la personne du Prince et de Sa famille. De manière plus générale, toutes les personnes publiques bénéficient d’une protection renforcée de leur droit à la vie privée et familiale. Pour le Gouvernement, il est, en effet, « légitime de réprimer plus sévèrement les atteintes portées à des personnes exerçant des activités publiques » (Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Respect des obligations et des engagements de Monaco », Doc. 11299, 8 juin 2007, Rapport par P. Agramunt et L. Slutsky,n° 150).
L’approche du droit monégasque se distingue en cela de celle du droit européen qui considère, au contraire, que les personnes publiques ont fait le choix de s’exposer aux médias et ne peuvent prétendre recevoir le même niveau de protection qu’un particulier. La Cour européenne des droits de l’homme a, d’ailleurs, débouté plusieurs fois la Princesse Caroline de Monaco de ses requêtes contre l’Allemagne, au regard des atteintes portées par la presse à sa vie privée et familiale, dès lors que les clichés publics pouvaient « contribuer au débat d’intérêt général » (v. not. CEDH, Von Hannover c/ Allemagne (n° 2) du 7 février 201 ; CEDH, Von Hannover c/ Allemagne (n° 3), 19 septembre 2013).
L’approche du droit monégasque est pourtant fondée sur des critères objectifs tenant à l’exiguïté du territoire et à l’extrême proximité des habitants. L’union entre le Prince et ses sujets y est personnelle et cet « affectio familiaris », présent dans les monarchies européennes, « trouve à Monaco un terrain de prédilection avec une population en nombre restreint où tout le monde se connait plus ou moins et où le Prince connait quasiment tout le monde » (J.-B. D’Onorio, Monaco, Monarchie et démocratie, PUAM, 2014, p. 14). Ce lien étant plus palpable, l’injure et la diffamation le sont aussi et la sanction pénale s’adapte à ces données.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression par le Tribunal suprême ménage un équilibre entre la protection de l’État et celle de l’individu, en tenant compte des caractères particuliers de la Principauté, tenant notamment à l’exiguïté du territoire et à la proximité entre les habitants et les autorités. Il convient de signaler que le respect dû aux institutions monégasques, dont la stabilité et la légitimité sont historiques, imprègne le droit monégasque et figure expressément dans les serments que prêtent les magistrats et les avocats lors de leur entrée en fonctions. Il n’est donc pas exclu qu’il puisse inspirer parfois le raisonnement des juridictions monégasques. Par exemple, dans la décision du 7 avril 2014 au sujet d’une demande d’acquisition de la nationalité monégasque, le dénigrement public des institutions par le requérant qui souhaitait par ailleurs intégrer la communauté nationale a pu contribuer à justifier la décision souveraine d’opposition à l’acquisition de la nationalité (TS, 7 avril 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco).
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
De manière générale dans le cadre de sa compétence constitutionnelle, le Tribunal suprême pratique le contrôle de proportionnalité, en vérifiant que l’atteinte portée à un droit constitutionnellement protégé n’est pas disproportionnée. Il contrôle que la loi poursuit un but légitime et qu’aucune autre mesure n’aurait pu être prise à la place (v. par ex., de manière générale, TS, Décision 2022-05 du 31 mai 2022, Union des Syndicats de Monaco c/ État de Monaco ; Décision 2021-17 du 2 décembre 2021, Union des Syndicats de Monaco c/ État de Monaco ; Décision n° 2020-12, 2 déc. 2020, FEDEM c/ État de Monaco ; Décision 2021-20 du 4 mars 2022, Union des Syndicats de Monaco c/ État de Monaco).
Dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir, le Tribunal suprême peut être amené à vérifier si la mesure administrative ne porte pas une atteinte disproportionnée à un droit fondamental. Ainsi, dans la décision précitée du 30 novembre 2023, le Tribunal suprême a considéré que la sanction d’un fonctionnaire, pour avoir participé, en dehors de ses fonctions, à des manifestations critiques à l’égard du Gouvernement, n’est pas contraire à la liberté d’expression, dès lors que la sanction en cause (un abaissement de classe) « ne revêt pas un caractère disproportionné ».
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La jurisprudence du Tribunal suprême ne fait pas apparaître de décision majeure sur la conciliation entre liberté d’expression et ordre public.
En revanche, sur le terrain voisin de la liberté d’association, le Tribunal suprême, par une décision déjà citée, a pu poser le principe selon lequel « au regard de l’exiguïté du territoire de la Principauté de Monaco, de sa composition démographique et culturelle et de l’intégration de la religion d’État, par son statut constitutionnel, dans l’ordre public monégasque, S.E. M. le Ministre d’État peut, pour des raisons convaincantes et impératives justifiant une restriction à la liberté d’association, refuser, en cas de risques avérés de troubles à l’ordre public, de délivrer un récépissé de déclaration d’association afin de protéger les institutions et les ressortissants de la Principauté contre d’éventuels abus et dangers ». En conséquence, l’ordre public, avec ses composantes propres à la Principauté, peut justifier des restrictions à la liberté d’association et éventuellement, par analogie à la liberté d’expression, si elles sont fondées sur des raisons convaincantes et impératives.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Le Tribunal suprême ne paraît pas recourir à d’autres outils jurisprudentiels en matière de contrôle du respect de la liberté d’expression, et notamment au contrôle de proportionnalité dit « utilitariste » de la Cour de justice de l’Union européenne, prenant la forme d’un bilan coût-bénéfices (E. Jeuland, « Une approche non utilitariste du contrôle de proportionnalité », JCP G 2016, suppl. Regards d’universitaires sur la réforme de la Cour de cassation, conférence-débat du 24 novembre 2015, p. 20).
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
La liberté d’expression, au regard de sa valeur constitutionnelle, doit être garantie quelles que soient les circonstances de temps et de lieu. Elle peut toutefois, comme les autres droits et libertés, faire l’objet de restrictions en période de troubles.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Dans la jurisprudence des juridictions monégasques, et pas seulement du Tribunal suprême, de nombreuses décisions interviennent sur la ligne de partage entre la liberté d’expression et la diffamation (v. par ex. TCO, 10 oct. 2023, k. A. c/ t. D., p. E., la Société G. ; 13 juin 2023, v. E. c/ j. C. et la Société à Responsabilité Limitée K. ; CA, 12 févr. 2007, G. c/ ministre d’État, État de Monaco, CR, 7 juillet 2022, M. A. c/ Ministère public).
À Monaco, la question s’est posée notamment au sujet de la pratique du bâtonnement, qui permet au juge d’ordonner la suppression des écrits injurieux et diffamatoires, qui excèdent la liberté d’expression nécessaire aux débats judiciaires (art. 23 de la loi n° 1047 du 28 juillet 1982 sur l’exercice des professions d’avocat-défenseur et d’avocat). Dans l’affaire SARL GATOR c/ SCP LONG ISLAND, la cour d’appel avait supprimé un passage des conclusions écrites de l’avocat, jugé attentatoire à la considération d’une des parties en cause. Cette décision, confirmée par la cour de révision (CR, 16 octobre 2017, SARL GATOR c/ SCP LONG ISLAND) a été contestée devant la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant estimant que le bâtonnement avait porté atteinte à sa liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la requête aux motifs que le bâtonnement était une mesure prévue par la loi, visait à protéger la réputation ou les droits d’autrui, et n’avait pas eu des conséquences disproportionnées en l’espèce (CEDH, 11 mai 2023, SARL GATOR c/ MONACO).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Le Tribunal suprême n’a pas eu à se prononcer sur ces thèmes, le droit monégasque ne comportant pas de lois de régulation d’Internet (mis à part sur les textes sur la protection des données personnelles) ni de réglementation en matière de réseaux sociaux.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Le Tribunal suprême envisage aussi bien les modes d’expression classiques, que les formes plus modernes, dématérialisées qui ont immédiatement un grand retentissement à Monaco compte tenu de l’exiguïté du territoire monégasque. Ainsi, dans la décision précitée du 7 avril 2014, rendue au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, il était question d’un requérant, qui avait manifesté une attitude de dénigrement de la Principauté et de ses autorités au moyen d’un « blog » (TS, 7 avril 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco).
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
À Monaco, comme dans les États européens, la liberté d’expression est encadrée en période électorale, puisque la campagne électorale officielle se fait uniquement par voie d’affichage sur les emplacements réservés, au moyen d’une surface égale entre les candidats avec interdiction de lacérer ou de recouvrir des affiches électorales (art. 30 et suivants de la loi n° 839 du 23 février 1968 sur les élections nationales et communales).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La loi sur les élections nationales et communales prévoit que sont inéligibles au Conseil national « les électeurs qui, par l’effet d’une autre nationalité, exerceraient des fonctions publiques ou électives dans un pays étranger » (art. 14 de la loi précitée).
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La liberté d’expression peut connaitre des restrictions particulières en période de troubles. Dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid-19, les limitations apportées à la liberté d’aller et de venir, de manifester dans l’espace public, par exemple, ont emporté nécessairement des restrictions à la liberté d’expression. De telles restrictions doivent toutefois être fondées sur une situation d’urgence de santé publique internationale et les mesures prises doivent être « proportionnée[s] aux risques courus et appropriée[s] aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » (art. 65 de l’Ordonnance souveraine n° 6.387 du 9 mai 2017 relative à la mise en œuvre du règlement sanitaire international (2005) en vue de lutter contre la propagation internationale des maladies).
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Sans avoir recours expressément à la notion d’ordre public, la décision du 30 novembre 2023, relative à la liberté d’expression d’un agent de la sûreté publique dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid-19 apporte un éclairage de ce point de vue (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco). Il n’est pas certain que la simple participation d’un agent de la sûreté publique, en dehors de ses heures de travail, à une manifestation destinée à critiquer une politique du Gouvernement (sans prise de parole ou implication plus active), soit systématiquement considérée comme de nature à justifier une sanction. Le contexte de la crise sanitaire a pu conduire le Tribunal suprême à considérer qu’en temps de troubles, les fonctionnaires et agents devaient faire preuve d’un devoir de réserve renforcé sur ces questions sensibles.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Le Tribunal suprême est garant des droits et libertés protégés par la Constitution et veille à ce titre à la protection de la liberté d’expression, même en période de troubles.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
À Monaco, les décisions rendues en matière de liberté d’expression n’ont pas eu un impact notable sur la légitimité et le rôle du Tribunal suprême.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression est, en effet, l’un des principaux fondements d’une société démocratique, puisqu’elle garantit la pluralité des courants d’opinions qui est à la base de toute démocratie. À l’ère du XXIe siècle, la multiplication des supports d’expression, médias, mais aussi réseaux sociaux, dans un espace dématérialisé et insuffisamment réglementé, fait apparaître de nouveaux enjeux, pour lesquels la Principauté a ratifié des conventions ou adopté des projets de loi. Ainsi, la liberté d’expression doit être conciliée avec la lutte contre le terrorisme (Convention du 16 mai 2005 du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme), la lutte contre le racisme (Protocole additionnel à la Convention du conseil de l’Europe sur la cybercriminalité relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste ou xénophobes commis par le biais de systèmes informatiques) ou la lutte contre les violences faites aux femmes (Convention du conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) et le harcèlement scolaire (loi n° 1.513 du 3 décembre 2021 relative à la lutte contre le harcèlement et la violence en milieu scolaire) ou encore la protection des données personnelles (un projet de loi est actuellement à l’étude au Conseil national).
Principales décisions du TS liées à la liberté d’expression :
TS, 13 avril 1931, Sieur C. c/ État de Monaco : limite à la liberté d’expression d’un fonctionnaire ; TS, 29 mai 1952, Sieur S. c/ ministre d’État et, du même jour, Sieur B. c/ ministre d’État : liberté d’expression d’un fonctionnaire ; incompétence du TS ; TS, 31 mai 1976, dame P. c/ ministre d’État : pas de preuve de l’atteinte à la liberté d’opinion d’un candidat à un poste d’enseignant (opinion politique) ; TS, 3 déc. 2002, Sieurs R. G., J.-L. N. et J.-M. R. c/ ministre d’État : système électoral non contraire à la liberté d’expression ; TS, 14 juin 2006, Sieur D.A. c/ ministre d’État : atteinte alléguée à la liberté d’expression du requérant par le refus d’une autorisation administrative – le TS n’en fait pas état ; TS, 7 avril 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco : atteinte alléguée à la liberté d’expression du requérant par une opposition à l’acquisition de la nationalité – le TS n’en fait pas état ; TS, 18 février 2019, 30 juin 2017, Association monégasque pour le culte des témoins de Jéhovah et M. j.p. GA c/ État de Monaco : atteinte à la liberté d’association, car pas de trouble à l’ordre public ; sur le terrain voisin de la liberté d’association ; TS, 10 mars 2023, Union des Syndicats de Monaco et Syndicats des agents de l’État et de la Commune c/ État de Monaco : atteinte à la liberté d’opinion alléguée entre autres par le requérant, réserve d’interprétation apportée par le TS ; TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco : limite à la liberté de manifestation d’un fonctionnaire. |
Conseil constitutionnel du Mozambique
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Dans le cadre juridique mozambicain, la liberté d’expression trouve ses fondements dans la Constitution de la République (article 48), la loi sur le droit à l’information et la loi sur la liberté de la presse.
La liberté d’expression est également garantie sur la scène juridique internationale par la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 19).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. La liberté d’expression est prévue à l’article 48, paragraphe 1, de la Constitution et est limitée par le principe de la dignité humaine, stipulé à l’article 48, paragraphe 6, de la Constitution, qui comprend, entre autres droits, le droit à la vie privée, comme indiqué à l’article 5 de la loi sur le droit à l’information.
En outre, la liberté d’expression est également limitée par les types juridiques de délits de diffamation et de calomnie énoncés aux articles 233 et 234 du Code pénal, car ils exigent le respect de l’intimité de la vie privée et familiale et de l’honneur de la victime.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est le droit garanti par la Constitution d’exprimer librement ses idées et ses opinions, sans entrave ni représailles ou sanctions.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition et le contenu de la liberté d’expression dans le système juridique mozambicain sont similaires à ceux du système juridique portugais[204], du système juridique angolais[205], qui considèrent la liberté d’expression comme la liberté d’exprimer des pensées et des opinions, à l’abri de toutes représailles, même si elles suscitent une controverse sociale ou politique.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Selon la jurisprudence de la juridiction du 1er Degré (juridiction pénale) du département Kampfumo du 16 septembre 2015[206], qui considère la liberté d’expression comme la liberté d’exprimer des pensées et des opinions, à l’abri de toutes représailles, même si elles suscitent une controverse sociale ou politique.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias)?
La liberté d’expression ne se manifeste pas de la même manière dans les différentes sphères sociales. En effet, selon les cas, il y a des domaines où la liberté est plus grande et d’autres où elle est plus restreinte. Les arts et les médias sont des exemples de domaines jouissant d’une grande liberté, tandis que la politique, l’armée et la royauté sont des domaines plus restreints, en raison de la position qu’ils occupent dans le contexte de l’État, ce qui impose un certain secret qui les caractérise.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à toutes les personnes, qu’elles soient physiques ou morales. Dans la sphère constitutionnelle, la liberté d’expression est attribuée à tous les citoyens (personnes physiques), cependant, à la lumière du droit commun, à savoir la loi sur l’information, et les lois régissant les élections, tant municipales que générales, la liberté d’expression est également reconnue aux personnes morales, telles que les médias et les organisations d’information, les partis politiques et leurs coalitions, et d’autres personnes morales.
Le contenu et le cadre de la liberté d’expression ne diffèrent pas selon la personne qui la détient.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les fonctionnaires et les militaires ont et exercent généralement le droit à la liberté d’expression dans l’exercice de leurs activités professionnelles. Toutefois, leur liberté peut, dans une certaine mesure, être limitée par les obligations de secret et de secret professionnel en ce qui concerne les questions dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions, comme le montrent l’article 80 du décret 30/2001 du 15 octobre, qui fait référence au fonctionnement de l’administration publique, et l’article 10 du décret 20/2018 du 26 avril, qui approuve le statut militaire des forces armées mozambicaines.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La création du Conseil constitutionnel va de pair avec l’instauration de la liberté d’expression, puisque toutes deux ont été consacrées par la Constitution de 1990. La liberté d’expression a été consacrée par l’article 74 et le Conseil constitutionnel a été approuvé par les articles 180 et suivants de la Constitution de 1990.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Les décisions du Conseil constitutionnel (jurisprudence) s’imposent à l’ensemble de la société, y compris aux juridictions inférieures (juridictions judiciaires ou spéciales). Ainsi, la jurisprudence relative à la liberté d’expression, qui consiste à déclarer des lois et d’autres actes normatifs constitutionnels ou inconstitutionnels, influencera directement la jurisprudence des juridictions inférieures, puisque ces décisions ne pourront pas s’opposer ou contredire les décisions du Conseil constitutionnel.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La Constitution établit que l’exercice de la liberté d’expression ne peut être limité par la censure (article 48, paragraphe 2 de la Constitution). La liberté d’expression, comme mentionnée ci-dessus, comprend la libre expression d’idées et d’opinions, sans entrave ni représailles ou sanctions. La censure, en revanche, consiste à désapprouver et à retirer de la circulation publique des informations, dans le but de protéger les intérêts d’un État, d’une organisation ou d’un individu. Ainsi, la censure s’oppose à la liberté d’expression dans la mesure où elle représente une limitation de ce droit, interdite par la Constitution.
Quant à la diffamation, il s’agit d’un type de délit prévu par le Code pénal, qui criminalise le fait de diffamer publiquement une autre personne en lui imputant des faits qui portent atteinte à son honneur et à sa considération (article 233 du Code pénal). Il s’agit d’une limitation légale autorisée par la loi, qui vise à sauvegarder le principe de la dignité humaine, en termes de droit à l’honneur et à la vie privée.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Le domaine juridique ne fait pas de distinction entre la liberté d’expression exercée par des moyens traditionnels et celle exercée par le biais des réseaux sociaux, qui jouissent toutes deux d’une dignité constitutionnelle.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
En période électorale, la liberté d’expression sur le territoire mozambicain est davantage protégée, la loi électorale interdisant l’imposition de toute limitation à la libre expression des principes politiques, économiques, sociaux et culturels, que ce soit par les partis politiques, leurs coalitions ou les citoyens votants, comme le montrent l’article 38 de la loi 7/2018[207], du 3 août (qui régit le processus électoral pour les autorités locales) et l’article 22 de la loi 2/2019[208], du 31 mai (qui régit le processus d’élection générale).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Dans le cadre de la liberté d’expression, la loi sur la presse impose certaines restrictions aux acteurs étrangers, notamment l’interdiction pour les citoyens étrangers de posséder des organismes de presse (conformément à l’article 6, paragraphe 5, de la loi sur la presse), sauf s’ils sont constitués en société commerciale, auquel cas leur participation ne peut excéder 25 % du capital social (conformément à l’article 6, paragraphe 6).
Dans le même ordre d’idées, l’article 17, paragraphes 2 et 3, de la loi sur la presse stipule que les publications étrangères diffusées au Mozambique sont soumises à la loi sur la presse et à la législation mozambicaine sur le libre-échange.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La liberté d’expression est une liberté fondamentale et, en tant que telle, elle ne peut être restreinte que dans les cas expressément prévus par la Constitution, lorsqu’elle vise à sauvegarder d’autres droits et intérêts protégés par la Constitution (article 56, paragraphes 2 et 3, de la Constitution).
L’article 72, paragraphe 1, de la Constitution stipule que les limitations aux libertés et garanties individuelles, y compris la liberté d’expression, ne peuvent avoir lieu qu’en cas de déclaration d’un état d’exception, à savoir l’état de guerre, l’état de siège et l’état d’urgence.
Par conséquent, à moins que les périodes de troubles ne relèvent de l’un des états d’exception. Si elles relèvent de l’un des états d’exception, ces limitations doivent être spécifiées dans la déclaration de l’état de siège ou d’urgence, émise par décret présidentiel et ratifiée par l’Assemblée de la République.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Comme indiqué dans la réponse à la question ci-dessus, la liberté d’expression ne peut être restreinte en période de troubles, à moins qu’une telle restriction ne résulte de la déclaration d’un état d’exception par le président de la République par le biais d’un décret présidentiel. Si un état d’exception était déclaré, il servirait de base et de limite pour modifier le concept d’ordre public aux fins de restreindre la liberté d’expression.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La juridiction constitutionnelle, qui est l’un des piliers de l’administration de la justice et de l’État de droit démocratique, est légitimée par le plein exercice de la démocratie par les citoyens.
La liberté d’expression étant l’un des fondements de la démocratie moderne, son plein exercice par les citoyens contribue à légitimer la juridiction constitutionnelle et à rendre son rôle effectif.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui. L’un des fondements d’une société démocratique est le principe de liberté, qui suppose que les citoyens aient et exercent le droit à la liberté d’expression et d’opinion, c’est-à-dire la liberté d’exprimer leurs opinions sans crainte de représailles. La construction d’une société plus démocratique est donc intrinsèquement liée au fait que ses citoyens expriment librement leurs opinions et leurs pensées dans toutes les sphères sociales, sans crainte de représailles.
Cour constitutionnelle de la Républicaine centrafricaine
Pour la consolidation de l’Etat de droit
- Paramètres « État de droit »
Existence d’institutions, classiques ou nouvelles, efficaces et indépendantes, au niveau national, mais aussi, dans le cadre de l’intégration et de la coopération régionale, fonctionnant selon le principe de la transparence, ce qui implique l’existence et l’efficacité de mécanismes et de structures impartiales de contrôle, à tous les niveaux (chapitre 4 A).
- Questions
La constitution et la justice constitutionnelle
– Quelles sont pour vous les principales menaces à l’indépendance des Cours constitutionnelles ces dernières années ? Et les points de vigilance à avoir pour les prochaines années ? (ACCF)
A – Les textes de la Constitution du 30 mars 2023 sur l’indépendance de la justice
La nouvelle Constitution du 30 août 2023, comme toute Constitution d’un État démocratique et de droit, contient l’affirmation solennelle de l’indépendance de la justice. Relevons à cet effet, quelques articles importants.
Art 65 alinéas 16 et 17 :
Il (le président de la République) est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Il préside le Conseil Supérieur de la magistrature, la Commission consultative du Conseil d’État et la conférence des présidents et du procureur général de la Cour des comptes.
Art. 124 : La justice constitue un pouvoir indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
La justice est rendue sur le territoire de la République centrafricaine au nom du peuple centrafricain par la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Cour des comptes, le Tribunal des conflits, les Cours et Tribunaux.
Art. 125 : Les juges sont indépendants. Ils ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi. Les magistrats du siège sont inamovibles.
Des lois déterminent les statuts des juges.
Art. 126 : Le président de la République est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Le Conseil Supérieur de la magistrature, la Commission consultative du Conseil d’État et la Conférence des présidents et du procureur général de la Cour des comptes veillent sur la gestion de la carrière des magistrats et sur l’indépendance de la magistrature.
Cette indépendance est assise sur le principe de séparation des pouvoirs, évoqué dans le Préambule de la Constitution en son paragraphe 11.
« Résolu à construire un État de droit fondé sur une démocratie pluraliste, le respect de la séparation des pouvoirs en vue de garantir la sécurité des personnes et des biens, la protection des plus faibles, notamment des personnes vulnérables, des personnes vivant avec handicap, des minorités et le plein exercice des libertés et des droits fondamentaux. »
Concevoir la justice comme un véritable pouvoir à côté des pouvoirs exécutif et législatif. Or l’exécutif a un chef, le président de la République, et le législatif, le président de l’Assemblée nationale. Par contre, il n’existe pas de personnalité représentant le pouvoir judiciaire.
Du coup, le ministre de la Justice, garde des Sceaux se retrouve en première ligne dans la représentativité du pouvoir judiciaire. Il est vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, de la Commission consultative du Conseil d’État et la Conférence des présidents et du procureur général de la Cour des comptes, instances chargées de veiller sur l’indépendance de la justice.
La justice semble être une autorité ou un service de l’État, soumis à l’exécutif qui en a directement la maîtrise.
B – Les menaces à l’indépendance de la justice
De ce constat, les menaces à l’indépendance de la justice apparaissent de manière évidente :
- Immixtions de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice ;
- Cadrage juridico-institutionnel inadapté à l’existence du pouvoir judiciaire indépendant ;
- Intimidations diverses ;
- Existence de mécanisme de sanctions directes ou indirectes en vue de soumettre le pouvoir judiciaire ;
- Insuffisance des moyens humains, matériels, logistiques et financiers mis à disposition en vue du fonctionnement ;
- Mise à la retraite et destitution de 2 juges ;
- Critiques sévères de certaines décisions : décision d’annulation de décrets présidentiels, décision de refus de valider un projet de modification de la Constitution
C – Les points à surveiller
- L’inscription de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans la constitution (Condition minimale) ;
- Les règles d’élaboration et de révision des Constitutions ;
- Les règles régissant la dévolution des pouvoirs de l’État ;
- Le cadrage juridico-institutionnel de la justice : interrogation des textes pour vérifier si les mécanismes et mesures garantissent effectivement cette indépendance ;
- Le domaine des élections : définition claire et efficiente de l’organisation démocratique des élections et des interventions des OGE et des juges ;
- Les mesures visant à instaurer le contrôle de constitutionnalité ;
- Les mesures prévues dans le cadre de circonstances exceptionnelles dans lesquelles se trouverait l’État ;
- La gestion des transitions politiques et/ou démocratiques ;
- L’affirmation et la définition des mécanismes de protections des droits et libertés fondamentaux ;
- Les mécanismes de gestion apaisée des affaires de l’État.
La juridiction constitutionnelle centrafricaine a fait l’objet de graves attaques :
- Critique forte des décisions rendues sur les affaires sensibles tant au côté de la majorité que de l’opposition (invalidation de candidatures aux élections, annulation des élections, annulation des textes réglementaires anticonstitutionnels, etc.) ;
- Pressions ouvertes (diffamation, calomnie, agressions verbales et physiques des juges et des membres de leur famille, tentatives de corruption …) ;
- Refus de décaisser ou retard à décaisser les ressources nécessaires au fonctionnement de l’Institution ;
- Destitution pour mise à la retraite d’un membre malgré l’inamovibilité des juges ;
Pour une vie politique apaisée
- Paramètres « vie politique »
- Questions
– Votre Cour constitutionnelle a-t-elle déjà rendu une décision relative à la liberté de la presse ou d’expression ? (ACCF)
La juridiction constitutionnelle est une institution gardienne des libertés fondamentales au rang desquelles il y a la liberté de presse (art 24 alinéa 2 de la Constitution du 30 août 2023)
La Cour ou le Conseil constitutionnel n’ont pas eu l’occasion de rendre une décision relative à la liberté de presse ou d’expression.
Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La constitution du 18 février 2006 telle que révisée par la loi n°11/020 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution en son article 23 ; l’ordonnance loi n°23/009 du 13 mars 2023 fixant les modalités de l’exercice de la presse, d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication en République Démocratique du Congo en son article 4 ainsi que la loi n°09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant en son article 27.
Oui, à l’article 23, alinéa 2 in fine ; l’article 4 in fine l’ordonnance-loi n°23/009 du 13 mars 2023 fixant les modalités de l’exercice de la presse, d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication en République Démocratique du Congo ainsi que l’article 27, al. 1er de la loi n°09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
En République Démocratique du Congo, il ressort de l’article 23 alinéa 2 de la Constitution que la liberté d’expression implique celle d’opinion et celle de conviction. La loi relative à la liberté de presse la définit comme étant le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs.
Dans cette logique, la liberté d’expression est une faculté reconnue à toute personne, physique ou morale, d’extérioriser ses opinions, ses pensées par rapport à une question ou situation donnée dans le respect de l’ordre public, de bonnes mœurs et de droits d’autrui.
La combinaison des articles 13, 22, 23 et 24 de la Constitution constitue la déclaration constitutionnelle protégeant la liberté d’expression. Il ressort de ces dispositions la prohibition de priver à un Congolais des prérogatives reconnues à tous les nationaux en raison notamment de ses opinions ou de ses convictions politiques, la déclaration des droits à la liberté de pensée, de conscience, de religion et d’expression. Ces droits impliquent la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, la formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Non, appliquant la Constitution, la Cour serait tenue à réitérer le sens que cette dernière offre à la liberté d’expression.
En somme, la définition et le contenu que la Cour constitutionnelle congolaise donne à la liberté d’expression ne diffèrent pas de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression fait partie de l’ensemble des droits humains, des libertés fondamentales, en cela, il constitue une liberté matricielle, il s’agit donc d’un terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés, notamment la liberté de culte, liberté d’enseigner, le droit au vote, le droit à une pétition, liberté de la presse…
Il faut souligner que notre jurisprudence est silencieuse faute de décision rendue en la matière.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
À cette question, la réponse reste non. Car la République Démocratique du Congo est un État laïc (article 1er, alinéa 1er de la Constitution). Par ailleurs, le blasphème n’est pas constitutif d’une infraction en RDC (n’est donc pas un élément d’ordre public). Toutefois, la diversité religieuse ne peut pas conduire à des atteintes à la liberté religieuse des uns par les autres.
Il faut aussi souligner que la Cour n’a pas encore été confrontée à ce type de recours.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Non. En République Démocratique du Congo, la liberté d’expression est exercée de la même manière, quel qu’en soit le domaine. Mais cette liberté doit s’exercer dans le respect strict de la Constitution et des lois relatives.
À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à toute personne, privée ou publique. Son contenu et son encadrement diffèrent d’après les personnes qui en sont titulaires et donc, à leur situation. C’est ainsi qu’en termes d’encadrement, l’on a le secret professionnel, le droit de réserve, la clause de non-concurrence, etc. Pour le mineur, la liberté d’expression est encadrée par la loi portant protection de l’enfant en ses articles 7, 27 et 28 en ce qu’il exerce cette liberté sous l’autorité de ses parents ou des personnes qui ont sur lui une autorité parentale (tuteur).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression des agents de l’État connait, en sus des normes générales, un encadrement spécifique variant selon le régime juridique leur applicable. Il y a cependant lieu de retenir que les agents de l’État jouissent de leur liberté d’expression comme tous les autres congolais.
Pour certains corps des métiers, un régime spécial peut leur être d’application, notamment pour les militaires, les policiers, les agents des services de sécurité et de renseignement ainsi que les magistrats lesquels sont soumis, de par leurs fonctions, à l’obligation de réserve, voire aux secrets professionnels.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
À partir de l’entrée en fonction de l’actuelle Cour constitutionnelle, rendue effective le 4 avril 2015.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La République Démocratique du Congo est un État de droit et démocratique (Article 1er, alinéa 1er Constitution). Dès lors, la promotion et la protection des libertés et droits fondamentaux en général et de la liberté d’expression en particulier ont une place de choix. Bien que la liberté d’expression reste tout de même essentielle d’un État démocratique comme la République Démocratique du Congo, la jurisprudence de notre Cour demeure silencieuse, faute de décision en cette matière.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
D’emblée, la Constitution congolaise, et par ricochet, le juge constitutionnel congolais accorde les mêmes garanties à toutes les libertés et droits fondamentaux. La raison majeure, c’est qu’elle s’est rendue compte des effets du caractère interdépendant de ceux-ci. Toutefois, le statut démocratique de la République Démocratique du Congo constitue un levier de renfoncement de l’encadrement de la liberté d’expression par le juge constitutionnel voire celui de droit commun.il existe cependant certains droits auxquels la Constitution accorde une protection particulière, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent être dérogés, même en cas des circonstances exceptionnelles (état de siège, état d’urgence et état de guerre), parmi lesquels figure en bonne place la liberté de pensée, de conscience et de religion.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Non. L’absence de variations s’explique par le fait que seuls les domaines politiques et des médias occasionnent régulièrement les contestations afférentes à cette liberté. Très rares, l’on identifie des réclamations ou contestations relatives à l’exercice de la liberté d’expression dans le domaine économique, social, culturel et religieux voire des arts.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Cette question est tributaire à la Réponse n°4 (affirmative).
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La Cour constitutionnelle est le premier rempart de la protection des libertés et droits fondamentaux, à qui la mission essentielle est d’y veiller à travers l’exercice de toutes ses différentes compétences contentieuses et non contentieuses ; bien que les autres juridictions en aient reçu compétences (articles 149, alinéa 1er et 150, alinéa 1er de la Constitution). En plus, ses arrêts sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, notamment à toutes les autorités juridictionnelles, civiles et militaires. De ce point de vue, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur la liberté d’expression influe sur la jurisprudence des juridictions du fond et celles-ci ne peuvent y déroger. Par inverse, la jurisprudence de ces juridictions ne reste pas moins nécessaire à servir au juge constitutionnel de repère pourvu qu’elle soit conforme à l’esprit de la Constitution.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Pour motiver ses propres décisions, la Cour s’inspire parfois de jurisprudences d’autres cours étrangères, régionales et internationales en vertu de la mondialisation du droit. Bien plus du droit mondialisé autant il incorporait des valeurs universelles que les droits de l’homme revêt un caractère universel.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
L’exercice de la liberté de la vie privée ne doit pas être constitutif d’abus tels les violences conjugales, l’abandon de famille, etc. Il ne doit donc pas conduire à des atteintes graves à d’autres droits. Ainsi, lorsque la liberté de la vie privée est en conflit avec d’autres droits fondamentaux, il n’est nécessaire que la liberté d’expression soit exercée pour dénoncer, accuser et décrier les abus qui peuvent résulter du bénéfice de la liberté à la vie privée. Par ailleurs, la critique de la religion est tolérable dans une certaine mesure. Seulement, elle ne doit pas aboutir ou conduire à inciter à la haine de la religion critiquée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle conduit davantage dans l’équilibre des intérêts de l’État et ceux de l’individu, sans oublier qu’il en est premier bénéficiaire. Toutefois, les intérêts étatiques restent supérieurs pour assurer sa stabilité, sa sécurité intérieure et extérieure, la défense même de son intégrité territoriale. Ainsi donc, tout dépend de la question soumise à la Cour.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Les principes de la proportionnalité et de la nécessité. L’utilisation est casuistique. Par exemple, une sanction plus sévère au regard d’un simple égarement de l’exercice d’une liberté d’expression est disproportionnée comme limite à cette liberté. Le contrôle varie dans les deux sens, car le législateur ne peut arbitrairement prévoir des limites à la liberté d’expression ; et le titulaire de cette liberté ne peut l’exercer que dans les limites des devoirs qui lui incombent. Un magistrat est traité sévèrement qu’un simple citoyen lorsque les deux sembleraient dépasser les limites de leur liberté d’expression.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La liberté d’expression et l’ordre public entretiennent un rapport de soumission. En effet, la première doit s’exercer dans le respect du second en ce sens que l’ordre public vise la cohérence sociale et le bien-être durable de la société dans la mesure où l’expression utilisée peut occasionner une instabilité incontrôlée. L’ordre public permet d’encadrer la liberté d’expression. Il est d’infractions consacrées pour lutter contre l’exercice excessif de la liberté d’expression, car en fait un excès trouble l’ordre public. À titre d’illustration, la diffamation. D’autres infractions sont érigées pour protéger la liberté d’expression (la torture) sachant que la liberté d’expression implique de s’exprimer sans contrainte. En outre, reste « un objectif de valeur constitutionnelle ».
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Le contrôle de stricte nécessité.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les circonstances exceptionnelles, l’état d’urgence et l’état de siège, telles que prévues par la constitution en ses articles 85, 144 et 145. L’article 61 fixe, cependant, les noyaux durs des droits fondamentaux parmi lesquels se trouvent les libertés dont la liberté d’expression sert de terreau : liberté de pensée, de conscience et de religion. Cela conduit à ce que l’on réserve un régime juridique particulier à la liberté d’expression pourvu qu’elle soit conforme aux limites traditionnelles : l’ordre public, sachant que celui-ci reçoit un contenu particulier adapté à la circonstance, ainsi qu’aux objectifs poursuivis par l’état d’urgence et l’état de siège.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La censure est instaurée dans le but de sauvegarder l’ordre public (moralité publique) et les bonnes mœurs qui, tous deux, constituent des limites traditionnelles de la liberté d’expression. Généralement, les termes utilisés, les images affichées voire ceux simulables dérangeant la pudeur, obscènes ou autres qui heurtent la sensibilité des consommateurs (censure). Quant à la diffamation, dirigée contre une personne déterminée, est considérée comme un excès de l’exercice de la liberté d’expression. Et l’examen minutieux des éléments de cette infraction révèle que seule l’intention de son auteur permet d’établir une frontière entre la diffamation et la liberté d’expression : la mauvaise foi (diffamation) et bonne foi (liberté d’expression).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Pas encore, pour deux raisons : la première, la loi sur les télécommunications et la nouvelle technologie de l’information et de la communication ainsi que celle du numérique sont récentes (respectivement novembre 2020 et juin 2023) ; en tant que loi ordinaire, elle n’est pas obligatoire de passer par un contrôle a priori d’inconstitutionnalité des lois.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Réponse conditionnée à la précédente.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
En période électorale, la liberté d’expression connait un renforcement de protection dans la mesure où durant tout le processus électoral, il est admis son large exercice en vue de garantir la démocratie. Ex. : Processus électoral de 2023.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non. Toutefois, chaque étranger est soumis aux règles de l’État de son établissement ou dans lequel il se trouve. Le personnel diplomatique et consulaire doit respecter la souveraineté de la République Démocratique du Congo exprimée à travers ses lois et règlements ainsi que les règles imposées par les conventions universelles, régionales, sous-régionales, voire bilatérales.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
En principe, la réponse est négative. Mais l’article 23 de la Constitution qui garantit la liberté d’expression précise qu’elle s’exerce sous réserve du respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Aucun texte législatif ou réglementaire ne définit le concept le domaine public. Ce qui laisse une brèche au juge notamment constitutionnel d’en varier le contenu selon les circonstances encore que ce soit une notion qui évalue avec le temps.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Contrairement aux autres libertés et droits fondamentaux, la liberté d’expression est plus réclamée et invoquée à chaque fois qu’il y a des interpellations y ayant trait. Ceci démontre qu’au sein de la population, c’est l’une des libertés les plus utilisées. De ce fait, son encadrement mesuré par la Cour permet, dans une certaine mesure, d’asseoir la légitimité de la Cour constitutionnelle congolaise ainsi que son rôle de rempart des droits et libertés fondamentaux.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, bien que n’étant pas le seul outil. Néanmoins, son utilité n’est plus à prouver en ce qu’elle permet l’exercice de droit de vote, de participer aux débats publics, à la gestion de la chose publique de manière libre, c’est-à-dire sans contrainte aucune. Il est par ailleurs affirmé que sans la liberté d’expression, il ne peut donc pas y avoir de démocratie. Car, la liberté du débat permet aux citoyens de se forger une opinion sur les partis qui se présentent aux élections, de prendre des décisions en toute connaissance de cause et d’exercer plus efficacement leurs devoirs de citoyen. Elle leur permet également de faire connaitre aux autorités ce qu’ils pensent et celles-ci peuvent alors répondre à leurs préoccupations. Elle est indispensable à la stabilité et à la flexibilité de la société[209].
Conclusion :
En République Démocratique du Congo, la Cour constitutionnelle se veut garante des droits et libertés fondamentaux. Comme cela ressort de nos réponses, elle se fonde sur la Constitution et fait parfois référence en termes de source d’inspiration aux traités et accords internationaux ainsi qu’à la jurisprudence des juridictions constitutionnelles des pays avec lesquels la République démocratique du Congo partage la même philosophie juridique et même à celle des juridictions internationales pour renforcer ses positions. Elle fait aussi recours à la doctrine ayant une certaine autorité afin de développer sa propre logique de raisonnement e sur les questions majeures de protection des droits et libertés fondamentaux.
Il convient de noter qu’à ce jour, sa jurisprudence est silencieuse quant aux questions liées à la liberté d’expression, car elle n’a pas encore été saisie pour ces types de questions. Cette situation se justifie, car de par les textes juridiques régissant la Cour constitutionnelle et la philosophie qui guide l’action de cette juridiction, elle ne peut s’autosaisir d’office d’une violation de la Constitution.
Cour constitutionnelle de Roumanie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
L’article 30 de la Constitution roumaine réglemente la liberté d’expression : (1) la liberté d’expression de pensées, d’opinions ou de croyances et la liberté de création de toute nature, que ce soit par la bouche, l’écriture, les images, les sons ou d’autres moyens de communication en public, sont inviolables. (2) La censure de toute nature est interdite. (3) La liberté de la presse implique également la liberté de créer des publications. (4) Aucune publication ne peut être supprimée. (5) La loi peut imposer aux médias l’obligation de rendre publique la source de financement. (6) La liberté d’expression ne peut porter atteinte à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne ou au droit à son image. (7) La diffamation du pays et de la nation, l’appel à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale, de classe ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique, ainsi que les manifestations obscènes contraires aux bonnes mœurs sont interdites par la loi. (8) La responsabilité civile de l’information ou de la création portée à la connaissance du public incombe à l’éditeur ou au créateur, à l’auteur, à l’organisateur de la manifestation artistique, au propriétaire du support de multiplication, à la station de radio ou de télévision, conformément à la loi. Les délits de presse sont établis par la loi.
Dans son analyse des présentes affaires, la Cour constitutionnelle de Roumanie tient également compte des dispositions de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que de celles de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans la mesure où les auteurs des griefs d’inconstitutionnalité invoquent une violation alléguée de celle-ci, à la lumière des dispositions des articles 20 et 148 de la Loi fondamentale.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Les limites du droit à la liberté d’expression sont régies par les paragraphes 6 et 7 de l’article 30 de la Constitution : la liberté d’expression ne porte pas atteinte à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne, ni au droit à son image. (7) La diffamation du pays et de la nation, l’appel à la guerre d’agression, la haine nationale, raciale, de classe ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique, et les manifestations obscènes contraires aux bonnes mœurs sont interdits par la loi. »
Dans sa jurisprudence, la [210]Cour constitutionnelle a jugé que, conformément à l’article 30, paragraphe 1, de la Constitution, la liberté d’expression est inviolable. Toutefois, elle ne peut porter atteinte « à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne, ni au droit à sa propre image ». Les limites de la liberté d’expression, énoncées à l’article 30, paragraphe 6, de la Constitution roumaine, sont pleinement conformes à la notion de liberté, qui n’est pas et ne peut pas être comprise comme un droit absolu. Les conceptions juridico-philosophiques promues par les sociétés démocratiques admettent que la liberté d’une personne prend fin là où commence la liberté d’une autre personne. L’article 57 de la Constitution prévoit expressément l’obligation pour les citoyens roumains, les citoyens étrangers et les apatrides d’exercer leurs droits constitutionnels de bonne foi, sans violer les droits et libertés d’autrui. C’est en principe que les obligations légales, et plus encore de nature constitutionnelle, doivent correspondre à des sanctions légales en cas de non-respect. Dans le cas contraire, les obligations légales seraient réduites au sens de simples desiderata, sans résultat pratique dans le domaine des relations sociales, la raison même de l’annulation de la réglementation juridique de certaines de ces relations. La réglementation constitutionnelle de la liberté d’expression, en tant que droit fondamental à contenu complexe, a déterminé les limites dans lesquelles elle peut être exercée. Surmontant le cadre constitutionnel, l’exercice abusif du droit entraîne une responsabilité juridique qui, dans le cas de la liberté d’expression, est expressément consacrée par les dispositions du paragraphe 8 de l’article 30 de la Constitution. Toutefois, la nature et la sévérité des sanctions infligées sont des éléments à prendre en compte lors de l’appréciation de la proportionnalité d’une restriction à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits et libertés fondamentaux. Les valeurs constitutionnelles qui ne peuvent être affectées sont les droits individuels tels que la dignité, l’honneur, la vie privée de la personne et le droit à sa propre image, à savoir les valeurs fondamentales qui sont protégées par l’interdiction des actes visés à l’article 30, paragraphe 7, à savoir la diffamation du pays et de la nation, l’appel à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale, de classe ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique, ainsi que les manifestations obscènes contraires aux bonnes mœurs. Étant donné que les limites imposées à cette liberté constitutionnelle sont elles-mêmes de rang constitutionnel, la détermination du contenu de cette liberté doit être interprétée strictement, aucune autre limite n’étant autorisée, sauf en violation de la lettre et de l’esprit de l’article 30 de la Constitution.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Les dispositions de l’article 30 de la Constitution, qui consacrent la liberté d’expression, stipulent que cela représente la possibilité pour l’homme de manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances religieuses et ses créations de toute nature, par l’écriture, les images, les sons ou d’autres moyens de communication en public. La liberté d’expression a un contenu complexe, englobant la liberté d’expression ou la liberté de la presse.[211]
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Les exigences découlant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression ont été acceptées dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Roumanie, et le niveau de protection des droits fondamentaux régi par la Constitution roumaine n’est pas inférieur à celui établi par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme. Les décisions de la Cour constitutionnelle renvoient aux arrêts pertinents de la Cour de Strasbourg.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Comme je l’ai mentionné à la question 3, les dispositions de l’article 30 de la Constitution, qui consacrent la liberté d’expression, stipulent que cela représente la possibilité pour l’homme de manifester ses pensées, opinions, croyances religieuses et créations de toute nature, par l’écriture, images, sons ou autres moyens de communication en public, pensées, opinions, croyances religieuses et créations de toute nature. La liberté d’expression a un contenu complexe, englobant la liberté d’expression ou la liberté de la presse.[212]
Dans le même temps, en ce qui concerne la liberté d’expression, l’article 30, paragraphe 6, de la Constitution prévoit que son exercice ne peut porter atteinte à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne ou au droit à sa propre image, et l’article 31, paragraphe 4, dispose que les médias sont tenus d’assurer l’information correcte de l’opinion publique. Dans ces circonstances, il ne fait aucun doute que le droit de réponse a la valeur d’un droit constitutionnel corrélé à celle de la libre expression des opinions, quelle que soit la forme sous laquelle il peut être exercé. Elle peut, en outre, être considérée en lien étroit avec les dispositions de l’article 30, paragraphe 8, de la Constitution, qui réglemente la responsabilité civile pour les informations portées à la connaissance du public[213].
Ainsi, les éventuelles violations de la liberté d’expression sont analysées au cas par cas.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Le texte constitutionnel de l’article 30 ne fait aucune distinction à cet égard. Les éventuelles violations de la liberté d’expression sont analysées au cas par cas. À titre d’exemple, nous citons la décision no 284 du 21 mai 2014, publiée au Journal officiel de la Roumanie, partie I, n° 495 du 3 juillet 2014, par laquelle, statuant sur une demande de résolution d’un conflit juridique constitutionnel entre le président de la Roumanie et le gouvernement roumain, une demande formulée par le Premier ministre, la Cour constitutionnelle a jugé que « dans l’exercice de leurs mandats constitutionnels, les représentants des autorités publiques, par leurs fonctions, sont tenus d’éviter de créer des États conflictuels entre les pouvoirs. Le statut constitutionnel du Président, ainsi que son rôle dans la démocratie constitutionnelle, l’obligent à choisir des formes d’expression appropriées, de sorte qu’elles ne soient pas constituées d’éléments susceptibles de générer des conflits juridiques constitutionnels entre les autorités publiques.
Dans le même temps, la Cour a également relevé que les avis, jugements de valeur ou déclarations du titulaire d’un mandat de dignité publique, concernant d’autres autorités publiques, ne constituent pas en eux-mêmes des conflits juridiques entre autorités publiques. Les avis ou propositions sur la manière dont une autorité publique particulière ou ses structures, même critiques, agissent ou devraient agir ne déclenchent pas de goulets d’étranglement institutionnels, à moins qu’ils ne soient suivis d’actions ou d’inactions susceptibles d’entraver l’exécution des obligations constitutionnelles de ces autorités publiques. Ces opinions ou propositions restent dans les limites de la liberté d’expression des opinions politiques, avec les limitations prévues à l’article 30, paragraphes 6 et 7, de la Constitution ».[214]
En outre, en ce qui concerne les parlementaires et la liberté d’expression, la Cour a noté[215] qu’en réglementant l’obligation des députés, dans les débats parlementaires, de ne pas adopter de comportements et de langues dénigrants, racistes ou xénophobes ni de porter des banderoles ou des banderoles, la Chambre des députés, en vertu de son autonomie réglementaire, a transposé à un niveau infraconstitutionnel les limites de la liberté d’expression consacrées par la norme constitutionnelle. En d’autres termes, la disposition légale interdit les comportements et le langage dénigrants, racistes ou xénophobes, quelle que soit la façon dont ils se manifestent, y compris par écrit, au moyen de messages affichés sur des bannières ou des bannières. L’interdiction ne concerne pas la manière dont le message politique lui-même est exprimé, au moyen de la bannière ou de la bannière, mais uniquement le contenu du message qui ne doit pas être circonscrit au « langage dénigrant, raciste ou xénophobe ». L’utilisation des différentes formes d’expression des opinions politiques doit se limiter au cadre, à la finalité et à la réputation du corps législatif, respecter la solennité des séances plénières de chaque assemblée et ne pas porter atteinte à l’image du Parlement, et encore moins à ses travaux. Il est donc nécessaire que la liberté d’expression, dont les limites ne sont fixées que par la Constitution, trouve des formes de manifestation appropriées, qui, d’une part, répondent à l’impératif du droit parlementaire de l’opposition et de chaque sénateur ou député, individuellement, d’exprimer et de faire connaitre ses opinions, ses positions politiques et, d’autre part, ne se limitent pas à une simple déclaration de droits, sans être suivie d’un véritable débat sur les opinions politiques, les arguments juridiques avancés par les parlementaires dans le cadre formel du forum législatif.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
Les titulaires de la liberté d’expression sont à la fois des personnes privées et publiques, avec les limitations expressément prévues par la Loi fondamentale. La liberté d’expression appartient également aux représentants démocratiquement élus du peuple, à l’égard desquels le contenu de la liberté d’expression contient certaines nuances, comme indiqué à la question 7.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les droits et libertés des fonctionnaires sont énoncés dans les actes normatifs spéciaux régissant leur activité. Ainsi, l’article 432 du Code administratif[216] dispose que « (1) les agents de la fonction publique ont droit à la liberté d’expression, conformément à la loi. (2) Dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, les agents publics ont l’obligation de ne pas porter atteinte à la dignité, à l’image, ainsi qu’à la vie intime, familiale et privée de toute personne. Dans le même temps, les fonctionnaires ont l’obligation, dans l’exercice de leurs fonctions, de s’abstenir d’exprimer publiquement ou d’exprimer leurs convictions et préférences politiques, de ne favoriser aucun parti ou organisation politique auquel le même régime juridique s’applique aux partis politiques (article 436, paragraphe 2, du code administratif).
En ce qui concerne les magistrats, la loi n° 303/2022 sur le statut des juges et des procureurs[217] prévoit certaines limitations à la liberté d’expression, en ce sens que: « Faute disciplinaire : […] b) des attitudes indignes pendant le service à l’égard des collègues, des autres membres du personnel du tribunal ou du parquet dans lequel ils opèrent, des inspecteurs judiciaires, des avocats, des experts, des témoins, des justiciables ou des représentants d’autres institutions; c) mener des activités de nature politique ou manifester des convictions politiques en public ou pendant le service ; […]». Par décision n° 708 du 15 novembre 2018, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 60, du 23 janvier 2019, la Cour a constaté, à l’égard de dispositions similaires de la législation antérieure, que le législateur n’avait pas violé les exigences de clarté et de prévisibilité de la loi en utilisant l’expression « attitudes indignes », car sa signification peut raisonnablement être perçue et comprise par les destinataires de la règle, à savoir les magistrats. En outre, le législateur ne pourrait pas prévoir une liste exhaustive des actes ou des actes susceptibles de porter atteinte à la dignité de la profession et de la société ni une liste exhaustive des attitudes jugées indignes dans l’exercice de leurs fonctions. La Cour a également jugé que l’adaptation de leur comportement aux prescriptions de la règle doit être analysée en fonction des circonstances spécifiques, caractéristiques de chaque situation factuelle individuelle. Par décision n° 326 du 21 mai 2019, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 663 du 9 août 2019, la Cour a jugé que, en vertu de l’article 30, paragraphe 1, de la Constitution, la liberté d’expression est inviolable, mais qu’elle ne saurait être comprise comme absolue, sans qu’il y ait de limitations relatives à la nécessité de protéger d’autres valeurs fondamentales. L’article 57 de la Constitution prévoit expressément l’obligation pour les citoyens roumains, les citoyens étrangers et les apatrides d’exercer leurs droits constitutionnels de bonne foi, sans violer les droits et libertés d’autrui. Une limitation identique est également prévue à l’article 10, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon lequel «l’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut faire l’objet de formalités, conditions, limitations ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui…» et à l’article 19, paragraphe 3, du pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui établit que l’exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités particulières et qu’il peut faire l’objet de certaines restrictions qui doivent être expressément prévues par la loi, compte tenu des droits ou de la réputation d’autrui. En tant que règle restrictive, susceptible de circonscrire le cadre dans lequel la liberté d’expression peut être exercée, la liste dressée par l’article 30, paragraphes 6 et 7, est stricte et restrictive[218]. Par conséquent, la Cour a jugé que les limites de la liberté d’expression des magistrats relèvent des principes généraux de déontologie, qui impliquent l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité et exigent le respect de la conduite du magistrat par rapport à ces principes. De ce point de vue, compte tenu du degré d’abstraction de la disposition juridique, le législateur ne saurait énumérer les faits susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la probité professionnels ou au prestige de la justice. Au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la fonction publique comporte certaines restrictions à l’exercice de la liberté d’expression et l’obligation de réserve, caractéristique de la fonction publique, découle des obligations et responsabilités qui incombent aux fonctionnaires en tant que fonctionnaires de l’État (arrêt de l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme du 3 mai 1988 dans l’affaire Morissens c. Belgique). En outre, en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 16 sur l’égalité des droits et de l’article 30 sur la liberté d’expression, la Cour a jugé qu’ils n’étaient pas liés au devoir des magistrats de s’abstenir de tout acte ou acte susceptible de compromettre leur dignité dans la profession et dans la société.
En ce qui concerne le personnel militaire, l’article 29 de la loi n° 80/1995 relative au statut du personnel militaire[219] restreint l’exercice de certains droits et libertés, y compris la liberté d’expression, et dispose que: « Les cadres militaires en activité sont limités à l’exercice de certains droits et libertés, comme suit : les opinions politiques ne peuvent être exprimées qu’en dehors du service; b) l’expression publique d’opinions contraires aux intérêts de la Roumanie et des forces armées n’est pas autorisée; c) les conditions dans lesquelles le personnel militaire en activité sera en mesure de présenter publiquement des renseignements militaires seront établies par arrêté du ministre de la Défense nationale; d) l’adhésion aux confessions religieuses est libre, sauf celles qui, selon la loi, contreviennent aux normes de préservation de l’ordre public, ainsi que celles qui violent les bonnes mœurs ou affectent l’exercice de la profession; e) la formation sous diverses formes d’association à caractère professionnel, technico-scientifique, culturel et sportif récréatif, à l’exception des syndicats ou qui contreviennent au commandement unique, à l’ordre et à la discipline propres à l’institution militaire est autorisée dans les conditions fixées par la réglementation militaire; f) la conclusion du mariage est libre en vertu de la loi. Le mariage avec un apatride ou qui n’est pas exclusivement de nationalité roumaine est subordonné à l’obtention de l’approbation préalable du ministre de la Défense nationale; g) la participation à des rassemblements, manifestations, processions ou réunions à caractère politique ou syndical est interdite, à l’exception des activités auxquelles ils participent à la mission; h) le personnel militaire en activité peut se rendre à l’étranger dans les conditions fixées par arrêté du ministre de la Défense nationale.»
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est encadrée par les textes constitutionnels eux-mêmes, et l’application claire de cette qualification a été faite par la Cour constitutionnelle à l’occasion de l’adoption de la décision no 62 du 18 janvier 2007, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 104 du 12 février 2007, lorsque la Cour a sanctionné la dépénalisation des infractions pénales et a constaté que, compte tenu de l’importance particulière des valeurs protégées par les dispositions des articles 205, 206 et 207 du Code pénal – la dignité, la réputation et l’honneur de la personne […], l’abrogation de ces textes juridiques et la dépénalisation, de cette manière, des infractions d’insulte et de diffamation sont contraires aux dispositions de l’article 1er, paragraphe 3, de la Constitution roumaine [sur l’état de droit]. Il a été noté qu’en abrogeant les dispositions légales susmentionnées, un vide réglementaire inadmissible a été créé, contrairement à la disposition constitutionnelle qui garantit la dignité de l’homme en tant que valeur suprême. En l’absence de protection juridique prévue par les articles 205, 206 et 207 du Code pénal, la dignité, l’honneur et la réputation des personnes ne bénéficient plus d’aucune autre forme de protection juridique réelle et adéquate.
Cependant, à l’heure actuelle, avec l’adoption du Code pénal en 2009, les actes d’insulte et de diffamation ont été dépénalisés.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Étant donné qu’aucune hiérarchie des droits fondamentaux n’est reconnue dans le système juridique roumain, la liberté d’expression n’occupe pas non plus une place particulière dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. En outre, le poids des décisions de la Cour constitutionnelle sur la liberté d’expression est insignifiant.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La Cour constitutionnelle n’a jamais établi de hiérarchie entre les droits et les libertés.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La Cour constitutionnelle de Roumanie a fixé des normes très élevées en matière de liberté d’expression depuis sa création, avec une définition claire de ses limites, conformément à la Constitution. Il n’y avait aucune variation dans la protection accordée à la liberté d’expression.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle de Roumanie a eu une jurisprudence constante en la matière, sans aucune modification de fond.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle est contraignante pour tous les tribunaux en vertu des dispositions de l’article 147, paragraphe 4, de la Constitution, qui dispose que les décisions de la Cour constitutionnelle sont publiées au Journal officiel de la Roumanie, et à compter de la date de publication, les décisions sont contraignantes et n’ont de pouvoir que pour l’avenir.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Cour constitutionnelle de Roumanie s’inspire de la jurisprudence d’autres juridictions nationales voisines, régionales ou internationales, en tant qu’expression/modalité du dialogue entre les juges.
L’adaptation obligatoire intervient dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et, dans les conditions prévues par sa jurisprudence et compte tenu des compétences conférées par la Constitution et les lois, dans le cas de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. À titre d’exemple, nous citons la décision no 435 du 26 mai 2006, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 576 du 4 juillet 2006, dans laquelle la Cour constitutionnelle a jugé qu’« elle souscrit aux arguments de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’appréciation des limites de la liberté d’expression lors de l’examen de questions relatives à l’administration de la justice. Cette cour internationale a jugé que la presse est l’un des moyens dont disposent les décideurs politiques et l’opinion publique pour s’assurer que les juges s’acquittent de leurs hautes responsabilités conformément à l’objectif de la tâche qui leur est assignée. Il convient toutefois de tenir compte du rôle particulier joué par le pouvoir judiciaire dans la société. En tant que garant de la justice, valeur fondamentale de l’état de droit, son action nécessite la confiance des citoyens ; dès lors, il peut apparaître nécessaire de la protéger contre des attaques destructrices sans fondement sérieux, d’autant plus que les magistrats sont liés par l’obligation de réserve qui les empêche de réagir à une situation particulière. » (Affaire Prager et Oberschlick c. Autriche – 1995) ».
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
L’harmonisation de la liberté d’expression avec les différents droits et libertés se fait en tenant compte du patrimoine constitutionnel européen commun, y compris par référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
À ce jour, il n’y a pas eu de contradiction aussi flagrante entre l’intérêt général de l’État ou un droit objectif et les droits de l’individu. La Cour constitutionnelle utilise dans sa jurisprudence la méthode du test de proportionnalité inspirée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, les traditions démocratiques restaurées après près de 50 ans de régime totalitaire communiste exigent un traitement attentif de toutes les tendances / dérivés qui peuvent conduire à des règles ou à un ordre juridique basé sur des principes autres que ceux prescrits par la démocratie libérale classique.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Comme indiqué au point 9, la Cour constitutionnelle utilise, selon sa méthode d’interprétation, le type de critère de proportionnalité inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’intention du législateur n’affecte pas directement l’utilisation de ce type de critère, mais le degré d’intensité de toute restriction à l’exercice du droit peut avoir une incidence sur l’utilisation de ce critère en tant que tel.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
L’article 57 de la Constitution dispose que les citoyens roumains, les citoyens étrangers et les apatrides doivent exercer leurs droits et libertés constitutionnels de bonne foi, sans violer les droits et libertés d’autrui.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Non
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les coordonnées sont établies par l’article 53 de la Constitution sur la limitation de l’exercice de certains droits ou libertés[220].
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
En ce qui concerne la censure, la Cour adopte une conception classique de la censure issue de la période dictatoriale antérieure à 1989. Ainsi, par décision n° 857 du 9 juillet 2008, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 535 du 16 juillet 2008, la Cour constitutionnelle a jugé que la censure dans le domaine audiovisuel se réfère au contrôle préalable qui serait exercé sur le contenu des émissions de télévision et de radio, mais également sur les formes ou modalités de présentation des éléments des services de programmes, de la part des autorités publiques ou de toute personne physique ou morale, roumaine ou étrangère.
En ce qui concerne la diffamation, la Cour n’est pas un législateur positif pour établir des critères, mais a noté que le respect de la dignité humaine est essentiel dans une société démocratique, compte tenu de l’existence du droit à sa propre image consacré en tant que tel à l’article 30, paragraphe 6, de la Constitution. En analysant les limites de la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle se réfère également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Non
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur une telle hypothèse.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Non, les critères utilisés par la Cour constitutionnelle sont constants, à savoir ceux découlant de l’analyse de l’article 53 de la Constitution concernant la restriction de l’exercice de certains droits ou libertés.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Cour constitutionnelle a dû examiner une telle hypothèse.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Les situations concernant la restriction éventuelle de certains droits ou libertés sont celles prévues par la législation en vigueur (concernant l’état de siège, l’état d’urgence, etc.), et la Cour constitutionnelle peut les analyser à la lumière des critères prévus par l’article 53 de la Constitution concernant la restriction de l’exercice de certains droits ou libertés.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La Cour constitutionnelle peut se prononcer sur une telle disposition légale strictement par rapport à l’article 53 de la Constitution sur la restriction de l’exercice de certains droits ou libertés.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Les périodes de « tumble » n’ont aucune incidence sur la position et la légitimité de la Cour constitutionnelle qui s’est construite sur une base institutionnelle solide depuis plus de 32 ans.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Non, non. La liberté d’expression peut éventuellement être un facteur de renforcement de la stabilité de la Cour constitutionnelle qui assume et exerce pleinement et de manière responsable le rôle conféré par la Constitution et par les lois prévoyant et détaillant ses pouvoirs. Cela peut se faire en recevant des idées émises dans l’exercice de la liberté d’expression par des membres de la société, respectivement par la société civile.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression est essentielle, étant un élément intrinsèque de l’idée de démocratie. La diversité des idées et leur débat dans un cadre large permettent la formation d’opinions pertinentes et bénéfiques pour le développement de la société. Même avec la question dans l’espace public des idées non conformistes, la société doit y avoir accès, et l’État a l’obligation d’éduquer les citoyens dans le sens d’acquérir les compétences nécessaires pour analyser et filtrer ces idées en termes de valeurs dérivées du patrimoine constitutionnel commun et largement accepté.
Conseil constitutionnel du Sénégal
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Constitution du Sénégal, dans son préambule et dans ses articles, consacre la liberté d’expression et des variantes de cette liberté telle que l’accès à l’information, la liberté des médias, etc.
Pour le préambule nous pouvons citer les textes suivants :
- l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « la libre communication des pensées et opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ;
- l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui dispose que : « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir, et de répandre sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
- L’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui dispose que «…toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements » ;
Au titre des articles de la Constitution :
- l’article 8 garantit la liberté d’expression et le droit à une information plurielle ;
- l’article 10 garantit le « droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique… » ;
- l’article 11 garantit la «liberté de création», qui permet en l’absence de toute autorisation préalable, de créer « un organe de presse pour l’information politique, économique, culturelle, sportive, sociale, récréative, scientifique… » ;
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. Elle est immédiatement encadrée par la formule « pourvu que l’exercice des droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’exprimer et de diffuser librement ses idées et ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, etc.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Non.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté de penser, à la liberté de presse, de parole, entre autres découlent de la liberté d’expression.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non. Un tel conflit relèverait de la compétence du juge judiciaire (article 91 de la Constitution) et ne concernerait le Conseil constitutionnel que si une exception d’inconstitutionnalité est soulevée à cette occasion.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (Politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Oui. Les fonctionnaires sont astreints à une obligation de réserve et au respect des secrets administratif (fonction publique générale) et de défense (militaires). Cette obligation consiste à adopter une retenue en toutes circonstances, de manière à préserver l’institution, notamment en évitant des commentaires inappropriés contre une décision, en affichant son appartenance religieuse, sociale ou philosophique face aux usagers de l’administration, etc.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?)
La liberté d’expression est reconnue à tous (article 10 de la Constitution) ;
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression est reconnue aux agents de l’État dans leur vie quotidienne et professionnelle, sous réserve, du respect de leur obligation de réserve et de discrétion.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
En 2021, le Conseil constitutionnel a considéré que « le secret de la correspondance peut se rattacher, à la liberté d’expression prévue à l’article 11 de la DDHC en vertu duquel « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le Conseil constitutionnel a posé une règle de portée générale selon laquelle lorsqu’un droit ou une liberté est en concurrence avec une autre règle d’égale valeur, leur conciliation ne peut se faire que de manière à préserver l’intérêt général et l’ordre public qui sont des objectifs de valeur constitutionnelle ; même lorsqu’il s’agit de libertés fondamentales garanties par la Constitution, le législateur peut apporter des restrictions à leur exercice, en invoquant d’autres principes à valeur constitutionnelle, tels que la sauvegarde de l’ordre public ou la sauvegarde de l’intérêt général.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Il n’existe pas une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cette question.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Les juridictions de fond sont dans l’obligation de se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (article 92 de la Constitution).
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Il n’existe pas une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cette question.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Il n’existe pas une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cette question.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le Conseil constitutionnel a décidé dans sa jurisprudence que le législateur peut apporter des restrictions à l’exercice de la liberté d’expression en invoquant d’autres principes à valeur constitutionnelle, tels que la sauvegarde de l’ordre public ou la sauvegarde de l’intérêt général.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur la possibilité d’apporter des restrictions à l’exercice de la liberté d’expression en raison, notamment, de la sauvegarde de l’ordre de public ou de l’intérêt général et consacre un contrôle de proportionnalité en faisant primer l’intention du législateur.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Comme précisé plus haut, le Conseil constitutionnel a décidé que même lorsqu’il s’agit de libertés fondamentales garanties par la Constitution, le législateur peut apporter des restrictions à leur exercice, en invoquant d’autres principes à valeur constitutionnelle, tels que la sauvegarde de l’ordre public ou la sauvegarde de l’intérêt général.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression?
Non.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Certaines circonstances entraînent une atténuation de la liberté d’expression (état d’urgence, état siège) tandis qu’en d’autres circonstances cette liberté est totale (Campagne électorale, session parlementaire).
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Ces questions relèvent de la compétence du juge administratif et du juge pénal.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Non.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Cela relèverait de la compétence du juge judiciaire.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
L’article L. 117 du Code électoral prévoit : « de l’ouverture de la campagne électorale jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin, aucun candidat ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour des propos tenus ou des actes commis durant cette période et qui se rattachent directement à la compétition ».
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Il n’existe pas une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cette question.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La loi n° 69‐029 du 29 avril 1969, modifiée, relative à l’état d’urgence, à l’état de siège et à la gestion des catastrophes naturelles ou sanitaires prévoit un régime d’exception qui permet de restreindre les droits fondamentaux, en l’occurrence la liberté d’expression, en période troubles.
Cependant l’application de cette loi, n’a pas encore généré un contentieux devant le Conseil constitutionnel.
Par un communiqué du 31 juillet 2023, le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique a pris un communiqué de suspension temporaire de l’Internet et des données mobiles pour « mettre fins à la diffusion de messages haineux et subversifs relayés sur les réseaux sociaux dans un contexte de menaces de troubles à l’ordre public ».
Dans ce contexte, le traitement se fait sur la base des textes précédemment cités (cf. réponses à la première question).
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Le Conseil constitutionnel, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité des lois, est le garant des droits et libertés consacrés par la Constitution en période de trouble.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression constitue « une condition de la liberté de la pensée, elle exprime l’identité et l’autonomie intellectuelle des individus et conditionne leurs relations aux autres individus et à la société ». Elle résume donc le rôle de la juridiction constitutionnelle qui est garante de l’équilibre des rapports sociaux, et par conséquent permet d’asseoir sa légitimité.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Dans un système démocratique, la souveraineté appartient au Peuple. En conséquence, la liberté d’expression, qui est consubstantielle à toute société démocratique, permet d’apprécier le système de gouvernement.
Cour constitutionnelle de Serbie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
L’Article 46, paragraphe 1 de la Constitution de la République de Serbie[221] garantit la liberté de pensée et d’expression, ainsi que la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par la parole, l’écriture, l’image ou tout autre moyen.
L’article 50, paragraphe 4 de la Constitution prévoit le droit à la correction des informations inexactes, incomplètes ou incorrectement transmises portant atteinte aux droits ou aux intérêts de quelqu’un. Le droit de réponse à une information publiée est réglementé par la loi.
L’article 51 de la Constitution dispose que chacun a le droit d’être informé de manière véridique, complète et à temps utile sur des questions d’intérêt public, et que les médias doivent respecter ce droit. Chacun a le droit d’accéder aux données détenues par les autorités publiques et les organisations exerçant des pouvoirs publics, conformément à la loi.
La Loi sur l’information publique et les médias[222], à l’article 3, réglemente la manière dont la liberté d’information publique est exercée, englobant notamment la liberté de collecte, de publication et de réception d’informations, la liberté de former et d’exprimer des idées et des opinions, la liberté d’imprimer et de distribuer des journaux, la liberté de produire, de fournir et de diffuser des services médiatiques audio et audiovisuels, la liberté de diffuser des informations et des idées via Internet et autres plateformes, ainsi que la liberté d’établir des médias et de mener des activités d’information publique.
En conséquence, l’article 15 de ladite Loi établit que la République de Serbie, une province autonome ou une collectivité territoriale veille à la réalisation de l’intérêt public en encourageant la diversité des contenus médiatiques, la liberté d’expression des idées et des opinions, le développement libre de médias indépendants et professionnels et un environnement propice à la durabilité des médias, contribuant ainsi à satisfaire les besoins des citoyens en matière d’informations dans tous les domaines de la vie, sans discrimination.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. L’article 46, paragraphe 2 de la Constitution de la République de Serbie dispose ce qui suit :
« La liberté d’expression peut être restreinte par la loi si cela est nécessaire pour protéger les droits et la réputation d’autrui, préserver l’autorité et l’impartialité du tribunal, ainsi que pour protéger la santé publique, la morale de la société démocratique et la sécurité nationale de la République de Serbie. »
Ainsi, la limitation de la liberté d’expression est permise sous les conditions suivantes :
1) cette restriction est explicitement prescrite par la loi ;
2) elle vise, entre autres, à protéger les droits et la réputation d’autrui (objectif légitime) ;
3) la limitation est nécessaire dans la mesure où elle satisfait l’objectif de la limitation dans une société démocratique (nécessaire dans une société démocratique).
Lors de l’évaluation de la justification d’une limitation nécessaire dans une société démocratique, la Cour constitutionnelle évalue l’objectif et l’importance de la limitation, ainsi que les moyens juridiques par lesquels cet objectif doit être atteint, et examine si la mesure de la limitation peut concilier la protection présumée des droits et la nécessité de la limitation, dans le but de protéger les intérêts sociaux.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Pour définir et comprendre la liberté d’expression, l’interprétation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme revêt une importance particulière.
« Toute personne » a le droit à la liberté d’expression, ce qui inclut la liberté de « posséder des informations », de « recevoir » et de « communiquer » des « informations » et des « idées » « sans ingérence de l’autorité publique » et « sans considération des frontières ».
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle montre comment la Cour aborde l’interprétation de la liberté d’expression :
« La Cour constitutionnelle a souligné que la liberté d’expression de l’article 46, paragraphe 1 de la Constitution dans une société démocratique représente le droit d’exprimer des opinions, des informations et des idées sans être entravé par quiconque, indépendamment du contenu et de leur impact (qu’il s’agisse d’informations factuelles, de jugements de valeur ou d’un mélange des deux, qu’il s’agisse d’informations politiques, éducatives, informatives, avec une valeur scientifique, artistique ou autre), tout en précisant que la liberté d’expression peut inclure un certain degré d’exagération ou même de provocation, et que les journalistes et les médias bénéficient d’une protection particulière pour leur rôle social particulièrement important. De plus, la Cour constitutionnelle a souligné que la liberté d’expression s’applique non seulement aux « informations » ou « idées » favorables ou considérées comme non offensantes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou perturbent (Castells contre l’Espagne[223]). Elle englobe, entre autres, le droit à des informations objectives et bien intentionnées d’intérêt public, même lorsque la publication en question comporte des déclarations préjudiciables pour des individus (Lepojic contre la Serbie). D’autre part, la liberté d’expression implique également certaines « obligations et responsabilités » pour les journalistes et les médias. Un journaliste et un rédacteur en chef de média sont tenus de vérifier l’origine, la véracité et l’intégralité des informations avec soin et conformément aux circonstances avant de les publier (article 3, paragraphe 1 de la Loi sur l’information publique). Cette responsabilité revêt une importance particulière lors de la publication d’informations préjudiciables à la réputation des individus, de sorte qu’il est nécessaire que les journalistes agissent de bonne foi pour fournir des informations précises et fiables conformément à l’éthique journalistique (Goodwin contre le Royaume-Uni[224], Fressoz et Roire contre la France[225] et Bladet Tromso et Stensaas contre la Norvège[226])“.[227]
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Il n’y a pas de différence. Voici quelques extraits de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle : [228]
▪ Le respect des droits de l’homme garantis implique avant tout l’obligation pour les autorités publiques et les autres titulaires de l’autorité publique de ne pas interférer dans l’exercice d’un droit garanti, ce qui représente une « obligation négative de l’État. »
▪ Le respect des droits de l’homme garantis implique également qu’un individu puisse exiger des titulaires de l’autorité publique qu’ils entreprennent des actions et adoptent des actes qui garantiront ce respect, ce qui représente une « obligation positive de l’État ».
- Toute personne a droit à la liberté d’expression, quels que soient son âge, son statut, sa nationalité, son appartenance ethnique, etc. Cela s’applique aussi bien aux personnes morales – organisations, sociétés de médias – qu’aux personnes physiques.
- La liberté d’opinion est un droit absolu : personne ne peut limiter les pensées et les croyances d’autrui (« il n’y a pas de police de contrôle de la pensée »).
- La liberté de communication protège le droit de communiquer des informations et des idées.
La Cour considère que la collecte d’informations constitue une étape préparatoire essentielle à la communication d’informations. Elle constitue donc un élément inhérent et protégé de la liberté d’expression.
- La liberté de réception protège l’acte de recevoir une information. Le droit d’être entendu et de parler fait partie de la liberté d’expression.
- La liberté d’expression inclut la protection à la fois des informations et des idées, et non seulement des déclarations qui peuvent être prouvées par des faits.
- Sans ingérence des autorités publiques : il ne peut y avoir d’ingérence, à moins qu’elle ne soit justifiée conformément à l’article 10 (2).
- Sans distinction de frontières : la liberté d’expression ne peut être restreinte simplement parce que des informations ou des idées proviennent d’un autre pays. Depuis la naissance d’Internet, chacun a la capacité de communiquer des idées à un public mondial.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies?
La corrélation entre le droit à la liberté d’expression et autres droits de l’homme existe, notamment avec le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit à la liberté de réunion et d’association, le droit de vote lors d’élections libres et équitables, ainsi que d’autres droits et libertés.
Par exemple, lors de l’examen des limites de la liberté d’expression, il convient de prendre en compte si les expressions contestées concernent la vie privée d’une personne ou son comportement dans l’exercice de ses fonctions officielles. En outre, les déclarations sur des faits doivent être distinguées des jugements de valeur, car l’existence des faits peut être prouvée, alors que la vérité d’un jugement de valeur est impossible à établir. Cela ne signifie pas que tout jugement de valeur offensant bénéficie d’une protection absolue, mais dans ce cas, il est nécessaire de prendre en compte la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression, ainsi que le fait qu’un jugement de valeur doit néanmoins reposer sur une base factuelle suffisante.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La Constitution de la République de Serbie de 2006 consacre trois articles distincts à la liberté de religion et à la position juridique des Églises et des communautés religieuses. L’article 43 régit la liberté de religion.
Le paragraphe 1 garantit la liberté de pensée, de conscience, de conviction et de religion, le droit de défendre sa croyance ou sa religion ou de les changer selon son choix. Aux termes du paragraphe 2 de cet article, nul n’est tenu de déclarer ses convictions religieuses et autres, et le paragraphe 3 dispose que toute personne est libre de manifester sa religion ou ses convictions religieuses, en accomplissant des cérémonies religieuses, en assistant à des services religieux ou à des cours, individuellement ou en communauté avec d’autres personnes, ainsi que d’exprimer ses convictions religieuses en privé ou en public.
La liberté de manifestation de la foi ou de la conviction peut être restreinte par la loi uniquement si cela est nécessaire dans une société démocratique pour protéger la vie et la santé des individus, la morale de la société démocratique, les libertés et droits des citoyens garantis par la Constitution, la sécurité publique et l’ordre public, ou pour empêcher l’incitation ou la promotion de la haine religieuse, nationale ou raciale, selon le paragraphe 4 de cet article de la Constitution. Le paragraphe 5 garantit aux parents et aux tuteurs légaux le droit de dispenser à leurs enfants une éducation religieuse et morale conforme à leurs convictions.
Les aspects de la réalisation de la liberté de religion peuvent également être liés à d’autres garanties : le respect du droit des parents et tuteurs légaux à dispenser à leurs enfants une éducation religieuse et morale conformément à leurs convictions (art. 43, par. 5) ; le droit de conclure mariage et le droit à l’égalité entre les époux (art. 62) ; les droits et devoirs des parents (art. 65) ; le droit à une protection égale des droits et à un recours (art. 36) ; le droit à la propriété (art. 58).
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Selon la Cour constitutionnelle (et la Cour européenne des droits de l’homme), les limites de la critique acceptable sont toujours plus larges lorsqu’il s’agit de critiquer un politicien (un haut fonctionnaire). Les limites de la critique dans ces cas sont larges, mais même dans ce cas, elles ne sont pas absolues, ce qui signifie que le droit à la critique n’est pas illimité, car il peut être limité dans le but d’exercer, de respecter et de protéger les droits et la réputation d’autrui.
Les droits personnels des politiciens et des hauts fonctionnaires sont plus restreints que les droits similaires des autres personnes : ils doivent tolérer et supporter davantage, accepter la divulgation d’informations à leur sujet que d’autres n’ont pas à subir. Cependant, la liberté d’expression est limitée même lorsqu’ils sont l’objet de reportages et de critiques qui portent atteinte à leur réputation et à leur honneur.
Le droit à l’honneur et à la réputation appartient à tous les citoyens. Par conséquent, la protection de ce droit comprend également les politiciens, même lorsqu’ils n’agissent pas dans leur sphère privée. Cependant, dans ces cas, les conditions de protection doivent être évaluées en fonction des intérêts de la société pour un débat ouvert sur les affaires politiques.
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle établit clairement la différence entre les faits, les opinions et les jugements de valeur. Il est également souligné qu’il n’est pas nécessaire de prouver la véracité des jugements de valeur exprimés.
La Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg a accepté que les journalistes puissent, dans certaines circonstances, se baser sur des rumeurs lorsqu’ils rapportent des questions d’intérêt public, pour autant qu’ils agissent de manière raisonnable et conforme aux normes professionnelles et éthiques. Cependant, même dans ces cas, les jugements de valeur doivent reposer sur une base factuelle, car un jugement de valeur sans fondement factuel peut être excessif.[229]
La jurisprudence des tribunaux ordinaires comprend :
« Les obligations particulières des hommes politiques, et donc du défendeur, sont de promouvoir les valeurs d’une société démocratique, telles que : le pluralisme, la tolérance et le droit à la différence. » (…) Offrir une protection au demandeur ne constitue pas une censure ni une limitation de la liberté d’expression du défendeur, ou de son droit à une opinion et à l’expression de commentaires négatifs, c’est plutôt une interdiction de discours qui propage des idées qui encouragent la discrimination, ce qui peut avoir un impact négatif sur les processus démocratiques dans la société et sur le développement de la société dans son ensemble. »[230].
Le tribunal a conclu que l’auteur du texte « a exprimé des idées et des opinions perturbantes et dégradantes, portant atteinte à la dignité et encourageant la discrimination et la haine » contre deux groupes spécifiques. Bien que le tribunal ait reconnu le droit du défendeur à exprimer son opinion, il a souligné qu’en tant que personnalité publique, il avait également « l’obligation, dans ses interventions publiques, de ne pas promouvoir la discrimination, de ne pas exprimer des idées encourageant la discrimination, qui pourraient avoir des conséquences néfastes sur les processus démocratiques et la garantie des droits de l’homme et des libertés dans la société ».[231]
LIBERTÉ D’EXPRESSION DES JUGES : Les tribunaux ne sont pas à l’abri des critiques et du contrôle, et la limite des critiques acceptables est plus large à l’égard des juges exerçant des fonctions officielles qu’à l’égard des citoyens ordinaires, une distinction claire devant être faite entre critique et insulte. Toutefois, si la seule intention de toute forme d’expression d’un avocat est d’insulter le tribunal ou les membres de ce tribunal, prononcer une peine appropriée/adéquate ne constituerait pas, en principe, une violation de la liberté d’expression.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est garantie à tous.
« Toute personne » a droit à la liberté d’expression, qui inclut la liberté de « posséder », « recevoir » et « communiquer » des « informations » et des « idées » « sans ingérence de l’autorité publique » et « sans considération de frontières ».
PROTECTION DES MINEURS
Loi sur l’information publique et les médias Article 77.
- Afin de protéger le libre développement de la personnalité des mineurs, il convient de veiller tout particulièrement à ce que le contenu des médias et le mode de diffusion des médias ne nuisent pas au développement moral, intellectuel, émotionnel ou social des mineurs.
Article 78.
- Les médias imprimés à contenu pornographique ne doivent pas être affichés publiquement d’une manière accessible aux mineurs.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les agents de l’État sont tenus de faire preuve d’un haut degré de professionnalisme dans leurs relations avec les citoyens et ont l’obligation de respecter leur liberté d’expression.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Pour la première fois, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur le fond de la violation de la liberté d’opinion et d’expression prévue à l’article 46 de la Constitution dans son arrêt Už504/2008 du 8 juillet 2010.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La Cour constitutionnelle tient toujours compte du fait que les journalistes et les médias bénéficient d’une protection particulière du droit à la liberté d’expression en raison de leur rôle social particulièrement important, ainsi que du fait que les médias publient librement des idées, des informations et des opinions sur des phénomènes, des événements et les personnes dont le public a un intérêt légitime à connaitre.
La liberté d’expression s’applique non seulement aux « informations » ou « idées » favorables ou considérées comme non offensantes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou perturbent. Elle englobe, entre autres, le droit à des informations objectives et bien intentionnées d’intérêt public, même lorsque la publication en question comporte des déclarations préjudiciables pour des individus. D’autre part, la liberté d’expression implique également certaines « obligations et responsabilités » pour les journalistes et les médias.
Lors de l’examen des limites de la liberté d’expression, il convient de prendre en compte si les expressions contestées concernent la vie privée d’une personne ou son comportement dans l’exercice de ses fonctions officielles. En outre, les déclarations sur des faits doivent être distinguées des jugements de valeur, car l’existence des faits peut être prouvée, alors que la vérité d’un jugement de valeur est impossible à établir. Cela ne signifie pas que tout jugement de valeur offensant bénéficie d’une protection absolue, mais dans ce cas, il est nécessaire de prendre en compte la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression, ainsi que le fait qu’un jugement de valeur doit néanmoins reposer sur une base factuelle suffisante.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Dans le système juridique de la Serbie, figure le terme « droits de l’homme et libertés » et il n’y a pas de distinction entre ces droits en droits fondamentaux et autres droits constitutionnels. Tous les droits bénéficient d’une protection judiciaire.
La Cour constitutionnelle de Serbie, lors de ses sessions des 30 octobre 2008 et 2 avril 2009, a adopté la position selon laquelle « l’objet de la protection devant la Cour constitutionnelle sont tous les droits et libertés contenus dans la Constitution, quelle que soit leur place dans la systématique de la Constitution, tout en prenant en considération les règles généralement acceptées du droit international et les accords internationaux ratifiés. »
La Cour constitutionnelle protège les droits et libertés énoncés dans la Constitution, et dans le cadre de ces droits et libertés garantis par l’acte juridique suprême, il n’y a pas de distinction ultérieure entre les droits fondamentaux et les autres. La protection est offerte à toute personne en cas de violation de tout droit ou liberté ayant sa base juridique dans la Constitution.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression s’est développée au fil des années en s’enrichissant de nouveaux dossiers concernant de différentes nouvelles situations de vie.
La Cour Constitutionnelle a, avant même de se prononcer pour la première fois sur le fond de la violation présumée du droit à la liberté d’expression, dans son arrêt Už-290/2007 du 21 janvier 2010, en examinant les revendications du requérant, qui concernait le droit à un procès équitable prévu à l’article 32, paragraphe 1 de la Constitution et les droits spéciaux de l’inculpé prévus dans l’article 33, paragraphe 5 de la Constitution, ceci dans le contexte de la condamnation du requérant devant la Cour constitutionnelle pour diffamation du fait d’avoir déposé une plainte auprès du Procureur de la République et du ministère de la Justice concernant le travail et le comportement du substitut au procureur municipal, fondé son analyse sur les critères établis par la jurisprudence de la Cour européenne en matière de liberté d’expression :
« Comme la Cour le constate souvent, la liberté d’expression prévue à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales constitue l’un des fondements essentiels de la société démocratique. Selon le paragraphe 2, elle ne concerne pas seulement des « informations » ou « idées » favorables ou considérées comme non offensantes, mais aussi celles qui offensent, choquent ou perturbent (affaires Castells contre l’Espagne et Vogt contre l’Allemagne).
- La Cour a confirmé à plusieurs reprises le droit de communiquer, de bonne foi, des informations sur des questions d’intérêt public, même lorsque cela implique des déclarations préjudiciables à l’égard des individus, et a souligné que les limites de la critique acceptable sont encore plus larges lorsque la cible est un homme politique (haut fonctionnaire) (les affaires Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège et Oberschlick c. Autriche).
- La Cour rappelle qu’il convient de prendre en compte si les expressions contestées concernent la vie privée d’une personne ou son comportement dans l’exercice de ses fonctions officielles (affaire Dalban c. Roumanie).
- La Cour observe que la nature et la sévérité d’une certaine peine, ainsi que « l’importance » et la « validité » des avis des tribunaux nationaux, sont des questions particulièrement importantes lorsqu’il s’agit de déterminer la proportionnalité de l’ingérence au titre de l’article 10, paragraphe 2 de la Convention. (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie et Zana c. Turquie).
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression s’est développée au fil du temps, en fonction de différentes situations de vie et de faits qui ont été à la base des recours constitutionnels, et dont la variété a été montrée dans la réponse à la question précédente.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Les décisions les plus importantes de la Cour constitutionnelle, y compris les décisions sur la liberté d’expression, sont publiées au « Journal officiel de la République de Serbie » et sont ainsi accessibles au public professionnel plus large, et affectent sans aucun doute le travail des tribunaux. Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, exécutoires et contraignantes pour tous.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.)? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Cour constitutionnelle suit la jurisprudence des autres cours constitutionnelles européennes et institutions similaires. En raison du même environnement juridique avec les États de la région et du maintien de nombreux instituts juridiques communs, les mêmes questions litigieuses en matière constitutionnelle sont soulevées à propos de décisions législatives spécifiques contestables, ce qui rend la jurisprudence des cours constitutionnelles de la région plus semblable. Le fait est que la Cour constitutionnelle, agissant dans un nombre important de ses affaires relevant de différentes juridictions, a pris en compte les points de vue juridiques exprimés dans la jurisprudence des autres cours constitutionnelles, ce qui indique que les décisions des cours constitutionnelles étrangères exercent une certaine influence sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la République de Serbie.
Conformément à l’article 97, point 10 de la Constitution, la République de Serbie est compétente pour réglementer et assurer un système dans le domaine de l’information publique. Ainsi, elle était compétente, en adoptant la loi sur l’information publique, voire ses amendements, pour réguler la manière dont la liberté des médias garantie par la Constitution et établie par les dispositions de l’article 50 de la Constitution est mise en œuvre.
Même la Constitution, en établissant les principes fondamentaux conformément auxquels tous les droits et libertés de l’homme et des minorités garantis sont réalisés, prévoit que la loi peut régir la manière d’exercer ces droits, mais uniquement si cela est explicitement prévu par la Constitution ou si c’est nécessaire pour la réalisation d’un droit spécifique en raison de sa nature. Dans tous les cas, la loi ne doit nullement affecter le fondement du droit garanti (article 18, paragraphe 2, deuxième phrase). Elle dispose également que les droits de l’homme et des minorités garantis par la Constitution peuvent être restreints par la loi si cette restriction est autorisée par la Constitution, dans le but pour lequel la Constitution le permet, dans la mesure nécessaire pour atteindre le but constitutionnel de la limitation dans une société démocratique sans porter atteinte au fondement du droit garanti. De plus, lors de la restriction des droits de l’homme et des minorités, toutes les autorités publiques, en particulier les tribunaux, sont tenues de tenir compte du fondement du droit restreint, de l’importance du but de la restriction, de la nature et de la portée de la restriction, de la relation entre la restriction et le but de la restriction, et de la possibilité de parvenir au but de la restriction avec une restriction moindre des droits (article 20).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Exemples tirés de la jurisprudence – par ex. le droit à la liberté de réunion
Dans l’arrêt sur le recours constitutionnel Už-1918/2009 du 22 décembre 2011, la Cour constitutionnelle a établi une violation du droit à la liberté de réunion prévue à l’article 54, paragraphe 1 de la Constitution, et du droit à un recours judiciaire prévu à l’article 36, paragraphe 2 de la Constitution, indiquant ce qui suit : « La liberté de réunion n’est pas un droit absolu, mais elle est soumise à certaines limitations dans les cas prévus par l’article 54 de la Constitution. »
Cette disposition de la Constitution établit que la restriction de la liberté de réunion concerne l’exigence que la réunion soit pacifique, ce qui implique la manière dont un rassemblement est organisé lors duquel, certaines opinions, idées et points de vue sont exprimés. La Cour constitutionnelle a constaté que « la notion de réunion pacifique ne concerne pas le contenu des opinions exprimées. Si lors d’un rassemblement, une opinion exprimée représente un discours de haine ou appelle à la guerre ou à la discrimination, une ligne claire doit être tracée entre le droit à la liberté de réunion et le droit à la liberté d’expression. »
Les autres restrictions à la liberté de réunion concernent la nécessité de protéger la santé publique, la moralité, les droits des autres personnes ou la sécurité de la République de Serbie.
En partant des dispositions de la Loi sur le rassemblement de citoyens de 1992, qui prévoient deux procédures distinctes pour interdire la tenue d’un rassemblement public déclaré : la première, concernant une interdiction temporaire de la tenue d’un rassemblement public visant à changer violemment l’ordre établi par la Constitution, à violer l’intégrité territoriale et l’indépendance de la République de Serbie, à enfreindre les libertés garanties par la Constitution et les droits de l’homme et du citoyen, à provoquer et encourager l’intolérance nationale, raciale et religieuse ; et l’autre, qui concerne l’interdiction d’un rassemblement public susceptible de perturber la circulation publique ou de menacer la santé, la moralité publique et la sécurité des personnes et des biens, avec la précision qu’il existe dans les deux cas une voie de recours contre les décisions prises, la Cour constitutionnelle a constaté que le rassemblement appelé « Gay pride » a été déclaré à temps et régulièrement, et que les autorités compétentes ont donné leur accord pour sa tenue ; que le lieu déclaré pour la tenue du rassemblement était désigné par la Décision sur la désignation de l’espace pour le rassemblement des citoyens à Belgrade comme un lieu approprié pour un rassemblement jusqu’à 10 000 citoyens ; que la décision contestée du ministère de l’Intérieur a changé le lieu de tenue du rassemblement …, car le ministère a estimé que la tenue du rassemblement à l’emplacement déclaré « présente un risque extrêmement élevé du point de vue de la sécurité et pourrait entraîner des perturbations de l’ordre public et de la paix à une plus grande échelle sur le territoire de la ville de Belgrade… » ; et que la Loi sur le rassemblement de citoyens ne prévoit pas d’autorisation pour le ministère de prendre des décisions qui changeraient le lieu des rassemblements déclarés qui ne sont pas interdits. »
Comme la décision contestée du ministère a changé l’emplacement de « Gay pride » et n’a pas explicitement empêché une manifestation pacifique de la communauté LGBT, la Cour constitutionnelle a évalué que « la décision contestée, prise un jour seulement avant la manifestation prévue, a en réalité restreint le droit à une manifestation pacifique des participants à la manifestation déclarée. En prenant la décision contestée de « changer le lieu de la manifestation », qui n’a aucune base légale dans les textes de loi positifs, le ministère a effectivement empêché les participants de se rassembler à l’endroit où ils le souhaitaient, un endroit qui avait été prévu et autorisé conformément à la Décision sur la désignation de l’espace pour le rassemblement des citoyens à Belgrade. »
En acceptant le recours constitutionnel du demandeur, la Cour constitutionnelle a conclu ce qui suit : « Compte tenu du fait que la décision contestée n’était pas prévue par la loi, et qu’elle a été prise et notifiée aux requérants, qui ont saisi la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2009, soit 24 heures avant la manifestation, et que les requérants n’avaient pas à leur disposition une voie de recours pour contester la légalité de la décision contestée, la Cour constitutionnelle a constaté que la décision contestée du ministère avait violé les droits des demandeurs à la liberté de réunion prévue à l’article 54, paragraphe 1 de la Constitution, ainsi que leur droit à un recours juridique prévu à l’article 36, paragraphe 2 de la Constitution. Étant donné que, en vertu de l’article 198, paragraphe 2 de la Constitution, la légalité des actes administratifs individuels définitifs portant sur les droits des personnes est sujette à un examen devant un tribunal administratif, et que dans ce cas particulier une telle protection juridique n’était pas disponible pour les requérants, la Cour constitutionnelle a évalué que les droits des requérants à la liberté de réunion et à un recours juridique avaient été violés en lien avec le principe de protection juridictionnelle prévu à l’article 22, paragraphe 1 de la Constitution. »
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La liberté d’expression est indissociable de la démocratie. La liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. Dans de nombreuses décisions, la Cour constitutionnelle a souligné l’importance de la liberté d’expression. Elle s’applique non seulement aux « informations » ou aux « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme non offensantes ou indifférentes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou dérangent ; ce sont les exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit sans lesquelles il n’y a pas de « société démocratique ». Les décisions et arrêts de la Cour constitutionnelle servent non seulement à trancher les affaires dont elle est saisie, mais aussi, plus généralement, à clarifier, protéger et développer les règles établies par la Constitution, qui élèvent les normes des droits de l’homme et élargissent la jurisprudence des droits de l’homme dans un État.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Évaluant le bien-fondé d’un recours constitutionnel concernant la violation du droit à la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle part des garanties contenues dans l’article 46, paragraphe 1 de la Constitution et affirme toujours que la Constitution garantit la liberté d’opinion et d’expression ainsi que la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par la parole, l’écriture, l’image ou tout autre moyen. Cependant, la Constitution ne garantit pas une liberté d’expression totalement illimitée, mais autorise la limitation de cette liberté.
La façon dont le test en trois parties est appliqué est le mieux illustrée par l’exemple suivant tiré de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, où la Cour constate ce qui suit :
» Certes, la liberté d’expression appartient aux libertés relatives, car elle est soumise à certaines limitations (exceptions). Les restrictions à la liberté d’expression sont déterminées par l’article 46, paragraphe 2 de la Constitution. L’une de ces restrictions constitutionnelles à la liberté d’expression est la protection des droits et de la réputation d’autrui.
Dans le cas concret, la Cour constitutionnelle estime que l’arrêt contesté de la Cour d’appel de Novi Sad Gž. 3372/13 du 22 août 2013, par laquelle les requérants devant la Cour constitutionnelle sont tenus de réparer les dommages immatériels et de publier l’arrêt en raison de la violation du droit à la vie privée des demandeurs, constitue une limitation de la liberté d’expression des requérants devant la Cour constitutionnelle.
Toutefois, pour que la limitation de la liberté d’expression soit constitutionnellement acceptable, elle doit être : légale, légitime, nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi, ce qui est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Article 11 de la loi sur l’interdiction de la discrimination[232]
« Il est interdit d’exprimer des idées, des informations et des opinions incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leurs caractéristiques personnelles, dans les médias et autres publications, lors de rassemblements et dans les lieux accessibles au public, en écrivant ou affichant des messages ou des symboles ou d’une autre manière. »
Article 75 de la loi sur l’information publique et les médias[233]
« Les idées, opinions ou informations publiées dans les médias ne doivent pas inciter à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance ou non-appartenance à une race, une religion, une nation, un sexe, une orientation sexuelle ou une autre caractéristique personnelle, indépendamment du fait qu’une infraction pénale ait été commise en le publiant. » Article 76.
» Il n’y a pas de violation de l’interdiction du discours de la haine si l’information est publiée 1) sans intention d’inciter à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne ou un groupe de personnes, notamment si cette information fait partie d’un reportage journalistique objectif ; 2) dans l’intention de dénoncer de manière critique la discrimination, la haine ou la violence contre une personne ou un groupe de personnes ou des phénomènes qui représentent ou peuvent représenter une incitation à un tel comportement. »
Lors de l’examen des limites de la liberté d’expression, il convient de prendre en compte si les expressions contestées concernent la vie privée d’une personne ou son comportement dans l’exercice de ses fonctions officielles. En outre, les déclarations sur des faits doivent être distinguées des jugements de valeur, car l’existence des faits peut être prouvée, alors que la vérité d’un jugement de valeur est impossible à établir. Cela ne signifie pas que tout jugement de valeur offensant bénéficie d’une protection absolue, mais dans ce cas, il est nécessaire de prendre en compte la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression, ainsi que le fait qu’un jugement de valeur doit néanmoins reposer sur une base factuelle suffisante.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Voir la réponse à la question numéro 7.
Dans l’arrêt sur le recours constitutionnel Už-1918/2009 du 22 décembre 2011[234], la Cour constitutionnelle a établi une violation du droit à la liberté de réunion prévue à l’article 54, paragraphe 1 de la Constitution, et du droit à un recours judiciaire prévu à l’article 36, paragraphe 2 de la Constitution, indiquant ce qui suit : « La liberté de réunion n’est pas un droit absolu, et elle est soumise à certaines limitations dans les cas prévus par l’article 54 de la Constitution. »
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que les commentaires généraux ultérieurs ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; Convention européenne des droits de l’homme et autres instruments juridiques internationaux et régionaux.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, exécutoires et contraignantes pour tous. C’est ainsi que la Cour constitutionnelle apporte une contribution exceptionnelle à l’État de droit, à travers le cadre juridique, institutionnel et politique qui assure une protection efficace des droits de l’homme et des libertés au plus haut niveau.
Par ses décisions, la Cour constitutionnelle défend l’État de droit, indépendamment des événements politiques quotidiens et des déterminations juridiques et politiques de l’État. Ses activités laissent une marque visible dans le contrôle de constitutionnalité et de légalité et à travers l’autorité constitutionnelle de la Cour pour signaler à l’Assemblée nationale l’incompatibilité de certaines lois avec la Constitution. Une telle initiative de la Cour est souvent vérifiée par la décision de l’Assemblée nationale de modifier la loi dont la Cour relève l’inconstitutionnalité. C’est clairement un exemple positif qui justifie la place et le rôle de la Cour constitutionnelle dans la préservation de l’État de droit.
La Cour européenne des droits de l’homme est d’avis qu’un recours constitutionnel doit, en principe, être considéré comme un recours efficace, au sens de l’article 35 alinéa 1 de la Convention, depuis le 7 août 2008, lorsque les premières décisions de la Cour constitutionnelle sur le bien-fondé des recours constitutionnels ont été publiées au « Journal officiel de la RS ».
La Cour constitutionnelle a par nature un rôle non seulement juridique, mais aussi politique et social. En tant qu’institution, il s’agit d’un organe étatique indépendant et autonome, mais le pouvoir judiciaire constitutionnel se reflète dans les procédures d’évaluation de la constitutionnalité et de la légalité des actes. La Cour constitutionnelle était en mesure de trancher des litiges qui avaient un contenu essentiellement politique et pouvaient avoir des conséquences politiques, mais la Cour constitutionnelle a agi de telle manière qu’elle se „défendait“ contre l’influence de l’autorité exécutive par les raisonnements et les arguments juridiques.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
L’article 50 de la Constitution de la République de Serbie garantit la liberté des médias et proclame l’absence de censure et que les tribunaux compétents peuvent empêcher la diffusion d’informations et d’idées par le biais des mass médias uniquement si cela est nécessaire dans un contexte de société démocratique afin d’empêcher les appels au renversement violent de l’ordre établi par la Constitution ou à la violation de l’intégrité territoriale de la République de Serbie, pour empêcher la propagation de la guerre ou l’incitation à la violence directe, ou pour empêcher l’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse, qui encourage la discrimination, l’hostilité ou la violence.
En outre, l’article 51 reconnaît le droit de toute personne d’être informée de manière véridique, complète et à temps utile sur les questions d’importance publique, les moyens de communication de masse étant tenus de respecter ce droit. Par ailleurs, toute personne a le droit d’accéder aux données détenues par les autorités publiques et les organismes dépositaires de l’autorité publique, conformément à la loi.
La loi sur l’information publique et les médias, article 4, dispose que l’information publique est libre et n’est pas soumise à la censure. De plus, la liberté d’information publique ne peut être violée par l’abus de fonction et de pouvoir, des droits de propriété ou d’autres droits, ni par l’influence et le contrôle des moyens d’impression et de distribution de journaux ou des réseaux de communication électronique utilisés pour la diffusion de contenus médiatiques.
La jurisprudence des tribunaux ordinaires en République de Serbie a évolué en matière de diffamation. Les premiers débuts sont liés aux premiers arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Lepojić c. Serbie[235] et Filipović c. Serbie[236].
À la suite des arrêts précités de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour suprême de Serbie a adopté la position de principe selon laquelle les tribunaux nationaux, lorsqu’ils évaluent le montant de l’amende prévue pour l’infraction pénale de diffamation, tiennent compte de la position adoptée par la Cour européenne dans les affaires Lepojić et Filipović.
» Compte tenu des positions des tribunaux nationaux dans les arrêts susmentionnés et de la position de la Cour européenne des droits de l’homme dans ses arrêts dans les affaires Lepojić et Filipović – concernant ces arrêts, l’avis juridique proposé a été adopté lors de la session de la chambre pénale, notamment dans l’intérêt des futures procédures devant les juridictions nationales dans des situations similaires, où la jurisprudence future serait alignée sur les positions contenues dans les arrêts susmentionnés de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Lepojić et Filipović, de manière à ce que des jugements de valeur concernant des personnalités publiques ne devraient pas, en règle générale, tomber sous le coup des dispositions du droit pénal, car l’intervention dans de tels cas n’est pas nécessaire dans une société démocratique et que la liberté d’expression prévue à l’article 10 de la Convention est le fondement d’une société démocratique et que la liberté d’expression d’un individu ne s’applique pas seulement aux informations ou idées acceptées ou considérées comme non offensantes, mais aussi à ce qui offense, choque ou dérange, car tout cela est axé sur des questions d’intérêt public et non sur la vie privée de personnalités publiques « [237].
Le Code pénal de la RS prévoit, dans son chapitre XVII – délits contre l’honneur et la réputation – à l’article 170 – délit d’insulte – que quiconque insulte autrui sera puni d’une amende. Une amende majorée est prévue si l’acte a été commis par la presse, la radio, la télévision ou des moyens similaires ou lors d’une réunion publique. L’auteur ne sera pas puni si le discours a été donné dans le cadre d’une critique sérieuse dans une œuvre scientifique, littéraire ou artistique, dans l’exercice d’une fonction officielle, d’une activité journalistique ou politique, dans le cadre de la défense d’un droit ou de la protection d’intérêts légitimes, s’il ressort de la manière dont il s’est exprimé ou d’autres circonstances qu’il ne l’a pas fait dans l’intention de dénigrer.
Avec la modification du Code pénal entrée en vigueur le 1er janvier 2013, l’article 171, qui prescrivait le délit de diffamation, a été supprimé. La suppression de la diffamation du Code pénal a été précédée par la dépénalisation de cette infraction pénale en 2005 (abolition de la peine de prison).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
La Cour constitutionnelle de Serbie a examiné divers aspects de la protection des droits de l’homme sur et en relation avec Internet dans le cadre de procédures de recours constitutionnels : accès à Internet, responsabilité pour le contenu produit par l’utilisateur, responsabilité pour les commentaires de personnes anonymes sur Internet, responsabilité pour les photos publiées sur Internet, appréciation de l’équilibre entre deux droits contradictoires, au premier chef le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information, d’une part, et le droit à la vie privée, d’autre part.
Par la décision de la Cour constitutionnelle du 13 février 2020, dans l’affaire n° Už3340/2017, le recours constitutionnel prétendant la violation du droit à la dignité humaine et du droit à un procès équitable garanti par la Constitution de la Serbie du requérant a été rejeté. Dans le cas concret, le requérant a contesté la décision du tribunal qui a rejeté sa demande d’indemnisation pour préjudice moral dû à une atteinte à l’honneur et à la réputation, en raison de la publication de commentaires négatifs de personnes anonymes sur le forum du site Internet d’une municipalité de Serbie. À l’appui de ses prétentions, le requérant du recours constitutionnel a invoqué la position de la Cour européenne issue de l’arrêt Delfi AS c. Estonie, que j’ai souligné plus tôt dans la présentation comme étant significatif.
Dans l’exposé des motifs de sa décision, la Cour constitutionnelle a évoqué les dispositions pertinentes de la Constitution et de la loi, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Partant des dispositions de la Constitution, la Cour Constitutionnelle a souligné que » le fait de laisser et de publier des commentaires sur des sites Internet relève du domaine de la liberté d’expression « , mais qu’en même temps il existe une obligation de ne pas nuire à la réputation d’autrui avec des commentaires, c’est-à-dire de respecter le droit à la dignité humaine. Dans l’explication de sa décision, la Cour constitutionnelle s’est référée à la position de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Ahmet Yildirim c. Turquie et a souligné que « le fait de laisser et de publier des commentaires sur des sites Internet relève du domaine de la liberté d’expression » et qu’il existe une obligation de « ne pas nuire à la réputation d’autrui avec des commentaires, c’est-à-dire de respecter le droit à la dignité humaine ». La Cour constitutionnelle a souligné que « la liberté constitutionnelle et conventionnelle indiquée revêt une importance particulière lors de son exercice sur Internet ». Internet en tant que phénomène technologique, communicationnel et sociologique dépasse les barrières spatiales et temporelles et offre une audience à grande échelle. L’émergence et le développement d’Internet ont créé un environnement complètement nouveau qui a donné aux utilisateurs la possibilité d’exprimer leurs idées et leurs opinions, ce que la grande majorité ne pouvait pas faire à l’ère des médias traditionnels. »
Dans l’affaire Už-7211/2013, les requérants, contestant la décision du tribunal de deuxième instance, ont indiqué des violations de la liberté d’opinion et d’expression de l’article 46 de la Constitution, de la liberté des médias de l’article 50, paragraphe 3 de la Constitution, et le droit à l’information prévu à l’article 51, paragraphe 1 de la Constitution.
Dans cette affaire spécifique, les requérants ont publié la nouvelle du décès (suicide) d’une jeune personne prospère sur le site Internet de la radio locale, accompagnée de sa photo. À la suite de la publication de la nouvelle du décès de leur fille et de la photo contestée, les parents de la fille ont engagé une procédure civile devant les tribunaux ordinaires contre le défendeur – le requérant dans le présent recours constitutionnel – en réparation du préjudice moral au nom de la souffrance morale due à une atteinte à l’honneur et à la réputation.
Le tribunal de première instance a rejeté la demande des parents pour non-fondement, estimant que les demandeurs n’avaient pas prouvé que les informations contenues dans le texte litigieux portaient atteinte au droit à la vie privée, à l’honneur et à la réputation, ainsi qu’au respect de la vie familiale. Les défendeurs ont justifié la publication de l’article et de la photo contestée en arguant qu’il y avait un intérêt légitime du public à connaitre la mort tragique de la jeune personne prospère et les circonstances de son décès, et que la photo contestée permettait au public de voir le visage de la défunte.
La cour d’appel a, dans le cadre de la procédure d’appel, infirmé la décision du tribunal de première instance et adopté une position contraire, précisant « que du côté des requérants il n’existait aucun intérêt légitime du public à connaitre la mort tragique de la fille des demandeurs ni les circonstances de sa mort ni à permettre au public de voir le visage de la fille défunte des demandeurs par le biais de la photo contestée », en soulignant que l’autorisation des parents n’avait pas été demandée au préalable, ce qui était contraire à la Loi sur l’information publique.
En contestant la décision de la Cour d’appel, les requérants ont soutenu que, leur droit à la liberté d’expression, à la liberté des médias et au droit à l’information, garantis par la Constitution, avaient été violés. Ils ont également contesté les motifs avancés dans l’explication de la décision affirmant qu’il n’y avait pas d’intérêt légitime du public à connaitre la mort tragique ni les circonstances du décès ni à permettre au public de voir le visage de la fille décédée des demandeurs via la photo contestée. Les requérants devant la Cour constitutionnelle ont estimé que « le contenu des informations publiées ne portait manifestement pas atteinte à la dignité de la personne concernée ni au droit au respect des membres de sa famille ; qu’il y avait un intérêt légitime du public à connaitre le visage de la personne décédée de manière tragique à travers ladite photo et qu’il s’agissait d’une photo précédemment publiée sur un site Web, donc qu’ils n’avaient pas besoin du consentement de la famille pour la publier ».
Lors de la prise de décision, la Cour constitutionnelle s’est appuyée sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Handyside c. Royaume-Uni et Nilsen and Johnsen c. Norvège.
La Cour constitutionnelle a, entre autres, souligné que dans une société démocratique « la liberté d’expression s’applique non seulement aux informations ou aux idées accueillies avec faveur ou considérées comme non offensantes ou indifférentes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou dérangent l’État ou une partie de la population. Ce sont les exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit sans lesquelles il n’y a pas de société démocratique ».
La Cour constitutionnelle a ensuite rappelé que le droit à la liberté d’expression fait partie des libertés relatives et, à ce titre, est soumis aux limitations prescrites par l’article 46, paragraphe 2 de la Constitution de la République de Serbie, tout en se référant aux critères bien établis de la Cour européenne des droits de l’homme, également acceptés par ce tribunal.
En appliquant ces critères à l’affaire en question, la Cour constitutionnelle a constaté que l’atteinte à la liberté d’expression était légale, c’est-à-dire régie par des normes légales claires et spécifiques ; que la décision judiciaire contestée de seconde instance avait été rendue pour atteindre un objectif légitime consistant à protéger le droit à la vie privée des demandeurs.
En ce qui concerne le critère de nécessité dans une société démocratique, la Cour constitutionnelle s’est une nouvelle fois appuyée sur la jurisprudence de la Cour européenne, estimant que « les informations contenues dans le texte litigieux ne relèvent pas exclusivement de la sphère privée des demandeurs, étant donné que l’acte du décès tragique d’une personne, en particulier d’une personne jeune, constitue une information choquante, perturbante ou troublante… ». En examinant la publication de la photo contestée, la Cour constitutionnelle s’est référée à la pratique de la Cour européenne pour déterminer si la publication d’une photo d’une personne avait porté atteinte à son droit à la vie privée, concluant qu’il était constitutionnellement et juridiquement acceptable que la cour d’appel ait statué qu’il n’y avait pas d’intérêt légitime du public à ce que ladite photo soit publiée.
En fin de compte, lors de la mise en balance des droits en jeu dans l’affaire précise – le droit à la liberté d’expression, ici des requérants ou le droit à la vie privée, ici des parents de la défunte – la Cour constitutionnelle a estimé que la motivation de la cour d’appel était constitutionnellement et juridiquement acceptable en termes d’atteinte de l’équilibre équitable des droits. Elle a rejeté le recours constitutionnel pour absence de fondement et a conclu qu’il n’y avait pas de violation du droit à la liberté d’expression tel que prévu à l’article 46 de la Constitution de la République de Serbie.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Voir la réponse à la question numéro 3.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Les élections libres ne sont pas possibles sans liberté d’expression. La liberté d’expression implique la liberté de critiquer le gouvernement et ses membres. Pendant la période électorale, il est important de reconnaître la nature spécifique et la valeur démocratique du rôle des journalistes et des autres acteurs médiatiques.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
ACCÈS À INTERNET
Loi sur les communications électroniques (article 3)
Les objectifs et principes régissant les relations dans le domaine des communications électroniques sont, entre autres :
- 9) Assurer une protection élevée des intérêts des consommateurs vis-à-vis des opérateurs, notamment en garantissant la disponibilité d’informations claires et complètes sur les prix, les conditions d’accès et d’utilisation (y compris les restrictions) ainsi que sur la qualité des réseaux et services de communication publics, ainsi qu’en traitant efficacement les réclamations concernant le travail des opérateurs ;
- 11) Garantir aux utilisateurs finaux, lors de l’utilisation des réseaux et services de communication publics, la liberté d’accéder aux informations et de les distribuer, ainsi que d’utiliser des applications et des services de leur choix.
BLOCAGE ET FILTRAGE DE SITES WEB
Amendements à la loi sur les communications électroniques (2019)
Article 20, paragraphes 5 à 7
Le prestataire de services de la société de l’information est tenu de supprimer immédiatement, et au plus tard dans un délai de 2 jours ouvrables à compter de la réception de l’acte de l’autorité compétente pour l’application et le respect de la loi dont la disposition a été violée, tout contenu non autorisé. L’autorité compétente prend une décision d’office ou à la demande de la partie concernée.
À la demande d’un tiers, le prestataire de services de la société de l’information est tenu de supprimer immédiatement, et au plus tard dans un délai de 2 jours ouvrables à compter de la réception de la demande de cette partie, tout contenu non autorisé, sauf s’il estime qu’il n’est pas contraire aux dispositions légales. Dans ce cas, le prestataire de services peut saisir l’autorité compétente pour l’application et le respect de la loi et lui demander de vérifier si les dispositions légales ont été violées dans ce cas spécifique.
Si l’autorité constate une violation, le contenu doit être supprimé.
L’injonction comprend une description précise de l’emplacement sur la page Internet ou sur toute autre représentation électronique où le contenu non autorisé est présent, ainsi qu’une justification de cette non-autorisation.
RESTRICTION DE VIOLATION DES DROITS D’AUTEUR
- La Constitution de la République de Serbie – l’article 50, paragraphe 3, prévoit l’absence de censure en République de Serbie.
- La loi sur l’information publique et les médias, article 4, dispose que l’information publique est libre et n’est pas soumise à la censure. De plus, la liberté d’information publique ne doit pas être violée par l’abus de fonction et de pouvoirs, des droits de propriété ou autres droits, ni par l’influence et le contrôle des moyens d’impression et de distribution de journaux ou des réseaux de communication électronique utilisés pour la diffusion de contenus médiatiques.
- Loi sur le commerce électronique – la prestation de services de la société de l’information est libre. Aucune autorisation spéciale ou approbation n’est requise pour la prestation de services de la société de l’information (article 5).
RESPONSABILITÉ FINANCIÈRE POUR LES SITES WEB LIÉS
Loi sur les communications électroniques
Article 4
L’Internet est un système de communication électronique mondial composé d’un grand nombre de réseaux et de dispositifs informatiques interconnectés qui échangent des données à l’aide d’un ensemble commun de protocoles de communication.
Article 40
- Une entité qui, en plus d’exercer des activités de communications électroniques, exerce également une autre activité commerciale est obligée d’exercer des activités de communications électroniques par l’intermédiaire d’une personne morale liée ou d’une succursale établie conformément à la loi régissant le statut juridique des sociétés commerciales.
Article 124
- L’opérateur est tenu, pour assurer la sécurité et l’intégrité des réseaux et services publics de communication électronique, la confidentialité des communications ainsi que la protection des données personnelles, du trafic et de la localisation, d’appliquer des mesures techniques et organisationnelles appropriées, adaptées aux risques existants, notamment des mesures pour prévenir et réduire au minimum l’impact des incidents de sécurité sur les utilisateurs et les réseaux interconnectés, ainsi que des mesures pour assurer la continuité des services des réseaux et des services de communication publics.
- La loi prévoit une amende pour infraction (article 138, paragraphe 1, point 3).
LE DROIT À L’OUBLI
Loi sur la protection des données personnelles (2018) Article 30.
La personne concernée a le droit de faire supprimer ses données personnelles par le responsable du traitement.
Cet article réglemente par la suite la procédure de suppression des données personnelles.
Le droit à la suppression ou à la limitation du traitement effectué par les autorités compétentes à des fins particulières est régi par l’article 34.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Il existe des exemples de bonnes pratiques de la Cour constitutionnelle en matière de rassemblements publics de la population LGBT.
En 2009, un recours constitutionnel a été déposé auprès de la Cour constitutionnelle de la République de Serbie par cinq membres du comité d’organisation du « Gay Pride » contre la décision du ministère de l’Intérieur, qui avait changé le lieu du rassemblement « Gay Pride », qui devait avoir lieu au centre de Belgrade le 20 septembre 2009.
Le 22 décembre 2011, la Cour constitutionnelle a rendu la décision Už-1918/2009, par laquelle elle a accepté le recours constitutionnel et a estimé que la décision contestée du ministère de l’Intérieur violait le droit des requérants qui ont saisi la Cour constitutionnelle à la liberté de réunion et le droit à un recours juridique, en lien avec le droit à la protection judiciaire. La Cour constitutionnelle a estimé que la décision contestée du ministère avait changé le lieu de la réunion, de sorte que le rassemblement pacifique de la population LGBT n’avait pas été explicitement empêché, mais elle a estimé que le ministère, en adoptant la décision contestée, et ce seulement un jour avant la date prévue du rassemblement, qui n’a aucun fondement juridique dans des réglementations juridiques positives, a en fait rendu impossible aux participants à la réunion de se rassembler à l’endroit où ils le souhaitaient.
Contrairement à l’année 2009, Gay Pride de 2011 a été interdit pour des raisons de sécurité. Le 18 avril 2013, la Cour constitutionnelle a rendu la décision Už-5284/2011, dans laquelle elle a accepté le recours constitutionnel de l’Association » Gay Pride Belgrade » et a constaté que la décision contestée du ministère de l’Intérieur (interdiction de la tenue d’une manifestation publique et d’un défilé convoqués par l’Association » Gay Pride Belgrade » déclarés pour le 2 octobre 2011) avait violé le droit du requérant à la protection judiciaire, au recours juridictionnel et à la liberté de réunion.
La Cour constitutionnelle a estimé que l’Association a été privée de la possibilité de contester la décision, car celle-ci lui a été transmise seulement deux jours avant la réunion prévue. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier à l’arrêt Baczkowski et autres c. Pologne, la Cour constitutionnelle a jugé que, dans le cas spécifique, une décision sur l’appel aurait eu un caractère post-hoc et a soutenu que cette protection ne pourrait objectivement pas arriver à temps opportun, donc être efficace. Par conséquent, même si les données collectées dans le cas spécifique ne fournissent pas de base fiable pour conclure que l’autorité compétente a pris la décision individuelle contestée de manière arbitraire, l’impossibilité même pour le requérant de demander un réexamen de la décision qui limitait l’une des libertés garanties par la Constitution, par le biais d’un recours juridique effectif, constitue une violation du droit à la protection judiciaire et du droit à un recours, et par conséquent, une atteinte à la liberté de réunion.
La Cour constitutionnelle a accordé à l’Association le droit à une indemnisation pour préjudice moral d’un montant de 500 euros.
En statuant sur les recours constitutionnels susmentionnés, la Cour constitutionnelle a estimé qu’une des causes fondamentales de la violation de la liberté de réunion réside précisément dans le problème systémique de la conformité de la loi en question avec la Constitution en vigueur.
Par conséquent, la Cour constitutionnelle s’est autosaisie en se référant à l’article 168, paragraphe 1 de la Constitution de la République de Serbie et a lancé, de sa propre initiative, la procédure d’évaluation de la constitutionnalité de la loi sur les rassemblements de citoyens, qui a abouti à la décision IUž – 204/2013 du 9 avril 2015, qui établit que la loi sur le rassemblement des citoyens n’est pas conforme à la Constitution. Dans l’exposé des motifs de la décision, la Cour constitutionnelle a déclaré, entre autres, que l’ensemble de la procédure visant à réaliser la liberté de réunion garantie était réglementée d’une manière qui ne répondait pas au critère d’efficacité.
En outre, le 21 avril 2016, la Cour constitutionnelle a rendu la Décision Už-8591/2013, par laquelle elle a accepté le recours constitutionnel de l’Association » Gay Pride Belgrade » et a constaté que la décision contestée du ministère de l’Intérieur (interdisant la tenue de la Gay Pride Belgrade prévue pour le 28 septembre 2013) avait violé les droits du requérant à la protection judiciaire, au recours juridique et à la liberté de réunion. La Cour constitutionnelle a également reconnu le droit de l’Association à une indemnisation pour préjudice moral d’un montant de 800 euros.
Le rôle positif de la Cour constitutionnelle a été reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle a statué sur la recevabilité des requêtes de l’association » Gay Pride Belgrade » et de 18 citoyens de la République de Serbie soumises à la Cour européenne des droits de l’homme, concernant les tentatives d’organisation de la « Gay Pride » en 2009, 2011, 2012 et en 2013.
Le 17 janvier 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans l’affaire Milica Đorđević et autres c. Serbie, requête no. 5591/10, 17802/12, 23138/13 et 2574/14, décidé de supprimer les requêtes mentionnées de la liste des affaires concernant l’article 37.1 (b) de la Convention, car elle a conclu que les deux conditions d’application de 37.1 (b) avaient été respectées, et qu’il n’y a aucune raison concernant le respect des droits de l’homme tels que définis par la Convention qui nécessite un examen de ces requêtes eu regard de l’article 37.1 in fine.
Concernant la première question, à savoir si les circonstances dénoncées par les requérants sont toujours présentes, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que, outre les arrêts rendus sur les recours constitutionnels, la Cour constitutionnelle, dans le cadre d’une procédure d’auto-saisine, a établi l’existence d’un problème structurel provenant de l’application de la loi sur les réunions de citoyens de 1992 et a déterminé que cette loi n’était pas conforme à la Constitution. La nouvelle loi sur les réunions publiques, qui corrige toutes les lacunes de la loi de 1992 pertinentes pour cette affaire, est entrée en vigueur le 5 février 2016.
La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que le problème structurel résolu par la Cour constitutionnelle était au cœur des requêtes des requérants. Le changement de lieu de rassemblement Gay Pride en 2009, l’interdiction de le tenir en 2011, 2012 et 2013 et l’absence de possibilité de contester efficacement les décisions contestées sont le résultat de la mise en œuvre de la loi sur les réunions de citoyens de 1992. Même avant la modification de la loi pertinente, les Gay Pride de 2014 et 2015 ont eu lieu avec l’autorisation officielle et la protection de la police et se sont déroulés sans incident. Cette tendance positive s’est poursuivie avec le défilé organisé en 2016, qui s’est également déroulé en paix. Par conséquent, les circonstances directement dénoncées par les requérants – la loi sur la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique – n’existent plus.
En ce qui concerne la deuxième question, à savoir si les mesures prises par les autorités représentent une satisfaction suffisante, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que la loi pertinente avait été modifiée et que cela était le résultat de l’approche proactive de la Cour constitutionnelle. De plus, depuis trois ans, les défilés se déroulent sans incident. Il semble donc qu’il y ait également eu un changement positif dans la perception du public concernant ladite question. Considérant cela, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’indemnisation déterminée par la Cour constitutionnelle, dans les circonstances particulières, était adéquate et suffisante.
Par conséquent, on peut conclure que l’approche proactive de la Cour constitutionnelle dans deux de ses juridictions – dans la procédure de recours constitutionnel et dans la procédure d’évaluation de la constitutionnalité et de la légalité des actes généraux – a influencé un changement positif dans la compréhension du public des droits de la population LGBT, ce qui a contribué à la paix dans la société.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Voir la réponse à la question précédente et la réponse à la question numéro 7 du sous-thème 2.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Absolument oui. À travers sa jurisprudence et dès ses premiers débuts, la Cour Constitutionnelle a souligné l’importance des » obligations positives et négatives de l’État « , c’est pourquoi dans l’affaire Už-3238/2011 du 8 mars 2012, elle a établi ce qui suit :
- Le respect du droit de l’homme garanti implique avant tout l’obligation des autorités de l’État et des autres titulaires de l’autorité publique de ne pas interférer avec la jouissance du droit garanti, ce qui représente une » obligation négative de l’État « .
- Le respect des droits de l’homme garantis implique qu’un individu puisse exiger des autorités publiques qu’elles prennent des mesures et adoptent des actes qui garantiront ce respect, ce qui représente une » obligation positive de l’État « .
Par ailleurs, l’article 18, paragraphe 2 de la Constitution dispose : « Les droits de l’homme et des minorités garantis par les règles généralement acceptées du droit international, consacrés par les traités et lois internationaux sont garantis par la Constitution et, à ce titre, sont directement appliqués ». Le même article précise au paragraphe 3 : « Les dispositions relatives aux droits de l’homme et des minorités sont interprétées en faveur de la promotion des valeurs d’une société démocratique, conformément aux normes internationales en vigueur en matière de droits de l’homme et des minorités, ainsi qu’à la pratique des institutions internationales qui supervisent leur mise en œuvre ».
Sur le plan normatif, la République de Serbie a adopté les normes les plus élevées en matière de respect, de protection et de promotion des droits de l’homme, tant au niveau national qu’au niveau européen et international. En devenant membre du Conseil de l’Europe, elle a assumé toutes les obligations s’y référant, et c’est précisément la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui est de la plus haute importance pour l’exercice de la fonction de protection directe des droits de l’homme et libertés par la Cour constitutionnelle de Serbie dans le cadre de la procédure de recours constitutionnel. Dans le même temps, c’est actuellement le domaine d’activité prédominant de la Cour en termes de volume d’affaires (environ 90 % des affaires).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi? Si non, pourquoi ?
Il ne fait aucun doute que la liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions fondamentales de son progrès et de la protection des droits de chaque individu.
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a indiqué à plusieurs reprises que, dans toute société démocratique, il est particulièrement important pour chaque individu de garantir l’affirmation et le plein exercice de la liberté de pensée et d’expression et du droit à l’information, et ce, en premier lieu, à travers la liberté des médias. En outre, lorsqu’il s’agit de questions d’importance publique, la liberté des médias est essentielle pour que diverses informations, avis et idées d’importance publique puissent être présentés au public, afin d’être accessibles aux citoyens.
Les décisions et arrêts de la Cour constitutionnelle en matière de protection des droits individuels, et notamment du droit à la liberté d’expression, servent non seulement à trancher les affaires dont elle est saisie, mais aussi, plus généralement, à clarifier, protéger et développer les règles établies par la Constitution, élevant ainsi les normes des droits de l’homme et élargissant la jurisprudence des droits de l’homme dans l’État.
Tribunal fédéral suisse
Remarques préalables
La Suisse est un État fédéral qui comporte trois niveaux politiques : la Confédération, les cantons et les communes. Chaque niveau dispose d’un pouvoir législatif et exécutif. La Confédération et les cantons disposent en outre d’un pouvoir judiciaire.
La Constitution fédérale de la Confédération suisse (ci-après Constitution fédérale ou Cst.)[238] confère au peuple et aux cantons l’autorité suprême de la Confédération. Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération.3 Les communes, dont l’autonomie est également garantie par la Constitution fédérale[239], disposent d’un certain pouvoir réglementaire.
En raison du fédéralisme suisse, tant la Confédération que les cantons ont le pouvoir d’adopter une Constitution. La Constitution fédérale prévoit cependant que les constitutions cantonales doivent être « garanties par la Confédération », la garantie étant accordée « si elles ne sont pas contraires au droit fédéral ».[240] L’Assemblée fédérale, c’est-à-dire le Parlement de la Confédération, est compétente pour octroyer la garantie fédérale après chaque révision totale ou partielle d’une constitution cantonale. Ainsi, notre pays compte une Constitution fédérale et vingt-six constitutions cantonales.[241] Dans le cadre du présent questionnaire, seule la Constitution fédérale est prise en compte.
Notre Constitution fédérale a connu trois versions successives depuis la fondation de l’État fédéral. La première version a été adoptée par les citoyens en 1848. Ses deux révisions totales, votées en 1874 et en 1999, s’inscrivent dans la continuité et le perfectionnement des institutions esquissées en 1848. L’esprit et la substance de la première Constitution fédérale ont en effet perduré dans ses versions ultérieures, les deux refontes totales n’ayant pas produit une rupture intellectuelle ni un renouveau politique.
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Constitution fédérale actuelle ne contient pas de disposition unique garantissant les différentes facettes de la libre communication par un seul droit générique (contrairement à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après CEDH[242] et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ci-après Pacte ONU II).[243] Elle prévoit plusieurs articles protégeant différentes composantes de celle-ci comme garanties indépendantes, régies toutefois par des règles communes. La doctrine parle de libertés de communication plutôt que de liberté d’expression. Ce concept regroupe un ensemble de libertés ayant pour objet de garantir les libres formation, expression et réception des opinions par la parole, l’écrit, l’image, le signe, le geste et le symbole s’adressant à un cercle de destinataires potentiellement ouvert.[244] On trouve ainsi la liberté d’opinion (art. 16 al. 1 et al. 2 Cst.) ; d’information (art. 16 al. 1 et al. 3 Cst.); la liberté des médias (art. 17 al. 1 Cst.) qui interdit la censure (al. 2) et garantit le secret de rédaction (al. 3) ; la liberté de la science (art. 20 Cst.) et la liberté de l’art (art. 21 Cst.). Outre ces libertés de communication, il existe d’autres garanties, dont la fonction en matière de diffusion des idées, jouant un rôle majeur, telles la liberté religieuse (art. 15 Cst.), la liberté de la langue (art. 18 Cst.), de réunion (art. 22 Cst.), d’association (art. 23 Cst.) ou du droit de pétition (art. 33 Cst.).
La délimitation entre les domaines de protection des dispositions précitées n’est pas toujours aisée à établir, toutefois l’art. 16 Cst. se présente comme la garantie générale et subsidiaire par rapport aux autres libertés de communication qui sont dotées de contours mieux définis par rapport aux comportements qu’elles appréhendent.[245] Dans ce questionnaire, il sera toutefois principalement question de la liberté d’opinion et d’information (art. 16 Cst.) qui équivaut à la liberté d’expression, telle qu’elle est en outre communément comprise.
Par déclaration de droits, on entend un texte qui énonce un ensemble de droits de l’homme comme le fait en France la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il n’existe pas de texte de ce genre en Suisse.
Historiquement, parmi les libertés de communication, seule la liberté de la presse figurait dans les Constitutions de 1848 (art. 45) et 1874 (art. 55). Avant l’adoption de la Constitution de 1999, la liberté d’expression était par contre ancrée dans le droit conventionnel puisque sont entrés en vigueur en Suisse : la CEDH (art. 10) le 28 novembre 1974 et le Pacte ONU II (art. 19) le 18 septembre 1992. La Constitution fédérale de 1999 a pallié à cette absence de référence en droit interne en introduisant l’art. 16 Cst. (Liberté d’opinion et d’information), mais elle avait le statut de liberté non écrite depuis les années soixante déjà (cf. la réponse aux questions 2.1 et 2.2).[246]
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Non, le Constituant fédéral de 1999 a renoncé à doter explicitement chaque droit fondamental d’une liste de restrictions susceptibles de lui être opposées. Il a opté en faveur d’une clause générale, applicable à toutes les libertés garanties par la Constitution fédérale. Les conditions générales de restriction aux droits fondamentaux sont précisées à l’art. 36 Cst. D’une manière générale, chaque fois que le Tribunal fédéral doit se prononcer sur un cas de restriction à une liberté fondamentale, il examine si elle est fondée sur une base légale (art. 36 al. 1 Cst.), si elle est justifiée par un intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.) et si elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.). Lorsque la restriction aux droits fondamentaux est grave, il vérifie si celle-ci figure dans une loi au sens formel (art. 36 al. 1 Cst.). Le Tribunal fédéral s’assure également que la substance même de la liberté – son noyau intangible – n’est pas violée (art. 36 al. 4 Cst.).
En outre, nombreuses sont les règles du droit ordinaire, comme celles du droit pénal (diffamation/art. 173 du Code pénal [ci-après CP][247], injure/art. 177 CP et discrimination raciale/art. 261bis CP), civil (art. 28 du Code civil[248]) ou administratif qui limitent l’exercice des libertés de communication.
Cf. aussi la réponse à la question 1.6.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Alors qu’elle n’était qu’une liberté non écrite, le Tribunal fédéral définissait ainsi la liberté d’expression : « faculté de faire connaitre librement ses opinions et de les répandre en usant des moyens légaux, sans plus »[249]. Depuis la Constitution fédérale de 1999, c’est la liberté d’opinion (art. 16 Cst.) qui est souvent appelée liberté d’expression.[250]
La liberté d’opinion garantit le droit de toute personne de former, d’avoir, d’exprimer et de répandre son opinion, quelle qu’elle soit, par n’importe quel moyen disponible et licite.[251] Certaines formes d’expressions non verbales sont aussi considérées comme des libertés de communication par le Tribunal fédéral: œuvres d’art (art. 21 Cst.), banderoles, drapeaux, masques portés au cours de manifestations, actes de protestation (grève de la faim par un détenu mécontent; blocage du trafic pour protester contre la guerre).[252] Le Tribunal fédéral admet que les libertés de communication ne protègent pas seulement le contenu des informations, mais aussi leurs moyens de transmission/réception.[253] N’importe quel vecteur peut être utilisé pour la diffusion de l’opinion (cf. à cet égard la réponse à la question 3.4). Cette liberté apporte significativement quelque chose à la diversité sociétale et culturelle et contribue au progrès social.[254] Elle a aussi une dimension personnelle importante.[255]
La liberté d’information garantit à toute personne « le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser ». Cette définition est assez étroite puisque le Tribunal fédéral limite son champ d’application aux sources généralement accessibles et a refusé de déduire de cette liberté une obligation générale pour les autorités de donner des informations sur l’activité de l’administration en faisant entendre les voix discordantes.[256] On ne peut donc pas en déduire un droit à l’information. Dès lors, il appartient au législateur, cas échéant au juge, de délimiter le cercle des sources accessibles.[257] La liberté de réception est aussi consacrée par cet article ainsi que par la loi fédérale sur la radio et la télévision (ci-après LRTV, art. 66). Le Tribunal fédéral n’a pas jugé la redevance radio-télévision comme incompatible avec cette liberté.[258]
Il convient aussi d’ajouter la définition du Tribunal fédéral de la liberté des médias (art. 17 Cst.) qui fait partie des manifestations centrales de la garantie générale de la liberté d’expression.[259] Est déterminant le fait que la communication médiatisée soit mise à disposition du public, même s’il s’agit d’un cercle limité.[260]
La liberté de la science (art. 20 Cst.) protège selon le Tribunal fédéral l’indépendance intellectuelle et méthodologique de la recherche contre
L’intervention de l’État.[261]
Quant à la liberté de l’art (art. 21 Cst.), le Tribunal fédéral considère que la création artistique, sa présentation et ses produits constituent des opinions protégées par la liberté d’expression.[262]
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrentils ? De ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Même si de façon générale, la pratique du Tribunal fédéral – qui a fait siennes les exigences que les juges de Strasbourg ont posées en matière de liberté d’expression – converge avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CourEDH), cette dernière ne tient pas toujours le même raisonnement et n’a pas forcément la même vision de la liberté d’expression que le juge interne. Il est donc déjà arrivé que la CourEDH reproche à la Suisse une violation de la liberté d’expression telle que garantie par l’art. 10 CEDH.[263] Suite aux condamnations prononcées à l’encontre de notre pays, notre jurisprudence a évolué pour se conformer aux exigences européennes. L’on en veut pour preuve un arrêt du Tribunal fédéral de 2018 concernant la négation par un politicien du génocide des musulmans bosniaques à Srebrenica. Dans ce jugement, les juges fédéraux se sont référés aux critères définis par la CourEDH dans l’affaire Perinçek[264] pour arriver à la conclusion que les propos controversés ne comportaient pas d’incitation à la haine, à la violence ou à l’intolérance, ni de reproches à l’encontre des musulmans de Bosnie, de sorte que la condamnation pénale de leur auteur n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
On peut encore ajouter que certains arrêts rendus par la CourEDH ont renforcé la sensibilité pour la liberté d’expression comme en témoigne le cas Gsell contre Suisse.[265] Dans cet arrêt, le refus d’autoriser l’entrée au World Economic Forum (WEF) de Davos à un journaliste a été considéré comme une ingérence dans le droit à la liberté d’expression du journaliste puisqu’il voulait se rendre à Davos en vue de la rédaction d’un article. L’interdiction qui lui a été faite n’était fondée sur aucune base légale explicite. Les autorités ont eu recours à la clause générale de police en vertu de l’art. 36 al. 1 Cst. La CourEDH a affirmé que l’expression « prévue par la loi » au sens de l’art. 10 par. 1 CEDH ne se limitait pas à l’exigence d’une base légale en droit interne, mais qu’elle visait aussi la qualité de la loi en cause, qui doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets (sur cet arrêt, cf. aussi la réponse à la question 3.7).[266] Dans un arrêt subséquent, le Tribunal fédéral a ainsi repris cette exigence relevant « qu’on ne peut donc considérer comme une loi qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé. Le degré de prévisibilité est fonction des circonstances de la cause, une certitude absolue ne pouvant pas être exigée ».[267]
En sus, on peut préciser que le Tribunal fédéral n’accorde une pleine protection qu’aux communications idéales (celles qui ont une valeur politique, culturelle, scientifique ou sociale) et non aux communications commerciales (p. ex. les publicités) appartenant à la liberté économique et dotées d’un régime plus strict, alors que la CourEDH englobe les communications commerciales dans la liberté d’expression. Les juges de Strasbourg laissent toutefois aux autorités nationales une large marge d’appréciation concernant les restrictions possibles à la communication commerciale, tolérant celles qui tendent à lutter contre la publicité trompeuse ou mensongère.34
Cf. aussi la réponse à la question 2.7.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Dans la doctrine, la liberté d’opinion (art. 16 Cst) est considérée comme une véritable matrice des libertés de communication. Celle-ci a donné à la jurisprudence l’occasion de développer un socle de principes communs. Elle joue un double rôle : droit fondateur des libertés de communication et garantie générale et subsidiaire par rapport aux autres formes de communication.[268] C’est le socle indispensable aux autres modes d’expression, qui n’en représentent en définitive que des aspects importants, mais néanmoins ponctuels.[269]
Les déclinaisons de la liberté d’expression de notre jurisprudence sont celles énumérées dans la réponse à la question 1.1.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse?
La liberté religieuse – appelée aussi liberté de conscience et de croyance – trouve son fondement dans l’art. 15 Cst. À noter que cette disposition protège tant la dimension intérieure que la dimension extérieure de la liberté religieuse. Elle consacre en effet le droit de professer ses convictions religieuses individuellement ou en communauté. Le titulaire de cette liberté a la faculté » d’exprimer, de pratiquer et de communiquer ses convictions religieuses ou sa vision du monde, dans certaines limites « .[270] Cette liberté apparaît dès lors comme une garantie spéciale par rapport à la liberté d’expression de l’art. 16 Cst., mais ne fait pas partie de la catégorie des libertés de communication.
La liberté d’expression (art. 16 Cst.) peut entrer en conflit avec la liberté religieuse (art. 15 Cst.). Le législateur pénal a effectué un arbitrage préalable d’un tel conflit. Il a en effet adopté deux normes pénales qui fixent des limites à la liberté d’expression en matière religieuse : les art. 261 et 261bis CP.
L’art. 261 CP est intitulé « atteinte à la liberté de croyance et des cultes ». Cette disposition punit d’une peine pécuniaire celui qui, publiquement et de façon vile, aura offensé ou bafoué les convictions d’autrui en matière de croyance, en particulier de croyance en Dieu, ou aura profané les objets de la vénération religieuse, celui qui aura méchamment empêché de célébrer ou troublé ou publiquement bafoué un acte cultuel garanti par la Constitution, ainsi que celui qui, méchamment, aura profané un lieu ou un objet destiné à un culte ou à un acte cultuel garantis par la Constitution. Cet article vise toute religion bénéficiant de la protection de l’art. 15 Cst.[271] Dans un arrêt datant de 1960, le Tribunal fédéral a considéré que le bien juridique protégé par l’art. 261 CP était tant la paix religieuse que la liberté religieuse, plus précisément le droit de l’individu au respect de ses convictions religieuses.39 Seules sont donc punissables, les atteintes aux convictions religieuses d’autrui qui sont « suffisamment graves pour troubler simultanément la paix publique ».[272] La simple critique à l’égard d’une religion n’est pas visée par l’art. 261 CP.41
L’art. 261bis CP est intitulé « Discrimination et incitation à la haine ». Cette disposition protège notamment les groupes religieux contre l’incitation publique à la haine ou la discrimination ainsi que contre la propagation publique d’une idéologie visant leur rabaissement ou dénigrement systématique.[273] Pour tomber sous le coup de l’art. 261bis CP, les propos doivent être tenus en public et faire apparaître l’individu appartenant à une religion comme étant de moindre valeur du point de vue de la dignité humaine.[274] Récemment, le Tribunal fédéral a été saisi d’une affaire concernant la liberté d’expression en lien avec l’art. 261bis CP. Il y était question de propos niant l’holocauste tenus par Dieudonné lors de spectacles donnés en Suisse. L’humoriste s’est prévalu des art. 16 et 17 Cst. ainsi que de l’art. 10 CEDH pour contester sa condamnation en application de l’art. 261bis CP. Les juges fédéraux ont indiqué que l’art. 261bis CP devait être interprété à la lumière des principes régissant la liberté d’expression. Ils ont ajouté que, dans une démocratie, il était essentiel que même les opinions qui déplaisent à la majorité, ou celles qui choquent nombre de personnes, puissent être exprimées.[275] Le Tribunal fédéral a cependant rappelé que, si le discours humoristique était protégé par la liberté d’expression, le droit à l’humour ne permettait pas tout.[276] Il a également exposé que la tenue en public de propos négationnistes était propre à heurter les membres de la communauté juive.[277] Il a par ailleurs retenu que les propos incriminés n’avaient pas été prononcés » à des fins humoristiques, parodiques ou satiriques, mais bien principalement afin de minimiser la souffrance d’un peuple […], voire également de provoquer et de créer la polémique, au détriment des membres de la communauté juive, pour lesquels cette question est susceptible de jouer un rôle identitaire central « .[278] Pour les juges fédéraux, il était douteux qu’au regard de l’art. 17 CEDH, le recourant soit fondé à invoquer sa liberté d’expression vu que les propos incriminés paraissaient déjà consacrer en soi l’expression d’une idéologie allant à l’encontre des droits et libertés reconnus dans la CEDH.[279] Au terme de leur analyse, les juges fédéraux sont arrivés à la conclusion que la condamnation de Dieudonné au titre de l’art. 261bis CP devait être confirmée.[280]
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression assure une protection extrêmement étendue lorsque les droits politiques protégés par l’art. 34 Cst. sont en cause. À son alinéa 2, il est écrit que la garantie des droits politiques protège expressément la liberté d’expression. Il en va ainsi, par exemple, lors des campagnes précédant les votations sur des scrutins référendaires.[281] Selon le Tribunal fédéral, la liberté d’expression est plus large dans le domaine du discours et du débat politique. Cette liberté revêt en effet la plus haute importance dans ce domaine. Par ailleurs, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens. Il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (cf. aussi la réponse aux questions 3.2 in fine et 3.5).[282]
À l’instar du discours politique, l’humour a droit à un traitement privilégié.[283] Toutefois, comme mentionné ci-dessus, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de l’humoriste Dieudonné qui se prévalait de la liberté d’expression pour contester sa condamnation pour violation de l’art. 260bis al. 4 in fine CP. Si la protection de la liberté d’expression au sens de l’art. 10 CEDH couvre également la satire, elle est néanmoins restreinte par la clause de l’interdiction de l’abus de droit de l’art. 17 CEDH. Ainsi des propos contraires aux valeurs sous-tendant la CEDH se voient soustraits à la protection de l’art. 10 CEDH par le biais de l’art. 17 CEDH.
À l’inverse, dans les domaines dits régaliens (militaire ; police ; justice), la liberté d’expression est plus restreinte (cf. aussi la réponse aux questions 1.8 et 1.9). Le discours commercial quant à lui est aussi sujet à des restrictions plus amples (cf. aussi la réponse à la question 1.4), tout comme les formes extrêmes des discours racistes, ou incitant à la violence qui constituent un usage abusif des libertés de communication.[284]
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
La liberté d’opinion et d’information (art. 16 Cst) appartient à toute personne physique ou morale.[285] Elle appartient également à toute personne majeure ainsi qu’aux mineurs capables de discernement (art. 11 al. 2 Cst).[286]
Par ailleurs, elle appartient aussi bien aux Suisses qu’aux étrangers, mais il n’en a pas toujours été ainsi (cf. à cet égard la réponse à la question 3.6).
Actuellement, si les libertés de communication appartiennent à chacune et chacun, les restrictions qui les frappent ne sont pas les mêmes pour tous. Le contenu des libertés de communication peut varier selon le statut (élève, détenu, député) ou la profession (avocat, journaliste). Concernant la protection des libertés d’expression des élèves et étudiants, elle augmente au fur et à mesure du niveau d’études.56 Les libertés d’expression peuvent être parfois restreintes (interdiction de l’usage de smartphone en classe) dans des buts didactiques ou de discipline. Le détenu peut aussi être soumis à des restrictions liées à l’enquête ou à titre de sanction (contrôle du courrier postal, etc.).[287] L’avocat quant à lui doit disposer d’une grande liberté pour critiquer l’administration de la justice (cf. aussi la réponse à la question 3.10).[288] Quant à l’éthique journalistique, elle commande de séparer les faits des opinions afin de prévenir la manipulation du public.59
En ce qui concerne les agents de l’État, cf. la réponse à la question 9 ci-dessous.
En ce qui concerne les politiciens, cf. la réponse à la question 3.5
Cf. aussi la réponse à la question 4 où l’on voit que contrairement à la CEDH qui confère la liberté d’expression à tous, le Tribunal fédéral distingue d’après la nature, lucrative ou non, du but recherché, ne protégeant ainsi que les opinions et expressions qui ont un caractère idéal (les autres tombant sous le coup de la liberté économique).[289]
Enfin, on peut encore ajouter qu’en droit suisse, faute d’effet horizontal direct des libertés de communication, les conflits entre particuliers au sujet de leur exercice sont tranchés sur la base des dispositions du droit privé, qui doivent être interprétées à la lumière des libertés constitutionnelles (effet horizontal indirect). [290]
- 9. Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Concernant les fonctionnaires et les agents publics, ils sont soumis au devoir de fidélité qui peut limiter leur liberté d’expression. L’exercice de cette liberté est soumis au devoir de réserve et à l’obligation de s’abstenir de porter préjudice à la confiance du public en l’administration.[291] Le secret de fonction en est l’exemple emblématique.[292] Pendant et en dehors de son travail, il a l’obligation d’adopter un comportement qui inspire le respect et qui est digne de confiance, et sa position exige qu’il s’abstienne de tout ce qui peut porter atteinte aux intérêts de l’État.[293] Dans tous les cas, ses prises de position resteront mesurées, sur le fond comme dans le ton.[294] La liberté d’expression du fonctionnaire peut être limitée lorsque le comportement de ce dernier porte atteinte à l’exercice de ses fonctions et à la confiance du public dans l’administration.[295]
Est réservé le cas du lanceur d’alerte (Whistleblower), qui peut bénéficier d’une impunissabilité dans des conditions rigoureuses et en respectant un ordre de priorité strict.[296] S’agissant du cas particulier des enseignants, leur devoir de réserve et de fidélité peut imposer des limites à leur liberté d’expression et s’étendre au comportement au dehors du service, en raison des devoirs et responsabilités particuliers qui pèsent sur leurs épaules.[297]
Pour ce qui est du cas particulier des juges, en application de la garantie constitutionnelle de l’indépendance et de l’impartialité des juges (art. 30 et 191c Cst), ils doivent s’exprimer avec retenue et d’une façon qui ne les fasse pas apparaître comme prévenus dans une affaire qu’ils ont à juger.[298] Ils ne doivent donc pas s’exprimer sur les affaires en cours ni faire des remontrances à des magistrats d’autres tribunaux. Comme exception à ce principe, on trouve en procédure pénale l’information au public par les tribunaux dans ces conditions (art. 74 du Code de procédure pénale suisse).[299] On peut citer aussi l’art. 58 de la loi sur le Tribunal fédéral[300] qui permet au Tribunal fédéral de délibérer en audience (et donc en public), si le président de la juridiction l’ordonne, si un juge le demande ou s’il n’y a pas unanimité. La délibération consistera alors en la prise de position orale des juges. Il y a également lieu de mentionner ici les « Usages au sein du collège des juges au Tribunal fédéral »[301] qui ont été adoptés en 2018 par la Cour plénière afin de mettre par écrit les usages auxquels se conforment les membres de la cour suprême suisse. Ce document porte notamment sur le comportement en public des juges fédéraux.[302]
En ce qui concerne les militaires, on peut présenter le contenu de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire74 ainsi que du règlement de service de l’armée.[303] En période de service militaire, les soldats bénéficient du droit à la libre expression de leurs idées[304], mais ce droit subit des limitations « qui ne peuvent excéder ce qui est indispensable à l’accomplissement de la mission de l’armée, de la troupe et de chaque militaire ».[305] L’art. 96 du règlement de service de l’armée est consacré à la liberté d’expression et fixe comme suit les modalités de son exercice: au service aussi, les militaires peuvent s’exprimer librement, y compris sur des questions en rapport avec le service et l’armée; les déclarations faites ne doivent toutefois pas entraver l’exécution des missions, l’obéissance due aux supérieurs, la discipline et l’esprit de corps de la troupe ni troubler la marche du service[306]; par ailleurs il est interdit aux militaires d’organiser des assemblées politiques, des manifestations et des campagnes de propagande quelles qu’elles soient ou d’y participer, de même que de collecter des signatures pour des listes de candidats, des initiatives populaires, des référendums et des pétitions pendant le temps de travail et pendant le temps de repos, dans la sphère de la communauté et lorsqu’ils portent l’uniforme.[307]
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Il a fallu attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que la liberté d’expression soit consacrée par la jurisprudence.[308] Le Tribunal fédéral l’a en effet reconnue comme un « principe fondamental du droit fédéral ou cantonal, écrit ou non, et une extension de la protection assurée par la liberté de la presse » en 1961.[309] Quelques années plus tard, les juges fédéraux ont expressément conféré à la liberté d’expression le statut de « droit constitutionnel non écrit de la Confédération ».[310]
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Il s’agit du deuxième droit constitutionnel non écrit consacré par le Tribunal fédéral. Dès les années trente – en raison de la crise économique et du totalitarisme ambiant – la doctrine a considéré que les droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale de l’époque étaient insuffisants et qu’ils devaient être complétés. Dès les années soixante, face à l’inaction du constituant et encouragé par la doctrine, le Tribunal fédéral a décidé de reconnaître de nouveaux droits constitutionnels non écrits pour combler les lacunes que comportait l’énumération des droits fondamentaux faite par la Constitution fédérale de 1874.83. C’est ainsi que les juges fédéraux ont reconnu la liberté d’expression comme étant d’abord un principe fondamental du droit fédéral ou cantonal, puis comme un droit constitutionnel non écrit.[311] Ils ont décrit cette liberté comme un élément indispensable à l’épanouissement de la personne humaine et comme le fondement de tout État démocratique.[312]
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le Tribunal fédéral a très tôt retenu qu’il n’existait pas de droit fondamental supérieur ou inférieur en ce sens que l’un devrait céder le pas à l’autre, mais que tous les droits fondamentaux existaient côte à côte avec la même force juridique.[313]
Cependant, dans un arrêt de 1970, les juges fédéraux ont indiqué que « la liberté d’expression n’est pas seulement, comme d’autres libertés expresses ou implicites du droit constitutionnel fédéral, une condition de l’exercice de la liberté individuelle et un élément indispensable à l’épanouissement de la personne humaine; elle est encore le fondement de tout État démocratique: permettant la libre formation de l’opinion, notamment de l’opinion politique, elle est indispensable au plein exercice de la démocratie. Elle mérite dès lors une place à part dans le catalogue des droits individuels garantis par la Constitution fédérale et un traitement privilégié de la part des autorités ».[314]
Par la suite, le Tribunal fédéral n’a plus manifesté sa volonté d’accorder à la liberté d’expression un statut privilégié. Un auteur en a déduit que les juges fédéraux étaient devenus réticents à toute hiérarchie des droits fondamentaux.[315] C’est ce que vient confirmer le principe de la « concordance pratique » que le Tribunal fédéral applique aux situations de conflit entre droits fondamentaux (cf. la réponse à la question 2.8).
À noter que la liberté d’opinion (art. 16 Cst.) peut être perçue comme une liberté matricielle plutôt que comme une liberté supérieure aux autres (cf. la réponse à la question 1.5).
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Deux dates ont marqué un tournant dans la jurisprudence relative à la liberté d’expression :
◦ 1961 : Le Tribunal fédéral consacre expressément la liberté d’expression comme « principe fondamental du droit fédéral ou cantonal ». Cela ouvre la voie à ce que le statut de « droit constitutionnel non écrit de la Confédération » soit reconnu à cette liberté, puis à ce que celle-ci soit inscrite dans la Constitution fédérale de 1999.
◦ 1974 : Suite à la ratification de la CEDH par la Suisse, la jurisprudence des organes de Strasbourg commence à exercer une influence importante sur la pratique du Tribunal fédéral. Les affaires de liberté d’expression sont traitées en tenant compte de l’art. 10 CEDH et de la jurisprudence rendue à ce sujet par la CourEDH.[316] A cet égard, il sied de relever que la Suisse connait un système moniste avec primauté du droit international. Les normes de droit international déploient leurs effets dans l’ordre juridique interne sans qu’il soit nécessaire de les introduire dans le droit national par un acte spécial de transformation. De ce fait, la CEDH fait partie intégrante de notre droit national. Par ailleurs, en cas de conflit, les normes de droit international qui lient la Suisse et qui tendent à la protection des droits de l’homme priment celles du droit interne qui leur sont contraires.[317]
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Ce sont la nécessité d’une protection accrue de l’individu contre le totalitarisme ambiant, l’inaction du constituant et les encouragements de la doctrine qui ont amené le Tribunal fédéral à ajouter, par voie prétorienne, la liberté d’expression au catalogue des droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale.
Quant au phénomène d’internationalisation de la jurisprudence du Tribunal fédéral, il est dû à la volonté des juges fédéraux de respecter les engagements internationaux de la Suisse et d’éviter ainsi des condamnations par la CourEDH.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Le Tribunal fédéral est l’autorité judiciaire suprême de la Confédération. Il assume à ce titre un double rôle. En tant qu’autorité judiciaire de dernière instance, il lui incombe de faire respecter la législation fédérale en matière civile, pénale et administrative. En tant que juridiction constitutionnelle, il garantit la protection des droits fondamentaux des citoyens.
La jurisprudence du Tribunal fédéral – dans sa totalité – est contraignante pour les juridictions inférieures. La Suisse connait un système de juridiction constitutionnelle diffus. Ainsi, le Tribunal fédéral n’est pas le seul juge constitutionnel en Suisse. Tous les organes d’application du droit sont habilités à examiner si les droits et libertés des citoyens sont respectés.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Le Tribunal fédéral reprend la jurisprudence de la CourEDH qui concerne la Suisse.[318] Il reprend également la jurisprudence rendue par la CourEDH à propos d’autres états européens quand elle est de nature à se présenter dans les mêmes termes en Suisse.
Il peut aussi arriver que les juges fédéraux citent, dans le cadre d’une démarche comparatiste, la législation ou la jurisprudence de juridictions constitutionnelles étrangères.[319]
Cf. aussi la réponse à la question 1.4
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
En cas de conflit entre libertés, le Tribunal fédéral applique le principe de la concordance pratique.93 Les juges fédéraux doivent coordonner entre elles les différentes libertés protégées, et non pas en subordonner certaines à d’autres.[320] Toutes les libertés garanties ayant la même source, elles « ont la même valeur juridique, à moins que cette source n’indique le contraire ».[321]
Sur la question du conflit entre la liberté d’expression et la liberté religieuse, cf. la réponse à la question 1.6.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Lorsque la liberté d’expression a été consacrée comme « principe fondamental du droit fédéral ou cantonal » puis comme « droit constitutionnel non écrit de la Confédération », la volonté du Tribunal fédéral était de renforcer la protection de l’individu contre les ingérences étatiques. Au fil du temps, le Tribunal fédéral a montré qu’il accordait une très grande importance à la protection des droits de l’homme. Il l’a notamment prouvé en faisant sienne la jurisprudence de la CourEDH et en rendant la jurisprudence dite PKK, selon laquelle la norme internationale ayant pour objet la protection des droits de l’homme prime toujours sur la norme interne lorsqu’elles entrent en conflit.96 (Au sujet de la jurisprudence dite PKK, cf. également la réponse à la question 2.14).
Malgré ce qui vient d’être exposé, le Tribunal fédéral ne reconnaît pas le principe de la supériorité des intérêts de l’individu sur les intérêts de la société. Les libertés individuelles en général et la liberté d’expression en particulier ne sauraient s’exercer au détriment de l’intérêt général. Ce dernier est toujours pris en considération par les juges fédéraux quand ils ont à se prononcer sur la conformité à la Constitution fédérale d’une atteinte à la liberté d’expression. Si les circonstances du cas d’espèce le justifient, l’intérêt de la société aura le pas sur l’intérêt individuel. La seule exception concerne les cas de censure générale préalable dont l’interdiction est énoncée de manière absolue à l’art. 17 al. 2 Cst. L’intérêt du titulaire de la liberté d’expression l’emportera toujours sur celui de l’État. Cette interdiction de censure est reconnue comme relevant du noyau intangible des libertés de la communication.[322]
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le Tribunal fédéral admet les atteintes à la liberté d’expression aux conditions restrictives de l’art. 36 Cst. (Cf. la réponse à la question 1.2). Cette disposition consacre le principe de la proportionnalité : toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3). Traditionnellement, le principe de la proportionnalité est subdivisé en trois règles distinctes et complémentaires. Il exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts).[323] Le contrôle de la proportionnalité se base également sur l’art. 10 par. 2 CEDH. Le Tribunal fédéral se réfère en effet très souvent à la jurisprudence que la CourEDH a rendue sur la notion de « nécessité dans une société démocratique » pour concrétiser le principe de la proportionnalité.
La manière dont le principe de la proportionnalité est appliqué peut varier en fonction de divers facteurs.
Le Tribunal fédéral examine en principe librement si les mesures qui portent atteinte aux droits fondamentaux respectent le principe de la proportionnalité. Il fait cependant preuve d’une certaine retenue dans l’appréciation de ce principe quand il s’agit de domaines où les cantons ont conservé des compétences étendues. Ainsi, lorsque le Tribunal fédéral est saisi de questions liées au maintien de l’ordre public, il ne substitue pas son pouvoir d’appréciation à celui des autorités cantonales dans la mesure où celles-ci sont mieux à même de saisir et d’apprécier les circonstances locales.[324]
L’ampleur de la restriction portée à la liberté fondamentale est également de nature à relativiser le contrôle de la proportionnalité. En cas d’atteinte grave, le juge procède à un examen approfondi de la proportionnalité des mesures contestées. Une restriction légère ou passagère sera traitée de manière moins stricte.[325]
Le domaine dans lequel est exercée la liberté d’expression a aussi un impact sur le contrôle de la proportionnalité. Ainsi, les mesures restrictives de la liberté d’expression dans le domaine du débat politique ou d’une question d’intérêt général appellent l’application d’un contrôle rigoureux en raison « du rôle central imparti au débat d’idées au sein des sociétés démocratiques ».[326]
La nature de l’acte attaqué a aussi une influence sur l’application du principe de la proportionnalité. La manière dont le contrôle est exercé diffère selon qu’il s’opère à l’égard d’un acte normatif cantonal ou à l’égard d’une décision individuelle et concrète.[327] Le contrôle portant sur un acte normatif cantonal ne permet en effet qu’un examen théorique et abstrait.[328] Le Tribunal fédéral l’a souligné dans un arrêt datant de 2002: « trancher définitivement la question de la pesée des intérêts et de la proportionnalité dans le cadre du contrôle abstrait de la norme n’est guère possible, vu la multiplicité des situations concrètes et l’évaluation du risque qu’il faut entreprendre concrètement à chaque occasion ». Lorsque le contrôle porte sur une décision individuelle et concrète, l’application du principe de la proportionnalité s’avère moins délicate.[329]
Par ailleurs, le contrôle de la proportionnalité peut être exclu si le constituant le décide. La Constitution fédérale contient en effet des dispositions qui posent des limites absolues à certaines libertés fondamentales ne laissant ainsi pas de place à l’examen de la proportionnalité.[330] Le juge devra alors « décréter la mesure restrictive sans considération aucune du cas particulier ».106
À noter encore que le contrôle de la proportionnalité tient également compte du statut du titulaire de la liberté d’expression. La fonction de la personne qui s’exprime (fonctionnaire, juge, politicien, etc.) est en effet prise en compte au moment de procéder à la pesée des intérêts en présence (cf. la réponse aux questions 1.8, 1.9 et 3.5).
- Quels sont les rapports existants dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
En cas de restriction à la liberté d’expression, il y a lieu de s’assurer que celle-ci soit justifiée par un intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.). La notion d’intérêt public peut varier dans le temps et dans l’espace.[331] Elle recouvre notamment une série de valeurs dites policières comme par exemple l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la tranquillité publique ou la moralité publique.[332] Selon le Tribunal fédéral, le principe de l’intérêt public se confond – en matière de liberté d’expression – avec le souci de maintenir l’ordre public.[333]
Toujours selon les juges fédéraux, c’est au législateur qu’il incombe de définir, dans le cadre d’un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être considérés comme légitimes.110 Ainsi, le législateur suisse a apporté, au nom de l’ordre public, des restrictions notables à la liberté d’expression dans le Code pénal et dans les lois de police. On peut mentionner à titre d’exemple les infractions contre la paix publique qui sont réprimées par le Code pénal[334] et qui fixent les limites nécessaires pour empêcher les excès de la liberté d’expression. Par ailleurs, la protection de la moralité publique est un « motif classique de police » qui est invoqué pour justifier des restrictions à la liberté d’expression.[335]
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
En Suisse, le contrôle constitutionnel des lois fédérales est réduit à l’égard des actes de rang fédéral. D’une part, le contrôle juridictionnel abstrait des actes normatifs fédéraux est exclu dans la mesure où les actes de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral ne peuvent pas être portés devant le Tribunal fédéral sauf exceptions prévues par la loi (art. 189 al. 4 Cst.). D’autre part, le contrôle concret des lois fédérales est sévèrement limité par la Constitution fédérale vu que le Tribunal fédéral est tenu de les appliquer (art. 190 Cst.). Les lois fédérales bénéficient d’une sorte d’immunité dès lors que les tribunaux et les autorités qui mettent en œuvre le droit ne peuvent pas refuser de les appliquer, sous réserve de contrariété avec le droit conventionnel. La Suisse connait en effet un système moniste avec primauté du droit international.[336] Cette limitation du contrôle des lois fédérales est l’une des principales caractéristiques du système constitutionnel helvétique. Celui-ci traduit la conception selon laquelle les lois fédérales édictées par le Parlement et, en cas de référendum, soumises au vote du peuple, jouissent d’une forte légitimité démocratique et doivent dès lors être respectées.
Sous l’impulsion de la doctrine majoritaire qui était favorable à l’extension de la juridiction constitutionnelle du Tribunal fédéral vis-à-vis des lois fédérales, les juges fédéraux ont fait évoluer leur jurisprudence à l’intérieur du cadre posé par l’art. 190 Cst.
Dans un premier temps, les juges fédéraux ont considéré que le principe posé par l’art. 190 Cst. les obligeait à appliquer tout acte fédéral sans examiner sa constitutionnalité.[337]
Par la suite, le principe de l’interprétation conforme à la Constitution fédérale a fait son apparition dans la jurisprudence du Tribunal fédéral.[338] Ce principe part de la prémisse que le législateur fédéral ne propose pas des solutions incompatibles avec la Constitution fédérale, à moins que le contraire ne résulte clairement de la lettre ou de l’esprit de la loi. Cela signifie que le juge doit conférer à une disposition légale celle qui est en harmonie avec la Constitution fédérale (et la liberté d’expression) lorsque les méthodes ordinaires d’interprétation laissent subsister un doute sur son sens.[339]
Depuis 1991, le Tribunal fédéral estime que l’art. 190 Cst. ne l’empêche pas d’examiner la constitutionnalité d’une loi fédérale (kein Prüfungsverbot) même s’il est tenu de l’appliquer (Anwendungsgebot).[340] La Cour suprême suisse peut donc examiner la conformité d’une loi fédérale à la Constitution fédérale et constater une éventuelle violation de la liberté d’expression d’un individu. Elle ne peut toutefois pas sanctionner cette constatation par une annulation ou par un refus d’application de la loi en question. Ainsi, lorsque les juges fédéraux constatent une violation de la liberté d’expression, ils ne peuvent qu’exhorter le législateur à changer la loi. Le Tribunal fédéral a la possibilité de le faire dans les considérants de ses arrêts[341] ou dans la rubrique de son rapport annuel de gestion, intitulée « Indications à l’intention du législateur ».[342]
En 1999 a été rendu un arrêt[343] qui a permis de renforcer la protection des libertés individuelles. Pour le Tribunal fédéral, en cas de conflit, les normes du droit international qui lient la Suisse priment en principe celles du droit interne qui lui sont contraires.[344] Si l’on fait abstraction des traités internationaux qui prévoient expressément le droit pour les États parties de ne pas les appliquer – ou certaines de leurs clauses – en cas de contrariété avec le droit interne (ainsi s’agissant de l’application provisoire de traités avant leur ratification 156), il ne pourrait être dérogé au principe de la primauté du droit international que lorsque le législateur a délibérément voulu ignorer l’obligation internationale et assumer délibérément la responsabilité politique correspondante.157 Une telle dérogation est cependant exclue lorsque les obligations de la Suisse en matière de droits de l’homme sont en cause158; le droit international public prime alors le droit interne également lorsque le législateur suisse veut s’en écarter. À cette première exception est venue s’ajouter une seconde. Le Tribunal fédéral a en effet décidé que la primauté du droit interne s’écartant volontairement du droit international doit être niée dès lors qu’il s’agit du droit conventionnel régissant les rapports entre la Suisse et l’Union européenne.125 Cela signifie qu’il n’existe certes pas de juridiction constitutionnelle en Suisse, mais une juridiction des droits de l’homme. Les lois fédérales sont examinées par le Tribunal fédéral quant à leur compatibilité avec les exigences en matière de droits de l’homme garanties par les traités internationaux et, le cas échéant, leur application est refusée.126
En résumé, les juges fédéraux ont développé, par voie prétorienne, des outils jurisprudentiels leur permettant d’assurer une protection plus étendue de la liberté d’expression et des autres droits fondamentaux :
▪ l’interprétation des lois fédérales conforme à la Constitution fédérale
▪ le constat d’inconstitutionnalité des lois fédérales et les indications à l’intention du législateur
▪ le refus d’appliquer une loi fédérale contraire aux conventions protectrices des droits humains
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Comme déjà mentionné à plusieurs reprises, la liberté d’expression, à l’instar des autres droits fondamentaux, peut être restreinte si la restriction est fondée sur une base légale, qu’elle est justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et qu’elle est proportionnée au but visé.[345] Lorsque le Tribunal fédéral est amené à examiner la proportionnalité des atteintes à la liberté d’expression, il tient compte de toutes les circonstances du cas d’espèce. Les éléments pertinents dans ce cadre sont notamment l’objet, le contenu, la forme et l’objectif de l’expression, la position de celui qui s’exprime et de celui qui est concerné, le cercle des destinataires, le média utilisé, le motif de l’expression et le contexte dans lequel elle a été prononcée.[346]
Ainsi, pour ce qui a trait aux circonstances de temps, certains moments, tels que le carnaval ou une émission humoristique, permettent une liberté d’expression particulièrement large.[347]
Concernant les circonstances de lieu, l’exercice de la liberté d’expression ne peut pas être soumis à autorisation tant qu’elle se déroule sur la voie publique, en restant dans les limites d’un usage commun. L’exigence de l’autorisation préalable pour la distribution gratuite d’un tract de nature politique sur la voie publique a été considérée par le Tribunal fédéral comme violant la liberté de la presse, qui exclut la censure préalable, et la liberté d’expression.[348] Le Tribunal fédéral reconnaît aux particuliers un « certain droit » à l’usage accru du domaine public pour y exercer leurs droits. L’autorité peut alors soumettre à autorisation cet exercice particulier des libertés, mais elle doit alors également tenir compte de l’existence et de l’importance de celles-ci lorsqu’elle statue sur son octroi et examiner les demandes à l’aune des critères de l’art. 36 Cst. Le Tribunal fédéral a ainsi admis que le fait de monter des stands de propagande politique sur le domaine public puisse être soumis au régime de l’autorisation préalable.[349] Il a en outre retenu que l’interdiction faite aux participants à une représentation pour sensibiliser le public à la consommation de viande de sortir du périmètre alloué rend toute distribution de tracts ou discussion avec les passants intéressés impossible. Il en découle une restriction de leur liberté d’expression. Or celle-ci, motivée par le seul manque de place pour assurer la libre circulation des passants, est inacceptable. En effet, cet intérêt public pouvait, au besoin, être respecté par le choix d’un emplacement plus judicieux par l’autorité.[350]
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La Constitution fédérale garantit la liberté d’expression[351] et interdit la censure.134
Bien qu’elle soit inscrite dans l’article garantissant la liberté des médias, l’interdiction de la censure ne se limite pas aux médias. Elle a une portée plus [352]large[353] et s’applique à toute forme d’expression, quelle que soit sa nature (interindividuelle, artistique ou scientifique).136 Elle doit permettre l’exercice de la liberté d’expression. Cette disposition ne s’oppose pas à toute mesure étatique tendant à limiter, modifier ou supprimer la communication, mais seulement à celles qui interviennent avant la publication ou la diffusion (censure préalable).[354]Elle n’interdit que les mesures de contrôle qui ont un caractère systématique et qui portent atteinte au noyau intangible de la liberté d’expression.
La liberté d’expression n’a pas une valeur absolue ; elle peut être limitée aux conditions fixées par l’article 36 Cst. (Cf. la réponse à la question 3.1). L’exercice de la liberté d’expression est encadré par de nombreuses règles de droit civil, pénal et administratif. Le droit pénal en particulier réprime les délits contre l’honneur[355], dont la diffamation fait partie[356], mais également la discrimination ou l’incitation à la haine par exemple.140
L’arrêt 1C_312/2010 permet d’illustrer de quelle manière le Tribunal fédéral fait le départ entre la liberté d’expression et la censure. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a dû examiner si le refus de la ville de Genève de louer sa salle de spectacle à Dieudonné qui voulait y jouer son spectacle « Sandrine » consacrait une violation de la liberté d’expression. Il commence par rappeler que toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. En vertu de l’art. 36 Cst., outre qu’elle doit être fondée sur une base légale et proportionnée au but visé, une restriction de la liberté d’expression doit notamment être justifiée par un intérêt public. En matière de liberté d’expression, le principe de l’intérêt public se confond en pratique avec le souci de maintenir l’ordre public. La protection de la sécurité, de la tranquillité, de la morale et de la santé publique répond à un intérêt public. Celui-ci ne commande toutefois pas de censurer ou de réprimer l’expression des opinions qui sont subversives ou qui choquent les sentiments moraux, religieux, politiques de la population ou encore qui mettent en cause les institutions. L’interdiction préalable n’est en effet pas compatible avec la liberté d’expression, même lorsque celle-ci s’exerce sur le domaine public. Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation, l’autorité doit donc prendre une décision impartiale, après l’avoir examinée aussi objectivement que possible ; elle ne peut pas refuser une autorisation uniquement parce qu’elle désapprouve les idées et les objectifs politiques des organisateurs. Vu la portée reconnue à la liberté d’expression, seules des conditions restrictives peuvent justifier une ingérence de l’État, en particulier lorsque, comme en l’espèce, il intervient à titre préventif. L’interdiction préalable n’est en principe pas compatible avec la liberté d’expression. En l’espèce, les motifs liés aux antécédents de Dieudonné constituaient une sorte de censure préalable, dans la mesure où il ne s’était pas avéré que son spectacle « Sandrine » enfreignait de façon manifeste des dispositions pénales. La ville de Genève n’était pas non plus parvenue à rendre vraisemblable que la représentation litigieuse était susceptible de provoquer de graves troubles à l’ordre public et sa décision ne respectait pas le principe de la proportionnalité.
Dans une autre affaire[357] illustrant la relation entre la liberté d’expression et la diffamation, le Tribunal fédéral a dû examiner si le fait de suggérer qu’une personne, même une personnalité politique, a de la sympathie pour le régime nazi était diffamatoire et quelles étaient les limites de la liberté d’expression dans le domaine du débat politique. L’article 173 CP réprime le comportement de celui qui, en s’adressant à un tiers, aura accusé une personne, ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, ou aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon. Ce comportement peut être réalisé sous n’importe quelle forme d’expression, notamment par l’écriture ou l’image. L’honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d’homme. Est notamment attentatoire à l’honneur le fait d’assimiler une personne à un parti politique que l’histoire a rendu méprisable ou de suggérer qu’elle a de la sympathie pour le régime nazi. Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l’honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu’un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d’espèce, lui attribuer. Dans la discussion politique, l’atteinte à l’honneur punissable ne doit être admise qu’avec retenue et, en cas de doute, niée. La liberté d’expression, indispensable à la démocratie, implique que les acteurs de la lutte politique acceptent de s’exposer à une critique publique, parfois même violente, de leurs opinions. Il ne suffit ainsi pas d’abaisser une personne dans les qualités politiques qu’elle croit avoir. La critique ou l’attaque porte en revanche atteinte à l’honneur protégé par le droit pénal si, sur le fond ou dans la forme, elle ne se limite pas à rabaisser les qualités de l’homme politique et la valeur de son action, mais est également propre à l’exposer au mépris en tant qu’être humain. Dans le cas d’espèce, la protection de l’honneur de la personne attaquée l’emportait sur le droit du recourant de s’exprimer librement.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Il n’existe actuellement pas en Suisse de réglementation spécifique restreignant la liberté d’expression sur Internet ou sur les réseaux sociaux.[358]Par ailleurs, le règlement européen sur les services numériques (DSA) ne s’applique pas en Suisse dans la mesure où notre pays n’est pas membre de l’UE. Ces dernières années, de nombreuses interpellations ou postulats ont demandé au Conseil fédéral d’intervenir dans ce domaine.[359] En l’absence d’une réglementation spécifique, les restrictions à la liberté d’expression sur Internet et sur les réseaux sociaux sont soumises aux mêmes règles que les autres restrictions. Elles doivent donc, conformément à l’art. 36 Cst., reposer sur une base légale, répondre à un intérêt public ou privé et être proportionnées.
Les réseaux sociaux posent de nombreuses questions juridiques. Parmi les questions en lien avec les réseaux sociaux et la liberté d’expression que le Tribunal fédéral a dû examiner récemment, on peut notamment mentionner la suppression d’un commentaire sur Instagram par la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR, [radio-télévision publique]),[360] la qualification de diffamation du fait d’activer les fonctions « like » ou « partager » d’un contenu publié sur Facebook,[361] l’interdiction prononcée par une autorité judiciaire de publier quelque contenu que ce soit sur les réseaux sociaux,[362] le partage sur les réseaux sociaux d’un film de propagande faisant référence à l’État islamique[363] ou encore la protection des sources d’un influenceur.[364]
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Non, l’art. 16 Cst. garantit la liberté d’expression par n’importe quel vecteur de diffusion. Tous les modes d’expression sont protégés. Les nouvelles formes d’expression propres aux réseaux sociaux tels le like et le retweet [365] ou le commentaire en ligne[366] bénéficient également de la protection constitutionnelle. Il en découle aussi le droit de s’exprimer de façon anonyme ou sous pseudonyme.[367] Ce qui est déterminant, c’est que son auteur ait voulu exprimer une opinion et que cette dernière soit comprise comme telle par ses destinataires.[368]
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Comme nous l’avons indiqué précédemment, le seuil de tolérance est très élevé pour les propos de nature politique, lesquels sont mis au bénéfice de la protection la plus large possible (cf. la réponse aux questions 1.7 et 3.2 in fine). [369] Les parlementaires et membres de gouvernement se trouvent dans une situation particulière en matière de liberté d’expression. En effet, ils jouissent de l’irresponsabilité pour les opinions qu’ils expriment dans l’exercice de leurs fonctions, afin de leur permettre d’accomplir leurs tâches en toute indépendance. Ils sont plus libres que les citoyens.154 En revanche, les membres des gouvernements, les politiciens et autres détenteurs du pouvoir doivent tolérer des critiques plus nombreuses et intenses.155 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les membres des autorités peuvent se prévaloir à titre individuel de leur liberté d’expression pour participer activement et même pour intervenir directement dans les campagnes électorales et référendaires.[370] Lorsque les membres d’une autorité s’expriment comme de simples particuliers, ils peuvent exprimer librement leur opinion personnelle sur l’objet soumis au vote et participer à la campagne en rejoignant par exemple un comité d’initiative. Ils peuvent faire état de leur fonction officielle dans ce cadre, mais ne doivent pas donner une apparence trompeuse à leurs interventions en laissant penser qu’ils expriment la position officielle de l’autorité à laquelle ils appartiennent.[371] L’indépendance et l’impartialité des juges ainsi que la réputation de la justice constituent des intérêts majeurs. Ils exigent des intéressés qu’ils s’abstiennent d’exprimer des opinions politiques en lien avec des événements qui amènent les organes judiciaires à intervenir, comme par exemple des prises de position sur des questions politiques liées à des actes criminels commis. En revanche, il n’est pas interdit aux juges de prendre publiquement position sur des questions générales de nature politicojudiciaire.[372] Selon le Tribunal fédéral, le juge est le garant du respect de l’ordre juridique et de la bonne marche de la justice. Sa position au sein de la communauté démocratique exige qu’il accomplisse les tâches qui lui sont confiées indépendamment de toute influence extérieure et sans préjugés. L’importance de la fonction de juge a donc pour conséquence qu’il doit se comporter dans le cadre et en dehors de sa fonction de manière à ne pas mettre en péril la confiance en son indépendance, y compris dans ses activités politiques. Cela vaut d’autant plus que le juge est souvent appelé à juger des litiges qui font l’objet de controverses politiques. La réserve qui lui est imposée dans la vie publique n’empêche certes pas toute activité politique. Mais la limite de ce qui est autorisé se situe en tout cas là où la justice entre en conflit avec des opinions politiques dans le cadre d’événements concrets.[373] À noter que les » Usages au sein du collège des juges au Tribunal fédéral « [374] règlent la question du droit d’expression des juges en matière politique : » les juges fédéraux ne s’expriment en principe pas publiquement sur des questions politiques. Si tel est exceptionnellement le cas, ils sont tenus d’agir avec prudence et retenue, tout particulièrement en ce qui concerne les questions institutionnelles « .
En outre, il sied de mentionner la garantie des droits politiques 161 des citoyens qui protège la libre formation de leur opinion et l’expression fidèle et sûre de leur volonté lors des élections et votations. Cette liberté cherche à favoriser un processus de formation de la volonté des citoyens transparent, pluraliste et loyal. Cela exige en particulier que les opinions politiques les plus diverses puissent s’exprimer le plus librement possible avant un scrutin. La garantie des droits politiques concrétise, en ce sens, la liberté d’expression garantie à l’art. 16 Cst. [375]
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La liberté d’expression appartient à toute personne physique ou morale, suisse ou étrangère, mineure ou majeur, sans distinction. Il sied toutefois de rappeler qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Au début de la guerre froide, la Suisse avait en effet adopté un arrêté concernant les discours politiques d’étrangers dans le but de prévenir une éventuelle subversion politique.[376] Ce texte disposait qu’un étranger qui n’était pas au bénéfice d’un permis d’établissement en Suisse devait, pour prendre la parole, requérir une autorisation spéciale. L’autorisation était refusée » s’il y avait lieu de craindre que la sûreté extérieure ou intérieure du pays ne soit mise en danger ou que l’ordre ne soit troublé « . Cette loi controversée a finalement été abrogée en 1998.[377] Il y a quelques années, des parlementaires ont proposé que l’on ressuscite cet arrêté afin d’interdire les campagnes électorales tapageuses menées en Suisse par des politiciens étrangers. Cette interpellation a été déposée à la suite de quelques discours prononcés par des leaders politiques étrangers venus appeler leurs compatriotes résidant en Suisse à voter pour eux.[378]
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.)? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions?
Comme indiqué plus haut, la liberté d’expression peut être restreinte si la restriction est fondée sur une base légale, justifiée par un intérêt public ou privé et proportionnée au but visé. Mais elle pourrait être restreinte même sans base légale en période de troubles si ces derniers constituent un danger sérieux, direct et imminent. En effet, conformément à l’art. 36 al. 1 Cst., la clause générale de police peut remplacer une base légale manquante et légitimer des atteintes – même graves – aux droits fondamentaux si, et dans la mesure où, l’ordre public et des biens juridiques fondamentaux de l’État ou de particuliers doivent être protégés contre des dangers sérieux, directs et imminents dans le temps qui, dans les circonstances concrètes, ne peuvent être écartés autrement que par des moyens non expressément prévus par la loi. Ces moyens doivent toutefois être compatibles avec les principes généraux du droit constitutionnel et administratif, en particulier avec le principe de proportionnalité. Le champ d’application de la clause générale de police est en principe limité aux cas d’urgence imprévisibles. Toutefois, s’il s’agit de prévenir un danger grave, imminent et impossible à écarter autrement pour des biens juridiques fondamentaux au sens de l’art. 36 al. 1 phrase 3 Cst., l’État ne peut pas rester inactif et violer ses devoirs de protection uniquement parce que le législateur a omis de légiférer à temps sur les mesures nécessaires, mais peut et doit exceptionnellement prendre les mesures nécessaires à la prévention du danger en se fondant sur la clause générale de police.[379]
Le Tribunal fédéral a examiné la restriction de la liberté d’expression d’un journaliste qui voulait se rendre à Davos durant le Forum économique mondial (WEF)[380]. Avant la tenue du WEF, des perturbations et des actions avaient été annoncées à plusieurs reprises, de même que la tenue d’une manifestation non autorisée. La police cantonale a donc pris des mesures pour protéger le WEF, ses invités, la population et les infrastructures ; elle a sécurisé les voies d’accès à Davos par des contrôles intensifs des personnes et des véhicules. Dans ce contexte troublé, le journaliste s’est vu refuser l’accès à Davos. Le Tribunal fédéral a reconnu que, pour le journaliste touché, l’interdiction faite par la police de se rendre à Davos en relation avec le WEF portait atteinte à sa liberté personnelle, ainsi qu’à sa liberté d’opinion, d’information et de la presse. Il a ensuite rappelé que la liberté d’expression pouvait être restreinte aux conditions de l’art. 36 Cst. La première condition est celle de l’existence d’une base légale. Dans le cas d’espèce, les mesures policières ne pouvaient se baser sur une base légale formelle. Cependant, la clause générale de police permettait de faire abstraction d’une telle base légale en cas de danger sérieux, direct et imminent. De l’avis du Tribunal fédéral, tel était le cas en l’espèce, car le danger de perturbations graves était imminent ; il ne pouvait être prévu à l’avance et était le résultat du caractère de plus en plus violent des mouvements altermondialistes. Les mesures policières et les restrictions d’accès à Davos, qui visaient à éviter des perturbations et des actes de violence de la part de manifestants, étaient incontestablement propres à garantir la sécurité dans le village et à protéger le WEF, la population et les infrastructures. Elles n’avaient pas une portée importante du fait que l’accès n’a été refusé que pour une matinée. Dès lors, le Tribunal fédéral a considéré les mesures policières comme proportionnelles et conclu que les libertés invoquées n’avaient pas été violées. La CourEDH est arrivée à une autre conclusion dans cette affaire. Elle a retenu que les autorités compétentes ne pouvaient se prévaloir de la clause générale de police dans la mesure où les circonstances entourant le WEF pouvaient être considérées comme un cas prévisible et répétitif au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Du point de vue des juges strasbourgeois, les autorités responsables auraient pu, voire dû, réagir plus tôt afin d’appuyer la mesure litigieuse sur une base légale plus précise que l’article 36 al. 1 Cst. (Cf. sur cet arrêt également la réponse à la question 1.4). [381]
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
L’ordre public se définit comme un intérêt public qualifié, propre à justifier des mesures de police telles que la protection de la sécurité, de la santé, de la tranquillité, de la paix et de la moralité publiques. La notion d’ordre public ne peut guère être décrite de manière abstraite. C’est une notion évolutive qui peut par conséquent s’apprécier de manière différente en fonction des époques.[382]
En période de troubles, le Conseil fédéral peut s’appuyer directement sur l’art. 185 al. 3 Cst. pour édicter des ordonnances et prendre des décisions en vue de parer à des troubles existants ou imminents menaçant gravement l’ordre public, la sécurité extérieure ou la sécurité intérieure. Ces ordonnances doivent toutefois être limitées dans le temps. Les mesures adoptées dans ce cadre peuvent entraîner des restrictions des droits fondamentaux,[383] mais elles sont soumises aux principes généraux du droit constitutionnel, dont ceux de la légalité, de la proportionnalité et du principe de la bonne foi.[384] Le Conseil fédéral a notamment recouru à l’art. 185 al. 3 Cst. lorsqu’il a adopté l’ordonnance interdisant le groupe « Al-Qaïda » ou, plus récemment, durant de la crise liée à la pandémie de coronavirus.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Le rôle principal du Tribunal fédéral comme juge constitutionnel est de garantir la protection des droits fondamentaux des citoyens, en vérifiant dans chaque cas concret si l’acte attaqué constitue une restriction aux droits fondamentaux et, dans l’affirmative, en exerçant un contrôle rigoureux de l’admissibilité de ces restrictions au regard de la Constitution fédérale. En période de troubles, ce rôle de protection est particulièrement important concernant la liberté d’expression, mais également pour tous les autres droits fondamentaux.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Oui, le fait pour les citoyens de pouvoir s’exprimer, de critiquer l’État, ses institutions et plus particulièrement l’administration de la justice, permet certainement d’asseoir la légitimité et le rôle du Tribunal fédéral et renforce la confiance des justiciables. Dans ce domaine, les avocats jouent un rôle particulier. Ils doivent disposer d’une grande liberté de parole pour critiquer la justice. 172 Cette liberté est indispensable dans l’intérêt de la garantie d’une administration de la justice intègre et conforme aux exigences de l’État de droit.[385] La confiance dans les institutions est à la fois la condition et l’expression de la stabilité des institutions et du bon fonctionnement de la société. Des institutions stables et dignes de confiance sont essentielles pour la qualité de vie de la population. Selon les derniers chiffres officiels publiés, la confiance de la population suisse dans le système judiciaire est relativement élevée (60,5%).[386]
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, la liberté d’expression est et demeurera un outil important pour la démocratie dans les années à venir, car, comme le Tribunal fédéral le déclarait déjà dans un vieil arrêt[387], rendu alors que la liberté d’expression n’était encore qu’un droit constitutionnel fédéral non écrit, la liberté d’expression n’est pas seulement, comme d’autres droits fondamentaux, une condition de l’exercice de la liberté individuelle et un élément indispensable à l’épanouissement de la personne humaine; elle est encore le fondement de tout État démocratique, permettant la libre formation de l’opinion, notamment de l’opinion politique, elle est indispensable au plein exercice de la démocratie.[388] Il n’y a en effet pas de vie démocratique possible dans un État qui n’assurerait pas la liberté d’expression de ses citoyens. La liberté d’expression est une condition nécessaire du pluralisme social et de l’autonomie des individus et de la société civile par rapport à l’État. [389] Elle contribue également au traitement social des thèmes politiques et à la légitimation des décisions politiques.[390] Seuls des citoyens bien informés et confrontés à la diversité des opinions sont capables de réfléchir et de délibérer de manière à ce que les décisions démocratiques apparaissent comme légitimes. L’acceptation des décisions démocratiques, en particulier par les minorités, dépend essentiellement de la mesure dans laquelle celles-ci ont eu la possibilité de s’exprimer et d’être entendues au cours du processus décisionnel.[391] La liberté d’expression constitue l’une des conditions primordiales du progrès d’une société démocratique.
Conseil constitutionnel du Tchad
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Au Tchad, en matière de liberté d’expression, le texte fondamental qui la régit est la Constitution de la 5e République en son article 28 alinéa 1er qui énonce que : « les libertés d’opinion et d’expression, de communication, de conscience, de religion, de presse, d’association, de réunion, de circulation et de manifestation sont garanties à tous ».
L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule que : « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
L’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples stipule que : « Toute personne a droit à l’information. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est -elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Effectivement, l’alinéa 2 de l’article 28 de la Constitution ci-dessus cité évoque les domaines dans lesquels la liberté d’expression peut être limitée, notamment dans le cas du respect des libertés et des droits d’autrui et dans le cas de sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs. Elle s’énonce comme suit : « Elles (les libertés d’opinion et d’expression…) ne peuvent être limitées que par le respect des libertés et des droits d’autrui et par l’impératif de sauvegarder l’ordre public et les bonnes mœurs ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression peut être définie comme le fait de dire ou de communiquer tout ce que l’on pense sans être inquiété pour ses idées.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous referez vous et dans quel sens (pro ou contra) ?
La liberté d’expression est un droit fondamental reconnu universellement à tous les êtres humains. À ce titre, la définition et le contenu donné à ce droit ne diffèrent pas beaucoup de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques tels que le droit privé, le droit public ou encore le droit international. Souvent, la référence au droit international (notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la charte africaine des droits de l’homme et des peuples) est nécessaire et elle est faite dans le sens de la conformité à la définition et au contenu de la liberté d’expression.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté est définie comme le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui et qui n’est pas défendu par la loi. Et la liberté d’expression est le fait de dire ou de communiquer tout ce que l’on pense sans être inquiété pour ses idées. Or avant de s’exprimer, il faudrait d’abord réfléchir, concevoir des idées, imaginer ou cogiter. Par conséquent, la liberté d’expression peut bel et bien être conçue comme une liberté matricielle (vieille ou ancienne) dont peut découler la liberté d’opinion, la liberté de conscience, etc.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le Conseil constitutionnel du Tchad qui était une Chambre de la Cour suprême a été restauré avec la promulgation de la Constitution de la 5e République. Il n’a été effectivement mis en place qu’en fin janvier 2024 avec la nomination de ses membres. Cette nouvelle constitution a renforcé les attributions du Conseil constitutionnel en rendant obligatoire son contrôle sur les lois relatives aux libertés publiques et droits fondamentaux avant leur promulgation.
Par conséquent, depuis lors, non seulement les saisines portent exclusivement sur le contrôle de constitutionnalité des lois organiques, mais aussi les recours dans le domaine des droits de l’homme et des libertés publiques ne sont pas encore enregistrés.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/ plus restreinte ? (Politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Certes, la Constitution du Tchad reconnaît et garantit la liberté d’expression à tous (article 28 précité). Cependant l’alinéa 3 de l’article 28 précise que « la loi détermine les conditions de leur exercice ». Cela signifie que pour chaque domaine, le législateur définit les conditions dans lesquelles cette liberté doit être exercée. Évidemment, dans le domaine militaire ou par exemple dans le domaine de la santé publique, il existe des restrictions à la liberté d’expression (la tenue du secret professionnel, l’exécution stricte des ordres hiérarchiques, etc.). Par contre, dans des domaines tels que la politique ou l’art, les citoyens peuvent exprimer leurs opinions ou pensées dans le sens le plus large possible (prise de positions politiques, expression d’une idée sur un tableau artistique, etc.).
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu /institution qui en est titulaire (mineurs, personne physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
La liberté d’expression est reconnue et garantie à tous les citoyens sans distinction de sexe, de race, de religion, d’opinion politique ou de position sociale (les articles 13, 14 et 15 de la Constitution). De même, les personnes morales (privée/publique) sont titulaires de la liberté d’expression (article 17 de la Constitution). Évidemment, le contenu et l’encadrement de la liberté d’expression diffèrent selon l’individu ou l’institution qui en est titulaire.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Le fonctionnaire tchadien jouit de la liberté d’expression qui est reconnue à tout citoyen par la Constitution et les lois et règlements en vigueur (article 7 de la loi n°017/PR/2001 portant statut général de la fonction publique). Toutefois cette liberté d’expression ne peut s’exercer que dans le respect de l’autorité de l’État, de l’ordre public et des sujétions particulières inhérentes à l’emploi exercé (article 8 alinéa 2 de la loi n°017/PR/2001 portant statut général de la fonction publique).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre institution, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel du Tchad qui était une Chambre de la Cour suprême a été restauré avec la promulgation de la Constitution de la 5e République. Il n’a été effectivement mis en place qu’en fin janvier 2024 avec la nomination de ses membres. Cette nouvelle constitution a renforcé les attributions du Conseil constitutionnel en rendant obligatoire son contrôle sur les lois relatives aux libertés publiques et droits fondamentaux avant leur promulgation.
Par conséquent, depuis lors, non seulement les saisines portent exclusivement sur le contrôle de constitutionnalité des lois, mais aussi les recours dans le domaine des droits de l’homme et des libertés publiques ne sont pas encore enregistrés.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-telle variée (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement)
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de religion, etc.) ?
Les droits et libertés sont des prérogatives attribuées ou reconnues à un citoyen dans son intérêt pour lui permettre de jouir d’une chose ou de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi. La liberté d’expression quant à elle est le fait de dire ou de communiquer tout ce que l’on pense sans être inquiété pour ses idées. Partant de ces définitions, nous pouvons constater que ces terminologies sont similaires et que la conciliation entre la liberté d’expression et droits et libertés est envisageable. D’ailleurs, la liberté d’expression est un des droits fondamentaux, susceptible d’être classé dans la rubrique DROITS et LIBERTÉS.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Conformément à l’article 28 alinéa 2 de la Constitution, l’ordre public est une limite à l’exercice de la liberté d’expression et il constitue de ce fait un important outil d’encadrement de cette liberté. L’État et les pouvoirs publics sont tenus d’assurer et de faire régner l’ordre et cet impératif de sauvegarde de l’ordre public peut limiter la liberté des citoyens de s’exprimer sur des sujets sensibles ou délicats, susceptibles de créer des conflits ou des soulèvements au sein de la population.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La censure peut être définie comme un contrôle exercé par une autorité sur une activité destinée au public et qui consiste à interdire tout ou partie d’une communication quelconque.
En droit constitutionnel, la censure est la procédure par laquelle une assemblée parlementaire met en jeu la responsabilité politique du gouvernement par un blâme motivé à l’adresse de ce dernier. Le vote d’une motion de censure entraîne la démission forcée du Gouvernement.
Partant de la définition ci-haut citée, la censure apparaît comme un moyen de restreindre la liberté d’expression et de communication des citoyens.
La diffamation est le fait d’alléguer ou d’imputer un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Elle est un délit prévu et puni par la loi pénale et à ce titre elle peut être utilisée comme un moyen de contrôle de la liberté d’expression : libre de s’exprimer, certes, mais que cette liberté ne porte pas atteinte à la dignité d’autrui.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer- et si oui, dans quel sens- sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversation en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
De façon générale, les élections au Tchad sont encadrées par les textes normatifs, notamment le code électoral. Ce code fixe les règles générales applicables aux opérations électorales et la liberté d’expression est exercée de la manière la plus large surtout pendant la campagne électorale. Les réunions, les manifestations, les rassemblements, les affiches, les temps d’antenne dans les médias, etc. sont autant des moyens d’expression mis librement à la disposition des candidats.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est- il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
L’article 16 de la constitution stipule que : « sous réserve des droits politiques, les étrangers régulièrement admis sur le territoire de la République bénéficient des mêmes droits et libertés que les nationaux. Ils sont tenus de se conformer à la Constitution, aux lois et règlements de la République ». Conformément à cette disposition de la loi fondamentale, les acteurs étrangers peuvent exercer la liberté d’expression dans le respect des lois nationales en vigueur.
- La liberté d’expression connait-elle de restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à l’Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Effectivement, en période de troubles, la liberté d’expression connait des restrictions particulières. Celles-ci se justifient par la sauvegarde de l’ordre public et la préservation de la tranquillité et de la paix sociale, etc. Les outils juridiques qui sous-tendent ces restrictions sont les différents textes en vigueur tels que la Constitution et les lois sur la communication, l’audiovisuel, la régulation des médias, etc.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en périodes de troubles ?
En périodes de troubles, le rôle de protecteur des libertés publiques et droits fondamentaux des citoyens dévolus au Conseil constitutionnel est renforcé. Le juge constitutionnel dispose d’une large marge de manœuvre dans la définition et l’interprétation des textes en vue de préserver l’ordre public d’une part et de protéger la liberté d’expression d’autre part.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle lui sont dévolus par la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel a été institué par la Constitution de la 5e République en son article 173 et ses attributions sont clairement définies à l’article 174. L’une de ces attributions porte sur l’examen obligatoire des lois sur les libertés publiques, dont la liberté d’expression. Donc, dans la pratique, à travers les décisions qu’il sera amené à prendre dans le cadre de la protection de la liberté d’expression, son rôle sera renforcé et sa légitimité, affermie.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La démocratie, en tant qu’elle implique la participation de tous les citoyens au pouvoir, est par elle-même l’expression d’une forme de liberté. Et généralement, le maintien des libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression, repose essentiellement sur un régime démocratique. Donc, les droits et libertés ne peuvent être garantis aux citoyens que dans une démocratie et réciproquement, on n’est pas dans une démocratie si l’ensemble des droits et libertés fondamentales ne sont pas respectés. Par conséquent, la liberté d’expression apparaît comme un outil important pour la construction d’une société démocratique.
Cour constitutionnelle du Togo
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Le troisième tiret du préambule.
Les articles 25, 26 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992.
Le code de la presse.
Oui, titre II de la Constitution du 14 octobre 1992.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui ; les alinéas 1 et 2 de l’article 25 de la Constitution du 14 octobre 1992 ; les alinéas 1 et 2 de l’article 26 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Néant.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Néant
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Néant.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Néant
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Oui,
Large : politique, art et médias ;
Restreinte : militaire et régalien.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
Personnes publiques, personnes privées
En fonction des individus et des institutions (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique)
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
L’obligation de réserve selon les catégories d’agents de l’État.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- 1. Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Néant
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Néant
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Néant
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Néant
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Néant
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Néant
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Néant
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Néant
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Néant
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Néant
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Néant
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Néant
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Néant
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Néant
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Néant
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Néant
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Néant
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Néant
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Néant
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Néant
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Oui, garant des droits fondamentaux
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Oui
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui,
Elle permet à tout citoyen, sans distinction aucune, d’apporter, à travers ses opinions, sa pierre à la construction de la démocratie.
Elle favorise l’émergence d’une démocratie plus inclusive et participative.
[1] « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
- L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la Défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
[2] « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. »
[3] « 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
- Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
- L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
- a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui ;
- b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. »
[4] Parmi de nombreux autres arrêts, arrêts n° 117/2020, B.3.3 et n° 183/2021, B.5.
[5] À ce sujet, voy. notamment L.L. Christiaens, S. Wattier et F. Amez, Les grands arrêts belges en matière de religions et de philosophies, Bruxelles, Larcier, 2023, p. 30 ; F. Tulkens, « La liberté d’expression en général », in M. Verdussen et N. Bonbled, Les droits constitutionnels en Belgique ,Vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 828-836.
[6] F. Tulkens, op. cit., p. 834.
[7] Notamment, arrêt n° 158/2021, B.21.1.
[8] Arrêt n° 24/96, B.1.14.
[9] C.E.D.H., Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49 ; Lehideux e.a. c. France, 23 septembre 1998, § 55 ; Öztürk c. Turquie, 28 septembre 1999, § 64 ; Féret c. Belgique, 16 juillet 2009, § 61.
[10] Parmi de nombreux autres arrêts, arrêt n° 72/2016, B.17.2.
[11] Arrêt n° 31/2018, B.6.
[12] Arrêts n° 126/2018, B.51 et 78/2023, B.44.1.
[13] Arrêt n° 34/2015, B.7.2.
[14] Arrêt n° 9/2009, B.20.
[15] Arrêt n° 43/2020, qui se réfère à CEDH, grande chambre, 8 novembre 2016, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie, § 156.
[16] Arrêt n° 39/2023, B.9.5.
[17] Par ex., lorsque la réglementation relative à la publicité pour certaines denrées est confrontée à la liberté d’expression : arrêt n° 183/2021, B.9, ou encore lorsque et dans la mesure où des règles relatives à la transmission de données peut avoir pour effet de dissuader certains acteurs de faire usage de leur liberté d’expression : arrêt n° 158/2021, B.21.3.
[18] L’article 53 de la CEDH dispose : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie. »
L’article 53 de la Charte dispose : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres. »
[19] Arrêts n° 148/2005, n° 152/2005 et n° 93/2010.
[20] Arrêts n° 107/2009, B.17.3 et n° 80/2014, B.41.1.
[21] Arrêt n° 167/2005, B.18.1.
[22] Arrêt n° 9/2015, B.22.2.
[23] Constitution belge, article 26. P. Nihoul, « Le droit de se réunir librement », in M. Verdussen et N. Bonbled, Les droits constitutionnels en Belgique, Vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 1065-1078.
[24] Arrêt n° 126/2018, B.51.
[25] Notamment, arrêt n° 146/2013, B.21.2.
[26] Arrêt n° 145/2012, B.12.
[27] Arrêt n° 145/2012.
[28] Notamment, arrêt n° 81/2020.
[29] Arrêts n° 53/2019 et n° 117 et 118/2021.
[30] Arrêt n° 113/2023, B.22.
[31] Arrêt n° 161/2010, B.8.
[32] Notamment, arrêts n° 45/96, B.7.6 et n° 158/2021, B.21.1.
[33] Arrêts n° 45/96 (négationnisme) et 40/2009 (racisme).
[34] Arrêt n° 40/2009, B.70.2.
[35] Arrêt n° 91/2006, B.12.
[36] Arrêt n° 10/2021.
[37] Arrêts n° 102/99 et 183/2021.
[38] Arrêt n° 97/2021.
[39] Arrêt n° 194/2009.
[40] Emprisonnement de six mois à trois ans et amende de 300 à 3000 euros, à adapter par application des décimes additionnelles.
[41] En se référant à : CEDH, 13 mars 2018, Stern Taulats et Roura Capellera c. Espagne, § 41.
[42] Arrêt n° 157/2021, B.16.2.
[43] Ibid., B.17.
[44] Ibid., B.18.2. Voir : CEDH, 22 février 2005, Pakdemirli c. Turquie, § 52; 26 juin 2007, Artun et Güvener c. Turquie, § 31 ; 15 mars 2011, Otegi Mondragon c. Espagne, §§ 55-56; 13 mars 2018, Stern Taulats et Roura Capellera c. Espagne, § 35.
[45] Ibid., B.18.3. Sur cet arrêt, voy. les commentaires critiques de Rigaux, M.F., “La Cour constitutionnelle et l’offense au Roi”, Rev. dr. pén., 2022, pp. 333-353 et de Tulkens, F., “La sanction pénale de l’offense à chef d’État : un symbole en voie de disparition. Who cares? (obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt Vedat Sorli c. Turquie, 19 octobre 2021, et Cour const. (b.), arrêt n° 157/2021, 28 octobre 2021)”, Rev. trim. D. H. 2022, pp. 915-924.
[46] Par ex., aux travailleurs syndiqués : arrêt n° 78/2023.
[47] Ainsi, par ex., une société commerciale est titulaire de la liberté d’exprimer des messages à caractère publicitaire : arrêt n° 183/2021.
[48] Voy. par ex. l’arrêt n° 126/2018 qui concerne la liberté d’expression des étrangers qui ne disposent pas encore d’un droit de séjour en Belgique.
[49] Arrêt n° 62/93, B.3.5.
[50] Arrêts n° 167/2005, B.18.1, 157/2009, B.7.1 et 155/2011, B.8.
[51] P. Nihoul, « Devoir de réserve et liberté d’expression – Le dilemme du juge constitutionnel », in Mélanges offerts à Michel Pâques, à paraître en 2024.
[52] Trib. disc. fr., 4 octobre 2019, J.T., 2020, p. 14, obs. J.-Fr. Funck, « Liberté d’expression des magistrats : vers une culture du débat ? ».
[53] À titre illustratif, on notera que le rapport sur l’état des droits humains en Belgique, publié annuellement par la Ligue des droits humains (ONG indépendante), ne consacre aucun article, en 2022, à la liberté d’expression (alors que des articles sont consacrés à la vie privée et la protection des données, au procès équitable, à l’état des prisons, aux violences policières, au non-respect par l’État de décisions de justice, au recul des droits économiques et sociaux en périodes de crise). Le rapport signale toutefois un recul de la liberté de la presse, la Belgique passant de la 11e à la 23e place dans le classement de Reporters sans frontières, notamment à cause de menaces en ligne et de violences lors de manifestations dont sont victimes les journalistes. Il s’agit donc de voies de fait, qui ne sont pas forcément causées par les autorités, mais non de législations.
[54] CEDH, grande chambre, 7 février 2012, Von Hannover c. Allemagne, §§ 104-107 ; grande chambre, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, § 198.
[55] Arrêt n° 4/2021, B.15.1.
[56] Arrêts n° 45/96 et 4/2021.
[57] Arrêt n° 10/2001.
[58] Arrêt n° 72/2016.
[59] Arrêt n° 157/2004.
[60] À ce sujet, F. Krenc, Une Convention et une Cour pour les droits fondamentaux, la démocratie et l’état de droit en Europe, Limal, Anthémis, 2023, p. 107.
[61] Article 26, § 2, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle.
[62] Arrêt n° 183/2021, B.5.
[63] Arrêt n° 158/2021, B.21.3.
[64] Arrêt n° 157/2021.
[65] Arrêts n° 122/2020 et 1/2016.
[66] Arrêts n° 72/2016 et 145/2012.
[67] Arrêts n° 17/2009 et 40/2009
[68] Arrêt n° 145/2012.
[69] Arrêt n° 10/2021.
[70] Arrêt n° 31/2018, B.7.
[71] Arrêt n° 183/2021.
[72] Arrêt n° 72/2016.
[73] Par exemple, arrêts n° 145/2012, B.7, n° 72/2016, B.19.
[74] Arrêt n° 113/2023, B.21.
[75] Arrêt n° 13/2000.
[76] Arrêt n° 157/2004, B.18.
[77] Arrêt n° 72/2016, B.24.
[78] Arrêt n° 31/2018.
[79] Arrêt n° 112/2019, B.44.1.
[80] Arrêt n° 10/2021, B.52.
[81] Arrêt n° 195/2009, B.34.
[82] Arrêt n° 157/2004, B.74.
[83] Parmi de nombreux exemples, voy. l’arrêt n° 4/2021, B.14.
[84] Arrêt n° 124/2000.
[85] Arrêts n° 17/2009 et n° 40/2009.
[86] En Communauté française de Belgique.
[87] Arrêt n° 161/2010, B.10.
[88] Ceci a été confirmé, à propos des mesures prises pour répondre à la situation de crise sanitaire, par le Conseil d’État de Belgique : C.E., n° 249.314, 22 décembre 2020, Parmentier e.a. Une partie de la doctrine juridique se montre critique à l’égard de l’article 187 de la Constitution, jugeant qu’il serait plus adéquat de reconnaître la possibilité de crises ou de situations justifiant une suspension des libertés et d’encadrer strictement cette possibilité, plutôt que de la nier. Voir à ce sujet : R. Delforge, C. Romainville, S. van Drooghenbroeck, et M. Verdussen, « Absence d’état d’urgence en droit constitutionnel belge », in F. Bouhon, E. Slautsky, et S. Wattier, (dir.), Le droit public belge face à la crise du Covid-19. Quelles leçons pour l’avenir ? Bruxelles, Larcier, 2022, pp. 25-82. Voy. aussi M. Uyttendaele et J. Van Vyve, « État d’exception et droits fondamentaux en Belgique: questions choisies », in S. Parsa, et F. Tulkens, (coord.), État de droit, état d’exception et libertés publiques, Limal, Anthemis, 2022, pp. 257-279.
[89] Arrêt n° 33/2023, B.20.2.
[90] C.E., 14 juin 2020, n° 247.790.
[91] C.E., 22 décembre 2020, n° 249.313 et n° 249.315.
[92] C.E., 8 décembre 2020, n° 249.177. Sur la jurisprudence du Conseil d’État en matière de restrictions à la liberté de culte en temps de Covid-19 : M. Servais : Liberté de culte et Covid 19 : le Conseil d’État examine (…) (justice-en-ligne.be)
[93] C.E., 28 décembre 2021, n° 252.564.
[94] Détails du résultat (coe.int)
[95] La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a ainsi rappelé : « le journalisme remplit une fonction cruciale en période de crise sanitaire » puisqu’il est « indispensable d’informer la population en temps utile pour qu’elle comprenne le danger et adopte des mesures de protection individuelles », le 3 avril 2020, in « La liberté de la presse ne doit pas être fragilisée par les mesures de lutte contre la désinformation sur le Covid- 19 ».
[96] Commission de Venise, CDL-PI (2020) 005 rev, 26 mai 2020, Respect de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit en situation d’état d’urgence: réflexions, par. 49 et 91.
[97] Au sujet de la jurisprudence de la Cour relative aux dispositions adoptées dans le contexte de la crise sanitaire, voy. J. Theunis, “The COVID-19 Case Law of the Belgian Constitutional Court”, The COVID-19 Case Law of the Belgian Constitutional Court (const-court.be)
[98] Notamment, arrêt n° 158/2021, B.21.1.
[99] Voir par exemple la note d’orientation n° 8 du Programme commun des Nations Unies de juin 2023, consacrée à l’« Intégrité de l’information sur les plateformes numériques », le projet de Code de conduite des Nations-Unies pour l’intégrité de l’information sur les plateformes numériques et la contribution de l’Organisation internationale de la Francophonie à ce projet de Code de conduite, voir aussi le Projet phare de l’OIF : « Lutte contre la désinformation ».
[100] Le Conseil constitutionnel libanais a, dès ces premières décisions, et suivant une jurisprudence constante, considéré que le Préambule de la Constitution formait partie intégrante de la Constitution, et que ses dispositions revêtaient une valeur constitutionnelle au même titre que celles de la Constitution. V. en ce sens : CCL, Déc. no 4/1996 du 7/8/1996 (Modification de la loi relative à l’élection des députés du 26/4/1960), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 45-52 : « Considérant que le principe de l’égalité devant la loi est un principe prévu de façon claire et explicite dans la Constitution ainsi qu’à son Préambule qui en constitue une partie intégrante ».
[101] Francis Delpérée associe la liberté de religion à la liberté d’opinion, qu’il distingue de la liberté d’expression, « qui se veut plus générale tant par ses objets que par ses méthodes ». Selon lui la liberté d’opinion c’est «la liberté de pensée, de conscience ou de religion. Elle offre à toute personne le droit d’acquiescer à un ensemble de vérités, de valeurs ou de préoccupations. Cette liberté proprement intellectuelle peut rester dans le domaine intime. Elle est l’un des éléments de la vie privée de chaque individu (article 22). Mais elle doit aussi pouvoir se manifester au grand jour. Une personne doit pouvoir révéler ses opinions et leur donner une résonance publique. Elle doit éventuellement les confronter avec celles d’autres personnes”. (Francis Delpérée, « Constitution et liberté d’expression. Belgique », Annuaire international de justice constitutionnelle, 23-2007, 2008, p. 134).
[102] Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres pactes onusiens auxquels se réfère l’alinéa (B) du Préambule dans une jurisprudence constante. V. en ce sens : Mireille Najm, « la Déclaration universelle des droits de l’homme, norme de référence du contrôle de la constitutionnalité des lois au Liban », 9e Congrès triennal de l’Association des Cours constitutionnelles francophones (ACCF), Dakar, Sénégal, 30 mai-3 juin 2022 (publié sur les sites de l’ACCF et du Conseil constitutionnel-Liban). Il a reconnu récemment la valeur constitutionnelle des Chartes de la ligue des pays arabes, dans la décision n° 6/2023 du 30 mai 2023, où l’on peut lire : « Considérant que, selon le paragraphe (b) du Préambule, le Liban est engagé par les chartes de la Ligue des pays arabes, des Nations-Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce qui leur confère à toutes une valeur constitutionnelle en vertu de la référence qui en est faite dans le préambule de la Constitution, en outre, l’État, dans tous ses organes et institutions, doit incarner les principes consacrés par ces textes dans tous les champs et domaines ».
[103] Article 9 de la Constitution : « La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’État respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ».
[104] Le Conseil constitutionnel pose une règle générale concernant le domaine réservé à la loi en matière de libertés publiques dans la décision no 1/2001 du 10 mai 2001 (Fusion et création de ministères et de conseils), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 154-160 : « Considérant que tant que la Constitution ainsi que les principes à valeur constitutionnelle prévoient des « normes essentielles » (la traduction au français de l’expression arabe « kawaéd assassiya » est citée dans la décision même) relatives aux citoyens et aux affaires publiques, le sujet en question est également soumis aux dits principes et règles. En d’autres termes, tant que ledit sujet concerne les libertés individuelles ou que la création d’un service public aurait pour résultat de limiter lesdites libertés pour répondre aux besoins de la société ou que les moyens adoptés pour sa création relèvent du pouvoir public ou que sa création requiert l’utilisation des fonds du Trésor public, la Chambre des députés reste seule compétente en la matière ».
[105] CCL, déc. no 2/1999 du 24 nov. 1999 (Écoutes téléphoniques), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp.89-102 : « Considérant que la liberté individuelle est un droit fondamental protégé par la Constitution, dont découlent la liberté de déplacement, la liberté d’exprimer sa pensée, la liberté de correspondre, l’inviolabilité du domicile, le respect de la vie privée, également garantis par la Constitution et par conséquent, par la loi, et tels que prévus au Chapitre 2 de la Constitution, article 8 (la liberté individuelle), article 13 (la liberté d’exprimer sa pensée par la parole ou par la plume) et article 14 (l’inviolabilité du domicile).
Considérant que si la Constitution accorde au législateur le droit d’élaborer les règles générales qui garantissent les droits et libertés prévus à la Constitution en vue de permettre aux individus d’exercer lesdites libertés, il est également tenu de concilier le respect de ces libertés avec la préservation de l’ordre public, ce qui permet de poser des contraintes à la liberté individuelle afin de poursuivre les criminels, de préserver le bien-être des citoyens ainsi que leur sécurité et de protéger leurs biens et sans lequel l’exercice desdites libertés ne peut être assuré, à condition toutefois d’accompagner l’exercice des libertés des garanties essentielles et suffisantes ».
[106] V. également dans ce sens : CCL, déc. no 2/1995 du 25 fév. 1995 (Juridictions char’i, sunnite et jaafarite), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp.21-24 : « Considérant qu’il ressort clairement du texte de cet article qu’il existe des garanties qui doivent être assurées aux juges et aux justiciables afin de garantir les exigences (moutatallibat) de l’indépendance judiciaire et de sauvegarde des droits de la défense,
Considérant que porter atteinte à ces garanties conduirait à une violation de la disposition constitutionnelle qui prévoit explicitement leur nécessité ».
[107] Article 8 de la Constitution : « La liberté individuelle est garantie et protégée. Nul ne peut être arrêté ou détenu que suivant les dispositions de la loi. Aucune infraction et aucune peine ne peuvent être établies que par la loi ».
[108] Article 14 de la Constitution : Le domicile est inviolable. Nul ne peut y pénétrer que dans les cas prévus par la loi et selon les formes prescrites par elle.
[109] Article 12 de la DUDH : Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
[110] V. en ce sens, Léna Gannagé, « Allocution du Doyen de la Faculté de droit et de sciences politiques », in La liberté d’expression et ses juges : nouveaux enjeux, nouvelles perspectives, Actes du Colloque international de Beyrouth, 2-3 mars 2017, CEDROMA, Éditions de l’USJ, 2017, pp. 15-17 : « Évoquer ici la liberté d’expression, à quelques kilomètres des totalitarismes laïcs ou religieux qui sévissent dans les pays voisins, permet de ne pas perdre de vue sa signification originaire, celle d’une liberté fondamentale particulièrement précieuse parce qu’elle commande l’effectivité de beaucoup d’autres : la liberté d’association et de manifestation, la liberté de réunion, la liberté de la presse. Une liberté qui, pour reprendre les termes de la Cour européenne des droits de l’homme, constitue « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique ».
[111] CCL, déc. no 2/1999 du 24 nov. 1999 (Écoutes téléphoniques), précitée :
« Considérant que l’écoute des communications porte atteinte, en particulier, à la liberté du député d’exprimer son opinion, prévue à l’article 39 de la Constitution et, en général, à la vie privée de tout citoyen, cependant cette mesure est justifiée tant qu’elle vise à protéger les libertés ainsi que les propriétés des citoyens et s’accompagne des garanties suffisantes qui imposent la préservation de l’ordre public, considéré comme un principe ayant valeur constitutionnelle.
Considérant que l’article 2 de la loi no 140/99 a accompagné l’exercice du droit à l’écoute et les procédures y relatives de garanties sûres qui préservent les libertés fondamentales du citoyen et du pouvoir public, et ce en conférant ce droit au pouvoir judiciaire qui protège les droits constitutionnels et les libertés publiques. D’autre part, la loi a également limité ce droit aux cas d’extrême nécessité, ce qui ne justifie pas le fait de distinguer les personnes visées à l’article 15, à l’exception du président de la République, des autres citoyens en raison de leurs références ou fonctions puisque l’écoute ne vise pas l’homme en sa fonction, mais en sa qualité de citoyen.
Considérant qu’il en est autrement et qu’il est complètement injustifié lorsque l’interception des communications conformément à une décision administrative est confiée à un pouvoir administratif, étant donné que ceci ne constitue aucune garantie permettant d’éviter tout abus de pouvoir et qu’il n’est pas raisonnable de confier à un ministre, qui représente une autorité administrative, le pouvoir de contrôler une autre autorité administrative similaire ou plus élevée ».
[112] Articles 317, 473 et 474 du Code pénal, et l’article 25 du D.L. no 104 du 30 juin 1977 portant modification de certaines dispositions de la loi sur les imprimés du 14 septembre 1962.
[113] Il faut noter que le contrôle de la constitutionnalité des lois au Liban est un contrôle abstrait. De plus, la saisine du Conseil constitutionnel en inconstitutionnalité des lois n’est ouverte qu’à quelques instances politiques, que sont le président de la République, le président de la Chambre des députés, le Premier ministre, ainsi que dix députés au moins. Les chefs des communautés religieuses officiellement reconnues peuvent également saisir le Conseil, en ce qui concerne exclusivement les lois relatives au statut personnel, à la liberté de conscience, l’exercice des cultes religieux et la liberté de l’enseignement religieux. Le recours devant le Conseil est de plus encadré par des délais très courts ; la requête doit être soumise au Conseil dans le délai de 15 jours suivant la promulgation de la loi contestée et sa publication au Journal officiel, sous peine de rejet.
[114] V. à ce propos : Pierre Gannagé, « L’exercice de la liberté de conscience dans un État multicommunautaire », POEJ, l97l, p. 779 ; Nadi Abi Rached, « Liberté d’expression, liberté de conscience et ordre public devant le juge libanais », in La liberté d’expression et ses juges, Nouveaux enjeux, Nouvelles perspectives, Actes du Colloque international de Beyrouth, 2 et 3 mars 2017, CEDROMA, Éditions de l’USJ, pp. 159-171 ; Jad Maalouf, « Liberté d’expression et contrôle préalable du juge des référés au Liban », in La liberté d’expression et ses juges, Nouveaux enjeux, Nouvelles perspectives, op. cit., pp. 75-86 ; Mireille Najm-Checrallah, « Le juge libanais, protecteur de la liberté de conscience », in Mélanges en l’honneur du professeur Bertrand Mathieu, Pouvoirs et contre-pouvoirs, L.G.D.J., Lextenso, 2023, pp. 177-184.
[115] Arrêté du haut-commissaire français du 18 oct. 1934, Décret no 2873 du 16 déc. 1959 et la loi du 27 oct. 1947. V. à ce propos : Marie-Claude Najm-Kobeh, « Censure préalable et liberté d’expression cinématographique au Liban », in La liberté d’expression et ses juges, Nouveaux enjeux, Nouvelles perspectives, op. cit., pp. 217-234.
[116] L’article 15 de la loi organisant le statut des fonctionnaires publics (Décret-loi n° 122 du 6/12/1959), modifié par la loi n° 144/1992, et par la loi mise en œuvre par le décret n° 15703/1964 : « Activités interdites : Il est défendu au fonctionnaire d’effectuer tout travail interdit par les lois et règlements applicables, notamment : 1 – Prononcer ou publier, sans autorisation écrite du chef de son service, des discours, articles, déclarations ou écrits sur quelque sujet que ce soit. 2- Adhérer à des organisations professionnelles ou à des syndicats. 3- Faire grève ou inciter d’autres à faire grève. 4 – Exercer toute profession commerciale ou industrielle ou toute autre profession ou artisanat rémunéré, sauf les cas expressément prévus par les droits privés, ou être membre du conseil d’administration d’une société par actions ou d’une société en commandite, ou avoir un intérêt matériel, directement ou par autrui, dans un établissement soumis à sa surveillance ou à la surveillance de l’administration à laquelle il appartient. 5 – Cumuler sa fonction avec les fonctions parlementaires, municipales et électorales, tel que prévu par les lois relatives à ces fonctions. […] 8 – Divulguer les informations officielles auxquelles il a accès dans l’exercice de ses fonctions, même après la fin de son mandat, à moins que son ministère ne l’y autorise par écrit. 9 – Organiser des pétitions collectives liées au travail ou participer à leur organisation, quels qu’en soient les motifs ».
[117] Article 132 de la loi organisant les juridictions judiciaires (Décret-loi n° 150 du 16/09/1983) : Le statut de la Fonction publique s’applique aux juges dans tout ce qui n’est pas contraire aux dispositions du présent décret législatif. Toutefois, la soumission des juges à l’article 15 de la loi organisant le statut des fonctionnaires publics suscite un débat au Liban. En effet, si l’article 132 de la loi organisant les juridictions judiciaires (Décret-loi n° 150 du 16/09/1983) dispose que le « statut de la Fonction publique s’applique aux juges dans tout ce qui n’est pas contraire aux dispositions du présent décret législatif », on peut penser que cette extension n’a pas lieu d’être au sujet du devoir de réserve, la liberté d’expression des juges étant une des garanties d’indépendance judiciaire et un instrument pour eux pour défendre cette indépendance. Toujours est-il que la pratique a longtemps étendu à ces derniers ce devoir propre aux fonctionnaires, avant que des changements profonds ne se produisent sur la scène judiciaire notamment avec la création du premier Club des juges d’après-guerre en 2019, et le rôle prépondérant que cette association de magistrats a joué avec la crise multidimensionnelle à laquelle le Liban est confronté depuis 2019.
[118] CCL, déc. no 2/1999 du 24 nov. 1999 (Écoutes téléphoniques), op. cit.
[119] V. en ce sens, CCL, déc. no 1/2003 du 21 nov. 2003, (Raffineries de Tripoli et Zahrani), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 263-274 : « Considérant que la jurisprudence constitutionnelle caractérisée par l’attention ultime qu’elle accorde à la protection des libertés publiques telles la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement et la liberté d’association, qui sont garanties par l’article 13 de la Constitution dans les limites fixées par la loi, cependant, cette intransigeance apparaît moins visible quand il s’agit par exemple du droit à la propriété, de la liberté de l’activité économique ou des droits sociaux (Nicolas Molfessis, op. cit. p. 69) ».
[120] CCL, déc. no 1/2003 du 21 nov. 2003, (Raffineries de Tripoli et Zahrani), op. cit., pp. 263-274.
[121] Article 29-alinéa 2 de la DUDH: « Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ». (Toutefois, l’alinéa 3 rajoute : « Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies »).
[122] Article 13 de la loi no 250 du 14 juillet 1993 portant création du Conseil constitutionnel : Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel ont force de chose jugée et s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités judiciaires et administratives. Les décisions du Conseil constitutionnel sont définitives et ne sont susceptibles d’aucun recours ordinaire ou extraordinaire.
Article 52 du Règlement intérieur du Conseil constitutionnel (Loi n° 243 du 8 juill. 2000) : Les décisions du Conseil constitutionnel ont force de chose jugée. Elles sont obligatoires pour tous les pouvoirs publics, et pour les autorités judiciaires et administratives, et sont publiées au Journal officiel.
[123] V. à ce propos : Déc. no CCL, Déc. no 7/2014 du 28 nov. 2014 (Prorogation du mandat parlementaire) : Le dispositif s’appuie sur les motifs de la décision, en faisant mention des considérants : « Sur base des motifs invoqués dans les considérants, le Conseil constitutionnel décide à l’unanimité :1. La recevabilité du recours en la forme. 2. Le rejet du recours afin d’éviter l’extension de la vacance au sein des institutions constitutionnelles. »
[124] À titre d’exemple, la décision récente du Conseil d’État no 209/2023-2024 du 6 fév. 2024, s’appuie sur la décision no 4/2000 du 22 juin 2000 du Conseil constitutionnel qui consacre la valeur constitutionnelle du droit de propriété des entités publiques, et la décision no 4/2001 du 29 sept. 2001, qui affirme que les conventions internationales auxquelles renvoie le préambule font partie intégrante de la Constitution avec ce même préambule.
[125] V. en ce sens, CCL, déc. no 1/2003 du 21 nov. 2003, (Raffineries de Tripoli et Zahrani), op. cit., pp. 263-274 : « Considérant que la jurisprudence constitutionnelle caractérisée par l’attention ultime qu’elle accorde à la protection des libertés publiques telles la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement et la liberté d’association, qui sont garanties par l’article 13 de la Constitution dans les limites fixées par la loi, cependant, cette intransigeance apparaît moins visible quand il s’agit par exemple du droit à la propriété, de la liberté de l’activité économique ou des droits sociaux (Nicolas Molfessis, op. cit. p. 69) ». V. également, Déc. no 19/2022 du 22 déc. 2022, (Prorogation des mandats municipaux et ikhtiaris), publiée sur le site du Conseil constitutionnel : « Le Conseil constitutionnel se montre notamment très strict dans les cas de discrimination basées sur les interdictions énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à laquelle fait référence le préambule de la Constitution, dont l’article 2 prohibe spécifiquement les discriminations fondées sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou de toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
[126] CCL, déc. no 1/1999 du 23 nov. 1999 (Conseil des conservateurs des Wakfs de la communauté druze), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 77-88/ Déc. no 23/2019 du 12 sept. 2019 (Budget de l’année 2019), publiée sur le site du Conseil.
[127] CCL, déc. 19/2022 du 22 juin 2022, (Secret bancaire), publiée sur le site du Conseil constitutionnel: « Considérant que l’expression « ayant préalablement assumé les responsabilités qui y sont mentionnées le 23 septembre 1988 » constitue une exception par rapport à la règle de la prescription décennale adoptée en droit libanais, qui est considérée comme une sorte de garantie judiciaire pour les personnes, et qu’il est donc nécessaire de l’interpréter de manière restrictive afin qu’elle n’inclue pas ceux qui ont assumé cette responsabilité avant la date susmentionnée ».
[128] CCL, déc. no 7/2014 du 28 nov. 2014 (Prorogation du mandat de la Chambre des députés), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 391-402.
[129] CCL, déc. no 2/1999 précitée.
[130] CCL, déc. no 2/2001 du 10 mai 2001 (Acquisition des non-Libanais de droits réels fonciers), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 161-168: «Considérant que cette appréciation de l’intérêt général par le législateur libanais n’est pas exclue du contrôle du Conseil constitutionnel et qu’il appartient à ce dernier de s’assurer de l’existence de cet intérêt à la lumière des objectifs de la législation sur laquelle il exerce son contrôle, et ce en vue de s’assurer de sa constitutionnalité, surtout si cet intérêt général a des fondements constitutionnels, comme il en est le cas en ce qui concerne la loi contestée. »
[131] Loi nº 81 du 10 octobre 2018 relative aux transactions électroniques et aux données à caractère personnel. Cette loi est divisée en huit chapitres, respectivement : les principes de l’écriture et de la preuve par voie électronique, le commerce électronique et les contrats, la communication publique par des moyens numériques, les noms des sites Web sur Internet, la protection des données personnelles, les infractions liées aux systèmes informatiques et aux données et aux cartes bancaires (ce chapitre a modifié le Code pénal et les lois procédurales), les amendements à la loi sur la protection des consommateurs et des dispositions finales.
[132] Myriam Mehanna, « Moulahazat hawla kanun al mouamalat al electroniya : huriyat al taabir tahta rahmat al niyaba al aamma » (Remarques sur la loi portant sur les transactions électroniques : la liberté d’expression à la merci du ministère public), in Legal Agenda, no 59, Avril 2019.
[133] Loi no 44 du 17 juin 2017 relative à l’élection des membres de la Chambre des députés.
[134] Article 78- La période de silence électoral :
À partir de zéro heure la veille du jour du scrutin jusqu’à la fermeture des urnes, il est interdit à tous les médias de diffuser toute publicité, propagande, appel et/ou image lors de la couverture en direct du déroulement du processus électoral. Le jour du scrutin, la couverture médiatique se limite à rapporter les faits du processus électoral.
[135] Article 4 – L’autorité militaire suprême, en cas de déclaration de l’état d’urgence ou d’une zone militaire, a le droit de :
1- Imposer des frais militaires par la confiscation, qui comprennent : les personnes, les animaux, les choses et les biens. 2- Enquêter sur les maisons jour et nuit. 3- Donner l’ordre de remettre les armes et munitions, de les rechercher et de les confisquer. 4- Imposer des amendes globales et collectives. 5- Expulser les suspects. 6- Prendre les décisions de désignation de régions défensives et de précaution dans lesquelles la résidence devient soumise à un régime spécifique. 7- Imposer l’assignation à résidence aux personnes qui se livrent à des activités qui constituent une menace pour la sécurité publique et prendre les mesures nécessaires pour assurer les moyens de subsistance de ces personnes et de leurs familles. 8- Empêcher les réunions qui perturbent la sécurité. 9- Donner l’ordre de fermer temporairement les cinémas, théâtres, parcs d’attractions et divers lieux de rassemblement. 10- Empêcher la circulation des personnes et des voitures dans des lieux et à des moments déterminés par décision. 11- Empêcher les publications qui portent atteinte à la sécurité et prendre les mesures nécessaires pour imposer la censure aux journaux, publications, bulletins divers, radio, télévision, films et pièces de théâtre. 12- Appliquer les règles militaires liées aux actes de guerre lorsque les militaires conduisent des opérations armées et lorsqu’ils utilisent les armes et équipements de toutes manières leur permettant d’accomplir la mission qui leur est assignée.
[136] Rapport du rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté pour les Nations-Unies, M. Olivier De Schutter, du 11 mai 2022.
[137] C. constit, 30 septembre 2022, n°170/22, Mémorial A, N° 509 du 6 octobre 2022, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/acc/2022/09/30/a509/jo.
[138] La Constitution a été réformée par une série de lois du 17 janvier 2023 portant révision de la Constitution. Pour plus d’information sur la réforme cf. le dossier thématique du site de la Chambre des Députés : https://www.chd.lu/fr/RevisionsConstitution. La version consolidée au 1er juillet 2023 de la Constitution est disponible ici : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/constitution/1868/10/17/n1/consolide/20230701.
[139] Pour une analyse récente de la question cf. Marie Marty, « Les restrictions à la diffusion de certains médias russes dans l’Union européenne et le respect de la liberté d’expression au Luxembourg », Luxembourg, Cellule scientifique de la Chambre des Députés, 18 janvier 2024, p. 11 à 19.
[140] Ibid. p. 23 in fine. Termes en gras dans le texte cité.
[141] Ibid. p. 24.
[142] C. Constit., 19 mars 2021, n°00146, Mémorial A n° 232 du 23 mars 2021, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/acc/2021/03/19/a232/jo.
[143] Catherine Warin, « À peine consacrés en un « socle commun », les droits fondamentaux sacrifiés sur l’autel de la confiance mutuelle » in Chaouche, F. et Sinnig, J. (dir.), Cahiers de fiscalité luxembourgeoise et européenne – 2022/1, 1re édition, Bruxelles, Larcier, 2022, p. 143-147.
[144] Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales adoptée à Rome le 4 novembre 1950.
[145] La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000.
[146] L’ancien article 24 qui disposait ce qui suit :
« La liberté de manifester ses opinions par la parole en toutes matières, et la liberté de la presse sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés.
La censure ne pourra jamais être établie. »
[147] L’article 52(1) dispose ce qui suit :
« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »
[148] Nous soulignons.
[149] Mémorial A, n°131 du 8 juin 2004, p. 1202 ; version cordonnée publiée au Mémorial A, n°69 du 30 avril 2010 https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/2004/06/08/n4/consolide/20100504. Un projet de loi est actuellement en attente d’adoption devant la Chambre des députés. Le projet porte essentiellement sur le droit de réponse. Le dossier parlementaire n° 8128 peut être consulté ici : https://www.chd.lu/fr/dossier/8128.
[150] Chapitre III et IV de la loi précitée.
[151] Chapitre V de la loi précitée.
[152] Mémorial A, n° 47 du 30 juillet 1991, p. 972 ; cf. version consolidée : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/1991/07/27/n1/consolide/20220821
[153] Alain Steichen, La constitution luxembourgeoise commentée, Legitech, 2024, p. 142, n° 114.
[154] Bien que fréquemment invoquée, la Déclaration universelle des droits de l’homme n’est pas une source de droit au Luxembourg. Dans un arrêt récent la Cour de cassation a réaffirmé sa jurisprudence constante suivant laquelle cet instrument « ne constitue pas une norme juridique, mais un acte à portée politique qui ne saurait être invoqué à l’appui d’un moyen de cassation », C. Cass, 28 mars 2024, n°56/2024 pénal, n°CAS-2023-001138 du registre, https://justice.public.lu/content/dam/justice/fr/jurisprudence/cour-cassation/penal/2024/03/20240328-cas-2023-00138-56-p.pdf .
[155] https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights.
[156] https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/convention_FRA.
[157] JOUE, C 202/02 du 7 juin 2016, p. 389 – 405 : http://data.europa.eu/eli/treaty/char_2016/oj
[158] https://conseil-etat.public.lu/dam-assets/fr/publications/RAPPORT2015-2016.pdf
[159] Loi du 3 mars 2010 1. Introduisant la responsabilité pénale des personnes morales dans le Code pénal et dans le code d’instruction criminelle 2. Modifiant le Code pénal, le code d’instruction criminelle et certaines autres dispositions législatives, Mémorial A, n°36 du 11 mars 2010, p. 614 ; accessible sur Légilux : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/2010/03/03/n1/jo.
[160] Suivant l’article 14 alinéa 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’État, « [l]e fonctionnaire est tenu aux devoirs de disponibilité, d’indépendance et de neutralité » ; version consolidée applicable au 27/02/2024 disponible sur Légilux : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/1979/04/16/n1/consolide/20240227.
[161] Alain Steichen, op. cit., p. 138, n°112.
[162] Suivant l’article 34 alinéa 1 de la loi modifiée du 16 avril précitée, « [l]e dossier personnel du fonctionnaire doit contenir toutes les pièces concernant sa situation administrative. Ne pourra figurer au dossier aucune mention faisant état des opinions politiques, philosophiques ou religieuses de l’intéressé. »
[163] Article 10 alinéa 1 de la loi du 16 avril 1979 préc ; son alinéa 2 prévoit en outre ce qui suit :
« Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu’il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination. »
[164] Alain Steichen, op. cit, p. 139, n° 112.
[165] Ibid.
[166] Article 112(2) de la Constitution et l’article Article 6 et ss de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, Mémorial A n°58 du 13 août 1997, la version consolidée au 3 juillet 2023 est disponible ici : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/1997/07/27/n6/consolide/20230703.
[167] Bien que la loi sur l’organisation de la Cour date de 1997, la Cour a été créée par une loi du 12 juillet 1996 qui a modifié la Constitution.
[168] Article 112(2) de la Constitution.
[169] La Cour a la possibilité de reporter la date de prise d’effet de l’arrêt pour permettre au législateur de faire les modifications nécessaires de la loi en question.
[170] Alain Steichen, op. cit. p. 429, n°454.
[171] Plus précisément il s’agit du Président de la Cour supérieure de justice, du Président de la Cour administrative et de deux conseillers à la Cour de cassation les plus anciens en rang (Article 3(3) de loi modifiée du 27 juillet 1997). Les autres conseillers (ainsi que leurs suppléants) sont nommés sur l’avis conjoint de la Cour supérieure de justice et de la Cour administrative (article 3(4) de loi modifiée du 27 juillet 1997).
[172] Sur le dialogue entre les juges judiciaires et administratifs et l’enrichissement de l’ouverture de la Cour constitutionnelle qui s’en produit, cf. Francis Delaporte, « Un bilan relationnel : dialogue avec les juridictions administratives », in Jörg Gerkrath (Ed), Les 20 ans de la Cour constitutionnelle : Trop jeune pour mourir ? Pasicrisie Luxembourgeoise, Dossier n°2, 2017, p. 33, spec p. 35
[173] Luc Heuschling, « Un vieux bateau pris dans la tempête : la Constitution luxembourgeoise », d’Lëtzebuerger Land, 2 août 2013, disponible ici : https://www.land.lu/page/article/564/6564/DEU/index.html
[174] Cour constit., 22 janvier 2021, n°00152, Mémorial A, n°72 du 28 janvier 2021, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/acc/2021/01/22/a72/jo.
[175] Cour constit., 19 mars 2021, n°00146, Mémorial A, n°232 du 23 mars 2021, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/acc/2021/03/19/a232/jo.
[176] Cour EDH, 29 juin 2001, Thoma c/ Luxembourg, n° 38432/97, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-63917 ; Cour EDH, 25 février 2003, Roemen et Schmit c/ Luxembourg, n°51772/99, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-65515 , Cour EDH, 26 janvier 2009, Backes c/ Luxembourg, n°24261/05, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-87438 , Cour EDH, 14 février 2023 Halet c/ Luxembourg, n°21884/18, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-223019; et Cour EDH, 16 mai 2024, Lutgen c/ Luxembourg, n°36681/23, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-233634.
[177] Cour constit., 30 septembre 2022, préc.
[178] Ibid.
[179] Ibid.
[180] Article 35(1) points m) et n) de la loi du 27 juillet 1991 sur les médias électroniques, préc.
[181] https://www.chd.lu/sites/default/files/2024-01/Note%20de%20recherche%20_CS-2022-DR-023_liberte%20dexpression_VF.pdf
[182] RT t RT France contre Conseil de l’Union européenne du 27 juillet 2022
[183] Véronique Pujol, « «Russia Today» à l’offensive , mais sans défense », Reporter, 14 avril 2022, https://www.reporter.lu/fr/luxembourg-russia-today-a-loffensive-mais-sans-defense/
[184] Réponse de Monsieur Xavier BETTEL, ministre des Communications et des Médias à la question parlementaire n° 4852 du 13 août 2021 de Monsieur le Député Laurent Mosar, de Madame la Députée Diane Adehm et de Madame la Députée Viviane Reding, 15 septembre 2021, https://wdocs-pub.chd.lu/docs/exped/0122/196/245968.pdf ; Nicolas Léonard, « Pourquoi la chaîne russe RT n’aura pas de licence de diffusion », Paperjam, 16 aout 2021, https://paperjam.lu/article/pourquoi-chaine-russe-rt-n-aur .
[185] ALIA, Campagne de sensibilisation contre la désinformation en vue des élections au Parlement européen, disponible ici : https://alia.public.lu/article/campagne-de-sensibilisation-contre-la-desinformation-en-vue-des-elections-au-parlement-europeen/
[186] Alain Steichen, op. cit. 241, n°213.
[187] Pour un résumé des autres compétences de la cour, cf. Question 2, supra.
[188] cf. Question 10 sous-thème 2.
[189] Ibid.
[190] Pour un résumé des autres compétences de la cour, cf. Question 2, supra.
[191] Alain Steichen, op. cit., p. 423, spéc. p. 428, n°452 in fine.
[192] L’art. 3 al. 2 de la Constitution établit : « La personne du Prince est inviolable ». L’art. 15 de la Constitution établit : « Après consultation du Conseil de la Couronne, le Prince exerce le droit de grâce et d’amnistie, ainsi que le droit de naturalisation et de réintégration dans la nationalité ». L’art. 22 de la Constitution établit : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) ». L’art. 58 du Code pénal établit : « L’offense envers la personne du Prince, si elle est commise publiquement, est punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans, et de l’amende prévue au chiffre 4 de l’art. 26. Dans le cas contraire, elle est punie d’un emprisonnement de six mois à trois ans et de l’amende prévue au chiffre 3 de l’art. 26 ». L’art. 59 du Code pénal établit : « L’offense envers les membres de la famille du Prince, si elle est commise publiquement, est punie d’un emprisonnement de six mois à trois ans, et de l’amende prévue au chiffre 3 de l’art. 26. Dans le cas contraire, elle est punie d’un emprisonnement de trois mois à un an et de l’amende prévue au chiffre 2 de l’art. 26 ». L’art. 60 du Code pénal établit : « Tout écrit tendant à porter publiquement atteinte au Prince ou à sa famille, et comportant l’intention de nuire, est puni de l’amende prévue au chiffre 4 de l’art. 26 ».
[193] V. art. 23 Ordonnance Souveraine n° 13.839 du 29 décembre 1998 portant statut des praticiens hospitaliers au Centre hospitalier Princesse Grace ; art. 9 Ordonnance Souveraine n° 7.464 du 28 juillet 1982 portant statut du personnel de service du Centre hospitalier Princesse Grace ; art. 7 Ordonnance souveraine n° 7.928 du 6 mars 1984 portant statut du personnel médical et assimilé du Centre hospitalier Princesse Grace.
[194] V. art. 11 de l’Ordonnance Souveraine n° 4.524 du 30 octobre 2013 instituant un Haut Commissariat à la protection des droits, des libertés et à la médiation.
[195] V. art. 14 Loi n° 1.364 du 16 novembre 2009 portant statut de la magistrature.
[196] V. art. 9 Loi n° 1.228 du 10 juillet 2000 portant statut des Greffiers.
[197] V. art. 12 de l’Ordonnance Souveraine n° 3.782 du 16 mai 2012 portant organisation de l’administration pénitentiaire et de la détention.
[198] Recueil approuvé par Arrêté du Directeur des Services judiciaires n° 2019-15 du 26 novembre 2019. Dans sa vie privée, le magistrat « doit faire preuve de discrétion et de dignité afin que son comportement individuel ne mette pas en péril l’image de la justice. Il a aussi un devoir de réserve lui imposant de s’exprimer publiquement avec prudence et modération ».
[199] Charte approuvée par Arrêté du Directeur des Services judiciaires n° 2019-7 du 28 novembre 2019.
[200] V., par ex., le serment prêté par les avocats : « Je jure fidélité au Prince et obéissance aux lois de la Principauté ; je jure, dans l’exercice de ma profession, de ne rien dire ou écrire de contraire aux lois, aux bonnes mœurs et à la paix publique et de respecter, par la mesure de mes propos, la dignité des tribunaux, des magistrats et des autorités établies » et l’interdiction qui leur est faite de « dans leurs plaidoiries ou dans les écrits qu’ils produisent en justice : 1° de diriger des attaques contre les principes de la souveraineté et les lois de la Principauté ; 2° de manquer au respect ou aux légitimes égards qu’ils doivent aux magistrats » (art. 9 et 22 de la Loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 sur l’exercice des professions d’avocat-défenseur et d’avocat).
[201] V. art. 64 du Règlement intérieur du Conseil National du 25 novembre 2020.
[202] V. les dispositions identiques pour les fonctionnaires de la commune (art. 6-1 de la loi n° 1.096 du 7 août 1986 portant statut des fonctionnaires de la Commune) et pour les agents de l’État (art. 3 de l’Ordonnance Souveraine n° 9.640 du 23 décembre 2022 portant dispositions générales de caractère statutaire applicables aux agents contractuels de l’État).
[203] V. les dispositions identiques pour les fonctionnaires de la commune (art. 11 de la loi n° 1.096 du 7 août 1986 portant statut des fonctionnaires de la Commune) et pour les agents de l’État (art. 11 de l’Ordonnance Souveraine n° 9.640 du 23 décembre 2022 portant dispositions générales de caractère statutaire applicables aux agents contractuels de l’État).
[204] Arrêt n° 242/12, rendu par la troisième chambre de la Cour constitutionnelle du Portugal, disponible à l’adresse suivante : https://www.tribunalconstitucional.pt/tc/acordaos/20120242.html
[205] Arrêt n° 812/2023, du 28 mars, rendu par la Cour constitutionnelle d’Angola, disponible à l’adresse suivante : https://www.tribunalconstitucional.ao/media/adbpgep2/acordao-n-o-812.pdf
[206] Décision dans l’affaire Carlos Castel-Branco et Fernando Mbanze, disponible à l’adresse suivante : https://www.wlsa.org.mz/wp-content/uploads/2015/09/Sentenca_caso_Castel-Branco.pdf
[207] Indiquer les modifications et les révisions.
[208] Indiquer les modifications et les révisions.
[209] Daniel Salles et Magali Eymard, Liberté d’expression, un droit fondamental chèrement acquis, CANOPE, in www.reseau–canope.fr
[210] Décision no 629 du 4 novembre 2014, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 97 du 7 février 2019.
[211] Décision no 756 du 1er juin 2010, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 468 du 7 juillet 2010.
[212] Décision no 756 du 1er juin 2010, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 468 du 7 juillet 2010.
[213] Décision n° 8 du 31 janvier 1996, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 129 du 21 juin 1996, définitive à la suite de la décision n° 55 du 14 mai 1996.
[214] Décision no 53 du 28 janvier 2005, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 144 du 17 février 2005 ou décision no 435 du 26 mai 2006, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 576 du 4 juillet 2006.
[215] Décision no 649 du 24 octobre 2018, publiée au Journal officiel de la Roumanie, partie I, no 1.045 du 10 décembre 2018.
[216] Ordonnance gouvernementale d’urgence no 57 du 3 juillet 2019 sur le code administratif, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 555 du 5 juillet 2019, telle que modifiée.
[217] Publiée au Journal officiel de la Roumanie, partie I, no.1.102 du 16 novembre 2022.
[218] Décision no 629 du 4 novembre 2014, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 932 du 21 décembre 2014, ou décision no 649 du 24 octobre 2018, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 1045 du 10 décembre 2018, point 62.
[219] Publiée au Journal officiel de la Roumanie, partie I, no 155, du 20 juillet 1995, telle que modifiée.
[220] L’article 53 de la Constitution dispose : (1) L’exercice des droits ou libertés ne peut être limité que par la loi et seulement si cela est nécessaire, selon le cas, pour : la défense de la sécurité nationale, de l’ordre, de la santé ou de la moralité publiques, des droits et libertés des citoyens ; la conduite d’une enquête pénale ; la prévention des conséquences d’une calamité naturelle, d’une calamité ou d’un sinistre particulièrement grave.
(2) La restriction ne peut être ordonnée que si elle est nécessaire dans une société démocratique. La mesure doit être proportionnée à la situation qui l’a amenée, être appliquée de manière non discriminatoire et sans préjudice de l’existence du droit ou de la liberté.
[221] „Journal officiel de la RS“, No. 98/2006 et 115/2021, article 46
[222] „Journal officiel de la RS“ No. 92/2023
[223] Castells contre l’Espagne, p. 42.
[224] Goodwin contre le Royaume-Uni, requête No 17488/90, du 27 mars 1996, p. 39.
[225] Fressoz et Roire contre France requête No 29183/95, du 21 janvier 1999, p. 54.
[226] Bladet Tromsø et Stensaas contre Norvège, p. 65.
[227] Už-4162/2014 du 6 octobre 2016
[228] Už-3238/2011 du 8 mars 2012
[229] Jérusalem c. Autriche, requête No 26958/95, arrêt CEDH du 27 février 2001
[230] Arrêt de la Cour d’appel de Belgrade Gž 2426/14 du 11 juin 2014
[231] Tribunal de grande instance de Novi Sad, II 1344/2017, arrêt du 8 mai 2018
[232] » Journal officiel de la RS », No. 22/2009 et 52/2021
[233] » Journal officiel de la RS », No. 92/2023
[234] » Journal officiel de la RS », No. 8/2012
[235] Lepojic contre Serbie, requête No 13909/05, arrêt CEDH du 6 novembre 2007
[236] Filipovic contre Serbie, requête No 27935/05, arrêt CEDH du 20 novembre 2007
[237] Extrait de l’avis juridique de la chambre pénale de la Cour suprême de Serbie, adopté lors de la séance tenue le 25 novembre 2008.
[238] RS 101 ; les lois fédérales et les traités internationaux peuvent être consultés dans le Recueil systématique du droit fédéral sur le site de la Confédération sous https://www.fedlex.admin.ch/fr/ 3 Art. 3 Cst.
[239] Art. 50 Cst.
[240] Art. 51 al. 2 Cst.
[241] Toutes les constitutions cantonales peuvent également être consultées dans le Recueil systématique du droit fédéral sur le site de la Confédération sous https://www.fedlex.admin.ch/fr/
[242] RS 0.101
[243] RS 0.103.2
[244] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. II : Les droits fondamentaux, 4e éd., 2021, p. 287 ss, notes 566-577
[245] MICHEL HOTTELIER, Constitution et liberté d’expression, in Annuaire international de justice constitutionnelle, 23-2007, 2008, p. 413 ; ATF 127 I 145 consid. 4
[246] ATF 87 I 114 consid. 2
[247] RS 311.0
[248] RS 210
[249] ATF 97 I 893 consid. 4
[250] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 302, note 600
[251] ATF 127 I 145 consid. 4
[252] ATF 111 Ia 322 consid. 6; 107 Ia 59 consid. 5; 117 Ia 472 consid. 3; 136 IV 97 consid. 6.3 et 119 IV 301 consid. 1 et 2
[253] ATF 120 Ib 142 consid. 4; 107 Ia 64 consid. 3 : viole la liberté d’expression et de réunion l’interdiction de façon générale, pendant les quatre semaines qui précèdent une votation/élection, d’utilisation de haut-parleurs lors de rassemblements politiques en plein air.
[254] ATF 101 Ia 252 consid. 3c
[255] Arrêt du Tribunal fédéral 2C_719/2016 du 24 août 2017 consid. 3.1
[256] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 309 ss, notes 610-612 et ATF 113 Ia 309 consid. 4
[257] BERTIL COTTIER, in Commentaire romand, Constitution fédérale, vol. I, 2021, n° 35 ad art. 16 Cst.
[258] Arrêt du Tribunal fédéral 2C_714/2009 du 26 novembre 2009 consid. 3
[259] ATF 141 I 211 consid. 3
[260] ATF128 IV 53 consid. 5
[261] ATF 119 Ia 460 consid. 12
[262] ATF 120 II 225 consid. 3
[263] Par exemple l’arrêt Perinçek contre Suisse du 15 octobre 2015, Recueil CourEDH 2015-IV p. 291
[264] Arrêt Perinçek contre Suisse du 15 octobre 2015, Recueil CourEDH 2015-IV p. 291 30 ATF 145 IV 23 consid. 5
[265] ZÜND/RIETIKER, Vor 50 Jahren ratifizierte die Schweiz die EMRK: Versuch einer Standortbestimmung, in RDS, 143/2024 I p. 3 ss
[266] Arrêt Gsell contre Suisse du 8 octobre 2009, requête n° 12675/05
[267] Arrêt du Tribunal fédéral du 16 décembre 2009 1C_226/2009 consid. 4.1.2 34 BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., n° 29 ad art. 16 Cst.
[268] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 302, note 599
[269] MICHEL HOTTELIER, Constitution et liberté d’expression, op. cit., p. 414
[270] ATF 123 I 296 consid. 2b
[271] LAURENT MOREILLON, in Commentaire romand, Code pénal, vol. II, 2017, n° 7 ad art. 261 CP 39 ATF 86 IV 19 consid. 3
[272] LAURENT MOREILLON, op. cit., n° 8 ad art. 261 CP 41 LAURENT MOREILLON,op. cit., n° 12 ad art. 261 CP
[273] La Suisse est partie à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CEDR; RS 0.104), mais a émis une réserve à l’art. 4 qui contraint les États membres à réprimer pénalement la propagande et les insultes raciales. Elle a dit qu’elle se conformerait à cet article en tenant dûment compte de la liberté d’opinion et d’association.
[274] MIRIAM MAZOU, in Commentaire romand, Code pénal, vol. II, 2017, n° 44 ad art. 261bis CP
[275] ATF 149 IV 170 consid. 1.1.4
[276] ATF 149 IV 170 consid. 1.2.1
[277] ATF 149 IV 170 consid. 1.4.2
[278] ATF 149 IV 170 consid. 1.4.4
[279] ATF 149 IV 170 consid. 1.4.4
[280] ATF 149 IV 170 consid. 1.4.5
[281] JACQUES DUBEY, op. cit., p. 1147, ch. 5252 ss
[282] ATF 137 IV 313 consid. 3.3.2
[283] Arrêt du Tribunal fédéral 5A_376/2013 du 29 octobre 2013 consid. 5.2.1
[284] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 352, note 681
[285] Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, 160
[286] Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, loc. cit.; BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op.
cit., n° 18 ad art. 16 Cst.; JACQUES DUBEY, op. cit., p. 265 ch. 2056 56 MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 358, note 691
[287] BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., nos 23 et 24 ad art. 16 Cst.; ATF 122 I 222 consid. 6
[288] Arrêt du Tribunal fédéral 5A_639/2014 du 8 septembre 2015 consid. 13.3.9 59 Art. 4 al. 2 LRTV
[289] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 304 s., note 604 et ATF 73 IV 12 consid. 5
[290] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 357, note 689
[291] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 355 s., note 687
[292] Art. 22 de la loi sur le personnel de la Confédération, RS 172.220.1; art. 320 CP.
[293] Arrêt du Tribunal fédéral 8C_146/2014 du 26 juin 2014 consid. 5.5
[294] Arrêt du Tribunal fédéral 8C_252/2018 du 29 janvier 2019 consid 5.4.3 : la publication de propos blessants sur un blog à l’égard d’un magistrat est incompatible avec le comportement respectueux que doit avoir un policier.
[295] ATF 120 Ia 203 consid. 3a
[296] Arrêt du Tribunal fédéral 6B_305/2011 du 12 décembre 2011, consid. 3-4
[297] ATF 136 I 332, consid. 3.2 et 8C_233/2023, consid. 6
[298] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 353 s., note 684
[299] RS 312.0
[300] RS 173.110
[301] Ces usages peuvent être consultés sur https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherit-template/federal-publikationen/ federal-pub-gepflogenheiten.htm
[302] Selon les « Usages au sein du collège des juges au Tribunal fédéral « , les juges fédéraux sont tenus d’exercer leur liberté d’expression d’une manière compatible avec la dignité de leur fonction. Ils doivent s’abstenir d’émettre en public des déclarations ou des commentaires susceptibles de porter atteinte à l’autorité du Tribunal fédéral, de nuire à la collégialité ou de jeter le doute sur leur impartialité. Ils sont obligés de faire preuve de retenue. En outre, les juges fédéraux doivent s’abstenir de critiquer publiquement les arrêts du Tribunal fédéral. Dans le cadre de publications scientifiques, de conférences, de discours, etc., ils sont tenus de faire preuve de retenue lorsqu’ils prennent position sur d’autres opinions. Les juges fédéraux ne s’expriment en principe pas publiquement sur des questions politiques. Si tel est exceptionnellement le cas, ils doivent agir avec prudence et retenue, tout particulièrement en ce qui concerne les questions institutionnelles. 74 LAAM; RS 510.10; cf. l’art. 28 LAAM
[303] RSA; RS 510.107.0
[304] Art 93 al. 1 RSA
[305] Art 93 al. 2 RSA
[306] Art. 96 al. 1 RSA
[307] Art. 96 al. 3 RSA
[308] En effet, parmi les différents éléments faisant partie des libertés de communication, seule la liberté de la presse figurait dans les Constitutions de 1848 (art. 45) et 1874 (art. 55).
[309] ATF 87 I 114 consid. 2
[310] ATF 91 I 480 consid. 1; 96 I 592 consid. 6; 97 I 893 consid. 4 83 MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 37, note 75
[311] ATF 87 I 114 consid. 2; 91 I 485 consid. 1; 96 I 592 consid. 6; 97 I 893 consid. 4
[312] ATF 96 I 586 consid. 6
[313] ATF 22 I 1012 consid. 5
[314] ATF 96 I 586 consid. 6
[315] BERTIL COTTIER, Liberté d’expression, une perspective de droit comparé, 2019, p. 1; BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., n° 4 ad art. 16 Cst.
[316] ATF 149 IV 170 consid. 1.2.1; 145 IV 23 consid. 5
[317] ATF 142 II 35 consid. 3.2; 139 I 16 consid. 5.1; 125 II 417 consid. 4d, jurisprudence dite PKK
[318] ATF 149 IV 170 consid. 1.2.1; 148 IV 113 consid. 4.4. et 5.3.1
[319] Arrêt 5A_391/2021 du 8 juin 2023 consid. 3.6.3; ATF 142 I 49 consid. 3.6; ATF 136 IV 97 consid. 6.1.2 93 ATF 139 I 16 consid. 4.2.1; 128 II 1 consid. 3d
[320] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 132, note 269
[321] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 131, note 269; cf. également REGINA KIENER, Grundrechte in der Bundesverfassung, in Verfassungsrecht der Schweiz/Droit constitutionnel suisse, vol. II, 2020, p. 1199 96 ATF 125 II 417 consid. 4d
[322] BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 35 ad art. 17 Cst.
[323] Pour une illustration de ce triple test, cf. ATF 149 I 129 consid. 3.4.3; 147 IV 145 consid. 2.4.1; 146 I 70 consid. 6.4; 143 I 403 consid. 5.6.3; 142 I 76 consid. 3.5.1; 136 IV 97 consid. 5.2.2
[324] ATF 136 I 265 consid. 2.3; 134 I 214 consid. 5.7.2; 121 I 164 consid. 3c; 108 Ia 300 consid. 2e
[325] MICHEL HOTTELIER, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, in Annuaire international de justice constitutionnelle, 2009, p. 364
[326] MICHEL HOTTELIER, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, loc. cit.; MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 350, note 678
[327] MICHEL HOTTELIER, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, op. cit., p. 365
[328] ATF 128 I 327 consid. 4.3.3, traduit au JdT 2003 I 309
[329] MICHEL HOTTELIER, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, op. cit., p. 366
[330] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 120, note 240. L’art. 72 al. 3 Cst. exclut d’entrée de jeu une pesée des intérêts en interdisant de manière absolue la construction de minarets. Pour sa part, l’art. 123a Cst. pose une restriction absolue à la liberté personnelle. En effet, en prescrivant l’internement à vie des délinquants sexuels ou violents extrêmement dangereux et non amendables, le constituant a d’emblée exclu toute mise en liberté et tout congé. Quant à l’art. 199 al. 2 let. c Cst., il pose une limite absolue à la liberté économique. En effet, en interdisant le commerce du patrimoine germinal humain et des produits résultant d’embryons, le constituant exclut l’examen de la proportionnalité. 106 MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, loc. cit.
[331] Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, 197
[332] Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, 197
[333] Arrêt 1C_360/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.2 110 Arrêt 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 4.3.1
[334] Menaces alarmant la population (art. 258 CP); provocation publique au crime ou à la violence (art. 259 CP); atteinte à la liberté de croyance et des cultes (art. 261 CP); discrimination et incitation à la haine (art. 261bis CP)
[335] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 111, note 225; ainsi, dans l’ATF 101 Ia 252 consid. 3, la protection de la moralité publique a permis d’interdire un film contraire aux mœurs
[336] ATF 147 IV 182 consid. 2.1; 146 V 87 consid. 8.2.2; 144 II 293 consid. 6.3
[337] ATF 91 I 17 consid. 2
[338] ATF 95 I 330 consid. 3
[339] ATF 146 V 271 consid. 5.1; 142 V 457 consid. 3.1; 141 II 338 consid. 3.1; 140 I 305 consid. 6.2; 137 I 128 consid. 4.3.1; 133 II 305 consid. 5.2; 131 II 710 consid. 4.1;130 II 65 consid. 4.2; 129 II 249 consid. 5.4
[340] ATF 144 I 126 consid. 3; 140 I 353 consid. 4.1; 139 I 180 consid. 2.2; 117 Ib 367 consid. 2
[341] ATF 137 I 128 consid. 4.3.2; 136 II 136 consid. 2.7
[342] Par exemple le rapport de gestion de 2009 cite l’ATF 136 II 136 et le rapport de gestion de 2010 cite l’ATF 137 I 128; les rapports de gestion du Tribunal fédéral peuvent être consultés sur le site https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherittemplate/federal-publikationen/federal-pub-geschaeftsbericht.htm
[343] ATF 125 II 417 consid. 4d, jurisprudence dite PKK
[344] ATF 147 IV 182 consid. 2.1; 146 V 87 consid. 8.2.2; 144 II 293 consid. 6.3; pour une présentation récente de la jurisprudence, cf. MARTIN KOCHER, Die bundesgerichtliche Kontrolle von Steuernormen, 2018, ch. 214 ss, p. 81 ss; voir aussi
156 ANDREAS ZÜND, Grundrechtsverwirklichung ohne Verfassungsgerichtsbarkeit, PJA 2013 p. 1349 ss, 1351 122 Pour la Charte de l’énergie (RS 0.700.0), cf. l’ATF 149 III 131
157 ATF 144 II 293 consid. 6.3; 142 II 35 consid. 3.2; 138 II 524 consid. 5.3.2; 99 Ib 39 consid. 3, jurisprudence dite Schubert, très critiquée en doctrine, et ce dès l’origine, cf. p. ex. LUZIUS WILDHABER, Bemerkungen zum Fall
158 1ATF 142 II 35 consid. 3.2; 139 I 16 consid. 5.1; 125 II 417 consid. 4d, jurisprudence dite PKK 125 ATF 142 II 35 consid. 3.2; 133 V 367 consid. 11.4 à 11.6; ANDREAS ZÜND, loc. cit. 126 ANDREAS ZÜND, loc. cit.
[345] Art. 36 Cst.
[346] MAYA HERTIG, in Basler Kommentar, Bundesverfassung, 2015, n° 38 ad art. 16 Cst.
[347] BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., n° 53 ad art. 16 Cst.
[348] ATF 96 I 586 consid. 4 et 6
[349] ATF 105 Ia 91 consid. 4
[350] Arrêt 1C_451/2018 du 13 septembre 2019 consid. 4.2.2.2
[351] Art. 16 Cst. : « La liberté d’opinion et la liberté d’information sont garanties. Toute personne a le droit de former d’exprimer et de répandre librement son opinion. Toute personne a le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser ».
[352] Art. 17 Cst. : « La liberté de la presse, de la radio et de la télévision, ainsi que des autres formes de diffusion de productions et d’informations ressortissant aux télécommunications publiques est garantie. La censure est interdite. Le secret de rédaction est garanti ».
[353] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit.,p. 331, note 644 136 BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 38 ad art. 17 Cst.
[354] BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 34 ad art. 17 Cst.
[355] Art. 173 à 178 CP (RS 311.0)
[356] Art. 173 CP qui prévoit que : 1. Quiconque, en s’adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon, est, sur plainte, puni d’une peine pécuniaire. 2. L’auteur n’encourt aucune peine s’il prouve que les allégations qu’il a articulées ou propagées sont conformes à la vérité ou qu’il a des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies. 3. L’auteur n’est pas admis à faire ses preuves et il est punissable si ses allégations ont été articulées ou propagées sans égard à l’intérêt public ou sans autre motif suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d’autrui, notamment lorsqu’elles ont trait à la vie privée ou à la vie de famille. 4. Si l’auteur reconnaît la fausseté de ses allégations et les rétracte, le juge peut atténuer la peine ou renoncer à prononcer une peine. 5. Si l’auteur ne fait pas la preuve de la vérité de ses allégations ou si elles sont contraires à la vérité ou si l’auteur les rétracte, le juge le constate dans le jugement ou dans un autre acte écrit. 140 Art. 261bis CP
[357] ATF 137 IV 313 consid. 2.1.1-2.1.4
[358] Il sied de relever que le législateur a en revanche consacré le principe de la neutralité du net à l’art. 12e de la loi sur les télécommunications (RS 784.10). Ce principe implique, pour les fournisseurs d’accès à Internet, de garantir l’égalité de traitement de tous les flux de données indépendamment de la source de ces derniers. Il favorise ainsi non seulement la libre formation de l’opinion des personnes, mais aussi l’expression de celle-ci. Cf. à ce sujet : ANDREA FRATTOLILLO, Garantie de la neutralité du net : Nouvelle composante des libertés de communication ? in medialex 04/2020, 5 mai 2020
[359] Interpellation Tschopp 23.4429 « Démocratie et protection des données : quels droits face aux très grandes plateformes en ligne ? « ; postulat Locher Benguerel 23.3620 « Obligation de signaler les photos retouchées »; interpellation Romano 23.3105 « Tiktok. La Confédération est-elle active dans ce dossier ? » ; interpellation Gysin 21.4086 « Transparence de la publicité politique diffusée sur les médias sociaux » ; interpellation Wermuth 20.3686 « Rapport sur l’antisémitisme 2019 et coronavirus. Outils de lutte contre les théories conspirationnistes d’extrême droite sur Internet » ; interpellation Marchand-Balet 18.3448 « Les ‘fake news’ dans la démocratie helvétique »
[360] ATF 149 I 2 consid. 2-4
[361] ATF 146 IV 23 consid. 2.2.2-2.2.4
[362] Arrêt 7B_813/2023 du 9 novembre 2023 consid. 3.2.2
[363] Arrêt 6B_234/2022 du 8 juin 2023 consid. 5, destiné à la publication
[364] Arrêt 1B_553/2021 du 14 janvier 2022 consid. 2.2
[365] BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., n° 38 ad art. 16 Cst.
[366] BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 46 ad art. 16 Cst.
[367] JACQUES DUBEY, op. cit., p. 273, ch. 2100
[368] MAYA HERTIG, op. cit., n° 12 ad art. 16 Cst.
[369] BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 38 ad art. 16 Cst. 154 MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 352-353, note 683 155 MAYA HERTIG, op. cit., n° 42 ad art. 16 Cst.
[370] ATF 137 IV 313
[371] MARTENET/VON BÜREN, in Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, n° 103 ad art. 34 Cst.; ATF 130 I 290 consid. 3.3
[372] MAYA HERTIG, op. cit., n° 48 ad art. 16 Cst.
[373] ATF 108 Ia 172 consid. 4 b) bb)
[374] Comme déjà mentionné plus haut, ces usages peuvent être consultés sur https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherittemplate/federal-publikationen/federal-pub-gepflogenheiten.htm
161 Art. 34 Cst.
[375] MARTENET/VON BÜREN, in Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, n° 83 ad art. 34 Cst.
[376] Arrêté du Conseil fédéral du 24.2.1948 concernant les discours politiques d’étrangers (RO 1948 111)
[377] https://www.admin.ch/cp/f/35040116.669B@mbox.gsejpd.admin.ch.html
[378] Interpellation Tornare 17.3146 « Propagande turque en Suisse » ; interpellation Abate 17.3163 « Ressusciter l’arrêté concernant les discours politiques d’étrangers ? »
[379] Arrêt 1C_35/2015 du 28 octobre 2015 consid. 3.3
[380] ATF 130 I 369 consid. 2 et 7.3-7.5
[381] Arrêt Gsell contre Suisse du 8 octobre 2009, requête n° 12675/05
[382] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit, p. 282, note 560
[383] JACQUES DUBEY, in Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, n° 10 ad art. 36 Cst.
[384] LUC GONIN, in Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, nos 51-51 ad art. 185 Cst. 172 RECHSTEINER/ERRASS, in St. Galler Kommentar, Bundesverfassung, 4e éd. 2023, n° 64 ad art. 16 Cst.
[385] ATF 106 Ia 100 consid. 8b
[386] Office fédéral de la statistique, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/themes-transversaux/mesure-bien-etre/tousindicateurs/societe/confiance-institutions.html
[387] ATF 96 I 586 consid. 6
[388] Arrêt 1C_312/2010 du 8 décembre 2010 consid. 4.1
[389] DENIS MASMEJAN, Débat public en ligne et protection des libertés de communication, medialex 09/2020
[390] Rapport de l’OFCOM du 17 novembre 2021 « Intermédiaires et plateformes de communication », p. 76 https://www.bakom.admin.ch/bakom/fr/page-daccueil/suisse-numerique-et-internet/communication-numerique/plateformesde-communication.html
[391] MAYA HERTIG, op. cit., ad. art. 16 Cst., note 4
au questionnaire
LA PROTECTION CONSTITUTIONNELLE DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
QUESTIONNAIRE
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
L’objectif de ce premier sous-thème est de renseigner sur ce qui permet aux juridictions de dégager leur perception de la liberté d’expression. Chaque juridiction entretenant avec les normes un rapport qui lui est propre, l’identification des normes de référence et de la substance qui y est attachée permettra ainsi de rendre compte de la diversité du droit applicable en matière de protection de la liberté d’expression.
- 1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
- 2. La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
- 3. Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
- 4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
- 5. Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisis ?
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
Ce deuxième sous-thème porte sur l’effectivité de la protection juridictionnelle de la liberté d’expression. Son objectif est de mettre en exergue les méthodes, les techniques et les outils que les juridictions utilisent pour encadrer (protection comme limitation) la liberté d’expression.
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
Ce dernier sous-thème porte sur les perspectives de la protection de la liberté d’expression, placée face aux défis du XXIe siècle. Toutes les juridictions constitutionnelles sont confrontées, à des degrés divers, à de nouvelles exigences démocratiques dans nos sociétés en mutation (voir, par exemple, le rôle et la place des réseaux sociaux). Certains observateurs avertis parlent même de « menaces contre la démocratie ».
L’objectif de ce dernier sous-thème est de savoir comment les juridictions constitutionnelles comptent y faire face dans les années à venir, chacune ayant à travailler dans un contexte politique, économique, social et culturel qui lui est propre.
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Cour constitutionnelle d’Albanie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est l’un des droits et libertés fondamentaux et la pierre angulaire sur laquelle repose l’existence même d’une société démocratique. Cela est affirmé dans la Constitution de la République d’Albanie, qui, à l’article 22, dispose que la liberté d’expression est garantie ainsi que la liberté de la presse, de la radio et de la télévision. Et dans son article 23, la Constitution garantit également le droit à l’information.
La Cour constitutionnelle s’appuie également sur la Convention européenne des droits de l’homme, tant pour la protection de cette liberté que pour le contrôle de constitutionnalité de sa restriction, si une telle chose est invoquée.
En Albanie, il existe un vaste cadre juridique spécifiquement lié aux médias, à l’information et à la communication de masse : la Loi sur les médias audiovisuels (2013) ; la Loi sur le droit à l’information (2014) ; la Loi sur les communications électroniques (2008, avec quelques modifications en 2012) ; la Loi sur la protection des données personnelles (2008, avec quelques modifications en 2012 et 2014).
2. La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
L’article 22 de la Constitution, outre qu’il garantit cette liberté, prévoit également que la censure préalable des médias de communication est interdite. La loi peut exiger l’octroi d’une autorisation pour le fonctionnement des stations de radio ou des chaînes de télévision.
Concernant la restriction, l’article 175 de la Constitution prévoit que pendant l’état de guerre ou l’état d’urgence, certains droits et libertés ne peuvent être restreints, en définissant expressément les dispositions constitutionnelles pertinentes. Les articles 22 et 23 de la Constitution ne rentrent pas dans cette catégorie, ce qui signifie que ces libertés peuvent être restreintes en cas d’état de guerre ou d’état d’urgence. Certains droits et libertés peuvent être restreints en cas de catastrophe naturelle, mais pas la liberté d’expression et le droit à l’information.
3. Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est l’un des principaux fondements de la société et l’une des principales conditions de son progrès et de l’épanouissement de toute personne. Ce droit protège non seulement les informations ou idées acceptables par le public et celles considérées comme non offensantes, mais également les informations ou idées qui offensent, choquent ou dérangent ; telles sont les exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit, sans lesquelles il ne peut y avoir de société démocratique.
La liberté d’expression comprend la liberté de pensée et la liberté de recevoir ou de donner des informations et des idées sans ingérence des autorités publiques et sans égard aux frontières nationales.
La liberté d’expression est également la base et la condition préalable nécessaire pour garantir un certain nombre d’autres libertés et droits fondamentaux. C’est pourquoi la mise en œuvre de ce droit nécessite en tout état de cause une compréhension et une interprétation assez larges.
4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression, diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle d’Albanie a défini la liberté d’expression en restant littéralement conforme à la norme constitutionnelle et en gardant l’esprit de la norme constitutionnelle. Elle prend également en considération la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à laquelle elle se réfère pour le contenu et l’interprétation de la Convention, ainsi que pour l’évaluation des critères de limitation de ce droit. La Cour constitutionnelle d’Albanie se réfère également aux jurisprudences des autres cours constitutionnelles, même s’il n’y en a pas eu de cas avec la liberté d’expression.
Dans l’interprétation des articles 5, 116, 122 et 17 de la Constitution, la Cour constitutionnelle d’Albanie a reconnu la compétence exclusive de la Cour européenne des droits de l’homme dans le système juridique albanais et l’effet direct de ses décisions dans l’interprétation des normes constitutionnelles des droits de l’homme. De l’autre côté, même les juges, à quelque niveau qu’ils soient, doivent exécuter directement les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, conformément à l’article 122 de la Constitution et aux articles 19 et 46 de la Convention, pour autant qu’il soit considéré que le respect de la Convention européenne des droits de l’homme est une obligation non seulement pour la Cour constitutionnelle, mais aussi pour les tribunaux ordinaires, spécialement la Cour Suprême, en raison de ses compétences et de son rôle particulier.
5. Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Dans certaines affaires, la Cour constitutionnelle d’Albanie a constaté que la liberté d’expression est liée au droit à l’information. La Cour a affirmé qu’en plus de la garantie subjective en tant que droits constitutionnels fondamentaux, ils (la liberté d’expression et le droit à l’information) sont objectivement liés au principe de l’établissement d’un État démocratique, énoncé dans le Préambule de la Constitution de la République d’Albanie. La liberté d’expression est considérée comme l’une des pierres angulaires de l’État démocratique ; sans garantir la liberté d’expression, on ne peut pas parler de pluralisme, de tolérance et de création d’une libre volonté politique, si nécessaires à une société démocratique. L’échange des idées et la libre information comptent parmi les moyens les plus importants et les plus efficaces pour contrôler la démocratie en tant que forme de gouvernement. Grâce à eux, le pouvoir de l’État devient plus transparent, plus efficace et plus proche du citoyen.
La Cour constitutionnelle a également considéré la liberté d’expression comme étant liée à la liberté de réunion et au droit de vote comme une exigence de l’État de droit, en ce qui concerne la conduite d’élections libres et égales, qui sont réalisées lorsque les individus votent de manière éclairée pour l’alternative et les programmes politiques des sujets électoraux.
6. Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie n’a pas encore traité de telles affaires. La Cour n’a pas été confrontée à de tels recours.
7. Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La Constitution de la République d’Albanie ne contient pas de telles dispositions, et d’ailleurs, la Cour constitutionnelle elle-même n’a fait aucune interprétation quant à la mise en œuvre de la liberté d’expression selon les domaines ci-dessus mentionnés.
8. À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
Conformément à l’article 16 de la Constitution, les droits et libertés fondamentaux, ainsi que les obligations prévues par la Constitution pour les citoyens albanais, sont reconnus/s’appliquent également aux étrangers et aux apatrides sur le territoire de la République d’Albanie, ainsi qu’aux personnes morales, dans la mesure où ils sont compatibles avec les buts généraux de ces personnes et avec l’essence de ces droits, libertés et obligations.
Or, l’article 22 de la Constitution, qui garantit la liberté d’expression, n’a pas fait une telle distinction, et la Cour constitutionnelle elle-même ne l’a pas fait non plus dans sa pratique judiciaire.
Faisant référence au champ d’application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, il garantit la liberté d’expression de « toute personne », y compris les particuliers et les entreprises privées, même lorsque ces dernières exercent des activités rentables (lucratives). En outre, l’article 10 garantit la liberté d’expression pour une grande variété d’informations ou d’idées, par exemple dans les domaines politique, commercial et même celui du divertissement.
9. Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La Constitution dispose dans son article 18 que toutes les personnes sont égales devant la loi, par conséquent, elles sont égales dans la jouissance des droits et libertés constitutionnels. La Cour constitutionnelle a remarqué qu’en principe, même les fonctionnaires, comme tout individu, jouissent de la liberté d’expression garantie par l’article 22, point 1, de la Constitution, qui inclut également le droit de critiquer les institutions de l’État ou leurs employés. Dans cette perspective, lorsque les opinions, jugements d’évaluation ou déclarations critiques des fonctionnaires (par exemple du président de la République, en tant que titulaire de la plus haute fonction publique de l’État) sont adressés à d’autres autorités publiques, ils restent dans les limites de la liberté d’expression des opinions politiques, avec les restrictions prévues par la Constitution (décision n° 1/2022 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression.
1. Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie a été créée en 1992 conformément à la loi portant sur « Les principales dispositions constitutionnelles ». Pour la première fois, la Cour constitutionnelle a encadré la liberté d’expression en 1997 ; l’affaire concernait la restriction de la liberté de la presse et la diffusion de l’information en cas d’état d’urgence. La Cour constitutionnelle a souligné qu’en temps de crise, le législateur dispose d’un large pouvoir pour établir l’état d’urgence et approuver les mesures nécessaires, telles que l’imposition de certaines restrictions à la liberté de la presse et de l’information.
Selon la Cour constitutionnelle, la liberté de la presse et de l’information est un principe de valeur constitutionnelle et que le législateur a voulu établir un équilibre entre les intérêts de l’individu et les intérêts généraux de l’État démocratique et de la société, les concilier, en prévoyant la restriction de ces droits sous certaines conditions (décision n° 14/1997de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
2. La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie a été engagée à plusieurs reprises pour exercer un contrôle abstrait de la constitutionnalité de normes juridiques qui concernaient également la garantie de la liberté d’expression. Bien qu’il s’agisse d’un droit prévu dans une disposition spéciale de la Constitution, dans diverses situations il se présente comme étant étroitement lié à d’autres droits fondamentaux et, dans certains cas, la restriction de l’un d’eux affecte, par conséquent, également d’autres droits.
Étant saisie pour exercer le contrôle d’une disposition de la loi « Sur la déclaration et le contrôle des biens, des obligations financières des élus et de certains fonctionnaires », qui prévoyait que les données obtenues à travers la déclaration personnelle soient accessibles au public, la Cour constitutionnelle a examiné la question dans le sens du rapport créé dans ce cas : la collision ou l’interférence d’éléments particuliers de la liberté d’expression et de l’obtention des informations (articles 22 et 23 de la Constitution et article 10 de la Convention) avec la liberté de respecter la vie privée et familiale (article 35 de la Constitution et article 8 de la Convention).
Après avoir précisé et définis les critères et les standards qui doivent être pris en compte pour évaluer laquelle de ces deux valeurs constitutionnelles, dans une réalité concrète, a la priorité sur l’autre valeur, la Cour est parvenue à la conclusion que l’ingérence ou la restriction de la sphère de la vie privée dans la forme/manière de donner les informations sur les biens et les sources (la provenance) de ces biens, ainsi que la possibilité de leur publication, est justifiée et nécessaire dans la réalité ou conditions actuelles de la société albanaise (décision n° 16/2004 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Dans une autre affaire, la Cour constitutionnelle a été saisie d’une requête de l’Association albanaise des Médias électroniques pour contrôler la constitutionnalité d’une disposition de la loi « Sur les médias audiovisuels dans la République d’Albanie », laquelle ne permettait pas à une personne physique ou morale, de nationalité albanaise ou étrangère, d’avoir plus de 40% du capital total d’une société actionnaire possédant une licence nationale de diffusion audio ou une licence nationale de diffusion audiovisuelle.
La Cour constitutionnelle a examiné l’affaire du point de vue de la liberté d’expression et du droit d’information, en soulignant que l’exercice réel et effectif de la liberté d’expression ne dépend pas simplement de l’obligation de l’État de ne pas intervenir, mais peut nécessiter des mesures positives de protection à travers ses lois et ses pratiques. Dans un secteur aussi sensible que celui des médias audiovisuels, outre l’obligation négative de ne pas intervenir, l’État a l’obligation positive de créer un cadre législatif et administratif pour garantir un pluralisme effectif.
Par conséquent, en réaffirmant que la liberté d’expression et le droit à l’information sont inhérents aux intérêts vitaux de la démocratie et de l’État de droit, la Cour a estimé qu’il existait dans cette affaire un intérêt public comme critère constitutionnel pour la limitation imposée par la loi; pourtant en estimant que cet outil sélectionné n’avait pas de lien raisonnable et proportionné avec le but légitime du législateur de fournir une variété d’informations, la Cour constitutionnelle a décidé d’abroger la disposition légale (décision n° 56/2016 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Pendant la période de pandémie causée par le Covid-19, la Cour constitutionnelle d’Albanie a également été mise en branle pour vérifier le respect des critères constitutionnels qui permettent la restriction de certains droits. Le Parti républicain albanais a demandé l’abrogation de l’ordonnance du ministre de la Santé et de la Protection sociale, portant sur l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes dans des lieux fermés ou ouverts, des conférences, des rassemblements, des réunions de parti, des cérémonies festives, des cérémonies de mariage et des cérémonies funéraires rassemblant un nombre de personnes allant au-delà de la famille proche, jusqu’à un second ordre. Le requérant invoquait une violation de la liberté d’expression, car en interdisant les activités et les réunions des partis, l’ordonnance limitait la possibilité pour les membres des partis politiques de l’opposition de se rassembler et d’échanger leurs idées, ainsi que la liberté de réunion.
La Cour constitutionnelle a estimé que l’ordonnance contestée avait imposé une restriction à la liberté de réunion et, par conséquent, à la liberté d’expression de manière collective, ce qui se matérialiserait lors de la réunion pour informer les électeurs. En examinant ces restrictions des droits constitutionnels dans l’aspect du respect des critères établis par l’article 17 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a souligné que l’intérêt public de la protection de la santé dicte l’adoption de mesures restrictives et que cette restriction poursuivait un « but légitime », à savoir celui de « protéger la santé de la population contre une maladie infectieuse à fort impact ». Toutefois, puisque l’acte litigieux ne respectait pas le critère de proportionnalité de l’intervention, faute de prévoir un délai pour la durée des mesures restrictives, la Cour a décidé d’abroger l’expression « jusqu’à un second ordre » et d’obliger l’organisme compétent de réexaminer la durée des restrictions (décision n° 11/2021 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Une question d’une grande importance dans la jurisprudence constitutionnelle albanaise est également l’affaire concernant la destitution (impeachment) du président de la République, initiée par le Parlement albanais, au motif que le président de la République aurait commis de graves violations de la Constitution, entre autres celui du principe de neutralité, dans les déclarations qu’il a faites dans les médias, conférences de presse et sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter), avant et pendant la campagne électorale, ainsi que le jour du silence électoral.
Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a souligné qu’en principe, les agents publics, comme tout individu, jouissent de la liberté d’expression garantie par l’article 22, point 1, de la Constitution, qui inclut également le droit de critiquer les institutions de l’État ou leurs employés. Dans cette perspective, les opinions, jugements évaluatifs ou déclarations critiques du président de la République, en tant que titulaire de la plus haute fonction publique de l’État, lorsqu’ils sont adressés à d’autres autorités publiques, restent dans les limites de la liberté d’expression des opinions politiques, selon les restrictions prévues par la Constitution.
La Constitution reconnaît au président de la République le droit d’envoyer des messages directs avec lesquels il attire l’attention de l’opinion publique sur certaines questions, ou de demander avis et informations aux institutions de l’État (article 92, lettres « a » et « h » de la Constitution). Cependant, la Cour constitutionnelle a également souligné que le discours public doit être modéré et acceptable par la société, restant dans certaines limites lesquels dépendent aussi du degré d’émancipation de la société et du contexte historique dans lequel ce discours est tenu (Décision n° 1/ 2022 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
3. La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Les droits et libertés fondamentaux de l’homme sont indivisibles, inaliénables et inviolables et constituent le fondement de l’ordre juridique. La Constitution garantit la liberté d’expression au sens étroit et le droit à l’information dans deux dispositions distinctes, respectivement dans ses articles 22 et 23. La liberté d’expression et le droit à l’information, outre la garantie subjective en tant que droits constitutionnels fondamentaux, sont également objectivement liés au principe de construction d’un État démocratique, énoncé dans le Préambule de notre Constitution. Mettre en œuvre ce principe important signifie également garantir la liberté d’expression, la liberté de la presse et le droit à l’information, qui sont nécessaires à un ordre libre et constitutionnel.
La Cour constitutionnelle d’Albanie dans sa jurisprudence a réaffirmé l’importance du droit de chacun à s’exprimer en tant que droit fondamental dans une société démocratique. Ce droit, ensemble avec d’autres droits, n’est pas aligné de façon à établir une hiérarchie dans la Constitution, pour autant que la loi fondamentale ne prévoit pas un tel classement. Cependant, lors de l’examen au cas par cas, la Cour constitutionnelle examine également la relation entre les droits constitutionnels fondamentaux afin d’évaluer si le juste équilibre entre les intérêts censés être protégés/garantis (principe de proportionnalité) a été respecté.
4. La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Dans les affaires traitant la protection de la liberté d’expression, il n’y a pas de cas de changement/modification de jurisprudence de la Cour constitutionnelle. En principe, la Cour constitutionnelle adhère au principe de stabilité et de cohérence de sa jurisprudence, tout en acceptant son changement et son évolution, visant l’élaboration et l’amélioration des normes constitutionnelles.
5. Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle pourrait modifier sa position pour différentes raisons, telles que le développement ou l’évolution de la société, des moyens de communication et d’information, la sensibilisation accrue de la société, ainsi que l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme ou les obligations au cas où cette Cour constaterait une violation à cet égard par rapport à la manière dont ce droit est mis en œuvre dans notre pays.
6. Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
Selon la Constitution, la Cour constitutionnelle est la seule autorité chargée de résoudre, par des décisions définitives et contraignantes pour tous, tout type de litige constitutionnel, ainsi que d’effectuer l’interprétation finale de l’acte fondamental. L’impact incontestable des décisions de la Cour constitutionnelle est tel qu’elle impose à tous les organes de l’État le pouvoir contraignant de la motivation de sa décision. Selon la Constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle ont force obligatoires générales et sont définitives. Elles constituent une jurisprudence constitutionnelle et ont donc force de loi. À cet égard, la Cour constitutionnelle a souligné que la Cour elle-même n’est pas exemptée de l’obligation de mettre en œuvre les décisions constitutionnelles.
Dans sa pratique, la Cour a souligné à plusieurs reprises que, conformément au principe de subsidiarité, les tribunaux ordinaires, et notamment la Cour Suprême, ont l’obligation d’examiner et de répondre aux prétentions, de nature constitutionnelle des individus, soulevées lors des procédures judiciaires.
En ce qui concerne l’influence mutuelle, dans certains cas, la Cour constitutionnelle a reconnu et accepté la manière dont une certaine norme est interprétée par les juges ordinaires, c’est-à-dire comment cette norme vit dans l’ordre juridique, dans le but d’unifier la pratique judiciaire dans les décisions unificatrices de la Cour Suprême.
7. Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie se réfère souvent à la jurisprudence des cours constitutionnelles homologues, non seulement lorsqu’elle n’a pas eu une pratique similaire, mais aussi lorsqu’elle entend développer et élargir sa vision sur un sujet particulier.
8. Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu à examiner des requêtes traitant la liberté d’expression sous ces aspects.
9. L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le législateur constitutionnel a veillé à trouver le juste équilibre entre la protection de l’intérêt public et les droits objectifs, parmi lesquels le droit à l’information et l’obligation de respecter la vie privée. En tout état de cause, la Cour constitutionnelle, lors de l’évaluation des limitations des droits, prend en compte les dispositions constitutionnelles de l’article 17 de la Constitution, qui stipule que les limitations des droits et libertés prévus dans la Constitution ne peuvent être imposées que par la loi dans l’intérêt public ou pour la protection des droits d’autrui et que la limitation doit être proportionnée à la situation qui l’a dictée, ne peut violer l’essence des libertés et des droits et ne peut en aucun cas dépasser les limitations prévues dans la Convention européenne des droits de l’homme.
Le critère de mise en balance permet de mesurer et d’évaluer l’intérêt général ou les intérêts publics qui sont protégés par rapport au droit limité. Un droit ou un intérêt, malgré son importance publique, ne peut peser de manière disproportionnée par rapport à un autre droit ou intérêt protégé par la Constitution et la loi. La marge de cette appréciation, et par conséquent, le rapport qui se crée entre l’intérêt protégé et l’intérêt violé, change dans chaque cas concret. Cela dépend d’une série de circonstances et de conditions qui diffèrent d’un pays à l’autre, d’une période à l’autre, de l’éventail des droits qui sont mis en balance, ainsi que des conséquences qu’entraînerait la priorité de chacun d’eux (la décision n° 16/2004 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
10. Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Conformément aux dispositions de l’article 17 de la Constitution, en cas de limitations des libertés ou des droits constitutionnels, la Cour constitutionnelle évalue également si le principe de proportionnalité de l’ingérence a été respecté. Dans tous les cas, la légitimité de l’ingérence dépendrait principalement de son intensité, du degré de violation du droit, de la nécessité de cette ingérence pour la société et dans la réalité concrète qui l’a dictée, de l’efficacité et de la proportionnalité par rapport à l’objectif visé et les moyens utilisés pour l’atteindre.
11. Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Des restrictions à la liberté d’expression, particulièrement celles à la liberté de la presse, sont observées dans les cas où cela est requis par la protection de l’intérêt national et de l’intégrité territoriale, la préservation de la sécurité et de l’ordre public, etc. La Cour constitutionnelle a souligné que la liberté de la presse, bien que garantie par la Constitution, est soumise à certaines limitations. Par conséquent, tout droit lié à cette liberté ou qui dérive de celle-ci est soumis à ces restrictions (décision n° 14/1997 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
12. Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Outre les critères de limitation de la liberté d’expression consacrés à l’article 17 de la Constitution, la Cour constitutionnelle peut également vérifier si c’est l’interprétation ou la mise en œuvre, et non le contenu de la norme, qui a conduit à la limitation de la liberté. Par conséquent, la Cour constitutionnelle peut évaluer si l’interprétation, même de la part des tribunaux, était arbitraire et a donc limité cette liberté dans la mesure où elle en a affecté l’essence.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
1. Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les circonstances qui conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression sont : l’importance de cette liberté dans un État de droit et démocratique, le développement actuel de la société, de communication et d’information, la sensibilisation accrue de la société à s’informer et à s’exprimer, ainsi que l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme dans ce domaine.
2. Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle d’Albanie, il n’y a pas eu de cas où elle devrait faire le départ entre la liberté d’expression et la censure ou la diffamation.
3. Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
La Cour constitutionnelle d’Albanie n’a pas eu à se prononcer sur les lois de régulation d’Internet ou sur la réglementation en matière de réseaux sociaux. La Cour constitutionnelle n’a pas pris de décision concernant la législation à cet égard, ni même sur des cas particuliers.
4. Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
La Cour constitutionnelle n’a pas examiné des affaires dans lesquelles elle a différemment abordé la liberté d’expression selon la manière dont elle est exercée par les individus, c’est-à-dire via les modes d’expressions classiques ou via les réseaux sociaux.
5. Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a précisé que sans garantir la liberté d’expression, il n’est pas question de pluralisme, de tolérance et de création de libre volonté politique, tellement nécessaires à une société démocratique. L’échange d’idées et l’information libre comptent parmi les moyens les plus importants et les plus efficaces pour contrôler la démocratie en tant que forme de gouvernement. Grâce à eux, le pouvoir de l’État devient plus transparent, plus efficace et plus proche du citoyen.
La liberté d’expression est également la base et la condition préalable nécessaire pour garantir un certain nombre d’autres libertés et droits fondamentaux. Tenant en considération le rôle clé des médias indépendants pendant la campagne électorale, à la lumière de la liberté d’expression, en particulier le débat sur les candidats et leurs programmes contribue au droit du public de s’informer et renforce la possibilité des électeurs de voter en faisant des choix éclairés entre les candidats en compétition. En interprétant cette liberté dans le contexte de la liberté de la presse, elle offre au public l’un des meilleurs moyens de découvrir et de se forger une opinion sur les idées et les attitudes de ses dirigeants politiques. De manière plus générale, la liberté du débat politique réside précisément au cœur du concept d’une société démocratique, qui prévaut dans l’ensemble de la Convention.
Considérant la liberté d’expression entrelacée à la liberté de réunion et au droit de vote, la Cour constitutionnelle a souligné que la protection des opinions et la liberté de leur expression s’appliquent aux partis politiques en raison de leur rôle essentiel pour assurer le pluralisme et le bon fonctionnement de la démocratie. D’autre part, le droit de vote est étroitement lié à la liberté de réunion et liberté d’expression en tant qu’exigence de l’État de droit, en ce qui concerne la conduite d’élections libres et égales, qui sont réalisées lorsque les individus votent de manière éclairée pour l’alternative et programmes politiques des sujets électoraux.
Dans le contexte de la liberté d’expression et du droit de réunion, la diffusion d’informations et d’idées revêt une importance particulière. Il ne fait aucun doute que les rassemblements politiques et les réunions des partis occupent une place importante dans le processus électoral, car à travers eux, les participants et les organisateurs donnent et échangent des opinions, des idées et des questions de programmes politiques avec lesquelles les partis politiques rivalisent lors des élections, tandis que les électeurs sont informés pour faire le bon choix.
La Cour constitutionnelle souligne que lorsque les droits constitutionnels sont restreints, pour vérifier la proportionnalité de l’ingérence, il suffit non seulement de l’existence de moyens alternatifs, mais il est également très important d’évaluer dans quelle mesure ces moyens alternatifs permettent l’exercice du droit, même avec un certain degré de restriction. Lorsque des restrictions sont imposées à la liberté d’expression et de réunion pendant le processus électoral, pour la Cour constitutionnelle, c’est très important d’évaluer la portée et le degré d’utilisation des moyens de communication alternatifs qui permettent aux partis politiques de diffuser leur message et leurs idées politiques auprès des électeurs à travers : des vidéoconférences, des engagements actifs sur des plateformes électroniques très suivies, des réseaux sociaux, des réunions en ligne, des émissions de télévision, des médias, etc.
Dans ce contexte, lorsque la Cour constitutionnelle a été mise en branle par un parti politique pour examiner l’ordonnance du ministre de la Santé imposant des restrictions à la liberté de réunion et avec elle à la liberté d’expression de manière collective, qui se matérialiserait lors du rassemblement pour informer les électeurs, la Cour a évalué les restrictions en termes de respect des critères établis par l’article 17 de la Constitution. Elle est parvenue à la conclusion que dans le contexte des circonstances inhabituelles créées par la pandémie de Covid-19, arrêter la propagation de ce virus constitue un « besoin social urgent », c’est pourquoi les mesures prises sont liées à cet objectif, dans le cadre des obligations et des responsabilités des autorités de l’État pour la protection de la population contre les maladies infectieuses. Selon la Cour constitutionnelle, outre le nombre limité de personnes autorisées à se rassembler, les formes alternatives d’exercice de la liberté d’expression et du droit de réunion justifient le concept de leur restriction temporaire.
Cependant, lorsque ces restrictions durent indéfiniment, perdant la caractéristique de temporalité et lorsque pour cette durée indéfinie aucune justification n’est donnée, elles se transforment en une interdiction totale de ce droit, diminuant le rôle joué par les formes alternatives. La Cour constitutionnelle a donc estimé que l’ordonnance ne respecte pas le critère de proportionnalité en raison de l’absence de délai pour la durée des mesures restrictives (Décision n° 1/2021 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
6. Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non, un tel traitement spécifique n’existe pas.
7. La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Comme indiqué dans la réponse à la question 2 du sous-thème 1, la liberté d’expression connait certaines restrictions selon la Constitution, uniquement pendant l’état de guerre ou l’état d’urgence ; cette restriction ne s’applique pas en cas de catastrophe naturelle.
8. En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
L’article 170 de la Constitution dispose qu’en cas de danger pour l’ordre constitutionnel et la sécurité publique, le Parlement, à la demande du Conseil des ministres, peut instaurer l’état d’urgence sur une partie ou sur la totalité du territoire de l’État. L’état d’urgence dure aussi longtemps que le risque persiste, mais pas plus de 60 jours. Avec l’instauration de l’état d’urgence, l’intervention des forces armées se fait sur décision du Parlement et seulement lorsque les forces de police ne parviennent pas à rétablir l’ordre. La prolongation de l’état d’urgence ne peut se faire qu’avec le consentement du Parlement tous les 30 jours, pour une période n’excédant pas les 90 jours. Après l’adoption de la Constitution de 1998, la Cour constitutionnelle d’Albanie n’a pas examiné d’affaires dans lesquelles elle a défini la notion de l’ordre public.
9. Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
La Cour constitutionnelle, en tant que l’autorité effectuant l’interprétation finale de la norme constitutionnelle et protégeant les droits et libertés fondamentaux de l’homme a le pouvoir de contrôler le respect de la liberté d’expression en période de troubles de la même manière qu’elle agirait dans les situations normales.
10. La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression, en tant qu’une des libertés fondamentales de l’homme consacrées par la Constitution et par conséquent valeur fondamentale pour garantir l’État démocratique, est considérée comme un instrument qui garantit le rôle de la juridiction constitutionnelle.
11. Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La Cour constitutionnelle a souligné que la liberté d’expression est l’une des pierres angulaires d’un État démocratique. Sans garantir la liberté d’expression, on ne peut pas parler de pluralisme, de tolérance et de création de libre volonté politique, tellement nécessaires à une société démocratique (décisions n° 56 / 2016 ; n° 16/2004 de la Cour constitutionnelle d’Albanie).
Les aspects dynamiques de la manifestation de la liberté d’expression sont avant tout le droit de vote et le droit à l’information. Le droit à l’information a été individualisé par la Cour constitutionnelle dans plusieurs de ses composantes, telles que : la liberté personnelle de recevoir des informations, la liberté personnelle de fournir des informations et la liberté de la presse, ou en d’autres termes, le droit des médias de recevoir et de fournir des informations.
Par conséquent, selon l’approche de la Cour constitutionnelle, ce droit est l’un des éléments essentiels qui conditionnent la construction d’une société où prévalent l’État de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Tribunal constitutionnel d’Andorre
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Constitution andorrane (CA) intègre la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, dans l’ordre juridique andorran (article 5). L’Andorre reconnaît les principes de droit international public universellement admis et les traités et les accords internationaux s’intègrent dans l’ordre juridique andorran dès leur publication au Journal officiel de la Principauté d’Andorre, et ils ne peuvent être modifiés ou abrogés par la loi (article 3 CA). La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été ratifiée par le Conseil général (Parlement) le 21 novembre 1995 et cette ratification a été publiée au Journal officiel de la Principauté d’Andorre le 21 décembre 1995. Elle fait donc partie du droit interne.
La Constitution recueille les droits et les libertés dans son Titre II, elle reconnaît dans son chapitre III, parmi de nombreux droits, les libertés d’expression, de communication et d’information, garanties par l’interdiction de toute censure préalable ou tout autre moyen de contrôle idéologique de la part des pouvoirs publics, ainsi que les droits de réponse et de rectification, et la protection du secret professionnel (article 12).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Non. La Constitution reconnaît le droit au respect de la vie privée, de l’honneur et de l’image dans son article 14. Le contenu des droits et des libertés reconnus aux chapitres III et IV de la Constitution ne peut pas être limité par la loi et l’exercice des droits et des libertés reconnus dans le Titre II ne peut être établi que par la loi, et celui des droits reconnus dans les chapitres III et IV ne peut l’être que par une loi qualifiée (lois qui requièrent une majorité renforcée pour leur approbation).
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et certains Protocoles comportent des clauses spécifiques de restriction, et ces textes ont été approuvés par l’État andorran avec certaines réserves attenantes à la spécificité du pays.
La loi est le seul instrument permettant l’établissement de restrictions aux droits de l’homme lorsque sa seule fin est d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et des libertés d’autrui et de satisfaire les exigences justes de la morale, de l’ordre public et du bien-être général.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Le Tribunal constitutionnel d’Andorre n’a pas eu à définir pour l’instant la liberté d’expression.
Selon les textes en application, toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir censure ou ingérence des autorités publiques. La loi 30/2014, du 27 novembre, qualifiée portant sur la protection civile des droits à la vie privée, à l’honneur et à l’image précise que « la liberté d’expression signifie le droit de diffuser publiquement, par tout moyen et devant tout public, des pensées, des idées et des opinions. Elle est liée à une société démocratique et doit y trouver son fondement et ses limites. La liberté d’information est également associée à l’État démocratique, car seul un peuple correctement informé est en mesure d’exercer ses droits en toute connaissance de cause. La liberté d’information remplit une fonction fondamentale à travers les médias sociaux : la formation d’une opinion publique libre. Cependant, la fonction importante des médias implique non seulement leur reconnaissance de droits et de garanties, mais aussi certaines obligations consistant à fournir une information de qualité, en évitant les abus. L’information véridique – un terme à ne pas confondre avec la vérité objective absolue – exige la nécessité d’une enquête diligente avant sa diffusion. Les droits de réponse et de rectification étendent la liberté d’information, car ils donnent à la personne qui s’estime lésée par des informations inexactes le pouvoir de les reproduire et/ou de les rectifier. Il s’agit également de droits qui protègent le droit à la vie privée, à l’honneur et à l’image de soi, de sorte qu’il convient de les réglementer dans la présente loi en ce qui concerne les personnes physiques touchées par une ingérence illégitime. Parallèlement aux droits de réponse et de rectification, cette loi réglemente le secret professionnel et la déontologie des journalistes, entendus comme loi et également le devoir des professionnels de l’information qui garantit la confidentialité de leurs sources. »
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Le Tribunal constitutionnel a estimé que la Constitution devait être interprétée à la lumière de la Convention européenne des droits de l’homme puisque cette Convention, intégrée dans l’ordre juridique andorran conformément aux dispositions de l’article 3.4 de la Constitution, pouvait être utilisée comme un élément d’interprétation et la jurisprudence construite par la Cour européenne des Droits de l’homme est souvent retenue.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression en tant que droit d’exprimer librement ce que l’on pense, est une liberté fondamentale, proclamée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ainsi, chacun a le droit d’exprimer ses idées dans le respect de l’autre, même si ces idées agacent. La loi 30/2014, ci-dessus citée qui recueille les droits énoncés à l’article 19 du Pacte international des droits civils et politiques, distingue trois principes fondamentaux : le droit d’avoir ses opinions sans interférence (liberté d’opinion) ; le droit de rechercher et de recevoir des informations (accès à l’information) ; et le droit de communiquer des informations (liberté d’expression).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le cas ne s’est pas posé.
L’article 11 de la Constitution garantit la liberté de pensée, de religion et de culte, et le droit de toute personne de ne pas déclarer ou manifester sa pensée, sa religion ou ses croyances. L’alinéa 2 indique que la liberté de manifester sa propre religion ou ses croyances est soumise aux seules limites établies par la loi et nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé et de la morale publiques ou des droits et des libertés fondamentales d’autrui. Et l’alinéa 3 garantit à l’Église Catholique l’exercice libre et public de ses activités et le maintien de ses relations de collaboration particulière avec l’État, conformément à la tradition andorrane.
La liberté de pensée, de conscience et de religion est considérée comme essentielle dans les sociétés démocratiques et elle apparaît dans de nombreux catalogues internationaux. La Cour européenne a souligné très souvent son importance et « a élevé la liberté de religion au rang de droit substantiel de la Convention d’abord indirectement et puis de façon plus directe« .
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Non, car bien que la liberté d’expression soit protégée et même si elle constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, elle n’est pas absolue, ainsi que l’a précisé la Cour européenne des droits de l’Homme, en reconnaissant sa nécessaire conciliation avec l’intérêt légitime d’un État démocratique.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Toute personne a droit à la liberté d’expression et ce Tribunal n’a pas eu à se prononcer sur cette question.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Le Tribunal constitutionnel a été amené à examiner la liberté d’expression dans une affaire où la requérante qui était un agent de police avait publié dans un journal un article d’opinion en portant des propos jugés diffamatoires par le gouvernement et les autorités publiques, ce qui lui a valu une sanction disciplinaire. Le Tribunal constitutionnel a rappelé que, d’un côté, la liberté d’expression est un droit fondamental protégé à l’article 12 de la Constitution, tandis que de l’autre, le législateur a établi des limites spécifiques à cette liberté à l’égard des fonctionnaires, lesquels sont assujettis à un devoir de réserve, dont la violation est sanctionnée (article 98 f de la loi 8/2004 du 27 mai 2004). Ce faisant, si la liberté d’expression est garantie aux agents de la fonction publique, elle trouve ses limites dans l’obligation de réserve qui leur est imposée. Dans le cadre de l’examen d’une allégation de violation de l’article 12 par un agent public, il revient au Tribunal constitutionnel, en tenant compte des circonstances de chaque affaire, de rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l’individu à la liberté d’expression et l’intérêt légitime d’un État démocratique à veiller à ce que les agents de la fonction publique agissent conformément à leurs devoirs et responsabilités (arrêt du 15 mars 2019, affaire 2018-55-RE). Le Tribunal, en l’espèce, a donc rejeté le recours en protection constitutionnelle formée par cette policière.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est une liberté reconnue par la Constitution et à ce titre elle est protégée par le Tribunal constitutionnel comme tous les autres droits et libertés depuis sa création en décembre 1993. Il a été amené à se prononcer dans l’affaire 99-19-RE, arrêt du 7 avril 2000, sur la procédure à suivre en cas de violation de cette liberté : Dans cette affaire le requérant soutient qu’en n’ayant pas réglementé l’attribution de fréquences à des opérateurs privés depuis la loi du 12 octobre 1989 sur la radiodiffusion et la télévision, ni organisé de concours permettant l’attribution de fréquences, le Gouvernement aurait institué un monopole de droit et de fait ; que cette situation constituerait une atteinte à la liberté d’expression et de communication protégée par l’article 12 de la Constitution. Le Tribunal constitutionnel a considéré que bien que le requérant reconnaisse que la violation de l’article 12 devrait être invoquée dans une procédure fondée sur l’article 41.1 de la Constitution, il soutient que cette violation peut néanmoins être soulevée devant le Tribunal constitutionnel sur la base d’un principe d’économie processuelle, lui évitant ainsi d’avoir à entreprendre une action fondée sur l’article 41.1, longue et dénuée de chances de succès, la juridiction inférieure ne pouvant désavouer la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée rendue par le Tribunal supérieur. Le Tribunal considère donc qu’à supposer même que soit admise l’existence d’un principe d’économie processuelle, celui-ci ne saurait avoir pour effet de permettre d’ignorer la distinction des procédures contentieuses inscrites dans la Constitution et dans la loi qualifiée sur le Tribunal constitutionnel.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non, le Tribunal constitutionnel ne fait pas de distinction entre les droits et les libertés fondamentales.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La protection de tous les droits est équivalente.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La liberté d’expression a été rarement soulevée devant ce Tribunal. En fait, il y a eu que trois recours en protection constitutionnelle dans lesquels la liberté d’expression était mise en cause. Les deux précédemment cités (99-19-RE et 2018-55-RE) et l’affaire 2002-12-RE, arrêt du 28 février 2003, dans laquelle étaient contraposés le droit à la vie privée et le droit à l’information. Il s’agissait de la mort d’un sportif de haut niveau dans une avalanche au cours d’un reportage photographique. La famille du défunt, en demandant la protection de son droit à la vie privée, voulait empêcher le photographe de publier dans le futur les photographies de l’accident. Le Tribunal constitutionnel a considéré que « d’une part, il a été établi d’une manière évidente qu’il y a eu consentement exprès de l’intéressé en ce qui concerne la réalisation du reportage photographique du jour de l’accident. Il savait qu’il allait être photographié, que cette activité était prise en charge par un professionnel et, que les images obtenues, il n’y a pas de doute sur ce point, seraient largement publiées dans tout moyen de communication. Il est également évident que le ski, et plus particulièrement, le ski dans sa modalité de hors-piste est un sport à risque, et parfois à haut risque (…). Même si l’on peut admettre la possibilité d’une révocation postérieure de l’autorisation, le caractère personnel du droit à la vie privée oblige à considérer qu’elle ne peut être réalisée que par l’intéressé lui-même et non pas par les membres de sa famille. (…) D’autre part, nous devons considérer un autre aspect du droit à la vie privée. En plus du consentement exprès du défunt, l’activité concrète était destinée à une diffusion publique, et elle s’est produite dans un lieu public. Ces faits lui donnent une notoriété et une publicité qui, ajoutés au consentement exprès de la victime, constituent objectivement une limite à la réclamation du droit à la vie privée à caractère absolu. Cet argument réfute aussi la compréhensible, mais pas bien fondée en droit, affirmation des requérants selon laquelle le consentement du défunt, l’activité publique et les autres aspects cités, ne peuvent pas être retenus d’une manière taxative, objective et indiscutable à partir du moment même de la production de l’accident. La nature de l’activité pratiquée et consentie contenait non simplement un risque certain, mais aussi la possibilité d’un incident comme celui qui s’est produit. Logiquement, le professionnel de l’image engagé pour couvrir l’activité a agi d’une manière concordante, aussi bien en ce qui concerne l’exercice de son propre droit en tant que professionnel, qu’en ce qui concerne la logique des événements et du droit à l’information. Un parallélisme pourrait être fait avec des affaires similaires, analogues ou identiques d’incidents dans la pratique de sports à risque, par exemple les accidents ayant eu lieu dans des courses automobiles, au cours desquelles les télévisions pourraient choisir entre continuer à informer ou arrêter la diffusion au moment même où l’accident se produit. En tout cas, il y a encore deux aspects qui, s’ils s’étaient produits, auraient pu avoir une incidence sur cette affaire. Le premier fait référence à l’obtention d’images avec fraude, sans consentement ou par des moyens illicites, hypothèses qui ont ou peuvent avoir une incidence sur le droit à la vie privée. Mais il a été démontré que ces hypothèses ne s’appliquent pas à cette affaire. Le second, très justement signalé par le Tribunal supérieur de justice dans le deuxième fondement juridique : « On ne pourrait parler dans ces conditions d’une violation du droit à l’intimité que si l’objet du reportage graphique –ce qui ne se produit pas dans cette affaire- avait une incidence morbide dans la souffrance des victimes ou dans des détails qui outrepasseraient la simple reproduction d’un accident qui, à cause des circonstances dans lesquelles il s’est produit, aurait une importance publique ».
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Pas de modification.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
Certainement parce que le Tribunal constitutionnel est le garant de la constitution et ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux personnes privées. Les jugements des juges du fond, une fois définitifs, sont revêtus de l’autorité de la chose jugée et ne peuvent être modifiés ou annulés que dans les cas prévus par la loi ou lorsque, exceptionnellement, le Tribunal constitutionnel, au terme d’une procédure de recours en protection constitutionnelle (recours d’empara), estime qu’ils ont été rendus en violation d’un droit fondamental.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est une référence constante pour ce Tribunal.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Comme il a été précédemment dit, dans le cadre de l’examen d’une allégation de violation de la liberté d’expression, il revient au Tribunal constitutionnel, en tenant compte des circonstances de chaque affaire, de rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l’individu à la liberté d’expression et l’intérêt légitime d’un État démocratique.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Il s’agit d’analyser chaque affaire et de faire un contrôle de proportionnalité.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le contrôle de proportionnalité certainement.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Nous n’avons pas de jurisprudence sur cet aspect.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Pas de réponse.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
La Constitution précise les motifs pour lesquels les droits de l’homme peuvent être limités, dans son article 42, il s’agit de l’état d’alerte et de l’état d’urgence. Les limitations aux droits de l’homme trouvent leur fondement dans la nécessité de protéger l’ordre public, d’une part, et d’autre part de protéger contre les abus de droit.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Nous n’avons pas eu à nous prononcer.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Ce Tribunal n’a pas eu à se prononcer. Il faut dire que la loi 30/2014, du 27 novembre, qualifiée portant sur la protection civile des droits à la vie privée, à l’honneur et à l’image a essayé de prévoir ces éventualités. Elle a considéré que le marché de la communication présente aujourd’hui des caractéristiques différentes et adopte une structure beaucoup plus large, décentralisée et plurielle. À ces fins, cette loi a défini son champ d’application en définissant deux concepts. D’une part, les opérateurs de médias qui se définissent comme des personnes physiques ou morales, dont l’activité principale est de publier et de communiquer au grand public, de manière professionnelle, des expressions ou des informations à titre périodique, quel que soit le support utilisé pour la publication et la communication de l’information. D’autre part, les fournisseurs de contenus informatifs ou d’opinion, dont l’activité principale ou accessoire consiste à publier, à titre professionnel ou non, des informations, des expressions ou des contenus, par voie électronique et sur support numérique. De cette manière, une attention adéquate est accordée au nouveau panorama de la communication et de la fourniture d’informations dans l’environnement numérique.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Le fait d’être sur Internet renforce un sentiment d’impunité dû à l’anonymat, les dommages causés sont massifs et les possibilités de contrôle par la personne concernée sont réduites. Par conséquent, cette même loi, sans ignorer le caractère essentiel de la liberté d’expression et d’information dans une société démocratique, de protection civile complète des droits à l’honneur, à la vie privée et à l’image de soi exige d’accorder une attention particulière à l’ingérence qui a lieu par tout moyen de communication et par tout support. Ces abus peuvent prendre des formes multiples telles que le cyberharcèlement, l’incitation à la discrimination, à la haine, à la violence ou à la ségrégation à l’égard d’autrui, l’atteinte aux mineurs, par le partage de données personnelles en public, intentionnellement et pour une raison précise. La diffusion d’idées fondées sur la supériorité raciale ou la haine raciale. Dans certains cas, les limites de la liberté d’expression sont dépassées, comme lorsqu’il s’agit de menaces ou harcèlement en ligne, de partage de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique. À cette fin, le troisième chapitre de cette loi établit des règles claires, prévisibles et équilibrées pour déterminer le ou les auteurs et attribuer la responsabilité de l’ingérence illégitime dans les droits à l’honneur, à la vie privée et à l’image de soi. Le régime de responsabilité repose sur les notions de contrôle éditorial permettant de distinguer trois figures : les auteurs, les co-gérants et les opérateurs de médias et les fournisseurs de contenus informatifs ou d’opinion qui agissent en tant que fournisseurs de services d’intermédiation.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Non.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
L’article 42 de la Constitution prévoit que pendant l’état d’urgence, les droits sur la garde à vue (article 9.2 de la Constitution), la liberté d’expression, de communication et d’information (article 12), l’inviolabilité du domicile, la garantie au secret des communications (article 15), le droit de réunion et de manifestation pacifiques (article 16), la défense de leurs intérêts économiques et sociaux par les travailleurs et les employeurs (article 19) et la liberté de circuler librement sur le territoire (article 21) peuvent être suspendus. L’application de la suspension aux droits contenus dans les articles 9 alinéa 2 (sur la garde à vue) et 15 (sur l’inviolabilité du domicile et le secret des communications) doit toujours être effectuée sous le contrôle de la justice, sans préjudice de la procédure de protection établie à l’article 9 alinéa 3.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La question ne s’est pas posée.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Ainsi que nous l’avons déjà manifesté, le Tribunal constitutionnel n’a pas souvent été saisi sur la violation du droit à la liberté d’expression ; toutefois, à travers du mécanisme du recours en protection (recours « d’empara »), il est absolument bien placé institutionnellement et a une grande légitimité devant les citoyens pour protéger la liberté d’expression en périodes de troubles, le cas échéant.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Pas de façon particulière par rapport à n’importe quels autres droits fondamentaux inscrits à la Constitution et dont le Tribunal constitutionnel en est le garant.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Certes, sans aucun doute la liberté d’expression est un des outils au service de la construction d’une société démocratique, mais « plus démocratique » dans les années à venir ?
C’est un outil indispensable, nécessaire, parmi d’autres, mais ce n’est pas le seul et il doit cohabiter et même céder, parfois, devant d’autres droits tout aussi importants et indispensables pour les citoyens et la société d’un État de droit.
Cour constitutionnelle d’Arménie
Nous annonçons que la liberté d’expression d’opinion en République d’Arménie est consacrée par l’article 42 de la Constitution, selon lequel toute personne a le droit d’exprimer librement son opinion. Ce droit implique la liberté d’avoir sa propre opinion, de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations ou des idées, par tous les moyens, sans intervention des autorités publiques ou locales et sans considération de frontières étatiques. La liberté des médias (presse, radio, télévision) et des autres moyens d’information est garantie. L’État garantit l’existence et le fonctionnement de la radio et de la télévision publiques indépendantes qui offrent des programmes variés d’information, éducatifs, culturels et de divertissement.
Le même article définit que l’exercice du droit à la liberté d’opinion ne peut être restreint que par la loi si cela est nécessaire à la sécurité publique, au maintien de l’ordre public, à la protection de la santé, de la morale publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
La Cour constitutionnelle, dans plusieurs de ses décisions (DCC-1396, DCC-1592, DCC-1612, DCC-1646, DCC-1661, etc.), a exprimé des positions juridiques sur la liberté d’expression d’opinion.
En particulier, la Cour constitutionnelle a constaté que.
– Étant l’un des piliers de la société civile et de la démocratie, la liberté d’expression consacrée à l’article 42 de la Constitution garantit la libre formation de la volonté publique, une communication ouverte et sans entraves entre la société et l’État. La liberté d’échange d’idées et d’opinions au sein de la société est la garantie du pluralisme, à travers lequel la démocratie prend vie (DCC-1646).
– L’article 42 de la Constitution, qui consacre la liberté d’expression d’opinion, entre autres choses, garantit également la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées par tous les moyens d’information sans l’ingérence des organes étatiques et des organes d’autogouvernance locaux et indépendamment des frontières étatiques, la considérant comme une composante intégrale de la liberté d’expression d’opinion (DCC-1661).
– La liberté d’expression n’est pas seulement une composante des droits et libertés humains, mais elle revêt également une importance fondamentale dans le système des intérêts publics, dont la garantie est une exigence légale constitutionnelle et internationale. En même temps, la liberté d’expression est soumise à des restrictions tant par les documents juridiques internationaux que sur la base des motifs prévus par la Constitution et conformément à la procédure établie par la loi, afin de protéger la sécurité de l’État, l’ordre public, la santé et la moralité (intérêts publics) ou l’honneur et la bonne réputation d’autrui ainsi que d’autres droits et libertés fondamentaux (DDC-1396).
– Toute limitation du droit à la liberté d’expression doit être établie par la loi, servir à la protection d’un intérêt légitime, et être nécessaire pour garantir cet intérêt donné (DDC-997).
– La liberté d’expression constitue également une manifestation unique du contrôle public sur l’autorité publique par le biais de la libre parole, incluant la liberté de critiquer sévèrement, de pointer les lacunes existantes, de soulever et de présenter des problèmes au niveau public et individuel, ainsi que les mesures prises par l’autorité publique pour les surmonter. À cet égard, la Cour constitutionnelle, dans le cadre de sa décision DDC-1010, a déclaré que le contrôle démocratique mis en œuvre par l’opinion publique favorise la transparence des actions de l’autorité étatique et encourage les activités responsables des organes et des fonctionnaires de l’État.
– La Cour constitutionnelle évalue la poursuite d’un objectif légitime d’ingérence dans le droit fondamental à la libre expression d’opinion dans le contexte du principe constitutionnel de proportionnalité. Le rapport entre la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression et les autres valeurs constitutionnelles détermine la nature de ses éventuelles restrictions. Il est clair que la nécessité de toute limitation du droit à la liberté d’expression doit être justifiée et que l’intérêt public et la demande de protection pour lesquels l’ingérence dans cette liberté a lieu doivent être présentés (DCC-1646).
– L’ingérence dans le droit fondamental poursuit un objectif légitime étant donné que la dignité humaine, qui est la pierre angulaire d’une société démocratique, étant la base de tous les droits et libertés, prédétermine également les limites de la réalisation de ces droits, étant, selon la Constitution, inaliénable et inviolable. Le législateur, en établissant les dispositions légales prévues dans la disposition litigieuse, avait pour objectif légalement et constitutionnellement nécessaire de protéger des valeurs fondamentales telles que l’honneur et la bonne réputation de la personne, la sécurité de l’État, l’ordre public, la santé et la moralité, chacune des qui constitue une base pour limiter la liberté d’expression d’opinion, et parmi eux seulement, l’existence d’une telle liberté est suffisante en soi du point de vue de la légitimité du but de limiter cette liberté. La défense pénale contre les infractions graves vise à protéger non seulement l’honneur et la bonne réputation des individus, mais également les droits et libertés fondamentaux, la sécurité de l’État, l’ordre public, la santé et la morale. Une infraction grave porte atteinte à l’ordre social normal et ne correspond pas au système de valeurs morales de la société civile (DCC-1646)։
– Compte tenu du rôle clé de la presse dans la diffusion d’informations sur des questions d’intérêt public dans une société démocratique, il est légitime d’accorder une plus grande protection à l’activité journalistique. En d’autres termes, d’une part, le droit à la liberté d’expression et d’expression doit être garanti et protégé, d’autre part, la vitalité d’une presse responsable ne doit pas être mise en danger (DCC-1646)։
– Les forces politiques participant aux élections et leurs représentants profitent de larges opportunités pour exprimer leur opinion pendant la campagne préélectorale, ce qui, dans une société démocratique, donne la possibilité de former librement la volonté du peuple, c’est donc une condition nécessaire pour garantir le principe de la liberté des élections. Néanmoins, la propagande préélectorale ne peut pas s’accompagner d’appels à la haine, de violence et de menaces (même si la menace n’est pas réelle), qui perturbent un environnement social apaisé et sain. Les forces politiques et leurs représentants doivent faire preuve d’un maximum de retenue et de politiquement correct pendant la campagne préélectorale, à l’exclusion de tout appel et menace de haine, de violence et de tout comportement dégradant (DCC-1606):
Cour constitutionnelle de Belgique
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle de Belgique est compétente pour contrôler la compatibilité des normes de valeur législative avec, notamment, les dispositions figurant au titre II de la Constitution, qui sont les dispositions proclamant et garantissant les droits et libertés fondamentaux. La liberté d’expression figure dans ce texte depuis son adoption, en 1831.
L’article 19 de la Constitution belge dispose : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés. »
La Cour constitutionnelle considère que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme[1] (CEDH), l’article 11, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[2] (la Charte) et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques[3] (PIDCP) ont une portée analogue à celle de l’article 19 de la Constitution belge, de sorte qu’elle utilise généralement ces normes de référence de manière combinée, comme formant un ensemble indissociable[4].
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
La seule limitation que contient l’article 19 de la Constitution porte sur la répression des infractions commises à l’occasion de l’usage de la liberté d’expression. En d’autres termes, la Constitution interdit que la liberté d’expression soit soumise à des restrictions préventives, mais non que les infractions qui sont commises à l’occasion de la mise en œuvre de cette liberté soient sanctionnées.
En ce qui concerne la liberté de la presse, la Constitution interdit la censure. Pour garantir cette liberté et éviter une « censure » par les éditeurs ou imprimeurs, elle établit un système de responsabilité exclusive de l’auteur, à tout le moins lorsqu’il est connu et domicilié en Belgique.
La Constitution belge ne prévoit donc pas explicitement que la liberté d’expression soit limitée en vue, par exemple, de sauvegarder un intérêt supérieur, l’intérêt général ou les droits et libertés d’autrui. La seule limite prévue par la Constitution est la répression, a posteriori, des infractions commises lors de l’exercice de la liberté d’expression.
En revanche, les textes internationaux utilisés couramment par la Cour lors de son contrôle (voir thème 1, question 1), qui sont plus récents, prévoient de telles possibilités de limitations.
L’article 10 de la CEDH permet les limitations à la liberté d’expression pour autant qu’elles soient prévues par une loi et qu’elles soient nécessaires à « la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
L’article 19 du PIDCP dispose dans le même sens que l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
La technique utilisée par la Cour constitutionnelle de « l’ensemble indissociable », qui lui permet d’appréhender les sources constitutionnelles nationales et conventionnelles internationales comme formant un tout, permet de dépasser le mode strictement répressif qui est celui de la Constitution et d’admettre aujourd’hui que des ingérences dans la liberté d’expression soient créées a priori par le législateur, à condition qu’elles respectent les exigences posées par la Convention européenne des droits de l’homme[5]. Ainsi, on peut constater que les juridictions, en ce compris la Cour constitutionnelle, relativisent l’interdiction des mesures préventives inscrite dans l’article 19 de la Constitution lorsqu’elles estiment que la mesure préventive en cause est une condition nécessaire pour sauvegarder un autre droit fondamental, comme le droit à la vie privée, à la réputation, à l’honneur …[6]
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle répète régulièrement que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique »[7]. Dans un arrêt déjà ancien, elle a considéré que la liberté d’expression constitue « le droit de manifester spontanément et librement ses opinions en toutes matières et par tous les moyens, sous réserve de la répression des délits commis dans l’exercice de cette liberté »[8]. À la suite de la Cour européenne des droits de l’homme[9], elle juge que la liberté d’expression « vaut non seulement pour les ‘informations’ ou ‘idées’ accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui ‘choquent, inquiètent ou heurtent’ l’État ou une fraction de la population »[10]. Elle ajoute : « Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ».
La définition de la liberté d’expression donnée par la Cour constitutionnelle est déterminée par les dispositions constitutionnelles et internationales précitées, notamment dans les contours des limites qu’elle admet : « les limitations à la liberté d’expression doivent s’interpréter strictement. Il doit être démontré que les restrictions sont nécessaires dans une société démocratique, qu’elles répondent à un besoin social impérieux et qu’elles demeurent proportionnées aux buts légitimes poursuivis »[11].
La Cour ajoute que « la liberté d’expression et la liberté de religion comprennent non seulement le droit d’exprimer son opinion en toute matière, mais également le droit de ne pas divulguer ses convictions »[12], ce qui est par ailleurs aussi un aspect du droit au respect de la vie privée. Ce droit implique par exemple que les parents ne peuvent être obligés de motiver leur demande de dispense du cours de religion ou de morale philosophique pour leur enfant[13].
Enfin, la liberté d’expression comprend un versant « passif », constitué par la liberté de recevoir des informations : « La liberté d’expression comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix »[14]. Emboîtant le pas à la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle considère en effet que « lorsque l’accès à l’information est déterminant pour l’exercice par l’individu de son droit à la liberté d’expression, en particulier ‘ la liberté de recevoir et de communiquer des informations ‘ », refuser cet accès peut constituer une ingérence dans l’exercice de ce droit[15]. Un aspect de ce droit à recevoir des informations est constitué par le droit d’accès aux documents administratifs[16].
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
En ce qui concerne la liberté d’expression, la principale source d’inspiration de la Cour constitutionnelle est la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour calque le contenu et l’admissibilité des limitations qu’elle donne à la liberté d’expression sur ce qui se dégage de l’abondante jurisprudence de la Cour strasbourgeoise en cette matière. La Cour cite très fréquemment des extraits d’arrêts et aligne ainsi sa propre jurisprudence sur celle de la Cour européenne. Lorsque la matière relève du champ d’application du droit européen[17], la Cour se réfère également à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. La Cour constitutionnelle ne s’est jamais montrée plus restrictive que la jurisprudence de la Cour européenne ou que celle de la Cour de justice de l’Union européenne en définissant la liberté d’expression. Le cas échéant, elle pourrait au contraire aller plus loin dans la protection de la liberté d’expression, dès lors que la Convention européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux sources nationales[18].
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Découlent directement de la liberté d’expression, en vertu du texte constitutionnel :
– la liberté de la presse, garantie par l’article 25 de la Constitution : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. Lorsque l’auteur est connu et domicilié en Belgique, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi. »
– la liberté des cultes, garantie par le même article 19 de la Constitution et par ses articles 20 (« Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos ») et 21 (« L’État n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s’il y a lieu »). La Cour a précisé que la liberté de religion comprend, entre autres, la liberté d’exprimer sa religion, soit seul, soit avec d’autres et que la participation à la vie d’une communauté religieuse est une expression de la conviction religieuse qui bénéficie de la protection de la liberté de religion.[19]
– le droit d’accès aux documents administratifs, garanti par l’article 32 de la Constitution (« Chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s’en faire remettre copie, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 »).
La jurisprudence de la Cour a en outre établi un lien entre la liberté d’expression et les libertés suivantes :
– un aspect de la liberté d’enseignement : « la liberté d’expression garantie par l’article 19 de la Constitution constitue un aspect de la liberté active de l’enseignement, conçue comme la liberté de dispenser un enseignement selon ses conceptions idéologiques, philosophiques et religieuses »[20].
– la liberté académique, conçue comme « le principe selon lequel les enseignants et les chercheurs doivent jouir, dans l’intérêt même du développement du savoir et du pluralisme des opinions, d’une très grande liberté pour mener des recherches et exprimer leurs opinions dans l’exercice de leurs fonctions », est également un aspect de la liberté d’expression[21].
Par ailleurs, la liberté d’expression est l’un des objectifs de la liberté de réunion et d’association[22] et elle trouve un prolongement dans la liberté de s’assembler, laquelle peut toutefois, lorsqu’elle s’exerce en plein air, être soumise à autorisation préalable[23]. En son versant négatif (le droit de ne pas divulguer ses convictions), la liberté d’expression entretient un lien étroit avec le droit au respect de la vie privée[24].
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La Cour n’a jamais été saisie d’un recours ou d’une question préjudicielle portant sur un usage de la liberté d’expression qui pourrait être qualifié de blasphème. Elle n’a pas eu à contrôler la compatibilité avec la liberté d’expression de dispositions qui interdiraient ou puniraient l’expression d’opinions « anti-religieuses » ou « blasphématoires ». Au demeurant, de telles dispositions ne font pas partie du corpus législatif belge.
En revanche, la Cour a été saisie d’affaires mettant en jeu la liberté d’expression en matière religieuse, aussi appelée liberté de religion et de culte. La Cour juge de manière constante que la liberté de religion comprend, entre autres, la liberté d’exprimer sa religion ou sa conviction, soit seul, soit avec d’autres[25]. La Cour estime que « La liberté d’expression et la liberté des cultes ne sont pas absolues. Certes, pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus, même le rejet des valeurs fondamentales de notre société démocratique peut être exprimé, mais la manière de l’exprimer est susceptible de restrictions »[26].
Les affaires les plus nombreuses concernant la liberté d’expression en matière de religion ou de culte portent sur les prescriptions vestimentaires et les interdictions de porter des signes (vêtements, couvre-chefs, accessoires) religieux.
La Cour a ainsi été saisie de plusieurs recours portant sur la loi « visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage », qui interdit le port de tout vêtement dissimulant le visage dans les lieux publics et dans les lieux accessibles au public[27]. La Cour reconnaît qu’une telle interdiction, pénalement sanctionnée, porte atteinte à la liberté de culte des femmes qui « portent le voile intégral sur la base d’un choix personnel qu’elles estiment conforme à leurs convictions religieuses ». Suivant en cela la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle estime qu’il n’appartient pas à l’État de se prononcer sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles- ci. Elle rappelle aussi que « dans une société démocratique, il est nécessaire de protéger les valeurs et principes qui fondent la Convention européenne des droits de l’homme ». Elle procède ensuite à l’examen de l’ingérence, en vue de déterminer si celle-ci est prévue par une loi suffisamment accessible et précise, si elle est nécessaire dans une société démocratique, si elle répond à un besoin social impérieux et si elle est proportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis par le législateur. Elle conclut de son analyse que le législateur pouvait estimer que l’interdiction de dissimuler le visage dans les lieux accessibles au public est nécessaire pour des raisons de sécurité publique, que, dès lors que la dissimulation du visage a pour conséquence de priver le sujet de droit, membre de la société, de toute possibilité d’individualisation par le visage alors que cette individualisation constitue une condition fondamentale liée à son essence même, l’interdiction de porter dans les lieux accessibles au public un tel vêtement, fût-il l’expression d’une conviction religieuse, répond à un besoin social impérieux dans une société démocratique et que l’égalité des sexes, que le législateur considère comme une valeur fondamentale de la société démocratique, justifie que l’État puisse s’opposer, dans la sphère publique, à la manifestation d’une conviction religieuse par un comportement non conciliable avec ce principe d’égalité entre l’homme et la femme. La Cour juge encore que l’interdiction, pénalement sanctionnée, n’est pas disproportionnée, à la condition qu’elle ne soit pas interprétée comme visant également les lieux de culte, qui sont des lieux accessibles au public.
La Cour a aussi été saisie de questions portant sur l’interdiction de porter des signes religieux ou convictionnels dans les établissements scolaires. Elle considère, à la suite de la Cour européenne des droits de l’homme, « qu’une interdiction de porter des signes religieux dans un établissement d’enseignement constitue une ingérence dans l’exercice du droit de manifester ses convictions religieuses » et examine dès lors si l’interdiction répond à un besoin social impérieux et si elle est nécessaire et proportionnée à cet objectif[28]. La Cour a considéré que tel était bien le cas en l’espèce.
La Cour a encore été confrontée à des questions relatives à l’interdiction de l’abattage des animaux de consommation sans étourdissement préalable[29]. Elle a reconnu que cette interdiction, qui entraînait un obstacle à la manifestation d’une conviction religieuse sous la forme de l’abattage rituel, relevait du champ d’application de la liberté de religion. Elle a confronté cette restriction à la liberté de religion de certains croyants à l’objectif poursuivi, qui était de protéger les droits et libertés des personnes qui tiennent au bien-être des animaux dans leur conception de la vie. Elle a jugé que cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique et qu’elle n’entraînait pas de conséquences disproportionnées.
La jurisprudence précitée peut donner le sentiment que la Cour constitutionnelle admet assez facilement les ingérences dans la liberté d’expression des convictions religieuses, lorsqu’elles sont motivées par la poursuite d’un objectif d’intérêt général et qu’elles ne sont pas disproportionnées. Il advient toutefois aussi que la Cour constate que la mesure portant atteinte à la liberté de religion n’est pas justifiée. Ainsi, au sujet de dispositions prévoyant que pour obtenir la reconnaissance en tant que communauté religieuse locale, ce qui offre plusieurs avantages, il faut pouvoir prouver que l’on ne reçoit, directement ou indirectement, aucun soutien ou financement étranger affectant l’indépendance, la Cour a jugé : « Il n’est nullement démontré que la limitation du financement ou soutien étranger des communautés religieuses, en ce compris l’exigence que ses ministres du culte et leurs suppléants ne soient pas rémunérés, directement ou indirectement, par une autorité étrangère, est raisonnablement proportionnée à la préservation de l’État de droit démocratique. Ce modèle sociétal se caractérise par un ensemble de règles juridiques – civiles et pénales -, auxquelles les communautés religieuses et leurs membres sont aussi soumis et dont l’application peut être exigée devant les juridictions en cas de non-respect. La condition supplémentaire selon laquelle le financement ou soutien étranger ne peut pas affecter l’indépendance de la communauté religieuse locale est une ingérence disproportionnée dans la liberté de culte »[30].
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
En principe, la liberté d’expression protégeant le discours politique et le débat d’idées est très étendue. Les questions qui relèvent de l’intérêt général sont généralement couvertes par la liberté d’expression de manière extensive. Ainsi, la Cour juge-t-elle que « le législateur dispose, en principe, d’une marge d’appréciation restreinte lorsqu’il entrave la liberté d’exprimer des opinions qui, comme celles des organisations d’employeurs ou de travailleurs, relèvent d’un débat touchant à l’intérêt général, même lorsqu’elles se matérialisent sous une forme publicitaire »[31]. La Cour constitutionnelle fait sienne la position de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière : la liberté d’expression couvre aussi (et peut-être surtout) l’expression d’idées « qui ‘choquent, inquiètent ou heurtent’ l’État ou une fraction de la population ». Elle ajoute : « Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique »[32]. La limite de cette protection étendue est à trouver dans la distinction à faire entre le débat d’idées, même virulent ou dérangeant, et le discours de haine ou d’incitation à la haine et à la discrimination dont les auteurs ne sont, eux, pas protégés par la liberté d’expression et sont passibles de poursuites pénales[33]. Les mêmes principes sont applicables à l’expression artistique[34].
La liberté de la presse est essentielle à la démocratie. Les journalistes jouissent d’une liberté d’expression étendue, qui comprend aussi un droit à garder leurs sources secrètes, pour « permettre à la presse de jouer son rôle de « chien de garde » et d’informer le public sur des questions d’intérêt général »[35].
L’information à caractère commercial est protégée par la liberté d’expression[36]. En pratique, on observe cependant que les restrictions admissibles en ce domaine peuvent être importantes. Ainsi, la protection de la santé justifie des limitations importantes – voire l’interdiction – de la publicité pour le tabac et les produits du tabac[37] ou encore les restrictions apportées aux possibilités de publicités commerciales par les pharmaciens[38]. De même, la Cour admet l’interdiction de la publicité pour les établissements d’enseignement supérieur à la radio et à la télévision, dès lors que le législateur décrétal a « postulé qu’un choix d’études erroné est une des causes des faibles taux de réussite et qu’une diffusion sans nuance d’informations est une des causes de choix d’études erronés »[39].
Il peut être tenu compte de l’identité de la personne visée par les propos litigieux dans l’appréciation de la proportionnalité de la restriction à la liberté d’expression ou de la répression de l’usage qui en a été fait. En règle générale, on considère que les femmes et les hommes politiques doivent admettre de tolérer assez largement la critique, tant qu’elle concerne leurs positions politiques et leur vie publique. En revanche, leur vie privée doit en principe être protégée, même si à l’époque des réseaux sociaux, il n’est pas toujours facile de faire la différence entre vie privée et vie publique.
En 2020, la Cour a été saisie d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité avec la liberté d’expression de l’article 1er de la loi du 6 avril 1847 portant répression des offenses envers le Roi, qui réprime notamment les discours, cris ou menaces publics constituant une offense envers la personne du Roi de manière nettement plus lourde[40] que les injures adressées aux particuliers. La Cour a d’abord estimé qu’il y avait lieu de tenir compte, d’une part, du fait que la disposition en cause avait été adoptée dans un contexte historique fondamentalement différent du contexte actuel et, d’autre part, de l’évolution des conceptions sur ce qui peut être jugé nécessaire dans une société démocratique. Elle a ensuite rappelé[41] : « L’expression d’opinions critiques à l’encontre d’institutions ou de personnalités publiques, parmi lesquelles le Roi, ou à l’encontre du système constitutionnel d’un État, même si elles choquent, inquiètent, heurtent ou s’inscrivent dans un débat politique ou dans un débat sur des matières d’intérêt général, relève, en principe, de la protection de la liberté d’expression, sauf lorsqu’il s’agit de propos qui incitent à la violence ou qui constituent un discours de haine, auquel cas ce dernier terme « doit être compris comme couvrant toutes formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance »[42] et « L’exercice de la liberté d’expression, même dans le cadre d’un débat politique ou d’un débat sur des matières d’intérêt général, implique néanmoins certaines obligations et responsabilités, notamment l’obligation de principe de ne pas franchir certaines limites censées protéger la réputation et les droits d’autrui »[43]. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour considère que « l’intérêt que pourrait avoir un État à protéger la réputation du chef d’État ne saurait justifier l’octroi à celui-ci d’un privilège ou d’une protection particulière en ce qui concerne les opinions exprimées à son encontre »[44] et en conclut que l’ingérence dans la liberté d’expression occasionnée par la disposition en cause, en ce que cette disposition offre au Roi une protection plus large que celle qui est offerte à d’autres personnes, n’est pas justifiée, parce que « ni l’irresponsabilité [politique] du Roi ni la position de symbole qu’il occupe dans l’État ne sauraient justifier que la réputation du Roi soit davantage protégée que la réputation d’autres personnes »[45].
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
La liberté d’expression est largement reconnue aux personnes privées, aux personnes publiques, aux personnes physiques[46] et aux personnes morales[47] ou groupements, quelle que soit par ailleurs leur nationalité[48]. Son étendue peut être modulée en fonction de l’auteur de l’expression (voir question 9), de son contenu ou du domaine dans lequel elle s’exerce (voir question 7) ou encore de la personnalité mise en cause dans le message (voir question 7).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression vaut pour toute personne, mais les fonctionnaires et, singulièrement, les magistrats, les militaires et les policiers, peuvent être soumis à une obligation de réserve.
La Cour a jugé que la disposition qui prévoit que les membres des services de police (gendarmerie) doivent s’abstenir « en toutes circonstances, de manifester publiquement leurs opinions politiques et de se livrer à des activités politiques » n’est pas manifestement disproportionnée à l’objectif de garantir un service de police efficace dont l’impartialité est incontestable, au bénéfice des autorités et des citoyens, en vue de protéger le bon fonctionnement de la démocratie[49].
Les enseignants, dont le statut peut être rapproché, à certains égards, de celui des agents de l’État, jouissent en revanche d’une liberté d’expression étendue, dès lors que la liberté d’expression constitue un aspect de la liberté active de l’enseignement. En particulier, les enseignants du supérieur bénéficient de la liberté académique, ce qui signifie que les chercheurs, notamment universitaires, doivent jouir, dans l’intérêt même du développement du savoir et du pluralisme des opinions, d’une très grande liberté pour mener des recherches et exprimer leurs opinions dans l’exercice de leurs fonctions[50].
Le devoir de réserve qui s’impose aux magistrats de la Cour constitutionnelle a été décrit comme ceci par le Président Pierre Nihoul dans une publication récente : « Ce devoir implique qu’ils s’abstiennent d’émettre une opinion sur une affaire en cours ou sur les arrêts rendus par la Cour ou de les commenter. Ce devoir est également valable à l’égard des arrêts rendus par un siège de la Cour dont ils ne faisaient pas partie. Ce devoir s’étend également aux sujets qui pourraient donner lieu à une procédure devant la Cour. Les juges s’abstiennent dès lors de répondre aux sollicitations des médias, des parties ou même des chercheurs et étudiants sur les sujets de droit ou de société qui pourraient être soumis à la Cour. Dans la pratique, le respect de cette obligation n’a jamais posé de difficultés à la Cour »[51].
Cette synthèse de ce qu’implique le devoir de réserve peut être étendue à l’ensemble des magistrats belges, qu’ils appartiennent à l’ordre judiciaire ou aux juridictions administratives. Au-delà de ce devoir de réserve, les magistrats jouissent, comme tout citoyen, de la liberté d’expression, ce qui impose parfois d’opérer une délicate balance des intérêts entre la liberté du magistrat et son devoir d’impartialité. Le Tribunal disciplinaire francophone a jugé à cet égard que « [d]ans une société démocratique, le magistrat a non seulement le droit, mais le devoir de s’exprimer sur le fonctionnement du système judiciaire »[52], ce qui indique une position plutôt favorable à la liberté d’expression des magistrats, considérant que le fonctionnement du système judiciaire est un sujet d’intérêt général qui doit jouir à ce titre d’une large protection en termes de liberté d’expression.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle de Belgique n’était, à l’origine, compétente que pour trancher les conflits de compétences entre les différents législateurs issus du processus institutionnel de fédéralisation de la Belgique. Elle a acquis progressivement la compétence de contrôler le respect, par ces différents législateurs, des droits et libertés fondamentaux garantis en Belgique. Cette évolution s’est faite par étapes, pour des raisons tenant à l’évolution institutionnelle du pays dont l’exposé dépasserait le cadre de la présente conférence. À partir de 1989, elle est compétente pour contrôler le respect du principe d’égalité et de non-discrimination ainsi que les droits fondamentaux en matière d’enseignement. Dès ce moment, elle va étendre elle-même sa compétence en matière de contrôle du respect des droits fondamentaux en combinant le principe d’égalité et de non-discrimination avec les autres droits et libertés. On peut donc affirmer que la Cour est en mesure de contrôler le respect de la liberté d’expression garantie par la Constitution dès 1989. En 2003, la compétence de la Cour a été formellement étendue, par la loi spéciale, au contrôle de tous les droits et libertés garantis par le Titre II de la Constitution.
Le premier arrêt de la Cour rendu en matière de liberté d’expression porte le numéro 62/93 et la date du 15 juillet 1993.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
En termes quantitatifs, la violation de la liberté d’expression n’est pas le grief le plus souvent invoqué devant la Cour, loin s’en faut. À titre d’exemple, en 2022, la Cour n’a connu qu’une affaire mettant en jeu cette liberté fondamentale. En 2021, 10 affaires ont amené la Cour à en connaitre. Ce grief vient loin derrière d’autres dispositions constitutionnelles, beaucoup plus fréquemment invoquées, telle la disposition garantissant le droit à la vie privée et familiale (invoqué à 10 reprises en 2022, à 20 reprises en 2021), la disposition proclamant les droits culturels, économiques et sociaux (invoqué à 13 reprises en 2022, à 22 reprises en 2021), les dispositions garantissant le droit de propriété (15 occurrences en 2022, 17 occurrences en 2021) et les droits des contribuables (13 occurrences en 2022, 17 occurrences en 2021). On ne peut donc pas dire que la liberté d’expression occupe, du point de vue quantitatif, une place particulière dans la jurisprudence de la Cour. Il est possible, mais difficilement vérifiable que le fait que la violation de la liberté d’expression soit moins invoquée que la violation d’autres droits fondamentaux soit dû au fait qu’il s’agit d’une liberté assez bien respectée par les pouvoirs législatifs belges[53].
En termes qualitatifs, il ne semble pas non plus que l’on doive reconnaître une place particulière à la liberté d’expression, si ce n’est que la Cour répète régulièrement qu’elle constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique (cf. 3e thème, ci-dessous). Le contrôle de la Cour en matière de liberté d’expression suit le même schéma que celui que la Cour exerce pour d’autres droits et libertés fondamentaux : recherche de l’objectif poursuivi par la disposition constituant une ingérence dans l’exercice de la liberté, examen de la nécessité de l’ingérence et de sa proportionnalité.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
En règle générale, on ne saurait hiérarchiser les droits et libertés a priori et de manière non contextualisée. Lorsque deux droits ou libertés fondamentaux entrent en concurrence, la Cour cherche à déterminer si une juste balance des intérêts entre les deux a été opérée par le législateur. Cette balance tient compte de l’importance de l’objectif poursuivi et de l’ampleur de l’ingérence constatée dans le droit ou la liberté qui doit la subir. Ainsi, la Cour, s’inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[54], estime-t-elle :
« Lorsque le droit au respect de la vie privée risque d’entrer en conflit avec la liberté d’expression, il convient de ménager un juste équilibre entre ces droits et libertés, qui méritent une protection équivalente. Le législateur dispose d’une marge d’appréciation lorsqu’il élabore un régime légal qui assure le respect de la vie privée dans la sphère des relations entre les individus. Il existe en effet plusieurs manières différentes d’assurer le respect de la vie privée et la nature de l’obligation dépend de l’aspect spécifique de la vie privée qui se trouve en cause. Dans le même sens, le législateur dispose d’une marge d’appréciation pour juger de la nécessité et de l’ampleur d’une ingérence dans la liberté d’expression. Cette marge d’appréciation du législateur n’est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a ménagé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées »[55].
Il existe cependant des domaines dans lesquels on peut supposer que des valeurs sont jugées particulièrement fondamentales par la Cour, de sorte que la liberté d’expression doit céder face à la sauvegarde de ces valeurs : la Cour admet toujours les limitations de la liberté d’expression – à condition qu’elles soient nécessaires et proportionnées à la sauvegarde de la valeur en question – lorsqu’il est question de lutter contre le négationnisme[56], le racisme et la xénophobie[57], le sexisme[58] ou l’incitation à la discrimination sur la base d’un des critères généralement protégés par les conventions internationales (origine ethnique, état de santé, handicap, orientation sexuelle …)[59]. On peut rapprocher ceci de l’attitude de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que certains types de propos peuvent être purement et simplement exclus de la protection de l’article 10 de la Convention par le jeu de l’article 17 de celle-ci. Cet article 17 dispose notamment qu’aucune disposition de la Convention ne pourrait être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, le droit de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention. Sur cette base, la Cour européenne des droits de l’homme exclut de la sphère de la protection de l’article 10 les propos racistes, négationnistes, antisémites ou islamophobes[60]. En tout état de cause, il ne fait guère de doute pour la Cour européenne des droits de l’homme comme pour la Cour constitutionnelle belge que l’ingérence dans la liberté d’expression justifiée par l’objectif de lutter contre le racisme, le négationnisme, l’appel à la violence ou à la discrimination ou le sexisme est nécessaire dans une société démocratique.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Il n’est pas possible de repérer une variation ou une évolution de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression, probablement parce que, dès lors que la Cour opère un contrôle de proportionnalité et, le cas échéant, une balance des intérêts en présence, le résultat de ce contrôle est fortement influencé par les caractéristiques de chaque espèce. L’énoncé des principes est, quant à lui, stable et fortement inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (voir thème 1, question 4 et ci-dessous, question 7).
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Sans objet.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
L’influence la plus directe exercée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur celle des juridictions de fond découle du mécanisme même de la question préjudicielle (exception d’inconstitutionnalité). Lorsqu’est soulevée devant une juridiction une question de compatibilité d’une disposition législative avec la liberté d’expression, cette juridiction est généralement tenue de soumettre la question à la Cour constitutionnelle et elle est obligée de tenir compte de la réponse de celle-ci dans la suite de la procédure. En principe, la réponse de la Cour constitutionnelle ne s’impose que pour la solution du litige dans le cadre duquel elle a été posée. Toutefois, on observe que les arrêts de la Cour rendus au contentieux préjudiciel jouissent d’une autorité de chose jugée « relative renforcée ». En effet, les autres juridictions confrontées à la même interrogation à l’occasion d’autres litiges peuvent décider de ne pas poser[61] la même question préjudicielle si elles se conforment à la réponse que la Cour a déjà donnée. De cette manière, les juridictions sont amenées à appliquer la jurisprudence de la Cour, notamment en matière de liberté d’expression. Il faut souligner ici encore, par ailleurs, que dès lors que la jurisprudence de la Cour est elle-même fortement influencée par celle de la Cour européenne des droits de l’homme et que l’ensemble des juridictions belges est généralement attentif à cette même jurisprudence, l’influence la plus directe sur leur jurisprudence provient certainement autant de la Cour européenne des droits de l’homme que de la Cour constitutionnelle.
Les influences sont souvent, comme le souligne la question, mutuelles et même circulaires. Un exemple d’influence exercée sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle par celle du Conseil d’État est donné en matière d’accès aux documents administratifs qui, comme dit ci-dessus, fait partie de la liberté d’accès à l’information, laquelle fait, à son tour, partie de la liberté d’expression au sens large. Par l’arrêt n° 43/2020, la Cour fait sienne la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle « chaque recours à une disposition d’exception doit faire l’objet d’une motivation concrète qui renvoie aux données spécifiques, propres à l’affaire. Aucun motif d’exception ne peut justifier qu’un administré se voie systématiquement refuser la publicité de l’administration » et « Il ne suffit pas […] d’invoquer de manière abstraite le motif d’exclusion pour refuser la publicité. Il y a lieu de vérifier concrètement si, au moment où elle est demandée, la publicité porte effectivement atteinte à la protection de la vie privée ». La Cour en déduit que des motifs d’exclusion d’accès aux documents administratifs qui se présentaient comme absolus doivent, pour être compatibles avec le droit d’accès aux documents administratifs, être interprétés comme étant relatifs.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Comme déjà dit ci-dessus (voir thème 1, question 4), la Cour constitutionnelle s’appuie constamment, en matière de liberté d’expression, sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle est plus abondante et plus variée que celle de la Cour constitutionnelle. Tous les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression contiennent un renvoi, une référence ou une citation de la jurisprudence strasbourgeoise. La Cour emprunte à la Cour européenne des droits de l’homme non seulement l’énoncé des principes et le vocabulaire, mais aussi la méthode et les standards de contrôle des ingérences dans la liberté d’expression et de la presse et, lorsque c’est possible, les solutions dégagées par celle-ci. La technique dite de « l’ensemble indissociable » (voir thème 1, question 1) permet à la Cour non seulement d’utiliser la Convention européenne des droits de l’homme comme norme de contrôle, mais également d’intégrer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’ensemble de ses sources.
À titre d’exemple, il est clair que la position de la Cour constitutionnelle suivant laquelle la communication commerciale est couverte par la liberté d’expression est directement influencée par la jurisprudence strasbourgeoise à ce sujet :
« L’information à caractère commercial est protégée par la liberté d’expression (CEDH, 20 novembre 1989, Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, § 26 ; 24 février 1994, Casado Coca c. Espagne, § 50 ; grande chambre, 13 juillet 2012, Mouvement raëlien c. Suisse, § 61 ; 30 janvier 2018, Sekmadienis Ltd. c. Lituanie) »[62].
Il en va de même de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la question soumise à la Cour s’inscrit dans le champ du droit européen :
« Selon la Cour de justice, ‘une transmission des données relatives au trafic et des données de localisation à des autorités publiques à des fins sécuritaires est susceptible […] d’entraîner des effets dissuasifs sur l’exercice par les utilisateurs […] de leur liberté d’expression, garantie à l’article 11 de la Charte. De tels effets dissuasifs peuvent affecter en particulier les personnes dont les communications sont soumises, selon les règles nationales, au secret professionnel ainsi que les lanceurs d’alertes dont les activités sont protégées par la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. En outre, ces effets sont d’autant plus graves que le nombre et la variété des données conservées sont élevés’ (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2020, C-623/17, Privacy international, point 72 ; voir dans le même sens CJUE, grande chambre, 8 avril 2014, C-293/12 et C-594/12, Digital Rights Ireland e.a., point 28 ; 21 décembre 2016, C-203/15 et C-698/15, Tele2 Sverige e.a., point 101 ; 6 octobre 2020, C- 511/18, C-512/18 et C-520/18, La Quadrature du Net e.a., point 118) »[63].
De manière générale, la Cour constitutionnelle ne s’inspire pas explicitement des jurisprudences des juridictions constitutionnelles d’autres pays, sauf cas exceptionnels. Il n’y a pas d’exemples en matière de liberté d’expression.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La conciliation entre la liberté d’expression et d’autres droits et libertés résulte toujours d’une balance des intérêts en présence (voir aussi ci-dessus, thème 2, question 3). Il s’en déduit que cette conciliation est extrêmement casuistique et que, suivant le cas d’espèce, la priorité sera donnée à la liberté d’expression ou à l’autre droit en balance.
En principe, si le but poursuivi par la mesure qui occasionne une ingérence dans la liberté d’expression est la sauvegarde ou la protection d’un autre droit fondamental ou d’une autre liberté publique, ce but sera considéré comme légitime et nécessaire dans une société démocratique. Ainsi, la Cour admet que la protection des droits et de la réputation d’autrui est un but légitime[64], de même que la protection de la santé publique[65], la lutte contre l’inégalité sur la base du sexe[66], ou encore la lutte contre la diffusion du racisme.[67] Dans chaque affaire, le juge, qu’il s’agisse de la Cour constitutionnelle, du juge judiciaire ou d’une juridiction administrative, va donc être amené à rechercher si l’ingérence dans la liberté d’expression est pertinente pour atteindre ce but et si elle est proportionnée à l’importance de l’objectif. Ce contrôle de proportionnalité peut inclure, dans certains cas, une recherche de l’existence de mesures aussi efficaces, mais entraînant un effet moindre sur la liberté d’expression.
La Cour n’a jamais eu à connaitre d’une législation relative au blasphème ou à la critique de la religion (voir aussi thème 1, question 6). La liberté d’expression n’a donc jamais été opposée, dans la jurisprudence de la Cour, à la protection des droits des croyants. En d’autres termes, la protection des droits des croyants ou d’une religion, quelle qu’elle soit n’a jamais été invoquée comme objectif poursuivi en vue de justifier une atteinte à la liberté d’expression. Par contre les mesures portant atteinte à la liberté de religion ou de croyance sont aussi appréhendées comme des ingérences dans la liberté d’expression. Il en va par exemple, des interdictions de porter certaines tenues vestimentaires ou d’arborer des signes convictionnels[68].
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Il est impossible de répondre à cette question de manière générale et abstraite. À chaque occasion, comme dit ci-dessus (voir question 8), la Cour procède à une balance des intérêts en présence et recherche si la mesure en cause satisfait au test de proportionnalité. Cet examen conduit tantôt à faire prévaloir l’intérêt général, tantôt les droits d’une catégorie de personnes, suivant les circonstances.
À titre d’exemples, on peut mentionner :
– un cas dans lequel la balance des intérêts penche en faveur de la liberté d’expression d’une personne ou d’une catégorie de personnes, par rapport à l’intérêt général ou aux intérêts de l’État : une régulation préventive de la publicité en faveur de l’achat d’animaux, en vue de limiter les achats impulsifs et de contribuer ainsi au bien-être des animaux, a été jugée incompatible avec la liberté d’expression parce que l’exercice de la liberté d’expression en matière commerciale par de nombreux détenteurs, vendeurs et éleveurs d’animaux était ainsi subordonné à une mesure préventive dont le contenu, la nature et la portée n’avaient pas été déterminés[69].
– un cas dans lequel la balance des intérêts penche en faveur de la liberté d’expression d’une personne ou d’une catégorie de personnes, par rapport à l’intérêt général ou aux intérêts de l’État : l’érection en infraction de la diffusion de certains messages ou toute autre manière de les mettre à la disposition du public avec l’intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, lorsque cette diffusion n’implique pas de risque qu’une ou plusieurs infractions terroristes puissent être commises, porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression[70].
– un cas dans lequel la balance des intérêts penche en faveur de l’intérêt général et permet de justifier l’ingérence ou la limitation de la liberté d’expression : une interdiction totale de publicité et d’affichage pour les produits du tabac, qui porte atteinte à la liberté d’expression des annonceurs et des producteurs de produits du tabac, est justifiée par l’objectif de santé publique visant à réduire la consommation de ces produits, surtout chez les jeunes[71].
– un cas dans lequel la balance des intérêts penche en faveur de l’intérêt général et permet de justifier l’ingérence dans la liberté d’expression : l’objectif de lutter contre les paroles et les comportements sexistes, qui portent atteinte à la valeur fondamentale de l’égalité des hommes et des femmes, justifie que des sanctions pénales soient prévues en cas de comportements attentatoires à la dignité humaine de la personne à cause de sa simple appartenance à un sexe, de cas dans lesquels est exprimé un mépris envers un sexe, une croyance fondamentale en l’infériorité intrinsèque d’un sexe[72]. Il faut souligner que la Cour fait à cette occasion une balance précise et qu’elle aboutit à cette conclusion après avoir relevé que l’infraction exige une intention spéciale (voir aussi ci-dessous, question 10).
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La liberté d’expression n’est pas absolue. Elle peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la protection des objectifs mentionnés dans les dispositions conventionnelles cités en réponse à la question 1, thème 1.
Pour le contrôle de la constitutionnalité et de la conventionnalité des ingérences dans la liberté d’expression, deux outils principaux sont mobilisés :
– le contrôle de légalité : pour être admise, l’ingérence dans la liberté d’expression doit être prévue par une loi (légalité formelle) suffisamment accessible et précise (légalité matérielle)[73] : par exemple, une disposition qui conditionne la reconnaissance d’une communauté religieuse locale au fait qu’elle ne reçoive aucune financement ou soutien étranger qui « affecte l’indépendance de la communauté religieuse » et les explications qu’en a données le législateur ne permettent pas « de déterminer de manière suffisamment prévisible quel financement ou soutien étranger est autorisé » et violent la liberté de religion et d’expression pour ce motif[74].
– le contrôle de nécessité dans une société démocratique, qui est en réalité un contrôle de proportionnalité : Les ingérences dans la liberté d’expression ne sont admises par la Cour que si elles satisfont au test de proportionnalité : il faut que la mesure soit justifiée par la poursuite d’un objectif légitime et impérieux et que l’ingérence n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. La Cour admettait par exemple en 2000 que la nécessité d’organiser et d’attribuer les fréquences hertziennes justifie que celles-ci soient réservées aux émissions locales et que les radios privées ne puissent émettre au plan national[75]. Pour prendre un autre exemple, la Cour estime à la suite de la Cour européenne des droits de l’homme que « lorsqu’il s’agit de prendre des mesures qui peuvent limiter la liberté d’expression, l’État doit éviter de recourir à des mesures pénales lorsque d’autres mesures, telles que des sanctions civiles, permettent d’atteindre l’objectif poursuivi »[76]. Lorsque le législateur estime qu’il est tout de même nécessaire de recourir à l’outil de l’incrimination pénale, le contrôle de proportionnalité exercé par la Cour est rigoureux : « Il ne peut donc s’agir d’une infraction dont l’existence serait présumée dès lors que les éléments matériels en sont réunis. Il appartient à la partie poursuivante de prouver l’existence du dol spécial requis.(…) L’exigence, d’une part, d’un dol spécial et, d’autre part, que l’infraction ait eu pour conséquence d’avoir gravement porté atteinte à la dignité de personnes déterminées exclut que puissent être incriminés, en l’absence d’un tel élément intentionnel ou d’un tel effet à l’égard d’une personne déterminée, les pamphlets, les plaisanteries, les caricatures, les opinions et, singulièrement, les opinions relatives à la place et au rôle différents des personnes en fonction de leur sexe au sein de la société, les publicités et toute expression qui, faute du dol spécial requis, relève de la liberté d’expression »[77]. Ainsi, si la Cour constate que l’ingérence dans la liberté d’expression causée par l’incrimination pénale est disproportionnée ou qu’elle n’est pas nécessaire dans une société démocratique, par exemple parce qu’il n’est pas prouvé que les propos incriminés ont créé un risque de passage à l’acte de terrorisme, elle annule la disposition attaquée[78].
- 11. Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Si la sauvegarde de l’ordre public est assurément un motif permettant de justifier une atteinte à la liberté d’expression en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour rappelle toutefois qu’il y a toujours lieu de tenir compte du respect de la liberté d’expression[79]. Le motif de sauvegarder l’ordre public ne saurait annihiler le contrôle opéré par la Cour sur l’atteinte à la liberté. Dès lors, il en va de la sauvegarde de l’ordre public comme de tous les autres motifs justifiant une ingérence ou une limitation de la liberté d’expression : l’ampleur de l’ingérence doit se trouver dans un juste rapport de proportionnalité par rapport à l’importance de l’objectif. L’arrêt n° 31/2018, rendu à propos de l’incrimination d’incitation au terrorisme, cité ci-dessus, en est un bon exemple. La Cour a jugé que l’objectif de simplifier la preuve de l’incitation au terrorisme ne pouvait justifier la suppression de la référence, dans la définition de l’infraction, au risque que les propos aient mené à la commission d’infractions terroristes.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Non.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Il n’y a pas d’exemple, dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Belgique, dans lequel elle a « réservé un régime juridique particulier » à la liberté d’expression. Par ailleurs, la Constitution elle-même ne prévoit pas de régime particulier de cette liberté en fonction de certaines circonstances.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La censure est une interdiction de faire usage de la liberté d’expression. Dès lors qu’il s’agit d’une mesure préventive, elle est en principe interdite par l’article 19 de la Constitution belge (voir thème 1, question 1). La Cour constitutionnelle l’a rappelé à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu en 2021 concernant la liberté d’expression en matière commerciale. Un des législateurs belges avait, en vue de lutter contre les achats impulsifs d’animaux qui conduisent fréquemment à des abandons, ce qui nuit au bien-être de ceux-ci, limité la possibilité de faire de la publicité pour les achats et les dons d’animaux destinés à des fins de production agricole à trois possibilités, dont, notamment à la publicité dans un groupe fermé sur des réseaux sociaux. Le législateur avait en outre habilité le pouvoir exécutif à définir les modalités d’utilisation des groupes fermés, ainsi qu’un régime d’enregistrement préalable à l’utilisation de ces groupes fermés. Saisie de recours contre cette disposition, la Cour constate d’abord que ce régime d’encadrement de la publicité en vue de la commercialisation ou de la donation d’animaux entre dans le champ d’application de la liberté d’expression. La Cour juge ensuite que la mesure attaquée n’est pas compatible avec la liberté d’expression en ces termes : « Compte tenu de l’interdiction, mentionnée à l’article 19 de la Constitution, de soumettre la liberté d’expression à des restrictions préventives, le législateur décrétal peut habiliter le Gouvernement à réglementer l’exercice de cette liberté pour autant que cette réglementation ne subordonne pas la diffusion de messages, quel que soit leur caractère, à la condition de remplir des exigences préalables qui pourraient dissuader des individus de faire usage de leur liberté, ce qui s’assimilerait à une mesure préventive. La disposition attaquée permet au Gouvernement de prévoir les modalités d’utilisation des groupes fermés sur les réseaux sociaux et un régime d’enregistrement préalable à leur utilisation avant que des publicités puissent être diffusées sur ceux-ci. Un tel enregistrement préalable signifie que les auteurs ou participants d’un groupe fermé sur les réseaux sociaux doivent enregistrer leur groupe publicitaire avant de pouvoir exercer leur liberté. En effet, il est interdit de diffuser un message commercial dans un groupe fermé sans que ce groupe soit enregistré auprès de l’autorité. L’exercice de la liberté d’expression en matière commerciale par de nombreux détenteurs, vendeurs et éleveurs d’animaux est ainsi subordonné à une mesure préventive dont le contenu, la nature et la portée n’ont pas été déterminés. »[80]
Il ressort de cet arrêt que les mesures préventives sont celles qui pourraient avoir pour but ou pour effet de dissuader les individus de faire usage de la liberté d’expression. Elles ne sont généralement pas admissibles, car la volonté du Constituant a été « de n’autoriser en règle le législateur à prévoir des mesures sanctionnant l’usage abusif de la liberté d’expression qu’après que celle-ci a été exercée »[81]. La Cour considère que l’interdiction de la censure implique « que l’intervention judiciaire n’est possible que lorsqu’une diffusion a déjà eu lieu »[82]. En revanche, les dispositions qui prévoient l’incrimination de certains propos, telle l’incitation à la haine ou à la discrimination, ne contiennent pas de mesures préventives puisqu’elles visent des propos déjà tenus. Ces dispositions peuvent être jugées compatibles avec la liberté d’expression, à condition qu’elles soient proportionnées à l’objectif poursuivi[83].
De manière exceptionnelle, la Cour a admis qu’un législateur adopte une mesure limitant la liberté d’expression de manière préventive. Il s’agissait d’une disposition permettant au Conseil de la radio et de la télévision d’intervenir préventivement en interdisant la diffusion d’une émission dans le cas où une infraction évidente, importante et grave à l’interdiction de diffuser des programmes nuisibles aux mineurs était commise[84]. La Cour prend soin de préciser, dans cette hypothèse, que la suspension de la retransmission du programme litigieux n’est possible que lorsque l’organisme de diffusion a déjà enfreint à deux reprises au moins la disposition en cause au cours des douze mois précédents, ce qui en garantit la proportionnalité.
La calomnie et la diffamation sont définies par l’article 443 du Code pénal belge : « Celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l’honneur de cette personne ou à l’exposer au mépris public, et dont la preuve légale n’est pas rapportée, est coupable de calomnie lorsque la loi admet la preuve du fait imputé, et de diffamation lorsque la loi n’admet pas cette preuve. »
La diffamation est une infraction pénale compatible avec la liberté d’expression garantie par l’article 19 de la Constitution puisqu’elle ne constitue pas une mesure préventive. Elle est également compatible avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui autorise les sanctions en vue de protéger la réputation ou les droits d’autrui.
La Cour constitutionnelle n’a pas eu à connaitre de cas de diffamation, si ce n’est dans l’hypothèse spécifique des dispositions incriminant le négationnisme. Faisant sienne l’appréciation de la Cour européenne des droits de l’homme dans la décision sur la recevabilité Roger Garaudy c. France, du 24 juin 2003, elle estime que « la négation ou la minimisation de l’Holocauste » doit être considérée comme « l’une des formes les plus aigües de diffamation raciale envers les Juifs et d’incitation à la haine à leur égard »[85]. Compte tenu de l’importance de l’objectif poursuivi, qui consiste à protéger les droits et la réputation d’autrui, la Cour considère que cette incrimination n’est pas contraire à la liberté d’expression.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les textes restrictifs de la liberté d’expression ou comportant une ingérence dans l’exercice de cette liberté sont jugés par la Cour constitutionnelle compatibles avec l’article 19 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 11, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’ils poursuivent un objectif d’intérêt général, si la mesure qu’ils mettent en œuvre est adéquate pour atteindre cet objectif et si elle satisfait au test de proportionnalité.
La Cour n’a pas été saisie de recours ou de questions préjudicielles concernant la compatibilité des lois de régulation des réseaux sociaux ou des fournisseurs d’Internet avec la liberté d’expression.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Cf. la réponse à la question précédente. Il n’est pas possible de répondre à cette question, à ce jour, étant donné l’absence de jurisprudence pertinente.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Durant la campagne électorale, les médias audiovisuels sont tenus de respecter un règlement, adopté par le collège d’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel[86] qui encadre leur responsabilité dans la couverture des élections. Chaque média définit lui-même comment il entend couvrir la période de campagne, en fonction de sa liberté éditoriale, mais les modalités qu’il adopte doivent respecter certains principes (équilibre, représentativité, interdiction de diffuser des propos ou des images incitant à la haine et à la discrimination…) qui sous-tendent l’esprit démocratique prévalant en toute période électorale.
L’obligation d’adopter des lignes conduites claires et transparentes quant à la couverture de la période électorale concerne les médias audiovisuels et les services en ligne (podcasts, vlogs, catalogues de vidéos …), mais pas les services ouvertement partisans, édités par des partis ou par des candidats.
La Cour constitutionnelle de Belgique n’a pas de compétences en matière de surveillance des élections ou de contentieux électoral.
À une occasion, la Cour a laissé entendre qu’elle pourrait faire une différence entre période électorale et période non électorale. Il s’agissait d’une interdiction faite aux éditeurs de services audiovisuels de diffuser de la publicité pour les partis politiques. La Cour a constaté que cette interdiction avait un caractère absolu et permanent et qu’elle ne se limitait pas à la campagne électorale. Elle en a conclu qu’en raison de ce caractère absolu et permanent, elle n’était pas raisonnablement justifiée[87].
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non.
Par rapport aux influences étrangères, mais dans un autre contexte que le contexte électoral, il peut être renvoyé à l’arrêt n° 133/2023, déjà cité en réponse à la question 6 du thème 1, par lequel la Cour a jugé que la condition de ne pas recevoir d’aide ou de financement étranger qui affecte l’indépendance pour être reconnu comme communauté religieuse locale et bénéficier des garanties et avantages liés à ce statut était disproportionnée.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
L’article 187 de la Constitution dispose : « La Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie ». Il en résulte que les libertés garanties par la Constitution ne peuvent être niées ou suspendues au motif que l’État connaitrait une situation d’urgence ou de trouble. Les restrictions « ordinaires », dûment justifiées par l’objectif poursuivi et satisfaisant au test de proportionnalité sont possibles en période de troubles de la même manière qu’en période non troublée, la situation de trouble étant le cas échéant prise en considération dans l’examen de la proportionnalité, mais la suspension totale des libertés ne peut jamais être justifiée, même en période troublée[88]. C’est ce que confirme la Cour constitutionnelle en ces termes : « une simple limitation d’un droit fondamental n’est pas, en soi, contraire à l’article 187 de la Constitution [surtout si] le contrôle juridictionnel prévu par la Constitution reste intact »[89].
Il n’y a pas d’exemple, dans l’histoire récente de Belgique, dans lequel la liberté d’expression des citoyens ou des médias aurait été limitée par le législateur en raison d’une période de troubles.
Toutefois, la récente crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 donne matière à réflexion.
Tout d’abord, dès lors que le confinement généralisé interdisait les rassemblements de plusieurs personnes, à l’intérieur, mais également en plein air, il est évident que la liberté de réunion et le droit de manifestation, qui sont des façons collectives d’exercer la liberté d’expression, ont été fortement restreints, voire tout à fait annihilés à certaines périodes. Il en va de même de la liberté de religion, dès lors que l’exercice collectif des cultes a été interdit pendant plusieurs semaines ou que l’assistance au culte a été drastiquement limitée, pour certaines périodes, à 15 personnes. Il en va encore ainsi de certaines formes d’expression artistique, telles que les arts de la scène. La Cour constitutionnelle n’a pas été saisie de ces mesures, qui échappaient à sa compétence, car elles étaient d’ordre réglementaire. Le Conseil d’État de Belgique les a, pour sa part, validées dans l’ensemble, considérant notamment que les citoyens à qui il était interdit de manifester ou de se réunir conservaient leur liberté d’expression, laquelle pouvait s’exprimer par d’autres moyens[90], ou encore qu’étant donné l’importance du but de santé publique poursuivi dans la situation pandémique provoquée par le virus, les restrictions à la liberté de professer sa religion collectivement n’étaient pas disproportionnées[91]. Dans deux affaires, le Conseil d’État a cependant constaté que les mesures adoptées pour contenir la pandémie portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Il a ainsi ordonné à l’État belge d’adopter des mesures provisoires, en concertation avec les représentants des cultes reconnus et de la morale non confessionnelle, remplaçant des mesures qu’il avait jugées disproportionnées dès lors qu’elles prévoyaient une jauge tellement basse qu’elles rendaient impossibles certains cultes exigeant un nombre minimum de fidèles présents[92]. Il a aussi suspendu une mesure, prise au cours du second confinement et ordonnant la fermeture des salles de spectacle, pour défaut de démonstration de la proportionnalité de cette ingérence dans, notamment, la liberté d’expression[93].
Ensuite, comme partout dans le monde, s’est posée la question de la désinformation et du danger que celle-ci pouvait faire courir en termes de santé publique (les affirmations fantaisistes pouvant faire croire au public, soit qu’il n’y avait pas de pandémie, soit que des remèdes farfelus étaient efficaces), ainsi que la crainte, liée à cette question, que la crise sanitaire ne serve de prétexte aux autorités pour réduire la liberté d’expression des médias et, en corollaire, l’accès au public à l’information. Le Conseil de l’Europe a, dans ce contexte, rappelé ses lignes directrices sur la protection de la liberté d’expression et d’information en temps de crise[94], et souligné l’importance d’un journalisme fiable, fondé sur des règles professionnelles et éthiques, pour informer le public et surveiller les mesures prises face à la pandémie[95]. Dans le même contexte, il a aussi été rappelé que la lutte contre la désinformation ne saurait justifier la censure : selon la Commission de Venise, « il n’est pas certain qu’il existe un motif valable pour […] restreindre [la liberté d’expression] en situation d’urgence » et les principes de nécessité et de proportionnalité « appellent à n’activer et appliquer qu’avec la plus grande prudence les mesures qui affectent la liberté des médias »[96]. La Cour constitutionnelle de Belgique n’a été saisie d’aucune affaire mettant en jeu une restriction de la liberté d’expression en ce sens due au contexte de crise sanitaire[97].
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Comme dit ci-dessus, la Constitution belge ne permet pas que les droits et libertés soient suspendus en raison de la survenance d’une période de troubles. La Cour ne saurait donc retenir a priori une définition différente des concepts intervenant dans le contrôle de constitutionnalité, notamment du concept de l’ordre public dont la sauvegarde constituerait la justification de l’ingérence dans la liberté, au motif qu’une période de trouble serait en cours ou aurait été reconnue officiellement.
En revanche, il est possible que l’existence d’une période de troubles, due par exemple à une menace terroriste ou à une menace sanitaire, soit prise en considération dans le contrôle de proportionnalité de la mesure et qu’elle ait à ce titre pour effet d’autoriser une ingérence plus importante dans la liberté d’expression. Jusqu’à présent, il n’y a toutefois pas d’exemple d’arrêt de la Cour indiquant qu’elle pourrait aller en ce sens.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Dès lors qu’à part la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, la Belgique n’a pas connu, au cours de son histoire récente, de période de troubles, il n’y a pas de matière pour répondre à cette question.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression ne se différencie pas des autres droits et libertés reconnus par la Constitution belge en ce qui concerne le rôle et la légitimité de la Cour constitutionnelle. La protection de tous les droits et libertés constitutionnels est au cœur du rôle de la Cour et contribue par conséquent à consolider sa légitimité.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Comme dit ci-dessus, la Cour constitutionnelle répète chaque fois qu’elle en a l’occasion que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique »[98].
Les défis auxquels font face les démocraties contemporaines sont différents de ceux que relevaient les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Constitution belge ou de la Convention européenne des droits de l’homme, pour ne citer qu’eux. Néanmoins, la liberté d’expression demeure fondamentale en démocratie. Elle lui est essentielle à la fois dans son versant actif (la liberté d’exprimer ses opinions en toutes matières), mais aussi dans son versant passif (la liberté de recevoir et d’aller chercher des informations fiables et correctes). Or, ces deux aspects peuvent entrer en tension (sans parler des possibilités de conflits avec d’autres droits fondamentaux, comme le droit au respect de la vie privée, le droit à l’honneur, le droit à ne pas faire l’objet de discriminations …), et l’importance qu’ont pris aujourd’hui les réseaux sociaux et les forums de toutes espèces ne fait qu’exacerber cette tension. Si chacun a le droit de s’exprimer, y compris en ce qui concerne les idées qui gênent et dérangent, jusqu’où va le droit de répandre, sciemment ou pas, des informations erronées ou des contre-vérités ? Dès lors que l’opinion publique est versatile et sensible aux messages simples et chocs, faut-il réglementer ou contrôler ce qui se dit, ainsi que les moyens financiers utilisés par les médias et les particuliers pour la mise en œuvre de l’expression ? Dès lors que certains publics sont plus vulnérables, est-il légitime de les protéger, par exemple en réglementant l’usage des moyens modernes de communication, le cas échéant en bridant la liberté d’expression de certaines personnes ? Quel organe dispose de la légitimité, mais aussi de la capacité, d’exercer de tels contrôles ? Ces interrogations sont au cœur des réflexions des démocraties[99] et le seront encore, assurément, dans les années à venir.
Cour constitutionnelle du Bénin
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
En matière de liberté d’expression, la Cour constitutionnelle du Bénin fonde ses décisions sur la loi fondamentale qui est la Constitution en son article 23 qui dispose que : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression… ».
Il est également possible de faire référence à la charte africaine des droits de l’homme. Cette charte, qui fait partie intégrante de la Constitution du Bénin, prescrit, en effet, en son article 9, alinéa 2 que la liberté d’expression est le droit pour toute personne d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
La formulation qui consacre la liberté d’expression dans la Constitution a prévu que cette liberté devrait s’exprimer « dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est un droit garanti par la Constitution à tout citoyen vivant sur le territoire béninois de s’exprimer. Cependant, le contenu de ses propos ne peut être de nature à enfreindre ni la loi ni la Constitution. (Voir la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans ce sens notamment, DCC 13-071 du 11 juillet 2013).
- 4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Le contenu qui est donné à la liberté d’expression est le même que celui retenu par la Cour africaine des droits de l’Homme. Cependant, la Cour constitutionnelle du Bénin se réfère plutôt à sa propre jurisprudence.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
De la liberté d’expression découle, au Bénin, plusieurs autres libertés. Il s’agit notamment, de la liberté de presse, la liberté d’opinion, la liberté de réunion et d’expression des croyances (voir dans ce sens les articles 23, 24 et 25 de la Constitution).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
« La liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression » ressortent de concert des prescriptions de l’article 23 de la Constitution du Bénin. Cependant, cette liberté est assujettie, outre l’ordre public, au respect de la laïcité de l’État (art. 23 de la Constitution). Par ailleurs, la Constitution prévoit que les institutions, les communautés religieuses ou philosophiques, ont le droit de se développer sans entraves. Elles ne sont pas soumises à la tutelle de l’État. Elles règlent et administrent leurs affaires de manière autonome.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La Constitution du Bénin n’a pas apporté de restrictions d’ordre général à la liberté d’expression. Elle n’a donc pas créé des catégories ou des particularités.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
En République du Bénin, la liberté d’expression est reconnue à toute personne sans discrimination. Cependant, les personnes publiques et les personnes exerçant des activités juridictionnelles sont soumises à travers des textes spécifiques, à une obligation de réserve.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les agents de l’État bénéficient comme tout citoyen béninois, d’une liberté d’expression. Cette liberté peut être limitée par le secret professionnel ou des dispositions légales spécifiques à chaque catégorie d’agent de l’État.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est encadrée par la Constitution de la République du Bénin. La Cour constitutionnelle ne s’y prononce qu’en cas de saisine par un citoyen qui estime que sa liberté d’expression a été entravée. En 2005, la Cour constitutionnelle du Bénin a décidé que les propos publics, tenus par une personnalité publique, relevaient du « mépris et d’insulte ».
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La question de la liberté d’expression a fait l’objet de peu de recours contrairement à d’autres droits garantis par la Constitution comme, par exemple, en matière de détention préventive ou de délai raisonnable.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le droit est considéré comme une prérogative accordée à une personne qui lui permet d’user d’une chose ou d’exiger d’une autre personne l’exécution d’une prestation. Quant à la liberté, elle est un droit reconnu à chacun de choisir son comportement, ses orientations personnelles et professionnelles. Il découle de ces deux définitions qu’une distinction peut être faite entre le droit, qui entraîne une exigence envers d’autres personnes, et la liberté qui concerne la reconnaissance de la propre volonté de l’intéressée. Dans la protection qui est accordée à la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle du Bénin, tout en reconnaissant cette liberté de s’exprimer, met à la charge de la personne qui en est titulaire, le respect des autres droits et libertés. La Cour n’établit donc pas une hiérarchisation entre les droits et les libertés, elle met à la charge de toute personne exerçant la liberté d’expression, la protection des autres droits et libertés.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Sinon, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La protection accordée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin n’a pas varié.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Les décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin n’ont pas varié en matière de liberté d’expression.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression consiste à déclarer conforme ou non le contenu des propos tenus dans l’usage de la liberté d’expression. Le bénéficiaire de la décision de la Cour constitutionnelle peut se prévaloir de celle-ci devant les juridictions du fond saisies des mêmes faits.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
En cette matière, la Cour constitutionnelle du Bénin se réfère à sa propre jurisprudence et au droit comparé avec un souci réel d’adaptation des solutions d’inspiration étrangère
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’expression n’entraîne pas au Bénin l’anéantissement des autres droits et libertés. La personne qui exerce sa liberté d’expression a l’obligation de respecter les autres droits et libertés notamment, la vie privée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression conduit au Bénin à protéger aussi bien l’intérêt général, par le refus de propos visant à déstabiliser l’État et entraver la cohésion nationale (voir notamment, DCC 13-071 du 11 juillet 2013 ; DCC 14-156 du 19 août 2014), que les droits et libertés individuelles par le refus de déclarer contraires à la Constitution certains propos tenus dans l’exercice de la liberté d’expression (voir notamment, DCC 05-084 du 18 août 2005, DCC 14-099 du 22 mai 2014, DCC 16-084 du 16 juin 2016).
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La Cour constitutionnelle du Bénin recourt effectivement au principe de proportionnalité en confrontant l’exercice de la liberté d’expression et la violation, par le contenu des propos tenus, d’une loi spécifique ou de la Constitution.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, ce n’est pas l’exercice de la liberté d’expression qui est déclaré contraire ou non à la Constitution. Mais plutôt le contenu des propos. Si le contenu des propos tenus au cours de l’usage de la liberté d’expression est de nature à troubler l’ordre public, ces propos sont jugés contraires à la Constitution. La liberté d’expression n’est pas pour autant retirée à la personne qui a tenu de tels propos. Il convient de souligner que la Constitution du Bénin fait une distinction entre la liberté d’expression accordée à tous et la liberté de presse également garantie par la Constitution.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Dans le contrôle du respect de la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle du Bénin prend également en compte l’identité de la personne qui s’exprime, la fonction qu’elle occupe et l’impact de ses propos sur la population.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
En République du Bénin, le développement du numérique et la digitalisation des services publics ont conduit à l’adoption d’un code du numérique. Cette loi prévoit certaines règles qui encadrent la liberté d’expression.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression est protégée jusqu’au moment où l’exercice de cette liberté ne viole pas d’autres droits reconnus à toute personne vivant au Bénin. La loi relative à la libéralisation de l’espace audiovisuel fait obligation aux organes de radiodiffusion et de télévision de conserver pendant quinze (15) jours au moins l’enregistrement intégral de leurs émissions dans le but de permettre l’exercice du droit de réponse conformément aux dispositions de la loi en vigueur en la matière. Il ne peut y avoir de censure que dans le respect des textes en vigueur. Pour ce qui concerne la diffamation, elle est punie par les dispositions pénales en vigueur.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Le Bénin n’a pas prévu de textes restrictifs de la liberté d’expression.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Lorsque la liberté d’expression est exercée par les individus via les réseaux sociaux, en plus de la Constitution, le code du numérique du Bénin est applicable. En revanche, lorsque la liberté d’expression est exercée via les modes d’expressions classiques, il n’est pas fait référence au code du numérique.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Il existe une protection particulière de la liberté d’expression en période électorale, notamment en ce qui concerne les propos tenus au cours de la campagne électorale. Le code électoral en vigueur au Bénin indique en effet que la campagne électorale vise à « amener les électeurs à soutenir les candidats en compétition ». En application de cette disposition, la Cour constitutionnelle a jugé que « l’appel à ne pas soutenir un candidat adverse ou l’invocation du risque qu’il y a pour les électeurs auxquels on s’adresse à lui donner leurs suffrages, participe au jeu normal d’une confrontation électorale », il n’y a donc pas violation de la Constitution de ce chef. (Voir dans ce sens, DCC 23-038 du 23 février 2023).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Toute personne vivant sur le territoire béninois a les mêmes droits protégés par la Constitution qu’un citoyen de nationalité béninoise. Cependant, les organisations diplomatiques et autres organismes étrangers représentés au Bénin doivent respecter les règles diplomatiques qui les régissent.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La liberté d’expression étant protégée par la Constitution, les limites à l’usage de cette liberté sont mentionnées dans les lois spécifiques à chaque question (code électoral, code pénal pour les troubles à l’ordre public, etc.)
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La liberté d’expression étant protégée par la Constitution, les limites à l’usage de cette liberté sont mentionnées dans les lois spécifiques à chaque question (Code électoral, Code pénal pour les troubles à l’ordre public, etc.).
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
La Cour constitutionnelle du Bénin a également pour attribution la régulation du fonctionnement des Institutions de la République. De ce fait, elle joue plutôt un rôle préventif des troubles.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression est une liberté parmi tant d’autres qui sont protégés par la Constitution. Elle n’assure donc pas à elle seule la légitimité de la Cour constitutionnelle. Pour rappel, la création de la Cour constitutionnelle du Bénin est une volonté du peuple béninois qui s’est manifestée lors de la conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est donné à chaque personne vivant sur le territoire béninois la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle lorsqu’elle estime que ses droits protégés par la Constitution sont méconnus. La Cour constitutionnelle du Bénin tient donc sa légitimité du rôle central de protection que le peuple béninois lui a conféré.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression est un droit protégé qui est un outil permettant à chaque citoyen de s’exprimer librement et sans crainte. Cependant, cette liberté doit s’exercer dans le respect des textes en vigueur pour assurer la construction d’une société plus démocratique.
Cour constitutionnelle de Bulgarie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est prévue par la Constitution. Les dispositions des articles 39, 40 et 41 de la Constitution de la République de Bulgarie affirment comme droits fondamentaux de l’individu le droit d’exprimer et de diffuser librement des opinions et le droit de rechercher, de recevoir et de transmettre des informations. Ce droit s’étend à la liberté de chacun d’avoir des opinions et de recevoir, de communiquer et de transmettre des opinions, des idées ou des informations, quel que soit le moyen d’expression utilisé. Il s’agit de l’un des droits fondamentaux de l’individu. Il est au cœur des processus démocratiques, il est l’un des principes les plus importants sur lesquels se construit toute société démocratique, et il est une condition de son progrès et de l’épanouissement de chaque individu. Son importance exceptionnelle est soulignée dans la décision interprétative de la Cour constitutionnelle n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
La liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Les justifications de sa limitation sont contenues dans la Constitution – dans les articles 39, 40 et 41, qui ne permettent pas qu’il soit utilisé pour porter atteinte aux droits et intérêts explicitement énumérés, ainsi que dans l’article 57, alinéa 2, général à tous les droits, qui n’en permet pas l’abus, ni l’exercice s’il porte atteinte aux droits ou intérêts légitimes d’autrui.
La formulation qui consacre la liberté d’expression est immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter. L’art. 39, alinéa 1, dispose que toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions par la parole, par écrit ou oralement, par le son, l’image ou tout autre moyen. L’alinéa 2 de cette disposition précise que ce droit ne peut être utilisé pour porter atteinte aux droits et à la réputation d’autrui ou pour appeler à une modification violente de l’ordre constitutionnellement établi, à la commission de délits, à l’incitation à l’hostilité ou à la violence à l’égard de la personne.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Dans sa décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996, la Cour constitutionnelle a apporté des éclaircissements détaillés sur la nature des libertés de communication dont la liberté d’expression fait partie. Elle a déclaré que la liberté d’expression établie à l’article 39 alinéa 1 de la Constitution est « une sorte de ‘droit mère’ » de tous les autres droits de communication, car ils en découlent. La Constitution garantit et protège la liberté d’avoir une opinion et de la faire connaitre à d’autres – à la fois en tant que comportement personnel et en tant que processus social, indépendamment du contenu de l’opinion. Les concepts d’« expression » et de « diffusion » ne se limitent pas à la « parole », mais englobent toute une série de moyens et de manières d’exprimer des pensées, des opinions, des points de vue, des informations et des données. Le droit d’exprimer librement ses opinions couvre tous les moyens qui « transmettent » ou diffusent des opinions, des idées ou des informations, indépendamment du contenu ou du moyen de « transmission ». Il présuppose l’existence d’un sujet qui fait connaitre son opinion. La Cour affirme que la « La protection constitutionnelle s’étend à la source de l’opinion (information), à la ‘transmission’ elle-même et au destinataire ».
L’article 39, alinéa 1, met l’accent sur le droit d’exprimer et de diffuser librement une opinion. Ce droit s’étend à la possibilité de diffuser l’opinion par divers moyens, y compris la presse écrite, la radio, la télévision, etc. En ce sens, l’expression « droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions » est plus large que les synonymes « liberté d’expression », « liberté de la presse », etc. La Cour considère qu’elle a le caractère d’un concept générique qui intègre les autres et dénote en même temps un droit indépendant.
Considéré en soi, le droit prévu à l’article 39, alinéa 1, est avant tout un droit individuel de la personne. Il est directement lié à la liberté de pensée (article 37, alinéa 1 de la Constitution) et de croyance (article 38 de la Constitution) et à la dignité de la personne humaine, élevée au rang de principe suprême par le préambule de la Constitution, et sa garantie par l’État est un principe constitutionnel fondamental (article 4, alinéa 2 de la Constitution).
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Sans que la Cour constitutionnelle ne donne une définition univoque de la liberté d’expression, on peut déduire de sa jurisprudence que le contenu du concept n’est pas différent de la manière dont il est utilisé dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) (article 10) et en particulier dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans ses décisions où la Cour constitutionnelle contrôle la conformité d’une disposition législative à la Constitution et/ou à la CEDH, elle ne constate pas de divergence entre le contenu que les deux systèmes juridiques donnent à la liberté d’expression.
La Cour constitutionnelle estime pertinent de noter que, contrairement aux dispositions constitutionnelles d’autres pays et à la jurisprudence relative à l’application de l’article 10 de la CEDH, les droits prévus aux articles 39-41 de la Constitution de la République de Bulgarie n’intègrent pas directement le droit à l’expression artistique dans la liberté d’expression. Une disposition distincte lui est consacrée – l’article 54, alinéa 2, de la Constitution, selon lequel la liberté de création artistique, scientifique et technique est reconnue et garantie par la loi (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Comme c’est déjà noté la Cour constitutionnelle considère que la liberté d’expression établie à l’article 39 alinéa 1 de la Constitution est « une sorte de ‘droit mère’ » de tous les autres droits de communication, car ils en découlent (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996). La Cour constitutionnelle considère comme un principe directeur le droit d’exprimer librement son opinion, qui découle directement de l’inviolabilité de la dignité humaine, de la liberté de pensée et de l’autodétermination individuelle. Elle affirme qu’il s’agit d’une part d’un droit indépendant et d’autre part d’une sorte de notion générique qui englobe les autres droits proclamés dans les dispositions des articles 39 à 41 de la Constitution. C’est un droit fondamental qui incorpore en quelque sorte les autres. Néanmoins, les trois dispositions en question (articles 39, 40, 41) contiennent – à côté du droit fondamental – un catalogue de droits supplémentaires et spécifiques : la liberté de la presse, la liberté des autres moyens de communication de masse (surtout la radio et la télévision), le droit de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations. La liberté de la presse et des autres médias est garantie constitutionnellement par l’interdiction de la censure, et le droit de rechercher et de recevoir des informations (article 41, alinéa 1) – par l’obligation des autorités de l’État de les fournir (Décision n° 7 du 4 juin 1996, affaire n° 1/1996).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Du point de vue de la valeur du droit d’exprimer une opinion sur la liberté du débat politique – dans le cadre de la discussion publique, la Cour constitutionnelle considère que les déclarations qui affectent les activités des autorités publiques ou qui constituent une critique des personnalités politiques, des fonctionnaires ou du gouvernement méritent un niveau de protection plus élevée. La Cour affirme que les autorités publiques en général, ainsi que les personnalités politiques et les fonctionnaires, peuvent être soumis à un niveau de critique publique plus élevé que celui auquel sont soumis les particuliers (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996, Décision № 20 du 14 juillet 1998 affaire constitutionnelle № 16/98).
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a noté que la question de savoir à qui appartiennent les droits fondamentaux visés aux articles 39 à 41 de la Constitution ne peut recevoir de réponse univoque. Selon la Cour constitutionnelle, les titulaires de ces droits – selon l’hypothèse spécifique – peuvent être à la fois l’individu et le public. Les dispositions des articles 39, 40 et 41 de la Constitution protègent le droit de l’individu à la libre expression de son essence et de sa dignité en tant que participant égal à la communauté sociale. Le droit de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations en vertu de l’article 41, alinéa 1, de la Constitution appartient à chacun – personnes physiques et morales. Il s’applique également à la presse et aux autres médias. Le droit prévu à l’article 39, alinéa 1, est avant tout un droit individuel. La Constitution l’accorde à « chacun ». Et même « chacun » inclut les personnes physiques et morales, il est directement lié à la liberté de pensée (article 37, alinéa 1) et de croyance (article 38) et est lié à la dignité de la personne. La qualité de titulaire est également attribuée à l’individu, dans certains cas, à l’entreprise, dans d’autres cas, et aux institutions, dans un troisième cas. Par conséquent, le droit à la liberté d’expression, conçu à la fois comme un droit fondamental général et du point de vue de ses manifestations spécifiques, n’est pas seulement et exclusivement un droit individuel qui peut être considéré et interprété comme un droit protecteur, mais il est en même temps une garantie institutionnelle et, en ce sens, il possède également des aspects positifs en termes d’obligations de l’État (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Voir la réponse à la question 7 du sous-thème 1.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, aucune hiérarchie ne peut être établie entre les différents droits fondamentaux des citoyens, au sein desquels la liberté d’expression occupe une place particulière. Toutefois, on peut noter que dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a estimé que « sans l’absolutiser ni lui donner une place particulière dans une quelconque hiérarchie de valeurs et de droits, son importance est fondamentale pour l’ordre constitutionnel établi. Pour l’individu, le droit d’exprimer son opinion et de la diffuser par la parole, qu’elle soit écrite ou orale, par l’image sonore ou autrement (article 39, alinéa 1) semble être immanent à son essence et à sa capacité de se réaliser dans la réalité sociale. La liberté d’opinion exerce une contrainte sur la capacité de régulation de l’État dans de nombreux domaines de la vie publique. Ce droit sous-tend à la fois le pluralisme politique (article 11, alinéa 1) et l’inadmissibilité du monopole des sphères politiques, idéologiques et spirituelles en général (article 11, alinéa 2), ainsi que d’autres droits (par exemple le droit à l’information en vertu de l’article 41, alinéa 1) » (Décision n° 15 du 28 septembre 1993 dans l’affaire n° 17/1993, Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n° 1/1996).
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Voir la réponse précédente.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle n’a pas modifié sa jurisprudence en matière de la liberté d’expression.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle influence la jurisprudence des juridictions du fond. Ceci est particulièrement vrai pour les décisions interprétatives de la Cour constitutionnelle qui, dans le dispositif de la décision, précisent le sens et le contenu du texte constitutionnel. Une fois adoptées, elles s’imposent à tous, y compris les juridictions du fond.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle tient souvent compte de la jurisprudence des tribunaux d’autres systèmes juridiques. Dans le domaine des droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle se réfère souvent aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH). En ce sens, dans les motifs de la décision n°2/1998 dans l’affaire n° 15/1997, elle a déclaré que « les normes de la CEDH en matière de droits de l’homme ont une portée européenne et civilisationnelle pour l’ordre juridique des États partis à la CEDH et sont des normes de l’ordre public européen. Par conséquent, l’interprétation des dispositions pertinentes de la Constitution en matière de droits de l’homme doit être cohérente, dans la mesure du possible, avec l’interprétation des normes de la CEDH. Ce principe d’interprétation conforme est également compatible avec la compétence contraignante de la Cour européenne des droits de l’homme, internationalement reconnue, en matière d’interprétation et d’application de la CEDH ».
Ceci constitue une base pour la Cour constitutionnelle, dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité aux cas où les droits garantis par la Constitution et la Convention sont en jeu, de prendre en compte les clarifications, les garanties et le développement des normes relatives à ces droits, adoptées dans la jurisprudence évolutive de la Cour européenne des droits de l’homme (Décision n°11 du 28 juillet 2022 dans l’affaire constitutionnelle n°3/2022). Une condition préalable à l’utilisation de cette approche d’interprétation conforme à la jurisprudence de la CourEDH est l’ambiguïté ou le manque de clarté dans la signification d’une disposition constitutionnelle spécifique, dans laquelle il est possible de trouver différentes prescriptions normatives (Décision n° 8 du 18 octobre 2022 dans l’affaire constitutionnelle n°15/2022). Plus précisément, dans une affaire relative à la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle a estimé que pour « statuer sur le fond, elle prend également en compte les dispositions pertinentes de (…) la CEDH, ainsi que les concepts établis dans la jurisprudence de la CJUE et de la CourEDH, qui sont essentiels en matière de deux droits fondamentaux – le droit à la protection des données personnelles et le droit à la liberté d’expression et d’information – lorsqu’elle clarifie le sens et la portée de la disposition contestée dans la requête » (Décision n°8 du 15 novembre 2019, dans affaire constitutionnelle n° 4/2019).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Voir la réponse à la question 10 du sous-thème 2.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Voir la réponse à la question 10 du sous-thème 2.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Souvent, la Cour constitutionnelle en vue de la protection de la liberté d’expression exerce un contrôle de proportionnalité. La Cour estime qu’une mesure restrictive en matière de liberté d’expression doit être proportionnelle à la nature de l’intérêt protégé. La Cour a conclu que cette exigence existe lors de l’interprétation des articles 39-41 de la Constitution, estimant que « la mesure dans laquelle il est permis de restreindre le droit à la liberté d’expression dépend de l’importance de l’intérêt évalué comme étant également soumis à la protection constitutionnelle » (Décision n° 7 du 4 juillet 1996 dans l’affaire n° 1/1996, Décision n° 20 du 14 juillet 1998 dans l’affaire n° 16/98).
La Cour constitutionnelle considère que « la mise en balance est un point important dans l’appréciation de la compatibilité d’une mesure restrictive à l’égard d’un droit fondamental, en l’occurrence le droit à la liberté d’expression et d’information » (Décision n°8 du 15 novembre 2019 dans l’affaire constitutionnelle n°4/2019).
La Cour constitutionnelle note qu’il s’agit d’une approche pragmatique dans la jurisprudence lorsqu’il s’agit de statuer sur des litiges relatifs aux droits. Elle vise à surmonter « le formalisme en droit » et se concentre sur la vie réelle. Fondée sur l’argument de la nature non absolue des droits, cette approche garantit que chacun des intérêts concurrents est reconnu selon ses propres mérites – il n’y a pas de perdants et chacun reçoit ce qui lui est dû dans les circonstances. La Cour affirme que par nature, la mise en balance est une activité d’analyse et d’évaluation qui s’effectue au cas par cas. Il ne s’agit pas d’une activité consistant à organiser des règles pour résoudre de futurs cas spécifiques de tension entre des droits fondamentaux, susceptibles d’être appliqués universellement à la lumière d’une hiérarchie rigide d’intérêts et de principes. Le processus de mise en balance donne la primauté aux intérêts dans des circonstances particulières et n’établit donc pas de règles précises et permanentes, mais au contraire, elles sont sujettes à changement (Décision n° 8 du 15 novembre 2019 dans l’affaire constitutionnelle n°4/2019).
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Voir la réponse à la question précédente. La Cour constitutionnelle évalue au cas par cas la relation entre la liberté d’expression et l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Comme indiqué ci-dessus, les outils jurisprudentiels les plus couramment utilisés pour contrôler le respect des droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression, sont l’interprétation conforme (y compris avec la jurisprudence de la CourEDH) et le contrôle de proportionnalité.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
En 1998, la Cour constitutionnelle a eu l’occasion à se prononcer sur la constitutionnalité des normes du Code pénal qui prévoient responsabilité pénale pour injure et diffamation. La Cour considère que La responsabilité pénale pour injure et diffamation est l’une des garanties juridiques qui assurent la protection de la dignité de l’individu. Son inscription dans le Code pénal répond à l’exigence constitutionnelle et dans les traités internationaux, de l’obligation de l’État de garantir la dignité de la personne. Par conséquent, la responsabilité (pénale et civile) pour injure et diffamation comme moyen de protection de l’honneur, de la dignité personnelle et de la réputation constitue une restriction proportionnelle du droit à la liberté d’expression telle qu’elle est autorisée par la Constitution et la CEDH (Décision n°20 du 14 juillet 1998 dans l’affaire constitutionnelle n°16/1998).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Jusqu’à présent, la Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ces questions.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ces questions.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ces questions.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Comme indiqué, la liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Les justifications de sa limitation sont contenues dans la Constitution – dans les articles 39, 40 et 41, qui ne permettent pas qu’elle soit utilisée pour porter atteinte aux droits et intérêts expressément énumérés, ainsi que dans l’article 57, alinéa 2, commun à tous les droits, qui ne permet pas leur abus, ni leur exercice s’il porte atteinte aux droits ou aux intérêts légitimes d’autrui. L’article 57, alinéa 3 de la Constitution dispose qu’en cas de déclaration de guerre, d’état de siège ou d’autre état d’exception, l’exercice des droits individuels des citoyens peut être temporairement limité par la loi, à l’exception des droits prévus aux articles 28, 29, 31, par. 1, 2 et 3, de l’article 32, par. 1 et de l’article 37. Il s’agit de droits absolus, dont l’exercice ne peut être restreint pour quelque motif que ce soit, la liberté d’expression n’en faisant pas partie, à savoir : le droit à la vie et l’interdiction de la torture, les garanties du droit à la liberté personnelle, à savoir le droit de toute personne d’être remise à la justice dans un délai légalement défini, l’interdiction de la condamnation sur la base de l’autoconfession, la présomption d’innocence, l’inviolabilité de la vie privée et la liberté de conscience, de pensée et de choix de la religion.
La Constitution ne contient pas des règles prévoyant des restrictions particulières relatives à la liberté d’expression en période de troubles.
Dans le dispositif de sa décision interprétative n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire n°1/1996, la Cour constitutionnelle a expressément déclaré que la restriction de ces droits est autorisée dans le but de protéger d’autres droits et intérêts également protégés par la Constitution et qu’elle ne peut se faire que pour les motifs prévus par la Constitution. Leur restriction par la loi pour des motifs autres que ceux spécifiés dans la Constitution n’est pas autorisée.
En imposant ces restrictions, les organes législatifs, exécutifs et judiciaires sont tenus de garder à l’esprit la grande importance publique du droit à la liberté d’expression, à la liberté des médias et au droit à l’information, et les restrictions (exceptions) auxquelles ces droits peuvent être soumis sont donc appliquées de manière restrictive et uniquement pour assurer la protection d’un intérêt concurrent.
Parmi ces justifications, la possibilité d’interférer avec le droit d’exprimer librement son opinion lorsqu’il est utilisé pour porter atteinte aux droits et à la réputation d’autrui est la plus grande, puisque l’honneur et la dignité ainsi que la réputation de l’individu sont ainsi protégés par l’article 4, alinéa 2, et par l’article 32 de la Constitution. Cette restriction constitutionnelle ne signifie pas que la critique publique, en particulier des personnalités politiques, des fonctionnaires et des autorités publiques, ne peut pas avoir lieu.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Jusqu’à présent, la Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de répondre à cette question dans sa jurisprudence.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Dès 1996, la Cour constitutionnelle a estimé que la liberté d’expression est l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose toute société démocratique et l’une des conditions essentielles de son progrès et de l’épanouissement de chaque individu. Cette liberté s’applique non seulement aux « informations » ou « idées » qui trouvent un accueil favorable, qui ne sont pas considérées comme offensantes ou qui sont reçues avec indifférence, mais aussi à celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou toute autre partie de la population. Telles sont les exigences du pluralisme, de la tolérance, sans lesquelles une « société démocratique » ne saurait être qualifiée de telle (Décision n° 7 du 4 juin 1996 dans l’affaire constitutionnelle n°1/1996).
Conseil constitutionnel du Burkina Faso
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression trouve son fondement dans l’article 8 de la Constitution burkinabé qui dispose que « les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis.
Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ».
De même, l’article 101, alinéa 2 de la Constitution inscrit dans le domaine de la loi, la détermination de plusieurs principes fondamentaux, dont celui de « la protection et de l’exercice de la liberté de presse »
La liberté d’expression est en outre consacrée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 et l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 1er juin 1981 (entrée en vigueur le 21 octobre 1986). Il faut préciser que ces instruments juridiques internationaux ont été rappelés dans la Constitution burkinabé en son préambule qui en fait partie intégrante.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui, la formulation de l’article 8 de la Constitution consacrant la liberté d’expression contient sa propre limitation ; en effet, cet article 8 de la Constitution, après avoir déclaré que « Les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis » précise aussitôt que « toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ». Ces limitations résultent des lois :
– numéro 057-2015/CNT du 04 septembre 2015 portant régime juridique de la presse écrite,
– numéro 058-2015/CNT du septembre 2015 portant régime juridique de la presse en ligne, et
– numéro 059-2015/CNT du 04 septembre 2015 portant régime juridique de la radiodiffusion sonore et télévisuelle.
Les principales limitations à la liberté de la presse se situent dans le respect de la vie privée et la dignité des personnes.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La loi ne donne pas une définition de la liberté d’expression. Considérée comme une liberté fondamentale, l’article 8, alinéa 2, de la Constitution dispose expressément que « toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ». Selon l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen que ce soit ».
La liberté d’expression peut donc être définie comme le droit pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer ses opinions par tous les moyens, sous réserve des limitations imposées par la loi.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion dans sa jurisprudence de donner une définition de la liberté d’expression.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Comme énoncé au point 4 ci-dessus, notre juridiction n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les différentes déclinaisons de la liberté d’expression.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi des cas de violation de la liberté d’expression. Il n’a pas encore eu à opérer une conciliation entre liberté d’expression et blasphème.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est réglementée dans la loi. En plus des limitations d’ordre général, certains agents publics (militaires, magistrats, fonctionnaires…) sont soumis à une obligation de réserve.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à tous, avec des aménagements tenant compte des spécificités des métiers, dans l’intérêt général.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression est reconnue à tous les agents publics. Elle s’exprime dans le respect des obligations de réserve qui leur sont imposées par la loi.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur la protection de la liberté d’expression dans sa décision n° 2019-013/CC du 19 juillet 2019 sur la constitutionnalité de la loi 044- 2019/AN du 21 juin 2019 portant Code pénal. Il s’est autosaisi pour contrôler la loi. Il n’est pas souvent saisi.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas une importante jurisprudence en matière de protection de la liberté d’expression
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion d’établir cette hiérarchie, étant entendu qu’il est saisi rarement.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé dans le fond sur la protection de la liberté d’expression.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Se référer à la réponse précédente.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
Se référer à la réponse de la question n° 4.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Réponses précédentes. L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Réponses précédentes. L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Réponses précédentes. L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Il n’y a pas de jurisprudence du Conseil Constitutionnel en la matière.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Voir les réponses précédentes : L’occasion ne s’est pas encore présentée de se prononcer au fond sur la protection de la liberté d’expression.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les périodes de troubles sociaux ou de crise sécuritaire peuvent conduire les autorités à aménager un régime juridique particulier de la liberté d’expression, dans le souci de préserver la paix et la cohésion sociale.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Elle s’exerce dans le cadre des lois et règlements qui y apportent des limitations. Ainsi, la diffamation ne saurait être considérée comme l’exercice légitime de La liberté d’expression.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les différentes restrictions à la liberté d’expression sont dans la loi. Elles sont de divers ordres. Au Burkina Faso, le législateur a adopté les lois, n° 057-2015/CNT du 4 septembre 2015 portant régime juridique de la presse écrite, 058-2015/CNT du septembre 2015 portant régime juridique de la presse en ligne et 059-2015/CNT du 4 septembre 2015 portant régime juridique de la radiodiffusion sonore et télévisuelle. Le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ces lois.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Comme indiqué plus haut, le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé au fond sur les questions relatives à la liberté de la presse.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Les limitations sont celles prévues par la loi.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Les limitations sont les mêmes pour tous.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La protection de la liberté d’expression se fait à deux niveaux : devant les juridictions administratives contre les abus de l’exécutif, et devant le Conseil constitutionnel contre les dispositions législatives portant atteinte au droit garanti par la Constitution. Le Conseil constitutionnel n’a pas encore été saisi pour statuer sur des cas d’atteinte à la liberté d’expression en période de trouble ou portant sur l’accès à Internet et la limitation de la pluralité dans les médias.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas de jurisprudence en la matière qui puisse dégager une définition de la notion d’ordre public.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Le Conseil constitutionnel veille au respect des droits et libertés garantis par la Constitution. À ce titre, la protection de la liberté d’expression fait partie de ses missions. En période de troubles, le rôle du Conseil constitutionnel est encore plus accru, face aux velléités de restrictions du législateur.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Le Conseil constitutionnel veille au respect de la liberté d’expression tout comme les autres droits et libertés garantis par la Constitution. En usant très souvent de son pouvoir d’auto-saisine, il pourra renforcer son rôle et sa légitimité.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression est un des piliers de l’État de droit. Lorsqu’elle est bien réglementée, elle favorise l’émergence d’une société ouverte, tolérante et respectueuse de l’État de droit.
Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel respecte la Constitution et les lois en vigueur et se fonde sur les principes de l’état de droit et les principes de la démocratie libérale pluraliste qui englobent la liberté de presse, la liberté d’information, la liberté de réunion, la liberté de grève et de manifestation pacifique, la liberté de création et d’adhésion à un parti politique, à un syndicat, à une association, à une organisation non gouvernementale, à la société civile, etc.
L’article 31 de la Constitution du Royaume du Cambodge stipule que « Le Royaume du Cambodge reconnaît et respecte les droits de l’homme tels qu’ils sont inscrits dans la Charte des Nations Unies, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans tous les traités et conventions relatifs aux droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Les citoyens khmers sont égaux devant la loi, ils ont les mêmes droits, les mêmes libertés et les mêmes devoirs sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de croyances, de religions, de tendances politiques, d’origine de naissance, de classe sociale, de fortune ou d’autres situations. L’exercice des droits et libertés par chaque individu ne doit pas porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. Ces droits et libertés doivent s’exercer dans les conditions fixées par la loi. »
L’article 41 stipule que « Tout citoyen khmer a la liberté d’exprimer ses opinions personnelles, la liberté de presse, la liberté de publication et la liberté de réunion. Nul ne peut profiter de la jouissance de ces droits pour en abuser et porter atteinte à l’honneur d’autrui, aux bonnes mœurs et coutumes de la société, à l’ordre public et à la sécurité nationale. Le régime de la presse est réglementé par la loi. »
L’article 1er de la loi sur le régime de la presse stipule que « La présente loi détermine le régime de la presse et garantit la liberté de la presse, et la liberté de publication conformément aux articles 31 et 41 de la Constitution du Royaume du Cambodge. » Et l’article 3 de la même loi stipule que « Pour garantir l’indépendance de la presse, la censure est interdite. »
Pour les autres lois concernées, voir les notes 1 et 2.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. Voir le paragraphe 3 de la réponse à la première question plus haut.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Telle qu’elle est définie dans la réponse à la première question, la liberté d’expression est un droit fondamental qui permet à chacun d’exprimer librement ses opinions à condition que ces opinions n’affectent pas l’honneur des autres ni les bonnes mœurs sociales, l’ordre public et la sécurité nationale.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition et le contenu que le Cambodge accorde à la liberté d’expression ne diffèrent pas de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Le Conseil constitutionnel considère la liberté d’expression comme une liberté matricielle dont découlent d’autres libertés. À ce titre, notre Conseil a été saisi pour le contrôle de constitutionnalité de plusieurs lois organiques qu’il a jugées conformes à la Constitution. Ce sont à titre d’exemples, les lois portant sur les partis politiques, sur les élections législatives, sur les élections sénatoriales, sur les élections des conseils communaux, sur les élections des conseils de capitale, province, ville, district, arrondissement, sur le statut des députés, sur le statut des sénateurs, sur le syndicat, sur les associations et les organisations non gouvernementales, etc. À part cela, concernant une requête relative au contrôle de constitutionnalité de la loi de 1991 portant sur les manifestations, le Conseil constitutionnel a constaté qu’il semble que le requérant concevait la liberté d’expression comme étant une liberté sans limites et compte tenu de l’esprit de la Constitution, le Conseil a jugé que la loi de 1991, qui fait l’objet de la contestation, est conforme à la Constitution, en interprétant comme suit : « la manifestation est une action d’un groupe d’individus qui manifestent en public pour exprimer leurs sentiments, leurs points de vue, ou leur volonté. Les droits à la manifestation et ceux à la grève sont les droits des citoyens stipulés dans la Constitution. Mais les citoyens doivent s’en servir pacifiquement sans toucher aux droits d’autrui et à l’ordre public, à l’environnement, au bien-être public et à la sécurité publique. »
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le Conseil constitutionnel n’a jamais été confronté à la conciliation entre la liberté d’expression et le blasphème, car le Royaume du Cambodge pratique le principe d’harmonisation religieuse.
Par décision no 107/003/2009 CC.L du 23 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a interprété le droit à la croyance religieuse des citoyens cambodgiens comme suit « à tout moment et en toute circonstance, les citoyens khmers des deux sexes ont leur pleine liberté de croire ou d’exercer les pratiques de croyance et de religion selon leur propre conscience. L’État doit garantir le bon déroulement de la liberté de croyance et des pratiques religieuses, mais cette liberté et ces pratiques ont tout de même des limites. L’exercice de la liberté de croire et d’exercer les pratiques de croyance et de religion ne doit pas porter atteinte aux autres croyances ou religions, et doit également respecter les droits d’autrui à la liberté et aux pratiques de croyance et de religion pour préserver l’harmonisation religieuse… » Cela permet au Royaume du Cambodge de maintenir à bien l’harmonie ethnique et religieuse.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est plus ou moins restreinte selon les domaines, en particulier dans le domaine de la sécurité nationale.
L’article 41 de la Constitution stipule que « Tout citoyen khmer a la liberté d’exprimer ses opinions personnelles, la liberté de presse, la liberté de publication et la liberté de réunion. Nul ne peut profiter de la jouissance de ces droits pour en abuser et porter atteinte à l’honneur d’autrui, aux bonnes mœurs et coutumes de la société, à l’ordre public et à la sécurité nationale. L’exercice de ces droits et libertés ne doit pas porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. » Ces droits et libertés doivent s’exercer selon la prescription de la loi, tout particulièrement dans le domaine de la sécurité nationale, de la défense nationale et de la souveraineté nationale.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La Constitution du Royaume du Cambodge reconnaît que toute personne (personne privée, personne publique, mineur, personne physique privée/personne physique publique, personne morale privée/publique) a le droit et la liberté d’exprimer ses opinions, mais la révélation des informations privées ou des renseignements secrets qui porte atteinte à la dignité, aux intérêts d’autrui et à la sécurité nationale est restreinte par la loi.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les fonctionnaires et les militaires jouissent de la même liberté d’expression comme tous les citoyens. Mais dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et devoirs, les fonctionnaires et les militaires sont soumis aux conditions fixées par la loi, notamment la loi portant sur le statut commun des fonctionnaires civils et la loi sur le statut particulier des militaires des forces armées royales cambodgiennes qui définissent les droits, les devoirs et les responsabilités des fonctionnaires et des militaires.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Après son établissement en date du 15 juin 1998, le Conseil constitutionnel a adressé le 24 décembre 1998 un avis au Roi concernant l’amendement de la Constitution permettant l’établissement du Sénat et a examiné en 1999 la constitutionnalité du règlement intérieur du Sénat et de la loi de 2001 portant sur les élections des conseils communaux dont le contenu se rapporte partiellement à la liberté d’expression. Ce n’est qu’en 2004 que le Conseil constitutionnel a défini l’encadrement de la liberté d’expression par sa décision n° 063/005/2004 CC.L du 6 octobre 2004 selon laquelle le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité de l’article 63 de la loi pénale transitoire en interprétant l’article 80 de la Constitution comme suit « tout député jouit de l’immunité parlementaire qui le met à l’abri des inquiétudes d’abus de la part des pouvoirs exécutif ou judiciaire. Toutefois, cette immunité a aussi ses limites. Les députés ne peuvent pas profiter de l’immunité parlementaire pour porter atteinte aux droits d’autrui (article 31 de la Constitution) ou commettre des infractions pénales. »
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La liberté d’expression est considérée comme un des principes sur lequel le Conseil constitutionnel se fonde pour rendre ses décisions.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La considération accordée à la liberté d’expression par rapport aux autres droits et libertés doit être prise d’une manière équilibrée, en pesant les intérêts en présence, tout en maintenant l’harmonie dans la société et en restant dans le cadre déterminé par la Constitution et les lois en vigueur.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La protection accordée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel à la liberté d’expression n’a pas varié.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Voir la réponse à la question 4 du sous-thème 2.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La décision du Conseil constitutionnel est définitive, sans recours et a autorité sur tous les pouvoirs constitués.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Dans l’élaboration de ses décisions, le Conseil constitutionnel se fonde sur la Constitution, en tant que loi suprême du pays, et sur les lois concernées en vigueur. Toutefois, le Conseil constitutionnel du Cambodge étudie et tire des leçons des jurisprudences des juridictions des autres pays, en particulier celles des pays membres de l’Association des cours constitutionnelles francophones (ACCF), de la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle (WCCJ) et de l’Association des cours constitutionnelles d’Asie (AACC).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Voir la réponse à la question 3 du sous-thème 2.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La plupart des décisions du Conseil constitutionnel relatives à la constitutionnalité des lois ont une valeur de jurisprudence contribuant à la protection des droits et libertés fondamentaux et à la garantie du respect des principes de l’état de droit.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le Conseil constitutionnel a utilisé le contrôle de proportionnalité dans l’élaboration de certaines décisions au regard de l’intérêt public qui conduisent à la restriction de la liberté d’expression. Naturellement, le Conseil constitutionnel se sert de ce type de contrôle jugé raisonnablement nécessaire. À titre d’exemple, le Conseil constitutionnel a par sa décision nº202/002/2020 CC.L du 27 avril 2020 déclaré que la loi sur la gestion de la nation en état d’urgence était conforme à la Constitution, en donnant plus de poids à l’intention du législateur qu’au titulaire de la liberté, étant donné que, selon l’exposé de faits relatif à la rédaction de cette loi, cette loi avait pour objectif de donner au Gouvernement le pouvoir de prendre des mesures indispensables pour répondre à l’état d’urgence du pays dans le but de protéger la sécurité nationale et l’ordre public, protéger la vie et la santé du peuple et protéger les biens et l’environnement.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La liberté d’expression n’est pas un droit absolu et peut être limitée ou contrôlée dans certaines circonstances dans le but de protéger les intérêts essentiels de l’État, la sécurité nationale et l’ordre public.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Au Cambodge, le courant de l’industrie 4.0 a eu un impact significatif sur la situation socio-économique du pays, avec l’usage de la technologie de l’intelligence artificielle, de l’analyse des données, de l’Internet des objets… Ces technologies numériques ont conduit à une mutation rapide sans précédent dans les domaines politique, économique, social, culturel… Face à ce défi, le Gouvernement royal a mis en place et mis tout en œuvre la politique socio-économique numérique pour la période 2022-2035 en mettant l’accent comme vision sur « l’édification d’un Gouvernement numérique aux fins de rehausser le niveau de vie et la confiance de la population par le biais de l’amélioration de la prestation des services publics ». En même temps que l’attention portée à la politique, le Gouvernement porte aussi son attention à un autre niveau, celle de se préparer à la mise en place d’un cadre légal pour la réglementation de cette mutation technologique.
D’ailleurs, s’agissant de la compétence du Conseil constitutionnel comme celle des autres juridictions concernées, l’utilisation de ces technologies pourrait entraîner certains défis à leurs égards, notamment concernant les questions touchant à la protection des droits d’individu liés à la vie privée, aux données confidentielles personnelles, à la liberté d’expression, au droit du travail, à l’usage mal intentionné des outils technologiques, tout cela nécessite la détermination d’une certaine limite dans les applications pratiques qui incombe aux institutions juridictionnelles d’étudier et de fixer, dans un esprit proactif, de pair avec les efforts déployés par le pouvoir exécutif dans le même domaine.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression est reconnue par la Constitution et les lois cambodgiennes. Chaque individu est responsable de ses opinions exprimées conformément aux principes des lois en vigueur et aucune censure n’est exigée par la loi. Toute expression d’opinions qui porte atteinte à l’honneur d’autrui, aux bonnes mœurs de la société, à l’ordre public et à la sécurité nationale est restreinte par la loi.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
À ce jour, le Conseil constitutionnel n’a pas encore reçu aucune saisine relative à ce sujet.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Selon la Constitution et les lois en vigueur, il n’existe pas de distinction entre la liberté d’expression via les réseaux sociaux et via les modes d’expression classiques. Nul ne peut profiter de la jouissance de ces droits pour en abuser et porter atteinte à l’honneur d’autrui, aux bonnes mœurs et coutumes de la société, à l’ordre public et à la sécurité nationale.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Il n’y a pas de renforcement de la limitation de la liberté d’expression en période électorale. Toute forme de la liberté d’expression doit être exercée conformément à la loi sur les élections et aux lois concernées en vigueur pour garantir une élection libre, juste, transparente et sans violence.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
L’article 53 nouveau, paragraphe 3, de la Constitution stipule que « le Royaume du Cambodge s’oppose absolument, sous quelque forme que ce soit, à toute interférence étrangère dans ses affaires intérieures. »
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
En période de troubles, certaines restrictions sont imposées à l’exercice de la liberté d’expression via Internet ou à l’expression d’opinions concernant le pluralisme dans les médias. D’une façon concrète, pendant la crise sanitaire causée par la Covid-19, le Royaume du Cambodge a fait une loi sur la gestion de la nation en état d’urgence, stipulant la prohibition ou la limitation de partager ou de diffuser des informations pouvant provoquer la panique générale ou inciter au trouble social ou porter atteinte à la sécurité nationale ou causer la confusion de la situation d’urgence. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel a déclaré que cette loi était conforme à la Constitution dans le but de garantir la sécurité nationale et l’ordre public, de protéger la vie et la santé des citoyens.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La notion de l’ordre public est définie conformément à la Constitution et aux lois en vigueur pour garantir la sécurité nationale et l’ordre social, et protéger la vie et la santé des citoyens.
Le fondement de l’ordre public est illustré dans certaines normes juridiques, notamment la Constitution, le Code pénal, la loi sur la gestion de la nation en état d’urgence, la loi sur les mesures préventives contre la propagation de la Covid-19 et d’autres maladies contagieuses graves et dangereuses, la loi sur la manifestation pacifique, la loi du travail, etc.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Dans toutes les circonstances, y compris en cas de troubles, le Conseil constitutionnel remplit ses fonctions en s’appuyant sur le principe d’indépendance et d’impartialité, et sur la Constitution et les lois en vigueur ainsi que sur les instruments internationaux dont le Cambodge est signataire.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Le Conseil constitutionnel remplit ses fonctions en s’appuyant sur le principe d’indépendance et d’impartialité, et sur la Constitution et les lois en vigueur ainsi que sur les instruments internationaux dont le Cambodge est signataire, dans la protection de la liberté d’expression comme dans la solution de tous les problèmes de la société.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Le Conseil constitutionnel conçoit la liberté d’expression exercée avec responsabilité conformément à la Constitution et à loi comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique, car la liberté d’expression est un élément fondamental de la démocratie.
NOTE
- Lois et normes juridiques nationales
1.1 Loi sur les partis politiques
Article 6.- nouveau (deux)
Tous les partis politiques doivent s’abstenir de commettre l’un des actes suivants :
1- promouvoir la sécession mettant en danger l’unité nationale et l’intégrité territoriale
2- faire du sabotage de la démocratie libérale pluraliste et de la monarchie constitutionnelle
3- nuire à la sécurité de l’État
4- créer des forces armées
5- inciter les gens pouvant aboutir à la déchirure nationale
6- se servir des messages audios, des images, des documents écrits ou des activités d’un condamné pour une infraction criminelle ou correctionnelle pour en tirer un avantage politique en faveur de son propre parti politique
7- consentir explicitement ou implicitement ou se faire complice avec un condamné pour une infraction criminelle ou correctionnelle pour qu’il commette une action dans l’intérêt politique de son parti
8- soutenir ou planifier ou se faire complice avec tout individu agissant dans le but de contrecarrer les intérêts du Royaume du Cambodge tels que stipulés du point 1 au point 5 plus haut.
1.2. Loi sur les associations et les organisations non gouvernementales
Article 24.-
Les organisations non gouvernementales locales, les organisations non gouvernementales étrangères ou les associations étrangères doivent maintenir leur neutralité envers tous les partis politiques dans le Royaume du Cambodge.
- Lois et normes juridiques internationales
2.1. Déclaration universelle des droits de l’homme
Article 19.-
Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression. Ce droit implique la liberté d’opinion sans ingérence et la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser les informations et opinions sans limites par tous moyens d’expression.
2.2 Pacte international relatif aux droits civils et droits politiques
Article 19.-
- Toute personne a droit à ses opinions sans ingérence.
- Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et toutes les idées sans limites, par voie orale, écrite ou imprimée, sous forme artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
- L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spécifiques. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
- a) Au respect des droits et de la réputation d’autrui ;
- b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
2.3 Article 13 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant
- L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées de toute sorte sans limites, par voie orale, écrite ou imprimée, sous forme artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.
- L’exercice de ce droit peut être soumis à certaines restrictions, si ces restrictions sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires comme suit :
- a) Le respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou
- b) La sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
Conseil constitutionnel du Cameroun
Sous-thème 1 – Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
En tant que droit fondamental à I ‘épanouissement de la personne humaine, la liberté d’expression est reconnue par l‘État du Cameroun et implique le droit d’avoir des opinions et de ne pas être inquiété, tout comme celui de recevoir des informations et des idées et de les communiquer.
Ainsi consacrée par le droit positif elle est notamment prévue dans : – le Préambule de la Constitution :
– la loi n 090/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale, modifiée par celle n°096/04 du 16janvier 1996 ;
-le décret du 3 avril 2000 fixant les modalités de création et d’exploitation des entreprises de communication audiovisuelle entre autres.
Le Préambule de la Constitution est assimilé à la déclaration de droits dans la mesure où il énonce les droits fondamentaux garantis par l’État du Cameroun. La garantie de la liberté d’expression qui y est mentionnée constitue une déclaration qui en assure la protection.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Le cadre juridique et institutionnel mis en place par le gouvernement a permis I ‘éclosion des organes de presse écrite et audiovisuelle.
À cet effet, la formulation de la liberté d’expression n’est pas immédiatement suivie d’une mention limitative ou restrictive de son exercice. Néanmoins, la Constitution précise qu’elle est garantie dans les conditions fixées par la loi. Ce qui subodore que la détermination des modalités d’exercice de cette prérogative est du domaine de la loi et incombe donc au législateur.
Pour corroborer cette affirmation, l’article 26 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 dispose que « sont du domaine de la loi : a) les droits, les garanties et obligations fondamentaux du citoyen au rang desquels figurent la liberté d’expression.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Ni le constituant ni le législateur camerounais ne donnent une définition explicite de la liberté d’expression. Mais par interprétation constructive des textes y relatifs, il ressort qu’elle est étroitement liée à la liberté de communication sociale, d’opinion et de presse. Pour ce faire, elle peut s’appréhender comme la faculté d’avoir une opinion, de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans craindre de représailles de la part des autorités publiques et sans considération de frontière.
- Et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffère-t-il de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition et le contenu donnés à la liberté d’expression ne diffèrent pas fondamentalement de ceux retenus par les ordres juridiques régional et international. Néanmoins, il est possible que cette définition soit adaptée en fonction des contextes et des cas particuliers, car, la société est en perpétuelle mutation et « ubi societas, ibi jus »
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont, selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression implique logiquement d’autres libertés notamment celles d’opinion, de communication et de presse entre autres.
Toutefois, le Conseil Constitutionnel du Cameroun n’étant pas compétent pour contrôler le respect des droits et libertés fondamentaux, les requêtes et les décisions rendues ne portent pas sur cette matière.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non. Car cela ne relève pas de la compétence du Conseil constitutionnel.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (Politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est consacrée au Cameroun de manière uniforme et non spécifique en fonction des secteurs. Néanmoins, il peut arriver qu’elle subisse des restrictions en raison de l’impératif de préservation de l’ordre public, de la sécurité nationale et même pour la sauvegarde des bonnes mœurs. Son exercice est donc logiquement subordonné au respect du principe de légalité.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à tous, aussi bien aux personnes publiques qu’aux personnes privées, aux personnes physiques qu’aux personnes morales.
Son contenu et son encadrement diffèrent en fonction des catégories auxquelles elle est reconnue. À titre illustratif, l’exercice de la liberté d’expression par un organe de presse (personne physique ou morale) est subordonné à la déclaration contre décharge au Préfet territorialement compétent (article 7 de la loi de 1990 sur la communication sociale modifiée par celle de 1996).
Dans la même veine, toute entreprise de distribution des organes de presse est tenue au préalable d’en faire la déclaration soit à la Préfecture, soit à la Sous-préfecture de son lieu de résidence (article 31 alinéa I de la loi de 1990 sur la communication sociale modifiée par celle de 1996).
La distribution et le colportage occasionnel pour leur part sont relativement plus libres, car n’étant assujettis à aucune déclaration, mais nécessitent néanmoins un agrément (Article 31, alinéa 3 et article 32 de la loi de 1990 sur la communication sociale modifiée par celle de 1996).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Bien que tous les hommes naissent libres et égaux en droits conformément à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les fonctionnaires, militaires, contractuels d’administration et autres Agents de l’État ainsi que leurs assimilés jouissent de la liberté d’expression tout en étant liés par l’obligation de réserve et l’obligation de discrétion et de secret professionnel. Ces dernières leur interdisent de divulguer des faits, documents et informations dont ils ont eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions, sous peine de poursuites pénales conformément à la législation en vigueur.
De plus, ils doivent s’abstenir d’exprimer publiquement leurs opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales ou de se servir en fonction de celles-ci (articles 35, 40, 117, alinéa 5 du décret 11 094/199 du 7 octobre 1994 portant Statut général de la Fonction publique de l’État).
Sous-thème 2 – Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
L’encadrement de la liberté d’expression ne relève ni formellement ni explicitement des prérogatives de notre juridiction.
Toutefois, la garantie du principe du contradictoire par des mécanismes tels que l’information des parties intéressées, l’échange des mémoires en réponse et en réplique, la possibilité de donner la parole aux justiciables lors des audiences pourraient constituer des modalités de mise en Œuvre de la liberté d’expression au sein du Conseil constitutionnel du Cameroun.
Quelques dispositions de la décision n 001/CC du 17 juillet 2019 portant adoption du Règlement intérieur illustrent les manifestations de la liberté d’expression au Conseil Constitutionnel :
– « le greffe tient à la disposition des parties tout document ayant un rapport avec le recours et leur en facilite la consultation », art. 51 alinéa I ;
– « Il communique aux parties intéressées, le cas échéant, à leur demande et à leurs frais, tout document ayant un rapport avec le recours », art. 51 alinéa 2 ;
– « La procédure devant le Conseil Constitutionnel est (…) contradictoire », art. 54 ;
– « Le caractère contradictoire de la procédure consiste dans l’échange, entre les parties, des écritures et pièces », art. 55, alinéa 2 ;
– « Les parties et leurs conseils ou représentants sont tenus de s’exprimer avec modération », art. 62 alinéa 2.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Oui, car le principe du contradictoire est respecté dans les conditions fixées par la loi.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Non.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
L’absence de variation s’explique par le fait que la protection de la liberté d’expression ne figure pas au rang de nos compétences.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
En cas d’évolution du droit positif dans le sens de l’insertion de la protection des droits et libertés fondamentaux parmi les compétences du Conseil Constitutionnel du Cameroun, notre jurisprudence pourrait subir une modification et faire ainsi mention de la liberté d’expression.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
Si la garantie de la liberté d’expression faisait partie de nos compétences, notre jurisprudence en la matière aurait pu influencer celle des juridictions de fond, car aux termes de l’article 50, alinéa 1 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Non, car les attributions de chaque juridiction sont déterminées par la loi.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La conciliation de la liberté d’expression avec les autres droits et libertés tels que la liberté de la vie privée, de la religion est possible lorsque l’exercice de chaque liberté tient compte des limites fixées par les règles juridiques en vigueur pour chaque prérogative en fonction des spécificités rattachées aux situations particulières. Ainsi, chacune éviterait d’empiéter dans le champ de l’autre. Le respect d’une certaine déontologie dans l’exercice de la liberté d’expression contribue significativement à cette conciliation. À cet effet, il existe un code de déontologie de l’Union des journalistes du Cameroun.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Notre juridiction ne connait pas des affaires relatives à la garantie de la liberté d’expression.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Notre juridiction ne connait pas des affaires relatives à la garantie de la liberté d’expression.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Notre juridiction promeut la liberté d’expression dans le respect du principe de légalité et en tenant compte de la nécessité de sauvegarder l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Non.
Sous-thème 3 – La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
La liberté d’expression peut être limitée en cas d’état d’urgence ou d’état d’exception (article 9 de la Constitution).
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Au Conseil Constitutionnel du Cameroun, la censure de la liberté d’expression intervient lorsqu’au cours de l’audience, des menaces, outrages ou attaques de quelque nature que ce soit sont dirigés par un individu contre un ou plusieurs membres du Conseil. Dans ce cas, la parole lui est retirée et il peut être expulsé de la salle d’audience selon la gravité de l’acte posé. S’il persiste, le Président dresse un procès-verbal du fait et il est interpellé immédiatement par la sécurité puis conduit au parquet pour être poursuivi conformément à la loi sur la base dudit procès-verbal.
3- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer — et si oui dans quel sens — sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Nous n’avons pas eu à nous prononcer sur ces questions car, elles n’ont jamais été soumises à notre appréciation.
4- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
L’appréciation de l’exercice de la liberté d’expression ne relève pas de notre compétence. Cependant, les membres du Conseil Constitutionnel doivent s’abstenir, pendant la durée de leurs fonctions :
– de prendre des positions publiques sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire I ‘objet de décisions de la part du Conseil ; – de plaider ou de participer à un arbitrage.
Ils sont astreints à l’obligation de réserve et de discrétion professionnelle même après la cessation de leur mandat (Article 26 de la décision n 001/CC du 17 juillet 2019 portant adoption du Règlement intérieur).
5- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
II existe un renforcement de la protection de la liberté d’expression en période électorale dans la mesure où les parties habilitées à saisir le Conseil Constitutionnel connaissent une extension. II s’agit :
– du Président de la République ;
– du Président de l’Assemblée nationale ;
– du Président du Sénat ;
– d’un tiers des députés ou sénateurs ;
– des chefs des exécutifs régionaux lorsque les intérêts de leurs régions sont en cause ;
– de tout candidat, tout parti politique ayant pris part à I ‘élection ou toute personne ayant qualité d’agent du Gouvernement pour ladite élection (article 129 de la loi n 02012/OOI du 19 avril 2012 portant Code électoral, modifié et complété par la loi n o2012/017 du 21 décembre 2012 et la loi du 25 avril 2019).
De plus, le Conseil peut être saisi avant et après le scrutin en vue de permettre aux intéressés de s’exprimer à chaque étape du processus.
6- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Oui. En effet, chaque organe de presse étranger doit faire l’objet de la part des distributeurs d’un dépôt en deux exemplaires auprès des ministres chargés des Relations Extérieures, de l’Administration territoriale, de l’Information et de la Justice, 24 heures au moins avant sa distribution et sa mise à la disposition du public.
De plus, la circulation, la distribution et la mise en vente au Cameroun d’organes de presse étrangers peuvent être interdites par décision du ministre chargé de l’Administration territoriale.
7- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Oui. Mais le Conseil Constitutionnel n’est pas compétent pour se prononcer dans ces circonstances.
8- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ? Non.
9- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Conformément à l’article 46 de la Constitution, le Conseil Constitutionnel est l’instance compétente en matière constitutionnelle. II statue sur la constitutionnalité des lois. II est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours (article 50 de la Constitution). II n’est cependant pas compétent pour protéger la liberté d’expression en période de troubles.
10- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression est un instrument de garantie du droit d’accès à la justice constitutionnelle et s’exprime à travers le respect du principe du contradictoire. Sous cet angle, elle permet à la justice constitutionnelle de jouer son rôle dans le respect du droit en vigueur en la matière.
11- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Effectivement, dans les années à venir, la liberté d’expression devrait être un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans la mesure où elle permet au peuple de se prononcer sur la gestion de la cité et d’influencer quelques fois les positions des décideurs. La liberté d’expression doit s’exercer au service du peuple et dans l’intérêt de ce dernier. En somme, elle permet une meilleure concrétisation de la démocratie.
Cour suprême du Canada
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- 1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Pour trancher des dossiers et questions juridiques en matière de liberté d’expression, la Cour suprême du Canada (« la Cour » ou « la CSC ») se fonde principalement sur l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)) (ci-après, « Charte »).
Cette disposition précise que :
- Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
(…)
- liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication.
Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits (S.C. 1960, ch. 44), aux alinéas 1d) (« liberté de parole ») et 1f) (« liberté de presse »).
La Cour a aussi parfois recours à certains instruments d’application internationale qui renferment des dispositions semblables, par exemple : l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (A.G. Rés. 217 A (III), Doc. N. U. A/810, p. 71 (1948)); l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (R.T. Can. 1976 n° 47); l’article 13 de la Convention relative aux droits de l’enfant (R.T. Can. 1992 n° 3); le sous-article 5d) (viii) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (660 R.T.N.U. 195); et l’article 21 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (R.T. Can. 2010 n°8).
Finalement, il existe aussi certaines lois fédérales et provinciales qui peuvent imposer des limites ou des contraintes sur la liberté d’expression (voir les réponses aux autres questions plus bas).
- 2. La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Non, l’alinéa 2b) de la Charte n’est pas immédiatement suivi dans le même article d’une notion qui viendrait la limiter.
Cependant, l’article premier de la Charte indique clairement que tous les droits et libertés qui s’y retrouvent ne sont pas illimités ou absolus ; cette disposition agit donc comme contrainte ou limite pour la liberté d’expression, comme pour tous les droits et libertés protégés par la Charte.
L’article premier de la Charte énonce ce qui suit :
- La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Selon la jurisprudence de la Cour (voir l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 (ci-après, « Oakes »)), le cadre d’analyse pour déterminer si une limite gouvernementale qui porte atteinte à un droit protégé par la Charte (comme la liberté d’expression) peut néanmoins se justifier aux termes de l’article premier, se décrit ainsi :
- Le fardeau de prouver qu’une restriction est justifiable en vertu de l’article premier incombe à la partie qui veut faire valider cette restriction — c.-à-d., en général, l’État.
- La norme de preuve est celle qui s’applique en matière civile — c.-à-d., la preuve selon la prépondérance des probabilités.
- Afin d’être justifiable en vertu de l’article premier, une restriction visant un droit ou une liberté doit être prescrite par une règle de droit.
- Une restriction à un droit garanti par la Charte doit être raisonnable, et sa justification doit pouvoir se démontrer par :
- un objectif législatif réel et urgent (autrement dit, un objectif suffisamment important pour justifier que l’on restreigne un droit protégé par la Charte) ; et
- un degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre.
- Le deuxième volet de « proportionnalité » comporte trois éléments :
- le « lien rationnel » : La restriction doit avoir un lien rationnel avec l’objectif. Il doit y avoir un lien de causalité entre la mesure contestée et l’objectif réel et urgent.
- l’« atteinte minimale » : La restriction ne doit pas porter atteinte au droit ou à la liberté plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire de le faire pour atteindre l’objectif. Le gouvernement est tenu de prouver l’absence de moyens moins attentatoires d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle.
- la « pondération finale » : Il doit y avoir une proportionnalité entre les effets préjudiciables de la loi et ses effets bénéfiques.
De plus, l’article 33 de la Charte agit comme une clause de dérogation. Selon cette disposition, un gouvernement (fédéral ou provincial) « peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte ». Alors, il serait possible d’adopter une loi qui porte atteinte à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte, en s’appuyant sur l’article 33.
Finalement, il existe certaines lois fédérales ou provinciales qui peuvent imposer des limites sur la liberté d’expression (voir les réponses aux autres questions ci-dessous).
- 3. Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est un droit fondamental qui protège toute forme d’expression dans une société — c.-à-d., toute activité qui transmet ou tente de transmettre une signification ou communication quelconque (voir l’arrêt de la CSC dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 (ci-après, « Irwin Toy »)), à l’exception des gestes de violence, ou les paroles qui incitent la violence (voir Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 R.C.S. 467 (ci-après, « Whatcott »), au paragraphe 112: « L’alinéa 2b) de la Charte ne protège pas l’écrit ou le discours qui exprime la violence ou la menace de recourir à la violence »).
La liberté d’expression représente la « capacité de s’exprimer et de participer à des échanges d’idées » (1704604 Ontario Ltd. c. Pointes Protection Association, 2020 CSC 22, [2020] 2 R.C.S. 587 (ci-après, « Pointes Protection »), au paragraphe 1).
La jurisprudence de la CSC révèle une définition et interprétation large et généreuse de la liberté d’expression. La liberté d’expression est « à la fois un droit et une valeur fondamentale » (Pointes Protection, précité, au paragraphe 1) et constitue la « pierre angulaire d’une démocratie pluraliste » comme le Canada (Bent c. Platnick, 2020 CSC 23, [2020] 2 R.C.S. 645 (ci-après, « Bent »), au paragraphe 1).
Dans l’arrêt récent Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43 (ci-après, « Ward »)), la majorité de la CSC a expliqué que la liberté d’expression « découle de la notion de dignité humaine » (paragraphe 59).
La portée de la liberté d’expression « se définit par ses différentes manifestations et les intérêts divers qu’elle protège » — notamment, « la recherche de la vérité, [. . .] l’épanouissement personnel ou [. . .] la tenue d’un débat d’idées riche et ouvert » (Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 48, citant Whatcott, précité, au paragraphe 171; voir aussi R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 (ci- après, « Keegstra »), à la p. 766).
La liberté d’expression ne protège pas simplement le droit de s’exprimer ou de communiquer ses propres croyances et opinions, mais aussi le droit de communiquer les uns avec les autres. Elle protège tout autant celui qui s’exprime que celui qui l’écoute (Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326 (ci-après, « Edmonton Journal »)). La protection de la liberté d’expression existe non pas au nom de la personne qui exerce ce droit, mais plutôt dans l’intérêt public, puisque la liberté d’expression bénéficie à tous ceux et celles qui vivent dans une société où l’on respecte cette liberté d’opinion (Ward, précité, au paragraphe 60).
La protection de la liberté d’expression a pour objectif d’« assurer que chacun puisse manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, toutes les expressions du cœur ou de l’esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient‑elles » (Ward, précité, au paragraphe 59, citant l’arrêt de la Cour dans Irwin Toy, précité, à la p. 968). Elle « ne commence véritablement que lorsqu’elle fait naître un devoir de tolérance envers les propos d’autrui », y compris « les expressions impopulaires, désobligeantes ou répugnantes » (Ward, précité, au paragraphe 60).
- 4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition de la liberté d’expression que l’on retrouve dans la jurisprudence de la CSC est conforme et semblable à celle établie par les jurisprudences et dispositions d’autres ordres juridiques, surtout sur le plan international.
Par exemple, l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » Cette définition, comme celle attribuée à la liberté d’expression protégée par la Charte canadienne, reprend les thèmes de tolérance pour des opinions contraires, et le droit non seulement de s’exprimer librement, mais aussi d’entendre ou de recevoir les communications des autres.
Dans l’affaire Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33 (ci- après, « Harper »), la CSC a reconnu que la liberté d’expression « protège non seulement celui qui communique le message, mais aussi celui qui le reçoit » (paragraphe 17), et a reconnu aussi que ce « droit à l’information », qui découle de la liberté d’expression, est également « consacré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, […] et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques », conventions dont le Canada est signataire (paragraphe 18).
- 5. Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
En principe, la liberté d’expression n’est pas une « liberté matricielle », et elle ne donne pas naissance à d’autres droits ou libertés distincts de la liberté d’expression. Il n’existe donc aucune « déclinaison » formelle ou officielle de la liberté d’expression.
Il est important de noter que le texte même de l’alinéa 2b) de la Charte (le texte principal pour la liberté d’expression au Canada) énonce des exemples ou sous-catégories — on se réfère à la « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ».
Alors, à titre d’exemple, la « liberté de la presse » ne serait pas un droit distinct qui découle de la liberté d’expression, mais plutôt une manifestation spécifique de la liberté d’expression dans un contexte particulier.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La Cour n’a pas encore été appelée à trancher précisément des dossiers ou des questions juridiques portant sur un conflit (ou une conciliation) entre la liberté d’expression et le blasphème.
Toutefois, la Cour a rendu jugement dans quelques dossiers ou recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse. En général, ces dossiers comprennent souvent des revendications multiples selon lesquelles une personne allègue avoir été victime d’une limite ou mesure qui porte atteinte à la fois à son droit de liberté d’expression (protégé par l’alinéa 2b) de la Charte) ainsi que son droit de liberté de religion (protégé par l’alinéa 2a) de la Charte). L’approche de la Cour dans de tels cas varie selon le contexte.
- Par exemple, dans l’affaire Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, [2018] 2 R.C.S. 293 (ci-après, « S.B.C. c. Trinity Western»), une université religieuse souhaitait ouvrir une faculté de droit exigeant que ses étudiants et les membres de son corps professoral adhèrent à un code de conduite fondé sur des croyances religieuses, qui interdisait toute « intimité sexuelle qui viole le caractère sacré du mariage entre un homme et une femme ». La Law Society of British Columbia (« LSBC »), l’organisme chargé de réglementer la profession juridique dans la province de la Colombie‐Britannique, avait adopté une résolution déclarant que la faculté de droit proposée par l’université ne serait pas agréée en raison de son code de conduite obligatoire. Les conseillers ont donc adopté la résolution. L’université et un diplômé du programme de premier cycle de l’université ont fait valoir que la résolution de la LSBC (qui refusait de reconnaître la faculté de droit proposée) portait atteinte à la liberté de religion des étudiants, et ont eu gain de cause en première instance et devant la cour d’appel provinciale. La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel de la LSBC et a rétabli sa résolution comme étant une décision administrative raisonnable. Dans ses motifs, la majorité de la Cour a pris note du fait que trois autres protections conférées par la Charte étaient susceptibles d’être en cause dans cette affaire — la liberté d’expression (l’alinéa 2b)); la liberté d’association (l’alinéa 2d)); et le droit à l’égalité (l’article 15). La majorité conclut que « la prétention fondée sur le droit à la liberté de religion suffit pour permettre la prise en compte des droits à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à l’égalité » dans son analyse : « que les protections garanties par la Charte aux étudiants éventuels de la faculté de droit proposée par [l’université] soient formulées sous l’angle de leur liberté de se livrer à la pratique religieuse consistant à étudier le droit dans un milieu d’apprentissage imprégné des croyances religieuses de la communauté, sous l’angle de leur liberté de s’exprimer et de s’associer à une communauté imprégnée de ces croyances ou sous l’angle de leur protection contre la discrimination fondée sur le motif énuméré de la religion, les restrictions en cause […] ont été mises en balance de manière proportionnée avec le mandat crucial de protection de l’intérêt public conféré à la LSBC » (paragraphe 78). (Voir aussi Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 33, [2018] 2 R.C.S. 453 (ci-après, « Trinity Western c. B.H.C. »), au paragraphe 34).
- Par contre, dans l’affaire Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825 (ci-après, « Ross»), la Cour a traité à la fois de la liberté de religion et de la liberté d’expression. Dans ce dossier, un enseignant ayant fait publiquement, en dehors de ses heures de travail, des déclarations racistes et discriminatoires contre les Juifs, fait valoir qu’une ordonnance émise par la Commission des droits de la personne de la province — qui ordonnait au conseil scolaire de prendre des mesures disciplinaires contre l’enseignant — avait porté atteinte à ses droits de liberté de religion et d’expression protégés aux alinéas 2a) et 2b) de la Charte. La cour de première instance conclut que, même si l’ordonnance violait les droits de l’enseignant, elle pouvait être sauvegardée en vertu de l’article premier de la Charte; la cour d’appel accueille l’appel de l’enseignant, statuant que les clauses de l’ordonnance portaient atteinte à ses libertés d’expression et de religion et ne pouvaient être justifiées au sens de l’article premier de la Charte. La Cour suprême du Canada accueille l’appel et rétablit les clauses de l’ordonnance, concluant que ces clauses portaient atteinte aux libertés de religion et d’expression de l’enseignant, mais pouvaient se justifier au sens de l’article premier de la Charte.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Non —la liberté d’expression est protégée dans le droit canadien de la même façon et au même degré pour tout contexte ou tout domaine.
Chaque cas est différent et peut dépendre de son contexte factuel ; il est donc impossible de prédire si la liberté d’expression recevra une protection plus large ou plus restreinte selon le domaine en question.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
Le texte de l’alinéa 2b) de la Charte précise que la liberté d’expression est un droit reconnu à « Chacun ». Cela veut dire que la liberté d’expression est reconnue à toutes les personnes ou individus au Canada : citoyens canadiens, résidents permanents ou nouveaux arrivants.
La liberté d’expression n’est pas limitée aux personnes physiques. Contrairement à d’autres droits et libertés protégées par la Charte dont la portée exclut les sociétés et les personnes morales (par exemple, l’article 12, qui protège seulement les « êtres humains » contre les traitements ou peines cruels et inusités — voir Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, [2020] 3 R.C.S. 426, au paragraphe 1), la liberté d’expression fait partie des droits et libertés qui sont reconnus aux personnes morales : voir Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712 (ci-après, « Ford ») et Irwin Toy, précité. Par exemple, de façon générale, la publicité commerciale est une forme d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte : voir R. c. Guignard, [2002] 1 R.C.S. 472 ; Ford, précité ; Irwin Toy, précité ; Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084 ; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199 (ci-après, « RJR-MacDonald Inc. ») ; etc.
Quant aux personnes publiques (comme une institution, une association ou une municipalité), en théorie rien n’empêcherait la reconnaissance d’un droit de liberté d’expression aux personnes publiques, bien qu’il existe très peu de jurisprudence à ce sujet. Il est clair, selon les arrêts de la CSC, que l’alinéa 2b) de la Charte protège plusieurs activités expressives de toute une gamme d’institutions, organisations ou associations, qu’elles soient de nature privée ou publique :
- Le piquetage par un syndicat (voir D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages, [2002] 1 R.C.S. 156; Dolphin Delivery Ltd. c. S.D.G.M.R., section locale 580, [1986] 2 R.C.S. 573; B.C.G.E.U c. British Columbia (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214; Morasse c. Nadeau-Dubois; [2016] 2 R.C.S. 232);
- La distribution de tracts (U.A.C., section locale 1518 c. Kmart Canada Ltd.; [1999] 2 R.C.S. 1083; Allsco Building Products Ltd. c. T.U.A.C., section locale 1288 P, [1999] 2 R.C.S. 1136);
- Le bruit produit par un haut-parleur situé à l’extérieur d’un club et donnant sur la rue (Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 R.C.S. 141 (ci-après, « Montréal»), au paragraphe 58);
- L’importation de matériel obscène imprimé ou graphique par une librairie (Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120 (ci-après, « Little Sisters»));
- Les dépenses dans le cadre de campagnes électorales ou référendaires (Harper, précité; Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569; C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2017] 1 R.C.S. 93);
- La publication de sondages (Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877);
- La publicité politique sur des véhicules de transport en commun (Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiants et étudiantes — Section Colombie-Britannique, [2009] 2 R.C.S. 295);
- Voir aussi École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, au paragraphe 95 : le texte des droits à la liberté de religion et à la liberté d’expression « ne renvoie pas à des ‘individus’, mais à ‘chacun’ […] ce qu’on a interprété comme incluant les sociétés ».
En ce qui concerne les mineurs, comme tout autre droit ou liberté protégé par la Charte qui est reconnu à « Chacun », la liberté d’expression est reconnue aux enfants au Canada. Cependant, puisqu’un mineur n’a pas la qualité pour agir dans le cadre du processus juridique, un parent ou gardien doit agir au nom de l’enfant pour faire valoir ses droits, y compris la liberté d’expression.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les droits et libertés énoncés dans la Charte (y compris la liberté d’expression) sont reconnus aussi aux agents et employés de l’État — par exemple les fonctionnaires gouvernementaux et les militaires.
Par contre, l’employeur de la fonction publique ou de la Défense nationale pourrait envisager et imposer des limites ou contraintes sur la liberté d’expression pour les fonctionnaires ou les militaires. Ce serait ensuite une question de déterminer si ces limites sont permises et justifiées en vertu de l’article premier de la Charte.
Par exemple, dans l’arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69 (ci-après, « Osborne »), la Cour a conclu qu’une loi fédérale, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33, qui interdisait aux fonctionnaires fédéraux de « travailler » pour ou contre un candidat ou un parti politique, portait atteinte à la liberté d’expression des fonctionnaires, mais que la limite pouvait se justifier aux termes de l’article premier de la Charte.
Aussi, pour les fonctionnaires, la liberté de critiquer publiquement des politiques gouvernementales est limitée par l’obligation de loyauté des fonctionnaires envers l’employeur (c.-à-d., le gouvernement ou l’État), qui découle de la common law (voir Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455 (ci-après, « Fraser ») ; Haydon et autres c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (C.F., 1re inst.) (ci-après, « Haydon 2001 ») ; et Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 C.F. 749 (ci-après, « Haydon 2004 »), au paragraphe 43 (C.F.)). L’objectif de cette obligation de loyauté — assurer une fonction publique impartiale et efficace — a été considéré comme un objectif législatif urgent et réel (voir Haydon 2001, précité, aux paragraphes 69 à 75 ; Haydon 2004, précité, au paragraphe 45 ; et Osborne, précité). Pour être justifiée, l’obligation de loyauté doit porter atteinte le moins possible à la liberté d’expression et ne doit pas exiger le silence absolu (voir Osborne, précité ; Haydon 2001, précité, au paragraphe 86). Afin de garantir une atteinte minimale et d’assurer la proportionnalité entre l’effet et l’objectif de la restriction, il est nécessaire de soupeser l’obligation de loyauté et la liberté d’expression (voir Fraser, précité; Haydon 2001, précité, au paragraphe 67; Haydon 2004, précité, au paragraphe 45; et Alberta Union of Provincial Employees (A.U.P.E.) v. Alberta, 2002 ABCA 202, 218 (4th) D.L.R. 16, au paragraphe 29).
De plus, les politiciens et personnes élues jouissent aussi, de façon générale, de la liberté d’expression. Par exemple, la liberté de parole au cours des délibérations parlementaires constitue le privilège le plus important des députés individuels fédéraux ; elle est protégée par la Loi constitutionnelle de 1867 et par la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, ainsi que par l’alinéa 2b) de la Charte. La liberté d’expression permet aux députés de « formuler librement toute observation pendant les travaux au Parlement », tout en « jouissant d’une complète immunité de poursuite criminelle ou civile » (voir le site web Privilège parlementaire :
La Chambre des communes ne saurait mener efficacement ses travaux si ses députés ne pouvaient s’exprimer en toute liberté.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est encadrée (de façon explicite et officielle, et inscrite aux lois du pays) au sein du système juridique au Canada depuis plusieurs décennies.
En 1960, la Déclaration canadienne des droits, précitée, a été la première loi fédérale du pays à protéger les droits de la personne et les libertés fondamentales, y compris la « liberté de parole » à l’alinéa 1d), et la « liberté de presse » à l’alinéa 1f), tel qu’indiqué dans la réponse à la question 1 du sous-thème 1, ci-haut.
Ensuite, la Charte canadienne des droits et libertés, précitée, a été adoptée en 1982. Elle confère une protection constitutionnelle à de nombreux droits et libertés, y compris la liberté d’expression (voir l’alinéa 2b), qui protège la « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse ».
Au niveau provincial, c’est l’« Act to Protect Certain Civil Rights » (S.S. 1947, c. 35) de la Saskatchewan qui, en 1947, représente la première charte des droits de la personne au Canada. L’Act protégeait plusieurs droits de la personne et libertés fondamentales, y compris la liberté d’expression (article 4).
À part son encadrement dans la législation fédérale et provinciale, la notion d’un droit à la liberté d’expression a de longues racines en droit canadien, et dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada on y retrouve certaines décisions pertinentes qui ont précédé l’adoption de la Déclaration en 1960.
Surtout, le renvoi de 1938 sur les lois de la province de l’Alberta (Reference Re Alberta Statutes — The Bank Taxation Act; The Credit of Alberta Regulation Act; and the Accurate News and Information Act, [1938] R.C.S. 100 ; voir surtout les pages 132 à 135) est souvent reconnu comme la première décision de la Cour suprême du Canada portant directement ou indirectement sur une réclamation d’un droit de liberté d’expression. Dans ce jugement, la Cour a conclu qu’une loi provinciale portant sur les médias était invalide sur le plan constitutionnel, puisque cette loi aurait porté atteinte au droit de « discussion publique libre » sur les « affaires publiques » (en permettant une ingérence gouvernementale importante dans le bon fonctionnement des journaux dans la province) et aurait empiété sur la compétence fédérale en matière criminelle. La Cour a voulu protéger la portée de la liberté d’expression et son rôle important dans le bon fonctionnement des institutions démocratiques.
Tel que discuté en plus grand détail dans la réponse à la question 4 du sous-thème 2, ci-dessous, d’autres arrêts antérieurs à la Déclaration de 1960 ont aussi aidé à encadrer la liberté d’expression dans le droit canadien — voir par exemple, Boucher c. Le Roi, [1951] R.C.S. 265, et Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2 R.C.S. 299. (Voir aussi : Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, et Switzman c. Elbling, [1957] SCR 285.)
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non, la liberté d’expression n’occupe pas une place particulière dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. Il n’existe aucune hiérarchie entre les droits et libertés protégés par la Charte (voir la réponse à la question suivante), et tous les droits et libertés qui s’y retrouvent sont protégés par la Constitution de façon égale.
Toutefois, la Cour a reconnu à maintes reprises que la liberté d’expression constitue un droit d’une importance capitale dans toute société démocratique. Elle est « à la fois un droit et une valeur fondamentale » (Pointes Protection, précité, au paragraphe 1) et elle constitue la « pierre angulaire d’une démocratie pluraliste » comme le Canada (Bent, précité, au paragraphe 1).
De plus, il est important de noter que la liberté d’expression, tout comme la liberté de religion, d’association et de réunion pacifique, se retrouve parmi les « libertés fondamentales » énoncées à l’article 2, plutôt que parmi les « droits démocratiques » énoncés aux articles 3 à 5 (comme le droit de vote ou la durée maximale des législatures) ou parmi les « garanties juridiques » énoncées aux articles 7 à 14 (comme le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ; ou le droit à la protection contre les fouilles ou les saisies abusives ; ou les droits qui se rattachent aux personnes inculpées dans une affaire criminelle). Sa classification comme une « liberté fondamentale » ne fait pas de la liberté d’expression un droit plus ou moins important que les autres ; plutôt, la liberté d’expression, comme tout autre droit protégé et garanti par la Charte, n’est pas absolue et doit souvent être conciliée avec d’autres droits fondamentaux, afin d’établir un « juste équilibre ».
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Non, il n’existe aucune hiérarchie entre droits et libertés au Canada. La Charte canadienne des droits et libertés n’établit pas de telle hiérarchie ou de priorité entre les droits qui s’y retrouvent.
Comme la Cour l’a énoncé dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, à la page 877 : « Il faut se garder d’adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d’autres droits, tant dans l’interprétation de la Charte que dans l’élaboration de la common law. Lorsque deux droits sont en conflit […] les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits ».
Voir aussi les arrêts suivants : R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668 ; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411 ; Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), [2011] 1 R.C.S. 19 (ci-après, « Radio-Canada ») ; et Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La protection accordée à la liberté d’expression fait preuve d’une évolution progressive et graduelle dans la jurisprudence canadienne ; mais elle est aussi marquée par certains grands événements législatifs.
Dans une première phase, avant l’adoption de la Déclaration canadienne des droits en 1960, il existe très peu de jurisprudence ou de décisions juridiques au sujet de la liberté d’expression. Les quelques arrêts de la Cour suprême du Canada qui se réfèrent à la liberté d’expression ou de parole ne le font que de façon indirecte, dans le contexte d’affaires criminelles (voir, par exemple, Boucher c. Le Roi, [1951] R.C.S. 265 (ci-après, « Boucher ») ou de disputes entre le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial portant sur le partage des compétences dans la Constitution canadienne (voir, par exemple, Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2 R.C.S. 299). Dans ces affaires, la liberté d’expression est souvent discutée à titre d’exemple de droit universel de la personne, basé sur la common law britannique ou sur le droit civil en vigueur au Québec. Cette conception de la liberté d’expression préalable à l’adoption de la Déclaration envisage un droit assez large, presque sans limites ou restrictions, en l’absence d’activité criminelle. Voir par exemple Perrault c. Gauthier, (1898) 28 R.C.S. 241, à la page 256, citant Allen c. Flood, [1898] A. C. 1, à la page 118 ; voir aussi Boucher, précité, à la page 288.
Ensuite, après l’adoption de la Déclaration en 1960, mais avant l’arrivée de la Charte en 1982, encore une fois il existe très peu de décisions dans la jurisprudence de la Cour portant directement sur la liberté d’expression. Les quelques arrêts qu’on y retrouve suggèrent toutefois une portée quasi illimitée pour la liberté d’expression — voir, par exemple, Cherneskey c. Armadale Publishers Ltd., [1979] 1 R.C.S. 1067.
La prochaine phase d’évolution correspond à l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982. Depuis cette date, les tribunaux judiciaires canadiens ont rendu des centaines de décisions qui invoquent les dispositions de la Charte, y compris la liberté d’expression énoncée à l’alinéa 2b), pour faire conformer les lois canadiennes aux principes et aux valeurs de la société canadienne.
En ce qui concerne la liberté d’expression, l’adoption de la Charte a provoqué plusieurs litiges impliquant ce droit, et la Cour a rendu de nombreuses décisions juridiques portant directement ou indirectement sur la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) — voir la liste partielle dans les réponses aux questions 3, 8 et 9 du sous-thème 1, ci-haut, ainsi que plusieurs autres arrêts. Au sein de cette jurisprudence, la Cour a confirmé que la liberté d’expression est une « valeur fondamentale » de grande importance, car elle réside au cœur d’un gouvernement démocratique, favorise la recherche de la vérité au moyen d’un échange ouvert d’idées, favorise l’épanouissement personnel des individus, et touche directement la dignité humaine de la personne.
Pendant cette phase, les tribunaux judiciaires canadiens ont interprété l’alinéa 2b) de façon très large et ont souvent conclu qu’il y avait atteinte à première vue à la liberté d’expression. Dans des cas sans équivoque, le procureur général du Canada admettra qu’il y a eu contravention à cette disposition et s’attachera à justifier la limite imposée à cette liberté en invoquant l’article premier.
Selon la Cour suprême, cette disposition doit être analysée en fonction d’un critère à trois volets : 1) L’activité en question a-t-elle le contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d’application de la protection offerte par l’alinéa 2b) ? 2) Le lieu ou le mode d’expression ont-ils pour effet d’écarter cette protection ? 3) Si l’activité expressive est protégée par l’alinéa 2b), est-ce que la mesure gouvernementale, de par son objet ou son effet, porte atteinte au droit protégé ? (Voir les arrêts suivants, à titre d’exemples de cette analyse : Radio-Canada, précité ; Montréal, précité ; et Irwin Toy, précité.)
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Tel qu’expliqué dans la réponse à la question précédente, c’est surtout l’adoption de nouvelles lois en matière de droits de la personne qui a modifié le traitement jurisprudentiel de la liberté d’expression — c.-à-d., l’adoption de la Déclaration canadienne des droits en 1960, suivie de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982.
Surtout, l’adoption de la Charte et l’entrée en vigueur des droits et libertés qu’elle protège sur le plan constitutionnel a grandement modifié le paysage juridique au Canada, y compris la nature et la protection des droits de la personne, et le rôle des tribunaux. Désormais, ces droits bénéficient maintenant d’une protection constitutionnelle, grâce à leur encadrement dans la Charte ; cela veut dire que, puisque la Charte est la loi la plus importante au pays, et fait partie de la Constitution canadienne (contrairement à la Déclaration de 1960), toutes les autres lois (municipales, provinciales et fédérales) doivent s’y conformer. Si elles ne sont pas conformes aux droits et libertés énoncés dans la Charte, y compris la liberté d’expression, ces lois peuvent être déclarées invalides. La Charte permet aux individus de contester des lois ou des mesures gouvernementales qui pourraient contrevenir à leurs droits, y compris la liberté d’expression. Depuis son adoption en 1982, les gouvernements à tous les niveaux doivent tenir compte des droits et libertés garantis par la Charte lorsqu’ils envisagent des lois ou des mesures susceptibles d’affecter ces droits. La Charte constitue donc un volet essentiel de la démocratie au Canada et un élément important de l’identité nationale.
La Charte a profondément changé le rôle des tribunaux judiciaires canadiens, y compris la Cour suprême du Canada. Les causes impliquant la Charte ont permis d’établir des précédents juridiques et ont entraîné des changements importants aux lois fédérales, provinciales et territoriales, et même municipales. La Cour suprême du Canada est une importante institution nationale, située au sommet du pouvoir judiciaire de l’État canadien, et l’adoption de la Charte, qui prévoit un rôle particulier pour tous les tribunaux judiciaires, a évidemment renforcé et appuyé son importance. Il en découle donc une modification importante à la jurisprudence, et les décisions juridiques au sujet de la liberté d’expression ne font aucune exception.
De plus, la jurisprudence des tribunaux canadiens en matière de liberté d’expression a aussi connu une évolution progressive et graduelle en raison des changements au niveau des normes sociales, des mœurs de la société canadienne, des modes de communication et de la technologie, etc. Comme la juge Bertha Wilson, juge à la Cour suprême, l’a indiqué : « Le droit évolue lentement, graduellement ; c’est sa nature. Il réagit aux changements dans la société ; il en est rarement l’instigateur » (citée dans un discours récent du très honorable Richard Wagner, C.P., juge en chef du Canada, intitulé « Principes déontologiques et compétence culturelle : un devoir d’apprendre », prononcé le 6 mai 2021). Par exemple, l’utilisation de plus en plus fréquente des ressources en ligne dans Internet, ainsi que la quasi-explosion du contenu numérique en ligne représentent de nouveaux défis pour la protection et le contrôle de la liberté d’expression au Canada.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Oui, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada a non seulement influencé la jurisprudence des juridictions du fond (ou des tribunaux des instances inférieures), mais encore plus, elle l’a dirigée et dictée.
En effet, le système juridique au Canada et la structure de ses tribunaux judiciaires reposent sur le principe de stare decisis (« s’en tenir à ce qui a été décidé »).
Le principe de stare decisis « vertical » signifie que les règles de droit qu’énoncent les décisions émanant de juridictions de degré supérieur lient les tribunaux d’instance inférieure. Aussi font-elles autorité ; elles ne peuvent être contestées tant qu’elles n’auront pas été modifiées ou abandonnées par ces juridictions supérieures. Voir R. c. Sullivan, 2022 CSC 19 (ci-après, « Sullivan »), au paragraphe 59 : « les autres tribunaux sont liés par les précédents qu’établit une autorité judiciaire supérieure ».
Le principe de stare decisis « horizontal » exige que « les décisions pertinentes du même niveau de juridiction soient suivies en raison de la courtoisie judiciaire, à moins que des raisons impérieuses justifient de ne pas le faire » (Sullivan, précité, au paragraphe 24).
Alors, selon la règle de stare decisis, les principes et les règles de droit établis et confirmés par la Cour suprême du Canada, étant le plus haut tribunal du pays et le tribunal d’appel de dernier ressort pour tout le Canada, doivent nécessairement lier les tribunaux des instances inférieures (les cours fédérales et provinciales, y compris les cours d’appel intermédiaires).
En matière de liberté d’expression, par exemple, une décision émise par la Cour suprême du Canada selon laquelle une loi est déclarée inopérante et inconstitutionnelle, en raison d’une atteinte à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, doit être respectée et suivie par tous les tribunaux des instances inférieures à travers le Canada. Voir Sullivan, précité, au paragraphe 65 : « La décision en matière constitutionnelle d’un tribunal liera évidemment les juridictions inférieures par la voie du stare decisis vertical ».
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Oui, les décisions de la Cour suprême du Canada portant sur la liberté d’expression, comme c’est le cas pour d’autres sujets, peuvent se référer et s’inspirer de la jurisprudence de tribunaux d’autres ordres juridiques, notamment nationaux et internationaux. Le cas échéant, la Cour agit avec discernement et prudence, et, lorsque cela est raisonnable et souhaitable, elle peut être appelée à adapter ces jurisprudences étrangères aux particularités de son office, de sa jurisprudence et des règles de droit applicables.
En ce qui concerne l’influence d’autres ordres juridiques nationaux sur les décisions de la Cour, l’arrêt Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640 (ci-après, « Grant ») est un bon exemple (voir aussi la décision Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712, qui a été rendue simultanément). Dans cette affaire, la Cour s’est inspirée de la jurisprudence de ressorts étrangers appliquant un régime de common law semblable à celui du Canada, afin de mieux protéger la liberté d’expression des médias se prononçant sur des affaires d’intérêt public. Elle a examiné la façon dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud ont choisi de modifier « les règles relatives à la diffamation applicables chez eux de façon à accorder une plus grande protection aux communications concernant des questions d’intérêt public » (paragraphe 85). Elle a ensuite choisi de créer un nouveau moyen de défense qui permet aux médias de s’exonérer dans le cadre d’une poursuite en diffamation lorsqu’ils peuvent établir qu’ils ont agi de façon responsable en tentant de vérifier l’information communiquée au sujet d’une affaire d’intérêt public (voir les paragraphes 85 à 86, et 98 à 126). Ce faisant, la Cour a choisi une approche analogue à celle adoptée par les tribunaux de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud et du Royaume-Uni, mais distincte de celle préconisée par les tribunaux américains (voir le paragraphe 85).
L’arrêt Grant n’est qu’un exemple. Dans plusieurs autres arrêts portant sur la liberté d’expression, la Cour s’est référée à la jurisprudence d’autres ordres juridiques nationaux. Entre autres, il n’est pas rare que la Cour, tant dans ses motifs majoritaires que dissidents, se réfère à de la jurisprudence des États-Unis, tantôt pour s’en inspirer, tantôt pour s’en distancier. Ce fut le cas notamment dans Irwin Toy, précité ; Keegstra, précité ; Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139 ; Little Sisters, précité ; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892 ; et RJR-MacDonald Inc., précité.
Quant à l’influence d’autres ordres juridiques internationaux sur les décisions de la Cour en matière de liberté d’expression, soulignons que la Cour a déjà eu recours aux principes et règles de droit établis dans des conventions internationales. Par exemple, dans l’affaire R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, le fait qu’un certain nombre de conventions internationales, ratifiées par le Canada, imposent des restrictions explicites à la liberté d’expression afin de protéger les droits et la réputation des individus a été considéré comme étayant la thèse d’un objectif urgent et réel dans le cadre de l’analyse de justification sous l’article premier de la Charte (voir à ce sujet la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut). Selon la Cour, cela « révèle qu’il y a un consensus au sein de la communauté internationale sur le fait que la protection de la réputation est un objectif suffisamment important pour justifier l’imposition de certaines restrictions à la liberté d’expression » (paragraphe 50). De plus, en matière d’interprétation constitutionnelle, le droit international, tout comme le droit comparé d’ailleurs, joue un rôle dans l’interprétation des droits garantis par la Charte. Il peut servir à appuyer ou à confirmer une interprétation d’un droit ou d’une liberté dégagée en appliquant la démarche établie dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 (voir par exemple l’arrêt Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, au paragraphe 28).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Dans le système juridique canadien, la conciliation entre la liberté d’expression et d’autres droits et libertés également protégés par la Constitution s’explique par la recherche d’un équilibre raisonnable, et s’achève par voie de l’article premier de la Charte, qui permet aux gouvernements d’établir des limites et contraintes aux droits constitutionnels lorsque ces limites sont justifiables au sein d’une société démocratique comme le Canada (voir la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut).
La possibilité d’un conflit entre divers droits garantis par la Charte n’entraîne pas nécessairement une déclaration d’inconstitutionnalité. Lorsqu’il y a un conflit apparent entre deux ou plusieurs droits, il est essentiel de considérer le problème au sein du contexte factuel de conflits réels.
Il faut premièrement se demander si les droits prétendument en conflit peuvent être conciliables (voir Trinity Western c. B.H.C., précité, aux paragraphes 28 et 29 ; et R. c. N.S., [2012] 3 R.C.S. 726, aux paragraphes 30 à 32).
Lorsque les droits en cause sont inconciliables, il y a véritablement conflit. Dans de tels cas, la Cour pourrait conclure à l’existence d’une limite au droit qui est à l’origine de la difficulté ; elle soupèsera les divers intérêts en cause, au regard de l’article premier de la Charte (voir Ross, précité, aux paragraphes 73 et 74). Si un conflit réel et inacceptable surgit, la disposition en cause ne pourrait, par définition, se justifier au sens de l’article premier de la Charte, et le conflit cesserait d’exister.
Dans les deux cas, la Cour fonde son analyse sur les principes fondamentaux que la Charte ne crée pas une hiérarchie de droits et que les droits de la Charte doivent être interprétés largement (voir le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, aux paragraphes 50 à 53 ; voir aussi les réponses aux questions 2 et 3 du sous-thème 2, ci-haut).
Dans l’arrêt Hansman c. Neufeld, 2023 CSC 14 (ci-après, « Hansman »), par exemple, dans le contexte d’une poursuite en diffamation, la Cour avait comme tâche ou projet de « clarifier le juste équilibre » entre deux « valeurs opposées » — la liberté d’expression et la protection de la réputation —, les deux valeurs étant « essentielles au maintien d’une démocratie fonctionnelle » (paragraphe 1). L’exercice judiciaire et analytique au cœur de ce projet comprend une « évaluation de l’intérêt public » (paragraphe 39). Dans le contexte d’une poursuite en diffamation, cela veut dire qu’il faut considérer à la fois l’intérêt public à protéger l’expression du défendeur (celui qui aurait prononcé les paroles diffamatoires), et déterminer si cet intérêt public l’emporte sur le préjudice qu’aurait vraisemblablement subi le demandeur (victime de ladite diffamation).
Cet exercice d’évaluation constitue « l’essence de l’analyse », car il permet au tribunal de trouver « le juste équilibre entre la protection de la réputation de la personne et la liberté d’expression » (paragraphe 58).
Plusieurs facteurs peuvent aider le tribunal à trancher la question : « l’importance de l’expression, le résumé des litiges passés entre les parties, l’existence d’effets indirects ou à plus grande échelle, produits sur d’autres expressions relativement à des affaires d’intérêt public, l’effet paralysant potentiel pour l’expression d’une partie ou d’autres personnes dans l’avenir; le résumé des activités militantes ou de défense de l’intérêt public menées par le défendeur antérieurement, toute disproportion entre les ressources mises à contribution dans la poursuite et le préjudice causé ou l’octroi éventuel de dommages‑intérêts et la question de savoir si l’expression ou la demande pourrait être à l’origine d’hostilités à l’endroit d’un groupe reconnu comme étant vulnérable » (Hansman, précité, au paragraphe 60, citant l’arrêt Pointes Protection, précité, au paragraphe 80).
Cet exercice d’évaluation des intérêts publics qui sous-tendent des valeurs opposées n’est qu’un exemple des méthodes employées par les tribunaux judiciaires au Canada pour aborder la question d’un conflit entre deux ou plusieurs droits fondamentaux, comme la liberté d’expression.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Pour tout litige impliquant la liberté d’expression (comme pour tout autre droit protégé par la Charte, il n’y a rien qui favorise une partie ou l’autre. Tel qu’expliqué dans la réponse à la question 7, au sous-thème 1, ci-haut, chaque cas est différent, et ses faits et circonstances doivent être considérés attentivement. Il faut donc adopter une analyse contextuelle et objective pour chaque affaire.
Il est important de noter, cependant, que selon le cadre d’analyse établi pour les litiges impliquant des droits constitutionnels protégés par la Charte, le fardeau de preuve change de l’État à l’individu selon le stade d’analyse juridique.
En général, tel qu’expliqué en partie dans la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut, lorsqu’un individu plaide qu’une loi ou une mesure gouvernementale a porté atteinte à sa liberté d’expression ou à tout autre droit protégé par la Charte, voici le cadre d’analyse applicable :
- Le fardeau de prouver qu’une loi ou une action gouvernementale porte atteinte à un droit protégé par la Charte incombe à la partie qui souhaite invoquer la protection du droit en question — c.-à-d., généralement, l’individu.
- Ensuite, le fardeau de prouver qu’une restriction est justifiable en vertu de l’article premier de la Charte incombe à la partie qui veut faire valider cette restriction — c.-à-d., généralement, l’État.
- La norme de preuve est celle qui s’applique en matière civile — c.-à-d., la preuve selon la prépondérance des probabilités.
Alors, bien que ni l’État ni l’individu ne reçoit un avantage particulier dans les litiges impliquant la liberté d’expression (ni pour tout autre droit protégé par la Charte). Cependant, l’identité de la partie provoque certains changements au niveau du processus et du fardeau de preuve au sein de l’analyse.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La proportionnalité joue un rôle important comme outil jurisprudentiel dans la protection de la liberté d’expression, et dans l’établissement de limites et balises pour cette protection.
Le contrôle de la proportionnalité s’effectue au stade de « justification » du cadre d’analyse juridique pour la Charte — c.-à-d., après que la Cour a conclu qu’il y a eu une atteinte au droit protégé par la Charte (en l’espèce, la liberté d’expression protégée à l’alinéa 2b)). Selon l’article premier de la Charte, il incombe à l’État de démontrer que cette atteinte est justifiée au sein d’une société libre et démocratique.
Tel qu’expliqué en plus grand détail dans la réponse à la question 2 au sous-thème 1, ci-haut, le test « Oakes » fait appel au concept de la proportionnalité de façon explicite. Une limite ou restriction à un droit garanti par la Charte doit être « raisonnable », et sa justification doit pouvoir se démontrer par un objectif législatif réel et urgent, ainsi qu’un degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif législatif et le moyen utilisé pour l’atteindre.
Ce principe de « proportionnalité » comporte trois éléments : a) le « lien rationnel » de causalité entre l’objectif législatif et la mesure contestée ; b) l’« atteinte minimale » de la mesure au droit ou à la liberté, pas plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire de le faire ; et c) la « pondération finale », selon laquelle il faut assurer une proportionnalité suffisante entre les effets préjudiciables de la limite et ses effets bénéfiques.
L’intensité du contrôle de la proportionnalité ne varie pas selon l’identité de la partie requérante, mais tel qu’expliqué dans la réponse à la question 9 au sous-thème 2 ci-haut, le fardeau de preuve change d’une partie à l’autre selon le stade d’analyse : par exemple, il incombe à l’individu qui revendique un droit constitutionnel de démontrer qu’une mesure gouvernementale porte atteinte à son droit, mais il incombe à l’État de démontrer que la mesure se justifie aux termes de l’article premier de la Charte.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Des considérations d’ordre public permettent d’encadrer la liberté d’expression dans la jurisprudence canadienne, en limitant la portée des formes d’expression qui sont protégés par l’alinéa 2b) de la Charte, soit en concluant que l’expression en question est exclue du champ d’application de l’alinéa 2b), ou en concluant qu’une limite à l’expression en question est justifiable en vertu de l’article premier de la Charte.
Par exemple, selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, l’expression qui prend la forme de la violence n’est pas protégée par l’alinéa 2b) de la Charte ; peu importe que la violence possède ou non une valeur expressive, elle ne s’inscrit pas dans le champ d’application de cette protection : voir Keegstra, précité ; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731 ; et Irwin Toy, précité.
Il s’agit d’un exemple d’activité ou d’expression qui n’est pas protégée par l’alinéa 2b), non pas en raison du critère de justification en vertu de l’article premier de la Charte, mais en raison des « limites internes » de la liberté d’expression elle-même — c.-à-d., lorsque le mode d’expression de l’activité en question (par exemple, la violence) ou le lieu où elle se déroule « est en dissonance avec la protection offerte par la Charte » (Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, au paragraphe 15).
En général, au Canada, les propos haineux ou l’expression qui incite la violence ou la haine ne sont pas protégés par la Charte. Diverses lois fédérales, provinciales et territoriales imposent des restrictions à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, y compris l’interdiction d’une expression publique de messages ayant pour but d’inciter la haine contre les membres d’un groupe particulier. Par exemple, aux termes des articles 318 et 319 du Code criminel, des sanctions pénales sont imposées à quiconque préconise intentionnellement le génocide ou incite à la haine dans un endroit public. Selon la Cour suprême, « un discours haineux nie toujours des droits fondamentaux » (voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 147, citant l’arrêt Keegstra, précité). Les propos haineux, s’ils ne sont pas réglementés ou interdits, « préparent le terrain en vue de porter des attaques plus virulentes contre les groupes vulnérables », attaques qui peuvent prendre « la forme de mesures discriminatoires, d’ostracisme, de ségrégation, d’expulsion et de violences et, dans les cas les plus extrêmes, de génocide » (voir Whatcott, précité, au paragraphe 74, citant l’arrêt Keegstra, précité).
De façon semblable, la plupart des lois provinciales et territoriales au Canada en matière des droits de la personne interdisent la publication ou la diffusion de messages qui expriment l’intention d’établir une distinction discriminatoire ou suggèrent ou incitent des actes discriminatoires, ce qui relève aussi de l’ordre public, puisque les mesures visant à empêcher la propagation de la haine s’inscrivent dans un cadre législatif plus vaste consistant à lutter contre la discrimination : « l’interdiction des représentations qui sont objectivement perçues comme exposant un groupe protégé à la haine a un lien rationnel avec l’objectif d’éliminer la discrimination ainsi que les autres effets préjudiciables de la haine » (Whatcott, précité, au paragraphe 99).
Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour a résumé sa jurisprudence à ce sujet ainsi : « la liberté d’expression peut être limitée de manière justifiée dans une société libre et démocratique pour prévenir les effets discriminatoires des propos haineux » (paragraphe 47). Les limites à la liberté d’expression « se justifient lorsqu’il existe, dans un contexte donné, des raisons sérieuses de craindre un préjudice suffisamment précis auquel le discernement et le jugement critique de l’auditoire ne sauraient faire obstacle » (paragraphe 61). Même lorsque les propos en question ne sont pas du même ordre que la définition de la haine, ces limites se justifient aussi dans le contexte de propos qui auraient pour effet de forcer certaines personnes à « défendre leur propre humanité fondamentale ou leur propre statut social avant même d’être admis[es] à participer au débat démocratique » (Ward, précité, au paragraphe 63, citant l’arrêt Whatcott, précité, au paragraphe 75).
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
En général, tel qu’expliqué dans la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut, et la réponse à la question 10 du sous-thème 2, ci-haut, pour la Cour suprême du Canada et pour l’ensemble de l’appareil judiciaire canadien, l’outil juridique principal pour le contrôle de la protection de la liberté d’expression est la notion de « proportionnalité » au cœur de l’analyse de justification en vertu de l’article premier de la Charte.
Cependant, il existe d’autres outils juridiques ou légaux sur lesquels les tribunaux judiciaires canadiens peuvent s’appuyer et/ou pour lesquels les tribunaux sont parfois appelés à trancher des questions juridiques importantes.
Par exemple, dans le cadre de litiges privés, il est possible qu’un individu tente de limiter ou de réprimer la liberté d’expression d’autrui par l’entremise d’une action civile visant à faire cesser et/ou réparer un préjudice causé par des propos diffamatoires du défendeur. Dans le cadre d’une telle action, en plus des dommages-intérêts compensatoires, le demandeur pourrait demander que soit rendue une injonction interlocutoire et/ou permanente pour faire cesser le comportement délictuel, et donc restreindre la liberté d’expression du défendeur. Ce type d’action, en plus de faire cesser la diffamation et d’indemniser la personne qui en est victime, peut avoir un effet plus large sur la liberté d’expression, en dissuadant d’autres individus de diffuser du contenu expressif diffamatoire. Dans le contexte d’une telle dynamique, les tribunaux judiciaires peuvent être appelés à trancher certaines questions relatives à la diffamation, et à la liberté d’expression, et d’établir des bornes et limites à cette liberté.
D’autant plus que ce genre d’action civile en diffamation peut se dérouler dans un contexte législatif où l’État tente de réglementer la portée de la diffamation et la résolution de conflits semblables. Par exemple, certaines provinces au Canada ont adopté de nouvelles lois régissant la liberté d’expression ou qui peuvent y imposer certaines limites ou contraintes. (Voir la réponse à la question 2 du sous-thème 3, ci-dessous.) La Cour suprême du Canada et les tribunaux des instances inférieures à travers le pays sont parfois appelés à trancher des dossiers impliquant ces lois et mesures, afin de déterminer si elles portent atteinte à la liberté d’expression, et si oui, si cette limite est justifiée.
Le rôle joué par les tribunaux judiciaires dans ces circonstances, à titre d’« outil jurisprudentiel », y compris son étendue et ses limites, est abordé plus amplement ci-dessous, dans la réponse à la question 2 du sous-thème 3, ci-dessous.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Il n’incombe pas à la Cour suprême du Canada (ni à aucun autre tribunal juridique) de créer ou réserver un régime juridique particulier pour la liberté d’expression, ou d’identifier les conditions qui justifieraient l’imposition d’un tel régime particulier, ou d’envisager la nécessité d’en imposer un. Ce n’est pas le rôle ou la fonction des tribunaux judiciaires canadiens d’identifier des conditions ou situations pour lesquelles le degré de protection d’un droit constitutionnel sera modifié.
Par contre, il est possible d’envisager des situations ou des circonstances dans lesquelles un gouvernement (fédéral, ou provincial) pourrait imposer des mesures d’urgence (en réponse à une crise quelconque, qu’elle soit de nature militaire ou économique, ou qui relève des questions de santé ou de sécurité) qui seraient susceptibles de limiter ou restreindre la liberté d’expression, ou d’affecter son cadre d’analyse juridique.
Dans un tel cas, la Cour serait peut-être appelée à trancher la question à savoir si les mesures d’urgence peuvent être justifiées même si elles portent atteinte à la liberté d’expression ou à d’autres droits et libertés protégés par la Charte. Dans ces circonstances, il est possible d’envisager un cadre d’analyse ou un régime juridique modifié en ce qui concerne la liberté d’expression.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Comme tous les droits protégés au Canada, celui à la liberté d’expression n’est pas absolu. En effet, il est reconnu que certains contenus expressifs peuvent être limités, voire censurés, soit afin de prévenir la violence ou le crime, ou d’assurer l’ordre public, soit afin de protéger d’autres droits concurrents comme celui à la protection de la réputation d’une personne ou encore celui à l’égalité (voir Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, 2002 CSC 85 (ci-après, « Prud’homme »), au paragraphe 38 ; Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, [2004] 3 R.C.S. 95, 2004 CSC 53 (ci-après, « Néron »), aux paragraphes 52 à 55 ; Whatcott, précité, au paragraphe 66; Bent, précité, au paragraphe 1; Hansman, précité, au paragraphe 1). Ainsi, les tribunaux sont appelés à distinguer le contenu expressif légal de celui qui ne l’est pas, tant dans le cadre de litiges privés que dans le cadre de litiges publics, et tant dans le contexte de censure que dans le contexte de diffamation.
Litiges privés
Lorsque le droit à la liberté d’expression d’une personne entre en conflit avec le droit d’une autre à la protection de sa réputation, dans le cadre d’un recours privé en diffamation, il n’existe pas de règle absolue afin de déterminer lequel doit prévaloir. Déterminer si une action en diffamation doit être accueillie est le fruit d’une analyse contextuelle propre à chaque cas, que ce soit en droit civil québécois ou en common law.
En droit civil québécois, comme dans toute action en responsabilité civile, délictuelle ou quasi délictuelle, l’analyse contextuelle portera sur l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité entre les deux (Néron, précité, au paragraphe 56 ; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214 (ci-après, « Bou Malhab »), au paragraphe 22). En ce qui concerne le préjudice, le tribunal doit se demander « si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers » (Prud’homme, précité, au paragraphe 34 ; Néron, précité, au paragraphe 57 ; Bou Malhab, précité, au paragraphe 28). Or, même si une réponse affirmative s’impose, un contenu expressif jugé diffamatoire n’engagera pas la responsabilité civile de son auteur en l’absence de la commission d’une faute civile de la part de ce dernier (Prud’homme, précité, au paragraphe 35). La jurisprudence reconnaît au moins trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de contenu expressif diffamatoire : (1) lorsqu’une personne prononce des propos diffamatoires tout en les sachant faux; (2) lorsqu’une personne diffuse des choses diffamatoires sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses; et (3) lorsqu’une personne médisante tient, sans justes motifs, des propos diffamatoires, mais véridiques, à l’égard d’un tiers (Prud’homme, précité, au paragraphe 36).
Ainsi, en droit civil québécois, la communication d’une information fausse n’est pas nécessairement fautive ni suffisante pour accueillir une action en diffamation. À l’inverse, la transmission d’une information véridique peut parfois constituer une faute et permettre d’accueillir une action en diffamation (Prud’homme, par. 37).
Bref, la possibilité de réprimer du contenu expressif, et donc d’établir une limite à la liberté d’expression, par la voie d’une action privée en diffamation dépend fermement du contexte.
En common law, l’analyse contextuelle pour une action en diffamation porte sur les trois éléments suivants : (1) les mots en cause sont diffamatoires au sens où ils tendent à entacher la réputation du demandeur aux yeux d’une personne raisonnable ; (2) ces mots visent bel et bien le demandeur ; et (3) les mots en cause ont été diffusés, c.-à-d., qu’ils ont été communiqués à au moins une personne autre que le demandeur (voir Grant, précité, au paragraphe 28). Si ces éléments sont établis suivant la prépondérance des probabilités, la fausseté et le préjudice sont présumés (Grant, précité, au paragraphe 28). Il y a alors inversement du fardeau de la preuve et il revient au défendeur d’invoquer un moyen de défense pour éviter d’être tenu responsable (Grant, précité, au paragraphe 29). En fonction des circonstances de chaque affaire, différents moyens de défense peuvent être invoqués :
- À l’égard des énoncés d’opinion et ceux de fait, le défendeur peut invoquer la défense d’« immunité ». Certaines situations, comme les débats parlementaires ou les instances judiciaires, entraînent une immunité absolue. D’autres, comme les lettres de recommandation ou les rapports de solvabilité, ne confèrent qu’une immunité relative, au sens où elle peut être levée s’il est démontré que le défendeur a agi avec malveillance (Grant, précité, au paragraphe 30).
- À l’égard des énoncés d’opinion, un défendeur peut invoquer non seulement l’immunité, mais aussi la défense de « commentaire loyal », lorsque le commentaire porte sur une question d’intérêt public, est fondé sur des faits, peut intrinsèquement être identifié comme tel, et répond au critère objectif suivant : est‑ce que n’importe qui pourrait honnêtement exprimer cette opinion, vu les faits prouvés ? Enfin, même si le commentaire répond au critère objectif, la défense de commentaire loyal peut échouer si le demandeur réussit à démontrer que le défendeur était animé par la malice (WIC Radio Ltd. c. Simpson, [2008] 2 S.C.R. 420, 2008 CSC 40, au paragraphe 28 ; Grant, précité, au paragraphe 31).
- À l’égard des énoncés de fait, en plus de la défense d’immunité, un défendeur peut faire valoir que l’énoncé est « substantiellement vrai », ou encore, lorsque le contenu porte sur une question d’intérêt public, il peut plaider que la communication du contenu expressif en cause était responsable — c.-à-d., qu’il s’est efforcé avec diligence de vérifier les allégations, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes (Grant, précité, aux paragraphes 85 et 98 à 126).
Toujours en lien avec les recours privés en diffamation, il convient de souligner que plusieurs provinces se sont dotées de lois cherchant à prévenir les « poursuites stratégiques contre la mobilisation publique » (aussi connues comme des lois « anti-SLAPP », en vertu de l’expression en anglais, « Strategic Lawsuits Against Public Participation »). Ce type de poursuites en diffamation, également nommées « poursuites-bâillons », se caractérisent « invariablement par le fait qu’elle[s] vise[nt] à réduire le défendeur au silence et, plus largement, à réprimer le débat sur des questions d’intérêt public, plutôt qu’à réparer un préjudice grave subi par le demandeur » (Hansman, précité, au paragraphe 48). En d’autres mots, ces poursuites abusives constituent une forme d’intimidation judiciaire avec l’objectif de censurer le défendeur (Hansman, précité, au paragraphe 46 ; voir aussi Pointes Protection, précité, aux paragraphes 1 et 2).
Les lois anti-SLAPP instaurent « un mécanisme de filtrage préliminaire des instances découlant de l’expression sur des affaires d’intérêt public » (Hansman, précité, au paragraphe 49), permettant de distinguer le contenu expressif sur des questions d’intérêt public qui est légitime de celui qui est illégitime. Bien que ces lois peuvent varier d’une province à une autre, elles créent généralement « un mécanisme d’examen préalable au procès qui permet à la partie défenderesse de demander au tribunal d’ordonner le rejet d’une instance introduite contre elle, à condition de satisfaire à certains critères » (Hansman, précité, au paragraphe 50).
Selon la Loi uniforme sur la protection de la participation publique (2017), adoptée le 1er mai 2017 par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, une personne faisant face à une instance judiciaire en diffamation ou autrement, qu’elle juge abusive, peut présenter une requête au tribunal afin de rejeter l’instance contre elle parce que celle-ci : a) découle du fait de son contenu expressif ; et b) l’expression en cause se rapporte à une affaire d’intérêt public (voir le paragraphe 4.(1)). Si ces conditions sont satisfaites, le tribunal doit ordonner le rejet de l’instance, à moins que la personne ayant introduit l’instance puisse convaincre le tribunal : a) qu’il existe des motifs de croire, d’une part, que le bien-fondé de l’instance est substantiel, et, d’autre part, que le requérant n’a pas de défense valable dans l’instance; et b) que le préjudice subi du fait de l’expression du requérant est suffisamment grave pour que l’intérêt public dans la poursuite de l’instance l’emporte sur l’intérêt public dans la protection de cette expression (voir le paragraphe 4.(2)). La caractéristique essentielle des lois anti-SLAPP « est la reconnaissance du fait que même les demandes dont le bien‑fondé est substantiel seront rejetées lorsque l’intérêt public à préserver la libre discussion l’emporte sur le préjudice causé au demandeur que le litige est censé réparer » (Hansman, précité, au paragraphe 51 ; voir aussi Pointes Protection, précité, au paragraphe. 62).
Ainsi, dans le cadre de recours privés (en diffamation, ou autrement) s’attaquant à des propos relatifs à des affaires d’intérêt public, l’application des critères énoncés dans les lois anti-SLAPP peut aussi permettre au tribunal de distinguer ce qui constitue un exercice légitime ou illégitime du droit à la liberté d’expression. De même, elle permet d’identifier quel contenu expressif le demandeur peut légitimement tenter de réprimer, voire censurer, par voie judiciaire (en raison de son caractère diffamatoire, ou autrement).
Litiges publics
Il arrive que l’État interdise, et parfois criminalise, certains contenus expressifs afin de favoriser d’autres intérêts sociaux légitimes et/ou de protéger d’autres valeurs et droits importants et/ou d’assurer l’ordre public et prévenir la violence ou la commission de crimes (voir aussi les réponses aux questions 2 et 3 du sous-thème 1, ci-haut, la réponse à la question 11 du sous-thème 2, ci-haut, et la réponse à la question 8 du sous-thème 3, ci-dessous). Par exemple, la production, impression, publication, circulation ou possession aux fins de diffusion de matériel obscène est criminalisée au Canada (article 163 Code criminel), et ce, dans le but tant de prévenir les violences sexuelles et l’exploitation de femmes et d’enfants que d’assurer l’égalité entre les hommes et les femmes (voir R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452). De même, la communication publique de déclarations incitant à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, constitue une infraction criminelle (article 319 Code criminel), et ce, afin de favoriser la tolérance, la non-discrimination et protéger le droit à l’égalité de tous au sein de la société canadienne (Whatcott, précité, aux paragraphes 74, 79 et 145 ; voir aussi Ward, précité, au paragraphe 62).
Lorsque des limites à la liberté d’expression imposées par l’État sont remises en cause devant les tribunaux par voie de contestations constitutionnelles, les tribunaux sont appelés à distinguer ce qui constitue une censure légitime d’une censure illégitime. Cette distinction survient généralement lors de l’analyse de justification sous l’article premier de la Charte, dans le cadre de l’application du test énoncé dans l’arrêt Oakes, précité (voir la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut). Plus précisément, elle survient lorsqu’un individu réussit à démontrer qu’une loi ou une mesure gouvernementale enfreint son droit à la liberté d’expression — puisque l’objectif ou l’effet de la loi ou de la mesure est de censurer ou de limiter son expression ou son mode d’expression. Une fois l’atteinte à la liberté d’expression constatée et démontrée, l’État peut tenter de justifier l’acte de censure en démontrant que celui-ci rencontre les exigences du test de l’arrêt Oakes, tel qu’expliqué ci-haut dans la réponse à la question 2 du sous-thème 1.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
En général, les lois et règlements qui ont pour effet de limiter ou restreindre la portée de la liberté d’expression sont abordés et interprétés comme tout autre texte législatif au Canada — c.-à-d., selon la règle « moderne » d’interprétation législative, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21).
Alors, tout texte qui tente d’imposer une limite ou une restriction sur la liberté d’expression — que ce soit une loi de régulation d’Internet, ou des lois provinciales « anti-SLAPP » — doit être interprété selon cette règle.
Pour répondre à la question de ce qui constitue une atteinte à la liberté d’expression, la Cour dans l’arrêt Toronto a indiqué qu’il y a « entrave substantielle » à la liberté d’expression lorsque l’effet de la loi ou de la mesure gouvernementale « a pour effet de frustrer radicalement l’exercice de cette expression au point où toute expression significative est ‘empêch[ée] en réalité » (paragraphe 27, citant l’arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815, au paragraphe 33). L’expression en question « n’a pas besoin d’être rendue complètement impossible », mais l’effet restrictif doit être quand même assez évident et assez substantiel (paragraphe 27).
Et, tel que discuté dans la réponse 2 du sous-thème 1, ci-haut, toute limite ou restriction imposée sur la liberté d’expression doit satisfaire aux exigences du test de justification énoncé dans l’arrêt Oakes — c.-à-d., une restriction imposée sur la liberté d’expression doit être raisonnable, et sa justification doit pouvoir se démontrer par un objectif législatif réel et urgent, et un degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre.
En ce qui concerne les lois de régulation d’Internet, ou de réglementation en matière de réseaux sociaux, la Cour suprême du Canada n’a pas encore été appelée à trancher de telles questions ou d’interpréter de telles lois avec une perspective axée sur la liberté d’expression.
Par contre, l’arrêt Google Inc. c. Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34, [2017] 1 R.C.S. 824, aborde ces questions en partie, de façon indirecte. Dans ce dossier, un tribunal avait prononcé une injonction contre un distributeur de produits, l’interdisant d’exercer certaines activités sur Internet, et ensuite une autre injonction avait été prononcée pour interdire à Google d’afficher les sites web du distributeur. En confirmant la validité de l’injonction prononcée contre Google, la Cour indique, « bien qu’il soit toujours important d’accorder une attention respectueuse aux questions liées à la liberté d’expression », en l’espèce ces questions ne font pas pencher la balance en faveur de Google (paragraphe 45). L’ordonnance prononcée contre Google « ne vise pas la suppression de propos qui, à première vue, font intervenir des valeurs liées à la liberté d’expression » ; plutôt, l’ordonnance visait « le délistage de sites Web qui contreviennent à plusieurs ordonnances judiciaires » (paragraphe 48). Jusqu’à présent, la jurisprudence n’a « pas reconnu que la liberté d’expression exige qu’on facilite la vente illégale de biens » (paragraphe 48). Même si l’injonction soulevait des questions relatives à la liberté d’expression, « celles-ci sont largement contrebalancées par la nécessité d’empêcher le préjudice irréparable qui découlerait du fait que Google facilite la violation [par le distributeur] des ordonnances judiciaires » (paragraphe 49).
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Non — en théorie, la liberté d’expression est protégée de la même façon et au même degré pour tous les individus au Canada, peu importe le mode de communication, le lieu, le contexte, la technologie utilisée, etc. La Cour n’aborde donc pas la question de la portée du droit avec des variations selon le contexte.
Toutefois, la Cour reconnaît que certains modes d’expression ou méthodes de communication peuvent entraîner certaines conséquences ou nuances qui doivent être intégrées à l’analyse juridique.
Par exemple, dans l’arrêt Ward, précité, les motifs dissidents (mais pas sur ce point) ont reconnu que les effets néfastes de certains propos négatifs ou haineux peuvent être « amplifiés par l’Internet, qui permet la diffusion du contenu ‘sur une très grande échelle, très rapidement et dans l’anonymat’ » (paragraphe 195, citant l’arrêt A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, [2012] 2 R.C.S. 567, au paragraphe 22). Et comme l’a noté la majorité dans Ward, la diffusion de certains propos par Internet les rend plus « accessibles à un auditoire plus large » (paragraphe 121). Ces considérations peuvent évidemment influencer l’analyse de la liberté d’expression et de la portée de ce droit et de ses limites.
De même, dans une série d’arrêts au sujet des crimes de nature sexuelle impliquant la communication sur Internet (actes sexuels avec des personnes mineures ; pornographie juvénile ; leurre d’enfant ; etc.), la Cour a reconnu que l’Internet comme médium de communication a « rendu les activités criminelles plus efficaces, plus répandues et plus difficiles à tracer » (R. c. Ramelson, 2022 CSC 44 (ci-après, « Ramelson »), au paragraphe 2). Alors, les tribunaux doivent assurer une considération nuancée des communications virtuelles lorsque la liberté d’expression est soulevée comme une défense potentielle par l’accusé, c.-à-d., « l’importance de l’espace virtuel pour la liberté d’expression » (Ramleson, au paragraphe 57).
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Non, il n’y a rien d’explicite dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada pour exiger un renforcement de la protection de la liberté d’expression (ou de ses limites) en période électorale. Il n’incombe pas à la Cour de modifier le cadre analytique applicable selon différents contextes ou circonstances.
Toutefois, tel que noté dans la réponse 9 du sous-thème 1, ci-haut, il est toujours possible qu’un palier gouvernemental (municipal, provincial, territorial, fédéral) adopte une nouvelle loi ou une mesure qui vise précisément la liberté d’expression (ou de ses limites) des Canadiens et Canadiennes, et/ou des fonctionnaires gouvernementaux. Dans un tel cas, la Cour suprême serait sans doute appelée à trancher la question à savoir si une telle loi ou mesure gouvernementale qui porte atteinte aux droits d’expression des individus peut se justifier à l’égard de l’article premier de la Charte.
Par exemple, dans l’arrêt Osborne, précité, la Cour a conclu qu’une loi fédérale qui limitait les propos et les activités expressives des fonctionnaires portait atteinte à la liberté d’expression, mais que cette limite pouvait se justifier selon le critère Oakes.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Il n’existe pas non plus un cadre d’analyse différent ou un traitement spécifique pour la liberté d’expression des acteurs étrangers lors des périodes électorales.
Le texte de la Charte indique clairement que « chacun » au Canada bénéficie de la protection pour la liberté d’expression énoncée à l’alinéa 2b), que ce soit un individu canadien, ou un acteur étranger. Alors, en théorie, la liberté d’expression d’un acteur étranger est protégée au Canada de la même façon et au même degré que celle d’un citoyen canadien, que ce soit en période électorale ou autrement.
Toutefois, le problème d’ingérences étrangères (lors d’une période électorale, ou non) constitue une menace sérieuse à la démocratie canadienne. Selon le site web « Lutte contre l’ingérence étrangère » du ministère fédéral de la Justice, le gouvernement du Canada a recours à diverses mesures pour la contrer — notamment, les enquêtes et le dépôt d’accusations criminelles, en conformité avec les lois canadiennes.
Ces lois comprennent la Loi sur la protection de l’information, qui criminalise certains comportements préjudiciables au Canada, notamment l’espionnage ou la violence pour le compte d’une entité étrangère ; des infractions prévues au Code criminel qui ciblent différents types de comportements liés à l’ingérence étrangère, notamment le sabotage, l’intimidation, le piratage informatique et la corruption ; et la Loi électorale du Canada qui comprend des infractions et d’autres dispositions qui portent sur la participation étrangère aux processus électoraux fédéraux (par exemple, l’influence indue sur le vote d’un électeur).
Dans la mesure que ces lois ou dispositions portent atteinte aux droits de liberté d’expression des acteurs étrangers, le gouvernement devra justifier ces limites en répondant aux critères Oakes pour l’analyse de l’article premier de la Charte, en identifiant la nécessité de lutter contre l’ingérence étrangère en période électorale comme un objectif législatif réel et urgent, et en démontrant les autres éléments de justification, y compris un lien rationnel, une atteinte minimale, la proportionnalité, etc. (voir la réponse à la question 2 du sous-thème 1, ci-haut).
Selon cette dynamique, il est essentiel que toute loi ou mesure gouvernementale qui porte atteinte à la liberté d’expression établisse un juste équilibre entre la nécessité de garantir une réponse efficace à l’ingérence étrangère et le respect des libertés et droits fondamentaux de toutes les personnes (citoyens, résidents permanents, autres) au Canada.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Encore une fois, en théorie — non, la liberté d’expression n’est pas encadrée de restrictions particulières ou explicites en période de troubles. Le cadre analytique et juridique demeure le même que celui en vigueur pour tout autre contexte, c.-à-d. :
- La personne qui prétend avoir subi une atteinte à son droit de liberté d’expression doit démontrer que
- l’activité en question avait un contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d’application de la protection offerte par l’alinéa 2b) de la Charte ;
- le lieu ou le mode d’expression de l’activité n’avaient pas l’effet d’écarter cette protection ;
- la loi ou la mesure gouvernementale, de par son objet ou son effet, porte atteinte au droit protégé ;
- Et en cas d’atteinte, le gouvernement a le fardeau de démontrer que la limite ou la restriction était justifiée au sein d’une société libre et démocratique à l’égard de l’article premier de la Charte et le critère Oakes.
Comme avec les réponses aux questions 5 et 6 du sous-thème 3, ci-haut, il est toutefois possible qu’un gouvernement adopte certaines lois ou mesures en période de troubles (d’ordre économique, ou lors d’une crise de santé publique ou de sécurité nationale) qui auraient pour effet de limiter ou restreindre la liberté d’expression au Canada.
Dans de telles circonstances, les tribunaux judiciaires canadiens seraient appelés à trancher la question de savoir si ces lois ou mesures peuvent se justifier aux termes de l’article premier de la Charte. Lors de cette analyse, les tribunaux devront considérer les circonstances socio-économiques et/ou politiques dans lesquelles la mesure a été adoptée, puisque toute analyse de la portée et des limites des droits et libertés protégés par la Charte est nécessairement contextuelle.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Il n’y a rien d’explicite dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada (ni dans celle des tribunaux des instances inférieures à travers le pays) qui signalerait une définition de la notion d’« ordre public » différente ou avec une portée plus restrictive pour la liberté d’expression, en période de troubles. Tel qu’expliqué dans la réponse à la question précédente, le cadre d’analyse et le fondement juridique demeurent le même face à n’importe quelle circonstance.
Toutefois, en période de troubles, tel qu’expliqué dans la réponse à la question précédente, les gouvernements canadiens pourraient adopter des lois ou mesures qui auraient l’effet de créer une portée plus restrictive pour la liberté d’expression, en réponse à une crise économique ou politique, ou à une menace à la santé publique ou la sécurité nationale. Les tribunaux judiciaires au Canada auraient ensuite la tâche d’examiner ces mesures et déterminer si elles se justifient aux termes de l’article premier de la Charte, tenant compte de la situation ou de la crise en question. Il se pourrait que la définition d’« ordre public » puisse varier selon le contexte.
Par exemple, en réponse aux répercussions de la pandémie du virus COVID-19 sur les Canadiens et Canadiennes, différents paliers gouvernementaux (municipaux et provinciaux, et le gouvernement fédéral) ont adopté certaines lois, mesures et politiques pour protéger la santé et le bien-être des citoyens et résidents canadiens. Selon plusieurs personnes et commentateurs, ces mesures ont eu un effet néfaste sur certains droits et libertés fondamentaux au Canada, y compris la liberté d’expression. En février 2022, des milliers de personnes ont manifesté à Ottawa (et dans plusieurs autres villes canadiennes), se joignant au prétendu « Convoi de la liberté ». En réponse à ces manifestations et blocages, le gouvernement fédéral a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, L.R.C. 1985, ch. 22 (4e suppl.), et a déclaré un état d’urgence du 14 au 23 février 2022.
La déclaration et les mesures policières d’urgence qui en découlaient ont donné naissance à des centaines d’arrestations et le dépôt d’accusations criminelles. Plusieurs des accusés subissent présentement des procès criminels et soulèvent des moyens de défense qui invoquent parfois leur droit à la liberté d’expression, tandis que la poursuite cite des infractions et atteintes à l’ordre public. À noter que la déclaration d’un état d’urgence a fait l’objet d’une Commission d’enquête, et que les procès criminels de certaines personnes accusées sont toujours en cours. Ces questions sont donc susceptibles d’être éventuellement débattues devant la Cour suprême du Canada.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
En période de troubles, comme en période de paix, la Cour suprême du Canada occupe une place institutionnelle très importante au sommet de l’appareil juridique canadien, pour la protection de la liberté d’expression comme pour la défense de tous les droits et libertés fondamentaux au Canada. La Cour sert les Canadiens et Canadiennes (et les résidents permanents, immigrants et visiteurs) en tranchant des questions de droit d’importance pour le public; elle contribue ainsi à l’évolution de tous les domaines du droit au Canada, y compris les questions relatives aux droits de la personne. La Cour et son travail contribuent grandement aux fondements d’un pays fort, sécuritaire et démocratique, qui repose sur la primauté du droit. L’importance des arrêts de la Cour pour la société canadienne est pleinement reconnue. La Cour assure uniformité, cohérence et justesse dans la définition, l’évolution et l’interprétation des principes juridiques dans l’ensemble du système judiciaire canadien.
La Cour est une institution ouverte, impartiale et indépendante. En tant que cour d’appel de dernière instance du pays, elle a compétence pour entendre des litiges concernant tous les domaines du droit. Elle est la gardienne ultime de la Constitution, et elle veille à la protection des droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, y compris la liberté d’expression.
Ce faisant, le rôle de la Cour comme institution démocratique fondamentale, appuyée par les principes de l’indépendance judiciaire et la primauté du droit, est d’assurer que tous les Canadiens et Canadiennes, ainsi que les visiteurs, immigrants, nouveaux arrivés et résidents permanents peuvent jouir de la pleine protection offerte par la Charte, y compris la liberté d’expression à titre de « pierre angulaire » de la démocratie canadienne.
Comme l’a dit le très honorable Richard Wagner, C.P., juge en chef du Canada, lors d’un discours intitulé « Principes déontologiques et compétence culturelle : un devoir d’apprendre », prononcé le 6 mai 2021 devant les juges de la Cour supérieure de l’Ontario, le respect de la légitimité de la Cour suprême du Canada a été « essentiel » tout au long de la pandémie COVID- 19, alors que les Canadiennes et Canadiens ont vu « plusieurs de leurs libertés individuelles restreintes »; les citoyens et résidents du Canada « s’attendent à ce que les leaders au sein de leurs communautés — y compris nous, les juges — se conforment aux restrictions et autres consignes des autorités sanitaires ». En assurant sa légitimité comme institution démocratique, la Cour aide à « maintenir [et] renforcer la confiance du public à l’endroit de la magistrature ». Cette légitimité est particulièrement importante dans le contexte de la liberté d’expression; si ce droit fondamental n’est pas protégé, les individus ne pourront pas s’exprimer sur les lois et mesures gouvernementales qui touchent à leurs autres droits fondamentaux.
Et dans son allocution prononcée lors de sa cérémonie d’accueil officielle, le juge en chef Wagner avait aussi abordé ce thème : « Nous traversons une époque trouble. Il vous suffit de feuilleter un journal et, tous les jours, vous verrez un nombre incalculable d’exemples de pays où la primauté du droit s’affaiblit, à divers degrés, où les gouvernements intimident la magistrature, les barreaux et les médias traditionnels au moyen de menaces et d’arrestations et où les partis pris des institutions mènent à des résultats différents selon la classe sociale, le sexe, la religion, la langue ou la race du justiciable. Au Canada, heureusement, tout cela nous a essentiellement été épargné. Je dirais que c’est parce que les Canadiens continuent de croire fermement que leurs institutions, particulièrement leurs institutions juridiques et judiciaires, agissent avec équité et justice. La Cour a une voix puissante, parce qu’elle défend la vérité et la justice, ainsi que la démocratie et la primauté du droit. »
En raison de la « démocratie dynamique » du Canada, « nous profitons — grâce à la Charte et à d’autres règles de notre droit — de robustes protections en matière de droits et libertés individuels, et nous respectons les institutions publiques qui constituent des tribunes nous permettant de régler nos différends de façon pacifique et constructive » (ibid.).
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Oui, la liberté d’expression appuie clairement la Cour suprême du Canada dans sa mission de protéger la Constitution canadienne et veiller à la protection des droits et libertés fondamentaux de chacun et chacune au Canada. La protection de la liberté d’expression, et le respect de ce droit dans le processus judiciaire peuvent sans doute jouer un rôle important pour ce projet. Puisque la Charte accorde aux tribunaux judiciaires un mandat de protéger les droits et libertés fondamentaux de chacun et chacune, une protection rigoureuse de la liberté d’expression permet aux justiciables de pouvoir s’exprimer quant aux lois et mesures gouvernementales qu’ils trouvent injustes, arbitraires ou discriminatoires.
Alors, en ayant recours aux tribunaux judiciaires pour faire valoir ses droits fondamentaux, une personne exerce non seulement son droit de liberté d’expression, mais demande aussi aux tribunaux de protéger ses autres droits et libertés, appuyant et valorisant ainsi la légitimité des tribunaux comme institution démocratique.
Comme le juge en chef Wagner l’a exprimé dans une allocution intitulée « Rendez-vous avec les juges : venez en apprendre davantage sur votre Cour suprême au Musée canadien pour les droits de la personne (Winnipeg) », prononcée le 25 septembre 2019 : « C’est le rôle des tribunaux de veiller à ce que les droits des gens soient protégés… Lutter pour ses droits n’est jamais chose facile, mais grâce aux efforts de tous ceux et celles qui nous ont précédés que nous jouissons de tels droits aujourd’hui. Ces droits et bien d’autres sont reconnus, et il est possible de s’adresser aux tribunaux pour les faire respecter. Et ces droits, comme ceux qui sont garantis par la Charte, sont fondamentaux pour le maintien de notre démocratie et de la primauté du droit. »
De plus, la liberté d’expression contribue aussi à la légitimité et le rôle démocratique des tribunaux judiciaires, puisque ce droit protège aussi les juges au Canada, en lien avec le principe de l’indépendance judiciaire. L’indépendance de la magistrature au Canada est garantie de façon explicite et implicite dans la Constitution canadienne. Cette indépendance se définit en termes d’inamovibilité, de sécurité financière et d’indépendance administrative. Si les juges n’étaient pas indépendants, et s’ils ne pouvaient s’exprimer librement sur les lois et mesures gouvernementales, l’accès à la justice pour la population en souffrirait, et le public n’aurait plus confiance envers les tribunaux judiciaires.
Le lien entre l’indépendance judiciaire et les droits fondamentaux (comme la liberté d’expression) est « aussi simple qu’il est évident » : « Lorsque les droits politiques et les libertés civiles reculent, ce recul s’accompagne immanquablement d’une régression de l’indépendance des tribunaux et de l’accès à la justice. La présence de juges indépendants garantit le respect des droits politiques et des libertés civiles. Tant que le système judiciaire demeure accessible et indépendant, et que les décisions et ordonnances des tribunaux sont exécutées, la survie des droits politiques et des libertés civiles est assurée. Lorsque l’accès aux tribunaux est inexistant ou entravé par les gouvernements et les forces de la majorité, les droits politiques et les libertés civiles reculent » (ibid.).
Au Canada, la liberté d’expression et l’indépendance judiciaire font partie intégrale de l’identité canadienne. Comme le juge en chef Wagner l’a dit dans une allocution intitulée « Les conférences de Cambridge 2019 : la civilité et la collégialité », prononcée le 4 juillet 2019, le Canada est souvent considéré « comme un modèle », en raison de « la solidité de ses institutions légales et, j’oserais même dire, de ses valeurs morales. La magistrature professionnelle et indépendante sur laquelle notre pays peut compter, sa Charte des droits et libertés et sa détermination à rendre la justice accessible aux personnes qui en ont besoin, ce sont là les choses que voient les gens d’ailleurs lorsqu’ils tournent leur regard vers le Canada. » Et encore : « Dans un système qui érige l’indépendance judiciaire en principe constitutionnel, le droit d’être en désaccord est fondamental. »
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, la Cour suprême du Canada a toujours conçu la liberté d’expression comme un outil important au soutien d’une société plus libre et plus démocratique.
La liberté d’expression est « essentiell[e] au maintien de la démocratie fonctionnelle » (Hansman, précité, au paragraphe 1), puisqu’il s’agit en effet de « la pierre angulaire de toute démocratie pluraliste » (paragraphe 77, citant la Cour d’appel). La liberté d’expression et l’échange d’idées, ainsi que la libre circulation des idées, sont « essentiels à une démocratie dynamique » (Ramelson, précité, au paragraphe 47).
Une protection juridique robuste de la liberté d’expression assure la vitalité du débat public et la libre circulation d’idées diverses et contradictoires, ce qui est essentiel au bon fonctionnement et au dynamisme de toute démocratie pluraliste (voir Hansman, précité, aux paragraphes 1 et 77 ; Ramelson, précité, au paragraphe 47 ; Edmonton Journal, précité, aux pages 1336 et 1337). En effet, sans une protection adéquate de la liberté d’expression, il devient plus difficile, voire impossible, pour les citoyens d’exprimer complètement et librement leurs opinions et d’échanger ouvertement, tant sur les valeurs sous-tendant les politiques d’un gouvernement que sur les questions sociopolitiques et économiques au cœur de l’actualité (voir Keegstra, précité). De même, sans une protection adéquate de la liberté d’expression, il est plus difficile d’assurer la présence et la contribution de médias d’information indépendants, impartiaux et vigoureux, qui, par leur travail, contribuent à ce que la population tienne imputable les pouvoirs politiques et judiciaires (voir Denis c. Côté, 2019 CSC 44, [2019] 3 R.C.S. 482, au paragraphe 45 ; Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480, au paragraphe 23).
Bref, sans protection de la liberté d’expression, les fondements d’une démocratie libérale s’érodent, ce qui peut ouvrir la porte aux abus et à l’arbitraire.
Dans ce contexte, il est indéniable que la liberté d’expression — et l’analyse de ses paramètres, de ses limites, et de sa portée — constitue un outil d’une grande importance non seulement pour conserver la vitalité de la démocratie canadienne, mais également pour l’accroître dans les années à venir. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on tient compte du rôle crucial que peut jouer la liberté d’expression dans le maintien et l’accroissement de la tolérance des citoyens envers les propos d’autrui qui divergent de leurs convictions personnelles. Puisque la liberté d’expression n’atteint son plein objectif — de protéger pour chacun la capacité de manifester ses pensées, ses opinions et ses croyances — que « lorsqu’elle fait naître un devoir de tolérance envers les propos d’autrui » (Ward, précité, au paragraphe 60), ce devoir de tolérance, corollaire à la liberté d’expression, permet d’assurer « le développement d’une société démocratique, ouverte et pluraliste » (paragraphe 60).
Tribunal constitutionnel du Cap-Vert
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- 1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Essentiellement dans la Constitution de la République adoptée en 1992 et révisée en 1995, 1999 et 2010, qui contient une déclaration des droits incluant diverses libertés de communication; dans les instruments internationaux conventionnels qui lient l’État du Cabo Verde, à savoir l’article 19 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et l’article 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qui, en vertu de l’article 12, deuxième paragraphe, de la Constitution, sont considérés comme des lois cabo-verdiennes; et, enfin, dans la législation infra-constitutionnelle qui régit les élections, le statut des titulaires de fonctions publiques, les médias, la sécurité nationale, le Code Pénal et diverses autres matières connexes.
- 2. La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
En effet, l’article 48(4) de la CRCV, concernant la liberté d’expression et d’information, établit le droit à l’honneur et à la considération des personnes, le droit à la réputation, à l’image et à l’intimité de la vie personnelle et familiale comme des limites aux libertés d’expression et d’information. Les libertés d’expression et d’information sont également limitées, aux termes du paragraphe 5 du même article 48: a) par le devoir de protection des enfants et des jeunes; b) par l’interdiction de l’apologie de la violence, de la pédophilie, du racisme, de la xénophobie et de toute forme de discrimination, notamment à l’égard des femmes; c) par l’interdiction de la diffusion d’appels à commettre les actes visés au paragraphe précédent (b). Il convient de noter que, selon la jurisprudence du Tribunal Constitutionnel, le régime de base de l’article 48 s’applique à toute liberté de communication, à savoir celles qui sont disséminées dans le texte constitutionnel, qui consacre la liberté de création intellectuelle, y compris la création littéraire, artistique et scientifique, et à l’article 60, paragraphe 1, qui reconnaît la liberté de la presse.
- 3. Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
L’article 48, paragraphe 1, de la Constitution définit lui-même la liberté d’expression comme le droit de toute personne d’exprimer et de diffuser ses idées par le mot, l’image ou tout autre moyen, ce qui, aux termes de la loi elle-même, crée un espace de non-ingérence de l’extérieur, dans la mesure où, selon ses termes, « nul ne peut être harcelé pour ses opinions politiques, philosophiques, religieuses ou autres ».
- 4. La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Dans l’affaire la plus importante en la matière, jugée en 2016, le Tribunal Constitutionnel a souligné la nécessité de comprendre la liberté d’expression dans son contexte, notamment en récupérant son rôle dans l’histoire des îles, qui ont longtemps été marquées par un espace public associé à la possibilité qu’avaient les habitants d’avoir une certaine représentation politique dans les Conseils Municipaux, qu’ils finissaient par contrôler, et plus tard, à partir du XIXe siècle, à l’utilisation de la presse comme forme de résistance et de dénonciation contre les excès et l’incurie des autorités coloniales. Mais elle s’est aussi attachée à développer le contenu de la loi en fonction de références historiques plus universelles liées à la théorie libérale des droits et aux déclarations du XIXe siècle, notamment française et américaine, et surtout à l’aligner sur les conceptions de base des juridictions régionales africaines, du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies et même de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Ainsi, d’une part, il ne diffère pas en substance des orientations jurisprudentielles de ces organes, d’autre part, il est vrai que le système n’a pas encore été largement testé à cet égard, du moins d’un point de vue constitutionnel.
- 5. Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Dans ce cas, la position du Tribunal Constitutionnel ne découle pas tant des développements prétoriens, mais plutôt de la construction même insérée dans le texte constitutionnel, qui reconnaît expressément la liberté de communiquer des idées et des pensées comme fondamentale, à travers une formule large, qui, selon l’Arrêt 13/2016, du 7 juillet 2016, 1. 5, a) établit un régime commun pour les variations expressément consacrées par la Constitution, à savoir la liberté d’information, la liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique et la liberté de la presse; elle crée un régime complémentaire, qui couvrirait toute forme non standardisée d’expression de l’opinion ou de la pensée.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
L’article 49 de la Constitution reconnaît la liberté de conscience, de religion et de culte selon la formule suivante: «1: La liberté de conscience, de religion et de culte est inviolable, chacun ayant le droit, individuellement ou collectivement, de professer ou non une religion, d’avoir une conviction religieuse de son choix, de participer aux actes de culte et d’exprimer librement sa foi et de diffuser sa doctrine ou sa conviction, à condition que cela ne porte pas atteinte aux droits d’autrui et au bien commun ». Au paragraphe 7 du même article, le législateur constituant a établi une garantie de protection des lieux de culte, de leurs symboles, de leurs spécificités et des rites religieux, en interdisant leur imitation ou leur « ridiculisation » (« 7. La protection des lieux de culte, des symboles, des insignes et des rites religieux est garantie et leur imitation ou leur ridiculisation est interdite »).
Par conséquent, si nous supposons que le blasphème correspond à « toute parole ou attitude insultante à l’égard d’une divinité ou d’une religion », bien qu’il n’y ait pas de limitation expresse dans le texte constitutionnel lui-même, l’interdiction du ridicule pourrait constituer une base constitutionnelle pour limiter la liberté d’expression, en autorisant le législateur ordinaire à établir certaines situations dans lesquelles la protection de la religion pourrait conduire à des limitations de la liberté d’expression.
Cependant, ni la loi sur les médias, ni la loi sur la Liberté et l’Égalité Religieuse ne l’ont fait en ces termes, et il n’existe qu’une seule loi pénale qui sanctionne les infractions commises à l’encontre des personnes morales. Mais seulement en ce que concerne l’imputation de faits faux qui affectent gravement la crédibilité, le prestige ou la confiance qui lui sont dus.
En tout cas, conformément à la nature libérale et républicaine de l’État, dont découle le principe de laïcité et l’exigence qu’il ne soit divisé par aucune conception du bien, ainsi qu’au droit au libre développement de la personnalité, le système repose sur une liberté d’appréciation et de communication favorable ou défavorable à toute religion, et il n’y a pas beaucoup de possibilités d’interdire le blasphème. Ce qui peut arriver, c’est que les libertés de communication soient affectées pour protéger la religion de manière limitée et proportionnelle, conformément à l’interprétation exprimée par la Cour de justice dans l’affaire Arrêt 13/2016, du 7 juillet, dans l’Affaire du Contrôle Abstrait Successif de Constitutionnalité n° 1/2016 concernant l’inconstitutionnalité de certaines règles restrictives du Code Électoral, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, I Série, N. 43, 27 juillet 2016, pp. 1421-1479. 1.11, en ce sens que la Loi Fondamentale connaît peu d’absolus, permettant ainsi l’affectation équilibrée de toute liberté si des intérêts publics constitutionnellement légitimes le justifient. Malheureusement, la mesure dans laquelle cette limite peut être établie n’a pas encore été clarifiée, étant donné que cette Cour n’a pas encore été confrontée à une question liée à la liberté d’expression concernant les questions religieuses.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias)?
Oui, pour différentes raisons et de différentes manières. Dans la sphère politique, il y a un renforcement de la liberté d’expression, en vertu des statuts constitutionnels que les titulaires de fonctions politiques acquièrent, notamment lorsqu’ils exercent des fonctions de députés de la nation, qui sont irresponsables civilement, pénalement ou disciplinairement des votes et opinions qu’ils émettent dans l’exercice de leurs fonctions (article 170, paragraphe 1, de la Constitution), la même chose se produisant en vertu du code électoral avec les candidats à des fonctions publiques électives pendant la période de la campagne électorale. D’autre part, les titulaires de fonctions publiques peuvent être soumis à des restrictions particulières visant à protéger le secret de l’État, le secret de la justice ou des obligations spéciales de secret. En général, les statuts professionnels, y compris en ce qui concerne les médias et les journalistes, équilibrent le renforcement de la liberté d’expression dans certaines sphères et son inhibition dans d’autres, découlant parfois de la loi, parfois des codes d’éthique et de déontologie qui s’y rapportent.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue dans l’ordre juridique cabo-verdien principalement aux personnes physiques, et parmi celles-ci largement aux citoyens, avec une certaine limitation de son utilisation pour les étrangers et les apatrides dans les questions de politique nationale, et pour ceux qui ne sont pas en situation régulière ou qui ne sont que temporairement sur le territoire national ; les enfants se voient reconnaître, par application de la Convention des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant de 1989 et de la Charte Africaine des droits et du bien-être de l’enfant de 1990, le Statut de l’Enfant et de l’Adolescent, ainsi que la liberté d’expression compatible avec leur âge et leur maturité. Les personnes morales privées se voient également reconnaître la liberté d’expression compatible avec leur nature et leurs besoins. La reconnaissance de la liberté d’expression pour les personnes physiques et morales peut être déduite des dispositions de l’article 48(7) de la CRCV sur le droit de réponse : « Le droit de réponse et le droit de rectification sont garantis, dans des conditions d’égalité, à toutes les personnes physiques et morales (…) »
.
Le système cabo-verdien ne reconnaît pas les positions juridiques individuelles des autorités publiques. Il est généralement admis que les entités publiques, telles que le Gouvernement ou d’autres institutions souveraines, à l’exception des règles imposant le secret, ont la prérogative de communiquer librement leurs positions et leurs interprétations sur toute question d’intérêt public ou liée à leurs domaines d’activité et, dans certaines situations, le devoir d’informer. Elles sont toutefois soumises à la responsabilité juridique, à la responsabilité politique et au contrôle social de leur contenu.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les fonctionnaires jouissent également de la liberté d’expression, même si celle-ci peut être limitée par la loi. Aux termes de l’article 241, paragraphe 7, de la Constitution, il s’agit de garantir l’impartialité dans l’exercice de la fonction publique. Ainsi, la loi 20/X/2023, du 24 mars, qui établit le Cadre Juridique de la Fonction Publique, fixe les bases et définit les principes fondamentaux de la fonction publique, dans la mesure où elle stipule dans son article 14 (1-n) que « dans l’exercice de la fonction publique, les fonctionnaires et les agents sont soumis aux devoirs suivants: n) Garder le secret professionnel sur les affaires et les faits dont ils ont connaissance en vertu de leurs fonctions, qui ne sont pas censés être d’intérêt public et qu’ils n’ont pas l’autorisation de leur supérieur hiérarchique de divulguer au public, sans préjudice du droit des citoyens d’être informés du déroulement des procédures dans lesquelles ils sont directement concernés et du droit des citoyens d’accéder aux archives et aux dossiers administratifs, aux termes des lois et des règles régissant l’administration ouverte ».
D’autres agents de l’État, tels que les diplomates, les magistrats, les huissiers et les inspecteurs publics, peuvent être soumis à des limitations supplémentaires « découlant des exigences de leurs fonctions », « afin de sauvegarder l’intérêt public et les intérêts légitimes de l’État ».
La liberté d’expression des juges est fortement conditionnée par des clauses statutaires qui établissent des obligations spéciales de s’abstenir de s’exprimer par quelque moyen que ce soit, non seulement sur les affaires soumises à leur propre jugement ou à celui d’autres personnes, mais aussi de porter un jugement sur les ordonnances, les votes ou les sentences des organes judiciaires, à l’exception de la critique sur le dossier dans l’exercice du pouvoir judiciaire ou dans les travaux techniques (article 31, paragraphe 1, f), Statut des Juges ; article 30, paragraphe 1, f), Statut des Procureurs de la République). Ils ne peuvent faire de déclarations ou de commentaires relatifs à la procédure, sauf pour défendre leur honneur ou pour satisfaire un autre droit ou intérêt légitime (article 32, Statut des Juges ; article 31, Statut des Procureurs de la République). Le même devoir de confidentialité est également imposé aux fonctionnaires diplomatiques par leur statut respectif (article 93, premier alinéa).
La liberté d’expression des militaires peut également être restreinte dans les conditions prévues par la loi, comme le prévoit l’article 250 de la Constitution de la République, qui dispose que « la loi peut établir des restrictions à l’exercice des droits d’expression, de réunion, de manifestation, d’association et de pétition collective, ainsi qu’à la capacité électorale passive des militaires en service effectif, dans la stricte mesure des nécessités de la condition militaire », il en va de même pour les membres de la police, puisque, selon l’article 244, paragraphe 5, « pour sauvegarder l’impartialité, la cohésion et la discipline des services et forces de sécurité, des restrictions à l’exercice des droits d’expression, de réunion, de manifestation, d’association et de pétition collective, ainsi qu’à la capacité électorale passive, peuvent être imposées par la loi à leurs agents ».
Dans le premier cas, ces limites sont concrétisées par le Statut Militaire, qui impose des devoirs d’obéissance (article 12), le Règlement de Discipline Militaire, qui limite la liberté d’expression (article 9(e)) et la liberté d’expression à travers les médias (article 9(f)), et le Code de Justice Militaire, qui prévoit les crimes d’instigation au mécontentement ou à l’irrespect, de violation du secret ou d’incitation à commettre un crime militaire ; dans le second, les membres des forces de sécurité ou de renseignement sont normalement liés par la réaffirmation du devoir de secret, qu’ils soient liés aux services de renseignement (article 26, Statut du Personnel du SIR) ou à la police de l’ordre public (article 26, Régime Disciplinaire du Personnel de la Police Nationale).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
1.1. Après l’installation du Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde le 15 octobre 2015, ce Tribunal s’est prononcée pour la première fois sur la liberté d’expression dans l’arrêt 13/2016, du 7 juillet, Président de la République c. Assemblée Nationale, dans l’affaire du Contrôle Abstrait Successif de Constitutionnalité 1/2016 concernant l’inconstitutionnalité de certaines règles restrictives du code électoral, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin Officiel, Série I, n° 43, 27 juillet 2016, p. 1421-1479;
1.2. Il a été suivi par :
L’Arrêt 30/2020, du 11 septembre, PAICV c. CNE, sur l’interdiction de la distribution de T-shirts et de masques de protection respiratoire individuelle, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin Officiel, série I, N. 139, 23 décembre 2020, pp. 2182-2198 ;
L’Arrêt 13/2021, du 29 mars, MPD c. CNE, sur l’anticipation illicite de la propagande électorale graphique, Rap. : JC Pina Delgado, publié dans Bulletin Officiel, Série I, N. 57, 31 mai 2021, pp. 1817-1826 ;
L’Arrêt 175/2023, du 27 novembre, Amadeu Oliveira c. STJ, Admission Partielle des Comportements Contestés, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin Officiel, Série I, N. 122, 30 novembre 2023, pp. 2497-2515.
- Les décisions suivantes font également référence à la liberté d’expression :
L’Arrêt 15/2018, du 28 juin, Amândio Vicente c. Cour d’Appel de Sotavento, Rap. : JC Pinto Semedo, non publié, et arrêt 17/2018, du 26 juillet, Amândio Vicente c. Cour d’Appel de Sotavento, Rap. : JC Pinto Semedo, publié au Bulletin Officiel, Série I, N. 51, 3 août 2018, p. 1328-1333 ;
L’Arrêt 27/2018, du 20 décembre, Judy Ike Hills c. STJ, sur la violation de la garantie de l’inviolabilité du domicile, de la correspondance et des télécommunications et de la garantie de la présomption d’innocence dans sa dimension de in dubio pro reo, Rap. Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, Série I, n° 11, 31 janvier 2019, p. 146-178 ;
L’Arrêt 31/2020, du 11 septembre, PAICV c. CNE, Sur la compétence du CNE pour engager temporairement du personnel pour aider à la supervision des élections et du vote, Rap. : JC Aristides R. Lima, publié dans le Bulletin Officiel, Série I, N. 139, 23 décembre 2020, pp. 2198-2209 ;
L’Arrêt 42/2022, du 2 novembre, BCV c. Président du TRS, Rap.: JC Pinto Semedo, publié au Bulletin Officiel, Série I, No. 2, 5 janvier 2023, pp. 58-62.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non pas en termes quantitatifs, puisque la plupart des affaires portées devant le Tribunal Constitutionnel concernent les garanties constitutionnelles de la procédure pénale, mais en termes qualitatifs, puisque bon nombre des décisions ayant le plus grand impact sur le système politique ont résulté de situations impliquant la liberté d’expression, en particulier pendant les périodes électorales. Malgré cela, très peu de développements en matière de liberté d’expression ont été traités par le Tribunal Constitutionnel, de sorte qu’il existe une multitude de questions qui doivent encore être testées et explorées.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La protection accordée à la liberté d’expression ne conduit pas à établir une hiérarchie entre les droits et libertés fondamentaux. Toutes deux sont incluses dans la catégorie des droits, libertés et garanties reconnus comme inviolables par la Constitution de la République et dont le système constitutionnel garantit la protection, notamment par le biais du recours d’amparo. La période pendant laquelle le législateur constituant a fait prévaloir les droits à l’honneur et à la réputation sur les libertés de communication s’est étendue de 1999, date de la deuxième révision de la Constitution, à 2010, date de l’approbation de la troisième révision, où la version originale de 1992 est revenue à la formule selon laquelle il n’y a pas de hiérarchie entre les droits, libertés ou garanties fondamentaux individuels. En cas de conflit entre ces droits, des opérations d’équilibrage abstraites sont effectuées par le biais de la loi, ou des jugements concrets sur le conflit entre les droits fondamentaux.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Bien que le Tribunal Constitutionnel ait récemment ouvert la possibilité d’adapter sa conception largement favorable de la protection de la liberté d’expression en cas de conflit de droits, en raison de l’émergence du phénomène du populisme et des attaques verbales généralisées contre les institutions de la République, à savoir les tribunaux, elle est restée attachée à sa conception traditionnelle ancrée dans la distinction entre l’expression de l’opinion, qui tend à être libre, et les actions contraires aux institutions, qui peuvent être limitées par la loi (Arrêt 175/2023).
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La Jurisprudence du Tribunal Constitutionnel en matière de liberté d’expression est restée stable depuis son arrêt 13/2016 du 7 juillet jusqu’à son dernier arrêt en la matière, 175/2023 du 27 novembre.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Si l’on ne peut affirmer qu’il existe une influence réciproque, il est clair que les décisions du Tribunal Constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité, comme l’arrêt 13/2016, ont des effets erga omnes aux termes de l’article 280 de la Constitution, imposant ainsi un devoir d’obéissance général et abstrait, et que les autres décisions sont contraignantes dans le contexte de l’affaire dans laquelle elles sont rendues, prévalant ainsi sur celles de toute autre juridiction, conformément à l’article 6 de la loi relative au Tribunal Constitutionnel. Dans les décisions rendues dans le cadre de recours constitutionnels (de soutien ou de contrôle concret de constitutionnalité), les cours d’appel doivent réformer leurs décisions conformément à l’interprétation adoptée par le Tribunal Constitutionnel.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Le Tribunal Constitutionnel, dans des affaires concernant les libertés de communication, a déjà fait référence à la jurisprudence d’autres juridictions nationales (Cour Constitutionnelle Fédérale d’Allemagne: Luth; Spiegel ; Cour Constitutionnelle du Portugal: arrêt 254/11; Cour Constitutionnelle de Colombie ; Cour Constitutionnelle du Pérou ; Cour Constitutionnelle de Hongrie ; Cour Suprême du Brésil : ADIN 3.741 ; Cour Suprême des États-Unis: New York v. Sullivan, Burson v. Freeman, Citizens United ; Cour Suprême du Canada : Thomson Company v. AG of Canada ; Cour Suprême d’Argentine: Asociación de Teleradiodifusoras c. Gobierno de Buenos Aires ; Cour Suprême des Philippines : Social Weather Stations c. Commision on Elections ; Cour de Cassation Française : Phillip A. c. Cour d’Appel de Paris) ; régionales (Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : Konaté c. Burkina Faso ; Cour de Justice de la CEDEAO : Hydara et al. c. Gambie ; Cour Européenne des Droits de l’Homme : Lingens c. Autriche) et universelles (dans ce cas, il ne s’agit pas d’une juridiction, mais plutôt d’un organe de surveillance des droits de l’homme, le Comité des Droits de l’Homme : Rafael Morais c. Angola; Cheul c. Corée).
Néanmoins, en règle générale, ils évitent toujours de donner une raison décisive à leur décision. Il s’agit plutôt d’un aperçu non exhaustif des différents points de vue sur le traitement de ces questions par d’autres tribunaux. Les Éléments endogènes de nature normative ou culturelle continuent d’être considérés comme le cœur des décisions prises dans ce domaine et dans d’autres.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
En général, la position du Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde découle de sa compréhension que la Constitution tend à équilibrer des intérêts contrastés. Ainsi, la préoccupation de l’institution est, tout en respectant les sphères d’action du pouvoir législatif et des autres pouvoirs judiciaires, d’équilibrer les droits ou d’autres réalités sociales importantes telles que la religion et d’autres, dans les limites de la Constitution.
À cet égard, il convient de préciser que le Tribunal Constitutionnel ne croit pas que le système cabo-verdien de protection des droits soit soumis à une perspective absolutiste des droits fondamentaux, du moins pas au point d’empêcher leur affectation dans certaines situations constitutionnellement justifiables. Cependant, elle n’a pas non plus hésité, premièrement, à empêcher l’ingérence légitimée du législateur dans certains types de droits, ceux qui ont un caractère de garantie fondamentale, deuxièmement, à établir une limite à l’ingérence dans d’autres droits – leur noyau essentiel – et, troisièmement, à contrôler toute ingérence par le biais des conditions prévues à l’article 17, paragraphes 4 et 5, de la Constitution. Fondamentalement, la perspective non absolutiste des droits conduit inévitablement à une non-hiérarchisation entre eux et à une tendance à devoir résoudre les conflits qui surgissent entre eux sans garantir la prévalence abstraite de l’un sur l’autre. C’est par l’harmonisation législative et la pondération des jugements que les cas de collision entre ces droits sont résolus.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La jurisprudence du Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde, sans méconnaître l’intérêt public dans ses différentes manifestations comme base de limitation de tout droit, notamment la liberté d’expression, et en soutenant systématiquement qu’en vertu du principe démocratique elle est obligée de garantir une certaine marge d’appréciation au législateur, a considéré que le système penche vers une protection plus vigoureuse de l’individu au détriment de la puissance publique. De plus, selon la conception du Tribunal, la limitation d’un droit, en plus d’être nécessairement fondée sur la nécessité de préserver un intérêt public pertinent ou de garantir l’effectivité d’autres droits, est toujours une mesure exceptionnelle.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le test de proportionnalité est le principal moyen de contrôle juridique utilisé par ce Tribunal lorsqu’il s’agit de protéger la liberté d’expression et d’affecter les droits. Mais il n’est pas le seul, car lorsqu’il est promu par le législateur, il y a un contrôle préalable de généralité et d’abstraction, un contrôle qu’il ne produit pas d’effets rétroactifs et, surtout, que l’acte législatif n’affecte pas le noyau essentiel du droit.
Ce n’est que dans les cas où le Tribunal Constitutionnel considère que le noyau essentiel du droit n’a pas été atteint qu’elle soumet la mesure au test de proportionnalité, en la soumettant à un triple examen d’adéquation, vérifiant que le moyen utilisé est approprié pour atteindre les fins invoquées pour justifier la limitation du droit, de nécessité, visant à certifier que le moyen le plus bénéfique a été utilisé, et de juste mesure, cherchant à savoir si le sacrifice imposé à la liberté est équivalent à l’intensité de l’intérêt public que l’on veut réaliser ou du bien juridique que l’on veut protéger.
L’intensité du contrôle peut varier en fonction de la qualité du titulaire du droit (à savoir, s’il s’agit d’un citoyen ordinaire ou d’une personne publique telle qu’un homme politique ; s’il est soumis à un statut spécifique qui limite sa liberté ou non), du moment (une campagne électorale, par exemple) et de l’espace où se déroule l’acte de communication (un espace politique tel qu’un parlement ou une assemblée municipale ; dans des établissements d’enseignement, etc.).
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Le concept d’ordre public est défini de manière générique par l’article 244 de la Constitution, qui assigne à la police la fonction de protéger la légalité démocratique, de prévenir la criminalité et de garantir la sécurité intérieure, la tranquillité publique et l’exercice des droits des citoyens. Il n’y a pas d’affaires spécifiques sur lesquelles le Tribunal Constitutionnel a statué et dans lesquelles l’ordre public a été invoqué comme motif de limitation de la liberté d’expression. Cependant, dans l’abstrait, en tant qu’intérêt public reconnu par la Constitution, l’ordre public peut servir de base pour justifier des mesures législatives limitant la liberté d’expression, sous réserve, dans tous les cas, du contrôle de la conformité des limitations à la Constitution.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Outre le contrôle exercé sur les actes du pouvoir législatif par le biais des actions préventives et successives de contrôle de constitutionnalité, par le biais du processus de soutien (loi n° 109/IV/94 du 24 octobre) et du processus de contrôle concret de constitutionnalité (loi n° 56/VI/2005 du 28 février), le Tribunal Constitutionnel est compétente pour contrôler si les tribunaux statuent sur les affaires relatives à la liberté d’expression conformément à ce qui est établi par la Constitution, de même en période électorale, dans la mesure où elle est également la juridiction électorale suprême, contrôlant les actes relatifs à la liberté de communication en période électorale adoptés par la Commission Nationale Électorale, organe administratif spécial, et en tant que juridiction suprême des partis, pour les actes adoptés par les partis politiques. Lorsqu’il s’agit d’un conflit de droits dans un cas concret porté à l’attention du pouvoir judiciaire, afin d’évaluer si d’autres alternatives d’interprétation plus bénignes étaient disponibles pour permettre d’harmoniser les droits, le Tribunal recourt à un jugement de pondération. Le Tribunal Constitutionnel peut également effectuer un contrôle de conventionnalité lorsqu’un acte de l’autorité publique (judiciaire ou administrative) est contraire à une règle conventionnelle de protection des droits prévue par un traité international.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Certes, les circonstances de temps et de lieu, à savoir des moments marqués par une tension sociale ou politique latente et dans des espaces susceptibles d’encourager la violence physique et même verbale contre les personnes, ou des contextes politiques nationaux et internationaux spécifiques, seraient dûment pris en compte dans tout jugement d’équilibre rendu par le Tribunal Constitutionnel et, en théorie, justifieraient des niveaux plus intenses de limitation des libertés de communication.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Le Tribunal Constitutionnel, dans son Arrêt 13/2016, a considéré que l’interdiction de la censure était une garantie fondamentale associée à toute liberté de communication reconnue par le système cabo-verdien de protection des droits (paragraphe 1.5). En tant que telle, la censure est considérée comme un acte qui attaque directement le noyau essentiel de la liberté, en niant de manière intense la libre expression et la diffusion des idées par le mot, l’image ou tout autre moyen, en interférant dans les positions légales que leurs détenteurs ont pour les exprimer, à travers l’interdiction de la diffusion de certains types de contenu, la suppression de l’information, l’imposition de restrictions à la liberté de la presse ou la punition d’individus pour avoir exprimé des opinions considérées comme nocives par ces institutions. Cette restriction ou ce contrôle peut être effectué par l’adoption de lois ou de règlements, la restriction de la liberté de la presse, le blocage ou le filtrage des contenus mis en ligne ou par d’autres moyens.
La diffamation, dont le nomem juris est désormais exclusivement appelé insulte, que les faits ou jugements offensants imputés ou diffusés soient vrais ou non (respectivement, la diffamation et l’insulte au sens strict). Les types d’infraction inclus dans la catégorie des crimes contre l’honneur sont considérés comme des restrictions qualifiées des libertés de communication et comprennent diverses exclusions, permettant dans certains cas, à savoir la diffamation/l’injure, la preuve de la vérité (exceptio veritatis), qui exclut la punissabilité de l’acte ou l’exonération de l’agent de la punition.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les textes limitant la liberté d’expression sont traités dans les termes prévus par la Constitution de la République du Cabo Verde, à l’article 17, alinéas 4 et 5, qui établit explicitement le système de contrôle des actes limitant les droits, combiné dans ce cas avec les dispositions de l’article 48 de la Constitution de la République, qui établit le régime de base de la liberté de communication, et les dispositions spécifiques relatives à la liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique et à la liberté de la presse.
Dans la mesure où, dans le système cabo-verdien de protection des droits, toute restriction à un droit est toujours une exception au principe général de liberté et ne peut être gratuite, les règles restrictives sont soumises à un contrôle strict défini par cette disposition de la loi fondamentale et développé par le Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde. L’analyse part de l’intérêt public présenté par le pouvoir législatif pour justifier la limitation du droit à travers les projets de loi, les débats parlementaires, les réponses envoyées au Tribunal ou soumises au débat par le Procureur Général, analyse les autres éléments obtenus par le Tribunal, vérifie la nature générale et abstraite de la règle, ainsi que la possibilité de produire des effets rétroactifs et, surtout, si la solution juridique qu’elle apporte atteint le noyau essentiel du droit ou, en cas de réponse négative, si elle est disproportionnée parce qu’elle n’est pas adéquate, parce qu’il existe des moyens plus bénins ou parce qu’elle a été mal calibrée, imposant un sacrifice excessif à la liberté.
Le Tribunal n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les lois de régulation de l’internet visant les grands fournisseurs du pays ou sur la régulation des réseaux sociaux.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Théoriquement, le cadre juridique actuel conduit encore à une approche uniforme, que la liberté soit exercée par des moyens traditionnels ou par des réseaux sociaux. Cependant, le Tribunal Constitutionnel du Cabo Verde, qui a toujours recours à des jugements d’équilibre pour pondérer les solutions qu’elle apporte aux questions juridiques qui lui sont soumises, aurait tendance à considérer toute distinction significative en termes de nature et d’effets résultant de l’utilisation de différents moyens de communication si elle avait à se prononcer sur la question.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
D’un point de vue législatif, la période électorale peut être marquée soit par un renforcement de la liberté d’expression, soit par sa compression, en fonction du moment et, sans doute, des sujets eux-mêmes. Comme le Tribunal Constitutionnel l’a déjà jugé en période de campagne électorale, la liberté des candidatures, en particulier la propagande politique, est généralement renforcée (Arrêt 13/2021, du 29 mars, MPD c. CNE, sur l’anticipation illicite de la propagande électorale graphique, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, I Série, N. 57, 31 mai 2021, pp. 1817-1826), ce qui peut conduire à l’utilisation de divers moyens de transmission d’un message, y compris l’offre d’accessoires faisant allusion à la candidature (Arrêt 30/2020, du 11 septembre, PAICV c. CNE, sur l’interdiction de la distribution de T-shirts et de masques individuels de protection respiratoire, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, I Série, N. 57, 31 mai 2021, pp. 1817-1826). CNE, sur l’interdiction de la distribution de T-shirts et de masques de protection respiratoire individuels, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel I Série, N. 139, 23 décembre 2020, pp. 2182-2198), mais, selon la loi, pendant la période de réflexion avant les élections, les actes d’expression typiques, tels que la poursuite de la campagne électorale et les appels au vote, sont interdits et même punis par la loi.
D’autre part, la tentative de conditionner la liberté d’expression pour protéger largement les candidatures de références citoyennes ou médiatiques a été rejetée catégoriquement par le Tribunal Constitutionnel dans l’arrêt 13/2016, du 7 juillet, Rap.: JC Pina Delgado, publié au Bulletin officiel, I Série, N. 43, 27 juillet 2016, pp. 1421-1479, dans le cadre du contrôle abstrait successif, dans lequel il a décidé 3. 5. à la majorité, de déclarer, avec les effets prévus aux articles 284, paragraphe 1, et 285, paragraphe 1, de la Constitution de la République, l’inconstitutionnalité partielle, sans réduction du texte, de l’article 106, paragraphe 1, de la loi n° 92/V/99, du 8 février, dans sa version consolidée résultant des révisions apportées par la loi n° 118/V/2000, du 24 avril, par la loi n° 12/VII/2017, du 22 juin, et par la loi n° 56/VII/2010, du 9 mars, lorsqu’il est interprété comme suit: a) Interdire aux citoyens qui ne sont pas membres d’une organisation candidate aux élections d’exprimer leur opinion sur les élections par tous les moyens à leur disposition, car cela viole la liberté d’expression et la liberté de la presse, protégées respectivement par les articles 48, paragraphe 1, et 60, paragraphe 1, de la Constitution; et, b) Interdire aux médias d’informer le public sur les questions électorales dans les programmes d’information, même s’ils le font, en respectant le devoir d’égalité de traitement, en reproduisant des images et des sons faisant partie d’un appel au vote lancé par des candidats ou lors d’une manifestation organisée par eux, pour violation de la liberté d’information et de la liberté de la presse protégées respectivement par les articles 48-2 et 60-1 de la Constitution de la République. « Il ne s’ensuit pas que des situations spécifiques et avérées justifiant la limitation ne peuvent être prises en considération par le Tribunal, qui maintient une compréhension souple de la question.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Constitution n’abordant pas spécifiquement cette question, la législation infra-constitutionnelle intervient sur ce sujet à deux niveaux, en se concentrant essentiellement sur la liberté de la presse. D’une part, du point de vue de la propriété des organes de presse établis au Cabo Verde, la loi fondamentale, bien que prévoyant la possibilité de réserver certains secteurs des médias aux personnes physiques et morales de nationalité cabo-verdienne, ne s’est pas concrétisée, maintenant tous les secteurs ouverts sans aucune limitation de la liberté d’initiative économique; d’autre part, en ce qui concerne l’exercice d’activités sur le territoire national par des entreprises et des organismes de presse étrangers, il est permis de réaliser des activités de collecte et de traitement de nouvelles qui ne sont pas publiées à l’étranger, mais seulement si les correspondants sont accrédités par le département gouvernemental dans le domaine des médias ; en ce qui concerne la capture et la diffusion de signaux de télévision provenant de stations étrangères, elles doivent être autorisées par le Conseil des Ministres, qui fixe les conditions qui doivent être remplies pour réaliser cette activité. L’article 29 de la loi sur la presse écrite et les Agences de Presse, tout en autorisant la libre circulation des publications étrangères dans le pays, permet, par décision conjointe des membres du gouvernement responsables des secteurs des médias et de la justice, d’interdire la distribution, la circulation ou la vente de publications étrangères dans le pays pour des raisons de souveraineté, d’ordre public et de sécurité ou pour violation de la loi.
On pense que le Tribunal Constitutionnel, si l’on en croit l’approche qu’elle a maintenue, ne manquerait pas d’envisager une ingérence plus forte du pouvoir législatif ou du pouvoir judiciaire ordinaire lorsqu’il s’agit de situations d’ingérence malveillante d’acteurs étrangers qui affectent l’intégrité du processus électoral cabo-verdien, qu’il s’agisse d’un organe de presse enregistré ou non.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Le plein exercice de la liberté d’expression, qui n’est pas protégé contre l’affectation en période d’exception constitutionnelle – qu’il s’agisse de l’état de siège prévu à l’article 270 ou de l’état d’urgence prévu à l’article 271, tous les deux de la Constitution – peut être limité par des décrets présidentiels autorisés par le Parlement, qui suspendent les droits, et par des mesures qui sont nécessaires compte tenu des raisons qui ont conduit à leur adoption, y compris potentiellement des limitations de l’accès à Internet et des limites au pluralisme des médias, bien que cette mesure ait toujours été beaucoup plus difficile à soumettre à un test de proportionnalité.
Dans la pratique, cependant, la suspension des droits constitutionnels ne s’est produite qu’une seule fois sous la Constitution de 1992, en 2020, en raison de la propagation de la pandémie de SRAS-Cov 2. À cette occasion, bien qu’il y ait eu des cas de limitation d’autres libertés qui renforcent la parole, à savoir la liberté de mouvement, la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté d’initiative économique et la liberté de culte, avec des effets sur la liberté d’informer, la liberté de création artistique, la liberté d’enseigner, il n’y a pas eu de limitation spécifique de la liberté d’expression au sens strict ou de la liberté de la presse.
Le Tribunal n’a pas développé d’approche particulière pour traiter ces questions car ces mesures n’ont pas été contestées par le biais de recours, mais un tel contrôle impliquerait toujours, en principe, une évaluation formelle du respect des procédures constitutionnelles et légales pour décréter l’état de siège ou l’état d’urgence, une vérification des pouvoirs des organes qui sont intervenus, le respect des limites constitutionnelles matérielles à la suspension des droits et, enfin, le respect de la proportionnalité de la mesure compte tenu de l’intensité de l’impact sur le droit, de la durée de l’état d’urgence et du champ d’application territorial de ce dernier.
- 8. En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
En cas d’exception constitutionnelle (état de siège ou état d’urgence), divers droits, libertés et garanties peuvent être suspendus, y compris toutes les libertés de communication, à condition que cela soit fait de manière proportionnelle et dans les conditions prévues par la Constitution, comme il ressort des articles 272(1) et 27 de la Constitution, et de la loi sur l’état d’exception constitutionnelle et la suspension des droits. La préservation de l’ordre public est liée aux causes qui permettent de décréter l’exception constitutionnelle, à savoir dans des circonstances de trouble de l’ordre constitutionnel ou de calamité publique, intervenant dans la mesure où, si le trouble de l’ordre constitutionnel est grave, sur la base du principe de proportionnalité, la déclaration de l’état de siège est autorisée, tandis que les altérations moins graves de l’ordre constitutionnel ne permettent que la déclaration de l’état d’urgence et des interventions sans doute moins intenses sur la liberté d’expression et d’autres droits, en plus de maintenir l’exécution de ces mesures par les autorités civiles et non par les autorités militaires, comme l’état de siège pourrait l’autoriser.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Dans la mesure où l’article 275 de la Constitution lui-même interdit tout effet de la déclaration de l’état de siège ou de l’état d’urgence sur les règles constitutionnelles relatives à la compétence et au fonctionnement des organes souverains, y compris les tribunaux, le Tribunal Constitutionnel conserve sa compétence intacte dans les périodes de forte agitation, en particulier pour contrôler dans l’abstrait toute règle ou résolution de contenu individuel et concret qui se réfère à l’autorisation, au décret, à la réglementation ou au règlement de l’état d’urgence, notamment celles qui entraînent la suspension de droits, en plus de pouvoir intervenir dans les recours constitutionnels d’amparo ou de contrôle concret de constitutionnalité sur les actes judiciaires et administratifs qui se réfèrent à son interprétation ou à son exécution.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
On peut dire qu’il s’agit de l’un des instruments les plus importants pour consolider la légitimité que lui confère directement la Constitution de la République en tant qu’organe spécial de contrôle des actes publics. Dans la mesure où elle opère à l’intersection de l’État de Droit et de l’État Démocratique, les décisions en la matière placent le Tribunal Constitutionnel au centre du système politique, contribuant à consolider sa position de Tribunal de Protection des Droits et de Tribunal de Protection du Système Démocratique, telle qu’elle est conçue par la Loi Fondamentale.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Le Tribunal considère que la liberté d’expression est l’une des manifestations les plus importantes de la liberté, dont la place centrale dans le système constitutionnel est incontestable, puisqu’elle découle de la nature humaine elle-même, sa dimension communicationnelle étant essentielle à la construction d’une communauté politique et étant, en même temps, un élément incontournable de la formation de la volonté collective inhérente à l’autogouvernement du peuple par le peuple, et donc essentielle au fonctionnement de l’État de Droit et de l’État Démocratique. (Arrêt 30/2020, du 11 septembre, PAICV c. CNE, sur l’interdiction de la distribution de T-shirts et de masques individuels de protection respiratoire, Rap. : JC Pina Delgado, publié au Bulletin Officiel, Série I, N. 139, 23 décembre 2020, pp. 2182-2198, 7.2.1).
En garantissant des espaces effectifs pour l’exercice des libertés qui y sont associées, la liberté d’expression permet aux citoyens d’exprimer librement leurs opinions, leurs idées et leurs critiques, facilitant ainsi un débat sain et diversifié sur les questions politiques, sociales, économiques et culturelles. Elle permet de critiquer librement le gouvernement, les hommes politiques et les autres organismes publics sans crainte de représailles, car les citoyens sont protégés contre l’intervention de l’État et l’ingérence des autorités publiques, ce qui contribue à prévenir les situations d’abus de pouvoir, de corruption et d’autoritarisme. En conséquence, il encourage la participation active des citoyens à la vie politique et à la prise de décision, que ce soit par le biais du vote, de manifestations pacifiques, de pétitions ou d’activités de plaidoyer, en défendant leurs droits et leurs intérêts, contribuant ainsi à une société plus engagée et plus responsable. En permettant le libre échange d’idées et d’informations, elle favorise la créativité, l’innovation et le développement de nouvelles solutions aux défis auxquels la société est confrontée et contribue au progrès de la science, de la culture et de la technologie. Elle est également fondamentale pour protéger la diversité des opinions, des croyances et des identités et promouvoir le respect mutuel et la tolérance, même en cas de divergences de vues, ce qui favorise la cohésion sociale et la coexistence pacifique des différents groupes qui composent une société démocratique.
Dans ce sens, il continue à être un élément central dans la consolidation d’une société démocratique, ce qui ne signifie pas qu’il faille en avoir une conception absolutiste dans le cadre du système constitutionnel cabo-verdien, marqué par une démocratie rationalisée et une vision modérée de la fonction des droits associés à un État qui, bien que construit sur une structure libérale égalitaire, projette des éléments républicains et communautaires.
Par conséquent, même si elle minimise les notions substantielles de bien, elle n’hésite pas à rejeter les discours incompatibles avec ce modèle en raison de leur extrémisme, ceux qui sont notoirement nuisibles aux intérêts de la République et ceux qui sont notoirement faux.
Elle doit donc être considérée comme essentielle pour la survie d’un État comme celui du Cabo Verde, qui est à la fois libéral, parce qu’il est fondé sur l’idée des droits inhérents à l’individu, juridique, en ce sens que tout acte du pouvoir public n’est légitime que s’il est conforme aux normes juridiques, en particulier celles de nature constitutionnelle, républicain, qui reconnaît que les institutions publiques ont certains intérêts légitimes propres qui méritent d’être protégés, et social, qui vise à créer une société juste et équilibrée. Cependant, de manière appropriée pour contribuer au développement de la personnalité de l’individu et pour servir le contrôle de tout pouvoir public, il ne s’agit pas de mettre en péril de manière extrême le sens de la dignité des autres membres de la communauté, d’affaiblir les institutions de la République libérale de droit démocratique, qui lui permettent d’exister, et encore moins d’affaiblir un micro-État, qui est déjà vulnérable, dans un contexte géopolitique international dynamique et imprévisible.
Il appartiendra aux juridictions judiciaires et au Tribunal Constitutionnel de continuer à procéder à cet arbitrage, en tenant compte, bien sûr, de l’importance constitutive du droit en question, mais aussi de la nécessité de maintenir la flexibilité nécessaire pour prendre en compte les circonstances qui marquent le contexte de son application.
Annexe
Infractions Limitant la Liberté d’Expression, de Communication et de Presse dans le Code Pénal
Le Code Pénal du Cabo Verde définit comme une infraction pénale un ensemble de comportements qui limitent la liberté d’expression, de communication et de presse parce qu’ils sont susceptibles de violer les droits juridiques fondamentaux.
L’article 165 prévoit le délit de Diffamation, dont l’alinéa 1 dispose que « Quiconque, en connaissance de la fausseté ou au mépris manifeste de la vérité, impute à autrui la commission d’un délit ou la participation à celui-ci, ou reproduit ou propage cette fausseté, est puni d’une peine d’emprisonnement de 6 à 18 mois ou d’une peine d’amende de 80 à 200 jours ». L’alinéa 2 du même article porte la peine à un emprisonnement de 6 mois à 3 ans ou à une amende de 100 à 300 jours, « s’il y a publicité ou en cas de diffamation répétée envers la même personne ».
L’article 166 prévoit le délit d’Injure, dont le paragraphe 1 dispose que « quiconque aura injurié autrui en lui imputant des faits ou des jugements qui portent atteinte à son nom et à son crédit, à son honneur, à sa considération ou à sa dignité, ou aura reproduit de telles imputations, sera puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 18 mois ou d’une peine d’amende de 60 à 150 jours. Le paragraphe 2 du même article stipule que « Les références à autrui faites au moyen d’expressions ou de qualificatifs inutiles et délibérément offensants ou vexatoires, même si elles sont faites à l’occasion de faits véridiques et certains, seront punies de la peine du paragraphe 1 ». La peine sera augmentée jusqu’à 2 ans ou une amende de 80 à 200 jours s’il y a répétition de la publicité ou de l’injure à l’égard de la même personne. Le paragraphe 3 établit également l’assimilation de la diffamation et de l’injure verbales à celles faites par écrit, par gestes, par images ou par tout autre moyen d’expression.
L’article 167 prévoit également que les peines pour les délits de Diffamation et d’Injure seront augmentées d’un tiers dans leurs limites minimales et maximales si la victime est un membre d’un organe souverain ou d’un organe politique constitutionnel, un membre d’un organe du pouvoir local, un magistrat, un avocat, un huissier, un fonctionnaire ou toute autre personne chargée d’un service public, à condition que le délit ait été commis dans l’exercice de ses fonctions.
L’article 168, quant à lui, prévoit l’application des peines visées à l’article 166 (Blessures), pour « Quiconque offense la mémoire d’une personne décédée depuis moins d’un an, par calomnie, injure ou toute autre forme ».
Est également puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 6 mois ou d’une amende de 80 à 200 jours le délit commis à l’encontre d’une personne morale par « Quiconque, sans avoir de raisons de les croire vrais de bonne foi, affirme ou répand des faits faux qui affectent gravement la crédibilité, le prestige ou la confiance dus à une personne morale, à une institution ou à un service public ».
En ce qui concerne les infractions contre la vie privée, l’article 183 prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou une amende de 60 à 150 jours pour « Quiconque, sans consentement ni justification et dans l’intention de divulguer ou de diffuser des faits ou des circonstances relatifs à l’intimité de la vie personnelle, familiale ou sexuelle d’une autre personne, (…) transmet ou diffuse une conversation, une communication téléphonique, un message électronique, une facture détaillée ou enregistre ou transmet, par quelque moyen ou forme que ce soit, l’image d’une autre personne se trouvant dans un lieu privé ou divulgue des faits relatifs à la vie privée ou à la maladie grave d’une autre personne». Ces peines seront augmentées d’un tiers de leurs limites minimales et maximales si l’infraction est commise dans le but d’obtenir une récompense pour l’auteur ou une autre personne ou de nuire à une autre personne ou à l’État.
L’article 184, paragraphe 3, prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou une amende de 60 à 150 jours pour quiconque diffuse un enregistrement de paroles ou d’images sans consentement. Comme pour les délits contre la vie privée, les peines seront augmentées d’un tiers de leurs limites minimales et maximales si l’acte est commis dans le but d’obtenir une récompense pour l’auteur ou une autre personne ou de nuire à une autre personne ou à l’État.
De même, l’article 186 prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 18 mois ou une amende de 80 à 200 jours pour quiconque (…) porte à la connaissance du public ou d’un tiers (…) un enregistrement ou un document obtenu de quelque manière que ce soit ou porte atteinte à l’intimité de la vie privée ou enregistre illégalement des paroles ou des images. Dans ce cas également, les peines seront augmentées d’un tiers de leurs limites minimales et maximales si le délit est commis dans le but d’obtenir une récompense pour l’auteur ou une autre personne ou de nuire à une autre personne ou à l’État.
En ce qui concerne la protection du secret de la correspondance, l’article 189 numéro 3 prévoit une peine d’emprisonnement de 6 mois à 2 ans ou une amende de 80 à 200 jours, ou une peine d’emprisonnement d’un an au plus ou une amende de 100 jours au plus, selon qu’il s’agit ou non du même agent qui a, sans son consentement, ouvert, soustrait, supprimé ou détourné de sa destination un colis, une lettre, un télégramme ou tout autre écrit fermé et qui ne lui est pas adressé, ou appris son contenu par quelque moyen que ce soit, ou empêché le destinataire d’être connu de quelque manière que ce soit, ou qui, sans consentement, interfère avec le contenu d’une communication faite par télécommunication ou autre moyen de transmission, en fait un enregistrement ou en prend connaissance, et qui, sans consentement, divulgue le contenu des écrits ou de l’un des moyens de communication susmentionnés. La peine de l’auteur sera augmentée d’un tiers des limites minimales et maximales si l’infraction est commise dans le but d’obtenir une récompense pour lui-même ou pour une autre personne ou de nuire à une autre personne ou à l’État.
Il existe également une peine pour publicité indue de la correspondance, avec une amende de 80 à 200 jours, pour quiconque, sans intérêt légitime qui le justifie, se trouve en possession d’une correspondance qui n’est pas destinée à la connaissance du public, même si elle lui est adressée, et la publie indûment.
L’article 190 établit le délit de publication indue de la correspondance, en précisant que quiconque publie indûment une correspondance qui n’est pas destinée à être connue du public, même si elle lui est adressée, sera puni d’une amende de 80 à 200 jours.
En ce qui concerne la violation ou l’exploitation d’un secret, l’article 191, paragraphe 1, stipule que quiconque révèle, sans son consentement, le secret d’autrui qu’il a appris en raison de son statut, de son commerce, de son emploi ou de son métier, sera puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende de 60 à 150 jours.
La violation du secret professionnel est punie aux termes de l’article 192, qui dispose que « Quiconque, en violation de l’obligation de secret ou de réserve professionnelle imposée par la loi, aura divulgué le secret d’autrui, sera puni d’un emprisonnement de 6 mois à 3 ans ou d’une amende de 80 à 200 jours ».
L’article 266 du titre IV, qui porte sur des crimes contre la communauté internationale, définit le Crime d’Outrage aux Symboles Étrangers dans les termes suivants : « Quiconque outrage publiquement, par des mots, des gestes, la diffusion d’écrits, d’images ou de sons, ou tout autre moyen de communication avec le public, un drapeau officiel ou un autre symbole d’un État ou d’un territoire étranger, est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 jours, à condition que ce fait soit considéré comme un délit dans cet État ou ce territoire ».
L’article 267 punit le délit d’incitation à la guerre ou au génocide, d’une peine d’emprisonnement de 2 à 6 ans, pour ceux qui incitent publiquement et de manière répétée à la haine contre un peuple, un groupe ethnique, racial ou religieux, par quelque moyen que ce soit, dans l’intention de détruire tout ou partie de ce peuple ou de ce groupe ou de déclencher une guerre.
Dans le chapitre consacré aux infractions contre l’ordre et la tranquillité publics, l’article 288 prévoit une peine d’emprisonnement de 18 mois ou une amende de 80 à 200 jours, si une peine plus lourde n’est pas imposée en vertu d’une autre disposition légale, pour « Quiconque incite publiquement, ou par des moyens de communication avec le public, à la commission d’un crime spécifique contre une personne ou une institution » (Incitation Publique à commettre un Crime).
Dans la même veine, l’apologie publique d’un crime est punie par les dispositions de l’article 289, qui se lit comme suit : « Quiconque, publiquement ou par le biais de tout moyen de communication avec le public, loue ou récompense une autre personne pour avoir commis un crime, d’une manière qui crée un danger effectif d’un autre crime du même type, est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 jours, si une peine plus grave n’est pas imposée en vertu d’une autre disposition légale ».
Toutefois, il convient de souligner que, tant dans le cas de l’incitation publique à commettre un crime que dans celui de l’apologie publique d’un crime, la peine ne peut jamais être supérieure à celle qui correspond au crime incité.
Dans le chapitre des crimes contre la souveraineté et l’indépendance nationale, l’article 309 prévoit la répression du crime de violation des secrets d’État, en stipulant que « Quiconque, mettant en danger les intérêts du Cabo Verde relatifs à l’indépendance nationale, à la préservation de son intégrité territoriale ou à sa défense en cas de guerre ou d’action armée contre le Cabo Verde, transmet ou rend accessible au public ou à des personnes non autorisées à cet effet, un document, un objet, un fait ou une information qui, compte tenu de sa nature et de ces intérêts, devrait rester secret, est puni d’une peine d’emprisonnement de 2 à 8 ans. Le paragraphe 2 du même article stipule que la même peine s’applique à quiconque, dans le but d’accomplir les actes mentionnés au paragraphe 1, collabore avec un gouvernement, un service, un groupe ou une association étrangère, ou leurs agents, ou recrute ou aide un agent à accomplir ces actes. Le paragraphe 3 prévoit une réduction d’un tiers de la peine susmentionnée dans ses limites minimale et maximale, si les actes visés aux paragraphes 1 et 2 ne compromettent que les intérêts du Cabo Verde dans la conduite de sa politique extérieure.
Il y a également le délit d’outrage aux symboles nationaux, aux termes duquel « quiconque outrage publiquement, par le mot, le geste, la divulgation d’écrits, l’image ou le son, ou par tout autre moyen de communication avec le public, le drapeau national, l’hymne national ou tout autre symbole de la souveraineté nationale, est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 18 mois ou d’une peine d’amende de 60 à 150 jours ».
Parmi les délits contre l’administration et la conduite de la justice, l’article 335 prévoit le délit de violation du secret de la justice, qui stipule que « Quiconque, d’une manière non autorisée par la loi, fait connaître le contenu d’un acte de procédure couvert par le secret de la justice ou pour lequel il a été décidé d’exclure la publicité, est puni d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à 4 ans, s’il s’agit d’une procédure pénale, ou d’une peine d’emprisonnement de 6 mois au maximum ou d’une amende de 80 jours au maximum, s’il s’agit d’un délit ou d’une procédure disciplinaire ».
Cour suprême des Comores
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
En Union des Comores, la liberté d’expression est énoncée dans la Constitution du 6 août 2018 en son article 21 en ces termes que « le droit à la liberté est inviolable », que « la liberté de pensée et d’expression, d’association… et les autres libertés sont garanties ».
Elle est reprise dans la loi organique du 27 juin 2023 relative à la Cour Suprême par l’article 205 qui consacre la protection constitutionnelle des libertés fondamentales.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
La liberté d’expression est malmenée partout, notamment par ceux qui s’en servent, en raison des abus touchant à la vie privée des gens, à cause de publications et déclarations intempestives qui heurtent la conscience de personnes et en raison des conséquences nuisibles à la paix publique et au respect d’autres libertés comme le droit à exprimer son opinion et sa foi religieuse dans un esprit de pondération.
Le préambule de la Constitution du 6 août 2018 énonce qu’en Union des Comores, « le peuple comorien affirme solennellement sa volonté de cultiver une identité nationale basée sur un seul peuple, une seule religion, l’Islam Sunnite ». C’est une entrave au caractère absolu de la liberté d’expression au même titre que différentes limitions consécutives allant dans le sens la protection des personnes, leurs biens et leur intégrité physique.
Ainsi, toute opinion de nature à contredire ou s’opposer à l’orientation non laïque de la vie sociale et aboutir à des modifications profondes dans la pratique du culte et la célébration des événements religieux notamment dans l’organisation des prières collectives, le mariage et les funérailles est prohibée sous le contrôle de la grande autorité religieuse de référence, outre l’assistance des juridictions qui toujours besoin de réguler les initiatives et les influences de ce pouvoir.
Les décisions de l’autorité religieuse en la matière sont appliquées sans que la Cour Suprême n’ait jamais eu à intervenir, mais qui reste gardienne de la règle selon laquelle la liberté d’expression s’arrête là où l’ordre public risque d’être perturbé.
- Quelle Définition donnez-vous de la liberté d’expression ?
C’est le droit reconnu par la loi comme une manifestation de la liberté de la pensée, une composante de la démocratie permettant à l’individu de faire connaitre le produit de son activité intellectuelle orale ou écrite, sans risquer de heurter la morale et l’ordre public. La liberté d’expression dans le domaine de la vie politique d’une Nation est le droit fondamental de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas autrui », qui se rapproche de la liberté d’opinion, du droit à se syndiquer, faire grève ou manifester.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques / régional ou international ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens, /pro ou contra/ ?
La Cour Suprême se réfère à la jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’homme qui illustre à travers d’exemples la règle que toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements :
- Affaire du journaliste Norbert Zongo tué au Burkina Faso ;
- Affaire de la condamnation de diffamation d’un journaliste à l’encontre d’un procureur qu’il accusait de corruption, qui a valu l’intervention de ladite Cour.
Tant que dans un pays, les mécanismes de garantie des libertés ne fonctionnent pas correctement, la liberté d’expression ne peut être sauvegardée à l’échelle locale.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
C’est en premier la liberté des médias, c’est-à-dire la possibilité effective pour des gens qui se réclament de la qualité de journalistes de choisir, produire et diffuser des informations dans l’intérêt public indépendamment de toute interférence politique, économique, juridique et sociale et sans que leur sécurité mentale ou physique soit menacée. Nombreux en Afrique peinent à faire découler la liberté d’expression des principes de dignité, d’impartialité ; ils font prévaloir l’engagement personnel pour leurs idées et gagner en audience.
À ce jour, le contentieux de nature à susciter une jurisprudence de protection de la liberté d’expression peine à parvenir au greffe de la Cour Suprême ;
Cette dernière est d’avis qu’une liberté d’expression qui s’exprime avec violence, dégradations et pillages nuit au vivre ensemble, raison pour laquelle des mesures de protection des personnes et de leurs biens motivent l’action des juridictions sous le contrôle de la Cour Suprême.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le blasphème se définit comme la « parole ou le discours qui outrage la divinité, la religion par des attaques démesurées portées contre les instruments d’une croyance suscitant colère et désarroi des personnes qui n’aspirent qu’à pacifiquement pratiquer leur foi.
Devant les juridictions du fond, tout ce qui se rapproche du blasphème né d’une parole, d’un discours, d’un écrit ou un geste qui s’attaque à la foi de tout un chacun, fait l’objet d’un examen sans que la Cour Suprême n’ait eu encore à intervenir pour fixer une jurisprudence, tant les principes sont clairs ; le blasphème n’étant pas malgré tout une infraction légale prévue par ledit Code, il appartient à l’autorité religieuse de proposer les sanctions qui ne sauraient être le châtiment corporel préconisé par certains, mais que la Cour Suprême ne peut que rejeter.
La lutte contre le blasphème passe par la répression d’autres comportements ; que des Nations se soient déterminées à accorder caractère absolu à la liberté d’expression après avoir notamment décriminalisé le blasphème, toute répression à l’encontre de ce phénomène est l’objet d’un consensus.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? /Politique, militaire, Régalien, Art, Médias/ ?
La liberté d’expression est une liberté d’opinion que d’innombrables personnes peinent à exprimer à travers les réseaux sociaux, alors que les réseaux sociaux sont devenus une plateforme pour véhiculer le vrai et le faux.
En période électorale, les langues se délient laissant place à des échanges véhéments sur la place publique et dans les médias. Ces échanges sont en principe autorisés ; toutefois hors période électorale, la défense d’intérêts professionnels est souvent sujette à la violence et aux dégradations à caractère partisan. Il est difficile dans ces circonstances de garantir la possibilité de disposer de la capacité à décoder l’information, détecter les manipulations et les fausses informations, s’émanciper et construire ses propres convictions.
- À quels titulaires, la liberté d’expression est-elle reconnue /mineurs, personnes privées et personnes publiques/ ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu / l’institution qui en est titulaire personnes privées et personnes publiques, personnes morales privées et publiques ?
Pouvoir s’exprimer par le droit de vote fut partout le principe majeur défendu par les minorités et les femmes.
Il est un texte dont les juridictions constitutionnelles se réfèrent pour, le cas échéant, l’appliquer, à savoir que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; que toute personne peut parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les conditions déterminées par la loi ».
Chaque personne gagne à s’autocensurer et jauger la personne susceptible de recevoir l’information, mineurs scolarisés ou population sensible, car véhiculer une information qui heurte et blesse l’autre laisse la porte ouverte à des réactions tristes et démesurées.
L’absence de conflit politique ou social, c’est ce qui favorise la liberté d’expression, particulièrement la liberté de la presse. La Cour Suprême n’a pas une jurisprudence au service de l’encadrement de la liberté d’expression.
- Quid de la liberté des agents de l’État / fonctionnaires, militaires/ ?
Aux Comores, militaires et fonctionnaires ne sont pas logés sous la même enseigne.
Toutefois, les uns comme les autres ont le droit de s’exprimer et revendiquer des intérêts professionnels.
En matière d’expression collective, les militaires sont les seuls membres de la fonction publique de l’État à être privés de toute possibilité de regroupement professionnel de façon indépendante de la hiérarchie.
Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression.
La liberté d’expression constitue une condition de la liberté de la pensée ; elle exprime l’identité et l’autonomie intellectuelle des individus et conditionne leurs relations aux autres individus et à la société.
Pour certains, notamment les fonctionnaires, la liberté d’expression comprend la protection de la liberté d’opinion, d’information et de réception de l’information, notamment pour exprimer ses convictions.
En Union des Comores, comme partout ailleurs, l’obligation d’impartialité en raison des affaires qui sont soumises à examen, le souci de ne pas se laisser déborder par ses convictions politiques ou par des intérêts financiers, sont des principes qui malheureusement ne sont pas étayés par une jurisprudence qui sera appelée à venir. Ce sont les médias qui sont les mieux placés pour poser des règles d’encadrement de la liberté d’expression.
La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
Le XXIe siècle devra voir émerger la conviction que nul n’a le droit de manifester son opinion par la violence de ses propos emprunts de subjectivité religieuse ou de rejet de l’autre, car plus que jamais les Nations ne s’organiseront pour que la foi s’exprime à travers une violence.
Bien des gens confrontés aux drames qui bousculent le monde aux portes de l’Europe et du Moyen-Orient devront se ressaisir pour réhabiliter les échanges démocratiques des Nations.
Des choses graves sont survenues dans le monde en particulier la France.
Qu’il s’agisse par exemple de l’interdiction du spectacle d’un humoriste aux facettes partisanes, des attentats perpétrés çà et là, de la régulation des réseaux sociaux et Internet à travers le monde, la liberté d’expression devra être balisée dans l’exercice de l’état de droit ; les juges constitutionnels en seront les garants à l’image de la Cour africaine des droits de l’homme.
Lorsque dans un pays se réclamant de la démocratie et de l’état de droit, un citoyen peut se permettre d’appeler les autres à la révolte, le XXIe siècle devra se déterminer à faire bouger les choses.
Certains affirment que le XXIe siècle sera l’aboutissement de la victoire de la dictature sur la démocratie ; c’est une problématique essentielle du monde.
Conseil constitutionnel français
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
S’il n’existe pas en droit interne de déclaration de droits protégeant spécifiquement la liberté d’expression en France, la protection constitutionnelle de la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions se fonde sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
L’article 11 de la Déclaration de 1789 envisage implicitement une telle limite, sous la forme d’une conciliation, en réservant les cas d’« abus de cette liberté », qu’il appartient à la loi de déterminer.
Le Conseil constitutionnel juge à cet égard que le principe ainsi proclamé ne s’oppose pas à ce que le législateur, compétent aux termes de l’article 34 de la Constitution pour fixer « les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », édicte des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer. Il lui est aussi loisible, à ce titre, d’instituer des dispositions destinées à faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Ce faisant, le Conseil soumet expressément les atteintes à cette liberté à son degré de contrôle le plus exigeant qui soit, celui du contrôle entier de proportionnalité.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789, la liberté d’expression consiste à « parler, écrire, imprimer librement ». Cette liberté doit être préservée aussi bien dans sa dimension « passive », le citoyen étant alors récepteur de l’information, que dans sa dimension « active », le citoyen étant alors émetteur de l’information.
Le Conseil juge par ailleurs spécifiquement, depuis 2009, que, en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
* D’une façon générale, la conception française de la liberté d’expression est similaire à celle que l’on rencontre dans les autres États européens. Il s’agit d’une liberté garantie par le texte constitutionnel, lequel lui-même prévoit également des limites à l’exercice de cette liberté.
Dans la détermination de cette conciliation, les autres juridictions européennes opèrent traditionnellement un contrôle de proportionnalité. C’est notamment le cas, entre autres, en Allemagne, en Espagne et en Italie.
Des différences plus notoires concernant la conception de la liberté d’expression seraient à trouver tout particulièrement du côté des États-Unis. En effet, le Premier amendement à la Constitution américaine ne contient aucune limitation expresse à l’exercice de ce droit puisqu’il indique que le Congrès américain ne pourra adopter aucune loi restreignant ce droit. Au vu de cette conception très extensive et en s’appuyant sur l’absence de limitation prévue par le texte, la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis préserve ce caractère très étendu de la liberté d’expression en des termes qui ne se confondent pas entièrement avec le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel ainsi que ses homologues européens.
* Si le Conseil constitutionnel prend en compte des éléments de droit comparé dans son raisonnement sur certaines affaires, ces éléments ne sont pas mentionnés dans ses décisions.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont, selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Oui. La formulation de l’article 11 de la Déclaration de 1789 fait de la liberté d’expression l’un des « droits les plus précieux de l’Homme ». Le Conseil constitutionnel juge à cet égard qu’il s’agit d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et une condition de la démocratie.
Le Conseil rappelle qu’elle revêt une importance particulière notamment dans le débat politique et au cours des campagnes électorales : elle garantit à la fois l’information de chacun et la défense de toutes les opinions, mais prémunit aussi contre les conséquences des abus commis sur son fondement en permettant d’y répondre et de les dénoncer.
La liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 comprend plusieurs dimensions : elle possède ainsi une dimension individuelle (elle protège par exemple le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée), mais aussi collective (la liberté de réunion et celle de manifestation sont rattachées au droit d’expression collective des idées et des opinions qui découlent).
En matière pénale, le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur la possibilité d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication, dès lors que ces abus « portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ». Toutefois, les infractions et les peines ainsi instaurées n’échappent pas à l’exigence que l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication soit nécessaire, adaptée et proportionnée :
– ainsi, dans sa décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions relatives réprimant la négation, la minoration ou la banalisation notamment des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sans exiger que ces derniers aient fait l’objet d’une condamnation judiciaire préalable ;
– dans sa décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions relatives au délit de consultation habituelle de sites Internet terroristes ;
– dans sa décision n° 2020-845 QPC du 19 juin 2020, il a considéré que le délit de recel d’apologie du terrorisme portait à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La France étant une République laïque (art. 1er de la Constitution), sa législation ne comporte pas d’infraction sanctionnant, en tant que telle, la critique d’une religion. Aucune jurisprudence du Conseil ne porte sur la notion de blasphème.
Certaines formes d’expression religieuse sont protégées sur le fondement de la liberté d’opinion et de la liberté de conscience. À ce titre, l’article 10 de la Déclaration de 1789 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, saisi de dispositions contestées autorisant le préfet à fermer provisoirement certains lieux de culte pour prévenir la commission d’actes de terrorisme, à raison de certains propos, idées, théories ou activités qui s’y tiennent, le Conseil constitutionnel a jugé, après avoir souligné l’existence de plusieurs garanties, que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Il a également écarté la méconnaissance de la liberté d’expression et de communication et du droit d’expression collective des idées et des opinions.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Cette question et la question 8 font l’objet d’une réponse commune.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Le principe d’un contrôle de proportionnalité opéré par le Conseil pour s’assurer du respect de la liberté d’expression ne varie pas en fonction du domaine considéré. En outre, cette liberté est reconnue à tous les sujets de droit.
La jurisprudence tient cependant compte de la nature de l’atteinte que portent les dispositions contestées à cette exigence, qui peuvent être plus ou moins fortes, et justifiées par des objectifs plus ou moins importants, selon le domaine et les personnes considérées.
Dans les affaires qu’a eu à connaitre du Conseil, la liberté d’expression généralement invoquée est celle de personnes privées. Mais sa jurisprudence protège également le rôle particulier de certaines personnes morales (intermédiaires techniques, médias audiovisuels publics et privés).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les lois et règlements portant statuts de certains agents publics sont susceptibles d’encadrer la façon dont peut s’exercer leur liberté d’expression (« devoir de réserve », secret professionnel et discrétion professionnelle prévus aux articles L. 121-6 et L. 121-7 du code général de la fonction publique). Les mesures individuelles qui en découlent sont soumises au juge du fond, qui s’assure directement du respect de ces principes en fonction du rang hiérarchique de l’agent, des circonstances dans lesquelles il s’exprime, de la publicité et des formes de son expression.
Le Conseil a eu peu d’occasions d’intervenir directement sur ces questions.
Récemment, dans sa décision n° 2023-856 DC du 16 novembre 2023, le Conseil a néanmoins été saisi de dispositions qui complétaient celles interdisant aux magistrats toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République, ainsi que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions, afin de prévoir que « l’expression publique des magistrats ne saurait nuire à l’exercice impartial de leurs fonctions ni porter atteinte à l’indépendance de la justice ». Il a jugé que ces nouvelles dispositions, qui se bornent à rappeler certains des devoirs qui s’imposent à tout magistrat, ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel a pour la première fois affirmé la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression et de communication dans sa décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, par laquelle il a jugé que le droit de libre communication et la liberté de parler, écrire et imprimer constituent « une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale », de sorte que « la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » .
Par la suite, dans sa décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, le Conseil a complété la formulation de son énoncé de principe pour faire explicitement apparaître qu’il opère un contrôle de proportionnalité sur les atteintes à la liberté d’expression. Ainsi, après avoir rappelé que cette liberté est « d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés », le Conseil a jugé que « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Ce faisant, il a soumis les atteintes à cette liberté à son degré de contrôle le plus exigeant qui soit.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Cf. supra, la réponse à la question 1.5.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Non, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi de dispositions portant atteinte à la liberté d’expression au nom de la protection d’autres droits et libertés constitutionnellement garantis, il vérifie que le législateur a assuré une conciliation qui ne soit pas déséquilibrée entre les différentes exigences constitutionnelles en présence. Cela le conduit alors à tenir compte notamment de la finalité poursuivie par les dispositions contestées, de leur champ d’application et des garanties légales entourant leur mise en œuvre.
Réciproquement, le Conseil peut être amené à contrôler la conformité de dispositions portant atteinte à d’autres droits et libertés en considération du fait qu’elles constituent des garanties de l’exercice de la liberté d’expression.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Comme indiqué en réponse à la question 2.1., depuis sa décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel procède à un contrôle de proportionnalité des atteintes à la liberté d’expression et de communication, ce qui l’amène à se montrer particulièrement vigilant quant aux restrictions susceptibles d’être apportées à cette liberté par des dispositions législatives.
Cela ne signifie pas pour autant que la liberté d’expression et de communication serait absolue. Le Conseil a par exemple déclaré conformes à la Constitution, après s’être prononcé sur le terrain de la liberté d’expression, des dispositions réprimant certains comportements, comme l’apologie du terrorisme, permettant que des restrictions administratives soient apportées à l’exercice de la liberté d’expression ou encore d’obtenir la cessation de la diffusion de certains propos par des services de communication au public en ligne.
Par ailleurs, le Conseil a jugé, dès sa décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010, que la libre communication des pensées et des opinions, protégée par l’article 11 de la Déclaration de 1789, est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, au sens de son article 61-1. Elle peut ainsi être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La question est sans objet en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, telle que précisée dans les réponses aux questions qui précèdent (notamment la question 2.4.).
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Il ne fait pas de doute que les juridictions administratives et judiciaires doivent, ainsi que le leur impose l’article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958, se conformer à la jurisprudence constitutionnelle.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Cf. supra, la réponse à la question 1.4.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Cf. supra, la réponse à la question 2.3.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La jurisprudence développée par le Conseil constitutionnel intègre la nécessité de concilier ces différents intérêts, de sorte qu’il ne peut être apporté une réponse tranchée à cette question.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Cf. supra, les réponses aux questions 2.1. et 2.3.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Comme indiqué plus haut, le Conseil constitutionnel intègre directement, dans son énoncé de principe relatif à la protection constitutionnelle de la liberté d’expression, la nécessité de prévenir « des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ».
De la même façon, il juge avec constance, en se fondant également sur l’article 34 de la Constitution, qu’« il est loisible au législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer » .
Selon qu’il est saisi de dispositions législatives instituant des mesures répressives (telles que la création d’une infraction pénale) ou préventives (tels qu’un dispositif de restrictions administratives), le Conseil opère ainsi, sur le fondement de la liberté d’expression, un contrôle qui le conduit à s’assurer que ces mesures sont justifiées par les nécessités de l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Lorsqu’il est saisi de dispositions législatives mettant en cause la liberté d’expression, le Conseil constitutionnel les appréhende sur le fondement de l’article 11 de la Déclaration de 1789 à partir du moment où le grief dirigé à leur encontre est bien opérant.
Il arrive que le Conseil privilégie un autre fondement pour examiner des dispositions législatives qui, tout en étant susceptibles d’avoir une incidence sur la liberté d’expression, portent plus directement atteinte à un autre droit ou liberté constitutionnellement garanti.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Il ne résulte pas de la jurisprudence du Conseil que de telles circonstances appellent à réserver un régime particulier à la liberté d’expression.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Si la jurisprudence du Conseil ne connait pas une notion comme celle de « censure », il s’assure que la loi n’apporte à la liberté d’expression que des restrictions adaptées, nécessaires et proportionnées (contrôle de proportionnalité).
En droit français, toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé (article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). Elle est constituée même si l’allégation est faite sous forme déguisée ou dubitative ou si elle est insinuée, et si elle vise une personne qui sans être désignée par son nom, est identifiable. Peu importe que le fait en question soit vrai ou faux, s’il est suffisamment précis.
Dans sa décision n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013, le Conseil constitutionnel était saisi de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 qui définit les cas dans lesquels une personne poursuivie pour diffamation peut s’exonérer de toute responsabilité en établissant la preuve du fait diffamatoire. Une disposition particulière de cet article interdit de rapporter la preuve des faits diffamatoires lorsque l’imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision. Le requérant soutenait que cette interdiction portait atteinte à la liberté d’expression et aux droits de la défense.
Le Conseil a jugé que les dispositions concernant l’amnistie, la prescription de l’action publique, la réhabilitation et la révision n’ont pas, par elles-mêmes, pour objet d’interdire qu’il soit fait référence à des faits qui ont motivé une condamnation amnistiée, prescrite ou qui a été suivie d’une réhabilitation ou d’une révision ou qu’il soit fait référence à des faits constituant une infraction amnistiée ou prescrite. La restriction à la liberté d’expression qui résultait des dispositions contestées visait sans distinction, tous les propos ou écrits résultant de travaux historiques ou scientifiques ainsi que les imputations se référant à des événements dont le rappel ou le commentaire s’inscrivent dans un débat public d’intérêt général. Dès lors, le Conseil constitutionnel a jugé que, par son caractère général et absolu, cette interdiction portait à la liberté d’expression une atteinte qui n’était pas proportionnée au but poursuivi.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Comme indiqué précédemment, le Conseil constitutionnel apprécie la proportionnalité de l’atteinte portée à la liberté d’expression au regard des objectifs poursuivis par le législateur.
Depuis une dizaine d’années, le Conseil a été amené à contrôler la conformité à la Constitution de plusieurs textes visant à mieux réguler Internet en imposant certaines obligations aux intermédiaires techniques.
Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, il juge en la matière que, « en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions », la liberté d’expression « implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer. »
– Dans sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, le Conseil était saisi de dispositions tendant à renforcer la lutte contre la pédopornographie en instituant un dispositif de blocage de l’accès à certains sites Internet. Il a notamment jugé que « les dispositions contestées ne confèrent à l’autorité administrative que le pouvoir de restreindre, pour la protection des utilisateurs d’Internet, l’accès à des services de communication au public en ligne lorsque et dans la mesure où ils diffusent des images de pornographie infantile ; que la décision de l’autorité administrative est susceptible d’être contestée à tout moment et par toute personne intéressée devant la juridiction compétente, le cas échéant en référé ; que, dans ces conditions, ces dispositions assurent une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » .
– En revanche, dans sa décision n° 2020 801 DC du 18 juin 2020 relative à la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet , le Conseil constitutionnel a censuré, sur le fondement de la liberté d’expression et de communication, des dispositions imposant à certains opérateurs de plateforme en ligne de retirer, dans un délai d’une heure, des contenus diffusés en ligne à caractère terroriste ou pédopornographique et, sous vingt-quatre heures, des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel.
S’agissant, en premier lieu, des contenus à caractère terroriste ou pédopornographique, la loi déférée modifiait l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 précitée instituant un dispositif de blocage administratif des adresses électroniques des services de communication au public en ligne afin de permettre à l’autorité administrative de demander aux hébergeurs ou aux éditeurs de tels services de retirer les contenus que cette dernière estimait contraires aux articles 227-23 et 421-2-5 du Code pénal. Il était prévu, en cas de manquement de leur part à cette obligation, l’application d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
Examinant les dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a admis que l’objectif poursuivi par le législateur était de nature à justifier l’adoption de mesures susceptibles de restreindre l’exercice de la liberté d’expression et de communication. Cependant, le Conseil a considéré que, en dépit de la pertinence de l’objectif poursuivi, les dispositions contestées portaient à la liberté d’expression une atteinte qui n’était pas adaptée, nécessaire et proportionnée.
Il a tout d’abord constaté que la détermination du caractère illicite des contenus « ne repos[ait] pas sur leur caractère manifeste » et qu’elle était « soumise à la seule appréciation de l’administration ». Ainsi, en visant des contenus dont le caractère illicite n’apparaît pas manifestement et peut être sujet à débat, les dispositions censurées permettaient que soient retirés des contenus en réalité licites. Par ailleurs, l’appréciation sur ce point de l’administration ne présentait pas à cet égard une garantie suffisante.
Le Conseil a ensuite constaté que le délai d’une heure laissé à l’éditeur ou l’hébergeur pour déférer à la demande de l’administration ne lui permettait pas, même en contestant en référé cette demande, d’en faire examiner la légalité avant de devoir y déférer, sous peine d’une lourde sanction pénale pouvant atteindre un an d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende.
Le Conseil en a conclu que les dispositions contestées méconnaissaient la liberté d’expression et de communication.
S’agissant, en second lieu, des dispositions de la loi qui visaient à imposer à certains opérateurs de plateforme en ligne, sous peine de sanction pénale, de retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de vingt-quatre heures des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel, le Conseil constitutionnel s’est d’abord attaché à rechercher l’objectif poursuivi. Il a ainsi admis que, en adoptant ces dispositions, « le législateur a voulu prévenir la commission d’actes troublant gravement l’ordre public et éviter la diffusion de propos faisant l’éloge de tels actes. Il a ainsi entendu faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ».
Le Conseil a toutefois relevé que l’obligation de retrait prévue par les dispositions contestées « s’impose à l’opérateur dès lors qu’une personne lui a signalé un contenu illicite en précisant son identité, la localisation de ce contenu et les motifs légaux pour lesquels il est manifestement illicite ». Ainsi, au regard de ces conditions simples de signalement, le dispositif adopté par le législateur reposait sur une possibilité très large de saisine des opérateurs. Aucun mécanisme de filtre n’était prévu ni aucune autre condition que la conviction du signalant d’être face à un contenu manifestement illicite. Cela signifiait donc que chaque opérateur pouvait être saisi d’un nombre important de signalements et qu’il lui incombait d’examiner systématiquement tous les contenus signalés afin de ne pas risquer d’être sanctionné pénalement.
Or, cette obligation d’examen pouvait se révéler complexe pour l’opérateur. En effet, si le législateur avait prévu que seuls les contenus manifestement illicites devaient être retirés par les opérateurs de plateforme en ligne, il avait en revanche retenu de multiples qualifications pénales justifiant ce retrait. En outre, l’examen devant être réalisé par l’opérateur ne devait pas se limiter au motif indiqué dans le signalement, mais s’étendait à l’ensemble des incriminations pénales précitées. Le Conseil en a conclu qu’« Il revient en conséquence à l’opérateur d’examiner les contenus signalés au regard de l’ensemble (des infractions mentionnées), alors même que les éléments constitutifs de certaines d’entre elles peuvent présenter une technicité juridique ou, s’agissant notamment de délits de presse, appeler une appréciation au regard du contexte d’énonciation ou de diffusion des contenus en cause ».
Cette obligation d’examen était également rendue plus rigoureuse en raison du délai de vingt-quatre heures que la loi déférée imposait aux opérateurs de plateforme en ligne pour retirer les propos illicites. À ce titre, le Conseil a relevé que, « compte tenu des difficultés précitées d’appréciation du caractère manifeste de l’illicéité des contenus signalés et du risque de signalements nombreux, le cas échéant infondés, un tel délai est particulièrement bref » .
Le Conseil constitutionnel a en outre relevé que le législateur n’avait prévu aucune disposition permettant à un opérateur de s’exonérer de sa responsabilité pénale en raison de circonstances qui auraient rendu son examen de propos signalés particulièrement difficile ou impossible dans le délai de vingt-quatre heures.
Enfin, le Conseil constitutionnel a constaté que « le fait de ne pas respecter l’obligation de retirer ou de rendre inaccessibles des contenus manifestement illicites est puni de 250 000 euros d’amende » et que « la sanction pénale est encourue pour chaque défaut de retrait et non en considération de leur répétition ».
Le Conseil a conclu de ces différents éléments que, « compte tenu des difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement et de l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité, les dispositions contestées ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites. Elles portent donc une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
Appliquant une grille d’analyse comparable dans sa décision n° 2022-841 DC du 13 août 2022, le Conseil constitutionnel a jugées conformes à la Constitution certaines dispositions de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Non, le Conseil a fait application des exigences de l’article 11 de la Déclaration de 1789 aux services publics de communication en ligne (cf. supra, réponse à la question 3.3.)
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Dans deux domaines, celui de la vie politique, d’une part, et celui des médias, d’autre part, la liberté d’expression et de communication doit être conciliée avec le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, consacré au troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution.
S’agissant du respect de ce principe, le Conseil constitutionnel est plus exigeant dans l’examen des textes relatifs à l’organisation ou à la régulation de la vie politique, que dans l’examen de textes relatifs à la seule organisation et réglementation du secteur de la communication audiovisuelle. En effet, lorsque la régulation de la vie politique est concernée, c’est l’expression des opinions politiques et la représentation des citoyens qui est directement en cause.
Le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions laisse toutefois au législateur une certaine marge de manœuvre. Il peut ainsi subordonner une aide aux partis et groupements à la condition qu’ils justifient d’un minimum d’audience, réserver la participation à la campagne radiotélévisée aux seuls partis et groupements habilités par la commission de contrôle de la consultation à Mayotte, ou bien encore fixer un seuil de 5% des suffrages exprimés pour accéder à la répartition des sièges au Parlement européen.
Lorsqu’est affectée la liberté d’expression et de communication, le Conseil constitutionnel s’assure que la conciliation opérée entre cette liberté et le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions n’est pas manifestement déséquilibrée. Il a par exemple jugé, dans sa décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016, qu’en prévoyant l’application du principe d’équité au traitement audiovisuel des candidats à l’élection du Président de la République pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », le législateur organique « a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et de liberté de communication ». Il relève dans cette décision que : « le législateur organique a, d’une part, entendu favoriser, dans l’intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral ; qu’il a entendu, d’autre part et dans le même but, accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l’information en période électorale, qui ne saurait remettre en cause les principes fixés par le législateur et dont l’application relève du conseil supérieur de l’audiovisuel ; que, si ces éditeurs conservent un rôle déterminant de diffusion de l’information à destination des citoyens en période électorale, leur diversité a été renforcée ; qu’il existe en outre d’autres modes de diffusion qui contribuent à l’information des citoyens en période électorale sans relever de réglementations identiques » .
Dans sa décision n° 2017-651 QPC du 31 mai 2017 relative aux conditions dans lesquelles les partis et groupements politiques ont accès aux antennes du service public de radiodiffusion et de télévision pour la campagne officielle en vue des élections législatives, il a censuré des dispositions qui conduisaient à attribuer aux partis non représentés à l’Assemblée nationale des temps d’émission très réduits par rapport à ceux bénéficiant d’une telle représentation et cela sans distinction selon l’importance des courants d’idées ou d’opinions qu’ils représentent. Selon le Conseil, les dispositions en cause méconnaissaient l’article 4 de la Constitution et affectaient l’égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée. Il a plus précisément jugé qu’« Il est loisible au législateur, lorsqu’il donne accès aux antennes du service public aux partis et groupements politiques pour leur campagne en vue des élections législatives, d’arrêter des modalités tendant à favoriser l’expression des principales opinions qui animent la vie démocratique de la Nation et de poursuivre ainsi l’objectif d’intérêt général de clarté du débat électoral » ce qui lui permettait de « prendre en compte la composition de l’Assemblée nationale à renouveler et, eu égard aux suffrages qu’ils avaient recueillis, réserver un temps d’antenne spécifique à ceux des partis et groupements qui y sont représentés ». Cependant, le Conseil souligne que le législateur doit également « déterminer des règles propres à donner aux partis et groupements politiques qui ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale un accès aux antennes du service public de nature à assurer leur participation équitable à la vie démocratique de la Nation et à garantir le pluralisme des courants d’idées et d’opinions. Les modalités selon lesquelles le législateur détermine les durées d’émission attribuées aux partis et groupements qui ne disposent plus ou n’ont pas encore acquis une représentation à l’Assemblée nationale ne sauraient ainsi pouvoir conduire à l’octroi d’un temps d’antenne manifestement hors de proportion avec leur représentativité, compte tenu des modalités particulières d’établissement des durées allouées aux formations représentées à l’Assemblée nationale ».
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Si certains textes de loi peuvent prévoir de telles mesures, elles ne découlent pas directement de la jurisprudence du Conseil en matière de liberté d’expression.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
L’état d’urgence est un régime d’exception permettant de renforcer les pouvoirs des autorités civiles. La loi 3 avril 1955 prévoit qu’il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de calamité publique. Décidé par décret en conseil des ministres pour une durée initiale de 12 jours, l’état d’urgence peut être prolongé par l’adoption d’une loi votée par le Parlement. Il autorise le ministre de l’Intérieur et les préfets à décider, notamment : de l’interdiction des manifestations, cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique ; de l’interdiction de certaines réunions publiques ou la fermeture de lieux publics et de lieux de culte ; du blocage de sites Internet prônant des actes terroristes ou en faisant l’apologie.
L’état d’urgence a été décrété dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 après les attentats de Paris et de Saint-Denis. Prorogé plusieurs fois par la loi, il a pris fin le 1er novembre 2017.
Dans sa décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016 , le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de certaines dispositions de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence permettant à l’autorité administrative lorsque l’état d’urgence a été déclaré, d’ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ainsi que d’interdire les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les mesures de fermeture provisoire et d’interdiction de réunions prévues par les dispositions contestées ne peuvent être prononcées qu’en cas de péril imminent ou de calamité publique, et uniquement pour les lieux situés dans la zone couverte par cet état d’urgence ou pour des réunions devant s’y tenir.
Il a également relevé que, d’une part, tant la mesure de fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature que sa durée doit être justifiée et proportionnée aux nécessités de la préservation de l’ordre public ayant motivé une telle fermeture. D’autre part, la mesure d’interdiction de réunion doit être justifiée par le fait que cette réunion est « de nature à provoquer ou entretenir le désordre » et proportionnée aux raisons l’ayant motivée. Celles de ces mesures qui présentent un caractère individuel doivent être motivées. Enfin, le juge administratif est chargé de s’assurer que chacune de ces mesures est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit.
En troisième lieu, le Conseil constitutionnel a relevé qu’en vertu de l’article 14 de la loi du 3 avril 1955, les mesures de fermeture provisoire et d’interdiction de réunions prises en application de cette loi cessent au plus tard en même temps que prend fin l’état d’urgence. Il a rappelé que l’état d’urgence, déclaré par décret en Conseil des ministres, doit, au-delà d’un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée et que cette durée ne saurait être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence. Le Conseil constitutionnel a jugé enfin que, si le législateur prolonge l’état d’urgence par une nouvelle loi, les mesures de fermeture provisoire et d’interdiction de réunions prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées.
Se fondant sur l’ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées opèrent une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre le droit d’expression collective des idées et des opinions et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Si ces questions relèvent d’une appréciation plus politique que jurisprudentielle, il n’est que de déduire des réponses aux questions qui précèdent que le juge constitutionnel français est, comme l’y invite la Constitution elle-même, le premier défenseur de la liberté d’expression, dont il souligne lui-même qu’elle est une condition de la démocratie.
Cour constitutionnelle du Gabon
Sous-thème : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
En matière de Liberté d’expression, la Cour Constitutionnelle se fonde principalement sur son bloc de constitutionnalité formulé depuis la décision n°001/CC du 28 février 1992, sur la loi organique n°14/91 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de la Communication et qui englobe la Constitution du 26 mars 1991, à laquelle il faut ajouter les textes compris dans le préambule de ladite Constitution à savoir : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la Charte nationale des Libertés de 1990.
En effet, aux termes des dispositions de l’article premier, point 2, la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication, la libre pratique de la religion sont garanties à tous, sous réserve du respect de l’ordre public.
En outre, la Cour Constitutionnelle dans son office se fonde sur les principes de l’État de Droit et de la démocratie ainsi que sur ceux à valeur sociale, culturelle, spirituelle et traditionnelle auxquels le peuple gabonais est attaché conformément au préambule de la Constitution du 26 mars 1991.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui, la formulation qui consacre la liberté d’expression est immédiatement suivie dans le même article, d’une notion qui la limite. En effet, la Constitution de la République gabonaise, au point 2 de son article premier, prévoit que « la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication, la libre pratique de la religion sont garanties à tous, sous réserve du respect de l’ordre public ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est une liberté fondamentale pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer librement ses opinions par tous les moyens qu’elle juge opportuns dans tous les domaines de la vie. Elle a pour corollaire la liberté de la presse. C’est donc un droit inviolable et imprescriptible de l’homme consacré par la Constitution et qui lie obligatoirement les personnes publiques. Elle peut s’exercer par voie écrite ou orale.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Non, nous avons la définition et le même contenu que les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Oui, la liberté d’expression est une liberté matricielle, de laquelle découlent d’autres libertés, à savoir :
- La liberté de conscience ;
- La liberté d’association ;
- La liberté de presse ;
- La liberté d’opinion ;
- La liberté de pensée ;
- La libre pratique de la religion ;
- La liberté de manifestation.
Les déclinaisons de la liberté d’expression dont le juge constitutionnel a été saisi concernent :
- La liberté de la presse
Dans sa décision n°001/CC du 28 février 1992, la Cour Constitutionnelle a été amenée à réguler l’exercice de la liberté d’opinion en consacrant le droit d’accès égal aux médias de l’État qui implique nécessairement l’égalité du temps d’antenne entre tous les partis politiques dès lors qu’ils sont reconnus.
- La liberté de la communication audiovisuelle
Dans sa décision n°13/CC des 24, 25 et 26 mai 1993, la Cour Constitutionnelle a été saisie sur la question de l’exercice de la liberté de communication consacrée par l’article 94 de la Constitution qui dispose que « la communication audiovisuelle et écrite est libre en République gabonaise, sous réserve du respect de l’ordre public, de la liberté et de la dignité du citoyen », aux fins de savoir si son application nécessite au préalable la mise en place de textes d’application et d’exploitation de toute entreprise de communication qui se crée.
La Cour a estimé que la liberté d’expression est un droit fondamental dont l’exercice nécessite des lois d’application, conformément aux dispositions de l’article 47, premier tiret, de la Constitution qui prévoit que « En dehors des cas expressément prévus par la Constitution, la loi fixe les règles concernant : – l’exercice des droits fondamentaux et devoirs des citoyens ».
- La liberté de la presse écrite et audiovisuelle
S’agissant de la liberté de la presse écrite, la Cour Constitutionnelle, dans sa décision n°019/CC du 2 novembre 1993, avait jugé, d’une part, que la loi ne peut réglementer l’exercice de ladite liberté que pour rendre celui-ci plus effectif ou pour la concilier avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont le respect de l’ordre public, la liberté d’autrui, la dignité du citoyen et le pluralisme des courants socioculturels ; et, d’autre part, que l’exercice de la liberté de la communication audiovisuelle doit être nécessairement concilié, non seulement avec lesdits objectifs, mais aussi avec contraintes techniques inhérentes au moyen de sa mise en œuvre.
La Cour a ainsi consacré la règle de conciliation entre l’exercice de la liberté de la presse écrite et les principes et objectifs de valeur constitutionnelle.
De même, dans sa décision n°021/CC du 12 novembre 1993, la Cour Constitutionnelle a exigé aux médias d’État, en cas de force majeure, d’emménager, pour le candidat à l’élection présidentielle empêché, un temps d’antenne ou un espace d’insertion particulier.
- La liberté de conscience, de pensée et d’opinion
Enfin, s’agissant de la liberté de conscience, de pensée et d’opinion, la Cour Constitutionnelle, dans sa décision n°005/CC du 18 août 1994, a estimé que s’il apparaît normal que la démission d’un député de l’Assemblée nationale entraîne la perte de son mandat vu qu’elle est l’expression d’une volonté consciente de son auteur, il apparaît, en revanche, antidémocratique et singulièrement contraire à la liberté de conscience, de pensée et d’opinion, d’instaurer un lien de dépendance entre le mandat parlementaire et l’appartenance à son parti politique du titulaire de ce mandat.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non, le juge constitutionnel gabonais n’a jamais été confronté à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème, l’État gabonais étant laïc.
Tout comme le juge constitutionnel gabonais n’a jamais été confronté à un recours relatif à la liberté d’expression en matière religieuse.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Par principe, la liberté d’expression est la même pour tous, sous réserve du respect de l’ordre public.
Cependant, il existe effectivement des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large parmi lesquels ceux relevant du politique, des médias et du milieu artistique.
La liberté d’expression peut être restreinte pour certains agents de l’État en raison de l’obligation de réserve qui pèse sur eux, à l’instar des Juges constitutionnels, des militaires souvent appelés “la grande muette”, comme cela est le cas pour tous les pays du monde.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
La liberté d’expression est, par principe, reconnue de façon égalitaire à tous les sujets de droit, personnes physiques, morales, personnes privées et publiques.
Le contenu de la liberté d’expression est le même pour tous, mais son encadrement diffère d’une personne physique à une autre et selon l’institution qui en est titulaire. En effet, la liberté d’expression est moins étendue chez les mineurs qui sont privés du droit de vote par exemple, ce qui constitue une restriction à leur liberté de s’exprimer. En revanche, elle est plus étendue pour les syndicalistes, les parlementaires de l’Opposition, les enseignants, les étudiants, etc.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Par principe, la liberté d’expression est reconnue à tous les agents de l’État, qu’ils soient fonctionnaires ou militaires. Toutefois, elle peut être plus encadrée pour certains agents publics (magistrats, médecins, militaires, etc.), tout comme elle peut être plus ouverte pour d’autres agents (enseignants…).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrer-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est encadrée dès la décision de la Cour Constitutionnelle n°001/CC du 28 février 1992 dans laquelle elle a censuré les dispositions de l’article 36 de la loi organique n°14/91 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de la Communication qui disposait que : « Le Conseil National de la Communication veille à la proportionnalité du temps d’antenne entre les partis politiques représentés à la l’Assemblée nationale ». La Cour a estimé que ces dispositions portaient atteinte à la liberté d’expression au regard des dispositions de l’article 95 de la Constitution, lesquelles énoncent que le Conseil National de la Communication est chargé, entre autres missions, de ‘‘veiller au traitement équitable de tous les partis et associations politiques’’.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Oui, elle occupe une place particulière dans la jurisprudence constitutionnelle du Gabon, car la Cour a rendu de nombreuses décisions se rapportant à la liberté d’expression. Certaines portant sur le temps d’antenne des partis politiques en période électorale (décision n°001/CC du 28 février 1992, décision n°003/CNC du 15 février 2001, avis n°002/CC 29 octobre 2002, décision n°021/CC du 12 novembre 1993…), d’autres consacrant le principe de conciliation de l’exercice effectif de la presse écrite avec les principes et objectifs de valeur constitutionnelle (décision n°019/CC du 2 novembre 1993). D’autres déclarant singulièrement contraire à la liberté de conscience, de pensée et d’opinion, le fait d’instaurer un lien de dépendance entre le mandat d’un parlementaire et l’appartenance à son parti politique du titulaire de ce mandat (décision n°005/CC du 18 août 1994).
Toutes ces décisions rendues par la Cour Constitutionnelle ont permis d’asseoir le pluralisme politique, l’expression démocratique et contribué à l’affermissement de l’État de droit.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Non, la Cour Constitutionnelle n’a établi aucune hiérarchie entre droits et libertés. En revanche, il lui arrive de concilier certains droits et libertés lorsque ceux-ci se contredisent dans un même texte.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Oui, elle a varié. Selon qu’on soit en période normale ou en période de circonstances exceptionnelles, la Cour est emmenée à apprécier différemment la protection de la liberté d’expression.
En effet, en période normale, le Juge Constitutionnel admet un encadrement plus souple de la liberté d’expression. Cela peut se vérifier par ses décisions du 28 février 1992, du 2 novembre 1993 et du 18 août 1994. Cependant, en période de pandémie ou état d’urgence sanitaire, l’encadrement par le Juge Constitutionnel a été plus rigoureux. Cela a été le cas dans sa décision n°020/CC du 13 mai 2020 portant contrôle de constitutionnalité de la loi n°003/2020 fixant les mesures de prévention, de lutte et de riposte contre les catastrophes sanitaires. En effet, dans cette décision, la Cour avait confirmé l’instauration des mesures sanitaires restrictives de libertés fondamentales prises par le Gouvernement.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
C’est la survenance de périodes de circonstances exceptionnelles qui a souvent conduit la Cour Constitutionnelle à modifier sa jurisprudence en matière de liberté d’expression. C’était le cas durant la période de Covid-19 et lors des échéances électorales. Dans sa décision n°005/CC du 18 août 1994, la Cour est plus stricte dans le respect de l’exercice de la liberté d’expression en considérant la violation de ladite liberté ’’antidémocratique’’. Cependant, dans sa décision n°020/2020 du 13 mai 2020, elle admet la restriction de la liberté d’expression pour des raisons de santé publique.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement)?
Non.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Non.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Pour le Juge constitutionnel gabonais, tous les droits et libertés ont la même importance. Il ne saurait faire prévaloir un droit sur un autre. Aussi, dans sa démarche, recherche-t-il toujours un équilibre. Il en est ainsi de la décision n°019/CC du 2 novembre 1993 dans laquelle la Cour a considéré que, s’agissant de la liberté de la presse écrite, la loi ne peut en réglementer l’exercice que pour rendre celui-ci plus effectif ou pour le concilier avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont le respect de l’ordre public, la liberté d’autrui, la dignité du citoyen et le pluralisme des courants socioculturels.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression établi par la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle conduit à protéger de manière égalitaire l’État et l’individu. Cela peut être vérifié à travers les décisions et avis suivants :
- décision n°001/CC du 28 février 1992 ;
- décision n°003/CNC du 15 février 2001 ;
- avis n°002/CC 29 octobre 2002 ;
- décision N°021/CC du 12 novembre 1993 ;
- décision n°019/CC du 2 novembre 1993 ;
- décision N°005/CC du 18 août 1994 ;
- décision n°0016bis/CC des 12,13 et 14 octobre 1992 ;
- décision n°309/CC du 26 mars 2019.
Toutefois, en période de crise, cet encadrement conduit à protéger davantage l’État. Cela a été le cas à travers les décisions suivantes :
- décision n°13/CC des 24, 25 et 26 mai 1993 ;
- décision n°020/CC du 13 mai 2020.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
L’outil jurisprudentiel principal utilisé en vue de la protection de la liberté d’expression est le contrôle de constitutionnalité. Dans le cadre du contrôle de conformité d’une norme à la Constitution, la Cour peut opérer aussi un contrôle de proportionnalité lorsqu’il y a une carence.
En effet, l’intensité de ce contrôle tient à l’intention du législateur.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La jurisprudence de la Cour Constitutionnelle n’est pas abondante en la matière, mais au regard des décisions n°13/CC des 24, 25 et 26 mai 1993, n°020/CC du 13 mai 2020 et n°019/CC du 2 novembre 1993, l’exercice de la liberté d’expression nécessite un encadrement par la loi. À ce sujet, la Cour admet des restrictions des droits et libertés fondamentaux pour la sauvegarde de l’ordre public. Il existe donc un rapport de conciliation entre la liberté d’expression et le respect de l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Oui, la Cour Constitutionnelle fait également recours aux réserves d’interprétations. Il s’agit des réserves d’interprétation neutralisante, des réserves d’interprétation constructive et des réserves d’interprétation directive.
Ce sont des techniques de contrôle à la disposition de la Cour et dont elle fait usage selon que de besoin.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
C’est en période de circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire lors de l’état d’urgence, l’état d’alerte ou l’état de siège proclamé par le Président de la République, dans les conditions posées aux articles 25 et 26 de la Constitution, que le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent proclamer par décret, l’état d’urgence ou de siège en cas d’atteinte à l’ordre public, calamité publique ou au cas où le fonctionnement régulier des institutions, l’intégrité territoriale sont menacés.
Ces circonstances impliquent une réorganisation de l’État qui occasionne généralement des restrictions de l’exercice des droits et libertés fondamentaux, au nombre desquels, la liberté d’expression. Les citoyens sont alors soumis à un régime juridique particulier réservé à la liberté d’expression comme cela a été le cas durant la période du Covid-19.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression est une liberté fondamentale qui implique que tout individu soit libre d’exprimer sa pensée dans le respect de l’ordre public, de la vie privée et de la dignité des citoyens. La censure, quant à elle, est une restriction à la liberté d’expression imposée par les pouvoirs publics ou par soi-même. En revanche, la diffamation constitue toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle elle est imputée.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer et si oui dans quel sens- sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
La Cour Constitutionnelle, à ce jour, ne s’est pas prononcée sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Non, la Cour Constitutionnelle n’a jamais été saisie sur ces questions.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
En période électorale, il existe un renforcement de la protection de la liberté d’expression. C’est une période propice à la libre expression. En effet, la saisine de la Cour par les citoyens est prolixe pour contester la régularité des élections.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Certaines mesures particulières touchent effectivement les acteurs étrangers. C’est le cas des journalistes et observateurs internationaux qui n’ont pas obtenu d’accréditation. C’est une mesure courante dans tous les États du monde justifiée par les nécessités de sécurité.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Oui, la liberté d’expression connait quelques restrictions en période de troubles, notamment postélectoraux, lorsque les institutions de la République, l’intégrité territoriale, l’ordre public, la sûreté de l’État sont menacés. Dans ce cas, la Cour fait application de l’article 25 de la Constitution qui dispose : « le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, après délibération du conseil des ministres et consultation des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, proclamer par décret l’état d’urgence ou l’état de siège, qui lui confèrent des pouvoirs spéciaux, dans les conditions déterminées par la loi ».
Il est à noter qu’à ce jour, la Cour Constitutionnelle n’a jamais été saisie sur ces questions par un citoyen ou par les pouvoirs publics.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Oui, en période de troubles, la Cour Constitutionnelle retient une définition de l’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression.
En effet, la Cour Constitutionnelle se fonde sur les articles 25 et 26 de la Constitution qui justifient ce changement du champ matériel de la notion d’ordre public. Ces articles disposent, pour ce qui est de l’article 25, que le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, après délibération du conseil des ministres et consultation des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, proclamer par décret l’état d’urgence ou l’état de siège qui lui confèrent des pouvoirs spéciaux, dans les conditions déterminées par la loi .
En ce qui concerne l’article 26 , lorsque les institutions de la République, 1’indépendance ou les intérêts supérieurs de la Nation, 1’intégrité du territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances après consultation officielle du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que la Cour constitutionnelle…
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Conformément aux dispositions de l’article 83 de la Constitution, la Cour Constitutionnelle est la plus Haute Juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité des lois et de la régularité des élections. Elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des Institutions et de l’activité des Pouvoirs publics.
De ce fait, la Cour Constitutionnelle, garante des droits et libertés fondamentaux, occupe une place centrale dans la protection de la liberté d’expression en période de troubles du fait que ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression, comme d’autres droits fondamentaux, permet en effet d’asseoir la légitimité et le rôle de la Cour Constitutionnelle. En effet, le rôle et la légitimité de la Cour Constitutionnelle ne se limitent pas à la seule protection de la liberté d’expression. Le rôle et la légitimité de la Cour Constitutionnelle se fondent sur la protection globale des droits et libertés fondamentaux.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, la liberté d’expression est un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir. En effet, la liberté d’expression est l’un des piliers fondamentaux de la démocratie qui veut que l’on exprime librement son opinion. Elle demeure d’une part, une condition nécessaire à la participation politique et sociale des citoyens, et d’autre part, favorise la capacité pour ces derniers à défendre leurs droits, mais aussi à protester et à dénoncer les injustices.
Tribunal suprême de justice de Guinée-Bissau
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression en tant que droit fondamental en Guinée- Bissau est consacrée au niveau constitutionnel et dans les lois ordinaires du pays (article 51 de la Constitution de la République de Guinée-Bissau, CRGB). La combinaison de l’article 51 de la CRGB avec l’article 56 (qui traite de ces droits lorsqu’ils sont exercés par des médias) et l’article 57 (qui réglemente le droit de radiodiffusion), forment la base du régime juridique fondé sur des règles et des principes qui façonnent la liberté d’expression et d’information en Guinée-Bissau.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Les limites de la liberté d’expression semblent évidentes dans un sens plus littéral aux termes de l’article 35 de la CRGB qui dispose que : « aucun des droits et libertés garantis aux citoyens ne peut être exercé contre l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire, l’unité nationale, les institutions de la République et les principes et objectifs consacrés dans la présente Constitution ». Cette disposition doit cependant être interprétée de manière restrictive, évidemment, afin de prévenir d’éventuelles fragilités des positions subjectives des personnes physiques face à l’État.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression en tant que droit de l’homme protégé par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 permet à toute personne d’exprimer librement ses opinions, idées et pensées sans crainte de représailles ou de censure de la part du régime politique en place ou des autres membres de la société. Ce droit fondamental couvre tous les moyens de communication entre les personnes, y compris les mots, images, livres, correspondances écrites, télécommunications, divertissements, etc.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La précédente définition est conforme à celles des organisations juridiques régionales et internationales. Les règles édictées par les organes compétents des organisations internationales, dont la Guinée-Bissau est membre, sont directement applicables dans l’ordre interne, si elles sont établies dans les traités constitutifs respectifs.
Au niveau international, la Guinée-Bissau a ratifié de nombreuses conventions internationales portant sur les droits de l’homme, notamment les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP) et aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), bien qu’elle n’ait pas signé le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
En tant que membre fondateur de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975 par le traité de Lagos (Nigeria), la Guinée-Bissau est soumise à la Cour de Justice de la CEDEAO qui est compétente pour statuer sur les cas de violation des droits de l’homme dans les États membres.
Au niveau régional, la Guinée-Bissau a ratifié la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples1.
La liberté d’expression et d’information est consacrée à l’article 192 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 193 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression en tant que droit fondamental est étroitement liée à la liberté de communication sociale en général. Elle est donc intimement liée à d’autres valeurs, telles que la liberté de religion, la liberté d’association, qu’elle soit communautaire, politique ou syndicale.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
L’État de Guinée-Bissau est laïc et, par conséquent, reconnaît et protège toutes les confessions religieuses dans le pays. La Cour Suprême de Justice, en sa qualité de Cour constitutionnelle, n’a jamais statué sur des questions d’inconstitutionnalité découlant de l’exercice de la liberté d’expression en matière religieuse.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression dans le pays n’est pas étendue ou restreinte selon les domaines ou secteurs d’activité publique ou privée. Toutefois, l’exercice de certains postes ou fonctions implique le secret professionnel et un devoir de réserve sur certains sujets.
1 L’article 9(1) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples souligne que : « Toute personne a droit à l’information.
Le même paragraphe précise que « toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».
2 Article 19 de la DUDH : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». 3 Article 19(1) : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions ».
Le paragraphe 2 du même article ajoute : « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
Sensibles (V. aggravation de la peine pour le délit de diffamation et de calomnie, art. 127 du Code pénal guinéen).
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue et garantie à toutes les personnes physiques et morales, qu’elles soient publiques ou privées.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) est garantie constitutionnellement et légalement, toutefois, elle est assortie d’un devoir de réserve dans certains domaines particulièrement sensibles.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression en tant que droit fondamental précède l’établissement d’une juridiction constitutionnelle dans le pays. La liberté d’expression a été fondamentale pour la proclamation unilatérale d’indépendance de la Guinée-Bissau en 1973, en tant qu’État souverain, indépendant et émancipé.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La liberté d’expression, en tant que droit fondamental, occupe une place centrale dans le cadre jurisprudentiel et constitutionnel de la protection des droits. Il est donc compréhensible que la Constitution consacre l’accès au droit et à une protection judiciaire effective des droits fondamentaux.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le titre II de la Constitution de la Guinée-Bissau traite des droits, libertés, garanties et devoirs fondamentaux, sans établir une hiérarchie entre eux.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La reconnaissance et la garantie juridictionnelle de la liberté d’expression sont constantes et ignorent les circonstances du dossier devant les différentes juridictions du pays.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La liberté d’expression en tant que droit fondamental reste inchangée dans sa définition et son application nationale.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Un exemple notable est l’arrêt de la Cour Suprême de Justice en 1993, sous sa formation de Cour constitutionnelle, qui exige la définition de l’acronyme du parti politique appelé RGB « Movimento Bâ-Fata ».
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Les juridictions bissau-guinéennes se réfèrent toujours à la jurisprudence comparative régionale et internationale.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
En Guinée-Bissau, l’exercice de la liberté d’expression n’entre pas en conflit avec d’autres droits et libertés, tels que la liberté de culte et le droit à la vie privée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le cadre jurisprudentiel de la liberté d’expression, par la définition concrète du régime procédural de son exercice, protège l’intérêt général sous-jacent au droit objectif.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La mise en œuvre de la liberté d’expression, consacrée par la Constitution, est soumise à un contrôle judiciaire rigoureux visant à vérifier la proportionnalité de son exercice.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La liberté d’expression et l’ordre public coexistent, avec certaines restrictions, à la liberté de manifester et de se réunir dans les lieux publics, afin de maintenir la tranquillité et l’ordre public nécessaires à la paix sociale.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Les tribunaux de Guinée-Bissau sont habilités par la Constitution à garantir et contrôler le respect de la liberté d’expression en évaluant la conformité constitutionnelle des règles qui violeraient la Constitution (article 126 de la CRGB).
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Face à la menace d’une réduction en substance des droits, libertés et garanties des citoyens inscrits dans la Constitution, il est essentiel, conformément aux exigences ontologiques d’un État de droit, de prendre en compte la position subjective des citoyens face aux pouvoirs publics.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La liberté d’expression est un droit fondamental, tandis que les mécanismes de censure servent à restreindre le contenu de cette liberté et l’accès à une information transparente. L’exercice de la liberté d’expression impliquant la diffamation constitue une infraction pénale prévue et sanctionnée par la législation guinéenne.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les nouvelles technologies d’information et de communication, notamment les réseaux sociaux, sous le contrôle des autorités de régulation, ne restreignent pas la liberté d’expression dans notre pays.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
La liberté d’expression sur les réseaux sociaux pose un problème sérieux dans la société, notamment dans notre pays, car il est difficile d’identifier les contrevenants, contrairement à la liberté d’expression traditionnelle par le biais d’interviews, d’entretiens publics et de manifestations.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
En Guinée-Bissau, une loi réglemente la période de campagne électorale sans limiter ni renforcer la liberté d’expression.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Les étrangers bénéficient d’un traitement réciproque et non discriminatoire, jouissent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs, mais ne doivent pas s’immiscer dans les questions de souveraineté, de sécurité et de défense des autres États.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La liberté d’expression n’est pas restreinte pendant les périodes d’instabilité ou lorsque le pluralisme de la presse est limité.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La réalité guinéenne est que, même en période d’instabilité, la liberté d’expression bénéficie d’une protection juridictionnelle.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
En tant qu’organes souverains dotés d’une fonction judiciaire, les tribunaux ont le devoir de garantir et de promouvoir la liberté d’expression. L’efficacité de leur fonctionnement et l’amélioration constante de la protection judiciaire des droits fondamentaux sont des signes de civilisation juridique.
Par définition, les droits fondamentaux doivent bénéficier d’une protection juridictionnelle au sein de l’État de droit.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Dans notre structure organisationnelle, la Cour constitutionnelle a pour rôle de contrôler la constitutionnalité des règles qui enfreignent les dispositions de la Constitution et d’administrer la justice constitutionnelle.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression, en tant que droit fondamental, constitue une norme au service d’une société démocratique moderne. Elle est donc un élément clé pour assurer une coexistence harmonieuse et promouvoir le progrès social entre les peuples.
Conseil constitutionnel du Liban
Sous-thème : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- 1. Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Plusieurs textes constitutionnels fondent les libertés d’opinion et d’expression, et les libertés qui leur sont associées, telles les libertés de conscience, d’association ou de la presse. Ces normes de référence ne se limitent pas au corps de la Constitution, mais s’étendent aux dispositions de son Préambule[100] et celles des conventions internationales et régionales auxquelles se réfère l’alinéa (B) du Préambule :
Le Préambule de la Constitution libanaise, qui lui fut adjoint en 1990, proclame à son alinéa (C) que « Le Liban est une république démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion[101] et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence ». Ainsi, selon les termes de l’alinéa (C) précité, le régime libanais est fondé sur le respect des libertés publiques, en tête desquelles le constituant place les deux libertés d’opinion et de conscience. Ces libertés forment les piliers du régime démocratique au Liban, aux côtés de la justice sociale et l’égalité des citoyens.
Par ailleurs, l’article 13 de la Constitution énonce que : « La liberté d’exprimer sa pensée par la parole ou par écrit, la liberté de la presse, la liberté de réunion et la liberté d’association sont garanties dans les limites fixées par la loi ».
De plus, il est important de souligner que le Conseil constitutionnel accorde une valeur constitutionnelle à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (DUDH)[102]. Celui- ci considère que la DUDH, à l’instar du Préambule de la Constitution qui y fait référence, fait partie intégrante de la Constitution. Ses dispositions lui servent de normes de référence au même titre que celles de la Constitution et de son préambule. Aux sources textuelles de la liberté d’expression susmentionnées, nous pouvons donc ajouter l’article 19 de la DUDH qui dispose ce qui suit : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
De même, l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 énonce ce qui suit :
« 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
- Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
- L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
- a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui ;
- b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. »
Il est important de noter que l’article 9 de la Constitution libanaise proclame solennellement que la liberté de conscience, qui est associée à la liberté d’opinion dans l’alinéa (C) du Préambule précité, est « absolue »[103].
L’article 10 de la Constitution consacre la liberté de l’enseignement, qui peut être également considérée comme une déclinaison de la liberté d’expression. Il dispose que « L’enseignement est libre en tant qu’il n’est pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs et qu’il ne touche pas à la dignité des confessions. Il ne sera porté aucune atteinte au droit des communautés d’avoir leurs écoles, sous réserve des prescriptions générales sur l’instruction publique édictées par l’État. »
Par ailleurs, l’article 39 de la Constitution garantit la liberté d’expression des parlementaires. Il dispose qu’« aucun membre de la Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions ou votes qu’il aurait émis pendant la durée de son mandat ».
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
L’article 13 de la Constitution précité garantit la liberté d’expression, ainsi que les autres libertés qui lui sont associées dans le même article, telles que la liberté de la presse, de réunion et d’association, dans les limites fixées par la loi. Ainsi, la réglementation des libertés susmentionnées relève du domaine réservé à la loi. Il appartient donc au législateur d’en réglementer l’exercice ainsi que de fixer des limites à leur exercice. Par ailleurs, le Conseil pose une règle générale suivant laquelle les libertés et droits fondamentaux sont du domaine exclusif de la loi (règle qui est induite des différents textes constitutionnels relatifs aux libertés et droits fondamentaux, et qu’on retrouve de manière éparse dans la Constitution, notamment dans son Chapitre second)[104]. L’exclusivité de la compétence législative dans les matières relevant des libertés fondamentales est traditionnellement considérée comme une garantie de ces droits et libertés. Toutefois, le juge constitutionnel contrôle également la méconnaissance des dispositions constitutionnelles par le législateur, notamment en matière de libertés et droits fondamentaux, dont il demeure l’ultime protecteur.
Si le juge constitutionnel admet qu’il appartient au législateur de fixer certaines limites à l’exercice des libertés, ces restrictions, nécessaires à la préservation de l’ordre public, doivent toutefois être conformes à certains objectifs qui en assurent l’exercice. Ainsi, dans la décision no 2/1999, le Conseil considère que « si la Constitution accorde au législateur le droit d’élaborer les règles générales qui garantissent les droits et libertés prévus par la Constitution en vue de permettre aux individus d’exercer lesdites libertés, il est également tenu de concilier le respect de ces libertés avec la préservation de l’ordre public, ce qui permet de poser des contraintes à la liberté individuelle afin de poursuivre les criminels, de préserver le bien-être des citoyens ainsi que leur sécurité et de protéger leurs biens et sans lequel l’exercice desdites libertés ne saurait être assuré, à condition toutefois d’accompagner l’exercice des libertés des garanties essentielles et suffisantes »[105]. La préservation de l’ordre public parait ainsi encadrée par les limites nécessaires à la réalisation de certains objectifs déterminés tels que la poursuite des auteurs de crimes, la préservation du bien-être des citoyens et leur sécurité, et enfin la protection de leurs biens. Tous ces objectifs viseraient à assurer l’exercice effectif desdites libertés. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel s’assure que lesdites libertés sont accompagnées des « garanties essentielles et suffisantes » à leur exercice[106].
Dans un autre registre, la vie privée jouit d’une protection constitutionnelle en vertu de l’article 8 (liberté individuelle/légalité des infractions et des peines)[107] et de l’article 14 de la Constitution (inviolabilité du domicile)[108]. De même, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (DUDH)[109] et l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, prévoient que nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. Le juge constitutionnel pourrait donc être porté à l’avenir à procéder à une conciliation entre ces deux libertés fondamentales, à savoir la liberté d’expression d’une part, et la vie privée, d’autre part, sur base des textes référentiels précités.
Par ailleurs, l’article 9 précité garantit et protège l’exercice de la liberté de conscience, à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. L’ordre public est donc posé par le constituant comme une limite à l’exercice de la liberté de conscience, entendu implicitement dans ses deux manifestations, aussi bien individuelle que collective.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Le Conseil n’a pas encore eu l’occasion de définir la liberté d’expression. Toutefois, toute définition de la liberté d’expression en droit libanais doit nécessairement être conforme à celle qui en est donnée dans les textes constitutionnels susmentionnés et aux éléments qui y sont fournis. Elle devrait en premier lieu prendre en compte les deux modalités orale et écrite de cette expression, prévues à l’article 13 de la Constitution, et intégrer les autres libertés qui y sont associées dans le même article, à savoir les libertés de la presse, de réunion et d’association.
De même, la définition qui en est donnée par l’article 19 de la DUDH pourrait également être retenue par le Conseil constitutionnel : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques susmentionné pourrait par ailleurs servir de support à une définition plus développée de la liberté d’expression.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
NA
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Le Constituant proclame que le régime républicain libanais, démocratique et parlementaire, est fondé sur les libertés publiques (alinéa (C) du Préambule). Or, suivant le même alinéa (C), la liberté d’opinion occupe une place première, avec la liberté de conscience à laquelle elle est associée, parmi les libertés publiques. De même, la liberté d’expression est associée dans l’article 13 de la Constitution à d’autres libertés telles que la liberté de la presse, de réunion et d’association. Il ressort donc du texte même de la Constitution, ainsi que de son Préambule, que les libertés d’opinion et d’expression constituent le socle sur lequel reposent d’autres libertés publiques, telles les libertés de conscience, de la presse, de réunion ou d’association, qui y sont étroitement associées, et desquelles elles puisent leur essence[110]. Nous pouvons également ranger la liberté de l’enseignement, garantie par l’article 10 de la Constitution, au nombre des libertés associées à la liberté d’opinion et d’expression.
Le juge constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer de manière spécifique sur cette question. Toutefois, il a abordé la liberté d’expression dans un cadre plus global, qui est celui de la protection de la liberté individuelle, à l’occasion d’un recours relatif à la loi sur les écoutes téléphoniques dont il était saisi en 1999[111]. Le Conseil a considéré que les contraintes prévues par la loi contestée, qui permettait d’intercepter les communications téléphoniques, peuvent être justifiées si elles visent à protéger les libertés ainsi que la propriété des citoyens, à condition d’être accompagnées de garanties suffisantes. La préservation de l’ordre public, considéré comme un principe à valeur constitutionnelle, est ainsi encadrée par les finalités posées par le Conseil et qui visent à protéger d’autres libertés ainsi que la propriété des citoyens. Celui-ci distingue en outre entre les autorisations accordées par les autorités judiciaires et celles décidées par l’Administration. Il estime que l’interception des communications conformément à une décision judiciaire n’est pas contraire à la Constitution, le juge étant considéré comme le « protecteur des droits fondamentaux et des libertés publiques », à condition toutefois qu’elle soit effectuée dans le cadre d’une poursuite judiciaire et dans les limites prévues par la Constitution. En revanche, il considère « qu’il en est autrement et qu’il est complètement injustifié lorsque l’interception des communications conformément à une décision administrative est confiée à un pouvoir administratif, étant donné que ceci n’offre aucune garantie permettant d’éviter tout abus de pouvoir et qu’il n’est pas raisonnable de confier à un ministre, qui représente une autorité administrative, le pouvoir de contrôler une autre autorité administrative similaire ou plus élevée ».
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La législation répressive sanctionne, en des termes considérés pour le moins « élastiques », le blasphème, l’outrage et le mépris des cultes[112]. Toutefois, les textes de loi qui régissent ces infractions étant antérieurs à la création du Conseil constitutionnel en 1990, ce dernier n’a pas eu l’occasion de contrôler leur constitutionnalité[113]. À ce jour, seules les juridictions judiciaires, notamment les juridictions répressives, ainsi que les juridictions administratives (Conseil d’État), ont eu à connaitre de litiges relatifs à la liberté d’expression et de conscience[114].
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Les textes des alinéas (C) du Préambule ainsi que de l’article 13 de la Constitution sont formulés en termes généraux, et ne déterminent pas les domaines dans le cadre desquels s’exerce la liberté d’expression. Toutefois, l’article 13 précité laisse le soin au législateur d’encadrer l’exercice de cette liberté, ainsi que les libertés qui lui sont associées, à savoir les libertés de la presse, de réunion et d’association, et d’y poser des limites. Or certaines lois spéciales limitent la liberté d’expression, notamment celles relatives au Statut de la fonction publique et celles organisant les forces armées (V. réponse no 9). Dans le domaine artistique, plusieurs lois soumettent l’industrie cinématographique à un régime d’autorisation préalable[115].
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
L’article 13 de la Constitution, formulé en termes généraux, ne distingue pas entre les personnes qui bénéficient de la liberté d’expression. S’il est placé sous le chapitre II intitulé « Des Libanais, leurs droits et leurs devoirs », cela ne signifie pas pour autant que les étrangers ne jouissent pas de cette liberté sur le sol libanais, dans les limites édictées par la loi. Par ailleurs, certaines lois spéciales, à l’instar de celles régissant le statut des fonctionnaires publics ou les forces armées, prévoient des restrictions à la liberté d’expression (v. réponse suivante no 9).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Comme susmentionné dans les réponses nos 7 et 8, la Constitution ne distingue pas entre les personnes bénéficiaires de la liberté d’expression. Toutefois, la loi organisant le Statut de la fonction publique[116] interdit aux fonctionnaires de l’État d’adhérer à des partis, organismes, conseils ou associations politiques, ou confessionnels à caractère politique, ou d’y exercer une quelconque responsabilité ou mission (article 14 de la loi). De même, il leur est défendu d’adhérer à des organisations professionnelles ou à des syndicats. Il est également interdit au fonctionnaire de prononcer ou de publier, sans autorisation écrite de son chef de service, des discours, articles, déclarations ou écrits sur quelque sujet que ce soit, de divulguer les informations officielles auxquelles il a accès dans l’exercice de ses fonctions, même après la fin de son mandat, à moins que son ministère ne l’y autorise par écrit, de participer à des grèves ou d’organiser des pétitions collectives liées au travail ou de participer à leur organisation, quels qu’en soient les motifs. Il faut noter que cette loi datant de 1959, et modifiée en 1992, n’a jamais été soumise à l’examen du Conseil constitutionnel.
La liberté d’expression des forces armées (armée, sûreté générale, forces de la sécurité intérieure, sécurité de l’État) est également strictement encadrée par la loi, et ceux-ci sont interdits de voter. Les lois régissant le statut des différents corps militaires n’ont jamais été soumises au contrôle de constitutionnalité.
Les juges de l’ordre judiciaire et administratif sont soumis à un devoir de réserve[117]. De même, l’article 9 de la loi relative à la Création du Conseil constitutionnel interdit à ses membres, pendant la durée de leur mandat, « d’exprimer des opinions et des avis ou de donner des consultations sur des questions qui pourraient leur être soumises. De même ils sont tenus au devoir de réserve et de confidentialité dans leur travail ». Les juges judiciaires et administratifs sont également tenus par les textes, ainsi que par le serment prêté lors de leur prise de fonction, d’observer strictement le secret des délibérations.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La première décision en vertu de laquelle le Conseil aborda la liberté d’expression est la décision no 2/1999 du 24 nov. 1999 susmentionnée[118].
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Tel qu’indiqué plus haut, le Conseil constitutionnel n’a eu que rarement à connaitre d’une loi mettant spécifiquement en cause (ou en œuvre) la liberté d’expression. Toutefois, le juge constitutionnel rappelle dans différentes décisions la place importante faite aux libertés publiques en général dans la Constitution et dans les instruments internationaux auxquels son Préambule se réfère, notamment la DUDH[119]. Il encadre les contraintes apportées par le législateur à l’exercice de telles libertés et droits fondamentaux de conditions strictes, et les soumet à une interprétation restrictive.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Dans sa décision no 1/2003[120], le juge constitutionnel reconnaît que les droits fondamentaux consacrés dans les conventions internationales puisent leur source dans le droit naturel, indistinctement. Il affirme également, de manière explicite, et suivant une jurisprudence devenue constante, que le Liban doit se conformer aux conventions auxquelles le Préambule se réfère en vertu de son alinéa (B), et que ces conventions revêtent une valeur constitutionnelle identique du fait de ce renvoi. Toutefois, il instaure une hiérarchie entre les droits fondamentaux qui tient à leur régime juridique et non à leur source formelle. Concernant le régime juridique régissant les droits prévus dans la déclaration universelle de 1948, il distingue à cet effet entre deux catégories de droits fondamentaux consacrés par les conventions onusiennes :
- Les droits de l’homme transcendants, qui sont des droits absolus et imprescriptibles qui échappent par leur nature même à leur soumission continue aux variables du temps et de l’espace, tels le droit de l’homme à la vie et à la protection de l’intégrité physique et morale, le droit au mariage et à la reproduction, le droit au travail, le droit à la propriété et toutes les libertés publiques.
- Les droits économiques et sociaux, tel le droit au travail, le droit de propriété et le mariage, qui ne peuvent être considérés comme absolus du fait qu’ils existent et sont obligatoires dans des régions et à des temps définis et qui sont liés organiquement à des régimes et situations circonstancielles et historiques, et sont par conséquent plus susceptibles à l’émaciation (précarité) et la disparition, comme il est expressément prévu à l’alinéa 2 de l’article 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme[121].
Cette distinction entre les régimes juridiques de ces deux catégories de droits est très intéressante à plusieurs égards. Le juge constitutionnel relève de manière explicite les critères suivant lesquels cette distinction est fondée : celle-ci se fait sur la base de la nature de ces droits, de leur substance, et non leur source formelle (internationale, onusienne), et qui justifie une « variabilité » dans le régime juridique propre à chaque catégorie. C’est le contenu qui intéresse le juge constitutionnel, plus que la forme ou le contenant. Le critère matériel l’emporte sur le critère formel.
Enfin, le Conseil constitutionnel conclut que certaines libertés, telles les libertés énumérées dans l’article 13 de la Constitution (qui nous intéressent en l’espèce), font l’objet d’un degré supérieur de protection que d’autres, tels le droit de propriété, la liberté de l’activité économique ou les droits sociaux :
« Considérant que la jurisprudence constitutionnelle caractérisée par l’attention ultime qu’elle accorde à la protection de ce qui a trait aux libertés publiques comme la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement et la liberté d’association, qui sont garanties par l’article 13 de la Constitution dans les limites fixées par la loi, cependant, cette intransigeance apparaît moins visible quand il s’agit par exemple du droit de propriété, de la liberté de l’activité économique ou des droits sociaux (Nicolas Molfessis, op. cit. p. 69). À cette fin, la jurisprudence constitutionnelle est, concernant le domaine des droits sociaux et de la liberté de l’activité économique, caractérisée par une sorte de variabilité selon les cas exposés à chaque fois à son examen, vu que celle-ci considère que le législateur peut, sans porter atteinte au droit à l’emploi, méconnaitre d’autres principes à valeur constitutionnelle, sans les dénaturer, comme la liberté de l’activité économique ou le principe d’égalité, ce qui permet par exemple, en vue d’améliorer l’emploi des jeunes, de prendre des mesures propres à cette catégorie de travailleurs et de traiter différemment certaines catégories d’entreprises. »
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Le Conseil n’a eu à connaitre que très rarement de lois mettant en cause la liberté d’expression. Pour cette raison, sa position n’a pas pu varier ou évoluer dans le temps.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ? NA
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Comme il a été indiqué, le Conseil n’a pas eu à connaitre de manière spécifique de la liberté d’expression. Toutefois, les décisions du Conseil constitutionnel, qui ne sont susceptibles d’aucun recours, jouissent de l’autorité absolue de la chose jugée. Elles ont un effet erga omnes et s’imposent à tous les pouvoirs publics, y compris les juridictions de l’ordre judiciaire et administratif[122]. Dès lors, et en raison de cette autorité, les juridictions judiciaires et administratives sont tenues de prendre en compte les décisions du Conseil. Celles-ci s’imposent non seulement par les effets de leur dispositif, mais leur force obligatoire s’étend également aux considérants déterminants de la décision[123].
Par ailleurs, on a pu observer que les juridictions de l’ordre judiciaire et administratif ont de plus en plus tendance à citer les décisions du Conseil constitutionnel et à adopter les principes déclarés à valeur constitutionnelle par notre juridiction[124]. Ce dialogue entre les différentes juridictions favorise la constitutionnalisation des différentes branches du droit, notamment le droit administratif et le droit pénal.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Le droit libanais est largement inspiré du droit français, et la Constitution libanaise de 1926 est inspirée en partie de la Constitution française de la troisième République. Conséquemment, l’analyse de la jurisprudence constitutionnelle montre que le juge libanais a tendance à s’inspirer de la jurisprudence de son homologue français, ainsi que de la doctrine constitutionnelle française, notamment en matière de libertés publiques. Il y fait souvent référence de manière explicite dans ses décisions.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’opinion revêtant une primauté parmi les libertés publiques en vertu de l’alinéa (C) du Préambule, la liberté d’expression qui en découle devrait bénéficier d’une protection accrue auprès du juge constitutionnel. Le Conseil constitutionnel se doit donc de prendre en considération cette prééminence lorsqu’il aura à concilier la liberté d’expression avec d’autres droits et libertés, ou avec les objectifs à valeur constitutionnelle qui viendraient en limiter l’exercice, telle que la préservation de l’ordre public à titre d’exemple.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’analyse de la jurisprudence constitutionnelle depuis 1995 jusqu’à nos jours montre que le Conseil constitutionnel a tendance à mettre en avant les libertés individuelles et les droits fondamentaux, et à leur accorder un régime de protection accru, et ce de manière générale[125].
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le Conseil constitutionnel a étendu et renforcé le contrôle exercé sur les lois mettant en cause les droits et libertés fondamentaux de manière générale, et ce de plusieurs manières :
– D’abord, dès les premières décisions le Conseil a recours aux dispositions du Préambule en tant que normes de référence, et dès 1996, il proclame la valeur constitutionnelle dudit Préambule en affirmant qu’il fait partie intégrante de la Constitution ;
– Le Conseil a incorporé les dispositions de la DUDH parmi les normes de référence du bloc de constitutionnalité, par le biais de l’alinéa B du Préambule qui y renvoie. De plus, il n’a pas hésité à faire une lecture extensive des « pactes » onusiens auxquels se réfère son Préambule, en élargissant le domaine du bloc de constitutionnalité aux deux pactes internationaux de 1966. Les textes onusiens lui servent ainsi de normes de référence pour le contrôle de la constitutionnalité des lois. Il a récemment reconnu la valeur constitutionnelle de la Charte des pays de la Ligue arabe ;
– Le Conseil a recours de manière constante à la théorie dite de « l’effet cliquet », qui lui permet de s’assurer que le législateur, lorsqu’il modifie ou abolit une loi ou une disposition relative aux droits et libertés fondamentaux, la remplace par une autre qui présenterait des garanties au moins équivalentes à celles qui sont abolies ou modifiées[126]. Même dans le cas d’une loi nouvelle, le Conseil s’assure que la loi contestée fournit les « garanties essentielles et suffisantes » à l’exercice des libertés et droits fondamentaux auxquels il apporte des restrictions, sous peine d’annuler partiellement ou intégralement la loi contestée (Déc. no 2/1999 précitée) ;
– Par ailleurs, on décèle une approche casuistique du principe de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel libanais, à travers l’application, de manière éparse et non ordonnée, des exigences matérielles propres à cette notion (adéquation, nécessité, proportionnalité stricto sensu pouvant se traduire dans la recherche d’un certain équilibre entre les différentes libertés ou droits fondamentaux d’une part, et, d’autre part, certaines exigences telles que la préservation de l’ordre public ou de l’intérêt général, par exemple). À titre d’exemple, dans la décision no 2/1999 (Écoutes téléphoniques) susmentionnée, le Conseil met en œuvre le principe de proportionnalité (sans le mentionner explicitement) en considérant que le législateur est tenu de concilier et d’harmoniser (al tawfik wal mouaama) la protection des libertés avec la sauvegarde de l’ordre public.
– Le Conseil constitutionnel interprète de manière stricte les contraintes apportées aux libertés et droits fondamentaux[127].
– Le Conseil a par ailleurs soumis l’appréciation des circonstances exceptionnelles, qui permettent au législateur de déroger aux exigences constitutionnelles, à son contrôle. Dans la décision no 7/2014, le Conseil donne une définition précise des circonstances exceptionnelles en l’encadrant de conditions strictes (de nécessité et de temps), tout en affirmant que son appréciation demeure soumise à son appréciation[128].
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Dans la décision no 2/1999 (Écoutes téléphoniques) susmentionnée, le Conseil reconnaît le domaine réservé du législateur en matière de protection des libertés et droits fondamentaux. Il énumère dans sa décision les libertés individuelles prévues aux articles suivants : article 8 (la liberté individuelle), article 13 (la liberté d’exprimer sa pensée par la parole ou par la plume) et article 14 (l’inviolabilité du domicile).
Le Conseil constitutionnel admet qu’il appartient au législateur d’encadrer l’exercice des libertés et d’y apporter des limites en vue de la préservation de l’ordre public, auquel il accorde la valeur constitutionnelle. Toutefois, les contraintes apportées à l’exercice des droits et libertés au nom de l’ordre public sont soumises à certaines conditions : elles doivent poursuivre certains objectifs qui permettent d’assurer l’exercice effectif des libertés, telles que la poursuite des criminels, la préservation du bien-être des citoyens ainsi que de leur sécurité et la protection de leurs biens. Elles doivent par ailleurs être accompagnées des garanties essentielles et suffisantes. Le juge évoque ainsi la fonction conciliatrice de l’ordre public, ainsi que sa fonction de condition d’effectivité des libertés et droits fondamentaux (qui sont deux caractéristiques propres aux objectifs à valeur constitutionnelle en droit français). On peut ainsi y lire : « Considérant que si la Constitution accorde au législateur le droit d’élaborer les règles générales qui garantissent les droits et libertés prévus à la Constitution en vue de permettre aux individus d’exercer lesdites libertés, il est également tenu de concilier et d’harmoniser (le respect de ces libertés avec la préservation de l’ordre public, ce qui permet de poser des contraintes à la liberté individuelle afin de poursuivre les criminels, de préserver le bien-être des citoyens ainsi que leur sécurité et de protéger leurs biens et sans lequel l’exercice desdites libertés ne peut être assuré, à condition toutefois d’accompagner l’exercice des libertés des garanties essentielles et suffisantes.
[…]
Considérant que la protection et le respect de la vie privée de l’individu sont les fondements essentiels de la liberté individuelle garantie par la Constitution, qui ne peut être sujet à aucune contrainte sauf dans le but de préserver l’ordre public et de fournir les garanties nécessaires à l’exercice de ladite liberté. »[129]
Dans le même esprit, le Conseil considère que l’appréciation faite par le législateur libanais de l’intérêt général, qui peut justifier les restrictions apportées à des droits fondamentaux, reste soumise à son contrôle. Il lui appartient dès lors de s’assurer de l’existence de cet intérêt à la lumière des objectifs de la législation contestée, et ce en vue de s’assurer de sa constitutionnalité, surtout si cet intérêt général a des fondements constitutionnels (à l’instar du principe de non-implantation des réfugiés, prévu à l’alinéa (I) du Préambule[130]).
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
- réponses 10 et 11 ci-dessus.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ? NA
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ? NA
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Il est intéressant de noter qu’une loi fut adoptée en 2018 pour régir les transactions électroniques et les données à caractère personnel[131] .
Concernant la cybercriminalité, le texte comporte un chapitre consacré aux infractions liées aux systèmes d’information et aux données (Chapitre 6), dont les plus importantes sont l’accès illégal à un système d’information, l’atteinte à l’intégrité d’un système d’information ou à l’intégrité des données, et l’ingérence ou l’obstruction d’un système d’information. L’article 453 a également modifié le Code pénal afin de définir la contrefaçon électronique.
L’une des modifications les plus importantes introduites au Code pénal dans le Chapitre 6 est l’article 118, qui modifie l’article 209 du Code pénal afin d’élargir les moyens de publication pour y inclure les « moyens électroniques ». Cette modification était attendue afin de créer une base légale permettant de poursuivre les blogueurs sur les pages électroniques et les pages de réseaux sociaux pour les délits de diffamation et de calomnie. Ces infractions n’étant pas prévues par le Code pénal, leurs auteurs ne pouvaient pas être poursuivis pénalement en vertu du principe fondamental de la légalité des délits et des peines énoncés à l’article 8 de la Constitution. Les règles de procédure y afférentes ont également été modifiées.
Cette loi ne fut pas l’objet d’un recours en inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel. Toutefois, certains auteurs ont relevé le caractère attentatoire à la liberté d’expression de certaines de ses dispositions[132]. Dans le chapitre six notamment, consacré aux délits d’information, la loi a introduit des dispositions réglementant les pouvoirs du ministère public dans le contexte des infractions commises par voie électronique. Son article 126 dispose ce qui suit : « Le ministère public peut décider d’interrompre les services électroniques, de bloquer des sites Internet ou de geler temporairement les comptes sur ceux-ci pour une durée maximale de trente jours, renouvelable une fois par décision motivée, à condition que cette mesure expire par définition. À l’expiration du délai imparti. Le juge d’instruction ou le tribunal compétent qui connait de l’affaire peut en décider provisoirement jusqu’à ce que la décision définitive soit rendue dans l’affaire. L’autorité judiciaire peut également revenir sur sa décision si de nouvelles circonstances le justifient. La décision du juge d’instruction et du tribunal d’interrompre des services électroniques, de bloquer des sites Internet ou de geler des comptes sur ceux-ci est susceptible de recours selon les procédures et délais requis pour la décision de mise en liberté ».
Cet article pourrait éventuellement porter atteinte à la liberté d’expression par le biais de la sanction prise sur décision du ministère public avant tout procès, ce qui constituerait un moyen de pression préalable sur les sites Internet. Il faut noter ici que les pouvoirs du ministère public sont largement plus étendus que ceux du juge du fond qui prononce la peine, puisque l’article 125 autorise le tribunal saisi de l’affaire, par sa décision finale, à suspendre des services électroniques, à bloquer des sites Internet ou à supprimer des comptes sur Internet « exclusivement » dans les cas où ils sont liés à des délits déterminés, notamment ceux relatifs au « terrorisme, à la pornographie sur mineurs ou aux jeux de hasard interdits, à la fraude électronique organisée, au blanchiment d’argent, aux délits affectant la sécurité intérieure et extérieure, ou liés à la violation de l’intégrité des systèmes d’information, tels que la diffusion virus. »
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu à ce jour l’occasion de se prononcer sur des lois mettant en cause la liberté d’expression exercée par les individus via les réseaux sociaux.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
La loi électorale no 44/2017[133] régit l’activité des médias, dans leurs diverses déclinaisons (audio-visuelle, presse écrite, électronique/ publiques ou privées), durant la période de la campagne électorale, sous le contrôle de la Commission de supervision des élections. Celle-ci doit veiller au respect de la liberté d’expression des diverses opinions et tendances politiques dans les programmes médiatiques pendant la période de campagne électorale, en émettant des recommandations contraignantes aux médias, en vue de garantir l’égalité, l’équilibre et l’impartialité dans le traitement entre les candidats et les listes. Ces conditions s’appliquent à tous les programmes d’information politique et publique, y compris les bulletins d’information, les programmes de débats politiques, les interviews, les réunions, les dialogues, les tables rondes et la retransmission en direct des fêtes électorales, qui restent gratuits. La Commission doit assurer un équilibre dans les apparitions médiatiques entre les listes et les candidats en compétition, de sorte que le média, lorsqu’il accueille un représentant d’une liste ou un candidat, soit tenu de veiller, en contrepartie, à accueillir ses concurrents dans des conditions similaires, en termes de « timing », de durée et de type de programme. (art. 72). La loi prévoit également qu’il « appartient à chaque liste ou candidat d’organiser diverses activités légitimes afin d’expliquer le programme électoral de manière appropriée et selon des modalités qui ne soient pas contraires aux lois et règlements ». Les médias et agences de publicité qui désirent mener une activité publicitaire ou promotionnelle payante liée aux élections sont soumis à une déclaration préalable auprès de la Commission, sous peine d’interdiction. Par ailleurs, toute liste ou candidat a le droit de recourir gratuitement aux médias officiels pour présenter des programmes électoraux (art. 73).
Concernant les restrictions à la liberté d’expression imposées aux moyens médiatiques privés, aux listes et aux candidats, l’article 74 de la loi électorale prévoit ce qui suit :
- Il n’est permis à aucun média privé d’annoncer son soutien à un candidat ou à une liste électorale. Compte tenu du principe d’indépendance, les médias susmentionnés doivent, pendant la période de campagne électorale, clairement différencier entre les faits vérifiés d’une part, et les opinions et commentaires d’autre part, dans leurs différents bulletins d’information ou programmes politiques.
- Pendant la période de campagne électorale, les médias privés, les listes et les candidats doivent respecter les obligations suivantes :
– S’abstenir de toute diffamation, calomnie ou insulte envers l’une des listes ou des candidats.
– S’abstenir de diffuser tout ce qui inclut une incitation aux conflits confessionnels, sectaires ou ethniques, une incitation à commettre des actes de violence ou des émeutes, ou un soutien au terrorisme, à la criminalité ou à des actes de vandalisme.
– S’abstenir de diffuser tout ce qui pourrait constituer un moyen de pression, d’intimidation, de trahison, d’excommunication, de tentation ou la promesse de gains matériels ou moraux.
– S’abstenir de déformer, retenir, falsifier, supprimer ou déformer des informations.
– S’abstenir de transmettre ou de rediffuser tout matériel montrant les violations mentionnées ci-dessus, sous peine de tenir l’institution pour responsable de la violation de cette loi.
Par ailleurs, les fonctionnaires de l’État, les institutions publiques, les municipalités et conseils municipaux, ainsi que ceux qui occupent leur poste ne sont pas autorisés à promouvoir des élections en faveur d’un candidat ou d’une liste ni à distribuer des tracts en faveur ou contre un candidat ou une liste. De même, il est interdit de distribuer des tracts ou tout autre document favorable ou défavorable à un candidat ou une liste pendant toute la journée du scrutin aux portes du centre de vote ou en tout autre lieu situé à l’intérieur du centre de vote, sous peine de confiscation sans préjudice des autres sanctions prévues par cette loi.
Une période de silence électoral de 24 heures est prévue à l’article 78 de la loi n° 44/2017.[134] Toutefois, les restrictions qui y sont prévues durant la période de silence électoral s’adressent principalement aux médias et non aux candidats ou partis politiques.
Enfin, les sondages d’opinion sont strictement encadrés et sous le contrôle de la Commission. Durant les dix jours précédant le jour du scrutin et jusqu’à la fermeture de toutes les urnes, il est interdit de publier, diffuser ou distribuer tous sondages d’opinion et commentaires à leur sujet sous quelque forme que ce soit (art. 79).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
L’article 60 de la loi no 44/2017 intitulé « Dépenses et financement » dispose qu’il « est strictement interdit à un candidat ou à une liste d’accepter ou de recevoir des contributions ou des aides émanant d’un pays étranger ou d’une personne physique ou morale non libanaise, directement ou indirectement ». Toutefois, dans la pratique, le contrôle des sources de financement de la campagne électorale est quasiment impossible en période électorale. Ces difficultés sont dues en partie au peu d’autonomie et de moyens dont jouit la Commission de supervision des élections pour effectuer un contrôle efficace, mais également à l’absence de législation régissant le financement des partis politiques et des médias. La loi sur le secret bancaire se dresse également en obstacle à l’application de l’article 60 susmentionné, et au contrôle du financement de la campagne électorale de manière générale.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Le décret-loi no 52 du 5 août 1967 relatif à la déclaration de l’état d’urgence et de zone militaire permet à l’autorité militaire de restreindre drastiquement les libertés publiques de manière générale, et en particulier la liberté d’expression[135]. En vertu de l’article 4 de ce décret-loi, l’autorité militaire a le droit d’interdire les réunions qui perturbent la sécurité (alinéa 8), de donner l’ordre de fermer temporairement les cinémas, théâtres, parcs d’attractions et divers lieux de rassemblement (alinéa 9), d’empêcher la circulation des personnes et des voitures dans des lieux et à des moments déterminés par décision (alinéa 10), d’interdire les publications qui portent atteinte à la sécurité et de prendre les mesures nécessaires pour imposer la censure aux journaux, publications, bulletins divers, radio, télévision, films et pièces de théâtre (alinéa 11).
Par ailleurs, et en vertu de l’article 5 de ce même décret-loi, l’autorité militaire suprême peut déférer devant le tribunal militaire les crimes contre la sûreté de l’État, contre la Constitution et contre la sécurité et la sûreté publiques, même si ces crimes se sont produits en dehors du territoire sur lequel l’état d’urgence est déclaré ou de la zone militaire concernée, et les délits de franchissement de la frontière avec l’intention de commettre des actes d’agression ou de violation de la sécurité. Toutes les violations des dispositions de l’article quatre du présent décret législatif seront également déférées au tribunal militaire.
Ce décret-loi étant antérieur à la date de création du Conseil constitutionnel, il n’a pas pu faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
L’état d’urgence étant régi par une loi (en l’occurrence le décret-loi no 52/1967 précité), c’est le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative au Liban, qui est appelé à connaitre des mesures prises en temps de troubles par l’Administration.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Comme susindiqué, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour connaitre des mesures prises par les autorités militaires ou administratives en vertu de la loi sur l’état d’urgence.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La jurisprudence libérale du Conseil constitutionnel a, au fil des décisions, renforcé son rôle de protecteur des libertés publiques et droits fondamentaux. En dépit de ses compétences limitées et des moyens de saisine restreints, cette jurisprudence permet d’asseoir une certaine légitimité au Conseil, grâce à la force absolue que revêtent ses décisions, et leur effet obligatoire à l’égard de toutes les autorités publiques, et en premier lieu le législateur, ainsi qu’à l’égard des juridictions de l’ordre judiciaire et administratif.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La prééminence que le Constituant a voulu accorder aux libertés publiques en vertu de la révision constitutionnelle de 1990, au lendemain de la guerre civile qu’a connue le Liban durant quinze années, revêt une importance extrême. Ces libertés publiques, et à leur tête les libertés d’opinion et de conscience, forment l’un des piliers du régime démocratique libanais.
Dans un récent rapport sur le Liban datant de 2022[136], le rapporteur spécial des Nations Unies, M. Olivier de Schutter, relevait qu’« une feuille de route claire basée sur les droits humains était nécessaire pour permettre la relève du Liban ». En cette période de crise aigüe que traverse le Liban, sur les plans institutionnel, économique et social, il est du devoir du Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution, de veiller à la bonne application de celle-ci. En sa qualité de protecteur des libertés et droits fondamentaux, il est tenu de prendre en compte la place prééminente qui est faite aux libertés d’opinion et d’expression par le constituant. Celles-ci occupent une place quasi sacrée parmi les libertés publiques. Il lui incombe également d’apporter le même degré de protection aux libertés de la presse, de réunion et d’association, au même titre que la liberté d’opinion et d’expression auxquelles les premières sont associées dans l’article 13 de la Constitution. La liberté de l’enseignement, garantie par l’article 10 de la Constitution, doit également jouir d’un régime de protection identique. Par ailleurs, la liberté de conscience, qui est qualifiée d’« absolue » par le constituant, et qui occupe une primauté parmi les libertés publiques au même titre que la liberté d’opinion, devrait bénéficier d’une protection accrue pour les mêmes raisons.
En conclusion, nous estimons qu’il appartient au Conseil constitutionnel de faire preuve de vigilance, et de veiller à ce que les libertés publiques, et notamment la liberté d’expression, soient toujours respectées, afin que le Liban demeure un phare de lumière et d’espoir dans cette partie du monde où les libertés, les droits fondamentaux et la dignité humaine sont bafoués au quotidien.
Cour constitutionnelle du Luxembourg
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Cour a eu l’occasion de se prononcer sur un des aspects de la liberté d’expression – celui de la liberté de manifester – dans un arrêt du 30 septembre 2022[137]. Les juges constitutionnels ont été saisis de la question de la conformité des lois prévoyant des mesures anti-Covid à la Constitution. La question a été analysée, d’une part, à la lumière de l’ancien article 24 de la Constitution (actuel article 23, qui garantit la liberté d’expression) et, d’autre part, à la lumière de l’ancien article 10bis de la Constitution (l’actuel article 15 de la Constitution[138], qui assure l’égalité devant la loi). En l’espèce, la Cour a considéré que les mesures étaient conformes à la Constitution. Dans leur analyse, les juges ont souligné l’importance du droit de manifestation publique dans une démocratie. En l’espèce, la Cour a considéré ce qui suit :
« Le choix adopté par le législateur se justifie, s’agissant au moins du cas ici pertinent qui est celui des manifestations publiques en vue de l’exercice de la liberté d’expression, par l’importance particulière que le droit de manifestation publique de ses convictions revêt dans une démocratie. L’interdiction pure et simple des réunions d’un nombre important de personnes aurait été une mesure extrême, que le législateur a remplacée par une mesure consistant à tolérer ces manifestations, sous condition du port du masque, au prix d’une moindre efficacité de la lutte contre la propagation du virus. Par conséquent, les critères de rationalité, d’adéquation et de proportionnalité sont respectés malgré le fait que pour des manifestations plus importantes, l’obligation de distanciation physique ne s’appliquait pas, et la mesure législative ne méconnait pas le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi. »
Les fondements juridiques énoncés dans l’arrêt ne sont pas les seuls applicables au Luxembourg en matière de liberté d’expression. Cette liberté est protégée tant par des dispositions de droit national (1.1) que par des dispositions de source internationale ou européenne (1.2).
À titre préliminaire il convient de rappeler que les traités internationaux et le droit de l’Union européenne priment sur le droit interne luxembourgeois, y compris sur la Constitution[139]. Selon la doctrine, les dispositions de droit national et de droit supranational « s’entremêlent pour offrir une protection cohérente et intégrée »[140] aux justiciables qui peuvent invoquer tant la loi que les dispositions de source supranationale devant les tribunaux[141].
Outre les dispositions constitutionnelles et les lois énumérées ci-après, il n’y a pas d’instrument séparé qui comporterait une déclaration des droits concernant la liberté d’expression. Cependant, dans un récent arrêt, la Cour a eu recours à la notion de « socle commun »[142], que la doctrine qualifie de « sorte de bloc de constitutionnalité » [143]. Rendu après un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne sur la question du droit au recours effectif en matière de demande d’échange de renseignements en matière fiscale, l’arrêt considère que « la CEDH[144] et la Charte[145] forment avec le principe fondamental de l’État de droit et les principes d’accès au juge et de recours effectif un socle commun ».
- Dispositions de droit national
- La Constitution
La Constitution révisée contient un chapitre II dédié aux « droits et libertés ». Parmi les libertés publiques énumérées à la section 3 de ce chapitre se trouve la liberté d’expression. L’article23, qui correspond à l’ancien article 24[146] étudié dans l’arrêt précité, dispose ce qui suit :
« La liberté de manifester ses opinions et la liberté de la presse sont garanties, hormis les infractions commises à l’occasion de l’exercice de ces libertés.
La censure ne peut pas être établie. »
La Constitution consacre donc expressément deux aspects de la liberté d’expression : la liberté de manifester ses opinions et la liberté de la presse.
En outre, la Constitution contient un texte similaire pour la liberté de manifester ses convictions philosophiques ou religieuses (article 24) :
« La liberté de manifester ses convictions philosophiques ou religieuses, celle d’adhérer ou de ne pas adhérer à une religion sont garanties, hormis les infractions commises à l’occasion de l’exercice de ces libertés. »
Enfin, la Constitution contient une clause transversale, inspirée de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[147] qui dispose que toute limitation aux libertés publiques doit être prévue par la loi et doit respecter le principe de proportionnalité (article 37) :
« Toute limitation de l’exercice des libertés publiques doit être prévue par la loi et respecter leur contenu essentiel. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires dans une société démocratique et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »[148]
- La loi
Un des aspects de la liberté d’expression – la liberté de la presse – est régi par la loi modifiée du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias[149]. Dans ses premiers deux articles, la loi pose le principe de la liberté d’expression dans le domaine des médias (article 1) et renvoie expressément à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 2) pour ce qui concerne les restrictions à cette liberté dans les termes qui suivent :
« Conformément à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome, le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 29 août 1953, toute restriction ou ingérence en la matière doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée au but légitime poursuivi. »
La loi prévoit, entre autres, les droits du journaliste (le droit de recevoir des informations, le droit à la protection des sources)[150] et ses devoirs (exactitude des informations, respect de la présomption d’innocence, de la protection de la vie privée, de la réputation et de l’honneur, le tout accompagné d’un devoir de diligence)[151]
La loi modifiée du 27 juillet 1991 sur les médias électroniques[152] assure « dans le domaine des médias électroniques, l’exercice du libre accès de la population du Grand-Duché à une multitude de sources d’information et de divertissement, en garantissant la liberté d’expression et d’information ainsi que le droit de recevoir et de retransmettre sur le territoire du Grand-Duché tous les services de médias audiovisuels ou sonores conformes aux dispositions légales » (article 1).
Le Code pénal comprend des limites à la liberté d’expression, à travers les crimes et délits suivants :
- la provocation aux crimes : article 66 du Code pénal,
- la persécution obsessive : article 442-2 du Code pénal,
- les injures et diffamations publiques : articles 443 à 452 du Code pénal,
- l’incitation au racisme, révisionnisme et autres discriminations : article 454 à 457-4 du Code pénal.
La voie de l’action civile est ouverte aux personnes qui souhaitent se voir réparer le dommage qui a été causé lors de l’exercice de la liberté d’expression sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle de droit commun (articles 1382 et 1383 du Code civil)[153].
- Dispositions de source supranationale
Les instruments suivants sont applicables[154] au Luxembourg en matière de liberté d’expression :
- Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[155], adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale de l’ONU à New York (Article 19)
- La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950[156]. Comme indiqué plus haut, l’article 2 de la loi du 8 juin 2004 renvoie expressément à l’article 10(2) de la CEDH en matière de limitation à la liberté d’expression.
- La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000[157] (Article 11 et article 52(1) pour ce qui concerne les limitations aux libertés).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Les articles 23 et 24 de la Constitution visent comme exception « les infractions commises à l’occasion de l’exercice de ces libertés ». Il s’agit ici, selon les commentateurs, d’un renvoi « à l’ordre public dans son acception étroite du droit pénal »[158].
En outre, comme indiqué plus haut, la clause transversale de l’article 37 de la Constitution impose une analyse de proportionnalité pour toute limitation des libertés constitutionnelles. L’arrêt du 30 septembre 2022 précité, qui a consacré ce principe avant l’introduction de cet article dans la Constitution, a mis en balance un des aspects de liberté d’expression (la liberté de manifester) avec « les exigences de la protection de la vie et de la santé publique ». Bien que la Cour ne l’ait pas expressément formulé ainsi, la protection de la santé publique peut être vue ici en tant que composante de l’ordre public (qui a justifié en l’espèce l’intervention du législateur pour limiter le nombre de personnes en situation de rassemblement).
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Il n’y a pas de définition explicite de la liberté d’expression dans la jurisprudence de la Cour, l’arrêt du 30 septembre 2022 analysant la question préjudicielle en se référant simplement à l’ancien article 24 de la Constitution (qui consacrait la liberté d’expression). Malgré cette absence de définition, relevons que dans le même arrêt la Cour souligne « l’importance particulière que le droit de manifestation publique de ses convictions revêt dans une démocratie ».
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Comme indiqué plus haut, la Cour n’a pas eu l’occasion de donner une définition explicite de la liberté d’expression. Cependant, les juges constitutionnels luxembourgeois sont enclins à se référer à la jurisprudence de la Cour EDH et de la CJUE dans ce domaine (cf. notre réponse à la question 7 du sous-thème 2).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Dans l’arrêt précité du 30 septembre 2022, la Cour a considéré que le droit de manifester était nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression. Il vient ainsi en soutien à la liberté d’expression.
D’autre part, cette liberté a été également examinée, par application du principe de proportionnalité, dans un « ensemble des droits qui prennent leur fondement dans le droit naturel ». En l’espèce, la liberté d’expression a été examinée ensemble avec le « droit à la vie privée qui inclut le droit de choisir sa tenue vestimentaire ». La Cour a considéré qu’« une obligation au port d’un masque constitue une ingérence dans ce dernier droit, mais une ingérence en l’occurrence justifiée et non excessive au moment de son adoption et au moment des faits poursuivis ».
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La Constitution contient quelques consécrations particulières pour la liberté d’opinion d’un député à l’article 84 :
« Aucune action, ni civile ni pénale, ne peut être dirigée contre un député à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »
Ainsi que pour la liberté d’opinion d’un membre du Gouvernement à l’article 94(2) :
« Les membres du Gouvernement ne répondent ni civilement ni pénalement des opinions qu’ils émettent à l’occasion de l’exercice de leur fonction. »
Cependant, la Cour n’a pas eu à se prononcer sur ces aspects de la liberté d’expression.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Outre le statut des députés et des membres du Gouvernement mentionné plus haut, la Constitution ne fait pas d’autre distinction quant aux titulaires de la liberté d’expression.
La loi contient des déclinaisons spécifiques en matière de droit de la presse et du droit des médias. Les incriminations pénales visent essentiellement des atteintes d’ordre privé (entre particuliers), bien que les personnes morales de droit privé ou public (à l’exclusion de l’État et des communes) puissent également faire l’objet de poursuites pénales au Luxembourg depuis 2010[159].
La Cour n’a pas eu l’occasion de se pencher sur une éventuelle différence de contenu ou d’encadrement selon le titulaire du droit d’expression.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Dans l’exercice de leurs missions, les fonctionnaires et les agents de l’État ont un devoir de neutralité[160]. Il s’agit d’un devoir de « faire abstraction des opinions des administrés »[161]. S’ils jouissent de la liberté d’expression dans la sphère privée (pratique religieuse, participation dans des partis politiques, etc.) [162], ils sont néanmoins tenus à un devoir de réserve[163] qui prévoit que le fonctionnaire doit « éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public ». Cependant, d’une part, cette exigence n’est pas applicable aux fonctionnaires exerçant un mandat syndical[164] et, d’autre part, elle « ne saurait cependant vider de sa substance la liberté d’expression du fonctionnaire public » qui pourra toujours s’exprimer de manière critique du moment où ces opinions sont formulées « de façon mesurée et nuancée »[165].
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le seul arrêt qui porte sur la question date du 30 septembre 2022 (cf. question 1 thème 1 supra).
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non. Cependant, on peut supposer que cet état de fait est dû à plusieurs facteurs. D’une part, la Cour ne peut être saisie qu’à titre préjudiciel[166]; d’autre part, elle n’a été créée qu’assez tardivement dans l’histoire du Grand-Duché – en 1996[167]. Enfin, notre Cour n’est pas juge de conventionnalité[168] ; or la CEDH, qui peut être appliquée directement par les tribunaux, a une source conventionnelle qui permet aux juges de fond d’articuler la liberté d’expression telle qu’en principe articulée dans les textes de loi avec les exigences de la CEDH (sous contrôle de la Cour de cassation ou de la Cour administrative le cas échéant), sans avoir à recourir à une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Il est prématuré de porter un jugement de valeur à ce stade.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
N/A
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
N/A
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Il est encore prématuré de répondre spécifiquement à cette question en ce qui concerne la liberté d’expression. Cependant, on peut généralement affirmer que la jurisprudence de la Cour influence les juridictions du fond, et vice versa.
D’une part, quant à l’influence de la Cour sur les juridictions du fond, nous avons déjà énoncé que la Cour statue sur les questions préjudicielles qui lui sont soumises par les juridictions du fond. Si notre Cour conclut à l’inconstitutionnalité d’une disposition de loi, « celle-ci cesse […] d’avoir un effet juridique » dès le lendemain de la publication de l’arrêt[169]. La juridiction qui a posé la question préjudicielle n’applique pas la disposition concernée au cas d’espèce. Il est important de noter que la disposition concernée n’est pas pour autant abrogée : il s’agit d’un pouvoir réservé au seul législateur. Cependant, ce système de « désapplication » ne conduit pas pour autant à ce qu’en pratique les tribunaux du fond continuent à appliquer la loi dans d’autres litiges, au contraire[170].
D’autre part, quant à l’influence des juridictions du fond, la Cour constitutionnelle est composée de juges des juridictions administratives et des juridictions judiciaires qui continuent à exercer leurs fonctions d’origine en même temps que leurs fonctions auprès de la Cour constitutionnelle[171]. Cette double casquette des juges permet une interaction constante et un échange de perspectives entre les différentes juridictions[172], ce qui favorise une influence mutuelle. Les décisions rendues par les juridictions du fond dont sont issus les juges qui composent notre Cour peuvent ainsi informer et guider les délibérations de la Cour, enrichissant ainsi la jurisprudence constitutionnelle et assurant une cohérence juridique à travers les différents niveaux de juridiction.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
En absence de jurisprudence fournie sur la question de la liberté d’expression, la réponse portera sur une vision globale de la jurisprudence de notre Cour et l’influence, ou l’inspiration, de la pratique d’autres juridictions nationales ou internationales.
Les juridictions luxembourgeoises s’inspirent régulièrement de la jurisprudence d’autres ordres juridiques nationaux, régionaux et internationaux.
Les cours constitutionnelles voisines :0notre droit (y compris constitutionnel) a été construit du fait de l’application directe des droits français, belge/néerlandais ou allemand au territoire luxembourgeois. Nos juges, généralement au moins trilingues, sont formés dans les facultés de droit de nos pays voisins. Cette proximité constitutionnelle, juridique et linguistique conduit à ce que nous examinions fréquemment les décisions des Cours constitutionnelles et suprêmes de nos voisins européens, invoquées également par les parties, ainsi que la doctrine en la matière. Cependant, « [l]e droit étranger est, au mieux, un argument en raison, mais jamais un précédent formellement obligatoire. »[173]
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) ainsi que les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ont un impact significatif sur le droit luxembourgeois : étant donné la primauté des dispositions de droit supranational sur les dispositions de droit interne, la jurisprudence de ces deux Cours est source d’inspiration en matière de protection des droits fondamentaux, notamment en matière de principe de proportionnalité et de respect de l’État de droit. Par exemple dans un arrêt du 22 janvier 2021, la Cour souligne qu’« il importe de noter qu’aussi bien la Cour de justice de l’Union européenne que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaissent le principe de sécurité juridique comme principe général inhérent à leurs ordres juridiques respectifs ainsi que les principes de confiance légitime et de non-rétroactivité des lois comme principes généraux ou fondamentaux, en tant qu’expressions de la sécurité juridique. […] lesdits principes sont également à rattacher au principe fondamental de l’État de droit, ce dernier devant agir selon les règles de droit, de sorte à renforcer la protection juridictionnelle de tout individu »[174]. Dans un second arrêt rendu très peu de temp après, à la suite d’un renvoi préjudiciel devant la CJUE, la Cour rejoint la solution donnée par les juges de la CJUE sur la question du recours effectif, pour préciser que « [l]a CEDH et la Charte forment avec le principe fondamental de l’État de droit et les principes d’accès au juge et de recours effectif un socle commun. »[175]. De plus, après avoir cité expressément l’arrêt du 22 janvier 2021, la Cour confirme le statut constitutionnel du principe de proportionnalité : « L’équilibre à trouver [entre le droit d’accès au juge et l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale] doit résulter d’une juste mise en balance, le principe de proportionnalité étant un principe à valeur constitutionnelle (cf. arrêt du 22 janvier 2021, n° 00152 du registre). »
En matière de liberté d’expression, la Cour EDH a rendu six arrêts qui concernent le Grand- Duché[176]. S’ils ne portent pas expressément sur la pratique de la Cour constitutionnelle, ils peuvent cependant constituer une source d’inspiration pour la pratique de notre Cour en matière de liberté d’expression.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Comme indiqué plus haut, l’arrêt du 30 septembre 2022 a permis à la Cour d’examiner la liberté d’expression ensemble avec un « ensemble des droits qui prennent leur fondement dans le droit naturel », et plus particulièrement avec le « droit à la vie privée qui inclut le droit de choisir sa tenue vestimentaire ». Ces droits ne se trouvaient pas ici en opposition, car ils devaient se concilier avec les impératifs de protection de la santé publique, et partant, de l’ordre public.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le seul arrêt de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression a conclu à la constitutionnalité des mesures anti-Covid. À ce stade, il est trop tôt de dégager une tendance dans un sens ou dans un autre.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La question a été analysée, d’une part, à la lumière de l’ancien article 24 de la Constitution (actuel article 23, qui garantit la liberté d’expression) et, d’autre part, à la lumière de l’ancien article 10bis de la Constitution (l’actuel article 15 de la Constitution), qui assure l’égalité devant la loi.
La première analyse a impliqué l’application du principe de proportionnalité[177] (qui a une valeur constitutionnelle selon la jurisprudence de la Cour, cf. question 7 supra, in fine). La Cour a considéré que «[d]ans les circonstances qui ont donné lieu à l’intervention du pouvoir législatif dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19, les droits et libertés discutés sont appelés à se concilier suivant un juste équilibre à établir, conformément au principe de proportionnalité, avec d’autres droits naturels de la personne humaine, à savoir le droit à la vie et à la protection de la santé, ce dernier droit étant également consacré, de manière indirecte, par l’article 11, paragraphe 5, de la Constitution aux termes duquel « la loi règle quant à ses principes […] la protection de la santé ». Les restrictions aux droits et libertés imposées pour protéger d’autres personnes, compte tenu de la nature de la pandémie, sont susceptibles de se justifier dans un esprit de solidarité entre membres d’une même société et doivent être acceptées à condition que la proportionnalité entre les risques encourus par les uns et les restrictions imposées aux autres soit respectée ».
D’autre part, l’examen du principe de l’égalité devant la loi[178] implique lui aussi une analyse de proportionnalité très similaire. Il est précédé par une analyse de comparabilité entre « les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée ». Selon la jurisprudence constante de la Cour «0[s]i tel est le cas [i.e si ces catégories sont comparables], le législateur peut néanmoins, sans violer le principe d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives et qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but »[179].
Dans les deux cas de figure, l’intention du législateur est examinée. Il est encore trop tôt de se prononcer sur la question de l’intensité du contrôle de l’intention du législateur.
Au regard de la jurisprudence de la Cour sur d’autres libertés constitutionnelles, il est probable que ces mêmes outils soient employés à nouveau pour de nouvelles questions sur la liberté d’expression.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
- la réponse à la question 2, sous-thème 1.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ? N/A
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ? N/A
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ? N/A
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ? Non.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
N/A
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
La Cour n’a pas eu l’occasion de se pencher sur cette question. Il convient de mentionner néanmoins que, contrairement à d’autres pays, le Luxembourg n’a pas de période de « silence électoral » stricte. En revanche, l’Autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel (ALIA) élabore, en collaboration avec les partis et les médias de service public, des principes directeurs sur : la durée de la campagne dans les médias (y compris l’arrêt de la propagande le jour des élections), l’accès aux programmes politiques et spots électoraux, la répartition du temps d’antenne, les normes techniques, l’accessibilité pour les personnes handicapées et les critères linguistiques. Les partis politiques en lice pour les élections disposent d’un temps d’antenne gratuit sur les médias publics pendant la campagne. Ces mesures assurent un accès équitable aux médias, renforçant ainsi la liberté d’expression en période électorale.
D’autre part, la loi interdit la publication ou la diffusion de sondages pendant les cinq jours qui précèdent le jour des élections ainsi que pendant le déroulement des opérations électorales.[180]
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Cour n’a pas eu l’occasion de répondre à des questions relevant de ce domaine.
Il convient de relever que la mise en œuvre du règlement (UE) n° 833/2014 du Conseil du 31 juillet 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine[181] qui s’est soldée par l’interdiction de la chaîne RT France[182] a également eu un volet luxembourgeois. Avant de demander l’autorisation de diffusion en France, la maison mère d’ANO Novosti s’est vu refuser au Grand-Duché une licence de diffusion [183]. Il s’agissait en réalité d’un manque de compétence des autorités luxembourgeoises pour accorder ces droits[184].
En préparation des élections européennes de 2024, le Luxembourg a fait partie des initiatives européennes visant à contrer la désinformation et les ingérences étrangères. Ensemble avec le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), en collaboration avec la Commission européenne, l’ALIA a lancé une campagne de sensibilisation pour inciter les citoyens de rester vigilants face aux informations trompeuses et fausses qui circulent en ligne.[185]
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
L’arrêt du 30 septembre 2022 porte sur des restrictions à la liberté d’expression durant la pandémie Covid. La Cour a considéré que les mesures prises étaient justifiées puisque satisfaisant les critères de proportionnalité requis. (cf. question 9 infra).
Comme indiqué à la réponse à la question 1, l’article 37 de la Constitution impose que toute atteinte aux libertés soit prévue par la loi, sous la condition du respect du principe de proportionnalité. D’autre part, en cas de crise internationale ou en cas de crise nationale impliquant « de menaces réelles pour les intérêts vitaux de tout ou partie de la population ou de péril imminent résultant d’atteintes graves à la sécurité publique », l’article 48 de la Constitution donne le droit au Grand-Duc de prendre des mesures dérogeant aux lois existantes, à condition de respecter le principe de proportionnalité. Ce pouvoir ne permet pas déroger à la Constitution, ni de la suspendre[186].
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Cf. réponse 7 supra.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Les missions de la Cour sont strictement encadrées par la Constitution et par la loi. Elles sont en large partie cantonnées au contrôle de la conformité de la loi à la Constitution[187]. Ce contrôle est fait ex post à travers des questions préjudicielles posées par les juridictions de fond. La source de la légitimité de la Cour pour protéger la liberté d’expression (ou d’examiner la conformité d’une loi à l’égard de tout autre droit ou liberté constitutionnel) réside dans la Constitution et dans la loi qui organise son fonctionnement.
En effet, le juge constitutionnel dispose de deux outils pour vérifier le but poursuivi par le législateur et le choix des mesures prises. D’une part, à travers le principe de proportionnalité[188] et, d’autre part, à travers le principe de l’égalité devant la loi (qui comporte une analyse de proportionnalité parmi les étapes de l’analyse)[189].
L’arrêt étudié tout le long de ce questionnaire a été rendu justement sur des mesures prises durant la pandémie Covid-19. Contrairement à d’autres pays, ces mesures ne sont pas de nature règlementaire, mais bien législatives. En l’espèce, la Cour a considéré que «[d]ans la mise en œuvre de la conciliation nécessaire des droits et libertés invoqués avec les exigences de la protection de la vie et de la santé publique, la Cour constitutionnelle ne sera amenée à conclure à la violation de la Constitution que s’il apparaît une rupture du juste équilibre, devant être préservé entre les risques existants et les moyens nécessaires pour y pallier par la mise en place d’une mesure inadéquate au regard de la situation, par nature évolutive, à laquelle le législateur avait à faire face ».
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Les missions de la Cour sont essentiellement cantonnées au contrôle de la conformité de la loi à la Constitution[190]. Comme indiqué plus haut, la Cour est exclusivement composée de juges de carrière qui continuent à exercer leurs activités au sein de leurs juridictions d’origine. La doctrine considère que cette façon de composer la Cour « implique que pour le pouvoir constituant l’interprétation de la Constitution est exclusivement une opération juridique, dépouillée de toute considération politique »[191].
Cette approche devrait s’appliquer également en matière de liberté d’expression.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression permet d’exprimer ses opinions et de contribuer au débat démocratique dans la société, débat qui s’exprime en définitive à travers des élections libres, ouvertes et transparentes. À ce titre, la liberté d’expression participe en fin de compte à la construction et au maintien de l’État de droit.
Toutefois, le bénéfice de la liberté d’expression doit rester cantonné à l’expression d’idées et d’opinions. Il ne saurait admis que sous couvert de la liberté d’expression, ses bénéficiaires fassent apparaître comme des réalités et des faits établis de simples opinions dénuées de fondement factuel.
L’abus de la liberté d’expression à travers la présentation d’opinions comme étant des faits établis, risque en fin de compte de déstabiliser les fondements de la démocratie.
La question qui se pose alors est celle de savoir comment assurer une telle séparation entre fait et opinion.
On retrouve ici la distinction, classique dans les médias, entre information et commentaire, que les professionnels des médias (journalistes, éditeurs, fournisseurs de services de médias audiovisuels) doivent clairement séparer dans leurs publications. Des instances de régulation des médias sont là pour surveiller le respect de cette règle déontologique de base.
Comment aborder cette question à l’égard des non-professionnels des médias : politiques, influenceurs, initiateurs de manifestations … ?
Idéalement, les destinataires de ces communications sont en mesure de faire la part des choses, d’où l’intérêt et l’importance de l’éducation aux médias à l’attention de toutes les couches de la population, étant précisé qu’il faut ici évidemment viser au-delà des médias classiques (presse écrite, médias audiovisuels) toutes les formes de communication modernes : réseaux sociaux, publications sur Internet, commentaires sous les publications sur Internet …
Pour aller plus loin, d’éventuelles mesures contraignantes semblent devoir prendre la forme de la voie législative. Le rôle des Cours constitutionnelles sera alors d’opérer le test de proportionnalité entre valeurs qui peuvent se trouver en opposition : la liberté d’expression qui met en péril le fonctionnement démocratique et l’État de droit versus la démocratie et l’État de droit. Le dilemme est évident, mais pas insurmontable.
Haute Cour constitutionnelle de Madagascar
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe- t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ? Constitution.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ? Oui.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Liberté d’émettre ses opinions sur tel ou tel sujet concernant les choses publiques.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ? Non.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ? Cela dépend de quelles autres libertés d’expression.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ? Non.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ?
(politique, militaire, régalien, art, médias) ? Oui, plus restreinte.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ? Oui.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ? Cela dépend de leur statut.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ? Cette liberté est inscrite dans la Constitution.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ? Non.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ? Oui.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ? Non.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Pas de modification.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ? Oui.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ? Oui.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ? Les libertés ne doivent toucher la vie privée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ? Les deux.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ? —
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ? L’ordre public prime sur les libertés.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ? La censure n’existe plus à Madagascar. La diffamation est une infraction pénale
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ? Non.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ? Non.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ? Non.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ? Non.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ? Pas de restriction.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ? La sauvegarde de l’ordre public prime.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ? La Haute Cour Constitutionnelle est gardienne de la Constitution.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ? Oui.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ? Oui.
Cour constitutionnelle du Royaume du Maroc
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
- La constitution marocaine énonce une panoplie des droits et libertés, dont la liberté d’expression, couvrant 22 articles (19-40) regroupés sous le titre II de la constitution. Elle met en place un dispositif dédié à la liberté d’expression plus exhaustif notamment à travers les principes et les engagements stipulés dans son préambule qui réaffirme l’attachement du Maroc aux droits humains tels qu’ils sont universellement reconnus.
Ainsi, la constitution consacre à la liberté d’expression quatre articles essentiels :
- L’article 25, qui « garantit les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes », mais également « les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique » ;
- L’article 27, qui introduit le « droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis de mission de service public » ;
- L’article 28, qui proclame la liberté de la presse en interdisant toute forme de censure préalable, « Tous ont le droit d’exprimer et de diffuser librement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, des informations, des idées et des opinions » ;
- L’article 29 qui « garantit les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique ». De plus, le droit de grève est garanti, sous réserve que les conditions et modalités de son exercice soient définies par une loi organique.
Sachant bien que la Constitution dans son article 10 garantit à l’opposition parlementaire un ensemble de droit et libertés à même de lui permettre de s’acquitter convenablement de son rôle, à titre d’exemple :
- la liberté d’opinion, d’expression et de réunion,
- un temps d’antenne au niveau des médias publics, proportionnel à leur représentativité.
- En ce qui concerne l’existence d’une déclaration en la matière, il convient de préciser que la liberté d’expression trouve son essence dans le code des libertés publiques constitué, outre la constitution, des lois régissant ces libertés dont essentiellement :
- la loi organique relative aux partis politiques
- le Dahir réglementant le droit d’association
- le Dahir relatif aux rassemblements publics
- la loi relative à la presse et à l’édition
- la loi portant statut des journalistes professionnels
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Bien que la liberté d’expression soit affirmée constitutionnellement, elle est soumise à certaines limitations ou restrictions qui sont généralement justifiées et proportionnées aux objectifs poursuivis. Il en découle que ces limites doivent être interprétées et appliquées de manière à respecter les droits fondamentaux des individus.
On peut s’en tenir à quelques dispositions de la Constitution :
Article 27 : Le droit à l’information ne peut être limité que par la loi, dans le but d’assurer la protection de tout ce qui concerne la défense nationale, la sûreté intérieure et extérieure de l’État, ainsi que la vie privée des personnes, de prévenir l’atteinte aux droits et libertés énoncés dans la Constitution.
Article 28 : Bien qu’il garantisse la liberté de presse, il reconnaît également que cette liberté doit respecter les lois en vigueur. Parmi ces restrictions figure le respect de la vie privée, du droit à l’image, des droits d’auteurs et de tous droits nécessaires à une société qui se veut démocratique.
Article 29 : stipule que « Sont garanties les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique. La loi fixe les conditions de l’exercice de ces libertés ».
En outre, les limitations à la liberté d’expression sont généralement réglementées par des lois spécifiques qui définissent les circonstances dans lesquelles la liberté d’expression peut être restreinte de manière légale et proportionnée.
Dans ce cadre, il est important de mettre en exergue les dispositions de l’article 206 du Code pénal qui restreint la liberté d’expression à tout citoyen qui se verrait coupable d’atteinte à l’intégrité, à la souveraineté ou à l’indépendance de l’État par le biais de propagande de nature à ébranler la fidélité que les citoyens doivent à l’État et aux institutions du peuple marocain.
On peut citer de même la loi 10-21 complétant et modifiant la loi n° 57.11 relatives aux listes électorales générales, aux opérations de référendum et à l’utilisation des moyens audiovisuels publics lors des campagnes électorales et référendaires. Cette loi énonce dans son article 18 que « les programmes diffusés pendant la période électorale, ainsi que les émissions préparées pour la campagne électorale, ne doivent en aucun cas comporter des contenus susceptibles de perturber l’ordre public ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est un droit fondamental garanti par la Constitution, offrant un espace pour l’expression aussi bien individuelle que collective (la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté de réunion, manifestation pacifique…).
Cependant, cette liberté n’est pas absolue et peut être soumise à des limitations dans certaines circonstances, afin de protéger l’ordre public, les droits et la réputation d’autrui, ainsi que pour prévenir la diffamation et l’incitation à la haine.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition de la liberté d’expression ne peut être différente des engagements internationaux du Royaume relatifs aux droits de l’homme dont le Maroc est signataire, notamment :
- La Déclaration universelle des droits de l’homme (Article 19)
- Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Article 10)
- La déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme (Article 5)
- La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Article 7)
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Effectivement, la liberté d’expression est une liberté matricielle, un fondement à partir duquel d’autres libertés peuvent découler.
En fait, la jurisprudence constitutionnelle marocaine comprend explicitement ou implicitement certaines déclinaisons de la liberté d’expression, comme en témoignent les exemples suivants :
- Les magistrats jouissent de la liberté d’expression, en compatibilité avec leur devoir de réserve et l’éthique judiciaire conformément à l’article 111 de la Constitution. (Décis. Cour constitutionnelle n°211 /23 en date du 08/03/2023). Le magistrat s’engage à respecter les principes et règles énoncés dans le code de déontologie judiciaire. (Décis Cour C n°210/23 en date du 07/03/2023) ;
- La liberté intellectuelle et politique des partis : Le juge constitutionnel considère que les principes démocratiques d’organisation et d’administration des partis politiques ne remettent nullement en cause la liberté intellectuelle et politique des partis (Décis. Conseil constitutionnel n° 818/2011 en date du 20/10/2011).
- La liberté d’expression politique : Elle englobe le droit des individus et des groupes à exprimer leurs opinions politiques et à participer à des débats politiques (Décis Cons C n° 818/2011).
- En ce qui concerne la présomption d’innocence, il s’agit d’un principe fondamental qui protège les droits d’un parlementaire lors d’une procédure de levée de son immunité parlementaire. Ainsi, l’obligation faite à celui-ci, convoqué par le procureur général, de faire une déclaration constitue une atteinte à sa liberté et viole l’un des droits fondamentaux garantis par la Constitution. En cas de poursuite, la personne poursuivie est en effet libre de s’abstenir de toute déclaration en application du principe de la présomption d’innocence (Décis. Cons C n° 586/2004 en date du 12/08.2004).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
- Jusqu’à présent la Cour n’a connu aucune affaire en rapport avec le blasphème.
- La Cour n’a pas eu l’occasion de connaitre ce genre de situations en matière religieuse.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (Politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Effectivement, la liberté d’expression au Maroc peut être large ou restreinte en fonction du domaine dans lequel elle est exercée, citons à titre d’exemple :
- Dans le domaine politique : la loi n° 57.11 relative aux listes électorales générales, aux opérations de référendums et à l’utilisation des moyens audiovisuels publics lors des campagnes électrodes et référendaires, précise dans son article 118 que les programmes de la période électorale, ainsi que les émissions préparées pour la campagne électorale ne doivent en aucun cas comporter des matières susceptibles de :
- porter atteinte aux constantes de la Nation telles qu’elles sont définies dans la Constitution ;
- troubler l’ordre public ;
- porter atteinte à la dignité humaine, à la vie privée ou manquer au respect dû à autrui ;
- inciter au racisme, à la haine ou à la violence
- Dans le domaine judiciaire : les magistrats jouissent de la liberté d’expression, en compatibilité avec leur devoir de réserve et l’éthique judiciaire. Ils peuvent appartenir à des associations ou créer des associations professionnelles, dans le respect des devoirs d’impartialité et d’indépendance et dans les conditions prévues par la loi. Ils ne peuvent adhérer à des partis politiques ou à des organisations syndicales (ART 111 de la Constitution)
- Dans le domaine militaire : La liberté d’expression est relativement restreinte en raison de la nécessité de préserver la sécurité nationale. Les membres des forces armées sont soumis à des règles strictes en matière de communication et de divulgation d’informations sensibles (Loi n° 01-12 relatives aux garanties fondamentales accordées aux militaires des forces armées royales).
- Dans le domaine régalien : Les domaines relevant de l’autorité régalienne de l’État, tels que la diplomatie, sont soumis à des restrictions en matière de liberté d’expression afin de protéger les intérêts stratégiques de l’État (ART 41 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques 1961)
- Dans le domaine artistique : La liberté d’expression est large, mais ne doit en aucun cas porter préjudice aux constantes de la nation telles qu’elles sont définies dans la Constitution. Ainsi l’article 25 dispose de ce qui suit : « Sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes ». Sont garanties les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et technique ».
- Dans le domaine médiatique : La liberté d’expression des médias est un droit garanti par la Constitution, l’article 11 dispose ce qui suit « La loi définit les règles garantissant l’accès équitable aux médias publics et le plein exercice des libertés et droits fondamentaux liés aux campagnes électorales et aux opérations de vote. Les autorités en charge de l’organisation des élections veillent à l’application de ces règles ».
De même, l’article 28 de la Constitution précise que la liberté de la presse est garantie et ne peut être limitée par aucune forme de censure préalable, et que tous les citoyens ont le droit d’exprimer et de diffuser librement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, des informations, des idées et des opinions.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à plusieurs titulaires, qu’ils soient des personnes privées ou publiques dans le respect de la Constitution et des lois en vigueur.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les agents de l’État, y compris les fonctionnaires et les militaires, bénéficient d’une liberté d’expression limitée dans l’exercice de leurs fonctions, comme en témoignent les exemples ci-dessous :
- Les fonctionnaires : Les fonctionnaires jouissent de la liberté d’expression. Néanmoins, ils sont soumis à des règles strictes définit par la loi dans l’obligation de discrétion professionnelle et de réserve pour tout ce qui concerne les faits et les informations dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de les leur fonction (Dahir n°1.58.008 du 24 février 1958 portant statut général de la fonction publique).
- Les magistrats : L’article 37 de la loi organique n° 106/13 portant statuts des magistrats stipule que « les magistrats jouissent de la liberté d’expression, en compatibilité avec leur devoir de réserve et l’éthique judiciaire, y compris la préservation de la réputation, du prestige et de l’indépendance de la justice… ».
Par ailleurs, la liberté d’expression du corps judiciaire marocain est confirmée dans le code de la déontologie judiciaire notamment les articles 12-13-18- 21 (B.O en date du 08/03/2023)
- Les militaires : Renvoi à la question n° 7.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Rien à signaler (R.A.S)
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Jusqu’à présent, le travail de la Cour n’est pas suffisant pour éclairer pleinement cette question.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La Cour n’a pas eu l’occasion d’établir une jurisprudence significative en la matière.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La Cour n’a pas encore établi une jurisprudence assez fournie en ce qui concerne la liberté d’expression.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Le nombre limité de décisions en relation avec la liberté d’expression ne permet pas de renseigner cet élément.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement) ?
La Cour constitutionnelle ne dispose pas d’informations suffisantes pour renseigner ce point.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Cour constitutionnelle n’a pas encore été confrontée à ce genre de situations.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’expression est conçue comme un droit fondamental, dont les limitations sont déterminées par la Constitution et les textes en vigueur, afin de protéger la liberté d’autrui.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le travail de la Cour jusqu’à présent n’est pas suffisant pour renseigner cette question et aboutir à un tel classement.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
L’interprétation demeure un outil jurisprudentiel primordial que la Cour adopte dans sa mission de contrôle afin de veiller à la protection des libertés et droits fondamentaux.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Jusqu’à présent, ce genre de situations ne s’est pas encore présenté devant la Cour constitutionnelle.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
R.A.S
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
R.A.S
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La diffamation est incriminée par le Code pénal marocain qui mentionne que les propos diffamatoires, racistes incitant à la haine raciale ou au meurtre sont punis par la loi (Art 442 ; 444 ; 442/2 ; 308/5)
En matière électorale, la juridiction constitutionnelle s’efforce d’établir un équilibre entre la protection de cette liberté fondamentale et la nécessité de réguler certains discours pour préserver des valeurs telles que la dignité humaine, les mœurs et la protection des droits d’autrui. Ainsi, le juge constitutionnel veille à ce que la compétition électorale se déroule dans des conditions loyales. Il condamne aussi l’usage de la diffamation, de l’injure, et des informations mensongères lors des campagnes électorales si ces dernières sont à même de tromper les électeurs et d’enlever des voix à un candidat. (Décis. Cons C n° 393/2000 en date du 03/05/2000).
Dans le même sens, le Conseil constitutionnel a fait face à la médiocrité du contenu du discours politique ; il a décidé l’annulation de l’élection d’un élu lorsque le plaignant parvenait à prouver qu’il faisait l’objet d’une atteinte à sa réputation. Le climat de tension et de concurrence propre aux périodes électorales ne doit en aucun cas enfreindre les règles de bienséance tout en garantissant la liberté d’expression dans un cadre de concurrence loyale. (Décis Cons. C n° 934/2014 en date du 18/02.2014).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ? R.A.S
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ? R.A.S
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale? R.A.S
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
En principe, les étrangers bénéficient des mêmes droits et libertés reconnues aux citoyennes et citoyens marocains, conformément à la loi (Art 30 de la Constitution)
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ? R.A.S
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ? R.A.S
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ? R.A.S
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
De toute évidence, la liberté d’expression peut jouer un rôle crucial dans le renforcement de la légitimité et du rôle de la juridiction constitutionnelle ; en permettant aux médias, aux acteurs politiques et à la doctrine de s’exprimer librement sur les décisions de la haute juridiction, cela favorise la transparence et renforce le débat démocratique, ce qui permet en retour une légitimation des décisions de la Cour.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression au Maroc est un outil crucial pour la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir. Elle favorise la participation citoyenne, le débat ouvert sur les questions sociales et politiques, ainsi que la responsabilisation des institutions politiques. En permettant une diversité d’opinions et en favorisant la transparence, elle renforce les fondements d’une démocratie solide où les droits des citoyens sont respectés et où les décisions politiques sont prises de manière éclairée.
Cour suprême de Maurice
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Oui. La liberté d’expression est l’un des droits fondamentaux protégés par la Constitution sous les sections 3 (Fundamental rights and freedoms of individuals) et 12 (Protection of freedom of expression) sous le Chapitre Il de la Constitution de l’ile Maurice (la « Constitution »).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter ; à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. Sous la section 12 (2) de la Constitution, la protection de la liberté d’expression est limitée par l’ordre public et la vie privée d’autrui.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est définie sous la section 12 (1) de la Constitution comme suit — « freedom to hold opinions and to receive and impart ideas and information without interference, and freedom from interference With his correspondence ».
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition sous la Section 12 de la Constitution ne diffère pas de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques. La provision sous la Section 12 de la Constitution peut être interprétée comme étant dérivée et inspirée des provisions de la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Non, la liberté d’expression est un droit en elle-même. Aucune déclinaison de la liberté d’expression n’a été expressément prescrite par notre jurisprudence.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Sous la section 185 du Code pénal, les actes constituant « outrage on religious worship » sont pénalisés.
En outre, sous la section 206 (1) du Code pénal, les actes constituants « outrage against public d’expression sous la section 12 de la Constitution envers la section 206 du Code pénal dans l’affaire Hosany l. v The State 2016 SCJ 501. La Cour Supreme a constaté que la prohibition sous la section 206 relève des limitations prescrites sous la Section 12 (2) de la Constitution et que la Section 206 est conforme à la Section 12 de la Constitution.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est reconnue comme un droit constitutionnel sous réserve des limitations précises mises en place par la Constitution comme suit —
« 12. Protection of freedom of expression
Except With his own consent, no person shall be hindered in the enjoyment of his freedom of expression, that is to say, freedom to hold opinions and to receive and impart ideas and information without interference, and freedom from interference With his correspondence.
- Nothinq contained in or done under the authority of anv law shall be held to be inconsistent With or in contravention of this section to the extent that the law in question makes provision—
- in the interests of defence, public safety, public order, public moralitv or public health•
- for the purpose of protectinq the reputations, riqhts and freedoms of other persons or the private lives of persons concerned in leqal proceedinqs, preventinq the disclosure of information received in confidence, maintaininq the authoritv and independence of the Courts, or requlatinq the technical administration or the technical operation of telephonv, teleqraphv, posts, wireless broadcastinq, television, public exhibitions or public entertainments;
for the imposition of restrictions upon public officers,
except sofar as that provision or, as the case may be, the thing done under its authority is shown not to be reasonablyjustifiable in a democratic society. »
La liberté d’expression est de même restreinte par d’autres lois comme suit —
- Section 46 and Section 47 of the Information and Communications Technologies Act 2001;
- Section 17,19,20,21,23 and 24 of the Cybercrime and Security Act 2023; et
- Data Protection Act
Ent outre, la liberté d’expression médiatique peut être limitée par des pouvoirs juridiques (injonctions, actions pour diffamation) et pendant que se déroulent devant les tribunaux (sub judice rule).
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est applicable à tous les sujets de l’État (privés et publiques). La liberté d’expression est reconnue comme un droit constitutionnel sous réserve des limitations précises mises en place sous la Constitution.
Les limitations comprennent également les limitations sur les agents de l’État. Ses limitations se trouvent sous Article 12 (2) (c) et plus précisément sous le « Official Secrets Act 1972 »
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression est reconnue comme un droit constitutionnel sous réserve des limitations précises mises en place par la Constitution. Les limitations comprennent des limitations sur les agents de l’État exerçant leurs fonctions sous Article 12 (2) (c) et plus précisément sous le « Official Secrets Act 1972 ».
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est ancrée dans la Constitution de l’île Maurice dès 1968, mais l’origine de cette liberté fondamentale remonte à la nuit des temps, comme l’indique la section 3 de notre Constitution.
Section 3. Droits fondamentaux et libertés individuelles.
Il est reconnu et proclamé qu’il a existé et qu’il continue d’exister à Maurice, sans discrimination à raison de la race, du lieu d’origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe, mais dans le respect des droits et libertés d’autrui et de l’intérêt public, tous les droits de l’homme et libertés fondamentales suivants
- le droit de tout individu à la vie, à la liberté, à la sécurité personnelle, et à la protection de la loi
- la liberté de conscience, d’expression, de réunion et d’association, et la liberté de fonder des établissements scolaires ,
- le droit de tout individu à la protection de l’intimité de son domicile contre toute atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans compensation.
Les dispositions du présent chapitre auront effet pour assurer la protection des dits droits et libertés sous réserve des limitations prévues par ces mêmes dispositions, limitations destinées à assurer que l’exercice des dits droits et libertés par un individu ne porte atteinte aux droits et libertés d’autrui ou à l’intérêt public.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Comme indiqué précédemment, la liberté d’expression, figure parmi une des libertés protégées par notre Constitution, et a, donc une place prépondérante dans notre jurisprudence. Elle constitue également l’un des fondements essentiels d’une société démocratique
Article 12. de la liberté d’expression.
- Sauf avec son propre consentement, il ne sera porté aucune entrave au droit de quiconque à la liberté d’expression, c’est-à-dire la liberté d’opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans ingérence, et le droit au secret de la correspondance.
- Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire au présent article, dans la mesure où cette loi prévoit des dispositions
- a) Dans l’intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité publique ou de la santé publique
- b) Dans le but de protéger la réputation, les droits et libertés d’autrui ou la vie privée de personnes appelées à un procès, empêchant la divulgation d’informations confidentielles, pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ou l’organisation de l’administration technique ou le bon fonctionnement des postes, télégraphes ou téléphones, de la radiodiffusion, de la télévision, des spectacles ou divertissements publics
- c) Pour l’imposition de restrictions à des fonctionnaires publics, sauf s’il est établi que cette disposition ou, selon le cas, son application, n’est pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Notre constitution fait mention des « droits fondamentaux » et des « libertés individuelles », sans pour autant en dresser une hiérarchie entre les deux. Cependant, il est à noter que l’exercice de ces libertés n’est pas absolu, car elles sont sujettes à des limitations prescrites par la Constitution elle-même.
- La protection accordée par votre jurisprudence de la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Il n’y a pas eu de grand revirement dans la jurisprudence par rapport à la liberté d’expression, qui a été une des libertés fondamentales avant 1968 et cette position demeure inchangée jusqu’à présent.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
L’évolution des mœurs de la société, l’ascension à de nouveaux traités/ conventions/ protocoles a un impact sur le concept de la liberté d’expression et conséquemment sur l’approche de la jurisprudence.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Notre système juridique suit la règle du précédent (stare decisis), ce qui veut dire que les arrêts des juridictions supérieures font jurisprudence et que les principes généraux du droit dégagés par cette jurisprudence sont des règles prétoriennes obligatoires pour toutes les juridictions inférieures.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Il est à noter que les jurisprudences provenant d’ailleurs n’établissent pas un précédent ayant force obligatoire, mais ont une valeur persuasive. Surtout en matière des libertés fondamentales, les jurisprudences régionales et internationales sont régulièrement citées, vu le fait que ces droits fondamentaux s’inspirent largement de la Déclaration universelle des droits de l’homme et aussi du fait que Maurice soit signataire aux divers traités internationaux (par exemple international Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR)). Bien évidemment, la cour est en mesure d’adapter ces jurisprudences selon les spécificités de notre système juridique.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’expression est loin d’être un droit absolu. La Constitution elle-même prévoit des circonstances, où cette liberté peut être sujette à des limitations dans le but de maintenir l’ordre public, la moralité et aussi dans le but d’empêcher des entraves à la liberté de la vie privée d’autres individus.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression conduit à protéger davantage la liberté de l’individu, qui est un des fondements d’une société démocratique.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La Cour Suprême a statué dans l’arrêt Madhewoo, que le critère général est celui établi par la Cour européenne des droits de l’homme, et a ainsi retenu qu’une ingérence sera considérée comme nécessaire dans une société démocratique pour atteindre un but légitime si elle répond à un besoin social impérieux et notamment si elle est proportionnée au but légitime poursuivi et si les raisons avancées par les autorités nationales pour la justifier sont pertinentes et suffisantes.
Il est aussi nécessaire de citer l’affaire du Directeur des Poursuites publiques c. Boodhoo [1992 MR 2841 où la Cour Suprême a retenu que :
« freedom of expression constitutes one of the essential foundations of a democratic society. Because its irresponsible use and unbrid/ed abuse can nevertheless jeopardise those very foundations, this important norm is expressed to carry « With it specia/ duties and responsibi/ities » as proc/aimed in article 19 of the International Covenant on Civil and Political Rights and article 10(2) of the European Convention on Human Rights. For the same reason, this fundamental right, in common With certain other fundamental rights, is not absolute but is subject to limitations which the international community in its human rights instruments has considered to be necessary in a democratic society. These limitations are incorporated in express terms in section 12(2)(a), (b) and (c) of our Constitution which sets out the specific aims of those limitations but which subjects those limitations themselves to the governing norm of what is reasonably justifiable in a democratic society.
The necessity of any constitutionally permissible limitations must, like al/ derogations, be narrowly construed and must respond to what has generally been understood to be a « pressing social need ». Thus, the application in practice of limitations which are permissible in principle must be closely monitored so as to ensure that they stay, in any particular case, within the limits proportionate to the leaitimate aim pursued.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et I’ordre public ? Dans quelle mesure I’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Article 12, Alinéa 2 (a) limite la liberté d’expression dans certains cas précis, incluant dans l’intérêt de l’ordre public.
- Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire au présent article, dans la mesure OCI cette loi prévoit des dispositions.
- a) dans l’intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité publique ou de la santé publique.
- Avez-vous recours å d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Oui, en effet, une personne peut intenter une action pour diffamation. L’état peut également intenter une action au pénal s’il y a eu une infraction des lois limitant la liberté d’expression, telles que sous la section 46 de l’information and Communication Technologies Act (ICTA), les provisions relatives å la cyberbullying, l’utilisation abusive de faux profils, ainsi de suite, dans la nouvelle loi de 2021, la Cybersecurity and Cybercrime Act.
Sous thème 3 : la liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les circonstances conduisant l’État à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression sont la prise en compte de la sécurité nationale, de l’ordre public et de la protection des droits individuels.
À titre d’exemple, les réservations et limitations à la liberté d’expression peuvent être justifiées pour prévenir les discours haineux, la diffamation ou l’incitation à la violence, pour protéger les droits et la réputation des individus, pour régulariser la liberté d’expression sur les réseaux sociaux et pour maintenir l’harmonie sociale dans le pays.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Le départ entre la liberté d’expression et la censure repose sur la légitimité et la proportionnalité des conditions de censure. La liberté d’expression implique le droit fondamental de s’exprimer sans interférences ou restrictions, tandis que la censure consiste généralement de restrictions imposées par les autorités. Ces restrictions doivent être des mesures légitimes, proportionnelles et justifiées dans une démocratie, et certainement pas arbitraires.
La liberté d’expression est favorisée tant qu’elle n’implique pas la communication de fausses allégations ou de faits faux susceptibles de nuire à la réputation d’une personne, ou la diffamation. Les lois concernant la diffamation sont établies pour équilibrer la liberté d’expression avec la protection des droits individuels. Elles définissent des critères spécifiques en ce qui concerne les éléments de diffamation et imposent des sanctions où il y a lieu de sanctionner.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les textes restrictifs de la liberté d’expression doivent être précis et clairs. Ils sont interprétés de façon restrictive dans la mesure où une interprétation favorisant la liberté d’expression sera préférée tant que cette interprétation ne porte pas atteinte à la sécurité nationale, de l’ordre public et de la protection des droits individuels.
Il existe l’Information and Communication Technologies Act 2001 (I’ICTA) qui régularise la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. La Cour Supreme de l’Ile Maurice a statué dans le cas de Seegum v The State of Mauritius 2021 SCJ 162 que :
« We hold that section 46(h)(ii) of ICTA (as it stood at the time of the commission of the present offences), in so far as it relates to the offence of using an information and communication service for the purpose of causing annoyance, for which the appellant was prosecuted, must be struck down as unconstitutional, being in breach of the principle of legality implied under section 10(4) of the Constitution. »
La nouvelle loi de décembre 2021 (Cybersecurity and Cybercrime Act) voit maintenant les premières affaires en cours, et le temps nous en dira plus.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Tant que la liberté d’expression porte atteinte à la sécurité nationale, à l’ordre public et à la protection des droits des personnes, elle est abordée de la même façon. Il existe des sanctions pénales qui sanctionnent les délits commis dans l’exercice de l’usage de la liberté d’expression, que ce soit en présence ou sur les réseaux sociaux.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Il en va de la pratique générale qu’il n’y ait pas de propagande 48 heures avant les élections pour ne pas corrompre l’esprit des électeurs.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Un traitement spécifique n’est pas réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères. Or, dans la mesure où ces ingérences étrangères peuvent nuire à l’harmonie sociale dans le pays, L’État peut mettre en place des lois pour régulariser le droit à la liberté d’expression.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Non, la liberté d’expression ne connait pas généralement des restrictions particulières en période de troubles. Or, si la liberté d’expression nuit à l’harmonie sociale dans le pays, l’ordre public ou la sécurité publique, L’État peut mettre en place des lois ou règlements pour régulariser le droit à la liberté d’expression. Les outils qu’utilisera l’État doivent être légitimes, proportionnels et justifiés aux mesures requises en période de trouble et à la situation de trouble qui perdure.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Oui, il semble que la définition de la notion d’ordre public doit être plus restrictive de la liberté d’expression. Les restrictions au nom d’ordre public doivent être conformes aux normes internationales, aux droits de l’homme, doivent être nécessaires, proportionnées et temporaires. L’État doit équilibrer la nécessité de maintenir l’ordre public avec le respect des droits fondamentaux des citoyens.
L’ordre public, semble-t-il, est un concept qui évolue avec les bonnes mœurs du pays. L’ordre public ‘de base’ a changé et continue à changer, aujourd’hui, face au mouvement d’une certaine autonomie de la volonté qui conduit à construire un nouvel ordre public, apparemment de protection, mais qui traduit tout de même une certaine conception de la société considérée, notamment quant à ce qu’il est convenu d’appeler les « droits de l’Homme ». Ces droits de l’homme étant ancrés dans la Constitution de l’Ile Maurice, il faut tout de même faire la part des choses entre l’ordre public ‘de base’ et les droits de l’homme (qui quelque part forment aussi partie de l’ordre public).
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
En cas de période de troubles, mon rôle est de veiller à ce que le droit fondamental de la liberté d’expression soit respecté. Dans la mesure où L’État imposera une mesure de censure, mon rôle est de veiller à ce que cette mesure soit légitime, proportionnelle et justifiée. L’Ile Maurice étant plutôt paisible, nous ne connaissons pas fréquemment des périodes de troubles.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Oui. La liberté d’expression est un droit ancré dans la Constitution de l’Ile Maurice. Or, toute personne qui allègue que son droit à liberté d’expression est bafoué doit saisir la Cour Supreme.
La section 12 de la Constitution est comme suit :
- Protection of freedom of expression.
- Except With his own consent, no person shal/ be hindered in the enjoyment of his freedom of expression, that is to say, freedom to hold opinions and to receive and impart ideas and information without interference, and freedom from interference With his correspondence.
- Nothing contained in or done under the authority of any law sha/l be held to be inconsistent With or in contravention of this section to the extent that the law in question makes provision—
in the interests of defence, public safety, public order, public morality or public health;
- for the purpose of protecting the reputations, rights and freedoms of other persons or the private lives of persons concerned in legal proceedings, preventing the disc/osure of information received in confidence, maintaining the authority and independence of the Courts, or regulating the technical administration or the technical operation of telephony, telegraphy, posts, wireless broadcasting, television, public exhibitions or public entertainments; or
- for the imposition of restrictions upon public officers,
except so far as that provision or, as the case may be, the thing done under its authority is shown not to be reasonablyjustifiable in a democratic society.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, la liberté d’expression est certes un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique — elle permet des échanges d’idées constructives et elle permet de dévoiler des fléaux sociaux et la réalité sur le fait des choses.
Elle doit certainement être encouragée, dans les limites des paramètres acceptés.
Conseil constitutionnel de Mauritanie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Il n’existe pas de déclaration de droits en la matière, mais l’article 10 de notre constitution consacre la liberté d’expression en ces termes : « L’État garantit à tous les citoyens les libertés publiques et individuelles, notamment la liberté d’opinion et de penser ; la liberté d’expression. »
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui, l’alinéa 2 du même article prévoit que : « La liberté ne peut être limitée que par une loi ». Autrement dit, en termes positifs, la liberté d’expression peut être limitée par la loi.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est définie comme suit dans les instruments internationaux incorporés dans le droit national : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de rechercher, de recevoir et répandre les informations et les idées par quelque moyen que ce soit. Art 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 » ou « le droit à l’information, le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions. Article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 28 juin 1981 » ou encore « la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées. Article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ». Ces dispositions incorporées dans le Préambule de la Constitution complètent le cadre juridique de la liberté d’expression qui peut être définie comme la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ? Non
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
1.Oui, la liberté d’expression est la manifestation de la liberté de pensée, qui engendre elle-même d’autres libertés connexes, telles que celles permettant la formation de l’opinion et de son expression. La liberté d’expression recouvre donc d’autres libertés substantielles qui permettent l’exercice d’autres droits et libertés.
2.Sans objet
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ? Non
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire ,régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est plus restreinte dans les domaines militaire, régalien et juridictionnel pour les magistrats et juges constitutionnels
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue aux citoyens, personnes physiques, mais aussi aux syndicats, aux partis politiques et aux médias. Si son contenu semble être le même, son encadrement peut se révéler plus strict pour les grands corps de l’État, contrairement à la presse. En effet, le droit à l’information et la liberté de la presse sont considérés comme corolaires de la liberté d’expression et droits inaliénables du citoyen (Art 2 de l’ordonnance 017-2006).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les agents de l’État et établissements publics à caractère administratifs sont soumis à l’obligation d’impartialité, de neutralité et de discrétion, qui interdit l’information et la communication de faits et documents dont ils ont la connaissance dans l’exercice de leurs fonctions (Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ; décret n°0213-2017 du 30 mai 2017)
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
En l’état, notre juridiction ne connait pas de contentieux relatif à la liberté d’expression, les justiciables se contentant des procédures classiques devant les juridictions de droit commun
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ? Sans objet
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ? Sans objet
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ? Sans objet
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ? Sans objet
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ? Sans objet
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ? Sans objet
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ? Sans objet
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ? Sans objet
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ? Sans objet
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ? Sans objet
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ? Sans objet
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Nonobstant l’absence de jurisprudence de la juridiction constitutionnelle dans ce domaine, la menace imminente sur les institutions, ou sur l’indépendance de la nation ou sur l’intégrité du territoire, peut conduire à réserver un régime particulier à la liberté d’expression, lorsque le fonctionnement normal des pouvoirs publics constitutionnels est entravé (art 39 de la Const.).
Il en est de même en cas de troubles graves à l’ordre public (art 71 de la Const.).
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation? Sans objet
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Les articles 83 et 84 de la loi n°2013-025 portant sur les communications électroniques sont en effet assez restrictifs de la liberté d’expression. Notre juridiction n’a pas cependant été, à présent, mise en situation de se prononcer.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ? Sans objet.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ? Non.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ? Non.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ? Sans objet.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ? Sans objet
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
En tant que gardienne de la stabilité de l’ordre constitutionnel et de la démocratie.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ? Oui
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Conçue comme l’un des piliers fondamentaux du processus démocratique, la liberté d’expression permet une expression encadrée des opinions et une participation active des citoyens pour bâtir une société plurielle et tolérante.
Cour constitutionnelle de Moldavie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est protégée par l’article 32 de la Constitution de 1994 et par la loi sur la liberté d’expression de 2010.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Le texte de l’article de la Constitution qui proclame la liberté d’expression fixe également ses limites. Ainsi « la liberté d’expression ne peut porter atteinte à l’honneur, à la dignité ou au droit d’autrui à sa propre vision. La contestation et la diffamation de l’État et du peuple, l’incitation à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial, à la violence publique, ainsi que d’autres manifestations menaçant le régime constitutionnel sont interdites et punies par la loi. ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Selon la Constitution, « tout citoyen se voit garantir la liberté de pensée, d’opinion, ainsi que la liberté d’expression en public par la parole, l’image ou tout autre moyen possible ».
La loi sur la liberté d’expression dispose que : « (1) Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit inclut la liberté de rechercher, de recevoir et de communiquer des faits et des idées. (2) La liberté d’expression protège tant le contenu que la forme des informations exprimées, y compris les informations qui offensent, choquent ou dérangent. »
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La République de Moldova est partie à la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour constitutionnelle transpose donc la définition et le contenu de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression est un droit essentiel dans le système constitutionnel de la République de Moldova. En même temps, étant un droit qui peut affecter substantiellement les droits d’autrui, il interfère avec le champ d’application d’autres droits.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le principe de laïcité fait partie de l’identité constitutionnelle de la République de Moldavie, qui oblige l’État à adopter une attitude neutre dans le fonctionnement des cultes religieux, garantissant ainsi le respect des droits fondamentaux de chacun. La laïcité présuppose l’existence d’un pluralisme dans le système de valeurs, la protection égale des personnes religieuses et non religieuses et exige une attitude neutre de la part de l’État envers les deux catégories.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions fondamentales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Toutefois, toute limitation de cette liberté doit être justifiée de manière convaincante. La justification de la limitation doit se faire à la lumière du critère de proportionnalité, imposé par l’article 54 de la Constitution, critère qui exige, entre autres, que les raisons avancées par le législateur soient pertinentes et suffisantes.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
Tout le monde a le droit à la liberté d’expression. Ce droit inclut la liberté de rechercher, de recevoir et de communiquer des faits et des idées. La liberté d’expression protège à la fois le contenu et la forme des informations exprimées, y compris les informations qui offensent, choquent ou dérangent.
Aussi, la protection garantie par la liberté d’expression s’étend également aux fonctionnaires. Mais en même temps, même si ces personnes bénéficient de la protection de la liberté d’expression, il est légitime que l’État les soumette, en raison de leur statut, à une obligation de réserve. Un juste équilibre doit être maintenu entre l’obligation de réserve et la liberté d’expression des fonctionnaires, qui satisfait à l’exigence de nécessité d’ingérence dans une société démocratique.
Le degré de notoriété des personnes concernées et des sujets des informations demandées constitue un autre critère important pour évaluer les limites de la liberté d’expression. À cet égard, une distinction doit être faite entre les personnes privées et les personnes agissant dans un contexte public, telle que les personnalités politiques ou publiques. Par conséquent, il faut distinguer la présentation de faits susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique, concernant des hommes politiques dans l’exercice de leurs fonctions officielles, et la présentation d’une personne n’exerçant pas de telles fonctions.
Selon la loi sur la liberté d’expression, « l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis aux restrictions prévues par la loi, nécessaires dans une société démocratique pour la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sûreté publique, pour défendre l’ordre et prévenir les délits, pour protéger la santé et la moralité, la réputation ou les droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.»
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les personnes publiques et les personnes physiques exerçant des fonctions publiques ont droit au respect de la vie privée et familiale (loi sur la liberté d’expression).
Les informations sur la vie privée et familiale des personnes publiques et des personnes physiques exerçant des fonctions publiques peuvent être divulguées si ces informations présentent un intérêt public. La diffusion des informations concernées ne doit pas entraîner de dommages injustifiés à des tiers.
Si des personnalités publiques et des personnes physiques exerçant elles-mêmes des fonctions publiques attirent l’attention sur des aspects de leur vie privée et familiale, les médias ont le droit d’enquêter sur ces aspects.
Il est interdit aux militaires, pendant leur service militaire, d’exprimer publiquement des opinions contraires aux intérêts de la défense nationale (Loi relative au statut des militaires).
Les personnes exerçant des fonctions publiques peuvent faire l’objet de critiques, et leurs actions, de vérifications par les médias, quant à la manière dont elles ont exercé ou exercent leurs fonctions, dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir la transparence et l’exercice responsable de leurs fonctions et devoirs.
Afin d’évaluer la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression, un certain nombre de facteurs doivent être pris en compte. Premièrement, il doit accorder une attention particulière à l’intérêt public présenté par les informations divulguées. Le deuxième facteur à considérer dans cet exercice de mise en balance est l’authenticité des informations divulguées.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est consacrée dans la Constitution de 1994. Depuis la création de la Cour constitutionnelle en 1995, la jurisprudence constitutionnelle couvre la liberté d’expression.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La liberté d’expression est un droit essentiel dans le système constitutionnel de la République de Moldavie. Lorsqu’elle examine les renvois relatifs à la liberté d’expression, la Cour analyse la nature de « l’ingérence » dans la liberté d’expression, telle que protégée par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Dans sa jurisprudence, la Cour a établi que toute limitation de la liberté d’expression doit être justifiée de manière convaincante. La justification de la limitation doit se faire dans le respect du critère de proportionnalité, imposé par l’article 54 de la Constitution, critère qui exige, entre autres, que les raisons avancées par le législateur soient pertinentes et suffisantes.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
L’évolution du contrôle de constitutionnalité en matière de liberté d’expression est déterminée par l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Parallèlement, à partir de 2016, depuis que l’institution de l’exception d’inconstitutionnalité s’est développée, la Cour vérifie l’incidence du droit revendiqué par l’auteur de l’exception d’inconstitutionnalité et s’il y a une ingérence dans le droit fondamental.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Il s’agit tout d’abord de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, dans laquelle l’existence d’une violation du droit à la liberté d’expression est constatée en raison d’une loi adoptée par le Parlement de la République de Moldavie ou, dans des affaires contre d’autres États, en raison d’une loi similaire à la loi de la République de Moldavie.
Deuxièmement, les circonstances de la vie actuelle qui impliquent des changements de mentalité au sein de la société, des changements technologiques, etc.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La jurisprudence constitutionnelle s’impose à tous les tribunaux et à toutes les autorités de l’État.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Convention européenne et la jurisprudence de la Cour européenne prévalent sur le droit national. Lors de l’examen des saisines, la Cour applique les normes issues de la jurisprudence européenne. En outre, la Cour s’inspire de la jurisprudence des tribunaux de juridiction constitutionnelle d’autres États.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Les ingérences dans la liberté d’expression peuvent prendre la forme d’un large éventail de mesures qui se manifestent généralement dans le contexte d’une formalité, de conditions, de restrictions ou de sanctions. Lors de l’examen des saisines, on implique la mise en balance du droit à la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information, ou le droit à la vie privée, ou la liberté de conscience, etc.
Ainsi, la Cour a souligné que le droit d’accès à l’information d’intérêt public constitue une lex specialis, liée au droit à la libre expression, qui en représente le cadre général. Le lien entre ces droits est particulièrement pertinent lorsque les autorités de l’État interfèrent avec le droit d’accès à l’information, car la demande d’accès à l’information est présentée en vue de la communiquer au public. Lors de la mise en balance de ces droits concurrents, les critères suivants sont pris en compte : la contribution des informations demandées à un débat d’intérêt public ; le degré de notoriété des personnes concernées par les informations demandées ; le contenu, la forme et les conséquences de la publication de l’information ; d’autres critères pertinents au cas.
Analysant la concurrence entre la liberté d’expression et la liberté de réunion, la Cour a noté que cette dernière doit être considérée comme une lex specialis.
À une autre occasion, la Cour a mentionné que le maintien d’une attitude neutre à l’égard de la religion est un principe établi depuis la fondation de la République de Moldavie, c’est pourquoi les cultes religieux s’abstiendront d’exprimer ou de manifester publiquement leurs préférences politiques ou de favoriser un parti politique ou une organisation sociopolitique.
De même, l’exercice de la liberté d’expression ne peut porter atteinte à l’honneur, à la dignité ou au droit de la personne à sa propre vision en tant qu’éléments de la vie privée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La personne bénéficie de la liberté d’expression. L’État ne bénéficie pas de la protection de la liberté d’expression. En outre, la législation nationale consacre la liberté de critiquer l’État, les autorités publiques et les personnes exerçant des fonctions publiques. Les personnes exerçant des fonctions publiques peuvent faire l’objet de critiques. Leurs actions peuvent faire l’objet de vérifications par les médias, quant à la manière dont elles ont exercé ou exercent leurs fonctions, dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir la transparence et l’exercice responsable de leurs devoirs.
En même temps, la norme constitutionnelle prévoit que l’exercice de la liberté d’expression ne peut porter atteinte à l’honneur, à la dignité ou au droit de la personne à sa propre vision.
Toutefois, la protection de l’intérêt public constituerait un critère de restriction de la liberté d’expression si elle est liée à des questions affectant le public dans une mesure telle qu’elle pourrait affecter le bien-être des citoyens ou la vie de la communauté. En ce sens, la norme constitutionnelle permet aux pouvoirs publics d’interdire et de punir par la loi les actions de contestation et de diffamation de l’État et du peuple, l’incitation à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial, à la violence, ainsi que d’autres manifestations qui attaquent le régime constitutionnel.
Dans sa jurisprudence, la Cour a noté que l’affichage d’un symbole associé à un mouvement ou une entité politique exprime l’adhésion à une idée et relève de la protection de la liberté d’expression. Lorsque le droit à la liberté d’expression s’exerce dans le contexte du discours politique à travers l’utilisation de symboles, une attention particulière doit être accordée à toute restriction, en particulier si des symboles ayant des significations multiples sont utilisés. Une distinction essentielle doit être établie entre les expressions choquantes et offensantes et celles qui perdent leur droit à être tolérées dans une société démocratique.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
La Cour analyse si les limitations à l’exercice de la liberté d’expression établies par les dispositions contestées répondent aux exigences de qualité de la loi (si l’ingérence est prévue par la loi), si elles poursuivent un but légitime, si elles atteignent, une fois mises en œuvre, le but en question et s’ils sont nécessaires et proportionnés au but poursuivi.
Toute limitation de la liberté d’expression doit être justifiée de manière convaincante. La justification de la limitation doit se faire à la lumière du critère de proportionnalité, imposé par l’article 54 de la Constitution de la République de Moldavie, critère qui exige, entre autres, que les raisons avancées par le législateur soient pertinentes et suffisantes.
Par ailleurs, le contrôle de la qualité de la loi limitant la liberté d’expression de l’individu est nécessaire pour garantir la prévisibilité de son comportement, et la portée des restrictions établies par la loi ne doit pas être étendue au détriment de la personne ou appliquée par analogie. Dans cette perspective, la Cour analyse l’intention du législateur lors de l’adoption de la loi qui établit les limitations, mais aussi la perception du titulaire des droits (par exemple, quel est le but poursuivi par l’individu en affichant en public certains symboles interdits par la loi).
En référence au but poursuivi par la limitation de la liberté d’expression, la Cour analyse si les limitations pourraient avoir des connotations multiples. Sous cet aspect, le législateur doit prendre en compte la multitude et la complexité des situations qui peuvent survenir dans la pratique lors de l’établissement des limitations. Dans sa jurisprudence, la Cour a estimé que l’exposition publique de symboles interdits par le droit national, en l’absence d’autres actions dénotant un soutien aux idées totalitaires, ne peut être assimilée à une promotion d’idéologies totalitaires, dangereuses pour la société. Cela représente donc une limitation de la liberté d’expression. (voir décision n°28 du 23 novembre 2015)
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
L’article 54 de la Constitution de la République de Moldavie dispose que l’exercice des droits et libertés peut être soumis aux restrictions prévues par la loi, nécessaires dans une société démocratique pour la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sûreté publique, pour défendre l’ordre et prévenir les délits, pour protéger la santé et la moralité, la réputation ou les droits d’autrui, empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Ainsi, la diffusion et/ou l’utilisation publique de symboles fascistes, racistes ou xénophobes, la propagation et/ou l’utilisation de symboles fascistes à des fins politiques, ainsi que la promotion d’idéologies fascistes, racistes ou xénophobes et/ou la négation de l’holocauste sont sanctionnées conformément à la législation en vigueur. Les garanties concernant la liberté d’expression ne s’étendent pas aux discours incitant à la haine ou à la violence.
La nécessité de toute restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit être établie de manière convaincante. La Cour décide si les raisons avancées dans la loi pour justifier la restriction sont « pertinentes et suffisantes » pour protéger l’ordre public.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Dans le processus d’exercice de contrôle concernant la justification d’une ingérence dans la liberté d’expression, la Cour applique les critères issus de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, notamment : Contribution à un débat d’intérêt général ; la nature et le contenu du discours et son impact potentiel ; la sévérité de la sanction.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
L’état d’urgence adopté dans l’État détermine le régime juridique appliqué à la liberté d’expression. À l’époque du Covid ou de la guerre en Ukraine, certaines sources journalistiques ont été bloquées en raison des fausses informations qu’elles rapportaient.
La Cour a reconnu le fait que les autorités de la République de Moldova ont l’obligation de lutter activement contre les opérations d’information hostiles contre la société, ainsi que l’obligation d’assurer l’information correcte des citoyens. (Voir point 6 ci-dessous)
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Conformément à la loi, l’indépendance éditoriale des médias est reconnue et garantie par loi, mais la censure est interdite. Il est interdit de s’immiscer dans l’activité éditoriale des médias, sauf dans les cas prévus par la loi. Si l’ingérence est prévue par la loi, elle doit être interprétée de manière restrictive.
De même, la création d’autorités publiques pour le contrôle préalable des informations à diffuser par les médias n’est pas autorisée. L’obligation imposée par le tribunal par une décision définitive de diffuser ou de ne pas diffuser une information ne constitue pas une censure.
La censure dans les médias publics, ainsi que l’entrave intentionnelle et illégale à l’activité des médias, engagent la responsabilité pénale.
En matière de diffamation, toute personne a le droit de défendre son honneur, sa dignité et sa réputation professionnelle endommagés par la diffusion de fausses informations sur les faits, de jugements de valeur sans fondement factuel suffisant ou par des injures.
Personne ne peut être tenu responsable du style humoristique et satirique si son utilisation n’induit pas le public en erreur sur les faits.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
La Cour applique toujours le test de proportionnalité en cas de restriction de l’exercice du droit à la liberté d’expression. La Cour vérifie si la mesure juridique contestée poursuit un but légitime, si elle présente un lien rationnel avec ce but légitime, s’il n’existe pas d’autres mesures moins intrusives permettant également d’atteindre le but légitime poursuivi et s’il existe un juste équilibre entre les intérêts concurrents.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Compte tenu de l’importance croissante accordée à la séparation des pouvoirs et de l’importance de sauvegarder l’indépendance du pouvoir judiciaire, la Cour a estimé que l’ingérence dans la liberté d’expression d’un juge nécessite une analyse détaillée. La Cour constitutionnelle a appliqué le critère de la Cour européenne des droits de l’homme selon lequel l’exclusion du juge du pouvoir judiciaire à la suite de déclarations faites dans la presse viole le droit à la liberté d’expression, consacré à l’article 10 de la Convention, est extrêmement sévère et susceptible de produire un effet « décourageant » sur les juges qui auraient voulu participer au débat public sur l’efficacité des institutions judiciaires. La Cour Constitutionnelle a établi dans sa jurisprudence que dans le cas d’un Président de la Cour Constitutionnelle, il ne peut s’agir de dépasser les limites du droit à la libre expression dans le cas de son interview dans des émissions de télévision concernant les décisions adoptées par la Cour constitutionnelle. En outre, il est du devoir du président de la Cour d’expliquer l’activité de la Cour constitutionnelle. (Décision de la Cour Constitutionnelle n°20 du 23 mars 2016)
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Dans sa jurisprudence, la Cour a considéré que l’objectif de neutralité politique des organisations non commerciales pendant la campagne électorale relève de la notion d’«ordre public», en tant que fondement de la limitation du droit d’expression consacré par la Constitution. La fourniture de services gratuits par des organisations non commerciales aux concurrents électoraux pendant la campagne électorale a été admise par la Cour comme une forme de soutien politique au sens de la liberté d’expression. Dans cette affaire, la Cour a jugé que l’application de l’interdiction d’offrir de services par les organisations non commerciales repose sur le fait que, contrairement aux organisations commerciales, elles peuvent bénéficier des facilités offertes par l’État. Afin d’accorder ces avantages légaux, le législateur a demandé aux organisations non commerciales de faire preuve de neutralité politique pendant la campagne électorale. (Arrêt n° 6 du 10 mars 2022).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Cour a qualifié constitutionnelle, l’interdiction établie par la loi de transmettre des programmes de télévision et de radio à contenu informatif, informatif-analytique, militaire et politique qui ne sont pas produits dans les États membres de l’Union européenne, aux États- Unis d’Amérique, au Canada ou dans les États qui ont ratifié la Convention européenne sur la télévision transfrontalière, qui représente une mesure générale et s’applique à des situations prédéterminées, quelles que soient les circonstances de chaque cas individuel (Arrêt n°16 du 4 juin 2018).
La raison de ces limitations résidait dans la nécessité de former une opinion publique correcte par le biais d’institutions médiatiques susceptibles de créer de l’extérieur une image déformée de la politique intérieure de l’État.
Les principes de communication audiovisuelle établis dans le Code de l’audiovisuel étaient applicables uniquement aux radiodiffuseurs et distributeurs de services relevant de la juridiction de la République de Moldova et ne pouvaient produire d’effets concernant les services de programmes des radiodiffuseurs ou les services des distributeurs relevant de la juridiction d’autres États.
La Cour a admis que les autorités de la République de Moldova ont l’obligation de lutter activement contre les opérations d’information hostiles contre la société, ainsi que l’obligation de garantir une information correcte aux citoyens.
Dans cette affaire, la Cour a accepté l’interdiction de diffuser uniquement les services de programmes diffusés à la radio et à la télévision, et non sur Internet.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Selon la loi, pendant l’état d’urgence, de siège ou de guerre, en fonction de la gravité de la situation qui a déterminé son instauration, l’exercice de certains droits ou libertés des citoyens peut être restreint, si nécessaire, conformément au texte de la Constitution.
La restriction en question doit être conforme aux obligations résultant des traités internationaux sur les droits fondamentaux auxquels la République de Moldova est partie et ne peut impliquer une discrimination de personnes ou de groupes de personnes uniquement pour des raisons de race, de nationalité, de langue, de religion, de sexe, convictions politiques ou origine sociale.
Par exemple, dans l’arrêt no. 15 du 28 avril 2021, la Cour a jugé que la compétence du Parlement pour déclarer l’état d’urgence n’est pas illimitée. Parce que cette mesure implique des limitations substantielles des droits fondamentaux. Le Parlement doit justifier dans quelle mesure les pouvoirs ordinaires de l’exécutif sont insuffisants pour surmonter la situation de crise, et d’autre part, dans quelle mesure l’augmentation des pouvoirs du pouvoir exécutif peut compenser la carence en question.
Cette obligation du Parlement résulte de l’obligation constitutionnelle générale des autorités de motiver leurs propres décisions et est dictée par la culture de la justification, dans laquelle tout exercice du pouvoir doit être justifié.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
En général, la portée des politiques publiques reste la même. Cependant, cet intérêt peut avoir un poids différent lors de situations exceptionnelles. Cet intérêt peut donc peser davantage lorsqu’il entre en conflit avec la liberté d’expression.
Ainsi, dans l’arrêt n°9 du 11 avril 2023, la Cour estime que l’interdiction d’utiliser des symboles généralement connus qui sont utilisés dans le cadre d’actions d’agression militaire, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, ainsi que de propagande ou la glorification de ces actes, peut être justifiée par le but légitime d’assurer la sécurité nationale, l’ordre public et les droits d’autrui.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
La Cour est la seule autorité et a la plus grande légitimité pour censurer d’éventuels abus du pouvoir législatif envers l’exercice du droit à la liberté d’expression, grâce à sa compétence pour déclarer inconstitutionnelles les lois qui violent ce droit.
Par exemple, dans l’arrêt n° 17 du 23 juin 2020, la Cour a délimité les pouvoirs entre le législatif et l’exécutif pendant l’état d’urgence. La Cour a établi que l’état d’urgence est un régime juridique régi par le principe de légalité de l’administration, fondé sur l’État de droit. La Constitution n’interdit pas au Parlement d’accorder des pouvoirs supplémentaires à l’Exécutif, dans les limites des dispositions constitutionnelles, pour faire face à une situation d’urgence. Dans le même temps, afin d’éviter les abus, il est nécessaire de disposer de certaines garanties capables de concilier l’équilibre des pouvoirs dans l’État, d’une part, et la nécessité d’assurer la sécurité de l’État, d’autre part. Ainsi, toute mesure prise par les autorités publiques qui affecte les droits ou libertés prévus par la loi doit correspondre au principe de proportionnalité. Une mesure prise par les pouvoirs publics est proportionnée si elle est adaptée à la réalisation de l’objectif poursuivi dans le cadre des pouvoirs attribués par la loi, si elle est nécessaire à la réalisation de l’objectif et si elle est raisonnable. La mesure prise par les pouvoirs publics est raisonnable si l’ingérence qu’elle produit n’est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Lors de l’examen du cas, la Cour constitutionnelle constate l’existence de lacunes dans la législation dues à la non-application de certaines dispositions de la Constitution et attire l’attention du législateur sur la nécessité d’ajuster la législation.
Par exemple, dans l’arrêt HCC n°34 du 13 décembre 2016, la Cour a souligné la nécessité d’établir des instruments efficaces, qui permettraient aux autorités responsables d’appliquer des sanctions immédiates et dissuasives, telles que la suspension du droit de diffusion pendant toute la durée du scrutin pour les institutions médiatiques qui violent l’obligation d’impartialité pendant la période électorale. Sur la base de cette décision, la législation a été modifiée.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Définitivement oui. Il s’agit d’un droit général (« droit parapluie ») qui inclut la liberté d’expression politique. En particulier, les enquêtes journalistiques peuvent conduire à la responsabilité des hommes politiques.
Tribunal suprême de Monaco
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
À Monaco, la liberté d’expression est protégée par l’article 23 de la Constitution du 17 décembre 1962 qui garantit « la liberté de manifester ses opinions en toutes matières », ainsi que la « liberté des cultes » et leur « expression publique ».
La Principauté est également liée par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ratifiée le 30 novembre 2005, dont l’article 10 alinéa 1er, énonce : « Toute personne a droit à la liberté d’expression », qui comprend « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées ».
Monaco est, en outre, partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié le 28 août 1997, dont l’article 19 alinéa 2 déclare : « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
Enfin, la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique pose le principe de la liberté d’expression et de la liberté des médias.
En matière de liberté d’expression, le Tribunal suprême se fonde sur l’article 23 de la Constitution (TS, 3 déc. 2002, Sieurs R. G., J.-L. N. et J.-M. R. c/ ministre d’État ) et parfois, dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir, sur l’article 10 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme ou l’un ou l’autre de ces fondements (v. en dernier lieu, TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco ; TS, 7 avr. 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco; 31 mai 1976, Dame P. c/ ministre d’État).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Dans la Constitution, la liberté de manifester ses opinions est garantie « sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés ». Ces délits sont l’offense publique à l’égard du Prince et de la famille princière (art. 58 à 60 c. pén.), la provocation aux crimes et délits, la diffamation, l’injure et les autres délits prévus par la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique.
Dans la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 10 alinéa 2 prévoit que la liberté d’expression peut être soumise à « certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ». La Principauté de Monaco a, de surcroît, formulé des réserves à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme liées à la protection de la vie privée et familiale, spécialement concernant la personne du Prince et la famille princière (v. infra).
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques vise, à l’article 19 alinéa 3, deux types de restrictions à la liberté d’expression, tenant d’une part, « au respect des droits ou de la réputation d’autrui » et, d’autre part, « à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ».
Enfin, la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique déclare ne limiter la liberté d’expression « que dans la mesure requise par le respect de la dignité de la personne humaine, de la vie privée et familiale, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ainsi que par la sauvegarde de l’ordre public ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Le Tribunal suprême n’a pas posé de définition de la liberté d’expression. Il évoque seulement « la liberté d’expression » (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco) ou la « liberté de manifester ses opinions garantie par l’article 23 de la Constitution » (TS, 3 déc. 2002, Sieurs R. G., J.-L. N. et J.-M. R. c/ ministre d’État).
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
En pratique, le Tribunal suprême paraît adopter une approche correspondant à la définition de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon laquelle la liberté d’expression comprend « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». C’est l’approche retenue également par les juridictions ordinaires, qui s’approprient cette définition (v. par ex. TPI, 23 mars 2006, H. c/ Société Prisma).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression est liée à d’autres libertés qui impliquent une expression publique. La Constitution monégasque envisage ainsi, dans le même article 23, la liberté de manifester ses opinions et la liberté d’exercer publiquement une religion.
En jurisprudence, la liberté d’expression peut également être invoquée devant le Tribunal suprême au sens de liberté de manifestation, lorsqu’il s’agit d’exprimer publiquement une opinion en participant à un rassemblement de personnes (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco).
La liberté d’expression peut encore être invoquée avec d’autres droits ou libertés fondamentaux, tels que la liberté syndicale (article 28) lorsqu’il s’agit d’exprimer publiquement des opinions syndicales (TS, 31 mai 1976, dame P. c/ ministre d’État), ou le droit à la vie privée et familiale (article 22), lorsqu’il est question de l’expression publique d’une opinion personnelle relevant de la vie privée (TS, 7 avr. 2014, Sieur S.G. c/ État de Monaco) ou encore le principe d’égalité (article 17), qui interdit toute discrimination fondée sur des opinions quelles qu’elles soient (TS, 13 mars 2023, Union des syndicats de Monaco et autre c./ État de Monaco ; rappr. 3 décembre 2002, Sieurs R. G., J.-L.N. et J.-M.R. c/ ministre d’État).
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le Tribunal suprême n’a pas été confronté à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème. En effet, si le catholicisme est religion d’État en Principauté (article 9), la Constitution garantit également la liberté des cultes et leur expression publique (article 23). Il s’agit de deux principes de force égale et la religion catholique n’est pas imposée. Le texte constitutionnel précise que « nul ne peut être contraint de concourir aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos ».
En revanche, le Tribunal suprême s’est récemment prononcé sur le terrain voisin de la liberté d’association, suite à une requête formée par des témoins de Jéhovah, qui n’avaient pas été autorisés à se constituer en association. Par une décision du 18 février 2019, il a relevé l’intégration de la religion catholique dans l’ordre public monégasque tout en réaffirmant la protection constitutionnelle et légale dont bénéficie la liberté d’association en Principauté. Il a annulé la décision administrative de refus, l’Administration n’ayant pas établi, en l’état de la présence non contestée des témoins de Jéhovah en Principauté depuis plusieurs années, de risques avérés de troubles à l’ordre public.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression est garantie quel que soit le domaine. Le Tribunal suprême veille notamment à la liberté d’expression en matière politique et au respect de la pluralité des courants d’opinion (v. par ex. TS, 3 déc. 2002, Sieurs R. G., J.-L. N. et J.-M. R. c/ ministre d’État ; TS, 7 avril 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco ; TS, 31 mai 1976, dame P. c/ ministre d’État).
S’agissant des médias, le principe est la liberté de la presse et la libre publication de tout support (loi n° 1299, du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique). Ainsi qu’il a été précédemment indiqué, ce principe est toutefois limité par la protection du respect de la vie privée et familiale, spécialement concernant la personne du Prince et la famille princière. La Principauté de Monaco a ainsi apporté des réserves à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Les dispositions de l’article 10 de la Convention s’appliquent sans préjudice de ce qui est établi, d’une part, à l’article 22 de la Constitution consacrant le principe du droit au respect de la vie privée et familiale, spécialement en ce qui concerne la personne du Prince dont l’inviolabilité est garantie par l’article 3 alinéa 2 de la Constitution et, d’autre part, aux articles 58 à 60 du Code pénal relatifs à l’offense envers la personne du Prince et Sa famille »[192].
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à toute personne en Principauté, puisque l’étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux (article 32).
Monaco veille, par ailleurs, à ce que les enfants et les personnes handicapées puissent exercer leur liberté d’expression et d’opinion, conformément aux conventions ratifiées (Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la Principauté le 21 juin 1993, et Convention du 13 décembre 2006 des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la Principauté le 19 septembre 2017).
La liberté d’expression ne disparaît pas au cours de la relation de travail et elle est reconnue aux salariés du secteur privé (TPI, 9 juin 2005, SBM c/ N.) comme aux salariés du secteur public, dans la limite des obligations incombant aux fonctionnaires ou aux militaires (v. infra).
Les personnels de l’hôpital public[193], ainsi que le Haut-commissaire à la protection des droits et libertés et à la médiation[194] sont expressément soumis à un devoir de réserve. De même que les personnels du Palais de Justice, magistrats[195], greffiers[196] et personnel pénitentiaire[197]. Les magistrats doivent, en outre, respecter un recueil de principes éthiques et déontologiques qui leur rappelle « [d’]user avec retenue, modération et décence de [leur] liberté d’expression »[198]. Les membres du Tribunal suprême sont également liés par une Charte de déontologie[199] qui leur impose de se conduire « de manière à entretenir la confiance des justiciables dans l’indépendance, l’intégrité et l’impartialité du Tribunal » et à veiller « à ce que les relations qu’ils entretiennent dans leur vie privée comme dans leur vie professionnelle ne soient pas de nature à faire naître, chez les justiciables, un soupçon raisonnable de partialité, à les rendre vulnérables à une influence extérieure ou à porter atteinte à la dignité de leurs fonctions ».
S’agissant des professions libérales, les règles de déontologie ne prévoient pas de restriction à la liberté d’expression, sauf ce qui relève du secret professionnel et parfois de l’obligation de respect dû aux autorités établies[200]. Enfin, une pleine liberté d’expression est reconnue aux élus du Conseil National qui doivent seulement s’abstenir d’attaques personnelles, de manifestations ou d’interruptions troublant l’ordre[201].
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
À Monaco et de manière classique, les fonctionnaires et agents de l’État ont, dans l’exercice de leurs fonctions, une obligation de « loyauté », une « obligation de neutralité » et un « devoir de réserve » (art. 6-1 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l’État[202]). Ils doivent s’abstenir de « toute démarche, activité ou manifestation incompatible avec la discrétion et la réserve qu’impliquent [leurs] fonctions ». Le devoir de réserve perdure en dehors de leurs fonctions, puisqu’il oblige les fonctionnaires et agents « à faire preuve de mesure et de retenue dans l’expression de [leurs] opinions, aussi bien durant [leur] service, qu’en dehors de celui‑ci » (art. 11 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l’État[203]). Pour les agents de police, le code de déontologie de la sûreté publique apporte des précisions supplémentaires : « Lorsqu’ils ne sont pas en service, les personnels de la Direction de la Sûreté publique s’expriment librement dans la limite de leur devoir de réserve, de la loyauté à l’égard des institutions, et de l’obligation de ne pas porter atteinte au crédit ou à la réputation de la Direction de la Sûreté publique ».
Le Tribunal suprême a été conduit à se prononcer sur la liberté d’expression d’un agent de police, qui, dans le contexte de la crise sanitaire, avait participé, en dehors de ses fonctions, à des rassemblements devant les établissements scolaires afin d’alerter sur les dangers du port du masque pour les enfants. Le Tribunal a considéré que ces rassemblements ayant « pour objectif de critiquer une mesure sanitaire prise par le Gouvernement », l’agent de police avait manqué à son obligation de loyauté et à son devoir de réserve, le fait qu’il n’ait pas été en service au moment des faits n’ayant pas d’influence sur la méconnaissance de ses obligations (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco).
S’agissant des militaires, on notera qu’ils ont un devoir de réserve renforcé, puisqu’ils doivent « observer en tous lieux une stricte neutralité politique » et s’abstenir « de toute démarche, activité ou manifestation incompatibles avec la discrétion et la réserve rigoureuses qu’implique l’état de militaire » (art. 8 de l’Ordonnance Souveraine n° 8.017 du 1er juin 1984 portant statut des militaires de la force publique).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le Tribunal suprême a été créé par la première Constitution monégasque, en date du 5 janvier 1911 (article 14) et se prononce depuis sa création sur la liberté d’expression, dès lors que la « liberté de manifester ses opinions en toutes matières » figurait déjà dans la loi constitutionnelle de 1911 (article 10).
L’arrêt le plus ancien en la matière remonte au 13 avril 1931 (Sieur C. c/ État de Monaco) et porte sur la liberté d’expression d’un fonctionnaire. Le Tribunal suprême y rappelait que « l’existence et l’exercice du pouvoir disciplinaire [à l’égard des fonctionnaires] se concilient (…) avec les droits et libertés garantis par la constitution, pourvu que des sanctions soient réellement appliquées à des faits qui violent les obligations spéciales des fonctionnaires, qu’elles soient de nature disciplinaire et conformes à la législation en vigueur ». Le Tribunal suprême en déduisait que dans le cas d’espèce, où un fonctionnaire avait été suspendu à la suite d’une démarche effectuée au Consulat général de France à Monaco, « la liberté d’opinion garantie par l’article 10 de la constitution » n’avait pas été violée.
On trouve deux autres arrêts en 1952, concernant également des fonctionnaires invoquant la liberté de manifester leur opinons, mais dans lesquels le Tribunal suprême s’est déclaré incompétent, la responsabilité pénale des fonctionnaires relevant de la compétence des juridictions ordinaires (TS, 29 mai 1952, Sieur S. c/ ministre d’État et, du même jour, Sieur B. c/ ministre d’État).
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Le Tribunal suprême veille au respect de la liberté d’expression, au même titre que les autres droits et libertés dont il est le garant. On ne note pas de contentieux particulièrement important en volume sur ce fondement.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La jurisprudence du Tribunal suprême apparaît essentiellement casuistique et ne fait pas apparaître de hiérarchie formelle entre droit et liberté en matière de protection de la liberté d’expression.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
En matière de liberté d’expression, les premières décisions rendues au XXe siècle adoptent une approche de la liberté d’expression plus restrictive, notamment concernant les fonctionnaires. Ainsi, la décision précitée du 13 avril 1931 a pu soutenir que « les fonctionnaires exercent les droits et libertés garantis dans des conditions moins larges que les conditions dans lesquelles les particuliers exercent les mêmes droits et libertés », sans détailler les raisons pour lesquelles les faits reprochés au fonctionnaire étaient contraires à ses devoirs ni apprécier le bien-fondé de la mesure disciplinaire (TS, 13 avril 1931, Sieur C. c/ État de Monaco).
Dans les dernières décisions, au contraire, le Tribunal suprême examine les faits reprochés au fonctionnaire et vérifie le caractère proportionné ou non de la sanction prononcée, pour déterminer l’existence d’une atteinte à la liberté d’expression (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco).
De manière générale, on note un renforcement de la protection des droits et libertés, par la réaffirmation de leur valeur constitutionnelle (TS, 18 février 2019, 30 juin 2017, Association monégasque pour le culte des témoins de Jéhovah et M. j.p. GA c/ État de Monaco) et par des réserves d’interprétation destinées à garantir la protection des droits fondamentaux (TS, 10 mars 2023, Union des Syndicats de Monaco et Syndicats des agents de l’État et de la Commune c/ État de Monaco).
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La protection de la liberté d’expression, mais aussi des droits et libertés de manière générale, paraît avoir varié dans le temps, à la fois en raison de l’évolution du cadre institutionnel et des fonctions du Tribunal suprême (à partir de la nouvelle constitution du 17 décembre 1962), et de la tendance contemporaine à la fondamentalisation du droit.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La reconnaissance, par le Tribunal suprême, de la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression sur le fondement de l’article 23 de la constitution, paraît avoir influencé les juridictions ordinaires, notamment en évacuant tout débat sur d’éventuelles différences sémantiques entre « liberté d’expression » et « liberté de manifester ses opinions », seule formule visée à l’article 23 et qui aurait pu se rapprocher davantage de la liberté de manifestation, avec une dimension d’expression publique plus forte. Ainsi, le tribunal de première instance a pris appui sur cette reconnaissance pour déclarer que « la liberté d’expression du journaliste, unanimement reconnue en droit européen, est un principe à valeur constitutionnelle en Principauté de Monaco consacré par les dispositions de l’article 23 de la Constitution » (TPI, 1er mars 2007, SAM Éditions latino-américaines c/ Madame B.-N.).
Par ailleurs, le choix fait par le Tribunal suprême de se fonder également sur l’article 10 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme dans le cadre du contentieux administratif a pu éventuellement conforter le recours à ce fondement par les juges du fond. Le fondement conventionnel de la liberté d’expression est en effet invoqué par la cour d’appel (CA, 20 mars 2018, la société RCS MEDIAGROUP S.P.A. c/ Madame c. CA.) et le tribunal du travail estime, quant à lui, que « La liberté d’expression reconnue au salarié constitue une liberté fondamentale » (TT, 20 janv. 2023, M. A. c/ Société anonyme monégasque dénommée B. B. MONACO)
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La jurisprudence du Conseil constitutionnel français, celle du Conseil d’État et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sont nécessairement des sources d’inspiration pour le Tribunal suprême dans sa fonction de juge constitutionnel et de juge administratif, également garant des droits et libertés fondamentaux.
Il les adapte le cas échéant en tenant compte des règles et principes constitutionnels applicables dans l’État monégasque, dont « les exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l’État » (TS, 20 juin 1989, Association des propriétaires de la Principauté de Monaco c/ État de Monaco), mais aussi de « sa composition démographique et culturelle et de l’intégration de la religion d’État, par son statut constitutionnel, dans l’ordre public monégasque » (TS, 18 février 2019, 30 juin 2017, Association monégasque pour le culte des témoins de Jéhovah et M. j.p. GA c/ État de Monaco).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
La liberté d’expression doit être conciliée avec les autres droits et libertés fondamentaux et, à ce titre, le droit monégasque accorde une attention particulière à la conciliation entre la liberté d’expression et le droit à vie privée et familiale.
En effet, le Prince et la famille princière bénéficient d’une protection renforcée de leur droit à la vie privée et familiale. C’est l’objet des réserves déjà évoquées à l’article 10 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, liées à la protection de la vie privée et familiale, spécialement concernant la personne du Prince et la famille princière. Ces réserves se fondent sur le principe de l’inviolabilité de la personne du Prince et sur les textes du Code pénal relatifs à l’offense envers la personne du Prince et de Sa famille. De manière plus générale, toutes les personnes publiques bénéficient d’une protection renforcée de leur droit à la vie privée et familiale. Pour le Gouvernement, il est, en effet, « légitime de réprimer plus sévèrement les atteintes portées à des personnes exerçant des activités publiques » (Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Respect des obligations et des engagements de Monaco », Doc. 11299, 8 juin 2007, Rapport par P. Agramunt et L. Slutsky,n° 150).
L’approche du droit monégasque se distingue en cela de celle du droit européen qui considère, au contraire, que les personnes publiques ont fait le choix de s’exposer aux médias et ne peuvent prétendre recevoir le même niveau de protection qu’un particulier. La Cour européenne des droits de l’homme a, d’ailleurs, débouté plusieurs fois la Princesse Caroline de Monaco de ses requêtes contre l’Allemagne, au regard des atteintes portées par la presse à sa vie privée et familiale, dès lors que les clichés publics pouvaient « contribuer au débat d’intérêt général » (v. not. CEDH, Von Hannover c/ Allemagne (n° 2) du 7 février 201 ; CEDH, Von Hannover c/ Allemagne (n° 3), 19 septembre 2013).
L’approche du droit monégasque est pourtant fondée sur des critères objectifs tenant à l’exiguïté du territoire et à l’extrême proximité des habitants. L’union entre le Prince et ses sujets y est personnelle et cet « affectio familiaris », présent dans les monarchies européennes, « trouve à Monaco un terrain de prédilection avec une population en nombre restreint où tout le monde se connait plus ou moins et où le Prince connait quasiment tout le monde » (J.-B. D’Onorio, Monaco, Monarchie et démocratie, PUAM, 2014, p. 14). Ce lien étant plus palpable, l’injure et la diffamation le sont aussi et la sanction pénale s’adapte à ces données.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression par le Tribunal suprême ménage un équilibre entre la protection de l’État et celle de l’individu, en tenant compte des caractères particuliers de la Principauté, tenant notamment à l’exiguïté du territoire et à la proximité entre les habitants et les autorités. Il convient de signaler que le respect dû aux institutions monégasques, dont la stabilité et la légitimité sont historiques, imprègne le droit monégasque et figure expressément dans les serments que prêtent les magistrats et les avocats lors de leur entrée en fonctions. Il n’est donc pas exclu qu’il puisse inspirer parfois le raisonnement des juridictions monégasques. Par exemple, dans la décision du 7 avril 2014 au sujet d’une demande d’acquisition de la nationalité monégasque, le dénigrement public des institutions par le requérant qui souhaitait par ailleurs intégrer la communauté nationale a pu contribuer à justifier la décision souveraine d’opposition à l’acquisition de la nationalité (TS, 7 avril 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco).
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
De manière générale dans le cadre de sa compétence constitutionnelle, le Tribunal suprême pratique le contrôle de proportionnalité, en vérifiant que l’atteinte portée à un droit constitutionnellement protégé n’est pas disproportionnée. Il contrôle que la loi poursuit un but légitime et qu’aucune autre mesure n’aurait pu être prise à la place (v. par ex., de manière générale, TS, Décision 2022-05 du 31 mai 2022, Union des Syndicats de Monaco c/ État de Monaco ; Décision 2021-17 du 2 décembre 2021, Union des Syndicats de Monaco c/ État de Monaco ; Décision n° 2020-12, 2 déc. 2020, FEDEM c/ État de Monaco ; Décision 2021-20 du 4 mars 2022, Union des Syndicats de Monaco c/ État de Monaco).
Dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir, le Tribunal suprême peut être amené à vérifier si la mesure administrative ne porte pas une atteinte disproportionnée à un droit fondamental. Ainsi, dans la décision précitée du 30 novembre 2023, le Tribunal suprême a considéré que la sanction d’un fonctionnaire, pour avoir participé, en dehors de ses fonctions, à des manifestations critiques à l’égard du Gouvernement, n’est pas contraire à la liberté d’expression, dès lors que la sanction en cause (un abaissement de classe) « ne revêt pas un caractère disproportionné ».
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La jurisprudence du Tribunal suprême ne fait pas apparaître de décision majeure sur la conciliation entre liberté d’expression et ordre public.
En revanche, sur le terrain voisin de la liberté d’association, le Tribunal suprême, par une décision déjà citée, a pu poser le principe selon lequel « au regard de l’exiguïté du territoire de la Principauté de Monaco, de sa composition démographique et culturelle et de l’intégration de la religion d’État, par son statut constitutionnel, dans l’ordre public monégasque, S.E. M. le Ministre d’État peut, pour des raisons convaincantes et impératives justifiant une restriction à la liberté d’association, refuser, en cas de risques avérés de troubles à l’ordre public, de délivrer un récépissé de déclaration d’association afin de protéger les institutions et les ressortissants de la Principauté contre d’éventuels abus et dangers ». En conséquence, l’ordre public, avec ses composantes propres à la Principauté, peut justifier des restrictions à la liberté d’association et éventuellement, par analogie à la liberté d’expression, si elles sont fondées sur des raisons convaincantes et impératives.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Le Tribunal suprême ne paraît pas recourir à d’autres outils jurisprudentiels en matière de contrôle du respect de la liberté d’expression, et notamment au contrôle de proportionnalité dit « utilitariste » de la Cour de justice de l’Union européenne, prenant la forme d’un bilan coût-bénéfices (E. Jeuland, « Une approche non utilitariste du contrôle de proportionnalité », JCP G 2016, suppl. Regards d’universitaires sur la réforme de la Cour de cassation, conférence-débat du 24 novembre 2015, p. 20).
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
La liberté d’expression, au regard de sa valeur constitutionnelle, doit être garantie quelles que soient les circonstances de temps et de lieu. Elle peut toutefois, comme les autres droits et libertés, faire l’objet de restrictions en période de troubles.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Dans la jurisprudence des juridictions monégasques, et pas seulement du Tribunal suprême, de nombreuses décisions interviennent sur la ligne de partage entre la liberté d’expression et la diffamation (v. par ex. TCO, 10 oct. 2023, k. A. c/ t. D., p. E., la Société G. ; 13 juin 2023, v. E. c/ j. C. et la Société à Responsabilité Limitée K. ; CA, 12 févr. 2007, G. c/ ministre d’État, État de Monaco, CR, 7 juillet 2022, M. A. c/ Ministère public).
À Monaco, la question s’est posée notamment au sujet de la pratique du bâtonnement, qui permet au juge d’ordonner la suppression des écrits injurieux et diffamatoires, qui excèdent la liberté d’expression nécessaire aux débats judiciaires (art. 23 de la loi n° 1047 du 28 juillet 1982 sur l’exercice des professions d’avocat-défenseur et d’avocat). Dans l’affaire SARL GATOR c/ SCP LONG ISLAND, la cour d’appel avait supprimé un passage des conclusions écrites de l’avocat, jugé attentatoire à la considération d’une des parties en cause. Cette décision, confirmée par la cour de révision (CR, 16 octobre 2017, SARL GATOR c/ SCP LONG ISLAND) a été contestée devant la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant estimant que le bâtonnement avait porté atteinte à sa liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la requête aux motifs que le bâtonnement était une mesure prévue par la loi, visait à protéger la réputation ou les droits d’autrui, et n’avait pas eu des conséquences disproportionnées en l’espèce (CEDH, 11 mai 2023, SARL GATOR c/ MONACO).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Le Tribunal suprême n’a pas eu à se prononcer sur ces thèmes, le droit monégasque ne comportant pas de lois de régulation d’Internet (mis à part sur les textes sur la protection des données personnelles) ni de réglementation en matière de réseaux sociaux.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Le Tribunal suprême envisage aussi bien les modes d’expression classiques, que les formes plus modernes, dématérialisées qui ont immédiatement un grand retentissement à Monaco compte tenu de l’exiguïté du territoire monégasque. Ainsi, dans la décision précitée du 7 avril 2014, rendue au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, il était question d’un requérant, qui avait manifesté une attitude de dénigrement de la Principauté et de ses autorités au moyen d’un « blog » (TS, 7 avril 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco).
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
À Monaco, comme dans les États européens, la liberté d’expression est encadrée en période électorale, puisque la campagne électorale officielle se fait uniquement par voie d’affichage sur les emplacements réservés, au moyen d’une surface égale entre les candidats avec interdiction de lacérer ou de recouvrir des affiches électorales (art. 30 et suivants de la loi n° 839 du 23 février 1968 sur les élections nationales et communales).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La loi sur les élections nationales et communales prévoit que sont inéligibles au Conseil national « les électeurs qui, par l’effet d’une autre nationalité, exerceraient des fonctions publiques ou électives dans un pays étranger » (art. 14 de la loi précitée).
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La liberté d’expression peut connaitre des restrictions particulières en période de troubles. Dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid-19, les limitations apportées à la liberté d’aller et de venir, de manifester dans l’espace public, par exemple, ont emporté nécessairement des restrictions à la liberté d’expression. De telles restrictions doivent toutefois être fondées sur une situation d’urgence de santé publique internationale et les mesures prises doivent être « proportionnée[s] aux risques courus et appropriée[s] aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » (art. 65 de l’Ordonnance souveraine n° 6.387 du 9 mai 2017 relative à la mise en œuvre du règlement sanitaire international (2005) en vue de lutter contre la propagation internationale des maladies).
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Sans avoir recours expressément à la notion d’ordre public, la décision du 30 novembre 2023, relative à la liberté d’expression d’un agent de la sûreté publique dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid-19 apporte un éclairage de ce point de vue (TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco). Il n’est pas certain que la simple participation d’un agent de la sûreté publique, en dehors de ses heures de travail, à une manifestation destinée à critiquer une politique du Gouvernement (sans prise de parole ou implication plus active), soit systématiquement considérée comme de nature à justifier une sanction. Le contexte de la crise sanitaire a pu conduire le Tribunal suprême à considérer qu’en temps de troubles, les fonctionnaires et agents devaient faire preuve d’un devoir de réserve renforcé sur ces questions sensibles.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Le Tribunal suprême est garant des droits et libertés protégés par la Constitution et veille à ce titre à la protection de la liberté d’expression, même en période de troubles.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
À Monaco, les décisions rendues en matière de liberté d’expression n’ont pas eu un impact notable sur la légitimité et le rôle du Tribunal suprême.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression est, en effet, l’un des principaux fondements d’une société démocratique, puisqu’elle garantit la pluralité des courants d’opinions qui est à la base de toute démocratie. À l’ère du XXIe siècle, la multiplication des supports d’expression, médias, mais aussi réseaux sociaux, dans un espace dématérialisé et insuffisamment réglementé, fait apparaître de nouveaux enjeux, pour lesquels la Principauté a ratifié des conventions ou adopté des projets de loi. Ainsi, la liberté d’expression doit être conciliée avec la lutte contre le terrorisme (Convention du 16 mai 2005 du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme), la lutte contre le racisme (Protocole additionnel à la Convention du conseil de l’Europe sur la cybercriminalité relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste ou xénophobes commis par le biais de systèmes informatiques) ou la lutte contre les violences faites aux femmes (Convention du conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) et le harcèlement scolaire (loi n° 1.513 du 3 décembre 2021 relative à la lutte contre le harcèlement et la violence en milieu scolaire) ou encore la protection des données personnelles (un projet de loi est actuellement à l’étude au Conseil national).
Principales décisions du TS liées à la liberté d’expression :
TS, 13 avril 1931, Sieur C. c/ État de Monaco : limite à la liberté d’expression d’un fonctionnaire ; TS, 29 mai 1952, Sieur S. c/ ministre d’État et, du même jour, Sieur B. c/ ministre d’État : liberté d’expression d’un fonctionnaire ; incompétence du TS ; TS, 31 mai 1976, dame P. c/ ministre d’État : pas de preuve de l’atteinte à la liberté d’opinion d’un candidat à un poste d’enseignant (opinion politique) ; TS, 3 déc. 2002, Sieurs R. G., J.-L. N. et J.-M. R. c/ ministre d’État : système électoral non contraire à la liberté d’expression ; TS, 14 juin 2006, Sieur D.A. c/ ministre d’État : atteinte alléguée à la liberté d’expression du requérant par le refus d’une autorisation administrative – le TS n’en fait pas état ; TS, 7 avril 2014, Sieur S. G. c/ État de Monaco : atteinte alléguée à la liberté d’expression du requérant par une opposition à l’acquisition de la nationalité – le TS n’en fait pas état ; TS, 18 février 2019, 30 juin 2017, Association monégasque pour le culte des témoins de Jéhovah et M. j.p. GA c/ État de Monaco : atteinte à la liberté d’association, car pas de trouble à l’ordre public ; sur le terrain voisin de la liberté d’association ; TS, 10 mars 2023, Union des Syndicats de Monaco et Syndicats des agents de l’État et de la Commune c/ État de Monaco : atteinte à la liberté d’opinion alléguée entre autres par le requérant, réserve d’interprétation apportée par le TS ; TS, décision 2023-10 du 30 novembre 2023, M. D. R. c/ État de Monaco : limite à la liberté de manifestation d’un fonctionnaire. |
Conseil constitutionnel du Mozambique
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Dans le cadre juridique mozambicain, la liberté d’expression trouve ses fondements dans la Constitution de la République (article 48), la loi sur le droit à l’information et la loi sur la liberté de la presse.
La liberté d’expression est également garantie sur la scène juridique internationale par la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 19).
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. La liberté d’expression est prévue à l’article 48, paragraphe 1, de la Constitution et est limitée par le principe de la dignité humaine, stipulé à l’article 48, paragraphe 6, de la Constitution, qui comprend, entre autres droits, le droit à la vie privée, comme indiqué à l’article 5 de la loi sur le droit à l’information.
En outre, la liberté d’expression est également limitée par les types juridiques de délits de diffamation et de calomnie énoncés aux articles 233 et 234 du Code pénal, car ils exigent le respect de l’intimité de la vie privée et familiale et de l’honneur de la victime.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est le droit garanti par la Constitution d’exprimer librement ses idées et ses opinions, sans entrave ni représailles ou sanctions.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
La définition et le contenu de la liberté d’expression dans le système juridique mozambicain sont similaires à ceux du système juridique portugais[204], du système juridique angolais[205], qui considèrent la liberté d’expression comme la liberté d’exprimer des pensées et des opinions, à l’abri de toutes représailles, même si elles suscitent une controverse sociale ou politique.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Selon la jurisprudence de la juridiction du 1er Degré (juridiction pénale) du département Kampfumo du 16 septembre 2015[206], qui considère la liberté d’expression comme la liberté d’exprimer des pensées et des opinions, à l’abri de toutes représailles, même si elles suscitent une controverse sociale ou politique.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias)?
La liberté d’expression ne se manifeste pas de la même manière dans les différentes sphères sociales. En effet, selon les cas, il y a des domaines où la liberté est plus grande et d’autres où elle est plus restreinte. Les arts et les médias sont des exemples de domaines jouissant d’une grande liberté, tandis que la politique, l’armée et la royauté sont des domaines plus restreints, en raison de la position qu’ils occupent dans le contexte de l’État, ce qui impose un certain secret qui les caractérise.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à toutes les personnes, qu’elles soient physiques ou morales. Dans la sphère constitutionnelle, la liberté d’expression est attribuée à tous les citoyens (personnes physiques), cependant, à la lumière du droit commun, à savoir la loi sur l’information, et les lois régissant les élections, tant municipales que générales, la liberté d’expression est également reconnue aux personnes morales, telles que les médias et les organisations d’information, les partis politiques et leurs coalitions, et d’autres personnes morales.
Le contenu et le cadre de la liberté d’expression ne diffèrent pas selon la personne qui la détient.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les fonctionnaires et les militaires ont et exercent généralement le droit à la liberté d’expression dans l’exercice de leurs activités professionnelles. Toutefois, leur liberté peut, dans une certaine mesure, être limitée par les obligations de secret et de secret professionnel en ce qui concerne les questions dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions, comme le montrent l’article 80 du décret 30/2001 du 15 octobre, qui fait référence au fonctionnement de l’administration publique, et l’article 10 du décret 20/2018 du 26 avril, qui approuve le statut militaire des forces armées mozambicaines.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La création du Conseil constitutionnel va de pair avec l’instauration de la liberté d’expression, puisque toutes deux ont été consacrées par la Constitution de 1990. La liberté d’expression a été consacrée par l’article 74 et le Conseil constitutionnel a été approuvé par les articles 180 et suivants de la Constitution de 1990.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Les décisions du Conseil constitutionnel (jurisprudence) s’imposent à l’ensemble de la société, y compris aux juridictions inférieures (juridictions judiciaires ou spéciales). Ainsi, la jurisprudence relative à la liberté d’expression, qui consiste à déclarer des lois et d’autres actes normatifs constitutionnels ou inconstitutionnels, influencera directement la jurisprudence des juridictions inférieures, puisque ces décisions ne pourront pas s’opposer ou contredire les décisions du Conseil constitutionnel.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La Constitution établit que l’exercice de la liberté d’expression ne peut être limité par la censure (article 48, paragraphe 2 de la Constitution). La liberté d’expression, comme mentionnée ci-dessus, comprend la libre expression d’idées et d’opinions, sans entrave ni représailles ou sanctions. La censure, en revanche, consiste à désapprouver et à retirer de la circulation publique des informations, dans le but de protéger les intérêts d’un État, d’une organisation ou d’un individu. Ainsi, la censure s’oppose à la liberté d’expression dans la mesure où elle représente une limitation de ce droit, interdite par la Constitution.
Quant à la diffamation, il s’agit d’un type de délit prévu par le Code pénal, qui criminalise le fait de diffamer publiquement une autre personne en lui imputant des faits qui portent atteinte à son honneur et à sa considération (article 233 du Code pénal). Il s’agit d’une limitation légale autorisée par la loi, qui vise à sauvegarder le principe de la dignité humaine, en termes de droit à l’honneur et à la vie privée.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Le domaine juridique ne fait pas de distinction entre la liberté d’expression exercée par des moyens traditionnels et celle exercée par le biais des réseaux sociaux, qui jouissent toutes deux d’une dignité constitutionnelle.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
En période électorale, la liberté d’expression sur le territoire mozambicain est davantage protégée, la loi électorale interdisant l’imposition de toute limitation à la libre expression des principes politiques, économiques, sociaux et culturels, que ce soit par les partis politiques, leurs coalitions ou les citoyens votants, comme le montrent l’article 38 de la loi 7/2018[207], du 3 août (qui régit le processus électoral pour les autorités locales) et l’article 22 de la loi 2/2019[208], du 31 mai (qui régit le processus d’élection générale).
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Dans le cadre de la liberté d’expression, la loi sur la presse impose certaines restrictions aux acteurs étrangers, notamment l’interdiction pour les citoyens étrangers de posséder des organismes de presse (conformément à l’article 6, paragraphe 5, de la loi sur la presse), sauf s’ils sont constitués en société commerciale, auquel cas leur participation ne peut excéder 25 % du capital social (conformément à l’article 6, paragraphe 6).
Dans le même ordre d’idées, l’article 17, paragraphes 2 et 3, de la loi sur la presse stipule que les publications étrangères diffusées au Mozambique sont soumises à la loi sur la presse et à la législation mozambicaine sur le libre-échange.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La liberté d’expression est une liberté fondamentale et, en tant que telle, elle ne peut être restreinte que dans les cas expressément prévus par la Constitution, lorsqu’elle vise à sauvegarder d’autres droits et intérêts protégés par la Constitution (article 56, paragraphes 2 et 3, de la Constitution).
L’article 72, paragraphe 1, de la Constitution stipule que les limitations aux libertés et garanties individuelles, y compris la liberté d’expression, ne peuvent avoir lieu qu’en cas de déclaration d’un état d’exception, à savoir l’état de guerre, l’état de siège et l’état d’urgence.
Par conséquent, à moins que les périodes de troubles ne relèvent de l’un des états d’exception. Si elles relèvent de l’un des états d’exception, ces limitations doivent être spécifiées dans la déclaration de l’état de siège ou d’urgence, émise par décret présidentiel et ratifiée par l’Assemblée de la République.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Comme indiqué dans la réponse à la question ci-dessus, la liberté d’expression ne peut être restreinte en période de troubles, à moins qu’une telle restriction ne résulte de la déclaration d’un état d’exception par le président de la République par le biais d’un décret présidentiel. Si un état d’exception était déclaré, il servirait de base et de limite pour modifier le concept d’ordre public aux fins de restreindre la liberté d’expression.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La juridiction constitutionnelle, qui est l’un des piliers de l’administration de la justice et de l’État de droit démocratique, est légitimée par le plein exercice de la démocratie par les citoyens.
La liberté d’expression étant l’un des fondements de la démocratie moderne, son plein exercice par les citoyens contribue à légitimer la juridiction constitutionnelle et à rendre son rôle effectif.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui. L’un des fondements d’une société démocratique est le principe de liberté, qui suppose que les citoyens aient et exercent le droit à la liberté d’expression et d’opinion, c’est-à-dire la liberté d’exprimer leurs opinions sans crainte de représailles. La construction d’une société plus démocratique est donc intrinsèquement liée au fait que ses citoyens expriment librement leurs opinions et leurs pensées dans toutes les sphères sociales, sans crainte de représailles.
Cour constitutionnelle de la Républicaine centrafricaine
Pour la consolidation de l’Etat de droit
- Paramètres « État de droit »
Existence d’institutions, classiques ou nouvelles, efficaces et indépendantes, au niveau national, mais aussi, dans le cadre de l’intégration et de la coopération régionale, fonctionnant selon le principe de la transparence, ce qui implique l’existence et l’efficacité de mécanismes et de structures impartiales de contrôle, à tous les niveaux (chapitre 4 A).
- Questions
La constitution et la justice constitutionnelle
– Quelles sont pour vous les principales menaces à l’indépendance des Cours constitutionnelles ces dernières années ? Et les points de vigilance à avoir pour les prochaines années ? (ACCF)
A – Les textes de la Constitution du 30 mars 2023 sur l’indépendance de la justice
La nouvelle Constitution du 30 août 2023, comme toute Constitution d’un État démocratique et de droit, contient l’affirmation solennelle de l’indépendance de la justice. Relevons à cet effet, quelques articles importants.
Art 65 alinéas 16 et 17 :
Il (le président de la République) est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Il préside le Conseil Supérieur de la magistrature, la Commission consultative du Conseil d’État et la conférence des présidents et du procureur général de la Cour des comptes.
Art. 124 : La justice constitue un pouvoir indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
La justice est rendue sur le territoire de la République centrafricaine au nom du peuple centrafricain par la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Cour des comptes, le Tribunal des conflits, les Cours et Tribunaux.
Art. 125 : Les juges sont indépendants. Ils ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi. Les magistrats du siège sont inamovibles.
Des lois déterminent les statuts des juges.
Art. 126 : Le président de la République est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Le Conseil Supérieur de la magistrature, la Commission consultative du Conseil d’État et la Conférence des présidents et du procureur général de la Cour des comptes veillent sur la gestion de la carrière des magistrats et sur l’indépendance de la magistrature.
Cette indépendance est assise sur le principe de séparation des pouvoirs, évoqué dans le Préambule de la Constitution en son paragraphe 11.
« Résolu à construire un État de droit fondé sur une démocratie pluraliste, le respect de la séparation des pouvoirs en vue de garantir la sécurité des personnes et des biens, la protection des plus faibles, notamment des personnes vulnérables, des personnes vivant avec handicap, des minorités et le plein exercice des libertés et des droits fondamentaux. »
Concevoir la justice comme un véritable pouvoir à côté des pouvoirs exécutif et législatif. Or l’exécutif a un chef, le président de la République, et le législatif, le président de l’Assemblée nationale. Par contre, il n’existe pas de personnalité représentant le pouvoir judiciaire.
Du coup, le ministre de la Justice, garde des Sceaux se retrouve en première ligne dans la représentativité du pouvoir judiciaire. Il est vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, de la Commission consultative du Conseil d’État et la Conférence des présidents et du procureur général de la Cour des comptes, instances chargées de veiller sur l’indépendance de la justice.
La justice semble être une autorité ou un service de l’État, soumis à l’exécutif qui en a directement la maîtrise.
B – Les menaces à l’indépendance de la justice
De ce constat, les menaces à l’indépendance de la justice apparaissent de manière évidente :
- Immixtions de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice ;
- Cadrage juridico-institutionnel inadapté à l’existence du pouvoir judiciaire indépendant ;
- Intimidations diverses ;
- Existence de mécanisme de sanctions directes ou indirectes en vue de soumettre le pouvoir judiciaire ;
- Insuffisance des moyens humains, matériels, logistiques et financiers mis à disposition en vue du fonctionnement ;
- Mise à la retraite et destitution de 2 juges ;
- Critiques sévères de certaines décisions : décision d’annulation de décrets présidentiels, décision de refus de valider un projet de modification de la Constitution
C – Les points à surveiller
- L’inscription de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans la constitution (Condition minimale) ;
- Les règles d’élaboration et de révision des Constitutions ;
- Les règles régissant la dévolution des pouvoirs de l’État ;
- Le cadrage juridico-institutionnel de la justice : interrogation des textes pour vérifier si les mécanismes et mesures garantissent effectivement cette indépendance ;
- Le domaine des élections : définition claire et efficiente de l’organisation démocratique des élections et des interventions des OGE et des juges ;
- Les mesures visant à instaurer le contrôle de constitutionnalité ;
- Les mesures prévues dans le cadre de circonstances exceptionnelles dans lesquelles se trouverait l’État ;
- La gestion des transitions politiques et/ou démocratiques ;
- L’affirmation et la définition des mécanismes de protections des droits et libertés fondamentaux ;
- Les mécanismes de gestion apaisée des affaires de l’État.
La juridiction constitutionnelle centrafricaine a fait l’objet de graves attaques :
- Critique forte des décisions rendues sur les affaires sensibles tant au côté de la majorité que de l’opposition (invalidation de candidatures aux élections, annulation des élections, annulation des textes réglementaires anticonstitutionnels, etc.) ;
- Pressions ouvertes (diffamation, calomnie, agressions verbales et physiques des juges et des membres de leur famille, tentatives de corruption …) ;
- Refus de décaisser ou retard à décaisser les ressources nécessaires au fonctionnement de l’Institution ;
- Destitution pour mise à la retraite d’un membre malgré l’inamovibilité des juges ;
Pour une vie politique apaisée
- Paramètres « vie politique »
- Questions
– Votre Cour constitutionnelle a-t-elle déjà rendu une décision relative à la liberté de la presse ou d’expression ? (ACCF)
La juridiction constitutionnelle est une institution gardienne des libertés fondamentales au rang desquelles il y a la liberté de presse (art 24 alinéa 2 de la Constitution du 30 août 2023)
La Cour ou le Conseil constitutionnel n’ont pas eu l’occasion de rendre une décision relative à la liberté de presse ou d’expression.
Cour constitutionnelle de la
République Démocratique du Congo
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La constitution du 18 février 2006 telle que révisée par la loi n°11/020 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution en son article 23 ; l’ordonnance loi n°23/009 du 13 mars 2023 fixant les modalités de l’exercice de la presse, d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication en République Démocratique du Congo en son article 4 ainsi que la loi n°09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant en son article 27.
Oui, à l’article 23, alinéa 2 in fine ; l’article 4 in fine l’ordonnance-loi n°23/009 du 13 mars 2023 fixant les modalités de l’exercice de la presse, d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication en République Démocratique du Congo ainsi que l’article 27, al. 1er de la loi n°09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
En République Démocratique du Congo, il ressort de l’article 23 alinéa 2 de la Constitution que la liberté d’expression implique celle d’opinion et celle de conviction. La loi relative à la liberté de presse la définit comme étant le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs.
Dans cette logique, la liberté d’expression est une faculté reconnue à toute personne, physique ou morale, d’extérioriser ses opinions, ses pensées par rapport à une question ou situation donnée dans le respect de l’ordre public, de bonnes mœurs et de droits d’autrui.
La combinaison des articles 13, 22, 23 et 24 de la Constitution constitue la déclaration constitutionnelle protégeant la liberté d’expression. Il ressort de ces dispositions la prohibition de priver à un Congolais des prérogatives reconnues à tous les nationaux en raison notamment de ses opinions ou de ses convictions politiques, la déclaration des droits à la liberté de pensée, de conscience, de religion et d’expression. Ces droits impliquent la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, la formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Non, appliquant la Constitution, la Cour serait tenue à réitérer le sens que cette dernière offre à la liberté d’expression.
En somme, la définition et le contenu que la Cour constitutionnelle congolaise donne à la liberté d’expression ne diffèrent pas de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté d’expression fait partie de l’ensemble des droits humains, des libertés fondamentales, en cela, il constitue une liberté matricielle, il s’agit donc d’un terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés, notamment la liberté de culte, liberté d’enseigner, le droit au vote, le droit à une pétition, liberté de la presse…
Il faut souligner que notre jurisprudence est silencieuse faute de décision rendue en la matière.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
À cette question, la réponse reste non. Car la République Démocratique du Congo est un État laïc (article 1er, alinéa 1er de la Constitution). Par ailleurs, le blasphème n’est pas constitutif d’une infraction en RDC (n’est donc pas un élément d’ordre public). Toutefois, la diversité religieuse ne peut pas conduire à des atteintes à la liberté religieuse des uns par les autres.
Il faut aussi souligner que la Cour n’a pas encore été confrontée à ce type de recours.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Non. En République Démocratique du Congo, la liberté d’expression est exercée de la même manière, quel qu’en soit le domaine. Mais cette liberté doit s’exercer dans le respect strict de la Constitution et des lois relatives.
À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est reconnue à toute personne, privée ou publique. Son contenu et son encadrement diffèrent d’après les personnes qui en sont titulaires et donc, à leur situation. C’est ainsi qu’en termes d’encadrement, l’on a le secret professionnel, le droit de réserve, la clause de non-concurrence, etc. Pour le mineur, la liberté d’expression est encadrée par la loi portant protection de l’enfant en ses articles 7, 27 et 28 en ce qu’il exerce cette liberté sous l’autorité de ses parents ou des personnes qui ont sur lui une autorité parentale (tuteur).
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression des agents de l’État connait, en sus des normes générales, un encadrement spécifique variant selon le régime juridique leur applicable. Il y a cependant lieu de retenir que les agents de l’État jouissent de leur liberté d’expression comme tous les autres congolais.
Pour certains corps des métiers, un régime spécial peut leur être d’application, notamment pour les militaires, les policiers, les agents des services de sécurité et de renseignement ainsi que les magistrats lesquels sont soumis, de par leurs fonctions, à l’obligation de réserve, voire aux secrets professionnels.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
À partir de l’entrée en fonction de l’actuelle Cour constitutionnelle, rendue effective le 4 avril 2015.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La République Démocratique du Congo est un État de droit et démocratique (Article 1er, alinéa 1er Constitution). Dès lors, la promotion et la protection des libertés et droits fondamentaux en général et de la liberté d’expression en particulier ont une place de choix. Bien que la liberté d’expression reste tout de même essentielle d’un État démocratique comme la République Démocratique du Congo, la jurisprudence de notre Cour demeure silencieuse, faute de décision en cette matière.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
D’emblée, la Constitution congolaise, et par ricochet, le juge constitutionnel congolais accorde les mêmes garanties à toutes les libertés et droits fondamentaux. La raison majeure, c’est qu’elle s’est rendue compte des effets du caractère interdépendant de ceux-ci. Toutefois, le statut démocratique de la République Démocratique du Congo constitue un levier de renfoncement de l’encadrement de la liberté d’expression par le juge constitutionnel voire celui de droit commun.il existe cependant certains droits auxquels la Constitution accorde une protection particulière, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent être dérogés, même en cas des circonstances exceptionnelles (état de siège, état d’urgence et état de guerre), parmi lesquels figure en bonne place la liberté de pensée, de conscience et de religion.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Non. L’absence de variations s’explique par le fait que seuls les domaines politiques et des médias occasionnent régulièrement les contestations afférentes à cette liberté. Très rares, l’on identifie des réclamations ou contestations relatives à l’exercice de la liberté d’expression dans le domaine économique, social, culturel et religieux voire des arts.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Cette question est tributaire à la Réponse n°4 (affirmative).
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La Cour constitutionnelle est le premier rempart de la protection des libertés et droits fondamentaux, à qui la mission essentielle est d’y veiller à travers l’exercice de toutes ses différentes compétences contentieuses et non contentieuses ; bien que les autres juridictions en aient reçu compétences (articles 149, alinéa 1er et 150, alinéa 1er de la Constitution). En plus, ses arrêts sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, notamment à toutes les autorités juridictionnelles, civiles et militaires. De ce point de vue, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur la liberté d’expression influe sur la jurisprudence des juridictions du fond et celles-ci ne peuvent y déroger. Par inverse, la jurisprudence de ces juridictions ne reste pas moins nécessaire à servir au juge constitutionnel de repère pourvu qu’elle soit conforme à l’esprit de la Constitution.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Pour motiver ses propres décisions, la Cour s’inspire parfois de jurisprudences d’autres cours étrangères, régionales et internationales en vertu de la mondialisation du droit. Bien plus du droit mondialisé autant il incorporait des valeurs universelles que les droits de l’homme revêt un caractère universel.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
L’exercice de la liberté de la vie privée ne doit pas être constitutif d’abus tels les violences conjugales, l’abandon de famille, etc. Il ne doit donc pas conduire à des atteintes graves à d’autres droits. Ainsi, lorsque la liberté de la vie privée est en conflit avec d’autres droits fondamentaux, il n’est nécessaire que la liberté d’expression soit exercée pour dénoncer, accuser et décrier les abus qui peuvent résulter du bénéfice de la liberté à la vie privée. Par ailleurs, la critique de la religion est tolérable dans une certaine mesure. Seulement, elle ne doit pas aboutir ou conduire à inciter à la haine de la religion critiquée.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
L’encadrement de la liberté d’expression par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle conduit davantage dans l’équilibre des intérêts de l’État et ceux de l’individu, sans oublier qu’il en est premier bénéficiaire. Toutefois, les intérêts étatiques restent supérieurs pour assurer sa stabilité, sa sécurité intérieure et extérieure, la défense même de son intégrité territoriale. Ainsi donc, tout dépend de la question soumise à la Cour.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Les principes de la proportionnalité et de la nécessité. L’utilisation est casuistique. Par exemple, une sanction plus sévère au regard d’un simple égarement de l’exercice d’une liberté d’expression est disproportionnée comme limite à cette liberté. Le contrôle varie dans les deux sens, car le législateur ne peut arbitrairement prévoir des limites à la liberté d’expression ; et le titulaire de cette liberté ne peut l’exercer que dans les limites des devoirs qui lui incombent. Un magistrat est traité sévèrement qu’un simple citoyen lorsque les deux sembleraient dépasser les limites de leur liberté d’expression.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
La liberté d’expression et l’ordre public entretiennent un rapport de soumission. En effet, la première doit s’exercer dans le respect du second en ce sens que l’ordre public vise la cohérence sociale et le bien-être durable de la société dans la mesure où l’expression utilisée peut occasionner une instabilité incontrôlée. L’ordre public permet d’encadrer la liberté d’expression. Il est d’infractions consacrées pour lutter contre l’exercice excessif de la liberté d’expression, car en fait un excès trouble l’ordre public. À titre d’illustration, la diffamation. D’autres infractions sont érigées pour protéger la liberté d’expression (la torture) sachant que la liberté d’expression implique de s’exprimer sans contrainte. En outre, reste « un objectif de valeur constitutionnelle ».
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Le contrôle de stricte nécessité.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les circonstances exceptionnelles, l’état d’urgence et l’état de siège, telles que prévues par la constitution en ses articles 85, 144 et 145. L’article 61 fixe, cependant, les noyaux durs des droits fondamentaux parmi lesquels se trouvent les libertés dont la liberté d’expression sert de terreau : liberté de pensée, de conscience et de religion. Cela conduit à ce que l’on réserve un régime juridique particulier à la liberté d’expression pourvu qu’elle soit conforme aux limites traditionnelles : l’ordre public, sachant que celui-ci reçoit un contenu particulier adapté à la circonstance, ainsi qu’aux objectifs poursuivis par l’état d’urgence et l’état de siège.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La censure est instaurée dans le but de sauvegarder l’ordre public (moralité publique) et les bonnes mœurs qui, tous deux, constituent des limites traditionnelles de la liberté d’expression. Généralement, les termes utilisés, les images affichées voire ceux simulables dérangeant la pudeur, obscènes ou autres qui heurtent la sensibilité des consommateurs (censure). Quant à la diffamation, dirigée contre une personne déterminée, est considérée comme un excès de l’exercice de la liberté d’expression. Et l’examen minutieux des éléments de cette infraction révèle que seule l’intention de son auteur permet d’établir une frontière entre la diffamation et la liberté d’expression : la mauvaise foi (diffamation) et bonne foi (liberté d’expression).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Pas encore, pour deux raisons : la première, la loi sur les télécommunications et la nouvelle technologie de l’information et de la communication ainsi que celle du numérique sont récentes (respectivement novembre 2020 et juin 2023) ; en tant que loi ordinaire, elle n’est pas obligatoire de passer par un contrôle a priori d’inconstitutionnalité des lois.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Réponse conditionnée à la précédente.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
En période électorale, la liberté d’expression connait un renforcement de protection dans la mesure où durant tout le processus électoral, il est admis son large exercice en vue de garantir la démocratie. Ex. : Processus électoral de 2023.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non. Toutefois, chaque étranger est soumis aux règles de l’État de son établissement ou dans lequel il se trouve. Le personnel diplomatique et consulaire doit respecter la souveraineté de la République Démocratique du Congo exprimée à travers ses lois et règlements ainsi que les règles imposées par les conventions universelles, régionales, sous-régionales, voire bilatérales.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
En principe, la réponse est négative. Mais l’article 23 de la Constitution qui garantit la liberté d’expression précise qu’elle s’exerce sous réserve du respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Aucun texte législatif ou réglementaire ne définit le concept le domaine public. Ce qui laisse une brèche au juge notamment constitutionnel d’en varier le contenu selon les circonstances encore que ce soit une notion qui évalue avec le temps.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Contrairement aux autres libertés et droits fondamentaux, la liberté d’expression est plus réclamée et invoquée à chaque fois qu’il y a des interpellations y ayant trait. Ceci démontre qu’au sein de la population, c’est l’une des libertés les plus utilisées. De ce fait, son encadrement mesuré par la Cour permet, dans une certaine mesure, d’asseoir la légitimité de la Cour constitutionnelle congolaise ainsi que son rôle de rempart des droits et libertés fondamentaux.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, bien que n’étant pas le seul outil. Néanmoins, son utilité n’est plus à prouver en ce qu’elle permet l’exercice de droit de vote, de participer aux débats publics, à la gestion de la chose publique de manière libre, c’est-à-dire sans contrainte aucune. Il est par ailleurs affirmé que sans la liberté d’expression, il ne peut donc pas y avoir de démocratie. Car, la liberté du débat permet aux citoyens de se forger une opinion sur les partis qui se présentent aux élections, de prendre des décisions en toute connaissance de cause et d’exercer plus efficacement leurs devoirs de citoyen. Elle leur permet également de faire connaitre aux autorités ce qu’ils pensent et celles-ci peuvent alors répondre à leurs préoccupations. Elle est indispensable à la stabilité et à la flexibilité de la société[209].
Conclusion :
En République Démocratique du Congo, la Cour constitutionnelle se veut garante des droits et libertés fondamentaux. Comme cela ressort de nos réponses, elle se fonde sur la Constitution et fait parfois référence en termes de source d’inspiration aux traités et accords internationaux ainsi qu’à la jurisprudence des juridictions constitutionnelles des pays avec lesquels la République démocratique du Congo partage la même philosophie juridique et même à celle des juridictions internationales pour renforcer ses positions. Elle fait aussi recours à la doctrine ayant une certaine autorité afin de développer sa propre logique de raisonnement e sur les questions majeures de protection des droits et libertés fondamentaux.
Il convient de noter qu’à ce jour, sa jurisprudence est silencieuse quant aux questions liées à la liberté d’expression, car elle n’a pas encore été saisie pour ces types de questions. Cette situation se justifie, car de par les textes juridiques régissant la Cour constitutionnelle et la philosophie qui guide l’action de cette juridiction, elle ne peut s’autosaisir d’office d’une violation de la Constitution.
Cour constitutionnelle de Roumanie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
L’article 30 de la Constitution roumaine réglemente la liberté d’expression : (1) la liberté d’expression de pensées, d’opinions ou de croyances et la liberté de création de toute nature, que ce soit par la bouche, l’écriture, les images, les sons ou d’autres moyens de communication en public, sont inviolables. (2) La censure de toute nature est interdite. (3) La liberté de la presse implique également la liberté de créer des publications. (4) Aucune publication ne peut être supprimée. (5) La loi peut imposer aux médias l’obligation de rendre publique la source de financement. (6) La liberté d’expression ne peut porter atteinte à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne ou au droit à son image. (7) La diffamation du pays et de la nation, l’appel à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale, de classe ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique, ainsi que les manifestations obscènes contraires aux bonnes mœurs sont interdites par la loi. (8) La responsabilité civile de l’information ou de la création portée à la connaissance du public incombe à l’éditeur ou au créateur, à l’auteur, à l’organisateur de la manifestation artistique, au propriétaire du support de multiplication, à la station de radio ou de télévision, conformément à la loi. Les délits de presse sont établis par la loi.
Dans son analyse des présentes affaires, la Cour constitutionnelle de Roumanie tient également compte des dispositions de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que de celles de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans la mesure où les auteurs des griefs d’inconstitutionnalité invoquent une violation alléguée de celle-ci, à la lumière des dispositions des articles 20 et 148 de la Loi fondamentale.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Les limites du droit à la liberté d’expression sont régies par les paragraphes 6 et 7 de l’article 30 de la Constitution : la liberté d’expression ne porte pas atteinte à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne, ni au droit à son image. (7) La diffamation du pays et de la nation, l’appel à la guerre d’agression, la haine nationale, raciale, de classe ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique, et les manifestations obscènes contraires aux bonnes mœurs sont interdits par la loi. »
Dans sa jurisprudence, la [210]Cour constitutionnelle a jugé que, conformément à l’article 30, paragraphe 1, de la Constitution, la liberté d’expression est inviolable. Toutefois, elle ne peut porter atteinte « à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne, ni au droit à sa propre image ». Les limites de la liberté d’expression, énoncées à l’article 30, paragraphe 6, de la Constitution roumaine, sont pleinement conformes à la notion de liberté, qui n’est pas et ne peut pas être comprise comme un droit absolu. Les conceptions juridico-philosophiques promues par les sociétés démocratiques admettent que la liberté d’une personne prend fin là où commence la liberté d’une autre personne. L’article 57 de la Constitution prévoit expressément l’obligation pour les citoyens roumains, les citoyens étrangers et les apatrides d’exercer leurs droits constitutionnels de bonne foi, sans violer les droits et libertés d’autrui. C’est en principe que les obligations légales, et plus encore de nature constitutionnelle, doivent correspondre à des sanctions légales en cas de non-respect. Dans le cas contraire, les obligations légales seraient réduites au sens de simples desiderata, sans résultat pratique dans le domaine des relations sociales, la raison même de l’annulation de la réglementation juridique de certaines de ces relations. La réglementation constitutionnelle de la liberté d’expression, en tant que droit fondamental à contenu complexe, a déterminé les limites dans lesquelles elle peut être exercée. Surmontant le cadre constitutionnel, l’exercice abusif du droit entraîne une responsabilité juridique qui, dans le cas de la liberté d’expression, est expressément consacrée par les dispositions du paragraphe 8 de l’article 30 de la Constitution. Toutefois, la nature et la sévérité des sanctions infligées sont des éléments à prendre en compte lors de l’appréciation de la proportionnalité d’une restriction à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits et libertés fondamentaux. Les valeurs constitutionnelles qui ne peuvent être affectées sont les droits individuels tels que la dignité, l’honneur, la vie privée de la personne et le droit à sa propre image, à savoir les valeurs fondamentales qui sont protégées par l’interdiction des actes visés à l’article 30, paragraphe 7, à savoir la diffamation du pays et de la nation, l’appel à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale, de classe ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique, ainsi que les manifestations obscènes contraires aux bonnes mœurs. Étant donné que les limites imposées à cette liberté constitutionnelle sont elles-mêmes de rang constitutionnel, la détermination du contenu de cette liberté doit être interprétée strictement, aucune autre limite n’étant autorisée, sauf en violation de la lettre et de l’esprit de l’article 30 de la Constitution.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Les dispositions de l’article 30 de la Constitution, qui consacrent la liberté d’expression, stipulent que cela représente la possibilité pour l’homme de manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances religieuses et ses créations de toute nature, par l’écriture, les images, les sons ou d’autres moyens de communication en public. La liberté d’expression a un contenu complexe, englobant la liberté d’expression ou la liberté de la presse.[211]
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Les exigences découlant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression ont été acceptées dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Roumanie, et le niveau de protection des droits fondamentaux régi par la Constitution roumaine n’est pas inférieur à celui établi par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme. Les décisions de la Cour constitutionnelle renvoient aux arrêts pertinents de la Cour de Strasbourg.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Comme je l’ai mentionné à la question 3, les dispositions de l’article 30 de la Constitution, qui consacrent la liberté d’expression, stipulent que cela représente la possibilité pour l’homme de manifester ses pensées, opinions, croyances religieuses et créations de toute nature, par l’écriture, images, sons ou autres moyens de communication en public, pensées, opinions, croyances religieuses et créations de toute nature. La liberté d’expression a un contenu complexe, englobant la liberté d’expression ou la liberté de la presse.[212]
Dans le même temps, en ce qui concerne la liberté d’expression, l’article 30, paragraphe 6, de la Constitution prévoit que son exercice ne peut porter atteinte à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne ou au droit à sa propre image, et l’article 31, paragraphe 4, dispose que les médias sont tenus d’assurer l’information correcte de l’opinion publique. Dans ces circonstances, il ne fait aucun doute que le droit de réponse a la valeur d’un droit constitutionnel corrélé à celle de la libre expression des opinions, quelle que soit la forme sous laquelle il peut être exercé. Elle peut, en outre, être considérée en lien étroit avec les dispositions de l’article 30, paragraphe 8, de la Constitution, qui réglemente la responsabilité civile pour les informations portées à la connaissance du public[213].
Ainsi, les éventuelles violations de la liberté d’expression sont analysées au cas par cas.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Le texte constitutionnel de l’article 30 ne fait aucune distinction à cet égard. Les éventuelles violations de la liberté d’expression sont analysées au cas par cas. À titre d’exemple, nous citons la décision no 284 du 21 mai 2014, publiée au Journal officiel de la Roumanie, partie I, n° 495 du 3 juillet 2014, par laquelle, statuant sur une demande de résolution d’un conflit juridique constitutionnel entre le président de la Roumanie et le gouvernement roumain, une demande formulée par le Premier ministre, la Cour constitutionnelle a jugé que « dans l’exercice de leurs mandats constitutionnels, les représentants des autorités publiques, par leurs fonctions, sont tenus d’éviter de créer des États conflictuels entre les pouvoirs. Le statut constitutionnel du Président, ainsi que son rôle dans la démocratie constitutionnelle, l’obligent à choisir des formes d’expression appropriées, de sorte qu’elles ne soient pas constituées d’éléments susceptibles de générer des conflits juridiques constitutionnels entre les autorités publiques.
Dans le même temps, la Cour a également relevé que les avis, jugements de valeur ou déclarations du titulaire d’un mandat de dignité publique, concernant d’autres autorités publiques, ne constituent pas en eux-mêmes des conflits juridiques entre autorités publiques. Les avis ou propositions sur la manière dont une autorité publique particulière ou ses structures, même critiques, agissent ou devraient agir ne déclenchent pas de goulets d’étranglement institutionnels, à moins qu’ils ne soient suivis d’actions ou d’inactions susceptibles d’entraver l’exécution des obligations constitutionnelles de ces autorités publiques. Ces opinions ou propositions restent dans les limites de la liberté d’expression des opinions politiques, avec les limitations prévues à l’article 30, paragraphes 6 et 7, de la Constitution ».[214]
En outre, en ce qui concerne les parlementaires et la liberté d’expression, la Cour a noté[215] qu’en réglementant l’obligation des députés, dans les débats parlementaires, de ne pas adopter de comportements et de langues dénigrants, racistes ou xénophobes ni de porter des banderoles ou des banderoles, la Chambre des députés, en vertu de son autonomie réglementaire, a transposé à un niveau infraconstitutionnel les limites de la liberté d’expression consacrées par la norme constitutionnelle. En d’autres termes, la disposition légale interdit les comportements et le langage dénigrants, racistes ou xénophobes, quelle que soit la façon dont ils se manifestent, y compris par écrit, au moyen de messages affichés sur des bannières ou des bannières. L’interdiction ne concerne pas la manière dont le message politique lui-même est exprimé, au moyen de la bannière ou de la bannière, mais uniquement le contenu du message qui ne doit pas être circonscrit au « langage dénigrant, raciste ou xénophobe ». L’utilisation des différentes formes d’expression des opinions politiques doit se limiter au cadre, à la finalité et à la réputation du corps législatif, respecter la solennité des séances plénières de chaque assemblée et ne pas porter atteinte à l’image du Parlement, et encore moins à ses travaux. Il est donc nécessaire que la liberté d’expression, dont les limites ne sont fixées que par la Constitution, trouve des formes de manifestation appropriées, qui, d’une part, répondent à l’impératif du droit parlementaire de l’opposition et de chaque sénateur ou député, individuellement, d’exprimer et de faire connaitre ses opinions, ses positions politiques et, d’autre part, ne se limitent pas à une simple déclaration de droits, sans être suivie d’un véritable débat sur les opinions politiques, les arguments juridiques avancés par les parlementaires dans le cadre formel du forum législatif.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
Les titulaires de la liberté d’expression sont à la fois des personnes privées et publiques, avec les limitations expressément prévues par la Loi fondamentale. La liberté d’expression appartient également aux représentants démocratiquement élus du peuple, à l’égard desquels le contenu de la liberté d’expression contient certaines nuances, comme indiqué à la question 7.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les droits et libertés des fonctionnaires sont énoncés dans les actes normatifs spéciaux régissant leur activité. Ainsi, l’article 432 du Code administratif[216] dispose que « (1) les agents de la fonction publique ont droit à la liberté d’expression, conformément à la loi. (2) Dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, les agents publics ont l’obligation de ne pas porter atteinte à la dignité, à l’image, ainsi qu’à la vie intime, familiale et privée de toute personne. Dans le même temps, les fonctionnaires ont l’obligation, dans l’exercice de leurs fonctions, de s’abstenir d’exprimer publiquement ou d’exprimer leurs convictions et préférences politiques, de ne favoriser aucun parti ou organisation politique auquel le même régime juridique s’applique aux partis politiques (article 436, paragraphe 2, du code administratif).
En ce qui concerne les magistrats, la loi n° 303/2022 sur le statut des juges et des procureurs[217] prévoit certaines limitations à la liberté d’expression, en ce sens que: « Faute disciplinaire : […] b) des attitudes indignes pendant le service à l’égard des collègues, des autres membres du personnel du tribunal ou du parquet dans lequel ils opèrent, des inspecteurs judiciaires, des avocats, des experts, des témoins, des justiciables ou des représentants d’autres institutions; c) mener des activités de nature politique ou manifester des convictions politiques en public ou pendant le service ; […]». Par décision n° 708 du 15 novembre 2018, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 60, du 23 janvier 2019, la Cour a constaté, à l’égard de dispositions similaires de la législation antérieure, que le législateur n’avait pas violé les exigences de clarté et de prévisibilité de la loi en utilisant l’expression « attitudes indignes », car sa signification peut raisonnablement être perçue et comprise par les destinataires de la règle, à savoir les magistrats. En outre, le législateur ne pourrait pas prévoir une liste exhaustive des actes ou des actes susceptibles de porter atteinte à la dignité de la profession et de la société ni une liste exhaustive des attitudes jugées indignes dans l’exercice de leurs fonctions. La Cour a également jugé que l’adaptation de leur comportement aux prescriptions de la règle doit être analysée en fonction des circonstances spécifiques, caractéristiques de chaque situation factuelle individuelle. Par décision n° 326 du 21 mai 2019, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 663 du 9 août 2019, la Cour a jugé que, en vertu de l’article 30, paragraphe 1, de la Constitution, la liberté d’expression est inviolable, mais qu’elle ne saurait être comprise comme absolue, sans qu’il y ait de limitations relatives à la nécessité de protéger d’autres valeurs fondamentales. L’article 57 de la Constitution prévoit expressément l’obligation pour les citoyens roumains, les citoyens étrangers et les apatrides d’exercer leurs droits constitutionnels de bonne foi, sans violer les droits et libertés d’autrui. Une limitation identique est également prévue à l’article 10, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon lequel «l’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut faire l’objet de formalités, conditions, limitations ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui…» et à l’article 19, paragraphe 3, du pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui établit que l’exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités particulières et qu’il peut faire l’objet de certaines restrictions qui doivent être expressément prévues par la loi, compte tenu des droits ou de la réputation d’autrui. En tant que règle restrictive, susceptible de circonscrire le cadre dans lequel la liberté d’expression peut être exercée, la liste dressée par l’article 30, paragraphes 6 et 7, est stricte et restrictive[218]. Par conséquent, la Cour a jugé que les limites de la liberté d’expression des magistrats relèvent des principes généraux de déontologie, qui impliquent l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité et exigent le respect de la conduite du magistrat par rapport à ces principes. De ce point de vue, compte tenu du degré d’abstraction de la disposition juridique, le législateur ne saurait énumérer les faits susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la probité professionnels ou au prestige de la justice. Au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la fonction publique comporte certaines restrictions à l’exercice de la liberté d’expression et l’obligation de réserve, caractéristique de la fonction publique, découle des obligations et responsabilités qui incombent aux fonctionnaires en tant que fonctionnaires de l’État (arrêt de l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme du 3 mai 1988 dans l’affaire Morissens c. Belgique). En outre, en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 16 sur l’égalité des droits et de l’article 30 sur la liberté d’expression, la Cour a jugé qu’ils n’étaient pas liés au devoir des magistrats de s’abstenir de tout acte ou acte susceptible de compromettre leur dignité dans la profession et dans la société.
En ce qui concerne le personnel militaire, l’article 29 de la loi n° 80/1995 relative au statut du personnel militaire[219] restreint l’exercice de certains droits et libertés, y compris la liberté d’expression, et dispose que: « Les cadres militaires en activité sont limités à l’exercice de certains droits et libertés, comme suit : les opinions politiques ne peuvent être exprimées qu’en dehors du service; b) l’expression publique d’opinions contraires aux intérêts de la Roumanie et des forces armées n’est pas autorisée; c) les conditions dans lesquelles le personnel militaire en activité sera en mesure de présenter publiquement des renseignements militaires seront établies par arrêté du ministre de la Défense nationale; d) l’adhésion aux confessions religieuses est libre, sauf celles qui, selon la loi, contreviennent aux normes de préservation de l’ordre public, ainsi que celles qui violent les bonnes mœurs ou affectent l’exercice de la profession; e) la formation sous diverses formes d’association à caractère professionnel, technico-scientifique, culturel et sportif récréatif, à l’exception des syndicats ou qui contreviennent au commandement unique, à l’ordre et à la discipline propres à l’institution militaire est autorisée dans les conditions fixées par la réglementation militaire; f) la conclusion du mariage est libre en vertu de la loi. Le mariage avec un apatride ou qui n’est pas exclusivement de nationalité roumaine est subordonné à l’obtention de l’approbation préalable du ministre de la Défense nationale; g) la participation à des rassemblements, manifestations, processions ou réunions à caractère politique ou syndical est interdite, à l’exception des activités auxquelles ils participent à la mission; h) le personnel militaire en activité peut se rendre à l’étranger dans les conditions fixées par arrêté du ministre de la Défense nationale.»
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
La liberté d’expression est encadrée par les textes constitutionnels eux-mêmes, et l’application claire de cette qualification a été faite par la Cour constitutionnelle à l’occasion de l’adoption de la décision no 62 du 18 janvier 2007, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 104 du 12 février 2007, lorsque la Cour a sanctionné la dépénalisation des infractions pénales et a constaté que, compte tenu de l’importance particulière des valeurs protégées par les dispositions des articles 205, 206 et 207 du Code pénal – la dignité, la réputation et l’honneur de la personne […], l’abrogation de ces textes juridiques et la dépénalisation, de cette manière, des infractions d’insulte et de diffamation sont contraires aux dispositions de l’article 1er, paragraphe 3, de la Constitution roumaine [sur l’état de droit]. Il a été noté qu’en abrogeant les dispositions légales susmentionnées, un vide réglementaire inadmissible a été créé, contrairement à la disposition constitutionnelle qui garantit la dignité de l’homme en tant que valeur suprême. En l’absence de protection juridique prévue par les articles 205, 206 et 207 du Code pénal, la dignité, l’honneur et la réputation des personnes ne bénéficient plus d’aucune autre forme de protection juridique réelle et adéquate.
Cependant, à l’heure actuelle, avec l’adoption du Code pénal en 2009, les actes d’insulte et de diffamation ont été dépénalisés.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Étant donné qu’aucune hiérarchie des droits fondamentaux n’est reconnue dans le système juridique roumain, la liberté d’expression n’occupe pas non plus une place particulière dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. En outre, le poids des décisions de la Cour constitutionnelle sur la liberté d’expression est insignifiant.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
La Cour constitutionnelle n’a jamais établi de hiérarchie entre les droits et les libertés.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La Cour constitutionnelle de Roumanie a fixé des normes très élevées en matière de liberté d’expression depuis sa création, avec une définition claire de ses limites, conformément à la Constitution. Il n’y avait aucune variation dans la protection accordée à la liberté d’expression.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La Cour constitutionnelle de Roumanie a eu une jurisprudence constante en la matière, sans aucune modification de fond.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle est contraignante pour tous les tribunaux en vertu des dispositions de l’article 147, paragraphe 4, de la Constitution, qui dispose que les décisions de la Cour constitutionnelle sont publiées au Journal officiel de la Roumanie, et à compter de la date de publication, les décisions sont contraignantes et n’ont de pouvoir que pour l’avenir.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Cour constitutionnelle de Roumanie s’inspire de la jurisprudence d’autres juridictions nationales voisines, régionales ou internationales, en tant qu’expression/modalité du dialogue entre les juges.
L’adaptation obligatoire intervient dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et, dans les conditions prévues par sa jurisprudence et compte tenu des compétences conférées par la Constitution et les lois, dans le cas de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. À titre d’exemple, nous citons la décision no 435 du 26 mai 2006, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 576 du 4 juillet 2006, dans laquelle la Cour constitutionnelle a jugé qu’« elle souscrit aux arguments de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’appréciation des limites de la liberté d’expression lors de l’examen de questions relatives à l’administration de la justice. Cette cour internationale a jugé que la presse est l’un des moyens dont disposent les décideurs politiques et l’opinion publique pour s’assurer que les juges s’acquittent de leurs hautes responsabilités conformément à l’objectif de la tâche qui leur est assignée. Il convient toutefois de tenir compte du rôle particulier joué par le pouvoir judiciaire dans la société. En tant que garant de la justice, valeur fondamentale de l’état de droit, son action nécessite la confiance des citoyens ; dès lors, il peut apparaître nécessaire de la protéger contre des attaques destructrices sans fondement sérieux, d’autant plus que les magistrats sont liés par l’obligation de réserve qui les empêche de réagir à une situation particulière. » (Affaire Prager et Oberschlick c. Autriche – 1995) ».
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
L’harmonisation de la liberté d’expression avec les différents droits et libertés se fait en tenant compte du patrimoine constitutionnel européen commun, y compris par référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
À ce jour, il n’y a pas eu de contradiction aussi flagrante entre l’intérêt général de l’État ou un droit objectif et les droits de l’individu. La Cour constitutionnelle utilise dans sa jurisprudence la méthode du test de proportionnalité inspirée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, les traditions démocratiques restaurées après près de 50 ans de régime totalitaire communiste exigent un traitement attentif de toutes les tendances / dérivés qui peuvent conduire à des règles ou à un ordre juridique basé sur des principes autres que ceux prescrits par la démocratie libérale classique.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Comme indiqué au point 9, la Cour constitutionnelle utilise, selon sa méthode d’interprétation, le type de critère de proportionnalité inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’intention du législateur n’affecte pas directement l’utilisation de ce type de critère, mais le degré d’intensité de toute restriction à l’exercice du droit peut avoir une incidence sur l’utilisation de ce critère en tant que tel.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
L’article 57 de la Constitution dispose que les citoyens roumains, les citoyens étrangers et les apatrides doivent exercer leurs droits et libertés constitutionnels de bonne foi, sans violer les droits et libertés d’autrui.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Non
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les coordonnées sont établies par l’article 53 de la Constitution sur la limitation de l’exercice de certains droits ou libertés[220].
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
En ce qui concerne la censure, la Cour adopte une conception classique de la censure issue de la période dictatoriale antérieure à 1989. Ainsi, par décision n° 857 du 9 juillet 2008, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 535 du 16 juillet 2008, la Cour constitutionnelle a jugé que la censure dans le domaine audiovisuel se réfère au contrôle préalable qui serait exercé sur le contenu des émissions de télévision et de radio, mais également sur les formes ou modalités de présentation des éléments des services de programmes, de la part des autorités publiques ou de toute personne physique ou morale, roumaine ou étrangère.
En ce qui concerne la diffamation, la Cour n’est pas un législateur positif pour établir des critères, mais a noté que le respect de la dignité humaine est essentiel dans une société démocratique, compte tenu de l’existence du droit à sa propre image consacré en tant que tel à l’article 30, paragraphe 6, de la Constitution. En analysant les limites de la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle se réfère également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Non
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
La Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur une telle hypothèse.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Non, les critères utilisés par la Cour constitutionnelle sont constants, à savoir ceux découlant de l’analyse de l’article 53 de la Constitution concernant la restriction de l’exercice de certains droits ou libertés.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La Cour constitutionnelle a dû examiner une telle hypothèse.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Les situations concernant la restriction éventuelle de certains droits ou libertés sont celles prévues par la législation en vigueur (concernant l’état de siège, l’état d’urgence, etc.), et la Cour constitutionnelle peut les analyser à la lumière des critères prévus par l’article 53 de la Constitution concernant la restriction de l’exercice de certains droits ou libertés.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
La Cour constitutionnelle peut se prononcer sur une telle disposition légale strictement par rapport à l’article 53 de la Constitution sur la restriction de l’exercice de certains droits ou libertés.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Les périodes de « tumble » n’ont aucune incidence sur la position et la légitimité de la Cour constitutionnelle qui s’est construite sur une base institutionnelle solide depuis plus de 32 ans.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Non, non. La liberté d’expression peut éventuellement être un facteur de renforcement de la stabilité de la Cour constitutionnelle qui assume et exerce pleinement et de manière responsable le rôle conféré par la Constitution et par les lois prévoyant et détaillant ses pouvoirs. Cela peut se faire en recevant des idées émises dans l’exercice de la liberté d’expression par des membres de la société, respectivement par la société civile.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La liberté d’expression est essentielle, étant un élément intrinsèque de l’idée de démocratie. La diversité des idées et leur débat dans un cadre large permettent la formation d’opinions pertinentes et bénéfiques pour le développement de la société. Même avec la question dans l’espace public des idées non conformistes, la société doit y avoir accès, et l’État a l’obligation d’éduquer les citoyens dans le sens d’acquérir les compétences nécessaires pour analyser et filtrer ces idées en termes de valeurs dérivées du patrimoine constitutionnel commun et largement accepté.
Conseil constitutionnel du Sénégal
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Constitution du Sénégal, dans son préambule et dans ses articles, consacre la liberté d’expression et des variantes de cette liberté telle que l’accès à l’information, la liberté des médias, etc.
Pour le préambule nous pouvons citer les textes suivants :
- l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « la libre communication des pensées et opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ;
- l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui dispose que : « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir, et de répandre sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
- L’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui dispose que «…toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements » ;
Au titre des articles de la Constitution :
- l’article 8 garantit la liberté d’expression et le droit à une information plurielle ;
- l’article 10 garantit le « droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique… » ;
- l’article 11 garantit la «liberté de création», qui permet en l’absence de toute autorisation préalable, de créer « un organe de presse pour l’information politique, économique, culturelle, sportive, sociale, récréative, scientifique… » ;
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. Elle est immédiatement encadrée par la formule « pourvu que l’exercice des droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’exprimer et de diffuser librement ses idées et ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, etc.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Non.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté de penser, à la liberté de presse, de parole, entre autres découlent de la liberté d’expression.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Non. Un tel conflit relèverait de la compétence du juge judiciaire (article 91 de la Constitution) et ne concernerait le Conseil constitutionnel que si une exception d’inconstitutionnalité est soulevée à cette occasion.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (Politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Oui. Les fonctionnaires sont astreints à une obligation de réserve et au respect des secrets administratif (fonction publique générale) et de défense (militaires). Cette obligation consiste à adopter une retenue en toutes circonstances, de manière à préserver l’institution, notamment en évitant des commentaires inappropriés contre une décision, en affichant son appartenance religieuse, sociale ou philosophique face aux usagers de l’administration, etc.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?)
La liberté d’expression est reconnue à tous (article 10 de la Constitution) ;
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
La liberté d’expression est reconnue aux agents de l’État dans leur vie quotidienne et professionnelle, sous réserve, du respect de leur obligation de réserve et de discrétion.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
En 2021, le Conseil constitutionnel a considéré que « le secret de la correspondance peut se rattacher, à la liberté d’expression prévue à l’article 11 de la DDHC en vertu duquel « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Non.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le Conseil constitutionnel a posé une règle de portée générale selon laquelle lorsqu’un droit ou une liberté est en concurrence avec une autre règle d’égale valeur, leur conciliation ne peut se faire que de manière à préserver l’intérêt général et l’ordre public qui sont des objectifs de valeur constitutionnelle ; même lorsqu’il s’agit de libertés fondamentales garanties par la Constitution, le législateur peut apporter des restrictions à leur exercice, en invoquant d’autres principes à valeur constitutionnelle, tels que la sauvegarde de l’ordre public ou la sauvegarde de l’intérêt général.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Il n’existe pas une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cette question.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Les juridictions de fond sont dans l’obligation de se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (article 92 de la Constitution).
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Il n’existe pas une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cette question.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Il n’existe pas une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cette question.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Le Conseil constitutionnel a décidé dans sa jurisprudence que le législateur peut apporter des restrictions à l’exercice de la liberté d’expression en invoquant d’autres principes à valeur constitutionnelle, tels que la sauvegarde de l’ordre public ou la sauvegarde de l’intérêt général.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur la possibilité d’apporter des restrictions à l’exercice de la liberté d’expression en raison, notamment, de la sauvegarde de l’ordre de public ou de l’intérêt général et consacre un contrôle de proportionnalité en faisant primer l’intention du législateur.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Comme précisé plus haut, le Conseil constitutionnel a décidé que même lorsqu’il s’agit de libertés fondamentales garanties par la Constitution, le législateur peut apporter des restrictions à leur exercice, en invoquant d’autres principes à valeur constitutionnelle, tels que la sauvegarde de l’ordre public ou la sauvegarde de l’intérêt général.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression?
Non.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Certaines circonstances entraînent une atténuation de la liberté d’expression (état d’urgence, état siège) tandis qu’en d’autres circonstances cette liberté est totale (Campagne électorale, session parlementaire).
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Ces questions relèvent de la compétence du juge administratif et du juge pénal.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Non.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Cela relèverait de la compétence du juge judiciaire.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
L’article L. 117 du Code électoral prévoit : « de l’ouverture de la campagne électorale jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin, aucun candidat ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour des propos tenus ou des actes commis durant cette période et qui se rattachent directement à la compétition ».
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Il n’existe pas une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cette question.
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
La loi n° 69‐029 du 29 avril 1969, modifiée, relative à l’état d’urgence, à l’état de siège et à la gestion des catastrophes naturelles ou sanitaires prévoit un régime d’exception qui permet de restreindre les droits fondamentaux, en l’occurrence la liberté d’expression, en période troubles.
Cependant l’application de cette loi, n’a pas encore généré un contentieux devant le Conseil constitutionnel.
Par un communiqué du 31 juillet 2023, le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique a pris un communiqué de suspension temporaire de l’Internet et des données mobiles pour « mettre fins à la diffusion de messages haineux et subversifs relayés sur les réseaux sociaux dans un contexte de menaces de troubles à l’ordre public ».
Dans ce contexte, le traitement se fait sur la base des textes précédemment cités (cf. réponses à la première question).
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Le Conseil constitutionnel, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité des lois, est le garant des droits et libertés consacrés par la Constitution en période de trouble.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La liberté d’expression constitue « une condition de la liberté de la pensée, elle exprime l’identité et l’autonomie intellectuelle des individus et conditionne leurs relations aux autres individus et à la société ». Elle résume donc le rôle de la juridiction constitutionnelle qui est garante de l’équilibre des rapports sociaux, et par conséquent permet d’asseoir sa légitimité.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Dans un système démocratique, la souveraineté appartient au Peuple. En conséquence, la liberté d’expression, qui est consubstantielle à toute société démocratique, permet d’apprécier le système de gouvernement.
Cour constitutionnelle de Serbie
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
L’Article 46, paragraphe 1 de la Constitution de la République de Serbie[221] garantit la liberté de pensée et d’expression, ainsi que la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par la parole, l’écriture, l’image ou tout autre moyen.
L’article 50, paragraphe 4 de la Constitution prévoit le droit à la correction des informations inexactes, incomplètes ou incorrectement transmises portant atteinte aux droits ou aux intérêts de quelqu’un. Le droit de réponse à une information publiée est réglementé par la loi.
L’article 51 de la Constitution dispose que chacun a le droit d’être informé de manière véridique, complète et à temps utile sur des questions d’intérêt public, et que les médias doivent respecter ce droit. Chacun a le droit d’accéder aux données détenues par les autorités publiques et les organisations exerçant des pouvoirs publics, conformément à la loi.
La Loi sur l’information publique et les médias[222], à l’article 3, réglemente la manière dont la liberté d’information publique est exercée, englobant notamment la liberté de collecte, de publication et de réception d’informations, la liberté de former et d’exprimer des idées et des opinions, la liberté d’imprimer et de distribuer des journaux, la liberté de produire, de fournir et de diffuser des services médiatiques audio et audiovisuels, la liberté de diffuser des informations et des idées via Internet et autres plateformes, ainsi que la liberté d’établir des médias et de mener des activités d’information publique.
En conséquence, l’article 15 de ladite Loi établit que la République de Serbie, une province autonome ou une collectivité territoriale veille à la réalisation de l’intérêt public en encourageant la diversité des contenus médiatiques, la liberté d’expression des idées et des opinions, le développement libre de médias indépendants et professionnels et un environnement propice à la durabilité des médias, contribuant ainsi à satisfaire les besoins des citoyens en matière d’informations dans tous les domaines de la vie, sans discrimination.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui. L’article 46, paragraphe 2 de la Constitution de la République de Serbie dispose ce qui suit :
« La liberté d’expression peut être restreinte par la loi si cela est nécessaire pour protéger les droits et la réputation d’autrui, préserver l’autorité et l’impartialité du tribunal, ainsi que pour protéger la santé publique, la morale de la société démocratique et la sécurité nationale de la République de Serbie. »
Ainsi, la limitation de la liberté d’expression est permise sous les conditions suivantes :
1) cette restriction est explicitement prescrite par la loi ;
2) elle vise, entre autres, à protéger les droits et la réputation d’autrui (objectif légitime) ;
3) la limitation est nécessaire dans la mesure où elle satisfait l’objectif de la limitation dans une société démocratique (nécessaire dans une société démocratique).
Lors de l’évaluation de la justification d’une limitation nécessaire dans une société démocratique, la Cour constitutionnelle évalue l’objectif et l’importance de la limitation, ainsi que les moyens juridiques par lesquels cet objectif doit être atteint, et examine si la mesure de la limitation peut concilier la protection présumée des droits et la nécessité de la limitation, dans le but de protéger les intérêts sociaux.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Pour définir et comprendre la liberté d’expression, l’interprétation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme revêt une importance particulière.
« Toute personne » a le droit à la liberté d’expression, ce qui inclut la liberté de « posséder des informations », de « recevoir » et de « communiquer » des « informations » et des « idées » « sans ingérence de l’autorité publique » et « sans considération des frontières ».
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle montre comment la Cour aborde l’interprétation de la liberté d’expression :
« La Cour constitutionnelle a souligné que la liberté d’expression de l’article 46, paragraphe 1 de la Constitution dans une société démocratique représente le droit d’exprimer des opinions, des informations et des idées sans être entravé par quiconque, indépendamment du contenu et de leur impact (qu’il s’agisse d’informations factuelles, de jugements de valeur ou d’un mélange des deux, qu’il s’agisse d’informations politiques, éducatives, informatives, avec une valeur scientifique, artistique ou autre), tout en précisant que la liberté d’expression peut inclure un certain degré d’exagération ou même de provocation, et que les journalistes et les médias bénéficient d’une protection particulière pour leur rôle social particulièrement important. De plus, la Cour constitutionnelle a souligné que la liberté d’expression s’applique non seulement aux « informations » ou « idées » favorables ou considérées comme non offensantes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou perturbent (Castells contre l’Espagne[223]). Elle englobe, entre autres, le droit à des informations objectives et bien intentionnées d’intérêt public, même lorsque la publication en question comporte des déclarations préjudiciables pour des individus (Lepojic contre la Serbie). D’autre part, la liberté d’expression implique également certaines « obligations et responsabilités » pour les journalistes et les médias. Un journaliste et un rédacteur en chef de média sont tenus de vérifier l’origine, la véracité et l’intégralité des informations avec soin et conformément aux circonstances avant de les publier (article 3, paragraphe 1 de la Loi sur l’information publique). Cette responsabilité revêt une importance particulière lors de la publication d’informations préjudiciables à la réputation des individus, de sorte qu’il est nécessaire que les journalistes agissent de bonne foi pour fournir des informations précises et fiables conformément à l’éthique journalistique (Goodwin contre le Royaume-Uni[224], Fressoz et Roire contre la France[225] et Bladet Tromso et Stensaas contre la Norvège[226])“.[227]
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Il n’y a pas de différence. Voici quelques extraits de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle : [228]
▪ Le respect des droits de l’homme garantis implique avant tout l’obligation pour les autorités publiques et les autres titulaires de l’autorité publique de ne pas interférer dans l’exercice d’un droit garanti, ce qui représente une « obligation négative de l’État. »
▪ Le respect des droits de l’homme garantis implique également qu’un individu puisse exiger des titulaires de l’autorité publique qu’ils entreprennent des actions et adoptent des actes qui garantiront ce respect, ce qui représente une « obligation positive de l’État ».
- Toute personne a droit à la liberté d’expression, quels que soient son âge, son statut, sa nationalité, son appartenance ethnique, etc. Cela s’applique aussi bien aux personnes morales – organisations, sociétés de médias – qu’aux personnes physiques.
- La liberté d’opinion est un droit absolu : personne ne peut limiter les pensées et les croyances d’autrui (« il n’y a pas de police de contrôle de la pensée »).
- La liberté de communication protège le droit de communiquer des informations et des idées.
La Cour considère que la collecte d’informations constitue une étape préparatoire essentielle à la communication d’informations. Elle constitue donc un élément inhérent et protégé de la liberté d’expression.
- La liberté de réception protège l’acte de recevoir une information. Le droit d’être entendu et de parler fait partie de la liberté d’expression.
- La liberté d’expression inclut la protection à la fois des informations et des idées, et non seulement des déclarations qui peuvent être prouvées par des faits.
- Sans ingérence des autorités publiques : il ne peut y avoir d’ingérence, à moins qu’elle ne soit justifiée conformément à l’article 10 (2).
- Sans distinction de frontières : la liberté d’expression ne peut être restreinte simplement parce que des informations ou des idées proviennent d’un autre pays. Depuis la naissance d’Internet, chacun a la capacité de communiquer des idées à un public mondial.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies?
La corrélation entre le droit à la liberté d’expression et autres droits de l’homme existe, notamment avec le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit à la liberté de réunion et d’association, le droit de vote lors d’élections libres et équitables, ainsi que d’autres droits et libertés.
Par exemple, lors de l’examen des limites de la liberté d’expression, il convient de prendre en compte si les expressions contestées concernent la vie privée d’une personne ou son comportement dans l’exercice de ses fonctions officielles. En outre, les déclarations sur des faits doivent être distinguées des jugements de valeur, car l’existence des faits peut être prouvée, alors que la vérité d’un jugement de valeur est impossible à établir. Cela ne signifie pas que tout jugement de valeur offensant bénéficie d’une protection absolue, mais dans ce cas, il est nécessaire de prendre en compte la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression, ainsi que le fait qu’un jugement de valeur doit néanmoins reposer sur une base factuelle suffisante.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
La Constitution de la République de Serbie de 2006 consacre trois articles distincts à la liberté de religion et à la position juridique des Églises et des communautés religieuses. L’article 43 régit la liberté de religion.
Le paragraphe 1 garantit la liberté de pensée, de conscience, de conviction et de religion, le droit de défendre sa croyance ou sa religion ou de les changer selon son choix. Aux termes du paragraphe 2 de cet article, nul n’est tenu de déclarer ses convictions religieuses et autres, et le paragraphe 3 dispose que toute personne est libre de manifester sa religion ou ses convictions religieuses, en accomplissant des cérémonies religieuses, en assistant à des services religieux ou à des cours, individuellement ou en communauté avec d’autres personnes, ainsi que d’exprimer ses convictions religieuses en privé ou en public.
La liberté de manifestation de la foi ou de la conviction peut être restreinte par la loi uniquement si cela est nécessaire dans une société démocratique pour protéger la vie et la santé des individus, la morale de la société démocratique, les libertés et droits des citoyens garantis par la Constitution, la sécurité publique et l’ordre public, ou pour empêcher l’incitation ou la promotion de la haine religieuse, nationale ou raciale, selon le paragraphe 4 de cet article de la Constitution. Le paragraphe 5 garantit aux parents et aux tuteurs légaux le droit de dispenser à leurs enfants une éducation religieuse et morale conforme à leurs convictions.
Les aspects de la réalisation de la liberté de religion peuvent également être liés à d’autres garanties : le respect du droit des parents et tuteurs légaux à dispenser à leurs enfants une éducation religieuse et morale conformément à leurs convictions (art. 43, par. 5) ; le droit de conclure mariage et le droit à l’égalité entre les époux (art. 62) ; les droits et devoirs des parents (art. 65) ; le droit à une protection égale des droits et à un recours (art. 36) ; le droit à la propriété (art. 58).
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Selon la Cour constitutionnelle (et la Cour européenne des droits de l’homme), les limites de la critique acceptable sont toujours plus larges lorsqu’il s’agit de critiquer un politicien (un haut fonctionnaire). Les limites de la critique dans ces cas sont larges, mais même dans ce cas, elles ne sont pas absolues, ce qui signifie que le droit à la critique n’est pas illimité, car il peut être limité dans le but d’exercer, de respecter et de protéger les droits et la réputation d’autrui.
Les droits personnels des politiciens et des hauts fonctionnaires sont plus restreints que les droits similaires des autres personnes : ils doivent tolérer et supporter davantage, accepter la divulgation d’informations à leur sujet que d’autres n’ont pas à subir. Cependant, la liberté d’expression est limitée même lorsqu’ils sont l’objet de reportages et de critiques qui portent atteinte à leur réputation et à leur honneur.
Le droit à l’honneur et à la réputation appartient à tous les citoyens. Par conséquent, la protection de ce droit comprend également les politiciens, même lorsqu’ils n’agissent pas dans leur sphère privée. Cependant, dans ces cas, les conditions de protection doivent être évaluées en fonction des intérêts de la société pour un débat ouvert sur les affaires politiques.
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle établit clairement la différence entre les faits, les opinions et les jugements de valeur. Il est également souligné qu’il n’est pas nécessaire de prouver la véracité des jugements de valeur exprimés.
La Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg a accepté que les journalistes puissent, dans certaines circonstances, se baser sur des rumeurs lorsqu’ils rapportent des questions d’intérêt public, pour autant qu’ils agissent de manière raisonnable et conforme aux normes professionnelles et éthiques. Cependant, même dans ces cas, les jugements de valeur doivent reposer sur une base factuelle, car un jugement de valeur sans fondement factuel peut être excessif.[229]
La jurisprudence des tribunaux ordinaires comprend :
« Les obligations particulières des hommes politiques, et donc du défendeur, sont de promouvoir les valeurs d’une société démocratique, telles que : le pluralisme, la tolérance et le droit à la différence. » (…) Offrir une protection au demandeur ne constitue pas une censure ni une limitation de la liberté d’expression du défendeur, ou de son droit à une opinion et à l’expression de commentaires négatifs, c’est plutôt une interdiction de discours qui propage des idées qui encouragent la discrimination, ce qui peut avoir un impact négatif sur les processus démocratiques dans la société et sur le développement de la société dans son ensemble. »[230].
Le tribunal a conclu que l’auteur du texte « a exprimé des idées et des opinions perturbantes et dégradantes, portant atteinte à la dignité et encourageant la discrimination et la haine » contre deux groupes spécifiques. Bien que le tribunal ait reconnu le droit du défendeur à exprimer son opinion, il a souligné qu’en tant que personnalité publique, il avait également « l’obligation, dans ses interventions publiques, de ne pas promouvoir la discrimination, de ne pas exprimer des idées encourageant la discrimination, qui pourraient avoir des conséquences néfastes sur les processus démocratiques et la garantie des droits de l’homme et des libertés dans la société ».[231]
LIBERTÉ D’EXPRESSION DES JUGES : Les tribunaux ne sont pas à l’abri des critiques et du contrôle, et la limite des critiques acceptables est plus large à l’égard des juges exerçant des fonctions officielles qu’à l’égard des citoyens ordinaires, une distinction claire devant être faite entre critique et insulte. Toutefois, si la seule intention de toute forme d’expression d’un avocat est d’insulter le tribunal ou les membres de ce tribunal, prononcer une peine appropriée/adéquate ne constituerait pas, en principe, une violation de la liberté d’expression.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique ?
La liberté d’expression est garantie à tous.
« Toute personne » a droit à la liberté d’expression, qui inclut la liberté de « posséder », « recevoir » et « communiquer » des « informations » et des « idées » « sans ingérence de l’autorité publique » et « sans considération de frontières ».
PROTECTION DES MINEURS
Loi sur l’information publique et les médias Article 77.
- Afin de protéger le libre développement de la personnalité des mineurs, il convient de veiller tout particulièrement à ce que le contenu des médias et le mode de diffusion des médias ne nuisent pas au développement moral, intellectuel, émotionnel ou social des mineurs.
Article 78.
- Les médias imprimés à contenu pornographique ne doivent pas être affichés publiquement d’une manière accessible aux mineurs.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Les agents de l’État sont tenus de faire preuve d’un haut degré de professionnalisme dans leurs relations avec les citoyens et ont l’obligation de respecter leur liberté d’expression.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Pour la première fois, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur le fond de la violation de la liberté d’opinion et d’expression prévue à l’article 46 de la Constitution dans son arrêt Už504/2008 du 8 juillet 2010.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
La Cour constitutionnelle tient toujours compte du fait que les journalistes et les médias bénéficient d’une protection particulière du droit à la liberté d’expression en raison de leur rôle social particulièrement important, ainsi que du fait que les médias publient librement des idées, des informations et des opinions sur des phénomènes, des événements et les personnes dont le public a un intérêt légitime à connaitre.
La liberté d’expression s’applique non seulement aux « informations » ou « idées » favorables ou considérées comme non offensantes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou perturbent. Elle englobe, entre autres, le droit à des informations objectives et bien intentionnées d’intérêt public, même lorsque la publication en question comporte des déclarations préjudiciables pour des individus. D’autre part, la liberté d’expression implique également certaines « obligations et responsabilités » pour les journalistes et les médias.
Lors de l’examen des limites de la liberté d’expression, il convient de prendre en compte si les expressions contestées concernent la vie privée d’une personne ou son comportement dans l’exercice de ses fonctions officielles. En outre, les déclarations sur des faits doivent être distinguées des jugements de valeur, car l’existence des faits peut être prouvée, alors que la vérité d’un jugement de valeur est impossible à établir. Cela ne signifie pas que tout jugement de valeur offensant bénéficie d’une protection absolue, mais dans ce cas, il est nécessaire de prendre en compte la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression, ainsi que le fait qu’un jugement de valeur doit néanmoins reposer sur une base factuelle suffisante.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Dans le système juridique de la Serbie, figure le terme « droits de l’homme et libertés » et il n’y a pas de distinction entre ces droits en droits fondamentaux et autres droits constitutionnels. Tous les droits bénéficient d’une protection judiciaire.
La Cour constitutionnelle de Serbie, lors de ses sessions des 30 octobre 2008 et 2 avril 2009, a adopté la position selon laquelle « l’objet de la protection devant la Cour constitutionnelle sont tous les droits et libertés contenus dans la Constitution, quelle que soit leur place dans la systématique de la Constitution, tout en prenant en considération les règles généralement acceptées du droit international et les accords internationaux ratifiés. »
La Cour constitutionnelle protège les droits et libertés énoncés dans la Constitution, et dans le cadre de ces droits et libertés garantis par l’acte juridique suprême, il n’y a pas de distinction ultérieure entre les droits fondamentaux et les autres. La protection est offerte à toute personne en cas de violation de tout droit ou liberté ayant sa base juridique dans la Constitution.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression s’est développée au fil des années en s’enrichissant de nouveaux dossiers concernant de différentes nouvelles situations de vie.
La Cour Constitutionnelle a, avant même de se prononcer pour la première fois sur le fond de la violation présumée du droit à la liberté d’expression, dans son arrêt Už-290/2007 du 21 janvier 2010, en examinant les revendications du requérant, qui concernait le droit à un procès équitable prévu à l’article 32, paragraphe 1 de la Constitution et les droits spéciaux de l’inculpé prévus dans l’article 33, paragraphe 5 de la Constitution, ceci dans le contexte de la condamnation du requérant devant la Cour constitutionnelle pour diffamation du fait d’avoir déposé une plainte auprès du Procureur de la République et du ministère de la Justice concernant le travail et le comportement du substitut au procureur municipal, fondé son analyse sur les critères établis par la jurisprudence de la Cour européenne en matière de liberté d’expression :
« Comme la Cour le constate souvent, la liberté d’expression prévue à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales constitue l’un des fondements essentiels de la société démocratique. Selon le paragraphe 2, elle ne concerne pas seulement des « informations » ou « idées » favorables ou considérées comme non offensantes, mais aussi celles qui offensent, choquent ou perturbent (affaires Castells contre l’Espagne et Vogt contre l’Allemagne).
- La Cour a confirmé à plusieurs reprises le droit de communiquer, de bonne foi, des informations sur des questions d’intérêt public, même lorsque cela implique des déclarations préjudiciables à l’égard des individus, et a souligné que les limites de la critique acceptable sont encore plus larges lorsque la cible est un homme politique (haut fonctionnaire) (les affaires Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège et Oberschlick c. Autriche).
- La Cour rappelle qu’il convient de prendre en compte si les expressions contestées concernent la vie privée d’une personne ou son comportement dans l’exercice de ses fonctions officielles (affaire Dalban c. Roumanie).
- La Cour observe que la nature et la sévérité d’une certaine peine, ainsi que « l’importance » et la « validité » des avis des tribunaux nationaux, sont des questions particulièrement importantes lorsqu’il s’agit de déterminer la proportionnalité de l’ingérence au titre de l’article 10, paragraphe 2 de la Convention. (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie et Zana c. Turquie).
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de liberté d’expression s’est développée au fil du temps, en fonction de différentes situations de vie et de faits qui ont été à la base des recours constitutionnels, et dont la variété a été montrée dans la réponse à la question précédente.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Les décisions les plus importantes de la Cour constitutionnelle, y compris les décisions sur la liberté d’expression, sont publiées au « Journal officiel de la République de Serbie » et sont ainsi accessibles au public professionnel plus large, et affectent sans aucun doute le travail des tribunaux. Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, exécutoires et contraignantes pour tous.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.)? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
La Cour constitutionnelle suit la jurisprudence des autres cours constitutionnelles européennes et institutions similaires. En raison du même environnement juridique avec les États de la région et du maintien de nombreux instituts juridiques communs, les mêmes questions litigieuses en matière constitutionnelle sont soulevées à propos de décisions législatives spécifiques contestables, ce qui rend la jurisprudence des cours constitutionnelles de la région plus semblable. Le fait est que la Cour constitutionnelle, agissant dans un nombre important de ses affaires relevant de différentes juridictions, a pris en compte les points de vue juridiques exprimés dans la jurisprudence des autres cours constitutionnelles, ce qui indique que les décisions des cours constitutionnelles étrangères exercent une certaine influence sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la République de Serbie.
Conformément à l’article 97, point 10 de la Constitution, la République de Serbie est compétente pour réglementer et assurer un système dans le domaine de l’information publique. Ainsi, elle était compétente, en adoptant la loi sur l’information publique, voire ses amendements, pour réguler la manière dont la liberté des médias garantie par la Constitution et établie par les dispositions de l’article 50 de la Constitution est mise en œuvre.
Même la Constitution, en établissant les principes fondamentaux conformément auxquels tous les droits et libertés de l’homme et des minorités garantis sont réalisés, prévoit que la loi peut régir la manière d’exercer ces droits, mais uniquement si cela est explicitement prévu par la Constitution ou si c’est nécessaire pour la réalisation d’un droit spécifique en raison de sa nature. Dans tous les cas, la loi ne doit nullement affecter le fondement du droit garanti (article 18, paragraphe 2, deuxième phrase). Elle dispose également que les droits de l’homme et des minorités garantis par la Constitution peuvent être restreints par la loi si cette restriction est autorisée par la Constitution, dans le but pour lequel la Constitution le permet, dans la mesure nécessaire pour atteindre le but constitutionnel de la limitation dans une société démocratique sans porter atteinte au fondement du droit garanti. De plus, lors de la restriction des droits de l’homme et des minorités, toutes les autorités publiques, en particulier les tribunaux, sont tenues de tenir compte du fondement du droit restreint, de l’importance du but de la restriction, de la nature et de la portée de la restriction, de la relation entre la restriction et le but de la restriction, et de la possibilité de parvenir au but de la restriction avec une restriction moindre des droits (article 20).
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Exemples tirés de la jurisprudence – par ex. le droit à la liberté de réunion
Dans l’arrêt sur le recours constitutionnel Už-1918/2009 du 22 décembre 2011, la Cour constitutionnelle a établi une violation du droit à la liberté de réunion prévue à l’article 54, paragraphe 1 de la Constitution, et du droit à un recours judiciaire prévu à l’article 36, paragraphe 2 de la Constitution, indiquant ce qui suit : « La liberté de réunion n’est pas un droit absolu, mais elle est soumise à certaines limitations dans les cas prévus par l’article 54 de la Constitution. »
Cette disposition de la Constitution établit que la restriction de la liberté de réunion concerne l’exigence que la réunion soit pacifique, ce qui implique la manière dont un rassemblement est organisé lors duquel, certaines opinions, idées et points de vue sont exprimés. La Cour constitutionnelle a constaté que « la notion de réunion pacifique ne concerne pas le contenu des opinions exprimées. Si lors d’un rassemblement, une opinion exprimée représente un discours de haine ou appelle à la guerre ou à la discrimination, une ligne claire doit être tracée entre le droit à la liberté de réunion et le droit à la liberté d’expression. »
Les autres restrictions à la liberté de réunion concernent la nécessité de protéger la santé publique, la moralité, les droits des autres personnes ou la sécurité de la République de Serbie.
En partant des dispositions de la Loi sur le rassemblement de citoyens de 1992, qui prévoient deux procédures distinctes pour interdire la tenue d’un rassemblement public déclaré : la première, concernant une interdiction temporaire de la tenue d’un rassemblement public visant à changer violemment l’ordre établi par la Constitution, à violer l’intégrité territoriale et l’indépendance de la République de Serbie, à enfreindre les libertés garanties par la Constitution et les droits de l’homme et du citoyen, à provoquer et encourager l’intolérance nationale, raciale et religieuse ; et l’autre, qui concerne l’interdiction d’un rassemblement public susceptible de perturber la circulation publique ou de menacer la santé, la moralité publique et la sécurité des personnes et des biens, avec la précision qu’il existe dans les deux cas une voie de recours contre les décisions prises, la Cour constitutionnelle a constaté que le rassemblement appelé « Gay pride » a été déclaré à temps et régulièrement, et que les autorités compétentes ont donné leur accord pour sa tenue ; que le lieu déclaré pour la tenue du rassemblement était désigné par la Décision sur la désignation de l’espace pour le rassemblement des citoyens à Belgrade comme un lieu approprié pour un rassemblement jusqu’à 10 000 citoyens ; que la décision contestée du ministère de l’Intérieur a changé le lieu de tenue du rassemblement …, car le ministère a estimé que la tenue du rassemblement à l’emplacement déclaré « présente un risque extrêmement élevé du point de vue de la sécurité et pourrait entraîner des perturbations de l’ordre public et de la paix à une plus grande échelle sur le territoire de la ville de Belgrade… » ; et que la Loi sur le rassemblement de citoyens ne prévoit pas d’autorisation pour le ministère de prendre des décisions qui changeraient le lieu des rassemblements déclarés qui ne sont pas interdits. »
Comme la décision contestée du ministère a changé l’emplacement de « Gay pride » et n’a pas explicitement empêché une manifestation pacifique de la communauté LGBT, la Cour constitutionnelle a évalué que « la décision contestée, prise un jour seulement avant la manifestation prévue, a en réalité restreint le droit à une manifestation pacifique des participants à la manifestation déclarée. En prenant la décision contestée de « changer le lieu de la manifestation », qui n’a aucune base légale dans les textes de loi positifs, le ministère a effectivement empêché les participants de se rassembler à l’endroit où ils le souhaitaient, un endroit qui avait été prévu et autorisé conformément à la Décision sur la désignation de l’espace pour le rassemblement des citoyens à Belgrade. »
En acceptant le recours constitutionnel du demandeur, la Cour constitutionnelle a conclu ce qui suit : « Compte tenu du fait que la décision contestée n’était pas prévue par la loi, et qu’elle a été prise et notifiée aux requérants, qui ont saisi la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2009, soit 24 heures avant la manifestation, et que les requérants n’avaient pas à leur disposition une voie de recours pour contester la légalité de la décision contestée, la Cour constitutionnelle a constaté que la décision contestée du ministère avait violé les droits des demandeurs à la liberté de réunion prévue à l’article 54, paragraphe 1 de la Constitution, ainsi que leur droit à un recours juridique prévu à l’article 36, paragraphe 2 de la Constitution. Étant donné que, en vertu de l’article 198, paragraphe 2 de la Constitution, la légalité des actes administratifs individuels définitifs portant sur les droits des personnes est sujette à un examen devant un tribunal administratif, et que dans ce cas particulier une telle protection juridique n’était pas disponible pour les requérants, la Cour constitutionnelle a évalué que les droits des requérants à la liberté de réunion et à un recours juridique avaient été violés en lien avec le principe de protection juridictionnelle prévu à l’article 22, paragraphe 1 de la Constitution. »
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
La liberté d’expression est indissociable de la démocratie. La liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. Dans de nombreuses décisions, la Cour constitutionnelle a souligné l’importance de la liberté d’expression. Elle s’applique non seulement aux « informations » ou aux « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme non offensantes ou indifférentes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou dérangent ; ce sont les exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit sans lesquelles il n’y a pas de « société démocratique ». Les décisions et arrêts de la Cour constitutionnelle servent non seulement à trancher les affaires dont elle est saisie, mais aussi, plus généralement, à clarifier, protéger et développer les règles établies par la Constitution, qui élèvent les normes des droits de l’homme et élargissent la jurisprudence des droits de l’homme dans un État.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Évaluant le bien-fondé d’un recours constitutionnel concernant la violation du droit à la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle part des garanties contenues dans l’article 46, paragraphe 1 de la Constitution et affirme toujours que la Constitution garantit la liberté d’opinion et d’expression ainsi que la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par la parole, l’écriture, l’image ou tout autre moyen. Cependant, la Constitution ne garantit pas une liberté d’expression totalement illimitée, mais autorise la limitation de cette liberté.
La façon dont le test en trois parties est appliqué est le mieux illustrée par l’exemple suivant tiré de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, où la Cour constate ce qui suit :
» Certes, la liberté d’expression appartient aux libertés relatives, car elle est soumise à certaines limitations (exceptions). Les restrictions à la liberté d’expression sont déterminées par l’article 46, paragraphe 2 de la Constitution. L’une de ces restrictions constitutionnelles à la liberté d’expression est la protection des droits et de la réputation d’autrui.
Dans le cas concret, la Cour constitutionnelle estime que l’arrêt contesté de la Cour d’appel de Novi Sad Gž. 3372/13 du 22 août 2013, par laquelle les requérants devant la Cour constitutionnelle sont tenus de réparer les dommages immatériels et de publier l’arrêt en raison de la violation du droit à la vie privée des demandeurs, constitue une limitation de la liberté d’expression des requérants devant la Cour constitutionnelle.
Toutefois, pour que la limitation de la liberté d’expression soit constitutionnellement acceptable, elle doit être : légale, légitime, nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi, ce qui est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Article 11 de la loi sur l’interdiction de la discrimination[232]
« Il est interdit d’exprimer des idées, des informations et des opinions incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leurs caractéristiques personnelles, dans les médias et autres publications, lors de rassemblements et dans les lieux accessibles au public, en écrivant ou affichant des messages ou des symboles ou d’une autre manière. »
Article 75 de la loi sur l’information publique et les médias[233]
« Les idées, opinions ou informations publiées dans les médias ne doivent pas inciter à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance ou non-appartenance à une race, une religion, une nation, un sexe, une orientation sexuelle ou une autre caractéristique personnelle, indépendamment du fait qu’une infraction pénale ait été commise en le publiant. » Article 76.
» Il n’y a pas de violation de l’interdiction du discours de la haine si l’information est publiée 1) sans intention d’inciter à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne ou un groupe de personnes, notamment si cette information fait partie d’un reportage journalistique objectif ; 2) dans l’intention de dénoncer de manière critique la discrimination, la haine ou la violence contre une personne ou un groupe de personnes ou des phénomènes qui représentent ou peuvent représenter une incitation à un tel comportement. »
Lors de l’examen des limites de la liberté d’expression, il convient de prendre en compte si les expressions contestées concernent la vie privée d’une personne ou son comportement dans l’exercice de ses fonctions officielles. En outre, les déclarations sur des faits doivent être distinguées des jugements de valeur, car l’existence des faits peut être prouvée, alors que la vérité d’un jugement de valeur est impossible à établir. Cela ne signifie pas que tout jugement de valeur offensant bénéficie d’une protection absolue, mais dans ce cas, il est nécessaire de prendre en compte la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression, ainsi que le fait qu’un jugement de valeur doit néanmoins reposer sur une base factuelle suffisante.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Voir la réponse à la question numéro 7.
Dans l’arrêt sur le recours constitutionnel Už-1918/2009 du 22 décembre 2011[234], la Cour constitutionnelle a établi une violation du droit à la liberté de réunion prévue à l’article 54, paragraphe 1 de la Constitution, et du droit à un recours judiciaire prévu à l’article 36, paragraphe 2 de la Constitution, indiquant ce qui suit : « La liberté de réunion n’est pas un droit absolu, et elle est soumise à certaines limitations dans les cas prévus par l’article 54 de la Constitution. »
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que les commentaires généraux ultérieurs ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; Convention européenne des droits de l’homme et autres instruments juridiques internationaux et régionaux.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, exécutoires et contraignantes pour tous. C’est ainsi que la Cour constitutionnelle apporte une contribution exceptionnelle à l’État de droit, à travers le cadre juridique, institutionnel et politique qui assure une protection efficace des droits de l’homme et des libertés au plus haut niveau.
Par ses décisions, la Cour constitutionnelle défend l’État de droit, indépendamment des événements politiques quotidiens et des déterminations juridiques et politiques de l’État. Ses activités laissent une marque visible dans le contrôle de constitutionnalité et de légalité et à travers l’autorité constitutionnelle de la Cour pour signaler à l’Assemblée nationale l’incompatibilité de certaines lois avec la Constitution. Une telle initiative de la Cour est souvent vérifiée par la décision de l’Assemblée nationale de modifier la loi dont la Cour relève l’inconstitutionnalité. C’est clairement un exemple positif qui justifie la place et le rôle de la Cour constitutionnelle dans la préservation de l’État de droit.
La Cour européenne des droits de l’homme est d’avis qu’un recours constitutionnel doit, en principe, être considéré comme un recours efficace, au sens de l’article 35 alinéa 1 de la Convention, depuis le 7 août 2008, lorsque les premières décisions de la Cour constitutionnelle sur le bien-fondé des recours constitutionnels ont été publiées au « Journal officiel de la RS ».
La Cour constitutionnelle a par nature un rôle non seulement juridique, mais aussi politique et social. En tant qu’institution, il s’agit d’un organe étatique indépendant et autonome, mais le pouvoir judiciaire constitutionnel se reflète dans les procédures d’évaluation de la constitutionnalité et de la légalité des actes. La Cour constitutionnelle était en mesure de trancher des litiges qui avaient un contenu essentiellement politique et pouvaient avoir des conséquences politiques, mais la Cour constitutionnelle a agi de telle manière qu’elle se „défendait“ contre l’influence de l’autorité exécutive par les raisonnements et les arguments juridiques.
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
L’article 50 de la Constitution de la République de Serbie garantit la liberté des médias et proclame l’absence de censure et que les tribunaux compétents peuvent empêcher la diffusion d’informations et d’idées par le biais des mass médias uniquement si cela est nécessaire dans un contexte de société démocratique afin d’empêcher les appels au renversement violent de l’ordre établi par la Constitution ou à la violation de l’intégrité territoriale de la République de Serbie, pour empêcher la propagation de la guerre ou l’incitation à la violence directe, ou pour empêcher l’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse, qui encourage la discrimination, l’hostilité ou la violence.
En outre, l’article 51 reconnaît le droit de toute personne d’être informée de manière véridique, complète et à temps utile sur les questions d’importance publique, les moyens de communication de masse étant tenus de respecter ce droit. Par ailleurs, toute personne a le droit d’accéder aux données détenues par les autorités publiques et les organismes dépositaires de l’autorité publique, conformément à la loi.
La loi sur l’information publique et les médias, article 4, dispose que l’information publique est libre et n’est pas soumise à la censure. De plus, la liberté d’information publique ne peut être violée par l’abus de fonction et de pouvoir, des droits de propriété ou d’autres droits, ni par l’influence et le contrôle des moyens d’impression et de distribution de journaux ou des réseaux de communication électronique utilisés pour la diffusion de contenus médiatiques.
La jurisprudence des tribunaux ordinaires en République de Serbie a évolué en matière de diffamation. Les premiers débuts sont liés aux premiers arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Lepojić c. Serbie[235] et Filipović c. Serbie[236].
À la suite des arrêts précités de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour suprême de Serbie a adopté la position de principe selon laquelle les tribunaux nationaux, lorsqu’ils évaluent le montant de l’amende prévue pour l’infraction pénale de diffamation, tiennent compte de la position adoptée par la Cour européenne dans les affaires Lepojić et Filipović.
» Compte tenu des positions des tribunaux nationaux dans les arrêts susmentionnés et de la position de la Cour européenne des droits de l’homme dans ses arrêts dans les affaires Lepojić et Filipović – concernant ces arrêts, l’avis juridique proposé a été adopté lors de la session de la chambre pénale, notamment dans l’intérêt des futures procédures devant les juridictions nationales dans des situations similaires, où la jurisprudence future serait alignée sur les positions contenues dans les arrêts susmentionnés de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Lepojić et Filipović, de manière à ce que des jugements de valeur concernant des personnalités publiques ne devraient pas, en règle générale, tomber sous le coup des dispositions du droit pénal, car l’intervention dans de tels cas n’est pas nécessaire dans une société démocratique et que la liberté d’expression prévue à l’article 10 de la Convention est le fondement d’une société démocratique et que la liberté d’expression d’un individu ne s’applique pas seulement aux informations ou idées acceptées ou considérées comme non offensantes, mais aussi à ce qui offense, choque ou dérange, car tout cela est axé sur des questions d’intérêt public et non sur la vie privée de personnalités publiques « [237].
Le Code pénal de la RS prévoit, dans son chapitre XVII – délits contre l’honneur et la réputation – à l’article 170 – délit d’insulte – que quiconque insulte autrui sera puni d’une amende. Une amende majorée est prévue si l’acte a été commis par la presse, la radio, la télévision ou des moyens similaires ou lors d’une réunion publique. L’auteur ne sera pas puni si le discours a été donné dans le cadre d’une critique sérieuse dans une œuvre scientifique, littéraire ou artistique, dans l’exercice d’une fonction officielle, d’une activité journalistique ou politique, dans le cadre de la défense d’un droit ou de la protection d’intérêts légitimes, s’il ressort de la manière dont il s’est exprimé ou d’autres circonstances qu’il ne l’a pas fait dans l’intention de dénigrer.
Avec la modification du Code pénal entrée en vigueur le 1er janvier 2013, l’article 171, qui prescrivait le délit de diffamation, a été supprimé. La suppression de la diffamation du Code pénal a été précédée par la dépénalisation de cette infraction pénale en 2005 (abolition de la peine de prison).
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
La Cour constitutionnelle de Serbie a examiné divers aspects de la protection des droits de l’homme sur et en relation avec Internet dans le cadre de procédures de recours constitutionnels : accès à Internet, responsabilité pour le contenu produit par l’utilisateur, responsabilité pour les commentaires de personnes anonymes sur Internet, responsabilité pour les photos publiées sur Internet, appréciation de l’équilibre entre deux droits contradictoires, au premier chef le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information, d’une part, et le droit à la vie privée, d’autre part.
Par la décision de la Cour constitutionnelle du 13 février 2020, dans l’affaire n° Už3340/2017, le recours constitutionnel prétendant la violation du droit à la dignité humaine et du droit à un procès équitable garanti par la Constitution de la Serbie du requérant a été rejeté. Dans le cas concret, le requérant a contesté la décision du tribunal qui a rejeté sa demande d’indemnisation pour préjudice moral dû à une atteinte à l’honneur et à la réputation, en raison de la publication de commentaires négatifs de personnes anonymes sur le forum du site Internet d’une municipalité de Serbie. À l’appui de ses prétentions, le requérant du recours constitutionnel a invoqué la position de la Cour européenne issue de l’arrêt Delfi AS c. Estonie, que j’ai souligné plus tôt dans la présentation comme étant significatif.
Dans l’exposé des motifs de sa décision, la Cour constitutionnelle a évoqué les dispositions pertinentes de la Constitution et de la loi, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Partant des dispositions de la Constitution, la Cour Constitutionnelle a souligné que » le fait de laisser et de publier des commentaires sur des sites Internet relève du domaine de la liberté d’expression « , mais qu’en même temps il existe une obligation de ne pas nuire à la réputation d’autrui avec des commentaires, c’est-à-dire de respecter le droit à la dignité humaine. Dans l’explication de sa décision, la Cour constitutionnelle s’est référée à la position de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Ahmet Yildirim c. Turquie et a souligné que « le fait de laisser et de publier des commentaires sur des sites Internet relève du domaine de la liberté d’expression » et qu’il existe une obligation de « ne pas nuire à la réputation d’autrui avec des commentaires, c’est-à-dire de respecter le droit à la dignité humaine ». La Cour constitutionnelle a souligné que « la liberté constitutionnelle et conventionnelle indiquée revêt une importance particulière lors de son exercice sur Internet ». Internet en tant que phénomène technologique, communicationnel et sociologique dépasse les barrières spatiales et temporelles et offre une audience à grande échelle. L’émergence et le développement d’Internet ont créé un environnement complètement nouveau qui a donné aux utilisateurs la possibilité d’exprimer leurs idées et leurs opinions, ce que la grande majorité ne pouvait pas faire à l’ère des médias traditionnels. »
Dans l’affaire Už-7211/2013, les requérants, contestant la décision du tribunal de deuxième instance, ont indiqué des violations de la liberté d’opinion et d’expression de l’article 46 de la Constitution, de la liberté des médias de l’article 50, paragraphe 3 de la Constitution, et le droit à l’information prévu à l’article 51, paragraphe 1 de la Constitution.
Dans cette affaire spécifique, les requérants ont publié la nouvelle du décès (suicide) d’une jeune personne prospère sur le site Internet de la radio locale, accompagnée de sa photo. À la suite de la publication de la nouvelle du décès de leur fille et de la photo contestée, les parents de la fille ont engagé une procédure civile devant les tribunaux ordinaires contre le défendeur – le requérant dans le présent recours constitutionnel – en réparation du préjudice moral au nom de la souffrance morale due à une atteinte à l’honneur et à la réputation.
Le tribunal de première instance a rejeté la demande des parents pour non-fondement, estimant que les demandeurs n’avaient pas prouvé que les informations contenues dans le texte litigieux portaient atteinte au droit à la vie privée, à l’honneur et à la réputation, ainsi qu’au respect de la vie familiale. Les défendeurs ont justifié la publication de l’article et de la photo contestée en arguant qu’il y avait un intérêt légitime du public à connaitre la mort tragique de la jeune personne prospère et les circonstances de son décès, et que la photo contestée permettait au public de voir le visage de la défunte.
La cour d’appel a, dans le cadre de la procédure d’appel, infirmé la décision du tribunal de première instance et adopté une position contraire, précisant « que du côté des requérants il n’existait aucun intérêt légitime du public à connaitre la mort tragique de la fille des demandeurs ni les circonstances de sa mort ni à permettre au public de voir le visage de la fille défunte des demandeurs par le biais de la photo contestée », en soulignant que l’autorisation des parents n’avait pas été demandée au préalable, ce qui était contraire à la Loi sur l’information publique.
En contestant la décision de la Cour d’appel, les requérants ont soutenu que, leur droit à la liberté d’expression, à la liberté des médias et au droit à l’information, garantis par la Constitution, avaient été violés. Ils ont également contesté les motifs avancés dans l’explication de la décision affirmant qu’il n’y avait pas d’intérêt légitime du public à connaitre la mort tragique ni les circonstances du décès ni à permettre au public de voir le visage de la fille décédée des demandeurs via la photo contestée. Les requérants devant la Cour constitutionnelle ont estimé que « le contenu des informations publiées ne portait manifestement pas atteinte à la dignité de la personne concernée ni au droit au respect des membres de sa famille ; qu’il y avait un intérêt légitime du public à connaitre le visage de la personne décédée de manière tragique à travers ladite photo et qu’il s’agissait d’une photo précédemment publiée sur un site Web, donc qu’ils n’avaient pas besoin du consentement de la famille pour la publier ».
Lors de la prise de décision, la Cour constitutionnelle s’est appuyée sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Handyside c. Royaume-Uni et Nilsen and Johnsen c. Norvège.
La Cour constitutionnelle a, entre autres, souligné que dans une société démocratique « la liberté d’expression s’applique non seulement aux informations ou aux idées accueillies avec faveur ou considérées comme non offensantes ou indifférentes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou dérangent l’État ou une partie de la population. Ce sont les exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit sans lesquelles il n’y a pas de société démocratique ».
La Cour constitutionnelle a ensuite rappelé que le droit à la liberté d’expression fait partie des libertés relatives et, à ce titre, est soumis aux limitations prescrites par l’article 46, paragraphe 2 de la Constitution de la République de Serbie, tout en se référant aux critères bien établis de la Cour européenne des droits de l’homme, également acceptés par ce tribunal.
En appliquant ces critères à l’affaire en question, la Cour constitutionnelle a constaté que l’atteinte à la liberté d’expression était légale, c’est-à-dire régie par des normes légales claires et spécifiques ; que la décision judiciaire contestée de seconde instance avait été rendue pour atteindre un objectif légitime consistant à protéger le droit à la vie privée des demandeurs.
En ce qui concerne le critère de nécessité dans une société démocratique, la Cour constitutionnelle s’est une nouvelle fois appuyée sur la jurisprudence de la Cour européenne, estimant que « les informations contenues dans le texte litigieux ne relèvent pas exclusivement de la sphère privée des demandeurs, étant donné que l’acte du décès tragique d’une personne, en particulier d’une personne jeune, constitue une information choquante, perturbante ou troublante… ». En examinant la publication de la photo contestée, la Cour constitutionnelle s’est référée à la pratique de la Cour européenne pour déterminer si la publication d’une photo d’une personne avait porté atteinte à son droit à la vie privée, concluant qu’il était constitutionnellement et juridiquement acceptable que la cour d’appel ait statué qu’il n’y avait pas d’intérêt légitime du public à ce que ladite photo soit publiée.
En fin de compte, lors de la mise en balance des droits en jeu dans l’affaire précise – le droit à la liberté d’expression, ici des requérants ou le droit à la vie privée, ici des parents de la défunte – la Cour constitutionnelle a estimé que la motivation de la cour d’appel était constitutionnellement et juridiquement acceptable en termes d’atteinte de l’équilibre équitable des droits. Elle a rejeté le recours constitutionnel pour absence de fondement et a conclu qu’il n’y avait pas de violation du droit à la liberté d’expression tel que prévu à l’article 46 de la Constitution de la République de Serbie.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Voir la réponse à la question numéro 3.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Les élections libres ne sont pas possibles sans liberté d’expression. La liberté d’expression implique la liberté de critiquer le gouvernement et ses membres. Pendant la période électorale, il est important de reconnaître la nature spécifique et la valeur démocratique du rôle des journalistes et des autres acteurs médiatiques.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Non
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
ACCÈS À INTERNET
Loi sur les communications électroniques (article 3)
Les objectifs et principes régissant les relations dans le domaine des communications électroniques sont, entre autres :
- 9) Assurer une protection élevée des intérêts des consommateurs vis-à-vis des opérateurs, notamment en garantissant la disponibilité d’informations claires et complètes sur les prix, les conditions d’accès et d’utilisation (y compris les restrictions) ainsi que sur la qualité des réseaux et services de communication publics, ainsi qu’en traitant efficacement les réclamations concernant le travail des opérateurs ;
- 11) Garantir aux utilisateurs finaux, lors de l’utilisation des réseaux et services de communication publics, la liberté d’accéder aux informations et de les distribuer, ainsi que d’utiliser des applications et des services de leur choix.
BLOCAGE ET FILTRAGE DE SITES WEB
Amendements à la loi sur les communications électroniques (2019)
Article 20, paragraphes 5 à 7
Le prestataire de services de la société de l’information est tenu de supprimer immédiatement, et au plus tard dans un délai de 2 jours ouvrables à compter de la réception de l’acte de l’autorité compétente pour l’application et le respect de la loi dont la disposition a été violée, tout contenu non autorisé. L’autorité compétente prend une décision d’office ou à la demande de la partie concernée.
À la demande d’un tiers, le prestataire de services de la société de l’information est tenu de supprimer immédiatement, et au plus tard dans un délai de 2 jours ouvrables à compter de la réception de la demande de cette partie, tout contenu non autorisé, sauf s’il estime qu’il n’est pas contraire aux dispositions légales. Dans ce cas, le prestataire de services peut saisir l’autorité compétente pour l’application et le respect de la loi et lui demander de vérifier si les dispositions légales ont été violées dans ce cas spécifique.
Si l’autorité constate une violation, le contenu doit être supprimé.
L’injonction comprend une description précise de l’emplacement sur la page Internet ou sur toute autre représentation électronique où le contenu non autorisé est présent, ainsi qu’une justification de cette non-autorisation.
RESTRICTION DE VIOLATION DES DROITS D’AUTEUR
- La Constitution de la République de Serbie – l’article 50, paragraphe 3, prévoit l’absence de censure en République de Serbie.
- La loi sur l’information publique et les médias, article 4, dispose que l’information publique est libre et n’est pas soumise à la censure. De plus, la liberté d’information publique ne doit pas être violée par l’abus de fonction et de pouvoirs, des droits de propriété ou autres droits, ni par l’influence et le contrôle des moyens d’impression et de distribution de journaux ou des réseaux de communication électronique utilisés pour la diffusion de contenus médiatiques.
- Loi sur le commerce électronique – la prestation de services de la société de l’information est libre. Aucune autorisation spéciale ou approbation n’est requise pour la prestation de services de la société de l’information (article 5).
RESPONSABILITÉ FINANCIÈRE POUR LES SITES WEB LIÉS
Loi sur les communications électroniques
Article 4
L’Internet est un système de communication électronique mondial composé d’un grand nombre de réseaux et de dispositifs informatiques interconnectés qui échangent des données à l’aide d’un ensemble commun de protocoles de communication.
Article 40
- Une entité qui, en plus d’exercer des activités de communications électroniques, exerce également une autre activité commerciale est obligée d’exercer des activités de communications électroniques par l’intermédiaire d’une personne morale liée ou d’une succursale établie conformément à la loi régissant le statut juridique des sociétés commerciales.
Article 124
- L’opérateur est tenu, pour assurer la sécurité et l’intégrité des réseaux et services publics de communication électronique, la confidentialité des communications ainsi que la protection des données personnelles, du trafic et de la localisation, d’appliquer des mesures techniques et organisationnelles appropriées, adaptées aux risques existants, notamment des mesures pour prévenir et réduire au minimum l’impact des incidents de sécurité sur les utilisateurs et les réseaux interconnectés, ainsi que des mesures pour assurer la continuité des services des réseaux et des services de communication publics.
- La loi prévoit une amende pour infraction (article 138, paragraphe 1, point 3).
LE DROIT À L’OUBLI
Loi sur la protection des données personnelles (2018) Article 30.
La personne concernée a le droit de faire supprimer ses données personnelles par le responsable du traitement.
Cet article réglemente par la suite la procédure de suppression des données personnelles.
Le droit à la suppression ou à la limitation du traitement effectué par les autorités compétentes à des fins particulières est régi par l’article 34.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Il existe des exemples de bonnes pratiques de la Cour constitutionnelle en matière de rassemblements publics de la population LGBT.
En 2009, un recours constitutionnel a été déposé auprès de la Cour constitutionnelle de la République de Serbie par cinq membres du comité d’organisation du « Gay Pride » contre la décision du ministère de l’Intérieur, qui avait changé le lieu du rassemblement « Gay Pride », qui devait avoir lieu au centre de Belgrade le 20 septembre 2009.
Le 22 décembre 2011, la Cour constitutionnelle a rendu la décision Už-1918/2009, par laquelle elle a accepté le recours constitutionnel et a estimé que la décision contestée du ministère de l’Intérieur violait le droit des requérants qui ont saisi la Cour constitutionnelle à la liberté de réunion et le droit à un recours juridique, en lien avec le droit à la protection judiciaire. La Cour constitutionnelle a estimé que la décision contestée du ministère avait changé le lieu de la réunion, de sorte que le rassemblement pacifique de la population LGBT n’avait pas été explicitement empêché, mais elle a estimé que le ministère, en adoptant la décision contestée, et ce seulement un jour avant la date prévue du rassemblement, qui n’a aucun fondement juridique dans des réglementations juridiques positives, a en fait rendu impossible aux participants à la réunion de se rassembler à l’endroit où ils le souhaitaient.
Contrairement à l’année 2009, Gay Pride de 2011 a été interdit pour des raisons de sécurité. Le 18 avril 2013, la Cour constitutionnelle a rendu la décision Už-5284/2011, dans laquelle elle a accepté le recours constitutionnel de l’Association » Gay Pride Belgrade » et a constaté que la décision contestée du ministère de l’Intérieur (interdiction de la tenue d’une manifestation publique et d’un défilé convoqués par l’Association » Gay Pride Belgrade » déclarés pour le 2 octobre 2011) avait violé le droit du requérant à la protection judiciaire, au recours juridictionnel et à la liberté de réunion.
La Cour constitutionnelle a estimé que l’Association a été privée de la possibilité de contester la décision, car celle-ci lui a été transmise seulement deux jours avant la réunion prévue. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier à l’arrêt Baczkowski et autres c. Pologne, la Cour constitutionnelle a jugé que, dans le cas spécifique, une décision sur l’appel aurait eu un caractère post-hoc et a soutenu que cette protection ne pourrait objectivement pas arriver à temps opportun, donc être efficace. Par conséquent, même si les données collectées dans le cas spécifique ne fournissent pas de base fiable pour conclure que l’autorité compétente a pris la décision individuelle contestée de manière arbitraire, l’impossibilité même pour le requérant de demander un réexamen de la décision qui limitait l’une des libertés garanties par la Constitution, par le biais d’un recours juridique effectif, constitue une violation du droit à la protection judiciaire et du droit à un recours, et par conséquent, une atteinte à la liberté de réunion.
La Cour constitutionnelle a accordé à l’Association le droit à une indemnisation pour préjudice moral d’un montant de 500 euros.
En statuant sur les recours constitutionnels susmentionnés, la Cour constitutionnelle a estimé qu’une des causes fondamentales de la violation de la liberté de réunion réside précisément dans le problème systémique de la conformité de la loi en question avec la Constitution en vigueur.
Par conséquent, la Cour constitutionnelle s’est autosaisie en se référant à l’article 168, paragraphe 1 de la Constitution de la République de Serbie et a lancé, de sa propre initiative, la procédure d’évaluation de la constitutionnalité de la loi sur les rassemblements de citoyens, qui a abouti à la décision IUž – 204/2013 du 9 avril 2015, qui établit que la loi sur le rassemblement des citoyens n’est pas conforme à la Constitution. Dans l’exposé des motifs de la décision, la Cour constitutionnelle a déclaré, entre autres, que l’ensemble de la procédure visant à réaliser la liberté de réunion garantie était réglementée d’une manière qui ne répondait pas au critère d’efficacité.
En outre, le 21 avril 2016, la Cour constitutionnelle a rendu la Décision Už-8591/2013, par laquelle elle a accepté le recours constitutionnel de l’Association » Gay Pride Belgrade » et a constaté que la décision contestée du ministère de l’Intérieur (interdisant la tenue de la Gay Pride Belgrade prévue pour le 28 septembre 2013) avait violé les droits du requérant à la protection judiciaire, au recours juridique et à la liberté de réunion. La Cour constitutionnelle a également reconnu le droit de l’Association à une indemnisation pour préjudice moral d’un montant de 800 euros.
Le rôle positif de la Cour constitutionnelle a été reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle a statué sur la recevabilité des requêtes de l’association » Gay Pride Belgrade » et de 18 citoyens de la République de Serbie soumises à la Cour européenne des droits de l’homme, concernant les tentatives d’organisation de la « Gay Pride » en 2009, 2011, 2012 et en 2013.
Le 17 janvier 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans l’affaire Milica Đorđević et autres c. Serbie, requête no. 5591/10, 17802/12, 23138/13 et 2574/14, décidé de supprimer les requêtes mentionnées de la liste des affaires concernant l’article 37.1 (b) de la Convention, car elle a conclu que les deux conditions d’application de 37.1 (b) avaient été respectées, et qu’il n’y a aucune raison concernant le respect des droits de l’homme tels que définis par la Convention qui nécessite un examen de ces requêtes eu regard de l’article 37.1 in fine.
Concernant la première question, à savoir si les circonstances dénoncées par les requérants sont toujours présentes, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que, outre les arrêts rendus sur les recours constitutionnels, la Cour constitutionnelle, dans le cadre d’une procédure d’auto-saisine, a établi l’existence d’un problème structurel provenant de l’application de la loi sur les réunions de citoyens de 1992 et a déterminé que cette loi n’était pas conforme à la Constitution. La nouvelle loi sur les réunions publiques, qui corrige toutes les lacunes de la loi de 1992 pertinentes pour cette affaire, est entrée en vigueur le 5 février 2016.
La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que le problème structurel résolu par la Cour constitutionnelle était au cœur des requêtes des requérants. Le changement de lieu de rassemblement Gay Pride en 2009, l’interdiction de le tenir en 2011, 2012 et 2013 et l’absence de possibilité de contester efficacement les décisions contestées sont le résultat de la mise en œuvre de la loi sur les réunions de citoyens de 1992. Même avant la modification de la loi pertinente, les Gay Pride de 2014 et 2015 ont eu lieu avec l’autorisation officielle et la protection de la police et se sont déroulés sans incident. Cette tendance positive s’est poursuivie avec le défilé organisé en 2016, qui s’est également déroulé en paix. Par conséquent, les circonstances directement dénoncées par les requérants – la loi sur la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique – n’existent plus.
En ce qui concerne la deuxième question, à savoir si les mesures prises par les autorités représentent une satisfaction suffisante, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que la loi pertinente avait été modifiée et que cela était le résultat de l’approche proactive de la Cour constitutionnelle. De plus, depuis trois ans, les défilés se déroulent sans incident. Il semble donc qu’il y ait également eu un changement positif dans la perception du public concernant ladite question. Considérant cela, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’indemnisation déterminée par la Cour constitutionnelle, dans les circonstances particulières, était adéquate et suffisante.
Par conséquent, on peut conclure que l’approche proactive de la Cour constitutionnelle dans deux de ses juridictions – dans la procédure de recours constitutionnel et dans la procédure d’évaluation de la constitutionnalité et de la légalité des actes généraux – a influencé un changement positif dans la compréhension du public des droits de la population LGBT, ce qui a contribué à la paix dans la société.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Voir la réponse à la question précédente et la réponse à la question numéro 7 du sous-thème 2.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Absolument oui. À travers sa jurisprudence et dès ses premiers débuts, la Cour Constitutionnelle a souligné l’importance des » obligations positives et négatives de l’État « , c’est pourquoi dans l’affaire Už-3238/2011 du 8 mars 2012, elle a établi ce qui suit :
- Le respect du droit de l’homme garanti implique avant tout l’obligation des autorités de l’État et des autres titulaires de l’autorité publique de ne pas interférer avec la jouissance du droit garanti, ce qui représente une » obligation négative de l’État « .
- Le respect des droits de l’homme garantis implique qu’un individu puisse exiger des autorités publiques qu’elles prennent des mesures et adoptent des actes qui garantiront ce respect, ce qui représente une » obligation positive de l’État « .
Par ailleurs, l’article 18, paragraphe 2 de la Constitution dispose : « Les droits de l’homme et des minorités garantis par les règles généralement acceptées du droit international, consacrés par les traités et lois internationaux sont garantis par la Constitution et, à ce titre, sont directement appliqués ». Le même article précise au paragraphe 3 : « Les dispositions relatives aux droits de l’homme et des minorités sont interprétées en faveur de la promotion des valeurs d’une société démocratique, conformément aux normes internationales en vigueur en matière de droits de l’homme et des minorités, ainsi qu’à la pratique des institutions internationales qui supervisent leur mise en œuvre ».
Sur le plan normatif, la République de Serbie a adopté les normes les plus élevées en matière de respect, de protection et de promotion des droits de l’homme, tant au niveau national qu’au niveau européen et international. En devenant membre du Conseil de l’Europe, elle a assumé toutes les obligations s’y référant, et c’est précisément la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui est de la plus haute importance pour l’exercice de la fonction de protection directe des droits de l’homme et libertés par la Cour constitutionnelle de Serbie dans le cadre de la procédure de recours constitutionnel. Dans le même temps, c’est actuellement le domaine d’activité prédominant de la Cour en termes de volume d’affaires (environ 90 % des affaires).
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi? Si non, pourquoi ?
Il ne fait aucun doute que la liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions fondamentales de son progrès et de la protection des droits de chaque individu.
Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a indiqué à plusieurs reprises que, dans toute société démocratique, il est particulièrement important pour chaque individu de garantir l’affirmation et le plein exercice de la liberté de pensée et d’expression et du droit à l’information, et ce, en premier lieu, à travers la liberté des médias. En outre, lorsqu’il s’agit de questions d’importance publique, la liberté des médias est essentielle pour que diverses informations, avis et idées d’importance publique puissent être présentés au public, afin d’être accessibles aux citoyens.
Les décisions et arrêts de la Cour constitutionnelle en matière de protection des droits individuels, et notamment du droit à la liberté d’expression, servent non seulement à trancher les affaires dont elle est saisie, mais aussi, plus généralement, à clarifier, protéger et développer les règles établies par la Constitution, élevant ainsi les normes des droits de l’homme et élargissant la jurisprudence des droits de l’homme dans l’État.
Tribunal fédéral suisse
Remarques préalables
La Suisse est un État fédéral qui comporte trois niveaux politiques : la Confédération, les cantons et les communes. Chaque niveau dispose d’un pouvoir législatif et exécutif. La Confédération et les cantons disposent en outre d’un pouvoir judiciaire.
La Constitution fédérale de la Confédération suisse (ci-après Constitution fédérale ou Cst.)[238] confère au peuple et aux cantons l’autorité suprême de la Confédération. Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération.3 Les communes, dont l’autonomie est également garantie par la Constitution fédérale[239], disposent d’un certain pouvoir réglementaire.
En raison du fédéralisme suisse, tant la Confédération que les cantons ont le pouvoir d’adopter une Constitution. La Constitution fédérale prévoit cependant que les constitutions cantonales doivent être « garanties par la Confédération », la garantie étant accordée « si elles ne sont pas contraires au droit fédéral ».[240] L’Assemblée fédérale, c’est-à-dire le Parlement de la Confédération, est compétente pour octroyer la garantie fédérale après chaque révision totale ou partielle d’une constitution cantonale. Ainsi, notre pays compte une Constitution fédérale et vingt-six constitutions cantonales.[241] Dans le cadre du présent questionnaire, seule la Constitution fédérale est prise en compte.
Notre Constitution fédérale a connu trois versions successives depuis la fondation de l’État fédéral. La première version a été adoptée par les citoyens en 1848. Ses deux révisions totales, votées en 1874 et en 1999, s’inscrivent dans la continuité et le perfectionnement des institutions esquissées en 1848. L’esprit et la substance de la première Constitution fédérale ont en effet perduré dans ses versions ultérieures, les deux refontes totales n’ayant pas produit une rupture intellectuelle ni un renouveau politique.
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
La Constitution fédérale actuelle ne contient pas de disposition unique garantissant les différentes facettes de la libre communication par un seul droit générique (contrairement à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après CEDH[242] et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ci-après Pacte ONU II).[243] Elle prévoit plusieurs articles protégeant différentes composantes de celle-ci comme garanties indépendantes, régies toutefois par des règles communes. La doctrine parle de libertés de communication plutôt que de liberté d’expression. Ce concept regroupe un ensemble de libertés ayant pour objet de garantir les libres formation, expression et réception des opinions par la parole, l’écrit, l’image, le signe, le geste et le symbole s’adressant à un cercle de destinataires potentiellement ouvert.[244] On trouve ainsi la liberté d’opinion (art. 16 al. 1 et al. 2 Cst.) ; d’information (art. 16 al. 1 et al. 3 Cst.); la liberté des médias (art. 17 al. 1 Cst.) qui interdit la censure (al. 2) et garantit le secret de rédaction (al. 3) ; la liberté de la science (art. 20 Cst.) et la liberté de l’art (art. 21 Cst.). Outre ces libertés de communication, il existe d’autres garanties, dont la fonction en matière de diffusion des idées, jouant un rôle majeur, telles la liberté religieuse (art. 15 Cst.), la liberté de la langue (art. 18 Cst.), de réunion (art. 22 Cst.), d’association (art. 23 Cst.) ou du droit de pétition (art. 33 Cst.).
La délimitation entre les domaines de protection des dispositions précitées n’est pas toujours aisée à établir, toutefois l’art. 16 Cst. se présente comme la garantie générale et subsidiaire par rapport aux autres libertés de communication qui sont dotées de contours mieux définis par rapport aux comportements qu’elles appréhendent.[245] Dans ce questionnaire, il sera toutefois principalement question de la liberté d’opinion et d’information (art. 16 Cst.) qui équivaut à la liberté d’expression, telle qu’elle est en outre communément comprise.
Par déclaration de droits, on entend un texte qui énonce un ensemble de droits de l’homme comme le fait en France la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il n’existe pas de texte de ce genre en Suisse.
Historiquement, parmi les libertés de communication, seule la liberté de la presse figurait dans les Constitutions de 1848 (art. 45) et 1874 (art. 55). Avant l’adoption de la Constitution de 1999, la liberté d’expression était par contre ancrée dans le droit conventionnel puisque sont entrés en vigueur en Suisse : la CEDH (art. 10) le 28 novembre 1974 et le Pacte ONU II (art. 19) le 18 septembre 1992. La Constitution fédérale de 1999 a pallié à cette absence de référence en droit interne en introduisant l’art. 16 Cst. (Liberté d’opinion et d’information), mais elle avait le statut de liberté non écrite depuis les années soixante déjà (cf. la réponse aux questions 2.1 et 2.2).[246]
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Non, le Constituant fédéral de 1999 a renoncé à doter explicitement chaque droit fondamental d’une liste de restrictions susceptibles de lui être opposées. Il a opté en faveur d’une clause générale, applicable à toutes les libertés garanties par la Constitution fédérale. Les conditions générales de restriction aux droits fondamentaux sont précisées à l’art. 36 Cst. D’une manière générale, chaque fois que le Tribunal fédéral doit se prononcer sur un cas de restriction à une liberté fondamentale, il examine si elle est fondée sur une base légale (art. 36 al. 1 Cst.), si elle est justifiée par un intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.) et si elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.). Lorsque la restriction aux droits fondamentaux est grave, il vérifie si celle-ci figure dans une loi au sens formel (art. 36 al. 1 Cst.). Le Tribunal fédéral s’assure également que la substance même de la liberté – son noyau intangible – n’est pas violée (art. 36 al. 4 Cst.).
En outre, nombreuses sont les règles du droit ordinaire, comme celles du droit pénal (diffamation/art. 173 du Code pénal [ci-après CP][247], injure/art. 177 CP et discrimination raciale/art. 261bis CP), civil (art. 28 du Code civil[248]) ou administratif qui limitent l’exercice des libertés de communication.
Cf. aussi la réponse à la question 1.6.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Alors qu’elle n’était qu’une liberté non écrite, le Tribunal fédéral définissait ainsi la liberté d’expression : « faculté de faire connaitre librement ses opinions et de les répandre en usant des moyens légaux, sans plus »[249]. Depuis la Constitution fédérale de 1999, c’est la liberté d’opinion (art. 16 Cst.) qui est souvent appelée liberté d’expression.[250]
La liberté d’opinion garantit le droit de toute personne de former, d’avoir, d’exprimer et de répandre son opinion, quelle qu’elle soit, par n’importe quel moyen disponible et licite.[251] Certaines formes d’expressions non verbales sont aussi considérées comme des libertés de communication par le Tribunal fédéral: œuvres d’art (art. 21 Cst.), banderoles, drapeaux, masques portés au cours de manifestations, actes de protestation (grève de la faim par un détenu mécontent; blocage du trafic pour protester contre la guerre).[252] Le Tribunal fédéral admet que les libertés de communication ne protègent pas seulement le contenu des informations, mais aussi leurs moyens de transmission/réception.[253] N’importe quel vecteur peut être utilisé pour la diffusion de l’opinion (cf. à cet égard la réponse à la question 3.4). Cette liberté apporte significativement quelque chose à la diversité sociétale et culturelle et contribue au progrès social.[254] Elle a aussi une dimension personnelle importante.[255]
La liberté d’information garantit à toute personne « le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser ». Cette définition est assez étroite puisque le Tribunal fédéral limite son champ d’application aux sources généralement accessibles et a refusé de déduire de cette liberté une obligation générale pour les autorités de donner des informations sur l’activité de l’administration en faisant entendre les voix discordantes.[256] On ne peut donc pas en déduire un droit à l’information. Dès lors, il appartient au législateur, cas échéant au juge, de délimiter le cercle des sources accessibles.[257] La liberté de réception est aussi consacrée par cet article ainsi que par la loi fédérale sur la radio et la télévision (ci-après LRTV, art. 66). Le Tribunal fédéral n’a pas jugé la redevance radio-télévision comme incompatible avec cette liberté.[258]
Il convient aussi d’ajouter la définition du Tribunal fédéral de la liberté des médias (art. 17 Cst.) qui fait partie des manifestations centrales de la garantie générale de la liberté d’expression.[259] Est déterminant le fait que la communication médiatisée soit mise à disposition du public, même s’il s’agit d’un cercle limité.[260]
La liberté de la science (art. 20 Cst.) protège selon le Tribunal fédéral l’indépendance intellectuelle et méthodologique de la recherche contre
L’intervention de l’État.[261]
Quant à la liberté de l’art (art. 21 Cst.), le Tribunal fédéral considère que la création artistique, sa présentation et ses produits constituent des opinions protégées par la liberté d’expression.[262]
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrentils ? De ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Même si de façon générale, la pratique du Tribunal fédéral – qui a fait siennes les exigences que les juges de Strasbourg ont posées en matière de liberté d’expression – converge avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CourEDH), cette dernière ne tient pas toujours le même raisonnement et n’a pas forcément la même vision de la liberté d’expression que le juge interne. Il est donc déjà arrivé que la CourEDH reproche à la Suisse une violation de la liberté d’expression telle que garantie par l’art. 10 CEDH.[263] Suite aux condamnations prononcées à l’encontre de notre pays, notre jurisprudence a évolué pour se conformer aux exigences européennes. L’on en veut pour preuve un arrêt du Tribunal fédéral de 2018 concernant la négation par un politicien du génocide des musulmans bosniaques à Srebrenica. Dans ce jugement, les juges fédéraux se sont référés aux critères définis par la CourEDH dans l’affaire Perinçek[264] pour arriver à la conclusion que les propos controversés ne comportaient pas d’incitation à la haine, à la violence ou à l’intolérance, ni de reproches à l’encontre des musulmans de Bosnie, de sorte que la condamnation pénale de leur auteur n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
On peut encore ajouter que certains arrêts rendus par la CourEDH ont renforcé la sensibilité pour la liberté d’expression comme en témoigne le cas Gsell contre Suisse.[265] Dans cet arrêt, le refus d’autoriser l’entrée au World Economic Forum (WEF) de Davos à un journaliste a été considéré comme une ingérence dans le droit à la liberté d’expression du journaliste puisqu’il voulait se rendre à Davos en vue de la rédaction d’un article. L’interdiction qui lui a été faite n’était fondée sur aucune base légale explicite. Les autorités ont eu recours à la clause générale de police en vertu de l’art. 36 al. 1 Cst. La CourEDH a affirmé que l’expression « prévue par la loi » au sens de l’art. 10 par. 1 CEDH ne se limitait pas à l’exigence d’une base légale en droit interne, mais qu’elle visait aussi la qualité de la loi en cause, qui doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets (sur cet arrêt, cf. aussi la réponse à la question 3.7).[266] Dans un arrêt subséquent, le Tribunal fédéral a ainsi repris cette exigence relevant « qu’on ne peut donc considérer comme une loi qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé. Le degré de prévisibilité est fonction des circonstances de la cause, une certitude absolue ne pouvant pas être exigée ».[267]
En sus, on peut préciser que le Tribunal fédéral n’accorde une pleine protection qu’aux communications idéales (celles qui ont une valeur politique, culturelle, scientifique ou sociale) et non aux communications commerciales (p. ex. les publicités) appartenant à la liberté économique et dotées d’un régime plus strict, alors que la CourEDH englobe les communications commerciales dans la liberté d’expression. Les juges de Strasbourg laissent toutefois aux autorités nationales une large marge d’appréciation concernant les restrictions possibles à la communication commerciale, tolérant celles qui tendent à lutter contre la publicité trompeuse ou mensongère.34
Cf. aussi la réponse à la question 2.7.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Dans la doctrine, la liberté d’opinion (art. 16 Cst) est considérée comme une véritable matrice des libertés de communication. Celle-ci a donné à la jurisprudence l’occasion de développer un socle de principes communs. Elle joue un double rôle : droit fondateur des libertés de communication et garantie générale et subsidiaire par rapport aux autres formes de communication.[268] C’est le socle indispensable aux autres modes d’expression, qui n’en représentent en définitive que des aspects importants, mais néanmoins ponctuels.[269]
Les déclinaisons de la liberté d’expression de notre jurisprudence sont celles énumérées dans la réponse à la question 1.1.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse?
La liberté religieuse – appelée aussi liberté de conscience et de croyance – trouve son fondement dans l’art. 15 Cst. À noter que cette disposition protège tant la dimension intérieure que la dimension extérieure de la liberté religieuse. Elle consacre en effet le droit de professer ses convictions religieuses individuellement ou en communauté. Le titulaire de cette liberté a la faculté » d’exprimer, de pratiquer et de communiquer ses convictions religieuses ou sa vision du monde, dans certaines limites « .[270] Cette liberté apparaît dès lors comme une garantie spéciale par rapport à la liberté d’expression de l’art. 16 Cst., mais ne fait pas partie de la catégorie des libertés de communication.
La liberté d’expression (art. 16 Cst.) peut entrer en conflit avec la liberté religieuse (art. 15 Cst.). Le législateur pénal a effectué un arbitrage préalable d’un tel conflit. Il a en effet adopté deux normes pénales qui fixent des limites à la liberté d’expression en matière religieuse : les art. 261 et 261bis CP.
L’art. 261 CP est intitulé « atteinte à la liberté de croyance et des cultes ». Cette disposition punit d’une peine pécuniaire celui qui, publiquement et de façon vile, aura offensé ou bafoué les convictions d’autrui en matière de croyance, en particulier de croyance en Dieu, ou aura profané les objets de la vénération religieuse, celui qui aura méchamment empêché de célébrer ou troublé ou publiquement bafoué un acte cultuel garanti par la Constitution, ainsi que celui qui, méchamment, aura profané un lieu ou un objet destiné à un culte ou à un acte cultuel garantis par la Constitution. Cet article vise toute religion bénéficiant de la protection de l’art. 15 Cst.[271] Dans un arrêt datant de 1960, le Tribunal fédéral a considéré que le bien juridique protégé par l’art. 261 CP était tant la paix religieuse que la liberté religieuse, plus précisément le droit de l’individu au respect de ses convictions religieuses.39 Seules sont donc punissables, les atteintes aux convictions religieuses d’autrui qui sont « suffisamment graves pour troubler simultanément la paix publique ».[272] La simple critique à l’égard d’une religion n’est pas visée par l’art. 261 CP.41
L’art. 261bis CP est intitulé « Discrimination et incitation à la haine ». Cette disposition protège notamment les groupes religieux contre l’incitation publique à la haine ou la discrimination ainsi que contre la propagation publique d’une idéologie visant leur rabaissement ou dénigrement systématique.[273] Pour tomber sous le coup de l’art. 261bis CP, les propos doivent être tenus en public et faire apparaître l’individu appartenant à une religion comme étant de moindre valeur du point de vue de la dignité humaine.[274] Récemment, le Tribunal fédéral a été saisi d’une affaire concernant la liberté d’expression en lien avec l’art. 261bis CP. Il y était question de propos niant l’holocauste tenus par Dieudonné lors de spectacles donnés en Suisse. L’humoriste s’est prévalu des art. 16 et 17 Cst. ainsi que de l’art. 10 CEDH pour contester sa condamnation en application de l’art. 261bis CP. Les juges fédéraux ont indiqué que l’art. 261bis CP devait être interprété à la lumière des principes régissant la liberté d’expression. Ils ont ajouté que, dans une démocratie, il était essentiel que même les opinions qui déplaisent à la majorité, ou celles qui choquent nombre de personnes, puissent être exprimées.[275] Le Tribunal fédéral a cependant rappelé que, si le discours humoristique était protégé par la liberté d’expression, le droit à l’humour ne permettait pas tout.[276] Il a également exposé que la tenue en public de propos négationnistes était propre à heurter les membres de la communauté juive.[277] Il a par ailleurs retenu que les propos incriminés n’avaient pas été prononcés » à des fins humoristiques, parodiques ou satiriques, mais bien principalement afin de minimiser la souffrance d’un peuple […], voire également de provoquer et de créer la polémique, au détriment des membres de la communauté juive, pour lesquels cette question est susceptible de jouer un rôle identitaire central « .[278] Pour les juges fédéraux, il était douteux qu’au regard de l’art. 17 CEDH, le recourant soit fondé à invoquer sa liberté d’expression vu que les propos incriminés paraissaient déjà consacrer en soi l’expression d’une idéologie allant à l’encontre des droits et libertés reconnus dans la CEDH.[279] Au terme de leur analyse, les juges fédéraux sont arrivés à la conclusion que la condamnation de Dieudonné au titre de l’art. 261bis CP devait être confirmée.[280]
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
La liberté d’expression assure une protection extrêmement étendue lorsque les droits politiques protégés par l’art. 34 Cst. sont en cause. À son alinéa 2, il est écrit que la garantie des droits politiques protège expressément la liberté d’expression. Il en va ainsi, par exemple, lors des campagnes précédant les votations sur des scrutins référendaires.[281] Selon le Tribunal fédéral, la liberté d’expression est plus large dans le domaine du discours et du débat politique. Cette liberté revêt en effet la plus haute importance dans ce domaine. Par ailleurs, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens. Il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (cf. aussi la réponse aux questions 3.2 in fine et 3.5).[282]
À l’instar du discours politique, l’humour a droit à un traitement privilégié.[283] Toutefois, comme mentionné ci-dessus, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de l’humoriste Dieudonné qui se prévalait de la liberté d’expression pour contester sa condamnation pour violation de l’art. 260bis al. 4 in fine CP. Si la protection de la liberté d’expression au sens de l’art. 10 CEDH couvre également la satire, elle est néanmoins restreinte par la clause de l’interdiction de l’abus de droit de l’art. 17 CEDH. Ainsi des propos contraires aux valeurs sous-tendant la CEDH se voient soustraits à la protection de l’art. 10 CEDH par le biais de l’art. 17 CEDH.
À l’inverse, dans les domaines dits régaliens (militaire ; police ; justice), la liberté d’expression est plus restreinte (cf. aussi la réponse aux questions 1.8 et 1.9). Le discours commercial quant à lui est aussi sujet à des restrictions plus amples (cf. aussi la réponse à la question 1.4), tout comme les formes extrêmes des discours racistes, ou incitant à la violence qui constituent un usage abusif des libertés de communication.[284]
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
La liberté d’opinion et d’information (art. 16 Cst) appartient à toute personne physique ou morale.[285] Elle appartient également à toute personne majeure ainsi qu’aux mineurs capables de discernement (art. 11 al. 2 Cst).[286]
Par ailleurs, elle appartient aussi bien aux Suisses qu’aux étrangers, mais il n’en a pas toujours été ainsi (cf. à cet égard la réponse à la question 3.6).
Actuellement, si les libertés de communication appartiennent à chacune et chacun, les restrictions qui les frappent ne sont pas les mêmes pour tous. Le contenu des libertés de communication peut varier selon le statut (élève, détenu, député) ou la profession (avocat, journaliste). Concernant la protection des libertés d’expression des élèves et étudiants, elle augmente au fur et à mesure du niveau d’études.56 Les libertés d’expression peuvent être parfois restreintes (interdiction de l’usage de smartphone en classe) dans des buts didactiques ou de discipline. Le détenu peut aussi être soumis à des restrictions liées à l’enquête ou à titre de sanction (contrôle du courrier postal, etc.).[287] L’avocat quant à lui doit disposer d’une grande liberté pour critiquer l’administration de la justice (cf. aussi la réponse à la question 3.10).[288] Quant à l’éthique journalistique, elle commande de séparer les faits des opinions afin de prévenir la manipulation du public.59
En ce qui concerne les agents de l’État, cf. la réponse à la question 9 ci-dessous.
En ce qui concerne les politiciens, cf. la réponse à la question 3.5
Cf. aussi la réponse à la question 4 où l’on voit que contrairement à la CEDH qui confère la liberté d’expression à tous, le Tribunal fédéral distingue d’après la nature, lucrative ou non, du but recherché, ne protégeant ainsi que les opinions et expressions qui ont un caractère idéal (les autres tombant sous le coup de la liberté économique).[289]
Enfin, on peut encore ajouter qu’en droit suisse, faute d’effet horizontal direct des libertés de communication, les conflits entre particuliers au sujet de leur exercice sont tranchés sur la base des dispositions du droit privé, qui doivent être interprétées à la lumière des libertés constitutionnelles (effet horizontal indirect). [290]
- 9. Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Concernant les fonctionnaires et les agents publics, ils sont soumis au devoir de fidélité qui peut limiter leur liberté d’expression. L’exercice de cette liberté est soumis au devoir de réserve et à l’obligation de s’abstenir de porter préjudice à la confiance du public en l’administration.[291] Le secret de fonction en est l’exemple emblématique.[292] Pendant et en dehors de son travail, il a l’obligation d’adopter un comportement qui inspire le respect et qui est digne de confiance, et sa position exige qu’il s’abstienne de tout ce qui peut porter atteinte aux intérêts de l’État.[293] Dans tous les cas, ses prises de position resteront mesurées, sur le fond comme dans le ton.[294] La liberté d’expression du fonctionnaire peut être limitée lorsque le comportement de ce dernier porte atteinte à l’exercice de ses fonctions et à la confiance du public dans l’administration.[295]
Est réservé le cas du lanceur d’alerte (Whistleblower), qui peut bénéficier d’une impunissabilité dans des conditions rigoureuses et en respectant un ordre de priorité strict.[296] S’agissant du cas particulier des enseignants, leur devoir de réserve et de fidélité peut imposer des limites à leur liberté d’expression et s’étendre au comportement au dehors du service, en raison des devoirs et responsabilités particuliers qui pèsent sur leurs épaules.[297]
Pour ce qui est du cas particulier des juges, en application de la garantie constitutionnelle de l’indépendance et de l’impartialité des juges (art. 30 et 191c Cst), ils doivent s’exprimer avec retenue et d’une façon qui ne les fasse pas apparaître comme prévenus dans une affaire qu’ils ont à juger.[298] Ils ne doivent donc pas s’exprimer sur les affaires en cours ni faire des remontrances à des magistrats d’autres tribunaux. Comme exception à ce principe, on trouve en procédure pénale l’information au public par les tribunaux dans ces conditions (art. 74 du Code de procédure pénale suisse).[299] On peut citer aussi l’art. 58 de la loi sur le Tribunal fédéral[300] qui permet au Tribunal fédéral de délibérer en audience (et donc en public), si le président de la juridiction l’ordonne, si un juge le demande ou s’il n’y a pas unanimité. La délibération consistera alors en la prise de position orale des juges. Il y a également lieu de mentionner ici les « Usages au sein du collège des juges au Tribunal fédéral »[301] qui ont été adoptés en 2018 par la Cour plénière afin de mettre par écrit les usages auxquels se conforment les membres de la cour suprême suisse. Ce document porte notamment sur le comportement en public des juges fédéraux.[302]
En ce qui concerne les militaires, on peut présenter le contenu de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire74 ainsi que du règlement de service de l’armée.[303] En période de service militaire, les soldats bénéficient du droit à la libre expression de leurs idées[304], mais ce droit subit des limitations « qui ne peuvent excéder ce qui est indispensable à l’accomplissement de la mission de l’armée, de la troupe et de chaque militaire ».[305] L’art. 96 du règlement de service de l’armée est consacré à la liberté d’expression et fixe comme suit les modalités de son exercice: au service aussi, les militaires peuvent s’exprimer librement, y compris sur des questions en rapport avec le service et l’armée; les déclarations faites ne doivent toutefois pas entraver l’exécution des missions, l’obéissance due aux supérieurs, la discipline et l’esprit de corps de la troupe ni troubler la marche du service[306]; par ailleurs il est interdit aux militaires d’organiser des assemblées politiques, des manifestations et des campagnes de propagande quelles qu’elles soient ou d’y participer, de même que de collecter des signatures pour des listes de candidats, des initiatives populaires, des référendums et des pétitions pendant le temps de travail et pendant le temps de repos, dans la sphère de la communauté et lorsqu’ils portent l’uniforme.[307]
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Il a fallu attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que la liberté d’expression soit consacrée par la jurisprudence.[308] Le Tribunal fédéral l’a en effet reconnue comme un « principe fondamental du droit fédéral ou cantonal, écrit ou non, et une extension de la protection assurée par la liberté de la presse » en 1961.[309] Quelques années plus tard, les juges fédéraux ont expressément conféré à la liberté d’expression le statut de « droit constitutionnel non écrit de la Confédération ».[310]
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Il s’agit du deuxième droit constitutionnel non écrit consacré par le Tribunal fédéral. Dès les années trente – en raison de la crise économique et du totalitarisme ambiant – la doctrine a considéré que les droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale de l’époque étaient insuffisants et qu’ils devaient être complétés. Dès les années soixante, face à l’inaction du constituant et encouragé par la doctrine, le Tribunal fédéral a décidé de reconnaître de nouveaux droits constitutionnels non écrits pour combler les lacunes que comportait l’énumération des droits fondamentaux faite par la Constitution fédérale de 1874.83. C’est ainsi que les juges fédéraux ont reconnu la liberté d’expression comme étant d’abord un principe fondamental du droit fédéral ou cantonal, puis comme un droit constitutionnel non écrit.[311] Ils ont décrit cette liberté comme un élément indispensable à l’épanouissement de la personne humaine et comme le fondement de tout État démocratique.[312]
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Le Tribunal fédéral a très tôt retenu qu’il n’existait pas de droit fondamental supérieur ou inférieur en ce sens que l’un devrait céder le pas à l’autre, mais que tous les droits fondamentaux existaient côte à côte avec la même force juridique.[313]
Cependant, dans un arrêt de 1970, les juges fédéraux ont indiqué que « la liberté d’expression n’est pas seulement, comme d’autres libertés expresses ou implicites du droit constitutionnel fédéral, une condition de l’exercice de la liberté individuelle et un élément indispensable à l’épanouissement de la personne humaine; elle est encore le fondement de tout État démocratique: permettant la libre formation de l’opinion, notamment de l’opinion politique, elle est indispensable au plein exercice de la démocratie. Elle mérite dès lors une place à part dans le catalogue des droits individuels garantis par la Constitution fédérale et un traitement privilégié de la part des autorités ».[314]
Par la suite, le Tribunal fédéral n’a plus manifesté sa volonté d’accorder à la liberté d’expression un statut privilégié. Un auteur en a déduit que les juges fédéraux étaient devenus réticents à toute hiérarchie des droits fondamentaux.[315] C’est ce que vient confirmer le principe de la « concordance pratique » que le Tribunal fédéral applique aux situations de conflit entre droits fondamentaux (cf. la réponse à la question 2.8).
À noter que la liberté d’opinion (art. 16 Cst.) peut être perçue comme une liberté matricielle plutôt que comme une liberté supérieure aux autres (cf. la réponse à la question 1.5).
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Deux dates ont marqué un tournant dans la jurisprudence relative à la liberté d’expression :
◦ 1961 : Le Tribunal fédéral consacre expressément la liberté d’expression comme « principe fondamental du droit fédéral ou cantonal ». Cela ouvre la voie à ce que le statut de « droit constitutionnel non écrit de la Confédération » soit reconnu à cette liberté, puis à ce que celle-ci soit inscrite dans la Constitution fédérale de 1999.
◦ 1974 : Suite à la ratification de la CEDH par la Suisse, la jurisprudence des organes de Strasbourg commence à exercer une influence importante sur la pratique du Tribunal fédéral. Les affaires de liberté d’expression sont traitées en tenant compte de l’art. 10 CEDH et de la jurisprudence rendue à ce sujet par la CourEDH.[316] A cet égard, il sied de relever que la Suisse connait un système moniste avec primauté du droit international. Les normes de droit international déploient leurs effets dans l’ordre juridique interne sans qu’il soit nécessaire de les introduire dans le droit national par un acte spécial de transformation. De ce fait, la CEDH fait partie intégrante de notre droit national. Par ailleurs, en cas de conflit, les normes de droit international qui lient la Suisse et qui tendent à la protection des droits de l’homme priment celles du droit interne qui leur sont contraires.[317]
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Ce sont la nécessité d’une protection accrue de l’individu contre le totalitarisme ambiant, l’inaction du constituant et les encouragements de la doctrine qui ont amené le Tribunal fédéral à ajouter, par voie prétorienne, la liberté d’expression au catalogue des droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale.
Quant au phénomène d’internationalisation de la jurisprudence du Tribunal fédéral, il est dû à la volonté des juges fédéraux de respecter les engagements internationaux de la Suisse et d’éviter ainsi des condamnations par la CourEDH.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Le Tribunal fédéral est l’autorité judiciaire suprême de la Confédération. Il assume à ce titre un double rôle. En tant qu’autorité judiciaire de dernière instance, il lui incombe de faire respecter la législation fédérale en matière civile, pénale et administrative. En tant que juridiction constitutionnelle, il garantit la protection des droits fondamentaux des citoyens.
La jurisprudence du Tribunal fédéral – dans sa totalité – est contraignante pour les juridictions inférieures. La Suisse connait un système de juridiction constitutionnelle diffus. Ainsi, le Tribunal fédéral n’est pas le seul juge constitutionnel en Suisse. Tous les organes d’application du droit sont habilités à examiner si les droits et libertés des citoyens sont respectés.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Le Tribunal fédéral reprend la jurisprudence de la CourEDH qui concerne la Suisse.[318] Il reprend également la jurisprudence rendue par la CourEDH à propos d’autres états européens quand elle est de nature à se présenter dans les mêmes termes en Suisse.
Il peut aussi arriver que les juges fédéraux citent, dans le cadre d’une démarche comparatiste, la législation ou la jurisprudence de juridictions constitutionnelles étrangères.[319]
Cf. aussi la réponse à la question 1.4
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
En cas de conflit entre libertés, le Tribunal fédéral applique le principe de la concordance pratique.93 Les juges fédéraux doivent coordonner entre elles les différentes libertés protégées, et non pas en subordonner certaines à d’autres.[320] Toutes les libertés garanties ayant la même source, elles « ont la même valeur juridique, à moins que cette source n’indique le contraire ».[321]
Sur la question du conflit entre la liberté d’expression et la liberté religieuse, cf. la réponse à la question 1.6.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Lorsque la liberté d’expression a été consacrée comme « principe fondamental du droit fédéral ou cantonal » puis comme « droit constitutionnel non écrit de la Confédération », la volonté du Tribunal fédéral était de renforcer la protection de l’individu contre les ingérences étatiques. Au fil du temps, le Tribunal fédéral a montré qu’il accordait une très grande importance à la protection des droits de l’homme. Il l’a notamment prouvé en faisant sienne la jurisprudence de la CourEDH et en rendant la jurisprudence dite PKK, selon laquelle la norme internationale ayant pour objet la protection des droits de l’homme prime toujours sur la norme interne lorsqu’elles entrent en conflit.96 (Au sujet de la jurisprudence dite PKK, cf. également la réponse à la question 2.14).
Malgré ce qui vient d’être exposé, le Tribunal fédéral ne reconnaît pas le principe de la supériorité des intérêts de l’individu sur les intérêts de la société. Les libertés individuelles en général et la liberté d’expression en particulier ne sauraient s’exercer au détriment de l’intérêt général. Ce dernier est toujours pris en considération par les juges fédéraux quand ils ont à se prononcer sur la conformité à la Constitution fédérale d’une atteinte à la liberté d’expression. Si les circonstances du cas d’espèce le justifient, l’intérêt de la société aura le pas sur l’intérêt individuel. La seule exception concerne les cas de censure générale préalable dont l’interdiction est énoncée de manière absolue à l’art. 17 al. 2 Cst. L’intérêt du titulaire de la liberté d’expression l’emportera toujours sur celui de l’État. Cette interdiction de censure est reconnue comme relevant du noyau intangible des libertés de la communication.[322]
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Le Tribunal fédéral admet les atteintes à la liberté d’expression aux conditions restrictives de l’art. 36 Cst. (Cf. la réponse à la question 1.2). Cette disposition consacre le principe de la proportionnalité : toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3). Traditionnellement, le principe de la proportionnalité est subdivisé en trois règles distinctes et complémentaires. Il exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts).[323] Le contrôle de la proportionnalité se base également sur l’art. 10 par. 2 CEDH. Le Tribunal fédéral se réfère en effet très souvent à la jurisprudence que la CourEDH a rendue sur la notion de « nécessité dans une société démocratique » pour concrétiser le principe de la proportionnalité.
La manière dont le principe de la proportionnalité est appliqué peut varier en fonction de divers facteurs.
Le Tribunal fédéral examine en principe librement si les mesures qui portent atteinte aux droits fondamentaux respectent le principe de la proportionnalité. Il fait cependant preuve d’une certaine retenue dans l’appréciation de ce principe quand il s’agit de domaines où les cantons ont conservé des compétences étendues. Ainsi, lorsque le Tribunal fédéral est saisi de questions liées au maintien de l’ordre public, il ne substitue pas son pouvoir d’appréciation à celui des autorités cantonales dans la mesure où celles-ci sont mieux à même de saisir et d’apprécier les circonstances locales.[324]
L’ampleur de la restriction portée à la liberté fondamentale est également de nature à relativiser le contrôle de la proportionnalité. En cas d’atteinte grave, le juge procède à un examen approfondi de la proportionnalité des mesures contestées. Une restriction légère ou passagère sera traitée de manière moins stricte.[325]
Le domaine dans lequel est exercée la liberté d’expression a aussi un impact sur le contrôle de la proportionnalité. Ainsi, les mesures restrictives de la liberté d’expression dans le domaine du débat politique ou d’une question d’intérêt général appellent l’application d’un contrôle rigoureux en raison « du rôle central imparti au débat d’idées au sein des sociétés démocratiques ».[326]
La nature de l’acte attaqué a aussi une influence sur l’application du principe de la proportionnalité. La manière dont le contrôle est exercé diffère selon qu’il s’opère à l’égard d’un acte normatif cantonal ou à l’égard d’une décision individuelle et concrète.[327] Le contrôle portant sur un acte normatif cantonal ne permet en effet qu’un examen théorique et abstrait.[328] Le Tribunal fédéral l’a souligné dans un arrêt datant de 2002: « trancher définitivement la question de la pesée des intérêts et de la proportionnalité dans le cadre du contrôle abstrait de la norme n’est guère possible, vu la multiplicité des situations concrètes et l’évaluation du risque qu’il faut entreprendre concrètement à chaque occasion ». Lorsque le contrôle porte sur une décision individuelle et concrète, l’application du principe de la proportionnalité s’avère moins délicate.[329]
Par ailleurs, le contrôle de la proportionnalité peut être exclu si le constituant le décide. La Constitution fédérale contient en effet des dispositions qui posent des limites absolues à certaines libertés fondamentales ne laissant ainsi pas de place à l’examen de la proportionnalité.[330] Le juge devra alors « décréter la mesure restrictive sans considération aucune du cas particulier ».106
À noter encore que le contrôle de la proportionnalité tient également compte du statut du titulaire de la liberté d’expression. La fonction de la personne qui s’exprime (fonctionnaire, juge, politicien, etc.) est en effet prise en compte au moment de procéder à la pesée des intérêts en présence (cf. la réponse aux questions 1.8, 1.9 et 3.5).
- Quels sont les rapports existants dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
En cas de restriction à la liberté d’expression, il y a lieu de s’assurer que celle-ci soit justifiée par un intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.). La notion d’intérêt public peut varier dans le temps et dans l’espace.[331] Elle recouvre notamment une série de valeurs dites policières comme par exemple l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la tranquillité publique ou la moralité publique.[332] Selon le Tribunal fédéral, le principe de l’intérêt public se confond – en matière de liberté d’expression – avec le souci de maintenir l’ordre public.[333]
Toujours selon les juges fédéraux, c’est au législateur qu’il incombe de définir, dans le cadre d’un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être considérés comme légitimes.110 Ainsi, le législateur suisse a apporté, au nom de l’ordre public, des restrictions notables à la liberté d’expression dans le Code pénal et dans les lois de police. On peut mentionner à titre d’exemple les infractions contre la paix publique qui sont réprimées par le Code pénal[334] et qui fixent les limites nécessaires pour empêcher les excès de la liberté d’expression. Par ailleurs, la protection de la moralité publique est un « motif classique de police » qui est invoqué pour justifier des restrictions à la liberté d’expression.[335]
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
En Suisse, le contrôle constitutionnel des lois fédérales est réduit à l’égard des actes de rang fédéral. D’une part, le contrôle juridictionnel abstrait des actes normatifs fédéraux est exclu dans la mesure où les actes de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral ne peuvent pas être portés devant le Tribunal fédéral sauf exceptions prévues par la loi (art. 189 al. 4 Cst.). D’autre part, le contrôle concret des lois fédérales est sévèrement limité par la Constitution fédérale vu que le Tribunal fédéral est tenu de les appliquer (art. 190 Cst.). Les lois fédérales bénéficient d’une sorte d’immunité dès lors que les tribunaux et les autorités qui mettent en œuvre le droit ne peuvent pas refuser de les appliquer, sous réserve de contrariété avec le droit conventionnel. La Suisse connait en effet un système moniste avec primauté du droit international.[336] Cette limitation du contrôle des lois fédérales est l’une des principales caractéristiques du système constitutionnel helvétique. Celui-ci traduit la conception selon laquelle les lois fédérales édictées par le Parlement et, en cas de référendum, soumises au vote du peuple, jouissent d’une forte légitimité démocratique et doivent dès lors être respectées.
Sous l’impulsion de la doctrine majoritaire qui était favorable à l’extension de la juridiction constitutionnelle du Tribunal fédéral vis-à-vis des lois fédérales, les juges fédéraux ont fait évoluer leur jurisprudence à l’intérieur du cadre posé par l’art. 190 Cst.
Dans un premier temps, les juges fédéraux ont considéré que le principe posé par l’art. 190 Cst. les obligeait à appliquer tout acte fédéral sans examiner sa constitutionnalité.[337]
Par la suite, le principe de l’interprétation conforme à la Constitution fédérale a fait son apparition dans la jurisprudence du Tribunal fédéral.[338] Ce principe part de la prémisse que le législateur fédéral ne propose pas des solutions incompatibles avec la Constitution fédérale, à moins que le contraire ne résulte clairement de la lettre ou de l’esprit de la loi. Cela signifie que le juge doit conférer à une disposition légale celle qui est en harmonie avec la Constitution fédérale (et la liberté d’expression) lorsque les méthodes ordinaires d’interprétation laissent subsister un doute sur son sens.[339]
Depuis 1991, le Tribunal fédéral estime que l’art. 190 Cst. ne l’empêche pas d’examiner la constitutionnalité d’une loi fédérale (kein Prüfungsverbot) même s’il est tenu de l’appliquer (Anwendungsgebot).[340] La Cour suprême suisse peut donc examiner la conformité d’une loi fédérale à la Constitution fédérale et constater une éventuelle violation de la liberté d’expression d’un individu. Elle ne peut toutefois pas sanctionner cette constatation par une annulation ou par un refus d’application de la loi en question. Ainsi, lorsque les juges fédéraux constatent une violation de la liberté d’expression, ils ne peuvent qu’exhorter le législateur à changer la loi. Le Tribunal fédéral a la possibilité de le faire dans les considérants de ses arrêts[341] ou dans la rubrique de son rapport annuel de gestion, intitulée « Indications à l’intention du législateur ».[342]
En 1999 a été rendu un arrêt[343] qui a permis de renforcer la protection des libertés individuelles. Pour le Tribunal fédéral, en cas de conflit, les normes du droit international qui lient la Suisse priment en principe celles du droit interne qui lui sont contraires.[344] Si l’on fait abstraction des traités internationaux qui prévoient expressément le droit pour les États parties de ne pas les appliquer – ou certaines de leurs clauses – en cas de contrariété avec le droit interne (ainsi s’agissant de l’application provisoire de traités avant leur ratification 156), il ne pourrait être dérogé au principe de la primauté du droit international que lorsque le législateur a délibérément voulu ignorer l’obligation internationale et assumer délibérément la responsabilité politique correspondante.157 Une telle dérogation est cependant exclue lorsque les obligations de la Suisse en matière de droits de l’homme sont en cause158; le droit international public prime alors le droit interne également lorsque le législateur suisse veut s’en écarter. À cette première exception est venue s’ajouter une seconde. Le Tribunal fédéral a en effet décidé que la primauté du droit interne s’écartant volontairement du droit international doit être niée dès lors qu’il s’agit du droit conventionnel régissant les rapports entre la Suisse et l’Union européenne.125 Cela signifie qu’il n’existe certes pas de juridiction constitutionnelle en Suisse, mais une juridiction des droits de l’homme. Les lois fédérales sont examinées par le Tribunal fédéral quant à leur compatibilité avec les exigences en matière de droits de l’homme garanties par les traités internationaux et, le cas échéant, leur application est refusée.126
En résumé, les juges fédéraux ont développé, par voie prétorienne, des outils jurisprudentiels leur permettant d’assurer une protection plus étendue de la liberté d’expression et des autres droits fondamentaux :
▪ l’interprétation des lois fédérales conforme à la Constitution fédérale
▪ le constat d’inconstitutionnalité des lois fédérales et les indications à l’intention du législateur
▪ le refus d’appliquer une loi fédérale contraire aux conventions protectrices des droits humains
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Comme déjà mentionné à plusieurs reprises, la liberté d’expression, à l’instar des autres droits fondamentaux, peut être restreinte si la restriction est fondée sur une base légale, qu’elle est justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et qu’elle est proportionnée au but visé.[345] Lorsque le Tribunal fédéral est amené à examiner la proportionnalité des atteintes à la liberté d’expression, il tient compte de toutes les circonstances du cas d’espèce. Les éléments pertinents dans ce cadre sont notamment l’objet, le contenu, la forme et l’objectif de l’expression, la position de celui qui s’exprime et de celui qui est concerné, le cercle des destinataires, le média utilisé, le motif de l’expression et le contexte dans lequel elle a été prononcée.[346]
Ainsi, pour ce qui a trait aux circonstances de temps, certains moments, tels que le carnaval ou une émission humoristique, permettent une liberté d’expression particulièrement large.[347]
Concernant les circonstances de lieu, l’exercice de la liberté d’expression ne peut pas être soumis à autorisation tant qu’elle se déroule sur la voie publique, en restant dans les limites d’un usage commun. L’exigence de l’autorisation préalable pour la distribution gratuite d’un tract de nature politique sur la voie publique a été considérée par le Tribunal fédéral comme violant la liberté de la presse, qui exclut la censure préalable, et la liberté d’expression.[348] Le Tribunal fédéral reconnaît aux particuliers un « certain droit » à l’usage accru du domaine public pour y exercer leurs droits. L’autorité peut alors soumettre à autorisation cet exercice particulier des libertés, mais elle doit alors également tenir compte de l’existence et de l’importance de celles-ci lorsqu’elle statue sur son octroi et examiner les demandes à l’aune des critères de l’art. 36 Cst. Le Tribunal fédéral a ainsi admis que le fait de monter des stands de propagande politique sur le domaine public puisse être soumis au régime de l’autorisation préalable.[349] Il a en outre retenu que l’interdiction faite aux participants à une représentation pour sensibiliser le public à la consommation de viande de sortir du périmètre alloué rend toute distribution de tracts ou discussion avec les passants intéressés impossible. Il en découle une restriction de leur liberté d’expression. Or celle-ci, motivée par le seul manque de place pour assurer la libre circulation des passants, est inacceptable. En effet, cet intérêt public pouvait, au besoin, être respecté par le choix d’un emplacement plus judicieux par l’autorité.[350]
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La Constitution fédérale garantit la liberté d’expression[351] et interdit la censure.134
Bien qu’elle soit inscrite dans l’article garantissant la liberté des médias, l’interdiction de la censure ne se limite pas aux médias. Elle a une portée plus [352]large[353] et s’applique à toute forme d’expression, quelle que soit sa nature (interindividuelle, artistique ou scientifique).136 Elle doit permettre l’exercice de la liberté d’expression. Cette disposition ne s’oppose pas à toute mesure étatique tendant à limiter, modifier ou supprimer la communication, mais seulement à celles qui interviennent avant la publication ou la diffusion (censure préalable).[354]Elle n’interdit que les mesures de contrôle qui ont un caractère systématique et qui portent atteinte au noyau intangible de la liberté d’expression.
La liberté d’expression n’a pas une valeur absolue ; elle peut être limitée aux conditions fixées par l’article 36 Cst. (Cf. la réponse à la question 3.1). L’exercice de la liberté d’expression est encadré par de nombreuses règles de droit civil, pénal et administratif. Le droit pénal en particulier réprime les délits contre l’honneur[355], dont la diffamation fait partie[356], mais également la discrimination ou l’incitation à la haine par exemple.140
L’arrêt 1C_312/2010 permet d’illustrer de quelle manière le Tribunal fédéral fait le départ entre la liberté d’expression et la censure. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a dû examiner si le refus de la ville de Genève de louer sa salle de spectacle à Dieudonné qui voulait y jouer son spectacle « Sandrine » consacrait une violation de la liberté d’expression. Il commence par rappeler que toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. En vertu de l’art. 36 Cst., outre qu’elle doit être fondée sur une base légale et proportionnée au but visé, une restriction de la liberté d’expression doit notamment être justifiée par un intérêt public. En matière de liberté d’expression, le principe de l’intérêt public se confond en pratique avec le souci de maintenir l’ordre public. La protection de la sécurité, de la tranquillité, de la morale et de la santé publique répond à un intérêt public. Celui-ci ne commande toutefois pas de censurer ou de réprimer l’expression des opinions qui sont subversives ou qui choquent les sentiments moraux, religieux, politiques de la population ou encore qui mettent en cause les institutions. L’interdiction préalable n’est en effet pas compatible avec la liberté d’expression, même lorsque celle-ci s’exerce sur le domaine public. Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation, l’autorité doit donc prendre une décision impartiale, après l’avoir examinée aussi objectivement que possible ; elle ne peut pas refuser une autorisation uniquement parce qu’elle désapprouve les idées et les objectifs politiques des organisateurs. Vu la portée reconnue à la liberté d’expression, seules des conditions restrictives peuvent justifier une ingérence de l’État, en particulier lorsque, comme en l’espèce, il intervient à titre préventif. L’interdiction préalable n’est en principe pas compatible avec la liberté d’expression. En l’espèce, les motifs liés aux antécédents de Dieudonné constituaient une sorte de censure préalable, dans la mesure où il ne s’était pas avéré que son spectacle « Sandrine » enfreignait de façon manifeste des dispositions pénales. La ville de Genève n’était pas non plus parvenue à rendre vraisemblable que la représentation litigieuse était susceptible de provoquer de graves troubles à l’ordre public et sa décision ne respectait pas le principe de la proportionnalité.
Dans une autre affaire[357] illustrant la relation entre la liberté d’expression et la diffamation, le Tribunal fédéral a dû examiner si le fait de suggérer qu’une personne, même une personnalité politique, a de la sympathie pour le régime nazi était diffamatoire et quelles étaient les limites de la liberté d’expression dans le domaine du débat politique. L’article 173 CP réprime le comportement de celui qui, en s’adressant à un tiers, aura accusé une personne, ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, ou aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon. Ce comportement peut être réalisé sous n’importe quelle forme d’expression, notamment par l’écriture ou l’image. L’honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d’homme. Est notamment attentatoire à l’honneur le fait d’assimiler une personne à un parti politique que l’histoire a rendu méprisable ou de suggérer qu’elle a de la sympathie pour le régime nazi. Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l’honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu’un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d’espèce, lui attribuer. Dans la discussion politique, l’atteinte à l’honneur punissable ne doit être admise qu’avec retenue et, en cas de doute, niée. La liberté d’expression, indispensable à la démocratie, implique que les acteurs de la lutte politique acceptent de s’exposer à une critique publique, parfois même violente, de leurs opinions. Il ne suffit ainsi pas d’abaisser une personne dans les qualités politiques qu’elle croit avoir. La critique ou l’attaque porte en revanche atteinte à l’honneur protégé par le droit pénal si, sur le fond ou dans la forme, elle ne se limite pas à rabaisser les qualités de l’homme politique et la valeur de son action, mais est également propre à l’exposer au mépris en tant qu’être humain. Dans le cas d’espèce, la protection de l’honneur de la personne attaquée l’emportait sur le droit du recourant de s’exprimer librement.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Il n’existe actuellement pas en Suisse de réglementation spécifique restreignant la liberté d’expression sur Internet ou sur les réseaux sociaux.[358]Par ailleurs, le règlement européen sur les services numériques (DSA) ne s’applique pas en Suisse dans la mesure où notre pays n’est pas membre de l’UE. Ces dernières années, de nombreuses interpellations ou postulats ont demandé au Conseil fédéral d’intervenir dans ce domaine.[359] En l’absence d’une réglementation spécifique, les restrictions à la liberté d’expression sur Internet et sur les réseaux sociaux sont soumises aux mêmes règles que les autres restrictions. Elles doivent donc, conformément à l’art. 36 Cst., reposer sur une base légale, répondre à un intérêt public ou privé et être proportionnées.
Les réseaux sociaux posent de nombreuses questions juridiques. Parmi les questions en lien avec les réseaux sociaux et la liberté d’expression que le Tribunal fédéral a dû examiner récemment, on peut notamment mentionner la suppression d’un commentaire sur Instagram par la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR, [radio-télévision publique]),[360] la qualification de diffamation du fait d’activer les fonctions « like » ou « partager » d’un contenu publié sur Facebook,[361] l’interdiction prononcée par une autorité judiciaire de publier quelque contenu que ce soit sur les réseaux sociaux,[362] le partage sur les réseaux sociaux d’un film de propagande faisant référence à l’État islamique[363] ou encore la protection des sources d’un influenceur.[364]
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Non, l’art. 16 Cst. garantit la liberté d’expression par n’importe quel vecteur de diffusion. Tous les modes d’expression sont protégés. Les nouvelles formes d’expression propres aux réseaux sociaux tels le like et le retweet [365] ou le commentaire en ligne[366] bénéficient également de la protection constitutionnelle. Il en découle aussi le droit de s’exprimer de façon anonyme ou sous pseudonyme.[367] Ce qui est déterminant, c’est que son auteur ait voulu exprimer une opinion et que cette dernière soit comprise comme telle par ses destinataires.[368]
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Comme nous l’avons indiqué précédemment, le seuil de tolérance est très élevé pour les propos de nature politique, lesquels sont mis au bénéfice de la protection la plus large possible (cf. la réponse aux questions 1.7 et 3.2 in fine). [369] Les parlementaires et membres de gouvernement se trouvent dans une situation particulière en matière de liberté d’expression. En effet, ils jouissent de l’irresponsabilité pour les opinions qu’ils expriment dans l’exercice de leurs fonctions, afin de leur permettre d’accomplir leurs tâches en toute indépendance. Ils sont plus libres que les citoyens.154 En revanche, les membres des gouvernements, les politiciens et autres détenteurs du pouvoir doivent tolérer des critiques plus nombreuses et intenses.155 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les membres des autorités peuvent se prévaloir à titre individuel de leur liberté d’expression pour participer activement et même pour intervenir directement dans les campagnes électorales et référendaires.[370] Lorsque les membres d’une autorité s’expriment comme de simples particuliers, ils peuvent exprimer librement leur opinion personnelle sur l’objet soumis au vote et participer à la campagne en rejoignant par exemple un comité d’initiative. Ils peuvent faire état de leur fonction officielle dans ce cadre, mais ne doivent pas donner une apparence trompeuse à leurs interventions en laissant penser qu’ils expriment la position officielle de l’autorité à laquelle ils appartiennent.[371] L’indépendance et l’impartialité des juges ainsi que la réputation de la justice constituent des intérêts majeurs. Ils exigent des intéressés qu’ils s’abstiennent d’exprimer des opinions politiques en lien avec des événements qui amènent les organes judiciaires à intervenir, comme par exemple des prises de position sur des questions politiques liées à des actes criminels commis. En revanche, il n’est pas interdit aux juges de prendre publiquement position sur des questions générales de nature politicojudiciaire.[372] Selon le Tribunal fédéral, le juge est le garant du respect de l’ordre juridique et de la bonne marche de la justice. Sa position au sein de la communauté démocratique exige qu’il accomplisse les tâches qui lui sont confiées indépendamment de toute influence extérieure et sans préjugés. L’importance de la fonction de juge a donc pour conséquence qu’il doit se comporter dans le cadre et en dehors de sa fonction de manière à ne pas mettre en péril la confiance en son indépendance, y compris dans ses activités politiques. Cela vaut d’autant plus que le juge est souvent appelé à juger des litiges qui font l’objet de controverses politiques. La réserve qui lui est imposée dans la vie publique n’empêche certes pas toute activité politique. Mais la limite de ce qui est autorisé se situe en tout cas là où la justice entre en conflit avec des opinions politiques dans le cadre d’événements concrets.[373] À noter que les » Usages au sein du collège des juges au Tribunal fédéral « [374] règlent la question du droit d’expression des juges en matière politique : » les juges fédéraux ne s’expriment en principe pas publiquement sur des questions politiques. Si tel est exceptionnellement le cas, ils sont tenus d’agir avec prudence et retenue, tout particulièrement en ce qui concerne les questions institutionnelles « .
En outre, il sied de mentionner la garantie des droits politiques 161 des citoyens qui protège la libre formation de leur opinion et l’expression fidèle et sûre de leur volonté lors des élections et votations. Cette liberté cherche à favoriser un processus de formation de la volonté des citoyens transparent, pluraliste et loyal. Cela exige en particulier que les opinions politiques les plus diverses puissent s’exprimer le plus librement possible avant un scrutin. La garantie des droits politiques concrétise, en ce sens, la liberté d’expression garantie à l’art. 16 Cst. [375]
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
La liberté d’expression appartient à toute personne physique ou morale, suisse ou étrangère, mineure ou majeur, sans distinction. Il sied toutefois de rappeler qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Au début de la guerre froide, la Suisse avait en effet adopté un arrêté concernant les discours politiques d’étrangers dans le but de prévenir une éventuelle subversion politique.[376] Ce texte disposait qu’un étranger qui n’était pas au bénéfice d’un permis d’établissement en Suisse devait, pour prendre la parole, requérir une autorisation spéciale. L’autorisation était refusée » s’il y avait lieu de craindre que la sûreté extérieure ou intérieure du pays ne soit mise en danger ou que l’ordre ne soit troublé « . Cette loi controversée a finalement été abrogée en 1998.[377] Il y a quelques années, des parlementaires ont proposé que l’on ressuscite cet arrêté afin d’interdire les campagnes électorales tapageuses menées en Suisse par des politiciens étrangers. Cette interpellation a été déposée à la suite de quelques discours prononcés par des leaders politiques étrangers venus appeler leurs compatriotes résidant en Suisse à voter pour eux.[378]
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.)? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions?
Comme indiqué plus haut, la liberté d’expression peut être restreinte si la restriction est fondée sur une base légale, justifiée par un intérêt public ou privé et proportionnée au but visé. Mais elle pourrait être restreinte même sans base légale en période de troubles si ces derniers constituent un danger sérieux, direct et imminent. En effet, conformément à l’art. 36 al. 1 Cst., la clause générale de police peut remplacer une base légale manquante et légitimer des atteintes – même graves – aux droits fondamentaux si, et dans la mesure où, l’ordre public et des biens juridiques fondamentaux de l’État ou de particuliers doivent être protégés contre des dangers sérieux, directs et imminents dans le temps qui, dans les circonstances concrètes, ne peuvent être écartés autrement que par des moyens non expressément prévus par la loi. Ces moyens doivent toutefois être compatibles avec les principes généraux du droit constitutionnel et administratif, en particulier avec le principe de proportionnalité. Le champ d’application de la clause générale de police est en principe limité aux cas d’urgence imprévisibles. Toutefois, s’il s’agit de prévenir un danger grave, imminent et impossible à écarter autrement pour des biens juridiques fondamentaux au sens de l’art. 36 al. 1 phrase 3 Cst., l’État ne peut pas rester inactif et violer ses devoirs de protection uniquement parce que le législateur a omis de légiférer à temps sur les mesures nécessaires, mais peut et doit exceptionnellement prendre les mesures nécessaires à la prévention du danger en se fondant sur la clause générale de police.[379]
Le Tribunal fédéral a examiné la restriction de la liberté d’expression d’un journaliste qui voulait se rendre à Davos durant le Forum économique mondial (WEF)[380]. Avant la tenue du WEF, des perturbations et des actions avaient été annoncées à plusieurs reprises, de même que la tenue d’une manifestation non autorisée. La police cantonale a donc pris des mesures pour protéger le WEF, ses invités, la population et les infrastructures ; elle a sécurisé les voies d’accès à Davos par des contrôles intensifs des personnes et des véhicules. Dans ce contexte troublé, le journaliste s’est vu refuser l’accès à Davos. Le Tribunal fédéral a reconnu que, pour le journaliste touché, l’interdiction faite par la police de se rendre à Davos en relation avec le WEF portait atteinte à sa liberté personnelle, ainsi qu’à sa liberté d’opinion, d’information et de la presse. Il a ensuite rappelé que la liberté d’expression pouvait être restreinte aux conditions de l’art. 36 Cst. La première condition est celle de l’existence d’une base légale. Dans le cas d’espèce, les mesures policières ne pouvaient se baser sur une base légale formelle. Cependant, la clause générale de police permettait de faire abstraction d’une telle base légale en cas de danger sérieux, direct et imminent. De l’avis du Tribunal fédéral, tel était le cas en l’espèce, car le danger de perturbations graves était imminent ; il ne pouvait être prévu à l’avance et était le résultat du caractère de plus en plus violent des mouvements altermondialistes. Les mesures policières et les restrictions d’accès à Davos, qui visaient à éviter des perturbations et des actes de violence de la part de manifestants, étaient incontestablement propres à garantir la sécurité dans le village et à protéger le WEF, la population et les infrastructures. Elles n’avaient pas une portée importante du fait que l’accès n’a été refusé que pour une matinée. Dès lors, le Tribunal fédéral a considéré les mesures policières comme proportionnelles et conclu que les libertés invoquées n’avaient pas été violées. La CourEDH est arrivée à une autre conclusion dans cette affaire. Elle a retenu que les autorités compétentes ne pouvaient se prévaloir de la clause générale de police dans la mesure où les circonstances entourant le WEF pouvaient être considérées comme un cas prévisible et répétitif au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Du point de vue des juges strasbourgeois, les autorités responsables auraient pu, voire dû, réagir plus tôt afin d’appuyer la mesure litigieuse sur une base légale plus précise que l’article 36 al. 1 Cst. (Cf. sur cet arrêt également la réponse à la question 1.4). [381]
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
L’ordre public se définit comme un intérêt public qualifié, propre à justifier des mesures de police telles que la protection de la sécurité, de la santé, de la tranquillité, de la paix et de la moralité publiques. La notion d’ordre public ne peut guère être décrite de manière abstraite. C’est une notion évolutive qui peut par conséquent s’apprécier de manière différente en fonction des époques.[382]
En période de troubles, le Conseil fédéral peut s’appuyer directement sur l’art. 185 al. 3 Cst. pour édicter des ordonnances et prendre des décisions en vue de parer à des troubles existants ou imminents menaçant gravement l’ordre public, la sécurité extérieure ou la sécurité intérieure. Ces ordonnances doivent toutefois être limitées dans le temps. Les mesures adoptées dans ce cadre peuvent entraîner des restrictions des droits fondamentaux,[383] mais elles sont soumises aux principes généraux du droit constitutionnel, dont ceux de la légalité, de la proportionnalité et du principe de la bonne foi.[384] Le Conseil fédéral a notamment recouru à l’art. 185 al. 3 Cst. lorsqu’il a adopté l’ordonnance interdisant le groupe « Al-Qaïda » ou, plus récemment, durant de la crise liée à la pandémie de coronavirus.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Le rôle principal du Tribunal fédéral comme juge constitutionnel est de garantir la protection des droits fondamentaux des citoyens, en vérifiant dans chaque cas concret si l’acte attaqué constitue une restriction aux droits fondamentaux et, dans l’affirmative, en exerçant un contrôle rigoureux de l’admissibilité de ces restrictions au regard de la Constitution fédérale. En période de troubles, ce rôle de protection est particulièrement important concernant la liberté d’expression, mais également pour tous les autres droits fondamentaux.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Oui, le fait pour les citoyens de pouvoir s’exprimer, de critiquer l’État, ses institutions et plus particulièrement l’administration de la justice, permet certainement d’asseoir la légitimité et le rôle du Tribunal fédéral et renforce la confiance des justiciables. Dans ce domaine, les avocats jouent un rôle particulier. Ils doivent disposer d’une grande liberté de parole pour critiquer la justice. 172 Cette liberté est indispensable dans l’intérêt de la garantie d’une administration de la justice intègre et conforme aux exigences de l’État de droit.[385] La confiance dans les institutions est à la fois la condition et l’expression de la stabilité des institutions et du bon fonctionnement de la société. Des institutions stables et dignes de confiance sont essentielles pour la qualité de vie de la population. Selon les derniers chiffres officiels publiés, la confiance de la population suisse dans le système judiciaire est relativement élevée (60,5%).[386]
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui, la liberté d’expression est et demeurera un outil important pour la démocratie dans les années à venir, car, comme le Tribunal fédéral le déclarait déjà dans un vieil arrêt[387], rendu alors que la liberté d’expression n’était encore qu’un droit constitutionnel fédéral non écrit, la liberté d’expression n’est pas seulement, comme d’autres droits fondamentaux, une condition de l’exercice de la liberté individuelle et un élément indispensable à l’épanouissement de la personne humaine; elle est encore le fondement de tout État démocratique, permettant la libre formation de l’opinion, notamment de l’opinion politique, elle est indispensable au plein exercice de la démocratie.[388] Il n’y a en effet pas de vie démocratique possible dans un État qui n’assurerait pas la liberté d’expression de ses citoyens. La liberté d’expression est une condition nécessaire du pluralisme social et de l’autonomie des individus et de la société civile par rapport à l’État. [389] Elle contribue également au traitement social des thèmes politiques et à la légitimation des décisions politiques.[390] Seuls des citoyens bien informés et confrontés à la diversité des opinions sont capables de réfléchir et de délibérer de manière à ce que les décisions démocratiques apparaissent comme légitimes. L’acceptation des décisions démocratiques, en particulier par les minorités, dépend essentiellement de la mesure dans laquelle celles-ci ont eu la possibilité de s’exprimer et d’être entendues au cours du processus décisionnel.[391] La liberté d’expression constitue l’une des conditions primordiales du progrès d’une société démocratique.
Conseil constitutionnel du Tchad
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Au Tchad, en matière de liberté d’expression, le texte fondamental qui la régit est la Constitution de la 5e République en son article 28 alinéa 1er qui énonce que : « les libertés d’opinion et d’expression, de communication, de conscience, de religion, de presse, d’association, de réunion, de circulation et de manifestation sont garanties à tous ».
L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule que : « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
L’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples stipule que : « Toute personne a droit à l’information. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est -elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Effectivement, l’alinéa 2 de l’article 28 de la Constitution ci-dessus cité évoque les domaines dans lesquels la liberté d’expression peut être limitée, notamment dans le cas du respect des libertés et des droits d’autrui et dans le cas de sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs. Elle s’énonce comme suit : « Elles (les libertés d’opinion et d’expression…) ne peuvent être limitées que par le respect des libertés et des droits d’autrui et par l’impératif de sauvegarder l’ordre public et les bonnes mœurs ».
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression peut être définie comme le fait de dire ou de communiquer tout ce que l’on pense sans être inquiété pour ses idées.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous referez vous et dans quel sens (pro ou contra) ?
La liberté d’expression est un droit fondamental reconnu universellement à tous les êtres humains. À ce titre, la définition et le contenu donné à ce droit ne diffèrent pas beaucoup de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques tels que le droit privé, le droit public ou encore le droit international. Souvent, la référence au droit international (notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la charte africaine des droits de l’homme et des peuples) est nécessaire et elle est faite dans le sens de la conformité à la définition et au contenu de la liberté d’expression.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
La liberté est définie comme le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui et qui n’est pas défendu par la loi. Et la liberté d’expression est le fait de dire ou de communiquer tout ce que l’on pense sans être inquiété pour ses idées. Or avant de s’exprimer, il faudrait d’abord réfléchir, concevoir des idées, imaginer ou cogiter. Par conséquent, la liberté d’expression peut bel et bien être conçue comme une liberté matricielle (vieille ou ancienne) dont peut découler la liberté d’opinion, la liberté de conscience, etc.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Le Conseil constitutionnel du Tchad qui était une Chambre de la Cour suprême a été restauré avec la promulgation de la Constitution de la 5e République. Il n’a été effectivement mis en place qu’en fin janvier 2024 avec la nomination de ses membres. Cette nouvelle constitution a renforcé les attributions du Conseil constitutionnel en rendant obligatoire son contrôle sur les lois relatives aux libertés publiques et droits fondamentaux avant leur promulgation.
Par conséquent, depuis lors, non seulement les saisines portent exclusivement sur le contrôle de constitutionnalité des lois organiques, mais aussi les recours dans le domaine des droits de l’homme et des libertés publiques ne sont pas encore enregistrés.
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/ plus restreinte ? (Politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Certes, la Constitution du Tchad reconnaît et garantit la liberté d’expression à tous (article 28 précité). Cependant l’alinéa 3 de l’article 28 précise que « la loi détermine les conditions de leur exercice ». Cela signifie que pour chaque domaine, le législateur définit les conditions dans lesquelles cette liberté doit être exercée. Évidemment, dans le domaine militaire ou par exemple dans le domaine de la santé publique, il existe des restrictions à la liberté d’expression (la tenue du secret professionnel, l’exécution stricte des ordres hiérarchiques, etc.). Par contre, dans des domaines tels que la politique ou l’art, les citoyens peuvent exprimer leurs opinions ou pensées dans le sens le plus large possible (prise de positions politiques, expression d’une idée sur un tableau artistique, etc.).
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu /institution qui en est titulaire (mineurs, personne physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
La liberté d’expression est reconnue et garantie à tous les citoyens sans distinction de sexe, de race, de religion, d’opinion politique ou de position sociale (les articles 13, 14 et 15 de la Constitution). De même, les personnes morales (privée/publique) sont titulaires de la liberté d’expression (article 17 de la Constitution). Évidemment, le contenu et l’encadrement de la liberté d’expression diffèrent selon l’individu ou l’institution qui en est titulaire.
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
Le fonctionnaire tchadien jouit de la liberté d’expression qui est reconnue à tout citoyen par la Constitution et les lois et règlements en vigueur (article 7 de la loi n°017/PR/2001 portant statut général de la fonction publique). Toutefois cette liberté d’expression ne peut s’exercer que dans le respect de l’autorité de l’État, de l’ordre public et des sujétions particulières inhérentes à l’emploi exercé (article 8 alinéa 2 de la loi n°017/PR/2001 portant statut général de la fonction publique).
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre institution, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Le Conseil constitutionnel du Tchad qui était une Chambre de la Cour suprême a été restauré avec la promulgation de la Constitution de la 5e République. Il n’a été effectivement mis en place qu’en fin janvier 2024 avec la nomination de ses membres. Cette nouvelle constitution a renforcé les attributions du Conseil constitutionnel en rendant obligatoire son contrôle sur les lois relatives aux libertés publiques et droits fondamentaux avant leur promulgation.
Par conséquent, depuis lors, non seulement les saisines portent exclusivement sur le contrôle de constitutionnalité des lois, mais aussi les recours dans le domaine des droits de l’homme et des libertés publiques ne sont pas encore enregistrés.
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-telle variée (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (Influence mutuelle éventuellement)
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de religion, etc.) ?
Les droits et libertés sont des prérogatives attribuées ou reconnues à un citoyen dans son intérêt pour lui permettre de jouir d’une chose ou de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi. La liberté d’expression quant à elle est le fait de dire ou de communiquer tout ce que l’on pense sans être inquiété pour ses idées. Partant de ces définitions, nous pouvons constater que ces terminologies sont similaires et que la conciliation entre la liberté d’expression et droits et libertés est envisageable. D’ailleurs, la liberté d’expression est un des droits fondamentaux, susceptible d’être classé dans la rubrique DROITS et LIBERTÉS.
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Conformément à l’article 28 alinéa 2 de la Constitution, l’ordre public est une limite à l’exercice de la liberté d’expression et il constitue de ce fait un important outil d’encadrement de cette liberté. L’État et les pouvoirs publics sont tenus d’assurer et de faire régner l’ordre et cet impératif de sauvegarde de l’ordre public peut limiter la liberté des citoyens de s’exprimer sur des sujets sensibles ou délicats, susceptibles de créer des conflits ou des soulèvements au sein de la population.
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
La censure peut être définie comme un contrôle exercé par une autorité sur une activité destinée au public et qui consiste à interdire tout ou partie d’une communication quelconque.
En droit constitutionnel, la censure est la procédure par laquelle une assemblée parlementaire met en jeu la responsabilité politique du gouvernement par un blâme motivé à l’adresse de ce dernier. Le vote d’une motion de censure entraîne la démission forcée du Gouvernement.
Partant de la définition ci-haut citée, la censure apparaît comme un moyen de restreindre la liberté d’expression et de communication des citoyens.
La diffamation est le fait d’alléguer ou d’imputer un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Elle est un délit prévu et puni par la loi pénale et à ce titre elle peut être utilisée comme un moyen de contrôle de la liberté d’expression : libre de s’exprimer, certes, mais que cette liberté ne porte pas atteinte à la dignité d’autrui.
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer- et si oui, dans quel sens- sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversation en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
De façon générale, les élections au Tchad sont encadrées par les textes normatifs, notamment le code électoral. Ce code fixe les règles générales applicables aux opérations électorales et la liberté d’expression est exercée de la manière la plus large surtout pendant la campagne électorale. Les réunions, les manifestations, les rassemblements, les affiches, les temps d’antenne dans les médias, etc. sont autant des moyens d’expression mis librement à la disposition des candidats.
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est- il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
L’article 16 de la constitution stipule que : « sous réserve des droits politiques, les étrangers régulièrement admis sur le territoire de la République bénéficient des mêmes droits et libertés que les nationaux. Ils sont tenus de se conformer à la Constitution, aux lois et règlements de la République ». Conformément à cette disposition de la loi fondamentale, les acteurs étrangers peuvent exercer la liberté d’expression dans le respect des lois nationales en vigueur.
- La liberté d’expression connait-elle de restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à l’Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Effectivement, en période de troubles, la liberté d’expression connait des restrictions particulières. Celles-ci se justifient par la sauvegarde de l’ordre public et la préservation de la tranquillité et de la paix sociale, etc. Les outils juridiques qui sous-tendent ces restrictions sont les différents textes en vigueur tels que la Constitution et les lois sur la communication, l’audiovisuel, la régulation des médias, etc.
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Se référer à la réponse de la question n°1 ci-dessus.
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en périodes de troubles ?
En périodes de troubles, le rôle de protecteur des libertés publiques et droits fondamentaux des citoyens dévolus au Conseil constitutionnel est renforcé. Le juge constitutionnel dispose d’une large marge de manœuvre dans la définition et l’interprétation des textes en vue de préserver l’ordre public d’une part et de protéger la liberté d’expression d’autre part.
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
La légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle lui sont dévolus par la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel a été institué par la Constitution de la 5e République en son article 173 et ses attributions sont clairement définies à l’article 174. L’une de ces attributions porte sur l’examen obligatoire des lois sur les libertés publiques, dont la liberté d’expression. Donc, dans la pratique, à travers les décisions qu’il sera amené à prendre dans le cadre de la protection de la liberté d’expression, son rôle sera renforcé et sa légitimité, affermie.
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
La démocratie, en tant qu’elle implique la participation de tous les citoyens au pouvoir, est par elle-même l’expression d’une forme de liberté. Et généralement, le maintien des libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression, repose essentiellement sur un régime démocratique. Donc, les droits et libertés ne peuvent être garantis aux citoyens que dans une démocratie et réciproquement, on n’est pas dans une démocratie si l’ensemble des droits et libertés fondamentales ne sont pas respectés. Par conséquent, la liberté d’expression apparaît comme un outil important pour la construction d’une société démocratique.
Cour constitutionnelle du Togo
Sous-thème 1 : Le cadre normatif et le contenu de la liberté d’expression
- Sur quels textes et/ou quels principes vous fondez-vous en matière de liberté d’expression ? Existe-t-il une déclaration de droits protégeant la liberté d’expression ?
Le troisième tiret du préambule.
Les articles 25, 26 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992.
Le code de la presse.
Oui, titre II de la Constitution du 14 octobre 1992.
- La formulation qui consacre la liberté d’expression est-elle immédiatement suivie, dans le même article, d’une notion qui viendrait la limiter, à l’image de la vie privée ou de l’ordre public ?
Oui ; les alinéas 1 et 2 de l’article 25 de la Constitution du 14 octobre 1992 ; les alinéas 1 et 2 de l’article 26 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992.
- Quelle définition donnez-vous à la liberté d’expression ?
Néant.
- La définition et le contenu que vous donnez à la liberté d’expression diffèrent-ils de ceux retenus par les jurisprudences d’autres ordres juridiques (régional, international) ? Si oui, vous y référez-vous, et dans quel sens (pro ou contra) ?
Néant
- Concevez-vous la liberté d’expression comme une liberté matricielle, terreau duquel l’on pourrait faire découler d’autres libertés ? Quelles sont selon votre jurisprudence, les différentes déclinaisons de la liberté d’expression dont vous êtes saisies ?
Néant.
- Êtes-vous confrontés à une conciliation entre liberté d’expression et blasphème ? Avez-vous été confrontés à des recours relatifs à la liberté d’expression en matière religieuse ?
Néant
- Existe-t-il des domaines dans lesquels la liberté d’expression est plus large/plus restreinte ? (politique, militaire, régalien, art, médias) ?
Oui,
Large : politique, art et médias ;
Restreinte : militaire et régalien.
- À quels titulaires la liberté d’expression est-elle reconnue (personnes privées et personnes publiques) ? Son contenu et son encadrement diffèrent-ils selon l’individu/l’institution qui en est titulaire (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique) ?
Personnes publiques, personnes privées
En fonction des individus et des institutions (mineurs, personnes physiques privée/publique, personnes morales privée/publique)
- Quid de la liberté des agents de l’État (fonctionnaires, militaires) ?
L’obligation de réserve selon les catégories d’agents de l’État.
Sous-thème 2 : Les mécanismes jurisprudentiels élaborés en matière d’encadrement de la liberté d’expression
- 1. Depuis quelle date, à partir de l’installation de votre juridiction, encadrez-vous la liberté d’expression ?
Néant
- La liberté d’expression occupe-t-elle une place particulière dans votre jurisprudence ? Si oui, en quoi ?
Néant
- La protection que vous accordez à la liberté d’expression conduit-elle à établir une hiérarchie entre droits et libertés ?
Néant
- La protection accordée par votre jurisprudence à la liberté d’expression a-t-elle varié (question de stabilité de la jurisprudence, de traitement casuistique) ? Si oui, quelles sont les grandes périodes que vous pouvez identifier ? Si non, quelles sont, d’après vous, les raisons qui expliqueraient l’absence de variation ?
Néant
- Qu’est-ce qui vous conduit à modifier votre jurisprudence en matière de liberté d’expression ?
Néant
- Votre jurisprudence sur la liberté d’expression influence-t-elle la jurisprudence des juridictions du fond ? (influence mutuelle éventuellement) ?
Néant
- Vous inspirez-vous de jurisprudences de cours d’autres ordres juridiques nationaux voisins, régionaux ou internationaux (définitions, outils jurisprudentiels, etc.) ? Si oui, cela vous conduit-il à adapter ces jurisprudences aux particularités de votre office et de votre jurisprudence ?
Néant
- Comment envisagez-vous la conciliation entre liberté d’expression et droits et libertés (ex. : liberté de la vie privée, critique de la religion, etc.) ?
Néant
- L’encadrement de la liberté d’expression établi par votre jurisprudence conduit-il à protéger davantage l’État (via l’intérêt général ou un droit objectif) ou l’individu (droits et libertés individuels) ?
Néant
- Quels outils jurisprudentiels utilisez-vous en vue de la protection de la liberté d’expression ? Le contrôle de proportionnalité ? Si oui, comment l’utilisez-vous ? Faites-vous varier l’intensité de ce contrôle selon le titulaire ou l’intention du législateur ?
Néant
- Quels sont les rapports existant dans votre jurisprudence entre la liberté d’expression et l’ordre public ? Dans quelle mesure l’ordre public vous permet-il d’encadrer la liberté d’expression ?
Néant
- Avez-vous recours à d’autres outils jurisprudentiels pour procéder au contrôle du respect de la liberté d’expression ?
Néant
Sous-thème 3 : La liberté d’expression au cours du XXIe siècle
- Quelles sont les circonstances de temps et de lieu qui vous conduisent à réserver un régime juridique particulier à la liberté d’expression ? À quelles conditions ?
Néant
- Comment faites-vous le départ entre liberté d’expression et censure ? Entre liberté d’expression et diffamation ?
Néant
- Comment sont abordés les textes restrictifs de la liberté d’expression ? Notamment, avez-vous eu à vous prononcer – et si oui dans quel sens – sur les lois de régulation d’Internet visant les grands fournisseurs dans votre pays ou encore sur la réglementation en matière de réseaux sociaux ?
Néant
- Abordez-vous différemment la liberté d’expression selon qu’elle est exercée par les individus via les réseaux sociaux ou via les modes d’expressions classiques (conversations en public, manifestations, interviews, etc.) ?
Néant
- Existe-t-il un renforcement de la limitation ou de la protection de la liberté d’expression en période électorale ?
Néant
- Plus particulièrement : un traitement spécifique est-il réservé aux acteurs étrangers pour éviter des ingérences étrangères ?
Néant
- La liberté d’expression connait-elle des restrictions particulières en période de troubles (ex. : restriction de l’accès à Internet, limitation du pluralisme dans les médias, etc.) ? Si oui, comment les abordez-vous ? Avec quels outils juridiques traitez-vous ces restrictions ?
Néant
- En période de troubles, retenez-vous une définition de la notion d’ordre public qui soit plus restrictive de la liberté d’expression ? Si oui, par quels fondements juridiques justifiez-vous ce changement de champ matériel de la notion d’ordre public ?
Néant
- Comment concevez-vous votre place institutionnelle et votre légitimité à protéger la liberté d’expression en période de troubles ?
Oui, garant des droits fondamentaux
- La liberté d’expression est-elle un instrument qui permet d’asseoir la légitimité et le rôle de la juridiction constitutionnelle ?
Oui
- Concevez-vous la liberté d’expression comme un outil important au service de la construction d’une société plus démocratique dans les années à venir ? Si oui, en quoi ? Si non, pourquoi ?
Oui,
Elle permet à tout citoyen, sans distinction aucune, d’apporter, à travers ses opinions, sa pierre à la construction de la démocratie.
Elle favorise l’émergence d’une démocratie plus inclusive et participative.
[1] « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
- L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la Défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
[2] « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. »
[3] « 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
- Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
- L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
- a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui ;
- b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. »
[4] Parmi de nombreux autres arrêts, arrêts n° 117/2020, B.3.3 et n° 183/2021, B.5.
[5] À ce sujet, voy. notamment L.L. Christiaens, S. Wattier et F. Amez, Les grands arrêts belges en matière de religions et de philosophies, Bruxelles, Larcier, 2023, p. 30 ; F. Tulkens, « La liberté d’expression en général », in M. Verdussen et N. Bonbled, Les droits constitutionnels en Belgique ,Vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 828-836.
[6] F. Tulkens, op. cit., p. 834.
[7] Notamment, arrêt n° 158/2021, B.21.1.
[8] Arrêt n° 24/96, B.1.14.
[9] C.E.D.H., Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49 ; Lehideux e.a. c. France, 23 septembre 1998, § 55 ; Öztürk c. Turquie, 28 septembre 1999, § 64 ; Féret c. Belgique, 16 juillet 2009, § 61.
[10] Parmi de nombreux autres arrêts, arrêt n° 72/2016, B.17.2.
[11] Arrêt n° 31/2018, B.6.
[12] Arrêts n° 126/2018, B.51 et 78/2023, B.44.1.
[13] Arrêt n° 34/2015, B.7.2.
[14] Arrêt n° 9/2009, B.20.
[15] Arrêt n° 43/2020, qui se réfère à CEDH, grande chambre, 8 novembre 2016, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie, § 156.
[16] Arrêt n° 39/2023, B.9.5.
[17] Par ex., lorsque la réglementation relative à la publicité pour certaines denrées est confrontée à la liberté d’expression : arrêt n° 183/2021, B.9, ou encore lorsque et dans la mesure où des règles relatives à la transmission de données peut avoir pour effet de dissuader certains acteurs de faire usage de leur liberté d’expression : arrêt n° 158/2021, B.21.3.
[18] L’article 53 de la CEDH dispose : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie. »
L’article 53 de la Charte dispose : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres. »
[19] Arrêts n° 148/2005, n° 152/2005 et n° 93/2010.
[20] Arrêts n° 107/2009, B.17.3 et n° 80/2014, B.41.1.
[21] Arrêt n° 167/2005, B.18.1.
[22] Arrêt n° 9/2015, B.22.2.
[23] Constitution belge, article 26. P. Nihoul, « Le droit de se réunir librement », in M. Verdussen et N. Bonbled, Les droits constitutionnels en Belgique, Vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 1065-1078.
[24] Arrêt n° 126/2018, B.51.
[25] Notamment, arrêt n° 146/2013, B.21.2.
[26] Arrêt n° 145/2012, B.12.
[27] Arrêt n° 145/2012.
[28] Notamment, arrêt n° 81/2020.
[29] Arrêts n° 53/2019 et n° 117 et 118/2021.
[30] Arrêt n° 113/2023, B.22.
[31] Arrêt n° 161/2010, B.8.
[32] Notamment, arrêts n° 45/96, B.7.6 et n° 158/2021, B.21.1.
[33] Arrêts n° 45/96 (négationnisme) et 40/2009 (racisme).
[34] Arrêt n° 40/2009, B.70.2.
[35] Arrêt n° 91/2006, B.12.
[36] Arrêt n° 10/2021.
[37] Arrêts n° 102/99 et 183/2021.
[38] Arrêt n° 97/2021.
[39] Arrêt n° 194/2009.
[40] Emprisonnement de six mois à trois ans et amende de 300 à 3000 euros, à adapter par application des décimes additionnelles.
[41] En se référant à : CEDH, 13 mars 2018, Stern Taulats et Roura Capellera c. Espagne, § 41.
[42] Arrêt n° 157/2021, B.16.2.
[43] Ibid., B.17.
[44] Ibid., B.18.2. Voir : CEDH, 22 février 2005, Pakdemirli c. Turquie, § 52; 26 juin 2007, Artun et Güvener c. Turquie, § 31 ; 15 mars 2011, Otegi Mondragon c. Espagne, §§ 55-56; 13 mars 2018, Stern Taulats et Roura Capellera c. Espagne, § 35.
[45] Ibid., B.18.3. Sur cet arrêt, voy. les commentaires critiques de Rigaux, M.F., “La Cour constitutionnelle et l’offense au Roi”, Rev. dr. pén., 2022, pp. 333-353 et de Tulkens, F., “La sanction pénale de l’offense à chef d’État : un symbole en voie de disparition. Who cares? (obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt Vedat Sorli c. Turquie, 19 octobre 2021, et Cour const. (b.), arrêt n° 157/2021, 28 octobre 2021)”, Rev. trim. D. H. 2022, pp. 915-924.
[46] Par ex., aux travailleurs syndiqués : arrêt n° 78/2023.
[47] Ainsi, par ex., une société commerciale est titulaire de la liberté d’exprimer des messages à caractère publicitaire : arrêt n° 183/2021.
[48] Voy. par ex. l’arrêt n° 126/2018 qui concerne la liberté d’expression des étrangers qui ne disposent pas encore d’un droit de séjour en Belgique.
[49] Arrêt n° 62/93, B.3.5.
[50] Arrêts n° 167/2005, B.18.1, 157/2009, B.7.1 et 155/2011, B.8.
[51] P. Nihoul, « Devoir de réserve et liberté d’expression – Le dilemme du juge constitutionnel », in Mélanges offerts à Michel Pâques, à paraître en 2024.
[52] Trib. disc. fr., 4 octobre 2019, J.T., 2020, p. 14, obs. J.-Fr. Funck, « Liberté d’expression des magistrats : vers une culture du débat ? ».
[53] À titre illustratif, on notera que le rapport sur l’état des droits humains en Belgique, publié annuellement par la Ligue des droits humains (ONG indépendante), ne consacre aucun article, en 2022, à la liberté d’expression (alors que des articles sont consacrés à la vie privée et la protection des données, au procès équitable, à l’état des prisons, aux violences policières, au non-respect par l’État de décisions de justice, au recul des droits économiques et sociaux en périodes de crise). Le rapport signale toutefois un recul de la liberté de la presse, la Belgique passant de la 11e à la 23e place dans le classement de Reporters sans frontières, notamment à cause de menaces en ligne et de violences lors de manifestations dont sont victimes les journalistes. Il s’agit donc de voies de fait, qui ne sont pas forcément causées par les autorités, mais non de législations.
[54] CEDH, grande chambre, 7 février 2012, Von Hannover c. Allemagne, §§ 104-107 ; grande chambre, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, § 198.
[55] Arrêt n° 4/2021, B.15.1.
[56] Arrêts n° 45/96 et 4/2021.
[57] Arrêt n° 10/2001.
[58] Arrêt n° 72/2016.
[59] Arrêt n° 157/2004.
[60] À ce sujet, F. Krenc, Une Convention et une Cour pour les droits fondamentaux, la démocratie et l’état de droit en Europe, Limal, Anthémis, 2023, p. 107.
[61] Article 26, § 2, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle.
[62] Arrêt n° 183/2021, B.5.
[63] Arrêt n° 158/2021, B.21.3.
[64] Arrêt n° 157/2021.
[65] Arrêts n° 122/2020 et 1/2016.
[66] Arrêts n° 72/2016 et 145/2012.
[67] Arrêts n° 17/2009 et 40/2009
[68] Arrêt n° 145/2012.
[69] Arrêt n° 10/2021.
[70] Arrêt n° 31/2018, B.7.
[71] Arrêt n° 183/2021.
[72] Arrêt n° 72/2016.
[73] Par exemple, arrêts n° 145/2012, B.7, n° 72/2016, B.19.
[74] Arrêt n° 113/2023, B.21.
[75] Arrêt n° 13/2000.
[76] Arrêt n° 157/2004, B.18.
[77] Arrêt n° 72/2016, B.24.
[78] Arrêt n° 31/2018.
[79] Arrêt n° 112/2019, B.44.1.
[80] Arrêt n° 10/2021, B.52.
[81] Arrêt n° 195/2009, B.34.
[82] Arrêt n° 157/2004, B.74.
[83] Parmi de nombreux exemples, voy. l’arrêt n° 4/2021, B.14.
[84] Arrêt n° 124/2000.
[85] Arrêts n° 17/2009 et n° 40/2009.
[86] En Communauté française de Belgique.
[87] Arrêt n° 161/2010, B.10.
[88] Ceci a été confirmé, à propos des mesures prises pour répondre à la situation de crise sanitaire, par le Conseil d’État de Belgique : C.E., n° 249.314, 22 décembre 2020, Parmentier e.a. Une partie de la doctrine juridique se montre critique à l’égard de l’article 187 de la Constitution, jugeant qu’il serait plus adéquat de reconnaître la possibilité de crises ou de situations justifiant une suspension des libertés et d’encadrer strictement cette possibilité, plutôt que de la nier. Voir à ce sujet : R. Delforge, C. Romainville, S. van Drooghenbroeck, et M. Verdussen, « Absence d’état d’urgence en droit constitutionnel belge », in F. Bouhon, E. Slautsky, et S. Wattier, (dir.), Le droit public belge face à la crise du Covid-19. Quelles leçons pour l’avenir ? Bruxelles, Larcier, 2022, pp. 25-82. Voy. aussi M. Uyttendaele et J. Van Vyve, « État d’exception et droits fondamentaux en Belgique: questions choisies », in S. Parsa, et F. Tulkens, (coord.), État de droit, état d’exception et libertés publiques, Limal, Anthemis, 2022, pp. 257-279.
[89] Arrêt n° 33/2023, B.20.2.
[90] C.E., 14 juin 2020, n° 247.790.
[91] C.E., 22 décembre 2020, n° 249.313 et n° 249.315.
[92] C.E., 8 décembre 2020, n° 249.177. Sur la jurisprudence du Conseil d’État en matière de restrictions à la liberté de culte en temps de Covid-19 : M. Servais : Liberté de culte et Covid 19 : le Conseil d’État examine (…) (justice-en-ligne.be)
[93] C.E., 28 décembre 2021, n° 252.564.
[94] Détails du résultat (coe.int)
[95] La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a ainsi rappelé : « le journalisme remplit une fonction cruciale en période de crise sanitaire » puisqu’il est « indispensable d’informer la population en temps utile pour qu’elle comprenne le danger et adopte des mesures de protection individuelles », le 3 avril 2020, in « La liberté de la presse ne doit pas être fragilisée par les mesures de lutte contre la désinformation sur le Covid- 19 ».
[96] Commission de Venise, CDL-PI (2020) 005 rev, 26 mai 2020, Respect de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit en situation d’état d’urgence: réflexions, par. 49 et 91.
[97] Au sujet de la jurisprudence de la Cour relative aux dispositions adoptées dans le contexte de la crise sanitaire, voy. J. Theunis, “The COVID-19 Case Law of the Belgian Constitutional Court”, The COVID-19 Case Law of the Belgian Constitutional Court (const-court.be)
[98] Notamment, arrêt n° 158/2021, B.21.1.
[99] Voir par exemple la note d’orientation n° 8 du Programme commun des Nations Unies de juin 2023, consacrée à l’« Intégrité de l’information sur les plateformes numériques », le projet de Code de conduite des Nations-Unies pour l’intégrité de l’information sur les plateformes numériques et la contribution de l’Organisation internationale de la Francophonie à ce projet de Code de conduite, voir aussi le Projet phare de l’OIF : « Lutte contre la désinformation ».
[100] Le Conseil constitutionnel libanais a, dès ces premières décisions, et suivant une jurisprudence constante, considéré que le Préambule de la Constitution formait partie intégrante de la Constitution, et que ses dispositions revêtaient une valeur constitutionnelle au même titre que celles de la Constitution. V. en ce sens : CCL, Déc. no 4/1996 du 7/8/1996 (Modification de la loi relative à l’élection des députés du 26/4/1960), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 45-52 : « Considérant que le principe de l’égalité devant la loi est un principe prévu de façon claire et explicite dans la Constitution ainsi qu’à son Préambule qui en constitue une partie intégrante ».
[101] Francis Delpérée associe la liberté de religion à la liberté d’opinion, qu’il distingue de la liberté d’expression, « qui se veut plus générale tant par ses objets que par ses méthodes ». Selon lui la liberté d’opinion c’est «la liberté de pensée, de conscience ou de religion. Elle offre à toute personne le droit d’acquiescer à un ensemble de vérités, de valeurs ou de préoccupations. Cette liberté proprement intellectuelle peut rester dans le domaine intime. Elle est l’un des éléments de la vie privée de chaque individu (article 22). Mais elle doit aussi pouvoir se manifester au grand jour. Une personne doit pouvoir révéler ses opinions et leur donner une résonance publique. Elle doit éventuellement les confronter avec celles d’autres personnes”. (Francis Delpérée, « Constitution et liberté d’expression. Belgique », Annuaire international de justice constitutionnelle, 23-2007, 2008, p. 134).
[102] Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres pactes onusiens auxquels se réfère l’alinéa (B) du Préambule dans une jurisprudence constante. V. en ce sens : Mireille Najm, « la Déclaration universelle des droits de l’homme, norme de référence du contrôle de la constitutionnalité des lois au Liban », 9e Congrès triennal de l’Association des Cours constitutionnelles francophones (ACCF), Dakar, Sénégal, 30 mai-3 juin 2022 (publié sur les sites de l’ACCF et du Conseil constitutionnel-Liban). Il a reconnu récemment la valeur constitutionnelle des Chartes de la ligue des pays arabes, dans la décision n° 6/2023 du 30 mai 2023, où l’on peut lire : « Considérant que, selon le paragraphe (b) du Préambule, le Liban est engagé par les chartes de la Ligue des pays arabes, des Nations-Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce qui leur confère à toutes une valeur constitutionnelle en vertu de la référence qui en est faite dans le préambule de la Constitution, en outre, l’État, dans tous ses organes et institutions, doit incarner les principes consacrés par ces textes dans tous les champs et domaines ».
[103] Article 9 de la Constitution : « La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’État respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ».
[104] Le Conseil constitutionnel pose une règle générale concernant le domaine réservé à la loi en matière de libertés publiques dans la décision no 1/2001 du 10 mai 2001 (Fusion et création de ministères et de conseils), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 154-160 : « Considérant que tant que la Constitution ainsi que les principes à valeur constitutionnelle prévoient des « normes essentielles » (la traduction au français de l’expression arabe « kawaéd assassiya » est citée dans la décision même) relatives aux citoyens et aux affaires publiques, le sujet en question est également soumis aux dits principes et règles. En d’autres termes, tant que ledit sujet concerne les libertés individuelles ou que la création d’un service public aurait pour résultat de limiter lesdites libertés pour répondre aux besoins de la société ou que les moyens adoptés pour sa création relèvent du pouvoir public ou que sa création requiert l’utilisation des fonds du Trésor public, la Chambre des députés reste seule compétente en la matière ».
[105] CCL, déc. no 2/1999 du 24 nov. 1999 (Écoutes téléphoniques), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp.89-102 : « Considérant que la liberté individuelle est un droit fondamental protégé par la Constitution, dont découlent la liberté de déplacement, la liberté d’exprimer sa pensée, la liberté de correspondre, l’inviolabilité du domicile, le respect de la vie privée, également garantis par la Constitution et par conséquent, par la loi, et tels que prévus au Chapitre 2 de la Constitution, article 8 (la liberté individuelle), article 13 (la liberté d’exprimer sa pensée par la parole ou par la plume) et article 14 (l’inviolabilité du domicile).
Considérant que si la Constitution accorde au législateur le droit d’élaborer les règles générales qui garantissent les droits et libertés prévus à la Constitution en vue de permettre aux individus d’exercer lesdites libertés, il est également tenu de concilier le respect de ces libertés avec la préservation de l’ordre public, ce qui permet de poser des contraintes à la liberté individuelle afin de poursuivre les criminels, de préserver le bien-être des citoyens ainsi que leur sécurité et de protéger leurs biens et sans lequel l’exercice desdites libertés ne peut être assuré, à condition toutefois d’accompagner l’exercice des libertés des garanties essentielles et suffisantes ».
[106] V. également dans ce sens : CCL, déc. no 2/1995 du 25 fév. 1995 (Juridictions char’i, sunnite et jaafarite), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp.21-24 : « Considérant qu’il ressort clairement du texte de cet article qu’il existe des garanties qui doivent être assurées aux juges et aux justiciables afin de garantir les exigences (moutatallibat) de l’indépendance judiciaire et de sauvegarde des droits de la défense,
Considérant que porter atteinte à ces garanties conduirait à une violation de la disposition constitutionnelle qui prévoit explicitement leur nécessité ».
[107] Article 8 de la Constitution : « La liberté individuelle est garantie et protégée. Nul ne peut être arrêté ou détenu que suivant les dispositions de la loi. Aucune infraction et aucune peine ne peuvent être établies que par la loi ».
[108] Article 14 de la Constitution : Le domicile est inviolable. Nul ne peut y pénétrer que dans les cas prévus par la loi et selon les formes prescrites par elle.
[109] Article 12 de la DUDH : Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
[110] V. en ce sens, Léna Gannagé, « Allocution du Doyen de la Faculté de droit et de sciences politiques », in La liberté d’expression et ses juges : nouveaux enjeux, nouvelles perspectives, Actes du Colloque international de Beyrouth, 2-3 mars 2017, CEDROMA, Éditions de l’USJ, 2017, pp. 15-17 : « Évoquer ici la liberté d’expression, à quelques kilomètres des totalitarismes laïcs ou religieux qui sévissent dans les pays voisins, permet de ne pas perdre de vue sa signification originaire, celle d’une liberté fondamentale particulièrement précieuse parce qu’elle commande l’effectivité de beaucoup d’autres : la liberté d’association et de manifestation, la liberté de réunion, la liberté de la presse. Une liberté qui, pour reprendre les termes de la Cour européenne des droits de l’homme, constitue « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique ».
[111] CCL, déc. no 2/1999 du 24 nov. 1999 (Écoutes téléphoniques), précitée :
« Considérant que l’écoute des communications porte atteinte, en particulier, à la liberté du député d’exprimer son opinion, prévue à l’article 39 de la Constitution et, en général, à la vie privée de tout citoyen, cependant cette mesure est justifiée tant qu’elle vise à protéger les libertés ainsi que les propriétés des citoyens et s’accompagne des garanties suffisantes qui imposent la préservation de l’ordre public, considéré comme un principe ayant valeur constitutionnelle.
Considérant que l’article 2 de la loi no 140/99 a accompagné l’exercice du droit à l’écoute et les procédures y relatives de garanties sûres qui préservent les libertés fondamentales du citoyen et du pouvoir public, et ce en conférant ce droit au pouvoir judiciaire qui protège les droits constitutionnels et les libertés publiques. D’autre part, la loi a également limité ce droit aux cas d’extrême nécessité, ce qui ne justifie pas le fait de distinguer les personnes visées à l’article 15, à l’exception du président de la République, des autres citoyens en raison de leurs références ou fonctions puisque l’écoute ne vise pas l’homme en sa fonction, mais en sa qualité de citoyen.
Considérant qu’il en est autrement et qu’il est complètement injustifié lorsque l’interception des communications conformément à une décision administrative est confiée à un pouvoir administratif, étant donné que ceci ne constitue aucune garantie permettant d’éviter tout abus de pouvoir et qu’il n’est pas raisonnable de confier à un ministre, qui représente une autorité administrative, le pouvoir de contrôler une autre autorité administrative similaire ou plus élevée ».
[112] Articles 317, 473 et 474 du Code pénal, et l’article 25 du D.L. no 104 du 30 juin 1977 portant modification de certaines dispositions de la loi sur les imprimés du 14 septembre 1962.
[113] Il faut noter que le contrôle de la constitutionnalité des lois au Liban est un contrôle abstrait. De plus, la saisine du Conseil constitutionnel en inconstitutionnalité des lois n’est ouverte qu’à quelques instances politiques, que sont le président de la République, le président de la Chambre des députés, le Premier ministre, ainsi que dix députés au moins. Les chefs des communautés religieuses officiellement reconnues peuvent également saisir le Conseil, en ce qui concerne exclusivement les lois relatives au statut personnel, à la liberté de conscience, l’exercice des cultes religieux et la liberté de l’enseignement religieux. Le recours devant le Conseil est de plus encadré par des délais très courts ; la requête doit être soumise au Conseil dans le délai de 15 jours suivant la promulgation de la loi contestée et sa publication au Journal officiel, sous peine de rejet.
[114] V. à ce propos : Pierre Gannagé, « L’exercice de la liberté de conscience dans un État multicommunautaire », POEJ, l97l, p. 779 ; Nadi Abi Rached, « Liberté d’expression, liberté de conscience et ordre public devant le juge libanais », in La liberté d’expression et ses juges, Nouveaux enjeux, Nouvelles perspectives, Actes du Colloque international de Beyrouth, 2 et 3 mars 2017, CEDROMA, Éditions de l’USJ, pp. 159-171 ; Jad Maalouf, « Liberté d’expression et contrôle préalable du juge des référés au Liban », in La liberté d’expression et ses juges, Nouveaux enjeux, Nouvelles perspectives, op. cit., pp. 75-86 ; Mireille Najm-Checrallah, « Le juge libanais, protecteur de la liberté de conscience », in Mélanges en l’honneur du professeur Bertrand Mathieu, Pouvoirs et contre-pouvoirs, L.G.D.J., Lextenso, 2023, pp. 177-184.
[115] Arrêté du haut-commissaire français du 18 oct. 1934, Décret no 2873 du 16 déc. 1959 et la loi du 27 oct. 1947. V. à ce propos : Marie-Claude Najm-Kobeh, « Censure préalable et liberté d’expression cinématographique au Liban », in La liberté d’expression et ses juges, Nouveaux enjeux, Nouvelles perspectives, op. cit., pp. 217-234.
[116] L’article 15 de la loi organisant le statut des fonctionnaires publics (Décret-loi n° 122 du 6/12/1959), modifié par la loi n° 144/1992, et par la loi mise en œuvre par le décret n° 15703/1964 : « Activités interdites : Il est défendu au fonctionnaire d’effectuer tout travail interdit par les lois et règlements applicables, notamment : 1 – Prononcer ou publier, sans autorisation écrite du chef de son service, des discours, articles, déclarations ou écrits sur quelque sujet que ce soit. 2- Adhérer à des organisations professionnelles ou à des syndicats. 3- Faire grève ou inciter d’autres à faire grève. 4 – Exercer toute profession commerciale ou industrielle ou toute autre profession ou artisanat rémunéré, sauf les cas expressément prévus par les droits privés, ou être membre du conseil d’administration d’une société par actions ou d’une société en commandite, ou avoir un intérêt matériel, directement ou par autrui, dans un établissement soumis à sa surveillance ou à la surveillance de l’administration à laquelle il appartient. 5 – Cumuler sa fonction avec les fonctions parlementaires, municipales et électorales, tel que prévu par les lois relatives à ces fonctions. […] 8 – Divulguer les informations officielles auxquelles il a accès dans l’exercice de ses fonctions, même après la fin de son mandat, à moins que son ministère ne l’y autorise par écrit. 9 – Organiser des pétitions collectives liées au travail ou participer à leur organisation, quels qu’en soient les motifs ».
[117] Article 132 de la loi organisant les juridictions judiciaires (Décret-loi n° 150 du 16/09/1983) : Le statut de la Fonction publique s’applique aux juges dans tout ce qui n’est pas contraire aux dispositions du présent décret législatif. Toutefois, la soumission des juges à l’article 15 de la loi organisant le statut des fonctionnaires publics suscite un débat au Liban. En effet, si l’article 132 de la loi organisant les juridictions judiciaires (Décret-loi n° 150 du 16/09/1983) dispose que le « statut de la Fonction publique s’applique aux juges dans tout ce qui n’est pas contraire aux dispositions du présent décret législatif », on peut penser que cette extension n’a pas lieu d’être au sujet du devoir de réserve, la liberté d’expression des juges étant une des garanties d’indépendance judiciaire et un instrument pour eux pour défendre cette indépendance. Toujours est-il que la pratique a longtemps étendu à ces derniers ce devoir propre aux fonctionnaires, avant que des changements profonds ne se produisent sur la scène judiciaire notamment avec la création du premier Club des juges d’après-guerre en 2019, et le rôle prépondérant que cette association de magistrats a joué avec la crise multidimensionnelle à laquelle le Liban est confronté depuis 2019.
[118] CCL, déc. no 2/1999 du 24 nov. 1999 (Écoutes téléphoniques), op. cit.
[119] V. en ce sens, CCL, déc. no 1/2003 du 21 nov. 2003, (Raffineries de Tripoli et Zahrani), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 263-274 : « Considérant que la jurisprudence constitutionnelle caractérisée par l’attention ultime qu’elle accorde à la protection des libertés publiques telles la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement et la liberté d’association, qui sont garanties par l’article 13 de la Constitution dans les limites fixées par la loi, cependant, cette intransigeance apparaît moins visible quand il s’agit par exemple du droit à la propriété, de la liberté de l’activité économique ou des droits sociaux (Nicolas Molfessis, op. cit. p. 69) ».
[120] CCL, déc. no 1/2003 du 21 nov. 2003, (Raffineries de Tripoli et Zahrani), op. cit., pp. 263-274.
[121] Article 29-alinéa 2 de la DUDH: « Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ». (Toutefois, l’alinéa 3 rajoute : « Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies »).
[122] Article 13 de la loi no 250 du 14 juillet 1993 portant création du Conseil constitutionnel : Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel ont force de chose jugée et s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités judiciaires et administratives. Les décisions du Conseil constitutionnel sont définitives et ne sont susceptibles d’aucun recours ordinaire ou extraordinaire.
Article 52 du Règlement intérieur du Conseil constitutionnel (Loi n° 243 du 8 juill. 2000) : Les décisions du Conseil constitutionnel ont force de chose jugée. Elles sont obligatoires pour tous les pouvoirs publics, et pour les autorités judiciaires et administratives, et sont publiées au Journal officiel.
[123] V. à ce propos : Déc. no CCL, Déc. no 7/2014 du 28 nov. 2014 (Prorogation du mandat parlementaire) : Le dispositif s’appuie sur les motifs de la décision, en faisant mention des considérants : « Sur base des motifs invoqués dans les considérants, le Conseil constitutionnel décide à l’unanimité :1. La recevabilité du recours en la forme. 2. Le rejet du recours afin d’éviter l’extension de la vacance au sein des institutions constitutionnelles. »
[124] À titre d’exemple, la décision récente du Conseil d’État no 209/2023-2024 du 6 fév. 2024, s’appuie sur la décision no 4/2000 du 22 juin 2000 du Conseil constitutionnel qui consacre la valeur constitutionnelle du droit de propriété des entités publiques, et la décision no 4/2001 du 29 sept. 2001, qui affirme que les conventions internationales auxquelles renvoie le préambule font partie intégrante de la Constitution avec ce même préambule.
[125] V. en ce sens, CCL, déc. no 1/2003 du 21 nov. 2003, (Raffineries de Tripoli et Zahrani), op. cit., pp. 263-274 : « Considérant que la jurisprudence constitutionnelle caractérisée par l’attention ultime qu’elle accorde à la protection des libertés publiques telles la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement et la liberté d’association, qui sont garanties par l’article 13 de la Constitution dans les limites fixées par la loi, cependant, cette intransigeance apparaît moins visible quand il s’agit par exemple du droit à la propriété, de la liberté de l’activité économique ou des droits sociaux (Nicolas Molfessis, op. cit. p. 69) ». V. également, Déc. no 19/2022 du 22 déc. 2022, (Prorogation des mandats municipaux et ikhtiaris), publiée sur le site du Conseil constitutionnel : « Le Conseil constitutionnel se montre notamment très strict dans les cas de discrimination basées sur les interdictions énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à laquelle fait référence le préambule de la Constitution, dont l’article 2 prohibe spécifiquement les discriminations fondées sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou de toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
[126] CCL, déc. no 1/1999 du 23 nov. 1999 (Conseil des conservateurs des Wakfs de la communauté druze), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 77-88/ Déc. no 23/2019 du 12 sept. 2019 (Budget de l’année 2019), publiée sur le site du Conseil.
[127] CCL, déc. 19/2022 du 22 juin 2022, (Secret bancaire), publiée sur le site du Conseil constitutionnel: « Considérant que l’expression « ayant préalablement assumé les responsabilités qui y sont mentionnées le 23 septembre 1988 » constitue une exception par rapport à la règle de la prescription décennale adoptée en droit libanais, qui est considérée comme une sorte de garantie judiciaire pour les personnes, et qu’il est donc nécessaire de l’interpréter de manière restrictive afin qu’elle n’inclue pas ceux qui ont assumé cette responsabilité avant la date susmentionnée ».
[128] CCL, déc. no 7/2014 du 28 nov. 2014 (Prorogation du mandat de la Chambre des députés), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 391-402.
[129] CCL, déc. no 2/1999 précitée.
[130] CCL, déc. no 2/2001 du 10 mai 2001 (Acquisition des non-Libanais de droits réels fonciers), Rec. des décisions du Conseil constitutionnel, 1994-2016, Décisions relatives à la constitutionnalité des lois, V. 1, pp. 161-168: «Considérant que cette appréciation de l’intérêt général par le législateur libanais n’est pas exclue du contrôle du Conseil constitutionnel et qu’il appartient à ce dernier de s’assurer de l’existence de cet intérêt à la lumière des objectifs de la législation sur laquelle il exerce son contrôle, et ce en vue de s’assurer de sa constitutionnalité, surtout si cet intérêt général a des fondements constitutionnels, comme il en est le cas en ce qui concerne la loi contestée. »
[131] Loi nº 81 du 10 octobre 2018 relative aux transactions électroniques et aux données à caractère personnel. Cette loi est divisée en huit chapitres, respectivement : les principes de l’écriture et de la preuve par voie électronique, le commerce électronique et les contrats, la communication publique par des moyens numériques, les noms des sites Web sur Internet, la protection des données personnelles, les infractions liées aux systèmes informatiques et aux données et aux cartes bancaires (ce chapitre a modifié le Code pénal et les lois procédurales), les amendements à la loi sur la protection des consommateurs et des dispositions finales.
[132] Myriam Mehanna, « Moulahazat hawla kanun al mouamalat al electroniya : huriyat al taabir tahta rahmat al niyaba al aamma » (Remarques sur la loi portant sur les transactions électroniques : la liberté d’expression à la merci du ministère public), in Legal Agenda, no 59, Avril 2019.
[133] Loi no 44 du 17 juin 2017 relative à l’élection des membres de la Chambre des députés.
[134] Article 78- La période de silence électoral :
À partir de zéro heure la veille du jour du scrutin jusqu’à la fermeture des urnes, il est interdit à tous les médias de diffuser toute publicité, propagande, appel et/ou image lors de la couverture en direct du déroulement du processus électoral. Le jour du scrutin, la couverture médiatique se limite à rapporter les faits du processus électoral.
[135] Article 4 – L’autorité militaire suprême, en cas de déclaration de l’état d’urgence ou d’une zone militaire, a le droit de :
1- Imposer des frais militaires par la confiscation, qui comprennent : les personnes, les animaux, les choses et les biens. 2- Enquêter sur les maisons jour et nuit. 3- Donner l’ordre de remettre les armes et munitions, de les rechercher et de les confisquer. 4- Imposer des amendes globales et collectives. 5- Expulser les suspects. 6- Prendre les décisions de désignation de régions défensives et de précaution dans lesquelles la résidence devient soumise à un régime spécifique. 7- Imposer l’assignation à résidence aux personnes qui se livrent à des activités qui constituent une menace pour la sécurité publique et prendre les mesures nécessaires pour assurer les moyens de subsistance de ces personnes et de leurs familles. 8- Empêcher les réunions qui perturbent la sécurité. 9- Donner l’ordre de fermer temporairement les cinémas, théâtres, parcs d’attractions et divers lieux de rassemblement. 10- Empêcher la circulation des personnes et des voitures dans des lieux et à des moments déterminés par décision. 11- Empêcher les publications qui portent atteinte à la sécurité et prendre les mesures nécessaires pour imposer la censure aux journaux, publications, bulletins divers, radio, télévision, films et pièces de théâtre. 12- Appliquer les règles militaires liées aux actes de guerre lorsque les militaires conduisent des opérations armées et lorsqu’ils utilisent les armes et équipements de toutes manières leur permettant d’accomplir la mission qui leur est assignée.
[136] Rapport du rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté pour les Nations-Unies, M. Olivier De Schutter, du 11 mai 2022.
[137] C. constit, 30 septembre 2022, n°170/22, Mémorial A, N° 509 du 6 octobre 2022, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/acc/2022/09/30/a509/jo.
[138] La Constitution a été réformée par une série de lois du 17 janvier 2023 portant révision de la Constitution. Pour plus d’information sur la réforme cf. le dossier thématique du site de la Chambre des Députés : https://www.chd.lu/fr/RevisionsConstitution. La version consolidée au 1er juillet 2023 de la Constitution est disponible ici : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/constitution/1868/10/17/n1/consolide/20230701.
[139] Pour une analyse récente de la question cf. Marie Marty, « Les restrictions à la diffusion de certains médias russes dans l’Union européenne et le respect de la liberté d’expression au Luxembourg », Luxembourg, Cellule scientifique de la Chambre des Députés, 18 janvier 2024, p. 11 à 19.
[140] Ibid. p. 23 in fine. Termes en gras dans le texte cité.
[141] Ibid. p. 24.
[142] C. Constit., 19 mars 2021, n°00146, Mémorial A n° 232 du 23 mars 2021, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/acc/2021/03/19/a232/jo.
[143] Catherine Warin, « À peine consacrés en un « socle commun », les droits fondamentaux sacrifiés sur l’autel de la confiance mutuelle » in Chaouche, F. et Sinnig, J. (dir.), Cahiers de fiscalité luxembourgeoise et européenne – 2022/1, 1re édition, Bruxelles, Larcier, 2022, p. 143-147.
[144] Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales adoptée à Rome le 4 novembre 1950.
[145] La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000.
[146] L’ancien article 24 qui disposait ce qui suit :
« La liberté de manifester ses opinions par la parole en toutes matières, et la liberté de la presse sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés.
La censure ne pourra jamais être établie. »
[147] L’article 52(1) dispose ce qui suit :
« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »
[148] Nous soulignons.
[149] Mémorial A, n°131 du 8 juin 2004, p. 1202 ; version cordonnée publiée au Mémorial A, n°69 du 30 avril 2010 https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/2004/06/08/n4/consolide/20100504. Un projet de loi est actuellement en attente d’adoption devant la Chambre des députés. Le projet porte essentiellement sur le droit de réponse. Le dossier parlementaire n° 8128 peut être consulté ici : https://www.chd.lu/fr/dossier/8128.
[150] Chapitre III et IV de la loi précitée.
[151] Chapitre V de la loi précitée.
[152] Mémorial A, n° 47 du 30 juillet 1991, p. 972 ; cf. version consolidée : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/1991/07/27/n1/consolide/20220821
[153] Alain Steichen, La constitution luxembourgeoise commentée, Legitech, 2024, p. 142, n° 114.
[154] Bien que fréquemment invoquée, la Déclaration universelle des droits de l’homme n’est pas une source de droit au Luxembourg. Dans un arrêt récent la Cour de cassation a réaffirmé sa jurisprudence constante suivant laquelle cet instrument « ne constitue pas une norme juridique, mais un acte à portée politique qui ne saurait être invoqué à l’appui d’un moyen de cassation », C. Cass, 28 mars 2024, n°56/2024 pénal, n°CAS-2023-001138 du registre, https://justice.public.lu/content/dam/justice/fr/jurisprudence/cour-cassation/penal/2024/03/20240328-cas-2023-00138-56-p.pdf .
[155] https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights.
[156] https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/convention_FRA.
[157] JOUE, C 202/02 du 7 juin 2016, p. 389 – 405 : http://data.europa.eu/eli/treaty/char_2016/oj
[158] https://conseil-etat.public.lu/dam-assets/fr/publications/RAPPORT2015-2016.pdf
[159] Loi du 3 mars 2010 1. Introduisant la responsabilité pénale des personnes morales dans le Code pénal et dans le code d’instruction criminelle 2. Modifiant le Code pénal, le code d’instruction criminelle et certaines autres dispositions législatives, Mémorial A, n°36 du 11 mars 2010, p. 614 ; accessible sur Légilux : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/2010/03/03/n1/jo.
[160] Suivant l’article 14 alinéa 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’État, « [l]e fonctionnaire est tenu aux devoirs de disponibilité, d’indépendance et de neutralité » ; version consolidée applicable au 27/02/2024 disponible sur Légilux : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/1979/04/16/n1/consolide/20240227.
[161] Alain Steichen, op. cit., p. 138, n°112.
[162] Suivant l’article 34 alinéa 1 de la loi modifiée du 16 avril précitée, « [l]e dossier personnel du fonctionnaire doit contenir toutes les pièces concernant sa situation administrative. Ne pourra figurer au dossier aucune mention faisant état des opinions politiques, philosophiques ou religieuses de l’intéressé. »
[163] Article 10 alinéa 1 de la loi du 16 avril 1979 préc ; son alinéa 2 prévoit en outre ce qui suit :
« Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu’il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination. »
[164] Alain Steichen, op. cit, p. 139, n° 112.
[165] Ibid.
[166] Article 112(2) de la Constitution et l’article Article 6 et ss de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, Mémorial A n°58 du 13 août 1997, la version consolidée au 3 juillet 2023 est disponible ici : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/1997/07/27/n6/consolide/20230703.
[167] Bien que la loi sur l’organisation de la Cour date de 1997, la Cour a été créée par une loi du 12 juillet 1996 qui a modifié la Constitution.
[168] Article 112(2) de la Constitution.
[169] La Cour a la possibilité de reporter la date de prise d’effet de l’arrêt pour permettre au législateur de faire les modifications nécessaires de la loi en question.
[170] Alain Steichen, op. cit. p. 429, n°454.
[171] Plus précisément il s’agit du Président de la Cour supérieure de justice, du Président de la Cour administrative et de deux conseillers à la Cour de cassation les plus anciens en rang (Article 3(3) de loi modifiée du 27 juillet 1997). Les autres conseillers (ainsi que leurs suppléants) sont nommés sur l’avis conjoint de la Cour supérieure de justice et de la Cour administrative (article 3(4) de loi modifiée du 27 juillet 1997).
[172] Sur le dialogue entre les juges judiciaires et administratifs et l’enrichissement de l’ouverture de la Cour constitutionnelle qui s’en produit, cf. Francis Delaporte, « Un bilan relationnel : dialogue avec les juridictions administratives », in Jörg Gerkrath (Ed), Les 20 ans de la Cour constitutionnelle : Trop jeune pour mourir ? Pasicrisie Luxembourgeoise, Dossier n°2, 2017, p. 33, spec p. 35
[173] Luc Heuschling, « Un vieux bateau pris dans la tempête : la Constitution luxembourgeoise », d’Lëtzebuerger Land, 2 août 2013, disponible ici : https://www.land.lu/page/article/564/6564/DEU/index.html
[174] Cour constit., 22 janvier 2021, n°00152, Mémorial A, n°72 du 28 janvier 2021, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/acc/2021/01/22/a72/jo.
[175] Cour constit., 19 mars 2021, n°00146, Mémorial A, n°232 du 23 mars 2021, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/acc/2021/03/19/a232/jo.
[176] Cour EDH, 29 juin 2001, Thoma c/ Luxembourg, n° 38432/97, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-63917 ; Cour EDH, 25 février 2003, Roemen et Schmit c/ Luxembourg, n°51772/99, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-65515 , Cour EDH, 26 janvier 2009, Backes c/ Luxembourg, n°24261/05, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-87438 , Cour EDH, 14 février 2023 Halet c/ Luxembourg, n°21884/18, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-223019; et Cour EDH, 16 mai 2024, Lutgen c/ Luxembourg, n°36681/23, https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-233634.
[177] Cour constit., 30 septembre 2022, préc.
[178] Ibid.
[179] Ibid.
[180] Article 35(1) points m) et n) de la loi du 27 juillet 1991 sur les médias électroniques, préc.
[181] https://www.chd.lu/sites/default/files/2024-01/Note%20de%20recherche%20_CS-2022-DR-023_liberte%20dexpression_VF.pdf
[182] RT t RT France contre Conseil de l’Union européenne du 27 juillet 2022
[183] Véronique Pujol, « «Russia Today» à l’offensive , mais sans défense », Reporter, 14 avril 2022, https://www.reporter.lu/fr/luxembourg-russia-today-a-loffensive-mais-sans-defense/
[184] Réponse de Monsieur Xavier BETTEL, ministre des Communications et des Médias à la question parlementaire n° 4852 du 13 août 2021 de Monsieur le Député Laurent Mosar, de Madame la Députée Diane Adehm et de Madame la Députée Viviane Reding, 15 septembre 2021, https://wdocs-pub.chd.lu/docs/exped/0122/196/245968.pdf ; Nicolas Léonard, « Pourquoi la chaîne russe RT n’aura pas de licence de diffusion », Paperjam, 16 aout 2021, https://paperjam.lu/article/pourquoi-chaine-russe-rt-n-aur .
[185] ALIA, Campagne de sensibilisation contre la désinformation en vue des élections au Parlement européen, disponible ici : https://alia.public.lu/article/campagne-de-sensibilisation-contre-la-desinformation-en-vue-des-elections-au-parlement-europeen/
[186] Alain Steichen, op. cit. 241, n°213.
[187] Pour un résumé des autres compétences de la cour, cf. Question 2, supra.
[188] cf. Question 10 sous-thème 2.
[189] Ibid.
[190] Pour un résumé des autres compétences de la cour, cf. Question 2, supra.
[191] Alain Steichen, op. cit., p. 423, spéc. p. 428, n°452 in fine.
[192] L’art. 3 al. 2 de la Constitution établit : « La personne du Prince est inviolable ». L’art. 15 de la Constitution établit : « Après consultation du Conseil de la Couronne, le Prince exerce le droit de grâce et d’amnistie, ainsi que le droit de naturalisation et de réintégration dans la nationalité ». L’art. 22 de la Constitution établit : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) ». L’art. 58 du Code pénal établit : « L’offense envers la personne du Prince, si elle est commise publiquement, est punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans, et de l’amende prévue au chiffre 4 de l’art. 26. Dans le cas contraire, elle est punie d’un emprisonnement de six mois à trois ans et de l’amende prévue au chiffre 3 de l’art. 26 ». L’art. 59 du Code pénal établit : « L’offense envers les membres de la famille du Prince, si elle est commise publiquement, est punie d’un emprisonnement de six mois à trois ans, et de l’amende prévue au chiffre 3 de l’art. 26. Dans le cas contraire, elle est punie d’un emprisonnement de trois mois à un an et de l’amende prévue au chiffre 2 de l’art. 26 ». L’art. 60 du Code pénal établit : « Tout écrit tendant à porter publiquement atteinte au Prince ou à sa famille, et comportant l’intention de nuire, est puni de l’amende prévue au chiffre 4 de l’art. 26 ».
[193] V. art. 23 Ordonnance Souveraine n° 13.839 du 29 décembre 1998 portant statut des praticiens hospitaliers au Centre hospitalier Princesse Grace ; art. 9 Ordonnance Souveraine n° 7.464 du 28 juillet 1982 portant statut du personnel de service du Centre hospitalier Princesse Grace ; art. 7 Ordonnance souveraine n° 7.928 du 6 mars 1984 portant statut du personnel médical et assimilé du Centre hospitalier Princesse Grace.
[194] V. art. 11 de l’Ordonnance Souveraine n° 4.524 du 30 octobre 2013 instituant un Haut Commissariat à la protection des droits, des libertés et à la médiation.
[195] V. art. 14 Loi n° 1.364 du 16 novembre 2009 portant statut de la magistrature.
[196] V. art. 9 Loi n° 1.228 du 10 juillet 2000 portant statut des Greffiers.
[197] V. art. 12 de l’Ordonnance Souveraine n° 3.782 du 16 mai 2012 portant organisation de l’administration pénitentiaire et de la détention.
[198] Recueil approuvé par Arrêté du Directeur des Services judiciaires n° 2019-15 du 26 novembre 2019. Dans sa vie privée, le magistrat « doit faire preuve de discrétion et de dignité afin que son comportement individuel ne mette pas en péril l’image de la justice. Il a aussi un devoir de réserve lui imposant de s’exprimer publiquement avec prudence et modération ».
[199] Charte approuvée par Arrêté du Directeur des Services judiciaires n° 2019-7 du 28 novembre 2019.
[200] V., par ex., le serment prêté par les avocats : « Je jure fidélité au Prince et obéissance aux lois de la Principauté ; je jure, dans l’exercice de ma profession, de ne rien dire ou écrire de contraire aux lois, aux bonnes mœurs et à la paix publique et de respecter, par la mesure de mes propos, la dignité des tribunaux, des magistrats et des autorités établies » et l’interdiction qui leur est faite de « dans leurs plaidoiries ou dans les écrits qu’ils produisent en justice : 1° de diriger des attaques contre les principes de la souveraineté et les lois de la Principauté ; 2° de manquer au respect ou aux légitimes égards qu’ils doivent aux magistrats » (art. 9 et 22 de la Loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 sur l’exercice des professions d’avocat-défenseur et d’avocat).
[201] V. art. 64 du Règlement intérieur du Conseil National du 25 novembre 2020.
[202] V. les dispositions identiques pour les fonctionnaires de la commune (art. 6-1 de la loi n° 1.096 du 7 août 1986 portant statut des fonctionnaires de la Commune) et pour les agents de l’État (art. 3 de l’Ordonnance Souveraine n° 9.640 du 23 décembre 2022 portant dispositions générales de caractère statutaire applicables aux agents contractuels de l’État).
[203] V. les dispositions identiques pour les fonctionnaires de la commune (art. 11 de la loi n° 1.096 du 7 août 1986 portant statut des fonctionnaires de la Commune) et pour les agents de l’État (art. 11 de l’Ordonnance Souveraine n° 9.640 du 23 décembre 2022 portant dispositions générales de caractère statutaire applicables aux agents contractuels de l’État).
[204] Arrêt n° 242/12, rendu par la troisième chambre de la Cour constitutionnelle du Portugal, disponible à l’adresse suivante : https://www.tribunalconstitucional.pt/tc/acordaos/20120242.html
[205] Arrêt n° 812/2023, du 28 mars, rendu par la Cour constitutionnelle d’Angola, disponible à l’adresse suivante : https://www.tribunalconstitucional.ao/media/adbpgep2/acordao-n-o-812.pdf
[206] Décision dans l’affaire Carlos Castel-Branco et Fernando Mbanze, disponible à l’adresse suivante : https://www.wlsa.org.mz/wp-content/uploads/2015/09/Sentenca_caso_Castel-Branco.pdf
[207] Indiquer les modifications et les révisions.
[208] Indiquer les modifications et les révisions.
[209] Daniel Salles et Magali Eymard, Liberté d’expression, un droit fondamental chèrement acquis, CANOPE, in www.reseau–canope.fr
[210] Décision no 629 du 4 novembre 2014, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 97 du 7 février 2019.
[211] Décision no 756 du 1er juin 2010, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 468 du 7 juillet 2010.
[212] Décision no 756 du 1er juin 2010, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 468 du 7 juillet 2010.
[213] Décision n° 8 du 31 janvier 1996, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, n° 129 du 21 juin 1996, définitive à la suite de la décision n° 55 du 14 mai 1996.
[214] Décision no 53 du 28 janvier 2005, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 144 du 17 février 2005 ou décision no 435 du 26 mai 2006, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 576 du 4 juillet 2006.
[215] Décision no 649 du 24 octobre 2018, publiée au Journal officiel de la Roumanie, partie I, no 1.045 du 10 décembre 2018.
[216] Ordonnance gouvernementale d’urgence no 57 du 3 juillet 2019 sur le code administratif, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 555 du 5 juillet 2019, telle que modifiée.
[217] Publiée au Journal officiel de la Roumanie, partie I, no.1.102 du 16 novembre 2022.
[218] Décision no 629 du 4 novembre 2014, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 932 du 21 décembre 2014, ou décision no 649 du 24 octobre 2018, publiée au Journal officiel de Roumanie, partie I, no 1045 du 10 décembre 2018, point 62.
[219] Publiée au Journal officiel de la Roumanie, partie I, no 155, du 20 juillet 1995, telle que modifiée.
[220] L’article 53 de la Constitution dispose : (1) L’exercice des droits ou libertés ne peut être limité que par la loi et seulement si cela est nécessaire, selon le cas, pour : la défense de la sécurité nationale, de l’ordre, de la santé ou de la moralité publiques, des droits et libertés des citoyens ; la conduite d’une enquête pénale ; la prévention des conséquences d’une calamité naturelle, d’une calamité ou d’un sinistre particulièrement grave.
(2) La restriction ne peut être ordonnée que si elle est nécessaire dans une société démocratique. La mesure doit être proportionnée à la situation qui l’a amenée, être appliquée de manière non discriminatoire et sans préjudice de l’existence du droit ou de la liberté.
[221] „Journal officiel de la RS“, No. 98/2006 et 115/2021, article 46
[222] „Journal officiel de la RS“ No. 92/2023
[223] Castells contre l’Espagne, p. 42.
[224] Goodwin contre le Royaume-Uni, requête No 17488/90, du 27 mars 1996, p. 39.
[225] Fressoz et Roire contre France requête No 29183/95, du 21 janvier 1999, p. 54.
[226] Bladet Tromsø et Stensaas contre Norvège, p. 65.
[227] Už-4162/2014 du 6 octobre 2016
[228] Už-3238/2011 du 8 mars 2012
[229] Jérusalem c. Autriche, requête No 26958/95, arrêt CEDH du 27 février 2001
[230] Arrêt de la Cour d’appel de Belgrade Gž 2426/14 du 11 juin 2014
[231] Tribunal de grande instance de Novi Sad, II 1344/2017, arrêt du 8 mai 2018
[232] » Journal officiel de la RS », No. 22/2009 et 52/2021
[233] » Journal officiel de la RS », No. 92/2023
[234] » Journal officiel de la RS », No. 8/2012
[235] Lepojic contre Serbie, requête No 13909/05, arrêt CEDH du 6 novembre 2007
[236] Filipovic contre Serbie, requête No 27935/05, arrêt CEDH du 20 novembre 2007
[237] Extrait de l’avis juridique de la chambre pénale de la Cour suprême de Serbie, adopté lors de la séance tenue le 25 novembre 2008.
[238] RS 101 ; les lois fédérales et les traités internationaux peuvent être consultés dans le Recueil systématique du droit fédéral sur le site de la Confédération sous https://www.fedlex.admin.ch/fr/ 3 Art. 3 Cst.
[239] Art. 50 Cst.
[240] Art. 51 al. 2 Cst.
[241] Toutes les constitutions cantonales peuvent également être consultées dans le Recueil systématique du droit fédéral sur le site de la Confédération sous https://www.fedlex.admin.ch/fr/
[242] RS 0.101
[243] RS 0.103.2
[244] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. II : Les droits fondamentaux, 4e éd., 2021, p. 287 ss, notes 566-577
[245] MICHEL HOTTELIER, Constitution et liberté d’expression, in Annuaire international de justice constitutionnelle, 23-2007, 2008, p. 413 ; ATF 127 I 145 consid. 4
[246] ATF 87 I 114 consid. 2
[247] RS 311.0
[248] RS 210
[249] ATF 97 I 893 consid. 4
[250] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 302, note 600
[251] ATF 127 I 145 consid. 4
[252] ATF 111 Ia 322 consid. 6; 107 Ia 59 consid. 5; 117 Ia 472 consid. 3; 136 IV 97 consid. 6.3 et 119 IV 301 consid. 1 et 2
[253] ATF 120 Ib 142 consid. 4; 107 Ia 64 consid. 3 : viole la liberté d’expression et de réunion l’interdiction de façon générale, pendant les quatre semaines qui précèdent une votation/élection, d’utilisation de haut-parleurs lors de rassemblements politiques en plein air.
[254] ATF 101 Ia 252 consid. 3c
[255] Arrêt du Tribunal fédéral 2C_719/2016 du 24 août 2017 consid. 3.1
[256] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 309 ss, notes 610-612 et ATF 113 Ia 309 consid. 4
[257] BERTIL COTTIER, in Commentaire romand, Constitution fédérale, vol. I, 2021, n° 35 ad art. 16 Cst.
[258] Arrêt du Tribunal fédéral 2C_714/2009 du 26 novembre 2009 consid. 3
[259] ATF 141 I 211 consid. 3
[260] ATF128 IV 53 consid. 5
[261] ATF 119 Ia 460 consid. 12
[262] ATF 120 II 225 consid. 3
[263] Par exemple l’arrêt Perinçek contre Suisse du 15 octobre 2015, Recueil CourEDH 2015-IV p. 291
[264] Arrêt Perinçek contre Suisse du 15 octobre 2015, Recueil CourEDH 2015-IV p. 291 30 ATF 145 IV 23 consid. 5
[265] ZÜND/RIETIKER, Vor 50 Jahren ratifizierte die Schweiz die EMRK: Versuch einer Standortbestimmung, in RDS, 143/2024 I p. 3 ss
[266] Arrêt Gsell contre Suisse du 8 octobre 2009, requête n° 12675/05
[267] Arrêt du Tribunal fédéral du 16 décembre 2009 1C_226/2009 consid. 4.1.2 34 BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., n° 29 ad art. 16 Cst.
[268] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 302, note 599
[269] MICHEL HOTTELIER, Constitution et liberté d’expression, op. cit., p. 414
[270] ATF 123 I 296 consid. 2b
[271] LAURENT MOREILLON, in Commentaire romand, Code pénal, vol. II, 2017, n° 7 ad art. 261 CP 39 ATF 86 IV 19 consid. 3
[272] LAURENT MOREILLON, op. cit., n° 8 ad art. 261 CP 41 LAURENT MOREILLON,op. cit., n° 12 ad art. 261 CP
[273] La Suisse est partie à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CEDR; RS 0.104), mais a émis une réserve à l’art. 4 qui contraint les États membres à réprimer pénalement la propagande et les insultes raciales. Elle a dit qu’elle se conformerait à cet article en tenant dûment compte de la liberté d’opinion et d’association.
[274] MIRIAM MAZOU, in Commentaire romand, Code pénal, vol. II, 2017, n° 44 ad art. 261bis CP
[275] ATF 149 IV 170 consid. 1.1.4
[276] ATF 149 IV 170 consid. 1.2.1
[277] ATF 149 IV 170 consid. 1.4.2
[278] ATF 149 IV 170 consid. 1.4.4
[279] ATF 149 IV 170 consid. 1.4.4
[280] ATF 149 IV 170 consid. 1.4.5
[281] JACQUES DUBEY, op. cit., p. 1147, ch. 5252 ss
[282] ATF 137 IV 313 consid. 3.3.2
[283] Arrêt du Tribunal fédéral 5A_376/2013 du 29 octobre 2013 consid. 5.2.1
[284] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 352, note 681
[285] Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, 160
[286] Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, loc. cit.; BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op.
cit., n° 18 ad art. 16 Cst.; JACQUES DUBEY, op. cit., p. 265 ch. 2056 56 MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 358, note 691
[287] BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., nos 23 et 24 ad art. 16 Cst.; ATF 122 I 222 consid. 6
[288] Arrêt du Tribunal fédéral 5A_639/2014 du 8 septembre 2015 consid. 13.3.9 59 Art. 4 al. 2 LRTV
[289] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 304 s., note 604 et ATF 73 IV 12 consid. 5
[290] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 357, note 689
[291] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 355 s., note 687
[292] Art. 22 de la loi sur le personnel de la Confédération, RS 172.220.1; art. 320 CP.
[293] Arrêt du Tribunal fédéral 8C_146/2014 du 26 juin 2014 consid. 5.5
[294] Arrêt du Tribunal fédéral 8C_252/2018 du 29 janvier 2019 consid 5.4.3 : la publication de propos blessants sur un blog à l’égard d’un magistrat est incompatible avec le comportement respectueux que doit avoir un policier.
[295] ATF 120 Ia 203 consid. 3a
[296] Arrêt du Tribunal fédéral 6B_305/2011 du 12 décembre 2011, consid. 3-4
[297] ATF 136 I 332, consid. 3.2 et 8C_233/2023, consid. 6
[298] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 353 s., note 684
[299] RS 312.0
[300] RS 173.110
[301] Ces usages peuvent être consultés sur https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherit-template/federal-publikationen/ federal-pub-gepflogenheiten.htm
[302] Selon les « Usages au sein du collège des juges au Tribunal fédéral « , les juges fédéraux sont tenus d’exercer leur liberté d’expression d’une manière compatible avec la dignité de leur fonction. Ils doivent s’abstenir d’émettre en public des déclarations ou des commentaires susceptibles de porter atteinte à l’autorité du Tribunal fédéral, de nuire à la collégialité ou de jeter le doute sur leur impartialité. Ils sont obligés de faire preuve de retenue. En outre, les juges fédéraux doivent s’abstenir de critiquer publiquement les arrêts du Tribunal fédéral. Dans le cadre de publications scientifiques, de conférences, de discours, etc., ils sont tenus de faire preuve de retenue lorsqu’ils prennent position sur d’autres opinions. Les juges fédéraux ne s’expriment en principe pas publiquement sur des questions politiques. Si tel est exceptionnellement le cas, ils doivent agir avec prudence et retenue, tout particulièrement en ce qui concerne les questions institutionnelles. 74 LAAM; RS 510.10; cf. l’art. 28 LAAM
[303] RSA; RS 510.107.0
[304] Art 93 al. 1 RSA
[305] Art 93 al. 2 RSA
[306] Art. 96 al. 1 RSA
[307] Art. 96 al. 3 RSA
[308] En effet, parmi les différents éléments faisant partie des libertés de communication, seule la liberté de la presse figurait dans les Constitutions de 1848 (art. 45) et 1874 (art. 55).
[309] ATF 87 I 114 consid. 2
[310] ATF 91 I 480 consid. 1; 96 I 592 consid. 6; 97 I 893 consid. 4 83 MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 37, note 75
[311] ATF 87 I 114 consid. 2; 91 I 485 consid. 1; 96 I 592 consid. 6; 97 I 893 consid. 4
[312] ATF 96 I 586 consid. 6
[313] ATF 22 I 1012 consid. 5
[314] ATF 96 I 586 consid. 6
[315] BERTIL COTTIER, Liberté d’expression, une perspective de droit comparé, 2019, p. 1; BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., n° 4 ad art. 16 Cst.
[316] ATF 149 IV 170 consid. 1.2.1; 145 IV 23 consid. 5
[317] ATF 142 II 35 consid. 3.2; 139 I 16 consid. 5.1; 125 II 417 consid. 4d, jurisprudence dite PKK
[318] ATF 149 IV 170 consid. 1.2.1; 148 IV 113 consid. 4.4. et 5.3.1
[319] Arrêt 5A_391/2021 du 8 juin 2023 consid. 3.6.3; ATF 142 I 49 consid. 3.6; ATF 136 IV 97 consid. 6.1.2 93 ATF 139 I 16 consid. 4.2.1; 128 II 1 consid. 3d
[320] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 132, note 269
[321] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 131, note 269; cf. également REGINA KIENER, Grundrechte in der Bundesverfassung, in Verfassungsrecht der Schweiz/Droit constitutionnel suisse, vol. II, 2020, p. 1199 96 ATF 125 II 417 consid. 4d
[322] BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 35 ad art. 17 Cst.
[323] Pour une illustration de ce triple test, cf. ATF 149 I 129 consid. 3.4.3; 147 IV 145 consid. 2.4.1; 146 I 70 consid. 6.4; 143 I 403 consid. 5.6.3; 142 I 76 consid. 3.5.1; 136 IV 97 consid. 5.2.2
[324] ATF 136 I 265 consid. 2.3; 134 I 214 consid. 5.7.2; 121 I 164 consid. 3c; 108 Ia 300 consid. 2e
[325] MICHEL HOTTELIER, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, in Annuaire international de justice constitutionnelle, 2009, p. 364
[326] MICHEL HOTTELIER, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, loc. cit.; MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 350, note 678
[327] MICHEL HOTTELIER, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, op. cit., p. 365
[328] ATF 128 I 327 consid. 4.3.3, traduit au JdT 2003 I 309
[329] MICHEL HOTTELIER, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, op. cit., p. 366
[330] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 120, note 240. L’art. 72 al. 3 Cst. exclut d’entrée de jeu une pesée des intérêts en interdisant de manière absolue la construction de minarets. Pour sa part, l’art. 123a Cst. pose une restriction absolue à la liberté personnelle. En effet, en prescrivant l’internement à vie des délinquants sexuels ou violents extrêmement dangereux et non amendables, le constituant a d’emblée exclu toute mise en liberté et tout congé. Quant à l’art. 199 al. 2 let. c Cst., il pose une limite absolue à la liberté économique. En effet, en interdisant le commerce du patrimoine germinal humain et des produits résultant d’embryons, le constituant exclut l’examen de la proportionnalité. 106 MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, loc. cit.
[331] Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, 197
[332] Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, 197
[333] Arrêt 1C_360/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.2 110 Arrêt 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 4.3.1
[334] Menaces alarmant la population (art. 258 CP); provocation publique au crime ou à la violence (art. 259 CP); atteinte à la liberté de croyance et des cultes (art. 261 CP); discrimination et incitation à la haine (art. 261bis CP)
[335] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 111, note 225; ainsi, dans l’ATF 101 Ia 252 consid. 3, la protection de la moralité publique a permis d’interdire un film contraire aux mœurs
[336] ATF 147 IV 182 consid. 2.1; 146 V 87 consid. 8.2.2; 144 II 293 consid. 6.3
[337] ATF 91 I 17 consid. 2
[338] ATF 95 I 330 consid. 3
[339] ATF 146 V 271 consid. 5.1; 142 V 457 consid. 3.1; 141 II 338 consid. 3.1; 140 I 305 consid. 6.2; 137 I 128 consid. 4.3.1; 133 II 305 consid. 5.2; 131 II 710 consid. 4.1;130 II 65 consid. 4.2; 129 II 249 consid. 5.4
[340] ATF 144 I 126 consid. 3; 140 I 353 consid. 4.1; 139 I 180 consid. 2.2; 117 Ib 367 consid. 2
[341] ATF 137 I 128 consid. 4.3.2; 136 II 136 consid. 2.7
[342] Par exemple le rapport de gestion de 2009 cite l’ATF 136 II 136 et le rapport de gestion de 2010 cite l’ATF 137 I 128; les rapports de gestion du Tribunal fédéral peuvent être consultés sur le site https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherittemplate/federal-publikationen/federal-pub-geschaeftsbericht.htm
[343] ATF 125 II 417 consid. 4d, jurisprudence dite PKK
[344] ATF 147 IV 182 consid. 2.1; 146 V 87 consid. 8.2.2; 144 II 293 consid. 6.3; pour une présentation récente de la jurisprudence, cf. MARTIN KOCHER, Die bundesgerichtliche Kontrolle von Steuernormen, 2018, ch. 214 ss, p. 81 ss; voir aussi
156 ANDREAS ZÜND, Grundrechtsverwirklichung ohne Verfassungsgerichtsbarkeit, PJA 2013 p. 1349 ss, 1351 122 Pour la Charte de l’énergie (RS 0.700.0), cf. l’ATF 149 III 131
157 ATF 144 II 293 consid. 6.3; 142 II 35 consid. 3.2; 138 II 524 consid. 5.3.2; 99 Ib 39 consid. 3, jurisprudence dite Schubert, très critiquée en doctrine, et ce dès l’origine, cf. p. ex. LUZIUS WILDHABER, Bemerkungen zum Fall
158 1ATF 142 II 35 consid. 3.2; 139 I 16 consid. 5.1; 125 II 417 consid. 4d, jurisprudence dite PKK 125 ATF 142 II 35 consid. 3.2; 133 V 367 consid. 11.4 à 11.6; ANDREAS ZÜND, loc. cit. 126 ANDREAS ZÜND, loc. cit.
[345] Art. 36 Cst.
[346] MAYA HERTIG, in Basler Kommentar, Bundesverfassung, 2015, n° 38 ad art. 16 Cst.
[347] BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., n° 53 ad art. 16 Cst.
[348] ATF 96 I 586 consid. 4 et 6
[349] ATF 105 Ia 91 consid. 4
[350] Arrêt 1C_451/2018 du 13 septembre 2019 consid. 4.2.2.2
[351] Art. 16 Cst. : « La liberté d’opinion et la liberté d’information sont garanties. Toute personne a le droit de former d’exprimer et de répandre librement son opinion. Toute personne a le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser ».
[352] Art. 17 Cst. : « La liberté de la presse, de la radio et de la télévision, ainsi que des autres formes de diffusion de productions et d’informations ressortissant aux télécommunications publiques est garantie. La censure est interdite. Le secret de rédaction est garanti ».
[353] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit.,p. 331, note 644 136 BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 38 ad art. 17 Cst.
[354] BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 34 ad art. 17 Cst.
[355] Art. 173 à 178 CP (RS 311.0)
[356] Art. 173 CP qui prévoit que : 1. Quiconque, en s’adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon, est, sur plainte, puni d’une peine pécuniaire. 2. L’auteur n’encourt aucune peine s’il prouve que les allégations qu’il a articulées ou propagées sont conformes à la vérité ou qu’il a des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies. 3. L’auteur n’est pas admis à faire ses preuves et il est punissable si ses allégations ont été articulées ou propagées sans égard à l’intérêt public ou sans autre motif suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d’autrui, notamment lorsqu’elles ont trait à la vie privée ou à la vie de famille. 4. Si l’auteur reconnaît la fausseté de ses allégations et les rétracte, le juge peut atténuer la peine ou renoncer à prononcer une peine. 5. Si l’auteur ne fait pas la preuve de la vérité de ses allégations ou si elles sont contraires à la vérité ou si l’auteur les rétracte, le juge le constate dans le jugement ou dans un autre acte écrit. 140 Art. 261bis CP
[357] ATF 137 IV 313 consid. 2.1.1-2.1.4
[358] Il sied de relever que le législateur a en revanche consacré le principe de la neutralité du net à l’art. 12e de la loi sur les télécommunications (RS 784.10). Ce principe implique, pour les fournisseurs d’accès à Internet, de garantir l’égalité de traitement de tous les flux de données indépendamment de la source de ces derniers. Il favorise ainsi non seulement la libre formation de l’opinion des personnes, mais aussi l’expression de celle-ci. Cf. à ce sujet : ANDREA FRATTOLILLO, Garantie de la neutralité du net : Nouvelle composante des libertés de communication ? in medialex 04/2020, 5 mai 2020
[359] Interpellation Tschopp 23.4429 « Démocratie et protection des données : quels droits face aux très grandes plateformes en ligne ? « ; postulat Locher Benguerel 23.3620 « Obligation de signaler les photos retouchées »; interpellation Romano 23.3105 « Tiktok. La Confédération est-elle active dans ce dossier ? » ; interpellation Gysin 21.4086 « Transparence de la publicité politique diffusée sur les médias sociaux » ; interpellation Wermuth 20.3686 « Rapport sur l’antisémitisme 2019 et coronavirus. Outils de lutte contre les théories conspirationnistes d’extrême droite sur Internet » ; interpellation Marchand-Balet 18.3448 « Les ‘fake news’ dans la démocratie helvétique »
[360] ATF 149 I 2 consid. 2-4
[361] ATF 146 IV 23 consid. 2.2.2-2.2.4
[362] Arrêt 7B_813/2023 du 9 novembre 2023 consid. 3.2.2
[363] Arrêt 6B_234/2022 du 8 juin 2023 consid. 5, destiné à la publication
[364] Arrêt 1B_553/2021 du 14 janvier 2022 consid. 2.2
[365] BERTIL COTTIER, Commentaire romand, op. cit., n° 38 ad art. 16 Cst.
[366] BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 46 ad art. 16 Cst.
[367] JACQUES DUBEY, op. cit., p. 273, ch. 2100
[368] MAYA HERTIG, op. cit., n° 12 ad art. 16 Cst.
[369] BERTIL COTTIER, Commentaire Romand, op. cit., n° 38 ad art. 16 Cst. 154 MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit., p. 352-353, note 683 155 MAYA HERTIG, op. cit., n° 42 ad art. 16 Cst.
[370] ATF 137 IV 313
[371] MARTENET/VON BÜREN, in Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, n° 103 ad art. 34 Cst.; ATF 130 I 290 consid. 3.3
[372] MAYA HERTIG, op. cit., n° 48 ad art. 16 Cst.
[373] ATF 108 Ia 172 consid. 4 b) bb)
[374] Comme déjà mentionné plus haut, ces usages peuvent être consultés sur https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherittemplate/federal-publikationen/federal-pub-gepflogenheiten.htm
161 Art. 34 Cst.
[375] MARTENET/VON BÜREN, in Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, n° 83 ad art. 34 Cst.
[376] Arrêté du Conseil fédéral du 24.2.1948 concernant les discours politiques d’étrangers (RO 1948 111)
[377] https://www.admin.ch/cp/f/35040116.669B@mbox.gsejpd.admin.ch.html
[378] Interpellation Tornare 17.3146 « Propagande turque en Suisse » ; interpellation Abate 17.3163 « Ressusciter l’arrêté concernant les discours politiques d’étrangers ? »
[379] Arrêt 1C_35/2015 du 28 octobre 2015 consid. 3.3
[380] ATF 130 I 369 consid. 2 et 7.3-7.5
[381] Arrêt Gsell contre Suisse du 8 octobre 2009, requête n° 12675/05
[382] MALINVERNI/HOTTELIER/HERTIG RANDALL/FLÜCKIGER, op. cit, p. 282, note 560
[383] JACQUES DUBEY, in Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, n° 10 ad art. 36 Cst.
[384] LUC GONIN, in Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, nos 51-51 ad art. 185 Cst. 172 RECHSTEINER/ERRASS, in St. Galler Kommentar, Bundesverfassung, 4e éd. 2023, n° 64 ad art. 16 Cst.
[385] ATF 106 Ia 100 consid. 8b
[386] Office fédéral de la statistique, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/themes-transversaux/mesure-bien-etre/tousindicateurs/societe/confiance-institutions.html
[387] ATF 96 I 586 consid. 6
[388] Arrêt 1C_312/2010 du 8 décembre 2010 consid. 4.1
[389] DENIS MASMEJAN, Débat public en ligne et protection des libertés de communication, medialex 09/2020
[390] Rapport de l’OFCOM du 17 novembre 2021 « Intermédiaires et plateformes de communication », p. 76 https://www.bakom.admin.ch/bakom/fr/page-daccueil/suisse-numerique-et-internet/communication-numerique/plateformesde-communication.html
[391] MAYA HERTIG, op. cit., ad. art. 16 Cst., note 4