Bulletin n°9 – Association des Cours Constitutionnelles Francophones

Association des Cours
Constitutionnelles Francophones

Le droit constitutionnel dans l’espace francophone

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Bulletin n°9

La proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle

  •  Libreville, Gabon
  •  2008
  • N°ISBN 978-2-914106-13-9
  • © ACCF

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Introduction

Avant-propos, par Marie-Christine Meininger

secrétaire générale de l’ACCPUF
chef du service des relations extérieures du Conseil constitutionnel français

La Ve Conférence de Chefs d’institution de l’ACCPUF s’est tenue à Libreville du 8 au 13 juillet 2008 à l’invitation de la Cour constitutionnelle du Gabon. L’excellente organisation de cette rencontre par la Cour constitutionnelle du Gabon, la chaleur de son hospitalité ainsi que la qualité des participants ont fait de cette Conférence un grand succès. Nos remerciements s’adressent tout particulièrement à sa Présidente, Madame Marie-Madeleine Mborantsuo ainsi qu’à ceux qui, au sein la Cour constitutionnelle du Gabon, ont contribué à cette réussite.

Le thème retenu pour cette Conférence était « Le principe de proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle ». Le recours à ce principe permet d’apprécier les restrictions susceptibles d’être apportées aux droits et libertés fondamentales tout en conciliant des exigences contradictoires. Son contenu est d’autant plus difficile à définir que celui-ci, le plus souvent déduit des textes constitutionnels, fait l’objet de différentes interprétations. L’utilisation qui en est faite dépend des conditions de saisine et des compétences dévolues aux Cours ainsi que de la conception que celles-ci se font de leur rôle.

Quelles sont les sources, en droit interne et dans les conventions internationales, du principe de proportionnalité ? Quels sont les intérêts en balance et comment le juge met-il en œuvre le contrôle de proportionnalité ? Quels sont les enjeux pour le juge constitutionnel ?

Les réponses au questionnaire envoyé aux Cours ont fourni une matière extrêmement riche et stimulante autour de laquelle se sont organisés les débats de ces journées. Celles-ci offrent une image à la fois paradoxale et contrastée. Le contenu des réponses, et notamment la jurisprudence citée, les rapports présentés au cours de chacune des sessions, le rapport de synthèse du professeur Jean du Bois de Gaudusson fournissent de passionnants éléments de réflexion.

Ces travaux sont le témoignage de la diversité et de la vitalité de la communauté juridique franco phone dont l’attractivité n’est pas démentie. Au sein de l’espace francophone en effet, le réseau que constitue l’ACCPUF occupe une place particulière. Par les échanges qu’elle organise ainsi que la publication de ses travaux, par son site internet www.accpuf.org, par l’aide qu’il apporte aux Cours, l’Association participe ainsi pleinement à la mise en œuvre des engagements de la Déclaration de Bamako et en particulier la consolidation de l’État de droit (article 4.A.).

La présence et la participation des représentants de l’Organisation internationale de la Francophonie à ces conférences, le soutien financier apporté à leur organisation et à leur publication doivent être ici soulignés. Nous leur renouvelons nos sincères remerciements ainsi qu’à l’équipe du service des relations extérieures du Conseil constitutionnel français dont le travail a permis la réalisation de cette publication.

Allocution de Marie Madeleine Mborantsuo,

président de la Cour constitutionnelle du Gabon

Monsieur le Premier ministre, Chef du Gouvernement, représentant Monsieur le Président de la République, chef de l’État,

Messieurs les Présidents des institutions constitutionnelles,

Mesdames, Messieurs les membres du Gouvernement,

Monsieur le Président de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels ayant en Partage l’Usage du Français,

Mesdames, Messieurs les Présidents des Cours et Conseils constitutionnels,

Excellences, Mesdames, Messieurs les Chefs de missions diplomatiques et les Représentants des organisations internationales,

Distingués invités,

Mesdames, Messieurs,

La Cour constitutionnelle de la République gabonaise est heureuse d’accueillir, une fois de plus, les assises de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels des pays ayant en partage l’usage du français (ACCPUF).

La première fois, souvenez-vous, c’était au mois de septembre 2000. La Cour constitutionnelle de la République gabonaise avait, à cette époque, abrité les travaux du IIe Congrès de l’Association après celui constitutif tenu à Paris en 1997.

C’était assurément un moment fort, inoubliable, qui a sans doute constitué une étape décisive dans la marche vers la consolidation de l’État de Droit et de la démocratie dans l’espace francophone.

Cette confiance ainsi placée dans notre pays, et à travers lui, dans sa juridiction constitutionnelle, lui a été renouvelée par les présidents des Cours et Conseils qui, lors du IVe Congrès de l’Association tenue à Paris en novembre 2006, ont unanimement décidé de revenir à Libreville pour y organiser la Ve Conférence des chefs d’institution.

Il m’est donc agréable, Chers collègues, Mesdames, Messieurs les chefs d’institution, de vous souhaiter ainsi qu’aux autres participants, au nom des membres de la Cour constitutionnelle, de leurs collaborateurs et en mon nom personnel, une cordiale bienvenue à Libreville.

Monsieur le Premier ministre, chef du Gouvernement,

Nous tournant vers vous, nous voulons vous prier de bien vouloir transmettre à Monsieur le Président de la République, chef de l’État, Son Excellence El Hadj Omar Bongo Ondimba, les sincères remerciements du monde constitutionnel francophone, non seulement pour avoir accueilli favorablement le choix des chefs d’institution membres de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels des pays ayant en partage l’usage du français de tenir les présentes assises au Gabon, mais aussi pour avoir accepté de présider la cérémonie d’ouverture de notre Conférence.

Ce qui témoigne de l’intérêt qu’il accorde aux missions dévolues aux Cours et Conseils constitutionnels, à savoir assurer l’équilibre des pouvoirs et garantir les droits fondamentaux et les libertés publiques, et les conforte dans leur volonté de poursuivre leur mission avec toujours plus de détermination.

Certes, son calendrier de travail très chargé ne lui a pas permis de présider personnellement cette cérémonie. C’est la raison pour laquelle il vous a délégué, vous, Monsieur le Premier ministre, chef du Gouvernement. Nous aimerions donc vous dire combien votre présence effective honore les chefs d’institution membres de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels des pays ayant en partage l’usage du français.

Soyez-en sincèrement remercié.

Nous voudrions associer à ces remerciements les membres de votre Gouvernement ainsi que les présidents des institutions constitutionnelles pour leur présence à cette cérémonie et pour leur soutien multiforme au succès de cette rencontre.

Qu’il nous soit permis de remercier également tous ceux, ici présents, qui, à différents titres, sont venus nous témoigner leur estime.

Mesdames, Messieurs les Chefs d’institution,

Accueillir aujourd’hui sur notre sol autant de sommités et praticiens du droit constitutionnel venus de tous les horizons du monde francophone, dont certains, il convient de le souligner, n’ont pas le français comme langue de travail, et dont d’autres découvrent pour la première fois le Gabon, est ressenti par les membres de la Cour constitutionnelle comme une reconnaissance et un hommage rendu à leur juridiction, pour sa disponibilité et le rôle qu’elle ne cesse de jouer dans le peloton des juridictions constitutionnelles francophones.

Au-delà de ces considérations, l’organisation renouvelée de telles assises dans notre pays offre l’opportunité au citoyen gabonais de s’instruire, de s’imprégner des procédures applicables devant nos juridictions et de mieux appréhender les subtilités de la justice constitutionnelle. À cet égard, il y a lieu de relever que depuis la ré-instauration de la démocratie pluraliste, notre Constitution a fait du citoyen gabonais un élément moteur dans la garantie de ses droits et libertés comme dans la consolidation de l’État de droit, en ce qu’il peut directement ou indirectement saisir le juge constitutionnel lorsqu’il estime qu’une loi ou un acte réglementaire viole ses droits et libertés ou encore que l’une de ces normes est contraire à la Constitution.

Pour la Cour constitutionnelle de la République gabonaise, il ne fait pas de doute que les présentes assises, comme du reste les précédentes, seront une occasion de plus d’échanger et de s’enrichir des expériences des autres juridictions de l’espace francophone.

Mesdames, Messieurs membres des juridictions constitutionnelles,

L’intérêt majeur de l’ organisation des réunions de notre Association est incontestablement de soumettre chaque fois à notre réflexion un thème nouveau et porteur, en rapport avec les missions dévolues à nos Cours et Conseils.

Il vous souviendra que pour le Congrès constitutif de notre Association tenu à Paris en 1997, nous avions retenu pour thème « Le principe d’égalité ».

À l’occasion du deuxième Congrès qui s’est réuni à Libreville en 2000, notre réflexion a porté sur « L’accès au juge constitutionnel : modalités et procédures ».

Au Congrès suivant, à Ottawa en 2003, nous nous sommes penchés sur le thème de «La fraternité.»

Par ailleurs, toujours dans le souci de débattre de problèmes de fond qui préoccupent nos juridictions, nous avons pris soin d’inscrire aux programmes des Conférences des chefs d’institution de notre association, des sujets de discussion d’égal intérêt.

Ainsi, à titre d’illustration, nous relèverons qu’à Djibouti, il avait été question de la problématique « Des conflits de compétences entre les Cours suprêmes et les juridictions constitutionnelles » ; qu’à Bucarest, nous avons examiné le thème passionnant de « L’indépendance des juges et des juridictions ».

Aujourd’hui, dans le cadre de la présente conférence, nous allons aborder un autre thème tout aussi passionnant, celui de « La proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle ».

Pour paraphraser Blaise Pascal, nous dirions que le concept de proportionnalité est partout, et le principe nulle part.

En effet, le principe de proportionnalité n’est pas expressément consacré dans la plupart de nos Constitutions, encore moins dans les normes internationales auxquelles elles font référence et qui forment avec elles le bloc de constitutionnalité.

Néanmoins, ce principe, même s’il apparaît comme une notion juridique insaisissable, se déduit de certaines dispositions constitutionnelles ou légales lorsqu’elles mentionnent par exemple de manière presque itérative que la jouissance des droits et libertés d’autrui doit s’accommoder du respect des droits et libertés d’autrui et de celui nécessaire de l’ordre public ou de l’intérêt général.

Il s’agit pour le juge de mettre en balance l’utilité d’une mesure pour la collectivité publique et la restriction apportée aux droits individuels et aux libertés publiques. Les juridictions constitutionnelles, dans leur rôle de garant de ces droits et libertés, doivent donc veiller à ce que la jouissance par les citoyens de leurs droits et libertés soit pleine et entière. Et que les pouvoirs publics compétents, tirant argument de la nécessaire protection de l’ordre public et de l’intérêt général, n’en viennent à heurter le principe de proportionnalité en altérant l’économie des droits et des libertés individuels, c’est-à-dire en allant au-delà de ce qui est nécessaire, raisonnable ou justifié.

Mesdames, Messieurs les participants,

Vous avez, pour la plupart, effectué un long voyage pour venir jusqu’à Libreville. Certains sont partis d’Amérique, d’autres, d’Europe ou d’Afrique. Entre les attentes interminables dans les aéroports, les nombreuses correspondances d’avion, les décalages horaires, et j’en passe, vous avez souvent dû perdre patience, sinon vous épuiser physiquement.

Après quelques heures de repos, vous voici déjà au travail, travail qui nécessite concentration et réflexion.

Connaissant nos capacités et notre engouement dans ce domaine, nous demeurons convaincus que comme à l’accoutumée, l’immensité de la tâche n’aura pas raison de notre détermination, qu’en d’autres termes, les conclusions auxquelles aboutiront nos travaux seront bénéfiques notamment à nos juridictions qui, comme on le sait, ont la lourde et exaltante mission de garantir les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

Mesdames, Messieurs les participants,

Tout en vous réitérant nos souhaits de bienvenue, nous vous souhaitons un agréable séjour en terre gabonaise.

Nous vous remercions.

président du Conseil constitutionnel du Burkina Faso, président de l’ACCPUF

Monsieur le Premier ministre, Chef du Gouvernement, représentant Son Excellence Monsieur le Président de la République gabonaise, chef de l’État,

Madame le Président de la Cour constitutionnelle de la République gabonaise,

Messieurs les Présidents des institutions constitutionnelles de la République gabonaise,

Mesdames, Messieurs les membres du Gouvernement,

Mesdames, Messieurs les Présidents des Cours et Conseils constitutionnels,

Excellence, Mesdames, Messieurs les Chefs de missions diplomatiques et les Représentants des organisations internationales.

Distingués invités,

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes réunis aujourd’hui à Libreville, à l’occasion de la Ve conférence des chefs d’institution de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels ayant en partage l’usage du français (ACCPUF).

En cette circonstance, il me plaît d’exprimer en votre nom, en celui du Bureau et au mien propre, notre respectueuse considération et nos vifs remerciements à Monsieur le Premier ministre, chef du Gouvernement, représentant Son Excellence Monsieur le Président de la République gabonaise, Chef de l’État, pour avoir accepté de présider personnellement la séance solennelle d’ouverture de notre conférence.

Monsieur le Premier ministre, votre présence parmi nous est l’expression de l’estime que vous portez aux institutions membres de l’ACCPUF.

Mes remerciements s’adressent également aux hautes autorités politiques, judiciaires et administratives gabonaises et particulièrement à Madame Marie Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle du Gabon, aux conseillers et à l’ensemble du personnel de ladite Cour, sans oublier les membres du comité d’organisation, pour l’accueil combien chaleureux qui nous a été réservé dès que nous avons foulé le sol de votre beau pays.

Je tiens à préciser que la Cour constitutionnelle du Gabon est membre fondateur de l’ACCPUF et qu’en outre elle a déjà offert son hospitalité aux membres de notre association, à l’occasion de son deuxième Congrès, tenu à Libreville, les 14 et 15 septembre 2000.

Je voudrais aussi assurer de ma considération les chefs d’institution et les conseillers des Cours et Conseils membres de notre association et à leur rendre hommage pour leur rôle dans le renforcement du droit et des institutions constitutionnelles de nos pays respectifs.

Créée le 10 avril 1997, l’ACCPUF est dans sa 12e année. En 11 ans d’existence, notre association s’est donnée pour mission de favoriser les liens entre les Cours et Conseils constitutionnels membres pour assurer la défense et la promotion des idéaux démocratiques.

Ainsi, nos institutions, réunies autour de valeurs communes et du partage du français, ont su, au cours des années, conjuguer leur synergie, afin de renforcer les garanties juridictionnelles et d’assurer un meilleur respect des droits fondamentaux dans nos pays.

Monsieur le Premier ministre,

Honorables invités,

Cette conférence est la cinquième réunion des chefs d’institution et la vingt-cinquième rencontre organisée par l’ACCPUF.

À cet égard, il me plaît de rappeler que l’ACCPUF a publié plus d’une douzaine de bulletins et d’ouvrages, aidé plus d’une dizaine de juridictions et développé son site Internet, véritable vitrine des activités des institutions membres.

Elle est donc une association très dynamique du fait des activités régulières de ses membres.

Depuis sa création, notre association a régulièrement tenu ses rencontres, successivement à Paris en 1997, à Beyrouth en 1998, à Libreville en 2000, à Djibouti en 2002, à Ottawa en 2003, à Bucarest en 2005, de nouveau à Paris en novembre2006.

Et après la réunion du Bureau à Bucarest en 2007, nous nous sommes enfin réunis à Strasbourg, en novembre 2007, à l’occasion du sixième séminaire des correspondants nationaux, lequel séminaire a été, non seulement, un lieu de formation à « la base de données CODICES », mais également un lieu d’échanges entre les participants sur le thème de la « communication dans les Cours constitutionnelles et institutions assimilées ».

Honorables membres de l’ACCPUF,

Votre massive participation à cette cinquième conférence constitue pour nous une preuve supplémentaire de votre dynamisme et démontre que la coopération renforce nos forces individuelles et collectives.

Et aujourd’hui, sans verser dans l’autosatisfaction, nous pouvons estimer que nos efforts, dans le sens de la consolidation des acquis de l’espace de solidarité que constitue l’ACCPUF, sont louables en ce qu’ils ont permis à chacune de nos Cours de jouer un rôle efficient dans le renforcement des fondements de l’État de droit, la garantie des droits fondamentaux, l’interprétation des dispositions constitutionnelles relatives au fonctionnement des institutions, à la répartition des compétences entre les pouvoirs exécutifs et législatifs et aux missions de contrôle des élections.

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs,

Si ces résultats nous paraissent satisfaisants, nous le devons pour une bonne partie à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dont l’appui multiforme permet la tenue régulière de nos rencontres et la publication de nos travaux.

Ainsi, nous ne doutons pas un seul instant que la mise en œuvre du programme triennal 2007-2009, adopté par notre Assemblée générale tenue, à Paris, en novembre 2006, bénéficiera jusqu’à son terme du partenariat de l’OIF que nous remercions encore une fois de plus.

Les résultats sont également l’œuvre de la secrétaire générale de l’ACCPUF, j’ai nommé Madame Marie-Christine Meininger, dont l’abnégation et la disponibilité, malgré la faiblesse des ressources humaines et la charge de travail qui lui incombe au sein du Conseil constitutionnel français, sont à saluer.

Vous me permettrez, dès lors, de lui rendre un vibrant hommage ainsi qu’à l’ensemble de ses collaborateurs.

Notre gratitude va aussi à l’endroit du Conseil constitutionnel français qui abrite le siège de notre association et qui met gracieusement à notre disposition ses services.

Notre gratitude va également à la Commission de Venise du Conseil de l’Europe dont l’appui contribue sans aucun doute à une meilleure connaissance des décisions des Cours constitutionnelles de l’espace francophone.

En effet, « la base de données CODICES », créée et gérée par la Commission de Venise, est aujourd’hui riche de nombreuses décisions de Cours membres de l’ACCPUF, donnant ainsi une plus grande visibilité à nos décisions.

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs,

Lors de la IVe conférence des chefs d’institution, tenue à Bucarest, le 1er juin 2005, l’ACCPUF avait adopté une recommandation relative aux garanties en matière d’indépendance des juges et des juridictions constitutionnelles.

Par cette recommandation, l’ACCPUF avait exprimé certaines préoccupations en appelant les chefs d’État et de Gouvernement des pays dont les Cours sont membres de notre association à :

  1. tout mettre en œuvre pour que l’indépendance des juges et des juridictions puisse être concrètement assurée, notamment en respectant le principe de l’inamovibilité des juges et le principe de la séparation des pouvoirs ;
  2. permettre que les Cours constitutionnelles et institutions similaires puissent exercer pleinement leurs compétences en assurant une saisine effective et en accordant des moyens financiers suffisants ainsi que l’autonomie budgétaire ;
  3. favoriser la formation systématique et continue des juges et des magistrats.

Ces recommandations me paraissent toujours d’actualité aujourd’hui.

Mesdames et Messieurs les chefs d’institution,

Depuis notre Assemblée générale, tenue à Paris, en novembre 2006, et au cours de laquelle vous avez bien voulu confier la présidence de notre Association au Conseil constitutionnel du Burkina Faso, le Bureau s’est réuni à Bucarest en juin 2007 et ce matin même à Libreville.

En outre, le sixième séminaire des correspondants nationaux s’est tenu à Strasbourg en novembre 2007.

L’ ACCPUF a également contribué cette année au rapport de l’ Observatoire sur l’ état des pratiques de démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone.

Elle a enfin pris part à la réunion des représentants des réseaux institutionnels de la Francophonie qui s’est tenue à Bucarest du 19 au 21 juin 2008 sous l’égide de l’OIF.

J’ai également eu l’honneur de représenter notre Association à la célébration du vingtième anniversaire du Conseil constitutionnel de Tunisie, les 14 et 15 décembre 2007, à Tunis, ainsi qu’au quatorzième congrès de la conférence des Cours constitutionnelles européennes, tenu à Vilnius, en Lituanie, du 2 au 7 juin 2008.

Mesdames et Messieurs les Présidents des Cours et Conseils constitutionnels,

Je suis très heureux que nous nous réunissions aujourd’hui sur le thème de « la proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle ».

Une première approche du principe de « proportionnalité » tend à le considérer comme une condition de la constitutionnalité des restrictions apportées aux droits et libertés. Il sert à doser les exigences contradictoires et à concilier l’intérêt général avec les libertés fondamentales.

Rarement consacré par les textes de lois, il est en général déduit de l’interprétation des dispositions constitutionnelles expresses.

Cette approche n’est toutefois pas exclusive.

Ainsi, ce concept et sa mise en œuvre peuvent se traduire par l’erreur manifeste d’appréciation, la disproportion manifeste ou les atteintes excessives, etc.

Comme le rappelle l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à l’instar de l’article 12 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques de 1976, les droits et libertés ne sont pas sans limites.

Ces limites se justifient généralement pour protéger des droits ou des principes propres à la collectivité étatique.

En effet, il revient souvent aux Cours constitutionnelles et institutions assimilées d’exercer un contrôle de proportionnalité entre le droit garanti et un intérêt public.

Il s’agit alors pour la Cour, de contrôler l’adéquation des moyens au but recherché et de vérifier le caractère équilibré ou proportionné entre les exigences constitutionnelles et l’intérêt général.

En d’autres termes, la logique et l’impact intégral du contrôle constitutionnel, le sens des valeurs garanties par la loi ainsi que la recherche de leur équilibre harmonieux sont les objectifs communs à la recherche desquels les Cours et Conseils constitutionnels interprètent et appliquent la Constitution de chaque pays.

Le travail créatif authentique de chaque Cour ou Conseil constitutionnel doit tendre à garantir la relation adéquate entre la stabilité du contrôle constitutionnel et la réalité sociale dynamique.

Il est généralement admis que toute restriction aux droits et libertés doit remplir trois conditions :

  1. avoir une base légale (loi ou texte réglementaire) ;
  2. poursuivre un but légitime tel la sécurité nationale, la protection de la morale ou des droits et libertés d’autrui ;
  3. être une mesure nécessaire dans une société démocratique.

C’est dire que l’on peut attendre beaucoup des rapports et des échanges sur ce thème qui, à l’analyse, se situe au cœur de l’activité des Cours et conseils constitutionnels et de l’œuvre de justice dans son ensemble.

C’est l’objet des réponses des Cours et Conseils constitutionnels au questionnaire sur le principe de proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle, réponses nombreuses et particulièrement développées, signe de la richesse et de la diversité juridique dans l’espace francophone.

Chers participants,

Distingués invités,

Cette cinquième conférence des chefs d’institution sera donc une nouvelle occasion d’échanger entre nous et de débattre sur nos droits, nos idées et nos pratiques respectives.

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs,

Je terminerai mon propos sur la ferme conviction que les rencontres de l’ACCPUF constituent et constitueront toujours des occasions irremplaçables d’échanges d’expériences qui permettent de faire des progrès notables dans la consolidation de l’État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux.

Et tout en renouvelant mes remerciements à Monsieur le Premier ministre, ainsi qu’à Madame Marie Madeleine Mborantsuo, pour avoir accepté de nous accueillir si chaleureusement ici à Libreville, je souhaite pleins succès à vos travaux.

Je vous remercie pour votre aimable attention.

 

1. Travaux de la Conférence des Chefs d’institution

Synthèse des réponses au questionnaire

Marie-Christine Meininger

Secrétaire générale de l’ACCPUF

En présentant cette synthèse des réponses au questionnaire sur le principe de proportionnalité, je tiens à rendre hommage à la contribution que vous avez apportée à nos travaux. Vingt-cinq Cours[1] ont répondu au document qui leur avait été adressé par le secrétariat général de l’ACCPUF. Ces réponses fournissent une matière extrêmement riche et stimulante.

L’image du principe de proportionnalité qui apparaît à la lecture des réponses est paradoxale et contrastée.

Paradoxale, car le principe de proportionnalité, dont l’existence est parfois niée, est à la fois partout et nulle part. Rarement consacré par les textes constitutionnels, ce principe est le plus souvent implicite, déduit par le juge des dispositions qui garantissent les droits et libertés ou qui encadrent les restrictions susceptibles de leur être apportées.

Contrastée, car cette image reflète la diversité des compétences et des conditions de saisine des Cours membres de l’ACCPUF. Certaines d’entre elles s’y réfèrent très fréquemment, quasi quotidiennement, d’autres ont peu d’occasions de l’invoquer à l’appui de leur raisonnement.

J’articulerai mon propos sur le plan du questionnaire et présenterai quelques éléments sur les sources constitutionnelles de ce principe pour évoquer ensuite la façon dont s’exerce le contrôle de proportionnalité.

I. Un principe implicite, dont l’existence est le plus souvent déduite des textes fondamentaux ou de la formulation de certains droits

A. La plupart des constitutions ne mentionnent pas expressément le principe de proportionnalité. Les exceptions sont peu nombreuses

En Suisse, la Constitution du 18 avril 1999 le consacre expressément en ces termes : « L’activité de l’État doit répondre à un intérêt public et être proportionnée au but visé » (art. 5). Le principe de proportionnalité est énoncé comme un des principes fondamentaux de l’État de droit, et considéré comme limitation de l’activité de l’État ; il en va de même de certaines constitutions cantonales, récemment révisées. On peut citer également la Constitution de l’Albanie (art. 17), celle du Burundi (art. 19), de la Roumanie (art. 53).

Si le principe de proportionnalité n’est pas consacré expressément, on peut notamment déduire son existence :

  • du Préambule de la Constitution camerounaise;
  • de l’article 1er de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit « les droits et libertés qui y sont énoncés ; ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique »
  • du Préambule de la Constitution du Congo Brazzaville portant consécration de l’État de droit, à la lumière duquel on peut considérer que certaines dispositions font implicitement place au principe de proportionnalité ;
  • du Préambule de la Constitution française (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Charte de l’environnement) ;
  • de l’article 14 de la Constitution du Togo.

Certaines Cours considèrent que l’on est en présence d’un « principe objectif qui obéit à une exigence de rationalité juridique et n’a besoin d’aucun texte » (Congo Brazzaville).

Le plus souvent, on déduit l’existence du principe de proportionnalité de la formulation de certains droits. On peut citer à cet égard la Constitution du Burkina Faso, certains articles de la Constitution marocaine ou de la Constitution algérienne qui, en édictant un principe d’équilibre dans l’exercice des droits et libertés, posent les bases du principe de proportionnalité. Ce principe apparaît fréquemment comme conséquence de dispositions qui imposent soit la nécessité, soit la proportionnalité par rapport au but poursuivi, soit l’adéquation des moyens employés.

C’est donc aux Cours qu’il revient de formuler ce principe, dans leur jurisprudence, à travers le contrôle exercé en matière de droits et libertés :

  • la Cour de Belgique a intégré ce principe dans sa jurisprudence de manière prétorienne d’une part dans le contentieux des droits et libertés, plaçant ce principe au cœur de sa jurisprudence sur le principe d’égalité, d’autre part dans le contrôle de la répartition des compétences entre fédérations et entités fédérées (principe de loyauté fédérale) ;
  • la Cour de Slovénie le considère comme un principe constitutionnel non écrit;
  • jusqu’à la révision constitutionnelle de 1999, le Tribunal fédéral suisse déduisait le principe de proportionnalité de celui d’égalité, qui est à la source de nombreux principes protégeant le citoyen contre l’État.

D’autres exemples sont également fournis par l’Algérie, le Bénin, le Canada.

B. La question des sources constitutionnelles du principe de proportionnalité renvoie donc le plus souvent aux dispositions prévoyant (et encadrant) les restrictions susceptibles d’être apportées aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Les droits et libertés visés, sont souvent définis par référence aux instruments internationaux : Déclaration universelle des droits de l’homme, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, Convention relative aux droits de la femme et de l’enfant, Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Convention européenne des droits de l’homme, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ces instruments internationaux sont cités comme faisant partie intégrante de la Constitution (Burundi, Bénin, Cameroun, Madagascar, Niger par exemple).

Quelles sont les libertés dont les restrictions sont encadrées par le recours ou principe de proportionnalité ? L’examen des réponses au questionnaire montre que le champ est très large. La plupart des droits fondamentaux y figurent :

  • droits de la personne, liberté individuelle, inviolabilité du domicile, secret des correspondances, droit à la vie privée, droit au plein développement de la personne ;
  • libertés d’opinion, d’expression, d’association, de réunion, de communication audiovisuelle, de la presse ;
  • droit de propriété, liberté du commerce et de l’industrie, liberté de création de groupements économiques et de sociétés (liberté d’entreprendre) ;
  • liberté de création de partis politiques, droit de grève;
  • droit à la culture…

Face à ces droits et libertés, quels sont les intérêts en balance ?

Les seules restrictions ou dérogations qui peuvent être apportées aux droits énoncés doivent être fondées sur « un intérêt public, la protection d’un droit fondamental d’autrui, un danger sérieux, direct et imminent » ; cet énoncé de la Constitution helvétique résume bien la problématique : « toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé » (art. 36).

On retrouve des formulations comparables en Albanie, au Burkina Faso, au Burundi, au Cameroun, à Madagascar par exemple.

La plupart des textes fondamentaux se réfèrent à la sécurité, la souveraineté nationale, l’intégrité du territoire, la sauvegarde de l’ordre public ; certains ajoutent la protection contre une menace imminente, ou la lutte contre les épidémies, la protection de la jeunesse (Sénégal), la paix sociale.

La Constitution sénégalaise mentionne l’absence d’atteinte à l’honneur et à la considération d’autrui, celles de Madagascar, du Congo-Brazzaville, du Niger : le respect des bonnes mœurs, la Constitution marocaine : les « exigences du développement social de la Nation ».

Il faut enfin citer la nécessité publique (en matière d’atteinte au droit de propriété), la liberté du travail, la nécessité de ne pas mettre l’entreprise en péril (en matière de droit de grève).

De façon générale, le contrôle de proportionnalité entre le droit garanti et l’intérêt général ainsi que la conciliation entre droits et libertés à valeur constitutionnelle font partie du contrôle de constitutionnalité dans de nombreux pays.

II.La mise en œuvre du contrôle de proportionnalité

A. On a souligné le rôle primordial du juge et du pouvoir normatif de la jurisprudence qui fait du principe de proportionnalité « un principe constitutionnel général » (Slovénie). Toutefois, les développements jurisprudentiels sont tributaires des conditions de saisine et des opportunités qui en découlent pour le juge.

L’ influence du droit comparé est évidente. Nombre de réponses évoquent la jurisprudence des Cours membres de l’ACCPUF, de la Commission de Venise, les jurisprudences allemande, canadienne, française mais aussi celle de la CEDH, citées comme sources d’inspiration.

C’est fréquemment à l’occasion de la mise en œuvre du principe d’égalité ou plus précisément de l’examen des atteintes à ce principe, qu’apparaît le contrôle de proportionnalité.

B. Que le contrôle de proportionnalité soit implicite (Algérie, Bénin, Gabon, Haïti, Madagascar, Maroc) ou explicite (Albanie, Belgique, Sénégal, Slovénie), qu’il soit pratiqué de manière courante (Belgique, Slovénie, Suisse) ou exceptionnelle (Haïti, Congo-Brazzaville, Madagascar, Maroc, Niger, RCA), le raisonnement sur lequel il repose comporte les mêmes éléments que l’on retrouve rarement en totalité ; la présence d’un ou deux de ces éléments suffit à caractériser le processus.

Le point de départ est la référence à l’objectif légitime poursuivi par le législateur.

Au regard de cet objectif, le juge peut être appelé à opérer ce que l’on appelle le « triple test » c’est-à-dire le contrôle :

  • d’adéquation de l’existence d’un rapport raisonnable;
  • de nécessité;
  • de proportionnalité au sens strict.

Dans le célèbre arrêt Oakes, de 1986, la Cour suprême du Canada après avoir appliqué le triple test, pose un considérant de principe selon lequel les mesures portant atteinte aux libertés ne doivent être ni « arbitraires, ni irrationnelles, ni inéquitables ».

Sous des formulations différentes, la jurisprudence citée fait apparaître un champ d’application très large. Ne pouvant reprendre ici les nombreux exemples fournis par les Cours dans les rapports nationaux, je me bornerai à quelques illustrations de la diversité et de la richesse de leur jurisprudence.

–La Cour constitutionnelle d’Albanie a examiné, en 2005, la loi de restitution de biens. Ce texte, contesté par les anciens propriétaires, ne prévoyait qu’une restitution partielle des biens expropriés sous le régime communiste. « Considérant que la restitution devra être effectuée de manière à ce qu’elle n’autorise pas de nouvelles injustices », la Cour a validé la non intégralité de la restitution au nom de l’intérêt public et du principe d’égalité. Elle a estimé que le principe de proportionnalité obligeait à prendre en compte les intérêts des personnes expropriées et à les mettre en balance avec ceux de toutes les personnes de la société.

–La Cour du Niger, saisie par voie d’exception de la loi réglementant la profession d’avocat en 2006, s’est référée de manière implicite au principe de proportionnalité pour valider les dispositions prévoyant la non inscription au tableau des avocats faisant l’objet de poursuites pénales pour des faits contraires à la probité et à l’honneur. Elle a estimé que ces dispositions n’étaient pas disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi, à savoir « faire cesser le trouble que causerait, au sein des juridictions, la présence d’auxiliaires de justice poursuivis pour des faits apparemment illicites et qui n’en continueraient pas moins à plaider ».

–Pour sa part, le Conseil constitutionnel marocain s’est prononcé à plusieurs reprises sur les droits et devoirs des candidats aux élections ainsi que sur ceux qui incombent aux élus. Il a, en 1995, censuré des dispositions du règlement de l’Assemblée relatives aux mesures disciplinaires prises à l’encontre de membres du Parlement, qu’il a considérées comme disproportionnées. Il a, en revanche, validé en 2002 les obligations imposées aux candidats sans appartenance politique, après les avoir comparées aux obligations imposées aux autres candidats.

–La Cour constitutionnelle de Roumanie enfin fournit plusieurs illustrations de la mise en œuvre du principe de proportionnalité. Statuant en 2000 sur la législation relative aux interceptions et écoutes téléphoniques, elle a vérifié attentivement que l’atteinte portée à la vie privée était conditionnée par l’existence d’indices rigoureux sur la préparation ou la commission d’une infraction et l’utilisation de ces écoutes afin de contribuer à l’établissement de la vérité. Les dispositions contestées ont été validées. Elle a appliqué le même raisonnement pour valider l’instauration de mesures de sûreté à l’encontre de malades mentaux présentant un péril pour la société.

*

S’il est difficile d’apprécier les conséquences du contrôle de proportionnalité, il est cependant permis d’en relever l’ambivalence.

Pour les uns, ce contrôle a pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire du législateur ; pour les autres au contraire, il s’agit d’un moyen pour le juge de restreindre son propre contrôle afin de ne pas se substituer au législateur. « Trop souvent le contrôle de constitutionnalité se réduit à un contrôle de proportionnalité » note au demeurant le Tribunal fédéral helvétique.

La plupart des Cours en revanche s’accordent à souligner la difficulté de l’exercice qui implique une gradation selon les droits et libertés susceptibles d’être atteints ainsi qu’une délicate pesée des intérêts en cause.


  • [1]
    Albanie, Algérie, Belgique, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Canada, Comores, Congo-Brazzaville, France, Gabon, Guinée, Haïti, Madagascar, Maroc, Monaco, Mozambique, Niger, RCA, Roumanie, Sénégal, Slovénie, Suisse, Togo.  [Retour au contenu]

Le contrôle du principe de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français

Jacqueline de Guillenchmidt

Membre du Conseil constitutionnel français

Chargé notamment de veiller au respect par le législateur des libertés et droits fondamentaux garantis constitutionnellement, le Conseil constitutionnel a régulièrement recours à la technique du contrôle de proportionnalité.

La proportionnalité peut se définir comme un rapport de corrélation entre deux ou plusieurs éléments. Pour être « proportionné », ce rapport doit aboutir à un résultat équilibré, mesuré, raisonnable. En matière de contrôle de la conformité de la loi à la norme constitutionnelle, le principe de proportionnalité doit être entendu comme l’adéquation de la norme législative à l’objectif poursuivi ou comme l’équilibre entre l’atteinte portée à un droit et l’intérêt général.

Il s’agit à l’évidence d’un principe particulièrement mouvant, impossible à définir dans l’absolu et nécessairement contingent dans la mesure où il ne peut être appréhendé indépendamment du contexte géographique ou temporel, de la situation économique, sociale ou politique dans lesquels il s’inscrit.

Bien que n’ayant jamais été clairement défini par la loi ou par la jurisprudence, le contrôle du respect par le législateur du principe de proportionnalité est sans doute la pierre angulaire du contrôle de constitutionnalité. Il est sous-jacent, sans être clairement exprimé, dans la plupart des décisions du Conseil constitutionnel : c’est donc un contrôle nécessaire (I). Ce contrôle est cependant plus ou moins approfondi selon les principes en cause (II).

I. Un contrôle nécessaire : fonctions et domaine d’application

C’est parce que le principe de proportionnalité sert de multiples objectifs (A) que son contrôle intervient dans des domaines variés (B).

A. Les diverses fonctions du principe de proportionnalité

Selon les éminents professeurs Mathieu et Verpeaux[1], le principe de proportionnalité est principalement utilisé dans trois hypothèses. Il est un instrument de conciliation entre principes constitutionnels concurrents, il peut représenter une condition du respect d’un principe constitutionnel, enfin il est parfois un principe constitutionnel en lui-même. Selon ces auteurs, le principe de proportionnalité est ainsi l’instrument qui permet de vérifier que le législateur « a réalisé un équilibre entre les exigences constitutionnelles impliquées qui ne conduise à la dénaturation d’aucune d’entre elles »[2].

La pertinence de cette théorisation des fonctions du principe de proportionnalité est vérifiée par une analyse de certaines décisions récentes du Conseil constitutionnel.

–Le principe de proportionnalité est, tout d’abord, un instrument de conciliation entre principes constitutionnels concurrents. Il s’agit de la fonction la plus courante du principe de proportionnalité.

En vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Lorsque des droits ou libertés garantis par le bloc de constitutionnalité se trouvent en concurrence, le législateur est parfois conduit à privilégier certains d’entre eux. En l’absence de hiérarchisation entre ces divers droits, ce que le Conseil n’a jamais admis, les limitations susceptibles d’être apportées aux uns résultent le plus souvent de nécessités inhérentes à l’exercice d’autres droits de valeur équivalente ou encore de la préservation de l’intérêt général. Le législateur procède alors à un travail de conciliation entre les principes constitutionnels susceptibles d’entrer en conflit. C’est cette conciliation que contrôle le Conseil constitutionnel lorsqu’il est saisi de la loi en cause.

Les différentes lois intervenues en matière de lutte contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 en offrent un bon exemple, notamment la loi sur la sécurité intérieure, qui a donné lieu à la décision du Conseil du 13 mars 2003[3]. Le législateur avait, en effet, prévu de nouvelles règles facilitant la fouille des véhicules à l’arrêt, circulant ou en stationnement sur la voie publique, notamment pour prévenir certaines infractions liées au terrorisme, en des lieux et pour une période déterminés. La requête des parlementaires saisissants reprochait à ces dispositions de porter une atteinte excessive à la liberté d’aller et venir et au respect de la vie privée.

Après avoir rappelé les exigences constitutionnelles que constituent le respect de l’ordre public qui se déduit de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[4] , qui érige la sûreté en droit imprescriptible de l’homme, et de son article 4[5], le Conseil constitutionnel a relevé dans un considérant de principe « qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d’aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l’article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l’autorité judiciaire ».

Le Conseil s’est ensuite prononcé sur le caractère équilibré de la conciliation opérée par le législateur en soulignant que les fouilles de véhicules étaient entourées de garanties nombreuses qu’il énumère dans sa décision. Il a ainsi relevé qu’il ne pourrait être procédé à ces fouilles dans les véhicules spécialement aménagés pour l’habitation ou utilisées comme résidence[6]. Le principe de proportionnalité a justifié, en l’espèce, la recherche de la confrontation des garanties des droits fondamentaux avec le but poursuivi par le législateur, ici rechercher et poursuivre les auteurs d’actes de terrorisme. C’est sur le fondement de ce principe que le Conseil a conclu que la conciliation opérée par le législateur n’était « entachée d’aucune erreur manifeste ».

–Le respect du principe de proportionnalité peut être aussi la condition même du respect d’un principe constitutionnel sans que celui-ci se trouve en concurrence avec un autre droit. La proportionnalité fait parfois partie du principe lui-même.

Ainsi l’article 8 de la DDHC est-il sans doute le seul article de la Déclaration qui pose directement un principe de proportionnalité : « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (…) ». Il en résulte que le législateur ne peut établir que des peines proportionnées aux faits qu’elles visent à punir.

En 1996, le législateur avait, par exemple, défini l’acte terroriste par la combinaison entre certains crimes ou délits de droit commun strictement énumérés (blanchiment, homicide volontaire, association de malfaiteurs…) et une « entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Dans sa décision du 16 juillet 1996[7] , le Conseil a censuré la disposition qui faisait entrer dans cette liste le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier des étrangers[8] en jugeant qu’il était disproportionné de faire entrer ce délit dans la liste des actes de terrorisme et de soumettre ainsi la personne poursuivie de ces faits aux règles de procédure sévères édictées par ailleurs pour les actes de terrorisme. Le Conseil souligne que l’aide au séjour irrégulier est une infraction autonome qui peut être poursuivie indépendamment de l’acte de terrorisme et selon les règles de procédure pénale de droit commun.

La recherche de la proportionnalité de la loi est ici absolue : il ne s’agit pas de hiérarchiser un principe au regard d’un autre, mais plutôt de caractériser la condition d’application du principe.

–Le Conseil constitutionnel tend aussi à regarder le principe de proportionnalité comme un principe constitutionnel en lui-même, même en l’absence de concurrence entre des droits fondamentaux. De façon transversale et en toute matière, le législateur doit observer une proportionnalité suffisante entre les mesures qu’il prend et les buts qu’il poursuit. Aucun texte constitutionnel, cependant, ne consacre expressément un tel principe, règle non écrite qui doit être observée en toutes matières.

Le Conseil constitutionnel a ainsi appliqué le principe de proportionnalité de manière autonome dans sa décision sur le « contrat première embauche »[9] dont le projet avait suscité une vive agitation sociale. Dans le but de favoriser l’emploi des jeunes, le gouvernement avait souhaité créer de nouvelles modalités de contrat de travail selon lesquelles, notamment, le licenciement intervenu dans les deux ans de la signature du contrat n’exigerait pas de motivation. Examinant la proportionnalité entre cette absence de motivation et la lutte contre le chômage des jeunes, le Conseil a jugé que ces modalités n’étaient pas « manifestement inappropriées à la finalité poursuivie[10] ».

Ces trois utilités du principe de proportionnalité peuvent coexister : principe transversal, il peut en même temps aider à résoudre le conflit entre deux droits ou libertés et être la condition du respect d’une exigence constitutionnelle.

B. Les domaines d’utilisation variés du principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité est utilisé dans tous les domaines où la loi interagit avec des garanties fondamentales protégées par la Constitution. Il met ainsi en balance les principales exigences de valeur constitutionnelle, telles que l’ordre public[11] ou le respect de la vie privée[12].

Il a, par exemple, permis de protéger le droit de grève tout en le conciliant avec la sauvegarde de l’intérêt général[13]. Après avoir visé l’article 7 du Préambule de la Constitution selon lequel « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », le Conseil constitutionnel a en effet relevé que « les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ». Dans la même décision, le Conseil a également confronté le droit de grève à la continuité du service public[14]. Le contrôle de proportionnalité vise ainsi à équilibrer des garanties constitutionnelles entre elles, en définissant leurs limites réciproques.

Le principe de proportionnalité permet également de concilier un droit-liberté, comme la liberté d’entreprendre avec un objectif à valeur constitutionnelle, comme la sauvegarde de l’ordre public[15], ou encore un droit-créance tel le droit de mener une vie familiale normale et un objectif de valeur constitutionnelle comme la sauvegarde de l’ordre public[16]. Dans ces hypothèses, le Conseil, de manière très pragmatique, met en balance les principes en jeu sans nécessairement les hiérarchiser mais en vérifiant que le législateur les a conciliés de manière efficace et raisonnable.

II. Des modalités d’application différenciées

Le contrôle opéré par le Conseil sur le respect du principe de proportionnalité par le législateur est gradué : tantôt il opère un contrôle dit « entier », il recherche alors si les trois critères d’appréciation de la proportionnalité sont réunis, tantôt il opère un contrôle dit « restreint » et il ne contrôle pas l’opportunité de la mesure autrement dit ses motifs. La ligne de partage n’est pas très nette entre ces deux types de contrôle mais dans les deux cas il peut utiliser pour faciliter son contrôle des techniques particulières comme les réserves d’interprétation ou la vérification de maintien de l’existence de garanties légales suffisantes pour l’exercice d’un droit ou d’une liberté (II).

A. Un contrôle « entier » ou un contrôle « restreint »
a) Contrôle « entier »

C’est dans sa décision du 21 février 2008 sur la loi relative à la rétention de sûreté[17] que le Conseil constitutionnel a pour la première fois expressément décliné les trois composantes du principe de proportionnalité : l’adéquation, la nécessité et la proportionnalité proprement dite. Il ne relevait jusqu’à cette date que les deux dernières composantes de ce principe. Cette évolution est directement inspirée de la pratique de la Cour fédérale allemande ou encore de celle de la Cour des Justices des Communautés Européennes.

La loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté présentait un terrain particulièrement propice à l’application du principe de proportionnalité en raison des conflits potentiels qu’elle présentait entre différents droits et libertés fondamentaux. Le Conseil constitutionnel a admis la nature de mesure de sûreté – et non de sanction punitive – de la rétention de sûreté[18], au regard du but préventif de la mesure. Il a ensuite confronté cette mesure au principe, résultant des articles 9 de la DDHC[19] et 66 de la Constitution[20], selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire, principe qui porte en lui-même le principe de proportionnalité, comme l’article 8 relatif à la nécessité des peines[21].

Le Conseil constitutionnel a jugé que toute mesure de privation de liberté à titre de mesure de sûreté doit obéir à une triple condition d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité, le Conseil a ainsi énoncé ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « triple test » de proportionnalité[22] .

Ce triple test exige, tout d’abord, de s’assurer de l’adéquation de la mesure : est-elle adaptée aux finalités poursuivies par le législateur ? En l’espèce, elle a été appréciée au regard des crimes très graves punis d’au moins 15 ans de réclusion criminelle qui en permettent le prononcé et à l’état dangereux avéré des personnes qui en font l’objet. Le Conseil constitutionnel a ainsi constaté, dans sa décision, que cette mesure devait être réservée aux personnes présentant une particulière dangerosité caractérisée par un trouble grave de la personnalité et une probabilité très élevée de récidive. Le Conseil a ainsi relevé que la rétention de sûreté devait être « en adéquation » avec cet état. Selon lui, l’état de dangerosité doit être établi par le refus opposé par le détenu aux soins susceptibles d’être dispensés pendant la durée de la détention et par une observation de la personne pendant six semaines au moins avant sa sortie dans un centre spécialisé. Le Conseil a donc conclu qu’en raison de ces garanties, la rétention de sûreté était « en adéquation » avec l’état dangereux en raison d’un trouble grave de la personnalité.

La mesure doit ensuite être « nécessaire » au regard de l’ensemble des dispositions existantes poursuivant la même finalité. En l’espèce, l’état de dangerosité étant avéré, aucune autre mesure moins attentatoire à la liberté ne devait être suffisante, ni l’inscription sur le fichier judiciaire national automatisé des infractions sexuelles ou violentes, ni le port du bracelet électronique mobile pour prévenir le renouvellement de l’infraction, notamment.

Enfin, la mesure doit être « proportionnelle » au sens strict. En l’espèce, il s’agissait d’évaluer si le rapport entre l’atteinte à la liberté individuelle, dont l’autorité judiciaire est la garante, et l’objectif de prévention de la récidive était équilibré. Le Conseil a énuméré toutes les garanties procédurales qui entourent la rétention de sûreté, notamment la place faite à l’autorité judiciaire, et a considéré que « le législateur a[vait] assorti la procédure de placement en rétention de garanties propres à assurer la conciliation qui lui incombe entre d’une part, la liberté individuelle dont l’article 66 de la Constitution confie la protection à l’autorité judiciaire et, d’autre part, l’objectif de prévention de la récidive poursuivi »[23]. Évoquant le caractère nécessaire de la rétention de sûreté, considérée comme l’unique moyen de prévenir la récidive, le Conseil a ainsi estimé que le grief tiré de la disproportion entre le renouvellement sans limitation de durée de la mesure de sûreté et la prévention de la récidive devait être écarté.

On peut penser que lorsqu’il exercera un contrôle entier de proportionnalité, ce « triple test » pourra être la grille d’analyse du Conseil.

b) Contrôle « restreint »

Le contrôle de proportionnalité est un moyen de garantir les droits fondamentaux en posant des limites à l’action du législateur. Néanmoins, le Conseil constitutionnel se refuse à pousser trop loin ce contrôle ce qui le conduirait à s’ériger en juge de l’opportunité des lois. Depuis sa décision du 15 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse[24], il se plaît à rappeler « qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » et «qu’il ne lui appartient donc pas de rechercher si l’objectif que s’est assigné le législateur pouvait être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi déférée ne sont pas manifestement inappropriées à la finalité poursuivie ».

De même, dans sa décision du 16 janvier 1982 en matière de nationalisation[25], le Conseil a considéré « que l’appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l’absence d’erreur manifeste, être récusée par celui-ci dès lors qu’il n’est pas établi que les transferts de biens et d’entreprises présentement opérés restreindraient le champ de la propriété privée et de la liberté d’entreprendre au point de méconnaître les dispositions précitées de la Déclaration de 1789 ».

Le Conseil ne se prononce pas sur l’opportunité des mesures prises par le législateur. En d’autres termes, son contrôle porte sur les moyens choisis par le législateur, et non sur les objectifs qu’il poursuit.

B. L’utilisation de la vérification de l’existence de garanties légales suffisantes et des réserves d’interprétation dans l’appréciation du respect du principe de proportionnalité
a) Vérification de l’existence de garanties légales

Le Conseil contrôle fréquemment si la loi n’a pas privé un principe constitutionnel de garanties légales. Récemment, dans sa décision du 27 février 2007 par laquelle il validait la loi « relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur », le Conseil rappelait « qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles »[26]. Il vérifiait ensuite que l’octroi hors appels à candidature, aux trois chaînes hertziennes privées nationales d’une chaîne en diffusion numérique supplémentaire, destinée à compenser le préjudice résultant pour ces chaînes de l’extinction anticipée de la diffusion analogique, n’était pas disproportionné eu égard à ce préjudice et aux autres obligations mises à leur charge en matière de production d’œuvres originales françaises. Enfin, la généralisation de la diffusion numérique qui est à ce prix aura pour but de « faciliter l’accès du plus grand nombre de téléspectateurs à des programmes diversifiés ; qu’il s’ensuit que loin de porter atteinte à la liberté d’expression ou au pluralisme des courants de pensée et d’opinion, les nouvelles dispositions, dans leur économie générale sont de nature à les favoriser ».

En 1989, dans le même domaine, il avait également décidé qu’« en se substituant au Conseil supérieur de l’audiovisuel pour mettre fin de manière anticipée au mandat du président des deux chaînes de télévision du secteur public, le législateur porte atteinte au principe d’indépendance des moyens de communication qui est le corollaire de la liberté de communiquer ; qu’en outre, l’article 2 de la loi a pour conséquence de priver de garanties légales l’exigence constitutionnelle que représente l’indépendance des présidents de chaîne du secteur public »[27].

b) Les réserves d’interprétation

Le Conseil constitutionnel a, également, recours aux « réserves d’interprétation », par lesquelles tout en déclarant une loi conforme à la Constitution, il ne retient sa constitutionnalité qu’à la condition que la loi soit interprétée et appliquée dans le sens qu’il prescrit. Ces réserves sont exprimées dans les motifs et rappelées dans le dispositif de la décision. Ne statuant pas in concreto, le Conseil n’est pas toujours en mesure d’opérer un contrôle complet de proportionnalité et par ses réserves d’interprétation il confie le contrôle de proportionnalité au juge qui devra appliquer la loi de telle façon qu’elle n’apporte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux par rapport aux objectifs poursuivis.

À l’occasion de l’examen de « la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité »[28], le Conseil a précisé qu’il appartiendrait aux magistrats chargés de mettre en œuvre ou de contrôler les nouvelles procédures exceptionnelles applicables à la criminalité et à la délinquance en bande organisée, de s’assurer, au cas par cas, qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de penser que les faits constituent l’une des infractions graves commises en bande organisée limitativement énumérées par le code de procédure pénale. Les besoins de l’enquête ou de l’instruction devront ainsi justifier les restrictions que ces mesures seront susceptibles d’apporter à la liberté individuelle, à l’inviolabilité du domicile ou au secret de la vie privée.

De la même manière une réserve d’interprétation peut s’adresser au pouvoir réglementaire : les textes d’application de la loi, notamment les décrets, devront se conformer aux prescriptions dégagées par le Conseil.

*

Pour conclure je voudrais me féliciter du choix d’un tel sujet comme thème de notre rencontre même si je dois avouer que cet exposé m’a demandé des efforts substantiels pour tenter de synthétiser l’application du principe de proportionnalité par le Conseil constitutionnel français.

Il demeure que ce principe m’apparaît être surtout une méthode pour faire triompher les droits fondamentaux et les concilier entre eux. Comme toute méthode elle ne vaut que par la manière dont elle est utilisée : elle exige ainsi d’être maniée avec bon sens – dont on sait depuis Descartes qu’il est également partagé entre tous les hommes.


  • [1]
    Mathieu (B.) et Verpeaux (M.), Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, p. 484 et s.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Ibid.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Déc. n° 2003-467 DC.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Art. 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme.Ces droits sont la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »  [Retour au contenu]
  • [5]
    Art. 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. »  [Retour au contenu]
  • [6]
    Déc. n° 2003-467 DC, cons. 21 à 27.  [Retour au contenu]
  • [7]
    N° 96-377 DC, Loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.  [Retour au contenu]
  • [8]
    « Considérant (…) que l’article 21 incrimine non pas des actes matériels directement attentatoires à la sécurité des biens ou des personnes mais un simple comportement d’aide directe ou indirecte à des personnes en situation irrégulière ; que ce comportement n’est pas en relation immédiate avec la commission de l’acte terroriste ; qu’au demeurant lorsque cette relation apparaît, ce comportement peut entrer dans le champ de la répression de la complicité des actes de terrorisme, du recel de criminel et de la participation à une association de malfaiteurs prévue par ailleurs ; qu’en outre la qualification d’acte de terrorisme a pour conséquence non seulement une aggravation des peines mais aussi l’application de règles procédurales dérogatoires au droit commun ; considérant que dans ces conditions, en estimant que l’infraction définie par les dispositions de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée est susceptible d’entrer dans le champ des actes de terrorisme tels qu’ils sont définis et réprimés par l’article 421-1 du code pénal, le législateur a entaché son appréciation d’une disproportion manifeste (…). »  [Retour au contenu]
  • [9]
    Déc. n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances  [Retour au contenu]
  • [10]
    Ibid., spéc. cons. n° 20.  [Retour au contenu]
  • [11]
    déc. n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 , Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 58 et62, où la liberté individuelle et celle d’aller et venir doivent être conciliées avec « ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des fins d’intérêt général ayant valeur constitutionnelle » comme « la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, nécessaires, l’une et l’autre, à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle ». V. aussi décision n° 2008-562 du 21 février 2008, cons. 13.  [Retour au contenu]
  • [12]
    V. déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi sur la sécurité intérieure, préc., cons. 21 à 27.  [Retour au contenu]
  • [13]
    V. la déc. n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail, cons. 1. V. aussi déc.n° 2001-556 DC du 16 août 2007, cons. 10.  [Retour au contenu]
  • [14]
    V. déc. n° 79-105 DC, préc., cons. 1 : « notamment en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle ».  [Retour au contenu]
  • [15]
    V. déc. n° 2006-532 DC du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, cons. 9, 10, 18 à 21.  [Retour au contenu]
  • [16]
    V. déc. n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, cons. 16  [Retour au contenu]
  • [17]
    V. déc. n° 2008-562 DC, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.  [Retour au contenu]
  • [18]
    La rétention de sûreté est une mesure de sûreté, par opposition aux peines qui ont le caractère d’une punition, créée par le législateur pour tenter d’éviter la récidive de crimes particulièrement graves, limitativement énumérés dans la loi. Elle s’applique aux personnes faisant l’objet d’une condamnation à 15 ans au moins de réclusion criminelle pour l’un de ces crimes et pour lesquelles la cour d’assises aura prévu à l’issue de leur peine, ces personnes pourront faire l’objet d’un placement dans un centre fermé (« centre socio-médico-judiciaire de sûreté »). Une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre, à terme, la fin de cette mesure doit être proposée à la personne faisant l’objet de ce placement. Sa situation est réévaluée tous les ans mais la durée n’est pas fixée à l’avance et pourra le cas échéant être perpétue  [Retour au contenu]
  • [19]
    Art. 9 de la DDHC : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée parla loi ».  [Retour au contenu]
  • [20]
    Art. 66. – Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.  [Retour au contenu]
  • [21]
    V. supra.  [Retour au contenu]
  • [22]
    V. déc. n° 2008-562 DC, préc., spéc. cons. 14 à 23  [Retour au contenu]
  • [23]
    Ibid., cons. 22.  [Retour au contenu]
  • [24]
    V. déc. n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, préc., cons.1  [Retour au contenu]
  • [25]
    V. déc. n° 81-132 DC, Loi de nationalisation.  [Retour au contenu]
  • [26]
    V. déc. n° 2007-550 DDC du 27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 4.  [Retour au contenu]
  • [27]
    V. déc. n° 86-259 DC du 26 juillet 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de  communication, cons. 3.  [Retour au contenu]
  • [28]
    V. déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 56.  [Retour au contenu]

La proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle du Cameroun

Joseph Youmsi

Conseiller à la Cour suprême du Cameroun

Dans le système de droit romano-germanique dont relève la plupart des pays francophones à l’instar du Cameroun ou de la France, le raisonnement du juge est basé sur la législation écrite, sur un texte de loi au sens général.

Dans ce contexte, la proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle pose le problème des sources de ce droit qu’il convient d’envisager avant d’en évaluer les perspectives au Cameroun.

I. Diversité et variété des sources de la proportionnalité

À sa création en France en 1958, le Conseil constitutionnel ne contrôlait la conformité des lois à la Constitution que dans son sens strict. C’est avec sa décision fondatrice sur la liberté d’association que le Conseil a consacré la valeur constitutionnelle du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 qui renvoie au Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

En 2005, une loi constitutionnelle en France, a introduit dans le Préambule de la Constitution un renvoi à la Charte de l’environnement et, désormais, selon le juriste Louis Favoreu, on peut parler en France d’un bloc de constitutionnalité regroupant un ensemble de normes au sommet de la hiérarchie des normes.

Ainsi, le bloc de constitutionnalité est constitué de l’ensemble de textes auxquels le Conseil constitutionnel a recours pour apprécier la constitutionnalité des lois.

Dans les pays qui ont opté pour le système de droit romano-germanique, le champ des normes de référence pour le contrôle de conformité à la Constitution se trouve très étendu. Il regroupe aujourd’hui de nombreuses normes intégrées dans la Constitution à travers le Préambule.

Si la proclamation solennelle du principe de proportionnalité demeure largement isolée, les sources de contrôle sont devenues très importantes par leur nombre, très riches par leurs qualités et leurs potentialités avec la reconnaissance par la Constitution ou par des dispositions de son Préambule, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de la Charte des Nations unies, de tous les instruments internationaux dûment ratifiés, notamment sur le droit économique, le droit fiscal, le droit de l’environnement, etc.

Ce vaste champ de contrôle de la proportionnalité relève tant du droit public que du droit privé. Le juge constitutionnel, tout comme les autres juges, doit y puiser son inspiration. C’est dans ce champ que le juge constitutionnel doit rechercher les moyens par lesquels il contrôlera les actes qui lui sont soumis.

Le contrôle de proportionnalité impose la recherche de l’équilibre entre les atteintes portées aux droits et libertés constitutionnels et les objectifs poursuivis par le législateur. L’étendue du contrôle exercé est en elle-même le résultat d’un équilibre entre des exigences logiques. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les éléments et les degrés de ce contrôle.

En se référant à la jurisprudence allemande et communautaire, on constate que le principe de proportionnalité et le contrôle qu’il autorise sont liés à trois exigences : toute mesure restreignant un droit fondamental doit, pour être proportionnée, satisfaire l’exigence d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité au sens strict :

  • une mesure est adéquate quand elle est appropriée. Elle doit être a priori susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation du but recherché par le législateur ;
  • la mesure doit être nécessaire: cela signifie qu’elle ne doit pas excéder soit par sa nature, soit par ses modalités, ce qu’exige la réalisation du but poursuivi, d’autres moyens appropriés qui affecteraient de façon moins préjudiciable les personnes concernées ou la collectivité, ne devant pas être disponibles ;
  • la mesure doit enfin être proportionnée au sens strict: c’est-à-dire qu’elle ne doit pas, par les charges qu’elle crée, être disproportionnée avec le résultat recherché.

Selon Moor, le principe de proportionnalité se décompose en trois règles :

«La règle d’aptitude: une mesure étatique doit être apte à atteindre les buts poursuivis. Seule une évaluation prospective et rétrospective des effets produits par la loi, selon les méthodes préconisées par la légistique, permet de se faire une idée sérieuse de l’aptitude d’une mesure à atteindre les objectifs de la loi. Une analyse scientifique des effets prévisibles et des effets imprévus pourrait être d’un grand secours pour les tribunaux.

«La règle de nécessité veut qu’entre plusieurs mesures qui permettent d’atteindre les objectifs prévus par la loi soit choisie celle qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés. Une mesure adéquate, au sens de la règle d’aptitude, peut ainsi s’avérer inadmissible si une autre règle adéquate moins restrictive suffit à atteindre le but recherché. L’étude systématique des alternatives préconisée par la légistique est un corpus ready made pour faciliter ce type de comparaison.

«La règle de la proportionnalité proprement dite met en balance la gravité des effets de la mesure en cause sur la situation des particuliers et l’effet escompté sous l’angle de l’intérêt public poursuivi. Ainsi une mesure qui satisferait aux deux conditions précédentes de l’aptitude et de la nécessité peut s’avérer disproportionnée si l’atteinte qu’elle implique est d’une sévérité exagérée par rapport au but qu’elle poursuit. »

Il convient de savoir si le contrôle de proportionnalité peut être fait à l’initiative du juge, s’il est entier ou restreint à la sanction des seules dispositions manifestes.

En somme, le principe de proportionnalité désigne l’une des conditions nécessaires que doit remplir toute intervention de l’administration ou du législateur dans un État fondé sur le droit. À côté de poursuivre un intérêt public et d’être fondée sur la loi, selon le principe de proportionnalité, toute intervention ou mesure n’est conforme au droit que si :

  • elle est adéquate: elle permet d’atteindre l’objectif qui lui est assigné; ce qui veut dire à la fois que si, de toute façon, elle n’atteindra pas son but, mieux vaut s’abstenir, ou, plus utilement, qu’une intervention ne saurait poursuivre, sournoisement, un but différent de celui qu’elle proclame ;
  • elle est subsidiaire: elle est la moins «lourde» possible pour le destinataire, il n’existe pas de mesure moins incisive permettant de rechercher le même résultat ;
  • elle respecte la proportionnalité au sens étroit, dans le sens où celle-ci désigne un rapport acceptable entre l’effet attendu de l’intervention et la restriction que celle-ci établit.

J. Rivero, dans le rapport de synthèse in L. Favoreu, Cours constitutionnelles européennes et droit fondamentaux, Economica, PUM, 1981, p. 519 écrit :

«À la vieille idée, qui domine tout le XIXe siècle libéral, de la protection de la liberté par la loi tend à se substituer l’idée expérimentale de la nécessité de la protection des libertés contre la loi. Et cette évolution rend possible ce phénomène extraordinaire qu’est l’acceptation d’une autorité supérieure au législateur lui-même, d’une autorité chargée d’imposer au législateur le respect de la Constitution. »

II. Les perspectives d’invocabilité du grief du disproportionnalité devant le juge constitutionnel camerounais

Bien que possédant des potentialités réelles au niveau des sources du principe de proportionnalité, le Cameroun est encore loin de rendre effectif le principe de la nécessité de la protection des libertés contre la loi eu égard entre autres causes, à la limitation du droit de saisine de la juridiction constitutionnelle.

L’ article 65 de la Constitution du Cameroun confère aux dispositions du Préambule une valeur constitutionnelle en disposant que « le Préambule fait partie intégrante de la Constitution ».

Ce préambule fait référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à la Charte des Nations unies, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à toutes les conventions internationales dûment ratifiées. Cette référence est à l’image de celle des Nations dans lesquelles l’État de droit est avancé.

En dépit de la richesse de ses sources, la mise en œuvre du principe de proportionnalité demeurera encore pour longtemps illusoire.

En effet, en dehors du cas de saisine automatique pour les Règlements des assemblées, le Conseil constitutionnel camerounais ne peut exercer de contrôle du respect de la Constitution sur les lois ou les traités que lorsqu’ils lui sont déférés par les autorités habilitées à le saisir. Ces autorités sont indiquées limitativement à l’article 47 alinéa 2 de la Constitution du 18 janvier 1996 qui dispose que :

«Le Conseil constitutionnel est saisi par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, un tiers des députés ou un tiers des sénateurs.

Les présidents des exécutifs régionaux peuvent également saisir le Conseil constitutionnel lorsque les intérêts de leur région sont en cause. »

Le nombre de députés ou de sénateurs exigé (60 députés sur 180 ou 60 sénateurs sur 180) est trop important. Ce nombre n’est pas de nature à faciliter la saisine du Conseil constitutionnel par une minorité d’opposants à l’Assemblée nationale. En France par exemple, le choix a été porté sur soixante députés ou soixante sénateurs, par la révision de la Constitution du 29 octobre 1974, soit 60 députés sur 577 et 60 sénateurs sur 321, afin de permettre à une minorité politique au Parlement de demander le contrôle de constitutionnalité d’une loi. Cette réforme a été la source directe d’une augmentation sensible du nombre de recours, et a ainsi donné les moyens au Conseil constitutionnel français de s’imposer comme un gardien efficace des droits et libertés.

La coïncidence politique entre le président de la République et le président de l’Assemblée nationale, peut, dans un État où la majorité présidentielle est très vite organisée, paralyser le contentieux de la constitutionnalité des lois.

Contrairement à la Constitution française, la loi révisée n° 96/06 du 18 janvier 1996 n’a pas étendue le droit de saisine au Premier ministre.

Les citoyens camerounais ne peuvent pas demander le contrôle de constitutionnalité des lois en vigueur à l’occasion d’un litige les concernant, comme c’est le cas dans d’autres pays. L’État de droit ne se résume plus de nos jours à la simple légalité. On le mesure également à l’aune de la protection des droits du citoyen. Le Bénin a réalisé cette nécessité et a élargi le champ de saisine.

En vertu de l’article 122 de la loi constitutionnelle béninoise, le simple citoyen peut déférer devant la Cour constitutionnelle, une loi liberticide. Cet élargissement fait de la Cour constitutionnelle béninoise, une véritable juridiction, et non un organe politique comme cela semble être le cas au Cameroun, en dépit de son caractère juridictionnel.

Le droit de saisir le Conseil constitutionnel reste donc très restreint et ne peut être exercé qu’apriori, c’est-à-dire avant qu’une loi ne soit promulguée ou avant qu’un traité ne soit ratifié.

Ce n’est qu’à la faveur d’une évolution constitutionnelle consacrant le droit de saisine du citoyen ou de l’envoi à l’Assemblée nationale d’au moins 60 députés appartenant à un groupe de partis d’opposition que l’on serait un jour en droit d’espérer voir naître une jurisprudence camerounaise sur le contrôle de la constitutionnalité des lois en général et particulièrement sur le contrôle de la proportionnalité, facteur d’équilibre et de justice.

La mise en œuvre de la proportionnalité par le juge constitutionnel dans le cadre de sa mission de contrôle

Jean-Michel Rajaonarivony

Président de la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar

La Constitution de la République de Madagascar reconnaît et consacre l’existence, au profit de l’individu, des droits fondamentaux et libertés qui nécessitent une protection tant effective qu’adéquate.

En application du principe de la séparation des pouvoirs propre à l’État de droit et également consacré par la Constitution, la Haute Cour constitutionnelle est l’institution chargée de garantir le respect des dispositions constitutionnelles et partant, celui de l’exercice des droits et libertés constitutionnellement protégés.

Force est cependant de reconnaître que :

– d’une part, il ne saurait exister de liberté absolue, compte tenu des contraintes de la réalité sociale. Aussi, sur la base de concepts abstraits tels l’intérêt général, l’ordre public, la salubrité publique, la nécessité publique, les bonnes mœurs, des limitations ou des restrictions sont apportées à l’exercice des droits et libertés, et par les dispositions constitutionnelles elles-mêmes et par les dispositions légales et réglementaires ;

– d’autre part, l’acceptabilité des limitations ou restrictions est totalement tributaire du raisonnement rationnel ou non du juge constitutionnel. En effet, comme rapporté dans nos réponses au questionnaire servant de base à nos échanges, le concept de proportionnalité n’est pas formellement consacré par notre ordonnancement juridique. Ainsi, en ce qui nous concerne, il faudrait établir le constat selon lequel :

Primo : la proportionnalité ne peut être un principe à valeur constitutionnelle susceptible de conditionner les actions du législatif et de l’exécutif. Dès lors, elle ne peut constituer en elle-même une norme susceptible d’être formellement utilisée par le juge dans son activité de contrôle.

Secundo : la proportionnalité n’est pas encore un principe général de droit car, en l’état actuel de notre ordonnancement juridique, la jurisprudence ne l’a pas encore définie et consacrée en tant que norme individualisée.

Cependant, en vertu des dispositions constitutionnelles (art. 116), « Les arrêts et décisions de la Haute Cour constitutionnelle sont motivés ; ils ne sont susceptibles d’aucun recours. Ils s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités administratives et juridictionnelles ».

Aussi, dans l’exercice de sa compétence de contrôle des normes, de règlement de contentieux ou consultative, même en l’absence de consécration formelle du concept de proportionnalité, le juge constitutionnel est nécessairement appelé à l’appliquer.

En effet, le juge, dans l’objectif de préserver une vie sociale apaisée et face à des intérêts contradictoires, est souvent tenu de se référer à l’esprit du constituant et au but recherché par le législateur. À travers son interprétation des dispositions constitutionnelles, le juge doit rechercher l’équilibre entre des principes en cause et apprécier in concreto les manifestations des notions abstraites que sont l’intérêt général, l’ordre public et les bonnes mœurs.

C’est à travers un raisonnement juridique rationnel souvent pragmatique que le juge apprécie la juste mesure, l’adéquation ou non des limitations ou restrictions apportées aux droits et libertés.

En ce sens, la proportionnalité constitue une technique indispensable et inséparable de la fonction de juge, tenu de dire le droit.

À titre d’illustration, nous rapporterons succinctement trois cas :

  • en matière électorale;
  • en matière de droit de grève ; et
  • en matière de droit de propriété et de droit de recours.

En matière électorale

Pour résoudre la crise post-électorale provoquée par les présidentielles de décembre 2001, la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar a du procéder à une interprétation des dispositions constitutionnelles combinées à celles des lois organiques en matière d’élection.

Par ce biais, la juridiction a pu édicter les principes qui doivent s’appliquer au traitement d’un contentieux électoral. De son analyse, il en est découlé que :

– primo, la Haute Cour constitutionnelle étant l’unique juridiction de recours en matière d’élection présidentielle, en cas de contestation de résultat et en l’absence de dispositions expresses quant à la procédure à suivre, elle détient pleine compétence à pratiquer tout procédé d’instruction adéquat pour résoudre le litige qui lui est soumis ; que la confrontation ou examen contradictoire des procès-verbaux des opérations électorales constitue un procédé conforme aux principes de justice et de démocratie ;

– secundo, la loi électorale a prescrit la délivrance d’une copie du procès-verbal à chaque délégué de candidat et à chaque observateur dans le but utile d’en faire un moyen de preuve ;

– tertio, dans le système électoral en pratique dans le pays, les procès-verbaux constituent le seul moyen de preuve en matière de contestation de résultats ;

– quarto, les procès-verbaux délivrés dans le bureau de vote au candidat ou à son délégué, ou à un observateur dûment mandaté, revêtent le caractère d’un acte original lorsqu’ils sont signés par les mêmes membres de bureau de vote figurant dans les documents transmis officiellement à la juridiction et qu’ils ne comportent aucune altération tels que gommage, rature, surcharge… ;

– quinto, l’objectif recherché par le juge électoral est de sortir la vérité des urnes et non de procéder à des annulations, afin de parvenir à un résultat déterminé à l’avance. Sa mission consiste à protéger le vote librement et régulièrement émis par l’électeur de bonne foi contre une éventuelle fraude ou la contrainte sous toutes ses formes.

À noter que cette décision de la Cour a été à l’origine de nouvelles mesures prises par les pouvoirs publics pour améliorer l’organisation du processus électoral.

En matière de droit de grève

À l’occasion d’une grève générale illimitée décidée par le syndicat des magistrats et celui des enseignants, la juridiction constitutionnelle, saisie par une demande émanant de l’exécutif gouvernemental, en l’absence de précision apportée par les textes et statuts particuliers quant aux mesures adéquates à prendre pour sauvegarder l’intérêt général, a du interpréter les dispositions constitutionnelles et a pu émettre l’avis selon lequel :

  • les magistrats et les enseignants sont des fonctionnaires bénéficiaires du droit de grève ;
  • la grève des fonctionnaires n’est licite que pour la défense des intérêts professionnels uniquement et qu’ainsi, une grève menée à l’encontre de la politique du Gouvernement est nécessairement illicite.

En effet, le fonctionnaire a reçu mission d’assurer le fonctionnement normal du service public sous la direction des autorités étatiques et ce, avec loyalisme, conformisme et discipline.

Les principes de limitation du droit de grève ont été identifiés par la juridiction comme étant :

  • le respect de la liberté d’autrui ;
  • l’usage non abusif et non contraire aux nécessités de l’ordre public et à la continuité du service public ;
  • l’interdiction même de la grève à des catégories de fonctionnaires dans tous les cas où l’interruption du fonctionnement du service nuit gravement aux besoins fondamentaux du pays du fait que leur action est liée à celle du Gouvernement et que l’interruption du fonctionnement est susceptible de compromettre la sécurité des personnes et des biens ;
  • l’exercice du droit de grève doit tenir compte du respect d’autres principes consacrés par la Constitution tels que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité du service public, la garantie de l’ordre public, d’où la possibilité pour le gouvernement de procéder à des réquisitions à titre individuel ou collectif ;
  • le temps de grève ne donne pas droit à rémunération.

Cette jurisprudence de la Haute Cour constitutionnelle a été prise en compte lors d’une récente révision constitutionnelle.

En matière de droit de recours

Une société commerciale, ayant cessé d’exercer ses activités sur le territoire national, s’est vue refuser par une décision juridictionnelle définitive, le droit de défendre en justice son droit de propriété sur un immeuble qu’elle a loué à une autre société pour des motifs dépourvus de base légale, en ce que la bailleresse a perdu sa personnalité juridique car son siège social était fictif, étant obligée d’élire domicile à une adresse provisoire.

De l’analyse du juge constitutionnel, il est ressorti :

  • qu’une décision juridictionnelle définitive est susceptible de porter atteinte à un droit fondamental constitutionnellement protégé, en l’occurrence le droit pour un propriétaire de se faire rendre justice au moyen d’un procès équitable ;
  • que le propre d’une juridiction est de rendre la justice conformément au droit ;
  • que dans le cas d’espèce, face à une méconnaissance d’un droit fondamental, seule la juridiction constitutionnelle est compétente pour en connaître par le biais d’une procédure en exception d’inconstitutionnalité.

Il s’agit là d’une manifestation concrète du concept selon lequel la juridiction constitutionnelle ne légifère pas, ne gouverne pas mais que ses décisions font partie intégrante de l’ordonnancement juridique ; que selon les dispositions constitutionnelles explicites, ses décisions s’imposent à tous les pouvoirs publics, y compris les autorités juridictionnelles.

*

À travers ces quelques cas, l’on peut se rendre compte que pour être appliqué, le concept de proportionnalité n’a pas besoin d’être formellement consacré. Indispensable pour la juridiction, il lui permet de réaliser la garantie effective des droits et libertés en ce sens qu’elle est tenue de concilier par son biais les intérêts contradictoires en jeu. C’est à ce prix que l’on peut sauvegarder une vie sociale apaisée.

Toutefois, cette situation maintient la porte ouverte à un débat continu, celui relatif à l’étendue des pouvoirs du juge, par rapport à ceux du législatif et de l’exécutif.

Le principe de la proportionnalité dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la Roumanie

Professeur Tudorel TOADER

Juge à la Cour constitutionnelle de Roumanie

I. Les sources du principe de la proportionnalité

Le principe de la proportionnalité est consacré expressément par la Constitution, ainsi que par certaines lois spéciales.

a) L’article 53 de la Constitution de Roumanie[1] intitulé Restriction de l’exercice des certains droits et certaines libertés, consacre expressément le principe de la proportionnalité avec le contenu suivant :

(1) L’exercice de certains droits ou de certaines libertés peut être restreint uniquement par la loi seulement s’il s’impose, selon le cas, pour : protéger la sécurité nationale, l’ordre, la santé ou la morale publique, les droits et les libertés des citoyens ; le déroulement de l’instruction pénale ; prévenir les conséquences d’une calamité naturelle ou d’un sinistre extrêmement grave.

(2) La restriction ne pourra être décidée que si elle nécessaire dans une société démocratique. La mesure doit être proportionnelle à la situation l’ayant déterminée, être appliquée de manière non discriminatoire et ne peut porter atteinte à l’existence du droit ou de la liberté.

b) Les lois spéciales. Par exemple, nous pouvons citer les dispositions du code pénal, qui consacre le principe de la proportionnalité comme une condition de la légitime défense, (qui enlève le caractère pénal de l’acte). Ainsi, conformément à l’article 44 § 3, peut invoquer la légitime défense celui qui, à cause d’un trouble ou d’une crainte a dépassé les limites d’une défense proportionnelle à la gravité du péril et aux circonstances.

De façon similaire, les dispositions de l’article 7[2] du code pénal consacrent la proportionnalité comme un critère général d’individualisation judiciaire des peines. Dans ce sens, le § 1 er prévoit que, dans l’individualisation et l’application des peines, sont prises en considération les dispositions de la partie générale du présent code, les limites de peines fixées dans la partie spéciale, le degré de péril social du fait commis, ou l’auteur de l’infraction et les circonstances qui atténuent ou aggravent la responsabilité pénale.

(2) Quand, pour l’infraction commise, la loi prévoit des peines alternatives, sont prises en considération les dispositions du paragraphe précédent pour le choix d’une des peines alternatives, ainsi que pour le caractère proportionnel de la peine.

De nombreux autres textes de la Constitution de la Roumanie envoient au principe de la proportionnalité, parmi lesquels deux dispositions :

La liberté d’expression est consacrée par l’article 30 de la Constitution. Dans ce sens, l’article 30 § 1, prévoit que « La liberté d’expression des pensées, des opinions ou des croyances et la liberté de création de tout type, par voie orale, par l’écrit, par l’image, par le son, ou par d’autres moyens de communication en public, sont inviolables ». Les limites de ce droit sont prévues par le §6 du même article30, qui dispose que «la liberté d’expression ne peut pas porter préjudice à la dignité, à l’honneur, à la vie privée de la personne ni au droit à sa propre image ». Dans ce cas, la proportionnalité résulte du rapport équilibré, qui doit exister entre les deux valeurs sociales protégées par la loi, ainsi que de la nécessité que les limites apportées à la liberté d’expression soient adéquates à la finalité de protection de ce droit.

Le droit à l’information est consacré par l’article 31 de la Constitution. Le § 1 er prévoit « Le droit de la personne d’avoir accès à toute information d’intérêt public ne peut être limité ». Malgré cela, des limites du droit à l’information peuvent être apportées conformément au but poursuivi. Le § 3 du même article dispose que « Le droit à l’information ne doit pas porter préjudice aux mesures de protection des jeunes ou à la sécurité nationale ».

Des dispositions précitées, il résulte que la Loi fondamentale règle certaines limites pour l’exercice des droits et des libertés. L’existence des limites ou des conditions pour l’exercice des droits fondamentaux est justifiée par la nécessité de protéger constitutionnellement d’autres valeurs humaines ou étatiques importantes. La restriction peut-être réalisée seulement à travers la loi, votée par le Parlement, loi qui doit être prévisible. La mesure de restriction n’est possible seulement si la valeur sociale ne peut pas être protégée autrement et doit être proportionnelle à la situation qui l’a déterminée. Dans le même sens, la Cour Constitutionnelle de la Roumanie a retenu que la législation, la doctrine et la jurisprudence rejettent constamment l’existence de droits et libertés absolus 2 .

Dans le système juridique roumain, la Constitution est la loi fondamentale et impose sa suprématie par rapport à tous les autres actes normatifs. Conformément a l’article 1 par. 5 « En Roumanie, le respect de la Constitution, de sa suprématie et des lois est obligatoire ». Par son activité, « La Cour constitutionnelle est le garant de la suprématie de la Constitution » (art. 142 § 1).

II. Le contrôle de proportionnalité

Comme principe, la proportionnalité fait partie des valeurs de l’État de droit et de l’ordre constitutionnel. Dans la jurisprudence, le principe de la proportionnalité, compris et appliqué comme un principe général de l’État de droit, présente des différences en fonction du domaine d’application.

Au niveau de principe constitutionnel, la proportionnalité représente une condition de la constitutionnalité des lois, exigence dont l’accomplissement est vérifié par la Cour constitutionnelle.

Dans les autres domaines du droit, la proportionnalité est une condition de validité des mesures prises par les autorités étatiques, et est contrôlée par les instances de droit commun, dans l’application de la loi.

Le principe constitutionnel de proportionnalité, consacré par l’article 53 par. 2 de la Constitution a comme objet seulement les droits et les libertés fondamentales[3], et prend en considération l’adéquation de la restriction avec la situation ainsi qu’avec le but légitime poursuivi.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Roumanie relève des caractéristiques du principe constitutionnel de la proportionnalité, qui implique la nécessité d’adapter les garanties constitutionnelles aux droits et aux libertés fondamentales, à la finalité poursuivie, c’est-à-dire la protection de l’exercice des droits dans des situations concrètes où ils pouvaient être restreints.

Le contentieux constitutionnel a principalement consacré les critères suivants pour l’appréciation de la proportionnalité :

  • la nature et le contenu des restrictions ;
  • la nécessité du juste équilibre ;
  • le degré d’adéquation des restrictions avec la finalité suivie par le législateur ;
  • la détermination du but légitime.

Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Roumanie, le respect du principe de proportionnalité est vérifié chaque fois que des violations des dispositions de l’article 53 § 2 de la Constitutions sont invoqués. Dans la majorité des cas, la proportionnalité est appréciée en liaison avec le respect des droits et des libertés fondamentales.

Dans ce sens, la Cour constitutionnelle de la Roumanie a fondé de nombreuses décisions sur le principe de proportionnalité, parmi lesquelles nous pouvons citer quelques exemples :

L’accès à la justice. La Cour a estimé que l’accès libre à la justice n’est pas un droit absolu et, par conséquent, le parcours de tous les degrés de juridiction existant au niveau national n’est pas imposé. L’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales exige de la création des moyens légaux pour garantir à chaque personne l’exercice effectif et réel du droit à un tribunal, dans le sens où toute « contestation » doit être portée devant un tribunal indépendant et impartial. L’accès à la justice peut faire l’objet de certaines limitations implicites, les limites établies respectant les exigences de l’article 6 § 1 de la CEDH, c’est-à-dire de suivre un but légitime et de vérifier l’existence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les mesures prises et le but suivi[4].

La liberté d’expression. La Cour constate que la liberté d’expression permet aux citoyens de participer à la vie publique, sociale et culturelle, manifester en public leurs pensées, leurs opinions et leurs croyances. Mais, cette liberté ne peut pas être absolue et par conséquent, est soumise à des restrictions qui doivent être expressément prévues par la loi et nécessaires à la protection des valeurs politiques, économiques, sociales et humaines. La Cour retient que l’exercice de la liberté d’expression peut connaître des restrictions et être soumise à condition, conformément à la loi pour que les droits et les libertés garantis aux citoyens par la Constitution, ainsi que leurs intérêts et implicitement, l’ordre, la santé et la morale publique n’en soient pas affectés. La restriction doit être proportionnelle à la situation qui l’a déterminée et ne peut pas toucher à l’existence du droit ou de la liberté[5].

L’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques. Le cadre général de l’interception des conversations téléphoniques, est fixé par les dispositions du code de procédure pénale. Celles-ci constituent ainsi le fondement légal de l’utilisation comme preuve dans le procès pénal des données ainsi obtenues.

La Cour constitutionnelle, saisie, retient que l’interception et l’enregistrement des conversations ou l’enregistrement des images, sans l’accord de la personne visée, constituent, une restriction de l’exercice du droit au respect et à la protection de la vie intime, familiale et privée, du droit à l’inviolabilité du secret des conversations et autres moyens de communication qui constituent des droits fondamentaux, garantis par la Constitution. D’un autre côté, la Cour constate que c’est la Constitution elle-même qui prévoit la possibilité de restreindre l’exercice de certains droits et libertés fondamentaux, dans les cas et les conditions limitativement et précisément déterminés. Sous cet angle, le respect des conditions établies par la Constitution pour la restriction de l’exercice des droits consacrés par l’article 26 § 1 et l’article 28, ainsi que l’assurance des garanties contre les restrictions abusives de l’exercice de ces droits résultent de l’analyse des textes légaux. L’une de ces conditions est que la restriction doit résulter de la loi.

La condition selon laquelle une telle restriction doit être exigée pour « le déroulement de l’instruction pénale » est vérifiée par l’indication, dans le code de procédure pénale que l’autorisation de l’enregistrement des conversations soit délivrée seulement s’il y a « des données ou des indices rigoureux de la préparation ou de la commission d’une infraction pour laquelle la poursuite pénale est engagée d’office, et si l’interception est utile à la connaissance de la vérité ». En outre ne peuvent être utilisées comme moyens de preuve que les enregistrements dont il « résulte des faits ou des circonstances de nature de contribuer à l’établissement de la vérité ». La condition de la proportionnalité est évidement accomplie[6], si on prend en considération l’importance des valeurs protégées, valeurs prévues par l’article 1 du code pénal, (la Roumanie, la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’indivisibilité de l’État, la personne, les droits et les libertés de celle-ci, la propriété ainsi que l’ordre de droit). Ces valeurs sont rapportées au degré de restriction de l’exercice de certains droits pour les potentiels auteurs d’infraction. Il résulte des dispositions du § 2 article 91 du code de procédure pénale, prévoyant que la restriction ne peut être que temporaire, que l’autorisation de l’interception ou de l’enregistrement des conversations ne peut être accordée que pour un maximum de 30 jours, (avec la possibilité d’une prolongation justifiée par des raisons fermes) que l’existence même de la liberté n’est pas remise en question.

L’internement médical. Cette mesure de sûreté peut être prise à l’égard d’un malade mental présentant un péril pour la société. La mesure étant prise provisoirement par le procureur. L’ internement médical s’ inscrit dans la catégorie des mesures de sûreté de droit pénal. La dur ée de la mesure de sûreté dépend de l’existence de l’état de péril et, généralement, ne comporte de délai. La proportionnalité est assurée par la maintenance de la mesure jusqu’à la guérison, moment auquel disparaît le péril social dont l’existence a justifié la mesure. Dans la situation spéciale où laquelle se trouve le malade mental ou toxicomane, présentant un péril pour la société, la mesure de sûreté de l’internement médical est nécessaire à la sûreté publique.

Son but est de mettre à l’abri la personne même contre les périls auxquels elle s’expose précisément à cause de son état psychique anormal, mais aussi de protéger les droits et les libertés des autres citoyens. La mesure est donc en plein accord avec les dispositions constitutionnelles, selon lesquelles « La mesure doit être proportionnelle à la situation l’ayant déterminée et ne peut porter atteinte à l’existence des droits ou libertés ».

Parce qu’elle est déterminée par la cause de péril, la période de l’internement médical est égale à la durée du péril. Étant donc proportionnelle à la situation qui l’a déterminée[7], elle est en accord avec les exigences de la loi fondamentale.

Le financement de l’enseignement supérieur. La cour a été saisie par voie d’exception de la constitutionnalité de l’article 1 de l’ordonnance du Gouvernement, n° 174/2001 sur l’augmentation du financement de l’enseignement supérieur. Elle prévoit que les institutions d’enseignement supérieur privées ont l’obligation de verser au budget d’État une taxe de 10 % des revenus résultant des taxes de scolarisation, d’admission, d’enregistrement, de répétition des examens, et autres, ainsi que celle perçues dans le cursus universitaire.

Dans la motivation de l’exception de non-constitutionnalité, l’auteur du recours soutient que les dispositions critiquées sont contraires à la Constitution et que les dispositions critiquées instituent une double discrimination : d’une part, entre les universités privées et publiques, (même si elles font partie du système national d’enseignement, l’obligation de verser 10 % vers le budget d’État est applicable seulement aux universités privées) et d’autre part, entre les emplois des universités privées, dont les revenus sont diminués et ceux des universités d’État. Il est soutenu aussi, que l’université ne peut pas être obligée par ordonnance de faire une telle libéralité sans son consentement.

Analysant les dispositions contestées, la Cour constitutionnelle a estimé que, en instituant une telle obligation à la charge des institutions d’enseignement supérieur privées (payer une taxe de 10 % vers le budget d’État), on opère un transfert injuste de propriété, du patrimoine des universités privées vers le budget d’État, s’analysant en une ingérence dans le droit de propriété de celles-ci. Conformément à la Loi fondamentale, la restriction de l’exercice d’un droit constitutionnel – dans ce cas, le droit de propriété – dans le but de protection des droits des citoyens, est possible par une mesure qui n’affecte pas gravement le droit en question. Or, on ne peut soutenir que l’institution d’une telle taxe, par laquelle le droit même de propriété est effectivement diminué, est motivée par la protection du droit à l’enseignement. De plus, conformément au principe de la proportionnalité, la restriction peut avoir place seulement si ce droit, n’est pas, au moins en partie, compromis. Considérant que la taxe en discussion a été instituée pour soutenir des investissements et des activités de gestion et réparation des foyers étudiants, et le fait que ces foyers sont destinés à abriter pour une partie des étudiants, spécialement, ceux des institutions d’enseignement d’État, il n’est pas porté atteinte au droit de propriété des institutions privées. Cette mesure n’est pas proportionnelle à la situation donc non-constitutionnelle.

Le contrôle de proportionnalité, consacré au rang de principe constitutionnel, représente une forte garantie pour la protection des droits et des libertés fondamentaux. La garantie est consacrée, de la même façon, au bénéfice des citoyens roumains, des étrangers et des apatrides. Par rapport aux personnes morales, la Cour constitutionnelle a estimé que l’égalité est violée si par une discrimination de la personne morale porte atteinte aux droits fondamentaux des citoyens associés au sein de la personne morale [8].


  • [1]
    La Constitution de la Roumanie, adoptée le 21 novembre 1991, a été publiée dans le Moniteur Officiel n° 233 de 21 novembre 1991 et est entrée en force suite à son approbation par le référendum national de 8 Décembre 1991. La Loi de révision de la Constitution de Roumanie n° 429/2003 a été approuvée par le référendum national de 18-19 octobre 2003 et est entrée en force au 29 octobre 2003, date de la publication dans le Moniteur Officiel n° 758 de 29 octobre 2003 de la décision de la Cour constitutionnelle n° 3 du 22 octobre 2003 pour la confirmation du résultat du référendum national de 18-19 octobre 2003 regardant la Loi de révision de la Constitution de la Roumanie  [Retour au contenu]
  • [2]
    La Cour constitutionnelle, déc. n° 13/1999, publiée dans le Moniteur Officiel n° 718 du 26 avril 19  [Retour au contenu]
  • [3]
    La déc. de la Cour constitutionnelle n° 157/1998, publiée dans le Moniteur Officiel n° 3 du 1er avril 1999.  [Retour au contenu]
  • [4]
    La Cour constitutionnelle, déc. n° 496 du 6 Mai 2008, publiée dans le Moniteur Officiel n° 408 du 30 mai 2  [Retour au contenu]
  • [5]
    La Cour constitutionnelle, déc. n° 36 du 6 février 2001, publiée dans le Moniteur Officiel n° 150 du 27 mars 200  [Retour au contenu]
  • [6]
    La Cour constitutionnelle, déc. n° 21 du 3 Février 2000, publiée dans le Moniteur Officiel n° 159 du 17 avril 2000.  [Retour au contenu]
  • [7]
    La Cour constitutionnelle, déc. n° 76 du 20 mai 1999, publiée dans le Moniteur Officiel n° 323 du 6 juillet 1999.  [Retour au contenu]
  • [8]
    La Cour constitutionnelle, déc. n° 35/1993, publiée dans le Moniteur Officiel n° 218 du 6 septembre 1993.  [Retour au contenu]

La proportionnalité dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Gabon

Louise Angue

Membre de la Cour constitutionnelle du Gabon

La proportionnalité est la recherche par le juge du nécessaire équilibre entre le droit fondamental ou une liberté protégée et la mesure attentatoire à ce droit ou liberté prise par le législateur. Au plan pratique, elle est une technique qui permet de vérifier si une restriction à un droit fondamental est admissible, adéquate ou proportionnée.

À la suite des intervenants qui m’ont précédé pour évoquer le principe de la proportionnalité, je voudrais à mon tour donner ici l’application que la Cour constitutionnelle de la République gabonaise en fait.

D’entrée de jeu, je serais tentée, comme Madame le Président lors de son discours de bienvenue, de reprendre le propos de Blaise Pascal qui disait que le concept de proportionnalité est partout et le principe nulle part.

Le concept est partout en ce sens que la proportionnalité intervient, non seulement en droit, mais également dans l’ensemble des sciences sociales, en mathématiques, en économie.

Pour autant, le principe de proportionnalité n’est nulle part.

En effet, à la différence de certains États comme la République fédérale d’Allemagne où le principe de proportionnalité est un principe non écrit, mais possède une valeur constitutionnelle, la Suisse où il constitue un principe général du droit à valeur constitutionnelle, ou encore de l’Union Européenne où il est reconnu par la Cour comme « faisant partie des principes généraux du droit communautaire », et de la Charte des droits fondamentaux, au titre des dispositions générales régissant l’interprétation et dl’application de ladite Charte, prescrit que « dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui », à l’inverse donc de ces États ou organisations communautaires, disais-je, le principe de proportionnalité, pris comme règle impliquant pour le législateur sa prise en compte au moment de l’élaboration de l’acte, ne se trouve pas expressément consacré dans les 120 articles qui composent notre Constitution, au sens classique du terme.

Il n’existe pas non plus de consécration expresse de ce principe par les autres textes et normes énoncés dans le préambule et qui forment, avec la Constitution, le bloc de constitutionnalité, tel que retenu par la Cour constitutionnelle dans sa première décision en date du 28 février 1992, à savoir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Charte nationale des libertés de 1990, et les principes à valeur constitutionnelle. On peut donc comprendre que le législateur n’en tienne pas compte au moment de l’élaboration de la loi.

Il faut reconnaître que la proportionnalité, implicitement utilisée par le juge gabonais, ne constitue pas une norme de référence, mais plus une technique de contrôle, laquelle relève du génie du juge lui-même. Néanmoins, cette technique lui est très utile car son application permet une protection accrue de certains droits fondamentaux affectés par une loi.

Cette technique est le plus souvent combinée à celle de l’interprétation constructive qui, elle aussi, demeure très originale en ce qu’elle permet au juge, avec une apparente modestie, de façonner lui-même la loi plus tôt que de la déclarer inconstitutionnelle. Le procédé usité dans ce cas est la déclaration de conformité sous réserve. Par elle, la Cour, sans se transformer en législateur bis, présume que le législateur n’a pas voulu méconnaître la Constitution, mais que son appréciation des faits est erronée, et qu’il convient de donner à la loi un sens qui ne la mette pas en contradiction avec le texte de référence. À cette occasion, le juge préfère faire appel à un catalogue lexical à géométrie variable : le vocabulaire juridictionnel recourt ainsi à des produits dérivés ou à des produits de substitution, à travers les qualificatifs de « nécessaire », « raisonnable », « adéquat », «opportun», «justifié», pour ne prendre que ces quelques exemples, auxquels il faudrait évidemment ajouter leurs antonymes « non nécessaire », « déraisonnable », « inadéquat », « inopportun », «injustifié»…, ou encore les formulations négatives qui n’ont pas d’équivalent positif telles que «démesuré», «excessif»…

La Cour constitutionnelle de la République gabonaise a rendu un grand nombre de décisions dans ce sens, dont certaines ont été répertoriées dans le questionnaire transmis au secrétariat général de l’ACCPUF.

Je voudrais illustrer mon propos en prenant, par exemple, la liberté de communication qui a donné lieu à la décision n° 019/93 du 2 novembre 1993, contrôlant l’ordonnance se rapportant à la communication, la Cour combina les deux techniques afin de rendre constitutionnelles les dispositions de l’article 5 de la loi soumise à son examen.

En effet, l’article 5 de l’ordonnance sur la communication interdisait au président de la République, aux membres du Gouvernement, à ceux du Conseil national de la communication et des corps constitués, aux agents des forces de sécurité, aux magistrats, aux députés et aux élus locaux ainsi qu’aux dirigeants de partis ou groupements politiques d’être propriétaires ou exploitants de sociétés de communication audiovisuelles et cinématographiques. La Cour avait estimé raisonnable que l’interdiction frappe le président de la République, les membres du Gouvernement, ceux du Conseil National de la Communication et des Corps constitués, les agents des forces de sécurité et les magistrats, mais avait trouvé excessif, et pour reprendre ses propres mots, injustifié et contraire à l’exercice de la liberté de communication de frapper de la même interdiction les députés, les élus locaux et les dirigeants de partis ou groupements politiques, étant donné, avait-elle expliqué, que de par leurs activités quotidiennes, ceux-ci ont vocation à « communiquer » leurs pensées et leurs opinions.

Sans censurer les dispositions concernées, la Cour a trouvé disproportionnée leur extension à des individus n’étant pas astreints, par la nature de leurs fonctions, à l’obligation de neutralité. L’ article 5 de l’ ordonnance sur la communication a, par conséquent, été reformulé en respectant les conditions sans lesquelles sa constitutionnalité ne serait pas acquise. En d’autres termes, il fallait ôter des dispositions de l’article 5 les mots, député, élu local, dirigeant de parti ou groupement de parti politique.

La notion de proportionnalité renvoie comme par effet d’un miroir à celle de l’erreur manifeste d’appréciation, moyen de contrôle utilisé implicitement par la Cour pour s’interroger si l’appréciation portée par le législateur sur les faits, les circonstances qui sont la base de la loi, n’est pas erronée.

Il ne fait pas de doute que derrière ce contrôle de l’erreur manifeste se cache quelquefois, ou même souvent, le test de proportionnalité à travers lequel la Cour met en balance d’un côté l’intérêt général, poursuivi par la loi, et de l’autre côté les atteintes portées à tel ou tel principe à valeur constitutionnelle.

Devant chaque cas d’espèce, en fonction du but poursuivi par le législateur et selon que les atteintes portées seront ou non jugées disproportionnées ou déraisonnables, la loi sera déclarée conforme ou non à la Constitution.

La technique de proportionnalité n’intervient, dans la panoplie des techniques de contrôle de tout juge, que lorsque dans le texte qui est appelé à être contrôlé, deux droits ou principes fondamentaux sont en conflit. C’est dire qu’aucun domaine n’est exclu.

Aucun domaine n’est donc exclu dans l’application d’un contrôle de proportionnalité. Aussi, celui-ci est-il naturellement opéré en matière de droits fondamentaux dans leur confrontation avec les notions d’ordre public ou d’intérêt général, en matière de conventionalité, en matière électorale qui occupe une grande part de l’activité de notre juridiction, en matière pénale, ou encore dès lors qu’il s’agit de s’assurer de l’équilibre des pouvoirs mis en place par le dispositif constitutionnel.

On peut en déduire que dans l’application du principe de proportionnalité, le rôle de la Cour est surtout de rappeler au législateur qu’il ne pourrait aller plus loin dans les atteintes portées à un principe ou à un droit fondamental, d’une part, et que les seules limites exploitables sont celles prévues par le Constituant lui-même, d’autre part. Des exemples de ces limites sont nombreux : on peut citer le droit au libre développement de sa personnalité qui ne peut s’exercer sans le respect des droits d’autrui ou le respect de l’ordre public ; la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression qui doit s’accommoder avec le respect de l’ordre public ; il en est de même au sujet de la liberté d’aller et venir, tout comme il convient de concilier le secret des correspondances avec l’ordre public et la sécurité de l’État.

Le texte constitutionnel livre donc lui-même la liste des droits ou principes qui se verraient limités si d’aventure un autre principe de rang constitutionnel est en balance. La règle étant que la limitation constitutionnellement organisée soit appliquée de façon raisonnable par le législateur, en d’autres termes, qu’elle soit proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur. Si tel n’est pas le cas, la Cour, à travers son contrôle, demande à ce dernier de constitutionnaliser le texte en envisageant une limitation moins excessive, raisonnable ou, pour reprendre l’expression à l’ordre du jour, proportionnée.

C’est ce qu’elle fit, toujours à travers sa décision du 2 novembre 1993, lorsqu’il s’est agi de concilier la liberté de la presse avec le respect de l’ordre public et le pluralisme des courants socioculturels. Dans un considérant qui dévoile toute l’orientation de sa décision, la Cour précise d’emblée que : « s’agissant de la liberté de la presse écrite, la loi ne peut en réglementer l’exercice que pour rendre celui-ci plus effectif ou pour le concilier avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont le respect de l’ordre public, de la liberté d’autrui, de la dignité du citoyen et du pluralisme des courants socioculturels ; que s’agissant de la liberté de la communication audiovisuelle, son exercice doit être nécessairement concilié, non seulement avec lesdits objectifs, mais aussi avec les contraintes techniques inhérentes aux moyens de sa mise en œuvre ».

Il ressort à l’évidence, à travers les termes du « considérant » précité que ce n’est pas l’objectif de la loi, en l’espèce la liberté de la communication, que la Cour contrôle, mais plutôt le choix des moyens retenus par le législateur pour atteindre cet objectif, parce que seuls ces moyens peuvent porter atteinte à un droit ou à un principe de rang constitutionnel. La proportionnalité, comme technique de contrôle, se révèle être dans ces conditions un instrument indispensable, voire incontournable pour le juge. Elle n’est pas superfétatoire, elle complète la liste des instruments de contrôle de la Cour et joue un rôle qu’aucun autre moyen, ni aucune autre technique ne peut assumer. C’est d’ailleurs à juste titre que le professeur Dominique Rousseau dit, s’agissant du Conseil constitutionnel français, que, « le test de proportionnalité n’est pas un contrôle arbitraire au sens où le Conseil n’aurait pas d’autres références que sa propre subjectivité à proposer à celle du législateur ».

En conséquence, le test de proportionnalité ne permet pas à la Cour de glisser vers le terrain de l’opportunité. En effet, seul le contrôle de l’objectif de la loi peut conduire le juge constitutionnel à critiquer l’opportunité de l’acte du législateur. La Cour n’entend pas s’embarquer dans une telle aventure, car elle consisterait à substituer son appréciation à celle du législateur. L’occasion serait trop belle pour les détracteurs de l’institution, qui verraient là un argument de taille pour brandir l’épouvantail du gouvernement des juges.

Nous venons de voir que dans une même loi, deux droits ou principes fondamentaux peuvent s’opposer et que le législateur peut préférer garantir l’un au détriment de l’autre. Pourvu que l’atteinte portée au droit sacrifié ne soit pas excessive. Il s’agit, en d’autres termes, d’analyser la mesure à contrôler au regard de deux échelles : la première permet de situer le degré de gravité de l’atteinte à une liberté ou à un droit, c’est-à-dire l’intensité de la restriction ; la seconde permet d’évaluer le degré d’importance de l’intérêt public en jeu, c’est-à-dire l‘intensité de l’intérêt général.

Plus l’intérêt général est fondamental, plus la restriction, même importante, pourra être jugée proportionnée ; inversement, plus la restriction est gravement attentatoire à un droit particulièrement protégé, plus l’objectif d’intérêt général devra être fondamental pour qu’il puisse y être porté atteinte.

Il n’en demeure pas moins que le droit ou le principe ayant fait l’objet d’une limitation ne doit pas être considéré comme étant de rang inférieur par rapport au droit privilégié. Pour tous juges, les droits garantis par la Constitution ont tous la même valeur puisqu’ils ont une origine commune : la Constitution. Dans tous les cas, la proportionnalité comme technique de contrôle sert à protéger les droits et non pas à les hiérarchiser.

Je voudrais terminer cette communication par quelques observations.

Contrairement à ce qu’il peut sembler, la mise en œuvre par le juge du contrôle de proportionnalité n’est pas totalement libre. Il y a une part non négligeable de figures imposées.

C’est ainsi que le juge, dans cet exercice, est lié par la force du précédent et la nécessité de continuité du droit. C’est-à-dire que, le juge constitutionnel aura tendance à mettre en œuvre les instruments du contrôle de proportionnalité dans les conditions identiques à la nature et à l’intensité du contrôle opéré dans des situations techniquement voisines.

En tout état de cause, un éventuel infléchissement, par exemple dans le sens d’un renforcement de l’intensité du contrôle, devra être dûment motivé, dès lors qu’il s’écarte des modalités antérieurement retenues.

En outre, dans le souci de se prémunir contre des préjugés, le juge aura logiquement tendance à formaliser son utilisation du contrôle de proportionnalité en la liant aux circonstances particulières de l’affaire, de manière à échapper à l’accusation récurrente de gouvernement des juges.

Or, par définition, le contrôle de proportionnalité devrait échapper à la formalisation artificielle d’une technique de contrôle, parce que la proportionnalité, par essence, induit une relation de cause à effet.

Pourtant le juge, soucieux d’éviter que l’intensité de son contrôle apparaisse arbitraire et/ou imprévisible, aura tendance à structurer son raisonnement de façon à légitimer l’exercice de sa mission juridictionnelle.

Toutes ces difficultés, toutes ces contraintes ne nous invitent-elles pas à la quête perpétuelle d’un équilibre entre imposer la nécessité d’un contrôle de proportionnalité de la qualité de celui opéré par les Cours, et le fait pour le juge de savoir également s’imposer une proportionnalité dans le contrôle de proportionnalité, sans laquelle ledit contrôle ne sera ni admis, ni admissible.

La proportionnalité dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Belgique

Bernadette Renauld [1]

Référendaire à la Cour constitutionnelle de Belgique

Pour la Cour constitutionnelle de Belgique, le contrôle de proportionnalité est un exercice à la fois ancien et quotidien. En 1992 déjà, le juge Paul Martens intitulait un article : « L’irrésistible ascension du principe de proportionnalité », et qualifiait ce principe « d’envahissant »[2].

En droit belge, il n’y a pas de texte constitutionnel, légal ou autre qui impose de façon générale aux législateurs de respecter le principe de proportionnalité. L’utilisation d’un contrôle de proportionnalité est donc prétorienne. Par contre, ce n’est pas vraiment une invention belge, parce que la Cour européenne des droits de l’homme avait formulé et utilisé un « test de proportionnalité » avant que les juges belges ne le fassent. Mais dès son premier arrêt au contentieux des droits et libertés au sens large, la Cour constitutionnelle de Belgique s’est largement inspirée de ce que faisait la Cour européenne des droits de l’homme pour intégrer la proportionnalité dans son raisonnement.

Comme vous le savez, la Cour constitutionnelle de Belgique est compétente pour exercer un contrôle de compatibilité des normes de valeur législative par rapport, d’une part, aux règles répartitrices de compétences entre les niveaux de pouvoirs fédéral et fédérés, et, d’autre part, aux dispositions constitutionnelles garantissant des droits fondamentaux. Le contrôle de proportionnalité occupe une place centrale dans le raisonnement de la Cour, qu’elle statue au contentieux de la répartition des compétences ou au contentieux du respect des droits fondamentaux.

1. En matière de répartition des compétences, dès avant l’introduction dans la Constitution de l’article 143 qui recommande aux différentes collectivités politiques d’agir dans le respect de la «loyauté fédérale», la Cour avait exprimé l’idée que la proportionnalité est inhérente à l’exercice de toute compétence, ce qui signifie que chaque législateur est tenu, dans l’exercice de sa propre compétence, de veiller à ce que, par son intervention, l’exercice des compétences des autres législateurs ne soit pas rendu impossible ou exagérément difficile. En application de ce principe, il arrive que la Cour annule une disposition qui, bien que rentrant exactement dans le champ de compétences de son auteur, a pour effet de paralyser ou de compliquer exagérément l’exercice par un ou plusieurs autres législateurs de leurs propres compétences.

Un exemple frappant de ce raisonnement est donné par l’arrêt n° 132/2004[3], qui concerne les compétences respectives de l’autorité fédérale et des communautés fédérées en matière de télécommunications d’une part et de régulation de l’audiovisuel de l’autre. La Cour constate à l’occasion de l’examen de cette affaire que les règles de répartition des compétences en ces matières, qui datent du début des années 1980, sont dépassées par les évolutions technologiques. Pour résoudre le conflit, elle va utiliser le contrôle de proportionnalité, et en arriver à sanctionner un législateur qui, stricto sensu, n’avait pas outrepassé son domaine de compétences : « En règle, l’absence de coopération dans une matière pour laquelle le législateur spécial ne prévoit pas d’obligation à cette fin n’est pas constitutive d’une violation des règles de compétences. Toutefois, en l’espèce, les compétences de l’État fédéral et des communautés en matière d’infrastructure des communications électroniques sont devenues à ce point imbriquées, par suite de l’évolution technologique, qu’elles ne peuvent plus être exercées qu’en coopération. Il s’ensuit qu’en réglant unilatéralement la compétence du régulateur des télécommunications, le législateur a violé le principe de proportionnalité propre à tout exercice de compétences. » Le concept de la proportionnalité permet donc de créer des solutions équilibrées, ou encore d’éviter les solutions trop tranchées dans un sens ou dans l’autre, qui ne sont pas toujours satisfaisantes.

2. En matière de droits fondamentaux, la Cour a, dès son premier arrêt qui concernait les principes d’égalité et de non-discrimination, lié étroitement l’égalité et la proportionnalité. Ensuite, au fur et à mesure du développement de sa jurisprudence relative à d’autres droits fondamentaux, elle fait pratiquement toujours intervenir un contrôle de la proportionnalité de la mesure incriminée. Ce contrôle recouvre en réalité trois tests : pour être jugée compatible avec la Constitution, la mesure en cause doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi (nécessité), elle doit contribuer à le réaliser (adéquation ou pertinence) et elle doit enfin ne pas occasionner de préjudice déséquilibré par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi (proportionnalité au sens strict). Il s’agit en définitive toujours de comparer, de balancer l’atteinte à un droit fondamental pour une catégorie d’individus et l’avantage escompté de la mise en œuvre de la mesure en termes d’intérêt général.

Par exemple, appelée à juger de la constitutionnalité de la mesure consistant à imposer aux parents de certains jeunes ayant commis des infractions un « stage parental » destiné à les aider à reprendre leur mission éducative, la Cour constate que « même si une mesure qui accompagne et assiste les parents dans leur rôle d’éducateur pouvait être considérée comme une ingérence dans leur vie privée et familiale, il ne s’agirait pas d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, eu égard, d’une part, à l’objectif social contraignant, poursuivi par la mesure, de responsabilisation de certains parents et, d’autre part, au champ d’application particulièrement limité du stage parental » (arrêt n° 49/2008).

Un autre exemple est donné par un arrêt rendu en matière fiscale : « même si le législateur fiscal dispose d’une ample marge d’appréciation, une imposition peut revêtir un caractère disproportionné portant une atteinte injustifiée au respect des biens si elle rompt le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens » (arrêt n° 107/2005).

Lorsque deux ou plusieurs droits fondamentaux entrent en concurrence, le recours à la proportionnalité est précieux, voire incontournable, la Cour opérant une véritable mise en balance des droits fondamentaux en cause. Ainsi, lorsqu’elle a été amenée à juger de la constitutionnalité des « méthodes particulières de recherche » utilisées par les services de police dans la lutte contre certaines formes de criminalité, la Cour a mis en balance le droit à un procès équitable, qui implique que l’accusé ait accès à l’entièreté du dossier, et le droit à l’intégrité physique de certaines personnes impliquées dans la mise en œuvre des méthodes en cause. Elle a admis que l’objectif de sauvegarder le deuxième droit devait permettre la limitation du premier : « L’objectif d’assurer la protection de l’intégrité physique des personnes participant aux méthodes particulières de recherche est légitime et revêt une importance telle qu’il justifie que leur anonymat vis-à-vis des parties au procès et du public soit absolument garanti. La nécessité de garantir l’efficacité des méthodes mises en œuvre pour l’avenir en occultant certaines techniques peut aussi justifier qu’elles aient un caractère confidentiel. » Mais la Cour a insisté sur le fait que ces atteintes aux exigences d’un procès équitable ne pouvaient être admises qu’à la condition qu’un juge indépendant et impartial ait l’occasion d’exercer un contrôle de l’ensemble du dossier, y compris les pièces non accessibles aux parties (arrêts n° 202/2004, n° 105/2007 et n° 107/2007).

La proportionnalité, c’est une balance. Ceci signifie que lorsqu’on charge un des plateaux de la balance, il faut que l’autre plateau soit chargé également pour atteindre l’équilibre. En d’autres termes, si l’atteinte aux droits fondamentaux d’une catégorie de personnes est très importante, elle ne pourra être justifiée que par un objectif très important pour l’intérêt général.

Les critères d’appréciation de la Cour constitutionnelle de Belgique comprennent notamment l’importance du droit fondamental en cause, l’efficacité de la mesure, le fait qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire (par exemple parce qu’elle néglige de prévoir certaines exceptions dans certaines situations), la possibilité d’atteindre le même objectif par une mesure moins attentatoire aux droits des personnes. La Cour est également attentive à l’ensemble du contexte législatif, et notamment à l’existence de mesures connexes qui atténuent l’effet de la mesure critiquée.

3. La proportionnalité est également utilisée par la Cour pour moduler ou atténuer, dans certains cas, les effets de ses propres arrêts. Il s’agit ici d’un instrument de mesure essentiel, bien qu’utilisé avec parcimonie, dans deux cas de figure.

La Cour dispose de la possibilité de suspendre une norme dont l’annulation et la suspension sont demandées, lorsque l’application immédiate de cette norme risque de causer un préjudice grave difficilement réparable et qu’un moyen sérieux d’annulation est formulé. Il est déjà arrivé que, malgré que les conditions de la suspension soient réunies, la Cour refuse d’accéder à la demande, « en faisant la balance des inconvénients qu’une application immédiate des dispositions attaquées causerait à la partie requérante et des inconvénients qu’une suspension entraînerait pour l’intérêt général » (arrêt n° 17/2007).

Lorsque la Cour prononce l’annulation d’une norme, celle-ci est réputée n’avoir jamais existé : l’annulation vaut ab initio et erga omnes. En vue d’atténuer les effets radicaux d’une telle annulation, la loi spéciale sur la Cour permet à celle-ci de maintenir, en tout ou en partie, les effets d’une norme qu’elle annule. Si la Cour décide de maintenir les effets de la disposition qu’elle annule, elle limite l’impact de l’annulation prononcée sur l’ordre juridique. Il arrive que le Conseil des ministres ou un gouvernement fédéré prie la Cour, en cas d’annulation, de maintenir les effets. Dans d’autres hypothèses, la Cour décide d’office de le faire. Pour décider du maintien, ou pas, des effets d’une disposition annulée, la Cour recourt également à la proportionnalité : elle met en balance l’atteinte aux droits des requérants causée par l’application de la disposition inconstitutionnelle et l’ampleur des conséquences, pour l’intérêt général, d’une annulation erga omnes et rétroactive. Un exemple de cette technique est donné par l’arrêt n° 1/2005, rendu en matière de statut des magistrats : «l’avantage que procurerait à certains des requérants l’effet rétroactif de l’annulation est hors de proportion avec les perturbations qu’il causerait au service public de la justice ».

La proportionnalité n’aurait-elle donc que des vertus ?

Deux reproches lui sont généralement adressés. La mise en œuvre du contrôle de proportionnalité crée de l’insécurité juridique, parce qu’elle comporte une part d’appréciation du juge. Le second reproche est lié au premier : en permettant au juge constitutionnel de jauger de la proportionnalité de toute mesure législative, ne voit-on pas apparaître à tout le moins le risque du gouvernement des juges ?

Ces questions ont déjà été abordées au cours des débats. On a ainsi déjà eu l’occasion de souligner la différence entre le contrôle du but poursuivi par le législateur, de ses choix politiques, et le contrôle des moyens qu’il met en œuvre. Cette différence renvoie à celle que l’on peut faire entre un contrôle de proportionnalité et un contrôle d’opportunité. Mais, je le concède volontiers, la différence est subtile, la frontière est ténue et mouvante.

Je pense pour ma part que le juge constitutionnel ne peut pas faire autrement que de se servir du contrôle de proportionnalité. Parce que les valeurs qui animent nos démocraties sont plurielles. Parce qu’inévitablement, ces valeurs entrent en conflit. Et aussi parce que l’existence du juge constitutionnel permet aux minorités, à ceux dont les droits ou les intérêts n’ont pas été suffisamment pris en compte par la majorité agissant au nom de l’intérêt général, de faire entendre leur voix. Enfin, la légitimité de tout juge tient également à sa capacité de rendre acceptables ses décisions[4]. La vertu Justice tient en main une balance. La proportionnalité est la balance du juge constitutionnel, elle a un rôle à jouer dans la construction de sa légitimité.

Rapport de synthèse

Jean du Bois de Gaudusson

Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV
Président honoraire de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)

Je mesure l’honneur qui m’est fait de participer à votre conférence, la 5e du genre et de me trouver en présence des plus hautes juridictions du constitutionnalisme en action de la Francophonie. On ne soulignera jamais assez l’utilité de ces réseaux de professionnels dont l’ACCPUF est une excellente illustration et de ces rencontres internationales ; ils sont un facteur de renforcement de la communauté des juristes. Ils sont de précieux lieux d’échanges, où Cours et Conseils, avec d’autres, peuvent s’épauler et se conforter dans les périodes difficiles.

La tâche de votre rapporteur général est plus malaisée que d’ordinaire, en raison de l’impressionnante richesse des contributions, réflexions et débats dont on ne saurait rendre compte dans leur totalité ; il y en a d’autres :

1. Un sujet aux contours indéterminés

Le thème retenu est particulièrement difficile à saisir. Comme le relevait l’auteur d’une thèse sur le sujet, Xavier Philippe, la proportionnalité est « plus facile à comprendre qu’à définir » ; et, à plusieurs reprises, on s’est demandé si l’on n’était pas en présence d’une de ces fausses idées claires qui peuplent les systèmes juridiques.

Ainsi que cela est apparu tout au long de la conférence, la proportionnalité est l’objet de multiples interprétations. Elle est entendue tantôt stricto sensu, tantôt lato sensu, débordant dans ce cas le seul domaine du contentieux ou même du droit. On tend à y voir un principe mais on estime qu’il n’apparaît pas ou si peu et qu’il n’est nulle part, les textes ne s’y référant que rarement.

D’autres considèrent qu’à analyser la jurisprudence, il s’agit beaucoup plus d’une technique juridictionnelle venant enrichir l’arsenal utilisé par le juge pour exercer son contrôle. C’est dans ce dernier sens que se sont orientés nos travaux, incités il est vrai en cela, par la formulation du thème du colloque. Vous avez ainsi pris le parti, judicieux, d’analyser les manières dont la proportionnalité est mise en œuvre et, surtout, comment et dans quelle mesure le juge en assure le respect. C’est bien dans le contrôle, le contrôle de proportionnalité, que résident la réalité et l’intérêt du sujet.

Même ainsi précisé, le sujet n’en est pas pour autant facile à identifier ; les modalités du contrôle rangées sous le label de la proportionnalité sont nombreuses et leurs dénominations si variables qu’elles composent ce que l’un d’entre vous a appelé un « véritable catalogue lexical à géométrie variable », dont l’utilisation est à l’origine de non moins nombreuses confusions.

Quoi qu’il en soit, quelles que soient les difficultés de l’approche, la proportionnalité existe, de façon concrète ou diffuse, sans qu’on le sache toujours ; vous l’avez rencontrée pendant trois jours, ici et dans vos juridictions. Les réponses au questionnaire montrent qu’elle est appréhendée inégalement par les Cours et les Conseils constitutionnels. La diversité des situations tient à de nombreux facteurs juridiques et extra-juridiques selon que le contrôle exercé par le juge est abstrait ou concret ; selon la nature des rapports officiels et officieux avec les autres pouvoirs constitutionnels qui dépendent en partie du degré de consolidation des Cours ; selon aussi et, surtout, les modes de saisine : ceux-ci obéissent à des règles présentant des différences sensibles qui créent une véritable « échelle d’ouverture » allant de la Tunisie à la Belgique en passant par la France. Ce degré d’ouverture et l’utilisation effective qui est faite des recours ne sont pas indifférents dans la mesure où ils ont pu, du moins dans certaines cours, encourager les évolutions jurisprudentielles et multiplier les occasions de donner consistance à la proportionnalité.

Ces différences entre les juridictions et les jurisprudences de la Francophonie interdisent les généralisations hâtives et la recherche de modèles. On devine les incertitudes des analyses, le caractère mouvant des typologies et la délicate mais nécessaire épreuve consistant à naviguer entre positivisme juridique et positivisme sociologique.

2. La forte attractivité de la proportionnalité

Depuis quelques années, la proportionnalité connaît un succès grandissant tant auprès des juges que de la doctrine. On remarque le vif intérêt pour une technique en laquelle on voit un facteur de perfectionnement du contrôle juridictionnel en général et du contrôle de constitutionnalité en ce qui nous concerne. Pour beaucoup, le concept de proportionnalité s’est (et doit être…) progressivement intégré dans la norme et il se situe désormais au cœur du métier du juge constitutionnel, qui lui donne les moyens de son expression.

Cette consécration n’est pas nouvelle en droit – on se souvient du célèbre arrêt Benjamin rendu par le Conseil d’État français en 1933 – ni dans le monde ; dans les pays de Common Law, par exemple, la règle du précédent appelle nécessairement le concept de proportionnalité ; l’histoire retient comment celui-ci s’est introduit dans la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis à partir des années 20. Il est aussi mis en œuvre en droit communautaire européen.

Dans les pays de la Francophonie, du moins dans ceux qui partagent le même patrimoine juridique que la France, c’est plus tardivement, à partir des années 80, que le droit constitutionnel s’est emparé de la proportionnalité. Cette prise en considération est dans certains cas prévue par les textes, la proportionnalité étant une condition, expresse de la constitutionnalité de la loi dont le juge assure le respect ; il en est notamment ainsi en droit constitutionnel répressif. Mais, elle est surtout l’œuvre de la jurisprudence qui a développé et officialisé un contrôle longtemps limité, parfois ignoré, mais en réalité sous-jacent parce qu’inévitablement lié à toute mission juridictionnelle.

Ce succès s’inscrit dans le mouvement général du renforcement de l’État de droit et d’approfondissement constant des garanties des droits de l’homme et des libertés dont le droit constitutionnel actuel fait une de ses priorités (pour une partie de la doctrine, ce serait même la seule…). Aujourd’hui, en même temps que l’accent est mis sur cette mission, apparaît aussi l’idée de faire prévaloir d’autres exigences et par conséquent de ne pas ou de ne plus considérer ces droits comme absolus, mais susceptibles d’atteintes, de limites… proportionnées.

Une autre raison de cette référence plus fréquente à la proportionnalité réside dans la multiplication des normes du bloc de constitutionnalité qui peuvent être contraires ou non compatibles et entre lesquelles le juge doit arbitrer. Il s’agit bien d’une des factions majeures du juge constitutionnel que de concilier des normes constitutionnelles d’égale importance et de même niveau.

Moyen de limiter le pouvoir discrétionnaire, le contrôle de proportionnalité est aussi la manifestation de la volonté de refuser le déraisonnable même s’il est, en première analyse… légal ou constitutionnel.

Prévu ou non par la constitution, le contrôle de proportionnalité offre ainsi au juge une solution, pour régler concrètement une série de conflits qui, pour reprendre des exemples que vous avez examinés, opposent : le droit de grève et la continuité du service ; la droit de la mère à disposer de son corps et le droit de vivre de l’enfant ; la liberté individuelle et d’aller et venir et la défense des fins d’intérêt général ayant valeur constitutionnelle ; la liberté de communication audiovisuelle et les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui, la pérennisation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturelle ; le droit de propriété, la liberté d’entreprendre et le principe de nationalisation…

Tous les Conseils et Cours constitutionnels n’ont pas les mêmes occasions de développer ce contrôle – beaucoup dépendant des saisines – et d’affiner leurs techniques : le colloque a permis l’échange de bonnes pratiques et la sensibilisation des participants non seulement à l’intérêt du contrôle de proportionnalité mais aussi aux moyens de l’exercer un peu plus et mieux. Sans toutefois conclure à l’obligation pour tous d’ériger la proportionnalité en un véritable principe.

3. Un contrôle politiquement sensible

L’ observation pourra surprendre, dans la mesure où la reconnaissance de la proportionnalité est admise et sa généralisation recommandée. Une des tendances de la doctrine n’est-elle pas d’y voir un principe universel et fondamental de la jurisprudence constitutionnelle qui revêtirait la forme d’un principe matriciel ? On sait comment la proportionnalité est allée dans ce sens en lui conférant une valeur constitutionnelle en Allemagne, en Suisse ou en Espagne. Et, plus généralement ne constate-t-on pas une tendance à une réinterprétation des jurisprudences en fonction de ce critère ?

La proportionnalité n’est pas, cependant, sans susciter plusieurs séries de craintes ou de critiques, comme l’ont montré nos discussions. La question peut être posée de savoir s’il n’y a pas dans cette perspective une orientation risquée de nature à remettre en cause des équilibres de l’État ainsi que des principes aussi fondamentaux que la séparation des pouvoirs ? Et, en définitive, ne serait-on pas en présence de ce qui pourrait ressembler à un miroir aux alouettes ?

– Une première crainte tient à l’ambivalence de sa signification; tel le Janus de Maurice Duverger, le contrôle de proportionnalité en même temps qu’il assure la protection des droits – c’est ainsi qu’il est perçu – devient aussi la justification des limitations voire des atteintes qui leurs sont portées au nom de l’ordre public, de l’intérêt général et d’autres valeurs extra-juridiques telles celles qui ont été évoquées par plusieurs d’entre vous, la cohésion ou l’harmonie sociales.

– N’y a-t-il pas, ensuite, un risque de nivellement entre les différentes libertés et, par l’application répétitive du principe, une menace de réduction de la substance de ces libertés ? En d’autres termes, la proportionnalité ne conduit-elle pas à des solutions médianes, tempérant le caractère fondamental d’une liberté et, par-là, à lui faire perdre l’essentiel de son contenu et à en empêcher la préservation ? Le risque est réel ; mais dans un autre sens, cette confrontation et conciliation des libertés n’est-elle pas inévitable et nécessaire pour les rendre effectives ? C’est précisément un des intérêts de ce type de contrôle que de le permettre.

– Il est enfin permis de s’interroger sur la portée réelle de la reconnaissance souhaitée par de nombreux auteurs d’un principe de proportionnalité. La doctrine allemande offre un exemple intéressant des interrogations des juristes et de leurs hésitations.

Si ce type de contrôle risque, pour certains, d’être plus incantatoire qu’effectif, d’autres estiment au contraire qu’il n’est pas sans danger en raison de l’excessive restriction du pouvoir discrétionnaire des autorités publiques qu’il peut entraîner. Le contenu indéterminé du principe autorise d’incontrôlables extensions, dépendant d’un juge qui en définit les termes de référence. À bien des égards, l’invocation de la proportionnalité n’apparaît-elle pas comme une formule servant d’alibi à une juridiction qui l’emploie pour remettre en cause les décisions prises par les autres pouvoirs, exécutif et législatif ? Admissibles en droit administratif, les techniques de contrôle de la proportionnalité (erreur manifeste d’appréciation, bilan coût – avantage, …) sont-elles utilisables, tel quel, en droit constitutionnel ? Un des maîtres du droit public allemand, Forsthoff critiquait une telle transposition. Derrière ces arguments, se dessine sinon la crainte d’un gouvernement des juges, à tout le moins celle d’une subjectivité du juge résultant du fait que le débat juridictionnel se trouve, pour reprendre le mot de Guy Braibant, en droit administratif, aux confins de la légalité et de l’opportunité, donc… malgré la précaution de style… déjà dans l’ordre de ce dernier ; avec d’autres risques, ceux de la politisation de la jurisprudence et en fin de compte d’une insécurité juridique.

Ces critiques ne sont pas propres à la proportionnalité, mais elles ont en ce domaine une portée particulière et ne sont pas sans effet : on se souvient du revirement opéré par la Cour suprême des États-Unis en 1937, en privilégiant le recours à une démarche plus objective, le juge ne vérifiant plus le raisonnable d’un acte mais l’absence de déraisonnable, avec comme conséquence une plus grande latitude laissée au législateur sans pour autant entraîner un recul pour les droits.

On voit toutes les implications du contrôle de proportionnalité ainsi que l’étroitesse de ses liens avec le système politique auquel appartient le juge constitutionnel ; on devine combien ce contrôle dépend non seulement de la volonté et de l’intime conviction des juges mais aussi de l’équilibre existant entre les pouvoirs, de la consolidation des cours constitutionnelles et du positionnement des États dans le processus de démocratisation ; c’est cet arrière-plan qui donne sa signification à nombre des interventions de ce colloque. C’est là qu’il faut en revenir, pour conclure.

En définitive, plutôt que d’y voir un droit ou un principe, la proportionnalité est avant tout une méthode et désigne un certain nombre de techniques de contrôle. Dans ce sens qui relève du pragmatisme plus que de l’esprit de système, le contrôle de proportionnalité trouve son utilité. Ainsi que le soulignait le premier président Drai « ce qui fait la légitimité du juge, c’est moins sa composition ou son mode de recrutement que la manière dont il s’acquitte de sa tâche, sa préoccupation de rendre des décisions acceptables par ceux qui s’adressent à lui ».

Ce colloque et le choix du thème ont certainement contribué à mieux comprendre les enjeux ; c’est donc au juge que revient, comme d’habitude, la responsabilité la plus lourde, celle, ici, d’utiliser, avec mesure, la proportionnalité pour en faire un instrument de contrôle efficace pour lui ; mais, dans cet exercice, on ne doit oublier ni le justiciable dont il faut se demander ce qu’il y gagne, ni le pouvoir à l’égard duquel il convient à chaque fois, comme souvent pour un juge constitutionnel mais plus encore avec cette méthode, d’apprécier les frontières de son contrôle…

Allocution de Christine Desouches

Conseiller spécial chargé des affaires politiques et diplomatiques de Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie

Madame le Président de la Cour constitutionnelle du Gabon,

Monsieur le Président de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français (ACCPUF), Président du Conseil constitutionnel du Burkina Faso,

Mesdames et Messieurs les Présidents et Membres des Cours constitutionnelles et institutions équivalentes francophones,

Mesdames et Messieurs, distingués invités,

C’est avec un réel plaisir et une satisfaction jamais démentie que je me présente, à votre aimable invitation, devant votre auguste assemblée, aujourd’hui, à Libreville, pétrie des débats fructueux qui ont une nouvelle fois souligné le sens et les valeurs de la coopération francophone menée sous l’égide de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français (ACCPUF).

À l’orée de mon propos, je voudrais d’abord vous transmettre les chaleureuses félicitations et les sincères encouragements de S.E. Monsieur Abdou DIOUF, Secrétaire général de la Francophonie, qui m’a chargée de vous exprimer la haute estime dans laquelle il tient l’exercice de votre magistère, souvent dans des conditions périlleuses, mais toujours avec le souci de porter haut le droit et les valeurs d’éthique et de rigueur qui s’y attachent.

Là, réside l’intérêt avéré et l’affection singulière que l’Organisation internationale de la Francophonie porte à votre mobilisation exemplaire comme à la dynamique de concertation qui préside à vos travaux, véritable école du savoir, technique mais aussi doctrinal, avec toutes les audaces de la pensée qu’elle autorise, à l’exemple du thème de vos assises sur le principe de la proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle.

Je voudrais également vous remercier très vivement, Madame le Président de la Cour constitutionnelle du Gabon, pour votre engagement constant en faveur du rayonnement de l’ACCPUF, depuis sa création en avril 1997, puis durant la présidence de l’association que vous avez menée avec talent de 2000 à 2003, et encore actuellement, comme en témoigne l’organisation parfaite de cet événement sur le sol gabonais, fertile en initiatives en faveur du dialogue et de la paix, ainsi que l’a à nouveau démontré la signature des Accords conclus voilà quelques jours entre les autorités centrafricaines et les mouvements armés, sous la haute facilitation de S E Monsieur El Hadj Omar Bongo Ondimba, président de la République gabonaise.

Permettez-moi, enfin, de saluer le concours apporté au succès de cette conférence par le bureau régional de l’OIF pour l’Afrique centrale et l’Océan indien, situé à Libreville, représenté, ici, par son directeur, Monsieur Xavier Michel, en vous rappelant l’entière disponibilité de ces Représentations déconcentrées, pour vous épauler dans la réussite de vos projets.

Madame le Président,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Ces retrouvailles interviennent plusieurs mois après le Congrès de l’association organisé, à Paris, en novembre 2006, et quelques semaines avant la tenue du XIIe Sommet des Chefs d’État et de gouvernement francophones, qui se déroulera à Québec, du 17 au 19 octobre 2008. Elles se présentent, à ce titre, comme une opportunité appréciable de nous livrer à une prospective enrichissante, fondée sur les acquis enregistrés, que notre responsabilité commune nous invite à conforter.

La Francophonie politique est en mouvement, plus que jamais, et votre participation, nombreuse, à cette Conférence démontre clairement que les Cours constitutionnelles entendent contribuer pleinement aux démarches de solidarité, et de surcroît de normativité engagées au sein de l’espace francophone en faveur d’une protection accrue des droits de l’homme ainsi que du développement.

J’en veux pour preuve la participation, en qualité de membre observateur, du Conseil constitutionnel algérien à vos travaux et l’adhésion, aujourd’hui, à l’ACCPUF de quatre juridictions constitutionnelles, d’Andorre, de l’ex-République yougoslave de Macédoine, de Serbie et de Tunisie, qui viennent encore renouveler la portée, l’intensité et la vigueur de vos, de nos, interventions.

Interventions autour de l’État de droit, à titre principal, idéal et ambition partagés par nos deux Organisations, consacré à titre précurseur au cœur des engagements francophones dès 1989 puis, dans le cadre de la Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, dont la consolidation nous mobilise, toujours plus fortement, en appelant à notre vigilance et à notre créativité afin d’ancrer de façon durable les processus démocratiques et de paix, confrontés à des défis nouveaux.

Dans ce sens, la IVe Conférence des ministres francophones de la justice, organisée à Paris, en février 2008, à laquelle ont pris part plus de soixante délégations francophones, est venue relancer, douze années après la IIIe Conférence, tenue au Caire, en novembre 1995, l’action francophone dans les domaines du droit et de la justice.

La Déclaration de Paris, adoptée le 14 février 2008, et dont les travaux préparatoires ont largement puisé dans la somme des contributions et des publications des associations francophones et, notamment, de l’ACCPUF, spécifie ainsi trois ensembles principaux d’engagements en faveur de l’organisation et de l’administration d’une justice indépendante et de qualité, de la prévention de la fragilisation de l’État et de la préparation des sorties de crise, ainsi que de la promotion d’une justice et d’un droit facteurs d’attractivité économique et de développement des pays francophones.

En juin 2008, par ailleurs, l’OIF a organisé, à Bucarest, dans le suivi de celle qui s’était inscrite dans l’environnement du Sommet de Ouagadougou, de novembre 2004, une nouvelle concertation entre les représentants des réseaux institutionnels de la Francophonie, acteurs et vecteurs privilégiés de la démarche et des valeurs francophones, illustrant pleinement les modes opératoires préconisés dans le programme d’action de Bamako adopté en octobre 2002, soit la systématisation des échanges d’expériences, ainsi que l’identification et la diffusion des pratiques positives, concourant de ce fait à asseoir une véritable politique d’excellence et d’influence.

Il s’agissait tout à la fois de favoriser les synergies entre ces réseaux, qui chaque année s’étoffent et se diversifient, ainsi que l’émergence d’un partenariat renouvelé entre eux et la Francophonie, en valorisant aussi leur savoir-faire auprès des organisations internationales et régionales avec lesquelles œuvre l’OIF.

Laissez-moi à cet égard insister tout particulièrement sur nos liens avec la Commission européenne, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, mais aussi avec le Conseil de l’Europe et relever la signature, le 23 mai 2008, par le secrétaire général de la Francophonie et le secrétaire général du Conseil de l’Europe, d’une Déclaration commune sur le renforcement de leur coopération, cadre d’une interaction rénovée pour assurer une meilleure complémentarité des programmes respectifs, voire la conception d’actions conjointes relevant de l’État de droit, de la démocratie et des droits de l’homme. Il y a là des perspectives utiles pour la justice constitutionnelle qui intéressent très directement l’ACCPUF.

L’ année 2008 sera, enfin, marquée, en octobre prochain, par l’ événement majeur que représente l’organisation du Sommet des Chefs d’État et de gouvernement francophones, à Québec, qui est notamment appelé à se pencher sur les enjeux afférents à l’approfondissement de la démocratie et à la consolidation de l’État de droit, tous processus auxquels vous êtes partie prenante au quotidien, tant le rôle éminent et décisif des juridictions constitutionnelles dans ce domaine n’est plus à démontrer.

Nul doute que les décisions issues de ce Sommet scelleront avec plus de vigueur encore les initiatives à l’œuvre entre vous, dans le cadre de l’ACCPUF, ou encore à nos côtés, en faveur d’institutions de pays en situation de sortie de crise et de transition démocratique, à l’instar des processus en cours en Côte d’Ivoire, en Guinée, en République centrafricaine, aux Comores, sans oublier Haïti.

Madame le Président,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs,

C’est sur la base de ces repères et de ces jalons qu’il me revient à présent d’évoquer les perspectives les plus immédiates du partenariat stimulant, patiemment bâti entre l’OIF et l’ACCPUF.

Il s’agit tout d’abord des voies propres à rationaliser l’opérationnalité de notre coopération, notamment en promouvant une véritable politique d’information sur les activités des réseaux. Cela suppose, bien sûr, de votre part, l’amélioration des supports de communication, mais aussi, selon une stratégie concertée, un effort significatif pour relayer l’information auprès de vos responsables politiques et auprès des instances de la Francophonie aux fins d’une prise en considération adéquate des analyses et des recommandations formulées par les réseaux.

Dans le même esprit, la rencontre de Bucarest a également confirmé le caractère prioritaire qui s’attache aux initiatives facilitant la mise en place de procédures d’information des citoyens sur les missions et le fonctionnement des Cours, condition de l’intériorisation de la culture démocratique et institutionnelle.

Elle a en outre rappelé les défis inhérents au renforcement de la fonction d’alerte et de veille des réseaux. Certes, le concours de l’ACCPUF à l’élaboration du rapport présenté tous les deux ans au secrétaire général de la Francophonie puis aux États et gouvernements membres, sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, constitue déjà un apport substantiel de votre participation à l’affermissement de la culture démocratique dans l’espace francophone et à la diplomatie préventive de l’OIF.

L’ analyse, par les professionnels et les praticiens, des pratiques en cours, se présente, en effet, comme une voie sans pareille de prévention structurelle des éventuels dysfonctionnements et, en tout état de cause, d’enrichissement des dispositifs en place, ce en conformité avec la philosophie ayant présidé à la mise en place de l’Observatoire francophone

Vos travaux, consacrés aujourd’hui au principe de proportionnalité, ont une nouvelle fois illustré l’importance d’un perfectionnement continu des techniques de contrôle des Cours et Conseils constitutionnels pour une garantie efficace des droits fondamentaux, perfectionnement soutenu par l’examen des décisions rendues par les institutions de mêmes compétences, ainsi que par la comparaison des méthodes.

Ils ont également rappelé les préalables à la réalisation des missions des Cours que sont l’ouverture des modes de saisine et l’étendue des compétences. Ils soulignent ainsi l’intérêt d’un suivi au quotidien des évolutions jurisprudentielles de même que des textes constitutionnels.

La contribution de l’ACCPUF à une connaissance comme à une compréhension plus fine des réalités et des enjeux mériterait dans ce sens d’être résolument prolongée dans le cas de manquements aux principes fondamentaux constatés par les institutions membres de l’Association, à travers des mécanismes d’alerte de la Francophonie qu’il conviendra de préciser.

Je voudrais à cet égard rappeler le corpus de la Déclaration de Bamako ainsi que la démarche de l’OIF dans la mise en œuvre de ces dispositions.

Consacrant les engagements des États et gouvernements francophones en faveur, notamment, de la consolidation de l’État de droit et de la promotion d’une culture démocratique intériorisée et du plein respect des droits de l’homme, la Déclaration de Bamako, prévoit, dans le cadre de son chapitre 5, un suivi de ces engagements, à travers à la fois une observation et une évaluation permanentes des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, pour définir les mesures les plus appropriées en matière d’enracinement de la démocratie, ainsi que pour décider de mesures graduées en cas de crise de la démocratie et de violations graves des droits de l’homme, ou de rupture de la démocratie et de violations massives des droits de l’homme.

La recherche permanente d’une adéquation et d’une contextualisation des mesures prises dans ces situations, souligne bien la préoccupation des instances francophones d’une intervention proportionnée qui appelle la mobilisation des acteurs institutionnels.

Parallèlement, il s’avère indispensable de développer encore les capacités d’expertise des réseaux, en particulier par l’identification des personnalités susceptibles d’être rapidement mobilisés dans le cadre des programmes conçus à l’intention des institutions des pays en situation délicate et complexe, ou également en appui aux actions de médiation conduites par la Francophonie, ce, afin de renforcer la présence francophone dans les domaines de l’ingénierie constitutionnelle et électorale.

La valorisation de cette expertise trouverait également un prolongement utile dans la mise en place de formations spécialisées à l’intention des membres et des collaborateurs des juridictions constitutionnelles, tant la formation continue constitue la clé de l’effectivité de l’indépendance de la justice.

Quant aux problématiques induites par les mutations internationales auxquelles la Francophonie entend apporter une contribution originale, il semble opportun de rappeler la force de propositions que constituent les réseaux institutionnels de la Francophonie et notamment l’ACCPUF, en évoquant la question spécifique de la promotion de la diversité juridique et de son corollaire, le dialogue des cultures juridiques, thématiques désormais prioritaires pour l’OIF.

Or, dans un contexte de mondialisation de la culture et du droit, fortement concurrentiel, la valorisation du pluralisme juridique implique d’appréhender de façon aussi fine et objective que possible l’efficacité comparée des systèmes juridiques en présence au regard des objectifs poursuivis. L’ACCPUF dispose d’atouts indéniables pour contribuer de façon décisive à ce débat en s’appuyant sur une véritable connaissance réciproque des systèmes en vigueur dans les pays francophones dont elle est le creuset.

Ces préoccupations rencontrent également la question de l’évaluation de la qualité et de la performance de la justice, ce qui implique un travail exigeant sur les paramètres et les indicateurs pertinents, propres à faciliter une adaptation continue des dispositifs en vigueur, comme à offrir des outils adaptés dans le cadre de réformes des systèmes judiciaires.

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Je forme le vœu que ces propos, assortis de quelques perspectives, puissent aiguiller nos prochains échanges, que je devine déjà nombreux, et vous remercie de votre attention.

2. Réponses des Cours constitutionnelles au questionnaire sur « La proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle »

Questionnaire

La proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle

Le principe de « proportionnalité » peut-être défini comme une condition de la constitutionnalité des restrictions apportées aux droits et libertés. Il sert à doser les exigences contradictoires et à concilier l’intérêt général avec les libertés fondamentales. Rarement consacré par les textes, il est en général déduit de l’interprétation des dispositions constitutionnelles expresses.

Comme le rappelle l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les droits et libertés ne sont pas sans limites. Ces limites se justifient généralement pour protéger des droits ou des principes propres à la collectivité étatique. L’article 12 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques de 1976 offre une illustration des motifs à de telles restrictions : «Les droits mentionnés ci-dessus [relatifs à la liberté de circulation et de résidence] ne peuvent être l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte. »

Il revient souvent aux Cours constitutionnelles et institutions assimilées d’exercer un contrôle de proportionnalité entre le droit garanti (exemple : la défense de la liberté individuelle) et l’intérêt général. Il s’agit alors pour la Cour de contrôler l’adéquation des moyens au but recherché, afin de réaliser un équilibre entre les exigences constitutionnelles.

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Le principe de proportionnalité est-il consacré par la Constitution ou a-t-il une place dans certaines de ses dispositions ?

1.2. Quelles sont les dispositions explicites ? Quelle est leur formulation ?

1.3. Quels sont les autres textes qui font référence à ce principe ?

1.4. La Constitution prévoit-elle des limites à l’exercice de certains droits et libertés ?

1.5. Quels principes sont mis en balance ? L’intérêt général ? L’ordre public ? Autres ?

1.6. Quelle est la place des dispositions de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et du pouvoir normatif du juge dans cet équilibre ?

1.7. Quelles sont les autres sources d’inspiration de la jurisprudence ?
Quel est le rôle de la doctrine ?
Quelle est l’influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours ?

II.Le contrôle de proportionnalité

2.1. La jurisprudence traduit-elle de manière explicite un contrôle de proportionnalité ou recourt-elle à des notions connexes ?
En quels termes ?

2.2. Dans quels domaines le contrôle de proportionnalité est-il utilisé ?
Dans le cadre de la répartition des compétences entre le législateur fédéral et entités fédérées ?
Dans le cadre du contrôle des lois restreignant des libertés fondamentales garanties dans la Constitution ?
En matière pénale ?
En matière de contrôle de conventionnalité ?
Dans d’autres domaines ?

2.3. Pouvez-vous citer une ou plusieurs décisions importantes qui opèrent un contrôle de proportionnalité et/ou se fondent sur le principe de proportionnalité ou un principe équivalent ?

2.4. Quels sont les critères d’appréciation retenus par votre Cour pour juger de la proportionnalité d’une mesure ou d’une loi ?

2.5. La proportionnalité est-elle une technique de contrôle courante ou exceptionnelle ?
Dans quelles hypothèses est-elle principalement utilisée ?

2.6. Joindre ou résumer les décisions les plus pertinentes.

2.7. Quelles sont les conséquences et les implications du recours au principe de proportionnalité ?

2.8. Quelle appréciation portez-vous sur ce principe ?

Réponses au questionnaire

Cour constitutionnelle d’Albanie

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le Préambule énonce la détermination du peuple albanais à édifier l’État de droit, démocratique et social, en vue de garantir les droits et les libertés fondamentaux de l’homme. La Constitution deviendrait inconcevable et inapplicable si le principe de proportionnalité, conjointement lié avec les autres principes généraux, ne se trouvait contenu dans les règles qu’elle prescrit. Le terme de «proportionnalité» se trouve mentionné de manière explicite dans le premier alinéa de l’article 17 de la Constitution. Il est inséré dans la partie intitulée « les droits et les libertés de l’homme » de la Constitution où se trouvent consacrés les principes généraux des droits et des libertés individuels.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Il n’y pas de disposition sanctionnant de manière explicite ce principe.

1.3. Autres textes

On trouve le texte sanctionnant de manière explicite le principe de proportionnalité dans le code des actes administratifs. Son article 11 stipule :

1. L’administration publique est soumise, dans ses relations avec les individus, au principe d’égalité et nul ne devra être privilégié ou discriminé en raison de son sexe, de sa race, de sa confession, de son ethnie, de sa langue, de ses convictions politiques, religieuses ou philosophiques, de son état économique, de son éducation, de son état social ou de son appartenance parentale.

2. Lorsque pour des motifs de protection de l’intérêt public ou de droits d’autrui, l’administration publique émet un acte restreignant les droits fondamentaux reconnus par la Constitution, les traités internationaux, les lois et les actes réglementaires, elle devra prendre le soin de respecter le principe de proportionnalité et ne devra aucunement porter atteinte aux droits et aux libertés. L’acte émis par l’administration devra satisfaire aux exigences suivantes :

– il devra viser à réaliser les intérêts publics légitimes ;

– il devra recourir aux moyens appropriés qui devront être proportionnels au but légitime à atteindre.

Les organes de l’administration publique sont tenus d’évaluer si le but pourra être atteint en recourant à des mesures répressives de moindre échelle tout en prenant le soin de ne pas corrompre leur efficacité.

En plus, dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a fait appel à quelques reprises au principe de constitutionnalité et les appréciations qu’elle a faites contribuent à expliciter la compréhension de ce principe et à déployer toute la richesse qu’il renferme. Puisque les décisions de la Cour sont de portée générale, les interprétations du principe de proportionnalité que la Cour a faites servent de texte de référence.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues par la Constitution

Faisant mention des restrictions qui peuvent être apportées aux droits et aux libertés fondamentaux, le premier alinéa de l’article 17 les soumet au respect du principe de proportionnalité. Il énonce que « les droits et les libertés prévus par la Constitution ne peuvent faire l’objet de restrictions que par la loi et pour un intérêt public ou pour la protection des droits d’autrui. La mesure de restriction devra être proportionnelle à la situation qui l’a engendrée ».

L’ alinéa 2 de l’article 17 énonce que « les limitations ne peuvent aucunement porter atteinte à l’essence des libertés et des droits et ne peuvent en aucun cas dépasser les restrictions prévues par la Convention européenne des droits de l’homme ».

1.5. Principes mis en balance

L’article 17, alinéa 1, de la Constitution met en balance l’exercice des droits et des libertés avec ceux de l’intérêt général, de l’ordre public et de la protection des droits d’autrui. Les principes d’égalité et de non discrimination, de sécurité juridique, de clarté et de précision de la norme interviennent chaque fois qu’il s’agit de contrôler la constitutionnalité d’un texte ou d’un acte de l’administration ou d’une décision de justice.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Les dispositions constitutionnelles constituent le fondement sur lequel reposent les arguments du juge constitutionnel lorsqu’il rend sa décision. Sa jurisprudence ainsi que celle des autres juges constitutionnels constituent également une source importance pour l’activité de la Cour constitutionnelle d’Albanie. De plus, le juge dispose d’une large marge d’appréciation dans l’application du principe de proportionnalité. Il recourt souvent à sa jurisprudence ce qui se traduit par une contribution indirecte à son pouvoir normatif. Lorsque le juge constitutionnel est appelé à rendre sa décision sur une requête, il recourt non seulement au principe de la proportionnalité en tant que critère de contrôle constitutionnel, mais il prend le soin de mettre en balance les intérêts, les droits et libertés qui constituent l’enjeu de la décision rendue par lui.

1.7. Autres sources

Les autres sources d’inspiration sont la jurisprudence interne, la doctrine et la jurisprudence des autres Cours constitutionnelles. La Cour a réussi à créer sa propre jurisprudence, source modeste, mais importante pour son activité. Nombre de décisions de la Cour se réfèrent aux appréciations et aux observations faites dans sa jurisprudence qui se voit ainsi enrichie de nouvelles contributions.

Les analyses du principe de proportionnalité et de ses rapports avec les autres principes fondamentaux trouvés dans la doctrine offrent une aide précieuse aux juges constitutionnels dans l’accomplissement de leur mission.

L’activité de la Cour constitutionnelle d’Albanie ne se limite pas uniquement à sa propre jurisprudence. Elle tourne également son regard vers la jurisprudence des autres Cours constitutionnelles. Il s’agit ici d’une ouverture à la jurisprudence des Cours constitutionnelles des autres pays permettant au juge d’enrichir les moyens d’appréciation des requêtes soumises au contrôle de constitutionnalité. La réception par la Cour des apports de la jurisprudence des Cours constitutionnelles étrangères se fait de manière lente et prudente parce que l’on tient compte en premier lieu de la nature et de la spécificité du contrôle exercé par la Cour. Lorsqu’on se rend compte du rôle de la doctrine, on s’aperçoit qu’il s’agit de faire à la fois un examen systématique, analytique téléologique, critique et comparatif des allégations soulevées dans la requête et de leurs arguments respectifs.

II.Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des questions connexes ?

La jurisprudence exerce de manière explicite un contrôle de proportionnalité. Lorsque la Cour apprécie que telle ou telle disposition d’un texte soumise au contrôle constitutionnel n’est pas conforme à la Constitution, elle fonde de manière explicite son appréciation sur les principes et critères fondamentaux, tels que l’État de droit, la proportionnalité, la sécurité juridique, l’égalité et l’interdiction de la discrimination, etc.

2.2. Domaines de contrôle

Le contrôle de proportionnalité est utilisé pour résoudre des conflits de compétences entre les pouvoirs ainsi qu’entre le pouvoir central et les autorités locales. La Cour l’a utilisé à quelques reprises dans le cadre du contrôle des textes de loi ou d’autres actes normatifs restreignant les droits et les libertés garantis de manière expresse par la Constitution (droit à la vie, droit à la propriété, droit à la protection de la vie privée, droit d’être informé).

La Cour l’utilise aussi lorsqu’elle est saisie sur le contrôle de constitutionnalité des garanties de procédure, du procès équitable dans sa large interprétation et de trancher les requêtes individuelles alléguant de violations aux droits et aux libertés fondamentaux protégés par la Constitution. L’article 131, alinéa c) dispose que la Cour constitutionnelle statue sur la conf or mité des actes normatifs avec la Constitution et les traités internationaux. La jurisprudence contient nombre de décisions où la Cour a contrôlé la conformité de l’acte normatif avec la Convention européenne des droits de l’homme, puisque celle-ci est devenue partie intégrante de l’ordre juridique interne. L’article 17, alinéa 2, de la Constitution, stipule les conditions devant être satisfaites lorsque l’on soumet l’exercice des droits et libertés protégés par la Constitution aux restrictions ou aux limitations : « Les restrictions ne peuvent porter atteinte au noyau des libertés et des droits ni aucunement dépasser les restrictions prévues par la Convention européenne des droits de l’homme ».

Un autre domaine concerne les décisions portant sur l’interprétation de la Constitution. Ainsi, les commissions parlementaires d’enquête devront, compte tenu de leurs champs d’investigation, mettre en balance l’exercice des compétences que la Constitution a confié à chacun des pouvoirs publics, respecter le principe de proportionnalité, ne pas s’immiscer dans le ressort des compétences d’un autre pouvoir. La Cour a mis en évidence les injonctions découlant du principe de proportionnalité ; toute autorité devra se conformer avec les interprétations.

2.3. Exemples

Quelques décisions importantes ont opéré un contrôle de proportionnalité :

  • Déc. n° 65 du 10.12.1999 statuant sur l’inconstitutionnalité de la peine capitale en temps de paix telle qu’elle est prévue par les dispositions du code pénal et du code pénal militaire ;
  • Déc. n° 26 du 24.04.2001 statuant sur l’inconstitutionnalité d’une disposition d’un acte normatif du Conseil des ministres (le principe d’égalité et la non discrimination) ;
  • Déc. n° 186 du 23.09.2002 portant sur la conformité avec la Constitution du Traité de Rome sur la Cour pénale internationale ;
  • Déc. n° 16 du 11.11.2004 statuant sur la conformité avec la Constitution de quelques dispositions de la loi portant sur l’obligation et le contrôle des biens de certaines catégories d’employés du service public (mise en balance du droit au respect de la vie privée et familiale et de la liberté d’expression, l’intérêt public) ;
  • Déc. n° 16 du 12.11.2004 statuant qu’une décision du Conseil supérieur de la Justice ayant destitué un juge de ses fonctions est incompatible avec la Constitution (indépendance et inamovibilité du juge et bonne administration de la justice) ;
  • Déc. n° 18 du 17.11.2004 par laquelle la Cour rejette la requête d’une société alléguant l’incompatibilité avec la Constitution de son droit à un recours effectif contre une imposition du fisc (ne pouvoir exercer le droit à un recours effectif qu’après s’être acquitté du montant imposé : proportionnalité de la mesure de limitation du droit à un recours effectif et de l’intérêt public) ;
  • Déc. n° 26 du 02.11.2005 par laquelle la Cour déclare incompatible avec la Constitution un amendement à la loi portant sur la restitution et la compensation de la propriété prévoyant de libéraliser le montant de la location des maisons d’habitation restituées à leurs propriétaires après l’effondrement du système communiste (limitation à l’exercice du droit à la propriété et l’intérêt public : la Cour estime que la mesure prise porte une atteinte importante aux personnes locataires de ces maisons et pourrait causer des effets disproportionnés pour ces personnes ; la mesure porte également atteinte au principe de l’égalité et de la non-discrimination) ;
  • Déc. n° 30 du 01.12.2005 par laquelle la Cour a rejeté la requête introduite de la société «Propriété par le Droit»; la Cour a estimé que le principe de l’État de droit et celui de proportionnalité exigent que l’on prenne en considération non seulement les intérêts des personne expropriées, mais de les mettre en balance avec ceux de tous les membres de la société, bref, avec l’intérêt public en général. La Cour argue que ces principes n’exigent pas de restituer dans son intégralité la propriété à leurs anciens propriétaires ou de compenser intégralement ces derniers, mais de remédier autant que possible aux préjudices subis par les anciens propriétaires durant le régime communiste. La restitution des biens devra être effectué de manière à ce qu’elle n’entraîne pas de nouvelles injustices. La Cour a estimé que le rétablissement dans son intégralité du droit à la propriété violé durant le régime totalitaire irait à l’encontre du principe d’égalité. La Cour constate que l’intérêt public a été un des critères constitutionnels retenus par les dispositions attaquées de la loi permettant de justifier une restriction à l’exercice du droit à la propriété.
2.4. Critères d’appréciation

Parmi les critères d’appréciations retenus par la Cour, l’on pourra mentionner le respect des principes constitutionnels étroitement liés au principe de proportionnalité. Ainsi, pourra-t-on citer l’intérêt général, la mise en balance des différents intérêts, la « raisonnabilité », la marge d’appréciation, l’égalité et la non discrimination, la légalité, la clarté de la norme, la sécurité juridique, l’État de droit, les droits acquis, etc.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Dans quelles hypothèses est-elle principalement utilisée ?

Le principe de proportionnalité constitue une technique courante pour juger les affaires devant la Cour. En effet, le contrôle de constitutionnalité des actes normatifs est souvent soumis au contrôle du respect du principe de proportionnalité. Un autre domaine est celui du contrôle de constitutionnalité des requêtes invoquant des violations aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles énoncés par la Constitution. L’on constate également que lorsque la Cour siège pour trancher des cas de conflit de compétence, elle recourt souvent au principe de proportionnalité.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Voir 2.3. ci-dessus.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Plusieurs conséquences. Tout d’abord, l’acte ayant été déclaré incompatible avec la Constitution pour avoir violé le principe de proportionnalité est frappé de vice d’inconstitutionnalité et exclu de l’ordre juridique interne. La décision de la Cour va au-delà de l’exclusion de l’acte. Sa portée ne se limite pas uniquement à l’activité future de l’institution publique ayant émis l’acte, elle s’étend à l’activité de toute autre autorité publique. L’estimation des intérêts implique un certain degré de retenue avant l’adoption de nouvelles mesures qui mettent en jeu les droits et les libertés fondamentaux, l’intérêt public, l’État de droit, etc. Bien que modeste, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle a permis de mettre en relief les valeurs revêtant le principe de proportionnalité, valeurs qui servent de guide pour la société que l’on entend édifier. La Constitution peut ne pas expliciter tous les principes constitutionnels sur lesquels elle est fondée. On devrait lire le texte de manière à se dévoiler la volonté du constituant et c’est ici qu’intervient la Cour constitutionnelle, en tant que juridiction chargée d’interpréter de façon définitive la Constitution.

2.8. Appréciation

Premièrement, la consécration du principe de proportionnalité par la Constitution constitue un apport très important dans l’évolution démocratique de la société et dans le cadre du renforcement de l’État de droit et du respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles. La Cour constitutionnelle s’est inspirée des apports des meilleures traditions de la jurisprudence des Cours constitutionnelles des anciennes et nouvelles démocraties et a placé ce principe au rang de principe général.

Deuxièmement, la jurisprudence de la Cour qui opère un contrôle du principe de proportionnalité permet de mieux comprendre les exigences qu’il incarne, et dans ce sens, elle permet d’enrichir les connaissances et de contribuer au savoir-faire des institutions.

Troisièmement, le principe de proportionnalité s’applique à tous les domaines de l’activité des institutions de l’État ; il s’agit ici de faire en sorte que ce principe devienne un principe directeur dans l’exercice des compétences des institutions démocratiques.

Conseil constitutionnel algérien

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

À l’instar de la majorité des lois fondamentales dans le monde, la Constitution algérienne ne consacre pas textuellement le principe de proportionnalité mais lui donne une place dans certaines de ses dispositions. L’article 63 semble en poser la base en édictant un équilibre dans l’exercice des libertés des uns et des droits (les autres dans le cadre de la Constitution). D’autres dispositions soumettent les limitations à l’exercice des droits et libertés à cet objectif d’équilibre qui justifie toute la notion de proportionnalité.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Et en ce sens, certaines dispositions sont plus explicites que d’autres notamment celles portant sur le droit de propriété, la garde à vue, l’inviolabilité du domicile ou la création intellectuelle.

Article 20 :
«L’expropriation ne peut intervenir que dans le cadre de la loi. Elle donne lieu à une indemnité préalable, juste et équitable. »

Article 38 :
«La liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique est garantie au citoyen. Les droits d’auteur sont protégés par la loi. La mise sous séquestre de toute publication, enregistrement ou tout autre moyen de communication et d’information ne pourra se faire qu’en vertu d’un mandat judiciaire. »

Article 40 :
«L’État garantit l’inviolabilité du domicile. Nulle perquisition ne peut avoir lieu qu’en vertu de la loi et dans le respect de celle-ci. La perquisition ne peut intervenir que sur ordre écrit émanant de l’autorité judiciaire compétente. »

Article 48 :
«En matière d’enquête pénale, la garde à vue est soumise au contrôle judiciaire et ne peut excéder quarante-huit heures. La personne gardée à vue a le droit d’entrer immédiatement en contact avec sa famille. La prolongation du délai de garde à vue ne peut avoir lieu, qu’exceptionnellement, dans les conditions fixées par la loi.
À l’expiration du délai de garde à vue, il est obligatoirement procédé à l’examen médical de la personne retenue si celle-ci le demande, et dans tous les cas, elle est informée de cette faculté. »

1.3. Autres textes

D’autres articles de la Constitution font référence à ce principe notamment l’article 37 sur la liberté de commerce et d’industrie et l’article 43 sur les associations.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

Certaines dispositions prévoient des limites à l’exercice de certains droits et libertés notamment l’article 42 sur la création des partis politiques et l’article 57 sur le droit de grève.

1.5. Principes mis en balance

Les principes invoqués pour justifier ces limitations portent en sus de l’intérêt général sur la sécurité et l’intégrité du territoire national, les valeurs et les composantes de l’identité nationale, le caractère démocratique et républicain de l’État ; mais aussi sur les valeurs universelles de non discrimination religieuse, linguistique, sociale, régionale, corporatiste ou de sexe, de même que la proscription de toute contrainte ou violence.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Sur la base des dispositions de la Constitution et des lois auxquelles elle renvoie, les deux ordres judiciaire et administratif ont eu à exercer un rôle normatif en matière de grève, de fonctionnement des partis politiques et de propriété.

1.7. Autres sources

Le principe de proportionnalité n’a pratiquement pas de fondement doctrinal en Algérie et l’influence du droit comparé ou de la jurisprudence des autres Cours ne se ressent que dans les textes adoptés.

II. Le Contrôle de proportionnalité

2.2. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

L’ intervention du juge ordinaire demeure très exceptionnelle et dans le peu d’affaires qu’il a eu à en connaître, ses décisions out été motivées par le respect des formes et délais, en matière de grève et de qualité, en matière de fonctionnement des partis politiques.

2.2. Domaines de contrôle

Pour l’heure, ces interventions se sont limitées à trois domaines : l’exercice du droit de grève, le fonctionnement de partis politiques et de droit de propriété.

2.3. Exemples

Il est peut-être utile de citer la décision mettant fin à la grève des enseignants en 1996.

2.4. Critères d’appréciation

Le Conseil constitutionnel n’a jamais eu à se prononcer dans ce domaine.

2.5. Techniques de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Le juge a eu recours à des motifs de forme essentiellement pour rendre sa décision. Le contrôle de proportionnalité qui en est déduit, est tout à fait implicite.

2.6. Décisions les plus pertinentes

La principale conséquence du recours au principe de proportionnalité est de conforter l’idée que la légitimité du droit tient essentiellement à sa conformité aux buts et principes portés par la Constitution.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité met en évidence le double aspect de la normativité des droits fondamentaux : effectivité et limite.

2.8. Appréciation

Ce principe permet de concilier entre leur garantie et la limite de leur emprise au nom de l’ordre public mais aussi de l’intérêt général et de l’harmonie sociale. Il permet d’arbitrer entre droit et nécessité dans la mesure où il modère la contrainte que peut imposer l’État à la compétence législative ; il assure l’équilibre entre les deux notions d’État et de droit, il est dès lors consubstantiel au concept d’État de droit.

Cour constitutionnelle de Belgique

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

La Constitution belge ne consacre pas explicitement le principe de proportionnalité. C’est la Cour constitutionnelle qui, dans l’interprétation qu’elle donne de plusieurs dispositions de la Constitution, y a expressément intégré le principe de proportionnalité.

Il s’agit d’une part du contentieux des droits et libertés, dans lequel la Cour contrôle systématiquement la proportionnalité de toute atteinte législative à un droit fondamental. Au sein de ce contentieux, les principes d’égalité et de non-discrimination occupent une place centrale, car la Cour a d’abord été chargée de contrôler uniquement le respect de ces principes. C’est en construisant sa jurisprudence au sujet de l’égalité et de la non-discrimination qu’elle a placé le principe de proportionnalité au cœur de son raisonnement.

En matière de répartition des compétences en Belgique fédérale, le Constituant a intégré, en 1993 (13 ans après la fédéralisation du pays) un article 143 qui prescrit que les entités fédérale et fédérées agissent, dans l’exercice de leurs compétences respectives, dans le respect de la « loyauté fédérale ». C’est toutefois la Cour qui a donné une portée utile à cette disposition, en l’assimilant à l’exigence de proportionnalité dans l’exercice des compétences qu’elle avait déjà imposée de façon prétorienne[5].

1.2. Dispositions explicites et formulation

Sans objet pour les droits et libertés fondamentales.

Article 143 de la Constitution pour la répartition des compétences : voyez supra.

1.3. Autres textes

La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4novembre 1950 prévoit en ses articles8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (liberté de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression), 11 (liberté de réunion et d’association), que des restrictions peuvent être apportées à ces libertés si elles sont prévues par la loi et qu’elles constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour atteindre certains objectifs d’intérêt général. Ce texte n’utilise donc pas le principe de proportionnalité de manière explicite, mais bien la notion voisine de « nécessité ».

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en son article 49.3, précise que «l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction». La Charte n’a pas de valeur juridique contraignante, mais elle exprime l’existence de valeurs communes des pays membres de l’Union européenne.

En droit interne, la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination prévoit que « toute distinction directe fondée sur l’un des critères protégés constitue une discrimination directe, à moins que cette distinction directe ne soit objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires » (art. 7).

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

L’article 12, qui garantit la liber té individuelle, dispose que la loi peut prévoir les cas de poursuites et leur forme.

L’article 15 dispose que la loi peut prévoir les cas de visites domiciliaires.

L’article 16, qui garantit le droit de propriété, prévoit que la loi peut organiser l’expropriation.

L’article 19 autorise la répression des délits commis à l’ occasion de l’ usage de la liber té des cultes.

L’article 22 permet à la loi de fixer les cas et conditions dans lesquels il peut être porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale.

L’article 26 autorise la loi à régler l’exercice du droit de réunion, sans pouvoir le soumettre à une autorisation préalable, sauf pour les manifestations en plein air.

L’article 32 permet à la loi de fixer les cas et les conditions dans lesquels la consultation des documents administratifs peut être refusée.

1.5. Principes mis en balance

Le texte constitutionnel ne prévoit pas lui-même les motifs pour lesquels l’exercice de ces droits et libertés peut être limité. Il confie cette tâche au législateur, sous le contrôle de la Cour constitutionnelle qui examine ces motifs et confronte leur importance aux effets critiqués de la disposition en cause.

Il se déduit de la jurisprudence constitutionnelle que les atteintes aux droits et libertés individuels doivent toujours être motivées par la poursuite d’un objectif légitime qui, par définition, ne peut être que conforme à l’intérêt général. Le contrôle de proportionnalité consiste en effet à contrôler qu’un lien raisonnable existe entre « les conséquences de la mesure pour la personne concernée et les intérêts de la collectivité »[6] . C’est pourquoi « le droit en cause serait violé si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s’il n’existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »[7]. Pour autant qu’ils soient jugés légitimes et conformes à l’intérêt général (ce qui est, le plus souvent, implicite), les objectifs les plus divers peuvent servir de base au contrôle de proportionnalité exercé par la Cour. Il peut s’agir par exemple de protéger les intérêts du Trésor public, d’améliorer le service public, d’améliorer le fonctionnement de la justice, de faciliter la répression du grand banditisme ou du blanchiment d’argent, de faciliter l’accès à la justice, d’assurer l’équilibre financier de la sécurité sociale, mais également de protéger les intérêts de certaines catégories plus faibles, comme les enfants, les plus démunis, les accidentés…

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

C’est la Cour constitutionnelle qui a, par la définition qu’elle a donnée des principes constitutionnels dont elle est la gardienne, inscrit la notion de proportionnalité au cœur du contrôle de constitutionnalité qu’elle exerce.

Longtemps, la Cour n’a été compétente, en matière de droits et libertés, que pour contrôler le respect des articles 10 et 11 de la Constitution, donc le respect par les différents législateurs des principes d’égalité et de non-discrimination. Par le biais de cette compétence, elle a été amenée à contrôler tous types de différences de traitement instaurés par les normes de valeur législative. Dès son premier arrêt au contentieux de l’égalité, la Cour a lié explicitement l’égalité à la proportionnalité. D’emblée, elle a donc considéré que pour qu’une différence de traitement critiquée devant elle satisfasse aux exigences de l’égalité et de la non-discrimination, il fallait non seulement qu’elle repose sur un critère objectif et pertinent, mais également que la mesure imposée à la catégorie «défavorisée» soit proportionnée au but poursuivi par le législateur, ou, en d’autres termes, qu’elle n’ait pas d’effets disproportionnés pour cette catégorie de personnes.

Lorsque la Cour est devenue compétente, en 2003, pour exercer un contrôle de compatibilité direct des mesures législatives avec l’ensemble des droits et libertés reconnus aux citoyens belges et étrangers résidant en Belgique, elle n’a pas fondamentalement changé ses techniques de contrôle. Ainsi, suivant en cela l’exemple de la Cour européenne des droits de l’homme, elle exerce toujours un contrôle de pertinence et de proportionnalité de la mesure, en termes d’atteintes à un droit fondamental, par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur. C’est donc la Cour qui a, par cette construction prétorienne, inscrit la proportionnalité au sein de chaque droit fondamental.

Enfin, c’est également la Cour constitutionnelle qui a intégré la notion de proportionnalité dans le système de répartition des compétences entre les différents législateurs de la Belgique fédérale. Aucun texte explicite, en matière de répartition des compétences, ne se réfère au principe de proportionnalité. Lorsque l’article 143 de la Constitution a été adopté, la Cour, qui avait déjà utilisé la notion de proportionnalité dans le contentieux des compétences[8], a explicitement lié la loyauté fédérale à ce principe : « le principe de la loyauté fédérale, selon les travaux préparatoires de l’article 143 de la Constitution, implique, pour l’autorité fédérale et pour les entités fédérées, l’obligation de ne pas perturber l’équilibre de la construction fédérale dans son ensemble, lorsqu’elles exercent leurs compétences ; il signifie davantage que l’exercice de compétences : il indique dans quel esprit cela doit se faire. Le principe de la loyauté fédérale, lu en combinaison avec le principe du raisonnable et de la proportionnalité, signifie que chaque législateur est tenu, dans l’exercice de sa propre compétence, de veiller à ce que, par son intervention, l’exercice des compétences des autres législateurs ne soit pas rendu impossible ou exagérément difficile[9]

1.7. Autres sources

La doctrine belge exerce certainement une influence sur les opinions des juges. Les dossiers de documentation constitués pour chaque affaire comportent toujours l’ensemble de la doctrine disponible sur le sujet concerné. Il en va de même de la jurisprudence belge, spécialement de celle de la Cour de cassation et du Conseil d’État (haute juridiction administrative). Il est toutefois impossible de mesurer cette influence.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et celle de la Cour de Justice des Communautés européennes exercent une influence grandissante qui peut être, lorsque les espèces sont suffisamment proches, déterminante sur les arrêts de la Cour constitutionnelle[10].

La jurisprudence de juridictions nationales étrangères est consultée lorsqu’elle est connue, mais elle n’exerce pas d’influence explicite sur les décisions prises par la Cour.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Le contrôle de proportionnalité est explicite dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Comme on l’a déjà mentionné (voir question 1.6.), la proportionnalité occupe une place centrale dans le contrôle de constitutionnalité. Il s’agit d’une création prétorienne de la Cour.

Ainsi, lorsqu’elle examine la compatibilité d’une disposition législative avec les articles 10 et 11 de la Constitution qui garantissent l’égalité et la non-discrimination, la Cour a coutume de répéter la formule suivante :

«Les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.

L’ existence d’ une telle justif ication doit s’ appr écier en tenant compte du but et des eff ets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause ; le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. »

Cette formule est directement inspirée de celle utilisée par la Cour européenne des droits de l’homme au contentieux de l’égalité. Elle lie explicitement le contrôle d’égalité au contrôle de proportionnalité.

La notion de proportionnalité intervient également de manière explicite lors du contrôle par la Cour du respect des autres droits fondamentaux garantis aux citoyens. Cette notion paraît dès lors intrinsèquement liée, par la jurisprudence constitutionnelle, aux droits fondamentaux. Ainsi, par exemple, la Cour dit-elle : « La liberté de commerce et d’industrie ne peut être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que la loi règle l’activité économique des personnes et des entreprises. Elle ne serait violée que si elle était limitée sans nécessité et de manière manifestement disproportionnée au but poursuivi[11].» De même, «bien que la presse doive, dans une société démocratique, être en mesure de communiquer des informations et des idées relatives à toutes les questions d’intérêt général, la liberté d’expression et la liberté de la presse qui y est liée ne peuvent être considérées comme des libertés absolues ». Pour être admissibles, les limitations à ces libertés doivent toutefois être strictement proportionnées à l’objectif poursuivi[12].

La Cour exerce également un contrôle de proportionnalité explicite en matière de répartition des compétences entre les différents législateurs belges. Elle considère ainsi que dans l’exercice de la compétence qui leur est attribuée par les dispositions constitutionnelles et légales répartitrices de compétences, l’autorité fédérale, les régions et les communautés doivent respecter le principe de proportionnalité inhérent à tout exercice de compétence et, dès lors, veiller à ne pas rendre impossible ou exagérément difficile l’exercice des compétences fédérales ou des autres entités fédérées.

2.2. Domaines de contrôle

La notion de proportionnalité est utilisée lors du contrôle par la Cour du respect, par les différents législateurs fédéral et fédérés belges, de leur domaine de compétence. La Belgique fédérale connaît un système de partage des compétences exclusif, de sorte qu’il n’y a jamais qu’un seul législateur compétent pour une matière sur un territoire donné. Dès lors, chaque législateur jouit en principe, dans les compétences qui sont les siennes, d’une autonomie totale et d’un très large pouvoir d’appréciation. La Cour considère néanmoins que dans l’exercice de leurs compétences propres, les législateurs doivent respecter le principe de proportionnalité « inhérent à tout exercice de compétence », et dès lors veiller à ne pas rendre impossible ou exagérément difficile l’exercice, par les autres législateurs, de leurs compétences respectives.

Le principe de proportionnalité trouve ses applications les plus nombreuses dans le contrôle du respect par les législateurs des droits fondamentaux des citoyens, qu’ils soient garantis par la Constitution ou par une disposition conventionnelle directement applicable en Belgique. La Cour n’a jamais, jusqu’à présent, admis qu’un droit fondamental puisse s’imposer de manière absolue. Elle admet donc toujours les restrictions législatives aux droits fondamentaux garantis par la Constitution ou les conventions internationales, pour autant qu’elles soient motivées par la poursuite d’un objectif légitime, qu’elles soient pertinentes pour atteindre ce but et que les atteintes portées aux droits de certaines catégories de personnes soient proportionnées au bénéfice escompté de la réalisation de la mesure envisagée[13].

La proportionnalité joue également un rôle central dans le contrôle de la Cour lorsque sont en jeu deux droits fondamentaux concurrents. Dans ce cas, la Cour effectue une balance des intérêts qui s’apparente à un contrôle de proportionnalité. C’est le cas par exemple en matière de méthodes particulières de recherche, lorsque l’atteinte au droit des uns à un procès équitable qui garantisse les droits de la défense se heurte au droit des autres à l’intégrité physique[14], ou encore lorsque le droit au respect des biens des propriétaires entre en concurrence avec le droit au logement qui doit être garanti par les autorités publiques pour le plus grand nombre[15].

En matière pénale, le principe de proportionnalité joue également un rôle important lors de l’appréciation de la sanction retenue par le législateur en regard du comportement infractionnel. La Cour considère en principe que « s’agissant de l’échelle des peines, l’appréciation de la Cour doit se limiter aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu’elle aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable d’infractions comparables ». Il est arrivé que la Cour invalide le choix d’une peine, qu’elle estime manifestement déraisonnable par comparaison avec les peines retenues pour sanctionner des comportements infractionnels comparables[16].

Enfin, la Cour utilise également le principe de proportionnalité pour moduler ou limiter les effets de ses propres arrêts. Tout en reconnaissant que la demande d’annulation formulée par les requérants est fondée, elle peut donc maintenir les effets des dispositions qu’elle annule, notamment lorsqu’elle constate que « l’avantage que procurerait à certains des requérants l’effet rétroactif de l’annulation est hors de proportion avec les perturbations qu’il causerait au service public de la justice »[17]. Elle tient un raisonnement semblable pour décider, lorsque les effets de la suspension d’une norme paraissent disproportionnés par rapport à l’atteinte aux droits des requérants qu’elle crée, s’il y a lieu de suspendre la disposition en cause « en faisant la balance des inconvénients qu’une application immédiate des dispositions attaquées causerait à la partie requérante et des inconvénients qu’une suspension entraînerait pour l’intérêt général[18]

2.3. Exemples

Parmi les très nombreux arrêts de la Cour qui opèrent un contrôle de proportionnalité, on retiendra, parmi les plus récents, les arrêts suivants.

1. En matière de contrôle du respect par les différents législateurs de leur domaine de compétences propres

L’arrêt n°132/2004 concerne les compétences respectives de l’autorité fédérale et des Communautés en matière de télécommunications et de régulation de l’audiovisuel. La Cour constate à cette occasion que la répartition des compétences, qui date du début des années 1980, est dépassée par les évolutions technologiques. Elle va faire appel au principe de proportionnalité pour sanctionner un législateur qui, stricto sensu, n’était pas « sorti » de sa sphère de compétences : « En règle générale, l’absence de coopération dans une matière pour laquelle le législateur spécial ne prévoit pas d’obligation à cette fin n’est pas constitutive d’une violation des règles de compétences. Toutefois, en l’espèce, les compétences de l’État fédéral et des communautés en matière d’infra structure des communications électroniques sont devenues à ce point imbriquées, par suite de l’évolution technologique, qu’elles ne peuvent plus être exercées qu’en coopération. Il s’ensuit qu’en réglant unilatéralement la compétence du régulateur des télécommunications, le législateur a violé le principe de proportionnalité propre à tout exercice de compétences. »

2. En matière du contrôle du respect des droits fondamentaux

Le droit d’accès à un juge est un droit fondamental régulièrement invoqué devant la Cour. Dans l’arrêt n° 134/2007, elle dit à son sujet : « Le droit d’accès au juge, qui constitue un aspect du droit à un procès équitable, peut être soumis à des conditions de recevabilité, notamment en ce qui concerne l’introduction d’une voie de recours. Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit de manière telle que celui-ci s’en trouve atteint dans sa substance même. Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s’il n’existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les règles relatives aux formalités et délais fixés pour former un recours visent à assurer une bonne administration de la justice et à écarter les risques d’insécurité juridique. Toutefois, ces règles ne peuvent empêcher les justiciables de se prévaloir des voies de recours disponibles. »

Le droit à la vie privée est garanti à la fois par l’article 22 de la Constitution belge et par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a eu l’occasion de préciser que « les droits que garantissent l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne sont pas absolus. Bien que l’article 22 de la Constitution reconnaisse à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale, cette disposition ajoute en effet immédiatement : « sauf dans les cas et conditions fixés par la loi ».

Les dispositions précitées exigent que « toute ingérence des autorités dans le droit au respect de la vie privée et familiale soit prévue par une disposition législative suffisamment précise et qu’elle corresponde à un besoin social impérieux, c’est-à-dire qu’elle soit proportionnée à l’objectif légitime poursuivi. » (Arrêt n° 118/2007)

Appelée à juger de la constitutionnalité de la mesure consistant à imposer aux parents de certains jeunes ayant commis des infractions un « stage parental » destiné à les aider à reprendre leur mission éducative, la Cour constate que « même si une mesure qui accompagne et assiste les parents dans leur rôle d’éducateur pouvait être considérée comme une ingérence dans leur vie privée et familiale, il ne s’agirait pas d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, eu égard, d’une part, à l’objectif social contraignant, poursuivi par la mesure, de responsabilisation de certains parents et, d’autre part, au champ d’application particulièrement limité du stage parental. » (Arrêt n° 49/2008)

Le droit au respect des biens peut également faire l’objet de limitations, notamment par le biais des taxes et impôts. Lorsqu’est contesté devant elle le montant d’un impôt, la Cour opère un contrôle de proportionnalité qui peut aboutir, exceptionnellement, au constat de l’inconstitutionnalité de la loi fiscale. Ainsi, elle considère que « même si le législateur fiscal dispose d’une ample marge d’appréciation, une imposition peut revêtir un caractère disproportionné portant une atteinte injustifiée au respect des biens si elle rompt le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens ». (Arrêt n° 107/2005)

Les droits politiques sont fondamentaux en démocratie, cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne puissent subir certaines restrictions. Toutefois, celles-ci ne peuvent « atteindre ces droits dans leur substance même et les priver de leur effectivité ; elles doivent poursuivre un but légitime et les moyens employés ne peuvent être disproportionnés. » (Arrêt n° 187/2005)

Lorsque deux ou plusieurs droits fondamentaux entrent en concurrence, le contrôle de proportionnalité occupe inévitablement une place centrale dans le raisonnement de la Cour, qui procède alors à une sorte de mise en balance des droits fondamentaux en cause. Lorsqu’elle a été amenée à juger de la constitutionnalité des « méthodes particulières de recherche » utilisées par les services de police dans la lutte contre certaines formes de criminalité, la Cour a mis en balance le droit à un procès équitable, qui implique que l’accusé ait accès à son dossier en entier, et le droit à l’intégrité physique de certaines personnes impliquées dans la mise en œuvre des méthodes en cause. Elle a admis que l’objectif de sauvegarder le deuxième droit devait permettre la limitation du premier : «L’objectif d’assurer la protection de l’intégrité physique des personnes participant aux méthodes particulières de recherche est légitime et revêt une importance telle qu’il justifie que leur anonymat vis-à-vis des parties au procès et du public soit absolument garanti. La nécessité de garantir l’efficacité des méthodes mises en œuvre pour l’avenir en occultant certaines techniques peut aussi justifier qu’elles aient un caractère confidentiel. » Mais la Cour a insisté sur le fait que ces atteintes aux exigences d’un procès équitable ne pouvaient être admises qu’à la condition qu’un juge indépendant et impartial ait l’occasion d’exercer un contrôle de l’ensemble du dossier, y compris les pièces non accessibles aux parties. (Arrêts n° 202/2004, n° 105/2007 et n° 107/2007)

3. En matière de contrôle de la sévérité des sanctions pénales

La Cour estime que « le principe de la proportionnalité des peines n’est pas étranger à notre système juridique qui, en règle générale, permet au juge de choisir la peine entre un minimum et un maximum, de tenir compte de circonstances atténuantes et d’ordonner le sursis et la suspension du prononcé, le juge pouvant ainsi individualiser dans une certaine mesure la peine, en infligeant celle qu’il estime proportionnée à l’ensemble des éléments de la cause. » Dès lors, même si le législateur jouit en la matière d’une très grande liberté d’appréciation, la Cour vérifie si, lorsqu’il écarte le principe de la proportionnalité des peines pour certaines infractions, son choix n’est pas déraisonnable. En l’espèce, elle estime qu’une disposition qui ne permet pas au juge de choisir entre une peine maximale très élevée et une peine minimale est contraire au principe de proportionnalité. (Arrêt n° 81/2007)

Interrogée au sujet de la différence importante des peines prévues par le législateur pour l’infraction de harcèlement selon qu’elle est commise à l’aide d’un moyen de télécommunication ou non, la Cour répond que « l’appréciation du caractère plus ou moins grave d’une infraction et de la sévérité avec laquelle cette infraction peut être punie relève du jugement d’opportunité qui appartient au législateur », et qu’elle « empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s’interrogeant sur la justification des différences qui existent entre les nombreux textes législatifs portant des sanctions pénales, elle ne limitait pas, en ce qui concerne l’échelle des peines, son appréciation aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu’elle aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable d’infractions comparables ». En l’espèce, toutefois, elle n’aperçoit pas en quoi l’utilisation d’un moyen de télécommunication est de nature à justifier une peine à ce point plus lourde. (Arrêts nos 71/2006, 98/2006, 55/2007, 64/2007)

2.4. Critères d’appréciation

Le contrôle de proportionnalité consiste à mettre en rapport l’importance de l’objectif poursuivi par le législateur d’une part et l’importance de l’atteinte aux droits des personnes qui s’estiment lésées d’autre part. Il en résulte que plus l’atteinte aux droits des personnes est importante, plus l’objectif avancé par le législateur pour justifier la mesure doit être nécessaire et important. Un objectif essentiel pour la sauvegarde de l’intérêt général permettra de justifier certaines ingérences dans les droits fondamentaux des individus, alors que le souci du législateur de protéger certains intérêts particuliers, par ailleurs légitimes, ne permettra pas de justifier la même atteinte. Lorsque sont en jeu des droits fondamentaux, la Cour est particulièrement attentive à ce que la mesure soit strictement proportionnée. Elle exprime même parfois explicitement la sévérité accrue de son contrôle. C’est le cas, par exemple, « lorsque le principe fondamental de l’égalité des naissances est en cause »[19].

Le contrôle de proportionnalité recouvre en réalité plusieurs tests. En premier lieu, l’objectif doit être d’une importance telle qu’il permet de justifier l’atteinte aux droits de certaines personnes en cause. Ainsi, par exemple, la Cour juge que l’objectif de sauvegarder les intérêts moraux du conjoint survivant ne permet pas de justifier une atteinte au droits successoraux de l’enfant du de cujus né d’une relation extraconjugale[20]. De même, l’objectif de limiter les dépenses de la sécurité sociale ne permet pas au législateur de traiter différemment deux catégories de malades comparables, en refusant tout remboursement à l’une alors qu’il l’octroie à l’autre[21].

Ensuite, la mesure doit être pertinente par rapport au but poursuivi, elle doit être adéquate pour l’atteindre. Une mesure qui manque son objectif est, pour ce motif, jugée disproportionnée. Ainsi, la Cour annule une mesure qui a des conséquences économiques, financières et sociales importantes, compte tenu de son « inefficacité relative »[22]. Il en va de même d’une disposition qui paraît incohérente par rapport à l’objectif annoncé. Ainsi, sera jugée disproportionnée l’interdiction faite aux personnes qui paraissent définitivement insolvables de bénéficier d’un plan de règlement collectif de dettes alors que l’objectif de la loi est précisément d’éviter que les personnes sur-endettées ne s’installent définitivement dans un état d’exclusion[23].

Enfin, la mesure ne peut pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif. À cet égard, le changement des circonstances depuis l’époque à laquelle le législateur a réglementé une matière peut jouer un rôle déterminant. Ainsi, étant donné qu’actuellement, l’établissement d’une filiation post mortem se fait au terme d’une procédure faisant appel à des méthodes scientifiques éprouvées, la lutte contre le risque de fraude et d’établissement de filiations intéressées ne peut plus justifier l’exclusion des enfants nés ou conçus avant un accident du travail mais reconnus après celui-ci, du droit à l’obtention de la rente né de l’accident[24]. Peut également aller inutilement au-delà de l’objectif poursuivi la mesure qui n’est pas accompagnée d’exceptions, ou de la possibilité pour le juge saisi d’y déroger dans des circonstances particulières[25].

Pour juger de la proportionnalité d’une mesure, la Cour peut avoir égard à d’autres dispositions qui en atténuent les effets défavorables. Ainsi, une disposition de droit judiciaire qui a pour effet d’empêcher une partie, dans une hypothèse précise, de se prévaloir d’une quelconque prescription n’est pas jugée disproportionnée, notamment parce que la Cour constate que le juge peut examiner si le comportement de l’autre partie ne peut pas avoir des conséquences sur l’étendue de ses droits[26]. De même, la Cour est parfois amenée à envisager la mesure dans sa globalité, alors que seul un des aspects de la norme lui est soumis, car la proportionnalité d’une disposition peut être affectée de l’effet produit par les dispositions connexes. Par exemple, elle examine l’ensemble de la procédure disciplinaire qui peut être menée contre un fonctionnaire, afin d’apprécier si le principe d’impartialité est respecté à suffisance, et ne se limite pas à la disposition qui lui a été soumise[27].

Le critère de l’existence de mesures équivalentes moins attentatoires aux droits des personnes est parfois utilisé. Bien que la Cour ait, dans une jurisprudence ancienne, jugé qu’elle n’avait pas à se demander si l’objectif aurait pu être atteint par la mise en œuvre de mesures d’effet semblable mais moins dommageable pour les droits des plaignants[28], elle est revenue sur cette opinion dans une jurisprudence plus récente. Elle a ainsi jugé, à propos d’un recours introduit par des compagnies d’assurance qui démontraient assez vraisemblablement que l’objectif poursuivi aurait pu être atteint par la mise en œuvre d’une autre formule de calcul qui n’avait pas le même effet discriminatoire à leur égard : « lorsque l’application d’une formule mathématique utilisée par le législateur est de nature à avoir de graves conséquences économiques pour une catégorie d’assureurs, que la réalité de ces conséquences possibles n’est pas contredite, que le choix des montants forfaitaires critiqués n’est pas justifié de façon pertinente et qu’il est allégué avec vraisemblance qu’il existerait d’autres formules qui, tout en permettant d’atteindre l’objectif poursuivi, n’auraient pas les mêmes effets discriminatoires, la Cour ne peut que constater qu’elle ne dispose d’aucun élément qui lui permettrait de conclure que la mesure attaquée est raisonnablement justifiée[29].» Dans une affaire relative aux droits fondamentaux de la défense des prévenus, la Cour constate également que la disposition en cause est disproportionnée parce que « il eût en effet été possible de concilier les objectifs du législateur avec les exigences du procès équitable en prévoyant qu’un juge apprécie dans quelle mesure le respect des droits de la défense exige qu’une partie puisse utiliser des pièces déclarées nulles, tout en veillant à ne pas léser les droits des autres parties[30]

Dans le contentieux de la répartition des compétences entre législateurs, la proportionnalité consiste en ce que chaque législateur, tout en restant dans sa sphère matérielle et territoriale de compétence, ne rende pas « impossible » ou « exagérément difficile » l’exercice par les autres législateurs de leurs compétences propres.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Le contrôle de proportionnalité est couramment, on pourrait même écrire, quotidiennement mis en œuvre par la Cour constitutionnelle de Belgique. Il est utilisé dans tous les types de contentieux.

En 1992 déjà, le juge Paul Martens consacrait un article important à « l’irrésistible ascension du principe de proportionnalité »[31]. Il qualifiait ce principe « d’envahissant ». M. Wathelet, juge honoraire à la Cour de Justice des Communautés européennes, écrivait récemment « désormais omniprésent, le principe de proportionnalité a non seulement acquis le statut de principe général de droit mais aussi celui de pierre angulaire du raisonnement juridique contemporain »[32].

2.6. Décisions les plus pertinentes

Parmi les innombrables décisions qui mettent en œuvre le contrôle de proportionnalité, les plus illustratives sont citées dans ce rapport. Toutes ces décisions peuvent être consultées en version intégrale sur le site internet de la Cour constitutionnelle de Belgique : www.const-court.be.

2.7. et 2.8. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité. Appréciation

Le juge Paul Martens faisait déjà remarquer en 1992 que « en autorisant [le juge] à apprécier le raisonnable et à mesurer la proportion, on lui donne l’instrument capable de re-calibrer la totalité de l’œuvre normative ». Cette expression est très révélatrice de la nature du contrôle de proportionnalité : c’est une question de mesure.

Le contrôle de proportionnalité est essentiel à l’exercice de la mission du juge constitutionnel, qui, sans lui, serait inconcevable et impraticable. En matière de droits fondamentaux tout d’abord. Depuis que l’on a pris conscience que le législateur peut mal faire[33], que ce fait est accepté par l’ensemble des acteurs des mondes politiques et juridiques, depuis la création des juges constitutionnels en conséquence de cette constatation, il faut un instrument de mesure de la compatibilité des normes législatives à la Constitution ou aux normes supérieures. Or, ces normes sont elles-mêmes indéterminées, car formulées en des termes vagues et abstraits. Une disposition constitutionnelle ou conventionnelle garantissant une liberté publique ou un droit fondamental n’est pas comparable à un article du code pénal qui interdit tel comportement ou à une disposition civile qui attache une conséquence précise à un fait juridique tout aussi précis. Ce serait empêcher tout travail législatif, donc toute organisation en société, que de prétendre que les droits et libertés fondamentaux ou les prescrits constitutionnels sont absolus et ne souffrent aucune exception. Le principe d’égalité, central dans le contentieux constitutionnel belge, ne peut sérieusement être compris comme interdisant au législateur de créer toute différence de traitement. La question à laquelle est confrontée le juge constitutionnel à qui il est demandé de contrôler la compatibilité d’une norme par rapport à la Constitution n’est donc pas tant de savoir si le législateur pouvait restreindre tel ou tel droit fondamental, mais bien dans quelle mesure il pouvait le faire. Comme le souligne un auteur, «chaque fois, il s’agit de mettre dans la balance les divers intérêts en présence»[34]. Il faut donc que le juge ait à sa disposition un instrument de mesure. La proportionnalité est la balance du juge constitutionnel.

Lorsqu’elle exerce son contrôle relatif à la répartition des compétences entre les différents législateurs, la Cour trouve également dans le principe de proportionnalité un outil précieux. Dans ce contentieux, le principe ne s’est pourtant pas imposé d’emblée comme en matière de droits fondamentaux. Il peut même paraître, de prime abord, étranger au système de répartition de compétences exclusives que connaît la Belgique, puisque chaque compétence ne peut être exercée que par un seul législateur sur un territoire donné, ce qui implique que tout conflit de compétences est causé par l’incompétence d’un des législateurs en cause. En ce domaine, l’irruption de la proportionnalité est due à la nécessité, constatée par le juge constitutionnel, d’introduire dans un système rigide la souplesse de la bonne foi, un peu à l’image de l’introduction par les tribunaux, dans le système rigide du droit civil, de la limite de l’abus de droit.

Enfin, par rapport aux effets de sa propre intervention, la Cour constitutionnelle trouve dans le principe de proportionnalité un instrument de mesure essentiel, qui lui permet de justifier son refus de suspendre une norme pourtant vraisemblablement inconstitutionnelle ou sa décision de maintenir les effets d’une disposition qu’elle annule, en mesurant l’ampleur des effets qu’auraient la suspension ou l’annulation pure et simple sur l’ensemble de la société par rapport au bénéfice individuel qu’en retireraient les requérants.

Mais la proportionnalité n’a pas que des vertus. Le principal reproche qui peut lui être fait est son indétermination, ce qui crée à la fois un risque d’insécurité juridique pour les justiciables et un risque de « gouvernement des juges » pour les législateurs.

L’insécurité juridique est certes gênante ou désagréable, mais il faut prendre garde à ne pas lui conférer une place et une importance qu’elle ne mérite pas. La sécurité juridique n’est pas une valeur en soi. Il faut probablement admettre qu’une insécurité juridique accrue est le prix à payer pour le contrôle de constitutionnalité des lois, notamment par rapport aux droits fondamentaux du citoyen. Par ailleurs, des mécanismes peuvent être mis en place pour réduire l’insécurité ou en limiter les conséquences, comme les délais pour l’introduction de recours en annulation, l’autorité relative des arrêts rendus sur questions préjudicielles…

Même si la Cour prend souvent soin de répéter qu’elle ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation comparable à celui des législateurs dont elle contrôle l’action[35], même si son contrôle porte sur la compatibilité des normes législatives avec les dispositions constitutionnelles et non sur leur conformité à ces dispositions, la limite entre le contrôle de proportionnalité et le contrôle en opportunité demeure ténue[36]. Or le juge constitutionnel détermine lui-même, lorsqu’il contrôle la proportionnalité d’une disposition, la limite de son contrôle, il trace lui-même la frontière entre ce qui relève du pouvoir d’appréciation en opportunité du législateur et ce qui relève du contrôle de proportionnalité qu’il exerce. Faut-il en conclure que la proportionnalité dans l’exercice du contrôle constitutionnel est le voile pudique sous lequel se dissimule habilement le spectre du gouvernement des juges, ce dernier réapparaissant dès qu’il est question de juger en opportunité ?

Si « le rôle d’une Cour constitutionnelle est d’entreprendre une conciliation pragmatique entre les règles et principes éthiques »[37] inscrits dans la Constitution, elle dispose forcément, en raison de l’indétermination de ces principes, d’une marge de manœuvre, d’un pouvoir d’appréciation. Ce genre d’appréciation est nécessairement délicat, car les valeurs sont plurielles dans nos sociétés. Le reconnaître n’est pas pour autant affirmer que le juge constitutionnel serait une sorte de législateur non élu. Il ne dispose pas du pouvoir d’initiative. Il n’agit que par réaction à une demande, et doit limiter son intervention d’une part aux normes qui lui sont présentées, et d’autre part aux arguments qui sont invoqués devant lui. Il faut souligner également que le juge constitutionnel n’a pas le dernier mot[38]. Le Constituant peut toujours modifier les dispositions constitutionnelles pour neutraliser une appréciation de la proportionnalité par rapport à un droit fondamental, par exemple, qui lui paraîtrait excessive. Le législateur peut, et doit, bien souvent, pour sa part rétablir la constitutionnalité des dispositions critiquées par le juge constitutionnel en posant de nouveaux choix, et il dispose dans la majorité des cas de plusieurs possibilités parmi lesquelles il lui appartient de trancher.

Par ailleurs, le juge constitutionnel se garde généralement de juger des objectifs politiques poursuivis par les législateurs. Sauf l’hypothèse d’un objectif clairement illégitime en soi, fait rarissime, le contrôle du juge porte non pas sur les buts, qui appartiennent à l’opportunité politique, mais bien sûr les moyens, qui relèvent de la technique juridique.

Enfin, probablement n’est-il pas inutile de rappeler dans ce débat que « ce qui fait la légitimité du juge, c’est moins sa majesté ou son mode de recrutement que la manière dont il s’acquitte de sa tâche, sa préoccupation de rendre des décisions acceptables par ceux qui s’adressent à lui[39]».

À cet égard, la proportionnalité joue très certainement un rôle fondamental : une décision sera d’autant mieux acceptée qu’elle sera perçue comme mesurée, adaptée, proportionnée à la situation des différents protagonistes.


  • [1]
    Cette intervention n’engage que son auteur, et non l’institution à laquelle elle appartient.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Martens (P.), « L’irrésistible ascension du principe de proportionnalité », in X., Présence du droit public et des droits de l’homme. Mélanges offerts à Jacques Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, I, p. 49-68.  [Retour au contenu]
  • [3]
    Tous les arrêts de la Cour peuvent être consultés sur son site internet : www.const-court.be  [Retour au contenu]
  • [4]
    Martens (P.), citant le Premier président Drai, op. cit., p. 63.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Parmi d’autres, voyez l’arrêt n° 14/91.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Arrêt n° 16/2005, par exemple.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Voyez, parmi d’autres, les arrêts 25/2001 et 58/2001.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Voyez question 1.1.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Arrêt n° 119/2004.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Dans une étude récente, le président Melchior estime, au sujet de l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière pénale sur la Cour constitutionnelle, que « la Cour, même si elle ne s’estime pas tenue par cette jurisprudence, s’en inspire très largement et s’efforce à propos des sanctions pécuniaires de droit belge d’adopter des arrêts qui n’exposent pas la Belgique à des condamnations par la Cour de Strasbourg… ». La même constatation pourrait probablement être faite à propos d’autres matières. Melchior (M.), « Quelques propos sur la jurisprudence de la Cour d’arbitrage en matière de sanctions administratives ; prise en considération directe ou indirecte de la jurisprudence de Strasbourg », in : X., Liber amicorum Paul Martens. L’humanisme dans la résolution des conflits. Utopie ou réalité ?, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 822.  [Retour au contenu]
  • [11]
    Arrêt n° 40/2008.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Arrêt n° 91/2006.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Voyez les exemples donnés ci-dessus.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Arrêts nos 202/2004, 105/2007 et 107/2007  [Retour au contenu]
  • [15]
    Arrêt n° 69/2005.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Arrêts nos 5/2001, 71/2006 et 81/2007  [Retour au contenu]
  • [17]
    Arrêt n° 1/2005.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Arrêt n° 17/2007.  [Retour au contenu]
  • [19]
    Arrêt n° 140/2004.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Arrêt n° 52/2007.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Arrêt n° 34/2002.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Arrêt n° 102/99.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Arrêt n° 38/2003.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Arrêt n° 142/2001.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Arrêt n° 69/2002.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Arrêt n° 60/2008.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Arrêt n° 141/2003.  [Retour au contenu]
  • [28]
    « La Cour n’a pas à examiner en outre si l’objectif poursuivi par le législateur pourrait être atteint ou non par des mesures légales différentes » : arrêts nos 23/89, 13/91, 20/91, 25/92, 22/93, 42/97, 37/98 et 35/2003.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Arrêt n° 39/2007  [Retour au contenu]
  • [30]
    Arrêt n° 86/2002.  [Retour au contenu]
  • [31]
    Martens (P.), « L’irrésistible ascension du principe de proportionnalité », in X., Présence du droit public et des droits de l’homme. Mélanges offerts à Jacques Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, I, p. 49-68.  [Retour au contenu]
  • [32]
    Wathelet (M.), « Principe de proportionnalité : utilisation disproportionnée ? », J.T., 2007, p. 313.  [Retour au contenu]
  • [33]
    Favoreu (L.), « Rapport sur les pays d’Europe occidentale », in Le contrôle juridictionnel des lois, Légitimité, effectivité et développements récents, Actes du colloque de l’AISJ, Upsalla, juin 1984, Paris, Economica, 1986, p. 43.  [Retour au contenu]
  • [34]
    Verdussen (M.), Les douze juges, Bruxelles, Labor, 2004, p. 75.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Voyez, parmi tant d’autres, l’arrêt n° 10/2001.  [Retour au contenu]
  • [36]
    « Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier si une mesure établie par la loi est opportune ou souhaitable » : voyez entre autres les arrêts nos62/2000 et 9/2004.  [Retour au contenu]
  • [37]
    Verdussen (M.), op. cit.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Behrendt (Ch.), Le juge constitutionnel, un législateur-cadre positif, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 454.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Gaudemet (Y.), citant le Premier président Drai, cité par Martens (P.), op. cit., p. 63.  [Retour au contenu]

Cour constitutionnelle du Bénin

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le principe de proportionnalité n’est pas expressément consacré par la Constitution béninoise du 11 décembre 1990. Toutefois, l’esprit de ce principe est contenu dans certaines dispositions de la loi fondamentale.

1.2. Dispositions explicites et formulation

On peut relever les articles 9, 11, 18, 19, 20, 22, 23, 25, 31, 37 et 39 de la Constitution. Sous le Titre II, ces articles traitent des droits et devoirs de la personne humaine.

Art. 9 : « Tout être humain a le droit au développement et au plein épanouissement de sa personne dans ses dimensions matérielle, temporelle, intellectuelle et spirituelle, pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel et les bonnes mœurs. »

Art. 11 : « Toutes les communautés composant la Nation béninoise jouissent de la liberté d’utiliser leurs langues parlées et écrites et de développer leur propre culture tout en respectant celles des autres. L’État doit promouvoir le développement de langues nationales d’inter -communication. »

Art. 18 al. 3 : « Nul ne peut être détenu dans un établissement pénitentiaire s’il ne tombe sous le coup d’une loi pénale en vigueur. »

Art. 19 al. 2 : « Tout individu, tout agent de l’État est délié du devoir d’obéissance lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques. »

Art. 20 : « Le domicile est inviolable. Il ne peut y être effectué de visites domiciliaires ou de perquisitions que dans les formes et conditions prévues par la loi. »

Art. 22 : « Toute personne a droit à la propriété. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et contre juste et préalable dédommagement. »

Art. 23 al. 1 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements. L’ exercice du culte et l’ expression des croyances s’effectuent dans le respect de la laïcité de l’État. »

Art. 25 : « L’État reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation. »

Art. 31 : « L’État reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre, dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts soit individuellement, soit collectivement ou par l’action syndicale. Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi. »

Art. 37 : « Les biens publics sont sacrés et inviolables. Tout citoyen béninois doit les respecter scrupuleusement et les protéger. Tout acte de sabotage, de vandalisme, de corruption, de détournement, de dilapidation, ou d’enrichissement illicite est réprimé dans les conditions prévues par la loi. »

Art. 39 : « Les étrangers bénéficient sur le territoire de la République du Bénin des mêmes droits et libertés que les citoyens béninois et ce, dans les conditions déterminées par la loi. Ils sont tenus de se conformer à la Constitution, aux lois et aux règlements de la République. »

1.3. Autres textes

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui fait partie intégrante de la Loi fondamentale de la République du Bénin contient également des dispositions qui font référence à ce principe.

Art. 6 : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi ; en particulier, nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement. »

Art. 8 : « La liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion sont garanties. Sous réserve de l’ordre public, nul ne peut être l’objet de mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés. »

Art. 10 : « 1. – Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi.

2. – Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association sous réserve de l’obligation de solidarité prévue à l’article 29. »

Art. 11 : « Toute personne a le droit de se réunir librement avec d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve des règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes. »

Art. 12 : « 1. – Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi.

2. – Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Ce droit ne peut faire l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi nécessaire pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique. »

Art. 1.3 : « Toute personne a le droit d’user des biens et services publics dans la stricte égalité de tous devant la loi. »

Art. 14 : « Le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par nécessité publique ou dans l’intérêt général de la collectivité, ce, conformément aux dispositions des lois appropriées. »

Art. 27.2 : « Les droits et les libertés de chaque personne s’exercent dans le respect du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun. »

Il en est de même de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

Art. 8 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

1. 4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues par la Constitution

Certes la Constitution prévoit des limites à l’exercice de certains droits et libertés :

  • droit au développement et au plein épanouissement de la personne… pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui, ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel… (art. 9) ;
  • liberté d’utiliser sa langue parlée et écrite… tout en respectant celle des autres (art. 11) ;
  • toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience… dans le respect de l’ordre constitutionnel établi… (art. 23) ;
  • l’État reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et de venir… de cortège et de manifestation (art. 25) ;
  • l’État reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre…, dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts… (art. 31).
1.5. Principes mis en balance

Les principes mis en balance sont ceux de l’ordre public, de l’intérêt général (des droits d’autrui, de l’ordre constitutionnel, de l’utilité publique, de la laïcité de l’État, de l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale, des droits et libertés des personnes…).

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Les dispositions de la Constitution confèrent des droits mais également des devoirs aux citoyens. Il s’agit de dispositions protectrices de la liberté individuelle et collective. Mais comme nous le soulignions supra, ces droits sont exercés dans les conditions fixées par la loi ; ceci par souci de préserver l’ordre public. C’est donc dans cet esprit que le juge constitutionnel, dans la construction de sa jurisprudence, fait état des droits garantis au requérant par la Constitution, sans perdre de vue l’intérêt général ou l’ordre public. Si des droits sont reconnus, encore faut-il les exercer dans certaines limites. Le pouvoir normatif du juge constitutionnel se résume en une interprétation stricte de ces dispositions.

Il s’agit d’apprécier si un juste équilibre a été ménagé entre le but à atteindre et le droit en cause, en tenant compte de son importance et de l’intensité de l’atteinte portée. Ainsi, les dispositions constitutionnelles et le pouvoir normatif du juge garantissent et rétablissent cet équilibre.

1.7. Autres sources

Une source essentielle d’inspiration de la jurisprudence est la doctrine. Elle a essentiellement pour rôle d’éclairer le praticien du droit sur l’évolution de la jurisprudence, l’opinion ou les différents courants de pensée des théoriciens du droit sur des questions données.

En principe le droit comparé et la jurisprudence des autres Cours ne peuvent contribuer qu’à une ouverture d’esprit du juge. Le juge n’est cependant pas lié par ces éléments pour rendre sa décision.

La jurisprudence béninoise en la matière s’inspire également de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il est aussi constant que le juge, avant d’établir sa jurisprudence, se réfère aux textes sur la base desquels le requérant exerce ses prétentions.

En raison de la spécificité de la matière, c’est-à-dire l’exercice des droits et libertés en dehors de la Constitution et de règlements internationaux qui la régissent, le juge constitutionnel béninois assied parfois sa religion par référence à la doctrine. En effet, source de droit, la doctrine éclaire davantage le juge.

L’ évocation de la doctrine appelle déjà des développements sur le droit comparé. La doctrine dans sa construction, procède à un état des lieux.

S’agissant de l’influence de la jurisprudence des autres Cours, le juge constitutionnel béninois s’inspire beaucoup et surtout de celle du Conseil constitutionnel français.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes

La jurisprudence constitutionnelle béninoise n’exerce pas de manière explicite un contrôle de proportionnalité. Ce contrôle n’est pas expressément consacré par la Constitution. La jurisprudence tente d’adhérer à des principes qui traduisent l’exercice d’une forme de contrôle de proportionnalité.

2.2. Domaines de contrôle

Le contrôle de proportionnalité est utilisé dans le cadre du contrôle des lois restreignant les libertés fondamentales garanties dans la Constitution et en matière de contrôle des violations des droits de l’homme.

2.3. Exemples

DCC 97-045 du 13 août 1997 ; DCC 00-003 du 20 janvier 2000 ; DCC 01-079 du 17 août 2001 ; DCC 01-096 du 7 novembre 2001 ; DCC 02-058 du 4 juin 2002 ; DCC 02-143 du 19 décembre 2002 ; DCC 03-134 du 21 août 2003 ; DCC 05-148 du 1er décembre 2005 ; DCC 07-007 du 23 janvier 2007 ; DCC 07-051 du 3 juillet 2007 ; DCC 07-120 du 16 octobre 2007 ; DCC 07-134 du 18 octobre 2007 ; DCC 07-153 du 22 novembre 2007 ; DCC 07-156 du 22 novembre 2007 ; DCC 07-167 du 27 novembre 2007 ; DCC 08-010 du 17 janvier 2008 ; DCC 08-054 du 30 mai 2008.

2.4. Critères d’appréciation

La Cour constitutionnelle pour juger de la proportionnalité d’une mesure ou d’une loi retient :

– soit les critères et les modalités de jouissance définis par les lois(DCC 16-94 du 27mai 1994 ; DCC 97-059 du 8 octobre 1997 ; DCC 02-056 du 4 juin 2002 ; DCC 03-024 du 27 février 2003 ; DCC 98-030 du 27 mars 1998 ; DCC 01-003 du 11 janvier 2001) ;

– soit la motivation de cette mesure ou de cette limitation des droits. Ainsi, la Cour a jugé que: «Dès qu’une autorité administrative… n’a pas motivé sa décision d’interdiction d’une de ces libertés, et s’il n’est pas démontré que la jouissance de la liberté peut porter atteinte à l’ordre public, alors, il y a violation de la Constitution » (DCC 00-003 du 20 janvier 2000 ; DCC 03-134 du 21 août 2003).

La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 n’a pas expressément consacré le principe de la proportionnalité. Cependant, la protection des droits et libertés étant garantie par cette loi fondamentale, leur exercice est contenu dans les conditions fixées par la loi. Ce qui fait penser au recours au principe de proportionnalité. Si nous l’acceptons ainsi, il n’est pas faux de dire que cette forme de contrôle est courante à la Cour constitutionnelle du Bénin.

Hypothèses : préservation de la paix sociale, de l’ordre public, de l’intérêt général.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Les décisions les plus pertinentes ont été annexées à la réponse du questionnaire.

2.6. Décisions les plus pertinentes

A priori, le recours au principe de proportionnalité semble remettre en cause les droits constitutionnellement reconnus aux citoyens. C’est une forme d’atteinte à ces droits en ce qu’ils ne sont pas élastiques. Le citoyen ou le requérant à qui le principe de proportionnalité est appliqué ne peut s’expliquer qu’un droit lui soit garanti et qu’en l’exerçant, des limites y soient apportées. Cette technique révèle qu’il n’y a pas de liberté absolue et que la jouissance de ces droits n’est que la restitution de la volonté du constituant ou du législateur.

Le recours au principe de proportionnalité implique le respect des règles édictées, le souci de la sécurité nationale, le maintien de l’ordre public, c’est-à-dire des motifs justifiés pour une atteinte à un droit de la personne. Il suppose qu’il y ait une violation des droits.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Comme tous les principes généraux du droit, le principe de proportionnalité dicte les limites à observer dans la jouissance des droits et libertés. Il consacre l’existence des « justes motifs pour la limitation de certains droits de la personne en ayant un œil sur le caractère nécessaire de ce droit. Il est donc du devoir du constituant ou du législateur d’avoir le souci de l’équilibre. L’individu est certes titulaire de droits, mais il faut en faciliter la jouissance en tenant compte de l’intérêt général.

Conseil constitutionnel du Burkina Faso

I. Les sources du principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité est un principe d’adéquation des moyens à un but recherché. Il joue dans un certain nombre de domaines du droit, et particulièrement en ce qui concerne la limitation ou l’aménagement de l’exercice des droits et libertés fondamentaux.

1.1. Consécration par la Constitution

Le principe de proportionnalité n’est pas consacré en tant que tel par la Constitution du Burkina Faso adoptée le 2 juin 1991 et promulguée le 11 juin 1991. Toutefois, on pourrait déduire son existence de la formulation de certains droits en raison des limitations ou des aménagements qui peuvent être portés à leur exercice.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues par la Constitution

La Constitution prévoit des limites à l’exercice de certains droits et libertés. Les raisons de ces limitations sont probablement le caractère généralement non absolu de certains droits, la nécessaire prise en compte de l’intérêt ou de l’ordre publics, le fait qu’un pays en développement n’est pas en mesure d’assurer la jouissance effective de tous les droits économiques et sociaux. À titre d’illustration des limitations constitutionnelles, on peut noter :

Art. 3
Nul ne peut être privé de sa liberté s’il n’est poursuivi pour des faits prévus et punis par la loi. Nul ne peut être arrêté, gardé, déporté ou exilé qu’en vertu de la loi.

Art. 6
La demeure, le domicile, la vie privée et familiale, le secret de la correspondance de toute personne sont inviolables. Il ne peut y être porté atteinte que selon les formes et dans les cas prévus par la loi.

Art. 7
La liberté de croyance, de non-croyance, de conscience, d’opinion religieuse, philosophique, d’exercice de culte, la liberté de réunion, la pratique libre de la coutume ainsi que la liberté de cortège et de manifestation sont garanties par la présente Constitution, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des bonnes mœurs et de la personne humaine.

Art. 8
Les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur.

Art. 9
La libre circulation des personnes et des biens, le libre choix de la résidence et le droit d’asile sont garantis dans le cadre des lois et règlements en vigueur.

Art. 13
Les partis et formations politiques se créent librement. Ils concourent à l’animation de la vie politique, à l’information et à l’éducation du peuple ainsi qu’à l’expression du suffrage. Ils mènent librement leurs activités dans le respect des lois. Tous les partis ou formations politiques sont égaux en droits et en devoirs.
Toutefois, ne sont pas autorisés les partis ou formations politiques tribalistes, régionalistes, confessionnels ou racistes.

Art. 15
Le droit de propriété est garanti. Il ne saurait être exercé contrairement à l’utilité sociale ou de manière à porter préjudice à la sûreté, à la liberté, à l’existence ou à la propriété d’autrui. Il ne peut yêtre porté atteinte que dans les cas de nécessité publique constatés dans les formes légales.
Nul ne saurait être privé de sa jouissance si ce n’est pour cause d’utilité publique et sous la condition d’une juste indemnisation fixée conformément à la loi. Cette indemnisation doit être préalable à l’expropriation sauf cas d’urgence ou de force majeure.

Art. 16
La liberté d’entreprise est garantie dans le cadre des lois et règlements en vigueur.

Art. 20
L’État veille à l’amélioration constante des conditions de travail et à la protection du travailleur.

Art. 21
La liberté d’association est garantie. Toute personne a le droit de constituer des associations et de participer librement aux activités des associations créées. Le fonctionnement des associations doit se conformer aux lois et règlements en vigueur. La liberté syndicale est garantie. Les syndicats exercent leurs activités sans contrainte et sans limitation autres que celles prévues par la loi.

Art. 22
Le droit de grève est garanti. Il s’exerce conformément aux lois en vigueur.

Art. 24
L’État œuvre à promouvoir les droits de l’enfant.

Art. 25
Le droit de transmettre ses biens par succession ou libéralité est reconnu conformément aux lois et règlements en vigueur.

Art. 26
Le droit à la santé est reconnu. L’État œuvre à le promouvoir.

Art. 27
Tout citoyen a le droit à l’instruction. L’enseignement public est laïc. L’enseignement privé est reconnu. La loi fixe les conditions de son exercice.

Art. 28
La loi garantit la propriété intellectuelle. La liberté de création et les œuvres artistiques, scientifiques et techniques sont protégées par la loi. La manifestation de l’activité culturelle, intellectuelle, artistique et scientifique est libre et s’exerce conformément aux textes en vigueur.

Art. 29
Le droit à un environnement sain est reconnu ; la protection, la défense et la promotion de l’environnement sont un devoir pour tous.

1.5. Principes mis en balance

On peut dire qu’il s’agit, entre autres, de l’intérêt général et de l’ordre public. Toutefois, il y a lieu de noter la diversité de formulations utilisées pour procéder à la limitation de certains droits et libertés. On relève, à titre d’exemples, les formulations ci-après : dans le cadre de la loi ou des textes en vigueur ; conformément aux lois et règlements en vigueur ; dans le cadre des lois et règlements en vigueur ; dans les conditions prévues par la loi ; ne sont autorisées que… ; nécessité publique et pour cause d’utilité publique ; cas d’urgence ou de force majeure ; l’idée que la Constitution, la loi ou l’État doit promouvoir certains droits, ce qui est le signe qu’ils ne sont pas totalement existants et qu’ils ne sont pas exigibles ; sans contrainte et sans limitation autres que celles prévues par la loi ; l’institution de devoirs venant contrebalancer les droits (art. 29).

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

La première place revient à la Constitution. Toutefois, il revient au juge d’interpréter et d’appliquer la Constitution et les lois au sens large. Le juge constitutionnel saisi, mais tel n’a pas encore été le cas, doit dire si la limitation, la restriction ou l’aménagement ne sont pas tels qu’ils remettent fondamentalement en cause le droit reconnu.

1.7. Autres sources

On peut affirmer que si un tel problème venait à se poser, le Conseil constitutionnel s’inspirerait probablement du droit comparé, en l’occurrence des décisions rendues par les autres Cours et Conseils constitutionnels, surtout membres de l’ACCPUF, et spécialement de celles du Conseil constitutionnel français, qui font l’objet de plus de publicité et de commentaires. La doctrine de droit comparé est importante en la matière. Celle de droit national est limitée pour le moment mais appelée à occuper une place de plus en plus importante.

II. Le contrôle de proportionnalité

La jurisprudence n’exerce pas de manière explicite un contrôle de proportionnalité.

Cour constitutionnelle du Burundi

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Ce principe se trouve bel et bien dans la Constitution.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Il s’agit plus précisément de l’article 47 mais aussi de l’article 19.

Art. 19 : « Les droits et devoirs proclamés et garantis, entre autres, par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant font partie intégrante de la Constitution de la République du Burundi.

Ces droits fondamentaux ne font l’objet d’aucune restriction ou dérogation, sauf dans certaines circonstances justifiables par l’intérêt général ou la protection d’un droit fondamental. »

Art. 47 : « Toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale ; elle doit être justifiée par l’intérêt général ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui ; elle doit être proportionnée au but visé. »

1.3. Autres textes

N.C.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues par la Constitution

Oui. On peut citer notamment les limites à l’exercice du droit de propriété, à la liberté de mouvement, etc.

1.5. Principes mis en balance

L’intérêt général, l’ordre public, l’utilité publique, la sécurité de l’État, la protection d’un droit fondamental d’autrui.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

La Constitution constitue une norme de référence pouvant justifier la limitation à l’exercice d’un droit fondamental, tandis que le juge apprécie la proportionnalité des restrictions légales par rapport au but visé.

II. Le contrôle de proportionnalité

Cependant nous voudrions préciser que la Cour constitutionnelle du Burundi n’a pas encore de jurisprudence en ce domaine depuis la nouvelle Constitution de mars 2005.

Pour cette raison nous nous excusons de ne pas répondre au reste des questions relatives à la jurisprudence.

Cour suprême du Cameroun

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le principe de proportionnalité n’est pas consacré dans la Constitution mais il a une place dans certaines dispositions de son Préambule.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Aucune.

1.3. Autres textes

– Le Préambule de la Constitution renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (art. 8 et 17), la Charte des Nations unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

–Le code pénal en ses articles84, 85 et 86.

Art. 84. Légitime défense

(1) La responsabilité pénale ne peut résulter d’un acte commandé par la nécessité immédiate de sa propre défense ou de celle d’autrui ou d’un droit appartenant à soi-même ou à autrui contre une atteinte illégitime à condition que la défense soit proportionnée à la gravité de l’atteinte.

(2) Il y a toujours juste proportion entre l’homicide et l’atteinte qui donne lieu de craindre soit la mort, soit les blessures graves telles que prévues au présent code, soit le viol ou la sodomie.

Art. 85. La provocation

(1) Bénéficie de l’excuse atténuante, s’il n’y a pas disproportion entre la provocation et la réaction, tout auteur d’une infraction immédiatement provoquée par l’acte illégitime d’autrui contre luimême ou, en sa présence, contre son conjoint, son descendant ou ascendant, son frère ou sa sœur, son maître ou son serviteur, le mineur ou l’incapable dont il a la garde.

(2) L’homicide ainsi que les blessures sont excusables s’ils ont été provoqués par des coups ou violences graves envers les personnes.

(3) Ils sont également excusables s’ils ont été commis par l’un des époux sur son conjoint ou sur son complice surpris en flagrant délit d’adultère.

(4) L’infraction n’est excusable que lorsque la provocation est de nature à priver une personne normale de la maîtrise de soi.

Art. 86. L’ état de nécessité

Indépendamment de la défense légitime prévue à l’article 84, la responsabilité pénale ne peut résulter de l’atteinte faite à un bien dans le but de détourner de soi-même ou d’autrui ou d’un bien appartenant à soi-même ou à autrui, un péril grave, imminent et non autrement inévitable, à condition qu’il n’y ait pas disproportion entre le mal à écarter et la mesure prise pour le prévenir.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

Oui dans son Préambule.

  • La liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des droits d’autrui et de l’intérêt supérieur de l’État.
  • Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, sous réserve des prescriptions légales relatives à l’ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics.
  • Le domicile est inviolable, nulle perquisition ne peut y avoir lieu qu’en vertu de la loi.
  • Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée, en toutes circonstances, avec humanité. En aucun cas elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitements cruels, humains ou dégradants.
  • Le droit de propriété ne saurait être exercé contrairement à l’utilité publique, sociale ou de manière à porter préjudice à la sûreté, à la liberté, à l’existence ou à la propriété d’autrui.
1.5. Principes mis en balance

L’intérêt supérieur de l’État, l’ordre, la sécurité, la tranquillité et/ou l’utilité publics ; la liberté ou l’utilité sociale.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Le juge constitutionnel camerounais n’ayant pas encore été saisi de la question, n’a qu’un pouvoir normatif potentiel.

1.7. Autres sources

La jurisprudence des autres Cours et Conseils constitutionnels en dehors des textes relatifs aux droits de l’homme et du citoyen. En tant que source du principe la jurisprudence des autres Cours et Conseils influencera le moment venu celle du juge constitutionnel camerounais.

II.Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

La Cour suprême du Cameroun agissant aux lieu et place du Conseil constitutionnel n’a connu jusqu’alors aucune saisine à cet effet.

Il nous apparaît par conséquent inutile de répondre aux questions suivantes à l’exception de la question n° 2.8. sur la question relative à l’appréciation du principe de la proportionnalité.

2.8. Appréciation

Il s’agit selon nous d’un principe et d’une technique indispensables pour contrôler et freiner les abus de la loi contre les libertés et droits fondamentaux, il tend à maintenir l’équilibre entre l’intérêt général et les droits et libertés individuels.

Indépendamment de la défense légitime prévue à l’article 84, la responsabilité pénale ne peut résulter de l’atteinte faite à un bien dans le but de détourner de soi-même ou d’autrui ou d’un bien appartenant à soi-même ou à autrui, un péril grave, imminent et non autrement inévitable, à condition qu’il n’y ait pas disproportion entre le mal à écarter et la mesure prise pour le prévenir.

Cour suprême du Canada

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Bien que le principe de proportionnalité ne soit pas consacré par le texte de la Constitution canadienne comme tel, il se dégage de l’interprétation d’une disposition particulière, l’article premier. Même si la nature du critère de proportionnalité peut varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux des individus et des groupes.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Le critère de proportionnalité se rattache à l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article premier a la double fonction de rendre effectifs les droits et libertés garantis par la Charte et de permettre toute limite raisonnable d’un droit qu’une société libre et démocratique peut vouloir imposer. Le critère de proportionnalité s’insère dans les restrictions apportées aux droits garantis.

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

1.3. Autres textes

Le critère de la proportionnalité et du lien rationnel à l’égard de l’article 9.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, est essentiellement le même que le critère relatif à l’article premier de la Charte canadienne. L’article 9.1 se lit comme suit :

Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

Oui. Si l’État porte atteinte à un droit ou à une liberté individuels garantis par la Charte, il ne suffit pas de répondre que cette atteinte était motivée ou est justifiée par des raisons politiques. L’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit de manière expresse des limites. En particulier, la disposition prévoit que les limites doivent être raisonnables et que la justification d’une restriction à un droit ou à une liberté doit pouvoir se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Ainsi, les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une telle société.

Dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 136, le juge en chef Dickson a discuté des limites imposées par l’article premier :

Les droits et libertés garantis par la Charte ne sont pas absolus. Il peut être nécessaire de les restreindre lorsque leur exercice empêcherait d’atteindre des objectifs sociaux fondamentalement importants. C’est pourquoi l’article premier prévoit des critères de justification des limites imposées aux droits et libertés garantis par la Charte. Ces critères établissent une norme sévère en matière de justification, surtout lorsqu’on les rapproche des deux facteurs contextuels examinés précédemment, à savoir la violation d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution et les principes fondamentaux d’une société libre et démocratique.

1.5. Principes mis en balance

Il incombe à la partie qui soutient qu’une règle de droit est valide au regard de l’article premier d’établir qu’elle constitue une « limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». La norme applicable en matière de preuve est celle des affaires civiles, soit la preuve selon la prépondérance des probabilités.

Même si la nature du critère de proportionnalité peut varier selon les circonstances, les tribunaux doivent, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux des particuliers et de groupes. Selon l’analyse élaborée par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Oakes, le critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu’il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l’objectif reconnu comme « suffisamment important ».

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Dans cet équilibre, le juge joue un rôle prépondérant. Il doit d’abord déterminer s’il y a une atteinte à un droit ou une liberté. Si le juge conclut qu’il y a atteinte, il doit ensuite déterminer si celle-ci est justifiable. Afin de faire cette détermination, le juge applique le test de l’arrêt Oakes et se fie à la preuve présentée par les parties. De plus, le juge doit déterminer si la loi ou la mesure contestée limite ou restreint un droit par opposition à une négation ou dérogation d’un droit. « Pour que l’article 1 puisse jouer son rôle, il doit s’agir d’une limitation ou restriction d’un droit et non pas d’une dérogation ou d’une modification de ce droit » (Henri Brun et Guy Tremblay, Droit constitutionnel, 4e éd., 2002, p. 943). La définition d’une règle de droit peut également découler de la common law ou du Code civil du Québec.

Pour ce qui est des autres sources écrites, les tribunaux peuvent également consulter le préambule de la Loi, les débats parlementaires et les notes soumises aux divers comités de la Chambre des communes ou du Sénat afin de saisir l’objet de la loi contestée en général et de la disposition en particulier. Ils peuvent aussi considérer les politiques et règlements.

1.7. Autres sources

Lorsqu’un tribunal doit appliquer le test de proportionnalité, il se fie souvent à la preuve experte, notamment la preuve en matière de sciences humaines, la preuve documentaire et les statistiques : voir Irwin Toy, [1989] 1 R.C.S. 927, McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, RJR MacDonald, [1995] 3 R.C.S. 199, Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1R.C.S. 791 et Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256. Comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, les tribunaux ne devraient pas se trouver face à un vide factuel lorsqu’ils doivent déterminer l’objectif législatif de la disposition attaquée.

Le test de proportionnalité est bien établi dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. De ce fait, le rôle de la doctrine est limité puisque les tribunaux se fient plutôt sur la jurisprudence.

Bien que la Cour se réfère à la jurisprudence des autres Cours, notamment à la jurisprudence américaine, elle a déjà souligné que les tribunaux canadiens ne devaient pas être trop influencés par la jurisprudence américaine étant donné que la Constitution des États-Unis ne comporte « ni l’art. 52, ni le contrôle interne des art. 1 et 33 » (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486). Toutefois, comme le note le professeur P.W. Hogg, les conventions internationales comme la Convention européenne des droits de l’homme, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, ont eu une influence sur l’élaboration de l’article premier de la Charte canadienne (Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5 e éd., 2007, p. 112).

Il est également important de noter que la théorie de la « nullité pour cause d’imprécision » d’une disposition et le concept de la portée excessive d’une loi sont relativement nouveaux en droit constitutionnel canadien, ce qui n’est pas le cas en jurisprudence constitutionnelle américaine ou en droit européen. Ainsi, dans le contexte de l’article premier, le droit comparé peut être utile. Si une disposition est trop imprécise, elle ne pourra constituer une restriction prescrite par une règle de droit.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Par la mention d’une société libre et démocratique, l’article premier concrétise les caractéristiques essentielles de la Constitution, notamment la séparation des pouvoirs, le gouvernement responsable et la primauté du droit : Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441. L’ application pratique de l’article premier s’articule dans la jurisprudence. Le cadre analytique de proportionnalité est établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Oakes. Afin d’établir qu’une restriction à un droit ou une liberté garantis par la Charte est raisonnable et que sa justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, les tribunaux doivent se conformer aux étapes suivantes formulées par le juge en chef Dickson aux pages 138-39 de l’arrêt Oakes:

En premier lieu, l’objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être « suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution » : R. c. Big M Drug Mart Ltd., [(1985) 1 R.S.C. 295], p. 352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l’essence même d’une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l’article premier. Il faut à tout le moins qu’un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu’on puisse le qualifier de suffisamment important.

En deuxième lieu, dès qu’un objectif est reconnu suffisamment important, la partie qui invoque l’article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et leur justification. Cela nécessite l’application d’« une sorte de critère de proportionnalité » : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes.

À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants.

Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif en question.

Deuxièmement, même à supposer qu’il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, p. 352.

Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l’objectif reconnu comme « suffisamment important ».

2.2. Domaines de contrôle

De façon générale, chaque fois qu’une règle de droit, non soustraite au contrôle judiciaire par l’article 33 de la Charte canadienne porte atteinte aux droits et libertés que celle-ci reconnaît, il est loisible au Gouvernement d’essayer de justifier la loi en vertu de l’article premier de la Charte (l’article 33 est une dérogation par déclaration expresse).

Chaque fois qu’il existe des limites à l’exercice du pouvoir de l’État, elles doivent être soumises à un arbitre. Depuis la Confédération, les tribunaux canadiens jouent ce rôle d’arbitre quant au partage des pouvoirs entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales. Tout en reconnaissant que la séparation des pouvoirs est un principe constitutionnel important, la Cour suprême du Canada conclut que le critère relatif à l’article premier formulé dans l’arrêt Oakes et la jurisprudence abondante portant sur cet article peuvent fournir le cadre approprié pour l’examen des exigences des principes de la séparation des pouvoirs dans des situations données : Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381.

Oui, le principe de proportionnalité est utilisé dans ce cadre lorsqu’une loi enfreint un droit ou une liberté protégés par la Charte canadienne. La capacité d’exercer des droits individuels ou collectifs est nécessairement restreinte par les droits d’autrui. Le Gouvernement doit, en dernier ressort, être en mesure d’établir ou de régir la façon dont ces droits devraient interagir. L’article premier illustre ce principe.

Oui, en matière pénale. L’article premier s’applique à tous droits et libertés énoncés dans la Charte. Cette dernière prévoit des droits juridiques : droit à la vie, liberté et sécurité (art. 7) ; protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives (art. 8) ; protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires (art. 9) ; garanties en cas d’arrestation ou de détention (art. 10) ; encadrement des affaires criminelles ou pénales (art. 11) ; protection contre la cruauté (art. 12) ; protection contre le témoignage incriminant (art. 13) et droit à l’assistance d’un interprète (art. 14). Souvent en matière pénale, les tribunaux font face à des questions portant sur une atteinte possible à l’un ou plusieurs de ces droits.

Non, pas en matière de contrôle de conventionnalité, cette forme de contrôle de la constitutionnalité des lois exercé en France est inconnue en droit canadien.

Non, pas dans d’autres domaines.

2.3. Exemples
Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256

Il s’agissait dans cet arrêt de décider si l’interdiction du port du kirpan dans les écoles porte atteinte à la liberté de religion de l’appelant et, dans l’affirmative, si cette atteinte constituait une limite raisonnable aux termes de l’article premier. La Cour a conclu que la décision du conseil des commissaires d’une commission scolaire interdisant à l’appelant, de religion sikhe orthodoxe, de porter son kirpan à l’école portait atteinte à sa liberté de religion. L’appelant croyait véritablement qu’un kirpan symbolique ne lui permettrait pas de se conformer aux exigences de sa religion. Aucune des parties au litige n’a contesté la sincérité de cette croyance. L’entrave à la liberté de religion de l’appelant était plus que négligeable ou insignifiante, puisqu’elle privait celui-ci de son droit de fréquenter l’école publique. L’atteinte à la liberté de religion de l’appelant ne pouvait être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne. Bien que la décision du conseil de prohiber le port du kirpan poursuivait un objectif urgent et réel, soit d’assurer un niveau de sécurité raisonnable à l’école, et que cette décision avait un lien rationnel avec l’objectif, il n’a pas été démontré qu’une telle prohibition constituait une atteinte minimale aux droits de l’appelant.

Voici un extrait des motifs de la juge Charron portant sur l’article premier de la Charte :

48. Le niveau de sécurité choisi par le conseil d’établissement et confirmé par le conseil des commissaires est la sécurité raisonnable. L’objectif qui consiste à assurer un niveau de sécurité raisonnable dans les écoles est, sans contredit, urgent et réel.

49. La première étape de l’analyse de la proportionnalité consiste à se demander si la décision du conseil des commissaires a été rendue dans le but d’atteindre l’objectif visé. La décision doit avoir un lien rationnel avec cet objectif. En l’espèce, le fait d’interdire à Gurbaj Singh de porter son kirpan à l’école vise à atteindre cet objectif. Malgré la profonde signification religieuse du kirpan pour Gurbaj Singh, cet objet a aussi les caractéristiques d’une arme blanche et est donc susceptible de causer des blessures. La décision du conseil des commissaires a donc un lien rationnel avec l’objectif visé qui consiste à assurer un niveau de sécurité raisonnable en milieu scolaire. Il est d’ailleurs pertinent de signaler que l’appelant n’a jamais contesté le caractère rationnel de la règle du Code de vie interdisant les armes à l’école.

Malgré les arguments des intimés concernant la sécurité dans les écoles, la prolifération des armes dans les écoles et les répercussions négatives sur l’environnement scolaire, la juge Charron a conclu :

77. Je suis d’avis que les intimés n’ont pas réussi à démontrer qu’il serait raisonnable de conclure que la prohibition absolue du port du kirpan constitue une atteinte minimale aux droits de Gurbaj Singh.

79. La prohibition totale de porter le kirpan à l’école dévalorise ce symbole religieux et envoie aux élèves le message que certaines pratiques religieuses ne méritent pas la même protection que d’autres. Au contraire, le fait de prendre une mesure d’accommodement en faveur de Gurbaj Singh et de lui permettre de porter son kirpan sous réserve de certaines conditions démontre l’importance que notre société accorde à la protection de la liberté de religion et au respect des minorités qui la composent. Les effets préjudiciables de l’interdiction totale surpassent donc ses effets bénéfiques.

Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203

Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada devait déterminer si une atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte était justifiée au regard de l’article premier. La Cour a conclu que le fait de nier aux membres des bandes indiennes résidant hors des réserves le droit de voter aux élections des bandes conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, était incompatible avec l’art. 15 de la Charte. De plus, l’atteinte n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Bien que la restriction du droit de vote prévue au paragraphe 77(1) eût un lien rationnel avec l’objectif de la loi, qui était de donner voix au chapitre, en ce qui concerne les affaires de la réserve, seulement aux personnes les plus directement touchées par les décisions du conseil de la bande, le paragraphe 77(1) ne portait pas l’atteinte la plus réduite possible aux droits garantis par l’article 15. Même en admettant qu’une certaine distinction pouvait être justifiée pour protéger des intérêts légitimes des membres des bandes indiennes qui vivent dans les réserves, il n’avait pas été démontré qu’il était nécessaire de nier complètement aux membres hors réserve le droit de participer aux affaires de leurs bandes respectives par le processus démocratique des élections.

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350

Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que les procédures d’examen du caractère raisonnable d’un certificat de sécurité et de contrôle de la détention établies par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« LIPR ») contrevenaient à l’article 7 de la Charte et que la contravention n’était pas validée par application de l’article premier de la Charte. Bien que la protection de la sécurité nationale du Canada et des sources en matière de renseignement constituent des objectifs urgents et réels et que la non-communication d’éléments de preuve dans le cadre d’une audition sur un certificat a un lien rationnel avec cet objectif, la LIPR ne portait pas le moins possible atteinte aux droits des personnes désignées dans un certificat. Les solutions moins attentatoires conçues au Canada et à l’étranger, notamment le recours à un avocat spécial pour représenter les personnes désignées, démontrent que le législateur pouvait faire mieux qu’il ne l’avait fait dans la LIPR pour protéger les individus tout en préservant la confidentialité des renseignements sensibles :

68. La protection de la sécurité nationale du Canada et des sources en matière de renseignement constitue assurément un objectif urgent et réel. Les dispositions de la LIPR prévoyant la non communication d’éléments de preuve dans le cadre d’une audition sur un certificat ont un lien rationnel avec cet objectif. Les faits à cet égard ne sont pas contestés. Le Canada est un importateur net de renseignements sur la sécurité. Or, ces derniers sont essentiels pour la sécurité et la défense du Canada, et leur divulgation nuirait à la circulation et à la qualité de ces renseignements… Il reste donc à déterminer si le moyen choisi par le législateur, c’est-à-dire une procédure de délivrance et d’examen de certificats entraînant la détention et l’expulsion des non-citoyens qui constituent un danger pour la sécurité du Canada, porte le moins possible atteinte à leurs droits.

87. Les procédures d’examen du caractère raisonnable des certificats et de contrôle de la détention établies par la LIPR ne peuvent se justifier parce qu’elles ne portent pas le moins possible atteinte au droit d’une personne à une décision judiciaire fondée sur les faits et sur le droit, et à son droit de connaître la preuve qui pèse contre elle et d’y répondre. Des mécanismes conçus au Canada et à l’étranger démontrent que le législateur peut faire mieux qu’il ne l’a fait dans la LIPR pour protéger les individus tout en préservant la confidentialité des renseignements sensibles. C’est au législateur qu’il appartient de déterminer précisément quels correctifs doivent être apportés, mais il est évident qu’il doit faire davantage pour satisfaire aux exigences d’une société libre et démocratique.

2.4. Critères d’appréciation

« Compte tenu du fait que l’article premier est invoqué afin de justifier une violation des droits et libertés constitutionnels que la Charte vise à protéger, un degré très élevé de probabilité sera, pour reprendre l’expression de lord Denning, “proportionné aux circonstances”. Lorsqu’une preuve est nécessaire pour établir les éléments constitutifs d’une analyse en vertu de l’article premier, ce qui est généralement le cas, elle doit être forte et persuasive et faire ressortir nettement à la cour les conséquences d’une décision d’imposer ou de ne pas imposer la restriction » (Oakes, p. 138).

L’article premier fait en sorte qu’il est nécessaire de déterminer si la loi contestée porte atteinte à un droit ou une liberté. Dans l’affirmative, il faut déterminer si la violation est justifiable. Tel que mentionné ci-dessus, la grille d’analyse a été formulée par la Cour. La Cour a fait remarquer à plusieurs reprises que le critère de proportionnalité doit être souple afin d’éviter que l’examen entrepris par le tribunal ne soit limité à l’application de normes fixes et invariables. Il faut éviter de recourir à une méthode mécaniste. Le critère de l’arrêt Oakes devrait au contraire s’appliquer avec souplesse de manière à établir un juste équilibre entre les droits individuels et les besoins de la collectivité.

Le juge en chef Dickson énonce dans l’arrêt Oakes, précité p. 136, que les tribunaux doivent être guidés par :

Des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous-jacents d’une société libre et démocratique sont à l’origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu’une restriction d’un droit ou d’une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer.

Dans Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, la juge Wilson prône l’approche contextuelle aux pages 1355-56 :

Il me semble qu’une qualité de la méthode contextuelle est de reconnaître qu’une liberté ou un droit particuliers peuvent avoir une valeur différente selon le contexte. Par exemple, il se peut que la liberté d’expression ait une importance plus grande dans un contexte politique que dans le contexte de la divulgation des détails d’une affaire matrimoniale. La méthode contextuelle tente de mettre clairement en évidence l’aspect du droit ou de la liberté qui est véritablement en cause dans l’instance ainsi que les aspects pertinents des valeurs qui entrent en conflit avec ce droit ou cette liberté. Elle semble mieux saisir la réalité du litige soulevé par les faits particuliers et être donc plus propice à la recherche d’un compromis juste et équitable entre les deux valeurs en conflit en vertu de l’article premier.

J’estime qu’un droit ou une liberté peuvent avoir des significations différentes dans des contextes différents. Par exemple, la sécurité de la personne peut signifier une chose lorsqu’elle porte sur la question de la surpopulation dans les prisons et une autre, très différente, lorsqu’elle porte sur la question des fumées nocives des usines. Il semble tout à fait probable que la valeur à y attacher dans différents contextes aux fins de la recherche d’un équilibre en vertu de l’article premier soit également différente. C’est pour cette raison que je crois que l’importance du droit ou de la liberté doit être évaluée en fonction du contexte plutôt que dans l’abstrait et que son objet doit être déterminé en fonction du contexte. Cette étape franchie, le droit ou la liberté doit alors, en conformité avec les arrêts de notre Cour, recevoir une interprétation généreuse qui vise à atteindre cet objet et à assurer à l’individu la pleine protection de la garantie.

«La Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que, dans les domaines sociaux, économiques ou politiques où le législateur doit concilier des intérêts différents afin de choisir une politique parmi plusieurs qui pourraient être acceptables, les tribunaux doivent faire preuve d’une grande retenue face aux choix du législateur en raison de sa position privilégiée pour faire ces choix. À l’opposé, les tribunaux seront plus sévères face aux choix du législateur dans les domaines où l’État joue le rôle d’« adversaire singulier de l’individu » – principalement en matière criminelle – en raison de leur expertise dans ces domaines » (Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569 au par. 59).

Enfin, il est important de rappeler que la Cour suprême du Canada a maintes fois souligné l’importance de la retenue à l’égard des choix de principe du législateur quand vient le temps de décider si celui-ci s’est déchargé de son fardeau de preuve aux termes de l’article premier. Cependant, le critère de proportionnalité s’applique avec rigueur dans certaines circonstances, notamment lorsqu’il y a atteinte aux droits et aux libertés de groupes qui sont depuis longtemps victimes de discrimination, ou lorsque les droits démocratiques fondamentaux des Canadiens et des Canadiennes sont en jeu.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

La proportionnalité est une technique de contrôle courante.

Entre 1991 et 2005, 482 recours constitutionnels en vertu de la Charte canadienne ont été portés devant la Cour suprême du Canada. La Cour a conclu qu’il y avait eu une violation à un droit ou une liberté protégés par la Charte dans 174 de ces recours et que l’atteinte n’était justifiable que dans seulement 18 de ces cas (Patrick J. Monahan, Constitutional Law, 3 e éd., 2006, p. 422).

En 2007, la Cour suprême du Canada a rendu 4 jugements dans lesquels elle a procédé à l’analyse de la proportionnalité. Dans deux cas, la Cour a conclu que la mesure ou la loi contestée portait atteinte à un droit protégé par la Charte, mais que l’atteinte était justifiée en vertu de l’article premier. Quant aux deux autres, la Cour a conclu que l’atteinte n’était pas justifiée.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Les motifs de jugements rendus dans les dossiers suivants sont joints en annexe.

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration),[2007] 1 R.C.S. 350

La Cour juge que certaines dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, portent atteinte à l’article 7 de la Charte (protection de la vie, la liberté et sécurité de la personne) et que les violations ne sont pas justifiables en vertu de l’article premier.

R. c. Bryan,[2007] 1 R.C.S. 527

La Cour décide qu’une certaine disposition de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, porte atteinte à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte. Elle conclut que la violation est justifiable en vertu de l’article premier.

Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, (2007) CSC 2

La Cour conclut que certaines dispositions de la Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, ch. 2, portent atteinte à l’al. 2 d) de la Charte (liberté d’association) et que les violations ne sont pas justifiables en vertu de l’article premier. Elle conclut aussi qu’il n’y a pas de violation de l’art. 15 de la Charte.

Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30

La Cour juge que certaines dispositions de la Loi sur le tabac, L.C. 1997 et du Règlement sur l’information relative aux produits du tabac, DORS/2000-272, portent atteinte à la liberté d’expression garantie par l’al. 2 b), mais que les violations sont justifiables en vertu de l’article premier.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Les droits garantis par la Charte ne sont pas absolus. « L’État est autorisé à restreindre les droits garantis dans les limites dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique » (Charkaoui, précité, au paragraphe 66). Autrement dit, les droits individuels doivent souvent céder aux intérêts collectifs (Oakes, à la p. 136), et inversement.

2.8. Appréciation

Selon la jurisprudence développée au fil des années, il devient clair que la Charte doit être interprétée en fonction du contexte dans lequel une revendication prend naissance. Le contexte est important à la fois pour délimiter la signification et la portée des droits garantis par la Charte et pour établir l’équilibre entre les droits individuels et les intérêts de la société : R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154. Ce contexte est pris en compte dans l’analyse de l’article premier de la Charte. Enfin, l’interprétation donnée à cet article assure que le sens des droits et libertés consacrés dans la Charte évolueront. « L’Acte de l’Amérique du nord britannique a planté au Canada un arbre susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles : Edwards v. Attorney General for Canada, [1930] A.C. 124. »

Ainsi, l’article premier de la Charte confie aux tribunaux canadiens le rôle de déterminer quelles sont les « limites raisonnables dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Depuis plus de 20 ans, le test de proportionnalité établi dans l’arrêt Oakes guide les tribunaux dans cette détermination. Bien que les circonstances particulières d’une cause jouent un rôle dans l’application et l’interprétation du test de Oakes, ce dernier demeure un élément important du droit constitutionnel canadien.

Cour constitutionnelle des Comores

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Oui.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Dans le Préambule, et article 7 de la Constitution :

«Les Comoriens ont les mêmes droits, les mêmes libertés et les mêmes obligations dans n’importe quelle partie de l’Union. Aucune autorité ne pourra adopter des mesures qui directement ou indirectement, entravent la liberté de circulation et d’établissement des personnes, ainsi que la libre circulation des biens sur tout le territoire de l’Union. »

1.3. Autres textes

Loi organique n° 04-001/AU.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

Non.

1.5. Principes mis en balance

L’intérêt général et l’ordre public.

1.7. Autres sources

Les textes de lois et les conventions internationales.

Ils servent de référence et de réflexion au niveau du conseiller rapporteur pour la rédaction du projet d’arrêt.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.2. Domaines de contrôle

Le contrôle de proportionnalité est utilisé dans les domaines suivants :

  • répartition des compétences entre le législateur fédéral et les entités fédérées;
  • contrôle des lois restreignant des libertés fondamentales garanties dans la Constitution;
  • contrôle de conventionnalité.
2.3. Exemples

Arrêt n° 06-029/CC.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

La proportionnalité est une technique de contrôle courante.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

L’ annulation de toutes les dispositions por tant atteinte à ce pr incipe.

2.8. Appréciation

C’est un bon principe.

Cour constitutionnelle du Congo-Brazzaville

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le Préambule de la Constitution du 20 janvier 2002 proclame la ferme volonté du peuple congolais de « bâtir un État de droit ». Si l’on considère que l’État de droit est le fondement du principe de proportionnalité, ou que celui-ci est une exigence inhérente à l’État de droit, on peut alors affirmer que la Constitution, en ce qu’elle garantit l’État de droit, consacre par conséquent implicitement ce principe.

Dans ce contexte, le principe de proportionnalité a donc, outre dans le Préambule, une place implicite dans les dispositions de la Constitution telles qu’elles sont ainsi libellées :

  • Art. 7, al. 2 – « Chaque citoyen a le droit au libre développement et au plein épanouissement de sa personne dans le respect des droits d’autrui, de l’ordre public, de la morale et des bonnes mœurs » ;
  • Art. 17, al. 2 – « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, moyennant une juste et préalable indemnité, dans les conditions prévues par la loi » ;
  • Art. 22 – «Le droit à la culture et au respect de l’identité culturelle de chaque citoyen est garanti.

L’exercice de ce droit ne doit porter préjudice, ni à l’ordre public, ni à autrui, ni à l’unité nationale ».

Il est donc clair que la Constitution ne proclame nulle part, de manière explicite, le principe de proportionnalité.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Il n’existe aucune disposition explicite qui concerne le principe de proportionnalité dans l’ordre juridique congolais.

1.3. Autres textes

Aucun texte dans l’ordre juridique congolais ne fait référence au principe de proportionnalité.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

Les limites à l’exercice de certains droits et libertés sont notamment prévues dans les dispositions ci-après de la Constitution :

–Art. 7 – « La personne humaine est sacrée et a droit à la vie. L’État a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger.

« Chaque citoyen a le droit au libre développement et au plein épanouissement de sa personne dans le respect des droits d’autrui, de l’ordre public, de la morale et des bonnes mœurs » ;

Art. 16– « Tout citoyen a le droit de circuler librement sur le territoire national.

« Il a le droit de sortir librement du territoire national, s’il ne fait l’objet de poursuites pénales, et d’y revenir » ;

Art. 17– « Le droit de propriété et le droit de succession sont garantis.

« Nul ne peut être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique, moyennant une juste et préalable indemnité, dans les conditions prévues par la loi » ;

Art. 22– « Le droit à la culture et au respect de l’identité culturelle de chaque citoyen est garanti.

L’exercice de ce droit ne doit porter préjudice, ni à l’ordre public, ni à autrui, ni à l’unité nationale. »

1.5. Principes mis en balance

Les principes mis en balance sont :

  • l’ordre public (art. 7, al. 2 et 22, al. 2 de la Constitution);
  • la morale et les bonnes mœurs, les droits d’autrui (art.7, al.2 de la Constitution);
  • la cause d’utilité publique (art. 17, al. 2 de la Constitution);
  • l’unité nationale, autrui (art. 22, al. 2 de la Constitution).
1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Les dispositions constitutionnelles gardent leur primauté sur les autres sources du droit et la Cour constitutionnelle respecte la répartition des compétences des organes de l’État, telle qu’elle résulte de la Constitution.

Aussi, affirme-t-elle la souveraineté du Parlement dans les choix qu’il opère notamment en matière pénale, en ce qui concerne la prévention de l’adultère de la femme et l’abandon du domicile conjugal par la femme.

La Cour constitutionnelle se fonde sur l’« objectif général », l’« état des mœurs » et l’« intérêt général » pour appliquer implicitement le principe de proportionnalité. Dans l’exercice de sa compétence, elle ne substitue pas son appréciation à la volonté du législateur qu’elle considère comme seul habilité à déterminer les mesures à prendre pour atteindre les finalités poursuivies.

1.7. Autres sources

La Cour constitutionnelle n’a eu, depuis sa création en 2003, qu’un seul cas où elle a usé des termes susceptibles de faire appel à l’idée de proportionnalité.

Le rôle de la doctrine n’est pas encore perceptible en la matière.

Le droit comparé et la jurisprudence des autres cours n’ont pas encore exercé d’influence dans l’application du principe de proportionnalité par la Cour constitutionnelle.

II.Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Comme indiqué ci-dessus, la Cour constitutionnelle, se fondant sur des termes qui évoquent implicitement le principe de proportionnalité, n’a rendu qu’une seule et unique décision dans une affaire où elle était saisie par voie d’exception.

Elle y a procédé sans viser expressément le principe de proportionnalité mais a considéré que la discrimination basée sur le sexe, invoquée par les requérants devant la Cour constitutionnelle, n’existe pas dès lors que le but poursuivi par le législateur est conforme à la morale et aux bonnes mœurs, en vue d’assurer la stabilité des ménages. La Cour constitutionnelle a ainsi fait preuve de création prétorienne.

2.2. Domaines de contrôle

La Cour a utilisé des termes qui évoquent pour la première et unique fois l’application du principe de proportionnalité en matière pénale. Les requérants dénonçaient la discrimination faite aux femmes en matière d’adultère et d’abandon du domicile conjugal et résultant des articles 336 et 337 du code pénal.

2.3. Exemples

L’ unique décision, rendue par la Cour constitutionnelle, qui se f onde sur les ter mes qui évoquent implicitement le principe de proportionnalité est celle n° 01/DCC/SVE/03 du 30 juin 2003.

2.4. Critères d’appréciation

La Cour constitutionnelle se base sur les critères d’appréciation suivants qui évoquent l’application du principe de proportionnalité de manière implicite : l’objectif général, l’état des mœurs, l’intérêt général.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

C’est exceptionnellement que la Cour constitutionnelle a eu recours implicitement au principe de l’exception dans une affaire pénale.

2.6. Décisions les plus pertinentes

La seule décision rendue en la matière n° 01/DCC/SVE/03 du 30 juin 2003 montre la manière dont la Cour constitutionnelle appréhende le principe de proportionnalité.

En voici le résumé :

Deux prévenus, en jugement à la chambre pénale de la Cour suprême ont invoqué, devant cette plus haute juridiction nationale de droit commun, l’inconstitutionnalité des articles 336 du code pénal réprimant l’adultère et 337 du même code sur l’abandon du domicile conjugal.

Conformément à l’article 149 de la Constitution, la Cour suprême a donc sursis à statuer et imparti aux prévenus un délai d’un mois à compter de la décision de recevabilité. Elle a renvoyé le dossier et les parties devant la Cour constitutionnelle, unique juridiction compétente pour se prononcer sur l’exception d’inconstitutionnalité.

Ayant exer cé leur r ecour s devant la Cour constitutionnelle, les r equér ants ont demandé à cette juridiction de déclarer non conformes à la Constitution les articles 336 du code pénal qui détermine le délit d’adultère et 337 du même code qui en fixe les peines et prévoit le délit d’abandon de domicile conjugal, au motif que ces dispositions créeraient une discrimination à l’égard de la femme.

Ils invoquaient en outre l’absence de définition de l’adultère dans le code pénal.

Examinant ce recours, la Cour constitutionnelle a décidé :

  • que la Constitution ne peut procéder à la définition détaillée de la prévention d’adultère car cette compétence est dévolue au législateur ;
  • que la répression de l’adultère de la femme, de même que l’abandon du domicile conjugal prévus aux articles 336 et 337 du code pénal, n’intègrent pas, par des normes positives, l’adultère et l’abandon du domicile conjugal par l’homme, non prévus par le code pénal ;
  • que les articles336 et337 du code pénal n’ont pour objet ni pour effet de nuire au principe d’égalité de l’homme et de la femme consacré par la Constitution et les textes internationaux pertinents dûment ratifiés ;
  • qu’il est loisible au législateur, se fondant sur l’état des mœurs et l’intérêt général, de prévoir la prévention de l’adultère de la femme et l’abandon du domicile conjugal par la femme sans référence à l’homme, de sorte que l’on ne saurait entrevoir de discrimination fondée sur le sexe dans les dispositions des articles 336 et 337 du code pénal dont la conformité à la Constitution est affirmée.

La Cour constitutionnelle a décidé que les règles constitutionnelles garantissant l’égalité et la non-discrimination n’excluent nullement la différence de traitement entre l’homme et la femme, pour autant qu’elle repose sur des critères objectifs relatifs à l’état des mœurs et à l’intérêt général et soit raisonnablement justifiée. Pour la Cour constitutionnelle, la différence de traitement entre l’homme et la femme dans la prévention de l’adultère et de l’abandon du domicile conjugal n’est pas manifestement déraisonnable.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

L’application isolée du principe de proportionnalité, par l’ usage des ter mes qui en sont l’évocation, n’est pas de nature à permettre de dégager les conséquences et les implications du recours à cette technique.

On peut cependant indiquer que l’utilisation des termes qui évoquent implicitement ce principe a permis à la Cour constitutionnelle d’affirmer le respect des compétences du législateur ainsi que sa souveraineté. L’application implicite de ce principe a par ailleurs favorisé et facilité l’exercice, par la Cour constitutionnelle, de son pouvoir de contrôle de la constitutionnalité des lois.

2.8. Appréciation

Si l’on perçoit le principe de proportionnalité comme la recherche d’un certain équilibre entre les atteintes portées aux droits et libertés en ce qu’ils constituent le soubassement substantiel de l’État de droit d’une part, et les objectifs poursuivis d’autre part, la Cour constitutionnelle a implicitement fait usage des termes qui l’évoquent alors même que sa pratique ne lui avait pas encore révélé l’existence dudit principe. C’est incontestablement l’illustration de son caractère universel qui résulte de sa nature de principe axiomatique.

Il s’agit, en réalité, d’un principe objectif dont l’application n’exige pas nécessairement de se référer à un fondement textuel ou de recourir à la jurisprudence d’une juridiction étrangère, ou encore de connaître le droit comparé en la matière. Autrement dit, les exigences logiques de rationalité juridique peuvent seules suffire pour susciter le recours au principe de proportionnalité.

Point n’est, dans ces conditions, besoin de se référer à une norme explicite ou à une jurisprudence des pays de grande tradition démocratique. Son application est le reflet du réalisme du juge constitutionnel nonobstant l’enferment dans lequel est placée la Cour constitutionnelle du Congo qui ne dispose pas de compétences en matière de défense des droits de l’homme et des libertés, étant seulement cantonnée dans le contrôle de constitutionnalité des lois, des traités et des accords internationaux ainsi que dans le règlement du contentieux électoral.

Dans ces conditions, les chances d’application, par la Cour constitutionnelle, du principe de proportionnalité de manière globale sont considérablement réduites, lorsqu’elle est saisie par voie d’action. Elle peut seulement espérer y avoir recours, comme dans l’exemple cité, par voie d’exception.

Il demeure que l’importance du principe de proportionnalité en tant que technique du contentieux constitutionnel est incontestable.

En somme, le principe de proportionnalité est éminemment utile en ce qu’il est très protecteur des droits et des libertés. Contribuant au renforcement des capacités décisionnelles de la Cour constitutionnelle, ce principe favorise le développement de l’État de droit et par conséquent de la démocratie.

Conseil constitutionnel français

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

En droit constitutionnel français, il n’existe pas de principe général de proportionnalité qui soit imposé par les textes ou déduit d’eux.

En revanche, certaines dispositions imposent, soit la nécessité, soit la proportionnalité de cer -taines mesures par rapport au but poursuivi, soit l’adéquation des moyens employés au but poursuivi.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Si l’on exclut le principe d’égalité présent dans tous les textes, la plupart des dispositions qui impliquent un contrôle de proportionnalité figurent dans des textes auxquels renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Charte de l’environnement de 2004.

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Exigence d’un rapport de nécessité : une distinction opérée de façon disproportionnée par rapport à l’utilité commune violerait ce texte.

Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. Exigence d’un rapport de nécessité : la mise en œuvre d’une liberté sans limites est disproportionnée si elle nuit à autrui ou est réservée à quelques membres de la société.

Art. 5. La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Exigence d’un rapport de nécessité, qui prend en compte les libertés en cause, les circonstances, l’ordre public.

Art. 8. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Exigence d’un rapport de nécessité entre l’infraction et la sanction.

Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Exigence d’un rapport de nécessité : la détention ou la rétention doit être strictement nécessaire.

Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Exigence d’un rapport de proportionnalité.

Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Exigence d’un rapport de proportionnalité.

Art. 14. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Exigence d’un rapport de nécessité.

Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Exigence d’un rapport de nécessité.

Char te de l’environnement

Art. 5. Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Exigence d’un rapport de proportionnalité.

1.3. Autres textes

Les normes de référence utilisées par le Conseil constitutionnel se trouvent essentiellement dans la Constitution. S’il existe quelques normes de référence « par ricochet » (rares textes auxquels renvoie la Constitution), aucune ne fait directement référence au principe de proportionnalité.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

Oui, les droits et libertés peuvent faire l’objet de limitations.

Toutefois, il n’existe pas de disposition générale à cette fin.

Les cas dans lesquels les droits et libertés font l’objet de limitations dans les textes mêmes qui les instituent sont rares. On peut citer, entre autres exemples, l’article 10 de la Déclaration de 1789 qui dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses » mais précise «pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi».

La plupart du temps, les limitations de droits fondamentaux résultent des nécessités inhérentes à l’exercice d’autres droits fondamentaux, qui sont de valeur équivalente, en l’absence de hiérarchisation entre ces divers droits.

En vertu de l’article 34 de la Constitution, c’est la loi qui fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.

Le Conseil constitutionnel rappelle donc constamment « qu’il appartient au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques »[1].

Dans l’exercice de cette mission, le législateur doit opérer un travail de conciliation entre les principes constitutionnels susceptibles d’entrer en conflit. La conciliation effectuée par le législateur est contrôlée par le Conseil constitutionnel lorsqu’il est saisi de la loi en cause.

1.5. Principes mis en balance

Les exigences de valeur constitutionnelle mises en balance sont nombreuses :

– la sauvegarde de l’intérêt général :

En matière de droit de grève, l’alinéa 7 du Préambule de la Constitution dispose : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Le législateur doit opérer « la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte »[2].

– la continuité du service public :

En principe, le droit de grève s’exerce dans les services publics, mais il « ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle »[3].

– l’ordre public :

La liberté individuelle et celle d’aller et venir doivent être conciliées avec « ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des fins d’intérêt général ayant valeur constitutionnelle » comme « la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, nécessaires, l’une et l’autre, à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle »[4].

Ces considérations d’intérêt général peuvent être rapprochées de celles qui sont exprimées dans la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoient que certaines libertés qui y sont proclamées peuvent faire l’objet de restrictions lorsque ces dernières « constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

C’est ainsi, par exemple, que le Conseil contrôle la conciliation effectuée par le législateur entre :

  • « l’exercice des libertés constitutionnellement garanties » et « les besoins de la prévention d’atteintes à l’ordre public et de la recherche des auteurs d’infractions »[5];
  • « le respect de la vie privée » et « la sauvegarde de l’ordre public »[6];
  • « le droit à mener une vie familiale normale » et « les exigences de l’ordre public »[7];
  • « la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions » et «l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d’aller et venir et le respect de la vie privée » ou encore « la liberté individuelle »[8];
  • « la liberté d’aller et venir » et « la protection de la sécurité nationale, nécessaires l’une et l’autre à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle »[9];
  • « les exigences de l’ordre public et la liberté d’expression »[10].
1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

La place du juge constitutionnel est primordiale puisque, comme il a été dit, il n’existe pas de principe général de proportionnalité qui soit imposé par les textes ou déduit d’eux. De plus, ces textes sont souvent anciens et doivent faire l’objet d’une interprétation ou d’une actualisation à la lumière des conventions internationales de protection des droits fondamentaux.

1.7. Autres sources

Voir ci-après.

La doctrine a permis au Conseil constitutionnel de conceptualiser et de conforter le contrôle qu’il exerce depuis les années 1980 (travaux, en particulier, de Xavier Philippe et Valérie Le Bihan).

Le contrôle de proportionnalité s’inspire, surtout depuis 1990, des jurisprudences constitutionnelle allemande et communautaire. Dans celles-ci, le principe de proportionnalité et le contrôle qu’il autorise sont ternaires : toute mesure restreignant un droit fondamental doit, pour être proportionnée, satisfaire à une triple exigence d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité au sens strict.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Le triple test de l’adéquation, de la nécessité et de la proportionnalité au sens strict n’est ni une technique inventée par le Conseil constitutionnel ni une technique à laquelle il recourt de façon méthodique et généralisée. On trouve peu de cas, contrairement à certaines Cours suprêmes ou constitutionnelles étrangères, où les trois éléments du triple test soient exercés simultanément pour contrôler une limitation d’un droit ou d’une liberté. Généralement, un seul de ces éléments est retenu, parfois deux, rarement trois.

En matière d’égalité, le Conseil constitutionnel exerce un contrôle d’adéquation et de nécessité qui résulte directement du considérant de principe qu’il utilise : « Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Le triple test n’est pas la seule technique utilisée par le Conseil constitutionnel pour contrôler les restrictions par le législateur des droits et libertés. D’autres techniques viennent le compléter ou s’y substituer. On peut citer ainsi :

– le contrôle de l’absence de dénaturation d’un droit ou d’une liberté.

C’est la protection de la substance. Ce contrôle est de moins en moins utilisé de façon explicite (libre administration des collectivités territoriales…) mais il reste en filigrane, notamment lorsque le Conseil constitutionnel vérifie l’existence et la suffisance des garanties légales d’une exigence constitutionnelle.

– la vérification de l’existence de garanties légales suffisantes.

En revanche, cette technique est de plus en plus utilisée. Elle est à la fois un complément au contrôle de proportionnalité au sens strict mais aussi un substitut efficace. Le Conseil constitutionnel l’utilise pour vérifier que le législateur n’a pas privé de garanties légales une exigence constitutionnelle :

«Considérant qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles »[11].

– les réserves d’interprétation.

Ne statuant pas in concreto, le Conseil constitutionnel n’est pas toujours dans la capacité d’opérer un contrôle complet de proportionnalité. Toutefois, au moyen d’une réserve d’interprétation, il peut confier un tel contrôle au juge qui connaîtra de l’application de la loi.

À l’occasion de l’examen d’une loi sur la criminalité, il a, par exemple, précisé qu’il appartiendra aux magistrats chargés de mettre en œuvre ou de contrôler les nouvelles procédures exceptionnelles applicables à la criminalité et à la délinquance en bande organisée de s’assurer au cas par cas :

  • qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de penser que les faits constituent l’une des infractions graves commises en bande organisée limitativement énumérées par le code de procédure pénale ;
  • que les besoins de l’enquête ou de l’instruction justifient les restrictions que ces mesures peuvent apporter à la liberté individuelle, à l’inviolabilité du domicile ou au secret de la vie privée[12].
2.2. Domaines de contrôle

Sans objet, la France n’étant pas un État fédéral.

Ce contrôle est exercé dans tous les domaines.

a) Conciliation ou conflit entre droit-liberté et droit-créance :
  • entre le droit au respect de la vie privée et les exigences de solidarité découlant des dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946[13] ;
  • entre la liberté d’entreprendre et les mêmes exigences[14] ;
  • entre le droit pour chacun d’obtenir un emploi et la liberté d’entreprendre[15] ;
b) Conciliation ou conflit entre droit-liberté et objectif de valeur constitutionnelle :
  • entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public[16] ;
  • entre le respect de la vie privée et la lutte contre la fraude fiscale[17] ;
  • entre la liberté d’expression et la sauvegarde de l’ordre public[18] ;
  • entre la liberté d’entreprendre et la sauvegarde de l’ordre public[19] ;
  • entre la libre administration des collectivités territoriales et le bon usage des deniers publics[20].
c) Conciliation ou conflit entre droit-créance et objectif de valeur constitutionnelle :
  • entre la sauvegarde de l’ordre public et le droit de mener une vie familiale normale[21].
d) Conciliation ou conflit entre droit-liberté et intérêt général :
  • entre la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle, d’une part, et «l’intérêt général s’attachant à la possibilité donnée aux éditeurs d’accéder aux décodeurs des distributeurs, laquelle favorise la diversification de l’offre de programmes et la liberté de choix des utilisateurs »[22] ;
  • entre la faculté d’agir en responsabilité, découlant de l’article4 de la Déclaration de 1789 et l’octroi de concours financiers aux entreprises en difficulté dans le but de maintenir l’activité économique et de préserver l’emploi[23] ;
  • entre la liberté contractuelle et un intérêt général[24] ;
  • entre la sécurité juridique (situation légalement acquise) et un intérêt général[25] ;
  • entre la sécurité juridique (lois de validation ou de modification rétroactive) et un intérêt général[26] ;
  • entre le principe d’égalité et l’intérêt général, que ce soit le principe d’égalité devant la loi[27], devant le suffrage ou devant les charges publiques.

Le contrôle de proportionnalité est utilisé en matière pénale mais avec un contrôle restreint en matière de détermination des délits et des peines et un contrôle plus approfondi en matière de procédure pénale.

Sans objet, dès lors que le Conseil constitutionnel refuse d’exercer un contrôle de conventionnalité des lois.

En matière de droit de grève : l’alinéa 7 du Préambule de la Constitution dispose : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Dès 1979, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de juger que le législateur devait opérer « la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ».

2.3. Exemples

Parmi les nombreuses décisions opérant un tel contrôle, deux méritent d’être citées :

1°) La décision relative à l’immigration du 20 novembre 2003.

À propos du prolongement à 22 jours maximum de la rétention administrative des étrangers en attente de reconduite à la frontière[28], le Conseil constitutionnel a émis une double réserve :

  • « l’étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ » ;
  • « l’autorité judiciaire conserve la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient »[29].

2°) La décision du 21 février 2008 relative à la rétention de sûreté : le Conseil y affirme très clairement que les atteintes portées à l’exercice des libertés en cause « doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l’objectif de prévention poursuivi ». C’est la première fois que le Conseil distingue aussi nettement les trois éléments du contrôle de proportionnalité (adéquation, nécessité, proportionnalité au sens strict), parachevant par là-même une évolution commencée au début des années 90 :

14. Considérant… qu’eu égard à la privation totale de liberté qui résulte de la rétention, la définition du champ d’application de cette mesure doit être en adéquation avec l’existence d’un tel trouble de la personnalité ; (…)

17. Considérant, en premier lieu, qu’eu égard à la gravité de l’atteinte qu’elle porte à la liberté individuelle, la rétention de sûreté ne saurait constituer une mesure nécessaire que si aucune mesure moins attentatoire à cette liberté ne peut suffisamment prévenir la commission d’actes portant gravement atteinte à l’intégrité des personnes ; (…)

19. Considérant, en deuxième lieu, que le maintien d’une personne condamnée, au-delà du temps d’expiration de sa peine, dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté afin qu’elle bénéficie d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique doit être d’une rigueur nécessaire ; (…)

23. Considérant… qu’ainsi, afin que la mesure conserve son caractère strictement nécessaire, le législateur a entendu qu’il soit régulièrement tenu compte de l’évolution de la personne et du fait qu’elle se soumet durablement aux soins qui lui sont proposés ; que, dès lors, le grief tiré de ce que le renouvellement de la mesure sans limitation de durée est disproportionné doit être écarté (…).

2.4. Critères d’appréciation
Le contrôle de l’adéquation

Il consiste pour le Conseil constitutionnel à vérifier que la mesure décidée par le législateur n’est pas « gratuite », c’est-à-dire qu’elle a un lien raisonnable avec l’objectif qu’il poursuit. Dans le cas contraire, il s’agirait sinon d’un détournement de pouvoir au sens classique, du moins d’une pure volonté d’affichage ou de la manifestation d’une idéologie coupée du réel.

Il est utilisé aujourd’hui dans presque tous les domaines, qu’ils soient régis :

– par la Déclaration de 1789:

Se fondant sur son article 13, le Conseil constitutionnel a jugé, à propos de l’instauration d’un «bouclier fiscal», que «ni la fixation de la part des revenus au-delà de laquelle le paiement d’impôts directs ouvre droit à restitution, ni la définition des revenus entrant dans le calcul, ni la détermination des impôts directs pris en compte, ni les mesures retenues pour opérer la restitution ne sont inappropriées à la réalisation de l’objectif que s’est fixé le législateur »[30].

– par le Préambule de 1946:

C’est le cas, par exemple, lorsque le Conseil constitutionnel déclare « qu’il incombe au législateur de poser des règles propres à assurer le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre »[31] ou « que la procédure de regroupement familial… ne méconnaît ni le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ni le principe d’égalité, dès lors qu’elle fixe à cet égard des règles adéquates et proportionnées »[32].

– ou par la Charte de l’environnement:

Sur le fondement de son article 6 relatif à la promotion du développement durable, il a jugé qu’en adoptant la loi créant le registre international français, « le législateur a ainsi pris des mesures de nature à promouvoir la sécurité maritime et la protection de l’environnement »[33].

Ce type de contrôle est également très utilisé pour vérifier le respect du principe d’égalité devant la loi : la différence de traitement doit être « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »[34].

Le contrôle de la nécessité

Le Conseil constitutionnel ne recherche pas s’il existe une mesure alternative moins attentatoire aux droits et libertés mais vérifie si la mesure n’est pas excessive par rapport à l’objectif poursuivi.

Il trouve en particulier à s’appliquer lorsque la sécurité juridique ou la liberté individuelle, voire personnelle, sont en jeu.

Le Conseil constitutionnel exerce ce contrôle de la nécessité à propos des atteintes à la liberté individuelle. L’article 9 de la Déclaration de 1789 interdit en effet toute rigueur qui ne serait pas nécessaire[35] . Il a eu l’occasion de le faire :

  • pour le «référé détention» qui permet, lorsque le maintien en détention d’une personne est « manifestement nécessaire », de prolonger cette dernière pendant quatre heures en vue de donner un caractère suspensif à l’appel d’une ordonnance de mise en liberté[36] ;
  • pour le « référé rétention » qui a le même objet mais pour un étranger en instance de reconduite à la frontière[37] ;
  • pour l’allongement de la durée de la garde à vue en cas de criminalité ou de délinquance organisée[38] ;
  • pour l’allongement de la durée de rétention administrative d’un étranger en instance de reconduite à la frontière[39] ;
  • pour la rétention de sûreté[40].

Il a étendu ce contrôle de la rigueur non nécessaire :

  • à la liberté personnelle en le « tirant » des articles 4 et 9 de la Déclaration de 1789 et l’a appliqué au placement sous surveillance électronique mobile ordonné au titre de la surveillance judiciaire bien que celui-ci soit dépourvu de caractère punitif[41] ;
  • au principe d’inviolabilité du domicile : « il résulte de l’ensemble de ces conditions que le législateur n’a pas porté au principe d’inviolabilité du domicile une atteinte non nécessaire à la recherche des auteurs d’infractions graves et complexes »… « les dispositions critiquées ne portent pas à l’inviolabilité du domicile une atteinte excessive »[42].

Il lui arrive également d’appliquer ce contrôle :

  • en matière d’égalité ; il a ainsi jugé que « la différence de régime instaurée, en matière de droit de réponse et de prescription » entre le support papier et le support informatique « dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur un support informatique »[43];
  • en matière économique et sociale, même si cela est plus rare : lors de l’examen de la loi modernisation sociale, il a estimé, au regard du « droit d’obtenir un emploi » « qu’en ne permettant des licenciements économiques pour réorganisation de l’entreprise que si cette réorganisation est “indispensable à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise” et non plus, comme c’est le cas sous l’empire de l’actuelle législation, si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, cette définition interdit à l’entreprise d’anticiper des difficultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants »[44] .
Le contrôle la proportionnalité (au sens strict)

Le Conseil constitutionnel vérifie que les moyens décidés par le législateur sont équilibrés, proportionnés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi.

Cf. les exemples cités en 2.2.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Il s’agit d’une technique courante, même si elle n’est pas toujours explicite.

En matière de droits fondamentaux principalement (voir réponses aux autres questions).

2.6. Décisions les plus pertinentes

Cf. décisions mentionnées ou citées plus haut.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Les conséquences du recours au principe de proportionnalité vont dépendre de l’intensité du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel. Un contrôle restreint limitera les déclarations d’inconstitutionnalité ou de constitutionnalité avec réserves d’interprétation. Un contrôle entier aura les effets inverses. On ne peut donc étudier le contrôle de proportionnalité sans prendre en compte son degré d’intensité.

Lorsqu’il procède à un contrôle de proportionnalité de la mise en cause d’un droit ou d’une liberté, le Conseil constitutionnel a une approche très réaliste.

– Il peut concentrer son examen sur le droit ou la liberté mis en cause (par un contrôle qui mêle à la fois la nécessité et la proportionnalité) afin de vérifier si la limitation décidée par le législateur n’est pas excessive ou manifestement excessive. Dans ce cas, l’intensité de son contrôle varie en fonction des marges de manœuvre que donne la Constitution au législateur. Une grande liberté du législateur limite par voie de conséquence le contrôle du juge.

C’est le cas lorsqu’il s’agit de matières techniques, de mise en œuvre de droits-créances ou dans tous les domaines où il est difficile de se faire une idée précise et exacte des effets d’une loi (principe d’égalité devant les charges publiques[45]…).

En revanche, la liberté du législateur est plus limitée et donc le contrôle plus approfondi lorsque sont en cause :

  • la liberté individuelle[46] ;
  • la liberté d’expression et de communication[47] ;
  • les droits de la défense ;
  • le droit des personnes intéressées d’exercer un recours juridictionnel effectif ;
  • le droit à un procès équitable ;
  • et, d’une manière générale, tout ce qui se rapporte à la sécurité juridique.

Le Conseil constitutionnel peut aussi confronter les divers intérêts en présence en mettant en balance les exigences constitutionnelles et les intérêts généraux servis et desservis par la mesure[48] .

L’ intensité de son contrôle varie en fonction de la pondération de ces exigences ou intérêts :

  • un intérêt général autre que constitutionnel a une valeur moindre qu’une exigence constitutionnelle ;
  • à l’intérieur des valeurs constitutionnelles, il existe également une gradation : la liberté individuelle au sens strict de l’article 66 de la Constitution (protection contre les détentions arbitraires) a une plus grande portée que la possibilité de se déplacer sans être immobilisé par un contrôle d’identité (liberté d’aller et venir).

Si deux droits-libertés fondamentaux d’une force équivalente s’affrontent, le contrôle est restreint. S’il s’agit d’un droit liberté et d’un intérêt général, le contrôle est plus approfondi (exemple des validations législatives).

Par ailleurs, une forte protection conventionnelle peut faire varier la pondération des intérêts en jeu. Si l’on met sur un plateau de la balance la sauvegarde de l’ordre public, dont la présence entraîne souvent un contrôle restreint, et de l’autre le droit de mener une vie familiale normale, un contrôle plus approfondi s’impose[49].

2.8. Appréciation

Le Conseil constitutionnel est chargé depuis 50 ans de vérifier la conformité des lois à la Constitution. Il lui appartient de rendre effectif l’article 16 de la Déclaration de 1789 qui dispose que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée… n’a point de constitution ». À cet effet, il a dû déterminer, en l’absence de texte y procédant, les moyens par lesquels il exerce son contrôle. Parmi ces moyens, figure le contrôle de proportionnalité. Il ne peut pas y avoir en effet une garantie des droits si la compétence dont dispose le législateur pour restreindre ces droits est sans limites. Or ce type de contrôle a précisément pour objet de fixer ces limites et de censurer leur dépassement.

Refusant le « gouvernement des juges », le Conseil constitutionnel répète inlassablement depuis 1975 « que la Constitution ne lui confère pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement »[50].

Il ne lui appartient pas, dit-il, « de rechercher si le but que s’est assigné le législateur pouvait être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif »[51].

Si Conseil constitutionnel exerçait un contrôle entier sur les choix du législateur, il serait juge de l’opportunité et non de la constitutionnalité. Il substituerait son appréciation à celle du législateur. Il trancherait entre la majorité et l’opposition, voire, en cas de cohabitation, entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Il serait donc une troisième chambre, ce qu’il n’accepte pas d’être. Ce refus est d’autant plus justifié que son contrôle intervient a priori et que ses décisions ont un effet erga omnes.

En conclusion, le contrôle de proportionnalité est un moyen nécessaire à la garantie des droits mais son exercice requiert tact et mesure.


  • [1]
    Déc. n° 2003-467DC du 13 mars 2003, cons. 20.  [Retour au contenu]
  • [2]
    Déc. n° 79-105 du 25 juillet 1979, cons. 1 ; n° 2007-556 DC du 16 août 2007, cons. 10  [Retour au contenu]
  • [3]
    Mêmes décisions.  [Retour au contenu]
  • [4]
    Déc. n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, cons. 58 et 62 ; n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Déc. n° 97-389 DC du 22 avril 1997, cons. 69 à 72.  [Retour au contenu]
  • [6]
    Déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, cons. 21 à 27.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Déc. n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 19.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, cons. 6, 8 et 70.  [Retour au contenu]
  • [9]
    Déc. n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 103.  [Retour au contenu]
  • [10]
    Déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, cons. 104 et 105  [Retour au contenu]
  • [11]
    Déc. n° 2007-550 DC du 27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 4.  [Retour au contenu]
  • [12]
    Déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 6.  [Retour au contenu]
  • [13]
    Déc. n° 2007-553 DC du 3 mars 2007, Loi relative à la prévention de la délinquance, cons. 5 à 7.  [Retour au contenu]
  • [14]
    Déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, cons. 19 à 21.  [Retour au contenu]
  • [15]
    Déc. n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, Loi de programmation pour la cohésion sociale, cons. 24 à 28 ; Déc.n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 46 à 54.  [Retour au contenu]
  • [16]
    Déc. n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, cons. 9, 10, 18 à 21 ; déc. n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 23 ; déc. n° 2003-467 DC du 13 mars2003, loi pour la sécurité intérieure, cons. 27.  [Retour au contenu]
  • [17]
    Déc. n° 2001-457 DC du 27 décembre 2001, Loi de finances rectificative pour 2001, cons. 6 à 9.  [Retour au contenu]
  • [18]
    Déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 105  [Retour au contenu]
  • [19]
    Déc. n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, cons. 9, 10, 18 à 21.  [Retour au contenu]
  • [20]
    Déc. n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances pour 2004, cons. 33.  [Retour au contenu]
  • [21]
    Déc. n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, cons. 16.  [Retour au contenu]
  • [22]
    Déc. n° 2004-497 DC du 1erjuillet 2004, Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, cons. 20.  [Retour au contenu]
  • [23]
    Déc. n° 2005-522 DC du 22 juillet 2005, Loi de sauvegarde des entreprises, cons. 10 à 12.  [Retour au contenu]
  • [24]
    Déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, cons. 27 et 28 ; déc. n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 94 et 95 ; déc. n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003, cons. 54 ; décision n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, Loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi, cons. 4 à 11 ; décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 93 et 94.  [Retour au contenu]
  • [25]
    Déc. n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, cons. 43 à 46 ; décision n° 2007-550 DC du27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 4 à 14.  [Retour au contenu]
  • [26]
    Déc. n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, cons. 26 à 29 ; déc.n° 2002-458 DC du 7 février 2002, Loi organique portant validation de l’impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française, cons. 3 à 5 ; déc. n° 2003-486 DC du 11 décembre 2003, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, cons.23 et 24 ; déc. n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, Loi de programmation pour la cohésion sociale, cons. 31 à 34 ; déc. n°2006-544 DC du 14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, cons. 18 à 22.  [Retour au contenu]
  • [27]
    Déc. n° 2003-483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites, cons. 23 à 25.  [Retour au contenu]
  • [28]
    À titre de comparaison, la durée maximale de la rétention administrative est de 18 mois en Allemagne, de 6 mois en Autriche, de 5 mois en Belgique, de 40 jours en Espagne, de 3 mois en Grèce, de 8 semaines en Irlande, de 60 jours en Italie etau Portugal, de deux mois renouvelables en Suède ; elle est illimitée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.  [Retour au contenu]
  • [29]
    Déc. n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 66.  [Retour au contenu]
  • [30]
    Déc. n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, cons. 67.  [Retour au contenu]
  • [31]
    Déc. n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, cons. 12.  [Retour au contenu]
  • [32]
    Déc. n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, cons. 15.  [Retour au contenu]
  • [33]
    Déc. n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, Loi relative à la création du registre international français, cons. 37 et 38.  [Retour au contenu]
  • [34]
    Déc. n° 2007-550 DC du 27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 3.  [Retour au contenu]
  • [35]
    Déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 5 ; décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 10.  [Retour au contenu]
  • [36]
    Déc. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 69 à 74  [Retour au contenu]
  • [37]
    Déc. n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 72 à 78.  [Retour au contenu]
  • [38]
    Déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 26.  [Retour au contenu]
  • [39]
    Déc. n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 62 à 71.  [Retour au contenu]
  • [40]
    Déc. n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. 13.  [Retour au contenu]
  • [41]
    Déc. n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005, Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, cons. 16 à 21.  [Retour au contenu]
  • [42]
    Déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 47.  [Retour au contenu]
  • [43]
    Déc. n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, cons. 13 et 14.  [Retour au contenu]
  • [44]
    Déc. n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 48.  [Retour au contenu]
  • [45]
    Déc. n° 2007-555 DC du 16 août 2007, Loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, cons. 18 à 21.  [Retour au contenu]
  • [46]
    Déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 19,27, 34, 47, 52, 56, 61, 70, 88 et 91 ; n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. 23.  [Retour au contenu]
  • [47]
    Déc. n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001, Loi portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel, cons. 16à 19 ; déc. n° 2007-550 DC du 27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 15 et 16.  [Retour au contenu]
  • [48]
    François Ost (F.) et Van de Kerchove (M.), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit,Publications des facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002, p. 438 à 443.  [Retour au contenu]
  • [49]
    Déc. n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, cons. 16.  [Retour au contenu]
  • [50]
    Déc. n° 74-54 du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse, cons. 1 ; n° 2007-550 DC du27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 5.  [Retour au contenu]
  • [51]
    Déc. n° 2007-555 DC du 16 août 2007, Loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, cons. 8.  [Retour au contenu]

Cour constitutionnelle du Gabon

I. Les sources du contrôle de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le principe de proportionnalité, considéré en tant que règle impliquant que la proportionnalité est employée comme critère de la régularité de la production normative, ne trouve pas de consécration directe dans le corps même de la Constitution de la République gabonaise, ni dans l’ensemble des Déclarations de droits que la Cour constitutionnelle a consacré comme faisant partie du bloc de constitutionnalité dans sa première décision rendue le 28 février 1992, à savoir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la Charte nationale des libertés de 1990. De même, la Constitution ne comporte pas de dispositions invitant expressément le législateur à une prise en compte du principe de la proportionnalité au moment de l’élaboration de l’acte.

Il convient néanmoins de relever que la thématique de la proportionnalité n’est pas totalement étrangère à ces dispositions qui font appel, de manière récurrente, aux termes de « nécessité ou stricte nécessité », « justifié », ou encore « raisonnable ». Ceci nous incite à penser que la proportionnalité n’est pas complètement écartée, loin s’en faut. La « juste indemnisation », en cas d’atteinte au droit de propriété, n’impose-t-elle pas directement à l’administration la prise en compte du principe de proportionnalité ?

1.2. Dispositions explicites et formulation

Cf. 1.1. Pas de dispositions.

1.3. Autres textes

Cf. 1.1. Pas de référence à ce principe dans les textes retenus par la Cour aux fins de contrôle de constitutionnalité.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

La Constitution et les Déclarations de droits ont naturellement posé des limites ou des conditions à l’exercice des droits et libertés fondamentaux.

1.5. Principes mis en balance

Dans le corps de la Constitution de la République gabonaise, les principes mis en balance pour limiter l’exercice de certains droits et libertés se retrouvent notamment :

– en son article premier dans lequel :

1°) le respect des droits d’autrui et le respect de l’ordre public sont opposés au droit au libre développement de sa personnalité ;

2°) le respect de l’ordre public fait face à la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression ;

3°) l’ordre public est opposé à la liberté d’aller et venir ;

5°) l’ordre public et la sécurité de l’État sont opposés au secret des correspondances ;

10°) la nécessité publique est une restriction au droit de propriété ;

12°) l’ordre public est opposé à la liberté d’établissement du domicile, lequel est inviolable sauf dangers collectifs ou protection de l’ordre public (épidémies, personnes en danger) ;

13°) la formation des associations, des partis ou formations politiques, des syndicats, des sociétés, des établissements d’intérêt social ainsi que des communautés religieuses se doit de respecter la souveraineté nationale, l’ordre public et de préserver l’intégrité morale et mentale de l’individu. L’activité de ces entités ne doit pas non plus porter atteinte à la bonne entente des groupes ethniques ;

– en son article 94 : la liberté de communication audiovisuelle se doit de respecter l’ordre public, la liberté et la dignité des citoyens ;

– en son article 112 b : la libre administration des collectivités locales se voit opposer le respect des intérêts nationaux.

Des limites sont de la même façon posées dans les différentes Déclarations des droits de l’homme intégrées dans le bloc de constitutionalité :

– dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’ordre public concernant la liberté d’opinion et la nécessité publique sont opposés au droit de propriété ;

– dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :

* l’exercice des droits et libertés fait face à la reconnaissance et au respect des droits d’autrui, aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général d’une société démocratique.

Particulièrement, la Déclaration impose au droit d’asile le respect des principes qu’elle édicte ;

– dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples :

* l’ordre public limite la liberté de conscience, la profession et à la libre pratique de la religion (art. 8) ;

* la sécurité nationale, la sûreté d’autrui, la santé, la morale ou les droits et libertés des personnes limitent le droit de se réunir librement (art. 11) et celui de quitter le territoire et d’y entrer (art. 12) ;

* la nécessité publique et l’intérêt général limitent le droit de propriété (art.14).

De manière générale, on relève que dans la Constitution de la République gabonaise, l’accent est mis davantage sur le respect de l’ordre public, tandis que dans les autres textes auxquels il a été fait référence plus haut et qui constituent le bloc de constitutionnalité, l’accent est mis à la fois sur le respect de l’ordre public et sur celui de l’intérêt général.

Par ailleurs, il importe de préciser que toute une série de limites liées aux spécificités de l’État gabonais qui tiennent à son caractère pluriethnique, au renforcement de l’unité nationale, à la préservation de l’intégrité du territoire, à l’attachement aux valeurs traditionnelles, sont imposées dans la Constitution.

Ainsi, il apparaît clairement que l’on retrouve, d’une part, les limites que l’on peut qualifier de classiques opposées aux droits et libertés, à savoir la conciliation avec les autres libertés, sous des appellations plus ou moins voisines, qu’on peut regrouper sous la bannière de l’intérêt général, et, cet incontournable ordre public à la fois limite première aux libertés, mais élément indispensable à leur effectivité, et, d’autre part, les limites qu’on peut qualifier de spécifiques au Gabon.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

La Cour, sans surprise, retient en premier lieu l’application des dispositions édictées par le Constituant. Elle a tendance néanmoins, nous dirions de manière supplétive, à procéder à une extension des équilibres posés par le bloc de constitutionnalité à des situations qu’elle considère appeler une transposition indispensable à la qualité du contrôle opéré. Cette démarche n’intervient que de manière strictement nécessaire.

Il demeure que doit être pris en considération le pouvoir normatif du juge constitutionnel dans sa fonction d’interprétation des équilibres posés par la Constitution de la République gabonaise.

C’est ainsi que lorsque la Cour constitutionnelle, jugeant en interprétation, constate que la disposition qui lui est soumise comporte une lacune ou présente des doutes quant à sa compréhension, elle édicte la formulation qui vient soit combler la lacune, soit préciser le sens, la loi organique fait obligation au Parlement de remédier à la situation juridique ainsi créée.

Il en va de même des décisions de constitutionnalité sous réserve que la Cour constitutionnelle peut être amenée à rendre.

1.7. Autres sources

La Cour reste très attentive aux solutions dégagées par les juridictions nationales dans un souci d’harmonisation interne, quant à la construction et l’appréhension du principe de proportionnalité. Au demeurant, les jurisprudences posées par les hautes juridictions en ce domaine sont relativement peu nombreuses.

Les productions scientifiques relatives au principe de proportionnalité, tant nationales qu’étrangères, ont incontestablement orienté les solutions retenues par la Cour constitutionnelle.

Concernant le droit comparé et la jurisprudence des autres Cours, nous pouvons dire que notre Cour a adopté une double démarche, d’une part, tenir compte des positions et des procédures retenues par l’ensemble des Cours étrangères concernant ce qu’il convient d’appeler les problématiques communes en matière de proportionnalité, et, d’autre part, envisager des rapprochements et éventuellement une forme d’harmonisation des jurisprudences avec les autres Cours africaines qui, comme la Cour gabonaise, sont confrontées à des problèmes spécifiques.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

La Cour n’y recourt pas de manière directe, mais de fait elle a développé un vocabulaire juridictionnel faisant appel notamment aux qualificatifs « nécessaire », « raisonnable », « adéquat », « justifié » ou encore « opportun », ou encore des formules négatives comme « démesuré » ou « excessif » qui répondent en écho au principe de proportionnalité.

2.2. Domaines de contrôle

La question ne se pose pas en ce domaine, le Gabon ayant adopté une structure unitaire de l’État. Mais mutatis mutandis, la Cour se doit d’opérer un contrôle de proportionnalité afin de concilier la libre administration des collectivités locales et les intérêts nationaux, au regard de l’article 112 b de la Constitution.

C’est certainement dans ce domaine que la Cour a développé le plus d’activité, étant entendu que nous sommes là dans son champ d’intervention le plus vaste.

La matière pénale emporte la nécessité pour la Cour d’introduire un contrôle de proportionnalité, notamment au regard du principe de nécessité de la peine.

Dès lors qu’il s’est agi de savoir si l’accord international porte atteinte aux éléments essentiels de la souveraineté de la République gabonaise, la Cour introduit nécessairement un contrôle de proportionnalité.

La Cour n’exclut a priori l’application du contrôle de proportionnalité d’aucun de ses domaines d’intervention.

On doit relever un domaine qui occupe une grande partie de l’activité de la Cour, à savoir le contentieux électoral puisqu’elle est juge de la régularité des élections présidentielles, parlementaires, des collectivités locales et des opérations de référendum. Dans cette branche du contentieux, elle s’impose l’application du principe de proportionnalité, notamment lorsqu’il s’agit d’apprécier l’importance des effets de l’illégalité révélée sur les résultats par rapport à l’écart de voix relevé et à l’influence de l’irrégularité sur les résultats.

2.3. Exemples

Il s’agit des décisions suivantes :

  • Déc. n° 02/CC du 4mars 1996;
  • Déc. n° 05/CC du 25mars 1996;
  • Déc. n° 06/CC du 27mars 1996;
  • Déc. n° 49/CC du 25mars 1997;
  • Déc. n° 08/CC du 18avril 1996;
  • Déc. n° 11/CC du 10août 2001;
  • Déc. n° 13/CC du 30août 2001;
  • Déc. n° 53/CC du 7décembre 2001;
  • Déc. n° 56/CC du 21décembre 2001;
  • Déc. n° 25/CC du 12mars 2002;
  • Déc. n° 35/CC du 14mars 2002;
  • Déc. n° 55/CC du 21mars 2002;
  • Déc. n° 100/CC du 5avril 2002;
  • Déc. n° 102/CC du 5avril 2002;
  • Déc. n° 122/CC du 2mai 2002;
  • Déc. n° 143/CC du 25octobre 2002;
  • Déc. n° 01/CC du 8janvier 2002;
  • Déc. n° 11/CC du 10février 2003;
  • Déc. n° 03/CC du 27février 2004;
  • Déc. n° 006/CC du 4mai 2004;
  • Déc. n° 009/CC du 4juin 2004;
  • Déc. n° 32/CC du 8avril 2008.
2.4. Critères d’appréciation

La structuration du contrôle de proportionnalité ne présente a priori guère d’originalité. On peut dire que la Cour opère un contrôle qui se décompose en trois temps. La vérification de l’adéquation, la vérification de la nécessité et la vérification de la proportionnalité dite stricto sensu.

En premier lieu, la Cour vérifie que la mesure est appropriée, c’est-à-dire qu’il existe un rapport de cause à effet entre le moyen utilisé et le but poursuivi, que l’acte est ou n’est pas apte à atteindre le but visé.

En deuxième lieu, la Cour apprécie la nécessité de la mesure. Autrement dit, elle examine s’il n’est pas possible de lui substituer une mesure moins restrictive.

Enfin, la Cour contrôle la proportionnalité stricto sensu que l’on pourrait qualifier de test de la balance des intérêts où le juge vérifie si la mesure assure un juste équilibre entre deux intérêts également légitimes, à savoir la satisfaction de l’intérêt général et la protection d’une liberté fondamentale par exemple. Dans ce cas, la Cour va s’attacher à mesurer le degré de gravité de l’atteinte à cette liberté par rapport au degré d’importance de l’intérêt public en jeu.

Plus l’intérêt général est fondamental, plus la restriction, même importante, pourra être jugée proportionnée. Inversement, plus la restriction est attentatoire à une liberté particulièrement protégée, plus l’objectif d’intérêt général devra être fondamental pour qu’il puisse y être porté atteinte.

Concernant l’intensité du contrôle, la position de la Cour ne présente, semble-t-il, guère d’originalité par rapport aux solutions adoptées par les autres Cours constitutionnelles. Elle s’inspire des techniques bien connues du contrôle minimum, restreint, entier avec le correctif de l’erreur manifeste d’appréciation.

On peut dire que, de manière générale, la Cour s’applique à limiter son contrôle à « l’erreur manifeste d’appréciation » en matière de contrôle de conformité de la loi à la norme fondamentale. Elle a tendance à intensifier son contrôle dès lors que celui-ci s’applique à un acte de nature réglementaire.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Du point de vue de la Cour, le principe de proportionnalité a, dans tous les systèmes juridiques organisés selon le modèle de l’État de droit, une nature axiomatique qui en fait un mécanisme inhérent au raisonnement juridictionnel, un mécanisme qui, pour reprendre l’expression de S. Calmes[1] «innerve tout le droit». Bien que ne faisant pas l’objet d’une consécration comme source formelle, il est utilisé comme critère de contrôle pour examiner la constitutionnalité de tous les actes dans l’ensemble du champ d’intervention de la Cour.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Cf. Décisions ci-jointes.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

La première, évidente, est que l’introduction du contrôle de proportionnalité augmente sensiblement le nombre des décisions prononçant la non-conformité à la Constitution de la norme contrôlée, mais la Cour peut également constater, « par ricochet », une amélioration significative de la production normative par les institutions politiques.

2.8. Appréciation

L’appréciation de la Cour sur cette question peut s’ ordonner autour de deux points : l’idée de nécessité et celle de difficulté.

Il est, du point de vue de la Cour, inenvisageable de se dispenser d’opérer un contrôle de proportionnalité. L’efficacité de l’action de la Cour s’en trouverait fortement diminuée. Cette affirmation est sans équivoque.

Ainsi, si le principe du contrôle de proportionnalité s’affirme incontestablement comme une nécessité, plus délicate est la question de sa mise en œuvre.

Se pose d’abord la question de la nécessaire autolimitation du juge. On retrouve ici les motifs classiques inhérents à la conception que le juge se fait de sa fonction juridictionnelle dans un État de droit reposant sur le principe de la séparation des pouvoirs. La question n’est pas nouvelle. On pourrait, à ce propos, reprendre la célèbre formule de la Cour internationale de justice qui veut que le juge ne puisse pousser l’intensité de son contrôle au-delà du point où il « se livrerait à une tache essentiellement législative, pour servir des fins politiques qu’il n’entre pas dans la fonction d’un tribunal de favoriser, si désirable cela soit-il » (CIJ 18 juillet 1966 R § 57). Toute la difficulté tient à ne pas substituer ses propres choix aux pouvoirs discrétionnaires du législateur ou de l’administration.

Mais la difficulté du contrôle peut également tenir à la complexité de la norme contrôlée. Il se peut qu’ainsi, la Cour se trouve dans l’incapacité d’opérer un tel contrôle.

Incontestablement, des limites s’imposent au juge en la matière.


  • [1]
    Calmes (S.), Du principe de protection de la confiance légitime en droit allemand, communautaire et français, Dalloz2001 p. 256.  [Retour au contenu]

Cour suprême de Guinée

I. Les sources du principe de la proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

La loi fondamentale de 1990 consacre implicitement le principe de proportionnalité.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Il n’existe pas de disposition explicite consacrant le principe de proportionnalité dans la loi fondamentale de 1990. Mais implicitement les dispositions du titre II : Libertés, Droits et devoirs Fondamentaux dans ses articles 9 et 22 consacrent le principe.

Art. 9 : « Nul ne peut être arrêté, détenu ou condamné que pour les motifs et dans les formes prévus par la loi. Tous ont le droit imprescriptible de s’adresser au juge pour faire valoir leurs droits face à l’État et ses préposés.

Tous ont le droit à un procès juste et équitable dans lequel le droit de se défendre est garanti.

La loi établit les peines nécessaires et proportionnées aux fautes qui peuvent les justifier. »

Art. 22 : « La loi garantit à tous l’exercice des libertés et des droits fondamentaux. Elle détermine les conditions dans lesquelles ils s’exercent.

Elle ne peut fixer de limites à ces libertés et à ce droit que celles qui sont indispensables au maintien de l’ordre public et de la démocratie. »

1.3. Autres textes

Le texte faisant référence à ce principe est la loi anti-casse de 1993.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

La loi fondamentale de 1990 prévoit des limites à l’exercice de certains droits et libertés en son article 22.

1.5. Principes mis en balance

Les principes mis en balance par la loi fondamentale sont l’ordre public, l’intérêt général et la démocratie.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

En principe le pouvoir du juge constitutionnel dans cet équilibre est important même si dans la pratique, il se contente d’interpréter les dispositions de la loi qui restreignent visiblement les libertés fondamentales des citoyens n’ouvrant le recours qu’à certaines autorités publiques (art. 40 de la loi L/91/008 du 23 décembre 1991) seules habilitées à saisir la Cour suprême en inconstitutionnalité. Ces recours ne pouvant être formés par les citoyens.

1.7. Autres sources

Les sources d’inspiration de la jurisprudence se subdivise en :

A – Source interne : la loi fondamentale de 1990 (Constitution).

B – Source externe : la jurisprudence constitutionnelle qui se trouve dans la base de données CODICES, les accords internationaux sur les questions relatives aux droits de l’homme.

Inexistence de doctrine sur le plan interne, les juges se réfèrent aux ouvrages d’auteurs étrangers.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Pas d’exemple dans notre jurisprudence.

2.2. Domaines de contrôle

Le contrôle de constitutionnalité étant limité, seul le recours pour excès de pouvoir peut être utilisé.

  • En matière pénale: la sanction doit être proportionnelle à l’infraction (réf.: art. 9 de la loi fondamentale).
  • En matière de contrôle de conventionnalité: il existe une réserve de réciprocité (réf.: art. 79 de la loi fondamentale).
  • Dans les autres domaines, il n’existe pas de cas de jurisprudence.
2.3. Exemples

Pas de cas dans la jurisprudence.

2.4. Critères d’appréciation

Pas de cas dans la jurisprudence.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Pas de cas dans la jurisprudence.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Néant.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Néant.

2.8. Appréciation

La proportionnalité étend le pouvoir d’appréciation du juge et permet de concilier des exigences contradictoires.

Cour de cassation de Haïti

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. et 1.2. Consécration par la Constitution

Le principe de proportionnalité n’est pas expressément formulé dans la Constitution, mais on peut se rendre compte de son application à travers certaines dispositions de la Charte.

1.3. Autres textes

D’autres textes, à l’instar de la Constitution, laissent voir l’application du principe, mais n’y font pas référence explicitement ; l’un d’eux est le code pénal contenant des lois comme, par exemple, celle punissant l’usage et le trafic des stupéfiants.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

La Constitution prévoit des limites à :

  1. la durée du séjour à l’étranger d’un individu naturalisé haïtien ;
  2. la liberté de la presse ;
  3. l’exercice du droit de professer sa religion, lequel ne doit pas troubler l’ordre et la paix publics ;
  4. aux réunions sur la voie publique sujettes à notification préalable aux autorités de police ;
  5. l’âge au-delà duquel un salarié ne peut continuer à travailler ;
  6. l’exercice du droit de propriété ;
  7. droit d’un étranger d’exercer une profession ou un commerce en Haïti.
1.5. Principes mis en balance

Sont mis en balance : l’intérêt général, l’ordre et la paix publics, la sécurité nationale.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

La lettre prévalant sur l’esprit, les dispositions de la Constitution sont impératives, elles ne laissent pas de place à l’interprétation du juge, obligé de les appliquer. Toutefois, les lois auxquelles la Constitution souvent se réfère laissent plus de latitude au juge qui peut rechercher l’intention du législateur et décider en conséquence.

1.7. Autres sources

Les enseignements de la doctrine peuvent éclairer le juge dans une certaine mesure. Le droit comparé et la jurisprudence des autres Cours peuvent être utiles dans la mesure où leur législation présente des similitudes à la nôtre.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Le contrôle de proportionnalité ne peut être qu’implicite dans les décisions statuant sur des cas d’entrave à l’exercice des droits et libertés.

2.2. Domaines de contrôle

Le contrôle de proportionnalité est utilisé surtout dans l’examen des plaintes de citoyens se déclarant victimes d’abus de pouvoir de la part des autorités en place.

2.3. Exemples

La Cour n’a pas connu de telles espèces récemment.

2.4. Critères d’appréciation

La Cour de cassation d’Haïti a des attributions constitutionnelles limitativement déterminées comme, par exemple, celle de statuer sur l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi soulevée par une partie au cours d’un procès. Aussi, elle n’est pas appelée à contrôler la proportionnalité d’une loi ou d’une mesure quelconque.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

À mon avis, la proportionnalité ne peut être qu’une mesure de contrôle exceptionnelle utilisée, comme dit plus haut, à l’occasion de plaintes de citoyens se sentant lésés dans leurs droits.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Voir la réponse à la question 2.3 .

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Il ne saurait y avoir de conséquences ou d’implications découlant du recours à un principe consacré par la Constitution et relayé par certaines lois restrictives.

2.8. Appréciation

Ce principe apporte en quelque sorte un frein à la tendance, inhérente à l’être humain, à abuser des libertés, à empiéter sur les droits d’autrui. Il est donc d’une importance capitale pour garantir la coexistence pacifique des membres d’une société civilisée.

Haute Cour constitutionnelle de Madagascar

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le principe de proportionnalité n’est pas explicitement écrit dans la Constitution malgache. Il n’en demeure pas moins que le principe a sa place à la lecture de certaines dispositions constitutionnelles.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Ainsi, par exemple, la Constitution consacre clairement la garantie pour tous des libertés d’opinion, d’expression, de communication, de presse, d’association, de réunion, de circulation, de conscience et de religion. Toutefois, la Constitution, en son article 10, dispose que ces libertés peuvent être limitées par le respect des libertés et droits d’autrui et par l’impératif de sauvegarde de l’ordre public.

Par ailleurs, en son article 17 alinéa 2, la Constitution reconnaît à tout individu le droit de circuler et de s’établir librement sur tout le territoire de la République et ce, dans le respect des droits d’autrui et des prescriptions de la loi.

En outre, toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d’autres (art. 14, al. 1er) sous réserve de se conformer à la loi.

Il en est ainsi de la liberté de créer des partis politiques, le constituant ayant pris le soin d’interdire les associations, les partis politiques qui mettent en cause l’unité de la Nation et ceux qui prônent le totalitarisme ou le ségrégationnisme à caractère ethnique, tribal ou confessionnel (art. 14, al. 3).

1.3. Autres textes

Les autres textes qui font référence à ce principe sont constitués en premier lieu par les chartes et conventions internationales faisant partie intégrante du droit positif selon le Préambule de la Constitution. Il s’agit en l’occurrence :

  • de la Charte internationale des droits de l’homme ;
  • de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
  • des conventions relatives aux droits de la femme et de l’enfant.

En deuxième lieu, sur le plan national, il importe de citer notamment :

  • l’ordonnance n° 62-041 du 19septembre 1962 relative aux dispositions générales de droit interne et de droit international privé ; elles s’inscrivent en tête du code civil malgache, constituent des garanties fondamentales des droits et libertés de chaque individu et prescrivent certaines règles s’appliquant à toute loi ;
  • l’ordonnance n° 62-117 du 1er octobre 1962 relative au régime des cultes par laquelle l’État garantit la liberté de conscience des citoyens ainsi que le libre exercice des cultes sous les seules restrictions qu’elle édicte dans l’intérêt de la morale et de l’ordre public ;
  • la loi organique n° 2000-014 du 24août 2000 portant code électoral. Par exemple, la liberté de réunions électorales publiques y est reconnue, l’exercice de cette liberté est conditionné par une déclaration préalable à l’autorité compétente et toute réunion sur la voie publique ou marché, dans un édifice cultuel, lieu de travail, bâtiments administratifs ou caserne, est interdite…
1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

La Constitution prévoit des limites à l’exercice de certains droits et libertés, par exemple le droit de grève, le droit de propriété individuelle ou la liberté d’entreprise.

Le droit de grève (art. 33) est reconnu sans qu’il porte atteinte au principe de continuité du service public ni aux besoins sécuritaires et fondamentaux de la Nation.

Le droit de propriété individuelle (art. 34) est garanti par l’État sauf en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’État garantit la liberté d’entreprise (art. 37) dans la limite du respect de l’intérêt général, de l’ordre public, des bonnes mœurs et de l’environnement.

1.5. Principes mis en balance

Les principes mis en balance demeurent : l’intérêt général, l’ordre public, la morale, l’unité nationale, les bonnes mœurs, la souveraineté nationale.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

La Constitution énonce la garantie d’un certain nombre de droits et libertés et édicte, pour certains, les restrictions apportées. Le souci et l’esprit du constituant ont toujours été d’assurer l’équilibre entre les réalités nationales, la souveraineté nationale et les engagements internationaux faisant partie intégrante du droit positif national.

Le juge, dans l’exercice de son pouvoir normatif et en tant que garant de l’État de droit, d’une part s’attache à l’application et au respect des dispositions constitutionnelles, d’autre part se réfère aux traités internationaux faisant partie du droit positif, et très souvent s’inspire des principes généraux de droit et des principes à valeur constitutionnelle.

1.7. Autres sources

Le droit en général et le droit constitutionnel en particulier est un droit en évolution permanente. Le juge est dès lors appelé régulièrement à participer à un processus de création de droit.

Dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, le juge se réfère aux expériences et aux décisions d’autres Cours. Constituent ainsi des références les décisions jurisprudentielles émanant des Cours membres de l’ACCPUF, celles figurant dans les revues périodiques du Conseil constitutionnel français ou encore celles produites régulièrement par la Commission de Venise qui prépare une Conférence mondiale sur la jurisprudence constitutionnelle en Afrique du Sud en janvier 2009.

La doctrine joue un rôle important dans la mesure où elle contribue largement au développement des idées sur les aspects essentiels des libertés et droits fondamentaux.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

La jurisprudence n’exerce pas de manière explicite un contrôle de proportionnalité. Elle recourt souvent à des notions connexes.

Les termes y afférents sont notamment :

  • les restrictions constitutionnelles ou légales;
  • l’intérêt général;
  • la nécessité de garantir en tout moment l’ordre public;
  • la délimitation des droits et libertés par la Constitution ou par la loi.
2.2. Domaines de contrôle

Le contrôle de proportionnalité est utilisé :

  • dans le cadre du contrôle des lois restreignant les libertés fondamentales garanties par la Constitution ;
  • dans le cadre de la répartition des compétences entre les institutions de la République.
2.3. Exemples

Quelques décisions se fondent sur le principe de proportionnalité. Notamment :

– la décision n° 02-HCC/D2 du 4 juin 2007 relative à une requête en inconstitutionnalité de dispositions du règlement intérieur du barreau de Madagascar, résumée en ces termes : «Considérant que si le droit de la défense ainsi que la liberté de conscience sont consacrés par la Constitution, il n’en demeure pas moins que l’exercice des droits et libertés fondamentaux est susceptible d’organisation spécifique et de restriction propres aux exigences d’une activité professionnelle » ;

– l’avis n° 01-HCC/AV du 6avril 2005 sur l’interprétation des dispositions de l’article33 de la Constitution relatives au droit de grève :

  • le droit de grève ne constitue pas une liberté absolue, les conditions de son exercice étant nécessairement délimitées par la loi ;
  • la grève des fonctionnaires doit s’exercer dans le respect de l’ordonnancement juridique en vigueur, à savoir la Constitution, les lois et les règlements ;
  • la grève n’est licite que pour la défense des intérêts professionnels collectifs uniquement; il en résulte qu’une grève, menée à l’encontre de la politique gouvernementale, est politique donc nécessairement illicite ;
  • si la grève constitue pour le fonctionnaire un moyen de défense des intérêts professionnels reconnu par la Constitution, elle porte inévitablement atteinte à l’intérêt général en ce qu’elle interrompt la continuité du service public ;
  • l’exercice du droit de grève doit tenir compte du respect des autres principes reconnus par la Constitution tels la continuité du service public et la nécessité de garantir l’ordre public ».
2.4. Critères d’appréciation

Les critères d’appréciation retenus par la Cour demeurent généralement :

  • l’intérêt général;
  • la garantie de l’ordre public;
  • la nécessité de continuité du service public comme étant un principe à valeur constitutionnelle…
2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

La proportionnalité est une technique plutôt exceptionnelle. Elle est utilisée dans l’hypothèse de l’équilibre entre la protection de l’intérêt de la Nation et les droits et libertés consacrés par la Constitution.

2.7. Décisions les plus pertinentes

Le recours au principe de proportionnalité garantit la sauvegarde de l’État de droit.

Ainsi, d’une part, les pouvoirs publics sont appelés à respecter les limites de leur compétence telle que délimitée par la Constitution et la loi et, d’autre part, le principe contribue à l’éducation civique des citoyens par l’interprétation de leurs droits et libertés.

Par ailleurs et en tout état de cause, le principe de proportionnalité rappelle à tout moment le contenu de l’ordonnancement juridique interne en vigueur : les engagements internationaux, la Constitution et les lois, les principes généraux du droit, les principes généraux à valeur constitutionnelle, les us et coutumes reconnus.

2.8. Appréciation

Le principe de proportionnalité requiert une analyse approfondie tant sur le plan sémantique quant à l’interprétation exacte devant être donnée aux dispositions constitutionnelles et légales qu’à travers l’appréciation concrète d’une situation réelle donnée.

L’application du principe n’est pas sans risque dans la mesure où toute appréciation erronée sur le plan conceptuel peut engendrer non pas une simple restriction mais plutôt la suppression des droits et libertés constitutionnellement consacrés.

L’approche comparative dans l’examen du principe s’impose sur le plan méthodologique. En ce sens, la jurisprudence des autres Cours ainsi que la doctrine sont d’une importance capitale.

Conseil constitutionnel du Maroc

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

La Constitution marocaine ne consacre pas le principe de proportionnalité en tant que tel. On peut cependant le déduire de certaines de ses dispositions, soit d’une façon directe, soit d’une façon indirecte, comme cela apparaîtra dans les réponses aux questions 1.2. et 1.4.

1.2. Dispositions explicites et formulation

On peut citer dans ce sens :

– L’article 17 qui dispose que « Tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut, dans les formes prévues par la présente Constitution, créer et répartir ».

En principe, le contrôle du juge constitutionnel – saisi obligatoirement pour les lois organiques dont les lois organiques de finances, ou facultativement pour les lois ordinaires – peut porter à la fois sur le droit à cette obligation citoyenne et sur le droit de ne pas y être soumis au-delà de sa capacité contributive.

– On peut adjoindre à cet article, dans le sens d’une proportionnalité évidente mais implicite : l’article 16 qui prévoit que « tous les citoyens contribuent à la défense de la patrie » (un handicapé physique peut y contribuer à sa façon, à la fois en tant que droit et en tant qu’obligation), ainsi que l’article 18 qui dispose que « tous supportent solidairement les charges résultant des calamités nationales ».

En principe, dans les deux cas, le juge peut intervenir pour sauvegarder la proportionnalité au niveau des normes (juge constitutionnel) et au niveau des faits (juge administratif) de ces obligations qui sont des droits des citoyens.

1.3. Autres textes
Au niveau des lois organiques

La loi organique relative à la Chambre des représentants consacre, pour l’élection des membres de cette chambre, le scrutin de liste à la représentation proportionnelle ; elle prévoit dans son article 2 que cette élection a lieu dans une proportion de 295 élus dans le cadre de circonscriptions locales, et dans une proportion de 30 élus dans le cadre d’une circonscription nationale, sachant que les membres des deux chambres du Parlement, tiennent, comme le prévoit la Constitution, leur mandat de la Nation.

Cette disposition permet une proportionnalité au profit de la représentation parlementaire des femmes dans le cadre de la circonscription nationale, admise par consensus politique et non dans le texte de la loi organique pour ne pas violer le principe d’égalité entre les citoyens.

La loi organique relative à la Chambre des conseillers répartit (art. 1), de manière proportionnelle, le nombre des conseillers à élire au niveau des collèges électoraux relatifs aux collectivités locales, aux chambres professionnelles et aux représentants des salariés (soit respectivement, 162, 81 et 27 conseillers).

En ce qui concerne les conseillers élus (sur une base régionale) au titre des deux premiers collèges, la loi organique (art. 2) répartit proportionnellement entre les 16 régions du Royaume le nombre de conseillers à élire dans le cadre du collège des collectivités locales et des différents collèges électoraux des chambres professionnelles.

Au niveau des lois ordinaires

On peut citer, à titre d’exemple, les textes suivants :

Au niveau du code pénal, la proportionnalité transparaît notamment dans le titre II (De l’auteur de l’infraction) à travers les dispositions suivantes citées à titre d’exemple :

Art. 130-2 : « Les circonstances personnelles d’où résultent aggravation, atténuation ou exemption de peine n’ont d’effet qu’à l’égard du seul participant auquel elles se rapportent » ;

Art. 141 : « Dans les limites du maximum et du minimum édictés par la loi réprimant l’infraction, le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour fixer et individualiser la peine en tenant compte d’une part de la gravité de l’infraction commise, d’autre part de la personnalité du délinquant » ;

Art. 146-2 : « L’admission des circonstances atténuantes est laissée à l’appréciation du juge (…) Les effets en sont exclusivement personnels et la peine ne doit être réduite qu’à l’égard des condamnés qui ont été admis à en bénéficier ».

Au niveau de la loi sur les partis politiques, la proportionnalité se dégage soit directement, soit indirectement des dispositions suivantes :

Art. 22 : « Les statuts du parti doivent prévoir un nombre proportionnel de femmes et de jeunes devant siéger dans les instances dirigeantes du Parti » ;

Art. 35 : « La répartition du montant de la participation de l’État au titre du soutien annuel entre les partis politiques est calculé sur la base : du nombre de sièges de chaque parti politique au Parlement… ; du nombre de voix obtenues par chaque parti politique aux élections générales législatives… » ;

Art. 48 : « Le soutien annuel aux Unions de partis politiques est accordé sur la base : du nombre de sièges dans les deux chambres… ; du nombre de voix obtenues… ».

Notons que ces deux lois n’ont pas fait l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel en vue d’examiner leur constitutionnalité.

Le texte intitulé «L’initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la Région du Sahara », fait place à la proportionnalité d’une façon explicite ou implicite :

A. Les compétences de la Région, (point 18) : « … Les populations de la Région autonome du Sahara sont représentées au sein du Parlement et des autres institutions nationales… » (cette représentation devrait être précisée en conséquence dans ses modalités et dans sa proportion) ;

B. Les organes de la Région, (point 19) : « … La composition du Parlement de la Région autonome du Sahara devra comprendre une représentation féminine appropriée ;

On peut citer également le point 17 qui précise que : « Les compétences qui ne sont pas spécifiquement attribuées, seront exercées d’un commun accord sur la base du principe de subsidiarité ». L’appréciation de la proportionnalité (des moyens notamment) entre l’État et la Région autonome devrait intervenir dans la mise en œuvre de cette subsidiarité.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

La Constitution marocaine prévoit des limites à l’exercice de certains droits et libertés. On peut citer dans ce sens :

– L’article 9 dispose dans son dernier alinéa qu’« il ne peut être apporté de limitation à l’exercice de ces libertés que par la loi ». Il s’agit des libertés suivantes dans ledit article : liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties du Royaume ; liberté d’opinion, liberté d’expression sous toutes ses formes et liberté de réunion ; liberté d’association et liberté d’adhérer à toute organisation syndicale et politique du choix des citoyens ;

– L’article 10 dispose que « Nul ne peut être arrêté, détenu ou puni que dans les cas et les formes prévues par la loi.

Le domicile est inviolable. Les perquisitions ou vérifications ne peuvent intervenir que dans les conditions et les formes prévus par la loi » ;

– L’article 14 : « Le droit de grève demeure garanti.

Une loi organique précisera les conditions et les formes dans lesquelles ce droit peut s’exercer. » ;

– L’article 15 dispose que la loi peut limiter le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, garantis par la Constitution « si les exigences du développement économique et social de la Nation en dictent la nécessité ». Le même article déclare qu’« il ne peut être procédé à l’expropriation que dans les cas et les formes prévus par la loi ».

Dans toutes les situations précitées, le Conseil constitutionnel (saisi obligatoirement ou facultativement selon les cas) aura, comme le dit le texte de présentation du présent questionnaire, à «exercer un contrôle de proportionnalité entre le droit garanti (…) et l’intérêt général.» Ajoutons que les droits et les libertés sont concernés par « la détermination des infractions et des peines qui leur sont applicables… », prévue par l’article 46 de la Constitution. Le législateur veille bien entendu, dans ce cadre, à la proportionnalité entre les infractions et les peines. Le contrôle de cette proportionnalité par le Conseil constitutionnel fait partie, en principe, du contrôle de conformité des lois à la Constitution qui lui incombe constitutionnellement.

1.5. Principes mis en balance

Des principes comme l’intérêt général ou l’ordre public sont implicites dans les dispositions de la Constitution marocaine relatives aux limitations précitées apportées aux droits et libertés. Dans son article 15 susmentionné, relatif au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, cette Constitution oppose, comme limitation éventuelle de ces droits et libertés, une expression précise de l’intérêt général à travers « les exigences du développement économique et social de la Nation ».

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

La Constitution constitue la base et le référentiel de l’équilibre en question. Conformément à ses dispositions, contribuent fortement à cet équilibre, les lois organiques et les lois ordinaires, notamment dans leur contenu relatif aux droits et libertés, et plus particulièrement les lois relatives aux droits et libertés individuels et aux libertés publiques (loi pénale, lois relatives aux différentes libertés politiques et publiques). La place de la loi au Maroc dans cet équilibre s’accentue de plus en plus, au fur et à mesure de l’adoption des lois nouvelles ou de la révision de celles qui existent dans le domaine des droits et libertés : code de la famille, loi sur les partis politiques et d’autres, en prévision, comme la loi relative aux consommateurs ou aux syndicats ; révisées, comme le code des libertés, ou à réviser comme le code de la presse.

Quant à la place du juge dans cet équilibre, celle des tribunaux administratifs, à travers le contrôle de la légalité, est primordiale dans l’application et le respect des différentes lois concernées. Le rôle du juge constitutionnel se réalise – par l’interprétation lorsque celle-ci est nécessaire – dans l’exercice du contrôle de conformité à la Constitution. Mais il reste tributaire, en ce qui concerne les lois ordinaires, du nombre de saisines.

1.7. Autres sources

Pour le Conseil constitutionnel marocain, la doctrine, le droit comparé et la jurisprudence des autres Cours constituent des sources d’inspiration, plus ou moins utilisées selon les domaines de sa compétence et les cas à trancher. Alors que dans le contrôle des normes (contrôle de la conformité) le Conseil reste préoccupé par la mise en place d’une école marocaine de justice constitutionnelle, dans les autres domaines, comme le contentieux électoral notamment, on observe comparativement une plus grande ouverture aux sources extérieures, et plus particulièrement à la jurisprudence des autres Cours (règles, critères et techniques usités dans l’appréciation du déroulement de l’opération électorale et de ses résultats, ou dans le partage des deux domaines de la loi et du règlement).

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

En raison du nombre de saisines concernant les lois ordinaires (neuf saisines en tout depuis 1994), les décisions du Conseil constitutionnel marocain ne contiennent pas une jurisprudence explicite et susceptible de servir de référence sur le principe de la proportionnalité en tant que tel. Elles montrent cependant qu’il exerce au fond, et pas nécessairement d’une manière explicite, un contrôle de proportionnalité dans le cadre des différentes matières qui relèvent de sa compétence.

De même, il n’y a pas recours de la part du Conseil dans ses décisions à des notions connexes à la proportionnalité. On peut toutefois mentionner le principe d’égalité, assez présent dans sa jurisprudence, même s’il n’a apparemment pas de lien nécessaire avec le principe de proportionnalité. Dans un certain nombre de ses décisions, le Conseil établit un rapport entre l’égalité et la proportionnalité.

2.2. Domaines de contrôle

Dans le sens de la réponse à la question précédente, le contrôle de proportionnalité, sans être fréquent dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ne se limite pas (sous réserve de la réponse à la question n° 2.5) à un domaine en particulier. Il peut être dégagé plus ou moins nettement à partir des décisions que le Conseil constitutionnel marocain a rendu dans la plupart de ses domaines de compétence.

2.3. Exemples

Dans la mesure où il n’y a pas, parmi les décisions du Conseil constitutionnel marocain, une décision de principe portant principalement et fondamentalement sur la proportionnalité, et dans la mesure où il y a une complémentarité entre ses décisions portant sur tel ou tel aspect de cette proportionnalité, on peut ventiler les décisions contenant ces aspects en quatre rubriques :

  • celles portant sur la simple règle de la proportionnalité ;
  • celles examinant la proportionnalité entre l’intérêt général et les droits et libertés ;
  • celles examinant l’adéquation des moyens au but recherché ;
  • celles mettant en rapport l’égalité et la proportionnalité.
2.4. Critères d’appréciation

La constitutionnalité en premier lieu et – en fonction de ce critère premier – tout élément dicté par les différentes situations de proportionnalité (voir in 2.3) comme l’équilibre, l’intérêt général ou la garantie des droits… (voir 2.6.).

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Sur la base des réponses apportées aux questions précédentes, la proportionnalité est plutôt une technique implicite et diffuse dans les décisions rendues par le Conseil constitutionnel marocain. Elle y est principalement dans ses décisions à travers les cas examinés dans le cadre du contrôle de la conformité à la Constitution, concernant les lois organiques, les lois ordinaires et les règlements des chambres du Parlement.

2.6. Décisions les plus pertinentes

En prolongement de la réponse à la question n° 2.3., on peut avancer quelques exemples :

Décisions portant sur la simple règle de la proportionnalité:

–Décision n° 484-02: la contestation du résultat de l’élection ne peut concerner le scrutin qui s’est déroulé dans l’ensemble des circonscriptions territoriales. La requête ne peut contester ce résultat que pour la circonscription dans laquelle le requérant est inscrit comme électeur. Le droit de contestation électorale est garanti mais il est circonscrit territorialement ;

–Décision n° 581-04: le bon déroulement de l’opération électorale exige, même si la loi ne le prévoit pas, de mettre à la disposition du bureau de vote un nombre de bulletins de vote suffisant, c’est-à-dire (proportionnel) par rapport au nombre des électeurs inscrits dans le cadre de ce bureau. Cette proportionnalité est de nature à éviter toute suspension ou interruption du vote au détriment des électeurs.

Décisions examinant la proportionnalité entre l’intérêt général et les droits et les libertés:

–Décision n° 250-98: les nécessités de l’équilibre budgétaire n’autorisent pas la loi organique de finances à écarter une loi en vigueur, en violation de l’article 4 de la Constitution disposant que «La loi est l’expression suprême de la volonté de la Nation…». Ainsi, la loi support des droits et libertés est sauvegardée par rapport à une règle de l’État (relative à l’équilibre budgétaire), même contenue dans une loi organique ;

–Décision n° 467-01: il peut être dérogé dans certaines circonstances et sous certaines conditions, au profit de l’intérêt général, au principe de non-rétroactivité de la loi. Ainsi, ce principe « ne constitue pas une règle absolue, du fait des exceptions qui y sont apportées dans le cadre de la loi de finances, justifiées par des critères sur lesquels se base le législateur, pour régulariser des situations exceptionnelles, définies par l’administration dans un but d’intérêt général » ;

–Décision n° 586-04: il découle de cette décision que les nécessités de la poursuite et de l’instruction ne peuvent autoriser le législateur à prévoir l’obligation pour l’accusé de faire une déclaration. Le principe de présomption d’innocence s’y oppose absolument.

Décisions examinant l’adéquation des moyens au but recherché, on peut citer:

–Décision n° 52-95: les mesures disciplinaires prises à l’encontre d’un membre du Parlement ne sauraient autoriser cette institution à assortir ces mesures dans son règlement intérieur de l’éloignement, pour une durée déterminée, de l’intéressé de l’enceinte parlementaire. Une telle mesure, inadéquate, est de nature à interrompre son mandat représentatif qu’il tient de la Nation en vertu de la Constitution ;

–Décisions nos 659, 660 et 661/07 : il ressort de ces décisions examinant les lois organiques concernant la déclaration du patrimoine des membres du Parlement et du Conseil constitutionnel, que les nécessités de la moralisation de la vie politique ne permettent pas au législateur de prévoir la sanction la plus sévère à l’encontre des membres n’ayant pas fait leur déclaration sans prévoir, à leur profit, les garanties les plus adéquates ;

–Décision n° 630-07: il ressort également de cette décision que le but de la moralisation de la vie politique ne saurait autoriser le législateur à prévoir des conditions de candidature à la Chambre des représentants de nature à porter atteinte à des principes de valeur constitutionnelle dont le pluralisme politique, la libre compétition politique et l’égalité entre les partis qui jouissent du droit de gérer librement leurs propres affaires.

Décisions mettant en rapport l’égalité et la proportionnalité:

–Décisions nos 475 et 477/02 : il ressort de ces deux décisions que les candidats sans appartenance politique ont le même droit que les candidats appartenant à des partis politiques de se présenter à l’élection à la Chambre des représentants. Les premiers doivent cependant satisfaire, dans le cadre du scrutin de liste, à des conditions que le législateur doit prévoir à leur égard. Ces conditions sont appréciées par le Conseil constitutionnel au regard de celles exigées des candidats appartenant à des partis politiques ;

–Décision n° 52-95: il ressort de cette décision que si la participation au travail parlementaire des représentants n’appartenant pas à des groupes parlementaires ne peut être aussi étendue que celle de ceux qui appartiennent à des groupes parlementaires, leur participation ne saurait être écartée, en ce qui concerne certaines activités de contrôle ;

–Décision n° 517-03: le ministre candidat à l’élection des membres de la Chambre des représentants n’est pas, par rapport aux autres candidats, un candidat particulier. Il jouit des mêmes droits et est soumis aux mêmes obligations et peut, dès lors, mais dans le respect de la loi, « inclure dans ses affiches électorales tous les renseignements de nature à le faire connaître auprès des électeurs, ycompris ceux relatifs aux fonctions dont il a la charge…».

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Tel qu’il a été exercé et en fonction de la place et du traitement qu’il a pu avoir dans les décisions du Conseil constitutionnel, le recours au contrôle de proportionnalité a abouti :

  • en général, à contribuer à asseoir la constitutionnalité et la protection des droits et libertés ;
  • en particulier, à frayer le chemin, même indirectement, à certains droits (la liste nationale pour les femmes dans le cadre de l’élection des membres de la Chambre des représentants) ;
  • et relativement, à consacrer l’intérêt général sans déséquilibre au détriment des principes constitutionnels ayant un rapport avec les droits et libertés.
2.8. Appréciation

Il s’agit d’un principe de nature à préciser, à encadrer et à renforcer l’équilibre institutionnel, politique et social par rapport aux droits et libertés, notamment si les saisines facultatives concernant les lois ordinaires se multiplient relativement en venant renforcer l’apport de la jurisprudence relative aux lois organiques. Le domaine de la loi dans la Constitution marocaine englobe, en effet, sur des matières variées qui ont leur importance pour les droits et libertés, individuels et collectifs.

Tribunal suprême de Monaco[1]

I. Introduction

Le Tribunal suprême de Monaco occupe historiquement la première place parmi les juridictions constitutionnelles car il date de 1911 et a été créé par l’article 14 de la Constitution du 5 janvier 1911 octroyée par le Prince souverain Albert Ier . II avait accédé au trône en 1889, la Principauté était jusque-là une monarchie absolue et il avait, dès son avènement, promis une constitution à ses sujets. Celle-ci fut préparée par des juristes et internationalistes français célèbres : Louis Renault et André Weiss rejoints par Jules Roche, avocat et ancien ministre.

Dans son titre II, intitulé « Les droits publics » (art. 5 à 14), le texte consacre des droits comparables à ceux qui figurent dans la déclaration de 1789.

Son article 14 est ainsi rédigé : « Un Tribunal suprême est institué pour statuer sur les recours ayant pour objet une atteinte aux droits et libertés consacrés par le présent titre. »

De sa création jusqu’à 1958, le Tribunal n’a été que juge constitutionnel ou, plus exactement, il n’a pu statuer que sur les recours ayant pour objet une atteinte aux droits et libertés consacrés par le titre II de la Constitution, dans les conditions prévues à l’article 14. Le Tribunal suprême ne pouvait donc pas accueillir un recours fondé sur la violation d’un droit ne figurant pas dans les articles 5 à13. En revanche, il admettait pour ce motif, non seulement les recours contre les lois mais aussi les ordonnances souveraines et les actes administratifs et pouvait en prononcer l’annulation.

Le Tribunal suprême a aujourd’hui la particularité d’être à la fois juge constitutionnel et juge administratif. C’est en sa qualité de juge constitutionnel que les compétences du Tribunal suprême seront étudiées ci-après.

Plusieurs caractères sont à signaler :

1. La Constitution ne dit pas que le Tribunal est juge de la constitutionnalité des lois. Elle reprend la formule de l’article 14 de la Constitution de 1911 et se contente d’indiquer comme objet des recours les « atteintes aux libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution ».

Pourtant les recours ne peuvent, à ce titre, concerner que des lois puisque le texte ajoute que les recours qui sont visés ici sont ceux « qui ne sont pas visés au paragraphe B », c’est-à-dire les recours contre les actes administratifs y compris les ordonnances souveraines.

2. S’il s’agit d’un contrôle de constitutionnalité, il ne devrait s’opérer que par rapport aux droits consacrés par le titre III (art. 17 à 32). Ainsi qu’on l’a vu, dans les premières années de son fonctionnement, le Tribunal a strictement suivi cette règle. Or, on a le sentiment que, aujourd’hui, il se considère comme un juge constitutionnel à part entière. Deux exemples le montreront.

II s’agit d’abord de la décision du 20 juin 1989, Association des propriétaires de la Principauté de Monaco. Le Tribunal décide que l’exercice du droit de propriété (art. 24 de la Constitution) «doit être concilié avec les autres règles et principes constitutionnels applicables dans l’État monégasque ; qu’il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l’État… ». La notion de conciliation avec les règles et principes non définis constitue déjà une tendance vers l’interprétation extensive du titre III. S’y ajoute ce qu’on appelle dans la juris -prudence française un « objectif de valeur constitutionnelle », les « caractères géographiques particuliers du territoire ».

La seconde décision est celle du 1er février 1994, Association des propriétaires de Monaco. Dans un litige comparable au précédent, le tribunal fait référence au « principe constitutionnel d’égalité de tous devant les charges publiques ». Cette formulation a provoqué les très importantes remarques du doyen Vedel qui souligne, à juste titre, que, si le principe d’égalité devant la loi figure à l’article 17 de la Constitution, le principe d’égalité devant les charges publiques, même s’il en est dérivé, correspond à une création prétorienne du Tribunal.

II. Jurisprudence constitutionnelle et principe de proportionnalité

En matière administrative, le Tribunal suprême a tout naturellement été conduit à exercer fréquemment une forme de contrôle de proportionnalité dans le cadre du contrôle de la qualification juridique des faits. C’est ainsi, par exemple, qu’il se reconnaît le pouvoir d’apprécier si un projet de construction immobilière présente une importance ou une difficulté suffisante pour justifier légalement une décision de sursis à statuer prise par l’autorité administrative sur une demande de permis de construire (Trib. sup., 17 mai 1972, SCI du Helder) ou encore si les restrictions apportées au droit de la propriété sont compatibles avec le principe d’inviolabilité de la propriété privée garanti par la Constitution (Trib. sup., 3 juin 1970, SCI Patricia et autres).

Toutefois, eu égard à la spécificité de certaines matières ou encore du contexte national aux points de vue politique, juridique, géographique ou économique, le Tribunal suprême limite l’étendue de son contrôle à l’erreur manifeste d’appréciation. Ainsi par exemple, en matière de sanctions disciplinaires infligées aux agents publics, le Tribunal suprême refuse de se prononcer sur la gravité de la sanction à moins qu’il n’existe une disproportion manifeste entre cette sanction et la faute commise par l’agent (Trib. sup., 19 déc. 1989, Deville ; 11 mars 2003, Giet).

De même, dans le cadre de la législation applicable aux étrangers (expulsions et autorisations d’embauche de travailleurs étrangers), le Tribunal suprême limite son contrôle à l’erreur manifeste d’appréciation que l’administration est susceptible de commettre (jurisprudence constante en matière d’expulsion depuis Trib. sup., 5 nov. 2002, sieur Isley ; en matière d’appréciation des aptitudes d’un candidat étranger à un emploi V. Trib. sup. 5 nov. 2002, Boisson).

Rien ne s’oppose à ce que ce type de contrôle s’applique en matière d’appréciation de la conformité des lois à la Constitution. Toutefois le nombre des décisions du Tribunal suprême intervenues en la matière jusqu’à présent est trop peu élevé pour que l’on puisse faire état ici d’une jurisprudence bien établie.

On relèvera cependant que la manière dont le Tribunal suprême applique le principe constitutionnel d’égalité devant la loi s’apparente à un contrôle de proportionnalité.

Ce principe d’égalité est consacré par l’article 17 de la Constitution dans les termes suivants : « Les Monégasques sont égaux devant la loi. Il n’y a pas entre eux de privilèges ». Par ailleurs, aux termes de l’article 32 de la Constitution, les étrangers jouissent dans la Principauté de « tous les droits publics ou privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux ».

Le Tribunal suprême est donc parfois conduit à apprécier si la loi ne porte pas une atteinte excessive au principe d’égalité entre Monégasques, voire entre étrangers.

Dans le premier cas, le Tribunal suprême évalue les différences de situation pouvant exister entre les intéressés pour savoir si elles justifient les différences de traitement décidées par le législateur (jurisprudence constante depuis Trib. sup. 27 nov. 1963, Syndicat des jeux, cadres et assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco) ; encore faut-il que la différence de traitement prévue par la loi soit en rapport direct avec l’objet même de la loi qui l’a établie (Trib. sup. 16 janv. 2006, dame Romiti veuve Bellone et autres).

Dans le second cas, le Tribunal suprême accepte que la loi traite différemment les étrangers selon qu’ils ont ou non des « liens particuliers » avec des Monégasques ou avec le pays (V. Trib. sup. 6 nov. 2001, Association des locataires de Monaco).

Dans le même esprit, si le Tribunal suprême n’a pas eu à contrôler la proportionnalité des sanctions pénales prévues par la loi à la gravité des infractions qu’elles punissent, et s’il n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur le caractère nécessaire ou non d’une sanction pénale, il a cependant déduit du principe de légalité des peines posé par l’article 20 de la Constitution « la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs pour exclure l’arbitraire » (Trib. sup. 8 juill. 1981, Union des Syndicats de Monaco). Cette référence à l’arbitraire conduit à penser que, le cas échéant, le Tribunal suprême pourrait déclarer inconstitutionnelle une loi pénale instituant des sanctions manifestement arbitraires.

Enfin, en matière d’atteintes à la propriété, déclarée inviolable par l’article 24 de la Constitution, le Tribunal suprême a eu à de nombreuses reprises à apprécier si des restrictions apportées à l’exercice du droit de propriété étaient justifiées par « l’intérêt de l’ordre public, de la chose publique » ou par « des circonstances économiques ou sociales qui l’exigent » (Trib. sup., 10 déc. 1948, Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco). Le cas échéant, en cas de privation de la propriété ou d’atteintes portées à l’exercice de ce droit pour lesquelles le législateur a prévu une compensation financière, le Tribunal suprême vérifie si cette compensation est « suffisante » (Trib. sup., 6 mars 1967, sieur d’Estienne d’Orves et autres).

III. Conclusion

D’une façon plus générale, dès lors que le contrôle de constitutionnalité des lois est à Monaco destiné à assurer le respect des droits et libertés consacrés par la Constitution, le Tribunal suprême est nécessairement appelé à vérifier si les atteintes portées à ces droits ou libertés, inévitables dans une société organisée, ne sont pas disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général visé par le législateur ou, le cas échéant, par le pouvoir réglementaire. À Monaco comme ailleurs, ce type de contrôle suppose d’abord que le juge appelé à apprécier la constitutionnalité d’une loi ou d’une décision administrative soit d’abord en mesure de vérifier si la mesure contestée devant lui poursuit bien un but d’intérêt général, ce qui entre évidemment dans les compétences du Tribunal suprême. Mais ce n’est pas l’aspect le plus délicat de la fonction du juge constitutionnel. Le plus difficile est de délimiter l’étendue souhaitable du contrôle de la proportionnalité entre l’atteinte à un droit ou une liberté et les exigences de l’intérêt général. Or la réponse à cette question ne peut être uniforme ; elle dépend du libellé et du contenu exact de la disposition constitutionnelle applicable, sans doute, mais aussi des caractéristiques particulières, aux points de vue juridique, politique, économique, social ou même, en particulier pour les micro-États, géographiques du pays. Ainsi, à Monaco, ces caractéristiques ont incité le Tribunal suprême à une prudence particulière qui explique que, dans la plupart des cas, seule une disproportion manifeste puisse être sanctionnée par le juge constitutionnel. À cet égard, si l’adhésion récente de la Principauté à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est de nature à inciter le Tribunal suprême à une vigilance accrue, elle ne devrait sans doute pas le conduire à abandonner ce principe de prudence.


  • [1]
    Jean-Michel Lemoyne de Forges, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), vice-président du Tribunal suprême de Monaco.  [Retour au contenu]

Conseil constitutionnel du Mozambique

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le principe de proportionnalité comme droit fondamental de notre système juridique constitutionnel s’inscrit dans la structure de base de l’État de droit démocratique et reflète également la nécessité du droit d’être en accord parfait avec les valeurs, formulées ou non, découlant de ce système.

En effet, l’article 3 de la Constitution établit que « La République du Mozambique est un État de droit, fondé sur le pluralisme d’expression, l’organisation politique démocratique, le respect et la garantie des droits et libertés fondamentaux de l’homme ».

L’ étude systématique de la Constitution nous per met de mettr e en évidence l’ existence implicite de ce principe. Il guide notamment le juge dans son interprétation et le législateur dans l’élaboration des normes hiérarchiquement inférieures bien qu’il ne soit pas explicitement énoncé.

Ce principe apparaît ainsi comme une des idées importantes de la Constitution dans sa fonction de complément au principe de réserve de la loi.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Le principe de proportionnalité se trouve expressément formulé dans diverses normes de la Constitution comme l’illustre l’exemple suivant.

Il est consacré au paragraphe 2 de l’article 56 de la Constitution « l’exercice des droits et libertés peut être limité en raison de la sauvegarde d’autres droits ou intérêts protégés par la Constitution ».

Le paragraphe 3 de cet article prévoit que « seule la loi peut limiter les droits, libertés et garanties dans les cas expressément prévus par la Constitution ». Cette règle laisse ouverte la possibilité de l’application de restrictions aux droits et libertés si la sauvegarde d’autres droits ou intérêts constitutionnellement protégés l’exige.

L’ article 283 de la Constitution établit par ailleurs les conditions de mise en œuvre de déclaration de l’état de siège ou d’urgence en prévoyant que « les circonstances de moindre gravité déterminent l’option pour l’état d’urgence, devant, dans tous les cas, respecter le principe de proportionnalité et se limiter, notamment, quant aux moyens à mettre en œuvre et la durée à ce qui est strictement nécessaire au prompt rétablissement de la normalité constitutionnelle ».

1.3. Autres textes

Au niveau infra-constitutionnel, la proportionnalité en tant que principe normatif est prévue dans le code civil, le code pénal, le code du travail et dans les normes régulant l’action de l’administration publique.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

La Constitution prévoit dans plusieurs de ses dispositions des limites à l’exercice de certains droits et libertés toutes les fois qu’elle renvoie à la régulation par la loi des principes qu’elle a définis. Quelques dispositions constitutionnelles admettant des limites à l’exercice de certains droits peuvent être données à titre d’exemple.

L’exercice de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et du droit à l’information doit être régulé par la loi dans le cadre strict du respect de la Constitution et de la dignité de la personne humaine, conformément aux termes du paragraphe 6 de l’article 48 de la Constitution.

Les partis politiques disposent d’un temps d’antenne dans les services de radio-diffusion et de télévision dans le respect de la représentativité et selon les critères fixés par la loi (art. 49, § 1).

Ce temps d’antenne et de droit de réponse et politique peut être limité, durant les périodes électorales, dans la mesure où les concurrents ont des temps d’antenne réguliers et équitables dans les stations de radio et de télévision publiques, de caractère national ou local, selon les termes de la loi (§ 4 de ce même article).

Le droit à la liberté de réunion et de manifestation est garanti pour tous les citoyens selon les termes de la loi (art. 51).

Les organisations sociales et les associations ont le droit de mener leur action, de créer des institutions afin de réaliser leurs objectifs spécifiques et de posséder un patrimoine, suivant les termes de la loi (art. 52 § 2).

La loi garantit le droit à l’objection de conscience (art. 54 § 5).

L’exercice des droits et libertés peut être limité en raison de la sauvegarde d’autres droits ou intérêts protégés par la Constitution et par les lois. La loi peut limiter les droits, libertés et garanties dans les cas expressément prévus par la Constitution mais ces restrictions légales doivent revêtir un caractère général et abstrait et ne peuvent avoir un effet rétroactif (§ 3 et 4 du même article).

L’article 65, qui établit les principes de procédure pénale, prévoit (dans son paragraphe 2) les limites au droit de publicité des audiences de jugements « quand la sauvegarde de l’intimité, familiale, sociale ou morale ou pour des raisons substantielles de sécurité de l’audience ou d’ordre public commandent l’exclusion ou la restriction de la publicité ».

Le paragraphe 1 de l’article 68 permet de passer outre l’inviolabilité du domicile et du courrier dans les cas spécialement prévus par la loi.

Les travailleurs jouissent du droit de grève dans le cadre des dispositions législatives qui peuvent limiter son exercice dans les services et activités essentielles à l’intérêt des besoins supérieurs de la société et de la sécurité nationale (art. 87 § 2 et 3).

1.5. Principes mis en balance

Ce que nous avons précédemment décrit révèle la mise en balance d’une part, de principes comme le droit à l’honneur et à la réputation personnelle ou de la famille, qui constituent une conséquence naturelle de la dignité humaine, et d’autre part, des raisons d’ordre social ou moral, d’ordre public, de sécurité nationale ou d’intérêt général.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Les dispositions constitutionnelles et législatives sont fondamentales dans la définition des principes qui doivent servir de base à cet équilibre de manière à éviter qu’aucun droit ou garantie ne supporte seul les conséquences de l’expansion indue d’un autre droit.

1.7. Autres sources

En ce qui concerne l’interprétation des droits fondamentaux, notre législateur constitutionnel a établi dans son article 43 que « les règles constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux sont interprétées et intégrées en harmonie avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ».

Le principe de proportionnalité a été aussi intégré dans le système juridique mozambicain au travers de l’influence de la doctrine portugaise, celle-ci ayant elle-même intégré dans son ordre juridique des concepts et contenus provenant d’autres pays européens, notamment des sources d’origine allemande.

À titre d’illustration, la doctrine mozambicaine utilise indifféremment les termes de proportionnalité et de prohibition de l’excès.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

La jurisprudence mozambicaine exerce le contrôle de proportionnalité de manière expresse et recourt également à des notions connexes comme « ne porte pas préjudice », « pondéré », « disproportionné », « inadéquat », « idoine » et « pertinent ».

Malgré sa courte expérience, le Conseil constitutionnel, qui n’est en fonction que depuis cinq années, a procédé au contrôle de l’excès du pouvoir législatif et des actes normatifs de l’exécutif sur le fondement de ce principe.

Compte tenu de la nature des règles qui consacrent les droits fondamentaux, le champ d’interprétation doit se concentrer sur l’harmonisation des valeurs et principes constitutionnels existants.

Dans son interprétation, on peut relever l’effort du Conseil constitutionnel en vue de concilier des intérêts juridiquement protégés et qui sont en position de conflit ou de concurrence. Il appartient à l’interprète d’éviter le sacrifice total d’un intérêt par rapport à un autre, en assurant ainsi une harmonisation pratique ou en limitant le plus possible le sacrifice dudit intérêt.

L’excès de pouvoir comme motif d’inconstitutionnalité implique une censure juridictionnelle dans le domaine législatif.

2.2. Domaines de contrôle

On reconnaît au législateur le pouvoir de faire prévaloir certains intérêts dans les limites établies par la Constitution. Parmi ces différents intérêts, certains peuvent être considérés légitimes et d’autres non, l’excès de pouvoir étant sanctionné sous toutes ses formes.

L’ État du Mozambique étant unitaire en ver tu de l’ article 6 de la Constitution, il n’ existe pas de législateur fédéral ni d’entités fédérales.

2.3. Exemples

– Dans son arrêt n° 3/CC/2007 du 23 juillet, le Conseil constitutionnel mozambicain a statué dans les termes suivants : (…) Cependant, il faut prendre en compte le fait que même ce domaine, le droit à l’information, n’est pas absolu car, comme nous l’avons rappelé précédemment, la Constitution elle-même le soumet à des restrictions ancrées dans le besoin de sauvegarder d’autres valeurs juridiques fondamentales qui peuvent subir de graves lésions dans leur confrontation avec celles que la publicité de l’audience préserve.

(…) D’une part, le droit à l’information, comme d’autres droits et libertés prévus dans la Constitution n’est pas absolu et d’autre part, le n° 6 de l’article 48 prévoit que son exercice « est réglé par loi dans le respect de la Constitution et de la dignité de la personne humaine », il est important de déterminer si cette restriction du n° 2 de l’article 13 de la loi sur l’organisation des tribunaux judiciaires (LOTJ) se situe dans les paramètres constitutionnels.

(…) Le Conseil constitutionnel considère, en conclusion, que la prohibition de la production et transmission publique d’image et de son des audiences de jugement introduite par le numéro 2 de l’article 13 de la LOTJ, d’une part, ne constitue pas une restriction au principe de publicité des audiences de jugement dans le procès pénal consacré par le n° 2 de l’article 65 de la Constitution, et d’autre part, n’est pas contraire au droit à l’information reconnu par le n° 1 de l’article 48 de la Constitution même si elle se traduit par une restriction, et a son fondement dans le numéro 6 du même article et dans le principe consacré par le n° 2 de l’article 56 de la Constitution » (…).

–Dans sa décision du 20juin (arrêt n°2/CC/2007) (contrôle préalable de]a constitutionnalité abrogeant la loi n° 5/82 du 9 juin et la loi 9/87 du 19 septembre), le Conseil constitutionnel, aexaminé1’efficacité etl’adéquation des mesures économiques contestées. Ila estimé que (…) l’État de droit démocratique, conformément à l’article 3 de la Constitution, est fondé sur le principe de la proportionnalité qui, par delà « la prohibition de l’excès » se traduit également par « la prohibition de la défense insuffisante des biens juridiques constitutionnels ». Il a souligné l’impératif de défense de l’ordre économique constitutionnel contre les comportements qui la mettent en cause estimant que leur dépénalisation entraînait une fragilisation du jus puniendi de l’État par rapport à la criminalité économique qui, de nos jours, loin de se réduire, se multiplie et devient de plus en plus sophistiquée dans le monde entier.

Le Conseil a déclaré l’inconstitutionnalité de la loi contestée avant sa promulgation.

2.4. Critères d’appréciation

Des extraits des décisions cités auparavant, il est facile de conclure que le jugement de la proportionnalité d’une mesure résulte d’une pondération rigoureuse et de l’équilibre entre l’intervention du législateur et les objectifs poursuivis.

L’ordre constitutionnel fournit une indication sur les critères d’évaluation, d’appréciation ou de pondération qui doivent être adoptés.

La proportionnalité au sens strict du terme, assurerait ce rôle, en montrant la justesse de la solution trouvée ou son inadéquation.

Le principe de prohibition de l’excès constitue une limite constitutionnelle à la liberté du législateur. Toutefois s’agissant d’imposer des restrictions à certains droits, le Conseil constitutionnel cherche à apprécier non seulement la constitutionnalité de ladite restriction mais, également, sa proportionnalité.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Les décisions du Conseil constitutionnel citées précédemment peuvent être consultées sur le site du Conseil : www.cconstitucional.org.mz

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

La première conséquence du recours au principe de proportionnalité est d’amener les organes étatiques et le pouvoir législatif en particulier, à exercer leurs compétences de telle sorte que leurs décisions ne soient pas remises en cause.

Une autre implication, non moins importante, est que ce principe doit être exercé de façon à garantir le respect de celui de la séparation des pouvoirs.

2.8. Appréciation

En définitive, et au regard de ce qui précède, il est évident que le principe de proportionnalité est valable pour toutes les branches du droit et est extrêmement important dans le domaine du droit constitutionnel.

Son application ne doit pas s’éloigner de la nécessaire prudence en s’inspirant également des expériences d’autres juridictions ainsi que de la doctrine nationale et internationale.

Cour constitutionnelle du Niger

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le principe de proportionnalité n’est pas expressément consacré par la Constitution du 9 août 1999 mais peut se déduire de l’interprétation de certaines de ses dispositions, notamment de celles contenues à l’article 9 (liberté d’association) et dans le titre II (des droits et devoirs de la personne humaine).

1.2. Dispositions explicites et formulation

Sans objet.

1.3. Autres textes

Les autres textes qui font référence à ce principe sont :

  • la Déclaration universelle des droits de l’homme;
  • la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples;
  • les autres conventions internationales auxquelles le Niger est partie;
  • le code pénal, le code civil…
1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

La Constitution prévoit des limites à certains droits et libertés. Ainsi :

  • la liberté d’association s’exerce librement par les partis politiques, syndicats et associations sous réserve de respecter les principes de la souveraineté nationale, de la démocratie et les lois de la République (art. 9) ;
  • chacun a droit au libre développement de sa personnalité dans ses dimensions matérielle, temporelle, intellectuelle, spirituelle, culturelle et religieuse pourvu qu’il ne viole pas le droit d’autrui, ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel, l’ordre légal ou les bonnes mœurs (art. 14) ;
  • nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, sous réserve d’une juste et préalable indemnisation (art. 21) ;
  • les droits à la liberté de pensée, d’opinion, d’expression, de conscience, de religion et de culte s’exercent dans le respect de l’ordre public, de la paix sociale et de l’unité nationale (art. 23) ;
  • en outre, la Constitution dispose que les droits à la vie, à la santé, à la liberté, à la sécurité, à l’intégrité physique et mentale, à l’éducation et à l’instruction (art. 11), les droits à l’inviolabilité du domicile (art. 20), au secret de la correspondance et des communications (art. 22), les libertés d’aller et de venir, d’association, de réunion, de cortège et de manifestation (art. 24), le droit syndical et le droit de grève (art. 26) s’exercent dans les conditions définies par la loi ;
  • enfin la Constitution dispose en outre en son article34 que tous les droits et devoirs de la personne humaine consacrés en son titre II s’exercent dans le respect des lois et règlements en vigueur.
1.5. Principes mis en balance
  • L’intérêt général;
  • l’ordre public;
  • la souveraineté nationale;
  • la démocratie;
  • la séparation de l’État et de la religion;
  • l’unité nationale;
  • la paix sociale;
  • le droit d’autrui;
  • les bonnes mœurs.
1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Les dispositions de la Constitution et des conventions internationales occupent une place importante dans cet équilibre. Le juge constitutionnel veille au respect de ces dispositions dans sa mission d’interprétation.

1.7. Autres sources

La Cour constitutionnelle du Niger s’inspire du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours. Le rôle de la doctrine reste encore mineur.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Quelques décisions opèrent de manière implicite un contrôle de proportionnalité.

2.2. Domaines de contrôle

Dans le cadre de la répartition des compétences entre le législateur fédéral et entités fédérées ?
Le Niger est un État unitaire.

Dans le cadre du contrôle des lois restreignant des libertés fondamentales garanties dans la Constitution ?
Oui.

En matière pénale ?
Oui.

En matière de contrôle de conventionnalité ?
Non.

Dans d’autres domaines ?
Non.

2.3. Exemples

L’arrêt n° 2005- 006/CC rendu le 1er décembre 2006 a opéré implicitement un contrôle de proportionnalité.

La Cour avait été saisie par voie d’exception de la loi réglementant la profession d’avocat. Cette loi en son article 47 alinéa 2 prévoyait l’omission du tableau de l’avocat faisant l’objet de poursuites pénales pour des faits contraires à la probité, à l’honneur et aux bonnes mœurs. Le requérant demandait à la Cour de déclarer cette disposition non conforme à la Constitution car contraire à la présomption d’innocence consacrée par la loi fondamentale.

La Cour a déclaré la loi conforme à la Constitution.

2.4. Critères d’appréciation

Dans sa décision précitée, la Cour a estimé que « l’omission du tableau n’est pas une sanction pénale, ni même une sanction disciplinaire, mais une mesure provisoire ne préjugeant pas de l’issue de l’action publique et prenant fin par la disparition de la cause qui l’a fait prononcer… ».

La Cour poursuit qu’une telle mesure est « nécessaire pour faire cesser le trouble que causerait au sein des juridictions l’auxiliaire de justice qui, faisant l’objet de poursuites pour des faits apparemment illicites, n’en continuerait pas moins à plaider, à postuler et à consulter ».

La Cour estime enfin que « l’omission est limitée dans le temps et ne peut être prononcée qu’à la suite de poursuites pour certaines catégories d’infractions, notamment celles portant atteinte à la probité, à l’honneur et aux bonnes mœurs… que sa durée n’est pas soustraite de l’ancienneté lorsque les poursuites pénales aboutissent au prononcé d’une décision de non-lieu, acquittement ou relaxe… ».

À la lecture de ces motifs, il ressort que les critères retenus par la Cour sont l’adéquation, la nécessité et la mesure (proportionnalité au sens strict).

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

La proportionnalité a rarement été utilisée comme technique de contrôle par la Cour.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Voir le 2.4.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Le recours au principe de proportionnalité permet un contrôle plus effectif de la loi et oblige de ce fait les pouvoirs publics à une meilleure production normative.

2.8. Appréciation

Ce principe présente un grand intérêt car il est protecteur des libertés du citoyen et garant de l’intérêt général. Il constitue en outre un instrument privilégié du juge constitutionnel dans sa mission d’interprétation des normes.

Cour constitutionnelle de la République centrafricaine

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Oui, ce principe est consacré par la Constitution du 27 décembre 2004.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Les articles 2 al. 2, 3 al. 1 et 4, 4, 5 al. 4, 8 al. 1, 10 al. 1, 11 al. 1, 12 al. 1, 13 al. 1, 14 al. 1eret 2 et sous le Titre I intitulé : Des bases fondamentales de la société.

Art. 2 al. 2 : Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu’il ne viole pas le droit d’autrui, ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel.

Art. 3 al. 1 et 3 : Chacun a droit à la vie et à l’intégrité corporelle. Il ne peut être porté atteinte à ces droits qu’en application d’une loi.

Nul ne peut être arbitrairement arrêté ou détenu. Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie à la suite d’une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense. Le délai légal de détention doit être respecté.

Art. 4 : La liberté de la personne est inviolable.

Les libertés d’aller et venir, de résidence et l’établissement sur toute l’étendue du territoire sont notamment garanties à tous dans les conditions fixées par la loi.

Art. 5 al. 4 : Nul ne peut faire l’objet d’assignation à résidence ou de déportation, si ce n’est en vertu d’une loi.

Art. 8 al. 1 : La liberté de conscience, de réunion, le libre exercice des cultes sont garantis à tous dans les conditions fixées par la loi.

Art. 10 al. 1 : Le droit syndical est garanti et s’exerce librement dans le cadre des lois qui le régissent.

Art. 11 al. 1 : La liberté d’entreprise est garantie dans le cadre des lois et règlements en vigueur.

Art. 12 al. 1 : Tous les citoyens ont le droit de constituer librement des associations, groupements, sociétés et établissements d’utilité publique, sous réserve de se conformer aux lois et règlements.

Art. 13 al. 1 : La liberté d’informer, d’exprimer et de diffuser ses opinions par la parole, la plume et l’image, sous réserve du respect des droits d’autrui, est garantie.

Art. 14 al. 1er et 2 : Toute personne physique ou morale a droit à la propriété. Nul ne peut être privé de sa propriété, sauf pour cause d’utilité publique légalement constatée et sous la condition d’une juste et préalable indemnisation.

Le domicile est inviolable. Il ne peut y être porté atteinte que par le juge et, s’il y a péril en la demeure, par le autres autorités désignées par la loi, tenues de s’exécuter dans les formes prescrites par celle-ci.

1.3. Autres textes

Le code pénal civil centrafricain.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

Oui par exemple aux articles 1er et 4 al. 2 qui édictent respectivement que la personne humaine est sacrée et inviolable… les libertés d’aller et de venir, de résidence sont garanties à tous dans les conditions fixées par la loi.

1.5. Principes mis en balance

Il y a conciliation de l’intérêt général et du principe d’ordre public.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

L’article 81 de la Constitution dispose : « Le pouvoir judiciaire, gardien des liber tés et de la propriété, est tenu d’assurer le respect des principes consacrés comme bases fondamentales de la société par la présente Constitution ».

1.7. Autres sources

La Cour et les autres juridictions se réfèrent à la jurisprudence française et celle des pays francophones.

Bien souvent pour trancher les différends qui mettent en cause les droits et les libertés, le juge se réfère aux jurisprudences abondantes des autres Cours.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Le juge se réfère assez souvent aussi aux principes généraux de droit tels que la présomption d’innocence.

Nul ne peut être détenu ou condamné…

2.2. Domaines de contrôle

Ce contrôle est utilisé dans le domaine des droits, des libertés ainsi que le droit de propriété.

  • Dans le cadre du contrôle des lois restreignant des libertés fondamentales garanties dans la Constitution ? Oui, à travers plusieurs dispositions constitutionnelles.
  • Oui, en matière pénale.
  • Oui, en matière de contrôle de constitutionnalité; par exemple l’intérêt pour agir.
  • Dans d’autres domaines également: le droit de propriété, les droits de l’homme, le droit de créer des associations, l’exercice du droit de grève, etc.
2.3. Exemples

Notre Cour est de création très récente et les principales décisions qu’elle a rendues concernent le contentieux électoral.

2.4. Critères d’appréciation

Les critères reposent sur les sources de droit tant internes qu’internationales.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

En l’état actuel des affaires traitées, le contrôle n’est qu’exceptionnel.

2.6. Décisions les plus pertinentes

La Cour allait rendre au mois d’août de l’année dernière une décision dans l’affaire opposant la République centrafricaine à la société Total, mais celle-ci a été réglée par un accord des parties.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Pour les conséquences, le juge qui recourt au principe de proportionnalité, assied l’équité entre les parties. Quant aux implications, c’est l’affirmation de l’indépendance du juge.

2.8. Appréciation

Le principe de proportionnalité qui essaie de concilier les exigences contradictoires de l’intérêt général ou de la communauté et l’exercice des droits et libertés individuels, permet au juge constitutionnel une bonne application des dispositions des textes et d’apprécier très clairement la situation devant laquelle il est appelé à prononcer ou rendre sa décision en toute équité et impartialité conformément à son serment.

Conseil constitutionnel du Sénégal

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Le principe n’est pas expressément consacré par la Constitution sénégalaise mais a une place dans certaines de ses dispositions.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Il n’y a pas de dispositions explicites de la Constitution relatives au principe de proportionnalité. Cependant certains articles font référence au principe notamment les articles 10, 12, 13, 15 al. 1 er, 16, 24 al. 1 er et 25 al. 4.

1.3. Autres textes

Le code pénal dans son titre consacré aux libertés publiques.

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

La Constitution prévoit des limites à l’exercice de certains droits et libertés : la liberté d’expression (art. 10), la liberté d’association (art. 12), le droit à l’intimité et à la vie privée (art. 13 et 16), le droit de propriété (art. 15 al. 1er), la liberté religieuse ou de conscience et de culte (art. 24 al. 1er) et le droit de grève (art. 25 al. 4).

1.5. Principes mis en balance

Pour la liberté d’expression, les principes en balance sont l’ordre public, l’honneur et la considération d’autrui.

En qui concerne la liberté d’association, il s’agit également de l’ordre public.

S’agissant du droit à l’intimité et à la vie privée, les principes en balance sont l’ordre public et l’intérêt général.

Pour le droit de propriété, le principe en balance est l’intérêt général.

Le principe en balance avec la liberté religieuse, de conscience ou de culte et le droit de grève est l’ordre public.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Certaines dispositions consacrent le principe mais ne déterminent pas ses modalités d’application.

Le pouvoir normatif du juge n’est pas expressément consacré par la Constitution. Il s’exprime dans le cadre du contrôle normal des lois.

1.7. Autres sources

Une abondante doctrine s’intéresse de plus en plus à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cependant aucun commentaire n’a encore porté sur le principe de proportionnalité.

La jurisprudence sénégalaise s’inspire de celle des autres Cours, notamment du Conseil constitutionnel français du fait de la ressemblance des organisations judiciaires et des textes de base.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Le Conseil constitutionnel sénégalais a exercé de manière explicite un contrôle de proportionnalité dans un certain nombre de décisions : nos 3/C/96 et 4/C/96.

Selon le Conseil : « Considérant que ces dispositions confient au législateur la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété et notamment des limitations qui pourraient lui porter atteinte ; que toutefois, dans l’exercice de sa compétence, le législateur est tenu de respecter les règles de valeur constitutionnelle, sous le contrôle du juge constitutionnel ».

« Considérant que ce n’est que dans la seule hypothèse d’une dénaturation manifeste du droit de propriété le vidant de son contenu ou en cas de non respect des garanties constitutionnelles y relatives que le Conseil constitutionnel pourrait censurer le législateur. »

2.2. Domaines de contrôle
  • Non, pas dans le cadre de la répartition des compétences entre le législateur fédéral et entités fédérées.
  • Oui : les libertés d’expression et d’association.
  • Non, pas en matière pénale.
  • Oui, en matière de contrôle de conventionnalité.
  • Oui, dans d’autres domaines : expropriation pour cause d’utilité publique.
2.3. Exemples

Décisions nos 2/C/94 du 27 juillet 1994, 3/C/96 et 4/C/96 du 3 juin 1996.

2.4. Critères d’appréciation

Pour apprécier la proportionnalité d’une mesure d’expropriation, le Conseil a retenu les critères d’adéquation et de nécessité.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Il s’agit d’une technique de contrôle exceptionnelle. Elle est parfois utilisée dans les cas de contrôle des limitations apportées aux droits fondamentaux.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Les décisions n° 2/C/94 du 27 juillet 1994, n° 3/C/96 et n° 4/C/96 du 3 juin 1996.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Le recours au principe de proportionnalité permet de limiter le pouvoir discrétionnaire du législateur du fait que le juge constitutionnel se donne la possibilité de lui imposer des conditions de constitutionnalité.

2.8. Appréciation

Ce principe comporte parfois un risque : celui d’une substitution de la volonté du juge à celle du législateur.

Cour constitutionnelle de Slovénie

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Le principe de proportionnalité est-il consacré par la Constitution ou a-t-il une place dans certaines de ses dispositions ?

La Constitution de la République de Slovénie[1] ne détermine pas explicitement le principe de proportionnalité. Celui-ci a été placé au niveau constitutionnel par la Cour constitutionnelle.

Les principes constitutionnels non écrits servant de base à la jurisprudence peuvent être déduits de l’esprit même de la Constitution par référence à son contenu ainsi qu’à ses éléments structurels. Il est possible de considérer le principe de proportionnalité comme un des principes constitutionnels non écrits résultant des principes généraux qui protègent la liberté démocratique.

1.2. Quelles sont les dispositions explicites ? Quelle est leur formulation ?

Il n’existe pas de telles dispositions. Voir réponse 1.1.

1.3. Quels sont les autres textes qui font référence à ce principe ?

Les autres prescriptions n’invoquent pas non plus ce principe.

1.4. La Constitution prévoit-elle des limites à l’exercice de certains droits et libertés ?

La Constitution prévoit la possibilité de restreindre les droits et libertés constitutionnels par la loi (art. 15, par. 2). Elle prévoit aussi certaines restrictions (art. 15, par. 3).

1.5. Quels principes sont mis en balance ? L’intérêt général ? L’ordre public ? Autres ?

Le législateur est également lié par les droits et libertés fondamentales. Dans les cas où la Constitution admet explicitement la possibilité de légiférer et de restreindre certains droits et libertés constitutionnels, les restrictions ne peuvent être imposées que par la loi, respecter les critères fondamentaux (contenu, objectif et portée clairement précisés), et viser la continuité des organes administratifs (principe de légalité, art. 120, par. 2). Par ce principe qui résulte de l’État de droit, il est établi une limite au pouvoir du législateur de restreindre les droits civils et libertés fondamentales et il est instauré une liaison qualifiée entre la motivation et l’objectif poursuivi d’un côté et les moyens et les solutions normatives de l’autre.

1.6. Quelle est la place des dispositions de la Constitution (ou d’autres sources écrites ou du pouvoir normatif du juge dans cet équilibre) ?

Par les décisions de la Cour constitutionnelle, l’interdiction de porter des atteintes démesurées aux droits et libertés, le principe de proportionnalité a acquis le rang d’un principe constitutionnel général qui engage tous les organes de l’État : le législateur, le pouvoir exécutif, les juridictions et autres autorités publiques.

1.7. Quelles sont les autres sources d’inspiration de la jurisprudence ? Quel est le rôle de la doctrine ? Quelle est l’influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours ?

Les éléments du principe de proportionnalité n’étaient pas inconnus dans la théorie juridique slovène sans être présents dans des dispositions spécifiques. Déjà dans les années 40, les auteurs soulignaient les restrictions aux atteintes portées par le pouvoir aux droits des citoyens. La théorie juridique des années 60 affirme que de telles mesures ne sont admissibles que dans les cas où elles sont requises par un intérêt général public supérieur aux intérêts touchés par la mesure concernée.

En droit positif, le principe de la mesure la moins sévère a été introduit par la loi sur la procédure administrative générale du Royaume de Yougoslavie (J.O. n° 271/1930, n° de l’acte 571). Le chapitre sur l’exécution forcée (par. 138) exige de recourir à la mesure la moins rigoureuse dans le déroulement de l’exécution forcée[2] .

En matière de police, il est intéressant de suivre le développement de la(?) proportionnalité à la suite des modifications de la loi sur les relations intérieures[3]. Le principe de proportionnalité était depuis toujours en usage dans le domaine du droit pénal. En appréciant la légitime défense, il faut prendre en considération la proportionnalité entre l’intensité de l’attaque et celle de la défense. Le critère de proportionnalité ne porte pas en premier lieu entre le bien que l’attaque a mis en danger et le bien endommagé lors de la défense mais entre l’intensité de l’attaque et celle de la défense.

La loi sur la procédure pénale contient aussi des éléments de proportionnalité dans le chapitre 17 à propos des mesures assurant la présence du prévenu au cours du procès et le déroulement efficace du procès pénal. L’article 20, paragraphe 1 er de la Constitution de la République de Slovénie requiert aussi le respect du principe de proportionnalité en cas d’ordonnance de placement en détention provisoire et concernant sa durée. Selon ledit article, la détention provisoire n’est admise que «lorsqu’elle est nécessaire et inévitable»[4] et à condition que toutes les conditions soient remplies.

En introduisant le principe de proportionnalité, la Cour constitutionnelle slovène a également pris en considération la doctrine et la jurisprudence étrangère (par exemple allemande, autrichienne, canadienne, etc.)

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. La jurisprudence exerce-t-elle de manière explicite un contrôle de proportionnalité ou recourt-elle à des notions connexes ? En quels termes ?

Le contrôle est exercé de manière explicite.

Les décisions de la Cour constitutionnelle renferment son opinion sur tous les éléments de proportionnalité à commencer par le terme « objectifs légitimes du législateur » (ou intérêt). Dans certaines décisions, la Cour constitutionnelle est plus précise en disant expressément qu’il doit y avoir «un objectif admissible conformément à la Constitution».

L’ élément suivant se rapporte à la constitutionnalité du moyen qui réalise l’objectif. L’exemple classique en est l’interdiction de la torture (moyen inconstitutionnel) en vue d’atteindre un objectif admissible. De même, « la limitation du choix de l’emplacement du bureau d’avocat » est justifiée si elle est destinée à assurer l’impartialité du jugement des magistrats du siège et du parquet. La condition de nécessité n’est pas remplie si, pour assurer la sécurité des personnes la loi ne prévoit que la détention provisoire sans laisser le choix avec des mesures moins graves qui assureraient aussi la sécurité des gens ». La « mesure appropriée » signifie que l’objectif et le moyen doivent être équilibrés. Cet équilibre est, par exemple, rompu lorsque « le montant du loyer du parking réservé est en disproportion évidente avec la valeur de l’usage exclusive du bien public ».

2.2. Dans quels domaines le contrôle de proportionnalité est-il utilisé ?

La proportionnalité est contrôlée dans des domaines différents.

La jurisprudence slovène dans le domaine de contrôle abstrait a progressivement introduit le principe de proportionnalité au début des années quatre-vingt-dix, surtout dans la décision n° U-I-135/92[5] suivie de la décision n° U-I-47/94[6]. La première définition systématique du principe de proportionnalité se trouve dans la motivation de sa décision n° U-I-77/93. La Cour constitutionnelle slovène a aussi recours au principe de constitutionnalité dans le domaine du contrôle concret de constitutionnalité (contrôle de constitutionnalité des actes individuels dans le domaine de la protection des droits et libertés fondamentales). Elle l’a fait pour la première fois dans la motivation de la décision n° Up-74/95 ; de même dans la motivation de la décision n° Up-164/95[7].

L’application du principe de proportionnalité signifie qu’il faut juger si l’atteinte aux droits constitutionnels est en premier lieu adaptée à la poursuite de l’objectif désiré et conforme à la Constitution : en second lieu, si l’atteinte est nécessaire (« indispensable ») de sorte qu’il n’existe pas d’autre façon d’atteindre l’objectif désiré ; et en troisième lieu si l’atteinte est en proportion raisonnable avec l’objectif, donc avec le bien qui devrait être protégé et avec le résultat espéré de cette protection (proportionnalité au sens étroit).

Pour ces raisons, la Cour constitutionnelle a constaté la violation de la Constitution du fait que les juridictions compétences n’avaient pas statué sur le prolongement de la détention provisoire conformément aux conditions déterminées par l’article 20 et la loi sur la procédure pénale. Elle a considéré que le droit constitutionnel à un recours efficace avait été violé.

En matière de procédure pénale, le tribunal doit vérifier, une fois l’acte d’accusation introduit et dans le délai de deux mois à compter de la dernière ordonnance de placement en détention provisoire, si les conditions de la détention provisoire sont remplies.

Toutes ces questions ont fait par la suite l’objet des décisions n° U-I-201/93 et n° U-I-4/99 ; la décision n°U-I-18/93 porte sur la procédure pénale[8].

On trouve également des applications dans le domaine de la liberté du travail (art. 49). Ce droit n’est limité que dans les cas déterminés explicitement par la Constitution et les droits d’autrui (art. 15, par. 2). La Cour constitutionnelle a plusieurs fois souligné qu’une telle restriction n’est admissible que si elle est proportionnelle.

De même la disposition de la loi sur le Barreau limitant le choix de l’emplacement du bureau de l’avocat comme une mesure à assurer l’impartialité du jugement des magistrats du siège et du parquet, n’est pas conforme à la Constitution car la mesure n’est pas appropriée pour atteindre cet objectif.

2.3. Pouvez-vous citer une ou plusieurs décisions importantes qui opèrent un contrôle de proportionnalité et/ou se fondent sur le principe de proportionnalité ou un principe équivalent ?

Dans la décision n° U-I-40/06 du 11 octobre 2006[9], la Cour constitutionnelle considère les limites imposées aux propriétaires dans l’usage des terrains et des forêts liées à l’exercice du droit de chasse comme une mesure nécessaire et appropriée en vue d’atteindre les objectifs protégés par la Constitution.

En contrôlant la proportionnalité au sens étroit, la Cour constitutionnelle a pesé la nécessité d’exercer le droit de chasse, la protection des richesses naturelles et la gravité de l’atteinte sur le droit à la propriété privée. Selon l’article 4 de la loi sur la protection de l’environnement, l’État doit stimuler le développement social et économique en satisfaisant aux besoins de la génération actuelle tout en prenant en considération les générations futures et la protection de l’environnement à long terme. L’objectif de l’exercice du droit de chasse est d’assurer la salubrité de l’environne -ment en protégeant le gibier qui est une richesse naturelle. C’est pourquoi, en appréciant la proportionnalité de l’atteinte au droit de propriété, il faut donner la priorité à la protection du gibier. Si le propriétaire du terrain, à cause des mesures de protection du gibier, subit un dommage qui dépasse des limites générales de protection de la nature, il a droit à indemnité Le droit de chasse n’appartient qu’aux personnes qui remplissent les conditions légales et s’exerce dans les limites nécessaires à la gestion du gibier en tant que richesse naturelle. Il est vrai que les propriétaires ne peuvent pas sur leurs terrains chasser librement le gibier qui s’y trouve. Toutefois ils ont le droit de participer à la chasse dans les conditions déterminées dans l’article 60 de la loi sur le gibier et la chasse, ainsi que de faire partie d’une association de chasseurs. L’association des chasseurs dont la plupart des membres sont propriétaires des terrains et des forêts en zone de chasse ou y ont leur domicile, a priorité pour l’acquisition d’une concession. Il en résulte que les propriétaires des terrains peuvent y organiser la chasse dans les conditions déterminées par la loi. Contrôlant la proportionnalité au sens étroit, la Cour constitutionnelle a constaté que les avantages apportés par l’exercice du droit de chasse dans les conditions déterminées par la loi justifiaient la gravité de l’atteinte au droit des propriétaires des terrains et des forêts.

2.4. Quels sont les critères d’appréciation retenus par votre Cour pour juger de la proportionnalité d’une mesure ou d’une loi ?

La Cour, si l’objectif poursuivi par l’État est légitime et si les moyens auxquels il a recours sont licites, applique le test de légitimité, c’est-à-dire qu’elle contrôle :

  • si les moyens choisis en vue d’atteindre l’objectif sont appropriés, raisonnables, applicables et licites ;
  • si de tels moyens sont nécessaires ou indispensables en vue d’atteindre l’objectif ;
  • si les moyens choisis ne sont pas hors de rapport raisonnable eu égard à la valeur sociale et politique de l’objectif ou s’il a été établi un équilibre proportionnel (le principe d’équilibre au sens étroit ou le principe de proportionnalité) entre l’atteinte au droit constitutionnel et l’utilité pour la protection d’autrui et de la société.

Les objectifs du législateur doivent être définis, raisonnables et constitutionnellement légitimes.

2.5. La proportionnalité est-elle une technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Dans quelles hypothèses est-elle principalement utilisée ?

Du point de vue statistique la proportionnalité est contrôlée assez souvent contrôlée.

2.6. Joindre ou résumer les décisions les plus pertinentes.
A. L’atteinte est admissible au regard de la Constitution
  • Décision n° U-I-141/97 du 22 novembre 2001[10].
  • Décision n° U-I-190/00 du 13 février 2003[11].
  • Décision n° U-I-127/01 du 12 février 2004[12].

L’ objectif pour suivi par le législateur en déter minant la vaccination obligatoir e est la pr évention des maladies contagieuses. La Cour constitutionnelle estime que les bénéfices de la vaccination obligatoire pour la santé publique dépassent la gravité des conséquences et l’atteinte aux droits constitutionnels de l’individu. C’est pourquoi la vaccination obligatoire n’est pas considérée comme une mesure disproportionnée.

B. L’atteinte aux droits n’est pas admissible au regard de la Constitution

Décision n° U-I-296/02 du 20 mai 2004[13].

La présomption d’innocence n’empêche pas l’ouverture du procès pénal ni les mesures coercitives avant la clôture de la procédure pénale sous certaines conditions garanties : assurer la présence des parties au procès, d’assurer les preuves, l’efficacité des mesures coercitives à la suite de la condamnation, la protection des droits humains et des libertés fondamentales d’autrui. De telles mesures doivent assurer l’équilibre entre les droits humains et les libertés fondamentales d’un côté et la poursuite des fonctions précitées de la procédure pénale de l’autre.

Le droit à la propriété est garanti par l’article 33 de la Constitution. Il ne peut y être porté atteinte que si la mesure est basée sur un objectif légitime et justifié, conforme aux principes de l’État de droit. La cour contrôle si l’atteinte à la propriété privée n’est pas disproportionnée. Elle vérifie :

  1. si l’atteinte est indispensable (nécessaire) pour atteindre l’objectif poursuivi ;
  2. si l’atteinte est appropriée à l’objectif poursuivi ;
  3. si la gravité des conséquences est proportionnelle à la valeur de l’objectif poursuivi ou aux bénéfices qui en résulteront (principe d’équilibre au sens étroit ou principe de proportionnalité).

Si l’atteinte réussit à passer les trois aspects du test, elle est considérée comme admissible.

La présomption d’innocence exige un équilibre entre l’atteinte au droit de propriété et le niveau de probabilité de la condamnation. La loi sur la procédure pénale est jugée non conforme à la Constitution puisqu’elle ne détermine pas le standard de preuve ou le degré de probabilité que l’infraction ait été commise comme condition d’une demande de privation de bénéfices patrimoniaux.

En contrôlant la proportionnalité au sens étroit, la Cour contrôle les conditions qui limitent la portée de la mesure restrictive pour que celle-ci ne soit pas disproportionnée. Une demande de privation de bénéfices patrimoniaux étant une mesure restrictive durable, sa durée doit être limitée avec précision par la loi. La loi sur la procédure pénale ne contenant aucune disposition explicite sur cette question, elle porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par l’article 33 de la Constitution.

Décision n° U-I-25/29 du 27 novembre 1997[14].

La Cour a jugé que les dispositions de la loi relatives aux écoutes n’étaient pas assez précises. La nécessité des mesures d’écoute (qui constituent l’atteinte à la vie privée) doit être déterminée non seulement au niveau législatif mais aussi dans chaque cas. Pour assurer le droit à un recours efficace selon l’article 37, paragraphe 2 de la Constitution, la résolution par laquelle la juridiction ordonne la mesure, doit préciser dans sa motivation en quoi elle est indispensable dans le cas concret et quelles sont les circonstances qui empêchent la juridiction ou la police de recueillir les preuves par des moyens portant moins atteinte aux droits constitutionnels de la personne affectée.

La nature de la mesure d’écoute dans les lieux privés demande que l’installation et l’enlèvement des appareils d’écoute soient exécutés de manière secrète. En conséquence, mais uniquement en vue de l’exécution d’une mesure et à condition que soient remplies les conditions de l’atteinte à la vie privée, les demandes portant atteinte à l’inviolabilité du domicile (art. 36, par. 2) doivent faire l’objet d’un jugement motivé.

Décision n° U-I-60/03 du 4 décembre 2003[15].

L’internement forcé d’un malade mental dans un hôpital psychiatrique signifie une restriction de la liberté de mouvement (art. 19, par. 1). La loi sur la procédure contentieuse dans son article 70 détermine les conditions de fond de l’internement de telle sorte que l’internement forcé d’une personne souffrant d’une maladie mentale n’est admissible que dans le cas où la nature de sa maladie ou de son état psychique rend nécessaire de limiter sa liberté de mouvement ou ses contacts avec le monde extérieur pour protéger sa vie et celle des autres. Le principe constitutionnel général de proportionnalité demande que le législateur, en déterminant les conditions de l’internement forcé, donne la possibilité aux juridictions de contrôler si l’atteinte est nécessaire et s’il est impossible d’atteindre l’objectif désiré par d’autres moyens. Il incombe au législateur de limiter la mesure aux cas où celle-ci est en proportion raisonnable avec l’objectif poursuivi. La Cour constitutionnelle constate que le législateur en déterminant les conditions de l’internement forcé n’a pas entièrement satisfait à cette exigence. La loi sur la procédure ne prévoit pas d’autres mesures pour atteindre le même objectif. Le législateur a ainsi violé le principe de proportionnalité. L’internement forcé d’un malade mental est une mesure à laquelle il faut recourir seulement dans les cas où le danger ne peut être prévenu par d’autres moyens. Le législateur a donc violé l’article 2 de la constitution et empiété sur le droit à la liberté de mouvement assuré par l’article 19, paragraphe de la Constitution.

2.7. Quelles sont les conséquences et les implications du recours au principe de proportionnalité ?

Le principe de proportionnalité joue un rôle important dans la jurisprudence. En Slovénie, la Cour constitutionnelle l’utilise souvent. Le doute principal réside dans le test de légitimité qui peut induire en erreur. Il y aurait un malentendu si la Cour constitutionnelle commençait à jouer le rôle du législateur et à juger si l’objectif du législateur est légitime. La Cour constitutionnelle n’a pas cette compétence ; elle n’a que le pouvoir de constater si l’objectif du législateur est conforme à la Constitution.

2.8. Quelle appréciation portez-vous sur ce principe ?

L’appréciation de l’équilibre intégral entre la gravité de l’atteinte et la nécessité des raisons qui le justifient… Les limites du contrôle exercé… Plus les destinataires sont affectés dans leurs droits, plus forts doivent être les intérêts à protéger et l’utilité publique. Les atteintes aux droits et libertés doivent être réduites au minimum nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi. Le législateur peut empiéter aussi sur les droits des individus protégés par la Constitution si en le faisant il protège d’autres droits et réalise un objectif légitime. Il ne peut le faire que si l’atteinte est indispensable à la réalisation de l’objectif du législateur. Le législateur doit respecter le principe de proportionnalité en réglant des rapports entre les biens protégés par la constitution qui sont entre eux en opposition et en les pesant réciproquement.


  • [1]
    J.O. de la République de Slovénie, n° 33/91, 42/97,66/00, 24/03, 69/04 et 68/06.  [Retour au contenu]
  • [2]
    La loi sur la procédure administrative générale de la République de Yougoslavie (J.O. de la République SocialisteFédérale de Yougoslavie, n° 47/86) reprend ce principe en le complétant.  [Retour au contenu]
  • [3]
    J.O. de la République Socialiste de Slovénie, n° 28/80, 38/80, 27/89 et J.O. de la République de Slovénie, n° 8/90,19/91 et 58/93).  [Retour au contenu]
  • [4]
    J.O. de la République de Slovénie, n° 63/94 et 70/94.  [Retour au contenu]
  • [5]
    Déc. n° U-I-135/92 du 30 juin 1994, JO de la République de Slovénie, n° 44/94. Les dispositions contestées de la loi sur les députés sont contraires au principe d’État de droit (art. 2 de la Constitution) en conférant :
    – à un groupe déterminé des privilèges, uniquement en raison de leur qualité de députés sans que les privilèges soient  justifiés par la nature et la durée de leur mandat, donc d’une manière arbitraire ;
    – des privilèges en disproportion avec ceux d’autres catégories, contrairement au principe d’équité qui veut que les droits des titulaires de pouvoirs publics soient en proportion raisonnable avec ceux que l’État assure aux autres citoyens  [Retour au contenu]
  • [6]
    Déc. U-I-47/94 du 19 janvier 1995, JO de la République de Slovénie n° 13/95 rendue à propos de la limitation apportée au droit de participer à l’administration des affaires publiques. L’article 44 de la Constitution ne donne pas au législateur le pouvoir de restreindre le droit au référendum mais seulement le pouvoir de régler la façon de l’exercer.Conformément à la disposition de l’article 15, paragraphe 3 de la Constitution, la loi ne peut restreindre un droit constitutionnel que lorsque cela est nécessaire pour assurer la protection des droits d’autrui (selon le principe de proportionnalité) et dans les cas où la Constitution elle-même le dispose. Est contraire à la Constitution, la disposition de la loi qui donne à l’Assemblée le pouvoir de juger la clarté de la question soumis au référendum, mais qui ne donne aucune voie de recours dans le cas où la date du référendum n’est pas fixée sous prétexte du manque de clarté de la question posée.  [Retour au contenu]
  • [7]
    Déc. Up-164/95 du 7 décembre 1995, Recueil des décisions et résolutions de la Cour constitutionnelle IV, 138.Selon la disposition de l’article 19, paragraphe 2 de la Constitution, personne ne doit être privé de la liberté sauf dans les cas et conformément à la procédure déterminée par la loi. Selon l’article 20, paragraphe premier, de la Constitution, la personne suspectée d’avoir commis une infraction ne peut être placée en détention provisoire qu’en vertu de la décision du tribunal lorsque cela est indispensable au déroulement du procès pénal ou pour la sécurité des personnes. La loi sur la procédure pénale dispose (art. 20, par. 2, pt 3) que la détention provisoire peut être ordonnée si les circonstances spéciales justifient la crainte que la personne puisse commettre une nouvelle infraction. Dans les recours constitutionnels sur la détention provisoire, la Cour constitutionnelle explique comment les juridictions doivent appliquer les conditions déterminées par la Constitution et la loi.  [Retour au contenu]
  • [8]
    Déc. U-I-18/93 du 11 avril 1996, JO de la République de Slovénie n° 25/96. L’article 20 de la Constitution requiert du législateur qu’en déterminant les conditions de la détention provisoire, celui-ci donne aux juridictions la possibilité de juger la nécessité de la mesure. Il impose de limiter la possibilité d’ordonner le placement en détention provisoire aux cas où une telle atteinte est en proportion raisonnable avec l’objectif fixé. Le législateur n’avait pas respecté ce principe car il n’avait pas prévu la possibilité de choisir d’autres mesures préventives moins graves pour assurer la sécurité des gens. Il avait donc violé la constitution.  [Retour au contenu]
  • [9]
    JO de la République de Slovénie n° 112/06.  [Retour au contenu]
  • [10]
    JO de la République de Slovénie n° 104/01 (interdiction ou restriction de la publicité du tabac).  [Retour au contenu]
  • [11]
    JO de la République de Slovénie, n° 21/03 (absence d’effet suspensif du recours).  [Retour au contenu]
  • [12]
    JO de la République de Slovénie n° 25/04 (loi sur les maladies contagieuses).  [Retour au contenu]
  • [13]
    JO de la République n° 68/04.  [Retour au contenu]
  • [14]
    JO de la République de Slovénie n° 5/98.  [Retour au contenu]
  • [15]
    JO de la République de Slovénie n° 131/03.  [Retour au contenu]

Tribunal fédéral suisse

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Dans la Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 18 avril 1999 (abrégé : Const.), le principe de la proportionnalité est expressément consacré. La précédente Constitution fédérale, de 1874, ne contenait pas de disposition mentionnant directement le principe de la proportionnalité. La jurisprudence du Tribunal fédéral avait toutefois déduit ce principe de garanties générales de la Constitution (en l’occurrence du principe d’égalité, contenant de nombreux principes tendant à la protection du citoyen contre l’activité de l’État).

Dans le système fédéraliste suisse, chaque canton a lui-même une constitution. Plusieurs constitutions cantonales ont récemment fait l’objet d’une révision globale. À cette occasion, le principe de la proportionnalité a souvent été inscrit dans le texte constitutionnel. Sur ce point, les constitutions cantonales ne diffèrent généralement pas de la Constitution fédérale.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Placé dans le titre premier de la Constitution fédérale, qui énonce des dispositions générales, l’article 5 définit les principes de l’activité de l’État. Cette norme a la teneur suivante :

Art. 5 : Principes de l’activité de l’État régi par le droit :

  1. Le droit est la base et la limite de l’activité de l’État.
  2. L’activité de l’État doit répondre à un intérêt public et être proportionnée au but visé.
  3. Les organes de l’État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi.
  4. La Confédération et les cantons respectent le droit international.

Le principe de la proportionnalité est ainsi énoncé expressément parmi les principes fondamentaux de l’État de droit (art. 5 al. 2 Const.).

Par ailleurs, la Constitution fédérale comporte un catalogue des droits fondamentaux (titre 2) conclu par la disposition suivante :

Art. 36 : Restriction des droits fondamentaux :

  1. Toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés.
  2. Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui.
  3. Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé.
  4. L’essence des droits fondamentaux est inviolable.

Le respect du principe de la proportionnalité est ainsi explicitement mentionné comme condition de toute restriction d’un droit fondamental (art. 36 al. 3 Const.).

1.3. Autres textes

Comme cela a déjà été indiqué (supra, 1.1.), les constitutions cantonales connaissent également des dispositions consacrant le principe de la proportionnalité, dans des termes correspondant généralement à ceux des articles 5 et 36 de la Constitution fédérale.

Dans la législation fédérale, on trouve diverses références, parfois explicites, au principe de la proportionnalité (par exemple : l’article 11 de la loi fédérale sur la protection de l’environnement, qui fixe les principes en matière de lutte contre les pollutions atmosphériques et le bruit, et qui statue que, « indépendamment des nuisances existantes, il importe, à titre préventif, de limiter les émissions dans la mesure que permettent l’état de la technique et les conditions d’exploitation et pour autant que cela soit économiquement supportable » ; il s’agit en définitive d’une expression du principe de la proportionnalité).

1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues par la Constitution

Les droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale peuvent être limités, ou restreints, aux conditions de l’article 36 Const. déjà cité (cf. supra, 1.2.).

1.5. Principes mis en balance

La première condition, pour la restriction de droits fondamentaux, est le respect du principe de la légalité (art. 36 al. 1 Const.). La Constitution mentionne ensuite, comme intérêts pouvant justifier des restrictions, l’intérêt public et la protection d’un droit fondamental d’autrui.

La Constitution fédérale ne mentionne pas expressément l’ordre public. En droit suisse, dans ce contexte, l’ordre public est un intérêt public qualifié, propre à justifier des mesures de police (protection de la sécurité publique, de la santé publique, de la tranquillité publique ou de la moralité publique).

Dans sa jurisprudence constitutionnelle, le Tribunal fédéral suisse se prononce très fréquemment sur l’intérêt public de restrictions apportées aux droits fondamentaux. La jurisprudence n’est en revanche pas très abondante au sujet de la règle qui veut que la protection d’un droit fondamental d’autrui puisse constituer un but légitime de restriction des libertés (exemple : atteinte à la liberté personnelle à cause de mesures de médication forcée, dans le but de protéger des tiers en contact avec la personne visée – recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral, ATF 130 I 16).

Il arrive souvent que le Tribunal fédéral, lorsqu’il doit examiner des restrictions de droits fondamentaux, se prononce sur le respect du principe d’égalité. Le droit à l’égalité fait partie du catalogue des droits fondamentaux de la Constitution fédérale (art. 8 al. 1 Const. : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi »).

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

Le juge constitutionnel, appelé à examiner si une norme générale et abstraite est conforme aux droits fondamentaux (contrôle abstrait de la constitutionnalité), ou si une décision concrète représente une restriction des droits fondamentaux (contrôle concret de la constitutionnalité), se fonde sur les règles, écrites ou non écrites, de la Constitution. À vrai dire, depuis la récente révision totale de la Constitution fédérale (adoptée le 18 avril 1999), il n’est pratiquement plus nécessaire de se référer au droit constitutionnel non écrit, car le catalogue des droits fondamentaux ainsi que les conditions des restrictions sont clairement formulés. En revanche, sous l’empire de l’ancienne Constitution fédérale (de 1874), le Tribunal fédéral avait été amené à reconnaître des droits fondamentaux non énoncés expressément dans le texte de la Constitution, et il avait aussi consacré par voie jurisprudentielle différents principes, dont notamment le principe de proportionnalité, rattaché au principe d’égalité. Le système suisse reconnaît donc traditionnellement, dans ce domaine, un « pouvoir normatif » au juge constitutionnel. Pour le catalogue des droits fondamentaux et les principes de l’État de droit, cette question n’est toutefois plus véritablement d’actualité.

1.7. Autres sources

Les arrêts du Tribunal fédéral citent volontiers la doctrine, et prennent le cas échéant position sur les différentes interprétations proposées pour la norme à appliquer. Le rôle de la doctrine est expressément consacré dans le code civil suisse de 1907 (cf.art. 1 er al. 3 de ce code, en vertu duquel le juge doit s’inspirer des solutions consacrées non seulement par la jurisprudence, mais également par la doctrine). De façon générale et pas seulement en droit civil, lorsque les textes applicables sont lacunaires ou qu’ils doivent être interprétés, il est fait référence aux avis de la doctrine.

Il arrive au Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence constitutionnelle, de mentionner les solutions adoptées dans les pays voisins, ainsi que la jurisprudence des Cours suprêmes de ces pays (à vrai dire surtout de l’Allemagne ; par exemple : recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral, ATF 125 I 369 ) .

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est très fréquemment citée dans les arrêts du Tribunal fédéral. Dans sa jurisprudence relative aux droits fondamentaux, le Tribunal fédéral veille à accorder, dans la mesure du possible, une portée similaire aux droits fondamentaux garantis par la Convention européenne (CEDH), d’une part, et à ceux énoncés par la Constitution fédérale, d’autre part. Il tient par conséquent compte des évolutions de la jurisprudence des organes de la CEDH (en pratique, cela concerne principalement les garanties de l’art. 6 CEDH en matière de procédure).

II.Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Le Tribunal fédéral exerce de manière explicite un contrôle de proportionnalité, en appliquant les dispositions topiques de la Constitution fédérale (art. 36 al. 3 Const.).

La jurisprudence précise, au besoin, que le principe de proportionnalité se compose de la règle d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de la règle de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de celle de la proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’intéressé et sur le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public.

2.2. Domaines de contrôle

Le Tribunal fédéral vérifie, dans tous les domaines, si le principe de la proportionnalité est respecté. Cette question se pose chaque fois qu’il doit se prononcer sur des cas de restriction des droits fondamentaux, dans la loi ou à l’occasion d’une décision concrète.

C’est le lieu de préciser que le Tribunal fédéral ne peut en principe pas contrôler la constitutionnalité des lois fédérales (ni abstraitement, lors de leur adoption, ni concrètement, dans une contestation relative à un acte d’application). L’article 190 de la Constitution fédérale dispose que « le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international ». Le contrôle de la constitutionnalité est donc limité aux lois cantonales (font partie du droit cantonal, de ce point de vue, les règles générales et abstraites adoptées par les communes).

2.2.1. Dans le cadre de la répartition des compétences entre le législateur fédéral et entités fédérées ?

Le contrôle de proportionnalité est possible dans ce cadre. On relève qu’il est très rare que le Tribunal fédéral soit saisi, par une entité fédérée (un canton), d’une action tendant à la résolution d’un conflit de compétences avec le législateur ou une autre autorité de la Confédération.

Dans une contestation ordinaire, une partie peut se plaindre d’une violation, par une autorité cantonale, du principe de la primauté du droit fédéral, exprimé à l’article 49 de la Constitution. Ce grief peut être présenté en relation avec le grief de violation du principe de la proportionnalité.

2.2.2. Dans le cadre du contrôle des lois restreignant des libertés fondamentales garanties dans la Constitution ?

Le contrôle de proportionnalité est possible dans ce cadre, étant précisé que seule la constitutionnalité de lois cantonales peut en principe être revue par le Tribunal fédéral (cf. supra, 2.2.).

2.2.3. En matière pénale ?

Le contrôle de proportionnalité est possible dans ce cadre, lorsque des atteintes aux droits fondamentaux (liberté personnelle notamment) sont prévues par la législation cantonale en matière de procédure pénale. Actuellement encore, il appartient aux cantons d’adopter la plupart des règles de procédure pénale. Un contrôle abstrait de la constitutionnalité de ces règles peut donc être effectué par le Tribunal fédéral, notamment sous l’angle de la proportionnalité des restrictions qu’elles impliquent pour la liberté personnelle. La situation juridique va évoluer prochainement, avec l’entrée en vigueur d’un code de procédure pénale unifié, pour l’ensemble de la Confédération. Il demeurera alors possible de contester la proportionnalité d’une mesure concrète (par exemple la durée de la détention préventive, l’objet d’un séquestre pénal) ; en revanche, les dispositions légales ne pourront elles-mêmes plus être mises en cause directement sous l’angle de la proportionnalité.

2.2.4. En matière de contrôle de conventionnalité ?

Du point de vue juridique, le contrôle de la conventionnalité (ou de la conformité à la CEDH) ne se distingue pas du contrôle de la constitutionnalité. En vertu de la conception moniste qui prévaut en Suisse, les normes de la CEDH sont directement appliquées par les tribunaux et la jurisprudence ne fait pas de différence, quant à leur portée juridique, entre les droits fondamentaux de la Convention et ceux de la Constitution fédérale.

2.2.5. Dans d’autres domaines ?

Cf. supra, 2.2.

2.3. Exemples

On mentionnera ci-dessous deux arrêts récents, qui permettent de mieux saisir l’approche du Tribunal fédéral lorsqu’il doit se prononcer sur la constitutionnalité de mesures prévues par des cantons, et examiner dans ce cadre le respect du principe de la proportionnalité.

Exemple n° 1 : arrêt du Tribunal fédéral du 28 mars 2007 dans la cause Slatkine et Pétroz contre Grand Conseil du canton de Genève – publié au recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral, ATF 133 I 110.

En résumé : un groupe de citoyens du canton de Genève a proposé, par la voie de l’initiative populaire, un amendement de la constitution cantonale qui tendait à interdire de fumer dans les lieux publics (initiative populaire intitulée « Fumée passive et santé »). Le parlement du canton (Grand Conseil) a décidé de soumettre ce texte au vote populaire. Deux électeurs ont formé contre cette décision un recours au Tribunal fédéral (recours pour violation des droits politiques) en faisant valoir que le texte violait le droit constitutionnel fédéral.

Les requérants ont prétendu que l’interdiction de fumer dans la quasi-totalité des lieux publics porterait atteinte à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Const.), ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale (art. 13 al. 1 de la Const., art. 8 CEDH). Le Tribunal fédéral a d’abord considéré qu’il n’était pas certain que le droit constitutionnel protège la seule faculté de fumer en tous lieux et à tout moment, en particulier dans les lieux publics. Il a toutefois laissé cette question indécise (cons. 5), pour examiner si les restrictions prévues étaient compatibles avec le principe de proportionnalité (cons.7).

Le Tribunal fédéral a considéré que l’interdiction de fumer était propre à obtenir l’effet recherché, le but de l’initiative populaire étant de protéger l’ensemble de la population contre l’exposition à la fumée du tabac dans les lieux publics intérieurs ou fermés (règle de l’aptitude, en tant que composante du principe de la proportionnalité). L’arrêt retient que ce but est d’intérêt public, la nocivité de la fumée passive étant attestée par suffisamment d’études scientifiques pour pouvoir être considérée comme correspondant à l’état actuel de la science (cons. 7.1 de l’arrêt).

Ensuite, il a été exposé que l’instauration d’une réglementation contraignante s’imposait en vue du résultat recherché : seule une règle claire et sans ambiguïté est à même d’engendrer un réel changement dans les habitudes des fumeurs, tout en évitant de nombreuses difficultés d’interprétation et d’application (règle de la nécessité– considérant 7.2 de l’arrêt).

Le Tribunal fédéral s’est enfin prononcé sur la proportionnalité au sens étroit, en effectuant une pesée des intérêts : il a considéré que pour être conforme à cette règle, l’interdiction générale de fumer dans les lieux publics devait être assortie d’exceptions, afin de tenir compte des situations particulières dans lesquelles la personne désireuse de fumer est appelée à demeurer un certain temps dans un espace fermé dont elle ne peut pas, ou pas aisément sortir. Pour les détenus, les pensionnaires d’établissements médicaux, une interdiction de fumer dans les lieux publics équivaudrait à une interdiction permanente de fumer. Le problème se pose également pour les occupants de lieux publics à usage privatif (chambres d’hôtel, lieux d’hébergement). Le Tribunal fédéral a relevé que le parlement cantonal avait d’ores et déjà manifesté son intention d’élaborer une législation d‘exécution, en cas d’adoption de l’initiative populaire, qui tiendrait compte de ces assouplissements nécessaires. Dans ces conditions, comme le législateur dispose de la possibilité d’adapter l’interdiction de fumer aux différentes situations exigeant un assouplissement ou une dérogation, le texte qu’il est prévu d’introduire dans la constitution cantonale respecte le principe de la proportionnalité (cons. 7.3 de l’arrêt).

Exemple n° 2 : arrêt du Tribunal fédéral du 21 janvier 2006 dans la cause A & consorts c. Berne – publié en allemand au recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral, ATF 132 I 49, et traduit en français au Journal des Tribunaux, JdT 2007 I 381.

En résumé : Dans le canton de Berne, la loi cantonale sur la police contient une disposition (art. 29) qui permet à la police de renvoyer temporairement des personnes d’un lieu, ou de leur en interdire l’accès, s’il y a de sérieuses raisons de soupçonner qu’elles ou d’autres personnes faisant manifestement partie du même attroupement menacent ou troublent la sécurité et l’ordre public. Fondée sur cette disposition, la police municipale de Berne a pris à l’encontre de plusieurs personnes, qui avaient été interpellées dans les locaux de la gare centrale, une décision leur interdisant de demeurer dans le périmètre de la gare (bâtiment, quais, place de la gare et rues environnantes), tout en consommant de l’alcool, pendant une durée de trois mois. Les intéressés ont recouru en vain contre ces mesures temporaires d’expulsion et d’éloignement devant le tribunal administratif du canton. Ils ont ensuite saisi le Tribunal fédéral en se plaignant d’atteintes à leurs droits fondamentaux (liberté personnelle, liberté de réunion).

Le Tribunal fédéral a considéré que les décisions contestées reposaient sur une base légale suffisamment précise (cons. 6 de l’arrêt). Il a admis l’existence d’un intérêt public à prendre des mesures visant des personnes se regroupant pour consommer des quantités notables d’alcool, en ayant un comportement bruyant dans le hall de la gare, en abandonnant des immondices, et en importunant ainsi de nombreux passants (cons. 7.1 de l’arrêt).

Les mesures temporaires d’expulsion et d’éloignement ont ensuite été jugées conformes au principe de la proportionnalité, compte tenu de l’importance du maintien de l’ordre et de la sécurité publics dans un lieu très fréquenté à l’usage des voyageurs. Comme les rassemblements de personnes consommant des quantités excessives de boissons alcoolisées compromettent l’ordre et la sécurité publics, la condition de l’aptitude est satisfaite. La règle de la nécessité est également observée car on ne voit pas quelles autres mesures, moins incisives, permettraient d’atteindre le même but. Enfin, du point de vue de la proportionnalité au sens étroit, le Tribunal fédéral a relevé que ces mesures ne portaient pas atteinte à la liberté de mouvement des intéressés, qui pouvaient toujours se déplacer dans le secteur de la gare pour autant qu’ils ne se regroupent pas pour consommer de l’alcool. Le secteur concerné n’est en outre pas très étendu et d’autres lieux existent, en ville, où les intéressés peuvent se retrouver en groupe. Enfin, limitées à trois mois, les mesures restent provisoires. Dans ces circonstances, la restriction des droits fondamentaux, pas particulièrement lourde, a été jugée conforme au principe de la proportionnalité (cons. 7.2 de l’arrêt).

2.4. Critères d’appréciation

Le raisonnement juridique du Tribunal fédéral (les critères d’appréciation) est décrit dans les deux résumés ci-dessus. Généralement, le juge constitutionnel suisse rappelle en premier lieu la portée ou le champ d’application des droits fondamentaux invoqués ; il examine ensuite la base légale de la mesure contestée, vérifie l’existence d’un intérêt public et, s’agissant du contrôle de la proportionnalité, il procède à une appréciation en fonction de la règle d’aptitude et de la règle de nécessité, en terminant par une pesée des intérêts (proportionnalité au sens étroit). Le respect du principe d’égalité est également examiné, lorsque ce grief est présenté.

2.5. Technique de contrôle courante ou exceptionnelle ? Principaux cas d’utilisation

Le contrôle de la proportionnalité d’une mesure entraînant la restriction de droits fondamentaux est courant. Généralement, la partie qui se plaint de la violation d’un droit fondamental dénonce le caractère disproportionné de la restriction. L’examen du Tribunal fédéral doit donc porter sur cette question, dans toutes les hypothèses.

2.6. Décisions les plus pertinentes

Arrêt du Tribunal fédéral du 28 mars 2007 dans la cause Slatkine et Pétroz contre Grand Conseil du canton de Genève – publié au recueil des arrêts du Tribunal fédéral, ATF 133 / 110.

Arrêt du Tribunal fédéral du 21 janvier 2006 dans la cause A & Consorts c. Berne – texte original en allemand publié au recueil des arrêts du Tribunal fédéral, ATF 132 / 49, et traduction (inofficielle) au Journal des Tribunaux 2007 / 381.

2.7. Conséquences et implications du recours au principe de proportionnalité

Dans les causes soumises au Tribunal fédéral, on constate très souvent que les restrictions des droits fondamentaux reposent sur une base légale suffisante et qu’elles sont justifiées par un intérêt public. La question centrale (en d’autres termes celle à propos de laquelle l’appréciation du juge constitutionnel est déterminante) est donc celle de la proportionnalité. Le contrôle de la constitutionnalité se résume ainsi en pratique, dans de nombreux cas, à un contrôle de proportionnalité.

La pesée des intérêts peut se révéler délicate lorsque les intérêts publics en cause sont multiples et divers, et quand différentes normes doivent être appliquées conjointement (par exemple dans des affaires complexes relatives à l’utilisation du sol, ou bien aux restrictions de politique économique). L’application du principe de proportionnalité n’est cependant pas, en tant que telle, une cause de complexité.

2.8. Appréciation

Le principe de la proportionnalité est un principe essentiel de l’État de droit, dont l’importance n’est pas mise en doute, ni dans la jurisprudence ni dans la doctrine. Dans la pratique judiciaire suisse, l’application de ce principe s’impose comme une évidence lors du contrôle des mesures qui portent atteinte aux droits fondamentaux.

Cour constitutionnelle du Togo

I. Les sources du principe de proportionnalité

1.1. Consécration par la Constitution

Oui.

1.2. Dispositions explicites et formulation

Article 14 de la Constitution

«L’exercice des droits constitutionnels n’est soumis qu’à des restrictions prévues par la loi dans le respect de la sécurité nationale. »

1.3. Autres textes
  • La loi organique portant organisation et fonctionnement de la HAAC (Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication) ;
  • le code de la presse.
1.4. Limites à l’exercice de certains droits et libertés prévues pas la Constitution

Oui (art. 20, 22, 25, 28 et 30 de la Constitution).

1.5. Principes mis en balance

Santé publique, sécurité nationale, ordre public, respect des libertés et droits fondamentaux d’autrui.

1.6. Place de la Constitution (ou d’autres sources écrites) et pouvoir normatif du juge constitutionnel ; rôle de la doctrine ; influence du droit comparé et de la jurisprudence des autres Cours

La prépondérance du pouvoir normatif du juge.

1.7. Autres sources

Accords internationaux, jurisprudence, doctrine.

La doctrine est la source de référence du juge. Le droit comparé et la jurisprudence des autres Cours sont des sources d’information du juge.

II. Le contrôle de proportionnalité

2.1. Exercice d’un contrôle explicite ou recours à des notions connexes ?

Pas d’antécédent.

2.2. Domaines de contrôle

Pas d’antécédent.

2.3. – 2.4. – 2.5. – 2.6. – 2.7.

Néant.

2.8. Appréciation

Ce principe est indispensable pour l’effectivité des libertés et droits constitutionnels et la préservation de l’intérêt général.

Annexes

 

Déclaration de Bamako

Adoptée le 3 novembre 2000 par les ministres et chefs de délégation des États et Gouvernements des pays ayant le français en partage (extraits).

Nous, Ministres et chefs de délégation des États et Gouvernements des pays ayant le français en partage, réunis à Bamako pour le Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone,

4. – Prenons les engagements suivants:
A. Pour la consolidation de l’État de droit :
1) Renforcer les capacités des institutions de l’État de droit, classiques ou nouvelles, et œuvrer en vue de les faire bénéficier de toute l’indépendance nécessaire à l’exercice impartial de leur mission ;

Programme

Cinquième Conférence des chefs d’institution de l’ACCPUF 8-12juillet 2008

Libreville, Gabon

MARDI 8 JUILLET 2008

19 h 00

Cocktail de bienvenue offert par le directeur du Bureau régional de l’OIF pour l’Afrique centrale et l’Océan indien au Haut Guégué

MERCREDI 9 JUILLET 2008

10 h 00 – 12 h 00

Réunion des membres du bureau au siège de la Cour constitutionnelle

12 h 30 – 14 h 30

Déjeuner au Palais des Conférences

15 h 30

Cérémonie solennelle d’ouverture de la 5e Conférence des chefs d’institution membres de l’ACCPUF

  • Allocution de Mme Marie Madeleine MBORANTSUO, président de la Cour constitutionnelle de la République gabonaise
  • Allocution de M.Albert Dé MILLOGO, président du Conseil constitutionnel du Burkina Faso, président de l’ACCPUF Discours d’ouverture

19 h 30

Visite du Palais Léon MBA et dîner offert par le Parlement

JEUDI 10 JUILLET 2008

9h30

Première session présidée par Mme Marie Madeleine MBORANTSUO, président de la Cour constitutionnelle du Gabon

Synthèse des réponses au questionnaire :

Mme Marie-Christine MEININGER, secrétaire générale de l’ACCPUF

Rapports :

  • M. Robert DOSSOU, président de la Cour constitutionnelle du Bénin
  • Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, membre du Conseil constitutionnel français

Débats

13 h 00 – 14 h 30

Déjeuner au Palais des Conférences

14 h 30

Deuxième session présidée par M. Bernard CORBOZ, vice-président du Tribunal fédéral suisse

Rapports :

  • M. Joseph YOUMSI, conseiller à la Cour suprême du Cameroun
  • M. Jean-Michel RAJAONARIVONY, président de la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar
  • M. Tudorel TOADER, juge à la Cour constitutionnelle de Roumanie

Débats

19 h 30

Dîner offert par M. le Premier ministre, Chef du Gouvernement à l’hôtel Laïco Okoumé Palace

VENDREDI 11 JUILLET 2008

9h30

Troisième session présidée par M. Issoufou ABBA MOUSSA, président de la Cour constitutionnelle du Niger

Rapports:

  • Mme Louise ANGUE, membre de la Cour constitutionnelle du Gabon
  • Mme Bernadette RENAULD, référendaire à la Cour constitutionnelle de Belgique

Débats

Rapport de synthèse : M. Jean du Bois de GAUDUSSON, professeur de droit à l’Université Montesquieu Bordeaux IV

13 h 00 – 14 h 30

Déjeuner au Palais des Conférences

14 h 30

Examen et vote sur les demandes d’adhésion

Intervention de Mme DESOUCHES, conseiller spécial chargé des Affaires politiques et diplomatiques, auprès du secrétaire général de l’OIF

16 h 30

Séance solennelle de clôture :

Allocution de Mme Marie Madeleine MBORANTSUO, président de la Cour constitutionnelle du Gabon

Allocution de M. Albert Dé MILLOGO, président du Conseil constitutionnel du Burkina Faso, président de l’ACCPUF

Discours de clôture

20 h 00

Dîner de Gala offert par S.E. Monsieur le Président de la République, Chef de l’État

SAMEDI 12 JUILLET 2008

9h00 Excursion

Visite de l’arboretum

Rafraîchissements sur le site

Promenade sur la TSINI

Déjeuner sur la plate forme flottante

Liste des participants

I. Représentants des Cours constitutionnelles et institutions équivalentes membres de l’ACCPUF

INSTITUTIONS DÉLÉGUÉS
Cour constitutionnelle,
Belgique
Mme Bernadette RENAULD, référendaire
Cour constitutionnelle,
Bénin
M. Robert DOSSOU, président
Mme Marcelline GBEHA AFOUDA, vice-président
M. Théodore HOLO, conseiller
Conseil constitutionnel,
Burkina Faso
M. Albert Dé MILLOGO, président
M. Benoît KAMBOU, membre
M. Filiga Michel SAWADOGO, membre
M. Abdouramane BOLY, membre
Mme Elisabeth Monique YONI, membre
Cour constitutionnelle,
Burundi
M. Népomucène SABUSHIMIKE, membre
Cour suprême,
Cameroun
M. Joseph YOUMSI, conseiller
M. Dagobert BISSECK, conseiller
Cour suprême,
Canada
Mme Anne ROLAND, registraire
Cour constitutionnelle,
Centrafrique
M. Marcel MALONGA, président
M. Bernard VOYEMAKOA, conseiller
Cour constitutionnelle,
Congo Brazzaville
M. Auguste ILOKI, vice-président
Conseil constitutionnel,
France
Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, membre
Cour constitutionnelle,
Gabon
Mme Marie Madeleine MBORANTSUO, président
M. Jean Pierre NDONG, membre
M. Michel ANCHOUEY, membre
M. Hervé MOUTSINGA, membre
M. Marc Aurelien TONJOKOUE, membre
M. Dominique BOUNGOUERE, membre
Mme Louise ANGUE, membre
M. Jean Eugène KAKOU-MAYAZA, membre
M. Joseph MOUGUIAMA, membre
M. Delmond N’GAYIS OTOUNGA, secrétaire général
M. Christian Baptiste QUENTIN, directeur du centre de recherche et de droit comparé
Cour suprême,
Guinée
M. Lamine SIDIME, président
Tribunal constitutionnel,
Guinée équatoriale
M. Francisco Javier NGOMA MBENGONO, président
M. Don Juan Carlos ONDO ANGUE, juge
Cour de cassation,
Haïti
M. Georges MOISE, président
Haute Cour constitutionnelle,
Madagascar
M. Jean-Michel RAJAONARIVONY, président
M. Dieudonné RAKOTONDRABAO, haut conseiller
Cour constitutionnelle,
Mali
M. Amadi Tamba CAMARA, président
Mme Fatoumata DIALL, conseiller
Conseil constitutionnel,
Maroc
M. Hani EL FASSI, membre
Conseil constitutionnel,
Mauritanie
M. Taki OULD SIDI, membre
M. N’Gam LIRWANE, membre
M. Mohamed Ould M’REIZIG, secrétaire général
Conseil constitutionnel,
Mozambique
Mme Lucia AMARAL, juge conseiller
M. Manuel FRANQUE, juge conseiller
Cour constitutionnelle,
Niger
M. Issoufou ABBA MOUSSA, président
M. Karimou HAMANI, conseiller
Cour constitutionnelle,
Roumanie
M. Tudorel TOADER, juge
Conseil constitutionnel,
Sénégal
M. Chimère Malick DIOUF, membre
Tribunal fédéral,
Suisse
M. Bernard CORBOZ, vice-président
Conseil constitutionnel,
Tchad
M. Taher ABDERAMAN HAGGAR, vice-président
Cour constitutionnelle,
Togo
M. Aboudou ASSOUMA, président
M. Mipamb NAHM-TCHOUGLI, membre

II. Membres observateurs de l’ACCPUF et cours invitées

MEMBRES OBSERVATEURS DÉLÉGUÉS
Conseil constitutionnel,
Algérie
M. Mohamed ABBOU, membre
M. Dine BENDJEBARA, membre
COURS CANDIDATES DÉLÉGUÉS
Conseil constitutionnel,
Tunisie
M. Fathi ABDENNADHER, président
M. Brahim BERTÉGI, membre

III. Autres participants

AUTRES PARTICIPANTS NOMS
Secrétariat général de l’ACCPUF Mme Marie Christine MEININGER, secrétaire générale
Mlle Stéphanie DUJARDIN, chargée de mission
ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE Mme Christine DESOUCHES, conseiller spécial du secrétaire général de l’OIF
Mme Patricia HERDT, chargée de projets à l’OIF
M. Xavier MICHEL, directeur du Bureau régional de l’OIF pour l’Afrique centrale et de l’Océan indien à Libreville
Personnalités invitées M. Jean du Bois de GAUDUSSON, professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV président honoraire de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)
Mme Monique PAUTI, ancienne secrétaire générale de l’ACCPUF

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